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French Pages 127 [128] Year 2010
François Neveux
La Normandie des origines ' . anos Jours
Editions OUEST-FRANCE
La
Normandie des origines ' . anos Jours a Normandie est apparue en 911, lorsqu'un chef viking, Rollon, devient le premier duc. Elle connaît son apogée au x1• siècle, avec Guillaume, conquérant de l'Angleterre (1066). Par la suite, elle put conserver son particularisme, et notamment le droit normand, jusqu'à la Révolution française. Au x1x• siècle, la Basse-Normandie agricole contraste avec la Haute-Normandie industrielle, mais l'ancienne province devient une terre d'écrivains et de peintres (berceau de l'impressionnisme). Au xx• siècle, elle est surtout frappée par la Seconde Guerre mondiale, avec la bataille de Normandie (juin-juillet 1944). Depuis, elle s'efforce de trouver sa place au sein de la France et de l'Europe, en dépit de sa division en deux régions administratives. Cette synthèse, accessible à tous, est illustrée par une abondante iconographie.
L
François Neveux est professeur émérite en histoire du Moyen Age de l'université de Caen. Il a écrit de nombreux ouvrages sur l'histoire de la Normandie et des Normands, souvent avec la collaboration de Claire Ruelle. Aux Éditions Ouest-France, on peut citer sa trilogie la Normandie des ducs aux rois (X'-x11' siècle) (1998), la Normandie royale (x111'-xrv• siècle) (2005) et La Normandie pendant la guerre de Cent Ans (x1V'-XV' siècle) (2008) et, aux éditions Perrin, L'aventure des Normands (v111'-x111' siècle) (2006).
Prix public : 15,90 €
EN PREMIÈRE DE COUVERTURE Après la mort de Guillaume le Conquérant {1087),
Robert Courteheuse, duc de Normandie, reçoit l'hommage de ses vassaux. Enluminure extraite de la Chronique de Normandie du mal'tre de l'échevinage de Rouen (xV" siède). Paris, BnF, ms. fr. 2623, f° 74. 0 BnF.
ISBN : 978-2-7373-5123-5
Editions OUEST-FRANCE
HISTOIRE
DES
PROVINCES
François Neveux avec la collaboration de Claire Ruelle
a • orman 1e des origines ' . anos Jours
Éd ition s OUEST-FRANCE
Introduction La Normandie est une construction de l'histoire. Elle tire son nom des « hommes du Nord», autrement dit des Scandinaves, qui en ont été les maîtres à partir du xe siècle. Elle existait pourtant déjà depuis plusieurs siècles sous la forme d'une province romaine appelée« ne Lyonnaise ». Sur le plan géographique, la Normandie se trouve à la jonction entre le Bassin parisien et le Massif armoricain. Elle se caractérise par l' opposition de la « Plaine » et du« Bocage », remarquée dès le Moyen Âge. Al' est et au centre, dans le Bassin parisien, on observe deux types de paysages : des zones de champs ouverts, dont les plus importantes sont le pays de Caux et la« plaine » de Caen, et des zones à domi-
nantes herbagères, comme le pays de Bray et le pays d' Auge. A l'ouest, dans le Massif armoricain, le paysage est essentiellement bocager et il est dominé vers le sud par une série de hauteurs qui culminent à plus de 400 m. C' est ce qu'on appela au XIXe siècle la« Suisse normande ». À vrai dire, le bocage normand, qui paraît si caractéristique de la région, est aussi une construction historique. S'il apparaît dès le Moyen Âge dans l'ouest armoricain, il naît et se développe du xvue au x1xe siècle, dans le pays d' Auge et dans le Plain, avec l'essor de l'élevage bovin. Ainsi, la géographie de la Normandie est très liée à son histoire .
Page de gauche :
Château de caen. la porte des Champs. Cette porte fortifiée a été construite, à la demande de Philippe Auguste, après la conquête de 1204. Elle est l'un des symboles de la domination française sur la Normandie, mais aussi de son intégration au domaine royal, à partir du x111• siècle. 0 Hervé Hughes.
Abbaye de Saint-Vigor à Cerisy-la-Forêt (Manche). Elle a été fondée en 1032 par le duc Robert le Magnifique, père de Guillaume le Conquérant. C Hervé Hughes.
INTRODUCTION
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La Normandie des origines à la fin de l'époque romaine La préhistoire Le territoire correspondant à la future Normandie a été occupé par les hommes depuis 350 000 ans environ, et peut-être plus. Vers 150 000 ans, on maîtrisait déjà le feu, puisqu'on a découvert des habitations avec des foyers à Saint-Germain-des-Vaux (Manche). Au paléolithique et au mésolithique, les premiers groupes pratiquaient la chasse et la pêche. Au néolithique (5500-2000 avant J.-C. ), l'agriculture et l' élevage apparaissent dans les grandes vallées, comme la Seine, ou sur les riches plateaux limoneux, comme le pays de Caux, le Lieuvin et la plaine de Caen. C'est là qu'on a découvert les premiers villages, tel Colombelles, près de Caen. À partir de 2500 environ, on entre dans l'âge des métaux : le cuivre, le bronze, puis le fer. Cette époque est connue par les fouilles de sépultures, de quelques villages et des dépôts de l'âge du bronze. À partir du v0 siècle avant J. -C., les hommes du second âge du fer sont déjà les populations gauloises décrites par César. À côté de nombreuses sépultur es
apparaissent des oppida et des fermes celtiques ( découvertes grâce à la prospection aérienne).
La conquête romaine Les peuples de la région sont connus par César dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules. Ceux qui se trouvent à l'ouest se rattachent au groupe des « peuples armoricains » : les Unelles et les Abrincatui ( dans la Manche actuelle), les Bajocasses, les Viducasses etles Lexovii ( dans le Calvados), les Esuvii ( dans l'Orne) et les Aulerques Eburovices (dans l'Eure).Aunord de la Seine, sont situés des« peuples belges », qui ont de nombreux points communs avec ceux du nord de la Gaule : les Calètes et les Véliocasses. On sait aujourd'hui que la Gaule n' existait pas avant César, en tant qu' entité politique : c'est une création romaine. Tous ces peuples constituaient des groupes indépendants les uns des autres : ils se faisaient souvent la guerre, mais concluaient, à l'occasion, des alliances contre un ennemi commun. Dans les années 58-51 avant J.-C., cet ennemi était romain. Les peuples de la future Normandie ont participé activement à la guerre des Gaules, mais de façon dispersée. En 57, les Calètes et les Véliocasses s'associent ainsi à une révolte des peuples belges, vaincue par une seule légion romaine . En 56, ce sont les peuples armoricains qui participent à une autre révolte, initiée par les Vénètes (en Bretagne). La principale résistance est celle des Unelles, avec à leur tête Viridovix. Mais ils
LA NORMANDIE DES ORIGINES
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Page de gauche : Orphée sur la mosa'{que de Brotonne. A l'époque romaine, les berges de la Seine ont été défrichées et cultivées, comme en témoignent les vestiges de villae retrouvés dans la forêt de Brotonne. Ces villae étaient décorées de magnifiques mosaïques comme celle-ci, qui représente Orphée chantant en s'accompagnant de la lyre. Cette région a été · abandonnée à l'époque des invasions du 111• siècle. Rouen, Musée départemental des Antiquités/ CG 76.
0 Yohann Deslandes.
Gravure du cheval n• 22 de la grotte de Gouy (Seine-Maritime). C Yves Martin.
FIN DE L' ÉPOQUE ROMAINE
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LA NORMANDIE ROMAINE
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Oppida « belges» (type Fécamp) Oppida de tribus Voies romaines
sont battus par Sabinus, alors que César remporte une victoire navale sur les Vénètes. Les peuples del' ouest ne s'avouent pourtant pas vaincus. Presque tous envoient d'importants contingents pour soutenir Vercingétorix, devant Alésia, en 52 (et notamment les
Trésor de monnaies gauloises trouvé à Ifs (Calvados). 10 lnrap, Hervé Paitier.
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LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
Calètes, les Véliocasses, les Aulerques Eboruvices, les Lexovii et les Unelles) . En 51, enfin, a lieu un dernier soulèvement des Aulerques, associés aux Véliocasses et aux Calètes. Par la suite, tous ces peuples vont se trouver intégrés dans l'Empire romain.
Auguste divise la Gaule en quatre provinces, dont la Lyonnaise, avec Lyon pour capitale. Vers le nord, cette province a pour limite la mer de la Manche. Au nord-est, la frontière a été déplacée au nord de la Seine, de façon à englober les Calètes et les Véliocasses, qui sont ainsi séparés de la province de Belgique. Ce changement est important, car il place dans la même entité administrative les territoires qui formeront plus tard la Normandie. Les peuples de la province sont associés dans un culte commun à Rome et à l'empereur, dont le principal autel se trouve à Lyon. Au cours du m< siècle après J.-C. , le grand prêtre de ce culte est un Viducasse, Titus Sennius Solemnis, comme en témoigne le marbre de Torigni. L'intégration à l' empire se fait ainsi à travers les élites gauloises, qui adoptent la langue latine et les mœurs des conquérants. En 212 après J.-C., tous les habitants de la future Normandie reçoivent la citoyenneté romaine, grâce à l'édit de Caracalla. L'une des voies essentielles de cette intégration a été l'essor des villes.
Stèle de Vostrus (,., siècle), Lisieux (Calvados). O Musée de Normandie, dépôt de la Société des antiquaires de Normandie.
Marbre de Torigni (111• siècle), conservé au musée de Saint-Lô (Manche). Ce marbre fut érigé à Vieux, capitale des Viducasses, par Titus Sennius Solemnis, pour commémorer sa désignation à la charge de grand prêtre de Rome et de l'empereur. 0 Pradigue.
LA NORMANDIE DES ORIGINES À LA FIN DE L'~POQUE ROMAINE
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Table de Peutinger.
Les villes romaines
Cette « table » est une copie sur parchemin (xve siècle) d'une carte antique où figurent les principaux itinéraires. Sur cet extrait, on peut voir la représentation des routes et des villes de la future Normandie.
Les Romains ont utilisé le substrat gaulois pour créer un réseau urbain. Les territoires des peuples gaulois ont été considérés comme des« cités» méditerranéennes (civitates), avec à leur tête une ville. Ces villes n'ont pas été créées ex nihilo : elles ont succédé à des agglomérations gauloises préexistantes. Pour autant que nous les connaissions, celles-ci étaient souvent des oppida fortifiés, comme l'oppidum du Castellier, près de Lisieux. Les Romains ont, au contraire, installé leurs villes dans les vallées, à des carrefours routiers. La ville ne se conçoit pas, en effet, sans l'essor des voies romaines, qui répondent à des objectifs autant militaires qu' économiques. Celles-ci ont été établies très tôt, comme en t émoigne, entre autres, la borne milliaire de Claude découverte au Manoir, près de Bayeux (46 après J.-C.) .
Cl Service Archéologie du CG 14.
Amphithéâtre romain Juliobona (Lillebonne, Seine-Maritime). Cet amphithéâtre date du ,., siècle après J.-C. C akg-images/Hervé Champollion.
Bome milliaire du Manoir (Calvados) . Cette borne milliaire fut érigée au nom de l'empereur Claude, vers 46 après J.-C., sur la voie reliant Bayeux à l'estuaire de l'Orne. L'original se trouve au musée Baron Gérard de Bayeux. Une copie de cette borne a récemment été installée sur le site. © François Neveux.
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LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
Les villes romaines se sont tellement identifiées à leur territoire qu' elles ont souvent pris le nom du peuple gaulois, abandonnant vite le nom gallo-romain artificiel qui leur avait été donné par les conquérants. Ainsi, Lisieux (Novioma9us), chef-lieu des Lexovii, Bayeux (Au9ustodurum), chef-lieu des Bajocasses, Vieux (Are9enua), chef-lieu des Viducasses, Avranches (Le9edia), chef-lieu des Abrincatui, ou Évreux (Mediolanum), cheflieu des Eburovices . En revanche, Rouen ( Rotoma9us), chef-lieu des Véliocasses, et Lillebonne (juliobona) ont conservé leur nom gallo-romain. Deux autres cités ont des capitales plus instables. Les Unelles semblent hésiter entre Alauna (Valognes) et Cosedia devenue au rve siècle Constantia (Coutances). Les Esuvii ne semblent fixés que tardivement entre Exmes et Sées (Nudionum). À partir du 1er siècle après J.-C., la construction des villes nouvelles s'effectue selon le modèle romain. Les agglomérations s' étalent largement sans souci de protection, en profitant de la paix romaine. Les villes sont édifiées selon un plan orthonormé : les deux axes principaux sont le carda (nord-sud) et le decumanus (est-ouest), qui se coupent à angle droit. Ces plans se retrouvent encore plus ou moins déformés dans les villes contemporaines. Ainsi, à Bayeux, la rue principale correspond à l'ancien decumanus romain. Au croisement de ces deux axes se situait le 1
« Domus » de Vieux-la-Romaine (Calvados). Aregenua était la capitale de la cité des Viducasses, ce qui a donné le nom actuel du village de Vieux. Au 11• siècle, l'un des riches habitants de la ville a construit une magnifique demeure qu'on appelle « la maison au péristyle». Fouillée sous la direction de Pascal Vipard et désormais ouverte au public, elle témoigne de la richesse de cette cité, qui allait pourtant perdre son rang progressivement, à la suite des invasions du 111• siècle. Collections musée de Vieux-la-Romaine. 0 SelVice Archéologie du CG 14.
forum, abritant quelques-uns des plus beaux monuments de la ville : temples dédiés à divers dieux et curie municipale. Plus à l'extérieur, on trouvait des thermes , comme ceux d'Alauna, qui ont laissé des murs de plus de 11 m ètres de haut, ou des théâtres, quis' appuyaient souvent sur des hauteurs naturelles (comme celui de Lisieux). Ces monuments étaient souvent, à la mode gauloise, des théâtres-amphithéâtres, qui permettaient aussi bien la r eprésentation de pièces que les combats de gladiateurs. Le plus important, et le mieux conservé, est celui de Lillebonne, qui était l'un des plus vastes de toute la Gaule ( 148 mètres de diamètre) . Ces monuments, très coûteux, étaient parfois offerts à leur cité par les magistrats municipaux qui occupaient des charges annuelles (comme celles de questeurs ou de duumvirs), avant de siéger au sénat local. Les plus riches d 'entre eux pouvaient faire construire de vastes demeures urbaines, comme la Domus de Vieux, fouillée par PascalVipard.
Celle-ci était bâtie autour d'une cour ornée d'un bassin et entourée d'un péristyle. Elle atteignait une superficie de 1 250 mètres carrés et comprenait plusieurs pièces chauffées par un système d'hypocauste. Une telle demeure est évidemm ent exceptionnelle, alors que la plupart des maisons étaient en torchis et à colombage. Elle avait été édifiée par un riche notable d' Aregenua qui, comme ses homologues , tirait sa fortune de ses domaines ruraux.
Tête de Tutela (Vieux-la-Romaine). Cette tête représente la divinité protectrice de la cité d'Aregenua (Vieux). Elle porte une couronne sur laquelle figurent des éléments d'architecture symbolisant la ville elle-même. Collections musée de Vieux-la-Romaine.
0 Service Archéologie du CG 14.
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Les campagnes
Statue de déesse-mère. Cette statue monumentale fut découverte dans un fanum à Saint-Aubin-sur-Mer (Calvados). 0 Caen, musée de
Normandie, dépôt de la Société des antiquaires de Normandie.
Les villas romaines étaient des centres de production agricole, mais aussi des lieUJC d'habitation, situés le long des routes. Elles ont souvent été à l'origine des villages médiévaUJC . On y cultivait les céréales et d'autres cultures, tel le lin, mentionné par Pline l' Ancien chez les Calètes. Les villas abritaient également un artisanat, comme le prouvent les ateliers de fabrication de meules retrouvés en haute Normandie. On filait et on tissait à la campagne, alors que les villes se chargeaient de la fabrication des tissus et de la confection. Un fabricant de vêtements est attesté à VieUJC et une corporation de foulons à ÉvreUJC .
Dans les campagnes, les fouilles ont permis de découvrir de nombreUJC petits sanctuaires locaUJC, les fana. Ceux-ci étaient souvent installés aUJC frontières des entités administratives, non seulement celles des cités, mais encore celles des pagi, plus petites circonscriptions regroupées autour d'une agglomération secondaire (vicus). Ces pagi sont à l'origine des pays (comme le pays d'Auge ou le pays de Bray). La région comportait de plus grands sanctuaires comme celui de Gisacum, dédié au dieu Gisacus (Le Vieil-ÉvreUJC), celui de Berthouville (Eure), dédié à Mercure,
Statue de Jupiter. Cette statue de bronze doré représente le dieu avec une barbe et des cheveux bouclés. 0 Évreux, musée de l'Ancien Évêché.
Ci-contre: Vue aérienne des thermes de Gisacum (Le Vieil-Évreux, Eure). Situé à proximité de la cité d'Évreux, ce grand sanctuaire était consacré au dieu Gisacus et comprenait notamment un thé,füe et des thermes. Cl Roger Agache.
Ci-dessous : Rempart romain d'Évreux (111•-,ve siècle). De tels remparts ont été une protection efficace contre les envahisseurs « barbares ». Les cités qui ont pu en ériger ont conservé leur statut urbain et se sont perpétuées au cours du Moyen Âge et jusqu'à nos jours. 0 MCC, Dominique Cliquet
ou celui du Bois-1' Abbé, près d'Eu, situé sur la frontière entre la cité des Calètes et celles des Ambiens (capitale : Amiens). Ces sanctuaires comprenaient de grands monuments, comme des théâtres ou des thermes.
La crise du me siècle et le Bas-Empire Le territoire de la future Normandie, comme toute la Gaule, est affecté au rn• siècle par les incursions des peuples germaniques venus d'au-delà du Rhin et par les pirates saxons débarquant de la Manche. De hauts personnages sont venus s'installer dans la région pour y établir une ligne de défense contre les Saxons, le li tus saxonicum. C'est le cas de Constance Chlore, père de Constantin, qui a probablement rebaptisé de son nom la ville et le territoire de Cosedia (désormais appelés Coutances etle Cotentin). Les villes se sont entourées de murailles, qui n'ont protégé que le cœur del' agglomération. Ces villes fortifiées sont de petite superficie intra-muros : Rouen (20 ha), Bayeux (16 ha), Évreux et Lisieux (8 ha),Avranches (S ha). Coutances, Sées et Vieux ne construisent pas d'enceinte, mais seule Vieux finit par perdre ses fonctions urbaines et son rang de capitale de cité (au profit de Bayeux). À partir du règne de Dioclétien
(284-305), l'administration·est renforcée et la Lyonnaise est divisée en quatre provinces plus petites. La II• Lyonnaise correspond à peu près à la future Normandie, qui existe donc longtemps avant les Normands.
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FIN DE L'ÉPOQUE ROMAINE
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La future Normandie "' pendant le haut Moyen Age (ve-1xe siècle) L'époque mérovingienne (ve-vme siècle) Le ye siècle est marqué par de nouvelles invasions germaniques. La Gaule est occupée par des peuples comme les Burgondes, les Wisigoths ou les Francs. La région entre Somme et Loire est la dernière à rester romaine, même après la chute officielle de l'empire ( en 4 76) . Cette ultime enclave est dirigée par un « général » romain, Syagrius, qui est battu par le roi franc Clovis, en 486 (selon Grégoire de Tours) . La province de Rouen est donc intégrée au royaume franc progressivement unifié par Clovis, fondateur de
la dynastie mérovingienne. Après la mort de ce dernier, en 511 , le royaume est partagé entre ses fils. La future Normandie se trouve le plus souvent dans la dépendance de Paris, l 'une des capitales mérovingiennes . Au vn• siècle, elle fait partie du royaume de Neustrie, dont la capitale est encore Paris. Or, la Neustrie se trouve bientôt soumise par les rois et les maires du palais austrasiens. Le centre du pouvoir est transféré pour longtemps dans le nord et l' est de la Gaule . Du vr• au vm• siècle, la future Normandie est donc une région marginale, située aux confins du monde franc.
Page de gauche : L'archevêque de Rouen et les Vikings. Les navigateurs vikings, remontant la vallée de la Seine, se sont trouvés très tôt en relation avec l'archevêque de Rouen, qui restait l'une des seules autorités présentes dans la région. En 911, c'est sous l'égide de l'archevêque qu'est conclu le traité de Saint-Clairsur-Epte entre le chef viking, Rollon, et le roi de France, Charles le Simple. Enluminure d'un manuscrit du" siècle. O Berlin, BN.
Bataille de Soissons
et baptême de Clovis. Vers 486, Clovis, roi des Francs saliens, bat le général romain Syagrius, près de Soissons, et occupe le territoire de la future Normandie. Plus tard, à la suite de la bataille de Tolbiac (vers 496), il se convertit au christianisme et se fait baptiser par saint Remi, évêque de Reims. Clovis est le premier roi barbare catholique, ce qui va lui permettre d'obtenir le soutien des évêques de la Gaule. Enluminure de Robinet Testard, extra ite des Grandes Chroniques de France (xve siècle). Paris, BnF,
ms. fr. 2609, fo 18. C BnF.
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La christianisation
Fibules de Douvrend (Seine-Maritime). Trouvées dans une tombe à Douvrend, près de Dieppe, ces fibules en argent doré sont rehaussées d'inclusions de grenat. Ces bijoux, uniques en France, sont un chef-d'œuvre de l'orfèvrerie mérovingienne. Rouen, Musée départemental des Antiquités/CG 76. 0 Yohann Deslandes.
Siège épiscopal de Saint-Vigor (v,• siècle). On conserve un siège épiscopal du haut Moyen Âge dans l'église de Saint-Vigor-le-Grand, près de Bayeux (Calvados). Taillé dans le marbre de Vieux, il témoigne de l'ancienneté du lieu de culte établi à cet endroit, à l'emplacement d'un temple païen. Tous les évêques de Bayeux sont venus s'y asseoir le jour de leur installation. 0 François Neveux.
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Cette période a laissé peu de textes écrits : elle est connue par la toponymie et, surtout, par l' archéologie. En basse Normandie, on a pu fouiller de nombreux cimetières. On y constate un retour à l'inhumation, au lieu de l'incinération, et la présence dans les tombes d'un important mobilier funéraire (jusqu'au VIIe siècle). Les corps appartiennent au type dénommé « petit méditerranéen gracile », qu'on trouve en Gaule depuis des millénaires : il ne semble donc pas y avoir eu de peuplement important d'origine germanique. En revanche, l'influence culturelle du monde « barbare » est patente, comme le prouve le mobilier funéraire. La région a donc été vraiment « colonisée » par des populations germaniques, les Francs, un peu partout, et les Saxons, dans le Bessin . Ces éléments germaniques ont fourni les cadres de la nouvelle administration mise en place par les rois mérovingiens. Les comtes sont placés à la tête des pagi (pays), qui coïncident souvent avec les subdivisions ecclésiastiques.
LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
La religion chrétienne s'implante d'abord dans les villes, où s'installent les premiers évêques. Le premier d'entre eux est Avitianus, attesté à Rouen en 314. Il est suivi dans le courant du ive siècle par l'évêque de Bayeux, Exupère. Plusieurs prélats sont présents au concile d'Orléans, convoqué par Clovis en 511, dont Litharède de Sées et, peut-être, les évêques de Coutances et d' Avranches.Taurin, évêque d'Évreux, est signalé vers la même époque (il meurt en 512). Le dernier en date est Théobaudis, évêque de Lisieux en 538.Au milieu du VIe siècle, la province ecclésiastique de Rouen est ainsi définitivement constituée avec sept diocèses. Elle restera le cadre religieux de la région jusqu'à la Révolution française. Cette province ecclésiastique prend le relais de la II• Lyonnaise romaine, dont elle conserve les frontières. Ces évêques construisent des « groupes cathédraux » au cœur des villes . À Rouen, à la fm du ive siècle, Victrice décrit dans son De lauda sanctorum deux églises jumelles qu'il a fait bâtir au cœur de la cité, auxquelles s'ajoutait un baptistère. Ce texte a été confirmé par les fouilles de Jacques Le Maho. À Bayeux, existait aussi un groupe cathédral à l'intérieur de la cité, doublé par un autre centre
tglise Saint-Pierre de Jumièges. C'est une église carolingienne, datant du v111• siècle, ce qui en fait le plus ancien monument de Normandie. Par la suite, elle a été intégrée à la grande abbaye bénédictine construite aux,• siècle (et aujourd'hui en ruine). © Akg-images/Hervé Champollion.
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LA NORMANDIE DES ORIGINES
A NOS
JOURS
Notre-Dame-sous-Terre (Mont-Saint-Michel). Cette église à deux nefs, située sous la grande abbatiale du x,• siècle, est la plus ancienne du Mont-Saint-Michel. On a longtemps cru qu'elle comportait des restes du premier édifice du vm• siècle. De récentes analyses archéologiques ont pourtant montré qu'elle datait des années 970. Elle est donc contemporaine de l'arrivée des premiers moines bénédictins (965). C Henry Decaëns.
religieux, à l' extérieur, établi à l' emplacement d'un lieu de culte païen par l' évêque Vigor (au début du vie siècle). On conserve encore aujourd'hui sur place un siège épiscopal et une cuve baptismale du haut Moyen Âge. Les évêques ont également christianisé le suburbium en faisant construire des églises dans les cimetières, sur les tombes des premiers évêques, rapidement considérés comme des saints. C'est le cas pour l'église Saint-Exupère de Bayeux, devenue nécropole épiscopale. Saint Vigor fait partie d'un groupe de grands évêques de l'époque mérovingienne, avec saint Lô de Coutances et saint Pair d' Avranches (au VIe siècle) ou saint Ouen de Rouen (au VIIe siècle). Ces derniers avaient souvent fait carrière dans l'administration royale : saint Ouen, ancien compagnon de saint Éloi, avait ainsi été référendaire à la cour de Dagobert. Ils sont à l'origine de la christianisation des campagnes, qui s'est concrétisée par la mise en place du réseau paroissial. Il s'agit d'un long processus, débutant au vie siècle, mais ne s'achevant pas avant le xne siècle.
L'époque mérovingienne est aussi marquée par l'éclosion du monachisme. De nombreux monastères sont créés par les évêques à l'extérieur des villes : Saint-Vigor de Bayeux, Saint-Martin de Sées, Saint-Taurin d'Évreux ou Saint-Ouen de Rouen. D'autres succèdent à des ermitages dans les îles (SaintMarcouf) ou dans les forêts (Saint-Évroult). Les plus importants sont encore fondés à l'instigation des évêques . Saint Aubert, évêque d' Avranches, institue ainsi une première communauté au Mont Saint-Michel (en 709). Dans la vallée de la Seine, saint Ouen est à l'origine des abbayes de Fontenelle (fondée par saint Wandrille vers 649) et de Jumièges (fondée par saint Philibert, vers 654). La plupart de ces établissements appliquent plus ou moins la règle de saint Colomban, célèbre abbé irlandais. Enfin, une dernière catégorie de monastères est créée par des Bretons venus d' outre-Manche, comme Pental, fondé par saint Samson, qui s'implanta aussi à Dol. La plupart de ces établissements furent détruits au cours du IX" siècle par les Vikings.
Page de gauche :
Le songe de saint Aubert. D'après la Revelatio, texte fondateur du sanctuaire, en 708, l'archange saint Michel est apparu trois fois en songe à l'évêque d'Avranches, Aubert, pour lui intimer l'ordre de construire une église sur le mont Tombe (par la suite appelé Mont-Saint-Michel). Celui-ci obéit et dédicaça la première église le 16 octobre 709. Enluminure du cartulaire du Mont-Saint-Michel (X1ie siède),
ms. 210, fo 4v. 0 Ville d'Avranches.
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L'IMPLANTATION SCANDINAVE i
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Page de droite : Attaque des Vikings.
L'enluminure représente des guerriers casqués et armés de lances et de boucliers oblongs. ils sont montés sur un navire de type scandinave, à la proue et à la poupe relevées, naviguant à la voile et dirigé grâce à un gouvernail latéral. Si ces guerriers vikings sont équipés à la manière des chevaliers du x11• siècle, les bateaux sont bien du même modèle que ceux des Scandinaves du ,xe siècle. Enluminure de La Vie de saint Aubin
d'Angers (vers 1100). 0 Paris, BnF.
Territoire concédé à Rollon en 911 (diocèses de Rouen, Évreux et Lisieux) Extension confirmée en 924 (diocèses de Bayeux et de Sées) Extension de 933 (diocèses d'Avranches et de Coutances)
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Colonisation viking dense Frontières de la Normandie du début du XI' siècle Limites de diocèse Limites de l'expansion bretonne de 867 à 933 Évêché
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50km
Le mouvement viking (1xe siècle) À l'époque carolingienne, la Neustrie reste Maquette du navire viking cfOseberg.
Cette maquette a été donnée par la ville d'Oslo en 1911. L'original du ,xe siècle est conservé au musée des Navires vikings d'Oslo. Fécamp, musée des Terre-Neuvas et de la Pêche. 0 Christia n Héry.
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une région marginale, aussi bien dans le royaume de Pépin le Bref (751-768) que dans l'empire de Charlemagne (768-814). La paix règne sur les côtes de la Manche, jusqu'au moment où apparaissent, à la fm du VIIIe siècle, les premiers navigateurs scandinaves (appelés Vikings) . La vallée de la Seine n'est vraiment touchée qu'à partir de 840, à la mort de l'empereur Louis le Pieux. L'empire connaît alors une grave crise de succession, dont profitent les Vikings. L'axe de la Seine devient l'une des principales voies de pénétration des envahisseurs vers le cœur du monde franc. Provenant de deux pays scandinaves, le Danemark et la Norvège, les Northmanni (hommes du Nord) vont jouer un rôle essentiel dans l'histoire de la région. Ils profitent de la faiblesse du royaume de Francie occidentale, dont le roi est Charles le Chauve (843-877). Les Vikings s'implantent petit à
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Fibules vikings trouvées à Pîtres (Eure). Cette paire de fibules à décor zoomorphe est de type scandinave. Collection du musée des Antiquités de Rouen, conseil général de Seine·Maritime. Ci Yohann Deslandes.
petit dans les zones côtières, et surtout dans le pays de Caux, la région de Bayeux et le nord du Cotentin. Ils amènent souvent avec eux des hommes des pays par lesquels ils sont passés : l'Irlande ou l'Angleterre. Les Scandinaves disposent d'un outil remarquable, l' « esnèque », que nous appelons à tort
« drakkar». Ce type de navire résiste très bien aux tempêtes des mers du nord et peut aussi pénétrer profondément dans les terres par les fleuves . Dans un premier temps, les Vikings se limitent à des raids saisonniers (pendant l'été) mais, à partir des années 840, ils commencent à hiverner sur place. C'est ainsi qu'une« grande armée» séjourne dans l'estuaire de la Seine de 856 à 862. Dès lors, ils entreprennent de négocier leur départ en exigeant le versement d'un tribut, qu'on appelle Dane9eld. Charles le Chauve doit ainsi acquitter de nombreux tributs, qui sont évidemment prélevés sur la population. L'action des Vikings entraîne donc un appauvrissement des régions qu'ils visitent, et notamment de la Normandie. Les principales cibles sont les établissements ecclésiastiques, les églises et les monastères. Ceux-ci disposent, en effet, de grandes richesses non protégées, puisque les clercs n'ont pas le droit de porter les armes. Au début, les moines négocient souvent le paiement
Rollon naviguant. If s'agit d'une bataille entre Danois et Anglais. Enluminure extraite de la Chronique de Normandie (XV" siècle). Paris, BnF, ms. fr. 5388, fo
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LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
18. 0 BnF.
d'un tribut, comme ce fut le cas à Fontenelle dès 841. Mais, la même année, Jumièges est incendié . Les raids se répétant, les moines se décident à partir en emportant leurs biens de grande valeur, en priorité leurs reliques, enchâssées dans de précieux reliquaires. C'est ainsi que tous les monastères de la province ecclésiastique de Rouen sont abandonnés, à l'exception du Mont-Saint-Michel ! Les invasions vikings ont entraîné la ruine du monachisme, si vivant depuis l'époque mérovingienne. Les autorités civiles, à commencer par les comtes, n'ont pas défendu les régions envahies. Dans certains cas, les évêques ont pris la relève. Ainsi, à Bayeux, en 858, l'évêque Balifridus trouve la mort en défendant sa ville épiscopale contre une attaque des Vikings. À la longue, cependant, le roi et les grands finissent par organiser une véritable résistance. En 852, Charles le Chauve accorde à Robert le Fort un commandement dans la région de la Loire. Plus tard, celui-ci va être étendu à toute la zone entre Seine et Loire. Ce grand aristocrate est chargé de défendre ce secteur contre les Scandinaves, mais aussi contre les Bretons, qui avaient acquis leur indépendance. Une des méthodes utilisées contre les raids vikings est la construction de ponts fortifiés, comme celui de Pîtres, sur la Seine. Cependant, Robert le Fort est tué dans un combat contre les Scandinaves (en 866) et le roi se trouve obligé de composer avec les Bretons. En 867, il abandonne au roi Salomon le comté du Cotentin (et !'Avranchin). Les Bretons doivent s'engager à défendre cette région contre les Vikings. Ce qui est certain, c'est qu'ils s'y implantent effectivement. À la fm du ,x• siècle, de nombreux groupes de Scandinaves étaient installés sur le territoire . Ne pouvant s'en débarrasser par les armes, le roi et les grands en viennent à négocier avec eux. Le plus souvent, on leur reconnaît la possession de terres, en échange del' arrêt des actions hostiles, puis de l'intégration dans
le monde franc. C'est ce que des historiens comme Pierre Bauduin ont appelé l' « accommodation». Le cas le plus célèbre est celui d'un groupe dirigé par un nommé Rollon, sans doute présent en Neustrie depuis 876. Rollon prend part à un siège de Paris (885 ou 889), s'empare de Bayeux et participe à la prise de Saint-Lô (en 890). Dans les décennies suivantes, il s'implante solidement dans la région : grâce à un accord avec le roi, il est le fondateur de la Normandie.
Statue de Rollon. Cette statue du fondateur de la Normandie a été érigée dans le jardin public qui entoure l'abbatiale de Saint-Ouen de Rouen. C Didier Benaouda.
LA FUTURE NORMANDIE PENDANT LE HAUT MOYEN AGE
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La Normandie ducale
La fondation de la Normandie Pierre Bauduin a démontré que la création de la Normandie s'explique par l'intégration du chef des Vikings de la Seine, Rollon, dans les réseaux del' aristocratie franque. Ces relations ne cessent de se développer à la fm du 1xe et au début du x e siècle, marquées notamment par des échanges matrimoniaux. Elles n'empêchent pas des épisodes guerriers, comme la bataille de Chartres ( 11 juillet 911). Rollon y est vaincu par plusieurs grands, dont
le duc Robert, fils de Robert le Fort, qui possédait une bonne partie des territoires où s'étaient installés les envahisseurs. Pourtant, cette défaite ne fait qu'accélérer la négociation et Robert y prend une part active. Le traité est conclu en 911, à Saint-Clairsur-Epte, entre le chef normand et le roi Charles le Simple (898-922) . Nous ne le connaissons que par l'historien de la Normandie, Dudon de Saint-Quentin, qui écrit son histoire « officielle » un siècle après les
Page de gauche : Guillaume le Conquérant. roi d'Angleterre. Cette peinture est conservée dans la sacristie de l'abbatiale Saint-Étienne de Caen (copie de 1708 d'un tableau du xv,e siècle). Guillaume est figuré en roi de la Renaissance. Habillé comme Henri VIII, il porte la couronne, Je sceptre et l'épée au côté. 0 Bernard Enjolras.
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dans le Ponthieu. Or, l'armée française est battue à Crécy, le 26 août 1346. C'est la première grande défaite terrestre des Français, suivie du siège et de la prise de Calais ( 1347). La période est encore marquée par la terrible épidémie de la peste noire, qui frappe la Normandie à partir de juillet 1348, et à nouveau en 1349. Le roi Philippe VI meurt en 1350 et le règne de son successeur, Jean II le Bon, l'ancien duc de Normandie, correspond à l'une des périodes les plus sombres de la guerre, associée dans la province au personnage de Charles de Navarre .
Charles de Navarre et Bertrand
Du Guesclin Charles était roi de Navarre par sa m ère Jeanne, écartée de la succession au trône en 1316 et 1328, et comte d'Évreux par son père, lui aussi descendant des rois capétiens. Il avait donc des raisons sérieuses de se rebeller contre son cousin Valois, le roi Jean II le Bon (1350-1364). En janvier 1354, il fait assassiner Charles d'Espagne, connétable de France et favori du roi, à L'Aigle (Orne). Pourtant, Jean le Bon lui pardonne et lui accorde même le Cotentin, qui va s'ajouter à ses comtés d'Évreux, de Mortain et de Longueville (traité de Mantes, 22 février 1354). Charles de Navarre devient le principal baron de Normandie . Au mois de décembre 1355, Jean le Bon concède le duché de Normandie à son fils aîné, le dauphin Charles. Celui-ci tente immédiatement de nouer de bonnes relations avec les nobles normands, à commencer par Charles de Navarre et le comte Jean d'Harcourt. Mais, le 5 avril 1356, Jean le Bon fait irruption dans le château de Rouen : il arrête Charles de Navarre et fait exécuter le comte d'Harcourt, ainsi que plusieurs autres seigneurs. C'est ce qu'on appelle le« coup de force de Rouen », dont les conséquences sont catastrophiques.
Jean Il, dit « le Bon », et Charles Il de Navarre, dit « le Mauvais " ·
La scène représente le roi de France accordant son pardon au roi de Navarre, comte d'Évreux, après l'assassinat du connétable Charles d'Espagne (1354). La réconciliation est obtenue grâce à l'intervention des reines Jeanne d'Évreux, tante de Charles et veuve de Philippe VI, et Blanche d'Évreux, sœur de Charles et veuve de Charles IV. Miniature des Grandes Chroniques de France (xwe siècle). Paris, BnF, ms. fr. 2813, fo 395. C> BnF.
Monnaie d'or émise par Charles 11, roi de Navarre
et comte d'Évreux (1349-1387). 0 Paris, BnF.
LA GUERRE DE CENT ANS
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Château d'Harcourt (Eure). Ce château et le fief qui en dépendait ont donné leur nom à la célèbre famille d'Harcourt, qui a joué un rôle très important dans l'histoire de la Normandie et de l'Angleterre, en particulier au cours de la guerre de Cent Ans. o François Neveux.
Peu après, le frère de Charles, Philippe de Navarre, prête l'hommage à Édouard III, bientôt suivi par Godefroy d'Harcourt. Ce dernier est tué dans un combat local, au gué de Saint-Clément, mais il avait légué au roi d'Angleterre son château de Saint-Sauveurle-Vicomte. Ce château va rester une base anglaise au cœur de la Normandie pendant près de vingt ans. Puis la guerre se transporte en Aquitaine. Le roi Jean est fait prisonnier à l'issue de la bataille de Poitiers ( 19 septembre 1356). La Normandie est au centre
Statue équestre de Du Guesclin, œuvre d'Arthur Le Duc. Bertrand du Guesclin, chevalier breton, est honoré à Caen, car il a joué un rôle essentiel dans la défense de la Basse-Normandie contre les Anglais. 0 François Neveux.
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LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
des négociations qui ont lieu à Londres entre les deux rois. Édouard III voudrait bien récupérer ce territoire qu'il considère comme son bien patrimonial. Finalement, après une nouvelle chevauchée qui se termine mal pour les Anglais, seule une grande Aquitaine leur est cédée par le traité de Brétigny ( 1360). Le roi est libéré, mais les Normands, comme les autres, doivent payer son énorme rançon (3 millions d'écus). De plus, des troupes anglaises et navarraises ravagent les campagnes et s'attaquent même aux villes, comme Bayeux et Lisieux . C'est à cette époque qu'apparaît un homme nouveau, un petit chevalier breton, Bertrand Du Guesclin. Il a fait ses premières armes dans la guerre de succession de Bretagne, au service du candidat soutenu par le roi de France, Charles de Blois. Il est nommé lieutenant du roi en Normandie, Maine etAnjou, en 1360, puis capitaine souverain pour les bailliages de Caen et de Cotentin, en 1363. Le 16 mai 1364, il remporte une brillante victoire sur les troupes anglo-navarraises, à Cocherel (Eure). Or, Jean le Bon vient de mourir. Son successeur est l'ancien duc de Normandie, Charles V (1364-1380). Le nouveau roi et Du Guesclin vont réussir à récupérer l'essentiel des territoires perdus, au prix d'un effort financier considérable, auquel les Normands contribuent pour une grande part. En 1375, le château de Saint-Sauveur-le-Vicomte est repris, mais Charles de Navarre cède Cherbourg aux Anglais (1378) et les Français sont battus à la bataille de Brétot (1379). Le NordCotentin doit être évacué. Le règne de Charles V s'achève donc sur un échec relatif en Normandie. Cherbourg ne fut récupéré qu'après la mort de Charles de Navarre, en 1393. Les vingt dernières années du XIV" siècle (1380-1400) marquent cependant une pause dans le conflit. Les deux nouveaux rois sont mineurs : Charles VI (1380-1422) et Richard II (1377-1399). Une fois devenu adulte, le roi d'Angleterre se montre un
Charles V remet l'épée de connétable à Bertrand du Guesclin. Du Guescli n est ainsi remercié des services qu'il a ren dus, notamment en Normandie comme lieutenant du roi et capitaine des bailliages de Caen et de Cotentin, et surtout pour sa victoire de Cocherel (1364). Miniature du -,:,te siècle. 0 Paris, BnF.
LA GU ERRE DE CENT ANS
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Château de SaintSauveur-le-Vicomte (Manche). Ce château appartenait à Godefroy d'Harcourt, qui le légua au roi d'Angleterre. Il fut au cœur des combats pour le contrôle du Cotentin au x,ve siècle, jusqu'à sa reprise par l'armée du roi Charles V (1375). 0 akg-images/Hervé Champollion.
ardent partisan de la paix, mais le roi de France sombre dans la folie, à partir de 1392. Cette folie du roi va déboucher au début du xv• siècle sur une lutte farouche entre les deux princes qui se disputent le pouvoir : Louis d'Orléans, frère du roi (assassiné en 1407), et Jean sans Peur, duc de Bourgogne, cousin du roi (assassiné en 1419). Le royaume va sombrer dans la guerre civile entre les Armagnacs et les Bourguignons. Or, le nouveau roi d'Angleterre, qui a renversé Richard II, est favorable à la reprise de la guerre : c'est Henri IV de Lancastre (13991413).
L'occupation anglaise de la Normandie (1415-1450) La guerre recommence effectivement sous le règne d'Henri V (1413-1422). En 1415, les Anglais prennent le contrôle de l'estuaire de la Seine en s'emparant d'Harfleur, qu 'ils vident de ses habitants, comme ils l'avaient
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LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
fait pour Calais. Puis ils remportent la bataille d'Azincourt, le 25 octobre 1415. Le 1er août 1417, Henri V débarque à Touques et entreprend la conquête systématique de la Normandie. Les villes sont alors beaucoup mieux défendues qu'en 1346. Caen résiste dix-sept jours et Rouen six mois (juillet 1418-janvier 1419). Maître de la Normandie, le roi d'Angleterre négocie avec le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, car Jean sans Peur vient d'être assassiné par les Armagnacs. Le traité de Troyes (1420) reconnaît Henri V comme l'héritier de Charles VI, au détriment du dauphin Charles, réfugié au sud de la Loire. Henri V et Charles VI meurent deux ans plus tard, en 1422. L'héritier est alors le jeune Henri VI, né de l'union du roi d'Angleterre avec Catherine de France : il est âgé de 8 mois. Dans la pratique, le pouvoir est exercé par son oncle, le duc Jean de Bedford, qui gouverne à partir de la Normandie. Entre 1420
Siège de Rouen par les Anglais {1418-1419). Cette image met en relief le rôle qui est désormais joué par l'artillerie, dans l'attaque comme dans la défense. Miniature des Vigiles de Charles VII de Martial d'Auvergne (vers 1484). Paris, BnF, ms. fr. 5054, fo 19v. C BnF.
et 1422, la région est touchée par une grave crise monétaire auquel le nouveau gouvernem ent r éussit à m ettre fin. Le 17 août 1424, le duc de Bedford remporte la bataille de Verneuil contre les partisans du dauphin (Charles VII) . Le r égime anglais paraît solidem ent établi et la N ormandie connaît quelques années de paix et de relative prospérité ( 14251429) . Par la suite, les autorités anglaises fondent l'univer sité de Caen, destinée à la formation des étudiants normands , qui ne peuvent plus se rendre à Paris (1432-1438) .
Bataille de Verneuil {17 août 1424).
Remportée par le duc de Bedford, oncle d'Henri VI, cette bataille permit d'établir solidement la domination anglaise sur la Normandie. Miniature de la Chronique du régne de Charles VII de Jean Chartier (1470-1480). Paris, BnF, ms. fr. 2691, fo 17v. C BnF.
LA GUERRE DE CENT ANS
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Jeanne d'Arc au bûcher (1431). La miniature montre la Pucelle confrontée à son principal juge, Pierre Cauchon, au moment où elle est installée sur le bûcher. L'artiste a su réaliser une image saisissante de cette ultime confrontation, qui ne correspond pourtant pas à la réalité historique. Miniature des Vigîles de Charles VII de Martial d'Auvergne (vers 1484). Paris, BnF, ms. fr. 5054, fo 71. 0 akg-images/Jérôme da Cunha.
Jeanne d'Arc. Ce dessin à la plume orne le registre du parlement de Paris rédigé par Clément de Fauquembergues (1429). Réalisé du vivant de Jeanne, ce dessin nous présente une version idéalisée de la Pucelle, avec son étendard et son épée, mais portant les cheveux longs et vêtue d'une robe. Archives nationales. François Neveux.
LA PROVINCE OE NORMANDIE
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Henri IV à la bataille d'Arques
(21 septembre 1589). Le roi combat en personne à cheval, avec le célèbre panache blanc accroché à son chapeau. Huile sur bois provenant du château de Versailles. Cl RMN/Gérard Blot
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La réforme protestante et les guerres de Religion La Normandie s'est montrée très vite réceptive aux idées de la Réforme. Celle-ci s'implante d'abord dans les villes : Rouen, Caen, mais aussi Le Havre et Dieppe. Elle a trouvé un terrain favorable à Rouen, dans le milieu des marchands, des artisans et des imprimeurs, comme à Caen, dans l'université. En 15 34, Étienne Le Court, curé de Condé-surSarthe, est le premier martyr protestant. En 1549, trente-deux religieux ci,uittent le couvent des Augustins de Rouen. A la campagne, seules certaines zones sont touchées, comme le pays de Caux et, plus tardivement, le Bessin et le Cotentin. Dans ce secteur, les paysans sont entraînés par leurs seigneurs. La réforme se développe, en effet, dans la petite noblesse, alors que les grands aristocrates restent majoritairement fidèles à la foi catho-
LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
li que, celle du pouvoir royal. Dans l' ensem ble, pourtant, les paysans normands refusent massivement une Réforme qui les prive de leurs pratiques religieuses traditionnelles, et surtout du culte des saints. Il est difficile de mesurer la force numérique des protestants. Vers 1560, à l'apogée du mouvement, ils auraient été 15 000 à Rouen (20 % de la population), 5 000 à Caen (de 30 à 50 % de la population). Dans cette ville, les membres des deux confessions se partagent le pouvoir municipal. La Normandie n'est pas épargnée par les guerres de Religion. Dès 1560, de graves troubles éclatent à Rouen, lorsque les réformés décident de pratiquer leur culte publiquement, ce qui est considéré comme une provocation par les catholiques. On constate, à cette époque, le début d'un mouvement iconoclaste, qui va rapidement toucher toute la province.
Pourtant le synode provincial des réformés condamne en 1560 la destruction des statues, qui ne fait qu'exacerber la haine des catholiques. Mais la situations' aggrave rapidement et les protestants, s'estimant menacés, prennentles armes. Le 15 avril 1562, ils s' emparent de Rouen, puis de Dieppe. Cette prise de pouvoir s'accompagne d'une vague systématique d'iconoclasme. Toutes les églises sont pillées et les symboles de la religion catholique détruits ou endommagés, à commencer par les statues de saints. À la fin du mois de mai, les troupes catholiques du duc d' Aumale, frère du duc de Guise, entreprennent le siège de Rouen. Les protestants rouennais font alors appel à la reine Élisabeth : les troupes anglaises s'emparent du Havre, mais n'avancent pas vers Rouen, qui est prise le 21 octobre. La ville est pillée et 1 000 de ses habitants auraient été massacrés. Parallèlement, la guerre touche aussi la basse Normandie. Le principal chef huguenot est Gabriel de Montgomery, celui-là même qui avait tué Henri II en tournoi ( 15 59). La reine Catherine de Médicis ne lui a pas pardonné cet accident : il a dûs' exiler en Angleterre et en est revenu réformé. À ses côtés, on trouve de petits nobles du Bessin et du Cotentin : les seigneurs de BricquevilleColombières et de Sainte-Marie-desAgneaux. Au mois de mai 1562, leur troupe s'empare des villes de Bayeux et de Caen, mettant à sac la cathédrale, l'abbatiale SaintÉtienne et toutes les églises paroissiales.D'autres villes normandes sont prises et livrées aux destructeurs d'images : Pont-Audemer, Falaise, Vire, Saint-Lô et Carentan. Au mois d'août, c'est le tour de Coutances, où l'évêqueArthur de Cossé est tourné en ridicule, sur le mode carnavalesque. Du côté catholique, les opérations sont menées par le lieutenant général de basse Normandie, Jacques Gayon de Matignon, comte de Torigni. Cette première guerre ne prend fin qu'avec la paix d' Amboise, signée le 19 mars 1563.
La paix va entraîner une répression à l'encontre des protestants, aggravée par la fureur populaire. Celle-ci a pour conséquence de nombreuses abjurations. Rouen est plus touchée que Caen, qui devient pour un temps la capitale du protestantisme normand. La violence va se déchaîner à nouveau à partir de 1572, lorsque arrive la nouvelle de la SaintBarthélemy parisienne. La guerre reprend en mars 1574, car Montgomery réussit à fuir Paris, alors que Colombières etdesAgneaux reviennent de leur exil à Jersey. Mais Montgomery est capturé dès le mois de juin, condamné et exécuté à Paris, en place de Grève.
Entrée du château d'Arques-la-Bataille. Une plaque commémore la bataille remportée par Henri IV contre l'armée de la Ligue (1589). 0 akg~images/Hervé Champollion
LA PROV INCE DE NORMAND IE
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Le duc de Parme entre dans Rouen la tête d'une armée catholique (22 avril 1592). La ville change plusieurs fois d'obédience au cours des guerres de religion. Protestante en 1562-1563, elle rejoint la ligue en 1589, qui la contrôle pendant plusieurs années. En 1596, enfin, elle se rallie à Henri IV, qui s'est entre-temps converti au catholicisme. Eau-forte de Ffans-Hogenberg. 0 RMN/ René-Gabriel Ojéda.
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Par la suite, les catholiques normands se rallient en grand nombre à la Ligue, formée sous la direction du duc de Guise. En février 1589, les ligueurs s'emparent de Rouen, alors que Caen reste fidèle au pouvoir royal, comme la plus grande partie de la basse Normandie. Henri IV remporte deux batailles sur la Ligue, à Arques (près de Dieppe), en 1589, et à Ivry, en 1591. La même année, il assiège Rouen, mais ne peut prendre la ville qu'en 1593, en l'achetant et en promettant l'amnistie aux ligueurs. En 1598, l'édit de Nantes met fin aux guerres de Religion . Le
LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
Parlement de Normandie refuse toutefois de l'enregistrer jusqu'en 1609. Les guerres de Religion avaient porté un coup très dur aux réformés, qui ne restaient bien implantés que dans quelques villes (surtout Rouen et Caen) et dans quelques zones rurales, comme une partie du pays de Caux et du Cotentin. L'état de guerre avait eu aussi de graves conséquences sur le plan économique, qui allaient se faire sentir d'autant plus durement que la province subissait de plein fouet le poids de la fiscalité royale.
Assemblée des notables réunie à Rouen par Henri IV (4 novembre 1596). Après le ralliement de la ville, le roi réunit les parlementaires, les principaux membres du clergé et les représentants de la bourgeoisie. Peinture de Jean Alaux dit « le Romain• (1786-1864), provenant du chateau de Versailles. 0 RMN/Gérard Blot
La fiscalité royale
trices. Seuls Le Havre et Dieppe continuent
Les guerres de Religion ont touché le grand commerce en coupant Rouen de ses débouchés traditionnels, comme Lyon et Anvers. Les Rouennais abandonnent les opérations les plus risquées, mais aussi les plus rémunéra-
à se lancer dans de grandes aventures maritimes. Dans la deuxième moitié du xv1e siècle, s'il y a un commerce en direction del' Amérique, c'est à partir du Havre, avec une participation encore inavouée à la traite négrière.
LA PROV IN CE DE NORMANDIE
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Le Havre de Grâce au xvu• siècle Le Havre a profité des guerres de religion pour se développer au détriment de Rouen, qui est un véritable enjeu pour les catholiques comme pour les protestants. La ville n'atteindra cependant sa véritable autonomie qu'au XV111• siècle. Paris, BnF.
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Par ailleurs, après 1560, la Normandie est touchée par une série de crises de subsistance. L' agriculture normande n'a pas réussi à augmenter sa production en proportion de l'essor démographique. Or, le pouvoir royal continue à considérer la province comme l'une des régions les plus riches du royaume et les Normands, dociles , comme de bons contributeurs. L'impôt augmente beaucoup au cours du xv1• siècle et dans la première moitié du xvn• siècle. La Normandie est notoirement surimposée. Au début de la période, la province constitue l'une des quatre généralités du royaume et paie donc le quart des impôts directs, alors qu'elle est loin de représenter une telle proportion de la population. Le principal impôt direct est la taille, répartie par le général des fmances entre les « élections », puis entre les
LA NORMANDIE DES ORIGINES
A NOS
JOURS
paroisses. À ce niveau, le collecteur était responsable de la levée sur ses biens personnels, ce qui entraînait des haines et des querelles. L'impôt indirect comprend la gabelle et les aides. La gabelle est une contribution sur le sel, devenu monopole d' État. Les régions productrices, Cotentin et estuaire de la Touques, échappent au r égime général et ne sont soumises qu'au « quart-bouillon », c'est-à-dire qu' elles doivent verser au roi le quart de leur production. C'était un régime beaucoup plus favorable, qui donnait lieu à une fraude massive, pratiquée par les « fauxsauniers » (contrebandiers du sel). Les aides sont des taxes portant sur les boissons et sur le bétail. Par ailleurs , le roi tire des ressources importantes de la création de nouveaux offices, et en particulier d'offices de judicature.
Cette situation engendre un sérieux mécontentement, à la fois de la masse des paysans, principaux contributeurs, et des titulaires d'offices, dont les membres du Parlement. Le poids de la fiscalité est d'autant plus mal supporté, dans le premier xvrre siècle, que la Normandie se voit confrontée à une crise économique, et surtout à une crise rurale, ainsi qu'au retour de la peste (en 15851590, 1609-1615, 1624-1628, 1636-1640). La situation est devenue intolérable pour beaucoup et, pour la première fois depuis longtemps, les Normands vont se révolter. Reconstitution d'une saline à la Maison de la Baie de Vains (Manche). 0 André Maux.ion.
Ancien hôtel des généraux des finances (1509- 1542), aujourd'hui office de tourisme de Rouen.
c, ~rie Pouhier.
Le chancelier Séguier en déplacement. Après la révolte des Nu-Pieds, au cours de l'année 1640, le chancelier Séguier visite en personne toutes les villes de basse Normandie, en y exerçant une sévère répression. Huile sur toile de Charles Le Brun (1619-1690). C RMN/Hervé Lewandowski.
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La révolte des Nu-Pieds et la Fronde normande La pression fiscale engendre de graves rébellions dans la première moitié du XVIIe siècle. Déjà, en 1579, on peut signaler une première révolte rurale, celle « des Gautiers » . Dans les années 1630, on constate une montée de l'agitation urbaine : révolte des tanneurs de Rouen, en 1634, émeutes dans plusieurs villes, lors de l'instauration d ' un emprunt forcé, en 1637. A Coutances, le mouvem ent est dirigé par le lieutenant au présidial, Bernardin Poupinel. Les officiers sont aussi m écontents, car la multiplication des nou-
LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
veaux offices diminue la r entabilité des anciens. C' estle cas en basse Normandie lors de la création de la généralité d ' Alençon (1636) ou de l' élection de Saint-Lô (1639). Le gouvernement de Richelieu a r ecours à cet expédient pour faire face aux énormes dépenses engendrées par la guerre. Province maritime, la Normandie se trouve directement concernée par les opérations militaires et la guerre de course, alors que son comm erce est entravé. Cette situation est une source de m écontentement supplémentaire pour les populations portuaires.
La révolte dite des « Nu-Pieds» commence dans l' Avranchin. Son origine immédiate est la suppression du privilège du « quart-bouillon». Le 16 juillet 1639, à Avranches, la foules' attaque aux officiers, considérés comme les représentants du pouvoir royal . Bernardin Poupinel lui-même est tué, en dépit du rôle qu'il avait joué dans les troubles précédents ! La révolte se répand au mois d'août dans de nombreuses villes normandes : Rouen, Caen, Vire, Mortain, Coutances et Carentan. À Rouen, le 20 août, la foule s'attaque aux bureaux du fisc, puis va piller les maisons des riches habitants de la ville . Mais le centre du mouvement se situe toujours dans l' Avranchin, et ils' agit là d 'une agitation à dominante rurale. Plus de 5 000 rebelles se réunissent
pour former une « armée de souffrance ». Ce sont surtout des paysans et des sauniers (qui marchaient nu-pieds). La direction de cette armée est assurée par quelques petits nobles. L'un d'entre eux,Jean Quétil de Pont-Hébert, en devient le chef militaire. Quelques prêtres participent également au mouvement. Un certain Morel, vicaire de Saint-Saturnin d' Avranches, est sans doute le rédacteur du Manifeste de jean Nu-Pieds . La répression fut à la mesure de la peur qu' avait suscitée ce mouvement du côté du gouvernement, et surtout chez les officiers et les possédants en général. Richelieus' adressa au colonel Gassion, un huguenot qui s'était illustré dans la guerre en Allemagne. Le 30 novembre, sous les murs d' Avranches,
Remise des clefs de la ville de caen Plusieurs membres de la municipalité de Caen présentent à Louis XIII les clefs de leur ville, qui est représentée au fond du médaillon. Mairie de Caen. 0 Bernard Enjolras
LA PROVINCE DE NORMANDIE
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Le Parlement de Rouen. Le bâtiment fut édifié au début du xv,• siècle par Rouland Leroux, architecte de la cathédrale, à l'instigation de l'archevêque Georges f•r d'Amboise, principal ministre de Louis XII. Cl François Neveux.
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il écrase ce qui restait de l'armée de souffrance, avec 4 000 hommes et 1 200 cavaliers, détachés du front de Picardie. Puis la ville d' Avranches est livrée au pillage de la soldatesque. Ensuite, le chancelier Séguier se déplace en personne. Il visite toutes les villes de la basse Normandie et fait condamner les émeutiers qui ont pu être arrêtés, à la peine de mort ou au bannissement. A Rouen, le pouvoir royal s'en prend au Parlement, accusé de s'être montré trop peu ferme face à la rébellion. Le Parlement est interdit le 17 décembre 1639 et tous ses membres sont contraints de quitter la capitale normande. Il n'est rétabli, en 1641, que sous la forme du Parlement semestre. Les anciens parlementaires ne peuvent plus siéger que la moitié de l'année. Durant l'autre moitié, ce sont de nouveaux parlementaires, dont les offices étaient évidemment mis en vente. Cette mesure divise par deux les revenus des parlementaires et elle entraîne un conflit de longue haleine entre anciens et nouveaux officiers, d'autant plus que ceux-ci étaient recrutés parmi les non-Normands. Pour le pouvoir royal, le but
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est atteint. Le Parlement de Normandie, devenu le symbole de la défense des libertés de la province, est durablement abaissé . Pourtant, la révolte n'aboutit pas à un échec complet. Le privilège du quart-bouillon est rétabli et les impôts baissent pendant un temps. La mort de Richelieu, puis de Louis XIII, apporta aux Normands un répit de courte durée (1642-1645). La guerren' était pas terminée et, pour y faire face, Mazarin multipliait à nouveau les taxes. Il n'est donc pas étonnant que la Normandie ait été touchée par la Fronde. En novembre 1649, les exactions de 900 soldats logés à Rouen entraînent une émeute. Cette fois-ci, le Parlement de Rouen, échaudé, ne suit pas le Parlement de Paris, quis' était rebellé contre le gouvernement de Mazarin. Au contraire, il interdit tout rassemblement. La milice bourgeoise se charge de la répression, aussi bien à l'encontre des soldats que des émeutiers appartenant aux catégories populaires. Pourtant, le nouveau gouverneur de Normandie, le duc Henri de Longueville, s'était rallié à la Fronde. À vrai dire, il y était surtout poussé par sa
Statue de Richelieu, à Forges-les-Eaux. Louis XIII, Anne d'Autriche et Richelieu comptèrent parmi les premiers curistes de la station thermale. C Hervé Hughes.
femme,Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, sœur du prince de Conti et du Grand Condé. Le duc est bien accueilli à Rouen, mais se montre assez tiède et indécis. Sa femme, véritable pasionaria, tente d'entraîner la Normandie dans la Fronde. Contrainte à l'exil, elle ne revint à Rouen que pour se livrer à une pénitence publique, en 1654, avant de se retirer à Port-Royal. La Normandie ne participa donc pas vraiment à la Fronde. Les Normands estimaient cependant qu'ils n'étaient pas assez récompensés de leur fidélité. En
1655, les États de Normandie présentent leurs doléances au jeune Louis XIV de 17 ans, venu en personne à Rouen. Furieux, le roi ordonne qu'on ne convoque plus jamais les États, ce qui fut appliqué. Pourtant, le Parlement avait accepté le versement d 'un subside de 3 millions de livres ! Les tensions s'apaisèrent quelques années plus tard, en 1659, avec la paix des Pyrénées. La pression fiscale fut un peu moins forte pendant les vingt ou trente années suivantes et il n'y eut pas de nouvelle révolte en Normandie.
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Abbaye Saint-Étienne de caen. Gravement endommagée lors des guerres de Religion, l'abbaye fut restaurée au début du xv11• siècle sous la conduite de son prieur, dom Jehan de Baillehache. Après l'adhésion de l'établissement à la congrégation de Saint-Maur (1663), les bâtiments conventuels furent entièrement reconstruits sous la direction du célèbre architecte monastique, Guillaume de La Tremblaye (entre 1710 et 1763). GravweduMonasticum gallicanum. Collection particulière.
La réforme catholique Les guerres de Religion avaient beaucoup retardé l'application du concile de Trente. Un synode provincial, tenu en 1581, avait entériné ses décisions, mais elles ne furent guère mises en pratique avant la seconde moitié du xvn• siècle. Dans la première moitié du siècle, cependant, on assiste aux prémices de la réforme catholique. Il faut signaler l'action de grands prélats : François de Harlay de Champvallon, archevêque de Rouen (1615-1652) ou Léo-
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nor Goyon de Matignon, évêque de Coutances (1633-1648), puis de Lisieux (16481677). L'un des objectifs de la réforme était de mieux instruire les prêtres. Il fut ardemment poursuivi par Jean Eudes (1601-1680). Fondateur d'une nouvelle congrégation, les Eudistes (1643), il se consacre notamment à l'établissement de séminaires à Caen et à Rouen (1659) . L'éducation des fidèles n'est pas oubliée. Elle se fait notamment par le biais des collèges créés par les Jésuites, à Caen, Rouen et Alençon, ou par les Oratoriens, à
Dieppe. Les collèges jésuites comptaient 2 000 élèves en 1682. Bientôt, tous les enfants de la noblesse et de la bourgeoisie sont formés dans ces établissements. De plus, de nombreuses écoles rurales sont instituées et confiées aux curés ou aux vicaires . Cet effort d'éducation est efficace, et la Normandie devient l'une des régions les plus alphabétisées du royaume. La réforme catholique se traduit aussi par la fondation de nouvelles communautés religieuses. Les mauristes prennent en charge la plupart des vieilles abbayes bénédictines : le Mont-Saint-Michel (1622), Le Bec (1626), Fécamp (1649), Saint-Étienne de Caen (1663), etc. À Rouen s'établissent les Minimes ( 1600), les Carmélites et les Oratoriens ( 1616), les Ursulines ( 1619) et les Carmes déchaussés (1624). À Bayeux, on trouve aussi des Capucins et des Ursulines. À Caen, Jean Eudes fonde lui-même un refuge pour les « pénitentes repenties», c'est-à-dire les prostituées (1641 ), et une congrégation féminine pour s'en occuper, les Filles de Notre-Dame-de-la-Charité ( 1651), qui essaimera à travers la Normandie. Le père Eudes conduit aussi de nombreuses missions dans les campagnes, qui connaissent un grand succès. Les paroisses rurales furent ainsi l'objet d'un effort de christianisation en profondeur, qui n'avait jamais été entrepris auparavant avec une telle volonté et une telle ardeur. À terme, le cadre paroissial était pourtant valorisé. Les réformateurs catholiques voulaient renforcer l'encadrement des fidèles, grâce à un clergé mieux formé et mieux dirigé. Cet effort est poursuivi et amplifié dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, sous le règne personnel de Louis XIV Il est dirigé par une nouvelle génération d'évêques, résidant effectivement dans leurs diocèses : Jacques-Nicolas Colbert, archevêque de Rouen (1691-1707), fils du ministre, et son successeur, Claude Maur d'Aubigné ( 1707-1 719), ou François de Nesmond, évêque de Bayeux (1661-1715) . À Bayeux, celui-ci reconstruit l'Hôtel-Dieu,
qu'il confie à une communauté d' Augustines, fonde un hôpital général et un séminaire (1693), puis restaure sa cathédrale, en la dotant d'un nouveau jubé (1700) et d'une tour centrale classique (1714) . La qualité du clergé est une préoccupation constante de ces évêques. Outre les séminaires, qui donnaient une courte formation initiale, les évêques prônent une formation permanente, par le biais des Coriférences ecclésiastiques. Ils se heurtent pourtant à la résistance de vieilles institutions, comme les chapitres cathédraux, et au mode de désignation traditionnel des curés (le patronage laïc ou ecclésiastique).
Grand séminaire de Bayeux, fondé par Mgr François de Nesmond (1693). Le séminaire abrite aujourd'hui la bibliothèque municipale et la Tapisserie de Bayeux. C Thierry Séni.
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Bombardement de Dieppe en 1694. Port actif sur le plan commercial et militaire, Dieppe fut l'objet d'attaques ennemies sous le règne de Louis XIV. Au cours de la guerre de la ligue d'Augsbourg (1688- 1697), la ville fut détruite par un terrible bombardement de la flotte anglo-hollandaise. Par la suite, le roi favorisa sa reconstruction. Q Dieppe, Mêdiathèque Jean-Renoir.
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Le clergé rural est toujours divisé entre les curés, titulaire d'un bénéfice, et les vicaires, souvent réduits à la« portion congrue». Ces derniers, mal payés, restent mal formés et peu zélés. Les évêques encouragent de nouvelles formes de piété, comme la dévotion à la présence réelle, à laquelle se vouent les Confréries du Saint-Sacrement. De telles organisations permettent aussi à la réforme d'atteindre l'un de ses objectifs essentiels : développer un culte centré sur le Christ, au détriment du culte des saints, encore très populaire dans le peuple. L'épiscopat se
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méfie del' attrait exercé par les pèlerinages, sans toutefois réussir à les interdire. Néanmoins, la réforme ne peut changer complètement les comportements et les évêques doivent faire des compromis. Les confréries anciennes restent ainsi très vivantes à travers toute la Normandie, en dépit des interdictions qui visent les pratiques de convivialité, et notamment les banquets. En réaction à l'attitude hostile de la hiérarchie, elles se transforment de plus en plus en organisations funéraires et en conservatoire des pratiques traditionnelles.
Charité de Piencourt, près de Bernay (Eure), fondée en 1541. A l'instar de celle de Piencourt, les« confréries de charité» ou « charités» ont été particulièrement vivaces dans le pays d'Auge et Je Lieuvin, où elles ont subsisté jusqu'au cœur du xx" siècle. Photographie de 1906. C Roger-Viollet/CAP.
La réforme catholique va de pair avec une hostilité grandissante vis-à-vis des protestants. Le nombre des réformés avait beaucoup baissé au cours du xvn• siècle (55 000 personnes en 1675). Même si on les trouve en majorité en ville, il subsiste de fortes communautés rurales, comme celle de Cerisy-la-Salle, près de Coutances, autour du château de la famille Richier. C'est une exception car, dans l'ensemble, la noblesse est revenue au catholicisme. La répression contre la communauté se fait de plus en plus forte à partir des années 1680. En 1684, le roi nomme intendant de Rouen Marillac, qui y introduit les dragonnades, qu'il avait expérimentées en Poitou (« avec succès »). Enfin, le 8 octobre 1685, l'édit de Fontainebleau interdit le culte réformé et bannit les
pasteurs du royaume. La révocation de l'édit de Nantes se solde par un échec en Normandie comme partout ailleurs. Les protestants normands s' exilent massivement à Jersey, à Guernesey, en Angleterre ou aux Pays-Bas, et même enAfrique du Sud. Ceux qui restent ne se convertissent qu'en apparence et il y a des assemblées du Désert, près de Bolbec ou dans le Bocage. La révocation a aussi des conséquences très négatives pour la vie intellectuelle de la province.
Château de cerisyJa-Salle (XV11• siècle). Reconstruit à partir de 1613 à l'emplacement d'une ancienne forteresse médiévale, le château fut longtemps un foyer du protestantisme normand. Depuis 1952, il est le siège d'un centre culturel de renommée internationale, qui organise chaque année de nombreux colloques scientifiques. O Archives Pontigny-Cerisy.
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CAEN - Le Palais de l'Université - L. D.
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Ancienne université de Caen (xv11•-x,xe siècle). Situé au cœur de la ville, l'ancien palais de l'université a été détruit en 1944. Collection Yves Lecouturier.
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La vie intelleduelle et les Lumières La vie intellectuelle et culturelle de la Normandie est centrée autour de ses deux grandes villes, Rouen et Caen. Au cours des soixante premières années du xv1e siècle, Rouen bénéficie du fait que le roi ne réside plus à Paris, mais sur la Loire. Centre du commerce international, elle est aussi l'un des grands pôles de l'imprimerie dans le royaume, avec Paris et Lyon. À cette époque, la vie culturelle est encore très liée à la religion. La grande manifestation littéraire rouennaise est le Puy de Palinods, concours de
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poésie dont le thème est toujours l'immaculée Conception de la Vierge Marie, célébrée lors de la Fête aux Normands (8 décembre). La réforme et les guerres de Religion mettent quelque temps en veilleuse ces manifestations, mais elles se poursuivent jusqu'à la fm de l'Ancien Régime. Rouen est aussi un centre musical de première importance, en particulier dans le domaine de l' orgue. JehanTitelouze (1563163 3), organiste de la cathédrale de Rouen, est le fondateur de la musique d'orgue française. Après lui, on peut citer son successeur
Jean Boyvin ( v. 165 0-1706), puis Gaspard Corrette (1671-1733) et son fils Michel Corrette (1707-1795), qui fera une belle carrière parisienne. À partir de la seconde moitié du xvn° siècle, en effet, beaucoup de musiciens normands quittent la Normandie pour Paris. Rouen est également réputée pour ses facteurs d'orgues, qui forment de véritables dynasties : les Lefebvre, les Ingout ou les Parizot. Aujourd'hui encore, quelques instruments témoignent de cet art comme le Lefebvre de Saint-Sauveur du Petit-Andely ou les Parizot de Guibray, près de Falaise, et de Mondaye, près de Bayeux. La ville de Caen possède d'importants atouts sur le plan culturel. Le principal est l'université, qui demeure un centre intellectuel important dans le domaine de la théologie, du droit et de la médecine. En 1591 est fondé le collège du Mont, où l'on enseignait le grec, repris par les Jésuites en 1609.
La ville de Caen fonde une Académie dès 1652, la seconde après l'Académie française. Pendant les trente années suivantes, elle est un haut lieu de culture où se côtoient les savants protestants, comme le pasteur Samuel Bochard (1599-1667), et les savants catholiques, comme Pierre-Daniel Huet, futur évêque d' Avranches (1630-1721 ). La condition de cette entente exceptionnelle était l'exclusion des sujets religieux dans les travaux de l'Académie ! La vigueur de cette institution est due aussi aux liens particuliers qu'elle entretenait avec le milieu intellectuel parisien, et surtout avec le poète Jean Chapelain (1595-1674), qui régnait sur les lettres à la cour de Louis XIV. La Normandie a donné naissance à de nombreux écrivains mais, comme les musiciens, la plupart d'entre eux ont quitté la province pour faire carrière dans la capitale. Citons François de Malherbe (1555-1628),
Ci-dessous à gauche : Orgue de l'abbaye Saint-Martin de Mondaye (Juaye-Mondaye, Calvados). Cet orgue historique fut construit en 1741 par le facteur Henri Parizot, avec un buffet sculpté par Verly. C Êric Pouhier.
Ci-dessous à droite : Maison de Corneille, à Petit-Couronne (Seine-Maritime). Située à 8 km de Rouen, cette maison de siècle campagne du fut acquise en 1608 par le père de Pierre et de Thomas Corneille. C'est un petit manoir à colombages typiquement normand, flanqué d'une tour d'escalier.
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C Nicolas Fediaevsky.
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né à Caen, le grand Pierre Corneille (16061684) et son frère Thomas (1625-1709), nés à Rouen, Madame de Scudéry ( 1607-1701), née au Havre, Charles de Saint-Évremond (1616-1703), né à Saint-Denis-le-Gast, Bernard de Fontenelle (1657-1757), né à Rouen, l'abbé Castel de Saint-Pierre (1658-1743), né à Saint-Pierre-Église, et Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), né au Havre. Sur le plan culturel, Rouen prend son essor au xvrn< siècle et surpasse alors Caen dans bien des domaines. En 1735 est créé un Jardin botanique. En 1744 enfm est fondée une Académie. Par la suite, les académiciens défendent leur pré-carré et s'opposent longtemps à la création d'une Société d ' agriculture Gusqu' en 1764). Entre-temps, beaucoup d'autres institutions ont vu le jour. Il s'agit surtout d'écoles gratuites, où l'on enseigne des matières qui ne font pas partie du cursus universitaire. Elles mettent en application les principes de la philosophie des Lumières : une École de dessin ( 1741), les Écoles de chirurgie (1752), de botanique (1752), d'hydrographie (1757), de mathématiques (1758), une très novatrice École d'accouchement, qui formait les sages-femmes (1764) et enfin les Écoles de physique (1777) et d'histoire naturelle (1780). Ainsi, les Rouennais ont créé un enseignement supérieur novateur, centré sur les sciences, en dehors de l'université, qui en restait au cadre religieux et aux disciplines traditionnelles. Désormais, Rouen supplantait Caen sur le plan intellectuel. La vie culturelle se manifeste encore de bien d'autres manières . C'est à Rouen que paraissent les premiers journaux. En 1762, ce sontles Annonces de Jean-Baptiste Machuel, puis, en 1785, un Journal de Normandie. On construit des théâtres à Rouen, Caen ou
Alençon. A Rouen, des récitals d'orgue très fréquentés ont lieu dans les églises, sur le modèle du Concert spirituel parisien. Les Lumières se diffusent également en Normandie par le biais de la franc-maçonnerie. La première« société » apparaît à Caen et ouvre une filiale au Havre en 173 8. Un pôle rouennais émerge un peu plus tard, au milieu des années 1740. On assiste ensuite à une explosion qui touche même les petites villes, comme Bayeux, où « Les Cœurs zélés» s'installent en 1752, puis les villes du Cotentin, à partir de 1757. Après 1774, le Grand Orient fédère de nombreuses sociétés indépendantes. Caen et Rouen possèdent alors quatre loges et la plupart des villes moyennes au moins une . Ces loges maçonniques favorisent la diffusion des idées nouvelles : elles contribuent à l'évolution des mentalités et à l'effervescence prérévolutionnaire. Cependant, c'est surtout la crise économique et financière qui a précipité les événements, en Normandie comme ailleurs.
« Maison natale » de Malherbe, rue Saint-Pierre à Caen. Cette belle maison de la fin du xv1• siècle est en fait postérieure à la naissance du poète (1555). Elle a remplacé sur le même site sa véritable maison natale. Cl Pierre Bérenger.
Page de gauche : Portrait de François de Malherbe (1555-1628). Né à Caen, Malherbe a fait sa carrière à Paris. Soutenu par Henri IV et Louis XIII, il a établi les règles contraignantes du classicisme littéraire, qu'il a mises en pratique dans son œuvre poétique. Huile sur toile de Robert Lefèvre (1e22} provenant de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris. C Bridgeman.
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Champ de colza devant l'église de Sérans, près d'Êcouché (Orne). Le colza est l'une des nouvelles cultures introduites en Normandie par les intendants (au xv111• siècle). 0 Hervé Hughes.
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Les mutations économiques du xvme siècle: de l'essor à la crise À partir de 1715, l'économie normande connaît une longue période d ' essor d' environ un demi-siècle, qui dure jusque dans les années l 770. L'agriculture demeure le secteur économique le plus important. Elle parvient désormais à nourrir une population rurale en forte croissance. Il existe cependant une opposition entre la haute et la basse Normandie. Dans la généralité de Rouen, l'agriculture se développe plus rapidement et s'intègre de plus en plus aux circuits marchands. Dans les généralités
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de Caen et d'Alençon, s'opposent toujours la Plaine et le Bocage. Les grandes plaines agricoles de Caen, de Falaise et d' Argentan se distinguent par un développement comparable à celui de la haute Normandie. Le Bocage demeure une région de toute petite propriété et de polyculture traditionnelle. En haute Normandie, la production céréalière connaît un essor remarquable : elle est multipliée par trois entre l 720 et 1789. Il en est probablement de même dans les régions de « plaine » de la basse Normandie. Ce résultat est dû à une évolution des techniques, qui avaient peu changé depuis trois siècles. Il faut signaler à cet égard l'action des intendants, qui ne cessent de pousser à la modernisation de l'agriculture. Ils sont relayés, tardivement, par la Société d'agriculture de Rouen. Les intendants militent, en particulier, pour la suppression de la jachère et l'introduction de cultures nouvelles, qui peuvent alterner avec les céréales, sans épuiser la terre : turnep (variété de navet), colza, pomme de terre, puis garance. Ils s'intéressent également à la culture du lin. Sur les terres pauvres, ils conseillent de remplacer le seigle et le méteil par le froment et l'avoine . L' élevage se développe aussi dans le pays de Bray et en basse Normandie. Dans le pays d ' Auge, par exemple, on met en herbe une grande partie des terres humides, qui étaient jusqu'alors cultivées. Au XVIIe siècle, la proportion était de deux tiers de cultures pour un tiers de prairies. Au xvme siècle, la proportion va s'inverser. Ce développement de l'élevage s'explique par l'existence d 'un marché extérieur. Les animaux, et surtout les bovins, sont amenés sur pied à Passy. Plus généralement, la croissance de la ville de Paris va stimuler la production agricole normande. Une bonne partie des céréales produites sont expédiées, elles aussi, vers la capitale. Le mouvement est encore plus net en haute qu'en basse Normandie. La généralité de Rouen est plus proche et beaucoup mieux
reliée à Paris, par la Seine ou par les routes. Le réseau routier est très nettement amélioré au xvm 0 siècle, encore sous l'impulsion des intendants. Les routes anciennes, souvent d' origine romaine, sont refaites et rectifiées. De nouvelles routes rectilignes sont construites pour relier les villes moyennes . Le« pavé du roi » rend les communications plus faciles. Il contribue, en particulier, au désenclavement de la basse Normandie . Grâce à ces améliorations, l'agriculture normande tend à s'insérer dans une économie de marché .
Maison à colombages typique du pays d'Auge,
Une vache normande, devant un bâtiment agricole à colombages.
entourée d'un pré planté de pommiers.
L'élevage bovin se développe considérablement en basse Normandie et dans le pays de Bray au xv,11• siècle.
C Thierry Séni.
C Thierry Séni.
A gauche: Dentelle au fuseau pour le point de Villedieu-les-Poêles. Pratiquée par les femmes, la dentellerie a été une activité majeure en basse Normandie, au xvm• et au x,xe siècle, en dépit de crises passagères. Les principaux centres de production étaient Alençon, Argentan, Bayeux et Caen, mais aussi Villedieu-les-Poêles. © Thieny Séni.
À droite:
Robe en dentelle. O Thierry Séni.
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Le surcroît de population n'aurait pu être nourri par le seul essor del' agriculture. Dans les campagnes se développent des activités annexes d'ordre artisanal. Certaines remontent au Moyen Âge, comme la métallurgie, toujours aussi présente dans le Bocage ou dans le pays d'Ouche. C'est encore le cas pour la verrerie autour de la ville d'Eu. Ces activités nécessitent beaucoup de bois (sous la forme du « charbon de bois ») : elles ne peuvent subsister que dans les zones forestières (forêt d'Ouche, d'Eu, d'Eawy ou de Lyons). À la fm du siècle, pour suppléer au manque de bois, on commence à importer d'Angleterre du « charbon de terre ». La métallurgie et la verrerie restent très actives tout au long du siècle. Elles sont désormais dominées par des nobles : « barons fossiers » ou gentilshommes verriers. Cependant des négociants urbains contrôlent de plus en plus l'approvisionnement en matières premières et l'écoulement de la production. D'autres branches de l'artisanat, urbain ou rural, sont en déclin. C'est le cas de la draperie, grande spécialité de Rouen et des villes normandes, après 1750. De même, la tannerie, la chapellerie et la dentellerie
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connaissent des difficultés. En revanche, de nouvelles activités sont en plein essor : la papeterie, la fabrication de toiles peintes, la toilerie de lin et surtout de coton. Le coton tend à remplacer la laine, notamment à Rouen, au Havre et dans le pays de Caux, autour de Dieppe et d'Yvetot. Cette nouvelle industrie est dominée par les négociants rouennais, qui paient les fileuses et les tisserands, et louent parfois les métiers à tisser. Une bonne partie de cette activité se déroule à la campagne selon le système de la manufacture rurale ( domestic system). Il existe cependant des manufactures urbaines en grand nombre à Rouen. Outre les spécialités déjà citées, signalons la librairie, toujours active, la faïence et la porcelaine, la raffinerie de sucre et la construction navale, également présente au Havre. Les activités polluantes sont rejetées à l'extérieur du centreville, à Saint-Sever, sur la rive gauche de la Seine, ou à Maromme, dans la banlieue ouest. Mentionnons enfin l'importance de la pêche. Les principaux ports sont Dieppe et Honfleur, auxquels on peut ajouter Fécamp et Saint-Valéry-en-Caux. Ils arment pour tous les types de pêche, y compris la pêche hauturière.
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101),ùv:lfw,- O ~ 7:~ o Plan aquarellé des curanderies (1751-1762). En Normandie, on appelait« curanderies » les ateliers de blanchissage des toiles (autrement dit « blanchisseries»). Ce plan représente celles qui étaient installées sur la Bresle, à la frontière nord-est de la Normandie. C Archives départementales de Seine-Maritime, série 98 J.
Le développement de cette activité est encore lié à la demande du marché parisien, gros consommateur de poisson frais. La crise va frapper à nouveau la Normandie à partir des années 1770. L'ampleur de cette crise n'est pas bien perçue au début. Ils' agissait pourtant d'un mouvement de longue durée. Beaucoup d'activités traditionnelles sont touchées, comme la chapellerie, l'imprimerie, la faïencerie, la dentellerie et la facture d'orgue. L'ensemble des fabrications textiles sont également affectées : la laine, le chanvre, le lin, et même le coton. Or, cette activité était désormais essentiellement rurale et donnait un complément de ressources indispensable à de nombreux petits paysans.
La lieutenance et le port d'Honfleur. La lieutenance était le siège du lieutenant du gouverneur, installé dans le seul vestige subsistant des anciens remparts (détruits de 168 1 à 1690). C> ThierrySéni,
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Louis XVI visitant le port de Cherbourg en construdion {23 juin 1786). Huile sur toile de Louis-Philippe Crépin ( 1772-1851) provenant du chateau de Versailles. Cl RMN/Daniel Arnaudet.
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À l'époque, la crise est souvent attribuée à l'augmentation du prix des matières premières et à l'introduction des machines, notamment des machines à filer le coton, puis au traité de libre-échange entre la France et l'Angleterre (1786). En réalité, les difficultés sont antérieures à l'introduction des machines (1773) . Iln' en reste pas moins qu'il existe un décalage flagrant entre l'industrie normande, encore largement manuelle, et l'industrie anglaise, déjà très mécanisée. Pourtant, la Grande-Bretagne est devenue le principal partenaire économique de la province, surtout après le rétablissement de la paix (1783). La paix a cependant des effets positifs. Le commerce avait été épargné par la crise. Il se développe de façon considérable, à Rouen comme au Havre. On assiste même
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à un essor spectaculaire du port du Havre, dont la prospérité est surtout fondée sur le commerce triangulaire, et donc sur la traite des esclaves. Même s'il y avait des débats à ce sujet parmi les philosophes, Havrais et Rouennais étaient unanimes pour la défendre. Malgré la situation économique, la Normandie connaît un beau moment de ferveur autour de la royauté avec la visite de Louis XVI, venu inaugurer le port de Cherbourg (21-29 juin 1786). Le roi s'arrête dans un grand nombre de villes, grandes et petites, et il est partout accueilli avec le même enthousiasme. C'est le seul voyage de Louis XVI dans une province française. La crise économique n' en entraînait pas moins son cortège de chômage et de misère. Dès 1776, se produit à Rouen une émeute de
la faim. En 1784, des mouvements ont encore lieu à Rouen et dans le pays de Cawc Le Parlement doit mobiliser la milice bourgeoise pour y faire face. Parallèlement, le Parlement continue à s'agiter contre le pouvoir royal, brandissant la vieille Charte aux Normands (1315) pour défendre les libertés de la province. Il demande aussi la convocation des États généraux. En 1787, se tient une assemblée provinciale. L'une des grandes questions abordées est celle de la propriété des communaux, qui ne fut pas tranchée. L'assemblée se contente de déclarer que chaque paroisse doit garder ses pauvres et chercher à les occuper. Elle ne peut s'accorder sur une taxation des riches. C'était un maigre résultat et l'on craignait une explosion pour 1788, qui n'eut lieu que l'année suivante. La Normandie connaît des troubles dès les premiers mois de 1789, qui se prolongent jusqu'au mois d'août, c'està-dire après la réunion des États généraux.
Vue perspective du bassin et du parc de la marine du Havre. Cette gravure illustre bien l'essor du port du Havre au xvm• siècle. On y voit les chantiers navals, avec pl usieurs navires en construction, de même que les balles de coton et les tonneaux de vin qui viennent d'être débarqués. Paris, Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée. C RMN/ Jean-Gilles Berizzi.
Buste de bacchante en faïence de Rouen. 0 Musée de la ville de Rouen.
Les transformations
du long x1xe siècle (1789-1914) La Révolution et l'Empire La réunion des États généraux eut lieu alors que la Normandie connaissait une grave crise agricole, qui déboucha sur une agitation qu'on peut relier à la Grande Peur (août 1789). Les élections avaient montré de profondes divisions au sein même des trois ordres. Dans le premier, l'épiscopat s'opposait au bas-clergé, qui l'emporta avec 13 curés sur 18 députés, dont Thomas Lindet, curé de Bernay. Dans le second, la noblesse, on se déchira entre partisans du compromis et défenseurs intransigeants des privilèges, qui gagnèrent les élections. Le Tiers-État fut représenté uniquement par la bourgeoisie éclairée, et surtout par les avocats et les hommes de loi. Le plus connu des députés normands fut un avocat au Parlement de Rouen, né à Pontl'Évêque,Jacques-GuillaumeThouret (17461794). Il était partisan d'une politique de compromis, qui permettrait le maintien des ordres, mais l' égalité devantl'impôt. Ses idées avaient été exposées dans plusieurs écrits, mais il ne put les faire prévaloir à Paris. Thouret fut cependant le père du redécoupage administratif ( 1790). Contrairement au vœu des Normands, la province disparaissait en tant qu' entité : elle était divisée en cinq départements, d'importance relativement égale autour de leurs chefs-lieux, anciennes capitales d'intendance ou d'évêché : SeineInférieure (Rouen), Eure (Évreux), Calvados
Portrait de Jacques-Guillaume Thouret (1746-1794). Avocat au parlement de Rouen, député à la Constituante puis à la Convention, Thouret fut le principal responsable du découpage de la France en départements. Ayant protesté contre les excès de la Terreur, il finit guillotiné en 1794. 0 Paris, BnF.
(Caen), Orne (Alençon) et Manche (Coutances, puis Saint-Lô). Avranches et Lisieux ne figuraient plus que comme chef-lieu de district. C'était surtout grave pour les Lexoviens, qui avaient milité en faveur de la formation d'un sixième département. Dans l'ensemble, les Normands se sont montrés très modérés et n'ont pas fait preuve d'une grande ardeur révolutionnaire. Les divisions allaient apparaître lorsque le nouveau pouvoir vota la Constitution civile du clergé (12 juillet 1790). Il y eut désormais un évêque élu par département : Charrier de
Page de gauche : Le port du Havre. Peinture de Camille Pissarro (1830-1903).
C akg-images/Erich Lessing.
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Charlotte Corday et Marat Née près de Sées en 1768, Charlotte Corday était favorable aux Girondins. En 1793, elle décida de tuer Marat, qu'elle considérait comme responsable de leur chute. Elle fut condamnée et guillotinée peu après l'assassinat, le 17 juillet 1793 (à 25 ans). Huile sur toile de Jules Aviat (1880).
Domaine de Vizille musée de la Révolution française.
C Pierre Fillioley.
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La Roche à Rouen, Claude Fauchet à Bayeux, Thomas Lindet à Évreux, Bécherel à Coutances et Le Fessier à Sées. Le clergé, jusquelà plutôt favorable à la Révolution, se divisa presque à égalité entre jureurs et réfractaires, avec des variantes régionales. Ce fut une fracture durable, d'autant plus que les milieux hostiles à la réforme religieuse allaient bientôt rejoindre les royalistes, partisans d'une politique réactionnaire. Beaucoup de Normands regrettaient!' autonomie de la province, pour laquelle ils avaient milité en 1789. C'est pourquoi nombre d'entre eux se rallièrent au mouvement fédéraliste, qui toucha surtout la basse Nor-
LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
mandie à partir de juin 1793, après la chute des Girondins . Menée par le général de Wimpffen, l'armée fédéraliste fut facilement battue à la bataille de Brécourt, près de Vernon, le 13 juillet 1793. Le même jour, Charlotte Corday, originaire de Caen, assassinait Marat. Au mois de novembre 1793, la Manche fut envahie par l'armée vendéenne. L' objectif des insurgés était d'établir une communication avec les îles Anglo-Normandes. Cette armée ne réussit pas à s'emparer de Granville, défendue par le représentant Lecarpentier. Par la suite, une chouannerie subsista de façon éparse dans l'ouest de la province. Elle fut réactivée à deux reprises sous la direction de Louis de Frotté, en 1795 et 1799. Ces deux guerres n'aboutirent à aucun résultat tangible. C'est finalement Bonaparte qui mit fin à la chouannerie normande, en attirant Frotté dans un guet-apens et en le faisant exécuter, après un procès expéditif (en 1800). Sous le Consulat, les Normands accueillirent avec enthousiasme la paix d'Amiens ( 1802). Ils crurent qu'ils allaient pouvoir renouer avec la prospérité, grâce à la reprise du commerce. Cet espoir ne dura que quelques mois. Les départements normands allaient durement souffrir du retour à la guerre, et surtout des conséquences du blocus maritime imposé par l'Angleterre. Dans l'ensemble, l'industrie était touchée autant que le commerce.Toutefois, certaines entreprises purent tirer parti de la situation, notamment celles qui travaillaient pour l' armée. Ce fut le cas des petits établissements métallurgiques du pays d'Ouche. L'industrie cotonnière profita elle aussi du blocus pour s'affranchir de l'Angleterre, comme en témoigne l'essor exceptionnel des manufactures de Richard-Lenoir. Par ailleurs, la guerre entraînait le départ d'un nombre grandissant de jeunes hommes. En dépit du système du remplacement (de plus en plus onéreux), la conscription était très impopulaire.
Ci-dessus: Prisonniers vendéens au Mont-Saint-Michel. Les Vendéens comptèrent parmi les premiers prisonniers du Mont-Saint-Michel, ancienne abbaye devenue prison, et qui le resta jusqu'en 1863. C Archives départementales de la Manche.
Ci-contre: Statue équestre de Napoléon I••, à Cherbourg. Napoléon poursuivit la construction du port de Cherbourg, commencée sous Louis XVI. Installée à la jonction de la ville et du port, cette statue le représente désignant de la main droite l'Angleterre, dont il préparait l'invasion. Ce projet fut ruiné par la défaite de Trafalgar (1805). C ThienySéni.
En 1811, le préfet du Calvados, Mécbin, fut bousculé par des manifestants, ce qui valut à Caen une répression exemplaire (1812) . Finalement, les Normands acceptèrent facilement la chute de l'Empire. Ils lui étaient cependant reconnaissants d'avoir rétabli la paix religieuse, par le concordat de 1801.
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La Normandie concordataire
Abbaye de Mondaye (xv111• siècle). Fondé au x111• siècle, cet établissement prémontré connut bien des vicissitudes de 1791 à 1921. Depu is cette date, il est à nouveau occupé par les chanoines réguliers de l'ordre de Prémontré. 0 Éric Pouhier.
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La réconciliation entre l'Église et l'État français est payée au prix fort . L'Église ne recouvre aucune de ses propriétés, vendues comme biens nationaux. Elle perd de nombreux évêchés et d'innombrables paroisses. On conserve le découpage révolutionnaire, avec un évêché par département. Lisieux et Avranches sont toujours sacrifiées. La Normandie reste cependant une province ecclésiastique. Le nouvel archevêque de Rouen est un proche du pouvoir, frère du second consul : le cardinal Étienne Hubert Cambacérès (18021819). Il n'est pas très bien accueilli par le
LA NORMAND IE DES ORIGINES À NOS JOURS
clergé comme par la population locale et se montre impuissant à réduire le schisme des « Clémentins », regroupés autour de l'abbé François Clément Dubois. D ' autres évêques, plus modestes, s' efforcent de remettre en marche leur Église. C'est le cas du nouvel évêque de Bayeux, Charles Brault (18021817). Celui-ci éprouve cependant les plus grandes difficultés à s'installer, peinant à récupérer l'Hôtel du Doyen, qui avait été acheté par l'ancien évêque constitutionnel du Calvados, Claude Fauchet (1791-1793). C'est seulement en 1812 qu'il peut emménager dans ce nouveau palais épiscopal. Malgré ces
difficultés, monseigneur Brault est un évêque actif et bien vu du pouvoir impérial. Baron d'empire en 1809, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1810 et joue un rôle essentiel dans le concile de 1811. Les autres évêques con cordataires sont Jean-Baptiste Bourlier à Évreux, Claude Louis Rousseau à Coutances et Hilarion François de Chevigné à Sées. Les évêques ont à reconstituer les paroisses et à y nommer des curés. Ceux-ci vont être payés par l 'État , comme tout le clergé concordataire. Cependant, de nombreuses paroisses sont supprimées et beaucoup d' églises sont mises en vente (environ 180 pour le seul département de l'Eure). La plupart furent détruites, à l'instar des églises abbatiales vendues à partir de 1791 . Ces destructions ont été beaucoup plus importantes
sous le Consulat et l' Empire que sous la Révolution. Le concordat ne prévoyait pas d'indemniser, ni de rétablir les ordres religieux. Ceuxci connurent de nombreuses tribulations au cours du xixe siècle. Citons l'exemple del' ancienne abbaye prémontrée de Mondaye. La communauté fut dispersée en 1791 , mais un ancien religieux, le père Goujon, devint curé de Juaye et put conserver l'église abbatiale, devenue paroissiale. Celle-ci échappa ainsi à la destruction, ce qui est exceptionnel. Les bâtiments conventuels furent occupés par un collège, puis par une communauté de Trappistines (1815-1845). Finalement, les Prémontrés purent s' y réinstaller en 1859 . À nouveau chassés en 1880, ils revinrent encore de 1894 à 1903 puis, définitivement, en 1921.
cathédrale de Coutances. Dominant la ville, cette église est un chef-d'œuvre de l'art gothique normand (xm• siècle). Un temps fermée sous la Révolution, elle est rendue au culte catholique au moment du Concordat (1802) . 0 Thierry Séni.
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Napoléon
I••
et l'impératrice Marie-Louise assistent au défilé de l'escadre de l'amiral Aimable-Gilles Troude, le 30 mai 1811, en rade de Cherbourg. Huile sur toile de Louis-Philippe Crépin (1772-1851), peinte en 1811.
0 akg-images/Laurent Lecat.
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Modernisation agricole et industrialisation La Normandie conserve au XIX" siècle une économie à dominante agricole, si l'on excepte le département de Seine-Inférieure, avec la région rouennaise. Dans les zones de grande culture céréalière, on assiste à un début de mécanisation. Pourtant la production des céréales recule presque partout au profit des herbages, sauf dans les plaines de l'Eure. En basse Normandie, ceux-ci occupent la moitié des surfaces cultivées dès 1850. Les prairies sont bientôt complantées de pommiers, et le cidre devient la boisson symbolique de la Normandie. L'élevage bovin est dominant et on en arrive à sélectionner une « race normande ». Comme au XVIIIe siècle déjà, les animaux sont transportés sur pied vers Paris, après avoir transité par le marché du Neubourg. La Normandie vend son lait et son beurre ainsi que ses fromages : pont-1' évêque, neufchâtel et surtout camembert. Parallèlement, l'élevage du cheval se développe, avec la sélection d'un trotteur excellent pour tirer les attelages : « l'anglo-normand ». Du fait de
LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
ces changements, les campagnes connaissent un important exode rural, surtout sensible dans l'ouest. Le milieu du siècle est marqué par la révolution des transports. Le réseau routier, esquissé au xvme siècle, est complété et amélioré. La grande nouveauté est l'apparition du chemin de fer. La ligne Paris-Le Havre est construite sous la monarchie de Juillet (18431847), mais l'essentiel du réseau ferré date du Second Empire. La ville de Caen est atteinte en 185 5 et celle de Cherbourg en 185 8 . La nouvelle ligne est inaugurée par l' empereur, le 4 août 1858. Paris-Granville prend le relais dans les années suivantes. De nombreuses lignes secondaires viennent compléter le réseau, qui atteint les 4 000 kilomètres à la veille de la guerre de 1914. Beaucoup d'industries traditionnelles sont en déclin. C'est le cas de la petite métallurgie du pays d ' Ouche, mais aussi de l'industrie cotonnière, qui connaît une grave crise dans les années 1861-1864, du fait de la guerre de Sécession et du traité de commerce avec l'Angleterre ( 1860). L'industrie lainière
d'Elbeuf en profite un temps et connaît son apogée en 1863 . Mais elle est ensuite victime du déclin général de la draperie. Dans l'ensemble, on constate une opposition entre la Seine-Inférieure, grande région industrielle, et les autres départements normands, qui ne conservent que de petites industries menacées. L'activité dominante est le t extile et l'on voit apparaître dans la région rouennaise de grandes manufactures faisant travailler de 1 000 à 2 000 ouvriers. Dans l' ouest , il existe une seule mine de charbon, celle de Littry, qui doit fermer en 1880. En revanche, de nombreuses mines de fer ouvrent entre Caen et Flers, à May-sur-Orne, Soumont-SaintQuentin ou Saint-Rémy sur-Orne. Elles
alimenteront bientôt la nouvelle sociét é métallurgique à capitaux allemands (Thyssen) qui se constitue à Caen en 1912 . Ces transformations économiques expliquent les évolutions démographiques. Les Normands pratiquentle malthusianisme, et le nombre des naissances ne compense pas celui des morts et des départs. En réalité, c' est principalement le cas de la basse Normandie, qui se dépeuple, alors que la Seine-Inférieure est en croissance. Globalement, la population normande reste la même, autour de 2,4 millions d'habitants , mais c'est une population de plus en plus urbaine (33 % dans le Calvados et 60 % dans la Seine-Inférieure en 1911 ) .
Embarquement des bestiaux sur« Le Passager», dans le port d'Honfleur. Les animaux sont le plus souvent acheminés sur pied vers Paris, mais ils peuvent aussi être transportés par bateau, à partir d'Honfleur ou d'autres ports normands. Huile sur toile d'Anne-Xavier
Leprince (1799·1826). C, akg·
images/ Erich Lessing.
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L'arsenal de Cherbourg au début du xx• siècle. Le bassin Charles-X et les torpilleurs. Collection Monique Sclaresky.
I
oo
Société et vie politique La Normandie comporte désormais trois
grandes villes : Rouen, Le Havre et, loin derrière, Caen. Rouen reste longtemps la première ville, mais elle régresse parmi les grandes villes françaises (5° rang au début du siècle et 11 e à la fin). Elle est talonnée par Le Havre, qui la dépasse dans les années 1900 ( 130 000 contre 125 000 en 1901, hors agglomération) . Les deux villes ne cessent des' opposer : Le Havre réclame l'instauration du libre-échange, alors que Rouen est favorable au protectionnisme, susceptible de sauver son industrie textile vieillissante. Caen stagne autour de 45 000 habitants. Elle dispose cependant d'atouts nouveaux sous le Second Empire, avec le chemin de fer et le canal maritime de Caen à la mer, inauguré en 1857. Elle ne devint une véritable ville industrielle qu'au début du XX" siècle, avec l'implantation d 'une grande usine sidérurgique. Les villes normandes restent des villes anciennes, souvent insalubres. On y entreprend peu de travaux d'urbanisme. Il faut cependant signaler ceux qui sont réalisés à Rouen par le maire Charles Verdrel, de 1859 à 1870, avec le percement de deux grandes voies
LA NORMANDIE DES ORIGINES
A
NOS JOURS
« haussmanniennes ». Il subsiste pourtant une très forte opposition entre les quartiers bourgeois de l'ouest et les quartiers ouvriers de l'est. Rouen demeure une ville à majorité ouvrière, où le taux de mortalité est très élevé (35 %0). C' esttoujours une grande ville industrielle, en dépit de la longue crise de l'industrie cotonnière. Les autres villes de Normandie sont peu actives. Cherbourg vit de son arsenal et de sa préfecture maritime. Les chefs-lieux de département - Évreux, Saint-Lô et Alençon - restent pour l' essentiel de petites cités administratives et des marchés pour la campagne environnante. Ce rapport entre ville et campagne a des répercussions sur le plan politique. Dans l'ensemble, la Normandie demeure une terre conservatrice. Elle vote à droite, pour les royalistes, pour les bonapartistes, puis pour les républicains modérés. Si l'on entre dans le détail, on constat e toutefois de grands contrastes. On peut plus concrètem ent en juger sous la III• République. Les régions les plus à droite sont aussi celles où la religion catholique est la mieux implantée. Le vote conservateur va de pair avec la pratique religieuse. C'est particulièrement vrai pour la
basse Normandie, où subsiste une piété populaire très vivace, quis' exprime encore à travers les confréries (toujours aussi mal vues par les autorités ecclésiastiques). À l'inverse, les votes républicains et socialistes sont majoritaires dans les zones de grande concentration ouvrière, autour de Rouen et d'Elbeuf. Dans ces deux villes ont lieu des émeutes sanglantes en 1848. Elbeuf est même une « ville rouge», qui vote à l'extrême gauche, l'un des foyers de l'Internationale ouvrière. Au début du xxe siècle, on peut remarquer un retour au vote conservateur dans une bonne partie de la province, en réaction à l'anticléricalisme officiel, qui aboutit à la séparation des Églises et de l'État, en 1905. Un certain nombre d'hommes politiques normands font une carrière nationale. Seuls quelques-uns proviennent de la basse Normandie. Citons François Guizot (1787-1874), historien, député de Lisieux et ministre de Louis-Philippe, et Alexis de Tocqueville (1805-1859), grand penseur politique, qui écrivit très jeune De la démocratie en Amérique, avant de devenir député de la Manche (18391852). Plus tard, Henri Chéron est maire de Lisieux de 1894 à 1936, député du Calvados, puis sénateur et plusieurs fois ministre. La plupart des autres sont haut-normands. L'un des plus célèbres estAugustin Pouyer-Quertier (1820-1891), filateur millionnaire, qui devient député de Seine-Inférieure et ministre des Finances en 18 71-18 7 2 . Représen tant d'une haute Normandie gravement touchée par la guerre franco-prussienne, il négocie avec Bismarck les conditions financières du traité de Versailles. Par ailleurs, il est le défenseur de l'économie de sa région et le champion du protectionnisme. Mentionnons encore Jules Ancel (1812-1905), maire du Havre et député de 1849 à 1876, ou Jules Siegfried (1837-1922), riche négociant en coton du Havre, député, puis sénateur et ministre du Commerce, de l'industrie et des Colonies (1892-1893) . Enfin, Félix
Le
président Félix Faure
accueillant le tsar Nicolas Il et la tsarine Alexandra à Cherbourg (1896). Ce voyage du tsar en France témoigne du renforcement de l'alliance franco-russe, dont Félix Faure fut l'un des artisans. Gravure en couleurs du Petit Journal, 11 octobre 1896. 0 akg·images.
Alexis de Tocqueville. Il fut député (1839), puis ministre des Affaires étrangères de la Il• République (1849). Il démissionna après le coup d'État de 1851 et écrivit alors L'Ancien
Régime et la Révolution
Faure (1841 - 1899), lui aussi négociant du Havre, député et ministre des Colonies, achève sa carrière comme président de la République de 1895 à 1899.
(1856), où il défend notamment la liberté de la presse et l'indépendance du pouvoir judiciaire, comme garanties essentielles de la démocratie. Archives départementales de la Manche @ A. Poirier.
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Ci-dessus à gauche : Arc de la croisée du transept de La Trinité de caen (Abbaye-aux-Dames). Publiées dans
Architectural Antiquities of Normandy (Londres, 1822), les gravures de Cotman et Turner contribuèrent à la prise de conscience de la valeur du patrimoine historique de la province. Gravure de John Cotman.
Collection particulière.
Ci-dessus à droite :
Arcisse de Caumont Arcisse de Caumont, fondateur de multiples sociétés savantes, fut le plus actif et le plus influent des érudits normands du x,x• siècle. Huile sur toile de Xénophon Hellouin (1877), détail.
C Caen, Musée de Normandie.
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La prise de conscience d'une identité normande
Annuaire des cinq départements de l'ancienne Normandie. Il est également le fondateur de la
S'il existe déjà deux Normandies sur le plan économique, les Normands du x,x• siècle prennent conscience de leur unité historique. Le mouvement est parti d'Angleterre. Dès le xvm• siècle, des voyageurs anglais, comme Andrew Ducarel, se sont intéressés à la province, à laquelle leur pays était uni par de forts liens historiques. Sous la Restauration, John Cotman et Dawson Turner réalisent des gravures des anciens monuments de la Normandie (1818). À la même date, Charles Stothard vient à Bayeux afin de réaliser une copie de la Tapisserie, dite alors« de la reine Mathilde », pour la Société des antiquaires de Londres. Des nobles normands, souvent écartés du pouvoir, vont s'intéresser à leur tour au passé de la province. Le plus important est Arcisse de Caumont (1801-1873). Né à Bayeux, il développe une activité multiforme. Dès 1824, il fonde la Société des antiquaires de Normandie, sur le modèle de la société londonienne. En 18 31, il crée l'Association normande, qui organise un congrès annuel et publie un bulletin au titre significatif :
Société française d'archéologie ( en 18 34). Par la suite, il publie, avec beaucoup de succès les Cours d'antiquités monumentales (12 vol., 1830-1841 ), qu'il professe à l'université de Caen, puis la Statistique monumentale du Calvados ( 1846). Dans son sillage, citons beaucoup d'autres érudits normands : Charles de Gerville (1769-1853), qui réalise le même genre de recherche pour la Manche,Auguste Le Prévost, éditeur d' Orderic Vital et député de Bernay, Charles de Beaurepaire (18281908), archiviste de Seine-Inférieure, ou Léopold Delisle (1826-1910), originaire de Valognes, qui publie de nombreux documents concernant la Normandie médiévale, tout en faisant une belle carrière parisienne à la Bibliothèque nationale. Ajoutons quelques savants ecclésiastiques, comme l'abbé Gervais de La Rue (1751-1835) ou l'abbé Jean Cochet (1812-1875), célèbre archéologue. Ce mouvement est relayé, sur le plan politique, par Guizot, créateur du service des Monuments historiques (1833). C'est lui qui, en 1840, envoie Prosper Mérimée, premier
LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
inspecteur du service, sillonner la Normandie pour y classer nombre d'édifices au titre des Monuments historiques. Parallèlement la Normandie devient une terre de villégiature pour les Anglais, puis pour les Parisiens. Les bains de mer sont à la mode. L'essor des chemins de fer joue un rôle essentiel dans cette vogue. La première zone fréquentée par les « touristes » est la plage de Dieppe (reliée à Paris dès 1848), Etretat et la « Côte d' Albâtre ». Plus tard, les plages de sable de la « Côte fleurie » sont préférées aux plages de galets de haute Normandie. La première station balnéaire de cette région est Trouville, bientôt dépassée par Deauville, créée de toutes pièces sous l'impulsion du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III. En 1863, Deauville est à son tour reüée à Paris par le train et, dès 1864, elle possède son champ de courses. De nombreux artistes viennent de Paris pour peindre la mer et la nature normande, aux couleurs changeantes.
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Affiche publicitaire vantant Cherbourg et ses bains de mer. 0 Rennes, musée de Bretagne.
Baignade à Saint-Pair-sur-Mer (Manche). La vogue des bains de mer se répand très rapidement du second Empire à la Belle Époque
(1860-1914). Collection Monique Sdaresky.
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SAINT-PAIR-SUR-MER. - La Plage. - LL.
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La Normandie des peintres et des écrivains Dès le début du XIXe siècle, la lumière normande avait attiré les peintres. Et, là encore, les Anglais avaient donné le ton. Outre Cotman, il faut citer Richard Bonington (18021828) et le grand William Turner ( 1775-1851). Beaucoup de peintres français ont aussi des liens avec la Normandie. Citons Théodore Géricault, qui fait ses études à Rouen, et Eugène Delacroix, qui réside souvent à Valmont (près de Fécamp). Jean-Baptiste Corot (1796-1875) peint la ville de Rouen et séjourne souvent dans la province. D'autres peintres sont originaires de Normandie, comme Jean-François Millet (18141875), l'auteur du célèbre Angélus, né à Gréville-Hague, dans la Manche. Le premier grand peintre normand de la mer et des plages est Eugène Boudin (18241898), né à Honfleur. C'est lui qui va prendre sous sa coupe le jeune Claude Monet (1840-1926), le père de l'impressionnisme.
La cathédrale de Rouen. Le portail. Soleil matinal.
Harmonie bleue. C'est l'un des nombreux tableaux de cette cathédrale, que Monet a peinte à toutes les heures du jour, sous toutes les lumières possibles. Huile sur toile de Claude Monet
(1894). e akg-images/Laurent Lecat.
Vue générale de la ville de Saint-Lô. Huile sur toile de Camille Corot
(1796-1875). C RMN/René-Gabriel Ojéda.
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LA NORMANDIE DES ORIGINES À NOS JOURS
Le tableau de Monet, Impression, soleil levant, qui donne son nom au mouvement, est réalisé au Havre ( 1872) . Sa plus célèbre série de tableaux est celle qu'il consacre à la cathédrale de Rouen, évoquée par tous les temps et à toutes les heures du jour. En 1883, Monet s'établit finalement à Giverny (Eure), et y reste jusqu'à sa mort. D'innombrables toiles sont peintes dans le grand jardin fleuri, avec son bassin aux nymphéas . D'autres impres-
sionnistes passent en Normandie, comme Camille Pissarro, Auguste Renoir ou Paul Cézanne, puis des pointillistes tels que Georges Seurat et Paul Signac. Dans l'entourage de Boudin et de Monet, figurent des peintres moins connus : le Trouvillais Charles Mazin (1806-1862), le Néerlandais de Honfleur Johan Barthold Jongkind ( 1819-18 91 ) ou le Rouennais Alfred Charles Lebourg (1849-1928).
Impression, soleil levant Ce tableau, qui donna son nom au mouvement impressionniste, fut peint au Havre, en 1872. Huile sur toile de Claude Monet (1840-1926). C akg-images/Erich Lessing.
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A gauche:
Buste de Maupassant (1850-1893). Maupassant a souvent pris la Normandie pour cadre de ses nouvelles et les Normands comme sujets favoris. 0 Pierre Bérenger.
A droite:
Stèle élevée à la mémoire de Gustave Flaubert (1821 -1880). Flaubert a grandi dans le cadre de l'Hôtel-Dieu de Rouen, dont son père était médecin-chef. Musée Flaubert de l'hôtelwOieu de Rouen. O Hervé Hughes.
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Parallèlement, de nombreux écrivains normands allaient décrire la Normandie dans leurs œuvres, même si la plupart d'entre eux choisirent de vivre à Paris. Parmi les plus célèbres, mentionnons Jules Barbey d' Aurévilly (1808-1889), né à Saint-Sauveur-le-Vicomte, Hector Malot ( 18 30-1907), né à La Bouille, sur la Seine, Octave Mirbeau (1848-1917), né à Trévières, Rémy de Gourmont (1858 1915), né à Bazoches-en-Houlme, l'humoriste Alphonse Allais (1854-1905), né à Honfleur, et Maurice Leblanc (1864-1941), le créateur d'Arsène Lupin, né à Rouen. Il faut cependant s'attarder sur de très grands écrivains français, qui ont été les chantres de la Normandie : Gustave Flaubert (1821 -1880) et Guy de Maupassant (18501893). On peut leur associer Marcel Proust
LA NORMANDIE DES ORIGINES
A NOS
JOURS
(1871-1922), Parisien qui passa de nombreuses vacances sur la Côte fleurie, et surtout à Cabourg (Balbec), théâtre majeur de sa Recherche du temps perdu. Flaubert, né à Rouen, et Maupassant, né à Tourville-surArques, sont de vrais Normands . Flaubert situe plusieurs de ses romans dans la province, dont le plus célèbre, Madame Bovary (1856), où il décrit le petit bourg de Ry, près de Rouen. En revanche, son roman posthume, Bouvard et Pécuchet, se situe en basse Normandie, entre Caen et Falaise. De son côté, Maupassant décrit la vie rurale du pays de Caux dans de multiples nouvelles. L'un et l'autre dressent un portrait sans complaisance de leurs compatriotes. Ils contribuent à fixer une représentation des Normands qui a subsisté jusqu'à nos jours.
Ainsi se constitue une image stéréotypée de la Normandie, caractérisée par ses pommiers et ses maisons à colombages, ses vaches et ses chevaux . Les paysans normands sont représentés dans leur costume traditionnel : les hommes en « blaude » et les femmes en « coëffe ». Cette vision folklorique s'est diffusée à travers la peinture, puis la photographie, popularisée par les cartes postales. Au
début du xxe siècle, en 1911, les Normands fêtent avec faste le millénaire de la province. C'est un moment d'unanimisme qui cache un temps les disparités entre la basse Normandie, encore largement rurale, et la haute Normandie, beaucoup plus industrielle, subissant de plein fouet l' attraction de Paris. Ces caractéristiques vont se perpétuer tout au long du xxe siècle.
Falaises d'Étretat : l'arche de la porte d'aval. Mise à la mode par le journaliste Alphonse Karr (1808-1890), Étretat fut fréquentée par des écrivains, comme Guy de Maupassant et Maurice Lebla nc, qui y situa certaines aventures d'Arsène Lupin, le « gentleman-cambrioleur ». C> ThierrySéni.
Cirand Hôtel de cabourg. Marcel Proust y séjourna pendant de nombreux étés et y écrivit une bonne partie de sa Recherche du temps perdu. C Hervé Hughes.
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LES TRANSFORMATIONS DU LONG XIX• SIÈCLE
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Des deux guerres mondiales au xx1e siècle La guerre de 1914-1918 La guerre de 1870 avait touché directement la haute Normandie, puisque la ville de Rouen et le département de l'Eure avaient été occupés, alors que Le Havre résistait avec succès à l'envahisseur. En 1914-1918, au contraire, les opérations militaires épargnèrent complètement la région. Pendant quatre ans, la Normandie allait être une base arrière de première importance pour les Alliés. Bien entendu, les hommes sont massivement mobilisés, dès le mois d'août 1914. Beaucoup de paysans normands sont inquiets, à juste titre, pour les travaux des champs. De fait, ils ne sont que partiellement remplacés par des femmes et des urbains non requis pour l'armée. Une partie de la récolte 1914 est perdue. Les soldats de la Seine-Inférieure, de l'Eure et du Calvados forment deux divisions, la 5e et la 6e, qui s'illustrent dans toutes les grandes batailles de la guerre, et notamment à Verdun (1916) et au Chemin des Dames ( 1917). Ce qui justifie la célèbre apostrophe du maréchal Foch : « Je suis tranquille, les Normands sont là ! » La guerre va avoir d'importantes répercussions sur l'économie normande. Les petits agriculteurs souffrent beaucoup du manque de main-cl' œuvre. En revanche, les éleveurs du Bessin, du pays d' Auge et du pays de Bray bénéficient de l'énorme hausse des prix de la viande, du lait, du beurre et du fromage. Mais la guerre profite surtout à l'industrie. Le trafic des ports augmente dans des proportions considérables, en dépit des dégâts
causés par les sous-marins allemands. Les besoins engendrés par la guerre stimulent l'industrie textile et mécanique. De plus, beaucoup d'établissements sont transformés en usines d'armement, où les femmes remplacent les hommes, jusque dans de petites localités comme Pont-cl' Ouilly. La guerre va surtout accélérer l'émergence d'une industrie lourde, qui doit compenser la production des usines occupées du nord et del' est. Les conditions nécessaires sont réunies : la
Page de gauche :
Un couple de Caennais regarde un bulldozer allié déblayer les ruines de maisons détruites, rue de Bayeux. à Caen. En arrière-plan, on voit les flèches de Saint-Étienne, restées intactes en dépit des bombardements alliés. O Conseil régional de BasseNonnandie/ Archives nationales
du Canada.
Monument au mort familial érigé dans le cimetière de Crouay (Calvados). Une stèle est surmontée d'une statue en bronze du soldat défunt, brandissant un drapeau. Ce spectaculaire monument privé contraste avec le monument communal, situé à l'extérieur du cimetière : beaucoup plus modeste, c'est une stèle ornée d'une simple croix de guerre. O François Neveux.
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Sainte-Adresse. A côté du vieux village, une station balnéaire fut créée à la fin du x,xe et au début du xxe siècle, et surtout à partir de 1916, à l'initiative du commerçant parisien Georges Dufayel. C'est dans ce quartier que s'établit le gouvernement belge en exil, en 1914-1918. 0 Franck Godard.
basse Normandie dispose de mines de fer et le charbon est massivement importé d' Angleterre. Installés à Mondeville, les HautsFourneaux etAciéries de Caen commencent à produire de l'acier en 1917. Les capitaux allemands d ' origine sont remplacés par des capitaux français, mais la mise en service est retardée par la lutte que se livrent Wendel et Schneider (qui l'emporte finalement). En
1917 également, d'autres hauts-fourneaux voient le jour au Petit-Quevilly. Parallèlement, de nouveaux chantiers navals sont créés dans la vallée de la Seine et à Blainville-surOrne. Pour ces nouvelles industries, on fait venir en masse des ouvriers originaires de l'Empire colonial : Afrique du Nord, Afrique noire, Indochine et Chine. Ces travailleurs ne sont pas toujours bien accueillis, car les
CAEN -
La caserne Hamelin de Caen. Situé sur l'Orne, près du pont de Vaucelles, c'est l'une des casernes de caen, qui reste une ville de garnison jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Collection Yves Lecouturier.
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Casont de Vaucrllu
Français mobilisés sur place sont envoyés au front au fur et à mesure de leur arrivée. Les coloniaux sont souvent parqués dans de véritables camps fermés, comme celui qui est établi au plateau de Mondeville pour les Chinois. En outre, la Normandie reçoit de nombreux étrangers. À Rouen, sont installés les services administratifs des armées britannique, canadienne et australienne. Sainte-
Adresse, près du Havre, devient la capitale de la Belgique occupée et la résidence du roi Albert rer. De nombreux réfugiés belges sont arrivés en Normandie. Beaucoup d'entre eux resteront et s'intégreront très bien dans la région. Mais il ne faut pas oublier que la guerre a aussi apporté son lot impressionnant de morts au combat, auxquels s'ajoutent, en 1918, les morts civils de la grippe espagnole.
Les hauts-fourneaux de caen (1963). La société métallurgique de Normandie (SMN) a été la principale industrie de main-d'œuvre de Basse-Normandie pendant une bonne partie du xxe siècle. Cl Roger-Viollet
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Arrivée d'un train au Mont-Saint-Michel, sur la digue érigée en 1877. Les travaux de « rétablissement du caractère maritime » du Mont doivent entraîner sa destruction dans les années 2010. C Archives départementales
de la Manche.
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L'entre-deux-guerres N'ayant pas souffert des combats, la Normandie profite bien de la reprise économique del' après-guerre. C'est particulièrement vrai dans le domaine maritime, où les ports normands se hissent aux premiers rangs. Caen figure au 7e rang des ports français, en 1930, et Le Havre atteint le 2° rang, en 1934. Rouen et Dieppe sont également bien placés. Cependant, ces ports sont très spécialisés et principalement tournés vers l'extérieur. L'importation du charbon anglais représente 60 % du trafic de Rouen et l'exportation du
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minerai de fer 70 % de celui de Caen. La baisse de ce trafic charbonnier, à partir de 1927-1928 est en partie compensée par l'essor de l'importation du pétrole (l' « or noir »), qui profite pour l'essentiel au Havre. Al'intérieur, la Normandie connaît une nouvelle révolution des transports, avec l'essor de la voiture individuelle ( et de la bicyclette), au détriment du chemin de fer. Les petites lignes, qui s'étaient multipliées avant 1914, n'étaient plus rentables et commencent à disparaître. Les grandes lignes, déjà gérées par l'État (Ouest-État depuis 1908), sont rattachées à la SNCF à partir de 1938 . La Normandie reste une terre agricole. A cette époque, se confirme la progression des herbages au détriment de la céréaliculture, qui se maintient cependant sur les plaines de haute Normandie et de la région de Caen. Plus que jamais, la Normandie apparaît comme une région dédiée aux produits laitiers, avec le beurre d'Isigny, le camembert ou le cidre du pays d' Auge. L'image de cette Normandie rurale attire d'ailleurs de plus en plus de touristes, notamment sur les plages du Calvados. Ce tourisme est d'abord réservé aux classes aisées, avant que n'arrivent à leur tour sur les plages, en 1936, les ouvriers et les employés bénéficiant des « congés payés ». On peut cependant constater une certaine spécialisation des stations balnéaires. Deauville et Trouville, Cabourg et Houlgate conservent un public plutôt bourgeois, alors que les stations de la « Côte de Nacre » et surtout celles de la Manche sont plus populaires, avec la prédominance d'une clientèle locale. Sur le plan industriel, le contraste s' accroît entre basse et haute Normandie. Partout, les vieilles industries textiles sont en déclin, ce qui touche les vallées industrielles des deux Normandies. En revanche, seule la vallée de la Seine continue à progresser avec l'essor des industries chimiques, qui assure la transformation du pétrole importé par Le Havre. Cette reconversion permettra à la
haute Normandie de mieux résister à la crise des années 19 30, qui frappe de plein fouet la basse Normandie rurale et désindustrialisée. On observe le même contraste sur le plan religieux, social et politique. La basse Normandie, et surtout le Bocage armoricain, reste une terre de forte pratique religieuse. Ailleurs, la baisse de la pratique se combine avec quelques pèlerinages et fêtes exceptionnelles. Jeanne d'Arc est ainsi célébrée à Rouen, en 1920, pour sa canonisation, de même que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus à
Lisieux et Alençon, en 1925. Les fêtes thérésiennes culminent lors de la consécration de la basilique de Lisieux par le cardinal Eugenio Pacelli, futur Pie XII (1932) . Marquée par la religion, la basse Normandie continue à voter à droite pendant tout l'entre-deuxguerres, alors que la haute Normandie glisse vers le radicalisme. Notons cependant que ni l'extrême droite ni l'extrême gauche ne s'implantent d'un côté ou de l'autre de la Seine. La Normandie dans son entier demeure une terre de modération.
A gauche:
Basilique Sainte-Thérèse de Lisieux (intérieur). Les murs et les voûtes sont en grande partie décorés par des mosaïques de Pierre Gaudin. Q Hervé Hughes.
A droite : Affiche touristique d'Avranches montrant en arrière-plan la baie et le Mont-Saint-Michel. C Archives départementales de la Manche, 21 num053.
Deauville au début du xx• siècle : le casino et l'hôtel Normandy. Calèches et voitures automobiles stationnent le long de la rue Gontaut-Biron (aujourd'hui, rue Désiré-Le-Hoc). Collection Monique Sdaresky.
S98
DEAUVILLE-LA-PLAGE-FLE URIE. -
La Rue Contaut-Biron . -
Contaut-Biron street.
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Obstades antichars formés par des rails soudés et scellés dans le béton, sur la plage de Vierville-sur-Mer (Calvados). Collection Mémorial de caen.
La Seconde Guerre mondiale et l'occupation allemande {1940-1944) La Normandie est occupée très vite après la débâcle de mai-juin 1940. Elle est considérée par les autorités allemandes comme une zone stratégique importante, en vue de la conquête prévue del' Angleterre. Dans cette perspective, des spécialistes dirigés par le professeur
Jankuhn sont dépêchés à Bayeux, en 1941, pour étudier la Tapisserie qui racontait l' épopée de 1066. Lorsque cette conquête s'est révélée impossible, les autorités d'occupation ont décidé de fortifier les côtes de la Manche pour empêcher un débarquement allié. En réalité, le« Mur del' Atlantique » n' était pas un mur, mais une série de batteries de canons installées dans des blockhaus. Ceux-ci sont alignés sur les hauteurs surmontant la côte ou sur les plages elles-mêmes, prises en enfilade. Les positions de tirs sont liées à des stations radar, comme celle de Douvres. Cet ensemble de fortifications est construit par l'organisation Todt, qui soustraite à des entreprises locales. Par ailleurs, les défenses sont considérablement renforcées à partir du moment où le maréchal Rommel est nommé sur le front Ouest, notamment par des obstacles minés disposés sur les plages, les asperges de Rommel. Le mur de l'Atlantique est loin d'être sans défaut et
L'un des blockhaus de la batterie allemande de Longues-sur-Mer, près de Bayeux (Calvados). Cette batterie de canons est l'un des ensembles d'ouvrages les mieux conservés du « mur de l'Atlantique» en Normandie. c, Hervé Ronné.
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il reste inachevé en juin 1944. Il n'en est pas moins très utile à la propagande allemande, qui le présente comme infranchissable. Sous l'Occupation, la vie de la population est très difficile. Les Normands, comme les autres Français, sont soumis à d'importantes restrictions, qui touchent surtout les habitants des villes. Seuls ceux qui ont des parents ou des contacts à la campagne peuvent améliorer un ordinaire rythmé par les tickets de rationnement. Le régime de Vichy n'exerce aucune autorité réelle dans la région, dirigée d'une main de fer par les autorités allemandes. Les Normands, gens prudents, ne semblent pas avoir adhéré à l'idéologie de la Révolution nationale, ni accepté vraiment la collaboration. Ils ont cependant conservé une certaine admiration pour le maréchal Pétain, qui se fait encore acclamer lors de sa visite à Rouen, le 14 mai 1944 (tout comme à Paris le 15 juillet). À cette époque, la résistance est très active en Normandie. Les principaux mouvements sont l'Organisation civile et militaire (OCM), installée dans la région par Marcel Girard, et le Front national (FN / FTP), contrôlé par le Parti communiste. Le dirigeant le plus charismatique de ce mouvement est Michel de Boüard, jeune professeur d'histoire à l'université de Caen, chrétien convaincu et pourtant sympathisant communiste. Les mouvements de résistance se sont développés à partir de 1942 . Les recrues sont surtout des réfractaires au STO et des requis du Mur de l'Atlantique. La résistance est bien implantée dans les grandes villes et dans les zones bocagères difficiles d'accès. Bien entendu, ces résistants sont pourchassés par la police de Vichy et par la Gestapo allemande. Michel de Boüard lui-même est arrêté le 10 décembre 1943 et déporté à Mauthausen. Il sera libéré en 1945, mais beaucoup d'autres ne reviendront pas. En dépit des arrestations, la Résistance s'organise de mieux en mieux. En 1943, à la
suite del' action de Jean Moulin, sont mis en place des Comités de libération départementaux. En 1944, le général de Gaulle crée les Forces françaises de l'intérieur (FFI). Mieux structurés, les résistants sont désormais relativement bien armés, grâce à des parachutages. Ils sont en liaison radio avec les Alliés et les autorités de la France libre. Ils jouent un rôle essentiel dans la préparation du Débarquement, en faisant bombarder des sites stratégiques, et pendant le Débarquement lui-même, en se livrant à des actions de sabotage qui retardent la montée en ligne des troupes allemandes .
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En haut: Résistants. La Résistance joua un rôle essentiel dans la préparation et dans le déroulement du débarquement allié en Normandie. Collection Mémorial de Caen.
En bas: Déraillement d'un train en Normandie. De telles actions de sabotage retardèrent la progression des troupes allemandes vers les côtes en juin et juillet 1944. Collection Mémorial de Caen .
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Le Débarquement et la bataille de Normandie {6 juin-26 août 1944)
Débarquement américain en Normandie. Arrivée de troupes fraîches après le jour J. C Conseil régional de BasseNormandie/National Archives USA
Des soldats américains à bord d'une péniche de débarquement, s'apprêtant à débarquer. 0 Conseil régional de BasseNormandie/National Archives USA.
Le Débarquement en Normandie est la plus grande opération militaire de tous les temps. Les premières actions, dans la nuit du 5 au 6 juin, sont des parachutages derrière les lignes allemandes dans la vallée de l'Orne (Pegasus bridge) et vers Sainte-Mère-Église (Manche). Les troupes anglo-canadiennes débarquent sur les côtes du Calvados, entre Ouistreham et Arromanches, où sera construit un port artificiel. Les Américains prennent la suite, autour de la plage de Vierville ( Omaha Beach) et sur la côte orientale du département de la Manche ( Utah Beach). Dans ce dernier secteur, le Débarquement a lieu sans encombre. À Omaha Beach, au contraire,
les troupes sont clouées au sol, malgré des actions héroïques, comme la prise d'assaut de la pointe du Hoc. Au soir du 6 juin, les Alliés ont établi une tête de pont et débarqué 150 000 hommes et 20 000 véhicules,
Débarquement américain en Normandie. Accumulation de navires de haute mer, de péniches de débarquement, de matériel et d'hommes sur la plage d'Omaha (Vierville et Saint-Laurentsur-Mer, Calvados).
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C Conseil régional
de Basse-Normandie/ National Archives USA.
Les différentes étapes de la bataille de Normandie. Carte Michelin de 1947. Juste après la Seconde Guerre mondiale, Michelin édite plusieurs cartes historiques. Celles-ci permettaient aux touristes de se repérer facilement pour visiter des principaux sites du débarquement et de la bataille. Autorisation n° 1009491,
Michelin 2010.
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Débarquement des forces canadiennes dans le secteur de « Juno •, sur la plage de Bernières-sur-Mer (Calvados). De part et d'autre de Juno (centré sur Courseulles), le dispositif britannique comprenait aussi les secteurs de Gold (Arromanches) et de Sword (Ouistreham). 0 Conseil régional de
Normandie/Archives nationales
du Canada.
mais les objectifs prévus (comme la ville de Caen) sontloin d'être atteints. Seule Bayeux est libérée dès le 7 juin et le général de Gaulle y est acclamé le 14 juin. Pour s'emparer de la région, les Alliés doivent mener une dure bataille de près de trois mois, la bataille de Normandie, qui peut se décomposer en trois phases principales. La première phase se déroule au cours du mois de juin. Elle aboutit au renforcement de la tête de pont et à la conquête du NordCotentin par les Américains. La ville de
Cherbourg est prise le 26 juin, avec son port en eau profonde (détruit par les Allemands, mais rapidement remis en état). La deuxième phase est l'enfoncement du front. En juin et au début juillet, de durs combats ont lieu dans la plaine, où aucun obstacle ne protège les combattants. Les Anglais et les Canadiens doivent creuser des tranchées« comme en 14 », pour se protéger des contre-attaques des blindés allemands, plus performants que les chars alliés. Ils disposent cependant d'une écrasante supériorité aérienne. La rive gauche de Caen, en grande partie détruite, est prise le 9 juillet, mais la libération complète de la ville n'a lieu que le 19 juillet. Dans le bocage de la Manche, les Américains en sont réduits à pratiquer une « guerre des haies » très meurtrière. Le 18 juillet, ils s'emparent de Saint-Lô, complètement détruite. A partir du 26 juillet, l'opération Cobra, conduite par le général Patton, va réussir à enfoncer les lignes allemandes. La« percée d' Avranches» permet aux Alliés d'en revenir à la guerre de mouvement et de déferler sur la Bretagne.
Soldats canadiens posant devant le panneau routier « Caen », vers le 9 juillet 1944. DR.
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La troisième phase commence au début du mois d'août. Après l'échec d'une contreattaque allemande sur Mortain, les Alliés entreprennent une grande manœuvre d'encerclement de la 7• armée allemande, Des troupes françaises participent à cette phase de la bataille, et surtout la 2• division blindée du général Leclerc. Celle-ci a débarqué le 1er août sur la plage de Utah Beach, puis a libéré Alençon et Argentan ( 12 et 13 août) avant de se retrouver devant Falaise. Les troupes allemandes sont bientôt acculées dans la « poche de Falaise », où 80 000 hommes sont pris au piège (19-21 août). Le pays d' Auge est ensuite libéré : Deauville, Lisieux et Honfleur (le 25 août, le même jour que Paris). La libération de la Haute-Normandie n'a lieu que plus tard (le 9 septembre, pour Le Havre) .
Après la bataille de Normandie, beaucoup de villes normandes sont détruites, et notamment Le Havre, Caen, Lisieux et Saint-Lô . La vie reprend difficilement dans les ruines ; les restrictions continuent jusqu'à la fm de la guerre en Europe (8 mai 1945) et bien audelà. La reconstruction fut longue.
Un char américain circulant dans une rue de carentan (Manche). ()Conseil régional de Basse· Normandie/National Archives USA.
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