La physique des tas de sable 9782759801237

Quelle différence y a-t-il entre un tas de cailloux et un tas de sel, entre des grains de blé et des grains de quartz, o

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French Pages 230 [228] Year 2006

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La physique des tas de sable
 9782759801237

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La physique des tas de sable

Illustration de couverture Dessin de Pierre-Yves Claudin

ISSN: 0003-4169 ISBN: 2-86883-414-0 Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous precedes, reserves pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alineas 2 et 3 de 1'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement reservees a 1'usage prive du copiste et non destinees a une utilisation collective », et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute representation integrate, ou partielle, faite sans le consentement de 1'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinea l er de 1'article 40). Cette representation ou reproduction, par quelque procede que ce soit, constituerait done une contrefafon sanctionnee par les articles 425 et suivants du code penal.

©EDP Sciences 1999

ANNALES DE PHYSIQUE • VOLUME 24 • N°2 • 1999

La physique des tas de sable

Ph. Claudin

CEA - Orme des merisiers, Gif-sur-Yvette

SCIENCES 7, avenue du Hoggar Pare d'Activites de Courtaboeuf, B.P. 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

LES ANNALES DE PHYSIQUE Revue bimestrielle publiee sous la responsabilite scientifique de la Societe frangaise de physique, regroupant des articles de synthese et des mises au point dans tous les domaines lies aux sciences physiques

EDITEUR EN CHEF

Catherine BOISSON

• Astronomic - Astrophysique Observatoire de Meudon, F-92195 Meudon Principal Cedex (Tel. : 01 45 07 74 36, Fax : 01 45 07 74 69, e-mail : [email protected])

EDITEURS ASSOCIES • Physique Atomique et Moleculaire - Optique Classique et Quantique A. ASPECT Institut d'Optique Theorique et Appliquee, B.P. 147, F-91403 Orsay Cedex (Tel. : 01 69 35 87 03, Fax : 01 69 35 87 00, e-maii: [email protected]). • Physique Quantique E. SURAUD Laboratoire de Physique Quantique, Universite Paul Sabatier, 118, route de Narbonne, F-31062 Toulouse Cedex (Tel. : 05 61 55 60 67, Fax : 05 61 55 60 65, e-mail : [email protected]) • Physique des Hautes Energies S. JULLIAN Laboratoire de I'Accelerateur Lineaire, Centre d'Orsay, Bat. 200, F-91405 Orsay Cedex (Tel. : 01 64 46 84 26, Fax : 01 69 07 94 04, e-mail: [email protected]) • Physique de la Matiere Condensee P. AVERBUCH Centre de Recherche sur les Tres Basses Temperatures, 25, avenue des Martyrs, B.P. 166 X, F-38042 Grenoble Cedex (Tel. : 04 76 88 10 25, Fax : 04 76 88 79 99, e-mail: [email protected])

J.-M. Di MEGLIO Institut Charles Sadron, 6, rue Boussingault, F-67083 Strasbourg Cedex (Tel. : 03 88 41 40 00, Fax : 03 88 41 40 99, e-mail: [email protected]) P. VOISIN LPMC-ENS, 24, rue Lhomond, F-75005 Paris (Tel. : 01 44 32 34 43, e-mail : [email protected]) • Physique Nucleaire B. BORDERIE Institut de Physique Nucleaire, Universite Paris XI, B.P. 1, F-91406 Orsay Cedex (Tel. : 01 69 15 71 48, Fax : 01 69 15 41 00, e-mail: [email protected])

D. LEBRUN ISN Grenoble, 53, avenue des Martyrs, F-38026 Grenoble Cedex (Tel. : 04 76 28 41 92, Fax : 04 76 28 40 04, e-mail: [email protected]) • Physique Statistique J.Ph. BOUCHAUD SPEC, CEN L'Orme des Merisiers, F-91191 Gif-sur-Yvette (Tel. : 01 69 08 73 45, Fax : 01 69 08 87 86, e-mail: [email protected])

EDP Sciences S.A. 7, avenue du Hoggar, P.A. de Courtaboeuf, B.P. 112, F-91944 Les Ulis Cedex A, France (Tel. : 01 69 18 75 75 ; Fax : 01 69 28 84 91 ; e-mail: [email protected]) Imprimerie Louis-Jean, B.P. 87, 05003 Gap, France - Depot legal : N° 691 - septembre 1999 Secretaire de redaction : S. Hosotte - Secretaire generate de la redaction : A. Henri - Directeur de la publication : J.-M. Quilbe Abonnement 1999 : Volume 24 : 1620 FF HT; Prix de ce numero : 295 FF TTC Les Annales de Physique online : http://www.edpsciences.com - Commission paritaire N° 54.171

VI

La physique des tas de sable

C^uelle difference y a-t-il entre un tas de cailloux et un tas de sel, entre des grains de ble et des grains de quartz, ou bien entre des boules de petanque et des billes de verre? Pour le physicien, la reponse est tres simple, il n'y en a pas, ou si peu... Les graviers, les grains, les graines, les cailloux, les sables, les billes, les boules et les poudres font tous partie d'une grande famille, celle des materiaux granulaires. Cette famille regroupe tous les corps formes de petits grains independants. Elle est si vaste qu'elle englobe la plupart des matieres premieres utilisees dans le batiment, mais aussi dans 1'agroalimentaire et les industries chimiques. En fait, les granulaires representent la deuxieme classe de materiaux la plus utilisee par 1'homme apres 1'eau! Si vaste que soit 1'ensemble des milieux granulaires, il regroupe des materiaux aux proprietes physiques et mecaniques remarquablenient semblables. C'est particulierement vrai pour les granulaires dits sees, c'est-a-dire tels que les interactions entre les grains et le milieu qui les entoure sont negligeables. Si on melange du sable avec de 1'eau par exemple, on a toujours un milieu granulaire mais il n'est evidemment plus sec, ce qui change beaucoup ses caracteristiques. Les proprietes physiques des granulaires sees sont assez etonnantes: elles sont, en quelque sorte, a mi-chemin entre celles des fluides et celles des solides. On peut tres facilement realiser chez soi quelques petites experiences qui illustrent bien ces phenomenes. Le meilleur endroit pour cela est certainement la cuisine, piece qui regorge de materiaux granulaires: sucre, couscous, riz, haricots sees ou noix feront I'affaire! Le seul veritable « danger » de ces manipulations, c'est de tout renverser par terre... Si on met du riz dans un recipient quelconque (un saladier par exemple), il en epousera les formes, exactement comme de 1'eau. Si Ton retourne energiquement ce recipient sur la table, le riz se deverse d'un coup, la encore comme un fluide. Mais si on le fait plus doucement, c'est par avalanches successives qu'il s'ecoule du saladier. Sur la table, le riz forme un tas stable, il ne s'ecoule plus. Si Ton verse plutot ce riz dans un autre recipient par I'intermediaire d'un entonnoir, il peut s'y ecouler tranquillement la encore comme de 1'eau, mais il peut aussi se bloquer dans I'etranglement en formant une voute. Un autre phenomene que 1'on peut tres facilement observer est celui que 1'on appelle la segregation, c'est-a-dire la separation de grains de natures differentes, par exemple des gros et des petits. Mettez des noix au fond d'un saladier. Recouvrez-les

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de haricots sees et secouez, les noix remontent a la surface et ne redescendent plus! Get effet amusant devient plutot genant quand, dans 1'industrie, on veut bien melanger deux poudres assez dissemblables, lors de la preparation d'une reaction chimique par exemple. Ces experiences tres simples ont ceci d'extraordinaire qu'elles dependent tres peu de la nature precise des grains utilises. Seul importe le caractere granulaire des materiaux. Le riz peut etre remplace par des pois-chiches ou bien du sucre, les observations resteront qualitativement les memes. Donner des explications claires a ces phenomenes tels que la formation d'avalanches, de dunes ou de voutes, ou bien encore la segregation, les decrire avec precision, ou simplement les maitriser correctement n'est cependant pas une mince affaire! Les chercheurs s'y attelent depuis plus d'un siecle, mais les progres dans ce domaine sont lents car ces materiaux rebelles ne se laissent pas enfermer dans des schemas trop simples. L'etude des granulaires releve done bien de la physique moderne et le nombre des questions encore sans reponse est veritablement immense! L'interet des scientifiques est d'autant plus grand que les enjeux derriere les applications de ces etudes sont potentiellement considerables tant ces materiaux sont presents a tous les niveaux de 1'activite humaine. Cette douzaine de pages presente, aussi simplement que possible, 1'essentiel de mon travail de these qui a porte sur une propriete bien particuliere des materiaux granulaires, I'effet de voute. Get effet est essentiel a la comprehension de la physique des tas de sable.

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La vhvsiaue des tas de sable rL/n retournant ce gros tube en verre a moitie rempli de morceaux de sucre irreguliers, seuls quelques-uns de ces derniers sont tombes jusqu'en bas. Les autres sont restes coinces a cause de quatre ou cinq morceaux qui ont decide qu'ils allaient bloquer tous les autres! Ce n'est pas par pur esprit de contradiction ou parce qu'il ont eu peur de se faire mal en tombant. C'est simplement qu'en s'appuyant les uns sur les autres, ainsi qu'aux parois du tube, ils se sont retrouves par hasard dans une configuration stable et n'ont plus eu de raison de bouger. Ils forment ainsi une voute naturelle. Ce phenomene est caracteristique des materiaux granulaires et cette situation de blocage est particulierement frequente lors d'ecoulements denses dans les tubes, silos ou tremies. Si cet effet de voute est bien visible dans ces situations dynamiques, il se manifeste egalernent, mais de fagon plus discrete et plus subtile, dans les systemes a 1'equilibre statique. Si Ton observe la maniere dont les forces se propagent dans un tas de sable, on remarque en effet que la repartition de ces forces est tres inhomogene: sur les epaules de certains grains repose 1'essentiel du poids du tas, alors que d'autres ne sont pratiquement pas sous contrainte! En d'autres termes, les premiers forment des « lignes privilegiees » dans la propagation des contraintes, des « chemins de force ». La photo du haut de la page suivante montre cette repartition inhomogene des forces dans un empilement bidimensionnel: les grains sont d'autant plus clairs qu'ils sont sous contrainte elevee. Cette photo a ete realisee par 1'equipe de Rennes, en utilisant les proprietes photoelastiques de certains materiaux comme le plexiglas. Bien sur, ces chemins ne sont pas, a 1'instar de cette arche en morceaux de sucres, des voutes au sens architectural du terme. En particulier, ils ne sont pas aussi robustes que celles-ci, et un grain situe sous un tel chemin ne sera certainement pas a 1'abri de toute force venant d'au-dessus. Cependant, vraies voutes et chemins de force partagent cette

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propriete de deflexion des contraintes, et sont tous deux la signature de la structure interne du systeme granulaire considere. Une vraie voute n'est finalement qu'un chemin de force tres marque. En particulier on imagine bien que, juste avant de s'ancrer solidement aux parois du tube de verre, la voute en morceaux de sucre preexistait sous forme d'une ligne de force. La limite entre 1'un et 1'autre concept est done assez floue, et dans toute la suite de ce texte, on ne parlera plus de voute qu'au sens large, c'est-adire chemins de force compris. Une des grandes difficultes de la modelisation de la matiere granulaire reside dans la description de ces voutes, de leur formation et de leur evolution. On a dit en particulier que les voutes presentes au cceur d'un systeme granulaire refletent sa structure interne. Or, celle-ci va dependre tres fortement de « 1'histoire » de ce systeme, c'est-a-dire de la maniere dont on 1'a construit, contraint et perturbe. Bref, un systeme granulaire conserve en son sein la memoire de son passe. Par exemple, il serait particulierement ardu de decrire la structure interne, disons, d'un grand sac que Ton aurait rempli avec une fine pluie de grains de sable, puis avec des grosses pelletees de graviers, et que Ton aurait enfin tasse uniquement par endroits! Le scientifique, pour bien comprendre les mecanismes et la physique qui se cachent derriere ces phenomenes, doit, dans un premier temps, limiter son ambition a la description des systemes les plus simples possibles. Par exemple un tas de sable ou un silo a grains. Dans les pages suivantes, on precisera en effet le role des effets de voute lors de la construction d'un tas de sable, du remplissage d'un silo, et lorsqu'on perturbe ce silo, par exemple en tapant sur les parois ou en faisant varier la temperature ambiante. On verra que dans ces trois situations tres simples, les effets sont assez inattendus et defient 1'intuition qu'on peut en avoir.

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La physique des tas de sable

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Cjue peut-on imaginer de plus simple, de plus innocent, qu'un humble tas de sable? A vrai dire, compare a d'autres systemes granulaires comme les silos, les dunes ou les sols, il semble que le cas d'un tas de sable soit la situation la plus facile a comprendre et a decrire. Pourtant, et c'est ga qui est extraordinaire, quand on cherche a modeliser par exemple la maniere dont le poids des grains de sable se propage dans le tas, ou bien la maniere dont s'ecoulent les petites avalanches de sable a la surface du tas, on rencontre deja toutes les difficultes inherentes a la physique de la matiere granulaire. L'experience schematisee sur la page de gauche est a ce titre tres eclairante. Elle peut sembler toute bete: on construit simplement un tas de sable avec un entonnoir. Sur la base du tas, on a prealablement pose des petits capteurs de pression, c'esta-dire des especes de petites balances qu'on a representees sur le schema par des petits plateaux montes sur ressorts. Ces capteurs vont mesurer le poids en differents points sous le tas. En suivant ce protocole plusieurs fois de suite, on peut alors tracer la courbe de pression moyenne P en fonction de la position sous le tas x. Ce que Ton observe alors est vraiment surprenant! Au centre, c'est-a-dire sous la plus grande hauteur de sable, la pression n'est pas du tout maximale. Les valeurs les plus elevees sont au contraire rejetees de part et d'autre du centre du tas, ce qui donne a la courbe une allure de dos de chameau. Intuitivement, on aurait plutot predit un profil de pression en forme de dos de dromadaire, c'est-a-dire une courbe en cloche avec un maximum au centre. Mais c'etait sans compter sur 1'effet de voute! Ce « trou de pression » au centre du tas de sable est la signature de la maniere dont se propagent les forces a 1'interieur du tas. En fait, celles-ci ne se propagent pas verticalement. Elles suivent au contraire les voutes presentes au sein du tas qui deflechissent le poids des grains de sable vers 1'exterieur du tas. Le centre du tas se trouve ainsi « protege » et la pression y est moins forte. Si ces voutes marquent une preference vers 1'exterieur du tas c'est a cause de la maniere dont celui-ci a ete construit. Les grains en sortant du bas de 1'entonnoir tombent sur le sommet puis roulent sur la pente, avant de s'arreter quelque part. On comprend bien qu'ils creent ainsi au sein du tas une structure qui favorise davantage la transmission des forces dans la direction de leur ancien deplacement (i.e. vers 1'exterieur) que dans le sens inverse. En construisant au contraire un tas de sable par couches horizontales successives, par exemple au moyen d'une fine « pluie de sable » la plus homogene possible a travers un diaphragme dont on retrecirait doucement 1'ouverture, on obtient un profil de pression sans minimum au centre, mais avec au contraire un plateau. Plusieurs experiences mettant en evidence ce trou de pression ont ete realisees independamment, et avec des techniques de mesure differentes, par Smid et Novosad en 1981 avec des tas de 20 a 60 cm de haut (ce sont les symboles « vides » sur la courbe de pression), et par Huntley et at en 1997 avec des tas de 6 cm (ce sont les symboles « pleins »). La ligne pleine est la courbe que donnent nos modeles. Si les mesures issues de tas de differentes hauteurs se regroupent sur la meme courbe, c'est que les donnees experimentales (x et P) ont ete adimensionnees par la hauteur du tas considere. L'etude cet humble petit tas de sable pouvait sembler aussi ininteressante qu'inutile. En fait, celui-ci se revele etre un redoutable test pour toutes les theories qui pretendent decrire la maniere dont les forces se propagent a 1'interieur des milieux granulaires.

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La physique des tas de sable

II suffit de se promener sur les petites routes de campagne pour voir les silos que Ton utilise dans les cooperatives agricoles pour le stockage des grains. Or pour le physicien, un silo reste un objet relativement simple, rneme si la presence de parois complique un peu les choses par rapport au cas du tas de sable. On est done dans la situation ideale ou Ton peut faire des calculs et des predictions, et les appliquer a des situations pratiques. Les premieres theories concernant les silos ne datent d'ailleurs pas d'hier puisque Ton doit a Janssen un modele propose a la fin du siecle dernier (1895). En quoi consiste 1'experience qui permet de mettre en evidence les effets de voute dans les silos? Elle est schematisee sur le dessin en haut de cette page. Sur ce dessin, vu la taille de 1'operateur, on peut penser que le silo utilise pour 1'experieiice fait au moins 2 m de haut. En fait, exactement comme dans le cas des experiences menees sur le tas de sable, la taille du systeme granulaire importe peu. A la campagne, les silos a grains peuvent etre immenses (plus de 10 m de haut et autant de large!). Dans les laboratoires, des experiences ont ete realisees sur des silos parfois assez grands (1 a 2 m de haut), mais les points experimentaux traces sur le graphe a droite du schema sont issus de mesures effectuees sur un tube d'environ 20 cm de haut et 4 cm de large. Le tube est solidement relie a la table de « manip' » tandis que le fond est mobile et relie a une balance. On mesure deux quantites dans cette experience: la masse des grains que Ton verse dans le tube et la masse qui pese sur le fond. Les mesures presentees ici ont ete faites par Vanel et Clement en 1998 avec (entre autres) des grains de quartz. Elle sont representees sur le graphe par des carres noirs. La ligne fine est un ajustement du modele de Janssen sur ces donnes, et la ligne epaisse est un ajustement du notre.

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Que se passe-t-il quand on remplit peu a peii le silo? Si on faisait 1'experience avec un fiuide, il ne se passerait rien d'extraordinaire: on peserait sur le fond exactement ce qu'on a verse dans le tube. Avec des grains ce n'est pas le cas! En fait, comme 1'indique la courbe a cote du schema, c'est effectivement le cas quand on verse tres peu de grains dans le tube, mais tres vite la masse des grains qui pesent sur le fond croit nettement moins vite que la masse des grains verses, et finalement « sature » des que la hauteur des grains verses devient comparable au diametre du tube. Autrement dit, on ne mesure sur le fond du silo qu'une fraction de la masse des grains contenus dans le tube, une masse apparente. Bien sur, il n'y a aucune magie la-dessous! La difference entre la masse versee et la masse apparente n'a pas disparu, ce n'est qu'un coup de 1'effet de voute! A cause de ces voutes en effet, le poids des grains ne se propage pas verticalement. II est au contraire devie vers les parois du silo qui, par friction, en supportent une partie. Ainsi seuls les grains dont le poids n'a pas ete ecrante par les murs du silo contribuent a la masse apparente. II s'agit naturellement des grains tout pres du fond, dont la distance a celui-ci est grosso modo inferieure au diametre du silo. La friction des murs joue ici un role essentiel qui arnplifie les effets de voute: plus celle-ci est forte et plus cet effet d'ecrantage est rapide. Ainsi, toute surcharge sur le haut d'un silo, disons, trois ou quatre fois plus haut que large, est entierement supportee par les parois. C'est dire si celles-ci doivent etre solides! Comme vous aller le decouvrir sur les deux pages suivantes, elles doivent meme etre encore plus solides qu'on ne pourrait le penser des a present...

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La physique des tas de sable

Les deux figures de cette double page donnent une image de la structure interne des voutes dans les silos, telle qu'on la represente de maniere simplified dans nos modeles. Celle de gauche est etiquetee « avant » et celle de droite « apres ». Si on les compare attentivement, on peut noter que telle voute a disparu tandis que telle autre est apparue et qu'une grande partie de la structure est restee inchangee. Que s'est-t-il passe entre « avant » et « apres »? A vrai dire, sans doute pas grand chose! Une petite variation de temperature de quelques degres, ou bien une petite vibration? En fait, la matiere granulaire est tres sensible aux petites perturbations exterieures, par exemple thermiques ou mecaniques. En effet, le chemin precis qu'emprunte une voute depend fortement des grains sur lesquels celle-ci s'appuie. Qu'un tel grain vienne a glisser legerement, ou bien simplement a changer un contact avec 1'un de ses voisins, et c'est toute le reseau des voutes sous ce grain qui peut etre amene a se rearranger. On imagine done bien qu'une petite tape sur les parois, ou bien qu'un leger chauffage qui fera gonfler les grains de tres peu de chose (environ 1 //m par degre), puisse suffire a changer au moins partiellement la structure interne du silo. Ce rearrangement interne est en general completement invisible de 1'exterieur: le leger glissement de tel grain est passe inapergu, et le reste du systeme est reste strictement immobile. Pourtant, ces changements apparaissent clairement sur les mesures de masse apparente au bas du silo. Qu'une grosse voute qui s'appuyait sur le fond du silo avant la perturbation vienne a etre device sur la paroi, et la masse apparente diminuera brutalement. Celle-ci au contraire augmentera si une voute initialement ecrantee par la paroi vient reposer directement sur le fond du silo. Notre modele montre que les petites et les grandes variations de la masse apparentesont aussi probables. De petites causes peuvent ainsi engendrer assez facilement de grands effets. En particulier, il se peut tres bien qu'au hasard des perturbations,

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xv

plusieurs grosses voutes fusionnent pres de la paroi du silo, imposant a celle-ci une pression localement enorme. Inversement, ces voutes vont ecranter totalement ou partiellement certaines parties du silo ou les pressions seront tres faibles. Les murs d'un silo doivent done etre suffisamment solides pour resister a des forces tres inegales et reparties de maniere tres inhomogene. En fait, les risques d'accident dans les silos a grains sont surtout d'ordre chimique : il y a partout des petites poussieres issues de grains broyes ou concasses. Celles-ci peuvent s'oxyder brutalement, ce qui fait tout bonnement exploser le silo! Mais les risques mecaniques decrits cidessus ne sont pas pour autant negligeables, surtout par exemple lors de la vidange d'un silo. A cause de cette structure en voute, les grandes fluctuations de forces sont une propriete intrinseque aux granulaires. Autrement dit, les mesures de pression vont toujours etre entachees d'un grande incertitude, mais on ne peut rien y faire! Si on remplit deux fois le meme silo avec exactement la rneme quantite de grain, on peut mesurer sur le fond deux masses apparentes tres differentes, simplement parce que la structure des voutes dans le silo est tres differente d'une fois sur 1'autre. Ce caractere perpetuellement « rearrangeant » des systemes granulaires nous a amene a les qualifier de fragiles. Ce terme prend tout son sens a la lumiere de 1'experience suivante. Essayez de pousser des grains contenus dans un tube a 1'aide d'un piston. Parfois, « ga bloque » car les voutes internes sont dans une configuration ou elles peuvent resister a la pression du piston, et parfois au contraire elle ne le peuvent pas et « ga glisse ». On passe irregulierement d'une situation a 1'autre au gre des perturbations exterieures (en tapant sur le tube par exemple). Un systeme granulaire est done fragile dans le sens ou il se rearrange des qu'on lui impose une contrainte exterieure incompatible avec sa structure interne. La nouvelle structure n'est pas plus stable que 1'ancienne et peut se rearranger a son tour, et ainsi de suite...

XVI

La physique des tas de sable

Ici s'arrete cette petite promenade entre les tas de sable et les silos a grains. II y aurait bien entendu beaucoup d'autres choses a dire. II en reste encore bien davantage a faire et a decouvrir! Les tas, les silos, mais aussi les dunes, les avalanches, les grains que Ton secoue ou que Ton tasse sont bien loin d'avoir livre tous leurs secrets. Finalement, la seule chose a retenir de ces douze pages, c'est qu'au sein des materiaux granulaires, les forces se propagent le long de chemins bien definis, des voutes. Celles-ci leur conferent des proprietes plutot inattendues, ou en tous les cas tres differentes de celles des materiaux auxquels on est davantage habitue, comme les solides ou les fluides ou les forces se transmettent de maniere homogene. Maintenant je suis sur que ces effets de voutes n'ont plus de secrets pour vous, alors la prochaine fois que vous croisez votre copain qui est justement feru de physique, n'oubliez pas de lui poser une petite colle sur la distribution de pression sous un tas de sable ou bien au bas d'un silo...

Illustrations. Les nombreux dessins et illustrations de ces douze pages ont ete realises par PierreYves Claudin. Remerciements. II va sans dire que le travail que j'ai presente ici en mon nom est en fait celui de toute une equipe que je tiens a remercier chaleureusement: Jean-Philippe Bouchaud, Mike Gates et Joachim Wittmer. Je voudrais egalement a rendre hommage a « La Hulotte », le journal le plus lu dans les terriers [58], qui a ete pour moi, en matiere de vulgarisation scientifique, un veritable modele et une source inepuisable d'inspiration.

Sommaire

La physique des tas de sable Description phenomenologique de la propagation des contraintes dans les materiaux granulaires Ph. Claudin

J-

Introduction

3

Propagation des contraintes

9

1. Voutes et chaines de force

9

2. Modeles de distribution des contraintes

2.

sj

Tas de sable et silos a grains

14

47

1. Histoires de tas de sable

47

2. Histoires de silos

78

Desordre et fluctuations

123

1. Le q-model

123

2. Un modele tensoriel

141

3. Le SAM

163

Ann. Phys. FT. 24 • N° 2 • 1999

xviii

Sommaire

Resume et perspectives

185

References

191

Ann. Phys. FT. 24 • N° 2 • 1999

La physique des tas de sable Description phenomenologique de la propagation des contraintes dans les materiaux granulaires Ph. Claudin1

Resume Ce travail porte sur la description de la maniere dont les forces se propagent dans les milieux granulaires comme le sable. Cette categoric de materiaux est en fait tres vaste, et pouvoir predire de maniere satisfaisante la repartition des contraintes au sein d'un systeme granulaire est un enjeu industriel reel et concret. Or ceci est difficile. Une des raisons en est que cette repartition est tres inhomogene : les forces que Ton applique a un empilement sont majoritairement supportees et vehiculees par une fraction seulement des grains, qui forment alors de veritables chaines de force - ou voutes. II en decoule par exemple que le profil de pression sous un tas de sable depend de la maniere dont celui-ci a ete construit. Pour decrire quantitativement ces effets, nous avons propose une relation phenomenologique de friction entre les voutes. Les equations differentielles qui en resultent sont de type hyperbolique. Cela signifie en particulier qu'il existe des lignes privilegiees de propagation appelees caracteristiques, que nous avons fait coi'ncider avec ces voutes. Ces modeles reproduisent bien les donnees experimentales, et permettent entre autres d'expliquer la presence d'une depression au centre du tas lorsque celui-ci est construit avec un entonnoir. Us ameliorent egalement les predictions du modele de Janssen pour le silo. Nous nous sommes aussi interesses aux fluctuations de ces contraintes, et nous avons mis en evidence le caractere fragile - i.e. rearrangeant d'un empilement granulaire. Ceci a particulierement ete etudie au sein d'un modele scalaire tres simple qui permet de visualiser les variations de la structure interne d'un systeme granulaire et les changements dans la distribution des forces qui en resulte.

1. Service de Physique de PEtat Condense, Orme des merisiers, 91191 Gif-sur-Yvette Cedex, France, e-mail : claudin8spec.saclay.cea.fr

Ann. Pays. Fr. 24 • N° 2 • 1999 © EDP Sciences

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La physique des tas de sable

Abstract

Sandpile physics A phenomenological description of stress propagation in granular materials

This work deals with the stress distribution in dry granular media such as sand. As a matter of fact, the granular family is amazingly wide: raw materials used in building, chemical or food industries are made of little grains. Predicting how forces propagate and fluctuate into granular media is then a real and concrete challenge. This goal is not easy to reach. One reason is that the stress distribution is strongly inhomogeneous: the forces applied on a granular system will be supported almost entirely by a fraction of the grains which form chains, or arches. As a consequence, the stress profile beneath a sandpile depends on the way that the pile was built. In order to describe quantitatively these effects, we proposed a phenomenological friction relation between arches. The differential equations which come out from this modelling are of hyperbolic type, which means that there exists particular lines for propagation called characteristics. We managed to match these characteristics with arches. These models fit well with experimental data, and can explain for example the dip of pressure observed beneath the apex of a pile made with a hopper. They also significantly improve Janssen's predictions for the silo. We also looked at stress fluctuations, and showed that granular material are intrinsically fragile when subjected to changing external forces or perturbations. This property has been particulary studied within a scalar arching model with which we were able to visualize changes of stress paths and subsequent changes of the stress distribution.

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Introduction

Les materiaux granulaires La famille des materiaux granulaires est proprement gigantesque : s'y trouvent rassembles sous le meme vocable tous les materiaux composes de grains independants les uns des autres - on parle aussi de materiaux « divises ». C'est dire si cette definition est peu contraignante et englobe un nombre extremement vaste de materiaux. Peu importe que ces grains soient de verre ou de metal, petits comme du sable fin ou bien gros comme des boules de petanque. Peu importe egalement qu'ils soient rugueux ou lisses, legers ou lourds, conducteurs ou isolants, ce sont toujours des grains ! Et sitot qu'ils sont quelques uns ou bien des milliers ensemble, ils forment un milieu granulaire. Ce milieu granulaire, s'il n'est pas plonge dans un fluide (de 1'eau ou un lubrifiant par exemple), ou plus generalement s'il n'est pas melange a un autre materiau aux proprietes franchement differentes des granulaires, sera dit « sec ». C'est de ces materiaux granulaires sees dont on parlera tout au long de ce texte, meme si 1'adjectif « sec » sera souvent sous-entendu. Le premier materiau granulaire qui vient a 1'esprit est certainement le sable, avec ses dunes et ses chateaux. On peut egalement citer bien d'autres exemples qui tous font partie de notre univers quotidien : le riz, le sucre, la litiere pour chats ou encore le ballast des chemins de fer... En fait, la plupart des matieres premieres utilisees dans le batiment, 1'agroalimentaire ou 1'industrie chimique sont des poudres ou des granulats. Les enjeux industriels et economiques lies a la comprehension des proprietes de ces materiaux sont done considerables. Et ce d'autant plus que bien des precedes tels que le broyage, le melange ou le stockage de ces granulats sont encore loin d'etre optimises. Si ces materiaux de natures tres diverses sont regroupes sous le meme nom, c'est qu'ils partagent bon nombre de proprietes physiques et mecaniques. On peut dire qu'ils sont a « mi-chemin » entre les fluides et les solides. Comme de 1'eau, du sable peut-etre contenu dans un recipient quelconque (un saladier par exemple) et en epousera les formes. Si Ton renverse energiquement ce recipient sur la table, le sable se deverse d'un coup, la encore comme un fluide. Mais si on le fait plus doucement, c'est par avalanches successives que le sable s'ecoule du saladier. Sur la table, le sable forme un tas tout a fait stable, il ne s'ecoule plus. On devrait plutot dire « metastable » que « stable » car en 1'occurrence la situation

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la plus stable est celle ou tous les grains de sable sont eparpilles par terre, et non pas celle ou ils ferment un tas. En fait, des que la taille des grains depasse le ^m, 1'energie d'agitation kT devient completement negligeable et toute situation metastable est vraiment stable. A ce titre, tout empilement va avoir des proprietes assez « uniques » dans le sens ou sa structure va dependre de la maniere dont les grains qui le constituent sont arrives a 1'equilibre, i.e. de son « histoire ». Si Ton verse plut6t ce sable dans un autre recipient par 1'intermediaire d'un entonnoir, il peut s'y ecouler tranquillement la encore comme de 1'eau, mais il peut aussi se bloquer dans 1'etranglement en formant une voute. Ces experiences sont si simples qu'on peut les faire dans sa cuisine, mais elles ont ceci d'extraordinaire qu'elle dependent tres peu de la nature precise des grains utilises. Seul importe le caractere granulaire du mate'riau1. L'etude de ces materiaux, on s'en doute, ne date pas d'hier. A la fin du XVIIP siecle, un certain Coulomb, ingenieur du Roi de son etat, s'y interessait deja, et ses travaux sont toujours d'actualite. Sa definition du « materiel ideal », ainsi que son « critere de glissement » [45,141] seront des concepts que nous utiliserons regulierement. Nous ferons egalement largement reference au modele de silo que proposa Janssen en 1895 [99,141]. Jusqu'aux annees 70, il n'y avait pas a strictement parler une branche des sciences physiques sur les materiaux granulaires. L'etude de ces ~, , ._. ^ 7 u • • materiaux n'etaient que A Charles Augustm de Coulomb, mgemeur ^ cparties d'etudes , , . , ,, ,„„,, , , , apphquees a des problemes concrets et 0 . du Roi, ne a Angouleme en 1736 et mort a „ . precis : il sagissait de modeliser les ^proto innf Pans en 1806. ^ . . , , prietes mecamques des sols9 pour pouvoir construire des immeubles, des barrages en toute securite, il fallait concevoir des tremies, des silos a grains solides et fonctionnels... Ce n'est que tres recemment que la communaute des physiciens s'est attelee a etudier les proprietes et les mecanismes fondamentaux des granulaires. Que la premiere experience « serieuse » ou a ete mesuree la distribution des contraintes sous un simple tas de sable, date de 1981 [175] est bien revelateur du fait que, par le passe, seules les etudes aux conclusions directement applicables ont ete veritablement menees. 1. Quand la taille des grains devient inferieure au micron, les interactions electrostatiques ne sont plus negligeables, et les proprietes d'un ensemble de tels grains s'en ressentent beaucoup. 2. Un sol est typiquement un materiau granulaire qui n'est pas sec : se trouvent meles des sables, des roches, des argiles, de 1'eau... On congoit bien (on en reparlera) que le cadre de description des granulaires sees soit relativement different de celui des sols.

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II s'est done cree depuis quelques dizaines d'annees tout un nouveau domaine de la physique fondamentale sur les materiaux granulaires sees. Ce domaine fourmille de phenomenes extrgmement varies et encore bien peu compris. On peut citer pele-mele les effets de segregation et de stratification, la formation d'arches, de rides et de dunes, de patterns, de bandes, et meme de « bulles », les ecoulements, les avalanches... On pourra trouver un tres bon etat des connaissances actuelles sur les granulaires sees dans les trois livres suivants : le premier est la synthese de la conference Friction, Arching, Contact Dynamics [210] qui s'est deroulee a Jiilich en Allemagne en 1997. Le deuxieme est issue de la conference Powder and Grains de 1997 [14] qui a eu lieu a Durham aux USA. Le troisieme a ete ecrit par les participants a 1'Ecole d'ete de Cargese (septembre 1998, en Corse) sur le theme Physics of dry granular media [86]. Ces trois ouvrages sont epais et riches en information, et on constatera que bon nombre d'articles cites dans cet article en font partie. Le lecteur interesse pourra egalement consulter les articles de revue de de Gennes [56], Guyon et al. [82], ainsi que les articles plus vulgarises de Jaeger et al. [97] et Herrmann [85]. C'est ainsi a un formidable nombre de questions ouvertes que la physique actuelle doit repondre. Parmi celles-ci, cet article se propose de reflechir a la description de la maniere dont les contraintes se propagent dans un tas de sable. II peut sembler bien peu audacieux de s'interesser a un humble tas de sable. Le tas est en fait la configuration la plus simple - apres peut-etre le milieu semi-infini qui n'a pas de veritable realite experimental - sur laquelle on peut tester des theories, verifier des hypotheses : c'est un systeme modele. On verra que la statique des granulaires sees n'est pas une chose triviale et revele au contraire bien des effets inattendus.

Plan de I'ouvrage Comme son sous-titre 1'indique, ce travail presente une description phenomenologique de la propagation des contraintes dans les materiaux granulaires. On sousentendra partout qu'il s'agit de milieux granulaires sees, et a 1'equilibre. Rien de veritablement dynamique ne sera aborde. L'ouvrage est organise en trois chapitres. Le chapitre 1 presente dans sa premiere section cet effet propre aux materiaux granulaires que Ton appelle (peut-etre un peu abusivement) « effet de voute », ainsi que ses consequences quant a la structure, la « fragilite » - nous definirons ce terme - et la grande sensibilite aux perturbations exterieures de ces materiaux. La deuxieme section de ce m6me chapitre montre les difncultes que Ton rencontre quand on cherche a obtenir simplement un systeme ferme d'equations regissant la maniere dont les forces se propagent a travers un systeme granulaire au repos. Ces difficultes, on le verra, trouvent leurs origines dans la nature indeterminee de 1'equilibre de deux solides frottants en contact. Apres avoir presente les differentes methodes et modeles proposes jusqu'a ce jour, un nouvel angle d'attaque qui essaie de prendre en compte la structure en voutes de ces materiaux sera avance et justifie. II existe des differences de fond

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entre cette nouvelle approche et les anciennes. Elles sont discutees en detail a la fin de ce chapitre 1. Dans le chapitre 2, on s'interesse a deux situations particulierement simples : le tas et le silo. Dans ces deux cas, la geometric du systeme est suffisamment elementaire pour que les differents modeles « en concurrence » puissent etre resolus numeriquement ou analytiquement et compares aux donnees experimentales. Dans le premier cas, ce qui a ete mesure avec precision, c'est le profil moyen de pression sous un tas de sable forme a partir d'un point source - i.e. un entonnoir. Ce qui est assez non-intuitif, c'est que ce profil n'est pas maximum au centre, c'est-a-dire la ou la hauteur de sable est la plus grande. En ce point au contraire, la pression passe par un minimum local - un trou de pression. Le profil moyen de pression a done une allure de double bosse. Get effet s'interprete comme une consequence des effets de voute au sein du tas qui fait que le poids est rejete vers les bords du tas. II ne se decrit de maniere consistante que dans le cadre de nos modeles OSL - pour Oriented Stress Linearity model. Dans le cas du silo, c'est la pression moyenne au bas de ce silo en fonction de la hauteur de grain contenu dans celuici qui a ete mesuree. Cette courbe, d'abord croissante pour de faibles hauteurs de grains, sature ensuite lorsque celle-ci depasse grosso modo le diametre du silo. Cela signifie que dans un silo beaucoup plus haut que large, les grains du bas ne ressentent pas Pinfluence de ceux du haut. La encore, cet ecrantage se fait par effet de voute et le poids des grains est partiellement ecrante par les parois du silo. Si tous les modeles s'accordent assez bien sur la forme qualitative de cette courbe, une etude quantitative et precise met de nouveau en avant nos modeles OSL. Autour de ces courbes moyennes, les contraintes fluctuent. Et elles fluctuent meme beaucoup. On verra en effet que la distribution des grandes forces est typiquement d'allure exponentielle, c'est-a-dire que Pecart a la moyenne est typiquement du meme ordre de grandeur que la moyenne elle-meme ! C'est a ces fluctuations qu'est dedie le chapitre 3. La premiere section fait le tour de ce qui s'est fait dans ce domaine. En depit de la grande amplitude de ces fluctuations, les travaux les concernant sont vraiment recents. On a presque Pimpression que les grandes barres d'erreur qui entachaient les mesures ont ete purement et simplernent ignorees, voire cache"es ! Plus serieusement, Pidee que les fluctuations d'un signal contiennent des informations interessantes est relativement neuve. En fait, on verra dans ce chapitre que celles-ci sont pour ainsi dire intrinseques aux milieux granulaires et signent les proprietes de ceux-la peut-etre encore plus que les courbes moyennes. Le q-model, modele propose par le groupe de Chicago [43,44,121] pour decrire les fluctuations des contraintes dans les materiaux granulaires, sera en particulier analyse dans le detail, et c'est sur lui que Pon presentera une methode diagrammatique pour calculer les fonctions de reponse et de correlation d'un systeme de grains. Ce q-model est un modele « scalaire » dans le sens ou une seule composante du tenseur des contraintes est prise en compte : la pression verticale - le poids. Cette meme methode sera utilisee ensuite sur notre three leg model, le pendant tensoriel du q-model. Ce sera Pobjet de la section suivante. Dans ces deux modeles, la probabilite de trouver une contrainte elevee (disons plus grande que la valeur moyenne) est assez grande puisqu'elle decroit exponentiellement.

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Par centre, les deux modeles different grandement quant aux fonctions de reponse et de correlation. Au sein de ce modele tensoriel reside un « probleme » auquel nous n'avons (pour 1'instant) pas encore remedie3 : on observe parfois des pressions negatives, ce qui n'est pas physiquement admissible pour des systemes granulaires sans cohesion. Celles-ci s'interpretent en fait comme un signe d'instabilite : le systeme granulaire veut se rearranger. C'est precisement cette capacite qu'ont les materiaux granulaires a se rearranger a la suite de tres petites perturbations exterieures (comme de faibles variations de temperature) qui est traitee dans la troisieme et derniere section de ce chapitre 3. Pour modeliser cette propriete, nous avons modifie le q-model afin de prendre en compte les effets de voute et le resultat a ete baptise le Scalar Arching Model - ou SAM pour les intimes. Ce modele a ete en outre utilise pour decrire la situation ou Ton cherche a faire avancer un ensemble de grains dans un tube en le poussant a 1'aide d'un piston. On observe alors une succession irreguliere de moments ou le systeme de grain glisse et d'autres ou il se bloque, suivant que sa structure interne lui permet ou non de resister a la pression exercee par le piston. Get article se termine sur un chapitre de conclusion ou sont rappeles nos principaux resultats. On y essaie egalement de faire le tour des differentes perspectives et possibilites de prolongement de ces travaux.

3. D'autres equipes, comme celle de Chicago [144], ou bien Socolar [176] se sont egalement attele a ce probleme.

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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.

n Propagation des contraintes

1. Voutes et chames de force Cette section est entierement consacree aux voutes. On verra qu'au sein des materiaux granulaires, il est utile d'etendre le sens « architectural » de ce mot a la notion de « chame de force ». On presentera en effet plusieurs travaux, tant experimentaux que numeriques, qui montrent 1'importance des « efFets de voute » dans la repartition et les fluctuations des contraintes au sein d'un systeme de grains.

1.1.

Voutes « architecturales »

Si Ton en croit le Petit Larousse, le mot « voute » designe un ouvrage de magonnerie, cintre, forme d 'un assemblage de pierres qui s 'appuient les unes sur les autres. Et dans toutes les constructions un peu anciennes, on peut en effet en admirer de fort jolies, temoin celles du pont de Millery (Fig. 1). Le principe d'une voute est tres simple : les pierres qui la constituent, en s'appuyant les unes sur les autres, deflechissent le poids de ce qui se trouve audessus de cette voute vers les piliers lateraux situes sur les cotes de celle-ci.

Figure 1. Millery : pont « charpente » sur 1'Armagon date du XVIIF siecle. [Millery bridge (XVIIIth century) on River Armangon.]

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Figure 2. En retournant un tube contenant par exemple des morceaux de sucre, on observe souvent la formation d'une veritable voute - au sens architectural du terme - qui s'appuie sur les parois de ce tube, et bloque Fecoulement des grains. [An arch (in the architectural sense) formation can be observed when a tube containing grains is put upside-down.]

Par un savant assemblage de voutes et de contreforts, on pent ainsi construire de hauts batiments d'une stabilite etonnante. Pour des raisons qui deviendront plus claires dans la sous-section suivante, nous nous refererons a ce sens du mot voute en lui ajoutant 1'adjectif « architectural ». De telles voutes ne sont cependant pas toujours 1'ceuvre d'un architecte. On en rencontre par exemple a 1'etat naturel dans les materiaux granulaires. Lorsque Ton essaie de faire couler des grains dans un entonnoir ou bien dans un conduit quelconque, il est en effet tres frequent que 1'ecoulement se bloque. Ce blocage, parfois tres robuste, est du a une configuration de grains qui, en s'appuyant les uns sur les autres, transmettent le poids qu'ils supportent sur les parois du tube ou de 1'entonnoir. Autrement dit, ils forment une veritable voute. Pour illustrer ce phenomene, Jacques Duran [63 65] a 1'habitude de montrer, lors de ses seminaires, la petite experience schematisee sur la figure 2. On remplit a moitie un tube de verre avec un materiau granulaire. L'experience marche particulierement bien avec des morceaux de sucre, ou avec de la sepiolite - i.e. de la litiere pour chat. Si on tasse les grains d'un geste sec et energique, alors, lorsqu'ensuite on retourne le tube, seule une partie de ceux-ci tombent au fond. Les autres sont retenus par une magnifique voute naturelle. Si Ton ne tasse pas assez les grains, 1'experience ne marche pas bien parce que les forces de friction qui assurent la stabilite de ce genre d'edifice ne sont pas suffisamment mobilisees. 1.2.

Voutes et chames de force

Lorsqu'on sollicite un ensemble de grains, simplement en appuyant dessus, ou bien en exergant un cisaillement, la repartition des forces qui en resulte au sein

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Figure 3. Experience realisee par Travers et al. : des cylindres photoelastiques sont mis sous contrainte. On pent observer les chaines de forces entre deux polariseurs croises : les cylindres sont d'autant plus lurnineux qu'ils sont soumis a une contrainte importante. La repartition des forces est manifestement tres heterogene. [Photoelastic experiment done by Travers et al. on plexiglas cylinders. Bright grains are those submitted to the largest stresses. The stress distribution looks strongly inhomogeneous.]

de ce systeme est tres inhomogene. En effet, certains grains ne sont pratiquement pas sous contrainte, alors que toute la charge repose sur d'autres. Ces derniers font partie de « chaines de forces » bien marquees. Dantu est Tun des premiers a avoir observe et etudie ces « chainons » (pour reprendre son expression) sur des experiences realisees avec des grains photoelastiques comme le plexiglas [50-53]. Ces materiaux ont la propriete de faire tourner le plan de polarisation de la lumiere lorsqu'ils sont sous contrainte. Ainsi, en eclairant un systeme bidimensionnel de grains des cylindres - entre deux polariseurs croises, on peut distinguer des lignes lumineuses qui sont ces chaines de forces, alors que le reste demeure sombre. Ce type d'experiences a ete repris de maniere plus quantitative par Travers et al a Rennes [147,184-186] - cf. figure 3 ainsi que par Howell et al. a Durham (USA) [90-92,202,203] dans une cellule annulaire de cisaillement - cf. figure 4. Pour designer ces chaines de force, nous emploierons egalement le terme de voute. Cette extension est assez naturelle. En effet, les voutes « architecturales » sont aussi des chaines de force, mais tellement robustes qu'elles ecrantent totalement le poids qui leur pese dessus. Au-dessous de celles-ci, la pression retombe done a zero. Les voutes que Ton observe sur les figures 3 et 4 ne sont bien sur pas si solides, mais sont egalement des lignes de contact entre grains, qui propagent

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Figure 4. Meme type d'experience que celle de Travers et al., mais realisee dans une cellule annulaire de cisaillement (Howell et al.). [Same kind of experiment done here in an annular shear cell (Howell et al.).]

Figure 5. On retrouve la presence de ces chaines de force dans les simulations de Radjai et al. Sur cette figure, plus les lignes sont epaisses, et plus les forces sont grandes. [Force chains can also be seen in Radjai et al. 's simulations. Lines are thicker for larger stresses.]

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Figure 6. Cette figure represents 1'histogramme angulaire - ou polaire - de I'orientation des contacts dans les simulations de Radjai et al. Cette orientation est a peu pres isotrope pour le sous-reseau des forces « faibles » (l). Par contre, les contacts « forts » sont diriges en majorite dans la direction moyenne des voutes. [Polar histogram of the orientation of contacts between grains in Radjai et al. 's simulations. This orientation is more or less isotropic for contacts supporting "weak" forces (l), but "strong" contacts are mostly oriented in the direction of arches.]

et conduisent les contraintes de maniere privilegiee. Remarquons enfin qu'avant de se former (par exemple dans 1'experience de Duran, Fig. 2), une voute « au sens fort » pre-existait certainement sous la forme d'une voute « au sens faible ». De nombreuses simulations numeriques ont ete entreprises pour modeliser la statique et la dynamique des materiaux granulaires. Citons ici tout particulierement celles de Radjai et al. [10,159-161,163-165] qui permettent d'obtenir des figures telles que celle represented sur la figure 5. La methode utilisee est due a Jean-Jacques Moreau et Michel Jean [131-133,162]. Elle a ete baptisee Contact Dynamics method. Contrairement a d'autres algorithmes, elle permet de considerer des grains parfaitement rigides obeissant a une loi de frottement coulombien exacte [162]. Ces simulations apportent enormement d'informations « microscopiques » - i.e. a 1'echelle du grain - qui auraient ete d'un acces difficile experimentalement. En particulier, Radjai et al. ont montre que 1'on peut faire une partition bien definie entre les contacts « forts » et « faibles » qui portent respectivement des forces superieures et inferieures a la force moyenne. L'orientation des contacts « faibles » (environ 60 % des contacts) est a peu pres isotrope, alors que celle des contacts « forts » correspond a la direction moyenne des voutes - cf. figure 6. La encore, on retrouve le fait qu'une partie seulement des grains supportent les contraintes exterieures, 1'autre partie jouant le role de « spectateurs » 1 . Ces notions de voutes et d'anisotropie vont etre les notions-cles2 de tous nos modeles decrivant la propagation des contraintes dans les materiaux granulaires, et en constituent les ingredients physiques majeurs.

1. Us ont en fait un r6le stabilisateur non negligeable, en empechant les voutes de flamber. 2. De voute !

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1.3.

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Conclusion

La presence de voutes au sein des materiaux granulaires confere a ceux-ci des proprietes qui pourraient sembler assez etranges si on les comparait a des solides ou a des liquides ordinaires. Entre autres « effets de voutes », on verra par exemple que le profil de pression sous un tas de sable depend de la maniere dont on construit ce tas (avec un entonnoir ou bien par couches horizontales successives), et que le centre du tas n'est pas forcement 1'endroit le plus contraint. On verra egalement que tout le poids des grains contenus dans un silo ne repose pas sur le fond. Les murs en supportent au contraire une grosse partie, et sur le fond du silo ne pese qu'une « masse apparente ». Enfin, on montrera en outre qu'il suffit de tres petites perturbations exterieures (de faibles variations de temperature par exemple, ou bien de legeres vibrations) pour que le reseau de ces voutes se rearrange plus ou moins partiellement et change ainsi fortement la repartition des contraintes et done la valeur de cette masse apparente. Dans la section suivante, nous allons montrer que Ton peut utiliser Fanisotropie de contact creee par ces voutes pour construire un modele de propagation des contraintes de type « plastique », mais possedant une direction privilegiee (celle des voutes). Ce modele de voute sera alors applique dans les chapitres suivants au cas du tas de sable, et du silo. II sera egalement modifie pour rendre compte des fluctuations des forces au sein des rnateriaux granulaires.

2.

Mo deles de distribution des contraintes

Les rnateriaux granulaires sont des rnateriaux « rebelles » qui ne se laissent pas enfermer dans des schemas de modelisation trop simples ou trop reducteurs. En particulier, la description de la maniere dont les forces se propagent dans un empilement statique de grains n'est pas une tache facile. II y a plusieurs raisons a cela. Les granulaires, contrairement a des materiaux plus classiques, possedent une structure interne tres inhomogene : comme on 1'a vu dans la section precedente, des « chemins de force » - ou voutes - bien marques supportent une grande partie du poids de 1'ensemble, alors que les grains qui ne font pas partie de ces chemins ne sont pratiquement pas sous contrainte. De plus, les forces qui lient les grains entre eux et donnent une stabilite aux empilements granulaires sont des forces de friction dont la mobilisation depend enormement du passe de chaque grain, meme quand ces grains sont au repos.- Une autre particularity d'un systeme de grains est que ceux-ci ne peuvent supporter les forces qu'en compression et non pas en tension. Enfin, ces structures sont egalement tres desordonnees et tres sensibles aux petites perturbations exterieures. Aussi, la description de 1'equilibre statique des materiaux granulaires passe-telle par la comprehension de toute la physique des effets de voutes. Or la recherche dans ce domaine en est encore a ses balbutiements. En turbulence par exemple, le cadre de description (i.e. les variables pertinentes ainsi que les equations qui les regissent) est clair : ce sont les equations de Navier-Stokes qui portent sur le champ des vitesses. Mais si les physiciens sont encore bien loin de tout savoir

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Figure 7. Frottement d'un solide sur un plan. [Friction of a solid on a plane.]

dans ce domaine-la, c'est qu'ils ont du mal a tirer les conclusions de ces equations, a predire des effets et a les tester experimentalement. Par centre, pour la modelisation de la distribution des forces dans les milieux granulaires, c'est le cadre de description lui-meme qui ne fait pas 1'unanimite. Dans cette section, nous allons d'abord preciser la nature des difficultes de cette modelisation, entre autres liees a la presence des forces de friction. Nous presenterons ensuite la maniere dont ces difficultes ont ete traditionnellement contournees - notamment dans le domaine de la mecanique des sols -, puis nous proposerons une nouvelle fagon d'aborder le probleme. Enfin, la derniere sous-section discute de la compatibilite de ces deux approches. Celles-ci sont en effet, dans une certaine mesure, relativement differentes. Afin de rendre cette discussion plus claire et plus vivante - et dans la realite les echanges entre les tenants des deux approches ont ete assez passionnes -, j'ai pris la liberte de la presenter sous la forme d'un dialogue imaginaire.

2.1.

Indetermination et frottement solide

Loi d'Amontons-Coulomb Lorsque deux solides frottent 1'un centre 1'autre, il se developpe, a la surface de contact entre ces deux solides, une force de friction qui s'oppose au mouvement ou a la tendance au mouvement. La loi empirique que suivent ces forces de friction est tres simple. Elle a ete decouverte par Amontons3 en 1699 [3] puis reprise par Coulomb en 1781 [45]. Elle peut se resumer de la maniere suivante. Prenons un solide, et posons le sur un plan rugueux (cf. Fig. 7). Ce solide a un certain poids N qui s'applique ici normalement au plan de contact. La force horizontale tangentielle a ce plan T que 1'on doit exercer pour faire glisser le solide doit exceder, en module, une fraction determinee du poids N. Autrement dit, le solide sera dans une situation stable tant que

ou 0 est par definition Tangle de friction4 du contact entre le solide et le plan. Celui-ci est d'autant plus grand que la rugosite du contact est forte. 3. Le premier a avoir veritablement decouvert cette loi du frottement solide est Leonard de Vinci, a la fin du XV e siecle. 4. En fait, il existe deux angles de friction : Tangle « statique » 0S et Tangle dynamique (j)d < 4>s dont la tangente donne la valeur minimum du rapport T/N pour qu'il y ait toujours glissement, lorsque celui-ci a deja demarre. La difference entre les deux angles donne lieu (entre autres) au phenomene de stick-slip.

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Figure 8. Tenseur des contraintes en deux dimensions. [Stress tensor in two dimensions.]

Les fondements profonds de cette loi incroyablement simple et robuste, et du frottement solide en general, sont toujours 1'objet de recherches actives [11,28]. La consequence la plus importante de cette analyse pour notre propos est que les forces de friction dans un systeme a 1'equilibre sont a priori indeterminees si on ne sait rien du passe de ce systeme, c'est-a-dire de la maniere dont les solides qui etaient en mouvement se sont retrouves immobiles. En d'autres mots, la seule condition d'equilibre (1.1) ne permet pas de connaitre le degre de mobilisation des forces de friction qui depend de la configuration precise des contacts entre les solides de ce systeme. Quand on est a la limite du glissement par contre, on sait que T = ± tan 07V (le signe depend du sens de ce glissement) et toutes les forces sont connues. Le critere de Mohr-Coulomb dont nous aliens parler dans la suite de cette section, est 1'equivalent de cette inegalite (1.1) pour un sol, et un milieu granulaire en particulier. II va donner une limite de stabilite au-dela de laquelle il va y avoir glissement, et I'hypothese que le systeme est marginalement stable est egalement un moyen de lever 1'indetermination des seules equations d'equilibre cf. paragraphe suivant. Ainsi, une des difficultes majeures de la description de la repartition des forces dans ces materiaux granulaires est de trouver un moyen de connaitre la mobilisation des forces de friction entre les grains. Equations d'equilibre En mecanique des milieux continus, les contraintes qui s'exercent sur un element de volume forment un tenseur que 1'on denote par o~ij. En deux dimensions, ce tenseur a quatre composantes - cf. figure 8. Les composantes diagonales azz et crxx representent les pressions le long des axes z et x respectivement. Les elements non diagonaux azx et o~xz sont les cisaillements le long de ces deux memes axes. Lorsque le systeme considere est a 1'equilibre, en chaque point la somme des forces ainsi que la somme des couples doivent s'annuler. La deuxieme condition impose la symetrie du tenseur des contraintes. En deux dimensions azx = axz. Si le systeme n'est, en volume, soumis qu'aux forces de pesanteur, 1'equilibre

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des forces s'ecrit de la maniere suivante :

ou p designe la densite du milieu granulaire considere et g 1'intensite de la gravite. Les equations (1.2) sont au nombre de d (le nombre de dimensions du systeme), alors que le nombre d'inconnues (le nombre de composantes independantes du tenseur des contraintes symetrique) est d(d + l)/2. Pour d = 2, il manque une equation. Pour d = 3 il en manque trois5. Dans toute la suite de cette section, nous nous limiterons au cas bidimensionnel pour plus de simplicite. Dans ce cas la les equations (1.2) s'ecrivent explicitement

ou 1'axe z est le long du vecteur g et x est horizontal. On retrouve done, a ce niveau de description, que les seules equations d'equilibre (1.3, 1.4) ne suffisent pas a determiner completement 1'etat de contrainte du systeme considere. C'est done ici que les choses interessantes commencent et qu'il faut veritablement introduire davantage de physique ! Une maniere tres generale de lever cette indetermination serait bien sur d'apprehender le probleme d'un point de vue dynamique. Ainsi, on pourrait imaginer decrire la repartition des contraintes dans un tas de sable en modelisant completement le flot de grains qui lui a donne naissance - avalanches, etc. Mais on imagine la complexite d'une telle theorie pour un simple tas de sable ! En effet, la situation a laquelle on s'interesse - dans cet exemple un tas de sable au repos - est celle que Ton obtiendrait a la fin d'un long calcul dynamique, lorsque 1'equilibre est atteint. Ne peut-on pas essayer de trouver une maniere de decrire directement un tas de sable au repos ? On a vu dans le paragraphe precedent qu'une des hypotheses possibles etait de supposer que les grains sont a la limite du glissement, ce qui permet d'associer aux deux equations (1.3, 1.4) la relation du critere de Mohr-Coulomb - c'est le modele IFE, cf. sous-section suivante. Si 1'on avait plutot affaire a un solide elastique, il faudrait introduire le tenseur des deformations et le lier a celui des contraintes avec une « loi d'elasticite » appropriee au type de materiau considere. La question centrale de ce travail a done ete de savoir ce qu'il faut rajouter a ces equations pour decrire correctement, et aussi simplement que possible, la distribution des contraintes dans un materiau granulaire sec au repos. Isostaticite La presence de forces de friction entre les grains d'un systeme granulaire n'est pas la seule cause d'indetermination quand on cherche a calculer son etat de contrainte. Considerons a cet effet des billes parfaitement lisses dans un espace de dimension d. 5. On verra que si le systeme considere est suffisamment symetrique - symetrie cylindrique par exemple comme c'est le cas pour les tas de sable et les silos tridimensionnels les plus simples le nombre d'equations manquantes tombe a deux.

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Les equations d'equilibre des forces donnent d equations par bille6. Par consequent, si le nombre de contact entre les billes7 depasse Id - et il faut que ce nombre soit superieur ou egal a Id pour assurer la stabilite mecanique du systeme -, toutes les forces ne peuvent 6tre determinees de fagon unique. Ouaguenouni et Roux [151-153], ainsi que Moukarzel [134,135] ont montre que les ensembles legerement polydisperses de billes parfaitement lisses et rigides sont generiquement dans une situation isostatique, c'est-a-dire telle que le nombre total de contacts entre les grains est exactement egal au nombre total d'equations d'equilibre. Autrement dit, les billes de ces systemes ont, en moyenne, Id contacts avec leurs voisines. Cette situation est particulierement interessante car 1'etat de contrainte du systeme granulaire est alors unique et peut etre calcule completement une fois que Ton a specifie les forces qui s'appliquent aux limites de ce systeme. Edwards, Grinev et Ball [9,71 73] ainsi que Tkachenko et Witten [183] ont mis en evidence que cette situation isostatique engendre naturellement des relations entre composantes du tenseur des contraintes telles que celles que nous allons proposer dans la sous-section 2.3. Nous allons voir que ces relations donnent des equations de type hyperboliques pour la propagation des contraintes, c'est-a-dire, en particulier, « causales ». Ce terme est a prendre ici dans le sens suivant. Si on impose une certaine structure isostatique fixe au reseau des contacts, alors les forces que Ton mesure « en sortie » sur 1'une des moities des limites du systeme disons, pour fixer les idees, sur le bas du systeme - est la consequence de ce que Ton a impose sur 1'autre moitie i.e. sur le haut 8 . Pour reprendre 1'expression de Witten, un milieu decrit par ces equations est « transparent ». Reciproquement, si les contraintes qui s'appliquent sur cet ensemble de grains sont specifiees sur toutes les limites de ce systeme, alors le reseau des contacts entre grains sera la consequence de ces conditions aux limites : la structure interne se forme de telle maniere a resister aux forces appliquees. Nous reviendrons sur ces proprietes quand nous parlerons de systemes « fragiles ». Ces systemes isostatiques presentent des proprietes caracteristiques des veritables materiaux granulaires. On y trouve en particulier des chaines de forces bien marquees, ils sont tres instables et se rearrangent tres facilement a la suite de petites perturbations. Dans une certaine mesure, cet etat isostatique est done critique [169,178] sans que pour autant la densite de ces systemes soit particulierement lache. Cependant, lorsque Ton essaie de prendre en compte des valeurs finies de la friction entre ces billes - et les veritables materiaux granulaires sont formes de grains frottants -, ces auteurs nous disent que ces belles proprietes ont tendance a disparaitre de leurs modeles. Le role de la friction dans ces phenomenes n'est done pas encore tres clair. Nous avons vu dans la section precedente que tous les contacts entre grains sont en fait loin d'etre equivalents. En particulier, Radjai et al. [163,165] ont montre que Ton pouvait separer assez clairement 6. Les equations sur les couples sont automatiquement verifiees dans ce cas car toutes les forces pointent ici vers le centre des billes. 7. Le lecteur interesse par plus de details sur la coordinance des empilements de spheres peut consulter par exemple [13,17]. 8. Dans cet exemple, la dimension verticale joue done un r6le analogue a celui du temps dans les equations d'onde.

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le sous-reseau des contacts (60 % de ceux-ci) portant les forces faibles, de celui portant les grandes forces. Aussi n'est-il peut-etre pas deraisonnable de penser que ce dernier - qui est majoritairement responsable de la reponse mecanique du systeme de grains - reste quasi isostatique9 et done « critique ». 2.2.

Approches traditionnelles

Mecanique des sols Apres avoir mobilise 1'activite de nombreux ingenieurs travaillant sur les silos a la fin du siecle dernier, les materiaux granulaires ont ete 1'un des sujets d'etude des mecaniciens des sols. Ce n'est que tres recemment que des physiciens venus de tous horizons s'y sont interesses. On peut trouver les grandes lignes de 1'approche de la mecanique des sols dans, par exemple, les livres de Terzaghi [180] et de Terzaghi et Peck [181]. Pour resumer celles-ci en deux mots, on peut dire que les modeles utilises pour decrire la repartition des contraintes dans un sol sont des modeles du type elasto-plastique. Cela signifie que lorsqu'on applique des contraintes a ce sol, les parties qui se deferment de maniere irreversible - i.e. glissement ou rupture - sont modelisees par des equations du type du critere de Mohr-Coulomb (voir pages suivantes), et les autres par un modele de type elastique (eventuellement non lineaire). A titre d'exemple, un sol semi-infini soumis aux seules forces de gravite a ete decrit de la maniere suivante par Rankine (1857). II introduit le rapport entre les pressions horizontale et verticale K0 defini comme le coefficient de pression des terres au repos. Ce coefficient empirique dont la valeur depend de la compacite relative du sol et de son mode de mise en place - i.e. de son « histoire » - est compris entre deux bornes : Ka < K0 < Kp. Le parametre Ka (resp. Kp) est le coefficient de pression active (resp. passive) des terres. Ces deux situations extremes correspondent a un equilibre plastique, c'est-a-dire a la limite du glissement - cf. ci-dessous. Sauf sollicitation particuliere de ce sol, le coefficient KQ ne sera pas egal a 1'une de ses bornes, et le sol est considere dans un etat d'equilibre elastique. Si cette theorie est sans aucun doute un bon modele pour les sols en general, on peut se demander si une telle image est pertinente pour la description des milieux granulaires sees et rigides, materiaux qui sont au centre de ce travail. En particulier, les equations qui decrivent un etat d'equilibre elastique sont de nature elliptique. Ces equations, contrairement a celles de type hyperboliques, ne possedent pas de structures propagatives des caracteristiques -, structures qu'on aimerait associer a ces chaines de forces. La question est done de savoir si, a une echelle grande devant la taille des grains, les inhomogeneites de la structure interne des granulaires restent importantes ou pas. Avant de revenir sur ce debat dans la sous-section 2.4, nous allons parler de 1'incontoumable critere de Mohr-Coulomb 9. A strictement parler, le reseau des grandes forces ne peut supporter a lui seul le chargement impose au systeme...

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Figure 9. Le point M est stable si pour tout angle T le cisaillement en ce point est tel que a nm < tan0a n n, ou 0 est par definition Fangle de friction interne du materiau considere. [The point M. is stable if, for any angle r, tie local shear stress is such that anm < tan(/> is by definition the internal friction angle.]

puis presenterons not re fagon de decrire la maniere dont les forces se propagent dans les materiaux granulaires. Critere de Mohr-Coulomb Le critere de Mohr-Coulomb permet de preciser sous quelles conditions un sol (et en particulier un systeme granulaire) au repos est stable, ou s'il s'apprete a glisser dans une certaine direction. L'analyse que nous aliens presenter sera restreinte, par souci de simplicite, a une situation bidimensionnelle. Par analogic avec Pinegalite de stabilite (1.1) qui decrit la situation ou deux solides sont en contact, ce critere s'enonce de la maniere suivante. Considerons une ligne quelconque a 1'interieur de ce materiau. En chaque point M de cette ligne, on peut definir les vecteurs n et m, respectivement normal et tangent a cette ligne. On appelle r I'angle que forment ces vecteurs avec les axes (x, z ) , cf. figure 9. Cette ligne sera une ligne de glissement si le cisaillement anm le long de cette ligne excede, en module, tan fois la pression crnn normale a cette ligne. Autrement dit, par definition de Tangle de friction 0, le point M est stable si pour tout angle r le cisaillement en ce point est tel que Cette inegalite n'est valable que pour un materiau non cohesif. Si au contraire les particules formant ce materiau exercent entre elles des forces attractives10, on dit que le materiau possede une certaine cohesion c, et le critere de Mohr-Coulomb doit alors etre reecrit sous la forme

10. C'est par exemple le cas avec les argiles ou les sables humides, ou bien lorsque les grains sont tellement petits (moins de 100 /um) que les interactions electrostatiques entre grains ne sont plus negligeables.

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L'angle de friction et la cohesion c sont ainsi deux parametres caracteristiques d'un material! donne, et peuvent etre mesures dans une cellule de cisaillement. Pour un sable sec, materiau auquel on s'interesse ici exclusivement11, on trouve que la cohesion est negligeable et que, si sa densite n'est pas artificiellement elevee, I'angle de friction 0 est egalement (a peu de choses pres) Tangle de talus (i.e. Tangle d'avalanche) de ce sable [181]. On peut reexprimer de maniere plus generale ce critere de stabilite dans un systeme d'axes quelconque - et nous allons le faire pour les axes (z, x) et dans le cas non cohesif. Les contraintes dans le systeme d'axes tourne de r sont en effet reliees a crxx, azz et axz par les equations de rotation suivantes

On note R(T) le rapport du cisaillement anm avec la pression normale ann. On va chercher les valeurs de Tangle r qui rendent ce rapport maximum en valeur absolue. II y aura done glissement lorsque ce maximum est atteint et qu'il vaut tan0. Les formules de rotation permettent d'ecrire

ou Ton a pose

Les valeurs de r qui minimisent |-R(r)| (ou R2(r)) sont simplement celles telles que R(T) = 0. Ceci correspond a la recherche des axes principaux du tenseur des contraintes. On denote par u; Tangle dont il faut faire tourner les axes (2, x) pour etre dans cette situation. On obtient facilement tan2u; = — B/A, c'est-a-dire

Si maintenant, r ^ u>, les extrema de R2(r] seront bien les maxima recherches pour la condition de glissement. La condition R'(T) = 0 donne simplement

et quand il y a glissement - ou rupture plastique -, R(r) peut prendre deux valeurs suivant le sens de ce glissement. On definit classiquement les ruptures 11. Ou bien pour tout autre materiau granulaire non cohesif et dur.

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Figure 10. Rupture « active » a gauche : la force de frottement F qu'exerce en glissant le bloc du haut sur le bloc du has est dans le sens de Faxe m de la figure 13, alors que la projection du poids P sur 1'axe n est dans la direction contraire a celui-ci. Cette situation est cells que 1'on rencontre lorsqu'un mur de soutenement ne supporte plus les contraintes et cede. A droite, c'est la situation « passive » : on force le glissement de 1'exterieur. Dans ce cas, F et P sont tous les deux dans le sens contraire des axes m et n. [Active (left) and pasive (right) failure. Active situations are observed when a retaining wall breaks. In this case the friction force F is along the m axis. In passive situations, failure is imposed from the outside, and F is in the other direction.]

active et passive (cf. Fig. 10) pour lesquelles R(T) — — tan et R(T) = +tan respectivement. Ces conditions s'ecrivent done

ou e = —1 (resp. € = +1) correspond au cas actif (resp. passif). Les equations (1.12, 1.13) permettent de calculer la valeur de r = rg qui rend R(T) maximal et pour laquelle il y a glissement. On trouve

et la condition de glissement s'ecrit alors A2 + B2 — sin2 . Si par contre le rapport R(T) reste toujours strictement inferieur a la valeur tan^, on sera dans une situation parfaitement stable. On aura done A2 + B2 < sin2 . Autrement dit, le critere de stabilite de Mohr-Coulomb s'ecrit, dans les axes (z,x] de la maniere suivante12 ou Tegalite signifie que le materiau considere est a la limite du glissement ou marginalement stable. Cette inegalite se retrouve de maniere tres elegante avec la construction geometrique du cercle de Mohr. On trouvera le detail de cette methode geometrique par exemple dans les livres [22,141]. II faut bien remarquer qu'une hypothese implicite de cette analyse est que la tendance a la rupture du materiau considere peut etre consideree comme isotrope. Dans la pratique, Tangle peut £tre lui-meme fonction de Tangle T. 12. Elle s'ecrirait de la meme maniere dans tout systeme d'axes.

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Grasselli et Herrmann ont montre par exemple que I'angle d'avalanche du tas de sable depend du mode de construction de celui-ci, c'est-a-dire de sa structure interne [80]. Roux et Radjai ont egalement montre que la texture d'un empilement - cf. sous-section suivante - a son mot a dire lors d'une rupture plastique [170]. Nous verrons dans la sous-section suivante que nos modeles peuvent etre effectivement interpretes comme des modeles plastiques tres anisotropes. Notons enfin que cette approche sous-entend egalement que Ton a affaire a un materiau rigide. Dans un milieu tres mou comme les argiles, la rupture est en fait progressive [181]. Modele IFE Une hypothese simplificatrice couramment faite pour decrire - ou pour se faire une idee de - 1'etat de contrainte d'un sol ou d'un materiau granulaire, est de supposer qu'en tous points le systeme est a la limite de la rupture. Un tel materiau est appele materiau ideal de Coulomb. Cette hypothese signifie que la relation (1.15) doit etre partout verifiee sous forme d'egalite. Cette hypothese prend tout son sens quand on essaie de decrire - et surtout de prevenir - les glissements de terrain, ou bien les murs qui cedent sous un exces de surcharge... Cette condition de glissement (1.15) peut 6tre reexprimee sous la forme d'une relation liant 1'une des composantes du tenseur des contraintes, disons axx, aux autres sous la forme suivante

ou e = — 1 correspond au cas actif et e = +1 au cas passif. Une telle relation fournit 1'equation manquante aux equations d'equilibre (1.3, 1.4) dont on parlait dans la sous-section precedente, et on peut alors calculer completement 1'etat de contrainte du systeme considere. Nous ferons reference a ce modele avec les trois lettres IFE pour Incipient Failure Everywhere model. Nous verrons que nos modeles pourront egalement se resumer a une relation entre composantes du tenseur des contraintes ayant la forme d'echelle axxjazz = F(&Xz/&zz)-, mais la fonction F encode ici une situation de glissement, alors que celle de nos modeles represente la presence d'une structure reguliere de voutes. Comme on le verra dans la suite, une telle structure peut en fait etre vue comme un critere de glissement tres anisotrope - le long des voutes. Dans ce modele IFE, le rapport des contraintes principales est constant et vaut (1 + e sin )/(! — esin0). Pour e = — 1, ce rapport est appele le coefficient de pression active Ka de Rankine. Kp = l/Ka (i.e. pour e = +1) est, de meme, le coefficient de pression passive. C'est la raison pour laquelle ces valeurs ont parfois ete proposees pour le coefficient de Janssen K qui, dans son modele de silo (cf. Sect. 2, Chap. 2), donne le rapport des pressions (moyennees sur une couche de grains) horizontale et verticale. Suivant que le coefficient de Janssen K est plus petit ou plus grand que 1, on a meme parle de situation active ou passive. Ceci est un abus de langage : ces deux adjectifs ne peuvent s'appliquer qu'a une rupture,

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situation assez peu probable dans un silo dont les murs ne sont pas en train de ceder. Nous verrons qu'en fait, le parametre K est un parametre ajustable, non seulement au materiau utilise dans une experience de silo, mais aussi au protocole experimental choisi. D'une maniere generate, nous montrerons que ce modele IFE ne convient pas pour decrire la distribution des contraintes dans des systemes au repos comme les tas et les silos car sa condition de glissement en tous points est bien trop forte pour etre realiste.

2.3.

Modeles OSL

Afin de trouver la ou les relations manquantes pour decrire la repartition des contraintes dans un milieu granulaire, nous avons essaye de « coller » au plus pres a la structure interne de ces materiaux. Nous avons vu que cette structure est tres inhomogene. On distingue en effet des chaines de forces bien marquees sur certains grains, alors que d'autres sont comparativement bien moins contraints. La structure interne d'un empilement granulaire particulier, depend de la maniere dont celui-ci a ete construit et sollicite, bref de son histoire, et elle se rearrange tres facilement lorsqu'on le perturbe, m6me faiblement. Tenseur de texture L'objet mathematique qui encode la structure interne d'un systeme de grains est son tenseur de texture (fabric tensor en anglais) que Ton denotera par ip^. Considerons un grain en contact avec ses voisins (Fig. 11). ra designe le vecteur qui joint barycentre des contacts et le contact numero a. Ce barycentre est tel que £]a r° = 0- On Pose n