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La société du tambourin
Centre d’études supérieures de la Renaissance de Tours Université de Tours, UMR 7323 du CNRS Collection « Épitome musical » dirigée par Philippe Vendrix & Philippe Canguilhem Editorial Committee: Hyacinthe Belliot, Vincent Besson, Camilla Cavicchi, David Fiala, Daniel Saulnier, Solveig Serre, Vasco Zara Advisory board: Vincenzo Borghetti (Università di Verona), Marie-Alexis Colin (Université Libre de Bruxelles), Richard Freedman (Haverford College), Giuseppe Gerbino (Columbia University), Inga Mai Groote (Universität Zürich), Andrew Kirkman (University of Birmingham), Laurenz Lütteken (Universität Zürich), Pedro Memelsdorff (Centre d'études supérieures de la Renaissance de Tours), Kate van Orden (Harvard University), Yolanda Plumley (University of Exeter), Massimo Privitera (Università di Palermo), Jesse Rodin (Stanford University), Emilio Ros-Fabregas (CSIC-Barcelona), Katelijne Schiltz (Universität Regensburg), Thomas Schmidt (University of Manchester). Layout : Vincent Besson (CNRS-CESR)
Cover illustration: Recueil d’aquarelles de costumes basques, c. 1828 © collection Médiathèque de Bayonne
© 2022, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. ISBN : 978-2-503-60184-7 E-ISBN : 978-2-503-60185-4 DOI : 10.1484/M.EM-EB.5.130942 ISSN : 2565-8166 E-ISSN : 2565-9510 Printed in the EU on acid-free paper. D/2022/0095/217
Xabier Itçaina La société du tambourin Une histoire sociale de la musique à danser en Pays basque
Collection « Épitome musical »
Sommaire Remerciements 9 Introduction 11 Questionner l’histoire sociale de la coutume Terrains 14 Méthodologie, corpus et sources 16 Structure de l’ouvrage 18
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Chapitre 1. Les ménétriers dans la société d’ordres. Musique, fêtes et pouvoir sous l’Ancien Régime 23 Bayonne : la fête prescrite et la réquisition des ménétriers 23 Accompagner le cycle rituel ordinaire 24 Rehausser les festivités exceptionnelles 25 Tambourins et ménétriers bayonnais : un statut social ambivalent 32 Saint-Jean-de-Luz et Ciboure : une articulation plus prononcée entre danse et musique 34 Occasions de jeu 34 Au service de la danse 39 Instruments et provenance des ménétriers 43 Rôles, fonctions et statuts des ménétriers en milieu rural 45 Les fonctions de la musique : de la fête au travail 45 Statut social des tambourins et ménétriers 49 Mobilités transfrontalières des ménétriers 56 Chapitre 2. La dispute de la danse : controverses théologiques, politiques et territoriales sous l’Ancien Régime 59 Le clergé, le ménétrier et la danse 59 Les ménétriers, la danse protocolaire et les conflits de préséance 65 Les élites civiles et la régulation de la danse 75 Chapitre 3. Le Sacre des ménétriers : métiers bayonnais et musiciens de métier 81 Corps de ville, fête du Corps, corporations 81 Corps de ville et régulation du Sacre 81 Les corporations au cœur du Sacre, le Sacre au cœur des corporations 82 Entre marche et marché : indispensables ménétriers 84 Instruments 84 Contrats 86 Provenance 87 Controverses 88
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Fête sacrée et fête profane 89 La lutte des places ou la mise en scène des tensions internes aux corporations La fin de l’Ancien Régime : un rituel contesté 96
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Chapitre 4. L’épée et le soleil. Mutations et permanence des symboles rivaux de la Fête-Dieu en Pays Basque rural 101 La Fête-Dieu comme espace de représentation sous l’Ancien Régime 101 La paraliturgie des milices provinciales 101 Paroisses côtières et célébrations civico-religieuses de la Fête-Dieu 102 Labourd intérieur : milices, poudre, et tambourins 104 De la milice à la Garde nationale : la Besta Berri adaptée au xixe siècle 106 Changements de régimes, continuité de la Fête-Dieu 106 D’une institution à l’autre : la Garde nationale comme représentation de la jeunesse Les politisations rivales de la Fête-Dieu sous la IIIe République 111 Besta berri au plus près : la polysémie obstinée de la Fête-Dieu à Itxassou 113 Déroulé des cérémonies 113 La nature, l’espace et le cosmos 119 Mémoires : la croix de La Havane et les maisons infançonnes 121 Marginalisation de la xirula, prestige de la « musique » 122 Les mutations silencieuses de la coutume 125 Une charge symbolique persistante 125 Après 1945 : entre continuité et changement silencieux 127 Mutations et incertitudes 130
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Chapitre 5. Le métier de sonneur : marginalisation et (re)découverte incomplète des ménétriers (xixe–xxe siècles) 133 Adaptations et ajustements : la musique ménétrière au gré des changements de régimes 133 Les ménétriers et la fête révolutionnaire : entre fête prescrite et fête proscrite 133 Milieux urbains et appel aux danseurs basques : apogée et déclin des Entrées dansées 137 Un ménétrier indispensable aux rituels intracommunautaires : la dantza luzea (danse longue) comme dispositif symbolique 144 Le ménétrier comme marginal nécessaire 153 Des autorités à la jeunesse : le transfert de la contractualisation des ménétriers en milieu rural 153 Sociographie des ménétriers : la persistance d’un statut social modeste 156 Le curé, le théologien et le sonneur : le renouveau de la vieille dispute 158 Tergiversations de la puissance publique 163 La marginalisation du marginal 164 Nouvelles concurrences sur le marché des sonneurs 164
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Les gros bourgs, les fanfares et la pénétration du politique 167 Le nouveau goût des élites et la mise à l’écart du tambourin 167 La (re)découverte incomplète du ménétrier 169 L’institutionnalisation des tamborileros au Sud : un contre-modèle ? 170 Au Nord : entrepreneurs identitaires et valorisation sélective de la science du peuple Une évolution contrastée selon les territoires 172 Chapitre 6. Désordre public et ordre social : les mutations des usages sociopolitiques du charivari La sanction par la coutume : formes, causes et usages sociaux du charivari 180 Formes 180 Des expressions multiples 180 Variantes territoriales 186 Causes morales et/ou causes sociales ? 187 Une politisation relativement faible du charivari 193 Ancien Régime : un charivari faiblement politisé et relativement toléré 193 Le charivari contre la Révolution 197 Charivari et dissidences au xixe siècle 200 La IIIe République et la politisation formelle du charivari 204 La sanction de la coutume 207 Le juge, le sous-préfet et la lente pénétration de l’État 208 Ambivalences du maire 210 Hostilités cléricales 213 Mort et résurrection de la coutume : vers une politisation formelle ? 214 Changement social et déclin de la coutume 214 Le renouveau des tobera mustrak 215 Conclusion. Le tambourin et ses deux sociétés 225 Le don, l’association et le contrat : les traditions dansées comme formes d’échanges Les danseurs et les maisons : le modèle du don 226 Les danseurs entre eux : le modèle coopératif 228 Les danseurs et le ménétrier : le modèle du contrat 230 Le mendiant et la maison : le modèle caritatif 232 Le pouvoir et la fête : le modèle de la prescription 233 Le travail de la tradition 235 À la lisière du politique 235 La sécularisation interne de la tradition 237 Vers la patrimonialisation de la tradition ? 241
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Lexique 243 Sources et bibliographie 245 Table des illustrations et crédits photographiques
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Cartes Planche 1. Provenance des ménétriers retenus à Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure sous l’Ancien Régime 100 Planche 2. Charivaris, tobera mustrak, cavalcades et pastorales en Labourd et Basse-Navarre 222 Tableaux 1. Ménétriers et célébrations exceptionnelles à Saint-Jean-de-Luz (fin xviie–xviiie siècles) 36 2. Passages de personnalités à Saint-Jean-de-Luz et Ciboure 37 3. Musiciens cagots bas-navarrais relevés par J.-Cl. Paronnaud 50 4. Traditions dansées et formes d’échange 235 Figures 1. Ménétriers rétribués par la ville de Bayonne pour la Pentecôte 25 2. Ménétriers commandités par la Compagnie des marchands merciers et drapiers de Bayonne pour la Fête-Dieu 85 3. Motifs de charivaris poursuivis en justice, an X–1936 188 4. Sujets de parades charivariques, 1800–2020 191 Index
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Mañex Malharin, gure attito xaharra zenari, bere denboran Uharte-Hiriko gazteriari dantza jauziak erakasten zituenak À la mémoire de mon arrière-grand-père Mañex Malharin, qui en son temps enseignait les sauts à la jeunesse d’Uhart-Mixe Biziaren dantza luzean beti lagundu gaituzten aita eta amari À nos parents
Remerciements Je remercie Philippe Vendrix, Vincent Besson, Philippe Canguilhem, Luc Charles-Dominique, Denis Laborde et l’Institut culturel Basque-Euskal Kultur Erakundea pour leur soutien à ce projet éditorial. Merci à Armelle Jézéquel, au Centre Émile Durkheim, pour la préparation éditoriale minutieuse du manuscrit, à Perrette Blanchet et Caroline Sagat (Centre Émile Durkheim) pour l’illustration de couverture, à Olivier Pissoat et Pablo Salinas Kraljevich (PASSAGES) pour les cartes. Merci au personnel des différents fonds d’archives consultés pour leur aide constante et notamment Nathalie Rebena aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, JeanLouis Fourcade au Journal de Saint-Palais, Sabine Cazenave, Alain Arnold et Marie-Hélène Déliart au Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne, Marie-Andrée Ouret à la Médiathèque de Bayonne, le personnel de la Bibliothèque nationale de France. Cet ouvrage est le fruit de longues années de recherches et de rencontres. Je tiens à remercier en premier lieu les anciens qui m’ont fait partager leurs souvenirs mais aussi leurs questionnements vis-à-vis de l’évolution de pratiques fragiles. Le terme d’« informateurs », à connotation vaguement policière, ne convient pas pour qualifier une relation plus profonde, parfois de maître à élève, lorsqu’il s’agit de danse et de musique. Cet ouvrage espère ne pas trahir leur pensée. Ce travail a ensuite été motivé par la fréquentation de chercheurs, praticiens, musiciens et danseurs porteurs d’une approche vivante des traditions, basques ou d’ailleurs, et tout particulièrement Mirentxu Aguerre, Oier Araolaza, Iñaki Arregi, Mixel Aurnague, Jean-Mixel et Marcel Bedaxagar, Pantxix et Yves Bidart, Marie Bidart-Hirigoyen, Xavier Cabantous, Patrick Calvet, Andde Carrere, Jon Casenave, Samy Daussat, Emilio Xabier Dueñas, Mikel Duvert, Mostafa El Harfi, Jakes, Maite, Mikel et Pierrot Erramouspé, Johañe Etchebest, Michel Etchecopar, Pantxoa Etchegoin, Marcel Etchehandy, Peio Etcheverry, Xabi Etcheverry, Johañe Etchebest, Roger Goyhenetche, Jean-Michel Guilcher, Pierre Haira, Xan Ipharraguerre, Felix Iriarte, Jokin Irungaray, Claude et Jon Iruretagoiena, Roldan Jimeno, Christophe Juste « Kutx », Xabier Kerexeta, Claude Labat, Patxi Larralde, Mirentxu et Laura Lazcano, Aitzpea Leizaola, Terexa Lekumberri, Antton Luku, Panpi Luro, Arkaitz Miner, Céline Mounole, Jean-Michel Noblia, Denise Olhagaray, Didier Teilagorry, Thierry Truffaut, Miguel Angel Sagaseta, Félix Salaburu, Juan Antonio Urbeltz, Maria Josefa Velasco, Xarlex Videgain. J’ai bénéficié des échanges avec les habitants des villes et villages qui m’ont sollicité à l’occasion d’une conférence, de l’organisation d’une cavalcade, d’un
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carnaval, d’une Fête-Dieu ou simplement pour partager un moment de musique ou de danse, et ce notamment à Anglet, Antzuola, Arrosa, Ayherre, Basauri, Bayonne, Biarritz, Bidarray, Bilbao, Bonloc, Bordeaux, Burguete, Cambo, Hasparren, Itxassou, Louhossoa, Macaye, Mendionde, Ossès, Irissarry, Pampelune, Renteria, Saint-Jean-de-Luz, Saint-Martin-d’Arrossa, Saint-Pée, Saint-Sébastien, Sare, Tardets, Tolosa, Urrugne, Ustaritz. J’ai tiré profit des échanges avec les collègues sociologues, politistes, historiens, ethnologues, ethnomusicologues. Je pense notamment à Lionel Arnaud, Denis Constant-Martin, Christian Coulon, Magali Della Sudda, Luc CharlesDominique, Armelle Gaulier, Claudette Gilard, Denis Constant Martin, Donatella della Porta, Jacques Faget, Ilaria Favretto, Pino Gala, Jean-Michel, Mône et Yvon Guilcher, Ronan Hervouet, Denis Laborde, Laurent Le Gall, François Gasnault, François Ploux, Antoine Roger, Naïk Raviart, David Recondo, Olivier Roy, Andy Smith. Je remercie mes collègues du Centre Émile Durkheim à Sciences Po Bordeaux et ceux de l’Institut universitaire européen à Florence pour leur tolérance à l’égard d’une recherche confidentielle et éloignée des standards de la discipline. Enfin, je sais ce que je dois aux itsasuar, à ma famille et, une fois de plus, à Fabienne et à Amaia.
Introduction Le 18 janvier 1847, Jean Dallié, percepteur des contributions directes et habitant de Saint-Pierred’Irube aux portes de Bayonne, est attaqué sur la route du village voisin de Villefranque, rossé de coups de bâtons et volé. L’enquête policière qui s’ouvre alors vise Salvat Etchart, un jeune laboureur de 19 ans originaire du lieu et domestique à Bassussarry. Etchart est soupçonné d’avoir attaqué le percepteur afin de pouvoir régler une dette qu’il aurait contractée auprès de l’aubergiste de la maison commune de Villefranque à l’occasion de la séance de danse dominicale. L’on apprend à cette occasion l’existence dans ce village d’une « société du tambourin » qui consiste en une association de jeunes danseurs qui se réunit chaque dimanche avec un violon entre Pâques et l’Avent. Des associations du même type se retrouvent à cette époque dans les villages environnants. Banale a priori, l’association des danseurs ainsi structurée en dit pourtant long sur le registre de coopération qu’elle institue au sein de la jeunesse du village, sur la relation contractuelle des danseurs avec le ménétrier ou encore sur l’importance, tout simplement, de la danse (en l’occurrence, le saut basque) comme divertissement régulé et codifié. Un examen plus serré des pièces de procédure permet également d’en caractériser socialement les participants, pour l’essentiel de condition modeste. Sommé lui aussi de témoigner, le maire de Saint-Pierre-d’Irube rapporte avoir entendu des cris depuis la route de Villefranque. Pensant qu’il s’agit là des jeunes gens du village rentrant d’une fête à Biarritz, il voit qu’une voiture s’arrête. « Je pensais alors » précise-t-il, « que cet individu était Mr Dallié parce que la voiture ne se serait pas arrêtée pour un paysan et qu’il n’y a guère que lui de sa classe qui passe à pied à une pareille heure sur cette route »1. Dans sa brièveté, son observation renseigne de façon lapidaire sur les hiérarchies sociales en vigueur dans la société locale, un an avant les soubresauts de 1848. L’exemple, pour anecdotique qu’il soit, se veut métaphore de la démarche générale qui oriente cet ouvrage. La « société du tambourin » doit être entendue à un double sens. Elle renvoie à la fois aux formes de structuration et de coopération de groupes sociaux – ici, une forme actualisée des anciennes sociétés de jeunesse – autour de la danse, de la musique et de leurs cadres d’exécution (récréatifs, rituels, protocolaires ou calendaires). Mais l’expression renvoie également à la société locale dans son ensemble. La danse, la musique et la fête en disent plus qu’elles-mêmes. Elles sont à la fois des productions esthétiques et sociales, produites dans des contextes singuliers, historiquement et socialement situées. La fête est institution, au sens sociologique d’ensemble stabilisé de règles, normes et de conventions qui participent aux formes de régulation, de solidarité mais aussi de tensions, de hiérarchisations et de déséquilibres, de la société qui la produit. Questionner l’histoire sociale de la coutume Dans cette double perspective, l’ouvrage propose une sociologie historique de la fête et de la musique populaire en Pays basque Nord ou de France depuis la fin du xvie siècle jusqu’à nos jours.
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Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (AD 64), 2 U 453, Cour d’assises des Basses-Pyrénées, 18 janvier 1847.
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Il s’inscrit dans une tradition intellectuelle classique mais périodiquement renouvelée consistant à relire les permanences et mutations des fêtes et des traditions populaires au prisme de l’histoire des mentalités, de l’histoire sociale et de la sociologie historique du politique. En 2008, l’historien Jean-Claude Schmitt signalait l’actualité chez les médiévistes d’un programme de recherche croisant anthropologie et histoire et renouvelant les problématiques anciennes sur plusieurs chantiers, dont celui des rites, des rituels et de la liturgie, y compris les rituels inversés du type carnaval ou charivari (Schmitt 2008). En 2010, et cette foisci du côté des anthropologues, Jean-Pierre Albert soulignait lui aussi l’actualité persistante du défi posé dans les années 1970 par les ethnologues inspirés de l’histoire dite des mentalités : Pour les ethnologues, l’enjeu était plutôt d’inscrire dans une longue durée culturelle certains éléments de leurs collectes et d’en esquisser une généalogie historique crédible, de manière à s’inscrire en faux contre les « théories des survivances », toujours enclines à sauter par-dessus l’histoire effective pour s’installer confortablement dans le territoire indécis des origines (païennes, celtiques, etc.). (Albert 2010 : 3)
Le confort en question a été particulièrement pratiqué en terrain basque. Pour s’extraire des généralisations abusives sur « le territoire indécis des origines » des danses, musiques, fêtes ou rituels, il est nécessaire de croiser anthropologie, histoire et, rajouterions-nous, sociologie politique. En la matière, l’on trouvera source d’inspiration dans des travaux comme ceux, en France, de Luc Charles-Dominique, qui a développé une ethnomusicologie historique des musiques ménétrières (Charles-Dominique 1994) ou, plus récemment, des transferts culturels entre ménétriers et tsiganes autour des bandes de violons en Europe (Charles-Dominique 2018). Étonnamment, les usages coutumiers du Pays basque, pourtant réputés à la fois pour leur exceptionnelle longévité et pour leurs transformations constantes, n’ont pas encore été considérés sous cet angle. J’y vois une double raison. D’une part, les travaux sur l’histoire sociale et politique du territoire ne se sont pas penchés sur la fête et ses mutations ou l’ont traité au mieux comme un simple miroir des relations de pouvoir entre élites locales et classes populaires. Le sort fait à la fête et aux coutumes populaires dans ces recherches rappelle, en bien des points, celui fait à la religion : ce sont là des dispositifs vus avant tout comme symboliques, qui n’ont pas véritablement d’autonomie et qui reflètent des idéologies et rapports de force noués ailleurs. Obnubilés par la fabrique identitaire, les observateurs des mobilisations territoriales basques ont très souvent réduit les fêtes, danses et musiques à de simples instruments symboliques mis au service d’un projet culturel et/ou politique. En voulant se démarquer radicalement des approches primordialistes et essentialistes de l’identité, beaucoup de travaux sur les mobilisations identitaires basques sont tombés dans le travers inverse: celui d’un constructivisme radical réduisant l’identité à un discours. Les pratiques sociales que sont la danse, la musique ou le théâtre populaire, ne sont alors plus appréhendées pour elles-mêmes, mais exclusivement au prisme des usages idéologiques qu’en font les fabricants de la « singularité basque » (Bidart 2001) depuis la seconde moitié du xixe siècle. Or, même une approche constructiviste de l’identité ne peut faire l’économie de l’histoire des ancrages sociaux et institutionnels qui fondent sur le long terme la fabrique des identifications, des images sociales et des appartenances (Avanza, Laferté 2005).
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Quelques exceptions heureuses existent, sans concerner directement notre objet. À ce titre, l’enquête de Denis Laborde (2005) sur les bertsulari (improvisation chantée) est exemplaire en ce que, loin de se borner à l’analyse des usages politiques du bertsularisme, elle interroge également les jeux de mémoire, de langue et d’esprit qui fondent l’art réglé de l’improvisation. D’autre part, l’approche de sociologie historique qui est proposée ici entend commencer à combler une deuxième lacune paradoxale. Paradoxale, au sens où si la fête basque a fait l’objet de très nombreuses approches ethnographiques, anthropologiques, sociologiques avec des travaux à bien des égards définitifs décrivant de façon systématique les agencements moteurs et sonores des rituels et leur contexte social, la dimension diachronique de ces pratiques a été peu considérée. Outre la collecte proprement dite, certains de ces travaux se sont focalisés sur l’anthropologie symbolique du matériau ainsi recueilli, d’autres sur la signification sociologique contemporaine des rituels et pratiques festives. L’enquête majeure réalisée par Jean-Michel Guilcher (1984) sur la tradition de danse en Pays basque et en Béarn se singularise dans ce panorama dans la mesure où, laissant de côté la question du sens symbolique originel des rituels, sa recherche s’est interrogée à la fois sur le sens contemporain de la fête dans la société rurale qu’il observe entre 1962 et 1976, et sur l’historicité des antécédents, y compris citadins, des formes chorégraphiques et musicales. À partir d’une perspective d’histoire de la danse populaire, J.-M. Guilcher a sans doute été le premier observateur averti à disséquer le fonctionnement de la tradition et à souligner l’historicité des pratiques festives, permettant de circonscrire les permanences et les changements des formes et du sens. À quelques exceptions près, peu de connaissances nouvelles sont venues renouveler radicalement les conclusions de son enquête orale menée dans 176 villages basques et béarnais auprès d’informateurs nés parfois durant les dernières décennies du xixe siècle. Les enquêtes ultérieures sont venues enrichir cette somme en approfondissant, auprès de générations plus jeunes, les mécanismes de la transmission de la tradition voire les usages de la tradition dans des contextes de mutations sociales. Si le travail de Guilcher appelle prolongement, celui-ci concerne d’une part l’évolution, à partir de sources historiques complémentaires, des contextes sociohistoriques d’exécution des rituels dansés, le rôle et statut spécifique des ménétriers d’autre part. Cet ouvrage s’attache à explorer ces deux dimensions. Reprendre le chantier a aussi ses raisons contemporaines. Cet ouvrage a été initialement motivé par le constat, banal à bien des égards, de l’activation constante et inédite de la tradition comme registre de justification dans la société basque contemporaine. Cette mobilisation est patente dans bien des secteurs et domaines d’activité. La tradition est, bien entendu, invoquée dans le renouveau des traditions festives, chorégraphiques et musicales, mais elle est également au cœur d’une dynamique transversale de patrimonialisation, y compris d’une économie territoriale trouvant dans la tradition et la fabrique de la spécificité territoriale une ressource (Colletis et Pecqueur 2018) propice à dégager des niches d’activité. À y regarder de plus près, et en se limitant à l’objet de cet ouvrage, à savoir les pratiques festives traditionnelles, l’invocation de la tradition renvoie à des registres de justification extrêmement différents, voire à des lectures sociopolitiques parfois diamétralement opposées. La tradition pourra servir dans tel contexte à justifier la présence d’une escorte armée de la procession du Saint-Sacrement, que d’aucuns verront comme incarnant l’ancienne alliance du trône et de l’autel. À l’inverse, les charivaris, qui font l’objet d’une reprise depuis
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les années 1990 en Basse-Navarre et en Labourd, seront relus par leurs promoteurs contemporains comme des dispositifs codifiés de contestation sociale par la satire, qui prennent dès lors un sens subversif à chaque nouvelle occurrence de cavalcade, tobera mustra ou autre libertimendu. Le registre de la patrimonialisation, enfin, conduit à relire des usages coutumiers au prisme d’une relecture en valeurs bien distincte, qui fait de ces pratiques des objets potentiels de politiques culturelles. La tradition est surtout l’argument ultime mettant un terme à la controverse sur le sens contemporain des pratiques coutumières en se référant d’abord à un régime de transmission plutôt qu’à une orientation politique ou idéologique prédéfinie. Ce double constat de l’omniprésence et de la plasticité du recours à la catégorie sémantique de la tradition appelle lui-même une double élucidation. La première consiste à observer les multiples usages contemporains de la tradition. Plusieurs travaux de sciences sociales s’y sont récemment attelés, sans qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Tradition équivaut alors pour l’essentiel à argument identitaire. La seconde direction de recherche, moins fréquentée, consiste à prendre au mot les invocations du passé portées par la tradition et à s’attacher à élucider les régimes d’historicité dont ceux-ci se réclament. Si la tradition renvoie d’abord à un héritage, il faut le disséquer, le périodiser et le spécifier. L’intemporalité associée aux traditions renvoie généralement dans la mémoire collective à deux, au mieux à trois, générations. Et au-delà ? Interrogeant dans les années 2000 un jeune labourdin, un collègue anthropologue s’entendra souligner le caractère immémoriel et ininterrompu d’un carnaval que l’anthropologue en question avait lui-même contribué à relancer dans les années 1980 dans un village où l’usage était tombé en désuétude depuis longtemps. La qualification même de traditionnelle accolée à une pratique sociale autorise l’approximation historique. Tout se passe au fond comme si le temps long des mentalités, qui sous-tend la supposée permanence de l’usage, s’opposait au temps court de l’événement historique. Or, et ce n’est pas une découverte (Lenclud 1987), les traditions ont bien une histoire. Pour en restituer l’épaisseur, le sociologue ou le politiste doivent s’extraire des poncifs sur les mobilisations identitaires contemporaines, s’armer méthodologiquement et emprunter à l’historien sa soumission aux sources. Au risque de s’exposer à la rareté des sources en question et à ses propres lacunes en la matière, le métier d’historien tout comme celui d’anthropologue ne s’improvisant pas au sociologue du politique. C’est pourtant le pari auquel s’attelle le présent ouvrage, en proposant de résoudre l’énigme du recours contemporain omniprésent à la catégorie de tradition par la restitution de l’historicité des pratiques sociales qui y sont associées. Terrains Une telle posture de recherche – davantage qu’une hypothèse à proprement parler – sera mise à l’épreuve dans des pays situés en Pays basque Nord ou de France. Cette première limitation a ses raisons. La première tient à la faisabilité d’une perspective résolument orientée vers la longue période, et qui aurait rendu impossible la mise en œuvre systématique d’une méthodologie archivistique comparable des deux côtés de la frontière. La seconde raison vient du décalage entre une littérature déjà très fournie pour le sud de la frontière, et les lacunes soulignée pour le nord. Les traditions dansées et festives en général ont fait l’objet ces dernières années d’une littérature consi-
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dérable en Pays basque sud, s’inscrivant à la fois dans la tradition de l’ethnographie descriptive du folklore2, de l’anthropologie structuraliste et symbolique (Urbeltz 1994, 2000), de l’anthropologie politique (voir les travaux récents sur la question des inégalités hommes-femmes dans les pratiques festives, notamment Araolaza 2020 ; Bullen et Egido 2004), mais aussi de la sociologie historique des usages festifs, des danses et des musiques (Sánchez Ekiza 1999, 2005 ; Bidador 2005 ; Aranburu Urtasun 2008 ; Bikandi 2009 ; Ramos 1990a et b). Mal connue en France, cette littérature très riche est en soi une invite à la comparaison pour le Pays basque nord. Au-delà de la comparaison, elle informe également sur ce qui a traversé une frontière plus labile qu’il n’y paraît. La seconde limitation concerne le Pays basque nord lui-même. L’optique méthodologique orientée vers la longue durée ne permet pas de couvrir l’ensemble du territoire. Le choix a été fait de se concentrer sur les provinces de Basse-Navarre et surtout du Labourd, en limitant les références à la Soule à des mentions et comparaisons ponctuelles. Province la plus orientale, la Soule est pourtant, depuis la seconde moitié du xixe siècle, vue à juste titre comme le conservatoire des traditions dansées et des rituels qui y sont associés, pastorales d’été et mascarades hivernales en tout premier lieu. De ce même fait, les traditions de la Soule ont été très largement étudiées, au point qu’une histoire de l’anthropologie basque, de ses courants et de ses controverses pourrait s’y effectuer en égrenant les travaux consacrés à la pastorale, à la mascarade, à la danse ou au chant souletin depuis les écrits précurseurs de A. Chaho ou de J. Badé au milieu du xixe siècle. J.-M. Guilcher, encore lui, a informé de façon définitive la façon dont la technique moderne de la danse souletine résultait d’une combinaison entre l’enseignement militaire des points de principe et le répertoire ancien des sauts basques, combinaison qui devait se cristalliser et connaître son apogée entre 1870 et 1914. L’art savant qui s’y développe alors le doit autant à la capacité exceptionnelle d’un milieu de paysans, de bergers et d’artisans à la réception, l’assimilation et la réinvention, qu’à celle d’individus, ces maîtres de danse qui jouent le rôle de courtiers entre l’institution militaire et les groupes de pairs qui structurent alors la sociabilité souletine. Miguel Angel Sagaseta Ariztegi (2011) et Jean-Michel Bedaxagar (2018) ont actualisé cette approche avec une prosopographie des maîtres de danse et ménétriers souletins depuis la fin du xixe siècle3. On l’a dit, la Soule a été très largement étudiée sous cet angle. Si nouvel apport il devait y avoir en terrain souletin, il concernerait l’étude des pratiques dansées et musicales durant les périodes antérieures au milieu du xixe siècle. Faute de sources pertinentes et dans un souci de limitation de l’espace considéré, l’ambition dépasserait largement celle de la présente étude. Les usages dansés et festifs des pays labourdins et bas-navarrais ont été nettement moins considérés. Ce manque d’intérêt le doit d’abord à un effet ricochet du prestige de la Soule, qui a relégué les pays voisins – la remarque vaudrait probablement également pour les pays béarnais qui bordent la Soule à l’Est – au rang d’expressions mineures d’un art poussé à son extrême entre Etcharry et Sainte-Engrâce. Or, loin de ne constituer qu’un dégradé des usages souletins, les 2 • 3 •
Voir notamment la revue Dantzariak et les revues de la Société d’études basque Jentilbaratz. Cuadernos de Folklore ; Zainak. Cuadernos de Antropología Etnografía ou encore les Cuardernos de etnología y etnografía de Navarra. Sans parler des nombreux travaux de linguistique et de littérature sur les textes des pastorales et farces charivariques souletines (voir entre autres Oyharçabal 1992 ; Urkizu 1998).
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traditions dansées du Labourd et de Basse-Navarre ont eu leur histoire propre, dont l’évolution mérite élucidation. « Espelette n’est pas en Soule » écrit, un brin condescendant, Georges Hérelle (1924 : 515) à propos de la faible qualité littéraire, selon lui, des chants composés à l’occasion du charivari contre le mariage d’une fille du pays avec un juge de paix protestant en 1828. Or, serait-on tenté de répondre, c’est précisément parce qu’Espelette n’est pas en Soule qu’il convient de regarder un peu plus précisément ce qui s’y est joué. Le croisement d’influences venues de la Basse-Navarre, de la Côte, de la Navarre, du Guipuzcoa et d’ailleurs a donné à ce pays une trajectoire singulière, que l’on entend décrypter ici. Sur ce plan également, cet ouvrage n’arrive pas en terrain vierge. Des enquêtes minutieuses ont porté sur l’ethnographie du carnaval labourdin contemporain (Truffaut 2006), sur les interprétations des carnavals et traditions charivariques de Basse-Navarre (Aurnague 1993 ; Luku 2014 ; Sagaseta 2011). Plus récemment, des historiens ont également consacré des études à l’histoire de la musique religieuse et populaire en Pays basque et au Béarn au tournant des xviiie et xixe siècles (Velasco 2017) ou encore à la Pamperruque, danse protocolaire bayonnaise sous l’Ancien Régime (Olascuaga 2017). Ces travaux constituent autant d’apports précieux et ont valeurs de sources pour la présente étude, qui s’efforcera de les compléter par le recours à des méthodologies complémentaires. Méthodologie, corpus et sources L’étude repose sur quatre types de sources, dont le croisement informe la perspective à la fois ethnographique, sociologique et historique qui sous-tend notre problématique. Ces sources étant présentées de façon systématique en fin d’ouvrage, je n’en signalerai ici que les principales composantes. Si le sociologue entend se composer historien, il doit en assumer également les techniques d’enquêtes. La première difficulté, en l’occurrence, vient de la constitution d’un corpus archivistique cohérent et systématique autour des questions soulevées ici. Où sont les fêtes, les musiciens et les danseurs ? La fréquentation assidue des travaux des historiens des mentalités et de l’histoire sociale (Yves-Marie Bercé, Alain Corbin, François Ploux, Laurent Le Gall) et plus spécifiquement de l’« école pyrénéenne » (Déloye 2007) de sociologie historique du politique (Édouard Lynch, Peter McPhee, Jean-François Soulet, Christian Thibon pour le xixe siècle, Christian Desplat pour l’époque moderne, Daniel Fabre pour l’anthropologie historique), devait donner quelques pistes méthodologiques précieuses quant au repérage des fonds d’archives. Le dépouillement de fonds des rares milieux urbains sous examen – essentiellement Bayonne et Saint-Jean-de-Luz-Ciboure – a permis d’extraire des données précieuses sur les fêtes dans les registres de délibérations, ordonnances, registres de comptabilité, justice locale, corporations. À la différence des villes, où fêtes et divertissements sont généralement bien documentés, du moins concernant la fête prescrite, il reste plus difficile de repérer à l’échelle du village des éléments informant sur la nature et le devenir de pratiques contrôlées essentiellement par la jeunesse comme classe d’âge, qui laisse peu de traces archivistiques. Les fonds d’archives spécifiquement consacrés aux fêtes, danses et musiques, n’existant pas en tant que tels sur le territoire considéré, il a fallu dès lors biaiser et élargir considérablement le faisceau de l’enquête afin de constituer un corpus de données consolidées. Aux Archives départe-
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mentales des Pyrénées-Atlantiques, les délibérations et registres de comptabilité des communautés villageoises labourdines et bas-navarraises voisines ont été sondés pour l’Ancien Régime et, pour plusieurs villages, dépouillés. Pour la période révolutionnaire et le xixe siècle, les registres de délibération, les budgets, les arrêtés municipaux et la correspondance des maires ont été consultés soit aux Archives départementales soit en mairie. Ces sources ont permis de fournir, pour la période contemporaine, des éléments précieux sur quelques subventions de fêtes ou de défraiements de danseurs et de ménétriers financés par l’autorité locale, sur les échanges avec l’administration judiciaire et préfectorale à propos des fêtes et charivaris. Un corpus de charivaris (nocturnes et diurnes ou « parades ») depuis la fin du xviiie siècle jusqu’à nos jours a pu être constitué à partir du croisement entre les sources judiciaires dépouillées (justice de paix cantonales, tribunaux de première instance, cour d’assises), la presse, les récits de voyage et témoignages. Quelques évènements liés à des disputes, à l’issue parfois tragique, sur la danse et la musique lors des fêtes votives, carnavals voire Fête-Dieu ont été repérés grâce à l’archive judiciaire. Des sondages ont été effectués dans les fonds judiciaires d’Ancien Régime pour le Labourd et la Basse-Navarre. Aux Archives départementales de la Gironde, la série d’affaires criminelles du tribunal du bailliage Labourd ayant été portées en appel au Parlement de Bordeaux de 1684 à 1790 a été dépouillée et exploitée. La presse a constitué une ressource des plus précieuse afin de dater certaines pratiques, d’en reconstituer la forme, mais aussi de mesurer les processus de politisation dont elles ont pu faire l’objet. Des sondages ont été effectués dans les titres apparus au cours du long xixe siècle : L’Ariel – Le courrier de la Vasconie, le Courrier de Bayonne, la Semaine de Bayonne, le Mémorial des Pyrénées. Certains journaux ont fait l’objet d’un dépouillement systématique, en particulier à partir de la IIIe République : l’hebdomadaire clérical bascophone et francophone Eskualduna (1887–1944), le journal catholique monarchiste Eskual Herria, leurs adversaires républicains, également bilingues, Le Réveil basque (1886–1894), Euskal Herria-Le Pays Basque (1898–1914) et Argitzalea (1910–1913). Des sondages ont été effectués dans d’autres organes de presse locaux d’importance mineure : Le journal de Saint-Jean-de-Luz, le Libéral bayonnais, Le journal de Bayonne, Le Journal de SaintPalais, La revue thermale et climatique, La revue de Saint-Jean-de-Luz, Cambo-journal, La Frontière du Sud-Ouest, La petite Gironde, Berma, etc. Pour l’après Seconde Guerre mondiale, l’hebdomadaire entièrement bascophone Herria a été dépouillé entre 1944 et 1970, et des sondages ont été effectués dans la presse francophone. La presse de la diaspora basque, désormais numérisée et accessible par le portail Bilketa, a également été consultée et certains titres dépouillés, notamment Californiako Eskual Herria (Los Angeles, 1893–1897), Eskual Herria (Buenos Aires 1898), La Euskaria (Buenos Aires 1906–1912). Les très nombreuses revues d’études basques parues aux tournants des xixe et xxe siècle ont été dépouillées ainsi que bon nombre de références littéraires basques. Les fonds proprement ethnographiques (textes, manuscrits, photographies, partitions et recueils de sauts basques, iconographies) ont été consultés à la Médiathèque de Bayonne (notamment les fonds Hérelle et le fonds Lafitte), au Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne, aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques aux Archives nationales (fonds Duvoisin et fonds Abbadie). Référence plus détaillée y sera faite au fil du texte. Quelques découvertes fortuites de carnets de chants, notes de terrain ou autres ont pu alimenter ce corpus. Enfin, je dois beaucoup
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à la transmission d’informations par d’autres chercheurs ayant fréquenté ce terrain avant moi. On se référera aux remerciements pour les reconnaître. Je signalerai simplement l’émotion particulière que m’a procuré Jean-Michel Guilcher, alors âgé de 94 ans lorsqu’à son domicile de Meudon en 2008, il me transmettait ses notes de terrain prises en 1972 dans mon village, auprès d’une personne dont j’avais moi-même interrogé le fils, lui-même devenu entretemps octogénaire, un quart de siècle plus tard. La transmission prend de multiples visages. Enfin, des entretiens semi-directifs de type ethnographique et comprenant parfois une dimension de collectage ont été menés depuis 1991 auprès des générations les plus âgées dans les villages du Labourd intérieur (Ustaritz, Cambo, Espelette, Louhossoa, Macaye, Mendionde, Itxassou, Halsou, Hasparren, Bonloc) et dans la Basse-Navarre voisine (Saint-Esteben, Hélette, Iholdy, Armendarits, Baïgorry, Irissarry, Bidarray, Ossès, Les Aldudes). En 2008, les observations effectuées à Itxassou ont été approfondies en effectuant une dizaine d’entretiens filmés de personnes âgées dans le cadre d’un programme de collecte initié par la municipalité avec la télévision de pays Aldudarrak bideo. À la différence des entretiens effectués dans le même village parfois plus de quinze années auparavant et avec des personnes plus âgées, cette nouvelle salve s’est révélée particulièrement riche dans la mesure où le questionnement sur les fêtes était intégré dans un canevas d’interrogations plus générales sur les conditions matérielles de la vie quotidienne et sur le poids des évènements historiques, et singulièrement des guerres, sur le changement social. La réintégration du temps historique dans l’analyse permettait ainsi de gommer l’impression, présente lors de la première vague d’enquête, d’un isolat ethnographique dont la temporalité était définie par la césure entre un avant coutumier et un aujourd’hui désenchanté. Nos interlocuteurs de 2008 réfutaient cette vision en réintégrant l’histoire de la fête dans le fil de leur propre vie. J’ai bénéficié également d’échanges et témoignages recueillis à l’occasion de conférences données dans plusieurs villages du Pays basque, du Nord comme du Sud, depuis le milieu des années 1990. L’observation participante, enfin, à bon nombre de pratiques festives, dansées et musicales a informé implicitement les analyses qui en sont restituées ici. Structure de l’ouvrage Outre la présente introduction, six chapitres et une conclusion composent la trame de cet ouvrage. Le premier chapitre « Les ménétriers dans la société d’ordres d’Ancien Régime ». explore, à partir des sources disponibles les fonctions et le statut social des ménétriers basques sous l’Ancien Régime. Le chapitre concerne la façon dont la musique ménétrière s’inscrit dans l’espace social de la société d’ordres d’Ancien Régime. Les données recueillies concernent pour l’essentiel les paroisses labourdines. Lacunaire pour les villages, l’information sur les contextes de sollicitation des tambourins et ménétriers sous l’Ancien Régime est plus riche pour les villes. Les cités côtières de Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure constituent à cet égard un bon observatoire de la pratique du métier de ménétrier, pour autant que l’on puisse en juger par des documents d’archives relativement substantiels depuis la fin du xvie siècle. La première section passe successivement en revue les contextes de réquisition et de mobilisation des ménétriers et des danseurs dans la ville de Bayonne, dans la zone portuaire de Saint-Jean-de-Luz-Ciboure ensuite, en milieu rural labourdin enfin. Les
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occasions de jeu, d’une part, se concentrent autour de trois fonctions : accompagnement des milices provinciales, passage de personnalités et fêtes calendaires. Le deuxième chapitre est consacré à « La dispute de la danse : controverses théologiques, politiques et territoriales sous l’Ancien Régime ». Pendants inévitables de leur importance sociale, la musique ménétrière et la danse suscitent également des controverses, qui sont principalement de deux ordres. La première concerne le rapport à l’Église, qui prend des formes plus nuancées qu’il n’y paraît au premier abord. La seconde série de controverses porte sur l’ordonnancement de la danse elle-même, avec à la fin du xviie siècle et au xviiie siècle plusieurs litiges, à l’issue parfois tragique, autour de l’étiquette à haute signification sociopolitique de la danse. Le chapitre 3 « Le Sacre des ménétriers : Fête-Dieu et gouvernement des métiers à Bayonne » propose une lecture des rituels de la Fête-Dieu (appelé ici « Sacre ») dans le Bayonne d’Ancien Régime. Solennisée depuis le xive siècle, le Sacre prend dans cette ville un relief particulier au regard des autres célébrations calendaires, et ce jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Condensée de symboles cosmiques, religieux et sociaux, cette célébration est également un espace politique qui met en scène les relations entre le pouvoir civil et religieux d’une part, mais également et peut-être surtout les relations entre le pouvoir communal et les corporations de métiers ainsi que les relations internes à chaque corporation. Ces dernières jouent un rôle essentiel dans la structuration de la fête, à commencer par la procession. Le chapitre commence par souligner l’importance du Sacre dans la structuration institutionnelle des corporations et de leur rapport à la ville, avant d’observer plus spécifiquement les fonctions, profils et statuts des ménétriers mobilisés à cette occasion. S’extrayant de Bayonne, le chapitre 4 « L’épée et le soleil : mutations et permanences de la Fête-Dieu en Pays basque intérieur » propose une relecture historique transversale, de l’Ancien Régime au xxe siècle, des permanences et transformations des usages sociaux de la Fête-Dieu en milieu rural labourdin et bas-navarrais. Si les festivités et cérémonies de la Fête-Dieu ont, en Pays basque, connu un cérémonial plus modeste que dans le Bayonne d’Ancien Régime, ces fêtes ont néanmoins donné lieu à une ritualité spécifique qui se signale surtout par son exceptionnelle longévité. Alors que les réquisitions des ménétriers et les processions corporatives prennent fin à Bayonne avec la Révolution française, les communes de l’intérieur des terres maintiennent quant à elles un dispositif rituel spécifique pour la Fête-Dieu tout au long du xixe siècle et, pour certaines d’entre elles, jusqu’à nos jours. Cette longévité est due, c’est l’hypothèse de ce chapitre, à la plasticité de la fête, qui parvient à s’adapter aux différents régimes politiques et aux changements sociaux en concédant des changements de surface sans pour autant que les fonctions sociales de la fête ne soient altérées. Surtout, la Fête-Dieu reste ici comme ailleurs un condensé de symboles, y compris rivaux, dont l’hétérogénéité favorise paradoxalement une inscription dans le temps long, avec des mutations permanentes du sens sous couvert de permanence des formes. Les trois premières sections du chapitre proposent une relecture chronologique de l’histoire de la Fête-Dieu rurale sous l’Ancien Régime, durant la parenthèse révolutionnaire et au xixe siècle, à compter de la IIIe République enfin. La dernière section examine le devenir de ce condensé de symboles au miroir d’une étude de cas, avec une sociologie historique de la Fête-Dieu dans le village d’Itxassou en Labourd intérieur.
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Le chapitre 5 « La découverte incomplète du ménétrier aux xixe–xxe siècles » dresse un séquençage historique des usages de la musique à danser et de la sociologie des ménétriers en Pays basque français, depuis le début du xixe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Piochant dans l’ensemble du territoire, le chapitre se concentre particulièrement sur le Labourd intérieur et sur la Basse-Navarre, peu analysés sous cet angle. Comment le musicien « tout court » est-il devenu progressivement et du fait du travail politique des élites culturelles liées au mouvement basque émergent, un musicien « traditionnel », faisant de la sorte osciller son statut entre marginalité sociale persistante et emblème identitaire ? La première partie souligne la façon dont, avant de faire l’objet de sa redécouverte par les mouvements romantiques et régionalistes du xixe siècle, les musiciens bénéficient en Pays basque français d’un statut social ambivalent. Dans la société d’ordre d’Ancien Régime et ses prolongements du xixe siècle, le musicien est à la fois indispensable à la bonne tenue des fêtes et cérémonies, tout en relevant d’un statut social largement subalterne. Parfois qualifié de « champêtre » à partir du xviiie siècle, le musicien est, pour les locaux, simplement sonneur (soinulari). Ce statut social est observé durant la fête révolutionnaire et au cours du long xixe siècle. L’évolution des modalités de contractualisation des ménétriers, entre autorités publiques et sociétés de jeunesse, est analysée ainsi que leurs relations toujours ambivalentes avec le clergé. La seconde partie revient sur la redécouverte sélective des ménétriers par les entrepreneurs identitaires qui s’emploient, dans la foulée du romantisme, à définir une culture basque légitime. À compter du milieu du xixe siècle, la langue, le chant, la danse, les bertsulari et la musique feront l’objet d’une nouvelle attention de la part d’élites culturelles émergentes. Sur le plan de la musique à danser, cette redécouverte est sélective, incomplète et territorialement hétérogène. C’est autant l’écart entre le discours sur la musique et la réalité des pratiques sociales musicales qu’une supposée convergence parfaite qui se donne alors à voir. Le chapitre 6 « Désordre public et ordre social : charivaris et politique » analyse les transformations sur la longue période (xixe–xxe siècles) du charivari, qui se singularise dans ses versions basques moins par ses motivations que par la complexité, la longévité et les mutations de ses expressions. Il s’agit bien de croiser une perspective ethnographique et une approche de sociologie historique qui permettrait de saisir non seulement les manifestations du rituel mais aussi les groupes sociaux qui le portent, la réponse sociale et judiciaire, l’irruption – ou pas – de la dimension politique enfin. À partir d’un corpus de charivaris reconstitué à partir du croisement de sources judiciaires, ethnographiques et médiatiques, le chapitre propose une analyse diachronique de la place du politique dans ces pratiques coutumières. Le charivari peut être considéré comme l’un des lieux où la politique informelle est à l’œuvre, au sens des formes, pratiques et expressions politiques se déployant aux marges du politique légitime tout en étant au cœur de la mise en scène symbolique des rapports sociaux et de pouvoir, voire des idéologies, à l’échelle du village, de la vallée ou du pays. Le politique n’y a cependant acquis une dimension centrale que récemment. Paradoxalement, cette nouvelle centralité a été rendue possible du fait même de l’affaiblissement de la coutume dans sa forme originelle. L’histoire du charivari basque est relue comme la succession et la superposition partielle de trois dimensions du politique. Étudier les modalités et les causes de la sanction par la coutume revient à se pencher d’abord sur les mécanismes d’imposition des normes et de sanction
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de la déviance à l’échelle du village. Les charivaris à visée politique, au sens partisan du terme, sont rares, même s’ils se multiplient au tournant des xixe et xxe siècles. Une deuxième section se penche sur la sanction de la coutume. Si intrusion du politique il y a ici, elle concerne l’attitude des prescripteurs à l’égard du charivari. Le juge, le maire et le curé font, en l’espèce, montre d’attitudes à la fois proches et distinctes à l’égard de la dissidence (Soulet 2004) que constitue le charivari. Enfin, les oppositions institutionnelles et le changement social feront définitivement taire les charivaris nocturnes aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Les parades diurnes, quant à elles, connaîtront une nouvelle jeunesse, mais au prix d’une modification radicale de leur motivation. Le politique effectue une intrusion forte dans ces nouvelles formes théâtralisées, au nom d’une mise en scène d’enjeux sociétaux et non plus la sanction d’actes individuels jugés déviants. La conclusion générale relit sous deux angles le matériau empirique exposé dans l’ouvrage. La première section esquisse une grille de lecture synthétique sur les traditions dansées considérées comme des formes d’échange entre acteurs sociaux, échanges matériels et symboliques qui empruntent différentes modalités. Cette posture générale est empruntée aux tenants du paradigme du don en sociologie économique et anthropologie, sans pour autant réduire les échanges observés à ce seul registre. Si certaines relations observées relèvent du don, d’autres sont ouvertement utilitaristes, d’autres enfin mettent en jeu des relations de subordination politique, sociale ou économique. Il s’agit plutôt de démontrer que les relations d’échanges et d’association qui s’établissent entre les acteurs des traditions dansées relèvent de plusieurs modalités, que l’on réduit à cinq formes principales : le don et le contre-don (entre maisons et danseurs durant les tournées de quête de carnaval), la coopération (entre danseurs formant des compagnies fondées sur un principe coopératif), le contrat marchand (caractérisant la relation entre les musiciens et les compagnies de danse), l’aumône (entre les mendiants et les maisons en période de Nouvel an et de Carnaval) et la prescription (par le pouvoir politique commanditaire de la fête). Dans sa seconde partie, la conclusion relit la trajectoire historique des usages coutumiers égrenés tout au long des chapitres à la lumière des débats contemporains autour du maintien, de la disparition ou des transformations des usages en question. Les interrogations autour du renouveau des carnavals et des cavalcades, des hésitations autour du devenir de la Fête-Dieu, de la disparition de certaines pratiques, de la massification d’autres et de la mutation radicale de leurs contextes d’exécution y seront examinées. La conclusion débouche sur une réflexion à portée générale sur les enseignements en matière de liens entre tradition, histoire et société que le cas basque donne à voir. La majeure partie de ce texte repose sur un matériau inédit. Le chapitre 1 développe et enrichit par de nouvelles données les idées exposées une première fois dans la communication, non publiée, « La société du tambourin. Vers une histoire sociale de la musique à danser en Pays basque nord » au 1er séminaire annuel en ethnomusicologie de la France, Ethnopôle InOc Aquitaine, Pau 11–12 novembre 2015. Les arguments du chapitre 4 ont été exposés une première fois dans « La société du tambourin. La découverte incomplète du ménétrier en Pays basque », in L. Le Gall, J.F. Simon (dir.), Jalons pour une ethnologie du proche : savoirs, institutions, pratiques, Brest, CRBCUBO, 2016, p. 103–124. Le chapitre 5 sur les charivaris reprend et augmente significativement le matériau empirique présenté dans les publications suivantes : « Désordre public et ordre social. Charivari
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et politique en Labourd intérieur (xixe–xxe siècles) », in Le Gall L., M. Offerlé, F. Ploux (dir.), La politique sans en avoir l’air : aspects de la politique informelle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 189–208 ; « La mort de l’huissier. Les parades charivariques basques comme rites de diversion identitaire », in D. Darbon, R. Otayek, P. Sadran (dir.), Altérité et identité, itinéraires croisés : mélanges offerts à Christian Coulon, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 353–368 ; « Popular justice and informal politics: the charivari in nineteenth and twentieth-century France », in I. Favretto, X. Itçaina (eds), Protest, Popular culture and Tradition in Modern and Contemporary Western Europe, Basingstoke, Palgrave, 2017, p. 185–207. La conclusion générale développe un argumentaire esquissé une première fois dans « Le don, l’association et le contrat : les traditions dansées comme formes d’échanges », in B. Chérubini (dir.), Patrimoine et identités locales : enjeux touristiques, ethnologiques et muséographiques, Paris, l’Harmattan, 2017, p. 101–116.
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Chapitre 1 Les ménétriers dans la société d’ordres. Musique, fête et pouvoir sous l’Ancien Régime La multiplicité des fonctions de la musique ménétrière et des occasions de jeu informe sur les positions et dispositions sociales des communautés. Ici comme ailleurs, la musique à danser en dit plus que sur elle-même. Elle est révélatrice des solidarités, des hiérarchies et tensions sociales autant que source d’information sur l’évolution de la figure ménétrière elle-même. Ce rôle de miroir sociétal doit être appréhendé de façon historique afin d’éviter généralisations et anachronismes mais aussi de repérer parfois d’étonnantes permanences. Il faut, pour avancer sur ces questions, reculer d’un cran le curseur historique et plonger de plain-pied dans l’Ancien Régime. Ce premier chapitre a ainsi pour objectif, à partir des sources disponibles, de poser quelques hypothèses sur la façon dont la musique ménétrière s’inscrit dans l’espace social de la société d’ordres d’Ancien Régime. Lacunaire pour les milieux ruraux, l’information sur les contextes de sollicitation des tambourins et ménétriers sous l’Ancien Régime est plus riche pour les villes (Charles-Dominique 1994). En terrain basque, les villes côtières voisines de Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure constituent à cet égard un bon observatoire de la pratique et du métier musical, pour autant que l’on puisse en juger par des traces archivistiques renvoyant pour l’essentiel aux xviie et xviiie siècles. Faute, à peu d’exceptions près et sous réserve d’un dépouillement des archives notariales, de contrats d’association et d’apprentissage, ce sont avant tout les registres de comptabilité des communautés qui informent sur les occasions de jeu des ménétriers, leur reconnaissance par les autorités publiques et la provenance géographique des musiciens. Trois sections composent ce chapitre, organisé selon une logique de géographie sociale. La première partie se concentre sur la ville de Bayonne et les visages qu’y prennent la fête prescrite et la réquisition des ménétriers. La deuxième section revient sur les cités voisines de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure, où une documentation conséquente permet de mettre à jour une articulation spécifique entre danse et musique ainsi que les formes d’intégration des ménétriers dans le calendrier festif des deux villes. Enfin, la troisième partie se penche plus spécifiquement sur les fonctions, rôles et statuts sociaux des ménétriers en milieu rural labourdin et bas-navarrais.
Bayonne : la fête prescrite et la réquisition des ménétriers Principale cité et nœud commercial entre provinces basques et pays gascons d’une part, Royaumes de France et d’Espagne d’autre part, Bayonne accorde sous l’Ancien Régime un soin particulier aux réceptions, cérémonies, entrées et célébrations de tous ordres, qu’elles fassent partie du cycle rituel annuel de la cité ou de prescriptions du pouvoir royal. Le descriptif des célébrations bayonnaises ayant été très largement documenté, notamment par les historiens Édouard Ducéré et René Cuzacq, on n’en reprendra pas le détail ici si ce n’est pour nous concentrer sur ce que cette activité dit du rôle et du statut des ménétriers et musiciens. Bien entendu, les sources biaisent la représentation des pratiques. Comptes de la communauté et chroniques autorisées n’informent que
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sur la fête officielle, soit la dépense somptuaire qui est réglée par le pouvoir local lors d’occasions spécifiques. Reste hors du champ d’observation tout un pan de pratiques musicales et dansées qui n’auront laissé que peu de traces archivistiques, comme le carnaval ou les charivaris ou qui, organisées par d’autres institutions – groupes de pairs, jeunesse… – ne relèvent pas stricto sensu de la fête promue par le pouvoir. Faute de sources, l’on se concentrera donc sur la fête prescrite. Accompagner le cycle rituel ordinaire Concernant d’abord le cycle rituel de l’année, il faut en premier lieu souligner la centralité de la Fête-Dieu, à qui un chapitre spécifique sera consacré (le Sacre des ménétriers), tant la cogestion de cette fête par le corps de ville et par les corporations de métiers est centrale dans la structuration de la fête bayonnaise et dans le recours aux ménétriers. Ceux-ci semblent cependant, et pour l’essentiel, être sollicités à l’occasion du Sacre par les corporations de métiers, le corps de ville se limitant à faire venir les tambours (et occasionnellement, comme en 1627, les fifres) qui accompagnent les milices bourgeoises placées sous l’autorité du capitaine du Sacre. Hors Fête-Dieu, la solennité de la Pentecôte requiert la présence des ménétriers, prise en charge par le corps de ville. Ce sont des tambourins ou des violons qui conduisent les cierges et le corps de ville lors du cérémonial complexe de la Pentecôte, qui conduit le cortège hors les murs de la cité, à Saint-Léon, avant de retourner à la cathédrale Notre-Dame. En 1574, 1575, 1585 et 1588, ce sont des tambourins « qui sont allés audevant Messieurs de la Ville »1. Mais ce sont surtout des violons qui sont systématiquement mentionnés depuis la fin du xvie siècle et tout au long du xviie siècle. Leur nombre est variable : trois en 1584 et 1590, quatre en 1598, 1611, 1614, 1638, 1648, 1655, 1659, cinq en 1613, six en 1665, deux en 1642, 1646 et 1649, trois en 1645, 1650 et 1657, etc. S’y ajoute une basse pour la Pentecôte de 1669. On ignore la provenance de ces violons, à quelques exceptions près. Le Bayonnais Larmaignan est ainsi régulièrement retenu pour la Pentecôte, avec d’autres violons de la ville ou venus des pays gascons et « charnégous » voisins : il joue avec deux violons de Bidache en 1645, avec le dénommé « Monie » en 1646, avec trois violons de Peyrehorade et de Pouilhon en 1648, seul en 1650 et 1657. En 1672, la procession est accompagnée des « violons de la ville ». Les types d’instrumentistes convoqués varient également : si tambourins et violons sont de règle dans la seconde moitié du xvie siècle, ce sont plutôt des violons seuls qui sonnent tout au long du xviie siècle, et de simples tambours et trompettes au début et à la fin du xviiie siècle.
Les nombreuses autres fêtes calendaires qui rythment l’année bayonnaise ne semblent pas avoir requis la présence systématique de ménétriers, ou à tout le moins de prise en charge par le corps de ville. Ainsi, le rituel minutieux de la veille de la Saint-Jean, particulièrement précis concernant les porteurs de flambeaux (anciens et nouveaux magistrats), ne mentionne pas d’autre musique que les tambours et trompettes de ville.
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AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 166, 1577.
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Figure 1: Ménétriers rétribués par la ville de Bayonne pour la Pentecôte 7 6 5 4 3 2 1 0 1500
1550 tambourins
1600 violons
tambours
1650 fifres
1700 basse
instruments
1750
1800 trompette
Sources : Arch. Com. Bayonne, série CC, 1550-1790
Rehausser les festivités exceptionnelles Les festivités exceptionnelles, en revanche, exigent la plupart du temps d’être rehaussées par la présence de musiciens. Encore faut-il distinguer ces célébrations selon leur importance. Les très nombreux feux de joie prescrits aux xviie–xviiie siècles par l’autorité royale à l’occasion d’une victoire, d’une naissance ou du rétablissement de tel membre de la famille royale, mobilisent généralement les tambours et trompettes de ville, sans faire appel systématiquement à d’autres musiciens. Tout autre est le faste qui se déploie à l’occasion des passages de personnalités, membres de familles royales ou autre. Outre les dispositions habituelles (ramades, jonchées, feux de joie, décorations, divertissements…), la ville peut rehausser le cérémonial de plusieurs façons. Elle peut, d’une part, décider d’organiser une Pamperruque, soit la danse en chaîne mixte protocolaire propre à la ville de Bayonne. L’on dispose d’une quinzaine de mentions entre 1700 et 1814. Cette danse ayant donné lieu à des études exhaustives (Cuzacq 1942) et à une mise au point récente (Olazcuaga 2017), nous n’en soulignerons ici que trois caractéristiques générales. Premièrement, la Pamperruque est un acte politique autant que festif. Exécutée par des représentants soigneusement sélectionnés de l’aristocratie et de la bourgeoisie bayonnaise, la danse est une mise en scène des élites locales et du pouvoir royal. De façon exceptionnelle, les artisans, comme la Compagnie des tonneliers en 1749, l’exécutent (Cuzacq 1942 : 64). En 1749 et 1781, la « nation juive » du quartier Saint-Esprit donne également sa Pamperruque. Mais le rituel est en règle générale réservée aux élites gouvernantes. L’ordonnancement de la chaîne, les protocoles d’invitation, l’itinéraire d’un
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lieu de pouvoir à l’autre de la ville : tout renvoie à une étiquette scrupuleusement définie et à une représentation d’une société d’ordres, foncièrement inégalitaire. En ce sens, c’est la deuxième remarque, la Pamperruque bayonnaise constitue une version élitaire des danses en chaîne basques, dont l’une des caractéristiques est d’avoir une codification précise des participants et des modalités d’intégration à la danse. On verra plus avant que les milieux ruraux labourdins et bas-navarrais disposeront également, toujours au xviiie siècle, d’une danse en chaîne tout aussi complexe et aux significations sociales plurielles. Le branle de la mascarade souletine, toujours en vigueur aujourd’hui, se fonde sur des conventions similaires. Surtout, la Pamperruque du xviiie siècle évoque les soka dantza du Pays basque sud, dont la description par Juan Ignacio de Iztueta en 1824 mettra en avant les fonctions sociales différenciées selon la circonstance : soka dantza des autorités, des jeunes, des mariés, etc. Enfin et sur le plan musical, la Pamperruque semble avoir été accompagnée soit des tambours de ville seuls, soit de tambourins et de violons, soit d’autres instruments (Cuzacq 1942 : 2022 ; Olascuaga 2017). Si certains chroniqueurs font de l’accompagnement au tambour seul une règle de la Pamperruque, plusieurs témoignages signalent en revanche des formations plus complètes. Le 4 octobre 1729, ce sont des tambours, trompettes, tambourins et « toute la symphonie », soit l’orchestre personnel d’Anne de Neubourg, ancienne reine consort d’Espagne, de Naples et de Sicile qui séjourne à Bayonne entre 1706 et 1738, prêté par la reine à cette occasion (Cuzacq 1942 : 57). La Pamperruque avait été précédée la veille de réjouissances lors desquelles « vingt-cinq tambourins avaient fait danser le peuple ». Hautbois, tambours et timbales accompagnent également la Pamperruque de 1749. En 1781, la Pamperruque donnée par la « nation juive » du quartier Saint-Esprit à l’occasion de la naissance du Dauphin est guidée par des joueurs de tambourins, de tambour et de tambour de basque, comme en témoigne un tableau représentant la danse (Peillic 1983 : 8). Si nulle trace des mélodies et rythmes n’est parvenue jusqu’à nos jours, on notera cependant que la composition des orchestres permettait un croisement et des échanges musicaux entre joueurs de tambourin et autres musiciens locaux ou associés à différentes cours royales ou princières. La ville peut également solliciter des compagnies de danseurs pour accompagner les cortèges des visites officielles. Les plus anciens témoignages en la matière, remontant au xvie siècle, se réfèrent à des compagnies de danseurs originaires de Bayonne. La première mention connue est celle de juillet 1530 où, à l’occasion du passage d’Éléonore épouse en secondes noces de François Ier et sœur de Charles Quint, ce sont les danseurs de la ville qui sont mobilisés pour l’escorte d’honneur : Pendant que trente enfans de la ville, vêtus uniformément de pourpoints de satin rouge et vert écartelés, qui étaient les couleurs de Bayonne, coiffés de bonnets rouges surmontés de plumes blanches et accompagnées de tambourin et autres instruments, entouraient la litière de la reine » […] devant le cortège faisant « sautsbresaultx et autres honnestetez et tours de souplesse ».2
Le soir, les mêmes, vêtus à la « mauresque », dansent « aux sonnectes » (Ducéré 1902: 143). En 1565, à l’occasion de l’entrevue entre Catherine de Médicis et le duc d’Albe, les cours de France et d’Espagne sont à Bayonne. Le corps de ville passe une délibération afin de préparer la réception du roi 2 •
AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 163, cité in Ducéré (1902 : 140).
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Illustration 1 : Fête et Panperruque à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Dauphin données par la Nation Juive et ses syndics dans la place du Saint-Esprit près Bayonne, le 12 décembre 1781 (reproduction © Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
Charles IX. Une chasse à la baleine sera simulée. Une danse d’épées, ordinairement associée aux villes du Guipuzcoa voisin, est prévue, ainsi que des danses de jeunes filles au son du tambour de basque (actuel pandero) : Et quand il passeroit vers son logis, luy dresser une baptaille de petits enfans et une aultre en forme d’amazonnes pour luy monstrer le soing qu’ils avoient non seulement d’eux mesmes, mais de leurs enfans pour les instruire dès leur jeunesse au service du dict seigneur. Pareillement luy dresser une aultre troupe d’enfans dansans avec leurs espées nues et une aultre troupe de filles vestues en habitz basquoniques, avec tambours, et au son desquels il seroit chanté les louanges du dict seigneur. […] (Sacx 1968 : 60)3
Toujours en 1565, lors d’une grande fête donnée « près de Bayonne » par la reine de France Catherine de Médicis, des groupes venus des différentes provinces de France se produisent durant le repas, chacun dansant à la façon de son païs : les Poitevines avec la cornemuse, les Provençales, la volte avec les cimballes, les Bourguignones et Champenoises avec le petit hautboys, le dessus de violon, et tabourins de village, les Bretonnes dansant leurs passepieds et branles gais (cité dans Sachs 1938 : 165) 3 •
Selon une autre source, « On semoit des jonchées d’herbes et de fleurs sur son passage. Les voix, mêlées aux instruments, rendoient des sons d’allégresse. De jeunes filles, couronnées de fleurs, formoient des danses dans les places publiques. », Anecdotes des reines et régentes de France, liv. 5, p. 217, ibid., Mémoires de Marguerite de France, liv. 4, p. 13, cité dans Masein, 1792 : 250.
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Il en va de même pour d’autres provinces. Natalie Zemon Davis voit dans l’anecdote l’illustration des chemins divergents que commencent à prendre au xvie siècle les danses de cour et les danses populaires : les deux genres continuent de s’influencer mutuellement, mais ils ont fondamentalement des buts et des styles différents […] les branles et les gaillardes que se mettent à danser les courtisans ne sont pas, cependant, de strictes imitations de ces danses rurales : les mouvements y sont modérés, les motifs fondus les uns aux autres, les figures et les rythmes modifiés. (Davis 1979 : 382)
En 1612, c’est une « mascarade » dansée qui est offerte par la ville de Bayonne au duc de Pastrana, ambassadeur d’Espagne en France, reçu chez les Gramont à Bidache et à Bayonne. Ce sont des violons qui accompagnent alors les danseurs4. En 1615, à l’occasion du passage de l’ambassadeur du roi de France en Espagne, le corps de ville de Bayonne rétribue « les masques pour leur souper lorsqu’ils ont dansé » ainsi que deux tambourins de Bidache qui accompagnent la « mascarade »5. En 1725, les comptes du capitaine du guet signalent que 8 livres sont « baillés à une troupe de soldats danseurs », sans plus de précision6. Lors de son passage à Bayonne en 1679, la comtesse d’Aulnoy demande une démonstration des danses locales et fournit des indications précieuses sur les instruments et sur la danse : […] ces dames dansèrent à ma prière, le baron de Castelnau ayant envoyé quérir les flûtes et les tambourins. Pour vous faire entendre ce que c’est, il faut vous dire qu’un homme joue en même temps d’une espèce de fifre et de tambourin, qui est un instrument de bois fait en triangle et fort long, à peu près comme une trompette marine, montée d’une seule corde, qu’on frappe avec un petit bâton : cela rend un son de tambour assez agréable. Les hommes qui étaient venus accompagner les dames, prenant chacun celle qu’il avait amenée et le branle commença en rond se tenant tous par la main ; ensuite ils se firent donner des cannes assez longues, ne se tenant plus que deux à deux avec des mouchoirs qui les éloignaient les uns des autres. Leurs airs ont quelque chose de gai et de particulier, et le son aigu des flûtes se mêlant à celui des tambourins, qui est assez guerrier, inspire un certain feu qu’ils ne peuvent modérer ; il me semblait que c’était ainsi que devait se danser la Pyrrhique, dont parlent les anciens, car ces messieurs et ces dames faisaient tant de tours, de sauts et de cabrioles, leurs cannes se jetaient en l’air et se reprenaient si adroitement, que l’on ne peut décrire leur légèreté et leur souplesse. […] (d’Aulnoy 1874 : 3)
À son départ de Bayonne, la comtesse est accompagnée par les musiciens de la ville, dont elle apprécie modérément la prestation : […] les tambours, les trompettes, les violons, les flûtes et les tambourins de la ville vinrent me faire désespérer ; ils me suivirent bien plus loin que la porte Saint-Antoine, qui est celle par où l’on sort quant on va en Espagne par la Biscaye ; ils jouaient chacun à leur mode et tous à la fois sans s’accorder, cétait un vrai charivari. Je leur fis donner quelque argent, et comme s’ils ne voulaient que cela, ils prirent promptement congé de moi. (ibid. : 7)
De l’autre côté de la frontière, entre Fontarrabie et Renteria, Mme d’Aulnoy assistera à des danses d’un groupe de cinquante batelières, dansant et chantant sur deux lignes, trois d’entre elles en tête jouant du tambour de basque (ibid. : 17).
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AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 307/21, 24 juillet 1612. AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 307/58, 1615. AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 584.
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À ces exceptions près, les Bayonnais feront ensuite appel à des compagnies de danseurs venant des villages basques environnant. En janvier 1701, à l’occasion du passage du duc d’Anjou, futur Philippe V roi d’Espagne, outre les courses de taureaux, « on avait loué une troupe de danseurs basques, qui chargés de sonnettes et au son de leurs tambourins firent des merveilles dansant et sautant d’une force extraordinaire »7. « Je n’entends jour et nuit », écrit un témoin du temps, « que tambours, violons et danses ; les Basques s’en donnent d’importance. Il y en a trois ou quatre troupes, qui vont dans toutes les maisons où l’on fait table. » (Boissel 1932 : 431). La pamperruque générale, exécutée par les élites bayonnaises, est programmée mais annulée en raison des conditions climatiques Le 13 janvier 1745, Marie-Thérèse, Infante d’Espagne et future Dauphine de France, arrive à Bayonne au terme d’un voyage où elle avait été escortée depuis la frontière par des danseurs basques se relayant, accompagnés par les tambourins : Les Basques précédés de musiciens avec tambours à corde, et d’autres instruments champêtres formant des danses, depuis la frontière jusqu’à Bayonne, qui en est éloignée de six lieues. […] de distance en distance, une troupe étoit relevée par une autre. (Masein 1792 : 94)
L’Infante est accueillie à grands frais à Bayonne, avec le cérémonial habituel. Surtout et pour notre propos, la ville réquisitionne pour l’occasion pas moins de 41 joueurs de tambourin, qui animent la cité durant huit jours. Parmi ces tambourins qui sonnent « à l’occasion du cortège de madame la Dauphine », 22 viennent des pays basques voisins, soit 11 de Basse-Navarre et 11 du Labourd. Ils sont logés et nourris chez Crevellier, sergent de quartier, soit pendant huit jours pour : « Bistingory, Jean Bistingory, Joannes Bistingory, Lartigue, Dagueregaray, Recart, Bistingory, Landaboure, Garat, Hargaindart, Gastanbide, Gillos, Goyeché », et pendant sept jours pour : « Crochet, Cheverry, Camino, Degoiche, Lauren, Martin (fils), Dandaby, Mathieu aniac »8. Les tambourins bas-navarrais sont payés 20 livres chacun, les Labourdins 18, probablement en raison de la moindre distance parcourue. De l’origine des 19 autres tambourins, nous ne pouvons que supposer qu’ils soient Bayonnais ou des environs immédiats. L’un d’eux, le Bayonnais Pierre Broquedis, ne perçoit quant à lui que huit livres pour sa prestation. Les tambourins bas-navarrais et labourdins sont dirigés par l’un des Boustingorry, payé 18 livres de plus que les autres9. Quatre tambourins accompagneront également la Dauphine au Boucau. Enfin, il semble que tous ces musiciens soient venus à Bayonne sans leurs instruments, puisque Joseph Juvigny, tambour de ville, est défrayé « pour avoir fourni 41 tambourins qui ont servy au passage de Madame la Dauphine à Bayonne ». Enfin, en sus des quatre tambours de la ville, sept tambours « étrangers » sont réquisitionnés pour battre la caisse pendant trois jours. Le 8 octobre 1748, à l’occasion de l’Entrée à Bayonne de Louise Elisabeth de France, deux bataillons de la milice bourgeoise de 700 hommes chacun sont levés. Les rues sont
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AD 64, Arch. com. Bayonne, BB 32. « Bistingory » probablement pour Buztingorry, Mathieu « aniac », probablement pour « anaiak » : frères. AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 326/20. AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 326/22, Mandement pour payer aux tambourins Basques pour avoir joué de leurs instruments lors du séjour en cette ville de Madame le Dauphine, 20 janvier 1745.
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jonchées de laurier et de myrte et des « danses publiques dans le goût du pays » sont exécutées (Ducéré 1933 : 426). Outre l’exceptionnelle Pamperruque et l’appel aux danseurs et tambourins basques (l’altérité est très claire chez les comptables bayonnais), les musiciens sont réquisitionnés pour accompagner les autorités lors des Entrées des personnalités de passage à Bayonne, généralement en partance ou au retour d’Espagne. Tout au long du xviie siècle, ce sont surtout des tambours et des fifres qui sont mobilisés, avec une fonction militaire d’accompagnement des compagnies levées à ces occasions. De façon ponctuelle, violons et parfois hautbois accompagnent également les cortèges. En 1615, lors du passage de la reine et de l’infante d’Espagne à Bayonne, tambours et « phiffres » (fifres) sonnent pour la « monstre généralle » des milices locales. De plus, « la dicte ville étant dépourvue de musique », des « musiciens » venus de Toulouse sont également sollicités, dont on peut supposer que les « viollons et hautbois » également mentionnés font partie10. Ce sont cinq violons qui jouent pour la réception de l’ambassadeur du Roi en Espagne en 1620. En novembre 1623, le duc d’Epernon, gouverneur et lieutenant général du Roi en Guyenne entre à Bayonne au son des 19 tambours et 11 fifres qui accompagnent la compagnie. Le tambour de ville de Bayonne est généralement chargé de recruter tambours et fifres aux alentours. En 1644, à l’occasion d’un nouveau passage du duc d’Epernon, il requiert ainsi 24 tambours et 6 fifres « estrangers ». Cinq d’entre eux serviront durant huit jours. En 1660, le passage de Louis XIV à Bayonne à l’aller et au retour de son mariage à Saint-Jean-de-Luz avec l’infante d’Espagne mobilise également les musiciens locaux et éloignés. Sur le plan de l’accompagnement des compagnies, en plus des tambours et fifres du Roi, Jean de Hirigoyen, tambour de ville, est chargé de réquisitionner des tambours et des fifres dans les pays environnants. Il va ainsi porter des lettres aux abbés et jurats des paroisses de Labourd « pour avoir un nombre d’hommes pour battre du tambour et des fifres ». Sont aussi mobilisés 29 tambours et 16 fifres des environs, 16 fifres de Labatut11, 16 fifres de Marenne12. Leur nombre varie selon les journées, ils ne sont pas moins de 68 le 30 avril. Huit hautbois – venus vraisemblablement de Toulouse – et quatre violons sont également mobilisés pour l’entrée du Roi. En 1673, l’entrée à Bayonne du Maréchal d’Albret, gouverneur de la province, mobilise également des tambours et fifres venus du Labourd voisin. Le 4 septembre, ce ne sont pas moins de 18 tambours « venus de loin », 14 tambours « venus de près » et 32 fifres qui sonnent à cette occasion. En 1682 pour fêter la naissance du duc de Bourgogne, « la bande de violons de la ville » joue pour « les danses par la ville, avec le sindicq et la jeunesse de la ville ».
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AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 397/102. « Rolle de piffres de Labatut: Premierement Jean Delenbeye; Jean du Basterot; Jean de Cangai; Arnaut Tillong de Lancontas; Jean de la Vielle George de Camp; Pierre de la Serre; Adrian Danlong; Menjean de Sabarots; Perre du Nogirc; Arnaut de Larmagnan; Plus Mengon de Lavielle; Plus Pierre de Clabery; Arnaut de Bordes; François Dufau; Isacq (Dediensycle) », AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 313. « Rolle des piffres du Seignanx : Mengoy de Nabaillan; Jean de Baromes; Alisandrer de Cousse; Estime du Berger; Mathieu de Lavigne; LaPierre de Lavigne; Jean de la Sodie; Pierre aussy de Lasodie; Jean de Carede; Jannon de Bordenave; Jannon Donzangley; Pierre de Ciricq; Bernard de moy Ciricq; Jean de Mant; François de Masonnave; Bertrand de Lafitte », AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 313.
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Les ménétriers sont enfin sollicités pour donner des bals, soit d’assise populaire, soit réservés aux classes dirigeantes bayonnaises. En 1643, à l’occasion du baptême de Mlle d’Asté, fille des Gramont, quatre violons, dont le bayonnais Larmaignan et « les violons de Langevin » sont réquisitionnés pendant 5 jours et jouent pour un ballet spécialement monté pour la circonstance. Ces bals voient parfois au xviiie siècle, le tambourin s’associer à d’autres instruments. En 1713, la paix d’Utrecht est célébrée par des hautbois et deux basses de viole13. En décembre 1753, les « symphonistes » qui jouent pendant la nuit du bal qui a été donné à l’hôtel de ville à l’Intendant associent les musiciens suivants : Au sr Fournier pour le bal et le divertissement donné au collège par les magistrats 18 Au sr Gret hautbois 9 Au sr Merlu père 9 Au sr Merlu fils 9 St Martin père 9 Larose14 9 Deux Cantabres 12 Davin basse 9 Deux tambourins 12 Trois juifs 18 Belair père et fils 15 St Martin fils 6 Un tambourin du collège 3 Total 13815
Le 4 octobre 1770, ce sont des tambours, trompettes, tambourins « et toute la symphonie » qui accompagnent la duchesse de Gramont. Les danseurs basques et la Pamperruque bayonnaise sont mobilisés à cette occasion (Cuzacq 1942 : 57). Le tambourin se retrouve également associé à d’autres instruments en novembre, lorsque la ville envoie au Boucau des musiciens pour accompagner la duchesse de Gramont. L’orchestre est ainsi composé : Violons et basse : Mr Merlue père, St Martin, Lacombe, Pront, Coste père, Larose, le père de l’enfan [sic] espagnol, Dulice, Quirosse fils, le petit Domingo Tambourins : Domingo l’aîné, Domingo cadet, Domingo fils, Moustigorry [pour Boustingorry ?], Pierre [Ogere ou Agere] Je reconnais avoir reçu de Mr de la Ville la somme de soixante livres pour le payement des musiciens qui ont joué au Boucau [et] à Bayonne le 14 novembre 1770. Signé : Pront16
Un assemblage similaire se retrouve en octobre 1783, lors du bal donné à l’hôtel de ville à l’Intendante Madame Dupré de Saint-Maur :
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CC 319/28. À rapprocher peut-être de l’aubergiste Jacques Bourdette dit Larose, qui proteste le 30 janvier 1746 contre l’interdiction de donner des bals chez lui pendant carnaval (FF 545). « État de ce qui a été distribué aux simphonistes pour avoir joué pendant le bal donné à l’hôtel de ville » (CC 328/53, 7 décembre 1749). La même année, François Saint-Martin, « simphoniste », est payé pour la « Simphonie que a servy au bal de l’hotel de ville à l’occasion de la publication de la paix à Bayonne le 12 mars 1749 ». CC 722/53.
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Piereton père : 15 ; Pierreton fils 15 ; Noues 15 ; Perico 15 ; Maurice 15 ; St Martin 15 ; Une basse du régiment 15 ; Un violon du régiment 15 ; Jacques 15 ; Perico fils 12 ; Pour les peines de Piereton fils 3 ; Total 150 ; Vu bon à Bayonne le 7 octobre 1783 ; Signé : Casemajor, echevin commissaire ; J’ai reçu de monsieur Fauri commissaire la somme san [sic] cinquante livres. Pierrotton fils17
Le même Pierrotton (ou « Pierrouton »), ayant été payé pour jouer du tambourin en juillet 1782 avec d’autres musiciens18 pour le passage au Boucau du comte d’Artois, frère de Louis XVI, nous pouvons raisonnablement supposer que ce sont également des tambourins qui ont sonné aux côtés des basses et violons au bal de Madame Dupré de Saint-Maur. Tambourins et ménétriers bayonnais : un statut social ambivalent Peu loquaces, ces mentions mettent cependant en évidence, comme indiqué pour la Pamperruque, une intégration du tambourin dans des ensembles orchestraux comprenant violons, basses, hautbois. Loin d’être réduit, comme il le sera dans la seconde moitié du xixe siècle, à un instrument champêtre et « populaire », le tambourin est alors associé aux instruments mobilisés par la bourgeoisie bayonnaise pour son usage et celui de ses invités. Pierre Broquedis, joueur de tambourin bayonnais, est porté comme « symphoniste » dans le procès qui l’oppose en décembre 1782 à Arnaud Detcheverry, tilollier et pêcheur19. Cet usage dans la bonne société bayonnaise jusqu’à la fin de l’Ancien Régime porte ainsi à interroger une opposition par trop frontale entre musique populaire et savante, qui sera effectuée au xixe siècle, lorsque le tambourin, délaissé par les élites urbaines, trouvera un milieu de prédilection en milieu rural. De façon corollaire, l’on ne saurait que demeurer prudent quant au statut social des tambourins et ménétriers. Si, à compter du milieu du xixe siècle, la multiplication des sources permet, effectivement, de repérer la figure d’un ménétrier rural au statut extrêmement modeste, à la fois marginalisé et indispensable, l’on ne saurait être aussi affirmatif pour les tambourins et ménétriers urbains croisés à Bayonne sous l’Ancien Régime. Au xviie siècle, la figure du « joueur d’instrument » bayonnais Dominique de Silhouette, que l’on retrouve ensuite comme maître de danse à Bordeaux (Robert 1974), donnerait plutôt à voir un musicien socialement intégré et assez proche des élites commerciales et bourgeoises de la ville : Né à Bayonne en 1644, Dominique Silhouette est issu d’une famille de marchands. À 27 ans, il s’intitule maître joueur d’instruments (violon) tandis que son frère, autre Dominique, bourgeois et marchand de Bayonne est propriétaire d’un navire. Il se marie une 1re fois en 1671 avec Marie de Hiribarren, fille d’un maître cordonnier qui constitue aux époux une dot de 600 livres, à laquelle dot sont joints, comme le voulait la coutume de Bayonne, les habits nuptiaux de la mariée ainsi que le linge et un coffre bahut. Dominique Silhouette s’installe rue des Basques dans un appartement cossu. La femme de Dominique Silhouettte meurt en 1672 et le joueur d’instruments se remarie en 1673 avec Marie Hiriart, 17 • 18 •
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AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 767/113, Dépense de la musique pour la fête donnée à mme Dupré de Saint Maur, 7 octobre 1783. Dont le tambourin bayonnais Broquedis. Ernst trompette de la ville, est rétribué pour avoir joué du violon au bal donné à Mgr le duc de Bourbon (CC 765/71). Est également mentionné « Larroze », – probablement le même Larose déjà mentionné comme musicien – « 9 livres pour son service à la fête donnée au Boucau à Mgr Comte d’Artois, 9 livres pour celle donnée à Mgr le duc de Bourbon ensemble 18 livres », Bayonne 11 octobre 1782 (CC 765/92). AD 64, B 8827, Archives de l’Amirauté, 2 décembre 1782.
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La société du tambourin
« fille de famille. » En 1672, il avait passé un contrat d’association avec deux autres joueurs de violon, Jean du Bousqua et Antoine La Campaigne pour fournir leurs vacations « à aucuns devoirs de fiansailles, espousailles, sérénades et suites20 de frairies ou autres occasions dans la présente ville […] »21. Le contrat fut annulé trois ans après à la suite d’une plainte déposée par l’un des trois, Antoine La Campaigne, contre les deux autres qui avaient contrevenu à leur accord en s’associant avec un autre maître joueur d’instruments, Charles Beaume « pour aller jouer à la noce de Jacques de Harriet, me charpentier de navires, et dans d’autres occasions […] »22. Vers 1680, Dominique Silhouette, cette fois se présentant comme « maître à danser et joueur d’instruments », s’installe à Bordeaux. Il y meurt assassiné par Pierre Rigaud, joueur d’instruments, en 168723.
Se dessine ainsi le profil d’un musicien et maître à danser plutôt proche des milieux bourgeois, qui défend ses intérêts par des contrats d’association et d’exclusivité. Une sociologie plus fine des musiciens urbains, et bayonnais en particulier, serait à ce titre à approfondir24. Il est, en tous les cas, dans l’intérêt des musiciens bayonnais de se rapprocher des élites urbaines. Durant le carnaval de 1742, cinq musiciens « associés » représentés par Saint-Martin adressent une requête au maire et aux échevins en demandant la permission de donner des bals « attendu qu’il ne s’offre pour ce carnaval aucun divertissement qui puisse dédommager les personnes de bon goût de cette ville, de l’absence du spectacle »25. La requête dut avoir quelque écho, puisque nous retrouvons en février 1770 un Saint-Martin parmi les quatre « ménétriers » qui jouent pour le grand bal du dimanche gras se tenant à la salle ordinaire de spectacle à Bayonne. Leur prestation donne cependant lieu à quelque dispute, un masque venant se plaindre à l’échevin chargé de faire la police du bal : […] que les ménétriers qui jouaient des instruments pour amuser le public refusoient de jouer une contredanse pour lui et quelques masques qui étoient en sa compagnie ; que s’étant rendu en compagnie dudit masque à l’un des bouts de la salle, il auroit vu quatre desd. ménétriers qui, étant ramassés ensemble, ne jouoient qu’un air de contredance, ce qui gênoit beaucoup le public, que ne pouvoit danser à raison du trop petit nombre d’instruments ; qu’ayant demandé au nommé St-Martin, l’un des quatre ménétriers, pourquoi il étoit au nombre de quatre dans ce seul endroit de la salle et pour une seule contredanse, et luy ayant donné ordre à lui St-Martin et à l’un de des trois autres ménétriers qui jouaient de se séparer et de jouer à quelques pas de là une autre contredanse dans une place vuide que le masque qui s’étoit plaint souhaitoit d’occuper, ledit St-Martin lui répondit qu’ils étoient là tous quatre, par l’ordre de M. Vallen, aide-major du château vieux […]26
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J. Robert mentionne « processions et bals de frairies », je lis pour ma part sur l’acte notarié « sérénades et suites de frairies ». AD 64, III E 4080, notaire Decapdevielle, Bayonne, acte du 25 juillet 1672. AD 64, III E 4083, acte du 7 août 1675. Entre le procureur-syndic demandeur en crime d’homicide de Dominique Silhouette, maître à danser et joueur d’instruments, et Pierre Rigaud, joueur d’instruments, le condamnant à être pendu et à 300 livres d’amende (appel). Archives départementales de la Gironde (AD 33), 12 B 8/60, Cour des Jurats de Bordeaux, 3 février 1687. L’un des indicateurs du statut social des ménétriers pourrait provenir du rôle de la capitation. Le rôle de 1775 mentionne plusieurs musiciens habitant Bayonne : Pierre Merlu, musicien ; Pierre Lascoret, joueur de tambourin ; Pierre SaintMartin, musicien ; en 1776 : Pierre Broquedis, joueur de tambourin. Il faudrait affiner l’analyse pour mesurer les contributions fiscales des musiciens et/ou tambourins. En 1705, Martin Detcheverry, marchand de vin et tambourin habitant rue des Basques, est visé par une requête adressée aux échevins et visant les « cabarets et espèces d’auberges tenus par des gens étrangers ou qui ont quelque autre profession. », AD 64, Arch. com. Bayonne, FF538/50. Il s’agit de St. Martin, Beaulieu, Morin, Graniès Labbé et Larose fils, AD 64, Arch. com. Bayonne, FF544, janvier 1742. AD 64, Arch. com. Bayonne, BB61.
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L’épisode débouche sur un conflit de juridiction entre l’échevin et l’aide-major du ChâteauVieux quant à la direction du bal. Mais pour notre propos, l’anecdote signale un statut ambivalent de ménétriers bayonnais bien introduits dans la bonne société locale, mais conservant un statut social subordonné, toujours au service des organisateurs des divertissements légitimes. Soucieux de défendre leurs intérêts et leur monopole de métier, les musiciens bayonnais s’érigent, à l’instar des grandes villes de France (Charles-Dominique 1994) en corporation, mentionnée dès 1598. Les premiers statuts de cette corporation, malheureusement perdus, dateraient de 1681 (Ducéré 1976 : 114)27. On notera également la présence d’un violon et de deux tambourins dans l’inventaire des biens du négociant bayonnais Jean-Baptiste Boccalin en 178628, qui ne semble pas non plus, au vu du reste de l’inventaire, relever d’une catégorie sociale particulièrement modeste. Nous pouvons ainsi poser l’hypothèse, en l’état actuel des sources, d’une modification sensible du statut social des musiciens – qui deviendront alors ménétriers, mais au sens du xixe siècle – lorsque les élites bayonnaises aligneront progressivement après la Révolution leurs goûts sur les modèles venus de Bordeaux ou de Paris. Saint-Jean-de-Luz et Ciboure : une articulation plus prononcée entre danse et musique À des fins de comparaison et avant d’examiner les villages de l’intérieur du pays, il est instructif d’observer les modalités du recours aux ménétriers et danseurs dans le second centre urbain de la Côte, soit la zone portuaire de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure. Relativement bien documentées, les célébrations de ces deux villes du sud Labourd permettent, en comparaison avec Bayonne, de mettre en évidence un cycle rituel plus modeste en ce qui concerne la Fête-Dieu mais célébrant de façon plus prononcée la fête patronale, et mobilisant de façons plus systématiques des compagnies de danseurs des deux villes, ainsi que des ménétriers du lieu, du Labourd intérieur et, à l’occasion, de Bayonne. Occasions de jeu On se doit d’emblée de distinguer deux types d’occasions officielles pour lesquels les ménétriers sont convoqués. La première est celle des cycles festifs ordinaires des communautés. La fête patronale de Saint-Jean-de-Luz se tient à la Saint-Jean (24 juin). Dépouillés à partir de 1656, les comptes signalent un modèle de célébration qui reste à peu près stable jusqu’à la Révolution : feu de joie la veille de la Saint-Jean, tirs d’artillerie et de fusils par la milice locale, distributions de pain et de vin, illuminations de l’église, tambourins et violons enfin qui joueront la veille, le jour et le lendemain du jour du saint. Pour la Saint-Jean de 1749 et en 1756, la communauté fournit « le vin bu par les danceurs à la place » (1749), sans que l’on sache exactement s’il s’agit là d’un bal ordinaire ou d’un groupe de danseurs spécialisés à qui la communauté a délégué l’exécution d’un répertoire cérémoniel, sur le modèle des rituels urbains du Guipuzcoa voisin. En 1730, ce sont deux bals du jour de la 27 •
28 •
É. Ducéré (1976 : 114) donne quelque indication sur cette corporation, mais en croisant ces données avec l’inventaire Dulaurens des Archives de Bayonne, il est possible que Ducéré ait confondu la corporation des musiciens avec celles des menuisiers (registre HH 139). Les deux métiers sont cependant liés. Jean-Baptiste Broquedis, joueur de tambourin, apparaît également comme maître-tourneur, donc probablement amené à travailler sur ses propres instruments. AD 64, 3 E 3960, Notaire Damestoy, Bayonne, septembre 1786.
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La société du tambourin
Saint-Jean et le lendemain qui sont mentionnés. La Saint-Jean semble monter en puissance au début du xviiie siècle. En 1735, les ménétriers sont mobilisés pendant quatre jours de fête et non plus trois. Des bals se tiennent chaque jour sur la place et dans la Maison de ville. La communauté distribue à boire aux danseurs et un dessert le dernier jour de la fête. À Ciboure, tambourins et violons sont également mobilisés pour la fête patronale de la Saint-Vincent Bixintxo le 22 janvier, un patronage auquel une confrérie est rattachée. À la différence de Bayonne et des villages labourdins, la présence des ménétriers n’est pas systématique à Saint-Jean-de-Luz lors des cérémonies de la Fête-Dieu. La milice locale, que la communauté finance en 1771 « pour boire et se faire poudrer pendant la Fête-Dieu et l’Octave » est sous les armes, les canons tonnent, mais il est rarement fait mention de ménétriers à cette occasion. La milice est également levée chaque 6 janvier pour la fête de l’Épiphanie, qui prend à Saint-Jean-deLuz, et ce jusqu’à nos jours, une dimension particulière. L’explication communément avancée est que l’absence des marins, alors en campagne de pêche, lors de la Fête-Dieu en juin rendait nécessaire la célébration avec faste d’une fête hivernale comme l’Épiphanie. Selon l’historien Joseph Nogaret, jusqu’au xviie siècle, le port de Saint-Jean-de-Luz armait pour la pêche de la morue et celle de la baleine et un grand nombre de marins pouvant être évalués à 1 000 ou 1 500, qui quittaient le pays aux derniers jours de l’hiver pour n’y revenir qu’en automne. L’évêque de Bayonne autorisa dès lors le déplacement de la procession de la Fête-Dieu en janvier. La procession fut nommée SaintSacrement des pêcheurs, et se confondit avec l’Épiphanie (Nogaret 1981 [1925] : 75–76). En 1775, la milice est levée pour la fête des Rois et pour la fête de la Purification le 2 février. Mais là également, c’est un simple tambour qui accompagne la procession des Rois, et non pas les ménétriers. En 1656, tambourins et danseurs sont mobilisés le jour de la Chandeleur lorsque l’on porte l’image de Notre-Dame à la barre sur le pilier, sans que l’on puisse déterminer s’il s’agit là d’un rituel exceptionnel ou ordinaire. S’y rajoutent des fêtes votives ponctuelles. Ainsi en 1656 voit-on un cérémonial élaboré être activé pour la Saint-Fabien et Saint-Sébastien (20 janvier), avec procession en corps des autorités de la ville, peuple en armes, messe et danseurs : plus payé à la dame de Escorronia [sic] pour la despance que les danceurs firent chez elle le jour de saint Fabien et saint Sébastien, que la communauté vint en corps chez nous et meme avant à l’église malgré moi pour prendre le rang de bayle, le peuple étant tout en armes : 130 livres (l.) Plus au tambourin et viollon pour avoir sonné durant deux jours 12 l.29
Il n’est en revanche peu ou pas fait de mention de ménétriers à l’occasion des processions des Rogations, processions des limites, ni à la plantation des mais, comme celle qui a lieu le 1er mai 1711 sur le quai de Saint-Jean-de-Luz. En revanche la pratique de la musique publique hebdomadaire durant la belle saison semble avoir été de rigueur à Saint-Jean-de-Luz. En 1733, le mérin de la communauté paye « à Domingo le tambourin pour sa peine d’avoir touché le tambour à la place pendant l’été 12 l. » et « au fils de Miguelcho Cascarota pour le violon qu’il a joué 12 l. »30.
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AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, CC3/2, 1656. AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, 7 CC1.
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Outre ces fêtes cycliques, les ménétriers sont mobilisés à des occasions exceptionnelles, qui sont essentiellement de deux types. La première concerne la célébration des évènements qui scandent la royauté (victoires, naissance du Dauphin, mariages, Sacres royaux, etc.). La participation de ménétriers à 19 de ces célébrations entre 1682 et 1784 est attestée, un décompte certainement incomplet. S’y retrouvent de façon systématique les tambourins et les tambours, souvent accompagnés de violons, parfois d’un « sonneur de cloche des tambourins » (le 21 septembre 1734, célébration de la bataille de Parme) ou, en 1722, de « six tambours et fifres » qui jouent aux côtés des tambourins pour le Sacre de Louis XV. La seconde occasion renvoie au passage de personnalités de la Cour ou de l’administration royale. Les comptes publics font état de la mobilisation de ménétriers à 13 de ces occasions entre 1656 et 1784. Les tambourins y sont mobilisés à chaque fois, souvent en compagnie de violons. Toujours présents pour sonner dans la rue, les tambourins ne le sont pas systématiquement pour les fêtes plus sélectives. Ainsi le bal donné à l’hôtel de ville le 25 juin 1750 pour Mlle de Touros est-il mené par quatre violons, un hautbois et une basse. À l’occasion, la fête publique est rehaussée de la présence d’un corps de danseurs spécialisés, j’y reviendrai plus avant. Tableau 1 : Ménétriers et célébrations exceptionnelles à Saint-Jean-de-Luz (fin xviie–xviiie siècles) Date
Occasion
Éléments festifs
Musiciens
Novembre 1682
Naissance du duc de Bourgogne
Danseurs Feux Repas
Tambourins, violons et tambours
1689
Prise de Philipsburg
Canon
1704
Naissance du duc de Bretagne
Tirs de canons Feu de joie Milice
1707
Prise de Lérida
Te Deum et réjouissances Canons
1711
Décès du duc de Bourgogne
Service en sa mémoire
1713
Célébration de la paix d’Utrecht
1721
Rétablissement de la santé du roi
1722
Sacre de Louis XV
17 septembre 1727
Naissance des princesses Mesdames de France et de Navarre
Canons, illuminations et réjouissances
12 septembre 1732
Bataille de Philipsburg
Feu de joie Miliciens, Danse
21 septembre 1734
Bataille de Parme
Tambourins, violons et tambours
Violon, tambourin, tambour, trompette 6 tambours et fifres, tambourins
Tambourins, violons, tambours Tambourins, violons, tambours, « sonneur de cloche des tambourins »
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La société du tambourin
Date
Occasion
Éléments festifs
Musiciens
23 mars 1744
Paix dans la guerre de succession d’Autriche
Danse
2 tambours et tambourins
29 mai 1759
Victoire ducs de Broglie et Berges
Feu de joie, ordonné par Richelieu
1763
Traité de Paris
Te Deum
1766
Mort du Dauphin
Service funéraire
11 janvier 1779
Naissance de Madame fille du Roi
Feu de joie, canons, pain donné aux prisonniers, miliciens
5 octobre 1779
Prospérité des armes de France et principalement de la Grenade en Amérique
25 janvier 1784
Paix de 1783 – guerre d’Amérique
Tambour et tambourin
1 tambour et 1 tambourin Garde Bourgeoise, canons, feu de joie
2 tambours et 1 tambourin
Tableau 2 : Passages de personnalités à Saint-Jean-de-Luz et Ciboure Dates
Personnalités
Célébrations
Musique
1565
Charles IX
Danseuses
Tambour de basque
1656
Le « Maréchal »
Danseurs, 3 jours de fête
Tambourins et violons
1660
Mariage de Louis XIV
Danseurs
Tambourins et violons
16 juin 1698
Mme de Harcourt ambassadrice de France
1700
Roi d’Espagne
1702, juillet
Mgr Beauvau, évêque de Bayonne
Tambourins et violons Danseurs
Tambourins 2 tambourins
(a)
Accompagnement de danseurs, depuis la frontière jusqu’à Bayonne
1745
Marie Thérèse infante d’Espagne
1748
Dña Isabela, Élisabeth de France, fille de Louis XV, épouse de l’infant « réception modeste » Felipe
1746
Comte de Noailles
Repas
25 juin 1750
Mlle de Touros
Bal à l’hôtel de ville
4 violons, 1 hautbois, 1 basse
1765
Prince de Beauvau
Miliciens
Tambours
Madame de Trudaine
Dépenses communes Saint-Jean-de-Luz et Ciboure Danseurs
Trois tambourins
25 juillet 1772
(a)
Tambourins
« payé à deux tambourins deux fois qui sont venus deux fois au logis de Monseigneur pour sonner de leurs instruments la somme de 7 l. 12 s. 6 d. » (Habasque 1892 : 479).
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Dates
Personnalités
Célébrations
Musique
1768
Intendant Daine
Repas
Un tambourin
1771
Intendant d’Aine
Repas Milice
Tambourins
1775
Esmangart, intendant de Bordeaux
Milice Tambourins Danseurs pendant 2 jours
1784
Mgr de Neville, intendant de Pau et Bayonne
Danseurs
Tambours et tambourins
Ces données, incomplètes, soulèvent autant de questions que l’on ne peut traiter ici. La première concerne le poids financier pour la communauté locale d’un tel régime de réjouissances, pour la plupart imposées. Les récriminations récurrentes des jurats et leurs litiges avec les administrations royale et provinciale à propos de ces frais témoignent de la charge que représentent ces solennités. A contrario, la qualité de la célébration et des Entrées pouvait certainement servir en retour les élites du gouvernement local au moment de négocier sur d’autres enjeux avec les intendants ou autres représentants de l’administration centrale. Un second questionnement concerne l’adhésion différenciée de la population locale à la fête prescrite et à la fête cyclique. Faute d’investigations plus approfondies, on ne peut guère s’aventurer dans cette direction. Les protestations du tiers état de Saint-Jean-de-Luz à la veille de la Révolution contre le gouvernement oligarchique de la ville jettent quelques doutes sur l’unanimisme affiché par les autorités (Goyhenetche 2002 : 175). Nous ne pouvons dès lors que supposer que le rapport à la fête prescrite est devenu de plus en plus pesant, d’autant qu’au prospère xviie siècle succède à Saint-Jean-de-Luz un xviiie siècle marqué par un effondrement économique et démographique (de 13 000 habitants en 1660 à 2 000 à la fin du xviiie siècle) et plusieurs catastrophes naturelles. Dès lors, comme le note Yves Irastorza (2010 : 275) l’opulence festive du xviie siècle laisse la place à des manifestations éparses au budget restreint, et les réjouissances profanes le cèdent aux processions et cortèges implorant la piété divine. S’ajoutent enfin des fonctions moins attendues des ménétriers, liées à l’accompagnement des manœuvres et des grands travaux. En 1681 à Ciboure, un violon et un tambour sont réquisitionnés pour la manœuvre du bout du quai. En 1682, un tambourin est défrayé « pour les gens de la manœuvre ». La même année, le fils de Chaborra est employé « pour crier la manœuvre ». S’agit-il là d’une manœuvre de la portion de la milice du Labourd, communément accompagnée des ménétriers ou d’un tambour, pour ses diverses exhibitions ? Le recours à un maçon en 1681 laisserait plutôt penser à une corvée collective. Comme on le verra plus avant, la convocation de tambourins pour la réparation de chemins dans des villages de l’intérieur du pays est assez courante aux xviie et xviiie siècles. Le 30 juillet 1750, un tambourin et un violon jouent pour la réjouissance du nouveau port de Ciboure et la plantation du premier pilot. À Ciboure en 1749, François, tambour, est payé « pour avoir crié l’enchère du port », en 1752–1754, Saubat Duhart apparaît comme « souffleur d’orgue, tambour de ville et crieur dicelle communauté »31. 31 •
À Ciboure en 1633, ce sont Martin Ixona (pour « gizona », l’homme ?) et son fils qui jouent du tambourin.
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La société du tambourin
Au service de la danse Outre ses fonctions protocolaires, la musique tambourinaire est avant tout destinée à sonner pour la danse. Celle-ci prend, à Saint-Jean-de-Luz et à Ciboure, quatre formes principales. La première renvoie à l’accompagnement de compagnies de danseurs spécifiquement mobilisés par les autorités ou par les sociétés de jeunesse pour rehausser telle manifestation. Ces groupes, dont les compagnies de danseurs kaxkarot modernes sont les héritiers, sont aux xviie et xviiie siècles composés de jeunes hommes. L’une des mentions les plus anciennes de la danse dans cette région renvoie cependant à un groupe de jeunes filles. En 1565, le roi de France Charles IX, dont nous avons vu l’accueil dansé à Bayonne, se rend également à Saint-Jean : [Le Roi] prit plaisir a se faire promener en la grand mer avec des barques et à voir danser les filles à la mode de Basque, qui sont toutes tondues, celles qui ne sont point mariées et ont toutes chacune un tabourin faict en manière de Crible auquel y a force sonnettes et dansent une danse qu’ilz appellent les Canadelles et l’autre le Bendel. ( Jouan 1566 : 50–51)
On observera que « Tabourin » se réfère ici au « tambour de basque » ou pandereta, et non pas au tambourin à cordes ttunttuna.
Illustration 2 : femme de Saint-Jean-de-Luz jouant du tambour de basque, détail d’une gravure de Georgio Houfnaglio, 1567, La sierra de Sant Adrian en Biscaia
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Xabier Itçaina
L’appel aux danseurs, moins systématique que celui des tambourins, se multiplie pour le passage des personnalités aux xviie et xviiie siècles. En 1621, le duc de Bassompierre descendant à Ciboure, se voit offert un « ballet » par « ceux de Saint Jean de Lus », « quy pour des Basques » souligne-t-il non sans une pointe de morgue aristocratique, « était aussy beau qu’il pouvoit estre » (Bassompierre, 1665). Ces compagnies de danseurs présentent des caractéristiques constantes tout au long des deux siècles. Ils sont richement costumés, et portent toujours sonnettes, grelots ou « crascabiles ». En 1656, ce sont des danseurs « à sonnettes » mais également un groupe de dix jeunes filles qui dansent devant « Monseigneur le Maréchal » (de Gramont ?). Leur défraiement donne quelque détail sur les costumes : 59. Plus le 10 juin que monseigneur le mareschal vint en ce lieu a achepté deux tambours pour des filles qui sautèrent à son entrée payé 4 l. [livres] 60. Plus a achepté deux grosses sonnettes pour les dançeurs a 5 l. grosse 61. Plus a achepté neuf paires de bas blanqs pour les danseurs et tambourins chez Mr. Gausin à 6 l. paire 62. Plus pour huit paires souliers blanqs pour les danseurs a 30 l. 63. Plus paye pour 12 paires de souliers blanqs pour 12 petits garçons qui ont dancé durant que Monseigneur feust en ce lieu à 20 sols la paires 12 l. 64. Plus payé à monsieur Gauzin pour 17 plumes pour lesd. danceurs 14 l. 65. Plus payé à m. Gorriti pour six bonnets rouges et du ruban pour lesd. garçons 20 l. 1 66. Plus payé ausd. danceurs 16 louis de vin et de leur depance […] 67. Plus pour la depences desd. petits garçons durant trois jours 18 l. 68. Plus aux tambourins d’Ustaritz et St Jean de Luz et au viollon de Sare pour avoir sonné pendant lesd. 3 jours 27 l. 69. Plus payé à deux tambourins de st Pé pour avoir sonné pendant 3 jours 9 l. 70. Plus payé pour une barrique de vin blanq vieux pour monseigneur le marechal et sa suite 60 l.32
En 1659, le Cardinal Mazarin est reçu par les danseurs « cascabillaires » (à grelots). La prestation la plus connue des danseurs de Saint-Jean-de-Luz reste sans nul doute celle du mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne Marie-Thérèse, qui se célèbre en 1660 dans une ville alors à l’apogée de sa prospérité commerciale et maritime. Les danseurs « crascabylaires » ont avant tout fonction d’escorte (Lamant-Duhart 1992 : 132). Les factures détaillées des tailleurs permettent de repérer une douzaine de danseurs et trois tambourins et violons qui les accompagnent et d’avoir quelque indication sur leur habillement : « bounetz descarlates fines », « bas destame blanc fin », gants, galon blanc « pour attacher les cascabiles » (grelots) pour les danseurs ; bas d’estame d’Angleterre pour les musiciens, etc.33. La Cour amène quant à elle ses propres musiciens, Lulli en tête. La couble de hautbois de Toulouse, dont l’histoire a été analysée dans le détail par Luc Charles-Dominique (1994), est également mobilisée à cette occasion. Ce sont aussi huit danseurs qui sont mobilisés en 1656 pendant deux jours pour le passage du comte de Guise. Toujours en 1656, les danseurs sont présents pour la Saint-Fabien et Saint-Sébastien. La même année, c’est une compagnie de 16 danseurs qui se produit
32 • 33 •
AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, CC 3/2. AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, 1 EE1.
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La société du tambourin
lorsque l’image de Notre-Dame est portée « à la barre sur le pilier ». En 1682, les festivités organisées à l’occasion de la naissance du duc de Bourgogne donnent lieu à des « danses de réjouissance », mais aussi à un groupe de danseurs spécialisés. Le vin blanc est distribué « aux danseurs à la porte de Mr le bayle »34. Ces danseurs remplissent aussi un rôle d’escorte dansée, parfois sur de très longue distance. La coutume perdurera jusqu’au début du xxe siècle. La demande génère nécessairement de la concurrence entre groupes de danseurs des différentes paroisses. En 1671, le compte de Guiche écrit à Colbert : Il est impossible de faire en Basque durant le Carnaval, autre chose que dancer. J’ai esté reçu avec des témoignages d’une joye indicible, qui n’a esté troublée que par une jalousie de ceux de Saint Jean de Luz pour les habitants de Siboure, parce que ceux-cy estant venus audevant de moy avec force sonnettes, nous avions dancé ensemble, et que ceux de Sainct-Jean-de-Luz n’avoient pas fait comme les autres le devoir de porter beaucoup de sonnettes35
En 1701, Duché de Vanci retrace le voyage du futur Philippe V de Versailles à Hendaye. Entre Bidart et Guéthary, ce sont des jeunes filles qui sont réquisitionnées pour le chant et la danse : les jeunes Basques les plus proprement mises et les plus jolies du monde que l’on y rencontre, les unes ayant de la jonchée de romarin dans les plats, qu’elles jettent devant nos chevaux ; les autres chantant et dansant, des tambours de basque à la main, qu’elles vous tendent pour recevoir quelque présent (Colin et Raynaud 1830 : 126).
À Saint-Jean-de-Luz : […] une compagnie de douze Basques des mieux faits et d’égale grandeur, choisie et habillée aux dépens de la province, de pourpoints et de chausses de damas bleu pâle, garnis de rubans couleur de chair ; coiffés de bonnets garnis de rubans à la mode du pays dits cales, pour danser devant les Rois et les princes. Ils marchaient dans les rues toujours dansant, ayant à leur tête quatre tambours du pays vêtus à peu près de même. Les tambourins de Biscaye que ces gens portent sont des instruments étroits et longs, avec quelques cordes ; ceux qui portent ces instruments jouent de la main droite d’une espèce de flageolet, et de la gauche ils frappent avec un bâton sur les cordes du tambourin, en marquant toutes les cadences ; ce qui fait un plaisant carrillon auquel petit à petit on s’accoutume ; deux violons accompagnaient cette symphonie au son de laquelle nos jeunes Basques dansaient sans discontinuer, très légèrement et de bonne grâce, ce qu’ils ont fait pendant trois jours et quatre nuits que nous avons été à Saint-Jean-de-Luz (Colin et Raynaud 1830 : 129)
La tradition d’Ainhoa veut que Joannes de Quirno, harponneur de baleines et originaire du village, ait dansé pendant trois jours à Saint-Jean-de-Luz à cette occasion. Il fera bâtir trois maisons à la frontière d’Ainhoa, qui seront à l’origine du quartier de Dantxaria (le danseur) (Elso 1966 : 41). Le même ordonnancement se reproduit tout au long du xviiie siècle. Le 2 juillet 1772, la communauté de Ciboure reverse 12 livres « aux danseurs qui ont été audevant de Madame de Trudaine » à son retour de Saint-Sébastien. Trois tambourins les accompagnent. Les 24–25 août 1784, Mgr de Neville, intendant de Pau et de Bayonne se rend à Saint-Jean-de-Luz, à un moment où la ville et le système foral du Labourd connaissent une crise économique et institutionnelle sans précédent. Il est ac34 • 35 •
Une facture du 28 janvier 1662 mentionne les « cascabilles », sans que l’on en connaisse l’occasion. Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, etc, publ. par G.B. Dupping, t. II, Paris, Imp. Nationale, MDCCCLI, in 4°, p. 820, cité par F. Michel (1983b [1857] : 114).
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cueilli par les inévitables « danseurs grelotiers », qui portent rubans, cocardes et « barrets », et leurs tambourins. De Mouchy Maréchal de France et commandant en chef pour le Roi en Guyenne bénéficie des mêmes honneurs quelques jours plus tard, le 5 septembre. Les danseurs sont aussi mobilisés pendant deux jours pour le passage d’Esmangart, intendant de Bordeaux, en mai 1775. Un deuxième registre de danse concerne la danse protocolaire, qui prend ici deux formes essentielles : une danse en chaîne du type soka dantza, et les sauts basques, exécutés par des segments définis de la société locale, selon le rang social ou la classe d’âge. La documentation, à la différence de la Pamperruque bayonnaise, est plus que lacunaire sur ce point. Seul un compte rendu relativement précis du Mercure de France d’une fête de 1729 à l’occasion de la naissance du Dauphin, permet de pointer le pluralisme des contextes d’exécution de la danse : on vit plus de trente danses à la mode du pays, depuis midi jusqu’à neuf heures du soir ; ces danses ou branles en file se rencontroient quelques fois dans une rue au nombre de cinq ou six, faisant différentes routes, ce qui formoit une confusion des plus plaisantes. Mais quand la danse principale qui étoit sortie de l’Hôtel de Ville parossoit, les autres qui se rencontroient sur son chemin s’arrêtoient pour la laisser passer […] une singularité que l’on ne doit point omettre, c’est que le deuxième jour de la fête, cinquante hommes au-dessus de soixante ans s’abouchèrent avec autant de femmes de leur âge, et firent en pamperruque le tour de leur ville, après quoi ils dansèrent un saut basque dans la grande place avec toute l’agilité naturelle à la nation. On a remarqué qu’il n’y a point de contrée dans le royaume où l’on ne voye tant de vieillards ni si dispos que dans ce pays. (Le Mercure de France, 2 octobre 1729)
Tambourins et violons sont bien sûr mobilisés pour le bal ordinaire, troisième contexte de danse, que ce soit pour les fêtes patronales ou à d’autres occasions. En 1737, pour la Saint-Jean, les commanditaires distinguent le paiement des tambourins « aux danses et au bal », peut-être afin d’établir une distinction entre l’accompagnement des compagnies itinérantes de danseurs et le bal proprement dit. S’ajoutent à ces occasions les danses itinérantes de carnaval, sans parler des usages protestataires de la danse et de la fête, à l’image de la mascarade dansée des femmes de Saint-Jean-de-Luz protestant contre la gabelle durant le carnaval de 1726 (Dop 1932, cf. chap. 6). D’autres formes de représentation plus énigmatiques enfin sont mentionnées, comme la « farce du chat » jouée à Ciboure en 1704 à l’occasion de la naissance du duc de Bretagne par « Bourguiñon, Langevin avec leurs camarades », et un tambour que l’un des camarades en question a crevé « lorsqu’il couroit dans les rues »36. Deux tambourins et un violon sont réquisitionnés pour la même occasion. Enfin, les tambourins pouvaient être embarqués par les marins. Si l’on en croit son biographe, le corsaire hendayais Étienne Pellot Montvieux aurait pris avec lui un joueur de tambourin lorsqu’il s’arrogea le commandement des Deux Amis le 4 août 1798. « Au son du fifre et du tambourin », Pellot jouait « les sauts basques » et « c’est au bruit de la musique qu’on amarina cinq prises portugaises. » (Duvoisin 1856 : 52)
36 •
AD 64, Arch. com. Ciboure, CC 2, 1704.
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La société du tambourin
Illustration 3 : Louis-Albert-Guillain Bacler d’Albe, C. Engelmann (lith.), Le tambourin basque, environs de Saint-Sébastien, xviiie siècle (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
Instruments et provenance des ménétriers Une telle profusion de célébrations, qu’elles soient cycliques ou occasionnelles, traditionnelles ou prescrites, crée les conditions d’un marché pour les ménétriers de la contrée. Les rares données disponibles permettent de caractériser leur activité sur quelques points. Concernant le type d’instruments mobilisés, tout au long du xviie et du xviiie siècle, ce sont des tambourins (couple flûte à trois trous xirula et tambourin à cordes ttunttuna ou soinua)37, violons (xirribika ou arrabita) et tambours ou caisses (atabala) qui sont sollicités. Pour la procession du Sacre de 1614 à Saint-Jean-de-Luz, il est fait mention, aux côtés des neuf tambourins et des violons, de 20 « pfifres » qui accompagnent la compagnie militaire de M. de Guisse. En 1619, la ville gratifie Auger, « sonneur de violle ». En 1730 et 1731, pour la Saint-Jean, l’orchestre de violons et de tambourins s’étoffe d’un basson, joué par Atredo. En 1722, pour le sacre de Louis XV, six tambours, 37 •
Ttunttuna est parfois orthographié suntsuna dans les textes basques anciens, comme dans le poème anonyme Besta ona (bonne fête) de 1766 : Besta huntan / cer dirot offrenda / flocatchotan çaitçunic agrada / Suntsun chirolec / et ‘atabalec ez duquete / eguin beguitarte. « En cette fête, que puis-je offrir, en petits bouquets (c’est-à-dire en vers strophiques), qui vous soit agréable ? Tambourins, flûtes et tambours ne peuvent faire bonne figure » (Orpustan 1998).
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un fifre (probablement liés aux miliciens) et des tambourins sont rémunérés. En 1736 et 1737, outre les habituels tambourins et violons, la ville paye « un aveugle organiste pour avoir touché le clavecin au bal ». Par ailleurs, la ville de Saint-Jean-de-Luz dispose de tambours de ville proprement dits, qui constituent l’accompagnement ordinaire et minimal des actes protocolaires civils et religieux, et dont les gages sont portés au budget annualisé des employés de la communauté38. En ce qui concerne la provenance des ménétriers, une distinction doit être opérée entre musiciens locaux et extérieurs. Sur le premier plan, outre les tambours de ville, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure comptent également sur quelques tambourins, comme Domingo, « tambourin de la ville » à Saint-Jean en 1735, et violons originaires du lieu. Cependant, les deux cités maritimes ont régulièrement recours à des ménétriers extérieurs. En 1656, à l’occasion du passage du « Maréchal », la ville de Saint-Jean-de-Luz, outre ses propres tambourins, a recours à ceux d’Ustaritz et de Saint-Pée et à un violon de Sare. En 1668, Jean de Gasor « Sirribiq » (très probablement du basque xirribika, violon39) joue avec un tambourin d’Ustaritz pour la Saint-Jean (Truffaut 1988). Pour les fêtes de la Saint-Jean de 1730 et 1731, ce sont deux violons de Bayonne qui sont convoqués aux côtés du bassoniste Atredo et, en 1731, de Vicente, le tambourin local. En 1734, un tambourin d’Ustaritz joue aux côtés du tambour de Villefranque et du violon Miguelcho. Pour les fêtes de la Saint-Jean de 1735, 1736 et 1737, un tambourin et un tambour viennent de Villefranque, avec le fils de Miguelcho au violon, Domingo le tambour de la ville, l’ensemble étant dirigé par « Martin, chef des tambourins », dont on ne peut que supposer, de par la familiarité du seul prénom, qu’il soit originaire du lieu. Pour le passage de doña Isabel en 1748, ce sont encore les tambourins de Saint-Pée et d’Ustaritz qui sont retenus. En 1772, trois tambourins, dont deux venus de Bayonne, accompagnent les danseurs à l’occasion du passage de Madame de Trudaine. C’est encore un tambourin de Saint-Pée qui est appelé en 1779 pour la naissance de la Dauphine. Les tambourins du même village sont mobilisés pour un feu de joie en 1785 et, avec des tambourins bayonnais, pour la Saint-Jean. Les passages de personnalités peuvent, à l’occasion, mobiliser un plus grand nombre de ménétriers et, de ce fait, étendre le recrutement parfois jusqu’à la Basse-Navarre. En 1729 à Ciboure, 14 tambourins, deux violons et quatre tambours venus du Labourd et de la Basse-Navarre sont mobilisés pendant deux jours et demi à l’occasion des fêtes données pour la naissance du Dauphin. Outre leurs gages, la communauté doit prendre en charge le logement de ces ménétriers venus de paroisses éloignées. Neuf des tambourins de Basse-Navarre et de Labourd seront ainsi logés chez la veuve Dartiague, et y prendront visiblement leurs aises, au vu de la facture commentée adressée à la communauté par la tenancière : Jaun bailea egortcen dauçut soinulariyen qontuba batta berceareqin gusciyac egintuste zortci otronca bata berceareqin gosariyaq ain onac ceinetan erretiratcen cirean bere laurden erdi [binde eror/eron ciyoa] edaten baicuten bere ohe eta embrascu gusciyeqin ceinetan ezpaitut uste sobra icanen caicula ahaliq eta gustuqiyena emman[?]ten dut bederatciren artean 54 l.
38 • 39 •
En 1784 par exemple, le maréchal ferrant Jean Coret bat la caisse deux fois pour la capitation, etc. Les comptes de 1659 signalent également avoir « payé au Sirribicq et Tambourin pour avoir sonné la veille, le jour et le lendemain de la saint Jean ».
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Eta nais cure nesqato Ganna Detcheberry Dartiagaren allargunna40 [Monsieur le bayle, je vous envoie les comptes des sonneurs. L’un dans l’autre, ils ont pris huit repas, en moyenne leurs déjeuners étaient si bons que quand ils se retiraient ils buvaient leur moitié de quart [de vin ? de rhum ?], avec leur lit et toute la gêne, dont je ne pense pas que cela vous semblera excessif, ce qui donne, au plus juste [?], entre les neuf : 54 l. Je suis votre jeune fille/servante obligée, Ganna Detcheberry veuve Dartiague] (notre traduction)
Saint-Jean-de-Luz et Ciboure, deuxième noyau urbain du Labourd, ont ainsi, tout au long des xviie et xviiie siècle, très régulièrement recours aux tambourins et ménétriers locaux et extérieurs. Si la danse et la musique accompagnent le prestige de ces deux villes au xviie siècle, elles restent présentes tout au long de son déclin au xviiie. À la différence de Bayonne, le recours aux danseurs, pour la plupart du lieu même, à l’occasion des visites et évènements exceptionnels est une pratique récurrente, qui perdurera au xixe siècle. Rôles, fonctions et statuts des ménétriers en milieu rural Plus éparses, les sources concernant les ménétriers en milieu rural permettent cependant de compléter les données recueillies à Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure. Les fonctions de la musique : de la fête au travail Les occasions de jeu, d’une part, sont à peu près les mêmes et se concentrent pour l’essentiel autour de trois fonctions : accompagnement des milices provinciales, passage de personnalités et fêtes calendaires. Tambours et, occasionnellement, tambourins accompagnent les milices provinciales et les portions de milice fournies par chaque communauté, à l’occasion de mobilisations ou de simples revues. L’exemple du Labourd est significatif. La délibération des États du Labourd du 11 mai 1779 rappelle les règles de l’organisation de la milice. Une fois avoir rappelé, selon la coutume du Labourd que « […] chaque communauté dans la composition de la compagnie observera de ne nommer pour miliciens que des maîtres de maison ou des héritiers »41, la délibération précise que « chaque compagnie devra être composée de 50 hommes, compris un capitaine, un lieutenant, deux sergents, quatre caporaux, un tambour et un tambourin. »42. La milice compte au xviiie siècle 1 000 hommes potentiellement mobilisables, chaque paroisse devant fournir une portion à hauteur de sa population (Dravasa 1950 : 42). En décembre 1721, le Biltzar du Labourd choisit des députés pour organiser la réception des deux princesses « qui doivent passer par le pays pour la haute et double alliance des deux couronnes ». À cette occasion, miliciens et « un nombre de danseurs » sont mobilisés43. 40 • 41 •
42 • 43 •
AD 64, Arch. com. Ciboure, CC 3, Lettre de Decheberry veuve Dartiague au Bayle de Ciboure, octobre 1729. « […] la milice, quoique levée et prête, ne marchera pas sans la plus grande nécessité, et dans ce cas ceux des chefs de maison qui seront nommés pourront se faire remplacer par échange, pourvu que les sujets qu’ils présenteront à leur place soient capables du service, du païs même et y domiciliés. Parmi les chefs de famille mêmes, il ne doit être nommé pour miliciens que des gens de mise, et point au-dessous de 18 ans, parmi lesquels on choisira tout particulièrement les sergents et les caporaux. », AD 64, C 1621, Délibération des États du Labourd, 11 mai 1779. Ibid. supra. AD 64, C 1620, États du Labourd, décembre 1721.
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En mai 1775, lors de la tournée que doit effectuer l’intendant en Labourd, Damestoy, syndic général du Labourd reverse 28 livres 4 sols « aux tambourins de Villefranque et a un autre joueur de tambourin et de violon de Bayonne qui ont joué à Ustaritz et sur la route de Villefranque pour égayer Mr l’intendant et sa suite »44. En 1782, à l’occasion du passage du comte d’Artois, le syndic Haranboure dont déléguer 100 hommes du pays de Labourd « aux volontaires » aux ordres du baron de Garro, qui monteront la garde au Boucau et au pas de Béhobie. Ils sont accompagnés par le tambour et tambourin « fournis par la paroisse de Hasparren ». Sera également défrayé « un tambourin de Villefranque qui avoit été employé à la garde de monseigneur compte d’Artois »45. Les tambourins sont réquisitionnés lorsque les portions paroissiales de la milice sont levées à l’occasion de revues ou de réjouissances prescrites. Ustaritz célèbre en octobre 1752 un feu de joie en action de grâce du rétablissement de la santé du Dauphin, sur demande de Darancette, syndic du Labourd. La milice est mise sous les armes et un tambourin lui est adjoint : Mr de Haitze, écuyer, capitaine de la compagnie de la présente paroisse sera adverty et prié par les sr abbé et jurats de faire mettre sous les armes les soldats de sa compagnie pour led. jour, que le sr abbé fera fournir deux charrettées de bois, du bois commun et une charrettée de branchage, 15 livres de poudre, fournir aussi aux dépens de la communauté une barrique de bon vin qu’il choisira de ceux appartenant au sr Desquerre notaire royal pour le prix qu’il conviendra avec ce dernier, aussi led abbé fournira deux conques de froment, qu’il y aura un tambourin dans lad compagnie pour le jour de réjouissance.46
En juin 1743, le comptable de la communauté de Hasparren, « pour marquer la réjouissance du feu de joie sur les ordres qu’il avait reçu de Mr. Hureaux avait appelé un tambourin, un violon et un tambour ». Toujours à Hasparren, en mars 1749, à l’occasion de la fête de la Paix, un repas est offert aux autorités du village et officiers de la milice (charge-tenants, greffier, 12 députés, curé, capitaine, lieutenant, porte-enseigne, et deux sergents). En outre chaque soldat recevra 12 sols, et il revient à l’abbé de retenir deux tambours, deux tambourins et un violon47. En 1753, Hasparren rétribue des tambourins pour le passage du Marquis de Paulmy. En 1781, la communauté de Biarritz paye le « louage du tambourin » lors de la réjouissance pour le Dauphin48. Le même modèle de réjouissance vaut pour le nord du Labourd et de la Basse-Navarre, dépendant notamment des ducs de Gramont. En novembre 1781, à l’occasion de la naissance du Dauphin, le corps de ville de Labastide-Clairence organise un programme en tout point similaire aux autres paroisses : Te Deum, feu de joie, illuminations, mise sur pied de la Compagnie bastidote des Bandes Gramontoises, bal avec tambourins à l’hôtel de ville. Ce programme sera pratiquement répété un mois plus tard pour la victoire des armées du Roi et de celles des États-Unis d’Amérique sur les Anglais (Dufourcq 1990 : 173). À Bardos, tambours et tambourins accompagnent régulièrement la portion locale des Bandes Gramontoises, soit pour les réjouissances locales soit pour les déplacements des soldats. En 1712, la milice de Bardos, composée de trois compagnies soit 49 soldats, 44 • 45 • 46 • 47 • 48 •
Bib. mun. Bayonne, Fonds Bernadou, Ms. 3571, Compte des syndics généraux du Labourd. Ibid., Ms. 3573. AD 64, BB 4, Arch. com. Ustaritz, Registre des délibérations, 3 octobre 1752. Mairie d’Hasparren, Arch. com., Registre des délibérations, 9 mars 1749. AD 64, Arch. com. Biarritz, CC 14, comptes des maire-abbés.
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deux sergents et quatre caporaux, est convoquée à Bidache pour recevoir la Reine douairière d’Espagne. Outre le tambour de la Compagnie, des tambourins et des violons sont envoyés, par ordre du receveur M. de Gallardie, « pour sonner à l’arrivée de la Reine ». Si le tambour est réglementairement rattaché à la Compagnie de la milice, un tambourin est souvent mobilisé pour ses sorties, en particulier vers Bidache, chef-lieu des Gramont. En 1738, c’est un « Maître tambourin » qui y accompagne les soldats de Bardos. En 1730, la fête organisée à Bardos à l’occasion de la naissance du Dauphin voit l’activation du dispositif habituel : barrique de vin, soldats, poudre à fusil, repas pour les notables, feu de joie. Trois tambourins sont rémunérés : « à chacun six livres à Elissagaray père, Bordenave tambourins et au tambour à chacun trois livres pour avoir sonné lors de la réjouissance faisant en tout cy 27 l. »49. L’appel aux miliciens, ménétriers et, à l’occasion, danseurs, semble d’usage ancien sur les terres des Gramont. En octobre 1672, Louis de Froidour, au cours d’une enquête sur les forêts de Mixe et du pays de Bidache signale, dans une lettre datée du 14 octobre, avoir vu au château de Bidache à chaque repas les danseurs, les violons et les fifres et tambourins de basque. Je vous dis tambourins, car pour les tambours que vous avez vu autrefois appeler tambours de basques n’y sont plus en usage, car ces tambourins sont des espèces de violons à 7 grosses cordes, qu’on touche avec une baguette comme un tambour50.
Outre les ménétriers locaux, on notera que Bidache, par l’importance politique de la principauté de Gramont, a également constitué un lieu de croisement de musiciens venus d’autres pays français et espagnols, ce qui a probablement contribué à des échanges et transferts musicaux. Le 22 juin 1659, Mazarin est à Bidache. À cette occasion, la milice gramontoise y forme dix compagnies à 150 hommes chacun, et à l’issue du festin, grands seigneurs et officiers peuvent écouter un « délicieux concert de violons, hautbois et autres instruments » et se distraire à regarder les « diverses danses à la française et à l’espagnole qui plurent beaucoup à toute la compagnie »51. On notera également la présence de tambourins dans le régiment de Royal Cantabres. Ce corps de l’armée royale, créé en 1745 à l’initiative du Chevalier de Béla, est initialement composé de Basques et de Gascons et compte 10 compagnies de 50 hommes chacune. Aux côtés des tambours ordinaires, « il sera de plus entretenu à la suite dudit régiment quatre tambourins pour l’engagement, l’habillement, le sabre et l’équipement de chacun desquels il sera payé cent livres ainsi qu’il est payé pour chaque fusilier et ils recevront aussi douze sols par jour pour leur solde »52. Le régiment constituera un espace de jeu et d’interactions et de circulations musicales probables pour des tambourins basques et gascons hors de leur territoire d’origine. Les frais ainsi entraînés pèsent lourdement sur les paroisses et les provinces. À l’occasion du passage de la Dauphine en janvier 1745 à Bayonne, dont nous avons souligné les fastes, les paroisses
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AD 64, Arch. com. Bardos, CC 4, Comptes des maire-abbés. La communauté alloue également 20 sols « au marin à présent demeurant à Chaharne pour garder sur la place ladite barrique de vin afin qu’elle ne soit pas büe trop tôt ». Lettres écrites par M. de Froidour, publ. par Paul de Castéran, Auch, 1899, p. 207, cité dans Robert 1984 : 138. Loret J., La Muze historique…, pub. par Ch.L. Livet, Paris, 1878, t. III, p. 86, cité dans Robert 1959 : 143. Archives nationales (AN), F 4725 (110), Ordonnance du Roi portant création d’un régime d’infanterie de troupes légères, sous le nom de Cantabres volontaires, 15 décembre 1745.
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environnantes sont sollicitées. Le syndic du pays de Labourd, répercutant la demande du lieutenant du Roi à Bayonne, exige de la communauté d’Ustaritz, « 200 hommes les plus beaux », des sabres, des chevaux, des mulets, du fourrage pour les bouviers commandés pour la manœuvre pour la suite de la Dauphine. Le choix des soldats entraîne 12 livres de dépense pour les députés des quartiers. Le 5 février 1745, la communauté est d’avis que « chaque paroisse du pays paye ses soldats qui ont été au passage de Mme la Dauphine, celle cy ayant commencé de payer les siens ». Le 17 août 1745, discutant la proposition du Biltzar du 10 août, Ustaritz estime que : ceux de Saint-jean-de-Luz et de Siboure [sic], s’ils ont fait quelque dépense à l’occasion du passage de Mme la Dauphine, ils doivent la supporter vu mêmes qu’ils l’ont faite sans la participation du général du pays, tout ainsy que le pays doit souffrir celle qu’il a faite à cette occasion53.
Ces réjouissances exceptionnelles mises à part, les ménétriers sont convoqués au service du cycle festif annuel des communautés. Cet accompagnement est systématique pour la Fête-Dieu et l’Octave (chap. 3), il l’est également pour les carnavals et les fêtes patronales. Les comptes de Saint-Pierre d’Irube signalent ainsi la présence de tambourins avec la milice pour la Saint-Pierre aux xviie et xviiie siècles, et pour la Sainte-Anne, célébrée chaque année entre 1715 et 1740 en remerciement du don fait en 1714 à l’église de Saint-Pierre par la reine d’Espagne Marie-Anne de Neubourg (Desport 1985 : 128). On notera cependant qu’à quelques exceptions près (Saint-Pierre-d’Irube, Saint-Jeande-Luz, Ciboure), il est rare que les comptes des maires-abbés signalent le paiement de ménétriers pour la fête patronale, alors qu’ils le font de façon systématique pour la Fête-Dieu. On serait tentés d’y voir, comme pour le carnaval, une responsabilité déjà à la charge de la jeunesse et n’ayant laissé que peu de traces archivistiques. Comme signalé pour Saint-Jean-de-Luz et Ciboure, les tambourins des villages labourdins sont également réquisitionnés pour des fonctions autres que l’accompagnement musical des fêtes. Le tambourin de Bidart est aussi sonneur de cloches pour les processions des Rogations entre 1737 et 173954 et pour la visite de l’évêque en 1737. À Macaye, le tambourin se fait messager de la communauté auprès de celle d’Ossès au sujet d’un litige sur les limites en 1753. Dans le même village labourdin, en 1749, 1752 et 1774, le maire-abbé rétribue le tambourin pour avoir joué de la caisse durant les corvées collectives de réparation du grand chemin, soit à titre d’avertissement aux travailleurs, soit pour accompagner le travail lui-même. À Bardos, au xviie siècle, tambours, tambourins et parfois violon (1672) sonnent régulièrement pour les corvées de réparations de chemin, dites ici « besiau » ou « veziau ». Au xviiie siècle, c’est le tambour qui est requis pour cette mission, comme en 1766 où « Tantoua » joue de la caisse pour « toutes les besiaux et occasions de la communauté ». Ailleurs, comme à Hasparren, c’est le tambour seul qui bat pour l’appel et l’accompagnement des travaux collectifs. Dans ce gros bourg en 1695, le batteur de caisse est défrayé pour avoir joué pendant deux jours lors de la plantation des chênes et deux autres jours pour « faire faire les chemins aux habitants, selon l’ordre du syndic du Labourd ». Détail intéressant, le tambour qui bat la caisse 53 • 54 •
AD 64, Arch. com. Ustaritz, Registre des délibérations, 1745. Par exemple en 1727 : « guehiago Piarres Thamburinary arrogaçioneco egunean esquilletan jotcea dela medio pagatu 1 » (plus à Piarres le tambourin pour avoir sonné les cloches, avons payé 1).
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alors pour les chemins (également en 1701–1702) est le sieur jeune de la maison Tambourindeguy ou « maison du tambourin », également en charge de la réparation de la caisse, de la peau de chèvre, des cercles et bâtons. En 1713 les tambours Pierre Claverie et Pierre de Lambert battent pour les réparations des chemins, mais aussi pour une chasse au loup à Lourminttoa. En 1734, Pierre Lambert tambour touche la somme de 9 pour avoir battu la caisse pendant 9 jours – soit : 4 jours à la chasse du loup, vers la côte de la Bastide, et 5 jours aux réparations de chemins. En 1761, c’est le tambour Miquelaundy qui bat pour les réparations de chemin et les plantations de chêne. À Bidache vers 1670, le comte de Guiche « fit élever au son du tambourin une terrasse pour communiquer de la ville au château ; le vin était prodigué aux ouvriers et les journées se terminaient par des danses »55. Se dessine ainsi une fonction moins publicisée des tambours et tambourins, voire des violons, celui d’accompagner et de rythmer les travaux collectifs, dits auzolana « travail entre voisins » en basque, ou veziau en gascon, fonction qui place une fois de plus le ménétrier au cœur des besoins de la communauté locale. Statut social des tambourins et ménétriers Du statut social du tambourin sous l’Ancien Régime, l’on ne saurait qu’émettre des hypothèses. Il est parfois employé de la communauté, comme le sont à Macaye les tambourins Joannes d’Hiribarren en 1640 et Joannes d’Arguints « tambourin du présent lieu et de celluy de Louhossoa » en 1718. Il apparaît parfois comme « tambourin » ou « ménétrier » de profession et souvent, ici comme ailleurs (Charles-Dominique 1994), semi-professionnel avec une activité annexe d’artisan. Sur environ 200 profils de tambourins, joueurs de violon et ménétriers, recueillis du xviie au xixe siècles en Labourd, Basse-Navarre et Soule, 131 indiquent leur activité professionnelle principale, soit : 28 tambourins de profession, 26 « ménétriers », 19 joueurs de violon, 11 « musiciens » ; 2 joueurs de vielle ; 2 professeurs de musique ; 16 tisserands ; 5 tailleurs d’habits, 5 laboureurs, 4 meuniers, 4 cordonniers ou sandaliers, 4 infirmes, mendiants, sans profession ou musiciens ambulants, 3 charpentiers, 3 aubergistes, 2 forgerons, 2 tambourins employés de la communauté, 2 duranguiers (ouvriers ou marchands de laine), 1 potier, 1 instituteur, 1 quincaillier, 1 pêcheur. Nous manquons en revanche d’éléments sur l’emploi permanent des ménétriers par les villes (hors tambours et trompettes). Plusieurs indices laissent augurer d’engagements relativement pérennes pour la fin du xviie siècle à Bayonne. En 1663 la ville accorde 100 livres à Lemaigre, maître joueur de violon « pour ses gages annuels pour jouer du viollon », ce qui suppose un engagement à l’année dont nous ignorons les modalités. En 1682 « la bande de violons de la ville » est mentionnée. La même année, la ville rétribue un « joueur d’instruments pour deux années de son logement »56. Quelques rares contrats d’apprentissage signalent le double état d’artisan et de ménétrier. J. Robert indique qu’en 1652 à Bardos, en pleine Fronde, Bernard de Camugaray57, tissier et violon du village, prend en apprentissage Étienne de Larran, fils de Martin, tissier à Gachen (Guiche ?) 55 • 56 • 57 •
Selon les dires de Galart, receveur des Gramont, dans une notice consacrée en 1810 au château de Bidache, Archives de la maison de Gramont, B 9, pièce 1, f°4, cité dans Robert, 1974, op. cit. : 138. AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 174. AD 64, IIIE 7614, Notaire Casenave, Bardos. Robert lit « Lannegaray », je lis plutôt « Camugaray ».
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pour lui apprendre à jouer du violon selon son « pouvoir et sçavoir durant cinq mois et le nourrir d’aliments de bouche moyennant la somme de 36 livres, la moitié de cette somme devant être versée le jour de la pentecôte, l’autre moitié à la fin du cinquième mois ». En outre, Bernard de Camugaray permettra à Étienne de Larran d’aller « sonner le dimanche », c’est-à-dire de jouer du violon dans les bals (Robert 1974 : 138). En 1788 à Guiche, Comp, tailleur d’habits demeurant à la maison Mounache, prend pour apprenti Robert Destrac, fils de Jean, marchand, pour une durée de quatre ans et deux mois, il s’engage aussi à lui enseigner le violon. On notera enfin que la corporation des ménétriers aveugles de Sarrant (Gers), qui forme aux xviie et xviiie siècle des apprentis joueurs de violon, tambourin et « cinfonie » (vielle) venus de toute la Gascogne, du Roussillon et du Béarn, comprend en 1626 un joueur de violon aveugle venu du Pays basque (Antoine Fargue) et allié par mariage à une famille de violons de Sarrant, et en 1606 le joueur de violon, Jean Filhol, « dit Bayonne » (Gilard-Fito 2002). Il faut noter, dès l’Ancien Régime, et le constat se renforcera au xixe siècle, la présence marquée de tambourins et de ménétriers originaires de maisons et quartiers d’origine cagote ou réputés tels. La filiation a été largement soulignée pour les provinces basques du sud, et singulièrement pour la Navarre (Sánchez Ekiza 2005 ; Aranburu Urtasun 2008 ; Ramos 1990a et b). Au Baztan, le quartier réputé cagot de Bozate à Arizkun est aussi celui qui fournit les meilleurs txistulari, jusqu’au xxe siècle. Côté nord, Francisque Michel signale en 1847 la fréquence des musiciens chez des cagots par ailleurs spécialisés dans les métiers du bois, donc luthiers potentiels. Dans son étude sur les cagots de BasseNavarre, Jean-Claude Paronnaud signale pour les xviie–xviiie siècles un nombre conséquent de joueurs de tambourin et de violon parmi les cagots d’Anhaux (quartier Xuhitoa), Baïgorry (quartier Mixelene), Saint-Jean-Pied-de-Port, Ahaxe, La Madeleine, Harriette, Saint-Jean-le-Vieux, autant de territoires qui seront des viviers de musiciens tout au long des xixe et xxe siècles : Tableau 3 : Musiciens cagots bas-navarrais relevés par J. -Cl. Paronnaud Joueurs de tambourin
Anhaux
1720 1725 1731 1732 1800
Pierre Harispe habite Chubitoa Gabriel Derrecart gendre d’Aguerre, Chubitoa Pierre d’Augerot habite Chubitoa Pedro Oyherot maître de Harispe, Chubitoa Michel Bordagaray fils d’Oyhenart, né en 1772 (aussi tisserand)
Baïgorry
1700 1704 1709 1713
Peilloco Etcheberry habite Mitchelenea Pedro Mathiasarena habite Mitchelenea Pedro Legassa habite Mitchelenea Peilloco – maître ancien de Etcheverry, habite Mitchelenea
Saint-Jean-Pied-de-Port
1717
Pierre Oyherot
Ahaxe
1707
Miguel Mirandey dit Goyhenetche, maître de Tambourindeguy
La Magdeleine
1768
Martin Etchebers d’Alciette
Harriette
1720
Pierre Naborza
Saint-Jean-le-Vieux
1692 1693
Joannes Oyhereguy Joannes Pouchoulouteguy
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La société du tambourin
Joueurs ou sonneurs de violon Anhaux
1727 1731 1739
Pierre Errecart habite le moulin de Sorhouette Pierre Errecart Tafernaberry, habite Chubitoa (aussi journalier) Joannes de Recart habite Tafernaberry, Chubitoa (aussi tisserand)
Saint-Jean-Pied-de-Port
1773 1785 1789
Pierre Ithurralde Bernard – fils Ithurralde de La Magdeleine Bernard Bidart Ménétriers
1795 Baïgorry 1826
Michel Brust habite maison Legassa d’Ispeguy, né 1772, an XII Guillaume Brust maître de Bidart de Mitchelenea Michel Brust maître de Bidart de Mitchelenea
À partir de Jean Claude Paronnaud, « Les cagots » , Centre de généalogie des P. A., consulté le 3 juin 2015 (document informatisé d’origine disponible auprès du CGPA http://cgpa64.free.fr/cagots/)
À St-Jean-le-Vieux, des descendants de cagots sont ménétriers réputés comme la lignée des Othéguy dits Landaburu (du nom de leur maison du quartier de la Madeleine) aux xixe–xxe siècles. Au moins trois générations de joueurs de violon se succèdent : Jean Othéguy I (1808–1891), Jean Othéguy II (1839–1918) et Jean Othéguy III (1875–1957). Ils marqueront de leur empreinte la tradition basnavarraise, tout comme le feront les Bentaberry, auxquels ils sont apparentés (Sagaseta 2011 ; Aurnague 1993). Autour de Domezain, les Gastellu-Etchegorry (dits « Gathulu ») forment une longue lignée de potiers, tisserands et tambourins. À Baïgorry au quartier Mixelene, la famille Brust compte encore plusieurs joueurs de violon au xixe siècle : Guillaume Brust « ménétrier » et maître de Bidartea meurt à Baïgorry en 1842 ; en 1833, Pierre Brust est porté comme instituteur et joueur de violon. Plusieurs musiciens descendants de supposés cagots sont également repérés à Ustaritz-Arrauntz, autre creuset de musiciens. Le Dr. Fay (1910) signale que la profession de tambourin est souvent adoptée par les cagots pyrénéens58. Louis de Froidour qualifiait ainsi au xviie siècle les cagots de Soule : « […] ils sont toujours fort souples et fort soumis, servent tous ceux de la compagnie où ils se trouvent, sçachant qu’ils n’y sont que par tolérance, et la plupart sont charpentiers, violons ou tambourins » (Densusianu 1828 : 238). Marikita Tambourin rapporte un témoignage de 1675 de Juan de Mendiri, notaire de Saint-Jean-Pied-de-Port, selon lequel les cagots de Cize et de Baïgorry occupaient les métiers les plus modestes : meuniers, charpentiers, tambours et tambourins (Tambourin 2016 : 51). Nous avons noté plus haut à Bayonne le recours récurrent aux tambourins de la famille Buztingorri ou Boustingorry : trois d’entre eux, probablement bas-navarrais, jouent pour le passage de la Dauphine en 1745 et l’ensemble des 22 tambourins est commandé par un Buztingorri. En 1738 c’est également avec Joanes Boustingorry59 père et fils d’Ayherre que les charpentiers de maison 58 •
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Le Dr. Fay signale ainsi Pierre de Tambourin à Rivière (1736), Anton Tambourin à Saint-Jean-Pied-de-Port (1781), Enaut maître de Tamborindeguy à Uhart-Cize (1683), N. Tamboury à Nabas (1640), Bernat Tamburane à Argelès (1624), Jeanne Tamburane à Argelès (1624). Le contrat mentionne « Joannes de Bouscardin dit Bustingorry ». Il s’agit peut-être d’une erreur de graphie en lieu et place de Joannes de Muscardits, alors maître de la maison Bustingorry à Ayherre.
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de Bayonne passent contrat pour la Fête-Dieu et la fête de leur saint patron (cf. chap. 3). Une série d’indices laisse supposer qu’il s’agit de descendants de cagots ou réputés tels. Trois Buztingorry ou de Buztingorry (dont Jean, dit Juanto, d’Ayherre) figurent dans la liste des cagots du jugement du prieur de la cathédrale de Pampelune en faveur des Agots du 30 avril 1519. Le Dr. Fay mentionne également parmi les cagots deux Buztingorry de Hasparren (1665) et d’Isturitz (1665, 1667). F. Michel signale un baptême de cagots en l’église d’Isturitz le 29 avril 1665, qui voit être baptisée « Marie d’Etcheberry, fille légitime de Joannes d’Etcheberry et de Jeanne de Buztingorry ; estans parrin Joannes D’Othondo, tanborin du lieu d’Ustariz, et marraine Marie de Buztingorry, du lieu d’Ahasparren, tous estans Cagots, etc. » (Michel 1983a [1847]) : 72). À Méharin en 1798, Jean-Baptiste Bustingorry, deuxième cadet d’Eliçaldea, est porté comme « musicien », fils de JeanPierre Bustingorry « musicien » de profession, dans son acte de mariage avec Marie Haristoy, héritière d’Iriberry. À Ustaritz enfin, sont signalés en 1762 des Bouztingorry dans la maison Pouticorenea autrement Tambourin handirena (« maison du grand tambourin »)60. Le 8 juin 1704 à Ustaritz se marient Pierre de Boustingorry, héritier d’Archinbaita, et de Jeanne Detcheverry, fille de Martin Detcheverry dit Martin tambourin. Le nom « buztingorri » signifie par ailleurs « argile rouge », matériau des potiers, métier alors fréquent chez les cagots. À Macaye, le 26 mars 1671 décède Esteben Harriet, « cagot, tabourin [sic] », maître ancien de Garaicoetchea. À Anhaux, le 10 vendémiaire an XII (3 octobre 1803) se marient Michel Bordagaray « tisserand et joueur de tambourin » né à Anhaux le 31 octobre 1772, 31 ans, fils d’Antoine Bordagaray, charpentier, et Marie Oihanart, maîtres de la maison Oihanart. L’hypothèse de la filiation, importante mais non exclusive, cagote va de pair avec l’observation des circulations transfrontalières de ménétriers et tambourins. Ainsi voit-on le 10 germinal an IX (1800) Joseph Martingorena, né à Arizkun dans la vallée du Baztan en 1764, veuf de Marie Opoca de la maison Desquerrenea de Souraïde et y habitant, se remarier à Bassussarry en faisant étant de sa « profession de tambourin ». La famille Martingorena est originaire du quartier Bozate d’Arizkun, quartier cagot et creuset de joueurs de tambourins jusqu’au xxe siècle (Antolini 1991). En 1820, Cristobal Errotabehere, un autre meunier et tambourin d’Itxassou, alors en litige avec la jeunesse de Louhossoa à propos de ses gages de tambourin, vient lui aussi d’une famille originaire d’Arizkun. On notera la présence au xviiie et xixe siècle de nombreux meuniers originaires d’Arizkun et de Bozate en particulier (Amorena, Jaurena, Martingorena, Maistruarena…) en Labourd et en Basse-Navarre, et parmi eux quelques tambourins. Le 19 novembre 1865, le Courrier de Bayonne dresse le portrait Michel Crutchet dit « Muñagorri » ou « Chiroulirou », décédé à l’âge de 78 ans. « Tambourinaire nomade », infirme d’un œil, Muñagorri joue dans les foires et les fêtes, il est à l’occasion bertsulari et danseur. Il est lui aussi originaire du Baztan, d’Elizondo en l’occurrence. On ne peut que supposer, au vu de la parenté des danses des deux côtés de la frontière (mutil dantza au 60 •
Le 8 février 1762 se marient à Ustaritz Martin Boustingorry, fils héritier de Martin Boustingorry et Marie Haramboure, conjoints, sieur et dame des maisons Legartia de Halsou, et Pouticorenea et Tambourin handirena d’Ustaritz, et Jeanne Semacoitz fille de Vincent Semacoitz et feue Marie de Haitze, le premier sieur de Pochorrarenea de ce lieu. Plusieurs Semacoitz ou Samacoits sont mentionnés comme joueurs de tambourin ou de violon à Ustaritz, Villefranque et Bidache au xviiie et xixe siècles.
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Baztan, sauts basques en Pays basque nord) (Guilcher 1984 ; 1975) que la circulation transfrontalière des tambourins n’a pu que contribuer à celle des répertoires.
Illustration 4 : Portrait de Mendagorry (Muñagorri ?), anonyme, xixe siècle (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
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Les cagots, quant à eux, connaissent une discrimination sociale, qui s’atténuera très progressivement à compter du xviie siècle. Les trois états du pays de Soule, réunis en assemblée générale, réitèrent encore le 29 juin 1606 la défense « aux-dits Cagots, à peine du fouet, de faire l’office de meunier, de toucher à la farine du commun peuple, ni de se mêler dans les danses publiques avec le peuple, sous peine corporelle. » (Mémoire de Palassou, p. 371–372, cité in Michel 1983b [1857] : 211). « Au Pays Basque », souligne en 1866 Eugène Cordier à propos des cagots, « ils sont tambourins, font danser les vivants, mais sans se mêler aux danses » (1866 : 12). L’exclusion des cagots (et des bohémiens) des danses publiques, surtout en contexte cérémoniel, est attestée des deux côtés des Pyrénées, et ce bien au-delà du Pays basque. Les soka dantza ou danses en chaîne, danses protocolaires par excellence du Pays basque nord et sud, mettent en scène une société locale hiérarchisée, d’où sont exclus mendiants, maures, cagots et bohémiens. À cet égard, la figure du pont, soit le moment où la file de danseurs passe sous le mouchoir qui sépare le premier et le second danseur, fait l’objet d’interprétations controversées (Araolaza 2010). Pour le folkloriste Juan Antonio Urbeltz, les ponts nouent symboliquement un nœud destiné à renforcer la cohésion de la communauté locale mise en scène dans la soka dantza. La discrimination envers les gitans et les cagots, en particulier, serait reléguée depuis longtemps au rang des souvenirs. Selon d’autres interprétations, les ponts auraient pour fonction de légitimer les participants à la chaîne, et le cas échéant, d’ostraciser un représentant d’une caste inférieure. Le mouchoir se baisse alors, et le musicien attend que l’indésirable rejoigne les rangs du public. Cette seconde interprétation est présente dans la mémoire orale, notamment au Baztan : Les Agots de Bozate occupent une place déterminée à l’église ; c’est la dernière. Dans les processions, on les oblige souvent à marcher les premiers. On raconte que vers la fin du siècle dernier nul Bozatense n’avait encore la permission de s’arrêter sur la place d’Arizcun, d’assister au jeu de paume, et de s’asseoir sur les bancs du cimetière quand les autres habitants attendaient que l’office divin commencât. Ils ne prennent point part, si ce n’est comme musiciens, au bal, ou carricadantza, qui se tient d’habitude sur la place d’Arizcun ; ils en ont un de la même espèce, au centre de leur quartier ; néanmoins il y a des occasions où les jeunes de Bozate se mêlent avec les autres habitants sur la place publique. La plupart des Bozatenses sont pauvres, et exercent les professions de tisserands, de menuisiers, de meuniers, de fermiers, et surtout de ménétriers ; ils jouent, sur les places, de la flûte et du tambour de basque. (Michel 1983a [1847] : 72)
En 1901, Manuel Irigoyen, lui-même originaire d’Elizondo, indique le souvenir vivace de la pratique de l’expulsion de l’expulsion des « indésirables » par la figure du zubiak (ponts) de l’inguruko dantza (danse circulaire – danse en chaîne) : une des danses populaires du pays est appelée en basque inguruko dantza, ou danse à la corde : elle consiste à aller au rythme du chun chun autour de ceux qui en jouent. L’une des figures consiste à ce que le premier couple constitue une sorte de pont et que tous, à commencer par le dernier couple, y passent dessous. La même opération se répète ensuite dans l’autre sens. Cette figure ou cérémonie a pour objet de vérifier si quelqu’un est indigne de participer à la danse ; et si c’est le cas, de baisser le mouchoir, la ou le faire sortir de la danse et s’asseoir sur une chaise en signe de moquerie. Et les cagots étaient considérés comme indignes. Il y a moins de dix ans, le fait qu’une jeune fille de Bozate participe à la danse publique à Erratzu fut l’objet de sérieux dégoût et questions. De la même logique relève l’usage qu’ont ceux de Bozate de se divertir entre eux, autant durant les fêtes patronales de la Saint Jean d’Arizkun que les autres jours fériés, où ne manque pas le chun chun dans ce quartier, à l’exception du carême et de l’avent.
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Et comme les samedi les meuniers et autres métiers reviennent dans leur famille, les habitants de Bozate célèbrent avec allégresse le dimanche, sans monter à la place d’Arizkun. (Irigoyen y Olondriz 1901 : 142, notre traduction)
Le tambourin issu du quartier en question sera sollicité pour jouer sur les places, mais lui est alors paradoxalement prohibée la participation publique à la danse dont il garantit pourtant le bon déroulement. Il en a également souvent assuré la préparation en tant que maître de danse. Ce caractère ambivalent de marginal nécessaire durera bien au-delà de l’extinction de toute discrimination légale à l’encontre des cagots. On signalera en outre la présence de quelques ménétriers infirmes et aveugles en particulier, qui les place dans une posture sociale également spécifique. Mentionnons également la présence de quelques ménétriers parmi la population dite bohémienne du Pays basque, comme les Irigoyen, joueurs de violon à Menditte (Soule) au xixe siècle (cf. chap. 5). À Ciboure-Saint-Jean-de-Luz, « Miguelcho cascarota » (Miguelcho le kaxkarot) est porté comme joueur de violon dans le premier tiers du xviiie siècle. Son surnom ne laisse que peu de doute sur son appartenance à cette catégorie sociale dont la discrimination durera de façon bien plus tardive que pour les cagots. En 1632, la ville de Pampelune rétribue Domingo Ezpeleta, « muchacho gitano » (garçon gitan) de Baïgorry pour avoir joué du « rabel » et pour « danser et tourner ». Dans la même ville, Javier Echeverría, ttunttunero gitan d’Esquíroz (Haute-Navarre), accompagne les géants pour les processions de San Fermín de 1845 jusqu’en 1911 (Sánchez Ekiza 2005 : 178). Ces mentions restent cependant moins systématiques que pour les ménétriers réputés cagots. Cagots, kaskarot, bohémiens ou pas, les tambourins semblent néanmoins relever d’un statut social généralement modeste. Le profil de Pierre Garat (1777–1865), d’Itxassou, témoigne de cet état. Fils du tisserand Pierre Garat dit « Frin franc », et de Gracianne Elissetche, conjoints métayers d’Etchechuria, Pierre est lors de son mariage le 14 fructidor an IX (1801) porté comme « tambourin incommodé hors d’état de service pour la république ». De son mariage avec Marie Saint-Martin naîtront dix enfants. Dans les différents actes de baptême, le couple n’apparaît jamais comme propriétaire, mais comme métayers dans pas moins de six maisons du quartier de la Place, toutes voisines (Arrosa, Etxexuria, Donamartinea, Bergara, Harretxea, Hiperenia). Pierre Garat indique comme profession soit celle de tambourin, soit celle de tisserand. Toujours à Itxassou, le tambourin Domingo Diharce, locataire d’Ordokia, est retrouvé mort à Espelette dans la nuit du 1er au 2 décembre 1751. Sa succession ouvre un litige durable au tribunal du bailliage du Labourd, qui note en 1754 dans l’inventaire de ses biens « que ledit Diharce avoit sa maison assez honnêtement meublée et que lui-même étoit nipé de façon convenable à un homme de son état ». À Ainhoa en 1729, Mathias d’Ehals (ou de Haltz), « tambourin de profession » et également tisserand, gendre de Chapadorenea, loue à son beau-père la métairie de Nabascorenea [ou Nabarcorenea] consistant en un foyer, deux chambres et le dessous de l’une, ensemble un endroit pour tenir un métier de tisseran [sic] appartenant aud. Ehals, le tout du coté de la maison d’Adamerenea y compris cinq carreaux au jardin de lad maison de Nabascorenea, contigu à celui de la maison de Chaharrenea, et un recoin au choix du même Ehals, pour pouvoir y tenir une vache où autre bête semblable61. 61 •
AD 64, notaire Dassance, engagement pour Mathias d’Ehals, contre Michel de Berroët et Marie Duhalde, conjoints, 4 juillet 1729.
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L’appartement est « délabré et où il n’y a qu’un seul mur et des solivaux » et nécessite d’importants travaux. Le testament mutuel que Mathias d’Ehals et son épouse Estebenie d’Estebenot établissent en 1730, dans sa brièveté – huit sols à leur fille et aux futurs enfants potentiels, 30 sols à leurs parents respectifs62 – témoigne également d’une position socioéconomique modeste. Ces observations, cependant, ne sont pas déterministes, et les conditions sociales des ménétriers peuvent largement varier et évoluer, notamment au gré des alliances matrimoniales. Le 12 avril 1692, Anne d’Elgue, maîtresse d’Ainciburu de Saint-Jean-le-Vieux effectue une donation de cette maison et des biens y afférant en faveur de Joannes d’Oyhereguy, tambourin habitant SaintJean-le-Vieux et marié à Jeanne d’Elgue, parente de la donatrice63. Paronnaud signale qu’Oyhereguy est de souche cagote, issu du quartier de Chubitoa à Anhaux (parmi eux de nombreux meuniers) et que la maison Ainciburu est non cagote. Jugées exceptionnelles pour la fin du xviie siècle par Paronnaud, de telles alliances se sont sans doute banalisées au fur et à mesure de l’affaiblissement des dispositifs de ségrégation à l’encontre des cagots. Au final cependant se dégage l’image d’un statut généralement très modeste du ménétrier et tambourin dans la société rurale, mais jouissant d’une certaine réputation et trouvant ainsi une place à la marge dans la société locale. Mobilités transfrontalières des ménétriers Par nécessité du métier, tambourins et ménétriers circulent bien au-delà des limites de leur propre pays. Nous avons vu comment Bayonne et Saint-Jean-de-Luz mobilisaient régulièrement des ménétriers et tambourins des villages environnants, mais aussi venant de pays bas-navarrais plus éloignés. Plusieurs tambourins du Baztan s’installeront aussi côté nord, notamment au xixe siècle comme meuniers. À l’inverse, plusieurs ménétriers des provinces du nord passent également la frontière pour des occasions festives. Ce sont en particulier les foires et fêtes de San Fermín à Pampelune qui constituent aux xviie et xviiie siècles, un marché important pour des musiciens venus de l’ensemble des provinces basco-navarraises et d’autres régions espagnoles. On doit à Jesús Ramos (1990a ; 1990b ; voir aussi Boni 1998) une recension des groupes de musiciens et de danseurs contractualisés par la ville de Pampelune pour les San Fermín. Aux côtés des ménétriers et compagnies de danseurs venant de Haute-Navarre, des provinces basques du sud, d’Aragon ou de Valence, un nombre considérable de ménétriers du nord de la frontière se produit aux San Fermines entre 1702 et 1790. En toute logique, une large majorité vient de Basse-Navarre (119 mentions, dont 77 de Saint-JeanPied-de-Port, 4 d’Ossès, 11 de Baïgorry, 1 de Mendive, 1 des Aldudes), suivi de Bayonne (9), de Saint-Jean-de-Luz (2), de Soule (8), d’Oloron (1) et de « Francia » (14) (des provinces basques, au vu des patronymes). On décompte parmi ces musiciens venus des provinces basques de France 85 mentions de joueurs de salterio (tambourin à cordes et xirula), 32 joueurs de violon, 32 joueurs de rabel (qui renverrait au cordophone d’origine espagnole, sorte de violon ou de vièle rustique), 4 joueurs de caisse, un organiste. 62 • 63 •
AD 64, notaire Dassance, testament mutuel de Mathias d’Ehals, tisserand et Estebenie d’Estebenot, conjoints, 22 janvier 1730. AD 64, III E 8320, notaire Chegaray, Saint-Jean-Pied-de-Port, 12 avril 1692.
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En revanche et à la différence des compagnies de danseurs provenant de la Haute-Navarre ou de l’Aragon, lorsque les musiciens du nord sont accompagnés de danseurs, généralement bas-navarrais, ils ne le sont que de groupes réduits de 3 ou 4 danseurs (Ramos 1990b : 58). Il arrive que les musiciens le soient eux-mêmes. Pour le xviie siècle, le Père Donostia signale à Pampelune en 1641 « Juan de Gorroz, joueur de rabel et Guillen de Garroch tambourin, qui jouaient de la musique dans les rues avec violon et tambourin, et le violon dansait » (notre traduction). En 1643, ce sont Anton Gorri et ses camarades basques français qui viennent jouer, avec deux salterios, un rabel et deux danseurs, en 1632, Domingo Ezpeleta, « gitan » de Baïgorry joue du rabel et danse. En 1645, Domingo Recalde de Saint-Jean-de-Luz est défrayé pour avoir joué du salterio et rabel et pour les « agilités de ses gens » (notre traduction). Pour le xviiie siècle, Ramos signale parmi les joueurs de salterio et de violon des San Fermín beaucoup de musiciens de la vallée du Baztan. Quelques txistulari du Guipuzcoa (Tolosa, Legorreta) et autres tambourinaires navarrais (Irurre, Petilla de Aragon) sont également indiqués comme jouant du salterio. Les ttunttunero du Baztan, qui s’accompagnent alors au tambourin à cordes comme les ménétriers du nord, ne passeront au tambourin en peau qu’au xixe siècle, suite à une probable période de coexistence entre les deux instruments. Cette proximité instrumentale a probablement contribué à faire circuler le répertoire des danses entre Baztan, Labourd et BasseNavarre. S’ajoute une proximité géographique, puisque les tambourins labourdins, bas-navarrais et baztandar se croisaient au moins aux foires de Pampelune, puis lors de leurs migrations transfrontalières. Enfin, et en remontant plus loin dans l’histoire, nous pouvons supposer que le fait que l’archiprêtré du Baztan, avec Bortzirieta, Aranaz, Oiartzun et Fontarrabie, ait fait partie du diocèse de Bayonne jusqu’en 1566–1568 a dû faciliter ces échanges. Quelques témoignages mettent en évidence une circulation des ménétriers dans les territoires immédiatement frontaliers. De façon peu surprenante et jusqu’à nos jours, le village haut-navarrais de Valcarlos-Luzaide, accueille depuis toujours des musiciens bas-navarrais, le répertoire chorégraphique et les dispositifs coutumiers du village étant exactement alignés sur ceux de la vallée de Cize. De façon moins connue, il semble que les danses rituelles du 8 septembre à Otxagabia, en vallée de Salazar, aujourd’hui accompagnées à la gaïta navarraise et au tambour, aient été occasionnellement accompagnées par des ménétriers du nord de la frontière. En 1803, Juan Franco Sarvide est payé par la ville d’Otxagabia pour « avoir été en propre en France, solliciter la venue du musicien qui servit le jour de la Nativité de Notre-Dame » (Villafranca Belzunegi et Aldaia Lizarraga 1996 : 49). Dans la même ville, il est reproché en 1634 au curé du lieu d’avoir dansé sur la place publique au son du tambourin ou salterio avec des femmes de Basse-Navarre venues implorer la Vierge de Muskilda le jour de l’Annonciation (25 mars) pour favoriser leur enfantement. Sans que l’on ait toujours d’information précise sur l’origine des musiciens, reste que le tambourin à cordes et la xirula ont été d’usage courant en Navarre aux xviie–xviiie siècles. En témoigne une toile représentant une soka dantza à Pampelune en 1646, accompagnée d’un joueur de tambourin à cordes64, ainsi que la fresque
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The Entry of Prince Balthasar Carlos into Pamplona, Juan Bautista Martinez del Mazo, 1646, Collection Wellington, Apsley House, Londres.
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du palacio d’Oriz, conservée au Museo de Navarra, datée du milieu du xvie siècle et représentant une chaîne d’enfants dansant, nus et portant des grelots aux jambes, accompagnés à la fois par un joueur de flûte et tambourin à peau et par un joueur de flûte et tambourin à cordes. Outre les tambourins et les violons, le pays de Mixe, à la limite du Béarn, connaîtra également au xixe siècle quelques joueurs de vielle itinérants, venus sans doute des pays gascons limitrophes. À Hasparren en 1799, Bernard Lagaillarde, « d’état de joueur de vielle », locataire à la maison Bidassouetbeherea du quartier Celhay, est accusé du meurtre de Jean Curutchet, de Baïgorry. On trouve également mention de musiciens itinérants et de condition extrêmement modeste voire indigente dans les villages béarnais limitrophes. Durant l’an X, Bernard Mourau, joueur de vielle de 24 ans, natif de Saint-Cricq et habitant Navarrenx, est accusé de vol de deux ânes et de deux ânesses. On apprend à l’occasion du procès que Mourau avait été sollicité en tant que joueur de vielle par Capdeboscq de Saint-Laurent pour aller jouer chez lui, et qu’il s’y était rendu avec sa compagne, deux enfants et les frères Darrac de Sainte-Suzanne qui s’étaient joints à eux depuis huit à dix jours et dont le plus jeune (Jean, âgé de 12 ans, né à Labatut) joue du violon. Les musiciens jouent de maison en maison dans la soirée, et prévoyaient de se rendre le lendemain aux Bordes d’Espoey « pour gagner leur vie »65. Les frères Darrac, « étant à mendier leur pain dans la commune de SaintLaurent », se joignent à Mourau et à sa famille pour mendier en musique ensemble. « Ce sont des lăutari qu’on invite mais, après la noce, ce sont des Tsiganes qui rentrent chez eux » signale de façon lapidaire un dicton roumain recueilli par Bernard Lortat-Jacob (1994 : 132). Le portrait, nécessairement biaisé et incomplet, des ménétriers labourdins et bas-navarrais sous l’Ancien Régime qui se dégage ici se signale par une certaine ambivalence. Les joueurs de tambourin et de violon sont à la fois indispensables et souvent réputés, y compris comme maîtres de danse, pour la bonne tenue des cycles festifs et rituels. Ils relèvent néanmoins d’un statut social variable, depuis les milieux bourgeois bayonnais jusqu’aux mendiants itinérants, en passant par les tambourins-tisserands et artisans des milieux ruraux. Pour bon nombre d’entre eux, d’ascendance cagote, subsiste le souvenir d’une ségrégation sociale longtemps institutionnalisée. Ancrés localement, ils sont aussi mobiles, voire nomades dans le cas de musiciens itinérants, une circulation qui favorise sans doute l’hybridation des répertoires. Cette dualité entre le statut et la fonction n’ira pas sans placer, sans doute à leur corps défendant, les ménétriers au cœur de la longue controverse qui agite l’Ancien Régime basque autour de la musique et de son inévitable pendant, la danse.
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AD 64, 2 U 600, Cour d’assises des Basses-Pyrénées, an X.
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Chapitre 2 La dispute de la danse : controverses théologiques, politiques et territoriales sous l’Ancien Régime Pendant inévitable de leur importance sociale, la musique ménétrière et la danse suscitent dans le Pays basque d’Ancien Régime des controverses qui sont principalement de deux ordres. La première, attendue, concerne le rapport à l’Église, sujet épineux s’il en est mais qui prend des formes plus nuancées qu’il n’y paraît au premier abord. La seconde série de controverses porte sur l’ordonnancement de la danse elle-même avec, à la fin du xviie siècle et tout au long du xviiie siècle, plusieurs litiges à l’issue parfois tragique. Acte social par excellence, la danse collective, surtout sous ses formes protocolaires et codifiées, est alors le reflet de la société des maisons et des communautés locales. Elle exprime d’une part un ordre institutionnel fondé sur l’alliance paradoxale entre un idéal juridique égalitaire (la société des voisins) et des hiérarchies sociales et spatiales symboliquement rappelées dans l’espace public. Les disputes autour de la danse, cependant, témoignent tout autant des luttes de pouvoir pour l’accès, fûtil symbolique, aux positions dominantes au sein de cet ordre local, que des menaces potentielles de déstabilisation et de remise en question de l’équilibre institutionnel en question. Le clergé, le ménétrier et la danse Le rapport de l’Église à la danse fait en Pays basque l’objet d’une dispute récurrente depuis au moins le xvie siècle, et ce de part et d’autre de la frontière. On connaît, côté sud et en particulier grâce aux travaux de Joxemiel Bidador (2005), la teneur de la dispute théologique qui oppose, aux xviiie et xixe siècles le jésuite guipuzcoan Manuel de Larramendi (1690–1766), le jésuite Sebastian Mendiburu (1708–1782) et le carme Prai Bartolomé de Santa Teresa (1768–1838) à propos des danses populaires. À la condamnation sans appel des danses prononcée par Mendiburu et Prai Bartolomé de Santa Teresa (1914) s’oppose une position plus nuancée de Larramendi ([1754] 1982), qui établit une distinction entre « mauvaises » et « bonnes » danses, en classant dans cette dernière catégorie les danses d’épées cérémonielles (alors exclusivement masculines) et les danses en chaîne protocolaires (mixtes). Juan Ignacio de Iztueta (1767–1845), auteur du traité de danses guipuzcoannes (Iztueta 1824) et du recueil de musiques de ces mêmes danses (1826) prolonge ce débat. Son recueil vise avant tout à prouver la liceité de cycles de danses qu’il présente comme expurgés des éléments susceptibles de heurter la morale. S’y met également en scène la danse comme acte fondamentalement politique de citoyenneté guipuzcoanne et incarnant le droit foral. La dispute trouve un écho au nord de la frontière. S’y expriment également et de façon répétée, au moins depuis le xviie siècle, les préventions voire les condamnations ecclésiastiques à l’encontre des danses et contre les musiciens. Bien connue, l’argumentation contre les danses du prêtre Pedro de Axular dans Guero. Bi partetan partitua eta berecia (1643) mérite d’être reproduite, ne serait-ce qu’au vu de la centralité de l’œuvre dans l’histoire de la littérature basque :
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Bada kastitatea begiratu nahi duenak, eztu dantzatu ere behar, eta ez soiñuak diren lekhura ioan. Lehenago ientilen artean, eta denboran, desohore zen dantzatzea: eta hala etzen iende ohorezkorik, eta kontuzkorik dantzetan edireiten. Zizeronen errana da: Nemo fere sobrius saltat (Cicer. pro Murena). Nehor guti dantzatzen da edana eztenean, adimenduan dagoenean. Iende gazte arinen, zenzuz baiño zangoz fidago direnen ofizioa da dantza. Dantzan ezta okhasino gaixtorik baizen. Han ahalkea galtzen da; ezagutzatan sartzen da: solhastatzen da, trebatzen da, eskuztatzen da, mandatua egiten da, eta azkenean behar eztena sortzen da. Erran behar da, gauza gaixtoa eta okhasinotsua dela dantza, hartaz dioenean San Agustinek: Melius est in diebus dominicis arare vel fodere quam choreas ducere (August. de decem chordis). Hobe da eta bekhatu gutiago da igande egunetan golde nabarretan eta lur lanetan trabaillatzea, ezen ez dantzan haritzea. Eta hau erraiten du hunela, ez zeren dantzatzea bera hain gauza gaixtoa den, baiña zeren dantzatik anhitz okhasino behar eztenik sortzen den. (Axular 1643 : p. 413). Celui/celle qui veut rester chaste ne doit pas danser et ne doit pas se rendre aux lieux où il y a de la musique. Autrefois du temps des païens, la danse était un déshonneur: et l’on ne trouvait point de personne d’honneur et de distinction à la danse. Cicéron a dit : Nemo fere sobrius saltat (Cicer. pro Murena). Personne ne danse quand il est sobre, quand il est maître de sa raison. La danse est le fait des gens légers, qui sont plus sûrs de leurs pieds que de leur raison. De la danse ne naissent que de mauvaises occasions. On y perd la timidité, on y entre en connaissance, on discute, on s’aventure, on se touche les mains, on fait ce que l’on nous demande et au final ce qui ne devait pas arriver arrive. Il faut dire que la danse est une chose mauvaise et qu’elle crée de mauvaises occasions, comme le dit Saint Augustin : Melius est in diebus dominicis arare vel fodere quam choreas ducere (August. de decem chordis). Il vaut mieux, et c’est un moindre péché, labourer avec la charrue et s’adonner aux travaux de la terre le dimanche plutôt que de danser. Et s’il dit cela, ce n’est pas que la danse soit en soi une mauvaise chose mais c’est que la danse crée beaucoup d’occasions qui n’ont pas lieu d’être. (Axular 1643, notre traduction)
En Soule au xviie siècle, l’évêque d’Oloron Arnaud François de Maytie dénonce les abus qui surviennent lors des processions et pèlerinages qui se font vers des sanctuaires éloignés, certains pèlerins s’y amusant « à jouer, danser ». Lors du synode tenu à Mauléon le 14 mai 1675, l’évêque ordonne au clergé de prendre dès lors « toutes mesures utiles afin qu’il ne se présente pas de violonistes à ces fêtes et qu’on n’y danse pas » (Etcheverry 1934 : 237). Le pouvoir civil relaye parfois ces mesures, et ce au-delà des provinces basques. En 1520, Henri II roi (catholique) de Navarre prend une ordonnance contre les danses au son du violon et du tambourin qui s’exécutent alors jusque dans l’église lors du pèlerinage à Notre-Dame de Sarrance, sanctuaire aspois alors fréquenté par beaucoup de Basques (Anonyme 1892). En Béarn et dans les pays bas-navarrais et souletins concernés, la Réforme sera également une période marquée par une série de mesures contre les danses, musiques et charivaris. Le 10 novembre 1565, Antoine de Gramont, lieutenant de la Reine, interdit les danses publiques en Béarn « de jor o de noeyit, ab tamborins ou autres instrumentz », y compris dans les maisons privées (Anonyme 1896). La Réforme, cependant, entretiendra des rapports plus ambivalents qu’il ne semble aux cultures populaires (Desplat 1984). Signalons simplement ici la présence de plusieurs joueurs de tambourins (parfois également valets de chambre), aux côtés de joueurs de mandore, luth, violon, hautbois… affectés à la cour de Navarre auprès de Marguerite d’Angoulême et de sa fille Jeanne d’Albret (Plantey 2016 : 134). En terrain catholique, l’ambiguïté, néanmoins, affleure dès la question du droit à la danse des prêtres eux-mêmes. Les statuts synodaux de Bayonne de 1533, souligne Roland Moreau, « dissuadent les prêtres d’assister aux repas de noces, mais ils les autorisent à danser dans les noces de leurs parents et dans les réunions particulières, pourvu qu’ils le fassent modestement et en habit
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clérical1. Les statuts de 1829, porteront la suspense ipso facto contre les prêtres qui assisteraient à des noces. » (Moreau 1981 : 356). L’usage devait être largement répandu. En 1685, dans une lettre rédigée à Saint-Jean-de-Luz, René Le Pays signale qu’en Pays basque : Un enfant y sçait danser avant de sçavoir appeler son papa et sa nourrice. La joye y commence avec la vie et n’y finit qu’avec la mort. Elle paroist en toutes leurs actions. Les prestres en ont leur part aussy bien que les autres. J’ai remarqué qu’aux nopces c’est toujours le Curé qui mène le branle […]. (1685 : 5)
Dans son Tableau de l’Inconstance des mauvais anges et démons publié en 1612, Pierre de Lancre, conseiller à la cour du parlement de Bordeaux et missionné en Labourd en 1609 pour « purger » le pays des sorciers et des sorcières, fulmine contre les danses, y compris parmi le clergé : « Le voisinage et le commerce de l’Espagnol leur a baillé cette méchante coutume : si bien qu’en tout le pays de Labourd, leurs croix sonnent et leurs Prêtres dancent, et sont les premiers au bal qui se fait au village. » (de Lancre 1612 : 86). Plus loin, toujours à propos des prêtres et curés, il souligne : « Le cabaret, la dance, les habits, le jeu de la balle par les rues, l’épée au côté, la demi-pique à la main, ne se promenant dans le village où allant aux fêtes des paroisses, ne leur sont en reproche. » (ibid. : 285). Au xviiie siècle, le Chevalier de Grammont, dans sa biographie rédigée par Antoine Hamilton, rapporte les faits et gestes de l’aumônier militaire Poussatin, d’origine béarnaise et « premier prêtre du monde pour la danse basque » (Hamilton 1777 : 233). Lors d’un passage à Perpignan, une troupe de Catalans « qui dansoient au milieu de la rue vinrent danser sous les fenêtres de Monsieur le Prince pour lui faire honneur, Mr Poussatin, couvert d’un petit casaquin noir dansoit au milieu de cette troupe comme un vrai possédé. Je reconnus d’abord la danse de notre pays aux sauts et aux bonds qu’il faisoit » (ibid. : 240). De retour à Paris, la Reine souhaite voir danser l’aumônier en question, « car en Espagne il n’est pas tout à fait si rare de voir danser les ecclésiastiques, que de les voir en livrée » (ibid.) « J’ai su depuis », souligne le narrateur « que Poussatin prêchoit avec la même légéreté dans son village, qu’il dansoit aux noces de ses paroissiennes » (ibid. : 241). Les provinces basques conservent, au moins jusqu’au xviie siècle, un usage ancien selon lequel les clercs doivent danser le jour où ils célèbrent leur première messe. Autrefois répandu dans plusieurs diocèses français, cet usage est aboli par le Parlement de Paris en 1547 mais survit aux franges du royaume. Le philosophe anglais John Locke y assiste en 1679 lors d’un passage à SaintJean-de-Luz : […] à Saint-Jean-de-Luz, le prêtre, le jour où il dit sa première messe, donne un bal et mène lui-même la première danse, et le prêtre qui l’a précédé immédiatement dans cet exercice, est invité en tant qu’invité principal et ouvre les danses en tant que Roi du bal. M. Thoynard a assisté à une telle solennité où le prêtre n’a pas peu de mérite s’il sait danser correctement [if he can cut capers well] (cité dans Lough 1953 : 284, notre traduction).
Jacques de Béla, bon observateur des institutions et mœurs souletines, note lui-même cet usage dans ses Tablettes au xviie siècle, cette fois pour la province orientale : « plusieurs prebstes de ce 1 •
« quod si contigat eos in nuptiis cosanguineorum aut aliis licitis et honestis congregationibus choreare, ita modesto et honeste, et cum veste clericali et honesta, se habeant, ut aliis non sint scandalo. ». Statuts synodaux du diocèse de Bayonne de 1533, publiés par Dubarat 1892 : 40.
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temps lesquels sont grands danseurs et mènent publiquement les danses ès rues, etc… ès jours de dimanches, messes nouvelles, festes paroissiales ès passe-temps, et ès joyes publiques. » (Tablettes de Jacques de Béla [15861667], cités dans Donostia 1954 : 268). Certains prêtres ont même recours au répertoire populaire et à la musique de danse pour renouveler le répertoire des cantiques religieux. À la fin du xviiie siècle sont ainsi publiés les Noëls béarnais d’Henri d’Andichon (17121777), ancien archiprêtre de Lembeye, dans le diocèse de Lescar. L’un des Noëls, avec des paroles en français, est destiné à être chanté « sur l’air des sauts Basques » (d’Andichon 1785 : 10) alors usité en Béarn. La structure irrégulière de la musique des sauts est même vue par l’ecclésiastique comme un avantage : Ainsi mon Noël des Sauts Basques me fait plus plaisir que tout autre, parce que l’air varie à chaque strophe : il me paraît convenable de le chanter pendant que le peuple vient à l’Offrande. C’est pour cette raison que comme Patriote, j’ai voulu faire présent à ma Patrie d’un cantique Béarnais sur cet air si charmant. (d’Andichon 1785 : 2)
Malgré ces quelques pratiques et postures plutôt tolérantes, c’est surtout la condamnation récurrente de la musique, de la danse et des désordres qui y sont associés qui marqueront l’interventionnisme du clergé en la matière. La position extrême, en l’espèce, est sans doute celle de Pierre de Lancre, déjà mentionné plus haut, dépêché en Labourd par le parlement de Bordeaux pour, sous prétexte de procès de sorcellerie, contrôler l’agitation politique du pays. Ethnographe malgré lui, de Lancre a laissé quelque indication précieuse sur la danse et sur la musique qui, comme l’indique JeanMichel Guilcher « n’a pu se fonder que sur l’expérience commune du milieu local » (Guilcher 1984 : 46). Le passage, abondamment commenté, sur les danses est éclairant par sa précision : […] on y dance fort peu souvent un à un, c’est-à-dire un homme seul avec une femme ou fille, comme nous faisons en nos gaillardes : mais elles nous ont dit et assuré qu’on n’y dançoit que trois sortes de branles communément se tournant les épaules l’un l’autre et le dos d’un chacun visant dans le rond de la danse et le visage en dehors. La première c’est à la Bohémienne, car aussi les Bohemes coureurs sont à demy Diables […]. La seconde, c’est à sauts, comme noz artisans font ès villes et villages, par les rues et par les champs : et ces deux sont en rond. Et la troisième […] se tenant tout en long, et sans se déprendre des mains. Ils s’approchent de si près qu’ils se touchent et se rencontrent dos-à-dos, un homme avec une femme : et à certaines cadences ils se choquent et frappent impudemment cul contre cul. Mais aussi il nous fut dit, que le Diable bizarre, ne les faisoit pas tous mettre rangément le dos tourné vers la couronne de la danse, comme communément dict tout le monde : ainsi l’un ayant le dos tourné et l’autre non : et ainsi tout à suite jusqu’à la fin de la dance. De quoy aucuns se sont essayez de vouloir rendre la raison, et ont dit que le Diable les dispose ainsi la face tournée, hors le rondeau, ou parfois l’un tourne et l’autre non, affin que ceux qui dancent ne se voyant pas en face et qu’ils n’ayent loysir de se remarquer asésment l’un l’autre, et par ce moyen ne puissent s’entr’accuser s’ils estoyent pris par justice. Raison notoirement fausse parce qu’ils se voyent aussi bien presque, ou eu s’en faut, le dos tourné que face à face. Car ce demy rond qu’ils font ne les éloigne guère plus loin l’un de l’autre, que s’ils estoient main à main à droicte dance […] (de Lancre 1612 : 210).
Ailleurs de Lancre précise à propos du sabbat : « on y dance en long, deux à deux, et dos à dos, et parfois en rond, tous le dos tourné vers le centre de la dance, les filles et les femmes tenant chacune leurs Démons par la main […] » (ibid. : 121) J.-M. Guilcher y repère à juste titre trois dispositifs de danse : en couple (rare), en chaîne fermée, en longue chaîne ouverte, la disposition inversée par rapport au cercle entendant traduire le caractère diabolique du rituel, le Diable voulant « que toutes choses se facent à rebours » (ibid.).
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Suit la description des instruments : elles dancent au son du petit tabourin et de la fluste, et parfois avec ce long instrument qu’ils posent sur le col, puis l’allongeant jusqu’après de la ceinture, ils le batent avec un petit baston, parfois avec un violon. Mais ce ne sont les seuls instruments du sabbat, car nous avons appris de plusieurs qy’on y yoiyt toute sorte d’instrumens, avec une telle harmonie qu’il n’y a concert au monde qui le puisse esgaler. (ibid. : 211).
Si le « petit tabourin » renvoie probablement au tambour de Basque type pandero (tambour sur cadre circulaire généralement agrémenté de cymbalettes), le « long instrument » semble plutôt correspondre au tambourin à cordes. Les ménétriers, en tous les cas, sont associés au sabbat, ce qui ne laisse aucun doute sur le sort qui devrait leur être réservé. Ainsi un témoin a-t-elle vu au Sabbat une sorcière « sonner le grand tambour » et le « petit aveugle de Siboro [Ciboure] » sonner du tambourin et de la flûte […] » (ibid. : 212). Catherine de Molères, une fois s’être rendue au sabbat « par les airs », y a vu « dancer avec violons, trompettes ou tambourins qui rendaient une très grande harmonie : qu’en les-dites assemblées y a un extrême plaisir et réjouissance » (ibid. : 127). Jeannette de Belloc, 24 ans, témoigne « qu’elle y a vu jouer du tambourin à Ansugarlo, de Hendaye, lequel a depuis été exécuté à mort comme insigne sorcier, et du violon à Gastelloue2. » (ibid. : 129). Plusieurs témoins indiquer un « sorcier nommé Ansuperomni » qui, à Saint-Jean-de-Luz, joue de la flûte au sabbat, monté sur le Diable en forme de bouc. Côté navarrais, le tribunal inquisitorial de Logroño condamne en 1610 Joanes de Goiburu, né à Zugarramurdi en 1577, à la prison à perpétuité pour avoir joué du tambourin, accompagné au tambour par son neveu Joanes de Sansinena, à l’akelarre (sabbat) de ce village frontalier (Sánchez Ekiza 2021). Dans la première moitié du xviiie siècle, le futur Mgr Daguerre (1701–1785), fondateur du séminaire de Larressore, mènera une lutte acharnée contre les ménétriers du pays, jusqu’à les chasser du mariage de sa propre sœur et se féliciter d’avoir fait brûler leurs instruments aux tambourins de la région. Dans le même temps cependant, il autorisera les jeunes gens de Larressore à danser les sauts basques, la danse longue et la danse mauresque, « qui n’ont rien de licencieux » à la sortie de l’église pendant le carnaval, à condition qu’ils assistent d’abord aux oraisons des QuaranteHeures (Duvoisin 1861 : 6769 et 356). « C’est ainsi », commente en 1861 son biographe, « que par des concessions faites avec intelligence dans l’intérêt du bien, il savait protéger la jeunesse d’autres divertissements qui eussent été beaucoup plus dangereux pour elle » (ibid. : 356). Au xviiie siècle, le chevalier de Béla, descendant de Jacques de Béla, notera la répression sans appel dont feront l’objet les danses de la part du clergé, tout en soulignant que le sujet fait débat, y compris au sein du clergé. L’argument en faveur des danses publiques est que leur interdiction provoquerait des maux encore pires : Dez leur tendre jeunesse, yls saccoutument a des danses fort hautes et trés vives, qui leur donnent beaucoup dagilité et de la grace dans leur maintien, de sorte quon pourroit dire que rien ne ressemble moins a un païsan quun païsan basque. […]. Le tambourin est leur instrument favori, quyls accompagnent ordinairement du violon. Les femmes grosses [enceintes] dansent dans les places publiques comme les filles et, a peine les enfans peuvent marcher seuls, quyls sont admis dans les cercles, et leurs premiers pas sont formés en cadence. Mais toutes ces parties de plaïsir ne sont plus si frequentes, et surtout celles de 2 •
Ou « Gastellore », selon l’édition du Tableau.
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danse, depuis que les évêques ont deffendu sévèrement cet exercice, et excomunnié les tambourins. Nous ne connoissons que Lycurgue qui ait réussi à changer les moeurs et les coutumes d’un peuple. Les bonnes intentions de ces prélats n’ont point eu tout le succès qu’on eu devoit attendre. Les peuples ne dansent plus à la vérité ; on danse très peu. Mais, en revanche, les hommes et les femmes vont ensemble au cabaret, ce qui ne s’etoit jamais vu auparavant, et ces rendez-vous sont devenus des maisons publiques qui servent certainement a des plaisirs moins innoscens que les dances des places publiques. Je m’en raporte là-dessus au jugement des pasteurs qui ont dirigé les âmes des danseurs et des danseuses avant et aprés la deffense des danses. Un grand prélat auquel je fis part yl y a quelques années de cette police ecclésiastique me dit que la religion et les lois ne devoient pas ressembler à la toile d’araignée qui laisse passer les choses pesantes et retient les légères, et que s’il étoit eveque des basques, yl donneroit de l’argent pour faire joüer les tambourins dans les places publiques, afin d’entretenir leur joye naturelle.3
Les débats du Pays basque sud traversent parfois la frontière. J. Bidador rapporte à ce sujet une anecdote significative. Au début du xviiie siècle – avant 1745 –, le jésuite guipuzcoan Larramendi, en visite à Cambo, rencontre deux séminaristes de Larressore qui le consultent sur la question des danses du pays. Les séminaristes rapportent avoir écouté le jésuite Mendiburu fulminer contre les danses lors d’une mission au village navarrais de Maya (Amaiur) et se disent « scandalisés par les propositions qu’ils avaient entendu contre les danses, la plus modérée d’entre elle étant que la danse n’était ni plus ni moins qu’un péché mortel […] »4 Dans le même texte, Larramendi signale que les missionnaires de Larressore ont lutté contre les « indécences » des danses au tambourin, « sans excès ni violence » : Ces décrets français ne traversent pas la Bidassoa. Ils ont pu parvenir en Basse-Navarre, Labourd et Soule, où les danses aux tuntunes [tambourin], dont se prévalent comme ici les tambourinaires, étaient très indécentes. Mais ils ny parvinrent pas et aujourdhui ils seraient inutiles parce que les missionnaires de Larressore les ont extirpés en sermonnant contre elles, sans excès ni violence ni agitation des villages.5
Se dessine déjà au xviiie siècle une ambivalence durable entre une condamnation systématique des danses et des tambourins par l’église locale et une tolérance de fait de la danse pour autant qu’elle soit contenue dans un cadre ritualisé et protocolaire. L’ambivalence durera tout au long du xixe siècle et une bonne partie du xxe siècle (cf. chap. 5). On peut ainsi, et sous réserves d’investigations systématiques, repérer l’émergence d’une « question » de la danse au xviiie siècle en Labourd, qui donnera lieu à des divergences de point de vue, notamment entre autorités civiles et ecclésiastiques. L’abbé et les jurats d’Anglet décident ainsi le 25 juillet 1743 de défendre « qu’il y ait aucune danse publique dans les places de cette paroisse à son de tambourin les jours de fête et dimanches ». L’interdiction se fonde sur la défense de la danse ces jours-là « par les édits et déclarations du Roi, arrêts de règlement du parlement de Bordeaux et contraire à l’esprit même de l’Église. »6. En 1751, la communauté de Bidart donne pouvoir au maireabbé afin qu’il informe l’évêque de Bayonne d’un tambourin – ici au sens de bal – que les fermiers de la maison commune tiennent les jours de fête et dimanche, malgré l’opposition de la commu3 • 4 • 5 • 6 •
Jacques de Béla, Histoire des Basques, t. 3, AN, NAF 20055, p. 404–406, cité dans Zantazilia, 2018. Manuel de Larramendi, Escritos breves, Donostia, p. 368, cité dans Bidador, 2005 : 214. Notre traduction de l’espagnol. Manuel Larramendi, « Censura del Catecismo de Mendiburu en lo relativo a las danzas (1764) », op. cit. supra : 384, cité dans Bidador, 2005 : 251. Notre traduction. Délibérations de la communauté d’Anglet, cité dans Goyhenetche 1997 : 167.
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nauté. Un contrat de fermage passé le 10 décembre 1752 stipule ainsi que le fermier « ne souffrira pas jouer aucun tambourin dans lad. Maison commune et ce les jours des dimanches et fêtes »7. À Biarritz en 1788, le testament de Mlle Cavalier stipule que ne pourront bénéficier de la rente qu’elle laisse pour les pauvres de Biarritz « toutes filles qui seront convaincues d’avoir été au tambourin ou à quelque autre divertissement semblable » (Dubarat 1897 : 533). Les ménétriers, la danse protocolaire et les conflits de préséance ce n’est pas que les suppliants entendent approuver le fol usage de la danse qu’on fait en Païs Basque
Rouage indispensable des dispositifs symboliques sous-tendant la société d’ordres, le ménétrier est également témoin de ses frictions et tensions. La fonction essentielle du tambourinaire reste liée à l’accompagnement de la danse. Lorsque le commanditaire n’est pas la puissance publique, les ménétriers sont d’abord sollicités par tout ou partie des jeunesses des quartiers, bourgs ou villages. Engagé par telle fraction de la jeunesse structurée en compagnie de danseurs, le ménétrier se retrouve, du même coup, au cœur des tractations liées aux conflits protocolaires liés à la danse. La fin du xviie siècle et le xviiie siècle fournissent des exemples éloquents de telles tensions. En Basse-Navarre en 1698, le conflit porte sur le droit d’ouvrir la danse à l’issue de l’assemblée de la Cour générale de la vallée d’Ostabarret qui se tient à Cibitz (Goyhenetche 1996). Alors que l’usage confère ce droit à un habitant d’Ostabat, le baron d’Uhart-Mixe impose l’un de ses hommes, un particulier de Hosta, pour ouvrir la danse. La situation se dégrade rapidement, conduisant à une requête du bailli et des jurats de la ville d’Ostabat au parlement de Pau pour maintenir leurs privilèges contre les empiètements du baron d’Uhart : Suplient humblement les bailif et jurats de la ville d’Ostabat en Navarre disant qu’ils ont droit d’assister à toutes les cours générales qui se tiennent au pais d’Ostabaret par leur procureur ou députté, lequel donne en toutes les délibérations qui s’y prennent son sufrage ou opinion le premier. Il est aussi le premier nommé dans les autres actes qu’on passe concernant les affaires communes du pays d’Ostabaret et lorsqu’il y a quelque solemnitté de messe nouvelle aud. pais, les habitants de lad. ville d’Ostabat vont à l’offrande avant les habitants des autres communautés dud. pais. Enfin il y a une solemnité le mois d’aoust de chaque année au lieu de Cibits, siège de la Cour Généralle, où après la messe on va à la danse et c’est un des habitans d’Ostabat qui a toujours accostumé de faire la première danse. Le Sieur baron d’Uhart jalous des droits et prerrogatives des supplians ne songe qu’à les leurs faire perdre. Il ne veut pas que le députté d’Ostabat opine en toutes les délibérations qui se prenent ausd. Cours Generalles, il les gronde et les menace, lesd. délibérations ne sont pas mesme dressées et signées sur le champ par les Sieurs magistrats et députtés qui scavent écrire, d’où il arrive mille inconvéniens et des surprimes manifestes. Il ne veut pas sortir du siège lorsqu’il s’agit de délibérer sur les affaires qui les regardent, et par sa présence il empêche qu’on n’y délibère à son désadvantage et s’il y a quelqu’un qui ne parle pas à son gré, il est méprisé et menacé d’être maltraitté. D’où il est arrivé que plusieurs magistrats ne veulent plus fréquenter lesd. Cours généralles, et les députtés n’y vont que parce qu’ils y sont constrains sous des peines. En telle sorte que les suplians sont obligés de se plaindre de tous ces procédés et de ce encore que led. Sieur bailif deffend le Secrétaire de recevoir des oppositions et apellations en la Cour de ses délibérations. Et il oblige par cest ordre les députtés à exécutter ses délibérations. Et enfin les suplians sont obligés de se plaindre de ce que le 28 aout dernier il se transporta dans la solemnité de Cibits avec des 7 •
AD 64, Délibérations de la communauté de Bidart, BB 1, 31 octobre 1751, 14 novembre 1751, 10 décembre 1752.
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gens pour empêcher ceux d’Ostabat de faire la première danse. Il n’y eust à la vérité aucun d’Ostabat qu’y eut osé de l’entreprendre mais un jeune enfant de Juxue apellé Louis de Bordaberri ayant voulu mener lad. danse, led. Sr d’Uhart avec ses gens poursuivit ce garson l’espée à la main et on l’aurait mal traitté s’y led. Sieur d’Uhart par accident n’eust tombé par terre et que ses gens ne se feussent apliqués à le relever. C’est dans cette intervalle de temps que led. de Bordaberri se sauva. Après cella, led. Sieur d’Uhart fit faire la première danse à un particulier de Hosta et ne peut pas s’empêcher de dire que désormais il voulait régler la danse et ne souffrir pas que ceux d’Ostabat et de Juxue la fissent car [ce sont] d’ordinaire les députtés de ces deux communautés sont les seuls qui s’opposent à ses entreprises et qui ont voulu l’obliger à rendre compte des biens et revenus communs dont il est contable. C’est pour imprimer la peur aux habitans desd. communautés que led. Sieur d’Uhart se porta à faire cette violence qui est fort extraordinaire pour un homme de sa qualité et de s’estre pris à ce jeune garson qui ne lui faisoit nul tort ny à ceux de sa suitte, car quand ceux d’Ostabat ne veullent faire la première danse, c’est à ceux de Juxue de la faire. Les fonctions dud. Sieur bailif sont limités par le for de Navarre qui ne lui donne d’autre droit que celui d’administrer la justice avec les autres magistrats, faire réparer les ponts et chemins et la taxe des vivres. Mais il veut mettre la main en toutes choses jusqu’à ce qu’il s’est avisé de prétendre qu’il a droit de paccage aux montaignes et herms communs d’Ostabarret pour ses bestiaux et pour ceux qui voudra y mener des pais de Soulle et de Mixe ce qui est insoutenable […] Il vous plaira de vos grâces maintenir les suppliants au droit d’assister auxd. Cours généralles par leur députté et à donner leur souffrage le premier en toutes les délibérations quy y seront prises et arrestées, [illisible] aussy dans tous les actes quy seront passés concernant les affaires communes, et au droit d’aller aux messes nouvelles les premiers à l’offrande et aucune autre communauté du pais, et de faire la première danse à la solemnité du lieu de Cibitz, avec deffences aud. Sr. Bailif et autres magistrats de les y troubler […]8.
Le litige informe surtout sur deux points. Il signale d’une part la façon dont le droit à la première danse constitue un prolongement des droits honorifiques et politiques d’Ostabat, principal bourg de la vallée, que ce soit en matière de préséance aux cérémonies religieuses ou de prise de parole à la Cour générale de la vallée. On observera que le village voisin de Juxue arrive en second dans ce rang de préséance sur la danse. Le droit à la première danse, pour le coup, est intégré dans les demandes formelles adressées au parlement de Pau. L’affaire témoigne ensuite de la façon dont la querelle symbolique sur la danse se greffe à un conflit de fond sur les empiétements de la petite noblesse locale sur les prérogatives du tiers état et des institutions valléennes (Goyhenetche 1996). Au xviiie siècle, trois procédures judiciaires du bailliage du Labourd portées en appel au parlement de Bordeaux9 permettent de repérer des tensions du même ordre dans la province côtière, tensions qui permettent de mettre à jour une fonction de la danse comme instrument de régulation symbolique des relations entre les différents espaces politiques (quartiers et paroisses) composant le pays. Dans chacun des cas rapportés, la querelle sur la danse se termine par mort d’homme. Le 29 juin 1710, jour de la Saint-Pierre et fête locale à Saint-Pée, Martin de Soudre, héritier de la maison Chilarenea est tué d’un coup de pistolet, précédé de coups de bâtons10. La danse est à l’origine de l’altercation. La jeunesse du village voisin de Souraïde ouvre la danse sur la place publique de Saint-Pée, comme il est d’usage. Dans le même temps, une seconde danse, dirigée par un particulier de Sare, composée de jeunes hommes de Saint-Pée et terminée par un homme d’Ainhoa, pénètre sur la place. Chaque danse a son tambourin, mais l’usage voulant qu’une seule danse 8 • 9 • 10 •
AD 64, 1 J 895. Voir l’analyse de ce document dans Goyhenetche 1996. Sur le fonctionnement des institutions judiciaires labourdines, voir DuvigneauLégasse (1993) et Pontet (2007). AD 33, B 6302/20.
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soit présente sur la place, la situation dégénère. La dispute a son antécédent : à la fête patronale de Souraïde de l’année précédente, la jeunesse de Souraïde avait offert à celle de Saint-Pée le droit de faire la première danse « pour faire honneur à la jeunesse du présent lieu de Saint Pé [sic] ». Soudre, au nom des jeunes de Saint-Pée, avait alors refusé, et « sur ce refus la jeunesse de Larressore prit la place et fit la danse ». Humiliée, la jeunesse de Souraïde se rend à Saint-Pée pour la fête patronale et entend ouvrir la danse comme d’usage. Craignant qu’on ne leur refuse ce droit, les jeunes hommes dansent munis de bâtons. L’un d’eux est armé d’un pistolet, ce qui conduit au dénouement tragique. L’épisode informe sur l’importance accordée à la danse comme mécanisme de représentation de la paroisse au travers de l’institution de la jeunesse. Il révèle également l’existence d’un système formalisé d’invitations réciproques entre jeunesses de villages voisins pour l’ouverture protocolaire de la danse dans les fêtes patronales, à l’image du système d’invitation réciproque des alkateak (maires) détaillé par Juan Ignacio de Iztueta pour le Goierri guipuzcoan (Iztueta 1824). Ce système réciprocitaire se décline à l’échelle des paroisses, alors constituées politiquement en fédérations de quartiers. À Cambo en 1727, l’héritier de Pouttorenea décède de ses blessures suite à un conflit sur la danse le jour de la Pentecôte. La querelle porte alors sur la préséance des quartiers. L’ordonnancement de la danse se cale sur l’organisation politique de la communauté. La paroisse de Cambo est composée de trois quartiers, l’église, la Place (actuel Bas-Cambo ou Behereko plaza) et Basseboure. Comme dans les autres paroisses labourdines, le gouvernement de la communauté se structure autour d’une représentation des jurats de ces trois quartiers et d’un maire-abbé, avec un principe d’alternance entre quartiers pour la charge de maire-abbé, et entre maisons pour la jurade. L’usage, apprend-on par la procédure, est que le jour de la Saint-Laurent, patron de la paroisse, la danse se tienne après vêpres sur la place publique du quartier de la Place, et que la première danse soit ouverte par les jeunes gens de ce quartier. Pour les quatre fêtes solennelles en revanche, dont celle de Pentecôte, lorsque la danse se tient dans le quartier de l’église, ce sont les jeunes gens de ce quartier qui donnent la première danse et ceux de la Place la seconde. À l’évidence, les jeunes de Basseboure, quartier périphérique en direction d’Urcuray et de Macaye, n’ont pas de droit sur la danse – sauf sur une hypothétique troisième danse –, droit fondé sur la réciprocité entre les deux principaux quartiers. Ce n’est qu’en cas d’absence des jeunes gens du quartier de la Place que ceux de Basseboure peuvent exécuter la deuxième danse. Or, à la Pentecôte de 1727, les jeunes gens de Basseboure contestent à ceux de la Place le droit de faire la seconde danse. Chacun des trois quartiers se rend avec son tambourin à la place de la maison Gazteluberri, où se tiendra la danse. Bertrand de Crutchette, tambourin d’Espelette11 et engagé pour l’occasion, produit à cette occasion un témoignage précieux tant sur les faits que sur le fonctionnement de la coutume : Que depuis dix ans le déposant a joué le tambourin en la présente paroisse tantôt dans un quartier tantôt dans l’autre, que la présente année il étoit loué pour jouer au dit quartier de la Place, qu’il tient pour ouï dire que dans les quatre festes solennelles il y a des dances publiques au quartier de l’église, que ceux de ce quartier mènent et font la première dance, que ceux du quartier de la Place font la seconde, que 11 •
Le même, « tambourin de profession », sera « tué nuitamment par arme à feu » en janvier 1730 à Espelette, dans des circonstances qui restent à élucider (Mairie d’Espelette, Arch. com., Registre paroissial des décès).
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néanmoins ces deux dernières années ceux du quartier de Basseboure ont fait la seconde dance à la place de l’église parce que ceux du quartier de la Place ne s’estoient pas trouvés à la place de l’église, que le jour d’hier jour et fête de Pentecote, les jeunes gens des trois quartiers estoient en lad. place de l’église, chacun avec leur tambourin (le déposant dit qu’il y avait entre quatre et cinq cent personnes avec celles qui regardent) qu’on y avoit fait après les vêpres et sur les trois ou quatre heures une dance publique qui estoit menée par les jeunes gens dud. quartier de l’église, et où plusieurs autres jeunes gens des autres quartiers, qui avaient aussi chacun leur tambourin, s’estoient entremêlés. Qu’au commencement de cette danse, quatre jeunes hommes dud. quartier de la Place avaient dit au déposant d’aller avec eux aud. quartier de la place, que d’effet il était sorti de lad place de l’église avec lesd. Quatre jeunes hommes, mais que quand tous furent à 300 pas ou environ, les héritiers de la maison de Salaberria, le fils de la maison de Pouttorena frère à l’homicidié, et l’héritier de la maison d’Ihitstoquia, les trois du quartier de la Place, y estoient venus les joindre et avoient dit au déposant de revenir aud. quartier de l’église, ce qu’il fit et il y joua du tambourin avec les deux autres tambourins de deux autres quartiers, et après que lad. dance fut finie, le déposant dit qu’on avoit fait jouer une seconde dance aux trois tambourins, et qu’en même temps le fils de Lohiola surnommé Errottoa avait commencé une dance à la place dud quartier de l’église, suivi du fils du nommé Chaspy, charpentier, de l’héritier et du fils de la maison de Hareder, qui etoient tous du quartier de Bassaboure, de l’héritier de Pouttorena homicidié une autre suivie de son frère, de l’héritier de la maison d’Ihitstoquia, les trois du quartier de la Place, de l’héritier d’Urcudoy, du fils de Morrocorena, et de l’héritier de la maison Dordoquia, le déposant dit que, quand on dance dans une place publique du présent païs, on n’y mène qu’une dance. Il s’imagine qu’il y auroit du bruit entre les deux bandes qui avoient commencé à dancer, que chacune des deux bandes avoient fait quatre ou cinq tours, ayant chacun un gros bâton ou tricot, et qu’ensuite led homicidé et led Errottoa, qui menoient chacun sa bande ou dance s’étant approchés l’un de l’autre avec mine de vouloir se frapper l’un à l’autre, que néanmoins ils ne s’étoient pas alors frappés, mais qu’ayant fait trois ou quatre tours après ils s’étoient aussi approchés l’un à l’autre avec émotion, et que tous ceux qui étaient aud deux dances avoient levé leurs gros bâtons, et avoient commencé à donner des coups de bâtons les uns aux autres, le déposant qu’il entra de peur avec les deux autres tambourins dans la présente maison, lequel avoit vu que plusieurs autres jeunes gens étoient allés dans l’endroit où l’on se battoit les uns avec des battons les autres sans battons, le déposant ajoute que dans ce temps-là l’homicidé étoit tombé à terre à côté de la présente maison, qu’il avoit vu que le nommé Beignat métayer était blessé à la tête et qu’il versait du sang. Ce qu’il a entendu que le fils de Morrocorena y avoit aussy été blessé, le déposant dit encore qu’on avait fait lever debout un moment après led homicidié, qui avoit repris la dance et l’avoit continué pendant environ demy heure, qu’ensuite et avant que la dance fut finie il avait mis à sa place led. héritier de la maison Durcudoy et étoit allé dans la maison de Perusquirenea où il est décédé vers les dix heures du soir du jour d’hier […]12
Martin Dibon, tambourin d’Urcuray engagé quant à lui par la jeunesse de Basseboure, rajoute que la querelle avait été précédée de tractations au cabaret avant vêpres, les jeunes de Basseboure ayant parié qu’ils feraient la deuxième danse. Le croisement des témoignages permet de donner quelque précision sur la forme de la danse. D’une durée conséquente (une heure), la « première danse » comprend plusieurs séquences. Elle débute par une file d’hommes ouverte, avec un meneur et une « queue », sans que l’on sache si les danseurs se tiennent par la main ou pas. Le premier et le dernier de la file ainsi constituée portent chacun une canne en jonc d’Inde, signe de leur préséance, cannes qu’ils transmettront aux danseurs leur succédant à ces postes. Suit un « saut » appelé jauzicoa en basque, antécédent probable du saut
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AD 33, B 6306/51
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basque contemporain. Les danseurs se donnent ensuite la main et dansent « à la courante » appelée en basque chehecoa13. Ainsi selon le témoignage de Marie Detchegoyen, jeune camboarde de 18 ans : la déposante dit encore que dans lad. dance du saut lesd. danceurs ne se tenoient pas les mains l’un à l’autre, mais que tous ayant commencé à dancer en deux dances à la courante vulgairement appellée chehecoa, tous s’étoient pris par les mains l’un à l’autre, c’est-à-dire tous ceux qui suivoient l’homicidé qui menoit la dance s’étoient joints à luy et tous ceux qui suivoient led. Errottoa à celui-cy, et led homicidé et led Errottoa tachaient en dançant de prendre la devant l’un à l’autre, que led héritier Durcudoy disoit à l’homicidié de pousser la dance en avant, que tous lesd. danceurs ayant fait en dançant quatre ou cinq tours et étant venus jusqu’au bout de lad. place […].
La danse enfin, à l’image des soka dantza du sud, intègre à un certain point les jeunes femmes de l’assistance sur invitation des jeunes hommes, invitation dont le refus n’est pas sans conséquences. Marie Harotchene en témoigne : que pendant lad. dance l’héritier de Biperena etant venu dire à la déposante si elle vouloit entrer en cette dance que la déposante et les autres lui avoient dit que non, sur quoi led. héritier de Biperena leur avoit dit que puisqu’elles ne vouloient pas dancer en cette dance qu’elles ne danceroient pas après.
Dans son imprécision, cette description d’une danse longue, à plusieurs séquences, qui se construit par adjonction de danseurs puis de danseuses, est à croiser avec les rares descriptions des danses dont nous disposions pour cette période. On doit ainsi à Txomin Peillen d’avoir exhumé le bref commentaire du chevalier de Béla sur les danses, qui vaut pour la période 1760–1790 et sans doute plutôt pour la Soule : Ces peuples ont plusieurs danses qui sont toutes fort difficiles à cause des différents pas qu’elles demandent pour les danser en cadence. Les principales de ces danses sont nommées Mouschico et Orzaïs. Elles ont plus de deux cens mesures chacune et sont formées par des pas qu’il faut apprendre par principe et par règle. Ces danses se font en cercle et en forme de branle qu’yls apelent contrapassac. Les hommes et les femmes y sont mêlés et se tiennent par la main, après quoy yls donnent une courante qu’yls apellent dantza schuhia et qu’yls finissent par une danse élevée qu’ils nomment jauziac.14
On serait tentés, mais sans certitude aucune, de lire « chehia » au lieu de « dantza shuhia ». À Cambo en 1727, les jauziak précèdent la courante, mais le manque de documentation interdit d’aller plus avant dans l’analyse formelle du mouvement. L’épisode informe surtout sur la fonction symbolique de la danse comme occupation de la place publique. Tous les témoignages concordent : il est impensable que l’on fasse deux danses dans une place en même temps. Si le cas se produisait néanmoins, l’usage prévoit soit un arrangement par la fusion des deux danses avec alternance aux postes honorifiques, soit une médiation, toujours par la danse, des autorités ou des anciens. Pierre Laxalde, cordonnier de Cambo âgé de 18 ans, détaille cette règle dans son témoignage : quand on commence deux danses dans une place dans le mesme tems, quelques fois ceux quy sont dans lesd deux danses s’accommodent par conséquence en ce que ceux d’une danse mènent le devant d’une danse et ceux de l’autre danse la queue de la mesme danse, et qu’ensuite on fait une autre danse ou ceux 13 • 14 •
De xehe en basque : « détaillé, précis » ou « simple, modeste ». On notera que certaines formes navarraises contemporaines de la danse en chaîne et en couple ingurutxo se nomment dantza xea, notamment à Eugi. JeanPhilippe de Béla, Essay sur l’Histoire des Basques, mss.20055, Arch. nat., cité dans Peillen 1994.
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qui estoient à la queue mènent le devant de la seconde danse, ou que autrement, quelque homme âgé et des principaux commencent à danser afin d’empêcher les bruits et les querelles
Lors de la Pentecôte de 1727, ces mécanismes de médiation ne suffisent pas à surmonter des tensions probablement déjà vivaces entre quartiers. Leur existence témoigne néanmoins de formes de régulation de ces tensions de et par la danse. À y regarder de plus près, l’ordonnancement de la danse se signale également par le rang occupé par les danseurs, qui ne doit rien au hasard et qui renvoie aux maisons et à la hiérarchie des régimes de successions. Arnaud de Jauretche, laboureur de 20 ans du quartier de l’église décrit de façon circonstanciée l’ordonnancement des deux danses concurrentes : l’homicidé [héritier de Pouttoroenea] avait commencé la danse avecq l’héritier Durcuody, l’héritier Dordoquia, l’héritier dainçuberro, l’héritier de Bergara, l’héritier de Biperrenea, l’héritier de Morrocorenea, le fils de la maison de Pouttoarenea, le fils de la maison de Morrocorenea, et le fils de la maison de Hegoas nommé Joangin, et lesd héritiers Durcudoy et Dordoquia avoient des gros bâtons, qu’un instant après led Errottoa avoit commencé à dancer suivi des héritiers de Bidegain, de Hareder, du fils de Harostegui15, du fils de la maison de Hareder nommé guichona, du fils du nommé Chaispy, du fils de la maison Dardaisquy, et du fils de la maison Duhaldea, et que tous avoient de gros bâtons ou tricots excepté le fils de Duhaldea.
La danse dirigée par l’héritier de Pouttorenea est d’abord composée des « héritiers » – donc les aînés, selon le régime coutumier du Labourd –, suivis des « fils » – les cadets –. L’ordonnancement de la danse dirigée par Errottoa est moins net : un cadet dirige la danse (le fils de Lohiola dit « Errottoa », le petit fou), mais celui-ci est néanmoins immédiatement suivi de deux – ou trois, selon les témoignages – héritiers, puis des cadets. Nous pouvons supposer que ce rapport distinct au rang ait pu alimenter les tensions entre les deux danses et les deux quartiers, et se soit greffé au sentiment de discrimination des jeunes de Basseboure déjà exclus du droit sur la danse à la Saint-Laurent et aux fêtes solennelles. Reste que la primauté des héritiers aux rangs d’honneurs de la danse prend un sens politique. Ce sont bien les futurs maîtres de maison amenés à siéger au nom de leurs quartiers respectifs dans l’assemblée de la communauté qui se mettent ainsi en scène en se distinguant à ce titre des cadets, qui n’accéderont à ce droit qu’à la condition d’épouser une héritière. Il aurait été intéressant de connaître le rang d’héritage des jeunes femmes invitées à intégrer la danse dans sa seconde phase, afin de vérifier si les héritiers invitent alors des cadettes et les cadets des héritières, mais les témoignages ne vont pas jusqu’à cet ordre de détail. Néanmoins, le protocole d’entrée dans la danse et le rang occupé par les maisons est suffisamment précis pour que l’on puisse voir dans cet ordonnancement un rituel de représentation de la société des maisons, des relations entre les quartiers et de la « démocratie mitoyenne » (Thibon 2008) à haute valeur politique. Quelques rares indices laissent supposer que d’autres segments de la société locale devaient aussi se mettre en scène via la danse. Toujours à Cambo, le 25 juin 1720, soit quelques années avant les évènements rapportés, Betirigazte, sieur de Harotzberri et âgé de 70 ans décède « subitement en menant la danse le jour de la frérie de Saint Eloy ». C’est alors une organisation confrérique, peut-être à fondement professionnel, qui fournit à la danse son cadre et son contexte. 15 •
Selon le témoignage de Marie Harotchena, il s’agit de l’héritier d’Harosteguia.
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L’affaire de la Pentecôte de 1727 se solde par plusieurs condamnations et par l’interdiction, toute provisoire, des danses publiques les jours de fête et dimanche à Cambo. Incidemment, le traitement de l’affaire mettra également en scène des tensions internes aux institutions judiciaires labourdines. Plus d’un an après les faits, les Salaberry de Jatxou, père et fils, respectivement notaire et avocat postulant au bailliage du Labourd, portent au parlement de Bordeaux une action en justice contre Jean Detchegoyen, lieutenant criminel du Roi à Ustaritz, lui reprochant d’avoir dans l’affaire de Cambo condamné des innocents et laissé libres les criminels. Au passage et non sans ironie, Salaberry souligne l’attitude ambivalente de Detchegoyen par rapport aux danses : par cette sentence Me Detchegoyen voulant jeter une étincelle et crime sur des gens qui n’ont pas trempé dans le meurtre du fils dayherdoy ne laisse pas de les condamner en des bannissements et en des amendes extraordinaires, leur faisant inhibition et deffenses de ne plus danser les jours de fetes et dimanches ; ce n’est pas que les suppliants entendent approuver le fol usage de la danse qu’on fait en Païs Basque, mais ils ne peuvent pas s’empêcher de remarquer dans ce lieu un fait notoire que Me Detchegoyen souffre journellement ces sortes de danses devant une place publique à laquelle sa maison fait face, jusqu’à que les demoiselles ses sœurs soient de la mellée.16
On notera le rapport ambivalent, déjà mentionné pour le clergé, qu’entretient la petite bureaucratie labourdine à l’égard de pratiques coutumières alors en pleine vigueur. Le même avocat Pierre de Salaberry avait lui-même intenté en 1725 un procès à Jean de Munduteguy, fils du notaire royal d’Ustaritz pour des chants que ce dernier avait fait dresser contre lui17. L’affaire qui éclate à Ustaritz en 1772 verse un nouvel élément au dossier. Ce sont alors, en plein carnaval, des affrontements entre compagnies de danseurs effectuant les quêtes itinérantes ordinaires qui débouchent sur la mort du jeune chocolatier Pierre Larre. La dispute, ici, part d’une querelle au sujet de l’engagement du tambourin pour le carnaval, chacune des deux compagnies ayant « favorisé » un tambourin différent. Jean Haltz, dit Matchias, tambourin et tisserand d’Ustaritz est ainsi engagé par l’une des factions, et les frères Miguel et Martin de Beguy18, tambour et tambourin, par l’autre. Jean Haltz témoigne qu’il a été appelé par l’une des compagnies : qui avoient dessein de le gager pour jouer du tambourin pendant le carnaval pour leur compte, et l’héritier de Bizarchoury s’étant présenté à leur porte, Saubat Sescosse lui demanda s’il vouloit entrer dans leur société, led. héritier de Bizarchoury lui ayant dit qu’il devoit payer la portion de ce qu’il devoit au tambourin qui était sur leurs gages, et led. Sescosse lui ayant répondu qu’il ne croyait pas lui devoir rien, et que s’il lui devoit quelque chose il étoit prêt de payer. Sescosse, Larre et consorts obligèrent lui déposant après l’avoir arrhé pour ce carnaval d’aller chercher sa flûte et son tambourin, et étant revenus lui firent jouer un saut basque qu’ils dansèrent, et étant sortis de la maison se mirent en marche pour aller à la place faire un tour de danse […]19
Selon un protocole carnavalesque dont Louis Dassance et Jean-Michel Guilcher recueilleront à Ustaritz un souvenir en bien des points équivalents pour le début du xxe siècle (Guilcher 1984), une fois avoir « pris » la place par des tours de danse, les danseurs de la compagnie de Sescosse s’arrêtent 16 • 17 • 18 • 19 •
AD 33, B 6307/53, Requête du fils Salaberry au lieutenant général d’Ustaritz, 23 juin 1728. Les 13 couplets de ces chants, en basque, sont adjoints à la procédure, voir DuvigneauLégasse 1993 et AD 33 B 6304/44. Très probablement Miguel et Martin Samacoitz, de la maison Beguirena d’Ustaritz. L’on retrouve plusieurs Samacoïtz comme joueurs de tambourin et de violon du xviie au xixe siècles à Ustaritz, Villefranque et Bidache. AD 33, B 6335/252.
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chez Larre, qui leur offre à boire. C’est ce moment que choisit la deuxième compagnie de kaxkarot, menés par Bizarchoury, pour effectuer deux tours de danse sur la même place « en forme de dérision » puis filer la rue et se rendre au côté opposé de la place où Haltz devait jouer du tambourin. La compagnie de Sescosse exécute encore deux tours de place, et au troisième Bizarchoury et ses danseurs les attaquent à coups de bâtons et de couteau. On ne sait exactement ici si le différend vient d’un simple désaccord sur le paiement des musiciens ou si le clivage repose sur un conflit de territoire. Chaque quartier d’Ustaritz (Arrauntz, Herauritz, Bourg) présente jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale une troupe de danseurs itinérants de carnaval, dont la concurrence est avérée (Dassance 1927 ; Guilcher 1984 ; Truffaut 2006). Après la Première Guerre mondiale, seul Ustaritz conservera l’usage avec une seule troupe de kaxkarot pour l’ensemble de la commune à l’occasion du carnaval. L’usage s’y est maintenu jusqu’à nos jours. Rien ne permet d’affirmer que la concurrence des quartiers soit la cause de la rixe en 1772. Reste que l’affaire illustre l’importance symbolique de la danse dans l’occupation de la place publique et l’acquisition du droit à la quête itinérante. L’anecdote illustre également la différence de statut social et économique entre des danseurs qui constituent une compagnie sur le modèle coopératif de la société des pairs, et le tambourin qui est engagé par la compagnie sur un mode contractuel. Les procédures de Cambo et de Saint-Pée confirment cette différence statutaire. Enfin, si les danses en chaîne précitées sont mixtes, les tournées itinérantes de danseurs de carnaval sont alors uniquement composées de jeunes hommes, probablement célibataires si l’on se réfère aux souvenirs recueillis ultérieurement. Les divisions territoriales peuvent, à l’occasion, descendre à l’échelle du quartier lui-même. Lors du carnaval de 1725, les jurats de Hasparren s’inquiètent des conflits internes au quartier de Zelai, aux limites de Mendionde, toujours au sujet de la danse : Dans le quartier de Celhay s’étant formées deux bandes sur la danse, et le bruit courant qu’il devoit y avoir désordre entr’elles dans la place publique, ledit sr Beheran [maire-abbé] obtint une ordonnance de Mr Dadoncour [lieutenant du Roi à Bayonne] pour deffendre les danses. Et paya à son secrétaire [?] six sols huit deniers et demande pour son voyage du dixième février quatre livres20
L’ordonnance ne sembla pas faire son effet. Le dimanche gras, la jeunesse de Celhay se scinde en deux danses concurrentes. Illustration du mécanisme de médiation évoqué lors du litige de Cambo, le jurat du quartier se place lui-même à la tête de la danse, danse dont il fait porter les frais à la communauté : comme vers la fin du Carnaval la jeunesse du quartier Celhay se divisa en deux parties touchant la danse, et que le dimanche gras ils étoient sur le point de se battre, led. sieur jurat à qui le sr Beheran remit l’ordonnance qu’il avoit donnée au sujet de la danse, pour empêcher ce désordre, fit lui-même la danse, ou pour mieux il se mit à la tête d’icelle, et la fit durer jusqu’à la nuit, en sorte que led sieur d’Arcemisbehere paya pour les frais de lad. danse quatre livres dix sols que led. Beheran lui a remboursé cy 4 livres 1021
L’affaire semble avoir eu quelque précédent à Hasparren, puisqu’en 1701–1702, la communauté rembourse au secrétaire de M. de la Gibaudière, alors lieutenant du roi à Bayonne, la somme de 16 livres 20 • 21 •
Mairie de Hasparren, Arch. com., Registre des comptes, 1725. Ibid. supra.
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16 sols « pour une ordonnance que ledit de la Gibaudière avoit donnée à l’occasion des différands [sic] qui avoient esté au présent lieu sur la danse, laquelle il requiert lui être alloué cy 6 livres 16 sols »22. En 1737 de même, la communauté d’Halsou exécute une ordonnance de M. Dadoncour, lieutenant du Roi et doit rembourser les dépenses d’« un cavalier que led sr Dadoncour avait dépêché au sujet du tambourin payé à Ustaritz »23, indice probable d’un litige comparable. À Bardos en 1708, la Communauté donne pouvoir aux srs. de régler les différands entre les quartiers de cette paroisse au sujet des dances et de prendre pour cella deux prudhommes de chaque quartier. Lesd sr comptables auroient satisfait au désir de lad communauté et régler lesd différands avec led prudhommes en la compagnie desquels ils ont despencé quatorze livres dix sols. Mais pour mieux autoriser led règlement il auroit esté exprès à Bayonne pour obtenir, comme il est fait, une ordonnance de Mgr le Ducq, ce pour le voyage il lui sera alloué trente-deux sols24
À ces conflits portant spécifiquement sur l’ordonnancement et le protocole de la danse s’ajoutent, de façon plus large, les tensions et débordements liés aux contextes festifs. Ainsi voit-on dans les années 1780 Betry Gazte d’Elissalde, batelier de 22 ans, le plus jeune des fils de Dornarenea d’Ustaritz être jugé au tribunal du bailliage du Labourd puis en appel à Bordeaux pour plusieurs excès commis à différentes occasions festives. Le jour de l’Ascension de 1780, après s’être rendu le jour à la fête de la chapelle du Saint-Sauveur à Jatxou, il se rend à l’auberge Larre à Ustaritz où il provoque une rixe. Lors des fêtes du quartier d’Hérauritz de 1784 à la Sainte-Catherine (25 novembre), il se rend sur la place avec son frère, accompagnés d’un tambourin, et provoque une « batterie » entre plusieurs « compagnies » de jeunesse. Le lendemain, Betry Gazte retourne sur la place d’Hérauritz, jette à terre un couteau et un bâton, et lance un défi à la cantonade : « venez, fils du Diable, me joindre ». Un dimanche de juillet, l’accusé se rend avec d’autres jeunes d’Ustaritz au cabaret d’Elizaldia à Saint-Pée, « où on dansoit au son du tambourin ». À la suite de « quelques propos qu’ils eurent ensemble », Betry Gazte se bat avec un jeune de Saint-Pée, puis menace au couteau l’un des jurats de Saint-Pée, présent avec sa « compagnie » et qui tente de s’interposer. L’avocat de Betry Gazte tentera, non sans lyrisme, de discréditer le témoignage du jurat, ce dernier étant « occupé à boire et à ensevelir sa raison dans le jus de septembre »25. Enfin, c’est parfois la danse ellemême qui se mute en défi entre jeunesses de communes voisines. Le même Betry Gazte s’illustre à nouveau lors des fêtes de la Saint-Barthélémy à Villefranque (25 août) de 1784. Esteben Bidegaray, laboureur de Villefranque relate les faits tels qu’il les a observés depuis la galerie de la maison et cabaret de Bahonenea : il vit arriver sur la place led Delissalde avec quelques-uns de ses camarades au son du tambourin, il entendit que led Delissalde autant qu’il peut distinguer sa voix qui defioit des jeunes gens du même lieu qui étoient au cabaret de la maison commune, à venir le joindre, que dans le même moment il entendit rouler une pierre, que sur cela ceux qui dansoient se dispersèrent et quelqu’un demanda en criant si on les lapidait, que dans le même instant lesd. jeunes gens sortirent dud. cabaret de la maison commune, 22 • 23 • 24 • 25 •
Ibid. supra, 17011702. AD 64, Délibérations de la communauté d’Halsou, BB 1, 1737. AD 64, Arch. com. de Bardos, CC 3, Comptes des jurats, 1708. AD 33, B 6352/389.
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vinrent à la place et lui qui dépose entendit le bruit d’un coup d’arme à feu, et la voix dud. Delissalde autant que l’obscurité de la nuit le peu de distance qu’il y avoit entre lui et led. Delissalde pourroit lui permettre de reconnoitre, lequel Delissalde disoit à ses camarades en criant ces mots : je me suis assuré d’un, j’ai encore de quoi m’assurer d’un autre, qu’ensuite lui qui dépose vit lancer un coup de pierre qui atteignit sur la tête autant qu’il peut le distinguer led. Delissalde qui s’enfuit avec ses camarades suivis des jeunes gens de Villefranque qui ne purent les atteindre qu’est tout ce qu’il a dit savoir26
La danse, une fois de plus, n’est pas simple divertissement. Elle ne s’inscrit pas, dans l’épisode rapporté, dans un contexte protocolaire mais elle contribue à instituer la jeunesse masculine d’un village (Ustaritz) en délégation dans le village limitrophe (Villefranque). La fonction de représentation vaut très vite menace et provocation : la danse prend alors sens de marche d’approche pour une compagnie prête à en découdre. On comprend mieux, dès lors, la vigilance renouvelée des autorités locales à son égard. Enfin, la fête, quelle qu’elle soit, est occasion de débordements. Dans le même village de Villefranque, en août 1660, une altercation grave éclate le lendemain de la Saint-Barthélémy, dernier jour de la fête locale. Plusieurs hommes selon certains témoignages, hommes et femmes selon d’autres, du lieu et de la paroisse voisine de Saint-Jean-le-Vieux (actuel Mouguerre) dansent ensemble sur la place. La danse terminée, une partie des danseurs se retire avec le tambourin à l’hostellerie proche de la place pour une collation. La danse reprend ensuite, devant la maison cette fois. La troupe comprend l’héritier de la maison noble de Faldaracon (probablement de Jatxou) et une quarantaine ou une cinquantaine d’hommes armés de fusils, de poignards ou de pistolets. Pendant la danse, des coups de fusil sont tirés sur les danseurs du bas de la place. L’affaire se solde par un blessé et la mort d’une jeune fille. Muettes sur les causes de l’altercation, les pièces de procédure27 informent néanmoins sur la fonction ambivalente d’une fête et d’une danse à laquelle les hommes se rendent lourdement armés, sans doute en prévision d’affrontements probables voire programmés. À Guéthary en 1697, le jour de la Saint-Nicolas, patron du lieu, l’on danse « une danse basque » au son du tambourin dans un cabaret. À l’évidence, il s’agit d’une danse en chaîne du type dantza khorda ou soka dantza. « Filles et garçons » dansent ensemble, « entre celluy qui menoit la danse et celluy qui estoit à la queue ». Domeings de Lissarrague, 27 ans, fille de labeur d’Arbonne, « qui dansoit alors à la main dudit Doriotz », témoigne avoir entendu du bruit à l’étage. Elle s’y rend avec son cavalier Joanes Doriots, héritier de Gorpularenea d’Arbonne. Celui-ci est blessé par un coup de pistolet par Martin Lanusse, meunier d’Ahetze28, et meurt quelques jours plus tard des suites de ses blessures. De l’avis de l’accusé, l’attaque contre Gorpularena avait débuté dès la danse : le respondant resta a regarder les joueurs et dans le temps-là, un bruit sestant emeu parmy celluy qui menoit la danse, sçavoir entre celluy qui menoit la danse et celluy quy estoit a la queue, le dit heritier de Corpularena quy estoit mal, aucy un de ces deux voullant sans doute mal traiter celluy à quy il en voulloit, esteignit la chandelle, et ceux de la Compagnie de luy qui respond ayant aperçu qu’il y avoit du bruit dans l’autre chambre, le respondant prit la chandelle qu’il porta jusqu’à la porte de la chambre pour éclairer, attendu qu’ils demandoient chandelle […]29 26 • 27 • 28 •
Ibid. supra. AD 64, B 8582, Bailliage du Labourd, 1660. Qui n’en était pas à son coup d’essai. Deux ans auparavant, Lanusse avait tué Haramboure, héritier de Hiriartia d’Ahetze, dans une auberge d’Ahetze où Haramboure et sa compagnie étaient « à se divertir à la chandelle ». Lanusse sera condamné à mort pour les deux crimes (AD 33, B 6301/04).
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Confuse, la circonstance éclaire néanmoins l’idée d’une danse collective pouvant toujours basculer vers le conflit et le règlement de compte. À Saint-Pée en 1785, c’est Joseph Lapeire, duranguier d’Ainhoa, qui se retrouve impliqué dans un règlement de compte alors qu’il joue du tambourin au cabaret Pethantorenea. À Halsou en 1740, une dispute durant la « grande danse ronde » qui se tient le Lundi gras sur la place se solde par un homicide30. On pourrait multiplier à l’envi les exemples de tels débordements. Les élites civiles et la régulation de la danse Comme en témoignent les cas rapportés ici, les disputes sur la danse sont monnaie courante en Labourd et, très probablement, en Basse-Navarre et en Soule au xviiie siècle. Ces conflits constituent l’une des nombreuses expressions des querelles de préséance et de droits honorifiques qui rythment les chroniques judiciaires de l’Ancien Régime, tant à l’échelle de la Cour royale (Cosandey 2016) qu’à celle du village. Les conflits sur la danse se rajoutent en particulier, en Labourd et BasseNavarre, aux tensions récurrentes autour des droits en matière religieuse (place à l’église, rang à l’offrande et aux processions, etc.). Au point de susciter l’intervention des autorités de tutelle. Rédigeant en 1718 son Mémoire sur Bayonne, Labourt et le Bourg St Esprit, Lespès de Hureaux, lieutenant général au Sénéchal de Bayonne, observe que : Les habitants y sont très vifs, robustes, dispos merveilleux, propres à tous les exercices du corps, singulièrement à la dance qu’ils sçavent naturellement sans art ni principe […] Il y a fort peu de littérature chez les Basques, mais ils ne manquent pas de bon sens, le point d’honneur qu’ils entendent jusqu’à la dernière minute leur est fort en recommandation, et l’on voit souvent des querelles suivies de meurtres et de blessures parmi ces gens du peuple pour être à la tête des dances qu’ils font en rond, particulièrement les jours de fêtes localles.31
En 1755, Jean-Baptiste de Caupenne, marquis d’Amou et de Saint-Pée, Lieutenant du Roi à Bayonne et commandant de Sa Majesté en Navarre, Labourt et Soule, rappelle qu’ il sera deffendu à tout habitant et autres de porter des fusils, et pistollets, lorsqu’ils iront à l’Église et de se présenter avec ses armes aux assemblées des communautés, ainsy que aller aux marchés du voisinage, au jeu de paume, aux danses et autres assemblées publiques avec des armes à feu.32
En février 1766, le comte de L’Hospital, lieutenant général des armées du Roi, envoie à plusieurs communautés labourdines – mention en est faite dans les registres de délibération de Macaye, Itxassou, Hasparren, Jatxou et Saint-Jean-de-Luz – un courrier tentant de prévenir cet ordre de conflits, en demandant aux jurats de faire respecter le principe d’alternance entre les quartiers pour la danse : Bayonne, le 6 février 1766 Je suis instruit, Messieurs, que les danses en place publique au son du tambourin ont été d’usage de tout temps dans votre païs et qu’on avait fait courir le bruit que je voulais defendre cette sorte s’amusement ; 29 • 30 • 31 • 32 •
Ibid. supra. AD 33, B 6311. Lespès de Hureaux (1718), Mémoire sur Bayonne, Labourt et le Bourg St. Esprit, manuscrit, Archives municipales de Bayonne (Mss27). Repris dans États de Navarre, « Plan de l’arrangement à prendre pour maintenir l’ordre dans le païs », 1756, (AD 64, C 1573) ; ordonnance reprise également dans Mairie d’Ossès Arch. com., Actes divers.
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bien loin que je desaprouve cette récréation si inocente par elle-même. Je pense qu’au contraire qu’il convient que ces danses soient continuées pour amuser vos habitans et les empecher de tomber dans l’ennuy et l’oisiveté cause de tout vice, pourvu toutefois que le plaisir soit pris avec decence qu’il convient qu’il cesse surtout pendant divers offices divins et dans les tems de recueil et de penitence, qu’il ne passe point l’heure de la retraite, qu’il n’y ait point dispute sur la preseance de la danse, comme il est arrivé quelques fois et que chaque quartier fasse à son tour et suivant l’usage de la Parroisse ; vous ferez part de mon intention à cet égard à vos habitans, assemblée tenante […]33
Le comte rappellera dans plusieurs courriers le respect des commandements de l’Église sur les périodes d’interdiction des danses, et les régulations royales en matière de police des danses et des fêtes. Ces diverses interventions susciteront des interprétations multiples, à en juger par la nouvelle « Lettre sur les danses » que le comte de L’Hospital se sent de devoir envoyer aux jurats de plusieurs paroisses labourdines le 8 avril 1766 : En interprétation et élargissement de mes lettres des 6 et 20 février dernier au sujet de la danse et n’ayant pas par ailleurs entendu occasionner à mrs. les curés que l’autorité autre que spirituelle qu’ils ont de droit, vous devez vous conformer de point en point à la déclaration du Roy à cet égard citée dans Dupuy de l’année 1698 et enregistrée au Parlement de Bordeaux du 31 décembre 1698, de même que pour les cabarets, jeux de pomme [sic], foires, marchés, bateleurs etc., et vous devez observer strictement dans tous les cas toutes les règles de police prescrites en conséquence avec beaucoup plus d’exactitude que je suis instruit que vous avez fait par le passé […].34
Les positions plutôt libérales du comte de L’Hospital, puis son rappel à l’ordre, laissent entrevoir une fissure au sein des élites entre les positions du pouvoir civil et celles du pouvoir religieux à l’égard de la danse. Il est possible que le relatif libéralisme du représentant local de l’autorité royale ne fasse que traduire une impulsion émanant des sommets de l’État. En 1759, soit quelques années avant les missives du comte de L’Hospital, Richelieu est à Bayonne. Il note l’agilité des Basquaises à la danse, mais remarque également que depuis qu’en ces hameaux / Des curés, à grands chapeaux / Ont attristé l’innocence / Voulant ajouter la danse / Aux sept péchés capitaux / Cette doctrine imbécile / Ôte au Basque son air vif / Son tambourin, inutile / S’use à demeurer oisif. M. le Maréchal, qui croit au contraire, que tout plaisir est un bien ; qu’il faut conserver à ce peuple son génie, qui le rend heureux, a annoncé qu’il attacherait un tambourin à chaque paroisse ; et un sage gouvernement réparera le mal qu’a fait une religion mal entendue. (Rulhière et Celeste 1882 : 45).
On ignore si la mesure fut effectivement appliquée, ce qui aurait signifié une institutionnalisation du tambourin à l’échelle des communautés locales telle qu’elle s’opérait à la même époque dans les provinces du sud. Reste que cette position tolérante, dont on trouve trace dans les mandements de L’Hospital, contraste à l’égard de l’attitude du clergé local vis-à-vis de la danse. En ce sens, les danseurs basques auront sans doute bénéficié de l’intérêt ponctuel que leur porteront, aux xviie et xviiie siècle, les élites du Royaume, et ce jusqu’aux cénacles de la Cour. La prestation des danseurs de Saint-Jean-de-Luz au mariage de Louis XIV aura sans doute joué en ce sens. Plusieurs chroniqueurs du xviie siècle dressent régulièrement le portrait des Basques dan-
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AD 64, Registre des délibérations de Macaye, 6 février 1766. AD 64, Registre des délibérations d’Itxassou, 13 avril 1766.
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seurs et agiles. Les élites politiques locales jouent à ce titre un rôle d’intermédiaire. Ainsi voit-on en 1700 à Paris le duc de Gramont, souverain de Bidache, offrir dans son hôtel particulier au Grand Dauphin et au duc de Bourgogne un spectacle associant les danseurs de l’Opéra et une compagnie de douze danseurs basques accompagnés d’un tambourin et d’un violon : Les douze Basques habillés de blanc, lacés avec du ruban couleur de feu, des escarpins noirs à talon rouge, des bas couleurs de feu, des rubans bleus à la cravate, d’autres rouges sur l’épaule, et des jarretières à grelots, ajustement ordinaire des Basques les jours de fêtes célèbres. Cette danse étant finie, Monseigneur suivi de Monseigneur le Duc de Bourgogne et des Princes et Seigneurs qui composaient la Cour, entra dans l’appartement du Duc de Gramont […] Ce Prince sortit par la salle par où il était entré et où le Sieur Pécourt l’attendait avec ses danseurs, tant français que basques […] On dansa ensuite une Sapatique basque. Monsieur le Duc de Gramont dansa avec le Sieur Pécourt et s’en acquitta très bien. Tout le monde sait que ce Seigneur a beaucoup de grâce dans tout ce qu’il fait. Les danseurs de l’Opéra dansèrent cette Sapatique basque deux à deux et les Basques seul à seul, à la mode de leur pays, après quoi Monseigneur entra dans la Galerie où il a mangé […] Le Sieur Pécourt n’oublia rien, avec les deux quadrilles français et basques, de tout ce qui pouvait contribuer au divertissement de Monseigneur […] Pendant que les officiers s’occupaient aux services de table, le Sieur Pécourt s’occupait sous les arbres à servir un plat de son métier. Il fit à chaque service, cinq entrées, toutes de pays différents, sur le même air de Sapatique basque et ces entrées plurent fort à Monseigneur. Si tôt que les maîtres d’hôtel avaient servi, il entrait avec les danseurs de l’Opéra, suivi de douze Basques, du tambourin et du violon qui tous dans leur genre firent des merveilles. Monseigneur dit plusieurs fois qu’il n’avait jamais eu tant de plaisir.
Aux six violons de l’Opéra que le duc de Gramont avait fait venir pour un intermède « des plus vieux airs et des plus beaux de feu Monsieur de Lully », le Prince « qui ne voulut les entendre qu’un moment » préféra que la fête s’acheva comme elle avait commencé c’est-à-dire « à la Basque ».35 On le voit, la mode dont bénéficiera dans certains milieux aristocratiques la figure des danseurs basques contraste avec les débats âpres qui entourent la danse en Pays basque. Le tambourin à cordes, de même, semble avoir connu une brève vogue dans les milieux parisiens au xviiie siècle (Gétreau 2005), comme en témoignent notamment les Six sonates en duo pour le tambourin avec le violon seul publiées par Lavallière en 1749 (Paris, chez Mr Le Clerc), ou encore la « danse basque » qu’effectuent « au son du tambourin » le Matelot et la Matelote dans la mascarade Le pilote représentée devant le Roi à Marly en février 170036. Garnault (1931 : 125) donne, à partir de Bricqueville (1894), quelque précision sur cette brève mode du tambourin à cordes à Paris, qui correspond à un appel aux instruments de musique « pastorale ». Un luthier propose dès 1764 de perfectionner l’instrument en le garnissant de cordes des deux côtés pour moduler sur deux tons. En 1787, le maître de danse Chevalier présente aux Parisiens un nouveau tambourin à cordes, sans doute comme instrument de salle de bal. Un autre artiste parisien, Baujot-Fraunié, perfectionne encore le tambourin basque en le garnissant de cordes métalliques sympathiques, créant ainsi le « Tambourin d’amour 35 •
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Le Mercure galant, juin 1700. Repris dans (Pyrénées, 1967). Voir aussi l’anecdote célèbre du « sauteur basque » JeanLouis Oyhenart, dit Tartas, ancien page du duc de Gramont, et donné par celui-ci aux ballets du Roi (Brienne de Loménie 1828 : 235). Philidor l’aîné, Mascarade du vaisseau marchand, mise en musique par Mr Philidor l’aîné, ordinaire de la musique. Représentée devant le roy à Marly le jeudi 18 février 1700, à Paris, Par Christophe Ballard, seul imprimeur du Roi pour la Musique, 1700. Texte disponible sur , consulté le 3 août 2021.
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de Béarn ». Cette mode, plus éphémère que celle du tambourin provençal (Gétreau 2005), ne dure pas. « On s’amusa donc pendant quelques années des Tambourins », souligne Bricqueville, « comme on s’était amusé de la Musette et de la Vieille, après quoi on les renvoya dans leur province ». Le rôle de médiation joué en la matière par les élites locales se confirmera jusqu’à la période révolutionnaire, et parfois au-delà. Ce sera notamment, à la fin du xviiie siècle, le fait d’élites pétries de l’esprit des Lumières et qui intégreront la danse au nouvel argumentaire soulignant la spécificité basque. Les frères Garat, avocats et hommes politiques originaires d’Ustaritz, en sont l’illustration. Dominique dit « l’aîné » (1735–1799) sera avocat à Bordeaux à partir de 1755, puis député aux États généraux pour le bailliage du Labourd en 1789. Une anecdote rapportée par l’historien Eugène Goyheneche, témoigne de son goût pour les danses de sa terre d’origine. Garat fut, en effet, privé par l’Ordre des avocats de Bordeaux de plaider pendant quelque temps pour avoir dansé les Mutxikoak (saut basque) au théâtre de Bordeaux, indigné de la contrefaçon qui en était donnée sur la scène (Goyheneche 1979 : 370)37. On observera également, fait remarquable pour l’époque, qu’il souligne lors d’un discours à l’académie de Bordeaux en 1784, les qualités de danseuses prêtées aux femmes basques : « En les voyant marcher, souvent chargées de fardeaux, on devine qu’elles doivent danser avec beaucoup de grâce et de légèreté ; et de tous les dons qu’elles ont reçus de la nature, celuilà du moins a été connu ; il leur en fait une espèce de réputation » (cité dans Goyheneche 1979 : 133). Son frère cadet, Dominique-Joseph Garat (1749–1833), également avocat et député du Labourd au moment des États généraux de 1789, ne sera pas en reste. En 1811, Garat, devenu sénateur et comte de l’Empire envoie à Napoléon Ier le rapport intitulé Recherches sur le primitif de l’Espagne, sur les révolutions de cette péninsule, sur les Basques espagnols et français. Il y présente sous un jour favorable l’usage de la danse en Pays basque. Sa description évoque une danse en chaîne mixte dirigée par le maire de la commune, et comportant plusieurs séquences (et plusieurs instruments) qui rappellent les danses longues du siècle précédent : Cet autre exercice qui n’auroit aucun rapport avec la force et ses mâles attributs si la légèreté n’étoit pas une manière de déploier la force et de s’en servir, la Danse qui, chez les peuples modernes n’exprime et n’inspire guère que les mouvemens et les gouts de la volupté, chez les Basques, comme dans la plus haute antiquité, naguére encore, avoit tous les caractères, tantôt d’une solemnité religieuse ou politique, tantôt d’une marche guerrière, tantôt d’une pompe funébre. Des Magistrats nommés dans la langue du païs prêtres civils (aousso appessa), et dont la tête n’étoit couverte que de leurs cheveux blancs, menoient cette danse de tout un canton du temple à la place publique comme David marchoit en dansant devant l’arche, comme Plutarque déja plus que sexagénaire, l’olivier à la main, conduisoit à pas mesurés et cadencés les chœurs des jeunes vierges et des jeune garçons de Chéronné : les hommes seuls ouvroient leurs danses terribles au bruit du tambour et des fifres ; les femmes s’avançoient seules ensuite aux doux sons de la flute et du tambourin ; et les deux sexes réunis figuroient bientôt ensemble en mêlant leurs voix à leurs pas, en faisant retentir les airs de paroles improvisées qui peignoient le contraste et l’union de l’énergie de l’homme et des graces de la femme. Dans quelques cités et même dans quelques villages une fête étoit consacrée aux jeunes vierges ; et elle étoit célébrée aux premiers jours du Printems ; un mois après les jeunes adolescens avoient aussi leur fête ; et ces deux fêtes amenoient ensuite celle des jeunes époux. » (cité dans Casenave 2006)
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Sur la même anecdote, voir Le Constitutionnel, 7 septembre 1857.
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Valorisée ou dénigrée, symbole d’unité ou de hiérarchies, la danse joue un rôle social essentiel dans la société basque d’Ancien Régime. Les conflits à son sujet s’atténueront, sans toutefois disparaître complètement, au cours des deux siècles suivants. Un témoignage daté de 1826–1830 (nous y reviendrons dans le détail au chap. 5) indique pour la Basse-Navarre que le rang dans la « danse longue » suit un ordre établi par l’ancienneté des maisons, la danse étant ouverte par « la dame de la première maison du village ou par une demoiselle de son choix » (Cervini 1826–1830). Nous pouvons supposer que la distinction entre maisons anciennes et nouvelles, juridiquement consacrée sous l’Ancien Régime, pouvait aussi tenir lieu de distinction. On note également la persistance tardive, jusqu’au xxe siècle, de codes de participation à la danse reprenant les principes d’alternance et de réciprocité entre quartiers. À Itxassou, jusqu’aux années 1960, la dantza korda (danse en chaîne) qui est exécutée les deux dimanches de rang de la Fête-Dieu est menée alternativement par des jeunes hommes de quartiers distincts, désignés par la coutume. À Sare au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, chaque quartier a son tour de soka dantza pour les trois derniers jours du carnaval. À Valcarlos au début du xxe siècle, les quartiers alternent pour la dantza luzea (danse en chaîne) qui est exécutée deux fois par jour durant les fêtes patronales. J.-M. Guilcher a relevé en Béarn et en Soule l’usage de mettre aux enchères le droit de danser les sauts entre les villages voisins durant les fêtes patronales, rituel de bon voisinage qui pouvait comporter une dimension agonistique. Les enchères des sauts basques entre villages étaient également en vigueur fin xixe–début xxe siècle à Ostabat à l’occasion de la foire du mercredi des Cendres38. Sauveur Harruguet (1927) signale un usage ancien en Basse-Navarre consistant à verser un écot pour la participation à la dantza luzea, le paiement étant dégressif en fonction de la hiérarchie du rang dans la chaîne. Enfin, les enchères des sauts à la fin des pastorales en Soule fournissent un exemple, toujours en vigueur, de cet usage. Les antxerak consistent aujourd’hui en Soule en une forme de courtoisie et de solidarité, symbolique et financière, exprimée à l’égard du village organisateur de la pastorale de la part soit des communes voisines, soit du village organisant la pastorale l’année suivante (qui commence donc par s’endetter tout en s’annonçant publiquement). Moment de convivialité et de connivence entre villages souletins, les enchères ont pu elles aussi et à l’image des querelles du xviiie siècle générer des tensions, et ce jusqu’au début du xxe siècle. Si aujourd’hui, l’usage se réduit à une seule mise aux enchères (le village l’emportant exécute le saut long Muneinak et sa suite Aintzina pika), fin xixe–début xxe siècle, ce sont trois sauts qui sont mis successivement aux enchères. En 1899, à l’issue d’une pastorale à Pagolle, la jeunesse de Musculdy remporte le droit d’exécuter les sauts sur l’estrade ayant servi à la représentation, mais le résultat des enchères est contesté par un jeune homme d’Ordiarp, dont le village a remporté l’enchère précédente. En témoigne Dominique Etcheber dit Garré, cultivateur de 24 ans de Musculdy : Le 10 avril courant, étant à la fête pastorale à Pagolle, vers 5 h du soir, le nommé Oxandaberro François dit Ahastoy d’Ordiarp, m’a sans aucune provocation de ma part, et après lui avoir seulement dit qu’il devait descendre de dessus le théâtre de la pastorale comme avaient fait les jeunes gens de sa commune puisque c’était nous, la jeunesse de Musculdy, qui avions acheté la place pour danser; il m’a donné un soufflet et plusieurs coups de poing, égratigné la figure et fait sortir du sang. Aussitôt j’ai riposté de la 38 •
Information de M. Jakes Casaubon (1925–2021), originaire d’Ostabat.
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même façon et on nous a séparés. J’ajoute que malgré cette bataille je suis redevenu ami avec mon agresseur qui est mon cousin et mon voisin39
Les données lacunaires d’Ancien Régime et leurs prolongements, parfois tardifs, portent à voir dans ces disputes autour des dispositifs ritualisés le souvenir d’une connexion étroite entre l’ordre symbolique de la fête et l’ordre politico-institutionnel de la communauté. La logique d’alternance et de réciprocité entre les espaces (province, village, quartier) qui régit la danse évoque le principe de régulation politique qui organise le gouvernement paroissial et provincial. La démocratie des maisons, à distinguer soigneusement de la conception libérale et individualiste de la démocratie contemporaine, s’exprime également par les dispositifs symboliques et les protocoles qui y sont associés. À plus d’un titre, une fois la parenthèse révolutionnaire refermée, le xixe siècle prolongera et transformera très progressivement cette articulation.
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AD 64, 4 U 35/63, Tribunal de Première instance de Saint-Palais, PV de gendarmerie du 23 avril 1899.
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Chapitre 3 Le Sacre des ménétriers : métiers bayonnais et musiciens de métier Solennisée depuis le Moyen Âge, la Fête-Dieu prend, avec la fête patronale de Saint-Léon, un relief tout particulier dans le calendrier festif de la ville de Bayonne. Ici comme ailleurs en Europe ou en Amérique latine (Molinié 1996), la célébration de la Fête-Dieu théâtralise le Salut mais aussi la société locale et ses enjeux politiques. Si la société veut donner d’elle-même une image ordonnée, l’ordre hiérarchique que la procession consacre est aussi la résultante de luttes politiques et sociales, qui s’expriment parfois jusque dans le déroulé du rituel. Condensé hétérodoxe de symboles cosmiques, religieux et sociaux, le Sacre, tel qu’il est désigné à Bayonne, est un espace symbolique qui met en scène les relations entre le pouvoir civil et religieux. Il est également un temps de représentation des relations entre le pouvoir communal et les corporations de métiers, ainsi que des relations internes à chaque corporation. Ces dernières jouent un rôle tout à fait essentiel dans la structuration de la fête, à commencer par la procession du jour du Sacre. La fête est du même coup l’une des principales occasions annuelles où la musique ménétrière est sollicitée, tant pour rehausser le cérémonial que pour le volet profane. Les ménétriers de la région y trouvent une occasion de jeu et de contrats particulièrement attractive, mais peuvent aussi incidemment se retrouver au cœur des tensions qui se publicisent à cette occasion. Ce chapitre rappellera ainsi, et de façon préalable, l’importance du Sacre dans la structuration des rapports entre corporations et corps de ville, avant d’examiner plus spécifiquement la place des ménétriers dans ce dispositif festif. Enfin, nous examinerons une série de controverses qui animent la chronique du Sacre bayonnais aux xviie–xviiie siècles. Corps de ville, fête du Corps, corporations La solennisation du Sacre est, dès ses origines au xive siècle, l’objet à Bayonne de transactions et de conflits politiques. Instituée en 1264 par le pape Urbain IV, la fête se diffuse dans le monde chrétien au xive siècle, et devient à Bayonne comme dans la plupart des cités de la chrétienté, un temps de mise en scène de l’unité de la cité et de ses hiérarchies mais aussi de ses tensions. Corps de ville et régulation du Sacre Les historiens bayonnais mentionnent une liste non datée mais possiblement antérieure à 1400– 1401 des porteurs de cierges lors de la Fête-Dieu. Elle fait apparaître, souligne Françoise Bériac (1991 : 53), entre les treize confréries de piété et le corps de ville et le clergé de la cathédrale qui ferme la marche, une longue théorie de trente-cinq groupements professionnels. À la fois métiers et confréries, ces corporations utilisent la fête comme moyen de mettre en scène leur centralité sociale, voire leurs aspirations politiques1.
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Lors des troubles de 1398, c’est bien à une tentative de prise de pouvoir par certains des métiers que l’on assiste à Bayonne (Bériac 1991 : 53).
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L’historien de Bayonne Jean-Baptiste Bailac témoigne de ces tensions dès le xve siècle (1827 : 107). Depuis que les maires sont nommés par le Roi, échevins et jurats cherchent par tous les moyens à exclure de l’administration les artisans et hommes du peuple. Ils parviennent ainsi et peu à peu à réduire à 12 le nombre de conseillers magistrats. En 1488 le syndic de la communauté se plaint vivement des atteintes aux anciens règlements, précisément à l’approche de la fête du Sacre, jour où les habitants prennent les armes pour accompagner les processions. Le maire interdit les rassemblements, mais les corporations refusant d’obéir, une rixe survient avec les sergents et provoque de nombreux blessés. Dans ce contexte, la nomination du capitaine du Sacre, chargé d’organiser et de réguler toute la solennité, prend valeur politique. Il doit, au xve siècle, être tiré au sort parmi les échevins et jurats qui n’auraient pas encore exercé cet emploi (Bailac 1827 : 109) et s’assurer du bon ordre de cette procession. Depuis les évènements de la fin du xve siècle cependant, les bourgeois ne marchent plus en armes le jour du Sacre (ibid. : 191)2. L’ordonnance d’avril 1731 réaffirme la Fête-Dieu parmi les processions obligatoires auxquelles assiste le corps de ville en robe rouge, avec procession générale le jour du Sacre et procession dans la haute ville le jour de l’octave, avec un circuit différent chaque année. Occasion potentielle de désordre, la procession fait l’objet d’une surveillance particulière par le corps de ville, comme en témoigne l’ordonnance du 21 juin 1729 défendant de tirer des coups de fusil, fusées, pistolets et autres armes à feu dans les rues et par les fenêtres des maisons au passage des processions. En revanche, tous les habitants sont enjoints à tendre des tapisseries dans les rues par lesquelles la procession doit passer. Les corporations au cœur du Sacre, le Sacre au cœur des corporations Les corporations de métier sont au cœur de l’institution bayonnaise du Sacre. La Fête-Dieu est une institution centrale dans le fonctionnement routinier des corporations, à la fois sur le plan du rituel et sur celui de leur gouvernance interne. Les statuts de la plupart des métiers soulignent cette importance, avec la fête du saint patron du métier et les messes basses mensuelles précédant les assemblées de la Compagnie. Les statuts de corporation des maîtres boulangers et fourniers, stipulent ainsi dans leur version de 1760 : Art. 1 – pour implorer l’assistance divine, il sera dit et célébré une messe basse tous les troisièmes dimanches de chaque mois au devant du me autel de l’Eglise des R. P. Cordeliers de cette ville, auxquelles messes qui se diront, sçavoir depuis Pâques jusques a la st Michel a sept heures du matin, et depuis la St Michel jusques à Pâques à huit heures tous lesd. maîtres seront tenus d’assister ainsy qu’à l’assemblée d’après lad. messe, à moins d’absence ou maladie, qu’ils seront tenus de faire sçavoir au patron ou clavier, à peine de cinq sols pour avoir manqué lad. messe et de cinq autres sols pour ce qui regarde lad. assemblée, aplicables a la boëtte de lad. Compagnie. Art 2 – que le quinze du mois de may veille de la fette du bienheureux St Honoré leur patron, tous les maîtres se trouveront avant trois heures après midy au devant de la porte de leur patron, pour se rendre en lad. Eglise des Cordeliers y entendre vêpres à peine de dix sols contre celuy qui y manquera applicables comme dessus.
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Voir Bailac (1827 : 160) concernant le débat en 1621 sur la présence des magistrats et conseillers aux processions excepté celle du Sacre.
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Art. 3 – qu’à l’issue de vêpres tous lesd. Maîtres s’assembleront aux cloîtres de lad. Eglise ou autre endroit d’icelle pour procéder à la pluralité des voix à la nomination d’un patron et d’un clavier pour un an, lesquels après avoir été nommés ne pourront se dispenser de remplir lesd. charges et de les exercer sous quelque prétexte que ce soit, à peine de payer cent livres sans modérations aplicables moitié à la ville et moitié à la boëtte, et seront lesd. Patron et clavier tenus de pretter serment devant un Commissaire. Art. 4 – que le jour de St. Honoré seizième dud. mois de may de chaque année, il sera célébré devant le Me autel dud. Couvent vers les neuf heures du matin une Messe chantée à laquelle tous les maîtres seront tenus d’assister, et se trouveront pour cet effet devant la maison du patron avant lad. heure, afin de se rendre tous ensemble à l’Eglise à peine de payer seize sols contre chaque deffaillant pour le profit de la boëtte. Art 5 – que le jour de la Fette-Dieu tous les maître se trouveront chez le patron de lad Compagnie à 6 heures du matin pour prendre le cierge et l’accompagner ensuite à l’Eglise cathédrale au devant de la chapelle St Jacques à peine de seize sols contre chaque deffaillant au profit de lad. boëtte ; il sera dit ensuite une messe basse à laquelle tous les sus. Maitres assisteront ; après quoy tous lesd. Maîtres assisteront à la procession du Corpus Christy, à la suite du sus. Cierge ainsy qu’il est d’usage a peine de trois livres contre chaque deffaillant, lequel Cierge sera porté par quatre maîtres qui auront été déjà nommés par lad Compagnie, moitié du commancement et moitié de la fin du rolle, lesquels maîtres ne pourront se dispenser de le porter a peine de dix livres contre chacun, applicables moitié à la ville, et moitié à la boëtte. Art. 6 – que le lendemain de la Fette-Dieu il sera dit et chanté une messe chantée de requiem a lad Eglise des Cordeliers pour le repos des ames des trépassés, maitres et maîtresses de la Compagnie à laquelle tous les susd. Maîtres seront tenus d’assister ainsy qu’à la procession qu’on a accoutume de faire autour des cloîtres, quatre maîtres des plus nouveaux portant au devant de la croix un flambeau allumé, le tout a peine de trente sols contre chaque deffaillant et de trois livres contre celuy qui refusera de porter led. flambeau, applicables au profit de lad. boëtte. Art. 7 – que le même jour cy-dessus, les patron et clavier qui sortirons d’exercisse seront obligés de rendre leurs comptes sans aucun retardement aux nouveaux élus et auditeurs de comptes nommés par la Compagnie la [Mezade] avant, en présence de tous les maîtres qui s’y trouveront, et remettrons immédiatement après entre les mains des nouveaux patrons et clavier, le reliquat de leurs comptes avec le présent statut, et autres effets et documents qui appartiennent à lad. Compagnie ; ensemble la boëtte, dont lesd. nouveaux patron et clavier se chargeront et demeureront responsables, et la clef de lad. boëtte demeurera au pouvoir du clavier comme il est d’usage […] Art 10 – que la troisième fette de Pacques il sera procédé par la Compagnie à la pluralité des voix à la nomination des porte cierges pour le jour de la Fette Dieu, et seront nommés pour le deux du rolle d’en haut et deux du rolle d’en bas, et ne pourront led éllus refuser lesd charges à peine de dix livres par chaque refusant, applicable moitié à la ville et moitié à la boëtte3
Le Sacre remplit ainsi trois fonctions complémentaires chez les boulangers bayonnais. La première, religieuse, atteste de la dimension confrérique de la corporation, avec la participation aux rituels, procession le jour du Sacre, messe des défunts le lendemain. La deuxième, politique, met en scène le métier aux côtés des autres artisans, du clergé et du corps de ville. La troisième fonction renvoie à la gouvernance interne de la corporation : la Fête-Dieu marque la fin du mandat du patron et clavier en exercice et le début du mandat des nouveaux élus. Les comptes de la compagnie sont audités ce jour-
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Statuts et privilèges des maîtres fourniers et boulangers de la ville de Bayonne, à l’instar des autres arts et métiers, 1760 (AD 64, Arch. com. Bayonne, HH 72).
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là. C’est également par le vote que sont désignés les porteurs des « ciris » (cierges et représentations des attributs de chaque profession [Hourmat et Poupel 1993]) de la procession, charge à la fois honorifique et obligatoire à laquelle alternent les maîtres. L’examen des statuts disponibles des autres corporations reproduit à quelque nuance près, une organisation similaire autour de la Fête-Dieu et des fêtes du saint patron de chaque compagnie. Entre marche et marché : indispensables ménétriers La musique tient une place centrale dans le dispositif matériel et symbolique activé par les corporations avant, pendant et après le jour du Sacre. Depuis (au moins) le milieu du xvie siècle et ce jusqu’à 1789, chacune engage des ménétriers pour précéder la représentation de la Compagnie (enseigne, porte-cierge et soldats) durant la procession. Leur rôle, cependant, ne s’y limite pas. Plusieurs corps de métiers engagent les ménétriers depuis le mercredi matin, veille du jeudi de la Fête-Dieu, et les retiennent jusqu’au vendredi soir. Les mêmes ou d’autres ménétriers seront également convoqués pour les cérémonies et collations que tiennent les compagnies le dimanche après le Sacre. Instruments Les musiciens convoqués sont, pour l’essentiel et pour autant que le matériau archivistique ne le donne à voir, des joueurs de tambourin (ensemble tambourin à cordes et flûte à trois trous), des violons et des tambours. Les ménétriers sont réservés par les corporations de métier, le corps de ville prenant en charge les tambours accompagnant les portions de la milice et bourgeoise et, très occasionnellement, d’autres musiciens. En 1599, Bertrand de Crutchette, échevin et capitaine du Sacre, paye des tambourins et « piffres ». En 1627 Anthoine David de Naguille, échevin et capitaine du Sacre, rétribue 24 tambours et 24 fifres, mais aussi des tambourins venus de Bidache4. En règle générale cependant, les ménétriers sont mobilisés par le corps de ville pour la Pentecôte et par les corporations pour le Sacre. La corporation des marchands drapiers et merciers, dont les livres de comptes permettent de visualiser de façon fine l’engagement annuel des ménétriers de 1554 à 1761, fait ainsi montre d’une certaine évolution dans le temps. Entre 1554 et 1588, ce sont essentiellement des tambourins qui sont engagés. Leur nombre est variable. Rarement seuls, ils sont le plus souvent deux (1583–1585) ou trois (1561–1562). Entre 1558 et 1567, les comptes mentionnent des « menestriers », sans qu’il soit loisible de préciser les instruments. L’on pencherait cependant pour le violon, surtout pour 1561 et 1562 où l’on distingue « menestriers » et « tambourins ». Le violon est mentionné à partir de 1586 et 1587, avec le tambourin. Entre 1590 et 1597, ce sont uniquement des violons qui sont convoqués. Entre 1598 et 1624, tambourins et violons jouent généralement ensemble. Entre 1625 et 1687, ce sont essentiellement des violons qui sont mobilisés, sauf en 1642 (tambourins) et 1643 (tambourins et violons). En 1666, pour la première fois sont mentionnés quatre tambours et des joueurs de fifre qui sonnent devant la compagnie lors de la procession « au lieu desd. violons ». En 1686, trois tambours de la
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Arch. com. Bayonne, CC 309.
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ville marchent devant le cierge, en sus des « viollons, qui ont peu servy ». Sans doute en disgrâce, les violons jouent encore en 1686 avant d’être remplacés par les tambours de ville jusqu’en 1761. Figure 2 : Ménétriers commandités par la Compagnie des marchands merciers et drapiers de Bayonne pour la Fête-Dieu 6 5 4 3 2 1 0 1500
1550
1600 tambourins
violons
1650
1700
ménétriers
tambours
1750
1800
fifres
Sources : élaboration propre à partir de la série HH, Arch. com. Bayonne
On peut, par recoupement des sources, resituer la temporalité et les fonctions des musiciens convoqués pour la Fête-Dieu par la Compagnie des marchands depuis la fin du xvie siècle. Arrivant le mercredi matin, veille du Sacre, ils doivent donner des aubades aux maîtres (en 1635). Le jour du Sacre, ils jouent durant la procession, devant le cierge, les maîtres et soldats de la Compagnie. Ils doivent également « sonner » le lendemain, vendredi, sans davantage de précision. En 1667 il est mentionné que les violons jouent chez l’enseigne de la Compagnie, la veille ou le jour du Sacre. Le dimanche après le Sacre, les musiciens accompagnent le corps de métier à la messe qui est célébrée au couvent des Augustins, avant de participer et d’animer le déjeuner offert à tous les compagnons à l’extérieur de la ville. Les autres corporations organisant des bals le soir et le lendemain de la FêteDieu, on peut penser que cette partie profane fasse aussi partie des attendus de la Compagnie des marchands. Au final, les ménétriers sont à pied d’œuvre du mercredi au dimanche. Les boulangers et fourniers, quant à eux, retiennent au xviiie siècle des musiciens pour la Fête-Dieu et pour la Saint-Honoré, patron de la corporation. Des tambourins sont retenus annuellement, au moins à partir de 1720, pour jouer la veille et le jour du saint patron. En 1735, les comptes de la compagnie font état du bal donné le lendemain de la Fête-Dieu. En 1761, les tambourins sonnent pour le bal de l’après-midi et du soir du lendemain de la Fête-Dieu. En 1771, les frais de réception (par le patron) de la veille de la Saint-Honoré, et du bal du lendemain à la campagne, toujours donné par les tambourins, sont mentionnés. Un violon est indiqué pour la première fois en 1775, pour assister à la procession. Les tambourins sont mobilisés par la compagnie le jour et le lendemain de la Fête-Dieu jusqu’en 1790. Chaque année, rubans et cocardes apprêtent les tambourins en question, dont l’engagement est pluriannuel.
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Il en va de même pour les charpentiers de maison, qui mobilisent également des musiciens pour la Fête-Dieu et pour la Saint-Joseph, patron du métier. Les comptes de la corporation mentionnent entre 1745 et 1755, les bals annuels de la Fête-Dieu et de la Saint-Joseph et le paiement des tambourins « pour le service de l’année », outre leurs dépenses de nourriture. Les charpentiers de navire font de même en engageant des tambourins en 1674, tambourins et violons en 1714, pour la Fête-Dieu et pour la Saint-Nicolas ; un tambourin et un violon pour la Fête-Dieu de 1666. La Corporation des cordonniers retient également des tambourins pour la Fête-Dieu (première mention en 1745) et pour la Saint-Crespin (1770 et suivantes). Ici, les tambourins doivent également donner « la sérénade » au quartier Saint-Esprit la veille de la Fête-Dieu, ce qui contraint le patron des cordonniers à s’acquitter du péage du pont, mentionné à partir de 1770. Comme les autres métiers, la Compagnie célèbre également le dimanche qui suit la Fête-Dieu, avec les frais y afférant. D’autres instruments ont pu être mobilisés occasionnellement durant les processions. En 1787, un procès contre la Compagnie des orfèvres ayant refusé de participer à la procession mentionne les « tambourins, tambours, flûtes, violons, basses, et autres instruments ». Nous y reviendrons plus avant. Contrats La relation entre les compagnies et les ménétriers est parfois formalisée par un contrat d’engagement, passé devant notaire. En 1738, les maîtres charpentiers de maison de Bayonne passent ainsi contrat pour neuf ans avec Joannes de Bouscardin dit Boustingorry et autres Joannes de Bouscardin, père et fils, joueurs de tambourin d’Ayherre en pays d’Arberoue. L’acte informe de façon plus précise sur les obligations réciproques des contractants : Aujourd’hui neuvième du mois de juin mil sept cens trente huit avant midy à Bayonne, par devant moi notaire royal soussigné, présents les témoins bas nommés, ont comparu Joannes de Bouscardin père dit Boustingorry et autre Joannes de Bouscardin, père et fils joueurs de tambourin habitants de la paroisse Daiherre, pays Darberoue, lesquels de leur bon gré et volonté, ont promis et s’obligent envers la Compagnie des Maîtres Charpentiers de maisons de la ville, Pierre Darrigol, patron et Jean Gamoy fils second patron, maître charpentiers de maison, présents et acceptant pour la Compagnie de la servir au son de leurs tambourins, pendant l’espace de neuf années consécutives, de leur jouer en feste de Saint Joseph, la Feste Dieu, et autres jours jusqu’au lundy matin en suivant, à cet effet promettant de se rendre en ville tous les deux chez le patron qui sera en charge toutes les veilles desd jours Saint Joseph et Feste Dieu, pour y remplir leur fonction suivant l’usage, sans interruption. En cas de maladie seront tenus et obligés les dits Bouscardin d’avertir en charge, d’en remplacer à leur place, pour faire les mêmes fonctions, supposé qu’ils puissent en trouver et [ou ils manqueraient] d’avertir led patron quinze jours avant, il sera permis à la dite Compagnie de prendre à leur place et à leurs dépens, pour le sallaire, soins, et peynes et occupations pendant les jours indiqués, la dite Compagnie sera obligée ainsi que les dits Darrigol et Gamoy ou ceux qui seront en charge à l’avenir, de payer annuellement aux dits Bouscardin père et fils cinquante cinq livres restantes le lendemain de la Feste Saint Joseph, leur ayant payé présentement trente-six livres ; de quoi a été fait acte en présence de Guillaume Hardoy Maître charpentier de maisons et Pierre Laborde aussi charpentier, habitants de la ville, témoins et signés avec les dits Gamoy et Bouscardin fils [signé : Hardoy, Gamoy, Joannes de Bustingorri] ce que n’ont fait les autres pour ne scavoir requis de le faire par moi.5 5 •
A D64, III E 4460/0281, notaire Pinaquy. Je remercie Michel Duvert pour m’avoir fait connaître ce document.
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De la même façon, le 4 janvier 1766, la corporation des boulangers et fourniers passe contrat avec « deux tambourins basques » pour les aubades, processions, bals, etc. pendant cinq ans à raison de 48 livres par an. En 1785, les charpentiers de navire passent contrat avec Jean-Baptiste Broquedis, joueur de tambourin bayonnais, qui s’engage à jouer pendant neuf ans avec un autre musicien pour la FêteDieu et le jour de Saint-Nicolas, fête solennelle des maîtres charpentiers moyennant 90 livres par an6. Le 3 juin 1668, les charpentiers de navire passent un accord du même ordre avec deux maîtres joueurs de violon, l’un de Bayonne et l’autre de Bardos, pour le Sacre. Les ménétriers s’engagent à jouer du mercredi avant le Sacre jusqu’au dimanche soir après le Sacre moyennant la somme de 20 livres. Ils promettent « de se trouver à la maison du patron de lad. Compagnie. Ils obéiront avecq honneur de suivre le patron ou à celui qui baillera ordre a la coustume qu’on fait »7. Le 27 mai 1674, les mêmes charpentiers de navire, s’étant assemblés à la maison du patron de la compagnie, promettent de payer aux tambourins pour la fête du Sacre 18 livres et pour la fête de saint Nicolas […]. Lesd tambourins s’appellent Arnaut de Pery de la paroisse de Bidache et Pierre De Salonbide habitant de Bardox se sont obligés a servy lad Companie et ils se sont signés avecq nous [signé] : AP 8
Se définissent ainsi une série de droits et obligations qui placent les ménétriers au service des corporations pour le temps de la Fête-Dieu et de la fête du saint patron. On conçoit dès lors tout l’intérêt pour les ménétriers d’engagements pluriannuels de ce type. Provenance Peu disertes sur ce point, les sources laissent néanmoins percer quelque information sur l’origine géographique des ménétriers. Quatre principales provenances se détachent parmi les ménétriers, tambourins et violons. La première est la ville de Bayonne elle-même. La Compagnie des marchands merciers semble, au début du xviie siècle, instituer un recrutement différencié selon le moment de la fête. Si des ménétriers extérieurs sont généralement mobilisés pour jouer depuis la veille du Sacre jusqu’au vendredi, ce sont plutôt des musiciens de la ville qui sont réquisitionnés pour le dimanche après le Sacre. En 1617, cinq violons de la ville jouent pour le dimanche suivant la fête. En 1621 et 1622, le bayonnais Larmaignan joue du violon pour le Sacre. En 1628 et 1629, quatre violons – sans plus de précision – jouent pour le Sacre, et ce sont les violons de la ville qui sont à pied d’œuvre le dimanche suivant le Sacre. En 1667, les violons de la ville assurent l’ensemble des fonctions « pour le service qu’ils nous ont rendu la veille et le jour du Sacre pour la procession et chez l’enseigne ». Resterait à établir si cette mention renvoie simplement à l’origine locale des violons ou à un groupe de violons institutionnellement liés à la commune, sur le modèle des bandes de violons présentes dans bien d’autres villes françaises (Charles-Dominique 1994).
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AD 64, Arch. com. Bayonne, HH 85. AD 64, Arch. com. Bayonne, HH 87. Ibid. supra.
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La deuxième zone géographique est le Bas-Adour et ses deux rives, landaises et « charnegou », qui fournissent régulièrement tambourins et violons aux corporations. En 1574, les tambourins qui jouent pour les marchands viennent de Pouillon, en 1584 et 1585 de Pouillon et d’Oyeregave. En 1587, ce sont Estienne et Johan de Corros, frères, demeurant respectivement à Sainte-Marie-de-Gosse et Orthevielle qui jouent du tambourin pour la Corporation des marchands merciers pour le Sacre, du mercredi au vendredi. En 1624 et 1625, les tambourins viennent de Bidache. C’est le cas également des trois violons qui jouent en 1642 et 1644 pour les marchands. De façon générale, les frais d’hébergement des ménétriers du mercredi au vendredi laissent supposer que ceux-ci viennent de l’extérieur de la ville. Nous l’avons dit, les maîtres joueurs de violon avec qui les charpentiers de navire passent contrat en 1666 pour la Fête-Dieu viennent de Bayonne et de Bardos. La même compagnie engage en 1674 les tambourins Arnaut de Pery, de Bidache et Pierre de Salonbide, habitant de Bardos, pour la Fête-Dieu et la Saint-Nicolas. Tous ces villages étant voisins, ces indices laissent présager d’un vivier de ménétriers situé dans cette partie du Bas-Adour, qui a aisément accès à Bayonne par le fleuve9. En 1723, les maîtres maçons engagent Bernard Samacoïs, charpentier de maison et joueur de violon à Bidache, et son fils Jean, charpentier et joueur de violon et de tambourin, pour la FêteDieu. En 1627, le capitaine du Sacre fait venir des tambours de Bidache pour le Sacre. Les musiciens viennent parfois de pays landais, béarnais et gascons plus éloignés. En 1624 et 1625, ce sont les violons « d’Acqz » (de Dax) qui « sonnent les aubades » la veille du Sacre et accompagnent la procession le jour de la fête pour le compte des marchands. En 1627, le capitaine du Sacre fait venir un fifre de Condom, 12 fifres de « Sault » (de Navailles ?) et un tambour de Navarrenx. La dernière zone de provenance est l’intérieur du Pays basque. En 1738, comme indiqué, les charpentiers de maison de Bayonne passent contrat avec Joannes de Bouscardin dit Boustingorry et autre Joannes de Bouscardin, père et fils, joueurs de tambourin d’Ayherre. En 1766, ce sont deux tambourins « basques », sans plus de précisions, qui sont engagés pour cinq ans par les boulangers et fourniers. En l’état des sources, il semble néanmoins que l’appel aux tambourins du Pays basque intérieur soit moins fréquent chez les corporations bayonnaises que de la part du corps de ville, qui les sollicite régulièrement à l’occasion d’autres fêtes officielles (chap. 1). Controverses L’examen, même impressionniste, la plupart de la documentation corporatives ayant été détruites lors de l’incendie des archives bayonnaises en 1889, donne à voir une fête du Sacre aux multiples facettes. La fête, on l’a dit, est d’abord exhibition de la société d’ordres et des pouvoirs constitués en corps, qu’ils soient religieux, communaux ou économiques. Les ménétriers contribuent en cela à rehausser le spectacle du pouvoir. L’archive corporative et sa comptabilité laconique laissent néanmoins transparaître, au détour d’un paiement, d’une amende ou d’un procès, une fête dans la fête
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Un procès mentionne en 1698 l’activité des bateliers venant de Bardos à Bayonne pour la Fête-Dieu, ce qui indique que les cérémonies bayonnaises attiraient également les populations des campagnes environnantes. AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 106.
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Illustration 5 : Joueur de tambourin à Bayonne, détail de la Vue de la Ville et du port de Bayonne, gravure eau-forte de Claude-Joseph Vernet, 1764 (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
où se jouent des relations sociales autrement plus complexes et entremêlées que celles réglées par les Statuts et les Coutumes. Fête sacrée et fête profane La fête religieuse, en l’espèce, s’accompagne d’une fête profane d’une envergure certaine. En particulier, nous avons mentionné les bals que donnaient les patrons, souvent en leur domicile, à leur compagnie le jour et le lendemain de la Fête-Dieu. Ordinairement calmes, ces agapes pouvaient donner lieu à quelque débordement.
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Le 30 mai 1723, Jean Sallies, patron des maîtres maçons étant en deuil, c’est le maître Lasserre qui reçoit les maîtres chez lui rue Passemillon pour donner un bal à l’occasion de la Fête-Dieu. S’agissant du « dernier jour des assemblées pour la réjouissance de la compagnie » – donc probablement le dimanche suivant le Sacre –, le bal commence vers les huit heures du soir et continue tranquillement jusqu’à onze heures et demie. Une discussion éclate alors entre les maîtres maçons, Lasserre demande aux violons et tambourins d’arrêter de jouer. Des maçons ordonnent aux musiciens de continuer, sous peine de leur briser leurs instruments. Les maçons battent le patron à coups de règles et d’épées et le laissent dans son sang. Pris à partie, les père et fils Samacois de Bidache, charpentiers de maison et joueurs de violon et de tambourin, témoignent lors du procès. La querelle porte sur l’alternance à la direction de la danse (un menuet). Jean Samacois témoigne : étant avec son père chez le plaignant, jouant du tambourin et du violon pour la récréation des maîtres maçons, il survint une dispute entre eux, Mendiboure le père qui étoit pris de vin voulant mener une danse contre le sentiment des autres maîtres, jusque là qu’ils en vinrent aux mains […]10.
D’autres témoignages concordent pour affirmer que Mendiboure « vouloit absolument danser un menuet prétendant que ce soit son tour ». La partie profane de la Fête-Dieu donne ainsi lieu à un nouveau conflit sur rang de la danse, litige courant en Pays basque intérieur au xviiie siècle (chap. 2). Il arrive également que le ménétrier se retrouve au cœur d’un litige interne à la corporation. En juin 1698, la Compagnie des vignerons porte plainte par-devant l’échevin contre le nommé Jeannon du Plissé. Le corps de ville aurait ordonné que « l’argent quy proviendrait du tambourin » – renvoyant probablement ici au bal – « seroit arresté entre les mains du patron et clavier au proffit dudit Jeannon Plissé pour avoir esté estropié à la main et pour se faire traitter et que sy cela nestoit pas suffisant que la compagnie des vignerons subviendroit au reste ». Selon la Compagnie, au contraire, c’est Jeannon du Plissé qui devrait être condamné pour avoir insulté le tambourin à la barbe de toute la Compagnie « et avoir voulu couper les cordes du tambourin à la face des maistres du bien quy se sont trouvés dans l’endroit et quy sont plus dignes de foy que luy parce que c’est un ivrogne quy estoit sou comme un cochon. »11 Les ménétriers se retrouvent de fait sur une position médiane, entre fête officielle et fête profane. Rehaussant par leur musique l’identité corporative durant la procession, ils en accompagnent également les excès, fût-ce à leurs corps défendant. L’on comprend dès lors la multiplication des régulations du corps de ville contre les excès et débordements potentiels lors de la Fête-Dieu. Le 20 juin 1729, une ordonnance de la ville défend de tirer des coups de fusils, pistolets et fusées pendant la procession du Saint-Sacrement. Le 10 mai 1771, une ordonnance de police défend aux corps de métiers de donner aucun banquet ni repas à l’occasion de la Fête-Dieu. Les compagnies et corps obligent ceux d’entre eux qui sont en charge à des « dépenses excessives » les jours de fête et particulièrement pour la Fête-Dieu. La ville interdit aux corporations de donner ni banquet ni repas le jour du Sacre, la veille et le lendemain. sur ce qui a été représenté par le procureur du Roy, qu’il s’est aperçu de divers abus également préjudiciables aux corps des métiers et communautés établies dans la ville, et contraires à la décence de la reli10 • 11 •
AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 168/71–72, mai 1723. AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 106/1, 2 juin 1698.
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gion, qui se sont introduites à l’occasion de la Fête-Dieu, en ce que lesdits Corps et Compagnies obligent ceux d’entre eux qui se trouvent en charge à des dépenses excessives pour des repas et fêtes, d’où s’ensuit la ruine de plusieurs particuliers, et que la plupart d’entre eux assistent à cette solennité avec beaucoup d’indécence et qu’il convenoit d’y pourvoir […] font très expresses inhibitions et défenses aux dites Maîtrises et Communautés et à chacun de ceux qui les composent soit de la ville ou de la juridiction d’icelle, de faire ni donner aucun banquet ni repas entr’eux à l’occasion de la Fête-Dieu, soit la veille, le jour même ou les suivants à peine de cent livres d’amende […]12
Les interdictions sont parfois circonstanciées : le 30 mai 1774, une nouvelle ordonnance défend aux corps de métiers de la ville et de la juridiction de donner des bals le temps de la Fête-Dieu et les jours suivants tout le temps que durera le deuil du Roi13. La lutte des places ou la mise en scène des tensions internes aux corporations Les célébrations du Sacre sont aussi l’occasion de réaffirmer les hiérarchies internes des corporations et, partant, les tensions y afférant. Le rang occupé par les maîtres dans la procession ne doit rien au hasard en ce qu’il équivaut, pour qui sait en lire la symbolique, au positionnement statutaire des membres dans la corporation. Jean Laffargue, aspirant tonnelier, l’apprendra à ses dépens14. La veille de la Fête-Dieu de 1735, à trois heures de la relevée, il se rend selon l’usage devant la maison du patron, rue Port Neuf, où tous les membres de la Compagnie, y compris les aspirants reçus par le commissaire, s’assemblent pour se rendre en corps aux vêpres. Le patron le présente à la Compagnie, ainsi que les autres aspirants nouvellement reçus, lui indique son rang – à côté d’un jeune maître reçu le même jour qui lui – et lui demande de s’agréger. Trois ou quatre maîtres s’y opposent, au motif qu’il avait été fait appel contre la sentence du corps de ville reconnaissant la réception de Laffargue comme maître. Qu’il marche avec les valets de ville, puisque ce sont eux qui lui ont donné le droit d’entrer dans la maîtrise. La tension monte. Arrive le porte-enseigne, qui veut donner le signal de la marche avec son drapeau, mais les maîtres s’y opposent tant que Laffargue ne se retire pas. Les maîtres mécontents se jettent sur Laffargue et le sortent du rang à coups de poing. Il se retrouve sur le rang de gauche, d’où il est également rejeté. Face à cette adversité et pour éviter de plus graves débordements, d’autant que ce jour-là les maîtres portent l’épée au côté, le patron recommande à Laffargue de ne pas marcher avec la Compagnie et de se rendre seul à vêpres. Un maître s’exclame alors que ce n’est point Laffargue qu’il faut blâmer, mais bien Laplace, qui l’avait pris en apprentissage15. C’est bien lui qu’il faut « découper en morceaux », et « que chacun en emporte un morceau ». Le lendemain matin, jour du Sacre, Laffargue se rend à 7 heures du matin au cloître des Carmes pour payer ses droits
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AD 64, Arch. com. Bayonne, FF535. AD 64, Arch. com. Bayonne, FF535. AD 64, Arch. com. Bayonne, FF191 64 et sq. Selon un témoin, Laplace aurait pris Laffargue comme apprenti pendant trois ans six ans auparavant, mais ce dernier s’est embarqué comme tonnelier « soit pour la baleine soit pour la Terre Neuve et les isles ». Il travaille ensuite à nouveau pour Laplace, mais ne peut faire état d’un contrat d’apprentissage de cinq ans, exigé pour la réception à la maîtrise. De ce fait, le témoin s’oppose à ce que l’on nomme des experts pour évaluer le chef-d’œuvre de l’aspirant, condition sine qua non pour la maîtrise.
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annuels à la « boëtte (caisse)» de la Compagnie et s’y agréger. Il est à nouveau rejeté, cette fois à la pluralité des voix des maîtres présents. Cette mésaventure informe quant à l’enchevêtrement de l’ordonnancement rituel et des dispositifs de maintien et de reproduction de l’institution corporative. Le rang dans la marche témoigne de l’ancienneté et de l’ordre d’accession à la maîtrise. Le jour de la Fête-Dieu, les cérémonies religieuses sont précédées de l’assemblée des maîtres, de la remise de la cotisation annuelle et de la nomination de nouveaux patrons et claviers. Droits honorifiques et droits du métier se confondent. En ce milieu du xviiie siècle, ce dispositif rituel institutionnalisé fonctionne à plein régime, et il en coûte aux déviants tentant de jouer aux marges des règles. En 1741, Pedro Heguy, maître maçon, porte plainte devant le maire et les échevins contre la Compagnie des maîtres maçons, pour un double préjudice matériel et honorifique. Ayant été « nommé avec d’autres pour suivre l’enseigne de la Compagnie à l’occasion de la Fête-Dieu », il s’est acquitté de cette charge durant de nombreuses années. Il est cependant d’usage, apprend-on, que le lendemain du Sacre, les maîtres ainsi nommés sortent de la ville avec le capitaine après avoir remis le drapeau chez le patron, pour y passer le reste de la journée en une « collation – récréation ». Héguy, trop occupé par des ouvrages pressants, ne peut cette année-là sortir de la ville, et choisit de payer la petite amende de sept sols deniers imposée à ceux qui ne s’y trouvent point. Mais le dimanche suivant le Sacre, « lorsque la Compagnie étoit en récréation à l’occasion de la nomination des patron et claviers », les choses se gâtent lorsque Heguy entend intégrer la Compagnie pour le défilé du jour : Le dimanche en suivant la Compagnie et aux assemblées aux formes ordinaires chez le patron, le suppliant s’y étant présenté et voulant prendre sa place, on le mit hors de son rang à cause qu’il n’avoit point été hors la ville le lendemain de la fette Dieu, en luy disant qu’il avoit perdu sa place et qu’il ne méritoit pas de la remplir. En effet on en mit d’abord un autre qui étoit après luy dans la place qu’il devoit occuper. Cette entreprise obligea le suppliant à se retirer pour n’avoir pas de discussions.16
La Compagnie lui reproche en outre de ne pas avoir déclaré deux chantiers en cours et de ne pas lui avoir payé les droits y afférant. Sur ce point également, Héguy se défend par des arguments mêlant le point d’honneur et des règles techniques impliquant cette fois le corps de ville : la raison pour laquelle il n’a pas fait d’abord sa dénonciation, c’est en premier lieu à cause de la violence et l’injure que la Compagnie luy avoit fait publiquement et en pleine rue, n’osant plus se représenter, et en second lieu parce que l’alignement de la maison de ville ne luy avoit pas encore été donné par vous Messieurs17
En 1729, un nouveau procès est porté devant le corps de ville par les compagnies de vignerons, jardiniers, bouviers et meuniers, qui sont toutes sous la direction d’un commissaire du corps des magistrats. Chaque année, et malgré les mesures limitatives prises par la ville en 1715, des dissensions éclatent pour la nomination des patrons de ces compagnies, tant ces charges s’avèrent onéreuses, en particulier pour la Compagnie des vignerons-jardiniers, qui sont en grand nombre. À en croire les témoignages, ce sont surtout les dépenses de la Fête-Dieu pour être accompagnés à la 16 • 17 •
AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 202/34, 29 juillet 1741. Ibid. supra. Voir aussi FF 353 (16 septembre 1769) pour un contentieux entre la Compagnie des gabarriers et l’un des membres portant notamment sur le remboursement de la portion de repas de la Fête-Dieu et du dimanche suivant.
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procession qui les mettent « dans un état à n’en relever jamais ». La compagnie ne contribue que de façon modique à une dépense qui est cinq ou six fois supérieure. Chaque patron insiste pour que le nouveau patron qui lui succède fasse les mêmes dépenses, « voulant ainsi se venger de leur folie sur les autres ». Suivant en cela le réquisitoire du procureur du Roi, les maires, échevins et jurats de ville, font deffenses aux Patrons et claviers et porte-cierges de la compagnie des vignerons ou jardiniers des quatre portes ou quartiers de la banlieue de faire aucuns banquets repas, mais seulement un déjeuner de bienséance et de coutume le jour de la Fête-Dieu annuellement dont la dépense sera réglée par lesd Commissaires de lad compagnie, laquelle ne pourra excéder les 72 livres destinées à cet usage, à peine de cent livres d’amende […]18
Le 5 décembre 1738, le règlement des vignerons des Quatre portes pour la Fête-Dieu est à nouveau modifié. L’abus à réformer concerne cette fois la charge de porteur de cierge. On apprend à cette occasion que : parmy les sujets qu’ils nomment entr’eux pour porter les charges de la compagnie, ils assujetissent celuy qui est choisy pour porter le cierge le jour de la fête du Saint Sacrement à construire ce qu’ils apellent une pêle ornée de fleurs et de fruit qui doit servir d’ornement au cierge ; que l’usage est que cet ouvrage dure environ huit jours avant la fête, que pendant ce terme celuy qui est chargé de l’ouvrage est obligé de recevoir chez luy tous ceux de la compagnie qui se présentent et de les régaler, un usage aussi abusif doit être réprimé. Son usage est d’autant plus condamnable qu’il tend à ruiner de pauvres gens qui ont besoin de toutes les ressources qu’un travail pénible peut leur procurer […]19
Voulant corriger cet abus, les magistrats ordonnent qu’au lieu de la pelle de fleurs, il soit fait aux frais des quatre compagnies de vignerons de la banlieue et juridiction une pelle de bois pour chaque année, avec quelques ornements en peinture ou sculpture convenables, pour servir à la procession de la Fête-Dieu. La pelle sera remise chaque année au clavier qui aura été nommé pour porter le cierge, avec défense au clavier de faire aucune dépense soit pour la Compagnie, soit pour ceux qui la composent, ni de rien recevoir de la Compagnie à cette occasion à peine d’amende. En outre, la moitié de la somme que l’on avait coutume de donner à celui qui portait le cierge sera déposée dans la caisse commune pour être employée à soulager les pauvres, malades et vieillards de la Compagnie en incapacité de travail. Le 26 janvier 1739, patrons et claviers de la Compagnie tentent de faire revenir les magistrats sur l’ordonnance qui enjoint de mettre une pelle pour tout cierge, mais ces derniers la confirment20. 18 •
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AD 64, BB 40, Arch. com. Bayonne, Registre des ordonnances, 1729, p. 139140. Une ordonnance du 31 mai 1715 avait déjà légiféré dans le même sens, à l’encontre des dépenses de la Fête-Dieu des compagnies des vignerons, métayers, bouviers et « autres gens de labour ». Le Conseil leur reproche de faire « des repas desordonnés faisant nombre chacun dans leurs quartiers les uns de soixantes les autres de quarante plus ou moins indeffiniment, ce qui est suporté par les patrons de chaque compagnie en seuls et après eux chaque particulier à tour de rolle se trouve dans la même obligation ». Désormais les dépenses en question ne seront autorisées – avec un plafond par quartier – que pour le jour de la Fête-Dieu et non pas pour l’octave ni pour le dimanche suivant le Sacre, appellé « dimanche du déjeuner ». AD 64, Arch. com. Bayonne, BB 52. Hors Fête-Dieu, la Compagnie des vignerons aura plusieurs litiges avec les autorités à propos de sa participation aux cérémonies. Le 30 juillet 1774, les vignerons de Saint-Esprit, refusant de reconnaître l’autorité du procureur juridictionnel du bourg Saint-Esprit ne se rendent pas en armes au feu de joie en l’honneur du sacre de Louis XVI. Le litige se reproduit le 25 novembre 1781 à l’occasion de la naissance du Dauphin. Le juge de Saint-Esprit ordonne « aux chefs de chaque famille catholique » de se rendre sur la place publique avec leurs fusils pour assister au feu de joie. Le Maire et les échevins de Bayonne sont « surpris » d’apprendre que les officiers de Saint-Esprit ordonnent à nouveau aux vignerons de se rendre au feu de joie alors que ces derniers relèvent de l’autorité des magistrats bayonnais (AD 64, Arch. com. de Bayonne, FF 297).
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Aux conflits honorifiques se rajoute une distance que prennent certains corps de métiers visà-vis de la fête elle-même et de ses fastes, y compris concernant le recours aux ménétriers. Dans certaines compagnies, le risque de désaffection est ancien. Les marchands drapiers et merciers déplorent dès juillet 1673 la faible participation des maîtres aux messes du premier dimanche du mois à Notre-Dame, le jour de la Saint Michel et autres jours portés par les statuts. Bien que la compagnie fût toujours composée de plus de 30 personnes, il se trouve bien souvent qu’il n’y ait que trois ou quatre personnes aux cérémonies, voire deux « à la plus grande honte et confusion »21. L’absence de dévotion a un effet direct sur ses affaires : il ne faut pas s’étonner si les affaires générales de lad. compagnie réussissent sy mal sy ceux des particuliers demeurent dans la souffrance estant certains que Dieu s’esloigne des hommes à mesure que les hommes l’oublient et s’esloignent de lui22
Face à cet absentéisme, les maîtres délibèrent que les convocations aux messes se feront désormais par billets et non plus verbalement, qu’une amende sera payée à moins d’une excuse valable, qu’une liste des défaillants sera dressée par les deux claviers pour repérer ceux qui manquent « aux assemblées quand on y est convoqué, aux enterrements, porter le cadavre, porter le cierge le jour de la Feste Dieu, et autres mentionnés dans les statuts ». Les deux claviers qui seront nommés le prochain dimanche après la Fête-Dieu tiendront ce rôle. Les charges honorifiques de la Fête-Dieu peuvent également provoquer des réticences individuelles. Toujours dans la Compagnie des marchands, en juin 1715, Dominique de Behic, nommé « comme estant son tour »23 pour porter l’enseigne ou drapeau de la compagnie à la Fête-Dieu s’en défend prétextant « par rapport à une charge qu’il a d’aide mayor et garde cote de memisan [Mimizan] ». Face à ce refus, la Compagnie porte requête par-devant les maire, échevins, jurats et conseil de la ville pour obliger Behic à porter le drapeau. Ce dernier s’en défend et demande son renvoi par devant les juges de par son privilège. Cette demande lui est accordée par la sentence du corps de ville, sans tirer conséquence et sans préjudice des droits que la Compagnie pourrait avoir. Cependant, la Compagnie décide que c’est celui qui sera nommé à la pluralité des voix, à savoir le sr. Supervielle, qui portera le drapeau lors de la cérémonie, sous peine de 300 livres d’amende. Une délibération de la Compagnie des marchands de 1723 apporte quelques précisions sur la nomination du porte-drapeau pour la Fête-Dieu. La Compagnie se réunit ordinairement le 8 mai, jour de la Saint-Michel de mai, en délibération à l’Église Notre-Dame, afin de nommer le porte-enseigne de la Compagnie pour la procession de la Fête-Dieu. La nomination se fait en fonction de l’ordre de réception des maîtres. Est ainsi nommé à l’unanimité Jean Montegut « l’un d’entre eux présent et assistant à lad. assemblée comme étant son tour et venant dans l’ordre de sa réception, après le sr Blanchet qui avoit porté le drapeau l’année passée en pareil jour et solemnité de la Fête-Dieu ». Mais Montegut refuse et signale à l’assemblée « qu’il n’étoit pas dans le senti-
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Livre des délibérations de la Compagnie des marchands de la présente ville de Bayonne, 2 juillet 1673 (date de la délibération, mais les signatures des maîtres portent 1687 après chaque nom), HH 115. Ibid. supra. AD 64, Arch. com. Bayonne, HH 115, 8 juin 1715.
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ment de l’accepter, ni de porter le drapeau ». La Compagnie porte plainte devant le corps de ville. Deux jours plus tard, le 10 mai, le patron envoie le drapeau chez Montegut, mais celui-ci le refuse. Les litiges de cet ordre sont récurrents. À la Saint-Michel de mai 1751, la Compagnie nomme à l’unanimité Pierre Andriette comme porte-enseigne pour la Fête-Dieu suivante. Mais quelques maîtres proposent ensuite de « faire en sorte de supprimer l’enseigne et d’assister à la procession avec un cierge à la main chacun, sur quoy on recueillit les voix et délibéré qu’on demanderait la permission à messieurs les Magistrats ». Le 11 mai, une délégation de la Compagnie va informer le magistrat Lesseps du projet : celuy ci leur dit qu’il pouvoit bien abolir ou supprimer l’enseigne, mais qu’il y auroit du ridicule d’avoir un chaque’un un cierge à la main attendu que la compagnie qui les précède et celle qui venoit après n’en auroit pas, mais que cependant on prendrait à l’avenir des arrangements pour obliger tous les corps de métiers de supprimer les drapeaux et d’assister à la procession avec un cierge à la main, et qu’il alloit dresser notre délibération sur le projet proposé, et qu’après qu’elle seroit signée il dresseroit la requette aux mêmes fins
Lesseps envoie la délibération le 17 à Marsan Lainé, premier syndic de la Compagnie. Mais celuici ne veut pas la signer sans en avoir référé à la Compagnie. Le 18 mai la corporation est assemblée, mais n’approuve pas la délibération de Lesseps à la majorité des voix. Finalement, P. Andriette est nommé porte-enseigne « suivant les usages anciens »24. L’affaire n’est cependant pas close. Le 8 juin, l’assemblée réunie au cloître de Notre-Dame fait état d’une lettre de P. Andriette qui prétend se dispenser de porter le drapeau pour la procession et renvoie le drapeau au syndic. La Compagnie délibère à l’unanimité pour l’obliger à porter le drapeau sous peine d’amende, conformément à l’article 3 des statuts. En cas de refus, sera nommé pour porte-enseigne « celluy qui viendroit après luy ». Pierre Sanz est ainsi nommé à la pluralité des voix, mais celui-ci refuse « sous prétexte que ce n’est pas son tour ». Il sera poursuivi à son tour et écopera d’une amende. Par défaut, c’est Marsan, premier syndic de la compagnie, qui portera le drapeau. Les années suivantes, la nomination du porte-enseigne se fait selon l’usage, le 8 mai, lors de l’assemblée qui se tient après la messe à la chapelle Saint-Michel. En 1763, la Compagnie nomme comme porte-enseigne Jean-Pierre Nogué, qui entend se dispenser de cette charge et propose de payer l’amende convenue. La Compagnie accepte et nomme Ducoureau comme remplaçant. Septuagénaire, celui-ci est dispensé également en raison de son âge. Mais surtout, un point de détail contribue à expliquer les réticences : « en considération et quoy sur sa demande, la Compagnie s’est chargée de payer douze livres aux tambours qu’il est d’usage que le porte-drapeau leur donne outre pareille somme que la Compagnie leur donne aussy, ce à quoy le syndic a esté autorisé. » Cette contribution au paiement des musiciens explique sans doute les réticences à porter le drapeau. À telle enseigne que la Compagnie doit revoir ses règles afin de palier à ces défaillances récurrentes :
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Le détail du vote suit la délibération, avec les mentions suivantes : « j’approuve la suppression du drapeau, laquelle a été convenue par la compagnie le jour de St Michel » (une signature) ; « nous soussignés déclarons approuver la délibération cy-dessus et désapprouvons la suppression du drapeau » (17 signatures) ; « j’approuve qu’il faut porter le drapeau » (une signature), AD 64, Arch. com. Bayonne, HH 115, 22 mai 1751.
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délibéré unanimement et de plus qu’à l’avenir dans le cas de défaut de porte-drapeau (comme il est arrivé cette fois) soit par dispensation comme cy dessus, soit qu’il manque des sujets pour cette fonction, le plus ancien par rang de matricule et chacqun à son tour sera tenu de le porter aux mêmes peines25
La nomination du porte-enseigne se déroule ensuite selon l’usage chaque année le 8 mai jusqu’en 1790. Se rajoutaient à ces acteurs des cérémonies du Sacre les confréries de piété non rattachées à des corporations de métier, telles que la Frairie de Saint-Léon, la Confrérie de Saint-Jacques, la Confrérie du Saint-Sacrement ou encore les Dames de la Société du Saint-Sacrement. La Confrérie Saint-Georges, dont les statuts ont été réaffirmés en 1654, voit par exemple ses effectifs baisser, au point de ne plus trouver au début du xviiie siècle suffisamment de confrères pour porter le cierge et le drapeau « suivant leur rang et l’ancien usage ». En 1702, les claviers de la Confrérie se plaignent aux échevins du refus de l’un des confrères de porter le drapeau le jour et le lendemain de la FêteDieu. La Compagnie entend cependant retrouver quelque vigueur, et le 17 avril 1717 les magistrats de la ville admettent les confrères de Saint-Georges dans leurs anciens privilèges et ordonnent qu’à la procession de la Fête-Dieu, « ils y porteront leur cierge et drapeau dans leur rang entre les charpentiers de navire et la ville »26. La fin de l’Ancien Régime : un rituel contesté C’est surtout à la fin de l’Ancien Régime que les critiques contre le cérémoniel deviennent prégnantes dans certaines corporations. Ainsi en 1787 voit-on les marchands orfèvres endurer un procès pour n’avoir pas assisté à la procession de la Fête-Dieu. Deux raisons, souligne Josette Pontet (2004), motivent leur réticence. L’une, habituelle dans la société d’ordres, est le fait que l’on ne leur a pas assigné une place convenable dans la procession, les plaçant « entre les taverniers et les vitriers, un rang peu convenable pour un corps distingué », ne voulant pas être confondus en tant que marchands avec les simples artisans et les gens qui exercent les métiers (Pontet 2004).
La seconde raison renvoie à une remise en cause plus profonde de l’institution festive elle-même : « ils revendiquent aussi le droit à une autre piété, plus personnelle, au lieu du culte public que veut maintenir le corps de ville, comme susceptible “d’inspirer plus de respect pour la divinité” » (ibid.). Les maîtres chapeliers s’abstiennent également de participer à la procession en 1788, tout comme les orfèvres et ce malgré une amende. L’affaire informe sur les modalités de la coutume et sur les conflits de préséance mais aussi sur une forme d’étiolement interne conduisant à une contestation de l’usage par une partie de la profession. On serait tentés d’y voir, en cette toute fin du xviiie siècle, l’influence des Lumières et l’annonce de mutations radicales à venir, mais la preuve manque à l’appui. Dans le procès qui oppose en 1787 les orfèvres et argentiers au corps de ville27, il est d’abord rappelé que selon les statuts de 1478 renouvelés en 1728, la Compagnie doit obligatoirement participer à la procession de la Fête-Dieu. Le jour du Sacre, les maîtres se retrouvent chez le patron, avant
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HH115, Délibération de la corporation des marchands merciers, drapiers et quincailliers, 8 mai 1763. AD 64, Arch. com. Bayonne, GG 219/9. AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 516 n°38, 39, 41, 1774–1789.
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de se rendre chez le porte-enseigne puis à la messe célébrée pour la Compagnie, et à la procession du Corpus, à la suite du cierge, cierge porté par les quatre maîtres nommés par les patrons et claviers. Les orfèvres répondent qu’ils ont été mandés la veille de la procession par la ville, d’où l’impossibilité de se préparer et de préparer le cierge en si peu de temps. Cela fait d’ailleurs quelques années que la corporation ne se rend plus en corps à la procession. Les orfèvres affirment préférer participer à la dévotion « d’une manière plus édifiante et plus respectueuse, en s’abstenant de tenir un rang parmi les violons et tambourins et les signes distinctifs des divers artisans qui assistent à la cérémonie et qui portent plus à la curiosité et à l’amusement qu’à l’édification publique »28. Dans la requête présentée au Roi en son conseil, les orfèvres vont jusqu’à dénoncer les « usages ridicules plus capables d’attirer la curiosité que d’exciter la dévotion, c’est pourquoi les suppliants se sont abstenus d’assister en corps à cette cérémonie »29. S’ajoute un point de droit : si la veille de la procession, le corps de ville ordonne aux orfèvres de participer à la procession, c’est qu’ils les confondent avec les artisans et corps d’arts et métiers, sur lesquels ils ont autorité de police immédiate. Or les orfèvres se considèrent comme des commerçants. Le corps de ville leur enjoint de participer à la procession avec leur cierge et de se placer entre les taverniers et les vitriers. Mais selon les privilèges dont jouissent les marchands orfèvres dans toutes les villes du royaume, ils n’ont pas à aller aux processions avec les artisans30. Surtout, l’argumentaire remet en question les désordres liés à la procession, dont participeraient les ménétriers : mais qu’est-ce que cette procession, une ridiculité, dans les faits, les artisans de chaque métier ont des porte cires, ils marchent séparément suivant leurs rangs respectifs, fondés sur des Possessions, mais comment observe-t-on cette marche qui ne représente plus la dévotion, chaque métier a de son côté des tambourins, tambours, flûtes, violons, basses, et autres instruments, et de l’autre côté sur la place Notre-Dame où passe la procession il y a un marché public des faux et autres ferrailles, ce n’est plus une procession d’édification mais un tumulte, suivi de Bals le jour et la nuit, même le lendemain. Messieurs les évêques de Bayonne ont réclamé la suppression de tous ces instrumens [sic], marchés et bals, mais ils n’y ont pu parvenir par leurs représentations, par des motifs qu’il n’est pas décent de rappeler icy, cette procession qui attire une foulle de monde de la campagne est une affaire d’interest pour la Ville, voila le vray sur le résultat de cette procession.31
L’attitude des orfèvres en 1787, tendant à rationaliser la religiosité populaire, est-elle un évènement isolé ou constitue-t-elle un signal d’affaiblissement de la coutume en cette période immédiatement prérévolutionnaire ? J. Pontet tendrait vers la première explication lorsqu’elle souligne qu’en dehors de ce cas, « il semble que les processions, surtout celle de la Fête-Dieu soient restées, pour la majo-
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AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 516/35. AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 516/38. Les orfèvres payent l’amende, mais font appel au Roi. Ils rappellent la jurisprudence, et en particulier le litige entre orfèvres et capitouls de Toulouse en 1775, qui s’est terminé sur la confirmation de l’exemption de participation aux processions avec les artisans et corps de métiers pour les orfèvres. S’ensuit une discussion sur les statuts de 1478, que les orfèvres ne reconnaissent pas à la différence de ceux de 1677. Les orfèvres avancent également qu’aucune procession n’est obligatoire dans le royaume à l’exception de celle du 15 août, vœu de Louis XIII. AD 64, FF 516/38, Arch. com. Bayonne, Réponse que font les syndics, gardes, et communautés des marchands orfèvres de la ville de Bayonne, op. cit.
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rité de la population, un moment festif particulièrement important à la rencontre du religieux et du profane. » (ibid.). Il est difficile, en l’état des sources, d’aller plus avant sur cette question de la dégénérescence éventuelle de la coutume à la fin de l’Ancien Régime. Nous pouvons supposer que la Révolution française modifiera en profondeur le cérémonial, en particulier avec la suppression des corporations. À l’échelle locale, la question de la préséance et des cérémonies viendra se greffer aux tensions entre les corporations et le corps de ville, comme l’exprime en 1789 la requête au Roi envoyée par les corporations bayonnaises et dénonçant la dérive oligarchique du gouvernement de la ville. En 1791 cependant, une relation précieuse indique que la Fête-Dieu continue d’être célébrée avec un certain faste à Bayonne : La Fête-Dieu, une des principales de l’année pour les catholiques a pour objet le dogme le plus essentiel de la Religion, c’est la fête religieuse du peuple, elle est en vénération chez les Basques. La veille toutes les cloches étaient en mouvement, le lendemain à six heures du matin, les rues étaient déjà remplies de monde, paysans, villageois, campagnards, arrivaient de toute part, surnommés couziots, nom donné ce jour-là à tous les étrangers et usité dans la localité. Les habitants travaillent à établir des reposoirs ou autels richement décorés dans les lieux où la procession soit passée pour y faire reposer le Saint Sacrement. À huit heures, les bourgeois font tapisser en diverses toiles, notamment les blanches, tous les bas des maisons depuis le pavé, la façade de la rue jusqu’au premier étage. À neuf heures le peuple se met à répandre la jonchée dans les rues que la procession doit parcourir depuis sa sortie jusqu’à son entrée. À dix heures la procession par de la paroisse Notre Dame cathédrale : alors une foule immense de personnes s’y place à la tête, dans les rues tous les balcons et croisées au rues du passage étaient chargées de spectateurs, impossible d’y trouver une place. Organisation de la Procession Le Suisse : garde de la porte du coeur du grand autel de la cathédrale, en grande tenue et portant la première croix en tête Deux files d’hommes de la Confrairie [sic] de St Jacques, dont de chaque côté de la procession, en ayant un au centre portant la Croix et tous en grande tenue de pèlerinage. Un acolyte ou clerc portant la croix avec un jeune clerc de chaque côté portant au lieu de croix un lanternon au sommet, dans le centre Deux files d’hommes de la confrérie du St Sacrement [illisible] de chaque côté. Au centre un tambourin basque avec un violon de chaque côté. Après cela un grand nombre d’Anges. C’était des jeunes garçons et des petites filles, la plupart habillés très richement, avec de longues ailes de carton, couvertes en satin. Il est de bon ton à Bayonne comme en Espagne d’habiller en anges des enfants pour cette procession, d’autres ou [illisible] la tête sous des tours de cheveux pour faire flotter entre leurs ailes une longue chevelure tressée, on les charge de bijoux, on les décore de toutes les manières religieuses possibles ; on leur prodigue des caresses pour les empêcher de pleurer lorsqu’ils sont fatigués et chacun les admire avec une sorte de respect, que ces petits êtres mêmes semblent commander par leur démarche altière et leur maintien magistral. Après les Anges venaient les différentes confréries avec leurs saints respectifs, dont la plus part étaient de bois et sculptés assez joliment. D’autres en fonte. On les avait habillés en velours et en soie, et couronnés de fleurs. Un second chœur de musiciens et des nuages d’encens et de fleurs annonçaient Venerabile, c’est-à-dire la sainte Hostie et une foule d’hommes et de femmes parées fermaient le cortège.32 32 •
Cette relation apparaît dans un manuscrit reprenant des extraits du « Voyage de France en Espagne de 1797 et 1798 par Chrétien Auguste Fischer traduit par Charles François Cramer en 1808 », sans pour autant qu’il soit aisé d’attribuer avec certitude ce témoignage, de 1791, à cet auteur (Ms325, Fonds Bernadou, Bibliothèque Municipale de Bayonne).
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La société du tambourin
Le tambourin « basque » est toujours présent, entouré de deux violons. La relation ne fait en revanche mention que des confréries proprement religieuses, et non des corporations. Sans doute faudrait-il y voir un premier effet de la loi D’Allarde (2 et 17 mars 1791) et de la loi Le Chapelier, alors en cours d’adoption (14 et 17 juin 1791), supprimant les corporations. Lorsque la Fête-Dieu sera solennisée à nouveau à Bayonne à la Restauration, elle ne reprendra pas la forme usitée sous l’Ancien Régime. Malgré les sources très lacunaires pour le xixe siècle bayonnais, il semble que le recours aux ménétriers locaux et extérieurs ait connu le même destin que les dispositifs rituels corporatistes. La coutume, en revanche, survivra et conservera même toute sa vigueur hors de la ville, dans le Pays basque rural, avec un maintien par endroits de processions dansées et musicales durant les deux siècles suivants (cf. chap. 4). L’analyse de la fête du Sacre à Bayonne, saisie au prisme de la musique ménétrière, est riche en enseignements. Elle témoigne d’abord de l’importance des ritualités dans la représentation symbolique des métiers. La corporation est typique d’une organisation coopérative ou précoopérative « pour soi », soit une forme d’organisation où la mutualisation des risques et des ressources est strictement limitée aux membres associés, à la différence d’organisations caritatives (présentes également à Bayonne par certaines confréries de piété) où des personnes non associées bénéficient de l’action. La Fête-Dieu est un moment central dans le système de rotation des charges, à la fois honorifiques et politiques, au sein de chaque corporation. Au passage, observons que l’imbrication des fonctions religieuses, civiques, festives et professionnelles, la double dimension de prestige et d’obligation associée à ces fonctions, et le principe de rotation et d’alternance aux rôles évoquent de façon frappante le système des cargos toujours en vigueur aujourd’hui dans plusieurs communautés indigènes du Mexique (voir, pour une étude approfondie dans l’État de Oaxaca, Recondo 2009). En externe, la corporation permet au métier de se positionner sur le champ économique. Elle entend structurer un monopole économique, peser sur les prix et contrôler strictement l’accès à la place bayonnaise de la part d’éventuels concurrents. Elle est également un outil de médiation entre métiers et corps de ville, dans une coproduction subtile, entre coopération et conflit, du gouvernement de la ville. Rien, au fond, que de très ordinaire pour un « destin de ville moyenne » (Pontet-Fourmigué 1990) typique de l’Ancien Régime. Dans un tel contexte, la musique ménétrière se retrouve rehaussée d’un sens ambivalent, dans un contexte cérémoniel et festif ou chaque symbole compte. Les ménétriers rehaussent la procession et la solennité de la fête, ils contribuent à « relocaliser » la célébration, mais ils en consacrent aussi incidemment les excès et débordements. Le recours à la musique et aux musiciens est ainsi au cœur d’un dispositif symbolique d’exposition ritualisée des pouvoirs économiques et politiques locaux, dispositif dont on a pu observer la constance du xvie à la fin du xviiie siècle.
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Planche 1 : Provenance des ménétriers retenus à Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure sous l’Ancien Régime (cartes : Olivier Pissoat et Pablo Salinas Kraljevich, UMR PASSAGES) Provenance des ménétriers retenus retenus à Bayonneà par la ville et parlales corporations métiers Provenance des ménétriers Bayonne par ville et par lesdecorpora�ons de mé�ers (fêtes de la de Pentecôte, Fête-Dieu, passages de personnalités et célébrations officielles, xvie–xviiie siècles) XVIe-XVIIIe s.) (fêtes la Pentecôte, Fête-Dieu, passages de personnalités et célébra�ons officielles,
Provenance des ménétriers retenus à Bayonne par la ville et par les corpora�ons de mé�ers (fêtes de la Pentecôte, Fête-Dieu, passages de personnalités et célébra�ons officielles, XVIe-XVIIIe s.) Dax
Orthevielle
Maremne
Bayonne
Bardos Ayherre Ayherre
L������ LABOURD
LABOURD
Sault-deNavailles Sault-deNavailles
Toulouse
Bidache Bidache
Navarrenx
P��� B�����
BASSEB����� B����-N������ P��� NAVARRE BASSEB����-N������ NAVARRE
ESPAGNE
Toulouse
Bardos
L������
10 km
Condom Pouilhon
Labatut Ste-Marie- Orthevielle Pouilhon de-Gosse Peyrehorade Labatut Ste-MarieSeignanx de-Gosse Peyrehorade Oyeregave et Gosse Seignanx Oyeregave et Gosse
Bayonne
ESPAGNE
Condom
Dax
Maremne
Navarrenx
SOULE
SOULE Provenance des ménétriers retenus à Saint-Jean-de-Luz et Ciboure par les autorités locales (fêtes patronales, Fête-Dieu, passages de personnalités et célébra�ons officielles, XVIe-XVIIIe s.) Provenance des ménétriers retenus retenus à Saint-Jean-de-Luz et Ciboure par les autorités Provenance des ménétriers à Saint-Jean-de-Luz et Ciboure parlocales les autorités locales (fêtes patronales, Fête-Dieu, passages passages de personnalités et célébrationset officielles, xvie–xviiie siècles) XVIe-XVIIIe s.) (fêtes patronales, Fête-Dieu, de personnalités célébra�ons officielles, 10 km
Bayonne
St-Jeande-Luz St-Jeande-Luz
Ciboure Ascain Ciboure
LABOURD
Ustaritz Villefranque
LABOURD
10 km
Sare
ESPAGNE 10 km
Toulouse
Ustaritz
BASSE-
St-Pée
Ascain Sare
Toulouse
Villefranque Bayonne
St-Pée Espele�e Espele�e
NAVARRE L������ BASSE�� B����-N������ NAVARRE L������ �� B����-N������ SOULE
ESPAGNE
10 km 10 km
Nombre d’instruments 1
Nombre d’instruments 5 1
SOULE
Tambourin Violon
Fifre
Tambour Hautbois Trompe�e
Tambourin Violon
Fifre
Tambour Hautbois Trompe�e
10 5 10
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Commune hors-cadre Commune Communes hors-cadre non précisées Communes non précisées
Chapitre 4 L’épée et le soleil Mutations et permanence des symboles rivaux de la Fête-Dieu en Pays basque rural Si les célébrations du Sacre prennent à Bayonne un relief particulier sous l’Ancien Régime, qu’en est-il en milieu rural ? Si les festivités et cérémonies de la Fête-Dieu ont, en Pays basque intérieur, connu un cérémonial certainement plus modeste que dans le Bayonne d’Ancien Régime, ces fêtes ont néanmoins donné lieu à une ritualité spécifique qui se signale surtout par son caractère syncrétique et par son exceptionnelle longévité. Alors que les réquisitions des ménétriers et les processions corporatives semblent cesser à Bayonne avec la Révolution française, les communes de l’intérieur maintiennent quant à elles un dispositif rituel spécifique à la Fête-Dieu tout au long du xixe siècle et, pour certaines d’entre elles, jusqu’à nos jours. Cette longévité est due, du moins estce l’hypothèse de ce chapitre, à une véritable plasticité de Besta Berri (« Fête-Neuve », nom basque de la Fête-Dieu), qui parvient à s’adapter aux différents régimes politiques et aux changements sociaux sans pour autant que les fonctions sociales essentielles de la fête ne soient altérées. Surtout, la Fête-Dieu reste ici comme ailleurs un condensé de symboles, y compris rivaux, dont l’hétérogénéité favorise paradoxalement une inscription dans le temps long, avec des mutations permanentes du sens sous couvert de permanence des formes. Afin d’aller plus avant dans cette hypothèse et conformément au parti pris de cet ouvrage, il faut se plonger dans la longue durée afin de saisir l’alchimie complexe de mutations et de permanences qui fondent le substrat d’une pratique sociale dite traditionnelle ou coutumière. Si l’ethnographie des formes contemporaines de la Fête-Dieu, dans la douzaine de villages qui continuent à la célébrer avec danse et musique, est bien renseignée1, l’histoire longue de cette pratique reste néanmoins en friche, et ce malgré quelques travaux signalant l’importance de la compréhension de cet usage dans le temps long (Etchehandy 1989). C’est à cet exercice qu’entend contribuer ce chapitre, composé de quatre sections. Les trois premières restituent l’évolution de la fête et de ses usages sociaux durant trois périodes successives. Y sont successivement examinées la Fête-Dieu comme espace de représentation sous l’Ancien Régime ; les conditions de la reprise du cérémonial au xixe siècle ; la forte politisation de la fête enfin sous la IIIe République. La dernière section propose d’analyser la polysémie obstinée de cette célébration par une ethnographie historique des permanences et mutations de Besta Berri dans le cas d’un village du Labourd intérieur. La Fête-Dieu comme espace de représentation sous l’Ancien Régime La paraliturgie des milices provinciales Comme à Bayonne, la Fête-Dieu occupe sous l’Ancien Régime une place toute spécifique dans le calendrier liturgique et festif des paroisses rurales. Ici comme ailleurs, elle donne lieu à une para1 •
Voir Guilcher (1984) pour une analyse du rituel dans les années 1960–1970, et les enquêtes menées dans les années 2000 par Thierry Truffaut et par l’Institut culturel basque à Mendionde et Armendarits consulté le 10 mai 2021 ; par Michel Duvert (2009) à Ainhoa, Mari Jo Velasco à Hélette et Mendionde (Velasco 2017).
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liturgie et à une véritable cogestion de la fête entre les institutions qui régulent la communauté : le clergé bien sûr, mais aussi la communauté des habitants, la jeunesse, les maisons anciennes, etc. En particulier, les cérémonies et processions de la Fête-Dieu sont accompagnées systématiquement par les portions villageoises des milices provinciales, qui voient là l’occasion d’une parade et d’un exercice. Dans certains villages, la section de la milice ainsi convoquée accompagne en dansant le Saint-Sacrement, dans l’église et durant la procession. Cette présence militaire aux cérémonies religieuses, assez ordinaire dans l’Europe d’Ancien Régime, a pu faire débat dès le xviie siècle. Elle peut se rajouter à des conflits de préséance concernant, par exemple, le droit/la charge de porter le dais qui protège le Saint-Sacrement durant la procession. Ainsi voit-on en 1624 un procès entre Bertrand, baron d’Espelette, et la communauté des habitants du lieu mentionner, outre la présence de masques dans l’église (pour le carnaval ?), l’interdiction de constituer des « congrégations illicites aux ports d’armes » pour la Saint-Jean et pour la Fête-Dieu : Leur fait réitérations, inhibitions et defences de se masquer dans l’église et faire aucunes congrégacions illicites avec port d’armes le jour et feste de St-Jean, et du Corps de Dieu, ainsi leur enjoint d’accompagner la procession qui se fait modestement et avec le plus de dévotion que faire se pourra sans y causer désordre, ny empêcher le service divin, ainsi se comporter en la manière qui s’observe en autres paroisses circonvoisines du dit pais de Labourt, et lors d’icelle procession Led. sr. et son juge porteront le poile2, avec les dits abbé et un des sr. jurats, sauf au cas qu’aucun du nom et famille du dit sr. ne s’y trouvat, auquel cas le jurat sera tenu de luy fer place. Et en l’absence du dit sr, le juge et le procureur d’office porteront le dit poile avec les dits abbé et jurats. Enjoint au curé de la dite parroisse lorsqu’il faira le prosne, en prière publique d’observer et garder la forme prescripte par le réglement du diocèse, et exhorter les dits gens de prier Dieu pour le dit sr. d’Espellette et de sa famille. Ne pourront les dits abbé et jurats et gens instituer aucune nouvelle confrérie sans permission de l’evesque diocésain, ainsi leur fait inhibitions et defences eslire en celles qui sont établies aucuns juges pour décider d’aucun différents des justiciables du dit sieur, ny contraindre les dits jeunes gens d’éxécuter leur jugement a peine de trois mille livres […].3
Le procès informe à la fois sur l’ancienneté de la pratique d’accompagnement du Saint-Sacrement par les milices locales mais aussi sur l’instrumentalisation de la fête dans un conflit de préséance et de juridiction entre un noble et une communauté d’habitants. Les comptes des maire-abbés disponibles pour quelques communautés permettent d’avoir une idée plus précise du cérémonial de la Fête-Dieu aux xviie et xviiie siècles. À peu de chose près, les éléments récurrents se retrouvent sur l’ensemble du territoire : messe et processions les deux dimanches de rang (Fête-Dieu et Octave), participation de la milice locale, a minima accompagnées d’un tambour, souvent d’un tambourin et d’un violon, entretien des chemins que doit emprunter la procession, remise en état du dais qui protège le Saint-Sacrement durant la procession (pabilluna). Paroisses côtières et célébrations civico-religieuses de la Fête-Dieu Ce modèle est présent jusque dans les paroisses côtières. Nous avons souligné au chapitre 1 les formes que prenaient les célébrations de la Fête-Dieu à Saint-Jean-de-Luz et à Ciboure. À Bidart, les
2 • 3 •
Ou « poêle », dais de la procession. AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 421/1, 1624.
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La société du tambourin
comptes des maire-abbés, dépouillés à partir de 1667, mentionnent en 1697 les dépenses faites pour les porteurs du dais (pabilluna) « suivant l’ancienne coutume les jours de feste dieu les jours nostre dames et les premiers jours de dimanches du mois ». Si les dépenses effectuées à l’occasion d’autres processions (Rogations, Saint-Sauveur, etc.) sont systématiquement reportées, les dépenses à l’occasion de la Fête-Dieu ne sont régulièrement mentionnées qu’à compter des années 1750. En 1754 et 1756, c’est le chemin de la chapelle de la Madeleine qui doit être « raccomodé » pour le passage de la procession. La participation de la portion de milice est attestée annuellement à partir de 17614 et jusqu’à la Révolution. Les dépenses de poudre employée par les miliciens pour la Fête-Dieu sont rapportées chaque année entre 1765 et 1792. La présence de musiciens est attestée à partir de 1778. Cette année-là, le maire-abbé paye leur solde et un dîner aux « violonnaires » pour la Fête-Dieu. En 1782, un tambour est rétribué pour accompagner les processions et un tambourin en 1788, 1789 et 1790. Les documents comptables n’attestent pas d’un accompagnement dansé de la procession par la milice, à l’image de ce que la tradition a conservé jusqu’à nos jours à l’intérieur du pays. Quelques indices permettent cependant de supposer l’extension et l’ancienneté de cette pratique. L’interdiction d’une pratique peut, en l’espèce, renseigner à rebours sur sa vigueur. En Basse-Navarre, les règlements des États de Navarre renouvellent en 1669 une décision de 1598 stipulant qu’ Il est deffendu de meiner des tambourins et danser aux assemblées des processions et d’y faire aucun traffic de marchandises et de bétail à peine de confiscation d’icelle et d’estre puny extraordinairement par appointement donné par le Seigneur de Laforce président aux Etats le 23 juillet 1598 sur la réglementation des vicaires généraux5.
À Bidart en 1723, à l’occasion d’un feu de joie pour le roi, les comptes de Dominique Derreteguy, maire-abbé, mentionnent la danse effectuée par les soldats pour se rendre à la place : Guehiago Erreguerençat suberria eguin guinduenean despendatu herrico etchean 14 l. Egun berean miliçaco soldaduery eman colaçionea Hamabors soldaduri bahotchary hamabi sos eta guero bertce baty gustiec muntadute 9 l. 12 Guehiago soldadu berençat plaçarat dançan hari çirella laur pinta arno, herrico etchetic ekharriric pagatu 2 l. 18 Guehiago egun berean miliçiaco soldaduençat despendio eguinic Ibarrun Chipian çazpi soldaduren artean hequien despendioak pagatu 4 l. 10 […] Donibanen içatu miliçiaco soldaduençat bolbora eta harrien bilha orduco ene piaya 1” […] Princessa passatu cenean jaun senticarequin despendatu 4 l. 13 […] Le 6 juin donibanen içatu miliçiaco soldaduençat su berria eguin behar guinduella Erregueren ohoretan, eta ekharry suli bera [sic] bolbora, sei libera eta hamabi sos pagaturic Eta musquettençat bors sosen harria gustiec munta duté 6 l. 19 Traduction : Dépensé à la maison commune lorsque nous fîmes le feu de joie pour le Roi 14 livres (l.) Le même jour pour la collation donnée aux soldats de la milice À 15 soldats 12 sous à chacun et ensuite à un autre le tout monte à 9 l. 12 4 •
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« Guehiago Bestaberriko processionean milicia presentatçeco Bayonnatyk ekarry 3 libera bolbora eta libera pagatu 30 s eta 5 sosen saria munta dute 4 l. 5; Guehiago processione horren eta pasatçeco bidearen antollatçen guiçon bat eman eta pagatu 12 s […]” « 1716 : pour avoir amené de Bayonne 3 livres de poudre afin de présenter la milice à la procession de la FêteDieu, chaque livre valant 30 s et 5 s., soit 4 l. 5 sols ; plus à un homme pour avoir arrangé le chemin par lequel devait passer la procession 12 s », AD64, Arch. com. Bidart, CC 3, 1761, notre traduction. AD 64, C 1529, Règlements des États de Navarre, 1669–1691.
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Plus aux mêmes soldats alors qu’ils allaient en dansant à la Place quatre pintes de vin, que l’on a porté de la maison commune, payé 2 l. 18 Plus pour les dépenses effectuées par les soldats de la milice à Ibarrun Chipia entre sept soldats, payé leurs dépenses 4 l. 10 Pour mon voyage pour aller chercher la poudre et la pierre pour les miliciens s’étant rendus à SaintJean-de-Luz 1 Dépensé avec Monsieur le syndic à l’occasion du passage de la Princesse 4 l. 13 Le 6 juin avons été à Saint-Jean-de-Luz avec les soldats de la milice, que nous devions faire un feu de joie [su berria : « feu neuf »] en l’honneur du Roi, et porter la poudre 6 l. 12 Et pour les mousquets 5 sous de pierre, le tout monte à 6 l. 196
Nous ne pouvons que supposer, sans preuve formelle, que cette danse itinérante des soldats ait également pu être en vigueur pour la Fête-Dieu. Dans la commune maritime voisine de Guéthary, les comptes, disponibles à partir de 1781, mentionnent annuellement l’aplanissement du chemin de cette procession, la préparation de l’autel, la poudre pour les miliciens entre 1786 et 1791. À Urrugne, les comptes (à partir de 1765) ne mentionnent pas de dépense spécifique pour la Fête-Dieu, sauf pour la réparation des chemins de procession en 1790, mais cette fois pour la procession à Subernoa. En revanche, il est fait état des tambours et tambourins accompagnant la milice lorsque celle-ci est réquisitionnée vers la fin du xviiie siècle à l’occasion du passage du comte d’Artois et d’une revue de la milice à Saint-Pée, le tambour et le tambourin étant alors recrutés à Saint-Jean-de-Luz et Hendaye. Labourd intérieur : milices, poudre, et tambourins Les rares documents pour le Labourd intérieur font état d’un dispositif similaire. À Itxassou en mai 1755, la communauté, en assemblée capitulaire, « est d’avis que la milice soit levée pour le jour de la Fête-Dieu et donne pouvoir à l’abbé de fournir aux soldats de la poudre pour tirer quelques coups durant la procession ». La même année, la communauté donne ordre au maire-abbé de faire raccommoder le dais (en basque pabilluna). À Macaye, le maire-abbé déclare en 1757 « avoir dépensé pour la Feste Dieu six livres aveq les soldats et donné quatre livres au tambourin et à celluy quy a battu la caisse »7. Des mentions similaires s’y succèdent annuellement jusqu’en 1789, avec les dépenses usuelles de poudre et dépense de bouche des soldats. La paroisse participe aussi occasionnellement aux dépenses, comme l’attestent les comptes du marguillier de la fabrique en 1784 : « suivant l’usage de cette paroisse, il a dépensé 4 livres avec les soldats qui assistèrent à la procession de la Fête-Dieu »8. À défaut de musiciens locaux, le maire-abbé est également chargé d’en trouver à l’extérieur. En 1780, le tambourin vient de Halsou à Macaye pour la Fête-Dieu. En 1786, le maireabbé de Macaye se rend ainsi à Itxassou pour quérir un tambourin : qu’à l’occasion de la fette-dieu [sic] voulant procurer un tambourin il fut au lieu d’Itxassou chez l’un, qu’il engagea d’y venir moyennant six livres, et de fait ledit tambourin s’en étant venu et ayant joué pendant la procession et le reste de la journée suivant l’usage du lieu, il lui a payé pour sa peine les six livres cy9
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AD 64, Arch. com. Bidart, Comptes du maire-abbé, CC 3, 1723, notre traduction. AD 64, Arch. com. Macaye, Comptes du maire-abbé, CC 26 n° 67, 1757. AD 64, Arch. com. Macaye, Comptes de la paroisse, GG 26, 1784. Des mentions similaires sont reportées pour 1785 et 1786.
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La société du tambourin
Les archives du gros bourg labourdin d’Hasparren mentionnent également les dépenses pour la Fête-Dieu depuis le milieu du xviie siècle. En 1658, les « tambours qui ont sonné le jour du Sacre » sont dédommagés. L’année suivante s’ajoutent les frais des soldats pour la procession, et la réparation du drapeau de la communauté. En 1661, au tambour s’ajoute le tambourin pour la fête du Sacre. Le tambourin est ensuite régulièrement mentionné. En 1669, les comptes du Sacre font état du « ruban pour la pique », du tambour, du tambourin, du dîner des soldats, de la poudre achetée à Bayonne. Tambourin et tambour sont mentionnés jusqu’en 1678. En 1694, la communauté offre à l’occasion du Sacre un dîner au curé, vicaires, diacre et sous-diacre, officiers de la milice « qui ont assisté avec leur compagnie à la procession ». En 1705, un procès oppose la communauté à un représentant local de la noblesse, M. de Saint-Esteben, à propos de la préséance aux offrandes, processions – Sacre compris –, et autres occasions publiques. « La communauté », dit la délibération « ou le maire-abbé qui la représente aura le premier pas à la procession, offrande et autres occasions publiques ». Tout au long du xviiie siècle, les comptes ne mentionnent plus la Fête-Dieu, mais un reçu de 1780 laisse à penser que la pratique a perduré sur le modèle coutumier tout au long du siècle. Selon ce reçu, Le sieur Jean Lorda maire abbé a payé en présence du soussigné tant aux sergents, soldats, tambours et tambourin qui ont accompagné sous les armes le St Sacrement aux processions de la fette à Dieu et celuy de l’octave, la somme de 36 livres, à Hasparren le 30 juin 178010.
Marcel Etchehandy indique pour le village bas-navarrais de Labastide-Clairence, au nord de Hasparren, des dépenses similaires pour la Fête-Dieu (poudre, miliciens, tambourins…). S’ajoutent, à la fin du xviie siècle, des précisions quant à l’institution du capitanat, puisque c’est un jurat de la ville qui est nommé pour devenir capitaine du Sacre et mettre sous les armes la compagnie du lieu. Il porte à ce titre la pique le jour du Sacre. Ainsi le 22 mai 1680, le « Sieur Dirigoin, jurat, a esté créé capitaine pour porter la pique le jour du Sacre pour mettre soubz les armes une compagnie suyvant la coutume pour suivre et honorer suyvant la coutume le Saint-Sacrement à la procession de ce jourlà […] » (Etchehandy 1989 : 23). Le 22 mai 1682, c’est Pierre de Bollar qui a été nommé pour capitaine pour le jour du Sacre « à la charge qu’il fera mettre soubz les armes pour ce jour quarante mousquettères ou fusiliers, et qu’il baillera le matin du jour la collation aux soldats et baillera demy livre de poudre, et cinq sols pour leur disné » (ibid.). Toujours en pays charnègue, à Came entre 1765 et 1767 puis en 1770, 1772 et 1778, la Fête-Dieu génère des dépenses pour les soldats (18 fusiliers en 1765) et leur tambour, la poudre, le violon et le tambourin, le repas des quatre jurats et du greffier de la communauté le jour de la Fête-Dieu et du « Petit Sacre » (1767). À Bardos, la communauté emprunte un tambour à Bidache pour le jour du Sacre en 1679 et 1680.
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AD 64, Arch. com. Macaye, comptes du maire-abbé, CC 38, 1786. Dans les mêmes comptes : « Ixasun içanic tamborinaren chercacen piaiaren 12 s ; Tamborinna pagatu 6 l. ; Atabalaria pagatu 3 l. ; Pestaberrico bascaria pagatu 6 l. ; Hameca soldadori emanic hamarna sos 5l. 10 » (pour avoir été à Itxassou chercher le tambourin, pour le voyage 12 s ; Paiement du tambourin 6 l. ; Payer le repas de la Fête-Dieu 6 l.; Donné aux 11 soldats 10 sous à chacun 5 l. 10 », notre traduction. Mairie d’Hasparren, Arch. com., pièce isolée.
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Les lacunes archivistiques, et plus spécifiquement concernant les comptes des maire-abbés, ne permettent malheureusement pas de généraliser ces résultats à l’ensemble du Pays basque nord. Les données manquent en particulier pour les villes importantes de Basse-Navarre et de Soule, SaintPalais, Saint-Jean-Pied-de-Port ou Mauléon, qui permettraient de porter quelque lumière sur les célébrations de la Besta Berri dans ces provinces. Les lacunes archivistiques concernent également et paradoxalement les villages bas-navarrais où l’usage des processions dansées est aujourd’hui la mieux conservée (Hélette, Iholdy, Beyrie, pays d’Arberoue, etc.), ce qui n’empêche aucunement d’y supposer un déroulé de la fête sous l’Ancien Régime proche de celui qui se donne à voir dans les paroisses labourdines. Y apparaît en effet une ritualisation relativement homogène de la Fête-Dieu, célébration religieuse et civique, qui met en scène la puissance de l’Église de la contre-réforme mais également l’affirmation des droits foraux de la province via la mobilisation des compagnies locales de la milice. De la milice à la Garde nationale : la Besta Berri adaptée au xixe siècle Changements de régimes, continuité de la Fête-Dieu Symbole s’il en est de l’ordonnancement institutionnel et hiérarchisé de l’Ancien Régime foraliste, la Fête-Dieu aura à subir les mutations inhérentes à la Révolution française. Durant la première phase de la Révolution, les célébrations du culte catholique continuent. À Bidart, la tradition compose dans un premier temps avec la tourmente révolutionnaire. En 1792 sont célébrées à la fois la FêteDieu traditionnelle, avec poudre et milice, et les nouvelles fêtes révolutionnaires (fête de la décade, plantation de l’arbre de la liberté, etc.). À Guéthary, pour la Besta Berri de 1791, la commune paye la journée et le dîner d’un tambour et d’un tambourin, le vin des miliciens, la mise en place du reposoir d’Etchartia et le voyage pour aller chercher la pique à Saint-Jean-de-Luz. Lorsque la Révolution entre dans la phase de déchristianisation, les cérémonies de la Fête-Dieu sont interrompues et remplacées par les nouvelles fêtes révolutionnaires. Sous le régime consulaire (1799–1804), les cérémonies de la Fête-Dieu peuvent reprendre sous leur apparat habituel. Changement institutionnel oblige, la milice provinciale est remplacée par la Garde nationale, mais la fonction sociale reste identique à l’échelle des villages. Ainsi à Irissarry, au cœur de la Basse-Navarre, les comptes du maire Guillaume Diriart mentionnent pour l’an X, l’an XI et l’an XII des dépenses récurrentes pour la Fête-Dieu, qui reprennent l’ancien modèle : poudre à brûler, dépense faite par la Garde nationale dans les cabarets ; pain et vin dans les cabarets pour quatre ou cinq gardes nationaux ; dîner du tambour et du tambourin pour les deux dimanches11. À Saint-Jean-Pied-de-Port, l’an XII voit dans le même temps le réglement d’un maçon pour la construction d’un cercle autour de l’arbre de la liberté, et un menuisier pour un « Dez » (sic) « que la Mairie lui a fait faire pour la Fête-Dieu »12. Sur la côte également, les processions reprennent sous le Consulat, la Garde nationale ayant remplacé la milice. À Bidart, si l’an VIII est marqué par la célébration de la fête du 30 ventôse an VI
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AD 64, Arch. com. Irissarry, 1 D 1. Mairie de Saint-Jean-Pied-de-Port, Arch. com.
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ordonnée par la loi et la plantation d’un nouvel arbre de la liberté, l’an X voit le retour de la procession de la fête du Saint-Sacrement et de l’Octave, avec participation d’une garde de chasseurs à la procession. En 1807, 1808 et 1809, c’est pour la Saint-Napoléon, désormais célébrée le 15 août, qu’un tambourin et du vin sont offerts aux habitants, avec messe à la chapelle Saint-Joseph « selon l’usage ancien ». Dans les années 1820–1830, la Notre-Dame, fête locale, est solennisée, avec participation des gendarmes, ainsi que les Rogations. En 1838, la Fête-Dieu donne à nouveau lieu à des dépenses, à un dîner à Chocolatenia et à une jonchée dans l’église, également présente pour la fête de NotreDame. Entre 1840 et 1848, les joncs de la Fête-Dieu sont payés « selon l’usage de tout temps ». À Guéthary, la municipalité reprend ses dépenses habituelles liées à cette célébration (soldats, poudre, vin, chemin de la procession, décoration des autels des reposoirs) à partir de 180413. Les comptes de 1806 reprennent encore la terminologie d’Ancien Régime en mentionnant les 10 « miliciens » et leur dépense au cabaret de Balentenia après la procession. En 1810, la municipalité donne « un coup à boire » et du vin aux tirailleurs qui ont officié durant la procession. Si l’accompagnement musical de la Garde n’est pas attesté durant ces années-là pour la Fête-Dieu, en revanche, un tambourin prénommé Nicolas est réquisitionné pour accompagner la Garde nationale de Guéthary à Bayonne en 1812. Les dépenses de la Garde nationale pour la Fête-Dieu sont mentionnées jusqu’en 1842. Entre 1840 et 1842, la Garde est également mobilisée le Vendredi saint. Des frais pour le chemin de la procession et du vin pour les hommes ayant participé à la procession du Sacre et du « petit Sacre » apparaissent également dans les comptes de Biarritz dans les années 1820–1830. A minima, la présence d’un tambour est indispensable pour l’accompagnement de la procession. Le maire d’Hendaye en 1816, celui de Guéthary en 1834 solliciteront de celui-ci de Saint-Jean-de-Luz le prêt d’une caisse de tambour pour la procession de la Fête-Dieu. En juin 1816, le maire de Saint-Jean-deLuz demande au maire d’Ascain de lui rendre la caisse prêtée pour la chasse aux loups, et dont ils ont un besoin « indispensable » pour les processions de la Fête-Dieu14. À Ustaritz, dès l’an X, le maire dédommage la Garde nationale pour les dépenses effectuées le jour de la Fête-Dieu et paye un dîner à la même Garde en l’an XIII. Les frais de la Garde à l’occasion de la Besta Berri y sont annuellement reconduits jusqu’en 1835, jusqu’à 1837 à Macaye et 1834 à Louhossoa. Le petit village d’Halsou fournit en poudre à canon et dédommage les soldats de la Garde pour la Fête-Dieu en 1821, 1822, 1823, et Harotchena de Cambo pour avoir battu la caisse. À Cambo, la municipalité acte en 1818 la « dépense pour les honneurs de la Garde nationale, pour la procession de la Fête-Dieu, tant en poudre fournie que pour la gratification accordée pour le divertissement 38 »15. Les frais, notamment d’auberge, de la Garde nationale sédentaire, ainsi ré13 •
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Entre 1816 et 1819, le clavier de l’église Saint-Nicolas contribue également aux dépenses de la Fête-Dieu : huile, bougies pour les chandelles, encens, hostie, collation pour ceux qui ont préparé le reposoir. À noter un autre usage, puisque Pierre Etchepare, clavier, reçoit le 25 décembre 1815 un franc de la part des « chanteurs des Noëls ». Le maire d’Ascain répond que « quoique j’aurais beaucoup désiré avoir moi aussi cette caisse pour la Fête-Dieu, je vous l’ai renvoyée par porteur en vous priant cependant de vouloir me faire le plaisir de me la renvoyer après ces fêtes ». S’ensuit une longue plainte sur l’état misérable des finances de la commune et du maire (« je suis à mourir de faim ») et des « persécutions » du sous-préfet (AD64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, Lettre de Monsegur, maire d’Ascain au maire de Saint-Jean-de-Luz, 10 juin 1816). Le 15 juin, le maire d’Ascain demande à nouveau la caisse au maire de SaintJean pour la Fête-Dieu. Mairie de Cambo, Arch. com., Registre des délibérations, 30 juin 1818.
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quisitionnée, y sont reportés annuellement jusqu’en 1838. À Itxassou, en 1809, 1810 et 1813, le maire paye la réparation du chemin de la procession, quatre hommes de la Garde nationale et un tambour pour la procession du Saint-Sacrement. À Espelette, en entre 1823 et 1832 la municipalité prend à sa charge les frais et fournitures faites à la Garde nationale à l’occasion de la Fête-Dieu et des cérémonies du culte. En 1833 et 1835, le vin distribué à la Garde pour la Fête-Dieu est pris en charge par la mairie. Une note signale néanmoins que désormais seules les fêtes nationales doivent être soldées par la commune16. Effectivement, les années suivantes la Fête-Dieu disparaît des comptes, alors que sont signalées la fête nationale, la fête du Roi et les « fêtes publiques ». Au nord du Labourd à Bardos, en 1816 la municipalité distribue du vin « suivant l’usage » les jours de la Fête-Dieu et de la Saint-Louis, et dédommage le détachement de la Garde nationale, les tambours et les musiciens. Ici comme ailleurs, fête religieuse et fête profane se mêlent. Commentant le budget de 1820, les édiles de Bardos soulignent la dimension festive de ces célébrations religieuses : 100 frs pour dépenses imprévues ne doit point souffrir de diminution qu’il arrive souvent des occasions pour de menus frais, on est en outre en usage dans cette commune depuis un temps immémorial de faire amuser la jeunesse le jour de la fête locale, la saint Louis et la Fête-Dieu. La commune paye alors des ménétriers, et l’article de ces dépenses n’ayant pas été autorisé pour l’année 1819 elles n’ont pas été faites mais personne n’a été payé. Il est devenu de toute nécessité qu’il soit alloué cent francs au budget de 182017.
Ainsi stabilisée à nouveau, la solennisation de la Fête-Dieu va perdurer tout au long du xixe siècle dans les communes basques. Le Second Empire viendra consolider cette fête, vue comme célébration d’un ordre consacrant l’alliance du trône et de l’autel. C’est probablement à cette période que se stabilise la Fête-Dieu dans l’image qu’on lui connaît aujourd’hui dans les territoires labourdin et bas-navarrais qui en a conservé l’usage. La description circonstanciée que donne Mgr Dupanloup de la Fête-Dieu de Saint-Jean-Pied-de-Port vers 1844, sous la Monarchie de Juillet, est significative à cet égard (Guilcher 1984: 448). Les sapeurs napoléoniens sont désormais présents (ils sont 12 en tête de la procession, et 16 autour du dais), ils deviendront progressivement l’un des symboles de la célébration. D’une institution à l’autre : la Garde nationale comme représentation de la jeunesse La Garde nationale remplace les milices forales, mais sa fonction de représentation institutionnelle de la communauté reste vivace. En témoignent les conflits récurrents qui entourent la nomination des officiers de la compagnie. En effet si progressivement et tout au long du Second Empire, la fonction proprement militaire et policière des Gardes nationales rurales ira en s’amoindrissant (Bianchi et Dupuy 2006), cette désinstitutionalisation formelle n’entraînera pas, dans les villages basques, 16 •
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Mairie d’Espelette, Arch. mun., Registre des délibérations, 1835. En revanche, les délibérations de la commune voisine de Souraïde, consultés en mairie pour la période 1822–1865, ne signalent pas de dépenses pour la Fête-Dieu. Est signalée la dépense pour « l’habillement des jeunes gens » en 1823, ce qui correspond peut-être à l’envoi de gardes nationaux ou de danseurs pour le passage des ducs d’Angoulême. AD 64, 1 D 1, Arch. com. Bardos, Délibérations, 15 septembre 1819. Les comptes de 1828 mentionnent ensuite les frais pour la procession de la Fête-Dieu, pour la fête locale de la Notre-Dame et pour la fête de Charles X. Le 9 mai 1834, la municipalité signale que la Garde nationale est « obligée de se réunir au moins deux fois dans l’année, le 1er mai fête du Roi des Français, et les fêtes de juillet, sans comprendre les cas extraordinaires ».
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une disparition de sa fonction symbolique. S’opère alors un glissement de la Garde nationale comme institution militaire vers un instrument de représentation de la jeunesse en tant qu’institution soit, au sens de l’époque, de la classe d’âge composée des jeunes hommes célibataires de la commune. Le capitaine de la Fête-Dieu, choisi par ses pairs selon des procédures variant selon les villages, devient, de fait, le dirigeant de la jeunesse et porte à ce titre la charge de l’organisation de l’ensemble du cycle festif de l’année : Fête-Dieu, mais aussi carnaval, fêtes patronales et, le cas échéant, parades charivariques et cavalcades. Ce glissement d’une forme d’institutionnalisation vers une autre se fait de façon progressive et génère au milieu du xixe siècle un certain flottement. Lors de la procession de la Fête-Dieu de 1852 à Irissarry, un coup de feu tiré par un soldat de la Garde tue par inadvertance une jeune fille du village. Le juge de paix d’Iholdy, à qui l’affaire échoit après que le Tribunal de première instance de Saint-Palais ait innocenté le soldat, doit se prononcer sur la responsabilité du capitaine de la FêteDieu. Le juge d’Iholdy conclut que si à l’occasion de la procession de la Fête-Dieu, il commandait les honneurs armés formant l’escorte, il n’avait sur eux aucun commandement de droit : il n’était leur chef que par circonstance, donc sans aucune attribution militaire de discipline sur eux.18
Favorable au capitaine sur le fond, la position du juge escamote néanmoins, au nom du droit, l’importance sociale et honorifique du rang de capitaine de la jeunesse. En 1844 à Urrugne, ce sont la brigade des douanes et la Garde nationale qui se disputent le droit d’accompagner la procession de la Fête-Dieu (Moreau 1981). Si la Garde nationale rurale conserve formellement une existence officielle jusqu’en 1871, l’écart entre son effectivité policière et militaire, déclinante, et sa fonction symbolique, devient criante dans les dernières années du Second Empire. Dès 1846, le maire de Saint-Pée-sur-Nivelle signale au sous-préfet que si 105 fusils de la Garde nationale sont déposés en mairie, « les Gardes nationaux s’en servent très rarement, une ou deux fois par an et cela le jour de la Fête-Dieu et Octave pour assister à la procession, immédiatement après la cérémonie ils rendent leurs armes à la mairie »19. Le 12 février 1852, le maire écrit au commandant de la Garde nationale en signalant que, en application d’un arrêté du sous-préfet du 31 janvier, toutes les armes de guerre étant aux mains des citoyens ayant appartenu aux différents corps de la Garde nationale devaient être déposées à la mairie. Charge au commandant de la Garde nationale de s’entendre avec les capitaines des compagnies des quartiers de la commune pour remettre ces armes à la mairie. En 1866, le sous-préfet de Bayonne autorise la direction de l’Artillerie de Bayonne à prêter des fusils à la commune d’Espelette pour les processions de la Fête-Dieu. La commune ayant cependant rendu les fusils dans un état déplorable, le sous-préfet se doit de leur faire payer la remise en état. À l’avenir, les armes ne seront prêtées qu’aux communes qui s’engageront à en supporter les réparations20. Les armes ont beau être devenues de purs symboles, la fête n’en conserve pas moins sa fonction sociale. Elle est d’abord mise en scène des autorités et un temps d’entretien des réseaux 18 • 19 • 20 •
AD 64, 4 U 12/197, Justice de paix et simple police, canton d’Iholdy, juillet 1853. Mairie de Saint-Pée, Arch. com., Courrier du maire au sous-préfet, 10 novembre 1846. Mairie d’Espelette, Arch. com., Courrier du sous-préfet de Bayonne au maire, 23 juin 1866.
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notabiliaires par invitations réciproques. En 1869, le maire d’Espelette convie par écrit M. Lauga, chirurgien-major à la retraite, à se joindre aux autorités locales lors des processions de la Fête-Dieu et de l’Octave. À Saint-Jean-de-Luz, en 1816, Berindoague, l’un des notables convoqués par courrier pour porter le dais à la procession, décline pour n’avoir pas la tenue adéquate pour se présenter à la cérémonie, son costume étant de drap vert. Il déclinera à nouveau en 1818. Il est « d’usage traditionnel », précise le maire en 1871, « que le Maire désigne officiellement les porte dais dans l’intérieur de l’Église ainsi que dans les processions qui se font extérieurement. » Cette liste est dressée après concertation avec le Doyen. Elle compte en 1861 et 1866 14 noms, qui doivent porter le dais à la FêteDieu mais aussi à la procession de L’Épiphanie. Outre les conseillers municipaux, le maire invite le juge de paix du canton en 1875, l’usage voulant que les magistrats et hauts fonctionnaires se joignent à la municipalité, ainsi qu’un ingénieur hydrographe de la marine à assister aux deux processions de la Fête-Dieu (après la grand-messe) et de l’Octave (après vêpres). À l’évidence, l’escorte d’honneur du Saint-Sacrement n’est pas, dans cette ville côtière, le monopole de la Garde nationale sédentaire. Elle peut être assurée par les douanes ou par les détachements militaires stationnés dans la ville21. En 1828, le lieutenant du roi à Saint-Jean confirme la participation de la troupe aux processions, autant pour rendre les honneurs que pour faire régner l’ordre. En 1848, le commandant de la frontière confirme au maire que, renseignements pris auprès de son général, qu’il est d’usage dans la division de fournir des escortes pour le Saint-Sacrement à l’époque de la Fête-Dieu mais non dans d’autres circonstances. En 1873, un lieutenant-colonel répond au maire qu’il tiendra à sa disposition tout ce qu’il y aura de troupes disponibles à SaintJean-de-Luz pour les processions de la Fête-Dieu. La même année, le maire demande aux sapeurs pompiers, aux gendarmes et à la musique du pensionnat d’assister aux processions. Ce sont en particulier les sapeurs pompiers qui prendront le relais de la Garde nationale pour l’accompagnement des processions22. Le règlement des sapeurs pompiers de 1877 signale que ceuxci devront prendre les armes : 1.
pour escorter le Saint Sacrement à l’occasion des processions de la Fête-Dieu, de l’Octave et de L’Épiphanie 2. le jour de la Saint-Jean, fête patronale, à l’occasion du feu de joie traditionnel, qui est allumé officiellement par la municipalité avec le concours du clergé 3. pour assister aux oraisons funèbres des légionnaires ou fonctionnaires distingués décédés dans l’exercice de leurs fonctions 4. enfin lors de prières publiques ou autres cérémonies qui ont lieu en vertu des ordres de l’administration supérieure La compagnie aura 30 hommes. 1 sous-lieutenant, un commandant, 2 sergents, 4 caporaux, un tambour et un clairon.
Les sapeurs pompiers constituent une charge plus onéreuse pour les habitants « que celle qui résulte généralement pour les habitants du service de la Garde nationale »23. 21 • 22 • 23 •
En 1824, le curé précise à l’un des détachements que « la grand’messe sera chantée à 10h. Vêpres à 2h1/2, immédiatement après salut et bénédiction du Saint Sacrement. Il suffira que la troupe parte de la place au son du Magnificat. ». En 1826 cependant, c’est la brigade des douanes qui escortait la procession de l’Octave. AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, Arrêtés du maire, 31 janvier 1877.
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Se dessine ainsi, au tournant du Second Empire et des débuts de la IIIe République, une fête qui, en Pays basque, a su s’adapter aux changements de régime et qui conserve ses fonctions symboliques de représentation des autorités locales et de la jeunesse. Les évolutions des relations politico-religieuse de la IIIe République conduiront cependant à une politisation inédite de la fête religieuse. Les politisations rivales de la Fête-Dieu sous la IIIe République On l’a vu, les cérémonies religieuses de la Fête-Dieu ont toujours été des représentations dramatiques du pouvoir en actes. Elles se sont fortement politisées durant la IIIe République. Entre 1880 et 1914, les polémiques locales, attisées par la presse partisane, se multiplient autour des drapeaux, des soldats et des processions, sans pour autant atteindre les degrés de violence que Michel Lagrée a pu signaler à cette occasion dans d’autres régions françaises, comme à Nantes en 1903 (Lagrée 1998). La Fête-Dieu y est alternativement présentée comme un archaïsme regrettable rejouant la puissance perdue de l’Église ou comme exprimant au contraire la ferveur populaire d’une population profondément catholique. Côté étatique, si en 1873 le préfet exigeait encore des maires d’organiser des prières publiques à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire, une loi de 1883 interdit en revanche la présence de l’armée et des uniformes militaires lors des cérémonies religieuses. L’autorisation des processions est laissée quant à elle à la discrétion des autorités municipales. Les Gardes nationales rurales n’ayant plus de caractère officiel, les autorités peuvent difficilement s’y opposer. Des procédures judiciaires sont néanmoins ouvertes en raison de la présence d’uniformes dans les cérémonies. À Bayonne, le maire interdit en 1885 les processions en l’honneur de Saint-Léon et de la Fête-Dieu. La même année à Louhossoa, la controverse porte sur le rang que doit occuper dans les processions l’institutrice de l’école publique. En 1901 à Itxassou, en 1902 à Villefranque et à Arnéguy, le sous-préfet interdit la présence du Sacré-Cœur sur les drapeaux la Fête-Dieu. À Villefranque, en 1902, le journal républicain l’Avenir ironise sur le « peloton de kaxkarot » qui compose l’escorte d’honneur de la Besta Berri, dénonçant au passage le parallèle avec les réorganisations de l’armée carliste, 30 années auparavant, de l’autre côté de la frontière. En 1904 à Çaro, le maire interdit la musique pour la Fête-Dieu. L’épisode se reproduit à Esterençuby en 1912, ce qui vaudra au maire une pique du correspondant d’Eskualduna : « notre homme avait-il peur d’un coup de fusil ? » (traduit du basque). À Macaye, le conflit entre rouges et blancs divise la jeunesse à l’occasion de la Fête-Dieu en 1913. Le curé laisse aux jeunes le soin de s’entendre, mais le maire doit intervenir afin que l’ensemble de la jeunesse participe aux cérémonies. En 1905 à Hélette, les sujets évoqués pêle-mêle par le correspondant d’Eskualduna pour rendre compte de la Fête-Dieu en disent long sur le mélange des genres et la complexité symbolique de cette fête : […] les musiciens, avec ceux qui sont allés les chercher, le maire, le violon, les jeunes et les vieux, la force du vin, le Suisse, les bagarres de l’après-midi, les spectateurs venus des villages voisins, le photographe, les fanfreluches [girgileriak] des uns et des autres, boire et manger, les processions, les blancs et les rouges, Dieu, le toupet de certains fidèles pour occuper certains grades, les danses, quelques gouttes de sang, l’ardeur de certaines femmes, le soleil du ciel et l’ostensoir, la Saint-Vincent, la retraite du soir, l’absence des gendarmes, l’herbe […] (Euskalduna, 7 juillet 1905, traduit du basque)
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Comme de bonne guerre, le récit clérical « blanc » des processions de la Fête-Dieu souligne la fusion entre le peuple et son Église. Le correspondant d’Irissarry dans Eskualduna compte 120 soldats durant les cérémonies de 189324, le curé d’Ossès compose en 1912 des bertsu (couplets) en l’honneur de la jeunesse mobilisée pour la Fête-Dieu. La Besta Berri de 1893 d’Irissarry donne également lieu à des chants d’une teneur similaire publiés dans Eskualduna25. La dimension militariste de la fête se renforce dans l’atmosphère revancharde qui prévaut entre 1870 et 1914. Les lectures voyant dans cette fête une expression du nationalisme français organique se développent, au détriment de la lecture renvoyant au souvenir des milices provinciales prérévolutionnaires et des franchises locales. Le soutien tactique de l’Église à la Fête-Dieu « habillée » (beztitua) ne signifie pas pour autant que la vieille méfiance cléricale à l’encontre d’une fête largement gérée par la jeunesse ait disparu. En 1897, outre la dénonciation de l’interdiction des processions dans plusieurs villes françaises, Eskualduna souligne que même en Pays basque plusieurs jeunesses refusent de « s’habiller » pour la Fête-Dieu, ou que leur comportement à cette occasion laisse à désirer. Le correspondant de Macaye tance la jeunesse en 1926 : On voudrait mettre les fêtes de la Fête-Dieu au rang des charivaris [toberak] en mêlant Dieu et le diable, en mettant ensemble toutes les sonorités et bruits imaginables, comme au bal, sans se souvenir que l’Église est le lieu de Dieu et que c’est ce que la Fête-Dieu est uniquement destinée à honorer. Mais aller faire comprendre cela à quelques-uns. Et vous feriez mieux de laisser à sa place ce musicien qui allait par le côté, vous auriez aussi moins de frais, même si les jeunes d’aujourd’hui se fichent bien des dépenses (Eskualduna, 18 juin 1926, traduit du basque)
À Saint-Martin-d’Arberoue, le curé supprime la Fête-Dieu « habillée » en 1912, en raison du conflit entre rouges et blancs. À Iholdy, entre 1900 et 1932, la fête est célébrée sans escorte ni musique. À Hélette, vers 1920, le curé fait cesser la musique à la porte de l’église. En 1903 à Saint-Esteben, le curé en est réduit à promettre une récompense à la jeunesse si les célébrations se déroulent sans incidents. Le soir de la fête, les jeunes de Saint-Esteben chassent du village ceux de Saint-Martind’Arberoue, ce qui suspend la récompense escomptée. Le capitaine des jeunes de Saint-Esteben ira jusqu’à traîner le curé en procès, mais le juge de paix d’Hasparren donnera raison au pasteur. À Ossès en 1899, la jeunesse organise un tobera mustra (parade charivarique) contre le curé, ce dernier leur ayant refusé le droit de constituer l’escorte pour la Fête-Dieu. À Bonloc à l’inverse, le curé n’accorde pas cette permission car la jeunesse avait organisé un charivari. De nos jours encore, dans bien des villages, le Suisse se rend à la sacristie avant le début de la cérémonie, et, suite à un bref échange avec le célébrant, frappe trois coups au sol de sa hallebarde afin de faire débuter l’entrée dansée dans la nef. Si le sens du geste est aujourd’hui largement oublié, il s’agissait bien de confirmer l’autorisation accordée préalablement par le prêtre à la jeunesse pour qu’elle puisse pénétrer en dansant dans l’église.
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Voir les chants « 1893ko Besta Berriak Irisarrin », Eskualduna, 16 juin 1893. Justaboc, Eskualduna, 16 juin 1893, chants reproduits dans Itçaina 2013.
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Illustration 6 : Procession de la Fête-Dieu à Bidarray, Tableau de Marie Garay, fin xixe siècle (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
Besta berri au plus près : la polysémie obstinée de la Fête-Dieu à Itxassou La politisation de la Fête-Dieu et, par extension des fêtes concurrentes, républicaines en particulier, conduit sous la IIIe République au développement de lectures binaires des dispositifs festifs et rituels. Or, la complexité des significations de la fête ne se réduit pas à ces lectures en forme d’instrumentalisation. La richesse anthropologique voire les symboles rivaux des célébrations de Besta berri se repèrent au détour d’un costume, d’un objet, d’un pas de danse ou d’une musique. Nous l’illustrerons avec le cas d’Itxassou, un village du Labourd intérieur, qui a maintenu jusqu’à nos jours l’usage des Fête-Dieu « habillées », non sans mutations et ajustements. Déroulé des cérémonies Le croisement des sources écrites et de l’enquête orale permet de dresser un état des lieux des conditions de préparation et de déroulement de la Fête-Dieu dans ce village depuis la fin du xixe siècle. Avant les mutations de la toute fin du xxe siècle, le cérémonial suit un ordonnancement à peu près stable. Les cérémonies se déroulent sur les deux dimanches de la Fête-Dieu et de l’Octave. Le jeudi de la Fête-Dieu, date de célébration officielle avant le renvoi de la fête au dimanche suivant par le Concordat de 1801, est appelé ici Besta Berri xahar (Fête-Dieu ancienne). En 1910, le curé demande aux paroissiens de venir communier ce jour-là. Les bénédictions du Saint-Sacrement sont délivrées le jeudi soir, vendredi matin et samedi soir. À la différence des autres cérémonies religieuses de l’année, la responsabilité de la Fête-Dieu repose sur la jeunesse masculine célibataire, qui constitue à cette occasion l’escorte d’honneur du Saint-Sacrement, dite « Garde nationale ». La première démarche à réaliser consiste à demander au curé l’autorisation pour la jeunesse de « s’habiller » et de pénétrer dans l’église avec danse, musique et armes. À Itxassou et sur l’ensemble de la période, les
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différents curés y sont favorables, ce qui n’est pas toujours le cas dans les villages environnants. Dans les années 1930, le curé Diesse publicise en chaire son accord : Deux jeunes garçons sont venus me demander si j’allais les laisser « faire soldats » comme de coutume. Je leur ai donné mon accord avec grand plaisir. Oui, chers jeunes hommes, faites cela pour élever les âmes, pour les âmes, pour les cœurs, et en votre faveur. […] Chers jeunes hommes, entendez-vous et soyez le plus grand nombre possible à vous habiller en soldats. (Cahiers de messe du curé Diesse, archives privées, traduit du basque)
Les jeunes choisissent leur capitaine. Comme dans les villages environnants, il est en charge de l’organisation de l’ensemble du cycle festif annuel. Les préparatifs commencent à partir de Pâques. Selon un témoignage recueilli par J.-M. Guilcher à Itxassou en 1972, les jeunes se réunissent le dimanche de la Trinité à l’auberge d’Elizaldia afin de choisir les officiers. Le même jour se tient une fête aux auberges frontalières de la montagne et un pèlerinage informel, à l’occasion accompagné par la musique, à la grotte d’Harpeko saindua (Grotte du saint) à Bidarray, dont l’eau suintante est réputée pour ses vertus curatives26. Selon d’autres témoignages, le choix du capitaine s’effectuait durant le carnaval. Le choix se porte souvent sur un jeune du quartier de l’église, Errobi. Situé à mi-chemin entre les quartiers du bas et la montagne, on attend de lui qu’il respecte les équilibres entre les quartiers au moment de distribuer les grades et les rôles. Certaines familles du quartier comptent plusieurs générations de capitaines. Il n’est pas rare que le capitaine des jeunes devienne plus tard maire du village. Les réunions des jeunes durant la Fête-Dieu sont aussi le temps où se projettent les autres fêtes de l’année. En 1889, c’est à la Fête-Dieu que les jeunes décident d’organiser une cavalcade ou parade charivarique (tobera mustrak) pour les fêtes patronales de la fin août, cavalcade que le maire (républicain) interdira. Conscient de ces chevauchements, en 1922 le curé Diesse, tout en demandant depuis la chaire à la jeunesse de se réunir pour organiser la Fête-Dieu, les met en garde contre un projet de parade charivarique dont il a eu vent : Jeunes hommes, après la messe réunissez-vous à Elizaldia et mettez-vous d’accord pour que le plus grand nombre possible s’habille. J’ai entendu, vérité ou mensonge, que certains d’entres vous souhaiteraient utiliser des évènements survenus à Itxassou pour faire une fête spéciale [artheco besta bat]. Est-ce que cela serait convenable ? Non. Que ces évènements demeurent ici, que l’on n’en parle pas hors d’ici, que l’on ne se moque pas de notre village, et ne faites pas ce qui s’est fait aux abords de la Basse-Navarre. Restez itsasuar [habitants d’Itxassou], Labourdins, et je le répète entendez-vous pour faire honneur à Dieu, entendez-vous.27 Sermon de l’abbé Diesse, juin 1922, traduit du basque (archives privées).
Une fois la permission du curé obtenue, les répétitions commencent, grades et rôles sont distribués. Des jeunes ayant effectué leur service militaire sont choisis pour les postes de commandement. Exceptionnellement, les hommes mariés s’habillent pour suppléer à la défaillance des célibataires.
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Jusqu’à la fin du xixe siècle, un autre rite lié à l’eau était accompli dans le village voisin de Cambo. Les jeunesses des villages environnants s’y réunissaient la veille de la Saint-Jean pour danser puis, à minuit, boire l’eau puisée aux deux sources, sulfureuse et ferrugineuse. Beaucoup de cavalcades ont eu lieu dans les villages voisins à cette période : à Louhossoa le 7 mai 1922, à Irissarry le 11 novembre 1921, à Urdos le 21 mai 1922, à Bidarray le lundi de Pâques 1923.
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La composition de la Garde est à peu près stable depuis la fin du xixe siècle. Elle est composée comme suit : • Quatre sapeurs (zapurrak), tablier et pantalon blanc, uniforme bleu avec des galons rouges, casque noir avec la représentation de deux haches croisées, une hache en bois ; • Deux coqs (oilarrak) : danseurs agiles, portant un bâton surmonté d’un coq en bois. Ces personnages sont introduits dans les années 1980 à Itxassou ; • Deux porte-drapeaux (banderariak) : veste et bérets rouges galonnés, drapeaux français. Un témoignage de 1897 signale « deux drapeaux fantaisie » (Beaume 1897). Les drapeaux comportent des rubans sur la hampe et un plumeau au sommet ; • Le capitaine (kapitaina) : veste et béret rouge avec galons, galons rouges cousus sur la couture du pantalon, sabre ; • Le lieutenant (liotenantea) : veste et béret rouge avec galons, galons rouges cousus sur la couture du pantalon, sabre ; • Sergent (sarjenta) : veste bleue, béret blanc galonné, galons bleus cousus sur la couture du pantalon, sabre ; • Tambour-major (makilaria) : veste rouge, casque noir, bâton de danse ; • Musiciens ; • Suisse d’église (suisa) : en grand uniforme, avec hallebarde et épée ; • Soldats (soldadoak) : (80 en 1910, 5060 en 1922, 80 en 1932) : pantalons blancs, veste sombre (veste rouge au milieu du xixe siècle), béret rouge, fusil ; • Après 1945 : porte-drapeau du comité des fêtes (drapeau français portant la mention Menditarrak Itxassou), veste et béret rouges, pantalons blancs ; • drapeau de la Jeunesse agricole chrétienne ( JAC) (années 1950) ; • Après 1947 : drapeau basque avec inscription Itsasu, porte-drapeau en blanc avec béret rouge ; • À partir des années 1960 : deux gendarmes.
Le dimanche matin, la Garde s’habille à l’auberge Salaberria, à la place d’en haut, où ont longtemps été entreposés les costumes. Une fois constituée, celle-ci va chercher le curé au presbytère, en musique et au pas. À la différence des villages voisins, la Garde ne va pas chercher le maire et le conseil municipal. Une fois le curé incorporé au cortège, tous se rendent en musique à l’église. Arrivés à l’église, le curé se rend à la sacristie et la Garde se place sur deux rangs en position sous le porche, les quatre sapeurs en tête. Le Suisse accompagne le curé à la sacristie. Quand le curé est prêt, le Suisse tape trois coups sur le sol avec sa hallebarde et le capitaine ordonne « Compagnie, garde à vous, portez armes ». Sur indication du makilari, les clairons jouent la sonnerie du Garde-à-vous. Le capitaine ordonne : « file de droite, à droite, file de gauche, à gauche, en avant marche ». La troupe entre dans l’église au son de la musique, qui alterne les sonneries militaires (Aux champs) joués par les clairons et les divers airs de kaxkarot martxa joués par la musique. Il n’y a pas de pièce musicale imposée, les mélodies exécutées sur un rythme de scottish sont généralement les mêmes qui servent aux kaxkarot martxa des carnavals labourdins et aux Entrées des Chrétiens de la Pastorale souletine, mais exécutées ici dans un style plus martial. Les sapeurs (et les coqs après les années 1980) dansent de façon contenue, en marquant légèrement le pas. Les banderari font tourner les drapeaux au rythme de la musique. En entrant dans l’église, le makilari touche le bénitier avec le bout de son bâton et trace un signe de croix en l’air. Il pénètre dans l’église en dansant à reculons, toujours devant les tambours et les musiciens, qui suivent ses indications. Les officiers et les soldats entrent sans danser à la suite de la musique et
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s’installent des deux côtés de la nef. Les autres drapeaux et les gendarmes restent au fond de la nef, près du porche. Si le nombre de soldats est important, les derniers restent à l’extérieur. Une fois la Garde en place, le makilari fait cesser la musique. Les clairons jouent les Trois sonneries. Avant que le prêtre ne fasse le signe de croix, le capitaine ordonne : « Compagnie, reposez armes… Repos ». Les officiers remettent leur épée au fourreau, les soldats posent leur fusil au sol, les sapeurs s’installent aux quatre coins de l’autel. La messe se déroule selon le rituel ordinaire. Durant la consécration, les clairons sonnent, la Garde présente les armes, les soldats s’agenouillent et les drapeaux sont présentés horizontalement. Durant la messe, le Suisse circule dans l’église et dans les galeries afin de vérifier que tout est en ordre. La procession sort à la fin de la grand-messe. Le premier dimanche, elle se rend à la croix d’Oliosenia, avec l’ordonnancement suivant : la croix entourée de deux soldats, les petites filles en blanc portant des paniers de roses, les petits garçons en blanc avec ceinture rouge, la jeunesse habillée, les chanteuses, les hommes des galeries, les filles de la Congrégation de Marie avec leur bannière, le Saint-Sacrement sous le dais entouré des quatre sapeurs. Parmi les hommes se trouvent les bannières de Saint-Fructueux (Jondoni Murtuts), patron de la paroisse, et de Saint-Joseph. Un témoignage de 1910 signale en plus une vingtaine d’enfants de chœur28. Cantiques et musique alternent durant la procession. Les sapeurs dansent, les drapeaux tournent. Des femmes alternent pour dérouler un drap blanc long et étroit sur le passage du Saint-Sacrement, afin que le prêtre porteur de l’ostensoir ne foule jamais le sol. Une jonchée de verdure est étalée tout le long de la procession. Des draps blancs tenus par des piquets sont dressés tout au long du chemin, ainsi qu’aux fenêtres où de petits autels votifs sont dressés. Les habitants du quartier ont préparé la décoration, draps, fleurs, chandeliers etc., de la croix d’Oliosenia29. Les clairons jouent Aux champs durant la bénédiction effectuée à l’autel, les petites filles jettent les pétales de rose, les soldats présentent les armes. La procession poursuit son chemin (par la maison Zabaloa anciennement, puis par Erretorenea) et revient à l’église où une nouvelle bénédiction est prononcée. À l’issue de la grand-messe, la Garde défile en musique au fronton d’Elizaldia et effectue diverses manœuvres. Les soldats dansent ensuite la kaxkarot martxa et quelques sauts basques. Accompagné par la Garde le curé se retire au presbytère. La Garde continue à défiler dans le quartier de l’église (vers les maisons Uhaldea, Oihanburua, Antxordokia) et entreprend une quête dans les « bonnes maisons ». Devant les maisons des notables, la Garde entre en dansant comme elle l’a fait dans l’église. On leur sert à boire ou de la soupe. En remerciement, les jeunes donnent quelque sauts basques. La Garde revient ensuite à Elizaldea, chacun se retire pour déjeuner, à l’exception des quatre sapeurs et des officiers qui déjeunent à l’auberge avec l’argent recueilli par leur quête. Il arrive que l’ensemble de la Garde déjeune au restaurant les deux dimanches, grâce à l’argent des quêtes. 28 • 29 •
Eskualduna, 10 juin 1910. En 1919, le curé Diesse signale deux reposoirs pour le premier dimanche : Oliosenea et Seror chahardeguicoa (ancienne benoîterie). La croix d’Oliosenia est par ailleurs la destination de la procession de la Saint-Marc (25 mars) et des processions ponctuelles pour demander la pluie. Vers 1920, la procession pour demander la pluie effectuait le parcours suivant : procession Bitoria-Zabaloa-croix d’Oliosenia, quatre cantons de Berruetenea, retour à l’église par le chemin d’en bas. Des témoignage anciens indiquent la présence à Itxassou durant la procession de personnages bibliques féminins comme Judith ou Sainte-Madeleine, également attestée vers Saint-Jean-Pied-de-Port et Iholdy au milieu du xixe siècle.
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L’après-midi, la jeunesse se présente à nouveau à l’église pour les vêpres. L’entrée se fait selon le rituel du matin. Durant les vêpres, la musique joue en outre le Magnificat et le Benedicamus domino (ce dernier sur une mélodie composée par Dartayet en 1866) tous deux alternés avec les cantiques. Les drapeaux tournent au rythme de la musique, toujours dirigée par le makilari. Pour le Magnificat, les clairons jouent cinq sonneries différentes, alternant avec un air de kaxkarot martxa exécuté par la musique.
Illustration 7 : Magnificat et Benedicamus, partitions du clarinettiste Juan Cruz Luro (coll. privée J.-P. Luro, ph. X. Itçaina)
À la fin des vêpres, la Garde sort de l’église comme elle est entrée, en musique. Vers 1910–1911, le curé tient alors une réunion du Saint-Sacrement et donne l’absolution à tous les présents. La Garde défile ensuite sur la place d’Elizaldea et raccompagne le curé au presbytère de Peruskenia, où ce dernier leur offre du vin blanc. La Garde regagne la place d’Elizaldia et effectue ses manœuvres et tours de place, en tirant quelques coups de feu. Les jeunes dansent ensuite la kaxkarot martxa, les sauts basques et, à partir du début du xxe siècle et avec les jeunes filles, le fandango. Le dernier acte de la journée est la danse en chaîne (dantza khorda). Celle-ci, loin de se réduire à une simple farandole, revêt une toute autre importance. Le premier (burua, tête de la danse) et le dernier (buztana, queue de la danse) danseurs y ont un rôle essentiel. Cette primeur est symbolisée par les bouquets de fleurs, préparés au préalable par les jeunes filles à l’auberge Elizaldea, bouquet
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que les danseurs brandissent pendant la danse. Il est d’usage que le premier dimanche un jeune du quartier de l’église (Errobi) dirige la dantza khorda, et que le dernier vienne soit du quartier de Gibelarte, soit du quartier du Latxia, à savoir les deux quartiers de montagne situés au sud du village. Seule danse mixte de la journée à l’exception du fandango, la dantza khorda intègre les jeunes filles du village à l’invitation des soldats de Besta Berri. Il est d’usage qu’une jeune fille habitant dans l’une des maisons les plus proches de la place d’Elizaldea occupe la première place. La chaîne se constitue par addition successive de couples, garçons et filles étant séparés par de grands mouchoirs blancs. Une fois constituée, la danse effectue plusieurs tours sur la place d’Elizaldia sur la mélodie de Agur Extebe, avant de se rendre devant la maison Gixontoenea, à l’autre bout du cimetière. Un goûter et des rafraîchissements y sont offerts aux danseurs, qui reforment ensuite la chaîne pour repartir à Elizaldia. Les danses cessent à l’Angélus du soir. La semaine entre la Fête-Dieu et l’Octave est marquée par les cérémonies de l’Octave, attestées entre 1910 et les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Des cérémonies religieuses se déroulent chaque matin du lundi au jeudi. Le vendredi est célébrée la fête du Sacré-Cœur de Jésus, avec une petite procession, une messe à 7 heures du matin et les vêpres à 20 heures. Ce jour-là, les jeunes hommes effectuent leur communion du mois. Vers 1920, le jeudi de Besta Berri xahar le Saint-Sacrement est exposé à partir de 8 heures du matin. L’exposition du Saint-Sacrement à l’église requérant une adoration permanente, les femmes s’y succèdent toute la journée. Le jeudi, les femmes et les jeunes filles de la Congrégation se confessent le matin, les hommes et les jeunes hommes l’après-midi. Les jeunes filles, par ailleurs, se confessent le premier vendredi du mois. Selon les documents de l’abbé Diesse, la Congrégation de Marie, fondée en 1914 à Itxassou comptait 75 membres en 1922. Le dimanche de l’Octave (Otaba), la Garde s’habille à nouveau et reproduit le même protocole que le premier dimanche à ceci près que la procession sort cette fois après vêpres. Vers 1910, la grand-messe de l’Octave est précédée par une bénédiction de l’air. Le parcours de la procession de l’après-midi est distinct de celui de la Fête-Dieu. Deux reposoirs sont dressés respectivement au fond de la place d’Elizaldia, contre l’ancien fronton et devant la croix de Kurutzaldea. À l’issue de la procession tous entrent à nouveau dans l’église pour une dernière bénédiction et le chant du Magnificat, avec musique et drapeaux (Gorostarzu 1927). À l’issue des vêpres, la Garde défile à la place d’en haut, distante d’environ deux kilomètres. Sur la place, les soldats défilent puis dansent la kaxkarot martxa et les sauts basques. Comme le premier dimanche, la fête se termine avec la danse longue (dantza khorda). Cette fois, il est convenu que le premier danseur sera soit du quartier de la Place, soit de Panecau (vers Cambo et Larressore)30 et que le dernier sera soit de Basaburu soit de Gerasto (vers Espelette et le Mondarrain). Il est d’usage, à l’instar du dimanche précédent, que la jeune fille invitée par le premier danseur vienne de l’une des maisons les plus proches de la place. Après avoir dansé sur la place, la dantza khorda descend la rue principale jusqu’à la maison Lordaenea, où des rafraîchissements et un goûter sont offerts aux danseurs par les habitants du quartier. La danse se reconstitue après cette pause et repart vers la place. La musique cesse à l’Angélus31.
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Selon certains témoignages, c’est le capitaine qui occupait la tête de la dantza khorda. Mais la plupart des témoignages se rejoignent plutôt sur le principe d’alternance des quartiers.
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Illustration 8 : Dantza khorda à Itxassou, Octave de la Fête-Dieu, circa 1923 (coll. privée G. Etcheverry)
La nature, l’espace et le cosmos À Itxassou comme ailleurs, les lectures du cérémonial ne se laissent pas réduire à des approches univoques. Au-delà des aspects proprement religieux, la Fête-Dieu est une fête cosmique, qui célèbre le printemps et le renouveau cyclique de la nature. Les métaphores y sont légion : l’ostensoir, significativement dénommé en basque iguzki saindua (saint soleil ) est porté au travers des rues jonchées de verdure. Les reposoirs sont décorés de fleurs, et les pétales de rose jetés au moment des bénédictions. Des photographies du début du xxe siècle montrent une jonchée allant jusqu’au pied de l’autel. Le blanc, symbole de pureté, est omniprésent : qu’il s’agisse du long drap étroit étendu sur le chemin de procession, des draps recouvrant les murs tout au long de la procession ou du linge en lin décorant les autels domestiques aux fenêtres32, ou encore des habits des enfants, des congréganistes ou des pantalons des jeunes hommes. Besta Berri est par ailleurs un temps de représentation symbolique des différents espaces constitutifs du village. À y regarder de près en effet, le cérémonial religieux et profane, qui structure les deux journées prend un soin particulier à ce qu’aucune partie du village ne soit négligée, fût-ce symboliquement. J’y reviendrai plus loin à propos de la danse. On notera que les processions, aux tracés circulaires, prennent chaque dimanche des orientations distinctes, l’une vers la plaine et l’autre vers la montagne. Le chemin que devait emprunter la procession fait l’objet d’un soin parti-
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Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il était d’usage que la jeunesse se réunisse une nouvelle fois le dimanche après l’Octave pour une fête informelle. Dans les années 1930, le curé voulut repousser cette fête à la quinzaine, estimant qu’elle était trop proche de Besta berri, ce qui provoqua un conflit avec le capitaine de la jeunesse (témoignage de Manez Saint-Esteven [1905–1999], makilari dans l’entre-deux-guerre). En 1928, un observateur anglais note les draps de lin dressés par la maîtresse d’Elizaldea aux fenêtres de l’hôtel (Banks 1945 : 366).
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culier. En 1768, le maire-abbé indique « que le chemin pour passer le Saint-Sacrement sera réparé de la manière qui a été conférée avec Mr le Curé de ce lieu »33. En 1773, une corvée est convoquée pour aller vaquer « au chemin près la vigne de Sabaloüe qui doit être réparé pour la Feste de Dieu prochaine ». Durant la partie profane de la fête, la Garde effectue ses tournées respectivement dans le quartier de l’église le premier dimanche, le quartier de la Place le second. Les maisons du quartier de l’église préparent les reposoirs, une responsabilité qui sera prise en charge par des maisons des quartiers périphériques pour les trois processions des Rogations du mois de mai. À la Fête-Dieu, le chantre, premier voisin de l’église, porte la croix processionnaire en tête du cortège. Au décès du dernier titulaire de la charge, ce sont les locataires de Gixontoenea, maison voisine de l’église et de la benoîterie Serorategia qui prendront le relais34. Le capitaine de la jeunesse, je l’ai dit, prend soin à ce que charges et grades soient répartis de façon équitable entre les quartiers. L’ordonnancement de la dantza khorda, avec principe d’alternance des quartiers aux postes honorifiques, témoigne également d’un souci de régulation des relations entre les espaces du village. On serait porté à voir dans ces usages, encore très présents dans la mémoire collective à la fin du xxe siècle, le souvenir de l’ordonnancement institutionnel ancien, où le protocole dansé est métaphore d’un ordre politique fondé sur l’alternance entre maisons et quartiers aux charges de la communauté. À Itxassou comme dans le reste du Labourd, le gouvernement du village se structure jusqu’à la Révolution sous la forme d’une fédération de quartiers, dont les règles sont réaffirmées par les statuts de la communauté de 1769. Les maîtres de maisons (etxeko jaunak) ou les représentants des maîtresses de maison (etxekandereak) des cinq principaux quartiers (Errobi, Plaza, Olhasur, Basaburu, Panecau) élisent annuellement le jour de la Saint-Jean leurs jurats par quartier, avec le principe de rotation des maisons à cette charge. Les jurats de quartier ainsi élus se joignent aux anciens charge-tenants pour élire le nouveau maire-abbé (en basque auzapeza, auzoen apeza : l’abbé des quartiers), avec rotation annuelle des quartiers à cette charge. Les deux quartiers les plus peuplés (Errobi et Plaza) occupent la charge de maire-abbé durant deux années de suite. L’élection se déroule chaque année durant l’assemblée générale des habitants, qui se tient à l’issue de la messe au larrain (lande inculte) de la maison Bidartea, au centre du village. La Fête-Dieu, fête mobile se tenant avant la Saint-Jean – elle peut, au plus tard, coïncider avec la Saint-Jean –, il est loisible de penser que sous l’Ancien Régime la proximité calendaire des cérémonies de la Fête-Dieu et de l’échéance politique de la Saint-Jean devait porter les habitants à accorder une attention particulière aux équilibres spatiaux, y compris dans les questions d’étiquette. Comme mentionné en début de chapitre, le village voisin d’Espelette voyait au début du xviie siècle des « congrégations illicites d’hommes armés » se produire pour la Fête-Dieu et pour la 33 • 34 •
AD 64, Délibérations de la communauté d’Itxassou, BB 1, 6 mars 1768. Le premier voisin de l’église prépare également le reposoir devant le calvaire voisin. Il a longtemps assuré en outre un service à l’église (quêtes, préparation des cérémonies…) en remplacement des klaberak (claviers ou marguilliers). Depuis au moins le xviiie siècle et les Statuts de la communauté d’Itxassou de 1764, les klaberak sont choisis à la Chandeleur parmi les maîtres et maîtresses de maison mariés dans l’année. Ils sont symboliquement rattachés aux trois autels (Saint-Fructueux, sainte Vierge, autel principal), avec les charges y afférant. Généralement, les klaberak confient au voisin de l’église, en échange d’une modique compensation financière, le soin de s’en occuper. L’institution des klaberak perdure à Itxassou jusqu’en 1970, avant qu’un changement de curé n’y mette un terme.
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Saint-Jean. L’utilisation des jonchées, des tirs et du feu établissent également un parallèle entre les deux rites solsticiaux, la Saint-Jean faisant également l’objet d’une double ritualité, domestique et publique, à Itxassou (Itçaina 2004). À Arizkun, dans la vallée voisine du Baztan, c’est la jonchée de la procession de l’Octave qui est brûlée la veille de la Saint-Jean, fête patronale. Mémoires : la croix de La Havane et les maisons infançonnes Dispositif mémoriel, la Fête-Dieu véhicule également les souvenirs matériels de l’histoire longue du lieu. À Itxassou, la croix en argent, le calice, le ciboire et l’ostensoir (iruzki saindua) constituent ce qui est communément appelé le trésor d’Itxassou. Cet ensemble avait été offert à la communauté en 1645 par Pedro Etchegaray, négociant originaire de la maison Orcasberroa, installé à Séville et ayant fait fortune avec les Amériques. « L’Indien d’Orcasberroa » fait réaliser une croix à La Havane et l’envoie au village avec une somme conséquente, base d’une fondation qui portera son nom et qui sera destinée jusqu’au début du xxe siècle à l’instruction des enfants et aux orphelins d’Itxassou. À la Révolution, des brigands – ou des révolutionnaires, selon les versions – voulant s’emparer des vases sacrés torturent à cet effet le sacristain Pierre Iharour en lui brûlant les pieds. Iharour conserve le silence, et l’orfévrerie sera sauvée. Le récit se transmet de génération en génération, sous différentes versions (Rousseau [1980] 2000 ; Vinson 1899 ; Gorostarzu 1927). L’exhibition annuelle du trésor d’Itxassou lors des cérémonies de la Fête-Dieu devient alors, durant les deux siècles suivants, l’occasion pour le curé de prononcer une prière pour « ceux qui ont donné et protégé ces vases sacrés ». La procession devient opération mémorielle, rappelant par là même les épisodes révolutionnaires, la déchristianisation et la déportation dont firent l’objet en 1794 les habitants d’Itxassou suite à la désertion de 47 Chasseurs basques du lieu (Goyhenetche 2002 : 297–302). C’est, en particulier, sous la IIIe République que cette contre-mémoire fonctionne à plein régime et permet à l’Église d’asseoir encore davantage sa légitimité dans son propre combat contre l’État anticlérical. Tout symbole est alors bon à prendre, et le récit des vases sacrés sera à nouveau activé durant l’épisode des Inventaires de 1906, particulièrement tendus à Itxassou. Au-delà de l’épisode révolutionnaire, la Fête-Dieu d’Itxassou comporte plusieurs éléments mémoriels rappelant l’ordre institutionnel d’Ancien Régime. Les soldats, ici comme ailleurs, sont les descendants directs de la portion (50 hommes au xviiie siècle) qu’Itxassou devait fournir à la milice du Labourd. Jusqu’à nos jours, le dais de procession est porté par quatre maisons anciennes : Fagaldea, Zubeleta, Zabaloa et Larrondoa. Celles-ci ont eu depuis le Moyen Âge, un statut de maisons soit infançonne, soit noble, acquise notamment au service du roi de Navarre. Sans doute soucieuse d’euphémiser les hiérarchies du passé, la mémoire collective y voit les maisons les plus anciennes du village. Aujourd’hui uniquement mobilisés pour la Fête-Dieu, les porteurs de dais (pabillunketariak) étaient autrefois mobilisés à chaque procession du cycle rituel y compris et jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, dans la procession qui se faisait le troisième dimanche de chaque mois à l’intérieur de l’église pour la messe des jeunes. De par leur rang de noblesse, les maîtres de Larrondo, Zabalo et Zubeleta apparaissent souvent comme officiers dans la milice du Labourd et commandent généralement la milice d’Itxassou (Rousseau [1980] 2000 : 58, 133, 161).
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L’on ne saurait préciser à quelle date s’est opéré le transfert de la fonction de capitaine de Besta Berri vers le chef de la jeunesse. Sous l’Ancien Régime, la fonction de pabillunketari, à l’image des autres charges, oscille toujours entre privilège et obligation. Le 27 décembre 1789, l’assemblée des maîtres de maison de la communauté rappelle cette double dimension aux porteurs de dais : Que ledit Sr maire fera [sic] deux hommes aux maisons qui ne fournissent pas le pain pour les jours de solennités pour avoir l’agrément de porter le pavillon et pour avoir les autres honneurs y attachés à défaut de ce que la Communauté le fera porter par les charge tenants35.
Se dessine en creux une tension entre la légitimité héritée pour les porteurs de dais et la légitimité élective des jurats. La date de la délibération, en pleine tourmente révolutionnaire, n’est peut-être pas étrangère à l’expression des nouvelles idées. Enfin, les bannières qui « sortent » durant la procession actuelle portent en elles le souvenir d’anciennes confréries et congrégations, relativement peu nombreuses ici : congrégation des Enfants de Marie, fondée en 1914 à Itxassou ; bannière de Saint-Joseph ; bannière de SaintFructueux Jondoni Murtuts, patron du village et souvenir de la confrérie du même nom qui comptait 250 membres au xviiie siècle36. Marginalisation de la xirula, prestige de la « musique » De l’accompagnement musical ancien des différentes étapes du rituel, nous ne savons rien ou presque. Tout au mieux peut-on supposer que, comme dans les paroisses voisines, l’accompagnement était assuré par la xirula et le tambourin, le tambour et/ou le violon. En ce sens, nous pouvons supposer que les quelques tambourins d’Itxassou repérés anciennement (Domingo Diharce, ?1751 ; Pierre Garat, 1777–1865 ; Cristobal Errotabehere ou Errotaldebehere, fin xviiie–début xixe siècle) étaient mobilisés par la communauté pour les cérémonies. On sait par ailleurs que la communauté de Macaye avait sollicité un tambourin d’Itxassou pour la Fête-Dieu de 1786, ce qui peut laisser supposer la présence de plusieurs ménétriers dans le village. Les rares comptes des maire-abbés conservés uniquement entre 1809 et 1813 mentionnent le tambour pour les processions de la Fête-Dieu. Les séquences sont plus assurées depuis la fin du xixe siècle. La mémoire collective conserve parfaitement le souvenir des Fête-Dieu accompagnées à la xirula – déjà orpheline du tambourin à cordes –, avant que celle-ci ne soit supplantée par la clarinette et les cuivres au début du xxe siècle. En 1897, un récit de la Fête-Dieu 35 • 36 •
AD 64, Registre de délibérations de la communauté d’Itxassou, BB 2, 27 décembre 1789. Au xviiie siècle, la paroisse compte en outre la confrérie de Saint-Éloi (50 membres), la confrérie de Notre-Damedu-Rosaire (150 membres), le Tiers-ordre de Saint-François (654 femmes et 466 hommes), la confrérie du Saint-Sacrement (250 membres) (Moreau 1981 : 339). Selon le livre de raison du curé Harambillet (xviiie siècle), la paroisse comptait au xviie siècle une confrérie de Notre-Dame du Mont-Carmel florissante, avec plus de 2 000 membres entre 1638–1668, dévotion probablement impulsée par le tiers-ordre de Saint-François (Dop 1896). En 1885, la dévotion à N.D. du Mont-Carmel est encore forte à Itxassou, et sa fête est célébrée le 16 juillet (cahiers du curé Dop). En 1788, le Tiers ordre compte 1 120 membres, soit quasiment l’ensemble de la population adulte. Le Tiers ordre durera jusqu’au xxe siècle. Les cahiers du curé Dop (1883–1899, archives privées) mentionnent trois confréries en activité : sainte Vierge, Sacré-Cœur (dont la bannière est conservée), Scapulaire pour les enfants faisant leur première communion. Pas de trace en revanche à Itxassou de Confrérie de Saint-Blaise servant de caisse de solidarité mutualiste entre éleveurs, à la différence de Macaye, Ustaritz et des villages du sud Labourd côtier.
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d’Itxassou mentionne la xirula, le tambour et deux clairons (Beaume 1897). La xirula joue pour les danses extérieures et les défilés et alterne avec les clairons pour l’entrée dans l’église. Pour l’Octave, outre la xirula et le tambour, la jeunesse fait venir de Bayonne un piston et un trombone. De l’avis de l’observateur, à l’autel de Kurutzaldea, les musiciens bayonnais jouent une polka, alors que la xirula, avec les autres musiciens, joue à la place d’en haut « le saut basque » et la dantza khorda. Un autre témoin mentionne en 1902 la xirula en buis, le tambour et deux clairons. Les clairons sonnent Aux champs pour l’entrée à l’église, la xirula joue le Magnificat et les danses de l’après-midi (Labat 1902 : 320). Plusieurs photographies prises vers 1900–1901 et en 1907 montrent la Garde accompagnée de la xirula, du tambour et de deux clairons. Une photographie de 1908 témoigne du remplacement de la xirula par la clarinette. Selon des témoignages oraux, le dernier xirulari d’Itxassou à avoir accompagné la Fête-Dieu à la xirula de façon officielle serait Xantxo Aguerre (1859–1907), de la maison Uharretua et charpentier de profession37. L’année de son décès, il est vrai, correspond à la dernière apparition de la xirula aux côtés de la Garde.
Illustration 9 : Escorte d’honneur de la Fête-Dieu, avec xirula, clairons et tambours, Itxassou, circa 1900 (coll. privée G. Arotçarena)
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Il aurait appris la xirula d’un « Espagnol » – probablement un Navarrais – travaillant aux mines de la montagne d’Itxassou, autre indice de la circulation transfrontalière des musiciens. L’élève aurait dépassé le maître selon le témoignage de M. Saint-Esteven, né en 1905, op. cit.
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Les années précédant la Première Guerre mondiale sont marquées par un prestige croissant de la musique militaire. Le militarisme ambiant contribue à marginaliser la xirula et à la repousser aux confins de la fête. En 1910, le chroniqueur d’Itxassou dans Eskualduna évoque en ces termes la Fête-Dieu : « et quels musiciens ! Même les caporaux, clairons et tambours du régiment ne joueraient pas mieux ! »38. S’y ajoute un effet de génération. En 1932, le chroniqueur d’Itxassou signale dans Eskualduna que ce sont les jeunes qui depuis 22 ans organisent la Besta berri à Itxassou : « nous ne devons pas être au-dessous de nos anciens ; et par ailleurs, à quoi ressembleraient ces vieux avec leur tambour et leur xirula ? »39. Le changement musical correspondrait donc à un changement organisationnel plus profond, remontant environ à 1910, qui aurait vu la jeunesse prendre en charge l’organisation de la fête. Nous pouvons dès lors supposer que jusque-là, le modèle ancien de la Garde nationale regroupant tous les hommes de 18 à 40 ans, célibataires et mariés, avait perduré bien que la Garde ait été officiellement dissoute à la fin du Second Empire. Dans l’entre-deux-guerres cependant, si la clarinette et le piston sonnent pour l’escorte d’honneur, l’entrée à l’église et les processions, on continue cependant d’avoir recours au xirulari, dépositaire du répertoire ancien, pour les danses extérieures (kaxkarot dantza, sauts basques et dantza khorda). Pour l’Octave de 1930, tambours, clairons et « la musique » (soinua) sonnent pour les cérémonies religieuses, mais les danses de la partie profane de la fête sont exécutées à la xirula, désormais garante – nous ne sommes plus au xviiie siècle – de la moralité associée à l’ethnicité : Une fois les démarches d’église accomplies, ils nous ont donnés sur la place, avec tambour et xirula, les sauts basques, la kaxkarot martxa et autres danses, mais de façon honnête comme il sied à cette journée. Au son de cloche du soir, nous avons tous dit l’Angélus le béret à la main, et chacun a repris le chemin de sa maison, avec au cœur la douce paix accordée par notre Dieu bien aimé. Vive Itxassou, vive les itsasuar ! Restons toujours Basques et croyants.40
Un phénomène similaire s’observe dans les villages voisins, où les jeunes ont recours aux xirulari (généralement âgés) pour donner les danses que la « musique » ne connaît pas, limitant pour l’essentiel son répertoire aux scottishs jouées pour l’entrée à l’église et les processions. À Bidarray, les danses de la partie profane, mais non moins codifiée, de la Fête-Dieu et de l’Octave sont exécutées par deux xirula et un tambour41. À Macaye en 1946, les cuivres accompagnent la Fête-Dieu, mais la jeunesse fait venir Erlande Aguerre, xirulari de Mendionde pour les sauts basques. Le prestige de la xirula s’affaiblit progressivement en Labourd intérieur. À Itxassou, le dernier xirulari de tradition directe est Manex Teillerie (1884–1962) dit Xuhurreneko itsua (l’aveugle de Xuhurrenea), du fait de son infirmité et du nom de sa maison située au quartier montagnard de Gerasto. Manex joue pour les fêtes de son quartier, seul ou avec un tambour ou un accordéon, pour le carnaval ou le dimanche chez lui ou sur la place de Gerasto pour le plaisir des jeunes du quartier, parfois le dimanche devant
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Eskualduna, 10 juin 1910. Gazte bat, « Itsasu », Eskualduna, 13 mai 1932. Traduit du basque. Menditar bat, « Itsasu », Eskualduna, 4 juillet 1930 (traduit du basque). « Et après vêpres, que de sauts, que de danses ! Les vieux étaient encore plus joyeux que les jeunes. […] Et avec quelle musique ? La clarinette et le piston ? Saletés. Deux chirula et le tambour, la vraie musique basque. Allez-y, les jeunes de Bidarray, bravo. Conservez les anciens usages […] », Eskualduna, 4 juillet 1930 (traduit du basque).
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l’auberge d’Elizaldia à la sortie de la messe. Il joue avec la xirula de Xantxo Aguerre, léguée à son décès. Ditxolari (rimeur), plein d’humour et unanimement apprécié42, l’aveugle de Xuhurrenea n’est cependant jamais retenu par la jeunesse pour la Fête-Dieu ou les bals du carnaval ou des fêtes patronales. La musique réglée est désormais réservée aux cuivres, clarinettes et accordéons. Les mutations silencieuses de la coutume Une charge symbolique persistante À Itxassou comme ailleurs, la Garde nationale prend au xixe siècle la suite de la portion de la milice provinciale. Les officiers sont élus, et le rôle des soldats est conservé à la mairie. Si la Garde perdure officiellement jusqu’en 1871, celle-ci perd peu à peu ses prérogatives militaires mais conserve ses fonctions honorifiques. En septembre 1846 une inspection signale que 36 des 50 fusils de la Garde nationale devraient être réparés43. En 1852, le Conseil municipal souhaite se débarrasser de 40 des 50 fusils, arguant de leur inutilité pour la commune44. Celle-ci se plaint régulièrement du coût de l’entretien des caisses et armes de la Garde nationale, surtout durant la guerre de 187045. La Garde, composée de tous les hommes valides entre 18 et 50 ans, conserve en revanche sa fonction honorifique. Si Itxassou envoie ses danseurs en 1823 à Bayonne pour accueillir la duchesse d’Angoulême (Palassou 1825), ce sont 12 hommes de la Garde nationale en grand uniforme qui accompagnent le maire à Bayonne le 22 juillet 1845 pour rendre les honneurs aux ducs de Nemours (Rousseau [1980] 2000 : 210). Le 5 août 1852, le sous-préfet demande au maire d’Itxassou que les honneurs soient rendus à l’occasion de la visite du prince Jérôme, autre occasion probable de mobilisation de la Garde. La persistance des enjeux honorifiques autour du choix des officiers nécessite en 1863 une intervention du sous-préfet de Bayonne auprès du maire d’Itxassou à l'occasion de la Fête-Dieu : La célébration de la Fête-Dieu à Itxassou l’année dernière a donné lieu à quelques désordres dans cette commune par suite de la prétention de quelques individus de commander l’escorte d’honneur qui sous le nom de Garde nationale doit accompagner les processions. Comme il convient de prévenir pour l’avenir que ces troubles sur lesquels l’administration et le parquet ne sont plus disposés à fermer les yeux, je viens vous prier, mr. le Maire, de rappeler à vos administrés ce qu’ils paraissent avoir oublié, c’est que la Garde nationale rurale n’existe plus qu’à l’état de pompiers dans les communes pourvues d’une pompe à incendie ; que toute réunion, sous ce nom, d’individus est illégale et justiciable de tribunaux : à plus forte raison lorsque ces individus sont armés. Vous voudrez bien leur faire comprendre que la procession ne perdra rien de sa majesté pour n’être pas entourée d’une escorte d’honneur, et qu’il suffira du concours des vrais fidèles exempts de préoccupations vaniteuses et qui ne sont animées que de pieux sentiments. C’est là le plus bel éclat d’une procession. Vous voudrez donc bien vous opposer à toute réunion armée qui tenterait de se former pour accompagner la procession et qui pourrait de nouveau devenir un élément de désordre.46
Trois jours plus tard, le 4 juin, le sous-préfet autorisait la procession, le maire ayant garanti qu’il n’y aurait pas d’incident. Sous la IIIe République et comme dans les villages environnants, la Fête42 • 43 • 44 • 45 • 46 •
Voir sa nécrologie dans Herria, 10 octobre 1962. Mairie d’Itxassou, Arch. com., Lettre du sous-préfet au maire, 4 novembre 1849. Mairie d’Itxassou, Arch. com., Délibération du conseil municipal, 8 avril 1852. Mairie d’Itxassou, Arch. com., Dépenses de la Garde nationale mobilisée, 15 novembre 1870. Mairie d’Itxassou, Arch. com., Lettre du sous-préfet de Bayonne au maire, 1er juin 1863.
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Dieu subit les répercussions du conflit entre rouges et blancs. En 1885, le curé Dop souligne en chaire l’importance de suivre les processions avec ferveur au vu de leur interdiction dans plusieurs communes en France47. En 1901, le sous-préfet rappelle au maire que suite à un arrêt du Conseil d’État, il est interdit d’arborer dans les cérémonies religieuses les drapeaux tricolores à l’effigie du Sacré-Cœur de Jésus48. Malgré, ou à l’inverse du fait de, ces pressions politiques, la Garde conserve sa fonction d’institution symbolique, y compris à des occasions exceptionnelles hors de la Fête-Dieu. En 1909, l’entrée du nouveau curé s’effectue avec accompagnement de la jeunesse en grand apparat comme pour Besta berri49. Surtout, la mobilisation de la Garde pour la Fête-Dieu ou à d’autres occasions est, pour les villageois, un indicateur de l’unité et des divisions potentielles de la jeunesse. Les autorités sont particulièrement vigilantes à cet égard. En 1932, les divisions menacent la tenue de Besta berri. L’observation que le correspondant d’Eskualduna (qui signe « un jeune ») adresse alors à la jeunesse d’Itxassou vaut rappel à l’ordre : La réputation de nos processions est tellement étendue que si nous laissions perdre cette belle coutume, on dirait d’Itxassou que nous sommes tombés bien bas. Le seul fait d’y penser me fait honte. Qui plus est, si la jeunesse n’est pas capable de s’entendre, j’ai entendu que les vieux étaient bien décidés à s’habiller ! Cela serait pire [zauriaren gaineko pikoa] et représenterait pour nous un affront. Nous ne devons pas verser dans ce déshonneur, voilà 22 ans que les jeunes ont honoré le village ; nous ne devons pas faire moins que nos prédécesseurs ; qui plus est, de quoi auront l’air ces vieux avec leur tambour et leur xirula ? Allons tous en bonne entente et en l’honneur du Saint Sacrement, et pour conserver bien haut l’honneur du village.50
L’admonestation dut avoir quelque effet puisque la jeunesse assura l’accompagnement habituel de la procession, ainsi que les années suivantes51. L’enjeu concerne clairement les relations intergénérationnelles. Au début du xxe siècles, il a pu arriver que les « vieux » (les hommes mariés) prennent à leur charge l’organisation de la Garde, pour donner exemple aux jeunes52. Du témoignage de 1932, nous pouvons supposer que le passage de l’ancien modèle de la Garde nationale vers une fête réservée aux seuls jeunes se soit effectué vers 1910. Mais la vigilance des générations précédentes reste de mise, comme en 1934 : Quelqu’un a fait courir le bruit que cette année nous n’allions pas faire de Fête-Dieu à Itxassou. Je veux leur dire tout de suite que celle qui se prépare sera plus belle que jamais. Et si les jeunes nous ne l’avions pas faite, les vieux l’auraient faite, donc il n’y avait aucun doute à avoir à ce sujet.53
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Archives privées, Cahiers de messe du curé Dop, 31 mai 1885. Mairie d’Itxassou, Arch. com., Lettre du sous-préfet au maire, 14 juin 1901. Voir également les aquarelles anonymes représentant les costumes de la Fête-Dieu d’Itxassou en 1922. Une note accompagnant les aquarelles précise que, selon les témoignages locaux, vers 1850 les soldats de la Garde étaient en habits du dimanche, avec un béret orné. Les officiers portaient des costumes et bérets spécifiques. L’introduction des sapeurs daterait du Second Empire (Itxassou, garde nationale de la Fête-Dieu, octobre 1922, aquarelles, Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne). Je dois à Thierry Truffaut la communication de ce document. Gazte bat, « Itsasu », Eskualduna, 13 mai 1932 (traduit du basque). « Itsasu », Eskualduna, 20 mai 1932. Pour une chronique de la Fête-Dieu de 1933, voir Eskualduna, 16 et 20 juin 1933. Témoignage d’Albert Elissetche (né en 1888), recueilli à Itxassou par J.-M. Guilcher en 1972. Selon M. Duvert, les « vieux » eurent aussi à s’habiller pour la Fête-Dieu vers 1936 à Ainhoa. « Itsasu », Eskualduna, 25 mai 1934, traduit du basque.
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Après 1945 : entre continuité et changement silencieux Les deux conflits mondiaux interrompent l’accompagnement des processions par l’escorte. En 1946, la Fête-Dieu reprend sur le même modèle. La première année, ceux qui s’habillaient avant-guerre reprennent le flambeau en guise de transition, les jeunes prennent le relais dès l’année suivante. Quelques modifications sont introduites dans les années 1950–1960. Suite à un incident, les fusils des soldats sont remplacés par des lances dès le début des années 1950 (Cuzacq 1953). Dans un premier temps, seuls les jeunes ayant effectué leur service militaire portent les armes, mais peu à peu l’usage des lances est généralisé. Dans les années 1970, les fusils refont brièvement leur apparition avant que l’on ne revienne aux lances. L’accompagnement musical connaît aussi des changements, qui font écho à la nouvelle vague d’encadrement de la jeunesse menée par l’Église catholique dans l’après-guerre. En 1951, sous l’impulsion du vicaire est fondée une nouvelle association paroissiale Itsasuarrak, qui gère la pelote, la danse et la musique. La musique renvoie alors à la batterie-fanfare qui accompagne dès lors les cérémonies civiles et religieuses du village, dont la Fête-Dieu. De par l’amplitude limitée des clairons et des tambours, la jeunesse continue d’avoir recours à des musiciens extérieurs pour exécuter les mélodies spécifiques de Besta Berri. Peu à peu et surtout à partir des années 1970, la dimension militariste est légèrement atténuée, au grand dam des anciens, comme en témoigne Manez Saint-Esteven, makilari d’Itxassou dans les années 1930 : Quand la messe était terminée : « Garde à vous !, Portez armes !, par file à gauche, par file à droite, par file à droite, par file à gauche, à droite à gauche, en avant, marche ! » [en français]. Alors les deux lignes devaient se croiser, juste avant la communion, là-bas devant, et ils se mettaient comme cela, et pareil derrière. Celui-ci par là, et celui-là par ici. Mais déjà à notre époque on ne le faisait plus. Mais avant, cela se faisait dans l’ordre. Ils savaient commander. Aujourd’hui, de moins en moins ! Quand celui d’Antxondoa était rentré sergent, il savait bien commander, mais maintenant, il n’y a même pas la moitié qui ait fait son service militaire.54
La coutume reste en vigueur lorsque l’abbé Etchebarne est curé d’Itxassou (1956–1969), avec accompagnement musical et dansé des deux dimanches de rang. La Garde, cependant, cesse d’aller chercher le curé avant les cérémonies du matin. En 1970, la Garde costumée ne sort pas, le curé étant malade et sur le point de quitter le village. Durant quelques années, les cérémonies de Besta berri se déroulent sans la présence de la Garde. Celle-ci reprend en 1976, avec un nouveau curé et à l’initiative de la batterie-fanfare55. À l’occasion de cette reprise, les jeunes décident de diminuer les commandements militaires prononcés par le capitaine et de ne les conserver que pour l’entrée, la consécration et les bénédictions. Des nouveautés sont introduites. Deux coqs (oilarrak) dansants sont rajoutés en tête du cortège dans les années 1980, des itsasuar en ayant apprécié la prestation à Mendionde56.
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Entretien M. Saint-Esteven op. cit., traduit du basque. En juillet 1975, un jeune du village décède accidentellement. Comme de coutume, la jeunesse assiste en blanc aux funérailles. L’image relance la Fête-Dieu et sous l’impulsion du makilari Pettan Saint-Paul, quelques jeunes passent de maison en maison pour composer l’escorte, qui sortira à nouveau annuellement à partir de 1976 (témoignages de Frantxoa Lartéguy et de Michel Ithurburua, voir aussi Herria, 17 juin 1976). Entretien Paul Elissetche. La présence des deux oilar (coqs) ne semble pas très ancienne dans la région. À Hélette, leur introduction remonte à 1936 (Arbelbide 2001). À Macaye, ce sont les frères Dagorret qui les introduisent en 1939 après les avoir vus à Hélette (entretien Cyprien Dagorret), à Mendionde et à Gréciette les coqs sont intégrés dans l’aprèsguerre (entretien Xemartin Caillaba), à Louhossoa en 1951.
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L’importation participe d’un souhait de renforcement de la dimension dansée et musicale de Besta berri, quitte à en atténuer la dimension militariste. Le calendrier de la fête connaît également quelque changement. À partir de 1951, la paroisse lance un nouveau format festif, la kermesse, d’abord destinée à renflouer les caisses de l’association qui comprend, outre la paroisse, la batterie-fanfare, la pelote et la danse. D’abord nommée Fête de la Terre et coorganisée par la section locale de la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC), la kermesse se recentre rapidement sur la cerise, fruit emblématique du village et constituant un complément de revenu saisonnier pour de nombreuses exploitations. Sa date dépendant de la maturation du fruit, Gerezi besta (la fête de la cerise) peut coïncider avec la Fête-Dieu ou l’Octave. Si dans un premier temps, les deux fêtes se superposent sans altérer la Besta berri, il est décidé dans les années 1980 de consacrer un dimanche à la Fête des cerises et l’autre à la Fête-Dieu ou à l’Octave. Dans les années 1990, cette première amputation du rituel s’accompagne de la suppression des vêpres en raison de la faible participation des fidèles. Les cérémonies se résument alors à une seule matinée, soit le dimanche de Besta berri soit à l’Octave. La procession sort à l’issue de la messe solennelle et emprunte le parcours en principe réservé à la procession vespérale de l’Octave : champ d’Elizaldia, où un autel est dressé, second autel au calvaire de Kurutzaldea, retour à l’église. Les chants et musiques du Magnificat et Benedicamus domino, en principe réservés aux vêpres, sont désormais exécutés lors de la messe du matin. À la demande de la jeunesse, les vêpres seront rétablies à deux ou trois reprises dans les années 1990 mais l’expérience tourne court en raison de la faible participation. À l’issue du repas pris en commun, la jeunesse conserve durant quelques années l’usage du défilé et des danses sur la place d’en haut. La dantza khorda, dont le souvenir est ici associé à la Fête-Dieu, est à nouveau instituée à cette occasion. Dans les années 2000 cependant, toujours au vu de la faible participation des habitants, le défilé à la place est à son tour abandonné. Selon le dernier état de la tradition – avant la crise sanitaire de 2020 –, la Besta berri se déroule à Itxassou sur une journée. La jeunesse récupère les costumes désormais conservés par les religieuses. Le dimanche matin, la Garde s’habille et se constitue à Gaztetxea (maison des jeunes), liée à l’Association paroissiale Itsasuarrak. Depuis quelques années, l’usage de l’accompagnement du célébrant est rétabli. Celui-ci s’intègre à la troupe à Gaztetxea, aux côtés du capitaine et du Suisse, et tous descendent au pas et en musique vers l’église. À l’église et durant la procession, le cérémonial ne connaît pas d’altération majeure. Oilar (coqs), sapeurs et makilari dansent à l’entrée et à la sortie. Durant la consécration, les officiers et le Suisse rendent les honneurs depuis l’escalier montant à l’autel. Danse et cantiques alternent durant la procession. La danse retrouve une place qu’elle avait quelque peu perdue au cours de la décennie 1970–1980. À l’issue de la procession, la Garde défile dans le quartier de l’Église – un défilé bien plus court que les tournées de quête d’avant-guerre –, et donne quelques sauts et, de façon aléatoire, la dantza khorda et les exercices du makilari. La xirula ou la clarinette jouent les danses alors que les cérémonies religieuses sont accompagnées des cuivres et des accordéons. La paroisse offre un repas aux jeunes ainsi qu’aux porteurs de dais (pabillunketariak) au mur à gauche57. Avant ou après le repas, la Garde exécute le pas ordinaire de Besta berri en 57 •
Le maire et les adjoints déjeunent avec la jeunesse et les responsables de la paroisse, mais jusque récemment, il était convenu qu’ils devaient régler leur repas, à la différence de la jeunesse et des porte-dais.
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l’honneur des cuisinières. Le défilé jusqu’à la place ayant été supprimé, le repas met un terme à la fête. Certains jeunes se rendent l’après-midi dans l’un des villages où l’usage est encore en vigueur pour assister aux vêpres. L’un des changements majeurs vient d’une évolution sociologique de fond que peu de villageois avaient anticipée, à savoir l’accélération de la sécularisation de la société basque. Celle-ci se traduit d’abord par la désertion silencieuse des pratiquants ordinaires. La participation aux cérémonies est sans commune mesure par rapport aux Besta berri des années 1970–1980, dans un village en voie de périurbanisation. Le second changement découle de la diminution du nombre de prêtres. Suite au regroupement des paroisses effectué dans les années 1990, Itxassou n’a plus de curé en propre et relève de la nouvelle paroisse Saint-Michel Garicoïts, dont le siège est dans la petite ville voisine de Cambo. L’organisation de la Fête-Dieu s’en trouve modifiée puisqu’exigeant désormais une coordination entre les villages. Se retrouvent ainsi des configurations différentes au sein de la même paroisse. Dans les villages les plus à l’ouest, l’usage des escortes d’honneur est abandonné depuis longtemps : dès 1925 à Cambo, dans les années 1960–1970 à Espelette. À Louhossoa, la Besta Berri habillée a repris, après une brève interruption, dans les années 1970 selon les canons traditionnels. Là aussi cependant, la fête se réduit à un seul dimanche dans les années 2000, mais en conservant les vêpres. La tradition de la Fête-Dieu fait l’objet d’une reprise originale à Espelette en 1992. Celle-ci ne se comprend qu’au regard de la conférence sur la Fête-Dieu prononcée par le père bénédictin Marcel Etchehandy en 1989 dans le cadre du groupe de réflexion diocésain Fedea eta kultura (Foi et culture). Le contexte religieux, marqué par la tenue d’un synode diocésain entre 1989 et 1992, est favorable à cette remise à plat. Dans sa conférence (Etchehandy 1989), le père Etchehandy entend, à partir de sources historiques, revaloriser la dimension eucharistique de la Fête-Dieu, mais aussi sa dimension cosmique et solaire, l’importance de la danse, de la musique, de la nature, de la symbolique de l’itinéraire des processions et des autels. L’objectif, à fondement théologique, est de suggérer aux villages de minorer une dimension militariste de la fête fruit de circonstances historiques désormais obsolètes, et de valoriser l’interprétation conciliaire d’une Besta berri inculturée. Cette relecture remet également en débat la question de la participation des femmes, reléguées à des positions subordonnées dans le dispositif traditionnel. De fait, cette position rencontre assez peu d’écho dans les villages où la tradition est encore vigoureuse comme Hélette où Iholdy. Elle trouve en revanche une oreille attentive dans des villages comme Espelette où l’accompagnement dansé de la fête avait disparu depuis plusieurs décennies mais où la procession était toujours en vigueur et où le substrat catholique restait suffisamment fort pour envisager une reprise selon de nouvelles modalités. La « nouvelle » Fête-Dieu qui s’élabore à Espelette mêle des éléments de la tradition labourdine et bas-navarraise mais expurgée des éléments militaires, des danses du Pays basque sud destinées à renforcer la participation féminine à la fête, un parcours de la procession respectant les codes cosmiques mis en exergue par la nouvelle interprétation. À Macaye, village où la tradition est alors en pleine vigueur, cette relecture génère des modifications substantielles : les armes des soldats sont supprimées, les jeunes filles entrent dans le cortège avec de nouveaux costumes, les drapeaux tricolores sont remplacés par des drapeaux reprenant les symboles du synode diocésain. À la différence d’Espelette, le
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changement fait débat à Macaye et ravive l’opposition entre un curé porté aux nouvelles lectures de la Fête-Dieu et une jeunesse attachée au modèle hérité. En 1992, faute d’accord, la Fête-Dieu n’y est pas solennisée. Un compromis est trouvé pour les années suivantes sur le modèle évoqué plus haut. À Cambo, comme à Ustaritz, la Garde nationale n’accompagnait plus les processions depuis le milieu des années 1920. Plus exactement, une première substitution fonctionnelle s’était alors opérée dans ces gros bourgs puisqu’en lieu et place de la jeunesse comme institution, ce sont les garçons du Patronage qui accompagneraient désormais les processions. Ils seront plus de 80 à Cambo en 1933. Alors que les villages environnants restent fidèles à la jeunesse comme groupe de représentation, l’encadrement par le Patronage relève de la modernisation conservatrice de l’institution catholique. Cet accompagnement tombera lui aussi progressivement en désuétude, mais la procession continuera de suivre dans les rues de Cambo un parcours émaillé de quatre reposoirs. Contre toute attente, la paroisse décide de réactiver l’usage dans les années 2000. Cette fois, c’est le modèle traditionnel qui est réactivé. Les musiciens de Cambo venant depuis plusieurs années accompagner la Besta berri d’Itxassou, ce dernier village leur prête en retour les costumes de sa Garde. Dès lors, si la Besta berri est célébrée à Cambo le dimanche de la Fête-Dieu, elle le sera à Itxassou pour l’Octave ou vice-versa, l’organisation étant facilitée par l’appartenance à la même paroisse. Mutations et incertitudes Itxassou se situe ainsi dans une zone d’entre-deux, qui illustre à la fois la permanence et les transformations de la coutume. Il est, en venant de la Côte basque où les escortes d’honneur de la Besta berri ont disparu dès l’entre-deux-guerres, voire plus tôt, le premier village où la tradition demeure quasiment ininterrompue. À l’est d’Itxassou, la situation est plus mêlée qu’il n’y paraît. Au premier abord, les villages du Labourd intérieur (Macaye, Louhossoa, Mendionde) et de la BasseNavarre proche (pays d’Arberoue, Bidarray, Ossès…) restent les fiefs de la tradition et ceux où, il y a peu, le dispositif de la Besta berri pouvait être observé dans sa complétude (Velasco 2017). Certains détails ne trompent pas : dans les années 1990, il est encore entendu à Mendionde que tous les jeunes hommes remplissant les conditions d’âge doivent s’habiller pour Besta berri. Tous les participants à Besta berri s’y confessent avant le jour des cérémonies. Ces deux conditions ne sont déjà plus présentes à Itxassou, où la fête est désormais portée par un groupe de jeunes très motivé mais qui se distingue de l’unanimisme d’antan. À y regarder de plus près, les années 2000–2010 voient survenir des changements structurels y compris dans la zone de prédilection de Besta berri. Certains villages reprennent l’usage après plusieurs années d’interruption, comme Armendarits ou Saint-Martin-d’Arberoue. Cependant et du fait de la raréfaction du clergé, peu de villages continuent de célébrer la Besta berri les deux dimanches de rang. Dans certains villages, l’hostilité du curé envers la Besta berri traditionnelle met un terme à l’usage ou crée une forte incertitude sur sa pérennité. Ailleurs, comme à Hélette, l’installation occasionnelle d’un festival de rock perturbe, non sans débats, le bon déroulement du rituel sur les deux dimanches de rang. À l’ouest, Saint-Pée-sur-Nivelle conserve une partie de l’usage mais le curé organise en mai 2014 une conférence-débat sur Besta berri interrogeant la dimension militariste de la fête. À l’est et à la limite de la Soule, c’est sous l’impulsion d’une communauté catholique
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restitutionniste que la Fête-Dieu est relancée à Etcharry-Domezain, dans une zone où le souvenir des escortes armées était oublié. Dans le Pays basque du xxie siècle, l’unité de façade de la tradition de Besta berri se fissure. Plus que jamais, le devenir de la fête et les lectures contradictoires qui s’y confrontent reflètent le pluralisme de la société qui la produit. Si l’on suit les approches conventionnelles de la sécularisation, cette célébration, dans la forme qu’elle prend en Pays basque intérieur, aurait dû disparaître inéluctablement au rythme de la « modernisation » de la société et des mutations internes du catholicisme. À y voir une simple parade religieuse et militaire évoquant un nationalisme organique propre au xixe siècle français, l’on ne saurait en effet que prédire la fin programmée d’un rituel décalé par rapport à la société qui le porte. Or, le rite perdure, bon an mal an, aux marches du Labourd et dans la Basse-Navarre centrale. Besta berri est irréductible à une seule interprétation, et c’est bien de cette pluralité de lectures qu’adviendra la survivance. D’aucuns, sceptiques, y voient un rituel renvoyant à d’anciennes alliances du trône et de l’autel, une évocation entrant en conflit avec les valeurs libérales sur le plan politique et conciliaires sur le plan religieux. Une partie des milieux militants impliqués dans la reprise des carnavals et des cavalcades reste réservée vis-à-vis de la Fête-Dieu. Une lecture historique alternative y verrait pourtant le souvenir des portions locales des milices provinciales d’Ancien Régime. La parade, à l’image des alardeak du Pays basque sud (Bullen et Egidio 2004), devient alors souvenir folklorisé – au sens noble du terme – des franchises et libertés provinciales. Une autre lecture décèle dans l’ordonnancement symbolique de Besta berri l’expression d’une cosmogonie religieuse inscrivant le mystère de la transsubstantiation dans le cycle du printemps, de Pâques à la Saint-Jean. Fête du Corps, Besta berri est fête de la danse, de la musique, du soleil, des fleurs et des jonchées. Elle est une fête dont l’Église a laissé dès l’origine très ouvert l’ordonnancement, ce qui aura permis d’en faire l’expression paraliturgique des cultures et ordres locaux (Molinié 1996 ; Etchehandy 1989). La Fête-Dieu, enfin, est un acte social qui, à l’échelle du village, associe communion festive et mise en scène ritualisée des corps constitués. Au final, trois regards se posent sur cette fête. Le premier est celui des acteurs de Besta berri, acteurs dont les raisons, au sens weberien, de faire perdurer la pratique sont infiniment composites : attachement à l’identité du village, inscription dans une lignée familiale et dans une classe d’âge, foi chrétienne individualisée et « bricolée », goût de la danse, du chant et de la musique, et sans doute bien d’autres encore. Le deuxième regard est celui d’un catholicisme soucieux d’inculturation, qui verra dans certains éléments de Besta berri l’expression d’une incarnation pluriséculaire de la foi dans les cultures locales. Ce regard, impulsé par une partie du clergé et par des laïcs engagés, entend redonner un sens explicite à la sédimentation de symboles que constitue Besta berri. La relecture de la religiosité locale s’inscrit dès lors dans un mouvement, découlant de Vatican II, de sécularisation interne du christianisme (Isambert 1976) qui entend expliciter le sens de la fête, quitte à en expurger certains éléments. L’opération est à la fois neuve en ce qu’elle questionne le fondement d’une tradition qui ne va plus de soi mais, par bien des aspects, traditionnelle au sens où elle constitue la forme modernisée de la très ancienne volonté de contrôle du clergé sur des dispositifs dont il a toujours dû partager la gestion. Au milieu des années 1980, le chanoine Hiriart-Urruty publie un éditorial
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mordant dans l’hebdomadaire bascophone Herria. Il y relate la sortie de la procession de Besta berri dans un village où, tout afféré à l’organisation de la procession, le prêtre en oublie de prendre l’ostensoir contenant le Saint-Sacrement. L’anecdote vaut avertissement : elle exprime une distance à l’égard d’une parade militarisée tout en rappelant la centralité institutionnelle de l’eucharistie et du monopole de sens que s’arroge l’Église sur la célébration. Lorsque tel village remplace les drapeaux tricolores par ceux du synode diocésain, le glissement est de taille. Il s’agit bien de substituer une symbolique liée à un catholicisme participatif et ouvert au laïcat à l’ancien national-catholicisme français. Dans tel autre village, un compromis est trouvé avec le maintien des deux drapeaux tricolores, le drapeau basque ikurriña et le rajout de deux drapeaux tournants aux armes du Labourd, souvenir des milices forales. L’argument esthétique – quatre drapeaux « tournent » désormais au lieu de deux – parvient alors à apaiser les tensions sous-jacentes dans un village ayant connu de forts clivages politiques. On le voit : Besta berri se retrouve au cœur des controverses qui clivent le catholicisme basque, entre catholicisme d’identité et catholicisme d’ouverture, ouverture conciliaire et intransigeantisme (Itçaina 2007). Le troisième regard, plus récent, fait de la religiosité locale un élément du patrimoine. Ce regard se distancie à la fois de la posture croyante comme de celle de la dénonciation ou de l’indifférence. Le regard patrimonial confère de la valeur à des pratiques en tant qu’héritage mémoriel. La religiosité festive rejoint ainsi le regain d’intérêt pour les chants religieux, pour les chemins de Saint-Jacques, pour le patrimoine funéraire, pour le patrimoine architectural religieux. Cette patrimonialisation n’est pas incompatible avec une approche religieuse des rites. Elle signale toutefois l’émergence d’un nouveau rapport au religieux qui s’extrait de l’affiliation inconditionnelle mais aussi des lectures antagonistes ou indifférentes.
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Chapitre 5 Le métier de sonneur Marginalisation et (re)découverte incomplète des ménétriers (xixe–xxe siècles) ezkontzen bazira sonügilearekin, dantzatüren zira Petiri Santzekin1
Avant de faire l’objet d’une redécouverte par les mouvements romantiques et régionalistes, les ménétriers continuent de bénéficier au xixe siècle d’un statut social ambivalent. Dans les prolongements de la société d’ordres, le musicien est à la fois indispensable à la bonne tenue des fêtes et cérémonies tout en relevant d’un statut social subalterne. Qualifié de champêtre, il est, pour les habitants, simplement sonneur (soinulari). Comment le musicien « tout court » est-il devenu un musicien « traditionnel », faisant de la sorte osciller son statut entre marginalité sociale et emblème identitaire ? Ce chapitre propose un séquençage historique des usages de la musique à danser depuis la Révolution française jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Piochant dans l’ensemble du territoire, l’on se concentrera particulièrement sur le Labourd intérieur, un territoire peu analysé sous cet angle. Le propos sera organisé en cinq temps. Ces fluctuations statutaires s’expriment d’abord dans l’adaptation des ménétriers aux contextes mouvants de la fête officielle ou, le cas échéant, de sa contestation, au gré des changements de régime. À l’échelle des communautés cependant et en dépit des mutations politiques, la musique ménétrière reste fidèle à ses fonctions rituelles et protocolaires ordinaires, comme l’illustre l’exemple de la dantza luzea (danse longue). Troisièmement, la sociographie du ménétrier au xixe siècle et aux débuts du xxe précise l’image d’un marginal nécessaire, situé à la périphérie de la société locale tout en étant indispensable à la production de son ordre social et rituel. Cette précarité sociale des ménétriers sera de plus renforcée par l’apparition de nouvelles formes musicales. Enfin, le mouvement culturel basque redécouvrira la figure du ménétrier, mais de façon sélective et partielle. Adaptations et ajustements : la musique ménétrière au gré des changements de régime Les ménétriers et la fête révolutionnaire : entre fête prescrite et fête proscrite La Révolution de 1789 amène le bouleversement radical de l’ordre institutionnel qui servait de cadre à l’activité ménétrière en Pays basque. Le système foral s’effondre et les provinces basques se voient constituer avec le Béarn en 1790 le département des Basses-Pyrénées. La constitution civile du clergé puis la politique de déchristianisation viennent interrompre la ritualité cyclique qui scandait l’activité ménétrière. Des réquisitions des musiciens et danseurs pour les Entrées des membres de la famille royale ou de l’aristocratie, il n’est plus question jusqu’à la Restauration. Bon gré mal gré cependant, l’activité ménétrière se maintient durant cette période troublée, en prenant deux principaux visages. D’une part, tambourins, violons et tambours sont sollicités par le
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« Si tu te maries avec le ménétrier, tu danseras avec Petiri Sants [personnification de la misère] », proverbe du pays de Soule.
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nouvel ordre politique pour l’invention d’une nouvelle ritualité festive. À ce titre, la fête révolutionnaire, comme fête prescrite, s’inscrit dans une continuité paradoxale des pratiques d’Ancien Régime concernant la réquisition des ressources locales. D’autre part, danse, chant et musique constituent également des répertoires protestataires qui seront mobilisés contre le nouvel ordre révolutionnaire. Nécessairement discrète, la fête proscrite reste néanmoins un exemple de détournement des pratiques culturelles populaires dans un objectif de contestation du nouvel ordre politique, et ce tout particulièrement durant la phase de déchristianisation. Entre ces deux extrêmes, les ménétriers naviguent, ménageant leurs maigres marges de manœuvre, leurs nécessités de survie et leurs propres convictions. Ils sont, d’une part, réquisitionnés par les nouvelles autorités révolutionnaires qui entendent ainsi ancrer la nouvelle idéologie dans les pratiques culturelles locales. Sans refaire ici le récit des fêtes révolutionnaires en Pays basque, déjà abondamment relatées par les historiens (Goyhenetche 2002 ; Haristoy 1895, t. i, 1899, t. ii) et par les monographies locales, on en soulignera simplement les caractéristiques se rapportant à la musique ménétrière. Dans des localités particulièrement zélées comme la municipalité de canton d’Ustaritz, tambourin, violon et tambour sont systématiquement mobilisés à chaque étape de la construction de la fête révolutionnaire. Le 3 novembre 1793, à l’occasion de la victoire de Vendée, tambours et tambourins accompagnent les jeunes gens de l’endroit qui, mandé avec leurs fusils, iront à l’église prendre les « meubles ou marques distinctives de la royauté » pour les brûler au pied de l’arbre de la liberté du Bourg-Suzon2. Exemplaire à cet égard, la municipalité célèbre systématiquement toutes les fêtes calendaires du nouveau régime. Tambours, violons et tambourins sont généralement associés aux festivités, et doivent accompagner les différentes étapes de la nouvelle liturgie républicaine et les danses publiques qui succèdent au cérémonial. Le 26 pluviôse an IV, la municipalité annonce ainsi la célébration de l’abolition de la royauté et la cérémonie de serment d’attachement sincère à la République française. Invités à célébrer la fête « dans la plus spacieuse des places du chef-lieu par leurs jeux de gymnastique et par leurs dances localles », les habitants du canton se voient donnés « le tambourin et le tambour » par les administrateurs du canton. Outre les danses, les ménétriers sont sommés d’adapter leur répertoire au nouveau goût politique. Les fêtes du 14 juillet, 10 août, 9 et 10 thermidor, à célébrer dans le canton, comportent des instructions précises pour les musiciens d’Ustaritz : Des tambourins, des tambours, des violons marcheront en tête de tout le cortège exécutant alternativement l’air de l’hymne Marseillaise et celui du Réveil du peuple. Les reprises de ces deux airs seront exécutées tour à tour par les tambourins et les tambours ensemble, et ensuite par les violons3
À l’occasion de la fête de l’agriculture, la municipalité de canton associe les tambourins à chaque étape du rituel : s’étant réunie à la place de Hiribehere, conformément à sa délibération du 22 de ce mois, pour y célébrer la fête de l’agriculture, prescrite par l’arrêté du Directoire exécutif du 20 prairial dernier, la municipalité
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AD 64, Arch. com. d’Ustaritz, BB 12, Arrêtés municipaux, 3 novembre 1793. AD 64, Arch. com. d’Ustaritz, BB 9, Délibérations, 3 thermidor an IV.
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d’Ustaritz avait désigné selon l’article 8 dudit arrêté le champ de Sorhoette comme le plus voisin, pour pa [sic] le président y enfoncer dans la terre le soc de la charrue et commencer un sillon. Ensuite la place s’étant garnie d’un peuple très nombreux, les officiers municipaux y ayant fait différents tours, revêtus de leurs écharpes, au son de deux tambours et d’un tambourin, l’administration municipale auroit expliqué au peuple l’ordre à tenir dans la cérémonie. Les principaux laboureurs, au nombre de 24 et au-delà, se sont rangés à côté du président, tenant chacun d’une main un ustensile de labourage, de l’autre des épis de blé et de feuillage : et la Garde nationale sédentaire en activité soit devant soit aux côtés de l’administration et des laboureurs, la charrue avec soc et contre, garnie de feuillages, traînée par une paire de bœufs : les membres de l’administration municipale, juge de paix ses assesseurs et greffier, tenant la droite. Les tous ayant fait différents tours à la place au son du tambour et du tambourin, le peuple ayant été averti de s’arrêter, les instruments de cesser, le président a prononcé intelligiblement un discours analogue à l’objet de la fête de l’agriculture et des victoires que les armées républicaines viennent de remporter sur les ennemis du dehors. Il a ensuite désigné et proclamé à haute voix le nom du laboureur dont l’intelligence et la bonne conduite et l’activité lui a mérité d’être proposé pour exemple Salvat Duhalde Compaito. Après quoi, au son des instruments entremêlés d’hymnes, le cortège a avancé vers le dit champ de Sorhoette, ayant a sa tête la charrue et les bœufs, où étant arrivé dans l’ordre ci-dessus, les laboureurs, à un signal donné, ont fait l’échange momentané des ustensiles de labourage, contre les fusils. Le président, au son des instruments, a enfoncé dans la terre le soc de la charrue, a commencé et fait un sillon d’un bout de la terre à l’autre. Les laboureurs ont rendu les fusils, ornés d’épis et de fleurs, et repris leurs ustensiles. Le cortège revenu sur la place publique au son des instruments et des chants, la fête s’est terminée par les danses, qui ont duré jusqu’à l’entrée de la nuit, à laquelle heure le peuple s’est retiré en bonne paix et union aux cris de vive la république et des souhaits heureux pour la durée des jours précieux des membres de la Convention et des autorités constituées.4
Un autre compte rendu de la fête signale les « airs républicains » exécutés par les tambourins. Exceptionnellement, comme pour la célébration du 14 juillet de l’an IV, les citoyens et citoyennes des quatre communes du canton dansent « au son des clairons, des hautbois, des cors de chasse, et des tambours qu’on avoit fait venir de Bayonne ». Mais de façon générale, ce sont les ménétriers d’Ustaritz qui sont à pied d’œuvre. Ceux-ci n’oublient pas, d’ailleurs, de monnayer leur ardeur patriotique. Ainsi reconnaît-on un « salaire modéré » de 2 francs à Jean Haltz, tambourin, et d’1 franc à Martin Haranchipy, tambour et piéton ou sergent de ville, pour avoir joué lors de la fête de la Concorde de l’an IV. Haltz et Haranchipy sont également réquisitionnés pour la fête de la fondation de la république de l’an IX, où ils escortent la Garde nationale et la municipalité avant de donner des danses à l’issue de la cérémonie. Jean Haltz ira lui-même réclamer son dû le 3 messidor an IV pour avoir joué du tambourin le jour de la publication de la paix avec l’Empereur. À l’occasion de la célébration du 14 juillet de l’an IX, Haltz s’adjoint les services d’Étienne Daubas au violon. Jean Haltz sera également payé pour avoir joué lors de la fête du 18 brumaire an X à l’occasion de la paix générale. On notera qu’il s’agit probablement du même joueur de tambourin (Jean Haltz dit Machias) qui avait été au cœur de la dispute entre compagnies de danses durant le carnaval d’Ustaritz en 1772 (cf. chap. 2). Tisserand et tambourin à Ustaritz, Haltz est lui-même
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AD 64, Arch. com. Ustaritz, BB 9, Délibérations, Compte rendu de la fête de l’agriculture, 29 messidor an IV.
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fils de Mathias Haltz (ou Ehals), tisserand et tambourin de profession à Ainhoa. Le ménétrier, en l’espèce, s’adapte aux circonstances et aux changements de régimes. Un modèle similaire de réquisition des ménétriers locaux est à l’œuvre dans plusieurs communes labourdines, y compris dans les plus réticentes au nouvel ordre révolutionnaire, comme Sare, Ascain ou Itxassou, déclarées « communes infâmes » et dont une partie de la population sera déportée dans les Landes en 1794 suite à la désertion de 47 jeunes gens d’Itxassou. Bon gré mal gré, les autorités locales de ces villages se soumettent également à l’organisation des fêtes. La municipalité d’Itxassou réquisitionne en 1792 un tambourin pour sonner le jour et le lendemain de « la feste des sans-culotte et de la destruction des rebelles de la Vendée »5. Le 30 décembre 1797 à Sare, à l’occasion de la fête décadaire, les autorités municipales et la Garde nationale constituent un cortège qui « précédé du tambour et d’un tambourin s’est rendu à ladite église vers l’heure de midy. Le président a fait exécuter par la musique plusieurs hymnes patriotiques qu’il a indiqués » (Dop 1957). La même fête est célébrée de façon similaire dans le village voisin d’Ascain : faute de cloches, le rassemblement des autorités civiles et douanières s’effectue au son du tambour, des tambourins et des flûtes. Le cortège se rend à l’église où sont prononcés des discours, l’annonce des lois, des chants patriotiques. Le retour se fait dans le même ordre sur la place publique où ont lieu les danses (Haristoy 1899, t. ii : 4). À Sare le 21 février 1798, la Fête de la souveraineté du peuple réquisitionne également un tambour et un tambourin, qui à la tête du cortège exécutent « des chants patriotiques » célébrant « la gloire et la puissance de la grande Nation », suivis de danses (Dop 1957). Ascain célèbre de façon similaire la même fête le 20 mars, avec musique de « tambourin, tambourine [sic] et de flûte » (Haristoy 1899, t. ii : 5). Dans certains cas, ce sont des ménétriers issus de lignées réputées qui sont mobilisés. Le 30 pluviôse an IV (19 février 1796), la municipalité de canton de Domezain célèbre « l’anniversaire de la juste punition du dernier Roi des Français ». La fête est célébrée « au pied de l’arbre de la liberté » et accompagnée « des chants patriotiques répétés par la musique du citoyen Gathelu et des danses exécutées »6. Sans aucun doute s’agit-il là d’un ménétrier de la famille Gastellu-Etchegorry, dite Gattulu, lignée ancienne de musiciens d’origine cagote et qui resteront réputés en pays de Mixe jusqu’à la fin du xixe siècle (Vogel 1927)7. De l’adhésion des ménétriers aux nouvelles idées révolutionnaires, nous ne savons rien. Reste que leur mobilisation témoigne d’un effort des tenants du nouvel ordre politique pour localiser la fête révolutionnaire et légitimer leur discours par le recours à des éléments soigneusement sélectionnés de la culture populaire. À Bayonne même, la Pamperruque, expression s’il en est de la société d’ordres d’Ancien Régime, prend un sens nouveau en terminant la fête qui suivit l’inauguration de l’Autel de la patrie par la Société des sans-culottes le 9 juin 1794 (Grimard 1928 : 311) L’institution des fêtes révolutionnaires s’accompagne d’une révision du calendrier festif ancien. Ainsi voit-on la municipalité de Saint-Jean-de-Luz défendre en 1792 que les tambours des
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Comptes de J. Ithurbide, officier municipal de la commune d’Itxassou, 1792, archives privées. AD 64, 10 L 1, cité dans Goyhenetche, 2002 : 260. En 1846, Baptiste Gastellu-Etchegorri fils « dit Gathulu », ménétrier à Arberats, est impliqué dans une altercation à la maison Jaureguy de Béhasque. Il joue alors les sauts basques et les contredanses avec un autre ménétrier, Gabriel Aïçaguer de Lapiste. La rixe conduit au décès d’Arnaud Bidegain de Béhasque, AD 64, Cour d’assises, pièces de procédure, 2 U 926, 1846.
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chasseurs basques viennent jouer devant les maisons des dirigeants de l’administration municipale à l’occasion de la Saint-Jean, « fête chrétienne dont les signes extérieurs sont défendus expressément par la loi, ainsi que de tous les autres cultes que la loi tolère dans leurs justes bornes, mais qu’elle ne reconnoit pas. »8. La municipalité fait également démonter le bûcher qui avait été préparé pour le traditionnel feu de la Saint-Jean et défend tout signe de réjouissance ayant rapport à des fêtes abolies par les lois de la république, déclare en conséquence que tous individus qui se permettront, soit des feux de joie, soit de battre dans les rues ou devant les portes la caisse ou de jouer de quelque instrument les jours correspondant à ces fêtes seront punis selon la rigueur des lois.9
Ces mêmes répertoires de la culture populaire, cependant, auront tout autant été activés comme formes de résistances, du moins symboliques, à l’ordre révolutionnaire. La protestation, pour le coup, empruntant davantage au répertoire charivarique, nous en donnerons les illustrations au chapitre 6. Milieux urbains et appel aux danseurs basques : apogée et déclin des Entrées dansées Le xixe siècle se signale d’abord par un abandon progressif, ou plutôt une transformation, du recours aux ménétriers et danseurs par les municipalités pour les occasions exceptionnelles, et par Bayonne en particulier. Suite à la parenthèse révolutionnaire puis à la chute de l’Empire, l’appel aux compagnies de danseurs basques venant des villages environnants reprend à Bayonne. En 1808, au passage de Napoléon, six jeunes filles et sept jeunes gens de Bayonne, l’épée à la main, exécutent la Pamperruque en l’honneur de l’Empereur (Ducéré 1908). Bidart lève sa Garde nationale et paye des « habillements rouges pour la garde d’honneur » au passage de l’Empereur. La commune paye également du vin et un tambourin le 15 août « pour l’honneur de la fête de Napoléon d’après un ordre des autorités supérieures »10 En 1811, plusieurs municipalités organisent, avec plus ou moins de zèle, des festivités en l’honneur de la naissance du Roi de Rome. Bayonne réactive la Pamperruque – vraisemblablement la dernière à être organisée de façon officielle par la municipalité (Olascuaga 2017 : 11, 22). Espelette déploie à la même occasion le programme usuel : Te Deum chanté à l’église par la municipalité, la Garde nationale et les habitants, partie de paume, bal, illuminations, distribution de pain et de vin11. La municipalité d’Ossès prépare un programme du même ordre, qu’elle s’empresse de communiquer au préfet : messe solennelle et Te Deum, avec présence aux offices divins des deux compagnies de la Garde nationale de la commune « précédées d’un musicien », annonçant le commencement et la fin des offices par des salves, déjeuner sur invitation à la maison commune, fête l’après-midi dans la plaine d’Iraordokia, avec parties de pelote, danses, quilles et autres jeux « exécutés par les meilleurs amateurs »12. La municipalité de Saint-Palais organise la même fête pour le 2 juin 1811, en précisant 8 • 9 • 10 • 11 • 12 •
AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, 1 D 1, Délibérations du conseil général de la commune, 6 messidor an IV. Ibidem supra. AD 64, Arch. com. Bidart, 1 L 1, 1808. Mairie d’Espelette, Arch. com., Délibérations, 13 mai 1811. Mairie d’Ossès, Arch. com., Délibérations, 20 mai 1811.
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que pour le Te Deum réunissant les autorités et la Garde nationale, « un corps de musique composé des instruments les plus chers aux Basques, comme tambourins, flûtes et violons, se joindront aux militaires »13. Outre les habituels secours en nature (pain, vin et viande), des primes sont accordées pour les « jeux les plus chers aux Basques », à savoir « la course, la lutte, le jet de barre de fer, le saut, la danse et la paume ». En 1814 à l’occasion du passage du duc d’Angoulême, ce sont des danseurs d’Hasparren qui sont mobilisés : « vêtus d’habits élégants, ornés de festons, de rubans et de fleurs, précédés de violons, de fifres et de tambourins et groupés autour du drapeau blanc, ils exécutaient ces danses cantabres connues sous le nom de saut basque et la pamperruque »14. Le 25 juin 1823, la duchesse d’Angoulême est à Bayonne. Pour l’accueillir, le vingt-cinq au matin, de bonne heure, on vit arriver des campagnes environnantes une multitude considérable de troupes de jeunes danseurs qui se présentèrent au palais de la princesse. Ils exécutèrent leurs danses dans la cour de l’évêché et Madame, ayant voulu y assister daigna leur sourire. Puis ils se répandirent dans les rues et sur les places, où ils dansèrent au son de leurs instruments. (Ducéré 1902 : 69).
Les danseurs viennent pour l’essentiel des communes labourdines : les jeunes gens d’Arcangues, d’Ustarits, Cambo, Hasparren, Itzasou [Itxassou] et deux ou trois autres communes du Pays basque sont venus, leur Maire en tête, présenter leurs hommages respectueux à cette Princesse. Ils ont ensuite exécuté plusieurs danses qui ont beaucoup amusé SAR ; ces jeunes gens se sont fait remarquer, surtout, par l’élégance de leur costume et la précision de leurs danses, que quelques-uns regardent comme une espèce de pyrrhique, danse militaire, inventée, diton, par Pyrrhus (Palassou 1825 : 8).
Outre les villages cités par Palassou, il semble que d’autres villages labourdins aient également été sollicités pour le passage de la duchesse d’Angoulême. L’envoi de telles délégations est un coût très lourd pour les communes. En 1824, la commune de Souraïde rembourse Bessonart « pour avance faite par lui pour l’habillement des jeunes gens »15 en 1823, donc renvoyant probablement au passage de la duchesse. Espelette envoie « quelques jeunes gens du lieu qui furent à sa rencontre », le tout pour une dépense de 93 francs, dont la ville de Bayonne ne s’acquitte que pour 34 francs. Cependant, la municipalité d’Espelette estime que : « les jeunes gens de l’endroit n’ayant été unis dans l’occasion dont il s’agit, ainsi qu’ils se sont expliqués hautement, que par leur attachement pour la dynastie régnante, sans aucun motif d’intérêt, il n’y a pas lieu conséquemment de délibérer sur ce que dessus. »16 À Bardos en mai 1826, D’Echemendy dit Suhy et Pierre Dechemendy dit Larralde, tambourins de la commune, réclament à la mairie une indemnisation pour avoir joué « à Bayonne avec leur tambourin lors du passage de la Duchesse d’Angoulême »17. La commune reconnaît que les deux ménétriers « n’ont fait qu’obéir à l’invitation par écrit qui leur fut donnée par le maire de la commune. Considérant que le maire n’a donné cet ordre qu’à l’invitation du sous-préfet, Considérant enfin 13 • 14 • 15 • 16 • 17 •
« Programme des fêtes pour la naissance du roi de Rome », repris dans Le Journal de Saint-Palais, 16 juillet 1899. Baïlac, Les petites affiches, cité dans Cuzacq (1942 : 92). Mairie de Souraïde, Arch. com. Mairie d’Espelette, Arch. com., Délibérations, 19 octobre 1823. AD 64, Arch. com. Bardos, Délibérations, 1 D 1.
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La société du tambourin
que ce (genre) de dépenses est supporté par la commune que d’ailleurs la sous-préfecture n’a fourni aucun fonds à cet effet ». La commune paie 17 francs à chacun des deux individus pour paiement « de trois jours de leur art ». Un an après, la commune est toujours dans l’incapacité de payer les musiciens et reporte le paiement au budget de 1828. À Ciboure, la commune régale la jeunesse d’un repas et rétribue le joueur de violon Larralde, également chargé de l’éclairage, à l’occasion de l’entrée du duc d’Angoulême18. Saint-Jean-de-Luz paye également Larralde pour avoir joué au bal champêtre donné à la même occasion, et 18 femmes pour avoir porté le jonc qui a été répandu sur le passage du duc19. Comme le signalent R. Cuzacq et É. Ducéré, les appels aux danseurs basques se multiplient avec la poussée romantique durant le premier xixe siècle. En 1828, la duchesse de Berry est à Bayonne, et les villages sont à nouveau réquisitionnés : des groupes nombreux de Basques divisés par communes, ayant chacun son tambourin, sa bannière et son tambour en tête, entourant de tous côtés la voiture, exécutant tout en courant des danses nationales dont on trouverait difficilement ailleurs le type ou l’imitation, couverts de rubans et de couleurs vives et variées, la tête ornée de bouquets, les jambes et les bras garnis de grelots, toujours en mouvement, tournant en tous sens avec une souplesse et une agilité inexprimables, et ressemblant plutôt à des tourbillons de fleurs soulevées par les vents qu’à des hommes qui cherchent sur la terre un point d’appui ; leurs cris éclatants, ces cris qu’ils réservent pour leurs grandes joies, se confondaient avec les acclamations de la foule immense rassemblée sur le passage de la princesse […] (Walsh 1829 : 449)
Selon une communication de la Société des sciences lettres et arts de Bayonne (Fourcade et Daranatz 1932 : 220), la visite de la duchesse aurait également été l’occasion pour une ultime représentation de la Pamperruque bayonnaise. Ne comportant pas d’indication de source, cette affirmation est à considérer avec prudence, la dernière Pamperruque attestée ayant eu lieu en 1811 (Olazcuaga 2017 : 11, 22). Le bal offert par la ville le soir en revanche est d’un registre social et esthétique bien distinct. Les codes sociaux y sont néanmoins toujours marqués, même s’ils s’appliquent aux nouvelles danses à la mode. La duchesse y ouvre le premier quadrille avec M. Dubrocq, l’un des députés. Elle danse le deuxième quadrille avec M. de Bontemps colonel du régiment suisse en garnison à Bayonne ; le troisième avec Michel d’Arcangues, membre du Conseil municipal. Le lendemain, la duchesse se rend à Bidart, Guéthary et Saint-Jean-de-Luz. Une partie des danseurs basques de la veille précèdent la voiture à la sortie de Guéthary, ainsi que 100 jeunes filles vêtues de blanc qui forment la haie, et la garde d’honneur pour fermer la marche. Le Mémorial béarnais donne quelque précision sur le costume des danseurs basques : costume qui convient à la beauté de leurs formes et qu’ils ont eu le bon esprit de ne jamais abandonner […] culotte courte dénouée avec des boutons en métal à petites sonnettes, jarretières rouges pendantes avec des houppes, bas blancs, veste ronde en drap, cravate noire en sautoir, béret bleu sur l’oreille.
D’autres danseurs prennent pour ce jour « le costume des bohémiens et des maures », qui renvoie peut-être aux costumes des basa andere (dames sauvages) propres aux cortèges carnavalesques et charivariques. 18 • 19 •
AD 64, Arch. com. Ciboure, Registre des délibérations, 10 mai 1824. Dépenses extraordinaires occasionnées en l’année 1823 par les circonstances du passage de l’armée, de l’arrivée de SAR Madame, du retour en France de S.A.R. Mgr le Dauphin, et du passage en retour d’une partie de l’armée Comptes recettes et dépenses, AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, 1 L 2, 1816–1830.
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Xabier Itçaina
Si la provenance des danseurs n’est pas précisée dans ces comptes rendus, les recoupements avec les archives communales permettent de repérer certains villages et de noter au passage la hauteur des dépenses engagées. Bardos n’envoie pas moins de 44 jeunes dont trois tambourins le 23 juillet pour le passage de la duchesse de Berry, soit une dépense de 188 francs et 40 centimes avancée par le maire puis remboursés par la commune20. Cambo délègue pour sa part 22 jeunes gens, conduits par le maire, pour la même occasion, ce qui génère une dépense de 221 francs pour la commune21. Saint-Pée envoie sa jeunesse à Saint-Jean-de-Luz pour le passage de la duchesse, et dépense 142 francs correspondant à une barrique de vin rouge, au pain consommé, au transport et au salaire de deux tambourins et d’un tambour. La municipalité entend ainsi faciliter à la jeunesse l’élan qu’elle manifestoit de vouloir se porter à son passage pour lui manifester la joie que sa présence occasionnoit dans le pays. Il est convenu que la commune contribuerait à la dépense qu’elle croit devoir être faite pour soutenir le zèle et l’élan de cette jeunesse en lui fournissant quelque moyen d’existence afin de pouvoir constamment l’avoir réunie observant le meilleur ordre22.
La commune d’Espelette s’acquitte quant à elle de 192,50 francs à l’occasion du passage de la duchesse23, Urrugne en a pour 438,42 francs. La ville de Saint-Jean-de-Luz, mobilise sa jeunesse et sert des rafraîchissements aux jeunesses de Saint-Pée et d’Ahetze, paye trois musiciens, dont Larralde, pour avoir joué durant la réception de la duchesse, et un canotier pour l’avoir transporté en bateau à Irun et Fontarrabie24. Ces mobilisations, à vrai dire, résultent d’une spontanéité toute relative. À l’instar des Entrées d’Ancien Régime, ce sont les autorités étatiques qui enjoignent les maires à envoyer des danseurs. Le 18 juillet 1828, le sous-préfet écrit en ce sens au maire de Saint-Jean-de-Luz à l’occasion du passage de la duchesse de Berry à Bayonne : Les Basques ont été admis à l’honneur insigne de donner à ces illustres voyageurs, au milieu des expressions d’amour et de fidélité que faisait éclater leur présence, le spectacle de danses nationales. Les habitants de votre canton toujours avides de voir un Bourbon, seront non moins jaloux de profiter aujourd’hui de la prérogative qu’ils doivent à un antique usage, et je ne doute pas qu’ils s’empresseront autour de la mère du nouvel Henri ; mais pour régulariser leur concours, je vous engage spécialement à choisir quelques couples de danseurs, qui vêtus s’il se peut du costume usité, se rendraient à Bayonne au jour qui seroit indiqué. Je vous prie de vous concerter avec les Maires de votre canton et me faire connaître combien de ces couples vous pourrez préparer. […]25
On notera que le sous-préfet demande « quelques couples de danseurs », alors que le modèle systématiquement déployé en des occasions similaires est celui de compagnies de danseurs kaxkarot, alors exclusivement masculines. Le maire de Biriatou, quant à lui, décline poliment la demande du sous-préfet relayée par le maire de Saint-Jean-de-Luz, n’ayant pas dans la commune « de jeunes gens amateurs à ces sortes de danses »26. 20 • 21 • 22 • 23 • 24 • 25 •
AD 64, Arch. com. Bardos, 1 D 1, Délibération du 20 avril 1829. Mairie de Cambo-les-Bains, Arch. com., Délibération du 20 décembre 1828. Mairie de Saint-Pée-sur-Nivelle, Arch. com., Délibération du 30 août 1828. Mairie d’Espelette, Arch. com., Délibération du 21 septembre 1828. Bidart et Ustaritz mentionnent des dépenses extraordinaires pour le passage de la duchesse de Berry. AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, 1 L 2, Comptes recettes et dépenses, 1816–1830. AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, 3 K 1, Lettre du sous-préfet au maire de Saint-Jean-de-Luz, 18 juillet 1828.
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La société du tambourin
Le 7 juillet 1839, Bayonne accueille pour sa première venue le duc de Nemours. Le 8, « de jeunes basques » revêtus de costumes blancs et bariolés animent les rues de la ville « au son du galoubet et du tambourin » exécutant « les danses cantabres si vives et si animées »27. Le 28 août 1839, Bayonne reçoit le duc et la duchesse d’Orléans. À cette occasion, des députations de gardes rurales et une soixantaine de cavaliers basques, commandés par le comte Garat d’Ustaritz, vêtus d’une veste rouge et coiffés d’un béret bleu, formaient une escorte […] une cinquantaine de petites filles vêtues de blanc, qui jetèrent des fleurs à la princesse. Pendant la marche, quelques basques exécutèrent leurs danses nationales aux sons du galoubet et du tambourin. Ces danses parurent beaucoup étonner et amuser la duchesse d’Orléans et Mme de Montesquiou sa dame d’honneur […] (Ducéré 1902 : 233)
Le 18 août 1845, le duc et la duchesse de Nemours sont reçus à Bayonne avant d’entamer un périple au Pays basque et en Béarn. Selon un protocole désormais bien établi, sont passés en revue les gardes nationales rurales, la garde à cheval de Bayonne, la garde à cheval basque, la compagnie des sapeurs-pompiers, les troupes en armes de la garnison. Deux troupes de danseurs venus d’Arcangues et de Cambo précèdent la voiture de la princesse en exécutant leurs danses au son du tambourin. La voiture est suivie de presque tous les maires de l’arrondissement et des fonctionnaires (Ducéré 1902 : 239–243). Le passage des ducs de Nemours donne lieu à des dépenses conséquentes. Le compte détaillé des dépenses des danseurs de Cambo donne une idée plus précise du coût du déplacement mais aussi de la richesse des costumes confectionnés à cette occasion : Tableau : Dépenses diverses à l’occasion de l’arrivée de leurs altesses royales Mgr le duc et Madame la duchesse de Nemours à Cambo, 9 septembre 1845 – Compte des danseurs
Juillet 24
26 • 27 •
gros de naple de trois couleurs pour le petit drapeau
12,90 c.
au de calicot pour les baguettes
1,80 c.
facture de chez M. Tastet
60,50
Calicot pour garnir les épaulettes
1,80
Ruban pour les épaulettes de chez Mme Pelletier
41,25
Façon à Mlle çipa
8,40
Echarpe de soie
16,67
Franges d’argent pour les écharpes et houpettes de berret
9,20
Façon chez la modiste
1,50
21 berrets garnis des fleurs, prix convenus
105,00
13 mètres galon d’argent pour le berret
10,40
21 paires d’alpargates à 1,20 de chez Gracieuse
25,20
Calicot rouge pour le dessus des alpargates et pour recevoir le grelot
3,85
AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, 2 R 5, Lettre d’Aprendisteguy, maire de Biriatou au maire de Saint-Jean-de-Luz, 20 juillet 1828. Le Phare, 9 juillet 1839, cité dans Hourmat, 2004 : 311.
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Xabier Itçaina
Couturière tipitho 5 jours, marie celhay 3 jours, Paure (?) 3j., Aynessenia 6 jours et Oyhambourouya 4j. et ½ pour coudre les petits drapeaux et pantalons [Juillet 24]
27,50
Fil de soie, plus 6 au ruban chez Gracieuse
1,70
Grelots chez Fagalde père
2,00
21 paires gants à 70c la paire
14,70
Chalant pour aller à Bayonne à 60 c. par personne
12,60
À la repasseuse pour les épaulettes drapeau, berrets & &
6,50
700 grelots achetés à Bayonne pour remplacer ceux perdus à Bayonne pendant leur séjour
6,90
Ruban chez Gracieuse
0,60 (total)
371,97 c.
Octobre 1er
Octobre 9
21 personnes pendant 2 jours à Bayonne à raison de 8 francs par tête (chez Charles Blaise)
168,00
11 paires pantalon de Nankin
34,50
Argent compté à eux même
8,00
Un dîner chez Marie Oscaranza
42,00 Sources : Mairie de Cambo-les-Bains, archives Robert Poupel
S’y rajoutent les frais des deux musiciens (Egnaut et Pierre) et du tambour d’Espelette. À Espelette, les ducs sont accueillis par les gardes d’honneur de Cambo et des villages environnants. Les visiteurs devant passer par Cambo le 9 septembre, la municipalité prévoit qu’« il y aura danse cantabrique par 25 jeunes gens ». Un ensemble de jeunes filles doit leur adresser un compliment et présenter une riche tulipe en or supportant des fleurs. Les camboars offrent un costume de danseur basque pour le comte d’Eu, l’enfant des ducs, âgé de 4 ans. Les danseurs accompagnent le cacolet à la sortie de Cambo vers Hasparren. À Hasparren, le couple ducal est accueilli par une délégation de la jeunesse et par des couplets déclamés par le bertsulari réputé Larralde-Bordaxuri28. À Saint-JeanPied-de-Port, c’est une garde d’honneur composée de 30 hommes à cheval qui les accueille. Dans la ville, toutes les Gardes nationales du pays, soit environ 2 500 hommes, sont mobilisées. À Mauléon, c’est la garde d’honneur et 40 danseurs qui sont mobilisés. Aux Eaux-Bonnes, en vallée d’Ossau, la musique ossaloise, tambourins et flûtes, et des couples exécutant les passe-carrères et arrenihlets.29 À Saint-Jean-de-Luz, outre la Garde nationale locale, les « gens de la campagne », soit ceux du quartier d’Acotz, viennent avec leur tambourin30. 28 •
29 • 30 •
Les six strophes de Bordaxuri sont publiées dans Le Phare des Pyrénées du 17 septembre 1845 (Coplac Larralde Bordachouri, Haspandarrac, 1845eko 7aren 9an emanic, Nemourseco iaoun duque eta Andere Duquessaren ohoretan). Voir aussi les chants composés à l’occasion du passage des ducs à Tolosa et Pampelune, Le Phare de Bayonne, 5 septembre 1845. Sur les détails du périple, voir Le Phare des Pyrénées et la Sentinelle des Pyrénées tout au long du mois de septembre 1845. AD 64, Arch. com. Saint-Jean-de-Luz, 3 K 1.
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La société du tambourin
Illustration 10 : Danseurs et tambourins à l’occasion de la visite à Cambo du duc et de la duchesse de Nemours en 1845 (L’Illustration, 23 octobre 1845, source : Special Collections, John M. Kelly Library, University of St. Michael’s College, Toronto)
La venue de Napoléon III à Bayonne et au Pays basque en 1854 semble avoir été l’une des dernières occasions où le modèle ancien des Entrées dansées est mobilisé. Le 22 juillet 1854, l’Empereur est à Bayonne. À cette occasion, une troupe de danseurs basques exécute leurs « danses nationales » depuis la porte de France jusqu’à la porte d’Espagne (Ducéré 1902 : 22). Le 20 septembre, initiant en cela les circuits du tourisme moderne, le couple impérial se rend aux grottes de Sare. Ils traversent Saint-Pée, qui dépêche des danseurs pour les accompagner durant la traversée du bourg. Les jeunes gens, tout comme les pauvres de la commune, bénéficient alors de leurs largesses31.
31 •
« […] Leurs majestés m’ont remis pour les pauvres de la commune une somme de 200 francs. De plus leurs majestés ont donné 60 frs aux jeunes gens qui étaient allés les recevoir à l’entrée du bourg et les ont accompagnés en dansant jusqu’à une certaine distance du village. Comme toujours, les pauvres qui se sont trouvés sur le passage de leurs Majestés ont reçu d’abondantes aumônes », Mairie de Saint-Pée, Arch. com., Lettre du maire de Saint-Pée au sous-préfet de Bayonne, 21 septembre 1854.
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Xabier Itçaina
Dès lors, et à quelques exceptions près, l’appel aux danseurs basques comme escortes d’honneur semble cesser, alors que la mobilisation des Gardes nationales et corps militaires continue32. Ce qui n’empêche pas les villages de mobiliser leurs danseurs ponctuellement à l’occasion du séjour de telle personnalité. À Bidart en mars 1895, soit en période des quêtes de carnaval, huit danseurs du village se rendent au château où résident Nathalie, reine de Serbie, et son fils Alexandre, et leur donnent la kaxkarot dantza, la danse des bâtons makhila dantza et les sauts Mutxikoak. Voyant là une forme d’évergétisme, le correspondant d’Eskualduna signale que « la jeunesse de Bidart a prouvé qu’elle sait montrer sa reconnaissance aux bienfaiteurs du village »33. La même Nathalie de Serbie avait, en mai 1894 à l’occasion de la fête de la Vierge d’Uronea, offert des prix pour des défis de pelote, de sauts basques et de danse des bâtons exécutés au son de la xirula. Erramun Olazabal l’emporte pour la pelote, Chimun Etchemendy, « défié dans tout le Labourd », aux Mutchikoak et Léon Etcheberry à la danse des bâtons34. À Biarritz en mars 1889, le Comité des fêtes mobilise une troupe de danseurs basques, dont on ignore la provenance, pour exécuter devant la reine Victoria le saut basque « avec l’accompagnement obligé du chirola et des bâtons »35. Un ménétrier indispensable aux rituels intracommunautaires : la dantza luzea (danse longue) comme dispositif symbolique Aux yeux des habitants, la mobilisation voire la réquisition de la jeunesse pour rendre les honneurs aux personnalités de passage est très loin de résumer la fonction sociale de la danse et de la musique. La danse continue tout au long du xixe siècle d’incarner la dimension protocolaire de représentation des classes, sexes et ordres internes à la communauté que l’on a pu repérer pour les siècles précédents. Les ménétriers en sont conscients et ajustent leur répertoire aux exigences de la communauté. De façon significative, la danse en chaîne, dans ses différentes appellations, dantza luzea (danse longue), dantza khorda ou soka dantza (danse-corde), est propre à certaines circonstances. Son organisation, pour peu qu’elle se tienne hors des contextes purement récréatifs, ne doit rien au hasard. Elle constitue en ce sens prolongement des danses longues du xviiie siècle dont nous avons souligné l’importance symbolique voire politique. Au début du xixe siècle, la danse longue est pratiquée jusqu’aux confins du nord du Labourd et de la Basse-Navarre. Le 26 thermidor an XII, Damestoy, maire de Bardos, vue la demande qui lui a été faite, prend une ordonnance de police permettant la tenue de la danse longue sur la place de la commune à trois occasions de l’année : les 27 et 28 juin, et le 16 août, lendemain de la fête locale : qu’à tout autre espèce d’amusement, exclusivement la place ne soit occupée les deux après dîners de demain vingt-sept et après-demain 28 juin et lendemain de notre fête locale de la Notre Dame en quinze août que par la Danse longue qui y a lieu tous les ans à la même époque d’après l’usage existant depuis un temps immémorial.
32 • 33 • 34 • 35 •
Voir pour Saint-Jean-de-Luz le dossier 3 K 1 pour les passages de personnalités tout au long du xixe siècle. Eskualduna, 1er mars 1895, traduit du basque. Eskualduna, 18 mai 1894, traduit du basque. Le Mémorial des Pyrénées, 24 mars 1889.
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La société du tambourin
Considérant que cette demande n’étant fondée que sur un usage antique, qu’aucun autre postérieur ni loi ni disposition de loi n’ont point abrogé ni même altéré, la police ne peut qu’accueillir le vœu émis, pour que d’après son ordonnance la tranquillité publique n’éprouve point la moindre atteinte. Considérant en outre que si l’autorité locale (responsable des délits qu’elle aurait pu ou dû prévoir), intervenait pour le règlement dont s’agit, une rixe pourrait suivre de son inaction, et que pour ce double rapport, tout lui fait un devoir de déployer celle que la loi et les règlements de police permettent en son pouvoir. Pourront se livrer les deux après dîners de demain vingt-sept, jour anniversaire de notre fête locale de la notre Dame au quinze août, et après-demain vingt-huit jusqu’au soleil couchant à un amusement qu’ils ont de tout temps usité, connu sous le nom de Danse longue sur la place donnant en face de la présente Église. 2° il est présentement défendu à qui que ce soit, notamment aux joueurs de paume, d’interrompre cet amusement à peine, pour les contrevenants d’être arrêtés sur le champ et traduits dans un prétoire pour être ensuite dénoncés au substitut, magistrat de sûreté en quatrième [?] à Bayonne comme perturbateur du repos public. 3° le commandant de la Garde nationale sédentaire et celui de la gendarmerie appelés et invités par le maire pour maintenir l’ordre et la tranquillité dans la commune, conjointement avec nous, sont spécialement chargés de l’exécution de la présente ordonnance de police. […]36
Un témoin de 1817 signale, visiblement à Cambo, une danse longue menée par le maire, une feuille de laurier à la main, menant l’ensemble de la population à la place, où se danse ensuite le saut basque37. En 1823, Étienne Boucher de Crèvecœur décrit une dantza khorda itinérante à Espelette au son du tambourin et de la xirula, sans en préciser le contexte mais en signalant que le premier et le dernier danseur « font tous les frais de la danse ». Les sauts basques et la contredanse avaient été suivis de la farandole, qui ne se danse que dans les grandes occasions. Une longue file de danseurs et de danseuses se tenant par le bout de leurs mouchoirs, avait parcouru les rues du village, précédée du chiroula et du tambourin. Celui qui conduisait la file (le roi de la tête) et le dernier de tous (le roi de la queue) faisaient tous les frais de la danse ; de temps à autre, le cortège s’arrêtait pour leur laisser le loisir de montrer leur savoir-faire, et alors ils s’évertuaient à qui mieux mieux, à la grande satisfaction de tous les assistants, qui les admiraient dans le même recueillement silencieux avec lequel ils avaient assisté au service divin et écouté les chants d’improvisation. Leur danse ne brillait pas beaucoup par la grâce et le fini des pas : un mouvement perpétuel de jambes et de pieds faisait le fonds de leur talent, qui, certes, devait bien peu de choses à l’art mais au moins ne pouvait-on leur refuser beaucoup de légèreté et une grande précision de mesure […] (Boucher de Crèvecœur 1823 : 13)
C’est encore une danse en chaîne, ou plutôt plusieurs danses en chaîne simultanées qui sont effectuées en l’honneur des ducs de Nemours à Cambo en 1845, selon la représentation qu’en donne l’Illustration du 23 octobre 1845. En 1852, c’est une danse longue appelée Pamperruka, dont le nom évoque inévitablement la danse d’honneur bayonnaise, qui est organisée pour faire honneur au maréchal Harispe dans son château de Lacarre par la jeunesse de Saint-Jean-Pied-de-Port : 36 • 37 •
AD 64, Arch. com. de Bardos, arrêtés du maire, 2 D 1. Œuvres complètes d’Etienne Jouy, de l’Académie française ; avec des éclaircissements et des notes. Essai sur les moeurs, t. viii, Paris, 1823, t. i de l’Hermite en province : pour la pamperruque, p. 90 (lettre n° 8, 29 mars 1817), pour le Mutxiko (p. 135–137, lettre n° 12, 17 mai 1817).
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Xabier Itçaina
Nos ancêtres faisaient, dans les occasions solennelles, une danse appelée Pamperruka, dont je ne vous expliquerai point l’origine non plus que l’étymologie du nom. Cette danse s’exécute en file, le cavalier et sa demoiselle à côté. Ceux-ci sont distancés par un ruban d’environ 60 centimètres qu’ils tiennent des deux bouts. En tête se présentent le Prince et la Princesse, choisi par les danseurs : ils sont en grand costume. Inutile de dire que les enfans [sic] de toutes classes y sont des Messieurs et des Demoiselles : celles-ci sont en toilette de bal ; les cavaliers sont aussi en blanc, sauf les turbans qu’ils portent en couleurs mélangées de blanc et de rouge et les ceintures de soie amarantes. Le départ du cortège a eu lieu à midi et demi, tambours, clairons et musique en tête, précédé d’une nombreuse cavalcade. Au haut de la place, les Demoiselles sont montées dans des voitures qui les y attendaient. Arrivés au village de Lacarre, les danseurs et les danseuses se mettent en rang ; la musique joue, ils se présentent au Château ; le vénérable Maréchal les accueille avec cette grâce qui n’exclut pas la dignité. Il donne le bras à la Princesse, qu’il conduit au salon avec le reste du cortège. Le Prince lui adresse un petit discours Basque, qu’il écoute avec bienveillance. La Princesse lui présente un bouquet ; il l’en remercie et l’embrasse. En recevant les hommages de jeunes compatriotes, il ne peut se défendre contre une émotion qui gagne toute la société. La Pamperruque fait place aux contredanses, aux sauts basques et aux valses, auxquels prennent part des parens du Maréchal et autres personnages. […]38
Cette danse a eu de son importance pour la représentation symbolique des ordres sociaux de la commune. Comme mentionné plus haut, la danse en chaîne de Cambo en 1817 est dirigée par le maire, une feuille de laurier à la main. À Irissarry, en 1893, à l’occasion des fêtes patronales de la Saint-Jean, une dantza korda exceptionnelle est organisée avec l’objectif affiché de renforcer l’unité du village. Plus de 100 danseurs participent à une chaîne intergénérationnelle dirigée et conclue par deux conseillers municipaux : […] les nombreux forains, venus de dix lieues à la ronde, ont pu contempler le magnifique passe-rues, fait, en plein après-midi, par plus de cent danseurs et danseuses, et dans lesquels des hommes de plus de soixante ans se mêlaient aux jeunes gens encore imberbes, et donnaient crânement la main à la compagne de leur choix. La cadence de ce cordon interminable harmonisait admirablement avec le son d’une musique déjà ancienne. Il nous a été donné aussi d’admirer en cette circonstance exceptionnelle l’agilité quasi-proverbiale du leader (si on peut s’exprimer ainsi) de cette manifestation vraiment patriotique, la belle prestance de ce père de seize enfants dansant en tête de la colonne et donnant la main à une jeune et gentille héritière ; et la tenue non moins correcte de cet autre conseiller municipal, également père de famille, qui formait l’arrière-garde de ce qu’on appelle dans le Pays basque le dantza khorda. Cette réjouissance publique des temps jadis, qui ne revient sur le tapis que tous les vingt ou trente ans, avait été exhumée cette année, fort à propos, non pour diviser la population, mais bien comme le symbole de l’union et de la concorde. […]39
Les occasions de la danse longue sont variées. En 1838, à l’occasion de l’inauguration des forges et des hauts fourneaux de Mendive, « une jeunesse nombreuse habillée de blanc, ceintures rouges et bérets bleus garnis de rubans rouges » sort à la rencontre des patrons des forges, des maires et des notabilités du pays « avec des tambourins et des violons » et les accompagne jusqu’à l’usine. Pendant le dîner « des farandoles d’ouvriers, ménétriers en tête, se sont succédées »40. Surtout, et dans bien des villages labourdins et bas-navarrais, la dantza korda ou dantza luzea (danse longue) est donnée après vêpres les dimanches de la Fête-Dieu et de l’Octave. La danse s’or38 • 39 • 40 •
Sallaberry, Le Mémorial des Pyrénées, 25 mars 1852. Le Réveil basque, 9 juillet 1893. Le Mémorial des Pyrénées, 13 octobre 1838.
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donne alors selon une étiquette précise, avec une hiérarchisation des participants en fonction du rang de la maison ou – principe plus neutre – de l’alternance entre quartiers. Ce principe était en vigueur pour l’organisation de la dantza khorda à Itxassou pour la Fête-Dieu, à Valcarlos pour les fêtes patronales, à Sare pour le carnaval. La dantza khorda est mentionnée en 1888 à la Fête-Dieu de Gréciette, elle est exécutée après vêpres par le tambour et la xirula sur l’air d’Agur Estebe41. À Cambo, en 1890, c’est sur la même mélodie, exécutée à la xirula et au tambour qu’une farandole composée d’une quarantaine de jeunes hommes et jeunes filles se forme sur la place du jeu de paume avant de parcourir les rues de la commune, toujours après les vêpres de la Fête-Dieu et de l’Octave42. Nous avons également retrouvé le souvenir de la dantza khorda de la Fête-Dieu pour l’entre-deux-guerres ou l’immédiate après-guerre à Halsou, Urcuray, Bidarray.
Illustration 11 : Dantza khorda à l’occasion de la visite à Cambo du duc et de la duchesse de Nemours en 1845 (L’Illustration, 23 octobre 1845, source : Special Collections, John M. Kelly Library, University of St. Michael’s College, Toronto)
Généralement tolérée par le clergé, la dantza khorda de la Fête-Dieu est pourtant interdite aux congréganistes à Cambo en 1887, interdiction dont plusieurs d’entre elles semblent ne pas faire grand cas selon le commentaire ironique du Réveil basque : […] La jeunesse ayant monté la dantza corda suivie d’un bal, une des congréganistes s’en était allée à la dantza corda, et une autre fille du Bas-Cambo était restée simplement à regarder, mais elle avait un garçon fâché avec le vicaire, et les deux ont eu trois mois de suppression. Je vais vous dire également qu’il y a eu le 14 juillet un grand bal au Haut-Cambo, et que trois jeunes congréganistes ont aussi glissé vers la danse, elles ont été relevées également pendant trois mois. Ensuite sont venues les fêtes patronales, et là tout le troupeau s’est dispersé, toutes les congréganistes sont venues à la musique, beaucoup ont dansé et celles qui ne l’ont pas fait sont restées à regarder, mortifiées en réalisant ce qu’est l’esclavage […]43
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Eskualduna, 8 juin 1888. La Fête-Dieu est organisée par « la jeunesse formant Garde nationale ». Eskualduna, 20 juin 1890. Voir 29 mai 1891, pour le Congrès de l’Association pyrénéenne à Cambo, « après la partie de blaid, danses basques au son du chirula et du tambour ». Bernard Hirigoity, Le Réveil basque, 21 août 1887, notre traduction du basque.
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Plus fondamentalement encore, la dantza khorda, à l’image du branle de la mascarade souletine, est l’une des rares danses mixtes exécutées sur la place publique, avant l’introduction des contredanses et diverses dantza lotuak (danses de couples, litt. “danses attachées”). Si plusieurs témoignages attestent de la participation des femmes aux sauts basques sur la place publique aux xviie et xviiie siècles, celle-ci semble se restreindre fortement au xixe siècle, sans doute du fait du rigorisme religieux. En revanche, la dantza khorda reste mixte et hiérarchisée. Les témoignages les plus anciens témoignent du soin particulier apporté au choix des jeunes femmes occupant les places d’honneur de la dantza khorda, à la tête et à la queue de celle-ci. À Itxassou, si l’alternance entre quartiers était la règle pour la désignation des jeunes hommes occupant ces postes, il était d’usage jusqu’aux années 1960 d’inviter la fille de la première maison la plus proche de la place pour la première main de la danse (cf. chap. 4). La règle spatiale permet alors d’objectiver le choix et d’éviter, du moins en théorie, tout litige. Des témoignages plus anciens font état d’un temps où la constitution des couples de la dantza khorda le devait à d’autres enjeux. Loin d’être spontanée, la mise en relation des partenaires a pu en son temps faire l’objet d’invitations et de tractations préalables. À Hélette, en 1857, Marianne Perisson, couturière de 26 ans, témoigne ainsi des démarches de préparation, qui commencent alors dès le jeudi précédant la Fête-Dieu (Besta Berri xahar) : Dans la nuit du jeudi vers 11 h du soir Gratien Irusbehere vint dans la maison que j’habite pour me prier de faire la tête de la danse longue usitée à l’occasion de la Fête-Dieu qui devait être célébrée le dimanche suivant et à la huitaine après. Je lui refusai ce service […]44
Observé à Hélette au milieu du xixe siècle, l’usage est confirmé pour les terroirs voisins. Mayi Elissagaray relate dans un récit de mœurs l’organisation, pour le dernier quart du xixe siècle, d’un après-midi de jantza khorda autour de Macaye et de Louhossoa pour le retour au village d’une riche héritière à sa sortie de pension. Romancé, le récit a cependant valeur ethnographique et informe sur l’une des circonstances d’exécution de la dantza khorda : « C’était comme l’entrée dans le monde des héritières de bonne maison » (Elissagaray 1961). Quelques jours à l’avance, le fils aîné d’une famille de statut équivalent vient prier les parents de la jeune fille de la lui accorder pour partenaire dans la danse qu’il se propose de conduire. Ils acceptent dans la mesure où ils voient en lui un parti souhaitable. Au dimanche fixé, après vêpres, la jeunesse se rassemble aux abords de l’église. Les jeunes filles ont leurs robes des grandes fêtes. Les jeunes gens sont en blouse noire paysanne et ceinture rouge ; le fils de gros propriétaires portent la veste. L’héritière prend la tête de la chaîne derrière son cavalier, qui tient de la main libre un bouquet. Les autres couples se placent « à leur suite, par ordre d’importance, reliés par un mouchoir ». La farandole se déroule « à travers champs et sentiers » et revient à son point de départ. Suit une collation. 44 •
AD 64, Justice de paix du canton d’Iholdy, 4 U 12/21, 13 août 1857. Irusbehere, laboureur de 24 ans, reconnaît pour sa part s’être rendu à la maison d’Olha « ayant besoin de faire quelque démarche pour avoir en qualité de danseuse Marianne Périsson » (ibid.). L’usage de l’invitation préalable a ses équivalents contemporains au sud de la frontière. À Vera de Bidasoa, village navarrais frontalier, il est d’usage que le jeune homme qui dirige la soka dantza effectuée après vêpres le jour de la fête patronale (3 août) se rende avant les fêtes chez la jeune fille qui dansera avec lui et lui offre un gâteau en guise de remerciement. Depuis les années 2010, la soka dantza étant désormais alternativement dirigée par une fille ou par un garçon, la réciproque est de mise.
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La danse est alors à la fois représentation de l’unité de la classe d’âge et des hiérarchies sociales. Un témoignage confirme cet état de fait pour l’Ostabarret en Basse-Navarre, vers 1826–1830. Dans son Voyage pittoresque dans les Pyrénées françaises Joseph-Antoine Cervini rapporte explicitement la structuration de la danse longue, qu’il observe près de Saint-Just-Ibarre, à la structure sociale des villages et à la distinction, juridiquement consacrée jusqu’à 1789, entre maisons anciennes et nouvelles : Pour l’intelligence des renseignements qui nous ont été communiqués et que nous allons consigner ici, au sujet des diverses danses du Pays basque, il faut que le lecteur sache que toutes les maisons d’un village quelconque sont connues dans un ordre établi jadis par l’ancienneté et que ce rang, indépendant de la place qu’elles occupent, mais consacré par la tradition, est toujours respecté par l’usage. Lors des fêtes locales, c’est immédiatement après vêpres que le bal commence : il est ouvert par la dame de la première maison du village, ou par la demoiselle de son choix. Elle est conduite par un cavalier qui porte une baguette, ornée de rubans, surmontée d’une pomme, et qui lui présente de la main gauche le bout d’un mouchoir qu’elle saisit de la main droite. Les autres couples, toujours séparés par un mouchoir se mettent en ligne à la suite de la première dame. Au bout opposé au premier cavalier et que l’on appelle la queue, est celui qui tient la dame de la seconde maison, destinée à remplacer celle qui reçoit actuellement les honneurs. La figure de cette danse, dite danse longue, ne dure que peu de secondes ; mais elle est renouvelée sans cesse, dans l’ordre indiqué par les personnes qui ne veulent pas y renoncer. Grave, monotone et presque mélancolique, la « danse longue » est bientôt suivie de celle dite les sauts basques […] Ils ont encore une danse plus relevée, et particulièrement en usage dans les villes pour les grandes occasions, on la nomme pamperruque. Les personnes les plus distinguées des deux sexes prennent part à cet amusement et se plaisent à y étaler leur grâce et un costume particulier aussi élégant que riche. Cette danse s’exécute au son du tambour et n’a lieu que la nuit […]. (Cervini 18261830 : 17)45
L’érudit bas-navarrais Sauveur Harruguet, bon connaisseur des usages de la province, précise en 1927 que « l’honneur d’ouvrir la file, de porter le rameau, se payait jadis ; il en était de même de l’honneur moindre attaché aux places suivantes, s’échelonnant à tarifs graduellement diminués » (Harruguet 1927 : 33). Originaire d’Hélette, le religieux salésien Michel Elissamboure (Hélette 1826 ; Hasparren 1895), relate de même dans un essai moraliste publié en 1889, la fonction de représentation des « bonnes maisons » de la dantza khorda de la Fête-Dieu. La scène se déroule vers 1834–1835, dans un lieu non spécifié. On peut néanmoins supposer que l’auteur s’inspire de ses propres souvenirs de jeunesse dans la région d’Hélette : Beraz nahi dauzuet erran, nik ere zer ikhusi nuen, lehenbiziko aldikotzat, orai duela berrogoi eta hamabost urthe, Besta Berri batez, bezperak ondoan. Iduri zaut oraino begien bistan dudala plazaren erdian, gure herriko etxeko jaun handienetarik bat, dantza khordaren buruzagi. Hein bat ederki pharatzen zen, atxikitzen zuela, ezkerreko eskuan, zaharo edo xiri luze baten puntan, bi sosen xingola gorriz eginikako floka bat. Eskuinaz tiratzen zuen etxeko seme eta etxeko alaba onek egiten zuten khorda luze luzea. (Elissamboure 1993 [1889] : 106) Je veux donc vous dire, moi aussi, ce que j’avais vu pour la première fois il y a maintenant cinquantecinq ans lors d’une Fête-Dieu après vêpres. Il me semble encore avoir devant les yeux, au milieu de la place, l’un des plus grands maîtres de maison diriger la dantza khorda. Il avait fière allure et tenait de sa main gauche, au bout d’une longue tige, un nœud fait de ruban rouge à deux sous. De la main droite il tirait la longue longue chaîne constituée des bons fils et bonnes filles de maison (notre traduction)
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Voir aussi dans le même ouvrage p. 19 la gravure de Melling représentant la danse longue observée.
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Le rappel des hiérarchies villageoises se double, cléricalisme oblige, d’une lecture morale de la danse. Si elle est autorisée par le clergé, rappelle M. Elissamboure, c’est qu’elle donne toutes les garanties de moralité, et qu’en particulier les mouchoirs qui unissent (ou séparent) garçons et filles sont un moyen d’éviter tout contact physique : Bainan, ez duzue behar uste izan gazte heiek eskuz-esku zabiltzala ; ez, jaun eta andere gazte bakhotxaren artean, bazen, hetarik baten sakelako mokanesa. Ez niz sobera orhoit garbiak othe ziren mokanes heiek, ala urdin aire bat batzuten : nik dakitana da eskuak zikhindurik ere guti edo gehiago, bihotzak garbi beiratzen zituztela. (Elissamboure 1993 [1889] : 106) Vous ne devez pas croire que ces jeunes s’en allaient main dans la main. Non, entre chaque sieur et chaque dame, il y avait le mouchoir de poche de l’un d’entre eux. Je ne souviens plus si ces mouchoirs étaient propres où s’ils tiraient vers le bleu ; ce que je sais c’est que même s’ils salissaient peu ou prou les mains, ils conservaient les cœurs propres. (notre traduction)
Le même chroniqueur souligne l’importance de la figure des ponts (zubiak), qui voient les participants à la chaîne passer sous le foulard tenu par le premier danseur et sa cavalière, puis répéter la même manœuvre sous le foulard du dernier danseur et de sa cavalière. Bon nombre d’observateurs, à commencer par Juan Ignacio de Iztueta en 1824 et 1826, ont noté, dans le cas des danses en chaîne du Pays basque sud, la fonction de sélection des zubiak aux xixe et xxe siècles, le rejet du danseur ou de la danseuse étant signifié par l’abaissement du mouchoir par le premier couple. Le souvenir d’une telle pratique était encore vif au début du xxe siècle dans la vallée du Baztan, cette fois à destination des cagots ou réputés tels. L’on ne dispose pas, pour les provinces basques du nord, de témoignage attestant de pratiques discriminatoires du même ordre, mais au vu de la vigueur des litiges liés à l’ordonnancement de la danse au xviiie siècle dans les villages labourdins et bas-navarrais (chap. 2), rien ne permet d’écarter cette hypothèse. En Labourd et Basse-Navarre, quelques témoignages anciens signalent des dantza khorda dirigées par des femmes. L’écrivain basque l’abbé Jean Elissalde « Zerbitzari », curé de Gréciette entre 1932 et 1961, signale que dans ce quartier de Mendionde, les anciens se souviennent qu’en lieu et place d’un ancien, c’est la fille de la plus grande maison qui se plaçait en tête de la chaîne, une feuille de laurier à la main (Elissalde 1985 : 22). . Le folkloriste R. M. De Azkue a pour sa part recueilli à Ustaritz une chanson mentionnant à Isturitz – non loin de Gréciette – une chaîne dirigée par une femme : 1. Behin batez yoan ninduzun Isturitzeko plazalat, Andre eder bat ikusi nuen Dantza buruan zuhala. 2. Atsoño bati galde egin nion – Nongoa da andre eder hori ? – Murde Belzuntz : hori duzu Agerreko alaba. 3. Agerreko anderea, Hitz batez adi nezazu : Zure alaba Kattaliñaño Emaztetako indazu. […] (de Azkue 1922–1925)
1. Je me rendis un jour Sur la place d’Isturitz, Je vis une belle dame Qui allait en tête de la danse. 2. Je demandai à une vieille femme D’où est cette belle dame ? Monsieur Belzuntze : c’est La fille d’Agerrea. 3. Dame d’Agerrea, Écoutez-moi d’un mot : Votre fille Kattaliñaño Donnez-la moi [indazu : faites-la moi] pour épouse. […] (notre traduction)
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Le chant continue en expliquant que la jeune femme est déjà promise, etc. Dans sa brièveté, l’extrait mentionnant la danse informe sur l’accès des femmes à la position honorifique à la tête de la danse, sur la corrélation entre cette position et la classe sociale – une héritière (etxeko alaba) mène la danse – mais également sur le rôle de la danse comme rituel de présentation publique de la jeunesse « à marier ». La noce proprement dite est précisément l’une des autres grandes occasions d’exécution de la dantza korda. Dans une description assez précise de ses différentes étapes en pays bas-navarrais, Mme D’Abbadie d’Arrast décrit en 1895 la « farandole » qui a lieu après le banquet. Exécutée dans un contexte plus récréatif, la danse n’en suit pas moins un ordonnancement spécifique, toujours fondé sur la différenciation des rôles : Le garçon d’honneur la conduit ; les invités se tiennent les uns les autres par leurs mouchoirs; un violon les accompagne et ils s’en vont ainsi, dansant par les rues du village. Le marié doit déjà pâtir : il est relégué sur les côtés de la farandole, il marche tout seul et porte sous chaque bras, avec une résignation touchante, une bouteille de vin. Il tient un verre à la main, et à chaque passant qu’il rencontre, son devoir est d’offrir un verre de vin. Or, on ne se fait pas faute d’user de sa bonne volonté. Pendant que les gens de la noce dansent, il verse à boire de l’air d’un homme bien ennuyé de son rôle ridicule. Après avoir fait plusieurs fois le tour du village, la farandole entre pour se reposer et se rafraîchir à l’auberge les cavaliers servent à leurs danseuses des verres d’eau sucrée et des sirops, chose très appréciée dans le pays. Vers dix heures, on revient à la maison, toujours chantant et dansant ; le souper est servi. On se remet à table, on soupe, puis, après souper, on achève la nuit dans les danses au son du flageolet et de l’instrument à cordes que les Basques appellent le chiroulire, qui est une sorte de petite guitare sur les cordes de laquelle on frappe avec un bâton. (Abbadie d’Arrast 1895)
D’Abbadie d’Arrast décrit ainsi, selon toute probabilité, l’usage tel qu’elle a pu l’observer dans son propre pays de Baïgorry. On notera que s’est maintenu dans la vallée voisine du Baztan, l’usage d’exécuter la soka dantza avec un homme suivant la chaîne et servant à boire du vin au passant, souvenir probable du rôle dévolu à l’époux lors des noces. L’usage d’exécuter la dantza khorda à cette occasion était encore en vigueur dans plusieurs villages bas-navarrais il y a peu, nous en avons témoignage à Arnéguy pour les années 1990. Dans les années 1950–1960, il était également d’usage courant d’exécuter la dantza khorda en Basse-Navarre comme dernier acte de la fête patronale, de façon purement récréative cette fois. Plusieurs témoignages du xixe siècle, comme É. Boucher de Crèvecœur en 1823, indiquent par ailleurs la présence de la xirula et du tambourin précédant les riches cortèges nuptiaux, avec « un veau ou un mouton ornés de rubans », les jeunes filles portant sur leur tête « les corbeilles qui contenaient divers mets, des pâtisseries, du vin, etc. » qui précèdent la noce (Boucher de Crèvecœur 1823 : 27). Le devenir de la dantza khorda varie selon les territoires. La danse est abandonnée de façon précoce dans certains villages de la côte labourdine. Jean-Martin Hiribarren rapporte le dépit du capucin Clément d’Ascain (1696–1781) lorsqu’à son retour de Paris, dans le courant du xviiie siècle, il constate que la danse longue a été abandonnée à Ascain :
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Paristic landa zuen, minekin ikusi Dantza-soka zutela Azkaindarrek ihesi : Han arte igandetan, lerroan guciac, Estaltzen cituztela plazaco heguiac, Ematen ziren chutik, bozcario yari, Mocanesak hedatuz, zaharrec gazteri. Agure zaharrena yartzen cen buruan, Erramuzco adar bat zuela eskuan ; Hark zuen lehenari mocanes hedatzen Eta guciac ciren saltoca seguitzen
En revenant de Paris, il constata avec peine que les habitants d’Ascain avaient fui la farandole : Jusque-là et chaque dimanche, tous en file, ils couvraient les bords de la place, ils se mettaient debout et pleins de joie, les anciens tendant les mouchoirs aux jeunes. L’aïeul le plus âgé se mettait à la tête, une branche de laurier à la main ; C’est lui qui tendait le mouchoir au premier/ à la première et tous suivaient en sautant (Hiribarren 1853 : 100, notre traduction)
Paul Louis, l’un des contributeurs au concours de chants des Jeux floraux d’Urrugne en 1856, déplore également l’absence de la danse longue lors de ces festivités : Lehen ikusi ditut asko herrietan Soka dantzak ibiltzen denen lorietan Zertako ez da hori Urruñan ohitzen, Harat eskualdun oro direnean biltzen ?
J’ai vu auparavant et dans beaucoup de villages Que tous allaient en farandole et en étaient ravis Pourquoi cela ne se fait-il pas à Urrugne, Lorsque tous les Basques s’y rassemblent ? (notre traduction)
Dans le même temps cependant, d’autres couplets produits à l’occasion du même concours – le sujet imposé étant la fête votive (Eliza besta) – indiquent que les instruments de musique coutumiers sont toujours en vigueur dans ce village labourdin et aux alentours. Le bertsulari d’Urrugne JeanBaptiste Larralde indique « Ez thanburin, xirola soinuz guziak airosten gira » (nous nous réjouissons aux sons du tambourin et de la xirula). Arnaud Haramboure, chantre d’Urrugne, dans ses Kantu berriak herriko bestaren gainean (nouveaux chants sur la fête patronale) indique également : « xirola, tanbulina, gatanbore jotzen » (en jouant de la xirula, du tambourin et du tambour de basque). Jean-Martin Hiribarren évoque le violon : « xirribikariek dute muxikaria biltzen » (ce sont les violons qui font venir le danseur de Mutxiko), Ermittarra parle de « xirribika eta suntsuna » (le violon et le tambourin), etc. L’aire de prédilection de la dantza khorda se réduira ainsi progressivement tout au long des xixe–xxe siècles vers l’intérieur des terres et vers le sud de la Basse-Navarre. Elle y restera en vigueur jusqu’à nos jours, avec d’inévitables changements et en particulier la réduction progressive de la séquence des contrepas (actuelle deuxième partie de la danse dans sa version de Garazi-Baïgorry), dont les partitions manuscrites les plus anciennes dont on dispose donnent à voir des versions beaucoup plus longues (Sagaseta 2011 ; Guilcher 1984). On serait porté à voir dans les versions les plus longues de la dantza luzea ou dantza korda le souvenir des longues introductions dansées aboutissant à la constitution progressive de la chaîne, dont nous avons souligné la dimension fortement codifiée jusqu’aux débuts du xxe siècle.
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Le ménétrier comme marginal nécessaire Des autorités à la jeunesse : le transfert de la contractualisation des ménétriers en milieu rural Systématique jusqu’à la fin du xviiie siècle, la contractualisation des ménétriers par les autorités locales devient plus aléatoire tout au long du xixe siècle, qu’il s’agisse des circonstances exceptionnelles que l’on vient d’évoquer ou des occasions cycliques comme la Fête-Dieu. Quelques paiements ponctuels de ménétriers égrènent les comptes des municipalités, sans que les circonstances en soient toujours précisées, à l’image du règlement en 1816 par le maire des Aldudes d’« arrabitaria [joueur de violon] pour lui faire rédiger ses états »46. En revanche, la prise en charge des ménétriers par la jeunesse ne connaît pas d’interruption. L’activité des sociétés de jeunesse ne laisse que peu de traces archivistiques sauf en cas d’action judiciaire comme pour les charivaris. Les témoignages permettent cependant de repérer un fonctionnement qui remonte au moins au milieu du xixe siècle. Dans chaque village, la jeunesse choisit ou élit un ou plusieurs responsables de l’organisation du cycle festif de l’année. En Basse-Navarre, les jeunes ainsi désignés sont les soinu mutilak (jeunes gens de la musique) ou soinu gidariak (directeurs de la musique). Ils ont à charge de garantir la présence des musiciens, de leur indiquer leur parcours et leurs fonctions, de les nourrir et de les loger. Dans plusieurs villages du Labourd intérieur et de la Basse-Navarre, le dirigeant de la jeunesse porte le titre de « capitaine ». Jusqu’aux années 1970 dans certains villages, le capitaine de la jeunesse sera aussi celui de la Garde de la Fête-Dieu. Dans le Baztan haut-navarrais voisin, les deux dirigeants élus par la jeunesse sont les maiordomoak ou danbolinausiak (maîtres du tambourin). À Arizkun, les nouveaux maiordomo, présentés publiquement le jour de l’Octave de la Fête-Dieu, ouvrent ce jour-là la mutil dantza cérémonielle. Les musiciens engagés par la jeunesse ne jouent pas uniquement lors des fêtes calendaires. Dans les villages qui peuvent se l’offrir, la jeunesse arrête des musiciens pour tous les dimanches après vêpres, sauf en période d’interdit religieux (Avent et Carême). Sans doute cette longue fréquentation entre jeunes et sonneurs expliquerait-elle en partie la genèse d’un système de danses aussi complexes que celui des sauts basques. En 1819, Christoal Errotaldebehere, tambourin et meunier d’Itxassou, intente un procès au responsable d’« une partie de la jeunesse » de Louhossoa pour non-respect d’un accord verbal d’engagement : […] que peu après le commencement du printemps de l’année dernière, le requérant traita verbalement avec une partie de la jeunesse dudit Louhossoa pour jouer du tambourin jusqu’au jour du dimanche avant la Ste Catherine, moyennant une somme de cent huit francs de payement, de laquelle le susdit Pierre Ritou est responsable en son propre et privé nom envers le requérant, que postérieurement par diverses remises et autrement, l’objet ci-dessus est réduit à la dite somme de quarante neuf francs cinquante centimes, dont la condamnation est réclamée contre ledit Pierre Ritou, avec les intérêts et les dépens […]47.
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Mairie des Aldudes, Registre des délibération « Compte qu’a mené le Sieur Arrambide », 1816. AD 64, Justice de paix du Canton d’Espelette, 4 U 9/3, Jugements, 29 janvier 1820.
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De façon similaire, À Villefranque, en 1832, un procès au civil oppose Vincent Samacoïtz, tambourin du lieu, et quatre jeunes (un tisserand et trois cordonniers) de Villefranque. Les jeunes gens ne peuvent ignorer qu’en 1831 ils accordèrent tant pour eux que pour d’autres jeunes gens le requérant pour jouer le tambourin à partir du jour de la Pâque jusqu’au mois de décembre suivant pour la somme de 48 francs, de laquelle somme ledit Dagie, co-partie citée, lui donna 10 francs pour arrhes ; que le requérant leur ayant inutilement demandé le surplus, il se voit obligé de les actionner en justice.48
La justice donnera raison au plaignant, non sans que les quatre inculpés aient précisé que ce règlement, passé devant le maire de Villefranque, associait également six autres jeunes gens au rang des cotisants. Toujours à Villefranque, mais cette fois en 1847 à l’occasion d’une enquête pour tentative d’assassinat et de vol sur le percepteur des contributions directes, attaqué sur la route de Villefranque, l’enquête porte sur l’alibi des jeunes du village, qui dansaient ce dimanche à la maison commune. L’on apprend ainsi l’existence d’une « société du tambourin » constituée par les jeunes gens, dont l’addition des cotisations des membres permettait à la jeunesse d’arrêter un violon qui jouerait tous les dimanches de Pâques jusqu’au 1er décembre. Jean Patience, cordonnier de 21 ans de Villefranque, précise dans son témoignage le fonctionnement de l’association : Je faisais partie avec Etchart d’une association qui avait la danse pour but. Nous avions arrêté un violon à compter du jour de Pâques, jusqu’au 1er décembre pour le prix de 132 francs. Cette somme devait être payée par les associés au nombre de 4 mais d’autres danseurs devaient aussi y contribuer pour une quotité moindre. Sept d’entre eux ont donné chacun cinq francs. La liquidation n’est pas encore achevée. Je ne puis préciser ce que chaque associé devra payer, mais je présume qu’en mettant de côté Etchart qui est en prison et qui à cause de cela ne paiera rien, la part de chacun des autres associés s’élèvera à 27 frs environ. Etchart n’avait rien payé avant son arrestation pour cette dépense. Les associés faisaient en outre chaque dimanche pour la boisson une dépense commune dont la part s’élevait pour chacun à 75 centimes, 90 centimes ou 1 franc. Le dimanche 6 septembre la dépense avait été réglée avec l’aubergiste de la maison commune. Je ne me rappelle pas à quelle somme elle s’élevait. La part de chacun avait comme d’habitude été déterminée entre nous. Etchart y était et fut fixé aussi bien que nous sur ce qu’il devait. Je ne sais pas s’il paya sa part.49
La quote-part de chacun pour le violon s’élève ordinairement entre 70 centimes et 1 franc, elle monte cependant à 5 francs pour la fête locale le 30 août (saint Barthélémy), où 13 jeunes contribuent cette année-là. L’un des membres de la société du tambourin, Salvat Etchart, cultivateur de 21 ans de Villefranque, est soupçonné d’avoir voulu voler le percepteur pour rembourser les dettes qu’il avait à l’auberge de la maison commune. Pierre Errecart dit Errecachipy, ménétrier et tisserand d’Urcuit, est cette année-là le joueur de violon retenu par la société du tambourin. Il joue et danse lui-même le saut avec Etchart : Le 13 de ce mois dans la soirée je me trouvais au bal de la maison commune, je fesais danser avec mon violon [biffé : tambourin] et je prenais part moi-même à la danse. Salvat Etchart dansa avec moi le saut basque. Il n’y avait que nous de danseurs les jeunes gens de la commune étant tous à Biarritz ce jour-là. Nous dansâmes environ une heure et demie. Je ne connais pas le nommé Laborde et je ne puis pas dire s’il vint dans la salle de danse.50 48 • 49 •
AD 64, Justice de paix du Canton d’Ustaritz, 4 U 40/7, Jugements, 8 septembre 1832. AD 64, Cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques, 2 U 453, dossiers de procédure, non-lieu.
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Les témoignages de Louhossoa et de Villefranque mettent ainsi en évidence l’existence d’associations spécialisées dans la musique et la danse, qui réunissent un nombre réduit de cotisants et ne doivent donc pas être confondus avec l’ensemble de la jeunesse du village. Les fêtes patronales sont l’occasion pour les jeunes de montrer les résultats de ce long apprentissage. Le 25 août 1858, à l’occasion du quatrième jour des fêtes d’Itxassou, une dispute éclate entre les jeunes gens du village et ceux de Cambo à propos de la danse et de la direction des musiciens. Les deux prévenus d’Itxassou, avec d’autres jeunes gens de la localité, estiment être les « directeurs de ce bal », ayant cotisé pour la musique. Deux jeunes gens de Cambo « ayant commencé une danse qu’eux, répondants, ne connaissaient pas, ils l’avaient fait cesser à huit heures, la nuit étant close, en faisant retirer les musiciens qui étaient pour leur compte et à leurs frais »51. De façon similaire, à Came et à Bidache en 1832, un litige éclate au sujet de la danse. Lors d’un bal à Bidache, la jeunesse du lieu fait payer à un jeune homme de Came le droit d’entrer dans le cercle des sauts basques, afin qu’il contribue au paiement des musiciens. Le dimanche suivant le bal se tient à Came. Un jeune de Bidache entend danser le saut basque par réciprocité mais sans payer son écot. L’affaire s’envenime, Arnaud Harran Bergay, de Came, reçoit un coup de bouteille et témoigne devant le juge : que le lendemain de la fête de Bidache dernière, il fut au bal de cette commune, où il dansa. Après la danse, les intéressés se réunirent pour payer leur dépense, l’un d’eux nommé Jean Perthicot dit à Harran de vouloir se joindre à eux pour payer d’avoir dansé le dimanche précédent, alors Harran prit une pièce de 5 frs et la donna audit Perthicot qui la prit, mais un moment après la rendit à Harran en disant qu’il ne voulait pas la prendre, qu’il n’agissait que d’après la volonté de ses camarades. Alors la dame Péant prit la pièce et dit : moi je veux la donner aux baladins, et au même instant elle fut prise par Suhette qui prit deux francs et en rendit trois à la dite dame, qui à son tour les donna à Harran. Harran étant à son tour intéressé à Came le 6 courant, le sieur Suhette fut danser à son bal, les camarades de Harran lui dirent : à présent tu as une belle occasion pour te faire rendre les 2 francs à Suhette qui te fit payer à Bidache. Parmi les individus qui engageaient Harran à demander de l’argent à Suhette était le sr Souby fils qui, réflexion faite, dit à Harran qu’il ne fallait rien lui demander, parce que c’était lui qui avait fait jouer un saut basque, mais immédiatement après le même Souby fut vers Harran et lui dit : il faut faire sentir à Suhette l’affront qu’il te fit à Bidache. Ce dernier voulant se retirer voulut remercier la compagnie de Harran de la bonté qu’elle avait eue de le laisser danser ; mais ce dernier lui dit qu’il n’avait pas pu s’en sortir ainsi à son bal chez M. Péan Caumon puisque je fus obligé de payer 2 francs. Suhette répond : ce n’est pas moi qui te fis payer ; si ce n’est toi, tu as fais agir les autres, tu en as menti, répond Suhette, et les deux se prirent au même instant. Harran sitôt fut frappé d’un coup de bouteille au côté gauche52
Au-delà de l’anecdote, l’affaire est instructive en ce qui concerne les modalités organisationnelles de la danse. Le ménétrier de chaque bal est réglé par des associés, qui constituent une « compagnie » « intéressée au bal ». Ils commandent la danse au musicien – en l’occurrence, un saut basque –, et font participer chaque danseur à la dépense. Se rajoute à ce système la question du point d’honneur de la réciprocité du droit à la danse entre communes voisines, qui rappelle les litiges du xviiie siècle53. 50 • 51 • 52 • 53 •
Ibid. Salvat Mendiboure, cordonnier, précise que Salvat Etchart lui « proposa d’aller avec lui à la maison commune pour guider la danse ». Sans doute pour annoncer les pas des sauts ? AD 64, Justice de paix du Canton d’Espelette, 4 U 9/9, Jugements de simple police, 29 août 1858. AD 64, Tribunal de première instance de Bayonne, 3 U 1/1323, 6 février 1832. Dans le même ordre d’idées, en janvier 1848 dans une auberge de Bassussarry, un jeune d’Arbonne « se mêla au saut basque », ce qui lui valut d’être attaqué par un jeune de Bassussarry. Celui-ci se vengeait des coups qu’il avait reçus le dimanche précédent à Arbonne (AD 64, Cour d’assises, 2 U 935, 13 mai 1848).
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On retrouve un dispositif proche à Saint-Pierre-d’Irube en 1854, où le litige concerne la rétribution des ménétriers qui doivent jouer pendant les bals des trois jours de la fête locale. Deux Bayonnais assignent devant le juge deux autres jeunes hommes, qu’ils estiment s’être « unis à eux pour donner un bal public à Saint-Pierre d’Irube le jour la fête de ladite commune et jours suivants. ». Le salaire des musiciens étant fixé à 60 francs, la discussion porte sur le paiement de la moitié de cette somme par les deux sociétaires. On apprend ainsi que les « sociétaires du bal » « intéressés à l’établissement de ce bal » portent des rubans aux bras comme insignes de leur fonction, et qu’ils recueillent des danseurs « le prix des contredanses ». Le village étant aux portes de Bayonne, on notera qu’il ne s’agit pas ici de sauts basques mais de contredanses et que les deux musiciens en question (Jean Labat et Joseph-André Roustan), sont aussi musiciens au 35e régiment de ligne à Bayonne. L’occasion de jeu les fait néanmoins désigner comme « ménétriers » par le juge de paix54. Bénéficiaires de cette relation contractuelle, les ménétriers sont aux ordres des sociétés de jeunesse, dont ils attendent cependant respect des engagements. En 1857, Garcia fils, ménétrier à Jaxu en Basse-Navarre, intente un procès à la jeunesse d’Ibarrolle, qui l’avait retenu, puis « contremandé », pour jouer lors des trois jours de la fête patronale de ce village, ainsi qu’à l’Octave55. Autant de litiges qui informent autant sur les occasions de jeu que sur les relations contractuelles entre ménétriers et groupes de jeunesse. La pratique du bal dominical hebdomadaire durera tardivement. Le clarinettiste Pierre Oxandaboure (1906–2001) d’Halsou, avec son père d’abord, puis avec un piston d’Ustaritz, joue chaque dimanche à la sortie de la grand-messe de Larressore dans l’entre-deux-guerres. Cette fonction, informelle au nord de la frontière, restera institutionnalisée dans la vallée du Baztan jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle, avec attribution formelle et rémunérée des « places » aux txistularis pour la musique dominicale. Dans ce modèle, les musiciens ne sont pas perçus comme des musiciens traditionnels : ils sont les musiciens tout court, dépositaires d’un répertoire moins figé qu’il n’y paraît, et non encore concurrencés, du moins dans les petits bourgs, par d’autres formes musicales. Sociographie des ménétriers : la persistance d’un statut social modeste « Au tambourin de Lichans, il faut deux pièces de 18 deniers pour le faire sonner, et six pour le faire taire » (proverbe basque)
Recours indispensable à la bonne marche des activités récréatives et cérémonielles, le musicien n’en reste pas moins, dans la continuité de l’Ancien Régime, une figure à bien des égards marginalisée dans l’ordre local. Cette facette demanderait une analyse sociographique systématique des 54 • 55 •
AD 64, Justice de paix, Bayonne Nord-Est, 4 U 6/13, Jugement contradictoire. Il s’agit probablement de Jean Castaing-Garcia, fils d’Arnaud Castaing-Garcia, également ménétrier et aubergiste à la maison Elizondoa de Jaxu. AD 64, Justice de paix canton d’Iholdy, 4 U 12/21, 1857). Arnaud Garcia, porté comme « ménétrier à Jaxu » témoigne dans une affaire de rébellion collective à Saint-Jean-Pied-de-Port en 1848 (AD 64, Cour d’assises, 2 U 937, 25 novembre 1848).
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trajectoires. Bon nombre d’indices, cependant, abondent en ce sens. J.-M. Guilcher note que « les ménétriers sont des gens de condition modeste, métayers, journaliers, ouvriers ou artisans, qui ne tirent de leur activité musicale qu’une ressource d’appoint. Ignorants du solfège, ils apprennent leurs airs par audition et les jouent de mémoire » (1984 : 20). L’examen des notes biographiques de ménétriers du Pays basque nord, du Béarn et du Baztan de la fin du xixe siècle et du xxe siècle compilées par M. A. Sagaseta (2011) ainsi que mes propres observations conduisent à une conclusion similaire à ce qui a été indiqué pour l’Ancien Régime et le xixe siècle (cf. chap. 1) : une majorité écrasante d’artisans (cordonniers, charpentiers, forgerons, maçons, tisserands, tailleurs d’habits), très peu de laboureurs, quelques rares maîtres d’école. La condition modeste n’empêche pas certains de ces musiciens d’acquérir une solide réputation voire d’apparaître parfois comme musiciens professionnels. Le chapitre 1 a souligné la récurrence de tambourins d’origine cagote ou réputée telle. Cette assignation identitaire, et les discriminations qui l’accompagnent, disparaîtront très progressivement au xixe siècle. Reste que la condition des ménétriers, réputés cagots ou pas, restera des plus modeste, et leur image sociale ambivalente. À Ciboure en 1833, une rixe éclate à propos de trois couplets jugés offensants. Joseph Inday, « dit tambourin », est impliqué dans la rixe, mais de son adversaire Ordoquy le juge signale « […] qu’enfin il appartient à une classe un peu plus élevée que tambourin »56. Si l’appellation cagote disparaît progressivement, il n’en est pas de même de l’assignation de « bohémien », qui perdurera bien plus tardivement. Quelques musiciens y sont associés. En Soule, les archives judiciaires du canton de Mauléon mentionnent à plusieurs reprises dans les années 1860 un joueur de violon de Menditte, Dominique Irigoyen, désigné comme bohémien et qui, seul ou avec sa famille, a régulièrement maille à partir avec la justice. Dans la nuit de Noël de 1864, Irigoyen, alors âgé de 50 ans, et six autres prévenus participent à un tapage nocturne, avec tambour et détonations, à Menditte. En avril 1865 à Menditte, Teillafort Irigoyen, sandalier de 19 ans et fils de Dominique, et Pierre Basterreix, sandalier de 22 ans, sont surpris près de la maison Gayret-Garicoix de cette commune « chantant une chanson injurieuse à l’adresse des habitants de cette maison et de certains employés de ladite commune de Menditte »57. Basterreix est reconnu pour être l’auteur des chansons et Irigoyen traîne une réputation de récidiviste. L’affaire se solde par 5 jours de prison pour Irigoyen et 2 jours pour Basterreix. En avril 1866, Dominique Irigoyen et son fils Teillafort circulent dans les rues de Menditte « avec accompagnement de violon », insultent l’adjoint au maire qui avait témoigné contre eux dans une affaire et se battent (entre eux). Toujours en 1866, Irigoyen est jugé avec son épouse pour avoir maltraité Marceline Alexis, de Menditte. En 1873, c’est Michel, autre fils de Dominique Irigoyen, qui est poursuivi pour un charivari mené à Menditte en pleine journée contre des mariés entre la mairie et l’église (cf. chap. 6). Ménétrier de profession selon la police, D. Irigoyen illustre bien ce statut social ambivalent, à la fois indispensable et marginal. Il est à noter, qu’en 1870 une procédure est dressée à Menditte contre Monique Lauga, femme Irigoyen (l’épouse du ménétrier), sa fille Marianne et la femme Bidégaray, « toutes trois de
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AD 64, Tribunal de première instance (TPI) de Bayonne, 3 U 1/1062. AD 64, Jugements de simple police, justice de paix de Mauléon, 4 U 19/93, 18 avril 1865.
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race bohémienne dont elles ont conservé les instincts pervers tout en empruntant à la civilisation ses enseignements et ses pratiques les plus dépravées » pour une agression contre deux femmes du village. En octobre 1877, Monique, Marie et Marianne Irigoyen, Marie Etcheverry, les quatre sandalières de Menditte, Marie Etcheverry, de Lantabat, et Dominica Escosse, d’Irissarry, « tous les six bohémiennes » sont poursuivies pour tapage nocturne à Menditte. Tout laisse à penser que le ménétrier était lui-même également catégorisé comme bohémien. On observera enfin le jeu d’alliances entre familles ménétrières, bohémiennes ou pas. À Menditte le 23 février 1876 se marient ainsi Marie Irigoyen, fille de Dominique, ménétrier alors âgé de 66 ans, et de Monique Lauga, sandalière, avec Jean Pouthou, autre ménétrier de 22 ans, fils d’un journalier et d’une ménagère, domicilié à Mauléon mais issu d’une lignée de ménétriers de Chéraute et de Barcus. Le curé, le théologien et le sonneur : le renouveau de la vieille dispute S’ajoute à ce statut paradoxal la relation ambivalente du clergé aux soinulari. Ce rapport complexe, déjà analysé pour l’Ancien régime, perdurera tardivement. De façon générale, le clergé continue sans relâche au xixe siècle sa croisade contre la danse et les ménétriers. À Saint-Jean-de-Luz, Jean Robin, ancien prêtre réfractaire et émigré dénonce à son évêque dans une lettre du 2 février 1815 le laxisme des autorités locales et du clergé luzien d’origine concordataire : Le peuple, malheureusement, fait retomber sur les Municipaux tous les malheurs provenant de sa négligence [celle du clergé local]. Toute la sacristie, bien loin de blâmer la plainte des séculiers, l’approuve par un silence bien parlant […] On fait des mascarades à la mode qui vont strictement contre la Religion, contre l’autorité civile qui est foulée aux pieds par une jeunesse enhardie par le silence des municipaux qui devroient parler et n’osent pas le faire pour raison à eux connue. (Darrobers 1994 : 51)
L’opprobre clérical peut même parfois continuer à s’exercer après la mort du musicien, au point de heurter parfois la population. À Tardets en septembre 1832, les paroles prononcées par le vicaire Tiraz lors de l’enterrement du ménétrier Garat à Sorholus provoquent un début d’émeute, au point de susciter un rapport circonstancié du sous-préfet de Mauléon au préfet : Je me suis rendu hier à Tardets pour apprendre au vrai ce qui s’était passé à l’église de Sorholus à l’occasion de l’enterrement d’un sieur Garat, ménétrier de profession. Mr Garat, distingué par une conduite très régulière et par beaucoup d’esprit naturel, était généralement aimé. Il était lieutenant de la Garde nationale de Sorholus. La compagnie s’était réunie en armes à l’église pour lui rendre les honneurs, avec l’assentiment de l’autorité municipale. Mr Tiras, vicaire de Tardets, était l’officiant. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire que les deux communes n’ont qu’une seule église, qui est à Sorholus. Depuis les missions qui eurent lieu en 1824, Garat était fréquemment persécuté par différents ecclésiastiques dans l’objet de l’engager à renoncer à sa profession de ménétrier mais c’était surtout celle qui lui fournissait les moyens de pourvoir à ses besoins et à celle de sa nombreuse famille : il résista. Son fils aîné étant parvenu à l’âge où il devait faire sa première communion, il sollicita la faveur de son admission et éprouva à cette occasion des humiliations publiques. On ne sut me dire comment il avait fini. Tombé malade et sentant l’approche de la mort, Garat demanda un prêtre. M. Tiras, vicaire, se rendit de suite auprès de lui. On assure qu’avant de commencer la confession il exigeait la promesse publique qu’il abandonnerait la profession de ménétrier : il balbutia quelques mots, l’agonie survint et l’abbé lui donna l’absolution au moment où il rendait son dernier souffle. Le lendemain le convoi était nombreux. Il se composait de parents et de nombreux amis. Le commandant de la Garde nationale étant absent, le souslieutenant commandait le détachement : l’adjoint municipal de Sorholus était présent à la cérémonie.
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Au moment où il fallait faire la levée du cadavre pour le porter au cimetière, l’abbé Tiras s’avança vers le cercueil et commença à débiter, contre tout usage en pareil cas, un passage des écritures contenant des imprécations sévères : une rumeur lourde se fit entendre aux tribunes : « oui », dit l’abbé « ce corps qui naguère renfermait une âme a peut-être été l’occasion de la damnation éternelle de la moitié de la population de ce canton, oui il a servi de nourriture au Diable ». Ces paroles prononcées avec l’accent de la colère, un cri d’indignation éclata de tous côtés. L’on entendit plusieurs voix disant « à bas M. le vicaire », d’autres le menaçaient de l’enterrer avec le cadavre, enfin tous les assistants, y compris le détachement, partagèrent l’exaspération générale. Au milieu de cette confusion, une bougie fut tellement approchée du drap mortuaire que le sous-lieutenant commandant le détachement crut devoir dire « prenez garde au feu », certaines femmes croyant que c’était l’ordre de faire feu s’empressèrent de sortir de l’église avec précipitation, ce qui augmenta encore la confusion qui déjà était grande. Pendant la grande exaltation des esprits, l’abbé avait gagné la sacristie, on l’appela pour faire l’enterrement. En sortant il déclara qu’on avait mal interprété sa pensée et qu’on aurait dû attendre la fin de son discours pour juger de son intention. L’enterrement fait, il voulut se retirer mais on exigea qu’il restât jusqu’à la fin des honneurs militaires, et il resta. L’abbé Tiras, qui n’est pas doué de beaucoup de moyens, a pu être imprudent dans ces circonstances mais on le dit excellent homme et digne ecclésiastique […]58
En l’espèce, on notera que l’administration se range plutôt du côté des tardesiens, en soulignant la bonne considération dont jouit ce ménétrier. Ce dernier était probablement Pierre Garat dit Ehul (tisserand, du nom de sa maison), cordonnier à Sorholus et décédé le 4 septembre 1832 à l’âge de 45 ans, par ailleurs lieutenant de la Garde nationale du lieu. Le rigorisme clérical, en l’occurrence, se retrouve face à une véritable résistance. La personnalité du vicaire y est sans doute pour beaucoup. Selon Jean Haritschelhar (1969), il s’agirait là du même l’abbé Tiraz qui, devenu curé, sera en 1860 brocardé par les chants satiriques Musde Tiraz du grand poète Etxahun de Barcus. L’affaire de 1832 fait en tous les cas grand bruit et génère même une controverse dans le Mémorial des Pyrénées quant aux propos exacts tenus par le prêtre59. En contrepoint de ce rigorisme, le jésuite souletin Pierre Lhande souligne en 1925 qu’il était encore courant au xixe siècle que les prêtres ouvrent le bal en Soule en décrivant les premiers points d’entrée des sauts, suivis de façon protocolaire des vieillards, des jeunes maîtres de maison et des cadets (Lhande 1925 : 131). Le même P. Lhande rappelle néanmoins que l’un de ses propres aïeux, joueur de tambourin et excommunié pour cette raison, avait conservé la foi et suivait chaque dimanche la messe de son village agenouillé depuis le porche de l’église. L’anecdote confirme, une fois de plus, le statut social paradoxal des ménétriers. Dans la monographie qu’ils consacrent en 1856–1857 au village labourdin d’Ainhoa, les deux disciples de Frédéric Le Play que sont C. F. Saint-Léger et D. M. Delbet observent que : L’autorité du prêtre est assez respectée pour qu’il ait pu faire accepter à la population certaines réformes en opposition avec le caractère basque. Ainsi, il a fait supprimer les danses du dimanche dans l’intention 58 • 59 •
AD 64, 2 Z 49, Courrier du sous-préfet de Mauléon au préfet, 26 septembre 1832. « Déplorez le sort de cette âme qui brûle déjà dans l’enfer ; maudissez à jamais l’état de ménétrier ; combien de personnes de cette contrée ne sont-elles pas déjà damnées par suite de la misérable danse dont le défunt a tant de temps servi d’instruments ! Pensez, pensez donc, tristes créatures, que votre scandaleuse conduite attend le même sort ! » Le Mémorial des Pyrénées, 11 septembre 1832. Dans le Mémorial du 18 septembre, Durruty, sous-lieutenant de la Garde nationale prête ces propos au vicaire à propos du ménétrier : « voici l’homme qui a causé la perte de la moitié des âmes de la Soule. Il a servi jusqu’à ce moment de ministre au démon ».
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d’améliorer les mœurs altérées par le séjour dans le pays d’une garnison qui y resta pendant les guerres civiles de la Péninsule jusqu’en 1840. Les enfants naturels s’étaient multipliés dans le village à cette époque […] (Saint-Léger et Delbet 1857 : 164)
Le même curé, néanmoins autorise la danse pour les jeunes hommes lors des trois jours de la fête patronale du 15 août : Les jeunes gens se livrent aux danses (saut basque, fandango espagnol) que le prêtre permet pour ce jourlà seulement, et qui s’exécutent au son des instruments nationaux le chirola et le tamburina. Pendant les journées du dimanche, les jeunes filles, depuis que les danses sont supprimées, n’ont d’autres récréations habituelles que les promenades et le jeu de quilles (Saint-Léger et Delbet 1957 : 178)
Dans la lignée de F. Le Play, les auteurs soulignent quant à eux la « haute portée morale » de ces fêtes : on ne doit pas y voir seulement des réjouissances dont les frais, relativement considérables, chargeraient inutilement le budget des paysans basques. Il convient plutôt de les considérer comme des institutions propres à conserver l’unité des familles et à resserrer les liens qui unissent leurs différents membres (ibid. : 178)
En 1889, Michel Elissamboure, religieux originaire d’Hélette, entend résoudre la contradiction en jouant sur les mots et en opérant une distinction entre les sauts basques (Eskualdun jauziak), « qui ne sont pas des danses » et les « danses », qui sont par essence mauvaises, à des degrés divers (Elissamboure 1993 [1889]). Le qualificatif ethnique confère la garantie de moralité. Seront ainsi autorisée, dans la plupart des communes, les sauts, danse (devenue) masculine, ainsi que la danse longue qui intègre les jeunes filles mais de façon codifiée et sous le regard de la communauté. Sont en revanche objet d’une condamnation sans appel les danses en couple, qui gagnent peu à peu du terrain depuis la côte basque à la fin du xixe siècle, ainsi que les bals nocturnes. Le prêtre et écrivain basque Gratien Adéma, Zalduby, regrette de même le remplacement des instruments traditionnels par la « musique bruyante et complètement française » dans les gros bourgs, qui substituent les mauvaises danses aux vertueux sauts basques (Zalduby 1899). En contrepoint, un ecclésiastique, l’abbé Gorostarsou, compose en 1856 et à destination des premiers Jeux Floraux, des couplets sur « La fête patronale », où ce sont les femmes âgées qui dansent et qui enseignent les danses aux plus jeunes : Bazkaldu ta soinuak zainak ditu phizten Gazteria guzia chutik phararazten Gure atsoak Gaizo maltsoak Berak zaizku hasten Eskualdun zahar dantzen gazter erakusten.
On a dîné ! le son du fifre met la vie dans tous les jarrets et fait se dresser toute la jeunesse. Si calmes d’habitude, nos matrones elles-mêmes se mettent en mouvement, elles enseignent à la jeunesse les danses des ancêtres60
La pièce, il est vrai, ne fut au final pas présentée au concours par son auteur, et il reste difficile d’en apprécier la véritable teneur, peut-être ironique. Rédigée en 1856, elle témoigne cependant de la participation féminine à la danse publique, dont les mentions sont relativement nombreuses pour 60 •
Traduction de Duvoisin, complétée par nous. Médiathèque de Bayonne, 4e cahier manuscrit de Jean Duvoisin (1810– 1891), capitaine des douanes et bascologue, en ligne http://www.bilketa.eus/fr/collections/notre-selection/916-les-cahiers-du-capitaine-duvoisin-1810-1891
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les xviie et xviiie siècles mais qui sera particulièrement visée par le rigorisme clérical du xixe siècle. En témoigne l’action de Jean-Baptiste Garat, futur fondateur des Missionnaires d’Hasparren. Nommé vicaire dans ce gros bourg labourdin en 1814, il parvient au bout de six ans à y éradiquer les danses et les bals (Moreau 1981 : 516). L’abbé Jean Bastres, futur fondateur de l’abbaye bénédictine de Belloc, vicaire à Espelette entre 1857 et 1859, demande pour sa part aux jeunes de ce village de renoncer à un bal par respect pour le curé malade. Malgré l’admonestation, le bal débute après vêpres. Indigné, le vicaire se dirige vers le ménétrier, lui retire son violon et disperse la jeunesse61. Toujours à Espelette, le clarinettiste Zugarramurdi (1892–1948) est menacé d’excommunication au début du xxe siècle pour avoir animé des bals dominicaux et la dantza lotua sur un pont situé aux limites du village. Il cesse alors de jouer publiquement pendant 30 ans, entre 1905 et 1935. À cette date, un vicaire plus conciliant organisera une clique à Espelette, et sollicite le clarinettiste. Celuici y enseignera alors les danses de bâtons et la kaxkarot martxa aux jeunes, qui remporteront un concours à Ahetze l’année suivante62. En 1904, un certain « Ganich » publie dans la presse républicaine des couplets vindicatifs contre les partisans, dans un village non précisé, du maire « blanc », reconduit dans ses fonctions malgré un procès. Parmi les invectivés figure un ménétrier qui aurait noué une alliance contre-nature avec le curé du village : Pilli, musicien à moustaches Chasseur, joueur de tambourin et flûte Condamné à l’enfer depuis longtemps Comment as-tu pu faire la paix avec Becas ? Grand hypocrite63
Pilli, mustach dun musikaria Ihistaria, tuntun, chirola joilia Aspaldicotz infernuetara condenatia Nola in duk Becassekin bakia ? Faltzo handia
Tout porte à penser qu’il s’agit du village de Bidart, et que le chant se réfère au curé Charles Becas et au joueur de violon et maître de danse Pili Taffernaberry. À Saint-Pée, Ignacio Lecuberria dit Iñaxio Ehulea (Ignacio le tisserand), né à Ainhoa en 1840, allie sa vie durant son métier de tisserand et sa fonction de joueur de violon itinérant. Pris de remords à la fin de sa vie et sans doute sous l’effet des prêches, il confie son violon au curé de Saint-Pée et cesse définitivement de jouer. Ruiné par l’effet de la Grande Guerre sur les cours du tissu, il décède, ironie du sort, le 11 novembre 1918 dans l’abandon et la misère64. À Macaye nous l’avons dit, en 1926, le correspondant d’Eskualduna déplore que les processions de la Fête-Dieu prennent parfois allure de charivaris du fait de la présence du musicien65. Piqué, un représentant de la jeunesse répondra en rappelant d’une part que tous les villages alentours autorisent la musique à cette occasion, et que d’autre part un piston est indispensable pour exécuter les sauts basques, danses anciennes et respectables, ce qu’un clairon ne peut pas faire66.
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La Semaine de Bayonne, 16 mars 1904. Entretien avec le fils de M. Zugarramurdi, Espelette. Euskal Herria – Le Pays basque, 7 mai 1904. Eskualduna, 11 novembre 1918. « Makeatik », Eskualduna, 18 juin 1926 (traduit du basque). Eskualduna, 25 juin 1926.
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La relation entre le prêtre et le musicien est plus ambivalente qu’il n’y paraît. Elle varie selon les contextes et les personnalités. À Bonloc en 1862, c’est le curé qui prendra la plume au nom de Domingo Urruch (1837–1907), joueur de tambourin, aveugle et indigent, pour demander à l’Empereur un secours exceptionnel pour le jeune ménétrier (Etcheverry 2015). À Ispoure, Faustin Bentaberry (1876–1936), forgeron, célèbre ménétrier et maître de danse, sera mis à l'index avec ses musiciens par l’évêque de Bayonne en raison de son activité ménétrière. Catholique pratiquant et républicain, Faustin fait ses Pâques dans le village frontalier navarrais de Valcarlos, où un curé compréhensif lui permet d’animer la cavalcade des volants (à Carnaval puis à Pâques), et ce tant que la sanction ne s’étend pas à l’évêché de Pampelune. Le ménétrier entretient également de bons rapports avec le curé d’Ispoure67. Dans bon nombre de villages, les curés rechignent à autoriser les carnavals mais sont plus enclins à accueillir les mêmes musiciens pour les processions dansées de la Fête-Dieu. Dans tel autre village, le curé interdira ces mêmes processions dansées, au risque de voir la jeunesse se liguer contre lui. À Ascarat, la jeunesse organise une cavalcade fin 1930 à l’occasion de l’inauguration controversée du nouveau fronton. Quelques jours plus tard lors d’un baptême, le curé refuse au parrain de la baptisée le droit de porter sa fille à l’autel, au prétexte qu’il avait dansé à la cavalcade. Humilié, le danseur organisera durant l’hiver 1931 une nouvelle cavalcade dirigée cette fois contre le curé (Jakintza 2010 : 125–127). Les musiciens Faustin Bentaberry, Manez Urruty et le bertsulari Larramendi participeront aux deux cavalcades. Illustration 12 : Xirula et ttunttun de Domingo Urruch (Bonloc, 1837–1907) (coll. privée, famille Etcheverry, ph. X. Itçaina)
Longtemps adversaires des danses, les prêtres, cependant, en deviendront les promoteurs à partir des années 1930 dans le sillage des mouvements d’Action catholique et des patronages. Dans plusieurs villages, les vicaires mettent en place, dans l’entre-deux-guerres, des formations musicales sur le modèle des batteries-fanfares. Très vite, des groupes folkloriques naissent à l’ombre de la paroisse, réhabilitant partiellement les ménétriers, mais dans un cadre bien distinct de celui des sociétés de jeunesse qui, parallèlement, mènent leur vie propre. La danse intègre, dès lors, une politique cléricale d’encadrement de la jeunesse. À nouveau militante durant l’entre-deux-guerres, l’Église entend, dans une visée intégraliste, pénétrer l’ensemble des milieux sociaux et des générations, quitte à adapter sur certains points l’ancien discours ultrarigoriste, particulièrement fort en terre basque.
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Témoignages de Mme Servant (1907–1996), fille de F. Bentaberry, et de D. Germain, tromboniste dans son orchestre. Je remercie Mixel Aurnague pour l’accès à ces archives. Voir également Aurnague (1993) et Sagaseta (2011) pour une présentation détaillée de l’école de danse et de musique de Garazi et de Valcarlos.
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Tergiversations de la puissance publique L’État, à l’occasion, seconde le prêtre dans la suspicion à l’encontre du ménétrier, surtout lorsqu’il prend figure de musicien itinérant. Au xixe siècle, c’est sous le Second Empire que l’administration préfectorale et la justice de paix deviendront de moins en moins tolérantes face à certains usages coutumiers dans les Pyrénées (Soulet 2004). La répression des charivaris (cf. chap. 6) en constitue l’illustration la plus saillante, mais d’autres usages feront également l’objet de cette nouvelle surveillance. À Souraïde, le jeu de l’oie antzara jokoa, consistant en une décapitation ritualisée d’oies suspendues à une corde par des cavaliers lancés au galop, est interdit en 1852 par le juge de paix pour mauvais traitements envers les animaux, ce qui n’empêchera pas la coutume de perdurer, sous une forme adoucie, jusqu’à nos jours68. Le 16 janvier 1854, le préfet des Pyrénées-Atlantiques signe un arrêté soumettant la profession de musicien dans le département à la garantie des bonnes mœurs. Le 8 avril, le maire d’Iholdy sollicite du préfet une autorisation pour Lagan, joueur de violon, certifiant que l’intéressé est « de bonne vie et de bonne mœurs et a été de tous les temps à l’abri de tout reproche »69. Les affaires liées à la musique sont archivées avec la police des cabarets, des filles publiques et des bohémiens. Les aubergistes sont tenus de signaler à la gendarmerie les musiciens « étrangers » qu’ils hébergent. Ainsi à Amendeuix en juillet 1876, les gendarmes interrogent le cabaretier sur la présence dans son auberge « d’un ménétrier étranger à la commune », qui « réglait avec la jeunesse ». La condition de musicien semble alors peu compatible avec la morale publique, en particulier pour les métiers qui en sont les emblèmes. Pierre Brust, instituteur, joue aussi du violon « pour faire danser la jeunesse de Saint-Étienne de Baïgorry ». En 1833 et à l’occasion d’une inspection, il promet « de renoncer à cet instrument peu moral et peu compatible avec le métier d’instituteur » (Hourmat 1964 : 16). Le musicien se retrouve souvent au cœur des débordements propres à la jeunesse qui l’a engagé, et est de ce fait régulièrement visé par des procédures pour tapage nocturne, charivaris, etc. En septembre 1840, Laurent Supervielle, ménétrier d’Hasparren, est accusé d’avoir contribué à un tapage nocturne avec la jeunesse d’Ustaritz. En novembre 1841 à Larressore, les charivariseurs engagent Nicolas Piery d’Espelette à venir battre la caisse et improviser des bertsu de circonstance dans un charivari visant le maire. En février 1878, Jean Castaing, violoniste à Jaxu, est arrêté pour avoir fait danser la jeunesse d’Irissarry à 11 heures du soir. Le 19 juin 1887, probablement au soir de la Fête-Dieu, les jeunes gens d’Iholdy parcourent la place publique à 10 heures du soir au son du violon de Pierre Aguerre, d’Ibarolle. Sous la IIIe République, la défiance des autorités locales envers les ménétriers se transforme parfois en une attitude plus bienveillante, à rebours de la croisade cléricale contre les divertissements. À Urepel au début du xxe siècle, l’accordéon joue par provocation au passage des processions. Les municipalités républicaines sollicitent les musiciens pour célébrer le 14 juillet à partir des années 1880. Tournées en dérision par la presse cléricale, la fête républicaine déplace alors la tradition 68 •
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Pour une analyse ethnographique approfondie des versions contemporaines de ce jeu en Labourd, voir Thierry Truffaut, « Le jeu de l’oie – le jeu du canard. Antzara jokoa – ahate jokoa », Institut culturel Basque , consulté le 10 octobre 2021. AD 64, 2 Z 70.
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du Mai vers la plantation de l’arbre de la liberté, qu’un bal accompagne. À Itxassou, Cambo et dans les villages environnants, la jeunesse « dérobe » un peuplier la veille du 14 juillet, et l’installe au bord du fronton, accompagnée de musiciens. Le quartier du Bas-Cambo en aura conservé l’usage jusqu’à nos jours. La presse républicaine, à cette occasion, valorise le recours aux musiciens et instruments locaux, comme pour souligner l’absence de monopole du clergé sur les marqueurs identitaires. En ces temps de politisation des usages coutumiers, le ménétrier doit naviguer entre les sollicitations orientées, qui constituent pourtant autant d’occasions de jeu. Les musiciens Jean Othéguy Landaburu de Saint-Jean-le-Vieux et François Puchulu de Bustince-Iriberry, figurent ainsi au rang des prévenus d’une parade charivarique organisée à Saint-Jean-le-Vieux le 1er janvier 186470. Le même J. Othéguy (ou son fils ?) et Pierre Arostéguy, ménétrier de Saint-Michel, sont jugés, avec 27 autres prévenus, en décembre 1889 pour avoir accompagné le rassemblement de 250 hommes de la haute vallée de Cize (Hergarai) venus défiler le 23 septembre à Saint-Jean-Pied-de-Port pour célébrer la victoire électorale du candidat conservateur à la députation71. Arguant qu’ils n’étaient là qu’en tant que ménétriers engagés, les musiciens s’en tirent à bon compte, d’autant que l’affaire générera une polémique dans la presse72. L’argument de la neutralité professionnelle avait été invoqué de même par Jean Larrasquet, de Barcus, qui, surpris lors d’un charivari se déroulant dans ce village affirme que « loin d’être acteur de la scène, il n’y figurait que comme ménétrier salarié »73. Or Larrasquet, « ennemi acharné du plaignant » est reconnu comme étant l’un des principaux instigateurs du charivari qui devait avoir une certaine importance : y sont mentionnées les « chansons de bohémiens » et les coups de feu tirés devant la maison de la victime, ainsi qu’une charrette à deux bras tirée par les prévenus. En 1856, Jean Heuguerot dit Ttikoi, joueur de violon et quincaillier à Saint-Palais avait argumenté de même s’être « rendu à Ostabat à la demande de jeunes gens pour jouer du violon et gagner sa vie » et niait avoir participé au charivari à l’occasion d’un mariage en secondes noces qui s’en était suivi74. En 1862 à Arcangues, Michel Olhagaray dit Chatorra (la taupe), joueur de violon, nie avoir participé au charivari contre les époux Lassègue et avoir chanté des couplets diffamatoires à leur encontre. « J’ai pu rentrer chanter en rentrant chez moi lorsque je passais devant leur maison » explique Olhagaray : « Je suis ménétrier et je chante presque toujours, mais je ne sais aucun couplet sur les inculpés »75. La marginalisation du marginal Nouvelles concurrences sur le marché des sonneurs Pour ces ménétriers et tambourins, le véritable changement viendra cependant moins des usages idéologiques que d’un mouvement de fond qui, dans le dernier tiers du xixe siècle, modifie profondément les conditions d’exercice de leur activité. Au Congrès de la tradition basque de Saint-Jean-de-Luz 70 • 71 • 72 • 73 • 74 • 75 •
AD 64, Justice de paix du canton de Saint-Jean-Pied-de-Port, 4 U 34/4, 15 février 1864. AD 64, Justice de paix du canton de Saint-Jean-Pied-de-Port, 4 U 34/6, décembre 1889. Eskualduna, 29 novembre 1889. Sur les retombées politicoreligieuses de l’élection législative de 1889 de Mauléon, qui dérivèrent en crise diplomatique entre la France et le Vatican, voir Itçaina (2007 : 59–65). AD 64, Justice de paix du canton de Mauléon, 4 U 19/96, 24 février 1880. AD 64, Justice de paix du canton d’Iholdy, 4 U 12/20, 13 juin 1855. AD 64, Cour d’assises, 2 U 1003, 1862.
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en 1897, le musicologue Charles Bordes (1989 [1899] : 351) souligne la « menace » que font peser pistons et cuivres sur les musiciens traditionnels. N’ayant rencontré « qu’un seul » joueur de violon à la Madeleine – très probablement l’un des Othéguy Landaburu –, Bordes affirme, à tort, que « le violon du ménétrier est à peu près inconnu au Pays basque » (ibid. : 351). Il a raison, en revanche, sur le fait que, sur bien des territoires, les ménétriers ont perdu leur monopole. En 1891, le Journal de SaintPalais retrace la vie d’Agostin Pecotche, mort en 1890, tambourinaire et bertsulari. Musicien réputé en son temps, il se produit devant la duchesse d’Angoulême et devant Napoléon III. Devenu célèbre, il dédaigne les petits villages au profit des gros bourgs, pour un tarif de six francs par jour et le couvert. Mais sa vieillesse est marquée par la concurrence d’instruments nouveaux, cornets à pistons et grosse caisse, adoptés depuis longtemps en Béarn. La compétition pousse à la modestie : seuls quelques hameaux restent fidèles à Pecotche, et sur la fin de sa vie, il se contentera de la nourriture et d’une piécette. En Labourd et en Basse-Navarre, le tambourinaire perd peu en peu de son prestige. Dans la nouvelle qu’il publie en 1899, le folkloriste (républicain) bas-navarrais S. Harruguet met en scène les jeunes de Hosta « qui n’ont pu trouver ni un piston, ni un violoneux, ni même [nous soulignons] un tambourinaire »76. À Aïcirits en 1887, pour la première fois, la fête patronale se fait sans le « violon empanaché de rubans » du ménétrier, devenu trop âgé77. S’ouvre alors une période de coexistence entre plusieurs registres musicaux, où le violon et la xirula sont peu à peu évincés vers des positions subalternes par les harmonies et fanfares qui se structurent çà et là. Les gros bourgs font de plus en plus appel aux orchestres de cuivres, délaissant violons et clarinettes aux petits villages, et reléguant les tambourins au rang de souvenirs (Zalduby 1899). À Cambo, en 1899 et en 1904, ce sont encore des violons qui font danser, mais d’ores et déjà l’harmonie municipale, plus adaptée aux goûts des curistes et de la bourgeoisie de cette petite ville thermale, endosse le rôle de musique officielle. Dès 1886 à l’occasion de l’installation du curé Diharassary, c’est aux sons de la fanfare Saint-Laurent que la Garde nationale honorifique du lieu exécute le pas redoublé78. À l’occasion du Congrès de climatologie en 1886, la fanfare escorte les congressistes, alors que la modeste xirula et le tambour accompagnent les 30 danseurs kaxkarot venus de Louhossoa79. À Guéthary en 1886 pour les fêtes de la Saint-Nicolas, le bal est animé par « un orchestre miniature de ménétriers »80. Le tambourin à cordes ttunttuna, attesté à Cambo en 1876, à Guéthary en 1868, à Hasparren en 1874, disparaît peu à peu du Labourd et de la BasseNavarre méridionale, au profit de la seule xirula et du tambour. À Mendionde, la Fête-Dieu est encore accompagnée à la xirula et au tambour en 1901. Dès avant 1914 cependant, clarinette et piston commencent à se substituer à la xirula (Truffaut 1988). À Saint-Jean-Pied-de-Port, le 14 juillet 1888 est fêté aux sons de la fanfare, payée par la municipalité. Le lendemain, ce sont « les ménétriers de village, aux gages de la jeunesse », qui « ont tenu à prouver qu’ils apportaient un concours loyal
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Euskal Herria – Le Pays Basque, 8 octobre 1898. Le Réveil basque, 20 novembre 1887. Le Pays Basque, journal monarchique et religieux, 2 juin 1886. Le Pays Basque, journal monarchique et religieux, 8 octobre 1886. Le Pays Basque, journal monarchique et religieux, 15 décembre 1886.
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quoiqu’intéressé aux réjouissances du jour. »81 Le xirulari commence dès lors à être associé à certaines circonstances, où son répertoire, devenu spécialisé, est indispensable. À Hasparren, pour les tobera mustrak (parade charivarique) de 1891, on remobilise le vieux flûtiste. À Itxassou, la Fête-Dieu est accompagnée de la xirula et du tambour, alternant avec les clairons, jusqu’en 1908. La clarinette remplace alors la xirula, mais celle-ci continue de jouer les danses de la phase profane de la fête jusqu’aux années 1930. À Macaye en 1946, les cuivres sonnent à la Fête-Dieu, mais la jeunesse fait venir Erlande Aguerre, xirulari de Mendionde, pour exécuter les sauts basques. Saint-Esteben aura recours à ses services pour au même motif en 1948. Aguerre jouera également de la xirula pour les cavalcades de Louhossoa en 1948, 1952 et 1957, mais dès lors la xirula n’est plus que l’instrument des zirtzil (bouffons) de la cavalcade, qui parodient le cortège brillant des danseurs accompagné par les cuivres de Garazi82. S’ajoute parfois à cette nouvelle concurrence musicale un comportement de repli de la part des ménétriers eux-mêmes. Hypolitte Hiriart, joueur de violon et maître de danse réputé d’Arrauntz à la fin du xixe siècle, voit dans le clarinettiste Pierre Socodiabehere Xatorra un concurrent potentiel. Il rechigne à lui transmettre son répertoire, et Socodiabehere doit s’en remettre aux anciens danseurs pour s’en instruire (Sagaseta 2011). Ce milieu musical, comme l’a observé Bernard Lortat-Jacob en Sardaigne (1994), même immergé dans un environnement communautaire, reste foncière foncièrement individualiste. Les logiques de l’honneur et de la concurrence ont également contribué à empê empêcher l’émergence d’une conscience collective de musiciens, qui peu à peu, se voient chaque jour davantage marginalisés.
Illustration 13 : Violon ayant appartenu à Hypolite Hiriart, ménétrier d’Arrauntz, Hypolite don de la famille Bruno, 1925 (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
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Le Réveil basque, 22 juillet 1888. Entretiens avec Cyprien Dagorret (Macaye), Jean-Pierre Elissetche (Louhossoa).
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Les gros bourgs, les fanfares et la pénétration du politique Dans les gros bourgs, les fanfares sont davantage perméables aux pressions idéologiques. À SaintJean-Pied-de-Port au début du xxe siècle, la Lyre, liée à l’école publique, s’oppose à L’Harmonie, proche de la faction cléricale-conservatrice. Cette nouvelle organisation de l’activité musicale sous la forme d’harmonies ou de fanfares remplace et/ou coexiste avec l’ancien système du ménétrier engagé individuellement par la jeunesse. La nuance peut être utile en cas de litige. Le 12 janvier 1913, la cavalcade organisée par la jeunesse d’Ispoure traverse en musique la ville de Saint-Jean-Pied-dePort, contrairement à un arrêté municipal du 4 novembre 1911. Huit musiciens font l’objet de la procédure, dont le cordonnier Auguste Steck et Jean Bentaberry, qui sont présents à l’audience. Ils déclarent pour leur défense : qu’ils ne forment pas une société musicale tombant sous le coup de l’arrêté municipal en question, mais un groupement temporaire sans lien fixe ni durable entre eux, musiciens d’occasion conservant toute indépendance les uns vis-à-vis des autres ; ils sont loués individuellement par les représentants de la jeunesse pour jouer à l’occasion des fêtes et de certains divertissements de village, et payés directement et séparément par eux ; ce groupement n’a jamais ou a peu près la même composition. Le 12 janvier 1913, particulièrement, appelés toujours individuellement par les représentants de la jeunesse d’Ispoure à l’occasion d’une cavalcade de Carnaval, ils ont prêté leur concours pour faire de la musique dans le passerue qui a eu lieu à Saint-Jean-Pied-de-Port et puis pour faire danser la jeunesse à Ispoure, et ont été également séparément payés par eux.
Le point de droit concerne donc le fait de savoir si les musiciens ont été engagés individuellement, où s’ils constituent, comme l’affirme le Ministère public, un orchestre, appelé orchestre Steck. S’ensuit une discussion juridique sur la distinction entre une société musicale (dont le but est « la réalisation de bénéfices pécuniaires à partager entre les intéressés »), une association (« une union de personnes qui mettent en commun d’une manière permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but désintéressé exempt de tout esprit de lucre ») et une réunion (cette dernière n’établit aucun lien, aucun engagement entre les divers assistants et maintient entière leur indépendant à l’égard des uns et des autres et que de plus elle a un caractère essentiellement temporaire, tandis que l’association offre un caractère de permanence et suppose une organisation en vue d’une action commune et durable). Le tribunal rappelle également que l’arrêté municipal de 1911 avait uniquement pour but de réglementer les agissements des deux sociétés musicales existant à Saint-Jean-Pied-de-Port, la Fanfare municipale et l’Harmonie Garaztarrak, véritables associations en fait de droit. Au final, le juge conclut que Bentaberry, Steck et leurs collègues ne constituaient ni une société ni une association, mais une « simple réunion de musiciens […] engagés par la jeunesse de la commune d’Ispoure qui les avait nominativement choisis en vue d’une cavalcade de carnaval, la dénomination tout arbitraire d’orchestre Steck n’étant, si l’on veut, qu’un hommage rendu à la science musicale plus consommée de ce dernier ». Les prévenus sont renvoyés sans amende ni dépens. L’anecdote souligne la période de transition que traverse alors le statut du musicien, en particulier dans les petites villes. Le nouveau goût des élites et la mise à l’écart du tambourin La marginalisation du tambourin s’opère d’abord sur la côte basque. À Bayonne, le ttunttun disparaît progressivement au xixe siècle. Le poète gascon bayonnais Jean-Baptiste Deldreuil (1796–1852) dé-
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plore ainsi la disparition de la Pamperruque, mais aussi celle du « chioulet » (flûte) et du tambourin de Pierroton : qui n’a pas vu danser la Pamperruque à dix tambours, à tour de bras frappés les tambourins même sont enfoncés la Kue-du-Chat n’est plus de saison et le piston partout dépossède jusqu’au sifflet (flûte) [chioulet] du pauvre Pierroton [Pierroutoun]. (Rectoran 1931 : 113, traduction de l’original gascon)
Pierroutoun est signalé par Pierre Rectoran comme le dernier des « chiroulaïres bayonnais », qui faisait danser la jeunesse sous les grands arbres de Chérubin, une propriété route du château de Marracq. Voici ce que dit à son sujet en 1865 un autre poète gascon bayonnais, PierreThéodore Lagravère : Et dapa aco qu’abem perdut ancoare Lou chioulet a tres traoucs dou praube Pierroutoun Dount Chérubin, d’auts cops, entenebè lou soun
Et avec ça nous avons perdu encore le sifflet (flûte) à trois trous du pauvre Pierroutoun dont Chérubin, autrefois, entendait les sons.
Lagravère ajoute en note : « Pierroutoun était un ménétrier très habile sur son galoubet. » Sans doute s’agit-il du dernier représentant de la lignée des Pierreton/Pierroutoun que nous avons vus sollicités à plusieurs reprises à la fin du xviiie siècle par les autorités bayonnaises pour les bals et réceptions de personnalités (chap. 1). Ces témoignages renvoient probablement au premier tiers du xixe siècle. Le ttunttun semble cependant encore présent à Bayonne dans la seconde moitié du xixe siècle, au vu du témoignage d’un habitant du quartier Saint-Esprit en 1919, à partir de l’évocation de la Pamperruque de la « nation juive » de 1781 : La Pan-Perruque se dansait au son du tambour et des flûtes et aussi au son du tambour basque ou thuntuna et du chirularia, que les Bayonnais appelaient tambourin ou thiountoun et chiroulirou. Ceux de notre génération se rappellent avoir vu au bas des Glacis le dernier joueur de thiountoun. Voici son portrait, peint par Corrèges, et que notre collègue M. Salane, qui possède des trésors insoupçonnés, a bien voulu me confier pour vous le communiquer. (Dours 1919 : 148)
Au sud de la côte basque, Saint-Jean-de-Luz illustre également le changement silencieux qui s’opère dès le début du xixe siècle. Dans le premier tiers du xixe siècle, une dissociation semble s’opérer progressivement. Le tambourin est peu à peu abandonné par les élites urbaines, qui tiennent la fête officielle. Le joueur de tambourin Larronde est encore régulièrement sollicité pour jouer dans les bals de la Saint-Jean, le 15 août ou la Saint-Louis entre 1806 et 1823. À compter de cette date cependant, les tambourins disparaissent des comptes, donc de la fête officielle, tout en continuant d’être sollicités dans d’autres cadres. En 1845, à l’occasion du passage du duc et de la duchesse de Nemours, c’est avec les « gens de la campagne » (le quartier d’Acotz) que joue le tambourin, et non pas lors de la fête officielle du centre-ville. Pour la Saint-Jean de 1874, le Courrier de Bayonne signale, à côté des deux orchestres de la ville, des « tambourins basques », mais sans plus de précision. Il peut s’agir de ménétriers locaux, mais aussi de txistulari venus du Guipuzcoa ou de la Navarre voisines, dans la foulée des fêtes basques d’Abbadie.
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Le violon, potentiellement plus flexible et ajusté aux nouveaux répertoires à la mode, résiste et s’adapte. Le joueur de violon Jean Larralde est une illustration : il se produit régulièrement à Saint-Jean-de-Luz pendant plus d’un demi-siècle, depuis 1797 jusqu’aux fêtes patronales de 1852. Les régimes passent, mais Larralde reste : fêtes révolutionnaires (fête de l’agriculture le 10 messidor an VI, fête de la fondation de la République 1er vendémiaire an VIII), arrivée du comte de Damas sous la Restauration en 1815, naissance du duc de Bordeaux en 1820, la Saint-Louis dans les années 1820, passage de la duchesse d’Angoulême en 1823, passage de SAR Madame et du Dauphin en 1824, Saint-Charles fête du Roi en 1827–1828, passage de la duchesse de Berry en 1828, anniversaire des journées de juillet 1830, Saint-Philippe fête du Roi en 1841–1845, célébration de la proclamation de l’Empire en 1852, fêtes patronales. Larralde joue seul au début, puis est accompagné d’un ou deux autres musiciens. La scène devient concurrentielle : d’autres musiciens (Varet, Dagagnier, Ostalot et Barbastier dans les années 1830, Davagnier en 1850–1870) assurent les bals dans les années 1830. L’orchestre s’étoffe : pour les bals du jour et du lendemain de la Saint-Jean de 1837, les comptes font état d’un chef d’orchestre, d’un second violon, d’une clarinette et d’un ophicléide. Ainsi assiste-t-on progressivement à un alignement de la musique festive luzienne sur les pratiques musicales en vigueur en milieu urbain dans les autres villes françaises (et, sans doute, basques du sud). Le souhait d’un marquage local reste cependant encore en vigueur : en 1859, la municipalité rétribue Salvador Bétard « pour l’exécution de la danse locale dite maquilla dansa [danse de bâtons] » à l’occasion de la fête de l’Empereur. Mais globalement, le répertoire du bal s’achemine vers les danses à la mode. La danse en chaîne cérémonielle disparaît durant la première moitié du xixe siècle, les sauts basques sortent de la pratique routinisée pour n’être plus que réservés à des groupes d’exécutants spécialisés. Partagé entre goût du jour et spécificités locales, Saint-Jean-de-Luz trouve vers 1870 avec le fandango importé du sud un bon compromis : danse de divertissement, non protocolaire, il sera adopté par les musiciens et intégré au répertoire de bal. Il gagnera progressivement le Pays basque intérieur. SaintJean donnera encore des troupes itinérantes de danseurs kaxkarot pour quêter durant le carnaval (jusqu’à Bayonne) jusqu’au début du xxe siècle. La (re)découverte incomplète du ménétrier Le statut social ambivalent du musicien en fait un sujet complexe pour les nouveaux mouvements cherchant à promouvoir et à institutionnaliser l’identité basque, qu’il s’agisse des courants romantiques, régionalistes ou plus tard nationalistes. Les entrepreneurs identitaires opèrent une sélection parmi le « stock culturel » de la communauté visée. À compter du milieu du xixe siècle, la langue, le chant, la danse, les bertsulari et la musique feront l’objet d’une nouvelle attention de la part d’élites culturelles émergentes (Laborde 2005). Sur le plan de la musique à danser, cette redécouverte est sélective, incomplète et territorialement hétérogène. C’est autant l’écart entre le discours sur la musique et la réalité des pratiques sociales musicales qu’une supposée convergence parfaite qui se donne alors à voir.
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L’institutionnalisation des tamborileros au Sud : un contre-modèle ? Le détour par le Pays basque sud s’avère, ici aussi, utile. Autrement vigoureux, les mouvements d’affirmation politique d’une identité provinciale et/ou basque s’intéresseront tous à la danse et à la musique dans leur quête de marqueurs culturels. Cette relecture des traditions est loin d’être monopolisée par une tendance politique. À la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle en Guipuzcoa, c’est un courant influencé par les Lumières françaises (via la Real Sociedad Bascongada de Amigos del País, fondée en 1764) qui défend les droits politiques de la province (fueros), en s’appuyant sur les danses et les musiques comme preuves de personnalité culturelle. Les recueils d’Iztueta en 1824 et 1826 en sont l’illustration. Les danses guipuzcoannes qu’il étudie sont un condensé de formes cérémonielles anciennes (danses d’épées, danses en chaîne, cycle brokel dantza) et d’une technique de danse proche de celle des ballets et des milieux aristocratiques français et espagnols. De même, la musique des txistularis, dès le xviiie siècle, connaît-elle un double mouvement de modernisation musicale et d’institutionnalisation. Sur le premier plan, les txistularis, jusque-là généralement musicalement illettrés, se mettent à intégrer dans leur répertoire des menuets, contrepas, alboradas, etc. Dans le même temps, et dans le droit fil de l’affirmation politique du foralisme, qui place la municipalité au cœur de l’architecture institutionnelle, la figure du txistulari s’institutionnalise. Les petites villes se dotent d’ensembles de txistularis municipaux, auxquels est confiée la responsabilité du cycle festif et cérémoniel civico-religieux (Sánchez-Ekiza 2005 ; Aranburu Urtasun 2008). Ce mouvement d’institutionnalisation continuera tout au long du xixe siècle, porté en particulier par l’idéologie carliste, foraliste mais religieusement intransigeante. Émergeant à la fin du xixe siècle, le nationalisme basque se saisira également de la figure du txistulari et de cycles de danses soigneusement sélectionnés (Araolaza 2010)83. Cette institutionnalisation ne concernera que certains musiciens, en particulier en milieu urbain, les ménétriers de village continuant de fonctionner sur un statut informel de marginal sécant (Bikandi 2009). L’Association des txistulari du Pays basque, fondée en 1927, contribuera à asseoir l’institutionnalisation des txistulari en milieu urbain (Sebastián García 2010). Elle s’attachera également à la revalorisation des txistulari de village. Le temps des hommages tardifs succède alors à une longue marginalisation. Au Nord : entrepreneurs identitaires et valorisation sélective de la science du peuple La figure du ménétrier ne fait pas l’objet d’une institutionnalisation comparable au nord de la frontière. Loin s’en faut. Les ménétriers voient un statut déjà précaire se dégrader tout au long du xixe siècle. Les pouvoirs publics continuent d’y avoir recours de façon ponctuelle, mais leur gestion relève surtout des groupes de jeunesse. Les nouveaux entrepreneurs identitaires, cependant, s’empareront en partie de cette figure. À compter de 1851 à Urrugne, les Jeux floraux sont organisés sous l’égide d’Antoine d’Abadie, explorateur, scientifique et linguiste (Davant 1998). À partir de 1874 à Sare, les Jeux incluent des concours de sauts basques. Ces concours de danse auront lieu quasiment à chaque session jusqu’en 1920. En 1875, toujours à Sare, un concours de « chirula et
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Cette relecture abertzale (nationaliste basque) ne sera pas hégémonique. Aranburu Urtasun (2008) observe que les requetes carlistes navarrais comptaient aussi des txistularis à leurs côtés en 1936.
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tambourin » est organisé. En 1893 à Ustaritz, le concours est remporté par Romualdo Gochicoa, txistulari d’Irun, et Jean Olhagaray, xirulari d’Ustaritz. Chacun joue le répertoire qui lui est propre : un répertoire guipuzcoan et biscayen pour le txistulari d’Irun (Gernikako arbola, Ezpata dantza, Aurresku, Arin arin), les sauts basques les plus complexes (Mutxikoak, Baztandarrak, Gibandriak) pour le xirulari d’Ustaritz. Se croisent donc des musiciens du nord et du sud. En revanche, lorsque les concours se déplacent vers le Pays basque intérieur, ce sont uniquement les tambourinaires locaux qui concourent. En 1894 à Hasparren, le concours est remporté par Joseph Zubieta, xirulari et maître de danse de Macaye, suivi de Jean Olhagaray d’Ustaritz, de Pierre Laxalde de Cambo et de Pierre Sosaya d’Hasparren. L’année suivante à Espelette, Jean Olhagaray l’emporte, suivi de Joseph Zubieta et de Baptiste Dunat, tous deux de Macaye. Dans les villages labourdins proches de la côte, les tambourinaires locaux ont déjà disparu où ne sont plus de taille. En 1897 à Sare, les trois txistularis vainqueurs viennent de Vera de Bidasoa, village navarrais voisin. Les morceaux imposés ne concernent pas le répertoire de danse des sauts basques, mais Gernikako arbola, hymne basque par excellence présentant l’avantage d’agréger carlistes, fueristes libéraux, nationalistes, régionalistes conservateurs. À Ascain en 1900, faute de candidats locaux, ce sont des musiciens et des danseurs du pays de Mixe qui exécutent les sauts basques et qui animent le concours de ttunttun84. Le fandango venu du sud a déjà, dans cette zone, marginalisé les sauts basques. En 1909 à Hasparren, un concours réunit encore des xirularis labourdins. À compter de cette date, les concours formels de musiciens disparaissent des jeux floraux côté nord, alors que les concours de danse continuent jusqu’en 1920. En 1930, le Musée basque de Bayonne organise à Tardets un concours de tambourinaires souletins. Si la xirula est alors en pleine vigueur en Soule, le tambourin à cordes qui l’accompagne est de moins en moins usité. Les prix sont offerts par le Musée, le Syndicat d’initiative du Pays basque, les ethnologues anglais Violet Alford et Rodney A. Gallop, et Eugène Béguerie, un entrepreneur de Tardets. Béguerie et Elgoyhen, maître de danse à Tardets, se chargent de l’organisation pratique et font fabriquer à cette occasion plusieurs tambourins à cordes. De façon adroite, les ethnologues n’interviennent pas dans un jury composé de trois anciens danseurs souletins. Le concours réunit le 27 avril 1930 à Tardets 12 musiciens représentatifs de l’ancienne et de la nouvelle génération des xirulari. Chaque concurrent doit exécuter un saut basque, un air de mascarade, un air de pastorale et une chanson ancienne. Le vainqueur est, sans conteste, Lechardoat, charpentier à Tardets, lui-même élève du joueur de xirula Berho, mort en 1912 (Belatcha 1930). De façon significative, ces concours s’adressent uniquement aux tambourinaires. Les joueurs de violon ne sont pas convoqués, probablement en raison du caractère moins « basque » de leur instrument. Or c’est là, particulièrement en Labourd et en Basse-Navarre, minorer le rôle de ces ménétriers, qui jouent alors un rôle en tout point équivalent aux tambourinaires pour ce qui est de l’exécution et de l’enseignement des danses. Reste que, même en Soule, le tambourin est alors dans une situation précaire. Parmi les plus jeunes xirulari lauréats du concours
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Les sauts sont alors en pleine vigueur en pays de Mixe. La même année, lors des fêtes patronales de Masparraute, les sauts sont exécutés par plus de 70 hommes, avec au milieu du cercle les quatre jeunes du village ayant dansé à Ascain (Eskualduna, 12 octobre 1900).
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de Tardets, plusieurs préféreront recevoir le prix en numéraire plutôt que les tambourins que les organisateurs avaient fait fabriquer pour l’occasion (Itçaina 2018).
Illustration 14 : Tambourin à dix cordes, Tardets, fin xixe, don de M. Diriart, notaire à Saint-Palais (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
Une évolution contrastée selon les territoires Les rapports entre musiciens et entrepreneurs culturels varient selon les territoires et les périodes. Schématiquement, à compter de l’entre-deux-guerres, quatre situations peuvent être distinguées. En Soule, le modèle ancien reste en vigueur. Xirula et tambour restent l’unique accompagnement musical des mascarades de carnaval. Elles partagent avec les clarinettes et les cuivres les fêtes de village et les pastorales. La vigueur de la xirula le doit largement à la personnalité de Lechardoat, qui s’oppose fermement à l’introduction des cuivres85. La situation est sensiblement distincte en BasseNavarre. L’école de Garazi, guidée par Faustin Bentaberry, puis par son frère et d’autres musiciens du pays, allie le répertoire traditionnel et le répertoire de bal à la mode. Contrairement à ce qu’affirment déjà les folkloristes, les musiciens de Garazi n’opposent pas les deux répertoires. Tout au plus marquent-ils une distinction subtile entre genres et fonctions. Faustin joue le bal à la clarinette avec son orchestre, mais il descend au milieu de la place avec son violon pour jouer les sauts basques tout en « marquant » (annonçant) les pas. Lors des fêtes patronales, les premières danses qui suivent la sortie de la grand-messe et la partie de pelote sont invariablement les sauts basques, alors exclusivement masculins. Suivent les danses en couple du moment et le bal cesse à l’Angélus avec une 85 •
Inf. Jean-Michel Bedaxagar.
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nouvelle série de sauts basques. Après les frères Bentaberry, le violon disparaît, mais l’orchestre de cuivres maintient ce répertoire perçu de l’extérieur comme dual. Faustin rayonne dans l’ensemble de la Basse-Navarre et une bonne partie du Labourd. Lui-même enseignant de danse, il joue, avec ses frères, un rôle décisif dans le maintien et la modernisation de la technique de danse en Basse-Navarre méridionale (Aurnague 1993). Les folkloristes, cette fois, ne s’y trompent pas. Les musiciens de Garazi et leurs danseurs, avec des danseurs souletins et guipuzcoans, se rendront dans les années 1920–1930 à Barcelone, à Bucarest, à Paris et à Londres, sous la houlette de l’ethnologue Violet Alford (Sagaseta 2011). Les sauts longs, pour le coup, restent de pratique courante dans l’entre-deux-guerres en pays de Cize. En 1922, un rédacteur d’Eskualduna incite les jeunes basnavarrais et souletins à profiter de l’hiver pour apprendre les sauts « Mutchikoak, Bidarraitarrak, Milafrangarrak et les autres »86. Aujourd’hui oublié, le saut Bidarraitarrak est également mentionné aux côtés des Lapurtarrak et Milafrankarrak, danses longues et complexes, parmi les sauts qu’exécutent en 1927 les danseurs d’Esterençuby, Saint-Michel et Aincille à Béhorleguy devant la cabane de chasse du député Ybarnégaray87. Au nord de la Basse-Navarre, en pays de Mixe et d’Ostabarret, la situation est sensiblement différente. Le pays de Mixe reste relativement à l’écart de l’influence de l’école Bentaberry. Le style des sauts basques, épuré et sans entrechats, s’apparente plus au style ancien de la Soule voisine. Xirula et ttunttuna y résistent mieux (Alford 1935 : 568) et les sauts basques y ont cours de façon courante. La pratique normalisée des sauts basques se maintient surtout dans les villages, mais aussi de façon ponctuelle à Saint-Palais, chef-lieu de canton. Saint-Palais délaisse aux premières années de la IIIe République la pratique hebdomadaire des sauts basques, qu’animaient le dimanche aux Allées Jean Heuguerot Ttikoi au violon et Gastellu-Etchegorry Gattulu à la xirula et au tambourin (Vogel 1927). La pratique occasionnelle des sauts, en revanche, y perdurera encore longtemps, et en particulier à l’occasion des fêtes patronales de la Madeleine en juillet. En 1885, un concours de sauts s’y tient au son du tambourin à cordes et du violon de Ttikoi. Les quatre vainqueurs sont Ondarsuhu d’Aïcirits, Safores de Gabat, Paul Géromis de Saint-Palais et un Souletin, Iratçabal de Musculdy88. Un concours similaire est organisé pour les fêtes de la Madeleine de 1887, toujours avec xirula, tambourin à cordes et Ttikoi au violon. Y est également fait mention des habitants des communes béarnaises limitrophes qui viennent se mesurer aux sauts basques89. Aux fêtes de la Madeleine de 1888, le changement est déjà sensible : « au lieu des musiciens gagistes », c’est la fanfare nouvellement montée à Saint-Palais qui joue pour le traditionnel bal des Allées, « le lieu où nos grand-mères dansaient le menuet et les sauts basques au jour trois fois béni de la sainte Madeleine ». 86 • 87 • 88 •
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« Berotzeko jauzi », Eskualduna, 8 décembre 1922. Eskualduna, 2 décembre 1927. Le Journal de Saint-Palais, 2 août 1885. S’y tient également un concours de bertsulari remporté par Çoubiat Iribarne de Béhorléguy, avec Caillava d’Ossès et un Baigorriar en deuxième rang. Le chantre de Baïgorry (probablement Dibarrart) remporte celui de 1887. La réciproque est également vraie, notamment pour les Souletins limitrophes du Béarn. En avril 1901, la représentation de la pastorale Bonaparte à Lanne en Barétous est suivie de l’exécution sur le théâtre des sauts « Moutchiko et Jibandriak dans lesquels Baretounais et Souletins rivaliseront », probablement aux enchères (Le Glaneur d’Oloron, 13 avril 1901). En 1899, la fête patronale d’Arette, en Barétous, propose un concours de sauts basques « Moutchiko et Jibandriak, entre les plus agiles Souletins et Barétounais » (Le Patriote des Pyrénées, 25 juin 1899).
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Le répertoire, cependant, est distinct : « les airs les plus nouveaux, les valses les plus endiablées, les mazurkas irrésistibles ». Le rédacteur du Journal de Saint-Palais y décèle cependant une lacune : Saint-Palais et ses environs comptent des danseurs aussi nombreux qu’agiles ; leurs danses originales, leurs sauts ont été très remarqués par les étrangers à nos dernières fêtes. Pourquoi avoir supprimé cette attraction ? C’est là un oubli que nous signalons parce qu’il est encore temps d’y porter remède90.
Illustration 15 : Tambourin de Gastellu-Etchegorry « Gathulu », musicien de Domezain, don de Lissar en 1928 (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
L’appel semble avoir été entendu, puisque les sauts basques sont exécutés par une soixantaine de danseurs lors de ces fêtes. Un nouveau concours de sauts basques se tient pour les fêtes de la Madeleine de 1893. Les Mutxikoak et Baztandarrak sont au programme pour les danseurs convoqués avec le « costume de rigueur » : chemise blanche, ceinture rouge, béret, pantalon blanc, sandales. Ondarsuhu d’Aïcirits remporte le premier prix, suivi de Sallato de Saint-Palais et de Bordères de Beyrie (2e prix ex aequo), de Lestanquet et Dendary (3e prix ex aequo) et de Lalanne et Moustrous (4e prix ex aequo). Çoubiat Iribarne remporte le concours d’improvisations chantées (koblari) suivi d’Erguy. Un joueur de xirula est rémunéré pour le concours de sauts et l’orchestre bayonnais de Perron pour le reste des fêtes. En 1901, le concours de sauts basques est repoussé à la refête de Saint-Palais, en septembre. En 1877 et 1903, les Fêtes basques d’Abbadie se célèbrent à Saint-Palais. En 1877, le concours de sauts semble réservé aux Souletins, et c’est la fanfare de Saint-Palais, dirigée par M. Herse, professeur de musique du lieu, qui anime le reste de la fête91. En 1903, le concours de danse est divisé en deux parties : l’un pour les Souletins, l’autre pour les Bas-Navarrais. Si le concours souletin se tient au son de la xirula et du tambourin, ce sont un cornet et une basse qui jouent pour les Bas-Navarrais. Des sauts complexes sont exécutés : Mutxikoak, Xibandierrak, Baztandarrak et Godalet dantza (danse du verre)92. En 1909, 1910, 1911, les fêtes patronales de Saint90 • 91 • 92 •
Le Journal de SaintPalais, 15 juillet 1888. Le Courrier de Bayonne, 5 septembre 1877. Vainqueurs du concours souletin : 1 ex-aequo : Burguburu et Churuteguy, de Tardets ; 2 ex aequo : Etcheto et Sallaber de Larrau ; 3e : Bordegaray de Cheraute ; 4e : Héguiaphal de Chéraute ; 5e: Mouren, d’Escos. Concours bas-navarrais : 1er : Loustaudaudine de Domezain ; 2 ex aequo Saphore de Gabat et Coustau d’Ithorrots, J.-B. Arkondo de Masparraute ; 3e : J.-P. Arkondo de Masparraute.
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Palais ne mentionnent plus de concours de sauts, en revanche les bals des fêtes se terminent toujours par « les danses basques traditionnelles ». Les villages d’A mikuze environnants restent fidèles quant à eux à l’ancien modèle. L’incontournable Ttikoi est par exemple sollicité pour exécuter les sauts à Aïcirits lors des fêtes de la Saint-Martin en 1889. À Sussaute, en 1908, les Baztandarrak, particulièrement ardus, sont exécutés à cinq ou six reprises durant les fêtes patronales, grâce au concours d’un musicien de Mauléon93. À Arberats en 1910, deux concours de danses sont organisés pour les fêtes patronales, l’un réservé aux hommes de plus de 30 ans, l’autre à ceux de plus de 40 ans94. Il est également d’usage que les compagnies de danseurs des communes environnantes et parfois les mascarades souletines ellesmêmes, viennent danser et quêter pour carnaval à Saint-Palais95 La participation à la danse, on le voit, reste tributaire des codes hérités. Si les jeunes filles restent exclues des sauts basques exécutés sur la place publique, elles participent pleinement aux bals, aux quadrilles et aux « danses attachées » en vigueur depuis longtemps déjà dans les petites villes comme Saint-Palais. Un témoignage cependant souligne la participation, en ordre séparé, des jeunes femmes aux sauts basques à Saint-Palais : La danse nationale des Basques se nomme mutchico (les sauts basques). Elle est exécutée par des jeunes filles et des jeunes gens qui agissent séparément, sans paraître se préoccuper les uns des autres. J’ai vu les Basques et les Basquaises de toutes les classes danser ensemble, en vertu du principe que tous les Basques sont nobles, tous les dimanches, sur la place de Saint-Palais. (Bascle de Lagrèze 1881–1882 : 44).
La danse traduit aussi d’autres formes de discrimination, parfois de façon assez directe. En juillet 1896, un groupe de jeunes filles de Saint-Palais, relayé par le journal local, écrit aux responsables de la jeunesse afin de se plaindre de la participation des « bohémiennes » au bal du 14 juillet : Aux baladins. Un groupe de jeunes filles nous adresse une lettre, trop longue pour être insérée, se plaignant de ce que au bal du 14 juillet plusieurs bohémiennes, brisant en cela avec les traditions, ont dansé aux Allées, mêlées à la jeunesse de la ville, et ajoutant que si ce fait doit se reproduire durant les trois jours de fêtes, elles se retireront du bal ne voulant d’aucune façon se commettre avec ces Phrynées de bas étage. Nous espérons que MM. les baladins feront droit à la requête de ces jeunes filles en obligeant les bohémiennes à respecter les usages en allant comme par le passé loin des Allées se livrer sans contrôle à leurs écarts chorégraphiques.96
On ignore si l’injonction fut suivie d’effet. Ces pratiques d’exclusion rappellent par ailleurs l’existence, dans le premier tiers du xixe siècle, de bals de sociétés de diverses classes dont il est fait notamment état à Saint-Palais en 1823 et 1833 et à Saint-Jean-Pied-de-Port en 1832 (voir chap. 6). Dans les années 1920, un modèle relevant déjà du groupe folklorique, adossé au patronage, voit le jour à Saint-Palais. Les Mixains, cependant, à la différence de ce qui se passera au Labourd, n’importent pas de danses du sud de la frontière et restent fidèles aux sauts basques et au tambourin. Dans les années 1930, un musicien d’Ainharp assure cette fonction, qui sera reprise dans l’après-guerre par 93 • 94 • 95 • 96 •
Eskualduna, 30 juillet 1908. Le Journal de Saint-Palais, 21 août 1910. Voir, Le Journal de Saint-Palais, 23 février 1896. Le Journal de Saint-Palais, 19 juillet 1896.
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Pierra Lamaison, de Saint-Palais97. En 1942 et à l’occasion d’une fête pour les prisonniers de guerre, les jeunes de Beyrie exécutent encore les sauts à la xirula. À Arberats en 1939, les Baztandarrak sont toujours en vigueur mais réservés aux « vieux » danseurs. La pratique des sauts reste également vivace dans l’Ostabarret. Un chroniqueur d’Eskualduna visiblement originaire de cette vallée se remémore en 1939 du déroulé du dimanche de la fête patronale dans sa jeunesse, vers 1880. Les sauts sont donnés une première fois à l’issue de la grand-messe, puis à nouveau après les vêpres, par les jeunes hommes d’abord puis par les anciens. Il se souvient en particulier d’avoir vu les anciens danser le saut « Laphourtarrak – que certains appellent Baztandarrak »98. Les jeunes du village dansent ensuite des quadrilles, puis c’est au tour des jeunes hommes extérieurs au village. Les Souletins viennent alors en Ostabarret pour danser les Chibandriak, avec force frisat (frisés) et entrechats. Le pendant de cette évocation consiste, pour le chroniqueur, à déplorer la faible connaissance contemporaine (1939) des sauts et l’introduction des mazurka, schottish, polka, tango, « autant de danses qui blessent l’honnêteté ». L’adoption des nouvelles danses cependant n’empêchera pas la pratique des sauts de perdurer dans cette partie de la Basse-Navarre, et ce bien après la Seconde Guerre mondiale. Le Labourd présente, schématiquement, un quatrième modèle, plus partagé. S’y met en scène un rapport de coopération-concurrence entre des visions distinctes de la musique et de la culture. Si les usages locaux en matière de danse et de musique restent généralement vigoureux jusqu’à 191499, à compter du début des années 1930, l’influence du Pays basque sud se fait ressentir au travers d’une nouvelle forme organisationnelle : le groupe folklorique. Celui-ci présente un répertoire de danses extraites de divers contextes rituels et récréatifs, et agencés dans une logique scénique. Ce modèle fait la part belle aux danses de la Biscaye et du Guipuzcoa, spectaculaires et athlétiques. Les sauts basques, porteurs d’une esthétique sobre et plus intériorisée, apparaissent plus arides. Ces groupes s’articulent soit à la paroisse, soit au mouvement associatif régionaliste qui se développe dans les années 1930, soit aux deux. À Saint-Jean-de-Luz, l’Association Begiraleak créée en 1935 en constitue un exemple, autour d’un mouvement d’abord féminin. Le mouvement Euskalerriste (1932–1937) se penche également sur les danses et le chant (Larronde 1994). L’importation de danses du sud se développe surtout avec l’afflux de réfugiés aux débuts de la guerre civile espagnole en 1936 et 1937. Les groupes se multiplient en particulier sur la côte basque, c’est-à-dire là où les danses de tradition locale sont, dans la plupart des cas, en voie d’extinction. Le « dimanche des Basques » qui, chaque deuxième dimanche de septembre, réunissait rituellement jusqu’au dernier quart du xixe siècle à Biarritz des groupes de danseurs et de ménétriers venant des villages environnants, n’est plus qu’un souvenir, et ce malgré des tentatives de la municipalité, comme en 1934, pour ressusciter l’usage100. Les carnavals urbains survivent, mais au prix de transformations considérables. En Labourd intérieur, le modèle folklorique se greffe parfois aux pratiques locales. Ainsi voit-on dès le carnaval 97 •
Inf. Clément Urrutibéhéty. Le tambourin et la xirula de Pierra Lamaison sont exposés au Musée de Basse-Navarre à Saint-Palais. 98 • Paul Silvain, « Eliza besta », Eskualduna, 8 septembre 1939 (traduit du basque). 99 • Y compris sur la Côte et dans des milieux spécifiques, comme les contingents d’appelés issus de l’ensemble du Pays basque. En mai 1890, un groupe de danseurs du 49e régiment donne une fête à Bayonne et exécute au son de la xirula et du tambourin sauts basques, contredanses et scottish (Le Journal de Saint-Palais, 22 mai 1890). 100 • AD 64, Arch. com. Biarritz, 1 I 6.
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de 1923 les kaxkarots (danseurs de carnaval) d’Ustaritz exécuter, outre leur cycle propre, une danse d’épées importée du sud. Dans le même village, le père capucin de Lekaroz, Hilario de Olazaran, dispense des cours de txistu dans les années 1930. Les groupes folkloriques s’institutionnaliseront en 1943 au sein de la Fédération Euskaldun Gazteen Batasuna, bénéficiant à la fois de l’affichage régionaliste du régime de Vichy tout en se référant aux nationalistes basques prorépublicains du Parti nationaliste basque (Larronde 1997). Aux confins de la Basse-Navarre, Louhossoa, Macaye, Mendionde et Bonloc restent à l’écart de ce mouvement de folklorisation et conservent la pratique ordinaire des sauts basques et des pratiques cérémonielles associées. Paradoxalement, ce qui apparaît alors comme une éclosion culturelle basque n’atténue pas le long processus historique de marginalisation sociale et culturelle des musiciens populaires labourdins. Les derniers grands ménétriers repérés lors des concours d’avant 1914 disparaissent dans l’entre-deux-guerres. À Bidart, le joueur de violon et maître de danse Pili Taffernaberry (1879– 1966) continue d’enseigner les sauts dans les années 1940, mais s’éteint dans l’isolement malgré quelques collectages tardifs par le père Donostia, Betti Betelu et Jean Espilondo (Truffaut 2004). Au nord de la province, la situation est plus précaire encore. En 1911, à l’occasion des jeux floraux de Mouguerre, ce sont des danseurs de Mouguerre et de Lahonce âgés de plus de 60 ans qu’il faut solliciter pour exécuter correctement les sauts basques. Mendiburu d’Urcuit tient le violon et exécute sans faillir les sauts longs Mutxikoak, Milafrangarrak, Xibandiarrak, Ainhoarrak et Alemanak qui, de l’avis de tous, n’y avaient pas été dansés depuis fort longtemps. L’enseignement systématique des sauts à la jeunesse s’arrête dans cette zone durant le dernier quart du xixe siècle. On y apprend à cette occasion que l’enseignement commençait par le saut Hegi, de facture élémentaire, suivi d’un saut aujourd’hui inconnu dénommé Barraket, qui comportait tous les points. Y étaient également pratiqués, entre autres, les sauts Choriñoak et Ainhoar ttipiak. Enfin, la technique des sauts était enrichie de tours sur soi, d'entrechats et d'ailes-de-pigeon. En sud-Labourd, le fandango évince dès avant 1914 les sauts basques, donnant de ce fait un nouveau rôle à l’accordéon. La situation est plus mêlée à l’intérieur de la province. Quelques ménétriers qui possèdent encore un répertoire complet, constatant la désaffection des danseurs dans leur propre village, se déplacent vers des milieux plus favorables. Socodiabehere, d’Arrauntz, joue en 1921 à la Fête-Dieu de Bidarray (Basse-Navarre) les sauts longs Mutxikoak, mais aussi Milafrankarrak, Azkaindarrak (ou Ainhoarrak), kaxkarot dantzak101. À Itxassou, les réfugiés de la guerre civile espagnole initient en 1942–1943 un groupe folklorique avec les jeunes du village, avec le soutien de la paroisse. S’y enseignent des danses biscayennes, accompagnées au txistu. Dans le même temps, les jeunes continuent à louer les services des musiciens d’Ustaritz-Jatxou pour la Fête-Dieu, le carnaval et les fêtes patronales. Les registres se mêlent parfois, le txistulari jouant à l’occasion les sauts à l’issue des cérémonies de la Fête-Dieu102. Enfin, le dernier xirulari de tradition du village, Manez Teillerie ne joue que pour la jeunesse de son quartier ou à la sortie de la messe, sans intégrer la musique officielle réglée par la jeunesse. Trois usages, donc, pour trois rapports à une tradition en mouvement.
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Eskualduna, 10 juin 1921. Inf. Mattin Zubieta, ancien txistulari et xirulari de Cambo.
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Ces oppositions sont schématiques. Bon nombre de musiciens de tradition accompagnent les groupes folkloriques tout en maintenant leur activité traditionnelle dans les bals, carnavals, Fête-Dieu, cavalcades, etc. Dans certains cas, les répertoires survivent également au changement d’instruments. L’accordéon, diatonique et chromatique, présent dès la fin du xixe siècle, accompagne parfois la xirula et se substitue de plus en plus au violon. Certains accordéonistes maintiendront le style ancien des ménétriers et reprendront à leur compte le répertoire des sauts basques, y compris jusqu’à des époques plus récentes, à l’image de Beñat Irigoyen « Galtxetaburu » (1934–1990) en Basse-Navarre. Il n’est pas rare de trouver des xirulari qui jouent également de la clarinette, de la trompette ou d’un autre instrument, selon les circonstances. La substitution instrumentale peut aussi entraîner une modification de l’interprétation, notamment concernant les tonalités. Si les sauts basques transmis oralement jusqu’à nos jours sont exécutés en mode majeur, les retranscriptions les plus anciennes dont nous disposions (voir « sources et bibliographie ») alternent entre modes majeur et mineur. Ces retranscriptions, qui remonteraient à la première moitié du xixe siècle, sont visiblement destinées au violon. L’on suppose ainsi, avec les précautions d’usage, que la disparition progressive de cet instrument (encore attesté vers 1936 lors d’une cavalcade d’Hasquette ou dans les années 1940 à Bidart) a dû renforcer une tendance chez les ménétriers, et en particulier les xirulari, à interpréter les sauts uniquement en majeur. En règle générale cependant et si l’on se borne aux débuts du xxe siècle, une césure s’opère entre un mouvement culturel basque intégrant danses et musiques dans un imaginaire que l’on veut standardisé et un modèle local ancien qui continue de s’affaiblir sur certains points et de se transformer sur d’autres. Les choses changeront progressivement aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. La transformation socioéconomique de la société basque et l’évolution des idéologies influeront de façon radicale sur le devenir des usages évoqués plus haut, et la figure du musicien fera à nouveau preuve de sa plasticité coutumière.
Illustration 16 : sauts Ainhoarrak (extraits), manuscrit de sauts basques non daté retrouvé au Grand Séminaire de Bayonne (archives privées, famille Amestoy, photo. X. Itçaina)
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Chapitre 6 Désordre public et ordre social : les mutations des usages sociopolitiques du charivari Autrefois répandu sur l’ensemble des territoires français et européens, le charivari se singularise dans ses versions basques moins par ses motivations que par la complexité, la longévité et les mutations de ses expressions. On se propose ici d’en examiner les transformations sur la longue période (xixe–xxe siècles) en Labourd et en Basse-Navarre, avec des incursions comparatives en Soule. Les recherches sur les charivaris basques ont été surtout effectuées à partir d’approches ethnographiques ou littéraires. Peu de travaux ont croisé une perspective ethnographique et une approche de sociologie historique qui permettrait de saisir non seulement les manifestations concrètes du rituel mais aussi les groupes sociaux qui le portent, la réponse sociale et judiciaire, l’irruption – ou pas – de la dimension politique enfin. Ce chapitre s’emploie ainsi à transposer en terrain basque les enseignements des travaux de référence sur le charivari gascon (Desplat 1982 ; Fabre et Traimond 1981) et, plus généralement, ceux déjà anciens sur le charivari, inspirés par l’histoire des mentalités, l’anthropologie et l’histoire des protestations collectives (Le Goff et Schmitt 1981 ; Weber 1984 ; Tilly 1980 ; Thompson 2015). L’enquête croise sources judiciaires, récits d’observateurs, presse et témoignages. Au final, ce sont plus de 250 charivaris nocturnes (sur les trois provinces) et environ 150 parades charivariques diurnes et « courses à l’âne » (en Labourd et Basse-Navarre) qui ont pu être répertoriés depuis le début du xixe siècle. Nul doute que leur nombre fût largement supérieur. Ce corpus reste cependant suffisant pour autoriser une analyse diachronique de la place du politique dans ces pratiques coutumières. Le charivari peut être considéré comme l’un des lieux où la politique informelle est à l’œuvre, au sens des formes, pratiques et expressions politiques se déployant aux marges du politique légitime tout en étant au cœur de la mise en scène symbolique des rapports sociaux et de pouvoir, voire des idéologies, à l’échelle du village, de la vallée ou du pays. Le politique n’y a cependant acquis une dimension centrale que récemment. Paradoxalement, cette nouvelle centralité a été rendue possible du fait même de l’affaiblissement de la coutume dans sa forme originelle. Je propose de relire l’histoire du charivari labourdin et bas-navarrais comme la succession et la superposition partielle de trois dimensions du politique. Étudier les modalités et les causes de la sanction par la coutume revient à se pencher d’abord sur les mécanismes d’imposition des normes et de sanction de la déviance à l’échelle du village. La première section s’y consacre, en soulignant la rareté des charivaris à visée politique, au sens partisan du terme, même si ceux-ci se multiplient au tournant des xixe et xxe siècles. Par la vigueur, la multiplicité et la longévité de ses manifestations, le charivari basque aura généré des réactions contrastées de la part des élites locales d’une part, d’une société en mutation ensuite. Cette double réaction influera de façon décisive le devenir de l’usage. À cet effet, ce chapitre se penche ensuite sur la sanction de la coutume du côté des élites locales. Si intrusion du politique il y a ici, elle concerne l’attitude des prescripteurs de catégories du charivari. Le juge, le maire et le curé font, en l’espèce, montre d’attitudes à la fois proches et distinctes quant à la dissi-
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dence (Soulet 2004) que constitue le charivari. La troisième section analyse son devenir, lorsque les oppositions institutionnelles conjuguées au changement social feront définitivement taire les charivaris nocturnes aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Les parades diurnes, quant à elles, connaîtront une nouvelle jeunesse, mais au prix d’une modification radicale de leur motivation. Le politique, de fait, effectuera une intrusion forte dans ces nouvelles formes théâtralisées, au nom d’une mise en scène d’enjeux sociétaux et non plus la sanction d’actes individuels jugés déviants. La sanction par la coutume : formes, causes et usages sociaux du charivari Formes ◊ Des expressions multiples
Les charivaris ont pris en Pays basque français plusieurs formes, variant suivant le degré de la sanction. Elles reproduisent en grande partie la distinction ternaire observée dans les pays gascons environnants, avec en sus une quatrième variante. Le charivari nocturne (toberak, tutak autour d’Espelette, galarrotsak à Hasparren, tzintzarrotsak en Soule) consiste en un vacarme reproduit plusieurs soirs de suite devant la maison des victimes ou « sujets ». En Labourd et Basse-Navarre, toberak renvoie au charivari sanctionnant généralement le remariage d’un veuf ou d’une veuve. Le terme basque de toberak, littéralement « tuyaux, cornes creuses » (Lhande 1926)1, associé au nord de la frontière aux charivaris, prend un sens différent en Pays basque sud. Autour d’Oiartzun (Guipuzcoa), toberak jotzea (jouer les toberak) renvoie aux couplets donnés cette fois en l’honneur des mariés, où les chanteurs s’accompagnent d’une percussion jouée sur des tuyaux métalliques (Lecuona 1924). La course à l’âne (asto lasterrak, équivalent de l’asouade gasconne) consiste en une promenade dans le village de l’effigie de la victime, voire de la victime elle-même : elle sanctionne les disputes entre époux. La jonchée (berdura) est une étendue de fougère, de foin ou autre entre deux maisons. Elle vise essentiellement l’adultère. Enfin, le tobera mustrak, que Georges Hérelle2 propose de traduire par « parade charivarique » (ou cavalcade) consiste en une fête diurne avec défilé et spectacle de danses, défis de bertsu (improvisations versifiées) et parodie théâtralisée de procès. Les tobera mustrak (appelés également karrusak – carrosses – en pays de Cize ou libertimenduak – divertissements – même si ce dernier terme renvoie plutôt aux cavalcades ordinaires de carnaval) constituent le recours ultime de la sanction envers la victime d’un charivari nocturne qui n’aurait pas trouvé d’arrangement avec la jeunesse. La littérature populaire basque a conservé enfin le souvenir de représentations charivariques plus élaborées, prenant forme de pièces de circonstances rédigées à l’avance et représentées publiquement. G. Hérelle propose de nommer « farces charivariques » ces pièces propres à la Soule – et notamment à la Basse-Soule – et au pays de Mixe, qu’il distingue du charivari nocturne ordinaire mais également des « parades charivariques » (tobera mustrak). Les représentations des farces sont 1 • 2 •
Le même dictionnaire indique, outre la sérénade et le charivari, d’autres sens pour toberak : « soufflet de forge » et « bruit que l’on fait dans l’église pendant la semaine sainte à l’office des ténèbres ». D’origine champenoise, G. Hérelle (1848–1935) est professeur de philosophie, historien et traducteur littéraire (notamment de D’Annunzio et de Blasco Ibañez). Professeur au lycée de Bayonne entre 1896 et 1903, il étudiera jusqu’à la fin de sa vie le théâtre populaire basque.
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attestées dès la fin du xviiie siècle en Soule (comme Joanic Hobe eta Arlaïta jouée à Olhaïby en 1788 ; Hérelle 1908 : xxxviii). Bien que nommées astolasterrak (course à l’âne) en Soule, ces farces sont cependant à distinguer des courses à l’âne ordinaire, au sens où les farces charivariques, si elles sont effectivement précédées d’une cavalcade où les ânes remplacent les chevaux, consistent cependant en un spectacle réglé alternant récitations du texte en vers et intermèdes dansés des Satans. Hérelle a étudié la quinzaine de manuscrits de farces alors disponibles3. Jouées tout au long du xixe siècle, l’origine de ces textes est indéterminée. Certaines représentations sont datées de la fin du xviiie siècle. Synthétisant les sujets des farces (Hérelle 1908 : 44), l’historien y voit l’expression d’une « morale domestique » reposant sur trois règles : « 1° le devoir pour l’homme de se marier par raison, et non par passion ; 2° devoir, pour la femme, de rester soumise à l’autorité maritale ; 3° défense au veuf de prétendre à un second mariage » (Hérelle 1908 ; xliii). Patri Urkizu a publié et étudié le texte basque original de certaines de ces farces (Urkizu 1998). On notera qu’aux xixe et xxe siècles, pour être autorisées, les astolasterrak se donneront souvent au détour d’une pastorale à sujet classique (tragédie). Les farces charivariques étant propres à la Soule, nous nous concentrerons sur les charivaris nocturnes et sur les parades charivariques propres au Labourd et à la Basse-Navarre. Ces pratiques ont été suffisamment analysées dans le détail pour que l’on se contente ici d’en résumer la teneur (Hérelle 1925 ; Guilcher 1984 ; Etchecopar Etchart 2001 ; Irigoien 1999 ; Luku 2014). Lorsque tel évènement défrayant la chronique locale suscite un charivari, la jeunesse de la commune se réunit et entame les préparatifs. Cette phase liminaire comprend encore, au xixe siècle, la cérémonie du bâton, qui clôt le processus décisionnel. Tous les participants au charivari passent symboliquement sous un bâton tenu par deux jeunes, signifiant par là-même leur engagement à mener la procédure jusqu’à son terme, et à en assumer les conséquences. On retrouve là, réduit aux jeux de la jeunesse, le souvenir d’un rituel propre aux élections des jurats de quartier sous l’Ancien Régime dans les paroisses labourdines, où les électeurs devaient « passer sous le bâton » afin de signifier leur vote. Dans la très grande majorité des cas, c’est tout ou partie de la classe d’âge de la jeunesse masculine célibataire qui, à l’échelle du village ou du quartier, se charge de l’organisation du charivari, à l’instar de l’ensemble du cycle festif de l’année. Quelques charivaris comprennent la participation de femmes. À Ostabat en 1856, les couplets sont chantés par Marguerite Deiheraberry dite Pampina (la poupée), au milieu d’un charivari masculin et particulièrement vindicatif : Curutchet était un des premiers, c’est lui qui a fait monter dans la galerie de la maison qu’elle habite un petit garçon tenant un chat attaché à une perche pour le faire brûler sur le toit ; on a roulé de grosses pièces de bois de débours de l’ancienne halle jusqu’aux portes de la maison pour y mettre le feu ; on attachait des ânes et des boucs aux murs de sa maison avec des cordes en les excitant à crier. Pampina était la chansonnière qui débitait les couplets les plus obscènes après les couplets applaudis de toute part, on fesait un vacarme avec des caisses, des chaudrons, des cornes, de clochettes de toute grandeur, capable d’étourdir toute la ville et cela pendant trois nuits […]4
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Voir sa préface à sa traduction de Canico eta beltichine, farce charivarique donnée à Larribar le 30 juin 1848, dirigée par Jacques Oihenart, instituteur de tragédies à Uhart-Mixe (Hérelle 1908). AD 64, 4 U 12/20, Justice de paix du canton d’Iholdy, 13 juin 1855.
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De rares charivaris reposent sur une participation exclusivement féminine. Je n’en ai recensé que deux, à Espelette, l’un en 1828, pour un grand charivari « déshonorant une famille » où les femmes défilent en chantant derrière un drapeau noir, habituellement usité comme symbole de deuil, l’autre 1863 pour un charivari plus classique à l’encontre d’une jeune fille du village. Plus rarement encore, comme à Ossès en 1900, les hommes mariés préparent une cavalcade pour ne pas être en reste eu égard à celle donnée par les jeunes l’année précédente. Le charivari proprement dit est précédé par une visite d’une délégation de la jeunesse à la victime potentielle. À ce stade, il est encore possible à cette dernière d’éviter la sanction en gratifiant la jeunesse d’une obole. À Cambo en décembre 1909, une riche veuve régale la jeunesse en offrant vin, danses publiques et partie de pelote en son honneur. Certains mariages religieux se célèbrent très tôt le matin, soit dans une chapelle éloignée (notamment à Ainhoa) soit de l’autre côté de la frontière, pour éviter le charivari. Le refus de l’arrangement expose sa victime à l’ouverture de la procédure. C’est le cas en particulier des catégories sociales moins aisées, peu susceptibles de financer la jeunesse. En 1910, la veuve Larregain, ménagère à Hasparren au quartier Celhay et sur le point de se remarier informe les gendarmes de la procédure coutumière : Le charivari que vous venez de faire cesser était dirigé contre moi pour les raisons suivantes. Lorsqu’une veuve se remarie, il est de règle de faire un charivari à moins qu’elle ne verse une certaine somme aux jeunes gens et comme je me remarie dans huit jours, Itcia, Duhart et Iribarnégaray sont venus me trouver jeudi dernier, au soir, ils m’ont donné à comprendre que si ne leur donnais pas de l’argent ou du vin, un charivari serait organisé. Mes moyens ne permettant pas d’accéder à leurs désirs, j’ai refusé et ils se sont retirés mécontents.5
Les charivaris nocturnes, étape suivante, se présentent comme une alternance entre formules charivariques, bertsu, cris de défis « irrintzina » et tintamarre. On se souvient à Itxassou de cris proférés depuis les montagnes entourant la maison des sujets. Les couplets sont composés ou improvisés par les bertsulari (versificateurs). Ils constituent la pièce centrale du dispositif. La parole versifiée atteint son objectif essentiel, le déshonneur, de façon plus efficace que la simple injure. Les procédures mentionnent à foison ces « chants injurieux » et « couplets diffamatoires ». À Barcus lors d’un charivari en 1880, les charivariseurs donnent « des chansons de bohémiens ». Certains de ces couplets suivaient une structure préétablie, avec alternance de couplets récurrents et de vers de circonstances, sur une mélodie réservée au charivari et immédiatement reconnue comme telle6. Le chant répond parfois au chant, dans une sorte de duel au sein même du groupe des charivariseurs. À Larressore en 1841, dans un charivari mené au son du tambour « pour battre la fi à M. le Maire », les charivariseurs, à la sortie du cabaret se groupèrent en deux parties desquelles faisaient partie des poètes ou versificateurs, que lorsque ceux d’un côté composaient un verset, l’autre répondait par un autre, lesquels finissaient par être suivis par des cris et hurlements et autres signaux d’approbation7. 5 • 6 •
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AD 64, 4 U 11/24, Justice de paix du canton d’Hasparren, PV de gendarmerie, 12 novembre 1910. Voir les couplets et formules de charivari recueillis dans la région de Cize par Pierre Duny-Pétré (2014). J’ai recueilli à Itxassou des couplets composés à l’occasion d’un charivari nocturne dans l’entre-deux-guerres, dont la structure et les tournures évoquent les chants de quête de carnaval, puis s’en écartent au profit de couplets de circonstance. AD 64, 4 U 40/19, Justice de paix du canton d’Ustaritz, Jugement de simple police du 29 novembre 1841.
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Il arrive également que les victimes du charivari répondent par des couplets à leurs détracteurs. La victime du tobera mustra du quartier Xerrenda d’Espelette en 1899 va jusqu’à publier dans la presse républicaine une réponse versifiée à chacun des couplets qui lui avaient été adressés par les charivariseurs8. Les parades charivariques diurnes, quant à elles, donnent très souvent lieu ex post à la publication de chants plutôt consensuels relatant le déroulé de la fête, le détail des costumes et des participants et passant généralement sous silence le prétexte premier du divertissement. Nous avons retrouvé des chants de ce type pour les cavalcades de Bidarray (1908), Iholdy (1908), Arrossa (1933), Irissarry (1883, bertsu de Joanes Otxalde ; 1914, bertsu de Martin Larramendy ; 1937 bertsu de Jean-Pierre Larralde « Panpale ») (Itçaina 2013) Ossès (1899), Saint-Jean-le-Vieux (1900), Mendionde (fin xixe). Les charivaris nocturnes font alterner chants et vacarme. Ce tintamarre rituel présente des caractéristiques récurrentes, qui en font un genre paramusical en soi (Marcel-Dubois 1981). Dans notre corpus, les éléments fréquents sont : cornes de bœufs, caisse ou tambour, sonnettes et sonnailles de diverses dimensions, porte-voix tutak pour chanter les couplets en déguisant la voix (ou un tuyau en fer-blanc coudé), casseroles et poêles, chaudrons, pelles, pincettes, cruches goudronnées, eltzaurrea (tambour à friction ou « l’instrument dit pot aveugle ») et une plume fendue (à Charrittede-Bas en 1851), trompettes en bois (Barcus en 1869). Des mannequins représentant le sujet sont parfois brandis (Cambo en 1846, Saint-Pierre-d’Irube en 1892), les effigies des victimes brûlées (Briscous en 1924). Des coups de fusils émaillent parfois les couplets (Ustaritz en 1867, Halsou en 1871). À Bidache en 1838, le charivari contre deux nouveaux époux s’accompagne d’un dessin sur la façade de la maison visée représentant un homme et une femme « dans l’attitude la plus obscène » auquel s’ajoute l’inscription : « cocu, cocu mon père, c’est la faute à ma mère si mon père est cocu »9. Sont également mentionnés des coquillages (Bas-Cambo en 1853, Urrugne en 1857, Olhette en 1860), des pelles, des pierres frappées sur des boîtes de fer-blanc, des chalumeaux. À Espelette en 1828, le charivari féminin exhibe un bâton garni de petites clochettes et de sonnettes, un « tambour chinois surmonté d’une croix », et le cortège suit un drapeau noir. La présence d’instruments de musique – et, par voie de conséquence, de ménétriers – proprement dits est rare : flûte xirula à Sare à 1865 et à Espelette en 1878, cornemuse à Iholdy en 1869, « instrument » du ménétrier à Ustaritz en 1840. Généralement, la jeunesse locale se suffit à elle-même pour ces charivaris nocturnes. Il est rare – comme à Ustaritz en 1840 où l’on fait venir le ménétrier Supervielle d’Hasparren, à Ostabat en 1856 où les jeunes engagent Jean Heuguerot Ttikoi, joueur de violon de Saint-Palais, ou encore à Barcus en 1880 avec le ménétrier Larrasquet – que l’on sollicite les musiciens et bertsulari extérieurs pour le charivari nocturne. Plus fréquemment, des joueurs de tambour sont requis pour alterner avec les couplets, comme à Suhescun en 1863 ou à Larressore en 1841, où le tambour-bertsulari Nicolas Piery vient d’Espelette. Ce dispositif sonore reste à peu près inchangé jusqu’aux derniers charivaris de la région dans les années 1950–1960.
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« Réponse à des vers donnés pour une représentation de charivari », Euskal Herria – Le Pays Basque, 18 novembre 1899 ; « Cherrendako tobera mustraren zazpigarren artikulua », Euskal Herria – Le Pays Basque, 2 décembre 1899. AD 64, 3 U 1/1066, TPI de Bayonne, jugement correctionnel 28 juin 1838.
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Au xixe siècle, certains de ces charivaris nocturnes se prolongent le jour même du mariage contesté. À Menditte (Soule) en 1873 : au moment où les nouveaux mariés sortaient de la mairie pour se rendre à l’Église, ils furent accostés par une troupe d’individus parmi lesquels ont été reconnus les onze prévenus que tous fesaient du tapage et injuriaient les nouveaux mariés ; qu’arrivés à la porte de l’église ceux-ci et Mr le curé trouvèrent le trou de la serrure bouché avec un morceau de bois qu’ils ont été obligés de faire sauter la serrure pour pouvoir pénétrer dans l’Église ; que depuis cette époque le charivari s’est renouvelé plusieurs fois et le marié a été obligé de donner 30 francs au nommé Simon Arçanuthurry, l’un des tapageurs, pour faire cesser ce tapage10
À Garindein en 1875, le charivari se fait également en plein jour, à la sortie de la messe, qui vaut à un veuf récemment remarié d’être raccompagné chez lui par cornes, sonnettes, porte-voix, etc. De façon similaire, à Ispoure en 1818, c’est une véritable mascarade qui accompagne les mariés de la sortie de l’église jusque chez eux (Soulet 2004 : 259) : le couple est arrêté par sept individus travestis, dont la figure était couverte de farine ; que l’un d’eux […] était habillé de vêtements auxquels on avait donné la façon dont les prêtres se servent dans les cérémonies religieuses ; le deuxième […] couvert d’une chemise, avait un mauvais vase de terre suspendu à un encensoir qu’il passait à chaque instant sous le nez des époux ; le troisième, vêtu d’une capote que les habitants de la campagne appellent « caponeilla »11 portait au haut d’une pique, un chat vivant couvert de paille à laquelle on avait mis le feu ; le quatrième et le cinquième […] travestis de la même manière, précédaient les époux et balayaient la route ; deux autres […] suivaient avec les mêmes travestissements pour grossir ce cortège, qui n’a quitte les époux que jusque près de leur maison […]12
Cette première forme de charivari dispose ainsi d’une gamme de répertoires, allant de la plaisanterie plutôt bon enfant à des formes beaucoup plus violentes, notamment lorsque les « sujets » se rebellent contre la sanction coutumière. Des coups de fusil répondent parfois au vacarme et aux chants ou sont tirés par les charivariseurs eux-mêmes, et plusieurs charivaris finissent par mort d’homme. À Bayonne en 1816, l’épouse de Rocq Chicoy frappe jusqu’au sang à coups de sabots une voisine ayant entendu « des enfants qui chantaient la chanson du charivary ». En 1851 à Bidart, la jeune Marie Molères est tuée accidentellement par un coup de fusil tiré par l’un des charivariseurs de la veuve Molères. À Ordiarp en 1894, le frère de la victime du charivari donné à l’occasion de secondes noces, en abat l’un des auteurs, le domestique Cadet Larrau. À Hasparren en 1950, le charivari se solde par un mort, un suicide et un cas de démence. La course à l’âne (asto lasterrak), plutôt destinée à la sanction des maris/femmes battu(e)s constitue, du moins jusqu’au milieu du xixe, une promenade à rebours sur un âne, posture humiliante, de l’effigie de ou des victimes, d’un acteur les représentants voire des victimes elles-mêmes. À Itxassou en 1853, le sous-préfet fait promettre au maire que la jeunesse ne fera pas « courir l’âne en dérision des époux Aphestéguy »13. Au début du xixe siècle, le Bas-Adour semble conserver une forme de course d’ânes qui consiste un spectacle public théâtralisé. Durant le carnaval de 1817, la jeunesse de Bidache se prépare ainsi à « faire un spectacle public connu sous le nom de course d’ânes 10 • 11 • 12 • 13 •
AD 64, 4 U 19/95, Justice de paix de Mauléon, 9 décembre 1873. Probablement pour kapusaila, manteau de berger à capuchon. Arch. nat., BB 18 984, juin–août 1818, cité dans Soulet (2004 : 259). Mairie d’Itxassou, Arch. com., Courrier du sous-préfet de Bayonne au maire d’Itxassou, 1853.
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dans lequel ils devaient faire figurer le sr. Claverie et son épouse et la famille Péant de Bidache dans des scènes calomnieuses et indécentes ». Malgré l’interdiction du maire et l’envoi des gendarmes, la jeunesse parcourt les rues au son de la caisse « et poussant quelques cris de Vive le roi »14. Le cortège est ouvert par deux jeunes habillés en militaires et armés de sabres dégainés, suivi de deux personnes « déguisées » et d’un autre à cheval, au centre se trouvent cinq personnes travesties en femme, puis un jeune figurant probablement le sujet monté sur un âne, et suivi d’une foule. L’affaire, qui se solde par un affrontement avec la gendarmerie, informe sur la forme théâtralisée de la course à l’âne sur ce territoire à la limite des pays gascons. Il n’est en revanche fait mention ni de musiciens ni de danseurs, à la différence des parades de la vallée de la Nive. Aux premières années du xxe siècle cependant, comme à Saint-Pée-sur-Nivelle en 1906 ou à Arrauntz en 1911, il semble qu’asto lasterrak devienne une expression équivalente à la parade charivarique, et que la course à l’âne en tant que telle, encore attestée à Urepel en 1862, disparaisse. Les tobera mustrak, pour le coup, constituent à la fois la sanction ultime adressée par la jeunesse aux victimes du charivari nocturne refusant de régaler leurs détracteurs et un spectacle public. Le tobera mustrak se présente sous la forme d’une cavalcade, qui peut être organisée tout au long de l’année à l’exception des périodes d’interdits religieux (carême et avent en particulier). Le lundi de Pâques, temps de rupture de jeûne, est fréquemment choisi pour la représentation. Celle-ci consiste en un défilé et un spectacle sur la place du village alternant danses, bertsu et parodie de procès. Le tobera mustra repose sur un ordonnancement cérémoniel. Il peut associer de quelques dizaines à plus de 200 participants, suivant un modèle à peu près établi depuis le premier tiers du xixe siècle : une troupe à cheval comprenant courriers, officiers (le capitaine et sa femme – tous les rôles sont alors tenus par des hommes –, le lieutenant et sa femme, danseurs bolantak à cheval, danseurs kaxkarot à cheval), une troupe à pied (sapeurs de la Fête-Dieu, porte-drapeaux, tambour-major makilari et musiciens, danseurs d’élite bolantak, danseurs moins aguerris kaxkarot, dames sauvages, dames blanches), le tribunal (huissier, juge, avocat, procureur, bertsulari), cortège parallèle des zirtzil ou comparses, qui parodie le cortège officiel (bohémiens, chaudronniers, docteur, rémouleurs, tisserands, maréchaux-ferrants, musique). La fête est annoncée le matin par les courriers dans les communes environnantes. La représentation est précédée d’un long défilé dans la commune (mustra ou la « montre » en ancien français). Le procès, qui consiste en un échange dialectique entre bertsulari15, tourne en dérision les sujets – autrefois obligées d’assister à la fête. Dans plusieurs cas, l’accusation se déplace vers l’huissier, qui est finalement condamné et symboliquement décapité ou abattu. L’huissier meurt puis ressuscite, ce qui met un terme à la fête qui s’achève par l’exécution collective d’un saut basque. Outre ses aspects sociaux et politiques, le cérémonial convoque ainsi des aspects symboliques au sens plus hermétique, y compris depuis longtemps pour les acteurs euxmêmes : emprunts très probables au fonds mythologique basque et pyrénéen (dames sauvages et dames blanches), usage de la symbolique carnavalesque de la mort et de la résurrection comme rite de purification, défis codifiés de danse et de bertsu. 14 • 15 •
AD 64, 3 U 1/1057, TPI de Bayonne, Jugements correctionnels, 8 mars 1817. Peu de ces bertsu ont été conservées. On trouvera des extraits composés par le douanier bertsulari Otxalde (1814–1877) dans Jules Moulier « Oxobi » (1966 : 189–207).
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◊ Variantes territoriales
Dans sa forme nocturne ordinaire, le charivari prend des formes à peu près similaires sur l’ensemble des trois provinces basques du nord, comme dans les pays gascons environnants. Les charivaris nocturnes sont encore couramment pratiqués dans les communes côtières comme Urrugne, Saint-Jean-de-Luz, Bidart ou Guéthary jusqu’au début du xxe siècle. Si l’on laisse de côté les farces charivariques propres à la Soule et au pays de Mixe, les zones de prédilection des tobera mustrak semblent être la vallée de la Nive et, dans une moindre mesure, celle de la Nivelle. Attestées en Saint-Pée en 1906 et 1907, elles s’étendent sur l’ensemble du Labourd intérieur et de la BasseNavarre. Il peut arriver, au voisinage de la Soule, en pays de Mixe et d’Ostabarret, que les rôles de danseurs soient à l’occasion tenus par des Souletins, mais en règle générale le modèle est celui décrit plus haut. Les vallées de Cize, de Baïgorry, le pays d’Ossès, d’Irissarry et l’Arberoue resteront les vallées où les formes les plus élaborées de parades resteront le plus longtemps en vigueur et les mieux documentées. Les villages de la Côte semblent avoir développé des formes de cavalcades charivariques qui leur étaient propres, désormais oubliées. À Guéthary le lundi de Pâques de 1881, plusieurs jeunes gens se livrent à une « cavalcade », montés les uns sur des ânes, les autres simulant une pêche en haute mer dans une chaloupe placée sur une charrette attelée d’un cheval, au rythme du tambour de la municipalité. Partie du port, la cavalcade traverse le village en faisant plusieurs stations. Persuadée que celle-ci masque un charivari qui lui est destiné pour une relation avec un homme marié, la veuve Behigo tire plusieurs coups de feu depuis de sa fenêtre avec un revolver et blesse trois jeunes, ce qui lui vaut 15 mois d’emprisonnement et 243 francs d’amende. De leur côté, 24 jeunes gens ayant participé à la cavalcade sont eux aussi condamnés par le juge de paix de Saint-Jean-de-Luz pour tapage injurieux et font appel devant le Tribunal de première instance de Bayonne, qui les convoque le 9 juin 1881. Âgés entre 19 et 28 ans, les jeunes gens (tous de Guéthary sauf 3 de Bidart) sont tous issus de catégories sociales populaires : six marins, un charpentier, deux maçons, deux alpargatiers, trois sandaliers, quatre laboureurs, un boucher, un meunier. La question porte alors sur le point de savoir si la cavalcade revêtait un caractère charivarique ou pas, et donc si elle tombait sous le coup de la loi. L’un des témoins « compétents » précise que : « sans les mannequins représentant les personnes à charivariser, sans un poète basque pour improviser des couplets moqueurs que la foule répète, un charivari n’existe pas »16. Le tribunal conclut à la relaxe. Le 14 juillet 1910 dans la commune voisine de Bidart, une « cavalcada » est représentée sur la place publique et fustige les disputes d’un couple. Deux heures durant, le spectacle comporte une « comédie » pendant laquelle un acteur, membre du conseil municipal, relate les faits et gestes du couple en question, et cette fois des bertsulari17 sont bien présents. À Arrauntz en 1911, c’est également une « cavalcade » qui est donnée par la jeunesse du quartier, malgré l’interdiction du maire d’Ustaritz. Ces épisodes informent en tous les cas sur des formes de représentations charivariques propres au milieu maritime et côtier, dont on connaît peu des modalités qui semblent emprunter des formes
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La Semaine de Bayonne, 15 juin 1881. Les 20 prévenus seront relaxés au bénéfice du doute. L’un d’eux avait pourtant crié à la veuve en passant : « le carême est fini, convertis-toi ». Voir le compte-rendu très critique qu’en fait le journal républicain Argitzalea, 31 juillet 1910.
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plus élémentaires que les cavalcades à grand apparat de l’intérieur du pays, mais qui restent encore en vigueur au début du xxe siècle. Causes morales et/ou causes sociales ? Si les formes du charivari basque sont bien documentées, leurs motivations le sont moins. À ce titre, le recours aux sources historiques fournit des éléments tangibles pour une discussion des deux grandes thèses associées aux pratiques charivariques. De façon schématique, une première approche insistera sur le fondement anthropologique de la coutume, en y voyant avant tout le souvenir de rituels de protection de la communauté contre ceux qui viennent rompre son équilibre en perturbant les règles du marché matrimonial. La classe d’âge exerce ainsi un contrôle social : le remariage d’un veuf ou d’une veuve avec une personne beaucoup plus jeune est perçu comme venant perturber les équilibres au sein de la jeunesse. En l’occurrence, la coutume basque vient en partie confirmer l’hypothèse de Claude Lévi-Strauss, pour qui le charivari est tourné de manière intrinsèque et exclusive vers les échanges matrimoniaux qui se soustraient à la norme (Lévi-Strauss 1964, t. i : 343–344). Cette dimension est cruciale dans un pays de droit coutumier comme le Pays basque, où le droit d’aînesse (à égalité entre homme et femme) prévaut en matière de régime de succession, y compris et de façon informelle après la Révolution de 1789. Les cadets sont, de ce fait, particulièrement sensibles à la régulation des mariages. L’éventail des causes du charivari dépasse cependant le seul remariage, ce qui ouvre la voie à des interprétations alternatives. Pour une seconde lecture, qui émerge dans les années 1970, les charivaris comportent une dimension sociale et sociopolitique marquée : la sanction de la jeunesse est dirigée contre les élites socio-économiques locales, elle dénonce en ce sens des logiques de domination. Le charivari constitue une forme prépolitique, ou politiquement informelle, de contestation. La recherche de Daniel Fabre et Bernard Traimond sur les charivaris gascons illustre cette position. L’acte de résistance qui s’y exprime peut ainsi viser les rapports inégalitaires entre catégories socio-économiques de la communauté. Il peut aussi acquérir une dimension idéologique plus explicite, ce qui modifie en substance la nature du message charivarique dans le sens d’une dénonciation à portée collective. Sans doute les charivaris repérés ici nourrissent-ils les deux thèses, notamment si l’on distingue les différentes pratiques.
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Figure 3 : Motifs des charivaris poursuivis en justice, an XII–1936 don insuffisant pour les fêtes contre gendarmes ou douaniers contre le juge de paix contre l’aubergiste dispute entre époux contre l’instituteur naissance illégitime contre le maire ou les autorités contre des époux contre le curé couple illégitime contre une femme motif inconnu remariage veuf/veuve 0
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Basse-Navarre et Basse-Soule, an XII–1936
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Labourd, an XII–1933 Sources: élaboration propre à partir de la série U, AD 64
Une première compilation de charivaris ayant fait l’objet de poursuites judiciaires en Labourd et en Basse-Navarre de l’an XII aux années 1930 fournit quelques éléments factuels pour servir de support à cette discussion. Nous avons pu reconstituer un corpus de 255 charivaris, principalement à partir de sources judiciaires, complétées de sources archivistiques préfectorales et municipales, et de sources de presse pour autant que celles-ci réfèrent à un charivari ayant fait l’objet de poursuites. L’état des sources disponibles biaise évidemment le corpus. Le fait, en particulier, de repérer 160 charivaris pour les cantons labourdins et 95 seulement en Basse-Navarre et Basse-Soule18 ne signifie en aucun cas que la coutume ait été davantage en vigueur dans la province côtière durant cette période – les données sociologiques iraient dans le sens opposé –, mais simplement que leurs traces archivistiques y ont été plus nombreuses. Les charivaris, tzintzarrots et asto laster du canton de Tardets, par exemple, où la coutume a été particulièrement vivace jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle, n’ont pas ou peu laissé de trace archivistique sur le plan judiciaire. Une hypothèse alternative pourrait être celle d’une moindre tolérance des autorités à l’égard du charivari à proximité des centres urbains, et une plus grande flexibilité à l’intérieur des terres, eu égard précisément à la force de la coutume. Certains éléments, nous y reviendrons, iraient en ce sens, mais rien ne permet en l’état d’être catégorique sur ce point. Enfin, on notera le nombre significatif des procédures où le motif du charivari n’est pas explicité (33 %). Les procédures ainsi recensées qualifient le délit 18 •
Pour des commodités d’exposition, j’ai distingué Labourd et Basse-Navarre Basse-Soule au terme d’une collection de données par canton. On notera que certains cantons du xixe siècle comme celui de Labastide-Clairence, classé ici en Basse-Navarre, sont à cheval entre cette province et le Labourd. La Basse-Soule renvoie au canton de Mauléon.
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de « charivari » mais n’en spécifient pas la cause. Nous ne pouvons que supposer que cet implicite renvoie au remariage de veufs, mais sans preuve à l’appui. À l’inverse, nous n’avons pas comptabilisé les très nombreuses procédures pour « tapage injurieux », dont plusieurs relèvent probablement de charivaris. Si ces procédures concernent toujours les charivaris nocturnes, certains d’entre eux déboucheront sur des asto lasterrak ou cavalcades diurnes. Nous les distinguerons par la suite. En ayant ces précautions à l’esprit et rejoignant ainsi le constat de C. Desplat pour le Béarn et les pays gascons, on note que les causes « traditionnelles » sont majoritaires. Le remariage des veufs/veuves arrive largement en tête des motifs connus (35 % du total, 26 % en Labourd, 51 % en Basse-Navarre et Haute-Soule). Sont également très présents les charivaris « contre une femme » (26 occurrences), couple illégitime (11 occurrences), contre des époux (8), naissances illégitimes (5), disputes entre époux (3). On observe cependant que les charivaris visant les autorités sont relativement nombreux : contre le curé (9), le maire (7), l’instituteur (5), le juge (2), les gendarmes ou les douaniers (2), l’aubergiste (2), ou encore un habitant ayant versé une obole jugée insuffisante pour les fêtes du quartier (1). Ces charivaris visant d’emblée les autorités doivent être distingués de ceux initialement motivés par une cause traditionnelle – type remariage – mais ayant dégénéré en rébellion contre le maire ou les gendarmes. Au final, les charivaris visant les comportements des couples représentent 55 % des motifs, alors que ceux visant les autorités n’en représentent que 10 %. Ce premier résultat irait dans le sens d’une interprétation du charivari comme visant avant tout mais sans exclusive la régulation du marché matrimonial et, plus généralement, le respect des règles morales communautaires. L’examen des motifs des parades charivariques vient compléter ce premier tableau. Les cavalcades ou asto lasterrak étant des spectacles diurnes généralement autorisés par les autorités locales, il faut s’extraire des sources judiciaires pour solliciter un éventail de sources beaucoup plus large : archives communales, préfectorales, presse, archives privées, relations de voyage, mémoire orale, observation directe pour les cavalcades les plus récentes. En d’autres termes, si tous les charivaris nocturnes, loin de là, ne débouchent pas sur une cavalcade, toutes les cavalcades sont généralement précédées de charivaris nocturnes jusqu’au début du xxe siècle, avant de s’en autonomiser. Interdit dans sa version nocturne, le charivari peut être autorisé dans sa version diurne au terme de tractations dont je ferai état plus avant. La Soule ayant son théâtre charivarique propre, j’ai limité la collecte de données aux formes dites « cavalcades », tobera mustrak, asto lasterrak, karrusak du Labourd et de la Basse-Navarre, et regroupés ici sous l’appellation générique de parades charivariques. Au final, un corpus de 151 parades a pu être constitué pour une période allant de 1817 et 2020. Une fois de plus, ce corpus est biaisé par les sources et n’est absolument pas exhaustif. En particulier, les pays de Cize et de Baïgorry y sont sous-représentés, du fait de la multiplication dès le début du xxe siècle des « cavalcades sans sujet » ou libertimendu (divertissement) consistant en de simples défilés et spectacles de danses et de bertsulari, qui rendent parfois ardu le repérage de parades charivariques proprement dites. Nous n’avons pas comptabilisé, et pour cause, sous la rubrique des parades charivariques les quelques pastorales du type souletin qui ont été représentées en Basse-Navarre, et en particulier en pays de Mixe. C’est le cas de la pastorale Roland, jouée durant le carnaval de 1889 à Béguios par
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les jeunes gens du village et précédée d’une visite au bourg de Saint-Palais19. La même année et le lundi de Pâques, ce sont les jeunes d’Amendeuix qui en organisent une. À lire son annonce dans Le Journal de Saint-Palais, on peut légitimement se demander si les organisateurs n’avaient pas alors hésité entre une pastorale hagiographique classique et un sujet à tendance charivarique et politique : Nos voisins ont failli prendre un sujet d’un intérêt palpitant d’actualité. C’est une grande pièce toute fraîche éclose du cerveau génial d’un barde Basque fort en vogue. Le général Boulanger en était le héros principal. Rien n’y manquait : la fuite en Belgique constituait le dernier acte avec, pour dénouement, un triomphe colossal : Boulanger, maître de l’Europe entière et Rochefort premier chambellan ! Malheureusement à la dernière heure, à l’instant où on allait s’occuper des costumes et des décors, le comité directeur des fêtes ayant craint de froisser les opinions politiques des messieurs de Saint-Palais… et de leurs dames, s’est résigné à se contenter du vieux répertoire. Nous n’assisterons donc pas à une première20
On ignore le sujet de la pastorale qui fût finalement représentée à Amendeuix, même si quelques indices renverraient à un récit se déroulant durant la période napoléonienne21. Le village de Domezain, historiquement situé en Soule et aux limites du pays de Mixe, monte la pastorale SaintLouis en 1903, la représentation étant également précédée d’une visite de la troupe à Saint-Palais22. Véronique Inchauspé (1999) discute dans le détail de leurs représentations bas-navarraises. Elle note ainsi, à la suite de Georges Hérelle (1926) et de Beñat Oyharçabal (1992), que parmi les 11 pastorales représentées en Basse-Navarre23, toutes, à l’exception de Roland à Gabat en 1849 et des Quatre fils Aymon donnée à Uhart-Mixe en 185124, sont l’œuvre de régents de pastorale souletins25. De la « Pastorale » jouée le 25 septembre 1910 à Ostabat « organisée par M. Mégnon dit Chifriti, accompagnée de la jeunesse ostabatienne »26, nous ne savons en revanche rien de plus. Plusieurs villages bas-navarrais ont ainsi été le théâtre de pastorales au xixe et au début du xxe siècles, sans qu’il soit toujours aisé de distinguer s’il s’agit de représentations données par la jeunesse du lieu ou par des troupes venues de Soule. Albert Léon (1909) signale ainsi la représentation de Richard sans Peur à Saint-Étienne (Lantabat) le 28 mars 1818, Saint Jean Caylabit à Saint-Palais le 27 juillet 1818, Napoléon à Saint-Palais en avril 1849 et à Saint-Jean-Pied-de-Port le lundi de Pâques 1895, Roland à Gabat le 15 avril 1849 (15 avril 1827 selon Hérelle 1928), Les Quatre Fils Aymon à Uhart-Mixe le 10 janvier 1851 (1857 selon Hérelle 1928)27, Les trois martyrs à Uhart-Cize en avril 1887, Saint-Louis par les Souletins de Menditte à Uhart-Cize à la Pentecôte 190328. Ce sont en revanche des acteurs du lieu 19 •
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Le Journal de Saint-Palais, 24 février et 10 mars 1889. Eskualduna (29 mars 1889) signale le personnage de Paillasse, qui pourrait renvoyer à l’huissier des cavalcades, mais il semble bien s’agir d’une pastorale. Le règlement des comptes de la pastorale dans le village voisin d’Amorots donnera lieu à une dispute avec un domestique de la maison Larraldia à Succos, tué à coups de couteau par le jeune de Béguios qui jouait Paillasse. Le Journal de SaintPalais, 14 avril 1889. « Le pape était tout à fait nature et rien n’égalais la solennité de sa bénédiction. Très réussie encore la cantinière de la Grande Armée […] », Le Journal de Saint-Palais, 28 avril 1889. Le Journal de Saint-Palais, 31 mai 1903. J’en comptabilise pour ma part une vingtaine entre 1818 et 1910. Toutes deux dirigées par Jacques Oihenart-Larronde, instituteur à Uhart-Mixe (Oyharçabal 1992). Les archives criminelles indiquent aussi une « pastorale » jouée à Saint-Palais le 14 juillet 1845 (Burguès, 1978 : 88). Le Journal de Saint-Palais, 25 septembre 1910. La date correcte est probablement 1851. Une rixe survenue à « la fête pastorale d’Uhart » est mentionnée cette année-là au Tribunal de première instance de Saint-Palais, AD 64, 3 U 5/674. Eskualduna, 29 mai 1903.
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qui donnent à Uhart-Cize Geneviève de Brabant (pastorale mixte) vers 1863 et Sainte-Hélène en 1875 (par les femmes) (Abbadie D’Arrast 1909). À Mendive le 29 septembre 1901, des Haut-Souletins jouent Les trois martyrs29. Badé indique en 1843 qu’« il y a plusieurs années » la pastorale SainteHélène, après avoir été jouée à Jaxu, l’aurait ensuite été par les jeunes filles, puis par les hommes, de Horça (Ossès)30. Hérelle (1928) rajoute pour la Basse-Navarre Geneviève de Brabant à Juxue le 20 mai 1839, Judith et Holopherne vers 1893 à Béguios, Jean de Paris à Ainhice (non datée). En Labourd, Geneviève de Brabant est représentée en février et mars 1867 à Saint-Pierre-d’Irube, « par 24 jeunes gens domiciliés à Bayonne »31 (des Souletins ?). Enfin, Hérelle qualifie de « supercherie littéraire » du capitaine Duvoisin la tragédie Marie de Navarre supposemment labourdine32. De même, n’a pas été comptabilisée la « mascarade » de Saint-Just-Ibarre qui se rend à SaintPalais durant le carnaval 1902, la présence du « danseur chibalet » laissant penser à une mascarade carnavalesque du type de celles qui se jouent dans la Soule voisine. Guilcher signale cependant qu’il était fréquent dans les communes bas-navarraises limitrophes à la Soule de faire appel aux danseurs souletins pour les parades charivariques. Figure 4 : Sujets des parades charivarique, 1800–2020
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remariage veufs
disputes entre époux
contre les époux
adultère, séparation, bigamie
contre un douanier
vol
contre l’instituteur
contre le curé
vente terre
pour les pauvres
politique locale
sujet fictif
motif inconnu Source : élaboration propre
En toute logique, comme pour les charivaris nocturnes, les motifs de mœurs classiques l’emportent sur la longue période. Ils n’en constituent cependant pas l’exclusivité. Les remariages constituent 29 • 30 • 31 • 32 •
Le Pays Basque – Eskual Herria, 21 septembre 1901. J. Badé, « Un échantillon du théâtre populaire des Basques », L’Observateur des Pyrénées, 22 octobre 1843. Le Courrier de Bayonne, 22 février et 3 mars 1867. Pour une discussion de cette controverse et de la « pastorale » Artzain gorria (le berger rouge) jouée, selon d’Oihenart, au xvie siècle à Saint-Jean-Pied-de-Port, voir Oyharçabal (2004).
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à eux seuls 15 % des tobera mustrak. Si l’on additionne remariages, disputes entre époux, adultère, séparation, bigamie, la proportion passe à 36 %. Sans doute faudrait-il y rajouter une bonne partie des 43 tobera mustrak (soit 28 % du total) dont on ignore les motifs. Les parades menées contre les autorités sont relativement rares (1 contre un douanier, 1 contre un instituteur, 5 contre le curé). Une cavalcade (à Mendive en 1930) vise une affaire de vol. Une autre annonce la remise des gains « pour les pauvres », probable prétexte pour obtenir l’autorisation de donner le spectacle. Des cavalcades à sujets fictifs commencent à émerger dans l’entre-deux-guerres, pour se développer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1970 et jusqu’à nos jours, une nouvelle génération de cavalcades émerge, focalisée non plus sur les sujets de mœurs mais sur la politique locale. Nous reviendrons plus avant sur cette évolution. À y regarder de plus près cependant, même les parades charivariques de l’époque classique – nous en avons retrouvé les traces les plus nombreuses pour la seconde moitié du xixe siècle – prennent à l’occasion une dimension de critique sociale qui dépasse la simple admonestation moralisante des comportements de couples. Plusieures parades à cette période où l’émigration basque prend des proportions considérables, visent des « Américains ». Au Bas-Cambo en 1853, la parade brocarde un émigré revenu de Montevideo et qui épouse une fille de Cambo alors qu’il est déjà marié en Uruguay. À Itxassou en 1883, la cérémonie tourne en dérision un Américain marié avec une héritière du village pour ses biens, et qui la bat. La sanction communautaire vise alors les stratégies de captation des héritières, ôtées aux cadets. Elle tance également ceux qui, revenus fortunés d’Amérique, génèrent suspicion et jalousie. L’aisance matérielle, semble rappeller la jeunesse, ne donne pas tous les droits. À Louhossoa en 1866, le révérend anglais Wentworth Webster arrive le lendemain d’une parade charivarique jouée pour souhaiter la bienvenue à quelques jeunes gens de retour d’Amérique latine : « tout le monde en parlait et tous me disaient qu’il était très gentil et bienséant »33. Le même précise cependant ailleurs que cette occasion était doublée d’une référence à un mariage (Webster 1877 : 270). Pour peu que les procédures judiciaires informent sur leurs profils, les charivariseurs appartiennent dans leur immense majorité à des catégories sociales modestes : journaliers, cordonniers, artisans, ouvriers agricoles, domestiques de ferme… Sans doute cette fraction de la jeunesse était-elle particulièrement susceptible à l’égard d’une nouvelle petite bourgeoisie locale, enrichie aux Amériques, et qui revient au village avec des comportements plus affranchis34. L’un des derniers charivaris nocturnes d’Itxassou, dans les années 1940, mobilise la jeunesse du quartier Gerasto à l’occasion du remariage d’un veuf et d’une veuve, tous deux maîtres(ses) de maison. L’attirail habituel est mobilisé : eltzaurre, tirs, cris, sonnailles. La jeunesse du quartier reproche en particulier au veuf d’avoir abandonné sa maison en se mariant dans l’autre : la défense du droit coutumier se mêle ici au prétexte proprement charivarique.
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Médiathèque de Bayonne, Fonds Hérelle, Ms. 652, Lettre de W. Webster à Hérelle, de Sare, 4 octobre 1900. Hérelle signale qu’en 1921 la jeunesse de Lacarry (Soule) menace d’un charivari un « Américain » et lui extorque 300 francs, plus le vin bu à l’occasion du bal payé par cette somme. Lorsque les « vieux » se mêlèrent de lui demander la même chose, l’opinion publique les blâma « parce qu’il n’est pas conforme à l’usage qu’une rançon soit payée aux vieux », Hérelle 1925 : 101.
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Selon l’anthropologue Roslyn M. Frank (1989), la « fictionalisation » de la controverse sociale et familiale que génère le charivari a avant tout une fonction de médiation intracommunautaire, et qui permet d’éviter l’intrusion des formes judiciaires de règlements de conflits. Les défis chantés entre bertsulari, en particulier, sont considérés ici comme les pièces centrales d’un savoir-faire ancien en matière de résolution de conflit. Le ressentiment généré par la procédure coutumière, cependant, est loin de prendre fin avec la performance rituelle. Une politisation relativement faible du charivari L’examen des causes des charivaris nocturnes, courses à l’âne et parades charivariques ne laisse apparaître que peu de toberak ayant une dimension politique prononcée. Ceux-ci, comme l’a souligné Desplat en domaine gascon, restent focalisés sur les causes coutumières. Quelques exceptions significatives méritent cependant d’être signalées, en particulier concernant la thématique politico-religieuse. Elles doivent néanmoins leur variabilité à la séquence historique concernée, que nous proposons de distinguer dans ce qui suit. ◊ Ancien Régime : un charivari faiblement politisé et relativement toléré
Sous réserve d’un examen systématique, les archives du Pays basque ne révèlent que peu de cas de procédures de charivaris sous l’Ancien Régime. Cette relative rareté ne signifie évidemment pas que le charivari comme pratique sociale soit alors moins répandue en Pays basque que dans le Béarn et les pays gascons voisins, ou la pratique a été magistralement étudiée par C. Desplat. Établie, pour le xviiie siècle, à partir des arrêts de la Chambre de la Tournelle du Parlement de Navarre à Pau, sa recension des charivaris concerne pour l’essentiel le Béarn, avec quelques rares mentions en Soule et en Basse-Navarre (à Esquiule, Lichos, Juxue, Saint-Jean-Pied-de-Port), pourtant du ressort judiciaire du Parlement. La rareté de traces archivistique vient sans doute souligner, outre l’éloignement de l’institution judiciaire paloise, la modération de la répression contre une pratique théoriquement interdite par les autorités civiles et ecclésiastiques mais socialement acceptée voire exigée. Si mention du charivari il y a au détour d’une procédure judiciaire, elle survient surtout en cas de débordements. La réprobation par les autorités ne concerne alors pas tant les causes du charivari que ses conséquences. C’est en ce sens qu’il faut lire, à mon sens, les condamnations récurrentes du charivari émanant des autorités civiles et ecclésiastiques de la ville de Bayonne, qui visent davantage les désordres auxquels donnent lieu les charivaris que leurs motivations initiales. Plusieurs poursuites sont menées du xvie au xviiie siècle pour des infractions aux ordonnances de police relatives aux charivaris, aux mascarades, aux courses de bœufs sur la place publique, etc.35. En 1665, une ordonnance vise les abus du carnaval : les promenades en ville avec les tambours, les chansons diffamatoires, la course à l’âne et les masques36. L’interdiction des charivaris est renouvelée en 176937.
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AD 64, Arch. com. Bayonne, FF 297, 1580–1775. FF 524–13. FF 97.
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Des procédures judiciaires visent de façon récurrente tout au long du xviiie siècle des individus ou des jeunes gens faisant « carillon » – autre appellation bayonnaise du charivari – en particulier contre des veuves. En 1718, un homme couvert d’une peau d’âne se fait passer pour un loup-garou et mène un carillon en règle contre une femme38. En 1735, un carillon particulièrement soutenu défraie la chronique bayonnaise et mobilise longuement les institutions judiciaires39. Il est dirigé contre la veuve Behola dite « Galanta » qui, en l’absence de son mari, reçoit des jeunes gens et mène une vie scandaleuse. Le 28 décembre 1734, dernier jour de la fête des Innocents, des jeunes gens « batteurs d’estrade et coureurs de rue » font carillon et jettent des pierres contre la porte de la veuve40.Le charivari s’étant déroulé sur plusieurs nuits et ayant visé plusieurs personnes, c’est surtout lorsque le jurat Morancin est visé que la procédure est activée et les auteurs du carillon arrêtés. À Lasse en 1612, un charivari dégénère avec mort d’homme. Mais si l’affaire est jugée, c’est bien du fait du meurtre et non pas du « charivary » qui se fit dans les règles avec « le prince des sonnettes » et « suivant la coutume du pays »41. De façon similaire à Saint-Pierre-d’Irube, le charivari qui se tient la veille du Mardi gras de 1735 vise les secondes noces d’une veuve avec un jardinier du voisinage. L’attirail habituel est mobilisé par les jeunes gens du quartier vêtus de guenilles : vacarme, sonnailles de vaches, chaudrons, cornets à bouquins, chansons grivoises. Mais si l’affaire est saisie par la Cour de justice communale ou échevinage de Bayonne, ce n’est pas tant en raison du charivari en soi que du coup de fusil tiré par l’époux humilié ou l’un de ses proches sur un jeune jardinier (Desport 2009 : 201). À Saint-Pée en février 1723, en période de carnaval, un charivari dégénère en rixe. Betry Detcheberry, marinier et fils de la maison Sabatchouriarenea, et Sansin Laborde, charpentier de navire et fils de la maison Legarret, déposent plainte auprès du lieutenant criminel du Bailliage du Labourd, mais « certaines personnes de considération leur ayant représenté que cela ne pouvoir tendre qu’à leur préjudice », les deux personnes se mettent mutuellement et devant notaire « hors de cause et de procès »42. Ici également, c’est bien la rixe qui génère la procédure et non le charivari. On notera que parmi les procédures criminelles du bailliage du Labourd portées en appel au Parlement de Bordeaux tout au long du xviiie siècle, une seule concerne directement un charivari. Et si celui du quartier Hérauritz à Ustaritz en 1782 génère une procédure, c’est davantage du fait du profil exceptionnel de son instigateur que du fait charivarique en soi. En l’espèce, c’est contre un prêtre, Dominique Dithurbide, chapelain de la chapelle d’Hérauritz et second échevin de la communauté que porte plainte Étienne Sallaberri, sieur de Soubiran. Sallaberri aurait été visé par un charivari suscité par les « excès » qu’il commettait sur sa femme et qui aurait obligé
38 • 39 • 40 •
41 • 42 •
FF 162–68. FF 191–39 et sq. La procédure n’est pas exempte d’une certaine ambiguïté : si les auteurs du tapage dénoncent la veuve Behola et deux autres femmes en les traitant de p…, en signalant sa « vie scandaleuse », que dans la maison il y a débauche et « carillon », et que « même qu’il y va souvent des Juifs ». Le « carillon » se réfère à la fois au vacarme injurieux contre la veuve qu’aux épisodes de débauche supposés se dérouler chez elle. Lettre de rémission accordées par Louis XIII, adressée aux jurats, touchant au meurtre commis dans la ville, AD 64, Arch. com. de Saint-Jean-Pied-de-Port, FF2, 1612. AD 64, Fonds Dassance, Notaire Dassance, 3 E 18986, 1723, n° 64 bis.
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celle-ci à le quitter, charivari organisé par Dithurbide. L’implication du prêtre est alors d’autant plus répréhensible, que le charivari, outre le vacarme habituel, comporte également une parodie de rituel religieux : Que le prêtre Dithurbide s’entendant avec une troupe de jeunes gens lui a fait donner un charibaris [sic] à sa porte, et lui a fait chanter les vers les plus infâmes et les plus insultants, et les a fait accompagner du son des cornes, des sonnettes et des porte-voix. Pour inspirer même de la pitié et faire dans le public une risée du suppliant et de sa femme, il a fait chanter à ces jeunes gens les litanies, et il leur a fait porter encore, ajoutant la profanation à ce grand scandale, des croix de bois et des drapeaux qu’ils formaient au moyen d’un linceul. En vain ce prêtre dira-t-il qu’il n’a trempé en rien dans tout cela, sa conduite le décèle puisqu’il est de fait d’un côté qu’il est le premier voisin du suppliant, de l’autre que sa servante y étoit avec ces jeunes gens ; qu’enfin il étoit aux grands éclats de rire en voyant cette fête, qu’il a donné à boire aux acteurs qui alloient et venoient dans sa basse-cour, et qu’un d’eux crioit avec son porte-voix du coin de sa maison, ou de dessous sa fenêtre où il étoit et d’où sans doute il lui fesoit sa leçon. En un mot qu’il fût lui-même dans la maison de Sorhaitz où plusieurs de ces jeunes gens travailloient pour les engager à aller le soir donner au suppliant ces charibaris, et qu’il leur a même donné pour cela des fontes d’une selle pour en faire des porte-voix […]43
Le charivari prend ici la forme d’une parodie de procession. Les témoins voient les jeunes gens d’Hérauritz passant et repassant devant chez le plaignant « chantant des couplets indécents sur son compte et celui de sa femme avec des cornes, des sonnettes, des porte-voix faits avec des fontes de selle et des bannières faites avec des linceuls, précédés d’un tambour »44. À Amendeuix en pays de Mixe en 1782, le charivari contre un veuf sur le point de se remarier déploie l’attirail habituel de sonnettes, caisse, porte-voix, cornets, « chansons déshonnêtes usitées dans les charivaris », ainsi qu’un instrument rarement usité dans la contrée, le hautbois. On notera que 5 des 6 prévenus sont des valets de peine placés dans les fermes du village et que le dernier est le fils d’un métayer. Ce statut social modeste n’aura sans doute pas incité le juge à l’indulgence45. À Bidache en 1743, un bâton en forme d’enseigne auquel il est affiché un placard « écrit en grosses lettres à l’imitation d’un imprimeur » est placé dans le mur au-devant des fenêtres de l’appartement de la demoiselle Marie Guiroy. Le placard est collé à un vase « qui portait un effet des plus injurieux et insignes, ce qui aurait donné un sujet de scandale public en sortant de lad église ». Si l’humiliation fait l’objet d’un monitoire à l’église et d’une menace d’excommunication, cela est certainement lié au statut social de la victime, qui n’est autre que la fille du procureur de Bidache Henry de Guiroy : quoique sa conduite, sa bonne vie et mœurs soit reconnue par des gens de bien et d’un mérite distingué, néanmoins des personnes d’un état inférieur et dévoué à la médisance se sont portés au point depuis deux ans de se livrer à exercer, proférer et vomir des calomnies les plus atroces, composer, écrire et publier hautement et publiquement des libellés diffamatoires46.
43 • 44 • 45 • 46 •
AD 33, B 6347, Supplique en faveur de Sallaberri, requête en plainte du 30 décembre 1782, adressée au bailli du Labourd ou au lieutenant criminel. Témoignage de Charles Daguerre, 27 ans, laboureur. AD 64, Bailliage de Mixe, B 8597, janvier-février 1782. AD 64, G 375, Lettre monitoriale provenant de Dax et adressée au curé de Bidache pour qu’il fasse cesser les brimades dont était l’objet la fille d’un procureur de Bidache, 5 février 1743.
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Sans doute la position sociale des victimes des charivaris ou rituels apparentés n’est-elle pas étrangère à la vigueur de la condamnation ecclésiastique qui s’exerce à l’encontre des perpétrateurs. C’est aussi un placard, cette fois en basque, que voit apposé sur sa porte Hiriart, maître de Pascorenea et jurat d’Hasparren en 1757. Le libellé du placard vaut menace ouverte : « To phasco gorainci horrec marcacendic gerla hastia onsagobernadi miceletatic (utcic ?) soldadiena passatu duc baina oihannecua uçac burutic baldin gehiago egitenbaduc mugimenduric goiz eretiradi ». Selon la traduction jointe à la procédure : « Le Phasco compliment, c’est une marque de commencement de guerre, tu passeras les soldats de milice mais laisse de la tête les bois et forêts, et si tu fais plus de mouvements, retire-toi à bonne heure ». Quelques jours avant, Hiriart avec d’autres jurats avaient signifié à Bidegaray, maitre de Duhart, que son fils avait été choisi pour la milice, celui-ci avait répondu que ce choix « n’étoit pas juste » et qu’ils s’en repentiraient. Le soir de la Pentecôté, une troupe de « libertins » constitués de jeunes du quartier d’Urcuray désignés pour la milice s’assemblent au cabaret Couroutsbehere et se rendent armés de leurs fusils et rangés comme des troupes réglées au-devant de lad maison de Pascorenea aiant a leur tête le nommé Martin sieur de la maison de Bassalouhart dud lieu de Hasparren à cheval, où ils firent une décharge de leurs fusils, au bruit de laquelle led Hiriart s’étant présenté à la fenêtre leur tira un coup de fusil les traitant de bandouliers et leur demandant s’ils venaient l’assassiner dans sa maison à suite duquel coup de fusil, lui héritier de Baratciart et les autres piétons susnommés firent une décharge à la fenêtre d’où on leur avoit tiré et qu’ensuite ils s’étoient retirés47.
D’une tout autre sévérité est la répression qui touche les rebellions populaires dont certaines empruntent au vocabulaire charivarique. Ces soulèvements émaillent tout le xviiie siècle en Labourd et portent sur les questions de fiscalité ou sont liés aux nouvelles réglementations sur le tabac (Desplat 1976). Sans qu’il ne s’agisse de charivaris à proprement parler, les protestations populaires recourent néanmoins aux instruments symboliques tels que chants, danses, musique, placards, usage de masques et de travestissements. En 1726, en guise de protestation face à la menace de rétablissement de la gabelle, les femmes de Saint-Jean-de-Luz « formèrent toute une danse et parcoururent la plupart de nos rues en forme de mascarade, sans que pourtant il survint de leur part aucune voye de fait dont personne puisse se plaindre […] »48. En 1773, l’arrêt du 4 mai qui établit la vente exclusive du tabac à Bayonne et au Labourd comme par tout le royaume soulève une désapprobation considérable dans l’ensemble de la province, au point que la Chambre de commerce de Bayonne et du Biltzar du Labourd parviendront à faire retirer l’arrêt en 1775. L’arrêt provoque dans tout le Labourd des chansons, des vaudevilles, des placards. À Bayonne, des vers en français contre le comte de L’Hospital sont placardés, qui donnent lieu à un long contentieux, étudié par Michel Stelly (2014). L’un des couplets, à chanter sur l’air de Belle Janeton, mentionne explicitement le baccanal, équivalent fonctionnel du charivari : « on nous dit qu’un général/Veut mettre la gabelle/Faut luy faire baccanal/Nous verrons qu’un Hospital/Chancelle, chancelle, chancelle » (Stelly 2014 : 212)49. 47 • 48 •
AD 33, B 6316. Lettre adressée par les bayle et jurats de Saint-Jean-de-Luz à Mgr de Lesseville, intendant d’Auch et de Pau, le 12 février 1726, citée in Dop 1932 : 269.
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À Cambo en 1773, ce sont les femmes qui se révoltent en particulier. En 1784, des bandes nombreuses de femmes armées de broches, faux, fourches, précédées de tambours se révoltent à Hasparren. L’émeute s’étend à d’autres villages entre Nive et Adour, dont Mendionde, Gréciette, Macaye et Louhossoa. Des hommes travestis en femmes se greffent à la protestation, « voyant que les femmes étaient traitées avec plus de ménagements » (Yturbide 1908). Le 2 mai 1789, à la veille de la tourmente révolutionnaire, les prix et conditions de vente du blé provoquent une révolte de femmes à Labastide-Clairence. Les émeutières passent chez les riches particuliers de la commune afin de saisir les céréales qu’ils ont en réserve. Dans la ferme de Balade, le cadet sort armé d’un fusil. Les émeutières s’emparent du fermier et suite à « l’idée d’une mascarade burlesque », il est juché sur un âne et suit « dans cet appareil humiliant » la troupe, jusqu’à ce qu’elles consentent à le libérer sur les objurgations de l’officier municipal (Etcheverry 1934 : 245). À l’inverse, les autorités font également usage et mention des répertoires de la culture populaire pour signifier, précisément, la fin d’une séquence de rébellion et le renouvellement de l’allégeance des populations locales. Ainsi voit-on début 1671 des émeutes éclater sur la côte labourdine suite à l’appel à l’enrôlement des marins. Après bien des déboires, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure acceptent de procéder à l’enrôlement et accueillent le comte de Guiche, représentant l’autorité royale, en dansant aux « sonnettes ». Le comte lui-même se joindra à la danse (Loirette 1998 : 270). Cette détente ne sera cependant que toute relative, au vu de la rébellion des habitants d’Urrugne. À la mi-mars, de Guiche finit par obtenir la soumission des paroisses réfractaires. De retour à Bidache, il écrit le 3 avril 1671 à Colbert : « Cette affaire est finie glorieusement pour le Roi […] Ce peuple sy entraisné et sy séduit contre son naturel, qui m’a voulu tuer plusieurs fois, m’a enfin hier suivi à Bayonne avec acclamations et présenté les matelots au son de la flûte et du tambourin […] » (cité in Lorette 1998 : 278). Qu’ils soient protestataires ou attestataires, ces dispositifs empruntent constamment à la culture populaire. Les répertoires protestataires, en particulier, empruntent à la symbolique et à la « technologie » du charivari. S’institue alors une mémoire collective d’un répertoire contestataire directement articulé à la culture populaire, qui sera réactivé à maintes reprises tout au long du siècle suivant. ◊ Le charivari contre la Révolution
La période révolutionnaire qui s’ouvre en 1789 voit à ce titre se développer dans les provinces basques un double usage du charivari. D’une part, les charivaris ordinaires continuent, et ne font pas à ce titre l’objet d’une répression particulière. À Hasparren en 1794–1795, c’est la rixe qui survient après la représentation d’une « course de l’âne » qui intéresse la justice, et non pas le charivari lui-même. On note au passage, s’agissant d’une « farce » avec des « scènes » et des « rôles »50, que la course à l’âne en question devait consister non en un simple vacarme nocturne, mais bien en un spectacle 49 •
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Le placard continue ainsi : « Mr Dauvergne a signé / Mes amis cela montre / Criez quand vous le verrez / Jn… f., Jn… f., Jean foutre ; Pour l’ange aux cheveux crêpeux / du démon secrétaire / pour retirer un tribut / signe tout ce que l’on veut / mes frères, mes frères, mes frères (Stelly 2014). AD 64, 98 L 7, Tribunal correctionnel de Bayonne, procédures criminelles et correctionnelles.
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théâtralisé et public, donc supposément autorisé51. À Saint-Pée en décembre 1799, la justice ne poursuit pas les jeunes gens du lieu qui « exécutèrent ce jour une mascarade », mais bien un prévenu de vol présent au cabaret avec les acteurs en question. Il s’agit très probablement d’une occasion charivarique théâtralisée. À Ustaritz en 1795, les charivaris nocturnes s’expriment « contre des jeunes filles, même contre des femmes âgées et se faisant utilisent des espèces de trompettes de cornes de bœuf ouvertes des deux bouts pour rendre ces diffamations plus effroyablement retentissantes dans la profondeur du silence des nuits », charivaris traduisant selon l’observateur de l’époque « une lâcheté longtemps incompatible avec les mœurs généreuses de l’homme basque » (Duhart 1989 : 70). La nouvelle conjoncture politique, en ouvrant une période d’instabilité, génère également autant d’opportunités pour un usage directement politique du vocabulaire charivarique. Ce sont, d’une part, les très nombreux chants satiriques de circonstance généralement composés par les opposants au nouvel ordre révolutionnaire (Velasco 2017 ; Haristoy 1895, t. i : 274–301). Les chants de Salvat Monho, alors vicaire de Bardos, en sont l’exemple le plus connu, tout comme les couplets Nazioneco besta Senperen (la fête de la Nation à St-Pée) qui brocardent le prêtre assermenté de SaintPée-sur-Nivelle dansant « kontrapasetan » (en contrepas) à la tête d’un groupe de vieilles femmes sur la place du village un jour de célébration révolutionnaire. À Espelette, les jeunes gens du lieu dansent et chantent sur un air de saut basque des vers visant nommément le prêtre constitutionnel du lieu ainsi que la municipalité révolutionnaire. L’épisode vaudra la guillotine au juge de paix Gorostarzou et au maire Duhalde le 17 mars 1794 (Haristoy 1895, t. i : 215). Artzain ardijalea dantzari
Le pasteur, mangeur de brebis, danseur
Eskualdunen harrigarri
Iharassari, objet d’étonnement pour les Basques
Murde Iharassarri
A pris parti contre Dieu ;
Jainkoaren kontra da yarri
Il s’est levé contre lui ;
Kontra dio yazarri
Contre lui,
Haren kontra du bihurtu
Il a retourné les dons qu’il a reçus ;
Harek eman dohaina
Le pasteur s’est avisé de dévorer ses brebis !
Ardi jatera ohartu
Quittez, croyez-moi,
Arthaldeko artzaina.
L’œuvre que vous avez entreprise,
Utzazu
Si vous ne voulez pas danser avec Galtzagorri (le diable)
Sinhets nezazu Hasi duzun lana Ez baduzu goan nahi Galtcha-Gorri gana Tiratzera hazkarki
Et tirer vigoureusement la queue de ce seigneur-là.
Jaun hari bustana Ezponda. 51 •
Ezponda.
AD 64, 98 L 6, Tribunal correctionnel de Bayonne, registre du jury d’accusation.
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Amigot non da ?
Où est Amigot ?
Hor deya Domingo
Où est Domingo
Bizkar konkor makhurra
au dos courbé ?
Betiri Gorringo.
Betiri Gorringo.
Eskura zak Okherra
Faites gambader Okerra.
Egin dezan bringo Iharassarri non da?
Où est Ihassarry !
Hura ere on da
Egiteko arronda
Il est apte aussi à former la ronde
Zuekin batean,
avec vous tous sur la rue
Karrika gainean. Jauzi, Katalin ;
Saute Catherine !
Jauzi, Pertolin ;
Saute Pertolene !
Jauzi orok bardin,
Sautez tous avec le diable
Galtchagorrekin Traduction de Pierre Haristoy (1895, t. i : 280)
D’autres protestations collectives empruntent encore plus directement au vocabulaire et à la grammaire du charivari. À Itxassou, un mannequin (marika) représentant le curé assermenté est pendu sur la place ou, selon les versions, sous le porche de l’église52. À Mouguerre, l’effigie de Distiart, curé assermenté, est pendue (Haristoy 1895, t. i : 198). Aux confins de la Soule et du Béarn, à Gestas, le maire Pierre Etchebarne est l’objet le 6 avril 1793 d’une rébellion en règle qui emprunte bon nombre d’éléments au charivari53. Traîné par un groupe de villageois sous le porche de l’église, il lui est signifié que la nouvelle municipalité doit être installée et qu’il doit remettre les papiers de l’ancienne sous peine d’être pendu ou décapité. Arguant que tant que le différend sur la municipalité était en instance au Parlement, il restait toujours maire, Etchebarne consent à remettre à ses agresseurs les papiers de la municipalité mais exige un récépissé. L’un des « rebelles », Cazenave, répond « qu’il se moquait de la justice et qu’il vouloit s’en faire lui-même, ce qui fut applaudy et répété par presque tous les révoltés ». Sur ce, les assaillants enserrent le maire avec une corde, lui jettent de l’eau au visage, le portent vers le porche de l’église, font un simulacre de pendaison, le font monter sur « une ânesse la face en arrière », et lui font courir toutes les rues du village « en me faisant mille injures et mauvais traitements ». Ils le gardent ensuite dans une maison surveillée par six hommes en armes, jusqu’à l’arrivée des gendarmes de Mauléon envoyés par le Directoire de district. L’épisode informe sur un détournement politique et violent de la course à l’âne. Nul doute que le recours à la sanction communautaire entend, chez les assaillants du maire, constituer un registre de légitimation auprès d’une population locale censée y voir l’activation d’un mécanisme de justice populaire. On s’en doute, le nouvel ordre révolutionnaire en quête de stabilité institutionnelle y sera plus que ré-
52 • 53 •
Eskualduna, 31 octobre 1924. AD 64, 98 L 56, Cour d’assises des Basses-Pyrénées.
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ticent. À Mauléon en 1791, le vicaire des Capucins qui avait prêté le serment civique est traité de « higanaut cochon » par une femme qui menace de le faire « courir sur l’âne » (Larrieu 1989 [1899] : 471). À Esquiule, la population fait « promener sur l’âne » les curés assermentés (Moreau 1981 : 421). À Barcus, l’abbé Tartas, curé jureur, est promené de force sur la place publique sur un âne et revêtu du bonnet phrygien. La tradition de Barcus cite également un fait semblable à propos d’un certain Estekailles ou Estekaillepe, de la maison du même nom, qui, après « avoir été forcé à danser avec la dame de Marzonea ou Mardonea, fut attaché sur un âne et promené en place publique et mourut trois jours après » (Haristoy 1901 : 365). ◊ Charivari et dissidences au xixe siècle
S’il reste majoritairement motivé par des sujets traditionnels, le charivari connaît des séquences de forte politisation tout au long du xixe siècle. On ne sait en revanche rien des circonstances (charivariques ? Politiques ?) du placard hostile au maire d’Arcangues qui est affiché durant la fête locale à la porte de l’église le 7 messidor an XI (26 juin 1803). Accompagné d’une balle, le texte basque est rimé : Arrangoicen alix errota maira bollotra, bi ourdehandi norc barkha diçoquete seculan hequi curaye, curaye Espeletarren aldian duc Souraide, laster hil behardie tiros bi ourde handi horiec ere. Eguinbeçate beras fite contritionea eta penitencia, ceren içaren baita dembora laburricartian horien sorte tristia. Eguin beçate lho traquil tranquillac, ballac içarentuc horien confiturac. Signé : Léveillé.
L’adjoint au maire verse au tribunal une traduction approximative : Errota maire d’Arcangues et Bollotra deux grands cochons, qui les pardonnera jamais à eux, courage, courage, près d’Espelette est Souraïde, bientôt ils doivent mourir à coups de feu car deux grands cochons, qu’ils fassent donc bien vite l’acte de contrition et pénitence parce que le triste sort de ceux-ci sera dans peu de temps. Qu’ils dorment tranquille tranquille, les balles que tu auras seront les confitures de ceux-ci. Signé aux placards : L’éveillé54
À Espelette, c’est, en 1828, le mariage d’une fille catholique du pays avec un juge de paix protestant qui provoque un très long charivari, dont relève probablement le charivari féminin dont parlent les sources judiciaires. Trois chants de 24 couplets au total sont produits à cette occasion (Hérelle 1924). Hors des circonstances proprement charivariques, plusieurs rébellions populaires visant les maires ayant interdit la danse émaillent le premier xixe siècle. À Labastide-Clairence en 1819, près de 300 personnes s’opposent au premier magistrat qui vient interrompre le bal. Lors de la fête patronale de Bardos en 1828, un attroupement de 200 personnes attaque à coups de pierres l’adjoint au maire et les gendarmes venus interrompre les tambourins et violons jouant au cabaret. Les musiciens se retrouvent parfois dans des situations inconfortables comme à Bidache lors du carnaval de 1826 où le Maire ordonne au ménétrier de cesser de jouer, les bals nocturnes étant défendus, alors que l’un des responsables de la jeunesse lui enjoint de continuer à jouer. Toujours à Bidache, lors du carnaval de 1828, le maire fera taire le ménétrier Antoine Rétouret à l’occasion d’un bal dont la nature privée ou publique donne lieu à discussion. Le 2 novembre 1824, le maire d’Anglet inter54 •
TPI de Bayonne, 3 U 1/1308.
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dit le bal sur la place Lamothe par respect pour la fête de morts, ce qui provoque une rébellion des jeunes gens contre la Garde nationale. À Ustaritz en 1824, les jeunes gens réunis dans « l’association qui forme le bal » se réunissent deux jours après la Fête-Dieu renvoyée et dansent toute la journée « par dérision pour l’autorité publique » en dépit de l’ordonnance du maire interdisant le bal public. À Anglet durant le carnaval 1821, l’adjoint au maire interdit une « mascarade » qui parcourt les rues le Jeudi gras, alors que le maire est à l’agonie. Le ménétrier Arnaud Latournerie, originaire de Sames et déjà connu pour divers larcins, est particulièrement visé pour avoir été à la tête de la mascarade et du bal qui a suivi. Concernant les charivaris proprement dit et sans doute par effet de morphologie sociale n’at-on pas en milieu rural labourdin, confirmation de la thèse de Charles Tilly. Celui-ci, à partir d’observations urbaines, voit dans le détournement politique de la forme charivarique une forme prépolitique annonçant l’émergence d’une nouvelle forme d’action collective, la manifestation. Quelques rares charivaris urbains iraient cependant dans ce sens. En mai 1832, un charivari ouvertement politique est donné à Bayonne contre le général Harispe, membre de la Chambre des députés, aux cris de « À bas le juste milieu, Vive la République »55. Les juges du charivari feront euxmêmes l’objet de la sanction coutumière (Hourmat 2004 : 59 et sq.). À Orthez, dans le Béarn voisin, le comte Saint-Cricq, député, est également visé par un charivari du même ordre en mai 183256. Le charivari rural s’exprime cependant à l’échelle du village, voire du quartier, et reste peu susceptible d’un encadrement militant propice à une politisation massive. Ou plus exactement, peu propice à une politisation de nature idéologique. En revanche, durant le premier xixe siècle, l’attirail symbolique du charivari est régulièrement activé lors des protestations collectives contre la pénétration de l’État dans la société locale. Souvenir des révoltes frumentaires et fiscales du siècle précédent, bon nombre de ces rébellions se manifestent tout au long des Pyrénées et font obstacle à la mise en œuvre des nouvelles politiques en matière de plantations, de fiscalité, du Code forestier ou de la conscription (Soulet 2004). Le charivari constitue ce que Jean-François Soulet a pu qualifier de dissidences plutôt que résistance, soit des mobilisations collectives non fondées sur des raisons idéologiques, mais plutôt sur une opposition aux nouvelles normes venant heurter frontalement les normes et conventions régissant la vie quotidienne des valléens. Peter Sahlins (1994) a démontré la façon dont ce répertoire rituel carnavalesque et charivarique avait été activé lors la guerre des Demoiselles menée contre le nouveau Code forestier en Ariège à partir de 1827. Quelques épisodes du même ordre peuvent être repérés en Pays basque. En 1811 à Ayherre, un conscrit réfractaire d’Isturitz est libéré par une cinquantaine d’hommes masqués, « déguisés » et travestis en femme, au visage noirci avec de la fumée et armés de couteaux et de bâtons57. À Macaye 55 •
56 • 57 •
AD 64, 3 U 1/1062, TPI de Bayonne, Jugement correctionnel, 3 mars 1832. Sur ce charivari, voir aussi Histoire morale, civile, politique et littéraire du charivari, par le docteur Calybariat de Saint-Flour, suivi de complément de l’histoire du charivari jusqu’à l’an de grâce 1833 par Bessinet, sous-maître à l’école primaire de Saint-Flour et aide chantre à la cathédrale, Paris, Vaugirard Delaunay 1833 : 260–262 et Hourmat 2004, op. cit. Le Mémorial des Pyrénées, 5 juin 1832. AD 64, TPI de Bayonne, 3 U 1/1249, Pièces de procédure correctionnelle ; 3 U 1§1055 Jugements correctionnels 4 mars 1811. À Briscous en 1815, 20 hommes armés de fusils et de fourches parviennent également à libérer un déserteur et à faire fuir la gendarmerie (3 U 1/1251).
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en 1816 un attroupement proteste contre le receveur ambulant des contributions indirectes et ses préposés venant constater la destruction des plantations illicites de tabac. Le 15 juillet, les fonctionnaires commencent à faire détruire les plants. Le soir, des coups de feu sont tirés. Le lendemain, les préposés trouvent des placards contre leur porte les menaçant d’être brûlés. Ils se rendent, accompagnés de gendarmes, sur la place de Macaye et y voient « un grand nombre de femmes armées de broches, fourches de fer, baïonnettes et autres armes, lesquelles femmes dansaient au milieu de la place en buvant du vin et ont crié qui vive aux arrivants »58. Appelé à la rescousse, le maire enjoint aux femmes de se retirer, sans succès, « appuyées de l’espoir d’être soutenues par un grand nombre d’hommes cachés dans les maisons et dans le bled, les uns habillés en femmes et les autres masqués, tous annonçant un caractère de révolte »59. Face à la menace des 200 personnes, « la majeure partie des femmes et des hommes déguisés en femmes »60, masqués et armés, gendarmes et inspecteurs du tabac décident de se retirer. Le répertoire d’action collective, en l’occurrence, réactive la mémoire des soulèvements antifiscaux et contre la réglementation sur la plantation du tabac qui égrenèrent le xviiie siècle dans l’ensemble du Labourd. À Cambo en novembre 1854, les inspecteurs venus vérifier les plantations de tabac font face à une rébellion en règle, qui évoque directement les émeutes des 183361 voire celle de 1773 survenues dans le même village : « rappelez-vous », soulignent les habitants aux inspecteurs, « la manière dont les habitants de Cambo ont une autre fois traité vos prédécesseurs malgré le bataillon de soldats envoyés pour leur prêter main-forte ! Nous saurons, comme on fit alors, faire respecter notre plantation de tabac […] »62. Une rébellion armée du même ordre a lieu à Garris en 1826 contre un membre de la Commission administrative du pays de Mixe venant dans les bois communaux pour des ventes aux enchères de 12 ha de bois autorisée par les Eaux et forêts. À Armendarits en 1848, c’est contre l’inspecteur des forêts chargé du martelage de la coupe de l’année que se soulèvent des hommes armés de pistolets, de fusils et de fourche, dirigés par une femme armée de deux pistolets. En décembre 1848, un attroupement d’habitants d’Ordiarp exige des deux gardes forestiers « la démission écrite de leurs fonctions »63. En mai 1849, un rassemblement d’hommes armés originaires de Beyrie, Luxe, Sumberraute, Béguios et Masparraute empêche une coupe dans un des bois du pays de Mixe à Luxe-Sumberraute. Ils séquestrent un garde forestier, avant que celui-ci ne s’échappe, et menacent un des ouvriers chargés de la coupe en lui signifiant « que si lui et ses camarades se remettaient au travail on les clouerait aux arbres la tête en bas »64. Les éléments carnavalesques et charivariques (masques, travestissements, danses) ne sont cependant mentionnés ni à Garris ni à Armendarits ni à Ordiarp ou à Luxe. À Mauléon en revanche en juin 1850, à l’occasion de la vérification du sol forestier par la commission Paccard, le maire an58 • 59 • 60 • 61 • 62 • 63 • 64 •
AD 64, TPI de Bayonne, 3 U 1/14, Rapport de gendarmerie, 17 juillet 1816. Ibidem. AD 64, TPI de Bayonne, 2 U 1/14, Courrier du receveur ambulant des contributions indirectes au directeur, 16 juillet 1816. Le Mémorial des Pyrénées, 20 juillet 1833. AD 64, 3 U 1/1079, TPI de Bayonne, jugements correctionnels. 22 novembre 1854 AD 64, 3 U 5/672, TPI de Bayonne, Jugement correctionnel du 14 avril 1849. AD 64, 3 U 5/672, TPI de Saint-Palais, Jugement correctionnel du 21 juillet 1849.
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ticipe en publiant un arrêté interdisant les charivaris et tzintzarrotzak 65. En mai 1850, le maire de Saint-Palais interdit « les manifestations qui sous des apparences de danses et de promenades, ont eu lieu depuis quelque temps, soit le jour soit la nuit, manifestations qui ont troublé le repos public et qui ont été une véritable protestation contre les arrêts de la justice »66. L’interdiction vaudra au maire une adresse dans L’Ariel le Républicain de Vasconie, journal prorépublicain d’Agosti Chaho, qui y verra la trace d’un « autocrate » et d’un « réac »67. Elle se traduira surtout par la comparution en correctionnelle en septembre 1850 de trois jeunes et de deux ménétriers (tous de Saint-Palais), Pierre Larraburu, né à Aroue et François Arla dit Jauréguiberry, né à Suhast68. « Les inculpés », souligne le tribunal dans ses attendus, avaient la nuit du 8 au 9 avril « parcouru plusieurs quartiers de la ville et s’étaient réunis à deux endroits différents dans la rue en face de la maison d’arrêt où, par des cris, des chansons, des danses et le bruit des violons et des tambourins, ils avaient troublé le repos et la tranquillité des habitants. »69. L’Ariel donnera cependant une lecture bien distincte des faits, en indiquant que c’est une « sérénade » que les jeunes gens précédés des deux musiciens donnaient en l’honneur du membre du conseil général (républicain) Dindaburu. L’affaire tourne au conflit politique et dégénère en pugilat le jour de l’audience70. À cette politisation implicite, avant tout antiétatique, se rajoutent des charivaris provoqués par des motifs ordinaires mais qui, survenant dans des périodes politiques troublées, prennent une dimension subsersive, dégénèrent et sont particulièrement réprimés, à l’image de celui de Saint-Jean-Pied-de-Port en 1832 qui cumule cause traditionnelle (remariage d’une veuve…), hostilité envers les étrangers (… avec un Béarnais), et tensions sociales internes (… qui est cordonnier) (Reicher 1937). Durant le carnaval 1832, le maire s’insurge contre des jeunes gens de la ville qui « entendent exclure les cordonniers de la ville tandis qu’eux-mêmes sont la plupart de la classe des artisans où d’une condition analogue »71 du bal qu’ils donneront à la salle de la mairie. Au vu de « l’injustice de cette exclusion » et surtout par crainte des inévitables rixes, le maire réunit les jeunes et, obtenant que les cordonniers soient acceptés au bal, concède la salle de la mairie. L’accord, fragile, vole en éclat dès le lendemain et se traduit par une menace de charivari : Il [le maire] a été informé ce matin que non seulement le bal n’aura pas lieu, les jeunes gens qui formaient la première association se croyant offensés de la condition qui leur avait été imposée d’y admettre les autres ; mais qu’encore il y a un projet de faire du tapage dans les rues pendant la nuit ; que ce projet paraît être d’autant plus réel qu’une affiche de la dernière insolence, qui manifeste les mauvaises intentions de ses auteurs a été placardée la nuit dernière.72 65 • 66 •
67 • 68 • 69 • 70 • 71 • 72 •
Le Mémorial des Pyrénées, 15 juin 1850. Arrêté du maire de Saint-Palais, mai 1850. Le maire avait déjà pris en mai 1848 un arrêté contre les charivaris « […] Que des couplets injurieux et obscènes ont été chantés dans ces réunions, sous prétexte de stigmatiser des seconds ou subséquents mariages que la loi n’interdit pas, qu’au contraire elle autorise », AD 64, Arch. com. Saint-Palais, arrêtés du maire, 2 mai 1848. En 1703 déjà, la ville dénonçait le « désordre » provoqué par des « troupes de valets et de jeunesse » qui « battant la quaisse » chantaient devant l’église des « chansons scandaleuses avec indication des personnes » (AD 64, Arch. com. Saint-Palais, Délibérations, BB1, 10 février 1703). L’Ariel, 22 mai 1850. Le même, « ménétrier de profession » sera par ailleurs condamné à 3 mois de prison pour vol en 1851. AD 64, 3 U 5/673, TPI de Saint-Palais, Jugement correctionnel du 3 septembre 1850. L’Ariel, 28 mai 1850. Mairie de Saint-Jean-Pied-de-Port, Arch. com., Ordonnance de police 19 février 1832. Ibidem.
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Au vu de ces menaces, le maire interdit tout rassemblement, et rajoute un article à son ordonnance : « art. 3 : il est expressément défendu de proférer des cris séditieux, tels que ceux-ci : “à bas les libéraux, à bas les carlistes”, ou autres semblables propres à provoquer la haine ou la désunion entre citoyen […] ». Le politique formel fait ainsi irruption dans un contexte de désordre social ou la conjoncture politique fragile rend perméable les frontières entre les motivations charivariques. Le 29 mars 1834, le Conseil municipal de Saint-Jean-Pied-de-Port délibère sur l’utilisation de la salle de la mairie pour les bals, et rappelle que la Garde nationale fait des patrouilles le soir du marché et des fêtes « quelques émeutes ayant eu lieu vers la fin de 1831 sous le prétexte de l’exportation des grains »73. À y regarder de plus près, l’argument du Conseil autour de la surveillance des bals est avant tout celui du maintien de l’ordre et non pas celui de la justice sociale. « Depuis le moment que la ville a pris possession de la dite salle », souligne le Conseil, « il y a eu chaque Carnaval des bals de Société de diverses classes chaque fois que le Maire l’a permis ». En 1832, ce sont davantage les désordres potentiels générés par l’exclusion des cordonniers que cette exclusion elle-même – toutefois dénoncée en soi par le Maire – qui provoque la réaction du Maire et, par ricochet, le charivari. En janvier– février 1848 en revanche, si le maire de Saint-Jean est visé par un charivari en règle pendant plus de 15 jours, avec chaudrons, marmites, cornes de bœuf, vociférations, sifflets, irrintzina, grosse caisse et bertsulari, c’est cette fois pour un motif ordinaire, à savoir les relations coupables que le premier magistrat entretiendrait avec une jeune veuve74. L’on peut supposer que le climat politique de février 1848, s’il ne politise pas formellement ce charivari, viendra renforcer les tensions et, partant, la répression à l’encontre des fauteurs de troubles. L’exemple de Saint-Jean-Pied-de-Port montre bien comment un charivari survenant durant une période troublée, qui plus est durant le carnaval, peut conduire à un mélange des causes et des effets : relations de couples, prix des grains, tensions sociales entre corps de métiers, politisation idéologique. L’attirail symbolique du charivari, toujours tangeant entre fonctions attestataires et contestataires, prend une nouvelle vigueur à l’occasion des séquences de crises politique et sociale. ◊ La IIIe République et la politisation formelle du charivari
Mais c’est surtout, comme Eugen Weber l’a souligné à l’échelle de la France, sous la IIIe République que le savoir-faire charivarique sera mobilisé à nouveau cette fois dans un conflit ouvertement idéologique entre cléricaux et républicains, et ce par les deux camps. Ce recours est ambivalent, et ce particulièrement en Basse-Navarre. D’une part, chaque camp mobilise la partie noble des parades charivariques, à savoir la cavalcade des danseurs et des cavaliers, délestée du cortège proprement charivarique. La fête électorale, transition entre la vision du politique comme temps d’effervescence collective et conception individualiste du suffrage, reprend le vocabulaire ancien des « honneurs » offerts par les jeunesses à leurs dirigeants.
73 • 74 •
Mairie de Saint-Jean-Pied-de-Port, Arch. com., Délibérations, 29 mars 1834. Ariel, Le Courrier de Vasconie, 1er et 6 février 1848.
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Ainsi voit-on régulièrement en Basse-Navarre les campagnes électorales et les célébrations postélectorales être agrémentées de cavalcades dansées, la cohorte des bolantak (danseurs « volants ») et des cavaliers venant rehausser la prestation du candidat et souligner le soutien populaire dont il bénéficie. En s’adaptant aux nouvelles conditions du suffrage universel (masculin), le détournement électoral de la cavalcade ne vient qu’actualiser l’usage ancien des Entrées de personnalités dans les bourgs. En septembre 1893, le député Berdoly effectue une entrée triomphale à SaintJean-Pied-de-Port, escorté d’une « cavalcade républicaine » au grand complet (cavaliers, sapeurs, tambour-major, bolantak, monsieur et dame, demoiselles, poète, huissier et médecin), préparée par les jeunesses d’Ascarat, de Çaro et de Saint-Jean. Le soir, les sauts basques sont exécutés en son honneur à Ispoure75. Eskualduna minimisera la réception en parlant d’une quarantaine de participants, dont beaucoup de « bohémiens » et de « malfaiteurs »76. Un accueil du même ordre est réservé à Berdoly à Bidarray, avec chants de circonstance. À Barcus, le député est reçu par la mascarade souletine au complet, avec ses danseurs émérites dont le zamalzain (chevalet) réputé Heguiaphal77. Berdoly prononce son discours en français, qui est traduit en basque par son soutien, le notaire et collecteur de chants basques Sallaberry. En bon notable, Berdoly accorde ensuite « des audiences particulières aux personnes désireuses de l’entretenir d’affaires particulières »78. À Ordiarp, il reçoit les hommages des bertsulari et le saut basque est dansé en son honneur. Bedeluse d’Ordiarp publie dans le Réveil un chant d’éloge. Au passage, la valorisation de la danse permet aux élus républicains de se démarquer du clergé. Dans une commune non précisée, un certain Ganich publie des chants vindicatifs contre les villageois ayant soutenu le maire blanc reconduit dans ses fonctions suite à un procès. L’épisode sert de prétexte à des chants prorépublicains : O Errepublika ! Belauniko nitas ohoratia
Ô République ! Toi que j’ai adoré à genoux
Nere herritar faltso batzuez haiz trahitia
trahie par mes compatriotes hypocrites
Aphezen esclavo duk hemen yendia
Les gens d’ici sont esclaves des curés
Ustel, lekaïo eta eskale billakatia Cer trichtessia !79
ils sont devenus pourris, laquais et mendiants quelle tristesse !
Les blancs auront recours à des dispositifs en tous points équivalents. Jean Ybarnégaray, patron politique incontesté de l’arrondissement de Mauléon, maire d’Uhart-Cize après 1912 et député entre 1914 et 1940, n’aura de cesse de mobiliser (et de financer) la cavalcade de son village d’origine Uhart-Cize pour effectuer des entrées triomphales dans son fief. Loin du simple divertissement, la danse, sous ses formes ordonnées, fait honneur à son destinataire. Le 3 mai 1908, J. Ybarnégaray, alors étudiant en droit, plaide auprès du tribunal de Saint-Jean-Pied-de-Port en faveur du cocher de son père, jugé pour avoir traversé Saint-Jean et Uhart à la tête d’une farandole célébrant la victoire des conservateurs aux élections municipales d’Uhart. Le point de droit porte alors sur le fait de sa75 • 76 • 77 • 78 • 79 •
Le Réveil basque, 17 septembre 1893. Eskualduna, 8 septembre 1893, traduit du basque. Le Réveil basque, 8 octobre 1893. Ibidem supra. Euskal Herria – Le Pays basque, 7 mai 1904.
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voir si l’étoffe brandie au bout d’une branche par le premier danseur constitue ou pas un drapeau blanc, susceptible de tomber sous le coup de l’arrêté préfectoral du 16 février 189480. Le répertoire choisi n’est pas anecdotique. La dantza luzea (danse longue), alors en pleine vigueur en pays de Cize, est danse d’honneur réservée aux grandes occasions. Le choix de la dantza luzea par le parti conservateur est donc loin d’être anodin, il traduit une volonté explicite de traduire en soutien politique des codes culturels constituant le prolongement symbolique d’une « société des maisons » (Thibon 1988) institutionnalisée et hiérarchisée. Plus ambivalente est la mobilisation politique des dispositifs charivariques. Si la majorité des charivaris restent motivés par des sujets classiques, les toberak peuvent, à l’occasion, se politiser en lien avec l’élection, soit par son motif, soit par ses circonstances. Le 15 février 1887, la jeunesse d’Isturitz en Basse-Navarre organise un tobera mustrak, avec danse et théâtre, « en l’honneur » d’un couple du village. La fête se tient malgré l’interdiction du maire. Le jour venu, la présence des gendarmes fait virer la fête à l’émeute, coups et tirs sont échangés, et un jeune homme d’Isturitz est incarcéré. À l’occasion des élections du 27 février, le père du prévenu passe de maison en maison en distribuant des bulletins de vote pour les « rouges ». Les républicains auraient promis d’abandonner les poursuites contre son fils s’ils l’emportent à Isturitz. Les républicains l’emportent, précisément, d’une voix mais cela n’empêchera pas, ironise Eskualduna, l’auteur du charivari d’écoper d’un mois de prison81. En 1892 à Saint-Jean-de-Luz, la victoire des conservateurs aux élections municipales est célébrée dans une ambiance charivarique, avec chants, musique, cris et jets de pierres devant les maisons des républicains. Le maire conservateur, Goyenetche, affirme cependant que les cris « à bas la République » « à bas Carnot » n’ont pas été proférés, et que c’est le « chant national des Basques » Gernikako arbola que les jeunes gens ont entonné82. D’autres témoins, cependant, ont entendu La Marseillaise, signe de la souplesse des appartenances, ainsi que les chants « Je suis chrétien, voilà ma gloire » et « Joséphine, elle est malade » avec la variante « La République, elle est malade ». Le représentant de la jeunesse parle quant à lui d’« aubades » données en l’honneur des nouveaux conseillers municipaux. À Espelette le 20 août 1893, suite à la victoire électorale des républicains aux législatives une troupe avinée et débraillée, conduite par le tambour municipal (ô Matchina ! Matchina ! [surnom du maire]) est allée parodier les cérémonies religieuses d’enterrement à la porte des principaux conservateurs. Il y avait l’instituteur de la commune, un drapeau à la main, et avec lui un groupe de petits garçons de son école […]. Cela chantait des bribes du Miserere et cela insultait les prêtres et aussi de pieuses femmes.83
Ces « machinations de carnaval » visent, de l’avis de la presse catholique, les conservateurs et Mgr Diharassarry, le prêtre-candidat battu à l’élection législative de 1893. La manifestation pro80 • 81 • 82 • 83 •
AD 64, 4 U 34/13, Justice de paix du canton de Saint-Jean-Pied-de-Port, 28 septembre 1908. « Ichtorio pollit bat » [une jolie histoire], Eskualduna, 15 juin 1887, AD 64, 3 U 1/114, TPI de Bayonne, 26 mai 1887. AD 64, 3 U 1/1334, « Affaires sans suite 1892 », TPI de Bayonne, voir aussi L’Avenir des Basses-Pyrénées et des Landes, 13 mai 1892. La Semaine de Bayonne, 26 août 1893.
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voque une contre-offensive des conservateurs qui accuseront le maire de corruption électorale. À l’inverse, un charivari nocturne est organisé contre l’institutrice laïque à Itxassou en 1885. Dans le même village, l’organisation d’un tobera mustrak en 1889 par les « blancs » est interdite par le maire « rouge », au nom du respect des bonnes mœurs. Toujours à Itxassou, on se souvient de la dimension charivarique (masques, cris et hurlements) de la protestation, doublée d’un affrontement avec les forces de l’ordre, contre les Inventaires des biens de l’Église en 1906. À l’intérieur du pays, une même forme, la cavalcade, peut servir aussi bien à la célébration qu’à la satire. La nuance entre les deux fonctions est parfois subtile. En pays de Cize, plusieurs libertimendu (« divertissements » ou cavalcades) prennent à l’occasion une tournure politique. Le 23 septembre 1889, la jeunesse de la vallée d’Hergaray défile en dansant à Saint-Jean-Pied-de-Port et est poursuivie pour avoir « tourné en dérision et injurié un candidat à la députation »84, en l’occurrence républicain. Dans le même esprit, en janvier 1912, Ybarnégaray plaide en faveur de la jeunesse de Saint-Michel, accusée d’y avoir organisé le 24 septembre 1911 une cavalcade-charivari contre l’instituteur (républicain) malgré l’arrêté d’interdiction du maire. La jeunesse, quant à elle, argue que la cavalcade était une simple fête de conscrits85. L’instrumentalisation politique des cavalcades conduit à des luttes d’occupation de l’espace. Lors du carnaval de 1913, les cavalcades d’Ispoure et d’Uhart-Cize, financées par Ybarnégaray devenu entretemps maire d’Uhart, doivent traverser Saint-Jean-Pied-de-Port. Or la municipalité républicaine de Saint-Jean, arguant qu’elle avait reçu une autre demande de cavalcade de la part des jeunes de sa commune, interdit aux jeunesses d’Ispoure et d’Uhart de traverser Saint-Jean en musique. La cavalcade se mute alors en épreuve de force et se met en ordre de bataille à Saint-Jean-leVieux avec Ybarnégaray à sa tête. À l’entrée de Saint-Jean-Pied-de-Port, les gendarmes font cesser la musique et les danseurs se voient contraints de traverser la ville par rangs de quatre et en silence. La musique reprend une fois le défilé arrivé sur le territoire d’Uhart-Cize et se mute en célébration du maire et futur député86. Le contexte électoral fournit ainsi à la fête les conditions de sa dramatisation et du détournement de la geste charivarique. Par le clivage qu’elle incarne, l’élection place la fête sur une ligne de crête entre célébration et satire, entre réjouissance et affrontement, entre affirmation identitaire et démonstration de force. En ce sens, la fête électorale, en étant toujours à deux doigts de la violence collective, marque une étape dans l’intériorisation progressive de la civilisation électorale, intériorisation encore fort éloignée du paradigme libéral de l’électeur rationnel et individualiste. La sanction de la coutume L’attitude des élites religieuses et sociopolitiques locales à l’égard du charivari est loin d’être homogène. Trois catégories d’acteurs méritent une attention particulière.
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AD 64, 4 U 34/6, Justice de paix de Saint-Jean-Pied-de-Port, décembre 1889. AD 64, 4 U 35/15, Justice de paix de Saint-Jean-Pied-de-Port, 8 janvier 1912. Voir les chants composés par Erguy de Lasse en l’honneur d’Ybarnégaray et du conseiller général Anxo (Eskualduna 14 février 1913).
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Le juge, le sous-préfet et la lente pénétration de l’État L’administration de la justice, d’une part, accentue à compter du premier tiers du xixe siècle, et surtout sous le Second Empire, la disqualification du charivari. Le juge de paix cantonal et, occasionnellement, le procureur de Bayonne, sont les acteurs centraux de ce qui témoigne de la pénétration progressive de l’État et du droit sur un territoire réputé réfractaire. Le charivari est combattu au nom de l’article 479 n° 8 du Code pénal. L’argument normatif est rappelé régulièrement par le juge, comme au Bas-Cambo, en 1853, à l’occasion d’un charivari dirigé contre un homme réputé bigame : Attendu que, bien que la coutume du charivari soit ancienne, il a toujours été proscrit par les lois ecclésiastiques et par les lois civiles, comme contraire aux mœurs, à la paix qui doit régner parmi les citoyens et à leur tranquillité, que le Code pénal à consacré ces dispositions. Attendu que s’il peut être vrai que la conduite du nommé Jauréguy soit répréhensible par rapport à ses mœurs, elle n’autorise point une manifestation comme celle qui s’est produite, et qui se prolonge depuis trop de jours, avec une persistance qui semble prendre une espèce de caractère de persécution. Attendu qu’une sévère application de la loi devient nécessaire dans la circonstance tant pour faire cesser ce désordre que pour faire comprendre à nos populations qui ont trop tendance à faire des charivaris tolérés par l’inertie de certaines autorités locales que la justice est armée pour les réprimer.87
Dans cette affaire, 9 prévenus sur 10 seront condamnés à trois jours de prison et à des amendes. Les peines de prison et d’amendes se multiplient surtout sous le Second Empire et sous la IIIe République. En 1859, le même juge d’Espelette condamne un charivari à Sare, usage « réprouvé autant par la charité chrétienne que par nos lois pénales, dont l’application sévère doit entièrement faire disparaître de nos populations un répréhensible usage qui chaque jour tend à diminuer »88. En 1860, toujours pour des faits survenus à Sare, le juge d’Espelette réprouve un « usage inexplicable réprouvé tant par la loi naturelle que par celle écrite »89. En 1863, le juge souligne encore que Sare est la seule commune du canton où les jeunes gens conservent encore l’absurde usage de charivariser les personnes qui convolent en secondes noces, et que communément des chansons injurieuses, sinon obscènes accompagnent ces sortes de manifestations qui sont en quelque sorte une atteinte à la liberté et à l’indépendance des citoyens90.
La répression s’exerce aussi à l’encontre d’autres pratiques et croyances populaires : jeu de l’oie rituel antzara joku à Souraïde en 1852, envoûtement du bétail au quartier Basseboure d’Espelette en 1862, etc. Au tournant des années 1850 en Basse-Soule, le juge fait bénéficier des circonstances atténuantes plusieurs auteurs de charivaris au nom, comme à Mauléon en 1851, d’un « usage immémorial toléré jusqu’à ce jour ». La tolérance en question, néanmoins, laisse désormais place en ce début de Second Empire à des postures plus répressives. En 1877 encore à l’occasion d’un charivari à Chéraute, le juge accorde les circonstances atténuantes et admoneste les prévenus sur un mode paternaliste : « que l’usage des charivaris reste des habitudes un peu sauvages d’un autre temps, de-
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AD 64, 4 U 9/9, Justice de paix du canton d’Espelette, jugement de simple police du 9 juillet 1853. AD 64, 4 U 9/10, Justice de paix du canton d’Espelette, jugement de simple police du 6 juillet 1859. AD 64, 4 U 9/10, Justice de paix du canton d’Espelette, jugement de simple police du 6 juin 1860. AD 64, 4 U 9/11, Justice de paix du canton d’Espelette, jugement de simple police du 17 juin 1863.
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vrait disparaître de nos mœurs, que désormais la loi serait appliquée avec rigueur contre de pareils abus, ils ont témoigné du repentir de l’acte qu’ils ont commis avec plus de légèreté que de malice »91. La condamnation du charivari par la justice locale ne se départit pas d’une certaine ambiguïté. Si le juge condamne, surtout à partir du Second Empire, sa forme et le principe de self-justice qu’il institue, il en comprend souvent la motivation, qui est en accord avec la morale dominante. Cette appréciation générale de la justice locale comme pourfendeuse de la coutume et introductrice d’un rationalisme bureaucratique propre à un État en expansion devrait être nuancée par une sociologie plus fine du corps des juges de paix. Le juge du canton d’Espelette entre 1882 et 1891 n’est autre que Jean-Baptiste Elissamburu (1828–1891), originaire de Sare, républicain notoire mais également l’un des acteurs majeurs du renouveau de la littérature et de la chanson basques. Ses romans de mœurs, comme Piarres Adame, témoignent d’une connaissance fine – et pour cause – des dispositifs coutumiers de la société locale. On ne peut cependant que supposer, à la lecture des procédures pour charivari qu’Elissamburu eût à juger, que cette intimité avec la société locale ait pu influer dans le sens de la clémence. En tous les cas, le bilinguisme du juge aura certainement facilité les comparutions, si l’on en juge par les nombreux quiproquos linguistiques entre gendarmes et prévenus. À Ustaritz, au début du xxe siècle, le juge de paix Emmanuel Souberbielle s’intéressera également de près à la culture basque. Loin s’en faut cependant pour que le charivari constitue l’aspect qui retienne l’attention de ces érudits et écrivains dans ce qui participe, dès le milieu du xixe siècle, d’une entreprise d’écriture d’une culture basque légitime et épurée de ses éléments les moins orthodoxes. L’État, donc, s’il s’incarne dans les arcanes de l’administration judiciaire locale, transige plus qu’il n’y paraît. L’administration préfectorale, en revanche, est inflexible, et enjoint régulièrement les maires, surtout à partir du Second Empire, de faire cesser les pratiques charivariques. Préfets et sous-préfets promulguent régulièrement des arrêtés contre les charivaris. Le 6 février 1854, le préfet des BassesPyrénées interdit les charivaris contre les personnes qui se remarient, « usage établi dans un grand nombre de communes de ce département ». « Contraires à la morale », les charivaris compromettent surtout la tranquillité publique. Sont condamnées par la même occasion les salves tirées sur la voie publique à l’occasion des noces, des baptêmes et des fêtes de famille92. La défiance préfectorale à l’égard des charivaris est précoce et se manifeste dès le début du xixe siècle. En juin 1816 le sous-préfet de Mauléon écrit ainsi au maire d’Ithorrots-Olhaiby aux confins de la Soule et de la Basse-Navarre : J’ai reçu votre lettre de ce jour et je vois avec surprise et beaucoup de peine que vous avez souffert que la jeunesse de votre commune fit des charivaris pendant plusieurs nuits. Je suis encore instruit que depuis que M. le juge de paix du canton de St Palais vous a invité à les faire cesser, on les a continués par deux ou trois reprises. Votre conduite dans cette circonstance est très répréhensible : les rassemblements de jour sont défendus et à plus forte raison ceux qui ont lieu la nuit, attendu qu’ils peuvent donner lieu à des rixes sérieuses. Je vous invite à être plus vigilants dans la suite pour maintenir le bon ordre dans votre commune, et je vous rends responsable des évènements fâcheux qui pourraient résulter de la négligence que vous porteriez dans l’exécution des lois sur la police.93
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AD 64, 4 U 19/96, Justice de paix du canton de Mauléon, jugement de simple police, 9 octobre 1877. Le Courrier de Bayonne, 19 février 1854. 16 juin 1816, correspondance du sous-préfet de Mauléon.
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En 1828, le sous-préfet de Mauléon écrit au maire de Sorhapuru, également aux limites de la Basse-Navarre et de la Soule, pour signaler que sous couvert d’une pastorale, la jeunesse de ce village entend en fait monter « un spectacle des époux qui n’ont rien fait pour devenir l’objet d’une course d’ânes qu’on ne peut tolérer sans enfreindre les lois qui veulent le maintien du bon ordre et de la tranquillité des habitants »94. Le maire, du même coup, est sommé d’interdire l’asto lasterrak projeté. Le charivari cependant est alors davantage condamné pour les débordements qu’il engendre que pour ses motivations initiales. En 1833, le sous-préfet écrit au préfet en raison d’un « charivary » représenté en période de carnaval à Saint-Just-Ibarre ayant dégénéré en rébellion contre le maire et les gendarmes. Prudent, le sous-préfet estime devoir « s’abstenir, jusqu’à ce que j’ai reçu les explications que je demande au maire, de toute réflexion sur la conduite de l’autorité locale dans cette circonstance dont la suite aurait pu devenir fâcheuse »95. À Barcus en 1830, où les jeunes gens doivent jouer une « comédie dans laquelle ils vont mettre en scène tous les défauts d’un jeune veuf nouvellement remarié »96, le maire signale au sous-préfet « qu’on n’établira les vices que sous un faux nom, mais que personne ne pourra se tromper sur l’allusion », et qu’il a refusé de l’autoriser. Le sous-préfet le soutient fortement, en se référant à l’article 367 du Code pénal sanctionnant la calomnie dans les lieux ou réunions publiques. Sous le Second Empire, la répression préfectorale ne concerne plus seulement les débordements du charivari, mais son fondement même. Face à l’imminence d’un grand charivari à Itxassou, le sous-préfet de Bayonne demande en 1856 au maire de « mettre enfin un terme à cet usage ridicule autant que compromettant pour la tranquillité publique »97 et d’arrêter les perturbateurs s’ils persistent dans leur projet. Dans le même village en 1859, le sous-préfet de Bayonne autorise le maire à laisser la jeunesse organiser une fête – très probablement des tobera mustrak, « à la condition expresse que la décence, le bon ordre seront sauvegardés et qu’on ne se permettra aucune allusion personnelle »98. Peu à peu, l’administration préfectorale incite à une condamnation de la nature même du charivari, désormais en dissonance avec les nouvelles frontières du public et du privé. Ambivalences du maire Il faudra du temps à un tel discours libéral, fondé sur la reconnaissance des droits individuels du citoyen pour pénétrer dans un enchevêtrement complexe de solidarités communautaires et de logiques individualistes. L’attitude des autorités politiques locales est particulièrement difficile à qualifier en la matière. Le maire, en particulier, joue souvent un rôle de médiation, voire de protection de la jeunesse face à une justice trop expéditive. Plutôt conciliants quant aux rituels carnavalesques routiniers comportant pourtant une dimension satirique avérée99, les maires sont plus 94 • 95 • 96 • 97 • 98 • 99 •
AD 64, 2 Z 53, Lettre du sous-préfet de Mauléon au maire de Sorhapuru, 28 octobre 1828. AD 64, 2 Z 49, Correspondance générale du sous-préfet, 23 février 1832. AD 64, 2 Z 52, Lettre du sous-préfet de Mauléon au maire de Barcus, 18 octobre 1830. Mairie d’Itxassou, Arch. com., Lettre du sous-préfet de Bayonne au maire, 18 juillet 1856. Mairie d’Itxassou, Arch. com., Correspondance du sous-préfet de Bayonne au maire, 24 juillet 1859. Ainsi voit-on le maire d’Hasparren en 1804 prendre un arrêté pour autoriser et réguler les jeux du carnaval : « Instruit que la jeunesse réunie des différents quartiers se propose les derniers jours de carnaval de faire des mascarades, des cavalcades, d’exécuter des danses connues sous le nom de kaxkarotaks et d’organiser des farces pour le public. […] art. 3 : tout rassemblement sera dissous à 7h. du soir et les cabarets seront fermés à la même heure, sous peine de poursuite. », Marie d’Hasparren, arch. com., Arrêté du maire, 1804).
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ambigus par rapport aux charivaris proprement dits, exceptionnels et ciblés. Sans doute la menace d’un retournement de la sanction charivarique contre leur propre personne n’y est-elle pas étrangère. Les juges de paix dénoncent régulièrement l’attitude complaisante des autorités locales. En 1860 à Sare, le maire intervient pour souligner les bons antécédents d’un jeune charivariseur. En BasseNavarre, en 1835, le premier magistrat de Lacarre plaide auprès du sous-préfet de Mauléon la cause de la jeunesse pour obtenir l’autorisation de la célébration d’un tobera mustrak à l’occasion du remariage d’un veuf. L’argument, ici, est celui de la réparation et de l’honneur. Les jeunes gens auraient été, selon l’élu, « forcés » d’aboutir à ce charivari tant le veuf que la servante du château, sa femme, les ont méprisés jusqu’à leur dire qu’ils n’avaient pas de quoi acheter la méture et de quoi s’habiller ; que le charivari était un jeu qui aurait entraîné des frais auxquels ils étaient incapables de faire honneur, et que leur insolvabilité les rendait peu recommandables100.
À Bidarray en 1862, le maire passe sous silence les véritables motivations des asto lasterrak (course à l’âne – cavalcade) en demandant au sous-préfet l’autorisation de l’organisation par la jeunesse d’une « pastorale bucolique dans le genre des tragédies qu’on joue souvent en Soule, dans le but d’amuser le public sans blesser les mœurs ni contrevenir aux lois […] »101. Dans plusieurs cas, le maire « couvre » ainsi la jeunesse qui annonce fréquemment un prétexte plus innocent (retour d’Amérique d’un jeune à Louhossoa en 1866, pièce de théâtre Le jugement du coq à Cambo vers 1850 (Challe 1871), cavalcade au bénéfice des pauvres de la commune à Hasparren en 1891, Ossès en 1909 et à Arrauntz en 1911, départ des jeunes conscrits à Saint-Michel en 1911, etc.) pour obtenir l’autorisation de donner une cavalcade à grand spectacle et à motivation directement charivarique. Lucides, les maires en font parfois état aux autorités préfectorales, tout en minorant la dimension charivarique. Ainsi, se référant à une cavalcade donnée en 1853, le maire d’Itxassou écrit au sous-préfet en août 1856 alors qu’un nouveau tobera mustrak est en préparation, probablement pour les fêtes patronales : Il y a trois ans que la voix publique dit, mais je crois à tort, qu’une rixe avait eu lieu entre les époux Aphesteguy de cette commune. Comme c’est assez l’usage du pays en pareille occasion, la jeunesse se disposa à faire courir l’âne, c’est-à-dire à charivariser le couple malheureux. Sur les observations de l’autorité locale, les principaux acteurs imaginèrent qu’ils ne voulaient donner qu’une fête qui consisterait à exécuter quelques danses seulement, et, à ce dernier effet, ils obtinrent la permission de M. le S. Préfet. Mais, sous le nom de danses, on donna un charivari des mieux organisés. Il ne s’y commit cependant rien d’outrageant et d’obscène. Néanmoins, Pierre Aphestéguy en fut tellement affecté, que depuis ces fêtes il est complètement idiot. Il me semble, M. le sous-préfet, que rien ne doit être négligé pour prévenir pareil malheur. Aujourd’hui qu’une jeune veuve [sic] se marier, quelques jeunes gens ont essayé un charivari, mais j’espère que quelques amis et la publication de l’arrêté préfectoral du 6 février 1854 suffiront pour les arrêter dans leurs projets.102
Dans certains cas, le maire pourra également être l’instigateur du charivari. En 1895 à Bidarray, il est lui-même le capitaine des asto lasterrak (cavalcade) qui se donnent pour tourner en dérision un mari battu par sa femme. À Garindein (Soule) en 1859, les sept prévenus disent que l’idée leur avait été inspirée par le maire et l’adjoint et « qu’ils ignoraient même que la loi défendit cette sorte d’amuse100 • AD 64, 2 Z 52, Lettre du maire de Lacarre au sous-préfet de Mauléon, 23 août 1835. 101 • Mairie de Bidarray, arch. com., Lettre du maire au sous-préfet, 29 juillet 1862. La copie du courrier porte à la marge le rajout « asto laster – pastorale bucolique ». 102 • Mairie d’Itxassou, Arch. com., Lettre du maire au sous-préfet de Bayonne, 15 août 1856.
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ment pratiqué de tout temps dans le pays, qu’ainsi ils croient n’avoir commis aucune contravention et demandent leur relaxe ». Certains maires ont une attitude moins clémente. En 1824 celui d’Ossès, interdit le « divertissement public dit en basque asto lasterca » au motif du deuil lié au décès de Louis XVIII mais aussi en s’érigeant contre la cause du charivari, en l’occurrence un mari battu par sa femme : La jeunesse elle-même dont j’aime à croire la majeure partie raisonnable doit sentir le ridicule d’un pareil amusement dans tous les temps qui fait plus de honte à l’homme soi-disant offensé qu’à la femme qui l’aurait offensé mais le triste évènement que toute la France pleure lui fera voir que ce n’est pas le moment de faire des folies. […] L’amusement appelé asto lasterca est défendu dans la commune d’Ossès comme injurieux toujours envers quelqu’un et amenant presque toujours après soi des voies de fait et de procès.103
Même ici cependant, la condamnation ne se départit pas d’une certaine ambivalence. Le maire interdit le charivari car injurieux, tout en reconnaissant que dans les faits, les asto lasterrak ridiculisent davantage l’homme battu que l’auteur des coups. À Arrauntz en 1911, la cavalcade de charité qui, dans les faits, dissimule un asto lasterrak se tient en dépit de l’interdiction mayorale et donne lieu à une longue controverse dans la presse. Parfaitement au fait de ces ambivalences, les charivariseurs invoquent régulièrement devant le juge la prétendue liceité de leur acte. À Jatxou en 1847, les sept prévenus affirment avoir eu la permission de l’autorité locale pour tourner en dérision un mariage. À Urcuray en 1908, à Zelhai en 1910, les prévenus affirment devant le juge avoir vu dans le charivari l’exercice d’un droit, illustration de la réminiscence tardive de la conception parajudiciaire du rôle de la classe d’âge. À Charrite-de-Bas en 1851, l’un des prévenus signale que « le charivari n’ayant pas été prohibé dans leur commune par l’autorité locale ils n’ont pas cru contrevenir à la loi en poussant au ridicule un mari qui avait eu la faiblesse de laisser battre par sa femme. »104. Cette autoreprésentation de la jeunesse comme porteuse d’un droit de regard sur les régulations sociales et en particulier en matière de couple et de mariage, est une constante tout au long du xixe siècle. Sans relever à proprement parler du dispositif charivarique, le Pays basque a connu comme dans le reste des Pyrénées (Soulet 2004 : 240) la coutume de la ronce, dite ici khaparra, consistant à faire payer à la jeunesse une obole par un marié extérieur à la commune. Ce droit de regard sur les relations de couple prend parfois des formes violentes, comme à Sare en février 1829. Les jeunes du village se rendent alors à la borde d’Etcheverria « au nom de la loi et armés de fusils » où loge un couple non marié. Le mari est jeté au ruisseau, la femme est amenée chez ses parents de l’autre côté de la frontière à Urdax par les jeunes de Sare « ne voulant pas la laisser cohabiter avec son mari sous prétexte qu’ils n’étaient pas mariés religieusement »105. Une fois à Urdax, en pleine nuit, les jeunes de Sare forcent la jeune femme à aller chercher sa robe de noce à Bidart, village côtier distant de plus de 30 km. Une délégation de la jeunesse l’attend de pied ferme à son retour le lendemain aux limites de Saint-Pée et de Sare. Souffrante suite à cette marche forcée, la jeune femme
103 • Mairie d’Ossès, Arch. com., Arrêté du maire, 1er octobre 1824. 104 • AD 64, 4 U 19/43, Justice de paix canton de Mauléon, Jugement, 13 janvier 1851. 105 • AD 64, 3 U 1/1264, TPI de Bayonne.
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repart chez ses parents à Urdax puis est « séquestrée » par son mari de peur des représailles. Le couple finit par se marier le 15 mars à Urdax, les prêtres de Sare et de Saint-Pée n’ayant pas voulu leur donner la bénédiction nuptiale aussi qu’ils le prétendent en raison du refus que faisait Salhaca de servir une rente obituaire éteinte, ce qui a donné naissance à toutes les vexations, persécutions et violences dont les époux ont été victimes ainsi qu’à la séquestration pendant près d’un mois de la femme Salhaca.
Les prévenus menacent de mort les époux Salhaca, les parents de la femme ainsi que les métayers d’Etcheverria en cas de dénonciation. On est certes là dans un cas limite, mais qui illustre bien le droit de regard que s’arroge alors, au nom de la coutume, une partie de la jeunesse sur la régulation des échanges matrimoniaux. Hostilités cléricales Dans son ensemble, le clergé réprouve les pratiques charivariques, pourtant fondées sur des arguments foncièrement conservateurs sur le plan social mais subversifs sur celui des répertoires d’action. L’Église rejoint là paradoxalement l’État, mais au nom d’arguments normatifs distincts. Si le charivari est condamné par le curé, ce n’est pas tant au nom d’une conception individualiste et libérale de la citoyenneté, mais plutôt au nom du refus d’une norme morale autonomisée à l’égard du religieux et mobilisée par une jeunesse autoréférencée. Nous l’avons dit (cf. chap. 4), du haut de sa chaire en 1922, le curé d’Itxassou exhorte ses jeunes paroissiens à constituer la garde d’honneur de la Fête-Dieu. Dans le même temps cependant, il les conjure de renoncer à l’organisation d’une parade charivarique, perçue comme émanant des mauvaises influences de la Basse-Navarre voisine. Le charivari réactualise la tension traditionnelle entre le curé et la jeunesse, chacun arguant de son pouvoir sur les dispositifs rituels. À Bonloc au début du xxe siècle, le curé supprime la Garde qui accompagne en dansant les processions de la Fête-Dieu pour sanctionner le refus de la jeunesse de renoncer à l’organisation d’une parade charivarique (Guilcher 1984; cf. chap. 4). À Ossès en 1899 comme à Mendive en 1923, c’est la jeunesse qui prend l’initiative d’une parade charivarique pour reprocher au curé de ne pas avoir autorisé l’escorte d’honneur de la Fête-Dieu. La condamnation traditionnelle du charivari par l’Église se double, sous la IIIe République, d’une politisation nouvelle, au sens d’« une requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activité. » (Lagroye 2003 : 361). Cette politisation est externe au charivari : elle concerne davantage l’interprétation de la coutume par des milieux politisés que la coutume elle-même, qui reste majoritairement ancrée sur le modèle traditionnel. Le tobera mustra qui se tiendra à Hasparren le lundi de Pâques 1891 génère ainsi une controverse entre journaux cléricaux (Eskualduna) et républicains (Le Réveil basque) pendant plusieurs semaines. Elle prend sens dans un gros bourg soumis à une forte pression cléricale et à la présence d’une congrégation missionnaire. Trois positions s’y confrontent. Le curé d’Hasparren, soutenu par l’abbé rédacteur d’Eskualduna, condamne le projet de cavalcade. Eskualduna déplore que la mission, qui aurait dû avoir lieu dans l’année, ait été supprimée à cause de la préparation de la parade pendant le carême, l’engagement d’hommes mariés et de « bonnes familles » aux côtés des
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jeunes célibataires dans la préparation de la fête, avec le soutien du maire républicain HarriagueMorroxko106. Le 20 mars 1891, un habitant d’un village voisin rappelle que le Code pénal interdit les charivaris, et accuse le maire de laxisme. Cette position est combattue par le Réveil basque, mais également par une lettre adressée à Eskualduna par sept notables d’Hasparren. Le 22 mars, le Réveil basque prend la défense du maire, qui n’a aucune raison d’interdire cette fête et, ayant fait preuve de charité, ne s’attirera pas la malédiction divine. La cavalcade, annoncée au bénéfice du bureau de bienfaisance, se tient finalement le 30 mars avec plus de 150 participants, et le compte rendu élogieux dans le Réveil témoigne du caractère modéré – et foncièrement conservateur – du républicanisme basque de l’époque : les andere xuriak (dames blanches) étaient jouées par des hommes, « là non plus il n’y a pas lieu de critiquer, pas une femme n’a été mêlée à cette fête, pas même pour la danse » et la fête s’est terminée au moment de l’Angélus107. Une troisième position, intermédiaire, est celle des représentants de la jeunesse. Soucieux de maintenir leur fête et de ne pas subir les foudres ecclésiastiques, l’un d’eux demande au rédacteur en chef d’Eskualduna de l’aider à convaincre le curé pour obtenir l’autorisation de faire la fête : « quelques-uns d’entre nous seulement serons costumés en dames, tous les autres, nous apparaîtrons à pied ou à cheval, le visage découvert, comme soldats ou comme [danseur] kaxkarot »108. Si le curé s’y oppose, le signataire s’engage à ne pas s’habiller en kaxkarot, pour ne pas « blesser les âmes ». La condamnation des parades dans Eskualduna, si elle est systématique du côté des prêtres rédacteurs, ne l’est pas forcément de la part de ses chroniqueurs locaux. Le chroniqueur de Saint-Pée-sur-Nivelle minimise l’importance du sujet des asto lasterrak de juin 1906 : « une histoire amusante qui ne blessera personne. Nos jeunes, qui ne manquent pas de prétextes pour s’amuser, ont pris cette histoire pour point de départ »109. Mort et résurrection de la coutume : vers une politisation formelle ? La complexité de ces interactions, les hostilités institutionnelles et, surtout, le changement social provoqueront le lent déclin de la coutume charivarique en Labourd intérieur. Les charivaris nocturnes disparaîtront définitivement aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Contre toute attente cependant, les parades charivariques connaîtront une nouvelle jeunesse, au prix d’une transformation radicale de leur sens. Changement social et déclin de la coutume Les derniers grands charivaris nocturnes s’étalent, selon les villages, entre les années 1930 et les années 1960. Ils sont particulièrement violents, comme si la coutume s’offrait un ultime baroud d’honneur avant de quitter la scène, et comme si les victimes, moins résignées, réagissaient plus fermement à ce qui est désormais perçu comme une intrusion dans la sphère privée. À Itxassou, les derniers toberak nocturnes ont lieu sous l’Occupation et dans l’immédiate après-guerre. L’un d’eux voit s’affronter les jeunes gens de Cambo et d’Itxassou au sujet d’une relation coupable entre un jeune 106 • 107 • 108 • 109 •
Eskualduna, 27 février et 13 mars 1891, traduit du basque. Le Réveil basque, 3 avril 1891. Eskualduna, 27 février 1891, traduit du basque. Eskualdun ona, 25 juin 1906, traduit du basque.
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et la fiancée d’un prisonnier en Allemagne. Les auteurs du charivari sont dénoncés par l’un des leurs, une rixe a lieu, l’un des participants est laissé pour mort. Sous la pression sociale, le délateur quitte définitivement le village. À Espelette, un charivari diurne a lieu sur la place dans l’immédiate aprèsguerre, sans danseurs mais avec carrosse et acteurs. À Hasparren, le dernier grand charivari nocturne a lieu en 1950 au quartier Elizaberri à l’occasion d’un remariage d’un veuf. Il prend une tournure inhabituellement tragique, et se solde par un mort, un blessé, et un suicide (Xarriton 1996 ; Sabarots 1966 ; Alford 1959 : 505–518). La presse à sensation parisienne s’emparera également de l’affaire, provoquant la réaction ulcérée de Piarres Larzabal, alors vicaire à Hasparren et réfléchissant lui-même à une refonte des parades charivariques plus en accord avec l’évolution des mœurs. Au milieu des années 1950, dans un village au Nord Labourd, un charivari nocturne vise un prêtre soupçonné d’entretenir des relations avec sa bonne. À Arrauntz, un charivari a encore lieu au début des années 1960. En Soule, la jonchée est réactivée dans l’atmosphère de règlements de comptes de la Libération (Ott 2006). En Labourd intérieur et en Basse-Navarre, quelques jonchées sont encore dressées çà et là dans les années 1960 et 1970, voire 1980, mais en règle générale, la coutume meurt peu à peu de sa belle mort, et laisse place, nos entretiens en témoignent, à assez peu de regrets. Le renouveau des tobera mustrak La parade charivarique diurne (tobera mustrak) connaît un destin sensiblement différent. Dès les années 1910–1911, certains militants culturels basques réfléchissent à une amélioration de ce qui, fondamentalement, reste un spectacle mettant en scène danses, chants, bertsu, musique, théâtre, et qui, une fois délesté de son prétexte charivarique, pourrait fournir une base solide à de nouvelles interprétations. En juin 1911, le médecin et écrivain Jean Etchepare, figure atypique de la littérature basque notamment eu égard à son indépendance à l’égard du clergé, suggère d’améliorer le défilé, les danses et les bertsu des tobera mustrak, et de réduire la partie des comparses, chaudronniers, bohémiens, etc., jugée inutilement pesante (Charritton 1984 : 317–326). Le même auteur réitère ses critiques en 1933, suite à une parade charivarique célébrée le lundi de Pâques à Saint-Martind’Arrossa. Favorable à leur maintien en tant que « théâtre originel des populations modestes du Pays basque », Etchepare n’en fustige pas moins la longueur et la vulgarité (Charritton 1996 : 54). Il plaide dès lors pour une version épurée de la pratique, qui refléterait mieux ce que d’aucuns commencent déjà à qualifier d’identité basque. Dans le même temps, les notables culturels, par le biais des Jeux floraux, organisés alternativement par les cléricaux et les républicains, entreprennent d’épurer la figure du bertsulari en l’extrayant de son contexte rituel traditionnel, et en particulier des charivaris, et en le mettant en scène dans les arènes policées des concours d’improvisation (Laborde 2005). Certains bertsulari eux-mêmes prennent leurs distances vis-à-vis des toberak. À Esterençuby en 1912, le bertsulari Manex Etchamendy refuse de participer à des tobera mustrak, opposant cette fois la morale chrétienne à la morale du charivari. Il compose à cette occasion des couplets qui reviennent sur les motivations de son refus, et qui suggèrent aux jeunes de s’orienter vers des sujets fictifs pour les toberak :
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Bi mutiko jin zauzkit bertsu berri galdez Tobera mustra batzu muntatu beharrez Suieta zen auzoko bi senar-emaztez Bainan gizonez gizon erran deiet ezetz […]
Deux jeunes hommes sont venus me demander des nouveaux couplets en vue d’un tobera mustra Le sujet parlait d’un couple du voisinage Mais, d’homme à homme, je leur ai dit non. […]
Galarrotsak eskuaraz egiten direla ! Usaiak begiratu behar ditugula ! Hori, ene gostuko, arrazoin ahula : Gaitza gaitz da eskuaraz erdaraz bezala.
Que les charivaris se font en basque Et qu’il faut conserver les traditions Voilà, à mon sens, un raisonnement bancal Le mal est le mal, en basque comme en français.
Ohidurak zaintzen tut onak direlarik. Ez dut nahi zikindu nehoren famarik. Norbaitek egin badu behar etzuenik, Gauzaren xuritzeko ez dea jujerik ?
Je conserve les traditions lorsqu’elles sont bonnes Je ne veux flétrir la réputation de personne Si quelqu’un a fait quelque chose qu’il ne devait pas N’y a-t-il pas une justice pour régler l’affaire ?
Gaitz guziak ez dire legepean sartzen ; Hortako juiek nehoiz ez dute punitzen ! Baditake, bainan nik zer nahi dadien, Jainkoaren gain ditut, juia ditzan, uzten…
Tous les maux n’entrent pas sous le joug de la justice Certains ne sont jamais punis par les juges ! C’est possible, mais en ce qui me concerne et quoi qu’il en soit Je laisse à Dieu seul le soin d’en juger.
Alegiazko auzi batzu egitea, Nehor kolpatu gabe ongi jostatzea, Alegre eta garbi atxikix elea, Hori zaut duda gabe kostuma maitea.
Faire des procès fictifs S’amuser sans blesser personne En tenant une parole joyeuse et « propre » Voilà qui me semble être une coutume admirable
Gazteak, munta beraz ahalik maizena Tobera hoietarik, eta jin ni gana : Ez naiz irrien etsai ez eta xauxuna, Nahiz egina dauten seriosaren fama.
Jeunes gens, montez donc le plus souvent possible de ces Toberak, Et venez me chercher Je ne suis ni ennemi des rires, ni bégueule Même si l’on m’a fait une réputation de sérieux. (notre traduction)
Au soir de sa vie, le bertsulari réputé Martin Larramendi entend quant à lui justifier sa participation aux cavalcades en soulignant qu’il y garantissait une certaine tenue. Les derniers chants qu’il compose sont éclairants à ce sujet : Larramendiren azken pertsuak (Derniers couplets de Larramendi, extraits) […] 4. Zuzena beti laguntzeko nik badut aski borondate Jaun ertor batek hau erran zautan duela berrogoi urte Larramendi, zuk, Libertimendu, Karrus eta Santibate Guzietara joan behar duzu galdegiten bazaituzte Galdegin eta errefusatuz hoben gehiago zinuke
J’ai assez de volonté pour toujours aider ce qui est juste Un curé m’avait dit ceci il y a quarante ans : Larramendi, vous devez aller à tous les Libertimendu, Karrus et Santibate Où vous serez demandé Vous seriez coupable de refuser, si l’on vous en faisait la demande
[…] 5. Je lui avais répondu en le regardant sérieusement Monsieur, un tel propos de votre part est étonnant Le clergé recule depuis toujours sur ce point Vous me conseillez d’aller à l’endroit du scandale Expliquez-moi un peu mieux votre propos
Eman niroen errepostua serios behatuz begira Jauna, zu ganik ateratzeko solas hoi anitz haundi da Bedi danikan apezeria hor gibeletzen ari da Zuk eni hola kontseilatzea eskandala den tokira Otoi hobeki esplika zazu finean mintzo bazira
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6. Je vous parle en vérité, croyez-moi, en y ayant bien réfléchi Si vous n’y allez pas, ils iront en chercher un autre Et alors que sortira de celui qui viendra alors Alors qu’il y a sur les places beaucoup d’enfants parmi les spectateurs Si c’est vous qui y allez, personne n’entendra de propos inconvenents
Zinez mintzo niz sinets nezazu gogoetak untsa eginik Zu ez joan eta ez dira egonen bilatu gabe bertzerik Eta menturaz zer jalgiko da ordain jinen dena ganik Aldiz plazetan haur anitz bada guzier beha dagonik Eta zu joanez nehorek ez du entzunen behar ez denik 7.
Ces propos m’étaient entrés profondément dans le cœur Et depuis je me suis rendu sur les places où l’on Geroztik huna erabili naiz galdegin nauten plazetan m’a requis En tenant les propos les plus justes possibles Ahal bezenbat xuxen mintzatuz jalai tudan solasetan Et si par malheur il se trouvait quelqu’un qui n’était Zorigaitzez balinbazen norbait behar etzen urratsetan pas dans le droit chemin Hek xuxentzeko nik zirto zenbait eman izan dut artetan. J’envoyais de temps en temps quelque pique afin de le corriger. Solas horiek sartu zauzkitan barna gogo bihotzetan
8. Zirtoak eman izan tut bainan nahiz makurrak xuxendu J’ai envoyé des piques, mais en voulant corriger les maux Car il me semble que c’est pour cela que Dieu m’a Iduri baitzaut Jaunak hortako dautala eman talendu accordé ce talent Si quelqu’un est plein de haine à cause de mes propos Ene erranen gatik enetzat norbaitek herrarik balu Je demande à présent pardon à tous et de tout Bihotzetik dut galdatzen orai guzieri barkamendu mon cœur Car c’est en paix avec tous que je veux mourir et aller Denekin bake nahi bainuk hil eta zerurat heldu. […] au ciel. […] (notre traduction)
On le voit : Larramendi conçoit le rôle du bertsulari comme allant bien au-delà du simple amuseur public. Le poète participe d’une fonction de rappel aux normes et aux règles régissant l’économie morale de la communauté. Il participe en ce sens à une lecture des toberak comme dispositifs de justice populaire, certes euphémisés par la dimension festive, la danse, la musique et les jeux des zirtzil, mais qui restent explicites pour qui sait en saisir la portée et la signification. Certains tobera mustra de l’entre-deux-guerres préfigurent cependant déjà le changement. En 1923, la jeunesse de Bidarray organise des tobera mustrak en février et pour le lundi de Pâques. La forme est fidèle au modèle coutumier mais le maire interdit tout sujet réel (Ormond 1925 : 52– 55). Ainsi délestée de son fondement charivarique, la cavalcade devient exportable et mieux ajustée au goût du public de la Côte basque. En septembre 1923, les jeunes de Bidarray représenteront leur « charivari d’honneur » (oxymore ?) à Saint-Jean-de-Luz, à l’initiative du syndicat des fêtes de la ville. L’accusé est l’huissier, et l’estrade porte l’inscription « ucheraren condenamendua » (la condamnation de l’huissier). Le sujet a beau être fictif, la représentation respecte à la lettre les codes
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du genre, à commencer par les costumes richement ornés des danseurs bolant 110 et la participation de deux bertsulari, l’un de Louhossoa (probablement Larralde « Panpale ») et l’autre de Baïgorry. Dans l’annonce – cette fois, positive, contrairement à celle de 1891 – de la cavalcade de Hasparren jouée à l’occasion des fêtes patronales le 28 juin 1927, Eskualduna annonce un « tobera mustra ou, plutôt, une fête basque ». La « comédie » relate la façon dont un Basque va chasser de sa maison un Anglais ou un Américain qui voulait la lui acheter avec « son piètre argent » : « le Basque est plus attaché à sa terre natale qu’aux millions des étrangers »111. Le glissement de sens est considérable : il ne s’agit plus ici de fustiger les déviances de la vie privée, mais bien de porter sur la place publique une question d’intérêt général et d’affirmer une identité basque proactive. La forme, cependant, reste identique : danse, théâtre, et participation des meilleurs bertsulari du moment : Xetre de Hasparren, Larralde de Louhossoa et Larramendi de Saint-Michel. À la même époque cependant, les villages environnants continuent, de façon épisodique, à mettre en scène les thèmes charivariques traditionnels (comme à Amorots en 1924, à Sorhapuru en 1927, à Gabat en 1932 ou à Ainhice en 1933). La dernière grande parade sur un thème coutumier a lieu dans la Basse-Navarre proche, à Irissarry, en mai 1937 (Lekumberri 1983 ; Itçaina 2012b et 2013). Elle vise une dispute de couple, mais de l’avis des témoins de l’époque, le sujet n’est déjà plus que prétexte à un grand spectacle des mieux organisés et qui marquera durablement les mémoires. À Itxassou, un tobera mustra aux dimensions plus modestes mais portant encore sur une affaire de couple a lieu au quartier montagnard de Gerasto vers 1937. Ce sont là les derniers feux d’une coutume en irrémédiable mutation.
Illustration 17 : Cavalcade d’Irissarry, 1937, le char de la justice (archives privées)
L’après-guerre précipite l’évolution. En Basse-Navarre, le nombre de parades s’amenuise, les « cavalcades sans sujet » se multiplient autour de Saint-Jean-Pied-de-Port. En Labourd intérieur, la jeunesse de Hasparren organise des tobera mustrak à l’occasion des fêtes patronales le 29 juin 1947 sur un sujet fictif, rédigé par le vicaire Piarres Larzabal. Celui-ci deviendra plus tard l’une des pièces maîtresses du renouveau du théâtre basque en salle. La pièce de circonstance mêle des références au régime poli110 •
111 •
Dont les chemises sont recouvertes des « chaînes d’or des aïeules, broches d’or des fiancées et épingles d’or des sœurs » (sur cette cavalcade, voir la Petite Gironde, 12 septembre 1923 ; Le Courrier de Bayonne, 14 septembre 1923, la Gazette de Bayonne et Biarritz, 13 septembre 1923). Eskualduna, 3, 17, 24 juin, 15 juillet 1927. Traduit du basque.
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La société du tambourin
tique du Labourd sous l’Ancien Régime et à la situation contemporaine. Larzabal entend conserver les anciennes coutumes « mais en écartant leurs faiblesses et en les remplaçant par la mise en scène d’éléments et ornementations plus adaptés à notre temps »112. Après l’expérience d’Hasparren, la zone de prédilection des tobera mustrak labourdins se concentre autour de deux villages, Macaye et Louhossoa. Dans le premier, réputé pour la qualité de ses danseurs, la chronique romancée de Ganix de Macaye, un contrebandier mêlé aux guerres carlistes du xixe siècle, remplace l’ancien jugement charivarique. Devenu plus conforme aux nouvelles mœurs, le spectacle est représenté à intervalles réguliers par la jeunesse de Macaye au village et à l’extérieur (comme à Urrugne en 1949) entre 1949 et 1980. À Louhossoa, les tobera mustrak reprennent après la guerre (1948, 1952, 1957, 1958), avec parodie de procès, mais sur des sujets – théoriquement, le spectacle étant émaillé d’allusions locales – fictifs. Dans le village bas-navarrais de Bidarray, les cavalcades de 1945 et 1946 sont présentées comme des etxe sartzea (entrée dans la maison) ou reconstitution de noces basques, donc sans véritable sujet. Larceveau organise une cavalcade le 2 septembre 1945 avec deux koblari mais sans indication de sujet. En 1947, un libertimendu important se tient également à Jaxu, en pays de Cize.
Illustration 18 : Cavalcade de Louhossoa, années 1950, danseur bolanta (archives privées)
Contre toute attente, les années 1970 voient un renouveau des tobera mustrak, porté par le mouvement abertzale (patriote), essentiellement en Basse-Navarre. Le nationalisme basque évolue d’une démocratie-chrétienne autonomiste vers un indépendantisme plus ancré à gauche au début des années 1970. Les formes culturelles deviennent, dès lors, des objets à saisir pour un courant qui entend se distinguer des usages folkloriques. Le théâtre devient alors – le mouvement est européen – outil de propagande pour construire une cause à l’échelle du village. Les militants proches des abertzale se penchent alors sur les toberak, et en proposent une relecture insistant sur la dimension subversive. De l’inversion identitaire jouée le temps du procès, les militants retiendront l’inversion des identités 112 •
« Hazparneko ikusgarriaz », Herria, 19 juin 1947. Traduit du basque.
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Xabier Itçaina
dominées, dans laquelle se fondent identité basque et identité de classe. La représentation minimise la dimension moralisante des anciens tobera mustrak au profit d’une nouvelle charge politique. Elle donne, par là même, une vigueur inédite à cette forme théâtrale, qui retrouve une seconde jeunesse plus politisée, mais cette fois en interne. L’évolution du charivari vers des formes politiques protestataires trouve sa pleine expression en milieu basque dans les années 1970. En 1974, des toberak sont organisés dans le village d’Iholdy en soutien à un meunier menacé d’expropriation suite à la création d’un lac à vocation touristique par la municipalité. La fête dégénère en affrontements entre acteurs, police et villageois. Plusieurs autres représentations du même type suivront en Basse-Navarre (à Baïgorry en 1976, à Saint-Michel en 1988, à Saint-Palais en 1991, etc.) en exprimant des préoccupations sociopolitiques : dénonciation de la pression foncière, opposition au « tout tourisme » et au système notabiliaire, défense de la langue basque (Etchecopar Etchart 2001). L’usage sociopolitique de la forme charivarique rappelle en tout points des recours similaires dans d’autres contextes européens des années 1960–1970. Ilaria Favretto a montré par exemple la façon dont les ouvriers venus du sud de l’Italie utilisaient le « vocabulaire » charivarique de la course à l’âne, des chansons ou des effigies durant les grandes grèves des usines du nord du pays (Favretto 2015). Le Labourd intérieur n’est pas épargné par ce mouvement de contestation culturelle, mais celui-ci y emprunte d’autres canaux (théâtre en salle, chanson engagée, danse) que les toberak, dont les terres de prédilection restent les vallées de Cize et de Baïgorry (Haritschelhar 2008). Au début des années 1990 cependant, le renouveau des parades charivariques gagne le Labourd oriental. En quelques années, Mendionde, Itxassou, Louhossoa, Macaye, Ustaritz et leurs voisins bas-navarrais (Bidarray en 2002 et 2018, Hélette en 2003, Irissarry en 2012, Ayherre en 2019, Ossès en 2022…) renouent avec un usage plus ou moins oublié. Le mouvement gagne même la côte et des communes où le souvenir des cavalcades était plus éloigné ou absent, comme à Anglet en 2002, Urrugne en 2014, Sare en 2015. La reprise s’opère en s’écartant autant des sujets charivariques d’avant-guerre que de la relecture ouvertement politique et contestataire. Les textes se recentrent sur des faits divers locaux mi-fictifs, mi-réels, et donnent la priorité à la dimension communalisante de la fête. La fonction revendicatrice, cependant, n’est pas occultée. Y sont exprimées les préoccupations sociales contemporaines : pression foncière, économie résidentielle, devenir de la langue basque, etc. Jugée trop modérée par certains, trop engagée par d’autres, cette dernière génération de tobera mustrak illustre en tous les cas les capacités d’adaptation d’un usage ancien. L’étude du charivari labourdin et bas-navarrais fournit ainsi l’exemple de la politisation tardive, partielle et multidimensionnelle d’une forme de sociabilité coutumière. Les formes les plus affirmées de politisation du charivari surgissent paradoxalement au moment où sa fonction sociale originelle s’affaiblit. L’analyse des formes et des motivations du charivari labourdin et bas-navarrais rejoint dès lors le débat classique sur les interprétations du charivari, qui oscillent entre analyse structuraliste et cadrage historique. Tout en contestant le structuralisme formaliste de l’interprétation du charivari donnée par C. Lévi-Strauss dans Le Cru et le cuit (1964, t. i : 292–295), l’historien E. P. Thompson reconnait, à la suite de Carlo Ginzburg, la nécessité d’une interprétation médiane : si nous avons raison de résister à l’analyse structuraliste dans laquelle les composantes mythiques, dont le charivari a pu être dérivé, l’emportent sur le processus social et le remplacent par une logique formelle,
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La société du tambourin
nous devons aussi faire attention à ne pas désintégrer les caractéristiques mythiques dans un empirisme plastique qui fait succéder un cas après l’autre, défini seulement par ses fonctions apparentes. Entre le mythe d’un côté et la fonction de l’autre il y a – Carlo Ginzburg nous l’a rappelé – la médiation des rites récités et transmis. Ceux qui jouent ces rites ont pu depuis longtemps oublier leurs origines mythiques. Pourtant, les rites eux-mêmes évoquent puissamment des significations mythiques, même si cette compréhension n’est que fragmentaire et à demi consciente. La rough music est un vocabulaire qui flirte avec le carnaval à une extrémité et avec la potence à l’autre […] (Thompson 2015 : 597)
À l’image du charivari anglais, le charivari basque, jusqu’à ses manifestations les plus contemporaines, comprend ces éléments de médiation rituelle, dont la forme a pu être transmise mais pas la signification symbolique. Certains éléments clés du cérémonial des tobera mustrak restent ouverts à l’interprétation : mort et résurrection de l’huissier, présence des dames blanches et des dames sauvages, opposition entre la partie « noble » du cortège et la partie « sauvage », pouvoir performatif du bertsu, vacarme rituel, etc. Aux yeux des acteurs, la dimension obscure de ces éléments du dispositif charivarique n’est pas problématique en soi. La transmission des formes fait sens en ce qu’elle renvoie à une tradition, qui encadre, légitime et rend socialement acceptable la critique sociale portée par le charivari. Mais, comme le souligne immédiatement Thompson pour la rough music, ce vocabulaire charivarique « n’était pas rejoué involontairement par les rustres du village comme s’ils étaient des somnambules possédant une “mémoire populaire” » (ibid. : 597). Se défiant de tout structuralisme mécaniste, Thompson avertit du risque d’une démarche interprétative négligeant l’interprétation du rituel par les acteurs eux-mêmes : Si nous rejetons les significations données à un événement par les participants eux-mêmes et si à la place nous cherchons un sens ultérieur plus en conformité avec la structure du mythe, alors nous diminuons la rationalité et la part des acteurs et nous sous-estimons la conscience des gens analphabètes. Ils n’avaient peut-être pas lu les Mythologiques, mais ils avaient leurs propres notions de ce pourquoi ils se rassemblaient. Ce peuple (folk) n’était ni parfait, ni aimable, ni dénué de toutes normes. Il usait sélectivement d’un vocabulaire hérité selon ses propres raisons. (Thompson 2015 : 597).
User sélectivement d’un vocabulaire hérité selon ses propres raisons : voilà très exactement ce que l’histoire du rapport à la tradition charivarique en Labourd et en Basse-Navarre entend mettre en évidence. Lorsque ces raisons n’ont plus fait sens, les formes ont disparu. D’autres formes ont été maintenues et renouvelées au prix d’un renouvellement quasi-total des raisons du charivari, voire un rejet du terme lui-même. À l’image du scepticisme de Thompson vis-à-vis de l’emploi du mot français « charivari » comme catégorie générique pour les multiples formes de la rough music, skimmington, etc. anglais, bon nombre d’acteurs basques préfèrent recourir à la terminologie locale (tobera mustra, kabalkada, karrusa, libertimendua, galarrotsak…) pour désigner des formes d’expression collective périodiquement réinventées et qui jouent sur le redécoupage permanent des frontières du mythe, du social et du politique. Pour le charivari comme pour les autres pratiques analysées dans cet ouvrage, le cas basque appelle comparaison. Loin de ne faire qu’égrener une suite d’anecdotes microlocales, l’histoire du charivari basque devrait ainsi prendre sens dans un renouveau plus général des travaux sur les usages politiques et sociaux des cultures populaires en général et des traditions charivariques en particu-
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Xabier Itçaina
lier. En ce sens, le recours constant en Europe ou en Amérique du xixe au xxie siècle, de répertoires protestaires sélectivement empruntés au fonds charivarique (Itçaina et Favretto 2017 ; Itçaina 2017b) témoigne de la persistance sur la longue durée de l’usage de la tradition comme légitimation des pratiques sociales, qu’elles soient attestataires ou contestataires. Planche 2 : Charivaris, tobera mustrak, cavalcades et pastorales en Labourd et Basse-Navarre (cartes : Olivier Pissoat et Pablo Salinas Kraljevich, UMR PASSAGES) Cavalcades, parades charivariques, tobera mustrak, courses à l’âne (astolasterrak) (1795–1960)
Procédures judiciaires contre charivaris nocturnes (1816–1950)
Soule
10 km
10 km
Reprise des cavalcades-toberak (1960–2021)
Reprise des libertimendu (années 2000)
10 km
10 km
Pastorales labourdines et bas-navarraises (1818–2021)
limite de province (Labourd, Basse-Navarre)
Tragicomédie de carnaval (xixe siècle)
Nombre de manifestations
limite communale actuelle
10 km
1
222
5
26 17 10
10 km
La société du tambourin
◊ Ces cartes ne comptabilisent pas les cavalcades annuelles « sans sujet » propres à la Basse-Navarre méridionale et au pays de Cize depuis la fin du xixe siècle, à l’exception du registre particulier des santibate-libertimendu repris dans les années 2000, qui comporte une partie théâtralisée. Le nombre de cavalcades « avec sujet », reconstitué en l’état des sources disponibles, reste très probablement sous-évalué pour les pays de Baïgorry, de Cize, de Mixe et d’Ostabarret. Les données sur les charivaris nocturnes doivent être lues avec précaution, beaucoup de sources judiciaires étant lacunaires (cantons de Saint-Étienne-de-Baïgorry et de Saint-Jean-Piedde-Port notamment). La Soule n’a pas été incluse, d’une part en raison des lacunes majeures des archives judiciaires en matière criminelle pour le canton de Tardets ; d’autre part en raison de la multiplicité des formes théâtralisées (astolasterrak « simples » courses à l’âne, astolasterrak farces charivariques théâtralisées, tzintzarrotsak ou charivaris nocturnes, pastorales, pastorales entrecoupées d’astolasterrak, tragi-comédies de carnaval Pantzart, mascarades de carnaval) qui nécessiterait un traitement spécifique et des données plus consolidées que celles dont nous disposons.
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Conclusion Le tambourin et ses deux sociétés Soinuaren arabera salto eginen dut So egilia dantzari eijer1
Parmi les multiples acceptions du mot « société », le dictionnaire Larousse en distingue deux principales : la première renvoie à un « milieu humain dans lequel quelqu’un vit, caractérisé par ses institutions, ses lois, ses règles ». Dans la seconde, la société renvoie à « tout groupe social formé de personnes qui se réunissent pour une activité ou des intérêts communs ». La métaphore de la société du tambourin, dont nous avons tenté de restituer une partie du cheminement historique, renvoie à ces deux sens. Elle peut, comme à Villefranque au xixe siècle, renvoyer à une association de jeunes gens de la commune spécialisée sur la danse et ayant institué leur relation au tambourin à cet effet. Mais de façon plus large, la métaphore renvoie aux fonctions sociales élargies de la danse et de la musique dans la société basque, fonctions matérielles et symboliques dont nous avons souligné à la fois les permanences et les mutations constantes tout au long de l’Histoire. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes de cette enquête. Ce chapitre conclusif propose d’abord de relire de façon synthétique les traditions musicales et dansées analysées dans cet ouvrage au travers d’une grille de lecture les considérant comme des formes d’échanges, matériels et symboliques. Plus prospective, la seconde partie s’interroge sur le pluralisme des interprétations et sur les dilemmes contemporains que posent ces dispositifs coutumiers hérités d’une longue histoire. Le don, l’association et le contrat : les traditions dansées comme forme d’échange Le matériau empirique exposé tout au long de cet ouvrage peut être relu en décalant légérement le regard au profit d’une approche considérant les traditions dansées et musicales comme des formes d’échange entre acteurs sociaux, échanges matériels et symboliques qui empruntent différentes modalités. Il s’agit d’analyser ce qui circule matériellement lors de ces fêtes en le replaçant dans l’étude des rapports sociaux. Cette posture est empruntée aux tenants du paradigme du don (Godbout 2000 : 14), sans pour autant réduire les échanges à ce seul registre. Si certaines relations observées relèvent du don, d’autres sont plus ouvertement utilitaristes, d’autres enfin mettent en jeu des relations de subordination politique, sociale ou économique. Les relations d’échanges et d’association qui s’établissent entre les acteurs des traditions dansées relèvent de plusieurs modalités (Itçaina 2017a), que l’on réduit pour les besoins de l’analyse à cinq formes principales : le don et le contre-don certes, mais aussi la coopération, le contrat, la relation caritative et la prescription. Cette section décline brièvement chacun de ces registres en s’appuyant sur des exemples principalement labourdins et bas-navarrais.
1 •
Traduction : « Je sauterai en fonction de la musique » (proverbe basque) ; « Spectateur, (se croit) bon danseur (proverbe du pays de Soule).
Xabier Itçaina
Les danseurs et les maisons : le modèle du don Le modèle du don et du contre-don, tel qu’il a notamment été repris par le mouvement du MAUSS (Mouvement antiutilitariste dans les sciences sociales) suite aux travaux de Marcel Mauss, permet de comprendre ce qui se joue à certaines occasions festives, et tout particulièrement dans les fêtes comprenant une quête de victuailles et/ou d’argent. Les tournées de danseurs, masques et comparses (l’ours et son montreur, couple de mariés, zirtzilak, kotilun gorri, ponpierrak, etc.) de carnaval (kaxkarotak en Labourd, santibate et karatotxak en Basse-Navarre, mascarades en Soule) en sont les manifestations les plus connues, mais on ne saurait oublier que bien d’autres rituels festifs, y compris religieux, comportaient des quêtes réglées par la coutume. Il fut un temps où, en Labourd et en Basse-Navarre, les processions de la Fête-Dieu étaient suivies d’une quête de la Garde nationale dans le village, et tout particulièrement auprès des maisons les plus aisées. Les fêtes patronales donnaient et donnent encore lieu à une quête auprès de l’ensemble des maisons du village par le groupe de jeunes chargés, par délégation de la classe d’âge, d’organiser la fête. Les tournées de conscrits, souvent accompagnées de musiciens, relevaient d’un modèle similaire sans parler des quêtes du nouvel an (Dios te salve en Sud-Labourd) ou des quêtes enfantines propres à la période de Noël. Cet ouvrage a peu parlé de ces usages calendaires ayant d’une part laissé peu de traces archivistiques et surtout ayant déjà été analysées de façon extensive (Guilcher 1984 ; Sagaseta 2011). Pour le seul Labourd, Thierry Truffaut (2006, 2011) a restitué village par village et de façon exhaustive l’état des savoirs sur les pratiques carnavalesques passées et actuelles. L’importance de ces quêtes et leur étonnante vigueur contemporaine imposent cependant un développement en ce chapitre conclusif. Peu ou prou, l’ensemble de ces dispositifs se fonde sur une même convention. Le groupe réalise une quête itinérante au sein d’un espace géographique délimité correspondant à la commune ou au quartier et durant laquelle un groupe de jeunes donne des danses et/ou des chants (dantza bat/kantu bat eman) en échange de boissons, de nourriture et, éventuellement, d’argent. Le don qui s’opère à cette occasion est de type communautaire, soit une figure intermédiaire entre le don primaire intrafamilial et le don aux étrangers propre au tiers-secteur (Godbout 2000). Il se distingue d’abord du don intrafamilial par l’inscription du rituel dans le cadre de la communauté villageoise. Un groupe, ou plus exactement une compagnie de jeunes autrefois composée d’hommes célibataires s’arroge par délégation de la communauté le droit de parcourir la commune, avec l’inévitable ménétrier, et de demander une rétribution symbolique et matérielle pour leur acte. La dimension communautaire distingue la quête carnavalesque de l’aumône, qui serait une forme de don de type caritatif. À la différence du don gratuit ou religieusement motivé, il y a ici une forte dimension d’obligation dans l’injonction à donner et à rendre. Le regard de la communauté pèse sur l’acte d’échange. Les jeunes ne sont pas seulement des jeunes, ils sont en délégation. La famille n’est plus seulement une famille, elle est une maisonnée, unité essentielle de l’ordre institutionnel qui définit et régule la communauté tant sur le plan économique que politique. Le rapport de don qui s’établit dans ce type d’échange ne relève pas non plus du « don aux étrangers » que Jacques Godbout voit comme caractéristique du bénévolat et du tiers-secteur (Godbout 2000 : 91) À y regarder de plus près, on objectera que la relation d’échange qui s’établit dans ces quêtes rituelles ou protocolaires relève peut-être davantage du modèle de la solidarité que de celui du don.
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La société du tambourin
Godbout définit la solidarité comme un type de don dont le receveur est nécessairement collectif, l’idéaltype de la solidarité étant la forme de don/contre-don qui tend le plus facilement à être assumée par l’État. « Dans la solidarité », souligne Godbout, « l’appartenance l’emporte sur l’altérité. C’est pourquoi la solidarité peut être considérée comme une sorte d’égoïsme collectif, et à ce titre, comme différente du don » (Godbout 2000 : 91). Dans le cas du don/contre-don carnavalesque, la maison qui reçoit les compagnies de danseurs et de masques est-elle véritablement libre de ne pas rendre ? L’échange ritualisé comporte une forte dimension d’obligation. En ne donnant pas, la maison s’expose, dans l’immédiat, à des couplets ironiques à la sémantique plus profonde qu’il n’y paraît : Goazen, goazen hemendik Hemen ez diagu xingarrik Etxe huntako gazi kutxan Saguak umiak egin tik
Partons, partons d’ici Ici nous n’aurons pas de lard Dans le saloir de cette maison La souris a fait ses petits
(version recueillie à Itxassou auprès de Mme Harispourou, notre traduction)
En stigmatisant l’avarice supposée du récipiendaire, la compagnie de danseurs s’estime dépositaire d’un droit par délégation. Le glissement du don vers le prélèvement n’est pas loin. En offrant des danses et des chants à la maison, la compagnie réintègre symboliquement la maisonnée dans la communauté villageoise, dont la tournée de carnaval rappelle les limites territoriales. Cette reconnaissance appelle rétribution et un contre-don sous contrôle. L’articulation du don et de l’obligation est plus modélisée encore dans le rituel des barricades de la mascarade souletine, où se jouent des affrontements symboliques entre la représentation du village invité et le village invitant, dans des formules ritualisées évoquant inévitablement le don agonistique de Mauss. La mascarade est certes invitée chaque dimanche du carnaval par un village différent, mais elle doit à chaque fois gagner par les défis de danse le droit de pénétrer, puis de progresser, au sein de l’espace du village invitant, au risque de l’affront et du déshonneur (Guilcher 1984). Certes, comme le signalent les auteurs du MAUSS, le modèle du don ne se réduit pas à la dimension d’obligation. Ce qui compte, dans la filiation de Marcel Mauss, c’est l’esprit du don, de ce qui circule. Néanmoins, le don oblige, et même dans le cas spécifique des rituels itinérants européens – auxquels Mauss lui-même fait brièvement allusion (Mauss 2012 [1925] : 89) – comporte également une référence implicite à du contrôle social. La sociologie économique, à commencer par Pierre Bourdieu (1994), rappelle que l’analyse du don ne peut faire l’économie des rapports de pouvoir. À rebours de toute vision enchantée du don, François Cusin et Daniel Benamouzig (2004 : 209) soulignent que le marché a, entre autres effets, libéré l’individu de certaines formes directes de contrôle social, en soustrayant par exemple les comportements d’achat au regard d’autrui. Le don peut restaurer dans certains cas des rapports de pouvoir. À propos des sociétés traditionnelles, Francis Dupuy (2001 : 67) rappelle que « si le lien est ce qui unit, c’est aussi ce qui attache, ligote ». Le degré de générosité ou de libéralité dont fera preuve telle « grande maison » à l’égard de la jeunesse est aussi un moyen d’afficher publiquement l’aisance matérielle dont jouit le donateur. Les liens sociaux, pour le coup, deviennent rapports sociaux.
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Xabier Itçaina
Cette articulation complexe et fragile entre liberté et obligation d’une part, entre égalité de principe (par l’appartenance territoriale) et inégalités de fait (entre grandes et petites maisons, entre propriétaires et métayers, etc.) génère un équilibre complexe qui se stabilise dans des dispositifs ritualisés et protocolaires. Que devient alors cet ensemble mouvant lorsque les dispositifs reprennent suite à une interruption conséquente, ce qui est le cas des quêtes carnavalesques dans bon nombre de villages labourdins (Truffaut 2006) ? Quelques rares villages mis à part (Ustaritz et, sous des formes altérées, Espelette), la plupart des villages labourdins ont connu une interruption de ces quêtes de masques et de danseurs kaxkarot soit depuis les années 1960, soit dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, avant les reprises des années 1970–1980. La diachronie de l’interruption et de la continuité conduit à de nouvelles formulations du lien don/contre-don que l’on prétend activer à nouveau au nom de la tradition. Les collectifs qui réactivent le carnaval, quelle que soit leur forme, décident librement de relancer une pratique. Mais si le rituel est relancé sous cette forme par le groupe, la nature même de la forme qui est convoquée (la tournée des maisons) impose, de fait, le principe du don et du contre-don. La forme génère, incidemment, de l’obligation. Dans les villages ou quartiers ruraux où la mémoire de l’ancienne pratique est encore présente, la reprise, comme l’a bien observé Thierry Truffaut, ne génère pas de problème particulier. Les maisons savent ce que l’on attend d’elles et se prêtent, non sans plaisir, au jeu de l’échange. La situation est moins évidente pour les quartiers récents, en plein développement étant donné la périurbanisation du Labourd, et qui sont déconnectés de l’ancienne institution de la maison. La norme n’est plus implicite, d’où l’appel à l’élucidation par la conférence de l’anthropologue, le recours à des lectures secondaires, etc. Si hiatus il y a, il est généralement rapidement résolu, et les maisons « apprennent » à recevoir et à donner. Dans certains cas cependant, il peut arriver, par manque de repère sur la mesure de l’équivalence, qu’elles donnent trop ou pas assez. Dans d’autres, le développement démographique des villages ayant rendu physiquement impossible le principe égalitaire d’une visite à l’ensemble des maisons, les danseurs effectuent une sélection selon des critères affinitaires, familiaux, amicaux ou idéologiques. Don et contre-don s’expriment toujours, peut-être plus que jamais, mais dans des formules renouvelées et qui réinventent en permanence l’alchimie complexe entre liberté et obligation. Les danseurs entre eux : le modèle coopératif Le don n’est pas l’altruisme. Il n’exclut pas une forme d’utilitarisme, notamment au sein du groupe des « offreurs ». Les traditions dansées auxquelles on se réfère ici mettent en scène un deuxième registre de l’échange, qui se caractérise par un modèle associatif ou coopératif. Ce modèle présente plusieurs caractéristiques. Il s’agit d’abord d’une coopération au sein d’un groupe de pairs, fonctionnant sur le registre de la mutualité restreinte et où le bénéfice de l’action collective est réparti entre les associés ayant contribué à la mise initiale. Les danseurs forment une compagnie par association libre. L’engagement individuel dans l’association se traduit par une participation à une mise de fonds qui permet de couvrir les premiers frais, soit essentiellement les costumes, l’enseignant de danse et, le cas échéant, le musicien assistant aux répétitions. Si la compagnie se forme à l’occasion d’une tournée de quête, par exemple au carnaval, le produit des quêtes, en argent ou en nature, est ensuite destiné à cou-
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vrir les frais (musiciens, transports, repas…), et le reliquat est distribué de façon égalitaire entre les associés. Dans des circonstances exceptionnelles, une partie de la somme peut aller à la mairie : en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le groupe reformé des kaxkarot d’Hasparren verse ainsi une obole à la caisse sociale de la municipalité, instillant ainsi une dose de redistribution et d’intérêt général dans un dispositif initialement pensé sur le mode de la mutualité restreinte2. Ce modèle coopératif ou associatif ne regroupe pas nécessairement l’ensemble de la jeunesse d’un village. Dans le modèle moderne, les comités des fêtes représentent l’institution à qui la jeunesse, par une procédure d’élection, délègue la charge de l’organisation du cycle festif annuel. En Basse-Navarre, les membres des comités sont encore régulièrement désignés comme soinu mutilak (les garçons de la musique). Les mécanismes de désignation des représentants de la jeunesse ont eux-mêmes été ritualisés à une époque, par des jeux ou défis de danse. Outre ce dispositif, il a pu se former des associations spécifiquement destinées à la danse et ne visant pas nécessairement à représenter l’ensemble de la jeunesse d’un village. Nous avons souligné l’existence à Villefranque en 1832 et 1846 d’une « société du tambourin » constituée de quelques associés qui, par leurs cotisations, payent un tambourin ou un violon pour jouer chaque dimanche entre Pâques et la Sainte-Catherine. Un dispositif similaire est mentionné à Louhossoa en 1820. Sans doute, pourrait-on voir dans cette longue fréquentation des musiciens et des danseurs les conditions pour que s’élaborent des danses à la structure complexe et irrégulière comme celle des sauts basques, danses dont certains noms (Azkaindarrak, Ainhoarrak, Milafrankarrak, Moneinak…) laissent augurer de compositions très locales destinées à la compétition symbolique entre villages. Ce modèle coopératif ou associatif se retrouve également du côté des musiciens. À Bayonne sous l’Ancien Régime, les ménétriers disposent d’une organisation corporatiste sur le modèle des corporations d’artisans, éléments centraux de l’économie urbaine et des dispositifs rituels qui y sont associés (processions du Sacre et fête du saint patron en particulier). Quelques rares traces archivistiques témoignent de contrats d’association entre ménétriers. Ce modèle de l’association (entre danseurs ou entre ménétriers) va se modifier vers la fin du xixe siècle et tout au long du xxe siècle. Le modèle de l’association autonome s’affaiblira au profit de la structuration, à compter des années 1930, des groupes de danse, porteurs d’une conception bien distincte de l’association. Ces nouvelles formes associatives sont, dans un premier temps, généralement portées par la paroisse puis, à partir des années 1960–1970, se sécularisent et deviennent l’une des expressions du mouvement culturel basque. Le référentiel de l’association change. De simple mutualisation de moyens au départ, l’association de danseurs devient, dans un premier temps, l’un des instruments de la reconquête catholique intégraliste via l’encadrement de la jeunesse puis, dans un second temps, l’un des instruments du mouvement de renaissance culturelle basque. On s’associe désormais sur une base affinitaire et non plus par délégation de la classe d’âge. Religion, culture et identité viennent ainsi redéfinir profondément le sens même de l’acte d’association. Ce changement à bas bruit mais fondamental est parfois la condition pour la continuité des formes. À Ustaritz, la tradition des tournées itinérantes des kaxkarot, ininterrompue sauf en période de 2 •
Entretien avec Pierre Carrau, danseur kaxkarot à Hasparren en 1946. Réalisé avec Pantxix Bidart à Hasparren, 2016.
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guerre, est historiquement portée successivement par trois collectifs différents : les compagnies de danseurs associés, la paroisse ensuite et, à compter de 1967–1968, un groupe de danse à structure associative. Après 1968, le fruit de la quête n’est plus réparti entre les danseurs, mais mutualisé afin de financer les autres activités de l’association. Invisible dans la forme – danses, costumes et musiques restent strictement identiques, l’association post 1968 exhume même des variantes locales des sauts (Xinple et Marmutx) que la génération précédente avait oubliées –, le changement est cependant là, silencieux et discret. Le passage de la mutualité restreinte à une logique d’intérêt général traduit, plus profondément, une relecture d’une pratique rituelle ordinaire comme un acte culturel. Cette nouvelle lecture témoigne d’un dynamisme collectif historiquement inédit mais aussi des mutations profondes des milieux porteurs des pratiques musicales et dansées.
Illustration 19 : Kaxkarotak (danseurs-quêteurs de carnaval), Bas-Cambo, 1913, avec xirula et tambour (fonds Poupel, Mairie de Cambo-les-Bains)
Les danseurs et le ménétrier : le modèle du contrat Si les danseurs de leur côté et les ménétriers du leur s’organisent sur un mode coopératif, l’échange entre danseurs et ménétriers s’opère en revanche sur un troisième modèle, celui du contrat ou de la transaction marchande. Le ménétrier est engagé par les compagnies de danseurs pour fournir une prestation contre rémunération, selon des conditions négociées en amont. Outre les compagnies de danseurs, les ménétriers proposent leurs services sur un même modèle aux autorités publiques. La documentation archivistique sur la contractualisation des ménétriers dans les villes basques côtières sous l’Ancien Régime ou aux corporations de métiers en témoigne. Un contrat suppose un engagement d’exclusivité. L’ouvrage a rapporté plusieurs disputes, aux xviiie et xixe siècles, autour de la direction des ménétriers et du droit à la danse par diverses
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associations réunissant les « maîtres du bal ». C’est bien à un ordonnancement scrupuleusement réglé des relations entre danse et musique, entre danseurs associés, danseurs « étrangers » (souvent venus du village voisin) et ménétriers que l’on assiste. J’ai rappelé plus haut que les responsables de la jeunesse étaient appelés soinu mutilak (les garçons de la musique) en Basse-Navarre et, de façon plus nette encore, danbolinausiak (les maîtres du tambourin) au Baztan, ce qui signale à la fois leur autorité et leur responsabilité à l’égard de la musique. L’expression bas-navarraise est, à cet égard, plus ambiguë, « mutila » pouvant signifier à la fois « jeune homme » et « domestique » (donc au service de), selon le contexte d’énonciation. J’ai rapporté pour le seul Labourd plusieurs litiges pour le premier xixe siècle entre les ménétriers et les associations de danseurs les ayants retenus. Ces relations contractuelles montrent ainsi un musicien qui est d’abord au service des danseurs. Elles informent en creux sur un statut social largement subordonné des ménétriers. Bon nombre d’indices signalent que les tambourinaires et ménétriers basques, en tous les cas du xixe siècle, sont de condition sociale modeste. Lorsqu’ils ne se présentent pas comme ménétriers ou tambourins de profession, ils sont généralement artisans : tisserands, tailleurs d’habits, menuisiers, charpentiers, meuniers, aubergistes. Il est rare d’y trouver des laboureurs, plus encore des propriétaires fonciers, assez fréquent d’y trouver des indigents et infirmes. Bon nombre de ces ménétriers sont issus de quartiers ou de maisons réputés cagots, notamment en Basse-Navarre. Ceci étant dit, une exploitation plus approfondie des données lacunaires sur les ménétriers d’Ancien Régime, en particulier en milieu urbain, a amené à nuancer ce postulat d’une catégorie sociale marginalisée. Quelques figures bayonnaises de ménétriers et de tambourins témoignent aux xviie et xviiie d’un statut social plutôt bien intégré dans les milieux des artisans et négociants bayonnais, qui n’a que peu à voir avec la représentation du ménétrier rural marginalisé et vivant à la lisière de la pauvreté. Accessoirement enfin, la référence au contrat peut constituer un argument brandi par les ménétriers afin de se démarquer des organisateurs de certains évènements, surtout si ces occasions sont ensuite dans le collimateur de la justice, comme dans le cas des charivaris. Ainsi a-t-on vu à plusieurs reprises dans la seconde moitié du xixe siècle, lorsque la répression sur les charivaris s’accentue, les musiciens déclarer devant le juge qu’ils n’étaient présents qu’au titre de ménétriers salariés et qu’ils n’avaient, dès lors, que peu à voir avec le motif du charivari. Cette ligne argumentaire contraste avec celle des organisateurs des galarrotsak, qui réaffirment au contraire la légitimité de la sanction coutumière comme droit de regard sur les déviances à l’égard de la morale communautaire. Ce rapport contractuel à la musique ménétrière n’a rien de spécifique au Pays basque. Il est même historiquement mieux documenté dans d’autres territoires français (Charles-Dominique 1994), européens (Charles-Dominique 2018) et extra-européens. À titre d’exemple contemporain, l’on citerait volontiers le carnaval de Bagolino dans les Alpes lombardes, carnaval étudié par Francesca Cappelletto et auquel j’ai pu assister en 2013. Les trois logiques précédemment exposées y sont à l’œuvre. Les danseurs y forment une compagnie, qui rétribue les musiciens. L’orchestre de cordes est originaire du village et repose sur une tradition très localisée de musique et de lutherie. Jusqu’à il y a peu, les musiciens étaient payés à la danse, sur demande individuelle des danseurs. Les chapeaux des danseurs sont décorés de bijoux et d’or, et le circuit des compagnies de danseurs
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(balarì) et de masques (maschèr) s’organise en fonction des maisons ayant prêté ces ornements. Les trois modèles du don/contre-don, de l’association et du contrat se conjuguent dans un carnaval traduisant symboliquement une forme d’organisation sociale (Cappelletto 1995). Dans sa belle étude sur La république des danseurs dans les montagnes pontiques en Turquie, Nicolas Elias a analysé les subtilités des liens entre joueurs de kemençe (vièle en bois) et danseurs de horon (danse circulaire) oscillant en permanence entre prestation marchande et échange symbolique. Il souligne en particulier les tensions potentielles liées à la commercialisation de la musique traditionnelle dans le champ artistique, qui vient perturber l’ancien marché des prestations dans le cadre communautaire. Or, souligne Elias, « on tolère un comportement d’artiste contre une prestation d’artisan » (Elias 2019 : 134). Il y aurait là matière à comparaison à propos des évolutions du lien entre musique, danse, musiciens et danseurs en contexte basque. Le mendiant et la maison : le modèle caritatif Un quatrième modèle, devenu historiquement résiduel, repose sur un échange de type caritatif. Dans certaines variantes des quêtes itinérantes fondant le modèle du don, l’échange entre le demandeur et le donneur ne s’opère pas sur une base équivalente mais asymétrique. Le don de type caritatif, équivalent de l’aumône, induit une relation de subordination entre les partenaires. On y rangerait volontiers les quêtes de « bohémiens » qui avaient lieu à l’époque de carnaval et de la tue-cochon, mais aussi les quêtes des musiciens, voire de bertsulari, itinérants, souvent infirmes, qu’il s’agisse des joueurs de guitare « espagnols », des chanteurs ambulants ou encore des sonneurs de vielle qui, au xixe siècle, descendaient des pays gascons vers la Basse-Navarre ou le Labourd. Une certaine forme de contredon s’y opère néanmoins. L’aumône sera récompensée par des prières ou par des chants. À l’inverse, l’absence de don s’expose à des récriminations, voire des malédictions. La maison donne dans l’espoir d’une récompense dans l’au-delà, ou par peur de représailles. Le quémandeur affirme sa position de subordination pour accéder au don. Il doit apparaître comme un pauvre méritant qui, acceptant sa condition, n’entend pas remettre en question l’ordre social en vigueur. La distinction entre les différents groupes de quêteurs, en particulier à l’époque de carnaval, est très claire aux yeux de tous. À Itxassou, on se souvient du chant de quête donné par les jeunes du village (Agur etxeko andrea), que l’on distingue soigneusement du chant des bohémiens (Santibatek andere) (Itçaina 2004). En Basse-Navarre en revanche, le chant du Santibate est celui qui est communément utilisé par les jeunesses des villages lors des tournées de quête. Ainsi opère-t-on en général, au sein même des groupes de jeunes une distinction entre des groupes de masques, grossièrement déguisés et ne récoltant que des biens en nature (œufs et lard en particulier), des groupes de danseurs kaxkarot, soigneusement apprêtés et non masqués, à qui sera versée une obole. Ce modèle de l’aumône a été peu étudié en contexte basque. Il est néanmoins potentiellement riche en enseignements sur les populations marginales ou déviantes, qui ont longtemps su se construire un espace à la marge des communautés rurales basques3. La littérature populaire indique
3 •
Voir la Thèse en cours de Peio Etcheverry (Univ. Bordeaux Montaigne) sur les formes de déviance et de marginalité au Pays basque au xixe siècle.
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quelques pistes en ce sens, à l’instar des chants Itsua eta sastrea (L’aveugle et le tailleur) composés en 1892 par le chantre de Baïgorry, Piarres Dibarrart : Euskaldun bat zen itsu eta pertsulari Atez-ate zebilan illoba gidari Soinekoa eta diru, janari edari Nasaiki biltzen zuen bertsu eman sari
Un Basque était aveugle et improvisateur Il allait de porte à porte, avec son neveu pour guide Vêtements, argent, à manger et à boire Il récoltait largement le salaire de ses vers (notre traduction)
Le pouvoir et la fête : le modèle de la prescription Le dernier registre de l’échange est celui qui s’opère entre danseurs, ménétriers et puissance publique. La relation, ici, s’opère sur le mode de l’autorité et de la prescription. L’autorité publique est le commanditaire de la prestation, et intègre la musique et la danse dans les fonctions rituelles, récréatives, cérémonielles et somptuaires dont elle a la charge. Ce type d’échange comporte plusieurs déclinaisons, qui varient selon la période de référence et selon l’échelle de pouvoir concernée. Je n’en donne ici que les caractéristiques principales. La fête officielle d’Ancien Régime et du premier xixe siècle se signale par la coexistence d’au moins trois types d’occasions. D’une part, villes et paroisses prennent en charge une partie, mais une partie seulement, des fêtes calendaires, qu’il s’agisse de la Fête-Dieu ou des fêtes patronales. Carnaval et, a fortiori charivari, ne sont pas pris en charge par la puissance publique et reposent sur les institutions de la jeunesse. L’État et l’administration royale imposent par ailleurs aux villes et aux provinces basques des célébrations à deux occasions. La première concerne le passage de telle ou telle personnalité royale, noble, militaire ou administrative. Ce sont principalement les paroisses de la Côte, et avant tout Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure qui sont concernées par ces Entrées. Le second type de fête d’obligation concerne la célébration d’un évènement lié au royaume : naissances et mariages de membres de la famille royale, victoires, etc. Ménétriers et danseurs, de la ville ou des paroisses environnantes, sont réquisitionnés. Bayonne a sa danse en chaîne propre, la Pamperruque, qui est exécutée dans des circonstances exceptionnelles entre le début du xviiie et le début du xixe siècle. Elle est une mise en scène réglée de l’élite locale, bourgeoise et aristocratique, ou représentation d’un segment de la population. Pour les escortes dansées en revanche, et à l’exception notable de l’entrée d’Éléonore d’Autriche en 1530 où ce sont « trente enfants de la ville » qui dansent devant le cortège, Bayonne fera généralement appel aux danseurs des villages de l’intérieur du pays, et ce jusqu’au Second Empire. Saint-Jean-de-Luz et Ciboure ont leurs propres compagnies de danseurs, mais il leur faut souvent faire appel aux ménétriers du Labourd intérieur ou de la Basse-Navarre pour les accompagner. Ces fêtes prennent une portée politique. Vis-à-vis du pouvoir royal, elles constituent pour les villes et les provinces un instrument supplémentaire dans la négociation permanente qui oppose les administrations locales et le royaume quant à la fiscalité et à la gouvernance politique et juridictionnelle du territoire. À l’égard des populations locales, les fêtes témoignent à la fois d’une forme de redistribution implicite par le biais de distributions alimentaires et de divertissements offerts, mais aussi de certaines formes d’évergétisme de la part de notables en mal de reconnaissance. Aux
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auditeurs des comptes leur reprochant, dans un rapport de 1682, les dépenses excessives pour diverses Entrées et réceptions, les magistrats bayonnais répondent que le caractère naturel du Païs est son caractère assez noble, qui fait que dans les occasions d’une dépense nécessaire, c’est-à-dire d’une dépense d’honneur on ne crois jamais bien faire son devoir si on ne le fait avec de ces honnestes profusions, qui quelques réglées qu’elles soient, leur paroissent toujours l’estre trop […].
Dans le même mémoire, les magistrats bayonnais justifient les frais considérables pour l’Entrée en 1679 de M. le comte de Montaigu, lieutenant pour le Roi dans la province, et pour lequel il a fallu mettre sous les armes le Régiment de la bourgeoisie : « il faut s’habiller et se mettre en état, il faut régaler les officiers, payer grand nombre de tambours et fifres, et d’autres choses qui sont des nécessités et dont il n’est pas juste qu’un particulier supporte la dépense »4. Les fêtes imposées génèrent également des controverses sur la répartition de leur coût entre l’État, les provinces et les villes. Lorsque ces dépenses surviennent en période de disette ou des crises économiques récurrentes qui touchent le Labourd et la Basse-Navarre au xviiie siècle, la fête peut alors se retrouver aux limites de la rébellion Ce premier modèle de prescription concerne essentiellement les villes côtières. À l’intérieur du pays, pour autant que des archives lacunaires ne le laissent entrevoir, la commande publique en matière de danse et de musique reste plus limitée et se borne souvent à la prise en charge d’un tambourin ou d’un violon pour accompagner les portions de milice provinciale qui accompagnent, parfois en dansant, les processions de la Fête-Dieu et les feux de joie imposés par telle ou telle célébration royale. On trouve en revanche peu de traces dans les archives, contrairement aux villes du Pays basque sud, d’engagements passés par les communautés avec des ménétriers (à l’exception des trompettes et tambours de ville) pour jouer sur la place publique sur une base régulière et contractuelle. Sous l’Ancien Régime cependant, quelques sources indiquent un « tambourin de la communauté » dans des villes ou villages. En 1733, la communauté de Saint-Jean-de-Luz paye Domingo le tambourin « pour sa peine d’avoir touché le tambourin à la place pendant l’été », ainsi que le fils de Miguelcho Cascarota « pour le violon qu’il a joué ». Pour le xixe siècle cependant, la gestion de la musique est de la responsabilité de la jeunesse alors qu’elle reste plus institutionnalisée au sud. Dans la vallée du Baztan, l’institution du ttunttunero ou danbolin officiel ou « de la place » reste en vigueur dans la seconde moitié du xxe siècle, et le recrutement du musicien, par ailleurs souvent maître de danse, se fait sur une base concurrentielle. Cette institutionnalisation est plus importante encore dans les villes guipuzcoannes ou biscayennes, un mouvement renforcé par les courants d’idées depuis la fin du xviiie siècle, le foralisme et les idées de Juan Ignacio de Iztueta (Sánchez Ekiza 1999, 2005 ; Aranburu 2008). Sans doute faudrait-il avoir recours à l’histoire politique et à l’histoire des idées pour comprendre l’absence d’une telle institutionnalisation de la figure du musicien côté basque français, ce qui n’a pas empêché la figure du ménétrier-maître à danser de perdurer dans le cadre des institutions de la jeunesse. 4 •
AD 64, Arch. com. Bayonne, CC 173/20.
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Au final, l’économie des pratiques dansées traditionnelles pourrait ainsi se décliner en cinq formes principales, que l’on peut synthétiser comme suit : Tableau 4 : Traditions dansées et formes d’échange Modèle relationnel
Principe dominant
Acteurs en interaction
Don et contre don
Réciprocitaire
Danseurs/maisons
Association
Coopératif et mutuelliste
Danseurs/danseurs
Contrat
Transaction marchande
Danseurs/ménétriers
Prescription
Hiérarchique et redistributif
Danseurs et ménétriers/puissance publique
Aumône
Charité
Mendiants et musiciens itinérants/maisons (élaboration propre)
Chacune des dimensions brièvement évoquées ici se décline de façon empirique des dispositifs cérémoniels ou récréatifs historiquement et socialement situés, et qui soulignent surtout les jeux d’interprétations des acteurs autour des règles formelles ou informelles qui constituent la tradition. Avec toutes les précautions d’usage, l’on entend avec ce type d’exercice contribuer à « désessentialiser » encore davantage le vocable de la tradition et des usages sociaux qui y sont associés. Le travail de la tradition En cherchant à déconstruire l’illusio du discours sur la permanence de la coutume, l’examen circonstancié des pratiques festives, musicales et dansées, ont certes mis en évidence les changements, parfois structurels, des formes et du fond, mais aussi des éléments de persistance sur la longue durée. C’est parfois la mutation radicale du fond qui permet à la forme de perdurer. Dans d’autres cas, à l’inverse, les mutations formelles ne sont que des subterfuges pour faire conserver leur sens ancien à des coutumes publiquement jugées obsolètes. Rien n’autorise, au fond, à postuler un mouvement inéluctable de l’Histoire qui, au nom d’un processus linéaire de modernisation condamnerait définitivement les dispositifs coutumiers à l’altération ou à la disparition au rythme des mutations structurelles du milieu qui les produit. À la lisière du politique En ce sens, il serait abusif d’accorder un sens politique univoque aux usages des coutumes dans le passé. Dans sa « postface » de 1994 à Fête et révolte : des mentalités populaires du xvie au xviiie siècle, Yves-Marie Bercé revient sur la première édition de 1976 et avertit du risque de ces lectures prédéterminées. Le passage, de par la lucidité dont il témoigne, mérite citation : Ce livre n’est à mes yeux que trop daté. D’abord, parce que modestement dans la succession de mes recherches personnelles, il correspond à un moment où j’ai voulu approfondir quelques suggestions survenues au cours de ma thèse consacrée aux révoltes populaires des siècles modernes, faire un sort à des miettes de faits curieux extraits des sources narratives ou judiciaires de l’ancienne France rurale et essayer de leur trouver un sens. Ensuite parce que dans les années soixante-dix, les vertus fantasmées de la contestation juvénile étaient tenues pour évidentes, conservant dans les médias et dans les esprits leur force d’illusion et leur expression contraignante. Il me semblait que nombre des faits collectés par leur signification et surtout par leur ordonnancement dans le temps venaient contredire ou nuancer les
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modes de pensée intellectuels qui tantôt identifiaient institution et répression, tantôt attribuaient une mission libertaire à telle situation sociale ou à telle famille idéologique. L’ébranlement de ces certitudes ou leur relativisation, à peu près acquise aujourd’hui, prive mon essai de ce contexte de discussion historiographique. […] (Bercé 2006 [1976] : 191).
Si le présent ouvrage pouvait contribuer, à son échelle locale, à un tel ébranlement des certitudes, il aurait rempli sa mission. En soulignant le caractère contingent et historiquement situé de la coutume, cet ouvrage a cherché à écarter toute lecture binaire réduisant la fête à une fonction politique anachronique relue au prisme de luttes idéologiques largement étrangères à la séquence historique considérée. Jean-Michel Guilcher le soulignait en 1984 : La fête basque n’est pas le chaos retrouvé. Pas plus qu’elle ne viole de prohibition, elle ne conteste l’ordre établi. Elle confirmerait plutôt sa légitimité. Les baladins qui quêtent au nom de la jeunesse ont des égards spéciaux pour les personnalités en place. Les danseurs de la Garde nationale comptent parmi leurs fonctions celle de rendre hommage aux autorités civiles et religieuses. Même les mascarades multiplient les marques de respect à l’égard des maires et des conseillers municipaux. Si la critique de la société s’est donnée quelque cours dans les commentaires des xorrotx, les discours des chaudronniers et des Bohémiens, les jugements de Carnaval, c’est, semble-t-il, sans grande virulence. Ce sont les gueux, les marginaux, les errants, que la parade charivarique et la mascarade tournent en dérision, jamais le gendarme, le militaire ou le bourgeois, encore moins le propriétaire paysan. La fête ne nie pas l’ordre ordinaire des choses, elle le met seulement entre parenthèses. (Guilcher 1984 : 691)
Nonobstant cette dimension de parenthèse, la politisation de la fête a fait et fait l’objet parmi ses acteurs de lectures multiples et contradictoires. L’exceptionnelle longévité de la coutume le doit à la coexistence assumée de ces lectures. Lorsque les militants des années 1970 relisent les toberak comme un outil de contestation politique, sans doute minimisent-ils la fonction historique de contrôle du marché matrimonial de ce rituel. La relecture politisée qu’ils en font a cependant une fonction performative, elle pousse à cette forme d’action collective et permet la survie de la forme quitte à modifier le fond. Ou plus exactement, une des dimensions du fond, qui n’est peut-être pas centrale dans les conditions de reproduction de la coutume. Ce qui se dit lors d’une mascarade, d’un procès de Zan Pantzar ou d’une cavalcade, a de son importance. La parole peut provoquer le rire, la réflexion, l’invective ou susciter des rancunes tenaces. Dans les dispositifs coutumiers évoqués cependant, ce qui se dit n’est peut-être pas plus important, aux yeux des acteurs, que ce qui se fait. Impossible, en ce sens, de distinguer la forme du fond. Pour qui sait les lire, les véritables enjeux se jouent dans d’étonnantes permanences : défis de danse, qualité du jeu, précision des costumes, respect des codifications, musique, voix… Si l’observateur extérieur peut être surpris des anachronismes, voire des franches contradictions, qui ressortent de la pastorale souletine, il n’en est pas de même pour les acteurs de la pastorale qui, parfaitement conscients de la spécificité du genre, ne font pas trop cas des supposées incohérences du récit et mettent en revanche un point d’honneur à respecter les codes régissant les mouvements et la mise en scène de cette forme de théâtre populaire. La parenthèse festive est politique, mais une politique dont l’importance est toute relative et dont la fonction attestataire ou contestataire varie du tout au tout selon le contexte et la période. Aujourd’hui perçue, en particulier par les milieux abertzale, comme un souvenir anachronique
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de l’alliance du trône et de l’autel, la Fête-Dieu a pu sous la IIIe République constituer un espace de protestation, encadré par un clergé militant, contre le nouvel ordre républicain et centraliste. La procession est alors subversive. Les protocoles activés à l’occasion des Entrées des princes sous l’Ancien régime ont pu être déplacés à la fin du xxe siècle pour les rituels festifs accompagnant les nouveaux mouvements sociaux qui animent la société basque. Les usages politiques de la fête ont toujours été présents, multiples, et contradictoires. Ces politisations ont cependant répondu aux exigences, aux solidarités et aux tensions contemporaines des acteurs de la fête. La sécularisation interne de la tradition L’introduction l’a rappelé : toute une série de travaux sociologiques et d’anthropologie politique ont souligné au contraire le changement permanent qui a travaillé les formes festives coutumières. À trop vouloir se distancier – à raison – de l’essentialisme qui a longtemps dominé les études sur les coutumes populaires en Pays basque, ces recherches ont parfois versé dans l’excès inverse, à un double titre. D’une part en ne voyant, dans une perspective toute durkheimienne, dans les fêtes que de simples miroirs des solidarités, des hiérarchies et des tensions de la société/communauté qui les produit. La perspective est certainement fondée, et cet ouvrage donne bien des exemples en ce sens. Mais cette perspective structuraliste doit également laisser sa place à l’individu, à la subjectivité et à l’autonomie relative d’acteurs qui ont pu périodiquement s’emparer de la fête pour en remodeler la forme et le fond. Le rôle du ménétrier et maître de danse Faustin Bentaberry (1869–1936) en BasseNavarre a été bien souligné en ce sens (Aurnague 1993). Soucieux de transmettre la tradition des sauts basques, Faustin est également abonné aux revues musicales de son temps et est à l’affût des nouveautés. Son répertoire de bal témoigne de cette double attention, ainsi que le travail d’adaptation de l’ancien répertoire chorégraphique bas-navarrais auquel il procède. Faustin se place ainsi en médiateur, entre artiste et artisan, porteur d’un alliage subtil entre continuité et changement. Le second écueil consisterait dans certains cas à refuser de constater, au-delà des mutations évidentes des usages, de permanences toutes aussi étonnantes. Pour qui s’immerge dans les usages les plus contemporains de la tradition, il est aisé de voir que les dynamiques en jeu dépassent largement le simple revival mais allient des innovations au goût du jour et des permanences non verbalisées : les logiques de l’honneur, de défis de danse, de réputation des musiciens, de concurrence entre villages, etc. restent étonnamment vivaces. Désormais bien entrée dans le xxie siècle, la société basque continue de faire vivre ses traditions, au prix d’un réajustement permanent du sens. Si certaines de ces adaptations s’effectuent sans traumatisme majeur, d’autres questionnements sont plus clivants. En particulier, certaines dimensions symboliques des coutumes festives font l’objet de nouvelles interrogations au vu de l’injonction à la généralisation des politiques d’égalité et de non-discriminations. Le débat n’épargne pas la fête. Le débat se ressent avant tout de l’influence du Pays basque sud, où une série de controverses locales émaillent la chronique festive, sur au moins quatre dimensions. La première, sans aucun doute la plus politisée, concerne l’égalité de genre dans les manifestations traditionnelles. La participation des femmes aux alarde (parades à connotation militaires durant les fêtes patronales) d’Irun et de Fontarrabie a provoqué des tensions et une forte publi-
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cisation, avec des conséquences y compris judiciaires (Bullen et Egido 2004). Dans la vallée du Baztan, la participation des femmes aux mutil dantza a généré depuis les années 1990 des tensions récurrentes. Ailleurs en Pays basque sud et quelques cas de tensions mises à part, la participation des femmes à des rituels et protocoles dansés, jusque-là exclusivement masculins, s’est opérée de façon progressive et sans heurts dans les années 2000–2020. Oier Araolaza en a dressé un état exhaustif (Araolaza 2020). Côté nord, la participation des femmes aux rituels festifs s’est fortement accrue depuis la seconde moitié du xxe siècle, avec quelques rares frictions locales mais sans atteindre les degrés de tension et de politisation du sud. Parfois même à l’inverse. En Soule, bon nombre de connaisseurs estiment que la technique de danse souletine si spécifique doit sa survie aujourd’hui aux femmes, qui ont su reprendre à leur compte l’enseignement de la danse au moment où bon nombre de jeunes hommes s’en désintéressaient. En Basse-Navarre, les jeunes filles ont été intégrées – parfois tardivement mais sans heurts – dans les défilés des cavalcades, libertimendu, toberak, etc. Fait significatif, les seules tensions liées à leur intégration ont pu être observées à Valcarlos, village où la tradition dansée est calée sur le modèle bas-navarrais et cizain, mais qui se situe de l’autre côté de la frontière. Jusque-là réservée aux jeunes hommes, la participation à la cavalcade de Pâques bolanten eguna (journée des volants) commence à s’ouvrir aux jeunes filles dans les années 1970 (Sagaseta 2011). L’ouverture est timide : elle se limite à la dantza luzea (danse en chaîne), où la participation des filles est traditionnelle, et aux quadrilles ou contredanses, danses pour lesquelles les jeunes hommes quittent le costume brillant du bolant qu’ils ont utilisé pour les sauts pour la xamarra ou blouse paysanne ordinaire. Il faudra attendre 2019 pour que, suite à un vote à l’échelle du village, les jeunes filles participent à l’ensemble de la cavalcade et exécutent les sauts avec les hommes. En Labourd, la tradition carnavalesque redémarre dans les années 1970 à l’instigation d’associations et groupes de danses. Dans les endroits où la tradition est éteinte, le renouveau s’opère immédiatement de façon mixte, ce qui relève de l’évidence pour les jeunes générations engagées dans la reprise. La mixité est moins évidente dans les villages où l’usage des tournées dansées de kaxkarot n’a pas connu d’interruption majeure. La participation des femmes y fait débat et débouche sur des situations contrastées, sans pour autant que le débat ne se publicise comme au Pays basque sud. Les escortes dansées de la Fête-Dieu, enfin, restent en règle générale masculines, à l’exception de quelques villages comme Macaye ou Espelette, touchés par une volonté de réforme de la fête au début des années 1990 (chap. 4). Un second débat a concerné le traitement de la différence culturelle et de la discrimination dans certaines pratiques festives. Ce sont ici les controverses espagnoles, et notamment à Valence et en Andalousie, autour des fêtes des Maures et chrétiens (moros y cristianos) (Santamarina Campos 2008) qui déteignent en Pays basque. Ainsi a-t-on vu dans le village guipuzcoan d’Antzuola à un débat public sur le devenir de l’Alarde del Moro (Défilé du Maure). Célébrée annuellement lors des fêtes patronales, l’Alarde met en scène un chef « Maure » juché sur un âne et promené dans le village comme captif par une escorte d’hommes armés, avant qu’une sentence rappelant sa défaite lui soit signifiée sur la place publique. Un cycle de danses trokeo dantza, aux variantes propres à Antzuola, est ensuite exécuté par les danseurs de la localité. À l’instigation d’une partie des habitants du village, le débat porte sur la mise en scène, jugée humiliante et anachronique, du défilé et de
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la sentence à l’encontre du Moro. Le débat public qui s’engage ouvre dès lors une boîte de Pandore, la fête révélant – comme la Fête-Dieu du Pays basque nord – son état de sédimentation historique pluriséculaire, avec toutes les contradictions et anachronismes y afférant (Bullen et Kerexeta 2007). De fait, la fête rejoue une bataille médiévale qui opposait non pas les Basques et les Maures mais bien les Guipuzcoans et les Navarrais, une symbolique dissonante pour le positionnement abertzale majoritaire dans la vallée. Nul débat équivalent côté nord. La division binaire entre Turcs et chrétiens qui constitue l’ossature fondamentale de la pastorale souletine n’a pas pour l’instant donné lieu à débat, elle a même été habilement inversée lors de la pastorale de 2021 retraçant la vie de l’émir Abdelkader. Quelques débats commencent cependant à entourer certains personnages du théâtre carnavalesque, comme les bohémiens de la mascarade souletine. De vigueur moindre, un troisième débat renvoie aux traitements infligés aux animaux. Si le débat sur les courses de taureaux en constitue en France et en Espagne (et notamment en Catalogne), l’illustration la plus connue, un nombre très important de fêtes incluant des animaux (taureaux, vachettes, canards, coqs, chevaux…) sont remises en question dans toute l’Espagne, y compris au Pays basque. Le jeu de l’oie à Lekeitio, les combats de béliers ou le jeu de soka muturra (lâcher de vachettes ou vaches sauvages betizu dans les rues) dans les villages navarrais, sont visés par les associations de défense des animaux. Au nord de la frontière, les jeux traditionnels ahate jokoa/ antzara jokoa (jeu du canard/de l’oie) conservés dans quelques villages labourdins (Sare, Souraïde, Olhette, Biriatou…) sont pointés du doigt5. Autrement polémique aurait été le maintien jusqu’à nos jours du jeu oilasko jokoa (jeu du poulet) qui, exécuté pour la dernière fois au quartier Amotz de Saint-Pée-sur-Nivelle dans les années 1920, consistait pour un groupe de danseurs et de danseuses aux yeux bandés à décapiter un coq semi-enterré, au son d’une musique spécifique (Veyrin 1925). Le débat contemporain, d’ailleurs, rappelle à bien des égards les essais de rationalisation de la culture populaire entreprise par l’État d’abord, par les élites culturelles du xixe siècle ensuite. En 1852 à Souraïde, c’est le juge de paix qui condamne antzara jokoa pour mauvais traitements envers les animaux, ce qui n’empêchera pas la coutume de perdurer En 1888, alors que se préparent les fêtes basques de Cambo, Antoine d’Abbadie d’Arrast, mécène de ces célébrations, écrit au maire Fagalde en demandant à ce qu’« il n’y ait pas de jeu cruel envers les animaux »6. D’Abbadie rappelle qu’il avait dû quitter brusquement les fêtes basques d’Elizondo car le maire y avait autorisé le jeu de l’oie. La culture populaire que l’on entend alors institutionnaliser est sélective et domestiquée, elle doit cadrer avec le goût du jour. Troisièmement, ce sont les évocations des ordres sociopolitiques passés, lorsque trop explicites dans les rituels festifs, qui portent aussi à controverses. J’ai évoqué dans le chapitre 4 les discussions et conflits d’interprétations qui animent depuis les années 1990 le devenir de la Fête-Dieu. Cette fête, explicitement articulée au catholicisme comme institution, ne convient pas au cadrage d’un 5 •
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Jeu d’adresse consistant pour un cavalier lancé au galop à trancher avec un sabre le cou d’un canard ou d’une oie accrochée à une corde tendue des deux côtés de la rue. Les animaux sont désormais tués avant le jeu. Le second jeu consiste pour les cavaliers à passer une croix de bois au travers d’un anneau. Les cavaliers disposent de leur propre organisation, avec « roi », « reine », etc. (Truffaut 2011). Arch. nat., Fonds d’Abbadie, Courrier d’Antoine d’Abbadie au maire de Cambo, 1888.
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mouvement culturel basque sécularisé qui fera en revanche du carnaval et des cavalcades le cœur de sa reconquête de la culture populaire. Carnaval est désormais relu comme articulé à un fonds mythologique basque postulé « préchrétien » et qui fait l’objet d’une redécouverte par un mouvement abertzale entretenant depuis les années 1970 un rapport ambivalent et souvent conflictuel au catholicisme. Les cavalcades sont lues, depuis les toberak d’Iholdy en 1974, comme une forme de théâtre populaire propice à la contestation politique (Etchecopar Etchart 2001), à rebours de ses fonctions initiales de contrôle de l’ordre communautaire. Besta Berri peine à cadrer dans ces nouvelles représentations de la culture populaire. Enfin, on ne saurait passer sous silence la moindre tolérance aux débordements violents qui, ici comme ailleurs (Muchembled 2008 ; Ploux 2002), accompagnaient la fête, soit dans ses prolongements nocturnes, soit dans certains rituels eux-mêmes. J.-M. Guilcher a souligné la dimension agonistique des mascarades souletines et en particulier des séquences de la barricade et de la danse du branle, qui constitue encore au début du xxe siècle, une épreuve physique et symbolique pour la jeunesse du village visitant et celle du village visité. Cette dimension devait être plus prononcée encore par le passé. En janvier 1828 et à l’occasion de l’interdiction des mascarades par le maire de Sauguis, le sous-préfet de Mauléon indique à son préfet que si « les divertissements populaires sont tolérés dans le Pays basque pendant toute la durée du Carnaval », les mascarades prennent cependant un aspect à tout le moins inquiétant : « la plupart des individus qui en font partie sont ordinairement armés de fusils, de pistolets et de bâton, et que l’on bat toujours la caisse pendant que la mascarade est en marche. »7 Dans la tradition navarraise contemporaine, seul Valcarlos maintient, à l’issue de sa cavalcade de Pâques, le jeu atxo ta tupina (la vieille et la marmite). Interdit par les autorités préfectorales en France dès 1914, le jeu perdure de l’autre côté de la frontière et consiste pour le public de la cavalcade à tenter d’arracher une peau de brebis recouverte de ronces et portée par deux personnages se défendant avec des vessies de porc. Assez banal dans sa facture au regard des usages carnavalesques pyrénéens, le jeu ne va plus de soi aujourd’hui et surprend la partie non initiée du public lorsqu’il survient au terme de deux heures de danses. C’est qu’atxo ta tupina repose sur une convention qui remet en question la distinction entre acteurs et spectateurs, la limite ténue entre le jeu et la violence, entre l’ordre et le désordre. L’inventaire pourrait être décliné à l’envi. Ce que ces exemples suggèrent, c’est que le devenir des fêtes traditionnelles est toujours suspendu aux conditions d’acceptation sociale de la société qui les produit et qui les reçoit. Cet ouvrage a voulu le montrer en prenant le parti de l’approche historique : fruits de sédimentations de plusieurs couches historiques successives, ces fêtes sont des anachronismes structurels, qui n’ont qu’imparfaitement suivi le processus de civilisation des mœurs au sens de Norbert Elias. C’est bien de cet anachronisme qu’elles tirent paradoxalement leur force, leur brillant et leur capacité au renouvellement.
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AD 64, 2 Z 48, Lettre du sous-préfet de Mauléon au Préfet, 19 janvier 1828.
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Vers la patrimonialisation de la tradition ? Ces condensés de symboles doivent composer avec une société basque en mutations profondes, et dont l’un des changements silencieux concerne la patrimonialisation des fêtes et de la culture populaire. Une partie de ce qui était de l’ordre du social devient objet de politiques culturelles, cette fois au sens de politiques publiques. Jusque-là largement indépendantes des politiques culturelles, les fêtes traditionnelles y participent désormais et en dépendent en partie. Un micromarché culturel se constitue où les intérêts, les concurrences et les alliances se redéfinissent et où, comme pour tout marché émergent, un besoin de régulation publique se fait ressentir. Reconsidérer un ensemble hérité de pratiques musicales, dansées, langagières, costumières, etc. sous l’angle du patrimoine revient à leur attribuer une nouvelle valeur qui cadre avec le nouveau référentiel des politiques publiques, mais qui ce faisant reconnaît implicitement une crainte de fragilisation des mécanismes anciens de la transmission. Mais sur ce point également, les théories modernisatrices les plus simplistes se révèlent inefficientes. Si dans certains villages ce sont des structures associatives modernes qui ont repris à leur compte le maintien et la transmission des traditions dansées et musicales, dans d’autres les groupes de pairs continuent de jouer leur rôle sur le modèle ancien. Rien ne permet, au fond, de postuler le remplacement définitif et chronologiquement situé d’un modèle de production de la fête par un autre au rythme déterministe du changement social. L’appel à la tradition reste socialement fonctionnel et prend des formes plus éclatées que jamais. Les soinulari (sonneurs), ménétriers d’autrefois, musiciens d’aujourd’hui adaptent leurs répertoires, leurs instruments et leurs façons de jouer aux contextes changeants d’énonciation de la tradition. Ce volume a cherché à comprendre l’énigme du recours contemporain et omniprésent à la tradition par la restitution de l’historicité des pratiques sociales qui y sont associées. Nous sommes aujourd’hui, peut-être plus que jamais, dans un nouveau moment de cette historicité. Le devenir de cette configuration, au sens d’Elias, est tout sauf tracé. Les fêtes ne sont pas des politiques publiques, ce sont néanmoins des actes publics qui se déroulent au nom de la communauté et en expriment les principes régulateurs. Pour détourner l’expression de François-André Isambert (1976), c’est à une sécularisation interne de la tradition que nous assistons aujourd’hui. À l’image du catholicisme qui, avec Vatican II entendait redonner un sens explicite à la liturgie et à la religion populaire, les nouveaux prescripteurs des carnavals, cavalcades, Fête-Dieu, etc. entendent attribuer un sens explicite à la fête. Quitte à rationaliser abusivement les apparentes contradictions de dispositifs hérités qui tirent leur cohérence non pas de leur contenu mais de leur mode de transmission. La demande de sens, en tous les cas, est indéniable. Elle peut étonner, vu de l’extérieur, par la vigueur des discussions sur des enjeux symboliques jugés futiles. Elle témoigne en tous les cas de la forte réflexivité d’une société basque plus que jamais en travail sur elle-même. Au terme de cette enquête, il convient d’en repérer quelques prolongements potentiels. Beaucoup reste à faire, d’une part, sur le plan de la sociologie historique des ménétriers, des danses et des fêtes qui y sont associées. La tradition souletine, peu traitée ici dans un souci de limitation, mériterait d’être revisitée sous l’angle de l’histoire sociale de la danse et des musiciens, dans la lignée du recueil coordonné par Jean-Michel Bedaxagar (2018). L’importance qu’a revêtue la danse dans la
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province justifierait à elle seule ce regard historique complémentaire sur une tradition par ailleurs déjà très travaillée. En 1912 à Sainte-Engrâce, après le souper ayant suivi le battage du blé entre voisins, deux frères dansent les sauts dans la cuisine. L’un fait observer à l’autre « qu’il ne dansait pas comme il faut » et lui montre « comment il fallait procéder pour bien danser »8. La remarque lui vaudra un coup de couteau à la poitrine. L’anecdote en dit long sur le rôle alors tenu par la danse, qui va bien au-delà du simple divertissement. Les lacunes sociohistoriques autour de la tradition labourdine et bas-navarraise restent quant à elles tributaires de la découverte de nouvelles sources, en particulier musicales et chorégraphiques. D’autre part, les mutations les plus contemporaines de la tradition mériteraient des analyses d’histoire immédiate ou d’anthropologie socioculturelle. Le chantier est déjà ouvert par plusieurs jeunes chercheurs, bien en prise avec les dynamiques du moment. Enfin, l’on espère que le matériau empirique exposé dans cet ouvrage viendra nourrir des analyses comparatives, en Europe et au-delà et concernant autant les fonctions sociales de la musique dite traditionnelle, les profils des ménétriers, l’évolution des répertoires et des contextes festifs, cérémoniels ou récréatifs qui traduisent autant de façons de faire société dans un monde chaque jour plus incertain.
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AD 64, Tribunal de première instance de Saint-Palais, 3 U 5/868, 1912.
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Lexique des termes basques Agota : cagot. Ahate jokoa : jeu du canard. Ainhoarrak : ceux d’Ainhoa, saut basque. Ainhoar ttipiak : les (sauts) courts d'Ainhoa, saut basque. Aintzina pika : saut basque. Akelarre : sabbat des sorcières. Alemanak : les Allemand.e.s, saut basque. Andere xuriak : dames blanches. Personnages dansants de la cavalcade labourdine et bas-navarraise. Antxerak : enchères de sauts basques. Antzara jokoa : jeu de l’oie. Arrabita, xirribika, xirribita, xirrinka, zirrika : violon. Asto lasterrak : course à l’âne, variante du théâtre charivarique. Atabal : caisse, tambour. Atabalari : joueur d’atabal. Atxo ta tupina : la vieille et la marmite, jeu du carnaval de Valcarlos. Auzapeza : maire, maire-abbé. Auzolana : travail entre voisins. Banderariak : porte-drapeaux (Fête-Dieu, cavalcades, carnavals). Barraket : saut basque. Basandereak : dames sauvages. Personnages dansants de la cavalcade labourdine et bas-navarraise. Baztandarrak : ceux du Baztan, saut basque (autrement Laphurtarrak ou Lapurtar luzeak). Bidarraitarrak : ceux de Bidarray, saut basque. Berdura : jonchée (charivaris et processions). Bertsu : vers. Bertsulari, koblari : versificateur, improvisateur. Besta berri : litt. « Fête nouvelle », Fête-Dieu. Besta berri beztitua : Fête-Dieu « habillée » (en costumes). Besta berri xahar : Fête-Dieu ancienne, jeudi de la Fête-Dieu. Bolant : danseur à volants du carnaval et de la cavalcade labourdine et bas-navarraise. Brokel dantzak, Trokeo dantzak : cycle de danses du Guipuzcoa. Buhamea : a) bohémien, b) personnages de la mascarade souletine. chehecoa : « détaillé, précis », séquence d'une ancienne danse en chaîne labourdine. Choriñoak, Xoriñoak : les oiseaux, saut basque.
Danbolinausiak, maiordomoak : « maîtres du tambourin », « majordomes », jeunes gens chargés de l’organisation du cycle festif annuel dans la vallée du Baztan. Dantza burua : tête de la danse, premier danseur de la danse en chaîne. Dantza buztana : queue de la danse, dernier danseur de la danse en chaîne. Dantza jauziak, jauziak, jauzi motxak : sauts basques. Danses circulaires fondées sur la combinaison, symétrique ou irrégulière, d’une douzaine de pas de base. Environ 25 variantes en sont conservées aujourd’hui. Dantza korda, soka dantza, dantza luzea : danse en corde ou danse longue, variantes labourdines et bas-navarraises de la danse en chaîne. Dantza lotua : « danse attachée », danse en couple. Esku soinua, akordeona : accordéon chromatique. Etxe sartzea : entrée dans la maison. Rituel nuptial. Gaita navarra, dulzaina : aérophone à double anche, jouée principalement en Navarre, Alava, Aragon mais aussi, pour la dulzaina, en Guipuzcoa et en Biscaye. Gazteria : litt. « la jeunesse », groupe de pairs célibataires. Godalet dantza : danse du verre. Hartza : ours, personnage du carnaval labourdin, bas-navarrais et souletin. Huxerra : huissier, personnage des parades charivariques. Iguzki saindua : saint soleil, ostensoir. Ihauteri: carnaval. Ingurutxo, dantza xea : formes navarraises contemporaines de la danse en chaîne et en couples. Irrintzina : cri de défi. Jauzicoa : « du saut », séquence d’une ancienne danse en chaîne labourdine. Jauzi osoak : « sauts complets », sauts longs. Jauzi buztanak : « queues de sauts », sauts courts, suites. Kapusaila : manteau à capuchon de berger. Kaxkarot : a) « égyptiens », bohémiens de CiboureSaint-Jean-de-Luz ; b) danseurs du carnaval et des cavalcades labourdines et bas-navarraises. Kaxkarot martxa, kaxkarot dantza, maska dantza, bolant dantza : marche des kaxkarot ou des bolant, danse itinérante des carnavals et des parades charivariques en Labourd et Basse-Navarre.
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Tobera-mustrak, kabalkada, libertimendu, karrusak : cavalcades, parades charivariques. Ttunttuna, soinua, tanburina : tambourin à cordes accompagnant la xirula. Autrefois répandu sur l’ensemble ouest-pyrénéen, son usage s’est surtout conservé en Soule, Béarn et Haut-Aragon. Sur l’extension européenne du tambourin à cordes au Moyen Âge et à l’époque moderne, voir Ballester (2011) ; Garneault (1931); Gastellu Etchegorry (2004); Gétreau (2005); MarcelDubois (1966). Ttunttunero, tamborin, tanborin : joueur de xirula et de tambourin à cordes. Ttunttun de txistu, danbolin : tambourin en peau joué par le txistulari. Txistu : flûte à trois trous en fa ou fa#, aujourd’hui généralement en ébène, usitée dans les provinces basques du Sud. Sur l’évolution historique du txistu, voir Aranburu (2008); Sánchez Ekiza (1999, 2005). Txistulari, tamborilero, danbolintari : joueur de txistu et de ttunttun en peau des provinces basques du sud. Urratsak markatu : annoncer les pas (des sauts). Xibandiarrak, Jibandriak, Chibandierrak : saut basque. Xirula, txülüla, chirola : flûte à trois trous (en do dans les provinces basques, en la en vallée d’Ossau), aujourd’hui généralement en buis, jouée seule ou avec accompagnement du ttunttun (tambourin à cordes). Xirulari, txülülari : joueur de xirula. Xorrotx : rémouleur, personnage de la mascarade souletine. Xoxoarenak : ceux du merle, saut basque. Zamaltzain : danseur-chevalet de la mascarade souletine. Zan Pantzar : Saint Pansard, mannequin jugé et brûlé à la fin du carnaval. Zapurrak ou zanpurrak : sapeurs. Personnages de la Fête-Dieu et des cavalcades labourdines et basnavarraises. Zarrabete : vielle à roue, également appelée « gaita de ciego » (« gaita de l’aveugle ») dans les provinces basques du sud. Zirtzilak : comparses, gueux. Personnages des parades charivariques labourdines et bas-navarraises. Zubiak : ponts, figure de la danse en chaîne.
Kapitaina : capitaine, dirigeant de la jeunesse pour les cérémonies de la Fête-Dieu et, autrefois, pour le cycle festif annuel. Kotilun gorri, marika, ponpierrak : personnages du carnaval labourdin. Laphurtarrak : les Labourdins, saut basque. voir Baztandarrak. Larrain : lande inculte. Libertimendu : divertissement, fête de carnaval en Basse-Navarre. Liotenantea : lieutenant, cérémonies de la Fête-Dieu. Makilari : tambour-major des Fête-Dieu et cavalcades labourdines et bas-navarraises. Makil dantza, maquilla dansa : danses de bâtons. Marika : mannequin. Maskarada : mascarade de carnaval en Soule. Milafrankarrak : ceux de Villefranque, saut basque. Muneinak, Moneindarrak : ceux de Monein, saut basque. Mutil dantzak : cycle de danses de la vallée du Baztan, apparenté aux sauts basques. Mutxikoak : saut basque particulier, désigne par extension ce genre chorégraphique. Oilarrak : coqs, personnages de la Fête-Dieu labourdine et bas-navarraise. Oilasko jokoa : jeu du poulet. Orzaïs, Ortzaiztarrak : ceux d’Ossès. Saut basque. Pabillunketariak : porte-dais des processions de la Fête-Dieu. Pandero, pandereta, gatanbore ou tambour de basque : instrument de percussion, composé d’une membrane tendue sur un cadre circulaire dans lequel sont insérés des grelots ou des cymbalettes. Pastorala : pastorale, théâtre traditionnel souletin. Rabel (esp.) : instrument à cordes frottées, proche du violon avec lequel il est souvent confondu dans la documentation. Salterio : appellation du tambourin à cordes dans la Péninsule Ibérique. Santibate : carnaval bas-navarrais. Sarjenta : sergent, cérémonies de la Fête-Dieu. Soinulari : sonneur, ménétrier, musicien. Soinu mutilak, soinu gidariak : litt. « garçons de la musique », « directeurs de la musique », jeunes gens chargés de l’organisation du cycle festif annuel en Labourd et en Basse-Navarre. Soinu ttipia, trikitixa : accordéon diatonique. Soka muturra : courses de vaches. Soldadoak : soldats, cérémonies de la Fête-Dieu. Suisa : suisse d’église, cérémonies de la Fête-Dieu. Toberak, galarrotsak, tutak, tzintzarrotsak : charivari nocturne.
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Sources et bibliographie 1. Entretiens (sélection) Musiciens, anciens enseignants de danse et danseurs·ses : Domingo Aguerre (Mendionde-Garamendia, 1915–2005), Battit Amestoy (Ustaritz), Albert Arrabit (Bidarray), Manez Ascarrain (Armendarits), Michel Aurnague (Saint-Jean-Pied-de-Port), Jean-Mixel Bedaxagar (Ordiarp), Graxien Bordarrampé (Iholdy, 1913–2004), Xemartin Callaba (Gréciette, Bonloc, 1930–2020), M. Camblong (Louhossoa), Pierre Carrau (Hasparren), Cyprien Dagorret (Macaye-Amoztoia, Kanbo), Beñat Duclos (Bidarray), M. et Mme Duhau (Cambo), Mañe Elgart (Camou), Jean–Pierre Elissetche (Louhossoa), Pierrot Erramouspé (Aldudes), Pierre Etchebehere « Herriesta » (Irissarry), Michel Etchecopar (Gotein), Beñat Etcheverry « Fitero » (Irissarry, 1917), Ambroise Franchisteguy (Iholdy), Pierre Haira (Ustaritz), Henri Haran « Bidaya » (Irissarry, 1923), M. Hargain (Espelette), Aña Idieder (Irissarry, 1925), Xan Ipharraguerre (Espelette), Pierre Iribarren (Irissarry, 1929), Paxkal Landarretche (Mendionde), Martin Larreteguy (SaintEsteben), Louis Larrondo (Cambo), Panpi Luro (Les Aldudes), M. Ménier (Cambo), Jambattit Ondicol (Macaye, 1933–2011), Marie-Jeanne Otharan (Irissarry, 1929), Pierre Oxandaboure (Halsou Habantzea, 1906–2001), Felix Salaburu (Arizkun), M. Zugarramurdi (Espelette). Enquête à Itxassou: Mme Aguerre (Uharretua), Dominika Aguerre (Aritzakun-Iñabeitikoborda, Itsasu-Xuhurrenea et Zelaia), Norberto Aguerre (Etxeberri-Haranea), Mme Anchordoquy (Anddereainea), Andrée et Adolphe Anchordoquy (Anddereainea), Louis Beheretche (Etxexuria, Haitzartea), Borda familia (Haitzia), l’abbé Challet, Paul et Claudine Elissetche (Mendi Bidia), l’abbé Etchebarne, Mayie Etchepare (Salaberria), Pierre Etcheverry (Bragoenia), Pierre Etcheverry (Larrondoa), Gilbert Etcheverry (Larrondoa), Mme Harispourou (Fagaldea), Paul Harispourou (Mulienia), Mme Harispourou (Mulienia), Xan Harispourou (Fagaldea), Michel Ithurburua (Iraberria), Joseph Jaureguiberry (Santa Kurutzia), Éliane Guillen-Jaureguiberry (Santa Kurutzia), l’abbé Joachim Jauréguy, Graxian Larronde (Gixontoenia), Simone Larronde (Extebeenea), l’abbé Jean-Louis Larroque, Frantxoa Lartéguy (Halkeia), Janamari Malharin (Maldargia), Manex et Jeanne Olhagaray (Olha), Paxkal Paris (Eihera Berria), Mayie Poulou (Uhaldea), Manez Saint-Esteven ( Jantxuenea), Geneviève Salaberry (Elizaldea), Albert et Alain Saldunbide, Monique Rousseau. 2. Sources manuscrites Archives nationales Fonds celtique et basque (FCB) Mss. 153 : Papiers Duvoisin, Tableau des mœurs et de l’histoire des Basques ; Recueil de chants avec traduction. FCB Mss. 169 : Recueil de contes, chansons et poésies basques, manuscrits et imprimés, formé par Antoine d’Abbadie (Papiers Duvoisin, Etcheberri, De Souhy). FCB – Fonds Abbadie n° 21746 (fêtes basques). Presse (le Réveil basque, Argitzalea). Jacques de Béla, Essay sur l’Histoire des Basques, t. 3, NAF 20055. Ordonnance du Roi portant création d’un régime d’infanterie de troupes légères, sous le nom de Cantabres volontaires, 15 décembre 1745. Archives départementales des PyrénéesAtlantiques États du Labourd Registres du Biltzar C 1620. États de Navarre Règlements des États de Navarre C 1529 (1669–1691). Lettre et mémoire de M. le marquis d’Amou à communiquer aux États : plan de l’arrangement à prendre pour maintenir l’ordre dans le païs, corriger les abus et éviter tout désordre, C 1573 (1756). Bailliage du Labourd Auditions de témoins – B 8580 (1784–1785).
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Jugements civils – plumitifs civils : de B 8531 (1741) à B 8544 (1755) ; B 8550 (1760–1761) ; B 8557 (1774) ; B 8563 (1784). Plumitif criminel : B 8567 (1746–1756). Plumitif pour les enquêtes d’audience : B 8578 (1788–1790). Plumitif des audiences extraordinaires : B 8572 (1782). Pièces de procédure : B 8582 (1653–1790, sondages). Bailliage de Mixe Procédures criminelles B 8597 (1781–1786). Sénéchal de Navarre Sentences criminelles B 7911 (1743–1788), sentences à rapport B 7908 (1768–1778) (sondages). Sénéchal de Bayonne Sentences B 8333 (1724–1731) (sondages 1729–1731). Présentations enregistrées au greffe B 8011, Présentation des demandeurs : 17 avril 1730 ; 10 mars 1733 B 8011 (sondages). Audiences B 8230 (sondages 8 août – 5 décembre 1730). Pièces de procédure B 8377 ; B 8378 (1729–1731). Chapitre collégial de Bidache Lettre monitoriale provenant de Dax et adressée au curé de Bidache pour qu’il fasse cesser les brimades dont était l’objet la fille d’un procureur de Bidache, 5 février 1743, G 375. Cour d’assises des BassesPyrénées (AD 64, site de Pau) Période révolutionnaire Tribunal criminel du département : procédures : 97 L 50 (1793) ; 97 L 56 (an II) ; 97 L 61 (an II) ; 97 L 64 (an III) ; 97 L 66 (an III) ; 97 L 86 (an V) ; 97 L 95 (an VI) 97 L 117 (an VIII). Arrêts de la cour royale de Pau, Chambre des mises en accusation : 2 U/313 (1846). Arrêts de la Cour d’assises : 2 U 553 (1844–1845) ; 2 U 554 (1846) ; 2 U 580 (1927–1932). Dossiers de procédure : 2 U 598 (an X) ; 2 U 600 (an X) ; 2 U 601 (an X) ; 2 U 609 (an XII) ; 2 U 610 (an XII) ; 2 U 611 (an XII) ; 2 U 831 (1827) ; 2 U 832 (1828) ; 2 U 833 (1828) ; 2 U 834 (1828) ; 2 U 835 (1828) ; 2 U 837 (1828) ; 2 U 855 (1832) ; 2 U 856 (1832) ; 2 U 857 (1832) ; 2U/858 (1832) ; 2 U 860 (1832) ; 2 U 887 (1838) ; 2 U 877 (1835) ; 2 U 902 (1841) ; 2 U 926 (1846) ; 2 U 927 (1846) ; 2U 928 (1846) ; 2U 929 (1847) ; 2U 930 (1847) ; 2 U 931 (1847) ; 2U 932 (1847) ; 2 U 933 (1847) ; 2 U 934 (1848) ; 2 U 935 (1848) ; 2 U 936 (1848) ; 2 U 937 (1848) ; 2 U 938 (1849) ; 2 U 990 (1859) ; 2 U 1002 (1862) ; 2 U 1003 (1862) ; 2 U 1004 (1862), 2 U 1005 (1862). Chambre de mise en accusation – non lieux : 2 U 430 (1828) ; 2 U 442 (1838) ; 2 U 452 (1846) ; 2 U 453 (1847). Police 4 M 45 – dossier « maïska, cavalcades, charivaris ». Tribunal de première instance de Bayonne Procédures criminelles et correctionnelles, période révolutionnaire : 98 L 6 (an V ; an VIII), 98 L 7 (an IV) ; 98 L 8 (an V) ; 98 L 9 (an VI) ; 98 L 10 (an VI) ; 98 L 11 (an VII). Auditions : 98 L 1. Correspondance administrative reçue par le procureur du Roi 3 U 1/10 ; 3 U 1/12 (1836–1868). Correspondance reçue par le procureur émanant du préfet et du sous-préfet de Bayonne 3 U 1/14 (1815–1847). Jugements correctionnels : de 3 U 1/1051 (2 ventôse an viii) à 3 U 1/1097 (1878) ; 3 U 1/1102 (1er sem. 1881) ; 3 U 1/1103 (2ⁿd sem. 1882) ; 3 U 1/1114 (1er sem. 1887) ; 3 U 1/1115 (2ⁿd sem. 1887) ; 3 U 1/1117 (2ⁿd sem. 1888) ; 3 U 1/1119 (2ⁿd sem. 1889) ; 3 U 1/1122 (1er sem. 1891) ; 3 U 1/1139 (1899) ; 3 U 1/1146 (1906) ; 3 U 1/1147 (1907). Plaintes, affaires saisies, affaires non poursuivies ou incomplètes : 3 U 1/1256 (an IX ; 1825), 3 U 1/1357 (1826– 1828). Procès-verbaux, plaintes, affaires non poursuivies et incomplètes : de 3 U 1/1306 (an VIII) à 3 U1 /1339 (1893). Pièces de procédures correctionnelles : affaires jugées 3 U 1/1239 (an IX ) ; 3 U 1/1241 (an XII) ; 3 U 1/1242 (an XIII) ; de 3 U 1/1244 (1806) à 3 U 1/1256 (1821) ; de 3 U 1/1258 (1823) à 3 U 1/1266 (1830) ; 3 U 1/1268 (1831) ; 3 U 1/1272 (1879–1889).
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Dossiers de procédures correctionnelles : non lieux de 3 U 1/1223 (1822) à 3 U 1/1226 (1837). Plumitif correctionnel 3 U 1/1039 (1828) ; 3 U 1/1044 (1846–1849) ; 3 U 1/1045 (1849–1851) ; 3 U 1/1046 (1851– 1854). Tribunal de première instance de Saint-Palais Tribunal correctionnel de Saint-Palais : audiences 101 L 1 (an VII) ; 101 L 2 (1809). Répertoire correctionnel : 3 U 5/756 (1879–1914). Jugements correctionnels : de 3 U 5/654 (1831) à 3 U 5/685 (1862) ; 3 U 5/712 (1889) ; 3 U 5/729 (1906) ; 3 U 5/730 (1907). Dossiers de procédure correctionnelle : affaires jugées de 3 U 5/845 (1890) à 3 U 5/848 (1892) ; de 3 U 5/856 (1899) à 3 U 5/868 (1912) ; de 3 U 5/875 (1917) à 3 U 5/878 (1918). Dossiers de procédures correctionnelles : non lieux : 3 U 5/829 (1898) ; de 3 U 5/835 (1911) à 3 U 5/838 (1919). Justice de paix Canton d’Espelette : jugements et simple police an XIII – 1937 : de 4 U 9/14 à 4 U 9/35. Canton d’Ustaritz : Période révolutionnaire : police judiciaire 83 L 7 ; Jugements : 83 L 6 (sondages) ; Jugements et simple police 1810–1913 : de 4 U 40/4 à 4 U 40/14 ; 4 U 40/19. Canton d’Hasparren : jugements et simple police 1825–1906 : de 4 U 11/2 à 4 U 11/10 ; PV de gendarmerie 1898, 1901–1913 : 4 U 11/244 U 11/25 ; deux expéditions de jugements et un état de frais au Tribunal de simple police d’Hasparren concernant un charivari à Bayonne, 1826, 1 J 284 /12. Canton de Saint-Jean-de-Luz : Période révolutionnaire : 84 L 1 (1791 – an III) ; Jugements et simple police : 1831–1883 : 4 U 33/64 U 33/13. Canton d’Iholdy : Jugements et simple police : 1831–1890 : de 4 U 12/10 à 4 U 12/38 ; PV de gendarmerie 1857–1916, 4 U 12/504 U 12/54. Canton de Labastide-Clairence : Jugements et simple police de 4U 13/2 à 4U 13/6 (an X – 1849) ; PV gendarmerie 1917–1928, 4 U 13/9. Canton de Bidache : simple police : 4 U 8/6 1904–1906 ; 4 U 8/7 1907–1909. PV de gendarmerie 4 U 8/19 1907–1940 ; Registre des affaires de simple police : 4 U 8/21. Canton de Bayonne Nord-Ouest : 4 U art. 31 1839–1841 Jugements et simple police 1922–1930. Canton de Bayonne Nord-Est : Jugements et simple police 4 U 6/1 1834–1839 ; 4 U 6/3 an xi1–806 ; 4 U 6/10 1828–1833 ; 4 U 6/11 1835–1839 ; 4 U 6/12 1842–1847 ; 4 U 6/13 1850–1858. Canton de Saint-Palais : Jugements et simple police 1836–1887 : de 4 U 35/31 à 4 U 35/57 ; PV de gendarmerie 1850–1908 : de 4 U 35/59 à 4 U 35/64. Canton de Saint-Jean-Pied-de-Port : Jugements et jugements de simple police 1852–1928 : de 4 U 34/2 à 4 U 34/19 ; Affaires de simple police 1888–1912 4 U 34/23. Canton de Baïgorry : Jugements et actes civils, jugements de simple police de 4 U 32/2 à 4 U 32/9 (1808–1895). Canton de Mauléon : Jugements et jugements de simple police : an XIII – an XIV 4 U 19/4, 1845–1862 : de 4 U 19/37 à 4 U 19/54 ; Cahier de Jugements de simple police 1863–1880 : de 4 U 19/93 à 4 U 19/96 ; Jugements et jugements de simple police 1880–1890 : de 4U 19/63 à 4 U 19/68. Sous-préfecture de Mauléon Correspondance générale du sous-préfet : copie des lettres envoyées au préfet 2 Z 49 (1832–1833) ; 2 Z 50 (1834–1859) ; copies des lettres envoyées aux maires et autres 2 Z 51 (an IX, an X, 1807–1808, 1811), 2 Z 52 (1816, 1828, 1830) ; Police filles publiques, police de cabarets, bohémiens 2 Z 70 (1848–1860). Archives notariales Ainhoa, notaire Dassance, 3 E 18943 (1729 et 1730). Baigorry, notaire Dalhaste 3 E 493 (1712). Bayonne, notaire Damestoy, 3 E 3960 (1786). Bayonne, notaire Lambert 3 E 4238 (1789). Bayonne, notaire Pinaquy 3 E 4660 (1738). SaintPée, notaire Dassance, 3 E 18986 (1723). Ustaritz, notaire Dassance, 3 E 18994 (1724). Fonds Daranatz Casier D : poésies – chants – pièces religieuses/Chemise 1 poésies – chants :
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Chants charivari d’Espelette mariage juge protestant avec une fille du pays. Charivari d’Espelette en 1828. Poésies basques. Cahier de chansons basques. 9 chants profanes en basque. Fonds Poupel Procès-verbaux de Duclercq, maire de la commune de Bardos relatif à des charivaris en 1820 8 S 206. Dossier Espelette 8 S 329. Dossier Itxassou 8 S 340. Archives communales consultées aux archives départementales 64 Ahetze Ainhoa Bardos Bayonne (notamment les séries suivantes pour l’Ancien Régime : Actes constitutifs et politiques de la commune 11 ; Délibérations BB ; Comptabilité CC ; Procès FF ; Corporations HH) Biarritz Bidart Came Ciboure Guéthary Guiche Irissarry Itxassou Larressore Macaye Saint-Jean-de-Luz Saint-Pierre-d’Irube Urrugne Ustaritz Administration de district Ustaritz Pièces diverses 7 L 1 1791–an III. Pièces isolées et petits fonds Lespès de Hureaux (1718), Mémoire sur Bayonne, le Labourd et le bourg Saint Esprit, 1 J 1111. Archives communales consultées en mairie Bidarray Cambo-les-Bains Espelette Hasparren Itxassou Les Aldudes Ossès Louhossoa Saint-Jean-de-Luz Saint-Jean-Pied-de-Port Saint-Pée-sur-Nivelle Souraïde Archives départementales de la Gironde Affaires criminelles du tribunal du Labourd portées en appel au Parlement de Bordeaux de 1684 à 1790 – de B 6301 à B 6355. Médiathèque de Bayonne – fonds patrimonial Manuscrits Hérelle relatifs au théâtre basque : Mss 108 ; Mss 109 ; Mss 110 ; Mss 111 ; Mss 112 ; Mss 113 ; Mss 114.
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Mss27 : Lespès de Hureaux, Mémoire sur Bayonne, Labourt et le Bourg St. Esprit, manuscrit, 1718. P.L.P., Dantza yauzi osoak beren segidekin. Sauts basques authentiques avec leurs suites, Imprimerie Pech et Cie, Bordeaux, 1910. Annotation manuscrite : Recueillis par M.Wolff, professeur de musique à St.Palais (1840–52) après avoir été ménétrier à Tardets Recueillis par Mr. le chanoine Laharrague il y a 60 ans de mr.Wolff et les a fait imprimer il y a 6 ans, 1913. Fonds Bernadou : Ms. 325 : Voyage de France en Espagne de 1797 et 1798 par Chrétien Auguste Fischer traduit par Charles François Cramer en 1808 ; description de la Fête-Dieu à Bayonne en 1791. Ms. 357 (1, 2, 3): Comptes annuels des syndics du Labourd. Ms 361 : Papiers du Labourd, Bardos et Bidache. Ms 371 : Papiers du Labourd – impositions. Ms 372 : Notes de Bernadou Archives du Biltzar. Ms 373 : Papiers de Labastide-Clairence 1631–1721. Ms 377 : Papiers du Labourd rolle des miliciens, privilèges du Labourd, drapeaux des milices. Ms 378 : Copie de papiers Duvoisin concernant le pays de Labourd. Musée basque et de l’histoire de Bayonne Ms. 81 : Recueil de chansons et de poésies. En français. Ms. 93 : Recueil de chants abbé J.-B. Camoussarry Ms. 94 : Recueil de chansons composées par feu M. l’abbé J.-B. Camoussarry. Ms. 95 : Recueil de chants (Perkain eta Azantza et autres). Ms. 96 : Poesias en Euskera. 1840. Don de Manuel de La Sota. Ms 124.5 : JeanMartin Hiribarren, Sermon sur la danse, 1835. Ms. 135 : Deux chants primés lors d’un concours littéraire basque. Ms. 168 : Recueil de chants du Père missionnaire Ladarpide. Ms. 187 : Collection de sauts basques – Manuscrit Idiartborde. Ms. : Cahiers de Jean Fourcade, de Cambo, cadeau à Michel Iriart, Buenos Aires, 1922, 232 p., collection de 175 chants (vol. 1 : photocopies reliées du cahier de chants, vol. 2: retranscription dactylographiée du cahier, avec sommaire). À ces manuscrits, il faut rajouter l’ensemble des papiers Duvoisin recueillant les chants primés lors des concours D’Abbadie. Photographies de la cavalcade Ganich de Macaye, 1949, collées en fin d’ouvrage in G. Hérelle traducteur/ Camille Pitollet. Côte : M 1905162. Peintures et aquarelles de Pablo Tillac : Carnaval Bas-Cambo, Fête-Dieu Itxassou, Cambo, cavalcade Bidarray, jeu de l’oie Espelette, etc. (années 1920). « Airs de la Fête-Dieu », ms., s.d. « Itxassou, garde nationale de la Fête-Dieu », Itxassou, octobre 1922, Aquarelles et notes manuscrites. 1061.D-94 Recueil et collections de Mss. de musique de Sauts Basques, etc. Faits par J.H. Blunt en 1913 en Pays Basque. Archives privées : Famille Amestoy, Ustaritz, recueil de sauts basques retrouvé au Grand séminaire de Bayonne. Famille Borda, Itxassou. Famille Louis Dassance, correspondance avec Jean-Michel Guilcher. Jean-Michel et Hélène Guilcher, notes d’enquêtes en Labourd. Michel Aurnague, partitions de Faustin Bentaberry. Cahiers de messe de l’abbé Dop, curé d’Itxassou (1883–1899). Cahiers de messe de l’abbé Diesse, curé d’Itxassou (1909–1956). Recueil de photographies anciennes, Gilbert Etcheverry, Jean-Michel Etchepare, Gilles Arotçarena (Itxassou). Recueil de partitions de Juan Cruz Luro (Les Aldudes) Martin Larramendiren bertsu bilduma, Eskualtzaleen Biltzarra. Recueil de sauts ou branles basques, notés par P.L. instituteur, Ms appartenant à l’abbé Dassance, n.d. (antérieur à 1858). Fonds Robert Poupel, mairie de Cambo-les-Bains.
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3. Sources imprimées Presse Dépouillée : Californiaco Eskual Herria (Los Angeles) (certains titres sont disponibles sur le portail : https://www.bilketa. eus/) Eskualduna Le Pays Basque-Eskual Herria Le Réveil basque Sondages : Argitzalea Berma Cambo Journal Eskual Herria (Buenos Aires) Gure almanaka Gure Izarra Herria La Gazette de Bayonne et de Biarritz L’Ariel Eskual Herriko gaseta L’indicateur de Biarritz, de Saint-Jean-de-Luz et Camboles-Bains La Euskaria (Buenos Aires) La Petite Gironde La Revue de Saint-Jean-de-Luz La Semaine de Bayonne Le Courrier de Bayonne Le Glaneur d’Oloron Le Journal de Bayonne Le Journal de Saint-Jean-de-Luz Le Journal de Saint-Palais Le Libéral bayonnais Le Mémorial des Pyrénées Le Mercure de France Le Patriote des Pyrénées Le Pays Basque journal monarchique et religieux 4. Bibliographie Abbadie d’Arrast Marie d’, « Les Mariages basques », La Femme, 15 janvier 1895, p. 1011. Abbadie d’Arrast Marie d’, Causeries sur le Pays basque : la femme et l’enfant, Paris, F.R. de Rudeval, 1909. Adéma Zalduby Gratien, « Eskualherriko eliza bestak », Eskualduna, 16 juin 1899. Albert Jean-Pierre, « L’histoire et l’anthropologie : convergences et spécificités », L’Atelier du Centre de recherches historiques, n° 6 (Faire l’anthropologie historique du Moyen Âge), 2010. Alford Violet, “Some Notes on the Pyrenean Stringed Drum: With Five Musical Examples”, Revista internacional de estudios vascos, vol. 26, n° 3, 1935, p. 567–577. Alford Violet, “Rough Music or Charivari”, Folklore, vol. 70, n° 4, December 1959, p. 505–518. Andichon Henri d’, Noëls choisis, corrigés, augmentés, et nouvellement composés sur les airs les plus agréables, les plus connus, et les plus en vogue dans la province de Béarn, Toulouse, J. J. Douladoure, 1785. Anonyme, « Documents sur Notre-Dame de Sarrance », Études historiques et religieuses du diocèse de Bayonne, n° 1, février 1892, p. 95–102. Anonyme, « Documents et bibliographie sur la Réforme en Béarn et en Pays Basque », Études historiques et religieuses du diocèse de Bayonne, octobre 1896, p. 479–480. Anonyme, « Un divertissement basque à Paris en 1700 », Pyrénées, Pau, n° 71, 1967, p. 153–156. Antolini Paola, Au-delà de la rivière : les Cagots, histoire d’une exclusion, Paris, Nathan, coll. « Essais & recherches », 1991.
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Table des illustrations et crédits photographiques Illustration 1 : Fête et Panperruque à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Dauphin données par la Nation Juive et ses syndics dans la place du Saint-Esprit près Bayonne, le 12 décembre 1781 (reproduction © Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne) Illustration 2 : Femme de Saint-Jean-de-Luz jouant du tambour de basque, détail d’une gravure de Georgio Houfnaglio, 1567, La sierra de Sant Adrian en Biscaia (© Gallica, BnF) Illustration 3 : Louis-Albert-Guillain Bacler d’Albe, C. Engelmann (lith.), Le tambourin basque, environs de Saint-Sébastien, xviiie siècle (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne) Illustration 4 : Portrait de Mendagorry (Muñagorri ?), anonyme, xixe siècle (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne) Illustration 5 : Joueur de tambourin à Bayonne, détail de la Vue de la Ville et du port de Bayonne, gravure eauforte de Claude-Joseph Vernet, 1764 (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne) Illustration 6 : Procession de la Fête-Dieu à Bidarray, Tableau de Marie Garay, fin xixe siècle (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne) Illustration 7 : Magnificat et Benedicamus, partitions du clarinettiste Juan Cruz Luro (coll. privée J.-P. Luro, photo X. Itçaina) Illustration 8 : Dantza khorda à Itxassou, Octave de la Fête-Dieu, c. 1923 (coll. privée G. Etcheverry) Illustration 9 : Escorte d’honneur de la Fête-Dieu, avec xirula, clairons et tambours, Itxassou, c. 1900 (coll. privée G. Arotçarena) Illustration 10 : Danseurs et tambourins à l’occasion de la visite à Cambo du duc et de la duchesse de Nemours en 1845 (L’Illustration, 23 octobre 1845, source : Special Collections, John M. Kelly Library, University of St. Michael’s College, Toronto) Illustration 11 : Dantza khorda à l’occasion de la visite à Cambo du duc et de la duchesse de Nemours en 1845 (L’Illustration, 23 octobre 1845, source : Special Collections, John M. Kelly Library, University of St. Michael’s College, Toronto) Illustration 12 : Xirula et ttunttun de Domingo Urruch (Bonloc, 1837–1907) (coll. privée, famille Etcheverry, photo X. Itçaina) Illustration 13 : Violon ayant appartenu à Hypolite Hiriart, ménétrier d’Arrauntz, don de la famille Bruno, 1925 (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne) Illustration 14 : Tambourin à 10 cordes, Tardets, fin xixe, don de M. Diriart, notaire à Saint-Palais (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne) Illustration 15 : Tambourin de Gastellu-Etchegorry « Gathulu », musicien de Domezain, don de Lissar en 1928 (© Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne)
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Xabier Itçaina
Illustration 16 : sauts Ainhoarrak (extraits), manuscrit de sauts basques non daté retrouvé au Grand Séminaire de Bayonne (archives privées, famille Amestoy, photo. X. Itçaina) Illustration 17 : Cavalcade d’Irissarry, 1937, le char de la justice (archives privées) Illustration 18 : Cavalcade de Louhossoa, années 1950, danseur bolanta (archives privées) Illustration 19 : Kaxkarotak (danseurs-quêteurs de carnaval), Bas-Cambo, 1913, avec xirula et tambour (fonds Poupel, Mairie de Cambo-les-Bains)
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Index géographique et thématique
A accordéon 124, 125, 128, 163, 177, 178 Acotz 142, 168 Action catholique 115, 128, 162, ahate jokoa 163, 239 Ahetze 74, 140, 161 Aïcirits 165, 173, 174, 175 Ainhoa 41, 55, 66, 75, 101, 126, 136, 159, 161, 182 Akelarre 63 Alarde 131, 237, 238 Aldudes 18, 56, 153 ambulant, musicien ou chanteur 49, 58, 161, 163, 202, 232, 235 Amendeuix 163, 190, 195 Amérique latine 81, 192 Amikuze, voir Mixe, pays de Amotz 239 Ancien Régime 25–130, 131, 134, 136, 140, 157, 181, 193–196, 219, 229, 230, 231, 233, 234, 237 andere xuri, voir dame blanche Anglet 64, 200, 201, 220 Anhaux 50, 51, 52, 56 antzara jokoa 163, 208, 239 Antzuola 238 Aranaz 57 Arberats 136, 175, 176 Arberoue, pays d’ 86, 106, 186 Arbonne 74, 155 arbre de la liberté 106, 107, 134, 136, 164 Arcangues 138, 139, 141, 164, 200 Arette 173 Ariège 201 Arin arin 171 Arizkun 50, 52, 54, 55, 121, 153 Armendarits 18, 101, 130, 202 Arnéguy 111, 151 Aroue 203 Arrauntz 51, 72, 166, 177, 185, 186, 211, 212, 215 arrenihlets 142 artisan 15, 25, 49, 58, 82, 83, 96, 97, 157, 192, 203, 229, 231, 232, 237 Ascarat 162, 205 Ascain 100, 107, 136, 151, 152, 171 association 11, 21, 23, 33, 127, 128, 147, 154, 155, 167, 170, 176, 201, 203, 225, 228, 229, 230, 231, 232, 235, 238 atabala 43, 105 atxo ta tupina 240
auberge, aubergiste 11, 31, 33, 49, 73, 74, 107, 114, 115, 116, 117, 125, 151, 154,155, 156, 163, 188, 189, 231 aurresku 171 auzolana 49 aveugle 50, 55, 63, 124, 125, 162, 233 Ayherre 51, 52, 86, 88, 100, 201, 220 B Bagolino 231–232 Balarì 232 Baïgorry 18, 50, 51, 55, 56, 57, 58, 151, 152, 163, 173, 186, 189, 218, 220, 223, 233 bal 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 42, 44, 46, 50, 54, 61, 64, 77, 85, 86, 87, 89, 90, 91, 97, 112, 125, 137, 139, 146, 147, 149, 154, 155, 156, 159, 160, 161, 164, 165, 168, 169, 172, 173, 175, 178, 192, 200, 201, 203, 204, 231, 237 baladin 155, 175, 236 ballet 31, 40, 77, 170 Bandes Gramontoises 46 Barcus 158, 159, 164, 182, 183, 200, 205, 210 Bardos 46, 47, 48, 49, 73, 87, 88, 100, 105, 108, 138, 140, 144, 145, 198, 200, Barétous 173 Bas-Adour 88, 184 basandere, voir dame sauvage basse 24, 25, 31, 32, 36 basse de viole 31 Basse-Navarre 18, 20, 29, 44, 46, 49, 52, 56, 57, 64, 65, 75, 79, 103, 106, 114, 131, 144, 149, 150–153, 165, 171, 173, 176, 177, 178–181, 188–189, 190, 193, 204–206, 209, 213, 215, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 226, 229, 231, 232, 234, 238 basson 43, 44 Bassussarry 11, 52, 155 batterie-fanfare 127, 128, 162 bâton, cérémonie du 181 Bayonne 23–34, 35, 37, 38, 41, 44, 45, 46, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 56, 57, 60, 75, 76, 81–100, 105, 107, 109, 111, 123, 125, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 162, 167, 168, 169, 171, 176, 184, 186, 191, 193, 194, 196, 197, 201, 229, 233 Baztan 121, 150, 151, 153, 156, 157, 231, 234, 238 Béarn 13, 15, 16, 50, 58, 60, 61, 62, 78, 79, 88, 133, 141, 157, 165, 173, 189, 193, 199, 201, 203 Begiraleak 176 Béguios 189, 190, 191, 202
Xabier Itçaina
Béhasque 136 Béhorleguy 173 Belloc, abbaye de 161 Bendel 39 Benedicamus domino 117, 128 bertsu, bertsulari, koblari 13, 20, 52, 112, 142, 152, 162, 163, 165, 169, 173, 174, 180, 182, 183, 185, 186, 189, 193, 204, 205, 215, 216, 217, 218, 219, 221, 232, 233 besiau 48 Besta berri, voir Fête-Dieu Besta berri xahar 113, 118, 148 Beyrie 106, 174, 176, 202 Biarritz 11, 46, 65, 107, 144, 154 Dimanche des Basques à 176 Bidache 52, 71, 77, 84, 87, 88, 90, 100, 105, 155, 183, 184, 185, 195, 197, 200 Bidarray 18, 113, 114, 124, 130, 147, 177, 183, 205, 211, 217, 219, 220 Bidart 41, 48, 64, 65, 102, 103, 104, 106, 137, 139 140, 144, 161, 177, 178, 184, 186, 212 Biltzar 45, 49, 196 Biriatou 140, 239 bohémiens 54, 55, 139, 163, 164, 182, 185, 205, 215, 232, 236, 239 bolant 185, 205, 218, 219, 238 Bonloc 18, 112, 162, 177, 213 Bordeaux 17, 32, 33, 34, 38, 42, 78, 169 Parlement de 61, 62, 64, 66, 71, 73, 76, 194 Bortzirieta 57 Boucau 29, 31, 32, 46 bourgeois 24, 25, 29, 32, 33, 37, 58, 82, 84, 98, 165, 192, 233, 234, 236 Bozate 50, 52, 54, 55 branle 26, 27, 28, 42, 61, 62, 69, 148, 240 Briscous 183, 201 brokel dantza 170 Bustince-Iriberry 164
carnaval 12, 14, 16, 17, 21, 24, 31, 33, 41, 42, 48, 63, 71, 72, 79, 102, 109, 114, 115, 124, 125, 131, 135, 139, 144, 147, 162, 167, 169, 172, 175, 176, 177, 180, 182, 184, 185, 189, 191, 193, 194, 200, 201, 202, 203, 204, 206, 207, 210, 221, 222, 223, 226–230, 231, 232, 233, 236, 238, 239, 240, 241 Çaro 111, 205 catholicisme 131, 132, 239, 240, 241 cérémonies 19, 20, 34, 35, 54, 59, 66, 84, 92–99, 102, 106, 109, 110, 111, 112–113, 118–131, 134, 135, 153, chant 16, 28, 41, 62, 71, 107, 112, 135, 136, 142, 150, 152, 157, 159, 161, 164, 180–184, 195, 196, 198, 200, 203, 205, 206, 216, 226, 227, 232, 233 chantre 120, 152, 173, 201, 233 charivari, théâtre charivarique 179–223 asto lasterrak, course à l’âne 180, 184, 185, 189, 210, 211, 212, 214, 222, 223 baccanal 196 berdura 180 carillon 194 cavalcade 14, 21, 109, 114, 131, 146, 162, 166, 167, 178–192, 204–223, 236, 238, 240, 241 farce charivarique 181 karrusak 180, 189, 221 galarrotsak 180, 216, 221, 231 libertimenduak 180, 189, 207, 216, 219, 221, 222, 223, 238 nocturne 179–189, 192–223 parade charivarique, voir cavalcade rough music 221 skimmington 221 toberak 112, 180, 193, 206, 214, 215, 216, 217, 219, 220, 222, 236, 238, 240 tobera mustrak, voir cavalcade tutak 180, 183 tzintzarrotsak 180, 188, 203, 223 charnegou 24, 88, 105 charpentier 33, 49, 51, 52, 68, 86, 87, 88, 90, 96, 123, 157, 171, 186, 194, 231 Charritte-de-Bas 183 chehecoa 69 Chéraute 158, 174, 208 chiroulirou 52, 151, 168 chocolatier 71 Chubitoa 50, 51, 56 Cibitz 65, 66 Ciboure 18, 23, 34–45, 48, 55, 63, 100, 102, 139, 157, 197, 233 cinfonie 50 ciris 84 Cize, pays de 51, 57, 152, 164, 166, 173, 180, 182, 186, 189, 206, 207, 219, 220, 223
C cabaret 33, 61, 64, 68, 73, 74, 75, 76, 106, 107, 163, 182, 196, 198, 200, 210 cadets 52, 70, 159, 187, 192 cagots 50–58, 136, 150, 157, 231 caisse 29, 43, 44, 48, 49, 56, 104, 107, 125, 137, 163, 165, 181, 183, 185, 195, 204, 240 Cambo 18, 64, 67, 69, 70, 71, 72, 107, 114, 129, 130, 138, 140–143, 145–147, 155, 164, 165, 171, 177, 182, 183, 192, 197, 202, 208, 211, 214, 230, 239 Came 105, 155 Canadelles 39 carlisme 111, 170, 171, 219 carme 59
264
La société du tambourin
clairon 110, 115, 116, 117, 123, 124, 127, 135, 146, 161, 166 clarinette 122, 123, 124, 125, 128, 165, 166, 169, 172, 178 clavecin 44 clergé 59–65, 71, 76, 81, 83, 102, 110, 112, 116, 130, 131, 133, 147, 150, 158, 159, 160, 162, 163, 164, 184, 194, 195, 198, 205, 206, 213, 215, 216, 237 cloche 35, 37, 47, 48, 98, 124 Code forestier 201 compagnie 17, 21, 25, 26, 29, 30, 33, 34, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 46, 47, 51, 56, 57, 65, 71, 72, 73, 74, 77, 82–99, 104, 105, 106, 108, 109, 110, 115, 116, 135, 137, 140, 141, 155, 158, 175, 226, 227, 228, 230, 231, 233 communauté 23, 34, 35, 38, 41, 43, 44, 45, 48, 49, 54, 59, 64, 65, 66, 67, 70, 72, 75, 76, 80, 90, 99, 102, 105, 108, 120, 122, 130, 133, 144, 160, 169, 187, 217, 226, 227, 232, 234, 237, 241 concours de bertsulari 173, 174, 215 de chants 152, 160 de danse 161, 170, 172, 173, 174, 175 de musique 171 Condom 88, 100 confrérie 35, 81, 96, 98, 99, 102, 122 conscription 201 conscrits 207, 211, 226 contestation 14, 96, 133, 134, 187, 220, 235, 236, 240 contrat 21, 23, 33, 49, 51, 52, 81, 86–88, 91, 225, 229, 230–232, 235 contredanse 33, 136, 145, 146, 148, 156, 176, 238 contrepas 152, 170, 198 coopératif, modèle 228–230 couble 40 courante 69 cor de chasse 135 cordonnier 32, 49, 69, 86, 154, 155, 157, 159, 167, 192, 203, cornemuse 27, 183 cornet à piston 165, 174 corporations boulangers 82–83, 85, 87, 88 chapeliers 96 charpentiers de maison 51, 86, 88, 90 charpentiers de navire 86, 87, 88, 96 maçons 88, 90, 92 marchands, drapiers et merciers 84, 85, 87, 88, 94, 96 ménétriers 34 orfèvres 86, 96–97 taverniers 96, 97 vignerons-jardiniers 90–92, 93 vitriers 96, 97 corsaire 42
coutume 32, 45, 61, 64, 67, 79, 89, 93, 96, 98, 99, 103, 105, 114, 125, 126, 127, 130, 163, 179, 180, 187, 188, 194, 207, 208, 209, 212, 213, 214, 215, 216, 218, 219, 226, 235, 236, 237, 239 crascabylaires 40 cuivres 122, 124, 125, 128, 165, 166, 172, 173 D dame blanche, andere xuri 185, 214, 221 dame sauvage, basandere 139, 185, 221 danbolinausi 153, 231 dantza khorda 74, 79, 116, 117, 118, 119, 120, 123, 124, 128, 133, 144–152, 160, 205, 206, 238 Dantxaria 41 danse cantabre 138, 141 dantza jauziak, voir sauts basques de cour 28 d’épées, ezpata dantza 27, 59, 170, 171, 177 des bâtons, makil dantza 144, 161, 169, en couple, dantza lotua 148, 161 longue, dantza luzea, soka dantza voir dantza khorda place des femmes dans la 15, 27, 34, 39, 40, 41, 42, 57, 62, 63, 64, 65, 69, 70, 74, 78, 117, 118, 129, 137, 147–152, 160, 175, 182, 191, 196, 198, 202, 214, 237, 238, 239 publique 30, 54, 55, 60, 63, 64, 71, 134, 160, 182 Dax 88, 100, 195 dissidence 21, 200, 201 Domezain 51, 131, 136, 174, 190 don 226–228 drapeau 91, 92, 94–96, 105, 111, 115, 116, 117, 118, 126, 129, 132, 138, 141, 142, 182, 183, 185, 195, 206 droit 59, 60, 65, 67, 70, 72, 75, 76, 79, 87, 91, 92, 94, 97, 102, 106, 109, 112, 155, 162, 167, 170, 187, 192, 205, 208, 210, 212, 213, 226, 227, 230 duranguier 49, 75 E Eaux-Bonnes 142 élections 181, 205, 206 eliza besta voir fête patronale Elizaberri 215 Elizondo 52, 54, 239 Entrées 24, 30, 38, 115, 133, 137–144, 205, 233, 234, 237 Escos 174 Espagne 23, 26, 28, 29, 30, 37, 40, 47, 48, 61, 239 Espelette 16, 55, 67, 102, 108, 109, 110, 118, 120, 129, 137, 138, 140, 142, 145, 161, 163, 171, 180, 182, 183, 198, 200, 206, 208, 215, 228, 238
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Xabier Itçaina
Esquiule 193, 200 Esquíroz 55 Esterençuby 111, 173, 215 Etcharry 15, 131 Euskaldun Gazteen Batasuna évergétisme 232
gaillarde 28, 62 gatanbore voir tambour de basque Garazi voir Cize, pays de Garde d’honneur 137, 139, 142, 213 nationale 107–132, 137, 138, 142, 145, 146, 158, 159, 165, 201, 204, 226, 236 Garindein 184, 211 Garris 202 Gascogne, gascon 23, 24, 47, 49, 50, 58, 88, 167, 168, 179, 180, 185, 186, 187, 189, 193, 232 Gestas 199 Godalet dantza 174 Goierri 67 Gréciette 127, 147, 150, 197 guerres 18, 20, 21, 37, 72, 79, 118, 119, 121, 124, 125, 127, 133, 139, 160, 161, 165, 176, 177, 178, 180, 186, 192, 201, 219, 228, 229 Guéthary 41, 74, 104, 106, 107 Guiche 49, 50, 197 Guipuzcoa 16, 27, 34, 57, 59, 67, 168, 170, 171, 173, 176, 180, 234, 238
177
F fandango 117, 118, 160, 169, 171, 177, fanfare 165, 167, 173, 174 farandole voir dantza khorda farce du chat 42 fête calendaire 11, 19, 24, 45, 120, 134, 153, 226, 233 de la cerise 128 de la Sainte-Anne 48 de la Sainte-Madeleine 173, 174 de la Saint-Crespin 86 de la Saint-Fabien et Saint-Sébastien 35, 40 de la Saint-Honoré 85 de la Saint-Jean 24, 34, 35, 42, 43, 44, 102, 110, 114, 120, 121, 131, 137, 146, 168, 169 de la Saint-Joseph 86 de la Saint-Laurent 70 de la Saint-Louis 108, 168, 169 de la Saint-Michel de mai 95 de la Saint-Nicolas 74, 86, 87, 88, 165 de la Saint-Pierre 48, 66 da la Saint-Vincent 35, 111 de la san Fermín 55, 56, 57 de la Terre 128 du Roi des Français 108 patronale 34, 35, 48, 67, 81, 110, 121, 148, 151, 152, 156, 160, 165, 172, 176, 200 révolutionnaire 134–137 Fête-Dieu 24, 34, 35, 48, 52, 79, 81–100, 101–132, 146, 147, 148, 149, 153, 161, 162, 163, 165, 166, 177, 178, 185, 201, 213, 226, 233, 234, 237, 238, 239, 241 feu de joie 34, 36, 37, 44, 46, 47, 93, 103, 104, 110 fifre 24, 25, 28, 30, 36, 42, 43, 44, 47, 78, 84, 85, 88, 100, 138, 160, 234 flûte 28, 43, 54, 58, 63, 71, 84, 86, 97, 136, 138, 142, 161, 168, 183, 197 folklore, folklorique 15, 162, 175, 176, 177, 178, 219 Fontarrabie 28, 57, 140, 237 foralisme 170, 234 forgeron 49, 157, 162 frairie voir confrérie
H Halsou 52, 73, 75, 104, 107, 147, 156, 183 Harpeko saindua 114 Harriette 50 Hasparren 46, 48, 52, 58, 72, 75, 105, 112, 138, 142, 161, 163, 165, 166, 171, 180, 182, 183, 184, 196, 197, 210, 211, 213, 214, 215, 218, 219, 229 hautbois 26, 30, 31, 32, 36, 37, 40, 47, 60, 100, 135, 195 Haute-Navarre 55, 57 Hélette 18, 101, 106, 111, 112, 127, 129, 130, 148, 149, 160, 220 Hendaye 41, 63, 104, 107 Hérauritz 73, 194, 195 Hergaray 207 héritier, héritière 45, 52, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 74, 197 Hiribehere 134 honneur 26, 42, 60, 61, 67, 70, 75, 87, 92, 93, 104, 107, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 122, 123, 124, 125, 126, 128, 129, 130, 137, 139, 140, 142, 144, 145, 148, 149, 151, 155, 158, 159, 166, 180, 182, 203, 204, 205, 206, 207, 211, 213, 214, 217, 234, 236, 237 horon 232 Hosta 66, 165 huissier 185, 190, 205, 217, 221 I Ibarrolle 156 identité 12, 90, 131, 132, 169, 170, 215, 218, 219, 220, 229 Iholdy 106, 112, 116, 129, 163, 183, 190, 220, 240
G Gabat 173, 174, 190, 218 gabelle 42, 196
266
La société du tambourin
inculturation 131 infirme 49, 52, 55, 231 instituteur, institutrice 49, 51, 111, 163, 188, 189, 190, 191, 192, 206, 207 de tragédie 181 institution 11, 24, 58, 59, 61, 66, 67, 71, 76, 80, 82, 87, 92, 96, 102, 105, 106, 108, 109, 120, 121, 132, 133, 136, 126, 130, 156, 160, 169, 170, 177, 180, 193, 194, 199, 206, 214, 225, 226, 228, 229, 233, 236, 239 Irissarry 106, 109, 112, 114, 146, 158, 163, 183, 186, 187, 218, 220 Irurre 57 Ispoure 162, 167, 184, 205, 207 Isturitz 52, 150, 201, 206 Italie 220 Ithorrots-Olhaiby 174, 209 Itxassou 52, 55, 75, 79, 104, 105, 108, 111, 113–132, 136, 138, 147, 148, 153, 155, 164, 166, 177, 182, 184, 192, 199, 207, 210, 211, 213, 214, 218, 220, 227, 232
laboureur 11, 49, 70, 73, 135, 148, 157, 186, 195, 231 Lacarre 145, 146, 211 Lacarry 192 La Havane 121 Lahonce 177 La Madeleine 50, 51, 165 Landes 88, 136 Lanne 173 Lantabat 158, 190 Larrau 174 Larressore 63, 64, 67, 118, 156, 163, 182, 183 Larribar 181 Lasse 194, 207 Legorreta 57 Lekaroz 178 Lichos 193 Louhossoa 18, 49, 52, 107, 111, 114, 127, 129, 130, 148, 153, 155, 165, 166, 177, 192, 197, 211, 218, 219, 220, 229 luth 60 luthier 50, 77, 231 Luxe-Sumberraute 202 Luzaide voir Valcarlos
J Jatxou 71, 73, 74, 75, 177, 212 jauziak voir saut basque jauzicoa 68 Jaxu 156, 163, 191, 219 jésuite 59, 64, 159 Jeunesse Agricole Chrétienne voir Action catholique Jeux Floraux 152, 160, 170, 171, 177, 215 jonchée 25, 27, 30, 41, 98, 107, 116, 119, 121, 131, 180, 215 Juifs 24, 26, 27, 31, 168, 194, jurat 30, 38, 46, 64, 65, 67, 72, 73, 75, 76, 82, 93, 94, 102, 105, 120, 122, 181, 194, 196 justice 66, 71, 154, 157, 163, 188, 194, 197, 198, 199, 203, 204, 208, 209, 210, 216, 217, 218, 231 Juxue 66, 191, 193
M Macaye 18, 48, 49, 52, 67, 75, 104, 105, 107, 111, 112, 122, 124, 127, 129, 130, 148, 161, 166, 171, 177, 197, 201, 202, 219, 220, 238 maçon 38, 88, 90, 92, 106, 157, 186 Magnificat 110, 117, 118, 123, 128 maiordomo 153 maire, maire-abbé 33, 48, 64, 67, 72, 78, 82, 92, 93, 94, 102–111, 114, 115, 120, 122, 125, 126, 128, 138, 140, 141, 143, 144, 145, 146, 153, 154, 157, 161, 179, 182, 184, 185, 186, 188, 189, 198–212, 214, 217, 236, 239, 240 maison ancienne 79, 102, 121, 149 infançonne 121, noble 74, 102, 105, 121 maître de danse 32, 55, 77, 161, 162, 166, 171, 177, 234, 237 maîtres du bal 231 mandore 60 makilari 115, 116, 117, 119, 127, 128, 185 makil dantza voir danse des bâtons mannequin 183, 186, 199 Marenne 30 marguillier 104, 120 mascarade 28, 42, 77, 148, 158, 171, 172, 175, 184, 191, 193, 196, 197, 198, 201, 205, 210, 223, 226, 227, 236, 239, 240 maschèr 232 Masparraute 171, 174, 202
K kaxkarot 55 danseurs 39, 72, 111, 140, 165, 169, 185, 210, 214, 226, 228, 229, 230, 232, 238 martxa 115, 116, 117, 118, 124, 161 dantza 124, 144, 177 kemençe 232 L Labastide-Clairence 46, 105, 188, 197, 200, Labatut 30, 58, 100 Labourd 14–17, 20, 29, 30, 34, 38, 44–49, 52, 55, 58, 61, 62, 64, 66, 67, 70–79, 104, 106, 108, 114, 115, 120, 121, 124, 130, 132, 133, 136, 138, 144, 150, 152, 153, 162, 165, 171, 173, 175, 176, 186, 188, 191, 192, 194, 195, 196, 197, 201, 202, 215, 219–223, 228, 229, 232, 235, 239
267
Xabier Itçaina
Mauléon 60, 106, 142, 157, 175, 199, 200, 202, 205, 208, 209, 210, 211, 240 maure 54, 139, 238, 239 mauresque 26, 63 mazurka 174, 176 Méharin 52 mendiant 21, 49, 54, 58, 205, 232, 235 Mendionde 18, 72, 101, 124, 127, 130, 150, 165, 166, 177, 183, 197, 220 Menditte 56, 157, 158, 184, 190 Mendive 56, 146, 191, 192, 213 menuet 90, 170, 173 meunier 49, 51, 52, 54, 55, 56, 74, 92, 153, 186, 220, 231 Mexique 99 milices provinciale 19, 24, 29, 30, 34, 35, 36, 38, 45, 46, 47, 48, 84, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 108, 112, 121, 125, 131, 132, 196, 234 missionnaire 64, 161, 213 Mixains 175 Mixelene 50, 51 Mixe, pays de 58, 66, 136, 171, 173–176, 180, 181, 186, 189, 190, 195, 202 morale 59, 150, 160, 163, 181, 187, 189, 209, 213, 215, 217, 231 Mouguerre 74, 177, 199 Musculdy 79, 173 Muskilda 57 musique, professeur de 49, 174 mutil dantza 52, 153, 238
Ostabarret, pays d’ 65, 66, 149, 173, 176, 186, 223 Ostabat 65, 66, 79, 164, 181, 183, 190 Otxagabia 57 Oyeregave 88, 100 Oztibarre voir Ostabarret P Pampelune 52, 55, 56, 57, 142, 162 Pamperruque 16, 25–27, 29, 30, 31, 32, 42, 136, 137, 138, 139, 145, 146, 149, 168, 233 pandero, pandereta voir tambour de basque Pâques 11, 82, 114, 131, 154, 162, 185, 186, 190, 213, 215, 217, 229, 238, 240 Paris 34, 61, 77 151, 152, 173, 215 Pascorenea 196 passe-carrères 142 pastorale 15, 77, 79, 115, 171, 172, 181, 189–192, 210, 211, 222, 223, 236, 239 patrimonialisation 13, 14, 132, 241–242 patronage 35, 130, 162, 175 pêcheur 32, 35, 49 Pentecôte 24, 25, 50, 67, 70, 71, 84, 100, 190, 196 Petilla de Aragon 57 Peyrehorade 24, 100 placard 195, 196, 197, 200, 202, 203 polka 123, 176 politique, politisation 12, 13, 14, 15, 16, 19, 20, 21, 47, 59, 62, 66, 67, 70, 71, 77, 78, 80, 81, 81, 82, 83, 99, 101, 111–113, 120, 126, 131, 133, 134, 136, 164, 170, 179, 187, 190, 191, 192, 193, 198–207, 210, 220, 225, 233–237, 240, 241 potier 49, 51, 52 Pouillon, Pouilhon 24, 88, 100 préfet, sous-préfet 107, 109, 111, 126, 137, 138, 140, 143, 158, 163, 184, 208–210, 211, 240 Premier Empire 78, 137 procès 32, 58, 62, 71, 86, 88, 90, 92, 96, 102, 105, 112, 153, 154, 156, 161, 180, 185, 194, 205, 212, 216, 219, 236 processions 13, 19, 24, 33, 35, 38, 43, 48, 54, 55, 60, 75, 81–99, 101–132, 161, 162, 163, 195, 213, 226, 229, 234, 237 protestantisme 16, 60, 200 protocole 25, 70, 71, 73, 80, 118, 120, 141, 237, 238 Pyrénées 163, 201, 212 Pyrrhique 28, 138
N Nantes 111 Navarrenx 58, 88, 100 noblesse 66, 74, 102, 105, 121, 233 noce 33, 58, 60, 61, 151, 164, 184, 194, 208, 209, 212, 219 O Oaxaca 99 oilasko jokoa 239 Oiartzun 57, 180 Olhaïby 181 Olhette 183, 239 Oloron 56, 60 Opéra 77 ophicléide 169 Ordiarp 184, 202, 205 orgue, organiste 38, 44, 56 Oriz 58 Orthez 201 Ossau 142 Ossès 48, 56, 75, 112, 130, 137, 173, 182, 183, 186, 191, 211, 212, 213, 220
Q quadrille 77, 139, 175, 176, 238 quartier 66–76, 79–80, 114, 118, 120, 147, 148, 181 quête 21, 71, 72, 116, 120, 128, 144, 169, 175, 182, 226, 228, 230, 232, 236 quincaillier 49, 95, 164
268
La société du tambourin
R rabel 56, 57 rang 35, 42, 66, 70, 75, 79, 90, 91, 92, 96, 97, 109, 111, 121, 127, 147, 149 rébellion 156, 189, 197, 199, 200, 201, 202, 210, 234 réciprocité 67, 79, 80, 155 réparation de chemin 38, 48, 49, 66, 103, 104, 107, 108, 119, 120 répertoire 15, 34, 53, 57, 58, 62, 124, 134, 137, 144, 156, 166, 169–178, 190, 237, 241, 242 républicain 17, 111, 113, 114, 134, 135, 161, 162, 163, 164, 165, 177, 183, 186, 203, 204, 205, 206, 207, 209, 213, 214, 215 République IIIe 111–113, 121, 125–126, 163, 173, 204–207, 208, 213, 237 rituel 12, 13, 24, 25, 34, 35, 57, 58, 62, 70, 79, 81, 82, 83, 92, 96, 99, 101, 113, 116, 117, 121, 122, 128, 130, 131, 133, 134, 144, 151, 176, 179, 181, 183, 187, 193, 195, 196, 201, 208, 210, 213, 215, 221, 226–230, 233, 236–240. Royal Cantabres 47 Révolution française (1789) 78, 98, 106, 121, 133–137, 187, 197–201 (1848) 11, 156, 202, 204 révolte voir rebellion Rogations 35, 48, 103, 107, 120 rondeau 62 Roussillon 50
Saint-Pierre-d’Irube 11, 48, 156, 183, 191, 194 Saint-Sauveur, chapelle 73 Sainte-Engrâce 15, 242 Sainte-Marie-de-Gosse 88, 100 Sainte-Suzanne 58 salterio 56, 57 Sames 201 Santibate 216, 223, 226, 232 Sapatique 77 sapeur 108, 110, 115, 116, 126, 128, 185, 205 Sare 40, 44, 50, 66, 79, 100, 136, 142, 147, 170, 171, 183, 192, 208, 209, 211, 212, 213, 220, 239 Sarrance 60 Sarrant, confrérie des ménétriers de 50 sauts basques 15, 17, 42, 53, 62, 63, 71, 78, 79, 116, 117, 118, 123, 124, 136, 138, 144, 145, 146, 148, 149, 153, 154, 155, 160, 161, 166, 169–178, 185, 198, 205, 229, 237 Ainhoarrak 177, 178, 229 Ainhoar ttipiak 177 Alemanak 177 Azkaindarrak 177, 229 Barraket 177 Baztandarrak, Lapurtarrak, Lapurtar luzeak 171, 173, 174, 175, 176 Bidarraitarrak 173 Choriñoak 177 enchères de 79, 173 Hegi 177 Milafrankarrak 173, 177, 229 Muneiñak 79, 229 Mutxikoak 78, 144, 145, 152, 171, 173, 174, 177 Xibandiarrak, Jibandriak, Gibandriak 171, 173, 174, 176, 177 scottish 115, 124, 176 Second Empire 108, 109, 111, 124, 126, 163, 208, 209, 210, 233 Seconde Guerre mondiale 17, 20, 21, 79, 118, 119, 121, 133, 176, 178, 180, 192, 214, 228, 229 sécularisation 129, 131, 237, 241 Seignanx 30, 100 sérénade 33, 86, 180, 203 société du tambourin 11, 154 soinu gidariak 153 soinulari 20, 44, 133, 158, 241 soinu mutilak 153, 229, 231 solidarité 11, 23, 79, 122, 210, 226, 227, 237 sonnerie 115, 116, 117 sonnette 29, 39, 40, 41, 139, 183, 184, 194, 195, 197 sorcellerie 62 Sorhapuru 210, 218 Sorholus 158–159
S Sacre, fête du 24, 43, 81–100, 229 capitaine du 24, 82, 84, 88, 105 Saint-Cricq 58 Saint Eloy, frérie de 70 Saint-Esprit 25, 26, 27, 86, 93, 168, Saint-Esteben 18, 112, 166 Saint-Fructueux 116, 120, 122 Saint-Jean-de-Luz 16, 18, 23, 30, 34–45, 48, 55, 56, 57, 61, 63, 75, 76, 100, 102, 104, 106, 107, 110, 136, 139, 140, 142, 158, 164, 168, 169, 176, 186, 196, 197, 206, 217, 233, 234 Saint-Jean-le-Vieux 50, 56, 164, 183 Saint-Jean-Pied-de-Port 50, 51, 106, 108, 116, 145, 156, 164, 165, 167, 175, 190, 193, 203, 204, 205, 207, 218 Saint-Just-Ibarre 149, 191, 210 Saint-Laurent 58 Saint-Martin-d’Arberoue 112, 130 Saint-Martin-d’Arrossa 183, 215 Saint-Michel 164, 173, 207, 211, 218, 220 Saint-Palais 137, 164, 172–176, 183, 190, 203, 220 Saint-Pée-sur-Nivelle 44, 66, 67, 72, 73, 75, 104, 109, 130, 140, 143, 161, 171, 173, 185, 194, 198, 212, 213, 214, 239, 248
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Xabier Itçaina
U Uhart-Cize 51, 190, 191, 205, 207 Uhart-Mixe 65, 181, 190 Urcuit 154, 177 Urcuray 67, 68, 147, 196, 212 Urdax 212, 213 Urepel 163, 185 Urrugne 104, 109, 140, 152, 170, 183, 186, 197, 219, 220 Uruguay 192 Ustaritz 18, 40, 44, 46, 48, 51, 52, 71, 72, 73, 74, 78, 100, 107, 122, 130, 134, 135, 140, 141, 150, 154, 156, 163, 171, 177, 183, 186, 194, 198, 201, 209, 220, 228, 229.
Soule 15, 16, 49, 51, 54, 55, 56, 60, 61, 64, 69, 75, 79, 106, 129, 148, 157, 159, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 179, 180, 181, 186, 188, 189, 190, 191, 193, 199, 205, 208, 210, 211, 215, 223, 226, 227, 236, 238, 239, 240 Souraïde 52, 66, 67, 108, 138, 163, 200, 208, 239 Succos 190 Suhast 203 Sussaute 175 symphonistes 31, 32 synode 60, 129, 132 T tailleur d’habit 40, 49, 50, 157, 231, 233 tamborilero 170 tambour de basque 26, 27, 28, 37, 39, 54, 63, 152 tambourin 18, 23, 24, 26–78, 84–91, 97–100, 102–107, 122, 133, 134–147, 151–154, 156, 157, 159, 161, 162, 164, 165, 167, 168, 171–176, 197, 200, 203, 225, 229, 231, 234 tango 176 Tardets 158, 171, 172, 174, 188, 223 théâtre 12, 78, 79, 179, 180, 189, 190, 206, 211, 215, 218, 219, 220, 236, 239, 240 tilollier 32 timbales 26 tisserands 49, 50, 51, 52, 54, 55, 56, 58, 71, 135, 136, 154, 157, 159, 161, 185, 231 toberak voir charivari tobera mustrak voir charivari Tolosa 57, 142 tonnelier 25, 91, Toulouse 30, 40, 97, 100 Troisième République voir République IIIe trombone 123, 162 trompette 24, 25, 26, 28, 31, 32, 36, 49, 63, 178, 183, 198, 234 ttunttun, thiounthoun, suntsun, chun chun, thanburin voir tambourin Turquie 232 txistu, txistulari 50, 57, 156, 168, 170, 171, 177
V Valcarlos 57, 79, 147, 162, 238, 240 valse 146, 174 Vera de Bidasoa 148, 171 veuf, veuve 44, 45, 52, 180, 181, 182, 184, 186, 187, 188, 189, 191, 192, 194, 195, 203, 204, 210, 211, 215 vielle 49, 50, 58, 232 Villefranque 11, 44, 46, 52, 71, 73, 74, 100, 111, 154, 155, 225, 229 violle 43 violon 11, 24, 25–50, 51, 52, 55, 56, 57, 58, 60, 63, 71, 77, 84–88, 90, 97–100, 103, 105, 111, 122, 134, 135, 138, 139, 146, 151, 152, 153, 154, 157, 161, 163, 164, 165, 166, 169, 171–173, 177, 178, 183, 200, 203, 229, 234 bande de 30, 49 X xirula, xirola, chirula, xirulari 43, 56, 57, 122–126, 128, 144, 145, 147, 151, 152, 160–162, 165, 166, 168, 170–178, 183, 230 Z Zelai, Zelhai, Celhai 58, 72, 182, 212 zirtzil 166, 185, 217, 226
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