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French Pages 180 [192] Year 2014
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Dans la même collection : Le temps, C. Callender, R. Edney La théorie quantique, J.P. McEvoy, O. Zarate La psychologie, N. Benson
Édition originale : Particle Physics, © Icon Books Lts, London, 2013. Traduction : Thibaut Hennequin Imprimé en France par Présence Graphique, 37260 Monts Mise en page de l’édition française : studiowakeup.com ISBN : 978-2-7598-1230-1
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2014
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De quoi sommes-nous faits ? On peut probablement vivre une vie agréable, profitable sans connaître la réponse à la question : « Qu’est-ce qu’un quark ? »
Vous n’avez pas besoin de connaître la différence entre un muon et un gluon pour commander et apprécier une bière, un verre de vin ou un soda.
Et la compréhension de la radiation Tcherenkov n’aide pas à se repérer dans le métro parisien… et (pour le meilleur ou pour le pire) une bonne connaissance de l’électrodynamique quantique n’est 3 pas nécessaire pour se reproduire.
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En revanche, si vous commencez à vous demander…
De quoi cette boisson fraîche est-elle faite ?
De quoi cette table est-elle faite ?
De quoi tous ces gens en sueur sont-ils faits ?
De quoi suis-je fait ?
… vous vous êtes lancés par inadvertance dans l’un des plus grands voyages intellectuel, philosophique et scientifique existants.
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Pas d’inquiétude. Vous n’êtes pas le premier à qui cela arrive, et vous ne serez pas le dernier. C’est une entreprise séculaire qui a rendu perplexe, tourmenté et inspiré certains des plus grands esprits qu’a connus l’humanité. C’est une quête qui nous emmène depuis de simples tables d’essai en bois dans des hangars de laboratoire jusqu’à des voyages en ballon défiant la mort. Elle nous a conduits au sommet des montagnes et au fond des mines. Et finalement, elle nous a conduits à construire l’énorme laboratoire du Large Hadron Collider.
La recherche de la réponse à la question « De quoi sommes-nous faits », c’est la
physique des particules.
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La philosophie : l’esprit et la matière Traditionnellement, les questions comme « De quoi sommesnous faits ? » étaient le domaine des philosophes. Une des premières fameuses tentatives de réponse peut être trouvée dans Le Timée de Platon (360 avant J.-C.).
Tout est fait de quatre éléments : la terre, le feu, l’air et l’eau. En outre, ces éléments étaient considérés comme étant faits eux-mêmes des solides de Platon (formes des plus étranges). Dans la Théorie du Tout de Platon, la terre est faite de cubes empilables ; le caractère compact de l’octaèdre conduit naturellement à l’air qui nous entoure ; l’icosaèdre coule aussi bien que ce que l’on peut attendre de l’eau et le côté aiguisé du tétraèdre explique élégamment pourquoi le feu nous brûle quand on le touche. (Un cinquième élément, l’éther, a été ajouté par Aristote pour donner la substance parfaite et immaculée du paradis).
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Une telle théorie peut donner l’impression d’avoir été élaborée dans un bar (ou l’équivalent de l’époque), mais même jusqu’au xviiie siècle, des idées comme le Dualisme de Descartes (Description du corps humain, 1647) ou les Monades de Leibniz (La Monadologie, 1714) étaient toujours perçues comme une façon raisonnable de décrire la réalité.
Le Dualisme est l’idée que le corps et l’esprit sont deux entités séparées.
Alors que dans La Monadologie je décris l’univers comme une multitude d’éléments fondamentaux, irréductibles et indépendants qui sont tous des reflets de l’Un. Mes monades méritaient le détour.
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La métaphysique Avec ses éléments, Platon essayait de comprendre de quoi le monde était fait. Le Dualisme de Descartes allait plus loin, statuant que les choses qui nous faisaient penser étaient différentes des choses qui nous constituaient. Cette division entre l’esprit et la matière est un bon exemple de métaphysique, cette branche de la philosophie cherchant à comprendre et à décrire les différents aspects de ce que veut dire « être ».
L’unification supposée de l’esprit et de la matière à travers l’existence d’un microcosme éternel, irréductible, n’interagissant pas, mais reflétant un macrocosme complet est un autre exemple de métaphysique.
Tant que tout ce que vous faites se limite à quelques postulats et un peu de dogmatisme, il n’y a rien qui vient remettre cela en cause. 8
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L’empirisme C’est avec la naissance de l’empirisme* de John Locke, au xviie siècle, que les penseurs ont commencé à admettre que confronter les différentes idées avec l’expérience valait le coup.
Effectivement, « expérience » fait référence tant au moyen de tests qu’aux connaissances accumulées avec le temps.
Cela correspond à notre définition moderne de la science ou de l’utilisation de la méthode scientifique. Cependant, jusqu’au XIXe siècle, « science » voulait juste dire « connaissance ». C’est le terme « philosophie naturelle » qui désignait les mesures purement théoriques du fonctionnement du monde. * Les termes marqués d’un astérisque sont expliqués dans le glossaire, pp. 189-190.
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La philosophie expérimentale Lord Kelvin (1824-1907, né William Thomson) a créé le premier laboratoire universitaire de physique, en Écosse, le berceau spirituel de l’empirisme. Ici, les idées pouvaient être scientifiquement testées.
En 1867, j’ai rédigé mon Traité de philosophie naturelle avec Peter Guthrie Tate, qui a posé les bases de la physique moderne.
On a parcouru du chemin depuis l’époque où quelques génies arrivaient à faire avancer la science, seuls, avec à peine plus qu’un hangar à leur disposition. Les expériences à la frontière des connaissances actuelles demandent des millions voire des milliards de dollars dans des aménagements et équipements dignes des méchants des films de James Bond, ou pour le réseau informatique international nécessaire pour le stockage et les traitements des données. 10
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Et pourtant, de bien des manières, la physique des particules conserve l’esprit de la métaphysique : elle teste notre vision du réel. Certains pourraient dire qu’on ne devrait pas limiter la créativité de l’imagination humaine en la confrontant à quelque chose d’aussi banal que « la réalité ». Je préfère voir cela comme le fait de chercher à comprendre, autant que l’on peut, ce qu’il se passe. Jusqu’à maintenant, en testant nos idées avec des expériences, on a pu témoigner du triomphe de la matière sur l’esprit.
Et donc, pour ce qui est de comprendre ce qu’il se passe réellement au niveau fondamental, je pense qu’on peut voir la physique des particules comme très proche de la « philosophie expérimentale ».
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Comprendre le code Le grand Richard Feynman (1918-1988), qui a partagé un prix Nobel de physique pour sa contribution à la philosophie expérimentale, avait décrit la science comme le fait d’essayer de comprendre les règles des échecs juste en regardant une partie se jouer. Pour le sujet de ce livre, on devrait changer cette image en ne considérant plus un spectateur extérieur, mais un groupe de personnages à l’intérieur d’un jeu vidéo.
L’objectif n’est ni de gagner, ni de vaincre son némésis, ni de faire un bon score.
Les personnages essayent de comprendre les règles, le code informatique qui détermine leur comportement et celui de l’univers qui les entoure.
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Mais pour le propos de ce livre, je vais élargir un peu le cadre. Les personnages peuvent en plus demander :
Qu’est-ce qu’un pixel ?
Comment fonctionne une puce informatique ?
Qu’est-ce qu’une porte logique ?
Suis-je joué sur Mac ou sur PC ?
De même, tout le matériel utilisé par les scientifiques est fait de la même matière que ce que l’on cherche à étudier ; tout comme les laboratoires, ou les scientifiques faisant l’expérience. Tout comme vous, lisant leurs efforts et résultats sur ces pages. On ne regarde pas le jeu, on est au sein du jeu.
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Le premier atomiste Où commence-t-on notre voyage ? Je dirais que la « physique des particules » commence lorsqu’on a découvert que l’atome, pensé comme l’unité de matière indivisible qui constitue toute chose, est en fait divisible. Pour comprendre le changement radical sur notre manière de penser, il faut comprendre la théorie et le contexte historique. On a déjà parlé d’une des premières théories de la matière : les éléments dans le Timée de Platon.
Comme on pouvait s’y attendre, cela n’a pas résisté à l’examen scientifique.
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Vous connaissez sans doute mieux la théorie de l’atome, attribuée au philosophe thrace Démocrite (460-370 avant J.-C.).
L’univers est composé d’une multitude de minuscules atomes incoupables (atomos signifie incoupable en Grec). Les propriétés et interactions de ces derniers expliquent le comportement de tout ce que l’on voit autour de nous.
Démocrite était le premier atomiste, et on voit que son idée a survécu aux tests du temps et de l’expérience. L’alternative serait une matière continue, que l’on pourrait diviser en morceaux de plus en plus petits à l’infini. C’est seulement à la fin du xviiie siècle que les scientifiques ont commencé les expériences qui ont fait la lumière sur la matière, comme on le verra plus loin.
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La théorie atomique moderne S’appuyant sur le travail des chimistes français Antoine Lavoisier et Joseph Proust, John Dalton (1766-1844) est sans doute le père de la théorie atomique moderne. Dans Un nouveau système de philosophie chimique (1808), il résume les résultats de son travail expérimental en émettant l’idée que chaque élément chimique est fait d’atomes aux propriétés uniques, et que ces atomes se combinent pour faire des composés chimiques.
Cela m’a permis d’estimer le poids atomique des différents éléments, avec l’hydrogène prenant, de fait, le poids le plus léger : 1.
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Cependant, il n’avait pas entièrement raison. Joseph Louis Gay-Lussac (1778-1850) a montré que des gaz peuvent être combinés dans des proportions entières, et que les produits gazeux de ces réactions obéissent aux mêmes propriétés. Amedeo Avogadro (1776-1856) a utilisé cette observation pour faire un bond de géant dans notre compréhension des gaz. Le résultat de Gay-Lussac statuait que deux volumes de vapeur d’eau, et non pas un, sont créés quand l’hydrogène et l’oxygène sont combinés. Cela peut être expliqué seulement si un volume donné de gaz contient un nombre fixe de particules (la loi d’Avogadro). Et les gaz comme l’hydrogène et l’oxygène sont en fait par essence diatomiques : ils sont formés de molécules* contenant chacune deux atomes.
Avogadro 17
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Problèmes avec la théorie En dépit de ces avancées, la communauté scientifique de l’époque avait un problème important avec l’hypothèse atomique : ils n’aimaient pas ce qu’ils ne pouvaient pas voir. Sir Humphry Davy (1778-1829), celui des lampes Davy utilisées dans les mines, a fait remarquer, en présentant Dalton pour un prix de la Royal Society en 1826, que les travaux de Dalton sur l’atomisme n’avaient pas une si grande importance puisque les résultats pratiques des travaux précédents étaient toujours d’actualité. Malheureusement, l’amélioration de la précision des mesures a en fait entravé l’acceptation de la théorie atomique.
Avec l’amélioration des mesures, on a vu que le ratio entre les différents composants n’était au final pas exactement un nombre entier.
Cela allait à l’encontre de l’idée selon laquelle les éléments se combinaient de manière discrète. Nous règlerons ce problème conceptuel plus tard. 18
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Ce n’est pas avant 1908, 100 ans après la publication du travail de Dalton, qu’une preuve expérimentale va enfin convaincre la plupart des gens de l’existence d’atomes et de molécules. Cette preuve reposait sur l’explication qu’Albert Einstein a faite en 1905 des résultats d’observation faites en 1827 par le botaniste Robert Brown. Brown (1773-1858) avait remarqué que de minuscules grains de matière végétale issus de pollen en suspension, et placés dans l’eau, étaient sans arrêt bousculés sous la lentille de son microscope. C’est ce qu’on appelle le mouvement Brownien. Einstein (1879-1955) a expliqué cela en calculant la distance que parcourraient les grains éjectés s’ils étaient constamment bombardés par les molécules de l’eau. James Clerk Maxwell (1831-1879) puis Ludwig Boltzmann (1844-1906) ont aussi réussi à décrire le comportement thermodynamique des gaz en les modélisant comme un ensemble de minuscules et rapides boules de billard qui frappent constamment la surface de n’importe quel récipient dans lequel elles sont. C’était la théorie cinétique des gaz, et cela peut être utilisé pour expliquer la pression et la chaleur, par exemple. Ces boules de billard étant, bien entendu, les molécules d’Avogadro. Et c’est une des autres grandes réalisations de Maxwell, l’unification de l’électricité et du magnétisme, qui a permis aux scientifiques de mieux comprendre un autre aspect de ce qui nous entoure : la lumière.
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Mettons cela en lumière L’optique, la science de la lumière et de la vision, fut très tôt développée par le savant arabe Ibn al-Haytham (965-1040). Son Livre de l’Optique (1011-1021), a fait suite au travail de Ptolémée sur le sujet, avec de nombreux résultats expérimentaux sur le comportement de la lumière. Il a été traduit en latin et a influencé de nombreux penseurs européens parmi lesquels Bacon, Kepler ou Descartes. Pendant que l’optique d’al-Haytham (ou Alhacen, en version latine) décrivait ce que la lumière faisait, les tentatives pour comprendre ce qu’était réellement la lumière ont conduit à la première apparition de la question préférée des physiciens :
Est-ce une
particule ou onde ?
une
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Descartes pensait la lumière comme une onde, en analogie avec le son. Robert Hooke (1635-1703) parlait aussi d’une théorie ondulatoire de la lumière dans Micrographia (1665), tout comme Christiaan Huygens (1629-1695) dans Traité sur la lumière (1690). Cependant, Isaac Newton (1642-1727), s’appuyant sur Pierre Gassendi (1592-1655), qui était par ailleurs un atomiste, déclarait dans Hypothèses sur la lumière (1675) que la lumière était composée de minuscules particules se déplaçant en ligne droite.
J’appelle ces particules : « corpuscules ».
Grâce à la réputation de Newton, la théorie corpusculaire de la lumière a dominé le mode de pensée du xviiie siècle. 21
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Le casse-tête des ondes Finalement, même la réputation de Newton ne pouvait résister à la puissance de la méthode scientifique : l’expérience de Thomas Young, Augustine Fresnel, Siméon Poisson et d’autres a montré que la lumière se reflétait, se réfractait et interférait avec elle-même d’une manière qui ne pouvait être expliquée que si c’était une onde.
De plus, il a été montré que la lumière devait être une onde transverse, avec des vibrations côte à côte et non pas dos à dos comme pour le son. SON
LUMIÈRE
Mais c’est ici qu’apparaît le casse-tête : les ondes représentent un mouvement d’énergie dans un milieu, sans réel mouvement du milieu en question. En d’autres termes, pour avoir des ondes, il faut quelque chose pour supporter les ondulations. Et l’on savait que la lumière pouvait voyager dans le vide, contrairement au son. Donc si ce n’était pas l’air qui transportait les ondes lumineuses, qu’était-ce donc ? 22
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L’éther luminifère Huygens connaissait ce problème supposé avec la nature ondulatoire de la lumière. Non satisfait du concept « d’action instantanée à distance », il était persuadé que quelque chose transportait les vibrations des ondes lumineuses.
En m’appuyant sur le concept du « plein » de Descartes, j’ai imaginé une forme de matière qui imprégnait l’espace tout entier : l’éther.
Newton, bien sûr, n’était pas fan, même s’il a déjà utilisé quelque chose de semblable à l’éther, « le milieu éthéré », pour expliquer la réfraction de la lumière que ses corpuscules ne pouvaient élucider. 23
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Au fur et à mesure que la théorie ondulatoire de la lumière s’implantait, « l’éther luminifère » s’infiltrait dans les consciences des scientifiques. Davantage de monde se penchant sur l’éther, on réalisa que cela devait être une substance très étrange. Par rapport aux vibrations de la lumière, il devait se comporter comme un solide. Les vibrations transverses demandent un milieu solide pour se propager, et la fréquence importante de la lumière visible demanderait au solide d’être aussi rigide que le diamant. Et pourtant, pour les êtres lents, planètes, personnes, chatons, etc., il doit se comporter comme un liquide, sinon nous le remarquerions en nous déplaçant.
C’était donc comme une sorte de super-Maïzena®, invisible, pénétrant tout. (Un mélange de Maïzena® et d’eau est un liquide si l’on se déplace lentement, mais s’il est frappé assez fort, il se comporte comme un solide.)
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Aussi ridicule que cela puisse sembler, des scientifiques respectables ont continué à croire cela. Des cours étaient donnés, des livres écrits (par exemple celui de Joseph Larmor : Ether et Matière en 1900) et une « Théorie du Tout » victorienne a même postulé que les atomes euxmêmes n’étaient rien d’autre que des vortex dans l’éther. On pourrait écrire un livre complet sur le sujet, mais pour un bon résumé sur pourquoi cette super-Maïzena® n’a pas tenu, je suggère La théorie quantique, en images.
L’éther nous semble étrange de nos jours, une relique de l’ancienne mécanique ou optique. Mais le modèle des vibrations mécaniques était le paradigme de l’époque, les gens ne pouvaient pas imaginer que la lumière se comporte autrement.
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Les rayons cathodiques Certaines avancées scientifiques sont intrinsèquement liées aux avancées technologiques. L’astronomie a eu le télescope. La physique des particules a eu les tubes à vide, inventés par J.H.W. Geissler (1814-1879) en 1847, ils ont permis, avec leurs successeurs, aux scientifiques de retirer toute matière d’un certain volume (le contenu du tube).
Après tout, si vous voulez étudier la matière et ses propriétés, il est important d’enlever toute matière additionnelle qui pourrait se mettre sur le chemin.
C’est l’utilisation des tubes à vide qui a permis la découverte des rayons cathodiques, le phénomène qui a, d’une part, temporairement troublé les eaux entourant le débat sur l’éther et a, d’autre part, finalement conduit la science à l’intérieur de l’atome.
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Avant cela, Michael Faraday (1791-1867) a fait passer un courant électrique à travers un bocal en verre afin d’étudier l’électricité en l’absence d’air. Armé d’un bouchon de liège et de ce qui n’était rien de plus qu’une sorte de pompe à vélo, il a pu retirer suffisamment d’air du bocal pour produire ce qui ressemblait à un faisceau lumineux entre la cathode chargée négativement, et l’anode chargée positivement.
Les tubes de Geissler, avec des pressions de l’ordre d’un millième d’athmosphère, s’emplissaient eux d’un éclat agréable (l’ancêtre des lumières néons d’aujourd’hui).
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Une nouvelle forme de lumière ? Johann Hittorf (1824-1914), qui travaillait avec des tubes à vide de Geissler, a observé en 1869 que l’éclat de lumière semblait émerger de la cathode en ligne droite. Eugen Goldstein (1850-1930) a baptisé la découverte de Hittorf « rayon cathodique » en 1876 (Kathodenstrahlen). L’école allemande (qui comprenait aussi Heinrich Hertz) jugeait que ces étranges rayons brillants devaient être des perturbations de l’éther luminifère.
Ces rayons doivent être une nouvelle forme de lumière. Hertz
Pendant ce temps, de l’autre côté de la Manche, William Crookes (1832-1919) a développé un tube à vide qui a atteint la pression nécessaire (de l’ordre d’un millionième d’atmosphère) pour retirer suffisamment de gaz pour assombrir complètement le contenu du tube, et à la place, c’est le verre proche de l’anode qui s’est mis à briller. 28
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Crookes utilisa ses tubes permettant un meilleur vide pour montrer que les rayons cathodiques devaient en fait être de nature corpusculaire.
En plaçant un cache d’une certaine forme sur le chemin des rayons, des ombres se formaient du côté fluorescent du tube : avec le gaz évacué, toute ambiguïté sur ce qui pouvait causer l’ombre a été retirée.
Il a même placé de petites roues à aubes qui pouvaient être mises en mouvement par son hypothétique faisceau de particules quand le courant était allumé. Avait-il raison ? Les rayons cathodiques étaient-ils des vibrations dans l’éther ou des petites particules de matière. Il faudra un des géants de la physique théorique et expérimentale pour répondre.
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L’électron Il a fallu le génie de J.J. Thomson (1856-1940), un des derniers grands physiciens classiques* pour résoudre le mystère des rayons cathodiques. Par une série d’expériences méticuleuses réalisées au laboratoire Cavendish de l’université de Cambridge, il a pu montrer qu’il y avait non seulement des particules dans les rayons cathodiques, mais que ces particules étaient bien plus petites que les atomes : il a découvert l’électron. Thomson remporta le prix Nobel de physique en 1906, son discours pour l’occasion résume comment il a montré que les rayons observés dans les tubes de Crookes étaient des particules chargées négativement.
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On sait que les rayons sont déviés par un aimant, exactement de la même manière que des particules chargées négativement.
On sait aussi que lorsqu’ils sont pris dans un récipient métallique, ils lui transmettent une charge négative.
Si les rayons sont faits de particules chargées négativement, ils doivent être déviés aussi par un champ électrique.
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La preuve de Thomson Heinrich Hertz (1857-1894) avait effectué un travail qui laissait croire que ce n’était pas le cas. Ce n’était peut-être pas si étonnant, car il pensait que les rayons étaient des ondes non chargées. Mais Thomson réfuta le travail de Hertz.
Les tubes à vide d’Hertz n’étaient pas assez bons, il restait trop de gaz. Ce gaz se chargeait lui-même, interférant avec le champ électrique extérieur. Il ne voyait plus que ce qu’il voulait voir.
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Mon équipement était de meilleure qualité, et j’ai pu voir le résultat correct : les rayons étaient bien déviés par le champ électrique.
Hertz avait aussi montré que les rayons pouvaient traverser de fines feuilles métalliques, ce qui le convainquit encore plus de son interprétation ondulatoire. Des particules de la taille d’un atome ne pouvaient pas traverser du métal ! Mais là où il a vu les ondes comme seule interprétation, j’ai poussé plus loin l’étude de l’interprétation corpusculaire.
J’ai compris que s’il y avait des particules chargées se déplaçant à une certaine vitesse, la force qu’elles rencontreraient dans un champ magnétique serait proportionnelle à cette vitesse, à la charge de la particule et à la force du champ magnétique. La force produite dévierait le rayon.
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De même, si un champ électrique externe est appliqué sur le flux de particules, elles subiraient une force proportionnelle à leur charge électrique et à la force du champ électrique.
En appliquant simultanément un champ magnétique et un champ électrique de forces connues de telle manière que ces forces
se compensent et qu’aucune déviation ne soit observée, on peut en déduire la vitesse
des particules. J’ai fait cette mesure, et trouvé qu’elles allaient bien moins vite que la vitesse de la lumière, excluant l’interprétation de Hertz.
Mais je ne me suis pas arrêté là. En considérant mathématiquement les rayons comme des particules, en mesurant la déviation des rayons comme une fonction de la force du champ électrique, j’ai mesuré le rapport entre la masse de la particule, m, et sa charge électrique, e .
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J’ai observé que ce nombre était de l’ordre de 1 700 fois plus petit que la masse de l’atome d’hydrogène, en supposant que la valeur absolue de la charge de l’hydrogène et de cette nouvelle particule étaient les mêmes.
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C’était la dernière pièce du puzzle, j’ai montré que les charges étaient les mêmes en utilisant des champs électriques pour compenser l’effet de gouttelettes d’eau qui se formaient autour de la nouvelle particule chargée.
Il utilisait en fait une ancienne version de ma chambre à brouillard que nous verrons plus loin. 36
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C’est donc comme ça que j’ai montré que les rayons cathodiques étaient composés de corpuscules avec une masse 1 700 fois plus petite que celle d’un atome. Comme je l’ai fait remarquer lors de mon discours à la Royal Institution en 1897, « La supposition qu’il existe un état de la matière divisé encore plus finement que l’atome peut en surprendre plus d’un ».
Mais c’était juste. Où est ma médaille maintenant ?
Le nom de « corpuscule » n’a jamais trop pris, et on a préféré celui « d’électron » pour ces minuscules particules à charge négative. Les particules chargées positivement d’hydrogène dont on parlait plus haut sont ce qu’on appelle les ions* hydrogène : les atomes ou molécules sont ionisés* quand ils gagnent ou perdent un électron. Et donc, avant même que les scientifiques ne soient parfaitement convaincus par l’hypothèse atomique, la science était déjà devenue subatomique. 37
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Rayons X et radioactivité Les rayons cathodiques ont aussi, par hasard, joué un rôle décisif dans la découverte d’un autre phénomène important. En 1895, Wilhelm Röntgen (1845-1923) a fait une expérience à la suite du travail de Hertz et Philipp Lenard (1862-1947) qui montrait des rayons cathodiques passant à travers de fines feuilles métalliques.
En travaillant dans un laboratoire plongé dans l’obscurité avec un tube à vide couvert, je fus surpris de voir un écran recouvert au baryum platinocyanure s’allumer. 38
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Ces écrans étaient fréquemment utilisés comme les premiers détecteurs à rayons cathodiques, mais Röntgen fut surpris, car il ne l’utilisait pas réellement : il faisait partie d’une autre expérience, bien loin du chemin du rayon cathodique qu’il étudiait.
J’ai découvert que cette fluorescence était due à un nouveau type de rayons, que j’ai appelé rayon X, qui émergeait dans toutes les directions depuis la partie brillante du tube à rayon cathodique.
J’ai ensuite pris la première photo utilisant des rayons X, montrant les os de la main de ma femme.
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Röntgen gagna en 1901 le premier prix Nobel de physique pour la découverte des rayons X. Cela a ensuite conduit (encore un peu par hasard) à la découverte d’un autre jalon : la radioactivité. En entendant parler des rayons X, Henri Becquerel (1851-1908) s’est empressé de regarder si divers sels phosphorescents se comportaient de la même manière si on les exposait sur des plaques photographiques.
Ma première idée (que l’énergie venait d’une exposition préalable des sels au soleil) a changé lorsque j’ai découvert que les sels d’uranium n’avaient pas besoin du soleil pour produire leurs propres rayons.
Becquerel partagea le prix Nobel de physique de 1903 avec Pierre Curie (1859-1906) et Marie Curie (1867-1934) « en reconnaissance des services extraordinaires rendus par sa découverte de la radioactivité spontanée ». 40
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Rutherford entre en jeu Les rayons X et la radioactivité ont beaucoup intéressé la communauté scientifique et le grand public. Les gens étaient ravis par les innovations liées à ces découvertes (les photographies des os de leur pied à travers leurs chaussures, les mains brillantes), parfaitement inconscients du côté sombre de cette lumière mystérieuse. C’est Ernest Rutherfort (1871-1937) qui a révélé la nature de ces nouveaux phénomènes. Né à Canterbury en Nouvelle-Zélande, où il a aussi étudié, Rutherfortd devient le premier étudiant chercheur du laboratoire Cavendish (qu’on rejoignait généralement en suivant l’enseignement secondaire de Cambridge).
Après un peu de travail sur les ondes radio, j’ai déterminé (sous la supervision de J.J. Thomson) que les rayons X faisaient aussi partie du spectre électromagnétique :
ils sont une forme de lumière.
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Rutherford a ensuite montré que les rayons de Becquerel étaient, en fait, composés de trois types de radiations. Des trois, il identifia les rayons alpha et bêta ; et baptisa le dernier type : gamma, qui a finalement été découvert par le chimiste français Paul Villard (1860-1934) en 1900. Ils étaient différentiables par leurs différents pouvoirs pénétrants. De manière générale, les « radiations » désignent les particules ou ondes qui peuvent transmettre de l’énergie sans avoir besoin de milieu de transmission.
J’ai travaillé sur les radiations gamma à l’université Mc Gill, à Montréal. Mais j’ai dû repartir à cause du système de Cambridge : je ne pouvais demander une bourse qu’au bout de 4 ans, et j’ai manqué de fonds avant.
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Ce fut cependant un déplacement fructueux. Grâce à une collaboration avec Frederick Soddy (1877-1956), il a montré que les désintégrations radioactives conduisaient à une transmutation des éléments, élucidant d’où venait leur énergie qui semblait sans limite.
J’ai aussi développé le concept de « demi-vie » d’un matériau radioactif : c’est le temps qu’il faut pour que la radioactivité d’une substance baisse de moitié.
Il obtint le prix Nobel de chimie en 1908 « pour ses recherches sur la désintégration des éléments et la chimie des substances radioactives ». Mais le plus connu des Néo-Zélandais n’en était qu’à ses débuts.
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Utiliser des particules alpha comme outil Rutherford retourna en Angleterre en 1907 comme professeur de physique à l’université de Manchester où il continua ses recherches sur la radioactivité. Il comprit que les particules alpha*, outre l’intérêt en soi, pouvaient être utilisées comme des outils pour sonder la structure de la matière. Avec Hans Geiger (1882-1945), il développa un moyen d’exploiter les radiations alpha : un écran scintillant en sulfure de zinc et une chambre à ionisation qui leur permettront de détecter et de compter les particules alpha.
En comparant le nombre d’alphas avec la charge électrique collectée dans l’expérience, on a déduit que les particules alpha avaient une charge de +2.
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Avec Thomas Royds, j’ai ensuite confiné un certain nombre de particules alpha dans un tube à vide. Le gaz récupéré était de l’hélium, laissant penser que les particules alpha +2 étaient des atomes d’hélium ayant perdu deux unités de charge électrique.
Pourvu d’une connaissance approfondie de son arsenal de particules alpha, Rutherford s’est penché sur la structure de l’atome.
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J.J. Thomson a émis l’idée que, dans un atome, les particules chargées (corpuscules) étaient distribuées uniformément autour d’une sphère d’une même charge positive, comme les prunes d’un pudding.
J’ai décidé de tester ce modèle en tirant des particules alpha chargées positivement sur une fine feuille d’or.
La répartition uniforme des charges positives et négatives dans l’atome d’or ne perturberait que très légèrement la trajectoire de ces particules chargées positivement. Cependant, les premières expériences de Geiger montrèrent qu’elles étaient éparpillées selon des angles plus grands que ceux prévus par le modèle de Thomson.
Rutherford
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Le modèle nucléaire En voyant qu’ils étaient sur une piste, mais conscients de la difficulté de cette recherche et des lourdes exigences de calendrier imposées par une installation scientifique d’envergure internationale, Rutherford fit ce que tous les grands scientifiques font encore de nos jours : il confia le suivi, potentiellement douteux, de ses recherches à un jeune étudiant. L’étudiant « chanceux » était Ernest Marsden (1889-1970) et ses résultats ont non seulement confirmé que les alphas étaient plus éparpillés que prévu dans le modèle de Thomson, mais aussi que certains alphas étaient renvoyés directement à la source.
Cette diffusion vers l’arrière doit être le résultat d’une unique collision… mais il est impossible d’avoir quelque chose d’une telle ampleur sauf si une grande partie de la masse de l’atome est concentrée dans
un noyau minuscule.
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Ce constat marqua la naissance du modèle nucléaire de l’atome. Les électrons chargés négativement de Thomson sont dépeints comme orbitant autour d’un noyau massif, minuscule et chargé positivement. Mais il restait des problèmes importants avec ce modèle : de manière classique, de telles orbites feraient perdre presque immédiatement leur énergie aux électrons, les laissant chuter dans le noyau. Heureusement pour Rutherford, un étudiant chercheur récemment arrivé en Angleterre du Danemark n’a pas réussi à rentrer au laboratoire concurrent de Cavendish avec J.J. Thomson.
Une rencontre lors d’un dîner à Manchester a conduit « le Grand Danois » Niels Bohr (1885-1962) à rejoindre mon groupe en 1912 pour développer la théorie quantique de l’atome.
Le reste (comme ils disent) c’est l’histoire : une histoire qui est élégamment décrite dans La théorie quantique, en images.
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Une distraction lumineuse : le photon Bien entendu, on ne peut pas raconter l’histoire de la physique des particules sans la théorie quantique* et on ne le fera pas. Mais l’histoire de Bohr, Heisenberg, Schrödinger et al. et de leur lutte pour comprendre le fonctionnement d’un atome dans le cadre d’une théorie quantique parfaitement intuitive a été racontée dans un autre livre. On devra cependant suivre leur fil conducteur, car cela nous conduira à découvrir une nouvelle particule : le photon. Philipp Lenard a poursuivi ses expériences avec ses feuilles de métal en remplaçant les rayons cathodiques les bombardant par un faisceau lumineux. Il a ainsi pu montrer que la lumière pouvait arracher des électrons de la feuille, comme pour les rayons cathodiques (qui étaient eux-mêmes des électrons).
Grâce à mes mesures précises, j’ai repéré quelque chose d’étrange.
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Encore Maxwell À ce moment-là, Maxwell avait déjà réussi à unifier les phénomènes d’électricité et de magnétisme, dans son bien nommé Traité sur l’électricité et le magnétisme (1873).
J’ai décrit l’électricité et le magnétisme en utilisant des champs. Un champ est un concept physique qui associe une valeur à chaque point de l’espace. Avec les champs électrique et magnétique, cette valeur correspond à la force du champ à laquelle on ajoute une direction.
Ces champs ont donné le cadre et les outils mathématiques pour décrire les lignes de force que Faraday avait précédemment mentionnées dans ses recherches. Maxwell a montré que la vitesse des vibrations de ces champs était étrangement proche de la vitesse de la lumière, et a supposé que ce n’était pas une coïncidence.
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Maxwell avait déduit avec justesse que la lumière était, en fait, une oscillation de ces champs qui voyage à une vitesse constante d’environ 300 000 000 mètres par seconde. La fréquence des ondes lumineuses (ou, de manière équivalente, sa longueur d’onde) correspond à la couleur de la lumière : le rouge avait une fréquence faible, et une longueur d’onde longue, le violet avait une fréquence plus importante, et donc une longueur d’onde plus courte. (Rutherford avait montré que les rayons X étaient aussi des ondes électromagnétiques avec des fréquences bien plus importantes que la lumière visible.) Lenard, pendant ce temps, étudiait des faisceaux de lumière monochromatique, en utilisant un prisme pour séparer la lumière dans une faible gamme de fréquences.
Je voulais voir quel effet cela aurait sur les capacités de la lumière à arracher des électrons.
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Étrangement, Lenard trouva qu’utiliser plus de lumière ne permettait pas nécessairement d’arracher plus d’électrons au métal : ce qui importait réellement était la fréquence de la lumière. En dessous d’une certaine fréquence, les électrons ne bougeaient pas. Cet « effet photoélectrique » ne pouvait pas être expliqué avec la théorie ondulatoire classique. C’est une des fameuses publications d’Albert Einstein lors de son « annus mirabilis » de 1905 qui apporta l’explication.
J’ai émis l’idée que la lumière était en réalité faite de paquets discrets (ou « quanta ») d’énergie.
En amenant la puissance des quantum pour expliquer l’effet photoélectrique de Lenard, Einstein a ramené la vision scientifique de la lumière au paradigme des corpuscules. La lumière était faite de particules : les photons.
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Au cœur du noyau Avec ses particules alpha, Rutherford a découvert le noyau. Mais de quoi précisément est composé le cœur de l’atome ? On savait que les propriétés des différents éléments étaient déterminées par leur numéro atomique, Z. Les atomes d’un certain élément avaient Z électrons qui pouvaient (en principe, sinon en pratique) lui être arraché pour laisser un ion* avec une charge +Z.
En revanche, la masse atomique de chaque élément, appelée A et exprimée en unité de la masse de l’atome d’hydrogène, valait de l’ordre de deux fois Z.
Qui plus est, certains éléments avec le même numéro atomique Z (et donc les mêmes propriétés chimiques) pouvaient avoir des masses atomiques différentes. On les appelle des isotopes (et ils expliquent enfin les masses atomiques non entières qui avaient nourri précédemment des objections au modèle atomique). Que se passait-il au sein du noyau ?
N
H
H H
H
H H
H
Z=7
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Le proton Rutherford, dans sa lancée des découvertes sur le nucléaire, a trouvé que les noyaux des éléments lourds étaient eux-mêmes constitués de noyau d’hydrogène. Vous devinerez facilement qu’il a, pour cela, utilisé les particules alpha. Après avoir vu des noyaux d’hydrogène se former lorsqu’il bombardait de l’air avec des alphas, il découvre que frapper de l’azote (le principal composant de l’air) avec des alphas produit des noyaux d’hydrogène ionisés et de l’oxygène.
N
O
Z=7
Z=8
α
+
+2
H Cette transmutation des éléments montre que le noyau d’hydrogène simplement chargé devait être un des composants du noyau et, en 1920, je l’ai baptisé « proton ».
+ H
=
p
+
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Les masses atomiques, A, des différents isotopes étaient toutes des multiples de la masse du proton. Cependant, on ne pouvait pas simplement dire que les noyaux contenaient A protons.
Les charges des électrons et des protons s’annulaient pour produire un atome neutre, mais il restait toujours A – Z fois la masse du proton dans le noyau à expliquer.
+
p
p
p
–
–
+
p
+
p
p p
+ –
+ p
+
–
+
p
–
–
+7
+
+
p
+ p
–
p
+
+
p
p
+
+
La première idée, qu’il y avait A – Z protons et électrons supplémentaires dans le noyau, causait de nombreux problèmes avec la mécanique quantique (confiner des électrons dans un volume si petit voulait dire qu’ils devaient se déplacer très vite à cause du principe* d’incertitude d’Heinsenberg ; et le spin¹ quantique du noyau d’azote n’avait aucun sens s’il contenait 14 protons et 7 électrons). Bien sûr, personne ne croyait à la théorie quantique, et on ne voulait certainement pas ajouter d’autres particules pour régler le problème ; donc on a laissé cela tel quel…
1
e « spin » est une propriété liée à la mécanique quantique d’une particule. L Cela est lié à son moment angulaire. Le nom [ndt : en anglais « spin » signifie rotation] suggère qu’on pourrait penser à une particule tournant autour d’un axe, mais la réalité est bien, bien plus compliquée que cela…
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Le neutron Puis, en 1932, James Chadwick (1891-1974) récupéra des résultats d’expériences faites en Allemagne et en France. Walther Bothe et son étudiant Herbert Becker ont bombardé du béryllium avec des particules alpha d’énergie assez importante, issues du polonium ; ils ont découvert qu’une nouvelle forme de radiation, non chargée, était émise par la réaction qui suivait. Pendant ce temps, Irène et Frédéric Joliot-Curie, en France (Irène était la fille du couple Curie) ont bombardé de la paraffine avec des radiations non chargées du même type, issues du béryllium.
On a interprété cela comme des rayons gamma très énergétiques.
n
Mais Chadwick, grâce à ses collaborations antérieures avec Rutherdord, savait ce qu’il cherchait, et a pu montrer que l’hypothèse des rayons gamma ne tenait pas. Il fit une série d’expériences qui confirma l’existence d’une nouvelle particule neutre et avec une masse légèrement supérieure à celle du proton. En 1935, il obtint le prix Nobel de physique pour la découverte du neutron.
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Le tableau final ? Le modèle de l’atome était maintenant complet : un minuscule noyau avec Z protons chargés positivement et A – Z neutrons non chargés (tous deux réunis sous le nom de nucléons*), autour duquel orbitaient Z électrons. Ces électrons pouvaient passer d’une orbite à une autre, ou quitter complètement l’atome en échangeant des photons, les parties quantifiées de la lumière décrites par Einstein.
– – +
–
n
p n
+
+ p
+
+ p
p
n +
+
n
p
p
n + p
–
–
n n –
–
En fermant les yeux et en croyant à la théorie quantique de Bohr et de ses collègues, on pouvait utiliser le modèle pour expliquer presque toute la chimie. Et avec la chimie on peut faire les molécules, par exemple les acides aminés qui font l’ADN et toutes les merveilles de la vie. Alors pourquoi aurions-nous besoin de plus que des protons, neutrons, électrons et photons ? Pourquoi la physique des particules a-t-elle besoin d’aller plus loin que les constituants des atomes ? Comme vous allez le voir dans le reste du livre, c’est simplement parce c’était nécessaire. Pour comprendre pourquoi, on va devoir remonter un peu vers le début du xxe siècle.
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La découverte des rayons cosmiques Grâce à la découverte des tubes à vide, les scientifiques ont eu un outil pour simplifier le système étudié en retirant presque toute la matière dans un certain volume de l’espace. La physique expérimentale demande un bon contrôle de l’environnement de travail ; tout ce qu’on ne contrôle pas demande quelques ajustements lorsqu’on veut traiter les données. Les bons physiciens expérimentaux se penchent là-dessus quand ils étudient les erreurs systématiques de leurs expériences. La difficulté vient quand la source des problèmes est bien au-delà de ce que modèle scientifique de l’époque vous permet d’imaginer.
Cela dit, de telles perturbations (observées de la bonne manière) sont souvent des mines d’or pour des découvertes scientifiques révolutionnaires. Ce fut le cas
des rayons cosmiques.
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Il y a quelque chose dans l’air En remontant jusqu’en 1785, Charles-Augustin de Coulomb (17361806) avait montré qu’un corps chargé et isolé perdait spontanément sa charge. Faraday et Crookes sont allés plus loin et ont montré qu’en retirant l’air autour d’un corps chargé (avec un tube à vide), on diminuait la vitesse à laquelle il perdait sa charge.
Il y avait quelque chose dans l’air, quelque chose hors du contrôle des expérimentateurs, qui l’ionisait. Mais quoi ?
On a cru que la radioactivité de Becquerel réglerait le problème. Si des substances existant naturellement dans la croûte terrestre crachaient, bon gré mal gré, des particules chargées, cela pouvait expliquer ce qui ionisait l’air.
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La preuve expérimentale de cette supposition de bon sens était plutôt dure à trouver. De meilleurs électroscopes (les appareils qui servaient à détecter les charges électriques) ont été développés au cours du siècle. Parmi les scientifiques de l’époque dans ce domaine, C.T.R. Wilson (1869-1959) se distingue. Après avoir développé son goût de la physique et de la chimie à Cambridge, il se rendit compte que sa vraie passion était la science du climat : la météorologie.
Les électroscopes étaient très utiles pour étudier l’électricité atmosphérique associée aux orages.
Le travail de Wilson (entre autres) a permis des mesures électroscopiques améliorées qui ont jeté le doute sur l’hypothèse des radiations de la croute terrestre.
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Une origine extraterrestre ? Je me suis demandé si l’origine de l’ionisation ne pouvait pas venir d’autre part que de la Terre, cela pouvait être une source extraterrestre, d’autre part dans le cosmos.
Mais quand Wilson a testé son hypothèse dans le tunnel du chemin de fer Calédonien, en Écosse, il ne vit aucune différence dans le taux d’ionisation.
Manifestement, les pierres n’avaient pas d’effet bouclier, comme je m’y attendais.
Les pierres ? Les pierres peuvent-être radioactives ? 61
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Wilson abandonna l’idée, mais d’autres reprirent le flambeau. En 1909, Théodore Wulf (1868-1946) développa un électroscope portable qui lui permit de comparer le taux d’ionisation au pied et au sommet de la tour Eiffel. En 1911, Domenico Picina (1878-1934) chercha dans l’autre sens et vit que le taux d’ionisation diminuait sous l’eau (il vit aussi que le taux en pleine mer, où il n’y avait pas de croûte radioactive à proximité, était le même que sur la terre ferme). Mais, pour être pris au sérieux dans le domaine de l’électricité athmosphérique, il faut un ballon. C’était ce qui pouvait, à l’époque, amener les gens le plus près de l’espace (les fusées étaient encore loin).
Pour mesurer quelque chose qui vient de l’espace, il faut s’en approcher le plus possible.
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Pendant que certains essayaient avec plus ou moins de réussite, c’est le travail de Victor Hess (1883-1964) qui a fait pencher la balance. Entre 1911 et 1912, il a effectué plusieurs vols en ballon à hydrogène, à des altitudes de presque 5,5 kilomètres, où il a pu mesurer le taux d’ionisation avec ses électroscopes améliorés. Au péril de sa vie, il a fait ses mesures jours et nuits, et même pendant une éclipse presque totale du soleil (pour le retirer de la liste des sources possibles de radiation).
Les résultats de mes observations s’expliquent bien avec l’hypothèse que des radiations de très grand pouvoir pénétrant nous arrivent par-delà l’atmosphère.
Hess partagea le prix Nobel de physique de 1936 « pour sa découverte des radiations cosmiques ». C’était réellement l’époque du physicien aventurier, du chasseur de particule. 63
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Les chambres à brouillard Il est probable qu’avoir manqué la découverte des rayons cosmiques n’a pas tant dérangé C.T.R. Wilson que cela : de retour en 1894, quand il observait le « merveilleux phénomène optique qu’on voyait quand le soleil brillait sur les nuages » à Ben Nevis [ndt : le point culminant des Îles britanniques], il décida d’essayer de recréer ce phénomène en laboratoire. (Comme je le disais, les physiciens veulent tout contrôler, et qui ne rêverait pas d’avoir des nuages sur commande ?) Il développa sa chambre à brouillard pendant qu’il travaillait au laboratoire Cavendish.
Je peux fabriquer des nuages en sur-saturant de l’air humide dans une chambre scellée, et en la mettant sous pression de façon à ce que, à la moindre perturbation, la vapeur d’eau se condense en goutte.
Les gouttelettes se formeront autour de la poussière dans l’air, créant les nuages ou le brouillard espérés. Mais ils continuaient à se former même après avoir retiré toute la poussière.
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Puis Röntgen découvrit les rayons X, et en 1896 j’utilisais des rayons X à Cavendish pour ioniser artificiellement l’air de la chambre et créer du brouillard à volonté.
C’était les mêmes gouttes que j’utiliserai pour mesurer la charge de mes corpuscules, hum, électrons.
J.J. Thomson
Wilson a ensuite porté son attention sur les électroscopes, avant de revenir « augmenter l’efficacité de la méthode de condensation » en 1910. Dire qu’il a réussi serait un euphémisme. Son idée de départ était d’étudier les flots d’ions produits par l’effet photoélectrique de Lenard dans une chambre à brouillard. 65
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Le physicien américain Robert Millikan (1868-1953), qui, en 1908, avait mesuré la charge de l’électron en utilisant des gouttes d’huile plutôt que d’eau, avait aussi étudié avec succès l’explication d’Einstein sur les photons. Wilson s’est donc tourné vers son second but : visualiser avec une chambre à brouillard le chemin des radiations alpha et bêta de Rutherford.
Je pensais que les alphas et bêta chargés condenseraient l’eau en traversant la chambre, et je fus ravi de voir des petites
mèches et des fils de brouillard lors de mes tests.
Wilson put aussi photographier les traces laissées par les radiations. En 1923, il a perfectionné le premier trajectographe à particule, qui a joué un rôle crucial dans l’étude des rayons cosmiques récemment découverts. Il partagea, en 1927, le prix Nobel de physique « pour sa méthode pour rendre visibles les trajectoires des particules électriquement chargées en condensant de la vapeur ».
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Sur la trace des rayons cosmiques Les chambres à brouillard devinrent rapidement l’équipement indispensable pour tous les laboratoires de physique de par le monde. (En dehors de leur intérêt physique, elles sont aussi particulièrement belles, si vous en avez l’occasion, essayez d’en voir une en fonctionnement.) En plus de suivre la trace des sources radioactives, elles permettent d’étudier les rayons cosmiques en détail. Dmitri Skobeltsyn (1892-1990) a effectué de nombreuses études novatrices dans le domaine.
Comme on l’a déjà vu, les particules chargées se déplaçant dans un champ magnétique subissent une force proportionnelle à leur vitesse. Cela courbe leur trajectoire.
En plaçant une chambre à brouillard dans un champ magnétique, puis en photographiant les traces courbées obtenues, on peut mesurer le moment p des rayons cosmiques.
–
B +
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Classiquement, le moment d’une particule est sa masse multipliée par sa vitesse.
L’orientation de la courbe par rapport au champ magnétique donne aussi le signe de la charge de la particule : positive ou négative. En 1929, j’ai vu des traces qui semblaient avoir la masse de l’électron, mais qui s’incurvaient dans la mauvaise direction.
À l’Institut de technologie de Californie (Caltech), Millikan a créé un groupe de recherche sur l’étude des rayons cosmiques. Les rayons cosmiques étaient particulièrement intéressants car ils étaient une source naturelle de particules ayant des énergies bien plus importantes que celles venant de la radioactivité.
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Carl David Anderson (1905-1991) était l’un des membres de ce groupe, qui a, avec Millikan, conçu et construit une chambre à brouillard placée dans un champ magnétique 40 000 fois plus important que celui de la Terre. Il a aussi positionné une plaque de plomb de 6 mm divisant la chambre en deux parties, afin de limiter l’ambiguïté sur la direction de la trace photographiée : les particules perdent de l’énergie en traversant le plomb, diminuant leur moment, et augmentant donc la courbure de la trace.
En 1932, j’ai présenté le résultat d’une analyse minutieuse de 1 300 photographies de rayons cosmiques. Quinze images montraient des particules ayant la masse d’un électron, mais la charge d’un proton.
Cela, sans le travail d’un autre héros de la physique quantique qu’est Paul Dirac, aurait déconcerté les physiciens, pour qui les seules particules chargées existantes étaient l’électron négatif et le proton positif.
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La théorie quantique des champs Paul Dirac (1902-1984) était un physicien anglais qui avait déjà fait parler de lui en 1925 avec son interprétation de la mécanique matricielle* d’Heinserberg et de la mécanique ondulatoire* de Schrödinger comme deux cas particuliers d’un modèle mathématique plus large. À Copenhague (et plus tard à Göttingen), il s’est penché sur l’absorption et l’émission de radiations électromagnétiques.
En 1925, Max Born, Pascual Jordan et moi avons brisé les champs électromagnétiques classiques de Maxwell en morceaux (ou quanta) d’énergie fixe…
Born
… comme Einstein l’avait fait avec les ondes lumineuses…
Jordan
… sauf que maintenant, chaque point de l’espace a un morceau
Heisenberg
d’énergie associé, qu’on voyait comme un ensemble infini de minuscules ressorts (d’oscillateurs harmoniques, pour être précis).
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J’ai fait entrer la matière, et en particulier les électrons, dans l’équation pour compléter la première théorie des champs en 1927.
Dirac
Dans la théorie de Dirac, on pouvait changer le nombre de particules impliquées dans une interaction, ce qu’on ne pouvait pas faire avec, par exemple, l’équation des ondes de Schrödinger. La matière pouvait maintenant mathématiquement être créée ou détruite. De manière plus fondamentale, la lumière et la matière n’avaient maintenant plus besoin d’être vues comme des ondes ou bien comme des particules : tout pouvait être vu comme des perturbations d’un nombre infini d’ensemble d’un nombre infini de petits ressorts, oscillant pour représenter les mouvements d’énergie dans l’univers sous toutes ses merveilleuses formes.
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L’étonnante équation de Dirac Le traitement équivalent des électrons et des photons comme des champs quantifiés va aussi bien avec l’idée de Louis de Broglie (1892-1987).
Dans ma thèse, en 1924, j’ai mis en avant l’hypothèse que la matière devait aussi se comporter comme une onde…
La preuve expérimentale de cela vint de Joseph Davisson (1881-1958) et G.P. Thomson (1892-1975), le fils de J.J. Thomson, environ 30 ans après que son père ait démontré que les électrons étaient des particules. Mais, maintenant que la dualité onde-corpuscule pouvait être mise de côté, un problème plus important venait de la relativité restreinte d’Einstein.
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Les équations des premiers théoriciens quantiques n’étaient pas des invariants relativistes : on ne pouvait pas passer d’un cadre de référence à un autre de manière à garder la vitesse de la lumière constante (lire Introduction à la Relativité). Les équations n’avaient pas une forme le permettant.
On pensait qu’il était impossible d’utiliser des équations avec la bonne forme, mais j’ai tout de même essayé.
J’ai trouvé des solutions possibles en utilisant l’algèbre matricielle de la mécanique quantique pour décrire les champs quantifiés.
L’équation de Dirac fut une immense réussite pour la physique. Il avait uni deux nouveaux et passionnants domaines de la physique : la mécanique quantique et la relativité restreinte. Le fait que l’électron ait un spin quantique sortait automatiquement de l’algèbre.
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L’antimatière L’équation des ondes de Schödinger ne pouvait pas faire autant que celle de Dirac. L’équation de Dirac prédisait aussi la bonne valeur du moment magnétique de l’électron : la caractéristique de l’électron qui détermine la force qu’exerce sur lui un champ magnétique. Mais, plus étonnant, la solution de l’équation de Dirac suggère l’existence d’une particule « miroir » de l’électron, avec une charge opposée.
J’ai cru au début que ça pourrait être le proton, mais elle devait avoir la même masse que l’électron chargé négativement.
J’ai ensuite envisagé l’existence d’une mer infinie de particules « d’énergie négative », et les creux dans cette mer ressembleraient à des électrons chargés positivement.
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Anderson
Bien entendu, je compris que les traces sur les photographies avec la bonne masse mais une courbure inversée étaient une nouvelle particule : les anti-électrons, ou positrons.
Dirac partagea le prix Nobel de physique en 1933 avec Schrödinger « pour la découverte d’une nouvelle forme fructueuse de théorie atomique », pendant qu’Anderson eut la moitié du prix de 1936 « pour sa découverte du positron » (Hess ayant l’autre moitié). La réunion des rayons cosmiques à haute énergie, des chambres à brouillard de Wilson, et de cette nouvelle vision de la lumière et de la matière a donné la première différence importante avec les particules « de tous les jours » : l’antimatière. 75
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L’électrodynamique quantique La théorie quantique des champs de Dirac prédisait l’existence de l’antimatière, mais faisait aussi beaucoup plus. Par exemple, lorsque deux électrons, chargés négativement, se repoussent, on peut voir cela, du point de vue de l’échange de moment entre les électrons, en termes d’un photon passant de l’un à l’autre (un photon virtuel, pas un réel photon, il n’y a pas de lumière). La théorie montre aussi qu’un électron et un positron, matière et antimatière, peuvent être produits juste par un photon ; une merveilleuse preuve de l’équivalence entre la matière et l’énergie dont parle Einstein. Le mécanisme permettant cela a été testé par Patrick Blackett (1897-1974) et Guiseppe « Beppo » Occhialini (1907-1997).
Nous avions également observé des productions de paires électron-positron au laboratoire Cavendish en 1932, mais nous étions trop prudents pour le publier.
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Blackett a tout de même remporté un prix Nobel pour son travail sur les chambres à brouillard. Il a développé un système où l’appareil photographique était contrôlé par un compteur de radiation séparé, de telle sorte que les rayons cosmiques se photographient eux-mêmes.
C’était le premier exemple de système de déclenchement automatique pour un détecteur de particules.
Un travail plus approfondi a permis aux physiciens de comprendre et de faire des calculs sur les « cascades » électromagnétiques : les rayons cosmiques de basse énergie forment une cascade de photons qui produisent des paires d’électron-positron, qui produisent chacun des photons, qui produisent plus de paires d’électron-positron… vous voyez l’idée. 77
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La théorie quantique des champs a fait plusieurs belles prédictions qui ont pu être testées expérimentalement. Ce qui était particulièrement agréable, c’est qu’elle pouvait améliorer les calculs en prenant en compte de nombreux processus différents qui devaient entrer en jeu au même moment et changer le résultat final. Ce qui était particulièrement désagréable est que cela conduisait régulièrement à l’apparition d’infinis mathématiques dans les résultats finaux. Hans Bethe (1906-2005) trouva un moyen de contourner cela pendant un voyage en train en 1947, il a simplement absorbé les infinis gênants dans des quantités mesurables qu’on savait expérimentalement être finies.
Ce tour mathématique s’appelle la renormalisation, et représente une base de la théorie quantique des champs avec une infinité de degrés de liberté de la force électromagnétique.
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L’électrodynamique quantique (EDQ) fut pour la première fois décrite dans la littérature scientifique par Sin-Itiro Tomonagag (1906-1979), Julian Schwinger (1918-1994) et Richard P. Feynman (1918-1988).
Je devais faire plus, bien sûr. Non seulement, j’ai utilisé une formulation mathématique différente des deux autres, mais j’ai trouvé un moyen de faire les calculs en utilisant des images. Bien plus drôle !
Drôles ou non, les « diagrammes de Feynman » sont en correspondance directe avec l’algèbre complexe de l’EDQ. Freeman Dyson (1923-..) a montré que les formulations étaient équivalentes. Les calculs permis par l’EDQ donnent les prédictions les plus précises mesurables par l’expérience ; un triomphe total pour la physique théorique et expérimentale : l’esprit et la matière en parfaite harmonie. Mais certaines mesures étranges sur des rayons cosmiques clouent l’EDQ au sol avant qu’elle ne puisse prendre son envol. 79
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L’EDQ menacée Les calculs impliquant des cascades électromagnétiques de rayons cosmiques pouvaient être confrontés à ce qu’on observait dans les chambres à brouillard. Carl Anderson apporta sa chambre à brouillard au sommet d’une montagne et, avec son étudiant Seth Neddermeyer (1907-1988), fit ces mesures quand il remarqua des traces incurvées qui ne se comportaient pas comme prévu.
Au début, on expliqua cela par une limitation de la théorie quantique des champs ne fonctionnant plus à haute énergie, mais j’ai aussi vu des traces à des énergies où la théorie fonctionnait bien auparavant.
Les résultats pouvaient s’expliquer par l’existence d’une nouvelle particule chargée avec une masse plus grande que celle de l’électron libre, mais plus petite que celle du proton.
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Plutôt que de rejeter la nouvelle théorie des champs de l’électromagnétisme, d’autres firent des mesures plus précises de cette « radiation pénétrante ».
Si vous connaissez l’énergie et le moment d’une particule, vous pouvez trouver sa masse à partir de la version complète de l’équation bien connue d’Einstein : E = mc2 (énergie = masse × vitesse de la lumière au carré).
La masse obtenue était approximativement 130 fois celle de l’électron (un peu plus de la moitié de la masse qui sera mesurée plus tard) ; bien entre les masses de l’électron et du proton. Une nouvelle particule avait été découverte. Curieusement, la théorie quantique des champs a montré que ce n’était pas réellement inattendu… mais cela ne s’est pas fait aussi simplement qu’avec le positron.
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Les mésons En appliquant la théorie quantique des champs à la question de ce qui retenait ensemble les protons et les neutrons dans le noyau, le théoricien Hideki Yukawa (1907-1981) a émis l’idée qu’une nouvelle particule devait porter la force nucléaire qui empêchait les protons chargés positivement de s’éloigner. Tout comme le photon portait la force électromagnétique, cette nouvelle particule porterait l’importante force nucléaire. Contrairement au photon, elle aurait une masse comme elle ne pouvait, apparemment, agir qu’à la minuscule échelle du noyau (la force électromagnétique, d’un autre côté, a une portée infinie car le photon n’a pas de masse).
J’ai calculé que la masse devait être quelque part entre l’électron et le proton, et je l’ai finalement appelée un méson (Heisenberg, dont le père enseignait le grec, a corrigé ma première proposition : « mésotron »). 82
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Le méson de Yukawa était un candidat évident pour être la nouvelle particule détectée par Anderson et Neddermeyer, mais cela aurait été trop simple. Des prédictions suivantes par Tomonaga et d’autres montrèrent que le méson devrait interagir différemment avec la matière suivant sa charge. Ceci a été confirmé par certaines mesures sur des rayons cosmiques, mais infirmé par d’autres. De quoi nous laisser perplexe. La solution fut apportée par un groupe dirigé par C.F. Powell (1903-1969) de l’université de Bristol. Ils ont amélioré la technique en utilisant des plaques à émulsion capables de jouer à la fois le rôle de chambre à brouillard et de photographie.
Les particules prennent et développent maintenant leurs propres photographies.
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Les pions et les muons Ces émulsions permettaient non seulement des mesures plus précises des traces, mais elles étaient aussi plus simples à transporter. Les chasseurs de particules n’avaient plus besoin de trainer une chambre à brouillard jusqu’au sommet d’une montagne baignée de rayons. De fait, en 1947, le physicien brésilien et membre de groupe de Bristol César Lattes (1924-2005) est monté au pic Chacaltaya, à 5 200 m, dans les Andes avec quelques émulsions. Cette expédition et quelques missions préalables dans les Pyrénées ont identifié deux particules distinctes : le pion chargé et le muon.
En fait, on a vu que le pion se désintégrait en un muon. Leurs masses étaient assez proches pour pardonner la confusion initiale, et le pion a été identifié comme le méson de Yukawa.
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Yukawa reçut le prix Nobel de physique en 1947, et Powell celui de 1950. Anderson et Neddermeyer n’eurent rien ce coup-ci. Alors que le pion était prédit par la théorie quantique des champs (nucléaire), le muon sortait de nulle part. Isidor Isaac Rabi (1898-1988), qui a découvert la résonnance magnétique nucléaire, avait déclaré au sujet du muon :
Qui a commandé cela ?
Et comme on le verra plus tard, on n’en est toujours pas sûr. 85
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L’aube de l’âge des accélérateurs On n’est pas encore au bout de l’histoire des pions. Des arguments mathématiques reposant sur la symétrie ont conduit Nicholas Kemmer (1911-1998), un chercheur de l’Imperial College de Londres, à émettre l’idée qu’il devait aussi y avoir une version neutre du méson nucléaire de Yukawa. Une telle particule serait un bon candidat comme source de photons dans les cascades des rayons cosmiques à basse énergie : un pion neutre se désintégrerait en deux photons.
Cependant, ils seraient durs à trouver dans une chambre à brouillard ou sur une émulsion comme ils n’ionisent rien, de même pour leurs enfants photons.
Trouver des preuves de l’existence du pion neutre demande une approche différente qui changerait profondément la nature de la physique des particules, et signale le début de la fin du règne des chasseurs de particules.
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Les sources naturellement radioactives étaient nécessaires au développement de la physique atomique et nucléaire. Cependant, elles ne pouvaient donner un aperçu uniquement de la matière naturelle. Les rayons cosmiques, d’un autre côté, donnaient aux chasseurs de particules assez patients l’accès à des énergies assez importantes pour trouver des nouvelles particules exotiques. Souvenez-vous d’Einstein : plus d’énergie, plus de masse. Le problème, c’est que cela plaçait les chasseurs de particules à la merci du cosmos. Ils devaient faire avec ce que l’univers leur donnait.
On pouvait augmenter nos chances en s’approchant un peu plus de l’espace, mais ce que les physiciens voulaient réellement, c’était le contrôle.
Alors ils se mirent à construire des machines pour faire leurs propres rayons cosmiques.
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En principe, c’était simple. Comme on l’a vu, des particules chargées sont soumises à une force quand elles sont placées dans un champ électrique ; cette force les accélère, leur donnant plus d’énergie. Tout ce que cela demandait était un champ électrique avec un voltage assez important. Les premiers accélérateurs, le fameux générateur de Van de Graff et la machine de John Cockroft (1897-1967) et Ernest Walton (1909-1995) pouvaient atteindre des centaines de milliers de volts.
Un électron-volt est l’énergie gagnée par un électron se déplaçant à travers une différence de potentiel d’un volt.
Quand ils accélérent des particules, les physiciens parlent d’énergie en termes d’électron-volt, de symbole eV.
La machine de Cockroft-Walton au laboratoire Cavendish a été utilisée en 1932 pour créer la première désintégration nucléaire artificielle ; apportant au duo le prix Nobel de Physique de 1951. 88
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Le cyclotron et le synchrocyclotron Mais la machine de Cockroft-Walton était une merveille à un seul coup, les particules accélérées n’avaient qu’une occasion de subir la force. Pour parvenir à des énergies plus importantes, Ernest Lawrence (1901-1958) de l’université de Californie, à Berkeley, a développé un accélérateur, en 1932, qui utilisait un champ magnétique pour tordre la trajectoire des particules accélérées autour de lui-même : le cyclotron.
En appliquant une différence de potentiel alternative entre les deux « D », les particules auraient deux accélérations par tour.
Le premier cyclotron de Lawrence faisait 10 centimètres de diamètre et pouvait tenir facilement sur un banc. Ils deviendront plus gros, bien plus gros.
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C’est un Synchrocyclotron de 4,68 mètres qui fut utilisé à Berkeley pour obtenir une preuve indirecte de l’existence d’un pion neutre. Il fut mis en marche en 1984 et pouvait accélérer des protons à un colossal 350 millions d’électron-volts (350 MeV).
Mon synchrocyclotron ajustait la fréquence des accélérations électriques pour prendre en compte l’augmentation de la masse de la particule avec la vitesse, un effet relativiste. Edwin McMillan (1907–91)
En 1950, la machine fracassait des protons contre une cible de carbone et de béryllium. On pouvait changer l’énergie du proton ; et au-dessus de l’énergie correspondant à la masse de l’hypothétique pion neutre, des protons étaient, comme prévu, produits.
C’est un principe fondamental de la physique des particules : pour créer une nouvelle particule, on doit fournir assez d’énergie pour faire sa masse. 90
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Le synchrotron Les chasseurs de particules n’étaient pourtant pas encore dépassés, la même année un groupe de Bristol utilisait des émulsions envoyées dans des ballons pour observer le même processus. Les deux résultats reposaient sur le fait de trouver les photons se convertissant en une paire électron-positron ; ce qui rendait difficile d’observer à la fois les deux photons issus de la désintégration d’un pion. Bien entendu, à ce niveau, le groupe de Berkeley avait construit un autre accélérateur, plus gros. Le synchrotron à électron pouvait produire des faisceaux collimatés* de rayons X à une énergie donnée à partir de ces faisceaux d’électrons. Les synchrotrons faisaient varier leur champ magnétique pour conserver les électrons dans le tube du faisceau plutôt que de les faire aller en spirale depuis le centre du synchrotron. Les résultats de cette expérience montrèrent des photons produits par paire, en accord avec la prédiction du pion neutre.
Cette découverte complétait le tableau des mésons, mais, plus important, ce fut la première particule à être découverte avec un accélérateur. La première d’une longue lignée.
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Avant que la confusion entre muon et pion ne soit élucidée, il y a eu quelques avancées étranges du côté des rayons cosmiques. Pendant et après la Deuxième Guerre mondiale, il y avait cinq groupes importants travaillant sur les rayons cosmiques, à l’École polytechnique à Paris, et dans les universités de Bristol, Manchester, Caltech et Berkeley. En 1943, Louis Leprince-Ringuet (1901-2000) de l’École polytechnique a découvert, en travaillant dans les Alpes françaises, une particule de masse trois fois plus importante que celle du pion, mais de la moitié de celle du proton. En 1947, George Rochester (1908-2001) et Clifford Butler (1922-1999) du groupe de Manchester trouvent quelque chose tout aussi étrange.
On a pris deux photos de chambre à brouillard montrant des traces distinctes en fourche, ou en V. Cela montrait qu’il y avait des particules lourdes et instables qui se désintégraient dans les pions récemment découverts.
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Ils avaient ouvert une grande boîte de Pandore emplie de particules. Des événements similaires montrant des particules instables ont été trouvés par les équipes de Bristol et Caltech ; d’autres nouvelles désintégrations ont été découvertes en 1951 quand le groupe de Manchester apporta sa chambre à brouillard au Pic-du-Midi, dans les Pyrénées. Il fallut une grande conférence entre les groupes, organisée par Blackett et Leprince-Ringuet, à Bagnères-de-Bigorre, en juillet 1953, pour rassembler les résultats et présenter un tableau cohérent des découvertes.
Cette conférence fut pour la physique des particules ce que le congrès de Solvay de 1927 fut pour la physique quantique.
Mais en exposant clairement les différentes désintégrations, les chasseurs de particules ont donné aux physiciens des accélérateurs une liste consistante des désintégrations et particules à chercher. 93
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Cosmotron, Bevatron et G-Stack Le Cosmotron du Brookhaven National Laboratory sur Long Island, avec ses 23 mètres de diamètre et ses 3 milliards d’électron-volts a rapidement reproduit et étendu les résultats de la conférence. Comme son nom l’indique, il a été construit pour produire des rayons cosmiques dans le laboratoire. En 1954, Berkeley riposte avec le Bevatron, une machine de 55 mètres de diamètre et 6 milliards d’électron-volts. Parallèlement à la bataille entre ces deux colosses, les chasseurs de particules entrèrent dans la mêlée pour un dernier tour de piste : la collaboration G-Stack, comprenant des physiciens des rayons cosmiques de toute l’Europe, organisa une série de vols en ballon pour exposer aux rayons des litres et des litres d’émulsion à une altitude allant jusqu’à 30 kilomètres.
Non seulement, on a obtenu des résultats égalant ceux des accélérateurs, mais c’était aussi la première collaboration internationale entre des institutions.
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Des temps étranges La science repose sur la confirmation des résultats par différentes sources indépendantes, et les découvertes étaient cohérentes : il y avait quelque chose d’étrange avec ces nouvelles particules instables. Certaines des désintégrations prévues par les théories de l’époque avaient lieu comme prévu, mais d’autres non : la nature supprimait certaines réactions, et faisait que certaines étaient bien plus lentes que prévu par la théorie. Murray Gell-Mann (1929-..), un théoricien américain, découvrit que si l’on appelait littéralement certaines des particules « étrange » (ou plutôt si on leur assignait une propriété « étrangeté »), les schémas et les vitesses de désintégration correspondaient.
Les détails prendront sens quand on parlera du modèle standard des particules, plus tard.
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Les physiciens détestèrent l’idée presque autant que le nom « étrangeté », mais il a tenu : on ne pouvait mettre en cause les résultats expérimentaux. Pendant ce temps, de nouvelles particules n’arrêtaient pas d’être découvertes. Une percée dans la technologie des détecteurs a permis cela : les chambres à bulles de Donald Glaser (1926-..), dans lesquelles les particules chargées laissent une traînée photographiable de bulles dans un liquide surchauffé. En utilisant un principe similaire aux chambres à brouillard, elles permettaient des mesures bien meilleures des désintégrations des particules étranges à faible durée de vie.
Cependant, il fallait savoir exactement quand détendre le liquide : simple dans une expérience d’accélérateur, mais presque impossible avec des rayons cosmiques.
Glaser remporta le prix Nobel de Physique de 1960 pour l’invention de la chambre à bulle, mais il a planté le dernier clou dans le cercueil des chasseurs de particules.
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Le zoo à particule Le Bevatron continua en découvrant l’anti-proton et l’anti-neutron. L’observation de résonances dans les sections efficaces de production (les particules existent pour un temps si court, 10–23 secondes, que le seul moyen de déduire leur existence est une augmentation de l’activité à une énergie de collision correspondant à leur masse) a permis la découverte d’un véritable zoo de nouvelles particules.
La liste des particules « élémentaires » connues s’allongeait tellement que le domaine risquait de développer un niveau de complexité proche de la biologie.
Gell-Mann et d’autres travailleront à organiser le zoo, mais avant de voir comment, on doit parler d’un gros défaut de l’histoire racontée jusqu’à présent.
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Le neutrino Auparavant, on disait que le proton, neutron, électron et photon nous donnaient toutes les particules utiles pour la chimie, la biologie et pour toutes les merveilleuses sciences qui en découlent. En fait, le puzzle atomique a besoin d’une autre pièce pour décrire l’ensemble des phénomènes « de tous les jours », en supposant qu’on inclut la radioactivité dans la catégorie « de tous les jours ». On a besoin du neutrino. Les désintégrations radioactives bêta de Rutherford ont été identifiées par Becquerel en 1900 comme l’émission par le noyau d’un électron. Cependant, les mesures de l’énergie de l’électron éjecté laissèrent les physiciens perplexes : elle variait continûment entre les électrons, laissant croire que l’énergie et le moment n’étaient pas conservés dans les désintégrations bêta. Cela violait un des principes fondamentaux de la physique.
? ? ? ? ν ? ? ? C’était si étrange que j’ai émis l’idée que l’énergie n’était peut-être conservée qu’en moyenne.
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La force faible Wolfgang Pauli (1900-1958) est intervenu en apportant l’hypothèse : « c’est étrange, c’est sûrement une nouvelle particule » en 1930. Enrico Fermi (1901-1954) s’est servi de cette nouvelle particule supposée et du neutron récemment découvert pour développer une théorie quantique des champs de désintégration bêta. Et il baptisa la particule légère et indétectable de Pauli : le neutrino.
Dans mon cadre de travail, un neutron peut se désintégrer en un proton, un électron et un neutrino.
Le problème était que, par rapport aux autres interactions dans le noyau, c’était une interaction très faible. De manière très imaginative, les physiciens appelèrent cette nouvelle force « la force faible ».
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Non seulement la force faible expliquait la radioactivité, mais elle aidait aussi les physiciens des rayons cosmiques. On comprit que les pions chargés se désintégraient, par la force faible, en muons et neutrinos. Les neutrinos ne pouvaient tout simplement pas être détectés. De la même manière, les temps de vie plus longs que prévus dans les désintégrations des quarks étranges prenaient sens si l’on supposait avoir une interaction faible plutôt qu’une interaction nucléaire forte. Les physiciens des rayons cosmiques ont renvoyé l’ascenseur : le résumé de l’énigme tau-thêta par Richard Dalitz (1925-2006) à la conférence de Bagnères-de Bigorre en 1953 apporta la justification d’un changement de paradigme qui secouera la physique jusqu’à son noyau.
L’énigme tau-thêta était la suivante : le tau (d’après la nomenclature de l’époque) était une nouvelle particule lourde qui se désintégrait en trois pions, pendant que le thêta (encore son nom de l’époque) se désintégrait en deux.
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La parité Cependant, le tau et le thêta avaient la même masse, charge et durée de vie. En termes de particule, elles étaient identiques, sauf sur un point : leur parité. La parité d’une particule peut être comprise en s’intéressant à quoi elle ressemblerait en la regardant dans un miroir. Une balle sphérique resterait identique, elle est invariante suivant des transformations de parité. Mais un gant gauche, par exemple, se transformerait en un gant droit ; on dit qu’il change de parité.
C’est en fait plus précis d’y penser comme de retourner le gant en faisant passer l’intérieur vers l’extérieur.
La parité était conçue comme une symétrie fondamentale de la nature ; et pourquoi pas ? Pourquoi les lois de la nature devraient-t-elles être différentes suivant la parité des choses ?
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Si le tau et le thêta étaient la même particule, cela serait comme dire qu’un gant gauche devenait magiquement un gant droit : les états finaux à deux ou trois pions ont des parités différentes. Si c’était la même particule, cela voudrait dire que la symétrie n’était pas respectée et que la parité n’était pas conservée dans l’univers. Deux théoriciens, Tsung Dao Lee (1926-..) et Chen Ning Yang (1922-..) ont eu l’idée d’examiner les éléments en faveur de la conservation de la parité. Ils ont découvert que, de manière surprenante, il n’y en avait aucun dans le cas de l’interaction faible. Ils ont suggéré à leur amie, Chien-Shiung Wu (1912-1997), de faire une expérience permettant de mesurer directement la violation de parité.
J’ai utilisé les désintégrations bêta de cobalt-60 cryogénisé dans un champ magnétique pour montrer qu’ils avaient raison et que la parité n’était pas conservée dans les interactions faibles 1.
La confirmation de ce résultat étonnant a été apportée par d’autres groupes qui avaient entendu parler de l’idée mais avaient attendu que Wu publie ses résultats pour faire de même. Lee et Yang reçurent le prix Nobel de Physique en 1957 pour leur idée inspirée.
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La violation de parité résolvait l’énigme tauthêta et conduisait à une amélioration de la théorie de Fermi des désintégrations bêta. Mais le plus étonnant était que cela montrait que les lois de la physique changeaient si vous êtes droitier ou gaucher (enfin, si vous êtes une particule). Une symétrie supposée fondamentale de l’univers avait été brisée.
Cependant, la théorie de Fermi n’expliquait pas pourquoi la force faible était si… faible.
Elle ne pouvait pas non plus être renormalisée comme la très fructueuse EDQ.
Bien sûr, il restait encore du travail à faire ; un travail qui prendra encore 50 ans, mais qui conduira, au final, à notre compréhension actuelle de comment la matière et les forces interagissent au niveau fondamental : le modèle standard de la physique des particules. 103
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Le modèle standard Le modèle standard de la physique des particules est l’une des plus belles réussites de la science du xxe siècle. On pourrait peut-être s’attendre à un nom plus exaltant, comme l’élégante électrodynamique quantique (EDQ) ou la théorie évocatrice du « Big Bang » en cosmologie. En décomposant son nom en ses composants, on peut l’expliquer. « Modèle », en physique théorique, a un sens particulier : un modèle est une équation spécifique de théorie quantique des champs utilisée pour décrire un ensemble donné de forces et de matière. « Standard » est assez simple à justifier : sa capacité à décrire les interactions de la matière lui a permis de gagner la reconnaissance étendue qu’il a parmi les physiciens des particules.
Le modèle standard décrit, sous la forme d’une équation, tout ce qu’on a pu observer jusqu’à présent ; il mérite donc réellement le nom de modèle standard.
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La matière et les forces sont représentées, dans le modèle, comme des termes de cette équation. Il y a des termes pour les particules de matière, les fermions, qui ont un spin quantique intrinsèque d’un demi. Et il y a des termes pour les particules transportant les forces, les bosons, qui ont un spin entier (les photons ont par exemple un spin de un). Il y a des termes qui représentent les interactions entre la matière et les forces. Et il y a dixneuf constantes physiques qui doivent être mesurées avec des données expérimentales, et qui déterminent des propriétés comme la masse des particules, ou la force des interactions (il faut bien donner quelque chose à faire aux expérimentateurs).
Il est important de noter que cette équation gargantuesque n’a pas été écrite en une simple razzia sur un tableau, stimulée par du café. Il a fallu des décennies pour la mettre au point.
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Le modèle a ses limites. Il ne peut décrire la gravité, la première des quatre forces fondamentales de la nature à avoir été découverte. Certains pourraient dire qu’avoir dix-neuf constantes arbitraires dans un modèle c’est en avoir dix-huit de trop pour une belle « Théorie du Tout ». La pièce finale du puzzle vient peut-être juste d’être trouvée, mais comme nous le verrons à la fin du livre, les développements dans la physique des neutrinos montrent qu’on doit probablement déjà réfléchir à un tout nouveau puzzle. Mais pour l’instant, le modèle standard reste notre meilleure Théorie du Tout.
C’est un magnifique casse-tête mathématique qui a été assemblé et testé avec attention pendant un demisiècle par des centaines sinon des milliers de physiciens des particules.
Regardons chaque pièce du puzzle telle qu’il est maintenant connu. 106
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Les quarks On avait laissé les physiciens des accélérateurs aux prises avec le zoo de particules des années 1950. De nouvelles particules continuaient d’apparaître partout. Dans son discours pour le prix Nobel de 1955, Willis Lamb (1913-2008) avait commencé avec cette pique :
J’ai entendu dire que « le découvreur d’une nouvelle particule élémentaire était récompensé par un prix Nobel, mais une telle découverte devrait maintenant être punie d’une amende de 10 000 dollars. »
Heureusement, Gell-Mann et (travaillant indépendamment) Yuval Ne’eman (1925-2006) ont découvert un autre motif dans les particules. En rangeant les particules en groupes déterminés par leur spin quantique, leur étrangeté et leur charge, un peu d’ordre revenait. Certains trous restaient dans cette réorganisation, montrant des particules encore inconnues, qui ont par la suite été découvertes. 107
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En 1962, Gell-Mann utilisa la Voie octuple* pour prédire l’existence de la particule étrange Omega, qui a été découverte en 1964 à Brookhaven par l’Alternating Gradient Synchrotron (AGS).
la voie octuple
De nos jours les accélérateurs ont été bâtis autre part, notamment au « Conseil européen pour la recherche nucléaire », le CERN. Fondé par douze nations européennes en 1954, son but était d’utiliser une collaboration internationale pour rendre la recherche européenne compétitive avec celle des États-Unis. Son premier accélérateur, le synchrocyclotron, a vite laissé la place au Proton Synchrotron atteignant 28 milliards d’électron-volts. 108
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La voie octuple était le précurseur de quelque chose de plus fondamental. Gell-Mann et (toujours de manière indépendante) George Zweig (1937-..), un ancien étudiant de Feynman, ont compris que le principe d’organisation de la voie octuple, une symétrie, pouvait être expliquée si les particules découvertes n’étaient en fait pas élémentaires, mais faites de particules plus petites.
Je les ai appelées
« quarks ». Je les ai appelées
« as ».
Le choix de Gell-Mann l’emporta.
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Haut, bas, charme et étrange Au début, il y avait trois quarks. On avait les quarks « haut » et « bas » [ndt : « up » et « down » en anglais, notés « u » et « d »]. On les a baptisés d’après leur spin quantique. Un proton est fait de deux hauts et d’un bas ; un neutron de deux bas et d’un haut. Il existe aussi leur pendant en antimatière : les pions chargés sont faits d’un haut et d’un anti-bas, ou d’un bas et d’un anti-haut. Et puis il y avait le quark « étrange ». « L’étrangeté » d’une particule était simplement une mesure du nombre de quarks étranges la composant ! Le quark étrange avait une masse plus importante que les quarks hauts et bas, expliquant pourquoi les particules étranges étaient plus lourdes. Le baryon Omega* était fait de trois quarks étranges (les baryons contiennent trois quarks ou trois anti-quarks).
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Cela ne s’est pas arrêté là. Le travail de Sheldon Glashow (1932-..) et James Bjorken (1934-..) en 1964, et ensuite de Glashow, John Iliopoulos (1940-..) et Luciano Maiani (1941-..) montrèrent que l’existence d’un quatrième quark, le « charme » expliquerait pourquoi certaines interactions faibles n’étaient pas observées. En 1974, des équipes concurrentes de l’AGS de Brookhaven et du collisionneur électron-positron SPEAR à l’accélérateur linéaire de Stanford (SLAC) utilisèrent des énergies plus importantes pour découvrir la particule J/Psi. Un nouveau déluge de particules contenant le quark charme, encore plus lourd, a été découvert dans ce qui a été appelé « la Révolution de novembre ».
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Charge-Parité Est-ce que quatre quarks suffisent ? Apparemment non. Pour voir pourquoi on doit revenir au concept de parité. Alors que les physiciens étaient sous le choc de la non-conservation de la parité dans l’univers, ils se sont rassurés en pensant que la combinaison de la charge et de la parité donnerait une nouvelle symétrie qui serait conservée – charge-parité, ou CP, en abrégé.
Une particule chargée positivement vue dans un miroir « de charge » apparaîtrait négative, cela serait sa particule d’antimatière associée.
Exactement comme un gant gauche ressemblerait à un gant droit dans un miroir « de parité ».
Dans un miroir charge-parité, aussi bien la charge que la parité sont échangées. Un univers qui suit la symétrie CP ne se soucierait pas que vous soyez droitier ou gaucher, tant que vous avez aussi la bonne charge. 112
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Les physiciens étaient heureux comme ça jusqu’à ce qu’en 1964, James Cronin (1931-..) et Val Logsden Fitch (1923-..) montrent avec leurs expériences avec des kaons neutres (les kaons sont comme des pions avec un quark étrange) que la symétrie charge-parité était aussi brisée¹. Cela laissa les physiciens dans un sacré pétrin : on savait que les lois de la physique étaient différentes pour la matière et l’antimatière. Pourquoi cela est l’un des plus grands mystères de la physique, et la réponse peut d’une certaine manière expliquer pourquoi nous vivons dans un univers fait de matière et non d’antimatière.
On pense que, quand une troisième symétrie, la direction du temps, est prise en compte, alors la symétrie est conservée : l’univers est invariant sous une transformation charge-parité-temps, ou CPT.
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Alors que le débat sur le pourquoi faisait rage, un mécanisme expliquant comment la violation de CP pouvait se produire a été proposé en 1973 par Makato Kobayashi (1944-..) et Toshihide Maskawa (1940-..) à partir d’une idée de Nicola Cabbibo (1935-2010).
La violation de CP pouvait s’expliquer si les quarks pouvaient être changés, sous l’effet de la force faible, en d’autres quarks ; mais ceci seulement si l’on ajoutait une autre génération de deux quarks encore plus massifs.
u
t
2
2
c
+3
+3
2
+3
1
1
d
-3
1
s
-3
b
-3
Cabbibo
Kobayashi
Grâce à cette prédiction, le quark beauté a été découvert par une équipe dirigée par Leon Lederman (1922-..) en 1977 alors que le quark vérité a dû attendre 1995 avant d’être enfin observé par deux expériences du collisionneur proton-antiproton du Tevatron. [Ndt : les quarks beauté et vérité sont appelés « beauty » et « truth » en anglais (ou même maintenant le plus souvent « bottom » et « top ») ; ils sont notés respectivement b et t.]
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Les quarks « beauté » et « vérité »
image de fond : ©2009 Phan
Ces deux découvertes ont été faites par le rival américain du Cern : Fermilab, près de Chicago. Il fut fondé par Robert Wilson (1914-2000) en 1967 au Laboratoire national de l’accélérateur (le préfixe « Fermi » fut ajouté en 1974 en l’honneur d’Enrico).
Wilson, qui a travaillé (et a été viré deux fois) sous la direction de Lawrence, à Berkeley, était un électron libre, mais il savait faire avancer les choses, et avec style. Il a aussi refusé d’utiliser le motif d’une application militaire pour obtenir le financement de plusieurs millions de dollars pour le laboratoire. Il déclara au Joint Committee on Atomic Energy du Congrès américain :
Cela n’a rien à voir avec la défense de notre pays ; à part le rendre digne d’être défendu. Il a aussi introduit un troupeau de bisons (encore présent) à Fermilab.
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Pendant ce temps, la preuve que les protons et les neutrons étaient bien faits de quarks a été faite par des expériences sur la diffusion profondément inélastique à SLAC, en 1968.
Similairement à l’expérience de Rutherford en 1911, des électrons étaient tirés sur des protons, et on observait des neutrons se diffusant conformément à ce qu’on attendait avec une cible faite de trois particules ponctuelles.
Le modèle des quarks n’était pas vraiment reconnu à l’époque ; donc les partons de Feynman ont été utilisés pour décrire ce comportement des noyaux ; mais la suite a montré que le modèle des quarks était bien le bon.
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Pour résumer : • Il y a six saveurs de quarks, organisées en trois générations.
• Chacun d’eux a un anti-quark associé. • Ils ont une masse, et la masse de chaque saveur est plus importante que la précédente.
• Ils ont une charge électrique, et sont donc soumis à la force électromagnétique.
• Ils interagissent via l’interaction faible, et c’est comme cela qu’ils passent d’une saveur à une autre :
u
d
2 +3
1 -3
c s
2 +3
1 -3
2 +-
t b
3
1 -3
Le zoo des particules est composé de diverses combinaisons de quarks et d’anti-quarks. Ce sont les hadrons, que l’on divise en deux catégories : les mésons* comme le pion ou le kaon sont faits d’une paire quark/anti-quark ; et les baryons*, comme le proton ou le neutron, le sigma ou l’oméga sont faits de trois quarks, ou de trois anti-quarks.
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La force forte et la CDQ La force forte, une des quatre forces fondamentales de la nature, maintient les quarks (ou anti-quarks) ensemble. La théorie quantique des champs correspondant à la force forte est la chromodynamique quantique (CDQ) et, comme l’EDQ, elle a son propre boson transportant la force – en fait, elle en a huit, mais c’est un peu plus compliqué. Pour qu’une particule interagisse avec la force électromagnétique, elle doit avoir une charge. Cela permet d’échanger des photons avec d’autres particules chargées. L’équivalent de la charge pour la force forte est appelé la « couleur ».
Pas au sens littéral, mais la force forte a trois couleurs (rouge, vert, bleu) et non un seul type de charge électrique. On pourrait appeler les trois types de charge « + », « £ » et « ! », mais l’analogie avec la couleur est intéressante quand on commence à les mélanger.
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g
Les gluons
Il n’y a qu’un type de charge électrique, et la charge négative est juste l’anti-charge de la positive ; donc avec la CDQ, on a aussi l’anti-rouge, l’anti-bleu et l’anti-vert. Les quarks ont des couleurs, et ils sont donc soumis à la force forte, ils peuvent échanger des gluons.
Les gluons sont les bosons transportant la force forte. Ce qui est étrange à leur sujet, c’est que contrairement aux photons, ils transportent euxmêmes la « charge » de la force forte, ils ont aussi des couleurs.
g
g
g g
g
g
g
g
Cela veut dire qu’ils peuvent interagir avec eux-mêmes ; ce qui crée deux scénarios particuliers : le confinement, et la liberté asymptotique. 119
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Le confinement Le confinement justifie le nom collant des gluons : l’interaction avec euxmêmes fait qu’il est complexe de séparer des quarks. Si vous essayez, cela demande moins d’énergie de simplement créer une nouvelle paire quark/anti-quark (un procédé appelé hadronisation) ; c’est pourquoi on ne voit jamais de quarks isolés.
C’est plutôt pratique, car les quarks ont des charges non entières (deux tiers pour ceux de type haut, et un tiers pour ceux de type bas), mais ils se combinent toujours de manière à avoir une charge entière, et pas de couleur globale.
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On a soit une couleur et l’anti-couleur associée – pour qu’elles s’annulent – ou alors un mélange des trois couleurs à la manière dont des lumières rouge, bleu et verte se combinent pour donner une lumière blanche. Mais ce n’est pas à prendre au sens littéral, ça n’a rien à voir avec les photons.
Liberté asymptotique La liberté asymptotique est une jolie façon de dire que, à haute énergie, la force forte devient plus faible. Encore une fois, cela nous garantit que l’on peut étudier la CDQ si l’on a un accélérateur assez gros. Cet aspect de la CDQ a été prédit indépendamment par David Politzer (1949-..) et David Gross (1941-..) et son étudiant Franck Wilczek (1951-..), ce qui leur a valu le prix Nobel de physique en 2004. Des preuves de l’existence des gluons ont été apportées par l’expérience PETRA à DESY (Deutsches ElektronenSynchrotron) en Allemagne.
© 2011 Bundes
Les collisions électron-positron produisent des événements avec des « jets » de particules, une pulvérisation de particules causée par l’hadronisation de deux quarks et d’un gluon isolé. 121
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Les leptons Comparés aux quarks et aux gluons, les leptons sont des bêtes bien plus simples. Comme les quarks, ce sont des fermions de spin un demi. On a déjà rencontré l’électron et le muon, qui appartiennent à la première et à la seconde génération de leptons chargés. Le troisième, le lepton tau, a été découvert par des expériences faites entre 1974 et 1977 par Martin Perl (1927-..) et ses collègues en utilisant le collisionneur SPEAR à SLAC.
Le tau a été complexe à trouver, il a une masse bien plus importante que ses cousins, et donc se désintègre bien plus rapidement après sa création ; son existence devait donc être déduite à partir de mesures très précises de ce qui allait manquer dans le détecteur.
τ
-
1,78 GeV/c2 Cela dit, en comparaison de la découverte des neutrinos, la découverte du tau était une promenade de santé.
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On a dû attendre vingt-six ans entre l’hypothèse de Pauli sur les neutrinos et les premiers résultats concluants obtenus par Clyde Cowan Jr. (1919-1974) et Frederick Reines (1918-1998).
Les neutrinos interagissent très peu avec quoi que ce soit ; la solution pour les découvrir serait donc de trouver une source de neutrinos adaptée.
Ma première idée était d’utiliser les neutrinos produits lors de l’explosion d’une bombe à fission.
Au final, nous avons utilisé les anti-neutrinos produits par un réacteur nucléaire.
Les anti-neutrinos issus du noyau du réacteur étaient repérés en interagissant avec des protons d’un réservoir d’eau, les convertissant en un positron et un neutron qui pouvaient être détectés. Des milliards et des milliards d’anti-neutrinos traversaient le détecteur chaque seconde, et pourtant seuls deux ou trois événements par heure étaient utilisables.
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Compléter la famille des leptons Cowan et Reines ont aussi fait des mesures avec le réacteur éteint. Mais allumer et éteindre un réacteur nucléaire n’est pas une mince affaire ; les physiciens se sont donc à nouveau tournés vers les accélérateurs pour produire des faisceaux de neutrinos issus de la désintégration des pions.
En 1962, une équipe comprenant Melvin Schwarz (1932-2006), Jack Steinberger (1921-..) et Leon Lederman ont utilisé un tel faisceau produit par le Brookhaven AGS pour montrer qu’il y avait bien deux types de neutrinos.
Un est associé avec l’électron, et un autre avec le muon.
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La découverte du neutrino tau, en 2000, par la collaboration DONUT à Fermilab compléta la famille des leptons : six saveurs arrangées en 3 générations, en écho aux quarks.
νe
e
ντ
νμ
-
μ
-
τ
-
Les leptons n’ont pas de couleur, et donc ils n’interagissent pas avec la force forte. Comme on pouvait s’y attendre, les leptons chargés interagissent via la force électromagnétique, et les deux familles sont soumises à la force faible. Ce qui est plus intéressant est leur masse. Les leptons chargés ont des masses bien connues, chaque génération étant plus lourde que la précédente. Dans le modèle standard, les neutrinos doivent ne pas avoir de masse. On y reviendra…
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Sortons du zoo pour entrer dans l’animalerie Cela complète la description des particules « de matière » du modèle standard.
Personne ne sait pourquoi les fermions de spin un demi sont arrangés si élégamment, mais ils le sont.
C’est certainement préférable à un zoo ; mais vous pouvez dire qu’il s’agit maintenant davantage d’une « animalerie à particules ».
Maintenant, on peut se tourner vers la physique à l’origine de la beauté du modèle standard : l’unification de la force faible et de la force électromagnétique, et comment cela a fini par donner l’univers tel que nous le connaissons.
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L’unification électrofaible Au premier regard, la force élecromagnétique et la force faible sont deux espèces bien différentes.
Électricité, magnétisme, chimie, biologie, électronique, ne pas traverser le plancher, des numéros de fêtes impliquant de frotter des ballons ; on peut (presque littéralement) voir les effets de la force électromagnétique tout autour de nous.
La force faible est bien plus subtile dans son effet : des désintégrations radioactives se passent discrètement tout autour de nous, mais les fournaises du soleil et de ses sœurs reposent toutes sur cette interaction, apparemment frêle, violant une symétrie, et capable de transformer certaines particules en d’autres. De même, dans les années 1950, les théories mathématiques utilisées pour décrire chaque force en étaient à des points très différents : le succès et l’élégance de l’EDQ contrastaient avec les maladroites désintégrations bêta de Fermi (qui sont cependant toujours utiles). 127
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Besoin d’un nouveau boson Le problème réside dans les mécanismes de l’interaction : dans le schéma de Fermi, quatre particules de matières se rencontraient à un même point de l’espace-temps. Cela conduit au problème redouté d’infinis qui apparaissent dans les calculs.
Si seulement l’interaction faible se comportait bien, si seulement elle avait quelque chose comme le photon qui passait entre des paires de particules, comme avec la force électromagnétique, les physiciens pourraient faire les calculs.
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Un nouveau type de boson était donc nécessaire pour porter la force faible. Il devrait porter une charge électrique, comme il peut changer un électron chargé entre un neutrino neutre, et un proton chargé en un neutron. Il aura aussi besoin d’avoir sa propre masse pour expliquer pourquoi la force est si faible.
Si le porteur de la force est gros et lourd, cela rendra la force efficace sur des distances plus petites. C’est pourquoi la force électromagnétique a une portée infinie : les photons n’ont pas de masse.
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En 1954, Chen Ning Yang et Robert L. Mills (1927-1999) ont établi une théorie qui inclut trois bosons porteurs de force, avec une charge électrique de –1, 0 et +1. Cela réglerait le problème de transfert de charge dans l’échange de boson, mais les trois bosons devaient encore être sans masse. Le problème venait du fait de supposer que le boson neutre de la théorie Yang-Mills était le photon. En 1968, Abdus Salam (1926-1996), Steven Weinberg (1933-..) et Sheldon Glashow ont découvert qu’une habile combinaison du photon et du triplet de boson de Yang Mills, tout quatre sans masse, pouvait décrire les forces électromagnétiques et faibles d’un seul coup.
Salam et Weinberg, travaillant à l’Imperial College de Londres, ont utilisé une technique appelée la brisure spontanée de symétrie.
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On a montré que les 4 bosons sans masses participaient bien à une force, mais qui pouvait se briser en deux forces de sorte que trois (+1, 0, –1) bosons prenaient une masse, alors que le dernier boson neutre restait sans masse.
Salam
Et ce fut Glashow qui comprit que ces mêmes bosons massifs sont échangés par les quarks, expliquant la force faible dans les interactions hadroniques.
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Séparées à la naissance Cette unification de deux forces fondamentales était un résultat important pour la physique et pour le réductionnisme. Tout comme Maxwell avait unifié l’électricité et le magnétisme, Salam, Weinberg et Glashow ont montré que l’électromagnétisme et la force faible étaient deux interactions séparées à la naissance. En plus des photons, on supposait maintenant qu’il y avait les bosons massifs chargés W+ et W– qui étaient échangés lorsque la charge passait d’un fermion à un autre (ce qu’on appelait des interactions à « courant chargé »). Plus fâcheux, il y avait aussi le boson massif neutre Z0 pour lequel aucun indice d’existence n’avait été vu.
2006 Schertzer
Ce n’était pas surprenant, ces interactions à « courant neutre » n’impliquaient aucun échange de charge électrique, et étaient donc difficiles à trouver ; mais c’est seulement après que Gerardus ’t Hooft (1946-..) et Martinus Veltman (1931-..) aient montré que ces théories étaient renormalisables que la recherche sérieuse de ce boson a réellement commencé.
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En 1973, les premières preuves directes de ces courants neutres (qui nécessitent un boson Z0) ont été obtenues au CERN. Un faisceau de neutrino du Proton Synchrotron était dirigé vers la chambre à bulles Gargamelle, qui utilisait 12 mètres cubes de fréon (CF3Br) pour faire rebondir les neutrinos sur un noyau en produisant seulement des hadrons. Ce fut un succès du CERN sur ses rivaux américains, et il saisit l’opportunité d’accroître son avantage.
2006 Schertzer
Observer les courants chargés et neutres était une grande percée en soi, mais les résultats de Gargamelle permirent aussi aux physiciens de prédire les masses des bosons W et Z. Cette information sera cruciale pour l’élaboration des accélérateurs servant à produire les hypothétiques bosons W et Z, car elle permettra de savoir combien d’énergie sera nécessaire pour cela.
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Le collisionneur à deux faisceaux Il s’est avéré que ces énergies étaient très importantes, presque 100 giga-électron-volts (GeV), un peu plus que l’équivalent de la masse d’un atome de fer pour chaque boson. Une nouvelle approche était nécessaire, et, en 1976, une équipe de physiciens incluant Carlo Rubbia (1934-..) émit l’idée que de telles énergies pouvaient être atteintes en faisant entrer en collision un faisceau de protons et un d’anti-protons, plutôt que de n’avoir qu’un faisceau frappant une cible fixe. Plus d’énergie signifie une masse plus grande, et donc plus de chance de produire et de découvrir les bosons de la force faible.
Le Super Proton Synchrotron (SPS) du CERN fut donc converti en un collisionneur à deux faisceaux, un pour les protons, l’autre pour les anti-protons.
Cela a été technologiquement possible grâce au travail de Simon van der Meer (1925-2011) sur le « refroidissement stochastique » qui permettait d’avoir suffisamment d’anti-protons pour rendre ces collisions dignes d’intérêt.
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Cela a marché : en 1983, les deux expériences situées aux points où les faisceaux se rencontraient ont vu des signes révélateurs des W et du Z0.
Cette découverte a renforcé la croyance des physiciens dans l’unification électrofaible et dans le modèle standard, qui allaient maintenant très bien ensemble.
Les bosons électrofaibles étaient découverts, mais le CERN ne s’est pas arrêté là. Pendant que le Fermilab construisait le collisionneur proton/anti-proton Tevatron – qui, comme on l’a déjà vu, a encore un rôle à jouer dans la découverte du quark Vérité –, la direction du CERN comprit que les étapes suivantes étaient d’étudier ces nouveaux bosons en détail. Pour cela, ils passèrent des collisions hadron-hadron désordonnées du SPS aux collisions bien plus propres entre électrons et positrons.
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Le collisionneur LEP du CERN : un couronnement La matière et l’antimatière devront s’annihiler précisément à la bonne énergie pour produire une abondance de Z et de W. Le collisionneur Large Electron-Positron (LEP), un monstre souterrain de 27 km de circonférence, était l’usine à boson qui a permis aux physiciens de tester le modèle standard jusqu’à ses limites. De 1989 à 1995, il produisit des Z0 et, de 1996 à 2000, il produisit des W. Les mesures de précisions faites à l’aide des quatre expériences réparties sur l’anneau (ALEPH, DELPHI, L3 et OPAL) contribuèrent à l’hommage rendu au couronnement de la physique du xxe siècle…
Background image : © 1987 CERN
… une description de toute la matière connue, et de trois des quatre forces fondamentales codifiées dans les équations du modèle standard.
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La pièce manquante Pourtant, une pièce du modèle standard manquait encore – le LEP et le Tevatron du Fermilab n’avaient pu la trouver. Quand Salam, Weinberg et Glashow unifièrent l’électromagnétique et la force faible, ils le firent en changeant les quatre bosons sans masse d’une force électrofaible unifiée en trois bosons massifs (W+, W– et Z0) et un boson sans masse (le photon). C’est en soit un habile tour mathématique ; mais en discutant de l’unification des forces plus tôt, on a contourné le cœur du problème…
… comment les W et le Z peuvent-il effectivement gagner cette masse qui rend la force faible si faible ? 137
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Un problème de masse La masse est un de ces concepts épineux de la physique qu’on comprend très bien jusqu’au moment où l’on commence à y réfléchir. Je veux dire réellement y réfléchir.
La physique newtonienne dit que la masse est une propriété d’un objet qui représente la quantité de force qu’on doit lui appliquer pour l’accélérer ; ou alors la force exercée entre deux objets à cause de l’attraction gravitationnelle. La relativité restreinte dit que c’est la quantité d’énergie d’un corps au repos. La relativité générale* dit que c’est une mesure de combien un corps tord l’espace-temps environnant.
Ces descriptions de ce qu’est la masse sont peut-être de plus en plus abstraites, de plus en plus éloignées de votre vie quotidienne, mais elles sont toutes, au final, des interprétations d’un nombre dans une équation. 138
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Dans une théorie quantique des champs, la masse n’est pas autre chose ; un nombre dans une équation. C’est un autre m. Vous pouvez essayer de le voir comme l’énergie associée à une ondulation quantique dans un espace-temps qui n’ondule pas vraiment (c’est-à-dire au « repos », qu’importe ce que cela signifie).
Mais ce qui compte, c’est que ce nombre affecte les calculs de telle sorte qu’on puisse mesurer et prédire d’autres quantités que l’on peut tester avec des expériences.
Inversement, le fait que des expériences nous disent que certaines particules ont des masses signifie que nous devons inclure ces termes dans les équations de la théorie quantique des champs pour qu’elles aient un sens. 139
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Le problème est qu’on ne peut pas simplement ajouter ces termes dans les équations quand bon nous semble. C’était le problème qu’avaient Yang et Mils avec leur théorie à trois bosons. Si on ne les ajoute pas de la bonne manière, les termes de masse impliqueront l’apparition de ces désagréables infinis ; c’est-à-dire que la théorie ne sera plus renormalisable.
Dans le cas de la théorie quantique des champs électrofaibles, Salam et Weinberg ont juste supposé que tout allait bien se passer ; ’t Hooft et Veltman ont remporté un prix Nobel en montrant que cette supposition était justifiée.
Comment transmet-on donc une masse aux particules du modèle standard ? La clé vient d’une technique mentionnée précédemment : la brisure spontanée de symétrie. 140
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Les joies de la symétrie On a déjà remarqué à quel point les physiciens aiment la symétrie puisque, en général, cela rend les choses plus simples. Si l’univers respecte une certaine symétrie, les lois de la physique seront les mêmes pour toute chose le constituant en ce qui concerne cette symétrie. Si une symétrie de l’univers est brisée, la physique commence à être différente d’une chose à une autre, et cela nous complique la vie. Au début des années 1960, Yoichiro Nambu (1921-..) développa quelques idées sur une autre branche de la physique, la supraconductivité, et il trouva un moyen de briser des symétries qui ne détruisaient pas réellement l’harmonie sous-jacente des équations. Dans ce cas-là, la symétrie n’était pas réellement brisée, elle était juste cachée.
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Pensez à une bille dans une bouteille de vin. Si la bille est au sommet du culot, la bille est la bouteille sembleront les mêmes depuis n’importe quelle direction (techniquement parlant, la symétrie observée est une invariance par rotation autour de l’axe vertical).
Cependant, le système est instable, la bille tombera spontanément dans le creux sur le côté de la bouteille, brisant la symétrie. Le système a une symétrie sous-jacente qui est cachée – brisée par les limitations de la nature (dans ce cas, simplement la difficulté de faire tenir en équilibre une bille sur une bosse arrondie).
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C’est une notion agréable en physique : une symétrie cachée est meilleure qu’une absence complète de symétrie.
En 1961, Jeffrey Goldstone (1933-..) a montré que, dans une théorie quantique des champs, la brisure spontanée de symétrie faisait que de nouvelles particules sans masse et de spin 0 devaient être ajoutées aux équations. C’est l’existence de ces nouveaux champs quantiques qui a ajouté le culot à la bouteille de vin de l’univers.
Et voici la partie astucieuse.
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Le mécanisme de Higgs Personne n’avait vu expérimentalement de particule sans masse et de spin nul, on voyait donc cela comme un tour élégant, mais pas plus que cela. Cependant, en 1963, Philip Warren Anderson (1923-..) publia un papier suggérant que ces étranges particules sans spin (appelées bosons de Nambu-Goldstone) pourraient être utilisées pour donner une masse aux bosons de spin 1 (comme les W et le Z). Trois groupes de théoriciens se sont penchés indépendamment sur cette idée :
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Dans ce que Physics Review Letters qualifie comme trois des papiers les plus importants de son histoire, l’été 1964 a vu chacun de ces trois groupes publier des papiers sur les différents aspects du mécanisme par lequel le boson de spin 1 et sans masse de Yang et Mills pouvait gagner une masse grâce à une brisure spontanée de symétrie.
Le secret est de laisser les bosons W et Z « manger » les bosons « culot de bouteille » ; la masse gagnée ne vient pas sans rien.
C’était Kibble qui a montré comment ce mécanisme s’appliquait à la théorie quantique des champs impliquant les W, Z et photons. Il a aussi travaillé avec Salam et Weinberg sur l’unification de l’électromagnétisme et de la force faible, en utilisant pour cela les bosons de Nambu-Goldstone pour donner une masse aux W et aux Z en laissant le photon sans masse.
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Recherché : un boson massif de spin nul Cependant, ce fut Higgs qui émit l’idée que, après que les bosons de Nambu-Goldstone aient été mangés par les bosons massifs, il resterait un boson de spin nul qui devrait lui aussi avoir une masse. Parallèlement, la découverte des courants neutres, puis des W et des Z eux-mêmes semblaient valider le mécanisme générant la masse proposée par Salam, Weinberg et Glashow dans leur prédiction de l’unification électrofaible.
© 2008 CERN/Brice
Cependant, pour compléter le modèle standard, on devait trouver expérimentalement ce boson massif de spin nul.
La chasse au boson de Higgs était ouverte.
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Le champ de Higgs Le problème principal pour chercher le boson de Higgs était que le modèle standard, aussi beau soit-il, semblait très timide à l’idée de donner des indices sur l’endroit où la pièce manquante pourrait se trouver. Dans le modèle standard, le champ de Higgs imprègne tout l’espace. Certaines particules interagissent avec le champ de Higgs, et d’autres ne le font pas ; tout cela étant lié aux termes de masse dans les équations.
Les particules ayant une masse interagissent avec le champ de Higgs, qui visiblement les ralentit. Les particules sans masse (comme le photon) n’interagissent pas avec le champ de Higgs et voyagent donc à la vitesse de la lumière. 147
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On s’excuse auprès des expérimentateurs de n’avoir aucune idée sur la masse du boson de Higgs… pour ces raisons, nous ne voulons pas encourager de grandes recherches expérimentales.
© 2011 CERN/Brice
Comment peut-on donc trouver des preuves de l’existence de ce champ de Higgs imprégnant tout ? Revenons à notre infinité de ressorts quanto-mécaniques. Si on fournit assez d’énergie par, disons, une collision de particule, un boson de Higgs réel peut être créé à partir des ondulations du champ. Ce boson de Higgs se désintégrerait alors en particules que l’on peut mesurer. Il suffit d’avoir assez d’énergie pour correspondre à la masse du boson de Higgs. Le problème était que personne ne savait quelle devait être sa masse, et donc s’il allait apparaître dans une expérience. Le théoricien Jonathan Ellis (1946-..) déclara dans un papier en 1976 :
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Les mesures du ratio entre courants chargés et neutres avaient donné aux expérimentateurs une estimation de masse pour les W et les Z : cela donna à Rubbia et al. une cible en énergie à atteindre avec le collisionneur proton/anti-proton du CERN, ce qu’ils ont fait de manière éclatante. La découverte des bosons électrofaibles, et les mesures suivantes sur les propriétés du modèle standard sur le collisionneur LEP ont donné plus de poids à l’existence de la pièce manquante du puzzle de la brisure spontanée de symétrie.
© 2011 CERN/Brice
Un boson de Higgs était l’explication la plus simple pour les masses magnifiquement mesurées des W et du Z, mais il manquait cruellement à l’armoire à trophées des physiciens des particules.
Il était temps de lancer ces « grandes recherches expérimentales ». 149
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Les États-Unis contre-attaquent Les États-Unis avaient perdu beaucoup de terrain au profit de l’Europe, dont la stratégie de coopération internationale à travers le CERN avait rapporté gros. Le travail sur le collisionneur ISABELLE de Brookhaven, conçu pour trouver les W et Z, s’est arrêté en 1983 : le CERN avait battu lews Américains dans la course aux découvertes électrofaibles, et les aimants d’ISABELLE ne fonctionnaient de toute manière pas.
On doit passer à la cible suivante : le boson de Higgs.
Après une présentation réussie auprès de l’administration Reagan, des fonds ont été alloués pour un collisionneur devant surpasser tous les collisionneurs. 150
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Le Superconducting Super Collider (SSC), une machine de 87,1 km de circonférence bordée d’aimants supraconducteurs nécessaires pour garder dans le faisceau des protons de 20 téra-électron-volts (TeV, 1012 électron-volts), réussirait à produire des collisions à des énergies bien plus importantes que tout ce qui avait pu être fait avant. Surnommé le « Desertron », du fait de son emplacement dans un endroit aride du Texas, il trouverait le boson de Higgs et ramènerait les ÉtatsUnis sur le devant de la scène de la physique fondamentale. Ou du moins, c’était le plan. Le nationalisme à peine dissimulé entourant le projet a repoussé des partenariats potentiels des autres continents, dont l’aide aurait peut-être permis d’atteindre le super-budget que demandait le super-collisionneur.
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Le Large Hadron Collider Pendant ce temps, Rubbia recherchait des soutiens pour le chasseur de boson de Higgs du CERN : le Large Hadron Collider, plus connu dans les cercles scientifiques sous l’acronyme LHC. Alors qu’il visait « seulement » 7 TeV par faisceau, le LHC avait un avantage direct sur son rival américain : le tunnel de 27 km avait déjà été construit pour le LEP, qu’il remplacerait. L’avantage financier de recycler les efforts en génie civil du CERN, ainsi que les récents succès avec le W et le Z, ont fait que le LHC était une option attrayante pour les collaborateurs internationaux.
Le combat pour le titre transatlantique s’annonçait avec dans un coin les seuls États-Unis, et dans le coin opposé le reste du monde s’alignant derrière le CERN.
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Hélas, la compétition s’arrêta avant même de commencer. Coulé par un budget augmentant sans cesse, par l’opposition politique, et par la compétition avec la Station Spatiale Internationale, le SSC fut officiellement annulé le 21 octobre 1993 – alors que 2 milliards de dollars avaient déjà été dépensés, et que 22 km de tunnel avaient déjà été creusés.
Et comme pour lancer du sable au visage de leur rival, le projet final du LHC fut publié juste un mois plus tard.
Le projet fut formellement approuvé par le CERN en décembre 1994. Le LHC partirait donc seul dans sa chasse au boson de Higgs, et il y eut donc une migration de masse des scientifiques du SSC vers le LHC.
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Background image : 2004 Juhanson
La tension au CERN Bien entendu, cela supposait que le boson de Higgs ne serait pas trouvé ailleurs auparavant. Les États-Unis avaient toujours le Tevatron, et le collisionneur LEP avait aussi la capacité de trouver un boson de Higgs à moins de 100 GeV. Cela devint une source de tension importante au CERN. À la fin des années 1990, les ingénieurs du LEP ont fait un travail extraordinaire pour continuer à pousser les énergies de collision.
Mais avec le LEP toujours en fonctionnement, les ingénieurs du LHC ne pouvaient pas démarrer.
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Background image : 2004 Juhanson
Le LEP fut finalement éteint le 2 novembre 2000, et le travail sur le LHC commença un mois plus tard. En fait, certains scientifiques disaient avoir vu des indices de l’existence du boson de Higgs dans leurs expériences au LEP, rendant la décision de la direction du CERN encore plus dure que prévue.
Il s’est avéré qu’ils ont fait le bon choix, mais le recul est une chose merveilleuse.
Comment le LHC a-t-il atteint son but en trouvant le boson de Higgs ? La règle était aussi simple que d’habitude : concentrer autant d’énergie que possible dans un petit espace, et espérer qu’on puisse créer suffisamment de bosons de Higgs pendant suffisamment longtemps pour que les physiciens puissent les trouver. 155
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L’énergie sera apportée par la collision de deux faisceaux de protons. Ces protons seront injectés, à partir de l’accélérateur SPS ayant découvert W et Z, dans l’accélérateur de 27 km de circonférence dans les deux directions, dans le sens des aiguilles d’une montre et dans l’autre sens.
On espérait que cela suffirait pour que, quand ils entreraient en collision, on puisse avoir un aperçu d’une nouvelle frontière en énergie.
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© 1991 CERN/Caron
Une nouvelle frontière
© 1991 CERN/Caron
Un des plus gros problèmes que les ingénieurs du LHC ont dû résoudre était de garder les protons avec de telles énergies (99,9999991 % de la vitesse de la lumière) sur le bon chemin.
Même la faible courbure d’une piste de course pour particules de 27 km nécessite un champ magnétique de 8,3 T (200 000 fois le champ magnétique terrestre), juste pour empêcher les protons de s’écraser contre les parois du tunnel.
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©Background image : 2008 Herzog
La solution se trouvait dans la technologie des aimants supraconducteurs. En refroidissant les aimants à une température de 1,9 K (– 271 °C), les bobines des électroaimants auraient une résistance électrique proche de zéro, permettant de produire les importants courants nécessaires pour le champ magnétique tordant les faisceaux. 1 232 dipôles magnétiques de 15 m de long servent à incurver le faisceau, et 392 quadrupôles magnétiques de 7 m de long permettent de le garder concentré dans les tubes à faisceaux. Les tubes à faisceaux gardant un vide de 10–13 atmosphère (moins que dans l’espace) et une température de quelques degrés au-dessus du zéro absolu (encore une fois, moins que dans l’espace).
Pour trouver le boson de Higgs, on a en gros dû créer un anneau d’espace intersidéral sous la frontière franco-suisse. Crookes aurait été satisfait.
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Tout cela sera encore compliqué par la nécessité de faire croiser les faisceaux afin que les protons entrent réellement en collision. Un autre type d’aimant est utilisé à 4 points de l’anneau du LHC pour que les faisceaux de la taille d’un cheveu entrent en collision, un exploit qui pourrait être comparé à faire entrer en collision une paire d’aiguilles à tricoter tirées de part et d’autre de l’Atlantique.
©Background image : 2008 Herzog
Sur ces « points d’interaction », les quarks et les gluons des infortunés protons interagissent et – si elles existent et si la collision apporte suffisamment d’énergie pour les créer – de nouvelles particules peuvent apparaître de ces fugaces liaisons de quanto-mécanique. À ce niveau-là, les physiciens des accélérateurs et les ingénieurs ne peuvent rien faire de plus : il revient aux physiciens expérimentaux de prouver que les nouvelles particules existent. Quatre expériences aux quatre points d’interaction ont été proposées, conçues et construites en parallèle au LHC. Et, comme pour l’accélérateur lui-même, elles étaient d’une échelle jamais vue dans l’histoire de la physique des particules.
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Deux grands défis Deux défis existaient dans la chasse au boson de Higgs, ou d’un quelconque phénomène responsable de la brisure de symétrie électrofaible. Premièrement, les physiciens ne connaissaient pas la masse attendue du boson de Higgs, et ne savaient donc pas ce qu’ils cherchaient. Sa masse déterminera en quelles particules familières le boson de Higgs se désintègrera, et donc quelles particules les physiciens verront réellement dans leurs détecteurs.
Les détecteurs devaient donc être conçus pour mesurer une étendue de signaux expérimentaux aussi large au possible.
Pour cela, le matériel était placé autour des points d’interaction en couches concentriques ayant chacune une fonction différente. Les couches les plus proches du centre servaient typiquement à mesurer la courbure des traces des particules chargées, donnant une mesure du moment cinétique des particules. Ensuite, le système calorimétrique mesurait les énergies déposées par les particules expulsées des collisions proton-proton. Les muons, cousins plus massifs de l’électron, demandaient leur propre détecteur encore plus à l’extérieur comme ils ont tendance à traverser entièrement le trajectographe et les calorimètres. Certaines expériences utilisent des détecteurs Tcherenkov, utilisant le fait que la vitesse de la lumière dans certains matériaux est plus faible que dans le vide. Les particules voyageant plus vite que cette vitesse réduite vont créer un « boom sonique » électromagnétique qui permet de mesurer la vitesse de la particule.
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© 1997 CERN/CMS Collaboration
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La combinaison des mesures de vitesse, de moment et d’énergie, ainsi que la localisation précise des vertex des particules secondaires permet aux physiciens de reconstruire et d’identifier les particules produites dans les collisions à haute énergie. Les nouvelles particules ne peuvent pas être directement photographiées ; à la place, les chasseurs de particules doivent rassembler des informations sur leur proie à partir de ce qu’elles laissent derrière elles : des traces, des perturbations dans les sous-bois.
Et plus exotique est la proie, plus dure est la traque.
Le deuxième défi, aggravant le premier, est que le boson de Higgs devait n’être produit que très rarement. Chaque observation potentielle du Higgs n’avait qu’une chance sur plusieurs milliards de se produire réellement. Le LHC fut donc produit pour faire entrer en collision des milliards et des milliards de protons chaque seconde pour augmenter les chances de découverte ; mais pour avoir les preuves d’une telle découverte, les expérimentateurs devraient passer au crible des milliards de potentiels bosons de Higgs chaque seconde. 162
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Améliorations des détecteurs de particules Toutes les détections de particules reposent sur le fait de convertir l’ionisation de particules chargées en une information utile. Le tube éponyme fait par Hans Geiger et Walther Müller utilisait l’ionisation d’un gaz inerte pour créer un signal électrique pouvant être utilisé pour compter les particules chargées qui entraient dans le tube : vous connaissez sûrement cela sous le nom de compteur Geiger.
Mais l’information apportée par mes détecteurs était plutôt limitée ; pendant une fenêtre de temps donnée, on sait seulement si une particule chargée était présente ou non.
On ne pouvait pas mesurer l’énergie de la particule, et la seule information spatiale venait de la position du détecteur lui-même. La chambre à brouillard (et son successeur la chambre à bulles) et les émulsions photographiques offraient quant à elles une mine d’informations sur la forme des traces de gouttelettes ionisées (ou de bulles) qui pouvaient être photographiées ; ou les chemins de grains pour les émulsions nucléaires. 163
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Mais ces informations avaient un coût : les photographies et les émulsions devaient être développées, et le résultat devait être analysé à l’œil, tout cela prenant du temps et de l’investissement humain. De plus, la nature du milieu d’interaction faisait qu’il y avait une limite sur le nombre d’événements pouvant être enregistrés pendant un temps donné ; par exemple, les chambres à bulles demandaient une à deux secondes entre les bombardements pour différencier des collisions différentes.
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© 1979 CERN
… processus rendus possibles en exploitant les signaux électriques associés à l’ionisation des particules chargées.
© 1999 CERN/Dailler
La solution pour traiter le nombre croissant de signaux expérimentaux nécessaires pour trouver des particules de plus en plus complexes repose dans l’automatisation des processus expérimentaux…
Patrick Blackett avait déjà remporté un prix Nobel pour l’utilisation d’un tube de Geiger-Müller pour déclencher, lorsqu’il détectait une particule chargée de haute énergie, la photographie d’une chambre à brouillard. La chambre à étincelles utilisait des plaques métalliques chargées disposées dans un volume de gaz inerte pour créer des étincelles électriques là où les particules chargées créaient des ions ; une sorte de chambre à brouillard rapide qui apportait une information spatiale avec un rapide déclenchement électrique. Un grand pas en avant fut la chambre proportionnelle multifilaire, inventée par Georges Charpak (1924-2010) au CERN en 1968. En divisant les plaques en fils de métal courant à travers le détecteur, on pouvait obtenir encore plus d’information spatiale à partir des signaux électriques.
© 1979 CERN
© 1999 CERN/Dailler
En disposant des plans de câbles avec des orientations complémentaires, on pouvait obtenir une image en trois dimensions des trajectoires des particules chargées.
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L’arrivée des ordinateurs Mais les fils offraient quelque chose de bien plus utile qu’une granularité spatiale : le nombre d’ions produits dans le gaz de la chambre était proportionnel à l’énergie de la particule incidente. Quand les ions touchaient les fils, propulsés par la haute tension dans les fils, ils créaient un courant électrique qui donnait une mesure de l’énergie de la particule : plus d’énergie, plus d’ions, plus de courant. Ce signal pouvait ensuite être lu par l’électronique du détecteur et stocké sur des bandes magnétiques pour être analysé plus tard. Les chambres à dérives ont encore plus développé l’idée en utilisant l’information temporelle pour affiner les mesures.
L’automatisation des mesures et l’identification grâce à l’informatique pouvaient maintenant commencer.
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La technologie ultime (du moins pour l’instant) des détecteurs de haute précision et haute vitesse a principalement fait installer les ordinateurs au sein des détecteurs : des pistes de silicone semi-conducteur associées à des microprocesseurs sophistiqués peuvent donner des mesures de position au micron près toutes les quelques nanosecondes. Ces détecteurs au silicone peuvent fonctionner comme des chambres à bulle électroniques tout en faisant face au taux de collisions du LHC.
Ironiquement, ces détecteurs peuvent produire trop d’informations pour être analysées en un temps raisonnable, même avec des ordinateurs.
La sélection des événements potentiellement intéressants nécessite un mécanisme de déclenchement semblable à ce qu’avait fait Blackett. 167
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Les systèmes de déclenchement des expériences du LHC étaient conçus pour être des détecteurs au sein des détecteurs : des mesures brutes qui peuvent indiquer la présence de quelque chose qui ressemble à un boson de Higgs étaient effectuées par un soussystème agissant de concert avec l’expérience mère. Un signal intéressant dans le système de déclenchement lancera la lecture et le stockage des informations de l’ensemble de l’expérience. Et même après cela, l’analyse des données choisies d’une expérience de physique typique demandera de nouveaux moyens pour partager et traiter les données du détecteur.
En 1991, Tim Berners-Lee (1955-..) fit le premier site web au CERN, en unissant brillamment les différentes technologies Internet disponibles à l’époque pour créer un système de gestion de l’information connu sous le nom World Wide Web.
Cependant, le LHC aura besoin de plus que cela : la distribution du traitement des informations offerte par la « Grille » sera nécessaire pour transformer les téra-octets de données fournies quotidiennement par les détecteurs en résultats de physique utilisables. La physique a fait un grand bout de chemin depuis la douloureuse analyse d’Anderson portant sur 1 300 photographies de chambres à brouillard, à la main, pour apercevoir l’antimatière.