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French Pages 619 [620] Year 1976
LA TRADITION POPULAIRE
DE DANSE EN BASSE-BRETAGNE
ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES - PARIS
ÉTUDES
EUROPÉENNES I
MOUTON • PARIS • LA HAYE
JEAN-MICHEL GUILCHER
LA TRADITION POPULAIRE
DE DANSE EN BASSE-BRETAGNE
MOUTON • PARIS • LA HAYE
Première édition 1963 Deuxième édition 1 9 7 6 I S B N : 90-279-7572-8 (Mouton) C) 1 9 6 3
by
École
P r a t i q u e des H a u t e s É t u d e s ,
Paris.
INTRODUCTION
De toutes les activités qu'embrasse le folklore, les activités corporelles demeurent les plus mal connues. La danse est du nombre. Si les circonstances où elle s'exécute, les croyances qui parfois s'y attachent, les usages, les costumes, le symbolisme prêté aux gestes, ont souvent piqué la curiosité, très peu d'observateurs au contraire se sont attachés à l'étude du mouvement, qui est pourtant la substance même de ce moyen d'expression. C'est probablement que la société machiniste, intellectualisée, compartimentée, qui est la nôtre, a réduit le mouvement humain, quantitativement et qualitativement, à un niveau trop rudimentaire, pour que des chercheurs se trouvent préparés à le comprendre et même à s'y intéresser. C'est aussi que la difficulté de saisir et d'étudier les faits moteurs constitue en elle-même un obstacle grave. Mais on peut se demander s'il n'en résulte pas une lacune regrettable dans notre compréhension de populations qui précisément avaient un mode tout différent de vie, faisaient au mouvement corporel une place sans équivalent dans le nôtre, donnaient au geste des contenus psychiques, parfois une valeur de langage véritable, dont nous n'avons plus l'expérience. Dans la société rurale d'hier en effet, la vie proprement intellectuelle demeure contenue par force dans des limites modestes. L'activité corporelle en revanche est intense, l'intelligence motrice constamment sollicitée. Le corps, instrument au premier chef du travail et du jeu, exercé dans des directions diverses, est naturellement aussi instrument immédiat de l'expression. Là où la parole se montre impropre ou insuffisante, la vie puissante et confuse de l'être trouve dans le mouvement, particulièrement dans le mouvement uni à la musique, son expression la plus pleine.
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Cette expression est individuelle, mais sociale plus encore. E n milieu traditionnel la vie de l'individu se sépare mal de celle du groupe entier. La conscience de groupe est vigoureuse, les liens sociaux à la fois tutélaires et contraignants. La danse est par excellence l'activité collective où la communauté se regroupe et s'exalte, prend conscience de soi et s'affirme publiquement. Aussi ne doit-on pas s'étonner de lui voir remplir des fonctions multiples, dont beaucoup excèdent le divertissement pur. Il est normal aussi de la trouver diverse comme les petits groupes humains dont elle traduit la personnalité singulière. Normal enfin de constater son évolution dans le temps où le groupe évolue lui-même, et de voir ses transformations refléter celles de la société et des mœurs. Révélateur d'une vie secrète qui échappe au langage, la danse manifeste la psychologie individuelle et collective, témoigne de l'état d'une société et des changements qui l'affectent. La civilisation paysanne traditionnelle achève de s'éteindre, et avec elle sa riche expérience du mouvement. La recherche dont nous exposons ici les résultats 1 a eu d'abord pour but d'apprendre ce qu'une enquête systématique, minutieuse et de grande extension, pouvait encore, à la date où nous sommes, apporter d'enseignements à son sujet. L e terrain d'étude a été la Basse-Bretagne. N o s attaches personnelles y inclinaient. Mais les avantages de ce pays pour une telle entreprise étaient notoires 2 : personnalité ethnique originale ; limites géographiques définies (la mer sur trois côtés ; une frontière linguistique pour le quatrième) ; isolement relatif au cours de l'histoire favorisant la conservation d'états anciens; tradition populaire encore vivante ou présente aux mémoires; riche folklore musical. La prospection des milieux populaires bretons, commencée en 1945 sur la côte occidentale du Bas-Léon, s'est régulièrement et méthodiquement poursuivie depuis cette date, étendue de proche en proche jusqu'à s'achever quinze ans plus tard en pays gallo. A raison le plus souvent de plusieurs « villages » par commune, trois cent soixante quinze communes ont ainsi été visitées, totalisant un nombre beaucoup plus élevé de points d'enquête qui couvrent la Basse-Bretagne d'un réseau serré. La recherche a été menée à titre privé jusqu'en 1955, dans le cadre du C.N.R.S. depuis lors. Nous avons eu le souci de ne laisser inexploré aucun terroir, si mince fût sa surface ou sa réputation. Nous nous sommes efforcé de ne
1. L ' e n q u ê t e sur le terrain et à t r a v e r s les sources écrites qui d e v a i t réunir les m a t é r i a u x d u présent t r a v a i l , a été menée c o n j o i n t e m e n t par d e u x ouvriers, Hélène et Jean-Michel Guilcher. L e nous que l ' a u t e u r e m p l o i e r a au l o n g de cet o u v r a g e e s t un c o m p r o m i s entre le pluriel et le singulier qu'il e û t d û , s u i v a n t les m o m e n t s , e m p l o y e r tour à tour. 2 . C f . F . F A L C ' H U N , Mission,
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laisser échapper aucune danse, recueillant les versions, flatteuses ou rudimentaires, sans jugement à priori sur leur valeur. Enfin nous avons essayé d'élargir notre curiosité au maximum, renonçant seulement à poser les problèmes que l'absence de documentation rendait insolubles, en découvrant d'autres chemin faisant, reprenant au besoin la recherche en conséquence. Notre premier objectif était d'acquérir au contact du danseur traditionnel lui-même, sans personnes ou textes interposés, la connaissance précise des danses et de leurs mouvements. L'enquête devait rendre compte de la distribution géographique des formes, des pas, des styles; donner une idée de la variation individuelle et sociale en chaque terroir; enfin éclairer autant que possible les modifications survenues dans la composition du répertoire comme dans le détail de chaque danse. La question se posait simultanément de savoir ce que le danseur attend de la danse, quel sens il lui donne, quelle satisfaction il y trouve, ce qu'il y manifeste de lui-même. La géographie et l'histoire du mouvement qui se sont peu à peu dégagées de notre recherche sont aussi à quelque degré une histoire et une géographie psychologiques, apportant leur contribution à une meilleure connaissance des populations bretonnes. Elles apparaîtront souvent complexes, quelque effort que nous ayons tenté pour en extraire les lignes essentielles. La réalité vivante est plus complexe encore, et plus nuancée. Nous ne pouvions simplifier davantage sans la trahir. Nous étions curieux, bien entendu, du passé des danses ainsi recueillies. La tradition vivante et les textes pouvaient en apprendre quelque chose, mais seulement pour une époque toute proche. Les documents, en effet, clairsemés et laconiques au long du xix e siècle, manquent presque entièrement aux époques antérieures. Une méthode indirecte s'offrait : la comparaison avec les danses d'autres peuples et d'autres milieux sociaux. En particulier avec les danses de villes, dont les archives remontent incomparablement plus loin que celles de nos danses folkloriques. Désireux là encore de réduire autant qu'il se pourrait la part des intermédiaires, nous avons entrepris le dépouillement des documents originaux conservés en cette matière par les grandes bibliothèques parisiennes, et passé en revue un nombre important de textes et notations, dont plusieurs n'avaient pas été utilisés jusqu'ici par les historiens de la danse. Très peu, considérés isolément, ont montré un rapport direct avec une danse bretonne. En revanche l'enseignement qu'ils ont fourni sur la danse en général et son évolution du xv e au xx e siècle s'est révélé indispensable pour l'analyse des répertoires folkloriques. Dans le fonds breton il a permis de reconnaître les apports d'époques successives, et
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parfois de les dater approximativement. Enfin, en quelques cas privilégiés, il a été possible de mettre en évidence l'origine citadine de danses ou figures de danse représentées aujourd'hui dans la tradition de BasseBretagne. Les résultats obtenus par cet ensemble de recherches devaient permettre de soulever d'autres problèmes. Celui, par exemple, que pose, au plan esthétique, la qualité si souvent remarquable des danses folkloriques. Beaucoup d'entre elles, par la sûreté des proportions, la qualité du détail, l'accord du contenu le plus plein avec la forme la plus stricte, possèdent à leur niveau modeste une sorte de perfection, généralement reconnue aujourd'hui, qui oblige à s'interroger sur leur genèse. . L'étude in situ permet seule une réponse qui ne soit pas théorique. Il convient d'abord de prendre une vue plus juste de ce qu'est réellement la qualité folklorique, en re-situant à leur juste place, dans l'ensemble des versions pratiquées en milieu traditionnel, les formes flatteuses que le spectacle et le livre font trop uniquement connaître au public. Il s'agit ensuite de s'enquérir de leurs antécédents. Les gestes en effet ont une histoire, comme les mots, et l'on est fondé à concevoir une étymologie du mouvement. Là où la tradition demeure suffisamment vivante, le milieu populaire peut encore en fournir les éléments. Nous l'avons vérifié dans notre secteur de recherches. Plus généralement encore, c'est la notion complexe de tradition populaire que nous avons voulu contribuer à éclairer. Dans l'ancienne société rurale, la tradition régente tous les aspects de la vie. Mais elle n'est pas identique en tous. Elle est autre en matière de chanson qu'en matière de conte, autre en matière de costume, de mobilier ou de danse. Les conditions, les agents, les mécanismes de la transmission diffèrent. Et donc ses effets. Comment s'opérait la tradition du mouvement et qu'en résultaitil pour la chose transmise? La tradition était-elle mémoire fidèle ? Transformait-elle au contraire et dans quel sens ? Accueillait-elle des modèles extérieurs ? Faisait-elle une place à l'invention ? Ces questions ont pris pour nous une importance croissante à mesure que, l'information devenant plus complète, l'intérêt s'est progressivement déplacé de la danse au danseur, du contenu de la tradition à sa nature même. En l'absence d'une méthode conçue pour l'étude des faits de mouvement, nous avons dû au départ nous inspirer de disciplines plus ou moins voisines, découvrir ensuite au prix d'inévitables pertes de temps, des façons plus appropriées et plus fécondes de procéder. Un dernier objectif a précisément été de tirer de ces tâtonnements, sinon une méthode véritable, au moins des principes directeurs, susceptibles d'être appliques ailleurs et moyennant les adaptations nécessaires, à la recherche et à
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l'étude des danses traditionnelles. Nous nous sommes ainsi appliqué à dégager ce que l'expérience nous a appris touchant les composants du mouvement et notre inégale capacité de les appréhender ; les sources pour l'étude de la tradition; la conduite de l'enquête; la critique et l'interprétation des résultats; la comparaison; l'exposé des faits. Cette partie de notre travail fait dans le présent ouvrage l'objet d'une section distincte. Nous avons bénéficié de concours assez nombreux et divers pour qu'il soit impossible de les rapporter tous. Au plan le plus général nous avons, à différentes étapes de ce travail, trouvé auprès de MM. F . F A L C ' HUN, G. H. R I V I È R E , J . C H A I L L E Y , A. L E R O I - G O U R H A N , conseil, appui, aide efficace. En Bretagne, beaucoup nous ont ouvert leurs bibliothèques, fourni des indications bibliographiques, communiqué des documents de natures variées (tels les docteurs L. D U J A R D I N , L E B R E T O N , Ch. L A U RENT, les chanoines G U É G U E N et K E R B I R I O U , M. l'abbé K E R S A L É , MM. D . BERNARD, H . BUFFET, R . GARGADENNEC, D . LAURENT, B . d e PARA-
DES). D'autres nous ont guidés et introduits auprès des danseurs traditionnels, de leur terroir. Citons parmi beaucoup d'autres M m e s V. L A N G E V I N à l'Arcouest, LOSTANLEN à Plouyé, M U e s G. COADOU à Locronan, D . CONAN à Langonnet, MM. A L L E N O U à Gouarec et Glomel, G. B E R N I E R à Quiberon, Y. D O U R à Kernascleden, E V E N O U à MaëlCarhaix, F A L C ' H U N à Saint-Pabu et Sizun, H E L L E C à Sarzeau, Y. L E C A N N à Hanvec, L E F U R à Perret, L E J A N E à Calanhel, L E L O R I C à SaintThuriau, J. L E PABOUL à Baud, L E T O U X à Inguiniel, M E R C I E R à Glomel, A. M O C A Ë R à Carantec, Y. POËNS à Tremel, F . Q U É L E N à Brasparts, L. ROPARS à Poullaouën, etc... Nos amis Paul F A U C H E R , Jean B A R S , William L E M I T , ont lu tout ou partie du manuscrit, nous faisant bénéficier d'une pénétrante critique et de précieuses suggestions. M . Cl. L É V I - S T R A U S S enfin a bien voulu faciliter la publication de cet ouvrage. A tous, à nos amis du B L E U N B R U G et d'AR F A L Z , à tant d'autres encore que nous ne pouvons nommer, nous exprimons ici notre profonde gratitude.
PREMIERE PARTIE
LA DANSE DANS LA VIE
CIRCONSTANCES ET USAGES
I. — LE PUBLIC DE LA DANSE Des danses traditionnelles de cachet breton ont été à d'autres époques le bien commun de toute la société bretonne. Les écrivains du xvi e siècle attribuent aux gentilshommes aussi bien qu'aux paysans les trihoris, passepieds et branles gais de Bretagne. Au xvn e Madame de Sévigné s'émerveille de voir danser par le Sénéchal de Rennes, les marquis de Locmaria et Coëtlogon, une sorte de danse qu'on ignore à Versailles. Depuis la fin du xvin e siècle au plus tard, le public de la danse proprement bretonne est allé se réduisant. Dans la période récente où les témoignages oraux permettent de la saisir et de l'étudier, la tradition n'appartient plus, ou peu s'en faut, qu'aux milieux populaires. Avant tout elle est paysanne. Dans la plus grande étendue de la Basse-Bretagne la danse traditionnelle a représenté jusqu'à nos jours l'essentiel du répertoire paysan, et souvent sa totalité. C'est chez les paysans qu'il faut chercher le sentiment le plus vif de la tradition, les formes les plus anciennes de la danse, les façons les plus anciennes d'en user. C'est à eux enfin, que le répertoire doit le cachet sous lequel nous le connaissons aujourd'hui. Le public citadin n'en est pas moins appréciable. Dans ces petites villes bretonnes, toutes pénétrées de vie rurale, une part importante de la population — artisans, boutiquiers, ouvrières — pratiquait naguère encore la danse traditionnelle, sans pour cela tout ignorer de la mode parisienne, du jour ou de la veille. Au cours du xix e siècle la petite bourgeoisie de beaucoup d'entre elles participait encore au divertissement commun. Enfin la population côtière — pêcheurs et cultivateurs pêcheurs — possède le même fond ancien, auquel elle ajoute, elle aussi, les nouveautés
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dont les marins la pourvoient. Les marins en effet sont partout des premiers à connaître et faire connaître l'actualité. Autant ou plus que les citadins, ils ont joué un rôle capital dans la modernisation du répertoire. Il s'agit donc au premier chef d'un public paysan, c'est-à-dire dans le cas présent d'une population implantée suivant un mode très dispersé. Ce fait a son importance pour l'intelligence de la tradition bretonne. Sur la surface souvent très considérable d'une commune, sont disséminés des écarts, fermes et groupements de fermes. Groupements modestes pour la plupart : quelques familles résidant au centre des terres qu'elles cultivent. Dans une agglomération plus importante sont réunis l'église, la mairie, les services publics, les commerçants et artisans. Le parler populaire nomme bourg ce chef-lieu, et villages les écarts. Nous adopterons ces termes, en soulignant une fois pour toutes le sens particulier où ils sont pris. Uniquement peuplé de cultivateurs, le village breton n'est pas un groupement autonome, et même n'a presque jamais une personnalité distincte. Il partage ses coutumes et ses fêtes avec les groupements voisins. Il n'est pas davantage une unité d'exploitation agricole obéissant à un plan d'ensemble. Chaque famille est maîtresse de sa terre, et en même temps se sait membre d'un ensemble plus vaste, commune ou paroisse. Le village n'en est pas moins une unité réelle de vie sociale. Les rapports entre familles sont beaucoup plus que de simple voisinage : d'habitude immémoriale, chacun a accès à la vie de tous. Tenir sa porte fermée passe pour une marque de défiance injurieuse. Les maisons sont ouvertes. Entre qui veut. Tout lie les individus, l'enfance passée en commun, la donnée du milieu, la mentalité identique, les exigences d'un travail qui met constamment les uns dans la dépendance des autres. Prêter un attelage, des outils, donner au voisin son temps et ses forces, sont des services ordinaires et qui vont de soi. En période de gros travaux, battage des céréales par exemple, le village n'est plus qu'une équipe de travailleurs, grossie occasionnellement de parents et amis venus des villages voisins. Chaque ferme à son tour dispose de la main-d'œuvre générale masculine et féminine. Telle a été et telle est encore la cellule paysanne de base : un groupement de familles réalisant une certaine communauté de vie et de travail. Quant à la commune, entité administrative greffée sur une entité religieuse plus ancienne, elle présente ou non, suivant les cas, une unité et une originalité culturelles. Nombreuses sont les communes partagées entre plusieurs influences, nombreuses aussi celles où la tradition se montre homogène et pratiquement identique à celle des localités voisines. L'étude de la danse, comme celle d'autres faits culturels, conduit à reconnaître l'existence de secteurs géographiques d'étendue variable où la tradition montre une relative unité.
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On ne peut ordinairement définir ces « pays de danse » que de façon approchée, et variable suivant le critère choisi, en raison des caractères que nous serons amené à reconnaître aux frontières de mouvement : elles sont complexes (chaque danse, chaque composant d'une danse, peut avoir ses limites propres), incertaines (on relève des transitions entre états extrêmes) et mouvantes (les tracés diffèrent suivant les époques). Avertissons donc dès maintenant que les termes de « terroir » ou de « pays » seront — par force — pris tout au long de cet ouvrage dans un sens imprécis et très souple. Ils n'impliquent aucune équivalence aux terroirs définis par d'autres études, ethnologiques ou linguistiques.
II. — LES OCCASIONS D E DANSE A . — L A DANSE E T LE TRAVAIL
Nous avons fait allusion au système d'entr'aide en vigueur chez les paysans bas-bretons. Chaque famille, devant une besogne trop lourde pour elle, fait appel à d'autres. Dans toute la mesure où les voisins et amis ne sont pas eux-mêmes retenus sur leur terre par un travail impossible à remettre, ils fournissent les hommes, les outils, les attelages demandés. Des inconnus y aident quand il est nécessaire. Il n'est jamais question de la valeur matérielle de ces services. Le bénéficiaire n'est obligé qu'à traiter de son mieux ses auxiliaires bénévoles. Il est leur hôte, non leur employeur. Lui même les servira dans une autre occasion. Il y a ordinairement beaucoup de bonne humeur dans ces rassemblements d'égaux. Qui s'y rend pense au plaisir de la rencontre, et très peu à la peine qui l'attend. Un goût et un respect profonds du travail, un art de susciter l'amour-propre et l'émulation, font que le travail luimême y prend assez souvent un air de fête. A plus forte raison la détente qui le suit. Plus la besogne a été rude, plus est grande la revanche du plaisir. Le maître de maison le sait. Il prévoit le divertissement en même temps que la tâche. Il prend des dispositions pour l'un et pour l'autre. On verra plus loin des exemples de cette intrication du travail et du loisir. Aussi digne de remarque est le rôle assigné dans la détente à l'activité corporelle. On ne tient généralement pas que le meilleur moyen de récupérer ses forces soit de ne plus rien faire. Au contraire. Jouer et danser ont, à juste titre, la réputation de « casser la fatigue ». Il n'est pas de tâche si harassante qu'elle empêche les jeunes au moins de finir la journée en dansant. D'où une ambivalence des gros travaux agricoles. Beaucoup, dans un passé proche, étaient encore une besogne exténuante et une fête. C'est souvent sous le second aspect qu'ils demeurent dans les mémoires.
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i. Le cycle annuel Chaque ferme a ses auxiliaires ordinaires, à qui d'abord elle demande assistance en cas de besoin. Pour les foins ou les moissons d'une petite exploitation, l'aide d'une ou deux autres fermes suffit ordinairement. Pour les battages il n'est pas rare de voir s'unir deux ou trois villages. Toute famille participe ainsi d'une petite société de travail, qui se regroupe en variant légèrement de composition, au service de l'un puis de l'autre. Suivant les régions, tels ou tels travaux font plus particulièrement appel à cette équipe de base. Suivant les régions aussi, telle ou telle de ces rencontres est plus particulièrement occasion de danses. Les battages le sont presque partout. Rares sont les pays où le dernier jour au moins (peur tçorn) n'a pas été fêté de cette façon. Nombreux sont ceux où chaque journée de battage (et il pouvait durer plusieurs semaines) se terminait autrefois par une ronde. Certains travaux annuels réunissent une société plus nombreuse, et où la moyenne d'âge est plus jeune, soit qu'il faille en effet plus d'exécutants, soit que, la saison pressant moins, les jeunes gens puissent se regrouper successivement dans un village puis dans un autre pour travailler et se réjouir ensemble. Naguère encore, dans une partie de la Haute-Cornouaille (terroirs de Maël-Carhaix, Carhaix, Plounevez-Quintin, Gourin, PlelaufF) la jeunesse attendait avec impatience les récoltes de pommes de terre et betteraves. Elles duraient tout le mois de septembre, parfois davantage. La population masculine et féminine de plusieurs villages voisins formait une seule grande équipe qui travaillait pour chacun de ses membres à tour de rôle. Deux ou trois fois par semaine on s'accordait une longue veillée de récréation, quelquefois une nuit entière. Des jeunes, accourus d'autres villages, ou même d'autres communes, venaient accroître le nombre des veilleurs. Comme toujours la danse et le jeu corporel tenaient la première place. Et tel était le plaisir, que ceux qui aujourd'hui évoquent ces rassemblements ne songent même plus aux interminables journées de fatigue qui en étaient la rançon. Les arrachages d'automne ne sont plus dans leur mémoire que la saison bénie des feston noles « fêtes de nuit ». Une grande partie de la Basse-Bretagne a connu l'opération de Vambleudadeg ed du. Elle consiste à ôter de l'akène de sarrazin les restes d'enveloppes florales qui tiennent encore à sa base. On le fait ordinairement en piétinant le grain sous les pieds nus, plus rarement sous des sabots à fond plat et sans clous. En quelques régions c'est un travail individuel. En d'autres c'est une danse collective 1 . i . L a danse de l'ambleudadeg a eu cours dans le pays de Quimper-Chateaulin, les confins occidentaux de la Cornouaille montagneuse, la presqu'île de Crozon, la Cornouaille au nord de l'Aulne, tout le Léon, le Trégor occidental.
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Le fermier qui annonce une ambleudadeg est assuré de réunir chez lui toute la jeunesse de son quartier. En veut-il davantage il lui suffit, vers le soir, de sonner longuement du korn bond1 ou de faire crier par ses garçons quelques « IOUS » aigus et prolongés. Bientôt après il voit arriver des villages environnants des renforts appréciables. La danse de Yambleudadeg est pourtant une rude affaire. Le blé noir est étendu sur le sol d'une grange, en couche de dix à trente centimètres. Hommes et femmes y enfoncent jusqu'aux mollets. Des travailleurs armés de pelles ramènent sous leurs pas le grain qu'en dansant ils ont rejeté vers les murs. Après quelque temps les pieds cuisent aux danseurs, l'air chargé de poussière devient irrespirable. Aucune danse précise n'est possible dans ces conditions. On s'en tient ordinairement à des danses-jeux sans pas réglés, entremêlées de jeux non dansés. Assez analogue à l'ambleudadeg est le jrikadeg boîoh du Trégor, où il s'agit d'écraser en dansant les capsules sèches du lin pour en extraire la graine. L'hiver met fin aux grands rassemblements, mais les occasions de danser en groupe restreint sont nombreuses dans les veillées où se réunissent les paysans d'un même village, et parfois ceux d'écarts voisins. Les hommes broient et peignent le chanvre, réparent les outils. Les femmes filent. Et la soirée s'achève en danses. Les textes antérieurs à notre époque font souvent allusion à ces fileries joyeuses. Aujourd'hui même, dans une partie de la Montagne Noire, le nom de fileries ou filages continue de désigner toute réunion nocturne où l'on danse après un travail. Il y a des veillées où le travail, fort peu absorbant, laisse toute la place à l'amusement. Par exemple les veillées de lessive, comme chaque ferme importante en faisait trois ou quatre par année. Le linge, en des cuveaux géants, trempe toute la nuit dans l'eau bouillante additionnée de cendre. Les jeunes filles chargées de sa surveillance ont invité leurs compagnes et des jeunes gens. On boit du café. On danse aux chansons. 2. Les grandes journées A côté de ces travaux que chaque année ramène en chaque demeure, il en est auxquels une famille paysanne ne fait face que de temps à autre. Mais il ne se passe guère d'année où l'on n'en voie dans la commune. Ainsi les écobuages, défrichages de landes ou de terres à fougères, réfections d'aires à battre, abattages ou relèvements de talus, charrois, curages d'étangs et de ruisseaux.Beaucoup de ceux-là sont travaux de grande envergure. Il faut pour les mener à bien une affluence exceptionnelle d'ouvriers.
1. Trompe un cornet.
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Le même système de coopération les procure. Bouët 1 le caractérisait bien quand il écrivait : « C'est en effet à l'occasion des marreries 2 qu'a lieu principalement cette espèce de conscription volontaire ; qu'une foule d'étrangers réunis par des travaux organisés en parties de plaisirs deviennent momentanément une grande et joyeuse famille, et que cinquante ménages épars ne forment plus soudain qu'un seul et vaste ménage sociétaire. » A quoi Le Guyader 3 avait raison d'ajouter ce commentaire : « Les défrichements en grand constituent une véritable fête pour les cultivateurs, qui se rendent en foule à l'appel des fermiers, leurs amis. Maîtres et domestiques, chevaux et chariots, tout est exact au rendez-vous, et si le travail est dur, la ripaille est énorme. C'étaient là autrefois les « deveziou braz », les grandes journées. » On ne saurait mieux dire. Les « grandes journées », journées de rude travail, étaient en même temps une fête, et recherchées comme telles. Sans caractériser chacune de ces opérations, il faut au moins dire quelques mots des aires neuves, en raison du rôle de premier plan qu'elles ont joué dans le vie du danseur breton. Dans l'une au moins des fermes qui composent un village, une grande aire plane s'étend devant les bâtiments d'habitation. Là sont battues les céréales, celles de la ferme, éventuellement celles des voisins. Au temps où les battages se faisaient au fléau, les gerbes étaient posées à même la terre, et le grain recueilli sur le sol. Il importait alors que le terrain fût uni, sans fissures, dur, et parfaitement nettoyable. Pour le maintenir en cet état on le refaçonnait de loin en loin. Suivant l'expression consacrée, on faisait une aire neuve (al leur neve%). La saison des aires neuves commençait en mai pour s'achever aux premiers battages. La réfection se fait en deux étapes 4. La première consiste à défoncer la vieille aire, à y déverser de l'argile et de l'eau, à brasser longuement le tout pour en faire une couche de boue homogène de trente à soixante centimètres de profondeur. On aplanit et lisse la surface. On laisse sécher. La seconde étape intervient au moment où le mélange a presque fini de durcir, c'est-à-dire, suivant le temps, de une semaine à un mois après la première. Elle consiste à tasser le terrain pour lui donner la fermeté et la régularité voulues. On tient qu'aucune technique de pilonnage ne vaut une foule d'hommes dansant plusieurs heures sur la boue sèche. C'est donc une réunion de danse que le fermier organise au jour 1. Br.-Iz., p. 353. tnarradeg
2. E n breton appelée marre.
3. Br-Iz., p. 256.
: grand défrichage, effectué au moyen de l'espèce de liouc
4. Cf. G U I L C H E R , « L ' a i r e neuve en Basse-Bretagne». 1960, pp. 138-164).
(Arts et trad, pop.,
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qui lui paraît le plus convenable. Il la fait proclamer par le crieur public. Il y invite personnellement ses amis. Au joui dit plusieurs centaines de danseurs endimanchés accourent des villages et communes voisines. La fest al leur neve^ (fête de l'aire neuve) commence. Il y a ordinairement un cérémonial d'ouverture. La plus ancienne description qu'on en connaisse est celle de Cambry (1801). Il s'agit de souvenirs de la fin du x v m e siècle : « On faisait avec cérémonie le tour de l'aire, précédé par la musette et le hautbois, instrumens principaux du pays. Le maître de la maison marchait suivi de ses amis, ceux-ci montraient à l'extrémité d'un bâton, les présens qui doivent diminuer les frais de la fête ; des femmes portant du lait, du beurre et des moutons terminaient la marche... » Un siècle plus tard Ritalongi 2 en pays bigouden note encore que « telles fermes sont réputées pour la beauté de leurs aires neuves qui sont suivies à l'égal des pardons. » Nos informateurs paysans ne nous ont jamais fait connaître le défilé solennel des présents que décrit Cambry, mais partout les vieilles gens se souviennent d'une étiquette précise — variable suivant les lieux — réglant la première danse. Souvent le terrain est encore boueux. On y enfonce jusqu'aux chevilles ou davantage. Il y a quelque mérite alors à entrer en danse. Le fermier et sa femme, leurs enfants, leurs parents et amis, donnent l'exemple. Les personnes valides ont à cœur de les suivre. Malgré les conditions peu engageantes le répertoire est le même qui a cours dans les noces, pardons... etc. Que la tradition locale dispose les exécutants en ronde, en chaîne, en double front ou en cortège, il y a toujours moyen (cercles concentriques, trajets sinueux), de leur faire piétiner tout l'espace. A mesure que les danses se succèdent, l'humidité s'évapore, mais des trous de boue demeurent longtemps par places. La curieuse expression bretonne poania da gansai (peiner à la danse) prend son sens dans les commencements d'une aire neuve presque autant qu'à Yambleudadeg. La danse y est d'abord un dur travail, et celui qui s'y dépense courageusement accroît sa réputation de travailleur. Mais toute laborieuse qu'elle soit, elle est réellement aussi un amusement. Elle l'est de plus en plus à mesure que la journée s'avance et que le sol s'affermit. Les danses alternent avec des séances de lutte, des courses, des jeux, des concours. Des marchands forains de boisson, de gâteaux, bonbons, fruits, ont dressé leurs tentes dans le voisinage. Les fermiers convient leurs invités à une abondante collation. Bref tout est mis en œuvre pour que le plaisir l'emporte sur la corvée. A juste titre La Villemarqué * voit dans l'aire neuve « la fête de l'agriculture » par excellence. Témoi1. C A M B R Y , Voyage., p. 421. 2. Bigoudens, p. 62. 3. Barzaz, p. 434.
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gnages de vieilles gens, chansons populaires et textes anciens, mandements civils ou ecclésiastiques d'ancien régime, s'accordent en effet à montrer dans la. jest al leur tieve^ une des toutes premières fêtes profanes de la paysannerie, et l'une des plus recherchées des danseurs. On peut affirmer qu'elle a eu cours dans toute la Basse-Bretagne. Il est des pays où toute autre occasion de danse était finalement inconnue : dans une grande partie du Haut-Léon la danse, interdite par le clergé, avait disparu des noces mêmes. Elle demeurait vivante aux aires neuves et là seulement. En d'autres localités (région de Plouescat) les paysans croyaient de bonne foi avoir éliminé de leur vie toute espèce de danse. Ils avaient pourtant aux aires neuves des évolutions collectives rudimentaires, rythmées par des chansons 1 : la nécessité du travail leur faisait à leur insu réinventer la danse. Il est possible qu'une liaison si universelle et fréquente entre la danse et la pratique utilitaire ait fait naître ou renforcé quelques-unes des caractéristiques de rythme et de style les plus constantes dans les danses bretonnes 2. Les aires neuves ont commencé à disparaître en quelques terroirs dès la fin du x i x e siècle. Nombre de prêtres les interdisaient comme occasions de désordres. Les nouvelles techniques de battage les rendaient de moins en moins nécessaires. Elles ont survécu ailleurs jusqu'entre les deux guerres. Leur disparition a facilité l'extinction de la tradition de danse elle-même. Des aires neuves il faut rapprocher les leur tieve^ (nouveau sol de maison), c'est-à-dire les réunions de danse organisées pour mettre (ou remettre) en état le sol en terre battue de l'habitation. Tout s'y passe de même façon, à cela près que la préparation est plus sommaire, l'afflux des danseurs limité, et la fête beaucoup plus modeste. Enfin la même technique est souvent employée aussi pour faire rapidement, dans le champ moissonné lui-même, l'aire de fortune où l'on bat le blé noir. Quand les textes d'ancien régime font allusion aux danses paysannes, ils mentionnent en dehors des pardons les mêmes circonstances que nous venons de passer en revue. Les statuts et règlements du diocèse de Quimper disent par exemple 3 : « Conformément aux statuts de notre prédécesseur, nous défendons les fileries, rendries, faucheries, égobues, aires neuves et semblables journées qui se font à l'oppression du peuple, et principalement pour exiger des présens Et comme les jeux, danses et assemblées 1. Cf. Guilcher, Danse ronde., pp. 16-17. J. Le Doaré, (Et. techn. 21-12-1935) en faisait le premier la remarque à propos de la gavotte. 3. Statuts., p. 116.
2.
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DANS
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de nuit qui se font dans les campagnes ont été toujours regardés comme des occasions d'une infinité de crimes et de désordres,... nous les défendons expressément. » Un seul mot dans cette énumération a encore besoin d'explication : celui de « rendrie ». Les renderies, généralement ignorées des dernières générations, se sont maintenues dans la plus grande partie de la HauteCornouaille jusqu'aux dernières années du xix e siècle. Quelques vieilles personnes s'en souviennent encore. Le principe est simple. Lorsqu'une fermière, ayant besoin de toile, prévoit qu'il lui faudra bientôt fournir au tisserand plus de fil qu'elle n'en peut faire, elle demande l'aide de jeunes filles réputées bonnes ouvrières. L'usage est général, ses variantes nombreuses. Certaines manifestent une fois de plus cet art assez remarquable qu'avaient les anciens Bretons de poétiser une besogne ingrate et d'obtenir de chacun le meilleur travail dont il fût capable. Par exemple, vers 1890, dans la région de Carhaix, la fermière intéressée évitait de choisir elle-même ses fileuses. Elle en laissait le soin à neuf jeunes gens, en leur remettant neuf quenouilles de chanvre. Chacun d'eux s'ingéniait à trouver une fine ouvrière, qui voulût bien faire cet ouvrage à sa demande. Au jour fixé, aux environs du mardi-gras, la fermière conviait à une petite fête les jeunes filles — qui apportaient leur écheveau terminé — leurs cavaliers et leurs amis du même âge. Tous mangeaient ensemble. Puis on comparait les travaux. La meilleure fileuse recevait un mouchoir, son cavalier du tabac. Et l'on dansait jusqu'au soir. Ces renderies de fil étaient plus ou moins importantes suivant les besoins. On en cite qui réunissaient jusqu'à quatre ou cinq cents personnes, et demandaient presque autant de préparatifs qu'une noce
B. —
L E S MARIAGES
Des grandes noces d'autrefois P. Hélias 2 écrit fort justement qu'elles étaient : « d'abord une manifestation de famille élargie aux dimensions de la « gens » romaine, avec la mobilisation des oncles et cousins à la mode de Bretagne, « clients » et mendiants compris, dont la présence et la cohésion font éclater, dans l'apparat des épousailles, la puissance du clan des Queffelec, des Le Goff ou des Kervella. » Elles étaient cela en effet. Et simultanément une vacance bienheureuse dans la vie
1 . Au x v i i " siècle l'évoque de Léon s'élève contre les danses publiques qui ont lieu dans les presbytères lors des renderies de fil au profit de l'église, ou après la première messe d'un prêtre ( P E Y R O N , Evêché., pp. 259, 262, 263).
2. Danses., p. 26.
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dure du paysan, une fête complète, avec le luxe parfois éblouissant des costumes, avec les courses de chevaux parés, les joutes poétiques, les dramatisations, les danses continuelles, les chansons. Avec le plaisir plus élémentaire de manger et boire sans retenue, pour certains jusqu'à l'orgie incluse. Deux ou trois cents convives, c'est le chiffre d'une noce moyenne. Il n'est pas très rare d'entendre parler de mariages du passé qui réunissaient de mille à deux milles convives, parfois davantage. Tout ce monde ne se présente pas en même temps. Il y a au moins deux, souvent trois «jours de noce» proprement dits. Un jour «d'honneur», celui du mariage religieux. C'est le plus souvent le mardi. Un second jour, dont le programme change davantage avec les terroirs. Enfin, un jour des amis proches, des domestiques et des pauvres. En fait, au temps où les repas de noces se faisaient non au restaurant mais à la ferme d'un des conjoints, ces jours officiels en impliquaient d'autres, où le plaisir, pour être moins public, n'en était pas moins grand. Dans une famille aisée, compte tenu des apprêts de toutes sortes, du mariage civil, de la réception des présents, de l'apport du trousseau, etc... c'était pour le personnel de la ferme et des maisons amies, une pleine semaine de travail et de gaîté. Cette fête prolongée est occasion de plaisir pour tous. Non seulement les parents, amis, voisins, qu'on a conviés à y prendre part, mais les inconnus des villages éloignés, mais les étrangers mêmes s'il s'en présente, peuvent généralement prendre part à ce plaisir par excellence qu'est la danse. Chacun y trouve place au moment, au rang, dans la mesure, que la tradition lui fixe. La tradition n'est pas identique en tous lieux ; il n'est pas possible de donner des danses de noces une image qui vaille pour toute la BasseBretagne. Nous fragmenterons donc l'exposé. Nous ferons connaître d'abord les « danses d'honneur », en raison de leur signification sociale éminente. Nous réunissons sous ce nom (que nous n'avons entendu qu'en Cornouaille) des danses qui s'exécutent à des moments définis entre la cérémonie religieuse et le repas, et qui ont — ou ont eu — leur étiquette propre. Il s'agit de faits cornouaillais et vannetais. Les danses purement récréatives sont plus largement répandues. Nous dirons les façons diverses d'en user, en insistant particulièrement sur la danse des pauvres, qui, elle encore, paraît avoir été une coutume simultanément cornouaillaise et vannetaise. Enfin nous rapporterons ce que nous avons appris de danses étroitement localisées, et jamais signalées à notre connaissance, danses de classes d'âge en particulier.
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D'HONNEUR
Dans une grande partie de la Basse-Bretagne la tradition ancienne imposait de faire, entre la sortie de l'église et le repas, une ou plusieurs danses observant une étiquette particulière. Il n'est pas certain que le Trégor et le Léon aient possédé pareille coutume. Elle est bien attestée au contraire en Cornouaille et en Vannetais. L'usage cornouaillais s'écarte assez nettement du vannetais pour qu'il soit nécessaire de les exposer séparément. a) En Cornouaille E n plusieurs régions de Cornouaille de vieux informateurs reconnaissent à l'une des premières danses de la journée un caractère obligatoire et solennel. Ils lui donnent des noms divers : danse d'honneur, dans an eured (danse de mariage,) dans an dud neves^ (danse des nouveaux mariés), dans ar boked (danse du bouquet, par allusion au bouquet de la mariée). Cette « danse d'honneur » consiste dans la suite de danses tenue pour traditionnelle au lieu considéré. Les témoignages varient sur l'endroit où il convient de l'exécuter. Pour certains c'est le voisinage immédiat de l'église. Pour d'autres c'est la ferme où se fait le repas. Pour d'autres enfin, moins nombreux, c'est l'un et l'autre, la dans an eured n'étant complète qu'avec ces deux épisodes. Il ne paraît pas douteux que la coutume ait eu des variantes géographiques, mais il n'est plus possible de les connaître partout sûrement. Les témoignages oraux viennent trop tard. L e passé ne nous a laissé qu'un texte. C'est à B o u ë t 1 qu'on doit la plus ancienne mention connue de cet usage. Elle concerne Kerfeunteun (près Quimper) au début du x i x e siècle. L a coutume, dit cet auteur, a été modifiée depuis peu au moment où il la rapporte. Il s'agit d'une danse exécutée dès la sortie de l'église, après un repas léger de viande froide et de vin, que les mariés et leurs proches ont pris avec le prêtre dans la sacristie : « L a danse succédait autrefois à l'espèce de repas sacré qui se fait dans l'église et y complétait pour ainsi dire la cérémonie nuptiale..., . . . I l n'y a pas encore longues années que, lorsque les deux nouveaux époux, se tenant par la main, sortaient du saint lieu où leur union venait d'être sanctionnée, une décharge de mousqueterie se joignait au bruit joyeux des cloches et ralliait toute la noce au pied même de la croix, où, installés sur les degrés les plus élevés, les joueurs de biniou,
i. Br.-Iz.,
p. 425.
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de bombarde et de tambourin attendaient le signal de la gavotte sacrée, et c'était le curé qui venait avec bonhomie le donner lui-même du haut du calvaire innocemment transformé en orchestre. » On notera le terme de « gavotte sacrée », le rôle attribué au prêtre, le lien que Bouët établit expressément entre la cérémonie religieuse, le repas qui la suit, la danse qui suit le repas. Il ajoute : « Une sévérité extrême a remplacé cette extrême tolérance et bien loin que les curés président encore au plaisir et le moralisent par leur présence, ils le prohibent et l'excommunient. Maintenant la danse ne s'ouvre plus que lorsqu'on est de retour à la ferme. » Ceci peut s'entendre de deux manières : ou la coutume ancienne comportait une seule danse solennelle, faite au bourg, et cette danse a été reportée au village. Ou la coutume ancienne comportait deux danses d'un relief particulier, l'une faite au bourg, l'autre au village, et la seconde seule a été conservée. La seconde interprétation est la bonne. Le recueil d'esquisses d'O. Perrin conservé au Musée des Arts et Traditions populaires en fait foi K Ces dessins, exécutés à la fin du x v m e siècle, montrent avec beaucoup de détail ce qu'était la cérémonie du mariage à la veille de la Révolution. On y voit les deux danses à leur début. La première se déroule au pied du calvaire, et le prêtre en effet y préside. Les hommes et les femmes alternent normalement dans la chaîne. La seconde se déroule à la ferme. L'image est celle que devait reproduire l'édition de 1835. Elle montre une danse conforme à la description de Bouët : « C'est la mariée qui commence, et, ce qui est assez bizarre, qui commence seule elle s'avance au milieu de l'aire qui va servir de salle de bal, et y figure avec modestie quelques pas ou plutôt se met à marcher en mesure. Sa conductrice, ses parentes les plus proches et ses amies les plus intimes s'empressent d'imiter son exemple, et, guidées par elle, font deux ou trois fois le tour de l'aire. Alors le nouveau marié et les principaux parents qui d'abord avaient essuyé, sans s'émouvoir et sans bouger, cette muette provocation, viennent prendre par la main, le premier sa femme, et chacun des autres le partenaire que lui désigne l'étiquette; le reste des danseurs ne consulte que ses sympathies et complète au hasard les anneaux d'une immense chaîne. Cette première danse est la seule où l'on observe un pareil cérémonial. » La tradition de Basse-Cornouaille à son terme montre des usages profondément différents. D'une part nous n'avons jamais recueilli le souvenir d'une gavotte de mariage commencée par des femmes. D'autre part, dans ce Finistère occidental où Bouët situe son récit, les vieillards d'aujourd'hui ont presque partout vu la gavotte d'honneur réservée à
i . Planches 58. 37. 1. 125 et 58. 37. 1. 129.
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un petit nombre d'exécutants. Parfois une petite chaîne détachait bien en évidence les mariés et le couple d'honneur. Les autres danseurs formaient d'autres chaînes à distance. Parfois il n'y avait qu'une chaîne, groupant de six à huit personnes. Souvent enfin la danse était réservée à quatre exécutants : les mariés et les jeunes gens d'honneur. L'assistance faisait cercle. Les quatre danseurs évoluaient gravement, dessinant les pas de leur mieux, conscients d'être observés et jugés. Il n'y a rien de commun entre ce spectacle donné par deux couples et « l'immense » danse communautaire aux entrées réglées dont Bouët nous a conservé le souvenir : en un siècle le contenu psychologique et social de la danse d'honneur en pays de Quimper s'est presque entièrement renouvelé. On pourrait croire que, de nouveaux besoins d'expression s'étant fait jour, la gavotte d'honneur a adapté sa forme à ces significations nouvelles. C'est le contraire qui est vrai. Le changement de forme est premier. (On verra, en étudiant le répertoire, que l'abandon progressif des chaînes longues au profit des chaînes courtes est un trait majeur de l'histoire de la danse de Basse-Cornouaille en toutes circonstances au xix e siècle). L'adoption d'une façon nouvelle de danser la gavotte en général a inévitablement affecté dans son déroulement et son sens même un cérémonial de mariage qui avait cette danse pour support. Aujourd'hui encore une prospection méthodique relève en bien des points la trace de comportements nettement plus archaïques. Le détail des usages varie, mais le climat et l'inspiration paraissent avoir été semblables dans toute la Cornouaille. C'est en Haute-Cornouaille, où la forme de la danse est restée sans changement, qu'on retrouve aujourd'hui le souvenir le plus vivant d'une danse de mariage comparable à beaucoup d'égards à celle que Bouët a connue. Voici, à titre d'exemple, comment nos plus vieux informateurs en pays de Rostrenen évoquaient la dans ar boked de leur jeunesse : Elle se faisait dans un pré attenant à la ferme, après la course à cheval du retour. A leur entrée sur le terrain les mariés trouvaient un public, accouru des villages environnants. Le père de famille avait eu soin d'amener et mettre en perce une barrique de cidre à l'intention de ces spectateurs. Tous se rangeaient et faisaient silence. Le marié, tenant sa femme par la main, s'avançait gravement au centre de l'espace libre. Le garçon et la fille d'honneur les rejoignaient, puis les parents directs, les moins proches, et peu à peu les autres convives. Dans ar boked Peb hini gand e wreg (danse du bouquet-chacun avec sa femme) disait le précepte. Et en effet chacun ne pouvait avoir pour partenaire que son propre conjoint. Les
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fiancés étaient admis. Mais si quelque jeune fille qui s'était laissée courtiser jusque là n'était pas certaine d'accepter la demande en mariage de son galant, elle refusait toujours d'entrer dans cette ronde avec lui. Si bien que les spectateurs tiraient des pronostics de la vue de la danse, et qu'on entendait couramment dire de deux jeunes gens : «Ils se marieront, ils ont dansé ensemble la dañs ar boked ». En Basse-Cornouaille même on retrouve par places, che2 quelques vieilles gens, le souvenir d'un cérémonial du même ordre. Ainsi à Fouejnant les mariés ouvraient autrefois la danse. Près d'eux leurs parents, chacun avec son conjoint. Puis les filleuls des mariés s'ils en avaient, et fussent-ils tout petits enfants. Enfin les parrains et marraines, chacun avec son compère. A la différence des gavottes ordinaires, cette « dañs an dud nevez» se faisait en une longue chaîne qu'on ne coupait jamais. Le fait pour une des personnes désignées ci-dessus de ne pas savoir ou ne pas aimer danser ne la dispensait pas d'y figurer. En d'autres localités les plus vieux informateurs disent au moins la gravité qu'avait cette danse dans leur jeunesse, l'obligation pour les ascendants et parents proches d'y prendre part, même vieux, même ne sachant pas danser, la façon précise de la commencer. En 1935 encore J . Le Doaré parlait de la gavotte d'honneur du pays de Chateaulin1 comme d'une « sorte de cérémonie sacrée empreinte généralement de beaucoup de noblesse et de dignité ». En conclusion la tradition consultée à son terme ne livre plus qu'une information lacunaire. Mais si l'histoire et le sens premier des coutumes nous échappent, leur contenu psychologique prête peu à contestation. La danse faite sur la place du bourg, et dans tous les exemples suffisamment connus la danse faite à la ferme, concourent efficacement à cette publicité du mariage à laquelle toutes les sociétés attachent de l'importance. Le public de spectateurs n'est pas là par hasard. Il est prévu, attendu, souhaité. A l'occasion il est objet de prévenances. La danse qu'il vient voir est en soi, dans les noces riches au moins, un magnifique spectacle. Il est surtout plein d'enseignements. Ce n'est pas seulement la condition des jeunes gens récemment unis que l'ordonnance traditionnelle de la danse manifeste devant tous, mais encore leurs parentés et relations. Souvent les degrés de fortune même sont signifiés à qui sait les lire dans les somptueux costumes de fête. La cellule sociale qui s'organise autour du nouveau couple trouve dans cette ronde la première occasion de manifester concrètement sa structure, d'en prendre et d'en donner une image sensible. Qu'à ce faire-savoir se soit mêlé un sentiment de sacré, comme de bons observateurs l'ont noté, est plus que probable. La gravité de la danse, le soin d'y souligner les parentés spirituelles autant ou plus que 1. Et. techn., 28-12-1935.
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les charnelles, l'engagement que constituait pour des fiancés le seul fait d'y prendre part, suffiraient à le suggérer. Mais, au moins dans la période où nous avons regard, le voisinage de l'église et la présence du clergé ont une portée plus sociale que religieuse. Le prêtre, autorité supérieure dans son ordre, est témoin, garant, de la réalité et de l'honorabilité de l'union 1 . b) En Morbihan bretonnant La tradition morbihannaise a moins d'unité. Il semble bien qu'il faille reconnaître, en dehors des danses purement récréatives, deux types distincts de danses menées par les mariés avant le premier repas. a) A-t-on connu en Morbihan cette même dans an eured dont les Côtes-du-Nord et le Finistère conservent tant de traces? Cela paraît probable au minimum pour les terroirs voisins de la Cornouaille. En tout cas l'on ne constate pas de coupure entre les usages du pays de Guémené, Plouray, Pont-Scorff, et ceux de la Cornouaille contigue, en ce qui concerne la première danse que les mariés conduisent avec une certaine solennité. Elle se fait au village (souvent après une collation dans la maison). Elle s'appelait autrefois à Plouray « danse de la fleur d'oranger ». Dans le reste du Vannetais l'usage est différent. Nous décrirons un peu plus loin la première danse faite au village. Elle ne se présente pas (ou plus ?) comme les dans an eured dont nous avons jusqu'ici parlé. C'est surtout pour la première des danses faites au bourg, et pour une époque plus ancienne que celle des témoignages oraux, que la question peut être posée. Dans la période que les vieilles gens nous font connaître, cette danse ne suit aucune règle stricte. Elle ne manque pas de pittoresque pour autant : En de nombreuses communes (le fait nous a été signalé à Hennebont, Merlevenez, Languidic, Pluvigner, Grandchamp, Baud, Pluméliau, Réguiny) la célébration des mariages était fixée à un jour précis de l'année, le « grand mardi », dernier mardi avant le mardi gras. L'un de nos informateurs avait ainsi vu bénir en une même cérémonie dix-sept mariages, un autre trente-trois, un autre jusqu'à soixante. La danse à l'issue de la messe revêtait alors, suivant les cas, trois formes différentes. Ou bien chaque couple de mariés rejoignait sa parenté, et il se formait sur la place et les rues voisines autant de rondes qu'il y avait de noces. Ou bien les jeunes couples nouvellement unis se réunissaient en une seule grande ronde, exclusivement formée de nouveaux mariés. Elle durait environ 1 . En pays de Pont-L'Abbé le même rôle paraît avoir été tenu par le «seigneur », propriétaire de la terre, dont Ritalongi (Bigoudens., p. 58) dit qu'il conduisait la mariée à l'église et dansait avec elle la première danse publique.
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une demi-heure, puis chacun retournait vers ses parents. Ou enfin, s'ils n'étaient pas trop nombreux, les couples mariés et leurs invités formaient une ronde générale. Nos informateurs, même très âgés, n'attachaient pas d'importance spéciale à cette première danse. Ils ne lui attribuaient pas de nom ou de cérémonial particulier. Seul un texte vieux d'un siècle conduit à se demander si à une époque un peu plus ancienne cette première ronde n'aurait pas eu une importance cérémonielle. En effet en 1863 d'Amez e u i l é v o q u a n t une noce à Muzillac, écrivait : « Il fut un temps où, loin de condamner ce plaisir, les prêtres semblaient au contraire l'autoriser en consentant à venir, sinon le partager, du moins y applaudir A cette époque, dès que la bénédiction nuptiale était donnée, la bombarde et le biniou commençaient le branle, et le recteur lui-même venait faire sauter la mariée avant de la livrer à son époux. Cet usage qui dura jusque vers le milieu du x v n e siècle, fut aboli comme par trop païen, et le prêtre, laissant de côté le rôle d'acteur, se contenta de devenir simple spectateur. » D'Amezeuil a lu Bouët. S'il ne nous l'apprenait lui-même, on le reconnaîtrait au ton du passage, à l'enchaînement des idées, et jusqu'au tour des phrases. Mais le rôle d'acteur attribué au prêtre, l'époque assignée au changement d'usage, détails absents du texte de Bouët, font supposer d'autres sources, que nous ignorons. La question reste donc posée de l'existence ancienne en Morbihan d'une « dans an eured » devant l'église, analogue à celle de Cornouaille. Elle ne comporte aucune réponse sûre dans l'état actuel de l'information. ¡3) Dans tout le pays situé au sud de la route Hennebont-Locminé, et dans une partie au moins du pays de Pontivy, la première danse faite au retour au village avait une physionomie propre. Les cuisiniers allaient au devant des mariés dès que leur approche était signalée. Ils leur présentaient du vin, du cidre, souvent de la viande bouillie et des gâteaux. Avec les cuisiniers s'avançaient le ou les porteurs de « l'arbre de noce », ou « bouquet », ou « pommier ». C'était un arbuste ou une forte branche, d'essence variable. Il était décoré de rubans, de fleurs, de papier de couleur et d'argent, chargé de pommes, de gâteaux, quelquefois de bouteilles et de tabac. L'arbre était porté, soit par l'intermédiaire qui avait conclu l'alliance entre les deux familles (Hennebont), soit par un homme désigné à cet effet, mais bien plus souvent encore par un jeune homme et une jeune fille. En règle générale les mariés goûtent légèrement aux mets, imités par quelques-uns de leurs compagnons, puis toutes les personnes présentes forment une ronde autour de l'arbre de noce. Les porteurs eux-mêmes dansent avec l'arbre. 1 . D ' A M E Z E U I L (Charles Paul Acloque), Légendes bihan, Paris, Dentu, 1863, in-i8, pp. 91, 92.
bretonnes.
Souvenirs
du
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Quelle qu'ait pu être en d'autres temps la raison de cet arbre et de la ronde qui l'encercle, le sens qu'avait la coutume pour les générations qui nous la transmettent est clair : la collation présentée à l'entrée du domaine est toujours et partout un geste de bienvenue. La danse y est liée de la façon la plus évidente : l'arbre de noce et les mets viennent ensemble au devant des mariés; le repas, le plus souvent symbolique, introduit aussitôt à la ronde autour de l'arbre, activité joyeuse où ceux qui arrivent sont réunis à ceux qui les attendaient1. Rite d'agrégation si l'on veut, en se gardant que le mot ne fasse supposer connu un passé lointain qui ne l'est pas. c) En Trêgor et Léon
Dans la plus grande partie du Trégor et du Léon les traditions de danse sont depuis trop longtemps disparues ou en déclin pour qu'on puisse attendre de la tradition orale des témoignages comme ceux qu'on recueille en Cornouaille et en Morbihan. Dans les Côtes-du-Nord nous n'avons entendu mentionner la dans ar boked (sur la place du bourg) que dans les localités situées au voisinage de la Cornouaille, jusqu'à PlouégatMoysan au nord. Elle est niée en Haut-Léon, jusqu'au littoral de la Manche. Dans le Bas-Léon, entre Landéda, Le Conquet et Brest, c'était une habitude très commune au début de ce siècle, de danser en plusieurs points du bourg avant le repas. La première gavotte se faisait souvent sur la place, devant l'église. Jamais nous ne lui avons entendu attribuer un nom, un cérémonial, une importance particulière. Le Gonidec, dans sa notice sur les mariages en Bas-Léon, ne signale aucune danse avant la fin du repas.
2. — LES
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RÉCRÉATIVES
Tout protocole strict est absent des danses purement récréatives, ce qui ne veut pas dire que chacun y fasse absolument ce qu'il veut. Il y a un savoir vivre du danseur, dont on reparlera, le moment venu. Il y a aussi, au moins pour « le jour d'honneur », une façon traditionnelle d'ordonner le divertissement. Nous en donnerons une idée ici.
1 . Comparer avec le texte suivant, qui décrit l'accueil des invités à la ferme, au matin des noces, avant le départ pour l'église : « On courait par tous les sentiers au devant des invités, et dès qu'ils avaient sauté de cheval, on les prenait par la main, on entrelaçait quelques tours de danse, puis on les conduisait sous les marronniers... » ( K E R A R D V E N , Guionvac'h, p. 147). Nous ne connaissons pas d'autre mention de cet usage qui manifeste lui aussi la fonction d'accueil et d'intégration sociale reconnue à la danse. Ces danses où le groupe s'édifie ont pour contrepartie celles où il se défait : rondes du soir des noces, précédant la séparation générale, rondes des retours de pardons, à tous les carrefours où se disloque progressivement la bande des jeunes.
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a) Avant et pendant le repas La noce ne s'achemine que lentement vers le lieu du repas. Elle entre dans la plupart des débits de boisson du bourg, et la jeunesse danse sur la route. Cet usage, à peu près universel aujourd'hui, est déclaré récent par la plupart des vieux informateurs. Très souvent on danse encore au village ou devant l'auberge, en attendant que le repas soit servi. Sauf exceptions rarissimes les personnes étrangères à la noce ne prennent jamais part à ces danses, lors même qu'elles se déroulent en plein air, comme c'est ordinairement le cas. Dans la plupart des terroirs le repas établit une longue coupure entre les danses du matin et celles de l'après-midi. Il n'en a pas toujours été ainsi, et maintenant encore les exceptions sont notables. Il n'y a plus d'exemple que le plaisir de danser alterne tout au long du jour avec celui de manger et de boire, comme c'était encore le cas dans la première moitié du xix e siècle Mais quelque chose des anciens usages subsiste dans une partie de la Haute Cornouaille. Si le va-et-vient répété de la table à la danse a fini par disparaître (des informateurs nous ont dit l'avoir vu à Landeleau et Botmeur), commune au contraire est la dans ar rost, c'est-à-dire la danse faite en intermède avant le rôti. On en cite qui durent deux heures et plus. b) Dans l'après-midi La façon de commencer la danse après le repas est ordinairement réglée par l'usage. Il est rare toutefois qu'elle obéisse à un cérémonial impérieux et solennel comme celui de la danse d'honneur. Dans la plupart des cas ce sont les deux mariés qui prennent la tête de la chaîne, immédiatement suivis du couple d'honneur et des parents. On signale sporadiquement d'autres façons de débuter : garçon d'honneur avec la mariée (Collorec, Lannédern), mariée avec son père et marié avec sa mère (Locquénolé, Saint-Evarzec, çà et là dans l'Aven). Parfois aussi on reprend l'ordre suivi dans la danse d'honneur. Le Cap Sizun possède un usage particulier. Les parents des mariés confient à deux hommes et deux femmes — des voisins ou amis qu'ils veulent honorer — le soin de « lever les mariés » (sevel an dud neve^j. Le repas fini, ces quatre personnes, et elles seules, se lèvent. Elles se dirigent vers les mariés et les jeunes gens d'honneur, assis dos au mur, et séparés d'elles par la table. Chacun des quatre auxiliaires tend la main à l'un des jeunes gens, l'aide à monter sur la table, puis à sauter à terre. Alors seulement la noce se lève. On gagne l'aire, où les mariés ouvrent la danse, chacun avec le partenaire que les parents ont ainsi désigné. i . P E R R I N et D O U E T ,
Br.-Jz.,
p. 437. L A V I L L E M A R Q U É ,
Barzaz.,
p. 41g.
LA DANSE
DANS
LA
VIE
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c) Les non invités
Les personnes non invitées à la noce ont le droit de prendre part à la réjouissance commune, à un moment et dans une mesure qui changent avec les régions. La coutume est souvent de les accueillir dès la fin du repas. C'est en particulier le cas en pays de Châteaulin-Quimper. Le Guyader le notait en deux phrases 1 : « C'est un principe, aux jours de pardon comme pour les noces, que la gavotte soit ouverte à tous. Y entre qui veut... » C'est trop peu dire. Il est fréquent, comme l'a bien observé A. Chevrillon 2, que les personnes étrangères au mariage soient priées de se joindre aux danseurs : « On rencontre presque toujours quelque noce ou baptême. On est bien forcé de s'arrêter : ils vous barrent la route, mais en vous « bonjourant » si gentiment, en insistant pour vous faire entrer dans la danse. » Même accueil très large dans la plus grande partie de la Haute Cornouaille. Non seulement les non invités sont admis, mais encore voit-on parfois (Lanrivain) les gens de la noce s'occuper de les faire danser, les emmener boire, leur offrir des bonbons, du tabac, des gâteaux, bref jouer à leur égard le rôle d'hôtes. Dans une partie de la Cornouaille des Côtes du Nord (notamment dans le terroir, dit fisel, de Maël-Carhaix, où ce paraît avoir été l'usage dominant) la toute première danse après le repas était encore réservée aux gens de la noce. Elle se déroulait devant les nouveaux venus, avec même cérémonial que la dans ar boked du matin. Les danses suivantes réunissaient tout le monde. Lorsqu'il y avait un second repas le soir, on distinguait de même entre la première ronde qui le suivait (la noce), et les autres (tout le monde), ce qui paraît confirmer une fois de plus la fonction publicitaire de la danse d'honneur. Quand il y a ainsi deux repas, les non invités ne sont pas toujours accueillis dès la fin du premier. Autour de Bourbriac leur admission se faisait en deux temps. L'après-midi ils dansaient entre eux, au chant, dans une prairie attenant à la ferme. Le soir ils dansaient avec les invités, au son des instruments. Il est plus fréquent que les étrangers viennent seulement après ce repas du soir. Les rapports entre les deux catégories de danseurs ne sont pas toujours aussi amicaux qu'on les a vus ci-dessus. Les surnoms donnés à ces tard venus rarement endimanchés (« torchons » à Bannalec, « chiffons » au Trévoux) le laissent entendre. On nous a raconté des incidents survenus dans des noces où le nombre des « chiffons » rendait toute danse impossible. Les parents des mariés ayant tenté d'empêcher 1. 2.
D a n s P E R R I N e t B O U E T , BT.-IZ., p. 460. CHEVRILLON, p. 1 9 3 .
Ench. br.,
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de nouvelles entrées ou voulu emmener leurs amis danser ailleurs, s'étaient heurtés à l'opposition violente des « chiffons », conscients d'être lésés dans ce qu'ils considéraient comme leur droit. En plusieurs localités du Haut Léon ce droit se manifestait plus énergiquement encore. Sa non reconnaissance pouvait entraîner en guise de représailles un charivari qui durait jusqu'au matin. Dans le pays de l'Aven les réjouissances d'après dîner se limitaient habituellement à trois gavottes. Au mieux les sonneurs en ajoutaient une quatrième si la quête finale se montrait productive. Souvent tout était fini à l'Angelus. Les invités partis, les sonneurs jouaient à l'intérieur de la maison une dernière gavotte pour le personnel des cuisines. En d'autres terroirs il n'est pas de limite au nombre des danses et on nous en a cité (notamment entre Bourbriac et Guingamp) qui duraient toute la nuit. Quand la cohabitation des époux était effective dès le premier soir, il arrivait qu'on dansât dans leur chambre même, devant le lit clos où ils étaient enfermés. A Plougastel-Daoulas certains ont vu les mariés ne demeurer dans ce lit clos que quelques instants et se relever après ce séjour symbolique pour danser avec leurs invités. d) La danse des pauvres L'évolution du niveau de vie de la paysannerie bretonne depuis le milieu et plus encore la fin du xix e siècle, fait qu'on se représente mal désormais l'époque où une pauvreté extrême était le lot du grand nombre, l'indigence totale celui d'une part importante de la population. Cette époque est pourtant toute proche, et beaucoup de vieilles gens l'ont connue. Tranchant sur l'austérité quotidienne, les noces, avec leur abondance de nourriture, faisaient alors figure de festins. Les malheureux y avaient de droit leur place. L'ancienne coutume cornouaillaise était de leur consacrer une journée entière, la troisième le plus souvent, la seconde s'il n'y en avait que deux (Haute-Cornouaille). Les deux familles invitaient dans les formes les pauvres qu'elles connaissaient, mais les non invités ne se privaient pas d'accourir, assurés qu'on tiendrait à honneur de les recevoir. Au total c'était habituellement plusieurs centaines de nouveaux convives. Les mariés, les jeunes gens d'honneur, les proches parents les servaient à table. Enfin, le repas fini et les grâces dites, la danse commençait. Quelquefois (Plonevez du Faou) la première pauvresse qui se levait de table requérait le marié d'ouvrir la ronde avec elle. Plus habituellement les mariés choisissent leurs partenaires. Le mari va chercher la mendiante la plus misérable et sa femme l'homme le plus déguenillé. Ou « le mari offre le bras à la mendiante la plus respectable, la jeune femme donne
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le sien au mendiant le plus considéré de l'assemblée »*. Ou encore (Locronan) c'est parmi les petits enfants qu'ils font leur choix. Les parents, les amis, suivent cet exemple, et la chaîne s'allonge, conduite par les jeunes époux et les compagnons qu'ils ont ainsi distingués. Bouët en faisait la remarque 8 : « C'est presque une obligation pour les gens de la noce que de prendre part à cette gavotte des pauvres, et l'on trouverait très mauvais que les principaux personnages eux-mêmes eussent l'air de vouloir s'en dispenser. » ** *
La portée des faits morbihannais est plus incertaine. Les terroirs ouverts à l'influence cornouaillaise (pays de gavotte) semblent avoir suivi l'usage décrit ci-dessus. Ailleurs on mentionne toujours au moins la distribution aux pauvres des reliefs de la fête, souvent un repas spécialement préparé à leur intention, assez souvent une danse sonnée pour eux. Mais ni la participation des mariés à ces danses, ni les danses elles-mêmes ne nous ont été données pour obligatoires. Une lettre morbihannatse3 de 1827 fait croire que la coutume a pu être plus stricte et plus générale au début du xix e siècle : « A l'issue du repas, les mariés vont visiter deux cents mendiants rangés et assis, auxquels on a aussi donné à dîner. Ils choisissent parmi eux les deux partenaires avec lesquels ils commencent la danse par une ronde devenue bientôt générale. » Le repas a séparé les deux catégories de convives. La danse les réunit. Le bal des pauvres est ici le bal de tout le monde, et c'est à eux que la place d'honneur y est donnée. *
* *
En tant qu'assistance matérielle la coutume cornouaillaise et morbihannaise s'inscrit dans un ordre de faits autrefois général en France : les dons de nourriture aux indigents dans les noces se faisaient dans toutes les provinces aux x v n e et x v m e siècles 4. Ils sont également attestés pour les derniers temps de la tradition en Léon et Trégor, où nous n'avons relevé aucune trace certaine de danse des pauvres. Mais le jour des pauvres de la tradition vannetaise et surtout cornouaillaise, est bien
1.
L A V I L L E M A R Q U É , Barzaz.,
p. 424.
2. Br.-Iz., p. 457. 3. MORVAL, 21» lettre., p. 439. Voir aussi GRAND MOULIN « Mœurs et usages des Bretons du département du Morbihan», (Mém. Soc. Arts et Belles Lettres et Agriculture de Saint-Quentin, 1841, IV, p. 113). HERPIN, Noces., p. 72 et 91. FOUINET, Village., p. 310. 4 . V A N G E N N B P , Manuel.,
t. I, vol. I I , p.
539.
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autre chose. Dans un cas une aumône, ou une revendication satisfaite. Dans l'autre une réception qui place le pauvre sur un pied d'égalité. La danse n'est pas seulement un plaisir qu'on lui offre. Elle est une réjouissance commune à laquelle on le prie, un acte qu'on accomplit avec lui, et qui l'intègre avec honneur dans le groupe. Dans tous les détails de la coutume, spécialement dans l'obligation faite aux personnages de premier plan de se faire serviteurs des pauvres, et dans le choix que font les mariés des plus humbles, des plus petits ou des plus dignes pour les élever à la première place, l'inspiration chrétienne est évidente.
3. — DANSES
DE TRADITION
LOCALE
La coutume dont il nous reste à parler n'avait déjà plus cours à la fin du siècle dernier que dans quelques communes situées entre Quimper et Douarnenez. Un très petit nombre de vieilles gens nous l'ont fait connaître. La description la plus détaillée nous a été donnée au Juch. Les mariés, disait notre principale informatrice 1 , menaient autrefois dans l'après-midi qui suivait la cérémonie religieuse, deux gavottes d'un type particulier. La première était réservée aux couples unis dans les mois et années précédents. Les femmes formaient une chaîne dont l'épousée du jour prenait la tête, les maris une autre chaîne conduite par le jeune marié. Les deux danses serpentaient en chaîne ouverte, indépendamment l'une de l'autre. Si le nombre des participants le permettait, elles se réunissaient enfin en une seule chaîne fermée, autour du nouveau couple pris pour centre de la ronde. Un peu plus tard dans la soirée, nouvelle gavotte. Les jeunes gens non mariés, et eux seuls, forment une chaîne dont le marié se fait conducteur. De même la mariée mène la chaîne des jeunes filles, ses compagnes de la veille. Nous avons retrouvé à Pouldergat le souvenir de la double chaîne des mariés et des mariées (celles-ci toutes dans le costume blanc, traditionnel, de leurs noces), formant ronde autour du jeune couple; à Gourlizon le souvenir des chaînes de jeunes filles et de jeunes gens menées respectivement par chacun des conjoints. On ne fragmentait pas ces gavottes. Nous ignorons si ces usages ont été plus généraux, à quelle profondeur ils s'enracinaient dans le temps, s'ils se sont jamais accompagnés de croyances. Ils appartiennent visiblement au type général des rites de passage. L'état de double appartenance des mariés, d'une part à la société des jeunes dont cette journée les détache, d'autre part à la société des couples mariés où elle les insère, est exprimé par les deux danses complé1. M"" Keroulas.
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mentaires de façon simple et parlante1. Quels que soient l'ancienneté et le sens initial de la coutume, son contenu symbolique devait être clair pour tous. ** *
Nous ne ferons que mentionner rapidement l'existence d'autres usages locaux, d'apparition récente ou même très récente. En pays du Faouët et de Guémené sur Scorff l'entremetteur de mariage (c'est-à-dire l'homme qui a servi d'intermédiaire entre les deux familles) a droit à une ou deux danses avec la mariée. Le premier jour il mène une gavotte avec elle. C'est souvent la première après la danse d'honneur. Le second jour il se fait boute-en-train et amuseur. Affublé d'une peau de bête et d'accessoires divers, il est censé représenter une chèvre, un bouc ou un cheval, suivant le sobriquet local qu'on lui donne. Il est littéralement couvert de gâteaux, sucreries, et friandises de toutes sortes, suspendues à des ficelles qu'il porte en sautoir. Il les défend contre les gourmands jusqu'au grand assaut final que ceux-ci lui donnent pendant ou après une nouvelle danse avec la mariée. Ce thème de jeu, prétexte à improvisations comiques de toutes sortes, paraît ne remonter qu'à la fin du siècle dernier. Plus récente encore est la « gavotte de la classe » qui réunit en pays de Plonevez du Faou, et surtout depuis la dernière guerre, en une même grande ronde les mariés et leurs « conscrits et conscrites. » Ces usages récents témoignent de la vitalité de la tradition à son terme, mais ils n'ont aucunement la signification profonde des coutumes dont il a été question jusqu'ici. C. —
AUTRES
OCCASIONS
DE
DANSE
Les noces, les aires neuves et autres rassemblements de travailleur;sont occasions de danse dans toute la Basse-Bretagne. Les réunions très diverses dont nous allons parler maintenant le sont par places seulement, et ont plus ou moins d'importance suivant les lieux. i. Les joires. Les pardons Les foires sont prisées pour leur valeur sociale autant que pour les échanges commerciaux qui les justifient. Leur public varie, et leur climat. On ne danse pas dans toutes les foires. Mais on danse souvent dans les i . Voir pour c o m p a r a i s o n C. SACHS, Hist, danse., p. 44, e t J . CHAILLEY, « U n e danse nuptiale au x i " siècle ? », Rev. internat, de musique, o c t - n o v . 1938.
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« vieilles foires », d'institution ancienne, et surtout dans les « foires des jeunes » qui, comme leur nom l'indique, réunissent principalement des jeunes gens, accourus de plusieurs communes. Le rôle économique de ces foires de la jeunesse est ordinairement médiocre, leur importance comme rencontre entre les sexes très grande. Certaines même paraissent avoir été nettement orientées vers la conclusion de mariages, comme la fameuse « foire des mariages » de Penzé (Finistère). Selon Herpin 1 , de telles foires auraient été plus fréquentes autrefois dans la région de Saint-Pol. Il y a des exemples de foires mensuelles qui sont occasion régulière de danses. Celles de Guémené par exemple, où l'hiver, le premier jeudi de chaque mois, la halle devait être nettoyée à treize heures, parce que les danses commençaient à quatorze. *
*
*
t e pardon n'est pas une moindre occasion de rencontre entre jeunes. On sait qu'on nomme pardon en Basse-Bretagne la fête qui se tient à date fixe en un lieu consacré, pour honorer et prier le saint patron du lieu. On compte autant de pardons que de lieux de culte. La plus pauvre chapelle de campagne a le sien, qui n'est pas le moins fréquenté. Les pardons sont, de date immémoriale, l'un des fondements de la vie religieuse et sociale bretonne. En écrivant : « ...ces pardons sont restés des fêtes de l'âme. On y rit peu et on y prie beaucoup... » il semble que Le Goffic * ait abusivement généralisé une expérience partielle. Il est vrai que toutes les régions de Bretagne connaissent au xix e siècle des pardons purement religieux, mais il s'en faut que ce soit une règle. Le pardon comporte d'abord — et quelquefois uniquement — une fête religieuse : messe, procession, vêpres, bénédictions diverses. Presque toujours s'y ajoutent des pratiques et croyances traditionnelles d'inspiration peu orthodoxe : dévotion et médecine populaires, prophylaxie du bétail, recherches de présages, etc..., les unes plus ou moins christianisées, d'autres seulement tolérées — ou ignorées — par le clergé. Enfin dans la plupart des cas le pardon comporte une fête profane, avec ses attractions (les boutiques de plein vent, le débit forain, le chanteur de complaintes, les luttes) et ses plaisirs collectifs, parmi lesquels, en bonne place, la danse.
1. Noces., p. 13. 2. Cité par A. LE BRAZ, dans Au pays des pardons. X V - 3 2 6 p., (préface).
Rennes, Caillère, 1894,
in-18,
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DANS
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La place qui lui est faite n'est pas partout la même. Quand le pardon ne dure qu'un jour on danse après les vêpres, .jusqu'à la nuit. Lorsqu'il se prolonge (certains s'étendent sur deux, trois, cinq, exceptionnellement huit jours), le premier jour, généralement un dimanche, est celui de la fête religieuse. Dans la plupart des cas la danse en est exclue. Elle est réservée au « lundi de pardon». Elle continue parfois le ou les jours suivants. C'est ainsi qu'au pardon de Notre Dame des Portes, à Châteauneuf du Faou, on dansait autrefois du lundi au jeudi. Ce sont là les grandes danses publiques, en quelque sorte officielles, du pardon. Il offre à des groupes plus restreints diverses autres occasions de danser. Si l'usage veut qu'on allume un feu la veille de la fête, il y a ordinairement quelques danses devant ou autour du feu. Quand ce sont des jeunes gens qui retiennent et rétribuent les sonneurs, un de leurs moyens les plus ordinaires de se procurer l'argent consiste à emmener les musiciens, la veille ou le lendemain du pardon, sonner et quêter en divers points de la commune. C'est l'occasion de danses supplémentaires, successivement dans tous les villages, dans toutes les rues du bourg, quelquefois devant chaque maison isolée. De leur côté les jeunes des autres communes, qui regagnent leurs villages, ne se séparent ordinairement qu'après avoir une dernière fois dansé ensemble à chacun des carrefours où se défont leurs bandes joyeuses. *
*
*
Les textes antérieurs à la Révolution font entrevoir des pardons moins contrôlés par le clergé, où la danse paraît autrement envahissante. Ainsi la campagne de missions menée au xvn e siècle par les Pères Le Nobletz et Maunoir dans une partie de la Cornouaille, nous vaut de savoir qu'en tel endroit comme Audierne les missionnaires ont vu les pèlerins danser dans la chapelle même et de nuit « pour célébrer la fête des saints patrons » 1 . Cambry 2 témoigne que cet usage existait encore par places dans la seconde moitié du x v m e : « J'ai vu, je m'en souviens à peine mais j'ai vu, j'en suis sûr, danser, chanter, manger dans des églises. » Et ailleurs : « J'atteste, en 1765 ou 66, avoir vu danser encore dans une chapelle et dans le cimetière d'une petite terre de la Bretagne près de Brest. » 3 Rien ne nous renseigne sur le contenu psychologique de ces danses. Il n'est pas invraisemblable qu'une intention religieuse leur ait en effet e 1 . L E G O U V E L L O Hippolyte. Un apôtre de la Bretagne au XVII rable Michel Le Nobletz., Paris, Retaux, 1898, in 18, XV-490 p., p. 137. 2. Voyage., p. 239. 3. Ibid., p. 409.
siècle : le véné-
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été attachée. Le Carguet 1 rappelle que les danses s'ouvraient autrefois à Lescoff par la formule : « Dansomp evit gloar Doue » (Dansons pour la gloire de Dieu), usage que l'île de Sein a conservé plus longtemps encore. Quoi qu'il en soit du passé, les danses au pardon que font connaître la tradition orale et les textes du xix e siècle sont purement récréatives et profanes. Entre les populations de communes ou terroirs divers momentanément rapprochées dans un pardon ou tout autre grand rassemblement, tout ne s'est pas toujours passé pour le mieux. Les textes gardent mémoire de pardons qui se terminaient en batailles rangées. Même à l'époque dont nos informateurs témoignent, quelque chose subsiste par places de ces mœurs brutales : hostilité traditionnelle entre deux localités, compétitions entre chanteurs ou meneurs de danses mobilisant soudain les paroisses des rivaux en deux clans adverses. En règle générale pourtant la bonne entente prévaut. Des danseurs de communes différentes formaient volontiers une seule ronde lorsque leurs façons de danser et d'accompagner la danse étaient suffisamment semblables. Des danseurs ayant des traditions distinctes formaient dans le voisinage les uns des autres leurs danses différentes. Tous les informateurs s'accordent sur l'importance de ces rencontres pour les échanges de chansons et airs à danser. Avec d'autres obstacles et à un degré moindre, elles ont permis aussi l'échange des mouvements. 2. Les jêtes
calendaires
Beaucoup de danses populaires exécutées à dates fixes sont couramment interprétées par les folkloristes comme des vestiges de cérémonies liées au renouvellement des saisons, héritées de très anciennes civilisations d'agriculteurs. On serait mal inspiré de chercher dans la tradition bretonne, typiquement paysanne pourtant et indiscutablement archaïque, une confirmation de cette façon de voir : autant les noces et les rassemblements de travailleurs sont occasion de danses, autant les fêtes calendaires le sont peu. Le début de l'année
C'est un usage très répandu qu'au début de l'an chaque famille à tour de rôle reçoive les autres familles avec lesquelles elle a l'habitude de faire équipe, et ceux de ses parents qui habitent dans un rayon proche. i. Enlèvement., p. 337.
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Ainsi la société de travail se regroupe-t-elle, pour le seul plaisir cette fois, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. Ces réunions commencent parfois dès avant Noël. Elles s'échelonnent souvent sur tout le mois de janvier. Les danses dont elles sont assez souvent l'occasion sont d'ordre privé, et comme le prolongement de celles des veillées. Le carnaval Quand on compare les danses du carnaval en Basse-Bretagne à celles qu'on connaît en d'autres régions de France, on est frappé de l'absence de nombreux usages, ailleurs fort répandus : pas de danses cérémonielles, pas de danses de quête, pas de danses magiques, pas même de tournées de masques dansant incognito dans toutes les maisons. La danse n'intervient qu'au titre du divertissement ordinaire. Encore n'intervient-elle pas toujours. L'importance des jours gras pour les danseurs varie du tout au tout suivant les terroirs et même les communes. En aperçu très général, on peut dire qu'elle est moindre en Cornouaille qu'en Léon et Trégor, moindre dans la Cornouaille intérieure que dans la Cornouaille maritime, moindre pour la population des villages que pour celle des villes et gros bourgs. Il est possible que l'importance du carnaval ait été plus généralement reconnue autrefois. Au début de ce siècle il servait encore de date repère en plusieurs régions pour fixer la date des premières danses publiques de l'année. Elles avaient lieu soit le mardi gras, soit l'un des dimanches qui le précèdent, généralement le troisième. Il y a des raisons de penser que cet usage a été plus répandu. La façon d'organiser le divertissement des jours gras change également d'une localité à l'autre. Tantôt la municipalité s'en charge et paie les musiciens. C'est un usage des petites villes et gros bourgs. Tantôt l'initiative vient des débits de boisson, souvent de débits isolés dans la campagne : le débitant retient des musiciens ou chanteurs qui font danser devant sa porte. Tantôt enfin les jeunes organisent eux-mêmes les réunions de danse chantée ou retiennent des sonneurs. Pour les rétribuer ils perçoivent suivant diverses modalités une contribution sur les danseurs ou sur les cafés devant lesquels ils font danser. Les dramatisations du mercredi des cendres (promenade, jugement, exécution, déploration d'un mannequin personnifiant Meurlarje Saint-Lard... etc.) sont fréquentes, surtout dans les petites villes et ports. Elles paraissent ne comporter d'autres danses que des farandoles improvisées et tumultueuses. Avec le carême enfin commençait une période d'austérité partout respectée. La danse reprenait au plus tôt le lundi de Pâques, plus souvent un ou deux dimanches plus tard, et parfois plus tard encore, avec les premières aires neuves.
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Le mois de mai Il s'en faut que le mois de mai ait dans la tradition bretonne l'importance qu'on lui connaît chez les Celtes de Grande-Bretagne. En particulier ni dans la tradition orale ni dans les textes nous n'avons trouvé trace de danses de quête propres au début de mai,comme en ont connu les Gallois. Même, en règle très générale, le premier mai ne comporte aucune danse. Les rares exceptions en milieu rural concernent quelques bourgs de la région littorale sud, en Cornouaille et Morbihan. A Pont-Aven on a dansé durant les dimanches de mai sous des couronnes de fleurs tendues au dessus des rues. Le répertoire paraît avoir fait plus de place aux rondesjeux françaises qu'aux danses de tradition bretonne. Le chanoine Mahé en 1825 signalait le même usage à Sarzeau 1 . La Saint- Jean Si le folklore breton de la Saint-Jean est riche, la danse n'y entre que pour une part assez faible, au moins dans le temps que les derniers danseurs traditionnels ont connu. Il n'y a de danses que celles qui se font parfois devant ou autour du feu. Le feu de Saint-Jean paraît avoir été de règle dans tout le territoire bretonnant, mais la danse n'en est nullement un accompagnement obligatoire 2 . En quantité de lieux la gravité religieuse de la réunion l'exclut. Ailleurs elle intervient facultativement, quand le climat de la veillée s'y prête, et qu'un nombre suffisant de jeunes y sont rassemblés.
j. Réunions diverses A côté des fêtes officielles il faut encore signaler les petites fêtes de la vie privée : réunions de parents, amis et voisins, (comme la jest an oh, à l'occasion de l'abattage du cochon); regroupements de plusieurs villages le dimanche pour le seul plaisir. La jeunesse organise parfois des assemblées de danse le dimanche pour son propre usage. Telles ces evadeg chistr, réunions pour danser et boire du cidre, que les conscrits du pays de Fouesnant organisaient à l'automne, dans un champ, sur une aire, une route calme, chacun à son tour payant la demi-barrique. 1.
M A H É , Essai.,
p.
138.
2. I.e reproche qu'on a fait parfois à A . LE BRAZ de sacrifier la vérité des faits à l'arrangement littéraire paraît injuste. S a description de la Saint J e a n à Motreff (La nuit des feux, dans Pâques d'Islande, Paris, Nelson, 1 8 9 7 , in-18, 3 1 3 p.) correspond bien pour l'essentiel à ce que notre enquête nous a appris en cette commune et en bien d'autres.
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VIE ** *
Les Bretons ont-ils dansé aux enterrements ? Jobbé-Duval 1 l'a soutenu pour le Cap Sizun, et nous même l'avons entendu dire à plusieurs reprises dans le canton de Pont-l'Abbé. Dans tous les cas que nous avons pu vérifier, ces danses étaient le fait d'hommes ivres, sévèrement jugés par leur entourage. Bouët 2 au début du xix e siècle faisait déjà connaître des accidents de même ordre en pays de Quimper, en les expliquant aussi par l'ébriété. Rien dans les faits actuellement réunis ne permet de croire que les Bretons aient dansé « en l'honneur du mort ».
III. — L E SAVOIR VIVRE DE LA DANSE
A . — D A N S LA VIE COURANTE
I . Le choix d'un partenaire
La plupart des danses bretonnes anciennes ont peu ou pas de contenu erotique. Elles peuvent parfaitement être exécutées par des danseurs d'un seul sexe. Elles le sont, en bien des circonstances de la vie quotidienne. Des gardeuses de troupeaux dans les champs, des femmes devant le four commun où cuit leur pâte, n'ont besoin d'aucun cavalier pour former la ronde. Les garçons aussi dansent entre eux, à l'école, au régiment, à la fin d'un travail. Ceci reconnu, rien ne fait croire que la danse par sexes séparés ait jamais été une règle. La danse mixte est tenue dans toute la Basse-Bretagne pour la forme normale de la danse. Sorti de son propre terroir, un garçon fait bien de se montrer réservé quand il prend part à des danses publiques. Les jeunes gens du pays où il se trouve voient ordinairement sans plaisir un nouveau venu inviter leurs partenaires habituelles. Ils le lui font quelquefois savoir fort brutalement. Chez lui, le danseur invite qui lui plaît, sous condition de respecter les règles locales du savoir vivre. A la campagne l'étiquette est simple : il est généralement admis que les hommes doivent changer souvent de partenaire, ou même en changer à chaque suite de danses, de manière à 1. Jobuiî-Duval Jimile, Les idées primitives Paris, Soc. du recueil Sirey, 1930, in-8°, t. II, p. 88. 2. Br-Jz., p. 481.
dans
la Bretagne
contemporaine.
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faire danser tout le monde. Un jeune homme a presque toujours grand soin aussi de ne pas faire danser trop souvent le jeune fille qu'il préfère : cela ferait jaser. Quand deux jeunes gens font ensemble plusieurs danses successives, c'est habituellement qu'ils sont fiancés ou sur le point de l'être. Quelques petites villes ont des usages plus stricts. Au Faou par exemple un danseur de bonne éducation devait faire danser d'abord les femmes de sa famille — mères, sœurs, cousines — par ordre de parenté, puis ses voisines, puis les autres femmes. Une fois ou deux seulement sa « bonne amie ». Rien de spécialement breton en tout ceci. Avec des nuances propres aux milieux populaires, ce sont des usages communs à quantité d'autres sociétés. i.
L'invitation
Au village, entre familiers, la façon d'inviter une partenaire ne relève d'aucun protocole. On y met plus de formes quand il s'agit d'une jeune fille peu ou pas connue, dans une aire neuve ou un pardon. La façon de procéder en pareil cas diffère suivant les lieux et probablement les époques. La plus simple est la demande en langage clair : l'homme soulève son chapeau et débite une formule polie. On ne peut décliner une telle invitation que dans un cas : si l'inviteur est masqué. En toute autre occasion les parents recommandent à leurs filles d'accepter tout cavalier qui se présente, même ivre. C'est qu'en opposant un refus à une demande directe, la jeune fille fait un affront public au demandeur. On dit en pareil cas que le garçon a « reçu son sac », ou, plus précisément, « un sac de blé noir » ; ou « plein son chapeau d'avoine » {eun tokad kerh. Pays de l'Aven); « un taureau tacheté» (eur hole bri%. Pays du Faou). Si la jeune fille laisse passer toute une danse sans agréer d'autre cavalier, le candidat évincé fait contre mauvaise fortune bon cœur. Si au contraire elle en accepte un autre, elle s'expose presque inévitablement à une sanction brutale. Le garçon dédaigné a le droit de la décoiffer (Plouégat-Moysan), de couper les cordons de son tablier (Pleyber-Christ), de la sortir de la danse (Tourc'h, Coray), de composer et chanter publiquement des couplets désobligeants pour elle (Haut-Léon). Il en résulte presque toujours une bataille entre les deux garçons. Sur ce point encore on connaît en d'autres milieux folkloriques des parallèles aux faits bretons. C'est qu'entre membres d'un groupe restreint, exposés à se retrouver constamment en rapports, directs ou indirects, les blessures d'amour propre guérissent mal et ont des conséquences redoutables. Aussi évite-t-on habituellement d'exprimer en langage clair
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les questions et les réponses qui engagent la susceptibilité du demandeur. Il y a des façons détournées d'inviter une fille à danser, comme il y en a de la demander en mariage. Ritalongi 1 notait en pays de Pont-L'Abbé : « Lorsqu'un gars invite une fille à danser, il se place à quelque distance en face d'elle et la regarde fixement; si la fille accepte, elle vient le trouver, si elle refuse, elle tourne la tête. De cette façon l'homme n'a pas à essuyer la honte d'un refus. » Ailleurs l'invitation est faite verbalement, mais de façon à ménager une sortie honorable au demandeur en cas d'échec. Par exemple le garçon propose à la jeune fille de porter son parapluie. Si elle le lui donne, elle accepte implicitement de danser avec liai (Trégor; une partie de la Cornouaille). Ou encore l'invitation n'est pas formulée d'emblée. En plusieurs communes du Trégor finistérien on ne trouve pas « convenable » que deux jeunes gens dansent ensemble sans avoir fait un minimum de connaissance. C'est après une courte promenade effectuée en compagnie d'un autre couple qu'ils se rendent à la danse. *
*
*
Partout, dans les circonstances ordinaires, c'est l'homme qui invite la femme à danser. Dans quelques pays les rôles sont renversés à des dates ou moments définis. Ainsi dans le Trégor oriental et le Goëlo il y avait un jour chaque année, le lundi de carnaval, où le droit d'inviter appartenait aux filles. Dans une large étendue de la Cornouaille finistérienne leur privilège était moins éphémère. Il s'agit de la portion nord-ouest de la Cornouaille, en bordure de la rade de Brest, jusqu'à l'Elorn au nord, Lannédern et Pleyben à l'est, la route Châteaulin-Telgruc au sud (presqu'île de Crozon comprise). Dans la plupart des localités de cette zone, une ou deux fois dans le cours d'une réunion de danse, on faisait an abadenn merbed, « la partie des filles ». Quelques gaillards l'annonçaient en criant une formule consacrée : « Chanchom mod Ar verh a glask ar paotr ». (Changeons de manière. — La fille cherche le garçon). « Chanchom mod Ar broz en araok. » (Changeons de manière — La robe en avant). i. Bigoudens., p. 62.
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Ou encore les sonneurs jouaient une ritournelle dont chacun connaissait les paroles :
g
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11
mlk.
(Et maintenant changeons de manière — é ron ton ton petit bonhomme. Mettons les grandes culottes en avant — é ron ton ton petit bonhomme). Les filles alors choisissaient leurs cavaliers, prenaient dans la danse la place et le rôle habituellement dévolus aux garçons, quittaient enfin leurs partenaires de la façon dont un cavalier doit quitter sa danseuse. Un garçon bien éduqué se devait, à la danse suivante, d'inviter la personne qui lui avait fait l'honneur de le distinguer dans Yabadenn merhed. 3. Pendant et après la danse La danse exclut presque toujours l'échange verbal. Mais il faut signaler l'importance qu'ont pu avoir les façons diverses de tenir sa partenaire : par la main, par tel ou tel doigt, par le bras, par le bras et la main. D'autres tenues encore sont possibles dans une danse en cortège ou à la tête d'une chaîne ouverte. Pour les danseurs des dernières générations ces tenues différentes n'ont pas toujours des contenus psychologiques différents. Pour les plus vieilles gens elles ont assez souvent signifié des degrés d'intimité. Par exemple une jeune fille n'accepte pas d'un simple camarade la tenue familière et affectueuse qui convient à un père, un fiancé, un ami âgé. En certains pays une danseuse donne le bras à son cavalier, un doigt seulement à son voisin de droite. On se souvient de jeunes filles qui, ayant accepté à contre-cœur un partenaire antipathique, ne le tenaient que par l'intermédiaire d'un mouchoir. On cite des prêtres qui, au mariage d'un proche parent, prenaient place dans la danse d'honneur en tenant de cette même façon leurs deux voisines. Dans les deux cas le mouchoir a même portée symbolique : refus de toute intimité physique, avec ou sans intention désobligeante. *
*
*
Il y a des façons de quitter sa partenaire, comme il y a des façons de l'inviter. Dans le passé immédiat (celui des témoignages oraux) l'usage de reconduire la danseuse à sa place paraît le plus répandu. En
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Trégor comme dans la plus grande partie de la Cornouaille et du Vannetais, un garçon ne quitte la jeune fille qu'il a fait danser dans une fête qu'après lui avoir offert quelques douceurs : noix, gâteaux, bonbons. La nature du cadeau est habituellement fixée, ainsi que la somme à dépenser (deux sous au temps des plus vieux, quatre sous quand on régale sa «douce»). Les jeunes filles ramènent le soir à la maison les friandises qui leur ont été offertes, et tirent orgueil d'en avoir beaucoup. Certaines les stockent dans leur parapluie (Lanvellec) ou dans une serviette dont elles se sont munies à cette intention. Parfois l'usage veut que la jeune fille à son tour « paie un petit verre » (deux sous aussi) au garçon. Ailleurs les danseurs attachent au contraire beaucoup d'importance à ne pas prolonger un tête à tête qui pourrait être mal interprété. Ils se quittent à la place où les a laissés la fin de la danse. Cette façon de faire paraît avoir été autrefois commune à de nombreux terroirs. Pour le pays de Morlaix vers 1830 Boucher de Perthes a laissé cette note b r è v e \ qui peint bien l'extrême réserve des manières : « Après la danse l'homme reste immobile et silencieux devant sa danseuse, qui de son côté demeure les yeux baissés et sans parler. Elle ne se retire que lorsqu'il a touché légèrement son chapeau. » A la fin du xix e siècle les choses se passaient encore de façon assez semblable dans une partie de la Cornouaille occidentale, la raideur en moins. Au nord de l'Aulne notamment, et dans quelques communes léonaises qui y touchent, un garçon reconduit rarement sa danseuse à la place où il l'a prise. Quand les deux jeunes gens ne sont pas intimes, la règle est qu'ils se tapent mutuellement dans la main comme des marchands qui font affaire. Après quoi ils se serrent la main et chacun retourne à sa place. B. —
D A N S LES NOCES
Les prescriptions du savoir vivre dans les noces diffèrent suivant que les invités sont ou non répartis en couples fixes pour la durée de la première journée. L'habitude d'apparier au moins les jeunes danseurs paraît établie depuis longtemps dans la partie du Morbihan où se danse en dro c'est-àdire au sud des pays de Pontivy et Guémené. L'usage de la presqu'île de Rhuys s'apparente étroitement aux usages anciens du pays de Guérande. Les couples s'y formaient par convenance mutuelle, à loisir, au cours de deux réunions de danse tenues à la maison de l'un puis de l'autre fiancés, pendant les deux dimanches qui précédaient le mariage. Si quel-
1.
Ch. arm.,
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qu'un désirait un partenaire non présent, il le disait aux fiancés, qui invitaient cette personne. De même ils procuraient un partenaire à qui n'avait pu, ou su, en trouver par lui-même. Plus généralement semble-t-il, les couples se formaient au matin même du mariage, chaque garçon requérant la fille de son choix. C'est cette forme de la coutume que la lettre morbtbannaise déjà citée décrit, sans localisation, et sur un ton généralement malveillant : 1 « A u matin des noces, le fiancé tire d'un papier... le ruban moiré d'or qui y était ployé, l'offre à sa compagne, sans souffler un mot, et la regarde stupidement prier l'une de ses amies de l'aider à se ceindre la taille de cette parure. Au même moment chaque jeune garçon s'empresse d'en présenter une semblable, ou moins riche, à la fille qu'il croit préférer, et qui contracte, par l'accueil qu'elle en fait, l'obligation de danser avec le galant provisoire qui l'a distinguée dans la noce. » Kerardven 2 signale à la même époque le même usage en pays du Scorff. Enfin c'est encore d'une manière semblable que les couples se formaient à Saint Allouestre au début de notre siècle. Au moment d'ouvrir la première ronde à la sortie de l'église, chaque garçon présentait à la jeune fille de son choix un bouquet noué d'un ruban qui tombait jusqu'à terre. Si elle acceptait le bouquet et donnait son parapluie à porter au demandeur, elle devenait sa « cavalière » pour la journée. En pareils cas, mis à part quelques devoirs à rendre à des parents ou personnes âgées, chacun se garde de danser avec d'autres que son partenaire attitré. Ce serait lui donner « un sac d'avoine » (Arradon), c'est-à-dire lui faire injure. Ailleurs, et particulièrement en Cornouaille, il n'était pas d'usage autrefois d'attribuer à chaque femme un cavalier. Nous ne connaissons d'exceptions que pour quelques ports et petites villes. On avait soin au contraire de changer fréquemment de partenaire. Crainte du jugement public d'une part. Mais aussi mesure de solidarité : chacun se doit à tous. De même le grand âge d'une personne ne doit pas la priver de danser. « Faire danser les vieux » est une consigne souvent répétée au jeunes gens. Parfois ils ne dansent pour leur propre compte qu'après avoir donné à ce devoir le temps nécessaire. En règle très générale les mariés dansent avec tout le monde. Moins que quiconque ils n'ont garde d'oublier les vieilles gens. C'était une grande satisfaction pour un vieillard de pouvoir dire : « La jeune mariée ne m'a pas méprisé ». Très exceptionnelle paraît sur ce point l'ancienne coutume du Bas-Léon, où, suivant Le Gonidec 3 les mariés, tout au long du premier jour, ne pouvaient danser qu'ensemble. 1. 2i" lettre., p. 437. 2. Guionvac'h, p. 150. > Noticep. 371.
LA DANSE ET LE DANSEUR
Comment la danse se transmet-elle? Quelle sorte de danseur la tradition modèle-t-elle ? Quel est, pour l'essentiel, le contenu psychologique et social de la danse? Il faut répondre à ces questions avant d'aborder l'étude des mouvements eux-mêmes. Ce sera l'objet du présent chapitre. La psycho-sociologie du danseur ainsi esquissée sera reprise et complétée en fin d'ouvrage, quand la connaissance du répertoire permettra d'aborder les problèmes de l'emprunt, de l'invention et plus généralement de l'élaboration folklorique.
LA TRANSMISSION D E LA DANSE On a pu contester la justesse du mot « collectif » appliqué à la chanson populaire. Il s'impose quand il s'agit de danse. La performance de soliste, la danse pour couple isolé, sont l'exception dans la tradition bretonne. La danse d'ensemble l'emporte massivement. Chacun ne peut agir qu'avec d'autres. Il n'y a danse que s'il y a groupe, et groupe organisé. Pour comprendre comment s'opère en milieu traditionnel breton la transmission de la danse, il est nécessaire d'examiner de plus près les conditions de cette activité sociale. Le groupe dansant, on l'a vu, varie en importance, en composition, en cohésion, suivant les moments et les circonstances. C'est dans son propre village d'abord que le danseur trouve l'occasion de cette expression collective. A la solidarité dans l'effort correspond une solidarité dans la détente. La communauté de travail se mue naturellement, le moment venu, en communauté de loisir. C'est en elle que l'unité du groupe est la plus complète, de par la donnée commune du milieu, de la formation et du travail.
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Les aires neuves et autres «grandes journées» rassemblent une société beaucoup plus nombreuse, mais encore assez homogène (villages nombreux d'une même commune, ou communes d'un même terroir) et dont le travail collectif renforce l'unité. Moins homogènes déjà sont les danses de certaines noces, où des invités peuvent venir de très loin. Mais le maximum d'hétérogénéité est atteint dans certains grands pardons et foires très fréquentés, dans les fêtes des jours gras de quelques gros centres. Non seulement les danseurs y accourent de terroirs divers, mais encore ils y viennent en groupe, et le sentiment qu'ils ont d'appartenir à ce groupe se renforce des différences qu'ils constatent chez les autres. On a déjà dit que ces rencontres mémorables sont l'occasion d'échanges. Pourtant ce que le danseur traditionnel leur doit n'est probablement pas l'essentiel. Au moins aussi importantes pour le façonnage, la fixation, la transmission des habitudes de mouvement, sont les réunions, moins fameuses mais plus fréquentes, et plus homogènes, qui se font au village même, au rythme des occupations et des loisirs, entre gens qui pour la plupart se connaissent depuis l'enfance, et vivent dans l'interdépendance la plus étroite. Comme il est naturel, la jeunesse est l'élément le plus important et le plus actif de la plupart de ces réunions dansantes. Elle prend des initiatives pour en faire naître. Elle dispose même d'occasions de danse qui lui sont plus spécialement réservées Mais jamais la danse n'est tenue en Basse-Bretagne pour une activité propre à la jeunesse, et à laquelle le mariage doive mettre un terme. Jamais non plus les jeunes ne sont constitués en société fermée de danseurs ayant leur organisation traditionnelle distincte. Dans l'état actuel de l'information il est douteux que le pays bretonnant ait eu des organisations comparables aux bachelleries, reinages, abbayes, cours d'amour, etc. d'autres pays de France. Au moins dans l'espace de temps où nous avons regard, la danse est un plaisir de tous les âges. Elle réunit les générations plus souvent qu'elle ne les sépare. Chacun en prend suivant son goût et ses forces. i . Il a p u en e x i s t e r que ne connaissait plus la tradition à son terme. Cf. GUILCHER, Danse ronde., p. 4, LA VILLEMARQUÉ, Barzaz., pp. 430 et 438. Si incertaine soit la v a l e u r d ' i n f o r m a t i o n s fournies par ce seul o u v r a g e , on ne p e u t à priori leur refuser t o u t fondem e n t . L a fête d ' e n f a n t s diie par La Villemarqué « des petits pâtres », a eu des analogues e n d ' a u t r e s régions françaises, à c o m m e n c e r par le proche Morbihan gallo (LAURENT Pierre, «Traditions et superstitions d u Morbihan», Rev. Trad pop., X X I V , 1909, p. 427). L a « fête de j u i n » — la p a r t faite a u x e n j o l i v e m e n t s r o m a n t i q u e s — r a p p e l l e aussi des faits c o n n u s ailleurs. Même le c a d r e mégalithique que l ' a u t e u r lui donne peut n ' ê t r e pas de pure i n v e n t i o n . L a tradition v i v a n t e ne nous a rien appris de danses menées a u t o u r des dolmens et menhirs, mais plusieurs t e x t e s en signalent (P. Y . SÉBILLOT, Folklore., p. 120. GUÉNIN Georges, Pierres à légende de la Bretagne, Paris, N o u r r y , 1936, pp. 360, 455< 539> 5 4 1 » 5 5 2 - Voir aussi, en s ' a r m a n t d'esprit critique, QUILGARS et GUIHENEUF, « L a légende d u Crugo, légende et c o u t u m e d u p a y s guérandais », Bull, de la Soc. histor. et géogr. de Bretagne, I I I , I, 1899, pp. 7 17).
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Lorsqu'elle est en même temps travail, vieux et jeunes la tiennent même pour un devoir. D'où cette conséquence importante que la population dansante d'un village ou d'un groupe de villages voisins ne change de composition que lentement et de façon assez peu sensible. Les fervents ne désarment que tard et progressivement. Tel, qui ne manquait pas une gavotte, y prend moins souvent part, puis plus du tout. D'autres, fraîchement sortis de l'enfance, commencent à être admis dans la ronde. La physionomie du groupe n'en est pas très visiblement modifiée. Son renouvellement total ne sera réalisé qu'après beaucoup de temps, et par une suite de transitions ménagées. * * *
La stabilité du répertoire est une des conditions (et, simultanément, une conséquence) de cet état de choses. Et en effet le répertoire est le même pour tous, connu de tous, tenu pour caractéristique locale au même titre que le costume, et comme lui reçu des aînés. Il est habituellement très limité, au moins là où la tradition est demeurée archaïque. Que la danse prenne occasionnellement une importance cérémonielle ou une portée utilitaire, c'est toujours la même danse qui dans la vie ordinaire est récréative et sociale. La tradition bretonne ne possède pas de danses étrangères à l'expérience commune, réservées à des catégories particulières d'exécutants, ou à des circonstances exceptionnelles, comme on en connaît chez d'autres peuples. Son étroit répertoire est à toutes fins. Cela encore est de conséquence. Une chanson, un conte, peuvent demeurer plusieurs années dans le secret des mémoires, voire d'une seule mémoire, avant de se faire de nouveau entendre. Rien de semblable dans la transmission de la danse en Bretagne. On a vu combien les occasions de danser étaient fréquentes. Tant que la tradition garde sa force, il s'écoule trop peu de temps entre deux d'entre elles pour que retrouver la danse demande le moindre effort à la mémoire. Fixée dans le groupe à l'état d'habitude sociale, elle ne passe jamais à celui de souvenir personnel. ** *
La transmission de la danse d'une génération aux suivantes ne doit rien à l'écriture, et fort peu à l'enseignement. C'est le milieu qui est formateur, par sa vie même, et l'influence normative qu'elle exerce naturellement sur les enfants et les adolescents qui y sont plongés. Ils assimilent les gestes de leur groupe comme ils en assimilent le dialecte, par le seul fait que le groupe a une vie de mouvement comme il a un langage, et qu'à cet égard comme aux autres l'enfant se développe en dépendance étroite de son milieu.
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Il est dans la nature de l'enfant, être de mouvement lui-même, de porter au mouvement une attention passionnée. Tout ce qu'il voit faire à ses aînés intéresse ce « faiseur de gestes ». Il se règle sur ces modèles. Il s'exerce à les imiter. Peu importe si les premiers essais sont informes, et s'il faut attendre des mois ou des années un résultat appréciable. Le geste efficace et précis du jeune homme n'aurait pas été possible sans les tâtonnements inlassables du petit garçon. Le savoir moteur d'un adulte est fonction du nombre et de la qualité des expériences psycho-motrices accumulées dans l'enfance, et celles-ci sont dans une très grande mesure conditionnées par les exemples et les suggestions involontaires du milieu. Le cadre naturel et social où vit le futur danseur a de quoi stimuler le développement moteur d'un enfant : espace, liberté, matériaux simples donnant prise à l'action, contact de tous les instants avec la vie animale, suggestions incessantes d'un milieu humain où le mouvement intelligent tient une place sans aucun rapport avec celle que nous lui connaissons aujourd'hui. Parmi les suggestions motrices qui s'exercent sur l'enfant, celles de la danse ont un pouvoir particulier. Le climat de plaisir, souvent de fête, parfois de solennité où elle se déroule, l'union du geste et de la musique, y sont pour beaucoup. Mais, plus que tout, il y a cette emprise quasi envoûtante qu'exerce le mouvement rythmé collectif. La danse s'empare de l'enfant avant qu'il ne s'empare d'elle. Si elle est intensément vécue, il est à peu près impossible qu'il échappe à la contagion. Les années ont beau passer, le répertoire ne varie que lentement, ou pas du tout. Indéfiniment le milieu social repropose le même exemple. L'enfant l'intériorise, par perception globale et approximations successives, souvent sans le vouloir, bien avant d'avoir les moyens de le reproduire. Il sait par cœur des mélodies. Et quel pouvoir ont sur lui les images de mouvement qu'il enregistre à son insu, non pas simples images visuelles, mais images-forces, impressions ressenties dans le corps entier, incitations chargées d'un dynamisme qui ne demande qu'à s'épanouir. Impressions auditives, musculaires, visuelles, en liaison avec des états affectifs, s'éclairent et se renforcent mutuellement, se liant peu à peu dans l'inconscient de façon si étroite, que le chant de danse, désormais ressenti dans tout l'être, aura toujours tendance à se prolonger en mouvement, et que le geste de danse deviendra la manifestation visible d'une « pensée » musicale. Les premiers essais d'imitation en public se font en général vers l'âge de huit ou dix ans. Les enfants forment leur propre chaîne à quelque distance de celle des adultes, ou leur ronde à l'intérieur de la ronde générale. En certaines occasions privilégiées (danses de noces, réunions familiales... etc), des adultes complaisants leur « donnent la main » pour les faire entrer dans la grande danse. Ou encore des danseuses permettent
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aux fillettes de se placer derrière elles et de tenir la pointe de leur châle pour mieux imiter leurs mouvements. Mais l'admission définitive dans la danse commune se fait rarement avant treize ou quatorze ans, et souvent plus tard pour les garçons. Il arrive que l'adolescent, au moment d'être admis enfin dans la communauté des danseurs, ait besoin de quelques leçons de ses aînés. Même dans ce cas l'enseignement ne joue en fait qu'un rôle secondaire dans sa formation. Il ne fait que libérer la danse déjà présente en lui, et dont les mécanismes fondamentaux sont depuis longtemps constitués, conformément à un canon qui est celui du groupe. En résumé, la tradition de danse ne consiste pas en communications successives, discontinues, faites à des individus ou groupes, libres ensuite d'user à leur gré de ce qu'ils ont reçu. Elle résulte de l'assimilation échelonnée de membres nouveaux par une communauté d'exécutants dont la composition ne se modifie que très progressivement, et dont l'activité est continue. Répétons qu'à cette assimilation l'individu est sensibilisé et préparé longtemps à l'avance. L'essentiel de la formation du danseur traditionnel est là, dans cette imprégnation prolongée de l'individu par le milieu, dans ce montage d'habitudes motrices tout au long de la croissance, dans cette lente et complexe alchimie, par laquelle un certain mode de sensibilité s'élabore, en même temps que la technique corporelle originale dont elle usera pour s'exprimer. LE DANSEUR Toute expression en mouvement est pour une part manifestation de la personnalité profonde de l'exécutant, pour une part habitude reçue du milieu. La donnée sociale et la donnée individuelle se composent en proportion variable suivant les époques, les sociétés et les individus. Dans le milieu qu'ont connu les plus âgés de nos informateurs paysans, les liens du groupe sont encore étroits et contraignants. Le mouvement en commun — travail, jeu, danse — tient encore dans la vie une place considérable. L'expression gestuelle accuse l'originalité du milieu plus que celle des individus. Cela n'empêche pas certains danseurs de posséder une « manière » à eux, parfois délibérément voulue et recherchée, propre à les mettre en valeur au poste de meneur ou dans les concours. Mais ce n'est pas le fait de la majorité. Ceux-là mêmes qui en usent n'en usent pas en tout temps. Quand ils s'abandonnent au plaisir de la danse collective, ils retrouvent aussitôt l'allure caractéristique qui est celle de leur groupe. D'ailleurs l'invention personnelle s'exerce dans des limites étroites. Les broderies qu'elle fait naître sont en petit nombre. Elles participent d'une inspiration et d'un goût plus généraux. Jusque dans ses velléités d'in-
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dépendance, le danseur traditionnel demeure tributaire de l'esthétique originale et limitée du groupe. Le goût en matière de mouvement n'est pas partout le même. La qualité des danseurs non plus. Il n'est légitime de l'apprécier que là où la tradition est encore assez vivante. Juger des exécutants trop âgés, ou depuis longtemps sans entraînement, ou formés par un milieu de tradition abâtardie, n'aurait pas de sens. A de rares exceptions près la qualité est au moins honorable. Il arrive qu'elle soit remarquable. Un sentiment profond de la danse, une familiarité acquise dès la jeunesse avec chacun de ses gestes, l'absence d'inhibition comme d'affectation, font que la majorité des danseurs vit le mouvement avec une plénitude, une liberté, une aisance, qui donnent l'impression d'un jaillissement naturel. Lors même qu'on remarque des gaucheries, la totale sincérité et la force de l'expression les font oublier. C'est bien autre chose dans les terroirs où la danse a été particulièrement en honneur, quand on peut y voir danser des hommes jeunes, que la tradition a encore entièrement modelés. Chez plusieurs la qualité du mouvement force l'admiration. L'intérêt passionné qu'on porte à la danse, la fréquence de ses occasions, le pouvoir formateur du milieu, expliquent cette qualité au premier chef. Il est essentiel d'ajouter : les limites de la tradition, et l'extrême spécialisation du mouvement en chaque lieu. Considérée isolément, chaque tradition paysanne locale est pauvre. Quand elle est demeurée à l'écart des influences modernes, son répertoire est généralement très restreint. Plus encore que par le petit nombre des danses on est frappé par le petit nombre des figures, pas,rythmes, mouvements fondamentaux, dont elles sont faites. Pour le danseur traditionnel ce n'est pas là une pauvreté. Il vit sa danse à une profondeur que nous imaginons difficilement. Ceux qui aujourd'hui croient le continuer et le représenter en pratiquant son ancien répertoire, n'engagent dans la danse qu'une part, généralement superficielle, d'eux-mêmes. Lui y passe tout entier. Les mouvements qu'il emploie, moulés à sa mesure, lui assurent aisance personnelle, participation et succès. Au surplus il n'en imagine pas d'autres. Comment ne lui suffiraient-ils pas ? Rompre avec ces habitudes motrices pour en contracter de nouvelles lui est beaucoup plus difficile qu'on ne l'imagine communément. Devant une danse d'un type inhabituel, le même danseur qu'on a trouvé inimitable dans son répertoire propre révèle une surprenante maladresse. Phrasés, rythmes, pas, tout lui est problème. S'il doit finalement faire sienne la danse nouvelle, ce ne sera bien souvent qu'en remplaçant tout ou partie des mouvements originels par ceux qui lui sont familiers de longue date. L'étude du répertoire le montrera : ramener la nouveauté à l'expérience antérieure est son procédé le plus ordinaire. La démarche inverse, dont on connaît des exemples, est moins aisée pour un danseur
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formé comme il a été dit ci-dessus. Elle suppose, avec une orientation nouvelle de la sensibilité et de l'intelligence motrices, le modelage de nouveaux mouvements, le montage de nouvelles coordinations, bref l'accroissement d'un savoir organique, corporel et psychique à la fois, d'autant plus difficile à enrichir que ses éléments initiaux sont et moins nombreux et plus fortement typés. Ordinairement l'expérience motrice du groupe demeure très restreinte. L'excellence possible du danseur traditionnel est celle d'un brillant spécialiste.
LA JOIE DE
DANSER
Tous les auteurs qui nous renseignent sur la vie bretonne d'autrefois — auteurs ecclésiastiques d'ancien régime, folkloristes du xix® siècle — font la même constatation, et souvent dans les mêmes termes : les Bas-Bretons sont passionnés de danse. « ...aucun peuple, écrit Boucher de Perthes n'a porté plus loin la passion de la danse; on les voit dans les villes, même sur les places publiques, sur la pierre, danser des heures entières, exposés à la pluie... » « La danse, écrit Bouët 2 , est un exercice que le paysan armoricain aime avec passion, avec fureur. Ni la longueur du chemin, ni les chaleurs les plus dévorantes de l'été, ne sont à ses yeux un obstacle, dès lors qu'il s'agit d'aller danser; il fait deux, trois, quatre lieues et davantage pour se rendre à l'aire neuve où le biniou l'appelle. A peine y arrive-t-il baigné de sueur et haletant de fatigue, qu'il figure déjà parmi les danseurs... » On multiplierait les citations. Nous pourrions y ajouter le témoignage des danseurs eux-mêmes, et de tous les terroirs 3. Combien nous ont dit s'être plus volontiers passés de manger que de danser ! Combien, qui allaient s'endormir après une journée harassante, et qui, entendant les « IOU » prolongés qui appelaient à la danse dans un village voisin, se rhabillaient en hâte pour courir au plaisir ! Rapportons seulement cette phrase d'un vieux goëmonnier de Saint-Pabu : « Mettons que j'aurais enterré mon père le samedi. Si j'avais rencontré une ronde le dimanche, je n'aurais pas pu m'empêcher d'y entrer. » 1 . Ch. atm., p. 187. 2. Br.-Iz., p. 242. 3. Il y a des témoignages indirects qui ne sont pas moins éloquents. E n 1 6 8 1 le Parlement de Bretagne « fait itératives défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient, de danser ni jouer publiquement, ni de s'y arrester les dimanches et fêtes durant l'office divin, ni de faire hors ledit temps du dit office lesdits jeux et danses si proches des églises et chapelles que ceux qui voudront prier Dieu en soient interrompus. » Le tout à peine de vingt livres d'aumône. L'amende est portée à cinquante livres par un arrêt de 1686, à trois cent livres en 1699 ! Rien n'y fait. L'évéque menace d'excommunication ces frénétiques. Ils dansent toujours. (Arrests du Parlement de Bretagne concernant les paroisses, 1 7 3 1 , pp. 76, n o , 182. Statuts., 1 7 1 0 , art. X X X V I ) .
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Beaucoup s'efforcent de faire comprendre quel bien-être et quel bénéfice personnel ils retiraient de la danse. Telle cette vieille d'Ouessant, qui nous disait : « Autrefois, quand on avait des idées noires ou qu'on ne se sentait pas bien, on disait : Allons faire une danse ronde. On allait tous danser sur la dune, et cela allait mieux après ». Un brillant danseur du terroir fisel, faisant allusion à sa stature fluette, racontait : « Quand j'étais très jeune, aux arrachages de betteraves, je pouvais à peine soulever de terre mon panier rempli. Mais si je pensais à la danse et qu'un air me passait par la tête, j'enlevais le panier sans effort et je dansais avec ma charge. » Une autre vieille femme (Saint-Herbot) devant qui on vantait le courage et la vitalité d'une danseuse plus qu'octogénaire, avait cette formule saisissante : « An dans a zalh an den en e zav », la danse maintient l'homme debout. Rien ne dit mieux quelle idée les intéressés se font de leur propre danse, à l'opposé de toute mièvrerie et recherche extérieure de « grâce ». Vigoureuse et sans artifice, la danse qu'ils aiment montre ce que vaut l'homme. Elle le met en communication profonde, silencieuse, avec ses semblables. Elle est capable, en mobilisant toutes ses forces vives, de les refaire et multiplier dans le temps où il les prodigue. Il est clair que le contenu psychologique et social de la danse est tout autre en ce milieu que celui de notre divertissement mondain de même nom. C'est de ce contenu qu'il nous faut maintenant tenter de donner une idée. Disons d'abord ce qu'il ne faut pas y chercher. Nous avons souligné l'absence, dans la tradition bretonne, de types de danse connus en d'autres folklores. Par exemple dans l'espace de temps où nous pouvons la saisir elle ignore les danses liées aux cycles saisonniers. Pas de danses obligées à la Chandeleur, ni aux jours gras, ni aux dimanches de Carême, ni au mois de mai... etc. Pas de danses de quête. Pas davantage de danses réservées à une classe d'âge ni à une catégorie spécialisée d'exécutants. Aucun informateur paysan ne nous a jamais signalé de danse à contenu figuratif ou dramatique. La seule indication que nous ayons relevée dans ce sens tient dans ces quelques lignes de Cambry 1 : « Je me rappelle encore avoir vu fréquemment exécuter dans la Bretagne, ce que l'on appelait, en termes d'art, danses de passions dont Polichinel exécutant la Sabotière nous retrace l'image sur les petits théâtres; on y contrefaisait l'ivrogne, le fou, l'amour et la colère, on exécutait en pantomime les différens états de la société, le forgeron, le lutteur, le matelot, le jardinier, etc... » Cambry ne dit pas à quel milieu appartenaient ces acteurs, ni dans quelles circonstances ils se manifestaient. On ignore s'il s'agissait de danses folkloriques. i. voyage., p. 409.
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Enfin nous ne connaissons pas un seul cas certain de danse utilisée à des fins magiques. Ce n'est pas faute d'avoir été orienté vers des ébats étranges. Tels de nos amis avaient entendu parler en pays de Morlaix d'une danse du diable, en pays bigouden d'une danse du feu, dans laquelle une jeune fille au centre de la ronde personnifiait la flamme... etc. Vérification faite, la danse du diable était une polka piquée, la danse du feu une ronde-jeu de type universel dansée parfois autour du feu de Saint Jean. Toujours le fait réel se révélait sans mystère. Quant aux danseurs traditionnels, pas une seule fois ils ne nous ont signalé quoi que ce soit de ce genre. Lors même qu'ils étaient assez confiants pour nous rapporter des pratiques locales de magie ou sorcellerie, l'idée que la danse pût jouer un rôle dans cet ordre de choses leur était étrangère. Elle n'avait de valeur à leur yeux que récréative et sociale. «... la danse, échange absolu du geste, confirmation du geste, école du geste, école de société 1 ». Dans cette formule pleine et concise, Alain résumait les réflexions que lui inspirait au début du siècle l'observation de danseurs bretons. C'était mettre l'accent sur l'essentiel, qui est en effet la portée sociale de la danse traditionnelle et la convenance entre elle et la société où elle a cours. Le groupe dansant, on l'a vu, est une communauté véritable, de forte cohésion et de mentalité homogène. La danse est par excellence le geste propre du groupe, le moyen le plus efficace dont il dispose pour faire, éprouver, manifester son unité. Ce geste social est utilisable à des fins pratiques, et capable de signification cérémonielle. Mais d'abord, et en tout temps, il est instrument de communion 2. Dans la danse chacun engage la totalité de ses forces, et, le faisant, s'identifie à tous. Entre ces semblables la mise en commun des énergies abolit les limites. De toutes les formes de danse, la ronde, si répandue aujourd'hui encore en Bretagne, est celle qui possède au plus haut degré ce pouvoir d'unification. Participation, communion, sécurité, voilà d'abord ce que la danse donne au danseur. Il a de droit sa place dans la chaîne. Il sait exactement ce qu'il doit y faire. Fondu dans le groupe, il bénéficie de la plénitude de vie que donne l'appartenance au groupe. Il est intégré. La société traditionnelle, société aux liens étroits, fondée sur l'habitude commune et le respect de l'ordre hérité, ne pouvait donner meilleure image d'elle-même que cette danse essentiellement collective, où l'habitude sociale est amenée à la pureté de la règle.
1. A L A I N , Vingt leçons., p. 6 7 . 2. « C'est par imiter que nous commençons, et telle est la société essentielle, entendez communication constante entre les actions, et par suite entre les sentiments. » Ibid., p. 60.
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La sécurité que l'individu reçoit du groupe a sa rançon dans l'obéissance. En tout domaine la tradition est autoritaire en même temps que tutélaire, et tous ne s'y plient pas sans humeur. Chez les plus fougueux, particulièrement chez les jeunes, la soumission peut s'accompagner d'un sentiment — généralement inconscient — de limitation et de frustration. C'est une fonction capitale des activités de loisir que de procurer aux individus, en même temps qu'une sphère plus large d'expansion personnelle, les succès et les satisfactions d'amour propre que la vie leur refuse par ailleurs. La danse y contribue pour sa part. En même temps qu'elle intègre l'individu dans le groupe, elle lui donne occasions et moyen de manifester sa personnalité propre. Dans la plupart des régions la composition du répertoire répond à elle seule à cette double exigence. Il comprend toujours une danse principale de forme collective. Mais souvent s'y ajoutent une ou plusieurs autres danses qui détachent les couples et donnent plus de latitude aux cavaliers. La danse collective elle-même fait, suivant les moments, la part très variable à la liberté d'interprétation. Ainsi la danse d'honneur que les mariés dansent à la sortie de l'église est par excellence la danse homogène et réglée où nul n'a garde de se mettre en vedette. Mais au contraire, dans la danse du rôti, au milieu du repas, chacun dépense à son gré les forces tumultueuses que la bonne chère et l'immobilité lui ont fait accumuler. Le besoin de briller va de pair avec celui de prodiguer ses forces. Il s'accommode ordinairement de satisfactions assez frustes. La virtuosité technique est toujours admirée. Mais plus qu'en manifestant un savoir faire hors du commun, c'est en faisant la preuve de sa vigueur, de son souffle, de son agilité, qu'un garçon s'acquiert la considération de son entourage. Maintenir longtemps sans défaillance un pas épuisant, décourager les autres chanteurs par une capacité singulière à chanter interminablement à la tête d'une chaîne de danse, sont des prouesses qui classent un homme. En toute danse certains postes sont recherchés comme plus propres à mettre en valeur ceux qui les occupent. Même la ronde, cette danse d'égaux, a ses exécutants privilégiés : les deux garçons qui la commencent, et qui, suivant le pays, s'y font apprécier par leur chant (Haute-Cornouaille) ou leurs mouvements (pays de Guémené). Dans les chaînes ouvertes la place disputée est celle du cavalier de tête : conduire le groupe entier à sa fantaisie, attirer sur soi tous les regards, double satisfaction pour l'amour propre et la volonté de puissance. Aussi, comme l'a bien noté P. Hélias 1 « quelles rivalités épiques entre les jeunes farauds pour i. Danses.,
p. 31.
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l'honneur de mener la danse « sur le bout du pied » (war beg an troad), de tirer les autres après soi, le pouce à l'entournure du gilet ou la paume à la hanche ! ». Les concours de danse satisfont ce besoin qu'éprouve l'individu de s'affirmer publiquement en se mesurant à d'autres. Ils semblent être d'institution récente : on ne les voit guère signalés avant l'époque des témoignages oraux par les observateurs, même minutieux, de la vie bretonne. Il est vraisemblable que leur généralisation au moins date seulement de la fin du x i x e siècle. Les prix consistaient en rubans à l'époque la plus lointaine. D'où le nom de dans ar sei^entt (danse du ruban) souvent donné à l'épreuve. Plus tard on distribua du tabac aux hommes, des mouchoirs aux femmes. Il est beaucoup de régions où les concours sont restés sans effet sur la qualité de la danse. La faute en est, semble-t-il, en partie au moins, au manque de juges faisant autorité. E n quelques terroirs au contraire (pays fanch, pays fisel, pays de l'Aven) la compétence indiscutée des examinateurs a contribué à faire du concours un instrument très efficace d'affinement de la technique et du style. Plus généralement on peut penser qu'en ouvrant à l'émulation, dans des occasions définies, le débouché de la compétition réglée, les concours ont limité ses effets dans les autres circonstances. Peut-être en quelques régions ont-ils ainsi aidé la danse commune, dans la dernière phase de son histoire, à demeurer ce mode d'expression harmonieux où l'expansion individuelle se fait jour dans le cadre d'une activité sociale, en composant avec elle dans une mesure qui change avec les moments. *
*
*
Comme toute danse authentique la danse traditionnelle est faite à la fois de maîtrise et d'abandon. Au flux d'énergie, physiologique et psychique, que la musique et le mouvement concerté font jaillir en lui, le danseur impose le moule d'évolutions convenues, de pas, de gestes, mesurés et réglés. Canal étroit, qui simultanément donne au courant son intensité et permet d'en contrôler le débit. Porté par la danse de tous, le danseur est tantôt plus conscient de sa maîtrise, tantôt plus abandonné à la force instinctive et puissante qu'il sent monter de lui-même et des autres. L'inimitable qualité que possède si souvent la danse en milieu traditionnel est liée à l'équilibre qu'elle réalise dans la plupart des circonstances entre ces exigences antagonistes. Telle se montre la danse bretonne dans la généralité des cas. C'est celle qu'Alain 1 décrivait, en se montrant plus sensible à la forme sociale qu'aux forces obscures qu'elle endigue : i. Vingt leçons., p. 32.
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« La danse bretonne, si conforme encore à l'ancien style, donne un bon exemple de cette communication des mouvements qui résulte de la subordination des mouvements à une règle, et cette règle, qui fait que chacun, sans contrainte ni surprise, s'accorde aux voisins et à tous, est ce qui occupe la pensée; d'où résulte le plus vif plaisir de société; mais aussi celui qui exclut le mieux, et même dans l'avenir prochain, le désordre et la fureur. C'est pourquoi cette beauté de la danse paysanne commande aussi une beauté du corps humain et même du visage; j'y ai souvent remarqué une uniformité et une ressemblance, comme on voit dans les danses sculptées. Il est clair que toutes ces formes dansantes sont ramenées à leur équilibre et qu'elles n'expriment plus rien qu'elles-mêmes, l'essence d'elles-mêmes, par l'oubli des vains accidents. » La plupart des observateurs ont été frappés comme Alain par l'impassibilité des visages, et déconcertés de la rencontrer chez des danseurs si passionnés : « Ils dansent avec gravité; les femmes ont les yeux baissés, et les hommes sont sérieux; personne ne se douterait qu'ils s'amusent». Cette observation de Boucher de Perthes 1 résume toutes les autres. Aujourd'hui encore on peut en vérifier le bien-fondé. Mais la contradiction n'est qu'apparente entre la gravité du danseur et l'intérêt passionné qu'il porte à la danse. On peut faire la même constatation chez d'autres peuples, qui usent du même type de danse que les Bretons. Une danse à contenu dramatique, conçue pour le spectacle ou les échanges mondains, ferait participer le visage à l'expression. Non cette « danse pure », où le danseur n'a souci ni de représenter ni de plaire. Il vit sa danse intensément, et il l'éprouve au plus profond de son être. Elle le re-centre sur lui-même, en même temps qu'elle l'absorbe dans le groupe. Entre la maîtrise volontaire et l'instinct, l'équilibre n'est pas établi une fois pour toutes. Il se déplace au profit de la maîtrise toutes les fois où l'individu recherche le succès personnel plus que la participation et l'accord. C'est surtout le fait des hommes, et non même de tous. On l'observe chez les meneurs de danses. On l'observe dans les concours. On l'observe enfin dans quelques circonstances (aires neuves, lendemains de noces, fêtes diverses) où certains, hommes ou femmes, se produisent, portant sur la tête un bol, une bouteille, un vase de lait, un pot de fleurs, qu'il s'agit pour eux de ne pas renverser en dansant. En pareil cas le mouvement ne mérite plus guère le nom de danse. Il tend vers l'habileté pure. La même danse où le danseur fait ainsi valoir sa maîtrise volontaire est au contraire pour lui, en d'autres occasions, le moyen d'une exaltation qui lui fait perdre, partiellement ou totalement, le contrôle de luimême. i.
Ch. arm.,
p. 1 8 7 .
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Dans une fête prolongée, mariage par exemple, il est fréquent de voir la danse passer par degrés de la gravité à la frénésie. Nous l'avons même observé, en pays de danse chantée, dans de simples veillées de hameaux. Certains hommes s'appliquent sciemment à faire naître le climat favorable par tous les moyens propres à créer l'excitation : accélération du tempo, martellement de la pulsation, timbre aigu, énervant, du chant, ampleur et violence croissantes du geste. Peu à peu la fièvre monte. Les forces que les participants renoncent à dominer se déchaînent. Les hommes bondissent, trépignent, crient. En revanche les femmes, comme Bouët l'a justement é c r i t « conservent un air de décence et de scrupule au milieu de leurs plus violentes évolutions chorégraphiques. » Quand l'alcool ajoute son poison à celui du mouvement incontrôlé, la danse peut tourner au délire collectif. Bouët encore a évoqué ces paroxysmes 2 : « ...Pendant qu'entraînée à quelques pas de là par une sorte de courant électrique, la gavotte furieuse, frénétique, serpente et tourbillonne en exhalant sur son rapide passage une vapeur chaude et passionnée des chanteurs, à la voix stentorique, forment une dernière ronde, ronde étrange comme une ronde de sabbat où, sur un air triste, on rit, on est hors de soi, on boit à longs traits le délire ». Ivresse, possession, envoûtement, sont les termes qui viennent à l'esprit. Le danseur a renoncé à lui-même. Il se laisse emporter par la magie qu'il a déchaînée. ** *
Joie sereine de la danse équilibrée, joie folle de l'emportement collectif, la danse traditionnelle se meut entre ces pôles. Elle s'établit le plus souvent dans un climat intermédiaire, qui change avec les gens et les jours. Les états extrêmes s'opposent, le premier inclinant le danseur vers l'euphorie du recueillement et de la communion, l'autre exaspérant en lui l'ardeur de vivre. Mais ils ont en commun l'étonnante concentration de forces vitales qu'ils opèrent. Dans l'un et l'autre cas le danseur accède à un plan de vie supérieur, à une forme d'expérience qui transcende celle de la vie quotidienne. Que la danse déchaîne en lui les forces obscures ou qu'elle lui fasse atteindre au plus profond de son être une zone exempte de trouble, elle le délivre de tout ce qui le limite et l'oppresse dans son existence précaire de tous les jours. Elle efface pour lui « le changement dans le changement même s . » Elle le soustrait au temps. 1 . Br. Iz., p. 243. 2. Ibid., p. 462. 3. A L A I N , Vingt leçons., p. 33. L a phrase complète est : « Cette suite bretonne est déjà comme une frise, et le retour des mêmes mouvements efface le changement dans le changement même. »
SECONDE PARTIE
MÉTHODE POUR L'ÉTUDE DU RÉPERTOIRE
MÉTHODE POUR L'ÉTUDE DU RÉPERTOIRE
Les considérations sur la méthode réunies dans ce chapitre, fondées principalement sur une recherche en Basse-Bretagne, seront volontairement maintenues dans les limites de cette expérience particulière. Elles ont en fait une portée plus générale, mais qu'on ne saurait préciser dans l'état présent des études. Il ne sera question qu'occasionnellement des aspects psychologiques, sociaux, musicaux, de la danse, tous ordres de faits qui relèvent de disciplines plus générales. Au contraire le mouvement, constituant essentiel de la danse et objet principal de notre étude, n'a pas, autant que nous sachions, fait l'objet d'un exposé méthodologique. C'est plus spécialement à lui que nous nous attacherons. Nous dirons d'abord comment se présentent au chercheur les mouvements d'une danse folklorique, quels composants fondamentaux il est amené à y reconnaître, quelle prise inégale ces composants du mouvement offrent à l'observation et à l'étude. Puis nous passerons en revue les sources d'information, la conduite de l'enquête, la critique, l'interprétation et la synthèse des faits recueillis, la communication écrite des résultats.
I. — LES COMPOSANTS DU
MOUVEMENT
Dans le déroulement d'une danse collective l'attention est sollicitée simultanément par deux ordres de faits : i. La forme de la danse. On réunit habituellement sous cette dénomination l'ensemble des traits qui concernent la structure et l'action du groupe : nombre et disposition des exécutants, dessin de leurs évolutions, rapport des évolutions au phrasé musical.
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z. Le dessin individuel des gestes. C'est en premier lieu le pas de la danse. Au pas peut s'ajouter un mouvement de bras. Moins fréquemment des attitudes et mouvements du tronc participent à l'expression. Le mot pas est de ceux qui prêtent à confusion, les auteurs l'employant dans des acceptions diverses et souvent mal définies. Nous distinguerons des pas simples et des pas composés. Nous entendrons toujours par pas simple le déplacement d'un seul pied, d'une position d'appui à la suivante. Par exemple, dans la marche ou la course, chaque pied alternativement effectue un pas simple. Les pas composés sont de multiples sortes. Certains ne prennent qu'un temps de la mélodie, d'autres durent deux ou trois temps, une demi-phrase, une phrase entière. Ils sont composés de pas simples (changement de pas, bourrée, valse); de pas simples combinés à des sauts (sautillé, cloche-pied, galop, polka); ils peuvent incorporer des gestes originaux, etc... Divers par la structure, les pas le sont aussi par leur rôle. Certains ont pour raison d'être le déplacement qu'ils permettent (marche, course, sautillé, galop, chassé, changement de pas, polka). D'autres ont leur fin en eux-mêmes : participation active de l'individu à un groupe qu'unifie et exalte l'action rythmée en commun, plaisir du geste excellemment dessiné pour soi-même ou pour un public. La forme de la danse et son pas ont parfois même importance. Plus souvent il y a prédominance plus ou moins marquée de l'un sur l'autre. Il est des cas où la danse peut être définie par les figures qui la composent : elle est faite de relations entre danseurs. Par exemple il est essentiel à une country dance que la suite de ses figures — promenade des couples, moulinets, changements de places, chaînes diverses, etc... — soit connue et observée par tous les exécutants. Il importe généralement moins de savoir quel pas ils adopteront. Le dessin des évolutions compte plus que celui des pas. Dans un type de danse diamétralement opposé, il est peu ou pas question de relations entre les danseurs. Leur disposition d'ensemble est et demeure simple. Simple aussi et monotone la figure suivant laquelle ils se déplacent. Par exemple ce sera une ronde tournant indéfiniment dans le même sens. L'intérêt de la danse est dans ses gestes, et non dans ses parcours. Les deux types de danse —• prédominance de la forme et prédominance du pas — se rencontrent en Basse-Bretagne, mais le second y est incomparablement mieux représenté. C'est lui qui donne au répertoire breton son originalité très remarquable.
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La distinction de la forme et du pas s'impose à tous. D'autres distinctions, aussi nécessaires, sont moins évidentes. Nous en donnerons une idée en imaginant un chercheur (supposé pourvu de la formation requise) s'efforçant d'apprendre d'un danseur traditionnel une de ces danses, nombreuses dans le folklore, dont la saveur tient à la nature originale du mouvement lui-même, beaucoup plus qu'à une combinaison inédite de figures ou de pas. Incapable d'assimiler à la fois tous les aspects du geste, il faut bien que l'apprenti s'efforce d'abord d'y reconnaître des lignes maîtresses. De très nombreuses danses folkloriques, et parmi elles la plupart des danses bretonnes anciennes, se caractérisent par une unité de mouvement, un groupement typique de pas et gestes (si l'on préfère : un pas composé), qui se répète semblable à lui-même pendant tout ou partie de la danse. Ce groupement est de durée variable. Il correspond suivant les cas à une mesure, un motif, une phrase de la mélodie. C'est cette unité de mouvement qu'il s'agit d'abord de discerner. L'élève s'applique à saisir comment, suivant quel rythme fondamental, les pieds à tour de rôle prennent appui sur le sol pour supporter le poids du corps. Un premier résultat est atteint quand il peut accompagner le danseur, mouvoir les pieds en exact synchronisme avec lui. A ce stade sa connaissance du pas peut être consignée dans une simple formule. On conviendra que les lettres D ou G (abréviations de Droite ou Gauche) désignent le pied qui pose à terre et porte le danseur aux temps successifs de la mélodie. Des notes de musique donnent la durée de ces appuis. (Voir des exemples p. 138.) Avec cette formule d'appuis l'observateur possède la charpente du pas. Il ne possède pas encore la danse. Privée de cette ossature la danse n'existerait pas. Mais elle ne sera pas davantage elle-même tant que l'élève ne pourra donner aux gestes le dessin et l'ensemble de qualités qui caractérisent le modèle. Le plus difficile reste à faire. Une observation attentive, si elle s'exerce pendant un temps suffisamment long, pourra encore saisir et noter quantité de traits saillants dont la connaissance importe : le port du danseur; l'orientation de son corps par rapport à la ligne de direction; sa façon de prendre les appuis (espacés, juxtaposés, croisés, emboîtés, par simple pose du pied ou après glissement, après rebondissement; avec ou sans positions précises); certains gestes typiques de la jambe libre, certaines broderies caractéristiques... etc. Il n'y a encore en tout cela qu'une connaissance partielle, et seulement de l'apparence extérieure. Veut-on aller plus loin, cette analyse
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menée du dehors ne suffit plus. Q u i tente de s'approprier la danse proprement dite n'a pas trop de toute sa réceptivité, de toute sa capacité de mimétisme, de toute la compréhension et la sympathie dont il est capable. Il lui faut découvrir ce qu'aucune observation ne livrerait à elle seule : le secret d'un certain dessin gestuel parmi des milliers d'autres possibles; plus profondément une façon de vivre et d'éprouver le mouvement, de faire sourdre l'énergie motrice, de l'épanouir dans une prise de possession de l'espace, de doser — parfois subtilement — les états de tension et de détente; plus essentiellement encore une qualité spécifique du mouvement, un style, étroitement solidaire d'un climat psychique particulier. E n cette matière, et à ce degré de pénétration, il s'agit moins d'acquérir que de devenir. O n ne se rend capable du moyen d'expression qu'en communiant, dans toute la mesure où on le peut, à l'état intérieur dont il est la manifestation sensible. Q u e l'élève parvienne ou non à se mettre ainsi à l'unisson du danseur, sa démarche lui fera mieux mesurer combien le mouvement expressif est complexe, lors même que l'apparence en est simple. A côté du schéma fondamental qu'il a déjà extrait du pas, il aura reconnu l'importance majeure d'éléments plus difficilement saisissables. « Une formule d'appuis, un dessin gestuel, un style », ainsi pourrait-on, en simplifiant à l'extrême, résumer la connaissance qu'il prend finalement du pas. ** *
Les ouvrages consacrés à la danse folklorique font le plus large emploi du mot style. On n'en voit guère qui le définissent. C'est que la notion, saisie surtout par intuition, se prête mal à l'analyse. Dire d'un mouvement (de travail, de jeu, de danse) qu'il est fait avec style, implique à quelque degré ces qualités essentielles : économie de l'énergie, proportionnée au but poursuivi; aisance et justesse d'exécution; élégance du résultat. Q u a n d il s'agit de danse populaire, il s'y ajoute l'idée d'une certaine originalité : avec des bases également justes le mouvement aurait pu ne pas avoir le tour savoureux qui lui est propre. Fondée sur une appréciation qualitative, la notion varie avec les personnes ou les besoins du moment, d'un contenu très étroit à un contenu très large. A u sens le plus étroit, le style est une qualité intime du mouvement, propre à un homme ou propre à un groupe. Elle subsiste sous des dessins gestuels qui changent. O n éprouve fortement qu'elle est liée à la personnalité profonde des exécutants. Elle est mal ou pas définissable, très difficilement imitable. « Ce qui reste quand on a tout analysé», ainsi pourrait-on, parodiant un mot célèbre, tenter de caractériser ce style, qui est « l'homme même ».
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Le mot est pris dans un sens incomparablement plus large quand on fait allusion aux multiples styles locaux d'une danse. Par exemple quand on oppose dans la gavotte le style vif et rebondissant de Haute-Cornouaille, avec ses martellements, ses gestes amples et fougueux, au style calme et glissé du pays de l'Aven, tout mesure et sobriété. La danse présentant partout quelques traits fondamentaux, dont on peut constater ou découvrir à l'étude l'identité foncière, le style de chaque terroir s'entend alors comme l'ensemble des particularités, grandes et petites, qui s'ajoutent au dénominateur commun pour donner au pas son apparence locale singulière. Le style ainsi compris se distingue mal du dessin gestuel. Tous les composants du mouvement ne concourent pas également à cette diversité géographique. Le tempo, la façon de progresser, de prendre les appuis, l'ampleur et l'intensité du mouvement, le dessin des gestes accomplis par la jambe libre, sont ce qui paraît le plus changeant. Dans des cas extrêmes l'interaction de ces multiples facteurs suffit à modifier une danse au point de la rendre méconnaissable. Mais sous ses allures diverses, l'observateur peut généralement reconnaître au moins un élément constant : la formule d'appuis. Elle n'a ordinairement subi que des remaniements légers : proportion un peu différente des durées élémentaires à l'intérieur de l'unité de pas, décalage d'un ou plusieurs mouvements par rapport à l'accompagnement musical, monnayage d'un appui de durée longue en deux ou trois appuis de durée courte, ou au contraire économie d'un ou deux appuis au profit d'un seul, de durée longue. Petits changements au total. La stabilité de la charpente contraste avec la variabilité de son revêtement. C'est une vérité commune qu'il existe ainsi des « styles locaux » de la danse. La remarque a moins souvent été faite qu'un groupe local peut lui-même donner à sa danse des aspects différents. Il apparaît dès l'abord que le mouvement intense et orné est le privilège des cavaliers, les femmes au contraire adoptant un maintien modeste, des mouvements étroits et sobres. En revanche il faut une intimité prolongée avec le milieu pour découvrir combien une même danse diffère suivant les dispositions psycho-physiologiques des exécutants, ou suivant les circonstances. Il arrive par exemple que les danseurs traditionnels aient deux façons de danser, l'une pour les jours ordinaires, l'autre pour les compétitions. Enfin toutes les fois où la danse n'atteint son maximum d'effet qu'au prix d'une dépense physique considérable, on est assuré d'observer deux « styles » contrastés, l'un brillant et coûteux, l'autre terne, de détente et de repos. Entre deux allures de la danse au même lieu (allure brillante et allure de repos par exemple) la différence est parfois aussi grande, ou plus grande, qu'entre les « styles » de deux terroirs. La diversité des aspects suivant les lieux est chose certaine, mais on ne peut savoir ce qui
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revient à cette variation géographique qu'après avoir éprouvé en chaque lieu quelle capacité la même danse possède de diversifier ses aspects sur place. * * *
La distinction qui vient d'être faite entre des traits de structure constants et des particularités d'exécution qui le sont moins, rappelle celle que nous établissons dans une production lettrée entre l'œuvre proprement dite et son interprétation. Des interprétations qui passent, une œuvre qui demeure, la notion nous est familière, qu'il s'agisse de théâtre, de musique ou de ballet. Q u ' o n puisse légitimement transposer à la danse folklorique cette discrimination, qu'on décide par exemple que le style est de l'ordre de l'interprétation, non de l'œuvre, la tâche du chercheur en sera facilitée aux plans successifs de l'observation, de la critique et de la notation. Beaucoup de collecteurs, sans poser ouvertement la question, l'ont pratiquement résolue dans ce sens, à en juger par la façon dont ils ont communiqué le répertoire recueilli. Entre l'œuvre savante et ses interprétations la limite est claire : elle est celle que l'écriture a tracée dès l'origine. L a fixation graphique immobilise la pensée que l'auteur a mûrie, la forme dans laquelle il a voulu la communiquer, les termes mêmes qu'il a choisis. Il en va autrement quand l'œuvre est une danse folklorique. Le recours à l'autorité d'un texte est exclu. Il arrive bien que le consentement unanime en tienne lieu. Par exemple certains bals à quatre ou à huit, certains jabadaos, sont indifféremment dansés en pas de marche, de course ou de gavotte : la forme est prescrite, le reste est affaire d'interprétation. Mais comment décider sans arbitraire où commence l'interprétation quand il s'agit d'une danse caractérisée par un pas qui lui est propre? Telle ronde toute simple a séduit par l'originalité indéfinissable de son dessin de pas. On la retrouve adoptée par des danseurs non traditionnels. Us se sont appliqués à imiter fidèlement : la succession des gestes élémentaires est conservée. Pourtant rien ne subsiste de ce qu'on avait aimé. La danse paysanne enthousiasmait. Celle-ci ennuie. Ce ne sont plus les mêmes hommes. Quelque soin qu'ils aient pris, ce n'est plus la même danse. Peut-être tenait-elle plus à une manière d'être qu'à une façon de faire. Dira-t-on pourtant que l'interprétation seule a changé ? Alors l'interprétation a plus de prix que l'œuvre, et il importe au moins autant d'en rendre compte. Il est toujours dangereux d'assimiler trop vite l'œuvre populaire à l'œuvre lettrée. On l'a vu plus haut, c'est une commodité pratique, ou c'est la comparaison, qui extraient du geste de danse une ossature. Elle est d'un intérêt bien mince et sans réalité en elle-même. Le mouvement vivant, lui, est indivisible. Véritablement recréé à chaque exécution, il est indissociable du style dans lequel ses transmetteurs qualifiés
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le vivent. Des interprètes si l'on veut, puisqu'aucun ne se pose en auteur. Mais des interprètes sans lesquels il n'y aurait pas d'œuvre. Elle est ce qu'ils la montrent. Elle n'est nulle part ailleurs qu'en eux. Elle est inséparable d'eux-mêmes. Dans le cas d'une production lettrée la dualité de l'œuvre et de l'interprétation est une réalité de fait. Dans le cas de la danse traditionnelle leur distinction résulte d'une opération de l'esprit, et ne va jamais sans arbitraire. Forme, pas, style, tout importe quand il s'agit d'étudier un répertoire folklorique. Mais tout n'est pas également facile à saisir. Par exemple il suffit généralement d'attention et de patience pour se faire une idée exacte du dessin d'une figure. Il faut d'autres dons, et mieux exercés, pour assimiler correctement un pas original et complexe. Conserver le résultat de l'observation ne pose pas non plus le même problème dans les deux cas. Le souvenir (surtout visuel) de la figure court moins de risques dans la mémoire que le souvenir (surtout musculaire) du geste. Il se note aussi plus aisément. Enfin la discrimination de ce qui est social, traditionnel, et de ce qui est individuel, est généralement aisée en matière de forme, — fait social au premier chef —, très difficile en matière de pas, fait social aussi, mais où la personnalité de chaque danseur a bien plus la possibilité de se manifester. Ainsi à chaque étape du travail (observation, notation, critique et interprétation) la forme, la structure du pas, le dessin gestuel, le style, offrent à un chercheur une prise qui n'est ni également facile, ni également complète, ni également sûre. Elle l'est de moins en moins à mesure qu'il va du premier terme au dernier. Autrement dit, dès que la connaissance qu'on prend d'une danse quitte un niveau sommaire, une part d'appréciation personnelle intervient. Elle grandit rapidement à mesure que l'attention se porte sur des traits plus subtils du mouvement. En conséquence la question doit être posée de la qualification du chercheur. Moins une enquête fait de place aux enregistrements visuels et sonores, plus on doit s'interroger sur les aptitudes naturelles, la formation, l'expérience de l'enquêteur en matière de mouvement et de rythme. Elles conditionnent la qualité de sa recherche et le crédit qui peut lui être fait. Ce n'est pas le lieu de traiter de la formation de l'enquêteur. C'est assez d'attirer l'attention sur son importance primordiale. Il est au contraire de notre propos d'examiner maintenant comment, par des démarches appropriées, par la critique de ses sources, de ses méthodes et de lui-même, il peut s'efforcer d'atteindre à une connaissance à la fois aussi complète et aussi assurée que possible.
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II. — SOURCES POUR L ' É T U D E D E L A
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TRADITION
Il y a pour l'étude des traditions populaires de danse deux sources de documentation possibles : L'une, fondamentale, est l'enquête directe. Les anciens danseurs traditionnels sont encore très nombreux en Bretagne. Eux seuls peuvent renseigner sur tous les aspects (psychologiques, sociologiques, techniques), de la tradition, et fournir au chercheur l'information abondante, précise, nuancée, dont il a besoin. Une seconde source, accessoire, est l'ensemble des textes et images connus à ce jour, se rapportant à ce sujet. Nous examinerons successivement les deux sources.
A. —
DOCUMENTATION
ÉCRITE
I. Les textes Avant la fin du x v e siècle il n'est guère fait mention de danses bretonnes dans les textes. Tout au plus relève-t-on quelques noms généraux tels que tors et caroles. Dès la première Renaissance au contraire les danseurs français commencent de s'intéresser aux branles et passepieds de Bretagne, en sorte que ceux-ci entrent bientôt après dans la littérature. Divers auteurs (anonymes, A. Paré, Bonaventure des Périers, Noël du Fail, Rabelais) y font allusion. Thoinot Arbeau 1 analyse en détail le plus célèbre de ces branles. Soulignons que toute cette documentation nous vient d'écrivains étrangers à la Basse-Bretagne. Elle est évidemment très incomplète. Elle peut comporter des inexactitudes. Il n'est pas bon d'autre part d'accorder à tous ces textes la même valeur de témoignage historique. T. Arbeau, A. Paré et probablement Du Fail rapportent des observations réelles. On ne saurait dire ce que savent exactement B. des Périers et Rabelais, ni quelle part revient dans leurs propos à la fantaisie et à l'imagination. Les x v n e et x v m e siècles ne livrent presque aucun document. La lutte que les autorités civiles et religieuses engagent dès le x v n e contre la danse nous vaut un certain nombre de renseignements sur les circonstances dans lequelles les Bretons s'y adonnent, sur la passion i. Orch., f. 81.
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qu'ils y apportent, sur la place que la danse tient dans les fêtes religieuses. On peut encore puiser quelques maigres informations dans les récits de voyages et les dictionnaires parus à cette époque. Ajoutons pour mémoire deux lettres de Madame de Sévigné 1 et quelques airs de danses bretonnes dans des recueils manuscrits ou imprimés. Au total documentation indigente. Il faut attendre la période post révolutionnaire pour voir les lettrés s'intéresser enfin, bien superficiellement encore, aux danses des Bretons. La jeune Académie Celtique incite les savants à rechercher dans les traditions populaires la survivance possible des croyances et usages de la Gaule. Dès 1808 elle diffuse son fameux questionnaire établi par Dulaure. Les préfets de l'Empire et de la Restauration sont invités à inclure dans leurs statistiques départementales un chapitre sur les mœurs, costumes, dialectes locaux. La danse et la musique des paysans piquent la curiosité. Ce qui retient l'attention sur les danses bretonnes, ce n'est plus, comme trois siècles plus tôt, leur contribution possible au répertoire à la mode, mais bien au contraire leur anachronisme. On se plaît à leur reconnaître « le caractère d'une haute antiquité ». L'intérêt porté aux traditions populaires devait s'accroître durant la période romantique et se maintenir tout au long du xix e siècle. La danse en a quelquefois bénéficié. Plus d'un auteur lui consacre au moins quelques lignes, souvent un passage appréciable, dans la description qu'il fait d'un pays. Ces textes ont le grand mérite de livrer souvent des observations directes, faites dans un milieu où la tradition possède encore toute sa vigueur. On leur doit d'utiles indications sur le climat psychologique et le contexte social de la danse. Il est rare en revanche d'y trouver une analyse du mouvement. L'auteur s'y essaie-t-il, la description est trop sommaire pour fournir un enseignement à elle seule. Il arrive qu'elle s'éclaire à la lumière de l'information fournie par l'actuelle tradition orale. Dès la fin du xix e siècle des collecteurs comme Bourgault-Ducoudray, Quellien, Bourgeois, ont conscience que la tradition décline. Avec le xx e cette constatation s'impose à un plus grand nombre. On ressent d'abord ce que la Bretagne commence à perdre en pittoresque et en poésie. En pays de Rosporden, dès 1906 au plus tard, quelques animateurs organisent des groupements de danseurs (il s'agit encore de danseurs traditionnels) à des fins spectaculaires. A Pont-Aven, Th. Botrel institue des concours de musique et de danse. Le mouvement s'amplifie après la première guerre mondiale. Quimper a maintenant une « fête des Reines de Cornouaille ». A Paris se fonde un Cercle celtique, puis 1 . Lettres du 5-8-1671 et clu 24-7-1689.
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une société de danseurs bretons. La danse traditionnelle passe de la paysannerie, qui s'en détache, à des citadins, qui la découvrent. Le temps des groupes folkloriques commence. Le nouveau public de la danse, non modelé par la tradition, a besoin de directives pratiques. En conséquence l'analyse du mouvement va retrouver une importance qu'elle n'avait plus depuis quatre siècles. Il faudrait s'en réjouir si la rigueur de l'information était assurée, et si les collecteurs, en portant leur attention sur l'aspect technique de la danse, ne la détournaient trop souvent de son contenu humain. Malheureusement le temps n'est plus où la danse traditionnelle s'offrait aux yeux de quiconque savait et voulait regarder. Elle ne se survit que par places, d'une vie plus secrète et généralement affaiblie. C'est au prix d'une enquête qu'on peut encore se faire une idée de la tradition dans sa force. Tout travail qui prétend nous en informer doit donc présenter les garanties désormais exigibles en matière d'information folklorique : communication directe au notateur; assurance que les faits recueillis n'ont subi aucune retouche; références permettant de vérifier en cas de besoin le bien-fondé d'une affirmation. Peu de collecteurs se sont astreints à cette discipline inconfortable. Parmi les publications assez nombreuses qu'à suscitées le développement des groupes folkloriques, la plupart sont en fait inutilisables pour un travail scientifique. Quelques-unes pourtant puisent directement une partie au moins de leur information en milieu paysan, et contiennent des analyses ayant incontestablement valeur documentaire. A toute époque une observation personnelle faite dans un milieu d'authentique tradition vivante a son prix. Il s'en faut malheureusement que les auteurs communiquent toujours des observations personnelles. Par exemple, les quelques enseignements qu'on peut glaner dans l'œuvre de Souvestre touchant les danses du Léon, se retrouvent, pour tout ou partie, et le plus souvent sans indication d'origine, dans la Galerie armoricaine de Le Meder 1 (1848), dans la Bretagne Catholique de Buron 2 (1856), dans la Bretagne poétique de Pradère 3 (1872), dans les Zigzags en Bretagne de Dubouchet 4 (1894), chez d'autres encore. On retracerait de même la longue carrière de tel passage de Cambry ou de Bouët. Le mal n'est pas grand quand l'emprunteur copie textuellement, ce que plusieurs ont fait le plus candidement du monde. On a bientôt 1 . L E MEDER J . C., texte pour La Galerie armoricaine, costumes et vues pittoresques de la Bretagne, par H. LALAISSK et BENOIT, Nantes, Charpentier, s. d., in-fol., 1 1 2 p. et 1 3 0 pl., p. 49. 2. BURON L. L., La Bretagne catholique, Paris, Périsse, 1856, in-8°, 400 p., p. 2 3 1 . 3. PRADÈRE O., La Bretagne poétique, Paris, Librairie générale, 1872, in-8°, XIV-466 p. 4. DUBOUCHET, Zigzags en Bretagne, Paris, Le Thielleux, 1894, in-8°, X I - 3 5 2 p., p. 207.
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reconnu leurs modèles. Mais le plagiat déguisé risque d'induire en erreur. Quand un même fait se retrouve chez plusieurs auteurs dont chacun paraît avoir ses sources propres, le lecteur croit y trouver la preuve de la vérité et de la généralité du fait. C'est une sécurité trompeuse s'il y a une seule observation à l'origine de tous ces textes. Cette observation unique pouvait ne valoir que pour un lieu. En ce lieu même elle pouvait être insuffisante ou inexacte. C'est bien pis si l'emprunteur change quelque chose à la leçon reçue. Par exemple, au chapitre Côtes-du-Nord de sa France Pittoresque (1835) — généralement tenue pour source sérieuse de documentation — Abel Hugo fait le récit d'une noce paysanne en le présentant de telle sorte qu'on peut le croire caractéristique de ce département breton. La suite de danses qu'il fait connaître est du type qui a cours en BasseCornouaille et en Morbihan. Le lecteur peut en conclure que dans la première moitié du xix e siècle la tradition de danse était homogène en Basse-Bretagne, au moins en ce qui concerne la forme. Les informateurs paysans enseignent au contraire que ni le sud des Côtes-du-Nord (dont la danse est de type haut cornouaillais), ni surtout la région trégorroise (qui a possédé ses formes propres), n'avaient une tradition équivalente à celle des terroirs plus méridionaux. Contradiction entre deux informations également recevables ? Nullement. Le récit d'A. Hugo est le produit d'une compilation. Sa description de danse est empruntée à peu près textuellement à un article de revue 1 qu'il omet de mentionner dans sa bibliographie, et cet article concernait le pays de Vannes. C'est assez rappeler la nécessité d'une critique des sources écrites.
2. Les images En règle très générale l'iconographie de la danse folklorique est peu abondante. On ne peut ordinairement réunir pour un terroir donné qu'un petit nombre d'images représentant d'authentiques danseurs traditionnels observés dans leur milieu. En Basse-Bretagne les premiers documents que nous connaissions sont les esquisses établies par O. Perrin à l'extrême fin du x v m e siècle pour la Galerie des mœurs, usages et costumes des bretons de /'Armorique, qui devait commencer de paraître en 1808. En dehors de très rares dessins ou peintures, nous n'avons rien rencontré d'autre qui mérite d'être signalé avant l'apparition de la photographie. Mais il est bien entendu possible que des documents de valeur existent dont nous n'ayons pas eu connaissance. Les photographies de 1. M O R V A L ,
21" lettre morbihannaise,
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la fin du xix e siècle et du début du xx e — clichés de revues et surtout cartes postales — forment la plus grande part de l'imagerie connue à ce jour. Il faut une critique préalable aux images comme aux textes : toute image n'a pas valeur de document. Il n'en manque pas — et jusque dans des ouvrages récents à prétention didactique — qui doivent plus à l'imagination de leur auteur qu'à une observation réelle. Avant de demander un enseignement à une image il est indispensable de s'assurer que l'imagier a voulu représenter une danse qui avait réellement cours, et la représenter fidèlement. Cette critique est aisée quand il s'agit de photographies. On doit exclure celles qui sont prises aujourd'hui dans les fêtes folkloriques, pour les mêmes raisons qui font exclure les textes nourris à cette source. Parmi les photographies prises en Bretagne antérieurement à la première guerre mondiale, un petit nombre seulement doivent être écartées, qu'il n'est pas difficile d'identifier. On reconnaît au premier regard celles pour lesquelles les exécutants ont posé, en studio ou en plein air. Le montage de deux clichés l'un sur l'autre est rare, et facilement décelable. Il faut se méfier davantage des légendes d'images : elles attribuent quelquefois une danse à un terroir qui n'est pas le sien. Le cadre architectural et surtout le costume local, permettent presque toujours de rétablir la vérité. Encore que la question se pose peu dans le cas particulier de la tradition bretonne, disons qu'il est plus difficile d'apprécier la véracité de documents graphiques anciens. L'analogie de plusieurs images n'équivaut pas toujours à un recoupement : l'imitation joue dans l'ordre plastique au moins autant que dans l'ordre rédactionnel. Ce n'est qu'à la lumière de l'information fournie par les textes contemporains de l'image et par la tradition orale, qu'on peut juger si ces représentations de danses expriment ou non une connaissance réelle des faits. La valeur documentaire d'une image étant admise, la question se pose de savoir quel enseignement l'on peut en attendre. Ce que l'image peut faire connaître à elle seule de façon indiscutable est limité. Elle montre parfaitement la disposition des danseurs, leur nombre, et la nature du lien des uns aux autres. Bref elle fait connaître les traits généraux de la forme, et à cet égard son apport peut être capital pour les époques où nous n'avons plus regard. Il est imprudent de demander beaucoup plus à l'image. Il arrive bien, en quelques cas favorables, qu'elle permette d'identifier sans risque d'erreur une figure d'ensemble au dessin très caractéristique. Elle est fort propre encore à peindre l'attitude typique des danseurs. Elle suggère même puissamment le geste quand l'imagier l'a fortement ressenti. Mais
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elle ne fait que le suggérer. C'est le lecteur qui interprète et développe la suggestion. Et comment le ferait-il sinon avec son imagination, appuyée sur sa propre expérience ? Ceux qui tentent de restituer la danse d'époques ou de civilisations disparues à l'aide des images qu'elles ont laissées, attribuent ordinairement à la danse inconnue quelques-uns des mouvements essentiels de celle qui leur est familière à eux-mêmes. On voit mal comment ils auraient pouvoir de lui en attribuer d'autres. La fréquentation de milieux folkloriques nombreux et différents met en garde contre ce genre de conclusions. On y apprend en effet la diversité imprévisible, déconcertante, dont est capable le geste expressif humain, et le danger d'assimiler trop vite l'expérience motrice d'un milieu à celle d'un autre. Pour demander à une image une leçon sur les gestes eux-mêmes, il faut déjà disposer d'une information abondante et précise sur la danse qu'elle représente. Il est par exemple légitime d'interpréter jusqu'aux particularités du dessin gestuel dans les cartes postales du début de ce siècle, contemporaines de la jeunesse de nos informateurs paysans. L'enquête en milieu rural et la photographie ne font pas double emploi. Non seulement la photographie recoupe utilement les souvenirs des danseurs traditionnels, mais elle en donne une illustration sensible que le témoignage verbal ne pouvait pas fournir. Il faut plus de prudence quand on examine les gravures ou dessins d'un passé plus éloigné. Mais il arrive qu'on y relève, reconnaissables sans hésitation possible, des particularités d'attitudes et de gestes qu'on sait avoir encore été caractéristiques de certains terroirs aux derniers temps de la tradition. Si ces documents ne permettent pas de restituer à coup sûr l'exacte qualité du mouvement, au moins font-ils conjecturer avec la plus grande probabilité les traits généraux de son « style » au sens le plus large du mot. Comme on le voit, qu'il s'agisse de textes ou d'images, la même conclusion s'impose : c'est comme un complément de l'information recueillie dans la tradition vivante que la documentation écrite prend toute sa valeur. Son rôle est de recouper et compléter cette information orale pour la période la plus proche, de la prolonger, en prenant appui sur elle, pour la période du passé que nous n'avons plus d'autre moyen de connaître. * * *
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L A TRADITION VIVANTE
I . État de la tradition à son terme L a tradition populaire de danse a manifesté en Basse-Bretagne une exceptionnelle vitalité. Entre les deux guerres elle se maintenait dans une partie importante du pays, et en quelques cantons demeurait aussi vigoureuse qu'elle avait pu l'être à n'importe quel moment du passé. Cette longévité, sans être unique dans le domaine français, est parmi les plus remarquables qu'on connaisse. Ceci affirmé, et soulignée la valeur d'un pareil champ de recherches, l'attention doit être attirée sur deux points.
a) L a vie moderne a bouleversé la civilisation paysanne en BasseBretagne comme partout ailleurs. L a transformation a pu se généraliser plus tard qu'en d'autres régions de France. Elle n'en est finalement ni moins étendue ni moins profonde. E n quelques générations elle a renouvelé dans tous les milieux tous les aspects de la vie. Penser que les derniers danseurs traditionnels nous donnent de la tradition une image qu'on puisse projeter telle quelle sur un passé moins proche, c'est méconnaître ce qu'a d'unique la période qu'ils ont vécue. Elle a fait bien plus que remettre en question des répertoires. Elle a relevé la tradition de la haute fonction sociale qu'elle exerçait dans tous les domaines. Q u ' i l s'agisse d'équiper une exploitation, de soigner une maladie, de régler un litige, le paysan d'autrefois trouvait un guide, sans quitter son milieu restreint, dans l'expérience héritée des générations antérieures. Il consulte aujourd'hui les organismes et spécialistes informés du progrès des techniques. A l'attitude ancienne, faite principalement de référence au passé, s'en est substituée une autre, radicalement opposée : interrogation du présent, expérimentation, curiosité tournée vers le proche avenir. Ce n'est pas seulement le savoir traditionnel qui se disloque et tombe morceau à morceau, c'est la tradition elle-même, la tournure d'esprit, l'ensemble d'habitudes mentales et affectives impliquées en elle, que le cours de l'évolution rend toujours plus anachroniques. Les témoignages oraux font connaître la tradition populaire de danse dans une période très limitée de l'histoire, et cette période est celle où la tradition est partout remise en cause, modifiée dans son contenu, son fonctionnement, sa nature même, par des influences qui vont à réduire de plus en plus son champ d'action, et finalement l'éliminer. Elle était principe d'autorité et de stabilité, et nous la saisissons dans un temps où elle doit, avant de disparaître, composer avec une
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réalité toujours mouvante. Des changements que nous voyons survenir en elle au cours de cette période, certains peuvent être liés à son fonctionnement normal. Beaucoup d'autres, certainement, sont imputables aux circonstances exceptionnelles qui lui sont faites. Ce ne sera pas une mince difficulté de les départager. b) La force et la longévité de la tradition n'ont pas été les mêmes en tous les terroirs de Bretagne. E n conséquence les problèmes de méthode qui se posent à l'enquêteur peuvent différer beaucoup d'une région à l'autre. Ordinairement la danse traditionnelle ne disparaît pas brutalement d'un terroir. Elle subsiste d'abord à côté des danses reçues de la ville et que la mode renouvelle. Mais son prestige baisse, son public se réduit, sa transmission aux enfants ne se fait plus, ou mal. Délaissée au bourg, elle se maintient longtemps dans les villages. Enfin les jeunes ruraux eux-mêmes en viennent à la dédaigner. Encore un peu de temps, et la vieille danse n'a plus qu'un public de vieilles gens. Elle trouve un dernier refuge dans l'annuel « concours de danses bretonnes » du pardon, ou dans la « danse pour les vieux » des noces. Elle est bien près d'être oubliée. Ce processus, partout vérifiable, n'a pas commencé partout au même moment, ne s'est pas poursuivi partout à la même vitesse, et n'en est pas partout au même stade de son déroulement. Il n'y a plus de pays où l'on puisse observer la tradition dans sa force, mais il y en a où elle garde une certaine vie. Par exemple la Cornouaille des monts d'Arrée et des Montagnes Noires, où tout récemment encore la danse traditionnelle était presque la seule en usage. Dans un plus grand nombre de régions l'ancienne danse est totalement abandonnée. En Finistère méridional sa disparition ne s'est faite qu'entre les deux guerres, en moyenne vers 1925. Au nord, dans les communes voisines de Landerneau et Landivisiau elle était consommée dès 1914, et quelquefois plus tôt. Entre Morlaix et la route Lannion Plouaret la tradition commençait de décliner vers 1885 et s'éteignait dès 1900 en bon nombre de communes. Enfin, autour de Tréguier et de Paimpol les parents des vieillards actuels déjà n'évoquaient devant leurs enfants que des souvenirs de quadrilles, polkas et dérobées. C'est dire que la possibilité et les moyens de connaître l'ancienne tradition locale changent suivant les terroirs. Là où elle survit, c'est d'observations qu'il s'agit avant tout. Là où elle est disparue, c'est de souvenirs qu'il faut se mettre en quête. Souvenirs proches en bien des cas, lointains ou très lointains en d'autres. Exprimables en démontrations concrètes ou seulement en récits verbaux. A l'extrême ce sont des souvenirs indirects, relayés par une mémoire intermédiaire. Autant de conditions locales, autant de façons de conduire la recherche et la critique des résultats.
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2. Les témoins de îa tradition Qui est qualifié pour témoigner de la tradition? On ne voit pas que beaucoup de collecteurs se le soient demandé. Si des recueils publiés en France à ce jour, et de la documentation détenue par les sociétés folkloriques, on devait retirer toutes les danses que les auteurs et danseurs n'ont jamais observées eux-mêmes dans leur milieu d'origine et qu'ils doivent à l'enseignement de personnes interposées, le nombre des danses prétendument connues se réduirait singulièrement. Encore n'est-ce pas le plus souvent un intermédiaire, mais une chaîne d'intermédiaires, qui relie le milieu originel au publiciste qui va fixer la danse, ou au groupe de danseurs qui va l'inscrire à son répertoire. Tenir une telle connaissance pour valable revient à admettre qu'une danse se transmet sans altérations, à peu près comme un objet matériel, ou comme une recette qu'on applique. C'est méconnaître gravement sa nature. Nous avons dit sa dépendance intime d'un certain climat humain, et donné une idée des démarches qui nous approchent d'elle. Il faut maintenant examiner quel crédit peut être fait aux observations de mouvement communiquées par des tiers étrangers au milieu traditionnel. a) La première question qui se pose en pareil cas est de savoir quelle portée a l'information transmise. L'intermédiaire a-t-il été bien et complètement documenté ? Les danseurs lui ont-ils enseigné et montré tout ce qu'il y avait à voir et apprendre ? C'est peu probable. A-t-il au moins une idée des limites de son information? Rarement on peut s'en remettre à sa réponse. Pourtant la connaissance d'une version de danse ou d'une particularité de mouvement est de médiocre valeur sans un éclairage qui la situe à sa place et à son importance dans l'ensemble des faits à connaître. C'est un fossile dont on ignorerait l'étage et le gisement. Le danger n'est plus d'ignorer mais d'être trompé, si le fait est présenté dans un autre éclairage que celui qui lui revient légitimement. En bien des danses publiées ou transmises par un groupe folklorique on reconnaît, sous les altérations inévitables, une version que le milieu d'origine pratiquait effectivement, mais parmi plusieurs autres. Elle n'était qu'une variante, peut-être exceptionnelle, voire aberrante. L'écriture et la représentation publique lui donnent une consécration officielle. Elle devient « la danse » de tel endroit. Ou encore, pourvues de noms particuliers, plusieurs variantes d'une même danse accèdent au rang de danses distinctes. Dans tous ces cas, à prendre le fait pour ce qu'on le donne, le folkloriste est assuré de conclusions fausses. b) Ce que le témoin s'est appliqué à voir, comment l'a-t-il vu ? C'est chose complexe et fugace qu'une danse. Chaque geste est évanoui sitôt que né. Encore n'est-il pas identique chez tous. Il y a des constantes
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et des variables. Il y a des traits qui frappent et d'autres qu'on remarque seulement lorsqu'on y porte attention. Certains s'enregistrent d'un regard. D'autres requièrent l'analyse. De ce déroulement complexe plusieurs observateurs ne prennent pas forcément la même image. Ce n'est pas seulement l'aptitude à observer qui les différencie, mais jusqu'à la capacité de voir, plus dépendante qu'on ne croit de la capacité de faire. Ce que chacun de nous distingue dans une danse dépend dans une large mesure de la qualité et de la diversité de sa propre vie motrice. Et si les habitudes musculaires et rythmiques d'un observateur conditionnent ainsi la perception qu'il a du mouvement, à plus forte raison interviennent-elles impérieusement quand il veut le saisir et le reconstituer en lui-même. La danse qu'il retransmet ne reproduit pas toujours celle qu'il a vue, et lui-même ignore généralement à quel point elle s'en écarte. c) Il arrive que l'observateur consigne lui-même la danse par écrit et la communique sous cette forme. C'est le cas le plus favorable : la danse notée échappe aux vicissitudes du souvenir et des transmissions. La difficulté de traduire les finesses du mouvement oblige à n'en conserver que les traits structuraux, mais cette insuffisance du procédé a une contrepartie bénéfique : elle élimine les aspects du mouvement les plus suspects a priori d'appréciation inexacte. Si l'observateur se contente de communiquer son savoir par enseignement direct, aucun crédit ne peut plus être fait à la donnée finale. Il faut avoir vu la même danse folklorique dans son milieu d'origine, puis dans les écoles, mouvements de jeunes, centres d'éducation physique, stages d'éducation populaire etc... où elle est enseignée, pour savoir quelles ahurissantes métamorphoses résultent de ces transmissions répétées d'une danse hors du « climat » qui était le sien. Au total, les risques d'erreur sont considérables aux stades successifs de l'observation, de la conservation et de la retransmission du mouvement. En sorte qu'une recherche de caractère scientifique doit tenir pour suspecte jusqu'à plus ample informé toute danse enseignée par un intermédiaire étranger au milieu traditionnel. *
*
*
Faut-il étendre cette suspicion méthodique des individus aux groupes ? Pour une opinion courante — que certains folkloristes partagent — les actuelles sociétés régionales de danseurs folkloriques seraient des organismes qualifiés pour recueillir les matériaux d'une étude sur les anciennes danses populaires. Les groupes folkloriques bretons paraissent placés dans d'excellentes conditions à cet égard. D'une part l'authentique tradition paysanne survit encore par places, et n'est disparue ailleurs qu'à
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une époque dont il demeure des témoins. D'autre part les cercles celtiques se sont multipliés depuis la guerre à un rythme rapide, et beaucoup se sont constitués en milieu rural. Il est naturel, à quelque distance, de voir en eux les continuateurs d'une tradition sans rupture, ses relais, constitués à temps pour recueillir le dépôt menacé, et assurer désormais sa conservation. En fait cette continuité n'est qu'apparente. Et d'abord un cercle celtique peut se fixer un autre but que de rechercher, conserver et manifester fidèlement ce qu'était en chaque point de Bretagne l'ancienne danse paysanne. Constitués en réponse à des besoins très actuels et d'un autre ordre (culture populaire, organisation des loisirs, etc...) ils voient dans le folklore un héritage à faire valoir plutôt qu'un objet de connaissance désintéressée. Il n'y a pas lieu de leur demander ce qu'ils ne se prétendent généralement pas habilités à donner. S'il leur arrive de se poser en informateurs qualifiés, mieux vaut ne pas les en croire sans preuves. Entre eux et la danse traditionnelle de leurs aînés s'élèvent beaucoup d'obstacles. Sauf exceptions locales peu nombreuses, les jeunes qui adhèrent à un cercle celtique ont vécu leur enfance et leur adolescence dans un milieu d'où elle avait déjà disparu. Élevés dans un tout autre climat que les générations antérieures, ils ne sont en rien la réplique du danseur traditionnel d'autrefois, pas plus que leur groupement temporaire, aboutissement d'un effort concerté, n'est comparable à sa communauté de vie, de travail et de loisirs. Les hommes sont autres, autres le groupe et les liens du groupe. Différents aussi les buts, et les modes de transmission. Si divers qu'ils soient, les groupes folkloriques ont au moins un trait commun : ils font de leurs chants et danses un spectacle. Ce qui, quelques lustres plus tôt, était expérience banale, joie commune, plaisir gratuit et vécu dans tout l'être, devient savoir-faire d'un petit nombre, source d'applaudissements, objet à faire voir et à porter de public en public. Simultanément un enseignement par moniteurs, de durée limitée, de pédagogie sommaire, fondé principalement sur la décomposition des mouvements, remplace la formation globale, échelonnée, longue et complexe, du milieu traditionnel. Il n'est pas possible que des différences multiples sur des points aussi essentiels restent sans conséquence pour la chose transmise. Et d'abord le répertoire de danses et musiques de danses d'un groupe ne se limite pas à celui qui avait cours autrefois au même lieu. Toujours il inclut des emprunts, soit aux terroirs voisins, soit même à des régions éloignées, sortes de classiques de la danse bretonne, communiqués de groupe à groupe. Quant à l'ancien répertoire local traditionnel, il contribue pour une part très variable, parfois minime. Il est fréquent de trouver les membres de ces sociétés plus informés
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des danses pratiquées en d'autres cercles que de celles que leurs parents ou grands parents pourraient leur enseigner, voire même de ce qui s * danse et chante encore en certains hameaux de leur commune. Connaissent-ils leur ancienne tradition propre, c'est souvent de façon inexacte, en tout cas incomplète. Non par une enquête systématique, menée avec un minimum de méthode, mais par quelques apports individuels non contrôlés, de valeur très inégale. Des aspects de la tradition, des variantes d'une danse, parfois même des danses, demeurent ignorés. De ce que des rencontres ont fait connaître tout n'est pas retransmis. Les variantes sans éclat (les plus répandues peut-être, et les plus significatives pour l'histoire de la danse) risquent d'être écartées au profit des plus spectaculaires (qui peuvent n'être qu'exceptionnelles), les broderies facultatives incorporées au dessin constant du pas, etc... En résumé la tradition locale n'est connue que de façon lacunaire, mêlée à des apports d'autres terroirs, le tout représenté par des versions dont beaucoup peuvent être altérées dès l'origine. Elles sont exposées à l'être plus encore après quelques retransmissions. Il y a plus. Nous avons jusqu'ici supposé des intermédiaires scrupuleux, appliqués à transmettre ce qu'ils ont vu et entendu, tel qu'ils ont cru le voir et l'entendre. Mais beaucoup n'ont appris et transmis qu'en modifiant volontairement. Ceci avec tous les degrés, du léger changement à l'invention presque complète, et de la bonne foi à l'impudence. Certains, s'appuyant sur leur expérience antérieure, sur une opinion reçue, une théorie pré-admise, croient servir la vérité en redressant ce qui leur paraît évidemment erroné dans la démonstration d'un informateur, ou en précisant ce qu'elle laissait indécis. D'autres, soucieux surtout de pratique, apportent la retouche qui, d'une démonstration insuffisante, permet de tirer une danse présentable. D'autres encore empruntent à plusieurs versions jugées imparfaites, de quoi bâtir une version synthétique et critique, qui les satisfait; ou bien, recueillant plusieurs figures désignées d'un même nom, ils décident qu'elles sont des débris d'une seule danse, et rétablissent un original que la tradition n'a jamais connu. Les plus désinvoltes empruntent, taillent, refaçonnent, ajoutent copieusement du leur, recousent et baptisent à leur fantaisie. Bien des danses ont été et sont encore présentées sur scène comme folklore breton, dont on cherche vainement la trace aux lieux d'où elles sont censées provenir. * * *
Les conséquences pratiques se dégagent aisément : sur le contexte social de la danse, tout membre de la société rurale peut apporter un enseignement qui vaille, à cette seule mais impérieuse condition qu'il
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ait connu la tradition vivante, et ait été témoin des faits qu'il rapporte. L'informateur paysan est irremplaçable. Il est souvent utile de compléter son enseignement par celui d'hommes à qui leur culture et leur activité différentes procurent un autre angle de vue. L'expérience confirme le bien-fondé du conseil donné par Van Gennep : aux prêtres, instituteurs, notaires, médecins, etc... il faut demander une information plutôt sur le milieu dont ils sont originaires que sur celui où leurs fonctions les font vivre. Ceux d'entre eux qui sont issus de la paysannerie et restés en contact avec elle sont souvent des informateurs précieux : la culture acquise leur permet de regarder et analyser de l'extérieur une donnée qu'ils connaissent d'autre part, en partie au moins, par expérience personnelle. Ils évoquent assez souvent des particularités — dans l'ordre psychologique notamment — dont le paysan a moins conscience, ou qu'il sait moins clairement exprimer. Quant aux mouvements, c'est au danseur traditionnel lui-même, et à lui seul, qu'il faut les demander. On connaît l'expression populaire : « pour bien danser cette danse, il faut l'avoir dans le sang ». Sous une forme naïve elle traduit une observation juste : une danse qui tire quelques caractéristiques fondamentales de la façon dont sont modelés ses gestes, ne demeure semblable à elle-même que dans le milieu où ces gestes ont cours. Seuls lui donnent son vrai visage ceux que le milieu y a formés dés l'enfance. Sauf rares exceptions elle se communique très imparfaitement aux autres.
III. — L'ENQUÊTE
A. —
C H O I X D U PROCÉDÉ, PREMIÈRES DÉMARCHES
Un contact personnel avec les détenteurs de la tradition, telle est en définitive la seule façon correcte de procéder. Il devrait être superflu d'ajouter : un contact direct. Qu'on ait cru pouvoir, par questionnaires écrits, obtenir des renseignements sur les rythmes, pas et gestes caractéristiques d'une danse est au moins surprenant 1 . Dans les premiers temps de notre enquête nous espérions pouvoir alléger notre tâche en usant de questionnaires à une fin plus modeste : reconnaître les limites d'extension géographique de chaque danse. Après avoir étudié directement, sur place, en quelques communes, le répertoire d'un terroir i . Voir les questionnaires des Archives Manuel., t. I I I , p. 4 4 .
GENNEP,
internationales
de la danse,
d a n s VAN
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restreint et constaté sa stabilité, nous adressions à des correspondants de communes voisines un questionnaire demandant si les mêmes danses y avaient eu cours, si on en connaissait "des versions différentes, si certaines des danses énumérées étaient inconnues, si d'autres devaient être ajoutées à la liste. L'expérience a montré que même dans ces limites la tentative était vaine ou conduisait à des erreurs. Rien ne dispense l'enquêteur de se rendre personnellement en chacun des lieux dont il veut connaître la tradition, et d'y séjourner tout le temps nécessaire.
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Les inconvénients de procéder par sondages sont assez connus pour qu'il ne soit pas nécessaire de s'y attarder. Une somme de monographies, même excellentes, consacrées chacune à une commune jugée représentative d'un petit terroir procurerait de la tradition bretonne une vue d'ensemble insuffisante. Il faut connaître l'aire de diffusion de chaque danse et ses variations dans cette aire. Une documentation aussi complète que possible, et telle en tout cas qu'aucun élément essentiel ne demeure inconnu, est le but où l'on doit tendre. L'idéal serait « l'exploration pas à pas, de commune à commune, sinon même de hameau à hameau » C'est celle que nous avons pratiquée au début de notre enquête, en 1945, en Bas-Léon. Il est vite devenu évident qu'en ce terroir au moins une prospection aussi serrée était un luxe inutile, et que d'autre part une recherche menée à cette allure n'atteindrait jamais ses buts. Après tâtonnements nous avons adopté le parti suivant : le moment venu d'étendre la recherche à une nouvelle zone, nous commencions par enquêter en quelques communes, dispersées sur un territoire restreint. Si d'une de ces localités à l'autre, et d'elles à celles que nous connaissions déjà, les différences apparaissaient négligeables dans le répertoire, les usages, la façon de danser, nous recommencions un peu plus loin. Si au contraire apparaissait une différence notable, ou si les faits posaient un problème nouveau, ou se montraient assez riches pour mériter un supplément d'enquête nous reprenions celle-ci en des communes intermédiaires, jusqu'à ce que fût assurée la continuité de la documentation. Ainsi s'est noué peu à peu un réseau de points d'enquête, tantôt plus dense, tantôt plus lâche suivant les besoins de l'information et les possibilités locales, réseau progressivement resserré à mesure que la mise en œuvre des matériaux recueillis faisait apparaître la nécessité de précisions nouvelles, et d'informateurs d'une qualité moins courante.
i.
VAN GENNEP,
Manuel.,
t. I, I, p.
67.
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Il n'y a pas un premier temps d'enquête et un second temps de mise en œuvre. Les démonstrations et explications des informateurs ne livrent qu'une part de la complexe réalité. Si soigneuse qu'ait été sa recherche, l'enquêteur travaille sur une récolte incomplète. La comparaison des documents fait apparaître des lacunes, des points obscurs ou douteux, révèle l'importance de faits auxquels on avait porté peu d'attention, suggère des hypothèses qui demandent vérification, etc... Il ne suffit pas d'aller sur place, il faut y retourner, et souvent plusieurs fois, à des années d'intervalle. Chaque enquête fonde une meilleure synthèse, et chaque synthèse nouvelle rend possible une prospection plus pénétrante. Enquête et mise en œuvre avancent ensemble, les tâtonnements de l'une guidant l'autre. Tant qu'il demeure des témoins encore inconnus de la tradition vraiment vivante, l'enquête n'est pas achevée. C'est la nécessité seule qui impose d'y mettre un point final. Les difficultés de la prospection, la qualité et l'abondance de ses résultats, varient à l'extrême suivant la façon dont elle a été préparée. Aussi notre préoccupation, avant chaque voyage, a-t-elle été de rechercher en chacune des localités où nous nous proposions d'enquêter, une personnalité qui veuille bien s'intéresser à cette recherche et nous aider à la mener dans de bonnes conditions. La demande peut avoir un effet contraire à celui qu'on escompte : l'homme qu'on sollicite peut mal orienter l'enquête ou lui faire obstacle. Il y a celui qui, depuis trente ans dans le pays, n'a jamais vu danser, déclare toute recherche inutile, et prédit — généralement à tort — qu'on ne trouvera rien; celui qui n'a que dédain pour les talents de danseurs de ses concitoyens, et renvoie à telle autre localité, où l'on verra quelque chose qui vaut d'être mentionné. Surtout il y a celui qui, connaissant ou croyant connaître la tradition locale, veut dispenser l'enquêteur d'une recherche dont il se flatte de lui fournir d'emblée tous les résultats. Celui-là admet mal que l'information qu'il donne, à ses yeux excellente, ne puisse remplacer pour le nouveau venu un contact direct, personnel, avec les détenteurs de la tradition. Il est donc souhaitable en principe de choisir avec beaucoup de soin ses introducteurs en chaque lieu. En fait, lorsqu'une enquête porte sur plusieurs centaines de communes, on a rarement le moyen de choisir. Nos relations personnelles, et surtout les recommandations de quelques amis, nous ont permis de constituer un premier petit réseau de correspondants : prêtres, instituteurs, médecins, pharmaciens, etc... parmi lesquels nous avons trouvé de sûrs et fidèles appuis. Là où nous ne connaissions personne, nous écrivions à tout hasard, soit au maire, soit au recteur de la paroisse, dans les pays où le prêtre a conservé son autorité morale et demeure, plus que tout autre, en contact intime avec la population. La lettre exposait le but de nos recherches, fixait l'époque
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de notre passage, précisait le genre d'informateurs que nous désirions rencontrer, et suggérait les diverses façons" dont notre correspondant pouvait nous être utile. Il pouvait au minimum nous communiquer lors de notre venue, les noms et adresses de personnes à visiter, éventuellement nous faire savoir si des danses avaient encore lieu, à quelles occasions et dates. A un degré supérieur il pouvait voir lui-même à l'avance les informateurs présumés, leur exposer les raisons de notre prochaine visite, les disposer à nous renseigner. Cette lettre n'a cessé de se modifier en fonction de l'expérience, notre demande se faisant progressivement moins ambitieuse, son expression plus précise. Dans la grande majorité des cas nous constations à notre arrivée sur place qu'elle avait été totalement inutile. Les quelques exceptions justifiaient pourtant la tentative. Un petit nombre de correspondants, divers de culture, de métier, de foi ou d'opinion, mais également serviables, ont pris notre appel au sérieux, nous apportant une collaboration que nous n'avions pas toujours espérée aussi généreuse.
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Dans le cas le plus ordinaire, l'enquêteur arrive dans un bourg où personne n'est préparé à le recevoir. E n pareille circonstance notre première visite était pour le secrétaire de mairie, à qui nous demandions les noms et adresses des gens âgés de la commune. Lui-même pouvait souvent donner un conseil, dire ceux dont la mémoire était la plus sûre, ceux qui étaient encore capables de danser. Munis de ces renseignements nous commencions notre tournée. C'est alors que nous trouvions nos meilleurs orienteurs : les vieillards que nous interrogions, quand ils n'avaient pas été danseurs eux-mêmes, savaient au moins nous désigner ceux de leurs contemporains qui avaient eu réputation de l'être. Ils nous aidaient à constituer une liste d'informateurs, que nous allions ensuite consulter l'un après l'autre. Les résultats d'une pareille enquête sont affaire d'obstination et de chance. Il nous est arrivé de trouver d'emblée des informateurs d'une qualité exceptionnelle et de recueillir une documentation de premier ordre. Il nous est arrivé aussi de multiplier les visites pour un résultat immédiat insignifiant. Même dans ce cas nos démarches n'avaient pas toujours été inutiles. Elles nous donnaient une première idée de la localité au point de vue qui était le nôtre, sa réputation ancienne comme centre de danseurs, la vigueur de sa tradition, la possibilité de voir encore danser dans une noce, une veillée, un repas de vieux, etc... Surtout, elles nous faisaient connaître, permettaient de nouer des relations, et commençaient ainsi de préparer une nouvelle enquête si celle-ci apparaissait nécessaire.
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ET CONSULTATIONS
INDIVIDUELLES
Activité collective pat nature, la danse folklorique ne se montre elle-même que dans l'exécution en groupe. Sans effort d'imagination, sans reconstitution hasardeuse, l'enquêteur la voit se manifester au naturel. Que les observations soient assez nombreuses pour permettre la pénétration progressive, les distinctions et recoupements indispensables, il prendra des mouvements la meilleure connaissance qu'il puisse en avoir. En pratique la facilité et la portée de telles observations dépendent de l'état de la tradition en chaque lieu. Dans un pays où la danse demeure vivante, ses manifestations publiques donnent l'occasion d'un premier contact. On y puise toujours des enseignements utiles. Toutefois il faut se garder de rien conclure sur ces seules démonstrations. Une danse de mariage comme une danse de pardon réunit des gens de communes, d'âges et de milieux différents. Surtout elle réunit des exécutants très dissemblables, les uns véritables danseurs traditionnels, d'autres formés par une tradition déjà adultérée, ou trop jeunes pour en avoir reçu aucune empreinte. Même les danseurs de tradition trouvent rarement dans cette société le climat qui conviendrait à la danse. Autrement instructives sont les danses de la vie privée, celles qui se font entre habitués, dans les fermes, généralement la nuit, et que nul ne voit jamais s'il n'y est d'abord convié. Quand l'enquêteur commence d'être admis dans le milieu paysan, quand toute suspicion a disparu touchant les mobiles de son intérêt, il lui devient possible de prendre part à ces jestou no^ (fêtes de nuit) et même d'en faire naître. Là les danseurs traditionnels sont entre eux. Il faut s'y être trouvé, témoin effacé et bientôt oublié, pour savoir ce qu'a été dans un tel milieu la danse en groupe, quel homme insoupçonné elle substitue à celui des relations sociales habituelles, quelle puissance de contagion et d'envoûtement elle dégage, presque palpable. Dans les pays où la tradition n'est éteinte que depuis peu, la « danse pour les vieux » des noces, le « concours de danses bretonnes » du pardon, donnent quelques chances de voir encore danser en groupe. Malheureusement, aux danseurs traditionnels s'en joignent d'autres, dont la participation a pour effet ordinaire de rendre impossible toute danse digne de ce nom. Au contraire les vieilles personnes sont entre elles dans ces « repas et goûters de vieux» organisés une fois l'an dans chaque commune. Le banquet s'achève en chansons, et parfois en danses. Le point faible en pareil cas est l'accompagnement musical. Assuré par un instrumentiste d'occasion ou le premier disque venu, il est rarement celui qui conviendrait.
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Mentionnons pour mémoire la consultation possible de vieilles gens dans les hospices. O n peut y recueillir de précieux renseignements sur les usages d'une époque éloignée, et y faire des collectes de chants et musiques de danse d'un grand intérêt. Mais les personnes présentes viennent de localités trop dispersées pour que leur danse commune ait un sens, et pour trop d'entre elles l'âge et les infirmités rendent la démonstration des mouvements navrante. La réunion idéale est, bien entendu, celle qui est organisée pour l'enquêteur, à la mesure de ses besoins. Il y faut des concours qu'on ne trouve pas partout. E n pratique toute occasion d'observer est à saisir, quitte à n'utiliser l'observation qu'avec prudence, et après l'avoir soumise à critique. Irremplaçable, la démonstration collective n'est pas suffisante, lors même qu'elle se déroule dans les meilleures conditions. Y eût-il unité dans la façon de danser, elle peut masquer une hétérogénéité de la tradition : le cas n'est pas rare de danseurs s'accordant, volontairement ou inconsciemment, tantôt sur une variante, tantôt sur une autre. Y eût-il au contraire diversité, rien ne prouve que la démonstration ait fait connaître tous les aspects possibles de la danse au lieu considéré. L'enquêteur doit toujours se demander s'il n'y a pas plus de choses à recueillir que les danseurs n'ont actuellement l'occasion ou les moyens de lui en montrer. A des démonstrations en groupe aussi nombreuses que possible, il est toujours bon, et souvent indispensable, d'ajouter des démonstrations individuelles et les commentaires qui les accompagnent.
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La consultation d'informateurs isolés est nécessaire en effet, non seulement pour enrichir et au besoin remplacer les démonstrations de groupe, mais encore pour fournir sur chacune des versions observées l'éclairage indispensable, enfin pour procurer une information sur le contexte général où ces versions s'intègrent. C'est dire que la qualité des informateurs joue, et qu'il importe d'en rechercher dont les apports se complètent. Tous ne sont pas aptes à tout donner. Pour ce qui est du mouvement lui-même, il faut bien entendu voir ceux que la notoriété publique désigne comme les meilleurs danseurs. O n y gagnera entre autres choses de savoir quel genre d'exécution est localement apprécié. Mais il ne faut pas se reposer entièrement sur ces réputations. D'excellents danseurs n'ont pas celle qu'ils méritent, et inversement. Pratiquement il est bon de voir le plus de gens possible, parmi ceux qui ont beaucoup aimé danser. Il faut aussi, sauf impossibilité, voir des danseurs des deux sexes. Ignore-t-on la danse des hommes, il n'est pas possible d'étudier les styles, ni même de connaître l'amplitude
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de la variation locale de la danse. La danse des femmes d'autre part confirme, et parfois aide à découvrir, quelle structure de pas demeure fondamentale et constante sous les dessins gestuels plus ou moins brillants et renouvelables des cavaliers. Réduite à ce qui change le moins facilement, elle est toujours utile pour rechercher les affinités de la danse étudiée avec d'autres. Pour la recherche des mélodies de danse, les instrumentistes locaux sont des informateurs tout désignés, sous réserve qu'ils soient eux-mêmes des sonneurs traditionnels ou directement formés par ceux-ci, et non instruits tardivement par un enseignement d'une autre sorte. Mais même en pays d'accompagnement instrumental il est toujours nécessaire de s'enquérir de chanteurs ayant fait danser. Se rappeler à ce propos qu'un chant de danse peut changer complètement d'allure suivant qu'il est traité en chanson pour le seul plaisir des oreilles, ou qu'il fait réellement danser. Il est toujours instructif de l'entendre sous les deux formes. Il est instructif aussi de l'entendre de chanteurs différents d'une même localité, et d'un même chanteur entendu en plusieurs occasions. Qu'il s'agisse des mouvements ou des usages, il arrive que des informateurs d'une même commune, placés par leur profession ou leur lieu de résidence dans des conditions un peu différentes, connaissent des aspects un peu différents de la même tradition. Nous avons rencontré des sonneurs qui dédaignaient ou ignoraient ce qui se passait dans les réunions de danse chantée, autres à plusieurs égards — usages, détail de la danse, répertoire même — que celles où ils étaient appelés. Inversement il est des terroirs où des cultivateurs de condition modeste n'ont bien connu que ces réunions aux chansons. D'autre part les multiples « villages » dispersés sur le territoire d'une commune ont beau avoir entre eux et avec le bourg des dépendances multiples, chacun d'eux a aussi — avait surtout —- sa donnée particulière : environnement, accès plus ou moins faciles, directions d'échanges privilégiées, ressources propres en hommes, dans le cas présent en chanteurs et danseurs. Entre ces petites communautés éparses il n'est pas rare qu'il y ait des différences appréciables. Assez souvent, dans les villages demeurés longtemps isolés, les vieilles gens au moins connaissent des versions anciennes de danse, ou des particularités anciennes du répertoire et des usages, dont les plus vieux habitants du bourg ont peu ou pas de souvenirs. L'écart entre les deux sortes de témoignages est parfois considérable. Il arrive que des états archaïques se conservent ainsi très longtemps. D'où l'intérêt de rencontrer des informateurs ayant eu des lieux de résidence, des conditions de vie, des activités divers. Il est particulièrement important de voir de vieilles gens ayant vécu toute leur jeunesse dans des fermes éloignées du bourg.
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Enfin il ne suffit pas d'être renseigné sur l'état de la tradition à un moment donné. Il faut encore savoir si elle se montrait stable ou mouvante dans tout le laps de temps qui nous est accessible. Il n'est guère de pays où la tradition soit restée inchangée à tous égards au cours des dernières générations. Retrouver le plus ancien état connu, reconstituer les transformations qui mènent de là au plus récent, rechercher leurs causes, éventuellement leurs lois, sont un objectif majeur de l'enquête. Il arrive qu'un informateur de qualité exceptionnelle retrace et explique à lui seul toute une phase de cette histoire locale. La chance en est rare. Habituellement on ne connaît ces métamorphoses qu'en interrogeant des informateurs de générations différentes et en rapprochant leurs témoignages. Aussi est-il toujours utile d'avoir des informateurs d'âges échelonnés et indispensable d'interroger les plus vieilles gens qu'on puisse atteindre. Ceci en prenant bien conscience que même des gens très âgés ne peuvent plus désormais faire accéder qu'à un passé « moderne ». Le savoir de ces vieux danseurs est irremplaçable et meurt avec eux. C'est une surprise de mesurer ce qu'une génération ignore et laisse perdre du bagage détenu par la précédente. Les « jeunes », lors même qu'ils manifestent de l'attachement à leur danse, ignorent presque toujours l'état où leurs aînés l'ont connue. Ils le découvrent avec surprise en assistant à l'enquête. Souvent même avec incrédulité : ils admettent difficilement que la danse qu'eux-mêmes ont pratiquée ne soit pas « la vraie danse ». O n se tromperait à les en croire. *
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L'accueil varie suivant les régions, et bien entendu suivant les maisons. Il faut s'attendre à des rebuffades. Mais il est plus fréquent d'être bien reçu. A u départ l'enquêteur peut compter sur un sens de l'hospitalité, qui demeure vif dans les campagnes bretonnes. Il s'y ajoute dans la plupart des cas, particulièrement chez les gens de petite condition, une bienveillance a priori, et un réel désir d'obliger. Chez les vieilles gens surtout, l'affabilité des manières est souvent exquise. Enfin, l'abord fût-il rude, il ne doit pas décourager : il peut tenir à une méfiance ou une timidité que la conversation dissipera. La façon dont l'enquêteur se présente et dont l'entretien s'engage a grande importance. Avant même les paroles, un abord enjoué, cordial sans familiarité, rassure et dispose favorablement. Il faut sans beaucoup tarder satisfaire la légitime curiosité de l'hôte, dire qui l'on est et ce que l'on désire. Sommairement; on y reviendra avec plus de détails un peu plus tard. A u visiteur de mettre en œuvre les ressources et l'inspiration du moment pour que sa demande soit accueillie sans déplaisir. Si la personne qu'il vient voir a quelque réputation (comme danseur, chanteur,
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témoin d'un temps disparu, etc...) lui dire que ses concitoyens voient en lui un informateur spécialement compétent ne peut que le bien disposer. Que l'enquêteur soit un compatriote crée d'autre part un préjugé favorable. Qu'il prouve une connaissance du pays et de ses usages donne confiance. S'il survient au milieu d'un travail et en prend sa part, sa cause est gagnée. Si ces préliminaires tournent bien, la conversation se transporte dans la maison, devant des verres. Tendre trop vite au but compromettrait tout. Il faut suivre les détours qu'impose le savoir-vivre, effleurer au moins les sujets dont le paysan ne se lasse pas, le temps qui s'annonce, les travaux en cours, l'état des récoltes. C'est le moment de donner des détails sur son propre travail. Nous nous sommes toujours bien trouvé de dissiper toute équivoque sur nos buts. Préciser que notre enquête n'avait d'arrière-plan ni commercial, ni journalistique ou radiophonique, ni spectaculaire, balayait bien des préventions. Si d'abord cette curiosité désintéressée portée à leurs divertissements apparaissait à certains singulière ou frivole, apprendre que la documentation réunie devait nourrir un livre consacré aux usages anciens nous redonnait droit à leur considération. Tout cela n'est pas du temps perdu. On ne peut trop souligner l'importance, pour l'immédiat et pour le futur, de la qualité du contact qui s'établit ainsi. Hors un climat de sympathie mutuelle, de bonne humeur, de confiance et de liberté, il n'y a d'échanges que superficiels. Pour créer ce climat, pas de recette qui vaille. L'erreur serait de sousestimer la pénétration de ceux qu'on consulte. Avec un sens élevé de leur propre dignité, ils ont souvent beaucoup de finesse. Ils percent vite à jour la fausse bonhomie et la simplicité affectée. Mais on a des chances de les toucher par une sympathie et une déférence qu'ils sentiront sincères, et par un attachement véritable à ce qu'ils aiment eux-mêmes. Le reste est affaire d'expérience et de doigté. Il n'y a pas non plus de règle assurée pour conduire l'interrogatoire d'enquête. La spontanéité d'un informateur peut déjouer les prévisions, et l'enquêteur doit savoir s'y adapter. Néanmoins il est bon d'avoir en réserve une méthode, quitte à ne pas la suivre. Nous nous sommes habituellement bien trouvé de faire passer l'entretien par les trois étapes que voici : i. Parler d'emblée de danses et mouvements de danse risque d'effaroucher. Mieux vaut mettre la conversation sur un sujet plus général : les fêtes d'autrefois, les aires neuves, les noces. C'est toujours avec plaisir que les anciens évoquent ces réjouissances du temps passé. Il n'est pas difficile de les amener progressivement aux danses qui en étaient un élément essentiel.
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L'enquêteur s'efface dans cette première partie de l'entretien. Quelques répliques suffisent à montrer avec quel intérêt on suit le propos, à le relancer s'il tourne court, à ramener le narrateur au sujet quand il s'en écarte. Mais il faut se garder de le diriger étroitement. E n laissant aller l'informateur au gré de ses associations de souvenirs, on obtient un double résultat. L'un, capital pour la suite, est de l'amener à se réjouir de la visite qu'on lui fait. Les vieilles personnes surtout, qui souvent se sentent péniblement étrangères et inutiles dans une société qui n'est plus à leur mesure, éprouvent une véritable joie à trouver un auditeur qui ne se lasse pas de les entendre, mais au contraire se montre avide de leurs souvenirs. Assez souvent s'y ajoute le sentiment d'être valorisées à leurs propres yeux et à ceux de leur entourage, du fait qu'un citadin instruit est venu les voir, parfois de très loin, pour recevoir d'elles ce qu'elles seules pouvaient encore donner. D'autre part, si l'enquêteur doit apprendre quelque fait insoupçonné de lui, ce ne sera pas en réponse à l'une des questions qu'il pourrait poser d'entrée : toutes lui sont inspirées par son expérience antérieure. Qu'il se fasse au contraire disponible, réceptif, attentif à tout ce que la conversation lui apporte, il a des chances de retenir au passage une information, une phrase, un mot, qui le mettront sur une piste neuve. 2. Quand cette conversation libre cesse de progresser, il est temps de passer à la seconde phase, celle du questionnaire proprement dit. Procédant cette fois par questions limitées et nombreuses, l'enquêteur revient sur les propos précédents, fait préciser ce qui est resté obscur, développer et détailler ce qui mérite de l'être. D'autre part il interroge son informateur sur les aspects du sujet que celui-ci n'a pas abordés, posant les questions que lui suggère son information générale, plus particulièrement son expérience des terroirs voisins. Bien questionner est difficile. L'enquêteur a beau s'interdire tout parti pris, il demeure intéressé aux réponses. Il en est qu'il attend, et même qu'il espère. S'il n'y veille, sa façon de poser les questions s'en ressentira, et l'informateur lui fera les réponses qu'il escompte un peu plus souvent qu'il ne conviendrait. Rien de plus ordinaire que cette influence du questionneur sur le questionné. Il n'y faut qu'un tour de la phrase, moins encore, une mimique, un ton de la voix. On doit s'imposer de formuler les demandes de telle façon qu'elles n'orientent en rien la réponse. D e façon aussi qu'elles ne puissent être interprétées dans un autre sens que celui qu'on leur donne. A u besoin, s'il s'agit d'un point important et prêtant à malentendu, on posera la question à plusieurs reprises, dans des contextes et sous des formes différents. Importants à tous les stades de l'enquête, les propos libres l'emportent dans les premières prospections. La part des questions grandit à mesure que la recherche avance. Aux premiers voyages il n'est pas très
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difficile d'avoir en tête l'ensemble des questions à poser. Aux dernières c'est impossible. On ne peut plus se passer de plans écrits détaillés. Il est commode de les ordonner dans un carnet à feuillets mobiles. Pour notre compte nous réservions une première partie de ce carnet aux faits généraux : questionnaires détaillés sur les occasions de danse, le calendrier, l'apprentissage, les usages, etc. Une seconde section passait en revue les terroirs, mentionnant pour chacun quels problèmes s'y posaient et devaient demeurer présents à l'esprit lors des enquêtes en cette région. Une troisième section prenait les danses une à une, et pour chacune énumérait les questions dont il fallait chercher la réponse, les points auxquels il fallait prêter une attention spéciale dans les démonstrations. A mesure des progrès de l'enquête, telle page était remplacée par unnouvelle, mieux adaptée à l'état d'avancement du travail. Il est bien connu que les informateurs n'aiment guère voir leur visiteur prendre et consulter des notes. Ce n'est vrai toutefois qu'aux premiers contacts. Même alors il est toujours possible de consulter son carnet à la fin de la conversation pour s'assurer qu'on n'a omis aucune question essentielle. 3. Rendu à ce point de l'entretien, l'enquêteur sent en général parfaitement s'il atteindra ou non son dernier objectif, qui est la démonstration des mouvements. Si les étapes précédentes ne se sont pas déroulées dans le climat voulu, inutile d'insister : on n'obtiendra rien, ou rien de bon. Mais si la réserve du début s'est dissipée, si l'informateur s'est peu à peu abandonné au plaisir d'évoquer le temps de sa jeunesse, il est facile par quelques questions de transition, de l'amener à montrer le pas des danses. Souvent il s'y met de lui-même, sans qu'on l'en prie. Il n'est pas rare qu'il envoie chercher des voisins pour le seconder. Les possibilités d'expression du danseur traditionnel commandent la façon de procéder. En général la connaissance qu'il a de sa propre danse reste étroitement liée à l'action, et c'est par l'action qu'elle tend à s'exprimer. L'interroge-t-on sur un détail du mouvement, un moment précis dans la succession des gestes qui constitue une phrase, il lui faut dans la plupart des cas danser la phrase entière, agir effectivement la chaîne des coordinations montées en lui. Certains ont besoin pour le faire de se rapprocher des conditions réelles de la danse. Par exemple il leur faut un partenaire, lors même que le pas peut être montré par un seul, ou que le partenaire improvisé ne sait pas danser. Parfois il leur faut plusieurs compagnons, moins par timidité que besoin d'être effectivement replacés dans les conditions où ils ont toujours pratiqué la danse. Des impressions multiples, musculaires, visuelles, auditives, qui, en proportion variable suivant les individus, fondent la connaissance d'une danse, il semble que les premières jouent chez le danseur traditionnel
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un rôle privilégié. La part de la connaissance visuelle est toujours moindre, et corrélativement celle de la représentation mentale du mouvement. Celle-ci saisit moins difficilement les évolutions que les pas. Un informateur intelligent peut en général caractériser approximativement les trajets d'une figure, sinon toujours verbalement, au moins en déplaçant de petits objets représentant des danseurs. En revanche, dans le déroulement d'un long pas composé, la mémoire visuelle ne retient ordinairement que des détails. Des gestes saillants ont laissé dans l'esprit leur image. Ce sont ceux-là que le danseur évoquera dans ses propos (pied avancé en face du pied d'un autre danseur, repliements de mollets en arrière, sauts avec choc des talons l'un contre l'autre, etc.). D'où une double conséquence pratique : Sauf exception l'on ne doit demander au danseur rien d'autre que la démonstration plusieurs fois répétée de sa danse. Non une décomposition des mouvements, ni leur exécution ralentie, ni des précisions verbales sur leur détail. Qu'il danse comme il a l'habitude de le faire, et le plus possible. C'est à l'observateur de faire le reste. Si le danseur commente sa démonstration, se rappeler qu'il n'a de connaissance abstraite qu'imparfaite, et se méfier des malentendus qu'introduit le langage (« Partir du pied gauche » est pour certains prendre le premier appui sur ce pied, pour d'autres le lever au premier temps. « Se croiser », « changer de place avec son cavalier » peut signifier une chose pour l'enquêteur, une autre pour l'informateur, etc.). Il n'y a d'assurance qu'au plan du mouvement effectivement et complètement démontré. D'autre part on ne s'étonnera pas de trouver la plupart des danseurs traditionnels beaucoup plus sensibles au style (au sens large) qu'à la structure fondamentale des mouvements. Nous avons parfois fait l'expérience de redanser devant un informateur la danse qu'il venait d'exécuter, suivant l'une ou l'autre de ces deux manières : en changeant le style du mouvement (par exemple en adoptant des gestes étroits et sobres en place de mouvements amples et ornés) sans modifier la succession des appuis ; ou au contraire en agrémentant de broderies semblables à celles dont l'informateur usait lui-même une construction de phrase inexacte sur quelque point. Presque toujours l'approbation allait à la seconde manière, et la critique à la première. L'enquêteur, dans l'incertitude où il est si souvent d'imiter fidèlement son modèle, incline à en faire juge le danseur traditionnel lui-même. Mieux vaut s'en garder. La critique de l'informateur est instructive toutes les fois où l'on en pénètre sûrement les raisons. Sa louange — qu'à l'ordinaire il marchande trop peu — ne prouve rien. Comme toute règle, celle qui vient d'être énoncée comporte des exceptions, dont certaines très frappantes. Le rôle des différentes sortes de mémoire, le pouvoir d'intérioriser et d'intellectualiser leurs données,
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varient suivant les individus. A la connaissance active, globale, de la danse, certains ajoutent une représentation mentale et un pouvoir d'analyse qui vont plus ou moins loin. Nous avons rencontré de vieux danseurs capables de juger très finement une danse qui se déroulait devant eux, distinguant ce qui, dans le geste et son style, était demeuré inchangé depuis leur jeunesse, et ce qui était innovation, percevant des nuances, parfois minces, d'une variante à une autre. Il va de soi qu'avec ceux-là les moyens d'apprendre sont plus variés, et la leçon plus riche. Comparée à la démonstration collective, la démonstration par un informateur isolé (ou un nombre très limité d'informateurs) a des faiblesses qu'il est à peine besoin de souligner. D'abord, pour tout ce qui concerne l'action de groupe, l'informateur est contraint d'expliquer au lieu de montrer, ce qui est une cause de lacunes, d'imprécisions et de malentendus. D'autre part il se trouve dans des conditions beaucoup moins bonnes pour montrer le style de la danse. Il peut se borner à esquisser les pas de façon assez terne. Ou au contraire, désireux de briller, il peut surcharger sa danse d'ornements qui ne laissent plus apercevoir aucune ligne maîtresse. Enfin ce sera toujours un problème de délimiter avec certitude ce qui appartient à la tradition, et ce qui est propre à l'informateur. La solution idéale consiste à combiner l'observation de groupes et l'observation d'individus. Ce n'est pas toujours possible. Reste alors à tirer le meilleur parti des consultations individuelles au prix d'une critique des témoignages. Cette critique demande entre autres choses, qu'on puisse apprécier la valeur d'un informateur comme tel. L'entretien donne l'occasion de juger son intelligence et sa mémoire. Il est beaucoup plus délicat d'apprécier ses pouvoirs dans l'ordre moteur et rythmique : possibilités corporelles, sens musculaire, contrôle moteur, mémoire des rythmes et des gestes. Ce sont pourtant des éléments essentiels pour la critique à instituer ultérieurement, et d'autant plus indispensables que les informateurs sont moins nombreux.
C. —
CONSIGNATION DES OBSERVATIONS
La consignation par écrit des renseignements recueillis doit se faire aussi tôt que possible. Fût-on en termes d'amitié avec l'informateur, il n'est pas question de le faire pendant qu'il parle. Ce serait hacher son propos et couper la veine. Mais il est quelquefois possible de prendre au passage quelques notes brèves qui serviront de jalons pour se remémorer. En tout cas, sitôt sorti de la maison il faut s'arrêter au premier endroit
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qui le permette, et écrire. Même ainsi on oublie presque toujours quelque chose. A plus forte raison si on laisse passer quelques heures. Ce qui est vrai des informations générales l'est aussi des danses elles-mêmes. Les mouvements qu'on vient d'apprendre, s'ils ne se ramènent pas à du déjà connu, s'oublient ou s'altèrent avec une extraordinaire rapidité. Plus encore que le reste ils doivent être notés sur le champ. Chez l'informateur même on peut au moins noter en signes musicaux les rapports de durée à l'intérieur de l'unité de mouvement, et indiquer la succession des appuis aux différents temps par des lettres (G et D) sous les notes. Quelques signes ou quelques mots rappellent s'il y a lieu les autres traits saillants du mouvement. Il faut écarter le procédé qui consiste à noter sommairement la déposition de chaque témoin jusqu'à ce qu'on puisse faire une synthèse de ces témoignages individuels et rédiger un compte rendu d'ensemble sur la commune qu'on visite. Chaque témoignage est à rédiger sur le champ et à conserver sous cette forme, rapporté à son auteur. Noter l'âge de celui-ci, son ou ses métiers, le lieu auquel se rapportent ses souvenirs de danseur (ce n'est pas toujours la commune où il réside), les milieux et le type de réunions qui lui étaient familiers en sa jeunesse. Quand des informateurs refont, sans changement important, un récit déjà fait par l'un de ceux qu'on a consultés avant eux, on peut, en notant leur déposition, se contenter de renvoyer pour ce point à la rédaction détaillée qui en a précédemment été faite, mais il ne faut pas omettre de marquer, au moins d'un mot, que cette confirmation a été donnée au premier témoignage. Dans ce qu'il a vu et entendu le notateur s'interdit de choisir et de retoucher, fût-il convaincu du bien-fondé de ces corrections. S'il a des raisons de suspecter la qualité d'une démonstration (danseur médiocrement doué, ou diminué par l'âge, etc.), il la fixe pourtant telle quelle, en notant les réserves qu'elle lui inspire. Il y aura un temps pour la critique. Présentement il ne s'agit que de consigner aussi complètement et fidèlement que possible. Tout est à recueillir. Un fait qu'on a jugé insignifiant se révèle plein d'intérêt quelques années plus tard quand on dispose d'informations complémentaires. Les versions les plus pauvres, apparemment dépourvues de tout intérêt esthétique ou autre, sont à noter aussi soigneusement que les plus flatteuses. Enfin il ne faut pas craindre d'observer et noter le détail. Jamais le milieu folklorique ne montre de création au sens où nous l'entendons d'un auteur savant. Tout ce qu'il nous est donné de saisir ce sont des modifications, et presque toujours de peu d'importance immédiate. S'en désintéresser serait s'ôter tout moyen de comprendre la genèse de l'objet qu'on étudie. Le moment venu de la synthèse, on prendra de la hauteur avec d'autant plus de sécurité qu'on sera d'abord descendu plus profond dans l'analyse.
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IV.
DANSE
—
LA
EN
BASSE-BRETAGNE
CRITIQUE
Pour mériter d'être retenue, et prendre utilement place dans la synthèse, chaque information doit satisfaire à une double critique : critique de l'enquête qui procure le témoignage, critique du témoignage lui-même. A. —
CRITIQUE
DE
L'ENQUÊTE
Elle porte d'abord sur les circonstances et sur les moyens mis en œuvre, la qualité des informateurs, les façons de les atteindre, de les interroger, les conditions d'observation, etc., toutes choses dont il a été traité dans les sections précédentes. Il suffira d'ajouter une remarque : l'enquêteur commande médiocrement aux circonstances, et n'a même pas toujours le choix des moyens. Il tire le parti qu'il peut d'une donnée qui change avec les lieux et les jours. Mais partout et toujours il lui appartient de faire la critique des conditions où s'est effectuée sa recherche, et d'en conclure ce qu'il peut retenir des enseignements qu'elle a fournis. Enfin cette suspicion méthodique que le chercheur nourrit jusqu'à vérification faite, touchant la valeur d'une information, d'un informateur, des circonstances d'une observation, il n'est personne qui doive en être objet plus que lui-même. Spécialement formé à l'étude du mouvement, il n'en a pas moins des capacités limitées de perception, d'assimilation et d'expression. Comme tout autre il est conditionné par ce qu'il est et ce qu'il sait, et pas plus qu'un autre il n'est spectateur indifférent. Enregistrer les faits tels qu'ils se présentent, sans en récuser aucun a priori, les accepter dans leur platitude ou leur étrangeté, avec leurs lacunes et leurs contradictions, s'interdire d'interpréter dans le temps où l'on constate, ce n'est pas une disposition innée. C'est une discipline que l'on s'impose, et qui coûte, un effort sur soi-même toujours à refaire. *
*
*
On ne saurait trop dire de quel secours sont à cet égard la bande magnétique et le film de cinéma. Témoins irrécusables, ils replacent le chercheur, aussi souvent qu'il le faut, devant la complexité de l'expression vivante, non devant l'image simplifiée ou trompeuse que sa mémoire lui a façonnée entre temps. Ils permettent d'échelonner l'analyse en concentrant chaque fois l'attention sur un seul point. Enfin, paradoxalement, ils rendent féconde jusqu'à une certaine passivité de l'esprit. A
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l'ensemble d'habitudes anciennes qui jouent nécessairement quand nous voulons nous emparer du mouvement inconnu, la projection souvent répétée du film substitue à la longue une" habitude nouvelle prise au contact de ce mouvement lui-même. La contagion du modèle gagne l'observateur au lieu que ce soit lui qui ramène le modèle à sa propre expérience. Perception active et passive s'épaulant l'une l'autre, l'analyse s'exerce finalement sur des mouvements et airs intériorisés et ressentis du dedans en même temps que sur une réalité extérieure. Enfin il arrive que le rythme du mouvement et le rythme musical, même accordés l'un à l'autre, aient chacun ses particularités propres. Il arrive aussi qu'ils soient indépendants. D'où une source de difficulté pour l'observateur, dont la sensibilité rythmique est sollicitée simultanément de façons différentes et parfois contradictoires. L'usage successif du magnétophone et du projecteur de cinéma, en disjoignant à volonté les phénomènes auditifs des visuels, permet de poser chaque problème à son tour. Incapable avec son champ limité de prendre tout ce qui se présente à la vue de l'opérateur, la caméra n'élimine pas entièrement le facteur individuel : braquer l'objectif sur un point d'une ronde plutôt qu'un autre, c'est choisir, et donc, par force, appauvrir. Mais surtout son emploi est limité. C'est toujours le soir ou la nuit, ou dans des intérieurs interdisant la prise de vues, que nous avons vu les plus belles et les plus authentiques danses paysannes en groupe. La plupart des démonstrations individuelles ne se font que dans le secret de la maison. En dehors des danses publiques des noces et des pardons (rarement typiques aujourd'hui) l'enquêteur ne filme que celles qui sont organisées ou improvisées sur sa demande. Elles ne se déroulent pas toujours dans le climat voulu. Ni en nombre de participants, ni en liberté, ni en qualité de mouvements, elles ne valent les premières. Le film donc n'apporte pas tout, et appelle aussi des réserves. Mais, à son rang, sa contribution est irremplaçable. Lui seul donne à l'enquête un degré suffisant de précision et de certitude. *
*
*
Quand cette sécurité manque, il n'est d'autre ressource pour l'observateur que de faire contrôler son observation par quelqu'un dont le jugement lui paraisse autorisé. On a vu que prendre pour juge le danseur traditionnel lui-même c'est lui demander ce pour quoi il est rarement qualifié. Sans jamais négliger pourtant son opinion, nous avons adopté pour notre enquête en Basse-Bretagne un procédé de contrôle mutuel qui nous paraît plus sûr. Toutes nos observations ont été faites par deux enquêteurs de même formation, observant simultanément, et confrontant ensuite leurs résultats sans complaisance.
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DANSE
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B . CRITIQUE DES TÉMOIGNAGES
Le principe de cette critique est trop connu pour qu'il y ait lieu de le rappeler. Nous examinerons seulement le problème concret de la contradiction possible des témoignages tel que la recherche des danses folkloriques le pose. La plupart des désaccords dont nous avons pu déceler l'origine s'expliquaient par l'une des causes suivantes. 1. Tous les informateurs qu'on a consultés en une commune n'y ont pas toujours vécu. Certains ont passé leur jeunesse ailleurs. Ils ont omis de préciser que leurs souvenirs se rapportaient à une autre commune que celle de leur résidence. 2. Le public est partagé. Plusieurs versions d'une même danse (ou d'un usage concernant la danse) ont cours à l'intérieur de la commune, et se transmettent parallèlement, chacune ayant ses tenants. Les informateurs ont fait connaître des aspects différents, mais également vrais, de la tradition. 3. La danse qu'on étudie laisse un champ très large à l'interprétation individuelle. La tradition ne fixe impérieusement que les grandes lignes. 4. La danse, uniforme en principe, n'a cessé d'évoluer dans le temps. On a consulté des danseurs d'âges assez différents pour qu'ils l'aient pratiquée dans des versions nettement dissemblables. 5. La danse est la même pour tous, mais elle s'exécute de manières différentes suivant les circonstances. Les démonstrations qu'on croyait contradictoires sont complémentaires. 6. Parmi les danseurs qu'on a rencontrés, certains donnent de la danse une image franchement inexacte : danseurs médiocres (ce ne sont pas les moins sûrs d'eux-mêmes), danseurs diminués par l'âge, danseurs qui abusent des broderies personnelles, etc. 7. Deux ou plusieurs danses sont confondues sous un même nom. Le cas est très fréquent (bals, jabadaos, contredanses, dérobées, passepieds, hanterdros). 8. Dans tous les cas précédents on a supposé que les témoignages reflètent un polymorphisme de la danse réalisé dans le temps où elle a cours. Leur diversité peut avoir d'autres causes. Quand la tradition est éteinte, ce que nous recueillons auprès d'un informateur n'est pas la danse, ni même sa danse, mais le souvenir qu'il en garde. Ce souvenir
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n'est pas forcément fidèle. En plus d'un cas il est certain qu'il ne l'est pas. Non seulement le souvenir musical et le souvenir moteur ont chacun leurs altérations propres, mais encore il est fréquent qu'ils se réajustent de façon inexacte, avec un décalage de l'un par rapport à l'autre. La danse a pu être homogène et définie à l'époque où elle était de pratique courante, et ne pas rester telle dans la mémoire de ses témoins. Chacune de ces causes explique à elle seule bien des contradictions, et il n'est pas rare que plusieurs jouent simultanément. Réussit-on à les éclairer, une partie des désaccords s'efface d'elle-même, et ce qui subsiste de diversité cesse d'être incompatibilité. Il est rare que le chercheur puisse le faire avec les seules données de ses premières enquêtes. D'autres renseignements lui seraient nécessaires, qu'il n'a pas recherchés, faute d'en avoir vu à temps la nécessité. Il n'a qu'un moyen légitime de sortir de perplexité, c'est de se procurer un surcroît d'information. Il reste au critique à se refaire enquêteur, en concentrant sa nouvelle recherche sur les points encore obscurs, et en s'aidant des hypothèses que le rapprochement des faits acquis lui suggère.
V. —
INTERPRÉTATION
ET
SYNTHÈSE
Dans vin premier temps de la synthèse le chercheur met en œuvre la documentation contrôlée qu'il a réunie sur la tradition locale : matériaux d'enquête surtout, extraits d'ouvrages occasionnellement. Leur étude enseigne ce qu'était la vie de la danse dans son milieu, son histoire récente, le fonctionnement de la tradition. Dans un second temps le chercheur s'efforce de reconnaître si la danse qu'il étudie a un rapport vérifiable avec celles d'autres régions, ou d'autres milieux sociaux, et si quelque lumière peut s'en trouver projetée sur son histoire lointaine.
A . — LES ENSEIGNEMENTS DE L'ENQUÊTE
On a vu qu'une même localité peut posséder plusieurs versions d'une même danse. Quand une danse est connue dans un vaste domaine géographique, ses chances de variation sont multipliées en proportion. De la position qu'on adopte devant ce polymorphisme vont dépendre les démarches de l'interprétation et les conclusions qu'elles conduiront à formuler.
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i. Conception unitaire. La vraie version C'est une idée répandue qu'il existe d'une danse une « vraie version », qu'il importe de discerner parmi les « déformations » auxquelles on la trouve mêlée. Il est banal d'entendre formuler cette façon de voir. Il semble qu'elle ait guidé, à leur insu peut-être, la plupart des collecteurs. C'est au moins ce que font croire les dénominations volontiers catégoriques dont ils usent (« Le passepied de Callac », « La ridée de Baud », « La ridée de Pontivy», etc...), et la façon souvent impérieuse dont ils prescrivent les mouvements à accomplir. Parmi les paysans eux-mêmes, nombreux sont ceux qui tiennent que l'une des façons de danser en usage dans leur milieu est seule la « vraie danse ». Le critère de cette vérité n'est pas le même pour tous. Pour beaucoup de danseurs paysans il est dans le consentement général qu'ils ont vu donner à une version par les gens de leur âge. Ils considèrent cette version comme seule recevable, lors même que les plus vieilles personnes témoignent de façons de faire différentes. Ou encore ils accordent qu'il y a plusieurs manières de danser, mais il n'y en a qu'une de faire « une jolie danse ». Pour un observateur lettré le critère de la vérité est bien entendu la conformité de la version élue avec l'état le plus ancien qu'on puisse connaître de la danse, sinon même avec son état « primitif ». Une conception analogue a longtemps dominé la recherche en matière de chanson. Elle a conduit des connaisseurs aussi éminents que Gilliéron et Doncieux 1 à des restitutions critiques reconnues depuis illusoires. On doit aux travaux de P. Coirault une plus juste appréciation des différences essentielles par où l'œuvre folklorique se distingue de la littéraire. La pénétrante critique de Coirault 2 ne peut se transposer telle quelle au plan de la danse, mais elle peut y guider utilement la réflexion-..-jH- est clair par exemple que les caractères mal précisés attribués à « latf&Se danse » l'apparentent simultanément à l'archétype et à la jormetype définis par cet auteur, tantôt plus à l'un, tantôt plus à l'autre. Rappelons que l'archétype d'une chanson est la version initiale (généralement inaccessible) qu'il faut bien supposer à l'origine des transmissions successives. La notion d'archétype est d'ordre logique. Celle de forme-type est d'ordre esthétique. Elle exprime une tendance, un besoin, l'aspiration consciente ou non de chacun — qu'il soit auteur, remanieur, interprète, collecteur — vers une forme de la chanson purgée de ses imperfections, et aussi satisfaisante que possible. Cette forme peut avoir, ou n'avoir jamais, été concrétisée. Si elle l'a été ce peut être à un 1. V o i r COIRAULT, Recherches., 2.
COIRAULT,
N.
ch.
folk.,
pp.
n° I I I . 58-63.
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moment quelconque de l'histoire de la chanson, et pas nécessairement dans son état initial. Encore chacun peut-il contester cette réussite, car l'archétype, connaissable ou non, est une réalité de fait, mais le droit à la qualification de forme-type dépend d'une appréciation personnelle. Qu'il s'agisse de danse au lieu de chant, la notion d'archétype reste inchangée : elle ne fait que traduire cette vérité élémentaire qu'il y a un commencement à tout. Lorsqu'une danse est entrée dans la tradition à une date suffisamment proche, il n'est pas exclu qu'on découvre son archétype, ou au moins qu'on s'en fasse une idée assez précise. On en verra plusieurs exemples. Mais dans la majorité des cas, surtout lorsque la danse est de tradition ancienne, il est impossible de connaître son état initial, et donc de tenir une version pour plus « vraie » qu'une autre, en raison de la plus grande similitude qu'elle présenterait avec lui. On doit souligner que la notion de forme-type, au contraire de la précédente, s'impose en matière de danse tout autrement qu'en matière de chant. Elle n'est plus un postulat, et variable d'un individu à l'autre. Elle se révèle une réalité parfaitement objective, aussi certaine que l'archétype lui-même, et plus vérifiable. C'est que la chanson est expression surtout individuelle, tandis que les danses auxquelles nous avons affaire sont forcément et constamment collectives. Elles impliquent entre les équipiers une entente sur une façon de faire. L'entente est partielle ou totale. Il arrive qu'elle porte seulement sur certains des constituants de la danse (par exemple sur la formule d'appuis, à l'exclusion du dessin de pas et du style, ou même seulement sur les évolutions). Mais un minimum d'accord est indispensable pour qu'une dapse de groupe soit possible. La forme type se définit comme le contenu, de cet accord. On citerait beaucoup d'exemples de versions se retrouvant, sans changements appréciables, chez la majorité des danseurs d'une commune ou d'un terroir. Quand une version s'impose ainsi au plus grand nombre comme « la vraie » ou « la bonne », il est fréquent de constater qu'elle représente en son genre une réussite incontestable. Tous les éléments en sont justes, satisfaisant l'équilibre des évolutions et du geste, harmonieux les rapports du mouvement et de l'accompagnement musical. Si modeste que la danse puisse être, elle donne l'impression d'une œuvre achevée, pleinement satisfaisante. C'est une chose très remarquable que ce lien entre l'autorité reconnue à une version et la qualité de ses mouvements. Nous parlerons en pareil cas de version type, pour réserver au mot forme le sens particulier (disposition générale des danseurs, nature des évolutions) qui est propre à notre sujet et que nous avons défini au début de cette section du présent travail. Lors même qu'une version type s'impose avec le maximum d'autorité, et depuis la date la plus lointaine qu'on puisse atteindre (ce qui n'est guère), rien ne permet de l'assimiler à l'archétype inconnu. Qu'on
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lui reconnaisse une « vérité » plus grande qu'à d'autres, ce ne sera que façon de parler, constatation de la prééminence qu'elle possède en son milieu. En bien des cas on pourra établir qu'elle s'est elle-même écartée d'une version plus ancienne. Il arrivera qu'en prospectant les terroirs voisins on retrouve des traces de cet état antérieur. La « vérité » d'une danse traditionnelle, comme celle d'une chanson, n'est entière dans aucune de ses versions. Elle est dans leur ensemble. Leur pluralité n'a rien que de normal. On peut l'attendre de toute expression vivante, héritée des milieux d'inculture, et transmise par contact direct, sans moyens sûrs de contrôle, ni de référence à un étalon fixe. Ce polymorphisme est lié à la nature d'œuvre folklorique. La première règle est de l'accepter comme tel.
2. Conception
pluraliste
La tâche du chercheur ne peut donc être d'extraire une version critique du foisonnement des variantes. Elle est de dresser le bilan de ce foisonnement et de l'expliquer. Identifier et dénombrer les multiples versions de chaque danse, les grouper suivant les affinités qu'elles ont entre elles, tel est le principe. Et le but final : hiérarchiser les danses et les versions de chaque danse comme font les sciences naturelles, en un classement par degrés de parenté propre à manifester les courants d'évolution. On n'atteint à ce terme que par approximations successives. Dans ces tâtonnements vers une synthèse de moins en moins imparfaite, tout doit être pris en considération à la fois. En premier lieu les mouvements, qui sont à comparer minutieusement, version à version. Mais en même temps la place et le rôle de chaque version dans le milieu social. Simultanément la distribution des faits sur la carte. Simultanément enfin les changements survenus, durant la période qu'on peut connaître, dans les mouvements eux-mêmes, dans leurs concomitants, dans leur répartition géographique. a) Insertion dans le milieu social
Les danses connues en un lieu donné sont d'importances différentes pour ceux qui les pratiquent. Quelques-unes ont un relief particulier. Elles sont toujours en très petit nombre : deux, trois, rarement quatre, parfois une seule. Elles sont connues de tout le monde. Elles sont pratiquées beaucoup plus souvent que les autres. Elles sont plus qu'elles objet de considération. Elles se dansent en privé comme en public. Pratiquées ordinairement pour le simple plaisir, elles prennent une allure de gravité en certains moments solennels — de la cérémonie de mariage
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par exemple — où elles sont seules admises. Leurs caractères sont assez archaïques, et en même temps assez francs de tout cachet historique pour qu'il soit impossible d'assigner. une époque à leurs commencements. Elles sont tenues par les danseurs locaux pour typiques de leur tradition propre. Les exécutants, pas plus que les musiciens, ne sont libres d'en user à leur gré. L'usage règle leur emploi. Elles sont ordonnées en une suite de composition fixe, caractéristique d'un terroir ou d'un milieu. C'est ainsi qu'à la fin du dernier siècle la suite réglée de Basse-Cornouaille comprenait deux danses : gavotte et bal; celle de Haute-Cornouaille trois danses : gavotte, bal, gavotte; celle de la Haute-Cornouaille orientale quatre danses : ronde, bal, ronde, passepied. L'homme qui invite une partenaire ne la quitte qu'après avoir dansé avec elle la suite traditionnelle complète. Qu'un des danseurs quitte l'autre avant la fin de ce cycle dénoterait un manque total de savoir-vivre. A côté de ces danses il en est d'autres dont on use beaucoup plus librement. Elles s'exécutent en privé, mais guère dans les assemblées publiques, concours, journées solennelles de mariage. Certaines sont liées à un type d'accompagnement qui n'est pas habituel dans le pays (danses chantées en pays d'accompagnement instrumental, danses sonnées par les binious en pays d'accompagnement vocal). Il arrive à quelquesunes de s'introduire occasionnellement dans la suite réglée, soit en lui ajoutant un nouveau terme, soit en se substituant à l'une des danses qui composent cette suite. Mais le plus souvent leur emploi ne relève que de la fantaisie des danseurs, chanteurs ou musiciens. On les danse dans l'ordre qu'on veut, et quand on veut. Traditionnelles aussi, puisqu'incorporées au répertoire et transmises d'une génération aux suivantes, elles ne le sont pas au même titre que les premières. Leur public est moins étendu, l'occasion de les danser moins fréquente, et différente la marge qu'elles accordent à l'interprétation individuelle. Quelques-unes ne sont connues que d'un petit nombre de personnes, et l'exemple personnel, ou même l'enseignement délibéré, jouent un rôle dans leur communication. D'un terroir à l'autre la hiérarchie ne demeure pas forcément la même. Le passepied n'est pas un élément obligé de la suite réglée en Haute-Cornouaille occidentale. Il l'est ou l'a été dans une grande partie de la Haute-Cornouaille des Côtes-du-Nord. De même le jabadao, danse mineure aux abords de la Haute-Cornouaille, est élément constant de la suite en pays de Quimper. En un terroir il arrive que l'importance d'une danse change avec le temps. Aux frontières des pays fisel et fanch le passepied déjà nommé était fort apprécié des danseurs d'autrefois ; nous avons entendu de plus jeunes lui dénier jusqu'à la qualité de danse bretonne. Inversement le jibidi ou le petistoup, simples amusettes à la fin du xix e siècle, trouvaient place finalement dans la suite réglée en quelques communes de BasseCornouaille.
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Sans qu'on y insiste davantage il est évident qu'aux façons différentes d'user des danses correspondent des modalités différentes de transmission, et une pression différente des habitudes sociales. Autant de facteurs qui déterminent en partie l'aptitude d'une danse à se maintenir telle ou à évoluer, à s'établir en versions types, à proliférer en variantes individuelles ou de sous-groupes. On ne doit jamais perdre de vue que dans le cadre de la tradition générale, chaque danse a sa tradition propre, dont il faut s'efforcer de prendre l'exacte mesure. b) Coordonnées de temps et de lieu
Pour atteindre à une vue d'ensemble, le chercheur doit, entre autres choses, comparer la façon dont les versions d'une même danse se sont succédé aux divers endroits où elle est connue. Deux obstacles à cette comparaison. D'abord les manques de l'information : à mesure qu'on remonte les années les témoins se font moins nombreux, et plus réduites leurs possibilités de démonstration. La connaissance devient de plus en plus lacunaire. Second obstacle : la difficulté qu'éprouvent ordinairement les informateurs à dater un fait. Ils le font approximativement quand il s'agit de l'apparition d'une danse nouvelle, avec beaucoup plus d'incertitude quand il s'agit d'une version nouvelle d'une danse déjà connue. Tout au plus situent-ils l'événement grossièrement par rapport aux grandes dates de leur vie («J'ai vu ça quand j'étais petite; quand j'étais jeune fille çà ne se faisait plus »). Pratiquement on obtient une chronologie relative des versions, à peu près jamais une chronologie absolue. En matière de distribution géographique on obtient assez d'informations pour savoir s'il y a eu extension ou régression, non pour préciser le détail du phénomène. *
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La distribution des versions sur le terrain ajoute un complément indispensable au témoignage direct des informateurs. La vue géographique et la vue historique des faits sont indissociables. L'une éclaire l'autre. Il va de soi que la répartition géographique des versions d'une danse est en rapport direct avec la façon dont elle s'est transmise. On doit distinguer suivant que la danse se perpétue à l'intérieur d'un milieu où elle a cours depuis longtemps, ou qu'elle se répand dans un milieu qui l'ignorait. Ces deux sortes de transmission, qu'on pourrait appeler respectivement verticale et horizontale, ne favorisent pas également l'évolution des mouvements, ni la même sorte d'évolution. La transmission « horizontale » elle-même revêt deux modes principaux :
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a) Le mode le plus fréquent est la contagion de proche en proche. On imite la danse ou les danseurs réputés du terroir voisin. Les premiers essais peuvent être pitoyables, et les suivants rester longtemps médiocres. Peu importe. Le modèle est toujours à portée, et le temps ne compte pas. Les élèves — ou leurs fils — finiront par passer maîtres, et serviront à leur tour d'exemple à d'autres. b) L'autre mode est le transport à distance. Il est fréquent en matière de chanson, plus rare en matière de danse. Une chanson peut voyager d'un point à un ou plusieurs autres, très éloignés, se gagner un public à l'arrivée, durer, se transmettre, et demeurer inconnue en quantité de régions ou localités intermédiaires. Il a suffi d'un homme qui la porte. C'est une erreur souvent commise de croire qu'une danse a circulé dans les milieux folkloriques à peu près aussi facilement qu'une chanson. Certes le folklore breton montre des exemples irrécusables de danses transmises à distance, se fixant par places dans la tradition populaire. Localement les effets de ces transferts ont quelquefois été considérables, mais au total les réussites sont en nombre limité. Elles paraissent avoir bénéficié de conditions particulièrement favorables (courant permanent d'échanges, facilité de la danse transmise... etc.). Ainsi peut-on expliquer que les faits de danse aient habituellement une distribution géographique plus semblable à celle des faits linguistiques ou des modes vestimentaires qu'à celle des chansons ou des contes, où les rapports de l'individuel au social sont différents. Dans la plupart des cas une danse est pratiquée partout à l'intérieur d'un territoire déterminé ou suivant un itinéraire donné. Elle a son domaine propre, comme peut l'avoir une coiffe ou un parler. La répartition sporadique est beaucoup moins fréquente que l'aire continue. Elle s'explique tantôt par le « repiquage » à distance dont il a été question plus haut, tantôt par la fragmentation d'une aire autrefois homogène, où la danse, tombée en désuétude, n'est plus conservée que dans des îlots témoins. De toute manière il y a un enseignement, au moins une suggestion, à tirer de la répartition de la danse, et l'on ne conçoit pas qu'il soit possible d'interpréter les résultats d'une enquête sans en tenir compte. *
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C'est donc une nécessité de reporter les observations, à mesure que l'enquête avance, sur une carte soigneusement tenue à jour. Il n'est pas d'instrument dont le chercheur fasse plus souvent usage. Après chacune des prospections qui font son information plus complète mais aussi moins facile à dominer, c'est la carte qui redonne une vue d'ensemble. C'est elle qui dit en quelles communes la recherche
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doit être reprise, à quelles autres elle doit être étendue. Elle fait mieux que souligner les manques; elle fait naître des hypothèses de travail. En voici un exemple : Lors de nos premières prospections en Finistère méridional, nos informateurs nous avaient montré presque partout des versions très semblables du jabadao. Les exceptions importantes concernaient quelques localités toutes périphériques : quelques-unes au nord, au contact des montagnes; quelques-unes au sud, au voisinage de la côte. Ces versions exceptionnelles étaient toutes d'un même type, plus fruste que le type dominant. Leur répartition suggérait qu'il pouvait s'agir de versions anciennes, autrefois représentées partout, tardivement supplantées par de plus évoluées, et conservées seulement dans quelques communes éloignées du grand axe Quimper-Quimperlé. S'il en était ainsi, il devait être possible, en interrogeant les plus vieilles gens, de retrouver ailleurs le souvenir de ces états archaïques. Une nouvelle prospection menée pour vérifier cette hypothèse devait les retrouver en effet dans tout le terroir déjà visité, et fournir cette fois les matériaux nécessaires pour reconstituer l'histoire de la danse. Quand l'enquête s'achève, le chercheur dispose ainsi, pour chaque danse, d'une ou plusieurs cartes regroupant l'ensemble des observations qu'il a faites. Pour tout autre cette accumulation de signes graphiques serait grimoire. Elle est parlante pour lui, qui ne demande aux signes que de lui évoquer une expérience personnelle. Il se remémore l'apparence sensible du mouvement aux divers lieux, le jugement que chaque version appelait, les transformations dans le temps qu'il a pu reconnaître. Il sait aussi pour quelles raisons certaines localités sur sa carte ne portent aucun signe : en celle-ci le fait qu'il étudie n'était pas connu; en cette autre il a vérifié sa présence mais sans pouvoir s'en faire une idée claire... etc. On doit y insister : pour le chercheur la carte n'a mission que de rassembler et ordonner une connaissance concrète, dès longtemps assimilée. Il importera de s'en souvenir quand on examinera ultérieurement les possibilités beaucoup plus réduites de la carte comme moyen de communiquer au public les résultats de la recherche. Dans les conditions d'emploi qui viennent d'être précisées, la carte aide toujours à résoudre les problèmes que pose l'histoire d'une danse, et beaucoup seraient insolubles sans elle. On ne peut dans ce chapitre donner qu'un ou deux exemples simples de cette corrélation entre la géographie des faits et leur histoire. L'étude qui sera faite ultérieurement du répertoire en fournira beaucoup d'autres. On constate souvent que les versions d'une danse se disposent sur le terrain en série continue, réalisant une progression d'intermédiaires entre deux états extrêmes. En pareil cas il s'agit ordinairement d'une version jeune élargissant son domaine aux dépens de versions ou plus
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anciennes ou moins vigoureuses. Ainsi voit-on la danse nommée en dro en Morbihan, chaîne fermée dans la plus grande partie de son domaine, devenir chaîne ouverte et cortège de couples à mesure qu'on approche de la Cornouaille finistérienne. L'échelonnement de ces formes, le déplacement de leurs frontières avec le temps, imposent une explication à l'exclusion de toute autre : la ronde, forme ancienne, a progressivement reculé devant la chaîne ouverte, imitée de la Cornouaille voisine. La chaîne ouverte a elle-même cédé du terrain à la danse par couples, apparue plus tard. Ce cas est particulièrement simple en ce que la variation porte presque uniquement sur la forme de la danse. Forme et pas peuvent aussi varier simultanément, et de façon à peu près parallèle. Le résultat est encore un étagement plus ou moins régulier des versions. C'est ainsi que les gavottes du pays de Guémené (type récent) se relient à travers le pays de Gourin (type intermédiaire) à celles de la Montagne Noire (type plus archaïque) par toutes sortes de transitions intéressant à la fois la forme et les diverses caractéristiques du pas. Il s'en faut que l'histoire du mouvement se lise toujours aussi clairement dans la distribution des faits sur le terrain. Les exemples abondent de versions juxtaposées de façon apparemment anarchique. Ainsi se présente la gavotte déjà nommée, en certaines portions de son très vaste territoire. En pareil cas il est souvent fécond de considérer un à un les composants du mouvement. Par exemple on observera comment sont réparties géographiquement les variantes de la forme, puis celles de la formule d'appuis, de telle particularité de style (sens large). On a des chances alors de reconnaître qu'il y a un ordre sous le désordre apparent des faits. La forme a sa répartition cohérente, le geste la sienne qui ne coïncide pas avec celle de la forme. La géographie de la danse prise comme un tout n'est que la superposition de plusieurs géographies particulières, partiellement indépendantes, et qui seules sont porteuses d'enseignement. Tous ces exemples concernent la mise en ordre de danses dont il apparaît assez vite qu'elles sont issues d'une même souche. C'est un problème plus complexe de rechercher si des danses aujourd'hui bien distinctes n'auraient pas eu dans le passé des liens de parenté insoupçonnés. Nous nous efforcerons plus loin de dégager quelques règles pratiques pour la conduite de ces rapprochements. *
*
*
La géographie comparée des danses fait encore apparaître le domaine de chacune avec ses versions-types, les directions privilégiées d'influences et d'échanges, les terroirs conservateurs d'archaïsmes et ceux d'où partent des modes nouvelles, le rôle joué par certains centres dans la diffusion de ces modes, le rayon d'influence de ces centres.
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Enfin, au terme de l'étude, c'est cette géographie comparée qui permet de conclure. Elle dit si la vaste étendue de pays qu'on a longtemps explorée possédait une tradition homogène ou juxtaposait des traditions différentes. Dans le second cas elle enseigne quels grands ensembles on doit y reconnaître, et quelle est leur importance respective. En sorte qu'à toutes les étapes de la recherche, de la première enquête jusqu'à la vue la plus générale, la carte se montre instrument irremplaçable. ** *
En définitive l'effort d'interprétation et de synthèse vise d'une part à situer chaque danse et version de danse dans une hiérarchie d'importances, d'autre part à lui donner ses coordonnées de temps et de lieu. Qu'on y parvienne, et que la proportion des faits connus aux faits à connaître soit suffisante, les rapports de filiation, de voisinage, de concurrence ou d'association s'imposent à l'esprit, qui en prend acte. La connaissance des relations que les versions ont entre elles n'est absolument sûre qu'à condition d'être ainsi, comme celle des versions elles-mêmes, de l'ordre de la constatation. En pratique les insuffisances de l'information y font trop souvent obstacle. On n'est pas allé partout. On n'a pas vu tous les informateurs possibles. Eux-mêmes ne savent pas tout. On n'a pas tout vu et retenu exactement, ni apprécié exactement tous les faits. Le va-et-vient de la synthèse à l'enquête réduit la part des lacunes et des incertitudes; il ne la fait pas disparaître. Or, c'est une synthèse trompeuse, celle qui ne prend en considération que le connu. Il faut que l'inconnu et l'incertain aussi entrent en ligne de compte, comme les espaces vides dans la reconstitution d'une mosaïque ou d'une fresque. Cerner et jauger cette part d'inconnu doit être une pré ccupation du chercheur au moment où il dresse le bilan de sa recherche. A lui d'estimer sans complaisance et de faire savoir ce que la densité et la rigueur de son information lui permettent d'affirmer. A lui de discerner ce qui est sûr de ce qui n'est que très probable, ou seulement vraisemblable, ou tout au plus possible.
B. —
COMPARAISON AVEC D'AUTRES RÉPERTOIRES
Une fois que la mise en œuvre des matériaux d'enquête a fourni sur le répertoire local tous les enseignements qu'on pouvait en attendre, il reste à le comparer à d'autres : répertoires des milieux citadins à diverses époques de l'histoire, répertoires folkloriques d'autres pays.
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III
Quand il s'agit de danses bretonnes, il va de soi qu'on orientera plus particulièrement-les rapprochements vers les autres pays de France et vers les pays celtiques de Grande-Bretagne. Nous donnerons un aperçu des documents historiques et folkloriques actuellement réunis et de ce qu'on peut en attendre, avant de proposer quelques règles pratiques pour la comparaison elle-même. i. Documents
français a) Documents
historiques
Les premiers documents un peu précis sur la danse française apparaissent au x v e siècle. Il est bon de rappeler et souligner l'ampleur impressionnante de la lacune au départ. Affirmer, comme des auteurs l'ont fait, la continuité des danses de l'antiquité gréco-latine à des danses du moyen âge français, est une simple vue de l'esprit, qui n'a même pas pour elle la vraisemblance. Aux x i n e et x i v e siècles, les romans, poèmes, chroniques, font souvent allusion à des danses, de chevaliers ou de pastoureaux. Il y est question de danses, estampies, caroles, bals, tresches, etc... termes sur le sens précis desquels les philologues ne s'accordent pas. Textes et images renseignent au moins sur les formes de danse les plus communes : ronde, longue chaîne ouverte, couple, cortège; sur l'accompagnement musical, tantôt instrumental, tantôt assuré par un chi iteur et le chœur. Quant aux mouvements, il arrive qu'une phrase de loin en loin caractérise leur allure générale (tréper, passer cointement, férir du pied, férir un pied l'un contre l'autre). Plus fréquemment un incipit de chanson de carole aide à imaginer comment les pas élémentaires pouvaient se répartir en motifs et phrases. C'est au total fort peu de choses. Autant vaudrait dire qu'on ne sait rien. Avec le x v e siècle on commence à disposer d'ouvrages didactiques. Matériaux de qualité, et relativement abondants, mais très partiels. Nul ne songe à brosser un tableau complet des danses de l'époque. Celles qui sont de tradition ancienne et familières au grand nombre ont peu de chances d'avoir les honneurs du manuscrit ou de la naissante imprimerie. E t en fait nous ne connaissons pas d'analyses de ces rondes et chaînes ouvertes souvent figurées dans l'imagerie du temps. Ce que les maîtres s'appliquent à noter, c'est « la façon de danser sur le nouvel a r t » qui par leurs soins se répand dans les cours seigneuriales. C'est au premier chef la basse-danse. Le reste du répertoire nous échappe. Il faut placer ici une remarque qui vaudra pour toutes les époques ultérieures : les maîtres de danse ne témoignent de leur temps qu'incomplètement et sans y viser. Leur rôle est de répandre et faire prévaloir
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un répertoire choisi. Us ne chorégraphient pas tout. Ce qu'ils chorégraphient — habituellement leur propre production ou celle de leurs confrères les plus en vue — n'est pas toujours le plus commun. Le milieu aristocratique lui-même pratique d'autres danses que celles dont les auteurs nous entretiennent. A plus forte raison les milieux populaires. Exceptionnellement significative est au xvi e siècle YOrchésographie de Thoinot Arbeau. Son importance est telle pour toute étude de la danse française qu'il est nécessaire de s'y attarder. Quand l'ouvrage paraît, en 1588, Jehan Tabourot, chanoine de Langres, qui se cache sous le pseudonyme de Thoinot Arbeau, atteint sa soixante-dixième année. Il est donc témoin oculaire de la seconde moitié du siècle et de la fin de la première. C'est une des raisons de l'intérêt de son livre. Il y en a d'autres. D'abord sa qualité. T. Arbeau a le savoir d'un maître de danse. Il n'en a ni les œillères, ni les prétentions naïves, ni l'inaptitude à transposer une expérience concrète dans le langage particulier du livre. Demeuré toute sa vie attaché à la musique et à la danse, il a su approfondir son expérience de l'une et de l'autre, en les intégrant dans une large culture personnelle. Son traité est conçu comme un dialogue entre un ancien danseur et un élève totalement ignorant. Sous l'apparence bonhomme du ton et comme au hasard de la conversation, c'est un exposé très construit, où transparaissent à la fois la formation intellectuelle de l'auteur, et sa remarquable intelligence pédagogique. Chaque danse ou catégorie de danses reçoit un minimum de commentaire qui la situe dans son milieu et dans l'histoire. Rien n'est laissé dans l'ombre de ce qui est essentiel et dont la parole puisse rendre compte. La qualité spécifique des mouvements échappe par force, et les gestes de la jambe libre sont ramenés à quelques positions passe-partout. Mais l'ordonnance des pas est toujours définie avec la plus grande clarté. Correspondance des appuis à la musique, position des appuis, part de la fantaisie personnelle et de la donnée commune, chaque trait vient au moment où il est assimilable et devient nécessaire. Les siècles suivants ne compteront plus d'auteur et d'ouvrage de cette classe. L'intérêt de YOrchésographie tient encore à son abondance. Il semble bien — et cela est capital — que Arbeau communique à son élève tout le répertoire qu'il connaît. Ce qui ne prouve pas, quoi qu'on ait écrit, que son traité enferme un tableau complet de la danse de ce temps. C'est à ses études à Poitiers que T. Arbeau doit de connaître le branle de Poitou et le trihori breton. Il ne dit mot de la bourrée, ni des branles de Gascogne, ni de la martrugalle de Provence, que mentionnent des contemporains. On peut croire qu'il en ignore bien d'autres, à cette
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époque où la danse citadine elle-même possède ses types régionaux. Reste que son traité doit donner une idée aussi satisfaisante que possible de ce qui est le plus généralement connu à son époque, et des ressources de base de la danse de ce temps. C'est avec son aide que prennent leur complète valeur pour l'historien les allusions à la danse contenues dans les mémoires de l'époque, les ouvrages de moindre envergure comme celui d'Arena, les recueils de chants et airs de danses. Enfin il est capital d'observer qu'une part importante de ce répertoire — au moins les branles — a cours dans le peuple aussi bien que dans la noblesse. Non seulement le type de danse est commun, comme l'attestent abondamment les imagiers et les écrivains, mais certains branles paraissent avoir simultanément des versions aristocratiques et des versions populaires. Déjà, à la fin du xv e siècle le trihori breton est signalé à la fois dans l'entourage de la reine Anne et chez des paysannes de Landerneau. T. Arbeau, pour authentifier son branle de Poitou, se réclamera également de son maître à danser de Poitiers et des danseuses en sabots qui lui ont fait place dans leurs chaînes. De même son branle double et son branle du Haut-Barrois semblent être, pour une même formule d'appuis, deux styles caractérisant des milieux sociaux différents. Rien ne prouve, quoi qu'on ait dit, que les branles des châteaux soient empruntés à la ronde villageoise. Les formes du branle (ronde et chaîne ouverte) ont cours en milieu seigneurial aussi loin que nous puissions remonter. Ses pas entrent déjà aux siècles précédents dans la très aristocratique basse-danse. Savons-nous s'ils ne servaient pas déjà aux caroles ? Sans exclure la possibilité d'emprunts, il est raisonnable d'imaginer qu'à l'époque de T. Arbeau le milieu aristocratique et le milieu populaire, tout en ayant leurs danses propres, usent largement d'un même fonds de danses, au moins de formes et de pas de danses, qui est leur héritage commun. Longtemps encore les danses en chaîne et en ronde garderont un rang éminent dans la société la plus recherchée et à la cour même. Elles ne le perdront que durant le règne de Louis XIV. Malheureusement et paradoxalement, ce xvn e siècle dominé par la figure d'un roi danseur, marqué par la fondation d'une Académie de danse, est l'un de ceux qui nous ont laissé le moins de renseignements sur la danse à la ville. Il semble que le ballet seul ait paru aux contemporains digne d'attention. Mersenne en 1636 accorde aux danses de salon quelques pages peu explicites 1 . Michel de Pures en 1668 n'y fait qu'une allusion2. Il faut attendre les premières années du x v m e siècle 1. Harm. univ., pp. 2. Spectacles., p. 278.
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pour voir les maîtres à danser, en possession depuis peu d'un procédé de notation chorégraphique, s'expliquer clairement par écrit. La lacune est d'autant plus regrettable que les danses analysées à partir de 1700 par Feuillet et ses successeurs n'ont presque plus de rapports avec celles de Thoinot Arbeau et Mersenne. C'est une autre inspiration, d'autres formes, d'autres pas, un autre style. A cet égard le dernier tiers du x v n e siècle marque un tournant capital dans l'histoire de la danse française. Aux époques antérieures le répertoire avait pu s'enrichir d'inventions et d'emprunts, il ne renonçait pas pour autant aux danses collectives tenues traditionnellement pour fondamentales. Il semble qu'au début du règne de Louis X I V , dans l'entourage même du roi, la suite de danses en chaîne héritées d'un lointain passé ait encore tenu le premier rang dans les divertissements officiels. Désormais la cour leur préfère les compositions au goût du jour des maîtres à danser. Les « danses réglées » et les entrées de ballet prennent au bal la place des danses plus anciennes. Le temps des professionnels commence. La création savante élimine la tradition. Cette révolution survient précisément dans le temps où l'exemple de la cour commence à s'imposer à l'ensemble de la société française avec une force qu'il n'avait jamais eue dans le passé. La province — sans ignorer l'actualité — avait eu ses danses propres, où les gens de qualité n'étaient pas des derniers à montrer leur bonne grâce. Désormais, et dans des milieux sociaux progressivement plus étendus, la mode élaborée à Versailles ou Paris fera loi. Recul de la tradition, communication à un public toujours plus large des répertoires nouveaux nés dans la capitale, tels sont les deux courants complémentaires qui, s'accélérant jusqu'à nous, vont renouveler dans la société tout entière le visage de la danse française. Toutefois ils ne prendront toute leur force qu'à la longue. Les danses en chaîne (ouverte ou fermée) ne disparaissent pas brusquement des milieux sociaux supérieurs. Elles passent seulement à un rang mineur. En 1725 le libraire Ballard publie toujours pour les gens de qualité des recueils de rondes aux chansons qui ont grand succès. Les croquis des artistes, d'Isaac Silvestre à Augustin de Saint-Aubin, suffiraient à montrer la persistance du genre, non seulement au x v n e siècle, mais encore jusqu'à la Révolution. D'autre part il y a des témoignages formels que le branle à mener au moins reste en vigueur et conserve sa forme de chaîne tout au long du x v n i e siècle. Il n'est décidément pas possible de suivre Curt-Sachs 1 quand il déclare qu'après l'avènement de Louis X I V « la ronde populaire en chaîne du genre de l'ancien branle est bannie ». Il est certain qu'elle subsiste, et qu'elle peut encore 1. Hist. danse., p. 182.
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donner matière à échanges entre milieux sociaux différents, entre citadins et paysans par exemple. Nous avons malheureusement très peu d'informations sur le contenu de mouvement de ces rondes en déclin, encore moins sur la façon dont les différents milieux sociaux en usent. Il est vraisemblable que la petite bourgeoisie et le peuple leur font plus de place que les grands, et dans des versions qu'il nous importerait davantage de connaître. Nous sommes mieux informés des danses nouvelles, que les auteurs de traités détaillent complaisamment. Une première vague — menuets, gavottes, etc. — est issue de l'ancien fond traditionnel, entièrement refaçonné suivant les canons savants de la fin du x v n e siècle. Contre toute probabilité ces danses de haute maîtrise, mieux faites pour la scène et le rituel de cour que pour le plaisir, ont pénétré certains milieux populaires. E n un petit nombre de pays largement ouverts à l'influence parisienne, elles ont fini par trouver place, sous des formes probablement très simplifiées, jusque dans le répertoire ordinaire des paysans \ La seconde vague ira plus loin. Elle propage la contredanse, danse de type inédit, qui sera finalement adoptée par la société française tout entière. Ignore-t-on la contredanse parisienne et ses tranformations successives, le moyen manque de comprendre quantité de danses folkloriques françaises et étrangères. Nous nous bornerons ici à esquisser la courbe générale de son histoire. Les premières contredanses apparaissent à la cour de France en 1684. Elles sont importées d'Angleterre, où elles appartiennent à la plus ancienne tradition nationale. La dauphine et ses amis les goûtent fort. Les connaisseurs en « belle danse » les dédaignent. La nature de la contredanse explique et cette faveur et ce dédain. Rien de plus étranger qu'elle à l'esthétique admirable mais contraignante du grand règne. La country-dance attache peu d'importance au dessin des pas, mais elle multiplie et varie les relations entre danseurs, donnant à chacun d'eux un rôle dans une action concertée entre plusieurs exécutants. C'est un des agréments qu'on lui reconnaît que de faire danser simultanément un grand nombre de personnes, les dames sur une ligne, les cavaliers sur une autre ligne leur faisant face. Longtemps confinée à une société restreinte de courtisans, cette contredanse de type britannique commence, dès les premières années du x v m e siècle, à prendre une réelle importance dans les assemblées. Ce n'est pas à elle pourtant que sont réservés les grands succès, mais à un type dérivé, qui s'élabore à Paris, et qui va bientôt prévaloir. Cette contredanse française se joue entre quatre couples disposés en i. Voir par exemple T H I S S E D E R O U E T T E Rose, « Le recueil de danses manuscrit d'un ménétrier ardennais », Annales de l'Institut archéologique du Luxembourg, t. X C I , i960.
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cercle, et commence par une ronde. Viennent ensuite les figures, dont l'enchaînement varie d'une contredanse à l'autre. Les danseurs sont familiarisés avec un certain nombre de figures de base (balancés, ailes de moulin, grandes et petites chaînes, poussettes), qui à elles seules permettent quantité de combinaisons. Les compositeurs y ajoutent de temps en temps une figure originale. Mais l'invention porte sur l'agencement ingénieux des figures plus encore que sur la création de figures nouvelles. Il ne se passe presque pas de semaines qu'un professionnel ou un amateur ne propose au public une contredanse inédite. « On en fait sur tous les airs nouveaux qui ont de la gaîté » 1 . Il est relativement aisé de noter une telle danse. Aussi voit-on naître et se perfectionner des aide-mémoire devenus indispensables. Chaque contredanse — musique et figure — est publiée sur feuille volante à quatre sols. Les feuilles peuvent être brochées en cahiers puis en volumes. Leur vogue est extraordinaire. Entre 1762 et la Révolution, chacun des éditeurs qui en publient met en circulation plusieurs centaines de titres. Aussi s'explique-t-on qu'à la fin du xvni e siècle la contredanse ait une immense popularité à Paris —et probablement dans les grandes villes de province —. Elle est connue du menu peuple comme des grands. En quelques régions elle a déjà commencé de s'introduire en milieu paysan. Après la Révolution et l'Empire le mouvement commencé aux époques précédentes s'accélère : une part toujours plus large de la population échappe à l'autorité de la tradition pour s'ouvrir à celle de la mode élaborée dans les classes dirigeantes. Les très anciennes danses en chaîne et en ronde gardent leur place dans la société paysanne, mais la contredanse est en voie de les y concurrencer. La conjoncture lui est favorable : d'une part les échanges s'intensifient entre les divers états de la société. D'autre part la contredanse devient moins difficile à imiter que par le passé. En effet les compositeurs n'inventent plus guère. Ils s'en tiennent à des figures élémentaires très connues du public. Même les enchaînements de ces figures de base sont de moins en moins variés. Quelques contredanses à succès (L'Été, Le Pantalon, La Poule, etc...) fournissent des enchaînements types dont on se contente de varier les airs. Après l'Empire l'habitude prévaudra de réunir en une seule et longue danse immuable plusieurs de ces enchaînements. Ce sera l'origine du quadrille romantique. Les enchaînements types apportent aux non initiés ce qui peut donner la prise la plus efficace à l'imitation : des modèles durables. Désormais la contredanse n'est plus portée à la ville que par l'élan acquis. De nouvelles venues s'affirment — valses, mazurkas, sauteuses — 1. Encyclopédie,
article
contredanse.
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qui vont incliner dans une autre direction le goût du public bourgeois. Mais une autre carrière commence pour la contredanse : celle de danse folklorique. Combinée au fonds ancien de nos provinces, elle va poursuivre son évolution dans des directions neuves et souvent originales. Sur les dernières contredanses parisiennes et les quadrilles, les traités, manuels, guides, théories-pratiques...etc fournissent une documentation abondante. Sans doute n'ont-ils jamais donné une idée plus juste de ce qu'est en effet la danse pour la presque totalité de la société française des villes. Pourtant, même à ce stade, leur témoignage est imparfait. Un maître du début du xix e siècle, Gourdoux d'Aux, en fait l'aveu quand il avertit ses lecteurs 1 qu'il enseigne : « ...les danses les plus usitées dans la bonne société, danses qui diffèrent beaucoup de celles des bals publics, et que le sieur Gourdoux se trouve trop heureux d'ignorer lui-même : les considérant comme tout ce qu'il y a de plus ignoble. » Appréciation qualitative mise à part, la remarque de Gourdoux vaut pour toutes les époques. A côté de la danse des maîtres à danser, il y a celle des commis de boutique, des servantes et des lavandières. Lors même que les deux danses ne diffèrent pas par leur nature profonde, elles diffèrent à beaucoup d'égards dans l'exécution. C'est la seconde surtout qui serait instructive pour nous. Quand la contredanse a commencé de passer de la ville aux champs, c'est plus probablement par l'intermédiaire de ses versions de guinguettes que sous la forme où la dansaient les familiers de la reine. La danse du petit peuple des villes n'a pas tenté les chroniqueurs. C'est tant pis pour les folkloristes. ** *
En conclusion, les textes relatifs à la danse française éclairent tant bien que mal cinq siècles environ de son histoire. Leurs auteurs ont en vue la danse des classes supérieures, milieux aristocratiques d'abord, aristocratiques et bourgeois plus tard. Même dans ces limites le tableau comporte de nombreuses lacunes. Des périodes entières ne livrent aucun document. D'autres livrent des documents incomplets, et dont beaucoup sont fort peu explicites. Il est impossible dans ces conditions de restituer les états successifs de danses comme les branles, courantes, gavottes, pavanes, passepieds, etc... qui ont gardé très longtemps la faveur du public. Nous ne connaissons que des moments de leur évolution. Mais si la documentation disponible fonde incomplètement et imparfaitement l'histoire de chaque danse en particulier, elle fonde solidement au contraire l'histoire de la danse française considérée dans son ensemble.
çaise,
1. GOURDOUX J . H., Description des figures Paris, chez l'auteur, s. d., in-18, 54 p., p. 9.
les plus
usitées
de la contredanse
fran-
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O n peut définir les types de danse et leurs ressources de mouvement (formes, figures, pas, équilibre de la forme et du pas) à diverses époques. E n conséquence on peut faire une histoire des genres, des plus archaïques aux plus récents, en datant approximativement l'apparition des genres nouveaux. N e fût-ce qu'à ce titre l'histoire générale de la danse fournit à la danse folklorique un éclairage indispensable. Il arrivera qu'on reconnaisse dans une ancienne danse de ville la parente d'une danse paysanne traditionnelle. Mais lors même qu'on n'aurait pas cette chance, on apprendra toujours beaucoup, à situer la danse qu'on a recueillie par rapport à cette chronologie des types, que les documents historiques permettent seuls d'établir. b) Documents folkloriques La comparaison des répertoires folkloriques entre eux se heurte à l'obstacle d'une information par trop clairsemée, fragmentaire, et d'une qualité généralement médiocre. Nous avons dit ce qu'était la documentation écrite relative à la Basse-Bretagne. Les autres régions de France prêteraient à des commentaires assez semblables. Les textes antérieurs au x i x e siècle ne contiennent qu'incidemment des allusions aux danses paysannes. Quand ils abordent ce sujet, ni les voyageurs, ni même les folkloristes au x i x e siècle ne croient devoir aller loin dans l'analyse. D u spectacle auquel ils ont assisté ils extraient les éléments pittoresques, ce qu'ils peuvent évoquer sans peine, ce qui appuie telle théorie qui leur est chère. O n trouvera dans leurs écrits des informations sur les circonstances de la danse rencontrée, certains usages, les costumes, les curiosités d'un scénario populaire; quelques caractéristiques de f o r m e ; moins souvent des notations musicales ; très rarement des précisions sur les mouvements. Les enseignements qu'on peut glaner dans ces textes ont leur prix comme prolongements et recoupements d'une enquête menée dans la tradition orale. A eux seuls ils sont assez minces. A u x x e siècle, d'une part les groupements de danseurs locaux se multiplient pour tirer d'oubli, conserver, manifester, les répertoires populaires en voie de disparition ou récemment disparus. D'autre part, timidement émise à la fin du x i x e siècle, l'idée se répand qu'un intérêt scientifique s'attache à l'étude de ces traditions. Malheureusement la pratique des groupes ne s'inquiète pas de méthode, et la connaissance théorique dédaigne trop souvent le contenu concret de son objet. L'exemplaire travail de Blanchard sur le Baccuber1 n'a pas fait école. Les folkloristes ont échafaudé des théories sur l'origine des danses plus souvent qu'ils ne se sont appliqués à recueillir celles qui subsistaient.
i . B L A N C H A R D Raphaël, L'art populaire dans le Briançonnais, Champion, 1914, in 8", 90 p.
le Ba'cubert,
Paris,
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Les ouvrages qui analysent en détail des répertoires régionaux le font en général à des fins didactiques, rarement dans la perspective et suivant les exigences d'une connaissance rigoureuse et désintéressée. Plusieurs sont, directement ou indirectement, dus à des groupes folkloriques. Leur valeur est inégale. Leur utilisation suppose la critique préalable qu'appelle toujours la documentation de ces groupes. Quant aux recueils composites destinés aux écoles, groupements de jeunes etc..., aucune critique, à moins d'être divinatoire, n'en extrairait la part de vérité qu'il leur arrive de contenir. Dire que l'auteur travaille de seconde main est dans la plupart des cas un euphémisme charitable. On s'exposerait à de graves mécomptes si on accordait à ces publications une valeur d'information qu'elles n'ont pas. En définitive, eu égard à la diversité et richesse de la tradition populaire des pays de France, la documentation imprimée qui vaut d'être retenue est dérisoirement pauvre. Sans négliger cette source écrite, le chercheur doit compter sur les sondages qu'il aura faits luimême dans des régions diverses, et sur les communications qui lui sont faites par des connaisseurs régionaux dont il a pu vérifier la compétence et la sincérité. 2. Documents
britanniques
Les danses traditionnelles de Grande et de petite Bretagne témoignent-elles en quelque manière des parentés ethniques et des rapports historiques qu'ont eus les peuples établis de part et d'autre de la Manche ? La question, dans l'état actuel de nos connaissances, ne comporte pas de réponse assurée. Les deux répertoires se montrent si différents qu'on peut même se demander si la comparaison a un sens. Les dans tro du paysan breton n'ont ni les pas savants des jigs ou des hornpipes, ni les figures nombreuses et variées de la country-dance. Inspiration et mouvements, tout est autre. A plus forte raison chercherait-on vainement dans la tradition bretonne l'équivalent des danses d'épée, ou des rnorris dances, danses spectaculaires, propres à des dates ou circonstances définies, réservées à des équipes d'exécutants spécialisés. D'un côté une danse typiquement paysanne, aux genres peu nombreux, et pour sa plus grande part très archaïque. De l'autre un répertoire aux genres divers, dont plusieurs relèvent d'un art très élaboré, et dont l'histoire, selon toute apparence, est beaucoup plus complexe. Un premier obstacle à une comparaison méthodique est l'insuffisance de l'information sur des points essentiels. Nous ignorons ce qu'était la danse proprement paysanne vers la fin du siècle dernier en nombre de régions des Iles britanniques, à commencer par
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le Cornwall et le pays de Galles, qu'il nous importerait de très bien connaître. Un autre empêchement tient au fait que nous ignorons quelle part ont prise les divers peuples de Grande-Bretagne à l'élaboration des grands types de la danse britannique. En particulier la danse collective et récréative par excellence, la country-dance, se rencontre partout, en Angleterre comme en pays celtiques (quitte, bien entendu, à posséder ses types régionaux). On ne saurait dire davantage si la morris dance appartenait d'abord aux Anglais ou aux Gallois et Cornouaillais, qui l'ont également pratiquée. Au xvni e siècle déjà, William Jones 1 se demandait si les danses galloises en général ne seraient pas venues d'Angleterre. En 1839 John Parry 2 s'interrogeait de même sur la provenance, irlandaise ou galloise, des jigs. Un siècle plus tard Jeffrey Pulver 3 inclinait à en faire honneur aux Anglais. Même indécision au sujet des hornpipes, qui paraissent avoir été généralement pratiqués en Grande-Bretagne aux x v n e et x v m e siècles. En sorte qu'il n'est guère possible actuellement d'estimer ce que chacun des peuples celtiques d'outre-Manche doit à sa plus ancienne tradition propre. Il est trop évident que depuis la lointaine époque des immigrations bretonnes en Armorique les emprunts et influences mutuels ont été considérables entre les différents peuples du Royaume-Uni. Il serait également indispensable de discerner ce que les répertoires, dans leur état présent, doivent à l'intervention des classes supérieures à diverses époques du passé. Par exemple il n'est pas contestable que les pas irlandais, si complexes, si remarquables à tant d'égards, soient l'œuvre des maîtres à danser qui, au cours des xvin e et xix e siècles, ont exercé leur influence dans toute l'Irlande. Si cette chorégraphie savante s'enracine dans une ancienne tradition populaire, les moyens manquent de connaître ce qu'elle en conserve. De même c'est un problème de savoir dans quelle mesure la country dance a été renouvelée par la société élégante qui devait, au cours du xvn e siècle, en faire sa danse de prédilection. La comparaison des dix-sept éditions de YEnglish dancing master de John Playford échelonnées de 1650 à 1728 fait au moins mesurer l'ampleur des transformations survenues en ces trois quarts de siècle de vogue croissante. Cecil Sharp, 4 qui avait commencé cette étude nécessaire, esquisse l'évolution de la danse durant cette période, en termes qui donnent beaucoup à penser. Constatons seulement ce qui ne prête guère à discussion : les derniers états de la country dance que fait connaître YEnglish dancing master montrent
1. 2. 3. 4.
Cité par G W Y N N W I L L I A M S , Welsh national Ibid., p. 126. Ibid., p. 129. Country dance book, I I , introduction.
music and dance, p. 123.
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un art très riche et très original de la figure, qui n'apparaît qu'à un degré moindre dans les premiers. On est en droit d'imaginer qu'il était plus pauvre encore à l'époque, nettement plus ancienne, où la danse n'avait pas quitté les milieux d'inculture. Mais sur ce qu'elle pouvait être dans ces milieux et à ce stade, nul jusqu'ici ne témoigne. Même les riches littératures irlandaise et galloise du moyen âge sont, autant qu'on sache, à peu près muettes sur le chapitre de la danse. La curieuse évocation de la danse religieuse de Sainte-Almeidha faite par Giraud de Barri 1 dans son Itinerarium Cambriae (xu e siècle) ne nous apprend rien sur la danse elle-même. En Irlande il faut attendre le xvi e siècle pour voir enfin mentionner diverses danses, roundelays, irish bejs, jiggs, trenchmore, rinnce fadas. Encore n'en connaissons-nous guère plus que les noms. Interpréter des textes trop laconiques, relatifs aux milieux ruraux, à la lumière de textes moins anciens et concernant pour la plupart des milieux citadins, c'est courir le risque de se tromper. Ainsi, pour que la comparaison des répertoires des Celtes de Grande et de petite Bretagne ait un sens, il faudrait disposer de documents assez nombreux et assez précis sur une période lointaine de l'histoire qui au contraire n'en a livré que de très rares et peu explicites. On verra que le rapprochement des danses britanniques et bretonnes n'en sera pas toujours moins suggestif malgré leurs différences profondes. Mais le moyen manquera d'en tirer des conclusions certaines. }. La comparaison Plus que tout autre mode d'expression la danse de tradition populaire est exposée, dans certaines conditions, à évoluer vite, profondément, et sans qu'il demeure trace de ses états antérieurs. Il faut garder cette vérité présente à l'esprit lorsqu'on rapproche et compare des danses de terroirs, de pays, de milieux différents. Et d'abord on court le risque de conclusions inexactes en rapprochant deux danses pour lesquelles on ne possède qu'une information incomplète. La similitude de deux danses fût-elle frappante, elle ne prouve pas toujours leur parenté. En voici un exemple : Nous avons relevé chez de très nombreux danseurs en pays de Pontivy un pas de laridè en deux temps, fort curieux et d'exécution difficile. Ce pas est inconnu dans le reste de la Bretagne. En revanche, en certaines démonstrations il reproduit de la façon la plus étonnante les pas « vibrés » familiers aux danseurs serbes de kolos. La comparaison de témoignages échelonnés dans le temps prouve que ce pas est de i . GWYNN WILLIAMS, Welsh national
music and dance, p. n o .
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formation autonome tardive. Il y a un demi-siècle la danse avait un pas tout différent, dont la formule d'appuis s'étendait sur huit temps. Ce pas en huit temps est encore employé dans la Cornouaille voisine, et nous avons relevé tous les intermédiaires entre lui et son très original dérivé : si étonnante soit-elle, l'analogie entre pas serbes et pas pontivyens est purement fortuite. Autre rencontre. On danse en Finistère méridional une ronde nommée gymnaska, dont l'unité de mouvement est une phrase de six temps. Cette structure, aussi bien que l'agencement des pas élémentaires dans la phrase, sont exceptionnels dans ce terroir. Le gymnaska y fait figure d'étranger. Au contraire il reproduit à s'y méprendre des danses d'autres pays d'Europe, en particulier certains kolos et horas du pourtour méditerranéen. L'opinion a pu être soutenue qu'il était importé de fraîche date en Bretagne. En fait la Cornouaille l'a seulement reçu du Morbihan, où il est connu depuis un siècle au moins (et peut-être beaucoup plus) sous d'autres noms (hanterdro, tricot, etc...), et avec un autre style. La danse morbihannaise elle-même est issue d'un très ancien fonds français. C'est par l'intermédiaire de ce fonds, et non par filiation directe, que ces danses bretonnes en six temps se rattachent peut-être aux danses semblables d'autres peuples. Il est instructif que la parenté réelle des traditions bretonne et française ancienne ait été masquée par la différence des noms et des styles, alors qu'une ressemblance en partie fortuite faisait attribuer à une danse du Finistère et une danse d'Europe centrale un degré de parenté qu'elles n'ont pas. S'il arrive, comme on vient de voir, que deux danses se ressemblent sans être parentes, il arrive aussi, et bien plus souvent, qu'une parenté réelle soit totalement dissimulée. Les pas « vibrés » du pays de Pontivy ne rappellent en rien, dans leur état final, la phrase en huit temps dont ils dérivent. L'étude du répertoire montre d'autres cas où la parenté effective de deux états extrêmes n'est établie que parce que la tradition conserve suffisamment d'états intermédiaires. *
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En conclusion, un rapprochement opéré sur la base d'une documentation incomplète (et c'est le cas général) est rarement probant. Il peut ne rien révéler des rapports que les deux danses ont eus dans le passé. Il peut en donner une idée fausse. La comparaison se fera au contraire dans des conditions aussi bonnes que possible si l'on connaît l'histoire et la variation de la danse dans son milieu. D'une danse folklorique il faut au moins savoir si les dernières générations l'ont toujours connue semblable ou l'ont vue changer. Il faut avoir une idée assez complète de la diversité possible de
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ses versions. Ce n'est plus alors un état de mouvement qu'on rapproche d'un autre état. C'est un faisceau de versions qu'on compare à un autre, c'est-à-dire une évolution qu'on rapproche d'une évolution, une histoire d'une histoire, et les chances se multiplient de découvrir si ces histoires ont été indépendantes ou si elles se sont croisées. *
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Dans ces comparaisons l'attention doit être surtout portée sur la structure fondamentale des mouvements. E n effet le passage d'un milieu à un autre a tôt fait de renouveler entièrement les particularités d'exécution dont l'ensemble constitue le style au sens large. Mais les grandes lignes d'une figure, la formule d'appuis d'un pas composé, restent beaucoup plus longtemps reconnaissables. Dans le cas des danses caractéristiques de la tradition bretonne ancienne, c'est la formule d'appuis qui — sous réserve de recoupements — fait le mieux apparaître la parenté de danses dissemblables. Il est légitime de croire à un rapport entre deux danses qui contiennent un même mouvement très caractéristique : une formule d'appuis peu ordinaire, comme celle de la gavotte cornouaillaise, ou encore une figure typique comme la chaîne des dames, la chaîne anglaise à quatre, la passe double d'un cavalier entre deux dames... etc. Ce sont là des mouvements originaux qui ont peu de chances d'être fréquemment réinventés de toutes pièces. Au contraire on ne doit rien conclure en retrouvant dans deux danses différentes une même figure très simple (rondes et chaînes à arceaux, rondes dos au centre, chaînes serpentines etc...), un pas ou groupement de pas de type banal (changement de pas, pas de quatre, motifs contrastés en marche, sautillé, galop... etc). De tels mouvements peuvent bien être apparus à plusieurs reprises, en des lieux et temps différents, sans qu'il y ait nécessairement dépendance des uns aux autres. Une invention très proche de l'instinct suffit à les faire naître. Leur agrément d'autre part les rend durables. Il est donc normal de les voir très répandus. E n pratique plus un mouvement relève d'un type élémentaire, moins on doit attacher de signification au fait de le retrouver dans deux danses qu'on rapproche. Enfin, des similitudes partielles, dont chacune en soi n'est pas probante, le deviennent quelquefois par leur réunion. Ainsi, qu'une danse bretonne et une danse italienne aient des noms presque identiques (monjarine en Finistère, monjerine en Piémont) ne prouve rien. Que la bretonne ordonne trois figures suivant le même principe que l'italienne ne suffirait pas non plus à établir leur parenté. Mais que les deux analogies, de nom et d'agencement, se constatent simultanément, donne déjà à réfléchir. Lorsqu'on relève encore dans les deux danses la présence
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d'un même élément de jeu et quelques parentés mélodiques, la conclusion s'impose : tant d'analogies simultanées ne peuvent être une coïncidence : les deux danses sont parentes. L'étude du répertoire montre d'autres cas de ce genre, où la liaison de plusieurs indices, assez insuffisants en eux-mêmes, finit par entraîner la conviction. ** *
Quand il apparaît que deux danses de milieux différents ont eu réellement quelque rapport dans le passé, il reste à chercher quelle sorte de rapport : contamination, emprunt, ascendance commune, etc... Exceptionnellement un témoignage d'époque le fera savoir. A seul qualité pour le fournir le témoin contemporain de l'événement (Lorin 1 ou Bonnet 2 évoquant les premières contredanses ; Stendhal 8 ou E. Voiart 4 rappelant les débuts de la monferine). On ne doit pas accorder pareille autorité au témoin qui adopte une tradition déjà ancienne et incontrôlée (Rameau 6 ou Lorin 6 rapportant l'origine lointaine du passepied ou de la gavotte). En l'absence de témoignages autorisés— c'est le cas habituel — on ne peut compter que sur la leçon que donnent les danses ellesmêmes, replacées dans leur contexte. La possibilité de préciser leurs rapports varie alors beaucoup suivant qu'il s'agit de danses jeunes ou au contraire très anciennes : a) Le répertoire de Basse-Bretagne contient plusieurs danses — d'autres provinces de France en montreraient bien davantage — dont on est conduit à penser qu'elles y sont entrées d'assez fraîche date. Elles ne sont très familières qu'aux terroirs ouverts de bonne heure aux modes françaises. Elles restent généralement étrangères à la suite réglée la plus ancienne connue. Beaucoup ne sont pas, ou ne sont que depuis peu, stabilisées en versions-types. Elles diffèrent par des traits fondamentaux, par l'inspiration même, d'autres danses qu'on sait appartenir à la tradition la plus ancienne. Elles montrent au contraire des ressemblances avec des danses en vogue des xvm e et xix e siècles. En définitive tout fait croire que les paysans les ont reçues des citadins, au plus tôt à l'extrême fin du xvnx e siècle, souvent bien après. Rien que de normal à de tels emprunts. Ils sont l'un des nombreux signes de la dépendance croissante où se trouvent à l'époque moderne les milieux populaires, et notamment le milieu paysan, d'usages, de modes, de goûts, élaborés dans les milieux sociaux supérieurs. 1. 2. 3. 4. 5. 6.
IAvre de la contredance du Roy, p. 23, B. N. : Ms. fr. 1698. Hist. génir. de la danse., p. 134. La chartreuse de Parme, p. 1. Dse. ant. et mod., p. 180. Maître à danser, p. 130-131. Livre de la contredance du Roy, p. 30.
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Il n'est pas toujours nécessaire d'identifier l'archétype d'une telle danse pour avoir une idée de l'époque où l'emprunt a pu se faire. Il suffit qu'elle appartienne à un type (variété particulière de contredanse, quadrille, etc) dont on sait à quel moment il a été en vogue. Il n'est pas exclu d'ailleurs qu'on reconnaisse l'archétype lui-même, s'il a été noté, et si la danse ne s'est pas trop modifiée en milieu paysan. b) Au contraire des précédentes, beaucoup de danses folkloriques — en plusieurs régions de France et singulièrement en Bretagne — ont un cachet très prononcé d'archaïsme. Certaines sont du plus ancien type que les documents historiques fassent connaître, ou même ont un rapport étroit avec tel branle que Thoinot Arbeau analyse. On devine, après ce qui a été dit ci-dessus des plus anciennes danses françaises, qu'en pareil cas il sera difficile de conclure. A supposer qu'il y ait eu emprunt, rien ne montre à quelle époque il s'est produit, quel milieu a fourni le modèle, quel autre a imité. Enfin et surtout l'emprunt n'est pas prouvé. L'analogie peut tenir à une ascendance commune et remonter à un passé inconnu. *
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Qu'une danse (ou type de danse) encore vivante soit décrite par les plus anciens textes ne lui donne qu'un âge minimum : la date de son émergence historique n'est pas forcément celle de sa naissance. Mais de son ancienneté réelle et de son histoire aux époques plus reculées nous ignorons tout. Ce n'est matière qu'à conjectures. Sur les problèmes d'origines, le folklore, il est vrai, dispose de théories très générales, propres à donner, à défaut de savoir, une explication cohérente des choses. Il nous paraît préférable de maintenir la synthèse dans une stricte dépendance des faits contrôlés. A ce niveau seulement sa légitimité est indiscutable. La difficulté de saisir et exprimer les faits de mouvement ne doit pas en faire un domaine à part, soustrait aux exigences de la connaissance scientifique : en ce domaine comme en tous les autres, ce qui est vérifiable peut seul être tenu pour assurément vrai.
VI. — L'EXPOSÉ DES FAITS A. —
L ' É C R I T U R E D E LA DANSE
Le problème de la communication écrite de la danse se pose en termes différents suivant que la notation doit être utilisée dans quelque milieu que ce soit, ou seulement dans celui où la danse notée a effectivement cours.
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Longtemps il s'est agi pour les notateurs de fixer, à des fins pratiques, la danse de leur propre milieu social — aristocratique ou bourgeois — pour des usagers du même milieu. En pareil cas la possibilité qu'a le lecteur de s'aider d'une expérience concrète présente dans son entourage supplée au besoin aux imprécisions de l'écriture. Toutes les notations du passé ont bénéficié de ce recours, mais à des degrés fort divers. Les auteurs en ont usé au maximum, et délibérément, quand la diversité du répertoire ne tenait qu'à l'arrangement indéfiniment renouvelé d'un petit nombre de constituants fondamentaux. Par exemple cinq ou six symboles graphiques suffisent au x v e siècle pour expliquer n'importe quelle basse-danse. Toutes sont faites d'un petit nombre d'éléments, toujours les mêmes : branle, révérence, simple, double, reprise, congé. Les auteurs les supposent connus. Il leur suffit de désigner chacun d'eux par un signe (une lettre) pour qu'une formule rende compte de la combinaison propre à chaque basse-danse. La formule analyse la composition de l'ensemble. Le signe, lui, ne fait (Révoquer globalement une expérience acquise par ailleurs. Les contredanses britanniques et françaises des x v n e et X V I I I ® siècles prêtent à des remarques analogues. Les constituants fondamentaux n'y sont plus des pas composés et gestes typiques, mais des figures élémentaires, agençables en combinaisons indéfiniment variées. Dans le cours du x v m e siècle les notations françaises de contredanses, extrêmement détaillées aux tout premiers temps de leur vogue, se réduisent à des formulaires de plus en plus laconiques à mesure que les figures de base deviennent plus familières au public. Le recours à l'expérience du milieu a quelquefois permis de fixer assez facilement des danses d'un tout autre type. C'est ainsi que dans le dernier quart du x v n e siècle André Lorin 1 avait imaginé de faire correspondre à chacun des pas des danses de son temps (pas de menuet, de rigaudon, coupé, sissonne... etc) un signe particulier. L'enchaînement des signes, rapporté à la musique, rendait compte de l'enchaînement des pas en chaque phase de la danse. Quant aux pas eux-mêmes, l'usage du monde et les leçons des maîtres les enseignaient. Dès 1589 YOrchésographie de Thoinot Arbeau avait poussé l'analyse incomparablement plus loin. A plus forte raison la Chorégraphie que Feuillet devait faire prévaloir à partir de 1700. Les pas n'y sont pas seulement évoqués par leur nom ou leur signe, mais démontés en leurs éléments constitutifs. L'analyse s'exprime en description rédigée chez Arbeau, en signes conventionnels chez Feuillet et ses continuateurs.
1 . Livre de contredance présenté au Roy, B . N . : Ms. f r . 1697.
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Nous devons à ces analyses souvent pénétrantes d'avoir, aujourd'hui encore, un accès assez large à l'expérience des danseurs d'autrefois. Il s'en faut pourtant qu'elles nous restituent la danse disparue autrement qu'avec une marge considérable d'incertitude. Aussi bien leurs auteurs n'ont-ils pas cru pour la plupart que ces notations fussent suffisantes à elles seules. La notation rappelle ou apprend au danseur des enchaînements divers de gestes élémentaires. Elle précise les règles de leur bonne exécution. Elle ne suffirait pas à lui enseigner ces gestes et attitudes de base. Il s'en est instruit par d'autres voies. Si abstraits que paraissent les signes d'un tel système, ils ont une valeur concrète pour l'usager. Ils peuvent être pour lui plus évocateurs qu'un texte descriptif, parce qu'ils éveillent le souvenir de mouvements qu'il a pratiqués ou vu pratiquer autour de lui. Ici encore, en dépit de sa minutie, l'écriture du mouvement n'atteint à la pleine efficacité qu'en s'appuyant à quelque degré sur l'expérience du milieu. *
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Les conditions faites à l'écriture du mouvement sont devenues très différentes aujourd'hui. La danse est sortie de notre vie. L'expérience motrice s'est réduite à fort peu de choses chez le plus grand nombre dans le temps où l'art professionnel atteignait au contraire un niveau technique particulièrement remarquable. Simultanément la diversification de la danse théâtrale, et plus encore la curiosité portée aux peuples et aux milieux sociaux les plus différents, nous ont fait découvrir un polymorphisme de l'expression gestuelle dont les danseurs d'autrefois n'avaient presque aucune idée. En sorte que deux voies s'offrent désormais aux notateurs. La première sacrifie l'audience à la plénitude du message. L'auteur choisit d'écrire pour le milieu (ethnique, culturel, professionnel) où la danse à noter est vivante. Le contenu des termes ou symboles est alors précisé concrètement par les danseurs eux-mêmes chaque fois qu'il est nécessaire. Ainsi faisait André Lorin pour les courtisans de Versailles. Des notations établies suivant un principe analogue ont quelquefois été employées à la fixation des répertoires folkloriques. Elles sont d'une commodité extrême pour qui demeure dans les limites de l'expérience considérée. Elles sont hermétiques à qui ne peut l'acquérir. Seconde possibilité : l'auteur vise au contraire le public le plus large — et donc le moins homogène — , au risque de n'être compris de beaucoup qu'incomplètement ou même inexactement. Il s'efforce vers une écriture universelle de la danse. Quelques procédés modernes d'écriture par signes (Méthodes Conté, Laban, etc.) ont ainsi considérablement reculé les limites d'emploi de l'écriture chorégraphique, en poussant l'analyse à un degré de minutie jamais atteint jusque-là.
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Us y parviennent en divisant la danse en une multitude de gestes élémentaires successifs, assez brefs et assez simples pour qu'il puisse être donné au lecteur une notion claire et définie de chacun d'eux. Renonçant à l'évocation globale, le signe reçoit mission d'expliquer comment le mouvement est fait. Il ne commande pas un acte moteur complet en soi. Il se multiplie pour en détailler les moments. Par exemple, au lieu qu'un seul symbole prescrive un moulinet du bras, plusieurs signes font connaître par quelles positions sitôt abandonnées que prises le membre doit passer pour l'accomplir. Faute en effet de pouvoir rendre compte du dynamisme musculaire lui-même, les inventeurs ont mis toute leur ingéniosité à restituer d'aussi près que possible les déplacements que le mouvement occasionne : déplacements du corps entier, et déplacements des segments du corps les uns par rapport aux autres. La lecture fait appel pour une part à l'expérience la plus générale du mouvement, mais surtout à une représentation mentale, plus ou moins fondée, des attitudes. En définitive ce sont ces attitudes successives de l'exécutant que le signe permet de se représenter avec le moins d'imprécision. La danse est fractionnée en instantanés de mouvement, et, à la limite, en moments d'immobilité. *
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Reste à examiner sans illusion ce qu'une écriture de la danse est capable de communiquer, dès lors que, destinée au public le plus large, elle cesse presque entièrement de présupposer l'expérience vécue pour n'avoir d'autres ressources que la minutie de l'analyse. Qu'elle use de mots ou de signes, c'est fort abusivement qu'elle prétend être une écriture du mouvement. Le mouvement est précisément ce qui échappe : le signe, aussi bien que le mot, n'atteignent que sa projection spatiale. Encore est-ce très imparfaitement dans la plupart des cas. La gymnastique suédoise classique, l'une des disciplines motrices les mieux définies qui soient, caractérise avec une précision remarquable les attitudes et positions corporelles, de façon beaucoup moins sûre les trajets qui conduisent des unes aux autres. A plus forte raison leur définition est-elle incertaine dans les gestes de la danse, qui obéissent à bien autre chose qu'une volonté réfléchie. Quant au mouvement proprement dit, au flux d'énergie vivante qui, à mesure qu'il se dépense, inscrit dans l'espace cette trajectoire plus ou moins repérable, il n'est au pouvoir d'aucun signe ni d'aucun mot de l'emprisonner dans leur lettre morte. Nous avons dit combien la qualité propre du geste de danse est révélatrice de la disposition intérieure, et même de la personnalité profonde (individuelle ou ethnique) de l'exécutant. Aussi est-elle à ellemême son propre et seul vrai moyen de communication.
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Se l'approprier c'est à quelque degré s'identifier à l'autre. L'intelligence à elle seule ne le permet pas. Certes, elle joue son rôle dans l'assimilation que nous tentons, mais elle ne saisit de la danse que des aspects. D'autres réalités lui échappent, qui sont quelquefois plus essentielles. C'est pourtant ce dont l'intelligence s'est emparé, et cela seulement, que le signe aura finalement pouvoir de fixer et de transmettre. Chaque signe implique une notion distincte, simple et claire. Une telle notion est conquête de l'intelligence sur le confus et l'obscur. Mais en même temps, comparée à la riche complexité de l'acte vivant, elle est, inévitablement, simplification et appauvrissement.
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D e cet appauvrissement les différentes sortes de danses s'accommodent très inégalement. C'est en réponse aux besoins de la danse de théâtre que se sont édifiés, de Feuillet à nos jours, les systèmes d'écriture chorégraphique par signes. Aussi les choréauteurs ont-ils de bonnes raisons de se montrer généralement plus sensibles à leurs avantages très réels qu'à leurs limitations. Et d'abord, faite pour l'appréciation visuelle, soucieuse d'attitudes et de dessins, caractérisée par ses éléments techniques plus souvent que par son contenu psychique, la danse de scène se satisfait mieux qu'aucune autre de procédés d'analyse qui concentrent l'attention sur l'aspect formel et plastique du mouvement. D'autre part le choréauteur s'adresse à des artistes professionnels, c'est-à-dire à des danseurs pourvus par un enseignement d'école de techniques définies. La notation est à interpréter, ici encore, en termes d'expérience sociale, et dans les limites d'une esthétique familière. D'autre part enfin, sa nature même de création personnelle savante rend la danse de scène spécialement justiciable du procédé graphique. Chacun des mouvements qui composent un ballet a été conçu avant d'être exécuté. Il ne s'est concrétisé que dans un second temps, par l'intervention d'un interprète. Jusque-là il était intention, pensée, idée de mouvement. Le passage a pu se faire de l'idée au signe sans que le mouvement ait été effectivement vécu. Le cheminement est très différent quand il s'agit de rendre compte par l'écriture d'une danse folklorique. Ce n'est plus au mouvement de se conformer à la notion, mais bien au contraire à la notion de se dégager, à grand'peine et à grand risque, du mouvement vivant qui est la seule réalité incontestable. Le signe obtenu au terme se montrera-t-il adéquat à la donnée concrète? La réponse est cas d'espèce.
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Elle sera oui en bien des cas. Beaucoup de danses folkloriques sont sans mystère, et reconstituables avec une approximation acceptable à partir d'une analyse bien faite. Même certains gestes originaux ont des chances de pouvoir ainsi être fixés, pourvu toutefois que le dessin en soit peu changeant, que la position des segments puisse être définie à tout moment avec certitude, et que cette succession d'instantanés jalonne avec assez de rigueur la trajectoire du mouvement. Seront notées plus aisément encore les danses de style très libre, où la distinction s'impose entre une danse théorique, qu'on peut définir, et les façons multiples dont elle est interprétée. On aura seulement soin, en pareil cas, d'ajouter à la notation un commentaire donnant au moins une idée de la diversité réelle. Au contraire les mêmes procédés de notation seront impropres toutes les fois où le mouvement se caractérise davantage par un ensemble de qualités intrinsèques que par le détail, imprécis ou changeant, de ses positions de passage. C'est fort souvent que la danse folklorique montre ainsi une originalité essentielle, qui tient à l'inspiration même, à la disposition intérieure et à la qualité spécifique de mouvement qu'elle commande. Sur cette originalité foncière le signe est sans prise. Comme le mot, il ne transmet bien que ce qui est commun, et donc impersonnel. Sans doute — et les partisans des notations conventionnelles ne manquent pas de le souligner — le signe peut jusqu'à un certain point être perfectionné et nuancé à la mesure de besoins particuliers. Mais le moment vient très vite où la reconversion de l'écriture en savoir vivant n'est plus possible alors que pour le notateur lui-même. Comment en effet le signe seul ferait-il acquérir à ceux qui ne la possèdent pas l'expérience psychomotrice subtile qu'il a mission de représenter? Il peut l'évoquer, non la faire naître. Il n'y a signification que là où il y a d'abord, dans une mesure suffisante, expérience partagée. Ainsi, suivant la nature de la danse considérée, la traduction intellectuelle que donne fatalement l'analyse se montre plus ou moins légitime, plus ou moins complète et permet ou non une reconversion valable de la danse elle-même. En bien des cas donc la notation donnera d'une danse une connaissance desséchée et illusoire s'il n'est simultanément fourni au déchiffreur les données sensibles indispensables pour pénétrer la signification dont l'écriture est porteuse. Ces données sensibles, le lecteur d'aujourd'hui, à la différence du lecteur d'autrefois, ne les trouve plus dans son entourage. C'est ici que le cinéma pourrait, dans une certaine mesure, suppléer au milieu humain défaillant. On comprend mal que partisans et adversaires de l'écriture conventionnelle ou du film opposent si souvent les deux procédés, quand le bon sens voudrait qu'on cherche les moyens de les faire mieux coopérer.
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Non pas que le cinéma restitue à proprement parler la danse. En ne retenant d'elle que l'aspect visuel, lui-même l'appauvrit d'éléments essentiels : une certaine façon de recevoir et d'éprouver la musique, très différente chez le danseur et chez le spectateur du film sonore; la communication tactile et musculaire qui s'établit du danseur à ses voisins, jusqu'à lui rendre sensible leur dynamique intérieure; plus que tout peut-être l'état psycho-physiologique particulier que crée l'incorporation à la danse, et que toute vue du dehors est impuissante à procurer. Il reste que dans l'ordre visuel le cinéma se montre mémoire infaillible. Il appréhende en bloc, sans choisir, architecture et détail. Il conserve sans rien perdre et rien altérer. Il est sans rival toutes les fois où la qualité propre du dessin gestuel a autant ou plus d'importance que la conception abstraite du mouvement. Très supérieur au livre au plan du souvenir, il lui est inférieur au contraire au plan de l'analyse explicite (encore qu'on puisse le faire concourir utilement à cette fonction). Autre chose est de conserver le mouvement, autre chose d'en donner la pleine intelligence. Le film ne rend pas la notation inutile. Il a besoin d'elle comme elle de lui. Le degré de détail que la notation peut utilement rechercher diffère suivant qu'elle doit ou non s'accompagner de film. Ou elle est donnée seule, et c'est seulement une idée de mouvement qu'elle peut communiquer. Il y a peu d'avantage à ce qu'elle le fasse au delà du point où cette idée cesserait d'être claire. Ou le film doit s'ajouter à la notation. Celle-ci alors aidera le spectateur à prendre conscience de tout ce que contient la réalité vivante qu'il a sous les yeux, et il est souhaitable que cette pénétration aille aussi loin que possible.
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Une dernière question est de comparer, du point de vue de leur efficacité à l'intérieur des limites que nous avons reconnues, les deux grands types de notation : description rédigée, symboles graphiques. Remarquons d'abord que quand la notation par signes cesse de se référer à l'expérience vécue (nécessairement particulière) pour prétendre à une portée universelle, la distance diminue entre ses pouvoirs et ceux du langage. Pour définir objectivement le contenu des signes dont elle va user, il lui faut bien au départ recourir à l'analyse verbale des mouvements, étayée ou non de schémas et dessins, et il n'est plus en son pouvoir de faire tenir dans le signe plus qu'il n'y a dans les mots et l'image. Chacun des deux types n'en a pas moins sur l'autre des avantages très réels. Les notations par signes ont d'abord celui, extrêmement
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précieux, d'être comprises en tous pays, et d'épargner à l'auteur le difficile problème de la rédaction. La capacité qu'elles ont de traduire en peu de place l'enchaînement de beaucoup de brèves actions élémentaires les rend plus aptes que la parole à rendre compte de dessins gestuels d'une certaine complexité (sous réserve, bien entendu, que ces dessins présentent les caractères que nous avons définis). Enfin elles facilitent les comparaisons en" donnant le moyen de juxtaposer plusieurs versions. En contrepartie l'on doit observer qu'il existe plusieurs méthodes de notation par signes et qu'aucune ne fait l'unanimité. Et encore, que ces méthodes ne sont familières qu'à un public restreint de spécialistes, qui ne correspond que pour une petite part au public intéressé par les danses traditionnelles. En regard de chacun des avantages de la notation par signes on peut placer un inconvénient de l'analyse rédactionnelle. Mais aussi elle a des ressources à quoi la notation conventionnelle ne peut prétendre. Elle est intelligible à tous. Elle a pour elle l'incomparable souplesse et les multiples possibilités du langage. Il peut, suivant le besoin, analyser ou donner une vue d'ensemble ; scruter le détail ou au contraire dégager des lignes maîtresses, constantes ou dominantes. Non seulement il peut commenter chaque trait du mouvement et lui donner son juste éclairage (importance dans le tout, degré de nécessité, fréquence) mais encore il peut commenter l'analyse elle-même. L'avantage sur la notation conventionnelle vaut qu'on s'y arrête. Chacun des signes dont le notateur dispose contient et limite un sens précis. Mais il s'en faut, on l'a vu, que l'analyse d'une danse la résolve toujours en notions élémentaires distinctes, limitables et claires. Il n'est d'autre moyen alors, pour traduire en signes la donnée vivante, partiellement indécise, que de la ramener aux plus proches notions signifiables. Approximation acceptable en certains cas, regrettable, voire désastreuse en d'autres. La lumière égale où la notation par signes met tout le déroulement d'une danse risque d'être trompeuse comme le trait uniforme et continu de certains dessins. Le réel n'avait pas cette netteté constante. Incomparablement plus souple, le langage est capable d'exprimer des notions claires (en s'aidant au besoin de schémas et dessins), mais aussi de laisser indécis ce qu'on ne préciserait pas sans arbitraire, en faisant savoir où commence l'incertitude. Il a pouvoir de suggérer et d'évoquer, comme il a pouvoir de définir. Au total ce serait probablement une erreur, ici encore, d'opposer description rédigée et notation conventionnelle. On peut préférer l'une ou l'autre, voire combiner l'une et l'autre suivant le public visé, la nature du répertoire à transmettre, le genre de connaissance qu'on veut en donner.
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E M P L O I DES CARTES
Il a précédemment été question de la carte comme instrument de recherche et d'interprétation. Il reste à dire comment elle peut aider à l'exposé des faits. L'expérience montre qu'il ne peut s'agir de la même espèce de carte dans les deux cas. L'enquêteur qui a relevé les faits lui-même peut bien porter sur le papier, en chaque point d'enquête, un ou plusieurs signes indiquant ce qu'il y a recueilli. Nous avons expliqué pourquoi cette carte, pleine de suggestions pour lui, était muette pour d'autres. La cartographie ponctuelle, démonstrative quand il s'agit d'objets matériels, de mots, de coutumes, ne l'est plus quand il s'agit d'une réalité aussi plastique que la danse de folklore, qui renouvelle indéfiniment ses aspects à mesure qu'elle déplace ses frontières. La multiplicité des signes qui seraient nécessaires pour exprimer cette variation dans le temps et l'espace, l'impossibilité de définir brièvement chacun de ces signes, font d'une telle carte un instrument impraticable. Pour notre part nous n'en avons usé que dans un petit nombre de cas : pour marquer la distribution sporadique d'un fait, ou pour indiquer la répartition de versions ayant une importance particulière. Le plus souvent nous nous sommes contenté de tracer les frontières de l'aire continue occupée par une danse, une forme de danse, une version de danse, etc. Il arrive que la frontière entre deux danses soit linéaire : elle sépare deux traditions restées relativement distinctes. Telle était au début de ce siècle la limite entre gavotte cornouaillaise et danse du Haut-Léon. Bien plus souvent les deux territoires empiètent l'un sur l'autre. On passe de l'un à l'autre en traversant une bande de pays où la tradition qu'on quitte mêle ses produits à ceux de la tradition qu'on rejoint. Nous avons mis beaucoup de soin à rechercher sur le terrain les frontières de chaque danse et nous croyons que pour aucun fait important les frontières réelles ne peuvent s'écarter beaucoup de celles que nous traçons. Toutefois il ne faut pas demander aux tracés une rigueur que la nature et les conditions de la recherche empêchent généralement de leur donner. En définitive cette imprécision, que nous avons réduite autant que nous avons pu, a peu d'importance à l'échelle où nous nous sommes placé. L'étendue du territoire occupé par une danse, l'allure générale de ses limites, le fait qu'elles sont fixes ou mobiles, le sens de leurs déplacements éventuels, ont beaucoup plus de signification que le détail des positions acquises à un moment de l'histoire.
TROISIÈME PARTIE
LE RÉPERTOIRE
NOTIONS LIMINAIRES
Le principe adopté pour l'étude et l'exposé du répertoire breton de danses a été précédemment défini. Rappelons qu'il est de classer les mouvements suivant leurs degrés de parenté, de manière à faire apparaître les courants d'évolution dont ils témoignent. Les monographies qui suivent traduisent l'ordre que nous avons été finalement conduit à reconnaître dans la complexité des faits. Chacune d'elles est consacrée à une danse, ou plus exactement à une famille de danses, dont elle établit et précise les affinités. Suivant le cas leur parenté est originelle (toutes les danses se rattachent à une souche unique) ou partiellement acquise (des danses d'abord distinctes ont été rapprochées par les danseurs traditionnels, amenées par eux à plus de similitude, et assez souvent désignées d'un même nom). La succession des monographies donne à elle seule une idée de la hiérarchie du répertoire. Sont d'abord étudiées les danses fondamentales qui composent la suite réglée des différents terroirs, c'est-à-dire le groupement de danses que la tradition prescrit d'exécuter successivement et avec le même partenaire, groupement qui diffère d'une région à l'autre. Nous analyserons en premier lieu la danse collective qui occupe le premier rang dans la suite, et caractérise le territoire où elle est tenue pour danse principale : gavotte de Cornouaille, avec ses annexes en Léon et en Morbihan; en dro du Vannetais; dans troplin de Haute-Cornouaille orientale ; dans Treger (danse du Trégor) ; dans Léon (danse du Léon). Nous y joindrons l'hanterdro et le laridé vannetais, dont l'histoire est inséparable des précédentes. Viendront ensuite les danses qui tiennent le second ou troisième rang dans la suite : bals, passepieds,jabadaos. Enfin les danses étrangères aux suites réglées.
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* * *
L'objet du présent ouvrage n'est pas de procurer la maîtrise pratique du répertoire, mais sa connaissance intellectuelle. Les analyses de pas (appuyées chaque fois que possible sur des films) ont été conduites en conséquence. Compte tenu à la fois de la nature des danses et du public intéressé, nous avons préféré l'analyse rédactionnelle aux symboles graphiques. Pour l'étude d'un pas composé nous avons procédé par étapes, d'une vue d'ensemble sommaire mais d'emblée cohérente, vers une connaissance plus intime et plus nuancée. La première étape consiste à définir l'unité de mouvement, sa durée, le rythme caractéristique suivant lequel les deux pieds à tour de rôle prennent appui sur le sol pour supporter le poids du corps. Ce premier degré de connaissance peut se concrétiser dans une formule très simple comme celle-ci : 1
2
3
4
5
6
G
D
G
1
D
1
Les chiffres de la ligne supérieure numérotent les temps du groupement. Les notes donnent la durée des appuis. Les lettres majuscules sous les notes disent quel pied porte le poids du corps à chaque temps. Un tiret à la suite d'une lettre indique que l'appui se prolonge (dans l'exemple ci-dessus le pied gauche garde au temps 4 l'appui qu'il a pris au temps 3; le pied droit garde au temps 6 son appui du temps 5). Au tiret correspond une liaison entre les deux notes (ou plus) entre lesquelles se partage l'appui. Quand il y a lieu des lettres minuscules font savoir que le pied libre se pose à terre à tel ou tel moment, mais sans supporter le poids du corps (dans l'exemple ci-dessus le pied droit touche le sol au temps 4, puis se relève avant de prendre l'appui au temps 5. Le pied gauche fait de même au temps 6). Souvent le pied demeure au contact du sol pendant une partie seulement de la pulsation (pas de course, sauts, etc...). E n pareil cas une liaison pointillée entre les lettres signale le rebondissement d'un appui à l'autre, et les figures de notes donnent quelque idée des durées respectives de l'appui réel et de l'élévation. Par exemple un pas de quatre couru s'écrirait :
I
G"—4>'—>G"—G
LE
RÉPERTOIRE
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Il va de soi que l'appréciation de tels rapports est fort délicate, et souvent sujette à discussion. Il conviendrait d'ailleurs de distinguer dans l'appui lui-même le temps donné à la pesée croissante sur le sol, et celui au contraire qui, allégeant progressivement l'appui et réduisant sa surface, participe déjà de l'élévation. Encore devrait-on tenir compte du fait que les rapports de durée ne sont pas nécessairement identiques d'un danseur à l'autre. Prévenons donc que les valeurs ainsi notées ne sont en général qu'approchées. Dans l'exemple suivant il s'agit de deux temps de marche (un pas du pied gauche, un pas du pied droit qui vient se poser à l'assemblé du premier) suivis de deux temps sur place (pieds joints). Le signe + devant la lettre D indique que le pied droit vient se poser à côté du gauche au temps 2 pour partager l'appui avec lui. Le trait qui suit la lettre signifie le maintien de cet appui double. L'angle qu'il dessine au temps 5 indique que le danseur se soulève sur la pointe des pieds, et repose les talons à la fin du temps. 1 2
G +D
3
4
A.
Exceptionnellement un très petit nombre de signes également simples seront ajoutés à la formule après avoir été expliqués dans le texte. Les formules d'appuis ainsi conçues comporteront (comme les deux précédentes) une indication de mesure. Sauf exception celle-ci sera donnée par rapport à la musique d'accompagnement. Comme on le verra dans la suite, au delà de la scansion régulière de la pulsation (quand elle est marquée) les rapports d'intensité qui affectent le mouvement lui-même sont de nature trop subtile et trop mouvante pour qu'il y ait intérêt à tenter de les fixer par une notation graphique. La formule d'appuis fournit un cadre intelligible où situer dans un second temps les précisions indispensables touchant l'orientation du corps par rapport au sens de la marche, la position des appuis, la façon de les prendre, les gestes caractéristiques de la jambe libre, etc. Ces indications seront quelquefois données sous forme de décomposition du mouvement temps par temps. Plus souvent la première esquisse sera complétée par touches successives, la rédaction passant en revue les traits du mouvement, en allant des plus constants aux plus libres, des plus frappants aux moins faciles à retenir. Les éléments subtils du style seront au moins évoqués quand ils ne pourront être analysés avec précision. Au minimum cette analyse hiérarchisée assure au lecteur une notion précise de la structure fondamentale de chaque danse. Elle lui permet, à
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mesure qu'il va vers plus de détail, d'apprécier lui-même jusqu'à quel degré de pénétration sa connaissance demeure sûre et claire. Nous ne prétendons pas avoir ainsi rendu faciles l'apprentissage des danses et leur comparaison. Il n'était pas en notre pouvoir d'épargner au lecteur un effort que nous avons dû faire tout le premier. Nous nous sommes seulement appliqué à le guider et à lui aplanir les voies.
LA GAVOTTE
Il sera question en cette monographie de danses nombreuses et d'apparences fort diverses. Nous aurons à prouver qu'elles sont issues d'une même souche pour justifier la présentation que nous en faisons sous un titre unique. Leurs noms — sur lesquels nous allons revenir — changent, comme leurs aspects, avec les terroirs. Celui de gavotte n'est que l'un des plus communs aujourd'hui. La « gavotte » ainsi entendue est un élément capital du plus ancien répertoire breton, et son domaine l'un des plus étendus qu'on connaisse en Basse-Bretagne. Il couvre la presque totalité de la Cornouaille, une portion appréciable du Léon et du Vannetais. La carte II donne le tracé approximatif de ses frontières à la fin du xix e siècle. Nous dirons, à mesure que l'occasion s'en présentera, ce qu'ont été leurs déplacements depuis cette époque. Le nom de gavotte, usité surtout en Finistère et en pays de Guémené, appelle dès maintenant deux réserves. La première est qu'en Trégor et Vannetais on connaît des danses aussi appelées gavottes, qui relèvent d'une tout autre lignée. La seconde est qu'en Cornouaille même et en des territoires tributaires de son influence, des danses proches parentes de celle qu'on nomme gavotte à Quimper ou Huelgoat portent un autre nom et jamais celui-là. En Cornouaille quimpéroise le mot gavotte avait cours au plus tard dans le premier tiers du xix e siècle, et plus probablement dès la fin du x v m e . Bouët 1 désigne de ce nom la danse principale de Kerfeunteun. Il ajoute cette précision : « La gavotte, qui est l'ancien red ann dro... ».
i . Br.-Ix.,
p. 426.
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DANSE
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BASSE-BRETAGNE
Red ann dro se trouve déjà dans les Origines gauloises de La Tour d'Auvergne 1 à qui Bouët emprunte quelques considérations sur les origines supposées de cette danse. Nous ignorons s'il lui emprunte également son nom breton, ou si effectivement red ann dro avait eu cours à Kerfeunteun à une date un peu plus ancienne. Dans son Voyage dans le Finistère (1801) Cambry n'use que de termes très généraux comme danse ou branle. Gavotte est le seul terme que nous ayons entendu à l'ouest du cours de l'Odet, au sud de l'Elorn, et jusque vers Pleyben, Lennon, Chateauneuf du Faou au nord-est, c'est-à-dire dans un territoire où nous aurons à plusieurs reprises l'occasion de signaler des influences venues de Quimper. En revanche il est récent, et parfois très récent, en beaucoup d'autres régions, où nous avons entendu nos informateurs les plus avancés en âge déclarer catégoriquement que ce terme français, aussi bien que sa traduction bretonne (Kavotenn) étaient inconnus en leur jeunesse. Nous avons recueilli de tels témoignages non seulement dans la région montagneuse (Scrignac, Poullaouën, Plouyé, Plévin) et en Morbihan (Gourin, Langonnet, pays de Guémené), mais même à proximité de Quimperlé (Tremeven), et, chez des personnes exceptionnellement âgées, beaucoup plus près de Quimper, à Elliant, à Tourc'h, à Fouesnant et Clohars-Fouesnant. A. Bourgeois 2 , qui semble avoir été dans la seconde moitié du x i x e siècle un bon connaisseur des danses bretonnes, parlait de« la ronde... que dans la Cornouaille quimpéroise on appelle gavotte », confirmant ainsi les réserves faites aujourd'hui en d'autres terroirs cornouaillais par les plus vieux danseurs traditionnels. L'acception du terme n'est pas exactement la même pour tous ceux qui l'emploient. Beaucoup l'appliquent à la première danse de la suite réglée, sens précis et limité que nous avons retenu nous-même. D'autres appellent gavotte l'ensemble de la suite, les danses qui la composent n'étant alors que des figures de la gavotte. Assez souvent les cartes postales anciennes représentant des danses du Finistère prennent le mot dans ce sens étendu. On y lit par exemple : « Le bal. Deuxième figure de la gavotte. » Parmi les noms bretons de la danse, la plupart servent aussi, suivant le cas, à désigner en bloc la suite réglée, aussi bien que son principal constituant. Le plus simple de tous est dans (danse). On trouve aussi fest dans (Roudouallec), abadenn ou abadenn dans (nord de l'Aulne et jusque vers Loqueffret et Collorec), dorn dans (Scrignac), droiad dans (Nizon), droiad fest (constant à l'ouest de l'Ellé entre Quimperlé et Gourin), dro jest (Plouray, Pays de Guémené). 1. LA TOUR D'AUVERGNE (Théophile Malo CORRET DE). Origines Quillau, a n V, p. 68, 13. N. : La 2 55. 2. Recueil., p. 6.
gauloises.,
Paris,
LE
RÉPERTOIRE
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D'autres noms font allusion à une particularité de la danse. Dans tout le pays des gavottes en ronde le terme le plus ordinaire est dans tro ou dans a dro (danse qui tourne, ronde. Avertissons que le terme a une portée générale. En d'autres régions — particulièrement de HauteCornouaille — il désigne d'autres rondes que la gavotte). Dans des terroirs où la gavotte se fait en chaîne ouverte, elle est — ou a été — appelée assez souvent dans hir (danse longue). Il en est ainsi partout dans la bande littorale entre l'estuaire de l'Odet et celui de la Laïta, sporadiquement au nord de la route Quimperlé-Rosporden, jusque vers Scaër ou Elliant. On entend aussi dans hed a hed (danse tout au long. Scaër, Tourc'h) ou droiad jest hir (Langonnet, Gourin). Dans un petit terroir à l'est de Quimperlé (autour d'Arzano et Plouay) l'expression dans a ru\ (danse qui glisse) oppose la gavotte à la dans a s^ailheu (danse qui saute) du proche Morbihan. Dans' red (danse qui court) paraît rare aujourd'hui. Nous ne l'avons entendu qu'à Nevez et Nizon. On peut le rapprocher du red ann dro de Bouët et La Tour d'Auvergne. Dans hinj (danse où l'on agite les bras) est plus rare encore, propre à quelques communes de Haute-Cornouaille orientale. La danse enfin peut être désignée par le nom du pays que son pas ou son style caractérisent. Ainsi dans Mail (danse de Maël-Pestivien), dans jisel (danse du pays fisel), dans kost' er boed (danse du côté du bois, style propre à quelques communes voisines de la forêt de Quénécan). Il faut mettre à part laridé, nom de la danse en pays de Pontivy, qui paraît récent, et qui désigne en d'autres régions du Morbihan une autre danse. Enfin, en Bas-Léon, les deux noms de gavotte et de dans tro sont également connus, et tous deux au moins depuis 1850. On appréciera la diversité de toutes ces danses, et on se convaincra de leur unité profonde, en suivant de proche en proche la variation de la « gavotte » d'un bout à l'autre de son vaste territoire. Cette variation porte sur la forme de la danse, le dessin de ses pas, l'accompagnement musical. Nous considérerons successivement ces trois ordres de faits avant d'examiner si les documents historiques contiennent quelque information éclairant le passé de nos gavottes ou leurs parentés possibles.
LA FORME
Les danseurs adoptent l'une des quatre dispositions suivantes : La La La La
chaîne toujours fermée (ronde). chaîne toujours ouverte. chaîne tantôt ouverte et. tantôt fermée (chaîne mixte). disposition par couples, réunis ou non en un cortège.
Bien que certains terroirs possèdent simultanément plusieurs de ces formes, chacune caractérise plus particulièrement un territoire donné. Nous les passerons successivement en revue (voir carte II), rapportant à cette occasion les usages locaux qui sont en relation avec la forme, et spécialement la composition de la suite traditionnelle de danses en chaque lieu. Le Bas-Léon, qui possède toutes ces formes à lui seul, fera l'objet d'une section à part.
I. — LES CHAINES FERMÉES Le domaine des gavottes en chaîne fermée s'étend d'une part sur la Haute-Cornouaille (Cornouaille montagneuse du Finistère et des Côtes-du-Nord), d'autre part sur le pays de Pontivy (Morbihan). Ces deux secteurs ont des usages et des versions de danse différents. Un petit nombre de communes (Plélauff, Perret, Sainte-Brigitte) établissent de l'un à l'autre la continuité de la chaîne fermée. C'est de la danse de la Cornouaille montagneuse ou « gavotte des montagnes » qu'il sera d'abord et surtout question ici.
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A . — EN HAUTE CORNOUAILLE
Le domaine cornouaillais de la gavotte en chaîne fermée dessine grossièrement un quadrilatère, dont les grands côtés s'appuient respectivement sur les lignes maîtresses de la montagne d'Arrée et de la Montagne Noire. La carte II donne le tracé approximatif de ses frontières à l'époque la plus lointaine que nos informateurs nous aient permis d'atteindre. Ces limites étaient loin d'être fixées. Vers le sud et vers l'ouest la chaîne fermée cédait du terrain à la chaîne ouverte, forme aujourd'hui caractéristique de la Basse-Cornouaille. Au sud de la crête principale des Montagnes Noires, la chaîne fermée n'était déjà plus qu'un souvenir ou qu'un bref épisode dans le déroulement de la gavotte. De même à l'ouest, à Lannédern. Des signes nombreux montrent que ce recul devait se poursuivre. En sorte que bon nombre de communes de l'ouest et du sud appartiennent à la fois au pays de la chaîne fermée et à celui de la chaîne ouverte, plutôt à l'un ou plutôt à l'autre suivant l'époque où on les considère. Vers le nord au contraire, aux derniers temps de la tradition, la ronde cornouaillaise gagnait du terrain aux dépens d'un ancien répertoire trégorrois depuis longtemps en déclin. Si l'on fait abstraction de ces altérations plus ou moins récentes aux frontières, le domaine haut cornouaillais de la gavotte apparaît comme un pays de tradition remarquablement stable. Une unité fondamentale — qui n'exclut pas la diversité de petits terroirs — apparaît dans la composition du répertoire ancien, l'ordonnance des danses en suite réglée, la forme des danses principales, l'accompagnement musical. Sur ces différents points, peu ou pas de changements dans l'espace de temps accessible aux recherches. On examinera ici ce qui concerne la composition du répertoire et le déroulement de la ronde. Le répertoire L'un de nos plus vieux informateurs à Poullaouën caractérisait la danse de sa jeunesse par cette formule : « la dans tro en trois parties ». La formule n'a pas cessé d'être valable : aujourd'hui encore la composition de la suite est tripartie. Elle commence par une gavotte en ronde. Puis, après un repos de quelques minutes pendant lequel les danseurs demeurent sur place, vient le bal, danse plus calme, comportant une reprise dansée par couples. Enfin, et souvent sans arrêt intermédiaire, une nouvelle gavotte en ronde qui ne diffère de la première que par la chanson d'accompagnement.
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Par opposition à danse qui désigne à la fois l'ensemble des trois termes et plus spécialement le premier, le mot contredanse sert à désigner l'un des deux derniers, et non partout le même. Autour de Plouyé, Poullaouën, et au nord de Carhaix, jusqu'à Calanhel et Pont-Melvez, nous l'avons entendu appliquer au bal. Dans tout l'ouest et le sud de la Haute-Cornouaille et à Carhaix même, nous l'avons plus souvent entendu appliquer à la gavotte finale. Il contient toujours cette idée d'un complément, d'un contrepoids, d'une contrepartie à « la danse ». Il faut se garder de tout rapprochement avec les contredanses britanniques et françaises. Le contenu du mot est ici totalement différent. Les plus vieux informateurs n'ont connu qu'un très petit nombre d'autres danses (passepied, rondes-jeux, localement danse du loup, danse des baguettes, dérobée) généralement maintenues par eux à une place mineure. Quelques nouvelles venues (jibidi, petistoup, bal à quatre, bal à huit, jabadao) se sont ajoutées au répertoire dans les dernières années du xix e siècle et les premières du nôtre, surtout à l'ouest et au sud, au contact de la Basse-Cornouaille. Mais c'est seulement autour de quelques gros bourgs qu'elles ont fini par s'incorporer à la suite réglée. Dans l'ensemble du pays celle-ci est restée ce qu'elle était à l'époque la plus ancienne. Les localités les plus orientales usent parfois d'un groupement de danses original, en combinant leur propre tradition et celle du pays « fanch» voisin. La dans'fanch est, elle aussi, une « dans tro en trois parties», composée de deux rondes identiques séparées par un bal. C'est le pas employé qui oppose, très nettement d'ailleurs, les dans tro des deux pays. Les deux sortes de répertoire ont cours de part et d'autre de leur frontière théorique. Tantôt les danseurs respectaient la distinction des genres : ils dansaient la suite de danses entièrement selon leur tradition propre ou entièrement selon la tradition des voisins. Cette façon de faire prévalait dans les concours. Tantôt ils combinaient les deux traditions. Par exemple, aussi bien à Bulat qu'à Locarn ou Glomel, on nous a signalé comme très usuelle une suite ainsi composée : 1. Dans tro gavotte. 2. Bal. 3. Dans tro fanch. Elle était complétée ou non par un passepied. Déroulement de la danse Pour bien comprendre la danse de Haute-Cornouaille il faut savoir qu'elle est essentiellement une danse chantée. Nous donnerons, le moment venu, une idée du chant qui l'accompagne. Disons dès maintenant que ce chant, assuré par deux des danseurs, qui alternent suivant des règles établies, est, au même titre que le geste, un constituant fondamental de la danse.
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Dans la plus grande partie de la Cornouaille montagneuse la première ronde de la suite se forme de la façon suivante. Les deux chanteurs qui s'apprêtent à la diriger invitent chacun une partenaire. Puis tous quatre, se donnant la main, forment une petite chaîne ouverte, premier chanteur en tête (extrémité gauche de la chaîne). Garçons et filles alternent, chaque danseuse à droite de son cavalier. Ils déambulent très lentement au milieu de l'assemblée. Les deux hommes chantent à tour de rôle, souvent avec des paroles de circonstance qui invitent les assistants à se joindre à eux. La mélodie, dans cette phase initiale, est généralement chantée assez lentement, avec beaucoup de liberté rythmique. Les chanteurs et leurs partenaires ne se soucient pas d'y accorder leur marche, ce qui serait dans la plupart des cas impossible. A mesure que des couples se constituent dans le public, ils viennent s'ajouter en queue (extrémité droite) de la petite chaîne. Chaque nouvel arrivant donne la main droite à sa partenaire et la gauche à la fille du couple arrivé avant lui. Quand le meneur (premier chanteur) juge leur nombre suffisant, il se dirige vers la fille du dernier couple et lui donne la main gauche, fermant ainsi la chaîne en ronde. La musique change d'allure, adopte un tempo vif, une mesure rigoureuse, et la danse proprement dite commence, avec son pas caractéristique. Nous avons vu des chanteurs fermer le cercle et commencer le pas de gavotte dès qu'il y avait six ou huit danseurs dans la chaîne, et d'autres, dans des réunions très nombreuses en plein air, attendre qu'il y ait vingt ou trente personnes rassemblées. Les couples qui se décident tardivement peuvent toujours trouver place dans la ronde déjà fermée, à condition de s'insérer entre deux couples, et non entre deux partenaires d'un même couple. Le nombre des participants n'est pas limité. Dans les communes situées à l'ouest de Huelgoat et Plouyé l'usage est un peu différent. La danse est commencée par les hommes seuls. Deux chanteurs se prennent par la main et commencent leur lente promenade en chantant. Chacun d'eux s'est assuré d'une partenaire, mais pour l'instant les deux jeunes filles restent dans l'assistance. De même ce sont les garçons seuls qui viennent allonger la chaîne à la droite des chanteurs. Sitôt que cinq ou six hommes sont ainsi réunis, le meneur ferme le cercle, et les femmes que ces premiers exécutants avaient invitées viennent prendre place dans la ronde, chacune à droite de son cavalier. Après quoi d'autres danseurs peuvent entrer par couples. Le moment où les femmes rejoignent les hommes varie suivant les localités. Ce peut être un peu avant la fermeture en ronde, ou au moment où elle se fait, ou après que la ronde a déjà tourné quelques tours en pas de gavotte. L'opposition entre les deux manières de commencer la danse — par couples ou par hommes seuls — n'est pas propre à la Haute-Cornouaille. Nous la retrouverons dans les pays de chaîne ouverte, et préciserons à
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cette occasion la distribution géographique des deux formes de la coutume. Son sens est bien le même dans les deux cas : la danse proprement dite ne commence que lorsqu'un nombre minimum d'exécutants a été réuni. Elle est précédée d'une phase préparatoire comportant annonce publique, appel aux danseurs, et formation d'un groupe par additions successives. Cette phase préparatoire est d'autre part, comme on le verra, une occasion pour les chanteurs de se faire valoir. Les danseurs se tiennent ordinairement par les petits doigts; ou encore l'homme tient du petit doigt l'index de sa partenaire. Ce sont les tenues que nos plus vieux informateurs nous ont dites en usage dans leur jeunesse. Il est fréquent aujourd'hui, surtout quand les danseurs ont peu d'espace, qu'ils se donnent la main et le bras. Dans ce cas chacun couvre de l'avant-bras droit l'avant-bras gauche de son voisin de droite. La tenue par le bras prend une importance spéciale dans la danse des concours d'hommes, en certaines localités à l'est de Carhaix. Elle permet de former un cercle très serré, ayant une cohésion maximum, indispensable au style très particulier de la danse de ces régions en ces circonstances. Dans la presque totalité de « la montagne » la chaîne, une fois fermée, le demeure. Nous la désignerons indifféremment par le terme de chaîne fermée ou celui de ronde, encore que le dernier ne soit pas toujours parfaitement justifié. Quand les danseurs sont nombreux et l'espace limité (dans une maison, une aire étroite, etc.), on voit la chaîne se tordre en circonvolutions telles que tout dessin d'ensemble peut devenir indiscernable. Mais elle conserve sa continuité. La règle générale est que la ronde tourne régulièrement dans le sens de la montre jusqu'à la fin de la danse. A titre de fantaisie très exceptionnelle nous avons vu en quelques endroits, notamment à Huelgoat et Scrignac, les danseurs avancer vers le centre (quatre temps) et reculer (quatre temps) tout en tournant. Enfin il arrive que la seconde dans iro, celle qui suit le bal, se fasse sous la forme particulière de la dans ar podou fer ou dans petijer, ainsi nommée d'après les paroles du refrain intérieur de sa chanson d'accompagnement. Elle ne diffère de la ronde habituelle que par le fait que les couplets sont alternativement dansés face au centre (couplets impairs) et dos au centre (couplets pairs). Le retournement se fait ordinairement par demi-tour individuel des danseurs à la fin de chaque couplet, comme font les enfants dans beaucoup de leurs rondes : chacun lâche la main de ses voisins, se tourne rapidement en direction opposée, reprend les mains et repart vers sa gauche. Nous avons vu aussi, à Plouyé, le premier chanteur, lâchant la main de sa voisine de gauche, ouvrir la ronde et la reformer dos au centre sans que la cohésion de la chaîne ait été autrement rompue.
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DANSE B. —
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E N PAYS DE PONTTVY
Dans le pays de Pontivy, à l'est du canal du Blavet, la suite réglée comprend seulement deux danses : un laridê en ronde et un bal. Par là elle diffère non seulement de la suite de Haute-Cornouaille, mais aussi de celle qui a cours dans les terroirs gallos du nord et du nord-est. En effet, Mur de Bretagne, Saint-Connec, Hemonstoir, Saint-Guen, Merléac, ont eu une suite de trois ou quatre termes, dont les trois premiers étaient toujours ronde-bal-ronde. (Cette ronde appartient à une autre famille de danses que la gavotte). Nous ignorons si en d'autres temps le terroir de Pontivy a lui aussi possédé une suite tripartie. Nos plus vieux informateurs n'avaient jamais connu que l'état actuel. La laridê se forme sans règles précises. Deux couples, parfois trois, le commencent, disposés d'emblée en cercle fermé. D'autres s'y ajoutent. Jamais le cercle ne se rompt. Les seules modifications qu'on puisse signaler sont toutes récentes et ne jouent qu'un rôle insignifiant. C'est l'adjonction facultative d'un élément de jeu (choix et embrassade) ou la possibilité de danser laridé par couples en position de danse moderne. Abstraction faite de ces fantaisies peu usuelles, la disposition générale demeure conforme au plus ancien modèle qu'on en connaisse. La région de Sainte-Brigitte, Perret, Plélauff, qui relie géographiquement le pays de Pontivy à la Haute-Cornouaille, fait, à beaucoup d'égards, transition entre eux. On le verra en examinant les gavottes en chaîne mixte.
II. — D E LA CHAINE F E R M É E A LA CHAINE M I X T E Le pays de Guémené-sur-Scorff ou pays pourlet, voisin occidental du pays de Pontivy, constitue un terroir original de la gavotte. Dans la plus grande partie de son étendue on ignore toute suite réglée : la gavotte est la danse traditionnelle à elle seule. Partout au sud de MelHonec et Silfiac elle a sa forme-type particulière, caractérisée par une combinaison définie de chaîne fermée et de chaîne ouverte. A. —
L A FORME TYPE
Deux couples commencent, que nous désignerons par A et B. Ils forment une petite ronde de quatre danseurs, où chaque garçon a sa partenaire à sa droite. Ils tournent d'emblée (sens de la montre) en pas de gavotte, et aussi longtemps qu'ils le désirent, les deux hommes multipliant les broderies, et montrant leur savoir-faire. Aucun autre
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couple ne s'introduit jamais dans la danse durant cette phase initiale. Après quelque temps enfin un remaniement- s'opère : la fille du couple B change de place avec son cavalier, et aussitôt le cercle s'ouvre entre les deux garçons que cette manœuvre vient de placer côte à côte. La petite ronde devient une chaîne de quatre danseurs formée de deux filles encadrées de deux garçons. Le garçon A, placé à l'extrémité gauche, la dirige. Entre temps des couples de danseurs se sont préparés dans l'assistance. Sitôt que la ronde s'ouvre ils prennent place dans la petite chaîne. Ils ont soin d'y entrer entre la fille A et la fille B, jamais en queue, de sorte que le couple B occupe toujours la dernière place. Chaque fille donne le bras (gauche) à son cavalier et l'index (droit) au garçon suivant, qui l'accroche du petit doigt. La chaîne s'allonge (les plus âgés de nos informateurs ont pris place dans des chaînes de 150 à 200 personnes). Le meneur la fait serpenter à sa guise. Quand il estime que les sonneurs en sont à la moitié de la danse, il se dirige vers le dernier garçon, et la chaîne pour quelques instants prend un contour circulaire. Arrivés en présence l'un de l'autre, les deux couples extrêmes permutent; c'est 'le garçon B maintenant, qui, placé à l'extrémité gauche, fait serpenter la chaîne, tandis que le couple A se met en queue, le garçon à la dernière place, la fille à l'avant-dernière. A certains égards cette forme de danse est l'inverse de celle de Haute-Cornouaille. Là-bas une chaîne ouverte plus ou moins longue sert de prélude à la ronde. Ici la ronde sert de prélude à la chaîne. En réalité la comparaison est superficielle. La chaîne préparatoire des montagnes sert au rassemblement des danseurs. La petite ronde du Morbihan isole et met en vedette quatre d'entre eux. C'est même ce qui lui donne de l'importance aux yeux des danseurs. « Couper la danse », c'est-à-dire former la ronde de quatre et l'ouvrir, est un honneur recherché, pas toujours gratuit. Ainsi à Silfiac, aux bals organisés par les conscrits avant 1914, tout garçon entrant dans la chaîne ouverte payait deux sous. Un trait de craie blanche sur son chapeau lui tenait lieu de reçu. Mais les deux garçons qui, avec leurs partenaires, formaient la ronde initiale, devaient payer trois sous, distinction que soulignait un trait de craie bleue. A Guémené, sous la halle, chacun, pour deux sous, pouvait danser tout l'après-midi; mais ceux qui « coupaient la danse» payaient chaque fois deux sous supplémentaires.
B. —
O R I G I N E S DE LA FORME TYPE
Dans un large rayon autour de Guémené la tradition de danse est stabilisée depuis assez longtemps pour que les témoignages oraux ne révèlent aucun état plus ancien que la forme type. On peut cependant
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rendre compte avec une très grande vraisemblance de la genèse de cette forme. Deux sortes de considérations le permettent. i. Si les communes entourant Guémené ont de bonne heure adopté la forme pourlette actuelle, beaucoup de communes périphériques en revanche ont suivi cet exemple assez tard pour que leurs plus vieux habitants aient encore le souvenir d'un état antérieur. Celui-ci fait toujours la part beaucoup plus large à la ronde, et montre des affinités, soit avec la danse du pays de Pontivy, soit avec celle de HauteCornouaille. En direction de l'est, Cléguérec, Malguénac, Bieuzy, qui ont adopté la forme type pourlette actuelle, conservent néanmoins la suite gavottebal, et nomment toujours « laridé » leur gavotte. En quoi ils continuent de montrer des traits pontivyens. Mais c'est aux confins du Morbihan et des Côtes-du-Nord qu'on peut recueillir les informations les plus intéressantes. La comparaison de témoignages échelonnés montre, dans le temps et l'espace, toutes les transitions entre l'état typique de la Haute-Cornouaille et celui du pays de Guémené. Voici par exemple l'échelonnement que nous avons relevé du nord au sud entre Plélauff et Silfiac : Plélauff a conservé jusqu'à nos jours les caractères fondamentaux de la danse des montagnes : suite tripartie, première et troisième danses entièrement en ronde. Seule particularité à signaler : la suite de danses ne comportait pas la phase préparatoire en chaîne ouverte qui est de règle plus au nord. Les deux chanteurs et leurs partenaires formaient d'emblée une petite ronde de quatre personnes. Nul ne s'avisait de les rejoindre avant qu'elles n'aient fait seules deux ou trois tours. Le cercle s'agrandissait ensuite. Perret et Sainte-Brigitte, situées un peu plus au sud, prenaient déjà vers 1895 plus de libertés avec leur tradition, anciennement identique à celle de Plélauff. En principe la suite de danses y était tripartie. Elle l'était effectivement dans les veillées des campagnes et les concours. Mais dans les grandes réunions de plein air, à l'occasion des fêtes, la gavotte finale ou « contredanse » était souvent omise : la suite traditionnelle marquait une tendance à se réduire de trois à deux termes. Quant à la forme de la dans tro, elle était la même qu'à Plélauff : ronde à quatre devenant grande ronde. Le plus souvent elle demeurait fermée. Mais il arrivait qu'un des deux garçons qui avaient commencé la danse l'ouvrît et la fît serpenter quelque temps. La « contredanse », elle, se faisait d'emblée en grande ronde, le rassemblement des danseurs ayant été fait une fois pour toutes à l'occasion de la dans tro initiale. On s'y tenait par le bras et très serrés, alors qu'on se tenait par le petit doigt dans la dans tro.
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A Silfiac enfin nous n'avons plus relevé le souvenir d'une gavotte « contredanse ». Le bal même y est tombé en désuétude. Mais des personnes âgées l'ont vu danser. La gavotte seule subsiste. Elle se déroule aujourd'hui dans la forme pourlette. Mais certains nous ont dit avoir vu autrefois « les vieux » refermer la grande chaîne en ronde « pour terminer la danse ». C'est le dernier stade de réduction de la ronde avant la forme type pourlette. Les étapes sont très semblables plus à l'ouest. A Plouray, Langonnet, Gourin, les plus vieilles gens ont connu une suite de danses composée comme celle de Sainte-Brigitte (dans tro + bal + « Contredanse».) La gavotte-contredanse fut abandonnée par la suite au profit d'une danse importée de Basse-Cornouaille, qui prit sa place et son nom. La dans tro initiale commençait par une ronde à quatre, durant laquelle les chanteurs appelaient à la danse comme ils le font en Haute-Cornouaille. Elle s'agrandissait par intercalation de nouveaux couples, et ensuite seulement s'ouvrait en une longue chaîne. Les femmes donnaient le bras à leur cavalier, le petit doigt à leur autre voisin. C'est déjà la tenue de la danse pourlette. La « contredanse » se faisait entièrement en ronde, et l'on s'y tenait uniformément par la main. Ainsi, en ces localités périphériques, la danse traditionnelle avant son déclin marquait une double tendance : tendance de la suite tripartie à perdre son dernier terme, la seconde gavotte, remplacée ou non par une autre « contredanse ». Tendance de la chaîne fermée à composer avec la chaîne ouverte et à lui céder de plus en plus de place. Le pays pourlet n'a fait que pousser cette évolution à son terme. S'il n'est pas prouvé qu'on y ait connu la suite tripartie, il est sûr au moins qu'on y a connu le bal. Quant à la forme de la gavotte, son type actuel n'a dû se fixer qu'à une époque très proche. Nous avons en effet retrouvé à Bieuzy le même souvenir qu'à Silfiac, d'une grande chaîne se refermant en ronde pour finir. L'état que la région de Plouray-Gourin conservait à la fin du siècle dernier (une chaîne mixte où la phase en grande ronde gardait encore beaucoup d'importance) devait à la même époque n'être abandonné en pays de Guémené que depuis peu. 2. On peut conjecturer la raison des transformations avec autant d'assurance que l'état de départ. Elle tient à l'influence exercée par la Basse-Cornouaille voisine. A l'époque dont les vieux informateurs témoignent encore, cette influence s'exerce principalement à partir de Scaër, relayé par Gourin et Le Faouët. Elle se manifeste dans la composition du répertoire (adoptions successives d'un jabadao de type cornouaillais, puis d'un bal à deux à la mode de Scaër, puis d'un bal à quatre, qui paraît n'avoir pas dépassé
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Meslan et Berné). Elle se manifeste aussi dans la forme de la danse principale. La Basse-Cornouaille possède alors une gavotte entièrement en chaîne ouverte. Abandonnant la chaîne mixte plus ancienne, Gourin, Le Saint, Langonnet, adoptent finalement cette forme (petite chaîne rectiligne à quatre — deux hommes entre deux femmes — devenant longue chaîne par intercalation de couples). Le Faouët paraît l'avoir fait plus tôt. D'où sur la carte le saillant, modeste encore, que la frontière de la chaîne ouverte dessine en direction de Langonnet et Plouray dans le territoire de la chaîne mixte. Nous manquons de documents pour les époques plus anciennes, mais la géographie de la danse est parlante à elle seule, quand on sait que la chaîne mixte, aujourd'hui propre au pays pourlet, a été au xix e siècle, et avec d'autres modalités, commune à toute la Basse-Cornouaille. Le territoire actuel de cette forme apparaît alors comme un coin enfoncé à partir du Finistère méridional en direction de Mur de Bretagne, entre les ensembles plus archaïsants de Carhaix-Rostrenen et du pays de Pontivy. E n conclusion, la forme type du pays pourlet, précise et originale, paraît s'être élaborée à une date peu ancienne, à partir d'une chaîne mixte beaucoup moins nettement définie, elle-même issue de la ronde sous l'influence de la Basse-Cornouaille. La phase en ronde s'est de plus en plus réduite, sans cesser d'être sentie comme nécessaire, en raison du rôle avantageux qu'elle faisait jouer aux meneurs. Un nouvel équilibre s'est finalement établi entre la ronde et la chaîne ouverte, et l'usage l'a fixé.
III. — D E LA CHAINE FERMÉE A LA CHAINE O U V E R T E Nous avons fait entrer dans le domaine cornouaillais de la ronde une région bordière, occidentale et méridionale, qui ne doit y être englobée que sous réserve. En effet la chaîne fermée n'est là qu'un des aspects possibles de la danse. Accessoire ou prépondérante la chaîne ouverte y joue aussi son rôle. Par là cette région fait transition entre le domaine de la ronde et celui de la chaîne toujours ouverte qui s'étend sur la majeure partie de la Basse-Cornouaille. Ici encore on peut trouver dans l'espace et le temps tous les états intermédiaires entre les deux extrêmes. Ici encore on doit constater que la variation de la forme s'accompagne d'une variation dans la composition de la suite réglée. A quel point les deux phénomènes sont liés apparaît clairement quand on ordonne géographiquement les faits en allant de l'intérieur du massif montagneux vers la Basse-Cornouaille. Nous le ferons à titre d'exemple pour un
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itinéraire est-ouest. L a démonstration pourrait être refaite en direction nord-sud, de Plonevez du Faou à Coray. Soit d'abord les structures de la suite de danses entre Plouyé et Quimerc'h : A Plouyé, Saint-Herbot, L a Feuillée, Brennilis, elle est toujours demeurée tripartie. Les deux gavottes ont gardé même importance. C'est la suite des montagnes tout à fait typique. A Loqueffret, tel était aussi l'enchaînement de danses le plus ordinaire, le seul qui eût cours dans les circonstances ordinaires où la danse était chantée. Mais si, pour quelque fête, on se trouvait disposer de sonneurs, les danseurs leur réclamaient, après la première gavotte, une dérobée ou danse de la jaune, et celle-ci remplaçait le bal et la seconde gavotte. L a suite devenait bipartie. La suite chantée était encore tripartie à Lannedern, mais le bal, et plus encore la seconde gavotte, ou « contredanse », y étaient très courts. A l'une ou à l'autre de ces deux danses on donnait le surnom de dans an avalou douar bihan (danse des petites pommes de terre), par comparaison avec le dernier ramassage, opération finale et peu importante de la récolte. On retrouve ce nom, avec d'autres analogues, empruntés comme lui aux travaux agricoles, jusque vers Laz au sud. Il désigne tantôt la seconde, tantôt la dernière danse de la suite. A Brasparts la distinction est très nette entre une suite de danses chantée, seule connue de la plupart des danseurs des campagnes, et une suite instrumentale, familière aux habitants du bourg. La suite chantée des villages était naguère encore tripartie, composée comme celle des montagnes de deux gavottes séparées par une ronde plus calme. Mais seule la première gavotte avait une réelle importance. Les chanteurs la faisaient durer le plus longtemps possible. Les danseurs en sortaient en nage. Les deux autres danses étaient très courtes. Leurs surnoms sont significatifs. On nomme biskilli la ronde intermède, du nom de ces petits sillons qu'on trace aux angles d'un champ de forme irrégulière après avoir charrué tout l'espace où peuvent être creusés de longs sillons rectilignes et parallèles. On nomme talaro la troisième danse, du nom de ces banquettes qu'il a fallu ménager aux extrémités du champ pour permettre à la charrue de tourner, et qui ne sont travaillées qu'en dernier lieu. Ou encore cette gavotte très peu importante est dite « des petites pommes de terre ». Il en allait autrement au bourg, où l'accompagnement instrumental était plus commun. L a danse s'ouvrait par une gavotte, que suivait une ronde identique aux biskilli. Puis venait la monjarine ou dérobée, enfin le jabadao. Cette suite où ne figure qu'une gavotte présente les plus grandes affinités avec celle des pays de Châteaulin et du Faou. Elle n'en présente presque plus avec la montagne. Il semble qu'elle soit établie depuis assez longtemps : non seulement
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elle est attestée par une informatrice née en 1862 qui n'en connaissait pas d'autre 1 , mais encore elle a été notée à deux reprises au siècle dernier par F. Le Guyader 2 , originaire de Brasparts, qui, bien à tort, lui attribuait une valeur générale en Cornouaille. Même évolution, mais plus avancée semble-t-il, au Cloître Pleyben. Des informateurs nés vers 1885 y ont pratiqué une suite de danses telle que : gavotte -)- ronde intermède 4- monfarine, analogue à celle du bourg de Brasparts. Un autre, né en 1869 3, avait encore connu la suite tripartie (gavotte -f bal -f- gavotte contredanse), avec extrême réduction du troisième terme. Enfin à Quimerc'h et Lopérec la suite la plus ancienne dont nous ayons trouvé le souvenir comprenait seulement gavotte et bal à deux. Il n'est plus jamais question de suite tripartie à l'ouest et au sud de ces communes. * * *
La variation des formes de la gavotte peut être mise en parallèle rigoureux avec ces variations de la suite : Botmeur, La Feuillée, Brennilis, Saint-Herbot, sont les dernières communes vers le nord ouest où la forme de la gavotte soit ce qu'elle est dans la plus grande partie de la Haute-Cornouaille : une simple ronde. A Loqueffret la gavotte se dansait principalement en ronde, mais il était fréquent qu'un meneur l'ouvrît en longue chaîne et la fît serpenter un moment. Certains s'amusaient à l'ouvrir et fermer alternativement. On reformait toujours la chaîne en ronde pour finir. A Lannédern la courte gavotte contredanse se dansait en ronde, mais la première et principale se dansait surtout en chaîne. Le meneur la faisait serpenter, puis, après quelque temps, refermait le cercle. Presque aussitôt un autre garçon le rouvrait. C'était en principe à l'ex dernier garçon de le faire. S'il ne s'y décidait pas, ce pouvait être n'importe quel autre. La danse consistait donc en une longue chaîne conduite successivement par différents garçons. La ronde n'intervenait plus que comme une transition entre ces meneurs successifs. A Brasparts, et, dès une date légèrement plus ancienne au Cloître Pleyben, la forme des gavottes était à peu près la même qu'à Lannédern. Au Cloître, sur le point de finir la première gavotte, le chanteur disait ce couplet : « Ar zon man ' zo savet koulz d'an dud 'vel d'ar chas, An hein ' zo ' ren an dans, e' poent d'eon klask i blas. » 1 . M m " Floch. 2. Une première fois (N. bret., p. 272) dans le compte rendu d'une noce à laquelle il assista avant la guerre de 1870 « dans l'arrondissement de Chateaulin ». Une seconde
fois en 1901 (Chans. cidre., p. 178). 3. C. Le Page.
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(Cette chanson est faite autant pour les gens que pour les chiens. Celui qui conduit la danse, il est temps qu'il regagne sa place), et la chaîne se refermait en ronde « afin, disait notre informateur 1 , de remettre chacun à sa place ». En cette même localité les danseurs qui n'ont connu que la suite à une seule gavotte n'ont connu aussi que la gavotte en chaîne toujours ouverte. Enfin, à Lopérec, Quimerc'h, la gavotte unique se dansait en chaîne ouverte. Elle ne prenait forme circulaire qu'un instant, au moment où le dernier garçon passait en tête pour conduire à son tour. Encore une fois, cette coupe d'est en ouest ne fait qu'illustrer une vérité générale. Suivant quelque itinéraire en effet qu'on abandonne la région montagneuse pour la Cornouaille de l'ouest ou du sud, en cherchant comment se raccordent leurs traditions de danse, on fait les mêmes constatations : 1. Une suite primitivement tripartie est devenue, par réduction puis suppression de la seconde gavotte, la suite gavotte-bal. 2. Simultanément une ronde est devenue chaîne mixte puis chaîne ouverte. L'évolution commence comme en pays pourlet. Elle va plus loin, la danse cornouaillaise n'ayant pas comporté la petite ronde à quatre si précieuse à l'amour propre des meneurs. Les états qui se succèdent dans l'espace et le temps établissent entre l'usage de Haute et celui de Basse-Cornouaille des transitions si ménagées, et dans un sens si constant, qu'on est contraint de voir dans le second, au moins sur le pourtour de la montagne, le terme d'une évolution ayant pour point de départ le premier.
IV. — E N P A Y S D E CHAINES OUVERTES A l'ouest et au sud des régions que nous avons passées en revue s'étend, jusqu'à la mer (exception faite du pays bigouden), le vaste domaine de la chaîne ouverte. Il est aussi, ou a été, celui de la suite à deux termes : gavotte-bal à deux. La question se pose naturellement de savoir si dans toute la Basse-Cornouaille cet état (suite bipartie, gavotte en longue chaîne) résulte d'une transformation comme celle que nous venons de constater sur le pourtour de la montagne, et si l'état initial, aujourd'hui oublié, n'aurait pas été en tous lieux la suite tripartie et la gavotte en ronde. 1 . C. Le Page.
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En ce qui concerne la composition de la suite la question reste sans réponse. Le groupement gavotte-bal est partout le plus ancien dont les informateurs se souviennent. C'est lui déjà que fait connaître Bouët x , le premier auteur qui fournisse une précision sur ce sujet : « Chaque intermède se compose des deux danses ordinaires, la gavotte et le bal, danses d'une haute antiquité, dont les figures sont probablement encore les mêmes que du temps des druides. » Rien ne permet de savoir si dès 1835 la suite à deux termes avait cours dans toute la Basse-Cornouaille. En tout cas aucun auteur du xix e siècle n'en fait connaître de plus archaïque. On verra ultérieurement que cette suite a été modifiée en certains terroirs, soit par disparition du bal à deux, soit par addition de danses nouvelles, soit des deux façons à la fois. Malgré tout, à la fin de la tradition, elle restait la plus largement représentée. En ce qui concerne la forme de la gavotte, il y a beaucoup de raisons de penser que l'état initial a effectivement été une ronde semblable à celle de Haute-Cornouaille. Dans la période sur laquelle nous sommes documentés, la gavotte subit en Basse-Cornouaille une transformation qui la fait passer successivement par les états de chaîne mixte, longue chaîne ouverte, chaîne courte. Il n'y a pas séparation tranchée entre ces stades d'évolution. Les formes jeunes n'éliminent les anciennes qu'à la longue. Des chaînes de type différent peuvent longtemps coexister, l'un ou l'autre dominant suivant le lieu.
A. —
V E S T I G E S DE LA DANSE EN
ROND
Deux sortes de faits établissent que l'actuelle chaîne ouverte dérive d'une chaîne mixte, et font croire que celle-ci procédait elle-même d'une ronde. 1. Ce sont en premier lieu des textes. Voici comment Bouët 1 , en 1835, décrivait la gavotte de Kerfeunteun, au voisinage immédiat de Quimper : « La gavotte, qui est l'ancien red arm dro, a un mouvement très vif, et consiste à tourner d'abord en rond, en se tenant par la main et le plus souvent par le petit doigt, et puis à décrire mille tours et détours, suivant le caprice ou l'habileté du meneur, qui de temps en temps s'arrête pour sauter devant sa danseuse en arrondissant le bras le plus gracieusement possible. » On pourrait à la rigueur contester que « tourner en rond en se tenant par la main» impliquât une chaîne complètement fermée, une 1 . Br-Ix,
p. 426.
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ronde semblable à celle de Haute-Cornouaille. Cette ultime précision est d o n n é e , quarante ans avant B o u ë t , par C a m b r y 1 , q u i , parlant des danses de la Cornouaille en général, écrit : « T a n t ô t v o u s f o r m e z u n grand r o n d au milieu d u q u e l o n enferme u n enfant; o n quitte ici la main d ' u n e de ses voisines, et l ' o n décrit, suivi de t o u t le bal, cent figures dictées par le caprice. » U n e ronde s ' o u v r a n t secondairement en chaîne, telle paraît être la danse de la r é g i o n quimpéroise au début du x i x e siècle. Si le terme de redan dro (course en tournant) est bien emprunté par B o u ë t à la tradition locale, il fait m ê m e penser q u e la phase circulaire devait être prépondérante, sinon seule existante, à une é p o q u e plus ancienne. V o i c i , de la m ê m e é p o q u e , u n t e x t e 8 concernant le pays de la Laïta à la frontière du Finistère et d u M o r b i h a n . Il semble bien qu'ici aussi la danse c o m m e n c e par une ronde s ' o u v r a n t ensuite en chaîne. « D è s q u e les prêtres avaient quitté la place et q u e le s o n du b i g n i o u appelait à la danse du soir dans les allées de châtaigniers, les jeunes garçons accouraient se disputer l ' h o n n e u r de présenter Stéphanie. Celui qui l'avait e m p o r t é , fier de sa victoire, se faisait le c o n d u c t e u r des é v o lutions; s'élançait e n repliant sur lui-même le cercle i n t e r r o m p u , entrelaçait mille circuits, formait u n labyrinthe de mille détours, et de temps à autre poussait u n cri de joie que répétait la brillante assemblée. » Sur la façon d o n t la danse débute, B o u ë t 3 d o n n e encore des précisions de grand intérêt. E l l e est c o m m e n c é e par d e u x c o u p l e s alignés : « L e s deux couples placés sur une m ê m e ligne ne se tiennent ni ne se t o u c h e n t ; ils avancent de côté, à peu près c o m m e des soldats qui f o n t oblique à droite o u à gauche. C'est ainsi q u e c o m m e n c e la g a v o t t e , figure qui o u v r e les bals bretons, et d o n t c h a q u e fois q u ' o n se remet e n danse, l'air est t o u j o u r s le premier qui se fasse entendre. L a chaîne n'est f o r m é e q u e lorsqu'il s'est réuni u n assez g r a n d n o m b r e de danseurs p o u r q u ' o n puisse tourner sans s'étourdir, et ces préliminaires prennent quelquefois b e a u c o u p de temps ; les couples arrivent un à u n , lentement, c o m m e s'il s'agissait d ' u n travail auquel ils v o u d r a i e n t se dérober, et n o n d ' u n plaisir qu'ils aiment passionnément; en cela c o m m e en t o u t le principal est de mettre les B r e t o n s en train, lorsqu'ils y sont, rien ne les arrête.» E n dépit de menues différences la similitude est frappante a v e c les usages q u e c o n s e r v e a u j o u r d ' h u i la Haute-Cornouaille. L a g a v o t t e c o m p o r t e une phase préliminaire de rassemblement des danseurs. L e s autres couples s'ajoutent successivement aux meneurs et se disposent e n ligne avant de prendre la f o r m a t i o n de danse p r o p r e m e n t dite. Par 1. Voyage.,
p. 408.
2. K E R A R D V E N , Etudes, 3. Br.-h., p. 287.
pp. 1 9 6 - 1 9 7 .
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tous ces traits comme par la forme même de la danse, la gavotte décrite par Bouët est plus proche de celles qu'on pratique aujourd'hui à la lisière de la montagne que de la gavotte du même Kerfeunteun vers 192 j. Jusqu'à quelle date des chaînes mixtes ont-elles eu cours en BasseCornouaille ? Un texte d'A. Bourgeois 1 laisse croire qu'elles ont subsisté presque jusqu'à la fin du xix e siècle. Décrivant « la ronde que dans la Cornouaille quimpéroise on appelle gavotte » il écrit : « Tous les danseurs se tenant par la main, hommes et femmes alternés forment une chaîne. Celui qui est en tête conduit la danse, tourne d'abord en rond, puis donne à la chaîne toute espèce d'inflexions, jusqu'à exécuter la serpentine avec la spirale s'il est habile. » Il semble bien qu'il y ait une véritable ronde au départ. Il y a en tous cas une phase de danse circulaire. 2. Çà et là, en plein territoire de la gavotte en chaîne, on a parfois la surprise d'entendre des informateurs — généralement de très vieilles gens, et en milieu paysan — faire allusion à des gavottes dansées partiellement ou totalement en ronde. Ces gavottes de forme inhabituelle peuvent être liées à des circonstances particulières, voire un peu exceptionnelles. Par exemple à Guengat, aux premières années du xx e siècle, on dansait souvent encore la gavotte en rondes concentriques dans les aires neuves. A Locronan, après la danse des rubans, c'était autrefois l'habitude de réunir tous les concurrents en une seule grande chaîne fermée. A Lescoff, en temps de carnaval, si les danseurs manquaient de musiciens, ils faisaient souvent la gavotte en ronde, en chantant. Mais parfois aussi une phase ronde intervenait facultativement dans la danse en chaîne des circonstances ordinaires. Certains nous l'ont signalée non seulement à Lennon, Saint-Thois, Pleyben (campagne), c'est-à-dire au voisinage immédiat de la gavotte des montagnes, mais très loin de là, à Telgruc, à Plogonnec, à Lanvenegen. Tous les faits connus vont dans le même sens. Ils font penser qu'une danse autrefois exécutée en ronde est devenue chaîne mixte et plus tard chaîne ouverte. On verra que d'autres considérations, indirectes mais puissantes, confirment cette interprétation. B. —
L E S CHAÎNES OUVERTES
LONGUES
Si la Bassè-Cornouaille à la fin du xix e siècle montre encore quelques vestiges de ronde, la chaîne ouverte y domine massivement, soit que déjà elle constitue la danse à elle seule, soit qu'elle réduise la phase circulaire à une très courte durée. Que la longue chaîne ouverte laisse 1. Recueil., p. 6.
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ou non subsister un passage en chaîne fermée, c'est elle qui depuis longtemps donne à la gavotte ses caractères typiques. Nous parlerons ici de chaînes longues, sans chercher à séparer chaîne mixte et chaîne ouverte, simples variantes l'une de l'autre à ce stade. Les chaînes longues nous sont connues à la fois par les textes et par la tradition orale. Toutefois les informateurs capables d'en témoigner se font rares. Nous avons retrouvé dans une quarantaine de communes réparties sur l'ensemble de la Basse-Cornouaille (à l'exception du pays bigouden) le souvenir de ces longues chaînes (au moins quinze à vingt couples, mais souvent beaucoup plus). Elles conservent des traits anciens, probablement hérités de la ronde. Elles montrent des traits nouveaux, liés au changement de la forme. ** *
C'est apparemment de la ronde que la longue chaîne tient l'étiquette précise qui règle la formation du groupe dansant et le démarrage de la danse. Il est en tout cas remarquable qu'on retrouve en pays de chaîne ouverte les deux mêmes types de phase préparatoire que nous avons relevés en pays de ronde, et que la frontière entre eux soit indépendante de la frontière des formes. Dans le pays de Rosporden-Quimperlé on entre par couples dans la danse. Dans une grande partie de la Cornouaille de l'ouest l'usage prévaut de laisser les garçons commencer seuls. Les filles attendent quelques minutes avant de rejoindre le cavalier qui les a invitées. Nous n'avons entendu mentionner pareil usage ni en pays bigouden ni en Cap Sizun, ni en presqu'île de Crozon. E n revanche nous l'avons retrouvé à peu près partout depuis l'anse de Benodet et la baie de Fouesnant jusque vers Loperhet et Irvillac (voir carte II). A cet égard l'usage rapporté par Bouët pour Kerfeunteun (cidessus, page 159) paraît exceptionnel. A la même époque un voyageur anglais décrit à Quimper même une danse de mariage commencée par les hommes seuls 1 . Dans la tradition actuelle l'usage revêt quantité de variantes. Dans la plus grande partie du pays de Quimper et Chateaulin, où la danse est habituellement accompagnée aux instruments, les vieilles gens décrivent l'entrée en danse comme la décrivait F. Le Guyader 2 : « Farlout, de sa bombarde un peu fêlée, raccommodée de ficelles, a jeté deux ou trois notes criardes. Nous nous rendons à son appel sans hâte. J e dis sans hâte parce qu'on est timide, et qu'on hésite à entrer en danse des premiers... La gavotte commence avec seulement T R O L L O P E , Sum. in Brit., I I , p. 349. 2. N. bret., p. 272.
1.
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cinq ou six danseurs, sans danseuses ; il est d'usage que les femmes, par modestie, n'entrent dans la gavotte qu'un peu plus tard. L'une après l'autre elles viennent prendre leur place dans la chaîne. » Quand la danse est ordinairement chantée, ce sont les deux chanteurs et eux seuls qui commencent la gavotte. C'est ici surtout que l'étiquette est variable : Au Cloître-Pleyben, Lennon, Saint-Thois etc., d'autres hommes, répondant à l'appel des meneurs, venaient allonger la chaîne dont les chanteurs tenaient la tête. Un peu plus tard les femmes rejoignaient leurs cavaliers. A Pleyben, Gouézec, les deux chanteurs étaient, après quelques minutes, rejoints par les deux jeunes filles qu'ils avaient invitées, puis des couples s'ajoutaient à leur droite. Au nord de l'Aulne enfin, les chanteurs n'avaient d'autre tâche que de chanter. Le plus souvent même ils n'invitaient aucune partenaire. Ils se plantaient au milieu du terrain, immobiles, et lançaient leur appel au public. Le reste était l'affaire des danseurs. Entre beaucoup de variantes locales citons la façon ancienne de procéder à Irvillac. Des hommes viennent se placer à la gauche des chanteurs, les déchargeant ainsi du soin de conduire la danse. Puis d'autres hommes viennent se placer à leur droite. Les femmes rejoignent, et la chaîne continue de s'allonger symétriquement, de part et d'autre des chanteurs placés en son milieu. ** *
Parmi les traits acquis on doit signaler d'abord la variété des trajets. Une ronde toujours fermée, tournant indéfiniment vers la gauche, devait nécessairement donner plus d'importance au dessin des pas qu'à celui des évolutions. En s'ouvrant elle acquérait le pouvoir d'user plus librement de l'espace. Et en effet le changement de forme a fait de la gavotte à ce stade une danse de figures autant ou plus qu'une danse de gestes. De Cambry et Bouët jusqu'à Bourgeois ont voit mentionner les mêmes parcours : d'abord le cercle, puis « des figures dictées par le caprice » parmi lesquelles reviennent toujours la serpentine et la spirale. Ce sont, dans tous les folklores, par la logique des choses, les dessins les plus ordinaires des danses en longues lignes ouvertes, à progression rapide et uniforme. Il est normal de les trouver dans la gavotte à cette étape de son évolution i . Les observations faites à Qurnper en 1839 par T R O L L O P E (Sum. in Brit., p. 349) sont plus précises : « ...this dull and uninspiring dance, occasionnally diversified by a somewhat brisker « grande rond », which broke off into a movement, like that of the game called tread the needle... Outre ce nouveau témoignage de la présence ancienne de la ronde, on doit retenir le mouvement d'enfile-aiguille. Nous n'en avons retrouvé le souvenir direct qu'en Bas-Léon.
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D'autre part le changement de forme a incité, ou même contraint les danseurs à des rajustements de détail. Ne serait-ce par exemple qu'en détruisant l'égalité que la ronde établissait entre eux. La chaîne ouverte en effet concentre l'attention sur deux des cavaliers. Le cavalier de tête (à gauche) dirige les évolutions, rôle flatteur qui lui vaut des satisfactions d'amour-propre et beaucoup d'envieux. Au contraire le dernier danseur (extrémité droite), emporté par l'élan général, suit comme il peut, et se montre rarement à son avantage. Il risque même, quand la chaîne est menée trop vivement, d'être projeté contre un obstacle. Du fait de l'alternance régulière des sexes, c'est une femme qui devrait occuper ce poste peu prisé. On n'a garde de l'y laisser. Alors que tous les autres hommes ont leur partenaire à leur droite, le cavalier du dernier couple place la sienne à sa gauche et se met lui-même en queue. Du Laurens de la Barre 1 est le premier à notre connaissance qui ait signalé cette pratique : « Au dernier couple seulement l'ordre est interverti, de manière que le cavalier termine la chaîne dont il doit modérer les ressauts souvent trop précipités. » On retrouve partout aujourd'hui cette disposition typique : une alternance régulière d'hommes et de femmes, interrompue seulement à l'extrémité droite de la chaîne, où se trouvent deux femmes côte à côte avant le dernier garçon. Bouët ne dit rien de cet arrangement des fins de chaînes. Sur le meneur il donne au contraire une précision * : « C'est un honneur que d'être meneur, honneur qui n'appartient qu'aux danseurs en renom. Parfois on se le dispute vivement, et il en résulte de violentes querelles, qui font succéder le pugilat à la danse. » Cette façon sommaire de régler les préséances n'a plus cours à la fin du xix e siècle, du moins en pays de chaîne ouverte. Le problème a reçu des solutions pacifiques. Il suffit habituellement, pour couper court aux contestations, que le premier couple, à mi-danse, cède la place d'honneur au dernier, jusquelà défavorisé. Dans la majorité des cas le premier couple reste où il est, et le dernier, à son signal, vient se placer devant lui. A Quimerc'h le doyen de nos informateurs s avait vu en son adolescence le changement de meneur s'opérer dans la forme exacte où il se fait aujourd'hui à Brasparts et Lannédern : la longue chaîne se fermait en ronde, qui tournait quelques instants avant que l'ex-dernier garçon ne la rouvrît. C'est une fois de plus, en plein pays de suite bipartie et de chaîne ouverte, un vestige de la ronde, et un lien entre usages de Haute et de Basse-Cornouaille. Plus généralement la danse devient quelques ins1 . Et. dses. bret., p. 274. 2. BT.-IZ., p. 426. 3. P. Menez.
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tants circulaire sans se fermer, le changement de meneur étant immédiat. Enfin un garçon quelconque de la chaîne, peut être mis à la première place par la manœuvre suivante. La chaîne se rompt juste en avant de lui. Le premier tronçon vient se ressouder à la suite du deuxième, l'ancien meneur donnant le main gauche à l'ex-dernière fille, qui se met rapidement à la droite de son cavalier. A l'extrémité droite de la chaîne ainsi ressoudée les deux partenaires du nouveau dernier couple changent de place pour que le garçon soit en queue. Telles sont les premières innovations liées à l'abandon de la ronde. On va voir qu'elles en ont entraîné d'autres. L'ouverture du cercle en longue chaîne a pu n'apparaître d'abord que comme une petite liberté prise avec les anciens usages. C'était en fait la rupture d'un équilibre traditionnel et la porte ouverte à une évolution ininterrompue.
C . — • L E S CHAÎNES
COURTES
Le fait majeur, caractéristique des derniers temps de la tradition vivante, est la réduction progressive de la longue chaîne. Le rapprochement de témoignages échelonnés sur plusieurs générations est parfois saisissant. A Cleden-Cap-Sizun, un homme né en 1860 a dansé la gavotte dans des chaînes de cent personnes et plus. Les hommes nés vers 1895 l'ont dansée en chaînes de quatre exécutants. Il s'en faut qu'on relève partout de tels extrêmes. Ordinairement les transformations ont été assez progressives pour que les danseurs traditionnels n'en aient pas une conscience claire. Mais partout la comparaison des témoignages oblige à constater une évolution, et partout elle la montre orientée dans le même sens. A quoi tient cette limitation toujours plus poussée du nombre des participants ? Les informateurs l'expliquent par deux ou trois raisons, toujours les mêmes. Les longues chaînes, disent-ils, sont « trop dures à tirer» pour le meneur; les chaînes courtes permettent aux bons danseurs de demeurer entre eux, sans voisins maladroits qui les gênent; enfin les chaînes longues exposent le dernier danseur à tomber ou heurter un obstacle. Toutes ces causes ont pu jouer sans doute, mais il faut bien constater que la gavotte s'est dansée un bon siècle en chaînes très longues avant qu'elles ne prennent effet. En sorte qu'on peut soupçonner les explications des danseurs traditionnels de justifier après coup une transformation dont les causes leur échappent en partie. D'autres raisons apparaissent dans un texte de LeGuyader 1 (1907), le premier en date, croyons-nous, à mentionner le raccourcissement des chaînes, et à en montrer le mécanisme : 1. N. bret., p. 272.
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« Elles (les femmes) viennent prendre leur place dans la chaîne qui, quelquefois, comprend une centaine de danseurs se tenant par la main. Le plus souvent pourtant, surtout aujourd'hui, la chaîne se fractionne en plusieurs tronçons, ce qui permet aux beaux danseurs de se montrer. Car le grand art consiste à savoir conduire la gavotte, et plus il y a de tronçons à se former, plus il faut de chefs pour les conduire. Aux fêtes de la pomme à Quimper, le } i juillet 1905, pour le prix de la danse, on dansait par groupes de quatre. » Jos Le Doaré 1 donne plus de détails sur ce morcellement de la longue chaîne. L'un des articles qu'il a publiés en 1935 la montre se fractionnant sans perdre son unité : « ...sorte de farandole formée de plusieurs chaînes qui se suivent à intervalles asse2 rapprochés, et avançant de biais en suivant toutes les évolutions que le meneur juge intéressant de leur faire subir au gré de sa fantaisie. Le meneur est en général le premier cavalier de la première chaîne. C'est évidemment un excellent danseur. » Un article ultérieur 2 montre ces chaînes partielles devenant autonomes : « Dans les autres régions la chaîne varie de six à dix danseurs. Chaque chaîne est indépendante, et si, comme nous l'avons mentionné, elles se suivent souvent dans les mêmes évolutions, il n'est pas rare que chacune se plie aussi au caprice de son meneur, se faufilant, s'entremêlant, serpentant de la façon la plus pittoresque et la plus amusante. » On retrouve dans la plupart des régions le souvenir de cette gavotte se fragmentant à mesure qu'elle s'allonge, et il est possible de vérifier ce que cette fragmentation devait en effet au désir de multiplier les meneurs. Dans la presqu'île de Crozon où les chaînes ont conservé une longueur moyenne, plusieurs de nos vieux informateurs appréciaient qu'une gavotte fît successivement passer plusieurs couples de la queue à la tête. Dans des cas favorables (musique prolongée, chaîne pas trop longue, temps de conduite limité) chaque homme pouvait avoir son tour. Les chaînes courtes et devenues autonomes donnent cette satisfaction à tous. C'est une raison déterminante de leur succès. Au stade de la chaîne de quatre ou « quadrette » (et de la chaîne de six considérée comme une exception à la quadrette) c'est en effet partout une règle absolue de diviser la durée de la gavotte entre les deux ou trois garçons. Quand le premier meneur oubliait de céder sa place, il faisait à ses camarades une injure grave, et ils manquaient rarement de lui en demander raison. Dans la portion de Cornouaille comprise entre Coray, Elliant, Le Faouët, Quimperlé, causer cette offense s'appelait « donner des sardines ». A Coray, lorsqu'une quadrette se formait 1. Et. techn., 21-12-1935.
2. ¡bld.,
28-12-1935.
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longtemps après les autres, et que la musique cessait avant que les deux couples aient pu inverser leurs places, le second garçon pouvait exiger du premier qu'il lui payât à boire. Même dans la gavotte solennelle de mariage, si le marié s'obstinait à demeurer en tête, les binious sonnaient indéfiniment jusqu'à ce qu'il se fût décidé à laisser le garçon d'honneur conduire à son tour. ** *
Il reste à examiner quelles conséquences a eues le raccourcissement des chaînes sur d'autres caractéristiques de la forme : disposition des danseurs, mode d'entrée en danse, changements de meneurs, figures. La disposition des fins de chaînes (deux filles côte à côte avant le dernier garçon) s'est conservée au cours de l'évolution. Elle se retrouve jusque dans les chaînes courtes, où la nécessité ne s'en fait plus sentir. Cette fidélité à une disposition ancienne que les conditions nouvelles ne justifient plus explique l'aspect original de la quadrette : deux filles encadrées par deux garçons, formation rare dans la danse de folklore en général, commune aux derniers temps en plusieurs terroirs de BasseCornouaille. Au nord de l'Aulne où l'accompagnement était souvent vocal, la nécessité d'incorporer les chanteurs à la chaîne obligeait parfois à adopter des dispositifs particuliers. Ainsi à Rosnoën où les chanteurs étaient souvent les meneurs de la danse, on pouvait voir des chaînes de huit personnes commençant par trois hommes alignés (les deux chanteurs, sans partenaires, et le cavalier du premier couple) et se terminant comme toujours par un homme précédé de deux femmes. A Logonna-Daoulas, un seul couple venait se placer à la gauche des deux chanteurs, pour les conduire. Cette quadrette comprenait donc une femme et trois hommes. Parallèlement à eux et en arrière, les autres danseurs formaient une longue chaîne. A Irvillac, Saint-Urbain, Loperhet, aux tout derniers temps, un couple formait avec les chanteurs la quadrette particulière dont il vient d'être question. D'autres quadrettes, celles-là de composition normale, se constituaient en arrière, un peu décalées par rapport à la première. *
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La danse depuis longtemps n'exige plus de longue phase préparatoire qui rassemble les danseurs. Aucun informateur de Basse-Cornouaille, même très âgé, ne nous a jamais évoqué « ces préliminaires (qui) prennent quelquefois beaucoup de temps ». Dans une étape intermédiaire, on l'a vu, se forme d'abord une chaîne dansante de quelque longueur, qui bientôt se tronçonne. Là où la quadrette s'est totalement imposée, cette mise en train n'intervient même plus. Deux couples
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forment d'emblée une première quadrette. D'autres les imitent. Ou encore (terroirs de l'ouest) deux ou trois hommes font seuls, en dansant, un tour de place. Leurs partenaires les rejoignent et la première petite chaîne se trouve constituée. Les autres se forment sans cérémonie. *
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Si le désir de multiplier les meneurs a favorisé le tronçonnement des chaînes, à son tour le raccourcissement de la danse a entraîné des modifications dans la façon de changer de meneur. Quand la chaîne est moyenne, les deux couples extrêmes se contentent souvent de se détacher de leurs voisins et de gagner la place l'un de l'autre, sans répercussion sur le reste de la chaîne. Même dans des quadrettes nous avons vu quelquefois les deux couples se séparer pour échanger leurs places. Mais généralement le changement de meneur s'opère de façon beaucoup plus simple. Au signal du garçon de tête, tous les danseurs se lâchent les mains et chacun exécute un demi-tour sur lui-même, de manière à faire face à la direction opposée. Ils se redonnent aussitôt les mains. Ce demi-tour a inversé les rapports : le voisin de droite est devenu le voisin de gauche et inversement. L'ex-dernier garçon est maintenant à l'extrémité gauche de la chaîne, en position convenable pour mener à son tour. ** *
Enfin le raccourcissement de la danse a, bien entendu, des répercussions sur le dessin des évolutions. Le tronçonnement de la longue chaîne, la généralisation des chaînes courtes, rendaient impossibles des figures comme la serpentine et la spirale. Le plaisir de diriger appartenait maintenant à tous. Le pouvoir de créer un dessin d'ensemble n'appartenait plus à personne. En sorte qu'après avoir fait entrer la figure en composition avec le geste, l'évolution de la danse parvenue à un nouveau degré donnait au geste une chance de redevenir l'élément essentiel. En fait, au stade des chaînes courtes, nous n'avons jamais eu connaissance dans la gavotte, de déplacements réglés de telle sorte qu'on puisse parler de figures. La façon dont les chaînes moyennes ou courtes utilisent le terrain n'est pas partout la même. On a vu, au nord de l'Aulne, des exemples de quadrettes observant un même sens de parcours, derrière une paire de chanteurs. Cette unité d'action existe quelquefois encore en pays d'accompagnement instrumental. Il est plus fréquent cependant que chaque chaîne évolue pour son propre compte. Le meneur peut lui faire décrire le tour de l'aire par un cheminement régulier.
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Souvent aussi il lui fait décrire un va-et-vient rectiligne, latéral, d'un bout du terrain à l'autre. O u encore il combine ces tracés et d'autres, au gré de sa fantaisie et des places libres. Les seules manœuvres notables sont celles par lesquelles le meneur renverse, quand il est besoin, le sens de marche du groupe. Il pourrait simplement décrire lui-même une boucle, que les autres danseurs décriraient successivement dans son sillage. C'est rarement ainsi qu'il procède. Une pratique très répandue et goûtée est la suivante (voir fïg. p. 169) : Supposons la chaîne se déplaçant latéralement, d'est en ouest (fig. 1). L e premier danseur veut l'amener à progresser d'ouest en est. Il prend de la main gauche la main gauche de sa partenaire, et l'abandonne de la droite (fig. 2). Puis, sans rien changer à sa propre orientation, il s'efface très légèrement en arrière. Tandis que lui-même fait le pas sur place, il amène sans hâte sa partenaire à passer devant lui en lui tournant le dos (fig. 3), puis à décrire ainsi une boucle en épingle à cheveux autour de lui. U n peu avant que la jeune fille, entraînant les autres danseurs à sa suite, ne se trouve amenée de la sorte dos à dos avec son cavalier (fig. 4), celui-ci accomplit sur lui-même un demi-tour en sens de la montre (fig. 4, 5, 6 , 7 ) pendant lequel, bras derrière le dos, il fait passer la main gauche de sa partenaire de sa propre main gauche dans sa main droite. Us se retrouvent alors côte à côte (fig. 7). Il est encore à l'extrémité gauche de la chaîne. Celle-ci évolue comme précédemment de la droite vers la gauche des danseurs, mais cette fois c'est d'ouest en est, à 1 8 o ° de la direction précédente. L e meneur emploie en particulier cette manœuvre aux extrémités du terrain, ou lorsqu'il se trouve engagé dans un angle, en face d'une autre chaîne qui lui coupe la route, etc... E n pareil cas une autre façon de procéder également fréquente consiste à donner le signal de ces demi-tours individuels simultanés, qui ont pour effet d'inverser la tête et la queue de la danse. A chaque changement de direction correspond alors un changement de meneur. *
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Amorcée de plus ou moins bonne heure, la transformation est d'autre part allée plus ou moins loin, en sorte que l'arrêt de la tradition a laissé la danse dans un état lui aussi variable suivant les lieux. L e pays de l ' A v e n est un de ceux où le terme de l'évolution est depuis le plus longtemps atteint et généralisé. Même des informateurs nés vers 1880 y considèrent la petite chaîne de deux couples comme la forme normale de la danse. Il peut se former une chaîne de six personnes lorsqu'un couple n'en trouve aucun autre pour former une quadrette, ou lorsque trois amis décident de rester groupés. Mais il ne s'en forme pas de huit. O n ne constate non plus aucune tendance à danser la
(Les triangles représentent les danseurs, les arceaux les danseuses. Un trait fort mar que le dos des personnages. Le triangle grisé désigne le meneur de la chaîne.)
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gavotte par couples. La danse a fini par se fixer dans une nouvelle forme type. A mesure qu'on quitte le terroir de Rosporden et Scaër pour gagner vers le nord, on continue de rencontrer la quadrette, mais de plus en plus récemment acquise, de plus en plus associée à des chaînes plus longues, qui dominaient naguère. En certaines communes elle n'a été adoptée que par les tout derniers danseurs et passe encore pour une fantaisie. Avec plus ou moins de fréquence et de popularité, et depuis des dates variables, la quadrette est connue au moins jusqu'à Moëlan, Quimperlé, Locunolé, Le Faouët, Roudouallec, Saint-Goazec, Châteauneuf-du-Faou, Trégourez, Briec, Edern, Langolen, Coray, Elliant, Saint-Yvi, Saint-Evarzec, Gouesnach. Toutefois dans la plupart de ces localités elle n'est qu'un des aspects possibles de la chaîne, le plus jeune, et non toujours le plus en faveur. La quadrette se retrouve ailleurs que dans le pays de l'Aven. Par exemple en Cap Sizun. Déjà au Juch, à Pouldergat, Guengat, Gourlizon, la chaîne, aux derniers temps de la tradition, compte rarement plus de huit personnes, et souvent quatre ou six seulement. A l'ouest de Pouldergat et jusqu'à Goulien la quadrette devient la règle. Dans la presqu'île de Crozon la chaîne peut aussi se réduire à quatre danseurs, mais le fait n'est pas habituel. A Roscanvel exceptionnellement la quadrette paraît avoir finalement dominé. Enfin les chaînes de quatre ou au maximum six étaient courantes aux derniers temps, aux confins nord-ouest de la Cornouaille. Dans cette région entre Elorn et Aulne la quadrette, d'adoption récente, n'était encore, quand la tradition s'est éteinte, qu'une des formes ordinaires de la chaîne courte. Elle venait de s'imposer au Faou. Elle était familière aux jeunes jusqu'à Saint-Urbain et Plougastel. Mais elle n'était pas encore forme type. Même à Rosnoën la plupart des jeunes dansaient encore en chaînes de huit ou dix comme dans le pays de Châteaulin voisin.
y. _
G A V O T T E S PAR COUPLES
Dans les pages qui suivent il sera essentiellement question du pays bigouden, où la gavotte se danse par couples en toutes circonstances. Mais il est indispensable de signaler d'abord que plusieurs terroirs de Cornouaille occidentale, en sus de la gavotte en chaîne dont nous venons de retracer l'histoire, possèdent une variante par couples de la même danse, pratiquée dans les concours et là seulement.
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A . — L A GAVOTTE DES CONCOURS
Exception faite du Cap Sizun, où les concours de danse ne jouaient guère de rôle, on peut dire que la gavotte de concours dansée par couples caractérise tout le pays situé à l'ouest du cours navigable de l'Odet, de la route Quimper-Châteaulin, enfin d'une ligne incluant Châteaulin, SaintSégal, Lopérec, Quimerc'h, Saint-Eloy, Saint-Urbain. Les avantages de la formation par couples en pareille circonstance sont évidents : liberté de mouvement pour les concurrents ; pour le jury possibilité de concentrer son attention sur chaque couple tour à tour. Nous ne savons de cette danse de compétition que ce que nos informateurs nous en ont dit, n'ayant jamais vu de concours de danse en cette partie du Finistère. L'usage paraît n'avoir pas été partout le même : Dans les communes du nord de l'Aulne, les couples se présentent un à un devant les juges, et prolongent autant qu'ils peuvent leur démonstration. Ils se déplacent de côté, de droite à gauche, comme la chaîne dans laquelle ils ont de toute évidence été découpés. Au contraire dans la région de Locronan, les couples, disposés les uns derrière les autres, avancent droit devant eux. Dans un cas l'unité de groupement est le couple, dans l'autre le cortège. En dehors des abords du pays bigouden la gavotte n'est dansée par couples que dans ces compétitions. On ne constate aucune propension à substituer cette forme à la petite chaîne dans les autres circonstances.
B. —
L A GAVOTTE BIGOUDÈNE
1. La forme-type Dans chaque couple la femme est à la droite de l'homme. Il tient du petit doigt de la main droite le petit doigt ou l'index gauche de la danseuse. Il replie sa propre main gauche dans le dos, ou laisse pendre le bras, ou encore pose la main sur la hanche. Les mains intérieures unies sont généralement levées à hauteur de buste. Quelquefois le cavalier tient sous le bras droit le bras gauche de sa partenaire, et de surcroît couvre sa main gauche de la sienne propre. Les couples sont disposés les uns derrière les autres. Ils avancent droit devant eux, suivant le parcours que trace le couple de tête. Toutefois la cohésion du cortège est loin d'être parfaite. Les couples demeurent à leur rang dans le dispositif d'ensemble, mais ils se soucient rarement de
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maintenir entre eux des intervalles égaux. Chacun d'eux a une certaine autonomie d'allure, et le cavalier se permet diverses fantaisies qui seraient impossibles dans une chaîne. En voici quelques-unes qui sont courantes. a) Le garçon se place face à sa partenaire (dos à la direction de marche) et danse à reculons devant elle en arrondissant le bras droit latéralement. Bouët signalait cette façon de faire dans les gavottes en longue chaîne, où elle n'appartenait qu'au meneur. Les danseurs bigoudens l'emploient souvent pour changer la direction de marche. Soit par exemple (fig. ai, p. 17}) un couple qui doit refaire en sens inverse le trajet rectiligne qu'il achève. Le garçon commence par faire quelques pas à reculons devant la fille comme il vient d'être dit (az), puis, le moment venu, l'amène à son côté (aj) d'une impulsion du bras droit. Ils sont alors en position convenable pour le parcours inverse. La danse du cavalier à reculons est également exécutée pour le seul plaisir au cours d'une progression continue : le garçon se déplace quelques instants dos à la direction de marche avant de revenir à la gauche de sa partenaire. Ou encore il se déplace perpendiculairement à la direction de marche du cortège, tour à tour quatre temps en reculant, quatre temps en avançant, sa partenaire lui faisant face, tous deux continuant néanmoins de progresser avec le groupe (fig. a'). b) Beaucoup amplifient la broderie : le garçon se place d'abord face à sa partenaire (dos à la marche, fig. bi), puis lui fait décrire un cercle autour de lui en sens de la montre (la femme évoluant à reculons) dans le temps où lui-même tourne de 1800 sur place (même sens, fig. bi, bï). Ainsi se retrouvent-ils côte à côte, orientés comme au début (fig. bj). Cette volte est menée avec une vigueur qui mettrait en mauvaise posture des danseuses moins aguerries. Le cavalier dirige le plus souvent sa partenaire d'une impulsion puissante et continue du bras droit. Certains, pour avoir plus de force, empoignent à deux mains son avant-bras gauche. La durée de cette figure varie suivant les cavaliers. Elle est souvent de quatre temps en tout (première ou seconde moitié d'une phrase). c) Autre broderie. Le garçon demeurant face à la direction de marche fait passer la danseuse devant lui pour la placer à sa gauche, sans lui lâcher la main. Il la ramène peu après à sa droite. Ou encore il lui fait faire un tour complet autour de lui dans le sens inverse de la montre, en la tenant alternativement d'une main puis de l'autre (fig. c). d) Enfin, dans des régions où le cortège est d'adoption récente, nous avons relevé d'autres broderies dont nos informateurs bigoudens ne parlaient pas. Par exemple un tour complet effectué par la femme sur elle-même sous le bras levé du garçon (Goulien). Ou encore un tour
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JÏKOM-KIES
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DANS
l.A
CAYO'ITK
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DtNli
(Chaque figure représente un seul couple à des moments successifs.)
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de mains droites effectué de temps à autre, tout en progressant, par les deux danseurs d'un couple (Pont-Croix). *
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Occuper la tête du cortège et le diriger est ici comme partout ailleurs un honneur auquel on attache beaucoup d'importance. Le problème du meneur se pose donc, tout comme dans la chaîne ouverte. Il est très remarquable qu'il n'ait pas reçu de solution. La première danse de la noce, la première danse de l'aire neuve, avaient leurs conducteurs tout indiqués. Pour les suivantes, le fermier, assez souvent, désignait les meneurs. Les sonneurs, eux aussi, avaient quelque autorité sur la danse. Certains refusaient de jouer si un danseur de valeur discutable tenait le premier rang. Mais à mesure que les tonneaux se vidaient les contestations se faisaient plus vives. Elles finissaient ordinairement par des coups de poing. C'est, transposé de la chaîne au cortège, l'état que Bouët observait en son temps à Kerfeunteun. Très souvent deux ou plusieurs cortèges de gavotte naissaient de cette rivalité, chacun des candidats ayant ses partisans, et devenant meneur d'une danse. Les cortèges entraient alors en lutte, l'un essayant de gêner l'autre. Il en est résulté bien des batailles. Pourtant, contre toute attente, cette compétition a fini par tourner au jeu réglé, et fort amusant, en sorte que la disposition des danseurs en deux ou même trois cortèges concurrents était, aux derniers temps de la tradition, devenue pratique très commune dans le nord du pays bigouden. Il s'agissait habituellement pour l'un des cortèges de barrer la route à l'autre. Ses chances d'y parvenir dépendaient de l'habileté de ses deux premiers couples. Le premier devait deviner rapidement les intentions du meneur adverse, et, quoi qu'il fît, se dresser devant lui. Le garçon du second couple devait comprendre à mi-geste la manœuvre qu'ébauchait son chef, et se tenir prêt à reculer pour lui donner du champ, aussi bien qu'à se précipiter à sa droite ou à sa gauche pour parfaire l'obstacle. Il n'était pas permis de traverser la formation adverse. L'art suprême consistait à l'enfermer dans un angle du terrain, ou à l'entourer complètement et à tourner indéfiniment autour d'elle. Certains meneurs étaient fort habiles à cette stratégie dansée. 2. Recherche d'états
antérieurs
Les danseurs populaires aussi bien que les folkloristes considèrent aujourd'hui le cortège comme la forme traditionnelle, typique, de la gavotte bigoudène, et nous n'avons pas vu qu'on ait mis en doute jusqu'ici son ancienneté. Il y a lieu de le faire cependant. Trois ordres de considérations y invitent.
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a) Aux abords immédiats du pays bigouden, la gavotte en cortège ne date que des premières années de ce siècle. Elle y a été substituée à la gavotte en chaîne. Les témoignages de vieilles gens montrent la propagation de cette mode nouvelle vers le nord (en direction de Gourlizon et Pluguffan) et surtout vers l'ouest. Autour de Pont-Croix et d'Audierne la danse par couples était déjà familière aux danseurs les plus jeunes, dont beaucoup la préféraient à la chaîne. Avec un degré de faveur légèrement moindre elle était entrée dans l'usage courant jusqu'à Primelin, Goulien, Beuzec, et, très tardivement, Poullan. Il suffit donc de se reporter à un passé tout proche pour voir un pays de danse en chaîne devenir, par contagion, un pays de danse en couples. Dès lors on est fondé à se demander si les localités bigoudènes qui communiquaient à leurs voisins la mode du cortège ne l'auraient pas ellesmêmes adoptée à une époque de peu antérieure. b) Peut-être aurions-nous relevé en pays bigouden même le souvenir de gavottes en chaîne si nous l'avions méthodiquement recherché auprès des plus vieilles personnes dans les premières années de notre enquête. Nous ignorions alors qu'il y eût lieu de le faire. Les informateurs que nous avons consultés depuis considéraient le cortège comme la seule forme traditionnelle. Du moins n'avaient-ils pratiqué la gavotte en chaîne qu'au rang de danse-jeu, sous le nom de lostig aï lornrn (la petite queue du renard). Le jeu, connu jusqu'à l'extrémité du Cap Sizun et jusque vers Locronan au nord, consiste à faire serpenter une gavotte en longue chaîne en la menant très vivement de manière à provoquer une rupture aux points de moindre résistance, et surtout mettre à l'épreuve le dernier danseur (le fin bout de la queue du renard). En Cap Sizun et pays de Quimper le jeu est une de ces survivances dévaluées comme on en rencontre souvent, et la dernière trace d'une forme ancienne de gavotte en voie de disparition. Il y a des chances qu'il le soit aussi en pays bigouden. c) Des documents du xix e siècle évoquent la danse bigoudène en termes qui ne peuvent bien convenir qu'à une chaîne. Le premier en date, médiocrement explicite en dépit de la qualité de son auteur, est dû à F l a u b e r t I l se rapporte à la région de Pont-l'Abbé : « Deux joueurs de biniou, montés sur le mur de la cour, poussaient sans discontinuer le souffle criard de leur instrument, au son duquel couraient au petit trot, en se suivant à la queue du loup, deux longues files d'hommes et de femmes, qui serpentaient et s'entrecroisaient. Les files revenaient sur elles-mêmes, tournaient, se coupaient et se renou1. Par les champs.,
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aient à des intervalles inégaux puis les longues lignes s'ébranlèrent de nouveau, et se remirent à tourner. » Des files qui serpentent, se coupent et se renouent, une danse qui commence par tourner, tout rappelle les chaînes, et même les chaînes mixtes, communes à cette date (1847) dans le reste de la Basse-Cornouaille. Pas un mot des broderies typiques de la danse par couple qui frapperont par la suite tous les observateurs. C'est en effet la gavotte par couple, avec ses tours de la fille autour du garçon, qu'ont décrite la plupart des auteurs récents. Pourtant, contre toute attente, quelques-uns parlent encore — parfois simultanément — de la danse en termes qui conviendraient mieux à une chaîne qu'à toute autre forme. L'étrange est que ces ouvrages paraissent à des dates que les plus vieux des Bigoudens actuels ont connues, et que néanmoins aucun de ceux que nous avons touchés n'ait eu souvenir de gavotte ainsi exécutée. P. E u d e l 1 , qui en 1891, à Pont-1'Abbé, assiste aux fêtes de la Tréminou, voit danser une gavotte semblable à celle que nous connaissons aujourd'hui, où « le cavalier fait passer sa danseuse derrière lui en un très curieux changement de mains ». Mais il écrit aussi ces lignes, où l'on est tenté de reconnaître la chaîne mixte, complétée d'une figure par couples : « Les danses du pays sont caractéristiques : les danseurs, hommes et femmes, tournent d'abord lentement, puis à un moment donné sautillent ensemble. Ensuite les couples se séparent, et tournent isolément l'un autour de l'autre. » Austin de Croze 2 en 1900, pour rendre compte des danses qu'il a observées au pardon de la Trinité, à Plozevet, ne croit pouvoir faire mieux que confirmer l'exactitude du texte de Flaubert. Parlant ailleurs des Bigoudens 3 , il évoque « leurs danses lourdement tournées en silence, avec des sauts comme en font les Somalis », détail étranger au style actuel. A. Chevrillon * enfin, rapportant ses souvenirs d'une époque «comprise entre 1892 et 1 9 1 0 » caractérise ainsi les danses du pardon de Kerity-Penmarc'h : « un lent et presque solennel sautillement sur place, par longues files nouées. » Quelques images, de valeur incertaine, appuient ces textes. Un dessin dans le livre d'Eudel montre une chaîne de danseurs à Pont-l'Abbé. Une photographie, malheureusement confuse, dans l'ouvrage'de De Croze, représente des Bigoudens qui paraissent disposés en chaîne. La légende porte : « En place pour le branle. » Au moins deux cartes pos-
1. A trav. la Bret., pp. 125-12(1. 2. Bret. païenne, p. 21. 3. Ibid., p. 6. 4. Ench. br., p. 139.
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tales 1 de la même époque montrent des Bigoudens dansant la gavotte en chaîne ouverte. En résumé la recherche des états anciens en pays bigouden conduit à deux constatations mal conciliables. D'une part il y a quelques indices que deux formes de gavotte aient coexisté en ce terroir : la chaîne, en voie de disparition, et le cortège, apparemment moins ancien. Ceci à une époque dont les plus âgés des informateurs vivants devraient garder quelque mémoire. D'autre part pourtant, ceux que nous avons consultés n'avaient souvenir que du cortège. Dans l'impossibilité de conclure sur les faits, bornons-nous à remarquer que l'existence d'un stade en chaîne dans le passé apparaît vraisemblable, étant donné ce qu'on sait des formes anciennes de la danse dans l'ensemble de la Cornouaille. Dans cette hypothèse d'ailleurs il ne semble pas que le cortège soit le terme d'une réduction de la chaîne. Les textes suggèrent plutôt qu'il lui aurait d'abord été associé. La vieille forme se serait éteinte, la jeune aurait duré. On va voir que les gavottes du Bas-Léon apportent à cette façon de voir une confirmation inattendue.
VI. — G A V O T T E S DU
BAS-LÉON
Sur un espace limité le Bas-Léon réunit des formes de gavotte qui en Cornouaille caractérisent aujourd'hui des terroirs distincts. La ronde est partout la forme fondamentale de la danse. Parfois elle est seule en usage. Parfois s'y associe une autre forme, qui est soit la chaîne ouverte, soit le cortège. La longue chaîne ne joue jamais qu'un rôle secondaire. Elle est généralement facultative. Par exemple on y aura recours après quelques tours de ronde si la danse manque d'espace. Presque toujours le meneur la refermera pour finir. Il est évident que la chaîne ouverte n'est ici qu'un accident de la chaîne fermée. Nous n'avons connaissance d'aucun cérémonial pour le rassemblement des danseurs et le démarrage de la ronde. Elle tourne généralement d'un mouvement uniforme. Tout au plus peut-on signaler que certains danseurs s'amusent — rarement semble-t-il — à avancer tous ensemble vers le centre et reculer alternativement, tout en tournant. Dans la région de Saint-Renan, c'étaient deux couples diamétralement opposés qui avançaient l'un vers l'autre sans lâcher leurs voisins, étran1. L ' u n e p o r t e le n° 1898 d a n s la collection LAURENT NEL. L ' a u t r e , d a n s la collection de L'Œuvre de l'Abri du Marin, a pour titre « S a i n t e Marine. Une noce de p ê c h e u r s passe en d a n s a n t la g a v o t t e ».
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glant momentanément le cercle, imités peu après par deux autres et ainsi de suite. Quant à la chaîne ouverte, elle serpente de la façon la plus ordinaire. C'est la dernière danseuse (et non son cavalier) qui occupe l'extrémité droite de la ligne. Le cortège, moins répandu, pose plus de problèmes. Certains de nos informateurs, à Saint-Pabu, voyaient, dans le cortège comme dans la chaîne, des figures tardivement ajoutées à la ronde. D'autres, à Porspoder notamment, disent ne l'avoir jamais vu. Plusieurs témoignages de vieilles gens les contredisent. A Lanildut les plus vieux y voyaient une figure aussi importante que la ronde. A Guilers, seule une personne née en 1859 nous l'a signalé. En sorte qu'on peut se demander si l'association ronde-cortège n'aurait pas été plus générale à une date un peu plus ancienne que celle des témoignages oraux. Les textes n'apportent guère de lumière. Souvestre 1 , décrivant une danse de noce à Ploudalmézeau, ne mentionne qu'une ronde. Le Gonidec 2 évoque une ronde suivie d'une figure par couples, dont on ne saurait dire si elle appartient à la même danse ou si elle est une danse complémentaire, un bal à deux par exemple : « Tantôt on se tient en rond, l'homme présentant le petit doigt et la femme le second doigt, tantôt on se sépare deux à deux et l'on saute l'un devant l'autre. » Là où le cortège est en honneur, la danse se compose de deux épisodes bien distincts : le premier en ronde, le second en cortège. Les couples sont placés les uns derrière les autres à intervalles égaux, et avancent droit devant eux. Ils suivent un chemin circulaire fermé ou se laissent guider par un couple meneur. A Locmaria-Plouzané la gavotte par couples prenait parfois l'allure d'une véritable promenade. Musiciens en tête, le cortège faisait le tour du bourg en dansant. Nos informateurs nous ont souvent montré une fantaisie fort appréciée, que nous avons déjà eu l'occasion d'analyser en pays bigouden. Le garçon dansant sur place, toujours face à la même direction, guide sa partenaire de façon à lui faire faire un tour complet autour de lui en sens inverse de la montre, faisant passer'la main gauche de la fille tantôt dans sa main gauche, tantôt dans sa main droite. A Landéda ceux de nos informateurs qui étaient nés après 1900 ne connaissaient plus de la gavotte que le cortège, et usaient abondamment de cette broderie. Nous en avons vu consacrer alternativement et régulièrement une phrase à la progression rectiligne, une phrase au tournant de la fille autour du garçon. A Locmaria cette broderie n'intervenait que dans les angles du parcours, lors des changements de direction. 1. Finistère., p. 1 0 1 , col. 2.
2. Notice., p. 370.
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Inconnues de la littérature folklorique, oubliées en ce bout du monde déclaré un peu hâtivement vide de chants et de danses, les gavottes du Bas-Léon réunissent curieusement l'état le plus ancien à l'un de ceux que l'on peut croire les plus modernes. Par la prédominance de la ronde, l'intervention facultative et accessoire de la chaîne ouverte, elles se trouvent au même stade que les gavottes de Haute-Cornouaille où l'évolution vers la danse longue s'amorce à peine. Par l'importance donnée à la figure en couples et le détail original de ses mouvements elles montrent de surprenantes affinités avec les gavottes bigoudènes. Il est difficile de tenir ces analogies pour de simples coïncidences. Plus difficile encore de les expliquer sûrement quand l'origine et l'ancienneté de la gavotte en Bas-Léon nous échappent. Il est certain qu'elle y était en grande faveur vers 1850 (ce qui incite à tenir pour gavottes les rondes décrites peu avant par Souvestre et Le Gonidec). Mais l'étaitelle de très ancienne tradition ou par suite d'un emprunt effectué par exemple au cours du x v m e siècle ? Nous n'en savons rien. De même nous ignorons si ronde et cortège ont eu en Bas-Léon partie liée dès l'origine. Le cortège peut avoir été ajouté à la ronde dans un second temps, et n'avoir pas même provenance qu'elle. Quoi qu'il en soit, la gavotte en ronde du Bas-Léon ajoute un fait à ceux qui nous paraissent établir que la ronde est à l'origine de toutes les autres formes de cette danse. Il n'est guère pensable qu'elle soit venue de Haute-Cornouaille jusqu'en ce dernier cap, longuement et mystérieusement véhiculée à travers un pays de chaîne ouverte. Rien non plus ne laisse croire que la danse du Bas-Léon ait évolué vers la ronde après avoir été d'abord une longue chaîne : les faits disent précisément le contraire. Dès lors il faut bien admettre que les deux domaines actuels de la ronde ont autrefois été en continuité, par terre seulement ou par terre et par mer, et que le pays en chaîne ouverte qui les sépare aujourd'hui n'est devenu tel que par une évolution secondaire.
LE PAS On vient de voir que les multiples formes de la gavotte, aujourd'hui bien distinctes, ont été reliées entre elles par toutes sortes d'intermédiaires et procèdent vraisemblablement d'une forme initiale unique, qui paraît avoir été la ronde. Nous montrerons maintenant que les pas caractéristiques des différents terroirs sont issus d'une souche commune, et qu'il s'agit bien partout d'une seule et même danse à l'origine. Le « pas de gavotte » est une phrase de huit temps, composée de pas élémentaires. Le danseur l'emploie à une progression continue, toujours dans le même sens. Il se déplace de côté, vers la gauche, dans les gavottes en chaîne, droit devant lui dans les gavottes en cortège. Partout la trame de la phrase est constituée par un pas de course, ou d'un tempo intermédiaire entre marche et course. Il y a un appui par temps. L'alternance régulière des appuis est rompue en deux endroits : une première fois vers le milieu de la phrase par subdivision de la pulsation (le détail moteur et rythmique de ce changement d'appui, sa place exacte dans la phrase, ne sont pas partout les mêmes) ; une seconde fois à la fin de la phrase, par groupement de la pulsation. Voici par exemple, une formule d'appuis très commune : 1
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D
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Dans cet exemple le premier changement d'appui se décompose ainsi : a) un pas sur le pied gauche (première moitié du temps 3) ; b) le pied droit rejoint le gauche et prend l'appui à son contact (deuxième moitié du temps) ; c) de nouveau un pas sur le gauche (temps 4).
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Un pas de course uniforme eût ramené un appui sur le gauche au temps 5 (premier de la seconde mesure). Du fait du changement de pas c'est le droit qui se pose. Le même effet est réalisé en fin de phrase (temps 7-8) par un autre moyen : un appui sur le pied droit durant deux temps au lieu d'un. Ces deux accidents se compensent, de sorte que c'est toujours le même pied qui prend l'appui au premier temps des phrases. Cette succession d'appuis se rencontre, soit telle quelle, soit avec de menues variantes rythmiques, aussi bien à Saint-Renan qu'à Audierne, Pontivy ou Scrignac. Elle est exprimée dans cette formulette entendue à plusieurs reprises dans l'ouest des montagnes d'Arrée, procédé mnémotechnique pour danseurs débutants1 : 1
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un, deux, trois, p'tit pas,
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un, deux, trois, pied en l'air.
Il y a toutefois des exceptions à la règle générale : en plusieurs pays la danse fondamentale est construite suivant une formule d'appuis qui diffère plus ou moins de la précédente. Nous aurons à établir que ces différences sont acquises, et que l'état ancien a bien été partout d'un même type. L'étonnante diversité d'aspects de la danse dans le vaste territoire que nous lui avons reconnu s'explique en partie par ces transformations locales de la formule d'appuis, mais bien plus souvent encore par la variété du dessin gestuel et du style. Nous nous efforcerons de rendre compte de cette diversité en définissant les caractères originaux du pas dans les multiples terroirs de cette danse.
I. — E N P A Y S D E CHAINE F E R M É E A. —
LES
TERROIRS
FINISTÉRIENS
Dans la partie occidentale — soit, grossièrement, la partie finistérienne — du territoire des chaînes fermées, les différences d'un terroir à l'autre ne tiennent qu'à des particularités de style. Non seulement elles ne mettent jamais en cause la structure du pas, mais dans le style même un certain nombre de caractères fondamentaux sont communs. Ce sont ces constantes que nous nous proposons de dégager. 1 . S u r les formulettes dans l'apprentissage de la danse, voir SAUVÉ, « Formulettes et traditions diverses de la B a s s e - B r e t a g n e », Rev. celt., V , 1 8 8 2 , p. 1 6 4 .
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Il est indispensable de dire au préalable qu'un des traits marquants de la danse en ces régions est l'instabilité de la formule rythmique de la phrase. Suivant les danseurs et les moments nous avons noté l'une ou l'autre des formules suivantes (représentées chacune par deux variantes) :
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Dans des réunions de gens d'un même lieu, habitués à danser ensemble, l'accord se fait souvent d'emblée, spontanément et totalement, sur une formule. Mais ce n'est pas toujours la même. La seconde (pulsation subdivisée au temps 4) est celle que nous avons le plus souvent observée. Nous l'avons trouvée jusqu'à Botmeur à l'ouest. Il est rare que les danseurs soient tournés franchement vers la gauche, face à la direction dans laquelle ils progressent. Ou bien ils font face au centre du cercle (surtout si le nombre les oblige à se serrer) et se déplacent de côté, l'axe des pieds perpendiculaire à la ligne de trajet, ou bien ils sont orientés légèrement de trois-quarts vers la gauche, l'axe des pieds coupant obliquement la ligne de trajet. Les deux pieds n'ont pas un rôle égal dans la progression : chaque nouvel appui du pied gauche amène un déplacement de l'aplomb, tandis que le pied droit ne fait le plus souvent que rejoindre l'autre, sans gagner au danseur aucun terrain. Si quelquefois il lui arrive de croiser devant le gauche (danseur progressant de trois-quarts), c'est bien peu. ** *
Un trait constant et fondamental est l'accentuation ininterrompue de la pulsation par la suspension verticale, régulière, du mouvement. Chez tous les danseurs, dès le démarrage le plus calme de la ronde, on observe une suspension élastique, continue, assurée principalement par l'articulation du genou : légère flexion sur la première moitié ou les deux premiers tiers de chaque temps, extension sur la seconde moitié
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ou le dernier tiers. Extension d'ailleurs très relative, car la jambe demeure toujours un peu fléchie. Nous avons vu et filmé à Plouyé, un matin de mariage, des gavottes où la scansion de la phrase se bornait pour presque tous à ce mouvement de ressort, plus marqué chez les hommes que chez les femmes. La qualification de danse« sautée », souvent appliquée à la gavotte des montagnes, eût été impropre ici, les deux pieds ne quittant jamais le sol en même temps. On pouvait noter dans le détail du pas quelques variantes, d'ailleurs très peu nombreuses. Parmi les couples qui s'intégraient à la danse, certains n'adoptaient une façon de faire définitive qu'après deux ou trois phrases, mais tous, d'emblée, s'accordaient à cette suspension parfaitement continue, générale, uniforme, ttame rythmique commune où se lisait l'unité du groupe. *
*
*
Quand le pas se fait ainsi sans élévation, les gestes de la jambe libre ont aussi le minimum d'ampleur. Dans le cas précité beaucoup de danseurs marquaient le changement de pas du milieu de la phrase sans déplacer ni même lever les pieds, faisant seulement porter le poids du corps alternativement à l'un et à l'autre. Même pendant la suspension sur le pied droit des temps 7-8, les hommes ne donnaient à la jambe libre qu'un mouvement très discret : faible élévation de la cuisse en avant, quittant à peine la verticale, faible flexion de la jambe vers l'arrière, le pied levé demeurant proche 4 9e la jambe d'appui. Le plus souvent, dès que la danse s'anime, le pas des hommes change d'allure. Tous les mouvements augmentent à la fois d'ampleur et de vigueur. L a suspension devient rebondissement plus ou moins marqué, projetant régulièrement le danseur d'un appui à l'autre. Parfois le changement de pas participe du rebondissement et de la progression. Parfois il est fortement martelé sur place, ou au contraire si atténué par contraste qu'on ne voit pas bouger les pieds, tous deux posés. Toujours la jambe libre se replie en arrière, à partir du genou. Mais tantôt la cuisse s'élève en avant dans le plan sagittal, de sorte que le pied dépasse peu ou pas la jambe d'appui vers l'arrière. Tantôt la cuisse demeure presque verticale, et le repliement arrière rend le mollet horizontal, ou même amène le talon au contact du fond de pantalon. Ce repliement plus intense concerne surtout la jambe gauche, aux temps 7-8. A u même moment certains danseurs rebondissent sur le pied droit, qui s'élève faiblement entre les deux temps. L a plupart esquissent à peine une surrection, le talon seul décollant du sol. Ainsi, quand le mouvement prend de l'intensité et de l'ampleur, c'est surtout en direction verticale que son dessin s'en trouve affecté. L'énergie se dépense en ornements exécutés par la jambe libre, en rebon-
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dissements, en martellements, plus qu'en progression horizontale. Celle-ci reste le plus souvent modérée. La plus ou moins grande densité de la ronde a, bien entendu, une influence sur le style du mouvement. Outre que le déplacement strictement latéral (ronde serrée) favorise encore son épanouissement en hauteur, il accuse l'inégalité de fonction des deux pieds, et réduit le trajet au minimum. *
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Il est très rare que les variantes individuelles s'imposent indiscrètement à l'attention, et compromettent l'unité de la danse. Elles ne sont le plus souvent que nuances de style. Le pas des femmes est toujours réservé, sobre, très étroit, régulièrement suspendu, mais sans rebondissement. Chez beaucoup de vieilles il a l'apparence d'un piétinement menu. Quelques danseuses donnent à la phrase un tour plus simple que la formule d'appuis habituelle : 1
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Cela consiste le plus souvent, après avoir posé le pied gauche au temps 3, à poser le pied droit près du gauche au temps 4 sans y faire porter le poids du corps, à le soulever à la fin du temps, pour le poser à nouveau, cette fois avec appui, au temps 5. D'autres font dans les huit temps un double pas de quatre. La très grande majorité suit la formule type. Il arrive que des hommes donnent aussi à la phrase un tour simplifié. Ils en usent comme il vient d'être dit pour les femmes, en économisant le changement de pas. Mais il y a plus de liberté dans leur geste. Parfois le pied droit se pose au temps 4 à l'assemblé de l'autre. Parfois à distance d'un pas en avant, ou sur le côté. Parfois il frappe le sol, etc. (Mais toujours il se pose sans appui.) Habituellement les hommes n'usent qu'en passant, et à titre de repos, de ces façons de faire. Eux aussi s'en tiennent pour la plupart à la formule générale (avec changement de pas). Quand les jeunes cherchent à briller, c'est par la fougue et la vigueur du geste, non en modifiant, même faiblement, la structure de la phrase. Celle-ci ne subit que des altérations involontaires, et elles sont exceptionnelles. Enfin les broderies surajoutées sont rares. C'est seulement au voisinage immédiat de Carhaix (spécialement à Poullaouën) que nous avons vu quelques-uns adopter des positions croisées des appuis. Même là ce paraît être une fantaisie inhabituelle.
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Le voyageur venu du dehors, quand il compare les gavottes de cette partie occidentale des montagnes à celles d'autres régions de Cornouaille, est plus sensible à leurs traits communs qu'à ce qui les distingue entre elles. Partout le rythme moteur se caractérise par un sentiment très fort de la phrase associé à un sentiment également fort de la pulsation. Celle-ci se marque à la fois dans la suspension verticale du mouvement et dans le dessin vertical des gestes. Les danseurs traditionnels, eux, ont souvent une conscience aiguë des nuances qui séparent leur propre danse de celle de leurs voisins. Nos informateurs de Huelgoat et de Saint-Herbot trouvaient leur gavotte « un peu plus lente, moins frappée et moins sautée » que celle de Scrignac. Ceux de Bolazec jugeaient la gavotte de Poullaouën « plus molle» que la leur. Au contraire, pour nos informateurs de Spézet, les danseurs de Poullaouën « sautent comme des moutons », etc. D'une manière générale en effet, le mouvement nous a paru décroître en intensité du nord au sud. Les danseurs que nous avons vus à Scrignac et Bolazec usaient beaucoup plus fréquemment que ceux de Plouyé ou Huelgoat de mouvements très énergiques (rebondissements, piétinements, repliements de jambe libre talon contre la fesse). Ceci, parfois, presque à chaque temps de la phrase. Au contraire, à Plonévezdu-Faou, Chateauneuf ou Spézet, nous n'avons vu les rebondissements et les mouvements très amples intervenir que de temps en temps, les derniers surtout à titre d'ornements passagers1. B. —
LE TERROIR DE MAËL-CARHAIX
Les amateurs de danse bretonne connaissent sous le nom de dans fisel une danse très bien définie et originale, véritable version type, pratiquée dans le terroir, dit « fisel », de Maël-Carhaix. Sa parenté avec les gavottes du Finistère est à première vue douteuse. En réalité cette danse brillante représente seulement l'un des styles de la ronde du i . En ce qui concerne les tempos, les mesures dont nous disposons sont de valeur tris inégale : certaines faites dans le cours d'une danse effective, se déroulant dans des conditions d'authenticité indiscutables ; d'autres faites sur démonstration de quelques personnes, ou sur l'air chanté ou joué hors de la danse. Les premières seules sont recevables. Mais pour un lieu donné le chiffre qu'elles fournissent varie sensiblement suivant le climat des réunions, ou même simplement du début à la fin d'une soirée. C'est dire le caractère illusoire de beaucoup de précisions numériques, et l'incertitude des comparaisons géographiques. Nous avons préféré nous en tenir ordinairement à des appréciations telles que « tempo de course modéré, rapide... >, etc. Rapportons seulement à titre d'exemple quelques mesures faites dans des conditions satisfaisantes et qui paraissent correspondre à des maxima : Spézet : 172-176 ; Châteauneuf-du-Faou : 176-184 ; Plonévezdu-Faou : 178-182 ; Plouyé 176-180.
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pays fisel, celui qui naguère était imposé aux hommes dans les concours. On observe des styles beaucoup plus simples dans la danse des circonstances ordinaires, et il a même existé des styles ornés d'autre sorte. On verra que, contrairement à la danse des concours, la danse commune, et spécialement la féminine, se distingue mal de la gavotte des terroirs finistériens. Autrement dit l'appellation dans fisel ne caractérise nullement une structure particulière de danse. Il faut l'entendre d'une gamme de styles. C'est dire combien les tracés de frontières dépendent ici d'une appréciation personnelle. C'est en direction de l'est que la frontière peut être le moins mal définie, car elle sépare la dans tro fisel de la dans tro janch1, qui en diffère totalement par la formule d'appuis et le dessin gestuel. Au début de ce siècle la limite joignait Tremargat (au nord) à Plouguernevel (au sud), laissant à la dans 'janch la plus grande partie de cette commune. Toutefois la dans fisel était pratiquée en quelques communes du pays janch, comme Plounevez-Quintin, soit qu'elle y ait été empruntée, soit au contraire qu'elle y fût un reste de la plus ancienne tradition locale, déjà recouverte par la mode fanch venue de l'est. La dans 'janch en effet, s'est depuis lors répandue en pays fisel. Nous montrerons ailleurs son déplacement d'est en ouest. Aujourd'hui les deux danses sont pratiquées de part et d'autre de la limite théorique des deux terroirs. Au nord, à l'ouest, au sud du pays fisel, tout est pays de gavotte, et il n'y a de frontières qu'entre des styles. Elles sont incertaines et mouvantes. Le style fisel des concours d'hommes en particulier n'a cessé d'étendre son domaine, et l'aurait vraisemblablement étendu encore si la tradition s'était maintenue. Sous ces réserves nous attribuerons pour notre part au pays de la dans fisel dans le premier quart de ce siècle une quinzaine de communes2, jusque vers Saint-Nicodème et Duault (inclus) au nord, la frontière du Finistère à l'ouest, Tréogan et Bonen au sud. ** *
Ce pays fisel, avec quelques localités fanch qui l'avoisinent, est de ceux qui ont le plus longtemps maintenu vivante leur danse traditionnelle. Peu avant la dernière guerre elle était encore, en beaucoup de communes, la seule danse familière à la jeunesse. Elle gardait la faveur du public à un double titre : comme activité récréative et sociale, comme matière à compétitions. Les concours de danse ont en effet joué dans ces terroirs un rôle plus important que dans la plupart des autres. Ils trouvaient place 1 . L a daAs tro fanch est un s t y l e local de la daAs tro plin étudiée pp. 363 à 380. 2. Voir dans Creston (Costumes, I I , p. 99), une définition b e a u c o u p plus large du p a y s fisel (27 communes), fondée sur la mode vestimentaire.
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principalement dans les jestou no% (fêtes de nuit) qu'occasionnaient les gros travaux d'automne. L a longue veillée de plaisir comportait des compétitions de toutes natures, chant, danse, lutte, course, jeux athlétiques, jeux d'adresse, en sorte que chacun, quel que fût son talent, avait une chance de se faire valoir. Il y avait au moins deux épreuves de danse. L'une pour les femmes. La ronde se composait de couples, mais les cavaliers ne s'y évertuaient que pour faire gagner leurs partenaires. Une autre danse était réservée aux hommes (seuls). Les prix consistaient en tabac, d'où le nom de dans ar butun (danse du tabac) donné à cette épreuve. Pour être plus agiles les concurrents la disputaient pieds nus. Les juges étaient, ou avaient été, des danseurs réputés. On allait au besoin les chercher dans des communes éloignées. Il en fallait deux pour une petite ronde, davantage pour les grands groupes. Ils se répartissaient à distance égale autour du cercle, un genou en terre, éclairant d'une bougie les jambes des danseurs. Il était souvent impossible de décider entre des concurrents également excellents. Dans ce cas les juges prolongeaient l'épreuve, sachant bien que peu de danseurs maintiendraient longtemps le style épuisant exigible en cette circonstance : l'endurance après la qualité gestuelle décidait du vainqueur. Les « champions » étaient admirés de toute la jeunesse, opposés à ceux des communes voisines, et leur réputation s'étendait quelquefois fort loin. Aussi les jeunes gens s'entraînaient-ils sans cesse en vue de ces rencontres. Nous passerons successivement en revue la façon de danser dans les circonstances ordinaires, quand les danseurs se soucient peu du jugement qui peut être porté sur leur mérite, et la façon de danser la dans ar butun.
i. La danse des circonstances ordinaires L a succession des pas élémentaires place pratiquement toujours au quatrième temps le changement d'appuis :
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L e tempo est toujours celui d'une course rapide 1 . i . Sa variation suivant le lieu, les circonstances, les âges, est importante. Citons deux extrêmes, mesurés en de bonnes conditions dans des veillées de hameaux (danses chantées). A Plévin, nous avons noté 184-188 noires à la minute ; à Saint-Nicodème, 194-198. Ce dernier chiffre n'est nullement exceptionnel en ces régions. E n aucun autre terroir nous n'avons v u la danse aussi vive.
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Le style (sens large) se résout à l'analyse en un petit nombre de composants dont quelques-uns seulement sont absolument constants : Les danseurs se donnent la main (avant-bras droit de l'un couvrant l'avant-bras gauche de l'autre) ou la main et le bras. Le plus souvent ils font face au centre du cercle et se déplacent tout à fait de côté. Plus rarement (quand ils se donnent la main) ils s'orientent en position légèrement oblique vers la gauche. La danse est toujours rebondissante : le corps est projeté— d'ailleurs modérément — d'un appui au suivant. L'élévation nécessaire pour passer d'un appui à l'autre se maintient égale aux temps successifs de la phrase. Le rebondissement s'observe même chez des femmes, nettement moindre toutefois que celui des hommes. Très généralement le pied droit prend ses appuis à l'assemblé du gauche, sans croiser devant lui. La progression est ordinairement moyenne, parfois faible. ** *
Quant aux variantes individuelles, elles se manifestent d'une part en broderies compliquant le dessin des mouvements, d'autre part en simplifications de la formule d'appuis. a) Les ornements consistent habituellement en gestes amples et vifs de la jambe libre comme dans la danse de concours ; parfois en appuis croisés (le changement d'appuis des temps 4-5 est fait par certains dans la première des positions d'appuis croisés que nous analyserons plus loin, p. 2 1 1 , en pays de Gourin) et plus rarement emboîtés; exceptionnellement enfin en une sorte d'entrechat sommaire aux fins de phrases (saut vertical aux temps 7-8, pendant lequel les talons s'entrechoquent). b) Les simplifications de la formule d'appuis portent presque toujours sur le changement de pas, remplacé par un appui continu d'égale durée. Le pied gauche peut toucher le sol sans appui (formule 1 ci-dessous) à la seconde moitié ou au troisième tiers du temps 4. Pour les uns c'est une formule de repos, pour d'autres au contraire l'occasion de dessins gestuels plus ou moins brillants. Souvent le pied gauche n'effleure même plus le sol (formule 2). C'est une formule de repos, ainsi que la formule 3, exceptionnelle en ces régions par sa subdivision du temps 3, et que nous n'avons observée qu'une fois, à Plounevez-Quintin.
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La première formule (a) ne diffère d'une formule de gavotte ordinaire que par un détail : la fragmentation de l'appui du temps j. La danseuse que nous avons plus particulièrement en vue dans cette analyse 1 pose le pied droit au début du temps, esquisse aussitôt un rebondissement sur ce pied, qui reprend l'appui complet à la seconde moitié du temps. De ce fait les temps 5-6 se trouvent constituer un petit motif rythmiquement identique à celui des temps 3-4. Mais la succession des appuis diffère d'un motif à l'autre. La seconde formule (b) est celle d'un laridé recueilli à Bieuzy a . En cette commune de transition, la suite réglée comporte une danse appelée gavotte et une danse appelée laridé, séparées par un bal. La phrase de la gavotte (dansée en chaîne mixte) est conforme au schéma habituel (avec subdivision de la pulsation au temps 3). Celle du laridé (dansé en ronde) comporte un changement d'appui aux temps 4-5, avec reprise des mêmes mouvements aux temps 6-7. Formule très semblable encore (c) chez une informatrice de Quistinic s , à ceci près que la danseuse économisait le rebondissement sur pied droit du temps 5 au temps 6.
1. M m * Ni voix, à Saint-Thuriau. 2. F. Uzel. 3. M m " Roger.
LE
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203
Dans la formule d, notée à Remungol d'une informatrice plus j e u n e l a parenté avec la gavotte n'est plus évidente, mais le double motif subsiste. Il constitue même l'essentiel de la phrase. Seul le temps 1 amène un déplacement du danseur vers la gauche. Les mouvements suivants se font sur place. Les premiers temps des deux motifs centraux ne consistent pas en changements d'appui : le même effet rythmique est obtenu par simple frappé du pied libre. Ces exemples suffisent à montrer ce qu'est la diversité des formules d'appuis en cette phase de l'histoire de la danse : une variation sur un thème, fourni par la phrase de gavotte. Musculairement et auditivement le souvenir de la version type ancienne s'atténue. Les moyens manquent pour affirmer quelle était sa formule. Il est probable qu'elle comportait comme partout ailleurs un seul motif en changement d'appui, mais l'on ne saurait dire s'il se plaçait dans la première ou la seconde moitié de la phrase, et quelle cause a provoqué son redoublement. Quoi qu'il en soit, le sentiment de la phrase demeure vif à ce stade d'évolution. Les éléments les plus résistants sont les temps du début et de la fin : les pas simples qui déplacent le danseur vers la gauche, l'appui continu du pied droit qui ponctue. La variation porte sur la partie moyenne (temps 3 à 6), où le déplacement est faible ou nul. A défaut d'une nouvelle formule type s'imposant sur les débris de l'ancienne, on voit au moins s'affirmer un goût pour le redoublement d'un motif ayant même rythme auditif que le changement d'appui de la gavotte. b) Le style Le style des laridés pontivyens s'oppose à ceux de presque toutes les danses que nous avons passées en revue jusqu'ici. Ses traits les plus constants sont les suivants : Le tempo, toujours alerte, va de la marche vive à la course. Les danseurs se tiennent presque toujours face au centre du cercle et progressent de façon absolument latérale. Quelques-uns s'orientent par moments de trois-quarts vers la gauche, mais aucun n'emploie de positions croisées. Le pied droit ne se pose jamais qu'à l'assemblé du gauche. A Bieuzy le danseur déjà cité adoptait des positions croisées dans la gavotte, jamais dans le laridé. La danse a certainement été rebondissante autrefois, au moins pour les hommes. Un informateur de Noyal-Pontivy nous disait avoir vu les hommes sauter en entrechoquant leurs sabots, broderie encore commune en pays de Guémené. Aujourd'hui le rebondissement ne 1. M "
Berthelot.
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subsiste que très atténué. Chez la plupart même il y a plutôt trépidation verticale sur l'appui que rebondissement. Les mouvements ont très peu d'ampleur. Peu d'ampleur horizontale, peu d'ampleur verticale : les danseurs ne soulèvent généralement les pieds qu'à quelques centimètres du sol. On ne voit guère de ces repliements ou battements de jambe libre si communs en Cornouaille. Les pieds s'écartent à peine l'un de l'autre. Aussi le déplacement est-il faible. Surtout vers Noyal-Pontivy, Naizin, Remungol, l'idéal est de « danser menu ». Le goût du pas menu et tremblé s'affirme précisément dans le motif redoublé au centre de la phrase. Notre plus vieil informateur à Naizin 1 nous disait que le pas était plus ample autrefois qu'aujourd'hui aux débuts de phrases (temps i à 3), mais aux temps suivants on dansait pieds assemblés (temps 4 à 6), en recherchant un effet de tremblement sur place. D'où le nom de jest a gren (danse qui tremble) que les anciens donnaient à leur ronde. On a vu que les moyens d'obtenir cet effet varient suivant les exécutants : transfert rapide de l'appui d'un pied à l'autre, rebondissement sur un pied ou simple esquisse de rebondissement donnant une vibration verticale (correspondant généralement à une demi-pulsation), frappé du pied libre sans appui. Certains atteignent à une remarquable aisance dans ce style difficile. L'une des danseuses que nous avons filmées à Saint-Thuriau, animée d'un continuel et à peine perceptible tressautement vertical, donnait en même temps l'impression de glisser sur le sol de façon lente et ininterrompue.
** *
Dans toutes les démonstrations collectives qui nous ont été faites nous n'avons vu, en fait de mouvement de bras, qu'un balancement étroit et régulier du type le plus simple : un temps vers l'avant, un temps vers l'arrière, etc. Mais à Naizin le vieux danseur dont nous venons de parler accompagnait son pas d'un mouvement plus compliqué, d'ailleurs assez confus. Ce n'était un balancement régulier que pendant la progression latérale des débuts de phrases. Pendant les tremblements sur place des temps 3 à 6 il devenait une sorte de mouvement de piston à hauteur de buste, avec d'énergiques projections rectilignes, horizontales, vers le centre du cercle, suivies aussitôt de retrait, également horizontal. Ceci fait penser aux gestes caractéristiques des laridés du
1. F. Toquin.
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sud. Quelques propos d'autres vieilles gens laissent croire aussi que le geste ancien a pu être moins simple que l'actuel 1 .
2. Structures finales Parmi les danseurs nés en ce siècle, un petit nombre seulement danse encore « à laridé » en ordonnant les pas élémentaires à l'intérieur d'une phrase de huit temps. De tout autres structures ont fini par prévaloir. Comme elles sont aujourd'hui les plus répandues, ce sont elles que l'enquêteur a le plus de chances d'observer dans les démonstrations individuelles qui lui donnent un premier contact avec la danse locale. C'est d'abord avec incrédulité qu'il voit les femmes exécuter un mouvement si sommaire en apparence, si dépourvu même de structure analysable, qu'on se demande quel plaisir elles y prennent, et comment elles peuvent croire que c'est là danser. Devant les laridés exécutés en groupe, il faut bien se rendre à l'évidence. La ronde tourne sans hâte, régulièrement, sans qu'on lui voie rien faire d'autre qu'un tremblement monotone, indéfiniment répété. L'effet est déconcertant. On découvre avec surprise, en se mêlant aux danseurs, quelle satisfaction peut apporter la répétition obstinée de ce mouvement très bref, quand la ronde atteint une suffisante homogénéité de l'exécution. On découvre aussi que son aspect de danse sommaire est trompeur ; enfin que toutes sortes d'intermédiaires relient dans le passé proche ces structures exceptionnelles aux structures générales de la danse bretonne. Il arrive par exemple que des danseurs habitués à une formule d'appuis en huit temps laissent de temps à autre le motif « vibré » envahir toute la phrase. Ainsi la danseuse de Saint-Thuriau dont nous avons dit l'habileté adoptait quelquefois passagèrement la formule suivante : 1
m
2
j G.-—-D G
3
i
4
n
J
D '^D
5
| G
6
n
j
D -—-D G
7
i j — j
8
|
D
C'est ce motif vibré en deux temps, qui, à la plupart des danseurs, sert aujourd'hui d'unité de mouvement. Beaucoup se contentent de le répéter sans fin. D'autres intercalent de loin en loin, sans régularité, 1. Un informateur de Baud (Joachim Le Paboul) tient de son père, né en 1847, que le laridé à ses débuts (vers 1865 en cette commune) s'accompagnait d'amples mouvements de bras. On sait encore le nom d'un de ses propagateurs, et la chanson dont il accompagnait la danse.
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le mouvement habituellement caractéristique des temps 7 et 8 de la gavotte, seul signe qu'un vague souvenir de l'ancienne structure est encore présent chez eux. C'est probablement la prédilection avouée pour le style menu et tremblé qui a entraîné l'éclatement de la phrase et la conservation de ceux de ses éléments où ce style s'épanouit complètement. Quelquefois le motif tremblé est resté un simple changement de pas. Presque toujours il consiste aujourd'hui en un mouvement beaucoup plus original, demandant une technique spécialisée. Dans les démonstrations collectives groupant des exécutants de même âge, une fois les danseurs accordés les uns aux autres, la diversité du geste paraît secondaire en regard de l'unité du style et du rythme. Les démonstrations individuelles font mieux apparaître cette diversité. Nous en donnerons plusieurs exemples. Pour faciliter les comparaisons nous écrirons les formules d'appuis comme si la place respective des deux temps du motif, rapportée à l'accompagnement musical, était la même pour tous les danseurs. E n réalité, ce qui est temps 1 pour l'un peut être temps 2 pour un autre. * :1e* A Naizin nous avons v u plusieurs hommes danser de la façon te 1 : I
2
1 N D
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3
4
5
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J). H N
D-
D-
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D
6
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7
8
JI F N
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D G
A u départ le danseur, pieds joints, fait rapidement passer l'appui du pied droit (première moitié du temps 1) au pied gauche (deuxième moitié du temps 1), puis de nouveau au pied droit (première moitié du temps 2). Il fait alors un très petit saut de côté, s'élevant à peine et retombant au début du temps suivant sur ce même pied, à quelques centimètres plus à gauche. Les mêmes mouvements se répètent à chaque mesure. Tous les mouvements sont réduits au minimum d'ampleur : très peu d'élévation, presque pas de translation. Le temps impair est divisé par l'alternance de l'appui. La division du temps pair est marquée plus
1. P o u r les nécessités de l ' a n a l y s e d u pas, et exceptionnellement, les indications de mesure, dans cette formule e t les s u i v a n t e s de ce chapitre, seront celles q u ' i m p o s e le m o u v e m e n t , e t non la musique. Il v a de soi que la mesure musicale d e m e u r e uniformément à q u a t r e temps quelle que soit l'unité de m o u v e m e n t (deux, q u a t r e o u huit temps) a d o p t é e par tel ou tel danseur.
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subtilement par une imperceptible extension du genou, sorte de minuscule déclic qui marque le début de la seconde moitié du temps, juste avant que le pied ne quitte terre. Chez d'autres danseurs, en particulier des femmes, l'économie du mouvement est poussée beaucoup plus loin. Alternativement le pied gauche fait un pas de côté à gauche (un temps) et le pied droit le rejoint à l'assemblé (un temps). Aucun rebondissement, et même souvent aucun jeu analysable de cheville ou de genou. C'est le corps tout entier qui vibre, de façon à accentuer verticalement, sur l'appui, les deux moitiés de chaque temps, ou d'un temps sur deux. Quelquefois le pas du pied gauche est fait avec cette vibration, et l'appui du pied droit divisé d'une autre manière. Par exemple, le pied droit se pose d'abord sur le talon ou le bord externe seulement (un demi-temps), sur toute la semelle aussitôt après (second demi-temps). *
*
*
Dans une formule de phrase notée à Remungol et rapportée plus haut, les temps 3 et 6 consistaient en ce double motif : 3
I . . . H D_L
4
i
J
I - F 3 J . . . .
G
5
6
D
1 G
Certains danseurs se contentent de le répéter indéfiniment. Le mouvement peut se faire de la manière la plus simple et la plus aisée. Mais on voit aussi des hommes lui donner un style difficilement imitable. C'est le cas d'une démonstration que nous avons filmée à Pluméliau. Notre informateur 1 faisait à volonté jouer le rôle principal au pied gauche ou au pied droit suivant l'une ou l'autre de ces formules d'appuis :
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Nous ferons l'analyse du mouvement selon la seconde formule pour faciliter la comparaison avec la variante, plus simple, observée à Remungol :
1. M. T a n g u y .
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Le danseur quitte sa position de départ (supposée pieds joints) en sautant légèrement, et retombe au début du temps i, très faiblement à gauche, sur le pied droit. Le pied prend un large appui, talon à peine soulevé. Le pied gauche, tout juste soulevé du sol, reste au contact du droit. Son talon accentue au moins la seconde moitié du temps i en heurtant le sol à l'assemblé ou en heurtant latéralement le talon droit. Parfois même une rapide et presque insaisissable torsion de la cheville (talon vers l'intérieur au départ) fait, sur chaque moitié du temps, pivoter le pied libre sur lui-même dans le plan horizontal. Sur la fin du temps i, le danseur dérobe sous lui son appui en lançant le pied droit vers l'arrière et la droite, et retombe au t_mps z sur le pied gauche. Cette chute d'un appui à l'autre se fait sans élévation, et avec très peu de déplacement latéral : le danseur retombe faiblement à gauche de sa position du temps i. De même l'espèce de ruade latérale de la jambe droite n'est qu'esquissée : les deux pieds ne s'écartent guère l'un de l'autre. La difficulté en même temps que la remarquable qualité de cette démonstration viennent précisément du contraste entre la vigueur du mouvement d'une part, la précision et l'extrême étroitesse de son dessin d'autre part. * * *
Gtons encore une version observée parmi d'autres à NoyalPontivy.
1 S^fïflS^fïf G + D — ^ G--—x G+D
" n G--—- tic.
Pieds assemblés, poids du corps portant également sur les deux demi-pointes (talons soulevés au départ), le danseur, deux fois dans le temps i, abaisse les talons joints, les relevant vivement après chaque frappé de façon à accentuer par leur choc sur le sol les deux moitiés du temps. Aussitôt après le second frappé, il saute de côté vers la gauche, avec très peu d'élévation, et retombe sur le pied gauche (temps 2) en lançant le pied droit en arrière. Le lancé est vif, mais assez étroit : les genoux sont joints, la pointe du pied droit ne s'élève pas à grande hauteur du sol. Aussitôt le danseur rebondit pour retomber à pieds joints au temps 1 suivant, sur place ou légèrement plus à gauche, poids du corps sur les deux demi-pointes. De nouveau un travail rapide et précis des articulations du pied amène les talons à frapper deux fois le sol, etc.
LE
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209 ** *
Enfin, exceptionnellement, nous avons vu quelques danseurs adopter un motif de quatre temps comme celui-ci : 1
I H G
2
3
1
D G
N J
4
1
2
D
G
±
nJ 3
4
D G
D
I
Il peut résulter de la fragmentation de l'ancienne phrase de gavotte. Il peut aussi être un emprunt au pays gallo, où l'on connaît des structures analogues à celle-là. * * *
Il n'y a jamais dans ces rondes de mouvements de bras complexes comme nous en décrirons dans les laridés du sud. L'attention qu'il fallait aux danseurs pour bien exécuter le pas dans ses versions finales peut à elle seule expliquer la simplicité de la danse à ce point de vue. Il est même vraisemblable qu'un mouvement de bras d'abord assez complexe (voir ci-dessus, p. 204) ait été simplifié secondairement de ce fait. ** *
En conclusion, la danse appelée laridé en pays de Pontivy appartient au même fonds que les danses appelées gavottes dans la plus grande partie de la Cornouaille occidentale. Elle ne s'en distingue radicalement que par une évolution survenue à une époque toute récente dans sa structure de mouvements. A la différence des régions examinées jusqu'ici, cette évolution remet en cause non seulement le dessin gestuel, mais l'unité de mouvement elle-même. Une prédilection s'affirme pour le mouvement à la fois vif et étroit, et finalement pour une sorte de trépidation sur place. En conséquence, on constate une tendance à accorder toujours plus d'importance à un motif de deux temps, qui à l'origine est un changement d'appui. Dans les versions les moins éloignées du modèle ancien, ce motif est redoublé au centre de la phrase. Dans certaines variantes il l'envahit tout entière. Enfin, il subsiste seul et toute structure de phrase disparaît. La diversité des façons de danser devait être frappante dans les dernières années où la danse était encore vivante, parce que les rondes réunissaient des participants appartenant à des générations différentes. Si la tradition avait suivi son cours, l'élimination progressive des danseurs âgés aurait réduit la marge de variation. Le motif de deux temps s'était imposé aux plus jeunes comme unité de mouvement. Il existait déjà entre eux une uniformité de rythme et de style. Il est probable que dans
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le détail gestuel aussi des versions de groupe auraient fini par prédominer. Une évolution qui dans son principe portait sur le style était en voie de faire passer la danse d'une structure ancienne à une nouvelle, si totalement différente de la première, qu'en l'ignorance des termes de passage il eût été impossible de supposer une filiation entre elles.
II. — E N P A Y S D E C H A I N E
MIXTE
Le terroir morbihannais de la gavotte en chaîne mixte, presque réduit aujourd'hui au pays de Guémené, englobait encore aux premières années de ce siècle la région de Gourin et Langonnet, passée depuis à la chaîne ouverte. Du point de vue du pas comme du point de vue de la forme, cette dernière région fait transition entre la Haute-Cornouaille d'une part, les pays de Guémené, Le Faouët, Scaër, d'autre part. Nous exposerons les faits qui s'y rapportent avant de passer au pays pourlet proprement dit et à sa bordure méridionale.
A. —
AUTOUR D E
LANGONNET
Nous ferons état sous ce titre d'observations faites à Langonnet, La Trinité-Langonnet, Le Saint, Gourin. La formule d'appuis qu'il nous a été le plus souvent donné de relever place la division de la pulsation au temps 3. Toutefois dans quelques démonstrations individuelles, elle était au temps 4. L'allure générale de la danse est variable, et cette variabilité est liée à celle de la forme. Les vieux informateurs opposent d'eux-mêmes la « contredanse » en ronde (autrefois troisième terme de la suite, généralement abandonnée aujourd'hui) et la jest-hir en longue chaîne (premier terme). Dans la contredanse le pas se faisait de côté, étroit et calme, sans broderies, avec un faible rebondissement ou seulement une suspension verticale continue. De temps à autre un lancé de jambe libre peu ample, vers le centre du cercle. Dans la chaîne ouverte (fest-hir) le pas est toujours allongé, et l'exécution plus ornée. Mais rien d'obligatoire ni de constant. L'allure change suivant le meneur et la fantaisie des exécutants. Les broderies interviennent facultativement. Il n'y en a que très exceptionnellement dans le pas des femmes, qui est contenu, suspendu plutôt que vraiment rebondissant. Il n'y en a pas toujours non plus dans celui des hommes. On ne voit guère de longue chaîne pourtant où certains d'entre eux n'adoptent un style orné.
LE
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La plus ordinaire et la plus notable de ces broderies est un pa^ dreon ou « pas en arrière » qui, au moment du changement de pas, amène le pied droit en position d'appui derrière le gauche, ce qui a pour effet de ralentir un instant la progression. Il y a plusieurs façons de le faire : Par exemple, le pied droit se pose à la seconde moitié ou au dernier tiers du temps 3, à quelque distance derrière le gauche et à sa gauche. Le changement de pas se fait dans cette position, sur place, et c'est encore dans cette position que le pied droit reprend l'appui au temps 5, après s'être soulevé de quelques centimètres, sans déplacement, au temps 4. Le dessin de ce mouvement peut être modifié par l'économie du changement de pas : le danseur pose le pied gauche au début du temps 3, rebondit et retombe sur ce même pied au temps 4, jambe droite repliée croisant la gauche en arrière. A u temps 5 le pied droit (appui) se loge emboîté à gauche du gauche (pointe du pied droit le long du talon gauche), qu'il chasse vers l'avant. Ou encore la succession des appuis restant celle qui vient d'être dite, la jambe droite croise devant la gauche au temps 4 (avec un rapide battement amenant un instant le pied droit à gauche du mollet gauche), puis repasse aussitôt derrière elle pour loger le pied droit en position d'appui croisé arrière au temps 5. Il arrive aussi que le changement de pas se fasse en position d'assemblé et que le pied droit s'emboîte derrière le gauche seulement au temps 5. Autre broderie assez commune : aux temps 7 et 8 de la phrase les hommes sautent verticalement (prise d'élan sur le pied droit au début du temps 7, retombée sur ce même pied à la fin du temps 8) et heurtent les deux pieds en l'air. Comme on le sait déjà, ni les appuis croisés ni l'entrechat des fins de phrases ne sont le bien propre du terroir de Langonnet. Ils ont, ou ont eu, cours plus au nord, de Carhaix à Gouarec. Il est seulement vrai qu'ils sont aujourd'hui de pratique plus courante en pays de chaîne mixte, et y revêtent un tour particulier. On va voir que le style de Guémené leur fait la part plus grande encore.
B. —
AUTOUR DE
GUÉMENÉ-SUR-SCORFF
Les traits originaux des gavottes de la région de Langonnet se retrouvent en effet, plus accusés, dans la gavotte pourlette. C'est pendant la petite ronde à quatre danseurs que l'ampleur et l'intensité des gestes sont les plus grandes. On dirait que les deux
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hommes veulent donner la mesure de leur vigueur et de leur agilité. Peut-être aussi est-ce désir de stimuler les assistants, de créer un maximum d'animation et de provoquer à la danse les couples qui vont se joindre à eux. E n tout cas, on voit la ronde tourner à longs pas très rebondissants, avec de grands balancements de bras, et à chaque fin de phrase les deux hommes bondir en hauteur, face à face, aussi haut qu'ils le peuvent. Ils prennent leur élan sur le pied droit au temps 7, s'élèvent verticalement, aidés souvent par une impulsion de leurs voisines — qui ne leur lâchent pas les mains — et, avant de retomber sur le pied droit vers la fin du temps 8, heurtent en l'air leurs deux talons. Ce choc, très sonore quand les deux danseurs sont en sabots, se produit généralement au début du temps 8, alors que s'amorce la descente. Certains, en sautant, gardent les deux pieds dans l'axe du corps. D'autres étendent les deux jambes obliquement de côté, et frappent les pieds dans cette position. Dans la phase en longue chaîne, l'allure générale de la danse devient autre, à la fois très semblable à celle de certaines rondes de HauteCornouaille, et très différente. Abstraction faite des broderies, elle en diffère déjà par l'allongement des pas et la progression rapide de la chaîne. La plupart des danseurs sont tournés au moins de trois-quarts vers la direction où ils se déplacent. Bien souvent, quand le meneur les conduit un peu vivement, ils tournent nettement le dos au voisin de droite, fût-il leur propre partenaire. Il n'est pas rare que le dernier de la chaîne ait peine à suivre. Mais par ailleurs le pas demeure chez la plupart bien rebondissant. Le corps est projeté d'un appui au suivant. Au moment où l'un des pieds prend l'appui, l'autre est déjà en l'air. Dans les moments calmes où la progression se réduit, le rebondissement continue. Au minimum il subsiste une suspension régulière, bien marquée, assurée principalement par les genoux. Comme la ronde des montagnes dans son style le plus général, la chaîne du pays pourlet est une danse où la pulsation est nettement et régulièrement accentuée. *
*
*
Rebondissement, ampleur à la fois verticale et horizontale des gestes, il est bien des danseurs dont le pas ne frappe par aucun autre caractère. Mais il n'en est pas ainsi de tous. Moins universelles mais plus frappantes sont les broderies dont les hommes ornent volontiers leur pas. En premier lieu les appuis croisés, qui jouent ici un rôle sans équivalent ailleurs. Ils sont le plus souvent le fait du pied droit. Au lieu de prendre l'appui à l'assemblé du gauche ou à un pas devant lui, le pied droit croise devant ou derrière ce pied, et retombe un peu à gauche
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de la place que le pied gauche vient d'abandonner. Cette position croisée peut se prendre aux temps 2, 5, 7, sur l'un ou l'autre de ces temps, ou sur deux, ou sur tous. Enfin, il n'est pas exclu que dans les moments où le danseur danse sur place, le pied gauche lui-même croise devant le droit. Ce goût du croisement.^se manifeste aussi dans les mouvements de la jambe libre. Par exemple aux temps 7-8 (appui sur le pied droit), il est fréquent que la jambe gauche croise devant la droite, souvent même avec un petit battement du mollet gauche sur le tibia droit. Si le danseur — comme il arrive assez souvent — remplace le changement de pas du temps j par un appui continu de deux temps (3-4) sur pied gauche, on peut voir ce même croisement de la jambe libre exécuté par la jambe droite devant la gauche. Toutefois il n'y a pas de règle touchant les mouvements de la jambe libre aux temps successifs de la phrase, et les danseurs d'une même chaîne en usent très différemment. Certains se contentent de soulever le pied plus ou moins haut à l'aplomb de son appui précédent. D'autres replient le mollet horizontalement en arrière... etc. De temps à autre aussi, mais beaucoup moins fréquemment que dans la ronde à quatre initiale, intervient aux temps 7-8 le saut en hauteur avec claquement de sabots. Il était assez familier aux danseurs d'autrefois pour que tous les hommes pussent au besoin l'exécuter simultanément. A un signal crié par le meneur (Hé... Iou) tous les garçons s'élevaient d'un même élan et faisaient claquer leurs chaussures. Les plus habiles les entrechoquaient deux fois. Enfin, une autre façon de marquer les fins de phrases nous a été indiquée à Lignol. Cette broderie, également réservée aux hommes, consistait à faire très rapidement un tour complet sur soi-même (probablement dans le sens de la montre) en lâchant la main de ses voisins. Ceci pendant les deux derniers temps d'une phrase et le premier de la suivante. La broderie était exécutée au cours de la phase en chaîne ouverte, et généralement par le meneur seul. Exceptionnellement elle pouvait être faite par tous les hommes ensemble. Tous ces éléments (appuis croisés de diverses sortes, remplacement d'appuis alternés par un appui continu, dessins multiples donnés au mouvement de la jambe libre, broderies ajoutées) entrent en combinaisons nombreuses. Ils permettent un renouvellement presque indéfini du dessin de la phrase. Si la plupart des danseurs se tiennent à une ou deux façons de faire, il en est qui montrent une aptitude assez surprenante à varier leur danse de la façon la plus naturelle et la plus juste, sans effort apparent, et autant qu'on puisse le savoir sans une conscience bien nette de la diversité de leurs moyens.
DANSE
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* * *
A l'extérieur du pays pourlet proprement dit, et à l'exception des localités du nord dont il a déjà été question, nous n'avons eu le plus souvent que des démonstrations par très peu de danseurs, qui ne donnent aucune certitude quant au style. Il peut en avoir existé des variétés locales qui nous échappent. E n direction du sud-ouest la tendance est à la diminution de l'ampleur et à l'atténuation du rebondissement. Toutefois le style pourlet semble avoir gagné en quelques points sur celui de BasseCornouaille. A Guilligomarc'h par exemple, le style rebondissant ne se serait imposé qu'assez tard. N o u s avons retrouvé jusqu'à Meslan, parfaitement caractérisé, l'entrechat des fins de phrases. Il a dû avoir cours plus à l'ouest aux époques plus anciennes. A Lanvénégen un informateur extrêmement âgé, et pourtant encore capable de danser, esquissait une broderie qui paraît avoir été celle-là. L'appui du pied droit croisé derrière le gauche est connu, avec son nom de pa% dreon, non seulement à Meslan et Guilligomarc'h, mais en Finistère. Enfin, dans les communes les plus à l'est (Cléguérec, Malguénac, Guern, Bieuzy) le dessin gestuel combine des traits du pays de Pontivy et du pays de Guémené. Il en résulte des variantes parfois très remarquables par leur style à la fois vif, étroit et précis.
*
*
*
E n conclusion, l'originalité certaine du pas de la gavotte pourlette tient uniquement à son style. Par sa formule d'appuis la danse est la très proche parente des dans tro de la Haute-Cornouaille et des anciens laridés du pays de Pontivy. D e s constituants du style, aucun même, pris en soi, n'est propre au pays de la chaîne mixte. Ce qui rend pourtant la danse originale, c'est la prédilection qui est marquée à certaines de ces particularités de mouvement, un tour spécial, indéfinissable, qui leur est donné, la fréquence de leur emploi, les combinaisons imprévues qui en sont faites. Ce n'est pas un canon défini comme en pays fisel, mais un ensemble de ressources retenues électivement parmi d'autres, mises en œuvre différemment suivant les lieux, et en un lieu donné suivant les personnes.
LE
RÉPERTOIRE
215
III. — E N P A Y S D E CHAINES OUVERTES E T D E C O R T È G E
A. —
LA
BASSE-CORNOUAILLE A L'EST DE
L'ODET
Le domaine de la chaîne ouverte, qui commence à l'ouest du pays de Guémené et s'étend sur toute la Basse-Cornouaille, se compose de terroirs nombreux, où la gavotte a revêtu des aspects divers. Même dans la partie de ce domaine située à l'est de l'Odet — la seule que nous considérions pour l'instant — la variation est importante. Il est trop tard pour bien prendre sa mesure, l'inventaire des styles n'ayant pas été fait en temps voulu. Depuis le début du siècle l'attention s'est trop uniquement concentrée sur le pays de l'Aven et du Belon, réputé pour l'excellence de ses danseurs. La danse de l'Aven se caractérise en partie par sa formule d'appuis, qui le plus souvent exclut le changement de pas. Elle se caractérise surtout par la sobriété du dessin gestuel et un certain raffinement du style1. Suivant le tempo2 et le meneur, la danse est enjouée ou grave, mais toujours elle conserve une sorte de distinction et d'élégance simple. L'économie du geste y est poussée très loin. Le pas est bien suspendu, mais allongé, glissé à ras de terre. Les appuis sont pris par pose du pied et non par rebondissement. L'accentuation verticale est nulle. Toutes ces particularités s'ajoutant à celle de la forme (quadrette), il faut bien reconnaître à la danse de l'Aven, dans ses versions les plus parfaites, un cachet unique dans l'ensemble des danses bretonnes. Il n'est pas douteux pour autant qu'elle se rattache au même fonds que les danses passées en revue jusqu'ici. Pour le montrer nous considérerons successivement la formule d'appuis et les éléments du style, en rapportant ce que nous avons pu apprendre de leur variation dans les différents terroirs de ce Finistère méridional.
1. Aussi l'appréciation de sa frontière est-elle largement subjective. Pour notre part, nous la ferions partir de l'ouest de Trégunc, gagner S a i n t - Y v i , englober Elliant, passer au sud de Tourc'h et au nord de Scaër. De Scaër à Quimperlé, elle suit le cours de l'Isole et s'achève enfin avec le cours de la Laïta. 2. Il n'est plus possible en ce terroir de faire les mesures de tempo dans les conditions voulues. H. GUILLERM au début de ce siècle (Ch. pop., p. 15) donnait pour la région de Trégunc, 144 et 138 noires à la minute. R. B R É V I N I (dans L E D O A R É , Et. techn., 25-11936) dit l'allure « beaucoup plus vive à Scaër et Bannalec qu'à Pont-Aven », où elle serait de n o à 120, chiffres mieux accordés aux démonstrations qui nous ont été faites. Le même GUILLERM, parlant du jabadao — dont l'allure aujourd'hui est celle de la gavotte — lui attribuait 1 1 6 noires-minute ( M é l o d . bret., p. 22).
DANSE
2IÔ
EN
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i. La formule d'appuis La formule d'appuis habituellement attribuée au pays de l'Aven, et en effet la plus commune, est : 1 2
3
1
t J J J-J G
D
G
5
6
7
D
G
D
8
| J J J- J |
A ne considérer que ce schéma, la phrase se compose de deux motifs symétriques, dont chacun s'achève sur un appui continu de deux temps. Ce caractère ne suffit pas à opposer la danse de l'Aven à celle des autres terroirs de Cornouaille. En effet : a) Au nord, à l'est, à l'ouest du pays de l'Aven, la phrase de gavotte est construite suivant le schéma général comportant une division de la pulsation au temps 3 (autrement dit un changement de pas aux temps 3-4). Comme partout ailleurs, une minorité de danseurs remplace le changement de pas par un appui continu de deux temps. Ces variantes de repos présentent alors la formule d'appuis de l'Aven. b) Inversement, la phrase à changement de pas est mieux représentée dans l'Aven que le silence des textes contemporains ne le ferait croire. Nous avons rencontré à Trégunc et Nizon des danseurs qui ne connaissaient bien qu'elle. A Scaër, Quimperlé, Le Trévoux, Mellac, Clohars-Carnoët, Pont-Aven, Névez, Saint-Philibert, nous avons vérifié que la plupart de nos informateurs avaient vu exécuter par leurs aînés, et souvent pouvaient exécuter eux-mêmes, les deux dessins de phrase (avec et sans changement de pas). Les plus vieux les déclaraient connus des générations précédentes. Nous avons toujours vu la pulsation divisée au temps 3. L. Ropars a observé en 1947, à Névez, une danse où la subdivision affectait le temps 4. Formule à changement de pas et formule à appui continu sont donc employées concurremment. La seconde est seulement plus commune et plus goûtée. Dans un centre de danse réputé comme Scaër, elle était seule admise dans les concours. Enfin, selon les époques, la faveur du public paraît être allée plutôt à l'une ou à l'autre des deux formules.
LE
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217
c) Pas plus dans l ' A v e n que dans les autres terroirs, les deux formules ne sont tranchées : on relève entre elles des intermédiaires. Par exemple, nous avons noté chez certains une formule telle que : 1
2
G
D
I J
J
3
4 . 5
|J D
6
7
J
J-J
G
D
8
,
|
(A la seconde moitié du temps 3, le pied droit, laissé à sa position du temps 2, presse rapidement le sol de la pointe — sans appui efficace — avant de gagner sa position du temps 5.) E n résumé, la formule d'appuis est initialement la même dans le pays de l ' A v e n et dans les autres régions de Cornouaille. Ce terroir n'a de particulier que la prédilection qu'il marque à ce qui est ailleurs Variante passagère, facultative, et sans importance reconnue.
1. Le style Il v a de soi qu'une formule d'appuis aussi banale n'explique en rien l'originalité et l'agrément de la gavotte de l ' A v e n . Celle-ci est de ces danses dont la qualité plastique dépend entièrement du style. Vienne à manquer un certain sentiment intérieur du mouvement, il ne reste qu'une succession de pas élémentaires dépourvue d'intérêt. Une telle danse s'analyse mal. N o u s essayerons au moins d'évoquer la gavotte de P o n t - A v e n , qui est sa version type la plus réputée. Les quatre exécutants — deux hommes encadrant deux femmes —• se tiennent de manière à concilier l'aisance individuelle et la cohésion. Leur groupement n'est pas très serré. Ils se donnent la main, avantbras à peu près horizontaux, chacun couvrant de l'avant-bras droit l'avant-bras gauche du voisin de droite. D e cette façon, ils sont unis par une sorte de lien élastique qui peut, s'il en est besoin, s'étendre ou se resserrer. Ils se déplacent obliquement vers la gauche, le corps orienté de trois quarts dans cette direction. L ' a x e des pieds n'est donc pas à angle droit de la ligne de trajet, mais fait un angle aigu avec elle. Il en résulte que le pied droit peut, comme le gauche, prendre un pas en avant, et pas seulement venir à l'assemblé. L e tempo le plus ordinaire est celui d'une marche bien allante. E n première approximation, l'on peut caractériser comme suit l'allure générale de la phrase. Pendant sa première moitié l'intensité diminue rapidement, du premier temps, où la progression sur le sol est maximum, aux troisième et quatrième, où la danse, un instant suspendue, semble
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hésiter entre une nouvelle avance et un recul. Dans la seconde moitié au contraire, l'intensité et l'ampleur du geste, encore très faibles au cinquième temps, croissent jusqu'aux septième et huitième, qui marquent le point culminant de la phrase. Rappelons que ces différences sont de l'ordre de la nuance. Quant au détail du pas, il est le suivant : le premier appui — début du temps i — est pris sur le pied gauche, à la fin d'un assez long pas en avant (en anacrouse) durant lequel ce pied glisse très près du sol. Au départ une discrète flexion sur la jambe droite (appui du temps 8), et une presque imperceptible inclinaison du corps vers la droite et l'arrière, facilitent l'allongement de ce premier pas. C'est l'impulsion majeure de la phrase. Les pas des temps 2 et 3 sont de faible amplitude. En 2, le pied droit se pose un peu en avant du gauche. En 3, le gauche se pose un peu en avant du droit. Du temps 1 aux temps 2 et 3, le corps, après son inclinaison de départ, vient à l'aplomb de ses appuis. L'impression qui domine au cours de ces 3 temps est celle de continuité horizontale, avec amenuisement de l'élan initial. Du temps 3 au temps 5, le danseur demeure sur place, en appui sur le pied gauche. Ce n'est pas pour autant un moment d'immobilité. La continuité de mouvement avec le pas précédent est parfaite. Le corps s'incline en faible perte d'équilibre vers la gauche, cependant que le pied droit quitte la position d'appui qu'il avait au temps 2 pour venir prendre appui derrière le gauche au temps 5. Ce « paz dreon » (pas en arrière) a des dessins variables suivant les danseurs. En voici un très sobre et très commun : en 3 (appui sur le gauche), le pied droit demeure en arrière, à sa position du temps 2, effleurant encore le sol de la pointe. Pendant le temps 4, le danseur l'amène simplement au voisinage immédiat et en arrière du gauche, suivant un trajet à peu près rectiligne. Certains posent alors le pied droit (temps 5), bien ouvert, perpendiculairement au gauche, la pointe derrière le talon de celui-ci. D'autres le posent parallèlement au gauche et à son contact, le genou droit s'emboîtant dans l'autre. Les pas des temps 6 et 7 font repartir le danseur en avant (6 : pied gauche ; 7 : pied droit). Une fois pris l'appui sur le pied droit du temps 7, le geste s'amplifie en hauteur et longueur. Pendant le temps 7 et la première moitié du temps 8, l'extension continue de la cheville et du genou dressent le danseur au-dessus de son appui, cependant que la jambe libre (gauche) est portée progressivement d'arrière en avant. Dans la seconde moitié du temps 8, en même temps que la jambe d'appui fléchit et que le corps s'incline très légèrement en arrière, la propulsion horizontale du pied libre s'accélère. C'est le long pas glissé qui aboutit au premier appui de la phrase suivante : le mouvement qui achève une phrase se prolonge par celui qui en commence une autre.
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Dans un style aussi dépouillé, tout importe. Mais tout ne donne pas prise à l'étude. Nous retiendrons pour la comparaison avec d'autres terroirs, trois caractères fondamentaux : l'allure générale de la phrase, le dessin du pa% dreoit, le dessin du pas aux fins de phrases. a) Uallure générale de la phrase Ce qui frappe dès l'abord, quand on compare la gavotte de PontAven à celles de Haute-Cornouaille, c'est la sobriété de son pas glissé, son tempo calme, le pouvoir expressif donné à tout le corps, l'économie du mouvement. Ni rebondissement, ni frappé, ni ampleur verticale. Rien qui accentue la pulsation. En fait, entre cet état et ceux que nous avons décrits en HauteCornouaille, il y a, ou il y a eu, toutes sortes d'intermédiaires. Lorsqu'on quitte la Montagne Noire et le pays de ronde pour traverser du nord au sud le pays de chaîne ouverte, on voit le pas de gavotte s'allonger, une danse vive progressant assez peu devenir une danse moins vive progressant davantage, et corrélativement le rebondissement du pas s'atténuer. La gavotte de Coray montre encore un mélange de caractères du nord et du sud. Son pas peut être très allongé, il demeure rebondissant. Les danseurs l'ornent encore volontiers de broderies au dessin ample : croisement de jambe gauche devant la droite au huitième temps, grande élévation de jambe libre en avant et en arrière, etc... Dans la région de Rosporden, la tendance à l'économie du mouvement va plus loin que partout ailleurs. Toute exubérance disparaît. Le rebondissement s'atténue jusqu'à n'être plus parfois que la suspension à peine sensible d'un pas glissé. Le mouvement n'a plus d'ampleur qu'horizontale, et dans cette direction même, il est fort mesuré. Enfin le geste se discipline en même temps qu'il se réduit et, chez les meilleurs, son dessin devient défini jusqu'à la nuance. Tout suggère que ce style extrême était acquis depuis peu au début de notre siècle. Rappelons le nom de « danse courue » que la gavotte portait encore dans des localités comme Névez ou Nizon où ce nom ne se justifiait plus. Les vieux danseurs témoignent que même dans l'Aven, le style nouveau n'avait pas encore triomphé partout. Ceux de Scaër pratiquaient une danse « plus sautée » que ceux de Pont-Aven, et s'amusaient du « pas glissé » de leurs voisins de Guiscriff. Mais le style mesuré et glissé gagnait du sud au nord, s'imposant à des communes comme Tourc'h qui l'avaient ignoré jusque-là. b) -Lî
dreon
Le pat^ dreon, c'est-à-dire le pas qui amène le pied droit en position d'appui derrière le gauche au début du temps 5, n'a pas toujours le
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dessin très simple que nous avons analysé. Certains, avec la même formule d'appuis sans changement de pas, le font servir à une broderie : ayant pris leur appui sur le pied gauche à la première moitié du temps 3, ils lancent le pied droit en avant pendant la seconde moitié de ce temps. Le pied est très peu levé au-dessus du sol, et n'a pas le temps de dépasser beaucoup en avant la position d'appui de l'autre. Il est en effet ramené en sens inverse dès le début du temps 4, pour enfin être posé derrière le gauche au début de 5. Ce trajet du pied libre vers l'arrière a quelquefois le dessin d'un rond de jambe. Nous l'avons plus souvent vu à peine arqué. Le paz dreon peut aussi accompagner la formule d'appuis à changement de pas. Dans la variante recueillie à Névez par L. Ropars (pulsation divisée au temps 4) le pied droit prend un appui croisé derrière le gauche dès le temps 4. Le changement de pas (4-5) se fait en progression, avec cette disposition d'appuis. C'est, transposée dans le style glissé de l'Aven, une façon de danser qui nous a été montrée autour de Gourin, Langonnet, Le Saint. *
*
*
En effet, contrairement à une opinion répandue, le pa% dreon n'est nullement propre au terroir de l'Aven. Nous avons montré quelle fortune variable connaît cet appui croisé depuis les environs de Carhaix jusqu'aux abords de la Basse-Cornouaille, en passant par les pays de Gourin et Guémené. Ajoutons que le Finistère méridional en a fait lui-même un emploi beaucoup plus large qu'on ne le pense habituellement. Le dreon était de pratique courante en pays de Quimper un peu avant la fin du siècle dernier. Du Laurens de la Barre 1 en témoigne : « Mais souvent, pour le premier pas de la deuxième partie [de la phrase] on place le pied droit derrière le pied gauche». En pays de Fouesnant (Saint-Evarzec, La Forêt-Fouesnant, CloharsFouesnant) quelques vieux informateurs ont vu le pav^ dreon intervenir de loin en loin dans la danse, comme broderie occasionnelle. A Tourc'h il était, nous a-t-on dit, fort prisé jusqu'aux premières années de ce siècle. Un commentaire rimé lui a survécu : Pazig 'dreon, Pazig 'raog, 'z e eun dansig 'gist e faot. (Un petit pas en arrière, un petit pas en avant, c'est une petite danse comme il faut.) 1. Ét. dses. bref., p. 273.
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La même formulette est populaire à Coray, où les personnes nées vers 1885 ont effectivement vu les vieilles gens d'autrefois danser d'une façon qui la justifiait. A Landudal, à Trégourez, d'aucuns se souviennent avoir vu, en leur jeunesse, leurs aînés faire, soit un pas en arrière au temps 5, soit un saut en arrière, retombant au temps 5 sur les deux pieds, avec poids du corps principalement sur le droit. A la fin du siècle dernier, des broderies semblables avaient cours beaucoup plus loin au nord-ouest, comme le montre cette phrase de Le Guyader 1 : « Dans certaines localités, à Lopérec par exemple, il y a une sorte de pas de recul, qui retarde le mouvement de la farandole, et qui, bien cadencé, ne manque pas de grâce». Nous n'avons pas retrouvé le souvenir du pa£ dreon à Lopérec, mais nous l'avons retrouvé partout comme broderie facultative jusqu'à Plonévez du Faou au nord, Gouézec, Lothey et Pleyben (inclus) à l'ouest. On le voit, l'aire de diffusion du pa^ dreon a été très étendue. Le territoire de l'Aven n'a en propre que de l'avoir incorporé au dessin type du pas et de lui donner un style original. c) Les jins de phrases Elles sont remarquables par deux traits : l'un, fréquent mais non obligatoire, est l'allongement du pas du pied droit qui s'achève par l'appui de ce pied au temps 7. Nous l'avons observé chez beaucoup de danseurs, depuis le Morbihan jusqu'à Locronan. L'autre trait, beaucoup plus constant, est le long pas glissé du pied gauche (voir version type) par lequel les danseurs de l'Aven commencent leur danse. L. Ropars2 a justement attiré l'attention sur le parallélisme entre ce pas allongé et le triolet ou le groupe de quatre doubles croches dont les sonneurs au même moment agrémentent la mélodie. A la particularité de style moteur correspond une particularité de style musical. On peut comparer cette façon de lier les phrases à celle qui a cours dans les gavottes en ronde de Haute-Cornouaille. En celles-ci c'est une affirmation de l'appui droit, au temps 7, un geste plus ample de la jambe libre, l'un et l'autre dépensant l'énergie résiduelle en accentuant verticalement la fin de phrase. Dans la gavotte de l'Aven, terme extrême de l'évolution des chaînes, c'est une sorte d'étirement horizontal, liant la phrase qui s'achève à celle qui commence, atténuant la pulsation au bénéfice de la continuité du mouvement. 1. Chans. cidrc., p. 178.
2. Ar Soner, mars 1950.
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** *
En conclusion, l'analyse prouve à l'évidence la parenté de la gavotte de l'Aven avec les danses précédemment décrites. Il suffit de prendre un à un les composants de son mouvement pour trouver tous les intermédiaires géographiques entre eux et leurs homologues des rondes. Issue du même fonds que les dans tro des montagnes, la danse de l'Aven est le produit d'une évolution qui a peu affecté l'architecture et beaucoup le style. Une formule d'appuis banale, un nombre infime de gestes fondamentaux, peu de broderies et des plus rebattues. Au total pourtant, une danse originale, et d'une remarquable qualité. Ce qui donne à la danse de l'Aven sa personnalité propre est difficile à définir. C'est un certain mode de sensibilité musculaire, un certain goût en matière de mouvement, qui, avec la même succession de pas, fait une autre danse. Pas d'explosion de forces. Pas de fougue. Jamais le danseur ne se laisse emporter. Maître de son énergie, sa joie est d'en nuancer l'écoulement, suivant un filet continu, où les déliés et les pleins alternent à son gré. Entre la gavotte des montagnes et celle de Pont-Aven la différence de structure est peu importante. Ce qui les sépare est autrement profond : elles ne sont pas seulement des aboutissements distincts d'une même danse, mais la manifestation d'esthétiques devenues étrangères l'une à l'autre. B. —
A
L'OUEST DE
L'ODET
Dans la portion de Basse-Cornouaille limitée à l'est par l'Odet et au nord par l'Aulne, nous avons toujours vu donner au pas de gavotte une formule d'appuis qui place la subdivision de la pulsation au temps j : 1
2
3
4 , 5
G
D
G D G
D
6
7
G
D
8
Touchant le style notre information est imparfaite. Nous avons observé beaucoup de démonstrations individuelles, peu de danses collectives faites dans les conditions voulues. Il est certain au moins que tous les petits pays de cette partie du Finistère participent à quelque degré des tendances que nous avons précédemment signalées en BasseCornouaille : modération du tempo, atténuation du rebondissement,
LE
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réduction de l'ampleur verticale du mouvement. Nous distinguerons, d'une part le pays bigouden avec le Cap Sizun qui lui fait suite, d'autre part les pays de Quimper-Châteaulin avec la presqu'île de Crozon. 1. En pays bigouden et Cap Sirçun
La gavotte bigoudène, si particularisée par sa forme, l'est peu par son pas. La plupart des danseurs observent une formule d'appuis très semblable à celle écrite ci-dessus. Certains adoptent la suivante, qui correspond à un style plus rebondissant que la première :
Ì
G-
* G D G-'—D G'
vD
G-"—G D
La différence entre les deux formules tient au rebondissement qui suit l'appui (G.) des temps 1 et 6. L'appui sur pied gauche du temps 1 est répété au début du temps 2, reportant l'appui droit à la seconde moitié de ce temps. En 6, le pied gauche rebondit et se repose à terre rapidement avant de céder la place au droit au début de 7. La disposition en cortège laissant aux danseurs une grande autonomie personnelle, on en voit qui commencent la phrase du pied droit (remplacer partout G par D et inversement dans les formules). Du fait que les danseurs progressent droit devant eux, le pas est plus allongé qu'il ne l'est dans les chaînes. Beaucoup lui donnent même un dessin très ample en sens horizontal, avec fort peu de suspension verticale. C'est une certitude que la danse a été plus rebondissante. Les textes du xix e siècle l'établissent1 et les démonstrations de vieux informateurs le confirmant. Une broderie encore familière à certains d'entre eux paraît même être un souvenir de ce bond en hauteur avec entrechoc de sabots qui a été si répandu en Bretagne : Le danseur prend appui et élan sur le pied droit au temps 7, saute avec très peu d'élévation, et retombe au temps 8 sur le même pied droit, posé à un pas en avant de sa précédente position. Cette retombée s'accompagne d'un choc sonore des deux talons : au moment où le 1 . S u i v a n t FLAUBERT ( P a r les champs, p. 156) les danseurs « courent au petit trot». S u i v a n t RITALONGI (Bigoudens, p. 60) « . . . l a g a v o t t e , qui est plutôt un pas de gymnastique, à tel point que les naturels l'appellent « les grandes manœuvres » donne un r y t h m e tellement accentué qu'il serait impossible au musicien d'en brouiller l a mesure. » A. DE CROZE (Bret. païenne, p. 6) parle de « sauts comme en font les Somalis ». A . CHEVRILLON (Ench• br., p. 1 3 g ) verra encore un «lent et presque solennel sautillement sur place ».
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EN
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pied droit reprend appui, le gauche, sans toucher terre, se place à son contact, ouvert à angle droit ou davantage, et les deux talons se heurtent. C'est là selon toute apparence l'ancien entrechat en hauteur, refaçonné suivant un dessin nouveau, dans une danse qui ne conservait finalement d'ampleur à ses gestes qu'en sens horizontal. *
*
*
Nous avons continué à rencontrer jusqu'à la pointe du Raz la même structure fondamentale de la danse, sans jamais rien observer dans sa forme ou son pas qui justifie la distinction d'une « gavotte du Cap w1. Le style même ne nous a frappé par aucun caractère saillant. Suivant les moments le pas est allongé, avec des mouvements de la jambe libre amples et assez informes, ou menu et calme, comme une marche alerte un peu piétinée, avec une flexion continuelle des genoux qui donne une suspension régulière et un peu lourde.
2. En pays de Quimper-Châteaulin
Les démonstrations de gavotte qui nous ont été faites en pays de Quimper faisaient voir un style modéré, également éloigné des danses « hautes » des montagnes et de la danse « basse » de l'Aven. Le rebondissement, bien que faible, était sensible. Le pas était moyennement allongé, avec peu d'ampleur verticale. Souvent le pas du temps i (G) était un peu plus allongé que les autres, et le rebondissement qui le suit un peu plus marqué. Le danseur retombait au temps 2 sur le pied droit posé à la place abandonnée par l'autre. Nous avons signalé cette particularité en d'autres terroirs. La tendance à la réduction des gestes s'affirme plus au nord. Elle frappe surtout quand on se dirige d'est en ouest, de la montagne d'Arrée à Crozon : Déjà à Pleyben la danse nous a semblé remarquablement calme, comparée à ce qu'elle est habituellement dans la Cornouaille montagneuse. Pourtant les danseurs de Pleyben trouvent leur gavotte « sautée » en regard de celle de Châteaulin. En ce dernier pays la plupart de nos informateurs, en effet, nous ont montré une danse à peu près dénuée de rebondissement, avec des pas glissés sur la demi-pointe, talon légèrement soulevé du sol. Aux temps 7-8 seulement, le danseur marquait une légère surrection sur le pied droit, parfois un rebondissement sur 1 . Pour beaucoup d'amateurs de danses bretonnes, il est entendu qu'il existe une gavotte particulière au Cap Sizun, comme il est censé exister une gavotte propre à Trégarvan, etc., toutes opinions qu'une recherche sur place montre sans fondements dans la tradition populaire.
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ce pied, en levant le gauche à faible hauteur du sol, ou même le croisant devant le droit. Toutefois, même en l'absence de tout rebondissement, une certaine suspension régulière sur les genoux, si discrète fût-elle, continuait de ponctuer très sobrement la pulsation, monnayant l'énergie au long de la phrase de façon beaucoup plus égale que dans la gavotte de l'Aven. C'est vers Lanvéoc et Crozon que des démonstrations de gavotte faites par des femmes nous ont montré l'économie du mouvement poussée à son maximum : des pas rigoureusement glissés, peu allongés; le pied libre tout juste décollé du sol ; un changement de pas sans déplacement, borné assez souvent à un report d'appui à peine perceptible d'un pied à l'autre ; enfin en 7-8 une ébauche de surrection sur pied droit détachant à peine le talon, avec soulèvement du pied gauche à quelques centimètres de terre à côté ou devant l'autre. Tous les mouvements de la phrase de gavotte étaient parfaitement reconnaissables, mais esquissés plutôt qu'exprimés. Nulle part ailleurs nous n'avons vu pareille réduction des gestes. ** *
De Plomodiern au nord à Pluguffan au sud on nomme dans a gren ou dans war gren (danse qui tremble) une gavotte exécutée dans un style très particulier. Nous l'avons trop rarement et brièvement vue pour pouvoir l'analyser. Disons seulement que le pas est fait presque sur place, avec des gestes extrêmement étroits (les pieds ne se séparent guère), des appuis tantôt sur la pointe et tantôt sur le talon, et un rebondissement continuel. Comme le nom l'indique, on recherchait un effet de tremblement. La technique nous en a paru grossière, comparée à celle des danses de même nom (et très différentes) en pays de Pontivy. Peu de danseurs étaient familiers avec la dans a gren. Souvent le couple vainqueur d'un concours l'exécutait après remise du prix. Nos informateurs situaient toujours l'origine de ce style vers Cast et Quéménéven. *
*
*
Les styles modérés qui dominaient aux derniers temps de la tradition dans les pays de Quimper, Châteaulin, Crozon, n'y avaient pas toujours eu cours. Bachelot de la Pylaie, racontant son passage en 1843 dans une auberge de Telgruc, écrit1 : « Tout était rempli de jeunes gens de la paroisse dont les chants et les cris tumultueux, les danses martelées à coups de talon sur les planchers, les luttes corps à corps, etc... tout semblait réuni pour 1. Ét. arch., p. 185.
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DANSE
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BASSE-BRETAGNE
compléter la bacchanale la plus étourdissante en même temps que dévergondée. » Témoin de la fin du xix e siècle, Le Guyader notait encore1 : « A Châteaulin, Pleyben, Quimper, Quimperlé, le pas est vif, fougueux, souvent furieux à la fin de la journée. » A plus forte raison Bouët, au début du siècle4, pouvait-il voir le danseur quimpérois « hurlant, bondissant, s'agitant œ m m : un possédé qu'on exorcise». Les images de Perrin sont aussi éloquentes, qui montrent notamment les repliements de jambes en arrière, si communs aujourd'hui dans les rondes de la montagne. Significative aussi cette fantaisie que Bouët 3 prête à un danseur, qui « s'évertue à imiter les danseurs grotesques, et, entre autres tours de force, va essayer à leur exemple de frapper trois fois en l'air son pied droit contre son mollet gauche». Comment ne pas reconnaître cette fois encore la broderie dont nous avons souvent parlé? Nous l'avons d'ailleurs retrouvée, à Trégarvan et à Plomodiern, mais atténuée de même façon qu'en pays bigouden (saut allongé sur pied droit, choc de talons à la reprise de l'appui) pour s'adapter au style actuel. Enfin les vieilles gens font état de cris qu'on poussait autrefois en dansant, et qui ne conviennent guère non plus à une danse glissée à mouvements étroits. Comme on voit, tout enseigne que le style supérieurement contenu et mesuré que nous avons observé était l'effet d'une évolution tardive.
C.
i.
La formule
Au
N O R D DE
L'AULNE
d'appuis
Les gavottes en chaîne ouverte qui se dansent au nord de l'Aulne ont pour caractéristique commune une formule d'appuis différente de celle que nous avons observée dans les autres terroirs : «
2
D
1. Ch. cidre., p. 178. 2. Br.-Iz., p. 242. 3. Ibid., p. 442.
3
4
,5
6
7
8
G
D
G
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D
G
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Les danseurs locaux ont conscience pour la plupart que leur danse s'écarte de celle des terroirs voisins (bien que le déplacement se fasse vers la gauche comme partout ailleurs). Plusieurs nous ont déclaré qu'en leur propre commune il y avait eu « de tout temps » des originaux en petit nombre pour commencer la gavotte sur le pied gauche. On les appelait danserien klei — danseurs (du pied) gauche — avec une nuance de critique indulgente. Vers le sud-ouest, l'ouest, le nord-ouest, cette formule d'appuis exceptionnelle a des frontières naturelles ; le cours de l'Aulne de Logonna-Quimerc'h à la mer; le littoral de la rade de Brest; le cours de l'Elorn, de Plougastel aux abords de Landerneau. Sa limite est encore très nette au nord-est, de Landerneau à Saint-Cadou et SaintRivoal : c'est pratiquement la frontière de la Cornouaille et du HautLéon. Les deux pays ont chacun leur danse caractéristique. A mesure qu'on descend de Saint-Rivoal vers le sud-est, la frontière devient plus difficile à tracer. C'est qu'elle passe maintenant à travers la Cornouaille. Elle ne sépare plus deux danses de type différent, mais deux formules d'appui d'une même danse. Jusque vers Le Cloître Pleyben la limite orientale de la gavotte du pied droit est à peu près celle de la gavotte en chaîne. Elle englobe Brasparts et Lannédern, laissant Brennilis et La Feuillée dans le domaine de la « gavotte des montagnes ». Il semble que Loqueffret ait connu les deux sortes de pas. Enfin, au dire d'excellents informateurs, il y aurait eu des adeptes de la gavotte du pied droit — probablement en minorité — à Pleyben, Saint-Ségal, et même Châteaulin. Il est vraisemblable que les deux structures de pas sont en effet représentées dans les localités comprises entre Brasparts et Châteaulin, les tenants de l'une et de l'autre étant en proportion variable suivant les lieux. Le dessin des gestes et le style du mouvement variant peu dans cette petite région, il y a même des chances pour qu'un même danseur ait parfois adopté l'une ou l'autre façon de faire suivant les circonstances.
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Il y a en effet moins de distance qu'il ne semble d'abord entre la formule d'appuis du nord de l'Aulne et la formule générale des gavottes. Leur parenté est mise en évidence par le tableau suivant. Les ligatures placées au-dessus des notes (1) isolent dans la succession ininterrompue des appuis deux phrases d'une gavotte comme celle de Châteaulin.
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Dans la même succession d'appuis, les ligatures placées sous la formule (2) découpent deux phrases d'une gavotte comme celle de Brasparts. 1
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il
1 2
La succession des pas élémentaires est la même dans les deux danses. Seul diffère l'ajustage de la phrase mouvement à la phrase mélodique : ce qui s'accomplit du temps 1 au temps 8 dans la gavotte de Brasparts, s'accomplit dans le cas le plus général du temps 7 d'une phrase au temps 6 (inclus) de la suivante. Autrement dit une structure de phrase se déduit de l'autre par décalage de deux temps. Il n'est pas douteux donc que la gavotte du nord de l'Aulne se rattache à la même souche que celle des autres régions. Mais sur la façon dont elle a pris naissance et s'est généralisée, nous ne savons rien de sûr. Il est probable que la mode de la gavotte du pied droit s'est répandue de proche en proche dans un pays qui avait d'abord possédé le pas commun à toute la Cornouaille. Les non conformistes qui s'obstinent à partir du pied gauche pourraient bien être les derniers fidèles de l'usage ancien, presque entièrement supplanté et de plus en plus décrié. Dans cette hypothèse c'est au Faou qu'on serait tenté de voir le centre de diffusion de la mode, vu la position géographique de cette ville, son importance économique, religieuse, et plus généralement son rôle de petite capitale locale. Mais encore une fois, la supposition est à peu près gratuite. En toute hypothèse il a dû falloir un temps assez long pour que cette structure de pas se communique et s'impose à une étendue de pays importante. Son apparition, sans être très ancienne, doit remonter à une époque suffisamment éloignée déjà pour que la tradition orale ne puisse plus rien nous en apprendre. 2. Dessins de pas et styles
Toutes semblables par la formule d'appuis, les gavottes du nord de l'Aulne diffèrent les unes des autres par le dessin des pas. Cette diversité a deux causes principales : D'abord le fait que deux grands styles se partagent ce terroir. L'un montre les plus grandes analogies avec le style des monts d'Arrée : danse très suspendue et même rebondissante, mouvements amples.
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Il paraît ancien et a dû être général au nord de l'Aulne. L'autre, sobre, calme, étroit, s'observe dans les localités en relation étroite avec Châteaulin, et jusqu'au nord de Brasparts. En sorte qu'on ne relève pas ici de la montagne à la mer les transitions continues de style que nous avons signalées en Finistère méridional. L'Hôpital-Camfrout ou Le Faou, sur la rade, ont un style moins éloigné des rondes de Haute-Cornouaille que Brasparts, encore montagnard, mais ouvert depuis longtemps aux influences de Châteaulin. L'abandon d'une formule d'appuis (1, dans le tableau ci-dessus) pour une autre (2) devait d'autre part favoriser encore la diversité des mouvements : En effet, la phrase de gavotte qui commence par un pas du pied gauche et s'achève par une suspension de deux temps sur pied droit constitue une unité de mouvement satisfaisante : dans l'espace de ses huit temps un cycle s'accomplit d'un démarrage à un repos. Mais il n'en est plus ainsi après qu'un décalage de deux temps a désajusté la phrase mouvement de la phrase mélodie, et privé la première de sa conclusion. Aux temps 7 et 8 se trouvent maintenant deux pas égaux, qui, loin de marquer une fin, appellent une suite : la phrase mouvement ne s'achève plus. On va voir que suivant les lieux, les danseurs se sont inégalement accommodés de cet état de choses.
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à) Certaines versions stabilisent le dessin gestuel dans l'état où l'a laissé le décalage musique-mouvement. La dansé alors ne marque plus, ou fort peu, de séparation entre les phrases. Cette façon de faire s'observe partout chez certains danseurs, et particulièrement chez des femmes, mais c'est seulement dans la région de Brasparts qu'elle est le fait du plus grand nombre. Le style sobre de ce terroir souligne même tout particulièrement la liaison des phrases. Les danseurs, disposés en longue chaîne, sont orientés de troisquarts vers la gauche, en sorte que les deux pieds ont un rôle à peu près égal. Le tempo est celui d'une course, plus ou moins animée1. Le pied se pose simplement, sans projection d'un appui à l'autre et sans frappé. On ne voit de rebondissement que passagèrement, quand le meneur s'efforce d'animer la danse. Le plus souvent la pulsation est seulement scandée, discrètement et uniformément, par une suspension élastique, régulière, assurée principalement par les genoux. Le pas progresse i. En 1954, dans une veillée au village de Coat-Compez nous avons 176 noires minute au début de la soirée, 180 un peu plus tard.
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un peu plus que dans les rondes, sans être pour cela très allongé. Enfin les gestes de jambe libre ont peu d'ampleur. En particulier nous n'avons jamais observé de ces repliements de jambe libre en arrière, si fréquents en d'autres terroirs. Dans cette danse égale, où les pas élémentaires se succèdent sans marquer entre eux de relief appréciable, le découpage des phrases est moins évident que partout ailleurs. Il n'y a aucune différence de durée, d'accentuation, d'ampleur, de dessin, entre les pas des temps 7 et 8, donc aucune impression de fin. Quelques danseurs, en affirmant leur appui droit au temps 1, introduisent bien un accent vertical au début des phrases, mais cela même n'est pas constant. Chez d'autres l'appui continu sur pied droit (1-2) se lie continûment aux deux pas égaux qui le précèdent, et devant un film muet on ne saurait dire si c'est là le commencement ou la fin d'une phrase. Le sentiment de la pulsation et celui de l'écoulement horizontal, ininterrompu, du mouvement, s'accompagnent et ont même force. Certains danseurs en tirent un parti remarquable. b) En d'autres communes au contraire le dessin des gestes a été retouché jusqu'à refaire de la phrase mouvement une entité accordée à l'entité mélodique. Ces versions sont communes dans la région voisine de la rade de Brest, et plus particulièrement autour du Faou. C'est peutêtre que la nouvelle formule d'appuis a été acquise là plus tôt qu'ailleurs : les remaniements ont pu jouer sur une plus longue durée. C'est certainement aussi que les remanieurs ont trouvé dans le style local, animé et orné, plus de ressources pour ces réajustements que leurs voisins d'entre Brasparts et Châteaulin. Les danseurs locaux ont conscience de posséder deux styles : l'un pour la danse des circonstances ordinaires (en chaîne), l'autre pour la danse des concours ou dans war 'r sei^enn (par couples). En fait la dans war 'r sei^enn ne fait qu'accuser des tendances et employer systématiquement des broderies qui s'observent déjà dans la danse commune. La distance entre elles est beaucoup moins notable qu'en pays fisel. Les traits communs aux deux styles sont les suivants : Les danseurs présentent le flanc à la direction de marche, et se déplacent de côté. La progression est ainsi assurée presque exclusivement par le pied gauche. Le droit ne croise pas devant lui (cela n'empêche pas le déplacement d'être quelquefois très considérable dans la danse ordinaire. Il est réduit au contraire dans la danse de concours.) Il y a presque toujours rebondissement du pas, souvent même chez les femmes. Une vieille d'Irvillac nous assurait que le pas était autrefois « plus sauté » encore. Corrélativement les gestes masculins sont amples. Aux temps 3 et 4 (deux pas de course) il est fréquent d'observer un énergique repliement de la jambe libre en arrière, mollet contre la
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cuisse. Enfin, aux temps 1-2 et 7-8 prennent place les broderies dont nous allons parler, qui donnent à la phrase un.commencement et une fin. a) Pour souligner le début de la phrase, certains hommes se contentent d'accentuer l'appui du pied droit (pris au temps 1, maintenu au temps 2) tout en soulevant franchement le gauche. Leur geste fait alors penser à une ample et calme prise d'élan, qui va se dépenser peu à peu dans le reste de la phrase. D'autres ont un mouvement plus énergique : l'appui sur pied droit est fragmenté en deux poses, reliées par un saut assez vigoureux. Le danseur prend appui et élan sur le pied droit au temps 1, saute de côté vers la gauche, et retombe sur le pied droit au temps 2. Cette retombée est marquée par un choc sonore des deux talons : au moment où le pied droit reprend appui, le gauche, sans toucher terre, se place à son contact, ouvert à angle droit ou davantage, et les deux talons se heurtent1. P) Mais le besoin ressenti par le plus grand nombre est celui de marquer la fin de la phrase. La solution qu'impose l'instinct est toujours la même : rompre l'égalité des deux pas de course terminaux, mettre en relief le septième temps, effacer le huitième. Pour effacer le temps 8, il suffit de ne donner aucun accent à l'appui (G), aucune ampleur au soulèvement de la jambe libre (d). Pour mettre en relief le temps 7, les danseurs usent au contraire d'un geste typique de la?;jambe libre, qui varie de l'un à l'autre. Chez certains, ce geste n'a de particulier que son ampleur : la jambe gauche soulève rapidement le pied assez haut à l'aplomb de sa position d'appui, en se pliant plus fortement que pour un pas de course normal. Cela s'observe même chez des femmes. Chez d'autres, il y a simultanément ampleur plus grande et dessin spécial du geste : la jambe gauche croise rapidement devant la droite, pied levé à hauteur variable, talon vers la droite, pointe vers la gauche. Souvent le pied droit a pris son appui en arrière du pied gauche pour faciliter ce mouvement. D'autres enfin réduisent le geste à l'extrême, mais lui donnent un dessin précis et original. Au lieu que le pied gauche s'élève pour croiser devant la jambe droite, il ne quitte le sol que du talon. Il relâche son appui, pivote sur sa pointe d'un quart de tour pour se placer dans le plan frontal, talon vers la droite, bien soulevé du sol, pointe toujours à terre. Pendant ce temps le pied droit vient se poser dans le plan sagittal, perpendiculairement à lui, soit que sa pointe se glisse sous le talon gauche, soit seulement qu'elle prenne l'appui un peu en arrière. Au temps 8 le pied gauche repivote rapidement en sens inverse et prend la même position d'appui qu'en 6, cependant que le droit se soulève. 1 . Cf. ci-dessus, pp. 223 et 220-
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Quelle que soit la façon de faire, la succession d'un pas d'énergie intense (7) et d'un pas de dépense presque nulle (8) donne une impression de détente comparable à celle que donne en d'autres gavottes l'appui prolongé sur deux temps. Au terme de ces réajustements la phrase a retrouvé un commencement et une fin, repérables au seul regard, sans l'aide de la phrase musicale. L'unité de mouvement est maintenant aussi bien définie que celle qui caractérise le reste de la Cornouaille, mais ce n'est plus la même unité. L'apparence sensible de la phrase est même si bien renouvelée par le décalage de la formule d'appuis et le remodelage des gestes, qu'il faut l'analyse et la comparaison des formules écrites pour reconnaître dans cette danse la parente indiscutable de celles de Châteaulin ou Huelgoat. Il suffit désormais de minimes altérations supplémentaires pour que toute trace de cette communauté d'origine disparaisse. Nous le montrerons sur un dernier exemple. Gavotte de Lœperhet
La version que voici nous a été montrée à Loperhet par deux hommes1, qui l'exécutaient avec un synchronisme parfait. Non seulement le dessin et le style très spécial du pas empêchent d'abord d'y reconnaître la danse typique de la Cornouaille, mais cette fois la formule d'appuis même est fort peu révélatrice : 1
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Ce n'est pourtant qu'une gavotte comme celles que nous venons d'analyser. La nouveauté tient à ce que le changement de pas (5-6) a été remplacé par un appui continu avec broderie de jambe libre. Par ailleurs on reconnaîtra dans le début et la fin de la phrase les mouvements précédemment décrits : Du temps 1 au temps 8 le mouvement est très vigoureux, très ample, et rebondissant : Le premier temps est accentué par un frappé énergique du pied droit (au départ l'un des danseurs élevait devant lui la jambe droite tendue, pied assez haut, pointe vers le ciel, puis abaissait la jambe d'un seul bloc, pour frapper le sol de toute la semelle). Le danseur rebondit aussitôt vers la gauche... 1 . Y . Haraoa et J . Queffelec.
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... et retombe au temps 2 sur ce même pied droit, en entrechoquant les deux talons. ... Les deux pas de course des temps 3 et 4 se font avec l'habituel repliement arrière de jambes libres, mais au lieu de demeurer dans le plan sagittal du corps le pied libre est lancé vers l'extérieur en même temps que vers le haut (position des genoux en dedans)... ... Au temps 5 le danseur retombe sur le pied gauche, en élevant latéralement la jambe droite, mollet replié derrière la cuisse. Il conserve cet appui au temps 6, étendant la jambe droite dans le prolongement de la cuisse sans beaucoup modifier l'inclinaison de celle-ci. Un léger saut quittant l'appui gauche sur la fin du temps 6... ... le fait retomber en 7 sur le pied droit, jambe gauche fortement croisée devant la droite (pied assez haut, pointe dirigée vers la gauche). Enfin un dernier rebondissement... ... le fait retomber (8) sur le pied gauche. La jambe droite en ce dernier temps est, soit repliée en arrière, soit tendue en avant, prenant d'une manière ou de l'autre l'élan nécessaire pour le frappé du premier temps suivant. En l'absence des versions intermédiaires, on croirait difficilement que la danse qui vient d'être analysée est proche parente de la chaîne de Quimper ou de la ronde de Carhaix. Elle a même origine pourtant. Pour donner à la gavotte de Loperhet ce pas si particulier, aucune transformation brutale n'a été nécessaire. Il a suffi de modifications successives, dont chacune était assez légère en elle-même. Certaines ont porté sur la formule d'appuis, d'autres sur le style. De même qu'en pays de Pontivy, l'association des deux sortes de remaniements a finalement produit une danse entièrement nouvelle.
IV. — E N BAS-LÉON La formule d'appuis de la gavotte en Bas-Léon est identique à celle qui domine en Basse-Cornouaille : appui initial sur le pied gauche, changement de pas au temps 3, appui continu sur pied droit aux temps 78. Le pas rapproche donc la danse du Bas-Léon de celle de la Cornouaille méridionale plus que de celle du pays du Faou qui fait transition géographique entre elles. Le tempo varie de la course modérée à la simple marche un peu alerte. Quant au style, s'il a jamais eu une unité, elle n'est plus perceptible. Comme toujours le pas des femmes est celui où les différences individuelles sont le moins marquées. Même là pourtant il en existe.
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Par exemple, certaines danseuses ont un pas très menu, qui rappelle beaucoup celui de vieilles en Haute-Cornouaille. D'autres au contraire, ont un pas presque marché, étiré en longueur. Chez les hommes, nous avons constaté des différences beaucoup plus considérables. Presque toujours leur pas est très ample, accompagné de grands balancements de bras d'avant en arrière. Vers Lanildut et Porspoder, nous les avons vus se dépenser en fantaisies personnelles : certains font un pa% dreon (appui croisé du droit derrière le gauche) au temps 5 ; à la fin des phrases, lâchant les mains de leurs voisines, ils tournent sur eux-mêmes (sens de la montre) ; d'autres frappent du pied, sautent verticalement en claquant les talons en l'air. Dans toute la région de Saint-Renan, des personnes âgées nous ont décrit de tels mouvements, qui, selon l'expression de l'une d'elles, donnaient à la danse des hommes un caractère « violent et sauvage », contrastant avec le pas égal et mesuré, la tenue modeste des femmes. Dans la région de Saint-Renan, Milizac, les danseurs donnent très souvent aux deux derniers temps de la phrase un dessin de mouvement que nous n'avons revu nulle part ailleurs. En appui sur le pied droit au temps 7, et en légère perte d'équilibre vers la droite, ils lèvent la cuisse gauche de côté, dans le plan frontal, vers la gauche, jambe plus ou moins pliée au genou. Le mouvement n'est pas des plus élégants, pour notre goût moderne. Nous avons vu dans un pardon de Locmaria-Plouzané une autre façon, aussi originale et guère plus harmonieuse, de marquer la fin des phrases. C'était pendant la figure par couples de la gavotte (progression droit devant soi). Chez plusieurs danseurs, une fois pris l'appui sur pied droit du temps 7, un même déclic projetait à la rencontre l'un de l'autre la jambe gauche soulevée en avant, tendue, assez raide, et le tronc incliné brusquement tout d'une pièce. On eût dit le danseur composé de deux segments articulés à la hanche. E n ce même Locmaria, nous avons vu des démonstrations d'un autre style. Notre principal informateur 1 dansait de façon à la fois vigoureuse et contenue, à ras de terre, avec peu d'ampleur horizontale, dans un mouvement staccato, surtout sensible au changement de pas. E n 7-8 il se soulevait légèrement sur le pied droit, tronc vertical, la jambe gauche faiblement pliée portant le pied juste au-dessus du pied droit. Les bras balançaient régulièrement, pendant toute la phrase, avec un élan plus marqué vers le haut au temps 7. [• 1'. Quiriquis-
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La variation des styles masculins est donc grande, composée pour une petite part peut-être d'une ancienne variation locale, sociale, pour une grande part certainement d'une variation individuelle, que la raréfaction des occasions de danse collective a favorisée. On peut retenir la notion générale d'un mouvement ample, énergique mais très fruste, abondant en broderies vigoureuses, qui toutes se retrouvent en d'autres terroirs du pays de gavotte.
V. — CONCLUSION. LA FORME E T L E PAS Aux premières pages de cette monographie, nous avertissions que les danses réunies par nous sous le titre « Gavotte » possédaient sous une diversité remarquable, une unité profonde. L'analyse de leurs formes et de leurs pas a permis de le vérifier. Elle impose en outre cette constatation : la diversité s'accuse aux dépens de l'unité à mesure que l'on considère des époques plus récentes. Il n'est pas douteux qu'à l'origine il s'agit partout d'une même danse. Les formules d'appuis anciennes l'établissent, qui diffèrent si peu d'une région à l'autre. La structure de la phrase de gavotte n'est pas de celles qu'on a des chances de rencontrer fréquemment. Néanmoins elle a caractérisé un territoire qui allait de la Pointe du Conquet et de la Pointe du Raz jusqu'au delà de Lohuec et Pontivy. Même des éléments du dessin gestuel témoignent d'une unité passée. L'entrechat des fins de phrases, le pa% dreoit, le tournant des hommes sur eux-mêmes, ont été connus à la pointe du Léon aussi bien qu'à Guémené-sur-Scorff. Les ressources fondamentales du mouvement paraissent avoir été partout semblables. Les changements générateurs de la diversité actuelle ont porté sur la forme et le pas. De ronde qu'elle a dû être partout à l'origine, la danse a évolué en chaîne mixte, longue chaîne ouverte, quadrette et cortège. Ces remaniements de la forme sont amorcés dès la fin du x v m e siècle au plus tard. Ils prennent de l'ampleur au xix e et vont s'accélérant au terme de la tradition. Quelle qu'ait pu être leur cause première, ils sont révélateurs des changements psychologiques survenus en milieu paysan. La ronde au cérémonial traditionnel, où la communauté entière éprouvait et manifestait son unité, devient une dant>e de petits groupes plus ou moins autonomes, quelquefois concurrents, qui fait une part de plus en plus large aux amours-propres individuels.
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Les remaniements du pas sont plus tardifs que ceux de la forme. Plus exactement les styles « jeunes » d'aujourd'hui résultent d'un refaçonnement qui paraît n'avoir pris d'importance qu'un peu avant le début de notre siècle. De nombreux témoignages, écrits ou oraux, font connaître en Basse-Cornouaille des styles disparus, différents des styles actuels. Toujours, en pareil cas, il apparaît que le style ancien était plus rebondissant, plus vigoureux, plus ample, autrement dit plus semblable à ceux que nous connaissons encore en pays de ronde. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu dans le passé une diversité des styles. Il est seulement probable qu'elle était différente de l'actuelle, et contenue dans des limites plus étroites. Les modifications de la forme et celles du style ont dans une certaine mesure partie liée. Il est évident par exemple que la chaîne toujours ouverte et progressant beaucoup a favorisé l'allongement du pas, l'atténuation du rebondissement, et plus généralement la substitution d'un dessin horizontal à un dessin vertical. Elle a aussi créé des conditions plus favorables à l'invention et à la fantaisie personnelles. En comparaison du style, la formule d'appuis — à deux ou trois exceptions très importantes près — n'a subi que des remaniements de détail. Pour la suite de notre étude, il importe de retenir ceux qui affectent la place du changement d'appuis. Rappelons que la pulsation est divisée au temps 3 dans une vaste zone soumise à l'influence de Quimper-Châteaulin-Quimperlé ; que la division du temps 4 l'emporte en Haute-Cornouaille, et d'autant plus qu'on va davantage vers le nordest ; qu'elle a été notée d'autre part dans la région de Névez ; enfin qu'en quelques communes à la périphérie du domaine de la gavotte, on connaît des exemples de phrases où la pulsation est divisée au temps 5. On verra plus tard l'intérêt de ces remarques. Les transformations n'ont généralement pas été indéfinies. Dans la plupart des terroirs la danse s'est finalement stabilisée (ou tendait à le faire) dans une version-type nouvelle, qui voyait s'étendre son public et son aire géographique. La modification de la forme, le renouvellement du dessin gestuel, les menus changements survenus dans le rythme, donnaient à plusieurs de ces versions un aspect très différent de celui dont elles s'étaient écartées. Dans les terroirs où la formule d'appuis elle-même avait été remise en cause, la nouvelle version-type n'avait plus guère de rapport avec l'ancienne. Enfin, qu'il s'agisse de forme ou de pas, les états de mouvement s'échelonnent suivant la même loi générale, entre une région centrale de tradition relativement stable, et des régions périphériques de tradition
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mouvante. La zone montagneuse de l'intérieur se montre conservatrice d'états archaïques. Les traits fondamentaux de la danse y ont peu changé depuis l'époque la plus ancienne que nous puissions atteindre. En BasseCornouaille et Morbihan le fonds traditionnel a évolué davantage. La région de Quimper avec celles de Châteaulin qui la relaie au nord, de Rosporden et Quimperlé qui la prolongent à l'est, paraît avoir joué un rôle particulièrement important dans la diffusion des modes nouvelles. On va voir que la géographie de l'accompagnement musical confirme cette opinion.
L'ACCOMPAGNEMENT MUSICAL
I. — LES MOYENS D'ACCOMPAGNEMENT Il n'est pas de terroir où l'on n'ait jamais dansé en chantant. Il n'en est presque pas non plus où l'on ait totalement ignoré les instruments. Ce qui varie, c'est la forme que prennent l'un et l'autre accompagnements, et surtout leur importance relative. On peut parler de pays à prédominance vocale et de pays à prédominance instrumentale. Les frontières entre eux ne sont pas seulement indécises, elles sont mouvantes. Aussi éviterons-nous de donner à cet exposé un cadre géographique rigoureux. Nous nous attacherons d'abord à caractériser les deux types les plus importants d'accompagnement musical que montre la tradition populaire près de s'éteindre : le chant de danse appelé kan ba diskan, l'accompagnement instrumental. Nous montrerons ensuite, en faisant une revue rapide des terroirs, les rapports et les déplacements d'équilibre entre l'accompagnement instrumental et les divers types d'accompagnement vocal. Il va sans dire que cette étude n'intéresse pas seulement la gavotte, mais plus généralement l'accompagnement de la danse en pays de gavotte. A. —
K A N HA D I S K A N
On connaît en pays de gavotte deux sortes principales de chant de danse. L'un, que nous mentionnerons en divers terroirs, est le chant alterné entre un soliste et un chœur. L'autre, le seul dont il sera question ici, est le chant alterné entre deux exécutants connu sous le nom de kan ha diskan (chant et déchant). En dépit de sa grande originalité, il
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a fort peu retenu l'attention avant notre époque. Bourgault-Ducoudray1 est le premier à notre connaissance qui le signale, sans d'ailleurs s'y étendre. En ces dernières années seulement le mouvement breton pour la remise en honneur des traditions musicales populaires a donné au kan ha diskati la large réputation à laquelle il avait droit. Mais il s'en faut toujours que son importance dans l'histoire de la danse traditionnelle soit appréciée à sa pleine valeur. i. Le chant dans la vie sociale Le kan ha diskan est aujourd'hui encore l'accompagnement typique de la danse dans tout le domaine cornouaillais de la gavotte en ronde. Dans les années qui ont suivi la première guerre mondiale, à plus forte raison avant 1914, le chant gardait en ces régions une vie vraiment extraordinaire, plus intense semble-t-il qu'en la plupart des pays de France lors des grandes collectes folkloriques de la fin du xix e siècle. Dès l'aube les dialogues chantés s'engageaient, parfois à des kilomètres de distance, entre les paysans qui, chacun dans son pré, fauchaient le fourrage du bétail. Au long du jour tout travail et tout loisir qui permettaient le chant lui faisaient place. Ainsi jusqu'au soir, où les ménagères, sans quitter l'âtre, savaient quel attelage rentrait du dehors à la chanson des conducteurs. « En ce temps-là, disait l'un de nos informateurs, dès qu'on se trouvait deux sur la route, on se mettait à chanter. » Aujourd'hui bien des voyageurs traversent la montagne sans entendre une chanson. Mais il suffit d'être admis dans l'intimité paysanne pour découvrir que le chant garde une place éminente dans la vie privée s'il n'en a plus guère dans la vie publique. C'est depuis peu que la jeunesse abandonne le répertoire et le mode d'exécution traditionnels. Au-dessus de } 5 ans, presque tout le monde chante. L'attention donnée aux chanteurs dans les veillées où les paysans sont entre eux est encore très remarquable. Que le fest-no^ (fête de nuit) réunisse trente ou deux cents personnes, c'est le même silence fervent, la même avidité jamais lassée. Il n'est pas possible de comprendre la danse des montagnes si l'on n'a présents à l'esprit cette expérience universelle du chant, ce goût souvent passionné qu'on a pour lui, cette importance qui lui est reconnue. * * *
Le principe du kan ha diskan est simple : l'un des exécutants, le kaner (chanteur), expose la première phrase. Le second, ou diskaner (déchanteur) en dit la fin avec lui, au moins les toutes dernières notes, i. Mélod. B. liret., p. 112.
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puis redit seul la phrase entière. Le premier chanteur le double sur les dernières notes, puis enchaîne seul la phrase suivante. Jusqu'à la fin de la chanson chacun chante ainsi tour à tour, les fins de phrases étant toujours dites à deux. D'où un déroulement sans failles, avec une succession de renforcements et d'amenuisements du son. Voici un exemple de chant ainsi partagé : Vif ( J = 1 7 6 )
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P. M. Boudoin et J. Le Goff.
Plévin, 1953. Ton original.*
Les variations d'élan et d'intensité entre les passages chantés par un seul et les unissons, les différences légères de dessin mélodique et d'ornementation entre les deux chanteurs, font de leur alternance plus et mieux que l'imitation du premier par le second : une interprétation à deux suivant un style défini. La plupart des chanteurs sont capables d'en doubler un autre impromptu, mais presque toujours un bon chanteur a un partenaire préféré avec lequel il fait équipe. Ordinairement chacun est spécialisé dans son rôle : tel, qui double adroitement son camarade, aura moins d'assurance pour « chanter devant ». L'entente tacite entre les deux * La mention « ton original » suit les noms d ' i n f o r m a t e u r s chaque fois que l'air est n o t é d a n s le ton même où il nous a été c h a n t é .
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équipiers va souvent très loin. Nous en avons entendu — spécialement doués, il est vrai — partis d'un registre trop grave, s'élever progressivement à celui qui convenait à leur voix sans interrompre la chanson et sans laisser percevoir de trouble. Le premier improvisait un dessin mélodique ascendant ; le second s'en emparait sans surprise apparente, le prolongeait dans le même sens ; le premier enfin l'achevait à hauteur voulue, retrouvant à un autre niveau le contour de l'air traditionnel. Les voix sont presque toujours haut placées. L'intonation aura encore tendance à monter en cours d'exécution, notamment pendant les notes tenues aux fins de phrases. Si la chanson est longue il n'est pas rare de constater une différence d'au moins un demi-ton, souvent davantage, entre le premier et le dernier couplet, et toujours dans ce même sens ascendant. Les timbres sont divers. On observe souvent des déformations volontaires de la voix, notamment la recherche d'un timbre métallique ou nasal1. Nous avons entendu un même chanteur, dans le privé, chanter d'une voix bien timbrée, sensible et nuancée, et en public, pour mener la danse, adopter une voix de tête, assez criarde, méconnaissable. La puissance de cette voix artificielle, son pouvoir d'excitant nerveux, étaient d'ailleurs frappants. Le kan ha diskan est la façon la plus ordinaire de chanter en toute circonstance. Elle est la seule employée pour la danse. La mélodie, le poème et le mouvement entrent alors en composition suivant des règles que nous allons dire, et qui sont sensiblement les mêmes dans toute la Haute-Cornouaille. Avertissons une fois pour toutes que les exemples musicaux qui suivront ont été notés tantôt dans le cours d'une danse, tantôt hors de la danse. D'où leurs dissemblances. Les tons, nullement obligés, varient avec l'interprète et le moment. Nous en avons profité, quand des mélodies devaient être comparées entre elles, pour les ramener à des tons facilitant le rapprochement. Enfin, pour gagner de la place, nous avons reproduit seulement l'air que dit le chanteur. Il doit être entendu que le déchanteur accompagne les dernières notes et répète. Ceci avec la liberté personnelle dont usent les chanteurs en ces terroirs, liberté qui ne va jamais toutefois jusqu'à remettre en cause la finale des phrases. 2. Déroulement
d'une danse
chantée
a) Avant la danse. Pour saisir le déroulement d'une gavotte chantée en Haute-Cornouaille, il faut savoir que la chanson employée à cet usage n'est pas un assemblage fixe de musique et de paroles. Il existe d'une part un répertoire de poèmes, d'autre part un répertoire i . B o u r g a u l t - D u c o u d r a y ( Ibid ., p. 7), le signalait également.
LE
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d'airs, les « tons ». Poèmes et « tons », établis sur des modèles traditionnels, sont adaptables les uns aux autres. Un chanteur choisit le texte qu'il veut dire, et l'air sur lequel il va le chanter. Dans la danse le chant est toujours assuré par les deux premiers garçons de la chaîne (ou leurs danseuses). Ils ne se présentent en public qu'après avoir convenu des textes et des « tons » qu'ils adopteront pour les deux gavottes de la « dans tro en trois parties ». b) Le prélude. Nous avons dit que la première gavotte de cette suite tripartie comporte une phase préparatoire pendant laquelle les meneurs (seuls ou avec leurs partenaires) déambulent lentement sur le terrain, d'autres danseurs s'ajoutant à leur suite pour former une chaîne ouverte. Cette mise en train est presque toujours brève dans les petites réunions de villages. Elle durait longtemps au contraire dans les grands rassemblements des aires neuves, des pardons et des noces. On peut distinguer deux étapes dans cette phase préparatoire. 1) La première, qui excède rarement deux ou trois couplets, sert à la mise au point du « ton ». La petite chaîne avance à une allure de promenade, en pas de marche irrégulier, sans correspondance entre le rythme du pas et celui de la musique. Les deux meneurs, alternant en kan ha diskan, disent le « ton » à pleine voix, sans autres paroles que des syllabes dénuées de sens, telles que ces tilalalalèno, si caractéristiques que les habitants du pays bigouden en tirent parfois un sobriquet pour désigner les hommes de Haute-Cornouaille (« Paotred tralalèno », les garçons tralalèno). En réalité, les chanteurs vocalisent de façon très variée, en A, EU, I, AOU, EUOU, finissant presque toujours les phrases en leno ou deno, avec appui sur l'avant-dernière voyelle, et assez souvent long point d'orgue sur la dernière. La liberté d'interprétation est entière. Les chanteurs en usent de façon très variable suivant leurs dons personnels. Beaucoup ne fixent le dessin des phrases qu'après quelques couplets, et la variation de l'air en cette phase initiale est souvent très savoureuse. Il n'est pas rare d'entendre une mélodie sans aucun rythme définissable, différente à tous égards de ce qu'elle deviendra dans la danse proprement dite, différente aussi de ce que la fantaisie du chanteur la fera dans une autre occasion (Cf. exemple p. 247). On voit encore quelquefois, on voyait beaucoup plus souvent naguère, les chanteurs porter la main libre à l'oreille. Certains appliquent la paume contre la face postérieure du pavillon de manière à le décoller nettement du crâne. D'autres font de leur main moulée en coquille, une sorte d'écouteur qui coiffe l'oreille et s'ouvre en avant1. 1 . Pour des faits de même ordre, voir S C H A E F F N E R André, Origine des instruments de musique, Mayenne, Impr. Floch ; Paris, Payot, 1936, in-8°, 406 p., p. 22.
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Nous n'avons jamais reçu d'explication bien assurée à cette pratique. Nos informateurs inclinaient à croire que le chanteur avait ainsi une perception plus satisfaisante de son propre chant. 2) Après deux ou trois couplets les chanteurs, toujours marchant sans correspondance obligée entre rythmes moteur et musical, ajoutent des paroles à l'air. Ce ne sont pas encore celles de la chanson à danser, mais un petit texte-prologue où ils se présentent au public et l'invitent à se joindre à eux. Tout chanteur qui en était capable composait lui-même, dans les deux ou trois semaines qui précédaient une fête, le texte dont il comptait se servir. Ce n'était le plus souvent que propos plaisants, malicieux ou fantaisistes. Mais ce pouvait être aussi un moyen de porter un fait à la connaissance du public. Plus d'un s'est vengé à cette tribune d'avances repoussées ou d'un mariage manqué. La plupart de ces textes, trop personnels, ne servaient que dans la circonstance qui les avait fait naître. Ils ne se transmettaient pas. Les prologues qu'il est encore possible de recueillir sont des textes passepartout, que chaque chanteur reprenait à son compte et adaptait à sa convenance. La plupart contiennent un appel direct aux assistants, tel que : Deut da zansal, tud yaouank, pa 'maom krog o kana, Stokom on treid en douar, ken a greno ar gêr-ma. (Venez danser, jeunes gens, puisque nous commençons à chanter-— frappons les pieds contre terre jusqu'à ce que tout tremble ici.) Me ho ped, potred yaouank, ar re han'h 20 'selled, Da voned en an' Doue dond da glask ar merhed. Ha ma n'eus ket a verhed, deut potred gand potred, Ha ma n'eus ket a botred, deut merhed gand merhed. (P.
CORVEZ,
Scrignac.)
(Je vous prie, jeunes gens, ceux d'entre vous qui êtes à regarder — de venir, au nom de Dieu, chercher les filles. — Et s'il n'y a pas de filles, venez garçons avec garçons, — et s'il n'y a pas de garçons, venez filles avec filles.) A l'appel proprement dit s'ajoutent toutes sortes de propos, facétieux ou poétiques1, souvent sans queue ni tête. Voici un prologue de quelque longueur qui a été fort répandu :
(Milod.
1.
BourgAULT-Ducoudray rapporte le premier distique d'un de ces li. Urei., p. 91), le prenant pour le début d'une chanson.
prologues.
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Avansit 'ta, kamarad, pé oam on daou 'n em gavet, Deom da gana eun dro zans, o aliez a-mem gret. Ni mem kanet ha danset, o nag ibatet on daou, Ha konduiet merh he mamm o dre an asambleiou. Ni mem kanet ha danset, o nag ibatet on tri, Ha konduiet merh he mamm, o ken e lare « merci ». Me ne n'oun ket deut aman, o na da gomans eun dans, Ha breman pe m'oun erru, me ne ran ket a vann, Kar va botou a zo toull, o na ma lerou zo 'fall, Hag arhant me m'eus ket ken, o da gaved eur re ail. Red e me mond da Gerhaez, va zad a zo bet ive, Da glask din eur botou koad, o nag eur lerou neve. Da glask din eur botou koad, o nag eur lerou neve, Pe vin erru barz ar ger, me a zanso adarre. Mez me botou 'zo 'koad fao, ar re man 'zans(e) ket brao Me lako chourig dindanne, ha lipo maout ar ger me. (P. M.
BOUDOUIN,
Plévin.)
(Avancez donc, camarade, puisque nous nous sommes rencontrés tous deux — venons chanter un tour de danse, nous l'avons souvent fait — Nous avons chanté et dansé, nous nous sommes amusés tous les deux, — et avons conduit la fille de sa mère par les assemblées. — Nous avons chanté et dansé et nous sommes amusés tous les trois, — et avons conduit la fille de sa mère jusqu'à ce qu'elle dise « merci ». — Je ne suis pas venu ici pour commencer une danse, — et maintenant que je suis arrivé je n'en fais pas de cas, — car mes sabots sont percés, mes bas mauvais — et je n'ai plus d'argent pour en avoir une autre paire. — Il faut que j'aille à Carhaix, mon père y est allé aussi — pour me chercher des sabots et des bas neufs. — Quand je serai arrivé à la maison je danserai encore. — Mais mes sabots sont en bois de hêtre, ils ne dansent pas joliment — je mettrai du « caoutchouc » ( ?) dessous, et je gagnerai le mouton1.) Ordinairement ces textes n'ont que quatre ou cinq distiques. Les chanteurs les enchaînent, en nombre variable suivant que les assistants se font plus ou moins prier pour entrer dans la danse. Ils placent un couplet sans paroles entre deux textes successifs, ainsi qu'entre le dernier texte et celui de la chanson. Parmi beaucoup de fragments recueillis d'un même chanteur (J. BROUSTAL, Brasparts), rapportons ceux-ci : Bonjour deoh o kamarad, on daou pa z'om 'n em gavet, Dem da gana, da zansal, pell zo on eus ket gret. 1. Façon imagée de dire que le danseur surclassera ses concurrents (le premier prix lui reviendra).
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Ha gwechall pa oam yaouank, nign a gare kana, Mez breman pa 'z om deut koz, ne reom nemed strana. N'e ket dao deoh be'souez't, chom ket an dud ato Da roui o yaouankiz ha da vond d'ar pardoniou. War an tamm douar man, peb tra 'neus e vare, Gweled a rit, beb eun tammig teu braz ar vugale, An ebeul a teu da varh, ar marh a ya da 'hagn, Ar baizanted a ev chist, an aotourien champagn. (Bonjour à vous, camarade, puisque nous nous sommes rencontrés tous les deux — venons chanter, danser, il y a longtemps que nous ne l'avons fait. — Autrefois quand nous étions jeunes, nous aimions chanter — mais maintenant que nous sommes devenus vieux, nous ne faisons que radoter — Il ne faut pas vous en étonner, on ne demeure pas toujours — à faire « rouler sa jeunesse» et aller aux pardons. — Sur ce bout de terre-ci chaque chose a son temps — Vous voyez, peu à peu les enfants deviennent grands — le poulain devient cheval, le cheval tourne en carne — les paysans boivent du cidre, les messieurs du Champagne.) Stokom 'n treid en douar, ar ger-me a greno, Hag ar zaout en o hreier matreze 'richano. Ar 'hezeg er marchosi matreze rezinko, Va mestrez, ma ve kousket, bremaig a zihuno. (Frappons des pieds la terre, l'endroit où nous sommes tremblera — et les vaches dans leurs étables peut-être mugiront — Les juments dans l'écurie peut-être henniront — Ma mie, si elle dort, se réveillera bientôt.) Stagom breman da gana, gwel'd ha nign a pado. Ma neusom alan daou varh, birviken ne vanko, Alan daou varh a neusom, birviken ne vanko, Pa vo glebet an anchenn, ar vombard a sono. (Mettons-nous maintenant à chanter, voir si nous tiendrons. — Si nous avons le souffle de deux chevaux, jamais cela ne manquera. — Le souffle de deux chevaux, nous l'avons, jamais cela ne manquera — quand l'anche sera mouillée la bombarde sonnera.) Bonjour deoh o kamarad on daou pa z'om 'nem gavet, Dem da gana, da zansal, pell zo on eus ket gret. Nign 'zo daou bot koz on daou, ha n'om ket nehet, Ma n'eus ket a gig poaz' nign no krampouez fritet. Kig poaz ne n'eus ket, krampouez nign a frito, Ha ni a raïo chervad, Channig, keid ha pado.
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(Bonjour à vous, camarade, puisque nous nous sommes rencontrés tous deux — venons chanter, danser, il y n longtemps que nous ne l'avons fait. — Nous sommes deux vieux garçons tous les deux, et nous ne sommes pas gênés — s'il n'y a pas de viande cuite, nous aurons des crêpes frites. — Il n'y a pas de viande cuite, nous frirons des crêpes — et nous ferons bonne chère, Jeannette, tant que ça durera.) Un chanteur avisé n'a garde de livrer toutes ses ressources en une fois. S'il se répétait dans les danses suivantes, sa réputation en souffrirait (« Il a dit tout ce qu'il savait ».) Les habiles improvisent au bon moment une plaisanterie, glissent une allusion malicieuse à une personne présente, etc. Mais surtout ils réservent quelques pièces d'un effet certain pour surclasser un concurrent dangereux si cela devient nécessaire dans la suite de la journée. A mesure que l'intérêt passe de l'air aux paroles, le rythme et la ligne mélodique perdent en liberté. Le premier des exemples ci-après donne une idée de l'évolution du « ton » en cours d'exécution. Il rapproche le tout premier couplet (sans paroles) d'une chanson, le premier couplet où apparaissent des paroles, enfin la ligne commune aux derniers, où dessin et rythme sont stabilisés. La même chanteuse, reprenant ce même air (avec d'autres paroles) au cours de la même journée, soit seule soit avec une « déchanteuse », y préludait de façons si différentes qu'on croirait à des mélodies entièrement distinctes si la similitude n'apparaissait ultérieurement dans l'air enfin fixé, et surtout si l'informatrice n'affirmait catégoriquement qu'il s'agit d'un seul et même « ton ». Les exemples 2 et 3 donnent une idée de ces interprétations successives. Il doit être souligné que les notations de ces préludes à la danse sont très approximatives. Beaucoup des sons émis par nos chanteuses sont loin de se situer avec précision sur un degré de la gamme chromatique tempérée. Quant aux rythmes, les figures de notes choisies pour les exprimer ont surtout pour objet d'indiquer — encore n'est-ce que grossièrement — les rapports existant entre les différents sons d'un même groupe-temps, discernable avec plus ou moins de netteté par l'accentuation du premier de ces sons. Mais ces groupes étant fort irréguliers dans leur durée, il s'ensuit qu'on ne doit pas attribuer de valeur constante aux figures de notes utilisées.
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II. Plus vif. Plus régulier.
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C " fitTtRN. Plouyé, 1953. Ton original.
Modéré. Très libre. bref
(Jd.)
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C "
KERVOFLI.E;..
Plouyé, 1953. Ton original.
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A ce moment du processus où l'air ne s'accompagne pas encore de pas réglés, certains chanteurs, au lieu de mouler la phrase musicale sur les paroles du texte-prologue, lui donnent cette structure métrique de base, plus ou moins assouplie par endroits suivant les besoins de la prosodie : KJ KJ KJ
kj
v
KJ KJ
V
O
w
Enfin d'autres, nombreux aussi, adoptent dès ce moment la mesure régulière qui va être celle de la danse. c) La danse. Le texte-prologue achevé, les chanteurs disent un couplet sans paroles avant d'enchaîner sans interruption, et sur le même air, la chanson de danse. C'est habituellement pendant ce couplet que la chaîne se ferme en ronde et que la danse proprement dite commence, avec son pas caractéristique. Le « ton » à ce moment change d'allure. Calme ou lent tant qu'il accompagnait sans la rythmer une marche nonchalante, il devient vif. Les phrases mélodiques, dont la longueur était indécise, s'ajustent très strictement sur les huit temps de la phrase mouvement. La liberté rythmique disparaît au profit d'une mesure uniforme. Toujours il s'établit une accentuation régulière, qui scande la pulsation dans l'ordre vocal, comme la suspension élastique du mouvement le fait dans l'ordre moteur. La division du temps peut être binaire, la voix pesant sur la première moitié, relâchant son appui sur la seconde :
Ken-
ta g w e c h ma
oan
par-
ti-
et
'vid
0-
ber
ma
hon-
je..
Très souvent ce rapport d'intensité favorable au premier élément de chaque pulsation s'accompagne d'un rapport également favorable dans l'ordre de la durée. Par exemple, la division du temps devient ternaire :
j w J " p F p F P F p i r pJ K e n - ta g w e c h ma dan
par- t i -
et
'vid
0-
ber
Jl
l
m a hon-
je...
«
Il est souvent difficile, à la vitesse où la chanson est chantée, de percevoir sûrement si l'importance plus grande prise par le premier élément de chaque pulsation est due seulement à un rapport d'intensité,
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ou simultanément à un rapport de durée ; autrement dit si la division est binaire ou ternaire, ou encore si elle correspond à une autre formule peu fixable par nos procédés de notation. Les nécessités de la transcription obligent parfois à simplifier ces rapports, ce qui entraîne un affadissement certain de cette musique originale. Beaucoup de chanteurs passent et repassent d'une division égale à une division inégale au cours du même chant. Us savent ordinairement donner une vie intense à ce rythme très souple, qui irrésistiblement communique aux danseurs la suspension verticale élastique dont nous avons maintes fois parlé. La qualité rythmique est ici autre chose que l'observation mathématique de rapports de durée. La sensibilité rythmique et la sensibilité musculaire ne font qu'un. Le piétinement des danseurs eux-mêmes joue dans l'accompagnement musical de la danse un rôle qu'il ne faut pas sous-estimer. C'était par instants leur seul guide sonore dans les rondes à participants très nombreux, auxquelles l'étroitesse du lieu — chemin par exemple — imposait un étirement extrême. Certains, parvenus au maximum d'éloignement des chanteurs, ne les entendaient plus du tout. Il leur restait cette formule rythmique de la phrase, puissamment exprimée par le martèlement du sol. Elle continuait de leur imposer le pas de la danse. Quelques secondes plus tard les chanteurs se rapprochaient, la mélodie devenait de nouveau perceptible, et tous redoublaient d'entrain. *
*
*
Les chansons, comme les textes-prologues, sont toujours en langue bretonne. On reviendra plus tard sur leur morphologie, liée à la structure mélodique. Leurs sujets sont très divers. La fantaisie, le lyrisme, le burlesque, ont leur place à côté de récits véridiques ou donnés pour tels. On connaît des chansons d'intérêt purement local. En effet, aujourd'hui encore des textes nouveaux viennent accroître le répertoire reçu des aînés, et le plus mince événement peut y être prétexte. Mais la plupart de ces compositions n'ont d'intérêt que pour le petit cercle où elles sont nées. Elles ont peu de chances d'en sortir et de survivre à leurs auteurs. Celles qu'on entend communément employer relèvent d'une inspiration plus générale. De plus, leur publication sur feuilles volantes à la fin du siècle dernier ou au début du nôtre, a puissamment aidé à la diffusion de beaucoup d'entre elles. Aussi la plupart sont-elles connues dans toute la montagne et parfois bien au-delà. Les textes sont souvent fort longs, et l'on apprécie qu'ils le soient. Non seulement parce que le plaisir de la danse en est prolongé, mais parce que l'histoire chantée présente en elle-même un intérêt primordial aux yeux des danseurs. Il convient d'insister sur ce point dont l'importance a souvent été sous-estimée : les participants sont sensibles au
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poème tout autant qu'à l'air. Dans le public qui assiste aux danses beaucoup sont venus en auditeurs plus encore qu'en spectateurs. Nul n'est pressé de voir arriver la fin de l'histoire, et la capacité de « dire » longuement est de celles qui font estimer un chanteur. *
*
*
Certains chanteurs ont un texte personnel pour terminer la danse comme ils en ont pour la commencer. Ils l'enchaînent après la dernière strophe du poème. Rarement plus longue qu'un distique cette formule finale est habituellement une simple plaisanterie : O, finisa 'ran ma zon, o breman kompagnunez, Karam an eil d'egile, o kar me gar ma maouez. (P. M.
BOUDOUIN,
Plévin)
(Je finis ma chanson maintenant, compagnons — aimons-nous les uns les autres, car pour moi j'aime ma femme.) N'oun ket ken evid kana gand ar sehed am eus, Kar va lainchenn 'zo frailhet, ha va zeod 'za (d)a dreuz. (Fer, Scrignac.) (Je ne peux plus chanter, tant j'ai soif — car mon gosier (?) est crevassé et ma langue va de travers.) Trawalah 'meus kanet ha ne ganin ket ken, Kar Marjanig 'zo aman, a zo kruel he min. (J.
BROUSTAL,
Brasparts.)
(J'ai chanté assez et je ne chanterai plus — car Marie-Jeannette qui est ici me fait grise mine.) Trawalah 'meus kanet evid ar pez am mo, Kar ar merhed a zo aman a zo toull o godello. m
(J'ai chanté assez pour le profit que j'en aurai — car les filles qui sont ici ont les poches percées.) Après cela la danse se prolonge encore durant un couplet, sans autres paroles que les tilalalaleno ou autres formules similaires qui accompagnaient le ton à ses débuts. Allégé de tout texte l'air gagne en brio, parfois aussi en tempo, et prend un contour plus orné. Enfin l'arrêt
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de la danse est marqué par une explosion générale de cris, d'exclamations, de rires. Le tableau suivant résume la synthèse progressive du mouvement, de la musique et du texte au cours de la danse. MOUVEMENTS PRÉLUDE A LA DANSE.
DANSE.
PAROLES
Marche lente i Ti la la la lèno. et irrégulière. )
Pas de gavotte.
« TON »
( Liberté totale < d'interprétation.
Texte-prologue.
Resserrement de la mélodie. Tendance à la stabilisation du rythme.
Ti la la la lèno.
Tempo vif et strict. Mesure régulière. Mélodie à peu près fixée.
Poème. Ti la la la lèno.
3. Domaine géographique Le kan ha diskan passe aujourd'hui pour caractéristique d'un terroir qui correspond à peu près à celui des dans tro montagnardes. En fait il a été pratiqué dans une étendue de pays beaucoup plus grande qu'on ne le croit communément. La carte XI représente les frontières dans lesquelles nous avons trouvé son souvenir. A la fin du xix e siècle, elles étaient vers le nord celles de la gavotte (avec des emprunts par quelques localités léonaises et trégorroises limitrophes). Vers l'est le kan ha diskan s'étendait dans les Côtes-du-Nord au-delà du pays de gavotte et jusqu'en des localités de langue française. Vers l'ouest, il allait jusqu'à la rade de Brest. La limite méridionale appelle plus de commentaires. D'abord, dans la plupart des communes qui la jalonnent, nous n'avons trouvé de souvenir du kan ha diskan que chez des informateurs très âgés, ayant passé leur jeunesse dans un village de campagne et non dans un bourg. Même ceux-là avaient presque toujours connu aussi l'accompagnement instrumental. A beaucoup d'entre eux le chant apparaissait comme un pis-aller, dont ils usaient à défaut d'instruments.
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Enfin en quelques-unes de ces localités (Telgruc, Plouray, SainteBrigitte, Perret) le kan ha diskan n'était que l'une des formes possibles du chant de danse. On usait également d'un chant alterné entre un soliste et un chœur, qui est seul représenté dans les terroirs plus méridionaux. Le tracé de ces frontières méridionales eût à lui seul suggéré que le kan ha diskan était une pratique en voie de régression. A l'époque la plus lointaine que les témoignages oraux permettent d'atteindre, elles ceinturent le pays de Quimper, de Plomodiern à Tourc'h, doublent à faible distance, de Tourc'h à Scaër, la route Quimper-Quimperlé, se relèvent ensuite à travers une minime portion du Morbihan pour rejoindre la frontière sud-est de la Cornouaille. Il est difficile de s'expliquer un tel tracé autrement qu'en y voyant la frontière provisoire d'une pratique déjà en recul devant des habitudes différentes, propagées à partir des villes et gros centres du sud, parmi lesquels, au tout premier plan, Quimperlé et Quimper. C'est ce qui apparaîtra mieux encore en examinant la place tenue par les instruments de musique dans ces terroirs méridionaux et dans le domaine du kan ha diskan lui-même.
B. —
ACCOMPAGNEMENTS
INSTRUMENTAUX
A l'époque des témoignages oraux les instruments de musique utilisés en pays de gavotte diffèrent suivant les terroirs. La clarinette joue un rôle important dans les Côtes-du-Nord. Le violon domine en Bas-Léon. En Cornouaille et en Morbihan le biniou et la bombarde sont pratiquement les seuls instruments connus. Le petit tambour qui les accompagnait jadis est sorti de l'usage dans le cours du x i x e siècle. Ces instruments ont été assez souvent décrits pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir longuement. Rappelons que la bombarde appartient à la famille des hautbois, le biniou 1 à celle des cornemuses. La bombarde a une sonorité puissante, un timbre éclatant. Elle émet, au gré du sonneur, des sons piqués ou liés. Elle a d'assez grandes possibilités mélodiques. Mais elle exige une dépense de souffle qui devient vite épuisante. Au contraire, le biniou, avec sa réserve d'air, permet un jeu égal et continu. Mais son timbre est très aigu, et ses possibilités d'expression réduites. Les deux instruments se complètent et compensent mutuellement. On ne les voit presque jamais qu'associés. La bombarde est l'instrument directeur. Le talabarder (joueur de bombarde) est assis à la droite du biniaouer (joueur de biniou) et mène le jeu. Le biniaouer joue 1. Il s'agit bien entendu du petit biniou, seul connu de la tradition bretonne à son terme, non des grandes cornemuses de différents modèles qu'on lui préfère généralement aujourd'hui.
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sans arrêt. Le talabarder s'interrompt à intervalles réguliers, laissant passer au moins une phrase durant laquelle il reprend haleine. A chaque rentrée en jeu de la bombarde la mélodie reprend vie et force, et la danse s'anime. Touchant la fonction du sonneur, il est important de faire la remarque suivante : il n'est jamais un amateur qui, jouant d'un instrument par plaisir personnel, tiendrait bénévolement un rôle dans le divertissement commun. Dans le milieu traditionnel breton, la pratique instrumentale est un métier (généralement d'appoint) et rétribuée comme telle. A la fin du siècle dernier, les sonneurs quimpérois faisaient valoir leur talent au marché de la ville, comme les marchands y exposaient leurs denrées. Leurs couples se répartissaient à distance les uns des autres et jouaient. Les campagnards allaient des uns aux autres et retenaient qui leur plaisait pour leur noce ou leur aire neuve. Il est des réunions dansantes en sa propre commune où le sonneur n'intervient jamais. En revanche, s'il a quelque réputation, il arrive qu'il soit appelé loin de sa résidence. Yann Kerloc'h de Plozévet, allait du Cap Sizun à Rosporden et Bannalec. Bodivit de Clohars-Fouesnant (mort en 1900) allait en direction du nord au moins jusqu'à Pleyben. Le célèbre Bidan, habitant Langonnet, cheminait à travers le Poher jusqu'à Brasparts et Lohuec. Plusieurs textes antérieurs au x i x e siècle établissent déjà que le sonneur est un exécutant rétribué. Il est, avec le chanteur des pardons et foires, le continuateur de ce bar^ que J . Lagadeuc 1 (1499) définissait «un ménestrier» et Dom Lepelletier2 (1752) un «joueur d'instruments de musique, musicien, celui qui fait métier de chanter publiquement et aux assemblées, et d'y déclamer des vers, et qui par là gagne sa vie. » Le personnage donc parait très anciennement représenté en BasseBretagne, mais son rôle aux époques lointaines en milieu proprement paysan est obscur. Les sonneurs bretons sont pourtant entrés dans la littérature pittoresque beaucoup plus tôt que les chanteurs de rondes. Dès la fin du x v m e siècle, Cambry 3 tient le biniou, la bombarde et le tambourin pour les instruments bretons par excellence. La celtomanie et l'actualité littéraire aidant, les auteurs d'époque romantique voient bientôt après dans ce petit ensemble instrumental « une musique vraiment nationale, et telle que doit être celle d'un peuple primitif 4 ». 1. Catholicon., article barz. 2. Dictionnaire., article barx. 3. Voyage., pp. 280, 346, 408, 4 2 1 . 4. H A B A S Q U E , Not. histor., I , p. 290.
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National, primitif, deux notions appelées à un succès durable. Elles se retrouvent dans la théorie qui prend corps à la fin du dernier siècle, et suivant laquelle le biniou et la bombarde, accompagnement typique de la danse bretonne, communs autrefois à l'ensemble de la Basse-Bretagne, ont disparu d'un certain nombre de régions, devant la concurrence de modes et usages nouveaux1. La théorie, assortie de retouches et de nuances, conservera des adeptes jusqu'à nos jours. Une opinion très différente a pourtant été soutenue en 1937 par H. Corbes2, suivant laquelle le biniou, connu depuis très longtemps en Bretagne, ne s'y serait abondamment répandu que dans la seconde moitié du xvin e siècle. Sa généralisation comme instrument vraiment populaire daterait de cette époque et du début du xix e . L'auteur ne dit malheureusement pas sur quels faits il fonde sa façon de voir, ni ce qu'était d'après lui l'accompagnement de la danse avant la vulgarisation du biniou. Son point de vue paraît n'avoir pas retenu l'attention autant qu'il le méritait. Les textes anciens n'apportent que peu de lumière au débat. Comme on pouvait s'y attendre, ils parlent surtout de danses à accompagnement instrumental. Gens d'église ou voyageurs, leurs auteurs en effet ont toujours affaire à la même sorte de danse : celle des jours de fête publique, laquelle emploie ordinairement des sonneurs. Ces textes prouveraient s'il en était besoin l'ancienneté en Bretagne de la cornemuse et du hautbois, qui sont les instruments les plus souvent mentionnés. Toutefois on leur en voit nommer d'autres. En 15 20, dans son Noël en breton qui parle français, Maître Jean Mitou met en scène des ménestrels bas-bretons qui vont sonner un trihori pour l'enfant Jésus et sa mère3. Il leur attribue un flageolet et une musette. En 1630, Mgr René de Rieux, évêque de Léon, interdisant de danser dans le voisinage des chapelles, énumère en termes latins, dont on ne saurait préciser sûrement les équivalents bas-bretons, quatre ou cinq espèces d'instruments, parmi lesquels des instruments à cordes : « ...cum tympanis, citharae, ac tibiarum sonitu...» « . . . tubarium, fistularum, cythararum modulationes4 ». 1. Pour Q U E L L I E N (Chans. et danses) ces deux instruments sont « de rigueur pour sonner une danse bretonne » (p. 37). Le chant ne vient qu'au dernier rang des moyens d ' y suppléer (p. 43). Là où binious et bombardes sont peu ou pas familiers, c'est par suite d'une disparition : « Les ménétriers ont été refoulés à l'intérieur des terres » (p. 35). Même BOURGEOIS, pourtant mieux informé, ne voit dans le chant de danse qu'un pis aller, et croit le biniou disparu des régions qui l'ignorent (Recueil., pp. 1 et 7). Une vue d'ensemble plus prudente et plus nuancée a été proposée par J A C O B (Bin. et bomb., pp. 148 a 150). 2. H. C O R B E S , « Istor berr ar sonerez breizek » ( Gwalarn, 1 9 3 7 , u 0 " 104 et 105). Voir aussi « Les vieux instruments de musique celtique » ( Mémoires de la Soc. J> J> M-b $> J> J>
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La première formule est très semblable à celle de Yhanterd.ro ancien. La nouveauté tient à ce que le danseur, au lieu de porter le pied droit au temps 5 à un pas vers la droite ou l'arrière, en y prenant effectivement appui, porte ce pied à un pas de distance en avant, vers le centre du cercle, et le pose sans appui, le plus souvent sur le talon. Le poids du corps demeure sur le pied gauche depuis le temps 3 jusqu'au temps 6 inclus. D'où l'obligation de commencer la phrase suivante par un appui sur le pied droit (ramené à l'assemblé). Cette seconde phrase est identique à la première, à l'inversion des appuis près. Au temps 5 c'est le pied gauche qui se pose en direction du centre. Et ainsi de suite. Les phrases sont commencées alternativement d'un pied et de l'autre. Suivant un processus déjà signalé à plusieurs reprises, un appui réel, effectif, est devenu un geste gratuit, qui continue d'obéir au rythme auditif imposé par la formule d'appuis ancienne. Quant à la seconde formule, elle ne fait qu'inverser l'ordre des deux constituants de la phrase : la pose du pied vers le centre vient au temps 1, le motif d'en dro aux temps 3-6. Ces façons de faire semblent avoir eu une certaine diffusion. Nous les avons rencontrées à Languidic, Brandérion, Grandchamp, Ploeren, Saint-Avé. L'ACCOMPAGNEMENT
MUSICAL
Le répertoire musical de cette danse est, quantitativement, très pauvre. Le même chanteur qui peut débiter intarissablement des airs d'en dro, connaît une, deux, rarement trois chansons d'banterdro. Les collecteurs du xix e siècle en ont produit un nombre infime. Sur soixantequatre airs de danse morbihannais publiés par Bourgeois, aucun ne se
DANSE
326
EN
BASSE-BRETAGNE
rapporte à celle-ci. Sur deux cent trente et une mélodies du manuscrit Mahé, seulement six présentent de bout en bout sa structure caractéristique, reconnaissable en dépit d'un bâtonnage inexact. En ce qui nous concerne nous n'avons jamais entendu d'air à'hanterdro qui ne soit une variante d'un des suivants. Encore est-il évident que plusieurs de ceux que nous reproduisons ci-après utilisent les mêmes thèmes 1 : i
M D'après
m HEBKIEU
et
DUHAMEL. Chansons populaires du pays de Vannes, p . 137.
D'après JiCOB, Bt'n. et bomi.,
p. 145.
i . Les notations ont été transposées le cas échéant pour faciliter la comparaison. Nous a v o n s déplacé les barres de mesure dans les airs recueillis par JACOB (notés en 2/4). L e u r lecture, aussi bien que la mention qui les a c c o m p a g n e (De grol d'en trikot : pour danser le tricot) l'imposait. SCHOULTZ-ADAIEVSKY ( E . de) a v a i t d é j à fait pareille rectification pour quelques airs de MAHÉ i n e x a c t e m e n t notés à d e u x t e m p s «(Airs de danse du Morbihan», Mélusine, 1892-93, V I , col. 100, 1 2 1 , 152, 184, 277. V I I , col. 13, 58, 1 2 1 , 223, V I I I , col. 39, 49).
LE
RÉPERTOIRE
328
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
9
circj-ir iLE/çji-nigju^ IC£/LTIj (Communiqué par D.
(Communiqué par
M" BELZIC, Languidic, 19C0. Laurent et Y. Palamcur.)
M " MARIN, Grandchamp, 1960.
D. Laurent
et Y. Palamour.)
Il est frappant de voir combien tous ces airs $ hanterdro sont exactement moulés sur le mouvement. La mesure à deux temps adoptée par plusieurs notateurs (trompés sans doute par le retour d'un appui pesant au troisième temps du motif) masque trop souvent la justesse de cette adaptation. Il est significatif qu'une analyse plus pénétrante du rythme musical ait amené Maurice Duhamel à composer chaque mesure des deux mêmes éléments inégaux qui composent le pas (mode de notation dont nous nous sommes inspiré nous-même). Il y a des raisons de croire que des airs français, d'un rythme fort éloigné initialement de celui de Yhanterdro, ont pris part à l'élaboration du répertoire musical de cette danse1. La remarquable concordance musique-mouvement doit être acquise plus souvent qu'originelle. Elle demeure intacte au cours des changements qui résultent des transmissions orales.
i . L E P E N V E N Jef (Tralalalalèno, Paris, E. M. B., 1949, p. 56) a recueilli l'air n° 8 avec les paroles françaises de « La belle gui fait la morte >. Une autre version, de rythme différent, se trouve dans C O U R T O N N E (Ch. Sailli, I , p. 33). D'autre part il est fréquent d'entendre chanter sur des airs d'hanterdro les couplets de « La claire fontaine » (« En revenant de noces, de Nantes, etc... »). Ce n'est peut-être pas un hasard. Il nous semble pour notre part trouver un lointain air de famille entre nos versions 3, 4, 5, et les versions les plus anciennement attestées de cette chanson (P. C O I R A U L T , Recherches., III, p. 188). Quoi qu'il en soit, on trouve certains des thèmes mélodiques ci-dessus, traités tantôt en rythme d'en dro, tantôt en rythme d'hanterdro, ce qui suffit à établir le fait d'une adaptation.
LE
RÉPERTOIRE
II. —
L A R O N D E A D E U X PAS
329
COMBINÉS
Dans les mêmes limites géographiques où en dro et Y hanterdro sont encore connus, on recueille fréquemment une ronde qui use des deux sortes de pas. Nous n'en connaissons que deux variantes 1 . L'une, très simple, oppose une partie A dansée uniformément en pas d'hanterdro, à une partie B dansée uniformément en pas d'en dro. C'est la forme la plus répandue. Autour du golfe elle paraît même familière à un plus grand nombre de danseurs que Yhanterdro proprement dit. Quand elle porte un nom, c'est aussi celui à'hanterdro ou tricot (Merlevenez, Belz, Ploeren, Arradon, Sarzeau). Ses chansons d'accompagnement sont ordinairement des variantes d'un même air 2. E n voici deux exemples, pris à Baud et Belz.
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Quandj'é-taischezmon
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Pe-tite à la mai-son,cou-pe,cou-pe,
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I ^ .
la m a i - s o n , cou-pe donc.
Jude LE PABOUL, Baud, 1951.
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L a - 1 r ICJILEJ 1 r i c j i E.
u^m GILUOUÂRD,
Belz,
1954.
Les fragments mélodiques constituant respectivement la partie A et la partie B de ces chansons se retrouvent dans des airs de danse de rythme uniforme. Le manuscrit Mahé contient en particulier un air d'en dro (n° 210) où leur partie B est reconnaissable. 1. Le manuscrit MAHÉ (Supplément.) contient quelques autres airs sans parenté avec ceux que nous citons, qui peut-être ont aussi accompagné une dause combinant les deux sortes de pas. La marque du mouvement n'y est pas assez nettement empreinte pour qu'on en soit assuré. 2. Eugène ROLLAND (Recueil de chansons populaires, Paris, Maisonneuve, I, 1883, p. 9) en donne une variante lorientaise.
330
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
** *
L'autre variante de ronde réunissant les mesures 3 ¡4 et 2 /4 ne nous a été enseignée qu'à Baud. Elle les agence de façon beaucoup plus originale. La partie A se danse en pas d'hanterdro. La partie B a trois phrases, dont chacune se compose de deux pas d'en dro suivis d'un pas à'hanterdro :
Un deoen i p a s - s e i n _ à r é z a n e r h o e d s a - p i n , —
drézanerhoedsa-pin,
^ v ¡ J J r J ir i v U ir f-r l t * 1 i me ran-kon-tras men
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ma-lu- ret- te,
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4 U J r -r ir r.r r r ir r-f L j i r i ka-
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M. et M " LE PIBODL, Baud, 1960.
Il est extrêmement vraisemblable que des rondes analogues à celles que nous venons de décrire ont été dansées autrefois en pays de langue française. Trois indices concordants le font croire. D'abord la présence en ce pays de chansons de danse qui ne sont bien adaptées qu'à elles. De Josselin à Guérande nous avons entendu chanter « Quand j'étais chez mon père» dans des variantes apparentées à celles de Baud ou Belz, et présentant toujours la même dualité rythmique. Aux derniers temps l'air servait au laridé à Josselin, à la ronde ordinaire à Saillé. Il leur convient fort mal, comme si, destiné d'abord à une autre danse, il avait été secondairement affecté à celles-ci. Second indice : les quelques indications que nous avons recueillies sur les laridés en ces régions. A plusieurs reprises nous y avons observé — parmi d'autres, il est vrai — des structures de pas voisines de celle du tricot. Enfin il a existé en pays gallo une ronde appelée tricotine. M. Marsille 1 , en 1931, la disait «jadis très répandue et encore en usage dans quelques paroisses du Morbihan ». Nous ne savons rien de cette ronde, mais étant donné la présence d'un fond ancien commun de pas et de mélodies, il est difficile de croire qu'entre le tricot de Sarzeau et la tricotine de Pleucadeuc la similitude des noms soit fortuite. i . Louis M a r s i l l e , « Le folklore préhistorique dans le département du Morbihan » t. 2, n° 2, mars-avril 1 9 3 1 , p. 60).
(Rev. de folkl. français.,
LE
RÉPERTOIRE
III. — L E
331
GYMNASKA
Une ronde très analogue à celle que les Morbihannais appellent hanterdans est connue en Cornouaille méridionale, jusqu'à l'embouchure de l'Odet, sous les noms de gymnaska, gymnaskas, gymnaska^ou. Nous n'en avons eu de démonstrations qu'individuelles, et peu nombreuses. Beaucoup étaient informes. Les autres montraient toujours la même structure de phrase : deux pas de course vers la gauche (temps 1-2), suivis de deux balancés croisés, l'un sur pied gauche (3-4), l'autre sur pied droit (5-6). Les deux balancés se font à peu près sur place, sans que le second marque de recul vers la droite. On ne retrouve pas dans la phrase l'opposition d'un motif d'en dro et d'un pas simple. Jamais en Finistère nous n'avons vu donner à cette ronde le style étroit et un peu lourd, ni surtout la gravité, qu'y apportent les Morbihannais. Nos informateurs la traitaient dans un style variable, toujours avec beaucoup de liberté, assez souvent avec dédain. Il serait vain d'ailleurs de lui chercher des particularités locales d'allure : elle n'a pas eu le temps d'en acquérir. Les danseurs d'un certain âge savent parfaitement que la danse est venue du Morbihan. Ils s'accordent sur la date de son importation : entre 1900 et 1905. Nous n'avons eu d'avis contraire qu'en pays de Fouesnant, où deux ou trois vieilles personnes disaient l'avoir connue dès 1890 environ. Il est vraisemblable qu'en plus de l'habituelle diffusion de proche en proche par voie de terre, la danse a été introduite çà et là, à distance, par exemple par des marins. Nous avons constaté qu'elle était connue partout, de certains informateurs au moins, et sous les noms rapportés ci-dessus, dans un périmètre jalonné par Guilligomarc'h, Meslan, Langonnet, Gourin, Roudouallec, Coray, Elliant, Saint-Evarzec, Gouesnac'h. Sauf en quelques communes morbihannaises son importance a toujours été minime. Dans les campagnes situées les plus au nord et à l'ouest elle était insignifiante. Nulle part le gymnaska n'a trouvé place dans la suite réglée. C'est une de ces danses mineures qu'on ne fait que de loin en loin. Les sonneurs le jouent au besoin, mais le plus souvent il est chanté. Nous lui avons toujours entendu donner pour accompagnement la chanson publiée en 1936 par Madame Galbrun 1 . Pour le texte c'est une version de 1m claire jontaine. La mélodie est évidemment dérivée d'un air S'hanter dro. En voici une variante notée vers 1905 à Trégunc par l'abbé Guillerm 8 : 1. Dse. bret., p. 56.
2. Communiquée par le Dr Dujardin, Saint-Renan.
332
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DANSE
EN
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BASSE-BRETAGNE
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La notation manuscrite porte cette suscription « Gymnas-kas, nouvelle danse bretonne en Cornouailles... danse drolatique.» Il est à peu près certain en effet que le nom donné à la danse au début de ce siècle comportait une intention ironique : la danse des Morbihannais semble avoir été assimilée à une « gymnastique de chats ». Quand ce même nom était donné par nos informateurs à une autre danse que celle-ci, c'était toujours à une ronde qu'ils jugeaient un peu dérisoire (« La fille de la meunière » pour certains à Briec, « l'avant-arrière » pour d'autres à Elliant). Aux frontières du Finistère et du Morbihan un certain nombre d'informateurs emploient les noms de ridée, laridé, lariden, concurremment avec celui de gymnaska. Pour certains les deux termes sont équivalents. Pour d'autres ils désignent des variantes distinctes, le laridé comportant généralement des mouvements de bras plus ou moins complexes. Dans ce cas le répertoire musical comprend à la fois des variantes mélodiques de l'batiterdro, et des airs de laridé en 8 temps. Il est probable qu'avant de disparaître devant gymnaska, le terme ridée a été connu en Finistère, au moins par endroits, au temps où la danse nouvelle s'y répandait. En tout cas c'est ce terme qui venait à l'esprit de certains de nos informateurs, à Elliant notamment, en écoutant chanter l'air de la danse.
IV. — R E C H E R C H E D ' A N T É C É D E N T S
ANCIENS
Des noms comme tricot ou tricotine ouvrent carrière à l'imagination. Dès le moyen âge ils ont des analogues dans le vocabulaire de la danse : treske, triskoter, tricoter, tricquoter, tricotée, tricotet, tricotie. Aux x v n e et x v i n e siècles il est encore question de tricotets, qui désignent des pas en même temps qu'une danse. Les précisions manquent malheureusement sur le contenu de mouvement de la plupart de ces mots Rien ne i. Les plus anciennes notations musicales que nous ayons relevées des tricotets ne datent que de la fin du xvii* siècle, les notations chorégraphiques du xvïii® seulement. Papillon, maitre de danse à Versailles, en a laissé une notation manuscrite en écriture Feuillet (Opé. : C. 3588). Guillemin, dans sa Chorégraphie de 1784, (Opé. : C. 5137), utilise
LE
RÉPERTOIRE
333
prouve qu'ils aient tous désigné une danse construite comme le tricot du pays de Vannes, ni même qu'ils se rapportent à une même danse. C'est encore une fois l'Orcbésographie de Thoinot Arbeau qui, pour en dro comme pour Yhanterdro, fournit les termes de comparaison les plus instructifs. C'est encore une fois au chapitre des branles qu'il faut les chercher. Arbeau décrit successivement cinq branles, tenus par lui pour fondamentaux : branle double, branle simple, branle gai, branle de Bourgogne, branle du Haut-Barrois. Les quatre premiers ont leur place obligée dans l'ordonnance officielle des danses. C'est d'eux aussi, de la combinaison multiple de leurs pas, que dérivent les autres branles ajoutés facultativement à leur suite. En fait, si l'on écarte les particularités de style pour considérer uniquement la structure des pas et la succession des appuis, les cinq branles se réduisent à trois : branle double, branle simple, branle gai. En effet les dénominations « de Bourgogne » et « du Haut-Barrois » caractérisent seulement une façon d'exécuter le pas du branle double, éventuellement aussi (Haut-Barrois) celui du branle simple. Le branle gai paraît n'avoir de rapport ni avec nos deux danses bretonnes, ni avec les deux autres branles français. Le branle double et le branle simple au contraire méritent de retenir l'attention. Le branle double comporte alternativement quatre temps de déplacement vers la gauche (un « double à gauche ») et quatre temps de déplacement vers la droite (un « double à droite »). Thoinot Arbeau, qui analyse longuement ces mouvements 1 , les résume finalement ainsi visiblement la même source que Papillon. La danse qui nous est ainsi conservée n'est qu'une réfection, récente à cette époque, effectuée (au prix de quelles transformations?) à partir de plusieurs danses plus anciennes, étrangères les unes aux autres. A u moins la comparaison des notations musicales le fait-elle croire. L'enchaînement d'airs assez dissemblables intitulé simplement tricotets dans la Chorégraphie de Guillemin (Tricotains dans le Rec. ms. Ars.) est appelé par Papillon : Les petites danses ou bien les tricotets. Le Premier recueil de contredanses de LECLERC, en 1736, (Cons. : D. 10518), sous le titre commun de Les petites dances, donne encore à chacun de ces airs un nom propre. Le second seulement porte celui de tricotets. Les autres sont La Sissonne, le Branle de Bourges, et La Cassandre (où l'on reconnaît en effet le célèbre branle coupé de l'Orchisographie). Un Recueil de contredances transposée pour la viele, qui parait légèrement plus ancien (probablement premier tiers du x v i i i 6 siècle. B. N. : Vm 3643) analyse davantage. Il rapporte une première fois ces danses isolées, avec leurs noms propres (pp. 50-51). Plus tard (pp.277278) le copiste les consigne de nouveau, mais groupées cette fois sous le titre les quatre petites danses. Au total donc une seule des quatre danses réunies parait avoir été réellement un tricotet. Son air et l'enchaînement de ses pas sont d'un branle simple. Les recueils un peu plus anciens contiennent des airs de tricotets non réunis en suites. Un Livre du bal (Premières années du XVIII" siècle. Opé. : Mus- 2359) distingue petit tricotets et tricottets. L'un de ceux-ci est l'air à structure de branle simple qui devait seul subsister ultérieurement. Un Recueil d'airs de ballet et d'opéra (gr. in fol., fin du x v i i " s., B. N. : Vm* 5) contient trois notations se ramenant à deux airs. L'un, différent du précédent, a aussi la structure d'un branle simple. Une analyse de pas de tricotet, différente de celle qu'ont fixée Papillon et Guillemin, est rapportée par CURT SACHS (W. G., p. 272, et W. H., p. 404). L a source n'est pas indiquée. 1. Orch, S. 68 à 70.
334
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
(les chiffres ajoutés par nous en tête des indications de pas, renvoient aux chiffres sous la portée musicale, page 337) : 1. 2. 3. 4.
Pied Pied Pied Pied
gauche largi. droit approché. gauche largi. droit joint.
Ces quatre pas font double à gauche.
1. 2. 3. 4.
Pied Pied Pied Pied
droit largi. gauche approché. droit largi. gauche joint.
Ces quatre pas font un double à droite.
Ce qu'on peut traduire par cette formule d'appuis :
§ J J |j J II J J G
D
G
double à gauche
1
J
L,
D
G
|J J D
£
double à droite
L'interlocuteur supposé de T. Arbeau l'amène à préciser un point important 1 : « Capriol. — Ce branle double est bien facile à danser : mais il me semble que les danseurs ne bougent d'une place, d'autant qu'ils font à gauche quatre pas, lesquels ils défont à droite par autres quatre pas. »Arbeau. — Pour obvier à cela, ils font le double à droite plus restreint et ainsi gagnent toujours avantage à la gauche. » Enfin, touchant le style de l'interprétation, Arbeau donne cette indication : « On a toujours estimé que le plus gravement et pesamment que l'on peut danser les branles doubles, c'est le meilleur. » Et plus loin : « Les jeunes hommes qui ont une grande agilité y font des découpements à leur plaisir; mais je vous conseille de les danser posément ». Nous sommes fixés : pour la structure du pas, l'orientation des danseurs, la façon de progresser, la ronde que la tradition morbihannaise appelle en dro, tour, danse, pilé-menu, rond ou ronde, est exactement comparable à celle que T. Arbeau appelle branle double. Elle en diffère par le tempo et le style. Elle différerait moins, semble-t-il, des danses que les contemporains de cet auteur appelaient branle de Bourgogne et branle du Haut-Barrois, et qui ne sont qu'un branle double au mouvement plus vif, aux gestes plus amples, animé à l'occasion de rebondissements et de mouvements de bras : 1. Ibid., t. 70.
LE
RÉPERTOIRE
335
« Après le branle gai les joueurs d'instruments sonnent le branle de Bourgogne, lequel se danse de côté d'autre, par mêmes pas que le branle double par mesure binaire, mais la dite mesure est plus légère et concitée : et n'y a différence ès dits pas, sinon qu'en lieu des pieds joints on y fait des grues ou pieds en l'air, ès quatrième et huitième pas. » Il y a une autre sorte de branle appelé le Haut-Barrois, lequel se danse ainsi que le branle double, ou comme le branle de Bourgogne. Mais il y a différence, parce que ce branle ici ne requiert pas seulement le mouvement des pieds, mais il requiert le mouvement des épaules et bras, avec petits sauts, par mesure binaire, légère et concitée 1 » Il semble qu'avec ce dernier style on soit plus près d'une tradition populaire : « ...ce branle se danse par les valets et chambrières, et quelquefois par les jeunes hommes et damoiselles quand ils font quelques mascarades, déguisés en paysans et bergers, ou qu'ils se veulent égayer privément. » En somme il s'agit d'une structure de danse commune à des milieux sociaux différents, susceptible de revêtir des apparences diverses. Selon toute vraisemblance l'auteur de YOrchésographie, s'il eût connu en dro, n'aurait trouvé en lui rien que de familier. Il eût ajouté un branle du pays de Vannes à ceux de Bourgogne et du Haut-Barrois, en soulignant une fois de plus sa parenté avec le branle double qui est sa référence habituelle. A notre avis pourtant, et pour des raisons déjà dites 2 , de pareilles similitudes, si frappantes soient-elles, ne suffiraient pas à prouver qu'en dro se rattache à ce très ancien fond français. Il se trouve que l'analyse du branle simple apporte en faveur de ce lignage un argument nouveau et sérieux. T. Arbeau décrit ainsi le branle simple 3 : « Sous la même mesure binaire et par mêmes pas que je vous viens de proposer pour le branle double, vous danserez le branle simple, faisant un double à la gauche pour le commencement mais voici la différence. Car en lieu de faire après cela un double droit, ferez seulement un simple par un pied droit largi, et pour la fin le pied gauche joint... » Suit la tablature du pas (les chiffres renvoient à la portée musicale, P- 337) : 1. Pied gauche largi. 2. Pied droit approché. Ces quatre pas 3. Pied gauche largi. font un double à gauche. 4. Pied droit joint. 1. Ibid., i. 73.
2. Ci-dessus, p. 3 1 9 .
3. Orch., £. 71.
DANSE
336 1. Pied droit largi. 2. Pied gauche joint.
EN
BASSE-BRETAGNE
Ces deux pas font simple à droite.
Soit la formule d'appuis :
J J |J J IU J I
G
D
G
double à gauche
4
J
L
D
1
simple à droite
C'est, dans tous ses détails, la structure de pas du tricot ou hanterdro. Sur le style de l'exécution T. Arbeau enseigne peu de choses. Il indique au moins, incidemment, que le style rebondissant est appliqué à ce pas aussi bien que le style « grave et posé ». Voici en effet comment il achève l'analyse du branle du Haut-Barrois : « ...et si l'air du Haut-Barrois est comme le branle simple, en retrancherez les deux pénultièmes mesures, pour accomplir le dit simple... » Le branle simple, comme le double, est donc passible de ce style rebondissant et animé, familier aux paysans, bergers, valets et chambrières. Il mérite à l'occasion la définition que donne le dictionnaire de Compan (probablement d'après Trévoux) des tricotets : « une espèce de danse haute et fort gaie, que l'on danse en rond ». Ainsi, abstraction faite des tempos et des styles, le pas de Yhanterdro est celui du branle simple, le pas à'en dro est celui du branle double. Ce n'est plus une, mais deux analogies concordantes que nous devons enregistrer. Mieux encore. La comparaison à établir n'est pas seulement de deux danses d'hier à deux danses de jadis. Elle est aussi celle des rapports qui lient en dro et hanterdro d'une part, branle double et branle simple d'autre part. Les deux danses morbihannaises avaient encore à la fin du dernier siècle même dépendance mutuelle de structure que les deux branles au xvi e . Ces noms de dro et hanterdro, tour et demi-tour, danse et demi-danse, aussi bien que ceux de branle double et branle simple, montrent assez que dans l'un et l'autre cas les danseurs ont conscience d'un rapport quasi mathématique entre les deux danses qu'ils connaissent simultanément. Qu'ils établissent un lien entre elles, on le constate aussi en examinant les airs qui les accompagnent. Dans l'exemple retenu par Thoinot Arbeau la phrase mélodique du branle simple comme sa phrase en mouvement se déduit de celle du branle double par un raccourcissement de moitié du second motif. Les notations superposées des exemples musicaux de l'Orchêsographie1 le montrent : i.
ARBEAU,
Orch., S. 70-71.
LE
RÉPERTOIRE
337
Branle double
J
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I Dr Branle simple
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J4 J irI r ri r i r Sf i 4p
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On a vu que, selon toute apparence, les danseurs à?hanter dro ont aussi, à l'occasion, retaillé à la mesure de son pas des mélodies connues par ailleurs en mesure à deux temps, et susceptibles d'avoir accompagné en dro. Surtout ils ont associé les formules rythmiques caractéristiques des deux danses. Sur ce point encore la tradition folklorique est comparable à l'usage ancien. En effet, après avoir analysé les branles fondamentaux, Thoinot Arbeau ajoute 1 : « De tous les branles ci-dessus comme d'une source sont dérivés et émanés certains branles composés et entremêlés de doubles, de simples, de pieds en l'air, de pieds joints et sauts quelquefois variés par intercalation de mesures diverses, pesantes ou légères, selon que bon a semblé aux compositeurs et inventeurs. Les joueurs d'instruments les appellent branles de Champagne coupés... et autant qu'il survient de fraîches compositions et nouveautés, autant en font-ils de suites, et leur attribuent des noms à plaisir. » Les rondes paysannes « Quandfêtais cbe% mon père » ou « Eun de oen i passein » mériteraient de prendre place parmi ces branles coupés. Elles aussi combinent les deux structures de phrase, de façon plus simple que la plupart des exemples de Thoinot Arbeau, mais non moins heureuse. ** *
Sous les noms de dro et hanterdro la tradition morbihannaise comme on voit, conserve des structures de danse fort anciennes. Il y a des raisons de penser qu'elles l'étaient déjà quand Thoinot Arbeau en faisait la première notation venue jusqu'à nous : 1. Parmi ces raisons relevons d'abord les commentaires d'Arbeau lui-même. Il apprend en effet à son disciple 2 que « les danses récréatives » en usage « du temps de nos pères » étaient « pavanes, basses-danses, branles et courantes ». Il l'informe d'autre part que la plupart des branles coupés, tout comme les gavottes, sont d'apparition récente. Ce sont 1. Ibid., t. 73. 2. Ibid., f. 24.
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donc évidemment les quelques branles fondamentaux dont tous les autres sont dérivés « comme d'une source » qui doivent être attribués aux époques antérieures. Le double et le simple ne sont pas seulement les éléments essentiels de ces branles. Ils sont aussi ceux des pavanes, basses-danses et courantes, c'est-à-dire de tout le répertoire reçu du passé. Il y a bien des chances pour que les branles mentionnés par quelques textes au xv e , et avant eux ces danses en chaîne ou en ronde dont nous ne savons pratiquement rien, aient employé des structures de pas très voisines, sinon identiques, à celles que nous trouvons notamment dans le branle double et le branle simple. Dans cette perspective on s'explique bien le rang donné à ces deux branles dans la hiérarchie des danses 1 : « Les joueurs d'instruments sont tous accoutumés à commencer les danses en un festin par un branle double, qu'ils appellent le branle commun, et en après donnent le branle simple, puis après le branle gai, et à la fin les branles qu'ils appellent branles de Bourgogne, lesquels aucuns appellent branles de Champagne. La suite de ces quatre sortes de branles est appropriée aux trois différences de personnes qui entrent en une danse : les anciens dansent gravement les branles doubles et simples : les jeunes mariés dansent les branles gais; et les plus jeunes comme vous dansent légèrement les branles de Bourgogne; et néanmoins tous ceux de la danse s'acquittent du tout comme ils peuvent, chacun selon son âge, et la disposition de sa dextérité. » Cette première place réservée au branle double (branle « commun ») et au branle simple, la réputation qu'ils ont de convenir particulièrement aux personnes âgées, feraient à elles seules imaginer qu'à l'époque où Arbeau les décrit, ils sont déjà un héritage des générations précédentes. 2. Il est probable que de telles structures de mouvement ont été largement répandues en France. A défaut de l'irremplaçable inventaire du fonds traditionnel français de dansea, les airs de chansons folkloriques recueillis à la fin du siècle dernier apportent au moins une présomption dans ce sens. On sait que bon nombre d'entre eux ont, à quelque moment de leur histoire, été l'accompagnement de danses. Souvent ils ont reçu l'empreinte des mouvements (les airs d'en dro et d'hanterdro en sont un exemple). Souvent ils l'ont gardée au point de 1. Ibii., f. 69.
2. Des branles qui nous ont été montrés en vallée d'Ossau (Hautes-Pyrénées) laissent reconnaître des structures comparables à celles de l'Orchésographie sous les ornements qu'y ajoutent les danseurs. Des « sauts » béarnais et basques, à beaucoup d'égards comparables aux branles coupés du xvi» siècle, ont parmi leurs constituants une succession de pas identique à celle du branle simple, aux « découpements » près.
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suggérer fortement telle ou telle façon de se mouvoir. Lorsqu'on examine les chansons des recueils en recherchant ainsi l'éventuel contenu moteur des airs, on rencontre souvent, employés seuls ou en combinaison, des coupes et tours mélodiques parfaitement adaptés à la formule d'appuis du branle simple. La rencontre ne prouve rien dans chaque cas particulier, mais sa fréquence dans des airs à caractère dansant autorise à lui chercher dans le mouvement une cause générale. 4. Ce n'est pas seulement en France qu'on peut trouver des termes de comparaison. Des danses ayant une structure analogue à nos deux danses morbihannaises ont été signalées en d'autres pays d'Europe. Ce sont surtout les danses du type branle simple qui ont retenu l'attention des observateurs. Nous ignorons dans presque tous les cas si elles sont liées à une autre danse du même terroir par la relation étroite qui lie les deux danses vannetaises comme les deux branles français. L'un des premiers, Thuren Hjalmar en 1901 faisait connaître une danse comparable à Vhanterdro en décrivant la ronde des Iles Féroé 1 . Depuis lors une succession d'appuis semblable a été reconnue dans des danses de Roumanie, Montenegro, Yougoslavie, Grèce, Italie, Sardaigne, et récemment signalée en Allemagne 2. De nouvelles enquêtes peuvent allonger la liste. Nous nous bornerons à enregistrer ces rencontres, sans choisir entre les explications qu'on peut en concevoir : polygenèse, très ancien héritage commun, échanges d'époque lointaine. On peut estimer une interprétation plus vraisemblable, aucune considération décisive ne nous paraît l'imposer exclusivement dans l'état présent de l'information.
1 . T H U R E N H J A L M A R , « Tanz, Dichtung und Gesang auf den Färoern 1, Sammelbde d. intern. Musik gesellscka/t, 3, 1901, 02, et C U R T S A C H S , Hist. danse., p. 137. 2. Bianca Maria G A L A N T I , • Forms and aspects of the ballo tondo sardo », (Journal of the international folk music council, vol. 2, 1950, p. 14). Richard W O L F R A M . « European song dance forms ». (Ibid., vol. 8, 1956, p. 32).
LARIDÉS ET RIDÉES
Il a déjà été question dans un précédent chapitre de danses ainsi nommées1. Il s'agissait de rondes du pays de Pontivy, rattachables au même fonds que les gavottes en ronde et en chaîne de Cornouaille. Celles qui vont être examinées maintenant sont connues en Morbihan bretonnant dans les mêmes limites géographiques qu'en dro. Des danses du Bas-Léon également appelées ridées se montrent parentes de certaines d'entre elles. Nous examinerons successivement les faits recueillis en ces deux régions avant de conclure sur l'ensemble.
*
*
*
I. — LARIDÉS DU PAYS D'EN DRO Entre la danse nommée laridé ou ridée en pays de Pontivy et celle qui porte les mêmes noms en pays d'Hennebont, d'Auray ou de Vannes, une première différence tient aux conditions d'emploi. Le laridé pontivyen est, par tradition ancienne, le premier et principal terme d'une suite réglée. On a vu qu'en pays d'en dro il n'est question de suite réglée que par places, et dans le passé plus que dans le présent. Le répertoire comprend ordinairement de trois à cinq danses, qui se succèdent en ordre i . Sauf raisons particulières nous écrirons le plus souvent laridé, mais on doit rappeler que les deux formes (laridé et la ridée) ont cours en milieu populaire.
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variable au gré des danseurs ou musiciens. Le laridé est la plus prisée de la majorité des danseurs. Il n'est pas étonnant que plusieurs folkloristes y aient vu la danse par excellence du Morbihan bretonnant. Mais nulle part on ne la voit intégrée à la suite ancienne. Quelques traits généraux assez constants donnent à ces laridés du sud une certaine unité de l'apparence extérieure qui les oppose aussi, en bloc, aux laridés-gavottes pontivyens. Ce sont ces traits communs que nous définirons en premier lieu. Ensuite seulement sera faite l'analyse des structures de pas, qui oblige à établir des subdivisions dans les laridés du pays d'en dro. Il suffira pour l'instant de dire que l'unité de mouvement est une phrase, et que cette phrase n'a pas partout la même durée. Elle est, suivant les lieux, de six ou de huit temps 1 .
A. —
TRAITS
GÉNÉRAUX
I. La Forme Partout le laridé se danse en ronde. Les participants se tiennent le plus souvent par les majeurs ou les petits doigts, parfois par toute la main, jamais par le bras. Il n'y a pas, à notre connaissance, d'étiquette réglant le rassemblement des danseurs et la mise en train de la danse. En général les couples, en nombre quelconque, se disposent en cercle et attendent le signal d'un meneur. Dans quelques cas nous avons vu les danseurs, immobiles, (chacun donnant la main à ses voisins) tenir les bras levés au-dessus de la tête. Le meneur comptait « Un ! Deux ! Trois ! ». A trois les bras s'abaissaient jusqu'à dépasser le corps en arrière, prenant ainsi l'élan nécessaire pour balancer vers l'avant au premier temps de la phrase, en même temps que le pied gauche fait son premier pas vers la gauche. A Saint-Armel nous avons vu les danseurs après ce même signal faire plusieurs balancements de bras en demeurant sur place, sans bouger les pieds, et s'imprégner ainsi d'un rythme commun avant de commencer le pas. La ronde ne s'ouvre jamais en chaîne. Le seul changement de forme que nous connaissions consiste, en quelques communes, à danser le laridé par couples, en position de danse moderne. Cette variante, toute récente, n'a jamais pris d'importance, et la ronde garde toute la faveur i L a distinction que nous avons dû faire entre les « temps du mouvement » et les temps de la musique dans l'analyse d 'en dro et de Vhanterdro, n'a plus de raison d'être ici. Le temps correspond à une noire, dans les formules d'appuis comme dans les notations musicales.
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du public. A la ronde s'ajoute parfois un élément de jeu (choix et embrassade). Enfin le pas de laridé, accompagné de ses mouvements de bras caractéristiques, peut être utilisé dans des danses à figures. Ainsi vers Surzur on nous a montré une danse assez semblable au petistoup, avec une partie A en pas de laridé. Au voisinage du Finistère le même pas est employé dans une danse apparentée au jabadao. Ce sont là des innovations, jamais plus anciennes que notre siècle, et toujours de peu d'importance.
2. Allure du pas L'allure générale de la danse (le pas sera analysé ultérieurement) nous a paru assez homogène, qu'il s'agisse de laridés à six ou à huit temps. L e tempo varie de la course à la marche. Tous nos informateurs s'accordaient sur le fait qu'il décroît régulièrement à mesure qu'on descend de Baud et Bignan vers la côte. Nos observations confirment le plus souvent cette règle. Toutefois elle n'est pas absolue. Dès SaintAvé, et à plus forte raison à Theix et dans toute la presqu'île de Rhuys, nous avons vu donner aux laridés un tempo de course, nettement plus vif qu'au nord et à l'ouest de Vannes. D e l'avis des plus vieux informateurs le style de laridé qu'on peut observer aujourd'hui en pays d'en dro est l'aboutissement d'une évolution. Mais cette évolution est tout autre que celle des laridés pontivyens précédemment étudiés au chapitre des gavottes. Deux tendances l'ont dominée : économie toujours plus poussée dans le pas; amplification et complication du mouvement de bras. Tel qu'il s'était finalement fixé le pas de laridé de ces régions est un des plus dépouillés qu'on puisse concevoir. Il faut mettre à part la presqu'île de Rhuys, où nous avons vu des danseurs adopter un pas très rebondissant, de dessin ample. Partout ailleurs le dessin gestuel, la fantaisie, l'exubérance, sont l'affaire des bras. Celle des pieds est seulement de porter et déplacer le danseur. Les mouvements de jambe libre exécutés par luxe, pour le seul plaisir du mouvement gratuit, sont rares et toujours très simples. S'ils interviennent, c'est dans les passages de la phrase où le danseur prend un appui continu de deux temps ou davantage. L e pied libre peut alors marquer la pulsation de différentes manières (chocs contre le sol ou l'autre pied... etc.). Il paraît que ces mouvements étaient plus fréquents autrefois qu'aujourd'hui. Chez les danseurs des dernières générations ils sont souvent totalement inexistants. D'autre part la jambe d'appui n'exécute jamais de rebondissements, et même ne confère généralement pas de suspension au pas. Même
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quand le tempo de la danse est celui d'une course, ses mouvements ne sont pas ceux d'une danse courue. Les jambes sont étendues, droites, avec un jeu de genoux et de chevilles aussi réduit que possible. Le danseur fait face au centre du cercle et se déplace rigoureusement de côté, l'axe des pieds toujours perpendiculaire à la direction de marche. Ils prennent appui par toute la semelle, et souvent s'élèvent à peine au-dessus du sol en passant d'un appui à l'autre. Certains auteurs ont décrit des appuis croisés du pied droit devant le gauche. Nous n'en avons jamais vu. Seul le pied gauche assure la progression, en prenant, à des temps définis de la phrase, un pas latéral à gauche. Le pied droit ne fait que le rejoindre. Il se pose au contact du gauche, et parallèlement à lui. Le pas, d'ampleur moyenne, ne marque aucune tendance à s'amenuiser comme il le fait au sud est de Pontivy. Enfin il y a presque toujours dans la phrase des temps d'immobilisation plus ou moins complète sur place. Cette extrême sobriété du pas fait ressortir le dessin vigoureux et original des balancements de bras.
3. Les mouvements de bras
On exagérerait à peine en définissant le laridé une danse de bras. Bien des danseurs nous ont déclaré nettement n'avoir attaché et vu attacher au pas qu'une importance secondaire, mais la plus grande importance au mouvement de bras, qui devait être parfaitement uniforme. Cette uniformité ne s'établissait pas toujours d'emblée, surtout dans les localités où la phrase pouvait être tantôt de six et tantôt de huit temps. Certains nous ont dit que le mouvement de bras variait avec les chansons, ce qui serait normal. En fait nous n'avons pas vu les danseurs gênés d'assembler un pas et balancement de bras en six temps avec une phrase mélodique de huit, ou un pas et balancement de huit avec une mélodie de forme irrégulière. Souvent en pareil cas une convention intervenait entre les garçons avant la danse. Ils décidaient que le laridé se ferait « à trois coups » ou « à deux coups ». Le sens de ces expressions apparaîtra plus loin, lors de la revue des versions. Souvent aussi un danseur de mérite ou d'autorité reconnus imposait en cours de danse sa manière de faire. A bien des reprises nous avons vu le laridé commencer avec des mouvements de bras anarchiques, et s'uniformiser peu à peu par ajustement mutuel des danseurs.
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Dans un laridé à six temps les balancements de btas se succèdent presque toujours ainsi : 1. Balancement simple vers l'avant. 2. Balancement simple vers l'arrière. 3. Balancement plus ample vers l'avant, bras demi fléchis, amenant les mains en direction du centre du cercle, à hauteur de buste. 4. Les bras (humérus) reviennent en arrière, à peu près à la verticale, mais les avant-bras fléchissent un peu sur le bras, de sorte que les mains s'abaissent assez peu au total. 5. Les mains sont projetées, vivement mais sans raideur du bras, vers l'avant, ou vers le haut en même temps que vers l'avant. Après avoir, ou non, décrit une petite courbe arrondie à bout de course,... 6. ...elles redescendent rapidement, jusqu'à dépasser l'axe du corps en arrière. Les mouvements 5 et 6 se lient en une seule grande courbe continue. Dans les formules de pas qui suivront nous indiquerons ces mouvements élémentaires par des traits fléchés, en supposant le danseur vu de profil par le lecteur, et faisant face à la gauche de celui-ci :
l
6.
^
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Dans un laridé à huit temps on retrouve ces mêmes éléments, mais combinés de différentes façons. D'où des variantes d'agencement, auxquelles s'ajoutent, dans les deux types de phrases, des variantes de style. Les plus vieux informateurs s'accordent à dire que les mouvements de bras étaient autrefois plus simples, plus monotones et moins amples. Il est évident que l'évolution du pas et celle du balancement de bras sont liées. L'extrême simplification du premier a facilité la complication du second, si même elle n'en est pas la conséquence.
B. —
L E PAS. S T R U C T U R E E T V A R I A T I O N
L'unité de mouvement (pour le pas et le mouvement de bras) est une phrase de durée variable suivant les régions. Lorsqu'on traverse le Morbihan méridional d'ouest en est, depuis la frontière du Finistère jusqu'en pays gallo (voir carte V), on rencontre successivement : 1. Une zone de laridés à phrase de six temps, qui correspond au pays d'Hennebont. 2. Une zone de laridés à phrase de huit temps, qui va de la pointe de Gâvres aux abords immédiats de Vannes, englobe tout le pays d'Auray, se relie par Pluvigner et Baud aux laridés-gavottes (de type différent) du pays de Pontivy, se prolonge enfin, à l'est de Locminé, jusque vers Josselin au moins. 3. Une zone de laridés à phrase de six temps, qui commence à l'est et au sud de Vannes, se prolonge dans le pays gallo, et dont nous ne connaissons pas les limites 1 . Entre ces trois zones les frontières ne sont pas tranchées. Quantité de communes situées au contact de la zone centrale avec l'une des zones encadrantes (telles Languidic, Merlevenez à l'ouest; mais surtout Plumergat, Grandchamp, Saint-Jean-Brévelay, Saint-Allouestre, Bignan à l'est) ont connu, successivement ou simultanément, les deux types de phrase, au moins en ce qui concerne le mouvement de bras. i . Aux points extrêmes de notre enquête (Ruffiac, La Trinité Porhoet) nos informateurs avaient quelque souvenir d'une < ridée », mais ne savaient plus la danser. C'est en pays bretonnant qu'ils conseillaient d'en chercher le modèle. A l'extrême sud nous avons trouvé « la ridée » dans les environs de Guérande. Celle qui nous a été montrée à La Turballe appartient bien au type à six temps du Vannetais, mais ne semble connue — au moins sous ce nom — que depuis la fin du x i x " siècle.
LE
i. —
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RÉPERTOIRE
Laridés
à six temps de l'ouest
L'état le plus ordinaire de la danse est celui-ci, que nous décrirons d'après une démonstration faite à Lanvaudan : 1
2
3
4
5
6
G
D
G
±
D
1.
Les danseurs, disposés en ronde face au centre, et se tenant par les majeurs, font deux petits pas de marche latérale (temps i et 2). Les temps 3-4 et 5-6 présentent des mouvements symétriques : en 3 le pied gauche fait encore un petit pas de côté vers la gauche, appui qu'il conserve au temps 4. En 4 le pied droit frappe légèrement le sol sans appui, soit à l'assemblé du gauche, soit un peu en avant de lui, en touchant la terre du talon seulement. Au temps 5 le pied droit prend l'appui, soit à l'assemblé, soit à un petit pas à droite, et le conserve au temps 6. En 6 le gauche frappe légèrement le sol, sans appui, comme faisait le droit au temps 4. La variation ne porte que sur le style. La plupart des variantes ponctuent discrètement la pulsation comme faisait la précédente. Ceci de multiples manières : frappés du pied libre en 4 et 6 contre le sol ou contre le pied d'appui, petits balancés croisés, etc... D'autres variantes, moins nombreuses, poussent l'économie du mouvement si loin, que les pieds demeurent à peu près immobiles sur la seconde moitié de la phrase :
\
*
G
D
G
+D
Du temps 1 au temps 4 le danseur se déplace de côté, le pied droit aux temps pairs rejoignant le gauche à l'assemblé. Du temps 4 au temps 6 les deux pieds restent joints, immobiles, et les bras, seuls, agissent. Chez quelques danseurs on perçoit, à peine marqué, le souvenir d'un état antérieur moins simplifié. Par exemple le pied droit frappe ou presse le sol à l'assemblé en 4 ; le gauche décolle un peu de terre en 6. Nous avons vu le pas simplifié au maximum à Languidic et Brandérion, c'està-dire au voisinage de la zone des laridés à huit temps, où ce style est très répandu. * La mesure à 6/4 doit être interprétée ici comme une mesure à six temps, représentés chacun par une noire.
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Quand les temps de la phrase sont bien individualisés, le pas a la plus grande similitude avec celui de Yhanterdro. C'est le moment de rappeler une contradiction que nous avons annoncée, entre les exigences de la notation musicale et celles de l'analyse du mouvement. La mesure adoptée pour écrire les airs à'en dro nous a contraint, dans les formules d'appui de cette danse, et par extension dans celles de Yhanterdro, à faire correspondre un appui à une croche (sans que cela implique nécessairement un tempo plus rapide). L'étroite parenté des laridés à six et à huit temps, et la notation universellement adoptée pour leurs airs, nous obligent, en écrivant maintenant leurs formules, à faire corrrespondre un appui à une noire. Ainsi la même structure de mouvements se trouve-telle représentée par six croches quand elle appartient à Yhanterdro, par six noires quand elle est laridé. Il faut savoir que ce changement d'unité ne correspond à aucune différence radicale dans les pas. La parenté évidente du laridé et de Yhanterdro conduit à poser deux questions. D'abord comment expliquer que les danseurs traditionnels voient deux danses là où l'observateur non prévenu n'en voit .qu'une ? C'est qu'une danse se caractérise pour eux globalement, et pas seulement par une structure de pas. En fait il y a plusieurs différences appréciables entre le laridé et Yhanterdro. D'abord dans le pas lui-même une légère différence d'interprétation. Le style qui a été analysé ci-dessus (Lanvaudan) en accentuant régulièrement la pulsation, donne à la phrase le maximum d'homogénéité. Les groupements 3-4 et j-6 sont équivalents à tous égards. La formule pourrait être traduite par une mesure 3 ¡z régulière. hanter dro typique, avec la même succession d'appuis, oblige à opposer un groupement de quatre temps à un groupement de deux. Surtout, Yhanterdro se danse en ronde serrée, sans gestes d'aucune sorte, alors que le laridé comporte le mouvement de bras complexe précédemment analysé. Là est peut-être pour le danseur traditionnel sa caractéristique majeure. Enfin une dernière et curieuse différence tient à l'accompagnement musical. ~L'hanterdro s'accompagne d'une mélodie parfaitement appropriée au mouvement. Le laridé se danse sur des airs nombreux et divers, dont le principal trait commun, comme on verra ultérieurement, est d'avoir une autre mesure que le mouvement. Seconde question : Laquelle des deux danses a précédé l'autre? Tous les témoignages concordent : nul n'a vu les débuts de Yhanterdro, tandis que plusieurs ont connu la première vogue du laridé. Ses témoins sont rares à l'est d'Hennebont. Ils situent l'arrivée de la danse aux environs de 1880 vers Brandérion et Languidic. Ils sont plus nombreux vers Pont-Scorff, Plouay, Guilligomarc'h, Caudan, Guidel, où le laridé ne se serait vraiment imposé qu'entre 1890 et 1900. Dans les premiers
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temps les jeunes le dansaient en chantant, pour occuper le temps où les sonneurs étaient à table. Les vieilles gens de cette époque goûtaient peu, paraît-il, cette danse aux mouvements de bras « difficiles et fatigants». Ils lui préféraient Yhanterdro. 2. Laridés à huit temps
On retrouve dans leurs styles l'opposition précédemment signalée entre des variantes qui font concourir plusieurs pulsations à un même appui, et d'autres qui font correspondre un mouvement à chaque pulsation. Là ne se borne pas la variation. Elle porte aussi sur la constitution même de la phrase. Il est capital de dire que chez un nombre important de danseurs on ne relève même aucune structure de pas analysable. Toute leur attention absorbée par le mouvement de bras, ils déplacent les pieds comme ils peuvent, maladroitement pour la plupart, sans plus de fantaisie que de règle. D'autres, il est vrai, observent une ordonnance précise, mais non la même pour tous, bien qu'une version-type prédomine, comme on verra plus loin. L'agencement des gestes élémentaires à l'intérieur de la phrase permet de répartir les versions en deux catégories. Premier genre de versions
Leur trait caractéristique est que les temps i à 3 amènent seuls une progression de la ronde. Pendant le reste de la phrase les danseurs demeurent sur place. Les formules d'appuis ci-après concernent respectivement : a) La version que nous avons le plus souvent recueillie, surtout dans la région littorale. b), c), d) Quelques versions qui n'en sont que des variantes. Nous décrirons en détail la version dominante : 3 ..
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Les temps i à 4 consistent en pas de marche strictement latéraux. Pendant les temps 4, 5, 6, les danseurs sont pieds joints. Souvent les pieds demeurent totalement immobiles. Parfois le danseur se soulève sur les demi-pointes au temps 5, repose les talons au temps 6. A u temps 7 enfin les danseurs font du pied droit un pas de côté vers la droite. Ils conservent cet appui au temps 8. (Légère surrection en 7, reposer le talon en 8). La jambe gauche effectue en 7-8 un balancé croisé de faible ampleur devant la droite. Le mouvement de bras est composé des même éléments que celui des laridés en six temps. Leur enchaînement est variable. Avec la formule d'appuis ci-dessus nous avons le plus souvent observé du temps 1 au temps 6 inclus le même enchaînement que dans les laridés à six temps. Deux balancements simples (7 vers l'avant, 8 vers l'arrière) s'y ajoutaient en fin de phrase. Cette danse où l'économie de pas est poussée au maximum se rencontre si fréquemment dans la zone côtière (de Locmiquélic à Ploeren et Locmariaquer), avec des différences si minimes dans l'interprétation de détail et le style, qu'on peut à son propos parler de version-type. Nous l'avons retrouvée en direction du nord jusque vers Merlevenez, Landévant, Landaul, Pluvigner, mais déjà mêlée à d'autres, qui n'en sont le plus souvent que des variantes. Signalons que beaucoup de démonstrations individuelles font connaître une version dérivée de la versiontype par simple déplacement des appuis dans la phrase : l'appui continu sur pied droit occupe les temps 1-2 (au lieu de 7-8). La suite est décalée en conséquence. Quant aux menues variantes b, c, d, elles ont l'intérêt d'être moins simplifiées que la version dominante, et d'aider à comprendre son origine. Elles n'en diffèrent et ne diffèrent entre elles que par des particularités des temps 4, 5, 6. Le fait remarquable, sur lequel nous allons revenir, est que ces trois temps reproduisent pratiquement le même mouvement. Dans la variante b (Bignan 1 ) le pied droit, en 4, se pose sur le talon, sans appui, un peu en avant du gauche. En 5, 6, même geste à l'assemblé du pied d'appui (deux petits frappés). Le mouvement des mains est lui aussi le même aux temps 4, 5,6. C'est à peu près celui d'un homme qui secouerait ses mains mouillées pour en faire tomber les gouttes d'eau. Nous avons retrouvé cette variante chez une danseuse « à l'ancienne mode » à Saint-Allouestre 2 . Dans la variante c (Ploeren 3 et Arradon 4) le danseur esquisse une 1. 2. 3. 4.
S. meLorant. M Lamour. F. Roger. M. Hervé.
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surrection sur la pointe du pied gauche à la seconde moitié du temps 3, et reprend aussitôt l'appui complet (4) en même temps qu'il pose le droit sur le talon et sans appui, à distance d'un pas à droite du gauche, pointe vers la droite, jambe droite oblique vers la droite. Les temps 5-6 répètent les temps 3-4. Le geste des bras ne diffère dans les deux groupes de deux temps que par son ampleur, moindre en 5 qu'en 3. Enfin dans la variante d (Landévant1) la danseuse au temps 4 pose seulement le talon du pied droit, sans appui, un peu en avant. Au temps 5 elle pose le droit à l'assemblé du gauche, puis se soulève sur les demi pointes des deux pieds, qui se partagent également l'appui. En 6 elle repose les deux talons (joints) à terre. Le mouvement de bras n'a pu être précisé. ** *
Comment interpréter toutes ces versions ? Des rapprochements s'imposent, différents suivant qu'on porte attention à l'architecture de la phrase ou aux mouvements élémentaires qui la constituent. Sont surtout suggestives au premier point de vue les variantes qui, comme celles {c et d) rapportées à Ploeren, Arradon, Landévant, répètent aux temps 5-6 les mouvements des temps 3-4. Avec ce double motif central, introduit par trois temps de progression (1 à 3) et suivi par un appui de deux temps sur pied droit (7-8), la phrase est alors, tout détail gestuel et style mis à part, construite comme les anciens laridés-gavottes pontivyens. Mais les mouvements élémentaires qu'elle met en œuvre ne sont pas, quant au dessin gestuel et au style, ceux de la ronde pontivyenne. Il est révélateur de considérer ce que les versions ont en commun : le début de la phrase (1 à 4) et la fin (7-8). Qu'on raccorde ces deux tronçons, et dans toutes c'est la phrase du laridé en six temps qui apparaît, avec son détail habituel. Bien plus, les deux temps qui s'y ajoutent n'apportent pas de mouvement d'un type nouveau. Eux aussi sont empruntés à la phrase de six temps. Si l'on convient de désigner par les lettres successives de l'alphabet les temps de la phrase, le laridé en six temps pourrait s'écrire A. B. C. D. E. F. Comparés à lui les laridés à huit temps seraient alors A. B. C. D. D. D. E. F. (Bignan) ; A. B. C. D. C. D. E. F. (Ploeren). Quelle qu'ait été en réalité leur genèse, tout se passe comme si les versions de cette première catégorie résultaient de l'allongement d'une phrase de six temps par incorporation de mouvements extraits de cette phrase même, et intercalés de manière à en reporter la conclusion. Il est intéressant de remarquer que la solution pratique a pu être différente pour les pieds et pour les bras. 1. Informatrice inconnue.
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Deuxième genre de versions Elles consacrent les cinq premiers des huit temps de la phrase au déplacement des danseurs sur le cercle, les trois derniers seulement à des mouvements sur place. Nous ne les avons jusqu'à présent rencontrées qu'au voisinage de la zone orientale. Leur parenté avec ses laridés à six temps (voir page 353) est évidente. On la constate immédiatement dans des variantes comme celle-ci, notée à Crédin : 1
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G
D
G
D
G
6
7
8
D
(cinq pas de marche latérale; appui de deux temps sur pied gauche : 5-6, puis sur pied droit : 7-8.) Il est clair qu'on a affaire à la phrase de type banterdro, augmentée cette fois de deux pas de marche placés en tête. D'autres variantes donnent un tour un peu moins symétrique aux groupements j-6 et 7-8. Par exemple certains ajoutent au soulèvement du droit en 6 un frappé de ce pied à l'assemblé (Josselin, etc...). D'autres variantes encore ont la même formule avec un appui continu sur toute la seconde mesure : 1
2
3
4
5
G
D
G
D
G_+D
6
7
8
C'est de cette façon, à en croire les danseurs traditionnels des dernières générations, que le laridé aurait été dansé autrefois à Plumergat et Grandchamp. Il est permis d'en douter : les démonstrations de nos plus vieux informateurs en ces communes montraient des versions du premier genre (cf. p. 349 ci-dessus) et non du second. Une seule chose est sûre : en plusieurs localités, pas et balancement de bras ont été ramenés de huit à six temps. C'est, comme toujours, le balancement de bras qui pour nos informateurs caractérisait les variétés de la danse, et c'est de lui seul qu'ils avaient une représentation précise. Il pouvait se faire « à trois coups » ou « à deux coups ». Le balancement à deux coups, ou, plus précisément « deux coups en bas, un coup en l'air » se déroulait en six temps. Il comportait deux impulsions vers l'avant (1 et 3), avant la projection horizontale ou ascendante du temps 5. Le balancement à trois coups se déroulait en huit temps. Il comportait trois impulsions vers l'avant (1, 3, 5) reportant le «coup en l'air» au temps 7. Quoi qu'il en soit de l'histoire des versions du second genre (elle peut n'avoir pas été partout la même), si l'on reprend la désignation des
LE
RÉPERTOIRE
353
temps par des lettres, la phrase en six temps étant A. B. C. D. E. F., la phrase en huit serait A. B. A. B. C. D. E. F. Une fois de plus le pas de Yhanterdro apparaît enchâssé dans celui du laridé, et complété par deux pas élémentaires empruntés à lui-même. *
*
*
Ainsi, même en cette région axiale où l'unité de mouvement est de huit temps et non de six, l'idée s'impose d'une parenté entre laridé et hanterdro. D'où l'intérêt de chercher si les vieilles gens savent quelque chose de l'ancienneté relative des deux danses. Uhanterdro est depuis longtemps en déclin dans ce secteur, mais aucun de ceux qui le pratiquent ne met en doute son antiquité. Quant au laridé, sa vogue est assez ancienne pour que la très grande majorité des danseurs le tienne aussi pour une danse de la plus vieille tradition locale. Même en cette zone pourtant, certains, parmi les plus âgés, déclarent catégoriquement le contraire. Leur témoignage a pour lui la fréquence des recoupements, la qualité de la plupart de ces informateurs, la précision circonstanciée de leurs récits : C'est un vieillard de Belz 1 qui se souvient d'une noce à laquelle il assista en 1882, âgé de douze ans. Ses parents et amis y voyaient pour la première fois « danser à laridé ». Peu après l'un de ses oncles organisait des veillées où l'on apprenait la danse nouvelle. A Quiberon une femme née en 1869 2 situait vers 1881 le début de « la ridée » chez les sardinières, qui la lui apprenaient peu après. Deux informateurs, originaires de Pluvigner8, avaient entendu, indépendamment l'un de l'autre, leurs mères raconter comment le laridé avait été introduit par des ouvriers venus travailler aux forges. Ce devait être, estimaient-ils, vers 1870. Nous avons recueilli des informations du même ordre à Landévant * et à l'Ile-aux-Moines 5. Presque toutes situent les débuts du laridé aux environs de 1880. Nous croyons qu'on recueillerait d'autres témoignages semblables en recherchant systématiquement les très vieux informateurs. 3. Lartdés à six temps de l'est Leur phrase a toujours même architecture fondamentale qu'en pays d'Hennebont. Le style varie beaucoup. Au voisinage des laridés en 8 temps il se caractérise souvent par la même économie extrême du pas. 1. 2. 3. 4. 5.
G. J é g o . M m " Philippe. M. et M" 1 " J e g o à Plumergat. J . M. Kervadec. M m e Coudé.
DANSE
354
EN
BASSE-BRETAGNE
Même, à Saint-Avé, nous avons vu une noce de plusieurs centaines de personnes danser exactement comme à Languidic ou Brandérion : tempo vif, mais danse collée au sol, sans rebondissement ni suspension, avec quatre temps de progression plane, strictement latérale, et deux temps (5-6) d'immobilité, pieds joints. Plus généralement les six temps de la phrase sont bien distincts. Dans toute la presqu'île de Rhuys, et dès Theix, la danse, avec ce même tempo vif, avait un pas rebondissant, où chaque temps était amplement dessiné : aux temps 1 et 2, deux pas de course vers la gauche, pieds toujours perpendiculaires à la ligne de direction; aux temps 3-4, ample balancé du droit, croisé devant la jambe d'appui; aux temps 4-5, balancé symétrique du gauche. En dehors de la région côtière, les démonstrations avaient un style plus calme. Aux temps 4 et 6 le pied libre pouvait, ou balancer faiblement, croisé devant l'appui, ou décoller à peine du sol, ou le frapper; ou le pied droit frapper en 4, le gauche se soulever en 6. Mais toujours apparaissait, bien reconnaissable, la formule d'appuis de Yhanterdro. La seule démonstration (individuelle) que nous ayons pu obtenir à La Trinité-Porhoët 1 avait cette structure, et, selon nos informateurs de Josselin, c'est de cette manière aussi que « la ridée » se serait dansée à Ploërmel. Partout le pas s'accompagne de l'habituel mouvement de bras « à deux coups». Des danseurs très âgés ont connu, soit un balancement simple et régulier, soit un balancement analogue à l'actuel, mais très peu ample, les mains ne s'élevant pas au-dessus de la taille. C'est seulement dans des communes voisines de la zone moyenne que des danseurs connaissaient à la fois les noms de laridé et d,hanterdro ou demi-danse. Encore n'avaient-ils souvent qu'une notion vague de ce dernier. A l'est de la route Vannes - Saint-Allouestre nous n'avons rencontré personne qui le connût. En presqu'île de Rhuys, comme à Elven et Pluherlin, les noms de demi-tour ou demi-danse étaient appliqués à une ronde toute différente. Jamais nous n'avons entendu, au nord de la Vilaine, un informateur, même très vieux, évoquer une époque où cette danse à six temps était inconnue. Nous avons seulement entendu des vieillards, en presqu'île de Rhuys et à Pluherlin, dire qu'elle avait très peu d'importance en leur première jeunesse, et qu'elle en avait acquis beaucoup dans la suite.
1. Mme
Portier.
LE
RÉPERTOIRE
355
C. —
ACCOMPAGNEMENT
MUSICAL
Indifféremment instrumental (bombarde et biniou) ou vocal (alternance soliste-chœur), le répertoire musical du laridé est très riche et très composite. On y reconnaît quantité d'airs utilisés pour d'autres danses en Basse-Bretagne, notamment pour la gavotte. Quantité d'airs aussi empruntés à la Haute-Bretagne. A côté de chansons en breton, les chansons en français foisonnent. La plupart des thèmes classiques de la chanson folklorique française (Canard blanc, Plongeur, Fille aux1 oranges, Rose au bois, Flamande aux trois amoureux...) y sont représentés. Les chansons à compter sont très nombreuses. Dans cette masse d'airs, pas d'unité de structure. Des formes dissemblables voisinent. Là est peut-être l'un des traits les plus frappants et les plus révélateurs de cette danse. A la différence des danses passées en revue jusqu'à présent, le laridé du Vannetais méridional ne possède pas un répertoire musical spécifique, aux caractères nettement définis, où l'empreinte du mouvement soit profondément marquée. Au moins s'attendrait-on à trouver suivant les lieux, soit des phrases mélodiques de six temps, soit des phrases de huit. Il n'en est rien. Les mélodies carrées, à phrases de huit temps régulières, dominent. Mais elles servent à Hennebont, à Elven ou Sarzeau, aussi bien qu'à Auray ou Pluvigner. En général, entre la phrase mélodique et la phrase mouvement, il y a seulement coïncidence des pulsations, sans ajustement des mesures. Il ne servirait à rien de multiplier les exemples. En voici deux empruntés aux deux zones de laridés en six temps :
*
Tempo de course modéré
m
M o n père est
mar-chand de
Mon
pire est
mar-chand de
har-
di
là,
voi- là qu'ça
har-
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là,
voi- là
S
qu'ça
noix,
noix,
deux sous
deux sous
va,
mon père est
va,
mon père est
la
dou- zai-
ne,
dou- zai-
ne,
mar-chand de
noix,
la
mar-chantf de noix.
LUKAS, Clohars-Carnoët, 1962.
356
^
m' •Wm" * C'est dans un
an,
je
DANSE
EN
m'en
rai,
i-
• sier, c'e st dans
ro-
m au pied
d'un
to-
d'un
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—
i i
» al
BASSE-BRETAGNE
se.
au
un
pied
an
d'un
je
ro-
m'en
i
rai,
rn
au pie d
sier, mon cœur s'y
re-
po-
«e. (Id.)
Les ligatures au-dessus des portées montrent comment se placent les phrases du mouvement par rapport aux phrases mélodiques. L'air n'apporte au danseur que le soutien de son dynamisme et de sa pulsation. Sa construction et sa mesure sont secondaires. Une fois passé à l'état d'automatisme collectif, le schème moteur, sans rien emprunter à un moule extérieur, se répète indéfiniment semblable à lui-même. Il en va autrement dans le secteur géographique moyen, où la phrase en mouvement est (parfois a été) de huit temps. La plupart des mélodies conviennent alors parfaitement à la danse :
fo
r
ç r i r r r J i L J f ir Q ir X. Bubquin, Orach, 1964. Ton original.
J «=170
J. Le Petit et V. LE Moueluc, Grandch&mp, 1064. Ton original.
LE
RÉPERTOIRE
357
J . Corfmit, Plumergat, 1953. *
On relève pourtant des exceptions. Parmi les airs les plus goûtés pour l'accompagnement du laridé, il en est auxquels les danseurs donnent fréquemment une structure irrégulière. Celui-ci par exemple, que nous avons entendu en plusieurs occasions interprété comme suit :
ffu i i i 1 /iç^çjr ir u Quand
4
j'étais chez mon pè- re, la- ri-
r.r r i "
dai-
ne.gar-
çon
à
n ma-
fi-
don, la- ri-
ir r'j ir er,
la-
ri-
don
i ^ m
dai-ne,quand
ri-
dé.
La raison de ce désaccord de la musique et de la danse n'est pas ici ce qui importe (dans le présent exemple on peut concevoir que l'air ait d'abord été parfaitement adapté au mouvement, et n'ait cessé de l'être que par une élongation des finales intervenue secondairement). Il convient seulement de souligner que même en cette région où musique et mouvement réalisent une unité habituellement suffisante, et souvent remarquable, il arrive que l'entrain et l'agrément d'une mélodie la fassent juger particulièrement propre à la danse, alors même que son architecture n'y convient pas. II. — LARIDÉS DU BAS-LÉON Le nom de ridée est connu sur tout le littoral du Bas-Léon. Certains danseurs l'appliquent à la ronde que nous étudierons sous le titre « Les trois pas». La plupart le réservent à une ronde identique à bien des * Un dièse, bémol ou bécarre placé entre parenthèses devant une note, dans la portée même, n'a valeur que de rappel ou de confirmation. Placé au-dessus de la portée et suivi d'un point d'interrogation, il traduit une incertitude : la hauteur du son était imprécise, ou variable suivant les moments.
DANSE
35«
EN
BASSE-BRETAGNE
laridés vannetais 1 . Avec ou sans nom, celle-ci a été dansée partout de Lilia à la pointe Saint-Mathieu. Dans l'intérieur des terres nous l'avons retrouvée jusqu'à Plouzané, Guilers, Lanrivoaré. Les danseurs forment une ronde. Tantôt le pas est en six temps, et dans ce cas la formule d'appuis est celle des laridés en six temps d'Hennebont ou de Theix : 1 2 3 4 5 6 , l
J
J
J - J
J - J
G
D
G
D
I
Tantôt il est à huit temps, deux pas de marche s'ajoutant"en tête de la formule précédente. Il a alors la plus grande ressemblance avec certains laridés de la zone moyenne du Vannetais : 1
ï
2
3
4
> 5 6 7 8
J
j
J
J
J—J
G
D
G
D
G
,
j—g 1
D
Parmi les chansons d'accompagnement, deux sont particulièrement appréciées et répandues. L'une s'accommode à peu près de la première formule de pas. C'est une chanson à compter comme il y en a tant en Morbihan. Elle est connue en Vannetais, plus comme chant de marche que comme chant de danse, dans des versions très proches des léonaises. Le rapprochement de deux notations permettra d'en juger : -
f
r
n
Ya
f
j
r
^
j
trois filles à
u
Nan-tes,
ij u
J
ton cœur Ma- ry- von- ne,
J
ir
u
Ah!
je sais bien,
t
^ Ah!
^
je sais bien,
J
ir
c j
Ab!
je sais bien,
ton cœur aime
le mien.
M'C GoUKBBf. BrélèB (Finistère), 1943.
3
U
U
Y a trois filles à
f
o. u
If
Nan-tes,
n
ton p'tit cœur Mi- gnon- ne.
Ah!
if
Ah!
J
t u
je sais bien.
C-J
i
je sais bien,
T
Ah!
i^-T
CJ
J
je sais bien,
ton cœur vaut le
I
mien.
X. Bchquin, Crach (Morbihan), 1964. I. Au nord de l'Aber-Wrac'h cette ridée proprement dite est fréquemment contaminée par la « danse ronde aux trois pas ». Nous l'avons vue danser à Tréménac'h en Plouguerneau en pas de six temps, avec la dualité de tempos (marche et course) caractéristique de la « danse ronde » locale.
LE
RÉPERTOIRE
359
La seconde chanson convient au contraire à la seconde formule d'appuis :
vez kous-kct
c
tra
va- dam, M. J .
la II
RIOUÎNÈS,
Lanrivoaré, 1954.
Les bons danseurs adoptent la première ou la seconde formule de pas suivant le chant. D'autres s'en tiennent, quel que soit l'air, à celle qui leur est familière. Enfin beaucoup se contentent de courir en lançant de temps à autre une jambe vers l'intérieur du cercle, sans rythme précis. Suivant les danseurs et les jours la variation de style est considérable. Nous avons vu certains faire un trottinement minuscule. Aux temps 4 et 6 (formule à 6 temps) ou 6 et 8 (formule à 8 temps), le pied libre était à peine lancé vers le centre, à ras de terre. D'autres au contraire couraient à grandes enjambées rebondissantes, lançant très haut le pied libre vers le centre, ou le balançant largement devant l'appui. Souvent les hommes, après quatre pas courus (x à 4), faisaient un grand saut vers la gauche, retombant sur les pieds joints, genoux quelque peu fléchis, au temps 5. Ils rebondissaient aussitôt sur place, retombant sur le gauche au temps 6, le droit balançant croisé. Puis ils posaient le droit à l'assemblé (7) et, avec ou sans rebondissement sur l'appui (7-8), balançaient le gauche. Il est à noter que ces ridées du Léon n'ont pas le mouvement de bras complexe des laridés vannetais. Les bras balancent régulièrement dans le plan sagittal (un balancement par temps). Le balancement varie d'ampleur et d'intensité comme le pas. Cette ridée ne joue en Bas-Léon qu'un rôle secondaire. Elle était un peu moins commune que la gavotte, et surtout moins souvent dansée. Plusieurs informateurs la disent tard venue, mais les témoignages sur ce point sont contradictoires. Ils ne permettent ni précision ni certitude. III. — CONCLUSION La première constatation qui s'impose, et non la moins inattendue, est que cette danse où des folkloristes ont vu si volontiers la danse vannetaise par excellence, n'a conquis son importance et sa réputation qu'à une date récente. Aujourd'hui encore une minorité de vieux et
360
DANSE
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excellents informateurs la déclarent tardivement adoptée dans leur commune. D'autres, qui ne se souviennent pas de l'avoir vue apparaître, se rappellent au moins l'avoir vue passer d'un rang secondaire au premier. Au delà des plus anciens souvenirs, c'est l'étonnant mutisme des textes. Alors que les allusions à la ridée abondent chez les auteurs du xx e siècle, nous n'en avons rencontré ni chez Bourgeois, ni chez De la Barre, ni chez Dufilhol, ni chez Mahé, ni chez l'auteur des Lettres Morbihannaises; bref chez aucun de ceux qui nous renseignent sur la danse de ces régions au xix e 1. L'ensemble des faits jusqu'ici réunis conduit à situer l'essor des laridés ou ridées en cette partie du département au dernier tiers de ce siècle.
Comment avaient-elles pris naissance ? Les faits actuellement réunis ne permettent pas de réponse absolument sûre. Nous n'avons de renseignements sur le passé des laridés en pays gallo que par quelques sondages. Pour le pays bretonnant, la proportion des faits connus à ceux qu'il faudrait connaître n'est pas suffisante pour que leur mise en ordre et leur interprétation s'imposent d'elles-mêmes. Au moins peut-on faire deux constatations : a) Il est évident que la danse connue en terroir bretonnant sous les noms de tricot ou banterdro a fourni des matériaux à la genèse du laridé. Dans son état final le laridé des deux zones latérales se présente comme un banterdro, modifié ou non dans son rythme, le détail de ses appuis, le style de son pas, toujours augmenté d'un mouvement de bras original, et pourvu d'un accompagnement musical sans structure spécifique. Les versions de la zone centrale pourraient à la rigueur n'être qu'un remaniement de ce même banterdro, dont la phrase aurait été allongée pour s'accorder au phrasé (en 8 temps ) de ces airs. b) Il paraît extrêmement probable que les laridés du pays d'en dro, spécialement les laridés en 8 temps, doivent quelque chose d'autre part aux laridés-gavottes du pays de Pontivy. Rappelons des faits dont le rapprochement le suggère ainsi : i. La forme et la disposition de la zone moyenne des laridés (en 8 temps) est à elle seule parlante. Elle coupe d'une bande nord-sud le territoire des laridés en 6 temps, étendu d'est en ouest. Elle s'ouvre i . La première mention que nous en connaissions se trouve dans un quadrille « sur des airs bretons, recueillis et arrangés pour le piano par M™" A. Le Cerf » en 1860. (Cholkau et Drouart, Ch. et dses. H.-Br., p. 137). Les airs passent pour avoir été notés dans la région de Mur-de-Bretagne. Celui de la « ridée» est le célèbre An hini got, familier à tout le pays de gavotte.
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au nord sur le domaine pontivyen, sans laisser voir de limites nettes entre elle et lui. Elle s'élargit vers l'est à ses approches, jusqu'à englober Josselin (à l'extrémité d'une des grandes routes qui rayonnent de Pontivy). 2. Si les estimations de nos informateurs sont exactes, il est assez remarquable qu'elles situent l'introduction du laridé vers 1865 à Baud (où son type est indiscutablement pontivyen), vers 1870 à Pluvigner, vers 1880 aux abords de Vannes. Autrement dit elles font apparaître une propagation du nord au sud, de Pontivy à Vannes. 3. Il y a une analogie dans la construction générale de la phrase, entre des laridés-gavottes pontivyens et certaines versions en huit temps de la zone moyenne. 4. De vieux informateurs témoignent que le laridé-gavotte pontivyen possédait autrefois un balancement de bras plus complexe que l'actuel. (Il en demeure quelque chose dans certaines versions de ce laridé et dans le bal qui le suit). Ses grandes lignes semblent avoir été assez semblables à celles des laridés du pays d'en dro. 5. Au contact de la zone moyenne avec l'une ou l'autre des deux zones latérales, quand l'une des formes du balancement de bras (phrase longue ou phrase courte) s'efface devant l'autre, c'est toujours la phrase de huit temps qui est dite la plus ancienne. Du moins en est-il ainsi dans tous les exemples que nous connaissons. Sur la base de ces constatations on peut proposer des faits une interprétation très probable : Deux courants paraissent avoir interféré : l'un, dirigé d'est en ouest, propageait une danse à phrases de six temps, Y hanterdro, de type français ancien. L'autre, plus tardif, dirigé du nord au sud, propageait une danse à phrases de huit temps, le laridé-gavotte pontivyen, de type cornouaillais. L'banterdro avait un répertoire musical très restreint. La gavotte pontivyenne au contraire possédait un répertoire abondant et divers, parfaitement adapté à son pas comme au mouvement de bras original et complexe qui l'accompagnait. Les deux danses sont entrées en combinaison de façon différente suivant les lieux. L'imitation de gavotte, encore passable au voisinage du centre de diffusion, devenait de plus en plus imparfaite à mesure qu'on s'en éloignait. Dans toute la zone centrale au sud de Baud, les pas en huit temps portent déjà la marque de l'banterdro en même temps que celle de la gavotte. Dans les zones latérales plus soustraites à l'influence de Pontivy, le pas a la formule d'appuis du seul banterdro. Mais les danseurs de ces régions ont au moins adopté le balancement de bras original où ils voyaient l'essentiel de la danse nouvelle, et, par le
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biais de cet emprunt partiel, le répertoire mélodique fait à la mesure de la danse importée. Ceci d'autant plus aisément que les chansons à phrases de six temps étaient rares, et que les chansons à phrases de huit temps, bretonnes ou françaises, abondaient au contraire en ce pays ouvert à des influences diverses. Les versions de la zone centrale ont fini par accorder pas, mouvement de bras et musique, et en plusieurs cas réalisé une unité totale de la danse. Les versions des zones latérales n'ont assimilé l'emprunt qu'imparfaitement. Elles sont demeurées ou redevenues étroitement dépendantes de la phrase de six temps. Le pas s'est fixé dans cette dimension. Le balancement de bras s'y est ajusté, et les danseurs s'accommodent de l'autonomie respective du mouvement et de la musique, une fois assurée l'unité du geste. Ce sont surtout les versions en huit temps de la zone centrale qui ont apporté dans le répertoire traditionnel de cette partie du Vannetais un élément vraiment nouveau. Il convient de préciser la nature de cette nouveauté. On verra que d'autres danses, ajoutées au fond ancien de Basse-Bretagne au cours du xix e siècle, y ont introduit de l'extérieur des composants, pas ou figures, jusque-là inconnus. Inspirées de la mode citadine, elles ont atténué le caractère archaïque de la tradition, commencé de nouer des liens entre elle et l'actualité changeante. Rien de semblable dans les laridés. Leur neuf, fait de vieux, ne porte aucune marque d'époque. En certaines le très ancien branle simple s'est seulement rajeuni. En d'autres ses gestes élémentaires sont entrés dans une synthèse nouvelle, où lui-même ne se reconnaît plus qu'avec peine. Ainsi renouvelée, la vieille danse est passée du rang très secondaire qui était le sien au tout premier. Son succès entre 1870 et 1914 est à rapprocher de la désagrégation de la suite traditionnelle à la même époque, et de la diminution d'importance d'en dro en de nombreuses communes. La ronde nouvelle supplantait peu à peu l'ancienne, et réduisait celle-ci, là où elle n'avait pas elle-même rajeuni sa forme, à n'être plus que « en dro mod koh », la ronde à la vieille mode. Enfin elle s'implantait à distance, et, par voie de mer, continuait d'étendre son domaine.
DANS TRO PLIN
I. —
L E P A Y S D E L A D A N S T R O PLIN
La ronde que nous désignons de ce nom 1 ne se rencontre en Basse-Bretagne que dans la partie des Côtes-du-Nord comprise, au sud de Guingamp, entre la frontière linguistique à l'est, une ligne CallacMaël-Carhaix à l'ouest (voir carte IV). La limite orientale de la gavotte divise en deux son domaine : en pays de gavotte la dans plin est d'importation récente et joue un rôle secondaire; plus à l'est elle est la danse principale, passe pour ancienne et typique de la tradition locale. Il est malaisé d'interpréter cette distribution géographique. Le même principe d'explication peut ne pas valoir partout : ainsi la dans plin montre des affinités étroites (forme et pas), avec la danse des terroirs gallos voisins, et il est certain qu'elle s'explique au moins partiellement par une expansion de celle-ci d'est en ouest. Mais elle montre aussi une parenté (dans le pas) avec l'ancienne danse du Trégor aujourd'hui presque oubliée, en sorte qu'en certaines parties de son territoire elle peut remonter à une époque où cette sorte de pas était largement répandue en bordure de Manche. Quoi qu'il en soit, la propagation de la danse en pays de gavotte est bien établie par les témoignages concordants des vieux informateurs : En direction du sud, sous le nom de dans ''janch (danse du pays janch2), elle passe pour traditionnelle ancienne jusqu'à Laniscat. Mais les dernières générations l'ont vue s'imposer à une partie de Gouarec et 1. L'adjectif plin (prononcer pline. On entend aussi, surtout en Trégor, plen et plean), appliqué à la danse, caractérise un mouvement égal, un débit d'énergie régulier et continu. 2. Soit approximativement un territoire compris entre la frontière de la gavotte et Corlay, entre le nord de Gouarec et le sud de Lanrivain. Voir dans CRESTON (Costumes., II, p. 99) une définition un peu différente du pays janch, fondée sur le critère du costume.
364
DANSE
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BASSE-BRETAGNE
de Plélauff, où elle concurrençait activement la gavotte (sous son faciès kosf er boed). Elle commençait à être dansée à Perret, et, à un degré moindre, à Sainte-Brigitte. Vers l'ouest un tracé Plouguernével-Trémargat-Maël-Pestivien jalonne très approximativement sa démarcation d'avec la dans fisel (autre style de gavotte). Mais dès les premières années de notre siècle la dans fanch faisait une apparition, modeste encore, à Glomel. Après 1918, sous le nom de dans Pion (danse de Plounévez-Quintin), la même danse commençait d'entrer dans la pratique courante de plusieurs communes autour de Maël-Carhaix. On sait que la dans fisel, inversement, avait cours en terroir fanch. Plusieurs communes à la lisière des deux pays pratiquent depuis longtemps les deux danses, et il est ordinairement difficile de savoir en chaque lieu laquelle a précédé l'autre. Au nord et à l'ouest de Maël-Pestivien les limites de la dans tro plin et de la gavotte (sous son style dans hinj) sont beaucoup plus incertaines encore, la tradition de danse étant depuis plus longtemps en déclin. Maël-Pestivien, Saint-Servais, Callac, Pont-Melvez, ont connu simultanément des variantes de l'une et l'autre danses. En direction du nord nous avons retrouvé un souvenir net de la dans tro plin jusqu'à Coadout et Moustéru. Au delà l'altération et l'affaiblissement des traditions paysannes de danse ne laissent plus rien percevoir. En direction de l'est les choses se présentent de façon entièrement différente. La frontière des dialectes ne se double pas d'une frontière des répertoires. La dans tro plin ne se heurte nulle part à une danse qui soit d'autre nature que la sienne. Pareille affirmation peut surprendre : à première vue la danse fondamentale n'a rien de semblable en pays bretonnant et en pays gallo. En fait c'est une extrême spécialisation des styles, s'ajoutant à un remaniement de la formule d'appuis, qui explique cette radicale différence d'aspect. En dépit de ces refontes, un même matériel de mouvement est reconnaissable dans la ronde du pays bretonnant et dans la ronde ancienne des terroirs francophones (Loudéac, Quintin, Saint-Brieuc) depuis la frontière du Morbihan jusqu'à la Manche. La comparaison minutieuse des versions, suivies dans leur échelonnement géographique, oblige à conclure à une souche unique. Ainsi la bande de terrain large d'une vingtaine de kilomètres comprise entre le pays de gavotte et la frontière linguistique se présente aujourd'hui comme la frange occidentale d'un vaste domaine étendu sur les Côtes-du-Nord de langue française, domaine dont nos sondages en pays gallo ne nous ont pas fait connaître la limite orientale.
LE
RÉPERTOIRE
365
H. — L A SUITE D E DANSES
Ni à Collinée, ni autour de Quintin et Saint-Brieuc, nos informateurs n'avaient connu dé suite réglée. Seul principe constant : la ronde était dansée en premier lieu. On l'appelait tour en pays de Saint-Brieuc, où « danser au tour » se dit pour danser la ronde. Venaient ensuite en ordre quelconque des danses diverses, la plupart modernes (polkas, mazurkas, etc...) et nullement folkloriques, à l'exception du seul passepied. Ronde et passepied sont probablement en ces régions les vestiges d'une suite ancienne, construite comme celle qui demeurait en vigueur un peu pl îs au sud-est. En effet, autour de Plouguenast, Gausson, Plœuc, l'ordonnance traditionnelle de la danse comprenait trois termes dissemblables : 1) ronde. 2) bal. 3) passepied, les termes 2 et j pouvant être intervertis. Les dernières générations remplaçaient parfois le bal par une dérobée. Le pays gallo à l'ouest de l'Oust possédait une suite différente, qui est aussi, ou a été, celle de tout le terroir bretonnant : 1) ronde. 2) bal. 3) ronde. 4) passepied. Les trois premiers termes (deux rondes identiques séparées par une danse de repos) forment un groupement équivalent à celui du pays de gavotte. Le passepied s'y ajoute en quatrième position. Cette suite quadripartie a subi par places des altérations. A l'est de Mur (Saint-Mayeux, Merléac, Saint-Gilles du Vieux-Marché, Saint-Guen, Saint-Thélo, Saint-Connec, Hémonstoir) le passepied avait été remplacé par une danse plus jeune, le « sèmeri-sèmera », variante locale du jibidi. Au voisinage du pays de gavotte, la tendance était à la réduction de quatre à trois termes. Ceci par disparition pure et simple du passepied (presque entièrement abandonné aux derniers temps vers Plounévez et Laniscat) ou par son transfert de la quatrième à la seconde place, en remplacement du bal, momentanément supprimé (fréquent à Saint-Nicolas-du-Pélem). Enfin, l'équilibre qui tendait finalement à s'établir aux frontières entre gavotte et dans 'jancb (style local de la dans tro plin), toutes deux en voie d'expansion, se traduisait en particulier par l'adoption en plusieurs communes d'un groupement de danses comprenant l'une et l'autre. C'est ainsi que plusieurs communes fanch ont connu une suite : ronde fanch — bal fanch — ronde fisel, comparable à la suite hybride que nous avons mentionnée en pays de gavotte.
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366
EN
BASSE-BRETAGNE
III. — L E S MOUVEMENTS A un petit nombre d'exceptions près, nos informateurs n'avaient pas connu d'usages réglant la formation de la chaîne. La ronde commençait sans cérémonie. Elle était partout la seule forme de la danse. Le pas au contraire montre une grande variété. Nous exposerons les changements que l'on constate dans sa structure et son style en suivant un itinéraire d'est en ouest.
A. —
E N PAYS GALLO
Les danseurs progressent de côté, ou le corps faiblement orienté vers la gauche. Ils balancent régulièrement les bras (un balancement simple par temps). De la frontière du Morbihan à la baie de Saint-Brieuc, la structure fondamentale du pas est la même. L'unité de mouvement est un motif de quatre temps :
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D
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G
Prenant d'abord appui sur le pied gauche, qu'il pose à un pas de distance à gauche du droit, le danseur effectue un changement de pas latéral (G. D. G.) vers la gauche, aux temps i et 2. Puis il prend appui (3) sur le pied droit, amené à l'assemblé du gauche, et garde cet appui au temps 4. Souvent, surtout chez les hommes, il y a rebondissement sur le pied droit du temps 3 au temps 4. Le pied gauche est alors, soit seulement soulevé au-dessus de sa position d'appui, soit lancé vers le centre, soit lancé vers la gauche, préparant ainsi l'appui du temps 1 suivant.
LE
36 7
RÉPERTOIRE
A titre de fantaisie certains danseurs prennent l'appui du temps 3 en posant le pied droit, non à l'assemblé du gauche, mais croisé derrière lui en position emboîtée. Cette formule d'appuis souffre peu d'exceptions. Même à Trégomeur, tout près de la mer, nous avons vu danser de la même exacte façon qu'à Hémonstoir, voisin de Pontivy. Çà et là on signale une menue fantaisie dans la forme. A Saint Brandan les danseurs, autrefois, convenaient à l'occasion de danser « un coup sur le pied gauche, un coup sur le dret », c'est-à-dire un couplet en tournant dans le sens de la montre (même formule d'appuis que ci-dessus), un couplet en sens inverse (remplacer G par D. et inversement dans les formules d'appuis). A Saint-Donan le mouvement circulaire se combinait avec un mouvement d'avance vers le centre et de recul. A Trégomeur, la ronde, après avoir tourné uniformément vers la gauche pendant le couplet, se fragmentait en couples pour sa dernière phrase. Pendant quatre temps les couples disjoints avançaient vers le centre. Pendant quatre autres temps (les derniers du couplet) le garçon dansait sur place, faisant tourner la danseuse (sens inverse de la montre) sous son bras droit levé. Les styles enfin nous ont paru peu variés. Dans la plupart des cas la danse est assez vive, bien suspendue, voire même rebondissante chez les hommes. Toutefois il n'y a pas de projection régulière, constante, d'un appui à l'autre. Le déplacement horizontal l'emporte toujours sur le rebondissement. La ronde progresse de façon très sensible, uniformément vers la gauche. Le changement de pas surtout, et particulièrement le pas allongé du temps 1, la fait avancer. La suspension sur pied droit des temps 3-4 y met au contraire un élément pesant et plus statique. Des styles vraiment très différents ne se montrent qu'au voisinage du pays bretonnant.
B. —
P A S S A G E AU PAYS BRETONNANT
La région de Mur de Bretagne, riche encore en anciens danseurs traditionnels, permet des observations d'un intérêt particulier. Quand on remonte de Pontivy à Corlay, le pas de la ronde des Côtes-du-Nord apparaît dès Kergrist et Neulliac, mêlé aux pas modernes de laridé et confondu sous le même nom. Il est traité dans le style étroit et vibré des danses pontivyennes. Le rythme est parfois légèrement modifié en :
4
3
2
G
D
G
D
4
368
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
Mais c'est seulement un peu plus au nord, vers Mur, Saint-Guen, Saint-Gilles du Vieux-Marché, Saint-Mayeux, qu'on relève des transitions entre la danse du pays gallo et celle du pays bretonnant. Elles se manifestent à la fois dans la dualité de la formule d'appuis et dans celle du style. La formule d'appuis de Haute-Bretagne :
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G D G
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|
était familière à tous, avec le style large et simple qui lui correspond. Mais on appréciait davantage, au moins pour les hommes, une danse exécutée pratiquement sur place, dont la formule était :
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Comme on le voit, les deux éléments composant cette formule — changement de pas (deux temps) et rebondissement (deux temps) — sont seulement employés en ordre inverse de celui qu'ils ont dans la première, la seule, rappelons-le, qui nous ait été montrée plus à l'est. Les exécutants font rarement entre les deux formules une différence bien nette, alors qu'ils en font entre les styles qui les accompagnent. La danse masculine exécutée suivant la formule 2 commence par deux minuscules sauts verticaux, à pieds joints, enchaînés avec un changement de pas piétiné, toujours à pieds joints, et en levant les pieds aussi peu que possible. C'est la structure de pas du pays bretonnant voisin, et c'est aussi, à la rigueur près, son style 1 . Parfois s'y ajoutaient des broderies qui établissent une parenté avec les terroirs de gavotte de l'autre rive du Blavet (notamment Sainte-Brigitte, où le style menu a eu également des adeptes). Les danseurs, de temps à autre, faisaient un grand saut vertical, et entrechoquaient leurs talons avant de retomber. On donne à cette broderie le même nom qu'en pays kosf er boed : décrotter. Sur les deux rondes de la suite traditionnelle l'usage s'était établi d'en réserver plus particulièrement une au style menu et bondissant. 1 . Il est curieux d'observer dans la région vaste et diverse qui entoure Pontivy, simultanément une hétérogénéité des structures fondamentales du mouvement (gavotte,
iails plin, en dro) et une tendance commune au style très étroit (/est a gren, dais plin
sur place, piU-menu).
LE
369
RÉPERTOIRE
Les danseurs se tenaient alors par le bras, bien serrés. Parfois (SaintMayeux) il fallait mettre un « expert » au centre, pour signaler les délinquants qui retournaient au style simple, raison — parmi d'autres — de croire que le style menu n'était obligatoire que de fraîche date. La coexistence (et généralement la confusion) des deux formules d'appuis peut être constatée en bien d'autres points au voisinage de la frontière linguistique. Il nous est arrivé de voir dans un même couple la femme (de Saint-Connan) suivre la formule du pays bretonnant, son mari (de Plésidy) celle du pays gallo, tous deux bien assurés d'exécuter la même danse. C. —
E N PAYS BRETONNANT
A quelques kilomètres à l'ouest des localités précédentes, l'aspect de la ronde devient si différent de ce qu'il est en pays gallo, qu'on hésiterait à y reconnaître la même danse, si, comme on vient de le voir, on ne relevait les termes de passage de l'un à l'autre. La deuxième des formules d'appuis analysées ci-dessus subsiste seule. Dans tout le pays bretonnant, et sous réserve d'altérations secondaires dont nous reparlerons, la structure du pas est fondamentalement : 1
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parfois :
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Quant au dessin gestuel et au style, ils diffèrent beaucoup suivant que l'on considère les terroirs proches de la frontière linguistique, où la danse passe aujourd'hui pour être de tradition ancienne, ou les terroirs plus occidentaux qui l'ont reçue les derniers. *
*
*
A. Là où la danse passe pour ancienne, on est frappé par l'unité du style. L'idéal reconnu est toujours de danser « plin ». A l'idée de continuité et de régularité que ce mot implique, s'ajoute plus ou moins consciemment pour les danseurs l'idée de sobriété et de dépouillement du dessin moteur, souvent celle d'étroitesse des gestes. La danse de compétition manifeste ces caractéristiques à leur plus haut degré.
370
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
Suivant le type de l'épreuve, la ronde est formée uniquement d'hommes, ou d'hommes et de femmes alternés. Les exécutants se donnent le bras, souvent la main et le bras. Ils se tiennent très serrés, formant un groupe compact. La ronde, surtout lorsqu'elle est composée de concurrents d'un seul sexe, doit avoir une extrême cohésion pour que le pas puisse être exécuté synchroniquement par tous dans le style prescrit. Si la danse est mixte, la fille aide son cavalier (ou le cavalier sa partenaire, suivant que le prix va aux hommes ou aux femmes) à se soulever verticalement dans le rythme voulu. Le pas se fait toujours rigoureusement de côté, les danseurs faisant face au centre du cercle, l'axe des pieds dirigés suivant le rayon. Le tempo est celui d'une course, plus ou moins rapide. Les démonstrations qui nous ont été faites à Plounévez-Quintin et Kergrist-Moëlou sont les plus remarquables qu'il nous ait été donné de voir. La structure du pas est celle qui a été précédemment définie : le danseur (supposé pieds joints au temps o) fait un tout petit saut de côté vers la gauche (retombée sur le pied gauche au début du temps i), rebondit (retombée sur le même pied au début du temps 2), fait enfin un changement d'appuis piétiné sur place, à la fin duquel il quitte le sol pour un nouveau saut vers la gauche. Souvent, après le saut latéral du temps 1, tout le reste se fait sur place. Ou encore au temps 2 le pied gauche retombe légèrement à droite de la position qu'il vient d'abandonner. Dans ce cas, le tronc demeure vertical, à la position du temps 1, les jambes seules prenant une légère obliquité vers la droite à partir de la hanche. Aux temps 3-4, le danseur ramenant les jambes sous lui, les pieds font le changement d'appuis à l'emplacement du temps 1. Ce qui rend la danse tout à fait remarquable, ce n'est pas cette combinaison bien simple de mouvements, c'est le style dans lequel elle est exécutée. Et ce style est difficile à évoquer. Il se caractérise d'abord par la continuité de la dépense musculaire. Le saut latéral qui s'achève au temps 1 — le seul qui fasse un peu progresser la ronde — est à peine plus important que le rebondissement qui le suit, lui-même fort peu en relief par rapport au changement de pas piétiné. Aucun temps du motif n'introduit de coupure nette dans le déroulement moteur. Le style se caractérise encore par l'étroitesse des mouvements. Aucune ampleur dans le jeu des segments. Le poids du corps porte toujours sur la demi-pointe des pieds, talons tout juste décollés du sol. Pas de prise d'élan visible pour les sauts, faits avec une élévation et une progression minuscules ; pas de flexion importante à la retombée. Devant les plus habiles danseurs on pense à un sautillement d'oiseau. Il n'est nullement évident à les voir que la formule d'appuis soit
LE
RÉPERTOIRE
371
bien celle écrite ci-dessus. L'impression rythmique est nette, mais il est parfois réellement impossible sans le secours du cinéma de savoir quel pied a l'appui aux différents temps du motif : les deux pieds demeurent joints, talon à talon et pointe à pointe, aussi bien pendant les sauts des temps 1, 2, que pendant les piétinements des temps 3-4. Celui qui se soulève ne quitte le sol que de quelques centimètres. L'appui a toujours l'air d'être double. Le puissant ressort formé par les articulations de la jambe et du pied paraît ne fonctionner qu'à peine. Chaque action se fond dans la suivante avant qu'on ait eu le temps d'en prendre conscience. Aucun effort apparent. Tout semble naturel et facile. Au vrai une telle contention du mouvement, une si subtile maîtrise dans le déplacement minime du poids du corps, une si parfaite constance dans la répétition d'un bref enchaînement toujours semblable, exigent beaucoup de souplesse et de vigueur, et imposent une dépense nerveuse considérable. Tout goût personnel mis à part, il y a là, vine fois de plus, un exemple du niveau qu'atteint la technique des danseurs traditionnels dans certaines conditions favorables. Il s'est passé ici pour la dans plin ce qui s'est passé pour la gavotte en terroir fisel. Dans un pays où la danse était pratique universelle, et universellement estimée, l'intérêt porté aux concours, la compétence réelle et l'arbitrage rigoureux des juges, le prestige des « champions », ont, simultanément, suscité une émulation intense et élevé l'exigence de qualité. L'effet, ici comme plus à l'ouest, à été de promouvoir un style remarquable, et de fixer la danse suivant un canon parfaitement défini, faisant autorité pour tous. Pour en finir avec la danse des concours, disons que la réduction du mouvement a pu aller plus loin encore que ne le montrent les exemples précédents. Il semble que ç'ait été le cas dans le nord du domaine de la ronde, en des localités comme Magoar et Bourbriac. Plusieurs de nos informateurs tenaient que la dans plin devait être exécutée pieds assemblés, avec des mouvements presque imperceptibles sur place. Souvent la structure du pas composé s'efface, comme dans cette démonstration d'une vieille mais alerte danseuse de Bourbriac 1 :
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Après un infime saut à pieds joints vers la gauche, la danseuse demeure sur place pendant le reste du motif, en appui égal sur la pointe 1. Mm" Lucas.
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des deux pieds joints. Les talons seuls se soulèvent à la seconde moitié de chaque temps, pour frapper le sol à la première moitié du temps suivant. En certaines démonstrations dans ce terroir tout dessin de mouvement devient indiscernable. Dans la danse des femmes surtout, il n'y a plus qu'une esquisse de pas. C'est en regardant les jupes que le jury reconnaissait les plus adroites : le tressautement de leurs plis, amplificateur de l'impulsion vivante, disait si elle s'exerçait bien en direction verticale et suivant le rythme voulu. *
*
*
La danse purement récréative des circonstances ordinaires a une moindre cohésion. Les danseurs se donnent parfois le bras, mais plus souvent la main seulement ou le petit doigt. Ou le garçon tient du petit doigt l'index de la fille. Les plus vieux informateurs ont connu partout le temps où ces tenues plus lâches étaient seules en usage, même dans les compétitions. D'autre part et corrélativement, la liberté d'interprétation personnelle est plus grande. Le style égal et sobre domine. Comparée à celle des concours la danse n'appelle alors que des précisions négatives : le mouvement est moins resserré, le dessin moins dépouillé, le style moins pur. Les variantes jouent sur peu de choses : surtout sur la façon d'occuper l'espace aux différents temps du motif. Deux façons de faire l'emportent. Ou bien le saut du temps i constitue le seul déplacement, et tout le reste se fait sur place, ou le rebondissement du temps 2 amène un léger retrait vers la droite et le changement d'appui qui le suit est piétiné à l'emplacement du temps 1. Les broderies, quand il y en a, se réduisent au minimum. Celle-ci est commune : au temps 1, retombant sur le pied gauche, le danseur porte le pied droit à un pas de distance à droite, et lui fait effleurer le sol de la pointe. Il le ramène au contact de l'autre au temps 2 (Peumerit, Kerpert). Autre broderie : en tombant sur le pied gauche (1) le danseur replie vivement le mollet droit contre la cuisse. En retombant sur le pied gauche au temps 2, il ramène le droit à son contact (Lanrivain). Pour certains danseurs traditionnels ce n'est déjà plus là du style plin. Les souvenirs des vieilles gens font croire qu'on doit aux danseurs du pays fanch, spécialement de Saint-Nicolas-du-Pélem, PlounévezQuintin, Corlay, la mise au point du style plin proprement dit. Quant aux styles ornés dont il va être question, ils paraissent n'être apparus que dans la toute dernière phase de l'histoire de la danse, dans les terroirs de gavotte où l'amenait sa progression vers l'ouest, et où elle se trouvait en contact avec des mouvements de caractère étranger au sien.
LE
RÉPERTOIRE
373 ** *
B. Dans ces pays de gavotte où la dans tro plin est nouvelle venue, la diversité de ses aspects contraste avec l'unité que nous lui avons reconnue dans les régions où elle est danse principale et réputée ancienne. On n'observe pas de version-type bien définie faisant autorité, mais beaucoup de variantes individuelles, ou communes à des danseurs plus ou moins nombreux. i. La diversité du dessin gestuel et du style rend compte à elle seule d'une grande part de cette variation. Le style plin rigoureux n'est pas entièrement absent. Rappelons que nous avons vu danser à KergristMoëlou avec la même précision et la même économie extrême qu'à Plounevez-Quintin. Mais d'autres styles dominent. Ils se caractérisent toujours par une plus grande ampleur du geste. Ce n'est pas exactement celle de la gavotte aux mêmes lieux. Les pieds s'élèvent peu au-dessus du sol : le pas s'élargit horizontalement, non verticalement. D'autre part les broderies sont fréquentes. En particulier les danseurs font largement usage de positions croisées. Ce remodelage du dessin suffit parfois à donner à la danse une apparence entièrement nouvelle. Ainsi à Kergrist-Moëlou nous avons vu le même excellent danseur 1 interpréter le pas, d'abord dans son style plin rigoureux, ensuite, sans rien changer à la formule d'appuis, dans un style croisé qui le rendait difficilement reconnaissable : A la fin de son saut initial vers la gauche, le danseur retombe (temps i) sur le pied gauche. La jambe droite (libre) croise obliquement devant la jambe d'appui. Le pied droit, tendu en prolongement de la jambe, touche le sol de la pointe. Le danseur rebondit aussitôt verticalement. .. ...et retombe (temps 2) à la même place. L'appui est encore sur le pied gauche. Le pied droit (libre) effleure encore le sol de la pointe, mais cette fois il est, soit à l'assemblé, soit à distance d'un pas à droite. Les temps 3-4 enfin sont occupés par le changement d'appui habituel (D. G. D.). Il se fait dans la position suivante : appui du droit ramené à l'assemblé à la première moitié de 3 (le pied gauche quitte le sol). Appui du gauche, croisé devant le droit, à la seconde moitié du temps (le droit se soulève faiblement au-dessus de son appui). Appui du droit reposé à la place qu'il vient de quitter, au temps 4 (la jambe gauche garde sa position croisée, le pied quittant seulement l'appui). Tous ces pas sont toujours très précis, en dépit d'un tempo rapide. La technique du danseur se montre aussi remarquable dans ce style que dans l'autre. 1. J . Panérec.
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EN
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2. Dans nombre de variantes personnelles, ce n'est plus seulement le dessin du geste mais la formule d'appuis elle-même qui est remise en cause, de nouveaux rapports de durée s'établissant à l'intérieur de l'unité de mouvement. Il peut y avoir monnayage d'un appui en plusieurs de durée plus brève. Telle cette variante individuelle observée à Maël-Carhaix :
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j>' DnG 1
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D G D G,
Au premier temps, saut latéral sur le pied gauche, avec croisement de la jambe libre devant l'appui. Puis, pose du pied droit un peu à droite du gauche, et tout le reste en menus pas de côté rapides, à ras de terre, faisant glisser latéralement le danseur vers la gauche. Telle encore à Plounévez-Quintin cette dans 'janch « en fantaisie » :
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A la place du saut suivi de rebondissement qui occupe habituellement les deux premiers temps du motif, le danseur fait un changement d'appui exactement symétrique de celui qui occupe les temps 3 et 4. Chacun de ces changements d'appui se fait en position croisée (pied droit croisé devant le gauche à la seconde moitié du temps 1, pied gauche croisé devant le droit à la seconde moitié du temps 3). Plus fréquent est le phénomène inverse : la soudure de plusieurs appuis en un seul. Il joue presque toujours sur le changement d'appui, rarement sur les deux sauts du commencement de la phrase. Parmi plusieurs variantes notées d'un même danseur 1 à BulatPestivien (formule d'appuis classique, avec et sans positions croisées) en voici une qui peut être mise en parallèle avec la précédente : y
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•—G Il y a, ici encore, division symétrique du motif. Il y a, de plus, économie des deux changements d'appui. Le pied qui se pose à la I. F. Prigent.
LE
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seconde moitié des temps i et 3 (soit croisé, soit seulement avancé à un pas devant l'autre) reste ensuite à terre, sans avoir à aucun moment supporté le poids du corps/ De même la version « croisée », de style brillant, que nous avons notée à Kergrist-Moëlou se retrouve très souvent en pays fisel dans des variantes plus économes de mouvement : 2
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Les deux premiers temps sont les mêmes — jambe droite (libre) croisée devant la gauche au temps 1, lancée ou pointée vers la droite au temps 2 —. Puis — début du temps 3 — le pied droit prend l'appui à l'assemblé et le garde jusqu'à la fin du motif. La jambe gauche est croisée devant la droite, pointe du pied touchant ou non le sol suivant les danseurs. Ceci dès le second demi-temps de 3 (formule 1, cas général) ou seulement au temps 4 (formule 2, moins courant). Nous avons relevé tous les intermédiaires entre le changement d'appui effectif et le simple balancé croisé. *
*
*
Au total les multiples versions sous lesquelles la dans tro plin se présente dans l'ensemble de son domaine appartiennent à trois états principaux, qu'en l'ignorance des termes de passage on pourrait tenir pour étrangers les uns aux autres. Le premier, conservé en pays gallo, se caractérise par une formule d'appuis de type très général, un style simple, ample et vigoureux, nullement particularisé. Avec le même matériau les terroirs bas-bretons les plus proches de la frontière linguistique ont façonné une danse fort originale au contraire, en inversant les éléments constitutifs de la formule d'appuis, et en donnant au mouvement un style étroit, spécialisé à l'extrême. Enfin les terroirs bretonnants plus occidentaux, recevant de leurs voisins cette structure de pas, ont commencé à leur tour d'élaborer une autre danse, en dessinant les gestes avec beaucoup plus de fantaisie, et en retouchant à l'occasion la formule d'appuis elle-même.
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EN
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Il est intéressant de relever le lien qui paraît exister entre le degré d'ancienneté de la tradition et la capacité qu'a la danse d'évoluer vite et profondément. Là où la dans tro pliti est suffisamment ancienne, elle se montre stabilisée en versions-types qui ne laissent l'interprétation personnelle s'exercer que dans une marge étroite. Là au contraire où aucune habitude sociale contraignante n'a encore eu le temps de s'élaborer, on constate simultanément le foisonnement des menues variantes individuelles et l'évolution générale vers un état nouveau de la danse. On peut raisonnablement imaginer que la tradition poursuivant son cours, la prépondérance d'une version-type eût tôt ou tard limité et ralenti ces transformations.
IV. — ACCOMPAGNEMENT
MUSICAL
L'importance respective du chant et des instruments varie légèrement d'une région à l'autre,mais partout les deux sortes d'accompagnement jouent un rôle important. En Haute comme en Basse-Bretagne la danse chantée est pratique ordinaire, nullement tenue pour un pis-aller. La forme de chant la plus commune en pays gallo est l'alternance d'un soliste et du chœur. Il n'en est autrement qu'au voisinage de la frontière linguistique, au nord de Mur-de-Bretagne et Saint-Guen. En des communes comme SaintMayeux, Saint-Gilles du Vieux-Marché, Merléac, le chant est en effet alterné entre les deux danseurs qui commencent la ronde. Ils chantent d'abord l'air sans paroles, puis y ajoutent un texte. Souvent c'est un couplet entier que le premier expose et que le second répète. Plusieurs chansons peuvent s'enchaîner sans que la ronde s'interrompe, soit sur le même air, soit sur des airs différents. La parenté de cette pratique avec le kan ha diskatt du pays bretonnant est évidente. Le kan ha diskan proprement dit, avec des usages moins rigoureux que ceux du pays de gavotte en ce qui concerne la structure et l'emploi des mélodies, a été le chant de tout le terroir bretonnant. C'est seulement à Laniscat et Gouarec, à proximité du Morbihan, qu'il arrivait aux danseurs, exceptionnellement, de le remplacer par le chant choral. Les instruments interviennent partout, avec plus ou moins de fréquence, dans les noces et les fêtes publiques. La bombarde et le biniou jouent un plus grand rôle en pays gallo qu'en pays bretonnant. Ils sont les instruments les plus appréciés autour de Loudéac, Uzel, Plouguenast, Collinée. Aux petites noces on voyait plutôt des violons (Collinée, Plouguenast) ou des vielles (Gausson). Aux grandes noces, comme aux bals du comice, du 14 juillet, de la fête locale,
LE
RÉPERTOIRE
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on dansait presque toujours avec un ensemble biniou-bombardetambour. A Uzel, pour la fête de la Trinité, il s'y ajoutait une grosse caisse et des cymbales. Plusieurs de ces communes ont été résidences de sonneurs. Légèrement plus au nord le biniou et la bombarde s'effacent devant le violon (parfois fabriqué par le violoneux) et surtout la vielle, tous deux instruments par excellence du pays de Saint-Brieuc. En quelques grandes occasions (fête patronale), de rares municipalités (Quintin, Plœuc) faisaient venir des joueurs de biniou de Loudéac ou Plouguenast « pour faire original». A la limite des deux terroirs, Plœuc (cinq vielleux en cette seule commune) a connu autrefois un ensemble vielle-bombarde. Aux abords de la frontière linguistique le biniou et la bombarde sont assez peu employés à l'époque des plus vieux informateurs, et quand ils le sont ce n'est pas nécessairement ensemble. On a dansé à Saint-Mayeux avec une bombarde sans biniou, soutenue et relayée par deux tambours (en d'autres occasions avec un ensemble flûte-tambour). En terroir bretonnant le biniou et la bombarde sont depuis longtemps familiers aux danseurs du pays de Gouarec, qui les ont toujours vus dans les noces riches. Plus au nord, ils n'ont joué qu'un rôle assez mince. On les voyait aux mariages de quelques notables. Et aussi en quelques grandes fêtes, notamment au carnaval de Saint-Nicolas-duPélem. Au lieu de l'ensemble habituel biniou-bombarde on usait parfois d'un ensemble clarinettes-biniou. L'instrument le plus familier au pays bretonnant, comme autour de Mur et Coray, est la clarinette, jouant seule ou par couple, accompagnée ou non de tambour. Quand il y a deux clarinettes, elles alternent suivant les règles du kan ha diskan. Le répertoire de la dans tro plin est loin d'avoir l'unité du répertoire de la gavotte dans les terroirs voisins. Du point de vue de la forme un seul trait constant : la composition par groupements de quatre temps, généralement bien distincts. Mais leur nombre varie à l'intérieur des divisions mélodiques, comme le montrent les exemples suivants (deux formules d'appuis pour chaque partie de l'air dans les deux premiers exemples, trois pour la partie A du troisième exemple, et la partie B du quatrième) : D G D "•D
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T i - r e z vos moutons, ma
X
—
m
ber-gè-re,
T i - r e z les v ô t r e s , l a i s - s e z les m i e n s ,
m
T i - rez vos m o u t o n s
•—zi:
T i - rez vos m o u - t o n s
du
du
jar-din;
jar-din.
R. LEPEHDU, Trégomeur, 1958.
378
DANSE G
"—G
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D
G
EN
BASSE-BRETAGNE
D
bar-don da Ros-tren,'hontd'ar bar-don da Ros- tren,
'hont d'ar bar-don da Ros-tren.Kouezma
er vouit-
bi- ded
Th. MICHBL, Saint-Nicodéme, 1953.
G
ru-
é
me
lia ma
tri
miz
'vit
m
ya- ouan-
kiz;
;
r~
; a
no,
me
ru-
lia mil
ya- ouan- kiz,
'vit
t 'pad m a b a d o a n
iJ J)J J) ga-
Ton original.
D G D
G
'Meusken"met
T.
ben.
a zañ - so,
m
me
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Ce répertoire composite paraît formé à partir de sources multiples. L'une est évidente : ce sont les « tons » de la gavotte chantée. Quand gavotte et dans plin sont pratiquées par les mêmes danseurs, chacune a son propre répertoire d'airs. De deux « tons », l'un sera réputé convenir à la gavotte, l'autre à la dans plin. Et il est bien vrai que la façon dont les chanteurs les interprètent spécialise chaque mélodie dans son emploi. Habituellement de légères transformations rythmiques y suffisent. Mais en fait, tel air qui à Gouarec ou Maël-Pestivien « ne peut servir qu'à la dans plin » accompagne la gavotte à Scrignac ou ailleurs. Il est rare de voir faire une distinction très nette entre tons simples et tons longs. Quelques vieux informateurs le font au voisinage du pays fisel. Nous n'avons pu savoir si les deux espèces d'airs avaient autrefois des rôles distincts.
LE
RÉPERTOIRE
379
Il y a beaucoup de chances pour que les airs de la ronde du pays gallo, certainement tributaires eux-mêmes en grande partie du fonds français général, aient fourni d'autre part une importante contribution au répertoire de la ronde en pays bretonnant. Les deux terroirs ont en tous cas des thèmes musicaux en commun. Bien entendu les échanges peuvent s'être produits dans les deux sens. Ce qui nous a été dit sur place des relations anciennes entre les deux populations, aussi bien que les sondages effectués dans le répertoire de Haute-Bretagne, font présumer une influence prédominante d'est en ouest. Une enquête méthodique en pays gallo, en permettant d'analyser ce qui reste du riche répertoire chansonnier de ces régions, pourrait seule préciser ces rapports. Bornonsnous à donner l'exemple d'un même thème mélodique utilisé par la ronde dans l'un et l'autre de ses deux territoires.
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Quintín, 1968.
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Pic uvénez- Quintín, 1953.
Suivant le chanteur ou le moment la division des temps est binaire ou ternaire, sans qu'il en résulte de différence très notable dans le pas. L'adaptation musique-mouvement est presque toujours suffisante, et souvent très remarquable. Ceci de part et d'autre de la frontière linguistique. Nous ne savons rien de l'histoire de cette danse avant l'époque des témoignages oraux. Signalons seulement que des successions d'appuis très semblables à celle de Haute-Bretagne sont connues en d'autres folklores, au moins dans la région de Nantes et en Vendée. Tous les caractères de cette ronde bretonne sont ceux des branles en général, mais nous ne lui connaissons de parenté certaine avec aucun d'eux en
38O
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particulier. La définition trop vague que N. Du Fail donnait du pas de trihori (« trois pas et un saut ») pourrait s'appliquer à elle si l'on entend par le mot « pas » le déplacement d'un seul pied d'un appui à l'autre. Elle aussi, en quelques localités, se montre une « saltatio trichorica ». Mais au total son territoire trop peu ou trop récemment étendu vers l'ouest, son incompatibilité avec l'analyse de T. Arbeau, font douter qu'il faille y voir le célèbre branle bas-breton.
DANS TREGER (Danse du Trégor)
Au nord de la Cornouaille des dans tro, le Trégor, étendu en bordure de la Manche sur une partie des Côtes-du-Nord et du Finistère, a longtemps conservé une forme de danse étrangère à toutes celles que nous avons jusqu'ici passées en revue. Le fait est peu et mal connu. L'ancienne dans Treger (danse du Trégor), en plein déclin dès la seconde moitié du xix e siècle, achevait de s'éteindre dans les premières années du nôtre sans avoir retenu l'attention des folkloristes. L'absence presque totale de textes, l'éloignement des souvenirs vivants, ne permettent plus d'en savoir que peu de choses. La région étendue sur le Finistère et les Côtes-du-Nord (voir carte VI), comprise entre l'embouchure de la Penzé à l'ouest, la route Lannion-Plouaret à l'est, la première crête des montagnes au sud, est celle où la tradition trégorroise de type archaïque est demeurée le plus longtemps vivante. C'est la seule où d'anciens danseurs formés par elle vivent encore. Ce sont presque toujours des gens âgés. La danse folklorique locale est tombée en désuétude entre 1885 et 1914. Sa disparition se place à une date variable suivant les lieux, assez souvent antérieure à 1900. Aussi est-ce à grand peine et imparfaitement que les informateurs se la rappellent. Nulle part ailleurs les témoignages individuels ne sont aussi différents et contradictoires. Cette diversité reflète pour une part celle des faits eux-mêmes. Elle résulte aussi de l'altération des faits dans les mémoires. Oublis, confusions, déformations des mouvements et des rythmes, toutes les vicissitudes du souvenir sont ici chose courante. D'où une extrême difficulté à retrouver les traits, effacés, estompés ou dénaturés, de cette tradition morte. Quelques lignes maîtresses peuvent être dégagées avec certitude. Le détail ne peut être connu qu'incomplètement, et souvent de façon beaucoup moins sûre.
3«2
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
I. — L A SUITE D E DANSES Suivant les lieux, et surtout suivant les âges, les informateurs font connaître un groupement de danses (an abadenn) de composition variable. Le maximum d'accord est réalisé entre les plus vieux témoins. Jusque vers 1885 au moins Yabadenn paraît s'être composée des trois termes suivants : 1. La première danse, dans Treger proprement dite, est aussi appelée dans tro, dans a dro (danse qui tourne), dans tro bra% (grand tour), dans plen (danse régulière, continue) ou gavotte. Elle est dansée par un front d'hommes et un front de femmes se faisant face. 2. La seconde danse, quand elle porte un nom, est appelée contredanse ou bal. Pour les danseurs d'âge moyen elle est souvent « la dérobée ». Elle se danse en cortège. Elle comporte une partie A et une partie B différentes. 3. La troisième danse est le passepied ou marchepied. Elle se danse en cortège ou en double file, et, comme la précédente, se compose de deux parties. Cette suite est construite sur un autre mode que celle de HauteCornouaille. Elle est très semblable au contraire, voire identique, à celle qu'ont connue les danseurs du pays gallo dans sa partie nord. A la fin du xix e siècle cette suite avait subi des remaniements, différents d'un lieu à l'autre. Aux éléments conservés de la suite ancienne (au moins la dans plen, souvent aussi l'une des deux autres) se combinaient des apports nouveaux. Ceux-ci sont de deux sortes : a) Ce sont d'une part des danses de salon. Leur diffusion s'est faite à partir de villes comme Morlaix ou Guingamp, mais plus encore, plus sûrement et plus rapidement, à partir du littoral. Les marins naviguant au commerce ou à l'Etat sont à mettre au premier rang des agents de modernisation. Riches d'un savoir au goût du jour acquis dans les ports, ils ont été les pourvoyeurs de nouveauté, les connaisseurs de la mode. C'est d'eux surtout que la jeunesse apprenait les danses, et les ménétriers les airs en vogue. Là où ces influences modernisantes se sont fait sentir le plus tôt et le plus fortement (est du Trégor, région littorale jusqu'à Lannion à l'ouest) elles avaient amené, dès la fin du siècle dernier, la disparition de toute suite réglée, et souvent de toute tradition folklorique. Dans l'ouest du pays elles n'entraînaient encore que des réorganisations locales de la
LE
RÉPERTOIRE
383
suite traditionnelle. En quelques localités un petit nombre de danses de type moderne, plus ou moins remaniées, contaminaient l'un des termes de cette suite, ou s'y substituaient, ou s'ajoutaient en quatrième rang. b) Un rôle autrement important revient en Trégor occidental à la dans Kerneo, c'est-à-dire la gavotte en ronde de Haute-Cornouaille, alors en pleine expansion du sud (Scrignac, Bolazec, Lohuec) vers le nord. Pas de frontière tranchée entre les domaines de la dans Kerneo et de la dans Treger. Elles coexistent, parfois s'associent, diversement suivant les lieux et les époques Mais le mouvement est à sens unique : c'est la dans Kerneo qui envahit le domaine de la dans Treger, et si l'une finit par chasser l'autre, c'est toujours elle. Tous les degrés existent dans la conquête, de l'infiltration à peine notable à l'établissement définitif avec éviction de la danse en double front. Plus on se rapproche du sud, plus la dans Kerneo prend d'importance et plus l'abandon de la suite trégorroise est ancien. Toutes sortes d'intermédiaires existent ainsi dans la combinaison des termes trégorrois et cornouaillais, entre Lannéanou, le Cloître (où la dans Treger n'était déjà plus, ou presque plus, pratiquée au début de ce siècle), et Lanmeur ou Plestin, où la dans Kerneo ne se dansait encore qu'avec une intention ironique à l'égard des Cornouaillais.
II. — LA DANSE SUR D E U X FRONTS A. —
LA
FORME
La disposition d'ensemble est toujours la même : une ligne de femmes faisant face à une ligne d'hommes. Pas de règle stricte touchant la cohésion des danseurs dans chaque ligne. Souvent les femmes se tiennent par les petits doigts, mais souvent aussi elles tiennent à deux mains leurs jupes. Les hommes se tiennent rarement. Le savoir-vivre veut que chacun porte sous le bras le parapluie de sa partenaire. Le bras libre pend, à moins que le poing ne se pose sur la hanche (Locquénolé). En quelques communes, exceptionnellement, on signale un front d'hommes se tenant par la main (Lanvellec, facultativement à Plouégat-Guérand). La danse ne comprend au départ qu'un très petit nombre de couples. Elle a alors l'aspect d'un double front à peu près rectiligne. Elle se déplace de côté, décrivant un grand cercle (en sens de la montre) autour des musiciens. Un à un d'autres couples s'ajoutent en queue, le garçon à la suite du dernier garçon, la fille à la suite de la dernière fille. La danse 1.
GUILCHER,
Trad. Trég.,
pp.
500-501.
DANSE
384
EN
BASSE-BRETAGNE
s'allonge, s'incurve, prend l'aspect d'un fer à cheval. De nouveaux couples peuvent prendre place dans l'ouverture. Bien que la disposition circulaire ne soit pas toujours obligatoire, c'est elle qui se trouve finalement réalisée dans la presque totalité des cas : la danse se présente comme un double cercle concentrique, les femmes (cercle intérieur) tournant le dos au centre, les hommes (cercle extérieur) leur faisant face. Quelquefois les deux partenaires de chaque couple permutaient à mi-danse, le cercle intérieur devenant extérieur et inversement. Le plus souvent c'est seulement à la fin de la première danse que les deux danseurs changeaient de place : ils se disposaient alors en cortège. Les hommes se plaçaient à la gauche de leur partenaire pour danser la seconde danse à contre-courant de la première. (Le dernier couple de « la danse » devenait le premier de « la contre-danse »). Quand les danseurs étaient très nombreux, ils formaient autour des sonneurs plusieurs cercles concentriques, les cercles de femmes alternant avec les cercles d'hommes, les fronts se faisant face deux à deux. Cette disposition nous a été signalée à plusieurs reprises. Boucher de Perthes 1 la mentionnait déjà en 1831, donnant à la danse le nom de jabadeau, que nous ne lui avons jamais entendu appliquer par nos informateurs : « Une de leurs danses, le jabadeau, lorsqu'elle est formée par un grand nombre d'individus, ne manque pas de grâce et même de majesté. Un premier cercle est composé tout entier d'hommes, le deuxième de femmes, et ainsi de suite. Ils sont à quelque distance les uns des autres, leurs mains mêmes ne se rapprochent pas; on croirait presque voir une pompe religieuse. » B.
—
L E PAS
Il s'agit d'un pas composé, correspondant à un motif de quatre temps, unité de mouvement indéfiniment répétée. Ordinairement il se présente ainsi : 2
4 4 Femmes: Hommes:
3
4
G.
D
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D
D
G
D
G
Soit, pour le pas de la danseuse (toujours très sobre) : aux temps 1 et 2, appui sur le pied gauche, avec suspension très discrète sur les articulations genou-cheville. Le pied droit se soulève, sans guère s'écarter de l'autre. Aux temps 3-4, changement de pas latéral (D-G-D) vers la droite. 1. Ch. arm.,
p. 187.
LE
RÉPERTOIRE
385
Le pas de l'homme est le même, mais avec les appuis contraires. Le tempo est calme, tempo de marche alerte, ou intermédiaire entre marche et course. Dans certaines démonstrations l'ordre des deux éléments constituant le motif est inversé : 2
3
4
ou encore les danseurs n'adoptent une façon de faire constante qu'après un moment de flottement. La première formule est plus fréquente. Le moyen manque de savoir si la seconde n'en est qu'un souvenir imparfait (ce qui paraît au moins très vraisemblable) ou si l'une ou l'autre prévalait suivant les lieux. Il est à peine besoin de faire remarquer que les deux formules d'appuis sont connues en d'autres terroirs des Côtes-du-Nord : la première est celle de la dañs tro plin de Haute-Cornouaille orientale; la seconde est celle du pays gallo. On ne peut plus bien juger du style de la dañs Treger. Les hommes encore capables d'en faire une démonstration valable sont beaucoup trop rares pour qu'on discerne les caractéristiques individuelles des sociales. Au moins est-il certain qu'elle ignorait les sautillements d'oiseaux et les mouvements exécutés pratiquement sur place, tels qu'on les faisait dans la ronde vers Bourbriac. Elle visait pourtant à être « plean » (continue, régulière) comme l'autre à être « plin », et elle l'était en effet par la continuité de son déplacement horizontal et la sobriété de son dessin. La meilleure démonstration masculine nous a été faite en 1951 par un ancien couvreur de Taulé x, disparu depuis. Les principales broderies consistaient en repliements de la jambe libre derrière le mollet de l'autre, et en positions croisées des appuis au temps 1 des motifs. Les traits essentiels du mouvement étaient d'être à la fois très nerveux, peu ample et précis. Ce mélange de vivacité et de discipline dans une forme ramassée donnait au pas un style absolument à part, différent de la plupart des styles cornouaillais, et le rendait très difficile à imiter. * * *
Ce pas en quatre temps ne s'effectue pas en direction purement latérale. Au mouvement, constant, de translation suivant un grand cercle, s'en superpose toujours un autre, celui-là variable avec les informateurs. i. F. Merret.
386
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
Selon certains, les deux partenaires avancent l'un vers l'autre pendant quatre temps, reculent pendant quatre autres, et ainsi de suite. Les deux fronts s'écartent et se rapprochent tour à tour. Ce flux et reflux général s'accompagne quelquefois de fantaisies individuelles. Il arrive que l'homme, et plus rarement la femme, effectue de temps à autre un tour complet sur lui-même. Ou encore (Locquirec) les deux partenaires avancent l'un vers l'autre pendant quatre temps, reculent pendant quatre autres, puis, se rapprochant de nouveau, se saisissent aux épaules et font à deux un tour complet dans le sens de la montre avant de reprendre leurs places. Au lieu de ce mouvement d'avance et recul d'autres ont connu une espèce d'oscillation de chaque danseur sur lui-même. Alternativement chacun, pendant quatre temps, pivote en direction de la droite jusqu'à se trouver tourné de trois quarts vers son voisin de ce côté, puis pivote en sens inverse (quatre temps) jusqu'à se trouver orienté de trois quarts vers l'autre. Ce mouvement de torsion est facilité par la prise d'appuis croisés au temps i de chaque motif (l'homme croise le pied droit derrière le gauche quand il se tourne vers la droite, devant quand il se tourne vers la gauche). Au moment où les hommes se tournent vers leur droite, les femmes se tournent vers leur gauche (avec les appuis contraires) et inversement. En sorte que dans chaque ligne les hommes entre eux, les femmes entre elles, ont à tout moment une orientation parallèle, mais d'une ligne à l'opposée les deux partenaires sont l'un comme l'image de l'autre inversée dans un miroir. La progression générale est faible mais régulière; la tranquille oscillation sur soi-même est continue : la danse mérite son appellation de dans plean. La torsion alternée, exécutée avec ensemble, amplifiée chez les danseuses par les lourdes jupes auxquelles elle pouvait imprimer un lent tournoiement, devait conférer à la danse ce cachet « de grâce et de majesté » qui frappait Boucher de Perthes. ** *
Il reste à mentionner dans le dessin du pas lui-même, un type de variantes assez répandu, dont on verra l'intérêt par la suite. Ces variantes tiennent à ce qu'à un certain moment de la phrase chacun des deux partenaires pose un pied, sans appui, sur le talon, en direction de son vis-àvis. Madame E. Galbrun 1 a, la première, rapporté ce détail typique, d'après une vieille informatrice de Belle-Isle-en-Terre. Nous l'avons entendu signaler souvent, et en des régions diverses (Locquénolé, Plouégat, Lanvellec, Kérauzern... etc.), tantôt dans la première et tantôt dans la seconde danse de la suite. i . Dse.
bret.,
p.
107.
LE
RÉPERTOIRE
387
Il est presque toujours très difficile de savoir à quel moment se plaçait ce mouvement. Madame Galbrun le situe au huitième temps des phrases « comme dans le piler-lan ». Peut-être en était-il ainsi quelquefois. Ce n'est sûrement pas une règle générale. Une démonstration d'une vieille et excellente informatrice de Plouégat-Guérand1 montre comment ce mouvement pouvait intervenir comme une simple fantaisie dans le pas composé analysé ci-dessus : . Motif i
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La danseuse se déplace vers sa droite. Au premier temps du motif 1 elle prend appui sur le pied gauche et soulève le droit du sol. Au second temps, l'appui demeurant exclusivement sur le gauche, elle pose le pied droit sur le talon, à faible distance devant l'autre, en face et presque à toucher le pied (gauche) que le cavalier avance vers elle et pose sur le talon (également sans appui) au même instant. Puis elle fait le changement de pas des temps 3-4 (D-G-D) en reculant obliquement vers sa droite. Au début du motif 2 les deux danseurs sont au maximum d'éloignement l'un de l'autre. Cette fois, au temps 2, ils ne posent pas le pied libre (D. de la fille, G. du garçon) en direction du partenaire, mais lui font seulement toucher le sol à l'assemblé (sans appui). Le changement de pas des temps 3-4 se fait à la fois de côté (vers la droite pour la danseuse) et vers l'avant : il amorce le rapprochement des danseurs. Mais c'est surtout le pas en avant qu'ils feront au temps 1 du motif suivant qui amènera les partenaires en présence. Alors, au temps 2, les pieds seront de nouveau posés sans appui en direction l'un de l'autre... On retrouve dans cette variante la structure habituelle du pas. Toute la nouveauté tient à ce que la jambe libre, au lieu de demeurer levée, marque d'un accent le second temps de l'appui continu. Mais le dessin du geste, différent d'un motif au suivant, fait que l'équivalence des deux motifs devient moins nette. La phrase de huit temps tend à remplacer le motif de quatre comme unité de mouvement. On verra l'intérêt de semblables variantes pour les comparaisons à établir entre le pas en quatre temps du Trégor et celui, en huit temps, du Haut-Léon, où intervient précisément un geste semblable.
i. M"" 1 Lanneau.
DANSE
388 C. —
ACCOMPAGNEMENT
EN
BASSE-BRETAGNE
MUSICAL
En règle générale la dans Treger était, au moment de sa disparition, une danse à accompagnement instrumental. Ce serait même, à en croire les vieilles gens, la principale raison du succès de la dans Kerneo (gavotte en ronde) : son accompagnement chanté ne coûtait rien et la rendait plus propre au divertissement de tous les jours. Entre Morlaix et Pluzunet l'orchestre le plus souvent mentionné se compose de deux clarinettes et un tambour. Les clarinettes jouent à l'unisson. De temps à autre l'un des sonneurs se repose un instant mais jamais l'air n'est dialogué suivant les règles du kan ha diskan. Au dire de Quellien 1 le rôle du tambour « est de battre le temps et même le demitemps, d'ordinaire sans tous les roulements ni presque rien du brio dont un musicien serait tenté de faire parade. » Sur la côte, entre Trébeurden et Paimpol, on nous a le plus souvent parlé de violon pour l'époque la plus lointaine, et d'accordéon pour la plus proche. Enfin çà et là, et particulièrement aux environs de Morlaix, nos informateurs connaissaient aussi la « gedegen » ou « gidigin », c'est-àdire la vielle. Pour certains elle aurait été plus répandue avant la vogue des clarinettes. Le biniou ne nous a été signalé que dans un petit nombre de cas (Locquénolé, Plougonven, Loguivy-Plougras, Belle-Isle-en-Terre, Lanlefï). Il était pour la plupart de nos informateurs un instrument de luxe, qu'ils n'avaient vu que dans les grandes occasions. Quellien2 rapporte le nom donné aux sonneurs de biniou-bombarde à son époque, en pays de Tréguier : Potred bro ar c'hoat (les gars du pays du bois) ou Potred Kernew, c'est-à-dire « les hommes de Cornouaille ». Quand la municipalité de Paimpol, en 1913, voulut avoir des binious pour sa fête des régates, c'est également du Finistère qu'elle les fit venir. A une époque légèrement plus ancienne, binious et bombardes, parfois combinés avec d'autres instruments, semblent avoir été plus communs. Luzel 3 , évoquant en 1864 ses souvenirs d'enfance de Plouaret, décrit un cortège de noce, défilant « au son du biniou, des tambours et des violons », et dansant « au son des tambourins, des violons et des bombardes ». Boucher de Perthes 4, après avoir décrit son « Jabadeau » en plusieurs cercles concentriques, ajoute : «L'orchestre est un bignou ou bigniou (cornemuse), une bombarde, espèce de hautbois, un tambourin; quelquefois on y ajoute une vielle ». L. Ogès 8 a raconté d'après un 1. 2. 3. 4. 5.
Chans. et dses., p. 38. Ibid., p. 36. LUZEL (F. M.), « Hénora Lestrézec », Rev. de Bret. et de Vendée, 1864, pp. 53 et 55. Ch. arrn., p. 187. OGÈS (Louis), « Musique bretonne », Le Télégramme de Brest, 22. 7. 1954.
LE
RÉPERTOIRE
389
journal morlaisien de 1840, comment, vers 1830, la clarinette supplanta à Morlaix l'ensemble bombarde-biniou-vielle. En l'absence de ménétriers nos informateurs ont souvent vu imiter un timbre instrumental, en soufflant sur la tranche d'une feuille de lierre. Certains confectionnaient même un instrument d'occasion en serrant une lamelle de lierre dans une branche fendue. On dansait aussi pourtant « à la gueule » c'est-à-dire en chantant. Au dire de quelques vieilles gens les générations disparues auraient fait la part plus large à cette danse chantée. C'est assez vraisemblable vu la réputation de chanteurs et créateurs de chansons qu'avaient encore les Trégorrois à la fin du siècle dernier. Mais il n'est plus possible aujourd'hui de savoir de quelle nature étaient les liens entre l'accompagnement vocal et l'instrumental, si le premier ne faisait que suppléer à l'absence de l'autre ou représentait une tradition originale. Il n'en demeure aucune trace certaine. Des localités voisines de la Cornouaille, comme Plougonven ou Loguivy-Plougras, usaient encore du chant comme moyen normal de faire danser. Mais il peut s'agir d'un usage emprunté aux Cornouaillais. Les deux chanteurs prenaient la tête de la danse et se répondaient à voix alternées, suivant les règles du kan ha diskan. Si lps danseurs étaient très nombreux, il fallait quatre chanteurs : deiçc pn têfç. çlu double front, qui chantaient à l'unisson, deux à mi-longueur pour leur répondre. A Pleumeur-Bodou et Ploumanac'h, où l'influence cornouaillaise est hors de cause, de vieilles personnes ont quelque souvenir d'une époque où l'on dansait presque exclusivement à la voix, même aux noces. Deux chanteurs ou deux ou trois chanteuses, conduisaient la danse sans y prendre part eux-mêmes. Certains étaient réputés. On se les disputait pour les fêtes. D'un vieux violoneux de Pleumeur on appréciait qu'il sût chanter tout en jouant. L'accompagnement vocal avait dû s'appliquer à la danse sur deux fronts avant de s'adapter à un répertoire plus moderne. Malheureusement nous en savons trop peu pour estimer sa signification. ** *
Il est trop tard, et depuis longtemps, pour savoir ce qu'était le répertoire musical de la dans Treger à l'époque lointaine où sa tradition était vigoureuse. Les derniers danseurs traditionnels connaissaient plus d'airs de « dans Kerneo » (gavotte cornouaillaise en ronde) que de dans Treger, et leurs airs de dans Treger eux-mêmes avaient bien souvent le cachet de la danse cornouaillaise. Ce sont en effet des airs analogues aux tons simples et tons longs, voire même des variantes d'airs de gavotte bien connus en Haute-Cornouaille, que la plupart de nos informateurs nous ont chantés. Assez souvent ils accusent plus que les airs de gavotte la présence en chaque
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390
EN
BASSE-BRETAGNE
phrase de deux motifs équivalents. Les deux exemples que voici donnent une idée de la qualité de l'accord musique-mouvement. On lit en chaque motif l'appui ferme du temps x, le changement de pas des temps 3-4. La barre pointillée met en évidence ces deux éléments du pas composé :
M. J. GEOFFROY, Locquénolé, 1949
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Il est vraisemblable qu'en d'autres temps la dans Treger a eu ses airs propres, moins semblables à ceux de la ronde cornouaillaise. En voici au moins un — le seul de notre collecte peut-être dont on puisse affirmer qu'il accompagnait cette danse avant l'intrusion de la « dans Kerneo » — qui ne doit rien à l'imitation des Cornouaillais. Il est composé de motifs distincts, tous identiques à l'exception d'un motif conclusion. Leur nombre varie du premier couplet au second. L'accord musiquemouvement y est entièrement satisfaisant. «o
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d ' a p r è s son père J . La MEUR, né en
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185(3.
LE
RÉPERTOIRE
391
Il est remarquable que dans le trop petit nombre de chansons à caractère dansant recueillies en Trégor avant 1914, il s'en trouve 1 qui sont composées de motifs -distincts, restituant de façon aussi satisfaisante que la précédente la formule d'appuis du pas « plen ». Leur dessin mélodique, simple et monotone, s'expliquerait au mieux si l'air avait effectivement servi à l'accompagnement d'une danse.
III. —
LE DOMAINE DE LA DANS
TREGER
Tout ce que nous avons appris de la suite trégorroise et particulièrement de sa danse sur deux fronts, révèle une tradition usée, en recul, oubliée déjà en plusieurs points de son ancien domaine, achevant de s'éteindre en son dernier réduit. De quelle ampleur était ce recul? Si l'on préfère, quel avait été le domaine de la dans Treger ? C'est la question qu'il reste à poser. a) En ce qui concerne le pas, il y a peu d'incertitude. Les démonstrations qui nous ont été faites s'arrêtent, il est vrai, en direction de l'est à une ligne Lannion—Plouaret—Plounévez-Moëdec—Belle-Isle-en-Terre— Plougonver. Mais il suffit d'atteindre la frontière linguistique pour retrouver une structure homologue. On a vu dans la monographie précédente sa généralité en pays gallo des Côtes-du-Nord et son expansion dans des terroirs cornouaillais situés au sud du domaine de la dans Treger. Il faut bien postuler dans le passé le raccordement du secteur morlaisien et lannionais de la danse à son secteur haut-breton à travers le Trégor oriental et le Goëlo. Les témoignages relatifs à la forme de la danse dont nous ferons état dans un instant confirment cette exigence logique. Il est bon d'y insister, car la tradition à son terme pourrait donner une idée inexacte de l'importance relative des danses autrefois en présence dans ce département. A la fin du xix e siècle la phrase en huit temps de la gavotte (styles jisel et hiiij) n'occupait que l'angle sud-ouest. Le pas en quatre temps (type plean ou pliri) caractérisait un territoire incomparablement plus vaste, enveloppant le pays de gavotte à l'est et au nord, depuis la frontière du Morbihan jusqu'au Finistère partiellement inclus. Au même titre que la phrase de gavotte ou que le double motif d'en dro, ce pas représente l'une des structures de base de la danse bretonne. 1. Voir dans DUHAMEL, MUS. bret., pp. 129, 139, 158, des chansons recueillies à P o r t - B l a n c , dans E R N A U L T (Mélusine, VI, col. 252) une chanson recueillie à T r é v é r e c .
DANSE
392
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b) Le problème revient donc à savoir comment les deux formes fondamentales en présence — ronde et double front — se sont autrefois partagé l'étendue considérable de pays où la danse avait pour unité ce motif de quatre temps. En direction du sud la limite de la dans Treger vers 1880 est jalonnée par Le Cloître, Saint-Thégonnec, Lannéanou, Plougonver. C'est en direction de l'est, surtout, qu'elle est incertaine. Le Trégor du nord et de l'est, comme le Goëlo, ont depuis trop longtemps adopté les usages français pour que même les vieilles gens aient connaissance d'une tradition locale. Aussi loin que remontent leurs souvenirs, ils n'y retrouvent en fait de danses que des quadrilles, polkas, mazurkas, scottisches, avec diverses dérobées guère plus anciennes. On ne peut espérer de témoignages concernant le double front que de gens exceptionnellement âgés, se souvenant avoir vu en leur petite enfance les dernières danses de folklore, ou les ayant entendu évoquer par des représentants de générations aujourd'hui disparues. La chance aidant, une recherche suivie fait rencontrer de ces témoignages improbables. Nous en avons recueilli dans des localités assez nombreuses 1 . Les uns sont de valeur incertaine (Pleumeur-Bodou, Ploumanac'h, Ploumagoar, Saint-Agathon). D'autres sont assez précis (Lanmérin, Trégonneau, Goudelin, Lanleff) pour faire croire qu'il s'agit bien de la même danse qu'en Trégor occidental. Ils tendent à montrer que le double front a été la forme ancienne de la danse au moins jusqu'à la frontière linguistique. En direction de l'ouest enfin, le pays de la dans Treger s'est continué par celui de la dans Léon, elle-même dansée sur deux fronts. L'éÇudeen sera faite dans la monographie suivante.
1.
GUILCHER,
Trad. Trég., pp. 503-504.
DANS LEON
I. — L E P A Y S D E L A DANS L E O N Cette danse très originale est aujourd'hui confinée dans un territoire exigu (voir carte VI). Son domaine, resserré entre la route Landerneau-Morlaix et la montagne d'Arrée, chevauche les cantons de Landerneau, Landivisiau, Ploudiry, et Sizun, ce dernier seul y étant compris tout entier. Il est malaisé de fixer un tracé de frontière en direction du Trégor : la dans Treger et la dans Léon (ou dans gi^ Léon, danse à la mode du Léon) ont la même forme générale (le double front) et les moyens manquent désormais de savoir ce qu'était le pas dans les localités de transition. Pleyber-Christ et Plounéour-Ménez semblent avoir eu une danse de type trégorrois. Le dessin gestuel propre à la dans Léon ne se rencontrerait qu'à l'ouest de ces deux communes. Dans toutes les autres directions, les limites sont nettes. Ce sont : au nord, le cours de l'Elorn de Landerneau à Landivisiau. A l'ouest et au sud une ligne englobant Pencran, Tréflévénez, Le Tréhou, SaintCadou, Commana, Plounéour-Ménez. Non que la danse soit contenue strictement dans ces frontières. Mais au sud de ce tracé elle est d'importation récente (toujours postérieure à 1900) et ne joue qu'un rôle secondaire, la gavotte et sa suite étant la danse propre au pays. Au contraire dans le périmètre ci-dessus défini, la danse sur deux fronts est la danse locale traditionnelle, et si éventuellement la gavotte s'y ajoute, on sait aussi qu'elle est empruntée. Il s'agit donc d'une danse typiquement léonaise, et c'est bien ainsi qu'elle apparaît à ses tenants aussi bien qu'à leurs voisins cornouaillais, dans la zone de contact entre les deux pays. Pour les uns et les autres
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elle est la dans Léon (danse du Léon) par opposition à la dans Kerne (danse de Cornouaille). Parfois on la dit aussi, suivant les lieux, Si%un,
Kommana, gi^ Lambaol (à la mode de Sizun, de Commana,
de Lampaul-Guimiliau), du nom de la localité qui donnait le ton, et dont on admirait les danseurs. ** *
La tradition de la dans Léon achève de s'éteindre. Les communes les plus voisines de la Haute-Cornouaille ont été les dernières à l'abandonner : de l'avis le plus général, dans la portion de pays qui s'étend jusqu'à Saint-Sauveur et Locmélar au nord, les années 1925-1930 marqueraient la fin de la tradition. Encore pour beaucoup la coupure véritable doit-elle être placée en 1914-1918, la danse, à leur avis, n'ayant fait que se survivre médiocrement par la suite, sans retrouver sa vitalité ancienne. Plus au nord sa disparition était chose faite avant 1914, mais nombreux sont encore ceux qui l'ont connue vivante. Enfin, au nord du cours inférieur de l'Elorn nous n'avons rencontré aucun informateur qui ait entendu parler d'une danse semblable.
II. — L E R É P E R T O I R E Pleyber-Christ et Plounéour-Ménez sont les deux seules communes où nos informateurs se souvenaient que la tradition ancienne comportait danse sur deux fronts, danse en cortège, passepied, c'est-à-dire les trois termes de la tradition trégorroise. Plus à l'ouest le principe d'une suite réglée est inconnu, au moins dans la période que nous atteignons. C'est le passepied qui disparaît le premier. Nous n'en avons jamais trouvé trace à l'ouest de la route Morlaix—Plounéour. La danse en cortège se maintient à peine davantage. Chose curieuse, c'est elle seule que nos plus vieux informateurs disaient avoir connue en leur jeunesse, à Guiclan et Saint-Thégonnec. En cette dernière commune la danse sur deux fronts aurait été introduite (plus probablement réintroduite) plus tard, à l'imitation de Lampaul-Guimiliau. La situation est renversée plus au sud : la danse sur deux fronts est connue partout ; la danse en cortège est exceptionnelle. A Lampaul et Commana seulement, deux vieillards nous ont dit l'avoir vue danser autrefois. Ils ignorent si c'était reste d'une tradition locale, ou imitation de Saint-Thégonnec et Plounéour. Certains signalent, à Commana et Saint-Cadou, l'habitude
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de faire suivre chaque « dans giz Léon » d'une promenade circulaire, les couples disposés en cortège faisant le tour de l'aire (pas de marche), le chanteur en tête chantant quelques couplets dont celui-ci : Lostig ar big war an hent braz Julig ar ververo, Neb a garo a gano c'hoaz, Julig ar ververo... etc. (La petite queue de la pie sur le grand chemin, — julig ar ververo — qui voudra chantera encore, — julig ar ververo... etc.) Ce n'est pas vraiment une danse, mais une conclusion, en mouvements et en paroles, à celle qui vient de finir, et un appel à en former une autre. Que ce défilé soit un débris d'une danse plus construite — par exemple la danse en cortège déjà nommée — est une supposition non absurde mais purement gratuite.
III. — LES NOMS D E LA D A N S E
Ce n'est pas sous son nom le plus commun (dans Léon), que la danse léonaise est entrée dans la littérature folklorique, mais sous celui de piler-lann : pileur d'ajonc. Madame Galbrun \ à qui l'on doit la première description de la danse, supposait le terme justifié par l'histoire des gestes, rattachable à un rite agraire. On broie l'ajonc (autrefois à coups de maillets) pour le donner en nourriture aux chevaux. Les mouvements de la danse auraient eu à l'origine quelque rapport, de nature non précisée, avec l'opération du broyage. La fragilité de cette interprétation a été plusieurs fois dénoncée. Mais il est excessif de soutenir, par réaction, que le nom de piler-lann est étranger à la tradition populaire. Presque partout récent, il paraît ancien dans les environs de Landerneau. A Pencran, la Roche-Maurice, la Martyre, tous nos vieux informateurs (le plus âgé né en 1869) parlaient de dans piler-lann et disaient avoir toujours entendu ce terme, parfois à l'exclusion de tout autre. Hors de ces localités nous ne l'avons rencontré qu'au voisinage de la route Landerneau-Commana. Son sens est flottant : certains de nos interlocuteurs, à Saint-Sauveur et à Saint-Cadou, appelaient pilerlann non leur propre danse, mais la gavotte de Botmeur et de La Feuillée. 1. Dse. bret., p. 74.
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Toutes les fois où nous avons demandé la raison de ce nom, nous avons obtenu la même réponse : le bruit de leurs pieds frappant le sol aurait rappelé aux danseurs celui des maillets broyant l'ajonc. D'où un surnom par analogie. Que l'explication soit bonne ou non, l'idée d'un lien réel entre les deux actions est en tout cas étrangère aux paysans dépositaires de la tradition. Plus étroitement localisé que piler-lann est dans a benn (danse de tête, c'est-à-dire danse ayant une extrémité, par opposition à danse ronde) que nous avons souvent entendu à Commana et à Saint-Sauveur. Peut-être est-ce encore un mot récent : à Commana presque tous nos informateurs nés après 1880 le connaissaient, mais d'autres, plus âgés, ignoraient dans a benn comme piler-lann. A Locmélar, Guimiliau, Lampaul, Loc-Eguiner, Ploudiry, nos informateurs ne connaissent qu'un nom : dans al leur nevev^ : danse de l'aire neuve. Enfin beaucoup n'usent d'aucun terme, n'éprouvant pas le besoin de nommer une danse qui constituait tout leur répertoire.
IV. — L A FORME
Les danseurs sont répartis en deux lignes, l'une d'hommes, l'autre de femmes. Chacun fait face à son partenaire, qui se trouve dans la ligne opposée. Dans les campagnes du sud, où la danse est restée le plus longtemps vivante, la cohésion des exécutants était différente dans les deux lignes. Les hommes se tenaient par la main ou les petits doigts; les femmes, isolées, tenaient leur jupe, ou enfonçaient les mains dans les poches de leur tablier. Plus rarement elles se donnaient aussi la main. Plus au nord, (Locmélar, Saint-Sauveur, Guimiliau, Lampaul, La Martyre, La Roche) la tenue par la main était de règle pour les femmes comme pour les hommes. L'isolement des femmes (La Roche, Pencran), et parfois des hommes (La Roche) est signalé exceptionnellement, et parfois comme un privilège de bons danseurs. On attache peu d'importance à la forme du double front. Elle varie avec la configuration du lieu, tantôt longuement rectiligne, tantôt recourbée suivant le contour du terrain où l'on danse, tantôt serpentant pour utiliser au mieux un espace limité, ou permettre au plus grand nombre d'entendre la voix du chanteur. Quelques témoignages font état d'une disposition circulaire du double front. Ils sont très rares, et dus à des
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vieillards. A Lampaul-Guimiliau, deux femmes nées vers 1874 1 décrivaient la danse comme un double cercle : cercle intérieur de femmes, dos au centre, cercle extérieur d'hommes leur faisant face, le tout tournant « dans le sens du soleil ». Moins nets sont des témoignages de La Roche-Maurice (une seule informatrice) et Commana (deux informateurs), selon lesquels la danse, généralement ouverte, se serait aussi dansée autrefois, mais plus rarement, en cercles fermés. A peu près toujours dans l'espace de temps dont témoignent les anciens danseurs traditionnels, on distingue une tête et une queue {dans a benn). Le nombre des participants est illimité. On nous a cité des danses du Mardi-Gras qui s'étendaient sur deux cents mètres. On verra plus loin les raisons qui amenaient parfois à fractionner la double ligne. Le meneur demeure le même. Exceptionnellement (Lampaul), quand le couple de tête s'était laissé enfermer dans un angle, hommes et femmes changeaient rapidement de place, et le dernier couple, devenant meneur, entraînait le double front en direction opposée. La presque totalité des anciens danseurs s'accorde sur le sens des trajets : les hommes partent du pied droit vers leur gauche, les femmes du pied gauche vers leur droite. En quelques endroits cependant (Locmélar, Saint-Sauveur, Guimiliau, Lampaul) nos informateurs se contredisaient sur ce point, certains soutenant la proposition inverse, et parfois avec une extrême assurance. A Locmélar nous avons filmé un informateur isolé dansant effectivement en se déplaçant vers la droite.
Y . — LES
MOUVEMENTS
La danse du Haut-Léon s'exécute sur un tempo modéré (cadence métronomique : 100 à 120). C'est l'un des traits — méconnu dans les groupes folkloriques — qui lui donnent sa physionomie originale. Même dans les villages les plus proches de la Cornouaille, où le tempo est plus vif que dans le reste du pays, nous n'avons jamais vu danser la dans gi% Léon à la vitesse de la gavotte. Au maximum d'animation le tempo était celui d'une marche rapide, jamais d'une course. Bien plus souvent il était celui d'une marche modérée. Dans la plupart des démonstrations la danse apparaissait calme, posée, bien suspendue. Nous passerons en revue successivement la structure du pas, la façon dont les danseurs se déplacent, le mouvement de bras qui accompagne le pas. 1. M m e Hélou et une informatrice inconnue.
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A. —
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L E PAS
i . Le pas des hommes Le pas des hommes est construit suivant une formule d'appuis pratiquement immuable : 1
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Dans les démonstrations qu'on peut voir aujourd'hui, la phrase comporte toujours quatre temps pendant lesquels les danseurs se déplacent, quatre temps pendant lesquels ils restent sur place. Il en résulte une certaine différence d'allure entre la première partie de la phrase, où le mouvement progresse horizontalement, et la seconde, statique, à dominante verticale. L'une est plus liée, l'autre détache davantage les temps. Mais il n'y a pas opposition véritable entre deux motifs. Le mouvement se déroule avec continuité d'un bout à l'autre de la phrase. Au départ le danseur est en appui sur le pied gauche. Le droit est posé sur le bord postérieur du talon, pointe en l'air, à faible distance devant l'autre. Les quatre premiers temps consistent en quatre pas de marche vers la gauche, l'appui du temps i étant sur le pied droit, ramené à l'assemblé du gauche, ou même croisé devant lui. Le déplacement peut être strictement latéral, le danseur ne cessant de faire face à sa partenaire. Ou encore le danseur se tourne légèrement vers la direction de marche. Mais quelque parti qu'ils adoptent tous se retrouvent au temps 4 face à leur partenaire. C'est avec cette orientation, et rigoureusement sur place, que le danseur fait les mouvements caractéristiques de la seconde demiphrase. Ce sont eux qui prêtent à quelques variantes touchant le dessin du mouvement. Les démonstrations qui nous ont été faites se ramenaient toujours à l'un des trois types suivants : a) Au temps 5, conservant l'appui sur le pied gauche qu'il avait au temps 4, le danseur étend la jambe droite vers la droite. Chez certains ce mouvement consiste en une vigoureuse détente, projetant le pied obliquement vers le sol, sans le lui faire atteindre. D'autres étendent calmement la jambe en direction latérale de telle sorte qu'au terme de ce mouvement le bord interne du pied droit touche ou frappe le sol, à distance d'un pas à droite du gauche.
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Aussitôt, le danseur quitte l'appui gauche en sautant, et retombe au temps 6 sur le pied droit, en croisant la jambe gauche devant la droite. Le mouvement est généralement très ample : mollet gauche perpendiculaire à la jambe droite, et à hauteur de son genou, hanche gauche très ouverte. Un nouveau saut fait retomber le danseur au temps 7 sur le pied gauche, jambe droite repliée en arrière dans le plan sagittal, cuisse verticale, mollet horizontal. Enfin, conservant cet appui, le danseur étend simplement devant lui la jambe droite, posant le pied droit sur le talon en direction de sa partenaire (temps 8). Les temps 5 à 8 sont nettement détachés et frappés, bien que le saut par lequel le danseur passe d'un appui à l'autre se fasse avec peu d'élévation. b) Ils ont un relief moins accusé dans la variante que voici : au temps 5 le danseur croise la jambe droite (libre) derrière la gauche, jambe pliée, pied droit levé à peu près dans l'axe du mollet gauche. (Le passage du temps 4 au temps 5 se fait habituellement par un petit rebondissement, au moins esquissé, sur le pied d'appui.) Le danseur quitte en sautant la position du temps 5... ...pour retomber au temps 6 sur le pied droit, en croisant la jambe gauche devant la droite. La jambe gauche croise l'autre obliquement, et au-dessous du genou. Le pied gauche est souvent très ouvert, pointe dirigée franchement vers la gauche. Enfin le pied gauche prend l'appui à l'assemblé au temps 7 (pied droit un peu soulevé), et le droit est posé en avant sur le talon, sans appui, au temps 8. L'ampleur du mouvement est nettement moindre que dans la variante précédente. Le martellement s'atténue au profit de la suspension régulière, élastique. Bien qu'il y ait encore quelque différence de relief entre les deux moitiés de la phrase, l'impression de continuité est plus grande. c) Certains danseurs donnent aux mouvements beaucoup moins d'ampleur encore. Plusieurs se contentent de poser ou frapper le pied droit sans appui au temps 5, très près du gauche (soit à l'assemblé, soit à faible distance en avant, soit au contraire en arrière, à angle droit du pied d'appui, pointe contre son talon, genou bien ouvert). Soulevé du sol aussitôt, le pied droit... ...prend appui au temps 6 à l'assemblé, cependant que le pied gauche pivote de 90° sur sa pointe, seule posée, pour se placer dans le plan frontal, talon vers la droite, surmontant la pointe du pied droit. Au temps 7 le pied gauche n'a qu'à pivoter en sens inverse pour reprendre l'appui dans la même position qu'en 4 et 5. Pas un moment
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sa pointe n'a quitté le sol. Enfin au temps 8, l'appui demeurant sur le gauche, le talon droit se pose en avant dans l'attitude habituelle. D'un appui au suivant il n'y a pratiquement pas de saut. A u prime abord on se croirait devant une danse très différente de la première variante. En réalité chaque geste de l'une se retrouve dans l'autre, mais ample au maximum dans le premier cas, réduit à l'extrême dans le second. En une même localité les démonstrations individuelles montrent tantôt l'une tantôt l'autre de ces façons de faire. Elles sont des interprétations différentes qu'un même danseur peut donner au même pas, suivant l'animation et le tempo de la danse, la chanson d'accompagnement, ses propres forces et son humeur. Il arrive parfois que le chanteur prolonge d'une pulsation la finale des phrases, leur donnant neuf temps au lieu de huit. En pareil cas les danseurs observent un temps d'immobilité, conservant au temps 9 la position acquise en 8, talon droit posé à terre sans appui.
2. Le pas des femmes Il y a moins d'unité dans les démonstrations des femmes que dans celles des hommes. La raison paraît en être la monotonie, l'indifférenciation de leur pas. Composé de mouvements extrêmement étroits, et toujours à ras de terre, tous semblables en apparence, il ne comporte aucun relief auquel puisse s'attacher le souvenir. La mémoire musculaire ne peut ici recevoir aucune aide de la visuelle. Deux points fixes dans la phrase : le début et la fin. A u départ la danseuse fait face à son cavalier. L'appui est sur le pied droit. Le pied gauche est posé sans appui sur le talon, devant le droit, en direction du pied droit du cavalier, et presque à le toucher. Le premier pas se fait toujours du pied gauche ramené à l'assemblé du droit. A u huitième temps de la phrase la danseuse doit se retrouver dans la position de départ. Sur ce qui se passe entre ces deux extrêmes l'accord n'est pas unanime : a) Certaines se bornent à marcher en file pendant les six premiers temps de chaque phrase, se retournant vers leurs cavaliers aux temps 7 et 8 pour le mouvement final. L'exiguité de leur pas de marche fait qu'avec ces six pas elles couvrent le même espace que les hommes en quatre temps. Chacune s'arrange comme elle peut pour être en appui sur le pied droit au temps 7 (l'alternance régulière de la marche ramènerait normalement un appui sur le gauche en ce temps). A côté de variantes
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individuelles, il y en a qui sont communes dans un petit groupe local, comme celle-ci qui a plusieurs adeptes au Tréhou : 1 2
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Temps 1 à 6 : six pas de marche vers la droite. Disposées en ligne au départ, les danseuses passent aux temps 1 et 2 à la disposition en file (quart de tour, individuellement, à droite), reviennent en ligne face aux hommes aux temps 5 et 6 (quart de tour, individuellement, à gauche). L'appui demeure exclusivement sur le pied droit, du temps 6 au temps 8 inclus. Au temps 7 le pied gauche se pose sur la pointe à un pas en arrière du droit. Au temps 8 il se pose sur le talon, à un pas en avant. b) Mais le schéma d'appui qu'il nous a été donné de voir le plus souvent, et dans des localités très diverses, est celui-ci : 4 4
1 2 J
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3
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J
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J - J D.
A deux reprises, aux temps 4-5 et 7-8, la danseuse garde un appui continu de deux temps sur le pied droit. Au temps 5 le pied gauche est maintenu levé à hauteur de la cheville droite et contre elle, ou posé rapidement à l'assemblé sans appui. Au temps 8 il est posé sur le talon dans l'attitude habituelle des fins de phrase. C'est la succession d'appuis symétrique de celle des hommes. On peut y voir la structure-type du pas. *
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Au total l'agencement des appuis et le dessin des gestes dans la danse des hommes donnent au pas composé de la dans Léon une physionomie très particulière. On ressent ses analogies avec le pas des territoires voisins, sans en tirer de certitude quant à leurs parentés réelles. Gomme la gavotte cornouaillaise, la danse du Léon ordonne les pas élémentaires dans le cadre d'une phrase de huit temps. La formule d'appuis des femmes rappelle elle-même celle de certaines gavottes quand les danseurs économisent le changement d'appuis. Enfin des particularités de style semblables se rencontrent parfois dans l'une et l'autre danses. La comparaison avec le pas trégorrois est plus malaisée. En effet ce que nous pouvons comparer avec le pas Léon n'est pas le pas
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Treger qui avait cours dans les communes proches, mais celui qui se dansait sensiblement plus à l'est. Entre ces termes éloignés, la différence de structure est nette : phrase de huit temps dans un cas, motif de quatre dans l'autre. Mais les similitudes aussi sont frappantes : appui de deux temps sur un même pied, revenant deux fois en huit temps; pose d'un pied sur le talon en regard du partenaire. Nous avons même rapporté une version de dañs Treger (Plouégat-Guérand) qui, en montrant la transformation effective d'un double motif en une longue phrase, fait mieux concevoir l'unité possible des deux traditions dans le passé.
B. —
L E DÉPLACEMENT DES DANSEURS
Si, dans les démonstrations auxquelles on peut encore assister, la plupart des hommes suivent un trajet rectiligne à peu près uniforme, il n'en est pas de même des femmes. Surtout lorsqu'elles usent de la formule d'appuis symétrique de celle des hommes (cas général) leur cheminement est rarement aussi simple. Il se fait suivant l'un ou l'autre des deux modes suivants : 1. Dans un premier mode la progression s'accompagne de changements d'orientation du corps. En se déplaçant vers la droite (i à 4) les femmes se tournent progressivement dans cette direction. Au quatrième pas de marche elles atteignent la disposition en file les unes derrière les autres. La rotation s'achève alors par une très discrète torsion du corps au-dessus de son appui fixe, qui dépense l'énergie résiduelle en prolongeant le tournant sur soi-même. Sans aller jusqu'à tourner le dos à son cavalier, la danseuse dépasse faiblement la position de profil par rapport à lui. Pendant les temps 6 et 7 elle pivote en sens inverse pour lui faire de nouveau face. Cette façon de faire paraît avoir été fréquente dans les communes du sud. 2. Des informatrices de lieux très divers (Commana, Saint-Cadou, Saint-Sauveur, Locmélar, Guimiliau, Lampaul, Loc-Eguiner, Ploudiry, La Roche-Maurice) nous ont constamment évoqué et souvent montré une autre façon de faire. Dans ce second type de variante la danseuse demeure plus ou moins rigoureusement face à son partenaire. C'est un mouvement de recul et d'avance, plutôt que de rotation dans un sens et dans l'autre, qui se compose avec le mouvement de translation. Autant qu'on puisse en juger par ces démonstrations, qui sont souvent le fait de vieilles gens, le découpage habituel est le suivant : le recul s'accomplit principalement sur les deux premiers temps de la phrase. Dans les deux suivants la translation vers la droite l'emporte. Après la suspension du
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temps 5, la danseuse avance de nouveau vers son cavalier aux temps 6 et 7. Il n'y a de changement d'orientation du corps que juste ce qui est nécessaire pour donner de l'aisance à ces va-et-vient. Nous n'avons jamais vu faire pareil mouvement de recul et avance par les hommes, mais plusieurs de nos vieux informateurs avaient connu le temps où, pour eux aussi, il était de règle. Tout en progressant latéralement les deux fronts s'écartaient et se rapprochaient alternativement. Le déplacement en profondeur devait être assez faible. Les hommes, précisait une femme de Guimiliau, avançaient après avoir croisé la jambe gauche devant la droite (temps 6). Ceci suppose un seul grand pas en avant au temps 7, ce qui peut bien en effet équivaloir aux deux petits pas des femmes. (Le moment du recul n'a pas été précisé.) Le mouvement d'avance et de recul des deux fronts, le pivotement des danseurs sur eux-mêmes, ont eu, comme on sait, des équivalents dans la tradition trégorroise. La façon dont les danseurs se meuvent renforce l'impression d'une parenté ancienne entre la danse du Trégor et celle du Haut-Léon.
C. —
L E MOUVEMENT D E BRAS
Quand les danseurs se tiennent les mains, le pas s'accompagne d'un mouvement de bras. Pour les femmes c'est à peu près toujours un simple balancement avant arrière (un mouvement par temps) avec très peu d'ampleur. Une fois seulement (Locmélar) on nous a signalé un mouvement ample qui paraît avoir été de même ordre que celui décrit ci-après pour les hommes. Pour eux l'exception joue en sens inverse. Seul le doyen de nos informateurs à La Roche 1 mentionnait un balancement simple, du type habituel à la plupart des rondes. En général le mouvement est beaucoup plus ample et exprime, comme le pas, la structure de la phrase. A de menus détails près dans l'agencement rythmique, nous l'avons vu faire ainsi : Au départ, quand le danseur a le talon droit posé en avant, ses mains (et donc celles de ses voisins) sont levées à hauteur de la tête, ou même un peu au-dessus. Le port des bras n'est pas nettement défini, mais on peut le suggérer ainsi : ils s'élèvent ouverts, légèrement arrondis plutôt que fléchis, portant vers l'avant en même temps que vers le haut, les mains espacées d'environ 80 centimètres. En même temps qu'il fait son premier pas, le danseur abaisse les bras jusqu'à leur faire dépasser un peu l'axe du corps en arrière. Le mouvement consiste en une large 1. Y.
Floch.
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rotation autour de l'épaule : les bras ne se plient pas; les mains décrivent un grand arc de cercle de haut en bas. Aux trois temps suivants, les bras balancent avec peu d'amplitude (2 et 4 vers l'avant, j vers l'arrière) et comme en vertu de l'élan acquis. Le balancement en avant du temps 4 se prolonge par un mouvement ascendant qui amène de nouveau les mains à leur position de départ au début du temps 5. Après une sorte de rebondissement à bout de course elles redescendent au temps 6 (même mouvement qu'au temps 1), pour remonter aussitôt (7) et retrouver leur position de départ au début du temps 8, en même temps que le talon droit se pose (le mouvement est continu et lié, aux temps 7-8).
VI. — L'ACCOMPAGNEMENT
MUSICAL
De mémoire d'homme, la chanson a toujours été l'unique accompagnement de la danse gis^ Leo/t. A Pleyber-Christ seulement, des vieillards se souvenaient d'un accompagnement instrumental (clarinettes et tambours, parfois binious et vielles). Ailleurs il ne nous a jamais été signalé même dans les circonstances privilégiées où il est de règle en HauteCornouaille. Aucun de nos informateurs n'avait connu d'instrument avant l'apparition des accordéons, qui d'ailleurs ont été fort peu employés. Comme en Haute-Cornouaille, le chant de danse était beaucoup plus qu'un moyen facile de fournir un rythme aux danseurs. L'histoire chantée était, avec le mouvement, un élément capital du divertissement. Les réunions de danse étaient en même temps des réunions de chant, où les deux activités étaient indissociables, le plaisir qu'on tirait de l'une se renforçant par l'autre. L'usage diffère à quelques égards de celui de Haute-Cornouaille. Le chant n'est pas réservé à deux personnes. Ce sont deux ou trois hommes, qui, à l'unisson, répètent la phrase d'un soliste. Ou encore (environs de Landivisiau) c'est tout un chœur. Suivant la plupart des témoignages, les femmes n'y participent pas. Solistes et répondants dansent eux-mêmes, tout en chantant. Une grande considération entoure « le chanteur ». Celui qui s'apprête à chanter une danse peut inviter qui bon lui semble, sans crainte d'essuyer un refus. Au début de ce siècle encore la concurrence était vive entre les chanteurs. Dans les assemblées importantes la journée s'achevait parfois sano que tous aient pu se manifester. Ceci du moins quand on respectait la coutume de ne pas fragmenter la danse, quel que fût le nombre de participants. Ainsi, quand le Mardi-Gras réunissait devant l'auberge isolée
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de Kerbrézel des jeunes gens venus de Sizun, Le Tréhou, Saint-Cadou, Commana, à peine les danseurs lâchaient-ils les mains de leurs voisins qu'un nouveau chanteur les conviait à former une nouvelle danse. Parfois on acceptait de fragmenter la danse pour permettre à un plus grand nombre de chanteurs de se produire. A La Martyre, on voyait couramment sur la même aire plusieurs danses juxtaposées et distinctes. L'amour-propre intervenant, cela pouvait tourner à l'épreuve de force : à Commana, lorsque plusieurs danses étaient ainsi juxtaposées, chaque chanteur mettait son point d'honneur à lasser ses concurrents et à rester seul maître du terrain (on en cite qui ont tenu trois heures). Dans les foires et autres grandes réunions, s'il advenait que plusieurs chanteurs, de localités différentes, se missent à chanter, un regroupement du public par paroisses s'opérait aussitôt, chacun dansant derrière son champion et le soutenant de toutes ses forces. Le chanteur ouvre la danse, soit seul avec sa partenaire, soit accompagné d'un ou deux camarades qui ont accepté de lui répondre au départ. Des couples nombreux s'ajoutent à sa droite. Quelquefois il s'en ajoute aussi à sa gauche, en quantité à peu près égale, de sorte que le soliste se trouve au milieu de la ligne, et est également entendu de chaque côté. Mais la plupart des informateurs ont connu une autre règle : un seul couple se place à gauche du soliste, pour le conduire. On estime en effet que le chanteur doit être tout à sa chanson. Il est entendu qu'il danse avec des mouvements étroits : ce n'est pas son affaire de se dépenser en mouvements. Pas davantage il ne doit avoir le souci de guider les évolutions. Un autre l'en décharge. Il se peut que l'étiquette ancienne ait fixé plus strictement ce point. Ainsi à Guimiliau, dans une « aire neuve » bien réglée, c'est son plus proche parent, à défaut son plus proche voisin, que le fermier priait de se faire le guide du chanteur pour la première danse. La danse finie, le maître offrait un paquet de tabac au chanteur, un mouchoir à sa partenaire. L'usage de ce petit présent est assez général. Les vendeurs de feuilles volantes des foires fournissaient abondamment la jeunesse de textes nouveaux de chansons. On appréciait que le chanteur sût, à l'occasion, y ajouter quelques vers de son cru, inspirés par les circonstances. C'était souvent une plaisanterie, un défi à des concurrents, une allusion à la sécheresse de son gosier. Quelquefois aussi c'était l'occasion de petites vengeances. Un garçon qu'une fille avait humilié en le repoussant dans une des danses précédentes pour accepter un autre cavalier, l'en punissait parfois en composant à son adresse quelques couplets cinglants. Il est trop tard pour se faire une idée exacte du chant. En dehors du voisinage immédiat de l'Arrée, plus directement soumis à l'influence cornouaillaise, bien rares ou bien vieux sont les chanteurs qui ont connu la tradition dans toute sa vigueur.
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C'est un fait que nos informateurs ne nous ont fait entendre en définitive que des variantes d'un très petit nombre de mélodies. Même ceux qui passaient pour de brillants chanteurs en leur jeunesse, arrivaient très vite au bout de leur répertoire d'airs. Usure du souvenir peut-être. Mais plusieurs témoignages donnent plutôt à penser que le nombre d'airs en circulation était réellement peu élevé. Certains déclarent nettement que si chaque danse appelait une nouvelle chanson, elle n'exigeait pas pour autant une nouvelle mélodie. La même resservait plusieurs fois, habillée de textes différents, que leurs distiques de même coupe rendaient interchangeables. Un air pouvait même être connu comme étant « le ton de Sizun », ou « le ton de Lampaul », parce que plus couramment employé en ces localités. Peut-être est-ce là le fait d'une tradition appauvrie et près de finir. Mais peut-être aussi était-ce un de ses traits caractéristiques de porter plus d'intérêt aux poèmes et de se satisfaire d'un nombre restreint de cadres mélodiques, propres à les contenir tous. Voici, à titre d'exemple, quelques airs parmi ceux que nous avons le plus souvent entendus.
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E . HERBOU, C o m m a n a , 1956.
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M . CLOAREC, L a m p a u l - G u i m i l i a u , 1956.
Ils sont du type appelé ton simple en Haute-Cornouaille. La plupart ont d'ailleurs de nombreuses variantes dans le répertoire de gavottes des chanteurs cornouaillais. Le détail rythmique change, bien entendu, suivant la façon dont la danse est exécutée, les mouvements amples et rebondissants ayant généralement pour corollaire une division irrégulière des temps dans la seconde mesure de chaque phrase.
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Si l'on en jugeait d'après ce qu'on peut encore entendre, la façon d'interpréter les chansons confirmerait qu'on n'attache pas aux mélodies un intérêt de premier plan. D u moins n'avons-nous jamais constaté chez nos chanteurs ce plaisir pris à la musique pour elle-même, cet appétit d'airs' nouveaux, ce goût de les traiter avec éclat et brio dans les moments où ils ne s'accompagnent pas de paroles, ce pouvoir de les diversifier et renouveler continuellement, frappants chez beaucoup de bons chanteurs en Haute-Cornouaille. Le chant était simple, régulier, bien rythmé, la ligne mélodique très peu changeante. Mais il serait imprudent, comparant une tradition toujours vivante à une autre pratiquement disparue, d'attacher trop d'importance aux aspects négatifs que ce rapprochement fait découvrir. Le chant de danse du Haut-Léon a pu avoir des traits propres, qui n'apparaissent plus dans les conditions où nous l'entendons aujourd'hui.
VII. —
CONCLUSIONS
Aussi longtemps que le Trégor et le Léon passaient pour à peu près dépourvus de danses, la place et l'importance de la dans piler-lann dans l'ensemble de la tradition bretonne ne pouvaient être exactement appréciées. On comprend que cette danse ait pu, récemment encore, apparaître comme une forme spéciale de la gavotte. Son pas en huit temps, ses airs de cachet cornouaillais, y prédisposaient. Surtout, la position de son minuscule terroir au contact de la Cornouaille le désignait comme la pointe avancée de la Bretagne dansante (Cornouaille, Vannetais) dans la Bretagne réputée sans danse (Léon, Trégor). Le double front devait, pensait-on, s'interpréter comme une forme un peu aberrante, dérivée de la ronde. Certes il ne manque pas d'analogies entre le piler-lann et les gavottes, surtout celles du nord de l'Aulne : composition par phrases, particularités de styles, chant et placement des chanteurs. Mais ces similitudes partielles n'empêchent pas que de la dañs Léon à la gavotte l'opposition ne soit tranchée. Pas de transitions ménagées entre elles, soit par la présence de versions à caractères intermédiaires, soit même par le mélange de l'une et l'autre en proportions régulièrement variables. Depuis la date la plus lointaine qui nous soit accessible une frontière nette les sépare, et c'est très exactement celle des anciens évêchés. Au contraire la continuité est frappante, par Pleyber-Christ et Plounéour-Ménez, entre la tradition léonaise et la trégorroise. Les affinités se marquent simultanément dans le pas (formules d'appuis intermédiaires),
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les modalités du déplacement (changements d'orientation réguliers sur soi-même, avances et reculs) et surtout la forme. Elles devaient être plus frappantes encore au dernier point de vue, quand la dans gi% Léon se déroulait en double front circulaire. La danse léonaise n'en a pas moins sa version-type absolument distincte, remarquablement constante et stabilisée (ce qui fait supposer une différenciation déjà ancienne). Mais il est évident au total que son territoire, loin d'être une petite annexe aberrante du domaine de la ronde, est le dernier lambeau-témoin demeuré à l'ouest, d'un vaste domaine du double front naguère encore insoupçonné. * * *
Nous avons supputé l'extension ancienne du double front en direction de la frontière linguistique. Qu'en était-il à l'opposé, en direction de l'ouest ? Une chose seulement est certaine : il a existé en Léon des danses dont la tradition actuelle n'a rien retenu. Deux textes relatifs à la région de Lesneven-Guissény en témoignent. Il ne s'agit pas de la dans Léon telle que nous la connaissons. Mais il peut s'agir d'une danse appartenant au même fonds. Souvestre1 décrit ainsi (en 1856)-la danse dont il fut spectateur dans une aire neuve de Guissény : « ...ici tout se borna à une danse monotone et sérieuse. Les jeunes filles s'avançaient en cadence et à petits pas, les yeux baissés, les bras pendants, la tête légèrement inclinée à gauche, tandis que les jeunes gens, le front haut, mais l'air sévère, marchaient à leurs côtés; puis, s'arrêtant tout à coup vis-à-vis d'elles, prenaient leurs mains, tournaient trois fois, et reprenaient gravement leurs places. Une chose frappait surtout dans cette danse : c'est qu'au milieu de toutes les passes qui se succédaient, le chœur entier conservait toujours la forme circulaire. » Une quarantaine d'années plus tard, Du Laurens de la Barre citant d'ailleurs Souvestre, reprenait à son compte cette description : « Sur les côtes, aux environs de Lesneven et de Guissény, la danse, de monotone, devient presque sombre. On dirait parfois une procession religieuse. Adieu gavottes et jabadaos. Les femmes s'avancent sur une file, à pas timides, les regards attachés à terre; tandis que les hommes, la tête haute et l'air grave, marchent vis-à-vis, sur un seul rang, à peu près comme à Morlaix. De temps à autre, le danseur saisit vivement les mains de sa danseuse, fait un tour rapide avec elle, et tous deux reprennent leur place. » 1 . SOUVESTRE E., Les derniers Bretons, Paris, Charpentier, 1836, p. 300 2. Et. dses. bref., p. 278.
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On notera la remarque : « à peu près comme à Morlaix ». Même rapprochement dans un texte de Bachelot de la Pylaie1 (1850). Découvrant la danse cornouaillaise au Fret (pays de gavotte), cet auteur écrit : « Le pas cadancé (sic) des figures est si différent de celui de Morlaix et de la partie nord du Finistère, qu'un jeune homme de cette contrée me dit que s'il ne dansait point, c'était parce qu'il n'avait pas dans les jambes ce genre de danse... » C'est bien en effet au répertoire du Trégor finistérien, avec son étroite association de double front, cortège et double file, avec les tournants individuels ou par couples dont usent facultativement les danseurs, qu'on est tenté de rapporter l'image imprécise donnée par Souvestre et De la Barre. Il paraît probable que la danse en deux fronts ou deux files, avec des aspects dont nous ne savons plus rien, s'est étendue vers le nord et l'ouest au-delà des limites que les souvenirs d'informateurs actuels lui assignent. *
*
*
Comme en bien d'autres cas, l'insuffisance de la documentation réunie sur les traditions françaises de danse empêche d'interpréter sûrement la présence dans le nord de la Basse-Bretagne d'une zone dont la forme fondamentale de danse est le double front. Cette forme est-elle représentée en d'autres régions de France ? nous n'en connaissons pour l'instant aucun exemple indiscutable. Les documents historiques ne la mentionnent pas davantage. Jusqu'à plus ample informé le domaine breton du double front apparaît isolé dans un ensemble occidental dont la forme mère est la ronde. L'étirement de ce domaine en bordure de Manche, son arrêt net devant la barrière de l'Arrée, le fait que la dialectologie et la toponymie font présumer dans le peuplement de ces régions une proportion plus élevée qu'ailleurs d'immigrants venus des Iles Britanniques au haut moyen âge, conduisent à se demander si le double front n'aurait pas été importé de ces pays. C'est un fait qu'il est l'une des formes traditionnelles de la danse en Grande-Bretagne. Certes il y a loin des évolutions savantes de la country-dance au très simple mouvement d'ensemble des danses du Trégor et du Léon. Mais ne serait-ce point la distance qui sépare une danse enrichie par plusieurs siècles d'échanges entre l'aristocratie et le peuple, de sa parente demeurée le bien propre des milieux d'inculture? Il est en tout cas digne de remarque que la britannique et la bretonne aient en commun cette disposition d'ensemble en deux fronts d'hommes et de femmes se faisant face. 1. Et. arch., p. 411.
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Cecil Sharp 1 , il est vrai, inclinait à voir les formes primitives de la country-dance ailleurs qu'en ces longrvays dont la prépondérance à la cour d'Angleterre ne s'était affirmée, croyait-il, que dans la seconde moitié du x v n e siècle. Il est permis de penser que les documents réunis rendent une autre interprétation des faits au moins aussi vraisemblable. L'origine britannique du double front n'a valeur que d'hypothèse, mais elle mérite d'être retenue à ce titre.
i . SHARP C., The country dan ce book, II, p. 8,
LE BAL
Si différentes qu'elles soient les unes des autres, les danses étudiées dans les précédentes monographies relèvent d'un même type. Elles sont des danses collectives, de cachet archaïque, exécutées dans une disposition générale très simple, donnant peu d'importance aux figures et beaucoup au pas. A l'exception de la ridée vannetaise et de Yhanterdro, chacune d'elles occupe le premier rang dans une suite réglée. Le bal est, au même titre que toutes ces danses, un élément essentiel de la plus ancienne tradition connue. Mais on va voir qu'il se présente avec des traits différents.
LE BAL DANS LA SUITE D E DANSES Pour donner une première idée de son importance il suffit de regrouper rapidement et de compléter ce que les chapitres passés ont appris sur la composition des suites réglées : i. En Haute-Cornouaille le bal sert d'intermède entre deux rondes identiques, gavotte ou dans plin suivant le lieu. Il est un repos entre deux danses fatigantes. Le nom de dans diskui% (danse de repos) qui lui est souvent donné le souligne. Il arrive qu'une autre danse se substitue passagèrement à lui dans ce rôle d'intermède et fasse office de bal. D'où une double acception du mot. D'une part il désigne une danse en particulier. D'autre part il désigne une fonction. D'autres termes pourtant sont déjà en usage, qui caractérisent cet aspect fonctionnel. Ainsi tamm kreiv^ (morceau du
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milieu) avec éventuellement des équivalents français : entredeux (Collorec), entretemps (Loqueffret). Ou encore contredanse. On sait que le plus souvent ce mot est pris au sens de : complément à la danse initiale. Parmi les « contredanses » les plus souvent substituées au bal proprement dit il faut citer le bal à quatre (c'est-à-dire dans le cas présent la chaîne des dames) et le jibidi. Au voisinage de la Basse-Cornouaille la danse de remplacement est parfois un bal à huit, ou une ronde avantarrière. En quelques communes une suite de « contredanses » (bals à deux, à quatre, à huit) pouvait s'intercaler entre les deux gavottes. Le passepied paraît avoir joué le rôle de tamm krei% occasionnel depuis une époque plus lointaine. Cela surtout en pays fanch et fisel, à un moindre degré dans le Finistère. Passepied (ou passepi, pach pi, passefi, marchepied, marchepi) a même fini par devenir synonyme de« bal », désignant tantôt une danse précise, tantôt un emploi. 2. En Morbihan la plus ancienne suite connue a comporté deux termes : ronde et bal. Le bal n'est pas intermède, mais conclusion. La nature de la ronde diffère suivant les pays. à) Dans les terroirs méridionaux (Vannes, Baud, Hennebont, etc...) la ronde est en dro. Le souvenir de cette suite en dro-bal ne se conserve plus que par places. La plupart des informateurs qui ont encore connu le bal ne lui attribuent plus de rang défini. b) En pays de Pontivy la ronde est le laridé (gavotte). La suite laridé-bal est toujours en vigueur. On danse le bal plus brièvement que le laridé, « pour ramasser l'avoine », autrement dit pour finir ce qu'on a commencé. D'où le surnom de tamm kerh (un peu d'avoine) donné à cette danse courte, et surtout à l'une de ses versions les plus jeunes. c) Les pays du Faouët et de Guémené-sur-Scorff, qui ignorent aujourd'hui tout bal de tradition ancienne, ont eu aussi une suite gavottebal. En pays de Guémené le bal s'est éteint entre 1875 et 1890, à une date variable suivant les lieux. Il n'a pas été remplacé. La gavotte constitue toute la danse. D'assez nombreux informateurs ont, sinon vu euxmêmes dans leur enfance les derniers danseurs du bal (nous n'avons rencontré un tel informateur qu'une fois, à Bubry *) au moins entendu leurs parents en parler. Plusieurs ont pu nous chanter de ses airs. Le bal a dû disparaître très légèrement plus tôt en terroir du Faouët. Les plus vieilles gens ont connu comme « contredanse » à la gavotte une danse à quatre dont nous reparlerons au chapitre des jabadaos. On peut difficilement douter qu'elle ait été substituée à un ancien bal. 1. J . Le Houédec.
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3. En Basse-Cornouaille la suite réglée traditionnelle a également comporté deux danses, gavotte et bal. Tel est encore le groupement fondamental dans la plus grande étendue du territoire. Néanmoins dans une vaste région centrale qui correspond grossièrement aux pays de Quimper-Châteaulin, tout souvenir de bal est aujourd'hui à peu près disparu. C'est un jabadao que les vieilles gens eux-mêmes ont connu comme second et dernier terme de la suite. Il a remplacé peu après 1880 le « bal à deux» dont témoignent les textes du xix e siècle. 4. En plusieurs communes du Trégor (Le Cloître, Guerlesquin, Plouégat-Moysan,Trémel,Lanmeur,Plougasnou) une minorité de vieilles gens appelle bal ou contredanse le second terme de la plus ancienne suite connue. La majorité des informateurs ne lui donne aucun nom. Diverses considérations (témoignages musicaux, faits gallos) font croire qu'un bal a également été dansé dans la partie du Trégor où la tradition est aujourd'hui éteinte. 5. En Léon les indices positifs sont des plus minces. Le plus sérieux est le texte (déjà cité) où Le Gonidec en 1806 évoque la danse du Bas-Léon : « Tantôt on se tient en rond, l'homme présentant le petit doigt, et la femme le second doigt, tantôt on se sépare deux à deux et l'on saute l'un devant l'autre. » C'est l'allure générale du bal. Le mot n'est pas prononcé. L'auteur le connaît pourtant. Il le mentionne dans son dictionnaire en précisant : bal de Cornouaille. Dans la tradition orale nous n'avons jamais entendu mentionner une danse de cette forme, sinon une seule fois, à Trézilidé, et en termes fort incertains. En conclusion, le bal se rencontre dans la presque totalité de la Basse-Bretagne et non dans un domaine géographique particulier comme les danses passées en revue jusqu'ici. Il a été, partout où il est connu, un constituant obligé de l'ancienne suite réglée. Il y a partout occupé la même place : la seconde, immédiatement après la danse collective. Cette unité du bal, que son nom et son rang partout les mêmes font pressentir, l'étude des mouvements la démontre. Il y faut toutefois la connaissance des plus anciennes versions encore accessibles. Le bal en effet a subi, au cours des dernières générations, des transformations profondes, différentes d'un terroir à l'autre. Dans les régions soumises à l'influence de Quimper les changements ont commencé trop tôt pour qu'un souvenir subsiste des états antérieurs. Partout ailleurs les vieilles personnes font connaître pour cette danse le même état initial. C'est lui aussi que l'on retrouve dans tous les textes de quelque ancienneté, qu'ils se rapportent à la Cornouaille ou au Vannetais. C'est lui que nous décrirons en premier lieu.
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I. — LE BAL ANCIEN On le retrouve aujourd'hui, encore pratiqué ou à l'état de souvenir, dans le Morbihan, la Cornouaille des Côtes-du-Nord, et la partie du Finistère comprise entre la frontière de ce département et une ligne jalonnée par Poullaouën, Kergloff, Landeleau, Châteauneuf-du-Faou, Gouézec (voir carte VII). Nous commencerons par analyser la forme et les pas du bal ancien dans ces limites. Nous dirons ensuite quelles raisons font croire qu'il s'est également dansé autrefois dans le reste de la Cornouaille. A. —
LA
FORME
La danse est partout construite suivant le même principe : une partie A (souvent deux phrases de huit temps) sert au déplacement collectif des danseurs. Il se fait toujours en pas de marche. Une partie B (le plus souvent deux phrases de huit temps) sert à la danse proprement dite, exécutée sans aucun déplacement. La disposition d'ensemble varie suivant les régions. i. En Haute-Cornouaille la forme type est la suivante. La partie A est une ronde tournant en sens de la montre. Chaque garçon y a sa partenaire à sa droite. L'allure est presque toujours nonchalante et très libre. Les danseurs marchent lentement, sans rythme commun, et sans accorder leur pas à la pulsation mélodique. Pendant la partie B les participants sont disposés par couples sur le cercle. Chacun fait face à son partenaire et tourne le dos à son autre voisin. Les deux danseurs se donnent les deux mains, main droite de l'un dans main gauche de l'autre. Ils dansent sur place. Le tempo est vif, le rythme moteur accordé au rythme musical. Il y a quelques exceptions à cette forme type : a) Au nord de Plusquellec et Callac les danseurs exécutent souvent toute la danse en ronde. Pendant la partie B les partenaires se tournent seulement de trois quarts l'un vers l'autre sans lâcher la main de leurs voisins. b) En pays de dans plin la disposition en cortège est fréquemment adoptée pour la partie A. Durant la partie B les partenaires se tiennent à deux mains face à face, ou se tournent seulement de trois quarts l'un vers l'autre, ne se donnant que la main intérieure.
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c) En pays de Châteauneuf-du-Faou la partie A se danse toujours en ronde, mais la partie B présente au moins trois variantes : — Elle est dansée par couples, les deux partenaires se tenant à deux mains face à face. — Elle est dansée par couples, les deux partenaires se tenant côte à côte, tournés vers le centre du grand cercle. — Elle est dansée en ronde, les deux partenaires se tournant faiblement l'un vers l'autre sans lâcher leurs autres voisins. 2. En pays d'en dro la partie A se danse en cortège. Chaque fille est à droite de son cavalier. Généralement elle lui donne le bras. Plus rarement les deux partenaires se tiennent comme les enfants dans leurs jeux de tresse : mains droites unies, mains gauches unies, bras entrecroisés devant. Le cortège se déplace à petits pas de marche réguliers (un pas par temps). Le trajet est circulaire. Le sens du parcours est celui de la montre. Pendant la partie B les deux danseurs de chaque couple se font face et se donnent les deux mains, main droite de l'un dans main gauche de l'autre. Toutefois, si les partenaires avaient dans le cortège la disposition des jeux de tresse, les bras demeurent croisés. Le pas s'exécute sur place (même tempo que pour la partie A). 3. En pays de Pontivy le bal ancien est en tous points semblable à celui du pays d'en dro. On doit seulement ajouter quelques variantes de forme. Elles tiennent à l'emploi facultatif de la ronde en place du cortège. Une même commune dispose parfois ainsi de plusieurs formes pour une même danse. A Naizin par exemple il nous en a été enseigné trois : 1. Toute la danse par couples. 2. Toute la danse en ronde. 3. Partie A en ronde, partie B par couples. Le pays de Pontivy fait ainsi transition entre le pays A'en dro et la Haute-Cornouaille. 4. En pays de Guémené nous n'avons pu savoir quelle forme avait la partie A du bal disparu. Un témoignage indirect recueilli à Ploërdut 1 apprend au moins que la partie B se dansait sur place, par couples, les deux partenaires se faisant face et se donnant les deux mains. Elle se terminait par un saut à pieds joints sur le dernier temps.
1. Mm» Le Nouveau.
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B. —
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L E PAS
Le pas que les danseurs exécutent sur place pendant la partie B a fondamentalement même formule d'appuis dans tout le domaine du bal ancien :
G
D
Le pied gauche prend appui à l'aplomb du corps durant deux temps (avec ou sans rebondissement du premier au deuxième) et la jambe droite balance, abandonnée à son poids. Puis le pied droit prend l'appui à l'assemblé et le garde deux temps, cependant que la jambe gauche balance à son tour. Et ainsi de suite. Cette structure sommaire de mouvement se prête à des dessins gestuels divers : i. En Morbihan nous avons relevé les variantes suivantes : a) Balancés croisés. La jambe libre balance dans le plan frontal, devant la jambe d'appui (la droite vers la gauche, la gauche vers la droite). b) Balancés latéraux non croisés. La jambe libre est lancée dans le plan frontal, mais vers l'extérieur, avec très peu d'ampleur (la gauche vers la gauche, la droite vers la droite). c) Balancés dans le plan sagittal. La jambe libre est lancée vers l'avant, ou repliée vers l'arrière. d) Balancés dissymétriques. La jambe gauche est lancée vers l'avant, la droite repliée en arrière. En outre, au lieu que le pied libre soit maintenu soulevé, il peut aussi se poser — sans appui — à un pas de distance (direction quelconque), sur la pointe ou le talon, au second temps de chaque mesure ou d'une mesure sur deux. D'où au total quantité de dessins possibles. Le balancé croisé des jambes s'accompagne d'une torsion du tronc, alternativement vers la gauche (deux temps) et vers la droite (deux temps). Les bras, enfin, suivent le mouvement. Ils portent les mains, levées à hauteur de buste, vers la gauche quand la jambe libre balance vers la gauche, et inversement. Les mouvements sont faits sans recherche de précision et de style dans le dessin. Le tempo est (comme dans la partie A) celui d'une marche tranquille. La danse est l'une des plus rudimentaires qu'on puisse concevoir, faite de la répétition monotone d'un même geste très fruste.
LE
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Dans la région de jeu s'y ajoutait surnombre avait le qui devait alors lui
417 de Vannes et la presqu'île de Rhuys, un élément facultativement. Un (parfois plusieurs) garçon en droit de frapper dans le dos d'un des danseurs, céder la place auprès de sa partenaire.
2. E n Haute-Cornouaille le pas est particulièrement remarquable par la multiplicité de ses variantes : a) Dans la plupart des cas il s'agit de (voir ci-dessus). Ils sont faits sans recherche exécutants s'abandonnent à ce balancement avant la seconde dans tro. Le dessin gestuel en pays fisel surtout, une grande diversité.
balancés croisés typiques de dessin et de style. Les où ils trouvent un repos n'en présente pas moins,
b) On voit aussi, surtout en pays fisel, les danseurs exécuter le pas à raison d'un appui par temps. La partie B consiste alors en sauts ininterrompus d'un pied sur l'autre, la jambe libre étant presque toujours repliée en arrière, talon en direction de la fesse. Dans ce cas comme dans le précédent les deux derniers temps de la partie B sont généralement marqués par deux vigoureux frappés ou par un saut vertical à pieds joints (prise d'élan au temps 15, retombée au temps 16). c) Enfin on observe par places des balancés dissymétriques. Chez beaucoup de danseurs ils sont semblables pour l'essentiel à ceux que nous avons rapportés en Morbihan. Il y a alternance régulière de l'appui, deux temps sur un pied, deux temps sur l'autre. L a dissymétrie est dans le mouvement de la jambe libre : une jambe est lancée (ou le pied posé sans appui) en avant, puis l'autre en arrière. Mais la dissymétrie peut aussi affecter l'appui lui-même : tout au long de la partie B un même pied supporte le poids du corps, sans jamais décoller du sol. L'autre se pose à un pas en avant au premier temps des mesures impaires, à un pas en arrière au premier temps des mesures paires. Cette dernière sorte de pas est commune en terroir de Châteauneufdu-Faou (Spézet, Saint-Goazec, Saint-Thois, Gouézec). Elle y présente plusieurs menues variantes liées aux variantes de la forme. Quand le bal est dansé entièrement en ronde, les danseurs de chaque couple élèvent les mains intérieures (droite du garçon, gauche de la fille) à hauteur d'épaules, et scandent la pulsation par un petit balancement des mains, dirigé alternativement vers le centre du cercle et en arrière. Comme on le verra, la tendance à l'extrême réduction des gestes, déjà manifeste dans ces bals du sud des Montagnes Noires, devait s'imposer à tout le domaine finistérien de la gavotte en ronde dans les dernières années de la tradition.
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Avant de quitter ces terroirs, disons que la « danse des pèlerins » et la « danse des bergers » de la célèbre Pastorale de Poullaouën1 n'étaient rien d'autre à l'origine que des variantes du bal. L'une d'elles a été perfectionnée par les sociétés folkloriques qui l'ont adoptée 2. La forme traditionnelle en était beaucoup plus sommaire 3. La partie B employait l'une des variantes de pas déjà décrites (sauts d'un pied sur l'autre, avec repliement de jambe libre en arrière, à raison d'un ou de deux temps par appui). Le nom de passepied (de Poullaouën) souvent conservé à cette danse est, on l'a vu, couramment (et improprement) donné au bal dans tout ce secteur. Tel est le plus ancien bal que connaisse la tradition bretonne. Il est remarquable par sa simplicité, par la variété dont ses mouvements sommaires se sont montrés susceptibles, par l'unité que le type conserve à travers un territoire considérable. Il semble, comme on va voir, qu'il ait autrefois été pratiqué dans un domaine beaucoup plus étendu encore. 3. Le plus ancien type de bal attesté en Basse-Cornouaille est connu par un texte de Bouët (1835) relatif à Kerfeunteun. Après avoir évoqué la gavotte, Bouët 4 caractérise ainsi le bal : « Le bal commence aussi par une ronde, mais d'un mouvement plus lent et plus solennel ; on se sépare ensuite par couple pour figurer l'un devant l'autre, et ce balancé se termine par un saut en guise d'entrechat qu'accompagne souvent le hourra breton». Le Gonidec, dans son dictionnaire (1821) donne une description très semblable, sans distinguer entre Haute et Basse-Cornouaille : « Bal. Danse. Ce mot ne s'emploie guère seul, mais on nomme Bal Gerné (bal de Cornouaille) une danse particulière aux Bretons, qui consiste à tourner d'abord en rond, en se tenant tous par la main, et à se séparer ensuite deux à deux, au refrain, pour sauter l'un devant l'autre. Quelquefois au lieu de tourner en se tenant tous par la main, on fait le rond en se tenant deux à deux par le bras, pour sauter l'un devant l'autre au refrain. » La forme est celle que nous connaissons aujourd'hui en HauteCornouaille. On doit seulement noter la possibilité de remplacer la ronde par le cortège. Il y a plus d'incertidude quant au pas de la partie B, mais quel qu'il soit il semble s'exécuter sans déplacement des partenaires. 1 . Sur cette tradition, voir C H O T Z E N Th.-M., « Une survivance des mystères en Bretagne. La pastorale de Poullaouën», Néophilologus, 1941, pp. 161-186. 2. G A L B R U N , Dse bret., p. 86. 3. Nous en devons la démonstration et le commentaire à A. Tilly, rapportant l'enseignement de son oncle, Jean-Louis Dubeau (1829-1893), directeur des pastorales. 4. Br.-Iz., p. 426.
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De tous les types de bal qui soient connus en Bretagne, dans le passé ou le présent, c'est le plus ancien bal du Vannetais et de la HauteCornouaille que ces deux textes évoquent à l'esprit plus qu'aucun autre. Contre toute attente quelques témoignages de vieux danseurs viennent encore, exceptionnellement, montrer que le bal ancien a eu cours au delà des limites dans lesquelles il est aujourd'hui connu. A Gouézec, Pleyben, Brasparts, chez quelques vieux informateurs ayant passé leur jeunesse en milieu rural isolé, nous avons retrouvé le souvenir d'un bal absolument semblable à celui qui se dansait autrefois à Vannes ou Carhaix. Plus incertain est le témoignage, uniquement verbal, d'une informatrice de Lanvéoc 1 (née en 1874). Elle nous décrivait le bal qu'elle avait vu disparaître en son adolescence comme la réplique des précédents en matière de forme. Elle ne pouvait montrer le pas de la partie B, mais affirmait qu'il se faisait sur place, sans trajet aucun. On le voit, la structure de la danse et la nature de ses mouvements, aussi bien que sa place dans la suite réglée, établissent l'unité du bal dans l'ensemble de son domaine vannetais et cornouaillais. Ceci pour le passé. Les changements survenus à des dates variables depuis le second tiers du xix e siècle ont en effet détruit cette unité ancienne. En Morbihan le vieux bal n'est plus qu'un souvenir de vieilles gens. Il demeure vivant dans la Haute-Cornouaille des Côtes-du-Nord, mais mêlé à des versions plus jeunes et plus flatteuses, qui le relèguent à un rang inférieur. Partout il faut le témoignage des informateurs les plus âgés pour connaître son importance passée. La majorité des danseurs actuels ignore sa valeur d'ancienne version type. Ils ont adopté depuis plus ou moins longtemps des formes nouvelles de bal, très différentes suivant les pays. Les unes, inspirées de modèles étrangers au terroir, ont été substituées à la vieille danse. D'autres sont nées de sa substance. Nous rendrons compte des unes et des autres, nous attachant surtout à mettre en lumière l'élaboration folklorique, souvent originale, qui a produit certaines d'entre elles.
II. — B A L E N L I G N E S DU V A N N E T A I S Cette forme de bal n'est pratiquée que dans le sud-est du Morbihan. Les danseurs sont répartis en petits groupes de quatre. D'où le nom de bal à quatre, souvent donné à la danse, et qui ne doit pas la faire confondre avec le « bal à quatre », tout différent, de Cornouaille. Aujourd'hui on admet quelquefois six danseurs. La forme la plus commune est : 1. Mm» Léostic.
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EN
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Partie A. Les quatre (ou six) danseurs de chaque groupe s'alignent côte à côte, garçons et filles alternés, et se donnent le bras. Toutes ces petites lignes droites sont disposées sur le terrain comme les rayons d'une grande roue — mais sans se réunir en un point central — et tournent en pas de marche, dans le sens de la montre. Partie B. Chaque ligne se ferme en une petite ronde. Dans le cas le plus général, le pas, exécuté sur place, est le balancé croisé de l'ancien bal à deux, avec ses menues variantes. Les plus jeunes danseurs ont vu employer aussi le pas de laridé (à six ou à huit temps) exécuté en tournant (Plumergat), ou de jibidi, sur place (Ploeren). Enfin le « bal à quatre » peut se danser par couples pendant la partie B, avec les mouvements du bal tournant qui sera décrit plus loin (Grandchamp, Plumergat). Le jeu du garçon en surnombre qui évince un cavalier pour prendre sa place, connu au stade antérieur du bal en cortège, s'est conservé dans le bal en ligne, surtout en presqu'île de Rhuys. La provenance du bal en ligne n'est pas douteuse : il vient d'au delà de la Vilaine. A mesure qu'on se déplace du nord-ouest au sud-est on le trouve de plus en plus ancien dans la tradition locale. A Pluvigner, Grandchamp, Plumergat, il n'est qu'une des formes possibles du bal, forme récente et non la plus ordinaire. De même dans l'ouest de la presqu'île de Rhuys, de vieilles gens le disent peu ou pas connu des générations précédentes. Il a plus d'importance et paraît pratiqué depuis plus longtemps au sud-est de Vannes et à la base de la presqu'île. Tout au long de l'axe Vannes-La Roche-Bernard-Nantes le bal est connu depuis longtemps dans des versions qui groupent les danseurs par quatre, au moins pour la partie B. Dans le dernier quart du xix e siècle, G. Blanchard 1 décrivait déjà comme ancienne une version guérandaise de ce type. Un roman régionaliste de 1836 dont l'action se situe en pays de Bourg-de-Batz à la fin du xvrn e siècle, fait en effet connaître sous le nom de bretonne une danse analogue, à deux et à quatre 2 . Les versions dont nous avons eu connaissance en pays de Vannes nous ont paru sommaires, fort peu définies et de mince intérêt. La date récente de l'emprunt suffirait à l'expliquer. Aux limites du pays bretonnant et gallo, l'apport guérandais, assimilé et refaçonné depuis plus longtemps, s'est plus heureusement combiné aux mouvements hérités de la tradition locale. Il en est quelquefois résulté des versions inédites et d'un réel agrément.
1. BLANCHARD G., De quelques usages anciens conservés au pays Nantes, Forest-Grimaud, 1879. 2. FOUINET, Village., p. 310.
guérandais
LE
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III. — L E B A L TOURNANT Le domaine principal de ce bal s'étend de l'ouest de Vannes à l'embouchure de la Laïta. C'est en bordure de mer (jusqu'à la route AurayHennebont) qu'il paraît le plus anciennement connu. Son importance diminue à mesure qu'on gagne vers le nord. Le terroir voisin de la Basse-Cornouaille entre Laïta et Scorff (Rédené, Guidel, Plœmeur) l'a conservé jusqu'à la fin de la tradition comme second et dernier terme de sa suite réglée. Mais autour d'Hennebont sa disparition était prévisible à bref délai. Les dernières générations à Inzinzac le dansaient encore quelques minutes « parce que c'était l'usage pour finir ». A Brandérion des danseurs d'âge moyen l'ignorent totalement. La danse est très simple : pendant la partie A, la disposition des couples (cortège) et leur déplacement sont les mêmes que dans le bal ancien. Pendant la partie B, les deux partenaires se tiennent comme pour valser et tournent sur place (sens de la montre) en petits pas de course, plus rarement en petits changements de pas. Assez souvent un élément de jeu (facultatif) s'ajoute à la danse. Par exemple les couples se défont à la fin de chaque partie B, chacun s'emparant d'un nouveau partenaire (Grandchamp, Ploeren). Il peut y avoir un homme en surnombre, et celui qui ne trouve pas de danseuse danse avec un balai (Kervignac). Ou encore plusieurs garçons sont sans danseuses. Les couples ne se défont que lorsqu'un de ces isolés frappe dans le dos d'un cavalier : celui-ci doit alors céder sa place (QuiberonLocmariaquer). ** *
Rien que de banal en tout ceci. Les seules versions originales s'observent dans la zone de rencontre des influences de Vannes et d'Auray. Elles résultent d'une contamination du bal en ligne par le bal tournant. La partie A comporte les mouvements du bal en ligne (marche par petites lignes de quatre, parfois de six), la partie B ceux du bal tournant (tournant sur place par couple), ce qui permet diverses variantes. Nous avons relevé les suivantes : a) Tournant continu (les deux phrases B) avec son propre partenaire. b) Tournant avec son propre partenaire pendant une phrase (Bi), avec le partenaire de l'autre couple pendant la seconde phrase (B2).
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e) Quand la ligne est de six danseurs, chaque garçon peut progresser d'une place dans la ligne à la fin de chaque partie B, de façon que soit réalisée une permutation continue des partenaires. d) Un garçon en surnombre peut s'ajouter à la ligne, qui groupe alors cinq (ou sept) personnes. Une lutte de vitesse s'engage au début de chaque partie B entre les trois (ou quatre) cavaliers se disputant les deux (ou trois) filles. ** *
Nous ignorons comment le bal tournant a commencé en Vannetais. Il est peu vraisemblable qu'il soit dérivé du bal ancien. Plus probablement il lui a été substitué. Tout indique une histoire récente : l'allure très moderne de la danse; sa localisation dans une zone maritime dont Lorient et Auray paraissent avoir été les principaux centres; le fait encore qu'on le retrouve en pays gallo (région de Saint-Brieuc, région de Rochefort-en-Terre, Merdrignac), ainsi qu'en d'autres points de BasseBretagne (région de Gourin, presqu'île de Crozon, ça et là en Trégor) où il n'est connu que de fraîche date 1 . Enfin, aussi bien en Vannetais qu'en Trégor les danseurs ont connu une autre danse, assurément moderne, le tourbillon, qui ne diffère du bal tournant que par la partie A (ronde). Il est extrêmement probable que les deux danses ont quelque rapport à l'origine.
IV. — BALS P O N T I V Y E N S
E n pays de Pontivy le bal ancien conserve quelques adeptes parmi les vieilles gens, surtout dans des localités périphériques, mais la majorité des danseurs pratique depuis longtemps une danse aux mouvements beaucoup moins simples. Les changements ont peu affecté la forme. La plus commune est encore celle de la version-type antérieure (A. Ronde. B. Danse par couple). Sont seulement à signaler quelques variantes de forme nées en notre siècle, qui sont employées facultativement : L'une, observée à Kergrist, Saint-Gérand, Noyal-Pontivy, tient à ce qu'à la fin du cortège marché, un roupie sur deux se retourne pour i . V o i r aussi HERRIEU, En dro., p. 257.
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faire face au couple qui le suit. Les quatre danseurs forment alors une petite ronde, et la partie B est dansée dans cette disposition. Une autre variante (Saint-Thuriau, Naizin, Noyai) s'exécute entièrement en ronde. Le pas seulement distingue la partie A de la partie B. La vraie nouveauté dans les bals pontivyens actuels réside dans les gestes exécutés pendant la partie B : pas et mouvements de bras. Aux balancés croisés du vieux bal les danseurs ont substitué le pas en vogue : celui du laridé-gavotte parvenu au terme de son évolution. Nous avons analysé dans un précédent chapitre (cf. p. 205) ce pas vibré en deux temps. On le retrouve, avec ses multiples variantes, dans le bal. Un mouvement de bras l'accompagne, qui, suivant les danseurs, est de deux types différents. Nous en donnerons une idée sommaire, en supposant les exécutants disposés en ronde, tous se donnant les mains : a) Chez certains le mouvement de bras dure les deux temps du pas. Il a quelque ressemblance avec celui que l'on fait pour actionner une corde à sauter individuelle. Les deux mains, levées à hauteur d'épaules, tournent à la fois, chacune dans un plan vertical orienté suivant le rayon de la ronde. Elles décrivent un petit cercle (départ vers le haut et l'avant). Il y a une impulsion vive au début de chaque temps 1, un bref arrêt à bout de course à la fin de chaque temps 2. Le mouvement intéresse le poignet et l'avant-bras plus que l'épaule. b) D'autres danseurs ont un balancement de bras en quatre temps (un balancement pour deux pas vibrés) apparenté à celui des laridés du sud : Au départ les bras sont un peu fléchis, les mains à peu près à hauteur de taille. Au premier temps les bras pivotent vers l'avant autour de l'épaule, élevant les mains à hauteur de poitrine. Les mains redescendent de quelques centimètres au temps 2 ; le geste sert à la fois d'achèvement au temps 1 et de prise d'élan pour 3. Au temps 3 les mains, comme lancées, remontent et décrivent une boucle circulaire (geste d'accrocher un vêtement à une patère) avant de redescendre rapidement (4) jusqu'à leur position de départ. Les temps 3 et 4 se lient en une seule courbe continue. Les impulsions majeures sont au début des temps 1 et 3. Quand la partie B est dansée par couple (partenaires face à face, main droite de l'un dans main gauche de l'autre) les mêmes mouvements s'exécutent dans le plan frontal (les danseurs dirigent vers leur plan de symétrie le geste qui en ronde est dirigé vers le centre du cercle) et avec extrêmement peu d'ampleur. Très souvent ils sont faits d'un seul côté (main droite du garçon). Les autres mains sont inertes. C'est le maximum de spécialisation : au pas dissymétrique correspond un geste de bras dissymétrique. Le tout s'exécute sur un tempo vif (J = 180-190).
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** *
Il faut signaler ici qu'on connaît jusqu'en pays de Maël-Carhaix un pas de bal construit suivant des formules telles que :
1 G--*"—«G D
D
Ce pas claudicant a la plus grande analogie avec les pas vibrés pontivyens. Son aire de diffusion est continue du "terroir de Pontivy au terroir fisel. Nous ne lui connaissons aucun passé en Haute-Cornouaille. En pays de Pontivy au contraire on retrouve toutes les étapes de son élaboration. Tout indique qu'il est né de l'imitation du bal pontivyen rénové. Les femmes le font très menu, gardant les pieds proches l'un de l'autre et à toucher le sol. Quant aux hommes, ils lancent le pied libre très vivement au temps i, en le croisant devant l'appui. Ils le ramènent aussitôt à l'assemblé pour prendre l'appui du temps 2. C'est seulement en pays kosfer hoed que nous avons vu des hommes conserver ce pas tout au long de la partie B. Les danseurs du pays fisel ne l'emploient qu'en combinaison avec d'autres. On verra plus loin le parti qu'ils en ont tiré. ** *
Certains danseurs en pays de Pontivy réservent le nom de tamm kerh (un peu d'avoine) à un bal également récent, mais d'une autre sorte. Il se danse entièrement en ronde. Elle tourne en pas de marche pendant la partie A. Elle s'immobilise pendant la partie B. Les danseurs sautent alors sur un pied (généralement quatre temps, à raison d'un saut par temps) puis sur l'autre (id.) alternativement, en levant devant eux la jambe libre, fléchie ou demi-tendue. Le dessin des mouvements n'est nullement défini. La forme et le pas, 1 réputation de nouveauté de la danse, le fait qu'elle compte parmi ses chansons d'accompagnement l'air « C'est la fille de la meunière », font penser qu'elle pourrait n'être qu'un avatar de la gigue ongigouillette connue dans toute la France. Elle a par ailleurs beaucoup de ressemblance avec le petistoup de Cornouaille. A Bieuzy, Guern, Malguénac, Cléguérec, Remungol, les derniers danseurs traditionnels ont parfois substitué ce tamm kerh nouveau, complété d'un mouvement de bras variable, au bal en cortège.
LE
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V. — BALS D U P A Y S
FISEL
L'histoire du bal en pays de Maël-Carhaix est particulièrement instructive. L a forme générale reste celle du bal ancien. Mais habituellement, quand la partie B fait succéder à la ronde une disposition par couples dansant sur place (chacun donne les deux mains à son partenaire et tourne le dos à son autre voisin) on observe d'un danseur à l'autre des pas très divers. Certains sont ceux du vieux bal (départ indifféremment sur le droit ou le gauche). Beaucoup d'autres — dont ceux qui dominent aujourd'hui — sont nettement plus complexes. Ils sont issus des pas connus au stade antérieur, au prix d'une élaboration folklorique originale où l'on peut distinguer deux grandes étapes : a) A l'origine des remaniements il paraît y avoir le besoin, généralement ressenti par les danseurs, d'affirmer la conclusion de la partie B. Dans le bal ancien c'est un saut à pieds joints, ou deux frappés énergiques, qui aux temps 15-16 ponctuent le déroulement monotone des balancés croisés. Certains danseurs, à qui cet accent final ne suffit pas, soulignent plus explicitement la conclusion de la partie B , en donnant à ses quatre derniers temps des mouvements qui leur sont propres. E n pays fisel, la variante la plus simple à ce stade d'évolution comporte aux temps 13 à 16 trois sauts d'un pied sur l'autre avec repliement arrière de la jambe libre, suivis d'un assemblé au dernier temps : Balancés 'l
2
J-J
G D
3
4
11
-Kl
12
1
formule finale 15 16 14
13
J» J»
D
tic. tic
D
G'
G
tic
G
Dr—G
t>'
P
J
G-~sG+D
Beaucoup d'hommes y ajoutent au temps 15 une broderie de la jambe libre : au lieu de la replier simplement en arrière (ce qu'ils font en 13 et 14), ils font battre deux fois la fesse par le talon, avant de poser le pied à terre au temps 16, à l'assemblé de l'autre. Le rythme du mouvement devient : 11
12
13
•
D'
15
16
•F3 J
—N G'
D G
14
NG-
G
+D
> D
+G
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Il y a là composition de deux habitudes motrices également familières au danseur. On reconnaît d'une part un geste caractéristique des fins de phrases de la dans tro (gavotte en ronde). Mais d'autre part l'habitude enracinée de conclure le bal par la pose des deux pieds a obligé à contenir dans le seul avant-dernier temps le double battement de jambe libre qui, dans la ronde, se répartit sur les deux derniers. Il ponctue les deux moitiés d'un temps au lieu de deux temps successifs. *
*
*
b) En pays fisel, et là seulement, l'évolution ainsi amorcée s'est poursuivie jusqu'à produire une danse d'un type vraiment nouveau. Les matériaux de base ont été les pas très frustes mais très divers que nous avons recensés en ce terroir : sauts alternés, et balancés de toutes sortes du bal ancien; pas claudicants d'origine pontivyenne; à quoi il faut ajouter quelques gestes empruntés à la dans tro. L'élaboration a consisté dans la synthèse de ces constituants, accompagnée de leur remodelage. Partant de pas courts en deux temps, elle devait aboutir à un pas composé en huit temps, complexe et fort original. La dans tro n'a pas fourni seulement des éléments à la synthèse. Les remanieurs lui doivent le sentiment, très fort chez tous, de la phrase où les composants multiples se sont agencés. La synthèse a progressé par tâtonnements multiples, mettant au jour des combinaisons d'inégal intérêt et d'inégale difficulté, dont l'une, ressentie comme plus satisfaisante, devait finalement se dégager et dominer. Le principe de la combinaison est immuable : deux motifs de deux temps placés en tête de la phrase (1-2 et 3-4) sont équilibrés par un groupement de quatre temps (5 à 8). Mais le choix des éléments diffère d'un danseur à l'autre. D'où la pluralité des versions. 1. Certaines placent en tête de chaque phrase deux balancés-croisés. La seconde moitié de la phrase comporte trois sauts d'un pied sur l'autre, ou reproduit les temps 5 à 8 de la dans tro, remaniés comme nous l'avons dit ci-dessus :
D
4
5
6
J>>
-G-—-D
—•
G
3
00
1 2 J-J J-J
P3 J
G 1_+D
Les deux balancés croisés sont parfois symétriques (la jambe droite balance devant la gauche en 1-2, la gauche devant la droite en 3-4), parfois dissymétriques (la jambe droite est lancée vers l'avant en 1-2, la
LE
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gauche vers l'arrière en 3-4). Comme on l'a vu à plusieurs reprises, les deux dessins sont familiers déjà aux danseurs du vieux bal. En définitive tous ces mouvements sont hérités de la tradition locale. Leur ordonnance, seule, est nouvelle. 2. D'autres versions, en place de balancés-croisés, mettent en tête de phrase deux pas claudicants de type pontivyen. C'est dans la danse féminine, au dessin gestuel très dépouillé, qu'il est le plus facile de les reconnaître. Voici une de ces variantes féminines, observée à Glomel.
j>> G--"'-G
n D
n
j>» G-—>G D
6 . h J — J
J D
Au départ l'appui est sur le seul pied droit. Le gauche est à son contact, à peine soulevé. Au début du temps 1 la danseuse fait passer l'appui sur le gauche qu'elle pose à l'assemblé, tandis qu'elle soulève l'autre presque imperceptiblement. Elle rebondit légèrement, retombe (première moitié du temps 2) sur ce même pied gauche, reposé à la même place, puis fait aussitôt passer l'appui sur le droit posé à l'assemblé (seconde moitié du temps 2), tandis que le gauche se soulève sur place. Les mêmes mouvements se répètent aux temps 3 et 4. Au temps j la danseuse pose le pied gauche, qui garde l'appui jusqu'en 7 inclus. En 6 et 7 le pied droit frappe le sol à l'assemblé, se relevant auprès chaque percussion. En 8 enfin il prend l'appui tandis que le gauche se soulève. Plusieurs versions masculines ont cette même construction et ne diffèrent entre elles que par des particularités secondaires. L'une d'elles l'emporte aujourd'hui en prestige et se retrouve à peu près sans changement dans toute l'étendue du pays fisel. Elle représente le terme de l'évolution :
1
Jl f n G, vG D 011 D,-—->D G
J u H f Jif J U R J G,-—xG D--—-G. G__+D D' «D G' nD--—NG- * D _ 4 G
L'analyse sera faite suivant la première des deux successions d'appuis (l'autre en est la réplique inversée). Pour les deux motifs initiaux, l'alternance des appuis est exactement celle que nous venons de détailler dans une version féminine. Mais le dessin gestuel est différent. Le mouvement de la jambe libre établit une opposition entre les deux motifs. Au temps 1, en même temps qu'il prend l'appui sur le pied gauche, le danseur lance la jambe droite croisée
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devant l'appui. C'est vers l'arrière et la gauche qu'il la lance au temps 3. On reconnaît la dissymétrie que nous avons signalée à plusieurs reprises dans les pas simples. Dans l'un et l'autre lancés le mouvement a la rapidité et la précision d'un déclic. Chez les meilleurs danseurs il est très peu ample : le pied droit s'élève à peine au-dessus du sol; il ne dépasse guère vers l'avant la base du tibia gauche en 1-2; il effleure la base du mollet en 3-4. Le mouvement est vif mais contenu, le pied aussitôt ramené à l'assemblé. On passe du temps 2 au temps 3 sans rebondissement. Au contraire c'est en rebondissant d'un pied sur l'autre que le danseur prend l'appui du temps 5, comme ceux des temps 6 et 7 (ce dernier se maintenant jusqu'à la fin de 8). Chaque fois la jambe libre est repliée en arrière. Au temps 7 le talon droit frappe deux fois la fesse. Enfin en 8 le pied droit se pose à l'assemblé. A la fin de la tradition cette version s'imposait de plus en plus dans les concours, ce qui a dû contribuer à la définition rigoureuse de ses mouvements. La justesse de sa construction, la vivacité et la précision de son interprétation, lui confèrent une réelle qualité. A tous ces titres elle mérite d'être tenue pour la version-type en voie d'adoption dans le pays fisel.
VI. — AUTRES BALS E N
HAUTE-CORNOUAILLE
Dans les autres régions de Haute-Cornouaille, les versions nouvelles sont nées le plus souvent de la substitution aux pas du vieux bal, de pas un peu moins simples, empruntés à d'autres danses. La nature du pas emprunté change suivant les terroirs. a) En pays de dans tro plin le pas caractéristique de la ronde locale (pas composé en quatre temps. Cf. ci-dessus, p. 369) est très souvent substitué aux balancés croisés. Certains couples le font absolument sur place (les partenaires sont côte à côte et se donnent la main intérieure; ou face à face et ils se donnent les deux mains). D'autres effectuent un tour complet sur eux-mêmes (mêmes façons de se tenir) dans la durée de la partie B. (Pour les dispositions d'ensemble, voir ci dessus p. 414). b) Dans les terroirs finistériens situés à l'ouest de la route CarhaixBolazec et au nord de la route Carhaix-Châteauneuf (pays de gavotte en ronde), le bal « tamm krei% » en usage vers 1914 comportait en A une ronde générale marchée (comme dans la version-type ancienne), en B un déplacement des danseurs (et non plus des pas exécutés sur place). A la fin de la partie A, chacun se tourne face à son partenaire et lui donne les deux mains (droite de l'un dans gauche de l'autre), tournant le dos à l'autre voisin.
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Les couples se meuvent sur la circonférence du grand cercle, alternativement en sens inverse de la montre (temps 1 à 4 de chaque phrase B. La fille recule, le garçon avance) puis en sens de la montre (5 à 8. Le garçon recule, la fille avance). La formule d'appuis la plus commune est :
I
J G-'—O-
>G » en va-et-vient pratiqué au début de ce siècle en Haute-Cornouaille occidentale (ci-dessus p. 428). Le souvenir en demeure vif. Ailleurs ce type de danse est presque entièrement oublié. De rares informateurs, exceptionnellement âgés (nés vers 1870 au plus tard) nous l'ont pourtant évoqué en quelques localités du pays de Châteaulin et du nord de l'Aulne. Suivant les lieux, la partie A (marche lente et irrégulière) se dansait en ronde (Brasparts, Vieux-Quimerc'h) ou en cortège (Ploëven, Châteaulin). Mais la partie B était partout dansée suivant la forme et avec les mouvements du tamm kreiz en va-et-vient décrit plus haut. La durée de la partie B n'est connue avec certitude que pour la région de Brasparts, où elle est de deux phrases de huit temps. 2. Les partenaires sont côte à côte. Ils se déplacent parallèlement. Le vaet-vient se fait suivant les rayons d'un grand cercle Les rondes construites sur ce modèle sont, suivant les lieux et les gens, appelées bals ou jabadaos. Nous devrons revenir à plusieurs reprises sur la difficulté de séparer les deux danses. Les versions du nord de l'Aulne 1 . L a seule allusion que nous connaissions à ces formes anciennes a été faite par (Et. techn., 15-2-1936) : « Autrefois, aussi bien à Pont-Aven qu'à Quimper, Châteaulin et dans la montagne, le bal se composait d'un simple mouvement de danse semi-circulaire « on tournait et on détournait » sans arrêt ou bien au contraire c'était une simple marche à deux légèrement rythmée, allant vers la droite et vers la gauche ». L E DOARÉ,
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ont ce trait fondamental des bals cornouaillais qu'est la dualité de tempos et de pas : A calme, en pas de marche; B (deux phrases de huit temps) vif, en pas de quatre rebondissant. Dans la plupart des cas toute la danse se fait en ronde. En B les danseurs, sans lâcher la main de leurs voisins, avancent tous ensemble vers le centre (quatre temps) et reculent (quatre temps). Nous avons recueilli à Irvillac le souvenir d'une version plus ancienne, où la ronde (disposition adoptée pour la partie A) se fragmentait pour les va-et-vient de la partie B. Au premier temps de la partie B les deux partenaires de chaque couple se disposaient face à face et se donnaient les deux mains, chacun tournant le dos à son autre voisin. Ils progressaient ensuite vers l'intérieur du cercle, tout en pivotant chacun d'un quart de tour sur soi-même (fille en sens de la montre, garçon en sens inverse), en sorte qu'ils étaient côte à côte en arrivant au centre au quatrième temps. Ils revenaient progressivement face à face en faisant le trajet inverse, centrifuge (5 à 8). Une danse absolument semblable — à cela près que nous n'avons de certitude ni sur la dualité de tempo ni sur la durée de la partie B — nous a été enseignée en trois localités bigoudènes (Plomeur, Tréguennec, et Guilvinec). 3. Les partenaires sont côte à côte. Ils se déplacent parallèlement. Le vaet-vient se jait suivant l'axe d'un cortège Cette danse en cortège domine dans le Finistère méridional, et particulièrement dans le terroir de l'Aven. La partie B montre deux variantes : a) Les deux danseurs ne se déplacent qu'en avançant (pas de quatre ou gavotte). Généralement ils font leur premier trajet à contre-courant du cortège, fille à gauche du garçon, le second dans le sens du cortège, fille à droite du garçon, et ainsi de suite, chacun faisant volte-face sur lui-même à la fin de chaque trajet de quatre temps. b) Les deux danseurs font constamment face à la tête du cortège. Alternativement ils avancent (quatre temps) et reculent (quatre temps). Ils se donnent les deux mains, comme dans toutes les autres versions. Parfois le garçon replie derrière son dos sa main droite, tenant la main gauche de la danseuse. Ce va-et-vient simple en cortège nous a été enseigné à Pont-Aven, Névez, Nizon, Riec, Mellac, Quimperlé, Bannalec, Coray. Des informateurs nés avant 1870 n'ont connu que lui dans leur adolescence. Plusieurs autres, nés entre 1875 et 1890, ont entendu porter ce même témoignage par leurs aînés. Il est certain que cette forme très simple est en ce secteur la plus ancienne encore connue. Notre plus vieil infor-
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mateur à Coray 1 soulignait lui-même l'étroite parenté de cette danse avec le va-et-vient en cercle qui, au début du siècle, caractérisait le tamm krei% de Haute-Cornouaille occidentale. 4. Les partenaires se jont jace. Les couples (leur disposition générale est variable) dansent sur place. Ils jont des demi-tours alternativement dans un sens et dans Vautre Certaines des danses appelées bals en pays de Fouesnant sont de cette sorte. La partie A est un cortège ou une ronde. La partie B se danse par couples avec la tenue (à deux mains, face à face) qui vient d'être dite. Le tempo est celui d'une marche ou d'une course modérée. Chaque trajet semi-circulaire (le premier en sens de la montre) dure quatre temps et se fait suivant la formule d'appuis d'un pas de quatre. Il y a quelques indices qu'une danse du même genre ait été connue autrefois à Trégourez. Enfin, avec une partie A en ronde et pas de gavotte, et sous le nom de jabadao, elle a été très commune dans le canton de Pont-L'Abbé. Nous l'avons suivie jusque vers Plomelin et PlonéourLanvern au nord.
B. —
VA-ET-VIENT AVEC TOUR FINAL
Dans un second type de versions anciennes, la partie B, également faite de trajets contrastés, s'achève par un tour complet que chaque couple effectue sur place, en quatre ou huit temps. Les partenaires se donnent les deux mains (droite de l'un dans gauche de l'autre). Les vaet-vient se font comme dans le type précédent et montrent même diversité. En sorte qu'à chaque forme du premier type correspond aux mêmes lieux une forme du second type à peine moins élémentaire. Toutefois les bals du nord de l'Aulne, à trajets dirigés suivant les rayons, font exception : ils sont toujours du premier type (va-et-vient simples). Au total donc, trois formes à signaler : 1. Partenaires disposés jace à jace. L'un recule quand l'autre avance. Vaet-vient suivant la circonjérence d'un grand cercle avec tour complet jinal A Lothey et Gourin nous avons recueilli le souvenir d'un bal ainsi construit. La partie A était une ronde. La danse ne différait du tamm krei£ en va-et-vient de Haute-Cornouaille occidentale que par le tour complet qui achève la partie B. 1. V. Gestin.
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Plus au sud le cortège (A) paraît l'emporter sur la ronde. La version quimpéroise de D u Laurens .de la Barre est de cette sorte. 2. Partenaires disposés côte à côte. Ils se déplacent parallèlement. Va-etvient suivant l'axe d'un cortège, avec tour complet jinal C'est une forme du Finistère méridional. Nous l'avons recueillie dans une douzaine de communes, réparties sur le pays de Rosporden, Scaër, Quimperlé, avec les deux mêmes variantes déjà décrites pour le type plus simple. Dans la plupart des démonstrations la partie B a quatre phrases de huit temps : trois pour les va-et-vient, une pour le tour de mains. Exceptionnellement, à Kéroren (en Névez), à Edern et Gourin, nous avons vu ne donner à la partie B que deux phrases en tout. 3. Partenaires disposés face à jace. Demi-tours alternés sur place et tour complet final Cette forme nous a été signalée à Trégunc, Rosporden, Coray, Elliant, Querrien. Le second type de bals (trajets contrastés et tour final) s'est répandu moins largement que le premier (trajets contrastés simples). Il n'a pénétré ni la Cornouaille montagneuse, ni le nord de l'Aulne. E n Finistère méridional en revanche, il a été adopté jusqu'aux approches du Morbihan. Pour beaucoup de vieilles gens il est le plus ancien état connu. On a vu qu'en fait, quelques-uns, parmi les plus âgés, se souviennent d'un état plus ancien et plus simple encore. ** *
E n résumé, la Basse-Cornouaille a abandonné de bonne heure le très simple bal en appuis alternés autrefois commun à toute la Bretagne méridionale. Des trajets se sont substitués aux pas exécutés sur place. Le bal s'est mué de danse de geste en danse de figure. Cette métamorphose s'est effectuée par étapes. Là où nous disposons de témoignages oraux, ils montrent le remplacement d'une première forme très élémentaire de trajets (va-et-vient simples) par une autre qui l'est un peu moins (va-et-vient avec tour final). O n ne doit pas forcément en conclure à une différence d'âge de ces deux structures. Un texte que nous rapporterons au chapitre jabadao laisse croire qu'elles pourraient être deux degrés de simplification d'un modèle citadin, et avoir coexisté dès l'origine dans le terroir emprunteur. Ce qui est sûr c'est qu'elles se sont répandues et imposées dans l'ordre de leur complexité croissante. A chaque étape plusieurs possi-
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bilités ont été expérimentées, en sorte qu'il y a eu diversification à l'intérieur des types en même temps que promotion du type le plus simple au type supérieur. Un peu avant la fin du xix e siècle, le jabadao devait remplacer et éliminer en pays de Quimper-Châteaulin le bal parvenu à ce stade. Mais l'évolution arrêtée en ces pays devait, comme on va voir, se poursuivre en Finistère méridional dans le pays de l'Aven, auquel la région quimpéroise cessait désormais de donner le ton. Le bal de Basse-Cornouaille devait finalement y trouver sa forme la plus achevée et la plus parfaite.
VIII. — BALS DU F I N I S T È R E MÉRIDIONAL
A l'époque la plus ancienne que les témoignages oraux permettent d'atteindre, le bal est en Cornouaille méridionale une danse en recul. Le trait marqué Fai sur la carte VII limite approximativement (et sans distinguer entre les versions ni même entre les formes générales) le territoire qu'il occupe encore. Deux poussées venues de l'est et de l'ouest tendent à réduire son domaine. A l'est c'est le Faouët qui propage une suite nouvelle de danses, composée d'une gavotte et d'une « contredanse » pour quatre exécutants. Cette mode s'impose déjà jusqu'à Guiscriff et Saint-Thurien inclus. A l'ouest c'est Quimper qui propage sa suite gavotte-jabadao. Elle est adoptée déjà jusqu'à Trégourez inclusivement. On peut prévoir le temps où les deux courants se rejoindront, isolant la Montagne Noire fidèle à la vieille suite tripartie gavottebal-gavotte, des pays de Rosporden et Quimperlé où se conserve la suite bipartie gavotte-bal. En fait c'est autre chose qui va se produire. Aux derniers temps de la tradition (entre 1920 et 1930 pour ces régions) non seulement le bal à deux n'a pas reculé davantage, mais encore il s'est répandu hors de ses frontières antérieures, vers l'est, vers le nord, et à un moindre degré vers l'ouest. Le trait marqué Fa2 sur la carte englobe les communes où nous avons constaté qu'il était connu au moins de la toute dernière génération de danseurs traditionnels (ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'il ait joué un rôle important). Beaucoup de nos informateurs appelaient cette danse bal mod Skaer (à la mode de Scaër). La position géographique de cette commune, la réputation de ses danseurs, rendent vraisemblable qu'elle ait joué ce rôle de centre de diffusion. On notera que Le Faouët, redevenu pays de bal, diffuse maintenant la mode de Scaër en direction de Plouray et Kernascléden.
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Il y a une raison à ce retournement singulier : la danse qui élargit son domaine dans le premier quart du xx e siècle n'est plus celle qui perdait partout du terrain à-la fin du précédent. Contrairement en effet à une opinion commune, les versions de bal à deux dansées dans l'Aven vers 1920 ne représentent nullement la tradition ancienne de ce terroir. Elles ne datent que des dernières années du xix e siècle. Elles résultent d'un remaniement des versions plus simples que nous avons analysées ci-dessus, lesquelles avaient cours jusque-là dans le Finistère méridional comme dans la plus grande partie de la Basse-Cornouaille. *
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Très généralement les bals du Finistère méridional ont la dualité de tempo et de pas qui est de règle en Cornouaille. C'est seulement en pays de Fouesnant que nous avons vu quelquefois danser toute la danse en pas de gajfotte et sur un même tempo. Plus habituellement la partie A est marchée lentement, sans souci du rythme, d'ailleurs très libre, de la musique; la partie B est dansée sur un tempo plus vif en stricte dépendance de l'accompagnement musical. La partie A est presque partout un cortège. Les deux partenaires de chaque couple (fille à droite du garçon. Le plus souvent le garçon est à l'extérieur et le cortège tourne en sens de la montre) se donnent la main intérieure, ou seulement le petit doigt. En pays de Fouesnant les deux formes autrefois équivalentes, ronde et cortège, se sont conservées concurremment. Ou bien les danseurs choisissent l'une des deux formes. Ou bien ils associent les deux, donnant au bal deux figures successives. C'est la partie B qui distingue de tous autres les bals du Finistère méridional. Son trait fondamental est d'être faite de quatre phrases de huit temps. Le passage de la structure en deux phrases B (cas général des bals) à la structure en quatre phrases B (bals de l'Aven) a rendu possible et probablement même suscité l'élaboration des versions modernes de ce terroir. Ces versions en effet ne se caractérisent pas par l'invention de pas ou de figures nouveaux. Elles utilisent, soit le pas de gavotte, soit le pas très simple des bals de l'époque précédente (formule d'appuis d'un pas de quatre). Pour la figure elles utilisent les trajets dont ils usaient déjà : vaet-vient rectilignes, demi-tours sur place dans un sens et dans l'autre, tour complet du couple sur lui-même. Mais les dimensions plus grandes de la partie B permettent maintenant d'employer simultanément plusieurs ou même tous ces éléments, et de les agencer suivant des combinaisons inédites. Nous ignorons combien les danseurs traditionnels ont réalisé des combinaisons possibles. Parmi les premières formées, plusieurs proba-
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blement ont disparu sans laisser de traces, faute d'avoir été adoptées par un public suffisant. Nous ne recueillons aujourd'hui que celles qui ont connu un succès durable. Elles se répartissent en trois types. *
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a) Dans un premier type, trajets rectilignes et semi-circulaires alternent régulièrement dans les trois premières phrases B. Nous n'avons eu de démonstrations très précises de telles versions qu'à Scaër et Rosporden. Les deux témoignages concordaient parfaitement. Une description de Pleuven paraît se rapporter à la même danse. Ce bal peut s'exécuter avec l'une ou l'autre des tenues que nous avons indiquées en ces terroirs aux stades antérieurs de la danse : 1. Les deux danseurs peuvent être côte à côte, fille à droite du garçon, tous deux faisant face à la tête du cortège. Le garçon a le bras droit replié dans son propre dos, tenant la main gauche de la fille; les mains extérieures sont unies et levées à hauteur des poitrines. Le couple maintient cette cohésion tout au long de la partie B. Il avance d'abord droit devant lui (phrase B i, temps i à 4), fait sur place un demi-tour en sens inverse de la montre (à reculons pour le garçon. Phrase B i , temps 5 à 8) qui lui fait tourner le dos à la direction du cortège, refait en sens inveise le chemin rectiligne qu'il vient de parcourir (B2, temps 1 à 4), tourne, comme précédemment en sens inverse de la montre (B2, temps 5 à 8), K " " r t d^ns le premier sens (B3, 1 à 4), tourne encore une fois (B3, 5 à 8) . _,ctue sur place, et cette fois dans le sens de la montre, un tournant continu d'un tour et demi, qui dure toute la quatrième phrase B, et remet les danseurs face à la direction de marche du cortège. 2. A Rosporden la même version nous a été enseignée (un seul informateur) avec tenue à deux mains plus libre. Le premier trajet rectiligne se faisait alors vers la droite du garçon, en sens inverse du cortège. Le cavalier avait ainsi sa partenaire à sa gauche pendant toute la partie B. Il la replaçait à sa droite en achevant le tour complet final. b) Dans un second type de versions, les trajets semi-circulaires sont groupés dans les phrases Bi et B3, les rectilignes dans les phrases B2 et B4. Chaque phrase est faite d'évolutions égales et inverses. Ce type paraît avoir dominé dans la région la plus méridionale. 1. A Clohars-Carnoët, Pont-Aven, Saint-Philibert, Pleuven, Fouesnant, nous avons observé la version suivante : Toute la danse en cortège. Pour la partie B les deux partenaires de chaque couple se font face et se donnent les deux mains. Phrase B 1 :
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deux demi-tours sur place, le premier (temps i à 4) en sens de la montre, le second (5 à 8) en sens inverse. Phrase B2 : aller dans le sens inverse du cortège (1 à 4. Fille à gauche du garçon) et revenir (5 à 8. Fille à droite du garçon) après volte-face individuelle. Les phrases B3 et B4 sont respectivement la réplique de Bx et B2. Un danseur de Pont-Aven 1 nous faisait remarquer la commodité de cet agencement qui termine la danse par un trajet rectiligne dans le sens du cortège, permettant de lier sans discontinuité la partie B à la partie A suivante. 2. En pays de Fouesnant la même danse peut se faire avec partie A en ronde, souvent à quatre danseurs seulement. Pendant la partie B, les deux partenaires se font face et se donnent les deux mains. Les trajets rectilignes des phrases paires se font suivant les rayons du cercle (1 à 4 : centripète, 5 à 8 : centrifuge. Changements de direction par volte-face individuelles). Chaque danseur peut garder la même partenaire. Mais on connaît également une variante dans laquelle chacun, après avoir dansé les deux premières phrases avec son propre partenaire, se retourne vers son autre voisin pour répéter avec lui les mêmes évolutions. 3. A Trégunc, Saint-Evarzec, Querrien, nous avons vu la même danse (toute en cortège) s'achever (phrase B4) par un tournant continu sur place (sens de la montre) et non un double trajet rectiligne. Après avoir tenu sa partenaire à deux mains pendant les trois premières phrases, le cavalier l'empoignait finalement à bras le corps pour la faire tourner plus facilement. A Saint-Evarzec l'esprit de décision qu'il manifestait en cette circonstance passait pour un assez bon indice de ses sentiments. Une rotation magistralement menée faisait augurer aux spectateurs un proche mariage. c) Les versions du troisième type, à l'inverse des précédentes, réservent aux trajets rectilignes contrastés les phrases Bi et B3. Les deux trajets semi-circulaires contrastés occupent la phrase B2. La phrase B4 conclut le tout par un tour complet sur place. Ce type de bal l'emporte aujourd'hui sur tout autre, en dehors de la zone littorale. Il est souvent pratiqué même par ceux qui connaissent d'autres versions. Beaucoup veulent qu'il soit « le seul vrai ». La façon dont les deux partenaires se tiennent amène encore ici à distinguer deux variantes. 1. Les deux danseurs sont côte à côte, fille à droite du garçon. Au départ (début de la partie B) ils font face à la tête du cortège. Le cavalier replie son bras droit dans son propre dos sans cesser de tenir la main 1 . A. Gourmelen.
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gauche de la danseuse. Il prend d'autre part dans sa main gauche la main droite de sa partenaire, qu'il élève à peu près à hauteur de poitrine. Cette cohésion étroite est conservée pendant les quatre phrases : Bi : i à 4 : le couple avance droit devant lui (sens du cortège). 5 à 8 : trajet inverse à reculons. Bz : deux demi-tours opposés sur place, le premier (1-4) en sens de la montre. B3 : comme B i . B4 : tour complet sur place dans le sens de la montre. 2. Les deux danseurs (face à face au début de la partie B) se tiennent plus lâchement par les deux mains. Les évolutions sont les mêmes que dans la variante précédente, à deux détails près. D'une part le premier trajet rectiligne (temps 1 à 4 des phrases impaires) se fait vers la droite du garçon, c'est-à-dire en sens contraire de la marche du cortège. Il est commode pour l'homme de prendre le premier appui des phrases sur le pied droit tandis que sa partenaire le prend sur le gauche. D'autre part chacun se tourne de trois quarts vers la direction de son déplacement, alternativement vers la queue du cortège (temps 1 à 4 des phrases impaires) et vers la tête (temps 5 à 8 des mêmes). La fille est ainsi tantôt à gauche et tantôt à droite du garçon. C'est sous cette seconde variante que le bal était finalement connu du plus grand nombre. Sa valeur de version-type ressort à la fois de ce consentement unanime qui lui est donné, et de la mise au point précise de ses gestes. Des gestes de bras en particulier. Au premier temps du trajet rectiligne vers la droite du garçon, celui-ci fait passer sa main gauche, tenant la droite de la danseuse, pardessous les deux autres mains, de sorte que les avant-bras dessinent un chevron pointé dans la direction de la marche. Au premier temps du motif suivant, la superposition sera inversée : ce sont les avant-bras droit du garçon et gauche de la fille qui croiseront les deux autres, marquant le nouveau sens du déplacement. De tels gestes, loin d'être un mince ornement extérieur, contribuent efficacement à l'exécution aisée de la figure. Le mouvement vif par lequel le cavalier, au premier temps de chaque motif, renverse la superposition des bras, participe de l'impulsion générale qui, au même moment, détermine aussi la volte-face du corps et le premier pas dans la direction nouvelle. La position de bras et de mains qui en résulte fixe l'orientation des deux danseurs entre eux et par rapport au sens de la marche, renforce leur cohésion, donne enfin au garçon un point d'application ferme pour guider sa partenaire. Pendant les trajets circulaires des phrases paires, certains couples utilisent le poids du corps. Les deux danseurs se font face, impercepti-
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blement inclinés vers l'arrière. Les quatre mains accolées en un bloc compact levé à hauteur de poitrine, font une sorte de point central fixe, où se nouent les pesanteurs et les forces. D'autres agissent différemment. Le cavalier ne se tient pas exactement en face de sa danseuse, mais un peu décalé, de manière à ce que les épaules droites soient en regard. Il tire sa main droite en arrière et à gauche, attirant la main gauche de la fille derrière son propre dos. Il pousse au contraire sa main gauche (tenant la droite de la fille) en avant et à droite, en direction du dos de la danseuse. Il crée ainsi un couple de forces qui aide au mouvement tournant. Souvent aussi nous avons vu des cavaliers tenir leur danseuse à deux mains pendant les trajets rectilignes puis adopter la position de danse moderne (comme pour valser) pendant le tournant final, et parfois même pendant les demi-tours de la seconde phrase (Coray, Trégunc, Névez, Le Faouët). Enfin, c'est ordinairement ce type de bal que connaissent sous le nom de mod Skaer les localités qui ont adopté sur le tard la mode de la Cornouaille du sud. On l'y recueille sous sa forme-type, mais aussi sous des formes altérées, ou plus ou moins délibérément remaniées. Par exemple, en terroir de Gourin-Langonnet nous l'avons vu refaçonné de la façon suivante : Pendant la partie A, les couples disposés en cortège décrivent un cercle (sens de la montre) en pas de marche régulier. Au début de la partie B ils se tournent face au centre du cercle. Pendant les phrases B i et B3 les partenaires, placés côte à côte, et se donnant seulement la main intérieure, avancent vers le centre du cercle (1 à 4) et reculent (5 à 8). Ils se donnent les deux mains durant les phrases paires pour faire sur place deux demi-tours en sens opposé (B2. Le premier en sens de la montre) ou un tour complet (B4. Sens de la montre). C'est l'équivalent d'une version du second type rapportée ci-dessus au pays de Fouesnant. Les évolutions sont commentées approximativement par ce refrain, familier aux vieux danseurs : Tri pazig 'raog, Tri pazig 'dreon, n'hanter dro da vroz Marivonig, Tri pazig 'raog, Tri pazig 'dreon, n'hanter dro, an hin'diveon; (Trois petits pas en avant — Trois petits pas en arrière — Un demitour à la robe de Maryvonne — Trois petits pas en avant — Trois petits pas en arrière — Un demi-tour, le dernier.)
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IX. — L E S CHAINES A Q U A T R E
L'emprunt, aussi bien que l'invention, a procuré aux danseurs cornouaillais de nombreux terroirs une figure caractéristique pour la partie B du bal. Parmi les figures ainsi empruntées, deux méritent une mention particulière : la chaîne des dames et la chaîne anglaise. Constituants ordinaires des contredanses de salons et des quadrilles, elles exigent la coopération de deux couples. Leur emploi change le « bal à deux » en un « bal à quatre ». Les deux couples se font face, l'homme ayant sa partenaire à sa droite. a) Dans la chaîne des dames, les deux hommes demeurent à leur place. Les deux femmes se croisent en quatre temps, en se donnant main droite au passage. Puis chacune va tourner avec le cavalier de l'autre (un tour en sens inverse de la montre — quatre temps —) qui lui prend la main gauche de la main gauche, et la taille du bras droit. La même évolution, répétée en sens inverse (croisement des dames, tour de chacune avec son propre cavalier), remet chacun à sa place de départ. La chaîne des dames est connue en Haute-Cornouaille, surtout finistérienne, en pays de Gourin et du Faouët, en plusieurs points du pays de Guémené; en pays de l'Aven et de Fouesnant. Le «bal à quatre» dont elle constitue la partie B garde la partie A du bal à deux plus ancien : grande ronde ou cortège suivant le pays. Le pas est libre : marche, course, ou gavotte. Cette figure, médiocrement prisée au total, paraît entrée dans l'usage à des dates variables entre 1890 et 1910. b) Les évolutions de la chaîne anglaise sont les suivantes. Pendant quatre temps les deux couples changent mutuellement de places. Chaque cavalier croise la dame de l'autre couple épaules droites en regard. Autrement dit les hommes passent par l'extérieur, les femmes entre eux. Pendant quatre autres temps les deux partenaires de chaque couple se donnent les mains gauches et échangent leurs places. L'homme guide sa danseuse en lui faisant toujours face, ce qui l'amène à effectuer trois quarts de tour sur lui-même en sens inverse de la montre en même temps qu'il progresse d'une place à l'autre. Au huitième temps les deux couples se retrouvent face à face. La même manœuvre en huit temps, répétée en sens inverse, remet chacun à sa place.
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Connue sporadiquement en Trégor, en Cornouaille et en Morbihan, la chaîne anglaise joue un rôle particulièrement important en Cap Sizun. De la pointe du Raz à Pont-Croix, elle est, en cas d'accompagnement instrumental, le second et dernier terme de la suite réglée. De Pont-Croix à Douarnenez, elle est le second terme, avant le jabadao « à permutation » du pays de Quimper. Elle est connue en cette pointe de Cornouaille au moins depuis 1875-80. Elle y possède des variantes plus originales que nulle part ailleurs, qui témoignent d'un début de folklorisation. La partie A de ce « bal » ou « quadrille » du Cap Sizun est une petite ronde de quatre danseurs. Toute la danse s'effectue en pas de gavotte.
X . — L E B A L DU T R É G O R
Nous n'avons jamais recueilli en Trégor le bal ancien (appuis alternés sur place) de la Cornouaille et du Vannetais. Sous le nom de bal ou contredanse nos vieux informateurs nous ont toujours enseigné une même danse très simple que voici. A la fin de la danse sur deux fronts qui ouvre la suite réglée, chaque cavalier change de place avec sa partenaire. Ils se disposent côte à côte, la fille à droite du garçon, et se donnent la main intérieure, parfois simplement le petit doigt. Le cortège composé par tous ces couples est orienté de façon à tourner en sens inverse de la danse sur deux fronts initiale, c'est-à-dire, dans la plupart des cas, en sens inverse de la montre. Le premier couple est devenu le dernier et inversement. La danse s'exécute tout entière sur le même tempo, et avec le même pas, un pas de marche menu et tranquille (un par temps) qui à Plourin valait à la danse le nom de pasou bihan (les petits pas). Pendant la partie A (généralement deux phrases de huit temps) le cortège décrit un cercle. Les bras balancent faiblement et régulièrement (un balancement par temps). Pendant la partie B (deux phrases de huit temps) les partenaires de chaque couple se lâchent la main et se font face. Alternativement chacun recule (Bi ; temps 1 à 4), avance vers son partenaire (Bi; 5 à 8), recule encore (B2; 1-4), avance de nouveau (B2; 5-8). Chacun de ces trajets s'accomplit en quatre minuscules pas de marche qui n'entraînent qu'un déplacement infime. Les variantes sont faibles et peu nombreuses. Par exemple l'ordre des trajets est inversé (le premier se fait en avançant). Ou encore de temps à autre les danseurs remplacent un trajet rectiligne par un tour complet sur soi-même.
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Telle est l'image que donnaient du bal trégorrois les plus vieux informateurs que nous ayons pu atteindre 1 . D'autres témoignages en font connaître des versions contaminées par d'autres danses, spécialement par le passepied et la dérobée. Les mouvements caractéristiques de la partie B du passepied, simplifiés à l'extrême, se substituent souvent aux va-et-vient que nous avons décrits. La dérobée a quelquefois communiqué au bal le jeu du changement de partenaires et du danseur en surnombre qui la caractérise. Plus souvent encore elle lui a donné son nom. La « dérobée » que certaines femmes dansaient dans les fêtes locales avec des pots de fleurs en équilibre sur la tête, n'est en réalité que la vieille danse à petits pas, second terme de l'ancienne suite réglée. Il n'est pas impossible que le bal trégorrois se rattache à la même souche que les bals anciens du sud, et se soit légèrement différencié au prix d'une évolution différente. Tout moyen manque de s'en assurer.
XI. —
L'ACCOMPAGNEMENT
MUSICAL
Il va de soi que les moyens d'accompagnement musical sont les mêmes pour le bal que pour la danse collective qu'il complète. Suivant les régions donc, il est, comme elle, plus souvent accompagné aux instruments, ou plus souvent chanté. Les monographies précédentes ont fait connaître cette géographie musicale. En Haute-Cornouaille où la danse chantée est de beaucoup la plus fréquente, deux mêmes solistes disent la suite complète : ton simplebal-ton long. Le bal est alterné entre eux, phrase à phrase, suivant les règles du kan ha diskan. En voici un exemple :
i . Le prétendu « bal de Perros » des groupes folkloriques résulte de l'arrangement d'un débris effectivement recueilli en milieu paysan, mais nullement représentatif d'une tradition bretonne. Les ménétriers locaux savent encore l'origine de cette danse et l'air qui l'accompagnait à ses débuts. Il s'agit du pas de quatre des salons, importé à l'extrême fin du x i x 8 siècle (pour la date, voir Th. Xavier d'HAucouR, dans L'Hermine, V I , 20. 6. 1892). Les paysans, en amenant cette danse à l'état le plus r u d i m e n t a l e , lui ont ajouté des paroles qui commentent ironiquement les mouvements : « Eun taol droad da Bipi, hag eun ali da Vari... » (Un coup de pied à Petit-Pierre, et un autre à Marie, etc...). La danse exécutée aujourd'hui sur scène n'a plus rien de commun avec ces ébats indigents seuls représentés en milieu rural.
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Spézet, 1953. Ton original.
A la différence des chansons de gavotte aux mêmes lieux, les chansons de bal associent durablement en principe la mélodie et le poème. Bien que la mélodie n'ait pas la déconcertante plasticité de celles de gavotte, il y a souvent beaucoup de distance entre l'air librement chanté pour son seul agrément et l'air effectivement dansé. Les chansons de bal sont innombrables. Au riche fonds breton s'ajoutent des airs empruntés au fonds folklorique français. Tardivement des couplets de vaudeville, de café-concert ou d'opérette (« Bon voyage cher Dumollety>, «Saute^ Canada», etc...) ont également été adoptés. Ces chansons, de provenances et de constructions diverses, s'adaptent aux mouvements du bal, au prix de retouches que les chanteurs effectuent avec une extrême facilité. Aux airs que leur fournissait le répertoire chansonnier les sonneurs ont ajouté, en le simplifiant, ce qu'ils pouvaient connaître de l'actualité citadine en fait d'airs de danse : débris de contredanses, quadrilles, danses par couples. Ce faisant, ils ont à leur tour fourni des thèmes aux chanteurs.
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On ne saurait, en pays de danse habituellement chantée, assigner un type unique aux chansons de bal. Puisées à des sources multiples, elles ont des structures fort diverses (couplets sans refrain, couplets alternant avec un refrain, couplets à refrain intérieur). Aussi A. Bourgeois donne-t-il de l'air de bal une notion trop rigide quand il le définit un air à deux reprises de seize temps, en mesure à 6/8. Il n'en est pas moins vrai que cette sorte d'air se rencontre en effet dans tous les terroirs, qu'elle constitue une part importante du répertoire des chanteurs, et qu'elle domine dans celui des sonneurs. On peut y voir la structure type de l'air de bal. On l'observe dès les plus anciennes notations connues. A titre d'exemple voici respectivement : i. Une «Balguernée à la mode de Bretagne » (Bal Gerne : Bal de Cornouaille) extraite d'un recueil manuscrit d'airs de vielle de la seconde moitié du xviii e siècle. 2. Une «Autre de Tréguier» du même recueil. }. Le «Bal guérai» de Basse-Bretagne rapporté par J-B. Laborde en 1780. 4. Un air de bal extrait du recueil manuscrit constitué par le chanoine Mahé (Vannetais) dans les premières années du xix e siècle. Tous ont même allure, en dépit de notations de fidélité incertaine, qui font commencer la danse tantôt sur vin temps léger, tantôt sur un temps lourd. Tous pourraient servir aujourd'hui. Le premier et le quatrième ont d'ailleurs quantité de variantes toujours en usage. Balguernéeà la mode de Bretagne
Eea. ms. Ars. p. 248.
(Id.)
LE
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Bal Guerai.fort gai.
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4* livre, p.
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La première partie de l'air (A) sert à la promenade du groupe. En Cornouaille, où le mouvement n'est généralement pas réglé en cette phase du bal, les interprètes peuvent encore s'y permettre toute liberté avec le tempo (toujours modéré) et le rythme. Il arrive même que la dimension des phrases soit modifiée, éventuellement avec remaniement du texte s'il s'agit de chanteurs. La seconde partie (B) au contraire, chantée sur un tempo rapide variable d'un terroir à l'autre, sert à la danse proprement dite. Elle présente une mesure uniforme, binaire ou ternaire. En ce qui concerne la dimension des phrases, l'exigence diffère suivant la nature du mouvement. Quand il est structuré par phrases de huit temps (bals en va-et-vient, bals fisel récents) il impose de ramener, si besoin est, cette partie B à deux (ou quatre) fois huit temps. Structuré par motifs de quatre temps, il impose seulement que le nombre de temps dans chaque reprise B soit un multiple de quatre. Par exemple dans le bal que voici, la partie B (dansée avec le pas de la dans tro plin) contient deux fois douze temps. Dans l'exemple retenu la mesure de la danse ne coïncide pas avec celle de la mélodie.
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Saint-Nicodème, 1958.
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Enfin quand le mouvement corporel souligne seulement la pulsation (sauts alternés d'un pied sur l'autre en pays fisel, tamm krei% actuel du Finistère) il s'accommode de durées moins strictes encore. Il va de soi qu'en musique comme en mouvement les bals de Basse-Cornouaille se distinguent aujourd'hui des autres par leur partie B faite de quatre phrases de huit temps. Tout air à phrases de huit temps utilisé ailleurs est propre à les accompagner au prix d'un redoublement de sa partie B. En quelques terroirs de la Cornouaille montagneuse (sud du pays fisel) on pratique facultativement un « bal double » : l'homme danse d'abord la partie B avec sa propre partenaire, puis refait sur la même mélodie les mêmes mouvements avec sa voisine de gauche. L'ensemble de la partie B (quelle que soit sa longueur) se chante donc deux fois. Les pas de structure originale qui tendaient finalement à se généraliser en quelques terroirs sont d'apparition trop récente pour avoir pu imposer à l'ensemble des mélodies un tour local très marqué. Mais bien entendu les danseurs retiennent électivement les airs les mieux appropriés à leur façon actuelle de danser. Les chanteurs sont en outre fort habiles à modeler le rythme musical sur le rythme moteur. Sélection et adaptation assurent partout un accord suffisant de la musique et du mouvement.
XII. — CONCLUSION La nature et la fonction du bal apparaissent au mieux quand on le compare à la danse du type branle (ronde ou double front) qui ouvre la suite réglée. 1. Le bal est partout la seconde danse de la suite. 2. La première danse est partout caractérisée par un pas composé, une unité de mouvement qui se répète indéfiniment. Le bal au contraire est, partout aussi, constitué de deux parties. La première — ronde ou cortège — sert au déplacement tranquille du groupe, la seconde à la danse proprement dite. 3. Le bal se présente partout comme une danse de repos, de par la dualité de ses allures, le calme de la première partie, l'extrême simplicité de la seconde, la liberté de varier les gestes, l'absence de synchronisme obligé entre les exécutants. Les très simples balancés qui servent si souvent au bal ancien sont le type même du mouvement auquel on s'abandonne, alors que la danse initiale est souvent, pour l'homme au moins, une occasion de manifester sa maîtrise consciente.
LE
RÉPERTOIRE
449
4. La danse initiale est toujours collective. Les participants peuvent bien y entrer deux à deux, aucun rôle n'est donné aux couples en tant que tels. C'est le groupe qui danse. Le bal au contraire fragmente le groupe et réserve à la disposition par couples l'une au moins des deux parties qu'il comporte. Il est vrai que les mouvements sont en apparence dépourvus de signification érotique : se tenir face à face, se donner les deux mains, est la seule privauté permise aux partenaires. En fait la portée de ce geste était, dans l'ancien milieu traditionnel, beaucoup moins anodine que nous ne l'imaginons aujourd'hui. Bouët 1 enseigne que la prise des deux mains était à son époque « une manière traditionnelle de se faire la cour », « un grand pas de fait dans la stratégie amoureuse d'un Breton ». O. Perrin 2 lui aussi jugeait ce comportement assez caractéristique pour camper un couple d'amoureux dans cette position au premier plan d'une de ses images. Ils ont très exactement l'attitude des danseurs du vieux bal. Ainsi, à tous égards, le bal équilibre et complète la danse initiale. Il en est « la contre-danse » suivant l'expression des informateurs euxmêmes. L'ancienne suite traditionnelle n'est pas une juxtaposition quelconque de mouvements. Elle réalise entre ses deux termes fondamentaux un équilibre d'ordre simultanément moteur, rythmique et psychique. Sur les bals, balls, ballos, etc... d'autres folklores européens, trop peu d'informations ont été publiées, et trop peu précises, pour qu'on demande un enseignement à leur comparaison. Nous ne connaissons d'autre part aucun antécédent ou équivalent assuré au bal breton dans les traités anciens. La simplicité et le caractère universel de ses pas rendent d'ailleurs incertain tout rapprochement. Des considérations indirectes (généralité du bal en Basse-Bretagne et au-delà, place rigoureuse et constante dans la suite traditionnelle, absence de toute danse analogue dans le répertoire des salons à la fin de l'Ancien Régime) font croire que l'origine de cette danse est fort ancienne. Le groupement équilibré où elle trouve place paraît lui-même ancien dans l'histoire de la danse. On ne saurait aller au-delà de ces présomptions. ** *
Ce qu'on peut constater aisément, c'est l'inaptitude du vieux bal à se maintenir dans la dernière période de tradition vivante, où des rapports plus libres s'établissent entre les sexes, où l'accompagnement vocal perd de son importance et la danse initiale de sa rigueur collec1. Br.-Iz.,
pp. 218 et 255.
2. Ibid., p. 253.
450
DANSE
EN
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tive. A ce stade le vieux bal n'a plus de quoi satisfaire les danseurs. Ils en viennent à douter qu'une danse aussi simplette ait pu convenir à leurs pères plus qu'à eux-mêmes. En certains terroirs la « contre-danse » disparaît purement et simplement, et le premier terme de l'ancienne suite subsiste seul. Ailleurs une danse empruntée prend la place du bal et quelquefois son nom. Ailleurs encore un nouveau bal s'élabore de la substance de l'ancien, avec ou sans emprunt partiel à d'autres danses. Nous reviendrons en fin d'ouvrage sur la façon dont s'opèrent ces élaborations. Il suffit pour l'instant de souligner qu'en plusieurs cas (bals à quatre du Morbihan, bal de Pontivy, bal fisel, bal de l'Aven) elles ont produit des danses réellement neuves, originales, parfaitement construites, plus élevées en organisation que celles dont elles sont issues et déjà si bien entrées dans l'usage qu'elles passent couramment aujourd'hui pour reçues d'une tradition immémoriale. Enfin il est intéressant d'observer que ces versions inédites, profondément différentes les unes des autres, ont néanmoins conservé un trait commun : l'alternance d'une promenade en pas de marche et d'une phase de danse proprement dite. Elles n'ont supplanté la vieille danse qu'en se conformant à ses mesures.
LE PASSEPIED
Le nom de passepied est célèbre dans la littérature de la danse. Du xvi e à la fin du xvni e siècle on le voit donné à des danses françaises de cour et de salons. Il désigne d'autre part une danse spécifiquement bretonne. Ce « passepied de Bretagne », mentionné dès le xvi e siècle, paraît avoir été connu à la fois des milieux populaires et des milieux aristocratiques. Au x v n e siècle encore il semble que les Bretons des classes supérieures lui restent fidèles.1 II va sans dire qu'aujourd'hui et depuis longtemps le passepied ne subsiste plus en Bretagne qu'au titre de danse folklorique. Tel que la tradition populaire nous le livre, le passepied se compose toujours de deux parties. Une partie A (deux phrases de huit temps) sert au déplacement du groupe de danseurs. Le pas est de type universel : marche ou galop le plus souvent. Une partie B, de longueur variable, s'exécute sur place, avec un pas original, caractéristique de la danse. Cet équilibre entre deux parties, l'une de déplacement collectif, l'autre de danse proprement dite, rapproche le passepied du bal et l'oppose à toutes les danses du type branle qui occupent le premier rang dans les suites réglées. i . Le moyen manque de savoir quelle part les passepieds dansés à cette époque par l'aristocratie bretonne font à la tradition nationale d'une part, à l'imitation de Versailles d'autre part. A u moins est-il certain que M m e de Sévigné y découvre des particularités qui ne lui sont pas familières. Dans ceux qu'elle voit exécuter par le fils et la bru du Sénéchal de Rennes (24 juillet 1689) elle relève «des fantaisies de figures, tantôt en branle comme les autres, et puis à deux seulement comme des menuets, tantôt se reposant, tantôt ne mettant pas les pieds à terre. » On verra que l'alternance d'une promenade collective, calme, et d'une figure par couples plus animée est aujourd'hui encore un trait des passepieds folkloriques. Dans une autre lettre (5 août 1 6 7 1 ) , plus souvent citée, où elle rapporte les passepieds « merveilleux » que MM. de Locmaria et Coëtlogon dansèrent « avec deux bretonnes » (dont le milieu social n'est pas précisé), M m e de Sévigné observe « des pas de Bohémiens et de Bas Bretons ».
DANSE
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EN
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I. — DOMAINE GÉOGRAPHIQUE Le passepied appartient à la Haute-Bretagne au moins autant, probablement beaucoup plus qu'à la Basse. On a v u 1 qu'au xvi e siècle N. du Fail opposait le trihori de Basse-Bretagne au passepied de HauteBretagne. Récemment encore on signalait la persistance du passepied 2 aux environs de Rennes où Madame de Sévigné l'admirait déjà. Nous-même l'avons recueilli constamment dans nos sondages en pays gallo des Côtes-du-Nord. La Basse-Bretagne n'est pays de passepied que pour son quart nord-est, soit les Côtes-du-Nord et une bande finistérienne assez étroite. On peut assigner approximativement à cette danse les limites suivantes. A l'ouest, l'embouchure du Queffleut, la route de Morlaix à Pleyber-Christ et Plounéour-Ménez, la route de La Feuillée à Châteauneuf-du-Faou. Au sud une ligne jalonnée d'abord par Châteauneuf, Saint-Goazec, Roudouallec, Le Saint, Langonnet, coïncidant ensuite sensiblement avec la frontière des Côtes-du-Nord et du Morbihan. Le passage est continu des terroirs de langue bretonne aux terroirs de langue française. Il est pratiquement certain que dans ces limites l'aire du passepied s'est étendue jusqu'à la Manche. Mais il n'en est plus ainsi. Le passepied est depuis longtemps une danse vieillie, en cours de disparition. Il s'éteignait au début de ce siècle sur ses frontières ouest et sud, où beaucoup d'informateurs, même âgés, l'ignorent. Il était abandonné, remplacé ou non par une danse plus jeune, en plusieurs communes du pays fisel et du pays fanch. Il était déjà presque entièrement oublié dans l'est du Trégor, comme d'ailleurs les autres danses traditionnelles, entre une ligne Lannion-Plouaret et la frontière linguistique. Son domaine bas-breton se serait-il étendu dans le passé beaucoup au delà des limites que nous lui connaissons aujourd'hui? Ce n'est pas probable. On trouve bien, très exceptionnellement, le mot passepied dans quelques textes relatifs à d'autres régions de Bretagne s . Mais d'une part il n'est pas prouvé qu'il y désigne notre danse. D'autre part des textes plus nombreux et explicites font connaître pour ces régions un répertoire où le passepied n'a pas de place. 1 . Ci-dessus, p. 2 9 1 2 . B U F F E T , H.-Br-,
p.
255.
3. Citons seulement ce passage des Mémoires du Comte de BRIENNE (L. H. de Loménie) (édit. P. Bonnefon, Paris, Laurens, 1 9 1 6 - 1 9 , pp. 67-68) qui rapporte avoir v u en 1 6 7 1 des paysannes de Belle-Ile-en-Mer danser « ...au son de la flûte et du violon, des passepieds de Bretagne fort légèrement. Elles étaient belles et dansaient très juste et j'en fus charmé et surpris. »
LE
RÉPERTOIRE
453
Géographiquement l'aire bas-bretonne du passepied se présente ainsi comme une pointe avancée de son domaine véritable, qui se situe en Haute-Bretagne.
II. — PLACE DANS LE RÉPERTOIRE L'importance reconnue au passepied et la façon d'en user varient beaucoup d'un terroir à l'autre. a) Son importance n'est nulle part plus grande qu'en pays de langue française. Dans tout le pays de Saint-Brieuc, jusque vers Uzel au sud, le passepied était un élément obligé de la suite ancienne, laquelle comprenait : ronde-bal-passepied. b) Un seul terroir de Basse-Bretagne possédait, peu avant l'extinction de la tradition, une suite de danses absolument comparable : le Trégor. Plus précisément la région qui va de Morlaix à Plouaret et Lannion. La suite réglée s'y composait, on l'a vu, d'une danse sur deux fronts, d'un bal ou « contredanse » et d'un passepied. c) En Haute-Cornouaille orientale (pays des dañs tro plin et fisel) les très vieux danseurs ont également vu le passepied intégré dans la suite. Mais celle-ci comprenait quatre termes : ronde-bal-ronde-passepied. Les trois premiers constituent la suite tripartie la plus commune en Haute-Cornouaille. Il est vraisemblable que le passepied n'y avait été ajouté que secondairement, par les communes les plus proches du pays gallo. Beaucoup d'entre elles l'ont remplacé au début de ce siècle par une danse plus jeune, le sémeri-sêmera ou jibidi-jibida, imitant en cela les communes du pays gallo situées au sud d'Uzel, entre la frontière linguistique et la route Loudéac-Saint-Brieuc. d) Nulle part ailleurs en pays bretonnant le passepied n'est un élément obligé de la suite. C'est une danse d'importance mineure, dont on use avec la plus grande liberté, et dans les réunions récréatives plus que dans les occasions solennelles. L'intérêt qu'on lui accorde paraît d'autant plus faible qu'on va davantage vers l'ouest et le sud. Comme on le voit, ce sont les régions les plus voisines de la HauteBretagne ou possédant une tradition apparentée à la sienne, qui font au passepied la part la plus large. La place de cette danse dans la vie populaire confirme que son aire principale se situe en pays gallo.
DANSE
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III. — L E
EN
BASSE-BRETAGNE
PAS
La partie A du passepied use toujours d'un pas tel que marche ou galop latéral, permettant le déplacement rapide du groupe. Nous y reviendrons en traitant de la forme. Mais le pas caractéristique est celui que les exécutants font sur place durant la partie B. C'est un pas composé, correspondant à un motif musical de quatre temps (une mesure à 4/4 ou 12/8). Il semble bien qu'on puisse lui reconnaître quelques types régionaux, mais en fait il varie suivant les exécutants plus encore que suivant les terroirs. On observe en effet dans un même lieu des démonstrations fort diverses. La plupart étonnent par l'extrême simplicité du dessin gestuel. De l'aveu même des informateurs, ce sont là des mouvements simplifiés. La danse comportait autrefois, au moins chez les hommes, des mouvements vifs, assez difficiles. On les observe encore aujourd'hui, mais seulement chez une minorité de danseurs. Les versions que nous avons recueillies se répartissent en trois groupes. Pour faciliter la comparaison des formules d'appuis, nous les avons écrites comme si l'appui initial était pris sur le même pied par tous. En réalité on voit assez souvent les uns commencer du pied droit, d'autres du pied gauche. a.) — Une première sorte de versions, qu'on retrouve dans des communes fort dispersées, et qui a des chances de représenter un état ancien de la danse, comporte un bond en avant du danseur, retombant au temps 1 du motif, suivi d'un recul compensateur aux temps 2 à 4, un changement de pas trouvant place dans ce trajet à reculons. Soit par exemple ces formules d'appuis, que nous avons souvent notées dans la région de Carhaix, Paule, Plévin :
4
2
3
J
«D.-—nD G D
4 JL
saut
G Drecul
2
4
G .--—. D-
-D G'*
n
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saut
3
4
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G I> recul
^D G»-"
LE
RÉPERTOIRE
455
Le danseur (supposé pieds joints à la fin de la partie A) saute en avant et retombe au premier temps de la partie B sur le pied droit, ou sur les deux pieds avec prédominance d'appui sur le droit (dans le dernier cas les deux pieds sont posés à côté l'un de l'autre, le talon droit à peu près au niveau du milieu de l'autre pied.) Les genoux sont fléchis, le corps en perte d'équilibre vers l'arrière. Sur la fin du temps le danseur rebondit vers l'arrière, cette fois avec très peu d'élévation et de déplacement. Il retombe sur le pied droit au début du temps 2, pose aussitôt (seconde moitié du temps) le pied gauche un peu en arrière encore, ramène enfin (temps 3) le pied droit à l'assemblé du gauche. La fin du motif prête à menues variantes. Certains (formule 1) prennent simplement appui et élan sur le pied gauche (temps 4) pour le bond en avant qui commencera le motif suivant. D'autres (formule 2) rebondissent d'abord sur le pied droit et ne prennent élan sur le gauche ou sur les pieds joints qu'à la fin du temps 4. D'autres encore ajoutent une broderie empruntée aux fins de phrase de la dans tro fisel : le double frappé du talon contre la fesse au temps 3 (formule d'appuis 1). ** *
On peut comparer ces formules, et surtout la seconde, avec celle-ci observée à Plouégat-Moysan1 :
î
1 2 J.
_i 1
en a v a n t
3 J U J ) D
G
4 '
D
en arrière
J>
J.
D
G-
11
La seule différence importante tient à la suppression du bond en avant du temps 1, remplacé par un mouvement beaucoup plus économique : au lieu de sauter pour retomber sur le pied droit, le danseur, gardant l'appui sur pied gauche qu'il a à la fin de chaque motif, pose simplement le pied droit sur le bord postérieur du talon, pointe dressée, à un pas de distance devant lui. Pas d'appui réel sur pied droit, donc pas de saut sur ce pied du temps 1 au temps 2. Le pied droit est seulement ramené à l'assemblé pour prendre calmement l'appui du temps 2, qui amorce un changement de pas en arrière. Il y a rebondissement sur pied droit, sur place, au temps 3, et pose du pied gauche un peu en avant au temps 4. 1. J . Cotton.
456
DANSE
EN
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** *
Très proche des précédentes, la version que voici s'en écarte cependant par le dessin gestuel. Elle nous a été montrée par deux danseurs de Guerlesquin\
t
3
2
D-
G
D
4
G
Pour la succession des appuis le pas est tout à fait analogue à celui que nous avons rapporté à la région de Carhaix (formule 2 ci-dessus). Mais au lieu que la version carhaisienne opposait un premier temps de mouvement intense (bond en avant) à trois temps de mouvement réduit où le déplacement du danseur est très faible, celle-ci au contraire compose chaque motif de deux éléments équivalents et symétriques, l'un comprenant les temps i et 2, l'autre les temps 3 et 4. Le temps 1 est d'allure variable. Généralement le danseur saute en avant et retombe sur les deux pieds, avec prédominance d'appui à droite, ou sur le droit seul, souvent croisé devant le gauche (parfois il se contente de frapper le droit à un pas devant lé gauche, qui porte l'appui). Il rebondit, retombe au début du temps 2 sur le pied droit posé à peu près à la même place, pose aussitôt le gauche à un pas en arrière (seconde moitié du temps 2). Au temps 3 il prend appui sur le droit posé à un pas en arrière du gauche. Il rebondit aussitôt... retombe d'abord (début du temps 4) sur place sur le pied droit, puis (à la deuxième moitié de ce temps) reprend appui sur le gauche reposé au même endroit qu'en 2. A u total le dessin du pas s'ordonne symétriquement, moitié vers l'avant et moitié vers l'arrière, par rapport à une position axiale qui est celle du pied gauche aux temps 2 et 4, symétrie fréquemment accusée par l'orientation changeante du corps. En effet au lieu de demeurer toujours face à son partenaire comme dans les autres versions, le danseur, assez souvent tourné de 3/4 vers lui, lui présente l'épaule droite au temps 1, quand il est le plus proche de lui, l'épaule gauche au temps 3 quand il est au maximum d'éloignement. Quelquefois aussi les deux partenaires combinent leur mouvement mutuel d'autre manière. L'un avance quand l'autre recule, et prend sur le gauche les appuis que l'autre prend sur le droit. Leurs mouvements sont alors comme emboîtés l'un dans l'autre. Toujours le dernier motif donne lieu à un tournant que chaque danseur effectue sur lui-même (même formule d'appuis) en sens inverse de la montre. 1. L. et F. Magalon, à Belle-Isle-en-Terre.
LE
RÉPERTOIRE
457 ** *
b. —- D'autres versions, qui ont même enchaînement de pas élémentaires que les précédentes, en diffèrent par la correspondance de ces pas à la musique. Le bond en avant ne retombe pas au temps i du motif, mais au temps 2. Au temps 1 se place un appui simple qui sert de prise d'élan. Soit par exemple cette formule notée à Châteauneuf-du-Faou : 1 i
2
3
4
i . f J>. f n j G G+D—» D G D en avant
11
en arrière
Le danseur prend appui sur le pied gauche au temps 1, saute en avant, retombe sur les deux pieds au temps 2, en perte d'équilibre vers l'arrière. Il rebondit aussitôt dans cette direction pour faire un changement de pas (3-4) à reculons. L'étroite parenté de cette sorte de pas avec la précédente est manifeste. Dans cette catégorie aussi on connaît des versions simplifiées, où le saut est remplacé par la pose du pied droit sans appui. Telle cette formule observée à Spézet : 1 2
3
4
j - j
n
G
D G
4.
en avant
J L
j D
en arrière
Proches parentes de ces dernières sont les versions qui dominent aujourd'hui en Haute-Cornouaille orientale. Entre Bourbriac au nord et Mur au sud, nous en avons très souvent recueilli où les deux premiers temps du motif comportent un appui continu :
j - j
n j D G D.
j - j
n
J
G D
G.
Le pied libre, porté sans appui (en position quelconque) à un pas en avant au temps 1, est au temps 2 maintenu à cette même place, ou ramené à mi-distance de l'autre, ou franchement à son contact. Mais il ne prend l'appui, — à l'assemblé — qu'au début du temps 3. Les temps 3-4 correspondent à un changement de pas sur place. Au contraire de toutes les précédentes ces versions font commencer les motifs impairs
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45«
EN
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sur un pied, les motifs pairs sur l'autre. Le pas ne comporte guère d'avance ni de recul. On notera la curieuse convergence qui a amené le passepied, au terme de son évolution en ce terroir, à la formule d'appuis... de la polka piquée. c. — Une troisième sorte de versions est caractérisée par une formule d'appuis sans changement de pas : ici encore des variantes assez brillantes, dispendieuses d'énergie, s'opposent à d'autres plus nombreuses, qui économisent les forces au maximum. C'est ainsi que dans l'ouest du pays fisel, et surtout à l'ouest de Carhaix, nous avons vu des hommes exécuter un pas vigoureux, ample, au dessin très net, suivant cette formule : 2
i
J71 J D.-~,D G il avant
3
2
f t l J> y D—D G-' ii
arrière
i n j |D—-D G
avant
3
f n J> > D-—-D Garrière
En faisant provisoirement abstraction de la pulsation divisée aux temps i et 3, on peut caractériser le mouvement comme suit : Le bond en avant qui introduit le motif fait retomber le danseur (temps i) sur le pied droit, corps nettement en perte d'équilibre vers l'arrière, jambe gauche repliée derrière la droite. L'homme recule avec deux grands pas, respectivement du pied gauche (temps z) et du pied droit (temps 3). Au temps 3 il est légèrement en perte d'équilibre vers l'avant, jambe gauche croisée devant la droite. Au temps 4 enfin, il pose de nouveau le pied gauche, à peu près à la même place qu'en 2. Ce temps 4 est à la fois repos et préparation, prise d'élan pour le nouveau bond en avant qui retombera au premier temps du second motif. Toute l'originalité du pas tient au relief particulier des temps 1 et 3. Ils sont à quelques égards symétriques l'un de l'autre. La jambe gauche, qui croise la jambe d'appui par derrière (temps 1) ou par devant (temps 3) est fortement repliée et la hanche très ouverte, le genou pointé vers la gauche. Aussi bien en 1 qu'en 3 la jambe d'appui et la jambe libre, simultanément, marquent deux demi-temps. En effet le pied droit (appui) rebondit sitôt à terre, pour se poser de nouveau à la seconde moitié du temps, et le mollet gauche (libre) fait deux battements vers le haut —un par croche —, s'abaissant à peine dans l'intervalle. Cette double broderie est rendue difficile par le tempo (celui d'une marche rapide) et par l'équilibre instable du corps. Nous avons rapporté une variante masculine de Guerlesquin, qui (à la répartition rythmique près) est en quelque sorte intermédiaire entre les versions du premier groupe et celle que nous venons d'analyser. Elle fait concevoir le rattachement de toutes à une même souche.
LE
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459
Quantité de versions se présentent comme des simplifications à divers degrés de la précédente : Chez beaucoup d'hommes le seul mouvement intense est le saut en avant qui aboutit à l'appui du temps i. Les appuis suivants sont pris par pose simple et calme du pied. Il n'y a aux temps i et 3 ni rebondissement ni broderie de la jambe libre. Le saut initial même est absent de beaucoup de démonstrations. Le motif se réduit à quatre pas de marche oscillant en avant et en arrière d'une position moyenne : le pied gauche se pose toujours à la même place. Le pied droit prend appui à un pas en avant de lui au temps 1, à un pas en arrière au temps 3. Nous avons vu partout des démonstrations de cette sorte. Elles sont les plus communes — surtout chez les femmes — en Trégor et pays gallo. L'effacement des traits peut aller plus loin encore. Des danseurs, après un grand pas de marche en avant, en font trois petits, informes, en arrière. D'autres courent ou marchent quatre petits pas en avant aux motifs impairs, quatre petits pas en arrière aux motifs pairs. Du Laurens de la Barre 1 (1878) attribuait déjà cette structure rudimentaire aux passepieds de Morlaix. A ce degré de détérioration, la nature même de la danse cesse d'être reconnaissable. *
*
*
Le rapprochement de toutes ces versions enseigne deux choses. D'abord, il s'agit bien partout de la même danse au départ. Ensuite, il s'agit d'une danse usée. On ne constate pas ici l'élaboration dans un passé proche de versions-types plus élevées que les anciennes en complexité et organisation. Les dessins originaux de pas appartiennent au passé. L'évolution récente n'a guère fait que les simplifier, assez souvent jusqu'à leur ôter tout caractère. La nature des mouvements s'accorde bien avec ce qu'on sait de la place faite à cette danse au début de ce siècle en milieu brétonnant.
IV. —
LA
FORME
Le passepied se danse avec plusieurs dispositions d'ensemble, inégalement répandues. a. — La ronde a eu cours partout. Elle est seule familière à nos informateurs en pays gallo et en plusieurs terroirs de Haute-Cornouaille. Là où d'autres formes sont pratiquées, les plus vieilles gens témoignent 1. Et.
dses.
bret.,
p. 278.
460
DANSE
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BASSE-BRETAGNE
souvent que la ronde est la plus anciennement connue. C'est en Trégor que le souvenir en est le plus rare. Nous l'avons pourtant retrouvé chez quelques personnes très âgées en un petit nombre de communes (Lanvellec, Plouégat-Guérand, Plougasnou, Plougonver), ainsi qu'aux confins du Léon (Pleyber-Christ, Plounéour-Ménez). Le passepied en ronde comporte trois variantes : 1. Toute la danse en ronde (pratiquement général). Pendant la partie A les danseurs, hommes et femmes alternés, tournent dans le sens de la montre. Le pas est quelquefois un galop de côté (fréquent en Haute-Cornouaille), beaucoup plus souvent un pas de marche régulier (un appui par temps). En pays gallo les danseurs progressent généralement de façon strictement latérale (un pas du pied gauche à gauche, droit amené à l'assemblé... etc...). Pendant la partie B, les danseurs, sans se lâcher les mains, sautent tous ensemble vers le centre du cercle (temps 1 des motifs), reculent tous ensemble etc... En pareil cas les bras s'élèvent en direction du centre pendant les bonds en avant. 2. Il arrive que, la partie A ayant été dansée en ronde (comme ci-dessus), le cercle se fragmente en couples pour la partie B. Les danseurs demeurent face au centre, chaque garçon gardant sa partenaire à sa droite. Il lui donne la main droite seule, ou les deux mains, bras croisés ou non. Le pas se fait (comme ci-dessus) en direction du centre. Cette variante se rencontre çà et là en pays gallo et dans le sud des Montagnes Noires. Une certaine variété de « bal » autrefois commune en pays de Langonnet-Gourin, paraît être un passepied de ce type, au pas très simplifié. 3. Plus fréquemment les deux partenaires de chaque couple se disposent face à face pour danser la partie B. Ils se donnent les deux mains (main droite de l'un dans main gauche de l'autre). A la fin de la partie A , et à la fin des motifs, ils se tiennent bras tendus, aussi loin que possible l'un de l'autre. Au premier temps des motifs le bond qu'ils font l'un vers l'autre les amène au contraire en contact ou presque, bras étendus latéralement. Cette variante est presque partout connue en même temps que la variante toute en ronde. A. Bourgeois qui la rapporte, précise « qu'elle ne passe pas pour très convenable ». *
*
*
b. — On nous a signalé très exceptionnellement (Carhaix, Collorec) des passepieds dansés entièrement en chaîne ouverte conduite par un 1. Recueil., p. 8.
LE
461
RÉPERTOIRE
meneur. Il s'agit vraisemblablement de formes dérivées de la ronde. Elles paraissent avoir eu très peu d'importance. *
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*
c. — Au contraire le cortège et la double file ont par endroits valeur de forme-type. 1. C'est le cas en Trégor, où la très grande majorité des informateurs ne connaissent le passepied que dans ces dispositions. Il s'agit parfois d'un cortège véritable, chaque garçon donnant la main droite à sa partenaire placée à sa droite. Beaucoup plus souvent les deux danseurs progressent côte à côte sans se tenir aucunement : il y a une file d'hommes parallèle à une file de femmes. Les femmes avancent droit devant elles. Les hommes s'amusent très souvent à progresser à reculons, dos à la direction de marche. Le pas de la partie A est ordinairement le petit pas de marche régulier qui sert aussi au bal. Quelquefois c'est un changement de pas menu, plus ou moins tressautant sur ses trois appuis (d'où le nom an tri lamm —- les trois sauts — que certains danseurs autour de Lanmeur donnent à cette danse). Pendant la partie B les deux danseurs de chaque couple dansent face à face sans se tenir, se rapprochant et s'écartant tour à tour l'un de l'autre. Le dernier motif de chaque partie B donne lieu, au moins chez les hommes, à une broderie : au lieu de se borner à reculer après avoir sauté ou posé le pied en avant au temps 1, le danseur recule en faisant un tour complet sur lui-même, dans un sens ou dans l'autre. Il n'est plus possible de savoir quels rapports ont eus dans le passé les deux formes de passepied connues en Trégor : la ronde pratiquement disparue aujourd'hui, et dont on ignore si elle trouvait déjà place dans la suite réglée; la double file (ou le cortège), curieusement semblable au « bal » ou « contredanse » qui la précède dans la suite. On peut concevoir que le passepied ait été, en Trégor comme ailleurs, dansé d'abord en ronde, et qu'il n'ait pris la forme en cortège du bal que par contamination. On serait alors conduit à s'interroger sur l'ancienneté de la suite que les vieillards nous font connaître. 2. Quelques communes de Haute-Cornouaille possèdent une variante — parmi d'autres — de passepied dansé en double file ou en double chaîne. Suivant certains (Huelgoat) il y aurait une chaîne d'hommes et une chaîne de femmes. Suivant d'autres (Poullaouën, Carhaix) il pourrait y avoir hommes et femmes dans chaque chaîne. Que les participants se tiennent ou non, les deux lignes cheminent à peu près parallèlement pendant la partie A, dansent face à face pendant la partie B.
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Fort éloignées par leur style des passepieds bien mesurés du Trégor, ces danses — assez tumultueuses — doivent pourtant en dériver. Plus encore que leur forme, inhabituelle en Haute-Cornouaille, leur distribution géographique le fait croire : nous ne les avons rencontrées en effet que dans des localités échelonnées au long de la route MorlaixCarhaix. 3. Enfin nous ne savons s'il faut attribuer encore à ce courant trégorrois ou plutôt à l'influence des bals du Morbihan proche la présence, aux environs de Carhaix, d'un passepied en cortège. Dans le sud du pays fisel, au début de ce siècle, il tendait par endroits à supplanter le passepied en ronde, plus ancien. Dans chaque couple, pendant la partie A , les deux partenaires, fille à droite du garçon, se tiennent main droite dans main droite, main gauche dans main gauche, bras croisés devant. Ils décrivent un grand cercle à la suite les uns des autres (sens de la montre ou sens inverse. Pas : marche ou chassé). Pendant la partie B les couples font face au centre du cercle, à moins qu'un couple sur deux ne se retourne pour danser face à celui qui le suit. *
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d. — En plusieurs communes avoisinant Carhaix, on goûte particulièrement un « passepied à quatre » dansé par deux couples. Il s'exécute suivant trois dispositions différentes : 1. L'une résulte apparemment de la réduction du cortège mentionné ci-dessus. La partie A en effet est un cortège pour deux couples seulement, placés aux extrémités du diamètre du très petit cercle qu'ils parcourent (marche ou chassé). Pendant la partie B les deux couples dansent face à face. 2. Une autre variante fait penser plutôt à la double chaîne connue en Haute-Cornouaille : les deux couples se font face tout au long de la danse. Pendant la partie A ils se déplacent circulairement (vers leur gauche) en galops de côté, inclinés vers le centre pour équilibrer la force centrifuge. Pendant la partie B ils font le pas de passepied l'un en face de l'autre. 3. Dans une troisième variante les quatre danseurs se donnent les mains droites et tournent en moulin (marche) pendant la partie A. La partie B se danse comme ci-dessus. Quelle que soit la variante, les danseurs de passepied à quatre se livrent volontiers à quelques fantaisies pendant la partie B. L'une des plus communes est la suivante. Les deux partenaires se tenant côte à
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côte, mains droites unies, mains gauches unies, bras entrelacés, chacun d'eux pivote sur lui-même de 1800 vers l'axe de symétrie du couple, comme font les enfants dans leurs jeux de tresse. Cela se fait en quatre temps, sur l'un quelconque des motifs de la partie B. Au quatrième temps les deux danseurs (fille maintenant à gauche du garçon) se trouvent tourner le dos à l'autre couple. Ils mettent à profit les quatre temps suivants pour revenir face à lui. Mais cette fois, au lieu que chaque danseur pivote pour son propre compte, c'est le couple, qui, sans se déformer, effectue un demi-tour en sens de la montre, le garçon rigoureusement sur place, la fille décrivant autour de son cavalier comme pivot un petit demi-cercle. Elle n'en est pas moins toujours à gauche du garçon. Il faudra recommencer toute la manœuvre pour qu'elle se retrouve à sa droite. On constate fréquemment la présence de plusieurs formes au même lieu. Par exemple à Carhaix nous avons relevé simultanément la ronde, la chaîne, les deux files, la danse à deux couples ; à Poullaouën la ronde, les deux files, les deux couples; à Collorec la ronde et la chaîne; à Huelgoat la ronde et les deux lignes etc... Les derniers danseurs traditionnels, dans le temps où ils simplifiaient le pas, appauvrissant son dessin gestuel, enrichissaient au contraire la forme, donnant aux dispositions d'ensemble et aux évolutions une variété que les générations précédentes avaient ignorée.
V. — ACCOMPAGNEMENT
MUSICAL
Partout le passepied est tantôt joué par les sonneurs, tantôt chanté. Il est plus souvent sonné en Trégor, du fait de son insertion dans la suite réglée, plus souvent chanté en Haute-Cornouaille, où il trouve place dans les veillées plus que dans les réunions de quelque apparat. Quelle qu'ait été la solution concrète, le passepied est de ces danses qui appellent un accompagnement de l'extérieur. Ainsi le veut le pas employé dans la partie B, qui, pour être bien exécuté, demande une dépense d'énergie musculaire considérable et discontinue, mal conciliable avec le chant. La raréfaction des ménétriers en Trégor et Penthièvre, la nature même de la tradition en Haute-Cornouaille, en imposant un accompagnement surtout vocal, ont peut-être été pour quelque chose dans l'adoption si générale de variantes très simplifiées du pas. Au moins ne doit-on pas s'étonner de trouver beaucoup de différence, en pays de tradition vocale, entre les chansons qui servent à la gavotte et au bal, et celles qui permettent de danser le passepied. En
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pays bretonnant les récits de quelque ampleur non plus que l'expression lyrique ne sont jamais son lot. Au mieux il s'accompagne d'une brève chansonnette, comme celle-ci : 1.
Ma mestrez he deus eur gazeg hlaz, Ion la, Ma mestrez he deus eur gazeg hlaz (bis) 'Zebr 'med lann pilet ha radenn glaz.
2.
Pe ha va mestrez war hi hein, Ion la, Pe ha va mestrez war hi hein (bis) E lamm an douar hag ar vein.
(Ma mie a une jument grise — qui ne mange que de l'ajonc pilé et de la fougère verte. — Quand ma mie va sur son dos — volent la terre et les pierres.) (M. A. Caro, Plougonver, i960. D'après son père, J. Le Meur.) Plus souvent la musique s'appuie sur un texte de fortune, composé de fragments décousus, ou sur un couplet unique, renouvelable suivant les procédés de la chanson énumérative : 1.
Au premier de ligne, à petits pas, (bis) A petits pas, joliment, militaire, A petits pas, joliment, là-bas.
2.
Au deuxième de ligne ... etc. (J. Leroy, Plougras, 1959.)
1.
Passepie nevez, passepie plen, Neb a raio en a ranko bean den.
2.
Passepie nevez, passepie Gwerran, N'hini a raio n'ean, ranko bean koant.
(Passepied nouveau, passepied régulier, — celui qui le dansera devra être un homme. — Passepied nouveau, passepied de Guerrand — Celle qui le dansera devra être jolie.) (Commun, avec de nombreuses variantes.) Quellien1 (1888) observait déjà que le répertoire musical de cette danse est peu fourni. Les airs n'appartiennent pas à un type caractérisé. Pourvu que l'allure soit alerte, et que la seconde reprise se laisse par1. Chans. et dses., p. 40.
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tager en motifs de quatre temps dont le rythme ne contredise pas celui du pas, les danseurs se tiennent généralement satisfaits. On voit en Trégor par exemple des airs servir à la fois au passepied et au bal, voire aussi à la dérobée et à la polka piquée. Leur rythme assez indifférencié les rend aptes à ces emplois divers au prix de retouches minimes. Néanmoins un air l'emporte sur tous autres, au point de pouvoir passer pour le passepied par excellence en pays bretonnant. Il a souvent été noté. Parmi beaucoup de variantes, citons seulement cette version chantée de Haute-Cornouaille : J —136 env. Deom d ' a n un-ved, t r a - di- bi-di- bi-di-bi,deom d ' a n un-ved
tra- d i - b i - d a ,
D o u l b o m d ' a n un', tra- d i - b i - di-bi-di-bi, d o u l b o m d ' a n un',
t r a - di- bi- d a .
d o u l b o m d ' a n un', tra- di- bi-di- bi- di-bi, d o u l b o m d ' a n un',
tra-
di-bi-da.
J. Le Goff, Plévin, 1953. Ton original.
(Venons au premier, tradibidibidibi — Venons au premier, tradibida" doublons le un, tradibidibidibi, — doublons le un, tradibida). Rapportons encore l'air de passepied publié en 1780 par J.-B. Laborde. Les danseurs actuels n'auraient aucune peine à le reconnaître pour leur :
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u flr^r
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s
i M m i r i r r f l i f f
Laborde, Mus. anc. et mod., 4* livre, p. 443.
VI. — PASSEPIEDS B R E T O N S E T P A S S E P I E D S D E COUR Les maîtres à danser de la cour de France, et les historiens de la danse après eux, ont tenu pour assuré que les passepieds des salons français dérivaient d'une danse initialement empruntée aux Bretons. Rien
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à notre connaissance n'interdit de le croire. Mais le problème est entier de savoir quand se serait produit cet emprunt supposé, en quoi il aurait exactement consisté, comment la danse empruntée serait devenue celle que les traités de chorégraphie nous font connaître. Toutes questions auxquelles on se trouve empêché de répondre si l'on s'interdit de suppléer aux faits par l'imagination. Un premier obstacle tient aux limites de notre enquête : elle a porté sur la Basse-Bretagne et quelques communes du pays gallo voisin. Mais ce n'est là, nous l'avons dit, qu'une partie, et non la plus importante, du domaine du passepied. Des versions peuvent ou ont pu exister en Haute-Bretagne, dont on ne sait rien. Un second obstacle réside dans le silence des textes. Il faut attendre le x v m e siècle pour connaître enfin les mouvements des passepieds français 1 . Rien n'y rappelle, même de très loin, aucune des versions folkloriques actuellement recueillies. Ces passepieds aristocratiques sont écrits pour un couple, exceptionnellement pour deux. Tous usent du même pas, qui est fondamentalement le pas du menuet, agrémenté incidemment de balancés et de contretemps. Les figures sont du type qu'observent à cette époque toutes les compositions des maîtres de danse. A point nommé les partenaires se séparent, se rejoignent, se donnent la main, la quittent, avancent, tournent, etc... suivant des trajets minutieusement dessinés et réglés. Quant à la musique, l'article passe-piê de l'Encyclopédie la définit comme suit : « sorte de danse fort commune, dont la mesure est triple, se marque 3 /8, et se bat à un temps. Le mouvement en est plus vif que celui du menuet; le caractère de l'air à peu près semblable, et les mesures de chaque reprise y doivent être divisées de même en nombre pairement pair; mais l'air du passe-pié doit toujours commencer sur la croche qui précède immédiatement le frappé». Au total menuet et passepied usent à peu près des mêmes mouvements, l'un sur le mode grave, l'autre sur le mode enjoué. Il est impossible de voir en ces menuets brillants une danse bretonne simplement « remise en la propreté de l'art ». Force est d'admettre que le passepied de cour, au x v m e siècle, ne garde plus d'hypothétiques origines bretonnes que son nom. Il a dû être refait de toutes pièces. C'est un passé plus ancien qu'il faudrait pouvoir interroger. Malheureusement
i . Le plus ancien dont on possède la notation chorégraphique est une composition de Pécour. Il figure dans plusieurs recueils (FEUILLET, Chorégraphie ; RAMEAU, Abrégé. ; ANONYME, Contredanses pour un instrument, s. d., Opé. : Rés. 934.), souvent sous le nom de Passepied vieux. Dès 1700 en effet, Feuillet publie du même PÉCOUR un Passepied nouveau (petit cahier de 12 pages. Opé. : Rés. 841 (1)). D'autres suivent : « La Bretagne » (PÉCOUR, dans 30 recueil de danses de bal pour l'année I705) ; « Le passepied à quatre » (FEUILLET, dans 9 e recueil... pour Vannée I7II), sans compter les passages en passepied insérés dans des danses composites (PÉCOUR, « La Carignan », 2" recueil... pour l'année I704. ld. « La Nouvelle Bourgogne », dans 6° recueil... pour l'année I70S).
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les époques antérieures ne livrent que des informations trop rares et trop peu explicites. Il y a quelques indices que vers la fin du xvn e siècle le passepied ait été plus divers, au moins quant aux styles, qu'il ne l'est au xvin e . Bonnet 1 s'en souvient comme d'une de ces danses « nobles et sérieuses » tombées en défaveur après le mariage du duc de Bourgogne. Un recueil manuscrit où Philidor l'aîné a consigné de 1701 à 171 z la « Suite des dances pour les violons et hautbois qui se jouent ordinairement à tous les bals chez le R o y 2 » contient trente-cinq airs de passepieds dont plusieurs certainement depuis longtemps en usage. Certains ne portent aucune mention. Mais d'autres sont dits « de Bretagne », d'autres « de Poitou3 », d'autres encore « figurés », ce qui fait croire qu'il y a des passepieds sans figures. Il est donc probable que les notations du x v m e siècle font connaître un état de la danse qui peut-être n'est alors acquis que depuis peu, qui en tout cas vient seulement de s'imposer exclusivement. Pour la première moitié du xvn e siècle nous ne connaissons d'autres documents que les cinq airs de « Passepiedz de Bretaigne » publiés par Praetorius4 (1612) et les deux donnés en exemple par Mersenne6 (1636). Les deux auteurs leur attribuent une mesure en (p. Rien n'est dit des pas que ces mélodies accompagnent. Selon toute apparence elles convenaient à d'autres mouvements que ceux dont Feuillet en 1700 notera l'enchaînement. Reste cette fameuse page de 1 'Orcbêsographie où T. Arbeau analyse un branle qu'il nomme « Trihory ou Passepied de Bretagne ». Nous avons dit6 pourquoi, selon nous, Thoinot Arbeau était mal informé en ne voyant qu'une danse là où il y en a presque certainement deux. Aux raisons déjà invoquées, l'étude des passepieds populaires en ajoute de nouvelles. Non seulement les pas du trihori sont d'un autre type que ceux du passepied folklorique, mais le principe même de construction des deux danses est radicalement différent. Le trihori-passepied de YOrchêsograpbie ne diffère pas moins d'ailleurs de ce que Mersenne appelle Passepied de Bretagne cinquante ans plus tard. A défaut d'analyses des mouvements, la comparaison des musiques suffit à le prouver.
1 . BONNET, Histoire générale., p. 134. 2. B. N. : Vm7 35553. Selon un document produit par DESAIVRE Léo {« Un pèlerinage à Pitié en 1 6 3 7 », Rev. Trad. Pop., IV, 1889, p. 330) la jeunesse poitevine vers la même époque dansait en effet le passepied, mais il était dit « de Bretagne ». 4. PRAETORIUS Michel, Terpsichore., 1 6 1 2 , B.N. : Vm7 1478. 5. MERSENNE, Harm, univ., p. 169. Compte tenu des variantes, les deux ouvrages ne font connaître que cinq airs en tout. 6. Ci-dessus, p. 290-291.
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Les historiens qui ont suivi les suggestions de l'Orchèsographie ne se sont pas expliqués sur l'étrange métamorphose qui aurait mué le pas du trihori en celui du menuet. Laure Fonta 1 croyait relever un trait caractéristique demeuré constant à travers ces vicissitudes supposées : un certain mouvement rapide du pied gauche qui « s'avançait en glissant et en s'allongeant à terre comme une patte de jeune chat». On cherche vainement dans les documents originaux ce qui peut justifier ce propos, très souvent repris depuis, et visiblement suggéré par le nom même de la danse. En résumé la relation des passepieds français avec les passepieds bretons nous échappe à peu près entièrement. Ceux que les maîtres de danse chorégraphient au xviii e siècle n'ont de commun avec notre danse traditionnelle que le nom. Forme, pas, musiques, tout est tiré du fonds général de la danse de cour à la fin du xvn e siècle. Sur les époques plus anciennes l'absence presque complète de documents empêche de se faire une opinion. Le seul élément positif est cette appellation « passepied de Bretagne » constamment répétée à toutes les époques depuis le premier moment où il est fait mention du passepied dans la société française. Elle seule fait croire que la danse de cour imite à l'origine une danse de Bretagne ou au moins s'en inspire. Mais nul ne saurait dire sûrement quelle danse, ni dans quelle mesure l'imitation était fidèle au départ même.
i . Dans
ARBEAU,
OrcH., p. X X X .
LE JABADAO
Depuis l'époque des trihoris et des passepieds, aucune danse bretonne n'a fait parler d'elle plus que celle-ci. Pour Bouët 1 (1835) elle est « la plus renommée peut-être des danses bretonnes », pour Du Laurens de la Barre 2 (1878): «la danse bretonne par excellence»,... « la plus joyeuse et la plus hardie de toutes...»; pour P. Eudel® (1898) : «la vraie danse nationale...». Sa réputation est d'aloi douteux. Le nom même (outre jabadao et ses déformations, nous avons entendu sabatao et %abatao) évoque fâcheusement le sabbat. « Ober ar jabadao » se dit, suivant J . Le Doaré 4 , au sens du français « mener le sabbat ». Des vieillards de la Montagne Noire, à qui nous demandions s'ils avaient entendu parler d'une danse appelée jabadao, répondaient que non, mais que ce mot désignait dans leur jeunesse une assemblée où se produisent des désordres. Il est sûr au moins que le clergé a combattu cette danse avec une insistance et une vigueur particulières. Le premier témoignage s'en trouve chez Bouët 6 , qui s'étonne de tant de sévérité. Aux dernières années du xix e siècle l'interdit se maintient en quelques terroirs. Rien de plus parlant à cet égard que ce souvenir d'une enfance à Trégunc, rapporté en 1905 par l'abbé Guillerm 6 : « âgé à peine de neuf ou dix ans nous entourions avec d'autres enfants nos sonneurs, contemplant tour à tour sonneurs et danseurs, lorsqu'un groupe de jeunes gens vint demander aux binious de sonner le jabadao. Aussitôt, grand émoi, et un fort grand nombre de jeunes filles de prendre la fuite La danse terminée, les fugitives reviennent vers la place, puis ma propre tante accourt,
1. 2. 3. 4. 5. 6.
Br.-Iz., p. 427. Et. dses. bret., p. 276. A trav. la Bret., p. 126. Et. techn., 1-2-1936. Br.-Iz., p. 428. GUILLERM, Mèloi. bret., p. 22.
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toute courroucée : « Tu sais, lorsque tu iras à confesse, tu diras que tu as fait un péché mortel C'est un péché de danser le jabadao, et même de regarder danser .... C'est la danse qu'exécutaient les Juifs sur le Golgotha lorsqu'ils eurent crucifié Jésus ». Dans cette danse maudite et indéracinable quelques folkloristes ont vu le vestige d'un très ancien rituel antérieur au christianisme. A en croire Herpin 1 (1904) le jabadao aurait déjà frappé J. César. Guy Le Floch 2 se demandait s'il n'aurait pas été une ronde liée à un culte solaire. D'autres ont interprété la figure, aujourd'hui célèbre, du jabadao de Pont-Aven comme la concrétisation vivante du svastika, etc... Le silence des textes à lui seul rendrait suspectes ces façons de voir. Nous n'avons pas une seule fois trouvé le nom de jabadao, ni une allusion à une danse qui puisse le mériter, dans la littérature d'ancien régime. En 1795 encore, Cambry, si friand de tout ce qui porte «le caractère d'une haute antiquité », Cambry qui vient de visiter en détail le Finistère, n'en dit pas un mot dans la page qu'il consacre à « la danse et la musique des Bretons». Certes, en règle générale le mutisme des textes ne prouve rien. Mais dans le cas présent il s'agit, nous dit-on, de « la danse bretonne par excellence ». Est-il vraisemblable que les auteurs anciens intéressés par le répertoire breton l'aient ignorée ? Bien mieux, il s'agit d'une danse diabolique, que l'église condamne avec une rigueur particulière. Comment croire alors que les auteurs religieux du x v n e siècle, si préoccupés par les danses, n'en fassent jamais mention? En réalité une enquête étendue dans la tradition populaire dispense de spéculer sur l'antiquité du jabadao. Elle suffit, comme on verra, à donner une idée approchée de son âge. Cette recherche conduit très vite l'enquêteur à une première constatation : le jabadao n'est pas une danse bien définie, comme le laissent croire les textes qui le concernent. C'est un nom donné à plusieurs danses différentes. Nous passerons en revue dans cette monographie celles qui le portent le plus communément.
I. —
RONDES « E N A V A N T ET EN
ARRIÈRE»
L'expression « aller en avant et en arrière » n'appartient pas au vocabulaire des danseurs traditionnels. Nous l'empruntons aux maîtres de danse du xvni e siècle, qui désignent de ce nom une figure assez semblable à celle dont il va être question. 1. Noces., p. 77. 2- Cité par L E D O A R É , Et. techn., 1-2-1936. Dans « Le passé, le mystère et l'avenir des danses bretonnes » (Le génie français, mars 1936), L E F L O C H écrit d'autre part : • ...le jabadao est d'une origine rituelle et magique évidente. » Et plus loin : « ...ce qui est évident c'est que le jabadao est resté très longtemps une danse magique et a servi à célébrer un véritable mystère, dont la vue seule était réprouvée par l'église. »
LE
RÉPERTOIRE
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Les danses que nous réunissons sous ce titre sont des rondes. Du moins cette disposition est-elle toujours adoptée pour la partie A (deux phrases de huit temps). Les "danseurs sont en nombre pair, garçons et filles alternés. Le cercle tourne dans le sens de la montre. Pendant la partie B (deux ou quatre phrases suivant le lieu) la ronde peut, ou maintenir sa cohésion, ou se fragmenter en couples distincts qui continuent de faire face au centre. Les danseurs se déplacent suivant les rayons du cercle, quatre temps vers l'intérieur, quatre temps vers l'extérieur, et ainsi de suite alternativement. Nous avons signalé la présence au nord de l'Aulne de danses ainsi construites, qui portent le nom de bal et ont en effet la dualité de tempos caractéristique des bals cornouaillais. La forme entièrement en ronde est la plus commune. Dans tout le pays axé sur la route ChâteaulinBrest elle est tenue pour ancienne dans la tradition locale. Les témoignages concordants de plusieurs informateurs nés vers 1865 font croire pourtant qu'elle ne s'est généralisée qu'à la fin du xix e siècle. Elle aurait remplacé, soit la forme à partie B exécutée par couples, soit un bal à deux semblable au tamm kreii£ en va-et-vient des montagnes d'Arrée. Tout comme les bals montagnards, ces « bals » ont ordinairement deux phrases B. Les danses dont il va être question sont manifestement apparentées aux précédentes. Elles sont beaucoup plus largement distribuées (voir carte VIII). Elles usent en A et B d'un même pas (gavotte le plus souvent) et d'un même tempo. Leur nom le plus commun est jabadao. *
*
*
La danse présente deux variantes, selon que la partie B est dansée par des couples distincts ou par une ronde cohérente (comme l'est la partie A). 1. Elle ne se danse communément par couples en B, qu'en pays de Quimper et pays bigouden. Elle réunit deux ou quatre couples. Le pas est toujours le pas de gavotte, au moins pour la ronde de la partie A. Il est parfois remplacé par le pas de quatre dans la partie B (quatre phrases). Le dessin de celle-ci est souvent extrêmement simple : Le garçon, lâchant la main de sa voisine de gauche, garde celle de sa partenaire. Seuls ces bras intérieurs du couple (bras droit du garçon, bras gauche de la fille) ont un mouvement. Les bras extérieurs demeurent inertes. Pendant la première moitié de chaque phrase les couples avancent vers le centre, et leurs bras intérieurs s'élèvent progressivement vers l'avant : certains même s'amusent à faire toucher à leurs mains celles des couples vis-à-vis. Pendant la seconde moitié de la phrase les couples reviennent à reculons à leur place de départ et les bras se rabaissent
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progressivement le long du corps. En même temps que les danseurs avancent et reculent suivant les rayons, ils continuent de se déplacer faiblement en cercle. Les évolutions n'ont pas toujours cette extrême simplicité. En plusieurs endroits (Locronan, Plogonnec, Pluguffan, Gourlizon, Plozévet) nous avons vu des couples faire le premier trajet vers l'extérieur. Au départ chaque danseur, sans lâcher la main de son partenaire, fait un demi-tour sur lui-même (garçon dans le sens de la montre, fille en sens inverse) de sorte que la fille se trouve à gauche du garçon et que tous deux tournent le dos au centre. Ils avancent quatre temps vers l'extérieur du cercle, le garçon continuant à tenir de la main droite la main gauche de la fille. Les deux mains, unies par les petits doigts, sont levées devant le couple à hauteur de buste. Au terme de ce trajet, nouveau demi-tour de chaque danseur sur lui-même (fille dans le sens de la montre, garçon en sens inverse) et les deux partenaires reviennent vers le centre, fille à droite du garçon, mêmes mains toujours unies. Et ainsi de suite. De temps à autre le garçon peut aussi faire tourner la danseuse sur elle-même, un tour complet, sous son propre bras levé. En pays de Quimper et dans le nord du pays bigouden, cette danse est le second terme de la suite réglée. Elle suit la gavotte. Elle est suivie d'une ronde à permutation de danseurs. On la danse trois ou quatre fois d'affilée avant de passer à la ronde à permutation. Les sonneurs laissent entre elles un bref intervalle, ou au contraire les lient, changeant seulement de mélodie, pour indiquer le changement de figure. Dans les deux terroirs l'avant-arrière par couples passe pour ancien. Nos informateurs disaient l'avoir reçu de leurs aînés, et n'avoir connaissance d'aucun changement, ni dans la façon de l'exécuter, ni dans l'importance qui lui était reconnue. Le nom seul change d'un terroir à l'autre. En pays de Quimper la danse est appelée jabadao. Plus exactement elle est la première figure du jabadao, la seconde étant la ronde à permutation. Dans le nord du pays bigouden, la même danse est appelée bal par les vieux informateurs, le nom de jabadao étant réservé à la ronde à permutation qui la suit. Dans le sud du pays bigouden enfin, les dernières générations ne s'en sont pas tenues à une suite strictement réglée, et la confusion des danses et des noms est extrême. 2. Plus simple encore est la variante de la même danse exécutée entièrement en ronde. Pendant la partie B (quatre phrases) tous les danseurs ensemble vont vers le centre (quatre temps) et leurs bras peu à peu s'élèvent jusqu'à faire se toucher toutes les mains au temps 4. Tous les danseurs reculent (quatre temps) et les bras peu à peu redescendent le long du corps. Le cercle se contracte et se dilate en même temps qu'il tourne.
LE
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Cette variante est incomparablement plus répandue que la précédente. En plusieurs communes de la région de Quimper et du pays bigouden elle coexiste avec la forme par couples, dont elle paraît n'être qu'une variante dérivée, et souvent moins prisée. Elle est, comme elle, appelée jabadao en pays de Quimper, bal en pays bigouden. Les danseurs du Cap Sizun l'adoptent parfois comme plus facile que leur « bal » habituel et admettant plus de participants. D'où le nom de bal qu'ils lui donnent le plus souvent. Ils l'ont en piètre estime. Au nord de Locronan et Quéménéven, la forme par couples disparaît, la forme en ronde subsiste seule. Elle suit souvent la gavotte, est considérée par beaucoup comme la première figure du jabadao, et en général médiocrement goûtée. Il en est, ou a été ainsi dans le Porzay, le pays de Châteaulin, la base de la presqu'île de Crozon (jusqu'à Telgruc), ainsi qu'autour de Pleyben. Au-delà de l'Odet, la ronde avec mouvement d'avant-arrière est connue jusque vers Locunolé et Meslan à l'est, jusqu'à la bordure méridionale des Montagnes Noires (Saint-Goazec, Spézet, Le Saint, Langonnet, Gourin) au nord. Edern et Langolen sont les dernières localités vers l'est où nous lui ayons entendu attribuer dans la suite de danses la même place obligée qu'en pays de Quimper. Ailleurs cette ronde n'a généralement ni place précise dans le déroulement des danses, ni appellation fixe. Nous l'avons entendu appeler jabadao, ridée, gymnaska, bal à quatre, contredanse. La plupart des danseurs traditionnels qu'on peut rencontrer aujourd'hui ne cachent pas leur dédain pour cette pauvreté. Il semble que les générations précédentes n'aient pas partagé ce mépris. A Fouesnant, une informatrice 1 née en 1861 disait cette danse connue en sâ jeunesse, et c'est à elle seule qu'elle réservait le nom de jabadao. On la dansait de temps à autre, sans régularité. A Pont-Aven 2 et SaintThurien 3 nous avons recueilli une information absolument identique, de deux autres informateurs également très avancés en âge, et possédant comme la première une mémoire et une lucidité parfaites.
INTERPRÉTATION DES FAITS
Tel est, brossé à grands traits, le bilan de la tradition vivante. Quelques textes du xix e siècle peuvent aider à l'interpréter. Nous avons rapporté ceux qui concernent le bal à deux. Rappelons les conclusions qui s'en dégageaient : jusque vers 1875-80 la suite de 1. Mm» Caradec. 2. M m e Le Pape. 3. G. Le Gall.
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danses en pays de Quimper continue d'associer gavotte et bal à deux. En 1835 le bal paraît n'avoir comporté encore que des pas exécutés sur place, comme les bals anciens des Côtes-du-Nord et du Vannetais. En 1875 il comporte (en B) un va-et-vient avec tour de mains final. La danse a donc dû se transformer entre le premier et le dernier tiers du xix e siècle. Elle est devenue une danse à figure, et cette figure, au demeurant des plus simples, lui donne une analogie certaine avec les rondes « en avant et en arrière 1 ». Qu'enseignent d'autre part les textes relatifs au jabadao ? Ceci, qui est capital : dès 1835 les paysans de Kerfeunteun connaissent sous ce nom une danse qui semble être notre « avant-arrière par couples ». On ne voit en tout cas aucune danse bretonne connue à laquelle la description de Bouët 2 pourrait s'appliquer aussi exactement : « Nous ne devons pas omettre, parmi les danses bretonnes, celle qui est la plus renommée peut-être, mais non la plus répandue, puisqu'elle n'a pas franchi les frontières du Léon, où la danse fut toujours, comme la religion et les mœurs, beaucoup plus raide et plus sévère que dans la Cornouaille; nous voulons parler du vif et gai jabadao, qui, aux environs de Quimper, commence aussi par un cercle où l'on se tient quatre ou huit ensemble; chaque couple s'isole ensuite pour aller en avant et en arrière, et puis le danseur fait galamment pirouetter sa danseuse en lui passant la main au-dessus de la tête. C'est une danse, du reste, qui varie et se complique suivant les lieux, mais conserve partout son caractère d'abandon et d'agaçante folie. Un maître de ballet disait : que d'admirables choses dans un menuet ! Notre clergé dit : que d'abominables choses dans le jabadao ! Et la chaire, devenue si rigide pour les danses les plus innocentes, n'a pas assez de foudres à lancer contre cette espèce de fandango breton ! ». Ainsi, quand Du Laurens de la Barre en 1878 rédige son étude sur les danses bretonnes, il y a un demi-siècle au moins que la ronde en avant et en arrière coexiste avec le bal en pays de Quimper. Au départ ce « jabadao » et le bal semblent n'avoir eu en commun qu'un principe général de construction (une partie A en ronde; une partie B par couples). Au terme le bal (va-et-vient rectiligne avec tour final) est devenu beaucoup plus semblable au jabadao. L'idée que celui-ci a contaminé celui-là vient naturellement à l'esprit. D'où, à défaut de certitude, une vue plausible de leurs rapports. On peut raisonnablement imaginer que la vogue du jabadao « avant-arrière » 1 . B O U R G E O I S , (Recueil., pp. 6 et 7) est amené à décrire en termes très semblables le bal de Cornouaille (« ...c'est d'abord une promenade en rond, par couple, à chaque deuxième reprise de l'air annoncée par la bombarde, chaque couple exécute un balancé et un tour de main. 1) et le jabadao (« promenade en rond à la première reprise ; à la seconde on se sépare par groupes de deux ou quatre pour faire un balancé en levant les bras et autres figures.»). 2. Br.-Iz., pp. 427-428.
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vers le milieu du dernier siècle a eu pour conséquence en pays de Quimper la transformation (par contamination) du bal archaïque commun à la Cornouaille et au Vannetais, son évolution vers la danse à figure. Dès lors le pays de Quimper proposait aux terroirs ouverts à son influence deux interprétations de la figure « avant-arrière » : l'une en tempo et pas uniformes (le jabadao attesté par Bouët), l'autre en tempos et pas contrastés (le bal rénové décrit par De la Barre). L'imitation très libre de l'une et de l'autre devait aboutir aux versions locales de bals et de jabadaos dont nous avons donné une vue d'ensemble. Mais deux danses devenues aussi semblables pouvaient difficilement continuer de se transmettre simultanément. En pays de Quimper, comme on sait, ce fut le bal qui disparut. De même en pays bigouden, où l'avantarrière prit le nom de la danse qu'il remplaçait (bal). A l'est de l'Odet au contraire l'élaboration de nouvelles formes du bal à deux devait conserver à cette danse l'intérêt de son public. En regard de ses versions-types les plus jeunes, animées et bien équilibrées, c'est le jabadao avant-arrière qui devait finalement apparaître à son tour comme une danse désuète et de mince intérêt. *
RECHERCHE
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D'ANTÉCÉDENTS
ANCIENS
Disons tout de suite que nous ne connaissons aucune danse de ville dont l'ancien jabadao de la région quimpéroise pourrait être la simple copie. On doit seulement faire remarquer que les deux parties dont il se compose (A et B) ont beaucoup d'analogie avec des éléments constitutifs de la contredanse jrancaise (contredanse en ronde pour deux ou quatre couples) de la seconde moitié du x v m e siècle et du début du xix e . « Aller en avant et en arrière » (trajet de quatre temps en avant, suivi d'un recul égal) est la plus simple de toutes les évolutions qui composent les contredanses. Elle est aussi l'une des plus courantes. Elle est exécutée de plusieurs manières : par un cavalier et la dame de vis-à-vis (c'est l'en avant deux des quadrilles), par deux couples placés en vis-à-vis (en avant quatre), par un cavalier entre deux dames (en avant trois), par un cavalier avec sa dame, par un cavalier seul, par toute la ronde (en avant général). L'extrême simplicité de l'avant-arrière, la fréquence de ses réapparitions au cours d'une contredanse ou d'un quadrille, en faisaient un des éléments les plus faciles à saisir par des danseurs non exercés. L'abondance des «en avant deux» et «en avant quatre» dans les répertoires paysans de diverses régions françaises avant 1914 suffirait à prouver son succès.
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Les jabadaos ou bals que nous avons passés en revue seraient-ils, eux aussi, des en avant deux ou en avant quatre ou en avant huit ? C'est vraisemblable, sans plus. Les expressions mêmes dont se sert Bouët incitent à le croire. Cette « ronde où l'on se tient quatre ou huit ensemble », cette disposition par couples que l'on adopte aussitôt après « pour aller en avant et en arrière » semblent issues tout droit d'une contredanse d'époque révolutionnaire. Une structure très simple et dépourvue d'originalité foncière, une histoire déjà longue en milieu paysan, c'est plus qu'il n'en faut pour qu'on ne puisse aujourd'hui se prononcer plus catégoriquement sur l'origine de la danse.
II. — RONDES A PERMUTATION D E DANSEURS C'est aux danses de cette sorte que le nom de jabadao est le plus souvent donné. Elles ont des versions nombreuses qui toutes sont construites suivant un même principe général : La partie A (deux phrases de huit temps) est une ronde, le plus souvent pour deux ou quatre couples, tournant dans le sens de la montre. La partie B (quatre phrases de huit temps) amène chacun des participants à rencontrer successivement chacun des danseurs de l'autre sexe, avant de lui faire retrouver son propre partenaire aux dernières mesures. Dans la majorité des cas le tempo est uniforme et le pas de gavotte employé d'un bout à l'autre de la danse.
Le domaine actuel de ces jabadaos est sensiblement le même que celui de l'avant arrière (voir carte IX). C'est essentiellement la BasseCornouaille avec quelques prolongements dans la région montagneuse et le Haut-Vannetais. L'importance de cette sorte de danse dans la vie paysanne a beaucoup changé dans l'espace de temps que les témoignages oraux nous font connaître : i. Dans la jeunesse de nos plus vieux informateurs (nés avant 1875) deux régions seulement incorporent la ronde à permutation à la suite réglée : a) L'une, à l'ouest, correspond aux pays de Quimper (depuis Ergué-Gabéric et Landudal jusqu'à la mer) et Châteaulin, avec quelques annexes en pays bigouden et vers Pleyben. La ronde vient en troisième rang dans la suite. Suivant les lieux elle constitue le jabadao à elle seule (la seconde danse porte un autre
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nom) ou elle n'est que sa seconde figure (la seconde danse passe pour la première figure du jabadao). Ce groupement n'appartient pas à la plus ancienne tradition connue. Un témoignage unique, mais émanant d'un informateur d'une rare qualité situe vers 1885 au plus tôt l'implantation de la ronde à permutation dans le nord du pays bigouden. Elle est plus ancienne en pays de Quimper : Du Laurens de la Barre en 1878 fait connaître une suite de trois danses qui déjà la comporte. Mais dans la première moitié du siècle Bouët détaille une suite différente, où elle n'a pas encore pris place. b) A la fin du xix e siècle un seul autre terroir peut se comparer à la Cornouaille de Quimper et Châteaulin. C'est le petit pays compris entre l'Isole et l'Ellé, ayant pour principaux centres Querrien, SaintThurien, Lanvénégen, Guiscriff, Le Faouët. Les plus âgés de nos informateurs (le doyen, à Saint-Thurien2 est né en 1859) o n t toujours vu danser une ronde à permutation après chaque gavotte, comme second terme d'une suite qui n'en comportait que deux. Faute de texte relatif à ce terroir nous ignorons l'ancienneté de ce groupement. *
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2. Partout ailleurs les très vieilles gens n'accordent à la ronde à permutation qu'une importance mineure et parfois dérisoire. L'unanimité des témoignages est impressionnante. Que ce soit dans la campagne de Quimperlé, à Tréméven, à Pont-Aven, à Fouesnant, à Coray, Elliant etc... ils font connaître un même état de choses. A l'époque la plus ancienne qu'on puisse atteindre, cette danse n'était dansée que de loin en loin, dans une noce par exemple, ou pour terminer une réunion de danse, ou quand un sonneur en prenait l'initiative. Certains l'ignorent complètement. Plusieurs vont jusqu'à la dire inconnue dans leur adolescence. Elle peut l'avoir été en quelques endroits. Il est plus vraisemblable cependant que, connue de plus longue date, elle n'ait eu longtemps que peu d'adeptes. Son public paraît s'être recruté dans les petites villes et les bourgs plus que dans les campagnes. Le nom de jabadao ne lui est pas donné par tous à cette époque. Il domine dans les localités reliées par Pleyben au pays de Quimper-Châteaulin. Ailleurs prévalent des termes comme contredanse ou bal (Le Faouët, Scaër, Quimperlé, Spézet, Roudouallec, Gourin, Langonnet), bal à quatre (embouchure de l'Aven), bal à huit (Châteauneuf, Plonévez, Saint-Goazec). 1 . J . Pensee. 2• G. Le Gali.
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Inversement le nom de jabadao est souvent donné à d'autres danses (Avant-arrière, petistoup, etc...). ** *
3. Entre 1890 et 1914 l'importance de la ronde à permutation change assez peu dans la Cornouaille occidentale. Elle augmente au contraire considérablement à l'est de l'Odet. Cette danse se communique à de nouveaux pays, en direction de la Cornouaille des dans tro (elle apparaît à Paule sous le nom de dans mesket, danse mêlée) ainsi qu'en direction du pays d'en dro, par Plouay et Hennebont. Mais surtout elle élargit son public sur place. Il n'est plus de danseurs paysans qui l'ignorent. Quelques rares communes (Coray, pays de Fouesnant) lui mesurent encore chichement la place. Partout ailleurs elle joue un rôle très appréciable dans les réunions de danse. La suite réglée ne comporte toujours que gavotte et bal. Mais toutes les trois ou quatre suites les sonneurs enchaînent un « jabadao ». C'est le nom presque universellement donné désormais à la ronde à permutation. On peut prévoir le temps où elle sera incorporée à la suite réglée : à Elliant, à Pont-Aven, quelques danseurs l'ajoutent déjà au bal. A SaintEvarzec on fait suivre le bal d'un jibidi, ou d'un petistoup, ou d'un jabadao (ronde à permutation). A Gourin plusieurs remplacent la dernière gavotte (celle qui suit le bal) par cette ronde à figures, appelée contredanse comme la gavotte qu'elle remplace. Enfin, certains de ces jabadaos — celui de Pont-Aven en particulier — sont en passe d'acquérir une notoriété qui éclipse celle du jabadao de Quimper. Cette notoriété accrue va de pair avec la mise au point de versions nouvelles de la danse. En effet, contrairement encore à une opinion commune, les versions-types aujourd'hui célèbres sont fort peu anciennes. Elles ne remontent qu'aux dernières années du xix e siècle ou même aux premières du xx e . Elles dérivent d'autres versions actuellement sorties de l'usage, ou conservées seulement par places. Ce que nous pouvons atteindre de ces versions plus anciennes les montre différentes à l'ouest et à l'est du cours supérieur de l'Odet. En conséquence (et sans préjuger d'états plus anciens encore, qui peuvent avoir été moins dissemblables) nous distinguerons un secteur occidental et un secteur oriental de la danse.
A.
L E SECTEUR
OCCIDENTAL
Les rondes à permutation de ce secteur ont en commun le trait suivant. La permutation proprement dite s'effectue par déplacement
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simultané des hommes et des femmes, les femmes tournant dans le sens de la montre, les hommes en sens inverse. Mais la figure ainsi construite revêt des aspects très divers. Il existe deux versions principales.
i. Le double cercle simultané Cette version nous a été enseignée partout, de l'extrémité de la presqu'île de Crozon (à l'ouest) à Briec (à l'est); de Rosnoën et Quimerc'h (au nord) à Penmarc'h (au sud). Le dessin de ses évolutions est certainement stabilisé depuis longtemps. Aucun informateur, si âgé fût-il, ne nous en a fait connaître de plus ancien. La danse s'exécute généralement en pas de gavotte, et dans la forme que voici. La partie A (deux phrases de huit temps) est une ronde tournant en sens de la montre. Le nombre optimum de couples (partout respecté aux derniers temps de la tradition) est deux ou quatre. A la fin de la partie A tous les danseurs se lâchent les mains. Pendant la partie B (quatre phrases de huit temps) les filles, faisant face à gauche, décrivent un cercle dans le sens de la montre, les garçons, faisant face à droite, décrivent un cercle en sens inverse, concentrique et extérieur à celui des filles. Dans chaque cercle les danseurs, disposés les uns derrière les autres, maintiennent entre eux les intervalles égaux qui les séparaient à la fin de la partie A. Ils laissent pendre les bras le long du corps. A chaque phrase chaque exécutant croise un des danseurs de l'autre cercle (épaules gauches en regard). S'il y a quatre couples, chaque garçon croise successivement quatre filles différentes. S'il n'y a que deux couples, il croise sa propre partenaire pendant les phrases un et trois, l'autre fille pendant les phrases 2 et 4. Chacun de ces croisements s'accompagne d'un salut. Toujours placé au début des phrases, ce salut, assez cérémonieux, peut suspendre un moment la progression. Beaucoup de femmes en font une véritable révérence, qu'elles accompagnent d'un léger recul aux temps 1 et 2. Elles se redressent et amorcent leur progression aux temps 3 et 4. A la fin de la partie B chacun retrouve son partenaire et tous reprennent la ronde (A). *
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Tous nos informateurs disaient avoir reçu ce dessin d'évolutions de leurs aînés. Les plus âgés, en pays de Châteaulin et surtout en pays de Crozon, ne signalaient de changements que dans le pas et dans le
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phrasé. Ils avaient vu autrefois danser le jabadao, sans pas obligé (marche, course, gavotte etc...) et par un nombre quelconque de couples. Les sonneurs reprenaient l'air de la partie B autant de fois qu'il était nécessaire pour que chacun retrouve sa partenaire. Autrement dit la forme précise et stricte de la version type n'a dû se généraliser qu'assez tard. Ajoutons que très loin de là, en pays de Saint-Brieuc, nous avons retrouvé chez plusieurs vieillards le souvenir d'une danse toute semblable, aux pas près. Elle n'était pas appelée jabadao, mais contredanse1. Au moment où la tradition a pris fin, la version-type du double cercle simultané ne se maintenait que dans une partie de son ancien domaine. En pays de Châteaulin proprement dit nous l'avons trouvée pratiquement invariable, exécutée jusqu'à sa disparition dans la forme où les danseurs les plus âgés disent l'avoir reçue. Au contraire en pays de Quimper, dans le sud du Porzay et la région de Douarnenez la figure a subi des transformations, que les souvenirs concordants de plusieurs bons informateurs permettent de connaître avec un certain détail. La première modification apportée à la version-type fut minime. Dans les premières années de notre siècle, quelques garçons « délurés » remplacèrent la profonde inclinaison de buste dont on saluait la danseuse par une longue poignée de mains droites donnée au passage. Le geste était peu aisé pour deux danseurs qui se croisent épaules gauches en regard. Il les obligeait, pour demeurer face à face, à se détourner un instant de leur propre direction de marche. Peu goûtée à ses débuts, cette pratique inharmonieuse devait pourtant devenir courante dans tout le pays au sud de Briec, Plogonnec, Le Juch. Du jour où elle se généralisa, l'équilibre de la version type fut rompu, et la porte ouverte à de nouvelles transformations. A travers beaucoup de tâtonnements l'évolution ainsi amorcée devait conduire autour de Quimper et jusqu'à Edern à l'est, à la version-type nouvelle que voici : Les deux danseurs avançaient l'un vers l'autre, pendant les quatre premiers temps de la phrase. Après quoi le garçon dansait sur place, uniquement occupé de diriger sa partenaire, qui ne se déplaçait plus que guidée par lui. Vers le temps 4 il prenait de la main droite la main droite de la fille, pour ne la lâcher qu'aux temps 7 ou 8. Il pivotait d'un demitour sur lui même en sens inverse de la montre, conduisant la danseuse jusqu'à la nouvelle place qu'elle devait occuper, entre lui et le garçon suivant.
1. Telgruc) consiste (un tour suivant,
Aussi bien en pays de Saint-Brieuc qu'en Cornouaille (Pleyben, Irvillac, Argol, quelques-uns nous ont aussi montré une forme rudimentaire de la danse, qui à tourner sur place avec chacun des partenaires successivement rencontrés par phrase, à deux mains, ou de la main droite avec l'un, de la gauche avec le etc.)
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Le chemin de la fille s'était compliqué en conséquence : tout en passant d'une place à l'autre elle effectuait un tour complet sur elle-même (sens inverse de la montre). Ce tour s'achevait à la fin du temps 7, quand, juste avant de lâcher la main de la danseuse, le garçon lui donnait une dernière impulsion, plus vive, qui la disposait face au cavalier suivant. Lui-même se retournait immédiatement vers la droite, faisant son premier pas en direction de la nouvelle fille qu'une manœuvre identique venait d'y amener. Autant que des explications uniquement verbales permettent de le savoir, le mouvement du garçon était plus réduit encore au sud-est de Quimper (entre l'Odet et une ligne Kerfeunteun—La Forêt-Fouesnant). Le garçon, dansant uniquement sur place, se tournait vers la droite pour accueillir sa voisine, qu'il guidait devant lui dans la seconde moitié de la phrase, en pivotant vers la gauche. Précisons qu'en ce dernier terroir, où nos vieux informateurs n'avaient du jabadao à permutation qu'une notion confuse, nous n'avons jamais recueilli le double cercle simultané. Qu'il soit à l'origine de la version qui vient d'être décrite est seulement une supposition très probable.
2. Le reculer-croiser
Nous l'avons recueilli partout entre l'embouchure de l'Odet et celle du Goyen (jamais plus à l'ouest). Autour de Pont-l'Abbé nos informateurs nous ont enseigné tantôt cette forme, tantôt le double cercle. Dans le nord du terroir nous n'avons eu connaissance que du reculer-croiser. C'est à Plozévet qu'il nous a été montré et enseigné de la façon la plus parfaite avec ses trois variantes très précises : jabadao à quatre, à six, et à huit. Jabadao à quatre
Pendant la partie A (deux phrases) les quatre danseurs forment une ronde qui tourne en pas de gavotte uniformément vers la gauche. Aux dernières notes les danseurs se lâchent les mains. La partie B comprend quatre phrases. Chacun fait face à son partenaire et danse avec lui pendant les deux premières : Première phrase : les deux danseurs reculent (temps 1 à 4) puis avancent (5 à 8) à la rencontre l'un de l'autre. Deuxième phrase : ils reculent à nouveau, mais fort peu (1 à 4) puis échangent leurs places
i . Par J . Pensee.
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(5 à 8) en se croisant, le garçon passant à l'extérieur, la fille à l'intérieur. Certains se contentent d'un trajet rectiligne épaules gauches en regard, mains droites brièvement serrées au passage. Mais les bons danseurs donnent à la figure un dessin beaucoup plus soigné, très semblable à celui que nous avons décrit pour l'est du pays de Quimper (jusque vers Edern). Le garçon, dès qu'il arrive à portée de sa partenaire (vers le temps 5 de la deuxième phrase, s'il a peu reculé de 1 à 4) prend sa main droite de la main droite pour la guider jusqu'à la nouvelle place qu'elle doit occuper. Il lui fait faire un tour complet sur elle-même (à reculons) en sens inverse de la montre, et ne l'abandonne qu'après l'avoir disposée face au garçon qui le suit. Cette manœuvre amène le cavalier à se retourner lui-même (un demi-tour sur soi en sens inverse de la montre) vers son point de départ. Pour faire face aussitôt après à l'autre danseuse qui au même moment arrive à sa droite, il continue de tourner sur luimême dans le sens inverse de la montre : un demi-tour —- fin du temps 7 et temps 8 — achevant le tour complet. Pendant les deux autres phrases chaque garçon répète les mêmes évolutions avec l'autre fille, de sorte qu'à la fin de la partie B les quatre danseurs se retrouvent disposés comme au début de la danse.
Jabadao à huit
Les évolutions sont les mêmes (deux phrases A en ronde, quatre phrases B en reculer-croiser), à ceci près que les danseurs ne consacrent qu'une phrase B à chacun de leurs vis-à-vis successifs : quatre temps pour reculer, quatre temps pour croiser. Chacun décrit alors les quatre côtés d'un carré, et non deux comme dans la variante précédente. On retrouve encore son partenaire à la fin de la partie B.
Jabadao à six
C'est un compromis entre le jabadao à quatre et le jabadao à huit. Chacun danse avec son partenaire pendant les deux premières phrases B : reculer (1 à 4), avancer (5 à 8), reculer (1 à 4), croiser (5 à 8). Les phrases trois et quatre se dansent comme dans la version à huit danseurs: un simple reculer-croiser (huit temps en tout) avec chaque nouveau vis-à-vis. Construits suivant un même principe général, le double cercle quimpérois et le reculer-croiser bigouden diffèrent beaucoup par l'apparence concrète. D'un côté une figure où les deux sexes agissent parallèlement, également, et sans contact entre eux. De l'autre une figure dont la direc-
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tion appartient aux hommes, où hommes et femmes ont des dessins de mouvement différenciés. D'un côté un trajet circulaire à peu près uniforme. De l'autre un jeu réglé de reculs, d'avancés, de croisements, s'exerçant suivant les côtés d'un carré. Il est hors de doute pourtant que les deux formes sont étroitement apparentées. Aux confins des deux terroirs, et particulièrement entre Plozévet et Poullan, on relève entre elles tous les intermédiaires. Mais leur différenciation est déjà assez ancienne pour qu'il soit désormais impossible de préciser sûrement la nature de leur parenté. On voit en pays de Crozon comme dans le sud du pays de Quimper certains danseurs du double cercle, dociles à la césure mélodique, élargir le salut des débuts de phrases en un mouvement de recul de quatre temps suivi d'une avance égale. On sait d'autre part, par l'exemple des versions les plus jeunes du pays de Quimper (lesquelles d'ailleurs doivent probablement quelque chose à la contagion du jabadao bigouden) comment le mouvement de conduite de la fille par le garçon peut s'élaborer progressivement à partir d'un état antérieur qui ne le comportait pas. Tous exemples qui permettent d'imaginer la transformation du double cercle en reculer-croiser. Mais la preuve de cette transformation probable fait défaut. B. —
Versions-types
L E SECTEUR ORIENTAL
anciennes
Le jabadao ancien du secteur oriental diffère de celui de la Cornouaille occidentale en ce que l'évolution caractéristique de la partie B est faite par les filles seules ou par les garçons seuls, jamais par les deux sexes à la fois. Cette forme ancienne de la danse revêt deux modes principaux : 1. Dans certaines versions l'évolution caractéristique de la partie B, exécutée une première fois par les filles, a sa contrepartie dans la même évolution exécutée peu après par les garçons. La danse réunit en principe deux ou quatre couples. Elle se déroule généralement ainsi : Après la ronde (partie A) les danseurs se lâchent les mains, les garçons restent sur place immobiles, les filles décrivent dans le sens de la montre un cercle intérieur, durant toute la partie B, en saluant les deux ou quatre garçons qu'elles rencontrent ainsi successivement. A la fin de la quatrième phrase B elles sont revenues à la droite de leur cavalier. Les mains se reprennent, la ronde générale (A) recommence. A la fin de la seconde phrase A les danseurs se lâchent de nouveau les mains. Cette
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fois ce sont les filles qui demeurent sur place. Les garçons décrivent en sens inverse de la montre un cercle (extérieur ou intérieur selon les variantes). A la fin de la quatrième phrase B ils sont revenus à leur place de départ, chacun à gauche de sa partenaire. Tous recommencent alors la ronde (A) et la danse continue ainsi, la partie B alternativement dansée par les femmes et par les hommes. Les variantes, minimes, tiennent au pas employé (souvent pas de gavotte, quelquefois marche), et au dessin de l'évolution. Au lieu de parcourir un cercle, les filles peuvent décrire une suite d'arcs de cercle, de la droite d'un danseur à la droite du suivant, de là à la droite du suivant, etc... (un arc par phrase). Elles peuvent aussi (Plonévez-du-Faou) passer devant leur propre cavalier, derrière le garçon suivant, devant le troisième, etc. Nous n'avons recueilli ces versions à double cercle alterné qu'à la périphérie du massif îpontagneux, à son contact avec la Basse-Cornouaille. En dehors de Scaër (où dès 1890 cette figure devait être devenue rare; un seul de nos informateurs 1 l'avait connue) les localités où elles se sont conservées paraissent axées sur deux routes, celle qui joint Pleyben à Brasparts et Lannédern, celle qui relie Pleyben à Châteauneuf-du-Faou, Gourin et Guémené. ** *
2. Dans une seconde sorte de versions, les filles seules accomplissent l'évolution circulaire de la partie B. Il n'y a aucune contrepartie des garçons. Les danseurs sont le plus souvent au nombre de quatre ou huit. En quelques communes toutefois on se souvient de rondes qui en réunissaient davantage. Pendant la partie B les filles décrivent un cercle intérieur ou une suite d'arcs de cercle devant les garçons (une phrase musicale par arceau). Elles saluent au passage le cavalier qu'elles croisent. Une variante facultative (Lennon, Edern) consiste à passer devant un garçon, derrière le suivant etc... Quant aux garçons, ou ils restent totalement immobiles et saluent au passage chacune des filles qui passent devant eux, ou ils font alternativement quatre pas en avant et quatre pas à reculons. Cette façon de faire prévalait en Finistère méridional dans les dernières années du xix e siècle. Les versions de cette seconde sorte (évolution circulaire de la partie B réservée aux filles) ont un domaine beaucoup plus étendu que les précédentes :
1. M. Floch.
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oc) Elles sont conservées comme elles sur la bordure méridionale des Montagnes Noires, où elles sont dites jabadaos quelquefois, plus souvent bals à huit ou contredanses. |3) Elles ont eu cours, vers 1885-95, dans les terroirs plus méridionaux. Elles ont été appelées jabadaos, mais surtout contredanses (entre Le Faouët et Quimperlé) et bals à quatre (autour de Pont-Aven). y) On les retrouve en des régions du Vannetais soumises à l'influence cornouaillaise (pays de Guémené, Plouay, Le Faouët). S) Enfin elles ont eu un minuscule public en quelques communes du Haut-Léon. Elles y témoignent de l'influence de Brasparts et Lannédern relayés par Saint-Cadou. Élaboration de versions nouvelles Les transformations de la danse à la fin du xix e siècle ont même allure générale en secteur oriental qu'en pays de Quimper. Elles sont liées ici encore au développement chez les jeunes d'un climat psychologique nouveau. Le comportement mutuel dans la danse devient plus libre. Le danseur de jabadao ne se contente plus de saluer au passage la fille qui passe devant lui. Il la dirige lui-même vers la place qu'elle doit gagner. Ainsi s'amorce une évolution de la forme d'où devaient finalement résulter des versions nouvelles. A travers les récits et démonstrations des vieilles gens, on discerne dans cette élaboration deux étapes. a) La première se caractérise par un foisonnement anarchique de variantes individuelles. Diversité dans la façon de tenir la partenaire : certains cavaliers lui donnent une main, d'autres les deux mains, ou entourent sa taille de leur bras droit, ou la tiennent comme pour valser, ou la prennent à deux mains, aux coudes ou aux épaules. Diversité dans la façon de la conduire. Certains ne lui donnent qu'une impulsion de départ; après quoi ils la lâchent. Elle poursuit alors son trajet comme dans les versions anciennes, toujours face à la direction où elle progresse. Les plus nombreux dirigent la danseuse jusqu'à sa nouvelle place. Ils ne l'abandonnent qu'après l'avoir menée à la droite du garçon suivant, par un trajet moins simple que l'ancien. On nous a même signalé (Kéroren en Névez) une variante où le garçon dansait sur place, face au centre, amenant la fille à passer non devant lui, mais derrière. Selon les façons de faire et selon le danseur, la correspondance du mouvement à la musique est plus ou moins satisfaisante. Elle laisse parfois beaucoup à désirer. Nous avons vu des danseuses, vigoureusement lancées, achever leur trajet avant la fin de la phrase et marquer les derniers temps sur place.
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Les danseurs se satisfont mal de ces disharmonies. Ils s'efforcent d'instinct d'y remédier. La recherche d'une façon agréable et efficace de conjuguer les mouvements masculins et féminins, le besoin d'unifier étroitement le mouvement et la musique, semblent avoir été les ressorts de l'évolution qui, à travers ces tâtonnements que nous ne faisons qu'entrevoir, devait aboutir aux versions actuelles. b) La seconde phase de l'élaboration se caractérise en effet par la mise au point de versions-types nouvelles, se dégageant de la multitude des variantes pour s'imposer au plus grand nombre. Ces versions se ramènent à deux principales, d'ailleurs fort proches l'une de l'autre : jabadao à deux mains, « à la mode de Scaër » ; jabadao à une main souvent dit « de Pont-Aven ». Elles paraissent, grosso modo, caractériser deux régions. i. Le jabadao à deux mains « mod Skaer » est le plus souvent dansé par deux ou quatre couples. Toute la danse s'exécute en pas de gavotte. La partie A (deux phrases de huit temps) est une ronde (se tenir par la main) tournant uniformément vers la gauche. A la fin de cette partie chaque garçon abandonne la main de sa voisine de gauche. La partie B comprend quatre phrases de huit temps. Pendant la première, chacun danse avec son partenaire. Les deux danseurs se font face et se donnent les deux mains (main droite de l'un dans main gauche de l'autre). Pendant les temps i à 4 de la phrase les quatre couples décrivent simultanément et chacun sur sa place un quart de cercle (sens de la montre) à la fin duquel ils se trouvent disposés en croix, filles à l'extérieur, garçons au centre, chacun des garçons tournant le dos aux trois autres. Pendant les temps 5 à 8 chaque couple effectue en sens inverse, sur place, trois quarts de tour qui ramènent les huit danseurs en cercle, avec permutation des partenaires : le garçon achève la phrase à la place où la fille l'a commencée et inversement. Sur la fin, alors que la fille arrive à sa nouvelle place, le garçon lui lâche la main gauche, et, de sa propre main gauche lui donne une impulsion qui achève de la faire se retourner face au garçon suivant. Elle se trouve donc avoir finalement tourné sur elle-même (un tour un quart en sens inverse de la montre) tout en passant d'une place à l'autre. Pendant la seconde phrase B chaque garçon recommence la même manœuvre avec la nouvelle fille qui vient d'arriver à sa droite. D e même, pendant les troisième et quatrième phrases B il fera danser respectivement les troisième et quatrième filles. A la fin de cette quatrième phrase sa propre partenaire reviendra à sa droite. Les huit danseurs se redonneront alors les mains, pour recommencer la ronde de la partie A . Les mouvements sont les mêmes quand la danse est faite par deux couples. Chaque cavalier danse alors avec sa propre partenaire pendant les phrases 1 et 3, avec celle de son vis-à-vis pendant les phrases 2 et 4.
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Le jabadao à deux mains domine dans un terroir dont les limites sont approximativement : la route de Coray-Rosporden, la route Rosporden-Quimperlé (avec quelques prolongements, notamment vers Le Trévoux et Baye); la route Quimperlé-Le Faouët (prolongements vers Meslan-Berné) et Le Faouët-Langonnet; une ligne Gourin-Leuhan. La position de Scaër au nœud des routes qui parcourent ce territoire s'accorde bien avec le rôle que nous lui avons souvent entendu attribuer de centre de diffusion. Les estimations de dates fournies par les informateurs, si l'on pouvait leur accorder une totale confiance, feraient croire que la figure est née à Scaër même. Selon plusieurs d'entre eux, elle y aurait été dansée vers 1885 dans la même forme qu'aujourd'hui. Elle paraît s'être propagée lentement, coexistant longtemps avec les autres variantes antérieurement pratiquées, avant de l'emporter sur elles. En plusieurs localités périphériques, elle ne se serait imposée qu'après 1900. * * *
2. Le jabadao dit « de Pont-Aven » diffère du précédent par sa partie B. Pendant les quatre premiers temps de chaque phrase les hommes avancent vers le centre du cercle, tout en se tournant progressivement d'un quart de tour vers la droite. Quand ils arrivent au contact les uns des autres au terme de cette première moitié de phrase, ils présentent donc le flanc gauche au centre. Si chacun d'eux a la main gauche posée sur la hanche, les quatre bras coudés sont à ce moment disposés en croix. Durant cette première moitié de phrase, les filles, faisant face à gauche, commencent à avancer sur le cercle, chacune vers la place qu'occupait son danseur au départ. Au temps 4, l'homme et la femme, dans chaque couple, se retrouvent donc à peu près côte à côte, mais en sens opposé l'un de l'autre. En ce même temps 4, parfois même un peu avant, ils se prennent les mains droites. Pendant les temps 5 à 8, le garçon décrivant une petite courbe à reculons, revient à sa place de départ, ou même légèrement plus à droite, cependant qu'il fait passer sa danseuse devant lui, de manière qu'à la fin de la phrase elle se trouve à sa gauche sur le cercle. La fille, qui s'est déplacée peu, à petits pas, pendant la première demi-phrase, décrit un trajet ample et plus complexe (tour complet sur soi-même à reculons, en sens inverse de la montre) pendant la seconde. Tel est le jabadao que nous ont montré presque tous nos informateurs au sud de la route Rosporden-Quimperlé. Nous n'avons pu savoir s'il était un réarrangement du « mod Skaer » ou s'il procédait d'une élaboration locale autonome. Il paraît n'avoir pris sa pleine valeur de version-type qu'aux premières années de notre siècle.
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** *
Les deux versions, comme on voit, diffèrent par des particularités non négligeables. Mais l'une et l'autre sont parfaitement réglées, « commodés» jusque dans le détail, et susceptibles d'un dessin de mouvement harmonieux, en accord étroit avec l'accompagnement musical. Un peu avant 1914 les rondes à permutation de type ancien (double cercle alterné, cercle des femmes devant les hommes immobiles) dits contredanses, ou bals à quatre et à huit, n'avaient plus cours qu'en quelques communes voisines des montagnes. Partout ailleurs les jabadaos à une ou deux mains avaient pour eux la majorité — souvent la totalité — du public. La plupart cïés derniers danseurs traditionnels ignorent aujourd'hui jusqu'à l'existence des formes-types anciennes.
C. —
ACCOMPAGNEMENT
MUSICAL
Tout air de gavotte auquel on peut donner quatre phrases B distinctes et césurées permet de danser indifféremment le jabadao avantarrière ou le jabadao à permutation. On ne doit donc pas s'étonner de voir certains sonneurs employer pour le jabadao des airs qui plus généralement servent à la gavotte. Il est frappant au contraire de constater que les airs réservés au seul jabadao sont en nombre infime. Le répertoire musical propre de cette danse est étrangement pauvre. Quelques mélodies pourtant ne lui sont jamais contestées. L'air suivant paraît avoir été particulièrement populaire dans la Cornouaille nord-ouest. En voici deux versions recueillies l'une en presqu'île de Crozon où elle est très commune, l'autre au nord de l'Aulne :
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PALUD, Crozon, 1952.
LE RÉPERTOIRE
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met.
M. C. R i o u , Irvillac, 1954.
(Avec les garçons du jabadao — sont allées toutes les jolies filles — Oh ! que non, que non, — Les plus jolies sont restées.) C'est à une autre famille qu'appartiennent les airs les plus généralement tenus désormais, par les collecteurs et les informateurs eux-mêmes, pour airs typiques de jabadaos. Ils sont apparentés à certains tons longs de gavotte connus en Haute-Cornouaille. Nous avons rencontré partout des airs de cette famille, depuis Audierne et Douarnenez jusqu'à Guémenésur-Scorff et aux approches de Baud. On en relève plusieurs dans le recueil de Bourgeois, où ils sont attribués les uns à la gavotte, les autres au jabadao (sans précision du type de la danse). Tous les collecteurs ultérieurs en ont recueilli. Nous rapprocherons seulement deux notations dont il est instructif de comparer les phrasés. La plus ancienne, due à Bourgeois (fin du xix e siècle), donne deux phrases à la partie B. Il ne s'agit pas d'un oubli : tous les airs de jabadao du recueil ont même coupe, et l'auteur, comme on sait, a une fois pour toutes averti dans sa préface que « tous les airs de danse sont composés de deux reprises de huit mesures à 2/4 ou 6/8 ». La première notation — connue de nous — à donner quatre phrases à la partie B est celle que fait Guillerm vers 1905 à Trégunc (avec deux variantes possibles pour la partie B). Toutes les notations plus tardives, et toutes les versions que nous avons recueillies, ont cette structure.
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A . BOURGEOIS, Recueil;
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111.
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DANSE
GUILLERM
EN
et
BASSE-BRETAGNE
HERRIEU.
Mélod. bret., p.
22.
D e ces documents qui font présumer, d'une génération aux suivantes, une différence de la forme mélodique, il faut rapprocher le témoignage de nos plus vieux informateurs, qui, si souvent, et en des terroirs divers, se rappellent avoir vu autrefois une partie B de longueur variable. C'est apparemment quand se sont imposées les versions-types pour quatre couples de la ronde à permutation, que la structure musicale s'est établie elle aussi définitivement dans la forme précise et obligée qui était finalement la sienne : A : deux phrases; B : quatre phrases. Tributaire du mouvement, cette forme stricte s'impose à lui en retour (par exemple le jabadao à six a dû s'ajuster au cadre qu'elle fixe). Elle se communique aux autres figures associées à la ronde à permutation. C'est vraisemblablement l'origine des quatre phrases B du jabadao avantarrière et du bal à deux contaminé par lui. Si cette interprétation est exacte l'actuel bal à deux du Finistère méridional (voir ci dessus p. 474) serait doublement redevable au jabadao. Il aurait reçu du jabadao « avant-arrière » ses trajets contrastés. Il aurait (indirectement) reçu du jabadao à permutation la composition en quatre phrases de sa partie B. O n sait que les versions-types finales de l'Aven sont nées de cette conjonction. ** *
L'absence de vraies chansons de jabadao est un autre fait très remarquable qui oppose cette danse aux rondes et aux bals. Les communes où toute danse est normalement chantée ont, bien entendu, adapté quelques chansons à la « contredanse » (Le Saint, Langonnet) ou « dans mesket » (Paule) qu'elles recevaient de la Basse-Cornouaille. Même là, le répertoire est dérisoirement pauvre en comparaison
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de celui de la gavotte et du bal. Enfin, partout ailleurs les seules paroles que nous ayons entendues sont du type rapporté plus haut à Crozon et Irvillac (couplet unique, aux épithètes changeantes). De cette indigence poétique on doit rapprocher le fait que les jabadaos à permutation sont si largement répandus en Cornouaille d'accompagnement instrumental, si maigrement représentés au contraire, ou depuis si peu de temps, en pays de kan ha diskan. De toute évidence les sonneurs ont joué un rôle décisif dans la diffusion de cette danse. Rappelons les changements que nous avons constatés dans la composition de la suite en pays de ronde suivant la nature de l'accompagnement : suite tripartie ancienne sans jabadao en cas de danse chantée, suite variable incluant diverses danses de cachet plus récent ( dont le jabadao) en cas de danse instrumentale. Rappelons aussi qu'en ces mêmes régions les dernières générations ont vu simultanément l'accompagnement instrumental se vulgariser, et le jabadao étendre son public. Les deux phénomènes sont liés.
D.
—
RECHERCHE D'ANTÉCÉDENTS
ANCIENS
Sur l'histoire de la ronde à permutation en milieu populaire breton avant l'époque des témoignages oraux, notre documentation tient tout entière dans les trois textes qui suivent. En 1850, Bachelot de la Pylaie 1 observe au Fret (sur la rade de Brest), en période de carnaval, dans une réunion où dominent des marins, un enchaînement d'évolutions où il voit une « contredanse bretonne » et qu'il caractérise ainsi : « On commence ces contredanses bretonnes par le grand tour : c'est une espèce de chaîne anglaise au pas de course; la seconde figure est la gavotte, qui se compose de divers balancés avec tours de main et changement de dames : celui-ci porte le nom particulier de jabadaou; la troisième et dernière figure est le bal, lequel consiste en une chaîne rompue, dont les sections agissent partiellement en se tournant et retournant alternativement en sens inverse. Cette figure termine de rigueur chaque contredanse : l'ensemble des trois dure de six jusqu'à dix minutes, à la volonté du sonneur. Comme ce genre de danse admet autant de personnes qu'il s'en présente, il n'y a jamais qu'une seule contredanse à la fois dans l'appartement, parce que tout le monde peut y prendre part2. » 1. Et. arch., p. 4 1 1 . 2. Il est tentant de reconnaître dans le « bal » terminal l'avant-arrière du pays de Quimper (c'est-à-dire vraisemblablement l'ancien jabadao de Bouët, déjà substitué par places au bal ancien). Rappelons le nom de bal effectivement donné à cette figure en pays bigouden.
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En 1858, au cours d'un voyage officiel en Bretagne, l'empereur et l'impératrice voient danser à Napoléonville (Pontivy) diverses danses bretonnes, dont un jabadao final. On ne dit pas de quel terroir viennent ses exécutants. L'historiographe du voyage 1 décrit ainsi la danse : « Réunis en rond, les danseurs et les danseuses tournent pendant quelques instants en se tenant la main, puis se séparant tout à coup, danseurs et danseuses commencent un chassé croisé général qui continue jusqu'au moment où chaque danseur ayant fait le tour du cercle, les couples se trouvent formés comme au début. A u moment où le danseur, ayant croisé devant la danseuse, vient dans le rond faire un saut, il agite son chapeau en l'air en saluant leurs Majestés par un chaleureux vivat, suivi du cri prolongé qui sert d'appel aux habitants dans les campagnes. » Le troisième texte, de vingt ans postérieur, est dû à Du Laurens de la Barre 2 et concerne le jabadao « du pays de Quimper » : « On commence par faire un tour circulaire, deux par deux, sur la place où se tient la fête, soudain, au signal donné, division complète; les couples se séparent brusquement et semblent s'élancer dans l'arène pour le joyeux combat. Les danseurs passent une fois, ou balancent (pour employer une expression moderne) avec leurs danseuses, et continuant leur course rapide, vont repasser ainsi devant chaque dame, en sautant et bien souvent (le bon cidre aidant) avec plus de vivacité que n'en exige la mesure. Cela dure jusqu'à ce que chacun soit revenu au point de départ. On dirait, au premier aspect, une course échevelée, une mêlée véritable. Dans certains cantons retirés, cela ressemble à une réminiscence de sabbat. » C'est, au total, fort peu d'indications, et de médiocre qualité. Soulignons pourtant deux points : 1. Bachelot de la Pylaie voit le « jabadaou» inséré dans un enchaînement complexe, qui est à ses yeux une contredanse. Il précise que des balancés et des tours de mains lui sont intimement associés. 2. D u Laurens de la Barre est frappé par l'allure désordonnée de la danse. Nos informateurs au contraire témoignent de son style grave. Comme si, à deux ou trois générations de distance, les danseurs avaient des évolutions une maîtrise toute différente. S'ajoutant aux enseignements multiples que nous avons dégagés de la tradition orale (réduction du domaine géographique du jabadao et
1. POULAIN-CORBION J.-M., Récit du voyage de leurs Majestés VEmpereur et l'Impératrice en Normandie et en Bretagne, Paris, Amyot, 1858, in-18, XVI-272 p., p. 160. 2. Et. dses. bret., p. 276.
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de son public rural à mesure qu'on remonte l'espace de temps ouvert à l'enquête; lien entre cette danse et les sonneurs, etc...) ces faits conduisent à se demander s'il n'y aurait pas à l'origine du jabadao quelque emprunt relativement récent à l'actualité citadine. *
*
*
Le répertoire des salons a effectivement usé de figures comparables à celles des jabadaos, et cela précisément à une époque légèrement plus ancienne que celle où ces rondes bretonnes paraissent commencer leur carrière. Nous n'avons jusqu'ici relevé de telles figures dans aucune danse de ville antérieure à 1760. Elles semblent être, comme tant d'autres, un apport de la contredanse française. L'époque de leur plus grande popularité est le dernier tiers du xvin e siècle et le premier du xix e . L'évolution exécutée alternativement par les danseurs de l'un et de l'autre sexes se rencontre en particulier dans quelques contredanses demeurées longtemps à la mode, et qui de ce fait ont dû avoir un public populaire étendu. La figure est toujours construite suivant le même principe général, mais le détail de son exécution varie d'une danse à l'autre. Son dessin, souvent complexe dans les premières notations connues, paraît se simplifier avec le temps. Toutefois il n'a jamais la simplicité des jabadaos. Voici pour exemples trois contredanses anciennes de cette sorte : 1. La Gigue Anglaise Cette contredanse paraît avoir été publiée pour la première fois 1 entre 1765 et 1770. Sa figure principale est la suivante : Les dames se déplacent de cavalier en cavalier, en tournant dans le sens inverse de la montre. Elles consacrent seize temps à chacun d'eux : quatre pour le rejoindre, quatre pour balancer avec lui, huit pour faire avec lui sur place « un tour d'allemande ». Et ainsi jusqu'à retour à leurs places. L.a Gigue anglaise connaît une très longue vogue. Landrin, vers 1780, l'insère sans remaniements dans un pot-pourri de contredanses à succès 2. Dès cette époque certains 3 y ajoutent une contrepartie de
1 . D E L A C U I S S E , Le répertoire des bals, Paris, 1762-1770, 4 e vol., Opé. : Rés. 569. 2. Pot-pourri françois de contredanse ancienne tel qu'il se danse chez la Reine, Paris, s. d., n° 7, dans le recueil factice C. 2432 (Opé.) 3. L A R T O I S L.-H., Recueil de contredanses allemandes et françaises. Le Havre, 1779, (manuscrit) Cons. : Rés. f. 1042.
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la figure principale pour les cavaliers. Elle est rééditée sous cette forme au début du xix e siècle x, refaçonnée sous l'Empire par Clarchies (La Nouvelle Gigue) 2, incorporée enfin aux premiers quadrilles. 2. Les visites Cette contredanse paraît avoir été publiée pour la première fois par Landrin 3. Elle est la trente-septième de sa collection, commencée vers 1768. Après la ronde (trente-deux temps) les quatre cavaliers gagnent une place vers la droite (quatre temps) et font un pas de rigaudon (quatre temps) devant la dame qu'ils ont rejointe. Ils font ensuite une révérence (quatre temps), encore un pas de rigaudon (quatre temps). Après quoi ils gagnent de nouveau une place vers la droite pour recommencer avec une nouvelle partenaire. Quand ils sont finalement revenus à leur propre place, les dames à leur tour commencent les mêmes évolutions en sens inverse. Comme la précédente cette contredanse devait connaître une longue vogue. On la retrouve dans des pots-pourris 4 de la fin du siècle. Elle passe enfin au rang d'enchaînement-type. Claudius 5 en 1830 la décrit encore parmi les principaux « enchaînements de pas » des contredanses. 3. La Frédéric de Bades Cette contredanse se trouve dans un des recueils composés par Clarchies ® sous l'Empire. Elle use d'un enchaînement-type de figures élémentaires que l'auteur remploie avec de légères retouches dans d'autres de ses compositions : « Chaîne anglaise. Balancés à vos dames. Tour de mains. Les quatre dames vont figurer avec le cavalier à droite et rigaudon. Ainsi de suite avec les autres cavaliers jusqu'à leurs places. Demi-queue de chat. Demi-chaîne anglaise. »
1. Chez F R È R E , S . d., recueil factice C. 5802 (Opé.) 2. C L A R C H I E S L. J., 23 e recueil de contredanses et Waltzes, Paris, Frère, s. d., Opé. : C. 5802. 3. G. C., Les visites, contredanse française, Paris, Landrin, s. d., Opé. : C. 6442. 4. Opé. : Recueils factices C. 2432 (Coll. L A N D R I N , I E R pot-pouri) et Mus. 1943 (Coll. B O U I N , 3 e pot-pourri). Le 1 3 e pot-pourri de la collection B O U I N (ibid.) contient une autre contredanse, La Marionnette, également caractérisée par une figure à permutation de danseurs : les dames se déplacent de cavalier en cavalier, en pirouettant devant chacun. Les cavaliers font ensuite cette figure à leur tour. 5. C L A U D I U S , Manuel de la danse de société ou l'éducation physique mise à la portée de tout le monde, Francfort, 1830, in-16, 61 p., p. 44. 6. Treizième recueil. Le même auteur utilise la même figure dans « La Victoire » (Seizième recueil).
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Ici encore le dessin de la figure à permutation paraît un peu plus simple que dans les contredanses du x v m e siècle. Nous n'avons pas jusqu'ici rencontré de figures comparables au double cercle simultané de Cornouaille occidentale dans les contredanses du x v n i e siècle. On trouve au contraire assez fréquemment dans les enchaînements types du début du x i x e siècle une évolution de cette sorte. Elle est ainsi définie : « contre-temps en tournant, les cavaliers à gauche et les dames à droite. » ** *
En résumé, autant qu'on puisse présentement en juger, la figure à permutation de partenaires apparaît dans la société parisienne dans la seconde moitié du x v m e siècle. Sa vogue se maintient au début du xix e . Elle est l'élément principal de contredanses à succès durable et d'enchaînements-types. Vers 1850 au plus tard on la signale en Bretagne, en milieu populaire, sous le nom de jabadao. Elle se généralise en milieu paysan dans la seconde moitié du siècle, le nom de jabadao l'emportant peu à peu sur celui de contredanse qui lui est également donné en beaucoup d'endroits. On doit faire remarquer parmi les mouvements qui accompagnent la permutation de partenaires dans la danse de salon, la présence de balancés et de tours sur place (tours d'allemande et tours de mains) et rappeler qu'au témoignage de Bachelot de la Pylaie des mouvements de ce genre étaient en 1850 associés au jabadao du Fret 1 . Si, comme tout l'indique, les jabadaos cornouaillais ont leur source dans la contredanse française 2 , on voit quelles transformations ont été nécessaires pour passer de celle-ci à ceux-là. Simplification du plan : de l'enchaînement de figures qui composait la danse de salon, la danse paysanne garde deux éléments au plus. (On peut en effet concevoir que l'avant-arrière et la ronde à permutation, si souvent associés, soient extraits d'un même archétype et en certains terroirs n'aient jamais été dissociés). Souvent elle n'en garde qu'un (chacune des deux figures est
1. Revoir aussi la note ci-dessus p. 480, relative à une évolution en • tours de mains » signalée sporadiquement. Nous ignorons s'il s'agit de fantaisies tardives, ou du vestige d'un état ancien. 2. Une autre raison, indirecte, de le penser, est la présence en d'autres régions de France de figures tout à fait analogues, associées à des fonds anciens de mouvement tout à fait différents. Nous avons personnellement observé de ces figures à permutation dans des bourrées de cachet récent, en Limousin, en Berry et en Forez. Des formes analogues se rencontrent dans des danses savoyardes (Enquête H. Guilcher en vallée de Montjoie). GIRAUDET (Traité de la danse. Grammaire de la danse et du bon ton, Paris, chez l'auteur, 1900, in-8°, XIV-679 P-, t. II, p. 7) décrit une danse suisse de ce type. Elle est intitulée L'Allemande, probablement en raison des a tours de bras » (autrefois « bras d'allemande ») que les danseuses font avec leurs partenaires successifs.
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connue aussi à l'état isolé). La figure retenue est insérée dans une construction beaucoup plus élémentaire, dont le modèle est offert par la tradition : première partie en ronde vers la gauche, seconde partie occupée par la figure, c'est la structure du bal ou du passepied. La simplification porte aussi sur la figure elle-même, dont le dessin, généralement complexe dans l'original savant, est ramené à l'essentiel : trajet circulaire ou arcs de cercle. Enfin les pas originaux sont remplacés par les pas locaux (gavotte) ou des pas extrêmement faciles (marche, course). Les versions-types anciennes sont l'aboutissement de ce processus. Elles n'ont dû atteindre que tard, et à travers des essais moins heureux, leur forme précise et dépouillée. On a vu comment, à partir de ces formes pauvres mais justes, l'élaboration folklorique devait, dans une phase ultérieure, produire des versions-types plus élevées en organisation, où la ressemblance de l'archétype devient plus difficile encore à discerner.
III. — LES J A B A D A O S DU T R É G O R Le mot jabadao est employé en Trégor de façon beaucoup moins courante qu'en Cornouaille, et l'acception en est très indécise. Boucher de Perthes l'appliquait (avec la graphie jabadeau) à la danse en plusieurs fronts circulaires. Nous n'avons jamais constaté pareil emploi. Ce sont les rondes-jeux du type tourbillon que nous avons le plus souvent entendu appeler jabadaos. Ceci aussi bien en Haut-Léon (qui a reçu cette danse du Trégor) qu'en Trégor même. Mais le nom de jabadao désigne aussi parfois diverses figures ou agencements de figures semblables à celles qui composaient les contredanses et les quadrilles. Dans la partie du Trégor où se conserve le souvenir de la suite traditionnelle ancienne, on ne les recueille fréquemment qu'autour de Morlaix et à proximité du littoral. En milieu paysan les vieux informateurs les ignorent presque toujours. Ces figures ou enchaînements de figures paraissent d'âges différents, les uns probablement empruntés au quadrille des lanciers, d'autres au quadrille français plus anciennement pratiqué, quelques-uns même à des contredanses antérieures. Le curieux jabadao de Locquénolé semble être de ce nombre. *
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Ce jabadao de Locquénolé trouvait place comme troisième terme (après le bal) dans la suite réglée. Par ses dimensions, son ordonnance précise, la nature de ses évolutions, il tranche sur tout ce qui nous a été montré ailleurs.
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Il est dansé par deux couples; il emploie le pas dit « de gavotte», en fait le pas de la dans Treger. Dans la mélodie ci-après chaque groupe de deux mesures correspond" donc à un pas composé de cette danse (suspension de deux temps sur pied droit, suivie d'un changement de pas gauche-droit-gauche).
ijlli ' M IQJ I ILULU ILU J' « j l i U J n \u r IL-T -T3 l u f 'Il M. J . Geffroy et F . Guilcher, Locquénolé, 1949.
Cet air est joué huit fois en tout, pour accompagner les huit figures de la danse. La première et la huitième figure sont les mêmes. Leur partie A est une ronde tournant vers la gauche. Les bras balancent alternativement vers l'avant et vers l'arrière. Pendant la partie B (deux fois huit temps) les danseurs, sans se lâcher les mains, avancent vers le centre (quatre temps) et reculent (quatre temps) alternativement. A la fin du second recul les quatre danseurs se lâchent les mains, et sur la dernière note de la phrase, chacun frappe ses deux paumes l'une contre l'autre. A ce moment les quatre danseurs occupent les sommets d'un carré. Les deux filles se font face, aux extrémités d'une diagonale (nous parlerons plus loin de « diagonale des filles »), les deux hommes aux extrémités de l'autre diagonale (« diagonale des hommes »). Les figures deux à sept, différentes de la première et huitième, ne diffèrent entre elles que par leur partie A (toujours deux fois huit temps) qui est successivement : Figures deux et trois : un tournant sur place (un ou deux tours complets), par couples, dans le sens de la montre. Le garçon tient à deux mains la taille de sa partenaire. Elle pose les deux mains sur les épaules de son cavalier. Figure quatre : un tournant sur place des deux filles (un ou deux tours). Elles s'accrochent par les bras droits repliés, et tournent en sens de la montre. Le bras gauche est abandonné à son poids. Les hommes sont immobiles à leur place. Figure cinq : même tournant, effectué par les garçons. Les filles demeurent immobiles. Figure six : même mouvement qu'en quatre.
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Figure sept : même mouvement qu'en cinq. La partie B de ces six figures se danse toujours de la même façon. Elle comprend quatre groupements de huit temps (au lieu de deux) que nous désignerons par B i , Bz, B3, B4. B i . — Les deux filles se croisent, épaules droites en regard, sans se donner la main au passage, et continuent leur chemin dans cette direction (diagonale des filles prolongée vers l'extérieur). Chacune est accompagnée, non de son partenaire, mais du cavalier de l'autre couple, qui progresse côte à côte avec elle, à sa droite, sans la tenir en aucune manière. B2. — Tous reviennent à leur place de départ. Pour faire face à cette direction de retour chacun a pivoté d'un demi-tour sur lui-même pendant les deux derniers temps de B i (changement de pas), le garçon vers la gauche, la fille vers la droite. La fille se trouve donc maintenant à droite du garçon (cavalier de l'autre danseuse). B3. — Les deux garçons se tournent le dos (en faisant demi-tour dans le sens de la montre) et progressent dans cette direction (diagonale des hommes prolongée vers l'extérieur). Cette fois chacun est accompagné de sa propre partenaire, qui chemine à sa gauche. B4. — Tous reviennent à leur place, chaque garçon ayant sa partenaire à sa droite (demi-tours individuels comme ci-dessus). Après la huitième figure (ronde à quatre et avant-arrière) les danseurs enchaînaient sans interruption le petistoup, qui tendait ainsi à devenir une neuvième et dernière figure du jabadao. *
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*
Entre ce jabadao du pays de Morlaix et ceux du terroir de Quimper, un seul élément commun : la figure en ronde avec mouvement « en avant et en arrière». C'est, on l'a vu, un élément banal des contredanses. Il n'implique aucune parenté directe entre nos deux jabadaos. Sur tous les autres points — plan, évolutions, pas —- les deux danses s'opposent. Le jabadao de Locquénolé se distingue par l'ampleur de sa construction, son unité, son plan d'ensemble. Le plan est clair : une figure collective en ronde, pour commencer et pour finir. Dans l'intervalle une figure constante (B), assez originale, alternant régulièrement avec des figures (A) très simples et plus variées, comme un refrain immuable avec des couplets changeants. Ce principe d'agencement est significatif à lui seul. Abandonné par les quadrilles du xix e siècle, il est celui de la contredanse française au xvm e . Elle aussi commence par une ronde, à quatre ou à huit. Elle aussi a des « couplets » (le terme est familier aux maîtres à danser
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de cette époque) alternant avec ion « refrain ». Chaque contredanse est caractérisée par son refrain. Les couplets sont les mêmes en toutes. Plusieurs d'entre eux consistent en tournants sur place. Une contredanse de type x v n i e siècle, et qui aurait connu la vogue à Morlaix, telle nous paraît l'origine probable du jabadao de Locquénolé. Il s'écarte par les traits suivants du type en usage dans les salons : 1. — Le nombre des couplets : huit, au lieu de sept (contredanses à quatre exécutants) ou neuf (contredanses à huit exécutants) qui sont de règle en principe. 2. — La monotonie des couplets. La contredanse française fait effectuer les tournants sur place en tours de mains droites ou gauches, tours à deux mains, allemande, moulinets, petites rondes. Le jabadao ne connaît que deux tenues : par la taille et bras droits accrochés. 3. — La brièveté du refrain, habituellement long et composite dans les contredanses de salon. 4. — La nature du pas. Autrement dit, ici encore l'emprunt ne s'est fait qu'au prix de simplifications, élagages et remaniements. L'ignorance où nous sommes de l'archétype empêche de mieux les apprécier.
IV. _
JABADAOS
DIVERS
Plusieurs autres danses, parmi les noms divers qui leur ont été donnés, ont compté à quelque moment et en quelque lieu celui de jabadao. Nous ne ferons que les évoquer rapidement. Le petistoup est une ronde pour un nombre quelconque de danseurs (en principe hommes et femmes alternés). Ils tournent pendant la partie A (deux phrases de huit temps. Sens de la montre. Pas de marche ou course, ou pas propre au terroir). La partie B consiste dans la répétition indéfinie d'un geste simple scandant la pulsation : petits sauts sur un même pied, pas pointés, frappés, etc... Les sauts ou percussions sont groupés par quatre ou huit : à chaque (ou après chaque, suivant la variante) quatrième ou huitième temps, le pied litre devient pied d'appui, et inversement. Le petistoup est connu dans la plus gr nde partie de la Basse-Cornouaille, en plusieurs localités de Haute-Cornouaille en Trégor finistérien, dans une partie du Morbihan, surtout de Guemené à Gourin. Sa généralisation ne date que des années 1890-1910. Il paraît un peu plus
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ancien dans la région qui s'étend autour de Gourin, Langonnet, Scaër, Quimperlé. C'est là qu'aux dernières années du xix e siècle il a été tenu pour le jabadao-type. Les jeunes générations lui ont ordinairement retiré cette qualité pour la reconnaître aux rondes à permutation. En revanche, en quelques communes de Basse-Cornouaille et du Trégor l'usage s'était finalement établi de danser brièvement le petistoup à la fin du jabadao local, quelle qu'en soit la nature. Ainsi cette danse avaitelle quelque chance de survivre par endroits. Dans la plus grande partie du territoire elle était vouée à la disparition, son contenu de mouvement étant beaucoup trop pauvre pour lui garder longtemps la faveur du public. Dans la Cornouaille voisine de la rade de Brest, entre l'Aulne et l'embouchure de l'Élorn, une autre ronde joue un rôle important. Elle est fort simple. Le cercle des danseurs, hommes et femmes alternés, tourne indéfiniment dans le sens de la montre, en pas de marche pendant la partie A ; en pas de gavotte pendant la partie B. Le même nom très général, an dro, est donné à cette ronde et à l'avant-arrière en ronde à double tempo. Les informateurs admettent que l'une est un bal, l'autre un jabadao, sans toujours s'accorder sur l'attribution des noms. Nous ne savons rien de l'histoire de cette ronde. Le tourbillon nous a été signalé d'une part en pays de Vannes, d'autre part et surtout en Trégor et Haut-Léon. C'est pour la partie A une ronde tournant dans le sens de la montre (marche, course, etc.). En B chaque garçon saisit à bras-le-corps la fille qui se trouve à sa droite, tourne avec elle sur place aussi longtemps que dure la musique, et finalement la laisse à sa gauche. La ronde reprend avec cette nouvelle disposition et se poursuit ainsi, chacun changeant de partenaire à chaque couplet. Il s'agit d'un jeu (de type universel) au moins autant que d'une danse. Le nom de jabadao lui est très souvent donné (concurremment avec celui de tourbillon) en Trégor et Haut-Léon. Au tourbillon paraissent se rattacher quantité d'autres danses (bals tournants du Vannetais, de Gourin, de Haute-Bretagne, de Crozon, danse Sous les lauriers
verts d u B a s - L é o n , jilgoden
de Haute-Cornou-
aille, etc.) d'autres terroirs bretons. Les indications des informateurs aussi bien que les mouvements et les airs font croire à un apport très récent. Mentionnons encore parmi les danses parfois appelées jabadaos les chaînes à quatre et autres figures de quadrilles, le kas abarb vannetais. En Haut-Léon des informateurs en nombre infime nous ont signalé un jabadao sans pouvoir en montrer les mouvements. A Pleyber-Christ on aurait ainsi appelé une danse qui terminait les bals et réunissait tous les participants. A La Roche-Maurice on aurait dansé de temps à autre un jabadao qui paraît de même type que le plus ancien bal connu : ronde marchée (A) se fragmentant en couples (B), les partenaires face
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à face se donnant les deux mains et dansant sur place. Information assez analogue à Plounéour-Ménez. L'énorme majorité des informateurs, y compris les plus âgés, ignore tout de ces danses.
V. — CONCLUSIONS Les faits qui viennent d'être exposés appellent deux remarques générales : Première remarque : les danses appelées jabadaos se présentent toujours comme des danses jeunes. Elles sont étrangères à la plus ancienne suite réglée qu'on connaisse. Elles y prennent place à la fin du xrx e siècle au plus tôt. La nature et l'inspiration du mouvement sont étrangères au fond ancien breton comme au fond ancien français. La recherche d'antécédents ramène au plus à la contredanse française de la fin du xviii e siècle et du début du xix e . La situation faite à ces danses en milieu breton est en rapport avec leur nouveauté. La Cornouaille quimpéroise et la périphérie de Morlaix sont les premières à leur donner une réelle importance. Les terroirs conservateurs d'archaïsmes les accueillent très tard ou pas du tout. Elles sont familières d'abord aux habitants des petites villes et bourgs et ne se gagnent qu'à la longue un public paysan étendu. Le jabadao contemporain des druides est rêverie pure. Seconde remarque : l'acception du terme jabadao, incertaine encore en bien des endroits dans la jeunesse de nos plus vieux informateurs, se précise pour les dernières générations. De ces danses réunies sous une même étiquette, l'une peu à peu émerge : la ronde à permutation, qui élargit son public et étend son territoire. Les autres diminuent d'importance. Elles tombent en oubli, ou elles s'associent à la danse à succès : par places l'avant-arrière lui fait une première figure, le petistoup une conclusion. A mesure qu'elle croît en popularité, la figure principale subit des remaniements, par endroits considérables. En même temps que plus d'originalité, elle y acquiert une appréciable diversité régionale. Mais non des types radicalement tranchés. Entre versions de l'est et de l'ouest la transition est même mieux ménagée qu'elle ne l'était au temps des deux formes-mères de la figure. La présence ou l'absence de figures complémentaires ne masque pas non plus le principe commun à toutes ces rondes. Au total, sous des aspects locaux divers, une danse dont l'unité d'inspiration est manifeste s'élabore de Quimperlé à Audierne et Crozon, et c'est à elle qu'est de plus en plus réservé le nom de jabadao. Si le
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jabadao n'est pas plus que par le passé « la danse bretonne par excellence » au moins devient-il dans toute la Basse-Cornouaille une danse qui compte. *
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Toute danse véritablement nouvelle s'attire d'abord la réprobation. A Paris même la contredanse de salon, à ses débuts, a trouvé des censeurs. A plus forte raison devait-elle déconcerter une société qui en était restée aux branles. La nouvelle venue n'avait ni la profonde valeur communautaire des danses qui ouvraient la suite réglée, ni la portée érotique restreinte et officialisée du bal. A tout cela, qui était la tradition immémoriale, elle substituait un jeu, superficiel mais excitant, de relations entre couples, entre partenaires d'un même couple, entre danseurs de couples distincts. Pareille liberté d'allure ne pouvait pas ne pas choquer. D'autant plus sans doute qu'en ce milieu fruste les actions élémentaires de la contredanse ont dû souvent prendre un tour direct et brutal qu'elles n'avaient pas dans la société hautement policée qui les avait façonnées. A quoi il faut encore ajouter le désordre inséparable d'emprunts de cette importance. D'où l'interdit lancé du haut de la chaire contre l'innovation jugée dangereuse. Il est significatif que pas une seule fois la condamnation ne fasse état de pratiques ou de superstitions liées au jabadao. C'est en lui-même qu'il est « abominable ». Le regarder même est une faute grave. Et Bouët de s'ébahir de ces fureurs, lui qui ne voit dans le « vif et gai jabadao » qu'une danse innocente. Fureurs inutiles. Les temps sont à la contredanse, et les recteurs s'épuiseront vainement à lutter contre son dérivé folklorique, si frappants soient les sermons où ils attribuent aux bourreaux du calvaire 1 , aux habitués du sabbat ou au diable lui-même, cette invention perverse. Une réputation scandaleuse ne nuit pas toujours, et finalement le jabadao s'est accommodé de la sienne. Au terme de sa carrière il avait cessé de paraître inquiétant. Une pratique élargie l'avait discipliné et assagi peut-être, en tout cas remodelé dans des formes généralement heureuses. Incorporé au vieux fonds traditionnel, il en avait pris le style et la patine respectables. Nul témoin ne demeurait de ses origines. Entre temps les contredanses avaient rejoint les menuets parmi les danses oubliées, charmantes et inoffensives. Enfin, la mode citadine suscitait déjà d'autres danses, autrement capables d'émouvoir les prédicateurs. Rien n'empêchait de voir dans le jabadao, à un contact superficiel, une
i . En Wallonie la même légende a eu cours, appliquée cette fois à la polka, jugée elle aussi innovation dangereuse. Voir Rose T H I S S E - D E R O U E T T E , « La curieuse odyssée d'une ronde française en Wallonie », (Bull, folklor. d'Ile-de-France, Juill.-sept. 1961, p .453).
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danse bretonne très ancienne. Antiquité admise, réputation d'aloi douteux sans raison visible, nom à sonorité suspecte, hostilité traditionnelle du clergé, les conditions étaiènt réunies pour que puisse naître la légende du jabadao magique ou rituel. Nous ne lui avons trouvé aucun autre fondement. En d'autres temps l'épisode jabadao aurait peut-être été un simple moment dans l'histoire de la danse bretonne. Des conditions historiques particulières, sans lendemain, ayant favorisé l'implantation de danses importées en milieu paysan, la tradition reprenait ensuite son cours, momentanément perturbé. La danse nouvelle se propageait et se transformait, induisant aussi en évolution les danses plus anciennes du terroir. Enfin, elle parvenait à une forme relativement stable, et à une place fixe dans une suite qui retrouvait elle-même une composition définie. A partir de quoi les mêmes modes de transmission qui avaient amené du passé la gavotte et le bal à deux, portaient vers l'avenir la gavotte et le jabadao (ou la gavotte, le bal à deux et le jabadao). Il suffisait d'une ou deux générations pour qu'aucun des transmetteurs ne sût plus à quel point la tradition nouvelle s'écartait de l'ancienne, dans son apparence concrète et dans son esprit. Au xix e siècle ce processus d'assimilation ne pouvait plus être entièrement réalisé. Il l'a été dans une grande mesure, et c'est une preuve de la vitalité que la tradition de danse conservait en Cornouaille jusqu'à la première guerre mondiale. Mais cette communication qui s'était établie avant l'époque romantique entre danse paysanne et danse des salons ne devait plus s'interrompre totalement. Elle devait s'élargir au contraire, plaçant de plus en plus la première sous la dépendance de la seconde. C'en était fini pour le milieu paysan de ce repliement sur une culture locale, héritée et transmise. Pour le plaisir comme pour toute autre activité, il ne pouvait plus échapper aux grands courants qui parcouraient la société tout entière. La tradition allait devoir compter avec la mode, composer avec elle d'abord, lui céder en dernier lieu. De ce point de vue, si la genèse du jabadao a manifesté la vigueur de la tradition bretonne à son dernier siècle, elle a été en même temps la première annonce de sa fin.
LA DÉROBÉE
L'histoire de la dérobée en Trégor rappelle à beaucoup d'égards celle du jabadao en Cornouaille. Elle est aussi celle d'une danse jeune, hautement réputée, qui dans le dernier tiers du x i x e siècle élargit son domaine géographique et se communique à de nouveaux milieux sociaux. La dérobée atteint au maximum de popularité à l'extrême fin du siècle. Mais bien avant cette date elle passe pour un très ancien héritage breton. E n sorte qu'Herpin 1 pouvait écrire en 1904 : « La véritable danse des Côtes-du-Nord, c'est l'antique et pittoresque « dérobée » ; c'est dans cette partie de la Bretagne qu'elle a été de mode le plus longtemps et qu'elle a trouvé son dernier refuge». L'antiquité de la dérobée est, on le verra, fort douteuse. E n revanche il est exact que cette danse n'a pas toujours été cantonnée aux Côtesdu-Nord : elle a eu des versions fïnistériennes comme elle en a de trégorroises. Nous commencerons par dire ce que la tradition et les textes enseignent des unes et des autres.
I. — D A N S L E S
COTES-DU-NORD
Une courte notice de Thielemans 2 au bas d'une partition de piano datée de 1881 constitue, croyons-nous, la plus ancienne et explicite évocation de dérobée en ce département. « Les dérobées sont les danses nationales de la Bretagne. Les jours de pardon, après les vêpres de la paroisse, la foule se réunit sur une
1 . Noces., p. 73. 2. T H I E L E M A N S , Dérobées.,
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grande place du bourg ou de la ville, l'orchestre composé de biniou, bombarde, clarinette et tambour ou toute autre musique du pays avec les notables de l'endroit à la tête du cortège, qui se met en mouvement, en exécutant les dérobées sans interruption pendant le trajet jusqu'à l'arrivée dans une prairie choisie à l'avance pour ces divertissements, et laquelle est située à quelque distance de la ville ou du bourg». Le qualificatif de nationales appelle des réserves, appliqué à des danses qui à cette date ne sont pratiquées que dans une partie du département, et non même, comme on verra, par toute sa population. Mais cette restriction faite, le tableau esquissé par Thielemans paraît juste. La dérobée à cette époque (c'est à quelques années près celle que nos plus vieux informateurs ont connue en leur jeunesse) se danse en plusieurs villes et gros bourgs, plus nombreux en pays gallo qu'en pays bretonnant. Les dérobées du pardon de Saint-Mathurin à Moncontour sont les plus célèbres. Mais Saint-Brieuc, Quintin, Châtelaudren etc... ont aussi les leurs, auxquelles on accourt de fort loin. En toutes on retrouve ces mêmes traits : la danse sert à parcourir en cortège un itinéraire fixe, soit autour de l'agglomération, soit du centre à un point extérieur ou inversement. A ce cortège prennent part les citadins de toutes conditions, notables en tête. Ce paraît être une loi générale. Gweltas 1 en 1912 déplore que les dérobées de Moncontour aient perdu ce caractère : « Jadis pourtant la fête était bien plus belle, toutes les classes de la société s'y donnaient rendez-vous. Aujourd'hui la société, cette fameuse société, l'a graduellement et complètement abandonnée, comme d'ailleurs toutes les réunions de ce genre». A Guingamp, capitale de cette danse en pays bretonnant, la fête de la Saint-Loup (premier dimanche et lundi de septembre) avait sa dérobée réputée, qui au début de notre siècle gardait ce caractère de cortège dansant ouvert à tous, bourgeois, commerçants, employés et artisans. Les participants dansaient tout l'après-midi dans le champ de la Saint-Loup, distant de la ville de deux kilomètres environ. Le répertoire (scottishes, mazurkas, polkas, pas de quatre) était celui des salons, les costumes ceux de la mode parisienne. Vers dix-sept heures on regagnait Guingamp en long cortège. A l'entrée de la ville, les commissaires (jaquette et chapeau melon) groupaient les couples pour la dérobée, qui faisait le tour de la cité, Harmonie Municipale en tête. Dans toutes ces localités la dérobée passe pour ancienne. A Moncontour en 1893 le règlement du pardon la range parmi «les danses anciennes du pays, qui sont le rond, le bal et la dérobée, exécutées avec une bonne musique champêtre 2 ». 1 . GWELTAS, « Au pays de Saint-Mathurin », Le clocher breton, Nov. 1 9 1 2 , p. 2 5 1 5 . 2.
D'HAUCOUR,
Pardon
S.
M.,
p.
78.
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L'origine de la fête elle-même remonterait au plus lointain passé. A Guingamp les fêtes de la Saint-Loup auraient été rétablies dans le premier quart du xix e siècle, après une interruption durant la période révolutionnaire L'initiative de la reprise serait venue d'un groupe de jeunes gens appartenant à la bourgeoisie de la ville. A la fin du siècle la fête était organisée par la municipalité. Les plus vieux habitants des petites villes que nous ayons pu interroger, donnent donc de la dérobée une image qui s'accorde en tous points avec la notice de Thielemans. Il en va autrement des ruraux, et cela en pays gallo même. A dix ou quinze kilomètres de Quintín — ville à dérobée — nos plus vieux informateurs paysans disaient cette danse à peu près inconnue dans leur adolescence. Elle était pour eux « une danse des villes ». En pays bretonnant A. Bourgeois 2 ne signale sa présence que « Dans la partie des Côtes-du-Nord avoisinant le littoral ainsi qu'à Guingamp...» N. Quellien 3 en 1888 la tient pour une nouvelle venue en Trégor : « entre Guingamp et Lannion la dérobée est devenue l'intermède obligé des bals champêtres, la danse de caractère qui succède à tout quadrille. Au nom seul on devine que cette dérobée n'est pas issue de BasseBretagne, elle est venue du pays gallo...». Il semble bien en tout cas, après enquête dans la tradition orale, que la dérobée ait été pratiquée dans la région littorale plus tôt que dans l'intérieur du pays, et dans les gros bourgs plus tôt que dans les campagnes. A ses débuts elle paraît avoir eu la valeur d'une promenade rythmée, sans aucune figure, plus souvent que celle d'une danse à proprement parler. Les gens des ports (Paimpol, Perros-Guirec) l'emploient aux fêtes des régates pour acheminer la foule, des quais à la place centrale. Les noces la dansent sur la route pour conduire les mariés de la ferme à l'église ou inversement, ou pour aller chez le photographe (SaintDonan, Goudelin, Plouguiel, région de Perros etc...). Elle termine les réunions de danse : on la mène autour du bourg ou du cimetière avant de se séparer (Lanleff, Goudelin, Pommerit-le-Vicomte, Pleudaniel, Pluzunet, Pleumeur-Bodou etc...). Il semble qu'en tout cela on imite les usages des petites villes, où la dérobée, de tradition plus ancienne, sert si souvent de danse-promenade en même temps que de danse collective finale. Dans les trente ou quarante dernières années de tradition vivante, la popularité de la dérobée augmente de façon impressionnante. Enten1. Témoignages oraux. 2. Recueil., p. 8 3. Chans. et dses., p. 40. A la même date, E. H A M O N I C , décrivant le pardon de Moncontour (« Pèlerins et pèlerinages », Rev. Trad. Pop., I I I , 1888, p. 278) oppose le pardon du samedi, où les Bas-Bretons dansent parfois leurs propres danses, et « le pardon français » du dimanche, le seul où l'on exécute la dérobée.
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dons par là que des danses appelées de ce nom deviennent familières à toute la population rurale du Trégor et du Goëlo, en même temps qu'elles se répandent jusque dans le Trégor du Finistère et la HauteCornouaille (une partie du pays fïsel et du pays fanch). Mais, comme on va le voir, il ne s'agit pas de la même danse en tous temps et en tous lieux. ** *
Ce serait en effet une image trop simple de se représenter qu'entre 1880 et 1914, une danse définie appelée dérobée étend son domaine en direction de l'ouest et du sud. La vérité est que, même dans des communes où la dérobée passe pour ancienne, ce nom a été donné par les générations successives à des danses différentes, et que des danses différentes aussi sont introduites et s'implantent sous ce même nom dans des terroirs qui l'avaient jusque-là ignoré. Il arrive même que l'emprunt se borne au nom et qu'on appelle finalement dérobées des danses connues depuis longtemps sous d'autres appellations. Le fait est fréquent dans la partie du Trégor où survit le souvenir de la suite trégorroise ancienne (à l'ouest de Lannion-Plouaret et au voisinage des monts d'Arrée). Quelques-uns appellent dérobée la danse sur deux fronts qui ouvre Yabadenn, d'autres, plus nombreux, la seconde ou la troisième danse. La confusion entre bal et dérobée est particulièrement commune, et facilement explicable comme on verra. La fameuse « dérobée aux pots fleuris » 1 exécutée en diverses circonstances (pardons, aires neuves, 14 juillet etc...) par des danseuses portant un pot de fleurs en équilibre sur la tête, n'était, dans toutes les démonstrations qui nous ont été faites, que la danse en cortège ou double file que nous avons décrite au chapitre des bals. Exception faite de ces terroirs occidentaux, on peut reconnaître aux danses appelées dérobées dans les Côtes-du-Nord quelques traits communs définissant un type général. Ils tiennent d'une part à la présence très fréquente d'un élément de jeu d'où la danse tire son nom, d'autre part à une certaine constance de la forme générale. A. —
L E JEU DE L A DÉROBÉE
Nous en avons relevé deux variantes. La plus répandue est celle-ci : des cavaliers en surnombre choisissent un moment où la danse disjoint les couples pour se placer chacun devant la danseuse de son choix et 1 . Voir à ce sujet G A L B R U N , Dse. bref., p. 43. H A B A S Q U E (Not. histor., p. 1 3 4 ) signale déjà que certaines jeunes filles dansent aux aires neuves « ayant sur la tête une pyramide de lait qu'ornent des glaces et que surmontent des vases de fleurs », mais sans lier l'usage à une danse particulière. Voir aussi B O U C H E R D E P E R T H E S (Ch. arm., p. 1 8 8 ) .
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l'enlever, la «dérober» à son cavalier. En 1893 le règlement des fêtes de Moncontour stipulait que « le cavalier auquel on dérobe sa partenaire doit se soumettre à cet usage sans se formaliser», quitte, commentait X. d'Haucour 1 , « à rattraper sa danseuse au balancé suivant, ou à s'affilier à la confrérie des dérobeurs, écumeurs d'esplanade qui s'en vont de chaîne en chaîne, piratant les danseuses d'autrui». Bourgeois 2 observait de son côté : « . . . des danseurs se trouvent en réserve dans l'intérieur du cercle. Chacun d'eux choisit le moment propice pour dérober une danseuse et renvoyer son cavalier; cette manœuvre est assez piquante et déplaisante quand on n'observe pas bien les règles admises. Elle donne lieu quelquefois à des altercations, aussi on convient souvent qu'on ne dérobera pas, et la danse se borne à un bal ordinaire». Cette double possibilité explique sans doute qu'à côté de communes où le jeu des partenaires en surnombre est bien connu (cas général), il s'en trouve d'autres où nos informateurs l'ignoraient. Dans une autre forme du jeu, peut-être atténuation de la précédente, les danseurs changent obligatoirement de partenaire à chaque reprise (Pleudaniel, Ploumanac'h, Pluzunet, Ploumilliau, Plourin), soit de façon ordonnée, en progressant d'une place, soit anarchiquement, à la faveur d'une mêlée générale. B. —
LA
FORME
Il s'agit presque toujours d'un cortège, usant d'un bout à l'autre, sur un tempo égal, d'un même pas facile tel que marche, course ou sautillé. La danse est caractérisée par ses évolutions, non par ses gestes. La partie A (deux phrases de huit temps) est toujours une promenade des couples disposés à la suite les uns des autres. La partie B (deux phrases de huit temps) comporte une figure qui varie d'un lieu à l'autre et d'une époque à l'autre, souvent d'un informateur à l'autre. C'est une erreur souvent commise de voir dans ces évolutions diverses attribuées à la partie B les débris d'une dérobée qui se serait composée de multiples figures, et qu'on pourrait reconstituer en les réunissant. Les témoignages d'informateurs d'âges échelonnés démentent absolument cette interprétation. Ils enseignent que les figures sont entrées dans l'usage une à une, à des dates différentes. Elles ne se sont pas davantage assemblées secondairement, sinon très récemment et dans des conditions qui ne sont plus celles d'une élaboration folklorique. Ni au commencement ni au terme on ne relève dans la tradition proprement populaire d'enchaînement de figures stable et original. 1 . D ' H A U C O U R , pardon S.M., 2. Recueil., p. 8
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Il n'y a pas plus d'originalité dans les figures elles-mêmes, qui ne doivent à peu près rien à un façonnage in situ. Adoptées par un pays qui avait presque entièrement oublié son ancien répertoire propre, les figures de dérobée n'ont pas subi ce remodelage décisif qu'opèrent les terroirs de tradition vigoureuse. Elles résultent d'une imitation pure et simple des modèles que la danse de salon a proposés tout au long du xix e siècle. Il n'est pas rare de trouver les vieilles gens en désaccord sur une figure, les uns la tenant pour une dérobée, les autres pour un fragment de quadrille. Et le quadrille est bien, en effet, la principale source des figures de la dérobée communes entre 1890 et 1914. Elles sont fréquemment altérées par rapport au modèle (la maîtrise imparfaite des évolutions se traduit en particulier par une imprécision des phrasés), mais elles le laissent toujours clairement reconnaître. Nous nous bornerons à rappeler sommairement le contenu de ces figures, décrites en détail par tous les manuels du siècle passé. 1. Parmi les figures de large diffusion, il faut citer la chaîne anglaise à quatre (déjà décrite au chapitre des bals. Voir ci-dessus page 442.) Elle a été commune, tant en pays gallo qu'en pays bretonnant. Nous l'avons surtout recueillie entre Trégomeur et Guingamp au nord, Corlay au sud, Callac et Plusquellec à l'ouest. Mais on en trouve sporadiquement trace au nord-ouest, au moins jusqu'à Plouaret. 2. Dans la région littorale, depuis le cours du Trieux jusqu'aux abords de Lanmeur, le moulin à quatre est la figure de beaucoup la plus commune. Bien que sa popularité décroisse au sud de Plouaret, il est connu d_! G D -
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( M » e Merrien. Plourac'h. 1900.)
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Dans la jeunesse de la plupart de nos informateurs, quand il se trouvait dans une même compagnie plusieurs personnes capables d'exécuter la danse du loup, ils adoptaient parfois une disposition d'ensemble : vis-à-vis de deux partenaires, ligne ou cercle de plusieurs danseurs. On ne doit pas voir en ces groupements les restes de formes sociales anciennes. Ce ne sont qu'arrangements éphémères, juxtaposition de solistes sans autre lien entre eux que l'eifort qu'ils font pour s'accorder momentanément sur une structure commune de phrase.
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DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
z. La forme collective ancienne est partout la même : c'est la ronde. Le souvenir en est presque entièrement éteint. En dehors de Plourac'h où, très exceptionnellement, la « dans an ours » a connu une brève et curieuse reviviscence vers 1930-35, nous n'avons trouvé de témoins de cette danse en groupe qu'à Saint-Goa2ec, Roudouallec, Poullaouën, Glomel, Langonnet et Plougonver. Encore sont-ils en nombre infime. Ce sont presque toujours de très vieilles gens, rapportant des souvenirs de leur première jeunesse, sinon même de leur enfance. Pour les quatre premières des communes susnommées, les explications recueillies sont les mêmes. La ronde tourne d'abord en pas de marche dans le sens de la montre. Les danseurs s'arrêtent ensuite pour faire sur place le pas caractéristique analysé ci-dessus. Notre informateur de Plougonver 1 nous donnait des directives un peu différentes : le déplacement circulaire se serait fait, non pas en pas de marche, mais déjà en pas de « danse du loup » (avec, pour le motif caractéristique, la formule d'appuis n° 1 analysée plus haut, comportant un appui initial sur pied droit). Durant la seconde partie les danseurs se seraient groupés deux à deux, partenaires face à face se donnant les deux mains. Ils auraient alors fait ce même pas sur place, pieds droits en avant pendant une phrase (soit pour chaque motif la formule d'appuis n° 2 ci-dessus), pied gauche en avant (formule d'appuis n° 1) pendant la phrase suivante. Le pied avancé par le garçon croisait celui de la fille. Il y a là des analogies de forme évidentes avec le bal à deux et le passepied (l'un et l'autre constituants de la tradition locale). Il est possible que cette version, la plus élaborée que nous connaissions, soit un remaniement d'une forme plus simple, contaminée par ces deux danses. Quant à la « dans an ours » que pratiquaient des jeunes de Plourac'h entre les deux guerres, elle ne retenait de la précédente que le trajet circulaire continu (formule d'appuis n° 1). A la différence des informateurs qui n'ont connu que la danse de solistes, ceux qui ont connu la danse du loup dans sa forme collective, avec deux temps, l'un de déplacement, l'autre de pas sur place, l'ont connue aussi accompagnée de musique. O n pouvait s'y attendre : la danse sociale suppose une entente sur une forme définie de mouvement et celle-ci dans la plupart des cas une forme musicale qui la règle. L'accompagnement de la danse du loup était vocal. D e ses chansons, autant dire que nous ne savons rien. Nous n'en avons recueilli intégralement qu'une (C. Guern. Huelgoat) 2 . Le texte (même thème que la fable de La Fontaine « Le Cheval et le loup ») mieux que l'air, mal adapté
1 , J.-M. Guillou. 2. GUILCHER (H. et J.-M.), La danse du loup, A r F a l z , 3, 1955, p. 59.
LE
RÉPERTOIRE
525
aux mouvements, justifie qu'on l'ait employée pour la dans ar blei. Notre informateur de Plougonver se souvenait d'un air différent que sa voix cassée rendait mal discernable. A u moins est-il sûr qu'il s'agissait d'un ton simple de gavotte. Le texte, qu'il avait oublié, parlait aussi du loup, disait-il. Quel rapport caché lie la bête et la danse ? Il n'est presque plus personne qui le sache. La dans ar blei n'a été pour ses derniers adeptes qu'un exercice plaisant, une occasion pour les plus dégourdis de montrer leur agilité. Il ne leur vient pas à l'esprit que le loup y ait été réellement intéressé. Les hommes de la génération antérieure, qui dansaient la dans ar blei en groupe, semblent lui avoir attaché autrement d'importance. C'est que pour ceux-là le loup n'était pas un animal légendaire. Il vivait à leurs portes, et les tenait sur le qui-vive. Ce canton de Carhaix est en effet celui où les loups se sont maintenus le plus tard. Dans la seconde moitié du siècle dernier, fort souvent, à l'entrée de l'hiver, la meute du comte de Saint-Prix, grand louvetier, courait les forêts et les landes, mettant les loups sur pied de Laz à Glomel et Bourbriac, soit dans ce territoire où subsiste encore un certain souvenir de la dans ar blei. L'anglais Davies, dans l'ouvrage où il raconte ces chasses, donne incidemment quelques informations sur la vie rurale du district de Carhaix à cette époque (vers le milieu du x i x e siècle). Les loups, dit-il, abondent. Ils circulent « souvent en paires, souvent en bandes, suivant la rigueur de la température » 1 . Dans les périodes de grand froid ils s'en prennent au bétail. On a soin alors « d'allumer des feux la nuit à tous les carrefours de routes entre Carhaix, Callac, Gourin, Rostrenen et autres petites villes du voisinage, pour préserver les troupeaux et même les chiens de la rapacité des loups affamés » 2 . Bien que le loup fût moins abondant dans la jeunesse de nos vieux informateurs, beaucoup d'entre eux l'ont encore vu, et quelques-uns même se souviennent d'un temps où il rôdait en effet l'hiver autour des maisons isolées. Il faut avoir ces faits présents à l'esprit pour apprécier à leur valeur les trois seuls témoignages catégoriques que nous ayons recueillis sur la raison d'être de la élans ar blei aux époques passées. Ces témoignages viennent de trois communes éloignées les unes des autres, et concordent absolument. Selon un vieil homme de Châteauneuf-du-Faou 3 , les bergers aux champs se munissaient autrefois d'une large pierre plate pour y danser la dans ar blei, dont le bruit éloignait le carnassier. Un autre à Poullaouën 4 , chasses
1. DAVIES E . W . L . , traduct. par R . de Beaumont, Chasses aux loups en Basse-Bretagne, Paris, Laveur, 1 9 1 2 , in-8°, X V I - 382 p., p. 4. 2. Ibid., p. 8. 3. P. Bouteraou. 4. F . Ropars.
et
autres
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DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
né en 1862, nous décrivait l'alerte dans les villages quand quelqu'un avait décelé la présence d'un loup. Ceux que la rumeur avait attirés se réunissaient pour « danser au loup » aussi nombreux que possible, pour faire le plus de bruit possible. Un troisième informateur plus jeune avait entendu les anciens de Maël-Pestivien dire qu'on dansait autrefois pour faire peur aux loups. Produire un bruit qui tienne le loup à distance, tel paraît avoir été le but de la dans ar blei. Aucun témoignage ne contredit l'enseignement de nos trois informateurs, et tout le confirme. Il explique la nature des mouvements et l'importance que les danseurs attachent traditionnellement au « tambour au pied », lors même qu'ils n'en savent plus la raison. Il explique la distribution géographique de la danse et sa double forme, collective et individuelle. Il explique enfin l'abandon de la danse en groupe, puis l'extrême raréfaction de la danse de soliste, quand, le loup ayant disparu, la danse du loup eut perdu sa raison d'être.
LA DANSE DES BAGUETTES
Cette danse, recueillie par Taldir Jaffrennou, a été analysée par E. G a l b r u n 1 en 1936. Faute d'un meilleur terme pour la désigner nous lui conservons le nom sous lequel cet auteur l'a fait connaître. O n verra quelles réserves appellent ce titre et surtout l'interprétation de Jaffrennou, pour lequel il ne s'agissait de rien de moins que d'une ancienne « danse du glaive » celtique. Premier trait à souligner : la danse dite des baguettes est loin d'avoir, aux yeux des danseurs traditionnels, l'importance de celles qui composent la suite réglée. Beaucoup y voient une sorte de jeu, plutôt qu'une danse proprement dite. A ce titre ils la pratiquent en des temps où la danse est proscrite, en carême par exemple. C'est un amusement des veillées, réunions familiales, etc., non un moyen d'expression sociale. Second trait digne de remarque : le public limité de cette danse. Dans une même localité, parmi des gens de même âge, on en rencontre qui la connaissent, et d'autres, plus nombreux, qui l'ignorent totalement. A noter enfin sa distribution irrégulière. La danse des baguettes paraît absente de telle commune, quand ses témoins abondent dans la voisine. Aussi ne saurait-on lui assigner comme à d'autres danses un domaine défini et continu. O n peut seulement lui reconnaître deux grandes aires de distribution. L'une se situe aux confins de la Haute et de la Basse-Cornouaille entre Poullaouën et Le Faouët, Gouézec et Saint-Nicolas-du-Pélem. L'autre se situe en Morbihan, en pays d'en dro (régions de Pont-Scorff, Quistinic, Languidic, Baud, Pluvigner, SaintJean-Brévelay).
1. Dse.
bret.,
pp.
67-73.
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DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
La danse se présente sous deux types, l'un à deux, l'autre à trois danseurs. En Morbihan nous n'avons jusqu'ici recueilli que la danse à trois. Nous ne lui connaissons que cet air entendu à Baud : J = lOOenv.
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1 J
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J u d e le Paboul, Baud, 1951.
En Cornouaille les deux types coexistent le plus souvent. Certains informateurs les ont pratiqués simultanément. D'autres connaissent la danse à deux, non la danse à trois, ou inversement. Il n'y a pas de tradition locale impérieuse. Les mêmes airs servent aux deux types. Nous en avons recueilli six, composés, comme dans l'exemple suivant, de deux parties, de huit mesures 2/4 chacune, au mouvement de course :
f
J J V J n u
i P i m L r i t r J J i c j ^ J . Le GofI, Glomel, 1959.
LA
DANSE A DEUX
Les deux danseurs (indifféremment deux hommes, un homme et une femme, deux femmes) sont face à face. Ils peuvent, ou se donner simplement les deux mains (main droite de l'un dans main gauche de l'autre), ou (plus souvent) se tenir par l'intermédiaire d'objets tels que mouchoirs, torchons, bâtons. Le modèle de ceux-ci n'est nullement fixé. P. Montjarret 1 signale l'emploi de bâtons de cuisiniers. Nous-même avons vu utiliser des manches à balai, ou de simples baguettes tirées d'un fagot. i . MONTJARRET P., C'houez
er beuz, A r soner, n° 109, j a n v i e r 1959, p. 7.
LE
529
RÉPERTOIRE
Le tempo, le plus souvent uniforme, est celui d'une course. Le pas, suivant les exécutants, est le pas de course ou le pas de gavotte. Pendant la partie A (deux phrases de huit temps) les deux danseurs décrivent dans le sens de la montre un petit cercle dont les bâtons matérialisent grossièrement le diamètre. Souvent ils marquent la pulsation en balançant les bâtons, alternativement vers l'intérieur et l'extérieur. Pendant la partie B (deux phrases de huit temps) chacun tourne sur soi-même, sur place, dans le sens de la montre (un tournant par phrase). Alternativement les bras s'élèvent jusqu'à porter les bâtons au-dessus des têtes quand les partenaires sont dos à dos, puis s'abaissent à hauteur de taille quand les partenaires sont face à face. *
*
*
Une version notée à Spézet (mais probablement plus répandue) diffère de la précédente sur deux points. D'abord la partie A s'y danse en pas de marche, sur un tempo modéré. La partie B, seule, se fait en pas de course ou de gavotte. D'autre part les bâtons sont croisés : un bâton réunit les mains gauches, un autre, au-dessus du premier, les mains droites. Durant la partie B les bâtons deviennent parallèles quand les danseurs les élèvent ou les abaissent. Quand les danseurs se font face ou se tournent le dos, les bâtons se retrouvent croisés. *
*
*
Il reste à signaler l'étroite ressemblance entre la danse des baguettes à deux et une variante de bal à deux qui nous a été enseignée en quelques communes de Haute-Cornouaille (Plourac'h, Plévin, Glomel). Cette variante, que nos informateurs s'accordaient à dire apparue sur le tard, commence par une ronde générale marchée (A). Les danseurs se séparent ensuite par couples, le cavalier donnant les deux mains à sa partenaire (B). C'est la forme générale du tamm krei% traditionnel. La nouveauté consiste en ceci, que les partenaires, au lieu de demeurer face à face, tournent chacun sur soi-même, élevant et abaissant tour à tour les bras comme dans la danse des baguettes. P. Montjarret 1 rapporte le témoignage d'informateurs de la région de Paule et Plévin, qui auraient vu, en des mariages, la danse des baguettes proprement dite — et, autant qu'il semble, dans sa forme à trois — incorporée comme tamm kreiç dans une suite tripartie de danses que le marié et son garçon d'honneur dansaient avec les cuisinières. Une telle pratique pourrait avoir facilité le transfert de mouvement d'une danse à une autre. 1. Ibid., L'auteur voit même dans cette danse, appelée par lui dans ar gegirtourezed (danse des cuisinières), l'ancienne « contredanse » traditionnelle de la dans ar rost (danse du rôti) des mariages. Notre enquête ne confirme pas cette interprétation.
530
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
L A DANSE A TROIS
Il n'y a pas de règle en ce qui concerne le groupement des sexes, mais il est fréquent que la danse soit faite par un homme et deux femmes. La partie A (deux phrases de huit temps) est variable. En Morbihan il s'agit ordinairement d'une petite ronde. Les trois danseurs s'y tiennent par la main et tournent dans le sens de la montre en pas d'en dro (parfois commencé du pied droit croisé devant le gauche). En pays de gavotte la disposition est différente. L'homme a dans chaque main un bâton (ou un torchon, mouchoir, etc...) qu'il tient par une extrémité. L'autre extrémité de chaque bâton est tenue, de la main droite, par une fille. Les deux filles sont donc orientées dans le même sens. Elles ne se tiennent pas entre elles. L'une suivant l'autre elles décrivent un cercle (pas de course ou pas de gavotte), en sens de la montre, autour du garçon comme centre. Le garçon, pivot du manège, tourne à petits pas sur place. La partie B (deux ou quatre phrases de huit temps) s'exécute partout de la même façon. Aux dernières notes de la partie A la petite ronde (Morbihan) s'ouvre entre les deux filles, ou la fille reliée à la main droite du garçon (Finistère, Côtes-du-Nord) fait, sans lâcher le bâton, un demitour sur elle-même (sens de la montre) pour se trouver face à sa compagne. Pendant la première phrase B la fille placée à droite du garçon passe sous l'arche que les deux autres danseurs forment en élevant les bras (ou le bâton qui les relie) et décrit autour du cavalier un grand cercle en sens inverse de la montre. Le garçon tourne à petits pas sur lui-même, et, le moment venu, passe sous son propre bras gauche. Pendant la seconde phrase B la fille placée à la gauche du garçon effectue à son tour la même évolution, en sens inverse : passage sous l'arche que forment les deux autres danseurs, cercle en sens de la montre autour du cavalier, qui tourne sur lui-même et passe sous son propre bras droit. * * *
Contrairement à une opinion répandue, les danses que nous venons de décrire ne sont pas propres à la Bretagne. Elles se retrouvent en France et hors de France, comme deux danses distinctes ayant chacune leur distribution propre. La danse à deux appartient à un type très général de danses exécutées à mains nues, ou avec des foulards, bâtons, ceintures, rubans, etc..., type auquel appartiennent aussi certaines figures des « guimbardes » du centre de la France. La danse à trois, mieux caractérisée encore, nous a été signalée en Auvergne et dans l'ouest des Pyrénées. Elle se retrouve sporadiquement dans quantité de folklores
LE
RÉPERTOIRE
531
et jusque dans les pays scandinayes1. Dans les cas que nous connaissons il paraît s'agir également de danses dépourvues de toute solennité. Rien, on le voit, ne permet d'affirmer que la « danse des baguettes » soit celtique. Rien ne fait croire non plus qu'elle ait commencé par être une danse d'épées. Le climat où elle trouve place, le caractère facultatif et divers des accessoires matériels, la façon dont on les manie, le type des mouvements, tout au contraire rend cette supposition peu vraisemblable. Le moyen manque pour l'instant de donner un âge à cette danse. Observons toutefois que sa distribution étroite, son public minoritaire, le peu de considération qui s'y attache, n'invitent pas à la croire très anciennement enracinée en Bretagne. La question de ses origines reste ouverte. Il semble assez probable qu'elle soit, comme plusieurs autres, un apport relativement récent.
1 . Cf. Den Up pede Hone, dans THOMSEN E l s e et ANDERSEN for Bern, Copenhague, Hanseil, 1 9 2 3 , p. 1 7 .
Hanse,
Folkedanse
LA DANSE RONDE AUX TROIS PAS
La carte des points où nous avons constaté la présence de cette danse (en noir sur la carte XII) fait apparaître au premier regard sa caractéristique majeure, qui est d'appartenir à la périphérie de la Basse-Bretagne. Une recherche systématique portant sur cette seule ronde la ferait probablement rencontrer en d'autres localités encore, surtout en Morbihan. L'image qu'on prendrait de sa distribution géographique n'en deviendrait pas foncièrement différente : il s'agit d'une danse du littoral. Elle ne s'étend à des terroirs proprement paysans qu'en deux régions distinctes : en Morbihan, où son domaine bretonnant passe sans discontinuité à un domaine haut-breton que nos sondages font croire important; en Finistère dans le Léon. Un certain nombre de points au long des côtes de Cornouaille jalonnent le chemin du premier territoire au second. U N I T É D E LA DANSE
Il s'agit partout d'une ronde, et du type le plus fruste : indéfiniment un court trajet de quatre temps vers la gauche alterne avec un trajet égal de quatre temps vers la droite. Les danseurs couvrent toujours le même arc de cercle. Le pas est une simple marche (trois pas et assemblé). Soit : 1
2
3
G
D
G
à gauche
4
J L
1
2
3
D
G
D
à droite
Telle est la version partout la plus répandue.
4
DANSE
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EN
BASSE-BRETAGNE
** *
Le nom que nous avons retenu comme titre, les trois pas, n'est donné à la danse que dans la région de Morlaix. Il a l'avantage de la désigner sans ambiguïté. Les termes morbihannais au contraire sont source de confusions. Ce sont demi-danse (pays gallo), demi-tour ou hanterdro (presqu'île de Rhuys, pays de Vannes). Rappelons qu'ils sont donnés, en Morbihan aussi, à une danse différente, parente du tour ou en dro. Le nom de « demi-tour » appliqué à la ronde aux trois pas s'explique par ses volte-face incessantes qui l'opposent au trajet circulaire du « tour ». Les mêmes noms sont connus en Finistère : hanterdro et demi-tour sont usités en presqu'île de Crozon (Roscanvel) et tout à fait communs en Bas-Léon. Autre nom significatif quant à la provenance de la ronde : ridée, que nous avons entendu à Camaret, Lanvéoc et Porspoder. La chanson la plus employée à Camaret pour danser le demi-tour disait même : Dansons la ridée Ça nous fait chauffer les pieds. Dansons sur l'herbe, Les jaloux sont derrière nous Qui nous regardent. Citons encore en Bas-Léon dans tro, ou danse ronde, qui est très commun, dans moul et piquette qui sont rares au contraire, le premier propre à Landéda, le second à Plourin. *
*
*
Nous avons rapporté en son lieu une façon de commencer la ridée que nous avons observée en presqu'île de Rhuys : danseurs immobiles, bras levés, abaissant les bras au signal d'un meneur et les balançant plusieurs fois en silence pour s'accorder sur un rythme avant de commencer à chanter. Nous n'avons retrouvé cette particularité qu'en Léon, et pour la seule « danse ronde aux trois pas ». Au signal (« un ! deux ! trois ! ») les bras balancent et la ronde s'ébranle — trois pas à gauche, trois pas à droite —• sans autre bruit que celui des sabots. Après quelque temps seulement une chanteuse annonce un titre de chanson, puis en dit la première phrase, que tous reprennent en chœur. *
*
*
La distribution géographique de la danse ferait à elle seule attribuer aux hommes de mer le principal rôle dans sa diffusion. Les témoignages directs le confirment. La danse ronde aux trois pas était, vers la fin du
LE
RÉPERTOIRE
535
e
xix siècle, très couramment dansée à Lorient par les marins faisant leur temps de service. Les plus vieux de nos informateurs ont vu ainsi, vers 1885, d'immenses rondes où se mêlaient recrues finistériennes et morbihannaises. Tout au long des côtes du Finistère d'autre part on signale que les marins étaient les animateurs de cette danse et fournissaient la jeunesse en chansons nouvelles pour la danser. Les mouvements des équipages entre Lorient et Brest ont dû contribuer très efficacement à répandre « les trois pas ». A quoi il faut ajouter les relations de toutes sortes entre populations côtières : navigation de commerce, pêcheurs, goëmonniers, sardinières etc... On voit qu'au total l'unité de nature de la danse aux trois pas sur l'ensemble du littoral bas-breton ne peut être mise en doute. On est même fondé à conjecturer le sens de sa migration : du Morbihan vers le Finistère. PLACE
DANS L E
RÉPERTOIRE
La place de cette ronde dans l'économie du répertoire diffère considérablement d'un pays à l'autre. En Morbihan les danseurs y tiennent assez peu pour que la plupart omettent de la signaler quand l'enquêteur n'en fait pas la demande précise. Beaucoup même l'ignorent absolument. Avec cela pourtant elle a parfois les honneurs d'un accompagnement instrumental, parallèlement au vocal qui est partout le plus commun. Elle a un public plus nombreux sur le littoral que dans l'intérieur des terres. Elle passe pour avoir été plus goûtée autrefois. De vieilles gens l'apprécient encore pour le calme de ses mouvements et le déroulement tranquille de ses chansons, notamment à Plouay où certains l'appellent : « la petite danse ». En Cornouaille son rôle est toujours très réduit. Nous n'avons jamais entendu dire que les sonneurs l'aient jouée. Au contraire il est souvent précisé qu'on la dansait dans les noces « pour laisser reposer les binious » ou permettre aux sonneurs d'aller manger. Rôle mineur encore dans le « Gweled-Léon » entre la pointe SaintMathieu et l'Aber-Wrac'h, c'est-à-dire dans cette partie du Léon qui possède simultanément, comme la Cornouaille et le Morbihan, des danses d'un type nettement plus évolué. Rôle de premier plan au contraire sitôt franchi l'estuaire de l'Aber-Wrac'h. Démuni de toute autre danse, le « pays pagan » (Plouguerneau, Guissény, Kerlouan, Plounéour-Trez), jusqu'aux approches de l'austère pays de Saint-Pol, a donné à celle-ci une importance qu'elle n'a nulle part ailleurs en pays bretonnant. Elle est la danse du terroir, pratiquée en toutes circonstances officielles (noces, pardons, foires, régates, fêtes calendaires) et privées (repas de familles, danses du soir aux carrefours,
DANSE
536
EN
BASSE-BRETAGNE
danses des bergères au champ, des goëmonniers sur la grève etc...) Son efficacité dans le pilonnage de l'aire neuve lui vaut un large accueil du public paysan en ces régions où toute trace d'un répertoire plus ancien a fini par disparaître. En plusieurs communes de l'intérieur, sévèrement contrôlées par leur recteur, la « danse ronde » ne trouvait place qu'aux aires neuves. Bien plus, certains de nos vieux informateurs n'y voyaient pas une danse au sens communément donné à ce terme, mais une simple technique agraire. Ainsi s'explique probablement que la bande littorale où « la danse ronde» est populaire s'élargisse en bordure de Manche jusqu'à Plouvien et Bodilis alors qu'en Gweled-Léon sa profondeur n'excède pas quelques kilomètres. Elle s'amincit de nouveau dès qu'on aborde le Trégor du Finistère où la paysannerie conservait aux premières années de ce siècle un répertoire local traditionnel.
LES
VERSIONS
La danse ronde aux trois pas possède deux sortes de versions. Dans l'une, qui est la plus répandue, le tempo reste égal tout au long de la danse (voir ci-dessus p. 533). Il est seulement plus ou moins animé suivant les chansons. Dans une autre sorte de versions la danse comporte une alternance de tempo calme (pas marchés) et de tempo rapide (pas courus). Nous n'avons rencontré ces versions que sur le littoral de la Manche, de l'Aber-Wrac'h à la baie de Morlaix. Nous évoquerons la plus évoluée, telle qu'on pouvait la voir en pays pagan, il y a peu d'années encore, avant que ne s'éteigne la tradition. Les danseurs, filles et garçons régulièrement alternés, se tiennent par les petits doigts. Chaque garçon a pour partenaire la fille placée à sa droite. Dans les passages en tempo de marche, la cohésion et l'unité du groupe sont poussées au maximum. Les danseurs s'y appliquent, en accordant et uniformisant leur pas avant même que le chant ne commence. Le dessin d'ensemble du groupe est régulièrement circulaire. Les pieds qui marchent, les bras qui balancent, marquent fermement la pulsation. A la fin des motifs (temps 4) les sabots en se heurtant ne font qu'un bruit. La répétition monotone de ces mouvements uniformes et automatisés, distribués en balancements parallèles, a vin pouvoir qu'on éprouve soi-même quand on participe à la ronde. Elle crée une sorte d'euphorie physiologique et psychique, qui deviendrait facilement engourdissement et torpeur. Les passages en tempo rapide y font obstacle. Brusquement, à l'exemple d'un meneur, l'allure change. La marche fait place à une course
LE
RÉPERTOIRE
537
rebondissante (même formule d'appuis). Les garçons se dépensent, balancent vigoureusement les bras, tapent du pied, houspillent les filles. C'est la soupape ouverte au besoin d'expansion individuelle, une sorte de revanche sur la contention de la phase lente. C'est aussi l'occasion d'un jeu entre garçons et filles. A la fin des trajets vers la gauche (pendant le rebondissement sur pied gauche du temps } au temps 4) les deux partenaires de chaque couple se tournent de trois quarts l'un vers l'autre. A la fin des trajets vers la droite (rebondissement sur pied droit), chacun se tourne de trois quarts vers son autre voisin. Ce retournement alterné s'accompagne d'un mouvement de bras original. Il commence en balancements simples (1 : vers l'avant, 2 : vers l'arrière) des deux bras. Il s'achève en mouvement dissymétrique, effectué par un seul bras. En effet, en se tournant vers sa propre partenaire, le garçon, aux temps 3-4, lance vigoureusement sa main droite, et du même coup la gauche de la fille, en une courbe vers le haut qui les rejette finalement jusqu'en arrière des épaules. A la fin du trajet suivant il fait le même geste de la main gauche en se tournant vers la fille de gauche, et ainsi de suite. C'est principalement dans ces pouvements que se manifeste la diversité individuelle. On pouvait, aux derniers temps, observer plusieurs dessins gestuels. L'un dominait, assez remarquable par la façon dont la rotation du bras, qui d'abord intéressait le membre entier tournant autour de l'épaule, se réduisait progressivement à l'avant-bras tournant autour du coude, enfin à la main tournant autour du poignet. Il s'agit là d'une version jeune, en passe de s'imposer comme versiontype. Les vieilles gens ont pratiqué une variante plus simple, qui fait transition entre la précédente et la version à tempo constant. Les danseurs y conservaient la même disposition cohérente dans les passages rapides que dans les passages plus lents. Ils adoptaient seulement en place de la marche une sorte de pas de quatre couru latéralement. Parfois ils gardaient les mains levées à hauteur d'épaules. Il n'y avait aucun jeu réglé des sexes. La ronde s'accommodait alors d'une répartition quelconque des filles et des garçons, et même d'un nombre impair de danseurs. Guissény et Kerlouan paraissent avoir été les centres initiateurs de la version la plus évoluée. Elle s'étendait finalement jusqu'à l'AberWrac'h. Même, les danseurs de Landéda et Saint-Pabu commençaient à enrichir leur ronde — jusque-là dansée sur un seul tempo — d'un mouvement rapide. Le meneur en donnait le signal en comptant à haute voix : « un ! deux ! ». Au contraire les communes rurales, au sud du pays pagan, restaient fidèles à la version la plus simple.
DANSE
53«
EN
BASSE-BRETAGNE
** *
Le chant, comme on a vu, est partout l'accompagnement habituel de la danse ronde aux trois pas. Il l'est toujours en L é o n x . Il est assuré par les danseurs eux-mêmes, un soliste alternant avec le chœur. Ce rôle de soliste est souvent tenu par une femme. Parfois même les femmes commencent seules la ronde, et les hommes les rejoignent un peu plus tard (Lilia). Le contenu gestuel de la danse ronde est beaucoup trop pauvre, au moins dans les versions les plus simples, pour occuper l'esprit à lui seul. La danse ne prend de sens que par l'union de la parole et de la musique avec le mouvement. Cette union toutefois est d'un type bien différent de celle que nous avons analysée dans les gavottes en chaîne fermée des montagnes. Le mouvement a sa vie propre, partiellement indépendante. La chanson, comme on a vu, ne commence qu'une fois les pas accordés. S'achève-t-elle, la ronde n'en est pas interrompue. Elle continue son va-et-vient sur un tempo de marche, au seul accompagnement du bruit des pas, jusqu'à ce qu'un nouveau soliste annonce une nouvelle chanson. E t ainsi pendant plusieurs heures. Tout se passe comme si le mouvement une fois lancé, les danseurs n'avaient plus qu'à se laisser porter par lui. Aussi ne doit-on pas s'étonner de voir assez souvent l'accord musique-mouvement se borner à l'ajustement des pulsations. Il n'est pas rare d'entendre une mélodie dont le phrasé contredit celui de la danse. De même l'alternance des passages marchés et des passages courus ne correspond pas nécessairement à des divisions naturelles de la chanson. Quand celle-ci comporte couplet et refrain (ce qui n'est pas une règle) le mouvement rapide commence parfois un peu avant le refrain, ou se prolonge un peu après. La fantaisie des meneurs en décide. Le pas étant devenu automatisme, le chant occupe entièrement l'esprit. Il bénéficie bien entendu de l'unité du chœur dansant et plus généralement des dispositions psycho-physiologiques que le mouvement a fait naître. On pourrait définir la danse ronde un chant choral sur un substrat de mouvement. Il est clair toutefois que cela est surtout vrai de la version la plus simple. L'évolution de la ronde en pays pagan, par l'alternance de tempos contrastés d'abord, la place faite à l'élément sexuel ensuite, était en voie d'amener le mouvement à des états beaucoup moins sommaires, et par là de modifier l'équilibre entre les constituants de la danse.
I . Sur les versions du Léon et leurs chansons d'accompagnement, voir GUILet J . - M . , Danse-ronde. Voir aussi M A R C E L - D U B O I S Cl. et A N D R A L M. ,« Musique populaire vocale de l'Ile de Batz», Arts et Trad, pop., n° 3, juillet-septembre 1 9 5 4 , pp. 1 9 3 250. CHER
H .
LE
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RÉPERTOIRE PARENTÉS
La facilité même avec laquelle on peut trouver en d'autres folklores des danses analogues à celle-ci doit empêcher de conclure trop vite à la parenté de toutes. Von der Au, rendant compte de l'étude où nous signalions pour la première fois cette danse au public 1 , penchait à y voir le reste d'une forme très ancienne à large diffusion européenne, dont d'autres pays conserveraient également des vestiges. L'hypothèse n'est certes pas exclue, mais elle est invérifiable. Quand il s'agit d'une danse aussi fruste, celle d'une coïncidence fortuite ne nous paraît pas moins vraisemblable. Nous préférons pour notre part nous limiter à des rapprochements moins incertains. Par exemple, nous croyons la danse ronde aux trois pas réellement parente de celle que J a l 8 voyait danser aux premières années du xix e siècle au plus tard sur le gaillard d'avant des vaisseaux. Il l'évoque en ces termes : « Les chansons donnent du ressort à toute l'organisation, et pour les marins bretons ou normands, il n'est pas de fatigue qui empêche de danser une ronde. La bouline, qu'on vient de hâler pour orienter la voile un peu plus près du vent, est à peine amarrée à la longue cheville de bois qui doit la retenir, que déjà les mains des matelots se réunissent pour la farandole tournante. Une voix entonne la légen'de du moine Simon qui vient après vêpres chez une de ses pénitentes dont le mari est absent, ou celle du matelot qui séduit la femme d'un président, et voilà tout le monde en train! Le cercle s'ébranle pour marcher à droite; on fait deux pas, chacun lève le pied gauche, puis on revient à gauche par deux pas, auxquels succède le lèvement de tous les pieds droits, et cela tant que durera la chanson dont le refrain est répété dans dix tons différents... ». Par ces « deux pas » vers la gauche « auxquels succède le lèvement de tous les pieds droits» il faut nécessairement entendre trois appuis successifs, dont le dernier dégage la jambe libre pour le trajet inverse. Autrement dit, la ronde de matelots de Jal est l'exacte réplique de notre version simple. Ce serait peu, si notre ronde bretonne n'était précisément une danse de la côte, si Jal lui-même ne faisait état de marins bretons 3, si nous n'avions si souvent constaté le rôle des marins à la fin du xix e siècle dans la diffusion des « trois pas ». Il n'est pas vraisemblable, cette fois, qu'il n'y ait là que des coïncidences. 1 . VON DER AU, H a n s , « L a danse ronde en Léon », (Compte rendu), Journal of tke international folk music council, V, 1 9 5 3 , p. 83. 2. JAL A., Scènes de la vie maritime, Paris, De Gosselin, 1 8 3 2 , III, p. 1 9 6 . 3. MORVAL (i"9e lettre morbihannaise, p. 259) rapporte que l'ancienne Compagnie des Indes, et la Marine r o y a l e , entretenaient sur chaque navire appareillant d ' u n port breton un joueur de biniou dont la fonction était de f a i r e danser l ' é q u i p a g e . L ' a b b é de CHOISY (Journal du voyage de Siam, Paris, 1687, pp. 7, 1 1 , 1 9 , 4 9 ) mentionne à plusieurs reprises des danses a u x chansons des matelots.
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Cette danse de marins, surtout si la tradition, comme on peut croire, en est ancienne, a dû s'implanter sur d'autres côtes que celles de Bretagne. Peut-être ne serait-il pas trop tard encore pour en retrouver quelque souvenir chez d'autres populations littorales. Nous nous sommes assuré qu'on la connaissait à l'Ile d'Yeu et à Noirmoutiers 1 . Comment ne pas la reconnaître aussi dans cette ronde qu'Arnaudin 2 dit s'être éteinte en pays landais vers 1870 : Elle « se pratiquait à Biscarosse, et rien que là C'était, quant à la disposition de la chaîne, la ronde bouclée ordinaire, mais avec cette particularité curieuse (j'en ai eu sous les yeux quelques représentations) qu'elle ne comportait pas de tour entier, tout le mouvement consistant en trois pas vers la gauche et trois pas vers la droite exécutés alternativement, sans plus, et invariablement répétés, toujours sur la même place, avec plus ou moins de vivacité ou de lenteur seulement, selon le rythme et l'allure du chant, — car on n'y employait que les chansons, les mêmes qui servaient ailleurs aux rondes proprement dites...». Arnaudin ajoute ces lignes qui donnent à penser : « Le fait est d'autant plus singulier qu'il ne se retrouve nulle autre part dans notre pays landais. Biscarosse, d'après ce qu'on rapporte à tort ou à raison vers ce coin du Born, devrait son origine à une petite troupe de pêcheurs basques dont le bateau s'était échoué sur la côte et qui auraient été ses premiers habitants. A supposer que cette tradition ait quelque fondement, il serait intéressant de savoir si une danse ayant ce même caractère ou un caractère approchant est ou a été en usage sur un point ou sur un autre des provinces précitées : je l'ai essayé sans y réussir». Une fois de plus se trouve souligné le lien entre cette ronde et la côte. Quelle que soit l'origine de la danse ronde aux trois pas, les marins ont manifestement joué un rôle de premier plan dans sa propagation. D'autres danses sont reçues des paysans par les populations côtières. Celle-ci au contraire apparaît en Basse-Bretagne comme une danse de la mer. Elle ne s'est guère imposée dans les terroirs pourvus d'une vigoureuse tradition paysanne de danse. Maintenue à un rang inférieur, elle y a gardé cette forme nécessairement sommaire qu'elle avait quand elle était le plaisir de matelots rassemblés et dispersés au hasard des embarquements. Elle s'est au contraire enracinée en Léon et, trouvant là dans une population stable des conditions enfin propices à son évolution, a commencé de s'élever par un processus autonome vers des états plus élevés d'organisation.
1 . Elle constitue la partie B d'une bretonne, recueillie par Bernard de Parades à Pornic (Documents inédits). 2. A R N A U D I N , Ch. pop. Gr.-L., pp. X X I V et X X V .
LE JIBIDI
Le jibidi, plus précisément le jibidi-jibida, est la forme bretonne du chibreli connu de toutes les provinces de France dans le dernier quart du xix e siècle. Jibidi est partout le nom le plus ordinaire de cette danse. Mais nous lui avons trouvé des variantes nombreuses : jibeli (Vannetais), jiberi (Trégor, Haute-Cornouaille), jtberli (pays bigouden), jigoudi (pays de Pontivy), jigouli (Pontivy, Inzinzac), jibouli (Languidic), jubili (PlouégatMoysan), chiberi (Glomel), chiberli (pays bigouden), chibreli (HauteCornouaille), sèmeri (confins du pays gallo au nord de Pontivy); chacun de ces termes étant bien entendu suivi de son doublet en a. On entend parfois aussi « jibidi-jabadao » ou même simplement jabadao. C'est toujours et partout une danse d'importation récente. La proportion massive des témoignages qui l'affirment et la qualité des témoins ne permettent pas d'en douter. Mais les conditions de son arrivée en Bretagne échappent entièrement. Vers 1885 au plus tard le jibidi commence d'être dansé à Brest — et probablement en d'autres lieux — par les fillettes des écoles. La plupart des campagnes le reçoivent à des dates qui s'échelonnent entre 1890 et 1914. Il semble qu'il ait simultanément essaimé d'un point à d'autres et diffusé à partir de centres d'implantation. En quelques communes, des témoins de sa première vogue affirment avoir connu ses initiateurs. A les en croire, c'est de Pontivy que le jibidi aurait été introduit à Belle-Isle-en-Terre, de Lannion que des commerçants en goëmon l'auraient amené à Guissény, d'Audierne qu'il serait venu à Lanildut. Quoi qu'il en soit, il est aujourd'hui connu partout. Dans la plupart des cas le jibidi est resté une simple amusette, bonne tout au plus à varier le plaisir dans les veillées, les ambleudadeg, jrikadeg boloh, etc... En quelques endroits pourtant il a pris rang dans
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le divertissement ordinaire. Par exemple il arrive qu'il constitue une figure nouvelle dans un jabadao qui en comportait déjà une ou plusieurs autres (Pleyben, çà et là en pays de Quimper et en pays bigouden). Ou encore il est dansé comme bal ou « contredanse » (presqu'île de Crozon, Haute-Cornouaille, pays de Vannes). Enfin les dernières générations l'ont par endroits substitué au passepied, au point parfois que cette danse est finalement tombée en oubli (Haute-Cornouaille orientale, et, depuis plus longtemps, pays gallo voisin). La danse comporte une partie A, qui sert au déplacement du groupe de danseurs (presque toujours marche) et une partie B (deux phrases de huit temps) qui s'exécute sur place avec un pas caractéristique.
LE
PAS
Le pas de la partie B, caractéristique de la danse, s'exécute suivant une formule d'appuis qui correspond à quatre mesures à deux temps :
J.
> G+D-
J>> J > > J > > J) > -- D+G G+D'-—~ D+G—'G+D
Le danseur (supposé pieds joints à la fin de la partie A) saute et retombe sur place au premier temps de la première mesure B, en appui à peu près égal sur les deux pieds, distants d'un grand pas l'un de l'autre. Le pied droit est en avant (ce que nous conviendrons de marquer d'un point au-dessus de la lettre D dans la formule d'appuis), le gauche en arrière. Le danseur garde cette position jusqu'au dernier quart de la mesure. Il saute alors de nouveau pour retomber sur place au premier temps de la mesure 2, avec les appuis inverses : pied gauche en avant, pied droit en arrière. Les mêmes sauts se répètent aux mesures 3 et 4, mais à raison de deux sauts à chaque mesure. Ainsi pour chaque phrase B. Dans certaines variantes le danseur porte l'appui seulement sur le pied arrière, la jambe antérieure étant tendue en avant, pied décollé du sol. LA
FORME
Il en existe deux principales : la ronde et le cortège. La ronde elle-même comporte deux variantes. Dans l'une le cercle demeure cohérent d'un bout à l'autre de la danse. Les danseurs tournent en sens de la montre pendant la partie A, font le pas de jibidi sur place face au centre pendant la partie B.
LE
RÉPERTOIRE
543
Dans l'autre le cercle se fragmente en couples aux dernières notes de la partie A. Dans chaque couple les deux partenaires dansent face à face, souvent en se donnant les deux mains. Le cortège décrit un parcours circulaire pendant la partie A. Pendant la partie B les deux partenaires de chaque couple dansent face à face, le plus souvent en se donnant les deux mains. Ils se tiennent parfois main droite dans main droite, main gauche dans main gauche, et font de leurs bras croisés un mouvement de « scieuse ». Dans une variante de quelques communes fisel (région de Plévin) les couples, en B, font face au centre du grand cercle, partenaires côte à côte. Une variante trégorroise dispose les partenaires face à face, bras libres tombant le long du corps; etc... On reconnaît en tout cela les variantes de forme que nous avons déjà signalées dans le bal à deux et le passepied. Ce parallélisme pourrait être poussé plus loin. C'est ainsi qu'à Belz, le jibidi, dansé d'abord en ronde et en cortège, est devenu plus tard une danse par petites lignes de quatre danseurs, disposés de front, marchant droit devant eux durant la partie A, se formant en petite ronde pour faire le pas de jibidi pendant la partie B. C'est là, comme nous l'avons montré en étudiant les bals récents du Vannetais, la forme ultime du bal en ligne, issu lui aussi du cortège. Ainsi, c'est en empruntant les formes locales de la danse que le jibidi a trouvé droit de cité en quelques pays. L'analogie lointaine qu'il pouvait présenter avec une danse plus ancienne a souvent décidé de son adoption.
RONDES JEUX
A bien des reprises nous avons signalé l'adjonction facultative d'un élément de jeu à une danse qui ordinairement s'en passe : jeu de la danseuse dérobée (dérobées, bals), concurrence de plusieurs danseurs pour un nombre moindre de danseuses (bal), changement obligé de partenaires (danses du type tourbillon), choix et embrassade (laridé). Le répertoire breton comprend d'autre part des danses-jeux, qui associent, nécessairement cette fois, le jeu et la danse. Beaucoup, qui ne sont connues en milieu paysan que par places, et seulement des toutes dernières générations, sont empruntées au fonds folklorique français. Il en est dont le public est surtout enfantin. Mais on en connaît aussi (rondes à baisers diverses, rondes mimées, etc...) qui appartiennent plutôt à la jeunesse. Des danses-jeux ont d'autre part été élaborées en milieu paysan à partir de débris de danses de salons (polka des bébés, etc...). Un nombre moindre de danses-jeux — les seules dont il sera question ici — possèdent un cachet original et relèvent de la tradition populaire bretonne aussi loin que les témoignages oraux la font connaître. Ce sont toujours des danses chantées. Elles sont de deux types connus dans le folklore universel : la ronde à baisers, la danse de l'étourdi. Tout comme la danse proprement dite, ces danses-jeux sont ouvertes à tous les âges, au moins en des circonstances telles que réunions familiales, veillées, noces, etc... Mais la jeunesse est leur public le plus ordinaire. Jeunes gens et jeunes filles les dansent entre eux dans les pardons, foires de la jeunesse, aires neuves, assemblées où l'on foule le blé noir ou le lin.
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Plahig an douar neve^ est par excellence la forme bretonne de la danse à baisers. Nous avons trouvé cette ronde dans toute la BasseBretagne, à l'exception du pays de Vannes (où il n'est pas prouvé pour autant qu'elle soit inconnue). La chanson d'accompagnement est dialoguée entre un soliste et l'ensemble des danseurs, cependant que la ronde tourne autour d'un personnage immobile, debout au centre. Suivant qu'il s'agit d'une fille ou d'un garçon, le premier vers est Plahig an douar neve\ (Jeune fille de la terre neuve) ou Potrig an douar neve^ (Jeune garçon de la terre neuve). L'action, commandée par le chant, varie dans le détail avec les versions, mais demeure toujours la même dans ses grandes lignes 1 . Voici, pour fixer les idées, une version de Haute-Cornouaille : T e m p o de course m o d é r é
#
0
pla-
hig
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an
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ne-vez, di-ge - dei,
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oig C.
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GUEBN,
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L J
di g e - d a , 0
walh'mout
r a-
r>
P
ze?
Plouyé, 1961. Ton original.
Plahig an douar neve(z) Braoig awalh 'mout aze; Braoig awalh 'n om gefet Ma ve(z) ho koant ba' ho kichen. Mar 'ma ho koant barz an dachenn Taol an dorn dei war he 'fenn, Taol an dorn dei war he 'fenn Chech anei en da gichenn. Pa bar an heol tu ar hreizte(z) Pokit dei a mod neve(z). Reit dezi eur pok pe daou Vel 'n om gerfet ho taou; Reit dezi war ar lorzi Nag eun daou bokig pe dri. Plahig an douar neve(z) Deus timat alese. 2 1. Des versions d u Bas-Léon la réduisent à l'indispensable. Au contraire une version de T r é g u n c r a p p o r t é e p a r G U I L L E R M (Ch. pop., pp. 2 à 7) s ' é t e n d sur onze couplets. Voir aussi Q U E L L I E N (Chans. et dses., pp. 215 à 219); E R N A U L T (Mélusine, I I I , col. 421) ; Milin (Gœerin, n" 2, 1961, Kanaouennou dastumet gant G. Milin.) 2. D a n s cette version le t e x t e b r e t o n emploie t a n t ô t la seconde personne d u singulier, t a n t ô t la seconde personne d u pluriel. Nous avons a d o p t é p a r t o u t le pluriel dans la t r a d u c t i o n .
LE
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(Jeune fille de la terre nouvelle, vous êtes assez joliment là. — Vous vous trouvez assez joliment si celui que vous aimez est à votre côté — Si celui que vous aimez est dans la place, frappez-lui de la main sur la tête —- Frappez-lui de la main sur la tête, tirez-le à vos côtés — Quand le soleil brille au midi, embrassez-le à la mode nouvelle — Donnez-lui un baiser ou deux, comme vous vous aimez tous deux — Donnez-lui sur le sol un, deux petits baisers ou trois — Jeune fille de la terre nouvelle, revenez promptement d'où vous êtes.) (communiqué par Loeïz Ropars) La ronde tourne interminablement en sens de la montre. L e pas est libre. C'est ordinairement le pas de la gavotte, parfois un pas de quatre, un pas de course, etc... A mesure que la chanson le lui prescrit, le joueur central choisit un partenaire de sexe opposé en lui posant la main sur la tête, l'attire à l'intérieur du cercle, l'embrasse, fait avec lui un tour de danse. Après quoi il rentre dans la ronde, laissant à sa place le partenaire choisi, qui devient personnage principal à son tour. La succession des filles et des garçons au centre de la ronde est ainsi réglée par la forme même du jeu. Il semble qu'il n'en ait pas toujours et partout été ainsi. E n Léon au moins — réputé de mœurs sévères — on croit comprendre à travers les témoignages insuffisamment précis de quelques vieux informateurs, que le joueur central n'était pas toujours automatiquement désigné, et que certains n'occupaient cette place que poussés, et en quelque sorte contraints par leurs camarades à se détacher de la ronde. Ce qui conduit à prêter au jeu un contenu psychologique sensiblement différent. La danse de F étourdi (parfois dite « des innocents ») est, elle aussi, fort répandue. Nous l'avons rencontrée en Haut et Bas-Léon, dans toute la Haute-Cornouaille, dans une grande partie du Trégor. Il s'agit d'une ronde (hommes et femmes régulièrement alternés) tournant indéfiniment dans le sens de la montre, autour d'un garçon central, qui est l'étourdi. Il demeure immobile, ou danse lui-même à l'intérieur du cercle. Le pas, ici encore, est laissé au gré de chacun. Le chant est dit par l'un des joueurs de la ronde, qui fait office de meneur, repris par le chœur. Au premier couplet le meneur annonce seulement : A,,
Tempo de course modéré
fiifj n\n Hou-pa- la
Hou- pa-
la,
la
n m n \rm
ri- don- dè- nik,
hou- pa- li,
hou- maii
hou-pa-
la
'zo dans
Version commune
la
an
ri- don-dé.
i-
tour- di.
aux environs de
Carhaix.
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Houpala la ridondénik Houpala la ridondé Houpala, houpali; Houman 'zo dans an itourdi. (Houpala...etc... Voici la danse de l'étourdi). Les couplets suivants sont improvisés (ce n'est qu'un vers par couplet). Ils consistent en sarcasmes pour le joueur central, qui faute de partenaire n'a pas de place dans la ronde. Le jeu en cette phase vaut ce que vaut l'improvisateur. Quand le meneur a suffisamment fait rire l'assistance, il glisse à l'improviste ce vers final : Chachom tout peb a hini (tirons tous chacun la sienne), et la ronde se disloque, les garçons — étourdi compris — se hâtant de saisir une nouvelle partenaire. Celui qui n'en trouve pas va au centre et devient l'étourdi à son tour. A ces jeux tout simples les hommes d'autrefois ont pris un plaisir que la différence des milieux et des mentalités nous permet mal d'imaginer. En un temps où la vie privée était beaucoup moins préservée qu'elle ne l'est aujourd'hui, et pour des gens dont la plupart se connaissaient depuis l'enfance, chaque reprise de jeu amenait une situation psychologique nouvelle, dont tous appréciaient la saveur particulière. Pour comprendre ce que la danse-jeu apporte d'irremplaçable en un tel milieu, malgré l'étroitesse de son répertoire, on doit se souvenir qu'elle n'est qu'un complément à la danse proprement dite, dont elle emprunte souvent le pas et la forme, au point d'apparaître en bien des cas comme une version jouée de la danse commune. Elle s'en distingue d'abord en ce que les rapports de l'individu au groupe y sont autres. La danse ordinaire, dans sa forme ancienne, est toujours essentiellement collective. L'individu certes a pouvoir de s'y manifester, mais dans certaines limites et en juxtaposition avec tous les autres. La danse-jeu au contraire concentre l'attention sur un seul, pour son plaisir ou pour sa gêne. Chacun à son tour est mis en cause. La forme générale demeurant communautaire, une relation personnelle s'établit du joueur central à un autre joueur quelquefois (ronde à baisers), au groupe toujours. Le groupe en effet est témoin et acteur lui-même. Il ordonne et constate, approuve ou raille. Autre différence : les mouvements de la danse-jeu s'inscrivent dans une action dramatique. Cela, d'ailleurs, sans inclure aucune convention. Le joueur ne revêt aucun personnage, n'apprend aucun scénario. Simplement il réagit selon son tempérament, son goût, son humeur, à la situation où le jeu le place. A l'inverse de la danse pure dont le déroulement réglé une fois pour toutes exclut l'accident, la danse-jeu fait ainsi une part à l'imprévu et à la liberté individuelle.
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Tout élémentaire qu'elle soit, l'action éveille un intérêt passionné. L'amour-propre, l'instinct sexuel et l'instinct de compétition, en forment les ressorts puissants, la chanson la règle harmonieuse. Monologue, dialogue, apostrophe, dirigent le jeu et lui donnent son sens. La musique apporte son stimulant et son irremplaçable discipline. Plus que dans la danse ordinaire l'individu trouve dans ces jeux une occasion de s'affirmer lui-même, et surtout de donner quelque ouverture à des tendances impérieuses que la société l'oblige habituellement à contenir. Il leur accorde une satisfaction assez anodine pour ne mériter aucun blâme. Il le fait au vu et au su de tous, dans un climat de bonne humeur, dans une forme sociale précise qui à elle seule exclut le désordre. A tous ces titres la danse-jeu représente un élément non négligeable dans l'équilibre que la danse a réalisé en milieu folklorique entre l'expression sociale et l'expansion individuelle. On conçoit que la jeunesse y ait été spécialement intéressée.
CONCLUSIONS
LE RÉPERTOIRE ET SON ÉVOLUTION
LE F O N D ANCIEN L'étude du répertoire breton conduit à distinguer un fond antérieur au xix e siècle, et des additions récentes, échelonnées de la fin de l'Ancien Régime à la première guerre mondiale. Le fond ancien, qui domine aujourd'hui encore, comprend d'une part et principalement des danses ordonnées en une suite réglée, d'autre part quelques danses d'emploi plus libre. La suite réglée possède le plus souvent deux ou trois termes. Le premier est toujours une danse collective. On y entre habituellement par couples, mais les couples en tant que tels n'y jouent aucun rôle. C'est la communauté tout entière, hommes et femmes mêlés, qui danse, ou c'est le groupe des hommes en face du groupe des femmes. La seconde danse au contraire individualise les couples, et comporte des relations personnelles entre l'homme et sa partenaire. Elle sert en outre de repos. Quand il y a une troisième danse, elle est, soit la reprise de la danse collective, et dans ce cas la danse de couples n'a été qu'un intermède dans l'expression communautaire (Haute-Cornouaille), soit de même forme générale que la seconde danse (Trégor occidental). Différentes par leurs fonctions, les deux danses principales le sont aussi par la structure du mouvement. La première danse de la suite consiste dans l'exécution collective d'une combinaison typique de gestes.
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Elle répète interminablement la même unité de mouvement (phrase de huit ou quatre temps) caractérisée principalement par une formule d'appuis définie. La seconde danse oppose toujours une première partie de déplacement général (A) à une seconde partie (B) où chacun ne s'occupe que de son partenaire. A u total donc deux grands types, dont le premier au moins est assurément ancien. On reconnaît en effet dans les danses qui ouvrent le suite réglée des différents terroirs (premier terme de la suite) les homologues, parfois la descendance identifiable, des danses que le xvi e siècle a appelées branles, et qu'il héritait lui-même d'un passé de profondeur inconnue. On ne saurait de la même façon attribuer un âge à la seconde danse : ses mouvements sont trop élémentaires et dépourvus d'équivalents reconnaissables dans les documents historiques 1 . Mais son union étroite et comme nécessaire avec la danse collective, le fait que des associations semblables se retrouvent dans la tradition populaire de nombreux peuples, et jusqu'à cette absence de termes comparables dans la danse citadine depuis la Renaissance, tout fait présumer pour elle aussi une provenance lointaine. Le « branle » qui ouvre la suite bretonne n'est pas le même en tous lieux. Ce sont même ses différentes espèces qui donnent le plus sûrement aux terroirs leur cachet distinctif. On peut baser sur ce critère une géographie de la danse, assez simple si l'on ne retient que les structures maîtresses : le type de la formule d'appuis du pas, la forme-mère de la danse. Mais à ces deux critères correspondent deux tracés géographiques différents. Ils sont schématisés par les deux cartes de la page 5 50. Les formes-mères sont au nombre de deux : la ronde et le double front. La ronde domine (Cornouaille, Léon, Vannetais, pays gallo des Côtes-du-Nord). Le double front est cantonné dans un territoire compris entre la Manche et les monts d'Arrée. Il n'occupait aux derniers temps qu'une partie du Trégor et du Haut-Léon. Il a pu s'étendre davantage vers l'est et l'ouest. Alors que la ronde a été commune à la plupart des pays de France, le double front, autant qu'on sache, y est rare. Il est en revanche, aussi loin qu'on puisse remonter, l'une des formes de la danse traditionnelle britannique. Sa localisation en Armorique n'exclut pas l'hypothèse d'un apport de Grande-Bretagne. La multiplicité des pas locaux peut en dernière analyse se ramener à trois, ou peut-être quatre, types fondamentaux : 1. Il est au moins vraisemblable que les Bretons doivent à la société médiévale ce nom de bal qu'ils donnent à leur seconde danse, comme ils lui doivent le nom dont ils désignent la danse en général : koroll, parent évident de carole. Nous ignorons malheureusement quel contenu de mouvement avaient au moyen âge des termes comme baus, baie, baler. Ils semblent avoir désigné une façon particulière de danser. On les trouve souvent associés à carole et tresche — qui désignent des danses en chaîne — , d'une façon qui, en plusieurs cas, fait croire à un groupement de danses complémentaires.
LE
RÉPERTOIRE
553
1. Dans les Côtes-du-Nord domine une formule d'appuis en quatre temps. Avec des variantes ce pas composé a eu cours à la fois en pays bretonnant et en pays gallo. Il sert à la dans Treger sur deux fronts (jusqu'en Trégor finistérien) aussi bien qu'aux rondes (dans tro plin). 2. Le sud du Morbihan bretonnant et le Morbihan gallo possèdent un pas en huit temps (endro), composé de deux motifs contrastés. Ces deux premiers types de pas sont ou ont été représentés en d'autres régions de France. Le second a même joué un rôle fondamental dans la danse française aux époques les plus lointaines que nous puissions connaître. 3. Un troisième territoire, principalement cornouaillais, mord largement sur les deux départements précédents, (angle sud-ouest des Côtes-du-Nord, partie nord-ouest du Morbihan). Il se caractérise par un pas composé en huit temps (dit de gavotte) d'une seule venue, dont le type, également très ancien, passait dès la fin du moyen âge pour particulier aux Bretons. 4. Enfin le Haut-Léon possède un pas composé en huit temps original (dans Léon), participant à la fois des caractères du pas trégorrois et du pas cornouaillais. Rien n'enseigne si les trois sortes principales de pas se rattachent ou non à une même souche. Leur différenciation et leur séparation en trois territoires sont en toute hypothèse acquises depuis une époque certainement reculée. ** *
Les variations de la forme, du pas, et du style à l'intérieur des grandes aires ainsi définies nous sont presque entièrement inconnues avant l'époque des témoignages oraux. On peut seulement augurer de l'étude des transformations récentes et de quelques textes du x i x e siècle que la diversité géographique a été autrefois contenue dans des limites plus étroites, et autrement répartie que dans la toute dernière période de tradition vivante. Nous ne savons rien non plus de l'ampleur de la variation individuelle avant la fin du x i x e siècle. Du Laurens de la Barre en dit le premier l'importance dans le répertoire quimpérois, déjà fort évolué à cette époque (1878). Les auteurs de la première moitié du siècle reprenaient plus volontiers à leur compte la phrase de Cambry 1 , frappé au contraire par l'unité de la danse : « Dans un branle de cent personnes, vous n'en voyez pas une qui ne tombe d'aplomb, qui contrarie, par un faux mouvement, l'uniformité d'un ballet ». A l'époque où nous avons regard un équilibre est habituellement réalisé dans chaque danse traditionnelle stable entre une version-type dominante, et des variantes minoritaires, individuelles, ou sociales à 1. Voyage,
p. 408.
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divers degrés. Dans les terroirs où la tradition ancienne s'est maintenue avec le minimum de changements, la variation est ordinairement faible dans la danse collective qui ouvre la suite, considérable au contraire dans la danse par couples qui occupe la seconde place. Cette variation enfin n'est pas égale partout. On peut dire en règle très générale que les localités situées à la périphérie d'une aire ont un répertoire moins homogène et moins stable que celles de l'intérieur, par le double effet d'emprunts aux terroirs voisins, et d'une variation accrue de leur répertoire propre. ** *
La période qui va de la fin de l'Ancien Régime à la première guerre mondiale a partout modifié la tradition bretonne de danse. Elle l'a fait de façon extrêmement inégale suivant les lieux : i. Il est des régions où la tradition s'est montrée plus conservatrice qu'évolutive. On doit y insister d'autant plus qu'il faudra par la suite examiner plus longuement les transformations radicales survenues ailleurs : de telles transformations ne sont pas l'accompagnement obligé de la tradition en tout temps et en tout pays. Les témoignages de plusieurs générations successives font connaître à peu près la même gavotte en Haute-Cornouaille, la même dans Treger en Trégor finistérien, le même piler-lann en Haut-Léon, le même en dro en pays de Vannes. Le bal se danse encore dans une partie des montagnes comme il se dansait au début du siècle en Morbihan, comme les textes du xix e siècle font croire qu'il s'est autrefois dansé partout. Les rares lueurs que nous avons sur des époques lointaines inclinent à penser que des structures fondamentales peuvent se conserver non seulement pendant plusieurs générations, mais pendant des siècles. Trois danses en effet, pour lesquelles, très exceptionnellement, nous disposons de termes de comparaison historiques (en dro, hanterdro, gavotte) ont aujourd'hui encore des versions peu éloignées en somme d'un état déjà attesté à la Renaissance, et probablement beaucoup plus ancien. On n'est donc pas autorisé à voir dans la tradition une force qui fatalement et incessamment défait et réadapte. S'il est aisé de produire des exemples qui manifestent son pouvoir de transformer, il est possible aussi d'en évoquer qui montrent sa capacité de maintenir. Elle fait l'un et l'autre. i l . Cette importante réserve étant faite, on doit souligner l'ampleur et la profondeur des changements survenus dans les régions de Bretagne les plus ouvertes aux échanges. Nous nous proposions d'étudier des faits de transmission; nous nous sommes trouvé à plusieurs reprises devant une élaboration véritable. C'est de cette élaboration qu'il faut à
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présent rendre compte. Elle procède toujours par évolution à partir d'une ou plusieurs danses préexistantes. Nous examinerons successivement le matériel ainsi soumis à évolution, puis les opérations qui le refaçonnent, pour dégager enfin les caractères fondamentaux de l'élaboration folklorique.
L E S MATÉRIAUX D E
L'ÉVOLUTION
Deux sortes de danses ont fourni la matière de l'élaboration folklorique réalisée en Basse-Bretagne au xix e siècle. Les unes, nombreuses, appartiennent à la tradition ancienne du milieu élaborateur. Ce sont celles-là mêmes dont nous venons de définir les types généraux. D'autres lui sont procurées par l'imitation : imitation d'autres milieux folkloriques paysans; imitation des milieux citadins.
EMPRUNTS DE TERROIR A TERROIR
Nous ne savons guère quel rôle ont joué avant la fin du xix e siècle les emprunts de pays à pays. Il est vraisemblable qu'ils ont été moins nombreux et moins rapides qu'aux tout derniers temps de la tradition. On n'est amené à s'interroger sur leur intervention que dans un petit nombre de cas (passepied, gavotte, hanterdro, laridé). Il faut bien au contraire constater leur fréquence dans le passé récent. Même en cette dernière période, il nous manque, pour apprécier justement l'aptitude des milieux folkloriques à cette sorte d'imitation, de pouvoir dresser à côté d'une liste des emprunts réussis, celle des tentatives d'emprunt demeurées sans résultat. Il y a des raisons de croire que cette liste serait longue. Les exemples récents ont au moins l'avantage de nous faire entrevoir quelque chose des conditions favorables à l'emprunt. Et d'abord rien ne se fait sans un contact étroit et suffisamment prolongé entre prêteurs et emprunteurs. Ordinairement la danse imitée diffuse de proche en proche et lentement, à partir de la zone de rencontre des deux populations (gavotte ronde cornouaillaise en Trégor, dans tro plin en pays de gavotte, etc...). Entre populations côtières les contacts par voie de mer sont assez importants et suivis pour avoir également permis la dissémination de quelques danses, lesquelles, il faut le souligner, sont généralement simples.
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La proximité géographique ne suffit pas. La nature des rapports entre les deux populations intéressées et entre leurs traditions respectives paraît décisive. Aux premières années de ce siècle encore, l'idée ne venait même pas aux Léonards de Sizun ou Commana d'imiter la danse des communes cornouaillaises. Encore moins aux Cornouaillais de Brasparts ou Saint-Rivoal d'apprendre la dans Léon, qu'ils jugeaient « lourde et sauvage ». On peut croire que ces attitudes d'indifférence ou d'hostilité ont été plus répandues autrefois, aux époques où la population bretonne était plus divisée en groupes locaux. En l'absence d'obstacles psychologiques, la vigueur relative des deux traditions en présence est un facteur important. Ainsi la danse ronde « aux trois pas », propagée par mer, n'a trouvé qu'un médiocre accueil au long des côtes de Cornouaille, pays de gavottes, de bals et de jabadaos, mais elle a réussi au delà de toute attente dans la portion du Léon où l'on ne connaissait plus guère d'autre répertoire. De même l'effacement de la tradition trégorroise a permis à la gavotte cornouaillaise de se substituer finalement à la dans Treger en Trégor occidental. Au contraire la dans plin pénétrant le territoire de la gavotte dont la tradition n'était pas moins vigoureuse que la sienne, n'a obtenu au mieux que le second rang dans l'équilibre stable qui a fini par s'établir entre les deux danses. Bien entendu les qualités propres de la danse imitée, son agrément, la facilité avec laquelle on l'apprend, — et donc le rapport des niveaux d'expérience d'un milieu à l'autre — comptent aussi au premier chef. Une danse comme le tourbillon, amusante et très facile, a connu très vite une extrême diffusion. De même le jibidi ou le petistoup, que leur manque de substance a le plus souvent fait abandonner ultérieurement. An contraire la gavotte ou la dans plin, plus difficiles à imiter, n'ont progressé que plus lentement. Enfin les conditions faites à l'accompagnement musical décident pour une part aussi des emprunts et de leur réussite. On a vu combien l'élargissement du champ d'action des sonneurs avait contribué à répandre en Cornouaille un répertoire d'inspiration moderne. Inversement le fait de ne pas nécessiter de ménétriers a grandement servi la carrière de la gavotte en Trégor, celle de la danse ronde aux trois pas en Léon. * * *
L'imitation s'exerce à plusieurs degrés. Il lui arrive d'annexer au répertoire une danse que le milieu ignorait jusque-là complètement. Elle saisit moins difficilement une variante neuve d'une danse ancienne. Enfin fréquent aussi est l'emprunt partiel : des éléments d'une danse, et non la danse entière, passent d'un milieu à un autre, dont ils contaminent le répertoire. Ce peut être un élément de forme (la chaîne ouverte, ou la chaîne mixte, ou le cortège, dans la gavotte ou en dro) ; un pas (le pas vibré
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pontivyen diffusé en direction du nord-est); un style (propagation du style fisel,du style de l'Aven etc...). Il y a tous les intermédiaires, de l'emprunt partiel à l'emprunt total. Celui-ci n'est tel en effet qu'au voisinage du pays imité. La fidélité au modèle décroît, et très vite, à mesure qu'on s'éloigne de la frontière. Ainsi l'imitation dès laridés pontivyens en pays d'en dro est assez satisfaisante chez certains vieux danseurs jusque vers Baud : elle a saisi (au style près) le pas et le mouvement de bras. Plus au sud elle n'a généralement retenu que le mouvement de bras et le cadre général de la phrase de huit temps. Enfin, au maximum d'éloignement on ne retrouve plus que le mouvement de bras. Il s'est associé à d'autres pas, qui ne doivent rien à celui du laridé pontivyen. On peut aisément retrouver sur d'autres exemples ce même échelonnement décroissant d'influence.
EMPRUNTS AUX MILIEUX SOCIAUX
SUPÉRIEURS
Nous n'avons relevé d'affinités entre le fonds populaire de BasseBretagne et les danses citadines qu'à deux époques extrêmes : celle, lointaine, des branles ; celle, toute proche, des contredanses et quadrilles. Nous avons dit pourquoi l'analogie entre les danses communautaires des terroirs bretons et les branles français des classes supérieures à la fin du moyen âge n'implique aucune filiation directe des premières aux seconds. Rappelons que les contemporains ne soutiennent jamais rien de semblable. Bien au contraire ils voient dans le trihori ou le passepied des danses propres aux Bretons, auxquels ils les empruntent à l'occasion. La dans Treger n'a pas d'équivalent dans les répertoires parisiens. Quant à en dro et à l'hanterdro, ils appartiennent à un fonds non seulement largement français, mais européen, paysan autant que citadin, dont rien ne prouve l'origine aristocratique. Inversement, une danse indiscutablement aristocratique, comme la basse-danse, paraît n'avoir pas marqué la tradition populaire, en dépit d'une vogue d'au moins deux siècles. Le répertoire traditionnel ne porte pas trace non plus d'emprunts aux nombreuses danses qui enrichissent à la Renaissance le répertoire français des cours et des châteaux. Il n'a pas davantage accueilli les courantes, rigaudons, menuets, et autres danses élaborées ou refaites au cours du x v n e siècle et restées en vogue au x v m e . Ni les contredanses anglaises qui eurent tant de succès à la fin du siècle de Louis xiv. A supposer (ce qui est douteux) qu'à l'une quelconque de ces époques un milieu paysan breton ait eu le goût et la possibilité d'imiter telle ou telle de ces productions savantes, on ne voit pas que la tradition en ait rien retenu.
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La contredanse française est apparemment la première en date des danses parisiennes qui se soient durablement implantées en ce milieu, et ce n'est qu'après avoir connu à la ville un bon siècle d'une popularité sans précédent. Encore ramènera-t-on l'emprunt à sa juste mesure si l'on met en balance : d'un côté les milliers de combinaisons de figures proposées par la mode parisienne au xvm e siècle, diffusées dans toute la France par les maîtres à danser, portées d'un bout à l'autre du royaume puis de la république par feuillets et livrets imprimés, représentées sur les grands et petits théâtres; et d'autre part les cinq ou six figures élémentaires effectivement passées dans la tradition bretonne. En résumé, durant tout l'Ancien Régime, le milieu paysan breton paraît avoir conservé un répertoire très pauvre, et du type le plus archaïque, sans ressentir le contre-coup des modes qui, à plusieurs reprises, avaient renouvelé la composition et le genre du répertoire aristocratique français. Manque de contacts suffisants avec cette sorte de production sans doute. Mais aussi espèce d'indifférence, en tout cas incapacité de reproduire des danses par trop étrangères à l'esthétique limitée de la société traditionnelle. ** *
De ce dernier point de vue les emprunts réalisés en milieu breton depuis la fin du x v m e siècle permettent les constatations suivantes : 1. Un emprunt est facilité par l'existence d'une analogie, même vague, entre le modèle et l'une des danses déjà connues dans le milieu populaire. Ainsi le public des petites villes des Côtes-du-Nord s'est emparé électivement de la monférine, à quoi le préparait sa propre danse en cortège avec vis-à-vis des partenaires à la seconde reprise. La Basse-Cornouaille a largement accueilli quelques figures simples de la contredanse française en ronde, en un temps où elle était pays de ronde elle-même. Le jibidi s'est greffé sur le passepied, qui comportait comme lui un trajet collectif en ronde suivi de sauts vers le centre, etc... Autrement dit le danseur traditionnel aborde la danse étrangère à la lumière de sa propre expérience, et retient d'abord ce qui s'en éloigne le moins. 2. Qu'il y ait ou non dans les termes cette lointaine similitude préétablie, le modèle est transformé de telle sorte qu'il devient plus semblable aux danses locales. Si le plan de la danse imitée est complexe, les danseurs le simplifient. Ordinairement une seule figure est extraite de son contexte. Elle est réenchassée dans une forme nouvelle, beaucoup plus fruste, et conforme à un type déjà en usage. En pratique c'est le bal, avec ses deux parties contrastées, qui a fourni le patron de tous ces réajustements. La figure retenue est elle-même remaniée. Si le dessin des évolutions était par trop difficile, il peut être ramené à l'élémentaire. Aux pas originels les danseurs substituent d'autre part les pas traditionnels de leurs terroirs, ou des pas de type universel tels que marche, course, etc...
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En résumé le milieu travaille à diminuer la distance entre le modèle et sa propre expérience, en sorte qu'il ne soit plus demandé à celle-ci qu'un léger dépassement d'elle-même. 3. La capacité d'emprunt s'accroît avec le temps. Les emprunts les plus anciens qu'on connaisse n'ont procuré que des éléments de forme extrêmement simples : peut-être la façon de conduire les branles à mener, en tout cas la ronde pour quatre ou huit, l'avant-arrière des contredanses, les tours de mains de la monférine. Il faut attendre l'extrême fin du xix e siècle pour voir imiter correctement en milieu rural des dessins de figure originaux. Quand la chaîne des dames ou la chaîne anglaise se généralisent, il y a un siècle et demi qu'elles ont cours dans les salons parisiens. Pour qu'elles s'imposent aux campagnes, il a fallu la transformation des rapports sociaux et des mentalités, et la constitution d'importants publics populaires citadins. Il a fallu aussi, certainement, l'expérience procurée par les emprunts antérieurs. Chaque emprunt, si peu que ce soit, contribue à renouveler la technique et l'inspiration de la danse locale, et par là ouvre la voie aux suivants. L'expérience commune s'enrichit et se spécialise dans la direction qui mène aux modèles citadins. Simultanément la compréhension de ces modèles augmente, et l'aptitude à les imiter fidèlement. La part de l'imitation grandit à mesure que celle de la tradition s'amenuise. Au terme tout est imitation : le milieu est devenu entièrement dépendant d'une mode élaborée ailleurs. 4. L'emprunt le plus riche d'avenir n'est pas celui où l'imitation s'est montrée la plus parfaite. Bien au contraire. L'imitation exacte est le fait d'une société évoluée, où les processus de folklorisation ont perdu de leur force. L'emprunt réussi enrichit le répertoire. Mais la danse qu'il y ajoute, trop « mise au point » et trop spécialisée, n'appelle ni ne permet les réfections substantielles. Ce sont des formes remarquablement sommaires qu'on trouve à l'origine de danses folkloriques originales comme les actuels jabadaos à permutation, les bals de l'Aven, la danse ronde aux trois pas dans sa version à deux tempos. Certaines (danse ronde) ont peut-être été frustes dès l'origine. Mais d'autres paraissent devoir à une imitation très incomplète de modèles savants cette simplicité et cette indifférenciation qui plus tard ont permis leur fécondité. L'importance croissante des emprunts dans le milieu bas-breton du xix e siècle doit évidemment — nous y reviendrons — être mise en rapport avec l'évolution survenue à cette époque dans la vie de relation et les échanges sociaux. Les tout premiers emprunts ont pu devoir davantage à une contagion semi-passive qu'à un désir impérieux de changement. Mais la plupart répondent manifestement au besoin de renouvellement qui grandit en milieu folklorique à mesure que se relâche l'autorité de la tradition, et que se défait l'équilibre autrefois réalisé entre les danses du répertoire.
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Un exemple en est fourni par l'histoire du bal à deux en BasseCornouaille et Vannetais. Il avait servi de contrepoids à la danse communautaire initiale, à un double titre : par la part plus grande qu'il laissait à l'expression personnelle; par son contenu érotique, officialisé et limité. Mais la danse initiale se faisait de moins en moins collective, et de nouvelles danses ajoutées au fond ancien (jabadaos, tourbillon, etc.) établissaient entre les sexes une liberté d'allure qui rendait dérisoires les privautés du vieux bal. Devenu anachronique, il fallait bien qu'il se réformât ou disparût. Selon le lieu, comme on sait, il a fait l'un ou l'autre. Selon le lieu aussi, l'emprunt ou l'invention ont davantage contribué à son rajeunissement, comme deux procédés également capables de donner au même besoin une réponse satisfaisante 1 .
D É C L E N C H E M E N T DU PROCESSUS ÉVOLUTIF Au départ des genèses que nous avons reconnues, on trouve ordinairement, soit une danse empruntée, soit une danse locale traditionnelle dont un accident remet en cause la version-type. Nous avons donné une première idée des remaniements qui accompagnent l'adoption d'une danse étrangère. Nous rappellerons maintenant les facteurs qui peuvent altérer une danse traditionnelle et compromettre assez brutalement l'équilibre jusque-là réalisé entre sa version-type et les versions minoritaires. Ce peut être la contamination par une autre danse. Les monographies en ont fourni plusieurs exemples : adoption d'un nouveau type de mouvements (bals quimpérois); d'une façon nouvelle de grouper les danseurs (bals vannetais à quatre); d'un nouveau cadre rythmique (bals fisel ; mouvements de l'hanterdro redistribués dans la phrase du laridé), etc. En pareil cas l'emprunt partiel est facteur d'évolution à un double titre : par le matériau neuf qu'il introduit dans la danse, par l'impulsion qu'il donne à d'autres changements. Mais une version-type peut être altérée sans intervention extérieure décelable. Une variante d'une liberté exceptionnelle, apparemment née dans le milieu même, y rencontre soudain une audience inhabituelle. Ce i. Il est intéressant de comparer les démarches de l'invention et de l'emprunt en matière de danse folklorique, à celles que l'ethnologie, sur des bases incomparablement plus fermes et plus étendues, a mises en évidence en d'autres secteurs de l'activité humaine, particulièrement en technologie (Voir LEROI-GOURHAN, Milieu et techniques, pp. 374 à 427). Quelles que soient les différences, à ne considérer que les traits les plus généraux, on ne peut manquer de reconnaître, dans l'un et l'autre cas, des comportements de nature voisine, traduisant une même loi profonde.
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sont les danseurs du pays de Quimper qui ajoutent une poignée de mains au salut cérémonieux de leur ronde à permutation. Ou ceux du Vannetais occidental qui agrémentent leur chaîne d'une broderie inédite (kas abarh) exécutée par couples. En matière de pas c'est presque toujours une altération de la formule d'appuis (décalages musique-mouvement, redoublement d'un élément rythmique, etc...) dont on ignore si elle a commencé par être volontaire ou non. Qu'il y ait à l'origine emprunt d'une danse inconnue ou abandon d'une version-type jusque-là respectée, la situation est fondamentalement la même : l'habitude sociale, normative et contraignante, fait défaut. Elle n'est pas encore ; ou elle n'est plus. Le fait est riche de conséquences. ** *
L'abandon (ou l'absence) d'une version-type ne prive pas seulement les danseurs d'un modèle indiscuté. Dans la plupart des cas il les met dans la nécessité impérieuse d'inventer. Quand les rondes à permutation cornouaillaises, d'abord dansées sans contact entre les sexes, deviennent des danses où le cavalier conduit sa danseuse, il faut bien que le garçon trouve une façon de la guider qui soit efficace, un dessin de mouvement commode, un accord entre le mouvement et la phrase musicale. Quand le succès du kas abarh fait de la ronde en dro une danse de trajets exécutée par couples, il faut bien donner un dessin à ces parcours inconnus de la tradition. Il faut de même que les danseurs de laridé découvrent un moyen de concilier le pas en six temps qu'ils connaissent et le balancement de bras en huit temps qu'ils empruntent, etc. A tous la renonciation à la version-type pose un problème. Chacun, par nécessité personnelle, s'efforce de lui trouver une solution. Les solutions peuvent être nombreuses et le sont généralement en effet. A bien des reprises nous avons eu l'occasion de signaler leur multiplicité et leur diversité (encore l'enquête ne fait-elle pas connaître toutes celles qui ont eu cours à quelque moment.) Rappelons un seul exemple simple, celui des rondes à permutation (jabadaos) de Cornouaille orientale au stade où l'usage commençait à prévaloir de guider la danseuse pour la faire passer de la droite à la gauche de ses cavaliers successifs. On a vu que certains la tenaient d'une main, d'autres à deux mains, d'autres par la taille, d'autres en position de danse moderne. Ils lui faisaient accomplir un trajet simple et continu, ou aller d'abord dans un sens puis dans l'autre; ils la faisaient aller droit devant elle, ou tourner sur elle-même; ils marquaient ou non la division de la phrase en deux motifs, consacraient à chaque danseuse une phrase ou deux phrases, etc. Autant de tâtonnements à la recherche d'une façon de faire qui fût à la fois commode et satisfaisante.
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Que l'un des danseurs trouve très vite une solution économique au petit problème qui se pose à tous, il n'est pas assuré de la faire recevoir par les autres. Soit encore les rondes à permutation, cette fois en pays de Quimper. Dans la plus ancienne version-type connue, les femmes, disposées en file, décrivent un cercle dans le sens de la montre, les hommes un cercle concentrique en sens inverse, hommes et femmes se croisant épaules gauches en regard. Ajouter à la révérence qui accompagne chaque croisement une poignée de mains droites n'est pas une innovation heureuse : il est impossible d'exécuter aisément ce mouvement. Dans une démonstration individuelle à Pouldergat, un informateur nous enseignait cette version de la danse en croisant sa partenaire épaules droites en regard. La poignée de mains droites devenait ainsi naturelle. Si ce réajustement était devenu version sociale, la danse eût rétabli sa version-type dans une forme à peine distincte de la précédente1. Il suffisait pour cela de convenir que les femmes passeraient dorénavant à l'extérieur, les hommes à l'intérieur. Mais précisément, convenir, appliquer une décision concertée, sont des opérations dont nous avons rencontré peu d'exemples. Dans le cas présent la suggestion du bon sens n'a pas prévalu sur l'habitude établie. L'obstination du plus grand nombre à conserver le double cercle dans sa disposition accoutumée a maintenu la danse dans l'état d'instabilité où l'avait placée la première altération. Elle a contraint les danseurs à chercher, chacun pour son compte, une manière de résoudre la difficulté, jusqu'au moment où l'habitude ancienne et le geste nouveau ont trouvé à se concilier dans une façon de faire imprévue, et plus originale que l'état de départ. ALLURE G É N É R A L E D E L'ÉVOLUTION Ce qu'il advient d'une danse après qu'une altération de la versiontype l'a ainsi dérangée de son équilibre, est cas d'espèce. On en connaît qui ne dépassent pas le foisonnement anarchique de variantes individuelles. C'est le fait de danses à popularité médiocre, vouées à une disparition plus ou moins rapide : danses en déclin (danse du loup, passepied en certains terroirs) ou danses importées et peu goûtées (jibidi, petistoup, etc.). S'agit-il au contraire d'une danse dont la popularité demeure ou devient très grande, il y a des chances pour qu'un accord finisse par se faire sur une nouvelle façon de la danser. Ce ne sera le plus souvent qu'après une longue période de flottement, où s'accumuleront les menues inventions, les accidents et les tâtonnements de toutes sortes. Qu'on se place au terme de l'histoire, on découvre que les modifications pari . Comme en p a y s de Crozon, oii certains danseurs, sans rien changer à la forme ancienne, a c c o m p a g n e n t leurs croisements d'une poignée de mains gauches.
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tielles se sont enchaînées suivant un ordre qui n'est pas quelconque, et qu'au total une évolution continue s'est réalisée d'un commencement à une fin. En ce qui concerne la courbe générale de ces transformations, nous avons relevé deux types principaux. *
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1. On en connaît qui se poursuivent comme d'elles-mêmes, après un déclenchement initial. C'est l'histoire d'en dro après l'adjonction de la fantaisie par couples appelée kas abarh; celle du pas de gavotte en pays de Pontivy ou du Faou après altération de la formule d'appuis; celle des formes de gavotte, de la ronde à la quadrette. Rappelons pour exemple les étapes essentielles de cette dernière : Une fois rompue la danse toujours en cercle, et altéré le climat psychique qui en était inséparable, les conséquences s'enchaînent. La satisfaction de mener le jeu l'emportant décidément sur la joie de l'expression communautaire, la phase en ronde s'amenuise au profit de la chaîne ouverte. Mais la concurrence qui en résulte pour la première place conduit à multiplier les chaînes, c'est-à-dire à les raccourcir toujours davantage. Et cela jusqu'au point où la danse perd enfin presque entièrement son caractère collectif. A chaque étape, des particularités anciennes, devenues caduques, tombent d'elles-mêmes, tandis que des réajustements s'imposent, auxquels l'invention doit pourvoir. Invention au degré le plus humble, car jamais les danseurs n'ont affaire qu'à des problèmes très limités et très concrets : comment atténuer à la dernière place les ressauts de la chaîne serpentine ? comment faire que les chanteurs continuent de remplir leur rôle dans des dispositifs qui ne sont plus adaptés à l'accompagnement vocal ? comment conduire la danse aux divers stades ? comment décider de ses meneurs ? comment les faire passer rapidement en tête ?... etc... L'observation immédiate ne montre rien de plus que ces légers remaniements. La récapitulation du tout fait prendre conscience d'une évolution prolongée (environ un siècle et demi), très lente à ses débuts, rapide en sa phase la plus récente, se déroulant comme en vertu d'une exigence interne qui lui donnerait logique et cohésion. *
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2. D'autres transformations ont des effets aussi radicaux, avec une allure d'ensemble très différente. Les bals de l'Aven ou du pays fisel en fournissent de bons exemples : La transformation qui mène aux bals actuels de l'Aven s'effectue en deux temps. Dans un premier temps le bal s'écarte du type universel
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qu'il paraît avoir eu jusque-là pour devenir danse de trajets. Ceci vraisemblablement à la suite d'une contamination par le jabadao quimpérois. D'où une floraison de versions neuves tenant à des façons diverses de traiter les éléments empruntés (va-et-vient, demi-tours alternés, présence ou absence d'un tour complet final, trajets à direction rectiligne, ou suivant la circonférence d'un cercle, ou suivant les rayons, avec disposition des partenaires face à face, ou côte à côte...). A la fin du xix e siècle plusieurs de ces versions sont déjà en voie de disparition. D'autres au contraire ont fini par s'imposer, chacune dans un petit pays (va-et-vient simple avec disposition face à face en pays de ronde; ronde avant-arrière au nord de l'Aulne; demi-tours alternés en pays de Pont-l'Abbé; va-et-vient en cortège dans l'Aven). Avec cette promotion de versions typiques (ou qui tendent à l'être) l'évolution déclenchée trente ou quarante ans plus tôt atteint son terme. Une nouvelle et imprévisible modification la relance. Probablement contaminé par la ronde à permutation, dont la vogue s'affirme, le bal double la durée de sa partie B, qui comptera désormais quatre phrases au lieu de deux. C'est le second temps de la transformation. L'adoption de ce cadre plus vaste permet d'utiliser simultanément les matériaux (trajets rectilignes, semi-circulaires, circulaires) élaborés au stade antérieur, et parmi lesquels il fallait jusque-là choisir. La liberté d'interprétation individuelle va désormais s'exercer sur le choix et l'agencement des constituants, donnant naissance à des versions d'un type nouveau, dont nous avons fourni plusieurs exemples. Dans une première phase la variation a porté sur le dessin des trajets. Dans une seconde phase elle porte sur leur combinaison. On peut mettre en parallèle avec cette histoire celle du bal du pays fisel évoluant vers l'actuelle version masculine des concours d'hommes. Cette fois les transformations portent sur le pas et non plus sur la figure. Mais le processus est semblable. Dans une première phase la variation individuelle multiplie les matériaux, qui sont ici avant tout les pas en deux temps du vieux bal, complétés par quelques emprunts (pas dissymétrique pontivyen, réminiscences de dans tro). Dans une seconde phase l'adoption d'un nouveau cadre (la phrase de huit temps) conduit à mettre en œuvre simultanément plusieurs de ces éléments. Un pas composé prend naissance. D'où des solutions multiples, dont certaines deviennent versions de groupe alors que d'autres demeurent individuelles. Dans l'un et l'autre exemple l'évolution progresse par une relance de la variation, qui permet d'en exploiter les ressources à un second degré. Elle se présente comme une variation étagée, portant d'abord sur le façonnement des matériaux, plus tard sur leur composition. L'impression de continuité dans la démarche n'est pas moindre que dans l'évolution de la gavotte.
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LA SÉLECTION Des façons diverses d'exécuter une danse peuvent avoir longtemps cours simultanément. Il suffit qu'il n'y ait pas incompatibilité entre elles. Dans les bals en ronde du pays fisel on observe aujourd'hui encore de multiples variantes du pas simple en deux temps le plus ancien, quelques spécimens de pas vibrés (importés), des pas en huit temps (type récent) à tous les stades d'évolution, avec des variantes pour chaque stade. De même dans un laridé de Naizin ou Saint-Thuriau on voit quelques exemples du pas tel qu'il s'exécutait aux premières années de notre siècle, des exemples plus nombreux de structures plus évoluées, et une majorité de pas vibrés modernes. Un moment finit toujours par venir où cette variation individuelle est ramenée dans des limites plus étroites. Une première cause est l'élimination progressive des vieilles gens. Avec eux disparaissent les façons de faire les plus éloignées du type nouveau vers lequel tend la moyenne des interprétations. Le stock des versions juxtaposées se réduit. La danse s'achemine vers plus d'homogénéité. Mais surtout le climat ne se maintient pas indéfiniment favorable à l'invention personnelle. Celle-ci a mis au point des gestes satisfaisants. Ils ont acquis chez de nombreux danseurs la précision, l'aisance et la fixité que donne l'habitude. Ils sont offerts à la vue de tous depuis un temps suffisant pour que leur légitimité ne soit plus contestée par personne. Des jugements esthétiques se font jour («Telle manière n'est pas bonne... ce n'est pas la vraie danse... » etc...) qui expriment le goût nouveau du groupe. Dès lors qu'il existe des modèles de valeur reconnue, l'imitation l'emporte. Les danseurs s'ajustent les uns sur les autres, les plus appréciés servant d'exemple. En sorte qu'une sélection de fait s'opère parmi les matériaux que l'évolution a remodelés. Les monographies ont donné des exemples nombreux du tri qui s'opère ainsi, tôt ou tard, dans tous les composants du mouvement : figures d'ensemble, détails de forme, constituants du style. On a vu qu'en bien des cas l'évolution de la danse vers plus d'unité l'a finalement conduite à une véritable version-type nouvelle. Plus exactement à un nouvel équilibre entre une version dominante et des versions minoritaires d'âges divers. Il paraît évident que d'autres transformations, qui n'avaient pas atteint ce terme, l'eussent fait dans la suite si l'arrêt de la tradition n'avait mis fin aux processus évolutifs. Les versions-types issues de ces métamorphoses sont plus ou moins strictement définies. Certaines (gavotte de l'Aven, dans plin en pays
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fanch, dans tro fisel, b a l « m o d Skaer», etc...) ont atteint une définition aussi précise que possible. D'autres (laridés pontivyens, en dro par couples, etc...) faisaient encore la part très large à l'interprétation personnelle à l'intérieur de limites reconnues. Au premier rang des facteurs qui ont hâté l'émergence des versionstypes et contribué à préciser leurs mouvements, il faut mettre les concours de danse, dans les terroirs où ils avaient une certaine rigueur (pays fisel, fanch, Aven). Ces concours ont donné une consécration officielle à la version jugée la meilleure, et l'ont seule désignée à l'imitation. Ils ont simultanément dégagé et porté à la conscience claire les critères de son exécution correcte. Par là ils lui ont assuré une prééminence et conféré une définition, qui sans ce secours n'eussent peut-être jamais été aussi parfaites. ** *
Le mouvement qui domine à la longue n'est pas toujours le plus facile à exécuter. Il est vain de se demander s'il était le plus digne d'être retenu. Nul n'en jugerait que selon son goût propre. Ce qui n'est pas contestable c'est que cette sélection assure un minimum de réussite esthétique. Elle laisse probablement disparaître quantité de trouvailles originales, mais au moins le mouvement que la tradition adopte possèdet-il nécessairement quelques mérites, faute desquels il n'aurait pu ni se communiquer au plus grand nombre ni se perpétuer. Il faut, bien entendu, qu'il résolve le problème pratique posé au groupe. Il faut aussi qu'il apporte une solution accessible à tous, en coutât-t-il d'abord pour l'assimiler. En conséquence un mouvement qui exige des aptitudes, un goût, un savoir-faire exceptionnels, n'a aucune chance de durer sous cet état. Quelques retransmissions suffisent à le dépouiller d'habiletés trop personnelles. Le cas en revanche est fréquent de gestes ou évolutions très simples qui compliquent leur dessin au cours des transmissions. Mais c'est par degrés, et à condition de gagner — au moins de ne rien perdre —• en rigueur profonde. Qui veut juger du point de vue esthétique le résultat de telles transformations, doit rompre avec l'habitude moderne d'estimer une danse à sa valeur de spectacle. Certes, la danse dont nous sommes occupés a aussi de quoi plaire aux yeux. Mais sa destination est d'être agie beaucoup plus que d'être regardée. C'est dans l'acte vivant qui la recrée, qu'on apprécie comme elles le méritent la justesse, la plénitude et l'harmonie de ses mouvements. Le mouvement qui finalement s'impose à tous et se fixe dans la tradition a trouvé la forme achevée qui seule est s t a b l e Q u ' e l l e soit i . ' Il est clair que toutes ces formes dansantes sont ramenées à leur équilibre et qu'elles n'expriment plus rien qu'elles-mêmes, l'essence d'elles-mêmes, par l'oubli des vains accidents ». ( A L A I N , Vingt leçons., p. 32).
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pauvre et commune ou recèle une saveur unique, elle est juste, et, à ce titre, susceptible de beauté. * * *
CARACTÈRES D E L'ÉLABORATION
FOLKLORIQUE
Au total, et toutes proportions gardées, l'élaboration folklorique ne le cède en rien à la création personnelle réfléchie sous le rapport de la nouveauté, de l'originalité et de la qualité des résultats. Sans doute les pauvretés ne manquent pas dans cet art de pauvres. Mais l'honnête agrément est plus commun, et les cas sont nombreux où la sévérité des moyens conciliée avec la vigueur et l'authenticité de l'expression, a donné à l'œuvre une densité et un dépouillement qui, à son échelle, l'apparentent aux plus incontestables réussites de créateurs plus savants. Il n'est pourtant aucune de ces genèses qui soit œuvre personnelle, populaire ou savante. Pour négatif qu'il soit, le trait vaut qu'on s'y attarde. E n quinze ans d'enquête nous avons à tout instant entendu nommer des auteurs de chansons. Nous n'avons pas entendu nommer un seul auteur de danse. Nous n'avons même pas constaté l'intervention de réfecteurs comme en connaît la tradition chansonnière, transmetteurs pourvus d'un savoir-faire supérieur à la moyenne, qui refondent un texte ancien, le transportent sur un autre air, et rendent à son public la vieille chanson rajeunie au goût du jour. Ce n'est pas que l'intervention de réfecteurs dans les traditions de danse soit inconcevable. On peut au contraire s'attendre à les trouver quelquefois à l'œuvre dans les pays où la transmission du répertoire repose en tout ou partie sur l'enseignement (anciens danseurs instruisant la jeunesse, ménétriers commandant les évolutions, etc...). Celui dont la fonction est de montrer, expliquer, observer et corriger la danse, y acquiert une vision critique et une représentation analytique du mouvement, qui le rendent plus apte que d'autres à composer. Il a d'autre part les moyens pratiques de communiquer et faire accepter les produits de sa composition. Rien de semblable dans la tradition que nous avons définie. Même des modifications partielles n'y deviennent règle commune qu'à la longue. A plus forte raison des réfections complètes ont-elles peu de chances d'y être accueillies et assimilées. Nous croyons rarissime le danseur traditionnel capable de les concevoir. Nous en avons connu un seul sur près de deux mille interlocuteurs. Pour son propre amusement il défaisait le pas composé de la gavotte (une phrase de huit temps)
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en ses constituants élémentaires : pas de course, changement d'appui, appui continu de deux temps. Il recombinait ensuite ces éléments, suivant des agencements divers, dans le cadre de la phrase musicale, qui lui restituait la dimension du pas traditionnel. Ainsi composait-il des pas nouveaux, exécutables sur les airs anciens. Notre informateur avait enseigné l'un de ces arrangements personnels au Cercle celtique local, où les méthodes de transmission (démonstration individuelle et décomposition des mouvements) rendaient cette communication aisée. Il est significatif qu'il ne les ait pas fait adopter en son propre milieu. En résumé il est très peu probable que la tradition bretonne de danse ait connu beaucoup de réfecteurs au sens où on l'entend du rijacimento chansonnier. Plus douteux encore que ceux-ci, s'il s'en est trouvé, aient eu l'audience du public. Le milieu traditionnel n'est pas plus capable de se donner rapidement une danse neuve inspirée de sa propre expérience que d'imiter d'emblée une danse étrangère d'un modèle inconnu. Il y a des étapes dans l'élaboration comme dans l'emprunt. Toutes les genèses que nous avons reconnues commencent par la remise en cause d'habitudes sociales anciennes, et se poursuivent par l'élaboration très progressive d'habitudes sociales nouvelles, se dégageant peu à peu de la pratique ordinaire, lentement enrichie et diversifiée. ** *
Il va de soi que l'invention proprement dite n'en est pas moins le fait des individus. Mais on ne la voit jamais s'appliquer qu'à du détail. Invention fort modeste, qu'elle s'exerce dans le sens de la fantaisie gratuite, ou qu'elle réponde à la sommation du moment. Mais surtout, invention jamais théorique, née de la pratique concrète, exercée dans la pratique, et sanctionnée par elle. L'individu trouve et propose. Le groupe éprouve et sélectionne. Ce faisant, il contrebalance la variation individuelle, dont la prolifération compromettrait l'expression collective, qui est l'essence même de la tradition. La façon dont l'individu invente et dont le groupe sélectionne les produits de l'invention rend compte, on l'a vu, de l'espèce de logique qu'on est conduit à reconnaître dans les modifications élémentaires retenues. D'autres facteurs contribuent à orienter et contenir le cours de l'évolution. D'abord la donnée de départ. Si loin qu'elle aille, l'élaboration s'enracine dans la tradition, c'est-à-dire dans une expérience partagée, étroite, intimement assimilée. Le matériel qu'elle va transformer par retouches successives est solidement organisé. Tout en lui n'est pas remodelable avec une égale facilité. Il est très remarquable que toutes les danses dont s'est enrichi le répertoire breton au cours du xix e siècle, ont l'une ou l'autre de ces
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compositions : la danse à texture uniforme, usant d'une unité de mouvement indéfiniment répétée, ou la danse à deux parties, la première servant au déplacement du groupe, la seconde caractérisée par l'exécution d'un pas ou figure spécifiques. Les deux types, comme on sait, appartiennent au fond le plus archaïque. Ils correspondent respectivement à la première et à la seconde dansés de la suite réglée. Autrement dit, les structures anciennes ont imposé un cadre à l'élaboration folklorique. Elles demeurent reconnaissables sous les emprunts et les modifications de toute nature. ** *
Nous avons signalé, à l'arrière-plan des transformations, la pression de quelques instincts universels et forts : instinct sexuel, instinct de compétition, amour-propre et besoin de succès personnel, besoin d'unifier mouvement et musique. Il va de soi qu'ils concourent à donner aux enchaînements de modifications élémentaires leur cohésion et leur continuité. Mais sans doute ne s'exercent-ils si efficacement qu'en raison des changements survenus dans la société elle-même, lesquels ont rendu possible ou même imposé le changement des moyens d'expression. De ce point de vue il est intéressant de relever des transformations analogues à celles que nous avons décrites, en d'autres sociétés paysannes parvenues à un degré d'évolution comparable à celui des milieux bretons. Par exemple l'histoire de la gavotte cornouaillaise est à rapprocher de celle du rondeau landais, qu'Arnaudin 1 fait connaître pour les trente dernières années du x i x e siècle et les premières du x x e . Vulgarisation des instruments accompagnateurs, liaison de la ronde et de l'accompagnement vocal, de la chaîne ouverte et de l'instrumental, fragmentation des chaînes longues en chaînes moyennes dépendant d'un meneur commun, puis en chaînes courtes indépendantes, les mêmes étapes se retrouvent dans les deux évolutions, en un parallélisme qui ne saurait être fortuit. ** *
S'il entre de la nécessité dans ces métamorphoses, il y entre aussi du hasard et de l'indétermination. A partir d'une même donnée initiale, et dans un contexte sociologique semblable, des terroirs voisins ont réalisé des états finaux différents. Avec un même plan d'évolution, la Cornouaille et la Gascogne ont élaboré des formes jeunes, semblables par les traits généraux, mais étrangères par le détail concret. Il est clair encore que l'évolution de la gavotte pouvait se poursuivre autrement qu'elle ne l'a fait. L'adoption de la chaîne ouverte par exemple avait autant de chances de conduire au remaniement du I.
ARNAUDIN,
Ch. pop. G.-L.,
pp.
XIII-XXII.
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pas qu'à celui de la forme. Chez d'autres peuples c'est effectivement par une façon personnelle, originale, d'interpréter les pas traditionnels, que les meneurs de chaînes ouvertes ont cherché à briller, individualisant l'expression sans altérer le caractère social de la danse. Ainsi procèdent en de nombreuses danses grecques les coryphées qui se succèdent à la tête de la chaîne, chacun n'y demeurant que le temps de faire valoir son talent personnel avant de laisser la place au suivant. Ce qu'on sait des meneurs de gavotte au stade des chaînes très longues, ce qu'on voit faire encore aux deux meneurs dans la petite ronde initiale du pays de Guémené, fait croire qu'en Bretagne aussi la concurrence eût pu mener à cette diversification individuelle du pas, aussi bien qu'au refaçonnement incessant du groupe. *
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Si l'on devait en définitive comparer à quelque autre élaboration cette lente métamorphose qui produit les danses folkloriques nouvelles, c'est de l'évolution biologique, plus que de la composition savante, qu'on serait tenté de la rapprocher. Expression de la vie, la danse a quelque chose du vivant elle-même, et sa genèse dans le milieu folklorique fait, par plus d'un côté, penser à celle des espèces. L'étagement des types, le buissonnement des variantes en chaque type, leur sélection de fait, l'enracinement du complexe dans le moins différencié, l'accentuation d'un caractère au long d'une série évolutive, sont quelques-uns de ces traits qu'on retrouve dans l'une et l'autre histoires. Sans doute faut-il se garder de donner trop d'importance à des similitudes qui sont en grande partie verbales. Mais on peut, sans être dupe du langage, retenir ce qu'elles ont d'éclairant. Telle réaction personnelle à l'altération d'une version-type ancienne peut prouver de l'intelligence. L'élaboration folklorique prise dans son tout n'est pas œuvre intelligente. Sa logique est celle de la vie, non celle de la pensée abstraite. L'ordre qu'elle édifie n'est pas celui de l'intelligence fabricatrice. C'est un ordre vital, comme l'est celui du monde animé, et qui, comme lui, confine à l'ordre esthétique. C'est dire dans quel sens il est légitime d'employer à propos de cette élaboration le mot de création : Si l'on entend par création la traduction dans les faits d'une pensée neuve, régentant à la fois l'ensemble et les parties, se concrétisant au prix d'une démarche consciente et volontaire qui pèse les moyens et les ordonne à une fin, alors il faut convenir que nous n'avons relevé aucun exemple de création de danse en milieu populaire breton. Mais si l'on caractérise la création par ses résultats plus que par ses démarches, si l'on tient pour son premier critère l'apparition à quelque moment d'une œuvre inconnue aux époques passées, alors il faut bien reconnaître
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en ce même milieu la présence d'un pouvoir créateur original. Il ne réside en personne en particulier; il est en tous. Il se manifeste dans un enchaînement de modifications en partie fortuites, ou gratuites, en partie nécessaires, auquel tous participent.
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SOCIÉTÉ
Les structures anciennes de la société paysanne sont trop mal connues, le riche folklore breton trop peu étudié, pour qu'on puisse intégrer l'enseignement qu'apporte la tradition de danse dans une vue d'ensemble de la culture populaire bretonne. Mais le lien est dès maintenant évident entre l'évolution du répertoire et celle de la société qui le pratiquait. Depuis la fin de l'Ancien Régime, et surtout depuis le milieu du xix e siècle, la société paysanne bretonne s'ouvre à une vie de relations d'une ampleur sans précédent. C'est le temps où l'établissement d'un réseau de routes départementales et vicinales, complété ultérieurement par l'établissement d'un réseau ferré, ouvre aux échanges des possibilités jusque-là inconnues. C'est le temps d'autre part où une instruction et une information conçues à l'échelle nationale travaillent à façonner partout une mentalité uniforme. Les conséquences ne tardent pas à s'en faire sentir pour les anciennes sociétés traditionnelles. Les contacts entre pays se multiplient et des rapports suivis se nouent des uns aux autres. Les vieux antagonismes de terroirs et de paroisses se réduisent puis disparaissent. De ce fait même, la pression du groupe sur ses membres se relâche. L'individu s'affranchit des servitudes collectives où il trouvait précédemment contrainte et sécurité. Des rapports nouveaux, plus libres et plus souples, s'établissent entre les personnes, les sexes, les générations. Simultanément la dépendance du milieu rural à l'égard de la civilisation citadine moderne va croissant. Tout y contribue, le déplacement d'équilibre entre les deux populations, le rayonnement de la ville, la facilité qu'on a désormais de s'y rendre, le nombre de ses représentants — instituteur, médecin, pharmacien, notaire, percepteur, etc. — au cœur de la population paysanne elle-même. Techniquement, intellectuellement, affectivement, le paysan s'incorpore toujours davantage à une société qui demande à la grande ville des modèles et des directives. Le Goffic, après Renan, avait conscience de connaître encore une société médiévale. Le Breton d'aujourd'hui, où qu'il naisse, participe d'une
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société moderne. Le passage d'un état traditionnel relativement clos à un état social de plus en plus ouvert n'a cessé de s'accélérer à mesure que le progrès technique multipliait les moyens de déplacement, d'information, et de diffusion de la pensée sous toutes ses formes.
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L'évolution de la danse, longtemps faite de variations lentes, s'accélère et s'amplifie à mesure que le milieu social se transforme plus profondément. Entre ces deux séries de phénomènes parfaitement constatables, la concordance est telle, et si étroit le parallélisme, qu'on ne saurait mettre en doute la dépendance de l'un à l'autre. Dans le temps où la société rurale bretonne s'éloigne de l'état archaïque où elle était longtemps demeurée, la danse où elle s'exprime acquiert elle aussi des caractéristiques modernes. Ce ne sont pas seulement son type et son inspiration qui changent. C'est, plus essentiellement, sa raison d'être. La danse avait été, elle était encore dans les terroirs d'archaïsme, un acte social complet, riche de la vie même du groupe, et capable en des circonstances définies de revêtir pour tous une signification solennelle. Elle tendait finalement à n'être, elle n'était déjà plus dans les régions les plus évoluées, qu'un plaisir pris en commun. Dans les noces, les danses de classes d'âge achevaient de disparaître. La « danse du bouquet » devenait une danse comme les autres, presque sans étiquette particulière, dont le cadre importait peu, dont le sens était oublié. La danse des pauvres était remplacée par une aumône. Dans la vie courante enfin, les préliminaires savoureux qui autrefois servaient à constituer le groupe et à l'animer d'une disposition d'esprit commune, s'amenuisaient ou disparaissaient totalement. La danse avait cessé d'être un rite social pour n'être plus qu'un divertissement. La tradition ancienne conciliait deux exigences contradictoires : l'expression de l'unité du groupe, l'affirmation de l'individu. A mesure que la pression du milieu perd de sa force, la seconde tendance l'emporte : l'individu recherche dans l'activité sociale un plaisir plus personnel. Les changements qui affectent la danse principale sont de ce point de vue révélateurs. De ronde en chaîne, de chaîne longue en chaîne courte, elle perd de plus en plus son caractère collectif pour devenir danse de très petits groupes, où les individus ont toujours plus d'occasions de se mettre en valeur, • soit comme meneurs des chaînes, soit comme cavaliers de couples distincts. Le développement des concours de danse où les « champions » peuvent se mesurer et voir consacrer leur supériorité, l'importance qu'attachent de plus en plus de familles à disposer d'un accompagnement instrumental qui les mette en position honorable
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dans la hiérarchie sociale, sont d'autres signes de cet individualisme et de l'égalitarisme qu'il entraîne. Très significatif aussi le déplacement d'intérêt qui s'affirme du geste à la figure en dehors des terroirs d'archaïsme. Les danses nouvelles qui entrent dans le répertoire sont des danses à figures. Les danses traditionnelles anciennes sont modifiées dans ce même sens. Ce sont les dispositions d'ensemble et les trajets plus que les gestes qu'on voit remanier à la fin du siècle en Basse-Cornouaille et dans la partie du Morbihan la plus soumise aux influences modernisantes. La danse d'autrefois usait de formes simples (ronde, double front circulaire) qui à elles seules exprimaient l'unité du groupe et favorisaient sa concentration. L'action y consistait essentiellement dans l'accomplissement en commun d'un geste spécifique, dont le pouvoir unifiant était dans ces conditions considérable. La danse nouvelle simplifie volontiers le dessin de pas, ou tolère des pas de diverses sortes. Mais elle comporte un jeu précis d'évolutions et de figures concertées entre les exécutants. A une danse de participation et d'unification s'est substituée une danse de relations et d'échanges, à la fois plus superficiels et plus libres. C'est, avec des modalités propres au temps et au lieu, l'équivalent de la transformation survenue dans les répertoires aristocratiques entre la Renaissance et la fin de l'Ancien Régime. Après trois siècles la danse rurale et la citadine retrouvent leur unité perdue, au prix d'un égal oubli de leurs origines communes. Le goût toujours plus marqué du danseur paysan pour les danses de salon, son aptitude grandissante à les imiter, manifestent clairement la perméabilité croissante du milieu folklorique aux influences venues de la ville. Au terme de cette évolution, il y avait, comme on sait, l'abandon pur et simple des moyens d'expression que la Bretagne s'était donnés à elle-même, et où elle avait su mettre l'empreinte de sa personnalité originale. La mode parisienne s'imposait dans les campagnes. La civilisation traditionnelle avait fait son temps.
TABLE DES INFORMATEURS
CITÉS
Il ne pouvait être question de faire connaître tous les informateurs (environ deux mille) que nous avons consultés individuellement de 1945 à 1961. On trouvera seulement dans cette table les noms, âges et qualités de ceux qui ont été cités dans l'ouvrage. Les femmes mariées figurent sous le nom du mari, le nom de jeune fille étant donné entre parenthèses. La date qui suit le nom indique — dans quelques cas approximativement — l'année de la naissance. André (Marie-Josèphe. 1897) Béchenec (Marie-Yvonne Hénanff. 1873). Cultivatrice. Bernard (Daniel. 1883). Homme de lettres. Berthelot (Joséphine Guéguin. 1902). Boudehen (Jean. 1888). Cultivateur. Boudehen (née Le Gac. 1895). Boudouin (Pierre-Marie. 1881). Cultivateur. Boudouin (Pierre. 1904). Cultivateur. Bouteraou (Pierre. 1879). Coiffeur. Boutet (Alain. 1884). Broustal (Jean. 1902). Cultivateur. Burguin (Xavier. 1905). Cultivateur. Bombarde. Cadou (Jean. 1901). Commerçant. Calvary (Marie-Anne. 1857). Cultivatrice. Caradec (Anne-Marie Le Goff. 1861). Caro (Marie-Augustine Le Meur. 1888). Clerc'h (Marianne Déniel. 1900). Journalière. Cloarec (Maurice. 1878). Tailleur. Corfmat (Joseph, 1908). Commerçant. Biniou. Corvez (Pierre. 1910). Employé aux Tabacs. Coudé (Marie-Joseph Jaffré. 1869). Institutrice. Crenn (Thomas. 1873). Débitant. Derrien (Joseph. 1924). Cultivateur. Derrien (Joseph. 1891). Cultivateur.
Guilligomarc'h. Guidel. Cléden-Cap-Sizun. Remungol. Plouyé. Plouyé. Plévin. Plévin. Ch âteauneuf-du-Faou. Melgven. Brasparts. Crach. Le Saint. Tourc'h. Fouesnant. Plougonver. Spézet. Lampaul-Guimiliau. Plumergat. Scrignac. Ile-aux-Moines. Plonévez-du-Faou. Plonévez-du-Faou. Plouvé.
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Dibit (Jean-Louis. 1882). Commerçant. Dupuis (Mathurin. 1882). Fer (Pierre. 1921). Cultivateur. Fiche (Pierre. 1868). Cultivateur. Floch (Marie-Anne Hergoualch. 1861). Floch (Yves-Louis. 1869). Maréchal ferrant. Floch (Mathieu. 1879). Cultivateur. Geffroy (Marie-Jeanne Bellec. 1864). Géro (Arsène. 1887). Sabotier. Gestin (Vincent. 1868). Facteur. Gilliouard (Édouard. 1894). Comptable. God (Pierre. 1894). Menuisier. Gouérec (Marie Allançon. 1890). Gourmelen (André, 1882). Guern (Catherine Maltret. 1874). Journalière. Guern (Pierre. 1872). Cultivateur. Guilcher (Françoise Jourdren. 1876). Guillou (Jean-Marie. 1877). Cultivateur. Guyon (Armel. 1933). P. et T. Hamon (Yves. 1897). P. et T . Hélou (Marie-Françoise Pouliquen. 1874). Herrou (Émile. 1905). Tailleur. Hervé (Martin. 1875). Cultivateur. Hirgair (Marie-Perrine Le Fur. 1897). Jaffré (Jean-François. 1894). Jégo (Mathurin. 1891). Buraliste. Jégo (Goal. 1872). Facteur. Kerdraon (Jeanne Le Bot. 1872). Kerloc'h (Jean. 1875). Bombarde. Kéroulas (Marie-Corentine Kéroulas. 1873). Kervadec (Jean-Marie. 1873). Cultivateur. Kervoellen (Catherine Le Braz. 1895). Laizet (François. 1915). Boucher. Lamour (Jeanne Josso. 1891). Landré (Théophile. 1908). Cultivateur. Lanneau (Jeanne L'Henoret. 1879). Le Bot (Jeanne Le Roux. 1904). Le Cann (Pierre. 1877). Cultivateur. Bombarde. Le Clainch (Joachim. 1902). Charron. Le Dars (Hélène Gallo. 1894). Le Gall (Guillaume. 1859). Commerçant. Le Goff (Jean, 1873). Cultivateur. Biniou. Le Goff (Jean. 1902). Le Houédec (Joseph. 1881). Cultivateur. Le Mouellic (Vincent. 1896). Cultivateur. Biniou. Le Nouveau (Elisa Bigouin. 1912). Léostic (Joséphine Normand. 1874). Le Paboul (Joachim. 1881). Horticulteur. Le Paboul (Jude. 1920). Horticulteur. Le Page (Corentin. 1869). Cultivateur. Le Pape (Marie Derrien. 1866). Le Perdu (Rosalie Péroux. 1883). Le Petit (Joachim. 1878). Cultivateur. Bombarde. Le Pochât (1884). Cultivateur.
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BASSE-BRETAGNE Pleyben. Sainte-Brigitte. Scrignac. Scaër. Brasparts. La Roche-Maurice. Scaër. Locquénolé. Saint-Mayeux. Coray. Belz. Le Faou. Brélès. Pont-Aven. Plouyé. Scaër. Locquénolé. Plougonver. Saint-Armel. Loperhet. Lampaul-Guimiliau Commana. Arradon. Brandérion. Plonévez-du-Faou. Plumergat. Belz. Plougastel-Daoulas. Plozévet. Le Juch. Landévant. Plouyé. Scrignac. Saint-Allouestre. Scrignac. Plouégat-Guérand. Muzillac. L'Hôpital-Camfrout. Baud. Guilligomarc'h. Saint-Thurien. Glomel. Plévin. Bubry. Grandchamp. Ploërdut. Lanvéoc. Baud. Baud. Le Cloître-Pleyben. Pont-Aven. Trégomeur. Grandchamp. Lanvaudan.
TABLE
DES
INFORMATEURS
Le Poul (Mélanie Loriquer. 1881). Leroy (Joseph. 1887). Cultivateur. Le Strat (Joseph. 1890). Bombarde. Leveder (Fernand. 1892). Menuisier. Lorant (Sylvestre. 1899). Commerçant. Lucas (Françoise Auffret. 1877). Lukas (Marguerite Garnier. 1871). Magalon (Francis. 1902). Boucher. Magalon (Louis. 1905). Charcutier. Mallégol (Pierre. 1876). Manœuvre. Menez (Pierre. 1867). Cultivateur. Merret (François. 1876). Entrepreneur. Merrien (Marie Connan. 1914). Avicultrice. Michel (Théodore. 1908). Cultivateur. Morvan (Auguste. 1909). Cultivateur. Nivoix (Marie-Louise Thomazic. 1889). Ollivet (Jeanne Jardinier. 1906). Journalière. Palud (M m e ). Commerçante. Panérec (Jean. 1903). Cultivateur. Pensec (Jean. 1877). Artisan. Péron (Yves, 18 81). Cultivateur. Philippe (Marie Le Riblair. 1869). Picaut (Raymond). Cordonnier. Portier (Victoire Coudé. 1865). Coiffeuse. Postic (Yves-Marie. 1885). Ancien marin. Prigent (François. 1903). Cantonnier. Prodomme (Gaston. 1885). Ferblantier. Queffélec (Jean-François. 1890). Cordonnier. Quéméneur (François. 1920). Cultivateur. Quinquis (François. 1894). Raguénès (Marie-Julie Arzel. 1888). Commerçante. Riou (Marie-Catherine Goulard. 1876). Rivoal (Corentin. 1884). Cultivateur. Robin (Mathurin. 1876). Boulanger. Roger (Brigitte Tanguy. 1896). Roger (François. 1875). Menuisier. Ropars (François. 1862). Cultivateur. Rumen (Henri. 1907). Cultivateur. Tallec (Catherine Scoarnec. 1872). Tanguy (Mathurin). Cultivateur. Tilly (Antoine. 1870). Cultivateur. Toquin (François. 1883). Cultivateur. Urcun (Pierre. 1911). Officier. Uzel (François. 1887). Tailleur. Yvinec (Joseph. 1898). Cultivateur.
577 Plélauff. Plougras. Saint-Nigodème. Quintin. Bignan. Bourbriac. Clohars-Carnoët. Belle-Isle-en-Terre. Belle-Isle-en-Terre. Plougastel-Daoulas. Landévennec. Plougasnou. Plourac'h. Saint-Nicodème. Scrignac. Saint-Thuriau. Spézet. Crozon. Kergrist-Mo ëlou. Plozévet. Plouyé. Quiberon. Bignan. La Trinité-Porhoët. Pluzunet. Bulat-Pestivien. Sarzeau. Loperhet. Scrignac. Locmaria-Plouzané. Lanrivoaré. Irvillac. Landeleau. Baud. Quistinic. Ploeren. Poullaouën. Ch âteauneuf-du-Faou. Cléden-Cap-Sizun. Pluméliau. Poullaouën. Naizin. Cléden-Cap-Sizun. Bieuzy. Le Tréhou.
BIBLIOGRAPHIE
Pour les livres ou articles souvent cités en cours d'exposé, la référence bibliographique est suivie de l'abréviation du titre, telle qu'elle figure dans les notes. Une courte appréciation entre parenthèses précise quand il y a lieu le parti que nous avons tiré d'un ouvrage. Les noms de communes ou de terroirs donnés dans ces mêmes conditions signalent la présence dans la publication d'observations directes méritant d'être retenues (bien que le plus souvent très minces et sans analyse de mouvements), et le lieu où elles ont été faites. On trouvera dans les notes les références d'autres travaux intéressant plus spécialement la monographie correspondante. Les cotes indiquées pour quelques ouvrages rares sont celles des Bibliothèques Nationale (B.N.), de l'Opéra (Opé.), du Conservatoire (Cons.) et de l'Arsenal (Ars.). Vingt leçons sur les Beaux-Arts, Paris, Gallimard, 1931, in-16, 301 p., Vingt leçons., (Psycho-sociologie de la danse). A N T H O N Y Jean, Nevezadur, Contribution à l'étude du folklore breton. Rennes, Société d'éditeurs bretons, 1942, in-40, 52 p. Archives civiles du Finistère. Série B, II, Quimper, 1921. (Édits sur la danse). A R N A U D I N Félix, Chants populaires de la Grande-Lande, Paris, Champion ; Bordeaux, Feret; Labouheyre, Lambert, 1912, in-18, I, L X X X V I - 5 2 1 p., Ch. pop. Gr.-JL., (Faits gascons comparables aux faits bretons). B A C H E L O T D E L A P Y L A I E , Etudes archéologiques et géographiques, Bruxelles, 1850, Et. arch., (Le Fret et Telgruc). Bibliothèque du Dr. Ch. Laurent, Brest. B A U D R Y J . , Histoire de N.-D. de Rostrenen et de son pèlerinage, Rev. de Bret., X X X I X , févr. 1908, (Les sonneurs au pardon). B E A U M O N T Cyril W., A bibliographj of dancing, London, The dancing Times, 1929, in-8°, XI-228 p. e B E A U R E P A I R E - F R O M E N T (de), Bibliographie des chants populaires français, 3 édit., Paris, Rouart Lerolle, 1910, in-18, XCIII-186 p. B E R N A R D Daniel, « Vade-Mecum bibliographique pour servir à l'étude de la littérature bretonne », Monetär Vro, du 16 octobre au 6 novembre 1920. B E S S I R E Émile, En Bretagne, Genève, Eggimann, 1894, in-16, 217 p., (Pardon de Roscoff.) Bibliographie bretonne, Annales de Bretagne (Bibliographie périodique depuis le t. X V I I I , 1901.) e B L O C H Marc, Les caractères originaux de l'histoire rurale française, 2 édit., Paris, Colin, 1955, 2 vol. in-8°, (Informat, générale). ALAIN,
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RAMEAU P.,
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DANSE
EN
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INDEX Consacré principalement aux termes de danse, le présent index est conçu comme un complément de la table des matières (se reporter à cette table détaillée pour les autres rubriques : accompagnement musical, unités géographiques, etc.). Les chiffres renvoient aux pages sans distinguer entre les notes et le texte courant. Abadenn, 142, 382, 508. Abadenn merhed, 45, 46. Aires neuves, 20 à 22, 396, 405, 408, 536, 545Ambleudadeg, 18, 19, 541. Avant-arrière. Voir En avant et en arrière. Bal, 100, 105, m , 142, 146, 147, 150 153, 156 à 158, 178, 283, 284, 296, 310, 365, 382, 4 1 1 à 450, 453, 461, 462, 465, 471 à 477, 490, 491, 496, 500, 506, 508, 512, 515, 520, 524, 529, 542, 543» 552» 554, 558 à 560, 563, 564Bal à quatre, 70, 147, 153, 412, 419 420, 442, 473, 477, 485. Bal à huit, 70, 147, 412, 477, 485. Balancé, 347, 350, 354, 359, 416 à 4 i 8 , 420, 423, 425, 426, 428 à 431, 448, 474,491 à 495, 512, 514, 517. Balguernée (ou bal guérai), 446. Biskilli, 155. Branle, 15, 72, 1 1 3 , 114, 125, 142, 285 à 287, 289, 290, 292, 302, 309, 333 à 340, 362, 379, 552, 553, 557. Bretonne, 299, 420, 540. Carole, 72, m , 1 1 3 , 287, 552. Chaîne anglaise, 123, 442, 443, 491, 494, 510, 559. Chaîne des dames, 123, 412, 442, 511, 5 59Chiberi (et chiberli, chibreli, etc.). Voir Jibidi. Contredanse, 100, 115 à 1 1 7 , 124 à 126, 147, 153, 155, 156, 210, 283, 285, 382, 384, 412, 413, 436, 443,
445» 449» 453» 473» 475 à 478, 480, 485, 490 à 496, 498, 499, 501, 520, 542, 557» 5 58. Dans a benn, 396, 397. Voir Dans Léon, Dans a gren, 225. Dans a ru%, 143, 295, 296. Dans azailheù, 143, 305, 308. Dans al leur neve^j 396. Voir Aires neuves. Dans an avalou douar bihan (danse des petites pommes de terre), 155. Dans an dud neverç. Voir Danse d'honneur. Dans an eured : id. Dans an ours, 521, 524. Voir Danse du loup. Dans ar blei. Voir Danse du loup. Dans ar boked. Voir Danse d'honneur. Dans ar butun, 188, 190. Dans ar podou fer (ou danspetifer), 149. Dans ar rost, 32. Dans ar sei^enn, 59, 230. Dans diskuiz, 411. Dans 'fanch, 147, 187, 363 à 365, 374. Dans fisel (ou dans tro fiseî), 143, 186 à 193» i96» 364> 365» 37 1 » 391» 45 5Dans hed a hed, 143. Dans hinj, 143, 364, 391. Dans hir, 143, 286. Dans kerneo, 383, 388, 389, 390, 394. Dans kost' er hoed, 143, 195 à 199, 364, 368. Dans Léon, 133, 392 à 410, 553, 556. Dans Mael, 143. Dans meshet, 478, 490. Dans moul, 5 34.
Dans plin (ou dans tro plin, plen, pleari), 298, 363 à 380, 382, 385, 386, 391,
Voir Hanterdro. Hanterdro, 100, 122, 319, 321 à 340, 348, 349, 3 5 2 à 354, 360, 3 6 1 , 534, 5 54, 5 57- . Jabadao (ou jabadeau, jabidao, jambadao, zabatao, etc.), 70, 100, 105,
428, 447, 553, 555, 556.
Dans Pion, 364. Dans' red, 143. Dans Treger, 381 à 393, 402, 403, 407 497. 5 5 3, 5 54, 5 5.6. Danse de la farine, 155, 512. Voir Monfarine. Danse de l'étourdi, 547, 548. Danse des baguettes, 147, 527 à 531. Danse des bergers, 418. Danse des pauvres, 34 à 36. Danse des pèlerins, 418. Danse « des petites pommes de terre ». Voir Dans an avalou douar bihan. Danse des rubans. Voir Dans ar sei\enn. Danse d'honneur, 25 à 31, 33. Danse du loup, 147, 521 à 526, 562. Demi-danse, 323, 336, 354, 534. Voir Hanterdro. Demi-tour, 321, 323, 336, 354, 534. Voir Hanterdro. Défilé, 510. Dérobée, 100, 147, 155, 365, 382, 444, 465, 505 à 520. Dorn dans. Voir Droiad dans. Double courbe. Voir Défilé. Dro (En dro) 109, 199, 295 à 3 1 9 , 3 2 1 à 325, 328 à 330, 333 à 337, 362,
108, 147, 1 5 3 , 1 5 5 , 292, 3 1 1 , 343,
384, 413, 432> 43 6 , 469 à 503, 505, 5 2 °, 541, 54 2 , 559 à 562, 564. Jibidi (ou Jibeli, chiberli, sémeri, etc.) 105, 147, 365» 412, 420, 453, 478, 541 à 543, 556, 5 5 8, 562. Jilgoden, 500. Kas abah, 305, 306, 500, 561, 563. Laridé (ou la ridée), 121, 143, 150, 199 à 210, 295, 297, 301, 3 2 1 , 324, 3 3 ° , 332, 341 à 362, 367, 4 1 2 , 420,
4Z3> 473, 534, 557, 561. Los tig al louarn, 175. Monfarine (ou Monférine, etc.), 123, 124, 1 5 5 , 156, 5 1 2 , 5 1 3 , 516 à 520, 558. Voir Danse de la farine. Moulin, 462, 510, 512. Pachpi. Voir Passepied. Pas de quatre, 138, 144, 185, 429, 433,434,437,471, 5 !3, 537Passepied (ou pachpi, marchepied, etc.), 15, 72, 100, 105, 124, 147, 288, 290, 291, 365, 382, 394, 4 1 2 ,
368, 3 9 1 , 4 1 2 , 553, 554, 557, 563.
Dro fest. Voir Droiad dans. Droiad dans (ou droiad fest, dro fest, dorn dans), 142. En avant deux (trois, quatre, etc.). Voir le suivant. En avant et en arrière, 332, 412, 470 à 476, 478, 488, 490, 491, 495, 498, 5°i, 5 i i , 559> 564Enfile-aiguille, 162. Entre-deux, Entre-temps, 412. Fest a gren, 204, 368. Fest dans, 142. Fest bir, 210. Frikadeg boloh, 19, 541. Gavotte, 61, 69, 105, 109, 123, 124, 1 3 3 , 1 4 1 à 293, 295, 296, 298, 303,
3 J 9> 3 5 5, 363 à 365, 368, 378, 382, 383, 389, 4 o i , 406, 407, 4 1 2 , 4 1 3 , 426, 437, 443, 4 7 1 , 478, 486, 488, 489, 491, 5H, 5 29, 53°, 547, 5 53 556,563,569.
Guédillée, 296. Gymnaska, 122, 322, 331, 332, 473. Hanterdans (ou hanterions), 321, 323.
à
418, 444, 4 5 1 à 468, 496, 524, 542, 543, 5 57, 5 58, 562. Pasou bihan, 443. Paz dreoti, 211, 214, 218 à 221, 234, 235Petistoup, 105, 147, 343, 424, 478, .498, 499, 5 56, 562. Pilé-menu, 296, 299, 334, 368. Piler lann, 387, 395, 396, 407, 554. Piquette, 5 34. Plahig an douar neve^, 546, 547. Quadrille, 125, 392, 442, 443, 445, 475, 494, 496> 500, 510, 511, 557. Red an dro, 1 4 1 , 143, 158, 159. Ridée. Voir laridé. Sèmeri, 365, 453. Voir Jibidi. Sous les lauriers verts, 500. Stoupik. Voir Petistoup. Suite de danses, 105, 137, 142, 146, 147, 150, 1 5 2 à 158, 283, 284, 296, 322, 341, 342, 362, 365, 382, 394,
4 1 1 3 4 1 3 , 436, 443, 444, 4 7 25 1à• 1 ,49 6453, 474,476,477,478,49 ,513,5 Talaro, 155. Tamm kerh, 412, 424. Tamm krei\, 411, 412, 428, 430, 432, 434, 448, 4 7 1 , 5 2 9-
Ton (simple, double, long), 265 à 283, 378, 389, 406, 489, 525. Tor, 72, 287. Tour, 295, 321, 334, 336, 365. Tourbillon, 422, 496, 500, 556, Treske (ou tresche), 1 1 1 , 332. Tricot (ou tricotai), 122, 321, 326, 329, 330, 332, 336, 339, Tricotet (ou tricotain, tricotée,
276,
560. 322, 360. tri-
coter, tricotie, tricotine, tricquoter), 33°> 332» 333. 336, 339- , Trihort, 15, 112, 113, 287 à 293, 380, 452, 467, 468, 557. Tri lamm, 461. Triscoter (ou triskoter), 332. Trois pas (Danse ronde aux), 358, 5 33 à 540, 5 56, 5 59Zabatao. Voir Jabadao.
CARTES
I.
CARTE
DES
COM-
(Sont seuls indiqués les chefslieux des communes, non les points d'enquête réels). MUNES É T U D I É E S
LISTE DES COMMUNES PORTÉES SUR LA CARTE I Argol, G 3. Garlan, C 7. Arradon, L 13. Gausson, F 13. Arzano, J 9. Glomel, G 9. Gouarec, G 10. Audierne, I 2. Goudelin, C 11. Bannalec, I 7. Gouesnach, J 5. Baud, J 11. Gouesnou, E 3. Baye, J 8. Gouézec, G 6. BeUe-Isle-en-Terre, D 9. Goulien, H 2. Belz, L 11. Gourin, H 8. Berrien, E 7. Gourlizon, I 4. Beuzec-Cap-Sizun, H 2. Grandchamp, K 12. Bieuzy, I 11. Guémené-sur Scorff, H 10. Bignan, J 13. Guengat, H 4. Bodilis, D 5. Guerlesquin, D S. Bolazec, E 8. Guern, I 11. Botmeur, E 6. Guiclan, D 6. Botsorhel, D 8. Guidel, K 9. Bourbriac, D 10. Guilers, E 2. Brandérion, K 10. Guiler-sur-Goyen, I 3. Brasparts, F 6. Guilligomarc'h, I 9. Brélès, D 1. Guingamp, D 10. Brennilis, F 6. Guimiliau, D 5. Briec, H 5. Guipavas, E 3. Bubry, I 10. Guiscriff, H 8. Bulat-Pestivien, E 9. Guissény, C 3. Calanhel, E 9. Hanvec, F 4. Callac, E 9. Hémonstoir, G 13. Camaret, F 2. Hennebont, K 10. Carantec, C 6. Huelgoat, F 7. Carhaix, F 8. Ile-aux-Moines, M 12. Cast, G 5. Inguiniel, I 10. Caudan, K 9. Inzinzac, J 10. Châteaulin, G 5. Châteauneuf-du-Faou, G 7. Irvillac, E 4. Josselin, I 14. Cléden-Cap-Sizun, H 1. Kerfeunteun, I 5. Cléder, C 5. Kergloff, F 8. Cléguérec, H 11. Kergrist, G 12. Clohars-Carnoët, K 8. Kergrist-Moëlou, F 10. Clohars-Fouesnant, J 5. Kerlouan, C 3. Coadout, D 10. Kernascléden, I 9. Coat-Méal, D 2. Kernouès, C 3. Collinée, F 14. Kerpert, E 11. Collorec, F 7. Kervignac, K 10. Combrit, J 4. L a Chapelle-Neuve, E 9. Comfort, H 3. La Feuillée, E 6. Commana, E 6. La Forêt-Fouesnant, J 5. Coray, H 6. La Martyre, E 4. Corlay, F 11. Lampaul-Guimiliau, D 5. Crach, L 11. Lampaul-Plouarzel, E 1. Crédin, H 13. Landaul, K 11. Crozon, G 2. Landéda, C 2. Daoulas, F 4. Landeleau, G 7. Duault, E 9. Landévant, K 11. Edern, H 6. Landévennec, F 4. Elliant, I 6. Landudal, H 5. Elven, K 14. Landulec, I 3. Erdeven, L 11. Langolen, H 6. Ergué-Arrael, I 5. Langonnet, H 8. Ergé-Gabéric, I 5. Languidic, J 11. Fouesnant, J 5.
Lanhouarneau, C 4. Lanildut, D 1. Laniscat, G 11. Lanleff, B 11. Lanmérin, B 9. Lanmeur, C 7. Lannéanou, D 7. Lannédern, F 6. Lanrivain, F 10. Lanrivoaré, D 2. Lanvaudan, J 10. Lanvellec, C 8. Lanvénégen, I 8. Lanvéoc, F 3. La Roche-Maurice, D 4. Larret, D 1. La Trinité-Porhoët, H 14. La Turballe, O 15. Laz, H 6. Le Cloître-Saint-Thégonnec, D 7. Le Cloître-Pie y ben, F 6. Le Conquet, F 1. Le Faou, F 4. Le Faouët, I 8. Le Foeil, E 12. Le Folgoët, D 3. Le Guilvinec, K 4. Le Juch, H 4. Lennon, G 6. Le Ponthou, D 8. Le Saint, H 8. Lesconil, K 4. LeTréhou, E 5. Le Trévoux, J 8. Leuhan, H 7. L'Hôpital-Camfrout, F 4. Lignol, H 10. Locarn, F 9. Loc-Eguiner-Ploudiry, D 5. Loc - Eguiner - Saint - Thégonnec, E 6. Locmaria-Plouzané, E 1. Locmariaquer, M 12. Locmélar, E 5. Locmiquélic, K 9. Locquénolé, C 6. Locquirec, B 8. Locronan, H 4. Loctudy, J 4. Locunolé, I 9. Logonna-Daoulas, F 4. Logonna-Quimerc'h, G 5. Loguivy-Plougras, D 8. Lohuec, E 8. Lopérec, F 5. Loperhet, E 4. Loqueffret, F 6. Lothey, G 5. Louannec, B 9.
CARTES
595
Maël-Carhaix, F 9. Maël-Pestivien, E 10. M a g o a r , E 10. Malestroit, K 15. Malguénac, H 11. Melgven, J 6. Mellac, J 8. Mellionnec, G 10. Merléac, F 12. Merlevenez, K 10. Meslan, I 9. Milizac, D 2. Moëlan, K 8. Motreff, G 8. M o u s t é r u , D 10. M u r - d e - B r e t a g n e , G 12. Muzillac, M 15. N a i z i n , I 13. N é v e z , J 7. N i z o n , J 7. N o y a i - P o n t i v y , H 12. O u e s s a n t , B 1. P a b u , C 10. P e n c r a n , E 4. P e n m a r c ' h , K 3. P e n v é n a n , A 10. Perret, G n . P e r r o s - G u i r e c , A 9. P e u m e r i t , I 3. P e u m e r i t - Q u i n t i n , E 10. P l a b e n n e c , D 3. Plélauff, G 10. Plésidy, E n . Plestin-les-Grèves, C 8. Pleudaniel, B n . P l e u m e u r - B o d o u , B 8. P l e u v e n , J 5. Plévin, G 8. P l e y b e n , G 6. P l e y b e r - C h r i s t , D 6. P l o b a n n a l e c , K 4. P l œ m e u r , K 9. P l o ë r d u t , H 10. Ploéren, L 12. P l œ u c , F 13. Ploëven, G 4. Plogastel - S a i n t - G e r m a i n , Plogoff, H 1. Plogonnec, H 4. Ploinclin, I 4. P l o m e u r , J 4. P l o m o d i e r n , G 4. Plonéis, I 4. P l o n é o u r - L a n v e r n , J 4. P l o n é v e z - d u - F a o u , G 6. P l o n c v e z - P o r z a y , H 4. P l o u a r e t , C 9. Plouarzel, E 1. P l o u a y , J 9. Ploubazlanec, A 11. Ploubezre, B 9. P l o u d a n i e l , D 4. P l o u é g a t - G u é r a n d , C 7. P l o u é g a t - M o y s a n , D 8. Plouescat, C 4. Plougar, D 5.
I 4.
Plougasnou, B 7. Plougastel-Daoulas, E 3. P l o u g o n v e n , D 7. P l o u g o n v e r , D 9. P l o u g o u r v e s t , D 5. P l o u g u e n a s t , F 13. P l o u g u e r n e a u , C 2. P l o u g u e r n é v e l , G 10. Plouguiel, A 10. Plouguin, D 2. Plouider, C 4. P l o u i g n e a u , D 7. Ploumagoar, D u . Ploumilliau, C 8. P l o u m o g u e r , E 1. Plounéour-Ménez, E 6. P l o u n é o u r - T r e z , C 4. P l o u n é v e n t e r , D 4. P l o u n é v e z - Q u i n t i n , F 10. P l o u r a c ' h , E 8. P l o u r a y , G 9. Plourin (en Bas-Léon) D 1. Plourin (près Morlaix), D 7. Plouvien, D 3. P l o u v o r n , C 5. Plouyé, F 7. Plozévet, I 3. P l u g u f f a n , I 4. Pluherlin, L 15. P l u m é l i a u , I 12. P l u m e r g a t , K 12. Plusquellec, E 8. P l u v i g n e r , K 11. P l u z u n e t , C 9. P o m m e r i t - Le - Vicomte, C n. P o n t - A v e n , J 7. P o n t - C r o i x , H 2. P o n t - l ' A b b é , J 4. Pont-Melvez, E 10. P o n t - S c o r f f , J 9. P o r s p o d e r , D 1. P o u l d e r g a t , H 3. Pouldreuzic, L 3. P o u l l a n , H 3. P o u l l a o u ë n , F 8. P r i m e l i n , I 2. Priziac, H 9. Q u é m é n é v e n , H 5. Q u e r r i e n , I 8. Q u i b e r o n , N' 11. Quimerc'h, F Q u i m p e r l é , J 8. Q u i n t i n , K 12. Quistinic, J 11. R é d e n é , J 9. R é g u i n y , I 13. R e m u n g o l , I 12. Riec-sur-Bclon, J 7. R o h a n , H 13. R o s c a n v e l , F 2. Rosnoën, F 4. R o s p o r d e n , I 6. R o s t r e n e n . G 10. R o u d o u a l l e c , H 7. Ruffiac, J 16. Saille, O 15.
St-Agathon, D n . S t - A l l o u e s t r e , J 13. S t - A r m e l , M 13. S t - A v é , L 13. S t - B r a n d a n , E 12. S t e - B r i g i t t e , G 11. S t - C o n n e c , G 12. S t - D o n a n , D 12. S t - E l o y , E 5. S t - E v a r z e c , I 5. S t - G i l d a s - d e - R h u y s , M 13. St - Gilles - d u V i e u x M a r c h é , G 12. St-Goazec, G 7. S t - G u e n , G 12. S t - J e a n - B r é v e l a y , J 13. S t - M a y e u x , F 11. S t - N i c , G 4S t - N i c o d è m e , F 9. S t - N i c o l a s - d u - P é l e m , F 11. S t - P a b u , D 2. S t - P o l - d e - L é o n , B 6. S t - R e n a n , E 2. S t - R i v o a l , F 5. S t - S a u v e u r , E 5. St-Ségal, G 5S t - T h é g o n n e c , D 6. S t - T h é l o , G 12. S t - T h o i s , G 6. S t - T h o n a n , D 3. S t - T h u r i a u , I 12. S t - T h u r i e n , I 8. S t - U r b a i n , E 4. S t - Y v y , I 6. S a n t e c , B 5. S a r z e a u , M 13. Scaër, I 7. Scrignac, E 7. Sein, J 1. Silfiac, G 11. Sizun, E 5. Spézet, G 7. S u r z u r , M 14. T a u l é , C 6. T e l g r u c , G 3. T h e i x , L 14. T o u r c ' h , I 6. T r é b a b u , E 1. T r e f f i a g a t , J 4Tréflévénez, E 4. Tréflez, C 4. T r é g a r v a n , G 4T r é g o m e u r , D 12. T r é g o n n e a u , C 10. T r é g o u r e z , H 6. T r é g u e n n e c , J 3. T r é g u n c , J 6. T r é m e l , C 8. T r é m é o c , J 4. T r é m é v e n , J 8. T r é o g a n , G 8. T r é o g a t , J 3Trézilidé, C 5. Uzel, F 12.
II.
Gavotte.
I.es
FORMES DE LA CHAINE.
LAGCRATOIRE DE CARIOGSAPH.E DE I. f . c o n PRATIQUE DES H A U T T S Í TU3ES
CASTt S. P. H. t.
I I I . E N DRO. FORMES DE LA DANSE.
CAftTt t P H.t
I V . D A N S TRO PLIN.
V.
L A R I D É S EN P A Y S D ' E N D R O .
limite s u d des d a n s e s sur deux fronts y?rv.vf!v. limite orientale de la gavotte 1111111111 limite occidentale de la " d a n s tro plin"
CAITI E.P.H.I.
VI.
D A N S E S SUR D E U X FRONTS ( D A N S T R E G E R , D A N S
LEON).
VII.
L E BAL.
QMORL
»11
T\ :
:::::
: : : : : survivances ou souvenirs du bal ancien zones d'élaboration de types nouveaux : A • Bal en lignes B - Bal tournant C - Bals pontivyens récents D - Bals "plin" récents E - Bals "fisel" F - Bal à trajet alterné de type quimpérois Fa' et Fa' - Extensions minimum et maximum des bals de l'Aven G - Chaîne à quatre du Cap Sizun
LABORATOIRE OE C A R T O G R A P H I E DE L'ÉCOLE PRATIQUE DES H A U T E S CTUOES
VIII.
IX.
RONDES « E N
AVANT E T E N A R R I È R E » .
R O N D E S A PERMUTATION D E DANSEURS.
X.
XI.
LA
DANSE D U LOUP.
L E CHANT ALTERNÉ D I T « KAN HA DISKAN ».
XII.
LA
DANSE
R O N D E AUX TROIS PAS.
L'ÉCOLE PRATIQUE DES H A U T E S ÉTUDES
POSTFACE A LA DEUXIEME EDITION Les dernières décennies ont précipité un double mouvement amorcé de plus longue date : l'effacement de la danse bretonne traditionelle de la société paysanne qui en avait été la dernière dépositaire, sa récupération par un milieu social plus mêlé où les citadins ne sont pas les derniers à donner le ton. Comme toujours en pareil cas le transfert s'est accompagné d'une mutation des conditionnements, des contenus, des aspects sensibles et des raisons d'être. L'activité d'aujourd'hui s'alimente bien à la tradition d'hier; elle a cessé d'en être le représentant autorisé. La faveur croissante dont la danse bretonne jouit auprès d'un nouveau public m'engage à préciser, plus nettement qu'à sa parution, les limites du présent ouvrage. Fondé sur les résultats d'enquêtes conduites entre 1945 et i960 auprès de témoins d'une culture révolue, il fixe l'état final d'un moyen d'expression collective propre aux communautés villageoises d'autrefois et inalyse le fonctionnement de la tradition éteinte. Il laisse entièrement de côté .es transformations survenues depuis lors. Cette nouvelle édition n'apporte à la précédente qu'une retouche de détail. J'ai retranché le parallèle que j'avais cru pouvoir établir entre la formule d'appuis de Vhanterdro et celle du branle de Poitou analysé par Thoinot Arbeau. La réédition de YOrchésographie faite en 1888 par Laure Fonta m'avait conduit à la même interprétation concrète que Cyril W . Beaumont dans sa traduction anglaise du célèbre traité. La comparaison des tablatures dans les plus anciennes éditions connues m'a entre-temps convaincu que cette interprétation était insxacte, et le rapprochement avec l'hanterdro sans fondement. J'ajouterai quelques réflexions que m'inspire une recherche étendue depuis à d'autres régions de France et à d'autres époques de notre histoire. La première roncerne l'évidente similitude des rapports entre en dro-hanterdro d'une part, branle double-branle simple d'autre part. Il existe quelques raisons de se denander si des unités motrices brèves, rythmiquement équivalentes à celles des
608
POSTFACE
deux rondes bretonnes, n'ont pas eu cours dans la tradition d'autres régions françaises, concurremment avec les unités plus «graves» (simples, doubles) que les textes anciens nous font seules connaître. La question demeure donc entière de savoir si les deux danses vannetaises ne sont qu'un faciès local du branle double et du branle simple, ou si, seules désormais, elles conservent deux groupements moteurs d'un caractère spécial, qui en d'autres temps auraient été plus largement répandus et auraient coexisté avec eux. La présence en bordure de la Manche d'une zone où la disposition d'ensemble n'est plus la ronde mais le double front conduit d'autre part à soulever la question d'un rapport possible entre celui-ci et les longways de la tradition britannique. Je m'interrogeais en 1963 sur une éventuelle origine commune et lointaine des deux dispositifs. Le progrès des connaissances historiques permet aujourd'hui d'avancer une autre hypothèse, peut-être plus probable: celle d'un emprunt de la Bretagne du Nord à l'Angleterre, rendu possible par l'intensité des échanges, au xvii e siècle, entre les deux pays. Ce qui frappe très généralement à la comparaison avec d'autres folklores français, c'est l'exceptionnel archaïsme du répertoire breton. La danse collective mixte à structure répétitive, en chaîne ouverte ou fermée, qui presque partout en Basse-Bretagne constitue le premier terme de la suite réglée, a été au Moyen Age et à la Renaissance une forme ordinaire d'expression commune pour tous les milieux français. Elle l'est demeurée pour beaucoup de ruraux jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Quelques-uns lui sont demeurés fidèles jusqu'à une date toute récente. Les branles d'Arbéost et d'Ossau, les rondeaux landais, les dantza luzea basques, les branles berrichons ou vendéens témoignaient naguère encore de la persistance par places du même fonds très ancien. Les circonstances de son emploi, les usages qui s'y rapportaient, rappelaient à bien des égards ceux que nous avons observés en Basse-Bretagne. Dans la plupart des régions françaises pourtant se sont ajoutées plus ou moins tôt des formes plus jeunes, qui ont réduit l'importance des premières dans l'économie générale. En Bretagne au contraire l'influence des courants novateurs ne se fait sentir que très tard et progressivement. La danse bas-bretonne a conservé presque jusqu'à nos jours - y compris peut-être dans cet équilibre généralement maintenu entre «la danse» et «le bal» - un cachet principalement médiéval. Ajoutons une dernière remarque touchant les conditions faites à la transmission de l'expérience et à cette élaboration folklorique qui a été l'un des principaux objets de notre recherche. Plusieurs pays de France ont un répertoire relativement complexe, où la danse mixte d'expression commune se complète de danses réservées à des circonstances particulières et remplissant des fonctions déterminées: calendaires, spectaculaires, cérémonielles, etc. Cette spécialisation de la danse s'accompagne habituellement d'une spécialisation des exécutants, organisés en classe d'âge, groupement professionnel, groupement masculin ou féminin particulier, etc. Sa communication peut reposer pour une part sur l'imitation libre, pour une autre part sur l'enseignement. Rien de semblable en Bretagne, où la même ronde sert au divertissement
P O S T F A C E
609
ordinaire comme au pilonnage de l'aire neuve, aux réjouissances du pardon comme à la solennité des noces. L'étroit répertoire breton est à toutes fins, et son apprentissage repose essentiellement sur l'imprégnation prolongée de l'individu par un milieu qui, jusque dans le courant du XIX e siècle, n'a changé que par degrés ménagés, assez peu et insensiblement. D'où cette constance des structures anciennes sous la diversité mouvante des styles. D ' o ù cette difficulté de pénétration de modèles par trop étrangers à l'expérience du groupe. D ' o ù ces lentes transformations faites de petits changements accumulés, parfois ordonnés en série continue sous l'empire d'une tendance durable. D ' o ù enfin ce retour, après les périodes de flottement qu'introduit l'accident - contamination, décalage musico-moteur, initiative d'ampleur inhabituelle - à des types d'organisation séculairement éprouvés. Il va de soi qu'un conditionnement différent de la tradition a pu entraîner ailleurs une évolution différente du répertoire : importance accrue des emprunts, chances plus grandes ouvertes à l'initiative individuelle, élévation et étagement des niveaux d'expérience technique. La leçon qu'on tire du terrain breton au plan le plus général est donc à reconsidérer et à nuancer de façon diverse suivant les lieux et les temps. Reste que la communication du type observé en Bretagne, sans être partout la règle, est partout représentée. La tradition bretonne, en raison de son exceptionnelle longévité, fournit à cet égard, sur les effets et les démarches de l'élaboration folklorique dans nos anciens milieux ruraux, une information désormais irremplaçable. J . - M . GUILCHER
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
7
PREMIÈRE P A R T I E
LA DANSE DANS LA VIE CIRCONSTANCES ET USAGES I . — L E PUBLIC D E LA DANSE
15
I I . — L E S OCCASIONS D E DANSE
17
A. — La danse et le travail i° Le cycle annuel 20 Les grandes journées B. — Les mariages i° Les danses d'honneur 20 Les danses récréatives 30 Danses de tradition locale C. — Autres occasions de danse i° Lesfoires. Les pardons 20 Lesfêtes calendaires 30 Réunions diverses
17 18 19 23 25 31 36 37 37 40 42
612
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
I I I . — L E SAVOIR-VIVRE DE LA DANSE
43
A. — Dans la vie courante B. — Dans les noces
43 47
LA DANSE E T L E DANSEUR. LA
TRANSMISSION DE LA DANSE
49
L E DANSEUR
53
L A JOIE DE DANSER
55
SECONDE PARTIE
MÉTHODE POUR L ' É T U D E DU RÉPERTOIRE
I . — L E S COMPOSANTS DU MOUVEMENT II. —
65
SOURCES POUR L'ÉTUDE DE L A TRADITION
72
A. — Documentation écrite. i° Les textes 20 Les images
72 75
B. — La tradition vivante. i° Etat de la tradition à son terme 20 Les témoins de la tradition III. —
78 80
L'ENQUÊTE.
A. — Choix du procédé. Premières démarches B. — Observation de groupes et consultations individuelles C. — Consignation des observations IV. — LA
.
84 88 96
CRITIQUE
A. — Critique de l'enquête B.—Critique des témoignages
98 100
TABLE
DES V. —
613
MATIÈRES
INTERPRÉTATION
ET
SYNTHÈSE
A. — Les enseignements de l'enquête i° Conception unitaire. La vraie version 20 Conception pluraliste a) Insertion dans le milieu social b) Coordonnées de temps et de lieu B. — Comparaison avec d'autres répertoires
VI. —
101 102 104 104 106 110
i° Documents français. a) Documents historiques b) Documents folkloriques
m 118
20 Documents britanniques 30 La comparaison
119 121
L ' E X P O S É DES FAITS.
A. — L'écriture de la danse B . — E m p l o i des cartes
125 133
TROISIÈME PARTIE
LE RÉPERTOIRE NOTIONS LIMINAIRES
137
LA GAVOTTE
141 145
LA FORME I. —
L E S C H A Î N E S FERMÉES
A. — En Haute-Cornouaille B . — E n pays de Pontivy II. — D E III. — D E IV. — V. —
145
146 150
LA C H A I N E FERMÉE A LA C H A I N E MIXTE
150
LA C H A I N E FERMÉE A LA C H A I N E OUVERTE
154
E N PAYS D E
C H A Î N E S OUVERTES
G A V O T T E S PAR COUPLES
A. — La gavotte des concours B . — L a gavotte bigoudène
157 170
171 171
DANSE
614 VI. —
EN
BASSE-BRETAGNE
G A V O T T E S DU BAS-LÉON
177
L E PAS I. —
A. B. C. D. E. II. —
181
E N PAYS D E
— — — — —
CHAINES F E R M É E S
182
Les terroirs finistériens Le terroir de Maël-Carhaix (pays «fisel») Les confins du Trégor Le pays kost er hoed Le pays de Pontivy
EN
PAYS
DE
CHAINES
182 186 193 195 199
MIXTES
2IO
A. — Autour de Langonnet B. — Autour de Guémené-sur-Scorff III. —
EN
PAYS
DE
CHAINES
210 211
OUVERTES
ET
A. — La Basse-Cornouaille à l'est de l'Odet B. — A l'ouest de l'Odet i° En pays bigouden et Cap Si^un 20 Enpays deQuimper-Châteaulin
V. —
EN
215
21 j 222
226
BAS-LÉON
CONCLUSION.
CORTÈGE
223 224
C. — Au nord de l'Aulne IV. —
DE
2J3 LA
FORME
ET
LE
PAS
23 5
ACCOMPAGNEMENT MUSICAL. I. —
LES
MOYENS
D'ACCOMPAGNEMENT
A. — KanhaDiskan i° ht chant dans la vie sociale 20 Déroulement d'une danse chantée 30 Domaine géographique
239
239 240 242 252
TABLE
DES
615
MATIÈRES
B. — Accompagnements instrumentaux C.
253
— Importance respective des accompagnements vocaux et instrumentaux i° En Cornouailie
finistérienne
257
20 En Morbihan
262
30 En Cornouaille des Cotes-du-Nord 4 0 En Bas-Léon
262 263
D . — Conclusion II. —
257
LE
264
RÉPERTOIRE
CHANTÉ
265
A . — En Haute-Cornouaille
265
i° Tons simples et tons longs
265
20 1J interprétation personnelle 30 Altérations et remaniements
269 271
B. — Autres régions
275
I° Tons simples et tons longs 20 Autres types d'airs chantés
27 J 276
III. —
LE
278
IV. —
CONCLUSION
RÉPERTOIRE
DES SONNEURS
282
RECHERCHE D'ANTÉCÉDENTS
ANCIENS
I. —
GAVOTTES
BRETONNES
ET
GAVOTTES
II. —
GAVOTTES
BRETONNES
ET
TRIHORIS
EN DRO I. —
L E PAYS
D'EN
DRO
II. —
LA
SUITE
EN
DRO
IV. —
DE
LA
RONDE
A
V. —
DE
LA
RONDE
AU
VI. —
28$ 286
295
III. —
VII. —
FRANÇAISES
295
TRADITIONNELLE EN
RONDE
CONCLUSION
297
LA
L'ACCOMPAGNEMENT
296
CHAÎNE
CORTÈGE MUSICAL
302 304 309 318
616
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
HANTERDRO I. — L'HANTERDRO I I . — L A RONDE
A
III. —
LE
IV. —
RECHERCHE
LARIDÉS
E T
PROPREMENT DEUX
PAS
DIT
COMBINÉS
GYMNASKA
331
D'ANTÉCÉDENTS
ANCIENS
RIDÉES
I. — LARIDÉS
341
DU PAYS
D'EN
DRO
341 342
B . — L E PAS. STRUCTURE ET VARIATION
346
C . — ACCOMPAGNEMENT MUSICAL
355
LARIDÉS
DU
BAS-LÉON
357
I I I . — CONCLUSION
TRO I. —
III. —
359
PLIN LE
II. — L A
363
PAYS
DE
SUITE
LES
A. —
LA
DE
DANS
TRO
PLIN
DANSES
363 365
MOUVEMENTS
366
E N PAYS GALLO
366
B . — P A S S A G E AU PAYS BRETONNANT
367
C. —
369
E N PAYS BRETONNANT
I V . — ACCOMPAGNEMENT
DANS
332
A . — TRAITS GÉNÉRAUX
II. —
DANS
322 329
TREGER
(DANSE
I. — L A
SUITE
II. — L A
DANSE
DE
MUSICAL
DU
376
TRÉGOR)
DANSES
SUR
DEUX
381 382
FRONTS
A . — L A FORME
383 383
B . — L E PAS
384
C . — A C C O M P A G N E M E N T MUSICAL
388
III. — L E
DOMAINE
DE
LA
DANS
TREGER
391
TABLE
DES
MATIÈRES
617
DANS LEON (DANSE DU LÉON) I. —
LE
II. —
LE
RÉPERTOIRE
LES
NOMS
III. — IV. — V. — VI. — VII. —
LA
PAYS
DE
LA
DE
DAÎÎS
393
LEON
393 394
LA
DANSE
395
FORME
LES
396
MOUVEMENTS
397
L'ACCOMPAGNEMENT
MUSICAL
404
CONCLUSION
407
LE BAL LE
BAL I. —
411
DANS LE
LA
BAL
SUITE
DE
DANSES
411
ANCIEN
4 H
A. — La forme B. — Le pas II. — III. —
BAL LE
EN BAL
414 416
LIGNES
DU
VANNETAIS
419
TOURNANT
421
IV. —
BALS
PONTIVYENS
422
V. —
BALS
DU
425
VI. —
AUTRES
PAYS BALS
« FISEL » EN
HAUTE-CORNOUAILLE
VII. —
BALS
DU
PAYS
VIII. —
BALS
DU
FINISTÈRE
IX. — X. — XI. — XII. —
LES LE
CHAÎNES BAL
DU
DE
A
428
QUIMPER
430
MÉRIDIONAL
436
QUATRE
442
TRÉGOR
L'ACCOMPAGNEMENT
443 MUSICAL
444
CONCLUSION
448
PASSEPIED I. — II. —
451 DOMAINE PLACE
III. —
LE
PAS
IV. —
LA
FORME
V. — VI. —
GÉOGRAPHIQUE
DANS
LE
45 3 454 459
ACCOMPAGNEMENT PASSEPIEDS
45 2
RÉPERTOIRE
MUSICAL
BRETONS
ET
PASSEPIEDS
4(13 DE
COUR
465
618
DANSE
EN
BASSE-BRETAGNE
JABADAO
469
I . — RONDES
« EN
AVANT ET
I I . — RONDES A PERMUTATION
EN
ARRIÈRE »
470
DE DANSEURS
476
A . — Le secteur occidental (Pays de Crozon, Châteaulin, Quimper, Pont-L'Abbé) i° ht double cercle simultané 2 0 Le reculer-croiser
478 479 481
B. — Le secteur oriental (Pays de Pleyben, Châteauneuf-duFaou, Rosporden, Scaër, Le Faouët, Gourin, Guémené) i° Versions-tjpesanciennes 2 0 Elaboration de versions nouvelles C. — Accompagnement musical D. —Recherche d'antécédents anciens
483 48} 485 488 491
I I I . — JABADAOS
DU TRÉGOR
496
I Y . — JABADAOS
DIVERS
499
V . — CONCLUSIONS
501
DÉROBÉE
505
I. — DANS II. — E N
LES
CÔTES-DU-NORD
505
FINISTÈRE
I I I . — ACCOMPAGNEMENT I V . — RECHERCHE
512 MUSICAL
D'ANTÉCÉDENTS
514 ANCIENS
V . — CONCLUSION
516 519
L A D A N S E DU LOUP
521
LA DANSE DES BAGUETTES
527
L A D A N S E R O N D E A U X T R O I S PAS
533
L E JIBIDI
541
RONDES-JEUX
545
TABLE
DES
619
MATIÈRES CONCLUSIONS LE
LE
FOND
LES
RÉPERTOIRE
ÉVOLUTION
551
DE L'ÉVOLUTION
DÉCLENCHEMENT
LA
SON
ANCIEN
MATÉRIAUX
ALLURE
ET
555
DU PROCESSUS ÉVOLUTIF
GÉNÉRALE
DE
L'ÉVOLUTION
SÉLECTION
CARACTÈRES DANSE
TABLE
ET
DES
DE
560 562 565
L'ÉLABORATION
FOLKLORIQUE
SOCIÉTÉ
INFORMATEURS
567 571
CITÉS
575
BIBLIOGRAPHIE
579
INDEX
587
CARTES
591
POSTFACE
A LA
DEUXIEME
EDITION
607