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French Pages 428 [436] Year 2023
La loi salique
HAUT MOYEN ÂGE VOLUME 47 dirigée par Régine Le Jan
La loi salique Retour aux manuscrits
magali coumert
© 2023, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2023/0095/25 ISBN 978-2-503-59986-1 eISBN 978-2-503-59987-8 DOI 10.1484/M.HAMA-EB.5.128703 ISSN 1783-8711 eISSN 2294-8473 Printed in the EU on acid-free paper.
Table des matières
Liste des illustrations et des tableaux
7
Remerciements
11
Liste des manuscrits de la loi salique
13
Introduction
19
Chapitre 1. Éditer la loi salique au xxe siècle Le jeune rival de Bruno Krusch L’ascension de Karl August Eckhardt La course à l’édition Les éditions perdues de la seconde guerre mondiale Les éditions de l’après-guerre Conclusion
25 30 33 40 49 58 67
Chapitre 2. L’absence de manuscrits mérovingiens L’impasse des déductions philologiques La version B de la loi salique La recherche d’une version en 65 chapitres Les fluctuations de la version C Conclusion
71 71 79 92 114 128
Chapitre 3. La loi salique à la fin du viiie siècle Un corpus juridique en cours de constitution Les manuscrits de la version D Conclusion
131 131 141 155
Chapitre 4. Les origines de la loi salique La datation de la loi salique Le petit prologue et le Liber Historiae Francorum Les autres introductions de la loi salique du ixe siècle Un règlement militaire du ive siècle ? Conclusion
159 160 168 184 196 203
6
Table des maTières
Chapitre 5. Écrire des ajouts aux lois (744-819) La législation franque au viiie siècle Des lois aux capitulaires Un espace de liberté Ajouts et reprises des lois barbares Une nouvelle préoccupation : le copiste Conclusion
205 205 211 217 230 235 244
Chapitre 6. Une première version carolingienne La version E, une rédaction carolingienne de la loi salique Les caractéristiques de la version E Conclusion
247 247 282 289
Chapitre 7. Une nouvelle version sous Charlemagne La Lex Salica Karolina Les manuscrits de la loi salique K copiés durant le règne de Charlemagne
291 291
Chapitre 8. Les différentes versions de la loi salique au ixe siècle Sous les premiers rois carolingiens, Pépin et Charlemagne Le manuscrit A 1 et le modèle biblique Copier la loi salique version K entre 814 et 850 La baisse de la diversité des versions de la Loi salique Conclusion : L’idéal de conservation de la loi
323 325 330 343 381 389
Conclusion générale
395
Bibliographie
403
Index des manuscrits cités
431
307
Liste des illustrations et des tableaux
Figures Illustration 1.1 : L’édition de M. Krammer, Berlin, 1915, p. 122-123, qui fut pilonnée. Illustration 1.2 : Portrait de K. A. Eckhardt, Noël 1935, reproduit dans Festgabe für Karl August Eckhardt zum 5. März 1961, I. Eckhardt dir., Göttingen, 1961. Illustration 1.3 : Portrait de B. Krusch conservé aux Monumenta Germaniae Historica. Illustration 1.4 : Les manuscrits de la version A d’après B. Krusch en 1938. Illustration 1.5 : Les tampons des Monumenta. Illustration 1.6 : Édition de M. Krammer de 1915, reprise et annotée par W. Levison, envoyée à B. Krusch le 12 octobre 1919 et conservée dans les archives personnelles de K. A. Eckhardt, München, MGH-Archiv, K 29. Illustrations 1.7 : Épreuves de l’édition de la loi salique préparée par K. A. Eckhardt reçues le 7 février 1944 et conservées dans ses archives personnelles, München, MGH-Archiv, K 29. Illustration 2.1 : Le schéma des différentes versions proposé par R. Wiegand en 1952. Illustration 2.2 : Herold, Originum, Bâle, 1557, verso de la page de titre. Illustration 2.3 : Le chapitre LIX, § 6 des versions A et C dans l’édition d’Eckhardt. Illustration 2.4 : Suite du chapitre LIX, § 6 des versions A et C dans l’édition d’Eckhardt. Illustration 2.5 : Le stemma codicum du « Pactus legis salicae » suivant K. A. Eckhardt. Illustration 2.6 : A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 196v. Illustration 2.7 : Bas du feuillet 88v, dans K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119. Illustration 3.1 : Stemma codicum pour la version D. Illustration 4.1 : L’édition du Pactus legis salicae en 1935. Illustration 4.2 : Édition d’Eckhardt, Pactus, 1962, p. 3. Illustration 4.3 : Prologue de la loi salique dans le manuscrit de Modena, S 82, suivant L. A. Muratori, en 1725. Illustration 4.4 : S 82, Modena, Biblioteca Capitolare, O. I. 2, f. 11v : les rédacteurs de la loi salique.
32
35 42 44 46
52
55 74 85 87 87 94 97 111 154 160 170 191 192
8
lisTe des illusTraTions eT des Tableaux
Illustration 4.5 : Les lieux de rédaction de la loi salique, d’après J.-P. Poly en 1993. Illustration 6.1 : La seconde liste des rois du manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 125. Illustration 6.2 : La dernière page du manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 183v. Illustration 6.3 : Les relations entre les manuscrits des listes de roi D 9, E 11 et E 12 d’après W. Trouvé. Illustration 6.4 : Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 114, f. 19 (détail). Illustration 6.5 : Paris, BnF, latin 4629, f. 16r (détail). Illustration 6.6 : La reliure du manuscrit Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 114. Illustration 7.1 : La datation de la loi salique dans l’édition de Jean du Tillet, p. 40. Illustration 7.2 : La datation de la loi salique K dans le manuscrit K 33, p. 85. Illustration 7.3 : K 57, Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50.2, f. 30r (détail). Illustration 7.4 : K 61, Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96, f. 26v. Illustration 8.1 : Saint Jérôme distribuant des Bibles dans la Bible de Charles le Chauve. Illustration 8.2 : K 18, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. O. 86, f. 45v. Illustration 8.3 : K 26, BnF latin 4759, f. 1v : le prologue de la version E. Illustration 8.4 : K 26, Paris, Bnf latin 4759, f. 21 : fin de la loi salique et début du prologue de la loi des Bavarois (détail). Illustration 8.5 : K 26, Paris, BnF, latin 4759, f. 22 : fin du prologue de la loi des Bavarois, table des chapitres (détail). Illustration 8.6 : K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 10. Illustration 8.7 : Le comte Hugues et le roi Louis. Illustration 8.8 : K 19, Sankt Paul im Lavanttal, Archiv des Benediktinerstiftes, 4/1 : Début du texte de la loi salique, f. 28. Illustration 8.9 : Le Psautier de Charles le Chauve, Paris, BnF, latin 1152, f. 3v-4r.
197 258 258 269 279 279 280 293 296 313 315 336 355 359 361 361 364 368 375 390
Tableaux Tableau 2.1 : Tableau 4.1 : Tableau 5.1 : Tableau 5.2 : Tableau 5.3 : Tableau 5.4 : Tableau 5.5 : Tableau 6.1 : Tableau 7.1 :
L’insertion de la version C dans le chapitre LX du manuscrit K 39 Les rédacteurs de la loi salique dans les manuscrits de la version K portant le prologue complet Les capitulaires évoquant les lois antérieures La parodie de la loi salique Les renvois entre les textes du capitulaire et de la loi ripuaire dans le manuscrit 1 Les renvois entre les textes du capitulaire et de la loi ripuaire dans le manuscrit 3 Les renvois du capitulaire 142 Le droit romain dans trois manuscrits du ixe siècle La fin flottante de la version K
127 179 212 220 232 233 239 261 320 321
lisTe des illusTraTions eT des Tableaux
Tableau 8.1 : Tableau 8.2 : Tableau 8.3 : Tableau 8.4 :
Les manuscrits de la loi salique copiés avant la mort de Charlemagne (814) Manuscrits de la loi salique K probablement copiés sous Louis le Pieux, ou du moins dans la première moitié du ixe siècle Manuscrits de versions minoritaires de la loi salique copiés après 814 Manuscrits de la loi salique K copiés dans la deuxième moitié du ixe siècle
325 343 382 385
9
Remerciements
Pour me lancer dans un travail de cette envergure, il me fallait l’assurance d’un emploi stable, même en cas d’échec (quel chercheur ne craint pas le destin d’un Mario Krammer ?), ce que me fournit mon statut de maîtresse de conférences titulaire à l’université de Brest, une longue durée dédiée, car la loi salique est présente dans quatre-vingt-huit manuscrits et la bibliographie inépuisable, et des ressources financières, car la consultation des manuscrits ou l’acquisition des reproductions payantes est onéreuse et allait au-delà des maigres ressources de mon centre de recherches. Je n’aurais donc jamais pu me lancer dans cette étude sans ma délégation auprès de l’Institut Universitaire de France en septembre 2014. Mes premiers remerciements vont ainsi à François Bougard et Rosamond McKitterick qui ont accepté d’y présenter mon dossier, et au jury qui l’a retenu. Pendant cinq ans, j’ai profité d’un service d’enseignement allégé et mes col lègues ont pallié mon investissement accru dans la recherche ; ma bonne fortune signifia donc un alourdissement de leur charge de travail et je les remercie d’avoir supporté sans plainte cette contrainte supplémentaire. Pour consulter des manuscrits, je me suis rendue à la Bibliothèque nationale de France et de Russie, à la British Library à Londres, à la Staatsbibliothek de Berlin, à la Biblioteca Apostolica Vaticana, à la bibliothèque universitaire de Leyde, aux bibliothèques de Saint-Gall, ainsi qu’aux bibliothèques municipales de Nuremberg et de Cambrai. Partout, j’ai rencontré des bibliothécaires dévoués et efficaces qui se sont efforcés de simplifier mon travail et de respecter mes contraintes de temps. Merci à eux, ainsi qu’à tous mes collègues qui m’ont aidée en partageant avec moi leurs collections personnelles, comme François Bougard, Jens Schneider et Karl Ubl. Le site « Bibliotheca legum », dirigé par Karl Ubl, fut un outil précieux tout au long de ma recherche. Je suis aussi reconnaissante envers Steffen Patzold et ses collègues de Tübingen pour m’y avoir accueillie pour un séjour de travail. La consultation des différentes bibliothèques de cette univer sité, dont les collections ont crû continûment depuis le xve siècle, constitue un moment de bonheur et d’efficacité bibliographiques bien loin de mes contraintes habituelles. Je remercie plus particulièrement François Bougard pour ses relectures at tentives et ses suggestions. Son soutien et sa réactivité furent particulièrement précieux au printemps 2020, à l’heure où le confinement général rendait toute bibliothèque inaccessible. Mes lecteurs suivants furent les membres du jury de l’habilitation à diriger les recherches dont le mémoire inédit reprenait cette re cherche : Geneviève Bührer-Thierry, Bruno Dumézil, Sylvie Joye, Steffen Patzold
12
remerciemenTs
et Karl Ubl. Merci à eux pour leur lecture attentive et leurs remarques, dont j’espère avoir bien tenu compte. Je remercie enfin Régine Le Jan pour avoir accepté de publier cet ouvrage dans la collection Haut Moyen Âge qu’elle dirige, où il se trouvera en excellente compagnie. Florent, Héloïse et Séverin ont sans doute davantage entendu parler de la loi salique qu’ils ne l’auraient souhaité, mais cette étude leur doit plus qu’ils ne l’auraient cru : merci à eux pour leur patience et leur soutien.
Liste des manuscrits de la loi salique
Abréviations BAV BnF BSB Clm HAB NAF NAL RNB SBPK
Bibliotheca Apostolica Vaticana (Cité du Vatican) Bibliothèque nationale de France (Paris) Bayerische Staatsbibliothek (München) Codices latini monacenses Herzog August Bibliothek (Wolfenbüttel) Nouvelles acquisitions françaises Nouvelles acquisitions latines Rossijskaja Nacional’naja Biblioteka (Sankt Peterburg) Staatsbibliothek, Preußischer Kulturbesitz (Berlin)
Version A Sigle
Cote
Datation
A 1
Paris, BnF, latin 4404
peu après 805
A 2
Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97
après 751
A 3
München, BSB, Clm 4115
autour de 800
A 4
Paris, BnF, latin 9653
après 818
Version C Sigle
Cote
Datation
C 5
Paris, BnF, latin 4403B
fin viiie-début ixe s.
C 6
Paris, BnF, latin 18237
après 823, 2e quart du ixe s.
C 6a
Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005
xvie s.
14
lisTe des manuscriTs de la loi salique
Version D Sigle
Cote
Datation
D 7
Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136
après 818, 1er tiers du ixe s.
D 8
Paris, BnF, latin 4627
peu après 818
D 9
Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 731
793
Version E Sigle
Cote
Datation
E 11
Vatican, BAV, Reg. lat. 846
1er quart du ixe s.
E 12
Paris, BnF, latin 4409
fin du ixe siècle
E 13
Warsawa, Biblioteka Uniwersytecka I
1er-2e quart du ixe s.
E 14
Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 729
1er-2e quart du ixe s.
E 15
Paris, BnF, latin 4629
peu après 805
E 16
Berlin, SBPK, Phill. 1736
2e moitié du xe s.
Version K Sigle
Cote
Datation
K/A/ E 17
Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119
4e quart du ixe s.
K 18
Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. O. 86
1er tiers du ixe s.
K 19
Sankt Paul im Lavanttal, Stiftsbibliothek, 4/1
entre 816-819 et 825
K 20
Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 728
2e moitié du ixe s.
K 21
Sankt Gallen, Kantonsbibliothek, Vadianische Sammlung 338
dernier quart du ixe s.
K 22
Bern, Burgerbibliothek, 442
xe s.
K 24
Paris, BnF, latin 4418
2e tiers du ixe s.
K 25
Paris, BnF, latin 4417
2e tiers ou fin du ixe s.
K 26
Paris, BnF, latin 4759
2e quart du ixe s.
lisTe des manuscriTs de la loi salique
Sigle
Cote
Datation
K 27
Paris, BnF, NAL 204
après 821
K 28
Paris, BnF, latin 4628
milieu ou 3e quart du ixe s.
K 29
Paris, BnF, latin 8801, f. 25-66
1er-2e quart du ixe s.
K 30
Paris, BnF, latin 10753
milieu ou 2e moitié du ixe s.
K 31
Paris, BnF, latin 4626
xe-xie s.
K 32
Paris, BnF, latin 9654
xe-xie s.
K 33
Paris, BnF, latin 10758
entre 850 et 880
K 34
Paris, BnF, latin 4760
xe s.
K 35
Paris, BnF, latin 4628A
x-xie s.
K 36
Paris, BnF, latin 4631
xve s.
K 37
Paris, BnF, latin 4630
xve-xvie s.
K 38
Paris, BnF, latin 4758
1re moitié du ixe s.
K/C 39
Paris, Bnf, latin 4632
milieu-2e moitié du ixe s.
K 40
Paris, BnF, latin 3182
xe s.
K 42
Paris, BnF, latin 4787
3e quart du ixe s.
K 43
Paris, BnF, latin 4788
milieu ou 3e quart du ixe s.
K 44
Paris, BnF, latin 9656
xie s.
K 45
Paris, BnF, latin 10754
milieu ou 3e quart du ixe s.
K 46
Paris, BnF, latin 18238
après 819, 2e quart, milieu du ixe s.
K 47
Autun, Bibliothèque municipale, S 40
milieu du ixe s.
K 48
Besançon, Bibliothèque municipale, 1348
xe s.
K 49
Cambrai, Bibliothèque municipale, 625
2e moitié, fin du ixe s.
K 50
Lyon, Bibliothèque municipale, 375
2e quart du ixe s.
K 51
Paris, BnF, latin 4789
xe-xie s.
K 52
London, British Library, Egerton 269 et 2832, et Paris, BnF, latin 4633
xe s.
K 53
London, British Library, Additional 22398
xe s.
K 54
New Haven, Yale University, The Beinecke Rare Book and Manuscript Library, 212
xve s.
K 55
Kopenhagen, Kongelige Bibliothek, G. Kgl. Saml. 1943, 4°
fin du ixe s.
K 56
Hamburg, Staats- und Universitätsbibliothek, 141 a in scrinio
2e moitié du ixe s.
K 57
Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50. 2
entre 805 et 818
K 58
Wolfenbüttel, HAB, Blankenburg 130
3e quart du ixe s.
15
16
lisTe des manuscriTs de la loi salique
Sigle
Cote
Datation
K 59
Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 299
3e quart du ixe s.
K 60
Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 327
1er quart du ixe s.
K 61
Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96
après 811, 1re moitié du ixe s.
K 62
Cologny (Genève), Bibliotheca Bodmeriana, Bodmer 107
fin du ixe s.
K 64
Bamberg, Staatsbibliothek, Jur 35
1re moitié du ixe s.
K 65
Bonn, Universitäts- und Landesbibliothek, S 402
xiie s.
K 66
Vatican, BAV, Reg. lat. 1036
xve s.
K 67
Vatican, BAV, Reg. lat. 1728
xve s.
K 69
Vatican, BAV, Reg. lat. 338, f. 1-63
1re moitié du ixe s.
K 70
Vatican, BAV, Reg. lat. 857
1er quart du ixe s.
K 71
Vatican, BAV, Reg. lat. 991
2e quart du ixe s.
K 72
Vatican, BAV, Reg. lat. 1050
début 2e moitié du ixe s.
K 73
Vatican, BAV, Reg. lat. 1128
1re moitié du ixe s.
K 74
Vatican, BAV, Ottob. lat. 3081
xve s.
K 75
Roma, Biblioteca Vallicelliana, ms. C 20
xvie s.
K 76
Firenze, Bibliotheca Medicea Laurenziana, LXXVII 1
xiie s.-xive s.
K 77
Ivrea, Biblioteca Capitolare, XXXIII
2e moitié du ixe s.
K 79
Modena, Biblioteca Estense, Codex Estensis
vers 1490
K 80
München, BSB, Clm 29560
début du ixe s.
+ München, UB, 4° Cod. ms. 1140 + Philadelphia, Free Library, Lewis T162 K 80a
Würzburg, UB, M. p. j. q. 3
1er tiers du ixe s.
K 80b
Bamberg, Staatsbibliothek, Bibl. 30c
xe s.
K 81
Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11
après 805, 1er-2e quart du ixe s.
K 85
Vatican, BAV, Chig. F. IV. 75
vers l’an mille
K 86
Vatican, BAV, Reg. lat. 1431, f. 74
1er quart du ixe s.
K 87
Vercelli, Biblioteca Capitolare Eusebiana, 122
xie s.
K 89
Paris, BnF, latin 10755
xixe s., copie de K 17
K 90
Paris, BnF, NAF 6853
xve s.
K 91
München, BSB, Oofeleana 335, Bd. 4
1re moitié du xvie s.
lisTe des manuscriTs de la loi salique
Version S Sigle
Cote
Datation
S 82
Modena, Biblioteca Capitolare, O. I. 2
fin du ixe s.-début xe s.
S 83
Gotha, Forschungsbibliothek, Memb. I 84
xe s.
Version V Sigle
Cote
Datation
V 84
Trier, Stadtbibliothek, Mappe X, Fragm. 1
2e quart du ixe s.
Les manuscrits suivants ne comportent pas la loi salique : -
K 23 : Genève, Bibliothèque de l’université, latin 50 (Bède, pas de texte de loi) K 41 : Paris, BnF, latin 4995 (seulement la Recapitulatio solidorum) K 63 : Bamberg, Staatsbibliothek, Can. 12 (seulement le décret de Childebert, l’épilogue et une liste de rois) K 68 : Vatican, BAV, Reg. lat. 520, f. 101-110 (extraits du Pactus pro tenore pacis et du décret de Childebert) K 88 : Le site Bibliotheca legum évoque une copie moderne sous la côte Vati can, BAV, Reg. 850 que je n’ai pu consulter1.
Le manuscrit K 91 a été découvert et étudié par R. Deutinger2. Il s’agit d’une copie manuscrite par le juriste Wolfgang Hunger, mort en 1555, d’un manuscrit comportant la loi des Bavarois (f. 1-28), la loi salique (f. 28-41v), et le capitulaire Euua ad Amorem, appelé Lex Francorum Chamavorum (f. 42-44v). L’étude de R. Deutinger sur ce manuscrit, que je n’ai pu consulter, souligne la proximité du texte de la Loi des Bavarois, version E et de la loi salique version K avec le texte du manuscrit K 32 (Paris, BnF, latin 9654). En revanche, la Lex Francorum Chamavorum, qui est aussi présente dans ce manuscrit, est plus proche du texte donné par l’unique autre témoin manuscrit carolingen K 35 (Paris, BnF, latin 4628A). Il s’agit de parentés et non de copies directes, ce qui est visible dans le
1 http://www.leges.uni-koeln.de/materialien/transkriptionen/ed-lsk-14-16/, consulté le 27 août 2020. 2 Deutinger, « Eine Leges-Handschrift ».
17
18
lisTe des manuscriTs de la loi salique
cas de la loi salique par le fait que la copie moderne ne comporte aucun prologue, alors que les manuscrits K 32 et K 35 présentent le prologue complet, à savoir le prologue long suivi du prologue court. R. Deutinger propose de rapprocher cette copie de Wolfgang Hunger du manuscrit de Spire, disparu dans l’incendie de la bibliothèque en 1689, qui comportait la loi salique et la loi des Bavarois.
Introduction
L’étude qui suit est consacrée à un monument de l’histoire nationale fran çaise : la loi salique. L’antiquité et l’indépendance des rois de France ont été, depuis le Moyen Âge, illustrées par la mise en avant de la Loi salique, transformée en preuve de la juste hérédité du trône contre les revendications des rois d’Angle terre1, comme de l’autonomie à l’égard de l’empire2. De façon symptomatique, la plus ancienne édition du texte, en 1548 par Jean du Tillet, accompagna les réflexions de son frère, nommé aussi Jean du Tillet, sur le passé des rois de France3. La loi salique devint ainsi une des bases de l’histoire de France. La cohérence et l’indépendance du royaume étaient projetées jusque dans l’antiquité gauloise, même si l’étude du passé ne pouvait faire l’impasse sur l’origine suppo sée des Francs en Germanie4. L’argument de l’autochtonie et de l’antiquité devait, d’une façon ou d’une autre, faire place à une installation barbare au ve siècle. Cet élément perturbant pour un récit linéaire des origines accompagnait une revendication concurrente de la loi salique comme un élément fondateur du passé allemand. En effet, la loi salique, présentée, avec toutes les lois écrites dans les royaumes successeurs de l’empire romain d’Occident, comme le conservatoire de traditions ethniques barbares, faisait aussi l’objet des recherches passionnées des chercheurs germanophones, qui depuis la redécouverte de Tacite cherchaient leurs ancêtres dans tous les barbares utilisant une langue germanique5. Dans cette perspective, Johannes Herold proposa à son tour, à Bâle en 1557, une édition du texte de la loi salique comme un témoin de l’antiquité germanique6. Les siècles qui suivirent virent le renforcement des États modernes européens et de leurs antagonismes et la quête de leurs origines historiques passa le plus souvent par l’attention portée à la fin du monde romain. 1 Giesey, Le rôle. 2 Beaune, Naissance, p. 264-290. 3 Du Tillet, Libelli seu decreta a Clodoveo et Childeberto et Clothario prius aedita ac postremum a Carolo lucide emendata auctaque plurimum, in quibus haec habentur : capitula ex Isidori junioris, Hispalensis episcopi, etymologiarum lib. v ; pactum pro tenore pacis DD. Childeberti et Clotharii regum ; decretio Clotharii regis ; sententiae de septem septenis ; lex salica ; decretum Childeberti regis ; recapitulatio legis salicae, s. d. [Paris, 1548]. 4 Graceffa, Les historiens. 5 Coumert, « La Germanie ». 6 Herold, Originum ac Germanicarum antiquitatum libri, leges uidelicet Salicae, Allemannorum, Saxonum, Angliorum, Thuringorum, Burgundionum, Francorum, Ripuariae, Boioariorum, Uuest phalorum, Uuerinorum, Frisionum, Langobardorum, Theutonum, Basel, 1557.
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Ainsi, l’intérêt constant pour les antiquités germaniques comme pour le passé royal français placèrent pendant des siècles la loi salique au cœur de l’attention des érudits européens. Elle fit l’objet de travaux reflétant la naissance de l’histoire scientifique et de la philologie : les recherches de G. H. Pertz7 permirent de découvrir de nouveaux manuscrits et la publication de J.-M. Pardessus8 en 1843 établit de façon synthétique le bilan des différentes versions qui en avaient été repérées. Malgré ces avancées précoces9, une édition scientifique des textes de la loi salique ne vit pourtant le jour que plus d’un siècle plus tard, suivant des circonstances particulières que nous détaillons dans le chapitre 1. La première piste de réflexion sur les manuscrits de la loi salique sera donc historiographique, en montrant comment, aux xixe et xxe siècles, les conflits entre l’Allemagne et ses voisins, puis l’idéologie et le gouvernement nazis ont bloqué les recherches philologiques sur la loi salique. Comme nous le verrons, ces recherches, fondées sur des conceptions dévelop pées vers 1900, aboutirent à une impasse et l’édition de K. A. Eckhardt n’est venue que camoufler l’échec de la reconstitution du texte originel de la loi salique. L’édition parue aux Monumenta Germaniae Historica en 1962 et 1966 fut fabriquée contre les manuscrits et leur diversité, suivant des a priori idéologiques anachroniques. Comme le relevait l’étude fondatrice de R. McKitterick10 en 1989, l’étude des 88 témoins manuscrits comportant la loi salique restait entièrement à reprendre. Les divergences des manuscrits créent des obstacles insurmontables pour la reconstitution d’un texte originel qui ne peut être obtenue qu’en niant leurs caractéristiques. Les manuscrits conservés sont tous postérieurs au changement dynastique de 751. Alors que les textes évoquent des réécritures de la loi salique dès le vie siècle de notre ère, les premiers témoins manuscrits n’ont pas été copiés avant la deuxième moitié du viiie siècle. Leur contenu ne permet pas de situer les lieux de leur élaboration, les textes qui accompagnent la loi salique changent et les articles qui la composent n’ont ni le même nombre ni le même ordre d’un manuscrit à l’autre. Notre étude ne s’en tient pas à la mise en perspective historiographique des travaux antérieurs, mais illustre une ambition nouvelle : celle d’« exploiter la diversité des manuscrits, au lieu d’essayer de la discipliner contre tout espoir11 ». La thèse d’A. Rio, consacrée aux formules et formulaires du monde franc constituait une preuve de la fécondité d’une telle approche appliquée aux recueils juridiques du au Haut Moyen Âge12. La récente soutenance
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Pertz, Capitularia. Pardessus, Loi salique. Voir le tableau dressé par Roll, Zur Geschichte. McKitterick, The Carolingians, p. 40-59. Rio, « Les formulaires », ici p. 348. Rio, Legal Practice.
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de thèse de William Trouvé a démontré l’importance des nouvelles pistes de recherche ainsi ouvertes13. Depuis quelques années, l’agaçante variation entre les manuscrits des romans médiévaux a changé de statut dans les études littéraires. De défi au chercheur, supposé évacuer des divergences conçues comme des erreurs de copie pour retrouver la bonne version, originelle, elle est devenue elle-même objet d’étude14. Les copistes ont effectué des choix, fabriqué ou ôté des passages en fonction des attentes supposées de leurs lecteurs et les variantes reflètent le plus souvent une intervention raisonnée dans une œuvre qui n’était pas conçue comme un texte figé. Une telle approche a notamment pu être appliquée à l’étude de la composition des cartulaires15. Cette nouvelle posture philologique peut s’appuyer sur le développement de la numérisation. L’outil informatique, associé au développement d’internet, a permis un tout accès aux témoignages écrits : les manuscrits, reproduits électroniquement, peuvent être étudiés dans leur globalité ou comparés ligne à ligne, quels que soient leur lieu de conservation ou la diversité des textes rassemblés. La libre consultation en ligne de ces reproductions augmente chaque jour. Ainsi est levé un obstacle majeur dans l’étude des écrits du Moyen Âge, car il était presque im possible de reproduire avec l’imprimé la richesse et la diversité des manuscrits16. B. Cerquilini peut bien ironiser sur les errances des chercheurs : « Égarée dans la quête illusoire d’un Ur-text, la philologie a curieusement minoré, ignoré voire méprisé l’objet matériel qui s’offrait à son étude17 ». Il balaie ainsi d’un revers de main la contrainte de l’accès physique aux manuscrits, mais aussi de la diffusion des informations sur un support imprimé. Pourtant, une publication comme celle de Hubert Mordek consacrée à la diffusion manuscrite des capitulaires est un formidable outil de travail par sa rigueur et sa précision, mais ne fonctionne pleinement qu’en complément de la consultation directe des manuscrits ou de leur reproduction18. Le site « Bibliotheca legum » de l’université de Cologne, régulièrement complété sous la direction de Karl Ubl, donne quant à lui aussi bien accès aux reproductions disponibles qu’aux références bibliographiques. Cette double approche, si simplifiée, est le fondement de cette recherche, comme de toutes celles qui, désormais, peuvent prendre en compte l’aspect matériel de la composition et de la circulation des écrits. Si les ressources et réseaux électroniques nous offrent de nouvelles possibilités d’étude, la consultation directe des manuscrits reste une approche à privilégier, car elle place le chercheur dans la même position que le lecteur médiéval. Grâce au
Trouvé, Les listes. Cerquiglini, Éloge. S. R. Frandsen, « La dialectique ». Chastang, « L’archéologie ». Sur l’importance récente des approches matérielles de l’écrit chez les médiévistes français, voir le bilan dressé par B. Grévin et A. Mairey, « Introduction ». 17 Cerquiglini, « Vingt ans ». 18 Mordek, Bibliotheca. 13 14 15 16
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temps et à l’argent fournis par l’Institut universitaire de France, j’ai pu consulter directement les manuscrits de Berlin, Cambrai, Leyde, Londres, Nuremberg, Paris, Saint-Gall, Saint-Pétersbourg et du Vatican. Le bon accueil et l’attention que m’y ont prodigués les bibliothécaires n’empêche pas que la consultation préalable et postérieure des photos et reproductions électroniques a constitué une étape importante de la recherche, notamment par la comparaison possible de livres conservés à des milliers de kilomètres les uns des autres. Le marché du livre caro lingien qui s’est établi à l’époque moderne a perturbé toute cohérence des lieux de conservation et les reproductions électroniques permettent de rapprocher des écrits qui ne furent séparés que des siècles après leur copie, comme le montre, pour la loi salique, les manuscrits London, British Library, Egerton 269 et 2832, et Paris, BnF, latin 4633, un recueil juridique de 183 feuillets au moins, copié au début du xe siècle, démembré aux xvie-xviie siècles et conservé de part et d’autre de la Manche19. L’étude des écrits du haut Moyen Âge dans leur double aspect, matériel et philologique, repose sur deux notions structurantes : -
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celle de la variante, considérée en soi comme objet d’étude : elle peut corres pondre à une erreur ou à choix, être délibérée ou involontaire et mérite d’être interprétée pour elle-même, non pas uniquement pour retracer les variations du texte jusqu’à la reconstruction de son hypothétique forme originelle ; celle du recueil manuscrit comme « unité organique hétérogène20 ». La col lection de différents textes dans un volume correspond à un choix porteur de sens21. Chaque manuscrit est ainsi l’expression d’un dessein propre, qu’il s’agit de reconstituer, éventuellement sur le temps long, en étudiant aussi les recompositions et les remaniements22. L’agencement et la disposition peuvent changer la signification d’un texte, comme nous le verrons dans le cas du petit prologue de la loi salique, placé après le prologue long, ou de l’insertion de la loi salique carolingienne dans de vastes collections de lois. Même si le copiste a parfois restreint son travail à la copie à l’identique de textes et de recueils déjà constitués, une telle attitude est le fruit d’une conception particulière de son rôle, dont il est possible de retracer l’évolution, ainsi que nous le verrons dans le dernier chapitre.
La loi salique représente un défi insurmontable pour une édition dont l’objec tif serait la reconstitution du texte original. Une enquête philologique complète sur tous les témoins manuscrits, directs ou indirects, parfois fragmentaires ou modernes, ne permet de définir ni l’auteur de la loi salique, ni la période de sa
19 K 52, London, British Library, Egerton 2832 et 269 et Paris, BnF, latin 4633. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 226-231. 20 Cerquiglini, « Vingt ans ». 21 Dans cette perspective, Chastang, « Des archives ». 22 Reimitz, « Livres » fournit l’étude exemplaire des remaniements de trois recueils d’histoire des Francs à l’époque carolingienne.
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rédaction, ni sa forme originelle, ni même le nombre d’articles qu’elle rassemblait. Les efforts des chercheurs ont abouti au recensement de l’ensemble des manus crits et fragments de la loi salique, dont la liste est présentée avant l’introduction. La répartition générale, en famille de texte A, C, D, E, K, S et V est reprise à l’édition de K. A. Eckhardt, même si je ne retiens pas les datations qu’il a attribuées à ces différentes versions, comme nous le verrons en détail. Les aléas des différentes hypothèses expliquent les anomalies de la numérota tion utilisée par K. A. Eckhardt : il n’existe ainsi pas de manuscrit 10, mais un manuscrit 6a, tandis que d’autres numéros ont été utilisés pour des recueils qui ne comportent pas la loi salique, mais des textes qui lui étaient souvent associés, comme la Recapitulatio solidorum ou l’édit de Childebert. L’ordre retenu ne reflète pas la chronologie, mais l’importance que leur accordait l’éditeur : ainsi, A 1, copié après 805, est plus récent que A 2, copié avant 80023. Les sigles retenus par K. A. Eckhardt ne sont donc pas signifiants, mais Karl Ubl a choisi de reprendre ce classement, pour que ses travaux soient facilement compatibles avec les études antérieures. Il l’a poursuivi pour les quelques manuscrits découverts au xxe siècle et j’y ai pour ma part ajouté le seul manuscrit qu’il avait négligé24. Comme l’indique son titre, cette enquête repose sur un retour aux manuscrits de la loi salique, dont les plus anciens, A 2, D 9 et C 525, datent de la seconde moitié du viiie siècle. D’emblée, ils proposent trois versions différentes de la loi salique. Les recherches philologiques n’ont pas permis d’établir de façon convaincante les rapports entre ces trois versions, non plus que les relations entre ces manuscrits les plus anciens et ceux qui comportent les mêmes versions : trois autres manuscrits pour la version A, deux autres pour la version D et la version C. Comment expliquer cette variété des témoins manuscrits ? Que reflète-t-elle ? Que nous apprend-t-elle sur le statut et le rôle de la loi écrite et de ses copistes dans le monde franc, du vie au ixe siècle ? Quel rôle jouent les versions récentes de la loi salique, E, K, V et S, par rapport aux versions plus anciennes ? Comment ex pliquer la domination de la version K, copiée sur plus de soixante-dix exemplaires conservés ? Nous partirons ainsi de la diversité des manuscrits de la loi salique copiés entre 751 et 900 pour tenter de lui donner un sens. Nous suivrons tout d’abord une recherche par version de la loi salique, avant de proposer une approche chronolo gique de la copie des différents manuscrits. Après un bilan de l’historiographie du xxe siècle, expliquant la genèse et l’imposture de la dernière édition de la Loi salique, au chapitre 1, nous étudierons les traces de la diffusion de la loi salique à l’époque mérovingienne, dans les chapitres 2 et 3 consacrés aux manuscrits des versions anciennes, A, C et D de la loi salique. Nous pourrons alors mettre en
23 A 1, Paris, BnF, latin 4404. A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. Voir la discussion détaillée sur ces manuscrits infra au chapitre 2. 24 K 90, Paris, BnF, NAF 6853, copié au xve siècle. 25 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. D 9, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 731. C 5, Paris, BnF, latin 4403B.
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perspective les discours contradictoires sur les origines de la loi salique qui furent élaborés dès le haut Moyen Âge, et qui sous-tendent encore les réflexions de certains chercheurs, comme nous le verrons au chapitre 4. La deuxième partie de l’étude replace les manuscrits conservés dans le cadre dans lequel une écrasante majorité d’entre eux ont été conçus : le ixe siècle et l’importance renouvelée accordée à l’écrit à la suite des règnes de Charlemagne (768-814) et de Louis le Pieux (814-840). Nous étudierons ainsi le rapport entre la loi salique et leurs capitulaires au chapitre 5, puis les versions E et K de la Loi salique élaborées sous Charlemagne, aux chapitres 6 et 7. Enfin, nous étudierons l’évolution de l’attitude des copistes envers le texte de la Loi salique au cours du ixe siècle, expliquant le rôle prédominant progressivement donné à la version K, bien qu’elle ne représente pas une version officielle.
cHApiTrE 1
Éditer la loi salique au xxe siècle
Les principes des éditions scientifiques, établis au xixe siècle, ont fait l’objet d’importantes remises en cause concernant la méthode philologique elle-même : Peut-on se référer à un texte initial unique ? Pourquoi un stemma reposant sur le principe de l’erreur et de la divergence aboutit-il toujours à un schéma bifide ? Quel est le statut de la variante ? En pratique, pour l’historien, une édition scientifique reste la porte d’entrée la plus simple vers un témoignage écrit et le retour à la forme manuscrite n’a le plus souvent lieu que dans un deuxième temps, même si les interrogations sur l’aspect matériel des textes nécessitent de plus en plus cette démarche, que la mise en ligne des reproductions électroniques facilite chaque jour davantage. Pour la loi salique, le chercheur croit utiliser une édition scientifique lorsqu’il recourt à l’édition fournie par K. A. Eckhardt1. Sur bien des points, cette édition paraît fiable. Elle est produite dans la collection des Monumenta Germaniae Historica, qui est depuis sa fondation en 1819 un gage de qualité scientifique et de sérieux dans l’édition des textes antiques et médiévaux2 ; elle date de la deuxième moitié du xxe siècle. Elle semble assumer et rendre lisible les principes de son élaboration, en fournissant à la fois un texte reconstitué en haut de la page et en dessous, en parallèle, le texte des différents manuscrits jugés les plus importants à chaque passage, sauf pour la version K, ostensiblement délaissée. La transcription semble minutieuse : les abréviations développées y sont même signalées par des italiques. Certes, la présentation des différents manuscrits y est très sommaire3 et il manque dans ces volumes l’explicitation des principes qui ont présidé au choix des différents manuscrits de référence et à l’élaboration du texte reconstitué. Mais l’ensemble paraît avoir été justifié dans les publications antérieures de K. A. Eckhardt, entre 1953 et 1957. La limite du travail d’édition semble intrinsèque, car s’il existe 88 manuscrits de la Lex salica4, les plus anciens ne datent que de la deuxième moitié du viiie siècle, soit plus de deux siècles et demi après sa période supposée de rédac
1 Pactus legis salicae et Lex Salica, K. A. Eckhardt éd, Hanover, 1962-1969, Monumenta Germaniae Historica, (MGH), Leges Nationaum Germanicarum (LL nat. Germ.) IV, 1 et 2. 2 Fuhrmann, « Sind ». 3 Eckhardt, Pactus, 1962, p. XII-XXVII. 4 Voir le site organisé par Karl Ubl, Bibliotheca legum : www.leges.uni-koeln.de, consulté le 01/09/20.
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tion5. K. A. Eckhardt distingue huit classes de manuscrits, qui fournissent autant d’étapes d’élaboration du texte, qu’il propose de dater ainsi : trois premières recensions, les versions A, B et C de la Loi Salique, en 65 titres, qu’il appelle Pactus legis salicae6, dateraient de l’époque mérovingienne ; la première remonterait à Clovis et la dernière serait liée à la chancellerie royale de Gontran (561-592) ou de Childebert II (575-596). La quatrième recension, D, en cent titres, remonterait au règne de Pépin (751-768), tandis que la recension E, en 99 titres, daterait du règne de Charlemagne, avant son couronnement impérial. La sixième recension, K ou Karolina, en 70 titres, correspondrait à l’activité législatrice lancée par le même souverain en 8027. Guy Halsall reflète le sentiment commun des spécialistes du haut Moyen Âge lorsqu’il affirme que l’édition de K. A. Eckhartd représente, malgré ses défauts, « a considerable achivement »8. Ce qui lui paraît le plus critiquable dans ce travail est le passé nazi de son auteur9, auquel il se réfère de façon implicite, ou certains choix de la reconstruction de l’original. Certes, la reconstitution de l’archétype reste problématique : ainsi, W. Hartmann relève que l’édition de la loi salique, en proposant en haut un archétype et en dessous les passages parallèles des diffé rents manuscrits utilisés, ne montre pas où les différents passages d’une version divergent ou se rejoignent, tandis que les choix suivant lesquels une variante est reprise ou non pour le texte supérieur ne sont pas clairs en de nombreux endroits. Néanmoins, la situation lui semble encore plus délicate dans le cas des éditions des lois des Bavarois et des Alamans dans les MGH10. On peut aussi discuter des datations et de l’ordre chronologique des diffé rentes versions proposées. Ainsi, O. Guillot a montré que la succession défendue par K. A. Eckhardt de la version C à partir de la version A n’était pas convaincante dès lors qu’on cherchait à la démontrer dans des passages précis11. Les témoi gnages manuscrits concernant la loi salique étant tous d’époque carolingienne, la projection chronologique de l’époque d’apparition des différentes versions reste hypothétique, et les contaminations sont importantes d’une version à une autre. Le découpage proposé dans un même manuscrit, pour en extraire des passages édités comme relevant de la version C, d’autres de la version D et de la version K, par exemple, paraît souvent arbitraire. 5 Eckhardt, « Zur Entstehungszeit ». McKitterick, The Carolingians, p. 48-56. Ubl, Sinnstiftungen, p. 11-24. 6 Sur la rareté de ce terme, qui n’apparaît que dans deux manuscrits de la Loi salique en 65 titres, en tête de la table des titres du ms. A 1, et dans le texte même de la loi dans le ms. C 5, voir les remarques formulées par Guillot, « La justice », p. 681-682 et Dumézil, « La chancellerie », p. 478 et suivantes. 7 Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 1-238. 8 Halsall, « The Sources », p. 61-62. 9 Krause, « Karl August Eckhardt ». Nehlsen, « Karl August Eckhardt ». Schneider, Die SS, p. 210 et suivantes. 10 Hartmann, « Brauchen ». 11 Guillot, « La justice », p. 679-681.
ÉdiTer la loi salique au xx e siècle
Rosamond McKitterick reste néanmoins la seule à avoir posé la question de la qualité du travail d’édition pour les MGH selon des critères philologiques. K. A. Eckhardt cherche avant tout à reconstituer un texte original et il prétend, en dépit de la réalité de la tradition manuscrite, négliger les variations de celle-ci pour revenir à la version la plus ancienne. R. McKitterick a souligné combien son approche correspondait à des conceptions datées du travail éditorial et négligeait la période carolingienne, pourtant notre seule base manuscrite12. Ainsi, alors que la version carolingienne K de la loi salique représente 69 manuscrits sur les 84 comportant la loi salique qu’Eckhardt connaissait, seuls 8 d’entre eux ont été directement consultés par l’éditeur et la moitié ne fut pas utilisée13. K. A. Eckhardt était obnubilé par la quinzaine de manuscrits qui lui semblaient transmettre une version plus ancienne de la loi salique. Mais même concernant ceux-ci, l’édition recèle de nombreux défauts. Pour éditer le petit prologue14, qu’il associe à la version C de la loi salique, K. A. Eckhardt propose dans les passages parallèles la transcription du manuscrit K 31, Paris, Bnf, latin 4626, qu’il affirme avoir vu en original15. Certes, ce manus crit fut copié au xe ou au xie siècle et reproduit la version carolingienne K, en 70 titres, de la loi salique, introduite par le prologue long suivi du prologue court16. Néanmoins, pour éditer le petit prologue, Eckhardt considère qu’il reproduit dans ce passage un texte de la classe C et l’appelle alors C 3117. Ce manuscrit occupe une place importante dans son travail d’édition, car il n’existe que le manuscrit C 618 comme manuscrit carolingien de la version C comportant ce petit prologue en intégralité, à la suite du prologue long. La comparaison est aussi faite avec la version d’un manuscrit nommé C 6a, Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005, mais il s’agit d’une copie manuscrite du milieu du xvie siècle, à partir d’un manuscrit inconnu de la loi salique19. Pour proposer des variantes du prologue court, K. A. Eckhardt présente en parallèle trois manuscrits de Paris, K 31, mais aussi K 3220, et K 3321, et un manus
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McKitterick, The Carolingians, p. 40-75. Ibid., p. 40-43. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 2-3. Eckhardt, Pactus, 1962, p. XIX : « im Original eingesehen ». Mordek, Bibliotheca, p. 477-482. Si elles ne font pas l’objet d’une discussion détaillée, les datations de la copie proposées pour les manuscrits sont celles de cet ouvrage de référence. Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 165-172. C 6 : Paris, BnF, latin 18237, copié dans le 2e quart du ixe siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 612-616. Mordek, Bibliotheca, p. 206-207. Ce manuscrit comporte une liste de 68 titres de la Loi salique qui le rapproche des versions A et C, mais avec d’importantes variantes. Sur ce manuscrit découvert par P. C. Boeren, voir infra chapitre 2. K 32 : Paris, BnF, latin 9654 copié au xe ou xie siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 562-578. K 33 : Paris, BnF, latin 10758, copié dans la deuxième moitié du ixe siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 587-605.
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crit de Bonn, K 65, plus tardif22. Il dit avoir aussi consulté ces trois manuscrits directement23 et relève bien que le prologue long y précède aussi directement le prologue court24. Pourtant, dans le volume suivant, qui donne la version D, à laquelle Eckhardt associe ce prologue long, seul le texte du manuscrit K 31 est reproduit, cette fois uniquement en note. Les manuscrits A 125 et C 6 y sont reproduits dans les passages parallèles, sous le sigle D 1 et D 6, tandis les notes fournissent les variantes des manuscrits K 31, K 4026 et K 4927. Pourquoi avoir repris ces deux manuscrits-là, alors qu’il affirme ne pas avoir utilisé K 4028 et ne connaître K 49 que de deuxième main, par l’édition de Hessels et une transcription de Boretius29 ? Outre ces choix apparemment aberrants, la transcription des prologues des manuscrits K 32, K 33, K 40 et K 49 est correcte, mais pas celle de K 31, pourtant le seul manuscrit utilisé en original pour le prologue long : l’édition comporte de multiples fautes de transcription. Par exemple, Clovis y est bien mentionné comme réviseur de la loi salique, aux côtés de Childebert et de Clotaire30. J’ai consulté l’original à Paris, mais il faut souligner que le manuscrit est très lisible et qu’un microfilm en noir et blanc permet d’aboutir à la même lecture. Les découpages proposés de ce passage, dont seuls quelques éléments, mais ni les transitions31 ni la datation32, ne sont reproduits dans l’édition, paraissent déjà peu justifiés, mais le texte proposé par l’édition est aussi fautif sur le simple plan de la transcription. Au niveau des prologues des versions anciennes de la loi salique, pourtant les passages qui ont dû concentrer le plus l’attention de l’éditeur, on trouve aussi deux erreurs dans la transcription du manuscrit E 16, Berlin, SBPK, PhIll. 173633. Un autre problème concerne les manuscrits de Paris, BnF, latin 4628 (K 28) et latin 4628A (K 35). H. Mordek note ne passant qu’Eckhardt aurait interverti les
22 K 65 : Bonn, Universitäts- und Landesbibliothek, S 402, copié au xiie siècle. Mordek, Biblio theca, p. 81-85. 23 Eckhardt, Pactus, 1962, p. XX et XXIV. 24 Ibid., p. 2. 25 A 1 : Paris, BnF, latin 4404, copié après 805. Mordek, Bibliotheca, p. 456-463. 26 K 40 : Paris, BnF, latin 3182, 2e moitié du xe siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 433-435. 27 K 49 : Cambrai, Bibliothèque municipale 625, 2e moitié du ixe siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 93-95. 28 Eckhardt, Pactus, 1962, p. XXI : « Nicht benutzt ». 29 Ibid., p. XXII. 30 K 31, Paris, BnF, latin 4626, p. 1 : At ubi deus fauendi rex francorum Chlodoueus, torrens et pulcher primus recepit catholicum baptismum et quod minus in pacte habebatur idoneum per proculsis regis et Chlodoueo, et Childeberto, et Chlotario fuit lucidius emendatum. 31 K 31, p. 1 : EXPLICIT PROLOGUS INCIPIT TRACTATUS UNDE SUPRA. 32 K 31, p. 2 : ANNO AB INCARNATIONE DOMNI NOSTRI IHESU CHRISTI DCC LXVIII INDICCIONE VI DONNUS KAROLUS REX FRANCORUM HUNC LIBELLUM TRAC TATI LEGIS SALICAE SCRIBERE IUSSIT. INCIPIUNT CAPITULA LEGIS SALICAE. 33 Mordek, Bibliotheca, p. 47-50.
ÉdiTer la loi salique au xx e siècle
deux34, mais la réalité est encore plus confuse. K. A. Eckhardt n’a utilisé K 35, vu en original35, que pour le petit prologue de la version C, où ses variantes sont données en notes. Elles sont incomplètes, car l’éditeur ne relève pas l’absence du terme de « terminum » dans ce manuscrit, une erreur importante sur un texte qui ne représente que vingt lignes sur une colonne36 ! Ce manuscrit est ensuite absent de l’apparat critique proposé pour la version K dans ce volume. Pour la liste des titres et le texte de la Loi salique, on y trouve en revanche des variantes de « K 28 », théoriquement prélevées sur l’édition de Hessels37, mais dont la signification m’échappe. Elles ne correspondent pas à K 35, contrairement à ce que croyait H. Mordek, mais elles ne correspondent que de temps en temps au manuscrit K 28… L’édition proposée par K. A. Eckhardt n’est donc pas fiable. Outre des choix difficilement justifiables de découpage des textes reproduits et de sélection des manuscrits de référence, certains manuscrits, y compris parmi ceux qui ont été consultés en original et ceux supposés reprendre des passages des versions les plus anciennes de la loi salique, y sont reproduits avec de nombreuses fautes de transcription. L’un des objets de ce travail est de faire ressortir les raisons d’une telle situation. Malgré l’intérêt qu’elle a suscité depuis des siècles, malgré l’inves tissement personnel et financier de la communauté scientifique, la loi salique n’est toujours pas consultable dans une édition satisfaisante au xxie siècle. Comment expliquer un tel échec ? Nous nous arrêterons dans un premier temps sur les travaux du xxe siècle, et sur le rôle qu’y joua K. A. Eckhardt qui produisit de façon continue des éditions de la loi salique entre 1934 et 1969. Peut-on parler d’une vie consacrée à l’édition de la loi salique ? Quels furent les conditions et les attendus réels de son travail ? Fut-il jamais en position de produire une édition scientifique de la Lex Salica ? Et si oui, pourquoi n’y parvint-il pas ? Une attention accrue à son travail, associée à l’étude de son « Nachlass », du dépôt post-mortem qui a été fait au siège des Monumenta Germaniae Historica, à Munich, en son nom et en celui de son fils aîné, Wilhelm Alfred Eckhardt38, permet d’étudier les conditions de ses travaux sur la loi salique et de les mettre en perspective avec les travaux récents sur la médiévistique allemande, de part et d’autre du iiie Reich. Nous espérons ainsi montrer les limites méthodologiques et circonstancielles qui ont prévalu jusqu’à l’édition intégrée dans les Monumenta Germaniae Historica en 1962-1969. À l’issue de cette enquête, nous pourrons faire la part des responsabilités individuelles et collectives dans les choix structurels retenus pour l’édition et discuter des hypothèses de répartition des textes entre les différentes versions.
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Mordek, Bibliotheca, p. 491. Eckhardt, Pactus, 1962, p. XX. K 35, Paris, BnF, latin 4628A, f. 7, c. 1 et 2, à comparer avec Eckhardt, Pactus, 1962, p. 2-3. Eckhardt, Pactus, 1962, p. XIX. München, MGH-Archiv, Bestand K, « Kisten » 25 à 48.
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Le jeune rival de Bruno Krusch La formation de K. A. Eckhardt
K. A. Eckhardt n’a manifesté un intérêt pour les lois du haut Moyen Âge que dans un deuxième temps de sa carrière. Né en 1901 à Witzenhausen, dans le district de Werra, dans la Hesse, il fit des études de droit à Marburg et devint en 1922, à vingt et un ans seulement, docteur en droit avec une thèse sur le manuscrit de Witzenhausen du Miroir des Souabes, « Schwabenspiegel39 ». Elle est suivie dès l’année suivante d’une « Habilitationsschrift » soutenue non plus à la faculté de droit, mais à Göttingen, à la faculté de philologie allemande, histoire médiévale et sciences auxiliaires historiques, sur le Miroir des Allemands, le « Deustchenspiegel40 ». Ces travaux débouchèrent très rapidement sur des éditions scientifiques en 1930 et en 193341. Le prestige scientifique initial de K. A. Eckhardt repose ainsi sur des réflexions autour de textes du xiiie siècle, car ces deux compilations juridiques, « Schwa benspiegel » et « Deutschenpiegel », ont été produites vers 1275/6 à Augsbourg et reprennent des lois antérieures : droit romain et canonique, lois barbares, capitulaires, législation impériale42, ainsi que des éléments du Miroir des Saxons, le « Sachsenspiegel », une compilation juridique établie entre les années 1220 et 1235, en allemand, dont il a existé un modèle partiel en latin43. Les difficultés techniques de ces travaux étaient importantes, car plus de 350 manuscrits du « Schwabenspiegel » sont conservés, mais elles sont sans grand rapport avec celles des manuscrits du haut Moyen Âge. La première mention d’un intérêt de K. A. Eckhardt pour les lois du haut Moyen Âge apparaît en 1927 à propos de la Loi des Bavarois44, en réponse à l’étude de B. Krusch parue trois ans auparavant45. Derrière les louanges et l’adhésion apparente aux hypothèses de son aîné, dont il souligne, par exemple, la « critique impitoyable46 » des idées de E. von Schwind – éditeur de la Loi des Bavarois pour les MGH, dont l’édition avait été imprimée en 1926, mais avec des
39 Nehlsen, « Karl August Ecckhardt » ; Schneider, Die SS, p. 210 et suivantes. La thèse de K. A. Eckhardt, sous la direction de Walther Merk s’intitulait « Die Witzenhäuser Schwabenhand schrift », en 1922. 40 Sous la direction de Herbert Meyer, « Der Deutschenspiegel, seine Entehungsgeschichte und sein Verhältnis zum Schwabenspiegel », en 1923. 41 Deutschenpiegel, K. A. Eckhardt éd. Sachsenspiegel, K. A. Eckhardt et A. Hübner éd. 42 Nehlsen-von Stryk, « Schwabenspiegel ». Schott, « Deutschenspiegel ». 43 Lieberwirth, « Sachsenpiegel ». 44 Eckhardt, Die Lex. 45 Krusch, Die Lex Bajuvariorum. Ses idées sont développées à nouveau dans Krusch, Neue Forschungen. 46 Eckhardt, Die Lex, p. 9 : « die schonungslose Kritik ». Analyse du positionnement d’Eckhardt dans W. F. (W. Finsterwalder ?), « Nachrichten No 177 ».
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éléments remettant en cause ses choix éditoriaux47 – Eckhardt se positionnait en rival d’un savant vieilli (Krusch est né en 1857), dont on attendait toujours une publication de la loi salique. L’Encyclopedia Britannica nota l’importance de cette étoile montante du droit germanique et lui commanda pour l’édition de 1929 les deux articles qui furent, jusqu’à sa mort en 1979, sa seule collaboration internationale48. Krusch et l’édition de la Loi Salique
Les lois barbares ont longtemps été laissées de côté par B. Krusch, dont la position au sein des Monumenta s’appuyait sur son édition de l’œuvre de Grégoire de Tours, des chroniques et des Vies de saint mérovingiennes. Alors qu’il se consa crait à ce travail, l’édition de la loi salique était supposée connaître un avancement décisif sous la direction de Mario Krammer. En 1880, l’édition de J. H. Hessels avait rassemblé le savoir établi au cours du xixe siècle, notamment par J.-M. Par dessus : elle décrivait cinq familles de textes et proposait une présentation de dix textes en parallèle. Néanmoins, l’ouvrage représentait un outil de travail plus qu’une édition, car il n’utilisait que très peu de manuscrits alors que plus de 70 étaient recensés. Il semblait revenir aux Monumenta de mener à bien le travail envisagé depuis les premiers temps de la « Société pour la publication des sources germaniques du Moyen Âge49 » fondée en 1819, en intégrant tous les manuscrits dans l’édition critique de la loi salique qui ferait désormais autorité. Après douze ans de travail, Mario Krammer, proposa une édition dont les premières pages furent imprimées en 1915(Ill. 1.1). Cette première livraison donna lieu à une critique dévastatrice de B. Krusch, intitulée « Le renversement des principes d’éditions de la loi salique. Une étude de critique textuelle de la vieille école »50. Elle faisait ressortir les hésitations et les maladresses du projet, qui malgré un travail intense, mené en équipe, ne parvenait pas à proposer de façon convaincante un texte originel de la loi salique51. B. Krusch refusait la qualité de version primitive au texte du manuscrit de Paris, BnF, latin 4627 (aujourd’hui D 8), défendue par M. Krammer et son édition, et rétablissait, suivant l’opinion antérieure de G. Waitz, les manuscrits de la version B de Krammer (aujourd’hui appelée A)52 comme donnant la version la plus ancienne du texte.
47 Voir les préfaces et addenda dans Lex Baiwariorum, E. von Schwind éd. 48 Eckhardt, « Early germanic laws » et « Salic law and other frankish laws ». Lors de son procès de dénazification, München, MGH-Archiv, K 29, « Schlußwort des Angeklagten », K. A. Eck hardt rappelle ces articles, mais aussi qu’il ne s’est jamais rendu à l’étranger et n’a jamais eu de relation avec des savants qui ne soient allemands. 49 Societas aperiendis fontibus rerum Germanicarum medii aevi. 50 Krusch, « Der Umsturz ». 51 Krammer, « Zur Enstehung ». 52 A 1 : Paris, BnF, latin 4404.
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Illustration 1.1 : L’édition de M. Krammer, Berlin, 1915, p. 122-123, qui fut pilonnée.
Cet échec de l’édition de la loi salique fut douloureusement ressenti, dans toute l’Allemagne, comme une faillite nationale, alors que les morts s’accumu laient sur le champ de bataille. En 1934, B. Krusch s’interrogeait encore : « Quelle honte n’aurait-ce pas été, si un étranger avait reconnu la nullité de la nouvelle édi tion et l’avait condamnée53 ? ». L’émoi fut tel qu’une enquête fut diligentée par le ministère de l’intérieur sur la direction des Monumenta, qui conclut qu’il n’y avait ni sabotage ni espion ennemi à incriminer54. B. Krusch était à la tête d’une campagne collective contre Mario Krammer et son édition qui déchira longtemps la société des MGH55. La direction autorisa Mario Krammer à répondre aux critiques de B. Krusch, mais il est frappant de voir que ses tentatives de réponse ne parvenaient pas à s’appuyer sur les témoins manuscrits eux-mêmes, qu’il devait pourtant bien mieux connaître que B. Krusch, mais s’enferraient dans les hypothèses enchainées sur les emprunts et
A 2 : Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. A 3 : München, BSB, Clm 4115. A 4 : Paris, BnF, latin 9653. 53 Krusch, « Die Lex salica », 1934, p. 3 : « Welche Schande wäre es gewesen, wenn ein Ausländer die Untauglichkeit der neuen Ausgabe erkannt und gerügt hätte ? ». 54 München, MGH-Archiv, 338/16. 55 Krusch, Neue Forschungen, p. 5-6 répond encore aux accusations de P. Kehr et témoigne des rivalités et des rancœurs qui demeuraient après ce conflit.
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les réécritures sous influence de la loi salique dans des textes supposés postérieurs, comme dans la Lex Ribuaria, la Loi des Bavarois et la Loi des Alamans56. Par défiance envers la direction centrale des Monumenta, une réunion plénière de la société décida la mise au pilon de la partie déjà imprimée de l’édition57 et les premières pages, jugées honteuses, furent systématiquement détruites58. À la suite de cet épisode traumatique, B. Krusch organisa l’élimination scienti fique de M. Krammer et se vit confier, hors de toute supervision par la direction des Monumenta, l’édition de la loi salique. Il ne semble y avoir réellement travaillé que dans les années 1930, alors que K. A. Eckhardt en faisait aussi le cœur de ses préoccupations.
L’ascension de Karl August Eckhardt K. A. Eckhardt, officier SS
Lorsque K. A. Eckhardt prétendit une première fois éditer la loi salique, il était une étoile montante parmi les universitaires nazis. Son début de carrière universitaire était prestigieux ; depuis 1928, il avait été en poste à Kiel, Berlin et Bonn et avait déjà publié plus de 70 publications59. En parallèle, K. A. Eckhardt s’était rallié à la doctrine nazie : entre 1923 et 1929, il fut présent à pas moins de quatre congrès du NSDAP60, même si plus tard il ne se déclara converti au nazisme qu’en 193061. Le silence initial sur ses convictions politiques tenait aussi aux difficultés que lui aurait alors values leur affichage auprès du ministère public62. K. A. Eckhardt devint membre des SA63 le 18 mai 1931, entra au parti nazi le 1er mars 1932, puis fut membre des SS64 en octobre 1933. Au 1er janvier 1935, il fut promu comme SS-Unterstumführer et détaché dans l’état-major personnel du Reischführer SS H. Himmler65. En tant que juriste, il appartenait au groupe
56 Krammer, « Zum Textproblem ». 57 Krusch, « Die Lex Salica », 1934, p. 3-4. 58 L’édition est aujourd’hui disponible en PDF sur le site des Monumenta, dmgh.de, consulté le 23/09/2019, avec la mention de son échec. 59 Frassek, « K.-A. Eckhardt ». Nehlsen, « Karl August Eckhardt ». Chapoutot, Le nationalsocialisme, p. 104 et suivantes. 60 « Nationalsozialistische Deutsche Arbeiter Partei », Parti national-socialiste des travailleurs allemands. 61 Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 502. Schneider, Die SS, p. 216. 62 Son attitude est comparable avec celle de Carl Schmidt à la même époque : voir Gross, Carl Schmidt, p. 26. 63 SA : Sturmabteilung, section d’assaut. 64 SS : Schutzstaffel, littéralement escadron de protection. 65 Sur les projets scientifiques de H. Himmler, voir Kater, Das « Ahnenerbe ». Chapoutot, Le national-socialisme, p. 83-105 ; Chapoutot, La loi, p. 40-81.
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académique le plus important des SS : les juristes représentaient un tiers des diplômés, qui eux-mêmes constituaient 30% des SS66. En juillet 1933, K. A. Eckhardt quitta l’université de Bonn pour celle de Kiel, qui fut la seule université allemande à connaître une tentative complète de transformation de l’enseignement. Il appartenait au groupe d’universitaires qui réformaient cette formation supérieure pour fournir au Reich les élites nazies sur lesquelles il pourrait s’appuyer67. Hans Frank chercha alors probablement à le recruter pour l’université de Munich68, mais il refusa. En dédommagement du poste prestigieux qui lui avait été proposé à Munich, il reçut une position impor tante au sein du ministère de la Science, le « Reichswissenschaftsministerium », en octobre 1934. En 1935, il fut nommé « SS-Obersturmführer » et intégré dans le SD (« Sicherheitsdienst »), le service de renseignements des SS. Cette appartenance restait néanmoins secrète69. Il était en même temps, depuis 1934, professeur d’histoire médiévale puis de droit germanique à l’université de Berlin (Ill. 1.2). Ainsi, K. A. Eckhardt hésita un temps entre la protection de Heinrich Himm ler et celle de Hans Frank, autre paladin du Reich, avocat du parti nazi devenu « Reichsrechtsführer » et nommé « Reichsjustizkommissar70 ». La compétition faisait rage entre les différents dignitaires du parti nazi, pour s’appuyer sur un réseau d’alliés prestigieux et puissants. Les travaux d’Eckhardt autour des lois barbares du haut Moyen Âge commencés en 1927, lui fournissaient alors sans doute un espace d’érudition plus libre que le Miroir des Saxons et ses réécritures comme restitution du droit populaire allemand vivant, car la diffusion des idées nazies en faisaient un thème rebattu : J. Chapoutot compte pas moins de dix-huit thèses, éditions et essais qui lui furent consacrés entre 1933 et 194571. En 1934, K. A. Eckhartd publia le tome 2, paru avant le premier, d’une nou velle série intitulée « Germanenrechte. Texte und Übersetzungen », Lois des Ger mains, textes et traductions, publiée sous l’égide de l’académie du droit allemand et de son président fondateur, Hans Frank. Ce volume intitulé « Die Gesetze des Karolingerreiches » reprend la loi salique et la loi ripuaire. La deuxième page de couverture présente l’ambition de présenter les lois germaniques du haut Moyen Âge comme de l’époque des Hohenstaufen, sous la forme du texte et de
66 Schneider, Die SS, p. 39-51. Sur la question de la réceptivité de cette génération de juristes et d’universitaires aux idées développées par Adolf Hitler, voir Oexle, « Zusammenarbeit ». 67 Frassek, « K.-A. Eckhardt ». Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 503. Schneider, Die SS, p. 210-235. 68 Schneider, Die SS, p. 212. 69 Schneider, Die SS, p. 218 cite une lettre de septembre 1936 qui indique que K. A. Eckhardt ne porte pas l’insigne du SD et qu’il faut le présenter à l’extérieur comme un membre de l’entourage de H. Himmler. 70 Chapoutot, La révolution, p. 59 et suivante. 71 Chapoutot, La loi, p. 55-56.
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Illustration 1.2 : Portrait de K. A. Eckhardt, Noël 1935, reproduit dans Festgabe für Karl August Eckhardt zum 5. März 1961, I. Eckhardt dir., Göttingen, 1961.
sa traduction, ou simplement de sa traduction pour les « rendre accessibles à un cercle plus large de lecteurs72 ». L’ensemble de la publication est à situer dans le cadre des rivalités croissantes entre Hans Frank et Heinrich Himmler, mais aussi dans l’effort de réflexion autour des héritages juridiques73 qui mobilisa les intellectuels nazis avant la promulgation des lois de Nuremberg, le 15 septembre 193574. Celles-ci appliquent les théories défendues par Adolf Hitler dans Mein Kampf et partagent les habitants de l’Alle magne en trois catégories juridiques : -
les citoyens de l’État, (« Staatsbürger »), aussi appelés camarades du peuple (« Volksgenosse ») possédaient un statut supérieur, inaccessible aux juifs ; les membres de l’État, (« Staatsangehörige »), avaient hérité leur statut par la naissance, mais ne devenaient des citoyens de l’État qu’après l’avoir servi,
72 Eckhardt, Die Gesetze, 1934. 73 Chapoutot, La révolution, p. 140 et suivante. Whitman, Le modèle. 74 Schneider, Die SS, p. 60. Chapoutot, La révolution, p. 53-72.
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c’est-à-dire après une formation et le service militaire pour les hommes, après le mariage ou la vie active dans certains cas pour les femmes. Ces membres de l’État ne pouvaient exercer un office public, ni être élu ou électeur et constituaient des citoyens de second ordre ; enfin venaient les étrangers (« Ausländer »), appartenant à un autre État et dépendant juridiquement de lui.
L’inégalité structurelle devant la loi et la personnalité des lois dans ce système pouvaient s’appuyer sur des précédents historiques, comme au haut Moyen Âge. À ce titre, la loi salique venait nourrir le prétendu retour au passé régénérateur, en proposant un modèle, indéniablement germanique et archaïque, d’inégalité devant la loi et d’accès différencié au droit. La diffusion de son texte et de sa traduction participait ainsi à la propagande nazie en faveur de ces lois. La première édition de la loi salique par K. A. Eckhardt
En 1934, cette première édition de la loi salique par K. A. Eckhardt, imprimée en caractères gothiques archaïsants, fournit une version grand public de la loi salique dans sa version K, en 70 titres, sous le nom de « Droit des Francs saliens75 ». Le texte latin est donné sans aucun apparat critique, la traduction sans aucune note. Le fragment de la traduction de la Loi salique en vieil haut allemand est le seul complément apporté. L’introduction replace simplement cet ensemble dans une perspective historique nazie : « Méridionalisée sur un sol étranger, abâtardie par le mélange avec des femmes d’origine servile, saignée par des guerres fratricides, la fière famille des Mérovingiens avait sombré dans un état végétatif76 », mais « la famille orientale franque allemande des Carolingiens » incarnait « des forces nouvelles, non viciées77 ». Le droit du peuple franc salien, le Pactus legis salicae, vient probablement des années 507/511, c’est-à-dire durant les dernières années de règne de Clovis, le fondateur du royaume. De nombreux ajouts, des interpolations chrétiennes et une tradition manuscrite désordonnée défigurèrent pourtant la version originelle jusqu’à la rendre méconnaissable78.
75 Eckhardt, Die Gesetze, 1934, p. 1 : « Recht der Salfranken ». 76 Le terme de « Schattendasein », état végétatif, prend un sens particulièrement fort en 1934 étant donné l’actualité des lois sur l’euthanasie et leur mise en pratique, voir Chapoutot, La loi, p. 201-249. 77 Eckhardt, Die Gesetze, 1934, p. V : « Auf fremder Erde verwelscht, bastardifiert durch Ver mischung mit Frauen unfreier Herkunft und in Bruderkämpfen ausgeblutet war das stolze Geschlecht der Merowinger zu einem Schattendasein herabgesunken. […] neue unverbrauchte Kräfte […] das ostfränkisch-deutsche Geschlecht der Karolinger ». 78 Ibid., p. VI : « Das Salfränkische Volksrecht, der “Pactus legis Salicae” stammt höchstwahr scheinlich aus den Jahren 507/511, ist also in den letzten Regierungsjahren des Reichsgründers Chlodwig ausgezeichnet worden. Zahlreiche Nachträge, christliche Einschiebsel und eine wirre
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Charles Martel en aurait fait réaliser une nouvelle version, vers 714/7, qui aurait été revue uniquement sur le plan linguistique par Charlemagne : Comme nous l’avons déjà dit, les changements que Charlemagne a fait effectuer sur les droits des peuples plus anciens se limitent presque toujours à l’amélioration de son latin franchement barbare79. Le lecteur curieux n’en saura pas plus sur l’origine du texte qu’il a sous les yeux : il lui suffit de faire confiance au spécialiste pour croire qu’il s’agit d’une version proche du droit germanique originel. Aucune mention de manuscrit ou d’édition n’explique la provenance du texte ; « les ajouts les plus récents sont si gnalés par des crochets80 ». Pour connaître les principes de l’édition, il est renvoyé à un article du volume 55 du Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte81 : celui-ci fait à peine plus de quatre pages, dont une et demie consacrée à la loi salique, et K. A. Eckhardt y traite avec désinvolture les difficultés d’édition des lois carolingiennes et mérovingiennes (présentées dans le volume 1 paru en 1935)82. L’éditeur explique qu’il utilise comme base du Pactus legis salicae (la version supposée la plus ancienne) le manuscrit A 183, qu’il complète si nécessaire avec A 284, A 385 et A 486 : Si ces trois manuscrits, plus récents, proposent davantage de texte, les compléments qui en viennent sont entre crochets, c’est-à-dire que si cet ajout peut être originel, il est entre chevrons, et s’il porte au contraire les caractères d’une novelle, il est entre grands crochets. Il est naturellement impossible d’établir cette distinction avec une complète certitude87.
Par ces quelques remarques, K. A. Eckhardt montre qu’il avait alors une connaissance superficielle du dossier et de ses difficultés. Travaillant à partir des
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handschriftliche Weiterentwicklung verunstalteten jedoch die ursprüngliche Fassung bis zur Unkenntlichkeit ». Ibid., p. VIII : « Wie schon erwähnt, beschränken sich die Änderungen, die Karl der Große an den älteren Volksrechten vornehmen ließ, fast ausnahmslos auf die Verbesserung ihres allerdings barbarischen Lateins ». Ibid., p. IX : « Jüngere Zusätze sind durch eckige Klammern gekennzeichnet ». Ibid., p. X. qui renvoie à Eckhardt, « Gesetze der Merowinger und Karolinger », ZRG, GA, 1935, p. 232-236. Eckhardt, Die Gesetze, 1935. A 1 : Paris, BnF, latin 4404. A 2 : Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. A 3 : München, BSB, Clm 4115. A 4 : Paris, BnF, latin 9653. Eckhardt, « Gesetze », 1935, p. 233 : « Sofern diese drei jüngeren Handschriften ein Mehr an Text bieten, sind die aus ihnen übernommenen Ergänzungen in Klammern geschlossen, und zwar, soweit dieser Mehrbestand ursprünglich sein kann, in kleine Obereck-Klammern, er soweit dagegen Novellencharakter trägt, in große eckige Klammern. Völlige Sicherheit war bei dieser Scheidung naturgemäß nicht zu gewinnen ».
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principes établis par B. Krusch88, il place en avant le manuscrit A 1. Bien que celui-ci ait été copié après 805, B. Krusch considère qu’il contient la version la plus ancienne de la Loi salique, mais il ne peut pas être qualifié de manuscrit le plus ancien. Le manuscrit A 2, probablement copié avant 800, a été identifié comme étant le plus ancien de la version A et diffère dans de nombreux éléments de la version du manuscrit A 1. Rien n’est dit sur les critères de choix quand les textes de ces deux manuscrits divergent. Quant à la version carolingienne de la loi salique, K. A. Eckhardt présente la version K comme un simple lissage lin guistique d’une version remontant à Charles Martel. Cette interprétation reflète l’hypothèse d’une version intermédiaire, qui aurait pu être source des lois des Alamans et des Bavarois, suivant l’hypothèse qu’il avait développée en 192789 ; elle ne repose sur aucun manuscrit. K. A. Eckhardt prétend présenter la version K qui est contenue dans le manus crit K 1790, mais ce manuscrit a la particularité de présenter un chapitre 2 de la loi complétement différent de tous les autres manuscrits de cette version91. Or, dans l’édition de 1934, le chapitre 2 est remplacé par le chapitre habituel de la version K, De furtis porcorum, sans que ce changement ni l’origine du chapitre de rempla cement ne soient indiqués au lecteur. Quant aux divergences qui se limiteraient à « de faux chiffres » entre les manuscrits de la version A et des « novelles »92, entre les différentes versions A et les versions C et D des manuscrits 5 à 9, une telle affirmation ne peut reposer que sur un mélange d’ignorance (il n’avait vu aucun manuscrit de la loi salique) et de mauvaise foi (B. Krusch n’a qu’en partie caché la complexité de la tradition manuscrite). La version K est présentée à partir du manuscrit K 17 mais toujours à partir des éditions antérieures, à savoir celles de Hessels, Geffcken et Behrend93. Ces trois tentatives de la fin du xixe siècle ont en commun de chercher à présenter sur une même page les passages parallèles des différentes versions de la loi salique, tout en montrant l’origine des variantes. Les deux volumes publiés par K. A. Eck hardt présentent un recul par rapport à elles, car les versions y sont présentées de nouveau séparément, sans pour autant permettre de remonter aux variations des différents manuscrits. Il s’agit d’un simple travail de vulgarisation qui accompagne le discours de propagande justifiant les lois de Nuremberg comme un retour au droit germanique. L’année suivante, en 1935, la publication de la version supposée de Clovis, appelée Pactus legis salicae, donne lieu à un peu plus de détails concernant les difficultés d’édition, mais elle repose toujours sur l’idée générale que :
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Krusch, « Der Umsturz ». Eckhardt, « Gesetze », 1935, p. 234, qui renvoie à Eckhardt, Die Lex Baiuvariorum. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119. Sur ce manuscrit, voir infra chaitre 2. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 67 : II De iuratores de quantas causas thoalapus debet iurare. 92 Eckhardt, « Gesetze », 1935, p. 233 : « falsche Zahlenangaben », « Novellen ». 93 Voir les différentes éditions de la loi salique recensées dans la bibliographie finale.
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La version originelle du Pactus legis Salicae est fidèlement transmise, pour l’essentiel, dans un manuscrit parisien. Là seulement les interpolations chrétiennes n’ont pas été insérées dans le texte94. Au texte des 65 chapitres fondé sur le manuscrit A 1, K. A. Eckhardt joint comme une introduction le « Petit Prologue »95, qui se trouve bien « en tête de quelques manuscrits96 », mais notablement aucun des quatre manuscrits de la version A et un seul de la version C. Il crée ainsi un texte idéal : le texte supposé le plus ancien de la Loi salique introduit par un récit de formation de la loi salique hors de toute autorité royale. Un tel montage mêle pourtant deux versions différentes de la loi salique, les versions appelée aujourd’hui A et C, sans justification. Il fait fi de l’impossibilité d’expliquer par la transmission philologique les divergences entre ces deux versions. Elle avait pourtant poussé Mario Krammer à choisir la version D, en cent titres, comme version originelle de la loi salique, car elle a des éléments communs à A et à C. Quelle meilleure manifestation de l’esprit du Volk germanique que la Loi salique, où les Francs auraient spontanément fait mettre par écrit par leurs sages la loi de la nature de leur race97 ? Mais un tel assemblage n’existe dans aucun manuscrit et le manuscrit A 1 présente, à la suite d’une loi salique en 76 chapitres, le prologue long98 qui loue les rois depuis Clovis et la foi catholique des Francs, et ne comporte pas le prologue court qui ignore toute autorité royale. Le travail d’Eckhardt en 1934-1935 paraît à la fois sommaire et bâclé, tran chant les nœuds gordiens d’une édition scientifique de la loi salique avec la désinvolture fournie par ses convictions idéologiques. Version A ou version C ? Qu’importe, il suffit de piocher dans chacune d’elle les éléments jugés les plus anciens, de combiner les 65 premiers chapitres du manuscrit A 1, en coupant les chapitres suivants, avec le petit prologue pris dans le manuscrit C 699, en coupant le prologue long qui l’y précède ! La surprise vient de la considération postérieure de ce travail. K. A. Eckhardt prétendit le poursuivre par de simples retouches en 1936100, et considérait que son édition de 1954 en était, au départ, la réédition améliorée101. Il ne semble jamais avoir varié du schéma initialement proposé, car toutes ses éditions postérieures
94 Eckhardt, Die Gesetze, 1935, p. VII : « Die Urfassung des “Pactus legis Salicae” ist in einer Pari ser Handschrift im Wesentlichen getreu überliefert. Hier allein sind die christlichen Nachträge noch nicht in den Text eingerückt ». 95 Ibid., p. 2. 96 Eckhardt, Die Gesetze, 1935, p. VII : « an der Spitze einiger Handschriften ». 97 Chapoutot, La révolution, p. 135-151. 98 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 197. 99 C 6 : Paris, BnF, latin 18237. 100 München, MGH-Archiv, K 28 : lettre de Wannsee de K. A. Eckhardt à ses collaborateurs du 15/11/1936. 101 Eckhardt, Pactus, I, 1, 1954, p. 7 : « L’édition présentée ici du Pactus et de la Lex salica était initialement pensée comme la réédition améliorée de mon édition scolaire en deux volumes
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reprennent le même assemblage des versions A et C, et la suppression, le décalage ou le camouflage de tous les éléments qui ne pouvaient rentrer dans ce cadre. Ainsi, il a conçu son système de classement et d’édition de la loi salique sans connaître les manuscrits et n’est jamais revenu sur ses principes fondateurs, à savoir l’équivalence des versions A et C comme les plus anciennes de la Lex salica et la suprématie du manuscrit A 1, à compléter par le petit prologue. Une telle présentation n’avait en 1934 qu’un sens idéologique, il s’agissait d’illustrer d’un droit germanique pur, et les argumentations philologiques postérieures ne semblent avoir été ajoutées que pour la maintenir de façon affermie.
La course à l’édition Les travaux de Krusch
En 1934, B. Krusch commençait aussi ses travaux dédiés précisément à la loi salique en considérant qu’il s’agit du « plus ancien code de loi allemand102 », bien qu’il ait été écrit au sud de la Loire : « La loi salique a grandi sur le sol français, aussi douloureux que cela soit pour nombre de patriotes103 ». Dans son désir de produire des résultats scientifiques marquants, B. Krusch reprend l’obsession nationaliste des nouveaux chefs de l’Allemagne, oubliant rigueur et prudence. Il affirme avoir démontré l’origine de la loi salique en s’appuyant sur une argumentation peu convaincante : la présence des termes simili conditione et observare dans le manuscrit 1 de la loi salique et dans la lettre de Clovis aux évêques de son royaume, en 507, suffit à ses yeux pour établir que les deux textes ont été composés par le même auteur durant cette année, et que la loi aurait été écrite par un chrétien pour les guerriers de Clovis partant en guerre. Marc Bloch eut connaissance de cette démonstration, dont il tire un exemple dans son Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, composée pendant la guerre et publiée à titre posthume en 1949 : Parce que deux expressions semblables se retrouvent dans la loi salique et dans un édit de Clovis, n’a-t-on pas vu un honorable savant allemand affirmer que la loi devait être de ce prince ? Laissons la banalité des mots de part et d’autre employés. Une simple teinture de la théorie mathématique aurait suffi à prévenir le faux pas104.
dans la collection Germanenrechte », « Die hiermit vorgelegte Ausgabe von Pactus und Lex Salica war ursprünglich als verbesserte Neuauflage meiner zweibänden Schulausgabe in der Reihe “Germanenrechte” gedacht ». 102 Krusch, « Die Lex salica », 1934. 103 Ibid., p. 2 : « Die Lex salica ist also auf fränzosischen Boden erwachsen, so schmerzliche dies für manche Patrioten sein mag ». 104 Bloch, Apologie, p. 151.
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La rapidité et la superficialité de la démonstration reflètent sans doute les craintes croissantes du savant face à la concurrence de K. A. Eckhardt, mais peut-être aussi l’affaiblissement, à plus de 75 ans, des capacités intellectuelles de B. Krusch. Son dernier travail d’ampleur, sa publication sur les lois des Bavarois, des Alamans et des Ripuaires, en 1927, montrait déjà un recours de plus en plus fréquent à l’invective et aux attaques polémiques plutôt qu’à la démonstration, par exemple : À propos de l’édition de la Lex Ribuariorum par Sohm, j’ai dû formuler le jugement destructeur que tout ce qu’il avait écrit sur la formation de la loi salique se réduisait à néant et qu’il n’y avait pas davantage à tirer de sa critique textuelle105. B. Krusch multipliait les jugements négatifs sur les spécialistes des lois, y com pris au sein des Monumenta, où il vilipendait les héritiers spirituels de Heinrich Brunner : Mes conclusions concernant l’origine et la transformation de la loi [des Alamans] ont été déduites des différentes perturbations de la tradition manuscrite et reposent sur celles-ci, une méthode qu’avant moi aucun chercheur n’avait appliquée à ce domaine, ni n’avait bien compris comment l’appliquer. Ma critique concrète, encore plus que la critique par les manuscrits et la langue, devait apparaître comme entièrement nouvelle, hypothétique, chimérique à une école de Brunner qui a grandi dans les traditions du maître et s’est formée de façon critique sur des lois royales mérovingiennes perdues et autres impostures. Cette science doit choisir si elle veut rompre avec le passé ou suivre les traces du maître sur la voie ancienne106. Isolé, aigri contre tous ceux qui osaient critiquer ses travaux, le savant vieilli poursuivait encore les dernières livraisons de sa nouvelle édition de Grégoire de Tours, tout en prétendant se lancer concrètement dans l’édition de la loi salique
105 Krusch, Neue Forschungen, p. 142-143 : « Über Sohms Ausgabe der Lex Ribuariorum habe das vernichte Urteil aussprechen müssen, daß alles, was über die Entstehung der Lex geschrieben hat, in ein Nichts zerfällt, und es um seine Textkritik nicht besser bestellt sei ». 106 Krusch, ibid., p. 106 : « Meine Schlüsse bezüglich der Entstehung und Weiterbildung der Lex sind durchweg aus den verschiedenen Störungen in der handschriftlichen Überlieferung hergeleitet und auf sie begründet, eine Methode, die vor mich noch kein Forscher auf diesem Gebiete angewendet hat und wohl auch keiner anzuwenden verstand. Noch mehr als die hand schriftliche und sprachliche Kritik mußte meine sachliche als völlig neu, als “hypothetisch”, als Phantasiebild der Brunnerschen Schule erscheinen, die in den Traditionen des Meisters groß geworden und an dem verschollenen merowingischen Königsgesetzt und ähnlichem Blendwerk kritisch gebildet ist. Diese Fachwissenschaft wird sich jetzt entscheiden müssen, ob sie mit der Vergangenheit brechen oder weiter den Spuren des Meisters auf der alten Bahn folgen will ».
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Illustration 1.3 : Portrait de B. Krusch conservé aux Monumenta Germaniae Historica. Portrait issu de http://www.mgh.de/geschichte/portraitgalerie/bruno-krusch/, consulté le 02/09/2019.
sans l’aide d’aucun de ses plus jeunes collègues (Ill. 1.3). Il s’inquiète ainsi des tra vaux d’Eckhardt dans le compte rendu de ses activités annuelles de 1935107 : Cette année, j’ai éprouvé une grande surprise. M. Le professeur Eckhardt s’est rallié à mes résultats et a lui-même publié une édition de la loi salique. Elle est dépourvue d’apparat critique et ne rend pas superflue l’édition des Monumenta108.
B. Krusch poursuit son travail pour coiffer au poteau son jeune rival. Il célèbre lui-même ses conclusions sur une rédaction de la loi en 507, par un auteur chré tien au service de Clovis : « Ainsi tombe tout ce qui avait été écrit auparavant sur
107 Krusch, Jahresbericht des Dr. Krusch fuer 1935, deux pages dactylographiées datées de mars 1936 à Hanovre, dans München, MGH-Archiv, K 28. 108 Ibid., « Im vorigen Jahr habe ich eine Ueberraschung erlebt. Herr Prof. Dr. Eckhardt hat sich vollstaendig zu meinen Ergebnissen bekehrt und selbst eine Ausgabe der Lex Salica veroeffent lich [sic]. Sie entbehrt aber eines kritischen Apparates und macht die Monumentenausgabe nicht ueberfluessig ».
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la question en Allemagne et en France109 ». Il tente ensuite de faire correspondre le contenu de la loi au contexte précis de l’invasion du sud de la Loire par les armées franques. Clovis se serait alors essentiellement préoccupé du bien-être du bétail et de l’absence de mélange racial : La volonté la plus solide du roi était de préserver son peuple, les Francs libres, du mélange avec des éléments plus bas et en cela, il ne montrait aucune compromission110. Bien qu’il aligne ainsi ses travaux sur les obsessions des dirigeants nazis et qu’il affirme qu’un débutant ne puisse réussir une telle édition111, B. Krusch peut difficilement rivaliser sérieusement avec des savants plus jeunes, comme Eckhardt. Son corps faiblit : à 78 ans, il sollicite un congé de trois mois pour rétablir sa santé et mentionne ses difficultés de vue : Mais mes faibles yeux se sont révélés insuffisants pour la lecture des petits caractères de l’édition anglaise112. S’il ne paraît pas étonnant, à cet âge, d’avoir des difficultés à la lecture de petits caractères, on peut s’interroger sur la qualité d’une édition qui reposerait principalement sur l’exploitation de l’édition précédente de J. Hessels, de 1880. Les efforts de Bruno Krusch se poursuivirent néanmoins113 et sa dernière publication, parue en avril 1938114, a beau jeu de se moquer des imprécisions de l’édition d’Eckhardt. Tout comme son jeune collègue, il affecte de se trouver en parfait accord avec lui, car tous deux reconnaissent l’importance décisive du manuscrit A 1 : « Avec le professeur Eckhardt commence une nouvelle ère115 ». Mais les critiques ne se font pas attendre : Les fautes et les lacunes de l’excellent manuscrit A 1 sont corrigées de temps en temps par Eckhardt à partir des autres manuscrits, mais il ne dit pas lesquels, et n’a pas remarqué tous les passages où une correction était nécessaire116.
109 Krusch, « König Chlodwig », p. 801 : « Damit fällt alles, was bisher über das Problem in Deutschland und Frankreich geschrieben ist ». 110 Krusch, ibid., p. 804 : « Der ernste Wille des Königs war, sein Volk, die freien Franken, von der Vermischung mit niedriger stehenden Elementen freizuhalten, und dabei kannte er keine Rücksichten ». 111 Ibid., p. 806. 112 München, MGH-Archiv, K 28 : « Meine schwachen Augen haben sich aber fuer die Lektuere der kleingedructen englishen Ausgabe als unzureichend erwiesen ». 113 Krusch, « Die Auferstehung ». 114 Krusch, « Die Lex Salica », 1938. 115 Ibid., p. 418 : « Mit Prof. Eckhardt beginnt eine neue Ära ». 116 Ibid., p. 418 : « Fehler und Lücken der ausgezeichneten HS. 1 sind von Eckhardt zuweilen aus den anderen Hss. verbessert worden, jedoch gibt er nicht an, aus welchen, und er hat auch keineswegs alle verbessungsbedürftigen Stellen bemerkt ».
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Illustration 1.4 : Les manuscrits de la version A d’après B. Krusch en 1938.
Puis B. Krusch relève les manques, les passages mal édités ou mal traduits, ce qui l’amène au jugement suivant : L’édition d’Eckhardt n’est pas une édition scientifique reposant sur les anciens manuscrits. […] Eckhardt l’appelle […] édition scolaire. Elle peut aussi rendre de bons services dans un cadre universitaire, mais doit être utilisée avec précaution117. Le vieux savant démontre ici, une dernière fois, son acuité d’esprit, car il a bien relevé l’ambiguïté entretenue par K. A. Eckhardt entre un travail superficiel, à la rigueur acceptable comme « édition scolaire » si ses choix étaient explicités, et sa présentation dans des collections au titre pompeux, comme les « Publications de l’académie du droit allemand118 » et des revues scientifiques autrefois presti gieuses comme la Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Mais la cri tique vise aussi à asseoir la nécessité de son propre travail : « J’ai achevé la pre mière édition valable et j’espère qu’elle va être bientôt imprimée119 ». Pour cette édition, B. Krusch reprend son identification de passages parallèles avec la lettre de Clovis de 507 et soutient un stemma des manuscrits pour la ver sion A pour le moins simpliste (Ill. 1.4)120. Un tel schéma permet de tenir compte des divergences entre les manuscrits A 1 et A 2, mais pas de celles qui demeurent entre les manuscrits A 2, A 3 et A 4. L’édition de la loi salique fut écrite à la main par B. Krusch et confiée par lui à un éditeur en novembre 1937121. B. Krusch mourut en juin 1940. Entretemps, la car rière de son rival K. A. Eckhardt avait connu d’importants revers, qui l’avaient éloigné d’une édition de la loi salique, tandis que l’édition manuscrite de B. Krusch demeurait inexploitée.
117 Ibid., p. 435 : « Eine aus den alten Hss. aufgebaute wissenschaftliche Ausgabe ist die Ausgabe Eckhardts nicht. […] Eckhardt nennt […] diese “Schulausgaben”. Dem akademischen Zwecke wird auch seine Lex Salica gute Dienste leisten, sie ist aber mit Vorsicht zu benutzen ». 118 « Schriften der Akademie für Deutsches Recht », collection où sont parues les éditions d’Eck hardt de 1934 et 1935. 119 Ibid., p. 437 : « Eine erste brauchbare Ausgabe habe ich fertig ausgearbeitet, und ich hoffe, daß sie bald gedruckt wird ». 120 Ibid., p. 423. 121 München, MGH-Archiv, B 556, p. 299.
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La chute d’Eckhardt
Au début de l’année 1935, l’avenir semble particulièrement prometteur pour K. A. Eckhardt. Sa proximité avec H. Himmler et son aura scientifique semblaient à même de lui fournir les responsabilités les plus importantes au sein de l’État nazi. Sa position est illustrée dans un numéro de Das Schwarze Korps (22 mai 1935), organe de communication de la SS122, dans le dossier : « Le vice contre nature mérite la mort123 », où il complète les déclarations de H. Himmler en affir mant que selon Tacite, les Germains condamnaient à mort les homosexuels. Après l’élimination de la hiérarchie des SA entre le 30 juin et le 2 juillet 1934, lors de la nuit des longs couteaux, les homosexuels étaient traqués par les nazis. La politique rejoint ici l’idéologie, autour du mâle germanique, mais aussi, avec la participation du professeur Eckhardt, la science allemande la plus prestigieuse. La même asso ciation est supposée guider le projet « Das Ahnenerbe », l’héritage des ancêtres, fondé par Heinrich Himmler le 1er juillet 1935124, qui cherche à montrer la conti nuité logique et ontologique entre les Allemands du xxe siècle et les Germains de l’Antiquité, par déterminisme racial125. L’ambition est d’étendre le pouvoir des SS à la vie culturelle126. Auréolé de ses compétences scientifiques et de son engagement SS, aux côtés d’Himmler, Eckhardt était alors l’étoile montante au sein des Monumenta et leur transformation en « Reichsinstitut für ältere deutsche Geschichtskunde », en 1935, fournissait l’occasion idéale pour le placer à la direction. K. A. Eckhardt, alors aussi professeur à Berlin127, crut être parvenu au sommet de sa carrière, quand Bernhard Rust, ministre de la science, de l’instruction et de l’éducation populaire du Reich, signa, le 1er avril 1935, la transformation des Monumenta en « Reichsinstitut »(Ill. 1.5) à la tête duquel il plaçait K. A. Eckhardt128. Néanmoins, une telle réussite attirait aussi les jalousies, et K. A. Eckhardt s’était fait de nombreux ennemis parmi les nazis influents. Les archives des Monumenta ne conservent que le contrordre survenu le 9 avril 1935 : Comme Président du Reichsinstitut, j’avais pressenti, sur proposition du titulaire d’alors, le Geh. Rat Kehr, le professeur Eckhardt de Berlin. Mais comme il est pris par d’autres tâches, j’ai confié par intérim la continuation de l’entreprise au Herr Geh. Rat Kehr129.
122 Schneider, Die SS, p. 65 et suivantes. 123 Das Schwarze Korps 12, 22 mai 1935, p. 13 : « Widernatürliche Unzucht ist todeswürdig ». Nehlsen, « Karl August Eckhardt » p. 516-517. 124 Chapoutot, Le national-socialisme, p. 93. 125 Chapoutot, Le national-socialisme, p. 9 et p. 17-57. Chapoutot, La loi p. 53 et suivantes. 126 Kater, Das « Ahnenerbe ». 127 Schneider, Die SS, p. 214. 128 Décision W IIa no 154.1. Nagel, Im Schatten, p. 40-41. 129 München, MGH-Archiv, B 535. Lettre du 9 avril 1935, p. 1 : « Zum Präsident des Reichsins tituts habe ich auf Vorschlag des bisherigen vorsitzenden Geh. Rat Kehr Herrn Professor
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Tampon des MGH en 1935
Tampon des MGH en 1937
Illustration 1.5 : Les tampons des Monumenta.
Bernhard Rust, nommé ministre de l’éduction par Adolf Hitler dont il était un ami personnel, s’intéressait principalement à la réforme de l’enseignement secon daire130, et se laissait diversement influencer par les différents dignitaires du iiie Reich dont les rivalités exacerbées expliquent cette volte-face. En 1927, Karl August Eckhardt avait obtenu sa chaire de professeur titulaire (un « Ordinariat ») à Kiel, à la suite du professeur Max Pappenheim, un des plus importants historiens du droit dans le domaine scandinave, à la ChristianAlbrechts-Universität de Kiel131. Après sa mort en 1934, bien qu’il fût juif, K. A. Eckhardt lui rendit un vibrant hommage132. Sa nécrologie rappelait l’engagement militaire de la famille de Pappenheim dans les armées prussiennes du xviiie siècle, son rejet de sa propre judéité et son sens de l’honneur. Ce « Nachruf » se présentait ensuite de façon classique, en rappelant le parcours universitaire du défunt, l’importance de ses recherches sur le droit nordique et germanique, ainsi que ses qualités d’enseignant. En mentionnant une visite personnelle à la veille du soixante-quatorzième anniversaire du défunt, K. A. Eckhardt soulignait combien il se sentait son héritier spirituel. L’article est daté de Noël 1934 mais fut publié l’année suivante et témoigne de la fidélité de son auteur à la tradition universitaire allemande, en dépit de ses convictions nazies. Le même attachement est probablement à l’origine de la réplique qui lui valut l’indéfectible inimitié de Walter Frank. Alors que celui-ci multipliait les efforts pour recevoir le titre de professeur sans en avoir la qualification, Eckhardt aurait lancé : « Professeur dérive de professer, non de profiter133 ». Le régime nazi avait organisé dès le 7 avril 1933 l’exclusion des juifs des postes de fonctionnaires, et notamment de postes à l’université134, mais il cherchait aussi
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Eckhardt in Berlin ausersehen. Da er durch andere Aufgaben gebunden ist, habe ich Herrn Geh. Rat Kehr kommissarisch mit der Weiterführung der Geschäfte betraut ». Chapoutot, Le national-socialisme, p. 43 et suivante. Schneider, Die SS, p. 211. Eckhardt, « Max Pappenheim ». Nehlsen, « K. A. Eckhardt », p. 507 : « Professor sei nicht von “Profit” sondern von “profiteri” abzuleiten ». Chapoutot, La loi, p. 90-113.
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à supprimer toute considération des réflexions émises par des auteurs juifs. Ainsi, en octobre 1936, Carl Schmitt réunit sous l’impulsion de Hans Frank le NSRB135, l’association des juristes nationaux-socialistes, pour un colloque sur « la science allemande du droit dans sa lutte contre l’esprit juif »136. Hans Frank était depuis 1933 « Reichsrechtsführer », mot à mot « guide du droit dans le Reich »137 et rédigea le discours d’introduction mais ne vint pas en personne. Carl Schmitt y proposa d’ajouter le mot « juif » aux patronymes de référence de toutes les citations d’auteurs juifs138. Dans cette vague d’épuration antisémite des milieux intellectuels, l’éloge du professeur Pappenheim était bien risqué et fournit aux ennemis de K. A. Eckhardt l’occasion de leur revanche. Walter Frank, directeur de de l’Institut du Reich pour l’histoire de la nou velle Allemagne, rival des Monumenta139, a diffusé la nécrologie de Pappenheim et discrédité son auteur auprès d’Adolf Hitler. En conséquence, Eckhardt fut immédiatement destitué de la direction du nouveau « Reichsinstitut » qu’étaient devenus les Monumenta et n’obtint non plus jamais de devenir directeur général des archives de l’État prussien. Malgré le soutien de H. Himmler et de H. Göring, A. Hitler refusa la nomination d’Eckhardt en raison de ses vues considérées comme inappropriées sur la question juive140. La concurrence au sein de la polycratie politique nazie était intense et recon naître des qualités à un juif suffisait à ruiner une carrière : R. Gross note ainsi que K. A. Eckhardt appartenait comme R. Höhn et O. Koellreutter aux membres du SD opposés à Carl Schmitt et qu’ils furent tous trois mis à l’écart à la suite des luttes internes141. À l’été 1937 s’ajoutèrent des tensions dans sa relation à H. Himmler et Eckhardt n’obtint pas la direction de la section des « Ahnenerbe » pour l’histoire du droit indo-germanique, qui avait pourtant été prévue pour lui142. K. A. Eckhardt fut progressivement écarté des cercles étroits du pouvoir à Berlin et retourna en 1937 à sa chaire d’histoire du droit germanique de Bonn143. Outré de sa destitution de la tête du « Reichsinstitut », K. A. Eckhardt se plaça en retrait des Monumenta. Ernst Heymann, qui dirigeait alors la section des Leges se plaint en avril 1936 de son intention de publier ses éditions de texte en dehors des MGH, désormais dirigés par le professeur Engel144. K. A. Eckhardt
135 « Nazionalsozialistische Rechtswahrerbund », voir Schneider, Die SS, p. 122 et suivantes et p. 160. 136 Schmitt dir., Das Judentum. 137 Chapoutot, La révolution, chapitre VI, p. 135-151. 138 Schmitt dir., Das Judentum p. 29-30, cité et commenté dans Chapoutot, La loi, p. 497 et sui vantes. 139 Nagel, Im Schatten, p. 40-44. Krause, « Karl August Eckhardt », 1979, p. 6. 140 Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 508-509. 141 Gross, Carl Schmidt, p. 108 note 4. 142 Kater, Das Ahnenerbe, p. 195. 143 München, MGH-Archiv, K 25, chemise 1 : lettre reçue le 4 juin 1936 qui met fin à son travail au ministère. Schneider, Die SS, p. 214 et suivantes. 144 München, MGH-Archiv, B 536, p. 1-4.
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faisait pourtant toujours partie de son personnel et était présenté comme le successeur attendu d’E. Heymann à la direction des Leges145. Les tentatives d’E. E. Stengel pour une nomination d’Eckhardt à ce poste en décembre 1937 se heurtèrent au refus absolu de Walter Frank, qui reposait toujour sur la nécrologie favorable à Pappenheim146. Ainsi, durant les premières années de la seconde guerre mondiale, K. A. Eck hardt avait retrouvé son poste à l’université de Bonn. Son enseignement y suivait l’idéologie nazie, à laquelle il adhérait toujours, mais l’organisation générale des universités ne fut pas bouleversée par le nouveau pouvoir147. Elles furent néan moins soumises, comme l’illustre la destitution du titre de docteur honoris causa organisée contre Thomas Mann, le 19 décembre 1936 à l’université de Bonn148. L’échec temporaire de ses ambitions n’affecta pas les convictions personnelles d’Eckhardt qui consacra les années suivantes à la rédaction d’ouvrages illustrant l’interprétation nazie des textes médiévaux scandinaves, comme sur l’éternité terrestre, dans un ouvrage qui défend l’idée que les Germains croyaient à une résurrection de l’âme humaine dans une chaine de réincarnation de grand-père en petit-fils149, ou sur Ingwi et ses descendants en Scandinavie150. De tels travaux lui assuraient, malgré tout, un accès privilégié à H. Himmler et permirent son progressif retour en grâce : en novembre 1938, il fut promu comme « SS Sturmbannführer151 » et en 1941, il participa au volume de Festgabe für Heinrich Himmler152. Ces publications rencontraient en revanche le dédain général d’A. Hitler car celui-ci considérait la préhistoire germanique comme humiliante en comparaison de l’Antiquité grecque et romaine, qu’il interprétait aussi comme l’œuvre des Germains153. Depuis Bonn, K. A. Eckhardt continuait à produire des éditions et des études de textes juridiques anciens, cette fois au sein du « Deutschrechtliches Institut an der Bonner Universität » qu’il dirigeait et qui collaborait avec le projet de la SS « Das Ahnenerbe ». Il lança une collection, « Germanenrechte. Neue Folge », présentée comme « Deutsches Ahnenerbe. Veröffentlichungen des Deutschrecht lichen Instituts »154 en 1939. Cette série était sous la direction d’Eckhardt, et portait toujours en première page, de 1939 à 1941, le mot d’introduction suivant : « Un peuple vit un présent et un futur heureux, tant qu’il est conscient de son 145 146 147 148 149 150 151 152
München, MGH-Archiv, B 536, p. 17 par P. F. Kehr. München, MGH-Archiv, B 546, p. 20-21. Hildebrand, « Universitäten ». Schmeilin, « Thomas Mann ». Eckhardt, Irdische Unsterblichkeit. Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 510 et 518. Eckhardt, Ingwi. Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 512. Eckhardt, « Das Fuldaer Vasallengeschlecht », p. 175-213. Il en fit lui-même le compte rendu : Eckhardt, ZRG, GA, vol. 63, 1943, p. 349-351. 153 Chapoutot, Le national-socialisme, p. 83-89. 154 Dans le volume Deutsches Bauerntum II Neuzeit de G. Franz, Weimar, 1939. Le volume II est paru avant le volume I, comme pour de nombreux travaux dirigés par K. A. Eckhardt.
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passé et de la grandeur de ses aïeux. Heinrich Himmler. Reichsführer SS155 ». La production scientifique historique est donc pensée comme une application de l’idéologie nazie. Ces travaux ne furent que ralentis par la guerre qui éloigna K. A. Eckhardt de Bonn. Il fut tout d’abord mobilisé en Prusse orientale puis en France, de 1941 à 1944, où il put se rendre à Paris à la Bibliothèque nationale et y consulter des manuscrits de la loi salique156. Si les propres travaux d’Eckhardt ne semblent pas avoir fait l’objet de critiques, il édita au sein des « Germanenfolge » trois ouvrages de Rudolf Meißner, parus en 1941 et 1942, qui firent l’objet d’un compte rendu dévastateur du professeur de Berlin Hans Kuhn, qui montre que ces publications oublient toute précision spatiale ou chronologique, tout en comprenant de nombreuses erreurs de traduc tion157. L’attaque scientifique de sa collection n’empêcha pas le retour glorieux d’Eckhardt à la tête des Monumenta en juin 1943, où il fut reconnu responsable de la section Leges par Theodor Mayer, alors président du « Reichsinstitut ». Il pré voyait, en collaboration avec son institut de droit allemand de Bonn, une nouvelle collection d’édition de lois médiévales, dont le premier volume serait consacré à la Loi salique, sous sa responsabilité158. Les versions aujourd’hui appelées A et C, sont apparemment déjà prêtes159 puisqu’il est prévu que « la première livraison, proposant les deux versions du texte en 65 titres paraît pour le jubilé des 125 ans des Monumenta Germaniae »160, au printemps 1944.
Les éditions perdues de la seconde guerre mondiale L’édition perdue de Krusch 1937-1944
À l’automne 1937, B. Krusch envoya au professeur K. Rauch, pour la maison d’édition Böhlau, à Munich, une version manuscrite d’une édition de la loi salique que le destinataire qualifiait de « presque illisible »161. Il fallait en prévoir une en tière reprise avant publication. À l’époque, K. A. Eckhardt était reparti enseigner à Bonn et la direction choisit de se tourner vers le collaborateur de B. Krusch
155 « Ein Volk lebt so lange glücklich in Gegenwart und Zukunft, als er sich seiner Vergangenheit und der Größe seiner Ahnen bewußt ist. Heinrich Himmler, Reischführer SS ». 156 München, Archiv des MGH, B 556, p. 270. Schneider, Die SS, p. 215 et suivante. Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 514. 157 Kuhn, Deutsche Literaturzeitung 43/44, 1943, c. 735-738. Voir Kater, Das Ahnenerbe, p. 195. 158 München, Archiv des MGH, B 556, p. 249-250 et p. 254. 159 München, Archiv des MGH, B 556, p. 267. 160 Ibid., accord daté du 16 juin 1943, à Berlin, p. 254, repris avec plus de précision p. 249, le 15 octobre 1943 : « Erste Lieferung, umfassend die beiden Formen des 65-Titel-Textes erscheint zum 125 jährigen Jubilaüm der Monumenta Germaniae ». 161 München, MGH, Archives B 556, p. 299-300, lettre d’E. Heymann au professeur Engel le 2 novembre 1937 « fast unlesbar ».
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depuis des années : Wilhelm Levison, malgré la position délicate où le plaçait sa judéité162. En 1935, il avait été mis à la retraite de l’université de Bonn et exclu, de fait, de la direction centrale des Monumenta, par sa transformation en « Reichsins titut »163, comme du comité directeur de la société d’histoire rhénane164. Depuis, ses publications étaient refusées165 et en 1937, son nom n’apparaît pas sur les titres de la nouvelle édition de Grégoire de Tours par les Monumenta, alors qu’il y participait depuis au moins 1934166. Pourtant, W. Levison gardait de bonnes relations avec sa direction. Il accepta en mars 1938 de se charger de la reprise de l’édition de la loi salique, après la fin de la nouvelle édition de Grégoire de Tours, mais sans cacher ses difficultés avec le travail récent de B. Krusch : Je n’ai pu, pour l’instant, examiner que superficiellement le manuscrit, mais il est probable que la situation est la même que pour Grégoire. Les collations à l’aide des nombreuses épreuves publiées, avec lesquelles je les compare toutes si possible, s’y montrent excellentes ; en revanche, comme entretemps, les yeux de Krusch lui ont fait défaut, la finition est remplie d’erreurs car il ne s’y retrouve apparemment souvent plus dans sa propre écriture, assez difficile, ni dans l’enchevêtrement disparate des variantes, même avec une aide extérieure (pour ne pas parler davantage de la moindre attention aux publications récentes)167.
Ainsi, W. Levison rappelle à propos de la dernière livraison sur Grégoire de Tours : « J’ai quasiment réécrit tout pour les variantes et les remarques168 ». On peut légitimement douter de la fiabilité de l’édition manuscrite de Krusch, car elle était produite par un homme diminué, apparemment incapable d’un travail d’une telle complexité : il a travaillé avec des yeux défaillants, à partir de l’édition de Hessels et non des manuscrits, suivant un stemma trop rapidement défini sur l’absolue supériorité du manuscrit A 1 et de la version A. Sa dernière publication montre une prise en compte réelle, mais tardive, de l’ampleur des
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Böhringer, « “…glaube ich” ». Rollason, « Levison ». Becher, « Zur Einführung ». Schieffer, « Wilhelm Levison », p. 208. Ibid., p. 207. München, MGH-Archiv, B 556, p. 274 (r-v) : lettre de W. Levison du 11 mars 1938. « Ich habe das Manuskript bisher nur flüchtig einsehen können ; aber wahrscheinlich ist die Sa chlage dieselbe wie beim Gregor. Dort erweisen sich die Kollationen an der Hand der vielen veröffentlichen Schriftproben, die ich möglichst alle vergleiche, als vortrefflich ; dagegen ist die Verarbeitung, weil unterdessens Kruschs Augen versagten, überaus reich an Fehlern, da er sich offenbar häufig in seiner eigenen etwas schwierigen Schrift und in dem bunten Gewirr der Varianten auch mit fremder Hilfe nicht zurecht fand (um von der geringen Berücksichtigung der neueren Literatur nicht näher zu reden) ». 168 Ibid., « Varianten und Anmerkungen schriebe ich so gut wie ganz neu ».
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difficultés de l’édition169. Il discutait, enfin, des différences entre le nombre des chapitres et des prologues et relevait les insuffisances des éditions d’A. Holder, notamment pour le manuscrit de Leyde170 : n’ayant travaillé qu’à partir de facsimilés, ce dernier n’a pu reconnaître les différentes étapes de copie du manuscrit (pour autant, les éditions d’Eckhardt ont toujours reposé sur cette seule édition). L’édition proposée par B. Krusch proposait comme deuxième famille la ver sion aujourd’hui appelée D, en cent titres et voyait dans la version aujourd’hui ap pelée C, en 65 titres, un travail postérieur, à partir des deux versions précédentes. Il supposait donc des opérations successives d’ajouts, puis de réductions dans la liste des chapitres de la loi salique, mais sans dégager de contexte particulier pour ces opérations. L’unique point d’ancrage présenté était l’excellence de la version contenue dans le manuscrit A 1 rapportée à une rédaction de la loi salique en 507. Le travail de B. Krusch n’est plus mentionné après 1938. La situation des juifs d’Allemagne apparut dramatique à la suite de la Nuit de cristal (8-10 novembre 1938), ce qui suscita pour W. Levison une invitation salvatrice de l’université de Durham171. Il put quitter l’Allemagne en avril 1939 avec ses meubles et ses livres172, qui ne représentaient pas moins de mille volumes et tirés à part173. Aurait-il gardé l’édition manuscrite de la loi salique par B. Krusch ? Le contexte ne s’y prêtait pas : son départ fut officiellement organisé et la direction des Monumenta lui apporta son soutien. Il a sans doute rencontré une dernière fois personnellement le président E. Stengel en avril 1939174. Il continua à travailler, durant son exil britannique, à l’index et à la préface de l’édition de Grégoire de Tours et ce travail fut transmis par sa veuve en 1949 pour l’édition de 1951. Il n’avait donc nulle raison de vouloir exploiter le travail de B. Krusch en dehors des MGH175. Il gardait en tête l’idée d’un retour en Allemagne dès que les conditions politiques le permettraient. Seule sa santé défaillante puis sa mort inattendue par une attaque cardiaque, en janvier 1947176, l’empêchèrent de retourner à Bonn, où il avait prévu d’envoyer sa bibliothèque pour aider à la reprise de l’enseigne ment177. Pourtant, après le départ de W. Levison, l’édition manuscrite de B. Krusch n’est plus mentionnée dans les archives des Monumenta. B. Krusch mourut à Hanovre en 1940. Le manuscrit qui avait été transmis à K. Rauch a apparemment disparu et nous ignorons s’il était encore détenu par la maison d’édition Bölhau,
Krusch, « Die Lex Salica », 1938. Aujourd’hui K 17 : Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119. Becher, « Einführung », p. 14. Böhringer, « “…glaube ich” », p. 303. Rollason, « Levison ». Schieffer, « Wilhelm Levison », p. 209. Il lui gardait aussi une fidélité personnelle à la suite de ses interventions en sa faveur lors de la vague antisémite de 1920, comme le note Böhringer, « “…glaube ich” », p. 309. 176 Ibid., p. 306. 177 Rollason, « Levison », p. 329-330. 169 170 171 172 173 174 175
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Illustration 1.6 : Édition de M. Krammer de 1915, reprise et annotée par W. Levison, envoyée à B. Krusch le 12 octobre 1919 et conservée dans les archives personnelles de K. A. Eckhardt, München, MGH-Archiv, K 29.
de Munich, ou bien s’il fut déposé dans les archives des Monumenta. K. A. Eck hardt s’est lancé en 1943 dans une nouvelle édition de la loi salique sans jamais faire allusion à ce travail antérieur. En 1962, il affirme qu’il n’a pu avoir accès au manuscrit de l’édition de Krusch178. A-t-il pu s’en emparer en profitant de ses liens avec K. Rauch, son collègue à Bonn et son beau-père depuis 1938 ? ou bien en profitant de son autorité alors qu’il dirigeait, de fait, la section Leges des MGH entre 1943 et 1945 ? Cela me paraît peu probable : d’une part, l’écriture de B. Krusch lui était difficilement déchiffrable ; d’autre part, son propre système reposait sur la mise en parallèle des deux versions les plus courtes de la loi salique, aujourd’hui A et C, alors que B. Krusch proposait comme deuxième version la version en cent cha pitres aujourd’hui appelée D. Il a donc éventuellement pu profiter de son apparat critique, mais pas de l’architecture générale de son travail, dont nous ignorons comment elle était justifiée. Il me semble qu’il faut plutôt mettre cette disparition du travail de Bruno Krusch en rapport avec les pertes des archives des MGH : trente caisses furent mises à l’abri au monastère Michaelstein de Blankenburg, 178 Eckhardt, Pactus, 1962, p. XXXVIII.
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dans le Harz, en 1943, et trente autres dans la mine de sel de Neu-Staßfurt en 1944179. À l’issue de la guerre, seules vingt-deux caisses du premier dépôt et vingt-trois du second ont pu être récupérées180. En revanche, K. A. Eckhardt utilisa bien son accès privilégié aux ressources des Monumenta pour son édition de la loi salique, en récupérant le travail de Mario Krammer et les corrections de Wilhelm Levison. Alors que les exemplaires de l’édition imprimée en 1915 étaient supposés avoir été pilonnés, il utilisa intensé ment l’édition de la version C par Mario Krammer, comme le montre l’exemplaire conservé dans son « Nachlaß » qui a certainement servi à l’édition imprimée en 1944, puis en 1953181. De même, il n’hésita pas à récupérer des éléments de la correspondance entre W. Levison et B. Krusch concernant la loi salique, comme le montrent les originaux des quatre lettres qui ont été envoyées à B. Krusch par W. Levison, le 7 juin, le 28 juin, le 7 septembre et le 12 octobre 1919 à propos des manuscrits de la loi salique qui se trouvent conservés dans son « Nachlaß » personnel, ainsi que l’édition annotée de Krammer envoyée par W. Levison en complément de sa lettre d’octobre 1919 (Ill. 1.6)182. L’édition d’Eckhardt en 1944
La correspondance officielle des Monumenta permet de se faire une idée des obstacles auxquels fut confronté le projet d’Eckhardt d’imprimer une édition de la loi salique pour le jubilé de mars 1944. Les bombardements alliés sur Hanovre entrainaient des perturbations de plus en plus importantes. On apprend ainsi, en aout 1943 que : La maison d’édition Hahn à Hanovre a été détruite par des bombardements. L’imprimerie s’efforce néanmoins avec énergie de poursuivre son travail ; l’entrepôt avec les volumes des Monumenta a été sauvé183. En outre, en raison de la guerre, les manuscrits de Saint-Gall, du Vatican, de Munich et de Wolfenbüttel étaient inaccessibles, y compris en reproduction184. K. A. Eckhardt a pu voir des manuscrits à la Bibliothèque nationale lors de ses séjours parisiens, mais en septembre 1943, il n’a reçu de jeu de reproductions en
179 https://www.mgh.de/archiv/geschichte/, consulté le 2/09/2019. 180 Les archives personnelles de Bruno Krusch semblent aujourd’hui limitées à deux cartons d’ar chives, München, MGH, Archives, A 90 I et II, ce qui renforce l’hypothèse d’une disparition partielle de celles-ci. 181 München, MGH-Archiv, K 29, chemise 49. 182 München, MGH-Archiv, K 29, chemises 47. 183 München, MGH-Archiv, B 556, p. 268 : « Das Haus der Hahnschen Buchhandlung in Hanno ver ist durch Fliegerbomben zerstört. Der Verlag ist aber mit Energie bemüht, seine Arbeit weiterzuführen ; auch ist der Lagerhaus mit den Monumenten-Beständen gerettet ». 184 München, Archiv des MGH, B 556, p. 266, B 566, p. 1 et 5.
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noir et blanc que pour deux manuscrits de Paris185. Ses requêtes montrent qu’il se concentrait uniquement sur les manuscrits contenant les versions A, D et E de la loi salique, supposées antérieures à la version carolingienne, ainsi que la version S. Il ne souhaitait que des photocopies partielles des passages qui l’intéressaient, comme pour les prologues seulement dans S 82186 et K 66187. Or, il n’avait pas réussi à récupérer celles des manuscrits Paris, BnF latin 4627, 4409 et 4629, soit D 8, E 12 et E 15188, non plus que celles du manuscrit de Wolfenbüttel (Wol fenbüttel, HAB, Weißenburg 97, A 2)189, de Munich, (BSB, Clm 4115, A 3)190, de Saint-Gall (Stiftsbibliothek, 731, D 9)191 du Vatican (Vatican, BAV, Reg. lat. 846, E 11)192, de Gotha (Gotha, Staatsbibliothek Memb. I 84, S 83)193, de Modène (S 82)194, et de Berlin (Berlin, SBPK, Philipps 1736, E 16) pour lequel il n’a que la copie de Rose 195. Il n’a reçu du Vatican que la reproduction du manuscrit K 66, du xve siècle196. Il semble incroyable qu’une telle documentation n’ait pas été à sa disposition aux Monumenta, où elle avait forcément été rassemblée pour l’édition de Kram mer. Une partie de ce matériel a pu être transmis à B. Krusch, qui l’aurait gardé à son domicile personnel, mais de toute façon, la bibliothèque et les archives des Monumenta ont commencé à être mises à l’abri dès 1943 face à la multiplication des bombardements de Berlin, et n’étaient déjà plus consultables197. Pour autant, K. A. Eckhardt pensait terminer son édition de la Loi salique en décembre 1943198. Il ne pouvait donc s’appuyer que sur des reprises des éditions antérieures, dont la sienne, les travaux préparatoires de W. Levison et le stemma de la version A proposé par B. Krusch. Un premier jeu d’épreuves est imprimé le 7 février 1944 (Ill. 1.7)199 et corrigé par Eckhardt, mais les imprimeurs, Hahn puis Böhlau, font part de leurs difficultés en mai 1944200 et l’impression est bloquée en décembre 1944 faute de papier201.
185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201
München, MGH-Archiv, B 566, f. 2 et 6 et K 29, chemise 47. S 82 : Modena, Biblioteca capitolare O. I. 2. München, MGH-Archiv, B 566, f. 13. K 66 : Vatican, BAV, Reg. lat. 1036. München, MGH-Archiv, B 566, f. 2. Eckhardt a reçu les reproductions de ces manuscrits le 28 mars 1944 : München, MGH-Archiv, K 29, lettre du 28 mars 1944 de Marg. Kühn. München, MGH-Archiv, B 566, f. 1 et 7. Ibid. München, MGH-Archiv, B 556, f. 266. München, MGH-Archiv, B 566, f. 5 et 7. München, MGH-Archiv, B 566, f. 2. München, MGH-Archiv, B 566, f. 11. München, MGH-Archiv, B 566, f. 7. München, MGH-Archiv, B 566, f. 11. München, MGH-Archiv, B 567, f. 174. München, MGH-Archiv, B 566, f. 4v et f. 8. München, MGH-Archiv, K 29, chemise 47. München, MGH-Archiv, B 581, f. 250-251. Nehlsen, « Karl August Eckhardt », 1987, p. 515-516.
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Illustrations 1.7 : Épreuves de l’édition de la loi salique préparée par K. A. Eckhardt reçues le 7 février 1944 et conservées dans ses archives personnelles, München, MGH-Archiv, K 29.
Cette deuxième édition de la loi salique par Eckhardt semble de meilleure qualité que la précédente. Pour la première fois, semble-t-il, Eckhardt prend la mesure des difficultés d’une édition de la loi salique : il recherche ainsi un avis sur l’indiction de 768 qui précède la loi salique dans certains manuscrits202. Dans cette édition avortée, on trouve les deux versions de la loi salique en 65 titres, ici appelées A et B. En apparat critique sont présentés en parallèle les quatre manuscrits de la ver sion A d’un côté, (qui reprennent les sigles A 1, A 2, A 3 et A 4 qu’ils portent dans l’édition finale), de l’autre trois textes pour la version aujourd’hui appelée C, sous les sigles B 1 (aujourd’hui C 6, Paris, BnF, latin 18237) B 2 (aujourd’hui C 5, Pa ris, BnF, latin 4403B) et B 3 (édition de Johannes Herold en 1557). Le texte de chaque manuscrit est présenté en parallèle, de façon séparée du texte reconstitué, suivant une disposition qui fut reprise ensuite dans l’édition de 1962. Néanmoins, Eckhardt n’avait nullement progressé quant à la question des rapports entre les deux versions en 65 titres et se contentait de fournir en une présentation synoptique l’ensemble des variantes. De façon artificielle, le texte 202 München, MGH-Archiv, B 556, p. 266 et B 566, f. 7v. Les manuscrits comportant l’indiction de 768 sont Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 728 (K 20), Paris, BnF, latin 4626 (K 31), Paris, BnF, latin 10758 (K 33), ainsi qu’un des modèles de l’édition de Jean du Tillet.
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édité propose une introduction commune « Incipit pactus legis Salicae » mais ne comporte aucune mention de prologues, long ou court, ce qui évite bien d’épineux choix philologiques203. Dans la lignée du projet présenté en 1936, mis de côté face à la concurrence de l’édition de B. Krusch, K. A. Eckhardt a simplement procédé au camouflage de l’absence d’édition scientifique. Il a récupéré le travail de ses nombreux devan ciers204, notamment l’édition avortée de Krammer, et a réorganisé les transcrip tions ainsi récupérées. Pour la version A, il a mis les quatre manuscrits dans l’ordre défendu par B. Krusch. Pour sa version B (aujourd’hui appelée C), il a suivi le classement proposé par Krammer et a tenté d’obtenir une cohérence entre les deux versions en 65 titres en glissant comme représentant de la deuxième version l’édition de Johannes Herold comme reflétant un manuscrit B 3. La loi salique imprimée par Herold est en 80 chapitres, et reprend des éléments communs aux deux versions aujourd’hui appelées A et C, ainsi que des éléments qui lui sont propres. L’introduire en parallèle des manuscrits de la version C permettait de présenter plus de points communs entre les deux versions courtes de la Loi sa lique, mais ne résolvait pas la question de savoir comment expliquer le passage de l’une à l’autre version. C’était face à l’impossibilité de faire dériver l’une de l’autre que Mario Krammer avait choisi de présenter comme texte originel la version aujourd’hui appelée D, en cent titres, comme étant la base d’où avaient pu dériver, séparément, A et C. Bruno Krusch avait répliqué en cherchant à démontrer que D dérivait de A, et en posant l’hypothèse que C aurait été une version raccourcie de D, donc plus tardive. La présence de l’édition de Herold comme B 3 montre que la question des liens entre les versions les plus anciennes de la loi salique, A et C, n’avait pas été résolue par K. A. Eckhardt pour l’édition de 1944. D’une certaine façon, K. A. Eckhardt ne fut confronté à la difficulté réelle d’une édition scientifique de la Lex Salica qu’après 1949, lorsqu’une première version de son travail fut refusée. Auparavant, il a accumulé les détails sur la loi salique, mais sur une base faussée qui ne fut jamais remise en cause. S’il renonça ensuite à présenter l’édition de Herold comme le simple reflet d’un manuscrit de la version C, l’équivalence artificielle des versions A et C, supposées les plus anciennes et le refus systématique des chapitres au-delà du soixante-cinquième, considérés comme des ajouts postérieurs, pour défendre la primauté du manuscrit A 1 sur tous les autres, ne furent pas remis en cause jusqu’à l’édition de 1962 comprise. Cette édition de 1944 est un jalon éclairant de la façon dont a travaillé Eckhardt. Il était dans l’impossibilité de recourir aux manuscrits, sauf pour ceux qu’il avait pu entrevoir à Paris. Il ne se souciait que des passages où était copiée la loi salique en négligeant, comme les érudits de son temps, la question de la composition du recueil, mais aussi, ce qui est plus inattendu, les questions de 203 Le résumé des prologues en C 5 est imprimé et barré p. 12, voir illustration 6. 204 Par exemple Hubé, La loi salique dont le volume est rendu par Eckhardt après usage : München, MGH-Archiv, B 566, f. 9.
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datation des manuscrits ou de l’enchaînement précis des différentes parties du texte. Ainsi, l’ordre entre les manuscrits de la version C, qu’il appelait alors B 1 et B 2, reprenait celui proposé par Krammer et ne tenait pas compte de leur datation : -
-
B 1 (aujourd’hui C 6) : Paris, BnF, latin 18237. Que l’on considère que le manuscrit est un recueil original, ou qu’on distingue trois parties reliées en semble, comme le fait Hubert Mordek, la datation de la copie dans le 2e quart du ixe siècle ne change pas. La loi salique est copiée dans un ensemble sur deux colonnes, qui a comporté la législation de Louis le Pieux de 819/820205 ; B 2 (aujourd’hui C 5) : Paris, BnF, latin 4403B était considéré avoir été copié à la fin du viiie siècle206. Ces datations étaient celles proposées par l’édition de M. Krammer, qui pourtant plaçait aussi ce manuscrit en deuxième. W. Levison avait immédiatement proposé l’ordre inverse, en tenant compte des dates de copie des manuscrits (voir illustration 1.6).
K. A. Eckhardt ne pouvait s’appuyer que sur les travaux et éditions antérieurs et il était dans l’incapacité technique de pouvoir reprendre la question des stemma, qui n’avait pas été résolue par les échanges entre M. Krammer et B. Krusch. L’édi tion d’Eckhardt de 1934 suivait aveuglément l’opinion de ce dernier en 1935 en se fondant sur le manuscrit A 1, mais n’abordait pas la question des rapports avec les versions aujourd’hui appelées C et D. B. Krusch considérait que la deuxième version était D et que C en était issue. Dans son édition de 1944, K. A. Eckhardt proposait un autre système en associant la version de Herold à la version C, mais le matériel conservé ne permet pas de comprendre comment il expliquait les divergences entre les deux manuscrits C et l’édition de Herold, non plus que l’origine qu’il attribuait à cette nouvelle version. L’absence d’édition du prologue laisse à penser qu’il avait préféré contourner les difficultés en les passant sous silence. Les derniers échanges conservés dans la correspondance officielle des Monu menta de 1944 montrent les perturbations croissantes du courrier, associées à la pénurie de papier et de personnel, mobilisé au front. En 1954, K. A. Eckhardt ajoute à la liste de ces obstacles « une sévère maladie du typographe de confiance pour un manuscrit compliqué »207. Quoi qu’il en soit, la situation militaire empi rait pour le Reich et Eckhardt lui-même fut muté à la fin de 1944 de France dans le secteur du « Reichsführer SS » à Kamenz en Saxe : H. Himmler avait rassemblé autour de lui ses fidèles. Les descriptions de K. A. Eckhardt après-guerre insistent
205 Mordek, Bibliotheca, p. 612-616. La loi salique est dans la deuxième partie du manuscrit, où se trouvait, suivant le témoignage d’une feuille de papier insérée au xvie siècle, f. 96 bis, un passage des Capitula legibus addenda. 206 Cette datation est reprise par Mordek, Bibliotheca, p. 615, mais B. Bischoff a proposé par la suite une datation dans le premier tiers du ixe siècle, Bischoff, Katalog III, p. 94, no 4303. 207 Eckhardt, Pactus, I, 1, 1954, p. 8 : « eine schewere Erkrankung des mit dem komplizierten Manuskript vertrauten Setzers ».
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sur les événements qui l’auraient obligé à reprendre intégralement ce travail : perte des reproductions des manuscrits parisiens (mais il en possédait très peu), saisie en prison des brouillons de la version en cent titres208… Comme nous l’avons vu, cette édition de 1944 apportait peu par rapport aux éditions précédentes car elle reposait sur celles-ci, et non sur les dix-sept manuscrits invoqués209, sans résoudre les problèmes philologiques des rapports entre les différentes versions de la Loi salique. La nouvelle édition lancée en 1953 montre une très nette amélioration, car pour la première fois, K. A. Eckhardt y propose une interprétation cohérente de l’articulation de l’ensemble des versions de la loi salique.
Les éditions de l’après-guerre L’exclusion du système universitaire allemand
À la fin de la guerre, K. A. Eckhardt fut emprisonné pendant deux ans sous autorité franco-américaine, puis passa devant un jury de dénazification britan nique. Le verdict le considère comme un collaborateur du régime nazi, « Mitlaü fer », mais ne lui interdit pas de reprendre l’enseignement ou la recherche210. Ce jugement indulgent reflète le camouflage de ses périodes de proximité avec H. Himmler, mais aussi sa chance de subir un jugement précoce. Dans un premier temps, les Britanniques ne retenaient que les critères formels d’appartenance aux organisations nazies, et la réalité de l’influence de l’accusé leur échappa probable ment211. Depuis 1943, K. A. Eckhardt était devenu, de fait, directeur de la section Leges des MGH, mais sa position ne semble avoir été obtenue que de façon informelle auprès du président Theodor Mayer212. Le précédent directeur, E. Heymann, avait brusquement quitté Berlin et ses fonctions face aux bombardements, et s’il avait toujours été favorable à ce que K. A. Eckhardt fût son successeur, suivant ce qui était prévu depuis des années, rien ne fut officiellement organisé213. Si K. A. Eckhardt a ensuite préparé une édition de la Lex salica pour célébrer le jubilé des MGH et, sans doute, prendre sa revanche sur l’humiliation de 1935, il l’a fait en secret. Il se déclarait « superstitieux » auprès de Mayer, lui demandait de garder une correspondance non officielle pour éviter de laisser des traces pour un
208 209 210 211 212 213
Ibid. Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 523. Schneider, Die SS, p. 215-216. Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 521. Schneider, Die SS, p. 234. München, MGH-Archiv, B 566, f. 3, lettre de Theodor Mayer du 27 octobre 1943. München, MGH-Archiv, B 566, f. 5 ; B 567, f. 174 et 177.
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nouvel Harry Bresslau214. Il se gardait ainsi la possibilité d’un triomphe surprise, ne laissant pas à ses rivaux nazis le temps d’organiser une contre-attaque, mais aussi, à mesure que s’enchainèrent les défaites militaires de l’Axe entre l’automne 1943 et l’été 1944, celle d’un abandon discret de ces activités et d’un repli sur son activité officielle antérieure à sa mobilisation : professeur à l’université de Bonn. Le plaidoyer qu’il écrivit pour les autorités britanniques d’après-guerre, qui est conservé dans son « Nachlaß »215, insiste justement sur son éviction des cercles du pouvoir berlinois après 1937 et sur sa nécrologie laudative de Max Pappenheim. Il met en avant le fait qu’il aurait aidé vingt juifs à partir entre 1933 et 1936, c’est-à-dire à une époque où l’exil des juifs était soutenu par les autorités nazies. Il n’évoque pas d’activité ni de responsabilité particulières au sein de la mission SS « das Ahnenerbe » comme dans le « Reischsinstitut » des Monumenta, ni de lien privilégié avec Heinrich Himmler. Les Alliés n’ont pas saisi la réalité du pouvoir exercé par K. A. Eckhardt, qui a peut-être joué un rôle décisif au sein du ministère dans le choix des professeurs des universités. Comme nous l’avons vu plus haut, il était membre du SD des SS et travaillait comme agent de liaison entre le ministère et l’entourage de Himmler jusqu’en 1937. W. Engel, recruté par lui comme son auxiliaire au « Wissenschafts ministerium », qui le remplaça après 1937, le décrivait en 1959 comme « le fer de lance des SS au ministère, qui contrairement à de nombreux jeunes gens, était aussi un scientifique de haut rang pour lequel l’activité au sien du ministère était une question de pouvoir »216. Or le ministère avait récupéré, depuis l’arrivée au pouvoir de Hitler, la compétence de l’enseignement supérieur autrefois exercée par les « Länder ». Les nominations dans les universités se faisaient à partir d’une liste de trois noms qu’elles proposaient au choix du ministère. K. A. Eckhardt, par sa proximité avec Himmler, était à même d’influencer directement les choix, car le ministre Bernhard Rust, nommé par Hitler en raison de leurs liens personnels, s’intéressait surtout au secondaire et laissait les questions touchant la science et l’enseignement supérieur à ses subordonnés217. Sans en avoir la position officielle, K. A. Eckhardt exerçait, de fait, une autorité sur l’ensemble des universitaires allemands, de 1935 à 1937, en contrôlant les différentes nominations. Eckhardt fut donc condamné pour ses convictions nazies, qu’il ne nia pas, et aurait pu retrouver une chaire à l’université, comme de nombreux médiévistes. Pourtant, aucune université ne souhaita l’embaucher après-guerre, comme ce
214 München, MGH-Archiv, B 566, f. 12. Il s’agit du médiéviste juif allemand qui célébra les cent ans des Monumenta en écrivant une histoire de la société : Bresslau, Geschichte. Fuhrmann, « Sind », p. 104-108. 215 München, MGH-Archiv, K 25 : « Schlußwort des Angeklagten », deux pages. 216 Schneider, Die SS, p. 219 : « Exponent der SS im Ministerium, der aber im Unterschied zu vielen jungen Leuten ein Wissenschaftler von Rang gewesen sei, für den die Tätigkeit im Ministerium jedoch eine Machtfrage war ». 217 Ibid., p. 220-225. Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 503 et suivantes.
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fut le cas de l’ancien président des Monumenta, Theodor Mayer218. Dans un cas comme dans l’autre, il semble que leurs collègues aient utilisé le désir de rupture avec le iiie Reich pour se débarrasser d’un collègue peu apprécié, tout en s’en présentant comme moralement supérieurs, car moins compromis avec le régime précédent. Dans un système universitaire où beaucoup de chaires restaient occu pées par des chercheurs caractérisés par leurs bonnes relations avec les dirigeants nazis219, ne pas recruter K. A. Eckhardt pouvait représenter une simple mesure de prudence, pour éviter d’attirer l’attention sur ses anciennes accointances. Mais il n’est pas exclu que, comme le croyait l’interessé, il y ait eu dans ce choix une part de vengeance contre celui qui avait été à la fois aussi renommé et aussi puissant. Celui-ci ressentait une grande amertume pour sa mise à l’écart de l’enseignement supérieur, qui était le fait de ses compatriotes allemands et non des vainqueurs de la guerre. La lettre envoyée par K. A. Eckhardt au professeur Gernot Reinitzer en 1954220, en lien avec les « Kirchenfreier » de Graz, permet de constater l’absence d’évolution dans ses convictions nazies. À la question de la réimpression de ses travaux édités entre 1937 et 1943, comme l’Éternité terrestre ou L’image de la guerre dans la pensée germanique221, il répond qu’il lui faudrait les reprendre car il va plus loin dans ses réflexions, mais que cela n’en vaut pas la peine en absence d’éditeur. Il précisait en 1948 : « Je ne suis pas un opposant au christianisme, mais plutôt de sa forme paulinienne qui domine aujourd’hui »222, en accord avec les positions défendues par Adolf Hitler, qui attribuait au juif Paul la corruption du message du Christ223. Il renvoie encore en 1954 à un article sur la non-ascendance juive de Jésus qu’il avait publié en 1943 et qu’il est prêt à communiquer à son correspondant. Il n’y avait chez lui aucune remise en cause de ses convictions nazies sur la perversion du christianisme par Paul, non plus que sur la destinée mystique de la race germanique. Après-guerre, K. A. Eckhardt n’a donc aucune vision critique de son engage ment passé et vit sa mise à l’écart de la vie savante comme une injustice organisée par « le cartel des inférieurs »224 qui prennent leur revanche sur celui qui fut
218 Goetz, « La recherche allemande ». Nagel, Im Schatten, p. 166-177. 219 Oexle, « “Zusammenarbeit” », Historische Anthropologie 8, 2000, p. 1-27. Nagel, Im Schatten, 2005, p. 92-155. 220 München, MGH-Archiv, K 29, lettre d’Eckhardt du 12 septembre 1954 au professeur Gernot Reinitzer de Graz. 221 « Irdische Unsterblichkeit », « Das Bild des Krieges im germanischen Denken ». 222 München, MGH-Archiv, K 25, lettre d’Eckhardt du 17 décembre 1948, verso : « Ich bin kein Gegner des Christentums sondern höchstens seiner heute herrschenden paulinischen Form ». 223 Chapoutot, Le national-socialisme, p. 379-385. 224 München, MGH-Archiv, K 25, lettre d’Eckhardt du 17 décembre 1948, recto : « der Ring der Minderwertigen ».
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professeur à l’université si jeune. Ses travaux d’histoire locale225 et ses éditions des textes juridiques du Moyen Âge lui permirent de démontrer sa valeur scientifique, mais n’entrainèrent pas sa réintégration dans les Monumenta. L’édition de 1953-1957
Les Monumenta furent réorganisés en 1948, sans K. A. Eckhardt226, et cette mise à l’écart entraîna sa recherche d’une autre collection pour son édition de la loi salique. Dans sa lettre à F. Rörig en novembre 1949, il insiste sur la poursuite acharnée de son travail pendant la guerre et la captivité227, mais il avait récupéré si peu de matériel en 1944 que cela semble bien rhétorique. Il n’avait probablement en main, à l’époque, que les épreuves de l’édition bâclée de 1944 et commençait tout juste à pouvoir retravailler à partir des reproductions qu’il venait de recevoir. Son introduction de 1954 déplore des pertes pendant la guerre, mais affirme elle aussi : « Fin 1948, l’édition complète était de nouveau prête à être imprimée228 ». Une édition établie sur les schémas antérieurs, après la consultation de quelquesuns des manuscrits de la Lex Salica conservés à la Bibliothèque nationale de Paris lui aurait donc parue satisfaisante. La publication de l’édition de nombreux textes du haut Moyen Âge, qu’il entreprit tout d’abord seul, à partir de 1950, manifeste la continuité de ses convic tions nazies et son désir de conserver un rôle scientifique. La collection porte le titre de « Germanenrechte Neue Folge. Westgermanisches Recht », sous la direction d’un évanescent « Historisches Institut des Werralandes » qu’il a fondé lui-même. L’intitulé de l’entreprise éditoriale la place dans la continuité de ses productions scientifiques antérieures puisque la série des « Germanenrechte » a commencé en 1934 chez le même éditeur229 et que la numérotation des volumes est continue, de 1939 à 1949. La présentation restait la même, seules avaient disparues l’invocation de l’autorité de Hans Frank ou la citation de Heinrich Himmler. Les premiers volumes rappellent les volumes précédents, ainsi que tous les morts à compter parmi les participants de la série « Germanenrechte » et du « Deutschrechtliches Institut » de Bonn. Dans la volonté de K. A. Eckhardt de poursuivre ainsi le travail éditorial d’avant-guerre, il ne faut probablement pas négliger l’aspect pratique. Conformé ment à ses convictions sur la nécessité de sauver la race germanique, il eut de nombreux enfants qui restaient encore à sa charge. Il avait eu cinq enfants de
225 Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 521. 226 Nagel, Im Schatten, 2005, p. 211-213. 227 München, MGH-Archiv, B 566, K 29, lettre d’Eckhardt du 18 novembre 1949 à F. Rörig. Sur son rôle, et celui de H. Mitteis dans la réorganisation des Monumenta, Baethgen, « Nekrolog », DA 10, 1953, p. 311. 228 Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 8 : « Ende 1948 war die Gesamtausgabe erneut druckfertig ». 229 Avec Eckhardt, vol. 2 Die Gesetze des Karolingerreiches, 714-911, Weimar, 1934 ; vol. 1 Die Gesetze des Merowingerreiches 481-714, Weimar, 1935.
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son premier mariage, entre 1925 et 1937, et sa deuxième femme, la fille de son collègue K. Rauch qu’il épousa en 1938, lui donna à son tour trois enfants230. Père de huit enfants dans l’Allemagne d’après-guerre, ne recevant qu’une pension comme ancien combattant blessé au combat, il avait très certainement besoin d’argent et ses publications visaient aussi à lui assurer un revenu. Après avoir fait imprimer les travaux d’autrui, il se lance dans une publication d’une édition des différentes versions de la loi salique. Vient tout d’abord en 1953 une Lex Salica. 100 Titel-Text231, soit les versions D et E de la Loi Salique, avec en parallèle le texte latin et une traduction en allemand. L’année suivante paraît chez un autre éditeur, un volume I intitulé Pactus legis salicae I. Einführung und 80 Titel-Text232 qui comporte une longue introduction (238 p.) sur les différentes familles de texte, une réimpression de l’édition par Johannes Herold de 1557 et un synopsis avec les version A-C et K qui n’y sont pas imprimées. L’édition de la première partie des versions A et C, avec une traduction en allemand, a lieu dans un volume intitulé II 1 l’année suivante233. Puis en 1956 vient un volume II 2 Kapitularien und 70 Titel-Text234, dans lequel il faut reconnaître la suite des textes des versions A et C, avec une traduction en allemand, ainsi que la version K, carolingienne de la loi salique, sans traduction cette fois. L’ensemble est complété en 1957 par un volume intitulé I 2 Systematischer Text235 qui propose une édition de la version S, sans traduction, ainsi que l’édition et la traduction d’un fragment dit italien de la Loi salique. L’ensemble ainsi construit représente un cauchemar de bibliothécaire, avec ses numérotations variables – comme le premier volume paru, après coup intitulé volume 3 – ses impressions dans le désordre et ses titres que seul l’initié peut interpréter. Il n’en constitue pas moins la première tentative aboutie d’une édition complète de la loi salique au xxe siècle. Les comptes rendus furent en général élogieux. R. Buchner reconnaissait, à partir des deux premiers volumes que « la méthode d’établissement du texte et les résultats d’une importance inattendue obtenus par elle sont quasi incontestables »236, même s’il était plus réservé sur les hypothèses de datation des différentes versions. En 1987, H. Nehlsen considérait qu’il s’agissait d’un véritable « miracle »237. Néanmoins, P. C. Boeren a bien relevé que le travail ne reposait que sur cinq manuscrits sur les neuf concernés pour les versions D et E et que, pour le premier volume, l’éditeur n’a pas consulté
230 Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 523. 231 Eckhardt, Lex Salica. 100 Titel-Text, Weimar, 1953. L’éditeur est Hermann Böhlaus Nachfolger. 232 Eckhardt, Pactus Legis Salicae I, 1 Einführung und 80 Titel, Göttingen, 1954. L’éditeur est désor mais Musterchmidt. 233 Eckhardt, Pactus Legis Salicae II, 1 65 Titel-Text, Göttingen, 1955. 234 Eckhardt, Pactus Legis Salicae II, 2 Kapitularien und 70-Titel-Text, Göttingen, 1956. 235 Eckhardt, Pactus Legis Salicae I, 2 Systematischer Text, Göttingen, 1957. La numérotation des pages prend la suite du volume de 1954. 236 Buchner, « Besprechung ». 237 Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 523-524.
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en original son manuscrit de base, D 9238. Il affirme en conséquence : « On doit dire en général que toute base de fiabilité paléographique et codicologique manque239 ». L’ouvrage connut néanmoins une très bonne réception et son suc cès permit à K. A. Eckhardt de publier de nouveau son travail dans la prestigieuse collection des Monumenta Germaniae Historica. La première présentation de son travail d’édition par K. A. Eckhardt est fort modeste. À la fin du volume publié en 1956, il ajoute une « Précision bibliogra phique » : Certes, l’édition critique du Pactus legis Salicae et de la Lex Salica qui se termine ici dépasse à maints égards, je l’espère, les éditions existantes, mais elle ne peut néanmoins pas complètement les remplacer, en raison des diverses restrictions qui me furent imposées pour des raisons financières. Comme l’aide à la correction, que ma femme, mes enfants et un neveu m’ont fournie tour à tour, ne repose constamment que sur une comparaison de la phrase ou de la mise en page avec mes notes manuscrites, mais ne remonte jamais jusqu’aux manuscrits, les déductions scientifiques, mais aussi la fiabilité textuelle de plus de mille deux cents pages imprimées ne reposent en définitive que sur mes deux yeux. J’ai consacré à l’édition, pour produire un texte de la loi salique irréprochable, plusieurs années de ma vie, mais tout le temps et tous les efforts fournis ne peuvent empêcher que, de temps en temps, ma capacité de concentration ait fléchi, ni que l’un des typographes, qui changeaient sans cesse, puisse m’avoir joué un tour qui n’aurait pas été remarqué à la révision, ni qu’un imprimeur puisse encore avoir changé le format d’impression après mon Imprimatur240. Il poursuit en renvoyant pour vérification à l’édition de Hessels pour le texte, de Kern et van Helten pour les gloses, de Geffcken pour la version en vieil haut allemand.
238 D 9 : Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 731. Boeren, « Rezension ». 239 Ibid., p. 275 : « Im allgemein muß gesagt werden, daß jeder Ansatz zur paläographischen und kodikologischen Verantwortung fehlt ». 240 Eckhardt : « Die hiermit abgeschlossene kritische Studienausgabe des Pactus legis Salicae und der Lex Salica führt zwar, wie ich hoffe, in vielfacher Hinsicht über die bisherigen Ausgaben hinaus, kann sie jedoch, da ich mir aus finanziellen Gründen mannigfache Beschränkungen auferlegen mußte, nicht voll ersetzen. Da sich die Korrekturhilfe, die mir meine Frau, meine Kinder und ein Neffe abwechselnd geleistet haben, stets nur auf ein Vergleichen des Satzes oder des Umbruchs mit meinen Manuskripten bezog, jedoch nirgends auf die Handschriften zurückgriff, stehen nicht nur die wissenschaftlichen Ergebnisse, sondern auch die textliche Zuverlässigkeit der mehr als zwölfhundert Druckseiten letztlich allein auf meinen zwei Augen. Ich habe der Ausgabe, einen einwandfreien Text der salischen Gesetzte herzustellen, viele Jahre meines Lebens gewidmet ; aber alle Opfer an Zeit und Kraft können nicht verhindern, daß gelegentlich meine Konzentrationsfähigkeit versagt haben wird oder mit einer der ständig wechselnden Setzer einen bei der Revision nicht bemerkten Streich gespielt, ein Drucker noch nach meinem Imprimatur den Satzspiegel verändert hat », Pactus II, 2, 1956, p. 612.
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Cette présentation extrêmement prudente insiste sur les difficultés matérielles rencontrées par un chercheur isolé et sans moyen. Mais qu’est donc cette édition, qui ne prétend pas régler les questions d’établissement du texte ? Et pourquoi présenter ensuite avec fierté une liste des éditions antérieures rassemblées dans sa bibliothèque241 ? Le travail ici présenté ne serait donc qu’une compilation, établie, dans les conditions difficiles de l’après-guerre en Allemagne, par un savant solitaire, ne disposant que de sa bibliothèque personnelle et de l’aide de sa famille ? Pour les éditions des années 1950, Eckhardt bénéficiait de reproductions reçues en 1949 des bibliothèques de Paris, Montpellier, Saint-Gall, Wolfenbüttel, Göttingen et Bonn242. Mais ses moyens étaient très limités et il se refusait à des déplacements importants pour consulter des manuscrits : en 1948, alors qu’il était à Bad Godesberg, il n’envisageait pas de se rendre plus loin que Bonn243. Quant aux reproductions, il ne veut que celles des passages reproduisant la loi salique, et uniquement dans les versions supposées les plus anciennes. Il explique par exemple clairement dans sa correspondance qu’il n’a pas les moyens de payer des reproductions des quatre manuscrits de la version K de Wolfenbüttel et se contentera des descriptions du catalogue244. La modestie des moyens déployés semble justifier la remarque finale de K. A. Eckhardt : Pour une nouvelle mise en œuvre des problèmes de critique du texte en tant que tels, il faudrait naturellement reprendre à nouveau les manuscrits et l’ensemble des éditions qui reposent sur des manuscrits245. Il n’est pas impossible, à partir de sa remarque finale, de considérer que K. A. Eckhardt reconnaît que l’ensemble de son édition de la Loi Salique, publiée en différents volumes, ne repose que les éditions antérieures et qu’il considère comme nécessaire un retour aux manuscrits pour effectuer une vraie édition scientifique. Le premier volume comporte ainsi des points d’interrogation dans l’apparat critique qui reflètent son impossibilité à le préciser : c’est le cas pour les
241 Ibid. : depuis Tilius ( Jean du Tillet, qu’il date vers 1550), Herold (1557), Lindenbruch (1613), Baluze (1677), J. G. von Eckhart (1720), Georgisch (1738), Wiarda (1808), F. Walter (1824), E. A. Feuerbach (1831), Laspeyres (1833), Pardessus (1843), Waitz (1846), Merkel (1850), Hubé (1867), J. Fr. Behrend (1874), Clement (1876), Holder (1879/80), Hessels (1880), R. Behrend (1897), Geffcken (1898), K. A. Eckhardt (1934/5), H. F. W. D. Fischer (1948), Masahata Kubo (1953). 242 München, MGH-Archiv, K 29, ch. 47, lettre d’Eckhardt du 7 mars 1947 à la BSB de Munich. 243 München, MGH-Archiv, K 29, lettre d’Eckhardt du 17 décembre 1948 au professeur Opper mann de Wolfenbüttel. 244 Ibid. 245 Ibid. : « Für eine abermalige Inangriffnahme der textkritischen Probleme als solcher wären natürlich die Handschriften und sämtliche auf Handschriften zurückgreifende Ausgaben erneut heranzuziehen ».
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manuscrits E 14246 et E 15247, pour lesquels il se contente de proposer de possibles variantes. Certes, l’éditeur jouait sur les difficultés de l’après-guerre, où il pouvait être encore difficile de récupérer les reproductions de manuscrits de Saint-Gall et de Paris. Mais sur le plan philologique, on constate l’aberration que comportait déjà la tentative d’édition de 1944 : l’éditeur dispose d’un stemma codicum déjà établi, et reconstitue à partir de celui-ci le contenu des manuscrits ! En 1947, Simon Stein défendit l’idée que la loi salique serait une forgerie fa briquée à l’époque d’Hincmar248. Cette attaque malencontreuse, assez facilement réfutée à l’aide des manuscrits de la Loi salique que l’on peut dater de l’époque de Charlemagne, entraîna un intérêt renouvelé249. Elle fournit à K. A. Eckhardt l’occasion de son retour dans les publications académiques, pour l’académie des sciences de Göttingen250. Elle a sans doute relancé son projet d’une publication de la loi salique mais aussi l’attente de la communauté scientifique, à laquelle répondit aussi R. Schmidt-Wiegand251. Bien qu’ils aient été publiés en dehors de tout cadre universitaire, les travaux d’Eckhardt ont rencontré un large écho et ont fait l’objet de commentaires approfondis. Le collaborateur extérieur des Monumenta
Herbert Grundmann, spécialiste de la fin du Moyen Âge, n’hésitait pas, dans les années 1930, à tracer des parallèles entre l’extension orientale du Saint-Empire et les actions de la Wehrmacht dans une zone qui devait relever, pour lui, d’une autorité allemande252. Mais son soutien assez discret du régime nazi lui permit de prendre des responsabilités après-guerre, et notamment de devenir président des Monumenta en 1958. Il fit les démarches auprès d’Eckhardt pour obtenir qu’il fournisse aux Monumenta une édition de la loi salique, dont le contrat est établi en 1960253. Ce projet permet à K. A. Eckhardt de disposer de moyens financiers plus importants et il fait notamment acheter les reproductions des manuscrits qui lui manquaient. Mais son intérêt est toujours limité aux manuscrits des versions A, C, D et E et aux folios comportant la Loi salique. Il complète ainsi son édition de la
246 E 14 : Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 729. Interrogations p. 155, 165, 175, 177, 181, 183, 187, 191, 201, 203, 205, 207, 209, 211, 217, 219, 221, 229, 237, 239 dans Eckhardt, Lex salica. 100 Titel-Text, Weimar, 1953. 247 E 15 : Paris, BnF, latin 4629. Interrogations p. 145, 149, 167, 175, 177, 183, 187, 191, 197, 201, 203, 205, 209, 211, 217, 219, 229, 235, 237, 239, 243, 247, 255 dans Eckhardt, Lex salica. 100 Titel-Text, Weimar, 1953. 248 Stein, « Lex Salica I » et « Lex Salica II ». Voir Ubl, Sinnstiftungen, p. 12-18. 249 Voir les travaux cités par Schmidt-Wiegand, « Untersuchungen », p. 1-2. 250 Eckhardt « Zur Entstehungszeit ». 251 Schmidt-Wiegand, « Untersuchungen ». 252 Nagel, Im Schatten. 253 Nehlsen, « Karl August Eckhardt », p. 526.
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version E grâce aux reproductions des manuscrits de Varsovie et de Berlin254. Pour autant, les erreurs de transcription de l’édition de 1953 sur le prologue long dans E 16 n’ont pas été corrigées. Le « Nachlaß » de K. A. Eckhardt permet de voir dans quelles conditions il a travaillé. Il n’avait visiblement pas de lecteur de micro film à disposition et faisait systématiquement tirer des photos des microfilms en noir et blanc qu’il recevait. Les reproductions étaient tirées sur un format type carte postale et la lecture des petits caractères pouvait y être très délicate. Mais les reproductions du manuscrit E 16 ainsi obtenues restaient très lisibles grâce à la qualité initiale de la copie manuscrite. Il était donc tout à fait possible à K. A. Eckhardt de corriger son travail de 1953 et cela montre l’absence de rigueur dans la reprise de son travail antérieur, lui-même partiellement une reprise des travaux d’avant-guerre. Outre l’acquisition de reproductions complémentaires, K. A. Eckhardt n’a consulté que deux nouveaux manuscrits en original, celui de Wolfenbüttel et celui de Bonn255. Alors qu’il avait immédiatement intégré la copie moderne, découverte par P. C. Boeren, du prologue d’un manuscrit de la classe C, en 1955256, il n’en tient toujours aucun compte pour son édition du prologue long, en 1969. Son travail a en revanche progressé pour les manuscrits conservés en France et en Italie, grâce au travail de son fils, Wilhelm Alfred Eckhardt qui fit le voyage en 1957257. Ce dernier a fourni des transcriptions très scrupuleuses de manuscrits de la loi salique et est probablement responsable de la qualité du travail sur les manuscrits du Vatican, que j’ai constatée de nombreuses fois. L’édition partielle de la version K, insérée dans le premier volume imprimé en 1962, a ainsi été améliorée depuis les versions de 1934 et de 1956. Dans sa préface de 1962, K. A. Eckhardt se borne à remercier tous ceux qui l’ont aidé dans l’établissement de cette édition, dont plus aucune limite technique n’est évoquée. Il reconnaît le rôle initial de Theodor Mayer, puis l’importance de Herbert Grundmann, sans s’étendre sur les autres péripéties de cette édition. En revanche, pour le deuxième volume paru en 1969, Eckhardt rappelle la ten tative interrompue en 1944 et glisse avec amertume en conclusion qu’il s’agit du 150e anniversaire des Monumenta, auxquels il n’appartient plus258. À cette occasion, l’éditeur prend quelques libertés avec la chronologie. Comme dernier « Monumentiste » à avoir travaillé à une édition de la Loi salique, il cite Wilhelm Levison : ce dernier [y travaillait] encore à l’époque où j’avais été nommé, sur la proposition de Paul Kehr, Président de ce qui était alors appelé le 254 München, MGH-Archiv, K 29, chemise 47, lettre du 12 juin 1962 et Eckhardt, Lex salica, 1969, p. I. E 13 : Warsawa, Biblioteka Uniwersytecka, 1. E 16, Berlin, SBPK, PhIll. 1736. 255 A 2 : Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. K 65 : Bonn, Universitäts- und Landesbibliothek, S 402. Voir Eckhardt, Pactus, 1962, p. XIV et XXIV. 256 München, MGH-Archiv, K 28, chemise 46. Eckhardt, Pactus II, 1, 1955, p. 26 et suivantes. 257 München, MGH-Archiv, K 48. 258 Eckhardt, Lex salica, 1969, p. I.
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« Reichsintitut für ältere deutsche Geschichtskunde ». C’est seulement le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale qui entraina la rupture des relations des Monumenta avec Levison et le fait que je prenne sa place comme éditeur de la Lex Salica259. La reconstruction du passé a fait disparaître les rivalités réelles de la période. K. A. Eckhardt fut bien brièvement président du « Reichsintitut » en avril 1935, mais à l’époque, c’était Bruno Krusch qui travaillait à l’édition de la Loi salique, et Wilhelm Levison ne collaborait plus avec ce dernier que sur la reprise de l’édition des Histoires de Grégoire de Tours. Wilhelm Levison ne quitta pas Berlin et les Monumenta à cause de la seconde guerre mondiale, mais parce qu’il était juif, avant le déclenchement des hostilités. Ses relations ne furent pas totalement rompues, dans son esprit, avec les Monumenta, puisqu’il continua à travailler à la préface pour l’édition de Grégoire de Tours. La désignation de Karl August Eckhardt comme éditeur de la Loi Salique pour les Monumenta est un choix de Theodor Mayer, alors leur président, visiblement volontairement oublié dans ce résumé. Il le fit en 1943, alors qu’il était encore possible que Wilhelm Levison, ou un autre, reprenne le travail manuscrit de Bruno Krusch. Il fit ce choix probablement par antisémitisme260, mais aussi pour mettre en valeur le savant SS et l’introniser triomphalement comme directeur de la section des Leges, deux buts qui ne furent pas atteints en raison des perturbations croissantes en Allemagne en 1944. Pourquoi ne pas mentionner Theodor Mayer en 1969 ? Peut-être par jalousie. Si Eckhardt et lui avaient tous deux été pareillement exclus du système universi taire après 1945, Th. Mayer continua à publier auprès de revues prestigieuses et exerça, à travers le « Konstanzer Arbeitskreis », une influence profonde sur la nouvelle génération de médiévistes allemands261. Il fut invité par H. Grundmann, aux cérémonies du Jubilé des 150 ans des Monumenta262, ce qui marquait, même s’il ne souhaita pas s’y rendre, la reconnaissance de son activité passée en leur sein. Au contraire, K. A. Eckhardt restait réduit à un rôle de collaborateur extérieur, malgré sa triomphale publication de l’édition de la Loi salique.
Conclusion K. A. Eckhardt n’a cessé de se préoccuper de l’édition de la loi salique entre 1934 et 1969 et a travaillé de façon continuelle, sans jamais remettre en cause 259 Ibid. : « der Letzere noch zu der Zeit, als ich auf Vorschlag Paul Kehrs zum Präsidenten des nunmehr so genannten Reichsinstituts für ältere deutsche Geschichtskunde berufen war. Erst der Ausbruch des zweiten Weltkriegs ließ die Beziehungen der Monumenta zu Levison abreißen und mich als Salica-Editor an seine Stelle treten ». 260 Nagel, Im Schatten, p. 160. 261 Nagel, Im Schatten, p. 156-187. 262 Ibid., p. 226.
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ses choix initiaux, ni changer de conviction ou de méthode. Il est ainsi passé par glissement successif d’un travail destiné au grand public, accompagnant la propagande nazie sur la réforme du droit allemand à une édition scientifique de référence, dont l’excellence philologique était supposée par tous. S’il y eut vraiment un saut qualitatif entre l’édition avortée de 1944 et celle de 1953-1957, c’est uniquement dans la réflexion théorique permettant de justifier une édition fondue entre les versions les plus courtes, désormais appelées A et C, considérées comme les éditions les plus anciennes et philologiquement liées par une version B intermédiaire dont témoignerait l’édition de Johannes Herold. Mais si les justifications étaient nouvelles, le résultat était figé depuis 1934 : il conciliait la version A, la seule qui n’aurait pas été abâtardie par la religion chrétienne, avec le petit prologue qui n’apparaît que pour la version C et propose une législation du peuple pour le peuple, en dehors de l’autorité royale. La force mystique de la race germanique et l’importance du sang contre les perversions apportées par le christianisme et les races inférieures n’étaient évoquées que pour l’édition de 1934, mais les éditions postérieures conservèrent implicitement une telle approche, en considérant le texte juridique ainsi reconstitué comme le seul digne d’intérêt. Passionné par la recherche de l’Urtext germanique, K. A. Eckhardt s’est peu intéressé aux versions D et E, désormais disqualifiées comme secondaires et séparées des versions primitives. Quant à la version K, elle n’apparaît qu’en annexe, pour aider à comprendre la version ancienne, A et C réunifiées sous le nom de Pactus. Il ne montra pas d’intérêt pour la loi salique au ixe siècle dans sa réalité manuscrite, car elle était seulement une voie d’accès, difficile, au passé germanique pur de toute influence extérieure. En conséquence, les manuscrits n’ont pas été la base de la réflexion de K. A. Eckhardt. En 1927, il avait commencé ses travaux sur la loi salique en réfléchissant uniquement à partir des autres textes juridiques édités des peuples de langue germanique. En 1934-1935, il fournit une édition et une traduction de la Loi salique sans avoir vu aucun manuscrit. En 1944, il avait pu consulter les manuscrits de la Bibliothèque nationale à Paris, mais uniquement pour retenir quelques variantes du texte, qu’il a relevées de façon erratique et sans jamais s’intéresser ni à la logique des recueils manuscrits, ni même à leur datation, ce qui fait qu’il mettait sur le même plan des manuscrits datés du xiie siècle, comme K 65, et des manus crits datés de la fin du viiie siècle, comme C 5263. Pour sa dernière édition, il avait enfin des moyens conséquents mais s’est limité à la correction de quelques détails, sans changer l’architecture générale ni procéder à une vérification systématique. K. A. Eckhardt a indéniablement opéré une synthèse habile des travaux précé dents. Il a tiré tout le profit possible des travaux de Krammer, Krusch, Levison et Boeren, mais sans jamais remettre en cause son classement a priori. Les nouveaux manuscrits, comme C 6a264, furent intégrés dans un classement tout fait entre les 263 K 65 : Bonn, Universitäts- und Landesbibliothek, S 402. C 5 : Paris, Bnf, latin 4403B. Voir leur présentation en parallèle, Eckhardt, Pactus, 1962, p. 3. 264 C 6a : Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005.
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différentes versions, où chaque manuscrit était découpé en textes correspondant à celles-ci : ainsi A 1, C 6 et C 6a deviennent D 1, D 6 et D 6a quand ils comportent le prologue long car K. A. Eckhardt l’associe uniquement à la version D. Les chapitres complémentaires au-delà des 65 jugés authentiques sont édités à part, dans le désordre. Les problèmes posés par les chapitres qui ne rentrent pas dans la classification sont camouflés dans les découpages de la publication, comme dans le cas du chapitre II du manuscrit K 17, que le lecteur découvre à la fin de la publication des versions A et C, comme s’il était un complément de la version A, qui aurait été inséré par hasard dans une version K265. L’éditeur de la loi salique n’était pas le seul chercheur du xxe siècle à avoir une telle approche des manuscrits, limitée à la recherche et à la recréation de l’« Urtext ». Mais la fragmentation de son travail en rend la perception plus difficile. Les éditions de 1953-1957 en plusieurs volumes ne comportent pas de description des manuscrits utilisés266. Celle-ci apparaît de manière fugace dans l’introduction de 1962, mais cette dernière édition ne comporte quant à elle au cune justification de l’articulation entre les différentes versions et du rôle supposé de l’édition de Johannes Herold. Si la formation de cet ensemble hybride fut le fruit des circonstances, il aboutit à la dissimulation efficace de l’aspect superficiel du travail philologique et de ses fondations viciées, à la recherche de l’inspiration pure de la race germanique supérieure. Au xxie siècle, l’approche commune de la loi salique par les chercheurs repose donc sur un leurre : une édition de la loi salique faussement scientifique, qui camoufle les difficultés posées par la variété de la tradition manuscrite, qui rendent impossible sa réduction à la reproduction mécanique d’erreurs par des co pistes distraits. Nous allons tout d’abord tenter de démontrer que les explications proposées par Eckhardt ne tiennent pas et présenter les versions des manuscrits A et C sous un autre aspect que le reflet passif d’un texte originel, indépendant des autres traditions législatives et des tensions entre les élites du monde franc, avant de nous intéresser à la réalité manuscrite de la loi salique au ixe siècle.
265 K 17 : Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss Q. 119, reproduit dans K. A. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 239-240. 266 Sauf ceux des versions D et E, dans K. A. Eckhardt, Lex salica 100. Titel-Text, Weimar, 1953, p. 10-13.
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L’absence de manuscrits mérovingiens
L’impasse des déductions philologiques Les travaux de B. Krusch
L’échec retentissant de l’édition de la loi salique en 1916 est venu marquer la fin d’une époque, où il semblait possible, pour des textes comme les lois des royaumes barbares d’Occident, d’obtenir l’édition scientifique de référence d’un texte primitif1. Les Monumenta avaient chargé Mario Krammer et son équipe à la fois d’établir un stemma codicum faisant ressortir les manuscrits les plus intéressants, par la seule application de déductions philologiques, en effectuant la généalogie des erreurs, des sauts du même au même, etc., mais aussi, par la comparaison des différentes versions et de leur histoire, de reconstituer de façon convaincante l’aspect primitif du texte. Or M. Krammer fut incapable de proposer une évolution convaincante entre les différentes versions de la loi salique, qui avaient été repérées depuis le milieu du xixe siècle. Après avoir, dans un premier temps, proposé de considérer la version C comme la plus ancienne, dont les influences extérieures et les traces de christianisme auraient ensuite été enlevées pour composer la version A2, il inversa sa démonstration. Dix ans plus tard, pour l’édition des Monumenta imprimée en 1915, il proposait finalement d’utiliser comme manuscrit de base le manuscrit D 93, copié en 793, un des plus anciens de la loi salique, et prétendait faire dériver de cette version D, en 99 ou 100 titres, une version plus courte, aujourd’hui A, réduite à environ 65 chapitres4. B. Krusch n’avait pas consulté les manuscrits en 1916, mais il fut capable, simplement à partir de l’édition de M. Krammer, de soutenir qu’il fallait envisager dans l’autre sens les relations entre ces deux versions5. Il réussit à démontrer que dans certains passages de quelques manuscrits, la dérivation de D à partir de A explique les obscurités de D, où certaines informations ont disparu ou ont été déformées et laissent un texte incompréhensible. Son argumentation
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Hartmann, « Brauchen wir ». Krammer, « Kritische Untersuchungen ». D 9 : Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 731. Sur le nombre de chapitres de la version A, voir infra les différences entre les quatre manuscrits. Krusch, « Der Umsturz ».
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est particulièrement convaincante à propos du chapitre 70 de la version D6, dont la formulation semble provenir d’un manuscrit proche du manuscrit de Wolfenbüttel, aujourd’hui A 2, car un saut du même au même entre deux adhuc, a pu supprimer une partie de l’article dans le passage de la version A à la version D7. Néanmoins, un modèle commun aux deux versions aurait abouti au même résultat. L’autre version courte de la loi salique, C, était envisagée comme une source de D, mais B. Krusch ne précisait pas davantage son positionnement dans l’évolution de la loi salique8. Ses publications suivantes sur la loi des Bavarois, la loi des Alamans et la loi ripuaire, des lois du haut Moyen Âge pour lesquelles manque aussi toute étape manuscrite pré-carolingienne, l’ont par la suite davantage confronté à « l’embarras d’un imperturbable culte des stemma codicum »9, mais sans remettre en cause sa conviction que la reconstitution d’une version initiale de chaque loi était possible, à condition de prêter attention au texte précis de chaque manuscrit. Dans ses articles des années 1930, B. Krusch a célébré l’excellence du manuscrit de Paris, aujourd’hui A 110, qui proposerait le texte le plus proche de la version initiale de la Loi salique, qu’il considérait comme émise par Clovis, peu avant sa victoire à Vouillé. Mais il n’a pas précisé les relations entre les différents manuscrits de la version A, ni justifié le rapport qu’il proposait entre celle-ci et la version C. Les tentatives de déductions philologiques ne semblent pas pouvoir aller plus loin, en raison des divergences entre les différents manuscrits des versions A, C et D. Elles rendent malaisées toute déduction car les arguments s’appuient sur l’un des manuscrits de chaque version, sans pouvoir s’appliquer à tous. Les travaux de B. Krusch ont abouti à ce qui semblait une impasse philologique pour les manus crits des versions minoritaires de la loi salique. La version K est identifiée comme la plus répandue et apparaît comme la base de la réorganisation, la version S, proposée par Loup de Ferrières, ainsi que de la traduction en vieil haut allemand, la version V. Quatre manuscrits comportent une loi salique dans la version A. Ils sont très différents, mais une base commune de 65 titres peut être identifiée entre eux, suivie une fois de l’épilogue (A 2)11, une fois du prologue long (A 1)12. De façon distincte, les deux manuscrits carolingiens de la version C proposent eux aussi une base commune en 65 chapitres, mais différents de A, introduits par
6 Krusch parle du chapitre 70, ce qui correspond à la numérotation des manuscrits D 7 et D 8 ; Eckhardt l’édite sous le numéro 71, ce qui correspond à la numérotation de D 9, dans Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 188-190. 7 Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, appelé A 2 dans l’édition d’Eckhardt et B 3 dans l’article de B. Krusch de 1916, qui suit la numérotation de Krammer, « Der Umsturz », p. 553 et suivantes. 8 Krusch, « Der Umsturz », 1916, p. 568. 9 Beyerle, « Rezension : B. Krusch », p. 431, n. 1 : « die Verfänglichkeit des unbeirrten Kults von Hss. Stammbaümen ». 10 A 1, Paris, BnF, latin 4404. 11 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37. 12 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 197.
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les prologues long et court dans cet ordre (C 6)13 ou par un résumé des deux (C 5)14. Les trois manuscrits de la version D présentent des éléments communs sur 99 ou 100 chapitres, en partie communs avec les versions A et C, associés au prologue long, au décret de Childebert, à une liste de rois, et à l’épilogue. Enfin, les six manuscrits de la version E semblent contenir une réécriture de D, dans un latin classique, en supprimant les termes juridiques francs et les gloses malber giques15. La version K, copiée sur plus de 70 manuscrits paraît avoir été composée à partir des versions A, C, et D. Un manuscrit K 1716, comporte des éléments ap paremment issus des différentes versions A, C, E et K. Le manuscrit D 9 se présentant comme copié en 79317, et le manuscrit D 7, bien que copié au début du ixe siècle, proposant une datation la treizième année du règne du roi Pépin18, la composition de la version D paraît devoir être située dans la seconde moitié du viiie siècle, ce qui permet de supposer que les versions A et C refléteraient des rédactions mérovingiennes de la loi salique, mais sans pouvoir fournir davantage de précision à partir des témoignages manuscrits. K. Ubl a récemment proposé de dater la version D du règne de Pépin et d’associer la version E à l’effort législatif de Charlemagne en 78919. S’il y a accord autour de ce schéma commun, des points flous demeurent. Comment expliquer les divergences profondes des versions A et C ? Comment interpréter les différences entre toutes ces versions et la version de la loi salique publiée par Johannes Herold en 1557, qui comporte des éléments qui ne se retrouvent dans aucune d’entre elles ? En 1952, R. Wiegand, devenue par la suite Mme Schmidt-Wiegand, proposait le schéma suivant, sur lequel j’ai ajouté les désignations actuelles des différentes versions, pour plus de clarté (Ill. 2.1)20. Les numéros de manuscrits de l’édition de J. H. Hessels ont, quant à eux, été conservés par K. A. Eckhardt. Le passage de la version A à la version C n’est pas expliqué dans cette publication de 1952, car il continue d’être le point d’achoppement de toute démonstration philologique. Sans même entrer dans le détail des formulations, prenons par exemple les dispositions elles-mêmes : le chapitre 33 de l’édition de K. A. Eckhardt comporte deux paragraphes de plus dans la version C que dans la version A. Mais si nous
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C 6, Paris, BnF, latin 18237, f. 65v-66. C 5, Paris, BnF, latin 4403B, f. 97v. Fruscione, « Malbergische Glossen ». K 17 : Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119. De Meyier, Codices Vossiani Latini, pars II Codices in Quarto, Leiden, 1975, p. 259-263 considère que les quatre copistes ont travaillé dans le premier quart du xe siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 210-217, relève une première partie de la copie dans le dernier quart du ixe siècle, le reste au début du xe siècle. D 9, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 731, p. 342. D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, f. 156v. Ubl, « Die erste Leges-Reform » et Id., Sinnstiftungen, 2017, p. 137-163 et p. 165-191. Wiegand, « Untersuchungen ».
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Illustration 2.1 : Le schéma des différentes versions proposé par R. Wiegand en 1952.
prenons le chapitre 35, il est cette fois plus long et plus détaillé dans A que dans C. Il paraît impossible d’expliquer de telles divergences par une évolution manuscrite mécanique. Une historiographie polémique
Durant la seconde guerre mondiale, deux savants s’intéressaient aux manus crits de la loi salique conservés à Paris : l’un américain et juif, Simon Stein21, l’autre allemand et nazi, Karl August Eckhardt22. Ce dernier avait publié en 1935 ce que l’on pourrait appeler la version germanique purifiée de la loi salique, ce qu’il considère comme sa « Urfassung », sa version primitive23, à savoir le texte du manuscrit jugé reflet de la rédaction initiale par Bruno Krusch, le manuscrit Paris, BnF, latin 4404 (A 1). Ce texte était expurgé de tout ce qui était considéré comme des ajouts postérieurs, comme les chapitres 65 à 76 de sa version de la loi salique qui y suivent pourtant les premiers sans aucune rupture formelle24, de même que le texte appelé « prologue long » de la loi salique, copié après les 21 22 23 24
Voir son parcours dans Ubl, Sinnstifungen, 2017, p. 12-18. Sur sa carrière dans l’État nazi, voir Schneider, Die SS, p. 210-240 et le chapitre précédent. Eckhardt, Die Gesetze, 1935, p. VII. Voir Id., « Gesetze », 1935, p. 232. A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 194va-196vb. Ces chapitres se trouvent dans l’édition Eckhardt, Pactus, 1962, p. 254 et suivantes sous le titre Capitulare III.
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différents chapitres dans ce manuscrit25. Dans l’édition de K. A. Eckhardt, ce pro logue long, qui vante Clovis et la conversion des Francs, est remplacé par le pro logue court de la loi salique, qui ne se trouve ni dans ce manuscrit, ni dans aucun des trois autres de la version A. Certes, il est présent dans les deux manuscrits ca rolingiens de la version C, mais après le prologue long, ou dans un résumé des deux prologues26. Ainsi, cette édition, en manipulant la tradition manuscrite, crée une version de la loi salique expurgée de toute trace de christianisme, supposée refléter l’authenticité des traditions germaniques pures, antérieures à l’autorité royale, qui auraient permis sa mise par écrit après des siècles de transmission orale. Une telle vision est encore présente dans l’édition donnée aux Monumenta en 1962, puisqu’elle réussit à présenter sur les mêmes pages, p. 18 à 25, à la fois un texte reconstitué à partir des versions supposées anciennes, à savoir A et C posées comme équivalentes et introduites par le prologue court seulement, mais aussi un texte de la loi salique en vieil haut allemand, comme s’il s’attachait à cette version ancienne, alors qu’il s’agit d’une traduction de la version K et qu’elle devrait, en toute logique, rester cantonnée en parallèle de cette dernière, en bas de page27. C’est à la présentation monolithique d’avant-guerre d’un texte initial recons titué que réagit Simon Stein en rappelant le problème posé par l’absence de tradition manuscrite mérovingienne de la loi salique. Dans deux articles publiés en 194728, il soulignait les difficultés de l’historiographie allemande qui n’avait toujours pas pu aboutir à une édition scientifique après l’échec de Mario Kram mer, en 1915. Il proposait au contraire de voir dans la loi salique une forgerie carolingienne, copiée à l’époque de Charles le Chauve29. Son argumentation revenait avec justesse sur le blocage des réflexions philologiques30, mais ne parve nait pas à dégager une raison convaincante pour la fabrication d’une loi salique faussement archaïque et s’enferrait sur la datation erronée d’un denier, supposé de Charles le Chauve alors qu’il est de Charlemagne31. Il fournit ainsi à Karl August Eckhardt l’occasion de son retour, à travers sa première publication scientifique d’après-guerre, en 195132. P. C. Boeren réagit aussi aux articles de S. Stein, mais en cherchant de nouveaux manuscrits de la loi salique et en mettant en avant les inventaires anciens de bibliothèques33. Il réussit ainsi à trouver la trace de
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A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 197ra-rb. Voir infra dans ce chapitre. Sur cette version en vieil allemand, voir Coumert et Schneider, « The Lex Salica ». Stein, « Lex Salica I », et « Lex Salica II ». Ubl, Sinnstiftungen, p. 12-19. Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 452. Stein, « Lex salica II », p. 400 et suivantes sur le denier dessiné p. 111 dans D 9, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 731. 32 Eckhardt, « Zur Entstehungszeit ». 33 Boeren, « Quelques remarques ».
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manuscrits de la loi salique dans six catalogues de la première moitié du ixe siècle pour contredire la datation basse proposée. Si K. A. Eckhardt eut beau jeu de contredire les arguments de S. Stein, l’édi tion qu’il donna en 1955 de façon indépendante, puis sa reprise, seulement en partie améliorée, dans les Monumenta Germaniae Historica en 1962 et 196934, où elle constitue aujourd’hui l’édition de référence, ne résolvait aucun des problèmes soulevés lorsque l’impression de l’édition de M. Krammer fut interrompue, en 191635. Dans sa première publication de toutes les versions de la loi salique, de 1953 à 1956, K. A. Eckhardt a bien pris la mesure de l’impasse épistémologique rencontrée par les déductions philologiques et a dès le départ renoncé à proposer un texte recomposé commun à toutes les versions : Mon travail de plus de vingt ans sur la Loi salique aurait aussi très probablement été condamné à l’échec si j’avais considéré les rédactions en fonction de leur signification pour la reconstruction d’un archétype présumé plutôt que d’aspirer à leur restauration séparée36. Pour ce faire, K. A. Eckhardt se félicite d’avoir « réussi à fixer l’époque de l’ensemble des six rédactions principales de la loi salique, pour trois d’entre elles à identifier le nom de leur rédacteur, ainsi qu’à établir le lieu d’origine de trois rédactions37 ». Il distingue une version ancienne de la loi salique, à laquelle il donne le nom de Pactus legis salicae, qui aurait été en 65 chapitres seulement. La version A présente dans quatre manuscrits reproduirait la loi publiée sous Clovis, entre 507 et 51138. La recension B correspondrait à la reprise et à la modification de la version A de la loi, publiée par Thierry Ier, roi d’Austrasie entre 511 et 533, à Châlons39, elle-même modifiée pour former la version C qui serait une version de chancellerie de la loi, établie sous Gontran, entre 567 et 593 ou bien sous Childebert II, entre 593 et 596, probablement à Sens40. K. A. Eckhardt édite les versions A et C de la loi salique sous le nom de Pactus legis salicae, bien que ce terme ne leur soit pas particulièrement attaché dans les manuscrits41. Cette dénomination se trouve en tête de la table des matières de seulement deux manuscrits (A 1 et C 5)42, mais même dans ces deux manuscrits, 34 Eckhardt, Pactus 1962 et Lex Salica, 1969. 35 Boeren, « Lex Salica ». Schmidt-Wiegand, « Die kritische Ausgabe ». 36 Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 20 : « Auch meine gut zwanzigjährige Arbeit an der Lex Salica wäre höchstwahrscheinlich zum Scheitern verurteilt gewesen, hätte ich die Redaktionen nach ihrer Bedeutung für die Rekonstruktion eines präsumtiven Archetyps gewertet, statt ihre gesonderte Wiederherstellung anzustreben ». 37 Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 13. 38 Ibid., p. 207. 39 Ibid., p. 207-216 ; à présent Châlons-en-Champagne, dans le département de la Marne (51). 40 Ibid., p. 216-218. 41 Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 454. Ubl, Sinnstiftungen, p. 69-70. 42 A 1 : Paris, BnF, latin 4404. C 5 : Paris, BnF, latin 4403B.
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les dénominations de la loi salique sont fluctuantes. Dans le manuscrit A 1, on trouve ainsi l’appellation comme pactus (f. 3rb : pactus salicae libellus unus), puis comme lex (f. 197 : salicam legem) ; lex est aussi utilisé deux fois dans C 5 (f. 65v : Incipit prologus lege salice, f. 107v : salica lege). Par ailleurs, comme le rappelle B. Dumézil, pactus est un terme qui n’a pas de sens particulier au haut Moyen Âge43. Ce titre n’est donc pas authentique44 et si l’on reprend le terme de Pactus, c’est par commodité en référence aux rédactions A et C de l’édition d’Eckhardt, ou par adhésion comme É. Renard, pour qui cette dénomination « semble pour tant révélatrice du mode d’élaboration du corpus législatif originel45 ». En effet, dans l’édition d’Eckhardt, le terme de Pactus et le petit prologue de la loi salique donnent une vision cohérente des versions A et C de la loi salique comme le reflet d’une version primitive, émanation du peuple des Francs, et non de son roi, alors que les modifications donnant naissance aux autres versions auraient été le fait des souverains francs à partir de Clovis. Comme nous le verrons, il s’agit du résultat obtenu par la manipulation de la tradition manuscrite opérée par l’éditeur en 1935 et reproduite depuis, en 1955 comme dans l’édition des Monumenta. Des versions A et C dépendraient les deux versions en 99/100 titres : la recen sion D dans laquelle Eckhardt voit une version de chancellerie établie de façon officielle, par le référendaire Baddilo en 763/4 sous Pépin Ier, en même temps qu’il rédigeait le prologue long46, et la recension E, une rédaction amendée de D, qui aurait été rédigée en 798, sous Charlemagne, par le référendaire Erkanbald47. Enfin, les versions B, C et E auraient été reprises et résumées pour former la recension K ou Karolina, qui serait une version officielle de la chancellerie, établie en 802/803 sous Charlemagne48. Cette argumentation, fractionnée dans les publications d’Eckhardt entre 1953 et 1956, n’est pas fournie dans l’introduction de son édition de la loi salique aux Monumenta. Or, la bibliographie autour des rédactions de la loi salique est immense49, elle apparaît tellement complexe et ancienne qu’on se fie le plus souvent directement à l’édition d’Eckhardt, qui fournit de rassurantes certitudes50. Les fondements de ses affirmations paraissent pourtant très minces.
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Dumézil, « La chancellerie », p. 479. Ubl, Sinnstiftungen, 2017, p. 69-70. Renard, « Le Pactus », note 1. Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 42-55. Ibid., p. 55-78. La date est retenue d’après l’édition de Jean du Tillet de 1548, bien qu’elle ne soit dans aucun manuscrit de la version E. 48 Eckhardt, Pactus legis salicae I, 1954, p. 218-228. 49 Pour les études antérieures à 1875, voir Roll, Zur Geschichte. 50 Par exemple, les études linguistiques d’Elmar Seebold partent de l’édition et des datations de K. A. Eckhardt : Seebold, « Die malbergischen Glossen ».
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Un nouveau témoin de la version C
En réponse aux hypothèses de S. Stein, P. C. Boeren entreprit une nouvelle étude des manuscrits de la loi salique et signala un nouveau manuscrit de la version C, copié au xvie siècle51. Cette copie, a été faite par un néerlandophone, « puisqu’en marge du f. 16r il a inscrit le mot “Drost” pour rendre dans sa langue le mot trustes qui se trouve dans le texte à la même ligne » ; il a écrit sur un papier produit entre 1547 et 1566, sur lequel il a signé Cuyck52. Le chercheur constate la collation faite sur un imprimé qui est probablement l’édition de Jean du Tillet53, mais ne sait comment dater cette dernière, imprimée sans date. Or les caractères typographiques et la mise en page la rapprochent de l’édition des capitulaires carolingiens publiée par le même atelier de Jacques Bogard en 154954, après la mort de cet imprimeur entre août et octobre 154855. Il semble ainsi que la publication de la loi salique par Jean du Tillet puisse être datée 1548 et qu’elle soit la plus ancienne édition de la loi salique, antérieure à celle de Johannes Herold, imprimée à Bâle en 1557. L’érudit qui copia ce manuscrit travailla donc après 1548. Il recopia des éléments tirés d’un manuscrit de la version C, qu’il a comparé avec l’édition de Jean du Tillet, qui reproduit principalement un texte de la version K. Ces notes portent des traces d’une numérotation indépendante, sous la côte F 27. Sa provenance ne peut être précisée, non plus que le contenu du reste du manuscrit consulté. Le texte relevé est très proche de celui du manuscrit C 6, Paris, BnF, latin 18237, mais alors que celui-ci comprend dans sa numérotation des chapitres le Pacte de Childebert et Clotaire comme chapitre 67 et le Décret de Childebert comme chapitre 68, ces notes manuscrites relèvent un chapitre 67 pour le Pacte de Childebert et Clotaire, mais distinguent comme chapitre 68 les paragraphes finaux, sous le titre de Décret du roi Clotaire et s’interrompent au milieu d’un paragraphe56 par la remarque reliqua legi non poterant57. Il faut donc supposer un feuillet final
51 Boeren, « Quelques remarques ». Il s’agit de C 6a : Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005, f. 11-16. Mordek, Bibliotheca, p. 206-207. 52 Boeren, « Quelques remarques », p. 34. 53 Jean du Tillet, Libelli seu decreta a Clodoveo et Childeberto et Clothario prius aedita ac postremum a Carolo lucide emendata auctaque plurimum, in quibus haec habentur : capitula ex Isidori junioris, Hispalensis episcopi, etymologiarum lib. v ; pactum pro tenore pacis DD. Childeberti et Clotharii regum ; decretio Clotharii regis ; sententiae de septem septenis ; lex salica ; decretum Childeberti regis ; recapitulatio legis salicae, Paris, s. d. L’édition de la loi salique est l’œuvre du plus jeune frère nommé Jean du Tillet, évêque de Saint-Brieuc puis de Meaux, mort en 1570. Kelley, « Jean du Tillet ». 54 Pardessus, Loi salique, p. II. 55 Sur J. Bogard, voir la fiche de la BnF : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12235247t (consultée le 26 février 2016). 56 Pactus Childeberti I et Chlotharii I, aut si de, texte édité l. 1 p. 7, dans Capitularia regum Franco rum I, no 3, A. Boretius éd. 57 C 6a, Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005, f. 16v.
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très abîmé, sans savoir s’il s’insérait dans un ensemble plus vaste58. Il n’est pas possible non plus de préciser les édits royaux attachés à la version C : aucun ne se trouve dans C 5, Paris, BnF, latin 4403B. Cette découverte était d’importance, et K. A. Eckhardt s’empressa de l’inté grer dans son édition, sous le signe C 6a, mais sans tenir compte de l’ensemble de ses apports. Il s’en est bien servi pour l’édition du prologue court59, mais pas pour celle du prologue long60. Il a bien noté les rapprochements avec l’édition de J. Herold et proposé de voir dans le modèle de C 6a un des manuscrits dont ce dernier se serait servi. Il s’est contenté d’ajouter les variantes à la liste des titres et les extraits développés dans C 6a, sauf pour le premier chapitre, qui n’est reproduit que dans l’édition de 195561. Son texte n’est probablement pas reproduit parce qu’il est extrêmement proche du texte donné par C 6, mais cette proximité constitue une information importante qui a ainsi disparu. K. A. Eckhardt n’a rien changé à l’architecture générale de la présentation du Pactus legis salicae qui mêle les versions A et C, comme en 1935. Malgré le deuxième témoin apporté par P. C. Boeren, il a continué à exclure le prologue long de la version C.
La version B de la loi salique Les modèles manuscrits de Johannes Herold
La découverte de P. C. Boeren n’a fait que confirmer aux yeux de K. A. Eckhardt l’importance à accorder à l’édition de l’humaniste de Bâle : « L’extrait de Leyde prouve que Herold avait vraiment un manuscrit comme modèle62 ». Il appuie sa démonstration sur le paragraphe célèbre excluant les femmes de la succession de la terre salique, soit le chapitre LIX, § 6 dans son édition63. Dans les manuscrits de la version A, cette terre n’est pas désignée de façon particulière, dans le chapitre intitulé De alodis. Par exemple, A 1 donne : De terra uero nulla in muliere hereditas non pertinebit, sed ad uirilem secum qui fratres fuerint tota terra perteneunt64. Seule la version C apporte la précision que cette répartition concerne la terre salique. Dans C 5, on trouve :
Eckhardt, Pactus II, 1, 1955, p. 35-47. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 2. Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 2-8. Eckhardt, Pactus II, 1, 1955, p. 30. Eckhardt, Pactus, II, 1, 1955, p. 41 : « Das Leidener Exzerpt beweist, daß Herold tatsächlich eine handschriftliche Vorlage habe ». 63 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 222-226. 64 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 194. 58 59 60 61 62
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De terra uero salica in muliere nulla pertinet portio, sed qui fratres fuerint et ad uiriles sexu tota terra pertenenant65. Le passage parallèle dans l’édition de la Loi salique par Johannes Herold est surprenant, et son intérêt aux yeux de l’humaniste est souligné par une impression en majuscules : DE TERRA UERO SALICA IN MULIEREM NULLA PORTIO HAEREDITATIS TRANSIT, SED HOC UIRILIS SEXUS ACQUIRIT, HOC EST, FILII IN IPSA HAEREDITATE SUCCEDUNT. SED UBI INTER NEPOTES AUT PRONEPOTES, POST LONGUM TEMPUS, DE ALODE TERRAE CONTENTIO SUSCITATUR, NON PER STIRPES, SED PER CAPITA DIUIDANTUR66. Avant d’avoir pris connaissance des travaux de P. C. Boeren, K. A. Eckhardt soulignait que la première partie du passage provenait de la loi salique version C, mais s’interrogeait sur la suite de l’article, dont il montrait la proximité avec les Institutions de Justinien, davantage qu’avec le passage correspondant du Bréviaire d’Alaric67. Il se posait alors la question du degré d’intervention de J. Herold par rapport aux manuscrits qu’il utilisait. Mais la copie moderne découverte par P. C. Boeren propose un extrait de texte pour ce chapitre : LIX De alodis etc. In Le. Sal. C. 62 Ubi uero alodis ad nepotes post longum tempus euenit, ut ipsum diuidant non per stirpem sed per capita68. L’érudit néerlandais de l’époque moderne a ici comparé le texte avec celui de la version K, donné par l’édition de Jean du Tillet pour le chapitre 62, et a relevé cette variante importante du manuscrit qu’il avait sous les yeux. Il fournit ainsi l’indication que le passage de l’édition de J. Herold pouvait bien, lui aussi, s’être ici appuyé sur un manuscrit de la version C. On peut donc s’accorder avec K. A. Eckhardt lorsqu’il affirme : « la phrase citée de C 6a fournit alors une nouvelle preuve décisive que le modèle d’Herold, C 10, était proche de C 6a », mais la suite de son raisonnement est plus problématique : Elle montre aussi, troisièmement, que mon découpage de la version de Herold en deux parties d’origine différente est parfaitement justifié. La fin ne provient pas de B 10, mais d’un manuscrit de la version C ; le début ne s’y trouvait pas, sinon celui qui relevait les extraits n’aurait pas manqué de le remarquer, car
65 C 5, Paris, BnF, latin 4403B, f. 111. 66 Herold, Originum, p. 33, ch. LXII, § VI. L’éditeur donne ici en note marginale le texte corres pondant à la version K. 67 Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 211-216. 68 C6 a, Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005, f. 15.
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il ne notait pas seulement le contenu, mais aussi les variantes importantes (à comparer avec l’exception des § 3-5 du ch. 1)69. La démonstration d’Eckhardt ne paraît ici qu’en partie convaincante : J. He rold a travaillé à partir de différentes sources, dont un manuscrit proche de C 6a qui transparaît pour la fin du paragraphe. Mais cela ne signifie nullement qu’il est possible d’identifier de façon précise la source du reste du passage, a fortiori de l’associer à une version de la loi salique qui n’aurait laissé aucun autre témoin ! La proximité avec la version K peut aussi expliquer que l’érudit moderne n’ait pas relevé le début. R. Schmidt-Wiegand a fait remarquer les rapprochements entre l’édition de 1557 et la version D, qui rend crédible que J. Herold ait aussi eu à sa disposition un manuscrit de cette version70. La distinction entre les différents manuscrits qu’il a utilisés semble alors impossible, étant donné les échos entre les différentes versions A, C et D conservées. Ainsi, pour les prologues, où J. Herold fournit le prologue long suivi du prologue de la Lex Baiouariorum71, K. A. Eckhardt abandonne la distinction des différentes origines de son texte : car le prologue long fourni par Herold ne repose pas sur un manuscrit précis mais est composé en mosaïque à partir de plusieurs textes72. Ce travail en mosaïque, sans qu’il soit possible de repérer l’origine des dif férents passages proposés, ni le degré d’intervention de l’érudit moderne, ne paraît pas cantonné aux seuls prologues, mais semble caractéristique des éditions fournies par Johannes Herold, en raison de ses conditions de travail. Johannes Herold, né en 1514, était de naissance illégitime. Il ne put en consé quence pas bénéficier des bourses destinées par Érasme aux étudiants pauvres73. Malgré ce handicap, il parvint à acquérir par l’étude sa reconnaissance sociale, que marque sa distinction comme citoyen de Bâle en 1556. Son activité infatigable d’édition visait à la fois à lui fournir les revenus nécessaires à un mode de vie bourgeois et à le faire reconnaître par les érudits de son temps. En conséquence, il était sous la contrainte permanente de devoir fournir de nouvelles publications,
69 Eckhardt, Pactus, II, 1, 1955, p. 42 : « Der zitierte Satz von C 6a liefert sodann einen neuen durchschlagenden Beleg dafür, daß Herolds Vorlage C 10 mit C6a nahe verwandt war. Er beweist aber drittens, daß meine durch Textanalyse gewonnene Zerlegung der Heroldsschen Fassung in zwei Teile verschiedener Herkunft vollauf berechtigt war. Der Schluß stammt in der Tat nicht aus B 10, sondern au seiner C-Handschrift. Der Anfang aber kann in dieser nicht gestanden haben ; sonst hätte ihn der Exzerptor, der ja nicht nur den Mehrbestand, sondern auch stärkere Abweichungen notiert, (vgl. nur die Aufnahme von 1 §§ 3-5), gewiß nicht übergangen ». 70 Schmidt-Wiegand, « Die kritische Ausgabe », p. 309. 71 Herold, Originum, p. 1-2. 72 Eckhardt, Pactus, II, 1, 1955, p. 44 : « da der von Herold gebrachte Lange Prolog keiner bes timmten Handschrift folgt, sondern mosaikartig aus mehreren Texten zusammengesetzt ist ». 73 Siems, Studien, p. 58-61.
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et il en annonça beaucoup qui ne parurent jamais. Il est rare que l’on puisse juger de la qualité de son travail car, dans la plupart des cas, ses modèles manuscrits ont disparu ou restent difficilement identifiables. Deux commentaires qu’il a publiés sur des inscriptions romaines permettent de montrer qu’il ne travaillait pas sur l’original, mais sur des exemplaires imprimés, et qu’il n’hésitait à changer la lecture de l’inscription ou son supposé lieu d’origine pour soutenir à sa démons tration et ses contraintes éditoriales74. Dans le cas de la loi salique, J. Herold répondait à un intérêt de son temps75. En 1530, J. Sichard avait publié à Bâle une édition des lois des Ripuaires, des Bavarois et des Alamans76, sans doute grâce à une exploitation pionnière de la bibliothèque de Fulda77. J. Herold met lui aussi en avant sa reconnaissance envers le prince abbé de Fulda, Wolfgang-Dietrich von Ensigkheim (1550-1558)78 pour son édition des lois : par la piété du très saint seigneur Wolfgang, prince de Fulda, les lois saliques m’arrivèrent entre les mains, par lesquelles sont assurées la vraie majesté de la liberté franque et la dignité du nom des Germains79. S’il ne lui dédicace par son ouvrage, c’est sans doute que l’intérêt d’une édition des lois des Germains lui permettait de rechercher l’attention d’un personnage encore plus en vue, en l’occurrence l’archevêque de Trèves80. Néanmoins, J. Herold a aussi donné les « noms de ceux qui ont gracieusement été utiles à notre recueil par la communication de divers exemplaires81 » et ces neuf individus, qui ont pu fournir des manuscrits aussi importants que ceux de Fulda, restent très peu connus82. L’éditeur évoque dans son introduction plus de quatorze manuscrits collationnés83, ce qui laisse supposer des origines diverses. Parmi ceux-ci se trouvaient des manuscrits de Fulda, et le catalogue de la biblio thèque, établi vers 1550, évoque, en Ordo XLVI :
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Ibid., p. 62-72. Roll, Zur Geschichte, p. 3-4. Sichard, Leges. Lehmann, Iohannes Sichardus, p. 65 et p. 211-212. Lehmann, Iohannes Sichardus, p. 93-115. Ibid., p. 101. Herold, Originum, p. 3 : cum sanctissimi senis UUOLUFFGANGI PRINCIPIS Fuldensis pietate, in manus mihi deuenerint LEGES SALICAE quibus dignitas Germanici nominis, ac uerae Francicę libertatis maiestas asseritur. Siems, Studien, p. 75 et note 129. Herold, Originum, verso de la page de titre : NOMINA EORUM QUI COMMUNIcatis exempla ribus aliquibus, collationem nostram liberalissime iuuarunt. Siems, Studien, p. 86-90. Herold, Originum, dernière page de l’introduction, non paginée.
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no 506 Lex Ripuaria Adalhari, no 507 Lex Ribuariorum et Alemannorum. Le numéro 507 donne comme incipit le début du chapitre I, De mannire, ce qui fait supposer que la loi salique se trouvait aussi dans ce recueil. no 508 Lex Salica, no 509 Liber legum Alemannorum, Baioariorum et Romanorum84.
Ces ouvrages ne sont plus signalés dans l’inventaire de 1561, ce qui rendrait possible qu’ils aient été prélevés dans la bibliothèque de Fulda, et jamais rendus, par J. Herold. Le rythme des éditions établies par ce dernier est impressionnant : il fournit plusieurs livres par an, et il n’est pas impossible que, comme il l’affirme, il n’ait passé qu’un mois et demi sur l’édition de toutes les lois qui forment le volume de 1557. H. Siems suppose qu’il travaillait directement sur un original manuscrit, sur lequel il aurait indiqué les corrections et les variantes, qui serait ensuite remis à l’imprimeur et détruit après son usage pour l’édition85. Ce modus operandi répandu chez les éditeurs humanistes expliquerait la disparition systéma tique des exemplaires utilisés. K. A. Eckhardt considère que le no 507 aurait comporté une version B et le o n 508 une version C de la loi salique. Nous avons vu que le témoin moderne découvert par P. C. Boeren permettait bien de rapprocher certains passages de l’édition de J. Herold de la version C, mais aucun témoin manuscrit de la version B n’existant, l’hypothèse d’Eckhardt sur le manuscrit B 10 (Fulda no 507) paraît gratuite et fragile. Elle suppose chez l’éditeur humaniste un respect de la forme et du fond des manuscrits qu’il utilisait qu’il ne semble jamais avoir montré dans ses publications des lois du haut Moyen Âge. Johannes Herold éditeur
Quand bien même J. Herold aurait bénéficié de manuscrits anciens et intéres sants de la loi salique, comment savoir ce qui lui revient, ce qui vient des versions connues ailleurs ou ce qui tient à l’originalité du matériel utilisé ? Dans le cas des lois des Lombards publiées dans le même ouvrage en 1557, F. Bluhme reconnait l’importance de l’exemplaire de Fulda qu’il a utilisé, qui lui semble plus complet que celui de Gotha, mais livre un jugement très négatif sur le travail de l’éditeur : D’autre part, les lectures de Fulda ne nous apparaissent pas toujours justes, car certaines ont été imaginées par J. Herold lui-même de manière absurde, il a mêlé de nombreuses autres de façon inepte à d’autres sources. Ainsi, il a composé intégralement le titre de l’édit à partir de Paul Diacre, il a inventé
84 Eckhardt, Pactus, I, 1, 1954, p. 26-27. Siems, Studien, p. 83. 85 Siems, Studien, p. 92-97.
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lui-même les rubriques et les séparations en paragraphes et les a insérées partout86. De même, dans le cas de la loi des Bavarois, les manuscrits conservés per mettent de montrer que J. Herold a remodelé les titres, les chapitres et leur numérotation pour donner un aspect cohérent aux matériaux (dont l’édition de Sichard) qu’il a collationnés. Il n’a pas hésité à mêler titre et contenu, à insérer des gloses dans le texte ou à glisser des absurdités reflétant ses erreurs de lecture87. Les études du travail de J. Herold comme éditeur aboutissent à ce jugement de B. Krusch, en 1924 : Quand on considère les éléments hétéroclites dont est parsemée cette édition, il ne peut y avoir de doute sur son usage pour la critique textuelle, et il faut plaindre tout éditeur qui met n’importe où dans l’apparat critique d’une édition nouvelle de telles inventions et corruptions comme des leçons du manuscrit de Fulda88. Malgré ce jugement sans appel de B. Krusch, et les nombreux avis conver gents89, K. A. Eckhardt a pourtant choisi de reproduire, justement, l’édition de J. Herold avec la même autorité qu’une version ancienne de la loi salique dans son édition des années 1950 comme dans celle donnée aux Monumenta, à côté des manuscrits des versions A et C de la loi salique90. Un tel attachement ne correspond pas à la fiabilité du travail de J. Herold, qui n’en a aucune, mais au rôle démesuré accordé à son édition pour justifier une édition fusionnée des versions A et C comme Pactus legis salicae, introduite par le seul prologue court, qui est une constante des éditions produites par K. A. Eckhardt de 1935 à 1969. Or le travail de recomposition et de déductions de J. Herold est impression nant dans le cas des deux prologues. Au dos de la page de titre, une liste des auteurs des lois copiées ci-dessous et leur année, Authores legum infra scriptarum ac eorum anni, on trouve Bodogast, Salogast, Vuindogast qualifiés de sapiens avec la date de 430 et Vuisogast sapiens avec celle de 450. J. Herold donne, dans son édition de la Loi salique, le prologue long qui nomme les trois premiers comme
86 Bluhme, Leges Langobardorum, p. XXXIX : verae autem Fuldenses lectiones non semper nobis patent ; nam quaedam ipse Heroldus absurde confinxit, multa ex aliis fontibus inepte admiscuit. Sic totius Edicti titulum ex Paulo Diacono composuit, rubricas etiam et paragraphorum distinctiones a se ipso adinventas ubique inseruit. 87 Siems, Studien, p. 106-111. 88 Krusch, Die Lex Bajuvariorum, p. 18 : « Hält man sich die buntscheckigen Elemente vor Augen, aus denen diese Ausgabe zusammengestoppelt ist, so kann das Urteil über ihren Nutzen für die Textkritik niemals zweifelhaft sein, und zu bedauern ist jeder Herausgeber, welcher solche Erfindungen und Verderbnisse, womöglich als Lesarten des Fuldensis, in den Apparat einer neuen Ausgabe aufnimmt ». 89 Sur les autres jugements négatifs sur le travail de J. Herold, volontairement passés sous silence par K. A. Eckhardt, voir Siems, Studien, p. 98-103. 90 Eckhardt, Pactus, 1962.
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Illustration 2.2 : Herold, Originum, Bâle, 1557, verso de la page de titre.
rédacteurs (et Arogast ajouté en marge en face de Bodogast)91, puis un résumé du prologue court, avec Vuisogast, Arogast, Salegast et Vuindogast s’étant réunis dans Bodham, Saltham, Vuidham92. Il semble ainsi avoir considéré qu’Arogast corres pondait à Bodogast, pour rendre cohérente les deux listes différentes de rédacteurs de la loi salique proposées dans le prologue long et le prologue court, et pour faire correspondre leurs noms avec les trois lieux proposés. En outre, il considérait Vui sogast comme un réviseur, qui aurait travaillé vingt ans plus tard que les trois pre miers rédacteurs, ce qui expliquerait qu’il n’y ait pas une mention de lieu corres pondant à son nom et qu’il n’apparaisse que dans la liste du prologue court (Ill. 2.2). La mention dans la marge d’Arogast en face de Bodogast, ne doit donc pas être interprétée comme le reflet d’un manuscrit que J. Herold aurait consulté. Bien que cette liste Uuisogats, Arogast, Salogast et Uuindogast se lise, avec de nombreuses va riantes, dans onze manuscrits carolingiens comportant le prologue court après le prologue long, ou son résumé (C 5, C 6, K 17, K 31, K 32, K 33, K 34, K 35, K 72, S 82, S 83) et cinq manuscrits plus récents (C 6a, K 36, K 65, K 66, K 74)93, une telle liste s’inscrit chez Herold dans sa tentative de créer une cohérence contre la discordance des manuscrits, qui proposent trois ou quatre noms de rédacteurs de la loi salique pour trois noms de lieu, et ne donnent pas la même liste entre le pro logue long et le prologue court. Le matériel manuscrit utilisé (et sans doute détruit) par J. Herold est donc en retrait par rapport à son interprétation. Il a travaillé dans l’urgence, en éliminant probablement les témoins manuscrits par son travail d’édition lui-même, empê chant tout retour à ses sources. Son édition de la loi salique propose une 91 Herold, Originum, p. 1. 92 Ibid., p. 3. 93 Il faut corriger sur ce point Ubl, Sinnstiftungen, p. 58 qui va trop vite en envisageant 14 manuscrits carolingiens pour le prologue court.
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reconstruction savante d’un fictif texte commun à toutes les versions qu’il a pu consultées, dont un manuscrit de la version C, mais leur apport reste indiscer nable de ses déductions, hypothèses et ajouts. L’invention de la version B
La référence à l’édition de Herold, et son supposé reflet, suivant les passages, de la version C ou d’une fantomatique version B de la loi salique94, sans base ma nuscrite, fragilise les bases de l’établissement du texte du « Pactus » proposé par Eckhardt, tandis que l’alignement des versions A et C est en soi problématique. Toutes ces difficultés sont bien illustrées dans le cas du dernier paragraphe du chapitre LIX, De alodis (Ill. 2.3) Les divergences entre les versions A et C sont ici gommées. La seule variante relevée est celle entre les termes de portio ou hereditas, et seul le chercheur poin tilleux se rendra dans les versions parallèles proposées ci-dessous. Il y découvrira que la version A, supposée la plus ancienne de la Loi salique, ne propose jamais l’expression terra salica pour ce passage devenu emblématique de la tradition franque95 et que la version proposée entre crochets a pour seule base l’édition de J. Herold (Ill. 2.3). Mais sa perplexité augmentera à la page suivante (Ill. 2.4), où apparaissent divers compléments. Cette fois, aucune aide directe dans les versions parallèles proposées cidessous, puisqu’il faut comprendre que la version proposée à gauche est le reflet du manuscrit moderne C 6a, proposé en note e à la page 222, tandis que la version proposée avec les variantes de « Herold. » ne repose que sur l’édition de Johannes Herold. Les intéressants passages parallèles dans le Bréviaire d’Alaric et les Institutions de Justinien viennent ainsi illustrer deux extraits différents de la Loi salique relevés au xvie siècle. Leur insertion dans le texte reconstitué suppose qu’ils font davantage partie du texte primitif, aux yeux de l’éditeur, que le texte de la version K du début du ixe siècle, cantonné en bas de page. Or la proximité avec le droit romain, qui est soulignée à juste titre, peut aussi bien relever du savoir des humanistes que des copistes carolingiens, qui eux aussi avaient accès à ces textes juridiques96. La proposition du texte reconstitué sur la seule base de l’édition de J. Herold est aussi choquante dans le cas du terme de « wergeld », qui n’est présent dans aucun manuscrit dans le corps du texte de la loi, bien qu’il apparaisse dans le Décret de Childebert97. Seule l’édition de J. Herold propose l’expression de uuere guldum suum98 pour un article de la Loi salique, mais Eckhardt le glisse en note du
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Eckhardt, Pactus, I, 1954, p. 96-120. Schmidt-Wiegand, « Die kritische Ausgabe », p. 306-307. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 108 sur la circulation des Institutions de Justinien. Décret de Childebert, § 5, 6 et 10, Boretius éd., Capitularia regum Francorum I, no 7, p. 15-17. Herold, Originum, p. 29.
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Illustration 2.3 : Le chapitre LIX, § 6 des versions A et C dans l’édition d’Eckhardt. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 223.
Illustration 2.4 : Suite du chapitre LIX, § 6 des versions A et C dans l’édition d’Eckhardt. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 224.
texte recomposé du chapitre LI, sans souligner qu’il s’agit très probablement d’un ajout de l’humaniste, qui s’écarte là de tous les témoins manuscrits99. Si elle joue un rôle exagéré dans la reconstruction du supposé texte primitif, la version B du prétendu manuscrit de Fulda structure surtout de façon biaisée les relations supposées entre les différentes versions de la Lex salica. Suivant la classifi cation de K. A. Eckhardt, cette version B est associée au roi Thierry d’Austrasie et vient résoudre de façon miraculeuse les problèmes soulevés depuis deux siècles pour l’édition de la loi salique. La localisation en Austrasie ne repose que sur quelques formes verbales, qui montreraient une continuité de la langue franque, et donc plutôt l’est, et sur l’absence du pacte de Childebert et Clotaire, qui serait logique dans le royaume de Thierry Ier (511-533) et ses successeurs, Théodebert (533-548) et Théodebald (548-555). Le choix de Thierry et l’hypothèse d’une
99 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 197. Camby, Wergeld, p. 101-105.
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publication à Châlons reposent seulement sur le prologue de la loi des Bavarois, que K. A. Eckhardt décide d’associer à cette version de la loi salique car elle suit le prologue long et précède le prologue court dans l’édition de J. Herold100. Or certains manuscrits de la Loi salique comportent bien le prologue de la loi des Bavarois comme une introduction à la loi salique. C’est le cas de : -
K 44101 : Paris, BnF, latin 9656, f. 109102. K 72103 : Vatican, BAV, Reg. lat. 1050, f. 162va-vb. S 82104 : Modena, Biblioteca Capitolare, O. I. 2, f. 9r-v. S 83105 : Gotha, Forschungs- und Landesbibliothek, f. 148va-149ra.
Memb.
I, 84,
En revanche, le prologue de la loi des Bavarois ne s’y trouve jamais entre les deux prologues, long et court de la loi salique, comme dans l’édition de J. Herold. Il est utilisé seul dans K 44, avant les prologues long et court dans les trois autres manuscrits. La concordance des deux manuscrits de S, comportant la version de la loi salique établie par Loup106, montre que l’assemblage des deux prologues de la loi salique et de celui de la loi des Bavarois a été établi dès leur modèle, dans la collection de loi composée par Loup pour Évrard de Frioul entre 829 et 840107. Loup ayant séjourné à Fulda auprès de Raban Maur, entre 828 ou 829 et 836, il est possible qu’il y ait composé sa collection ou, s’il la composa plus tard, il reste très probable qu’il y envoya un exemplaire de son Liber legum. Les descriptions des no 507 à 509 du catalogue de la bibliothèque de Fulda peuvent aussi désigner la compilation de Loup108. On peut ainsi supposer un éventuel modèle manuscrit carolingien qui aurait incité J. Herold à composer cet ensemble de prologues comme une synthèse des différentes introductions à la loi salique proposées par 100 Eckhartd, Pactus, I, 1, 1954, p. 207-209, qui repose ici sur Herold, Originum, 1557, p. 1-2. 101 Mordek, Bibliotheca, p. 578-580 date la copie du milieu du xie siècle, en Italie du nord. 102 Seule la fin du prologue de la loi des Bavarois apparaît, au début d’un nouveau cahier, qui comprend ensuite le texte de la loi salique version K jusqu’au chapitre 42, ce qui ne permet pas de savoir les titres qui avaient été donnés à cet ensemble. 103 Mordek, Bibliotheca, p. 847-852 date la copie de la première partie de la seconde moitié du ixe siècle et la situe en France. Bischoff, Katalog III, p. 438, no 6762 suppose lui aussi comme lieu de copie la France, et la situe dans le deuxième quart ou au milieu du ixe siècle. 104 Mordek, Bibliotheca, p. 256-267 propose une copie en Italie du nord vers 991. Pohl, Werkstätte, p. 124-129 défend que le Liber legum aurait été copié entre 870 et 970. Voir la discussion infra chapitre 4. 105 Mordek, Bibliotheca, p. 131-149 situe la copie au xe-xie siècle, à Mayence. 106 Il n’en existe qu’un fragment manuscrit copié au milieu du ixe siècle, Freiburg i. Br., Univer sitätsbibliothek, fragm. 65, mais qui ne comporte pas la loi salique. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 125-126. 107 Münsch, Der Liber legum, p. 65-69. 108 C’est plus difficile à supposer pour le numéro 508 du catalogue, mais la mention d’une loi des Romains pourrait provenir de la liste initiale de souverains, d’Octavien à Louis le Pieux, placée au début du Liber legum. Voir Münsch, Der Liber legum, p. 89-97 et Pohl, Werkstätte, p. 124-129.
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les manuscrits variés qu’il aurait consultés, et notamment un exemplaire du Liber legum de Loup de Ferrières. Il est aussi possible de tenir compte de sa capacité d’interprétation, lui-même, du prologue de la loi des Bavarois, qui envisage une législation pour les Francs, les Alamans et les Bavarois sous l’autorité du roi Thierry. Cette mention justifie son usage comme introduction à la loi salique, suivant le choix de Loup, le choix des copistes des manuscrits K 72 et K 44 ou celui de J. Herold. Mais K. A. Eckhardt ne retient que l’hypothèse d’un modèle manuscrit unique, qui ne saurait être que celui de la version B de Fulda, ce qui indiquerait qu’elle vient d’Austrasie. Néanmoins comme un tel modèle, dont le contenu remonterait au vie siècle, ne saurait contenir l’intégralité du prologue de la loi des Bavarois, dont les premiers paragraphes reposent sur les Etymologies d’Isidore de Séville (600-636), il est obligé de supposer une certaine initiative à Johannes Herold, mais qu’il cantonne au remplacement de cet hypothétique prologue de la salique version B par le prologue de la loi des Bavarois : On peut difficilement rejeter la supposition qu’il se trouvait un élément d’inspiration (« Pate ») pour son compte-rendu sur la législation de Thierry à Châlons dans le prologue de la version B de la loi salique, qui ne nous est par parvenu mais qui était transmis par son modèle. Herold devait aussi le connaitre encore et avoir justement, pour cette raison, placé le prologue de la Lex Baiovariorum, dans lequel il était « inséré », non pas pour la loi bavaroise mais entre les deux prologues de la loi salique109. Ces hypothèses sont en soi sans base solide, mais se révèlent aussi intenables au vu de la tradition manuscrite, où il n’existe aucun représentant de cette fanto matique version B. Comme le rappelait S. Stein, les collations ne permettent pas de déterminer si la famille C a été abrégée pour donner la famille A, hypothèse de Pertz au xixe siècle, ou si c’est la famille A qui a été amplifiée pour donner C, hypothèse de Pardessus et Waitz reprise par Krusch puis Eckhardt110. Pour résoudre le problème, K. A. Eckhardt a supposé une famille intermédiaire B, qui n’a aucun témoin manuscrit, qui révèlerait les étapes de transformation de la version A en C et en D : « Les éléments isolés de B 2 viennent donc d’une forme perdue du texte, qui a aussi été présentée au rédacteur de D111 ». 109 Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 209 : « Die Vermutung ist kaum abzuweisen, daß für seinen Bericht über Theuderichs Gesetzgebung in Châlons der nicht auf uns gekommene, aber in seiner Vorlage überlieferte Prolog zur Textklasse B des Pactus legis Salicae Pate gestanden hat. Auch Herold wird ihn noch gekannt und eben darum den Prolog zur Lex Baiuvariorum, in den er “inseriert” war, nicht zum Bayerngesetz, sondern zwischen die beiden Prologe zur Lex Salica gestellt haben ». 110 Krammer, « Kritische Untersuchungen », p. 263-272. Stein, « Lex Salica I », p. 120. 111 Ekchardt, Pactus I, 1954, p. 98 : « Die Sonderstücke B 2 aber stammen aus einer verschollenen Textform, die auch dem Verfasser von D vorgelegen hat ».
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Bien qu’il parte du modèle supposé de l’édition de Johannes Herold, K. A. Eckhardt reconnaît que « ce texte mixte ne représente aucune classe textuelle ancienne »112. J. Herold présente une loi salique en 80 chapitres, un assemblage qui n’apparaît dans aucun manuscrit conservé. Son contenu peut provenir aussi bien du manuscrit de Fulda, que des autres manuscrits qu’il mentionne, sans compter les ajouts dont il était coutumier, comme l’a bien observé H. Siems113. Dans la réflexion d’Eckhardt, ce manuscrit disparu et cette version B permettent surtout de justifier des choix douteux, comme l’a relevé R. Schmidt-Wiegand114. Ainsi, certains passages du manuscrit A 2115 sont retranchés de la version A de la loi salique éditée par Eckhardt : le chapitre 57 copié aux folios 28v-29 est ainsi décrit comme une interpolation de B, sous prétexte qu’il apparaît aussi dans l’édition de J. Herold116. De même, l’édition du manuscrit A 2 s’interrompt p. 158 avant le chapitre 44,2 en raison d’une supposée « perte de feuillet »117 qui aurait entrainé une interpolation à partir de B, copiée plus loin à la suite du chapitre 47,3. Ainsi le texte du f. 20v est édité p. 158, puis complété par les paragraphes pris au f. 26, l. 9 à 14, puis ceux du f. 23v, l. 14 au f. 25, l. 6 et enfin ceux du f. 25v l. 20 au f. 26 l. 9. L’édition reprend ensuite le texte du f. 20v, au milieu d’une ligne. La logique du manuscrit est donc systématiquement brisée, pour aligner son texte sur celui des autres manuscrits de la version A. L’invocation de la perte d’une page est ici un expédient, car le manuscrit ne montre aucune rupture dans ce passage, où les chapitres suivent l’ordre présenté auparavant dans la liste des titres. Si une perturbation de ce type avait eu lieu, elle aurait été intégrée dans la tradition manuscrit bien avant le modèle utilisé par Agambertus, le copiste du manuscrit A 2. Dans son désir de créer une cohérence entre les versions manuscrites, Eck hardt ne tient donc aucun compte de leur logique et invoque pour justifier ses dé coupages d’improbables interpolations à partir de B. Ainsi, R. Schmidt-Wiegand a relevé dans l’édition d’Eckhardt 50 passages reconstruits de B, la plupart prove nant de J. Herold, mais pas tous : certains n’existent que dans A 2, qui est supposé avoir été interpolé à partir de B118. Ainsi, un paragraphe du chapitre XXIV du manuscrit A 2, qui vient après le premier paragraphe, f. 90, est déplacé dans l’édition après le paragraphe 7119 et nommé comme B alors qu’il n’y a pas de passage parallèle dans l’édition de J. Herold ! Pour justifier ces différences, K. A.
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Eckhardt, Pactus, 1962, p. X. Siems, Studien, p. 58-113. Schmidt-Wiegand, « Die kritische Ausgabe », p. 301-319. A 2 : Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 214-215. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 158 : « A 2 bricht infolge Blattausfalls hier ab ». Schmidt-Wiegand, « Die kritische Ausgabe », p. 305-306. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 90.
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Eckhardt suppose simplement « que le modèle d’Herold devait être défectueux à cet endroit120 ». A 2, comme chaque manuscrit, a sa logique propre, et la présentation de l’édition empêche de la reconstituer. Le chapitre XXIV se présente par exemple comme ceci : CH XXIV DE HUMICIDIIS PARUOLORUM UEL MULIERUM Si quis puerum ingenuum intra XII annus usque ad XII plenus occiderit cui fuerit adprobatum, malb. leode sunt dinarios XXIIIIM fac. sol. DC cul. iud. Si quis femena ingenuam interfecerit et ei fuerit adprobatum, malb. leodosanii sunt din. XXIIIIM fac. sol. DC culp. iud121. Les deux paragraphes contiennent des dispositions symétriques, prévoyant la même amende pour le meurtre d’une femme et d’un jeune garçon, comme l’envisageait le titre, qui est commun à la version C. Il n’existe pourtant de passage directement parallèle de cette disposition précise au sujet des femmes ni dans les autres manuscrits de la version A, ni dans la version de Herold, ni dans la version C ou K. A 2 peut témoigner ici d’une autre version de la Loi salique, qui n’aurait été conservée que par ce reflet. Mais il n’est pas impossible qu’un copiste ait comblé ce qui lui semblait un oubli, au vu du titre, avant de compléter le chapitre par les amendes pour les crimes contre les femmes et les enfants. Il existe ainsi d’autres voies d’explication des différences manuscrites, en reconnaissant la marge d’interprétation et de modification laissée à chaque copiste. Mais K. A. Eckhardt préfère limiter leur rôle à la copie d’interpolations prises dans de fantomatiques versions perdues de la loi salique. K. A. Eckhardt crée donc B en faisant son choix entre les textes de A 2 et de J. Herold, mais aussi en retranchant de l’édition de J. Herold les passages qui ne correspondent pas à son argumentation, en soutenant cette fois que « dans l’autre sens, Herold a enrichi son texte B à partir de C et de la Karolina122 », tandis que, dans d’autres cas, « l’édition de Herold contient des éléments qui apparaissent sinon pour la première fois dans D123 ». En reconstruisant ainsi la version B suivant ses besoins, K. A. Eckhardt est à même de fabriquer le chaînon manquant, recherché en vain depuis un siècle, pour expliquer la transformation de la version A en version C et en version D. En refusant toutes les contraintes imposées par les témoins anciens, l’inverse était aussi tout à fait faisable, mais K. A. Eckhardt suivait ainsi l’historiographie dominante. Il pouvait ainsi notamment reprendre les travaux de B. Krusch pour
120 Schmidt-Wiegand, « Die kritische Ausgabe », p. 306. 121 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 90. 122 Eckhardt, Lex salica, 1953, p. 70 : « wie umgekehrt Herold seinen B-Text aus C und der Karolina bereichert hat ». 123 Eckhardt, Pactus, I, 1954, p. 104 : [In einer Reihe weiterer Fälle] « enthält die Heroldsche Ausgabe Stücke, die sonst erst in D bezeugt sind ».
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proposer le manuscrit A 1 comme base de son édition et tenter de reconstruire à partir de lui une version de la loi salique antérieure au christianisme et à l’autorité royale.
La recherche d’une version en 65 chapitres L’importance de l’épilogue
Pour chercher la version primitive de la loi salique, les historiens s’appuient sur l’épilogue, qui se trouve dans le manuscrit A 2, dans les manuscrits des versions D et E et dans un manuscrit de la version K. Voici la version du manuscrit A 2 : Le premier roi des Francs établit les titres 1 à 62 et les institua pour juger. Peu après, lui et ses aristocrates ajoutèrent de 63 à 78 titres. Puis, longtemps après, le roi Childebert considéra ce qu’il fallait ajouter, et passa de 78 à 83, ce qu’il a fait justement, et il transmit ces écrits à son frère Clotaire. Par la suite, Clotaire, après avoir reçu volontiers ces titres de son frère aîné, considéra ce qu’il devait ajouter pour son propre royaume et ce qu’il fallait inclure de plus, du titre 89 [sic] jusqu’au titre 63 ; et ensuite il envoya ces rescrits à son frère. Et ainsi il fut établi entre eux que toute cette compilation devait demeurer ainsi comme auparavant124. Les chiffres attribués aux différentes étapes d’élaboration de la loi salique varient d’un manuscrit à l’autre mais K. A. Eckhardt choisit de n’éditer tout d’abord que le texte des manuscrits A 2 et K 17, ce qui lui permet de repousser les problèmes de la fluctuation des chiffres d’une version à l’autre à son second vo lume d’édition125 et de rechercher une première étape de la loi salique en 65 titres. La version C de la loi salique a alors beaucoup d’atouts pour être choisie comme la version originelle, ainsi que l’avait fait Mario Krammer en 1905126. Mais cette version comporte des chapitres qui montrent le christianisme de ses rédacteurs127. Comme nombre de ses devanciers, K. A. Eckhardt lui préfère donc la version A,
124 A2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37 : Primus rex francorum statuit a primo titulum usque LXII disposuit iudicare. Post modo autem tempus cum obtimatis suis a LXIII titulum usque ad LXVIII addedit. Sic uero Childebertus rex post multum autem tempus pertractauit, quid addere debirit ; ita a LXXVIII usque ad LXXXIII perinuenit, quod ibidim digne inposuisse nuscuntur, et sic fratri suo Clotario hec scripta transmisit. Post hec uero Clotarius, cum hos titulus a germano suo seniore gratenter excepit, sic postia cum rignum suum pertractauit ut quid addere debirit ibidim quid amplius dibiat construhere, ab LXXXVIIII titolus usque ad LXIII statuit permanere ; et sic postea fratre suo rescripta direxit. Et ita inter eis conuinit, ut sta omnia sicut anteriore constructa starent. Texte édité dans Eckhardt, Pactus, 1962, p. 253. 125 Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 188-191. 126 Krammer, « Kritische Untersuchungen ». 127 Loi salique, version C, ch. XIII, § 11 et ch. LV, § 6 et § 7, édition Eckhardt, Pactus, 1962, p. 62-63.
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qui ne montre pas de protection particulière des églises ni d’interdit chrétien de parenté. Elle comporte en revanche, comme les versions C, D, E et K, un chapitre évoquant un « porc consacré »128, qui peut être relié au paganisme traditionnel et peut refléter une rédaction ancienne du texte. Certains chapitres semblent plus complets dans A que dans C, mais O. Guillot a pu défendre l’inverse dans le cas du chapitre 23129. K. A. Eckhardt utilise comme manuscrit de base le manuscrit A 1, qui suivant B. Krusch (1857-1940) reproduisait « le texte originel » de la loi salique130. Les travaux publiés à partir de 1935 montrent un affaiblissement de ses capacités de chercheur, avec une simplification extrême de ses démonstrations et raisonne ments : la datation en 507 est ainsi tenue pour assurée à partir de trois mots communs entre la lettre de Clovis de 507 et un chapitre de la loi salique131 ; le stemma codicum pour la version A suppose simplement le travail d’un interpola teur X, à partir d’un manuscrit originel publié en 507132. La tradition manuscrite rend impossible un tel schéma. Voici, à titre de com paraison, le stemma proposé par Eckhardt, aussi complexe que peu satisfaisant par le nombre d’intermédiaires perdus et d’interpolations qu’il est contraint d’inclure (Ill. 2.5)133. Chaque manuscrit de la version A, numéroté de 1 à 4, y est séparé des autres par au moins deux étapes inconnues, pour expliquer leurs divergences profondes. Les découpages, retraits et déplacements effectués par K. A. Eckhardt dans son édition viennent justement camoufler les irréductibles discordances dans l’ordre et le contenu de la loi salique des manuscrits des versions A et C, comme nous l’avons vu pour les différents chapitres entre les manuscrits A 1 et A 2. Outre l’impossibilité d’établir une dérivation simple entre elles, toutes les versions A proposent une soixantaine de chapitres au texte très proche. Néanmoins, elles posent problème par rapport aux chiffres de l’épilogue, car elles ne comportent pas le même, ni le bon, nombre de chapitres. Pour introduire son édition, K. A. Eckhardt livre des présentations simplistes des différentes versions de la Loi salique : La version A : Les quatre manuscrits de cette version sont découpés en 65 chapitres et donnent dans l’ensemble – en dépit de quelques variations dans le détail – un texte homogène. Si l’un d’eux compte 67 titres, cela s’explique par le fait
128 Loi salique, version A et C, II, 16 : maialem sacriuum, édition Eckhardt, Pactus, 1962, p. 26-27. Loi salique, version D et E, II, 6 et 7, édition Eckhardt, Lex salica, 1969, p. 30-31 : maialo sacriuo. 129 Guillot, « La justice », p. 680-681. 130 Krusch, « Der Umsturz », 1916 et Id., « Die Lex Salica », 1938. 131 Krusch, « Die Lex Salica », 1934. 132 Krusch, « Die Lex Salica », 1938, p. 423. 133 Nous verrons infra les problèmes posés par l’emplacement proposé pour K. 67.
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Illustration 2.5 : Le stemma codicum du « Pactus legis salicae » suivant K. A. Eckhardt. Eckhardt, Pactus II, 1, 1955, p. 45.
que, pour des raisons encore à débattre, deux titres y apparaissent deux fois par erreur134. Cette présentation de K. A. Eckhardt montre la simplification, allant jusqu’aux affirmations erronées, à laquelle il est contraint pour faire rentrer les différents témoins manuscrits dans son schéma. Le manuscrit A 1 : Paris, BnF, latin 4404
Bien qu’il ait toujours retenu l’attention des chercheurs par la clarté du texte de la Loi salique qu’il propose, ce manuscrit n’appartient pas au groupe des plus anciens de la loi salique. Son introduction annonce que Charlemagne était alors empereur, ainsi que la copie d’un édit de celui-ci135. La copie peut donc être datée
134 Eckhardt, Pactus, 1962, p. IX : « Textklasse A : Die zu ihr gehörigen vier Handschriften sind in 65 Titel gegliedert und geben – trotz nicht geringer Abweichungen im einzelnen – im ganzen gesehen einen gleichförmigen Text. Wenn eine von ihnen 67 Titel zählt, so erklärt sich das daraus, daß aus noch zu erörternden Gründen zwei Titel versehentlich zweimal in ihr erscheinen ». 135 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 3.
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d’après le couronnement impérial. Un des capitulaires de Charlemagne copié à la fin du volume date d’après 805136, mais a pu être copiée dans un deuxième temps, car l’encre est différente à partir de la deuxième colonne du folio 232v137. La copie ne peut donc être datée avec certitude d’après 805, mais a eu lieu, pour la loi sa lique, avant la mort de Charlemagne, en 814138. Le copiste a laissé son nom : Aud garius (f. 214ra). Ce manuscrit comporte une Lex salica en 76 chapitres139. Les chapitres 65 à 76, qui ne trouvent de dispositions parallèles que dans le manuscrit K 17140, y suivent les précédents sans aucune rupture formelle. La liste des chapitres an nonce comme 77e chapitre l’édit de Chilpéric et se clôt sur la mention Expliciunt capitula141. La copie suit pourtant la liste des chapitres annoncée, à quelques détails près : le chapitre XIX, De maleficiis est donné dans le texte, alors qu’il n’était pas dans la liste des chapitres. Ce décalage est comblé lorsque le copiste omet de reproduire le chapitre LVI, intitulé dans la liste des titres Si quis hominem de furcas descenderit extra consilium iudicis. Il se trompe en attribuant deux fois un numéro LXXI, mais donne ensuite un chapitre LXXIII. Il arrive donc bien à 76 chapitres, mais omet alors l’édit de Chilpéric qui était annoncé. Comme le montre la reproduction ci-jointe, le copiste Audgarius enchaine ensuite sur trois dispositions non numérotées, qui se trouvent aussi dans les manuscrits A 2, K 17 et l’édition de J. Herold142. La fin en pointe et la mention explicit montrent que pour notre copiste, il n’y a pas de doute que ces éléments constituent la fin de la Loi salique. Le titre courant Lib. pact. qui est encore lisible, malgré la découpe des feuillets, f. 196v, ne paraît plus après. Le prologue long commun avec la version D de la loi salique vient ensuite, sans titre courant, au f. 197143. Aux feuillets suivants, f. 198-212v, bien annoncés par les titres, ont été copiés le prologue illustré de la loi des Alamans, une liste de 57 chapitres pour cette loi (version A) et un texte de 90 chapitres, avec comme titre courant ea lex alamannorum, visible en f. 201, 203 et 204v. L’ensemble s’achève avec un espace laissé blanc, f. 212v. Vient ensuite un autre ensemble bien balisé par les titres avec la liste de 63 chapitres, puis le texte de la loi des Ripuaires (version A), avec le titre courant lib. de lege ribuariorum (visible en f. 215, f. 216v
136 Ibid., f. 234. Mordek, Bibliotheca, p. 456-463. 137 Krusch, Neue Forschungen, p. 182. 138 Je ne retiens pas l’interprétation de P. C. Boeren du personnage désigné comme Lodhanri rex dux Alamannorum comme ne pouvant être que Lothaire Ier ou Lothaire II, ce qui pousserait à une datation un peu plus tardive, car j’y lis une allusion au duc Lantfrid, voir infra. 139 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 180va-196vb. Les chapitres 66 à 76 sont édités comme des chapitres supplémentaires dans Eckhardt, Pactus, 1962, p. 254-261. 140 K 17 : Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q. 119. Voir infra. 141 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 179-180va. 142 Ces trois chapitres sont édités par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 248-250, à la suite des chapitres du manuscrit A 1 copiés à partir du folio 227v. 143 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 197ra-rb.
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et f. 217). Cette unité textuelle se clôt sur deux chapitres numérotés LXII, puis un explicit et un espace laissé libre, f. 227rb (Ill. 2.6). Les chapitres copiés ensuite, qui commencent au folio 227v, ont été identifiés par la critique comme des chapitres de la loi salique144. Ils reproduisent de nouveaux chapitres, non numérotés, qui se trouvent aussi dans les manuscrits A 2, K 17 et l’édition de J. Herold. Ils se terminent de nouveau par les trois articles non numérotés déjà copiés plus haut et semblent bien correspondre à la copie d’un modèle manuscrit différent par Audgarius. Mais à aucun moment le copiste ne montre qu’il considère qu’il s’agit de la loi salique. Ces chapitres ne sont pas numérotés, les feuillets ne comportent pas de titre courant. Le premier texte royal, le pacte de Childebert et Clotaire apparaît seulement sous le titre Pro itinere pacis (f. 229v) après les autres dispositions, et ce sont les deux autres chapitres qui renvoient aux rois avec les titres : decretum Chlotarii (f. 230) et Incipit decretus Childeberto rege145 (f. 231). Ce passage n’est donc pas identifié par le copiste comme faisant partie de la loi salique, ce qui explique qu’il ait pu copier trois de ces dispositions une deuxième fois. Or, le copiste Audgarius avait annoncé dans son prologue qu’il copierait l’édit de Childebert après la loi salique : Ici commence le texte des livres des lois. Pour le renforcer, j’ai pris les paroles profondes de nombreux [auteurs]. Voici devant toi, lecteur, cet ensemble sacré tel qu’il apparaît à présent, un livre dicté à partir de nombreux [livres] tirés de l’ensemble en XVI livres de Théodose, un livre des novelles de Théodose le Jeune, un petit livre de Valentinien Auguste, aussi de Martien, de Marjorien, de Severus et de Gaius, où ne sont pas formulées d’interprétations. Paul, cinq livres des sentences, les cinq livres de Grégorien, d’Hermogène, de Papien avec trois sentences, s’accordent. Après se trouve écrit dans ce volume le pacte de la [loi] salique, un petit livre, un des Alamans, un des Ribuaires, et l’édit du roi Childebert, et l’édit par notre seigneur l’empereur Charles est écrit à sa fin146.
144 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 227v-229v. Ces chapitres sont édités par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 238-250. 145 Décret de Childebert II, Boretius éd., Capitularia I, no 7, p. 15-17. 146 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 3, col. A, l. 32-33, col. B, l. 1-27 : INCIPIT TEXTUS LIBRORUM LEGUM. In hoc dicta condurretur sumi multorum mystica. Hoc corpus sacrum lector in ore tuo, quod nunc a multis constat codix istius dictatus : ex corpore Theodosiani libelli XVI, Theodosiani iuniore novellarum unum Valentiniani augusti libellus nempe Martiani Maioriani Severi et Gai, ubi non sonunt interpretes. Paulus sententiarum libelli quinque, Gregoriani consonant simili libelli quinque Hermogeniani Papiani cum sententiis tres. Post modum in hoc volumine continet scriptus pactus salicae libellus unus seu et Alamannorum et Ribuariorum et edictus Childeberti regis et domino nostro Karolo imperatore edictus eius extremus scribitur.
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Illustration 2.6 : A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 196v.
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Suivant cette présentation, Audgarius a distingué le texte de la loi salique de l’ensemble copié après la loi ripuaire, qu’il considérait comme « l’édit de Childe bert ». Certes, le terme ne correspond pas directement au texte, intitulé decretus, mais il était probablement utilisé au sens large de publication royale147. B. Dumé zil évoque un vocabulaire « notoirement mouvant »148 pour désigner les actes royaux et rappelle que le Pactus pro tenore pacis de Childebert et Clotaire, intitulé ainsi dans la plupart des manuscrits149 comme dans A 1, est désigné comme une constitutionem legum par le concile de Tours de 567, que le roi Caribert aurait confirmé par un précepte (praecepto)150. À cette époque, « Grégoire de Tours uti lise le terme d’edictum, de decretum ou simplement d’auctoritas, sans que l’on per çoive une nuance particulière quant à la nature du document »151. L’ensemble d’articles juridiques lié à l’« édit de Childebert », est bien distin guée de l’entité textuelle suivante, copiée dans un deuxième temps. Un espace est laissé sur la colonne f. 232va, et une autre main, presque contemporaine, a ensuite copié le titre ITEM CAPITULA QUAE IN LEGE SALICA MITTENDA SUNT : le prologue annonçait un édit de Charlemagne et sa législation est bien reprise, mais sans qu’apparaisse de nouveau le terme d’edictum. Ce deuxième copiste a écrit des extraits des capitulaires (f. 232vb-234va) : de ceux de 803152, puis d’un capitulaire daté entre 805 et 813153 précédé du titre HAEC CAPITULA MISSI NOSTRI cognita fiant omnes hominibus partis (f. 234r) et d’un capitulaire de 804154 précédé du titre CAPITULARE QUALITER MISsi nostri de latronibus agere debent. La dernière page est abimée, le texte s’arrête de façon abrupte et il y avait au moins une page de plus à la fin du dernier cahier conservé. Les chapitres supplémentaires et les édits des rois mérovingiens étaient donc clairement distin gués de la législation de Charlemagne par le dernier copiste du manuscrit. La double copie de trois paragraphes de la loi salique est un indice fort qu’ils étaient accessibles sous une forme non identifiée pour le copiste du manuscrit
147 Voir l’article « edictum », Mediae Latinitatis Lexicon Minus, Niermeyer and van de Kieft éd., Burgers rév., consulté en ligne le 29/10/2019. 148 Dumézil, « La chancellerie mérovingienne », p. 478. 149 Eckhardt, « Die Decretio Childeberti ». 150 Concile de Tours II, 567, c. 21 : « En effet, non seulement nos seigneurs de glorieuse mémoire les rois Childebert et Clotaire ont gardé et maintenu à ce sujet la disposition légale que voici, mais à présent notre seigneur le roi Caribert, leur successeur, l’a confirmée par un précepte », cum non solum domni gloriosae memoriae Childebertus et Chlotcharius reges constitutionem legum de hac re custodierint et seruauerint, quam nunc domnus Charibertus rex succesor eorum praecepto suo roborauit. Gaudemet et Basdevant trad., C. De Clerq éd. 151 Dumézil, « La chancellerie mérovingienne », p. 479. 152 Capitulare legibus additum, Boretius éd., no 39, Capitularia I, p. 111-114 et Capitulare missorum, Boretius éd., no 40, Capitularia I, p. 115-116. 153 Capitula per missos cognita facienda, Boretius éd., no 67, Capitularia I, p. 156-157. 154 Capitulare Karoli Magni de latronibus, Boretius éd., no 82, Capitularia I, p. 180-181. Ce capitu laire n’est présent que dans un autre manuscrit, Vatican, BAV, Reg. lat. 520, voir Mordek, Bibliotheca, p. 1089.
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A 1, mais qu’il pouvait associer, par les textes qui les suivaient, à la législation des rois mérovingiens Clotaire et Childebert, d’où son choix dès le début du manuscrit, de les copier après la Loi des Alamans et la Loi Ripuaire. Il n’est donc pas possible de retenir complètement l’interprétation de B. Krusch, reprise par H. Mordek155, suivant laquelle « le copiste a ainsi entretemps trouvé un autre codex de la loi salique et a rajouté ce qu’il y avait trouvé de nouveau156 ». Il a, dès le départ, distingué comme deux ensembles différents ce que nous considérons comme des éléments de la loi salique, et ne les as pas fondus, malgré la présence de trois dispositions communes. Différentes interprétations des mêmes chapitres étaient possibles, comme le montre aussi le manuscrit K 17, qui reprend un grand nombre de ces chapitres sous le nom de loi salique. Audgarius a donc travaillé pour la première partie de la loi salique à partir d’une version A avec une liste de 77 chapitres et un texte de 78 chapitres un peu différent. Il suivait alors un modèle de titres et de texte cohérents, sauf pour le dernier chapitre qui aurait dû être l’édit de Chilpéric. Ce flottement n’affectait pourtant la loi salique qu’à partir du chapitre 76, et non 65 comme le voudrait la numérotation de l’épilogue copié dans A 2. Cet ensemble de 77/78 chapitres correspondait, à ces yeux, suffisamment à la loi salique de la version D pour qu’il choisisse de l’accompagner du prologue long de cette version. Pour Audgarius, contrairement aux copistes des manuscrits A 2 et K 17, les autres chapitres, copiés après la loi des Ripuaires, n’appartenaient pas à la loi salique, mais étaient liés à l’édit de Childebert. Quant à l’édit de Chilpéric, son statut ne lui paraissait pas clair : il a copié une liste de chapitres où il faisait partie de la Lex salica, mais ne l’a finalement pas inclus, pour des raisons que nous ignorons. Le manuscrit A 2 : Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97
Le manuscrit A 2 a été copié par un copiste nommé Agambertus157 après 751 car sa liste de roi mentionne neuf années du règne de Childéric158, que les noms de ses prédécesseurs permettent de reconnaitre comme Childéric III. L’absence de mention du règne de Pépin n’est pas forcément le signe que ce manuscrit fut copié avant 768, car il présente une suite de choix cohérents de silence sur les Carolingiens159. Ce manuscrit n’est probablement pas originaire de Wissembourg160, et suivant les critères paléographiques, sa minuscule précaroline
155 Mordek, Bibliotheca, p. 460. 156 Krusch, Neue Forschungen, p. 187-188 : « Der Schreiber hatte also inzwischen einen anderen Kodex der Lex Salica gefunden und trug daraus nach, was er darin Neues fand ». 157 Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 87v. Commentaire dans Ubl, Sinnstiftungen, p. 137 et suivante. 158 Ibid., f. 37v. 159 Voir infra, chapitre 4. Une autre perspective est défendue par Trouvé, Les listes. 160 Cette origine est soutenue depuis G. H. Pertz à cause du lieu de conservation du manuscrit, et est souvent affirmée dès lors, comme dans Höfinghoff, « Die Lex Salica », p. 11. Mais Mordek,
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montre qu’il fut copié dans la deuxième moitié du viiie siècle, au nord ou à l’est de la France ou en Burgondie161. Le premier recto, qui fut ensuite rempli par une formule issue du droit romain, avait été laissé vide, et la copie commençait par cette rubrique : INCIPIT LEX SALICAE. PRIMUM TITOLUM DE MANIRE162. Furent ensuite copiés 68 chapitres jusqu’à la mention de la fin du premier livre de la loi : LXVIII Explicit Lex. I INCIPIT II DE REBUS IN ALODE PATRES163. La numérotation se poursuit sur ce deuxième livre, jusqu’au chapitre 93. Le pacte de Childebert et Clotaire forme les chapitres 77 à 90, copiés ici aux folios 34 à 37, mais sous une forme différente des dix autres manuscrits qui le rapportent164. Le chapitre 93 est suivi de la mention Explicit lex saleca qui uero cumlacio infra hae libros IIII continere uiditur165, dont une traduction possible est : « La Loi salique se termine, dont la réunion semble être contenue dans ces quatre livres ». Furent ensuite copiés l’épilogue cité plus haut, une liste de rois de Thierry jusqu’à Childéric et un titre parodique de la loi salique, sous le titre Incipit totas malb. qui ne se trouve que dans ce manuscrit166. Après une version résumée originale du Bréviaire d’Alaric167, se trouvent des vers et un colophon Ora pro agamberto (f. 87v). L’insertion du « Pacte de Childebert et Clotaire » dans la numérotation des chapitres de la loi salique montre que pour Agambertus, la loi salique était constituée par incrémentation, en incorporant les édits royaux, dans un ensemble montant jusqu’à 93 chapitres. L’épilogue copié ensuite éclaire cette conception, en faisant de la loi salique une suite de publications royales mérovingiennes, depuis le premier roi des Francs. C’est la critique érudite, et non le copiste, qui établit une rupture après 65 chapitres, et considère les chapitres 66 à 93 comme supplémentaires. Agambertus a distingué des étapes de formation de la loi salique, dans une organisation confuse, en deux ou quatre livres, mais la numérotation continue, incipit et explicit marquent bien un début et une fin de l’ensemble de 93 chapitres comme lex saleca. Une partie des chapitres postérieurs à 66 apparaissent aussi dans le manuscrit K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss, lat. Q 119, daté de la fin du ixe
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Bibliotheca, p. 958 précise bien que le manuscrit ne porte aucune marque d’appartenance à la bibliothèque de Wissembourg et qu’il doit sa cote au fait d’être entré en 1690 à la bibliothèque de Wolfenbüttel en même temps que nombre de manuscrits de Wissembourg. Son origine ne peut donc être précisée. Mordek, Bibliotheca, p. 958-960. A 2 : Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 1. A 2 : Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 31v, l. 7-8. Le texte est contenu dans les manuscrits de la loi salique A 1, 2 et 3, C 6, K 17, K 33, K 34, K 35 et K 66, ainsi que dans le manuscrit K 68 avec des extraits du Pactus pro tenore pacis. A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37. A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37v. Edition par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 253-254. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 302-304 considère que la réalisation de cet Epitome Guelfer bytana pourrait remonter au vie ou viie siècle.
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ou du début du xe siècle168, qui comporte la version Karolina de la loi salique, en 70 chapitres, avec un chapitre II original, et des chapitres complémentaires numérotés jusqu’à 103. Certains chapitres de ce dernier manuscrit sont aussi communs à A 1 et à l’édition de Johannes Herold, comme nous l’avons vu plus haut169. K 17 est notamment le seul manuscrit qui transmette l’édit de Chilpéric, comme chapitre 77170, alors qu’il était annoncé à cette place, mais pas recopié dans A 1, d’où l’argumentation de K. A. Eckhardt, qui relève des éléments com muns aux manuscrits A 1, A 2 et K 17, et soutient qu’ils ont un même modèle, mais défectueux171. Même en supposant une grande négligence des copistes, cette classification est insuffisante, comme le montrent les manipulations opérées pour faire concorder A 1 et A 2 dans son édition. Parfois, K. A. Eckhardt relève aussi une proximité entre les manuscrits A 1, A 3 et K 17, mais l’écarte au contraire comme un simple hasard172. Il semble bien que le copiste qui a créé le montage complexe des différentes versions contenu dans le manuscrit K 17173 possédait un manuscrit de la version A, proche de celui utilisé par le copiste du manuscrit A 1, mais les passages parallèles sont insuffisants pour résoudre l’écart entre le contenu de ce dernier manuscrit et le manuscrit A 2. Un point commun à ces deux manuscrits est la double copie des mêmes articles. Dans le manuscrit A 1, nous avons vu qu’une première fois, trois articles étaient considérés comme faisant partie de la loi salique (f. 196v), alors qu’ils étaient sans titre défini, mais associés à la législation des rois mérovingiens dans un deuxième temps (f. 229v). Dans le manuscrit A 2, les doublons apparaissent entre deux chapitres de la loi salique, auxquels le même titre mais un numéro différent a été attribué. Ainsi le chapitre De conpositione humicidii est copié comme chapitre XLVII au folio 24v, et recopié comme chapitre LXIIII au folio 31. Il y est suivi d’un chapitre LXV De homine in osto occiso, qui avait déjà été copié au folio 24v sous le numéro XLVI, De homine in oste occiso174, cette fois avec une glose malbergique. Les divergences entre le texte copié deux fois montrent qu’il provient bien de deux modèles différents, par exemple à la fin du chapitre XLVII/LXIII :
168 Mordek, Bibliotheca, p. 210-217, distingue une première copie, des feuillets 1 à 119 dans le dernier quart du ixe siècle, et une deuxième copie, des feuillets 120 à 141, au début du xe siècle, le tout probablement dans les environs de Paris. Bischoff repère aussi deux étapes, mais il situe de façon plus floue la première copie au ixe/xe siècle et envisage plutôt le sud-ouest de la France comme lieu de copie, Bischoff, Kataloge II, no 2239, p. 63. 169 Edition par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 238-250. 170 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q. 119, f. 83v-84v. 171 Eckhardt, Pactus, 1954, p. 134 : « fehlerhafte Vorlage ». 172 Ibid., p. 135 : « cela doit être considéré comme un hasard, d’autant plus qu’A 2 ne partage pas cette lacune », « Aber das muß als Zufall angesprochen werden, zumal A 2 die Lücke nicht teilt ». 173 Ubl, Sinnstiftungen, p. 230. 174 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 226 et p. 228.
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A 2, f. 24v : Ch. XLVII : quod se de una parte seu materna nullis parentis fuerit, illa porcio fiscus adquerat. A 2, f. 31 : Ch. LXIIII : quod si una paterna si eum mater nullus parentis fuiret, illa portio in fisco coligatur. L’absence de liste de titres dans ce manuscrit montre que l’assemblage d’ar ticles d’origines différentes n’avait pas encore été suffisamment organisé pour éliminer ces doublons, qu’ils soient le fait du copiste Agambertus ou de son modèle. Comme nous l’avons vu supra, le dernier éditeur de la loi salique a transformé le manuscrit A 2, par des découpages multiples, justifiés à ses yeux par la fan tasmatique version B, afin de créer, en contradiction avec les manuscrits, une apparente convergence entre A 1 et A 2, soutenue par sa présentation synoptique. Il parvenait ainsi à retrouver les convictions exprimées par B. Krusch dans ces derniers travaux et le résultat a pu tromper les plus grands savants, qui lui ont fait confiance175. Mais tous ceux qui avaient étudiés les manuscrits, comme J.-M. Par dessus176 et J. H. Hessels177, avaient auparavant conclu à l’impossibilité d’un modèle commun sans de multiples étapes entre A 1 et A 2 étant données leurs profondes divergences. Cette disparité caractérise aussi les deux autres manuscrits comportant la version A de la Loi salique. Le manuscrit A 3 : Munich, BSB, Clm 4115
Ce manuscrit est daté de la fin du viiie ou du début du ixe siècle et a pu être copié au sud de l’Allemagne178. Sa minuscule précaroline, utilisée par 6 ou 7 mains différentes, ne permet pas une comparaison précise, tandis que son contenu, avec la perte d’un cahier, se limite à la Loi Ripuaire (version A), à la Loi des Alamans (version A) et à la Loi salique, ce qui ne permet pas de datation. Il comporte une liste de 84 numéros de chapitres, auxquels 83 titres sont attribués, après le titre : CAPITULA LEGIS SALICAE SUPTER INSERTA (f. 42v). Ces chapitres sont copiés à partir du folio 44v, après le titre : IN NOMINE DOMINI. INCIPIT LEX ZALICA, jusqu’à la fin du manuscrit, au folio 67v. Le pacte de Childebert et Clotaire en fait partie et forme les chapitres LXVI à LXXX, mais les deux derniers chapitres ne sont pas numérotés. Il est particu lièrement mal édité par K. A. Eckhardt, qui n’en fait pas ressortir les variantes par rapport au texte donné par les manuscrits A 1, A 2, et K 17, bien que A 3
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Mordek, Bibliotheca, p. 958. Pardessus, Loi salique. Hessels, Lex Salica. Mordek, Bibliotheca, p. 305-307 considère qu’il date du viiie-ixe siècle. Bischoff, Kataloge, II, no 2961, p. 226, indique quant à lui le premier quart du ixe siècle. Le site Bibliotheca legum (consulté le 29 mars 2022), signale une copie partielle manuscrite de la loi salique contenue dans ce volume, effectuée par A. W. Cramer en 1816 : Kiel, Universitätsbibliothek, K. B. 207, que je n’ai pu consulter. Voir Henning, verzeichnis, p. 61.
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apparaisse une fois dans l’apparat critique179. Il omet par exemple de signaler que plusieurs parties du chapitre qu’il numérote LXXXIV sont omises dans A 3180. De même, les chapitres LXXVI à LXXVIII du manuscrit (f. 66), puis les deux chapitres suivants non numérotés, sont édités par Eckhardt p. 251-252 sous les numéros LXXXVII à LXLIII, mais les nombreuses variantes spécifiques au manuscrit A 3 ne sont pas retenues et l’unique mention du manuscrit A 3 dans l’apparat critique semble un leurre. Les trois chapitres suivants n’ont pas de numérotation non plus et, ayant été reconnus comme communs avec la loi des Burgondes, ils ne sont pas édités par K. A. Eckhardt, bien qu’il n’existe aucune rupture formelle avec les chapitres pré cédents et qu’ils aient été indiqués dès la liste des titres181. Le texte ne comporte pas d’explicit, mais la cohérence avec la liste des titres et le fait que le dernier cahier, à la différence des précédents, ne comporte que deux pages, font supposer que la fin du recueil sur le feuillet 67 verso est volontaire. Il ne fait pas de doute que pour le copiste de ce manuscrit, la loi salique com portait 83 ou 84 chapitres, dont le pacte de Childebert et Clotaire, tout comme les trois titres issus de la loi des Burgondes. L’unique flottement concerne le nombre total des chapitres, car le copiste a noté 83 titres, a marqué le chiffre LXXXIV, puis a renoncé à placer un titre en face de cette dernière numérotation182. Le copiste montre sa marge d’interprétation lorsque qu’il indique à la ligne suivante, son refus de noter des éléments de la loi salique : Il faut considérer attentivement à propos de tout cela, que dans la loi salique chaque sou a quarante deniers, de sorte que cent vingt deniers font trois sous. Mais nous, pour éviter la longueur de l’ouvrage comme pour améliorer la compréhension, nous avons ôté les mots des Grecs et le nombre de deniers que nous avons souvent trouvés consignés dans ce livre183.
179 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 251. 180 A 3, München, BSB, Clm 4115, f. 65v, ch. LXXIII du manuscrit, ch. LXXXIV de l’édition : Après vigilias constitutas sont omis les mots nocturnas fures non caperent, eo quod per diuersa inter cedente. Après per truste inuenitur, les mots medietatem conpositionis trustis adquirat et capitalem exigat ad latronem. Si quis in domo alterius, ubi clavis est, furtum invenerit, dominus domus sont remplacés par dominus, avant de poursuivre sur la fin du chapitre LXXXV de l’édition : de uita componat. 181 A 3, München, BSB, Clm 4115, f. 67r-v : Liber Constitutionum, von Salis éd., p. 29-116, ms. C 2, ch. 78, 42 et 75. 182 A 3, München, BSB, Clm 4115, f. 44. La présentation de l’édition d’Eckhardt, Pactus, 1962, p. 15 est fausse car elle ne respecte pas la ligne vide après le dernier numéro. 183 A 3, München, BSB, Clm 4115, f. 44 : Hoc autem super omnia diligenter consederandum est quod in lege salica unusquisque solidus quadraginta dinarius habet ita ut centum viginti dinarii faciant solidus tres. Sed nos propter prolixitatem uoluminis uitandam seu fastidio legentium uel propter utilitatem intellegendi abstulimus hinc uerba grecorum et numero dinariorum quod in ipso libro crebre conscribta inuenimus. Edition par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 15.
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Traditionnellement, on considère que les mots des Grecs qui n’auraient pas été repris désigneraient les gloses malbergiques, incompréhensibles pour un co piste qui ne connaîtrait que la langue romane et le latin184, qui sont rarement copiées dans ce manuscrit. Quoi qu’il en soit, le copiste du manuscrit a montré son indépendance face à la tradition écrite antérieure, qu’il a modifiée en enlevant ce qu’il ne comprenait pas, comme ces « mots des Grecs », aussi bien que ce qui lui semblait superflu, comme la répétition des équivalences entre sous et deniers. Le manuscrit A 4 : Paris, BnF, latin 9653
Le manuscrit A 4 est composite et la loi salique fut copiée après 819 dans le manuscrit composant les feuillets 3 à 37. Son écriture indique une copie vers le milieu du ixe siècle, tandis que son contenu semble renvoyer vers une copie en Burgondie, mais on ignore son lieu de conservation avant le xviie siècle185. Ce manuscrit propose 65 chapitres de la loi salique, copiés après la loi des Burgondes, désignée comme liber regis 186. La loi salique est introduite par un titre en capitales noires fourrées de rouge : INCIPIT CAPITULĘ LEGIS SALICAE (f. 22) suivi d’une liste de 65 titres (f. 22-f. 22v). Le titre en capitales noires INCIPIT TRAC TATUS LEGE SALICAE est suivi d’un texte en 65 titres correspondant. Il est notable que le troisième paragraphe de la loi, absent dans A 3, présente le même contenu que celui des manuscrits A 1 et A 2, mais avec la formulation et le vocabulaire de la version K187, qui ne semble avoir été utilisée que pour ce com plément. Au folio 32v, après les 65 chapitres, un titre en capitales INCIPIUNT CAPITULA QUĘ LEGIBUS ADTENTA SUNT QUĘ ET MISSI ET COMITES HABERE ET CETERIS NOTUM FACERE DEBENT introduit des chapitres du capitulaire de Louis le Pieux de 818/819 qui est ainsi distingué du texte de la loi salique, puis, par un nouveau titre (f. 33v), des explications juridiques tirées du livre V des Étymologies d’Isidore de Séville. Sur les quatre manuscrits de la version A, un seul présente donc une version en 65 titres ! Derrière la fluctuation du nombre des chapitres, 76 pour le manuscrit A 1, 93 pour le manuscrit A 2 ou 83 pour le manuscrit A 3, l’ecdotique repère avec raison une base commune de 65 titres, formant les points communs de cette famille de manuscrits. Mais elle crée ainsi une loi salique en 65 chapitres qui n’existe que dans un manuscrit du milieu du ixe siècle et camoufle l’aspect mouvant de ce texte, auxquels furent presque toujours adjoints des chapitres supplémentaires, d’origines diverses. K. A. Eckhardt parle bien de « dispositions flottantes188 », mais c’est toujours pour supposer leur introduction dans un 184 Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 93. Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 474. Höfinghoff, « Die Lex Salica », p. 12. 185 Voir la description donnée par Mordek, Bibliotheca, p. 560-562. 186 A 4, Paris, BnF, latin 9653, f. 4. Édition par von Salis : ms. B7. 187 A 4, Paris, BnF, latin 9653, f. 22v, ch. I, § 3. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 18. 188 Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 59 : « Fliegende Satzungen ».
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« Stammvorlage189 », un « modèle racine », qui aurait été défini de façon claire avant de telles perturbations dues à la tradition manuscrite postérieure. Son but reste de reconstituer le texte originel, sans tenir compte de l’aspect réel sous lequel il fut lu et compris. Il paraît légitime de rassembler ces quatre manuscrits dans une famille com mune en raison de leur soixantaine de chapitres partagés. Mais ils ont aussi en commun l’aspect mouvant de la fin du texte de la loi salique, susceptible d’incorporer jusqu’à 28 chapitres supplémentaires. Il est impossible de remonter à un modèle commun pour ces quatre manuscrits, d’établir entre eux des filiations, de même que d’éclairer les étapes qui ont permis d’aboutir à des présentations si différentes, dont les doublons montrent l’aspect composite. Les édits royaux mérovingiens paraissent le plus souvent liés à la Loi salique, mais suivant un rapport variable, comme accompagnement ou comme partie prenante de la loi. Le manuscrit K 17 : Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q 119
Ce manuscrit a été copié en minuscule caroline par quatre copistes : une première main pour les feuillets 1 à 119 (il manque un cahier M après le folio 88, un cahier Q après le folio 112), puis une deuxième pour les folios 120 à 131, une troisième pour la page f. 132, jusqu’à la ligne la ligne 19 au verso, puis une quatrième de la ligne 20, f. 132v à la fin du recueil190. La première partie de la copie, jusqu’au folio 120, aurait eu lieu dans le dernier quart du ixe siècle, la deuxième au début du xe siècle, à proximité de Paris191. Le volume montre, par ses notae, un usage dans la région de Chartres, vers l’an mil192. Il a appartenu à Paul et Alexandre Petau avant d’être acheté par Isaac Vossius puis la bibliothèque de Leyde. Paul Petau avait déjà noté le manque du cahier M. Ce manuscrit n’a pas été vu par K. A. Eckhardt193 qui a avant tout utilisé la transcription par Alfred Holder, une collation de son fils, W. A. Eckhardt, et une copie de ce manuscrit effectuée en 1839194. À partir de la page 132, sur l’avant dernier quaternion, il comporte une collec tion de capitulaires, appelée par H. Mordek Collectio Vossiana195, « qui témoigne de l’engagement d’un missus en Aquitaine »196. La collection des capitulaires a
Ibid., p. 59 et 75. De Meyier, Codices Vossiani Latini, pars II Codices in Quarto, Leiden, 1975, p. 259-263. Mordek, Bibliotheca, p. 210-217. Bischoff, Katalog II, 2004, p. 63, no 2239. Eckhardt, Pactus, 1962, p. XXXIII, XXXIV et XVIII. K 89 : Paris, BnF, latin 10755 : ce manuscrit ne reprend que la partie consacrée à la Loi salique dans le manuscrit de Leyde. Les lettres qui y sont rattachées montrent qu’il s’agit d’un exemplaire copié par M.-J. Gul pour J.-M. Pardessus. La catalogue de la BnF mentionne de façon erronée une copie d’après un manuscrit de Liège et non de Leyde. 195 Mordek, Bibliotheca, p. 210. 196 Gravel, « Du rôle », p. 109. 189 190 191 192 193 194
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été établie dans un deuxième temps, et M. Gravel a pu montrer que « le premier feuillet du dernier cahier a été éliminé avant la fin de l’ensemble »197, ce qui permet de supposer une autre origine, plus tardive, que la collection juridique initiale, qui nous intéresse ici198. Ce manuscrit comporte trois unica : l’édit de Chilpéric Ier, un capitulaire de Pépin pour l’Aquitaine, composé après 766199, un Breviarum missorum Aquitanum de 789200, ainsi que la lettre de l’évêque de Tours Chrodebert à l’abbesse Boba, qui n’est conservée que dans un autre manuscrit201. Le volume s’ouvre sur une sélection assez répandue de définitions juridiques prise dans les Étymologies d’Isidore de Séville (f. 1-10r), dont H. Mordek a souli gné la proximité avec le manuscrit de Varsovie E 13 de la loi salique, copié dans la région de Tours entre le premier et le deuxième quart du ixe siècle202. Les deux volumes comportent le même titre : INCIPIUNT CAPITULA DE LEGIBUS ISIDORI IUNIORIS et la même liste de quarante chapitres203. Néanmoins, la suite du texte copiée s’arrête après le chapitre XXXIII dans le manuscrit de Leyde204, après le chapitre XX dans le manuscrit de Varsovie205. Les deux manuscrits remontent donc à un modèle commun pour cette partie, mais E 13 n’ a pas servi de modèle à K 17. Le manuscrit semble reposer ensuite sur un modèle confus, car le titre, au folio 10, l. 5 : XI IN LIBRO XVI THEODOSII DE EPISCOPALI IUDICIO, a une numérotation incompréhensible, et introduit deux textes différents : -
un extrait de droit romain qui n’a justement pas été repris par le Code Théodo sien206, sur l’importance du jugement de l’évêque ; la lettre de Chrodebert de Tours à l’abbesse Boba, qui apparaît après un simple retour à la ligne207. L’évêque évoque le salut de pêcheurs, à propos d’une femme vouée à Dieu qui a commis l’adultère. La lettre est donnée sans sa souscription, ce qui interdisait au lecteur d’en identifier l’origine.
Un nouveau titre à la numérotation aberrante, CIII IN UETERI TES TAMENTO IN LIBRO DEUTORONOMI introduit ensuite un passage du
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Gravel, « Du rôle », p. 112. Sur la collection de capitulaires, voir aussi McKitterick, « Charlemagne’s missi », p. 253-267. Gravel, « Du rôle », p. 107 ; Mordek, Bibliotheca, no 18, p. 1081. Mordek, Bibliotheca, no 24, p. 1083. Paris, BnF, latin 2777. Mordek, Bibliotheca, p. 898-903. E 13, Warsawa, Biblioteka Uniwersytecka, 1, f. 251-251v. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q. 119, f. 1. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 1-f. 10. E 13, Warsawa, Biblioteka Uniwersytecka, 1, f. 251r-254. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 10 l. 6-27. Constitutio Sirmondiana 1, Mommsen éd., vol. 1, 2, Berlin 1905, p. 907, l. 11-p. 908, l. 11. Voir aussi le vol. 1, 1, p. CCCLXXIX. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 10, l. 28-f. 12 l. 7. Édition par Grund lach, Epistulae aevi Merowingici et Karolini I, p. 461-464.
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Deutéronome208 : l’agresseur dans les champs d’une jeune fille fiancée sera condamné à mort mais pas la jeune fille, qui a pu appeler à l’aide et ne pas être entendue. L’ensemble constitue un petit dossier de sources normatives – Ancien et Nouveau Testament, droit romain – sur la moniale adultère qui a dû être constitué avant ce volume, qui en reprend les éléments sans bien distinguer les différentes pièces, ni les introduire. À cette sélection ad hoc est adjoint l’Epitome Aegidii, un résumé assez répandu du Bréviaire d’Alaric209, ici présenté comme LIBER LEGUM AUCTORITAS ALA RICI REGIS210. Une main postérieure a ajouté AB ANIANO COLLECTA, ce qui ne change pas que le caractère abrégé de l’ensemble par rapport au Bréviaire n’est pas indiqué. Après ce résumé de droit romain, vient une présentation originale de différents éléments de la Lex salica (f. 64-f. 88v), puis, après la perte d’un cahier, la Loi Ripuaire (classe B, f. 89-93v), la Loi des Alamans (classe B, f. 93v-108), la Loi des Bavarois (classe A, f. 108-131) et enfin la collection de capitulaires carolingiens. Concernant la Loi salique, le premier élément, la Recapitulatio Solidorum, est enchâssé dans la fin du résumé du livre de Papinien, car il apparaît comme un paragraphe, sans titre particulier, numéroté II dans la marge211. Comme pour les premiers éléments du volume, il semble ici que le copiste recopie un modèle où différents éléments ont été assemblés, sans qu’il soit aisé pour lui de déterminer le passage de l’un à l’autre. La Recapitulatio solidorum fut composée entre 802/3 et 806 et place à égalité différentes versions de la Loi salique212. Le texte de ce manuscrit relève de la version B, qui n’apparaît que dans la collection de capitulaires de l’évêque Gerbald de Liège213. Il semble que la Recapitulatio soit ici très résumée par rapport à sa forme primitive. Une telle transformation montre la volonté de reprendre la tradition antérieure tout en se l’appropriant, que l’on voit aussi à l’œuvre dans la constitution d’une version originale de la loi salique. Après le titre INCIPIT PROLOGUS LEGIS SALICE, le prologue long de la loi salique, dans sa version E214, est utilisé pour introduire une liste de 103 chapitres dans un premier livre, puis deux autres livres215. Ce prologue est très rarement utilisé en préambule d’un texte différent de la version E : le seul autre exemple est celui du manuscrit K 26 (Paris, BnF, latin 4759), qui date du deuxième quart ou de la fin du ixe siècle216, mais ne peut être le modèle de K 17 car le troisième lieu
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K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 12, l. 8-13 : Deutéronome XXII, 25-27. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 305-307 et p. 317-318 sur ce manuscrit. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 12, l. 14. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 64. Ubl, « Die Recapitulatio ». Édition par Eckhardt, Pactus, II, 2, 1956, p. 582-583. Édition par Eckhardt, Lex salica, 1969, p. 3-9, sigle E 17. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 64v-f. 67. Bischoff, Katalog II, p. 101, no 4328.
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de rédaction de la loi salique, Widohaim, n’y est pas noté217. L’aspect composite de cette version de la loi salique frappe donc immédiatement. Les hésitations du copiste sur ces pages, où il a été obligé de créer une deuxième colonne, à côté des titres, pour copier la fin du prologue218, ne semblent pas correspondre à un découpage du texte du modèle, car le prologue de la version E a toujours été transmis en intégralité. Il s’agit probablement plutôt d’un problème de mise en page après avoir écrit une grande lettre ornée G, car le prologue copié en deux parties est l’œuvre de la même main. La cohérence de la copie est soulignée par la fin de la récapitulation des chapitres, qui se termine EXPLICIUNT CAPITULA. INCIPIT LEGIS SALICE DE MANNIRE I219 : le copiste de ce manuscrit, ou de son modèle, a tenté d’organiser le contenu récupéré dans différentes versions de la loi salique dans une séquence de trois livres qui ne se trouve dans aucun autre manuscrit de la loi salique. La liste des 68 premiers chapitres correspond à celle des 70 chapitres de la version K, avec quelques changements : un titre II original a été rajouté, les titres des chapitres XVI, XVII et XXVII ont été omis. Le chapitre II De iuratores de quantas causas thalapus debet iurare n’apparaît que dans ce manuscrit. Bien que l’édition de K. A. Eckhardt le présente en parallèle d’un chapitre commun aux manuscrits A 1 et A2 et à un chapitre de l’édition de J. Herold220, les deux chapitres ne partagent que leur objet, la question des serments légaux, et un terme vernaculaire, thoalapus/thalaptas, qui apparaît seulement dans K 17 et l’édition de J. Herold221. Le texte du chapitre II du manuscrit K 17 permet de le comprendre comme signifiant douze ou douzaine. En dehors de ces éléments, les deux textes sont bien distincts car le manuscrit K 17 revient sur une mise en place ancienne des serments. Voici le chapitre non numéroté du manuscrit A 1 : IN QUANTAS CAUSAS ELECTI DEBEANT IURARE De dode et tres qui in hoste praedata sunt et de homine qui in seruitio reuocantur. Si amplius iurarent quam tres causas, rem illa in capite reddat. Et quantum lex de causa illa habet culpabilis, de illis qui iurauerunt tres qui seniores fuerant solidos XV culpabilis iudicetur et reliqui iuratores quinon solidos soluant222. Dans quels litiges doivent témoigner sous serment ceux qui ont été choisis. Sur les biens et les choses qui ont été pillées à l’armée, et sur l’homme qui a été rappelé à la servitude. S’ils jurent davantage que ces trois litiges, qu’ils restituent le capital du litige. Et quand la loi les déclare coupables,
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K 26, Paris, BnF, latin 4759, f. 1v. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q. 119, f. 64v-f. 65. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q. 119, f. 64v-f. 67. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 239-240. Voir le glossaire de l’édition pour d’autres occurrences : Eckhardt, Pactus, 1962, p. 290. A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 228. Édition Eckhardt, Pactus, 1962, p. 239.
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que trois des plus âgés soient jugés coupables pour 15 sous et que les autres cojureurs paient cinq sous. Je tente ci-dessous de traduire aussi le chapitre du manuscrit de Leyde, mais le résultat reste conjectural, car les obscurités s’enchaînent. Elles tiennent à la transmission manuscrite unique, mais aussi à la place qu’y tiennent des paroles à prononcer à haute voix, aux formulations particulièrement éloignées du latin classique. Voilà le chapitre du manuscrit K 17 : II DE IURATORES. DE QUANTAS CAUSAS THOALAPUS DEBET IURARE In quantas causas talentas iuratores sunt XII, in reliquo in dextera et arma talenta. Causas sunt talentas tres, unam de ducem, et alias de res qui in hoste perdidit, tertiam de homine qui revocantur, et causa est non misticis : « suam mala barginam, non te respondo ». Propterea non est sacramentum in Francos ; quando illi legem conposuerunt, non erant christiani. Propterea in eorum dextera et arma eorum sacramenta adfirmant. Sed post ad christianitatem fuerunt reversi. Propterea in eorum arbitrio ad sacramento reuocauerunt, nam non per arma, eorum. Et in eorum arbitrio in eorum sacramento resederint, ut sic iurant super nispatio : « Vide ille tu auditor uobis arbitriorum, per istum arbitrium, de illas res unde tu me mallasti ego de illas te mallare non redebeo, nisi isto idoneo sacramento orbens iuro per isto arbitrio »223. Sur les cojureurs. Sur les litiges pour lesquels une douzaine doit témoigner sous serment. Dans les litiges [dits] douzaines, il y a 12 cojureurs, une douzaine sur les reliques, avec la main droite et les armes. Les litiges de douzaines sont de trois sortes : sur les biens, sur les choses perdues à l’armée, et sur l’homme qui a été rappelé, et [si] le litige n’a pas de serments : « accuse son accord, je ne te réponds pas ». Pour cette raison, il n’y a pas de serment chez les Francs : ils n’étaient pas chrétiens quand ils composèrent la loi donc ils appuient les serments par leur main droite et leurs armes, mais après avoir été convertis au christianisme, ils en appelèrent au serment dans leurs jugements, mais non plus par leurs armes. Et dans leurs jugements, ils résolurent de juger ainsi sur l’épée224 : « vois, toi, l’auditeur, vous [qui faites partie] des juges pour ce jugement, je jure pour ce jugement, que pour ces choses pour lesquelles tu m’as convoqué au tribunal, je ne devrais pas te convoquer au tribunal pour celles-ci, si ce n’est en rompant ce même serment d’honneur ».
223 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 67v. 224 J’interprète ici nispatio comme semispatio.
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Rien ne distingue ce chapitre II, d’origine inconnue, dans la liste des titres des chapitres. Le copiste qui a modifié l’ordre des chapitres a montré la même sensibilité que Loup de Ferrières dans sa réorganisation du texte de la version K. Il paraissait choquant, au ixe siècle, de passer du premier article fondamental, sur la convocation au tribunal, aux dispositions sur le vol des cochons. Cet article II original vient de façon plus logique déterminer de façon structurante qui peut jurer, et sur quels sujets. Cet emprunt à une version plus ancienne de la loi salique, glissé au sien de la version K, contient un discours direct, avec des paroles rituelles, dont la reprise systématique paraissait suffisamment importante au copiste pour qu’il décide de les reproduire, malgré leur suppression de la version la plus récente et le lien proposé avec des temps païens. Comme dans le cas des emprunts du manuscrit K 39, Paris, BnF, latin 4632, l’oralité et la pratique viendraient alors expliquer l’attachement à des rédactions anciennes de la loi salique et leur préservation exceptionnelle dans la seconde moitié du ixe siècle. Cet article II est inséré dans le décompte de la version K, tout comme tous les titres copiés après le 68e, qui correspondent pour certains à des chapitres copiés dans le manuscrit A 1. Après les 68 chapitres de la loi salique version K furent copiés les chapitres 69 à 77 qui sont aussi, avec cette numérotation dans le manuscrit A 1, jusqu’à l’annonce de l’édit de Chilpéric. En revanche, les chapitres 78 à 94 présentés dans la table des chapitres sont d’origine inconnue. Leur emplacement à cet endroit vient probablement d’une confusion entre l’édit de Chilpéric et le Pactus pro tenore pacis de Childebert et Clotaire, car le titre Pro tenore pacis a été ajouté à l’annonce de l’édit de Chilpéric : LXXVII : De dictu domini Hilperici regis pro tenore pacis225. Or le texte ne comporte pas ces mots, ni de préoccupation autour de la paix, à l’extérieur ou à l’intérieur. On peut alors imaginer que ces chapitres de la loi salique auraient circulé avec le pacte de Childebert et Clotaire, comme la loi salique dans les manuscrits A 2 et A 3. Ils ont été ajoutés en suivant la numérotation précédente, dans K 17 ou son modèle. À partir du chapitre 95 et jusqu’au chapitre 103, les chapitres ont de nouveau un modèle connu, puisque leur contenu est le même que celui des chapitres non numérotés, et rarement précédés d’un titre, qui se trouvent dans la deuxième partie de la loi salique copiée dans A 1, à partir du troisième paragraphe, dans les chapitres situés avant « l’édit de Childebert » dans ce manuscrit226. Cette fois, ils ont été considérés comme des dispositions de la loi salique. Leur ordre semble avoir été flottant car le dernier chapitre de la liste des titres, CIII De ane crenodum, (K 17, f. 66v) n’a pas de texte correspondant, mais son titre semble correspondre à celui du deuxième paragraphe de la série de chapitres du manuscrit A 1, De chane creudo227. 225 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 66. 226 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 227v-229v. Édition dans Eckhardt, Pactus, 1962, p. 241-250. 227 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 227v, qui existe aussi dans A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 31v : LXVIIII De cane creuto.
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Illustration 2.7 : Bas du feuillet 88v, dans K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119.
Le copiste de K 17, ou de son modèle, a travaillé à partir d’un manuscrit de la version A de la loi salique comportant des éléments correspondant aux deux par ties de la loi salique copiées dans A 1, ainsi que 17 chapitres d’origine inconnue. Mais la liste des chapitres de ce qu’il désigne comme livre III de la Loi salique fait supposer l’existence d’une troisième série de chapitres de la loi salique version A. Après l’intitulé Quem uero primus rex Francorum (K 17, f. 67) qui correspond à l’épilogue de la loi salique, qui n’est présent que dans A 2 parmi les manuscrits de la version A, et un chapitre intitulé De mitio fristratito, dont le titre semble corres pondre au chapitre 65 dans A 1, les intitulés suivants reprennent de nouveau ceux des chapitres 69 à 74 du manuscrit A 1228, avec une rédaction légèrement diffé rente des titres229. Nous ne pouvons malheureusement pas évaluer le contenu de ces chapitres donnés en doublon dans K 17, car le cahier s’arrête sur le titre do micio fristatito,
228 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 180r-v. 229 Édition dans Eckhardt, Pactus, 1962, p. 16.
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au f. 88v, et le cahier suivant est manquant (Ill. 2.7). Il comportait la fin de la loi salique et le début de la Loi Ripuaire. Le deuxième livre est composé par le Pacte de Childebert et Clotaire, dont le Décret de Clotaire, ainsi que le Décret de Childebert II qui est suivi des rubriques : EXPLICIT LEGE SALICE LIBER III et de la phrase, Quem uero primus rex Francorum, qui correspond à l’introduction de l’épilogue de la Loi salique dans les versions D et E. L’organisation originale de la loi salique dans ce manuscrit peut donc être une interprétation de son modèle de la version E, déjà utilisé pour son prologue. Mais l’ajout de primus nous porte aussi vers la version de l’épilogue contenue dans le manuscrit A 2, où il commence après le Pacte de Childebert et Clotaire, dont le Décret de Clotaire, et cette rubrique EXPLICIT LEX SALECA QUI UERO CUM LACIO INFRAE HAE LIBROS IIII CONTINERE UIDITUR : Début de l’épilogue dans A 2i
Début de l’épilogue dans K 17ii
Début de l’épilogue dans la version Eiii
Primus rex Francorum statuit a primo titulum usque LXII disposuit iudicare.
Quem uero primus rex Francorum statuit, ut
Quem uero rex Francorum statuit et
Post modo autem tempus cum obtimatis suis a LXIII titulum usque ad LXXVIII addedit.
postea una cum Francis pertractauit ut ad XLIIII titulus aliquid amplius addiderint, sicut ad primum ita usque ad septuagesimo VIIII perduxerunt.
postea una cum Francis pertractauit, ut ad tres titulos aliquid amplius adderet, sicut a primo usque ad LXXVIII perduxerunt.
i
A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 88v. iii Édition dans Eckhardt, Lex salica, 1969, p. 188-189. ii
K. A. Eckhardt a choisi d’éditer l’épilogue du manuscrit K 17 dans son volume en lien avec les versions A et C, sous le sigle A 17230, mais ici le manuscrit de Leyde nous montre une combinaison habile des versions divergentes, A et E, qu’il avait choisi de reprendre en complément de la version K de la loi salique. Le manuscrit de Leyde K 17 semble bien avoir utilisé comme modèle au moins un manuscrit comportant la version A de la loi salique, qui a de nombreux points communs avec le ou les manuscrits utilisés par Audgarius pour le manus crit A 1. Outre les points communs avec A 1, neuf chapitres, leur enchainement, la numérotation des chapitres 69 à 77, l’annonce d’un chapitre Do micio fristatio et de l’édit de Chilpéric, on trouve aussi reflétées dans la composition du manuscrit
230 Édition dans Eckhardt, Pactus, 1962, p. 15 et 253.
l’absence de manuscriTs mÉrovingiens
K 17 les caractéristiques communes aux manuscrits de la version A : un système qui repose sur l’assemblage de chapitres d’origines diverses, qui peuvent être réagencés et numérotés à volonté, pour créer la version la plus complète possible de la Loi salique. Comme pour les manuscrits A 1 et A 2, un tel fonctionnement engendre la présence de nombreux doublons. Ici, la perte du cahier suivant empêche d’en juger dans le détail, mais l’édit de Chilpéric aurait dû être copié deux fois, à la fin du livre I et à la fin du livre III, comme l’annonçait une deuxième fois le titre INCIPIT AEDICTUS DOM ; HILPERICI REGIS231. La transmission de ces différents chapitres semble liée à celle d’édits de rois mérovingiens du vie siècle, mais dans une logique d’accumulation des chapitres plus que d’intégration des différentes dispositions normatives. La fin de la page 88v est tout à fait intrigante, car les majuscules EXPLICIT SIC et un retour à la ligne viennent couper en deux l’épilogue, pour lequel une telle disposition est inconnue. Comme pour le début du manuscrit, le copiste ne semble pas comprendre son modèle, et intégrer de façon malencontreuse des annotations marginales. La confusion apparaît aussi pour le titre Do micio fristato qui apparaît à la suite du paragraphe, comme la suite du texte précédent. Dans ce passage confus, apparaît ce résumé du prologue : Hec sunt qui nomina eorum qui fecerunt lege salicae Uuisuast, Aroast, Saleanats, Uicats, qui uero manserunt in lege salica in budice. On reconnaît ici le nom d’Arogast, qui n’est présent, dans une énumération dans cet ordre, que dans le prologue court, qui apparaît à la suite du prologue long en introduction de la version C de la loi salique. Néanmoins, dans la seconde moi tié du ixe siècle, le prologue court circulait aussi dans quelques rares manuscrits porteurs de la version K, comme K 33232 ou la réorganisation de la loi salique de Loup de Ferrières233. Ses informations circulaient dans différents manuscrits de la loi salique, mais jamais en complément de l’épilogue. Il s’agit probablement d’éléments complémentaires qui avaient été ajoutés dans la marge, à partir du petit prologue. Il est impossible de repérer dans lequel des modèles utilisés pour fabriquer la loi salique contenue dans le manuscrit de Leyde – celui de la version A, E ou K ? – ces éléments issus du petit prologue avaient été insérés. L’aspect composite de la loi salique de K 17 empêche d’attri buer ce passage à l’une ou l’autre tradition manuscrite, mais les seuls autres exemples de compléments d’une version avec le prologue court concernent la ver sion K et la version S. Cette incertitude ne peut justifier d’associer la transmission du prologue court à la version A, car il n’apparaît dans aucun des manuscrits de cette version. L’édition de K. A. Eckhardt, qui donne ce passage en introduction 231 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 67. 232 K 33, Paris, BnF, latin 10758, p. 80-81. Ici, le nom d’Arogast ne paraît que dans la liste, complé tée du prologue long, et non dans le prologue court qui suit. Mordek, Bibliotheca, p. 587-604. 233 Édition dans Eckhardt, Pactus, I 2, 1957, p. 314-315.
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des versions A et C de la loi salique234, et considère ainsi le manuscrit comme re flétant ici une version A ou C, fait donc un choix idéologique, pour rapprocher le prologue court de la version A, qui n’est pas justifié par la tradition manuscrite. Le manuscrit de Leyde a exploité des modèles d’au moins trois versions différentes de la loi salique, A, E et K, et nous ne pouvons choisir entre les trois origines possibles pour ce complément de l’épilogue.
Les fluctuations de la version C L’influence chrétienne apparaît clairement pour certains passages de la Loi salique de la version C (ch. XIII, § 11235 ; ch. LV, § 6 et 7236) absents de la version A, ce qui explique que les chercheurs l’aient a priori désignée comme secondaire par rapport à une version A dont le christianisme paraît absent. En revanche, le nombre de chapitres de la version C de la loi salique apparaît plus proche des 65 chapitres évoqués comme texte originel par l’épilogue copié dans A 2 que dans les manuscrits de la version A. Néanmoins, les manuscrits de la version C montrent eux aussi une loi salique aux contours flous. Le manuscrit C 5, Paris, BNF, latin 4403B
Le manuscrit C 5, Paris, BnF, latin 4403B, été copié dans un mélange de minuscules carolines, d’onciales et de semi-onciales par différents copistes dont le travail a été diversement daté. P. C. Boeren a plaidé en 1954 à la fois pour la dissociation en deux manuscrits, l’un du Bréviaire d’Alaric (f. 1-95), l’autre de la loi salique (f. 96-111) et pour une datation plus tardive de l’ensemble, auparavant daté par K. A. Eckhardt et B. Bischoff de la fin du viiie siècle : il aurait été écrit dans la première moitié du ixe siècle pour la première partie, dans le nord-ouest de la France, où aurait été copiée la liste de noms du folio 46v, dans la deuxième moitié du xe siècle pour la deuxième partie237. Depuis, B. Bischoff a révisé son jugement en proposant lui aussi une datation dans le premier tiers du ixe siècle238, à Luxeuil, tandis que H. Mordek persiste dans une datation à la fin du viiie siècle239. Le volume a fait partie de la bibliothèque de Charles IX à Fontainebleau. La première partie comporte un résumé du Bréviaire d’Alaric, l’Epitome mona chi240, suivi, f. 95v, d’un hymne de Paulin d’Aquilée, patriarche du Frioul de 787 à
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Eckhardt, Pactus, 1962, p. 3. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 63. Ibid., p. 209. Boeren, « Quelques remarques », p. 41-45. Bischoff, Katalog III, p. 94. Mordek, Bibliotheca, p. 615. Ce résumé qui pourrait avoir été composé au viiie siècle est conservé dans deux autres manuscrits, voir Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 331-335.
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802, copié d’une main du xe siècle, avec des neumes241. La Loi salique commence sur le cahier suivant, qui ne porte pas de marque et va du folio 96v au folio 111v. La fin de la page 111v est occupée, après deux lignes, par une prière rajoutée au xe siècle. Elle est suivie, sur les feuillets suivants, d’un fragment de l’évangile de Luc, copié en grec. Les espaces laissés vides au départ ont donc été remplis dans un deuxième temps, alors que le manuscrit initial prenait soin de bien distinguer les divers composants. L’ensemble du volume montre une très grande proximité formelle, avec peutêtre des mains communes. Les deux parties ont été corrigées de la même manière. Même si la copie commune des droits romain et franc ne peut pas être prouvée de façon évidente par ce manuscrit, comme le souligne K. Ubl242, il n’y a pas non plus de raison d’en refuser l’assemblage. En haut du feuillet f. 96v apparaît le titre INCIPIT PACTUS SAELICAE LEGIS, suivi d’une liste de 65 titres, où le titre LI a été laissé vide, qui va jusqu’à bas du feuillet 97. Au verso, apparaît le titre suivant, alternant le noir et le rouge (indiqué en gras) : HIC SUNT QUI LEGE SALICA TRACTAUERUNT UUISOGAST, UUIDEGAST, AROGAST, BODEGAST, SALEGASt, UUISOUUADnO IN BODACHAEM, ET IN SALACHAEM. I DE MANNIRE. Le texte de la loi salique copié ensuite est en réalité en 64 chapitres, car la numérotation passe directement de XLVIII à L (f. 108), et suit la liste des titres prévus jusqu’au soixante-cinquième. Il a donc une perturbation vers les 2/3 du texte copié, où le chapitre 51 manque dans la liste des titres, le chapitre 49 dans le texte. Le manuscrit C 6, Paris, BNF, latin 18237
Le manuscrit C 6 est un manuscrit composite, dont nous ne retiendrons ici que la partie centrale, les folios 65 à 120, probablement copiés en France dans le deuxième quart du ixe siècle243. Sur deux colonnes, le texte copié en minuscule caroline est introduit par la rubrique : INCIPIT PROLOGUS LEGE SALICE qui précède un prologue composé du prologue long (f. 65va-66ra) suivi du prologue court (f. 66ra-rb). Il est suivi d’une rubrique désormais illisible f. 66rb, l. 16-18 IN NOMINE D / UIUI EX / IUNT S, puis du titre en noir, l. 19-20 HOC SUNT SEPTEM CAUSAS. Après ce texte (f. 66rb-68ra) vient une rubrique, puis le texte de la Loi salique : une liste de 68 titres, avec comme chapitre LXVII le pacte de Childebert et Clotaire et comme chapitre LXVIII le décret de Childebert II
241 C 5, Paris, BnF, latin 4403B, f. 95v : In sanctorum Petri et Pauli, Norberg éd., L’œuvre poétique de Paulin d’Aquilée, p. 159-160. 242 Ubl, Bibliotheca legum, site consulté le 22 octobre 2019. 243 Mordek, Bibliotheca, p. 612-616.
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(f. 68vb). Cette liste est suivie de 65 chapitres proches de ceux du manuscrit C 5 : le chapitre XLVIII est annoncé dans la liste de titres comme De homine de barca batuto, mais n’est pas donné dans le texte et la numérotation continue pour les autres chapitres. Il y a donc un décalage avec la table initiale des titres. La perturbation se trouve au même endroit que dans C 5. La numérotation n’est pas tout à fait respectée dans le texte, où la première partie du pacte de Childebert et Clotaire forme le chapitre LXVI (f. 92va), mais la deuxième partie est distinguée comme un autre chapitre (f. 93rb), lui aussi numé roté LXVI, et le décret de Childebert qui suit n’est pas numéroté (f. 94va-f. 96rb). Bien que la fin apparaisse ainsi un peu flottante, la dernière colonne se finit sur le terme conponat en onciales, et le reste a été laissé vide, de même que le verso, ce qui indique bien la fin de la copie de la Loi salique. Deux feuillets papier 96 bis et ter copiés au xvie siècle proposent ensuite des extraits du capitulaire de Louis le Pieux, Capitula legibus addenda de 819244. Si l’on considère que ces feuillets viennent bien remplacer des éléments du manuscrit, supprimés à cause de leur mauvais état au xvie siècle, il aurait été copié après 819. Contrairement à ceux des manuscrits A 1, A 4 et C 5, le copiste considère que les édits des rois mérovingiens constituent une partie de la Loi salique, et les intègre dans la numérotation continue des chapitres. En pratique toutefois, il ne sait s’il faut diviser le pacte de Childebert et Clotaire en plusieurs chapitres, ce qu’il ne fait pas dans la liste des chapitres mais dans le corps du texte. Il réagit au décalage avec la liste des titres en recopiant sans numérotation le décret de Childebert. Dans ce manuscrit, la loi salique est introduite par le prologue complet, à savoir le prologue long suivi par l’intégralité du prologue court. Il y forme une introduction à la loi salique comme ceci245 :
Le peuple illustre des Francs, fondé par Dieu, fort dans les armes, ferme dans les traités de paix, profond en conseil, noble de corps, d’une blancheur intacte, d’une beauté singulière, hardie, agile et farouche, converti à la foi catholique et préservé de l’hérésie. Alors qu’il restait encore barbare, sous l’inspiration de Dieu, il recherchait la clef de la science, désirait la justice suivant la nature de ses mœurs, conservait la piété. Ils dictèrent la loi salique par les grands de ce peuple, qui à l’époque en étaient les recteurs. Quatre hommes furent choisis parmi de nombreux hommes : Uuisogastus, Bodogastus et Uuidogastus, dans les lieux appelés Salechagm, Bodochagm et Uuidochagm. Ils se réunirent trois fois en assemblée judiciaire, ils discutèrent avec soin de l’origine de toutes les plaintes, et établirent un jugement à propos de chacune comme suit. Dès lors, Dieu favorisant le roi des Francs, Clovis, beau et impétueux, reçut en premier le baptême catholique, et tout ce qui dans ce pacte était jugé peu
244 Édition dans Boretius, Capitularia I, no 139, p. 282 et suivante. 245 Manuscrit 6, reproduit dans l’édition d’Eckhardt, Pactus, 1962, p. 2, et Lex salica, 1969, p. 2 à 8.
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convenable fut amendé avec clarté par les rois successifs Clovis, Childebert et Clotaire. Vive le Christ qui aime les Francs, qu’il conserve leur royaume et pourvoie ses recteurs de la lumière de sa grâce, qu’il protège l’armée, qu’il accorde les défenses de la foi, que le seigneur Jésus Christ concède la paix dans les plaisirs, la félicité dans les occasions à la piété de ceux qui dominent. Voici le peuple qui fut autrefois courageux et fort. Ils secouèrent le très dur joug des Romains de leurs épaules, et après avoir accepté le baptême, parèrent les corps des saints martyrs, que les Romains avaient brûlés par le feu, découpés par le fer ou donnés aux bêtes pour qu’elles les mettent en pièce, en mettant sur eux de l’or et des pierres précieuses. Il a plu aux Francs et à leurs grands et il a été convenu, afin de préserver le zèle pour la paix entre eux, qu’ils devaient éviter toute augmentation des querelles ; de même, ils devaient surpasser ceux-ci par l’autorité légale, de sorte que l’affaire criminelle se voit attribuer une fin appropriée au type de plainte. Ainsi se présentèrent quatre hommes choisis parmi de nombreux hommes, dont les noms sont Uuisogastus, Arogastus, Salegastus et Uuidogastus. Ils se réunirent trois fois en assemblée judiciaire, discutèrent attentivement de l’origine de toutes les plaintes, et établirent un jugement pour chacune comme suit246.
246 C 6, Paris, BnF, latin 18237, f. 65va-66ra : INCIPIT PROLOGUS LEGE SALICE Gens francorum inclita, auctore deo condita, fortis in arma, pacis foedera, profunda in consilio, corpo rea nobilis, incolumna candore, forma egregia, audax, velox et aspera, ad chatholica fide conuersa et inmunis ab herese. Dum adhuc teneretur barbara, inspirante deo, inquirens scienciae clauem, iuxta morum suorum qualitatem desiderans iustitiam, custodit pietatem. Dictauerunt salica lege per proceris ipsius gentis, qui tunc tempore eiusdem aderant rectores. Electi de pluribus uiris quattuor his hominibus : UUisogastis, Bodogastis et uuidogastis. In loca nominancium salchamae, bodochamae, uuidochamae, per tres mallas conuenientes, omnes causarum origines solli cite discudiendum tractandis de singulis iudicibus decreuerunt hoc modo. Ab ubi deo fauente rege francorum chlodeueus, torrens et pulcher et primus recepit catholicam baptismi, et quod minus in pactum habebatur idoneo per proconsolis regis chlodouehi et hildeberti et chlotarii fuit lucidius emendatum. Uiuat qui francos diligit, Christus eorum regnum custodiat, rectores eorum lumen suae graciae repleat. Exercitum protegat, fidei munimenta tribuat. Pacem gaudia et felicitatem tempora dominancium Dominus iesus Christus pietate concedat. Hec est enim gens quae fortis dum esset et ualida, romano rum iugum durissimum de suis ceruicibus excusserunt pugnandum, atque post agnitionem baptismi sanctorum martyrum corpora, quem romani igne cremauerant vel ferro truncauerant uel bestiis lacerandum proicerant, franci super eos aurum et lapides pretiosos hornauerunt. Placuit atque conuenit inter Francos atque eorum proceribus, ut pro seruandum inter se pacis studium omnia incrementa rixarum resecare deberent, ita etiam eos legale auctoritate praecellerent, ut iuxta qualitate causarum sumerent criminales actiones terminum. Extiterunt igitur inter eos electi uiri de pluribus quattuor his nominibus : Uuisogastus, Arogastus, Sa legastus et Uuidogastus qui per tres mallos conuenientes onnes causarum origines sollicite discucientes de singulis iudicium decreuerunt.
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Tel qu’il a été transmis, le « prologue court » apparaît donc après l’insertion des mêmes informations dans un texte plus long, dans une présentation qui souligne les décrets royaux ajoutés à une rédaction païenne, loue Clovis et men tionne son rôle législateur avec Childebert et Clotaire. Dans le prologue long, les quatre sages qui établirent la loi salique sont désignés comme des rectores, ce qui les assimile aux officiers royaux. L’invocation finale, qui qualifie ainsi les chefs contemporains des Francs, établit une continuité jusqu’aux Francs du viiie siècle, au service du roi carolingien. La concurrence de l’autorité royale, qui était ainsi éventuellement portée par le petit prologue, est donc désamorcée dans la tradition manuscrite, où les rédacteurs de la loi salique apparaissent comme des serviteurs du roi. La reprise décalée des mêmes informations, trois personnages, en trois lieux tout d’abord, puis quatre personnages, dont un des noms semble correspondre à l’un des trois lieux évoqués, de la même façon que les noms des deux autres rédacteurs, a probablement surpris les copistes eux-mêmes, qui n’ont pas hésité à mettre en cohérence ces paragraphes, comme nous l’avons vu pour le copiste du manuscrit C 5. Le petit prologue ne se trouve néanmoins jamais copié sans le prologue long dans les manuscrits de la loi salique. Le manuscrit moderne C 6a : Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005, f. 11-16
Avant la découverte de P. C. Boeren247, on pouvait s’interroger sur le prologue à attribuer à la version C, puisque C 5 proposait un résumé avec six noms de rédacteurs de la loi salique, et C 6 un ensemble composé du prologue long et du prologue court. Le manuscrit moderne C 6a propose, après le titre PROEMIUM (f. 12) la même introduction que C 6, soit le prologue long commun à la version D suivi du prologue court (f. 12v) : deux témoins sur trois proposent donc ce pro logue complet, long puis court, et la liste de C5 apparaît comme son résumé248. Le manuscrit moderne C 6a propose ensuite une liste de 68 chapitres, dont les 65 premiers sont très proches du manuscrit C 5. Vient ensuite un chapitre LXVI, De homine de bargo, dont le numéro et le titre, qui ont été rajoutés dans un deuxième temps, mais de la même main, se trouvent à droite de la colonne. Cette différence ne se retrouve pas lorsque l’érudit relève les variantes du texte, où le chapitre LXVI vient bien à la suite des autres (f. 15). Un tel chapitre ne se trouve pas dans les manuscrits des versions A et C de la loi salique, bien qu’il soit annoncé et non copié dans C 6 sous le numéro 46, mais correspond au chapitre LXXV de la version D, LXXIV de la version E, LXIX de la version K de la loi salique, et XLIIII, § 9 dans l’édition de J. Herold. C 6 n’est donc pas le modèle de C 6a. La
247 Boeren, « Quelques remarques », 1954, p. 34-36. 248 Voir la démonstration détaillée infra.
l’absence de manuscriTs mÉrovingiens
perturbation qui a conduit à la suppression de ce chapitre dans C 6 semble ici avoir été compensée par son rajout à la fin du texte. Le pacte de Childebert et Clotaire et le décret de Childebert forment dans ce manuscrit les derniers chapitres LXVII et LXVIII de la Loi salique. Alors que C 5 et C 6 divergeaient sur cette insertion, C 6a vient confirmer le lien des deux textes à la version C de la loi salique249. Le texte est en général très proche de C 6, mais P. C. Boeren a repéré deux passages de la Loi salique de C 6a, relevés par l’érudit moderne, qui n’ont aucun parallèle connu : -
dans le chapitre XLI De homicidiis ingenuorum (f. 14) : Si quis hominem ingenuum de intus casa sua occiderit, mal. amestalio leode, sol. DC. cul. iud.
-
dans le chapitre LV De corporibus expoliatis (f. 15) : Si quis hominem mortuum super alterum in nauco aut in petra malo ordine uel in furtum miserit, malb. iddulcos, sol. XXXV.
P. C. Boeren avance que le premier article est totalement inconnu, mais pro pose un rapprochement avec les Capitula Remedii250, publiés par l’évêque de Coire vers 802. Il ne m’a pas convaincue, car il ne reproduit que les formulations communes à de nombreux textes juridiques du monde franc. Ces divergences entre les manuscrits de la version C montrent que son apparente stabilité n’est probablement due qu’au petit nombre de manuscrits conservés. Comme pour la version A, nous retrouvons des articles annoncés puis supprimés ou ajoutés vers les deux tiers du texte, un flottement sur le statut des édits royaux mérovingiens – à intégrer ou non, à la fin du texte ? à comptabiliser ou non dans la numérotation des chapitres ? – et un certain nombre de paragraphes en plus ou en moins qui montrent la fluctuation du texte présenté comme la Loi salique. K 67, Vatican, BAV, Reg. lat. 1728, f. 153-161, un manuscrit de la version C ?
La reprise des travaux de K. A. Eckhardt fournit un certain nombre de sur prises, comme le placement de ce manuscrit K 67 dans le stemma des manuscrits des versions A et C de la loi salique (voir illustration 2.5), où le manuscrit 67 apparaît à côté des manuscrits 5, 6 et 6a. Il s’agit d’une copie du xve siècle, en écriture bâtarde, dont seuls 9 feuillets ont été conservés251. K. A. Eckhardt note pour son édition qu’il n’a pas consulté le manuscrit et souligne sa proximité avec
249 Il faut donc corriger sur ce point Eckhardt, « Die Decretio Childeberti », p. 2, qui suit les déductions de son père pour y voir un emprunt à la version D dans le manuscrit C 6. 250 Boeren « Quelques remarques », p. 59. 251 Mordek, Bibliotheca, p. 852-855. Je n’ai pu consulter ce manuscrit.
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le manuscrit K 66, Vatican, BAV, Reg. lat. 1036, lui aussi copié au xve siècle, mais en écriture humaniste252, car K 67 reproduit la même collection de capitulaires253. Le manuscrit K 66 est conservé en intégralité. Au milieu de la collection de capitulaires se trouve la loi salique sous une forme particulière : le prologue long de la version D (f. 13v-14), dont le latin a été corrigé suivant les standards huma nistes, avec une liste de six rédacteurs de la loi salique : Uuisogastus, Salegastus, et Uuidogastus, Arogastus, Bodegastus, Uuisogado in locis cognominatis Salechem, et in Bodochem et UUidochem254. Suit une liste de 71 chapitres, numérotés LXXII en raison d’un saut de 67 à 69 en tournant la page255, puis le texte du petit prologue de la loi salique (f. 15v), avec quatre noms de rédacteurs, en trois lieux256. Est ensuite copiée la version K de la loi salique, avec 71 titres257. Le 71e chapitre, De terra condemnata correspond à celui copié à cette place dans les manuscrits de Saint-Pétersbourg (K 81)258 et de Nuremberg (K 61)259. Après ce chapitre vient le Pacte de Childebert et Clotaire, dans une forme abrégée260, qui se termine directement par ce qui apparaît dans les manuscrit K 81, K 61 et K 57 de la loi salique diffusée sous Charlemagne261 comme le premier paragraphe d’un 72e chapitre, De inuitu stritto. Il se termine ici de façon originale par les mots excepto capitale in loco restituat262. La parenté est très forte avec les 9 feuillets du manuscrit K 67, qui repro duisent exactement la même collection de texte, dans le même ordre, mais s’interrompent avant la copie de la collection d’Anségise. Il y a néanmoins une lacune entre le titre qui annonce la loi salique Incipit tractatus legis salicae, f. 157v, le même titre que dans K 66263, et le seul feuillet de la loi salique conservé, f. 158 qui reproduit la fin de la loi, du milieu du chapitre LXVI au chapitre LXXI. Vient ensuite la même version abrégée du Pacte de Childebert et Clotaire, directement suivie du chapitre 72, § 1 de la loi salique264. Les deux manuscrits du xve siècle, K 66 et K 67 sont donc très proches. Ils dépendent tous deux indirectement du manuscrit K 65, Bonn, Universitäts-
252 Mordek, Bibliotheca, p. 844-847. 253 Eckhardt, Pactus, 1962, p. XXIV. Le rapprochement entre les deux manuscrits était déjà proposé par Pardessus, Loi salique, p. LX. 254 K 66, Vatican, BAV, Reg. lat. 1036, f. 14. 255 K 66, Vatican, BAV Reg. lat. 1036, f. 14-f. 15v. 256 K 66, Vatican, BAV Reg. lat. 1036, f. 15v : Uuisogastus, Arogastus, Salegastus et Uuidogastus in villas quę ultra Renum sunt, in Bothem et Salehem et Udohem. 257 K 66, Vatican, BAV Reg. lat. 1036, f. 15v-f. 44. 258 K 81, Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11. 259 K 61, Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96. 260 K 66, Vatican, BAV Reg. lat. 1036, f. 44-f. 46. 261 K 57, Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50.2. 262 K 66, Vatican, BAV Reg. lat. 1036, f. 46. 263 K 66, Vatican, BAV Reg. lat. 1036, f. 13. 264 Je n’ai pas non plus vu le manuscrit et je m’appuie ici sur les descriptions données par J.-M. Pardessus et H. Mordek.
l’absence de manuscriTs mÉrovingiens
und Landesbibliothek, S. 402. Celui-ci fut copié en Allemagne au xiie siècle et comporte une anthologie autour des souverains carolingiens, notamment avec les biographies d’Éginhard et de Thégan, ainsi que la collection d’Anségise265. En complément viennent des capitulaires, ainsi que le Pacte de Childebert et Clotaire (p. 140-142), exactement sous la même forme abrégée que dans K 66 et K 67. Il propose aussi le texte d’histoire des Francs, appelé d’après lui Origo Francorum Bonnensis266, qui fait ici office d’introduction à la loi salique en reprenant notam ment des éléments du Liber Historiae Francorum sur les premiers temps des Francs. Cette œuvre est aussi reproduite, mais pas à la même place, dans K 66 et K 67, où elle introduit la collection de capitulaires carolingiens267. Le Pacte de Childebert et Clotaire et l’édit de Childebert sont copiés dans K 65 au milieu de la collection de capitulaires, soit avant et non après la Loi salique268. Le texte de celle-ci et introduit par l’Origo Francorum Bonnensis, puis par le prologue long, commun à la version D, ici avec six rédacteurs de la loi salique, une liste de 71 titres, puis le prologue court présent dans la version C. il s’agit de la même disposition que K 66 et la même fin de contenu que K 66 et K 67 sur le titre LXXI De terra condemnata. La proximité entre K 65 et K 66 apparaît clairement dans le prologue long, avec une inversion de l’ordre des expressions par rapport à la version D : Prologue long, version D : édition Eckhardt p. 2
K 65, p. 146
K 66, f. 13v
Gens Francorum inclita
Gens Francorum inclita
Gens Francorum inclita
auctorem Deo condita
auctore deo condita
auctore deo condita
fortis in arma
fortis in armis
fortis in armis
firma pace fetera
profunda consilio
profunda in consilio
profunda in consilio
firma in pacis federe
firma in pacis foedere
corporea nobilis, incolumna candore, forma egregia
corpore nobilis, incolumna candore, forma egregia
corpore nobilis, incolumna candore, forma egregia
La proximité entre K 65 et K 66 est claire, même s’il faut au moins rajouter une étape de copie entre eux pour expliquer l’ajout du paragraphe LXXII, 1 de la Loi salique à la suite du décret de Childebert. En outre, le pacte de Childebert et Clotaire diffère au paragraphe II entre K 65 et K 66 :
265 Mordek, Bibliotheca, p. 81-85. 266 Origo Francorum Bonnensis : K 65, Bonn, Universitäts- und Landesbibliothek, S. 402, p. 145-146. Édition par B. Krusch, p. 528. 267 K 66, Vatican, BAV, Reg. lat. 1036, f. 1-2. K 67, Vatican, BAV, Reg. lat. 1728, f. 153. 268 K 65, Bonn, Universitäts- und Landesbibliothek, S. 402, p. 140-142.
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K 65, p. 140-141 : II Si quis hominem ingenuum pro furto ligauerit et negat, XV iuratores donet, quod furtum quod obicit uerum sit. K 66, f. 44 (je souligne) : Si quis hominem ingenuum pro futuro ligauerit et negat XV iuratores donet medius electus dare debet quod furtum quod obicit uerum sit. L’omission permet de montrer que K 66 n’est pas la copie directe de K 65. En revanche, la forme générale, abrégée du Pacte de Childebert et Clotaire Pro tenore pacis est la même dans les trois manuscrits, K 65, K 66 et K 67 : dans sa deuxième partie, le Décret de Clotaire, les paragraphes 10 et 15 ont été abrégés, les paragraphes 11 et 16 ne sont pas repris. Malgré la proximité des manuscrits K 65, K 66, et K 67 et l’aspect fragmentaire de ce dernier, qu’il n’a pas consulté, K. A. Eckhardt les sépare dans son stemma codicum, simplement parce qu’il considère, à tort, que le décret de Clotaire y est reproduit sous une forme complète269. Cela lui suffit pour considérer qu’il ne peut que dépendre directement d’un exemplaire de la version C. Cette erreur illustre sa façon de raisonner, où en se fiant sur des variantes qu’il n’a pas lui-même relevées, il ne les considère que comme des insertions à partir de modèles plus anciens de versions rares de la loi salique, y compris pour un manuscrit aussi tardif que K 67, copié au xve siècle. Il faut bien sûr réintégrer K 67 dans les manuscrits liés à K 65, même si sa brièveté nous empêche de déterminer plus avant ses liens précis avec K 66. Des passages de C copiés au ixe siècle : K 39, Paris, Bnf, latin 4632
Une insertion du texte de la version C de la Loi salique a jusqu’ici échappé au regard des spécialistes, car elle se trouve à l’intérieur d’un texte de la version K. Le manuscrit K 39, Paris, Bnf, latin 4632, a été copié par plusieurs mains au milieu ou dans la seconde moitié du ixe siècle à Templeuve, à proximité de Saint-Amand270. Sur le dernier feuillet, le colophon d’une autre main nous renseigne sur son commanditaire : Toute tâche a une fin, mais sa récompense est sans fin. Tout comme le port paraît désirable à celui qui navigue, la dernière ligne paraît désirable à celui qui copie. Alors que trois doigts écrivent, le corps tout entier travaille. Moi,
269 Eckhardt, Pactus, I, 1954, p. 136 et 138. 270 Bischoff, Katalog III, no 4322, p. 99. Mordek, Bibliotheca, p. 516-518. Il faut corriger la localisa tion proposée par West, « The significance », p. 195 note 51, car il s’agit de Saint-Amand-lesEaux (Nord), non de la ville belge.
l’absence de manuscriTs mÉrovingiens
Autramnus, indigne avoué laïc, j’ai écrit ce livre dans la villa de Templeuve, dans l’église Saint-Etienne. Je prie [pour] vous tous271. Ce manuscrit, commandé par Autramnus plus qu’écrit par lui, fut ainsi copié dans l’église Saint-Etienne de Templeuve (arrondissement de Lille), à coté de Saint-Amand. Le début du manuscrit manque et seule la fin de la Lex Ripuariorum (A) a été conservée (f. 1-7). Elle est suivie d’une liste de 70 chapitres et du texte de la loi salique en 72 chapitres. Suivent des extraits de capitulaires de Charlemagne272 et de Louis le Pieux273. La sélection originale d’un chapitre d’un capitulaire de 816 montre que le manuscrit, ou son modèle, a été conçu pour un usage particulier274. Sur un autre cahier a été copié la lex Alamannorum, (B), puis le colophon cité supra. Le texte de la loi salique ne paraît pas surprenant, car il est introduit par une liste de titres (f. 7-8v) qui correspond, à quelques variations orthographiques près, à celle de la version K. Outre cette formulation de la liste des titres, la proximité avec la version particulière de la Lex Salica telle qu’elle a circulé sous Charlemagne apparaît à travers les deux derniers chapitres. Dans ce manuscrit, les chapitres de la loi salique n’ont pas été numérotés sur l’avant-dernière page, f. 29, et la numéro tation reprend avec un décalage d’un (LXVIII au lieu de LXVIIII) au verso. Les trois chapitres suivants ne sont plus numérotés, ce qui peut correspondre à la gêne du copiste par rapport aux 70 chapitres initialement annoncés. Le chapitre qui aurait dû être numéroté LXX : Qui filiam aliena quesierit et retraxerit correspond bien au dernier chapitre de la version K la plus répandue. Le chapitre suivant correspond au chapitre LXXI du manuscrit K 81 de Saint-Pétersbourg275, comme l’avaient bien noté K. A. Eckhardt276 et Ch. West277, et au chapitre non numéroté du manuscrit K 61 de Nuremberg278, tandis que le texte du dernier chapitre de la loi salique reproduit le texte donné par le manuscrit K 57 de Wolfenbüttel279 :
271 K 39, Paris, Bnf, latin 4632, f. 59v : Omnis labor finem abet, premium autem eius non abet finem. Quia sicut nauiganti desiderabilis est portus, ita scriptori nouissimus uersus. Quia tres digiti scribunt, unde totus corpus laborat ; ego enim Auttramnus indignus aduocatus laicus scripsi hunc librum in eclesia sancti Estefani in uilla nomine Templouia. Precor uos omnes. 272 Capitulare legibus addditum, Boretius éd., Capitularia I n.° 39, Capitulare missorum, Boretius éd., Capitularia I n.° 40 et Capitula Francica, c. 7, Boretius éd., Capitularia I n.° 104. 273 Capitula legibus addenda, Boretius éd., Capitularia I n.° 139, Capitula legi addita, Boretius éd., Capitularia I n.° 134 et Capitula legi Salicae addita, Boretius éd., Capitularia I n.° 142. 274 West, « The significance », p. 195-198. 275 K 81 : Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11. 276 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 528. 277 West, « The significance », p. 197. 278 K 61 : Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96. 279 K 57 : Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50.2.
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K 81
K 61
K 57
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LXXI DE INUITU STRITTO
K 39 DE INUICTU STRICTO
Si quis pittoi alterius excusseritii, mallobergo inuitu stritto,
Si quis pitto alterius excusserit inuitu stricto
solidos III.
solidos III culpabilis iudicetur.
CXX dinariis qui faciunt solidos III culpabilis iudicetur.
CXX denariis qui faciunt solidos III culpabilis
EXPLICIT LEX SALIGA
Si uero contra uoluntate domni et negare uoluerit, et ei fuerit adprobatum, capitale in locum restituat et insuper ICCCCtos dinarios
Si uero contra uoluntatem domini et negare uoluit et ei fuerit adprobatum,
qui faciunt solidos XXX culpabilis iudicetur, excepto capitale et dilatura.
qui faciunt solidos XXXV culpabilis iudicetur.
i ii
caput restituat et in super MCCCC den.
K 81 : pito. K 81 : excuserit.
Le début et la fin de la loi salique reflètent ainsi un texte très proche de la version K qui circulait durant le règne de Charlemagne et on peut supposer que les copistes ont travaillé avec un modèle manuscrit de cette époque. Pour autant, les titres copiés dans le corps du texte divergent souvent de la liste initiale. C’est le cas du titre XVI : f. 7v : De eo qui uillam alienam adsallierit f. 13v : De uilla aliena adsallita tout comme du titre XX f. 7v : De eo qui hominem innocentem ad regem accusat f. 14v : De innocentibus et du titre XXIII f. 7v : De eo qui nauem sine permissu domini mouerit aut furauerit f. 15 : De navibus furatis.
l’absence de manuscriTs mÉrovingiens
Pourtant, le texte qui suit ces trois titres est celui de la version K. Cette reformulation montre une inhabituelle liberté des copistes par rapport à leurs modèles. Les deux premiers titres n’ont pas de parallèles connus, tandis que le dernier correspond à la formulation des versions A et C. Une telle reformulation des titres n’indique pas forcément que des modèles particuliers furent reproduits, comme le montre Loup de Ferrières en reproduisant, dans un nouvel ordre, les articles de la version K de la loi salique, mais en leur fournissant de nouvelles rubriques pour son Liber legum280. Par la suite, néanmoins, les variations du texte ne se limitent plus aux seuls titres. Le titre XXII : f. 7v : De eo qui mulieri ingenuae manum strinxerit f. 15 : De manu uel digitos stringendum est suivi de modifications qui apparaissent dans le corps du texte par rapport à la version K : à la place du paragraphe 3, copié seulement à la fin du chapitre après le paragraphe 4, apparaît : Si super caput solidos conp. Cette disposition ressemble au chapitre XIX, § 3 de la version K, pour un coup sur la tête, mais paraît bien mal placée dans ce chapitre, car on ne peut comprendre ce qui a été coupé ou cassé. L’existence d’un autre modèle manuscrit que celui de la version K s’affirme à partir du titre XXV, où certains titres ne reprennent pas les termes de la version K, mais ceux des versions plus anciennes, A, C ou D, qui furent ses modèles : f. 15 : XXV De caballo sine consilium domini sui ascenso. Le titre de la version K utilise le terme de permisu. f. 15 : XXVI De homicidiis paruulorum uel mulierum. Le titre de K utilise le terme pueros. XXXIIII De legaminibus ingenuorum. Le titre de K utilise une périphrase plus claire : De eo qui hominem ingenuum sine causa ligauerit. À partir du chapitre XL De furtis cavallorum, les titres sont systématiquement ceux de la version C de la loi salique : f. 19v : XLI De plagiatoribus f. 20 : XLII Si quis servus in furtum fuerit inculpatus f. 21v : XLIIII De homicidiis a contubernis factis f. 22v : XLVII De migrantibus f. 23 : sans numéro (pour 48) : De achramire f. 24 : XLVIIII De feltortis qui salica lege uiuunt f. 24v : L De falsum testimonium sans numéro (pour 52) : De fide facta f. 25v : LIII De andoctimo f. 26 : LV Da manu ab aenio redimenda f. 26v : LVI De grafione occiso
280 Münsch, Der Liber legum, p. 123-137.
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f. 27 : LVIII De incendiis ecclesiae sanctificata vel ei expolationem et de homicidiis clericorum LVIIII De dispectionibus L’existence d’un modèle apparenté à C est révélée (f. 25v) par le chapitre LIII De andoctimo car le titre des versions A (ch. 51)281, D (ch. 87) et E (ch. 86)282 sont différents. Cet emprunt des titres à la version C se poursuit jusqu’au chapitre LVIIII. Il est intitulé De eo qui ad mallum venire contempserit dans la version K, ici De Dispectionibus, comme le chapitre correspondant de la version C283. Du chapitre 40 au chapitre 59, le copiste choisit donc de reproduire une rubrique correspondant à la version C, tandis que le corps du chapitre est celui de la version K. À l’inverse, au chapitre suivant, le titre 60 est bien celui de la version K, De rachinburgis qui secundum legem non judicant, mais le texte y est celui de la version C (tab. 2.1)284. Une autre insertion à partir de la version C est ensuite visible au sein du chapitre 64 de la Loi salique, f. 28v-29. En italique paraît ce qui est commun avec la version K, en gras ce qui pourrait provenir d’une version C de la Loi salique : LXIIII DE CHEROENO Si quis alteri de manum super illum aliquid tuleriter virtutem vel rapuerit rem in capitale restituat et in super ICC den. qui faciunt sol. XXX conp. Si quis hominem dormientem per furtum expoliaverit IIII den. qui faciunt sol. C cul. Si vero quicumque de super hominem in tertia manu miserit et e quod se agnoscere dicit per virtutem tu illis se convincitur ICC de. qui fac. sol. XXX cul. La suite du texte correspond à la version K. Les copistes du manuscrit K 39 ont recopié une version hybride de la version K et de la version C. Ils plaçaient donc les deux versions à égalité, ce qui montre que la version K n’avait pas particulièrement de caractère officiel à leurs yeux. Il est notable que l’insertion la plus longue concerne une série d’interventions orales codifiées : les copistes ont pu préférer la version minoritaire parce que les tournures étaient connues, en dehors de la version écrite de la loi salique, ou parce que les tournures orales proposées leur semblaient plus proches de la langue parlée285. Ils disposaient d’un manuscrit de la version C que nous pouvons peut-être rapprocher de celui qui fut utilisé par Loup de Ferrières lorsqu’il composa le Liber legum pour Évrard de Frioul : quelques chapitres de la salique y semblent avoir
281 282 283 284 285
Voir l’édition d’Eckhardt, Pactus, 1962, p. 196-197. Voir l’édition d’Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 152-153. Ibid., f. 27, à comparer avec la version C, ch. 56, édition Eckhardt, Pactus, 1962, p. 211. Ibid., f. 27v, à comparer avec la version C, ch. 57, édition Eckhardt, Pactus, 1962, p. 215. Voir les réflexions de Banniard, « Niveaux », 2005.
l’absence de manuscriTs mÉrovingiens
subi l’influence de la version C286 et l’introduction de la loi par le prologue long suivi du prologue court semble bien avoir eu la version C pour modèle. Or Évrard donna à Saint-Amand des reliques de saint Calixte, et son fils Raoul fut abbé de Cysoing et de Saint-Amand287. Il n’est donc pas impossible qu’un manuscrit de la version C, mis par Évrard à la disposition de Loup, ait été plus tard l’un des modèles des copistes de Templeuve288 (Tableau 2.1). Tableau 2.1 : L’insertion de la version C dans le chapitre LX du manuscrit K 39
C 5, f. 110-110v :
C 6, f. 90va-vb :
K 39, f. 27v-f. 28 :
ch. LVII
ch. LVII
ch. LX
DE RACHENBURGIIS
DE RACHINBURGIIS
DE RACHINBURGIIS QUI SECUNDUM LEGEM NON IUDICANT
Si quis racimburgii in mallobergo sedentes dum inter se causas discutiunt debent eis dicere qui causam requirunt : « Dicite nobis legem salica ».
Si quis rachinburgiae in mallobergo sedentes dum inter se causas discutiunt debent eis dicere qui causam requirit : « Dicite nobis legem salicam ».
Si quis rachinburgiae in mallobergo sedentes dum inter se caus discutiunt debet eis dicere qui causam requirit « Dicite nobis legem salica ».
Si uero legem noluerint dicere, ille qui causam prosequitur : « Hic ergo uos tangano usque quod mihi legem dicatis secundum legem salica ».
Si uero legem noluerint dicere, ille qui causam prosequitur : « Hic ergo uos tangono usque quod legem mihi dicatis secundum legem salicam ».
Si vero legem noluerit dicere illi qui causam prosequitur : « Hic ergo vos tagno usque quo quod mihi legem dicatis secundum legem salicam »
Quod si dicere noluerint, VII de illis rachimburgiis culcatum solem solidos III singuli culpabilis iudicetur.
Quod si dicere noluerint, septem de illis rachinburgiae culcatum sole CXX denariis qui faciunt solidos III singuli culpabilis iudicetur.
Quod si dicere noluerint VII de illis rachinburgies calcatum solem CXX denariis qui faciunt solidos III singuli culpabilis iudicetur.
Quod si nec legem dicere uoluerint, nec ternos solidos fidem facere uoluerint, tunc solem illis collocatum solidos XV singuli unusquisque illorum culpabilis iudicetur.
Quod si nec legem dicere uoluerint nec ternos solidos fidem facere uoluerint, tunc solem illis culcatum DC denariis qui faciunt solidos XV singuli culpabilis iudicetur unusquisque illorum culpabilis idem.
Quod si nec legem dicere noluerunt nec ter nos sol. Fidem facere voluerunt tunc sole millis calcatum DC denariis qui faciunt solidos XV culpabilis judicetur singuli eorum.
286 Eckhardt, Pactus I 2, 1957, p. 310-311. 287 Feuchère, « La Pévèle », p. 49. 288 Merci à R. Le Jan qui a suggéré ce rapprochement.
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C 5, f. 110-110v :
C 6, f. 90va-vb :
K 39, f. 27v-f. 28 :
Si uero rachimburgii qui sunt et non secundum legem iudicauerint, contra quem sententia dederint causa sua agat. Et si potuerit adprobare quod secundum legem non iudicauerint, solidos XV illi VII singillatim culpabilis iudicetur.
Si uero rachinburgiae qui sunt et non secundum legem iudicauerint, contra quem sententia dederint causa sua ageat. Et si potuerint adprobare quod secundum legem non iudicauerint DC denarios qui faciunt solidos XV culpabilis illi septem singulatim cum illo iudicentur.
Si vero rachinburgiae qui sunt et non secundum legem judicaverunt contra quem sententia dederunt causa sua agat. Et ei potuerit adprobare quem non secundum legem dicaverunt DC denariis qui faciunt solidos XV illi VII singulatim culpabilis judicetur.
Si uero rachimburgię legem dixe et illi contra quem legem dicunt eos contradixerit quod legem non iudicant, simili modo contra unumquemque solidos XV culpabilis iudicetur.
Si uero rachinburgiae legem dixerint et ille contra quae in legem dicunt eos contradixerint quod legem non iudicant, simili modo contra unumquemque solidos XV culpabilis iudicetur.
Si vero racingurgiae legem dixerint et illi contra quem legem dicunt eos contra dixerit quod legem non dicant simili modo contra unum quem que solidos XV culpabilis iudicetur.
Quod si dicere noluerint VII de illis rachinburgies calcatum solem CXX denarios qui faciunt solidos III singuli culpabilis judicetur.
Conclusion L’étude des manuscrits des versions A et C a permis de souligner la particula rité des exemplaires de la version A. Son contenu est particulièrement flexible, de 93 à 65 chapitres et la présentation unifiée d’un Pactus legis salicae par K. A. Eckhardt n’est qu’un leurre. Pour des raisons idéologiques, il a choisi la version A, qui ne comporte pas d’allusion au christianisme, l’a artificiellement réduite aux 65 chapitres correspondant avec C et a repris à cette dernière version une partie de son prologue, celle qui ne mentionne ni autorité royale ni christianisme. Cet assemblage disparate, sélectionné pour l’apparent archaïsme ainsi créé, s’oppose à la tradition manuscrite, où les versions A et C de la loi salique sont caractérisées par le silence (A 4) ou l’association à l’autorité royale (par le prologue long, A 1, par le prologue complet, C 6, par son résumé, C 5, par l’épilogue, A 2 ou des édits royaux, A 3). La diversité des exemplaires manuscrits ne laisse en réalité qu’un petit nombre de points communs : il existe une perturbation entre le chapitre 49 et 51, mais
l’absence de manuscriTs mÉrovingiens
surtout une diffusion de chapitres flottants, par groupe de 10 à 15, qui semblent pouvoir être attachés ou détachés du reste, ce qui crée des doublons dans le cas de leur inclusion. Un grand nombre de ces chapitres circulent de façon indifférenciée pour les copistes, qu’il s’agisse de chapitres de la loi burgonde mélangés à ceux de la loi salique, ou de chapitres de la loi salique seulement associés à l’édit de Childebert. Cette circulation dispersée de chapitres de la loi salique eut lieu de façon étroitement liées aux édits des rois mérovingiens. Les copistes ne savaient s’il fallait les intégrer ou non dans la table initiale des chapitres et la numérotation et ils ont opéré des choix différents. Ils révèlent ainsi qu’il n’y eut probablement pas de tables des chapitres initiales et qu’elles apparurent dans un deuxième temps de la tradition manuscrite, en rassemblant les ensembles de chapitres qui avaient circulé de façon dispersée. Ce désir de collection de fragments anciens, qui apparaît dans les deux parties de la loi salique de A 1 comme dans les doublons de A 2 ou l’inclusion des chapitres de la loi burgonde dans A 3 est à distinguer des copistes plus tardifs. Celui du manuscrit A 4 s’en tient probablement à un modèle déjà établi, pour lequel il peut proposer une table des chapitres et un nombre de chapitres stables, mais il écrit au milieu du ixe siècle. En revanche, pour ceux qui travaillèrent à la fin du viiie siècle, comme les copistes des manuscrits A 2 et A 3, il semble que leur copie représente une étape dans la constitution, encore en cours, d’un ensemble stable de chapitres qui pouvaient être désignés comme lex salica. Il faut relever l’attitude des copistes de A 1, K 17 et K 39. Alors qu’ils tra vaillèrent bien après la réécriture de la loi salique qui a donné la version K, ils choisirent ou bien de ne retenir que les éléments anciens et d’ignorer cette version, comme A 1, ou d’opérer un alliage des deux, comme K 17 et K 39. Dans tous les cas, ils n’attribuèrent aucune prééminence à la version la plus récente, qui ne paraissait donc pas adossée à l’autorité particulière de Charlemagne. De tels éléments invitent à réfléchir à l’héritage potentiel à partir duquel les copistes ont composé les versions A et C de la loi salique. Comment furent constitués les recueils juridiques du haut Moyen Âge ?
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La loi salique à la fin du viiie siècle
Un corpus juridique en cours de constitution La création de recueils juridiques
L’étude des manuscrits des versions A et C a montré l’aspect artificiel de la reconstruction opérée pour l’édition. Le nombre de chapitres des différents manuscrits varie considérablement, de même que leur ordonnancement et leur lien avec la législation des rois Clotaire et Childebert. Il est impossible de détermi ner les relations entre ces deux versions A et C, qui servirent probablement de modèles aux autres versions, D, E et K. Il n’est pas justifié de les présenter dans une version commune, où la deuxième partie du prologue de la version C (le prologue court) vient introduire une version A qui n’a pas de prologue. Il n’existe pas d’ordre, ni de nombre de chapitres permettant une édition commune sans suppression artificielle des particularités de la version A. La confusion de l’enquête philologique augmente avec les gloses malbergiques qui apparaissent dans les manuscrits des versions A, C et D de la loi salique : celles-ci apparaissent dans les chapitres de la Loi salique avec une régularité très va riable, souvent sur un seul manuscrit à la fois. Elles soulignent la divergence entre les manuscrits d’une même version et ne permettent pas d’éclairer la tradition manuscrite1. Leur positionnement est parfois erroné, ce qui semble indiquer une position initiale marginale, puis l’insertion au mauvais endroit par un copiste. L’édition de K. A. Eckhardt va contre la réalité des manuscrits, en multipliant les découpages, pour créer une cohérence et imaginer, de toutes pièces, un inter médiaire B entre les versions A et C. Le retour aux manuscrits montre l’ampleur des problèmes qui demeurent et le caractère arbitraire des choix de l’éditeur. Ils tiennent à sa fidélité envers ses premiers travaux qui reconstituaient une version originelle idéale de la Loi salique, en combinant la seconde partie du prologue de C 6 avec le texte des 65 premiers chapitres du manuscrit A 12, ainsi qu’à la recherche forcenée d’étapes officielles de publication de la loi salique, qui correspondraient aux manuscrits conservés. Quelles que furent les conditions de promulgation de la loi salique, il y eut de nombreuses étapes informelles avant les copies qui nous en sont parvenues. 1 Schmidt-Wiegand, « Zur Geschichte ». Höfinhoff, « Die Lex Salica », p. 12-15. Fruscione, « Malbergische Glossen ». 2 Eckhardt, « Gesetze », 1935.
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En l’absence de manuscrit antérieur à 793, les transformations de la loi salique à l’époque mérovingienne restent obscures. En outre, les textes formant des asso ciations manuscrites repérables dans plusieurs copies sont extrêmement réduits pour les versions A et C, même en les rapprochant du manuscrit K 17. On trouve : -
le pacte de Childebert et Clotaire dans A 1, A 3, C 6 et C 6a le prologue long commun à la version D dans A 1, C 6, et C 6a, sous forme résumée dans C 53 le prologue court dans C 6 et C 6a, sous forme résumée dans C 5 et K 17 l’épilogue dans A 2 et K 17 le décret de Childebert dans A 1, C 6 et K 17 le décret de Chilpéric dans K 17, une annonce de ce décret dans A 1 une liste des rois de Thierry III à Childéric III dans A 2, suivie d’une parodie de la loi salique.
Aucun des assemblages de ces textes adjacents ne permet de repérer un royaume franc particulier : Childebert II renvoie à l’Austrasie/Burgondie, Chilpé ric à la Neustrie. Que penser du manuscrit A 1 qui associe les deux sur deux passages différents, mais comportant trois articles communs ? Quant à la liste royale du manuscrit A 2, elle rapporte le décompte des années de règne en Neustrie/Burgondie, mais ne retient que la période où les différents regna appa raissent de fait réunis sous l’autorité des Pippinides, après 6874. Il me semble donc qu’il est impossible d’attribuer ces différentes rédactions, A et C, à un royaume mérovingien en particulier, contrairement aux propositions de K. A. Eckhardt qui ne reposent que sur sa sélection subjective au sein de la tradition manuscrite. Les témoignages manuscrits concernant la loi salique étant tous d’époque ca rolingienne, la projection chronologique de l’époque d’apparition des différentes versions reste une hypothèse invérifiable car chaque modification du texte, retrait comme ajout, peut correspondre à une volonté d’actualisation ou d’archaïsme, et peut avoir eu lieu à tout moment entre le ve et le viiie siècle. En dernier lieu, les copistes carolingiens eux-mêmes ont tranché dans cet héritage. Celui du manus crit A 1 choisit ainsi de ne pas recopier l’édit de Chilpéric qu’il avait annoncé, tandis que celui de K 17 décida de retenir une suite de chapitres englobant des textes très différents, de la version K à l’édit de Chilpéric, organisée en trois livres. Dans les versions A et C, la diversité des textes de lois copiés à côté de la loi salique est un indice de différentes étapes dans la constitution du corpus. Les copistes de l’époque carolingienne avaient conscience du temps écoulé depuis la publication de la loi salique. Ils choisirent de la présenter avec d’autres textes
3 Eckhardt, Lex salica 100 titres, 1953, p. 27-29 présente ces manuscrits comme le réceptacle d’une version D qui les aurait tous contaminés, mais ses arguments s’en tiennent à la proximité des textes et ne permettent pas de repérer un sens d’influence. 4 Sur la liste royale, voir Trouvé, Les listes, vol. I, p. 137-152 et édition vol. III, p. 91-138. Le caractère officiel de la liste associée à la version D de la loi salique me parait exagéré dans cette étude.
la loi salique à la fin du viii e siècle
législatifs élaborés dans les royaumes barbares successeurs de Rome : on trouve ainsi trois fois le Bréviaire d’Alaric, sous une forme complète ou résumée (A 1, A 2, C 5)5, une fois les lois des rois burgondes (A 4). La Loi salique est souvent associée aux textes publiés par les rois mérovingiens, comme la Loi des Alamans et la Loi des Ripuaires (A 1, A 3) ou à leurs édits, distingués de la loi salique (A 1). La liste de souverains contenue dans A 2 montre cette claire association de la loi salique à l’ancienne dynastie franque. Cette conscience de l’ancienneté de la loi va de pair avec celle de sa relative obscurité et certains textes furent ajoutés pour éclairer son origine : des prologues (A 1, C 5, C 6, C 6a), un épilogue (A 2), une liste des différentes peines (C 6 avec les Septem causas) ou des principes juridiques (A 4, avec les extraits des Etymologies d’Isidore de Séville6). L’antiquité de la loi salique n’empêche pas l’idée de la continuité de la législation franque, marquée par la copie d’extraits des capitulaires de Charlemagne (A 1) ou de Louis le Pieux (A 4, C 6). Si tous les copistes des versions anciennes de la loi salique montrent des préoccupations similaires, dans l’idée de produire un corpus juridique cohérent et utile, tous ont fait des choix d’organisation différents pour leur volume. Ils montrent que le texte de la Loi salique n’était associé à aucun corpus spécifique avant la constitution de leur recueil, ou de celui qui leur a servi de modèle. L’existence de doublons manifeste, entre la partie « loi salique » et la partie « édit de Childebert » dans A 1, à l’intérieur même des chapitres de la loi salique dans A 2, fait penser que la constitution de l’ensemble avait connu peu de copies, car il aurait été simple pour un copiste attentif de supprimer ces redites. Or les manuscrits en onciales et semi-onciales, associés à de petits formats, comportaient beaucoup moins de texte que les manuscrits carolingiens7. Il en reste quelques fragments de parchemin des ve-vie siècles pour le droit romain, comme les fragments de Gaïus8 ou du Code Théodosien9, et quelques manuscrits incomplets10.
5 Camby, Wergeld p. 97 compte aussi le manuscrit A 4 car il ne tient pas compte du caractère composite du manuscrit. 6 Sur ceux-ci, voir McKitterick, « Some Carolingian Law-Books ». 7 Licht, Halbunziale, p. 13-20. 8 Les fragments des Institutions de Gaius sont éditées par Angio Ruiz, Papiri della societat italiana per la ricerca dei papiri greci e latini in Egitto XI, 1182 Frammenti di Gaio, Firenze, 1935, p. 1-52. La datation a été repoussée du ive au vie siècle par Arnesano, Papiri. 9 London, British Library, Pap. Inv. 2485 ; Halberstadt, Domschatz Inv. 465-466 ; Zürich, Staat sarchiv C. VI 3 Nr. 1 et Roma, Accademia dei Lincei, Fondo Corsiniano ; Vatican, BAV, Vat. lat. 5766. Voir Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 55-57 et p. 91-93. 10 Paris, BnF, latin 9643, un palimpseste dont l’écriture sous-jacente est en onciale du vie siècle, Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 57-66. Vatican, BAV, Reg. lat. 886 copié au vie siècle en semi-onciale. Voir Coma Fort, Codex Theodo sianus, 2014, p. 66-91.
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Il a donc fallu recourir à plusieurs modèles manuscrits pour compléter les recueils qui ne nous sont parvenus qu’en écriture minuscule11. Il ne paraît pas impossible de situer cette étape précisément lors de la constitution des plus anciens recueils conservés comportant la loi salique, copiés dans la deuxième moitié du viiie siècle en minuscule précaroline : A 2 et D 912, un manuscrit daté de 793. Le titre parodique dans A 2, les doublons entre les deux séries de chapitres de la loi dans A 1 et l’insertion, dans le texte de la loi salique même, de trois dispositions issues de la Loi des Burgondes (A 3) soulignent l’importance de la forme pour que des dispositions juridiques d’origine inconnue soient associées à la loi salique. La prégnance de cette forme vient de leur longue tradition antique. Les formes juridiques antiques
Il existait depuis l’époque romaine une mise en page propre aux livres juri diques : elle comportait l’usage systématique des rubriques ainsi que le découpage du texte en unités de sens, les capita. Comme l’a montré D. Mantovani, ces divisions permettaient des renvois textuels précis dès l’époque républicaine et augustéenne13. Ce système fut enrichi à l’époque tardo-antique où le passage du volumen au codex entraîna une réorganisation complète des livres car un rouleau pouvait être consacré à une seule œuvre, tandis que la forme du codex entrainait la constitution de recueils14. Les premiers recueils juridiques conçus comme des codices furent probablement les codes Hermogénien et Grégorien, à la fin du iiie siècle15. Dans les recueils, la division des livres juridiques en unités de sens y prenait le plus souvent une forme typique : le caput était souvent signalé par l’alinéa et la position d’une ou plusieurs des lettres initiales sortant dans la marge gauche de la colonne d’écriture. Dans certains cas, les capita étaient aussi associés à des chiffres16. Tous les manuscrits de la loi salique reprennent ce système hérité, associant des unités des sens, délimitées par des rubriques et parfois numérotées, qui fut constamment utilisé de l’Antiquité Tardive au Moyen Âge. Mais les versions anciennes A et C, comme le Bréviaire d’Alaric, indiquent que les découpages
11 Je réfléchis par analogie avec la transmission des sermons, en suivant Dolbeau, « À propos », p. 166. 12 D 9 : Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 731, p. 237 et 342. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 670-676 et infra. 13 Mantovani, « Le paratexte », p. 241-284. 14 Petrucci, « Dal libro unitario ». 15 Corcoran, « The Gregorianus ». 16 Mantovani, « Le paratexte », p. 249. Par exemple, les Fragmenta Londiniensia Anteiustiniana, dix-sept fragments de parchemin du ve siècle qui pourraient provenir d’une copie du Code Grégorien comportent ainsi une rubrique et un classement numéroté. Voir Corcoran et Salway, « Fragmenta ».
la loi salique à la fin du viii e siècle
logiques ainsi obtenus facilitaient l’évolution du texte, par addition ou soustrac tion de certains chapitres, leur division par des intertitres. Ainsi, la séparation en différentes parties du pacte de Childebert et Clotaire, où est parfois distingué un décret de Clotaire, peut être rapprochée d’autres hésitations, comme dans le Bréviaire d’Alaric. Dans les Sentences de Paul, on trouve ainsi deux rubriques successives au titre redondant : I. 2 : De procuratoribus et cognitoribus, suivi de I. 3 De procuratoribus17. À partir d’une telle disposition en chapitres, il était facile d’envisager une indexation du contenu juridique, sous la forme de listes des titres précédant le texte juridique et facilitant son usage18. Pour autant, ces listes préliminaires ne constituaient pas un frein à la modification du contenu, comme le montrent les versions anciennes de la loi salique, où des numérotations furent élaborées après l’insertion d’éléments d’origine différentes (et parfois redondants, comme dans A 2), où des éléments numérotés ont été annoncés, et non copiés (comme le chapitre XIX et l’édit de Chilpéric dans A 1, le chapitre XLVIII dans C 6), où furent copiés des chapitres qui n’avaient pas été annoncés (le chapitre LXV dans C 6), tandis qu’apparaissent souvent des erreurs sur les chiffre (A 1, C 5), parfois une numérotation sans correspondance (le chapitre LXXXIV dans A 3) et surtout l’ajout de chapitres non numérotés à la fin du texte (A 1 et A 3). La loi salique restait ainsi un texte vivant, organisé autour d’unités de sens identifiables par leur forme : les chapitres. Leur circulation était très importante à l’intérieur du texte, comme le montrent les doublons dans le manuscrit A 2. La variabilité de la version A s’apparente ainsi à l’ensemble de la tradition manuscrite de la Loi Ripuaire, où l’ordre des chapitres change d’un manuscrit à l’autre, mais aussi, au sein d’un même manuscrit, entre la liste des chapitres et le contenu19. Le découpage en chapitres favorisait aussi la circulation de certains chapitres entre les textes juridiques, comme le montrent les trois chapitres de la loi salique du manuscrit A 3 empruntés à la Loi des Burgondes. En effet, tous les textes juridiques de la tradition latine, présentés en chapitres, utilisaient la formulation en Si quis : des propositions hypothétiques, avec une brève description que les juristes romains avaient empruntées aux préceptes des collèges sacerdotaux20. De ce fait, il était impossible de reconnaitre l’origine d’une disposition légale par sa seule formulation, comme le montre le copiste du manuscrit A 1 lorsqu’il ne reconnaît pas comme loi salique des chapitres qu’il a pourtant déjà copiés sous ce nom et ne sait comment qualifier les chapitres associés à « l’édit de Childebert ». L’existence de telles particularités formelles constitue le point de départ de la parodie copiée dans le manuscrit A 2, qui reprend les tournures associées à l’ensemble des textes
17 Lex Romana Wisigothorum, Sentences de Paul, I. 2 et 3, édition par Haenel, p. 340. Voir les commentaires et autres exemples donnés par Krüger, Ulpiani liber, p. 42-43. Certains intertitres remonteraient pourtant bien à Paul : voir Mantovani, « Le paratexte », p. 277 et suivantes. 18 Mantovani, « Le paratexte », p. 279. 19 Lex Ribuaria, Beyerle et Buchner éd., p. 52-72. 20 Mantovani, Les juristes, p. 72-78.
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juridiques, mais également les marqueurs écrits de cette loi : les abréviations malb., mal., sol., con., cul., iud. et le vocabulaire archaïque des gloses malbergiques, leodardi21. Les versions A et C de la loi salique montrent donc des assemblages mouvants de chapitres, dans lesquels seuls la critique érudite fait ressortir une soixantaine de chapitres communs, auxquels les copistes n’attribuaient pas de statut particulier. K. A. Eckhardt a composé toute sa démonstration de datation et de localisation des différentes versions de la loi salique sur la recherche de publications officielles originelles. Or rien dans la tradition manuscrite ne vient soutenir le rapproche ment entre de telles publications, et les textes mouvants qui nous ont été transmis pour les versions A et C, où les chapitres ont été redisposés et complétés de façon très variable suivant les manuscrits. Cet ensemble de chapitres était désigné comme Loi salique, mais le texte pou vait faire l’objet de nombreuses modifications, par ajout ou retrait des différents chapitres. L’insertion de ces versions de la Lex salica dans des recueils manuscrits n’était pas non plus établie, et les assemblages variés révèlent une circulation antérieure indépendante du texte. Cette première étape de la tradition manuscrite, à l’époque mérovingienne, a complètement disparu, mais la comparaison avec d’autres textes juridiques contemporains nous permet de réfléchir à la forme qu’elle pouvait prendre. La transmission manuscrite des textes juridiques du ve au viiie siècle
Comparons l’absence de manuscrits de la loi salique antérieurs à 751 avec la transmission manuscrite des autres actes juridiques des rois mérovingiens, puis des autres recueils législatifs du vie siècle. Pour leurs diplômes, les rois mérovingiens ont utilisé du papyrus jusqu’au viie siècle22. En raison de l’humidité, ce matériau a une conservation particulièrement délicate en Gaule et le premier diplôme mérovingien original conservé ne date que de 625, un demi-siècle avant l’adoption du parchemin23. Or il n’est pas impossible qu’une législation promul guée par un roi mérovingien ait elle aussi été diffusée sur papyrus. Il existait une tradition romaine de transmission des rescrits impériaux sur papyrus, comme le montre le rescrit impérial contre les faux rescrits, copié en latin au ve siècle, trouvé en Égypte et conservé à New York24, ainsi que les fragments de rescrits impériaux
21 Voir infra le chapitre 5. 22 Pour une perspective générale, voir Internullo, « Du papyrus ». La première charte conservée sur parchemin date de 673, Paris, Archives nationales, K 2 n.° 10. Le premier précepte royal sur parchemin conservé date de 677, Paris, Archives nationales, K 2, no 12. Voir les reproductions dans les Chartae Latinae Antiquiores. 23 Dumézil, « La chancellerie ». 24 New York, Pierpont Morgan Library, Amherst Gr. 27. Voir Lowe, Codices Latini antiquiores, ici Part XII : Supplement, Oxford, 1971 n.°1802 et l’édition par Cavenaile, Corpus Papyrorum Latinarum, no 244, p. 355-356.
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en latin du milieu du ve siècle conservés à la bibliothèque nationale25. Les codes de loi auraient aussi pu apparaître sur ce support, car un papyrus conservé à Paris pourrait comporter des passages du Bréviaire d’Alaric copiés au vie ou viie siècle26. Un autre, conservé à Pommersfeld, semble être un fragment du Digeste de Justinien copié en Italie au vie siècle27. Seuls des fragments de texte juridique nous sont parvenus sur papyrus, mais des feuilles de papyrus, plagulae, pouvaient être collées entre elles pour former un rouleau permettant la transcription d’un document long, comme le montre la copie du testament d’Ermentrude, copiée sur plus de 1,43 m de long et 32 cm de large28. Que ce soit en raison de l’usage du papyrus ou de l’absence d’archives (autres que les archives municipales)29, les édits des rois mérovingiens nous ont été transmis de façon très dispersée, via des manuscrits antérieurs à la minuscule caroline, comme le manuscrit de Paris, BnF, latin 12097, une collection de canons du viie siècle30, qui comporte le précepte de Childebert II31 et celui de Clotaire II32. L’absence d’un manuscrit comportant la loi salique conservé avant le viiie siècle est donc cohérente par rapport à la conservation erratique des édits mérovingiens33. Avant 800, les textes juridiques du vie siècle conservés apparaissent le plus souvent comme palimpseste ou fragment. Le mieux transmis est le Bréviaire d’Alaric, dont on trouve deux manuscrits complets en onciale et semi-onciale,
25 Paris, BnF, latin 16915 n.° 1-3, à compléter par un autre fragment conservé au Louvre (P. 2404) et trois autres au Rijksmuseum de Leyde (P. 421abc). Les fragments sont reproduits et trans crits dans Chartae latinae antiquiores, Part XVII, no 657, p. 70-75 et 77-81. Acte no 5001 dans Chartes originales Giraud, Renault et Tock éd., http://www.cn-telma.fr/originaux/charte5001/. Date de mise à jour : 29/03/12, consulté le 5/11/2019. 26 Paris, BnF, latin 12475, p. 1-9. E. A. Lowe, Codices latini antiquiores, part V France : Paris, p. 52, no 703a. 27 Pommersfelden, Gräfl. v. Schönbornsche Bibliothek, Pap. lat. 1-6 qui reproduit De verborum obligationibus (Dig. 45,1,35 fin-43a ; 71 fin-73 début). Voir Sirk, Sijpesteijn et Worp, Ein frühby zantinisches Szenario. 28 Paris, Archives Nationales, K 4 n.°1, reproduit dans Chartae latinae Antiquiores, Part XIV, no 592, p. 72. J. Barbier propose une datation de l’acte entre 567 et 584 dans Barbier, « Le testament ». Charte no 4495 dans Chartes originales Giraud, Renault et Tock éd., http://www.cn-telma.fr/ originaux/charte4495/. Date de mise à jour : 21/08/14, consulté le 5/11/2019. 29 Barbier, Archives. 30 Mordek, Bibliotheca, p. 607-609. 31 Paris, BnF, latin 12097, f. 162. 32 Paris, BnF, latin 12097, f. 169-170v. Le précepte de Clotaire II apparait aussi dans le manuscrit K 30, Paris, BnF, latin 10753 copié au ixe siècle. Voir Esders, Römische Rechtstradition. 33 Woll, Untersuchungen.
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datés des vie et viie siècles34 et des feuillets palimpsestes35. Deux exemples, c’est peu pour raisonner, mais on peut retenir que l’association très courante à l’époque carolingienne de la loi salique et du droit romain n’apparaît pas pour les plus anciens témoins manuscrits. Quant à la Loi romaine des Burgondes, probablement composée dans la deuxième décennie du vie siècle, elle n’apparaît avant la minus cule caroline que dans un seul fragment palimpseste, du viie ou du viiie siècle36. Bien d’autres textes juridiques dont la rédaction est fixée au vie siècle n’ont pas de témoin manuscrit conservé avant les Carolingiens. Pour les rois mérovingiens, on peut citer : -
l’édit du roi Gontran conservé dans quatre manuscrits du ixe siècle37 ; l’édit de Clotaire II conservé dans un unique manuscrit de la fin du viiie siècle38 ; l’édit de Chilpéric, dont nous avons vu qu’il apparaît avec la loi salique dans le manuscrit K 1739 bien qu’il soit annoncé dans A 1 ; un bref extrait de la législation de Childéric II (673) repris dans la plus ancienne Passion de Léger d’Autun40.
La situation paraît semblable pour les royaumes voisins du royaume franc, car le code d’Euric n’est connu que de façon fragmentaire par un palimpseste du vie ou du viie siècle41 ; le Livre des Constitutions burgonde n’apparaît que dans des manuscrits d’époque carolingienne42, de même que quelques articles de l’édit de Théodoric43. Une telle comparaison nous montre que la situation de la loi salique, conservée uniquement dans des manuscrits carolingiens, est loin d’être exceptionnelle. La dispersion des édits mérovingiens conservés montre qu’il n’y
34 Berlin, SBPK, Phill. 1761 et München, BSB, Clm 22501. Description dans Hänel éd., Lex Romana Visigothorum, p. XLI et XLIII. Voir Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 109 note 103, Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 113-126 et le site bibliotheca legum consulté le 31/08/2015. 35 Paris, BnF, Latin, 12161 ; León, Biblioteca Catedral 15 ; Löwen, Bibliothèque de l’Université, Frag. H. Omont 2, A et B. Voir McCormick, « An Unknown ». 36 Vatican, BAV, Vat. lat. 5766, f. 44-45 : Lex Romana Burgundionum copiée au vie ou au viie siècle. Voir Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 116-118 et p. 176-179 et Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 99. 37 Berlin, SBPK, Hamilton 132 ; Paris, BnF, latin 1455 et 3846 ; Vatican, BAV, Vat. lat. 3827. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 30, 411, 441 et 860, Woll, Untersuchungen, p. 33-36 et 49-50 et Esders et Reimitz, « After Gundovald ». 38 Berlin, SBPK, Phill. 1743. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 56-57, Woll, Untersuchungen, 1995, p. 40-41 et p. 48-49 et Esders, Römische Rechtstradition, p. 52-53, note 227-228. 39 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 83v. Voir Woll, Untersuchungen, p. 29-33. 40 Mordek, Bibliotheca, p. 972-973. Voir l’introduction de l’édition par Krusch, p. 249-282 et celle de la traduction par Dumézil et alii, Le dossier saint Léger, p. XXI-XXXIII. 41 Paris, BnF, latin 12161. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 114-115. 42 Le site Bibliotheca legum, consulté le 27 mai 2016, recense dix-neuf manuscrits des ixe et xe siècles, dont les manuscrits A 3 et A 4. 43 Ibid. : trois manuscrits des ixe-xe siècles sont recensés. König, Edictum, p. 9-12.
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eut aucune politique systématique d’archivage, privée comme publique, ce dont la loi salique fit aussi les frais. En outre, la citation du décret de Childebert dans une copie des Constitutions Sirmondiennes du viie siècle44, invite à mettre en parallèle le traitement des lois romaine et franque. Alors que le Code Théodosien existait, que quatre manuscrits copiés avant le début du viiie siècle en conservaient des parties intégrales45, certains copistes ont choisi de copier des constitutions impériales qu’il n’avait pas retenues : les Constitutions Sirmondiennes46. Leur contenu n’était donc pas consi déré comme caduc ; avoir constitué un abrégé de la législation antérieure, même officiel, n’empêchait pas de recourir aux versions intégrales ni de composer de nouvelles collections pour défendre ses droits. De même, après l’établissement du Bréviaire d’Alaric, de nombreux recours aux textes complets du code Théodosien qu’il résume, ou même de ses modèles eurent lieu. J. M. Coma Fort et D. Liebs ont relevé la nature et l’ampleur de ces ajouts à partir du Code Théodosien au Bré viaire d’Alaric, auquel fut aussi ajouté le schéma du stemma agnationis47. En outre, certains manuscrits carolingiens fournissent les Constitutions Sirmondiennes, donc des dispositions qui n’ont pas été intégrées au Code Théodosien, en complément du résumé du livre XVI du Code Théodosien tel qu’il est présenté dans le Bréviaire48. Des gloses furent aussi élaborées avant 800, les Explanationes Titulorum49. En parallèle de ce mouvement d’amplification eurent lieu de nombreuses suppressions au sein du Bréviaire. Pour vingt manuscrits plus ou moins complets, on trouve ainsi dix-sept Bréviaires volontairement abrégés50. En outre, neuf ver sions résumées de l’ensemble du Bréviaire furent élaborées et sont conservées dans vingt-cinq manuscrits carolingiens51. Ces versions résumées ont connu une diffusion très diverse : l’Epitome Aegidii, est très répandu52 ; il apparaît dans dix manuscrits avec la loi salique53. D’autres ne se trouvent que dans un manuscrit 44 Berlin, SBPK, Philipps 1745, f. 101v-119. Ce manuscrit est la suite du manuscrit de Sankt Peterburg, RNB, lat. f. v.II. 3. Mordek, Bibliotheca, p. 58. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 97. 45 Torino, Biblioteca Nazionale Universitaria, a. II, 2. Paris, BnF, latin 9643. Vatican, BAV, Reg. lat. 886. Vatican, BAV, Vat. lat. 5766. Voir Coma Fort, Codex Theodosianus et pour les choix d’édition de Mommsen, Blaudeau, « Faire ». 46 Voir Vessey, « The origins » et Esders et Reimitz, « After Gundovald ». 47 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 99-106 et Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 217-252. Voir aussi Gaudemet, « Le Bréviaire ». 48 Ivrea, Bibliotheca Capitolare XXXV. Berlin, SBPK, Phill. 1741 et Vatican, BAV, Reg. lat. 1283. Paris, BnF, latin 12445. Oxford, Bodleian Library, Selden B. 16. Voir Vessey, « The origins », p. 182-183. 49 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 114 : le plus ancien manuscrit est Paris, BnF, latin 4403 copié vers 800. 50 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 109. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 43-99. 51 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 110-114. Gaudemet, « le Bréviaire », p. 41-57. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 257-361. 52 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 111. J. M. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 305-323. 53 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 111 et p. 222 n. 489. Il y annonce onze manuscrits mais n’en cite que dix : les manuscrits E 11, E 12 et E 14, K 17, K 19, K 24, K 25, K 27, K 31, et K 71
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unique et leur copie est liée à la tradition manuscrite de la loi salique, comme : l’Epitome Guelferbytana, qui ne se trouve que dans le manuscrit A 254, l’Epitome monachi, copié dans trois manuscrits dont un comportant la loi salique55, l’epitome qui n’est que dans le manuscrit D 956 et la Scintilla I, qui se trouve dans le manuscrit K 3057. Il faut souligner la cohérence de la démarche des copistes : dans les manuscrits A 2 et C 5, en rapprochant des versions minoritaires de la loi salique avec des versions minoritaires du Bréviaire d’Alaric, dans K 30 en associant un résumé du Bréviaire composé à la fin du viiie siècle ou au début du ixe siècle, en se servant de l’Epitome Aegidii58, à la récente révision carolingienne de la loi salique. La plasticité de la loi apparait bien dans le cas du droit romain, que chaque copiste peut compléter, résumer et amplifier à sa guise. Aucune rédaction officielle, depuis le travail opéré pour Alaric, ne vient sanctionner l’évolution d’une loi dont les glissements successifs ne sont repérables, pour notre regard rétrospectif, que par la conservation de quelques manuscrits complets du Bréviaire, ainsi que par des papyrus de droit romain. La loi salique paraît avoir été retouchée autant que le droit romain du Bréviaire, par la succession d’amplifications, de suppressions et de résumés, que nous ne pouvons que supposer en raison de la divergence finale des manuscrits. Il n’y a pas de fondement pour désigner comme « capitulaires » ce qui peut être identifié comme des ajouts à une base commune, comme le fait K. A. Eckhardt59, alors que les copistes les intégraient pleinement à la loi salique, au même titre que les autres chapitres qu’ils avaient rassemblés. Chacun des manuscrits des familles A et C montre sa propre version de l’éventuel texte antérieur de la loi salique. On lui a fait des ajouts, comme le prologue long pour A 1, le titre parodique pour A 2, trois chapitres tirés du Liber Constitutionum burgonde pour A 3, les capitula legis salicae addita des capitulaires carolingiens pour A 4, ainsi que des suppressions : A 3 se débarrasse ainsi de la plupart des gloses malbergiques et des équivalences entre sous et deniers ; des résumés : C 5 compile prologue long et prologue en quelques phrases ; et des remaniements dans l’ordre des chapitres. Chaque copiste a librement transformé le texte antérieur et aucun manuscrit des versions A et C ne peut être traité comme la réception passive d’un modèle figé, pour la loi salique comme pour la
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dans l’édition d’Eckhardt. Il oublie le manuscrit K 52, cité par Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 318. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 302-304. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 111-114. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 331-335. Il s’agit du manuscrit C 5. D 9 : Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 731, p. 1-230. Liebs, « Legis ». Néanmoins, ce manuscrit rassemble peut-être deux volumes du même copiste, voir infra. K 30, Paris, BnF, latin 10753, copié dans la deuxième moitié du ixe siècle ou au xe siècle. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 335-339. Ibid. Contre l’emploi de ce terme par K. A. Eckhardt, voir Woll, Untersuchungen, p. 179-183.
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majorité des manuscrits du Bréviaire d’Alaric. La reconstitution de la loi salique telle qu’elle a pu circuler à l’époque mérovingienne paraît donc impossible et il faut renoncer à distinguer comme « Pactus » les versions A et C, pour retenir la diffusion simultanée de versions minoritaires (A, C, D et E) et d’une version ma joritaire (K) jusqu’en 830 environ, ainsi que seulement trois étapes discernables de constitution de la loi salique : -
jusqu’en 793, les versions A, C et D ; entre la fin du viiie siècle et le premier quart du ixe siècle, les versions K et E ; après 830, la version S du Liber legum et la traduction V en vieil haut alle mand60.
Dans le cas des versions D et E de la loi salique, les textes associés à la loi salique et repris d’un manuscrit à l’autre sont bien plus importants : les aménage ments propres à chaque copiste sont réduits. Ainsi, la liste des rois des Francs, éventuellement retravaillée61, est associée de façon systématique, de même que l’épilogue et le décret de Childebert, à la version D de la loi salique dans les trois manuscrits la comportant.
Les manuscrits de la version D Le manuscrit D 9, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 731
Ce manuscrit est le plus ancien manuscrit daté de la loi salique car le copiste Wandalgarius date son travail du 30 octobre-1er novembre 79362. Les 171 feuillets montrent une écriture minuscule précaroline, d’une seule main, qui correspond à cette datation, ainsi que de nombreuses lettrines dans l’ensemble du volume. Il manque trois feuillets après les pages 146, 230 et 31663. Le manuscrit comporte la Lex Romana Visigothorum (p. 1-230) dans un ré sumé spécifique, le Liber generationis Iesus Christi64 (p. 231-233), puis la Lex Salica et les textes qui lui sont liés dans la version D (p. 235-294)65 et la Lex Alamanno rum dans sa version A, attribuée au duc Lantfrid (p. 295-341). Pour cette dernière, il s’agit de la classe A représentant la version mérovingienne du texte, contenue dans douze manuscrits, dont il est le plus ancien témoin66. Wandalgarius a ainsi transcrit une version originale de la loi romaine et deux versions anciennes de lois
60 V 84 : Trier, Stadtbibliothek, Mappe X, Fragm. 1. Édition Sonderegger, « Die althoch deutsche ». Coumert et Schneider, « The Lex Salica ». 61 Trouvé, Les listes, vol. III, p. 91-138. 62 La datation se trouve p. 237 et p. 342. Sur celle-ci, voir Schott, « Der Codex » p. 300-302. 63 Description du manuscrit : Liebs, « Legis », 2012, p. 1-7 et Mordek, Bibliotheca, p. 670-676. 64 Matthieu I, 1-25. 65 Edition par Eckhardt, Lex salica, 1969, p. 2-194. 66 Schott, « Der Codex » p. 298-299. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 341-343.
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barbares, dans leur copie la plus ancienne. Le copiste a donc fait des choix à la fois singuliers et cohérents pour des textes juridiques rares. Ils sont accompagnés de nombreuses illustrations : représentation d’un législateur en face du début de la Loi salique (p. 235), mais aussi des initiales ornées aux formes végétales et animales67. Le volume se clôt sur un colophon : « Par le Seigneur Dieu, toi, l’homme qui lit ce livre ou cette page, prie pour le copiste Wandalgarius, car je suis trop porté au péché »68, puis un signe de notaire, en notes tironiennes, signifiant notarius. En raison de ce signe, R. McKitterick voit en lui un notaire travaillant dans la chancellerie d’un comte69, tandis que C. Schott considère que le copiste est le dénommé Wandalgarius mentionné dans un livre de prières de Reichenau, et qu’il s’agit d’un chanoine de Lyon70. Si la fonction de notaire et copiste me parait bien démontrée par le travail même de Wandalgarius, son nom ne constitue pas un fondement suffisant pour l’identifier avec certitude comme un chanoine lyonnais. Le format du manuscrit surprend : il est de petite taille71, mais très épais. Or la reliure en bois date du xve siècle72, et on peut se demander si deux volumes n’ont pas été assemblés a posteriori. Il s’agit d’un projet de copie cohérent, par un même copiste, Wandalgarius, qui a laissé son nom en deux colophons, p. 234 et p. 342. Ces deux mentions prennent davantage de sens si l’on considère qu’elles étaient toutes deux présentées à la fin d’un volume séparé. Si l’on suit cette hypothèse, on peut relever des différences entre les deux parties aujourd’hui assemblées : -
Le premier volume (p. 1 à 234) était composé de douze cahiers : 9 IV144 + (IV-1)158 + 4 IV222 + (IV-2)234. Il comporte des marques de cahier, de A jusqu’à O73, bicolores et rondes, qui correspondent au programme iconogra phique général. La copie du résumé du Bréviaire d’Alaric est particulièrement bien balisée avec une table des chapitres, des lettrines, des rubriques, des titres courants numérotés par livre. Ensuite, l’ascendance du Christ tirée de l’Évan gile apparaît bien distincte par le titre (p. 231) et se termine p. 233 en milieu de page. Amen clôt l’ensemble, souligné par le bas de page laissé vide. Au verso paraît l’image d’un individu tenant un livre, où F. Bougard voit davantage le commanditaire/destinataire du livre qu’un législateur74 au-dessus du nom du copiste : Uandalgarius fecit hec (p. 234). Cette image ne compléterait que la loi romaine, et non la loi salique.
67 von Euw, « Zur künstlerischen ». Bougard, « Le livre ». 68 D 9, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 731, p. 342 : Deus Domine, tu ho[mo] qui legis hunc librum istum uel hanc pagina, ora in pro uuandalgario scriptore quia nimium peccabilis sum. Uuandalgarius. 69 McKitterick, The Carolingians, p. 46. 70 Schott, « Der Codex », p. 305. 71 Un format d’écriture de 160-165 × 95 mm, pour une taille de page de 212 × 125-130 mm. Les pages sont irrégulières et ne semblent pas avoir été coupées. 72 von Scarpatetti, Katalog III, n. 160, p. 59. 73 P. 16, 32, 48, 64, 80, 96, 112, 128, 144, 158, 174, 190, 206 et 222. 74 Bougard, « Le livre », p. 102.
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Le deuxième volume concerne les p. 235 à 341, réunies en neuf cahiers, avec des pages finales manquantes : 3 IV282 + (IV+1)300 + V316 + (IV-1)330 + I334 + II (actuellement I+2)342. Il comporte deux types de marque de cahier : une pour la loi salique et les textes liés (I, II III, p. 250, 266, 282), l’autre pour la loi des Alamans (au p. 300, bu p. 316, ct p. 330). Néanmoins, comme la loi des Alamans ne commence pas sur un nouveau cahier, nous avons le signe que l’assemblage des deux lois a été voulu dès la copie. Ces marques sont en simples minuscules noires et il n’y a plus de titres courants.
Seule cette dernière partie du manuscrit parait concernée par le décompte entre la datation donné p. 237 et celle donnée p. 342 : les deux lois auraient été copiées sur une centaine de pages en trois jours par Wandalgarius. Le même copiste se serait aussi intéressé à la loi romaine, vers la même époque, mais l’aurait copiée dans un autre volume. La loi salique débute ainsi le volume et est introduite par le titre Incipit prologus legis salice, qui précède le prologue long de la version D (p. 235-237). Une rubrique Explicit prolicus legis salice termine le prologue. P. 237, un titre, où alternent les lignes noires et rouges, annonce à la fois la table des chapitres et la datation : « Ici commencent les chapitres de la loi salique le mercredi avant les calendes de novembre, la vingt-sixième année du règne de notre glorieux roi Charles », Incipiunt capitula legis salice diæ mercoris proximo ante kalendas nouembris in anno XXVI regni domno nostro gloriosissimo Carolo rege. Il est suivi d’une liste de cent titres de chapitres numérotés, sur une colonne. L’annonce du chapitre XII De furtis ingenuorum uel effractoris (p. 237) est suivie de celle d’un chapitre XIII De furtis seruorum uel effractoris (p. 238), ce qui correspond au texte copié ensuite (p. 249). P. 240, les titres des chapitres LXVII à LXVIIII ont été grattés, pour corriger une erreur qui a disparu. En définitive, la liste des titres correspond à ceux de tous les chapitres, ce qui montre le soin donné à la copie. Page 241, la rubrique de la dernière ligne porte Deo gracias. Expliciunt capitula. À la page suivante, le texte commence aussi par une invocation : In nomine domni nostri Ihesu Christi incipiunt titulus legis salice, avant l’enchainement clair des rubriques numérotées et des chapitres. Certains chapitres ne sont introduits que par des chiffres rubriqués (p. 257, XL à XLVI ; p. 26, LIIII, p. 262, LVIII à LX, p. 264, LXVI, p. 265, LXVII et LXVIII), mais la numérotation est continue et les titres reviennent ensuite conformément à la liste initiale. L’ensemble est clos p. 286 par une nouvelle invocation rubriquée : Explicit lex salica deo gracias amen et un espace laissé blanc. À la suite de la loi salique, le décret de Childebert est introduit par le titre Incipit decrecio (p. 287)75. Neuf rubriques non numérotées, associées à des lettrines scandent l’équivalent de paragraphes, avant la rubrique finale, Datum secundum kalendas marcias anno XXmum secundum regni domno nostro (p. 292). Elle est suivie de Colonia filicite expleciunt legis salice liber IIi quem uero rex Franchirum statuit : fin du décret et début de l’épilogue sont mêlés.
75 Eckhardt, « Die Decretio ».
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La loi salique dans sa version D apparaît ici pour la première fois, dans un ensemble commun aux trois manuscrits qui la comportent. Le système de signalement des différentes unités textuelles est bien maîtrisé et il ne peut y avoir de confusion, pour le lecteur, quant à la distinction des textes qui accompagnent la loi salique dans sa version D, sauf entre le décret de Childebert et l’épilogue de la loi salique, car l’enchainement est décalé par rapport aux titres76. Uandalgarius a donc copié un modèle manuscrit où cet enchaînement existait déjà et ne l’a pas bien interprété. En revanche, il clôt clairement l’ensemble décret de Childebert-épilogue p. 292 avec la rubrique finale : Explecit deo gracias amen. P. 293, le titre Incipit regnorum uel temporum introduit une liste des rois francs mérovingiens qui a été amplifiée, par rapport à la liste contenue dans le manuscrit A 2, à l’aide de la Chronique d’Isidore de Séville, pour aller d’Héraclius à Pépin77. Nous ignorons si Wandalgarius est l’auteur de cet arrangement, mais il ne se trouve pas dans les manuscrits D 7 et D 8, qui ne comportent que la liste originale, et il est actualisé jusqu’au dernier souverain mort lors de la copie. Bien qu’il soit le plus ancien, D 9 n’est donc pas le modèle des deux autres manuscrits de la version D. Page 294, le calcul des années depuis le début du monde est complété par le texte suivant, qui n’apparait pas non plus dans les autres manuscrits de la version D : Le temps de vie qui reste est incertain à la connaissance humaine. En effet, Notre Seigneur Jésus Christ a supprimé toute question à ce sujet, en disant : « il ne vous appartient pas de connaître le temps où le moment que le Père a mis en son pouvoir » ; et ailleurs : « à propos de ce jour », dit-il, « et de l’heure, personne ne le sait, ni même les anges du ciel, mais seulement le Père ». Mais donc que chacun pense à sa propre mort, comme le disent les Saintes Écritures : « dans toutes tes œuvres pense à ton dernier instant et ne pèche jamais78 ».
L’exemplaire composé par Wandalgarius montre une interprétation person nelle d’un modèle manuscrit de la version D. L’enchaînement des textes a été respecté comme dans D 7 et D 8 : prologue long, datation, liste des chapitres, texte de la loi salique, décret de Childebert, épilogue, et liste des rois francs, mais Wandalgarius a modifié des éléments, montrant sa liberté face à son modèle. Il a choisi de donner la datation de la copie ainsi que son nom, de compléter la liste
76 Woll, Untersuchungen, p. 69-75. 77 Trouvé, Les listes, vol. III, édition et traduction, p. 133-134. 78 D 9, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 731, p. 294 : Residuum seculi tempus humane inuestigacionis incertum est. Omnem enim quescionem de hac re Dominus Noster iesu Christus abstullit dicens : « non est uestrum scire tempore uel momenta, que Pater posuit in sua potestate » ; et aliut : « de die autem illa » inquid, « et hora nimo scit neque angeli caelorum, nisi salus Pater ». Sed unus quisque ergo de suo cogitet transito, sicut sagra scriptura ait : in omnibus operibus tuis memorare nouissima tua et in aeternum non peccabis. J’ai légèrement retouché la traduction proposée par W. Trouvé.
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royale pour évoquer un synchronisme avec le commencement du monde et la fin du règne du roi Pépin. Il y a joint une réflexion sur la fin des temps. Il n’a pas marqué au bon endroit la fin du décret de Childebert et le début de l’épilogue. Pour la version D, la loi salique est insérée dans un petit dossier de textes liés à la monarchie franque, législatifs, pour le décret de Childebert, ou explicatifs, pour l’épilogue et la liste des règnes. L’ensemble est beaucoup moins mouvant que dans les manuscrits de la loi salique dans sa version A, car la liste des chapitres varie peu : Wandalgarius a choisi de modifier le contenu, par actualisation ou complément, mais a gardé le même nombre et le même ordre des textes associés à la loi salique. Le corpus de textes lié à la loi salique apparait donc presque stabilisé, mais encore modifiable. Le dossier ne fait pas la taille d’un recueil manuscrit complet, et il est associé à des textes différents dans les manuscrits D 7 et D 8, où se retrouve le droit romain, mais suivant d’autres traditions textuelles, et jamais la loi des Alamans. Les textes accompagnant la loi salique ont aussi été copiés, dans quatre manuscrits de loi plus récents, qui reprennent dans cet ordre le décret de Childebert, l’épilogue et la liste des rois mérovingiens79. W. A. Eckhardt a souligné la parenté de cette version du décret de Childebert avec le texte contenu dans les manuscrits de la version D de la loi salique, et il est probable qu’ils remontaient à un ou des modèles communs80, mais ils furent utilisés, dans les trois manuscrits d’époque carolingienne (K 33, K 35 et K 63) comme une ouverture de la Collection d’Anségise. Ils paraissaient donc liés au passé franc et à la législation royale, mais pas seulement à la loi salique, que trois de ces manuscrits (K 33, K 35 et K 36) reprennent aussi dans sa version K, mais de façon apparemment indépendante.
79 K 33, Paris, BnF, latin 10758, IIIe partie, p. 138-141. Ce manuscrit fut copié par étapes, entre le 3e et le 4e quart du ixe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 587-605. K 35, Paris, BnF, latin 4628 A, f. 78-80. Ce manuscrit fut copié au xe ou xie siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 488-501. K 36, Paris, Bnf, latin 4631, f. 120-121r. Ce manuscrit fut copié au xve siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 507-516. K 63, Bamberg, Staatsbibliothek, Can. 12, f. 1-2v fut copié dans le premier quart du xe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 12-15. K. A. Eckhardt lui a attribué un sigle, mais il ne comporte pas la loi salique. 80 Eckhardt, « Die Decretio », p. 7-9. Les travaux de W. A. Eckhardt remettent en cause les affirma tions de son père, qui n’avait pas vu les manuscrits dans Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 30.
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Le manuscrit D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136
Ce manuscrit comporte 190 feuillets81 copiés dans le premier tiers du ixe siècle82. Il présente le Bréviaire d’Alaric (f. 1-156), suivi d’un chapitre de la loi romaine des Burgondes, désigné comme preceptum domni rei83. Cet ensemble ne correspond pas à la version spécifique du Bréviaire copiée dans le manuscrit D 9. Viennent ensuite la loi salique, des capitulaires de Charlemagne (f. 172-f. 179), ainsi que la Recapitulatio solidorum (f. 174v-175)84, puis des capitulaires de 818/819 (f. 179v-189v) qui ont pu être rajoutés dans un deuxième temps. La loi salique y apparaît dans un ensemble composé d’éléments distincts et liés : -
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le prologue long (f. 156v) est annoncé par un titre (f. 156, dernière ligne) et terminé par explicit. Il est suivi de la rubrique : Anno ter XIII decimo regni domno nostro Pipino gloriosissimo rege Francorum. Amen (f. 156v, trois dernières lignes). Cette datation ne peut correspondre à la date de la copie, mais à celle de son modèle. Elle est située au même endroit que la datation de la copie dans le manuscrit D 9 ; la liste de 99 chapitres, introduite par un titre : Incipiunt capitulacionis lege sali cae (f. 157). La liste est copiée sur deux colonnes (f. 157), puis trois (f. 157v), puis une seule (f. 158). Le numéro du 99e chapitre a été écrit deux fois. Une fois sans titre à la fin du feuillet 157v, puis avec le titre en haut du feuillet suivant : le copiste a dû modifier son système par manque de place et ajouter le titre du dernier chapitre sur la page suivante. le texte de la loi salique en 99 chapitres. Le chapitre XII de la liste initiale, De furtis ingenuorum uel efracturis (f. 157) est ensuite divisé en deux chapitres dans le texte, XII De furtis ingenuorum uel efracturis (f. 159v) et XIII, De curtis seruorum uel efracturis (f. 160), comme nous le verrons pour D 8 ; le titre du chapitre XV manque (f. 160v), comme dans D 8, et la numérotation est ainsi recalée pour 99 chapitres. Ces deux manuscrits remontaient donc à un modèle en cent titres, comme D 985 ;
81 Il y a un folio 124 bis. 82 Mordek, Bibliotheca, p. 276-280. Bischoff, Katalog II, no 2832, p. 201 date ce manuscrit du premier ou deuxième quart du ixe siècle et l’associe au « scriptorium des lois », tout en considérant qu’il vient de lieu « plus au sud » (« mehr südlich »). Contre l’hypothèse de ce scriptorium de copies officielles des lois, voir Ubl, « Gab », sur ce manuscrit p. 56. 83 D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, f. 156 : Lex Ro mana Burgundionum, ch. 2, qui se clôt sur cette phrase : Hoc ex precepto domni rei conuenit obseruare. 84 L’édition fournie par Eckhardt, Pactus II, 2, 1956, p. 529-532 comporte ce manuscrit sous le sigle K 7. Voir l’édition par Ubl, « Die recapitulatio », p. 77-79, où ce manuscrit porte le sigle Mp. 85 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 20-21.
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aux folios 165v-166, les places pour les titres ont été laissées libres, mais la numérotation et les titres continuent ensuite ; la fin du texte de la loi salique est marquée par la rubrique Explicit lex salica. Deo gracias amen (f. 170v) ; le décret de Childebert est annoncé par la rubrique Incipit decretio (f. 170v) ainsi que par la fin du chapitrage et de la numérotation. Il est clos par la rubrique : Explicit lege salice liber III (f. 172), qui montre qu’il reste difficile de déterminer ce qui appartient ou non au texte de la loi salique. Comme dans D 9, l’épilogue n’est pas annoncé par un titre ou une rubrique. Il se clôt par Explicit (f. 172) ; la liste de rois est annoncée par la rubrique Incipit regnorum et se clôt sur Amen (f. 172). Elle est distincte du capitulaire de Charlemagne qui suit par une rubrique qui invoque son autorité.
Le nombre de caractéristiques communes avec D 9 est donc important, mais elles sont encore plus nombreuses avec le manuscrit D 8. Le manuscrit D 8, Paris, BnF, latin 4627
Comme le manuscrit A 2, le manuscrit a été conçu autour de la récupération de l’héritage juridique romain et mérovingien. Il est composé de seize quaternions jusqu’au feuillet 127 (il y a un feuillet 28 bis), puis d’un quaternion auquel manquent deux pages, jusqu’au feuillet 133, d’un quaternion jusqu’au feuillet 141 et d’un ternion jusqu’au feuillet 14786. L’écriture montre une copie au ixe siècle, et la maîtrise de la minuscule caroline a fait supposer à B. Bischoff qu’il pourrait s’agir d’une production de la chancellerie ou de l’école du palais87. La loi salique est copiée sur un nouveau cahier, mais les rubriques, l’usage des couleurs rouge et jaune et la mise en forme montrent l’unité du manuscrit ; seul le feuillet 41 a été remplacé, au ixe ou au xe siècle. La présence de différentes parties des Formules de Sens, au début (f. 2-f. 31v) et à la fin du volume (f. 127-145), souligne l’unité de la composition, que l’on peut dater de peu après 818, en lien avec Sens88, car les formules finales comportent une formule d’affranchissement89 qui reprend explicitement la législation de Louis
86 Voir la description dans Mordek, Bibliotheca, p. 482-485 et Rio, Legal practice, p. 256-257. 87 Bischoff, Katalog III, p. 99 notice 4319. Il ne suppose pas de relation avec Tours comme le relève Hen, « Changing Places », ici note 51 p. 233. 88 Jeannin, Formules, p. 223-232. Rio, Legal Practice, p. 121-126. 89 D 8, Paris, BnF, latin 4627, f. 134-135r. Formulae Senonenses recentiores no 9, Zeumer éd., Formu lae Merowingici et Karolini aevi, p. 215-216.
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le Pieux90. Cet ensemble mêle les héritages franc et latin, avec la loi salique, dans sa version D, et le formulaire de Marculf dans sa version la plus complète91. Les quatre premiers cahiers du manuscrit, jusqu’au feuillet 31 (il y a un folio 28 bis) sont occupées par les différentes parties des Formules de Sens, dont la correspondance de Frodebert et Importun92. Sur un nouveau cahier, la loi salique commence par une rubrique : In Christi nomine incipit prologus legis salicę. Au verso, f. 32v, le prologue long s’arrête avec une nouvelle rubrique : Incipiunt capitula legis salicae. Entre les deux, contrairement aux autres manuscrits de la version D, aucune place n’est faite pour une datation de la copie ou de cette version de la loi salique. Dans la liste de cent titres qui suit, le chapitre XII de la liste des titres est partagé en XII et XIII dans la loi elle-même, tandis que le titre du chapitre XIIII est donné dans la liste initiale mais manque dans le texte, tout comme dans le manuscrit D 7. Le chapitre XLVI a été ajouté entre les lignes et les numéros de chapitres grattés et réécrits autour. Les 99 chapitres sont communs à D 7 et les chapitres LXXV De expoliata ecclesia et LXXVI De Basilica incenduta y sont intervertis dans la liste93 : ils représentent respectivement les chapitres LXXVII et LXXVI dans D 9. Alors que dans la copie du texte complet dans le manuscrit D 794, les titres ont été omis, et seul le texte a été interverti, ici seul le titre du chapitre LXXV De basilica incenduta est donné, et le chapitre LXXVI reste sans titre95. Malgré une interversion dans la liste des titres, les copistes ont donc veillé à garder, autant que possible, une cohérence entre la liste initiale des chapitres et l’ordre, la numérotation et les titres des chapitres copiés ensuite. Malgré cette attention, au folio 40, le titre du chapitre XVII est donné deux fois, la première fois par erreur pour le chapitre précédent, et au folio 41v, les chapitres LXXXI et LXXXII puis LXXXIII et LXXXIIII sont intervertis par rapport à l’ordre donné dans la liste des titres, f. 33v. De telles variations, mineures, peuvent s’expliquer par la simple difficulté de copie d’un texte d’une centaine de chapitres, dont chaque paragraphe et titre possède de nombreux termes communs, facilitant les confusions et les sauts du même au même. L’outil calligraphique que représente la minuscule caroline n’est pas suffisant pour conserver sans détérioration une telle tradition manuscrite complexe, s’il n’existe pas assez d’exemplaires pour permettre une correction régulière de la copie. Or la loi salique copiée dans D 8 montre un certain nombre 90 Louis le Pieux, Capitulare ecclesiasticum a 818/9, c. 6 (Boretius, Capitularia I, no 138, p. 276-277). Voir Mordek, Bibliotheca, p. 484. 91 D 8, Paris, BnF, latin 4627 porte le sigle A 2 dans l’édition et traduction par Uddholm, Marculfi formularum. 92 Shanzer, « The Tale », et infra. 93 D 8, Paris, BnF, latin 4627, f. 43v. D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, f. 157v. 94 D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, f. 166. 95 D 8, Paris, BnF, latin 4627, f. 49v.
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de corrections : lettres effacées (ex : chapitre XLIII, f. 43v), ajouts (ex : f. 48, paragraphe oublié en marge pour le chapitre LXVIII), mais aucune correction systématique et l’abondance de gloses malbergiques dans cette version de la loi salique en rendait sans doute le texte peu compréhensible pour de nombreux copistes et lecteurs. Contrairement à la version A, les trois manuscrits de la version D montrent un texte globalement commun, même si on note que seul le manuscrit D 8 propose encore une équivalence entre sous et deniers. Nous ne pouvons savoir si ces éléments auraient été supprimés dans D 9 et D 7 à partir d’un modèle les comprenant, ou si c’est le copiste de D 8 ou de son modèle qui les aurait ajoutés, par déduction et comparaison avec les autres versions de la loi salique comportant ce type d’équivalence : A, C et K. Dans un cas comme dans l’autre, cela montre que le corps du texte de la loi salique pouvait encore être modifié pour exprimer les montants des amendes, comme le fit le copiste du manuscrit A 3. Le folio 41 a été remplacé dès le haut Moyen Âge par un feuillet mobile dont H. Mordek place la copie au ixe-xe siècle96. Il comporte les chapitres XXI à XXVIIII de la version K de la loi salique. Pour ce passage, le copiste postérieur a tenté de combler la lacune causée par la perte d’un feuillet à partir du texte de la version K de la loi salique, dont il n’a pas hésité à revoir la numérotation et le découpage en chapitres. Il a copié le chapitre XXIV, De furtis in molino de la version K, pour en faire un chapitre XXVIII De furtis in molino, mais il a séparé le texte du dernier paragraphe pour fabriquer un chapitre XXVIIII De sclusis ruptis ce qui lui permettait de retomber sur un chapitre XXX au feuillet suivant. Il a même complété la version D copiée avant, au f. 40v, en lui ajoutant un paragraphe de la version K (ch. XVIIII, § 2). Aux yeux de ce copiste postérieur, les différentes versions de la loi salique étaient donc interchangeables. Il était possible de compléter l’une par l’autre, en adoptant un découpage ad hoc. La version K qu’il utilisait pour cela ne lui paraissait ni supérieure ni inférieure à la version D, à laquelle les nombreuses gloses malbergiques donnaient pourtant un caractère archaïque absent de la version K. Un chapitre C Incipiunt chunnas apparaît dans D 8, dans la liste des titres comme dans le texte. La forme du titre, et son absence dans D 7 et D 9, montrent bien qu’il s’agit d’un ajout à la version D de la loi salique, mais il a été intégré à la liste des titres avant cette copie, où il apparaît de la même façon que les autres chapitres. La fin de la loi salique restait donc mouvante, malgré la création de listes de chapitres de plus en plus proches du texte complet copié ensuite. Bien qu’il permette au texte du manuscrit D 8 de retrouver le même nombre que D 9, ce chapitre diffère totalement des autres. Il présente une liste de neuf équivalences, d’un montant de chunna, dont la traduction serait « centaine »97, décrit en termes vernaculaires, et de sous. L’utilité de l’ensemble nous échappe, car la loi salique 96 Mordek, Bibliotheca, p. 482. 97 Du Cange, Glossarium, article « chunna, chunnas ». Eckhardt, Lex Salica, 1969, « Wortregis ter », « chunnas », p. 241.
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version D décrit des amendes en sous, avec en sus l’équivalence en deniers dans D 8, pas en chunnas… Il s’agit d’une liste commentant un système d’amendes en termes vernaculaires, associées à la loi salique, qui n’apparaît qu’ici dans la tradition manuscrite. Cette liste de neuf équivalences est close, f. 57, par un explicit en noir, Expli ciunt Chunnas, qui montre le statut autonome de ce chapitre supplémentaire, puis une rubrique Incipit decretum. La législation de Childebert II est donc bien séparée de la loi salique. Sa fin est en revanche floue. Une rubrique De die dominico forme un paragraphe inattendu (f. 59). La rubrique Item confirmatio legis a regibus qui semble faire écho à la recognitio par Asclipiodus deux lignes plus haut et introduit l’épilogue, qui paraît donc comme un élément de la validation de la loi. Il n’est pas question de trois livres pour la loi salique, contrairement aux manuscrits D 9 et D 7. L’épilogue se termine, f. 59v, avec une autre rubrique : Incipit de regnorum, qui introduit la même liste des rois mérovingiens que dans les manuscrits D 7 et A 2. La rubrique suivante, In dei nomine incipit prefatio libri huius, ne permet de comprendre la nature du texte copié ensuite, mais marque bien la fin de l’ensemble textuel constitué autour de la version D de la loi salique. Le volume comporte ensuite les Formules de Marculf (f. 59v-f. 127)98, puis d’autres formules de Sens (f. 127-f. 145). Le premier folio, qui avait été laissé vide, a été complété dans un deuxième temps par des notes sur les marées et un dialogue sur la Création. L’ensemble du volume parait associé à l’exercice pratique de la justice, car la fin perturbée du 17e cahier, avec une liste d’ingrédients (f. 132rv), a permis à un copiste postérieur, qu’H. Mordek situe au xe siècle99, d’insérer deux formules de bénédiction, du fer et de l’eau, pour une ordalie (f. 133r-v)100. Un autre copiste a transcrit ensuite une formule d’invocation (f. 145-147) pour que l’auteur ou le participant à un vol ne puisse manger le pain et le fromage qui lui était présenté101. L’ajout final de deux formules en notes tironiennes (f. 147v) semble indiquer une conservation à Sens par des praticiens du droit102, tandis que les explications ajoutées sur les marées et la Création (f. 1r-v) montrent que ce manuscrit était utilisé pour l’enseignement. Ces ajouts indiquent une circulation dans un milieu scolaire, ainsi que dans un milieu de pratique du droit pour sa fin, ce qui correspond à ce que l’on peut aussi imaginer comme milieux s’intéressant aux formules. Il semble que l’usage du manuscrit ait correspondu aux « jeunes débutants » qu’espérait Marculf dans sa préface :
98 99 100 101 102
Rio, Legal Practice, p. 81-101. Mordek, Bibliotheca, p. 483-484. Edition par Zeumer, Formulae, p. 605-607. Edition par Zeumer, Formulae, p. 632-633. Au ixe siècle, les notes tironiennes étaient utilisées en dehors des milieux juridiques, comme l’expose Muzerelle, « Les Notes ». Le lien avec le droit pratique vient ici des formules copiées.
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Je sais bien qu’il y aura beaucoup de gens, vous-même et d’autres hommes érudits et éloquents, des orateurs et des experts dans l’art de dicter qui, s’ils lisent cela, le tiendront, auprès de leur propre sagesse, pour des bêtises et, pour ainsi dire, pour des folies, ou bien ils ne le liront pas du tout. Mais moi, je n’ai pas écrit pour de tels hommes, j’ai écrit, aussi clairement et simplement qu’il m’était possible, pour exercer les jeunes débutants103. Le droit était probablement appris par la copie et l’élaboration de documents juridiques. Pratique et enseignement juridiques se rejoignaient donc, dans un cadre qui n’était pas forcément ecclésiastique, où formules et lois écrites se complétaient aussi pour l’élaboration de résolutions de conflits104. La formation de la version D
Aucun des trois recueils manuscrits comportant la version D de la loi salique n’est la copie directe l’un de l’autre. Deux d’entre eux (D 9 et D 7) donnent une datation entre le prologue long et la liste des chapitres, ce qui peut correspondre à l’archétype. Dans celui-ci, le statut de l’épilogue par rapport au décret de Childebert semble ne pas avoir été clair, mais il faisait bien partie, comme la liste des rois, des textes associés à la loi salique, deux fois présentée comme étant en trois livres. Sur les trois manuscrits de la version D de la loi salique, K. A. Eckhardt n’a consulté que celui de Paris, D 8. Il ne connaissait celui de Montpellier, D 7 que par des photocopies en noir et blanc et celui de Saint-Gall, D 9, que par l’intermédiaire des éditions de Holder et Hessels105 pour l’élaboration de sa première édition, puis de photocopies en noir et blanc106. Il propose seulement le renforcement des classements de B. Krusch en considérant que l’organisation en cent chapitres de la loi salique viendrait de découpages et de reclassements de la version A, que le rédacteur D se serait contenté de réorganiser107. Le titre XCVIII (D 7 et 8) ou LXLVIIII (D 9), De chene cruda, quod paganorum tempus (D 9 : tempore) obseruabant108, lui semble symptomatique d’une distance par rapport à l’époque de rédaction de la loi salique et donc le signe d’une élaboration secondaire par rapport aux versions A et C109.
103 Marculf, Formulaire, préface, l. 19-25 : Scio enim, multos fore, et vos et alios prudentissimos viros et eloquentissimus hac rethores et ad dictandum peritos, qui ista, si legerint, pro minima et velud deleramenta, eorum conparata sapiencie, reputabunt, vel certe legere dedignabunt. Sed ego non pro talibus viris, sed ad exercenda initia puerorum, ut potui, aperte et simpliciter scripsi. Uddholm éd., j’ai modifié ici sa traduction. 104 Rio, Legal Practice, 2009, p. 198-211. 105 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 10 et 11. 106 Eckhardt, Pactus, 1962, p. XV-XVI. 107 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 17-19. 108 Édition par Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 170. 109 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 17-19.
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Lorsqu’apparaissent des chapitres nouveaux ou un classement clairement illo gique, comme entre les chapitres 96 à 99, K. A. Eckhardt recourt à l’invocation de la version B, modèle fantomatique qui permet de justifier toutes les variations qui ne correspondent pas à son explication par la dérivation depuis une version officielle110. Ce modèle aurait ainsi été influent lors de la rédaction de la version D, mais aussi lors de la copie d’exemplaires particuliers. Ainsi, le chapitre C de D 8, Incipiunt chunnas, qui correspond en grande partie au chapitre LXXX de l’édition de J. Herold111, vient démontrer l’utilisation d’une version B de la loi salique par le copiste : La reprise du morceau hors classement Incipiunt chunnas révèle qu’un autre manuscrit, à savoir un manuscrit de la version B, s’est présenté [au copiste du manuscrit D 8], les nombreuses améliorations semblables par le correcteur du manuscrit indiquent aussi la mise à disposition d’un deuxième texte112. Si l’on réfléchit à l’ensemble du raisonnement, cela revient à proposer que le passage commun entre l’édition de Herold de 1557 et le manuscrit D 8 devient non pas la preuve de l’utilisation par J. Herold d’un manuscrit proche de D 8, mais celle d’une version B commune aux deux volumes, qui ne serait transmise dans aucun autre exemplaire, manuscrit ou imprimé ! Comme pour les versions à partir desquelles il a créé le Pactus legis salicae, K. A. Eckhardt continue à considérer les copistes comme les simples reproducteurs de versions officielles, et ne reconnaît leur rôle que pour des erreurs mécaniques de copie. Toute perturbation de ce schéma l’oblige à recourir à l’hypothèse d’une influence de la version B, qui devient ainsi aussi omniprésente qu’insaisissable. La liste royale associée à la version D indique que le dossier textuel la com portant fut créé après 751, tandis que la datation fournie par D 7, même si elle semble correspondre à son modèle, et non à cette copie, permet de supposer que le texte existait déjà en 763/764113. Le prologue long s’appuierait quant à lui sur le Liber Historiae Francorum de 727 comme le montre les nombreuses formulations correspondant aux quatre premiers paragraphes de ce récit sur les anciens rois francs. Si le raisonnement de K. A. Eckhardt parait jusque-là convaincant, il semble impossible de le suivre lorsqu’il tente de démontrer, en s’appuyant sur la formule In Dei nomine, l’usage du formulaire de Marculf et quelques tournures communes aux diplômes que seul le référendaire Baddilo, qui authentifia huit diplômes
110 Ibid. 111 Herold, Originum, 1557, p. 37. 112 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 24 : « Daβ ihm [der Schreiber von D 8] eine weitere Handschrift, und zwar eine solche der Texteklasse B vorlag, wird durch die Herübernahme des klassen fremden Stücks Incipiunt chunnas dargetan ; auch die zahlreichen analogen Verbesserungen durch den Korrektor der Hanschrift deuten auf das Zurverfügungstehen eines Zweittextes ». L’explication est reprise dans l’édition, Eckhardt, Pactus, 1962, p. 236. 113 Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 42-45.
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royaux entre 757 et 766, peut avoir été l’auteur du texte de la version D de la loi salique, comme du texte du concile de Ver de 755114. La démonstration de K. A. Eckhardt convainc tout au plus de la correspondance entre le prologue long de la loi salique et le milieu des notaires qui gravitaient autour du pouvoir royal lors du règne de Pépin. Il me semble, comme à K. Ubl, qu’il faut se contenter de placer l’élaboration de la version D de la loi salique dans l’entourage de Pépin, après 751115. K. Ubl soutient néanmoins l’hypothèse du caractère officiel du texte, en raison de sa proximité avec le prologue long116. Or ce texte ambitieux fut aussi rattaché à la version C de la loi salique, où il est associé au prologue court dans C 5, C 6 et C 6a, de même qu’à la version A, dans le manuscrit A 1 : pour les copistes de la fin du viiie siècle au début du ixe siècle, ce prologue était donc bien associé à la loi salique, mais pas à une version particulière de celle-ci. Le manuscrit A 1 commence par une introduction qui annonce la volonté de copier les différentes parties du Bréviaire d’Alaric, la loi salique, la loi des Alamans, la loi des Ripuaires puis : « l’édit du roi Childebert et l’édit par notre seigneur l’empereur Charles aura été écrit à la fin »117. La conception synthétique du droit et de la continuité de l’autorité législatrice, du droit romain aux capitulaires caro lingiens, est reflétée dans le volume par les illustrations représentant les empereurs romains législateurs et leurs conseillers (f. 1v-2) conçues sur le même modèle que le roi des Alamans et ses conseillers (f. 197v)118. Dans cette perspective, le prologue long de la loi salique, copié entre la loi salique et la loi des Alamans (f. 197ra-rb) prend un tout autre sens, puisqu’il sert à la fois de conclusion à la loi salique et d’introduction aux lois publiées sous l’autorité des rois mérovingiens : Loi des Alamans, Loi Ripuaire, chapitres supplémentaires à la loi salique et édit de Childebert, jusqu’aux ajouts par les capitulaires de Charlemagne. Pour le copiste, la loi salique, dans sa version A, était ainsi partie prenante d’un effort législatif continu et cohérent de Théodose à Charlemagne. Comme nous le verrons, ce prologue long fut repris et modifié pour la version E, qui dans son ensemble est une reprise et modification de la version D. Quelle que soit l’origine de cette version D, celle-ci n’était pas considérée comme supérieure au point de supprimer les versions antérieures, comme A ou C, ni d’empêcher sa modification par les copistes. La notion même de version officielle de référence semble bien avoir été étrangère aux copistes jusqu’à la première moitié du ixe siècle, comme nous le verrons à propos du statut de la version K, dont la proximité avec l’autorité de Charlemagne ne fait pourtant pas de doute.
Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 45-55. Ubl, Sinnstiftungen, p. 145-151. Ubl, Sinnstiftungen, p. 154. A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 3rb : et edictus Childeberti regis et domino nostro Karolo imperatore edictus eius extremus scribitur. 118 Bougard, « Le livre », p. 101. 114 115 116 117
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Illustration 3.1 : Stemma codicum pour la version D. Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 42.
À propos des manuscrits de la version D, nous pouvons nous accorder avec la proposition de stemma établie par K. A. Eckhardt, à part le rôle prêté à la version B (Ill. 3.1). Le manuscrit D 9 parait bien représenter une tradition différente des ma nuscrits D 7 et D 8, qui ont davantage de points communs. Même pour ces ma nuscrits que nous supposons copiés moins de cinquante ans après la rédaction de la loi qu’ils comportent, une part trop importante des manuscrits a disparu pour nous permettre d’ordonner précisément ceux qui nous restent.
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Il faut supposer au moins une étape inconnue entre eux pour arriver à expli quer leurs divergences. Celles-ci ne sont donc pas seulement fortuites, en raison de la longue durée de la tradition écrite mérovingienne et de son absence de conservation. Structurellement, les manuscrits de la loi salique montrent une très grande variabilité, par le pouvoir d’intervention que s’octroient les copistes. Pour la version D, ils ont conservé le dossier textuel lié à la loi salique et son ordonnan cement. Mais quelqu’un a introduit le dernier chapitre Incipiunt chunnas dans le modèle de D 8 ; le copiste de D 9 ou son modèle a actualisé la liste des rois, Wan dalgarius a sans doute modifié la datation associée à la loi salique dans le modèle de D 9 et D 7 pour glisser la date de son propre travail de copie. Le copiste de D 8 a supprimé toute datation. Il n’est donc pas possible de donner une image simple de la tradition manus crite en la respectant. K. A. Eckhardt prétend non seulement reconnaître les différentes étapes de constitution des versions, mais va jusqu’à reconstruire toute la tradition manuscrite telle qu’elle aurait dû être pour former un ensemble cohérent, en attribuant les passages d’un même manuscrit à telle ou telle étape supposée de transformation de la loi salique. Pour lui, les manuscrits A 1 et C 6119 empruntent le prologue long à la version D et le texte en est édité au deuxième volume de son édition, sous les noms de D 1 et D 6120. De même, le prologue court présent dans le manuscrit K 31 serait cette fois un emprunt à la version C, et le passage est édité sous le nom de C 31. En revanche, le prologue long qui le suit immédiatement dans K 31 serait cette fois un emprunt à la version D, et apparaît dans l’apparat critique comme D 31121. Pourtant, en l’absence de stemma précis entre les différents manuscrits et de datations, on peut défendre les modèles et les emprunts dans un sens comme dans l’autre, entre les versions et les manuscrits. Les choix de K. A. Eckhardt vont ainsi systématiquement contre la tradition manuscrite, dont il refuse la logique pour rechercher des versions figées et intan gibles de la loi salique, reflets de publications royales officielles. Considérés dans leur ensemble, les manuscrits de la loi salique invitent pourtant à une tout autre perspective, en montrant la liberté des copistes face aux textes juridiques. Ils s’en sont très rarement tenus à reproduire fidèlement des modèles manuscrits. Suivant les cas, ils ont choisi de réduire les textes hérités ou de les enrichir ; ils ont sélectionné et modifié les textes copiés suivant leur propre dessein. La logique propre à chaque manuscrit montre le sens et l’importance de leurs interventions.
Conclusion Comme nous l’avons vu, la quête d’une version originale de la loi salique en 65 titres a conduit le dernier éditeur, K. A. Eckhardt, à supposer l’existence 119 Il exclut sans raison C 6a de son raisonnement. 120 Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 2. 121 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 2 et Lex Salica, 1969, p. 2, note a.
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d’une chimérique version B, arbitrairement située en Austrasie, pour expliquer l’existence de deux versions divergentes, A et C, et imaginer comment C pourrait dépendre de A. Malheureusement, aucune de ces hypothèses n’est autrement fon dée que sur la négation des variantes manuscrites, systématiquement attribuées à des erreurs ou à des pertes matérielles. L’édition qu’il a fournie reflète ces a priori en cassant toute logique des manuscrits et en gommant artificiellement la plupart des variations, notamment dans l’ordre des chapitres et dans les éléments finaux du texte copié. La recherche de versions officielles de la loi salique aboutit donc une édition érigée contre la tradition manuscrite. Étudiées dans leurs ensembles, les variations fournissent pourtant une clef de l’interprétation des versions minoritaires, aux origines plus anciennes, de la loi salique. Tous les manuscrits associent la loi salique à l’autorité royale mérovingienne, à travers le prologue long ou l’épilogue. Pourtant, les manuscrits ne reflètent aucune publication officielle, mais bien la liberté de chaque copiste, qui a effectué des choix dans les manuscrits qu’il avait à sa disposition. Les séquences manuscrites montrent que les différentes versions disponibles ne pouvaient déjà plus être réparties entre les différents royaumes mé rovingiens : les manuscrits reflètent la synthèse des héritages neustrien, burgonde et austrasien effectuée après la victoire des Pippinides en 687. Certains associent aussi le droit romain, dans une vision syncrétique des différentes autorités et des différents droits qui ne correspond pas aux lignes de partage anachroniquement projetées sur cette période122. La loi salique, dans les manuscrits des versions A, C et D, apparaît ainsi comme le reflet d’un héritage juridique traité de façon consciente et volontaire par chaque copiste, suivant un dessein qui lui était propre. Il est grand temps d’abandonner la recherche d’un texte originel et de rejeter l’illusion de l’existence d’un Pactus legis salicae, d’une version unifiée de la loi salique à l’époque mérovingienne, telle qu’elle fut créée par K. A. Eckhardt. Il nous faut rechercher la signification et l’usage de la loi salique pour ceux qui nous la transmirent : les copistes du monde carolingien. En considérant qu’il n’y a de variations qu’à partir des différents héritages de l’époque mérovingienne, K. A. Eckhardt utilise tous les manuscrits à égalité, comme des représentants de leurs modèles perdus. Si nous cherchons au contraire à comprendre la marge d’interprétation de chaque copiste, il faudra se rattacher aux datations fines proposées pour chaque copie manuscrite. Si certains docu ments ou colophons permettent de dater certains d’entre eux, une grande partie des manuscrits carolingiens se présentent sans marque de copie, d’appartenance ou de localisation, ce qui contraint à une interprétation suivant les seuls critères paléographiques. Or, comme le montrent les changements d’avis de B. Bischoff, une telle méthode reste indicative et chaque proposition de datation reste provi
122 Rio, Legal Pactice, p. 198-211.
la loi salique à la fin du viii e siècle
soire123. Nous discuterons pour chaque exemplaire de la datation proposée, en nous fiant notamment aux travaux de B. Bischoff et de H. Mordek, tout en gardant à l’idée qu’il ne s’agit que d’hypothèses. Elles nous permettront de dessiner une chronologie de l’évolution des attitudes des copistes à l’égard du texte de la loi salique, peut-être contestable dans le détail, mais éclairante dans son ensemble. Avant de nous lancer dans une nouvelle interprétation, non plus en suivant les différentes versions, mais en suivant la chronologie des différentes copies manus crites de la loi salique, il semble nécessaire de tracer un bilan des conséquences de l’illusion d’une version ancienne de référence, créée par K. A. Eckhardt dans son édition, sur les hypothèses proposées par différents chercheurs à propos des origines de la loi salique.
123 Ganz, « Carolingian Manuscripts ».
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Dès 1935, K. A. Eckhardt avait créé la version ancienne parfaite de la loi salique, qui cumulait tous les signes de l’antiquité germanique pure dont rêvaient les nazis (Ill. 4.1). Le texte de la version A proposait une loi salique exempte de toute influence chrétienne et semblait évoquer indirectement le paganisme. Le petit prologue, découpé dans le prologue de la version C, l’introduisait sans proposer aucune référence à la monarchie, mais évoquait un libre choix du peuple, décidant de lui-même la mise par écrit de sa tradition juridique. Nous avons mon tré supra les conditions idéologiques qui ont permis une telle création, en 1935, et les circonstances qui ont entrainé K. A. Eckhardt à dédier une partie de sa vie scientifique à la justification a posteriori de tels choix. Après 1945, appuyé sur une connaissance indirecte des manuscrits, dont il n’avait pu que brièvement consulter ceux de Paris, K. A. Eckhardt a proposé le même assemblage des versions A et C, mais cette fois en justifiant leur présentation en parallèle par le recours salvateur à une version B, sortie de son imagination mais appuyée sur les divergences entre les versions manuscrites de la loi salique et l’édition proposée par J. Herold en 1557. Il ne s’agit plus ici de montrer l’absence de fondement scientifique d’une telle reconstruction, ni de justifier l’inclusion du prologue long dans la version C de la loi salique, pour refléter la réalité manuscrite, mais de présenter les recherches qui, à mon avis, ont été trompées par cette présentation tendancieuse, fournie dans l’édition de référence des MGH sans sa démonstration, publiée à part et en général négligée. La présentation séparée des fondements de l’édition a fait qu’elle n’a pas été particulièrement considérée dans les remises en cause générales qui ont concerné la recherche des racines germaniques dans le droit médiéval1, ou la démarche d’édition des lois barbares2. Depuis 1935 et jusqu’à nos jours, le texte fourni par K. A. Eckhardt a été le point de départ des réflexions sur les origines de la loi salique.
1 Bulst, « Normes ». 2 Hartmann, « Brauchen wir ».
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Illustration 4.1 : L’édition du Pactus legis salicae en 1935. Eckhardt, Pactus, 1935, p. 2-3.
La datation de la loi salique Les équivalences monétaires
À la suite des hypothèses développées par S. Stein en 19473, l’existence même d’une version écrite antérieure au règne de Charles le Chauve fut remise en cause. Il était possible de contrer cette supposition en mettant en avant les catalogues de bibliothèques, qui révélaient l’existence de manuscrits de la loi salique dans le premier quart du ixe siècle4. K. A. Eckhardt put quant à lui s’appuyer sur le manuscrit de Saint-Gall, D 9, et démontrer que le denier qui y était copié était bien de l’époque de Charlemagne5. Mais en dehors de ces éléments, l’existence de la loi salique dans une version écrite antérieure au viiie siècle, dont il n’y a pas de
3 Stein, « Lex Salica I » et « Lex Salica II ». 4 Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 472. 5 Eckhardt « Zur Entstehungszeit ».
les origines de la loi salique
témoin manuscrit, reste une hypothèse imprécise, car elle ne repose que sur des traces indirectes6. Nous avons vu la divergence des manuscrits comportant la version A, et les différences structurelles avec les manuscrits de la version C, ce qui rend difficile d’imaginer un modèle commun7 et laisserait supposer une très longue tradition écrite pour expliquer de telles dérivations. Néanmoins, des divergences impor tantes sont aussi apparues entre les trois manuscrits de la version D, alors qu’on peut lui supposer à peine un demi-siècle de tradition manuscrite. La mobilité des différents chapitres et la capacité d’intégration de chapitres d’origine diverse est donc une caractéristique essentielle des textes de la loi salique jusqu’au ixe siècle. Elle rend impossible la création d’un stemma codicum et ne permet pas de préciser leur datation sur le plan philologique. Il a été tenté de dater la loi salique à partir de son système monétaire, où un sou d’or équivaut à 40 deniers d’argent. Ce système de double montant n’existe que dans ce code de lois, les autres se contentant d’amendes en or ou en bétail8. Une telle équivalence fut de courte durée et la Lex Ribuaria précise bien : S’il arrivait de payer en argent, que ce soit un sou pour douze deniers, comme cela a été établi depuis longtemps9. Si la Loi Ripuaire ne peut être datée avec précision, la même équivalence 1 sou = 12 deniers se trouve mentionnée dans les actes du concile des Estinnes, en 743, sous l’autorité de Carloman10. L’équivalence qui structure les montants de la Loi Salique était donc obsolète lorsque furent copiés tous les manuscrits qui nous sont parvenus, après 751. Certains copistes ont pu supprimer les doubles mon tants, comme dans les manuscrits A 3, D 7 et D 9, mais aucun ne lui a substitué un autre système d’évaluation. Le système de chunnas exposé dans le manuscrit D 8 nous reste incompréhensible. On peut donc estimer que l’équivalence contenue dans le texte de la loi salique constituait un archaïsme, respecté en tant que tel par les copistes. En cherchant une époque où 1 sou d’or pouvait valoir 40 deniers, en raison des cours des métaux et des poids variés des monnaies, Ph. Grierson et M. Black burn ont abouti à l’idée qu’un tel ratio aurait pu être valable en Gaule du nord au début du ve siècle, lorsque les Francs profitèrent de l’effondrement du système de la frontière romaine en 407 pour s’installer sur les territoires de l’empire11. Ce n’est néanmoins que lors d’une rédaction au vie siècle que l’équivalence entre les
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Schmidt-Wiegand, « Untersuchungen ». Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 458. Grierson et Blackburn, Medieval European Coinage, p. 12. Loi Ripuaire, ch. 40, § 12 : Quod si cum argento solvere contigerit, pro solido duodecim denarios, sicut antiquitus est constitutum, Beyerle et Buchner éd., p. 95. 10 Concile des Estinnes, § 2 : solidus, id est duodecim denarii. Werminghoff éd., Concilia aevi Karolini, I, 1, p. 7. 11 Grierson et Blackburn, Medieval European Coinage, p. 102-107.
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monnaies d’argent et d’or aurait été mise par écrit. Cette hypothèse ne permet pas de préciser la date de rédaction des versions de la loi salique qui nous sont parvenues, non plus que celle d’un texte initial, car elle suppose que le système de conversion bimétallique était obsolète depuis les origines de la version écrite de la loi et fut sciemment conservé comme tel au cours des siècles. Les édits royaux
Avant le viiie siècle, il n’existe que des traces incidentes de la loi salique, dans des documents dont la datation pose elle aussi problème, puisqu’elle ne repose pas non plus sur des témoins manuscrits anciens. Ainsi, le Pacte de Childebert et Clotaire n’est transmis que dans les manuscrits de la même époque, carolingienne, que la loi salique12. Le paragraphe 5 y commence comme le titre du chapitre 40 de la version A, 40 ou 41 de la version C et 42 de la version K, « Si un esclave est accusé de vol »13, mais la disposition qui suit est différente : Si un esclave est accusé de vol, qu’on demande à son maître de présenter celui-ci à l’assemblée judiciaire14 avant 20 nuits, et s’il y a un doute, qu’il soit livré au sort15. S’il a été retardé pour le plaid par un empêchement légitime, que cela ait lieu avant 20 autres nuits. Et le plaignant de cette affaire donnera trois de ses pairs, ainsi que trois hommes choisis, pour qu’ils confirment par serment lors de plaids que ce que comporte la loi salique a été accompli. Et si le maître n’a pas présenté l’esclave, qu’il paie selon la loi comme coupable, et qu’il cède l’esclave16. Les tournures et le vocabulaire correspondent bien à la loi salique, mais pas l’ensemble de la disposition, qui ne se retrouve dans aucune des versions conservées17. Il n’est donc pas possible de lier ce texte, qui peut avoir été composé entre 511 et 558, et une version particulière de la loi salique. De même, dans l’Édit de Chilpéric (561-584), conservé dans un seul manuscrit, K 17, avec la loi salique, celle-ci est évoquée à propos de l’héritage :
12 Woll, Untersuchungen, p. 50-75. 13 Eckhardt éd., Pactus, 1962, p. 144-145. 14 Mallum est traduit par assemblée judiciaire, placitum par plaid, même si les deux mots semblent parfois, comme ici, renvoyer à la même réalité. 15 Il peut s’agir ici d’une ordalie, pour faire apparaître la vérité. 16 Pacte de Childebert et Clotaire, § 5 : Si seruus in furtum inculpatur, requiratur a domino ut ad XX noctes ipsum in mallum praesentet, et si dubietas est, ad sortem ponatur. Quod si placitum sunnis detricauerit, ad alias XX noctes ita fiat. Et prosecutor causae de suos consimiles tres et de electos alios tres dabit qui sacramenta firment per placita, quod lex salica habet fuisse completum. Et si dominus seruum non praesentauerit, legem unde inculpatur conponat et cessionem de seruo faciat, Boretius éd., Capitularia I, no 3, p. 5. 17 Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 457-458.
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De la même manière, il paraît bon et il convient que, si quelqu’un a des proches, ou des fils ou des filles, qui auront survécu après sa mort, les fils aient la terre, aussi longtemps qu’ils continuent à vivre, comme le comporte la loi salique. Et si les fils sont brutalement décédés, que la fille reçoive ces terres de la même manière, et de même, si elle a des fils, qu’ils les aient. Et si un frère meurt, qu’un autre lui a survécu, que le frère reçoive ces terres, non les proches. Et si un frère meurt soudain, qu’il ne reste aucun fils survivant, que la sœur accède à cette terre pour la posséder18. Ici, la priorité de l’héritage des fils sur les filles pour certaines terres renvoie bien au chapitre 59 de la loi salique version A et C, 92 ou 93 dans les versions D et E et 62 dans la version K19. Mais ce chapitre, dans ces différentes rédactions, n’évoque jamais les droits des vicini, les proches, et le fait qu’ils sont subordonnés à ceux des filles et de leurs descendants20. Dans ces passages des édits des rois mérovingiens, il n’est donc pas possible de savoir si l’expression lex salica renvoie en général au droit franc, ou à un texte écrit précis21, suivant un usage équivoque commun aux capitulaires des empereurs carolingiens22. Quant aux formulaires, ils fournissent de nombreuses références à la loi sa lique, mais qui restent aussi floues, sans permettre de désigner comme source un passage précis des textes qui nous sont parvenus23, tandis que leur composition s’étale sans doute sur plusieurs siècles24. De même, les sources narratives pré sentent de nombreuses allusions à la législation royale, mais sans jamais pouvoir être mises directement en relation avec l’un des édits des rois mérovingiens qui nous ont été transmis25. Les édits royaux ou la loi salique sont donc à la fois des textes concrets, copiés dans des manuscrits, et un ensemble flou, auquel les auteurs se réfèrent comme l’expression officielle de la norme juridique, mais qui ne correspond ni à un exemple concret d’application, dans les rares chartes conservées, ni à une citation précise. De même, les allusions à la loi romaine peuvent être très vagues, comme le montre Alcuin en s’y référant en 786 :
18 Édit de Chilpéric, § 3, dans le manuscrit K 17 : Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q 119, f. 83v. : Simili modo placuit atque conuenit, ut si quicumque vicinos habens aut filios aut filias post obitum suum superstitutus fuerit, quamdiu filii aduixerint, terra habeant, sicut et lex Salica habet. Et si subito filios defuncti fuerint, filia simili modo accipiant terras ipsas, sicut et filii si siui fuissent aut habuissent. Et si moritur frater alter superstitutus fuerit, frater terras accipiant, non vicini. Et subito frater moriens frater non derelinquerit superstitem, tunc soror ad terra ipsa accedat possidenda. L’édition par Boretius éd., Capitularia I, no 4, p. 8 ne tient pas compte des corrections apportées sur le manuscrit. 19 Pactus legis salicae, Eckhardt éd., p. 222-223. Lex Salica, Eckhardt éd., p. 162-165. 20 Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 458-459. 21 Ibid., p. 456 et 479. 22 Voir infra, chapitre 5. 23 Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 461 relève ainsi 18 renvois à la loi salique dans les formulaires. 24 Rio, Legal Practice, p. 167-182. 25 Woll, Untersuchungen, p. 184-222.
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Pour que soient interdits la fraude, la violence, et le vol et que des contributions injustes ou plus élevées que ce que porte la loi romaine et la coutume ancienne des premiers empereurs, rois et princes ne soient pas imposées aux Églises de Dieu, que celui qui veut s’associer à la sainte Église romaine et à saint Pierre le prince des apôtres sache se préserver d’être coupable de violence26. Le même usage imprécis apparait aussi chez Hincmar27. Ce flou des textes juri diques francs me semble correspondre à l’attitude des copistes pour les versions de la loi salique élaborées jusqu’à la fin du viiie siècle. Ils ont sélectionné dans un héritage confus des articles qui leur avaient été transmis de façon diverse et séparée, et ont considéré certains comme des articles de la loi salique, méritant d’entrer dans sa numérotation et la table des chapitres. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas eu d’autorité royale à l’origine de ces articles normatifs, mais que les informations sur les souverains et les circonstances des publications n’avaient pas été transmises jusqu’aux copistes du viiie siècle. Dans cette perspective, les versions anciennes qui nous sont parvenues, A, C et D, peuvent être considé rées comme un patchwork, une compilation d’articles promulgués à différentes époques et éventuellement dans différents lieux. C’est la conclusion à laquelle aboutit H. Nehlsen, à partir de son étude sur l’esclavage : Toutes les parties de la loi salique en 65 titres ne peuvent en aucun cas être attribuées à l’époque de Clovis. Les titres 10, 11, 12, 13, 25, 30, 40 laissent déjà paraître à l’intérieur de la version A une composition en strates s’étendant du début du vie siècle jusqu’au premier tiers du viie siècle28. Une telle vision ne correspond ni à la défense de la primauté de la version A contenue dans le manuscrit A 1, établie par B. Krusch, ni au lissage de toutes les divergences entre les manuscrits des versions A et C auquel s’est livré K. A. Eckhardt. En s’appuyant sur les citations du Pacte de Childebert et Clotaire et de l’Édit de Chilpéric, il déduisait que la loi salique existait avant 557, et très
26 Alcuin, Epistula 3, § XIV, p. 25 : Fraus, uiolentia et rapina uetatur et ne iniusta uel maiora tribua ecclesiis Dei imponantur, quam lex Romana et antiqua consuetudo priorum imperatorum, regum et principum habeat, omninoque qui sanctae Romanae ecclesiae et beato Petro principi apostolorum communicare cupit, ab hoc uitio uiolentiae immunem se seruare studeat. Dummler éd. 27 Hincmar évoque comme lex romana la comparaison des lois bibliques et romaines contenue dans Mosaicarum et Romanarum legum collatio : voir Corcoran, « Hincmar », p. 140. 28 Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 455 : « Keinesweg alle Teile der Lex Salica in der 65-Titel Textes dürfen der Zeit Chlodwigs zugewiesen werden. Die Titel 10, 11, 12, 13, 25, 35, 40 lieβen bereits innerhalb des A-Textes eine zeitliche Schichtung erkennen, die sich vom Beginn des 6. Jahrhunderts bis das erste Drittel des 7. Jahrhunderts erstreckt ». Sur cette position, voir Ubl, Sinnstiftungen, p. 24-25.
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probablement avant 524, bien que le premier texte ne mentionne pas Clodomir29. Il glissait immédiatement de cette datation à l’idée qu’elle correspondait au texte du Pactus legis salicae tel qu’il l’avait reconstitué. Les limites spatiales
Le texte de la loi salique des versions A et C fournit seulement, comme indication incidente, une supériorité du statut des Francs sur celui des Romains30 et des remarques géographiques, au chapitre XLVII. Le manuscrit C 5 montre l’hésitation du copiste sur les limites spatiales évoquées : Si quis seruum aut ancillam bouem uel iumentum aut quemlibet rem cum alterum agnouerit, mittat eum in tertia manu ; et ille apud quem agnoscitur debet adhramire. Et si chitra/ultra tera ligeri aut carbonaria ambo manent, et qui agnoscit et cum quo agnoscitur, in noctes XL placitum faciant31. Si quelqu’un a reconnu un esclave ou une servante, un bœuf ou une bête de somme ou n’importe quel bien avec autrui, qu’il l’envoie à un tiers, et celui chez qui il a été reconnu doit s’engager par serment. Et si tous deux, celui qui reconnaît et celui chez qui il a reconnu demeurent en deçà/au-delà de la Loire ou de la Charbonnière, qu’ils tiennent un plaid avant 40 nuits. Aux l. 16-17, le copiste a corrigé chitra tera en exponctuant tera, mais a gardé chitra, (qui correspond au citra copié dans la majorité des autres manuscrits) et a écrit en plus, au-dessus, ultra, sans choisir entre les deux termes32. Le copiste du manuscrit C 6 n’a, quant à lui, clairement pas compris le passage, qui n’y a plus de sens : et sic inter alligare aut Carbonarius ambo manent33. La désignation géographique revient dans une forme différente dans le même chapitre. C 5 donne : Quod si trans Legeri aut Carbonaria maniat cum quibus agnoscitur in octuagina noctes lex ista custodiatur34. Mais s’il demeure au-delà de la Loire ou de la Charbonnière, qu’il respecte cette loi avec les autres avant les 80 nuits.
29 Eckhardt, Pactus I, 1, 1954, p. 200-201. Dans le même sens pour supposer l’existence d’une première version écrite de la loi salique avant le milieu du vie siècle de notre ère : Renard, « Le Pactus », p. 328 et suivante. 30 Par exemple, Pactus legis salicae, Eckhardt éd., ch. 14, p. 64-65 ou ch. 30 dans la version C, p. 123. 31 C 5, Paris, BnF, latin 4403B, f. 107v. 32 Contrairement à l’affirmation de la note de Eckhardt, Pactus, 1962, p. 183. 33 C 6, Paris, BnF, latin 18237, f. 86v. 34 C 5, Paris, BnF, latin 4403B, f. 107v-108. Pactus legis salicae, ch. 47, 3, Eckhardt éd., p. 185.
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La préposition trans est bien aussi celle reprise par le manuscrit C 6 et trois manuscrits de la version A. Mais A 2 reprend la préposition intra, qu’il avait déjà utilisée pour la première disposition : Quod intra legere aut carbonaria ambo manent cum quibus agnuscitur, in noctis LXXX lex sta custodiatur. Pour les copistes, le sens de ces dispositions n’est plus clair, peut-être parce qu’ils ignorent s’ils doivent adapter le texte par rapport à leur propre position géographique. Les limites spatiales évoquées par la loi salique n’avaient pas de réalité à leurs yeux et constituaient probablement un archaïsme obscur. Certains spécialistes ont proposé la traduction de Liger par Lys, ce qui entraine une datation plus haute35, mais une telle dénomination de la Lys n’existe pas dans les textes du haut Moyen Âge : il faut donc supposer une adaptation, peut-être inconsciente des copistes, qui auraient changé le nom du fleuve en y reconnaissant la Loire 36. Or il serait étonnant qu’une telle manipulation consensuelle ait eu lieu, étant donné la divergence des différents manuscrits des versions A et C, dont nous venons de voir des exemples précis sur ce passage. En outre, le supplément de 40 nuits proposé pour le règlement du conflit paraît exagéré, car il n’y a qu’une distance d’une cinquantaine de kilomètres entre la forêt Charbonnière et la Lys37. Le texte de la disposition qui nous est parvenu, qui mentionne une limite sur la Loire et la forêt Charbonnière, a été diversement interprété. Selon I. Wood, il s’agirait de distinguer une région entre la Loire et la Charbonnière, ce qui n’aurait du sens que dans la première partie du règne de Clovis, avant la victoire de Vouillé en 507 qui lui permit d’étendre sa domination au sud de la Loire38. I. Wood mettait en rapport cette datation avec l’absence de considération du christianisme dans la version A de la loi salique, ce qui correspondrait à l’attitude de Clovis avant 507. S’il souligne que la forme du texte qui nous est parvenue a connu de nombreuses révisions, comme celle opérée par l’évêque Léger d’Autun, vers 67339, le chercheur britannique s’appuie sur le chapitre 47 pour considérer que la base de la loi salique remonte à Clovis. K. A. Eckhardt met lui aussi en avant le chapitre 47 pour réaffirmer la datation de la rédaction de la loi salique au vie siècle40, mais dans un autre sens, puisqu’il défend l’idée qu’une limite en-deçà ou au-delà de la Loire ne prenait sens qu’après 507. Il refuse au passage la trop rapide datation par B. Krusch41 – qui ne reposait que sur deux expressions, spécifiques au manuscrit A 1, communes avec la lettre
35 Guillot, « La justice » rappelle p. 677 l’hypothèse qui identifie Liger et Lys. 36 Renard, « Le Pactus », p. 338-342 et Id., « La situation » pense qu’il faut reconnaitre la Lys bien que les manuscrits désignent la Loire. 37 Ubl, Sinnstiftungen, p. 64. 38 Wood, The Merovingian kingdoms, p. 108-113. Voir K. Ubl, « Im Bann », p. 428-434. 39 Wood, The Merovingian kingdoms, p. 113-114. 40 Eckhardt, Pactus, I, 1, 1954, p. 202-207. 41 Krusch, « König Chlodwig » et Id., « Die Lex Salica », 1938.
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de Clovis aux évêques en 507 – mais retrouve son hypothèse : la loi salique aurait pour lui été écrite entre 507 et 557, puis elle aurait été transformée suivant le Pacte de Childebert et Clotaire. Le chapitre 47 devient alors ce que K. Ubl a appelé le « point d’Archi mède »42 de la démonstration, en démontrant son origine durant le règne de Clovis ou ses successeurs. P. C. Boeren a argumenté ainsi contre cette déduction : Le titre XLVII reflète un état politique qui existait seulement aux années 639 à 679, quand la Forêt Charbonnière servit de frontière commune aux royaumes de Neustrie et d’Austrasie. L’expression Silva Carbonnaria, d’ailleurs, ne se lit dans aucun acte sorti de la chancellerie mérovingienne43. K. A. Eckhardt n’avait pas eu connaissance de cette contribution lors de la pre mière publication de son travail en 1954, mais il n’a pas répondu à cet argument dans ses publications postérieures. Cet élément a été repris avec force par K. Ubl, qui relève que la mention d’une limite politique par la forêt Charbonnière n’existe que dans les plus anciennes Annales de Metz, au plus tôt à propos de Pépin de Landen († 639) et Pépin de Herstal († 714)44. Les deux parties du royaume franc, Neustrie et Austrasie, ne furent établies de façon stable que progressivement, et la forêt Charbonnière ne put avoir ce rôle de frontière avant la fin du vie ou le début du viie siècle45. Il est difficile d’imaginer comment elle aurait pu jouer un rôle de frontière lors du règne de Clovis. En définitive, K. Ubl formule l’hypothèse d’une interpolation de la version C dans la version A, car il défend l’idée d’une rédaction sous Clovis entre 507-511, comme un positionnement en rupture avec les traditions juridiques antérieures, notamment le code d’Euric46 et une affirmation habile du pouvoir royal47. Il se réfère alors à la forme globale de la loi salique, et non plus à une rédaction particulière. L’érudition contemporaine est ainsi restée bloquée à propos de la datation de la loi salique : son contenu ne permet pas de cibler une époque précise, les témoi gnages de son utilisation sont flous et indirects. Les chercheurs ne parviennent pas à situer les origines de la loi salique dans le temps ni dans l’espace et ne peuvent que formuler des hypothèses relatives, en fonction de leur interprétation générale de l’évolution législative à la fin de l’empire romain d’Occident. Cette situation est singulière. En effet, les premières législations des souverains barbares, à la fin du ve et au début du vie siècle, telles qu’elles nous ont été conservées pour
42 Ubl, Sinnstiftungen, p. 60-66. 43 Boeren, « Quelques remarques », p. 62-63. 44 Annales Mettenses priores, a. 687 et a. 690, De Simson éd., p. 8-9. Voir le commentaire de Renard, « La situation », p. 54-55. 45 Ubl, Sinnstiftungen, p. 61-62. 46 Ubl, « Die erste Leges-Reform ». 47 Ibid., p. 65-97.
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les rois des Burgondes48 et des Goths49, se présentent comme des productions royales, dans la continuité de l’action législatrice des empereurs romains, qu’elles complètent et non remplacent50, et sont rattachées à des souverains précis. Cette législation n’apparaît pas spécifiquement liée à une identité ethnique, dans la mesure où elle concerne tous les habitants du territoire sous l’autorité du roi, bien qu’elle rappelle les différences ethniques et organise parfois un accès différencié au droit. La loi y apparaît comme un moyen d’affirmation de l’autorité royale51. En comparaison avec cette tradition, la loi salique représentait un problème particulier pour les érudits du haut Moyen Âge, dans la mesure où il n’existe aucune trace manuscrite d’un prologue officiel rédigé avant le viiie siècle : aucun manuscrit de cette époque ne nous est parvenu et les présentations élaborées par la suite montrent l’absence de ce texte, qui aurait présenté un élément commun et contraignant. Pour tout érudit du viiie siècle, une limite désuète sur la Loire ou la Charbonnière témoignait de l’archaïsme de la loi et renvoyait, comme le paganisme et les gloses malbergiques, à une époque lointaine et révolue. Plusieurs textes rédigés avant le ixe siècle témoignent des différentes interprétations propo sées pour compenser l’absence de prologue officiel et expliquer les origines et la diversité des textes de la loi salique.
Le petit prologue et le Liber Historiae Francorum Les choix de l’édition d’Eckhardt
Le Liber Historiae Francorum propose une association de la loi salique aux premiers temps des Francs et s’accorde avec le prologue long et l’épilogue de la loi salique pour lier la rédaction de la loi salique et l’autorité royale dynastique. Il fut probablement composé en 727, car la dernière ligne de la version A renvoie à la 6e année du roi Thierry IV, soit 726-727, bien que les premiers manuscrits conservés datent d’un demi-siècle plus tard52. La version B, quant à elle, se réfère seulement au règne du roi Thierry, fils de Dagobert, ce qui indique qu’elle fut écrite avant la mort de ce roi, en 73753. Les deux versions du Liber divergent rarement même si elles ont des relations plus complexes que ne l’estimait Bruno Krusch pour son
48 Leges Burgundionum, von Salis éd., p. 29. L’éditeur paraît ici mal inspiré de glisser « rex Burgun dionum » dans sa proposition de reconstitution du texte, car cette précision ethnique n’apparaît que par une deuxième main sur le manuscrit A 1 de son édition, Paris, BnF, latin 4758, sur un feuillet conservé à part. Wood, « Disputes », p. 10 et Id. « Le Bréviaire », p. 153 et suivante. 49 Lex Romana Visigothorum, Hänel éd., p. 2-4. König, Edictum, p. 28-34. 50 Barnwell, « Emperors », p. 12 et suivantes. Wormald, « The leges ». 51 Coumert, « Loi ». 52 Liber Historiae Francorum, Krusch éd., Lebecq trad. Reimitz, History, p. 240-281. 53 Coumert, Origines, p. 325 et suivantes.
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édition54. Le plus ancien manuscrit, Paris, BnF, latin 7906, f. 81-88v est estimé par B. Bischoff dater d’avant 790, soit à la même époque que les plus anciens témoins de la loi salique55. L’auteur du Liber a repris le thème des origines troyennes à la Chronique de Frédégaire, mais de façon semble-t-il indépendante, dans la mesure où le récit des origines des Francs a été retravaillé à partir de nouvelles sources érudites. La création de ce passé troyen est tout d’abord une réponse à l’embarrassant silence de Grégoire de Tours, qui affirme ne rien connaitre des anciens rois des Francs56. Cette création s’est opérée en différentes étapes historiographiques depuis les livres II et III de la Chronique de Frédégaire57. Si les détails changent, le sens de la narration reste néanmoins le même : la valeur des Francs est associée à leur antiquité et à leur lignée royale, qui remonte à Priam. Confrontés au surprenant, et en partie volontaire, silence de Grégoire de Tours, les rares auteurs qui s’intéressèrent au passé franc durant la domination mérovingienne se cherchèrent donc de prestigieux ancêtres, aussi bien à Troie qu’en Germanie. De façon collective, ils construisirent par étape un passé franc glorieux, présentant des guerriers guidés par la même dynastie depuis la disparition de Troie jusqu’à la Germanie, puis la Gaule, la victoire définitive sur l’empire romain et la conversion au christianisme. Alors que la Chronique de Frédégaire, comme sa source principale, Grégoire de Tours, ne mentionne pas la composition de la loi salique58, le Liber Historiae Francorum semble avoir eu accès une autre source : Ils abandonnèrent ainsi Sicambria et parvinrent dans les parties les plus lointaines du Rhin, dans les places fortes de Germanie. Ils s’installèrent là avec leur prince Marchomir, fils de Priam, et Sunno, fils d’Anténor, et ils y vécurent de nombreuses années. Après la mort de Sunno, ils décidèrent d’établir pour eux un seul roi, comme de nombreux peuples. Marchomir aussi leur donna ce conseil ; ils élurent Faramond, son fils, et l’élevèrent au-dessus d’eux comme roi chevelu. Alors ils commencèrent à avoir des lois dont s’occupèrent les priores gentiles nommés Uuisowastus, Uuisogastus, Arogastus et Salegastus, dans les uillae qui sont au-delà du Rhin, à Bothagm, Salechegm et Uuidechagm59.
54 Gerberding, « Paris ». 55 Ibid. Bischoff, Katalog, III, p. 135 est plus prudent, entre la fin du viiie siècle et le début du ixe siècle. 56 Grégoire de Tours, Histoires, livre II, § 9, Krusch et Levison éd., p. 52. 57 Coumert, Origines, p. 325-339. 58 Nehlsen, « Zur Aktualität », p. 464. Reimitz, History, p. 27-43. 59 Liber Historiae Francorum, B. Krusch, éd., A, 4 : Illi quoque egressi a Sicambria, uenerunt in extremis partibus Reni fluminis in Germaniarum oppidis, illucque inhabitauerunt cum eorum prin cipibus Marchomire, filium Priamo, et Sunnone, filio Antenor ; habitaueruntque ibi annis multis. Sunnone autem defuncto, acciperunt consilium, ut regem sibi unum constituerent, sicut ceterae gentes. Marchomiris quoque eis dedit hoc consilium, et elegerunt Faramundo, ipsius filio, et eleuauerunt eum
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Illustration 4.2 : Édition d’Eckhardt, Pactus, 1962, p. 3.
Ces informations recoupent en partie celles qui apparaissent dans les diffé rents prologues de la loi salique. En 2007, j’ai écrit que je considérais que nous ne pouvions savoir si les deux textes découlaient d’une source commune, qui n’aurait pas laissé d’autre trace60, ou si l’un des deux textes s’inspirait de l’autre. Or, une attention plus soutenue à l’édition d’Eckhardt montre le caractère douteux de sa proposition concernant la localisation du travail législatif mentionnée dans le pro logue court, qu’il a d’ailleurs indiquée par des crochets, et la réflexion est à re prendre à partir des manuscrits (Ill. 4.2). Les informations concernant les rédacteurs de la loi salique apparaissent deux fois, au sein du prologue long puis du prologue court, dans le manuscrit C 6 : Ils dictèrent la loi salique par les grands de ce peuple, qui à l’époque en étaient les recteurs. Quatre hommes furent choisis parmi de nombreux hommes : Uuisogastus, Bodogastus et Uuidogastus, dans les lieux appelés Salechagm, Bodochagm et Uuidochagm. Ils se réunirent trois fois en assemblée judiciaire, ils discutèrent avec soin de l’origine de toutes les plaintes, et établirent un jugement à propos de chacune comme suit. […] Ainsi se présentèrent quatre hommes choisis parmi de nombreux hommes, dont les noms sont Uuisogastus, Arogastus, Salegastus et Uuidogastus. Ils se réunirent trois fois en assemblée judiciaire, discutèrent attentivement de l’origine de toutes les plaintes, et établirent un jugement pour chacune comme suit61. regem super se crinitum. Tunc habere et leges coeperunt, quae eorum priores gentiles tractauerunt his nominibus : UUisouuastus, UUisogastus, Arogastus, Salegastus, in uillabus quae ultra Renum sunt, in Bothagm, Salechagm et UUidechagm. 60 Coumert, Origines, Paris, p. 334. C’est aussi l’opinion défendue par McKitterick, Histoire, p. 12. 61 C 6, Paris, BnF, latin 18237, f. 65va-66ra : Dictauerunt salica lege per proceris ipsius gentis, qui tunc tempore eiusdem aderant rectores. Electi de pluribus uiris quattuor his hominibus : UUisogastis, Bodogastis et uuidogastis. In loca nominancium salchamae, bodochamae, uuidochamae, per tres mallas conuenientes, omnes causarum origines solli cite discudiendum tractandis de singulis iudicibus decreuerunt hoc modo. […]
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La première partie est clairement fautive dans ce manuscrit, puisqu’elle an nonce quatre hommes et n’en nomme que trois. La deuxième partie est cohérente en nommant quatre rédacteurs. Ils correspondent aux quatre nommés dans le Li ber Historiae Francorum, mais pas à ceux précédemment nommés dans le prologue long. Les noms de lieu ne sont donnés qu’en complément de la liste du prologue long. La reprise des mêmes formulations donne l’impression d’un doublon qui n’aurait pas été corrigé, d’où l’interprétation traditionnelle d’une antériorité du prologue court sur le prologue long, car ce dernier est associé à la version D de la loi salique, supposée plus récente que les versions A et C. La tradition manuscrite ne soutient pas une telle hypothèse, puisque les prologues long et court apparaissent tous deux en préambule de la loi salique version C62, tandis que le prologue long est copié dans le manuscrit A 163. Dans le manuscrit C 6a, copié au xvie siècle sur un modèle ancien, les deux listes de rédacteurs des prologues de la loi salique apparaissent de façon plus cohérente dans les prologues long puis court : f. 12 : Dictauerunt Saleca Lege per proceres ipsius gentis, qui tunc tempores eiusdem erant rectores, electi de pluribus uiris quatuor his hominibus : Uuisogastus, Bodocastus, Salecastus, et Uuidocastus, in loca cognominantia Salechagme, Bodochagme, Uuidochagine, qui per tres mallos conuenientes, omnes causarum origines sollicite discutiendo tractantes de singulis iudicium decreuerunt hoc modo. f. 12v : Extiterunt igitur inter eos electi de pluribus uiri quatuor his nominibus : Uuisogastus, Arogastus, Salegastus et Uuindogastus qui per tres mallos conuenientes omnes causarum origines sollicite discutientes de singulis iudicium decreuerunt64. La première liste paraît cette fois complète, avec quatre personnages associés à trois lieux, mais ils différent toujours de la liste suivante comme de celle du Liber. Dans ces deux manuscrits C 6 et C 6a de la version C, les toponymes n’apparaissent donnés que par le prologue long et la liste des rédacteurs du prologue court n’est suivie d’aucune précision géographique. Le troisième manuscrit de la version C, C 565, présente un texte beaucoup plus court :
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Extiterunt igitur inter eos electi uiri de pluribus quattuor his nominibus : Uuisogastus, Arogastus, Sa legastus et Uuidogastus qui per tres mallos conuenientes onnes causarum origines sollicite discucientes de singulis iudicium decreuerunt. L’enquête minutieuse menée par Haubrichs, « Tradition », sans doute gênée par les choix d’édition d’Eckhardt, ne retient pas l’association du prologue long et court pour la version C, p. 131-132. A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 197. C 6a, Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005, f. 12-12v. C 5, Paris, BnF, latin 4403B. Il faut corriger du tableau dressé par McKitterick, The Carolingians, p. 48-55 : le manuscrit 5, est Paris, BnF, latin 4403B et non 4403A.
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Hoc sunt qui lege salica tractatuerunt Uuisogast, Uuidegast, Arogast, Bodegast, Salegast, Uuisouuando in Bodachaem et in Salachaem66. K. A. Eckhardt considère qu’il s’agit d’un extrait du prologue court67. Mais s’agit-il ici d’un résumé du prologue court ou du prologue long ? Les noms de lieux ne sont pas présents dans les prologues courts fournis par les deux autres manuscrits de la classe C. Les six noms de personnes proviennent, semble-t-il, de l’addition des quatre noms du prologue court avec ceux du prologue long qui en différaient par trop pour être interprétés comme la déformation des premiers. Dans son édition, K. A. Eckhardt présente d’ailleurs les noms de Bodegast et de Uuisouando comme « empruntés au prologue long »68. Cet emprunt ne semble pas limité aux noms de personnes, mais étendu, a priori, aussi aux noms de lieux, puisqu’ils ne se trouvent pas dans les deux prologues courts fournis par les manuscrits C 6 et C 6a. Il paraît logique de considérer ce passage comme un résumé des deux prologues, ce qui permet d’expliquer le passage de quatre à six personnages et l’ajout des toponymes. Une telle interprétation illustre, en défini tive, une certaine cohérence entre les manuscrits de la version C : ils présentent la succession des deux prologues ou un résumé des deux comme introduction à la loi salique. Le seul soutien de l’insertion des noms de lieux dans l’édition du prologue court vient du témoin utilisé par K. A. Eckhardt pour affirmer l’existence d’une classe B, le manuscrit H 10, c’est-à-dire un manuscrit de Fulda, perdu depuis, utilisé pour son édition par Johannes Herold. Or nous avons vu à propos de cette édition, comment J. Herold avait opéré des choix dans les différentes listes de rédacteurs pour leur donner une cohérence en distinguant une rédaction initiale d’une révision, ce qui expliquerait deux listes différentes de rédacteurs69. Le texte qu’il propose ne peut donc être pris pour le reflet fidèle d’un unique manuscrit originaire de Fulda, mais comme une tentative d’interprétation et de classement d’un héritage complexe à l’époque humaniste. Son contenu peut provenir de manuscrits divers et non identifiables et il ne justifie pas l’ajout des toponymes proposé par K. A. Eckhardt dans son édition du prologue court de la loi salique. Ainsi, il faut supposer que le « prologue court » s’est inspiré du Liber Histo riae Francorum, mais sans reprendre ses informations géographiques, ce qui est possible en ce qui concerne la date des manuscrits, ou bien considérer que le Liber s’est inspiré d’une version retravaillée du prologue court, qui aurait alors existé à la fin du viie ou au début du viiie siècle70, mais n’a pas été transmise, ou encore poser l’hypothèse que les deux textes, ainsi que le prologue long, dépendent 66 C 5, Paris, BnF, latin 4403B, fol. 97v, l. 1-4. UUISOUUADo, rubriqué, a été corrigé en noir ensuite pour UUISOUUAnDO. 67 Eckhardt Pactus legis salicae I, 1954, p. 177. Sa position a été suivie par Schmidt-Wiegand, « Gens », p. 234 et suivante. 68 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 3, note t : « dem langen Prolog entlehnt C5 ». 69 Voir supra, chapitre 2, IIe partie. 70 Haubrichs, « Namenbrauch », p. 55, ou la version française, Haubrichs, « Tradition », p. 133.
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d’une source commune, dont ils n’auraient pas retenu les mêmes éléments. K. A. Eckhardt affirme à ce propos que le prologue court ne pourrait être dépendant du Liber Historiae Francorum car sinon il aurait repris le nom de Faramond71. Pourtant, le prologue court n’a pas non plus repris les lieux de rédaction de la loi salique dans les manuscrits de la version C. Ainsi, il n’y pas de raison de lier les trois informations nouvelles apportées par le Liber, la mention de Faramond, les rédacteurs et les lieux d’élaboration de la loi salique. Elles peuvent provenir d’origines différentes, et ont été reprises de façon dispersée : seulement les noms des rédacteurs dans le prologue court des versions C, seulement les toponymes dans le prologue long des versions C et du manuscrit A 1. Le nom de Faramond n’est pas associé à la loi salique dans ses manuscrits médiévaux, bien qu’il paraisse dans l’édition de Johannes Herold72. Quoi qu’il en soit, ce point illustre bien les biais systématiques de l’édition de K. A. Eckhardt. Après avoir détaché artificiellement le prologue long du prologue court, alors que les deux apparaissent dans les trois témoins manuscrits de la version C, et avoir rapproché le prologue court de la version A, avec laquelle il n’est jamais copié, il lui fallait affirmer, en 1935 comme dans ses publications postérieures, le caractère germanique de la rédaction primitive de la loi salique, à l’aide des toponymes présents dans le prologue long qu’il avait fait disparaître. Pour cela, son édition met en avant des manuscrits plus tardifs, K 17, 32, 33, 34, 35, 65 et 6673, dont le caractère secondaire est clair à la fois par leur date de copie, toujours postérieure au milieu du ixe siècle74, tout comme par leur caractère synthétique, puisqu’ils allient les prologues long et court à une version K dont les plus anciens manuscrits sont systématiquement sans prologue75. Le recours à ces manuscrits tardifs paraît comme un expédient pour préserver au Pactus legis salicae, composé en mêlant les versions A et C, son caractère germanique originel en glissant les toponymes attachés au prologue long dans les versions C, D et E comme des éléments du prologue court, alors qu’ils ne sont rapportés dans le prologue court que dans des manuscrits portant la version K, composée sous Charlemagne. Certes, K. A. Eckhardt était prêt à reconnaitre l’importance de l’autorité de Clovis dans sa mise par écrit, comme l’avait fait B. Krusch en déplorant que la rédaction du « plus vieux code de loi allemand » n’ait pas eu lieu sur le territoire allemand76. Mais il préservait par cette incohé rence de son édition la présentation d’une première version orale de la loi salique
71 Eckhardt, Pactus legis salicae I, 1954, p. 169-170. Cette argumentation est reprise par Renard, « Le Pactus », p. 328, note 28. 72 Herold, Originum, recto de la page de titre, liste des auteurs des lois : Pharamundus Francorum rex, 428. 73 Il faudrait ajouter à cette liste le manuscrit K 72, Vatican, BAV, Reg. lat. 1050, qu’Eckhardt n’a pas utilisé. 74 Voir infra dans ce chapitre. 75 Voir infra, chapitre 7. 76 Krusch, « Die Lex salica », 1934.
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élaborée en Germanie, hors de l’autorité royale, dans la continuité des traditions ethniques et hors des influences étrangères avilissantes. Pour son édition, K. A. Eckhardt a donc enlevé le prologue long de la version C de la loi salique et a glissé dans le prologue court les toponymes qui s’y trou vaient, de même que dans la présentation du Liber Historiae Francorum. Dans cet ouvrage, ces informations sur la rédaction de la loi salique prenaient néanmoins un tout autre sens que celui qu’aurait pu avoir le petit prologue considéré de façon isolée. Le Liber comporte les mêmes noms de rédacteurs de la loi salique que le prologue court, les mêmes toponymes que le prologue long, mais utilise ces informations pour exalter le rôle fondamental des rois des Francs depuis les origines. La rédaction de la loi salique dans le Liber Historiae Francorum
Les points communs entre le Liber Historiae Francorum et les prologues de la loi salique avaient été notés par les érudits du haut Moyen Âge, car le copiste du plus ancien manuscrit du Liber pensait visiblement à la rédaction de la loi salique, quand il modifia la liste des lieux de rédaction pour proposer : Tunc leges coeperunt, quę eorum priores gentiles tractauerunt his nominibus UUisouuastus, UUisogastus, Arogastus, Salegastus in uillabus quae ultra Renum sunt in Bothagni, Salicam et UUidecam77. Dans ce manuscrit du Liber Historiae Francorum, comme dans de nombreux manuscrits de la loi salique, l’association est claire entre l’un des lieux de rédaction de la loi et son nom. Le caractère subversif qu’aurait pu avoir le « prologue court » de la loi salique, en occultant toute autorité royale, est totalement encadré dans le récit du Liber Historiae Francorum. En effet, le groupe ethnique y est assimilé à un petit groupe de guerriers, autour du roi, descendants des guerriers troyens et de Priam78. L’histoire des Francs ne peut se penser en dehors de celle de leur roi, comme l’indique le commencement du récit : Nous raconterons le début, l’origine et les exploits des rois des Francs comme de leurs peuples79. Dans le plus ancien manuscrit du Liber, le titre de l’œuvre est aussi explicite sur la transformation opérée depuis les écrits de Grégoire de Tours :
77 Paris, BnF, latin 7906, f. 82. 78 Gerberding, The Rise, p. 325-339, Lebecq, Geste, 2015 : introduction et Reimitz, History, p. 240-281. 79 Liber Historiae Francorum, A, 1 : Principium regum Francorum eorumque origine uel gentium illarum ac gesta proferamus.
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Ici commence la geste des Francs suivant saint Grégoire, à partir du récit du saint évêque Grégoire de Tours : histoire des rois des Francs, des premiers rois80. Si la monarchie est ici présentée comme un choix, celui-ci revient, comme les élections royales mérovingiennes, à la reconnaissance collective du droit héré ditaire à régner. La loi est bien présentée comme écrite par quatre individus qui ne sont pas rois, mais cette législation est insérée dans le récit du règne de Faramond, un roi que le Liber Historiae Francorum est le premier à mentionner : Après la mort du roi Faramond, ils élevèrent Clodion, son fils, comme roi chevelu dans le royaume de son père. À partir de cette époque, ils commencèrent à avoir des rois chevelus81. Le sommaire donné par un grand nombre de manuscrits confirme l’intégra tion de la rédaction de la loi salique dans la succession des différents règnes. Il ne retient ainsi pour le chapitre 4 : Pourquoi le même empereur lança une armée contre les Francs, de leur arrivée dans les régions du Rhin et de leur premier roi82. Cet encadrement par le pouvoir royal est souligné par la mise en page de certains manuscrits. Ainsi, R. McKitterick relève parmi les manuscrits qui com portent le Liber Historiae Francorum et d’autres œuvres consacrées au passé des Francs le manuscrit de Paris, BnF, latin 5596, qu’elle considère comme copié au ixe siècle, peut-être à Saint-Germain des Prés83. Il comprend à la fois le Liber dans sa version A et la Vita sancti Remigii. Le copiste fait ressortir certains noms par des initiales agrandies, comme pour Clovis et Clotilde, mais aussi le nom des Francs donné par Valentinien, le nom des rédacteurs de la loi salique sous Faramond, ainsi que le nom du souverain dont le règne correspond à chaque chapitre. Ce procédé visuel souligne la continuité de l’histoire des Francs, mais aussi la permanence structurante du pouvoir royal, présenté en harmonie du travail des législateurs de la loi salique. Outre cet encadrement par un pouvoir royal qui ne fut que brièvement inter rompu, de Troie à Sicambria, les quatre rédacteurs de la loi sont qualifiés comme des priores gentiles, ce que l’on peut traduire, comme le fait R. A. Gerberding et comme je l’ai fait en 2007, par « les anciens du peuple », mais une traduction par
80 Paris, BnF, latin 7906, f. 81 : Incipit gesta Francorum a sancto Gregorio. Edictio sancti Gregorii Toronensis episcopi regum Francorum historia, principium regum. 81 Liber Historiae Francorum, A, 5 : Mortuo quippe Faramundo rege, Chlodionem, filium eius crinitum, in regnum patris sui eleuauerunt. Id temporis crinitos reges habere coeperunt. 82 Liber Historiae Francorum, A, index, 4 : Quod idem imperator exercitum commouit aduersus Francos, et de aduentu eorum in partibus Reni fluminis et de rege primo eorum. 83 McKitterick, History, p. 15. Bischoff, Katalog III, no 4382, p. 112 propose quant à lui une copie au nord-est de la France, peut-être aux environs de Reims, entre le viiie et le ixe siècle.
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« les chefs païens » me semble plus adaptée84. En effet, le récit du Liber Historiae Francorum est orienté dans le sens d’une progressive intégration des Francs dans la civilisation chrétienne. Les qualificatifs n’ont pas manqué, au cours des quatre premiers paragraphes, pour souligner leur caractère indomptable : Ce peuple était fort et robuste, les hommes trop belliqueux et indociles provoquaient des luttes sans répit, attaquant tout le voisinage alentour85. Leur nom même illustre leur sauvagerie : Valentinien les appela Franci, c’est-à-dire sauvage en langue attique, à cause de la fermeté et de la hardiesse de leurs cœurs86. De même, la résistance des Francs à l’empereur s’appuie sur leur violence : Or, comme ceux-ci étaient sauvages et très violents, ils prirent une décision néfaste87. Enfin, le chapitre 6 évoque ensuite explicitement le paganisme : Or ce Mérovée donna naissance à un fils nommé Childéric, qui fut le père de Clovis, un roi illustre et très courageux. Les Francs étaient alors païens et incroyants, ils adoraient les idoles et les images, et non le Dieu du ciel et de la terre qui les créa88. Dans ce contexte, les anciens responsables de la rédaction de la loi salique me semblent qualifiés de gentiles en allusion à leur paganisme, et non à leur lien à la gens Francorum. Un tel sens du terme est explicite au chapitre 51 du Liber Historiae Francorum, où le païen Radbod est désigné comme dux gentilis89. Une telle présentation n’est pas présente dans la version B du paragraphe 4 du Liber Historiae Francorum, qui complète priores gentiles par consiliarii et in uillabus quae ultra renum sunt par in uillae Germaniae. Si cette dernière modification paraît due à l’influence des Etymologies d’Isidore de Séville, à travers leur reprise dans les Versus de Asia et de Universi Mundi Rota90, la première ne rappelle plus le
84 Voir l’accord de Lebecq, Geste, note 20. 85 Liber Historiae Francorum, A, 1 : Gens illa fortis et ualida, uiri bellatores atque rebelles nimis, inquieta certamina obiurgantes, per gyrum finitima debellantes. 86 Liber Historiae Francorum, A, 2 : Tunc appelauit eos Ualentinianus imperator Francos Attica lingua, hoc est feros, a duritia uel audacia cordis eorum. 87 Liber Historiae Francorum, A, 3 : Illi quoque, sicut erant crudeles et inmanissimi, consilio inutile accepto. 88 Liber Historiae Francorum, A, 6 : Ipse itaque Merovechus genuit filium nomine Childerico, qui fuit pater Chlodovecho rege inclyto atque fortissimo. Erant enim tunc Franci pagani atque fanatici, adorantes idola et simulacra et non Deum caeli ac terrae qui creavit eos. 89 Liber Historiae Francorum, 51 : cum Radbode duce gentile amicicias feriunt. Il est possible de comparer avec la Chronique de Frédégaire, III, 65, où le terme de gentes est aussi utilisé pour désigner les Lombards comme des païens, Krusch éd., p. 110. 90 Coumert, Origines, p. 336 et suivante.
les origines de la loi salique
paganisme mais place les rédacteurs de la loi dans une situation d’inférieurs, comme conseillers d’un souverain. Les précisions géographiques, « au-delà du Rhin » pour la version A, ou la « Germanie » pour la version B, convergent néanmoins en situant la rédaction de la loi salique dans un cadre oriental éloigné. Dans la présentation du Liber Historiae Francorum, la rédaction des lois ances trales est donc intégrée dans le récit de l’origine des Francs et de leur dynastie. Elle y constitue l’une des étapes de la transformation des Francs de sauvages en civilisés, mais le paganisme de ses rédacteurs, ou la précision des trois uillae située ultra Renum, ou en Germanie suivant les versions, viennent souligner l’appartenance de ce type de législation à des temps révolus. Le texte isolé du petit prologue, qui n’existe pas dans la tradition manuscrite, proposerait une vision tout à fait différente du passé franc, hors de l’autorité royale, que le récit du Liber. Il n’est donc pas impossible de considérer que son auteur aurait repris ses informations au petit prologue, ou à son modèle, pour en transformer complètement le sens en faveur de l’autorité royale. De même, les informations du prologue court ont pu être reprises dans la rédaction du prologue long comme dans la présentation du prologue complet, le long suivi du court, où elles prennent un nouveau sens, sans rapport avec leur éventuelle signification dans un texte isolé. Le prologue complet (long et court) dans les manuscrits de la version K
Tout prologue est absent des quatre manuscrits de la classe A, sauf dans A 1 où le prologue long apparaît après la partie désignée comme loi salique91. Pour les trois manuscrits de la classe C, seul le manuscrit C 592 (Paris, BnF, latin 4403B) ne comporte pas le prologue long avant un texte que K. A. Eckhardt présente comme un extrait du prologue court. Un seul manuscrit sur trois, cela paraît déjà une justification fragile de l’édition indépendante du prologue court sans le prologue long, comme le soulignait P. Wormald en 200393. En outre, le manuscrit C 5, qui ne porte pas de signe d’une copie postérieure à 800, est apparemment le plus ancien à rapporter une trace du petit prologue de la Loi salique, mais son texte, comme je l’ai montré supra, ne comporte qu’un résumé de ce qui semble bien être les deux prologues : l’ajout des noms de personnes de la version longue et de la version courte y aboutit à mentionner six auteurs de la loi salique, ainsi que deux toponymes. Si K. A. Eckhardt ne formule pas cette hypothèse simple, et préfère supposer une contamination postérieure d’un résumé du prologue court par le prologue long, c’est probablement que cette considération l’obligerait à revoir l’idée même d’une édition indépendante du petit prologue de la loi salique. En définitive, dans les trois manuscrits de la classe C, le petit prologue apparaît
91 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 197. 92 C 5, Paris, BnF, latin 4403B, f. 65v-66. 93 Wormald, « The leges », p. 28.
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toujours associé au prologue long : les deux prologues y apparaissent l’un à la suite de l’autre, ou sous la forme d’un résumé des deux. La répétition d’une partie des noms des rédacteurs de la loi salique a le plus souvent été comprise comme la description de deux étapes différentes dans l’élaboration de la loi. La séparation qu’en fait l’éditeur, en coupant une partie pour en faire l’intro duction du texte en 65 titres, qu’il désigne comme Pactus legis salicae, et l’autre comme introduction de la lex salica D, en 100 titres est une reconstruction artificielle sans témoin manuscrit au haut Moyen Âge. Ainsi, le manuscrit C 6 comporte un enchainement, du folio 65v au folio 66 du texte du prologue long, puis celui du prologue court, l’ensemble étant précédé puis suivi d’un titre, en rouge et en onciales, avant le texte des Septem causas, ce qui montre que les deux prologues constituaient un texte unique et cohérent aux yeux du copiste94. Cette même combinaison des deux prologues, le long suivi du court, se retrouve pour les manuscrits K 31, K 32, K 33, K 34, K 35 et K 72. Les copistes sont intervenus pour tenter de donner une cohérence à l’ensemble : les manuscrits liés, K 33 et K 34, donnent six noms de rédacteur dans le prologue long, trois dans le prologue court. K 32 et K 35 donnent six noms dans le prologue long et quatre dans le prologue court. K 31 et K 72 donnent quatre noms dans les prologues long et court, ainsi que le montre le tableau suivant (Tableau 4.1). Dans le manuscrit K 17, le prologue long copié en introduction dans le manuscrit est celui de la version E, tandis qu’un extrait du prologue court est ajouté après la copie de la loi salique et de l’épilogue. Les noms des rédacteurs y paraissent sous une forme bien éloignée des autres manuscrits : Hec sunt nomina eorum, qui fecerunt lege Salicae : Vuisuast, AROAST, Saleanats, Uicats, qui uero manserunt in lege Salice, in budice95.
94 C 6, Paris, BnF, latin 18237. 95 K 17, Leiden Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q. 119, f. 88v.
Toponymes du prologue court
Liste du prologue court
Uisogastis
Uuidogastus
Salegastus
Salegastus
Salegastis Uuidogastus
Arogastus
Arogastus
Arogastis
Uuisogastus
Uuidochamne
Bodachemne
Uuisogastus
Uuidoghagme
Uuidogamne
Uirouado
Uuisouado
in uillas quae ultra Renum sunt Bothem
Bodochem
Uuidogastus
Salegastos
Uuisogastos
Uuidohim
Bodoheim
Saleheim
Uuisogado
Bedegaste
Arogaste
Uuidogaste
Salegaste
Uuisogaste
K 33v
in uillis que ultra Renum sunt
Uuidogaste
Arogaste
Salegaste
Uuisogaste
Uuidochamne
Bodochamne
Salechamne
Bodegaste
Bodegaste Salechemme
Arogaste
Uuidogaste
Salegaste
Uuisogaste
K 35iv
Arogaste
Uuidegaste
Salegaste
Uuisogaste
K 32iii
Uisogastis
Bodoghagme
Bodogamine
Uuidogastus
Guidegasto
Saleghagme
Salegastus
Podegaste
Salegamne
Bodogastus
Salegaste
Toponymes du prologue long
Uuisogastus
Uuisogasto
Liste du prologue long
K 31ii
K 72i
Manuscrit
Tableau 4.1 : Les rédacteurs de la loi salique dans les manuscrits de la version K portant le prologue complet
Bothem
in uillas quae ultra Renum sunt
Uuidogastus
Salegastos
Uuisogastus
Uuidochim
Bodoheim
Salecheim
Uuisogado
Bedegaste
Arogaste
Uuidogaste
Salegaste
Uuisigaste
K 34vi
les origines de la loi salique 179
K 72i
K 31ii
K 32iii
K 33v Salehem Uuidohem
K 35iv Salechem Uuidochem
Uuidohem
Salehem
K 34vi
ii
i
K 72, Vatican, BAV, Reg. lat. 1050, f. 162v-163. Milieu du ixe siècle : Bischoff, Katalog III, no 6762, p. 438, Mordek, Bibliotheca, p. 847-852. K 31, Paris, BnF, latin 4626, p. 1-2. X-xie siècles : Mordek, Bibliotheca, p. 477-482. iii K 32, Paris, BnF, latin 9654, f. 121-v. xe-xie siècles : Mordek, Bibliotheca, p. 562-578. iv K 35, Paris, BnF, latin 4628A, f. 6va-7rb. xe-xie siècle : Mordek, Bibliotheca, p. 488-501. Il faut corriger Eckhardt, Pactus, 1962, p. XX qui donne BnF, latin 4628. Le manuscrit du xve siècle K 36, Paris, BnF, latin 4631, f. 2rb-vb représente pour cette partie une simple copie de K. 35. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 507-516. v K 33, Paris, BnF, latin 10758, p. 79-81. 3e-4e quart du ixe siècle : Mordek, Bibliotheca, p. 587-605, Bischoff, Katalog III, no 4659, p. 168. vi K 34, Paris, BnF, latin 4760, f. 23v-25. xe siècle : Mordek, Bibliotheca, p. 536-540.
Manuscrit
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les origines de la loi salique
Ce résumé donne certes un assemblage de noms qui semblent davantage provenir du prologue court que du prologue long, car la mention de Bodogast y remplace celle d’Arogast96. Mais les précisions qui suivent, lege, salice et budice, pourraient bien reproduire une interprétation des trois toponymes associés au prologue long97. Dans ce manuscrit K 17, le prologue long version E introduit la loi salique, et ce résumé n’apparaît qu’après la loi dans sa version K, et des édits royaux mérovingiens : l’édit de Chilpéric, le Pactus pro tenore pacis, le décret de Childebert et l’épilogue de la loi salique98. La liste des titres conservée, malgré la perte d’un quaternion du manuscrit, montre que ce résumé s’insérait dans une suite de chapitres de la loi salique, et qu’il n’en présentait pas une nouvelle intro duction99. Ce manuscrit est le seul manuscrit carolingien à présenter un extrait indépendant du prologue court, mais sous une forme éloignée, alors que la loi elle-même y est introduite par le prologue long. L’ensemble du manuscrit reflète un montage d’éléments empruntés aux différentes versions de la loi salique : A, E et K, ainsi qu’une version inconnue pour son chapitre II100. Dans ce manuscrit, cet extrait du prologue court est bien présenté à part, mais en complément des textes associés à la version E de la loi salique, et cet ajout peut avoir de multiples origines. L’isolement partiel du prologue court est une caractéristique partagée par les manuscrits K 65 et K 66101 où la liste des titres des chapitres de la version D de la loi est insérée entre les deux parties des textes des prologues. Mais une simple coupure de ce type, dans deux manuscrits tardifs (xiie siècle pour K 65 et xve siècle pour K 66) ne justifie par leur édition séparée102. L’ensemble montre les interventions des copistes, qui ne pouvaient être satis faits par cet apparent redoublement incohérent des noms des rédacteurs de la loi salique. Ils ont le plus souvent complété la liste du prologue long, pour annoncer les rédacteurs du prologue court, mais ils n’ont pas renoncé non plus à provoquer encore davantage l’impression d’un doublon, en copiant deux fois les toponymes de rédaction de la loi salique. Ces opérations montrent leur distance par rapport à l’héritage législatif franc. Un tel montage des prologues long et court et de la version K de la loi salique n’apparaît qu’après le milieu du ixe siècle : son plus ancien témoin est K 72. Il reflète une logique d’accumulation et de mise en ordre de l’ensemble de l’héritage du passé franc, qui apparaît dans K 72, où le prologue de la loi des Bavarois apparaît avant le prologue complet, peut-être sous
Eckhardt, Pactus legis salicae I, 1, 1954, p. 175-176. Dans le même sens, Poly, « Freedom », note 75. Eckhardt, Pactus, 1962, p. XVIII. Ibid., p. XVIII et p. 16-17. Coumert, « Contester », p. 127-142. K 65 : Bonn, Universitäts- und Landesbibliothek, S 402, xiie siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 81-85. K 66 : Vatican, BAV, Reg. lat. 1036, xve siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 844-847. 102 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 3.
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l’influence de la version de Loup de Ferrières, comme nous le verrons infra, mais aussi du manuscrit K 33, qui est le modèle de K 34. K 33, Paris, BnF, latin 10758 est un manuscrit élaboré à Reims, sous l’influence d’Hincmar103, qui rassemble tous les textes relatifs aux origines de la loi salique, y compris en doublon104. On y trouve ainsi le Pacte de Childebert et Clotaire (p. 65-66), suivi du décret de Clotaire (p. 66-68), du décret de Childebert (p. 68-71), puis d’un « décret de Charlemagne »105 (p. 71-75), des Sententias de septem septinas, un classement des amendes de la loi salique (p. 75-78)106, suivi de la Recapitulatio solidorum (p. 79-80)107. Après ces interrogations sur le contenu et les variations de la loi salique écrite, vient le prologue complet (long puis court p. 80-81) semblable à la version C, remanié, avec une liste de six rédacteurs dans le prologue long, trois dans le prologue court. Sont copiés ensuite les capitula ajoutés par Charlemagne à la loi salique en 803 (p. 81-85), une datation de la loi salique où l’année a été effacée (p. 84), la table des chapitres de la loi salique (p. 86-88), le texte de la version K (p. 89-135). Après deux pages vides est de nouveau copié le décret de Childebert (p. 138-140), cette fois dans un dossier correspondant aux versions D et E : il est suivi de l’épilogue de la loi salique (p. 140), puis de la liste des rois (p. 140-141). Le copiste, ou son modèle, a donc fait un montage entre la version C, d’où viendrait le prologue complet, la version K, qui donne le corps du texte, et la version D ou E de la loi salique. Il a joint les textes législatifs mérovingiens qui l’accompagnent le plus souvent, ainsi que les textes qui tentent des classements à partir de la loi salique, les Septem Septinas et la Recapitulatio solidorum. Le prologue remanié, avec la succession de listes de six et trois rédacteurs de la loi salique accompagnées des mêmes trois toponymes montre lui aussi cette volonté d’accumulation et de synthèse de l’héritage législatif franc. Elle apparaît encore dans la suite du manus crit, où la Recapitulatio Solidorum est recopiée une deuxième fois (p. 277-280), après la compilation d’Anségise et l’Epitome Juliani. Une telle démarche ne permet pas d’utiliser ce manuscrit pour distinguer les différentes versions de la loi salique qu’il a compilées, ce que prétendait faire K. A. Eckhardt. Si le « prologue court » est donné dans son intégralité dans un manuscrit, c’est donc seulement à la suite du texte dit « prologue long », et il forme donc une introduction à la loi salique dans sa version C sous la forme du prologue
103 Pour des collections où l’archevêque de Reims semble être directement intervenu, voir Mordek, « Weltliches ». 104 Le rôle déterminant de cette compilation a échappé à Poly, « Freedom », note 75. Il accorde un poids plus important à ce manuscrit et à ceux qui en dépendent comme représentatifs d’une « frankish region », implicitement d’une tradition franque plus authentique, sans relever l’importance de l’érudition rémoise. 105 Ces termes introduisent et concluent les chapitres du capitulaire de Herstal, Boretius éd., Capituaria I, no 20, p. 46-51. 106 Ubl, « Eine Verdichtung ». 107 Ubl, « Die Recapitulatio ».
les origines de la loi salique
complet, prologue long suivi du prologue court, comme dans le manuscrit C 6108. Tel qu’il nous a été transmis, le « prologue court » apparaît donc après l’inser tion des mêmes informations dans un texte plus long, dans une présentation qui souligne les décrets royaux ajoutés à une rédaction païenne, loue Clovis et mentionne son rôle législateur avec Childebert et Clotaire. Dans le prologue long, les quatre sages qui établirent la loi salique sont désignés comme des « rectores », ce qui les assimile aux officiers royaux. L’invocation qui qualifie ainsi les chefs contemporains des Francs, établit une continuité jusqu’aux Francs du viiie siècle, au service du roi carolingien109. La concurrence de l’autorité royale, qui était ainsi éventuellement portée par le petit prologue, est donc désamorcée dans la tradition manuscrite, où les rédacteurs de la loi salique apparaissent comme des serviteurs du roi. Dans ces conditions, il paraît bien difficile de chercher le sens initial d’un texte qui n’est jamais transmis de façon indépendante. Dans l’ensemble formé par les deux prologues – ce que l’on pourrait appeler le prologue complet – l’établisse ment de la loi salique n’est pas lié à une tradition ethnique, qui donneraient une autorité législatrice en dehors de l’autorité royale. Sont simplement cités trois à six personnages qui auraient statué sur cette loi, à une époque entâchée par le paganisme, avant l’exaltation de l’autorité royale et de la foi catholique. La présentation du prologue court qui fait de la loi salique l’expression de sages hommes choisis parmi le peuple sans aucun lien avec une autorité royale est donc extrêmement isolée dans la tradition écrite concernant les premiers temps des Francs. L’épilogue qui apparaît dans le manuscrit A 2 de la loi salique, la présente au contraire comme une suite d’édits royaux, tandis que les différents récits historiques écrits à l’époque mérovingienne sont structurés en fonction des règnes d’une dynastie dont la domination est projetée dans le temps depuis la chute de Troie. Même le Liber Historiae Francorum, qui semble se référer à la même source que les prologues, intègre la rédaction de la loi dans le premier règne de la dynastie franque. En définitive, les choix éditoriaux de K. A. Eckhardt paraissent injustifiés, car ils mettent à part comme « petit prologue » un texte qui n’est jamais isolé dans les manuscrits, où il n’apparaît jamais qu’en complément du prologue long. Ce que nous cherchons à y lire sur les premiers Francs, païens et éventuellement sans roi ni hiérarchie sociale, est donc totalement contredit par le contexte manuscrit, où la rédaction de la loi salique est évoquée dans le prologue long ou dans le prologue complet (long suivi du court) en lien avec la louange de Clovis, de son baptême et des premiers rois francs législateurs. Jamais aucun copiste de l’époque carolingienne n’a donc, semble-t-il, considéré que la coutume et le choix d’hommes du peuple constituait un fondement légitime et indépendant de la loi salique. En désignant les responsables de la législation comme rectores et en
108 Voir le texte complet supra, chapitre 2. 109 Dans le même sens, Haubrichs, « Tradition », p. 134.
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priant pour ceux qui exercent ce rôle, le prologue long ou complet les associe aux officiers royaux, donc aux fidèles contemporains des souverains carolingiens. D’une certaine façon, face à une éventuelle source qui, peut-être, transmettait un message subversif en supposant la tradition ethnique comme base exclusive de la loi, l’auteur du Liber Historiae Francorum, comme celui du prologue long et les copistes de différents manuscrits de la version K ont utilisé des stratégies différentes, mais efficaces : -
la projection dans un passé révolu pour le Liber, en associant la loi salique au paganisme et à la Germanie, des éléments dépassés, tandis que la monarchie et la dynastie mérovingienne sont évoquées dès les origines franques l’adoption, pour le rédacteur du prologue long, qui fait des rédacteurs de la loi salique des officiers royaux l’intégration dans une présentation à la gloire des rois francs et du christia nisme pour les copistes de manuscrits de la loi salique version K, en soulignant la continuité entre les hommes choisis comme législateurs et les souverains mérovingiens puis carolingiens.
L’éditeur du xxe siècle, tout comme le copiste carolingien, a donc transformé sa source pour lui faire dire ce qu’il voulait y lire, dans son cas le témoignage d’un peuple germanique, païen, libre et indépendant de toute autorité supérieure. Un tel message n’était porté par aucun des manuscrits de la loi salique copiés au haut Moyen Âge qui cherchent tous, au contraire, à témoigner de l’antiquité des Francs mais aussi de la profondeur de leur foi catholique et de la domination continue de leurs souverains, dispensateurs de la justice et de la loi.
Les autres introductions de la loi salique du ix e siècle Le prologue de la loi des Bavarois
Le Liber Historiae Francorum montre donc quelques informations nouvelles, des noms de rédacteurs de la loi salique associés à des toponymes, et les insère dans un récit qui donne le premier rôle aux rois, où apparaît pour la première fois le roi Faramond. Suivant ce qui peut être déduit du texte de la loi lui-même, il situe la rédaction aux temps archaïques et païens qui précèdent l’installation en Gaule. Cette assimilation apparaît aussi dans les manuscrits de la loi salique, à travers les gloses malbergiques, dont l’emplacement variable montre qu’elles n’étaient plus comprises des copistes, comme à travers le titre du dernier ou avant dernier chapitre de la version D, De crene cruda, quod paganorum tempus obseruabant110, ou des ajouts propres à quelques manuscrits : la mystérieuse liste
110 Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 170.
les origines de la loi salique
des Chunnas, dans le manuscrit D 8111, ou le texte du chapitre II dans le manuscrit K 17112. Mais situer les origines de la loi salique dans les premiers temps païens des Francs n’expliquait nullement la multiplicité des versions de la loi salique disponibles dans la seconde moitié du viiie siècle, qui présentaient de 65 à 100 chapitres. Une explication des variations de la lex salica par la multiplicité des décisions royales, en écho aux partitions des royaumes mérovingiens apparaît dans divers textes presque contemporains, au milieu du viiie siècle. Cette conception nouvelle est exprimée par le prologue de la loi des Bavarois, probablement rédigée entre 737 et 743113, dont le premier témoin manuscrit date du début du ixe siècle114. Il reprend aux Étymologies d’Isidore de Séville la liste des législateurs de Moïse à Théodose, et ajoute (les ajouts aux Étymologies d’Isidore de Séville sont en gras) : Au sujet des lois. Le premier de tous, Moïse du peuple hébreu, reproduit les lois divines dans les Saintes Écritures. Chez les Grecs, le roi Fonoreus institua le premier des lois et des tribunaux. Chez les Égyptiens, Mercure Trismégiste fut le premier à enseigner des lois. Chez les Athéniens, Solon fut le premier à donner des lois. Chez les Lacédémoniens, Lycurgue fut le premier à fabriquer une constitution, sous l’autorité d’Apollon. Chez les Romains, Numa Pompilius, qui succéda sur le trône à Romulus, fut le premier à publier des lois ; par la suite, parce que le peuple ne pouvait pas supporter des magistrats séditieux, il créa des décemvirs en vue de rédiger des lois, qui exposèrent en douze tables les lois traduites dans la langue latine depuis les livres de Solon. Ils furent : Appius Claudius, Genutius, Veterius, Iulius, Manilius, Sulpicius, Sectius, Curatius, Romelius, Postumius. Ces dix hommes ont été choisis pour l’écriture des lois. Or le premier, le consul Pompée a voulu commencer à mettre les lois dans des livres, mais il n’a pas poursuivi par peur des dénigrements. César commença ensuite à le faire, mais fut tué auparavant. Or, peu après, des lois anciennes tombèrent en désuétude en raison du temps écoulé et de la négligence, dont la connaissance paraît quand même nécessaire, bien qu’il n’en existe plus l’usage. Les nouvelles [lois] commencèrent à partir du César Constantin et d’autres successeurs, elles étaient mélangées et en désordre. Ensuite, Théodose le Jeune a ordonné d’établir un livre des constitutions, semblable à celui de Grégoire et d’Hermogène, depuis l’époque de Constantin sous le propre nom de cet empereur, d’après lequel il est nommé Théodosien.
111 Ibid., p. 173. 112 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 239-240. 113 Landau, Die Lex, p. 30-42. Schumann, « Entstehung », p. 291-319. S’il y a accord sur la datation de la version de la loi qui nous est parvenue, une formation antérieure, par étapes successives entre le vie et le viiie siècle, est aussi défendue. 114 München, UB, 8°, 132, début ixe siècle. Landau, Die Lex, p. 47. Fac-similé : Beyerle, Lex.
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Ensuite, chaque peuple choisit sa propre loi pour lui à partir de la coutume. Or une longue coutume est considérée comme la loi. La loi est une disposition écrite. La coutume est une habitude approuvée par le temps, ou une loi non écrite. Car la loi (lex) est appelée ainsi à partir de lire (legendo), parce qu’elle a été écrite. Or la coutume (mos) est une longue habitude tout autant dérivée des mœurs (mores). La coutume est un certain droit établi par les mœurs, qui est tenu pour loi, la loi sera dès lors tout ce qui aura été constitué par la raison, à savoir, ce qui convient à la discipline, ce qui contribue au salut. Quant à la coutume, elle a été appelée consuetudo, parce qu’elle est d’un usage commun (communi usu). Thierry roi des Francs, alors qu’il se trouvait à Châlons, choisit des hommes sages qui, dans son royaume, avaient été instruits dans les lois anciennes. Or en dictant lui-même, il ordonna d’écrire la loi des Francs, des Alamans et des Bavarois, de chaque peuple qui était sous sa domination conformément à sa propre coutume, il ajouta ce qui avait été ajouté et enleva les éléments improvisés et mal agencés. Et ce qui était conforme à la coutume des païens, il le transforma suivant la loi des chrétiens. Et ce que le roi Thierry ne put modifier en raison de la très ancienne coutume des païens, le roi Childebert l’entreprit ensuite, mais le roi Clotaire l’acheva. Le très glorieux roi Dagobert reprit tout cela par le moyen des hommes illustres Claudius, Chadoinus, Magnus et Agilulfus ; il améliora tous les éléments anciens des lois et donna à chaque peuple des écrits, qui durent jusqu’à nos jours. Les lois ont été faites afin que la cruauté humaine soit tenue en bride par la crainte de celles-ci, qu’une totale vertu soit entre les mauvais et que, par la terreur du supplice, la faculté de nuire soit réfrénée même chez les impies115.
115 Prologue de la loi des Bavarois : De legibus. Moyses gentis Hebreae primus omnium divinas leges sacris litteris explicavit. Foroneus rex Grecis primus leges iudiciaque constituit. Mercurius Trimegistus primus leges Aegyptiis tradidit. Solon primus leges Atheniensibus dedit. Ligurgus primus Lacedemo niis iura ex Apollinis auctoritate confinxit. Numa Pompilius qui Romulo successit in regno, primus leges Romanis edidit. Deinde cum populus seditiosos magistratus ferre non possit, decimviros legibus scribendis creavit qui leges ex libris Solonis in latinum sermonem translatas duodecim tabulis exposue runt. Fuerunt autem hii : Appius Claudius, Genutius, Veterius, Julius, Manilius, Sulpicius, Sectius, Curatius, Romelius, Postumius. Hi decim viri legum conscribendarum electi sunt. Leges autem redigere in libris primus consul Pompeius instituere voluit, sed non perseveravit obtrectatorum metu. Deinde Caesar coepit id facere, sed ante interfectus est. Paulatim autem antiquae leges vetustate atque incuria exoluerunt, quarum etsi nullu iam usus est, noticia tamen necessaria videtur. Novae a Constantino coeperunt caesare et reliquis succedentibus erantque permixtae et inordinatae. Postea Theudosius minor augustus ad similitudinem Gregoriani et Hermogeniani codicem factum constitutionum a Constantini temporibus, sub proprio cuiusque imperatoris titulo disposuit, quem a suo nomine Theodosianum vocavit. Deinde unaquaque gens propriam sibi ex consuetudine elegit legem. Longa enim consuetudo pro lege habetur. Lex est constitutio scripta. Mos est vetustate probata consuetudo, sive lex non scripta. Nam lex a legendo vocata, quia scripta est. Mos est autem longa consuetudo de moribus tracta tantundem. Consuetudo autem est ius quoddam moribus institutum, quod pro lege
les origines de la loi salique
La loi est ici présentée comme une coutume propre à chaque groupe ethnique, mise par écrit sur ordre direct du roi. Elle cumule plusieurs sources de légitimité : la tradition orale coutumière du groupe ethnique, mais aussi l’autorité royale, mé rovingienne, associée au choix du christianisme et au conseil de sages. L’autorité du roi est présentée comme supérieure à la coutume, puisqu’elle est autorisée à la modifier. Aux différents rois sont associés différentes versions de la loi. Si des rédacteurs sont bien choisis, comme dans le prologue court de la loi salique, pour mettre par écrit la coutume, ils agissent sur ordre direct du roi, ipso dictante, et ce dernier, appuyé sur le christianisme a la possibilité de modifier la coutume ethnique. Une telle présentation peut avoir été composée en écho aux prologues de la loi salique, long, ou court, car on y retrouve l’idée d’individus choisis par le roi pour rédiger la loi, et la subordination, explicite dans le prologue long, implicite dans le prologue complet, de l’autorité de la coutume ethnique à celle du roi. Malheureusement, la tradition manuscrite montrant l’apparition matérielle des trois prologues en même temps, à la fin du viiie siècle, il nous est impossible de savoir lesquels furent composés en réponses aux premiers, dans un système croisé de représentations convergentes où il faut aussi intégrer l’épilogue de la loi salique. La production de ces textes en écho les uns aux autres est confirmée par les usages manuscrits du prologue de la loi des Bavarois, car certains manuscrits de la Loi salique comportent bien ce prologue comme une introduction à la loi salique116. C’est le cas de :
suscipitur. Lex erit omne quod iam ratione constiterit, quod disciplinae conveniet, quod saluti proficiat. Vocata autem consuetudo, quia in communi est usu. Theuderichus rex Francorum, cum esset Catalaunis, elegit viros sapientes qui in regno suo legibus antiquis eruditi erant. Ipso autem dictante iussit conscribere legem Francorum et Alamannorum et Baioariorum unicuique genti quae in eius potestate erat, secundum consuetudinem suam, addidit quae addenda erant et in provisa et inconposita resecavit. Et quae erant secundum consuetudinem pagano rum mutavit secundum legem christianorum. Et quicquid Theuderichus rex propter vetustissimam paganorum consuetudinem emendare non potuit, post haec Hildibertus rex inchoavit, sed Chlotarius rex perfecit. Haec omnia Dagobertus rex gloriosissimus per viros inlustros Claudio, Chadoindo, Magno et Agilulfo renovavit et omnia vetera legum in melius transtulit et unicuique genti scriptam tradidit, quae usque hodie perseverant. Factae sunt autem leges, ut earum metu humana coerceretur audacia, tutaque sit inter inprobos innocentia et in ipsis inprobis formidato supplicio refrenetur nocendi facultas, de Schwind éd., p. 198-203. Deutinger, Lex, p. 32-37 présente de façon synthétique les défauts des différentes éditions existantes. 116 Le prologue de la loi des Bavarois est aussi utilisé une fois comme introduction au Bréviaire d’Alaric, dans le manuscrit Paris, BnF, latin 4416, présenté au chapitre 6.
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K 44117 : Paris, BnF, latin 9656, f. 109. K 72118 : Vatican, BAV, Reg. lat. 1050, f. 162va-vb. S 82119 : Modena, Biblioteca Capitolare, O. I. 2, f. 9r-v. S 83120 : Gotha, Forschungs- und Landesbibliothek, f. 148va-149ra.
Memb.
I, 84,
En revanche, le prologue de la loi des Bavarois ne s’y trouve jamais entre les deux prologues, long et court de la loi salique, c’est-à-dire tel qu’il apparaît dans l’édition de J. Herold. Il est utilisé seul dans K 44, avant les prologues long et court dans les trois autres manuscrits. L’auteur de ce texte connaissait-il les précédentes présentations des origines de la loi salique ? Ce n’est pas impossible, si l’on considère les éléments communs avec le Liber Historiae Francorum ou avec le prologue complet, où quatre hommes sont choisis sous l’autorité royale pour rédiger la loi salique. Mais la rédaction a été déplacée dans le temps et dans l’espace. Il s’agit cette fois du règne de Thierry, fils de Clovis, et la rédaction primitive de la loi a lieu à Châlons. Il ne s’agit plus de placer la rédaction de la loi salique avant les victoires de Clovis sur les Alamans, ni de la lier à la Germanie et à la barbarie primitive des Francs. À travers les lois des Bavarois et des Alamans, cet espace est associé à la domination des rois mérovingiens, puis carolingiens. Le point le plus novateur ici est sans doute la mention d’une loi écrite pour chaque peuple, qui répond à un nouvel usage politique de la loi développée par les rois mérovingiens envers différents groupes puissants dans le royaume, définis par un ethnonyme, à partir du viie siècle. Les rois francs sont présentés comme responsables de la rédaction de lois destinées à des groupes ethniques ayant eu une histoire indépendante avant leur soumission. La même présentation se trouve dans le prologue de la lex gentis Alamannorum, contemporaine ou de
117 Mordek, Bibliotheca, p. 578-580 date la copie du milieu du xie siècle, en Italie du nord. Seule la fin du prologue de la loi des Bavarois apparaît, au début d’un nouveau cahier, qui comprend ensuite le texte de la loi salique version K jusqu’au chapitre 42. 118 Mordek, Bibliotheca, p. 847-852 date la copie de la première partie de la seconde moitié du ixe siècle et la situe en France. Bischoff, Katalog III, p. 438, no 6762 suppose lui aussi comme lieu de copie la France, et la situe dans le 2e quart ou au milieu du ixe siècle. 119 Mordek, Bibliotheca, p. 256-267 propose une copie en Italie du nord vers 991. Pohl, Werkstätte, p. 124-129 défend l’idée que le calendrier de l’année 991 fut rajouté dans un deuxième temps et que cette version du Liber legum aurait été copiée entre 870 et 970. Golinelli, « Il Codice » souligne aussi l’ajout postérieur du dernier cahier, et considère que le manuscrit a été composé entre 855 et le début xe siècle, en retenant l’importance de l’épiscopat de Léodoin, évêque de Modène (871-898). La même période de copie est défendue par Nicolaj, « Il Liber », mais il n’est pas possible de suivre son hypothèse d’une composition de la collection dans ce cadre, par un prêtre Loup de l’entourage de l’évêque Léodoin, car la liste impériale qui est commune avec le manuscrit de Gotha s’arrête avec Louis le Pieux, ce qui aurait peu de sens pour la seconde moitié du ixe siècle. 120 Mordek, Bibliotheca, p. 131-149 situe la copie au xe-xie siècle, à Mayence.
les origines de la loi salique
peu postérieure121, dont le plus ancien manuscrit date aussi de la fin du viiie siècle. Celui-ci évoque une rédaction « en accord avec le seigneur roi orthodoxe Clotaire, où furent 33 ducs, 33 évêques et 72 comtes »122. Le roi ainsi désigné serait Clotaire II (584-629)123 et le texte souligne que la reconnaissance de cette loi à un groupe ethnique interne au royaume franc représente un choix politique du roi mérovingien. Ces explications des origines des lois franques ont en commun une innova tion : l’idée que la loi ne reflète pas seulement la volonté royale, mais aussi les traditions ethniques124. La plus ancienne formulation de cette idée apparaît dans l’édit de Rothari, publié par ce roi lombard en 643125. Il se réfère à l’autorité de la tradition ethnique lombarde pour établir la loi, mais en ajoutant cette coutume à l’autorité royale parmi diverses sources de légitimité de la loi. H. Reimitz et K. Ubl ont souligné avec justesse les correspondances entre le prologue de la Loi des Bavarois et le prologue long de la loi salique126, tel qu’il apparaît dans les versions D et E. Il exalte lui aussi la tradition franque, désormais reprise par une autre dynastie, et cherche à opposer les passés franc et romain. Ces convergences ont apparemment été exploitées par Loup de Ferrières pour composer une introduc tion à la loi salique, même si les détails de ses choix nous échappent.
121 Reimitz, History, p. 328. Sur Loi des Alamans et la révision attribuée au duc Lantfrid (mort en 730), voir les débats autour des hypothèses de C. Schott dans Geuenich, « Geschichte », Schumann, « Die Leges », Schott, « Die Entstehung », p. 139-152 et Patzold, « Die Lex », p. 153-168. Le plus ancien manuscrit de la loi des Alamans est le manuscrit D 9, St Gallen, Stiftsbibliothek, 731. C. Schott considère que la loi des Alamans est une falsification produite dans le monastère de Reichenau. S. Patzold a détaillé les fondements trop fragiles de cette hypothèse et les nouvelles difficultés qu’elle pose. Pour ma part, il me semble que la question est mal posée, car au tournant des viiie-ixe siècle, les copistes pouvaient à leur gré, hors de tout contrôle, modifier des textes qui étaient ensuite considérés comme des normes juridiques. Sépa rer législation officielle et législation privée, tout comme vraie et fausse législation n’avait alors plus de sens, avant la progressive stabilisation carolingienne, comme je tente de le démontrer infra. 122 Wolfenbüttel, HAB, Cod. Guelf. 513 Helmst. F. 1. Ce manuscrit de la fin du viiie siècle est désormais peu lisible. L’édition propose le texte suivant : In nomine Domini incipit lex gentis Alamannorum, instituta temporibus domini Hlotarii ortodoxi regis una cum christianissimis suis 33 episcopis et 33 duces et 72 comites et cetero populo, Lehmann et Eckhardt éd., p. 62. 123 Voir l’introduction par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 3. 124 Schumann, « Die Leges », p. 113-118. 125 Édit de Rothari, Bluhme éd., p. 1, § 1 : Ego in dei nomine Rothari, vir excellentissimus, et septimo decimum rex gentis Langobardorum, anno Deo propitiante regni mei octabo, aetatisque tricesimo octabo, indictione secunda, et post adventum in provincia Italiae Langobardorum, ex quo, Alboin tunc temporis regem precedentem divina potentia, adducti sunt, anno septuagesimo sexto feliciter. Dato Ticino in palatio. 126 Reimitz, History, p. 330-333. Ubl, Sinnstiftungen, p. 158-163.
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La version de Loup : un montage des deux prologues ?
La concordance des deux manuscrits, comportant la version de la loi salique établie par Loup127, montre que l’assemblage des deux prologues de la loi salique et de celui de la loi des Bavarois a été établi dès leur modèle, dans la collection de loi composée par Loup pour Evrard de Frioul entre 829 et 840128. Dans le manuscrit de Modène, S 82129, le texte du prologue n’est malheureu sement plus complétement déchiffrable sur le manuscrit, mais L. A. Muratori a fourni un texte en 1725 (Ill. 4.3)130 où il a pu se contenter de modifier l’ortho graphe du texte qu’il a déchiffré. Sa lecture indique quatre noms de rédacteur de la loi salique dans le prologue long : Uuisegastus, Bedogastus, Salegastis et Aregastis, en quatre lieux correspon dant à ces noms : Uuisochane, Bedochane, Salechane et Arechane. Le prologue court s’interrompt avant de fournir une autre liste des rédacteurs. Les noms des rédacteurs du prologue long correspondent aux personnages représentés dictant la loi salique au folio f. 11v (Ill. 4.4)131. Pour autant, un autre érudit italien, Francesco Antonio Zaccaria, a pu propo ser des corrections de cette édition des prologues de la loi salique pour six mots en 1765, dont Aregastis, qu’il faudrait transformer en Uuidagastis132. La comparaison avec le passage à demi effacé du manuscrit porte à lui donner raison, mais sans certitude. Comme ce manuscrit ne comporte qu’une seule liste de rédacteurs, il faut penser qu’il existait un décalage entre la liste donnée dans le prologue, Uuisegastus, Bedogastus, Salegastis, Uuidagastis et celle des illustrations, Uuisegast, Aregast, Salegast et Bedegast, qui aurait été privilégiée par Muratori pour son
127 A part les deux manuscrits étudiés ci-dessous, il n’en existe qu’un autre fragment, copié au milieu du ixe siècle, Freiburg i. Br., Universitätsbibliothek, fragm. 65, mais qui ne comporte pas la loi salique. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 125-126. 128 Münsch, Der Liber, p. 65-69. W. Pohl considère qu’il y avait davantage d’éléments dans la version de Loup, car il retient des éléments du premier cahier du manuscrit de Modène. Voir ses propositions dans Pohl, Werkstätte, p. 124-129. Les différences entre les deux manuscrits sont détaillées par Nicolaj, « Il Liber », p. 86 et suivantes. Comme les deux manuscrits reflétant la version de Loup sont ici en discordance, nous ne pouvons trancher entre l’interprétation de W. Pohl et celle d’O. Münsch. 129 Golinelli, « Il Codice ». 130 Muratori, Rerum, p. 9. 131 L’utilisation du prologue de la loi des Bavarois comme introduction à l’ensemble de la législa tion des rois francs explique, à mes yeux, que les rédacteurs de la loi des Bavarois soient les seuls à ne pas avoir été représentés dans ce manuscrit. Les rédacteurs de la loi salique, de la loi ripuaire, des lois lombardes et des capitulaires sont présentés avant leur législation spécifique tandis que la loi des Bavarois était séparée de son prologue, où ses rédacteurs étaient supposés être intervenus aussi pour la loi salique et la loi des Alamans. Je ne suis donc pas l’interprétation proposée par Schumann, « Entstehung », p. 310 et suivantes, selon laquelle cette absence montrerait la perception du prologue de la loi des Bavarois comme une falsification par le concepteur du manuscrit. 132 Zaccaria, « Lettera », p. 391.
les origines de la loi salique
Illustration 4.3 : Prologue de la loi salique dans le manuscrit de Modena, S 82, suivant L. A. Muratori, en 1725.
édition. Un tel décalage entre texte et illustration existe aussi dans ce manuscrit à propos de la loi ripuaire, introduite par la représentation d’un Eddanan (f. 30) qui n’est pas indiqué dans le texte. D’après ces témoignages indirects, l’auteur de ce passage a en partie corrigé les difficultés nées de l’assemblage des deux prologues. Il a repris les quatre personnages de la liste du prologue long et une liste des lieux étendue à quatre toponymes. Il a ensuite recopié la fin du prologue long, puis le début du prologue court seulement, ce qui lui a évité les doublons133. Dans le manuscrit de Gotha S 83134, le texte du prologue complet, prologue long suivi du court, ne correspond pas à celui du manuscrit de Modène. Il vient bien après le prologue dit de la loi des Bavarois, mais il comporte le prologue court en intégralité, et donc deux listes différentes de rédacteurs de la loi salique. Le première, dans le prologue long, indique : Dictauit salicam legem proceres ipsius gentis qui tunc eiusdem aderant rectores, id est Uuisogaste, Salegaste et Uuidogast, Arogaste, Bedogaste, Uirouade in loco cognominante Salechamne, Bodecamne et Uuidocamne135.
133 L. A. Muratori s’est trompé : le dernier mot n’est pas terminum, mais extiterunt. Münsch, Der Liber, 2001, p. 105-106 a suivi les interprétations de K. A. Eckhardt sur les remaniements des prologues de la loi salique sans en reprendre l’étude. 134 S 83, Gotha, Forschungs- und Landesbibliothek, Memb. I 84, f. 148v-149. 135 S 83, Gotha, Forschungs- und Landesbibliothek, Memb. I 84, f. 148v.
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Illustration 4.4 : S 82, Modena, Biblioteca Capitolare, O. I. 2, f. 11v : les rédacteurs de la loi salique.
Nous retrouvons ici la liste du prologue complet modifiée, telle que nous l’avons vu circuler à partir du 3e quart du ixe siècle. La deuxième liste s’en tient à celle habituelle pour le prologue court : Extiterunt igitur inter eos electi de pluribus uiri quatuor nominibus Uuisogastis, Arogastis, Salegastis et Uindogastis qui per tres mallos conuenientes omnes causarum origines solicite discutiendo tractantes iudicium decreuerunt hoc modo136. La page suivante montre deux législateurs : il s’agit de l’image correspondant à celle de Charlemagne et son fils Pépin dans le manuscrit de Modène137. Les rédacteurs de la loi salique ne sont pas représentés dans le manuscrit. Les deux manuscrits reflétant le Liber legum sont trop éloignés pour nous permettre de reconstituer la liste des rédacteurs de la loi salique dans la présen tation adoptée par Loup de Ferrières. L’éloignement de leurs modèles apparaît
136 Ibid., f. 149. 137 Bougard, « Le peseur ».
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aussi, pour la loi salique, dans leur table des chapitres, le manuscrit de Modène n’en présentant que 69 et celui de Gotha 70138. La disposition générale de la compilation de Loup était un enchainement du prologue de la loi des Bavarois, du prologue long et du prologue court de la loi salique. La répétition incohérente qui apparaissait alors a été évitée de façon différente deux fois : dans le manuscrit de Modène en supprimant la fin du prologue court et sa liste de rédacteurs, qui n’apparaissait plus que dans le programme iconographique, dans le manuscrit de Gotha en intégrant tous les noms de rédacteurs dans la liste du prologue long. Le choix de Loup nous échappe : avait-il lui aussi fusionné les deux listes, et le copiste de Modène aurait-il refusé de s’éloigner des quatre rédacteurs mentionnés ailleurs ? ou Loup avait-il choisi de supprimer la deuxième liste du prologue court et c’est le copiste du manuscrit de Gotha qui aurait choisi de la réintégrer, mais en modifiant en conséquence la liste du prologue long ? En tout cas, les deux manuscrits montrent que Loup choisit de reprendre trois prologues mentionnant la rédaction de la loi salique et appliqua une stratégie pour supprimer les contra dictions flagrantes entre les deux parties du prologue complet, comme dans les manuscrits de la version K que nous avons étudiés ci-dessus. L’autorité royale législatrice
D’autres textes évoquent aussi le rôle des grands du peuple, mais en accord avec l’autorité royale. Ainsi, le manuscrit A 2 fournit à la fois le Pactus pro tenore pacis139, un accord entre les rois Childebert et Clotaire, et cet épilogue : Le premier roi des Francs établit les titres 1 à 62 et les institua pour juger. Peu après, lui et ses aristocrates ajoutèrent de 63 à 78 titres. Puis, longtemps après, le roi Childebert considéra ce qu’il fallait ajouter, et passa de 78 à 83, ce qu’il a fait justement, et il transmit ces écrits à son frère Clotaire. Par la suite, Clotaire, après avoir reçu volontiers ces titres de son frère aîné, considéra ce qu’il devait ajouter pour son propre royaume et ce qu’il fallait inclure de plus, du titre 89 [sic] jusqu’au titre 63 ; et ensuite il envoya ces rescrits à son frère. Et ainsi il fut établi entre eux que toute cette compilation devait demeurer ainsi comme auparavant140.
138 Münsch, Der Liber, p. 127-129. 139 Capitula legi salicae addita, Eckhardt éd., Pactus, 1962, p. 250-251. 140 A2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37 : Primus rex francorum statuit a primo titulum usque LXII disposuit iudicare. Post modo autem tempus cum obtimatis suis a LXIII titulum usque ad LXVIII addedit. Sic uero Childebertus rex post multum autem tempus pertractauit, quid addere debirit ; ita a LXXVIII usque ad LXXXIII perinuenit, quod ibidim digne inposuisse nuscuntur, et sic fratri suo Clotario hec scripta transmisit. Post hec uero Clotarius, cum hos titulus a germano suo seniore gratenter excepit, sic postia cum rignum suum pertractauit ut quid addere debirit ibidim quid amplius dibiat construhere, ab LXXXVIIII titolus usque ad LXIII statuit permanere ; et sic postea fratre suo rescripta direxit. Et ita inter eis conuinit, ut sta omnia sicut anteriore constructa starent. Texte édité dans Eckhardt, Pactus, 1962, p. 253.
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En suivant les indications du texte sur les frères royaux, le Pactus pro tenore pacis apparaît comme une addition à la loi salique publiée par Childebert Ier (mort en 558) et Clotaire Ier (mort en 561). Même si la liste royale qui suit, dans A 2, montre bien qu’un tel assemblage autour de la loi salique n’est pas antérieur à 751141, l’ensemble présente un retour rétrospectif sur la constitution de la loi sans se référer en aucune façon au père des deux souverains, Clovis, ce qui tendrait plutôt à marquer l’ancienneté de cette présentation : B. Dumézil a rappelé que l’intérêt pour Clovis comme héros fondateur de la dynastie n’est apparu que dans un deuxième temps, au milieu des années 560142. Dans la continuité de la tradition impériale romaine, la loi est ici vue comme l’expression d’une décision royale. La divergence des manuscrits, qui présentent des versions de la loi salique allant de 65 à plus de 100 chapitres, est ici implici tement évoquée, à travers les nombres attribués aux différentes étapes de ces divisions royales. En rappelant incidemment les divisions du regnum Francorum entre les fils du roi, l’épilogue permet de supposer que les différentes versions de la loi salique correspondraient à différentes étapes de révision royale, suivant les différents royaumes. Une telle explication paraît convaincante ; elle soutient par exemple le système de datation des différentes versions A à E proposé par K. A. Eckhardt. Mais une telle vision n’est pas soutenue par l’incohérence de la tradi tion manuscrite, avec des nombres de chapitres flottants, aux positionnements variables, dont certains chapitres n’apparaissent que dans un seul manuscrit, sans qu’il soit aucunement possible de reconstituer des étapes permettant de passer, par exemple, de la version A à la version C (à moins d’inventer ex nihilo une version B intermédiaire, ce que fit K. A. Eckhardt). L’hypothèse d’une suite de révisions royales n’est pas confortée non plus par la variété des styles employés dans les différents chapitres rassemblés sous le titre de Loi salique143. Ainsi, H. Reimitz a pu développer l’idée que : À travers la juxtaposition de différents styles juridiques dans la loi, on peut déjà interpréter la plus ancienne rédaction conservée comme le résultat d’un dialogue dans lequel les Saliens ou les Francs – ou un groupe parmi d’autres – se présenteraient comme les interlocuteurs de la négociation avec le roi mérovingien. La poursuite de ce dialogue est bien attestée par de nombreuses modifications, et révisions et ajouts au texte, et c’est la raison la plus importante pour laquelle il est si difficile de reconstruire la version originale des lois144.
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Renard, « Le Pactus », p. 323. Dumézil, Le Baptême, p. 168-176. Magnou-Nortier, « Remarques ». Reimitz, History, p. 105 : « Through the juxtaposition of different legal styles in the Lex, one can already see the oldest extant redaction as the product of a dialogue, in which the Salici or Franci – as one group among others – face the Merovingian king as a partner in negociation. The continuation of this dialogue is well documented in numerous alterations, revisions and
les origines de la loi salique
Si la diversité du texte transmis nous incite à y voir, de fait, la marque de diffé rentes étapes de transformation, un tel processus, complexe de formation, sur la longue durée, de compromis entre les intérêts du pouvoir royal, des grands et des justiciables, n’est pas proposé par les textes du haut Moyen Âge. Pour expliquer les origines de la loi salique, ils préfèrent s’en tenir à l’idée de la succession de différentes rédactions sous autorité royale. Au milieu de ces différents textes sur les origines de la loi salique, la présenta tion du prologue court est singulière : c’est la seule qui ne mentionne pas le roi à l’origine de la rédaction de la loi. De façon matérielle, une telle présentation n’apparaît pas avant le manuscrit C 6, copié durant le 2e quart du ixe siècle. Le Liber legum composé par Loup de Ferrières a la même époque confirme que le prologue court était bien disponible pour les érudits carolingiens de cette époque. Mais l’idée potentiellement transmise par ce prologue court, que la loi pouvait être rédigée hors de l’autorité royale, est désamorcée dans l’ensemble de la tradition manuscrite, où le prologue court n’est jamais copié hors de la présence du prologue long, qui célèbre les rédacteurs de la loi salique comme des rectores, au service du roi des Francs, guidé par Dieu. Aucun copiste n’imagine alors un passé du peuple hors de l’autorité royale et beaucoup ont réagi à l’assemblage discordant du prologue long et du prologue court. Les contradictions furent résolues de façon variée : -
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en ne recopiant qu’un résumé des deux prologues, comme dans le cas des manuscrits C 5 et K 17. Ainsi étaient préservées les informations spécifiques du petit prologue, mais pas sa signification ; en reprenant tous les noms des rédacteurs de la loi salique dans le prologue long, ce qui fait de l’opération décrite dans le prologue court une simple annexe de celle-ci, comme dans les manuscrits K 32, K 33, K 34 et K 35 ; en reprenant les toponymes associés à la rédaction de la loi salique dans le prologue long pour la rédaction décrite par le prologue court, afin de bien souligner l’identité des deux opérations, dans les manuscrits K 33, K 34 et K 35 ; en composant une complète introduction à la rédaction des lois sous l’autorité des rois francs avec le prologue de la loi des Bavarois pour les manuscrit K 44, K 72 et ceux reproduisant la compilation de Loup de Ferrières, S 82 et 83 ; en établissant des hypothèses érudites pour deux rédactions successives de la loi, dans la composition synthétique de Johannes Herold établie à la Renais sance.
Dans tous les cas, aucun clerc médiéval n’a laissé sans complément contra dictoire l’idée d’une autorité autonome du peuple pour la rédaction de la loi salique. Si un tel message existe bien, potentiellement, dans le texte dit « prologue
expansions of the text, and it is one of the most important reasons why it is so difficult to reconstruct the original recension of the laws ».
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court », il ne fut jamais exploité avant que l’humanisme ne lance la recherche passionnée des antiquités germaniques. Malgré son absence de base médiévale, cette interprétation de la loi salique comme l’expression du peuple hors de l’autorité royale a trouvé récemment un défenseur en la personne de l’historien du droit Jean-Pierre Poly, qui l’a mêlé, de façon surprenante, à l’organisation des Francs comme force armée mercenaire au service des empereurs romains.
Un règlement militaire du iv e siècle ? L’hypothèse de Jean-Pierre Poly en 1993
Les travaux de Jean-Pierre Poly peuvent être placés dans le contexte général d’une historiographie des lois barbares longtemps dominée par la surinterpréta tion des éléments supposés germaniques de la loi, dans la lignée des travaux de Carl von Savigny145. À ces excès répondaient les travaux de romanistes, dans la lignée de Fustel de Coulanges146, qui mettaient en valeur l’importance de l’influence romaine, notamment à travers l’idée d’un droit romain vulgaire147. De tels débats ont ressurgi à l’occasion d’une hypothèse nouvelle apportée par l’historien du droit Jean-Pierre Poly148. Suivant sa première présentation, en 1993, la première version de la loi salique aurait résulté d’un accord entre quatre officiers francs au service de Rome et l’armée franque stationnée sur la rive gauche du Rhin149 (Ill. 4.5). Il identifie les quatre rédacteurs de la loi comme des officiers de l’entourage impérial, Gaiso, Salia, Vitta et Arbogast, attestés dans la seconde moitié du ive siècle et associe les noms donnés aux trois uillae à des toponymes belges, qui reprendraient l’implantation de « bannières » qui formeraient un « peuplement militaire de la marche du nord au milieu du ive siècle »150. Il formule ainsi l’hypothèse suivante : L’ensemble des coutumes de la conscription et les enseignes rapportées au pays, c’est la loi salique : non la mise par écrit d’une coutume tribale, mais, au moins formellement, une lex data au sens romain du terme ; un règlement établi en 350-353, sous la pression de la nécessité, par le maître de la milice et par les officiers en charges des réserves létiques et accepté par les troupes assemblées dans les trois principales bannières, probablement
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Lienhard, « L’historiographie ». Ubl, « Im Bann », p. 427. Poly, « chapitre IV », p. 187-193. Ubl, « Im Bann », p. 430. Poly, « La corde ». Ibid., p. 304.
les origines de la loi salique
Illustration 4.5 : Les lieux de rédaction de la loi salique, d’après J.-P. Poly en 1993. Poly, « La corde », p. 290.
les seules franques : à Bodegem dans le Brabant nervien, à Zelhem dans la Hesbaye de Tongres, et à Wittem, dans un premier Osterbant de Maasau, disparu de la Notitia après l’insoumission de 407151. La précision de l’hypothèse masque mal sa fragilité. Outre que l’organisation des troupes auxiliaires et des groupes ethniques aux confins du monde romain au ive siècle en « colonies de paysans-soldats » ne peut être déduite de la très elliptique Notitia dignitatum152, W. Haubrichs a montré que l’onomastique ne permettait pas de passer des noms évoqués par le Liber Historiae Francorum et le petit prologue de la loi salique aux noms des quatre individus du ve siècle avancés par J.-P. Poly, tandis que les toponymes pouvant correspondre à ceux mentionnés sont nombreux153.
151 Ibid., p. 305-306. 152 Notitia dignitatum, O. Seek éd. 153 Haubrichs, « Tradition », p. 137-151.
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Une première rédaction de la loi salique en 44 chapitres ?
J.-P. Poly, reprenant indirectement la présentation de K. A. Eckhardt, consi dère que le prologue court constitue « le prologue ancien de la loi ». Nous avons précisé supra qu’il n’en était rien sur le plan des manuscrits, car l’attestation manuscrite la plus ancienne d’un prologue de la loi salique est donnée par le manuscrit D 9, copié en 793, pour le prologue long, tandis que la plus ancienne version manuscrite du petit prologue a lieu dans le manuscrit C 5, dans un en semble résumé des prologues long et court copié à la fin du viiie siècle. En outre, J.-P. Poly associe ces rédacteurs au chapitre 47 de la loi salique, qui donne un délai différent suivant une limite « entre l’Ardenne et la Leie/Lys, le limes étant sous-entendu »154, mais il exclut ce chapitre de la rédaction initiale. Il identifie en effet plusieurs étapes dans la composition de la loi salique : le noyau le plus ancien constitué par les 44 premiers titres puis deux séries d’ajouts avec les titres 45 à 65, puis 66 à 78, qui terminent la pars antiqua, complétée depuis le règne de Childebert I (511-558) par des édits royaux155. Une telle exclusion du chapitre 47 de la rédaction initiale de la loi salique fragilise sa propre hypothèse d’identification des lieux de rédaction à proximité de la forêt d’Ardenne, qui ne serait plus alors mentionnée dans la première version. Cette hypothèse osée a été reçue dans un premier temps de façon variée, de l’intérêt bienveillant156 à la distance sceptique157. Son principal obstacle demeure que les 44 premiers chapitres de la loi salique se concentrent principalement sur la question des vols dans des populations civiles, et n’envisagent ni combats, ni mobilisation, ni obéissance à une hiérarchie militaire158. Certes, conformément à la remarque faite par J.-P. Poly, il existe une rédaction de l’épilogue, dans le manuscrit K 17, qui commence ainsi : Le premier roi des Francs établit les titres 1 à 44 et les institua pour juger. Peu après, lui et ses aristocrates ajoutèrent jusqu’à 79 titres159.
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Poly, « La corde », 1993, p. 296. Ibid., p. 314. Par exemple Guillot, « La justice », p. 678. Wood, « Roman law », p. 5. Anderson, « Roman military colonies », p. 136 note 27. F. Staab aurait refusé l’insertion de l’hypothèse de J.-P. Poly dans le recueil Die Franken Wegbereiter Europas, en raison de la fragilité de son interprétation onomastique, suivant Poly, « Sous les chênes », note 17. Siems, « Zum Weiterwirken », p. 246, souligne l’absence de source de cette hypothèse. 158 Ubl, « Im Bann », p. 433-434. 159 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119, f. 88v : Primus rex Francorum statuit ut postea ut una cum Francis pertractauit ut ad XLIIII titulus aliquid amplius addiderint, sicut ad primum ita usque ad septuagesimo VIIII perduxerunt. Édition par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 253. Contrairement à ce qu’y indique la note d, le chiffre VIIII n’a pas été corrigé et correspond à la copie intiale.
les origines de la loi salique
Néanmoins, la présentation de l’épilogue envisage la loi salique comme une suite d’édits royaux, progressivement ajoutés à une base. Ainsi, le manuscrit D 8 introduit ainsi, f. 59v l’épilogue par le titre : ITEM CONFIRMATIO LEGIS A REGIBUS, ce qui souligne bien l’idée que seule l’autorité royale est à même d’avoir autorisé la première rédaction, renvoyée comme dans le Liber Historiae Francorum au premier roi des Francs. Or Jean-Pierre Poly juge justement que « la véritable tradition franque, exposée dans le prologue ancien de la loi (est) fort différente [de la tradition “royaliste”] »160. L’épilogue, et son contexte manuscrit, se montrent en opposition avec le contenu du prologue court pris isolément, qui présente la rédaction de la loi comme une initiative autonome d’une communauté franque sans roi161. Il paraît délicat de faire, comme le pratique implicitement J.-P. Poly, son choix dans les différents textes contradictoires des manuscrits pour ne retenir qu’une partie d’entre eux162. Les bases écrites de l’hypothèse étaient peu solides : le manuscrit K 17 se présentant comme une compilation de 103 chapitres entre différentes versions de la loi salique, A, E et K, copiée dans le dernier quart du ixe siècle, il n’y a pas lieu de donner une primauté au nombre de chapitres initiaux proposé dans cette version particulière de l’épilogue163. Les autres manuscrits des versions anciennes qui contiennent l’épilogue présentent une première étape en 62 chapitres (A 2), en 77 ou 78 chapitres (D 7 et D 9, E 11 et E 12) ou hésitent entre 83 et 84 chapitres initiaux (D 8, E 13, E 14, E 15 et E 16). Dans ce manuscrit, il est présenté à côté du prologue long de la version E et d’un résumé original des deux prologues. Le copiste a recopié des informations diverses, qui avaient probablement déjà été compilées dans son modèle, car sa mise en page ne reproduit par leur hétérogénéité. Mais son insertion d’un chapitre II original dans un texte de la loi salique reposant sur la version K pour ces 70 premiers chapitres montre qu’il a intégré des éléments anciens et nouveaux dans sa présentation, qui ne peut être considérée comme plus ancienne, ou plus authentique que les manuscrits A 2 et D 9 du siècle précédent. Elle intègre des éléments d’une tradition manuscrite perdue par ailleurs, que nous ne pouvons davantage circonscrire. Aucun manuscrit ne montre une rupture autour du 44e chapitre. L’exclusion du chapitre 47 rend l’hypothèse vaine, car elle oblige à proposer des étapes multiples et indéfinies, pour reconnaitre en définitive notre incapacité à trier et dater les éléments compilés dans les différentes versions de la loi salique qui nous sont parvenues. À partir de 2000, les études de J.-P. Poly sont d’ailleurs revenues à l’hypothèse classique, défendue par K. A. Eckhardt, d’une base de la loi salique en
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Poly, « La corde », p. 293. Cette hypothèse a été reprise par Magnou-Nortier, « Remarques », p. 499. En ce sens, voir Coumert, « Les origines », à paraître. Voir supra chapitre 2. Dans le même sens, Ubl, « Im Bann », p. 432 et suivante.
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65 chapitres164. En outre, J.-P. Poly a modifié sa première hypothèse pour proposer la rédaction d’une première version orale dans les années 350-353, ensuite mise par écrit sous l’autorité d’un roi franc Sigisvult165. L’ensemble devient de plus en plus éloigné des sources écrites, y compris si l’on recherche les mentions d’un roi dénommé Sigwult, actif en Italie et en Espagne, sans rapport connu avec les Francs166. L’accumulation de nouvelles hypothèses
Comme l’écrit K. Ubl, « l’accumulation d’hypothèses semble ici abusive »167, et l’on pourrait légitimement considérer que la remise en cause argumentée et détaillée de W. Haubrichs, en allemand et en français, associée aux travaux de K. Ubl168 et É. Renard169 a sonné le glas de la défense d’une rédaction de la loi salique sous une autorité militaire romaine au ive siècle. Certains historiens retiennent seulement que la circulation du petit prologue n’est pas attestée avant 727, dans le Liber Historiae Francorum. Ainsi, Ian Wood date ce prologue de la fin du viie siècle ou du début du viiie siècle et y lit le témoignage de la vision des hommes de cette époque sur l’élaboration de la loi salique170. Wolfgang Haubrichs suggère quant à lui que le petit prologue pourrait avoir été rédigé au viie siècle, sur le modèle de la préface de la Loi des Bavarois, où Dagobert est aidé de quatre viri illustres171. La plupart des chercheurs continuent donc de s’interroger sur les origines de la loi salique, mais plus sans chercher une interprétation historicisante du pro logue court. Étienne Renard a de nouveau présenté les arguments en faveur d’une rédaction antérieure au règne de Clovis172. Karl Ubl a lui aussi préféré retenir les éléments se rapportant au ve siècle, entre 475 et 486, dans le texte de la Loi salique version A tout en considérant que la rédaction du petit prologue pourrait dater de la seconde moitié du vie siècle173. Mais Jean-Pierre Poly a continué à reprendre ses premières déductions et à les diffuser, sur de nouvelles bases : « En 2006, en tirant partie de critiques constructives et d’un meilleure lecture de l’historiographie, je
164 Poly, « Terra salica » part curieusement, p. 162, de l’hypothèse d’« un noyau en 64 titres ». Il semble s’agir d’une étourderie, car Poly, « Sous les chênes », p. 194 reprend bien l’hypothèse de 65 premiers chapitres. 165 Poly, « Le premier roi ». 166 Voir le commentaire sur cette hypothèse par Ubl, « L’origine contestée », note 24. 167 Ubl, « L’origine contestée », § 8. 168 Ubl, « Im Bann ». 169 Renard, « Le Pactus », p. 324-327. 170 Wood, The Merovingian Kingdoms, p. 109. 171 Haubrichs, « Tradition », p. 156-157. 172 Renart, « Le Pactus », p. 330-346. 173 Ubl, « L’origine contestée » et Id., Sinnstiftingen, p. 67-97.
les origines de la loi salique
me suis rangé à l’idée d’une création en deux temps : un accord oral au milieu du ive siècle (pactus) et une loi écrite (statutum) au ve siècle174 ». Il faut cette fois à Jean-Pierre Poly imaginer, sans sources les mentionnant précisément, que les Francs ont été des fédérés (dès le milieu du ive siècle !), puis des déditices, puis des auxiliaires palatins175, tout en gardant au fil des siècles une organisation ethnique close sur elle-même. On se perd alors à chercher les fondements de telles hypothèses : les Salii considérés comme des « déditices de Julien, ou lètes »176 seraient les rédacteurs d’une loi proclamant leur supériorité sur les Romains ! Une telle présentation paraît sans lien avec l’accumulation d’éty mologies proposées pour les différents ethnonymes germaniques177, que J.-P. Poly semble considérer comme des éléments justificatifs, alors que leurs rapports, dans le temps comme dans l’espace, avec la loi salique restent à définir178. Ces hypothèses ne tiennent pas compte de la remarque, justifiée, formulée par l’auteur lui-même179, que la loi salique ne mentionne nullement des déditices et réserve le terme de leti à des semi-libres, inférieurs aux hommes libres et bien distingués des Francs180. La base de la réflexion revient donc seulement au statut particulier de la terre salique181, qui ne doit pas être héritée par des femmes182, ce qui a été interprété comme une contrainte due à un service militaire183, et à l’interprétation classique de la limite sur la Loire, ou sur la Lys, et la Charbonnière184. Cette fois, J.-P. Poly affirme que l’absence de prologue dans les manuscrits de la version A viendrait de ce qu’ils ne viennent pas de « régions franques », à la différence du manuscrit C 6185. Dans le contexte de cet article, je pense qu’il faut interpréter la désignation comme « régions franques » comme restreinte à celles où était parlée une langue germanique au haut Moyen Âge, et supposer que l’auteur considère que cette continuité vernaculaire et spatiale serait une garantie de l’authenticité de la tradition conservée, y compris à l’écrit. Or s’il est très délicat 174 Poly, « Freedom », § 9 : « In 2006, taking advantage of constructive critics and a better lecture of former literature, I rallied to a two-time creation : an oral agreement (pactus) in the middle of the 4th century, and a written statute (statutum) in the 5th ». 175 Poly, « Freedom », § 14-15. 176 Poly, « Terra salica », 2000. Id., « Le premier roi », p. 112-117. Id., « Freedom », § 22 : « The Salii, Julian’s dediticii or laeti ». 177 Poly, « Le premier roi », p. 102-112. Id., « Freedom », § 17-20. 178 Par exemple Poly, « Terra salica », § 34-36 livre toute une interprétation du terme de feoh pour la loi salique, alors qu’il ne s’y trouve pas et n’apparaît pas avant le ixe siècle. Poly, « Sous les chênes », p. 199 considère que le nom des Saliens indiquerait des clans matrilinéaires passés tardivement à l’odinisme… 179 Poly, « Sous les chênes », p. 201 et note 34. 180 Par exemple, Pactus legis salicae, XXVI, 1, Eckhardt éd., p. 96-97. Voir les remarques de Esders, « Late Roman Military Law », § 5-6 sur les critères de définition d’une loi militaire. 181 Poly, « Freedom », § 30. 182 Pactus legis salicae, LIX, Eckhardt éd., Pactus, 1962, p. 222-224. 183 Anderson Jr., « Roman military colonies ». 184 Poly, « Sous les chênes », p. 204-208. Poly, « Freedom », § 32-42. 185 Poly, « Freedom », note 75.
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de situer le lieu de copie des manuscrits atypiques des versions A et C, les gloses malbergiques qu’ils comportent montrent bien qu’ils constituent l’aboutissement d’une tradition englobant une langue vernaculaire germanique186. Par ailleurs, dans le manuscrit C 5187, l’alternance du rouge et du noir pour les noms propres du résumé du prologue montre bien que UUISOUUADO (auquel fut ajouté un n pour donner UUISOUUADNO) est un des rédacteurs de loi salique. Il n’est donc pas possible d’y lire une injonction en vernaculaire à la destruction de la loi, comme le fait J.-P. Poly188. Porté par l’élan de sa première hypothèse, l’historien du droit lui cherche de nouvelles bases, toujours plus fragiles, pour conserver intacte l’idée d’une loi romaine structurant un groupe franc autonome durant des siècles. Comme il le résume lui-même : Le Pactus Legis Salicae n’était donc ni la coutume franque, même s’il reprenait beaucoup de ses dispositions, ni la loi romaine, bien qu’il y ait participé. Il essayait de concilier à la fois la structure pénale romaine et les usages tribaux des hommes des clans, leurs « libertés »189. Les péripéties ayant abouti à la rédaction de la loi puis à sa transmission manuscrite sont donc envisagées sous des formes différentes – il n’est pas exemple plus question d’une base initiale en 44 chapitres – mais l’essentiel reste pour J.-P. Poly de considérer que la base de la loi salique fut établie dans un cadre militaire romain. Pourtant, l’idée d’une réglementation militaire qui pourrait valoir pour des populations civiles est étrangère à la législation romaine. Ainsi, une loi de 393 reprise dans le Code Théodosien stipule : « Que la défense d’un soldat ou sa pour suite ne soit absolument jamais affectée aux affaires privées »190. Cette disposition a été reprise et renforcée dans le Bréviaire d’Alaric : Interprétation : Qu’absolument aucune défense ni poursuite de militaire ne soit considérée dans les procès civils191. La tradition juridique romaine n’avait donc pas varié avec la disposition de l’empire d’Occident : les droits militaires et civils restaient toujours strictement Coumert et Schneider, « The Lex Salica ». C 5 : Paris, BnF, latin 4403b, f. 97v. Poly, « Freedom », § 50. Poly, « Freedom », § 72 : « The Pactus Legi Salicae was therefore neither the Frankish custom, even if it did record many of its dispositions, nor the Roman law though it participated from it. It tried to conciliate both the penal Roman structure and the tribal uses of the clansmen, their “freedoms” ». 190 Code Théodosien, I, 21, 1 : Numquam omnino negotiis privatorum vel tuitio militis vel executio tribuatur, Mommsen et Meyer éd., p. 60. 191 Bréviaire d’Alaric, I, 8, 1 : Interpretatio. Nulli penitus in civilibus causis militaris vel tuitio vel executio deputetur, Haenel éd., p. 24. Cette citation est pourtant relevée par Magnou-Nortier, « Remarques », note 11, p. 498. 186 187 188 189
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séparés. L’influence éventuelle d’une loi militaire ne se trouve que dans des textes plus récents que la loi salique, comme la loi des Bavarois. Si S. Esders a montré de façon convaincante comment elle pouvait être mise en relation avec les lois militaires romaines, c’est parce qu’elle comporte une suite de dispositions concernant les soldats, l’obéissance au duc, le pillage en campagne, le vol des équipements militaires192… Des points qui ne sont évoquées dans aucune des versions de la loi salique. Il place ainsi cette influence de la loi romaine en lien avec la formation des duchés dans le royaume mérovingien, non avec l’époque impériale romaine. Ainsi, une fois réfutée l’hypothèse d’une interprétation juridique du prologue court, hardie et mal fondée, les différentes suppositions apportées par Jean-Pierre Poly semblent représenter une vaine tentative de sauvetage. L’attachement de J.P. Poly à ses hypothèses resterait anecdotique, si elles n’étaient diffusées et relayées dans l’historiographie francophone destinée aux étudiants193. Il faut affirmer, contre elles, que la Loi salique qui nous est parvenue ne concerne pas un groupe militaire : elle ne détaille ni la hiérarchie, ni les ordres, ni leurs exécutions… Elle envisage des populations civiles, organisées en communautés agricoles de petite taille, rarement mobilisées194. Elle avait probablement une base territoriale, sous l’autorité d’un roi et n’évoque ni foedus, ni autorité impériale. Elle tente de régir la violence entre des hommes libres, des lètes, des esclaves, des barbares qui vivent sous la loi salique et des Francs. De nombreuses versions de ses origines ont été présentées dès le Moyen Âge, comme le prologue court, mais leurs contradictions montrent qu’elles reflètent les interrogations des copistes et des juristes et non une tradition figée.
Conclusion Pour étudier les origines de la loi salique, deux méthodes de recherche abou tissent à des présentations contradictoires. D’un côté, l’étude précise des manus crits les plus anciens, A 2, C 5 et D 9, comme celle des variations des versions A, C et D de la loi salique, nous ont permis d’insister sur l’aspect fragmentaire de l’héritage écrit mis en forme par les copistes de la 2e moitié du viiie siècle et des premières années du ixe siècle. Ils étaient apparemment confrontés à des listes éparses d’articles de loi, qui ne comportaient plus d’indication sur leur origine, ce qui nous a amené à poser l’hypothèse de feuilles de papyrus à partir desquelles aurait été reconstituées des listes et des tables des chapitres compor tant de nombreux articles en doublon. L’étude des manuscrits pousse donc à souligner l’importance des choix des copistes face à un héritage fragmentaire et peu intelligible. 192 Esders, « Late Roman Military Law ». 193 Destemberg, Atlas, p. 11. Poly, « chapitre IV », p. 205-209 et p. 216-221. 194 Ubl, Sinnstiftungen, p. 87-92.
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D’autre part, l’étude des différentes présentations des origines de la loi salique nous a montré les interrogations des érudits du monde franc qui semblent ignorer l’origine des divergences entre les différentes versions de la loi salique. Pour autant, tous s’accordent pour considérer qu’elles ne peuvent tirer leur autorité et leurs variations que de différents rois de l’époque mérovingienne. Cette convic tion partagée par tous les copistes n’a pas empêché la conservation du texte appelé prologue court, dont ils ont repris les informations, tout en transformant le sens dont il était porteur pour l’intégrer dans une louange de l’autorité royale législatrice. Trois niveaux d’interprétation contradictoires se superposent donc : -
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au niveau des textes, tous les prologues et épilogues affirment l’importance de l’autorité du roi et son implication directe dans la rédaction de la loi salique, sauf le petit prologue ; au niveau des manuscrits, l’insertion des informations du petit prologue dans un ensemble plus vaste, avec le prologue long ou l’épilogue, a permis aux copistes de refuser son message sur une législation coutumière et autonome du peuple franc, tout en le conservant ; au niveau du texte de la loi salique, les doublons au sein des versions A et C, le caractère fluctuant du corpus entre les différents manuscrits reprenant une même version, et l’existence de manuscrits mixtes, proposant leur propre version synthétique à partir de versions plus anciennes, attire notre attention sur la marge de manœuvre des copistes. Bien qu’ils reprennent ou composent des textes affirmant l’autorité royale qui garantirait la validité de la loi écrite en contrôlant ses variations, ils semblent avoir librement composé les différentes variantes de la loi, en réagençant des éléments antérieurs fragmentaires.
Qu’elles reposent sur des versions apparemment plus anciennes, comme les versions A et C, ou sur une rédaction plus récente, comme la version D, les variations manuscrites de la loi salique n’ont pas cessé du viiie au ixe siècle. Un tel constat invite à étudier les choix des copistes en revenant non plus sur leur choix d’arranger telle ou telle version de la loi salique, mais sur le contexte précis de leur composition, sous les règnes de Pépin, Carloman ou Charlemagne. Comment le choix des versions anciennes, ou récentes, comme l’apparition des versions E et K, peut-il s’expliquer dans le contexte culturel porté par le pouvoir royal carolingien et ses ambitions de réforme ? Pouvons-nous constater une évolution de l’autono mie des copistes dans la composition des recueils normatifs comportant la loi salique ?
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Écrire des ajouts aux lois (744-819)
La législation franque au viii e siècle L’autorité législative
Au cours du viiie siècle, les Pippinides conquirent le pouvoir suprême dans le royaume franc en annexant l’autorité législative. Dans un premier temps, les maires du palais semblent avoir défendu l’idée d’une propriété collective de la loi, ainsi qu’elle apparait dans le texte du plaid organisé par Pépin à Soissons en 744 : Si quiconque a voulu ou a envisagé de transgresser ce décret, que décidèrent vingt-trois évêques avec d’autres prêtres ou serviteurs de Dieu, en accord avec le prince Pépin, ainsi qu’avec le conseil des grands des Francs, ou d’enfreindre la loi, qu’il soit jugé par ce prince, les évêques ou les comtes, qu’il paie suivant ce qui est écrit dans la loi, chacun suivant son statut1. La loi apparaît ici comme une propriété collective, à laquelle peuvent être ajoutés des éléments (hanc decretam) établis par le consensus des puissants ecclé siastiques et laïques. L’aspect unanime de cette décision semble suffisant pour exclure toute mention du roi. La définition complémentaire de la loi revient à ceux qui l’appliquent : le prince, les évêques et les comtes2. Il est reconnu l’exis tence d’une loi écrite antérieure (quod in lege scriptum est) mais les conditions de son établissement ne sont pas évoquées. S’agit-il de toute loi écrite antérieure ? du Code Théodosien revu par Alaric ? de la loi salique ? des édits des rois mérovin giens ? des Saintes Écritures ? des canons ? Seules deux caractéristiques de la loi sont mentionnées ici : le fait qu’elle est écrite et antérieure, ce qui laisse toute latitude pour y intégrer tout ou une partie des textes évoqués ci-dessus3. La même imprécision se retrouve dans l’Admonitio generalis :
1 Pippini principis capitulare suessionense 744, c. 10 : Si quis contra hanc decretam, quam XXIII episcopi cum aliis sacerdotibus vel servis Dei una cum consensu principem Pippino vel obtimatibus Francorum consilio constituerunt, transgredire vel legem irrumpere voluerint vel dispexerint, iudicatus sit ab ipso principe vel episcopis seu comitibus, componat secundum quod in lege scriptum est unusquisque iuxta ordine suo (Boretius no 12, p. 30). 2 Sur cette superposition de la responsabilité d’application de la justice, voir Davis, Charlemagne’s practice, p. 47-89. 3 Voir Nelson, « Literacy », p. 5.
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Nous établissons aussi, suivant ce que Dieu a ordonné dans la loi et suivant ce que mon père de bonne mémoire a commandé dans les édits de ses conciles, que les travaux serviles ne soient pas faits les jours du Seigneur4. Charlemagne peut ainsi se référer à la fois aux Dix commandements et au concile de Ver de 7555. La loi de Dieu et du prince s’accordent ainsi, de même que la volonté des Grands, car le caractère unanime de la rédaction des capitulaires est aussi affiché sous le règne de Charlemagne. En confirmant de son autorité les ajouts faits sous l’autorité de son père Pépin, il les appelle capitula, c’est-à-dire des « chapitres » ajoutés à la loi6 : Or nous voulons respecter les chapitres que notre père de bonne mémoire a décidés dans ses plaids et conciles7.
La mention des placita et des sinodus rappelle le cadre collectif de l’élaboration des capitulaires, même si, comme l’a montré Christina Pössel, seule une minorité des capitulaires de Charlemagne est présentée comme issue d’une assemblée8. L’union du souverain et des grands était manifeste par les normes contenues par ces textes et leur diffusion dans le royaume. Si l’évocation de la loi écrite est floue, l’opposition avec toute coutume orale est clairement affirmée, appuyée sur les distinctions définies par Isidore de Séville9, ainsi que le rappelle un capitulaire de Charlemagne dont Hubert Mordek situe la rédaction vers 787 :
4 Admonitio generalis, c. 79 : Statuimus quoque secundum quod et in lege Dominus praecipit, ut opera servilia diebus dominicis non agantur, sicut et bonae memoriae genitor meus in suis synodalibus edictis mandavit. Mordek, Zechiel-Eckes, Glatthaar éd. 5 Deutéronome 5, 14 et le concile de Ver 755, c. 14 (Boretius no 14, p. 36). 6 Sur l’absence de désignation, par ce terme, d’une catégorie spécifique de texte, voir Patzold, « Normen », Tsuda, « Was » et id., « War ». 7 Capitulaire de Herstal, c. 12 (forma communis) : Capitula vero quae bonae memoriae genitor noster in sua placita constituit et sinodus conservare volumus (Boretius no 20, p. 50). Sur la portée et les intentions de ce capitulaire, voir Maquet, « Le capitulaire » 8 Pössel, « Authors ». Pour un rappel de l’historiographie sur ces questions, voir Patzold, « Nor men », p. 331-333 et Mischke, Kapitularienrecht, p. 4 et suivantes. 9 L’opposition entre lex et consuetudo reprend l’articulation proposée par Isidore de Séville, Éty mologies, V, 3, 2-3 : « La loi est une disposition écrite. La coutume est une habitude approuvée par le temps, ou une loi non écrite. Car la loi (lex) est appelée ainsi à partir de lire (legendo), parce qu’elle a été écrite. Or la coutume (mos) est une longue habitude tout autant dérivée des mœurs (mores) et l’habitude est un certain droit établi par les mœurs, qui est tenu pour loi en l’absence de loi », Lex est constitutio scripta. Mos est uetustate probata consuetudo, siue lex non scripta. Nam lex a legendo uocata, quia scripta est. Mos autem longa consuetudo est de moribus tracta tantundem. Consuetudo autem est ius quoddam moribus institutum, quod pro lege suscipitur, cum deficit lex. Yarza Urquiola et Santos éd. et trad. Néanmoins, consuetudo a aussi pris le sens, au viiie siècle, de droit à exiger un service, ce qui affaiblit la stricte opposition initiale, voir Lupoi, The Origins, p. 409 et suivantes.
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
Il convient que nous insérions [cela] : lorsqu’il y a une loi, elle surpasse la coutume et que nulle coutume ne soit placée au-dessus de la loi10. On peut expliquer ce flou sur l’héritage législatif par l’usurpation de la posi tion du législateur jusque-là réservée au souverain mérovingien. Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, le petit prologue de la loi salique présente une législation hors de l’autorité royale, mais tous les manuscrits qui le reproduisent l’insèrent dans une présentation de la loi salique comme le fruit de l’autorité royale à travers la copie du Prologue long, ou de l’Épilogue11. Le silence des capitulaires antérieurs à 751 recouvre donc l’absence inhabituelle du roi, mais aussi de sa chancellerie, de toute préoccupation autour de la copie manuscrite et de la diffusion des décisions mises par écrit. Pourtant, les érudits du viiie siècle ne pouvaient ignorer l’importance de surveiller la copie des livres juridiques. Un grand nombre des copies du Bréviaire d’Alaric mentionnaient toujours une marque du référendaire Anianus, même si elle ne pouvait correspondre à un contrôle effectif12. Par ailleurs, certains édits de rois mérovingiens, comme ceux de Childebert II et de Clotaire II, indiquaient un référendaire13. C’est notamment le cas de l’édit de Childebert II, copié à la suite des copies de la loi salique dans sa version D, où est mentionnée une recognitio par Asclipiodus14. Nous avons vu que dans le manuscrit D 8, l’épilogue était même introduit à la fin de l’édit de Childebert II par une rubrique Item confirmatio legis a regibus. Placés avant la liste des rois mérovingiens, la recognitio du référendaire et l’épilogue rappelaient donc dans ce manuscrit à la fois l’autorité royale et l’importance d’une sanction royale sur la diffusion écrite de la législation. La surveillance de la diffusion écrite de la loi pouvait donc apparaitre comme un privilège royal, y compris dans les manuscrits de la loi salique. Si un tel positionnement ne posait plus de difficultés à la famille carolingienne après 751, il en allait autrement avant le sacre de Pépin.
10 Karoli Magni capitulare italicum (a. 787 ?) : Placuit nobis inserere : ubi lex est, precellet consuetu dinem, et nulla consuetudo superponatur legi (Boretius no 95, p. 201). Sur ce capitulaire, voir Mordek, Bibliotheca, p. 1090 et Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 83. 11 Ubl, Sinnstiftungen, p. 55-59 et supra dans le chapitre précédent. 12 Pour le texte de cette subscriptio Aniani, voir Mommsen et Krüger éd., Thedosiani libri I, 1, Prolegomena, p. XXXIV-XXXV. Au ixe siècle, ce texte circulait à côté de la loi salique : on peut donner pour exemple le manuscrit K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 78v, qui fut copié dans le 2e quart du ixe siècle (voir Mordek, Bibliotheca, p. 621-662), ainsi que le manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409. 13 Voir le décret de Childebert II : Asclipiodus recognovit (Boretius no 7, p. 17) et la souscription du référendaire Hamingus dans l’édit de Clotaire II (Boretius no 9, p. 23). 14 D 9, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 731, p. 292. D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, f. 172. D 8, Paris, BnF, latin 4627, f. 59. Les copies de l’édit de Childebert à la suite de la version E de la loi salique ne comportent pas cette recognitio, voir Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 189.
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chapiTre 5
L’authentification des actes juridiques et des lois
Cette négligence dans la copie des lois doit être placée en contraste de l’atten tion portée aux actes privés et à leur conservation. Aux ive et ve siècles, le rôle de l’écrit a crû dans la législation romaine et le délit de fraude a été élevé au rang de crime15. Dans les royaumes successeurs de l’empire romain occidental, l’écrit à va leur juridique restait la référence et la préoccupation autour du faux documentaire restait forte16. L’usage de copies authentiquées restait ainsi possible17. J. Barbier a plaidé de façon convaincante pour le fonctionnement de Gesta municipalia en Gaule franque jusqu’au ixe siècle18. Si des actes privés francs furent conservés, c’est parce qu’ils avaient échappé de façon exceptionnelle au système d’enregistrement prévu par les Gesta. L’obligation d’alligatio, inscrite dans le Code Théodosien et confirmée dans le Bréviaire d’Alaric19, n’aurait été desserrée que pour les ecclésiastiques. W. Brown a mis aussi en avant l’importance tenue par les allusions aux Gesta dans les manuscrits de Formules copiés aux viiie-ixe siècles et le rôle de la cérémonie publique de lecture et de ratification du document, notamment pour les laïcs20. Une validation du même type pouvait être obtenue par un jugement du roi ou du comte, qui permettait aussi la lecture publique de l’acte, et la proclamation orale des souscripteurs. Écrit à valeur juridique et parole publique se seraient donc complétés dès la cérémonie d’alligatio recommandée par le Code Théodosien. Ainsi, en 590, lorsque Egidius, évêque de Reims, présenta des chartes royales, l’accusation requit le référendaire Otton pour en reconnaitre ou non la validité21 : l’écrit et l’oral devaient se conjuguer pour dire le vrai. Ce fonctionnement complémentaire peut expliquer la négligence installée des différentes copies de la loi, elle aussi pensée dans un fonctionnement paral lèle avec des cérémonies publiques. Les premières proclamations royales méro vingiennes se présentent toutes deux comme des lettres22, tandis que l’édit de Chilpéric mentionne pour la première fois un plaid : cum uiris magnificentissimis obtimatibus uel antrustionibus et omni populo nostro23. L’édit de Gontran (585) et le précepte de Clotaire (entre 584 et 628) reprennent une adresse de type
15 Everett, « Lay documents », p. 70. 16 Bougard et Morelle, « Prévention ». 17 Barbier, Archives, p. 74 qui donne dans le royaume franc le testament du fils d’Idda, qui aurait été rédigé entre 577 et 594 (voir son étude, p. 259-270), ainsi que deux copies certifiées conformes pour les préceptes concernant Ardin, délivrés dans les années 669/675, conservées par l’Église du Mans : Kölzer éd., no 107 et 110, p. 275-277 et p. 283-285. 18 Barbier, Archives. 19 Code Théodosien, VIII, 12, 1. Bréviaire d’Alaric VIII, 5, 11, Mommsen éd., p. 407-409. 20 Brown, « On the Gesta ». 21 Grégoire de Tours, Histoires, X, 19. Dumézil, « La chancellerie mérovingienne », p. 475-476. 22 Lettre de Clovis aux évêques, entre 507 et 511 (Boretius no 1, p. 1-2). Précepte de Childebert Ier (entre 511 et 558) introduit par le titre : Incipit epistola clementissimi et beati regis nostri Childe berti (Boretius no 2, p. 3). 23 Édit de Chilpéric (Boretius no 4, p. 8).
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
épistolaire24, tandis que le précepte de Childebert II (596) et l’édit de Clotaire II (614) indiquent des assemblées25. La lecture publique du texte était donc conçue dès le départ comme son complément. Les documents émis par l’autorité royale étaient conçus comme un ensemble, qu’ils soient à destination d’individus ou d’institutions ou à valeur générale. Comme le dit B. Dumézil : Dans un tel contexte, vouloir distinguer la missive de la loi ou du diplôme relève dans la plupart des cas de la vue de l’esprit26. Le désir de contrôle des chartes émises par l’autorité royale pouvait donc concerner aussi la formulation des lois, comme le montre de façon exceptionnelle une novelle anonyme, publiée dans le royaume wisigothique entre 654 et 71027, qui pouvait aussi être connue des érudits du monde franc dans la seconde moitié du viiie siècle28 : Sur ceux qui ont osé lire à haute voix ou écrire des ordonnances et des lois des princes sans les notaires publics.
Si le titre évoque bien la question de la modification des lois hors du contrôle royal, l’ensemble de la loi semble néanmoins plutôt destiné à contrôler la rédac tion des diplômes royaux : Le dérèglement illicite des actions de certains impose d’établir une loi pour les temps futurs, de sorte que ceux que l’enseignement de la parole ne corrige pas soient châtiés par la sévérité de la loi les punissant. Et comme nous avons appris que beaucoup non seulement écrivent des ordonnances royales, mais aussi les lisent à haute voix et les publient à l’écrit pour validation par des notaires de telle manière qu’ils introduisent en dictant ou en écrivant des chapitres divers dans les préceptes royaux de notre royaume eux-mêmes. Ces préceptes sont corrompus par ces chapitres ajoutés qui n’ont pas été décidés par notre grandeur par mesure de gouvernement, n’ont pas été jugés convenables par le peuple de Dieu : une disposition suivant le commandement de la juste vérité ne les règle pas.
Édit de Gontran (Boretius no 5, p. 11). Précepte de Clotaire II (Boretius no 8, p. 18). Décret de Childebert II (Boretius no 7 p. 15). Édit de Clotaire II (Boretius no 9 p. 20). Dumézil, « La chancellerie mérovingienne », p. 479. Sur la composition du texte, voir Martin, « Le Liber » ; Díaz y Díaz, « La lex », p. 166 et p. 183-185. García López, Estudios, p. 9-37. 28 Livre des Jugements (Loi des Wisigoths), VII, 5, 9. Cette novelle n’est pas copiée dans le manus crit K 24, Paris, BnF, latin 4418, qui comporte la loi salique et le Livre des Jugements. Sur ce manuscrit, voir Mordek, Bibliotheca, p. 423, le changement d’avis de Bischoff, Katalog III, no 4317, p. 98, Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 308-309 et les remarques de K. Ubl (http:// www.leges.uni-koeln.de/mss/handschrift/paris-bn-lat-4418/, consulté le 18 février 2020) : il peut être estimé avoir été copié en France, dans le 2e tiers du ixe siècle.
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chapiTre 5
En conséquence, nous avons remarqué que les peuples soumis à notre autorité sont incommodés par de très lourds efforts, vols et pertes, de sorte que nous prescrivons, par l’édit de cette nouvelle sanction, que désormais et dorénavant, personne parmi les notaires, de quelque origine ou quelque peuple qu’il soit, en dehors des notaires publics ou des propres notaires de la grandeur royale, de leurs enfants et de ceux qu’une lettre d’un précepte du prince a institués, n’ose lire à haute voix des ordonnances ou diverses dispositions qui mettent le nom royal en avant, que personne n’ait l’audace de les écrire ni n’ait le dessein de les transmettre sous forme orale ou écrite à un notaire, quel qu’il soit, pour validation. Mais que seuls les notaires publics, nos notaires propres et ceux des rois nos successeurs, ou ceux qui auront été choisis par notre clémence ou par eux, s’appliquent librement à lire à haute voix et à écrire les ordonnances et tous les préceptes royaux29. Une telle ambition de contrôle de tous les documents se référant à l’autorité royale était bien loin de la réalité des pratiques du royaume franc à la fin du viiie siècle, mais pouvait y être connue par la transmission de l’héritage législatif wisigothique. Le premier paragraphe, qui évoque l’insertion de chapitres supplé mentaires, correspondait à ce que nous avons pu constater, comme pouvait le faire un érudit carolingien, quant à l’évolution indépendante des différentes copies de la loi salique par accumulation d’articles d’origines diverses. La considération générale de la législation explique le flottement du texte de la loi salique au viiie siècle. Les autorités législatrices étaient considérées comme interchangeables et la copie du texte même, considérée comme un complément de la proclamation orale, était laissée à la seule surveillance des copistes, qui pouvaient librement intégrer des passages tirés de modèles différents. La très grande variabilité d’un manuscrit à l’autre était telle qu’elle fut ressentie dans le royaume wisigothique pour les lois des souverains wisigoths, mais aussi dans le
29 Loi des Wisigoths, VII, 5, 9 : De his, qui citra notarios publicos iussione ac leges principum recitare uel scribere aussi fuerint. Quorumdam inlicita actionum peruersitas exigit legem ponere pro futuris, ut eos, quos uerbi disciplina non corrigit, saltim legalis censura coercendos, emendet. Et quia plerosque cognouimus iussiones regias non solum scribere, sed etiam recitare atque scriptas exhibere notariis roborandas, unde diuersa in ipsis preceptionibus regni nostri introductentes, uel dictantes atque scribentes capitalia etiam ipsa addi conantur, que nec a nostra celsitudine ordinationis moderamine disponuntur, nec populo Dei congrua cernuntur, nec institutio recte ueritatis precipienda decernit, unde et grauissimis damnis atque spoliis uel fatigiis populos ditioni nostre subiectos prospeximus molestari, obinde huius nouelle sanctionis edicto censemus : ut modo et deinceps nullus ex notariis quorumlibet seu cuiuslibet gentis et generis homo extra notarios publicos ue proprios regie celsitudinis eorumque pueros atque illos, quos principalis instituerit preceptionis alloquium, iussiones siue diuersas institutiones, que ex nomine regio prescribuntur, recitare audeat, nullus scribere presumat, nullus recitatum uel scriptum cuilibet notario ad roborandum dare intendat ; sed tantum notarii publici ac proprii nostri aut nobis succedentium regum, uel qui a nostra clementia uel ipsis fuerint ordinati, iussiones uel quascumque regias preceptiones recitare et licenter scribere intendebunt, Zeumer éd., p. 308-309. Sur cette loi, voir Everett, « Lay documents », p. 85-86. Ma traduction du docu ment diffère de la sienne.
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
monde franc à propos des lois de l’époque mérovingienne, comme le montrent pour la loi salique l’épilogue et la Recapitulatio solidorum. Les capitulaires d’ajouts aux lois montrent les différentes réactions à cet héritage.
Des lois aux capitulaires Les capitulaires d’ajouts aux lois
L’absence de préoccupation pour les copies manuscrites paraît liée au choix d’une présentation d’une autorité législatrice collective, lors de la montée en puissance des Pippinides. Au milieu du viiie siècle, la loi apparaît comme une pro priété collective des puissants, qu’ils ont héritée sous une forme écrite indéfinie, et à laquelle ils ajoutent des éléments écrits. Désormais, le caractère unanime de la définition de la loi et de son application implique de négliger le contrôle des modalités de diffusion de l’écrit30. Ce choix initial ne fut pas réellement remis en cause par les empereurs carolingiens. Louis le Pieux ordonna bien en 825 que son chancelier transmette des copies des capitulaires aux archevêques et comtes, mais il envisageait la diffusion, et non le contrôle des exemplaires : Nous voulons que les archevêques et les comtes de leurs propres cités reçoivent rapidement de notre chancelier, ou bien de lui-même, ou de ses envoyés, les chapitres que nous avons établis par décision de nos fidèles maintenant et à d’autres moments ; que chacun dans son diocèse les fasse copier pour les différents évêques, abbés, comtes et nos autres fidèles et qu’il les relise dans sa juridiction en présence de tous, afin que notre disposition et volonté puisse être connue de tous. Que notre chancelier note cependant les noms des évêques et des comtes qui auront cherché à les recevoir et qu’il les porte à notre connaissance, afin que nul n’ose négliger cela31. Ici, l’empereur envisage bien un circuit de diffusion des capitulaires, mais sans encadrer leur copie32. Par ailleurs, dans l’ensemble de l’entourage de Louis 30 Dans le même sens, Faulkner, Law, p. 120. 31 Admonitio ad omnes regni ordines, 825, c. 26, : Volumus etiam, ut capitula quae nunc et alio tempore consultu fidelium nostrorum a nobis constituta sunt a cancellario nostro archiepiscopi et comites eorum de propriis civitatibus modo, aut per se aut per suos missos, accipiant et unusquisque per suam diocesim ceteris episcopis, abbatibus, comitibus et aliis fidelibus nostris ea transcribi faciant et in suis comitatibus coram omnibus relegant, ut cunctis nostra ordinatio et voluntas nota fieri possit. Cancellarius tamen noster nomina episcoporum et comitum qui ea accipere curaverint notet et ea ad nostram notitiam perferat, ut nullus hoc praetermittere praesumat (Boretius no 150, p. 307). Voir aussi la mention d’archives publiques (in publico archivo) dans le Hludowici prooemium generale ad capitularia tam ecclesiastica quam mundana (Boretius no 137, p. 275) et les remarques de Airlie, « “For it is written” », p. 224. 32 Sur la reprise des capitulaires de Charlemagne dans des collections de la 2e moitié du ixe siècle, voir Depreux, « Charlemagne ».
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chapiTre 5 Tableau 5.1 : Les capitulaires évoquant les lois antérieures
Titre dans l’édition de Boretius
No
date donnée par H. Mordeki
date retenue
Capitulare legibus additum
39
a. 803
803
Capitulare missorum
40
a. 803
803
Capitulare legi Ribuariae additum
41
a. 803
801-806
Capitula ad legem Baiuvariorum addita
68
a. 803 ?
?
Capitulare Aquisgranense, l. 28-32
77
a. 802/803
Capitula de praescriptione temporis
195
?
rédaction 801-814, reprise entre 814 et 840, peut-être en 829ii.
reprise sous Louis le Pieux Capitula legi addita
134
a. 816
816
Item capitula legi addita
135
a. 816
816
Capitula legibus addenda
139
a. 818/819
818/9
a. 819/820
819/820iv
Capitula legi salicae addita
142
iii
i
Voir les notices de Mordek, Bibliotheca et de Faulkner, Law, p. 97-154. Patzold, « Das sogenannte Capitulare ». iii Une nouvelle édition, ajoutant le manuscrit de Sélestat, Bibliothèque humaniste 14, est proposée par Faulkner, Law, p. 253-255 et critiquée par Ubl, « Intentionen », p. 101-102, note 27. iv Tout comme Ubl, « Intentionen », p. 97, je ne retiens pas la suggestion de Faulkner, Law, p. 127-133 pour une datation plus tardive. Comme le souligne K. Ubl, le texte est très proche de la législation impériale des années 819-820, ce qui incite à le dater de l’hiver 818-819. ii
le Pieux, Philippe Depreux n’a pu relever qu’un seul cartolarius (archiviste33), mentionné une seule fois34. Le travail de copie est donc jugé nécessaire, mais ne semble pas contrôlé.
33 Le terme peut aussi désigner celui qui a été affranchi par une charte, mais cette traduction parait peu probable dans le contexte de l’entourage impérial. Voir l’article « chartularius », Niermeyer et van de Kieft, Burgers rév., Mediae Latinitatis Lexicon Minus, consulté en ligne le 22 février 2018. 34 Depreux, Prosopographie, p. 13-29 et p. 386-387. Sur l’absence de personne spécifiquement chargée des archives, Innes, « Archives ». Il faut distinguer la question de la conservation des archives de celle de l’élaboration des diplômes, pour laquelle Eichler « Die Kanzleinotare » plaide de nouveau, suivant de nouveaux critères, pour un travail organisé et cohérent sous Louis le Pieux.
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
Dans cette perspective, tous les capitulaires se définissent comme des ajouts à la loi acceptés collectivement et diffusés par écrit sous l’autorité royale35. Néan moins, seuls un petit nombre d’entre eux évoque directement les lois antérieures (voir le tableau 5.1) ; nous nous en tiendrons à ceux-ci, pour mettre en valeur et interpréter la diversité du rapport qu’ils entretiennent, par la langue, avec les lois précédentes sous les premiers souverains carolingiens. Steffen Patzold a posé l’hypothèse d’une phase d’expérimentation des tech niques de l’écrit36, qui peut ici être illustrée en établissant une typologie entre les différents capitulaires émis sous Pépin le Bref, Charlemagne et Louis le Pieux, qui montrent une grande diversité dans la façon de composer des ajouts législatifs et révèlent d’importantes innovations dans la diffusion de normes écrites. La législation franque sous Charlemagne
Le Capitulare legibus additum (Boretius no 39) de Charlemagne se caractérise tout d’abord par son grand succès manuscrit. Hubert Mordek relève sa présence dans 53 manuscrits, ainsi que dans les 78 qui reprennent la collection d’Ansé gise37. Son succès ne peut être comparé qu’avec celui du Capitulare missorum (Boretius no 40), présent dans 50 manuscrits dont 49 fois en même temps que le précédent, ainsi que dans la collection d’Anségise. Cette diffusion les place loin devant les autres capitulaires les plus copiés, l’Admonitio generalis, copiée dans 41 manuscrits et la collection d’Anségise, et le Capitulaire de Herstal, présent dans 33 manuscrits. La présentation officielle du capitulaire « ajouté aux lois » nous est donnée par un seul manuscrit, copié en Italie au xe siècle : Voici les chapitres que le seigneur grand empereur Charles a ordonné d’écrire en son conseil, et il a aussi ordonné de les placer au sein des autres lois38. Il s’agit d’ajouts aux lois, sans précision. Néanmoins, la majorité des manus crits désigne ces capitulaires comme Capitula que in lege Salica mittenda sunt, ce qui correspond à la narration qui est donnée dans un autre manuscrit du xe siècle : Au nom du Christ commencent les chapitres de la loi de l’empereur Charles récemment établis, la troisième année de notre seigneur très clément Charles, auguste. Cette même année, ces chapitres ont été préparés et consignés par le comte Étienne, afin de les faire connaitre au plaid public dans la cité de
35 B. Mischke rappelle néanmoins le caractère composite des capitulaires qui comportent à la fois des dispositions à valeur atemporelle et d’autres s’appliquant dans une durée limitée. Mischke, Kapitularienrecht. 36 Patzold, « Die Veränderung » et Id., « Das sogenannte Capitulare ». 37 Mordek, Bibliotheca, p. 1083-1084 et p. 1100-1101. 38 Paris, BnF, latin 4613, f. 70 : Hęc sunt capitula que domnus karolus magnus imperator iussit scribere in consilio suo et iussit eas ponere inter alias leges (Boretius no 39, p. 112). Voir Mordek, Bibliotheca, p. 469-476.
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chapiTre 5
Paris, et de les faire lire devant ses échevins, et ainsi fut fait. Et tous ensemble, ils s’accordèrent pour vouloir les observer toujours à l’avenir et tous aussi, échevins, évêques, abbés, comtes, souscrivirent, chacun de sa main propre. Chapitres qui doivent être ajoutés à la loi salique39. Ce manuscrit, bien que tardif, fournit des indications concrètes sur la diffusion des capitulaires qui ne semblent pas pouvoir être le fruit d’une reconstruction postérieure, dans la mesure où ni les comtes en général, ni ce comte Étienne, ni ce plaid de Paris, en particulier n’ont été mis en valeur pour leurs décisions législatives par les témoignages écrits antérieurs à sa copie40. Cette fois, les ajouts sont désignés comme étant faits in lege Salica, « à la loi salique ». Nous sommes obligés de penser, comme le faisait déjà A. Boretius, que cette Lex salica à complé ter concernait l’ensemble des habitants de l’empire, vu la diffusion du capitulaire. La proximité entre le capitulaire aux missi (no 40) et ce capitulaire d’ajouts est marquée dans la tradition manuscrite : par exemple, dans le manuscrit cité ci-dessus pour son introduction du capitulaire, Paris, BnF, latin 4613, la numéro tation est continue entre les deux capitulaires, sur les folios 70-7341. Mais cette proximité apparait aussi dans leur contenu, puisque le chapitre 19 du Capitulare missorum (no 40) semble bien se référer à l’autre capitulaire (no 39) : Que le peuple soit interrogé sur les chapitres qui ont été récemment ajoutés dans la loi, et qu’après que tous auront consenti, qu’ils mettent leurs souscriptions et leurs validations de la main sur ces chapitres42.
Cette fois, les ajouts sont désignés comme étant ceux « à la loi », au singulier, qui n’est pas davantage définie. Dans la tradition manuscrite, les mêmes chapitres sont donc désignés comme étant des ajouts « à la loi », « aux lois », ou « à la loi salique ». Cette imprécision recouvre le mode de ces ajouts. Seule la précision de l’équivalence entre un sou et douze deniers est précisée excepto freda quae in lege Saliga scripta est43 : il s’agit de distinguer la valeur du sou carolingien, à 12 deniers, 39 Paris, BnF, latin 4995, f. 19v : In Christi nomine incipiunt capitula legis imperatoris Karoli nuper inventa anno tertio elementissimi domni nostri Karoli augusti. Sub ipso anno haec capitula facta sunt et consignata Stephano comiti, ut haec manifesta fecisset in civitate Parisius mallo pubplico et ipsa legere fecisset coram illis scabineis ; quod ita et fecit. Et omnes in uno consenserunt, quod ipsi voluissent omni tempore observare usque in posterum ; etiam omnes scabinei, episcopi, abbatis, comitis manu propria subter firmaverunt. Capitula que in lege Salica mittenda sunt. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 549-555. 40 Contra, Faulkner Law, p. 113 et suivante. Réfutation aussi de son hypothèse par Depreux, « Charlemagne », p. 30-31. 41 Ce manuscrit est décrit par Mordek, Bibliotheca, p. 469-476 et Patzold, « Normen », p. 336 et suivantes. Le copiste de cette collection, établie en Italie du Nord après 856, numérote six fois de façon continue des capitulaires transmis ailleurs de façon séparée. 42 Capitulare missorum, c. 19 : Ut populus interrogetur de capitulis quae in lege noviter addita sunt ; et postquam omnes consenserint, subscriptiones et manufirmationes suas in ipsis capitulis faciant (Boretius no 40, p. 116). 43 Capitulare legibus additum, c. 9 (Boretius no 39, p. 114). Voir Ubl, Sinnstiftungen, p. 184.
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de celui à 40 deniers mentionné dans les amendes de la loi salique. L’application des amendes contenues dans celle-ci est donc considérée comme toujours valide. Un texte précis de la loi salique, avec ses montants d’amendes, est donc supposé connu, mais son contenu n’est pas davantage précisé44. Les autres chapitres ne montrent aucun emprunt textuel spécifique à la lex salica. On retrouve les tournures communes Si quis, l’expression d’un condition nel et une amende, mais aucune citation. Certains termes particuliers reviennent, mais l’étude d’Annette De Sousa Costa sur le vocabulaire germanique des capitu laires carolingiens a montré qu’il n’était pas particulièrement lié à celui des lois barbares45. Il existe quelques reprises46, mais ces termes ne sont pas spécifiques aux capitulaires qui prétendent particulièrement compléter des lois antérieures. Par exemple : -
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weregeldum apparait dans le Capitulare legibus additum47, alors que ce terme n’apparait pas dans la loi salique versions A et C48, mais seulement dans le décret de Childebert49. Il est aussi repris dans la Loi Ripuaire50, la Loi des Alamans51 et la Loi des Bavarois52 ; wadius, qui désigne le gage53, apparait plusieurs fois dans les capitulaires de Charlemagne54. Il est présent dans le Capitulaire de Herstal55, dans les capitulaires 3956 et 4157 mais aussi 7058, 7459, 13160. Le terme parait dérivé du droit romain, où vadimonium, désigne l’engagement à comparaitre, avec caution61. Il n’est pas présent dans la loi salique, mais apparait dans un diplôme
44 Il peut aussi s’agir de la Recapitulatio solidorum, qui fut établie avant 814. Voir Ubl, Sinnstiftun gen, p. 185 et suivante et Ubl, « Die Recapitulatio ». 45 De Sousa Costa, Studien. 46 Voir ibid., p. 348 pour huit exemples. 47 Capitulare legibus additum, c. 7 (Boretius no 39, p. 114). 48 Malgré l’insertion dans son édition par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 197. Voir Camby, Uueregildus qui souligne l’intervention de Johannes Herold. 49 Décret de Childebert, c. 5 (Boretius no 7, p. 16). De Sousa Costa, Studien, p. 197-205. 50 Lex Ribuaria, 40, 11 ; 48, 1 ; 66, 1 ; 67 ; 70, 1 ; 86, 1. 51 Lex Alamannorum, par exemple A, XXVIII, 1 ; B XXIX, 1, p. 87 ; A et B XXXIV, 1, p. 91, Lehmann et Eckhardt éd. 52 Lex Baiwariorum, par exemple VIII, 1 et XVI, 5, p. 353 et p. 435, Baro de Schwind éd. 53 Voir l’article « wadium » : Niermeyer et van de Kieft, Burgers rév., Mediae Latinitatis Lexicon Minus, consulté en ligne le 13 mars 2018. 54 De Sousa Costa, Studien, p. 175-181. 55 Capitulaire de Herstal, c. 19 (Boretius no 20, p. 51). 56 Capitulare legibus additum, c. 8 (Boretius no 39, p. 114). 57 Capitulare legi ribuariae additum, c. 3 (Boretius no 41, p. 117). 58 Capitula Karoli apud Ansegisum servata, c. 3 (Boretius no 70, p. 160). 59 Capitulaire de Boulogne, c. 1 (Boretius no 74, p. 166). 60 Capitula de Iudaeis, c. 1-2 (Boretius no 131, p. 258). 61 Vadimonium dans Gai, Institutiones, 4, 184-185, p. 192, Baviera éd.
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mérovingien62, le Formulaire de Marculf63, mais aussi la Loi des Alamans64, la Loi des Bavarois65 et les lois lombardes66. Il est donc lié au droit franc ancien, mais pas à la Lex Salica et n’est pas spécifique aux capitulaires de complément des lois ; freda se trouve bien dans la Loi salique67 et dans le capitulaire 3968, mais il apparait aussi dans toutes les lois barbares, des formulaires69, les édits70 et les diplômes mérovingiens71. Comme les deux termes précédents, il montre la continuité de l’élaboration d’un droit franc, progressivement doté d’un vocabulaire franco-latin spécifique.
Ces « ajouts à la loi salique » doivent donc être compris au sens large, en réfé rence aux textes de lois produits depuis la fin de l’empire romain : la loi salique, les lois des royaumes barbares, les édits royaux francs, les formules appuyées sur le droit romain… Cette conception floue de la loi antérieure explique l’éloignement de ces ajouts par rapport au texte de la loi, dont ils ne reprennent ni le vocabulaire spécifique, ni les expressions, ni les objets. À la même catégorie semblent appar tenir les Capitula ad legem Baiuvariorum addita, copiés dans onze manuscrits72, auxquels on attribue, par analogie au texte précédent une datation vers 803. La précision ad legem Baivariorum ne se trouve reprise que dans quatre manuscrits sur onze73 et le contenu est sans rapport direct avec la lex Baiwariorum74. En revanche, on y trouve une probable allusion à la Summula de bannis75. Cette conception floue de la loi écrite antérieure, la validité de décisions prises par consensus, hors de l’autorité royale et l’absence de considération des copies des capitulaires posaient, à terme, un grand problème pratique. Toute loi 62 Diplôme de Childebert III, en 709, conservé en original, Kölzer et Brühl éd., no 156 p. 390, l. 20. 63 Formulaire de Marculf II, 18, p. 88. Formules de Tours 32, p. 154. Formules de Sens 50, p. 207. Formules de Bignon 27, p. 237. Formules de Merkel 29, p. 252. Formules de Lindenbruch 19, p. 280. Formulae Augienses, col. B, no 40, p. 362. Formules du manuscrit de Saint-Emmeran no 4, p. 464. Formules de Pithou fragmenta cop. 75, p. 598. Zeumer éd. 64 Lex Alamannorum III, p. 68 et XXXVI, p. 95. Lehmann et Eckhardt éd. 65 Voir les occurrences relevées dans l’index : Baro de Schwind éd., p. 484. 66 Dès l’Édit de Rothari, § 360, 361, 361, 362, 366. Le leggi dei Longobardi. Storia, memoria e diritto di un popolo germanico, Azzara et Gasparri éd. 67 Pactus legis salicae, versions A et C : 13, 6 ; 24, 7 ; 35, 9 ; 50, 3 ; 53, 2, 4, 6, et 8 ; 88 ; 92. Eckhardt éd., Pactus, 1962. 68 Capitulare legibus additum c. 9 (Boretius, no 39, p. 114). 69 Le terme se trouve de nombreuses fois dans le Formulaire de Marculf, les Formules de Sens et les Formules de Saint-Gall. Voir le relevé (incomplet) : Zeumer, Formulae, 1886, p. 755. 70 Décret de Clotaire, c. 12 (Boretius no 3, p. 12). 71 De Sousa Costa, Studien, p. 193-197. 72 Mordek, Bibliotheca, p. 1088. 73 K 77 : Ivrea Biblioteca Capitolare XXXIII, f. 124r ; K 71 : Vatican, BAV, Reg. lat. 991, f. 105 ; K 25 : Paris, BnF, latin 4417, f. 159 et Wien, ÖNB, 406, f. 26. 74 Sur celle-ci : Esders, « Late Roman Military Law ». 75 Voir Mordek, Bibliotheca, p. 17.
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écrite pouvait être considérée comme valide, alors même qu’il était impossible de préciser par qui et quand la loi fut modifiée. L’absence de contrôle du copiste, dont le rôle n’était pas évoqué, lui laissait, de fait, la possibilité de mettre par écrit de nouvelles dispositions juridiques.
Un espace de liberté Le manuscrit A 2 : un positionnement conservateur
Il me semble que nous avons un témoignage saisissant de l’espace de liberté ainsi créé à travers le manuscrit de Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, copié par un dénommé Agambertus76. Ce manuscrit n’est probablement pas originaire de Wissembourg, et suivant les critères paléographiques, il fut copié dans la deuxième moitié du viiie siècle77. Il comporte : -
f. 1 : une insertion postérieure d’une autre main, qui a copié une formula securitatis f. 1v-37 : la Loi salique dans une version A, en 93 chapitres incluant le Pacte de Childebert et Clotaire f. 37 et v : l’épilogue de la loi salique, suivie d’une liste royale et d’un chapitre parodique intitulé Incpt. Totas Malb. f. 37v-f. 87 : une version résumée originale du Bréviaire d’Alaric f. 87v : des vers et un colophon, ora pro agamberto.
La version originale de la loi salique donnée ici par Agambertus a quelques points communs avec les trois autres manuscrits qui donnent cette version A, mais il est exclu, contrairement aux affirmations de B. Krusch et de K. A. Eck hardt, qu’il puisse descendre d’un seul modèle commun avec A 178. L’insertion du « Pacte de Childebert et Clotaire » dans la numérotation des chapitres de la loi salique montre que pour Agambertus, la loi salique était constituée par incrémentation, en incorporant les édits royaux. L’épilogue copié ensuite éclaire cette conception, en faisant de la loi salique une suite de publications royales mérovingiennes, depuis le premier roi des Francs : Le premier roi des Francs établit les chapitres 1 à 62 et les institua pour juger. Peu après, lui et ses aristocrates ajoutèrent de 63 à 78 chapitres. Puis, après longtemps, le roi Childebert considéra ce qu’il fallait ajouter, et passa de 78 à 83, ce qu’il a fait justement, et il transmit ces écrits à son frère Clotaire. Par la suite, Clotaire, après avoir reçu volontiers ces chapitres de son frère aîné,
76 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 87v. Le manuscrit est consultable en couleurs. Commentaire dans Ubl, Sinnstiftungen, p. 137 et suivante. 77 Beckmann, « Aus den letzen Jahrzehnten ». Mordek, Bibliotheca, p. 958-960. 78 Coumert, « Faire parler ».
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considéra ce qu’il devait ajouter pour son propre royaume et ce qu’il fallait inclure de plus, du chapitre 89 jusqu’au chapitre 63 ; et ensuite il envoya ces rescrits à son frère. Et ainsi il fut établi entre eux que toute cette compilation devait demeurer ainsi comme auparavant79. Les rois apparaissent ici comme les seuls à pouvoir modifier la loi, en suppri mant, corrigeant et ajoutant des chapitres. Vient ensuite une liste de souverains, qui complète la succession déjà évoquée dans l’épilogue, depuis un anonyme premier roi des Francs. Cette liste commence avec Thierry III (673-690) et se clôt avec le règne de Childéric III (743-751), décrit au passé, et le calcul de la somme de durée des règnes sur 78 ans80. W. Trouvé a fait justement remarquer que le total devrait arriver à 80 et y voit « une erreur de transcription d’un scribe »81. Il peut aussi s’agir d’un décalage dû aux années de règne incomplètes. Notre copiste écrit donc sous les rois carolingiens, Pépin, Carloman ou Charles, mais choisit de n’en faire aucune mention. Néanmoins, pour établir un calcul fixe, il lui était nécessaire de s’en tenir aux règnes terminés, et donc aux souverains défunts. Le silence sur le règne en cours dans la liste peut donc simplement représenter ce désir de s’en tenir au passé. Charles Martel n’est pas présenté comme un roi dans la liste, ce qui montre un décalage par rapport à la propagande carolingienne telle qu’elle s’est développée à partir du règne de Charlemagne82. Une présentation similaire de règnes révolus se trouve dans le manuscrit contemporain D 9, conservé à Saint-Gall : en 793, le copiste Vandalgarius copia une liste de règnes proche dans un manuscrit qui comporte aussi la version D de la Loi salique complétée cette fois par la Loi des Alamans83. Cette liste est amplifiée par rapport au manuscrit de Wolfenbüttel, car elle s’appuie sur la Chronica majora d’Isidore de Séville pour proposer une datation depuis la création du monde, en s’appuyant sur un synchronisme faux entre les années de règne d’Héraclius, de Sisebut et de Dagobert. Les années de règne de Clotaire II, puis de Dagobert à 79 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, fol. 37, l. 4-21 : Primus rex francorum statuit a primo titulum usque LXII disposuit iudicare. Post modo autem tempus cum obtimatis suis a LXIII titulum usque ad LXXVIII addedit. Sic uero Childebertus rex post multum autem tempus pertractauit, quid addere debirit ; ita a LXXVIII usque ad LXXXIII perinuenit, quod ibidim digne inposuisse nuscuntur, et sic fratri suo Clotario hec scripta transmisit. Post hec uero Clotarius, cum hos titulus a germano suo seniore gratenter excepit, sic postia cum rignum suum pertractauit ut quid addere debirit ibidim quid amplius dibiat construhere, ab LXXXVIIII titolus usque ad LXIII statuit permanere ; et sic postea fratre suo rescripta direxit. Et ita inter eis conuinit, ut sta omnia sicut anteriore constructa starent. 80 Ewig, « Die fränkischen Königskatalogue ». 81 Trouvé, Les listes, p. 144. 82 Ewig, « Die fränkischen Königskatalogue » et Trouvé, Les listes, p. 145. 83 D 9, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 731, p. 293-294. Le texte est édité, avec d’hasardeuses suppositions de différentes strates de composition, dans Eckhardt., Lex Salica, 1962, p. 192 et 194.
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Thierry III (673-690) ont été rajoutées, avant de reprendre les durées de règne proposée par le manuscrit de Wolfenbüttel, puis de préciser 17 années de règne pour le roi Pépin, et d’inclure une réflexion finale sur le temps à venir avant la parousie84. Le copiste du manuscrit a donc choisi de ne pas actualiser la liste jusqu’au roi régnant en 793, mais a repris une liste des rois d’Austrasie, et mentionne Pépin dans leur continuité, suivant une présentation générale plutôt favorable à la prise du pouvoir des Pippinides. En outre, la vingt-sixième année de règne de Charlemagne est mentionnée deux fois par ailleurs dans le manuscrit (p. 237 et p. 342). Tout comme Agambertus, Vandalgarius met en avant son nom et donc sa responsabilité dans la copie. Il n’intègre dans son calcul que les années de règne des rois défunts, mais lui n’hésite nullement à mentionner le souverain actuel à d’autres endroits du manuscrit. Il est difficile d’aller au-delà de la comparaison de ces deux attitudes : seuls deux autres manuscrits qui reprennent cette liste furent copiés au ixe siècle et montrent une volontaire absence d’actualisation de la liste au-delà du dernier souverain mérovingien. Alors que le premier, copié après 805 pour sa première partie, mentionne des souverains carolingiens85, le second, bien que copié après 818, s’en tient à une présentation atemporelle des formules juridiques et de la loi salique, où seuls Clovis, Childebert et Clotaire apparaissent comme des sou verains législateurs86. Les deux copistes ont pourtant fait le choix d’une version apparemment ancienne de la loi salique, la version D, alors qu’existait une version K, associée à l’autorité de Charlemagne vers 803, qui donnait une version plus claire du texte. Ainsi, dans tous les manuscrits qui reprennent cette liste royale, la moitié l’insère dans une présentation qui intègre les souverains postérieurs, l’autre les ignore, mais il n’est pas impossible de supposer aussi chez les rédacteurs de ces manuscrits un positionnement conservateur, voire réactionnaire, dont ils pourraient témoigner en privilégiant une version ancienne de la loi salique. Dans le cas d’Agambertus, au moment où il écrit, il y a non seulement des rois carolingiens dont il choisit de ne pas parler, mais aussi des capitulaires des maires du palais, dont il ne dit rien, s’en tenant à la loi salique modifiée au gré des différents souverains mérovingiens sans jamais mentionner d’autre autorité royale sur les Francs. L’insertion, après la mention du dernier d’entre eux, d’une parodie des textes de lois francs fait écho à ce qui me parait un positionnement légitimiste. Sans souverain légitime, l’œuvre législative est présentée de façon grotesque.
84 Trouvé, Les listes, p. 164-171. 85 D 7 Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, f. 156, mention de la 13e année du règne de Pépin, f. 175v mention de Charles comme roi et f. 172 et 179, Charles comme empereur. Sur la liste des rois, Trouvé, Les listes, p. 146-153. 86 D 8, Paris, BnF, latin 4627, f. 32 (prologue long), 57 (décret de Childebert) et 59v (épilogue).
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La parodie de la loi salique Tableau 5.2 : La parodie de la loi salique
Au nom de Dieu, tout puissant, telle est la décision prise par Laidobrand et Ado : étant donné qu’il manque un paragraphe à la loi salique, exposer en détail avec l’aide de Dieu et avec l’appui de Fredo, de son épouse et de leurs excellences, ce paragraphe, dans la loi, stipulant que : Tout vassal qui pourra avoir une cruche pleine soit chez lui soit hors de chez lui, ne versera pas une goutte ni dans sa coupe ni dans celle des autres. Quiconque aura osé le faire, qu’il soit le maudit au tribunal, et qu’il s’acquitte de 15 sous ; et qu’on brise la coupe, oui, toute ; qu’on brise la tête au bouteiller ; qu’on retire les boissons à l’échanson. Tel est le rituel : qu’on boive avec le bassin de métal, qu’on y place des tranches de pain ; lorsque le seigneur a bu deux fois, ses vassaux la troisième, c’est bon ! Moi qui ai écrit ce texte, je n’ai pas écrit mon nom : que je sois jugé coupablei !
INCIPIT TOTAS MALB. In nomine dei patris omnipotentis. Sit placuit uolumtas laidobranno et adono ut pactum salicum de quod titulum non abit gratenter suplicibus aput gracia fredono una cum uxore sua et obtimatis eorum in ipsum pactum titulum unum cum deo adiuturio pertractare debirent, ut si quis homo aut in casa aut foris casa plena botilia abere potuerint tam de eorum quam de aliorum in cuppa non mittant ne gutta. Se ullo hoc facire presumserit, mal. leodardi, sol. xv con. et ipsa cuppa frangant la tota ad illo botiliario frangant lo cabo at illo scanciono tollant lis potionis. Sic conuinit obseruare aput satubo bibant et intus suppas faciant cum senior bibit duas uicis sui uassalli, la tercia bonum est, ego qui scribsi mea nomen non hic scripsi. Cul. Iud.ii
i Je m’appuie sur la traduction proposée par Iliescu et Slusanski, Du latin, p. 177, que j’ai modifiée avec les conseils de J. Schneider et M. Banniard. Voir Coumert et Schneider, « The Lex Salica ». ii A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37v, l. 4-20.
Il a depuis longtemps été reconnu dans ce passage (Tableau 5.2) une version parodique de la loi salique. Je donne ici une traduction française mais le mélange des registres et des langues rend l’ensemble quasiment intraduisible. C’est un texte en latin, dans lequel sont introduits peu à peu de plus en plus de tournures romanes. Comme l’a souligné Maria Selig87, les premières lignes de la Parodie ne se distinguent pas du contexte latin (dans le manuscrit, l. 4-12) et multiplient les correspondances textuelles avec les pages précédentes du point de vue linguis tique, lexical et stylistique. La première partie comporte des déclinaisons suivant les normes latines mérovingiennes (nomine, patris, Laidobranno, pactum salicum, suplicibus), seule la deuxième partie suit une déclinaison bicasuelle (plena botilia, in cuppa, ad illo botiliario, lo cabo, lis potionis, senior, sui vassali). 87 Selig, « Parodie ».
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Le deuxième contraste morphosyntaxique vient des équivalents des « ar ticles », qui apparaissent seulement dans la deuxième partie. Il rejoint un contraste lexical : les termes de la deuxième partie désignent des choses com munes, mais représentent aussi une forme vulgaire, alors qu’existait une forme adaptée à l’écrit. Ainsi, la parodie utilise cuppa alors qu’il existait copa, botilia et botiliario, alors qu’il existait buticula et buticularius. En outre, des éléments montrent une conception orale de la phrase : une phrase est segmentée, avec une reprise pronominale de l’objet antéposé : ipsa cuppa frangant la tota, et apparait une négation renforcée : non mittant ne gutta88. L’auteur du texte a parfaitement conscience de son éloignement du latin classique. L’effet parodique tient au détournement du procédé juridique en l’appliquant à un domaine où il parait démesuré et ridicule, aussi bien qu’au détournement du langage juridique en introduisant dans son texte des formes in attendues à l’écrit. L’auteur aboutit à la création comique d’une langue mixte, avec co-présence de traits linguistiques complètement hétérogènes. Dès la première partie sont insérées des tournures proches du vernaculaire, comme de quod ou aput gracia. Dans la deuxième partie sont glissés des résidus du langage juridique latin : tam de eorum quam de aliorum, démonstratifs ille et ipse qui renvoient à la tradition juridique mérovingienne. On peut relever aussi un certain nombre d’incongruences syntaxiques insérées dès le début du texte : contamination entre sit ou sic placuit voluntas qui renvoient à sic placuit (dat.) ut, aussi bien qu’à decre vit/est voluntas (gén.) ut ; anacoluthe ut ipsum pactum salicum, in ipsum pactum salicum titulum unum… pertractare debirent, et absence de concordance entre le nom homo au singulier et potuerint au pluriel. L’auteur de cette parodie mélange donc les formes latines et vernaculaires, classiques et nouvelles. Il utilise le vernaculaire à l’écrit pour situer le texte dans un « non-registre », dans le monde à l’envers de la parodie. Le fait d’écrire des tournures éloignées du latin écrit n’était pas en soi un signe de dérision. Les laudes regiae copiées entre 783 et 79289 en faveur de Charlemagne, ses fils et sa femme Fastrade utilisent elles aussi les pronoms régimes « lo » et « los », tandis que le verbe « juvare » apparait avec un pronom personnel « tu » devant un impératif90, éléments qui n’existent pas dans le système du latin écrit. Les tournures proches du parler étaient donc intégrées dans une prière prestigieuse, en l’honneur du roi, et constituaient un acrolecte. Dans la parodie d’article juridique, l’effet comique devait provenir de la ren contre entre les tournures juridiques solennelles et le sujet : la consommation domestique d’alcool. Il me semble que son positionnement, au sein du manuscrit, à la suite de la loi salique, son épilogue et une liste royale mérovingienne close, nous incite à y voir bien plus qu’une blague de potache : il s’agirait d’un message 88 Discussion sur un possible mélange de vin et d’eau dans Fassò, « La Parodia ». 89 D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, f. 344. Le texte a été édité par O. Holder-Egger en annexe : Einhardi Vita Karoli, p. 46-47. 90 Zumthor, « Une formule ».
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politique de refus des Carolingiens et de leur législation. Le manuscrit se poursuit d’ailleurs avec une compilation originale de droit romain, et une main postérieure a ajouté à son début une formule de serment de garantie tirée des droits romain et franc91. Il était donc considéré comme un recueil utile à l’exercice du pouvoir judiciaire, et non comme un ouvrage comique. Que parodie cet article loufoque ? De façon évidente, il comporte des élé ments qui le rapprochent de la loi salique copiée auparavant dans le manuscrit. L’expression si quis homo reproduit le début stéréotypé des articles de la loi salique. Le futur presumserit y est aussi très courant de même que l’expression conuinit obseruare. La Loi Salique présente souvent la distinction in casa/foris casa92. Certaines expressions cum obtimatis eorum, pertractauit (ut) quid addere debirit, gratenter se trouvent aussi dans l’épilogue de la loi salique qui précède la parodie93. Elle reprend aussi les abréviations qui reviennent systématiquement dans les manuscrits de la loi salique, comme mal. leodardi sol. XV con., et cul. iud., la rendant indéchiffrable aux non-initiés. En outre, les gloses malbergiques en elles-mêmes renforçaient le caractère peu compréhensible du texte94, comme le montre le commentaire du copiste du manuscrit A 3, copié au tournant du viiie et du ixe siècle, après la liste des chapitres : Or il faut ici considérer attentivement que dans la loi salique, chaque sou a quarante deniers de sorte que cent vingt deniers font trois sous. Mais pour éviter la longueur de l’ouvrage comme l’ennui des lecteurs, et pour le profit de la compréhension, nous enlevons d’ici les mots des Grecs et le nombre de deniers que nous avons souvent trouvés copiés dans ce livre95. Comme cette copie de la loi salique ne reprend quasiment pas les gloses malbergiques, il semble bien qu’il faille ici les reconnaitre comme verba grecorum, ce qui révèle leur totale incompréhension par le copiste, qui n’a pas relevé de proximité avec la langue vernaculaire germanique. À côté de ces éléments spécifiques à la Loi salique, de très nombreuses expres sions renvoient aussi à des emprunts généraux à la langue de la chancellerie, telle qu’elle apparaît aussi dans les formules et les capitulaires. Ainsi, l’anacoluthe pac tum salicum… in ipsum pactum évoque les tournures juridiques les plus lourdes. 91 Ubl, Sinnstiftungen, p. 138. 92 L’expression foris casa apparait aux titres VIII,2, XI,1 et 2 et XII,1 de la version de la Loi salique copiée dans le manuscrit A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. 93 Beckmann, « Aus den letzen Jahrzehnten », p. 307-308. Avalle, « Ancora ». 94 Schmidt-Wiegand, « Die malbergischen Glossen ». Seebold, « Die malbergischen Glossen ». Coumert et Schneider, « The Lex Salica ». 95 A 3, München, BSB, Clm 4115, f. 44r, l. 14-23 : Hoc autem super omnia diligenter consederandum est quod in lege salica unusquisque solidus quadraginta dinarius habet ita ut centum uiginti dinarii faciant solidus tres. Sed nos propter prolixitatem uoluminis uitandam seu fastidio legentium uel propter utilitatem intellegendi abstulimus hinc uerba grecorum et numero dinariorum quod in ipso libro crebre conscribta inueninxus. Le texte est édité par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 15, avec des notes d’abréviations fausses.
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Cum deo adiuturio contient un cas oblique possessif. Cette forme se trouve aussi dans le Pacte d’Andelot de 587 rapporté par Grégoire de Tours96 et apparait dans les édits royaux mérovingiens. Una cum apparait très couramment dans les formu laires97, de même que la tournure placuit voluntas98. Si la parodie s’inspire donc de la loi salique comme de la tradition juridique franque en général, il semble qu’une étude plus précise de sa forme la rapproche davantage des capitulaires produits par les maires du palais, qui s’inséraient dans le même héritage. Le vocabulaire et les tournures leur sont communes, car eux aussi reprenaient la tradition juridique développée depuis la loi salique et prétendaient la compléter. Or, la parodie suit la structure des chartes et formules médiévales en enchaînant : -
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une invocatio : In Dei nomen. Certes, cette tournure existe aussi au début de la loi salique version D, qui commence par In Christi nomine, et de la version E In nomine sanctae trinitatis99, mais ce n’est pas le cas de la version A copiée dans ce manuscrit. Elle apparaît aussi dans les formules juridiques ; une petitio : gratanter suplicibus, aput gracia fredono una cum uxore sua et obtimatis eorum ; une sanctio : se ullo… presumserit ; une completio ou souscription : ego qui scribsi mei nomen non hic scripsi.
Par cette structure, cet « article supplémentaire » de la loi salique se rap proche grandement des premiers capitulaires des Carolingiens. Or dans le manus crit, cette parodie occupe précisément la place, juste après la loi salique, où de très nombreux manuscrits reproduisent les édits mérovingiens et les capitulaires carolingiens100. Dans la description du consensus qui fonde la loi, le rédacteur a ajouté uxore sua par rapport à la formule de l’épilogue cum obtimatis suis. L’ajout est comique : dans la logique mérovingienne, la reine peut jouer un rôle de représentation du roi101, mais n’a rien à voir avec le processus législatif, où n’apparait que le roi. L’exception réside dans le pacte d’Andelot, en 587102 mais la chute de Brunehaut a entrainé la fin de toute évolution en ce sens103. En revanche, la reine joua un rôle
Grégoire de Tours, Histoires, IX, 20 : in Christo nomen, Krusch et Levison éd., p. 434. Dans le formulaire de Marculf, les formules d’Angers, de Tours, de Sens… Formulaire de Marculf II, 30, p. 94. Formules de Sens 47, p. 206. Ubl, « Die erste Leges-Reform », 2014, p. 89. Ainsi, parmi les six manuscrits comportant les versions A et C de la loi salique : A 1, Paris, BnF, latin 4404 donne après la loi salique, la loi ripuaire, la loi des Alamans, puis des édits mérovingiens et des capitulaires carolingiens. A 4, Paris, BnF, latin 9653 présente après la loi salique un capitulaire de Louis le Pieux. C 6, Paris BnF, latin 18237 reproduit la loi salique, puis le pacte de Childebert et Clotaire, l’édit de Childebert et un capitulaire de Louis le Pieux (voir supra). 101 Pancer, Sans peur. 102 Grégoire de Tours, Histoires, IX, 20, p. 434. 103 Dans la formule 62 des Formulae Salicae Merkelianae, Zeumer éd., p. 262, la reine est associée dans la prière au roi et aux recteurs du palais, mais Avalle « Ancora », 1965, p. 35, se trompe, 96 97 98 99 100
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dans la nouvelle dynastie dès le sacre de 751104. Sa place comme représentante de l’autorité royale est soulignée dans le capitulaire De villis : Nous voulons que ce que nous ou la reine avons ordonné à un juge105, ou ce que le sénéchal ou l’échanson – nos ministériaux – a ordonné, à partir de notre parole ou de celle de la reine, à ces mêmes juges, [ceux-ci] doivent l’exécuter dans ce même plaid comme si cela avait été décidé par eux. Et quiconque l’aura omis par négligence, qu’il s’abstienne de boisson, après que cela lui aura été annoncé, jusqu’à ce qu’il vienne en notre présence ou celle de la reine et qu’il nous demande la permission d’être pardonné106. Dans ce même capitulaire, on trouve aussi mention d’un butticularius et d’un partage de denrée deux tiers, un tiers107. La parodie caricaturait-elle précisément le capitulaire De villis ? Sa tradition manuscrite est extrêmement restreinte, puis qu’il n’est transmis que par un seul témoin, de la première moitié du ixe siècle108. Son rapprochement avec les fragments du Capitulare missorum de villis inquiren dis, lui aussi conservé dans un seul manuscrit du début du ixe siècle109, laisse apercevoir une tentative plus vaste de la nouvelle dynastie de légiférer jusqu’au cadre domestique, qui ne fut pas reprise dans les collections de capitulaires. Néanmoins, on retrouve ce rôle de la reine comme responsable du bon ordre du palais dans le De ordine Palatii110, où est aussi mentionné le butticularius. Ce traité, composé par Hincmar de Reims en 882, repose concernant le rôle de la reine sur un libellus d’Adalard de Corbie (mort en 826)111, qui décrivait sans doute
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lorsqu’il pense qu’il s’agit d’une des « formule merovingiche », car cette collection n’a pu être constituée avant 774. Sur cette collection, voir Rio, Legal, p. 55 et p. 126-132. Sur la difficile datation des formules, ibid., p. 167-182 et Barbier, Archives, p. 201-247. Nelson, « Early Medieval Rites ». Une traduction plus juste, au regard de l’action décrite par cet officier dans le capitulaire, est probablement ici celle de régisseur du domaine, comme la propose le dictionnaire de Niermeyer (« judex », Mediae Latinitatis Lexicon Minus, consulté en ligne le 20 juillet 2018). J. Nelson, dans l’article cité à la note précédente, indique bien « iudex », mais le terme est malencontreusement devenu « index » lors de la mise en ligne de l’article (http://books.ope nedition.org/irhis/1614, consulté le 20 juillet 2018). Capitulare de villis, c. 16 : Volumus ut quicquid nos aut regina unicuique iudici ordinaverimus aut ministeriales nostri, sinescalcus et butticularius, de verbo nostro aut reginae ipsis iudicibus ordinaverit, ad eundem placitum sicut eis institutum fuerit impletum habeant ; et quicumque per neglegentiam dimiserit, a potu se abstineat postquam ei nuntiatum fuerit, usque dum in praesentia nostra aut reginae veniat et a nobis licentiam quaerat absolvendi (Boretius no 32, p. 84). Brühl, Capitulare. Capitulare de villis, c. 44 et c. 47. Mordek, Bibliotheca, p. 947 et 1083. Landau, « Das Capitulare » considère que le rôle donné à la reine indiquerait une origine en 795, mais à la cour de Louis le Pieux. Mordek no 10, dans Id., Bibliotheca, p. 240-241 et 978-979. Hincmar de Reims, De ordine palatii, Gross et Schieffer éd. Sur la reine, comme ordinatrice de l’honestas palatii, l. 360-372. Le butticularius est mentionné aux l. 277, 373 et 382. Depreux, Prosopographie, p. 76-79.
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un fonctionnement de cour à l’époque de son cousin Charlemagne112. Plus qu’à un texte précis, je pense que la parodie fait allusion à cette nouvelle ambition de présenter la reine comme l’égale du roi dans ses jugements113 et de régenter l’intérieur des maisonnées à travers des ajouts écrits à la loi salique. Agambertus nous livre ici l’ampleur de sa maitrise, en passant d’un registre à un autre, en faisant sombrer les ambitions législatrices des Carolingiens dans le ridicule du quotidien et le prosaïsme de la consommation d’alcool. Il manifeste encore son indépendance, dans le manuscrit, en copiant ensuite une version originale du Bréviaire d’Alaric114, puis un colophon qui livre son nom. Nous ignorons dans quel contexte put émerger une telle critique, mais il semble bien que ce sont ici les ajouts à la lex salica qui sont ridiculisés, et à travers eux le nouveau pouvoir des Pippinides. Le copiste a noté l’absence d’attention à la tradition manuscrite des capitulaires, et il s’engouffre dans cet espace de liberté pour refuser, en caricaturant sa législation, la légitimité de la nouvelle dynastie. De telles critiques furent elles lues ? Diffusées ? Aucun des textes du manus crit de Wolfenbüttel ne semble avoir servi de modèle pour un autre manuscrit. Cet isolement philologique peut refléter l’impasse politique du positionnement d’Agambertus, à mesure que la nouvelle dynastie cumulait succès militaires et idéologiques. La correspondance des évêques Frodebert et Importun
La parodie de la Loi Salique ne semble pas avoir de point de comparaison directe : l’usage du vernaculaire et la reprise parodique de formules juridiques ne structurent pas d’autres textes transmis jusqu’à nous. Néanmoins, l’humour des temps mérovingiens (et notre difficulté à l’évaluer) apparaît dans une correspon dance elle aussi transmise avec des formules juridiques : les lettres de Frodebert et Importun copiées dans le manuscrit D 8 de la loi salique (Paris, BnF, latin 4627). Tout comme le manuscrit A 2, le contenu de ce manuscrit paraît on ne peut plus sérieux et fut utilisé pour la pratique du droit écrit et l’exercice de la justice. Pour autant, à l’intérieur de la première série des Formules de Sens sont glissées cinq épîtres rimées et rythmées étonnantes (f. 27v-f. 29v), témoignage d’un humour dont les règles nous échappent. Comme l’a rappelé D. Shantzer, nous n’identifions, pour la période mérovingienne, pas plus les auteurs que leur public et le niveau de compétence lettrée des uns et des autres115, ce qui rend quasiment impossible l’évaluation des niveaux d’interprétation et d’ironie.
112 Voir l’introduction à leur édition par Gross et Schieffer, p. 11 et suivantes. Nelson, « Early Medieval Rites », note 15 considère que cette section du traité doit correspondre aussi bien aux années 820 qu’aux années 870. 113 Nelson, « Les reines ». 114 Coma Fort, Codex Theodosianus, 2014, p. 302-304. 115 Shanzer, « The Tale », p. 376 et suivantes.
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Ces cinq lettres paraissaient bien appartenir à l’ensemble initial recopié car la numérotation utilisée pour les formules est reprise pour les trois premières d’entre elles (LI à LIII). Elles doivent avoir été intégrées aux formules juridiques comme des modèles de lettres116. Les noms des correspondants, Frodebert et Importun, peuvent être rapprochés de deux évêques : Chrodebert, évêque de de Tours de 663 à 682, et Importun, évêque de Paris entre 664 et 666117. Bien que quelques écrits soient associés à Frodebert, dont trois autres lettres118, l’intérêt des lecteurs et leur identification de ces deux évêques ne semblent pas pouvoir être étendus au-delà du troisième quart du viie siècle119. Ainsi, qu’il s’agisse bien de lettres qu’ils ont échangées, ou de parodies de leur correspondance, elles ne semblent pas pouvoir avoir été composées plus d’une dizaine d’années après leur mort. L’insertion de lettres dans un ensemble de formules juridiques se retrouve dans les formules dites de Merkel, transmises dans un unique manuscrit de la fin du ixe siècle120. L’ensemble fut constitué à partir des formulaires de Marculf et de Tours121. Le manuscrit ne comporte pas de liste des titres des formules, ni de numérotation, mais les lettres qui constituent les formules 46 à 66 sont copiées à la suite des formules précédentes, sans aucune rupture dans la présentation du manuscrit. A. Jeannin suppose que ces lettres ont été rassemblées vers 800 et que l’ensemble ainsi constitué fut ajouté à la collection de formules juridiques après 858122. Cette précision des étapes de constitution de l’ensemble semble exagérée, et la cohérence finale de l’ensemble aux yeux du copiste est démontrée par sa mise en page. Pour lui, ces modèles de lettres complètent le recueil d’actes déper sonnalisés, dans une perspective qui semble bien être la formation de rédacteurs de courriers officiels et d’actes à valeur juridique. La même logique a présidé, au ixe siècle aussi, à la constitution du manuscrit D 8, Paris, BnF, latin 4627, qui comporte à la fois la loi salique, les Formules de Sens et la correspondance d’Importun et Frodebert. La querelle évoquée dans la correspondance repose sur la livraison par Im portun d’une annone gâtée aux religieuses de Tours. À la plainte ironique de Frodebert, Importun répond en mettant en cause son comportement dissolu et ses relations coupables avec la femme de Grimoald. Les échanges suivants mêlent
116 Rio, Legal practice, p. 51-54. Jeannin, Formules, p. 226 propose un usage judiciaire des lettres qui ne me semble pas convaincant et lui-même, à la note 3, revient plutôt à leur valeur de modèle littéraire. 117 Walstra, Cinq épitres rimées p. 16 et suivantes. Rio, Legal Practice, ne retient pas son hypothèse que Chrodebert aurait été aussi évêque de Paris entre 656 et 662. Hen, « Changing Places », en défend la plausibilité en raison des troubles politiques contemporains. 118 Sur leur diffusion manuscrite, qu’il lie au Formulaire de Marculf, voir Hen, « Changing Places ». 119 Shanzer, « The Tale », p. 378. 120 Vatican, BAV, Reg. lat. 612, f. 1v-f. 35v. Édition par Zeumer, Formulae, p. 241-263. Le manuscrit est postérieur à 858 car des chapitres promulgués à cette date par l’archevêque Herard de Tours y sont copiés. 121 Jeannin, Formules, p. 244-254. Rio, Legal practice, 2009, p. 127-132. Brown, « Lay people ». 122 Jeannin, Formules, 2007, schéma p. 251.
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accusations réciproques, insultes et comparaisons injurieuses. En dépit de leur tri vialité, ces lettres constituent une prouesse littéraire, en raison des rimes internes de la prose et de ses rythmes particuliers. Seuls les sermons rimés de l’Antiquité tardive semblent pouvoir être considérés comme leur lointain modèle123. La qualité et la fréquence des rimes et des rythmes sont variables entre les deux correspondants et leur étude a permis à Walstra d’établir que Frodebert « est plus habile au maniement des ornements rhétoriques que son adversaire »124. Cette constatation stylistique amène à supposer que le dossier ne peut être que partiellement fictif, car on voit mal un faussaire composer de lui-même l’opposi tion d’adversaires de compétences différentes. Il y eut bien une compétition à tra vers ces épitres rimées et rythmées. Les deux adversaires, qui ont peut-être usurpé les noms de Frodebert et Importun, se sont livrés à une performance littéraire concertée, à travers une « compétition d’insultes rituelles stylisées »125. En ce sens, le dossier serait authentique, dans la mesure où il s’agirait bien de la mise en scène quasiment contemporaine d’un échange épistolaire compétitif entre deux auteurs. En revanche, leurs noms, comme les objets de leur querelle pourraient être des emprunts ou des fictions, faisant allusion à d’autres événements, qui nous échappent. Dans cet échange épistolaire, les adversaires montrent leur maîtrise des diffé rents genres littéraires : ils parodient les formules épistolaires, pour feindre le respect et l’amitié, utilisent leurs connaissances de la Bible, de son commentaire par saint Jérôme126 et des proverbes pour lancer des comparaisons animales insul tantes et des accusations extravagantes. L’humour de la correspondance repose donc sur des codes littéraires partagés par auteur, destinataire et lecteur et la mise en scène de leur transgression. En ce sens, il se rapproche de ce que nous pouvons percevoir dans la Parodie de la Loi Salique, qui se joue des formules juridiques de la loi salique comme des capitulaires. La familiarité nécessaire entre l’auteur de la parodie et ceux capables de l’apprécier impose une grande proximité, manifeste pour la correspondance injurieuse comme pour la parodie par l’existence d’une copie manuscrite unique et isolée. Les lecteurs visés par ces deux manuscrits, ou leurs modèles, étaient des érudits, praticiens du droit et amateurs de jeux littéraires qui nous sont devenus hermétiques. Dans les deux cas, la distance prise par rapport au contenu apparaît en em ployant à l’écrit des termes issus du langage parlé. Dans la Parodie de la loi salique, les tournures romanes entrent en collision avec un langage juridique boursouflé et obsolète à la fin du viiie siècle. Dans la correspondance de Frodebert et Importun, les termes d’origine germanique viennent remplacer ceux issus du latin biblique, ce qui fait dire à M. Banniard que les évêques ont écrit « un texte
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Shanzer, « The Tale », p. 392. Walstra, Cinq épitres, p. 56. Shanzer, « The Tale », p. 393 : « to engage in stylised ritual competitive abuse ». Ibid., p. 388-390.
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à la fois littéraire et vulgaire »127 et que la correspondance « est bâtie autour d’un choix de morphèmes qui sont tous passés dans les langues romanes »128. Pourtant, D. Shanzer refuse l’idée d’une composition exclusivement destinée à un public populaire, en raison de la reprise de sources exégétiques129. Elle préfère mettre en avant le jugement de P. Meyer, pour lequel les auteurs utilisent un « jargon mixte »130, mêlant vocabulaire de la langue parlée et tournures latines. Cette rencontre de registres très distants à l’écrit (car ils ont pu être prononcés de la même manière), sous une forme aussi exigeante qu’élaborée, participait au comique des textes. La comparaison avec la correspondance de Frodebert et Importun montre que la Parodie de la loi salique était l’héritière d’une tradition littéraire restreinte, associée à la copie et à la diffusion des manuscrits juridiques, où les codes stylis tiques de l’écrit, de plus en plus éloignés de l’oralité, étaient confrontés de façon comique à des éléments qui en étaient issus. Un siècle s’est probablement écoulé entre la composition du dossier de la correspondance d’Importun et Frodebert et la copie du manuscrit A 2, mais elles eurent lieu dans les mêmes milieux restreints où pouvait circuler ce type de parodies de genres littéraires spécifiques, articles juridiques ou lettres d’évêques. Il est probable que ces plaisanteries y paraissaient risquées. En effet, D. Shanzer évoque de façon optimiste des ecclésiastiques qui s’amusent en composant une « correspondance parodique et consensuelle où chacun improvise et rivalise avec l’autre dans une série de rythmes en spirales. Il s’agirait alors de jeux d’esprit littéraires et consensuels »131. Mais dans la fête des fous du viie siècle qu’elle imagine, les blagues, imitations et parodies pourraient accompagner un bain de sang132… En effet, les troubles qui suivirent la mort des fils de Dagobert, Sigebert III, mort en 656, et Clovis II, mort en 657, sont marqués par des séries d’assassinat. Le maire du palais Grimoald disparut peu avant le roi Childebert l’Adopté, en 662. La femme de Grimoald évoquée par la correspondance risquait le pire, tout comme sa fille Wulftrude, persécutée par « haine de son père »133 dans le monastère de Nivelles. Quant aux évêques, leur assassinat était courant : neuf d’entre eux pouvaient être reprochés à la reine Bathilde134 ; l’archevêque de Lyon Aunemond fut assassiné vers 660. À Paris, Banniard, Viva Voce, p. 292-295 et la citation p. 294. Ibid. p. 293. Shanzer, « The Tale », p. 393. Meyer, « Revue », p. 346. Shanzer, « The Tale », p. 395 : « as a parodic and consensual correspondence in which each improvises on and caps the other in a series of spiralling cadenzas. They would thus be consensual literary jeux d’esprit ». 132 Exemple célèbre : Le Roy Ladurie, Le Carnaval. 133 Vie de Gertude, 6, Krusch éd., p. 460 : ex odio paterno. Le Jan, « Convents », p. 247 à 249 et p. 256. 134 Etienne de Ripon, Vie de Wilfrid 6. Colgrave éd. et trad., p. 15 Voir la discussion dans Wood, The Merovingian kingdoms, p. 222-224. 127 128 129 130 131
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l’évêque Sigebrand qui avait été choisi par la reine fut assassiné vers 665135, tout comme Léger d’Autun en 679136. Nous ignorons ce qu’il advint d’Importun : il signa une charte pour l’abbaye de Notre-Dame de Soissons, mais l’original est perdu et les copies fournissent des dates contradictoires137. Il fut ensuite remplacé par Agilbert, attesté comme évêque de Paris au plus tard en 668138. Or comme Agilbert avait, entre autres prestigieuses relations, comme parent et allié Dadon, devenu évêque de Rouen, avec lequel Frodebert échangeait une correspondance amicale et spirituelle139, on peut supposer qu’Importun eut avec lui comme suc cesseur immédiat un homme choisi parmi les amis de Frodebert. Nous ignorons si la fin d’Importun fut violente, mais nous avons ainsi une indication qu’il ne maîtrisa pas sa succession sur le siège de Paris. Le jeu littéraire, la parodie savante et la collision ironique des niveaux de langue accompagnaient ainsi dans la seconde moitié du viie siècle des opposi tions politiques où les évêques eux-mêmes risquaient leur vie. Associant des personnages parmi les grands du royaume à la fornication et aux excréments à travers la reprise d’explications bibliques et de termes grossiers, la lecture de la correspondance de Frodebert et Importun s’effectuait sans doute dans la peur des autorités défiées, tout comme celle de la Parodie de la loi salique qui présentait de façon ridicule la législation carolingienne en la liant au pouvoir des femmes, au langage parlé et à la consommation d’alcool. Pour les connaisseurs de ces échanges, qu’ils aient assisté à des lectures140 ou se soient contentés de les découvrir dans un manuscrit, le plaisir de la dérision était sans doute mêlé à la crainte des représailles. Une partie de l’effet comique était probablement perdue avec la victoire d’un clan et l’élimination de ses adversaires. Dans le cas de la correspondance de Frodebert et Importun, c’est l’affirmation du pouvoir du maire du palais d’Austrasie, Pépin II, à partir de 679, qui dut rendre caduque la plaisanterie, sauf à la considérer, comme dans le manuscrit, comme un modèle d’écriture polémique. De même, nous pouvons supposer que la Parodie de la Loi salique perdit sa force comique lorsque la lignée des maires du palais, transformée en dynastie royale, parut détenir sans rivale possible l’autorité législatrice, ce qui fut sans doute le cas sous Charlemagne141.
Vie de Bathilde, 10, Krusch éd., p. 495. Voir Mériaux, « La compétition ». Dumézil dir., Le dossier. Dubois, « Les évêques », p. 63. Bède, Histoire ecclésiastique du peuple anglais III, 28, 1 et IV, 1, 4 indique qu’Agilbert aurait été évêque de Paris dès 664. Hammer « “Holy Entrepreneur” » argumente pour une anticipation de près de quatre ans par Bède. 139 Vie de saint Eloi, Krusch éd., p. 741 et Hen, « Changing Places », p. 27-28. 140 Je suis D. Shanzer qui ne retient pas l’hypothèse de G. J. J. Walstra pour un envoi d’une lettre au roi. 141 Sur les oppositions à Charlemagne, et ses réponses, voir Davis, Charlemagne’s pratice, p. 128-166. 135 136 137 138
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Ajouts et reprises des lois barbares Les ajouts à la loi ripuaire (Boretius no 41) : une nouvelle attention à la lettre
L’attention aux textes eux-mêmes apparaît nettement plus développée dans une deuxième catégorie de capitulaires d’ajouts aux lois qui montrent un rapport plus proche aux textes qu’ils souhaitent modifier. Le plus diffusé est le Capitulare legi Ribuariae additum qui apparait dans quatorze manuscrits142, ainsi que dans la collection d’Anségise. Il apparait neuf fois dans sa version complète143 et l’édition de Boretius comporte de très nombreuses erreurs, ce qui m’a obligée à repartir des manuscrits. L’édition est particulièrement fautive en ce qui concerne le manuscrit 1, Paris, BnF latin 4629144, ce qui a empêché Boretius de voir que les manuscrits 1 et 2 de son édition proposaient une interversion des chapitres 4 et 3. La datation est aussi, à mon avis, à revoir. En effet, la phrase Hoc fuit datum ad Aquis in tercio anno imperii domni Karoli Augusti, quando synodus ibi magna fuit est copiée seulement dans deux manus crits : Paris, BnF, latin 9654, f. 13 et Vatican, BAV, Pal. Lat. 582, f. 16. Or dans les deux cas, la phrase est intercalée entre ce capitulaire et le Capitulare missorum de 803 (Boretius no 40), de telle sorte qu’elle peut parfaitement servir pour l’un ou pour l’autre. Néanmoins, l’introduction d’un autre manuscrit du Vatican145 évoque Charlemagne empereur, et ce capitulaire se trouve dans la collection de Gerbald de Liège établie autour de mars 806146. Ce capitulaire peut donc être daté entre 801 et 806. En rupture avec la tradition d’ajouts à une loi indéfinie, ce capitulaire propose un rapport direct avec le texte de la Lex Ribuaria, à travers la numérotation des chapitres, qui correspond non pas à la succession des chapitres du capitulaire, mais aux chapitres de la Lex Ribuaria complétés. Par ailleurs, certains passages montrent une grande proximité avec le texte de cette loi. Dans ce capitulaire 41, c. 6 apparait le terme de Sunnis, qui n’est repris ni dans d’autres capitulaires de Charlemagne ni de Louis le Pieux147. Ce terme est présent dans la Loi salique, où il apparait dès le premier paragraphe148, qui est le modèle de la Lex Ribuaria, 36, 1.
142 Mordek, Bibliotheca, p. 1085. 143 Mais pas toujours après le Capitulare missorum, contrairement à ce que dit Boretius, Capitula ria I, p. 117. Contrexemple : Vatican, BAV, Pal. Lat. 773. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 799-801. 144 Voir la note q de Boretius, Capitularia I, p. 118 : et si schedas nostras recte intellego, qui montre un problème formel sur ses notes sur le manuscrit de Paris. 145 Vatican, BAV, pal. lat. 773. 146 Berlin, SBPK, lat. f. 626, f. 27ra-rb, où se trouve le Capitulare legi Ribuariae additum. Eckhardt, Die Kapitulariensammlung, p. 21 et 67. Mordek, Bibliotheca, p. 39. 147 De Sousa Costa, Studien, p. 151-155. 148 Pactus legis salicae, 1, 1, Eckhardt éd., Pactus, 1962, p. 18.
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
On le retrouve aussi dans le Pacte de Childebert et Clotaire149, l’édit de Chilpéric150 et les formulaires151. Un emprunt concret à la Loi Ripuaire est donc ici possible, à travers ce terme assez rare. De même, le terme de sonesti, ou sonista, qui désigne un ensemble d’animaux, est présent dans la loi salique, dans les manuscrits A1 et A 2, dans des gloses malbergiques152, mais aussi dans le chapitre 18 de la Lex Ribuaria. Ce capitulaire semble donc avoir été conçu comme le complément du texte de la Lex Ribuaria, mais cet usage des deux textes en complément l’un de l’autre n’est possible que pour quatre manuscrits sur les neuf qui le reprennent en intégralité153. En effet, cinq manuscrits ne comportent que le texte du capitulaire et non la Lex Ribuaria154 : Berlin, SBPK, Lat. f. 626155 et Phill. 1736156, Ivrea, Biblioteca Capitolare XXXIV157, München, BSB, Clm 19416158 et Vatican, BAV, Pal. lat. 582159. Pour l’étude, le manuscrit d’Ivrea, Biblioteca Capitolare XXXIII160 comporte une version de la Lex Ribuaria trop endommagée pour permettre une étude des correspondances des chapitres. Dans les trois manuscrits restants, qui présentent à la fois le texte du capitulaire et celui de la Lex Ribuaria, l’utilité de ces renvois aux chapitres parait bien faible. Le manuscrit de Paris, BnF latin 9654161 qui date du xe ou xie siècle contient un texte de la Lex Ribuaria qui aligne les diffé rents chapitres sans aucune liste initiale ni numérotation. Les renvois n’y peuvent servir. Les deux manuscrits restants, de la première moitié du ixe siècle, Paris, BnF, latin 4629162, et Vatican, BAV, Pal. lat. 773163 témoignent de la fluctuation du texte de la loi ripuaire. Dans le premier manuscrit, le titre ne permet pas de comprendre qu’il faut aller voir le texte de la Lex Ribuaria et seuls trois renvois sont justes (voir tableau 5.3). 149 Boretius no 3, § 5, p. 5. 150 Boretius no 4, § 8, p. 9. 151 Formules d’Angers no 12, p. 9, Formulaire de Marculf no 37, p. 67, Formules de Sens no 10, p. 189, Formules de Tours no 33, p. 155 et Additamenta no 6, p. 161, Zeumer éd. 152 Pactus legis salicae, 2, 18, p. 26-27 et 3, 12, Eckhardt éd., Pactus, 1962, p. 32. 153 Ivrea, Biblioteca Capitolare XXXIII ; Paris, BnF, latin 4629 et 9654 ; Vatican, BAV, Pal. lat. 773. 154 Comme le montre l’amplitude des datations données ci-dessous, il n’y a pas de logique chronologique discernable dans le fait de copier, ou non, le Capitulaire d’ajouts à la Loi Ripuaire et la Loi Ripuaire. 155 Copié dans la première moitié du xiie siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 34-43. 156 Copié dans la deuxième moitié du xe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 47-50. 157 Copié vers 830, voir Mordek, Bibliotheca, p. 178-185. 158 Copié vers la fin du ixe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 357-364. 159 Copié dans la première moitié du xe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 780-797. 160 Copié entre le milieu et la deuxième moitié du ixe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 173-177. Merci à Karl Ubl grâce à qui j’ai pu consulter les photographies du manuscrit en noir et blanc. 161 Copié aux xe-xie siècles et conservé à Saint-Vincent, à Metz, voir Mordek, Bibliotheca, p. 562-576. 162 Copié au début du ixe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 502-507. 163 Copié dans la première moitié du ixe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 799-801.
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chapiTre 5 Tableau 5.3 : Les renvois entre les textes du capitulaire et de la loi ripuaire dans le manuscrit 1. Les chiffres surlignés font ressortir les rares concordances.
Manuscrit 1 : Paris, BnF, latin 4629 titre f. 22v : Item alios capitulos Chiffres de renvoi du capitulaire dans le manuscrit
Paragraphes dans l’édition de Boretius
Chiffres dans l’édition par Beyerle et Buchner de la Lex Ribuaria (manuscrit A 3)
Chiffres dans la liste des chapitres de la Lex Ribuaria du manuscrit
Chiffres dans la Lex Ribuaria du manuscrit
I
§ 1
1
I
I
X
§ 2
9
VIIII
VIIII
XVIII
§ 4
19
XVIIII
in eodem capitulum
§ 3
19 ?
XVIIII
XXX
note q
32
XXVIIII
XXVIII
XXXIIII
§ 6
36 (32)
XXXIII
XXXI
XXXV
§ 7
37
XXXIIII
XXXII
XLVIII
§ 8
50
XLVII
LVII
§ 9
61
§ 10
61
LXVII
§ 11
69
LXVIIII
LXVIIII
XLVIIII
§ 5
LXVIIII LXVII
Même dans le deuxième manuscrit (voir tableau 5.4), où le capitulaire est placé juste après la Lex Ribuaria, seuls trois renvois sur douze fonctionnent ! Nous sommes ici confrontés à un échec patent. Une tentative pour compléter le texte des lois précédentes, et non plus seulement leur législation générale, se heurte à la mutabilité du texte de la Lex Ribuaria, dont l’ordre et le contenu varient même au sein d’un même manuscrit, entre la liste des titres et les différents chapitres164. Dès la première moitié du ixe siècle, les références aux chapitres de la loi n’ont plus aucune utilité ni efficacité. Malgré sa tentative d’écrire des renvois formels, ce capi tulaire ne réussit pas à créer un fonctionnement écrit autonome.
164 Voir l’édition de F. Beyerle et R. Buchner, p. 52-72.
Écrire des ajouTs aux lois (744-819) Tableau 5.4 : Les renvois entre les textes du capitulaire et de la loi ripuaire dans le manuscrit 3
Manuscrit 3 : Vatican, BAV, Pal. lat. 773 titre f. 48v : Incipit noua legis constitutio Karoli imperatoris qua in lege ribuaria mittenda est. Chiffres de renvoi du manuscrit
Paragraphes dans l’édition de Boretius
Chiffres dans l’édition de Beyerle et Buchner de la Lex Ribuaria (manuscrit A 10)
Chiffres dans la liste des chapitres de la Lex Ribuaria du manuscrit
Chiffres dans la Lex Ribuaria du manuscrit
I
§ 1
1
I
I
X
§ 2
9
VIIII
VIIII
XII
§ 3
19
XVIIII
XVIIII
§ 4 XVIII
§ 5
19
XVIIII
XVIIII
XXXIII
§ 6
36 (32)
XXXV
XXXV
XXXV
§ 7
37
XXXVI
XXXV
LXVIII
§ 8
50
L
L
LVIII
§ 9
61
LXII
LX
LXIIII
§ 10
61
LXII
LX
LXVIII
§ 11
69
LXX
LXVIII
LXXII
§ 12
75
LXXVI
LXXIIII
Une autre tentative de citation précise des lois précédentes semble remonter à la même période, mais son existence reste hypothétique, car il faut la reconstituer à partir des manuscrits. Le capitulaire d’Aix (Boretius no 77)
Sous le titre de Capitulare Aquisgranense, no 77, A. Boretius a édité un capitu laire, conservé dans onze manuscrits165, face auquel il ne cache pas sa perplexité. Le premier paragraphe semble indiquer des emprunts à des lois précises :
165 Mordek, Bibliotheca, p. 1089.
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chapiTre 5
Charles empereur auguste sérénissime, couronné par Dieu, grand et pacifique, a établi ces chapitres au palais d’Aix, avec les évêques, abbés, comtes, ducs et tous les fidèle de l’Église chrétienne, avec leur accord et conseil, à partir de la loi salique, romaine et gombette, afin que chaque fidèle fasse ainsi les jugements : et lui-même, il confirma ces chapitres de sa propre main, afin que tous les fidèles s’appliquent à les valider de leur main166. Or aucun des chapitres suivants, qui régissent principalement les devoirs des évêques et des comtes, ne parait en lien avec la loi salique, romaine ou burgonde. L’emplacement de ce capitulaire est aussi problématique, car il est copié au milieu des capitulaires attribués à Louis le Pieux. H. Mordek suppose donc qu’il s’agit d’un capitulaire de Charlemagne qui aurait connu une révision par son fils167. Comme l’a souligné S. Patzold168, une grande partie des manuscrits repro duisent ce capitulaire au sein d’une collection issue de Reims, et seuls les ma nuscrits Paris, BnF, latin 9654 et Vatican, BAV, Pal. Lat. 582, qui apparaissent tous deux dépendants des archives de Reims, reprennent cette présentation offi cielle169. Or dans les deux cas apparaissent, avant ce capitulaire, le titre 79 de la Lex Burgundionum, ainsi qu’un passage de l’Epitome Aegidii170, un résumé du Bréviaire d’Alaric171 que Boretius a édité sous le titre Capitula de praescriptione temporis, no 195172. On peut donc proposer de voir dans la présentation officielle non pas l’introduction du capitulaire 77, mais la conclusion du capitulaire 195, qui n’est présenté intégralement que dans ces deux manuscrits. L’hypothèse de S. Pat zold repose sur l’idée qu’il existait un modèle commun, à Reims, à l’ensemble de la tradition manuscrite, où se trouvait la collection d’Anségise et ses compléments de Worms, et où étaient présentés d’affilée le De praescriptione temporis et le Capitulare Aquisgranense. La partition entre les deux aurait été faite de façon erronée. Sur le plan de la tradition manuscrite, c’est fragile : même si Hubert Mordek a pu montrer les liens entre tous ces manuscrits, nous n’avons pas le modèle de départ. Mais sur le plan du contenu du texte, cela rendrait enfin compréhensible le passage précé dant le Capitulare Aquigranense, comme reconnaissance officielle de la reprise de chapitres de la loi romaine et de la loi burgonde sur la prescription trentenaire,
166 Capitulare Aquisgranense : Karolus a serenissimus imperator augustus, a Deo coronatus, magnus et pacificus, cum episcopis, abbatibus, comitibus, ducibus omnibusque fidelibus christianae ecclesiae cum consensu consilioque constituit ex lege Salica, Romana atque Gombata capitula ista in palatio Aquis, ut unusquisque fidelis iustitias ita faceret : qui et ipse manu propria firmavit capitula ista, ut omnes fideles manu roborare studuissent (Boretius no 77, p. 170). 167 Mordek, Bibliotheca, p. 14. 168 Patzold, « Das sogenannte Capitulare ». 169 Mordek, Bibliotheca, p. 709. 170 Epitome Aegidii, Cod. Theod. V, 10. 171 Sur ce texte, voir J. M. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 305-323. 172 Capitula de praescriptione temporis, Boretius no 195.
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
cités in extenso dans un capitulaire de Charlemagne, un élément particulièrement débattu en 829173. Si l’on suit cette hypothèse, nous aurions donc ici de nouveau l’ambition d’une citation textuelle précise, pour des ajouts aux lois, qui se heurteraient à l’anarchie de la conservation et de la copie des capitulaires originaux. Les textes furent conservés, mais sans l’indication de leur provenance et de leur proclamation. Nous avons donc ici de nouveau des traces du travail de certains rédacteurs de capitulaires, qui cherchaient à établir des citations textuelles précises, à travers des chapitres conçus comme la reprise, ou le complément précis de lois antérieures. Néanmoins, la tradition manuscrite a très vite rendu leurs renvois inutilisables et flous. Les attitudes n’étaient cependant pas univoques, comme le montrent les différents capitulaires rédigés lors du règne impérial de Charlemagne.
Une nouvelle préoccupation : le copiste La copie des capitulaires
Une préoccupation nouvelle de la tradition manuscrite des capitulaires se développe au cours du ixe siècle. Vers 806, des fidèles en Italie auraient déclaré ne pas être liés aux chapitres ajoutés à la loi salique par Charlemagne en 803 : Nous avons aussi appris, à propos des chapitres dont nous avons ordonné qu’ils soient écrits dans la loi, que certains parmi les nôtres et les vôtres, en divers lieux, ont dit que nous ne leur avions jamais fait connaitre en personne cette décision, et donc refusent de s’y soumettre, d’y consentir ou de la tenir pour loi. Tu sais comment et de quelle manière nous avons discuté avec toi de ces chapitres et donc nous demandons à ton aimable affection que tu les fasses connaitre dans l’ensemble du royaume que Dieu t’a confié et que tu ordonnes qu’on y obéisse et qu’on s’y soumette, à propos des meurtres d’évêques et de prêtres, ainsi que nous l’avons décidé, de même que pour les autres affaires174. Charlemagne ne contredit pas l’argumentation du refus et donne ordre à son fils Pépin roi d’Italie de faire connaitre et appliquer ces ajouts. Apparaît ici pour la première fois le souci de la diffusion des capitulaires, qui s’accompagne d’une
173 Patzold, « Das sogennante Capitulare ». M. Innes, « Charlemagne », p. 201-203 défendait une tout autre interprétation de ce capitulaire, en lien avec les efforts législatifs de 802. 174 Lettre de Charlemagne à son fils Pépin : Audivimus etiam, quod quedam capitula quae in lege scribi iussimus per aliqua loca aliqui ex nostris ac vestris dicunt, quod nos nequaquam illis hanc causam ad notitiam per nosmetipsos condictam habeamus, et ideo nolunt ea oboedire nec consentire neque pro lege tenere. Tu autem nosti, quomodo vel qualiter tecum locuti fuimus de ipsis capitulis, et ideo monemus tuam amabilem dilectionem, ut per universum regnum tibi a Deo commissum ea nota facias et oboedire atque inplere praecipias, de episcopis et sacerdotibus occisis, sicut statutum habuimus, et de reliquis quibuslibet causis (Boretius no 103, p. 212).
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chapiTre 5
allusion précise au début du capitulaire 39, dont le premier chapitre concerne les meurtres d’ecclésiastiques, de homicidiis clericorum. Mais la référence au capitu laire précédent reste une allusion, sans citation textuelle précise. L’imprécision recouvre toujours la désignation de la loi écrite. Il y a équivalence entre capitula que in lege Salica mittenda sunt175, iussit eas ponere inter alias leges176 et ici in lege scribi iussimus. L’échange entre les deux rois montre donc toujours une fidélité à l’esprit des ajouts aux lois, plutôt qu’à la lettre. La complémentarité entre l’écrit et l’oral apparait bien ici dans l’évocation, écrite, de la discussion entre Charlemagne et son fils, comme dans la demande de faire connaître en personne des décisions écrites177. La question précise des copies manuscrites, et de leur conservation, est soule vée par le capitulaire de 808, qui prévoit qu’il y aura quatre copies du capitulaire : Nous voulons que quatre exemplaires de ce capitulaire soient copiés : que nos missi aient l’un d’entre eux, que les comtes dans les circonscriptions desquels ces choses doivent être faites, en aient un autre, pour que ni missus ni comte n’agisse autrement que suivant ce qui a été ordonné par nous, que les missi qui ont été institués à la tête de notre armée aient le troisième et que notre chancelier ait le quatrième178. Pourtant cette préoccupation apparait de façon occasionnelle, sans que nous sachions si elle fut appliquée à d’autres capitulaires. En 813, lorsqu’il revient sur l’ensemble des capitulaires publiés durant son règne, ce qui intéresse l’empereur est de connaitre leur application179, non leur diffusion ou leur conservation : Nous ordonnons cela aux hommes qui ont voulu garder la fidélité qu’ils nous ont promise : que chacun qui a voulu recevoir notre grâce observe toujours ces chapitres et les choses similaires. Or, à propos de ces capitulaires et des autres choses que nous avons envoyés pendant de nombreuses années dans notre royaume, nous voulons à présent savoir pleinement par nos envoyés ce qui en a été fait, ou qui s’y soumet, lesquels furent ici prescrits, qui les réprouve et les néglige, afin de savoir ce que nous devons faire de ceux qui pendant de nombreuses années ont négligé les préceptes de Dieu et notre décision180. Capitulare legibus additum p. 112, l. 21 (Boretius no 39). Ibid., p. 113, l. 2-3. Bougard, La justice, p. 29. Capitula missorum de exercitu promovendo, 808, c. 8 : Istius capitularii exemplaria quatuor volumus ut scribantur : et unum habeant missi nostri, alterum comes in cuius ministeriis haec facienda sunt, ut aliter non faciant neque missus noster neque comes nisi sicut a nobis capitulis ordinatum est, tertium habeant missi nostri qui super exercitum nostrum constituendi sunt, quartum habeat cancellarius noster (Boretius no 50, p. 138). 179 Patzold, « Normen », p. 347. 180 Caroli magni capitulare generale (a. 813 ?), édition Mordek no 13, Bibliotheca, p. 994, ch. 40 : Illud autem hominibus pręcipimus, qui fidelitatem nobis promissam custodire voluerint, ista capitula et his similia omnimodis observare, quisquis gratiam nostram habere voluerit ; de istis autem capitulariis 175 176 177 178
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
L’empereur montre aussi le flou qui règne toujours quant à la désignation de sa législation, désignée comme : ista capitula et his similia. L’imprécision des références aux textes législatifs précédents peut avoir plu sieurs origines. L’une des explications avancées réside dans le rapport entre l’écrit et l’oral qu’illustre la lettre de Charlemagne à son fils. Comme l’a fait remarquer Janet Nelson : « les choses écrites manquaient souvent de précision formelle ou restaient incomplètes, justement parce que l’on supposait un complément par les choses dites dont on se rappelait181 ». Le capitulaire, accompagnant une pré sentation par le missus, comme Étienne, et une cérémonie où chacun s’engageait à l’appliquer, n’aurait joué un rôle que lors de sa diffusion et sa réception, son application dépendant ensuite de la mémoire de chacun. Même pour compléter des lois antérieures, ce monde de fonctionnement continuait à être présent sous le règne de Louis le Pieux, comme le montre un capitulaire de 816. Un chapitre y rappelle la loi salique pour son système monétaire et ses amendes de compensation modifiées par Charlemagne182, un autre évoque son premier article, De manire183, mais le premier introduit une ordalie de la Croix qui en est totalement absente184. De même, le capitulaire d’ajouts à la Lex Ribuaria, découvert par Huber Mordek185 n’entretient pas de rapport formel avec cette loi. Le chapitre concerne les condamnés à la pendaison, ce qui permet de reconnaitre un complément au chapitre 82 de la Lex Ribuaria186, mais sur le plan du vocabulaire et des tournures, il n’y a aucune correspondance entre les deux textes187. Dans le cas des ajouts aux lois, une allusion aux textes juridiques antérieurs demandait néanmoins une plus grande précision formelle, comme l’a montré la tentative de donner des références précises au texte de la Lex Ribuaria. Le flou,
181 182
183 184 185 186 187
atque de aliis omnibus, quę a multis annis misimus per regnum nostrum, volumus nunc pleniter per missos nostros scire, quid ex his omnibus factum sit vel quis hęc observet, quę ibi pręcepta sunt, vel quis illa condempnat et neglegat, ut sciamus, quid de his agere debeant, qui tam multis annis dei pręcepta et decretum nostrum contempserunt. J. Nelson : « things written often lacked formal precision or completeness precisely because they assumed the complement of things spoken und remembered », Ead., « Literacy », p. 10. Item capitula legi addita (816), c. 2 (Boretius no 135, p. 269-270) qui correspond au Capitulare legibus additum (803), c. 9 (Boretius no 39, p. 114). Aucun des 5 manuscrits qui rapportent ce texte ne comporte le titre donné par A. Boretius, et l’ensemble est seulement introduit comme des chapitres à ajouter. Item capitula legi addita, 816, c. 3, qui reprend les éléments du chapitre 1 De manire qui est commun à toutes les versions de la loi salique. Ibid., c. 1. Sur l’ordalie de la Croix, voir Jacob, La grâce. Mordek, Bibliotheca, p. 1009 et Id., « Unbekannte Texte ». Capitulare legibus seu legi Ribuariae addendum ?, Mordek éd. 18, Bibliotheca, p. 1009 : hominis suspendio mortui. Lex Ribuaria 82 : Si quis… pendutus fuerit vel in quacumque libet patibulum vitam finierit. En conséquence, il me semble qu’il faut davantage les considérer comme des ajouts à la Loi Ripuaire que comme un commentaire de celle-ci. Contra : Mordek, « Unbekannte Texte », p. 457.
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chapiTre 5
dans ce cas, semble refléter un échec face au défi technique que représentent les vérifications nécessaires, à chaque étape, pour conserver un système de numéra tion des chapitres cohérents. Dans ce cas, la remarque de S. Patzold me semble tout à fait justifiée suivant laquelle : Les hommes qui ont fabriqué, copié et diffusé les listes des chapitres n’étaient pas encore en mesure de mettre en œuvre de façon parfaitement efficace la technique de l’écrit188. Le capitulaire d’ajouts à la loi salique (Boretius no 142)
Si des ajouts à la Lex Ribuaria ne pouvaient que rester imprécis, de même que des allusions aux lois romaines et burgondes, la Lex Salica Karolina de 803 proposait pour la loi salique un texte compréhensible, sur 70 ou 71 chapitres, dont la liste et la numération furent diffusés en ne connaissant que des variations mineures189, notamment sur les derniers chapitres190. Ce succès dans la transmis sion contrôlée d’un texte long et complexe, suppose un savoir-faire dont nous avons aussi une démonstration à travers le supposé capitulaire de 819 qui propose des ajouts à cette Lex Salica figée. En effet, dans le texte édité par A. Boretius sous le numéro 142, Capitula legi salicae addita, on trouve un système de citation élaboré de la loi salique, qui comprend à la fois des citations précises des passages concernés et un système de renvois aux numéros des chapitres191. Comme le montre le tableau 5.5, la version Karolina de la loi salique est stable pour les chapitres concernés. Les numéros et l’ordre des chapitres ne changent pas. Le mémorandum de 819 paraît plus fluctuant, dans ses quatre manuscrits carolingiens192, mais le système de renvoi numérique fonctionne plus de la moitié des fois et les citations précises permettaient d’y suppléer. L’usage d’un titre précis et rare, de afatomie193, pouvait aussi remplacer le chiffre du chapitre. Cette indéniable réussite technique dans l’élaboration de citations du texte législatif antérieur doit pour autant être relativisée au vu de la portée très réduite du texte. Le groupe de manuscrits de Reims194 parait ici porteur d’erreurs, mais
188 Patzold, « Normen », p. 348 : « Diejenigen Menschen, welche die Listen von Kapiteln schufen, kopierten und verbreiteten, waren noch nicht in der Lage, die Technik des Schreibens ganz und gar zielführend einzusetzen ». 189 Ubl, Sinnstiftungen, p. 165-180. 190 Voir infra. 191 Capitula legi salicae addita, Boretius no 142, p. 292-293. 192 Le 5e manuscrit, Paris, BnF latin 4631, f. 4va-22rb et 22rb-25va a été copié au xve siècle à partir du manuscrit 2. Il reproduit la même liste de chapitres, puis ne comporte plus de numérotation. Mordek, Bibliotheca, p. 507-516. 193 De Sousa Costa, Studien, p. 162-164. 194 Mordek, Bibliotheca, p. 709 et Patzold, « Das sogennante Capitulare ». Faulkner, Law, p. 127-133.
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
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Tableau 5.5 : Les renvois du capitulaire 142 (les concordances sont souslignées).
Paragra‐ phes de l’édition de Boretius
Édition de la Lex salica Karolina par Eckhardt
Liste des titres de la Lex Salica des mss 1, 2, 3
Lex Salica des mss 1, 2, 3
Capitu‐ laire 142 dans les mss 1 et 2
Capitu‐ laire 142 dans le ms. 3
Capitu‐ laire 142 dans le ms. 4
1
1
I
I
I
I
2
11,3
XI
XI
XII
XI
3
14,11
XIIII
XIIII
XIIII
XIIII
XIIII
4
14,12
XIIII
XIIII
Item de eodem capitulo (ms. 2 : III de eodem capitula)
Item de eodem capitulo
De eodem capitulo
5
26,9
XXVI
XXVI
XXXVI
XXVI
XXXVI
7
37,8
XXXVII
XXXVII
XXXVI
XXXVII
XXXVI
8
46
XLVI
XLVI
XLVI
XLVI
XLVI
9
47
XLVII
XLVII
XLVII
XLVII
XLVII
10
48
XLVIII De affatomie
XLVIII De affatomiae
De affatomie
XLVIII De afatomie
De afatomie
XII
ms. 1 : Paris, Bnf, latin 10758 (K 33), p. 85-136 et 275-277. Manuscrit copié à Reims, dans le 3e quart du ixe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 587-604. ms. 2 : Paris, BnF, latin 4628A (K 35), f. 9va-30ra et 155rb-156vb. Manuscrit copié aux xe-xie siècles, voir Mordek, Bibliotheca, p. 488-500. ms. 3 : Paris, BnF, latin 4632 (K 39), f. 7r-29v et 37r-38v. Manuscrit copié dans la deuxième moitié du ixe siècle, voir Mordek, Bibliotheca, p. 516-518. ms. 4 : Sélestat, bibliothèque humaniste 14, f. 94v-96v. Manuscrit copié dans les deuxième et dernier tiers du ixe siècle., voir Mordek, Bibliotheca, p. 708-713 et Id., « Weltliches Recht ». Voir la description et les transcriptions du manuscrit sur https://capitularia.uni-koeln.de/mss/selestat-bh-14/ (consulté le 20 mars 2018).
reflète une même branche de la tradition manuscrite, tandis que la remarque sur prenante, à la fin du chapitre 7 ad interrogationem domni imperatoris reservare volue runt n’apparait que dans le manuscrit 3, unique représentant d’une autre
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transmission195. Il parait possible d’y lire la rédaction initiale de ce texte, d’un for mat moins officiel que la tradition du groupe de Reims, où ce capitulaire com porte un titre et une invocation, contrairement au manuscrit 3196. Or K. Ubl a souligné l’importance du témoignage du manuscrit 3 (K 39), indépendant des travaux d’Hincmar de Reims, qui indique que ce document a été produit en absence d’un représentant de l’autorité impériale197. Il n’avait peut-être pas vocation à une promulgation, et c’est Hincmar qui l’aurait transformé en ce sens. Son argumentation incite à renoncer à voir dans cette liste d’ajouts à la loi salique celui désigné par ce capitulaire de 820 : De façon générale, nous rappelons à tous que les chapitres que nous avons conseillé, l’année dernière, d’ajouter à la loi salique, ne doivent plus désormais être désignés comme des chapitres, mais comme la loi, et qu’ils doivent même être retenus à la place de la loi198. Ici seraient plutôt désignés les Capitula legibus addenda de 818/819, dont la tradition manuscrite comprend 33 manuscrits, ainsi que la collection d’Ansé gise199. La démonstration de K. Ubl peut s’appuyer sur le manuscrit K 27, Paris, BnF, NAL 204, probablement copié dans le deuxième du ixe siècle, à Tours200, où en complément direct de la loi salique dans sa version caroline, l’introduction semble reprendre une partie du capitulaire précédent : Ici commencent les chapitres que notre seigneur l’empereur sérénissime Louis, la cinquième année de son empire, a promulgué dans le palais d’Aix, avec l’assemblée de tout le peuple que Dieu lui a confié, à savoir avec les vénérables évêques, les abbés, les comtes et le reste du peuple, et qu’il a ordonné d’ajouter à ceux de la loi salique et de retenir fermement à tous les ordres supérieurs comme aux rangs inférieurs du peuple de son empire. Alors qu’il avait ensuite un plaid général dans la villa de Thionville, il interdit de les appeler désormais chapitres, mais bien loi, et ordonna avec l’ensemble du conseil des grands qu’ils soient retenus par tous de la manière la plus ferme à la place de la loi201.
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Patzold, « Die Veränderung », p. 90. Dans le même sens, Ubl, « Intentionen », p. 101-102. Ibid., p. 103-105. Capitula de functionibus publicis 5 : Generaliter omnes admonemus, ut capitula que praeterito anno legis Salicae per omnium consensum addenda esse censuimus iam non ulterius capitula sed tantum lex dicantur, immo pro lege teneantur (Boretius no 143, p. 294-295). 199 Mordek, Bibliotheca, p. 1094-1095. 200 Si l’on suit la datation proposée par Mordek, Bibliotheca, p. 621-624. Cette estimation repose sur la proximité avec le manuscrit Paris, BnF, latin 2718, voir Ubl, « Gab », p. 47 et p. 62-63. 201 K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 20v : Incipiunt capitula quae domnus hludowicus serenissimus impe rator imperii sui V.to cum universo coetu populi a Deo sibi commissi, id est cum venerabilibus episcopis et abbatibus atque comitibus vel cum reliquo populo in Aquisgrani palatio promulgavit
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
Mais cette fois, il s’agit d’introduire le capitulaire 139, Capitula legibus ad denda, un capitulaire d’ajouts généraux aux lois. De même, le titre associé au capi tulaire 142, Capitula legis salicae addenda202 sert dans ce manuscrit à introduire des extraits d’un autre capitulaire, Capitula de iustitiis faciendis203. En outre, dans le manuscrit K 39, Paris, BnF, latin 4632, ce même capitulaire 139 est introduit par le titre Hoc est lex salica que legibus addenda sunt204. Ce capitulaire142, appelé Capitula legi salicae addita dans trois manuscrits, ne fut copié que dans quatre manuscrits d’époque carolingienne205 et ne fut pas repris dans la collection d’Anségise. K. Ubl considère qu’il n’existe que deux voies de transmission, à Reims et aux environs de l’abbaye de Marchiennes pour K 39, et que le texte ne reflétait pas une promulgation officielle, mais qu’il s’agissait d’« un simple document de travail interne d’un expert en droit »206. L’appellation comme capitulaire ne serait donc pas adaptée, pour un document produit en dehors de l’autorité du souverain207. Sa faible diffusion montre un manque d’intérêt qui pouvait provenir du carac tère inachevé du contenu, puisque l’une des questions posées dans le capitulaire, renvoyée au jugement de l’empereur, ne comporte pas de réponse208. En outre, dans le manuscrit 3, Paris, BnF, latin 4632 (K 39), nous avons vu plus haut que le texte de la loi salique version K était remplacé pour certains titres, ou certains chapitres, par des éléments tirés de la version C de la loi salique209. La capacité à figer le texte de la loi salique et à lui faire des additions précises est donc contré directement, dans la tradition manuscrite, par l’équivalence des différentes versions de la loi salique aux yeux des copistes, illustrée dans ce manuscrit. La capacité de remplacer de façon précise le texte de la loi salique version K s’est donc perdue dans la tradition manuscrite des différents capitulaires, qui associent ce texte aux ajouts généraux à une « loi salique » qui désignerait encore de façon floue tous les textes juridiques du monde franc. À travers les Capitula legi salicae addita de 819, nous avons pu voir un projet cohérent sur le plan technique, d’ajouts précis au texte législatif antérieur, partiel lement figé sur le plan de la tradition manuscrite, depuis Charlemagne. Mais cette ambition anonyme de 819 se heurta aux confusions toujours entrainées par
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atque legis Salicae addere et universis ordinibus superioris videlicet inferiorisque gradus populi imperii sui firmiter tenere praecepit ipsaque postea, cum in Theodone villa generale conventum habuisset, ulterius capitula appellanda esse prohibuit, sed tamatum lex, dicenda immoque ea firmissime ab omnibus pro lege tenenda cum totius optimatum suorum consilio precepit (Boretius no 139, p. 280). Capitula de iustitiis faciendis (Boretius no 144, p. 295). K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 24. Mordek, Bibliotheca, p. 516-518. Mordek, Bibliotheca, p. 1095. Ubl, « Intentionen », p. 101 : « ein rein internes Beratungsdokument fränkischer Rechtskundi ger ». Si on reprend la définition proposée par exemple par Bougard, La justice, p. 20. Ubl, « Intentionen ». Voir supra, chapitre 2.
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le double sens de lex salica, conçue comme l’ensemble de la tradition juridique franque et comme un texte précis, établi sous le règne de Charlemagne. Une telle ambition de corrections écrites de la loi salique écrite n’est pas totalement isolée, comme le montre la rédaction de la Lex Salica Karolina à partir des versions A, C et E antérieures. Il me semble donc que s’il n’y eut pas de loi salique révisée par Louis le Pieux, la raison principale ne fut pas technique, mais idéologique. L’aspect abouti de la tentative de révision textuelle précise de la loi salique ainsi proposée en 819, appuyée sur des renvois au nombre des chapitres et à leur texte précis, nous montre l’importance croissante que prenait la version écrite de la loi. Je rejoins ici l’interprétation de Janet Nelson pour laquelle « le modèle de la législation était de plus en plus souvent celui de la loi romaine écrite »210. Cette évolution peut être mise en rapport avec de nouvelles pratiques de gouvernement, comme la rétraction de l’espace parcouru par Charlemagne et Louis le Pieux entre 800 et 825211, qui entrainait l’amoindrissement de la complémentarité des instructions orales et écrites212. Cette tentative de fixation du texte de référence de la loi salique et de ses révisions peut être placée dans le contexte plus général d’une réflexion sur les pratiques judiciaires et leurs fondements écrits. La modification écrite de la loi, à travers ses citations textuelles précises, aurait pu permettre d’appliquer le principe de non-contradiction dans une loi écrite révisée au fur et à mesure. Le mémorandum de 819 montre que sous Louis le Pieux aurait pu expérimenter un tel contrôle sur un texte de référence de la loi salique établi sous son père. L’échec d’une telle proposition, perceptible dès les copies manuscrites de la première moitié du ixe siècle, peut être mis sur le compte des troubles politiques qui se déclenchèrent moins de quinze ans après le couronnement impérial. Mais il me semble surtout que l’intérêt d’une telle réussite ait alors paru très limité. Avoir figé un texte de la Lex Salica aurait pu représenter un moyen de contrô ler l’aristocratie dans son exercice de la justice. Mais sous Charlemagne, le recours à des scabini et non plus des rachimbourgs, ne signifia pas un changement de personnel, ni de pratique judiciaires213. C’est au cours du ixe siècle seulement que les experts en droit prirent une place plus importante, sans jamais supprimer la possibilité de négociations214. Contrairement aux versions antérieures, le texte de la Lex Salica Karolina était clair, moins archaïque, et donc moins sujet à des interprétations divergentes. Néanmoins, la Lex salica ne concernait que certains points précis ; d’autres lois, dont la loi romaine, et les capitulaires étaient aussi considérés comme valides. Cette multiplicité des lois, alliée à leurs variations
210 Nelson, « Literacy », p. 13 : « the model of legislation was increasingly that of written Roman law ». 211 Gravel, Distances, p. 51-71. 212 Sur cette complémentarité, Innes, « Charlemagne’s government » et le bilan de McKitterick, Charlemagne, p. 228-233. 213 Bougard, La justice, p. 140-158. 214 Innes, « Charlemagne’s government », p. 82.
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
selon les manuscrits, réduites pour la Lex Salica, mais toujours présentes comme le montre le manuscrit K 39, laissait au juge, bien qu’il soit sommé de juger d’après les lois écrites, une très grande marge de manœuvre. Ainsi, l’injonction du capitulaire de 802 : « Que les juges jugent avec justice en suivant la loi écrite, et non suivant leur propre opinion »215 présentait un changement idéologique notable, en présentant les juges comme appliquant une norme écrite, définie par l’autorité royale. Pour autant, elle ne précisait pas, de façon pratique, le choix du texte de référence comme de son interprétation, très ouverte pour certains passages des lois. Dans le cas du mémorandum de 819, le rédacteur a relevé la contradiction entre la loi salique et la pratique commune sur deux points : le remariage des veuves (c. 8) et le rituel d’adoption (c. 10). Dans ces deux cas, la divergence est réglée en retenant la pratique contre la loi écrite216. Le désir de mise en cohérence ne correspondait donc pas à une conceptualisation accrue du droit. La variété des textes législatifs, différents dans chaque recueil juridique, venait renforcer l’indépendance de chaque juge. Jennifer Davis voit justement dans la superposition des responsabilités et des délégations judiciaires une voie de flexibilité et d’application pragmatique de la justice217. Le respect de la lettre et non plus seulement de l’esprit de la loi aurait été un frein, voire un empêchement à cette adaptation du pouvoir aux réalités locales. Par ailleurs, l’interrogation contenue dans le paragraphe 7 du capitulaire de 819, proposant un recours direct à l’empereur pour trancher un point litigieux, fait écho aux réponses apportées à Charlemagne à un missus après son couronnement impérial218. L’imprécision des textes y devient aussi la base d’une adresse directe à l’empereur, source supérieure de la justice : Sur le second point sur lequel tu m’as interrogé, à savoir si un comte, les échevins ou le chancelier, devait accepter un sou pour une notice. Lis la loi romaine, et fais ce que tu y auras trouvé ; mais si cela concerne la loi salique, et que tu n’y as pas du tout trouvé ce que tu devrais faire, fais poser la question à notre plaid général219. L’imprécision des textes de référence pouvait ainsi renforcer la diffusion hiérarchique des normes à appliquer, en poussant les responsables locaux à la
215 Capitulare missorum generale, § 26 : Ut iudices secundum scriptam legem iuste iudicent, non secun dum arbitrium suum, Boretius no 33, p. 96. 216 Patzold, « Die Veränderung », p. 77-78. 217 Davis, « A Pattern » et Ead., Charlemagne’s practice, p. 47-89. 218 Responsa misso cuidam data, Boretius no 58, p. 145-146. 219 Ibid., § 2, p. 145 : De secundo unde me interrogasti si comes de notitia solidum unum accipere deberet et scabinii siue cancellarius. Lege Romanam legem, et sicut ibi inueneris exinde facias ; si autem ad Salicam pertinet legem et ibi minime repereris quid exinde facere debeas, ad placitum nostrum generale exinde interrogare facias. Sur la rémunération du personnel judiciaire, voir Bougard, La justice, p. 154-155 et Dumézil, Servir, p. 299-301.
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consultation directe du souverain, ou indirecte par l’intermédiaire de son missus. L’interface nécessaire entre la cour et les pouvoirs locaux220 pouvait donc être renforcée par l’appui sur des lois écrites flottantes ou peu explicites.
Conclusion L’étude des références aux lois précédentes nous a permis de cerner différents modèles dans la rédaction des capitulaires d’ajouts aux lois. Dans un premier temps, promulguer ces ajouts était pour les Pippinides une démonstration de leur autorité royale, initialement appuyée sur le consensus des grands. Dans cette perspective, la reprise de tournures juridiques générales suffisait à s’inscrire dans la tradition juridique franque ; il ne pouvait y avoir de contrôle royal sur une diffusion de normes qui liait symboliquement le prince et ses fidèles, à l’oral et à l’écrit. La parodie de la loi salique nous montre a contrario que certains pouvaient contester l’émission même de capitulaires sans les Mérovingiens. Après les succès obtenus par les armées de Charlemagne, l’établissement et la diffusion des capitulaires participaient à l’intégration des nouvelles élites. La chancellerie royale aurait pu surveiller la production et la copie des capitulaires, mais l’aspect flottant des corpus de référence vouait à l’échec toute tentative de renvois textuels précis. Un texte conservé dans seulement quatre manuscrits nous prouve que sous Louis le Pieux, il devint techniquement possible de modifier au fur et à mesure la Lex Salica, définie plus précisément sous Charlemagne. Le blocage n’était plus technique, mais politique, car résoudre les contradictions des corpus juridiques écrits serait revenu à amputer les juges de leur indépendance. Du point de vue des techniques de l’écrit, l’apport du règne de Charlemagne était restreint à la diffusion d’un texte clarifié et assez stable de la loi salique. La tentative de réformer ou amender la Lex Ribuaria fut un échec. Seuls les érudits au service de son fils avaient les compétences permettant de faire évoluer le droit écrit en supprimant les contradictions, à travers des ajouts textuels précis à la loi salique, tels qu’ils furent énoncés en 819. Le jugement sévère d’Éginhard sur les tentatives de réforme des lois sous Charlemagne tient peut-être à sa mention temporelle, « Après avoir reçu le nom d’empereur221 », post susceptum imperiale nomen : elle peut ainsi être lue comme une allusion, justifiant le jugement négatif sur l’apport de son père, aux ambitions autour de l’activité législatrice de Louis le Pieux de 819, elle aussi dans la foulée de son couronnement impérial222. Louis
220 Innes, « Charlemagne’s government », p. 76-83. 221 Éginhard, Vita Karoli, c. 29. Éginhard, Vie de Charlemagne, Sot et Veyrard-Cosme éd. et trad., p. 66-67. 222 Jégou, « Les enjeux ».
Écrire des ajouTs aux lois (744-819)
le Pieux, contrairement à son père, aurait donc possédé les outils conceptuels et techniques pour établir une version écrite contrôlée de la loi, mise à jour lors de différentes révisions, mais n’aurait jamais essayé de l’imposer, avant même la tourmente des guerres civiles.
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Une première version carolingienne
La version E, une rédaction carolingienne de la loi salique Deux rédactions de la loi salique semblent pouvoir être situées sous le règne de Charlemagne : les versions E et K1. Le contexte de leur rédaction reste difficile à circonscrire, mais la rédaction de la version E peut être située après la version D, qu’elle a utilisée comme base de son travail2. Le rédacteur de la version E s’est avant tout attaché à rendre plus compréhensible le texte de la version D, depuis la rédaction de l’épilogue long jusqu’aux chapitres, ainsi que l’édit de Childebert et l’épilogue, à travers de nouvelles formulations et une grammaire plus proche des règles classiques. Cette nouvelle rédaction montre une certain distance par rapport à l’héritage juridique franc : toutes les gloses malbergiques de la version D ont été suppri mées, sauf une3. La loi salique a été rapprochée du droit romain : le titre De alodis est remplacé par De instestatorum hereditatibus4, ce qui correspond à un titre du Bréviaire d’Alaric5 ; le titre De plagatoribus a été remplacé par Si quis mancipium alienum sollicitauerit6, ce qui le rapproche d’une interprétation du Bréviaire d’Alaric7, comme l’a souligné K. Ubl8, mais aussi des lois burgondes9. Cette proximité avec l’héritage romain se retrouve aussi à travers l’introduction de nombreux termes juridiques, comme accusator, aestimatio damni, beneficium, contradictor et fideiussor10. Le rédacteur de la version E considère que la version D est en partie ar chaïque : il n’a pas repris l’équivalence entre sous et deniers et il a refusé son dernier chapitre. La version D marquait déjà un décalage par rapport aux versions antérieures de la loi salique par le titre :
1 Ubl, Sinnstiftungen, p. 165-181. 2 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 33-38. Aucun des trois manuscrits conservés de la version D ne peut particulièrement être considéré comme le modèle du rédacteur de la version E. 3 Lex Salica E, ch. LXXVIII, 1, Eckhardt éd., Lex salica, 1969, p. 127. 4 Lex Salica D, ch. LXLIII, Lex Salica E, ch. XCII, Eckhardt éd., Lex salica, 1969, p. 26-27. 5 Bréviaire d’Alaric, VIII, XV ou XVI, De intestatorum hereditatibus, Haenel éd., p. 332. 6 Lex Salica D, ch. LXV, Lex Salica E, ch. LXIV, Eckhardt éd., Lex salica, 1969, p. 20-21. 7 Bréviaire d’Alaric, V, IX, 1, Haenel éd., p. 148. 8 Ubl, « Die Erste Leges-Reform », p. 86. 9 Liber Constitutionum, IV, 1, von Salis éd., p. 44. 10 Lex Salica E, titre LXXXVII, p. 25 ; ch. X, 6, p. 47, ch. LXXIX, 2, p. 131 ; ch. LXXXV, 2 et 3, p. 147 et 151 ; ch. LXXXV, 3, p. 151 dans Eckhardt éd., Lex salica, 1969.
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« Sur la crenecruda, qu’ils observaient à l’époque des païens11 »,
La version E va plus loin, en refusant d’intégrer le titre du chapitre dans la liste initiale12, comme de le recopier : Sur la loi de la chrenecruta, qu’ils observaient à l’époque des païens, qu’elle ne convienne jamais plus, car le pouvoir d’un grand nombre est tombé par elle13. Le paragraphe du manuscrit D 814 sur les amendes, les chunnas, n’a pas laissé de trace dans la version E, dont le modèle ne devait pas les comporter. Six manuscrits portent le texte de la version E. Une partie notable d’entre eux est composite (E 11, E 14, E 15), ou fragmentaire (E 11, E 15, E 16), ce qui a faussé, comme nous allons le voir, une partie des raisonnements sur cette version et les textes auxquels elle peut être associée. Le manuscrit E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846
Ce manuscrit du Vatican, BAV, Reg. lat. 846, est un volume de taille moyenne qui a été copié en minuscule caroline et en notes tironiennes, dans le premier quart du ixe siècle15. Il est composé de trois parties distinctes, probablement co piées à la même époque16. Ce manuscrit a été associé à l’hypothétique scriptorium des lois qui aurait été actif sous Louis le Pieux, principalement en raison des nombreuses notes tironiennes sur sa première et troisième partie17. Une prière à saint Sulpice ajoutée au xie siècle dans la partie centrale (f. 78v-79) fait supposer que celle-ci a pu être conservée à Saint-Sulpice, à Paris. Le manuscrit appartint ensuite à Jean du Tillet (mort en 1570), puis à Alexandre Petau et à la reine Christine de Suède. La description d’Alexandre Petau en 1647 (f. 1) montre que les trois parties du manuscrit étaient alors déjà rassemblées. Contrairement ce que semble indiquer la numérotation choisie par K. A. Eckhardt, ce manuscrit n’est pas le plus ancien de la version E, car le manuscrit E 15, Paris, Bnf, latin 4629 peut être associé au règne de Charlemagne.
11 Lex Salica D, ch. C : De crene cruda, quod paganorum tempus obseruabant, éd. Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 170. 12 Ibid., p. 27. 13 E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846, f. 96 : De crenecruta lege, quae paganorum tempore obseruabant, deinceps numquam ualeat quia per ipsam cecidit multorum potestas. La correction multarum proposée par Eckhardt, ibid., p. 171 ne me paraît pas justifiée. 14 D 8, Paris, BnF, latin 4627, f. 57. 15 Bischoff, Katalog III, no 6737, p. 435 et le commentaire de Ganz, « Carolingian Manuscripts », p. 258. McKitterick, « Die Herstelllung », p. 11, 13 et 14. Mordek, Bibliotheca, p. 422-423. Ubl, « Gab ». 16 Mordek, Bibliotheca, p. 830-833. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 310. 17 McKiterrick The Carolingians, p. 57-60. Ce manuscrit est inclus dans la discussion de Trump, « Die Tironiana ».
une première version carolingienne
La première partie du manuscrit E 11, f. 1v-67v, comporte une copie incom plète de l’Epitome Aegidii, un texte accompagnant le Bréviaire d’Alaric établi dans la première moitié du viiie siècle18. Dès la liste des titres furent portées, peut-être de la même main, des explications en notes tironiennes des titres : elles les complètent ou les précisent en reprenant des explications qui circulaient aussi dans d’autres résumés du Bréviaire19. La troisième partie contient des matériaux divers, y compris médicaux (f. 99-114) et fut sans doute associée à celle-ci parce qu’elle est intégralement copiée en notes tironiennes20. K. Ubl choisit de traiter l’ensemble du manuscrit comme cohérent, sans fournir d’argument contre la séparation retenue par B. Bischoff et H. Mordek21. Il me semble que la rupture dans les cahiers et les textes copiés, après le folio 68 et après le folio 98, nous oblige pourtant à le considérer comme un manuscrit composite. Il n’existe pas, pour la partie centrale, d’argument pour rapprocher sa copie de Tours, ou de la cour. Nous ne pouvons alors retenir comme recueil transmis avec la loi salique que la partie centrale du manuscrit, f. 68-98. Elle comporte le livre V, 1-27 des Étymologies d’Isidore de Séville (f. 68-79), puis, f. 79v, une liste est introduite par le titre Haec sunt nomina regum Francorum, « Voici les noms des rois des Francs ». Elle commence avec un roi Clotaire (Clotaire II) et intègre le pouvoir pippinide, comme l’indique sa fin22. Charles gouverna sans autre roi pendant 7 ans. Childéric régna pendant 9 ans. Pépin régna pendant 16 ans et demi23. La partie inférieure de la page, laissée vide, a été remplie au ixe siècle par un alphabet grec. La perte d’un feuillet empêche de connaitre ce qui la séparait de la liste des titres, qui commence au chapitre XXIV et termine au chapitre XCVIII (f. 80-81), mais il aurait pu comprendre une page blanche, puis la première partie des titres. La liste des titres est suivie des rubriques In nomine Sanctae Trinitatis incipit prologus libri Salicae, du prologue long de la version E (f. 81v-82), puis du texte de la loi salique en 99 chapitres (f. 82-96), avec des corrections mais
18 Coma Fort, Codex, Theodosianus, p. 305-307. 19 Legendre, « Notes tironiennes ». 20 Schmitz, Miscellanea (à compléter par Legendre, « Lectures ») a détaillé et édité le contenu de ces folios, qui comporte des passages du Liber Scintillarum de Défensor de Ligugé, une lettre de consolation, un dialogue sur la vision chrétienne de la Création, des passages des Institutions d’Eucher de Lyon, des éléments tirés d’Isidore de Séville sur l’orthographe, ainsi qu’une liste de traitements médicaux détaillés. 21 Ubl, « Gab » et Id., « Die erste Leges-Reform ». 22 Édition de ce catalogue royal : Krusch, Chronologica, p. 481. 23 E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846, f. 79v, l. 15-18 : Charolus sine alio rege imperauit annos VII. Childricus regnauit annos VIIII. Pippinus regnauit annos XVI et dimedio anno.
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aucune marque d’usage24. Chaque chapitre est précédé d’un numéro et d’une première ligne rubriqués. La numérotation correspond à la liste initiale, sauf pour le chapitre XXXVIIII, numéroté XXXIIII25, le chapitre XL qui n’est pas numéroté26 et le chapitre LXXXVIII, numéroté LXXXVIIII. Les titres de la liste initiale n’apparaissent plus que très rarement après le chapitre XIV. Le titre des chapitres XXXVII, XLVIII, XLVIIII, LI, LII, LXII, LXVIII, LXXX et LXXXI seulement a été recopié. Dans les cinq autres manuscrits de la version E, le début des chapitres n’est pas rubriqué, mais la même alternance de chapitres avec des titres ou sans se retrouve, avec quelques variantes mineures27. La similitude générale dans la rare reprise des titres des chapitres montre qu’il s’agissait probablement d’une caractéristique de l’archétype. Ces éléments auraient pu facilement être complétés, à l’aide de la liste des titres initiale. Cela ne fut pas le cas, ce qui montre un attachement à la forme inattendu pour des copistes de la loi salique, signe d’une nouvelle relation à leurs modèles. La perturbation du texte, qui ne reprend que rarement les titres de la liste initiale après le chapitre XIV, apparaît précisément au chapitre où la version D présente elle aussi des divergences, puisque les manuscrits D 7 et D 8 regroupent dans le texte les chapitres XIV et XV, alors qu’ils sont séparés dans leur liste initiale des titres comme dans la copie du manuscrit D 9. Le rédacteur de la version E a repris les deux chapitres de façon séparée. Il a pu lui-même corriger la différence entre la liste des titres et le texte de la version D, comme le suppose K. A. Eckhardt28. Mais comme ce travail de mise en cohérence des titres initiaux et de l’intitulé des chapitres n’a pas été fait pour cette version E elle-même, il semble plus logique de considérer que la nouvelle rédaction s’est fondée sur un manuscrit de la version D qui reflétait d’une façon particulière cette rupture de cohérence entre liste initiale et texte de la loi au chapitre XIV. Cette perturbation apparaissait
24 E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846, f. 91v : à la fin du Moyen Âge fut ajouté deux fois dans la marge le pangramme Equore cum gelido, Zephirus fert exennia kymbus, sans rapport avec le texte de la loi salique. 25 E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846, f. 86v. 26 Ibid. 27 Les titres des chapitres sont copiés jusqu’au chapitre XIIII, puis la numérotation continue ensuite sans les titres de chapitres, sauf pour les chapitres XXXVII, XLVIII, XLVIIII, LI, LII, LXII, LXVIII, LXXX, et LXXXI. Dans E 12, Paris, BnF, latin 4409, le chapitre XV est copié et intitulé De furtis (f. 127v), alors que la liste initiale donne ch. XV Si quis hominem expoliauerit, mais cette liste manque dans ce manuscrit et ne peut être comparée. Autres divergences mineures dans E 12, un chapitre est numéroté LXVII au lieu de LXVIII (f. 217v) et le titre du chapitre LXII n’est pas donné (f. 129v), mais une ligne a été laissée vide pour pouvoir l’écrire. Dans E 15, Paris, BnF, latin 4629, le titre du chapitre XXXVII n’est pas copié (f. 2). Dans E 16, Berlin, SB, Phill. 1736, le titre du chapitre I n’est pas donné (f. 3v), les débuts des paragraphes des chapitres XV et XVI sont rubriqués, mais seul le chapitre XVI porte un numéro (f. 5v), tandis que le chapitre XXXVII n’a pas de titre (f. 7). 28 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 20-21.
une première version carolingienne
probablement sur le modèle du rédacteur de la version E de façon différente des trois manuscrits D conservés et elle a entraîné l’abandon partiel des titres de sa liste initiale à cet endroit de sa reprise. Dans le manuscrit E 11, le 99e chapitre sur la Crenecruta (f. 96) apparaît avec ce numéro, dans la continuité des précédents, bien qu’il soit absent de la liste des titres. Pour cette version E de la loi salique, le seul chapitre variant d’un manuscrit à l’autre est autour de ce dernier paragraphe, exclu de la numérotation initiale mais inclus comme 99e chapitre dans tous les manuscrits sauf E 1229. Ainsi, la version E parait plus stable que la version K dans ses plus anciens manuscrits, ainsi que nous le verrons au chapitre suivant, et l’écart entre le manuscrit E 12 et les autres manuscrits de cette version se confirme. Dans le manuscrit E 11, le décret de Childebert (f. 96-97v) est introduit par la rubrique Incipit decretum Childeberti regis, mais ensuite, l’enchainement avec l’épilogue de la loi salique (f. 97v) est peu clair. La datation du décret est d’une écriture distincte, puis apparaît sans interruption sur la même ligne : colonia feliciter expliciunt leges salicae libri III. Quem uero rex francorum statuit. L’inclusion de l’épilogue dans la fin du décret de Childebert montre bien sa dépendance envers la version D de la loi salique, qui comportait déjà ces caractéristiques. L’ensemble peut être compris comme signifiant que la loi salique fut publiée à Cologne par le roi Childebert en accord avec son frère, en reprenant un texte antérieur du premier roi des Francs. L’épilogue se clôt sur l’invocation Finit deo gratias Amen (f. 97v), puis une rubrique annonce : Anno feliciter undecimo regni domni nostri Carolo gloriosissime regis in mense marito, qui précède le capitulaire de Herstal de 77930 (f. 97v-98v), copié avec des variantes singulières31. La loi salique dans sa version E apparaît ici comme un héritage mérovingien en différentes parties, trois livres, pour lesquels il y eut des publications et des révisions sous autorité royale. L’ensemble est distinct de l’apport juridique de Charlemagne, copié à la suite et précisément attribué. La comparaison avec les autres manuscrits de la version E porte à considérer que le dossier textuel qui circulait avec la loi salique s’était ainsi réduit, par rapport à la version D, au décret de Childebert et à l’épilogue, la liste des rois n’en faisait plus partie et apparaîtrait de façon incidente dans E 11 et E 1232.
29 Ce chapitre apparait aussi avec ce numéro et ce titre dans E 14, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 729 (p. 327), avec le titre De chrenecruca dans E 13, Warsawa Biblioteka Uniwersyteka 1 (f. 223v), avec le titre S De chrenechrucx dans E 15, Paris, BnF, latin 4629 (f. 13) et avec le titre SD de chrenechrucx dans E 16, Berlin, SBPK, PhIll. 1736 (f. 14). Il faut corriger la transcription proposée par Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 171. 30 Boretius no 20, p. 47-51. 31 Faulkner, Law, p. 209. 32 Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 88-89.
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Le manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409
La redécouverte du droit romain ? Le manuscrit Paris, BnF, latin 4409 est entré dans les collections royales au plus tard sous Charles IX, à Fontainebleau. Il eut de nombreux lecteurs : depuis É. Baluze qui en a recopié une formule d’exorcisme en cas de vol33, G. H. Pertz qui y a repéré la loi salique34, J.-M. Pardessus qui a édité sa version de la loi35, G. Haenel qui l’a utilisé pour son édition de la Lex romana visigothorum36, K. Zeu mer pour celle des formules de Tours37, P. Meyer et Th. Mommsen pour celle du Code Théodosien en 190538. Depuis la seconde guerre mondiale, ce manuscrit a été étudié dans le cadre des discussions autour de la transmission du droit romain39 ou du scriptorium de Tours40, bien que la BnF n’ait diffusé qu’un microfilm noir et blanc peu déchiffrable. J.-P. Poly a utilisé ce manuscrit pour un article de 1992, où il se propose de mettre en valeur une renaissance de l’étude du droit romain autour du roi vers l’an mil41. Il cherche à montrer que les partisans de la royauté capétienne ont fait face à la crise politique du xe siècle en recourant à la loi romaine, dont ils auraient exhumé les textes. Ils auraient ensuite tenté de les faire appliquer dans un contexte tout d’abord politique puis religieux, face aux Juifs et aux diverses hérésies de l’an mil. Une lecture critique de son argumentation en montre la faiblesse, car elle re pose sur un enchaînement d’hypothèses plus fragiles les unes que les autres. Tout d’abord, l’opposition entre l’atonie supposée au début du xe siècle et la supposée renaissance des études juridiques à sa fin. La datation des manuscrits de la fin du ixe siècle et du xe siècle sur des critères paléographiques est très délicate car la minuscule caroline a alors lentement évolué42. B. Bischoff et H. Mordek ont daté la copie du manuscrit E 12 de la fin du ixe siècle, avec des ajouts des ixe-xe siècles,
33 Baluze, Capitularia II, c. 659-660 : VIII Incipit probatio à cunctis furtis probandis. Texte ex veteri codice ms. Bibliothecae regiae. 34 Pertz, « II. Die Gesetze », p. 743-745. 35 Pardessus, Loi salique, p. XIII-XIV. 36 Haenel, Lex, p. XXIV, LXXI-II et LXXV. 37 Copie par « Knust », voir Zeumer éd., Formulae, p. 131. 38 Mommsen et Krüger, Theodosiani libri, vol. I, 1, Prolegomena, p. LXXXVI, XCII, XCVII-XCVIII, CI, Meyer, vol. II, p. XXXIV, XXXV et LXXXII. 39 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 213 et 222. Rio, Legal Practice, p. 255-256. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 261-264. 40 McKiterrick, The Carolingians, p. 60. Mordek, Bibliotheca, p. 463-466. Depreux, « La tradition manuscrite ». Bischoff, Katalog III, no 4309, p. 96. Ubl, « Gab » et id., Sinnstiftungen, p. 173, note 41. Faulkner, Law, p. 215-216, 226, 228, 230-231, 263, 268. 41 Poly, « Le sac ». 42 Ganz, « Carolingian Manuscrits » revient sur le travail de B. Bischoff et la correction continue des datations relatives qu’il proposait.
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sans pouvoir préciser davantage. H. Mordek propose comme origine la France, plutôt dans sa partie septentrionale, mais sans l’affirmer43. Vouloir situer, par l’écriture, précisément ce manuscrit dans les régions occidentales du monde franc paraît impossible. Les mêmes difficultés apparaissent pour un autre manuscrit utilisé par JeanPierre Poly pour sa démonstration : le fragment 7 dans le manuscrit du Vatican, BAV, Reg. lat. 520, f. 101-110. Il a certes été relié à l’époque moderne avec quelques fragments de Fleury, achetés par Pierre Daniel ou Paul Petau, mais nous ne pouvons en déduire davantage et certainement pas le désigner comme « manuscrit d’Orléans ». J.-P. Poly suit une première datation de B. Bischoff et le présente comme de la fin du ixe siècle ou du début du xe siècle44. Mais B. Bischoff a revu son jugement et considérait finalement qu’il avait été copié dans le deuxième quart du ixe siècle, sans préciser sa provenance45, alors que H. Mordek situait sa copie en France, vers le milieu du ixe siècle46. Une datation et une localisation plus précises par la paléographie ne semblent pas possibles pour ce fragment non plus. Par ailleurs, Jean-Pierre Poly tente d’identifier un espace de « France du Nord » à partir des manuscrits carolingiens qu’il consulte. Or, pour la plupart d’entre eux, il est impossible de déterminer leur lieu de copie, puis de conserva tion dans les différents royaumes des Francs du ixe siècle. Récemment, Karl Ubl a souligné combien les données pour établir les caractéristiques d’un « legesscriptorium » manquaient, étant donné la grande homogénéité des productions soignées carolingiennes et l’absence de signes d’organisation systématique (par exemple sur la taille des manuscrits, les réglures du parchemin, etc.)47, tandis que Th. Faulkner a cherché à réfléchir plus largement aux ensembles de manuscrits en lien avec la cour48. Il est aussi difficile de déterminer le lieu de copie d’un manuscrit des ixe-xe siècles que les institutions, ou les puissants, auxquels il était destiné. Les lieux de conservation ne sont qu’une indication parmi d’autres, étant donné le marché international du manuscrit carolingien qui s’est établi à l’époque moderne. Ainsi, le manuscrit du Bréviaire d’Alaric conservé à Montpellier, que Jean-Pierre Poly considère comme « du Midi »49 a probablement été copié à la fin du viiie siècle dans le diocèse d’Autun50, ce qui est à l’est plus qu’au sud de la Loire… et le lie à la transmission du droit romain en Burgondie. 43 Mordek, Bibliotheca, p. 463. 44 Poly, « Le sac », p. 67. L’auteur reprend une autre datation de B. Bischoff, du dernier quart du ixe siècle, qui est aussi celle donnée dans Eckhardt, Pactus, 1962, p. XXIV (sigle K 68, et non K 67 comme le note par erreur Werner, « Das Geburtsdatum », note 89 p. 139). 45 Bischoff, Katalog III, no 6695, p. 82. 46 Mordek, Bibliotheca, p. 827-830. 47 Ubl, « Gab », et voir infra. 48 Faulkner, Law, p. 193-246. 49 Poly, « Le sac », p. 42, mais il relève sa copie en Bourgogne, note 12, p. 57. 50 Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 84. Voir Bischoff, Kata log II, no 2827a, p. 199 et la notice du site Calames : http://www.calames.abes.fr/pub/ms/
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En outre, Jean-Pierre Poly appuie son idée d’un transfert du supplice du parricide, prévu dans le Code Théodosien, aux Juifs, à travers un capitulaire De judaeis attribué à Charlemagne, probablement apocryphe51. Celui-ci est conservé dans le recueil de fragments évoqué ci-dessus Vatican, BAV, Reg. lat. 520, f. 110va, ainsi que dans le manuscrit de Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 360, f. 189v, un recueil composé aux xe-xie siècles dont l’origine est imprécise, mais qui a pu être élaboré à Auxerre et est passé par l’abbaye de Pontigny52. Certes, B. Bischoff date le manuscrit de Montpellier du ixe siècle53, et le passage contre les Juifs pourrait être un ajout du xe siècle54. Cette possibilité ne permet pourtant pas d’affirmer que le rédacteur « a en tête la prétendue conspiration d’Orléans » qui aboutit à un massacre de la communauté juive en 1009. Même en retenant cette datation – relative – rien, dans ces deux manuscrits, ne permet de faire un lien assuré avec le contexte particulier d’Orléans au tournant du millénaire. Si la démonstration de Jean-Pierre Poly repose ainsi sur un enchaînement d’hypothèses fragiles sur l’origine et la datation des différents manuscrits, le manuscrit E 12 et sa version de la loi salique permettent, au contraire, de proposer une présentation du rôle du droit romain du ixe au xie siècle opposée à celle qu’il défend dans sa conclusion, : C’est donc en l’an mil qu’eut lieu la première renaissance des Lois, celles du Théodosien. Jamais le Droit romain ne mérita mieux d’être qualifié savant : au sud du royaume, les citations de la Loi et les juges disparaissaient des notices de plaid, le Droit vulgarisé était exsangue ; au nord, l’Église en conservait quelques fragments enkystés dans le Droit canonique. C’est alors qu’une poignée de lettrés à Reims, à Orléans, redécouvre le Code et le Bréviaire, tente d’en rétablir le meilleur texte, les annote et les gloses55. Il semble possible de prendre le contrepied de cette démonstration, pour illustrer, dans ce manuscrit, la continuité de l’étude des lois, romaines et barbares, leur complémentarité et la pratique continue du droit romain du ixe au xe siècle.
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D01040691 (consulté le 20 mars 2020). Dubreucq, « Le Bréviaire ». Coma Fort, Codex Theo dosianus, p. 131-135 complète la démonstration d’A. Dubreucq pour préciser les circonstances du passage du manuscrit au monastère Saint-Georges de Couches-les-Mines, puis à Dijon, avant d’être découvert par un élève de Cujas au milieu du xvie siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 829 et p. 1093. Boretius éd., no 131, p. 259. Ex libris aux folios 46 et 170. Voir la notice sur le site Calames : http://www.calames.abes.fr/pub/ms/D01041701, consulté le 20 mars 2020. Bischoff, Katalog II, no 2864, p. 208. Mordek, Bibliotheca, p. 829. Poly, « Le sac », p. 56.
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Un recueil juridique de droit romain et franc Commençons par détailler le contenu de ce manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409, de la fin du ixe siècle : -
f. 1-f. 10v : des extraits des Étymologies d’Isidore de Séville (V, 1-27 et IX, 4-6 et 22) ; f. 10v-f. 120 : le Bréviaire d’Alaric56, avec de nombreuses gloses57. Au folio 10 est seulement annoncée « une liste de titres du livre des lois »58 et il est précisé au folio 17 : Début de la loi romaine. Dans cet ensemble sont contenus les livres des lois des Romains : seize livres de Théodose, cinq livres de novelles, un livre de Gaius, cinq livres de Paul, le livre de Grégorien, Hermogène et Papien. Début des lois de Théodose sur les constitutions et les édits des princes59.
Il est donc impossible de comprendre qu’il s’agit seulement d’un résumé du Code Théodosien, avant la mention du roi Alaric, au recto du feuillet 120, mais celle-ci intervient après trois éléments qui n’étaient pas annoncés ; -
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f. 120-v : la Formula extravagans I, 5, une formule de droit romain qui interdit de rendre un jugement écrit avant l’audience60, est immédiatement suivie, sans titre, d’une liste de rois, de Thierry à Pépin, puis la souscription d’Anianus indique que cet ensemble a été copié sur l’ordre du roi Alaric61. A. Rio a noté que ce type d’association entre formules, généalogie et chronologie était assez courante et présente quatre autres exemples en sus de ce manuscrit62 ; f. 120v-124ra : une rubrique annonce : « Au nom de la sainte et indivisible Trinité infinie. Ici commence le glossaire composé dans les lettres des trois langues latine, hébraïque et grecque »63, mais est suivie d’un glossaire latin jusqu’ à la lettre U64;
56 Un cahier a été relié au mauvais emplacement, et il faut lire le manuscrit dans cet ordre : f. 10v-f. 24v, f. 33-f. 35v, f. 25-f. 32v, f. 36-f. 120. 57 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 99 n. 39, p. 110 n. 104, p. 111 n. 107, p. 114 n. 118 et 122, p. 213 n. 438, p. 214 n. 441, p. 217 n. 454. 58 E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 10 : Incipiunt capitula de libro legum. 59 E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 17 : Incipit lex romana. In hoc corpore continentur libri legum romanorum theodosiani libri xvi nouellarum libri V, gai liber I, Pauli libri v, Gregoriani Ermogeniani et Papiani libri singuli. Incipit legum teodosiani de constitutionibus principum et aedictis. 60 Formula extravagans I, 5, édition Zeumer, p. 536-537. 61 Édition par B. Krusch avec les catalogues des rois mérovingiens, Chronologica, p. 479-480. 62 Rio, « Les formulaires », note 9 p. 331. 63 E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 120v : In nomine sanctae et indiuiduae trinitatis inmense. Incipit glose litterarum trium linguarum composite latina hebrea et greca. 64 Sur ce manuscrit, voir Goetz, Corpus 1, 1923, p. 303.
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f. 124rb : la rubrique Incipiunt capitula de lege salica introduit une liste de chapitres, sur deux colonnes. Le copiste oublie le chiffre II, attribue deux fois les numéros XXXIIII et XXXV65. En conséquence, il aboutit à une liste de 97 chapitres. La numérotation des chapitres du texte est donc différente de la liste, sauf à la fin, car il omet de numéroter le chapitre XCV, ce qui lui permet de terminer avec un chapitre XCVII ; f. 125 : la rubrique annonce « Voici les noms des rois des Francs »66, et introduit une nouvelle liste de rois de Clotaire à Pépin67. Le reste du folio, puis de la page a été laissé vide (Ill. 6.1) ; f. 126-f. 133v : sur le cahier suivant, le titre Incipit prologus libri salicae introduit le prologue long, dans sa version E, puis le texte de cette version de la loi salique, ici en quatre-vingt-dix-sept chapitres. L’invocation initiale de la sainte Trinité, qui est présente dans tous les autres manuscrits de la version E, est ici absente68, à moins de considérer qu’elle a été déplacée avant le glossaire et reformulée. Suivant cette hypothèse, le copiste aurait agrégé au dossier autour de la loi salique ce glossaire et la liste des rois. Le texte de la loi salique comporte de rares corrections, comme au folio 132, où le correcteur a rajouté dans la marge hoc est unusquis sicut inter eos negociatum alter alterius eorum commoneat, alors que le passage est déjà dans le texte du chapitre LXXXI. À la fin du texte des chapitres est rajouté le paragraphe De crenechruta lege, sans numérotation ; f. 133v-134v : le décret de Childebert est bien distingué de la loi précédente par une rubrique : Incipit decretum Childeberti regis (f. 133v). Il se termine par un explicit clair : Expliciunt leges salice libri III (f. 134v) ; f. 134v : l’épilogue de la loi salique Quem uero rex Francorum statuit… est présenté comme un paragraphe à part, avec un retour à la ligne et une initiale. Il se clôt, en fin de page, par un explicit : Finit deo gratias. Amen ; f. 135-f. 144v : la collection des formules de Tours est introduite par le titre : Incipiunt capitula cartarum et bien distincte de la loi salique69 ; f. 144v-183v : l’Epitome Aegidii est introduit par le titre Incipit liber legum auctoritas Alarici regis et se poursuit jusqu’à l’explicit, avec de très nombreuses gloses70. La copie du manuscrit s’arrête sur un Explicit, mais une remarque a été ajoutée dans un deuxième temps, d’une autre main. En consultant directement le
E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 124rb-vb. E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 125. Édition par Krusch, Chronologica, p. 481. Voir le tableau dans Ubl, « Gab », p. 88. Sur ces formules et leur tradition manuscrite, voir Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 241-247 et Rio, Legal practice, p. 112-117. Sur leur présence dans des manuscrits qui furent reliés par certains spécialistes au scriptorium des lois, voir Faulkner, Law, p. 228. 70 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 221-230.
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manuscrit, éventuellement à l’aide de la lampe de Wood, on peut décrypter (Ill. 6.2) : a comentariis i(d est) cu(m) oratorib(us) qui adnotatis reb(us) regi ad memoriam [refere]bant À partir des explications, c’est-à-dire avec les docteurs qui ont pris des notes pour que le roi s’en souvienne. Il s’agit d’une remarque extraite d’un commentaire sur les Paralipoménon, des explications qui complètent les Livres des rois de l’Ancien Testament, qui fut parfois attribué à saint Jérôme71. Au ixe siècle, ses commentaires de la Bible étaient ses œuvres les plus lues72 et formaient la base de toute étude des Saintes Écritures73. Ce commentaire apparut dans les années 810-82074 et soixante-seize manuscrits en ont été recensés, dont quatre antérieurs à l’an mille75. Le plus ancien semble être le manuscrit de Paris, Paris, BnF, latin 2384, f. 1-15376, copié au milieu du ixe siècle et présent dans la bibliothèque du monas tère de Saint-Denis dès le ixe ou xe siècle77. On y trouve bien la phrase reprise dans la manuscrit E 1278, mais l’ensemble du texte incite peu à la confiance, car le titre attire l’attention sur l’origine juive des informations, éventuellement hété rodoxes : « Ici commence l’explication sur les Paralipomenon suivant la tradition des juifs, où le lecteur doit être circonspect »79. La même défiance est affichée, avec le même titre, dans le manuscrit de Reims, copié à partir de l’exemplaire de Paris à l’époque d’Hincmar80. Le manuscrit Sankt-Gallen, Stiftsbibliothek 672, copié dans la seconde moitié du ixe siècle81, ne comporte pas de telles mises en garde. Les commentaires du livre des rois y sont introduits de façon positive : p. 138, In Christi nomine incipit
71 Pseudo-Jérôme, Quaestiones Hebraicae in Paralipomenon I : Commentatores, qui annotatis rebus et causis, regi eas ad memoriam referebant. Édition : Patrologia latina XXIII, col. 1384B, vers. 15. 72 Lainster, « Study ». 73 Kaczynski, « The Autority ». 74 Stegmüller, Repertorium III et IX, no 3414-3416. 75 Lambert, Bibliotheca, t. 3, B, p. 288-293. 76 Le manuscrit est composite et la seconde partie, f. 154-235 fut copiée au milieu du xve siècle. 77 Les cotes inscrites au folio 153v correspondent à cette époque de la bibliothèque. Elles sont complétées par un ex libris du xiie siècle. Voir Nebbiai-Dalla Guarda, La bibliothèque, p. 210. 78 Paris, BnF, latin 2384, f. 129v, c. 2 : Comm(en)tarii co(m)memoratores qui adnotatis reb(us) et causis regi eas ad memoria(m) deferebant. 79 Paris, BnF, latin 2384, f. 125v, c 2 : INC(I)P(I)T EXPOS(ITIO) IN PARALIPOM(ENON) SECUNDUM TRADITIONE(M) IUDEORUM UBI LECTOR CAUTUS E(SS)E DEBET. 80 Reims, Bibliothèque municipale 118, f. 38-67, ici f. 53. Sur les relations entre le manuscrit de Paris et celui de Reims, voir Vezin, « Reims ». Un troisième manuscrit contenant ce commen taire et ce titre était conservé à l’abbaye de Pontigny à la Révolution, voir Peyrafort-Huin, La bibliothèque, p. 390, note 48. 81 Ce manuscrit est composite et seule la partie des pages 138 à 252 est ici concernée, voir Lenz et Ortelli, Die Handschriften, p. 13-17.
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Illustration 6.1 : La seconde liste des rois du manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 125.
Illustration 6.2 : La dernière page du manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 183v.
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expositiuncula authentica in libros Regum82. Le manuscrit est néanmoins incomplet et le commentaire sur les Paralipomenon, p. 219-252, s’interrompt avant la phrase reprise en conclusion du manuscrit E 12. L’association de ces commentaires à saint Jérôme, qui lui confère un prestige plus grand, n’est visible que dans un se cond temps, dans le manuscrit conservé à Vérone83. Ce recueil, que B. Bischoff84 datait du premier quart du ixe siècle et que G. Morin considère comme antérieur à 84485, ne comportait aucun titre ni nom d’auteur, et c’est une note écrite au xiie siècle qui attribue l’ensemble à saint Jérôme86. Le lecteur du manuscrit E 12 qui lui a ajouté une remarque finale empruntée à ce commentaire a probablement consulté un manuscrit qui l’associait implicitement, comme le manuscrit de Vé rone au xiie siècle, aux différents commentaires du Père de l’Église, car cette cita tion complète ici un manuscrit montrant un intérêt soutenu pour la tradition juri dique, romaine et franque, et non l’herméneutique hébraïque et ses dangers. Les interprétations du droit romain Dans ce manuscrit, les reprises du droit romain des vie-viiie siècles sont représentées par des résumés du Code Théodosien et des formules et elles sont étroitement associées à l’héritage législatif mérovingien. Ce manuscrit est particu lier dans la transmission de la version E de la loi salique, car les textes associés y paraissent de façon différente et il leur ajoute une liste de rois, comme E 11, ainsi que probablement un glossaire. Suivant les titres de ce manuscrit E 12, le lecteur comprend qu’il comporte le droit romain sous deux formes : elles se montrent comme le Code Théodosien et son résumé sous l’autorité d’Alaric, alors qu’il s’agit d’un résumé et d’un commentaire de ces ouvrages. Ces réductions montrent l’abandon d’une partie de l’héritage législatif romain, mais aussi son adaptation et l’intérêt continu qui lui était porté, au rebours des jugements de J.-P. Poly87. Ainsi, les Interpretationes qui furent ajoutées au résumé du Code Théodosien dans le Bréviaire d’Alaric montrent une simplification de la pratique juridique, mais aussi une évolution car certaines d’entre elles prennent le contrepied des dispositions qu’elles prétendent commen ter. Dans le cas des juifs, le commentaire de Capucine Nemo-Pekelman montre ainsi que la constitution d’Honorius et Arcadius88, qui obligeait les juifs à passer devant les juges romains, voit son interpretatio entériner, au contraire, le recours à l’arbitrage dans la communauté pour les affaires civiles89.
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Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 672, p. 138. Verona, Biblioteca Capitolare XXIII. Je n’ai pu consulter ce manuscrit. Bischoff, Katalog III, no 7033, p. 466. Morin, « Une lettre », p. 144. Voir sa description par Spagnolo, I Manoscritti, p. 77. Voir les exemples développés par Liebs, « Die Kodifizierung ». Lex romana wisigothorum, Haenel éd., 2. 1. 10, p. 34. Nemo-Pekelman, « How » et Ead., « Le statut ».
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À cette première transformation du vie siècle, les manuscrits d’époque carolin gienne comme E 12 ajoutent de très nombreuses gloses, parfois assez longues. Leur nombre et leur copie montre l’intérêt que suscitait le droit romain, qui peut, dans ce manuscrit, être associé à une pratique du droit, en raison du rajout qui a été fait, au ixe ou xe siècle suivant H. Mordek90. En effet, l’espace laissé libre après la copie des extraits du livre II du Code Théodosien a été rempli par une formule de prières pour découvrir le coupable en cas de vol91, ce qui lie le livre juridique à la recherche concrète d’un coupable. La fin du Bréviaire d’Alaric du manuscrit de Paris, BnF latin 4409, a été écourtée – il manque une partie des sentences de Paul – et augmentée avec des constitutions du livre XVI du Code Théodosien. Cette version peut être rapprochée de quatre autres manuscrits carolingiens92 : -
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le manuscrit Paris, BnF, latin 441093 comporte un Bréviaire d’Alaric abrégé, mais de façon moindre94 ; le manuscrit Paris, BnF, latin 1244595 rassemble une partie des mêmes com pléments du livre XVI. Copié dans le 3e quart du ixe siècle, il est considéré comme l’un des deux manuscrits de travail d’Hincmar de Reims pour le droit romain96. Il comporte une impressionnante compilation de canons et de droit romain, structurée autour de l’organisation ecclésiastique, avec des extraits du Code Théodosien et du Bréviaire d’Alaric. Il ne se rapproche du manuscrit E 12 que pour ses compléments au Bréviaire d’Alaric ; Bern, Burgerbibliothek 26397 ; Vatican, BAV, Reg. lat. 104898.
Mordek, Bibliotheca, p. 464. Le texte est édité dans Zeumer, Formulae no 30, p. 633-634. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 99. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 245-252. Bischoff, Katalog III, no 4310, p. 96 date ce manuscrit du 3e quart du ixe siècle environ, plutôt dans l’est de la France. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 296-298. Bischoff, Katalog III, no 4834, p. 198-199. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 245-248. Voir la description complète donnée par le site de K. Ubl, http://www.leges.uni-koeln.de/mss/hand schrift/paris-bn-lat-12445/, consulté le 27 mars 2020. Corcoran, « Hincmar ». Bischoff, Katalog I, no 565, p. 120 situe la copie de ce manuscrit au début du ixe siècle, probable ment dans le haut Rhin car il se trouvait à Strasbourg au xvie siècle. Voir aussi la description de son contenu dans Meyer, Theodosiani, II, p. XXXV. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 259-261. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 99 n. 39, p. 110 n. 104, p. 114 n. 118. Bischoff, Katalog III, n o 6761, p. 438 date ce manuscrit du ixe-xe siècle ou de la première moitié du xe siècle. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 214 le date du xe ou xie siècle. Pourtant, P. Meyer, Theodosiani, II, p. XXXIV (mais il faut corriger le folio : la note se trouve en f. 225 et non 205) a attiré l’attention sur la note infrapaginale qui mentionne un Gauthier évêque et peut être reliée à Gauthier, évêque d’Orléans entre 870 et 891. Le manuscrit peut donc être situé au plus tard dans le dernier tiers du ixe siècle. J. M. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 264-265.
une première version carolingienne Tableau 6.1 : Le droit romain dans trois manuscrits du ixe sièclei
E 12, Paris, Bnf, latin 4409
Vatican, BAV, Reg. lat. 1048
Bern, Burgerbibl. 263
Isidore de Séville, Étymologies, V, 1-27 et IX, 4-6, 22ii Stemmata cognationumiii Bréviaire d’Alaric Avec explanationes titulorum récentesiv et gloses récentes
et gloses récentes Formula extravagans I n.o 5v
Liste de rois francs de Thierry à Pépin
Liste de rois francs de Thierry à Pépinvi
Liste de rois francs de Thierry à Pépinvii
Subscriptio Aniani Glossaire latin-latin jusqu’à la lettre U
jusqu’à la lettre Qviii
Jusqu’à la lettre Rix
i
Les liens entre ces manuscrits sont évoqués par Faulkner, Law, p. 229-230. Bern, Burgerbibliothek 263, f. 1v-13 et Vatican, BAV, Reg. lat. 1048, f. 1-20. Il s’agit de la compilation 1 suivant Tardif, « Un abrégé », qui cite une dizaine d’autres manuscrits dont le manuscrit A 4, Paris, BnF, latin 9653 de la loi salique. iii Bern, Burgerbibliothek 263, f. 13v-14. Vatican, BAV, Reg. lat. 1048, f. 20v-21. iv Bern, Burgerbibliothek 263, f. 14v-160v. Vatican, BAV, Reg. lat. 1048, f. 21v-224. v Bern, Burgerbibliothek 263, f. 160v-161. Vatican, BAV, Reg. lat. 1048, f. 224. vi Vatican, BAV, Reg. lat. 1048, f. 224. vii Bern, Burgerbibliothek 263, f. 161. viii Vatican, BAV, Reg. lat. 1048, f. 224v-227v. Pour ce dernier manuscrit, le texte a été édité par Goetz, Corpus V, p. 547-548. ix Bern, Burgerbibliothek 263, f. 161v-165v. Voir Goetz, Corpus I, p. 147-148. ii
Ces deux derniers manuscrits montrent un enchaînement de textes, de com mentaires et de gloses très similaire au début du manuscrit E 12, comme le montre le tableau 6.1. J. M. Coma Fort considère que le manuscrit E 12, Paris, BnF latin 4409 et le manuscrit du Vatican dérivent du manuscrit de Berne99, ce qui n’est possible que si l’on considère qu’un dernier folio, comportant la fin du glossaire, a disparu dans les manuscrits de Berne et du Vatican. Or la liste du manuscrit de Berne est copiée à la fin d’un cahier, mais s’arrête au milieu de la page. Il faut donc plutôt considérer que ces manuscrits remontent à un modèle commun. Le recueil a été retravaillé dans les manuscrits de Paris et du Vatican, car les explications des 99 Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 260.
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titres, les explanationes titulorum, y ont été complétées par une série de gloses que D. Liebs considère comme les plus récentes100. Outre ces commentaires des titres, le manuscrit E 12 comporte de nom breuses autres gloses sur les dispositions du Bréviaire, portées par des copistes différents. Cette fois, cet ensemble de gloses se retrouvent de façon plus ou moins complète dans les manuscrits suivants101 : -
Montpellier, bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, soit le manuscrit D 7 pour la loi salique102 ; Paris, BnF, NAL 1631, f. 99-102103 ; Vatican, BAV, Reg. lat. 1048, de nouveau ; Lyon, BM 375, soit le manuscrit K 50 de la loi salique, mais qui est peut-être composite104. Le Bréviaire a été copié dans le deuxième quart du ixe siècle.
Pour une glose105, on peut rapprocher le manuscrit E 12 de deux manuscrits du ixe siècle, Paris, BnF, latin 4413106 et 4419107. Sans pouvoir tracer un stemma codicum sur ces seules indications, on voit que le manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409, s’inscrit dans un ensemble de manuscrits juridiques comportant le droit romain dans des abrégés et leurs commentaires qui rassemble au moins six manuscrits du ixe siècle. On peut leur ajouter le manuscrit du Vatican, BAV, Ott. lat. 2225, copié aux viiie-ixe siècle et dans le deuxième quart du ixe siècle108, car c’est le seul à proposer un Bréviaire d’Alaric, puis le même enchainement d’une liste, semblable, de rois des Francs, et de la souscription d’Anianus109. Le manuscrit E 12 correspond donc au savoir élaboré de façon collective, à la Renaissance carolingienne, autour des sens anciens et actuels à donner à l’héritage juridique romain. Il ne semble se rattacher à aucun scriptorium ou à aucune école particulière, mais témoigne de la circulation des textes et des idées dans les différents centres culturels carolingiens.
100 101 102 103 104 105 106 107 108 109
Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 114. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 115 et p. 212-217. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 300-302. Voir la discussion sur ce manuscrit du début du ixe siècle supra, chapitre 3. Bischoff, Katalog III, no 5107 et 5108, p. 243-244 date ce manuscrit du 2e quart ou du milieu du ixe siècle, et situe sa copie plutôt vers le sud. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 181-184 considère qu’il est du xe siècle. Bischoff, Katalog II, no 2547. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 137 et Ganivet, « L’“epi tomé” », Voir la discussion infra. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 213. Bischoff, Katalog III, no 4313, p. 97. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 271-274. Un colophon indique une copie en 833 dans le diocèse de Bayeux. Trump, « Handschrift ». Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 333-335. Bischoff, Katalog III, no 6443, p. 405 (mais il faut corriger qu’il s’agit d’un Bréviaire d’Alaric et non d’un Code Théodosien). Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 138-140. Vatican, BAV, Ott. Lat. 2225, f. 187vb. Krusch éd., Chronologia, 1920, p. 472. Voir Kaiser, « Ein unbekannter Auszug », p. 316-318.
une première version carolingienne
Le droit romain et l’enseignement Le manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409 se distingue par l’ampleur des gloses qu’il contient, qui ne sont transmises intégralement que dans le manuscrit du Vati can, BAV, Reg. lat. 1048, que D. Liebs considère comme plus tardif. Il considère donc que le premier aurait été complété en plusieurs étapes110, ce que semble confirmer l’ajout de la remarque finale. Les gloses du manuscrit E 12 ne sont donc pas originales et reprennent un corpus constitué en différentes étapes par divers copistes. Elles consistent en général en des aides à la compréhension, plutôt qu’en des précisions juridiques ; elles expliquent les termes employés à l’aide d’Isidore de Séville mais aussi par le truchement du grammairien Nonius Marcellus et plus rarement de Priscien, de Végèce, d’Augustin et de Boèce111. Ces gloses prennent un sens particulier dans le cadre d’un enseignement aux élites. Celle qui définit le tyrannus montre bien que la conquête territoriale appartient au passé et que la crainte de la guerre civile entre les royaumes francs domine : Tyrannus est qui per vim alterius terram invadit112 Est un tyran celui qui envahit par force la terre d’autrui. La glose sur la res publica assume la maturation d’une réflexion politique qui ne considère plus l’empire romain comme un idéal : Res publicae, ut Varro breviter definit, res populi, quae definitio, si vera est, numquam fuit res romana res publica, quia nunquam fuit res populi, quam definitionem voluit esse reipublicae. Populum enim definit esse coetum multitudinis iuris consensu et utilitatis communione sociatum, ac per hoc si res publica est res populi, et populus non est, qui consensu sociatur iuris, non est ius, ubi nulla iustitia est, procul dubio colligitur, ubi iustitia non est, non esse rempublicam. Iustitia porro ea virtus est, quae sua cuique distribuit, igitur iustitia non est quae ipsum hominem deo vero tolit et in mundo daemonibus subdit113. La république, suivant la brève définition de Varron, est la chose du peuple ; si cette définition est vraie, il n’y eut jamais de république romaine car il n’y eut jamais de chose du peuple dont la définition voudrait faire la république. En effet, le peuple est un ensemble d’un grand nombre uni par l’accord du droit et la communauté d’intérêt, par conséquent si la république est la chose du peuple, qu’il n’y a pas de peuple qui serait uni par l’accord du droit, il n’y a pas de droit là où ne se trouve nulle justice, il est certainement conclu que là où il n’y a pas de justice, il n’y a pas
110 111 112 113
Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 214. Ibid., p. 212-217. E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 44. E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 73v.
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de république. Par ailleurs, la justice est une vertu qui attribue à chacun ses biens. Il n’y a donc pas de justice, qui élève l’homme au vrai Dieu et assujettit les démons dans le monde. Ces remarques reprennent la démonstration de la Cité de Dieu d’Augustin, qui discute du De republica de Cicéron114. Mais la définition rapportée y est attribuée à Scipion et non Varron, qui correspond à une mauvaise interprétation de l’Africanus mentionné par le texte. Au folio 17, l. 15, est copié dans la marge du texte : Quaecumque contra leges fuerint a principibus obtenta non ualeant, « Ce que les princes ont obtenu contre les lois n’est pas valable », l’interprétation suivante : Principes in hae lege intellege reges, Dans cette loi, princes doit être compris comme rois. D. Liebs ironise sur le manque de compétences juridiques du glossateur : Au moins, le glossateur principal était manifestement un homme d’Église, un chrétien militant mais peu versé dans le domaine juridique115. Il me semble au contraire qu’il illustre ici une notion importante pour le haut Moyen Âge : l’idée de la continuité de l’autorité législatrice depuis les empereurs romains jusqu’aux rois des Francs. Elle apparaît aussi dans ce manuscrit, comme dans trois autres qui lui sont liés (Bern, Burgerbibliothek 263 ; Vatican, BAV, Reg. lat. 1048 ; Vatican, BAV, Ott. lat. 2225) qui associent la fin du Bréviaire d’Alaric et une liste de souverains francs mérovingiens et carolingiens, jusqu’à Pépin116. De même, le Liber legum assemblé par Loup de Ferrières commençait par une liste de souverains, d’Auguste à Louis le Pieux117. Dans cette perspective, il faut interpréter les lois, car elles sont toujours valables, mais dans un nouveau contexte, illustré ici en considérant que le roi remplaçait le prince dans le rôle du souverain dont le pouvoir doit être respectueux des lois. Ce type de commentaire illustre comment le droit romain a continué à être considéré comme d’actualité bien après la disparition d’un empereur d’Occident. Dans le manuscrit E 12, on trouve aussi cette glose du terme de curialis118 : Curialis a curia dictus, in qua residebat vel serviebat. Dictus propter curam communem,
114 Augustin, Cité de Dieu, livre II, XXI, 2 et livre XI, 1 qui discute Cicéron, De Republica, I, 25. 115 Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 217 : « Wenigstens der Hauptglossator war offenbar ein Mann der Kirche, ein engagieter Christ, juristiche aber nicht sehr bewandert ». 116 Dans le mêmes sens, Trouvé, Les listes, I, p. 159-163. 117 Münsch, Der Liber legum, p. 92-97. 118 E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 69v. La glose est éditée dans Haenel, p. 459 à partir du manuscrit du Vatican, BAV, Reg. lat. 1048.
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Le curiale est appelé ainsi à partir de la curia, dans laquelle il réside ou bien dans laquelle il est de service. Cela vient de la charge commune. Ici, le curiale n’est plus associé à une cité et la curia où il siège peut aussi bien être une assemblée locale, que la cour. Le glissement de sens de tous les mots latins permet qu’on puisse être passé, sous la même désignation de curiales, des magistrats municipaux de l’Antiquité aux comtes du haut Moyen Âge. Les érudits se représentaient le pouvoir des aristocrates dans cette continuité depuis la république romaine119. La complémentarité des droits romain et franc Dans le manuscrit E 12, la copie des formules de Tours, dont la collection a été composée au milieu du viiie siècle120, montre bien que la loi romaine explicitée est pensée pour une mise en pratique. Comme l’écrit Alice Rio, « la théorie et la pratique prennent plus de sens comme les deux extrêmes d’un continuum, que comme deux sphères radicalement opposées »121. Cette perspective est illustrée par l’enchaînement des textes recopiés. À la fin du Bréviaire d’Alaric, on trouve cette formule isolée, au f. 120 : Fin du chapitre de Papianus, début de la proclamation. Alors que celui-ci a été convoqué en justice par celui-là en présence d’un homme illustre, il lui a demandé d’écrire ce qu’il demandait formellement en justice. Les empereurs établirent des décrets de sorte que nul ne décide de recevoir de jugement avant que les audiences n’aient eu lieu, afin que la loi porte secours à [ceux] à qui vous donnez foi, qu’ils ne soient pas chargés de la peine d’une énonciation [prématurée]. Proclamation : une plainte déposée sur ce sujet en présence de votre grandeur, afin que l’homme de ce nom reconnaisse ensuite s’être préoccupé de ces [choses] dans le mauvais ordre, étant donné que votre sagesse et la sentence légale devaient définir cela intégralement. Pour cette raison, comme je n’ai pu approuver moi-même dans une assemblée établie les causes qui m’ont été soumises avec justice, comme la loi terrestre dans le corpus de Théodose arrête [cela] comme décidé, je promets que je vais m’acquitter en donnant une proclamation. Dans le neuvième de Théodose, première ère, ils opposent un refus aux accusateurs au sujet des écritures : qu’il enlève la déclaration écrite des mains
119 Voir les réflexions de Dumézil, Servir. 120 Depreux, « La tradition manuscrite ». 121 Rio, « Charters », p. 27 : « Theory and practice make more sense as two ends of a continuum, rather than as two radically opposed spheres ». Voir aussi les hypothèses sur la transmission des formules présentées dans Ead., « Les formulaires ».
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de l’accusateur dans un procès aussi bien civil que pénal, qu’il n’y ait pas d’écrit fait avant qu’il n’y ait eu audience par un juge122. La formule refuse donc, au nom de la loi romaine, l’établissement d’un docu ment écrit avant une audience formelle. Dans le manuscrit, sa copie complète par cette règle de procédure les principes juridiques énoncés auparavant. Le droit romain présenté est donc assimilé concrètement à un jugement, par un tribunal, où aurait pu être avancée une décision écrite à l’avance. La continuité de l’application de la loi romaine se manifeste alors par la copie, à cet emplacement (f. 120v, l. 5-19), d’une liste de rois de Thierry à Chilpéric avec une somme globale des durées de règne, comme dans le dossier de la loi salique version D, puis est ajoutée la durée du règne de Pépin123. La liste initiale a donc été mise à jour sous le règne de Charlemagne. Vient enfin la souscription du Bréviaire d’Alaric par Anianus, puis le glossaire, entre le latin, le grec et l’hébreu suivant le titre, mais de fait latin-latin, qui permet de préciser le sens du vocabulaire juridique. Dans ce manuscrit, la succession des rois depuis un Theodericus, nom de rois francs, mais aussi gothiques et burgondes, jusqu’à Pépin, est associée à la diffusion du texte exact du résumé actualisé de la loi romaine promulgué sous l’autorité du roi des Goths Alaric124. La logique de cet enchaînement montre que l’établissement de la loi est vu de façon continue depuis les empereurs, via les rois barbares et jusqu’aux souverains carolingiens. Il appartient aux érudits de maintenir la compréhension du vocabulaire juridique, pour que ces textes restent compris et utilisés. Cette liste de rois commence par Thierry, comme celle associée à la version D de la loi salique. Elle a été mise en rapport par Ian Wood125 avec la Passion de Léger, évêque d’Autun, écrite par Ursin, qui mentionne :
122 E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 120-v : Explicit Papiani titulus, incipit edictio. Cum in praesentia inluster uir ille illo mallauit sed illi sed ille petiuit ut scriberet quod petiuit in ritica. Imperatores sancserunt decreta, ut nullus a iudicio suscipere praecurrit, antequam sollempnia patefecerit, ut his qui fidem datis ut nec obiecti sunt praeomaticis dictionis lex pęna succurrit. Ędictio in quam ob rem petitio in conspectu magnitudinis uestri, ut homo – nomen illi est – illas post se mali ordine praeoccupasse dinoscitur ut hoc uestra prudentia integrum et legalis sententia debeant definire. Ea uero scilicet ratio, ut si in constitutum placitum res illas mihi iustissime debitas adprobare non potuero, ut lex mundana teodosiano corpore arbitratus discernit me impleturum esse polliceor data ędictione. De inscriptionibus accusatoribus recrescant teodosiano nono in ira prima tam ciuile neque criminalem actio professio manu accusatore conscripta praecidat, nisi in se repetitione caelebrata prius a iudice non audiatur. Je n’ai pas tenu compte de la correction portée sur le manuscrit de in ritica en irrita. Édition Zeumer, Formula extravagans I, 5, p. 536-537. 123 Édition par Eckhardt, Lex salica 1969, p. 193-195 sous le signe E 12*. 124 Kaiser, « Ein unbekannter Auszug », p. 317, note 43. 125 Wood, « The Code ».
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Une fois qu’il eut reçu le gouvernement du royaume, Léger rétablit dans son état antérieur tout ce qu’il trouva de déraisonnable, et surtout de contraire aux lois des anciens rois et hauts dignitaires, dont la vie paraissait digne d’éloges126. Or Thierry III était le roi en Neustrie-Burgondie lorsque la Passion écrite par Ursin considère que Léger d’Autun, était « maire du palais », maior domus127. Si le pouvoir de Léger était suffisamment important pour être assimilé à celui d’un maire du palais, ses réformes pourraient correspondre à l’une des étapes de transformation de la loi salique. Néanmoins, le texte ne précise de quelle loi il s’agissait : romaine ? franque ? ou plutôt toutes les lois reprises sous l’autorité des rois francs, ce qui, dans la perspective de notre manuscrit, concernerait la loi salique comme la loi romaine transmise par le Bréviaire et ses abrégés. La complémentarité des lois romaine et franque, exprimée par les termes spécifiques de la version E comme dans les textes de la moitié des manuscrits qui la comportent, est claire dans les gloses sur l’Epitome Aegidii recopiées dans le manuscrit de Paris, BnF, latin 4416, mises en valeur par K. Ubl. B. Bischoff datait ce manuscrit du début du xe siècle128. À partir d’une erreur de cote, H. Mordek l’associait au scriptorium des lois sous Louis le Pieux129, mais K. Ubl a exclu une production à Tours pour des raisons paléographiques et date le manuscrit du 2e ou du 3e tiers du ixe siècle130. Il est copié en minuscule caroline et en notes tironiennes131, que D. Trump et K. Ubl considèrent comme du ixe siècle. On y lit ces gloses marginales en complément de la description des différents statuts de libres dans la loi romaine132 : 50v g : Si quis civem civem romanum ociderit, XL sol. culpabilis iudicetur.
Si quelqu’un tue un citoyen romain, qu’ils soit jugé coupable pour 40 sous.
50v d : Si quis romanum poss[es]sorem qui infra patriam res iure proprias possidet, occiderit, componat C sol. Compositionem latini videlicet hominis cu[m] XXXV sol. iubet lex solvere. Deditii vero compositionem cum XX sol. iubemus solvere.
Si quelqu’un a tué un propriétaire romain, qui possède des biens suivant le droit dans le pays, qu’il paie 100 sous. Mais la loi demande de payer 35 sous pour l’amende de composition d’un homme latin. Nous ordonnons de s’acquitter de 20 sous pour l’amende de composition d’un déditice.
126 Ursin, Passion de saint Léger (BHL 4851), ch. 5 : Qui, acceptis huius regni gubernaculis, quodquod maxime aduersus legis antiquorum regum ac magnorum procerum, quorum uita laudabilis adstabat, repperit ineptum, ad pristinum reduxit statum. Traduction Dumézil dir., Le dossier saint Léger, p. 32 ; édition Krusch, p. 328. 127 Ibid. 128 Bischoff, Katalog III, p. 98. 129 Mordek, Bibliotheca, p. 423. 130 La confusion entre le Paris, BnF latin 4416 et 4418 remonte à une faute de frappe dans McKitterick, The Carolingians, p. 58, ainsi que l’explique K. Ubl, sur le site Bibliotheca Legum, sur la notice de ce manuscrit (consultée le 22 avril 2020). 131 Trump, « Die Tironiana ». Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 314-315. 132 Epitome Aegidii, Gai Institutes, I, éd. Haenel, p. 314.
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On voit ici des injonctions qui reprennent l’amende pour le meurtre d’un propriétaire romain dans la loi salique, telle qu’elle est exprimée dans la version K de la loi salique : Si romanus homo possessor, id est qui res in pago ubi commanet proprias possidet occisus fuerit, is qui eum occidisse conuincitur IIII denariis qui faciunt solidos C culpabilis iudiceturi. i
Si un homme romain propriétaire, à savoir quelqu’un qui possède des biens dans le district où il habite, a été tué, que celui qui a été convaincu de l’avoir tué soit jugé coupable pour 4000 deniers, qui font 100 sous.
Loi salique K, ch. XLIII, § 7. Eckhardt éd., Pactus legis Salicae II, 2, 1956, p. 507.
Ce montant est ensuite décliné en fonction des différents statuts de libres, ci toyens romains, latins et déditices tels que les définissaient la loi romaine133. Dans le manuscrit de Paris, BnF, latin 4416, la complémentarité des droits romain et franc est aussi soulignée par une introduction de l’Epitome Aegidii par le prologue de la loi des Bavarois (f. 1-2), qui présente une suite continue de législateurs, de Moïse à Dagobert, en passant par Théodose et Thierry134. La première partie du manuscrit E 12, Paris, BnF, latin 4409, forme un ensemble cohérent sur les folios 1 à 124ra, diversement partagé avec d’autres manuscrits. Le doublon constitué par les deux listes de rois francs tient aux com pléments qui lui ont été apportés, à partir d’un ou de plusieurs autres modèles, qui comportait la loi salique dans sa version E, une liste de rois francs de Clotaire à Pépin et l’Epitome Aegidii. Nous pouvons donc rejoindre les argumentation de Karl Ubl et William Trouvé pour considérer que malgré ses points communs avec la liste contenue dans le dossier textuel associé à la version D, la liste éditée par K. A. Eckhardt comme E 12* n’est pas associée à la tradition textuelle de la loi salique, mais à celle du Bréviaire135, tandis que la deuxième liste, dans E 12, semble indiquer un modèle commun avec le manuscrit E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846, mais pas avec le reste des manuscrits de la loi salique version E136.
133 Liebs, « Vier Arten ». 134 Paris, BnF, latin 4416, f. 1 rajoute encore au syncrétisme des législateurs en remplaçant Solon, rédacteur de la Loi des Douze Tables, par Salomon. 135 Trouvé, Les listes, I, p. 159-163. 136 Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 88-92. Trouvé, Les listes, I, p. 172-181.
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E 11 et E 12, deux manuscrits issus d’un modèle commun B. Krusch137 et K. Ubl138 considéraient que les manuscrits E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846 et E 12, Paris, BnF, latin 4409 dérivaient d’un modèle commun. Dans son étude des listes de rois, W. Trouvé défend, de façon plus précise, l’existence de plusieurs, étapes, aboutissant au stemma codicum suivant139 :
Illustration 6.3 : Les relations entre les manuscrits des listes de roi D 9, E 11 et E 12 d’après W. Trouvé.
Si les manuscrits E 11 et E 12 paraissent ainsi descendre d’un modèle com mun, il faut noter l’indépendance que les copistes ont montré par rapport à lui, en complétant différemment de nouveau la liste des rois, notamment concernant le fils adoptif de Grimoald : E 11 a ajouté adoptiuus, E 12 une durée de règne d’un an140. En outre, cette liste fut recopiée à des emplacements différents : avant la liste des titres pour E 11, qui insiste sur la succession des règnes, après la liste pour E 12, qui rédige une présentation insistant sur l’aspect généalogique. Ce manuscrit inclut ainsi la succession des rois dans la Loi salique, au contraire de tous les autres manuscrits de la version E. Une autre particularité du manuscrit E 12 réside dans l’association de la loi salique version E et de l’Epitome Aegidii. Ce condensé de droit romain à partir du Bréviaire d’Alaric fut rédigé dans la première moitié du viiie siècle, avant les Formules de Tours qui l’utilisent141. Il trouve dans le manuscrit E 12 sa fonction
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Krusch, Chronologica, p. 468-479, ici p. 476. Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 91. Trouvé, Les listes, I, p. 181. Je suis ici W. Trouvé qui interprète I. comme un an, et non K. Ubl qui comprend Id est. Liebs, Römische Jurizprudenz, p. 111 et p. 221-230. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 305-323. Faulkner, Law, p. 234-238.
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originelle de texte accompagnant le Bréviaire d’Alaric, et non le remplaçant. Il vient ici compléter la loi salique dans sa version E en 97 titres, et c’est le seul manuscrit qui associe ces deux textes de façon certaine142. Dans la première partie du manuscrit E 11, l’Epitome Aegidii ne comporte par le Commonitorium143, celui copié dans E 12 le comporte144 : les deux copies de ce texte ne sont donc pas apparentées et leur présence ne remet pas en cause le caractère composite du manuscrit E 11. Dans l’ensemble du manuscrit E 12, Paris, BnF latin 4409, sont ainsi évoqués des souverains romains jusqu’à Sévère III (mort en 465) par ses Novellae, puis Alaric, des rois mérovingiens de Thierry II à Chilpéric, puis Pépin le Bref, enfin dans l’épilogue, un premier roi des Francs, des rois frères législateurs Childebert et Clotaire, le décret d’un roi Childebert, et enfin, dans le colophon, un roi anonyme à l’enseignement duquel les commentaires sont dédiés. Quel que soit ce souverain, carolingien ou robertien, de la fin du ixe siècle ou du xe siècle, l’en semble des copistes le plaçait en héritier d’une succession continue de souverains législateurs depuis les empereurs romains qui avaient interprété et adapté les lois publiées par leurs prédécesseurs. Cet aspect ne nous permet donc nullement de spécifier l’époque de rédaction des notes, de la remarque finale ni du règne du roi qu’elle évoque. Du ixe au xe siècle, les droits romains et francs sont envisagés de la même façon, comme un héritage dynamique : les érudits mobilisent différents outils, comme les glossaires ou les Étymologies d’Isidore de Séville, pour mieux le comprendre, mais aussi mieux l’adapter aux exigences du pouvoir de leur temps. Cet enseignement du manuscrit, que la note finale destine au roi, repose sur un ensemble représentatif de l’héritage juridique du monde franc. Dans la perspective d’une autorité législatrice continue entre les différents souverains, la loi est sans cesse actualisée, par des reprises et des suppressions. La loi romaine est abrégée puis commentée, tandis que le nombre de chapitres de la loi salique varie de 65 à 99. Certains textes sont attribués à des souverains spécifiques, comme les Novellae ou le décret de Childebert. D’autres s’inscrivent dans une perspective longue qui les rend anonymes, comme les interpretationes du Bréviaire ou la loi salique. Les différents droits évoluent sous l’autorité royale et concernent tous les puissants, le roi comme tous ceux, clercs et laïcs qui ont des responsabilités de juge. Aux ixe et xe siècles, la loi romaine n’était pas marginalisée, mais au cœur de l’exercice du pouvoir dans les royaumes francs. Cette complémentarité de tous les droits anciens caractérise aussi les autres manuscrits de la loi salique version E, mais ils y sont représentés par des textes différents.
142 Voir la discussion infra. 143 Voir Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 310. 144 Ibid., p. 263.
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Le manuscrit E 13, Warsawa, Biblioteka Uniwersytecka I145
Ce manuscrit, copié dans le premier ou le deuxième quart du ixe siècle, a été associé à un scriptorium des lois de Louis le Pieux. Pour B. Bischoff, il fut copié « en lien avec la cour, dans un style proche de celui du scriptorium de Tours146 », pour R. McKiterrick147 et H. Mordek148, il fut copié à Tours et représente le modèle des manuscrits du scriptorium des lois qui aurait été actif pour Louis le Pieux. K. Ubl a souligné les étapes de glissement entre ces différents classements149 mais confirme la production de ce manuscrit à Tours. Les Formules de Tours qui y sont copiées ont été élaborées dans cette cité150, néanmoins : L’origine à Tours ne montre pas seulement par ce texte, mais aussi par l’écriture, qui correspond à l’idéal de l’époque de Fridugise. Les formes doubles et les ligatures sont totalement bannies et la hiérarchie des écritures comprend, à côté de la Capitalis quadrata, la Capitalis rustica (pour noter les explicit), ainsi que de rares semi-onciales151. À la fin du recueil juridique fut aussi ajoutée une littera formata de l’arche vêque Landramne de Tours (815-836) pour un prêtre (f. 268v-269). À l’époque moderne, le manuscrit se trouvait à la bibliothèque du collège de Clermont, à Paris. Il fut probablement conservé à Langres vers l’an mil, car il était relié avec une liste de livres de l’archidiacre Widon de Langres (mort en 1008)152, ainsi qu’un fragment de la Vie d’Alexandre le Grand. L’un et l’autre semblent avoir été mis par hasard en rapport avec ce recueil juridique153. Le manuscrit s’ouvre par une version abrégée du Bréviaire d’Alaric (f. 1-206), quasiment réduite aux seules interprétations154. Cette partie du manuscrit com porte des corrections, et quelques brèves notes tironiennes155, mais qui ne 145 L’importance de ce manuscrit a été exposée par Hubé, La loi salique. 146 Bischoff, Katalog III, no 7082, p. 472 : « Vom Hofe abhängiges, in Tours-ähnlichen Stil arbei tendes Skriptorium ». 147 McKiterrick, The Carolingians, p. 57. Ead., « Die Herstellung », p. 10-14. Ce manuscrit est alors désigné par son ancienne cote, Warschau Quart 480. 148 Mordek, Bibliotheca, p. 898-903. 149 Ubl, « Gab », p. 46-50. 150 Depreux, « La tradition », p. 59, 60, 67, 89 et 90. 151 Ubl, « Gab », p. 58 : « Die Herkunft aus Tours wird aber nicht nur durch diesen Text belegt, sondern auch durch die Schrift, welche dem Ideal der Fridugis-Zeit in jeder Hinsicht entspricht. Doppelformen und Ligaturen sind vollständig ausgemerzt, und die Schrifthierarchie umfasst neben der Capitalis quadrata, der Capitalis rustica (in den Explicit-Vermerken) auch die seltene Halbunziale ». 152 Baluze, Histoire, p. 170-172, no LXXXVIII. 153 Mordek, Bibliotheca, p. 902 reproduit la liste des livres du diacre Wido, qui ne comporte pas ce manuscrit. 154 Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 256-257, 267-268. 155 Il est exagéré de le décrire comme comportant « de nombreuses annotations marginales », comme le fait McKitterick, « Zur Herstellung », p. 11 : « viele marginale Anmerkungen ».
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peuvent pas être reliées aux autres manuscrits attribués au scriptorium des lois156. Le Bréviaire se clôt sur les Sentences de Paul, bien séparées de la suite par un Explicit et la fin du feuillet laissé blanc (f. 206). Au verso apparaît le titre In nomine sanctae trinitatis incipit prologus libri legis salicae, suivi du prologue long de la version E (f. 206-207). Il est bien séparé de la liste des titres des chapitres, par Explicit prologus, amen, et une rubrique Incipiunt capitula legis salicae. Ce manus crit est le seul à présenter le prologue long avant la liste des chapitres157. Celle-ci comporte des lignes numérotées de I à C, dont seules quatre-vingt-dix-huit sont remplies (f. 207-209). Les deux dernières lignes sont laissées vides, avant Explicit capitula legis salicae. Ensuite sont copiés 98 chapitres comportant de rares titres (f. 209v-223v), comme dans les autres manuscrits de la version E, ainsi que de rares corrections (f. 214, 217v, 219v, 222v, 223v). Une rubrique indique le début d’un nouveau texte, mais elle se poursuit en englobant le début de la rédaction : Incipit decretum Hildeberti Hildebertus rex Francorum uir inluster (f. 223v). Ce titre étendu ne se trouvait pas dans E 11 et E 12, mais apparaît aussi sous cette forme dans E 14158, E 15159 et E 16160. L’épi logue de la loi salique est ici complètement enchâssé dans le décret de Childebert. Un simple retour à la ligne marque le début de la phrase Expliciunt leges salice libri III quem uero rex Francorum statuit… (f. 225v). L’ensemble de la loi salique, ainsi clos par Explicit amen (f. 225v) comporte, comme issus d’une révision sous l’autorité de Childebert, ce qui peut être considéré comme trois livres différents : un prologue, un texte en 99 chapitres et un décret. Cette caractéristique est partagée par tous les autres manuscrits de la version E, E 11 (f. 97v), E 14 (p. 334), E 15 (f. 15v), E 16 (f. 15v), sauf E 12 (f. 134v). Les formules de Tours sont introduites une rubrique Incipiunt Capitula (f. 226-250v) mais demeurent sans titre. Suivent des extraits des Étymologies (f. 251-254) proches de ceux du manuscrit K 17161, puis des extraits de la collec tion canonique Dionysiana (f. 254v-268v). Les ajouts finaux (f. 268v-269), une lettre de l’archevêque Landramne de Tours (815-836)162 et un passage du pape Sirice ne sont pas marqués comme tels et devaient accompagner la collection canonique dans le modèle recopié. Le lexique de synonymes latins final (f. 269-v) n’est pas classé par ordre alphabétique et n’a pas de terme commun avec le lexique copié dans le manuscrit E 12. L’explicit qui le suit montre que le copiste 156 Ubl, « Gab », p. 52. 157 Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 88. 158 La rubrique y est fautive : E 14, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 729, p. 328 : Incipit decretum Hildeberti Hildebertus rex Fracorum uir inluster. Corriger sur ce point la transcription proposée par Eckhardt, Lex salica, 1969, p. 175. 159 E 15, Paris, BnF, latin 4629, f. 13. 160 La rubrique y diffère légèrement : E 16, Berlin, SBPK, Phill. 1736, f. 14 : Incipit decretum Hilde berti Hildebertus rex Francorum uir illustris. Le dernier mot est en toutes lettres, et il faut corriger sur ce point la transcription proposée par Eckhardt, Lex salica, 1969, p. 175. 161 K 17, Leiden Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q 119, f. 1-10. Voir supra, ch. 2. 162 Sur cette lettre écrite entre 815 et 834, voir les remarques de Depreux, « La tradition ».
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avait conscience d’avoir terminé le recueil manuscrit qui résume les éléments fondamentaux du droit dans le monde franc du ixe siècle, avec le droit romain dans le résumé du Bréviaire d’Alaric, les formules et des lexiques, le droit franc avec la loi salique et le décret de Childebert, les canons avec des extraits de la collection pontificale. Ce manuscrit, produit à Tours, montre que le scriptorium ne s’y dédiait pas à la copie de versions officielles des textes normatifs car la collection canonique y est une ancienne version de la collection Dionysiana163, tandis que la loi salique y apparaît sous la version E, et non la version K, plus récente, qui circulait déjà. Le manuscrit E 14, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 729
B. Krusch considérait que ce manuscrit était composé de deux parties dif férentes reliées ensemble, la première partie (p. 1-260) pour le droit romain, la deuxième (p. 261-404) pour les lois barbares, la loi salique et la loi des Alamans164. Mais il affirmait aussi qu’il s’agissait du manuscrit de Saint-Gall, noté dans le catalogue du ixe siècle comme comportant : Lex Theodosiana. Lex ermogeniana. Lex Papiani. Lex francorum. Lex alamannorum, in uolumine I165 et ne résolvait pas la contradiction. B. Bischoff considérait le manuscrit comme un recueil cohérent, situait sa copie au premier ou deuxième quart du ixe siècle, en France, plutôt à l’ouest, et l’associait potentiellement à un scriptorium des lois166. H. Mordek a repris cette hypothèse, mais son relevé des différentes marques de cahier montre bien trois parties différentes dans ce manuscrit, qui ne porte pas de marque de la bibliothèque de Saint-Gall avant le xviiie siècle167. Il conclut ainsi : En tout cas, trois parties différentes se distinguent le plan codicologique comme pour leur contenu, pour lequel les deux dernières parties au moins concernent le droit barbare. Peut-être était-ce conçu dès le départ comme un ensemble uni168. K. Ubl a considéré, comme B. Krusch, qu’il y avait deux parties différentes dans ce manuscrit, copiées dans le même scriptorium169. D’autre part, il a refusé 163 Il s’agit ici de la deuxième rédaction de la collectio Dyonisiana, voir Mordek, Bibliotheca, p. 400 et Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 268. 164 Krusch, Neue Forschungen, p. 177-180. 165 Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 728, p. 17. La reconnaissance du manuscrit décrit dans le cata logue comme étant le manuscrit Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 729 est aussi défendue par Kaiser, « Rezensionsmiszelle » p. 580-581, qui montre toutefois qu’il est impossible d’affirmer sa présence dans la bibliothèque médiévale de Saint-Gall. 166 Bischoff, Katalog III, no 5841, p. 332. Mordek, Bibliotheca, p. 668-670. 167 Mordek, Bibliotheca, p. 668-670. 168 Ibid., p. 669 : « Auf jeden Fall lassen sich codicologish und inhaltlich drei Teile unsterscheiden, von denen zumindest die beiden letzten mit dem Germanenrecht zusammengehören. Vielleicht war von Anfang an ein einziges Werk geplant ». 169 Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 86, note 37.
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toute association directe avec le scriptorium de Tours tel qu’il fonctionnait sous Fridugise170 : l’écriture Quadrata des titres apparait, mais de façon différente ; les lettres n’ont pas de formes doubles mais les ligatures sont fréquentes et les hampes exagérées vers le haut. Il ne me semble pas évident qu’il s’agisse du manuscrit décrit dans le plus ancien catalogue de la bibliothèque de Saint-Gall. Il ne fut probablement pas copié à Saint-Gall, mais aurait pu rejoindre sa bibliothèque dès le milieu du ixe siècle. La reliure du manuscrit E 14 est très ancienne, mais les points communs entre les différentes parties, qui pourraient avoir été copiées à la même époque dans un même scriptorium, ont pu entraîner très rapidement cette association. Les enchaînements des cahiers et leurs marques permettent de distinguer trois parties différentes dans ce manuscrit : -
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p. 1-260 : copie de l’Epitome Aegidii. Il manque le premier cahier ; p. 261-334 : la loi salique version E commence ici sur un nouveau cahier, d’une autre main. Les marques indiquent q. I (p. 276), q. II (p. 288), et q. III (p. 304). Elles disparaissent ensuite mais le bas des pages a été mouillé et délavé. Cette partie est consacrée aux textes liés à la loi salique version E, soit dans cet ordre, la liste de 98 titres (p. 261-267), un bas de page et une page blancs (p. 268), le prologue long (p. 269-272), le texte des 98 chapitres (p. 272-327), puis comme chapitre XCVIIII De chrenecruda (p. 327), enfin le décret de Childebert et l’épilogue enchâssés (p. 328-334). Le texte de la loi salique comporte des notes récentes, la plupart sont dues à Gilg Tschudi171 ; p. 335-404 : la Lex Alamannorum, version A, copiée d’une autre main, com mence sur un autre cahier, qui porte la marque q. I (p. 350).
Ce manuscrit témoigne de l’ordonnancement des textes associés à la version E de la loi salique, sauf dans E 13 : la liste des 98 chapitres, le prologue long, le texte de la loi salique suivi du paragraphe de refus de la chrenecruda, puis l’Édit de Childebert, dans lequel s’imbrique l’épilogue de la loi salique. K. Ubl a souligné les modifications apportées depuis le dossier textuel associé à la version D de la loi salique : l’ordre est inversé entre le prologue et la liste des chapitres, apparaît systématiquement une invocation de la sainte Croix, et non plus du Christ, la liste des rois a disparu172. Dans les manuscrits E 14 (p. 261) et E 16 (f. 1v), la liste des titres de la loi salique n’est introduite par aucun titre. La présentation du texte n’apparait qu’entre la liste des titres et le prologue long. La perte de feuillets nous empêche de connaitre la disposition retenue pour les plus anciens manuscrits, E 11 et E 15. L’ensemble nous montre que les différents copistes ont retravaillé très légère ment le texte en négligeant la rupture entre la fin du décret de Childebert et l’épilogue, ce qui fournit, au cours de la transmission manuscrite (car la fusion 170 Ubl, « Gab », p. 59. 171 Krusch, Neue Forschungen, p. 177. 172 Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 88-89.
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des deux textes n’existait peut-être pas dans l’archétype, suivant le témoignage du manuscrit E 12), une nouvelle explication sur les origines de la loi salique, associée aux textes publiés par le roi Childebert. En revanche, le texte même de la loi connaissait très peu de variations, avec un flou constant autour du statut du 99e chapitre, absent de la liste des titres mais toujours copié à la fin du texte. Le manuscrit E 15, Paris, BnF, latin 4629
Un petit recueil incomplet et divers Le début du manuscrit E 15, qui ne comporte que 56 feuillets, est man quant173. B. Bischoff considérait que son écriture était précaroline et situait sa copie au tournant des viiie-ixe siècles, probablement à Bourges174. La main princi pale, qui a recopié le recueil de lois, utilise de nombreuses ligatures archaïsantes. H. Mordek précisait la datation après 805, en raison de la présence des deux capi tulaires de Thionville publiés durant cette année175. Dans un espace libre (f. 18v), une main différente, mais de la même époque, a ajouté les Capitula per missos cognita facienda176, qui furent publiés par Charlemagne entre 805 et 813, ce qui semble bien indiquer que ce recueil fut constitué et même complété sous le règne de Charlemagne, et non de son fils, dont la législation est absente. Il représente donc le plus ancien manuscrit de la version E de la loi salique. H. Mordek suggère que ce manuscrit, ou son contemporain, aurait pu servir de modèle au scriptorium des lois de Louis le Pieux177. La situation qu’il propose à Bourges ne tient qu’à la formule qu’il contient (f. 56v). Le petit volume commence au début de la loi salique version E, au milieu du chapitre XXIV. On y reconnait la même alternance de titres et de numéros que dans les autres manuscrits, et le paragraphe sur la Chrenecruda est considéré comme le 99e chapitre. Le titre qu’il porte, SDe chrenechrux (f. 13) semble mon trer que le copiste n’a pu déchiffrer l’écriture des titres de son modèle. Le décret de Childebert est ensuite introduit par un titre qui comprend le début du texte et sa fin se mêle directement à l’épilogue, sans même un retour à la ligne (f. 15). Il est suivi de la copie, par une autre main, d’un dialogue sur la Trinité (f. 15v-16), puis d’un dialogue sur la philosophie dont le titre parait lui aussi erroné : Incipit filosofia ikuditio cum (f. 16v-18v)178. Ces erreurs de lecture des titres semblent indiquer La notice qui accompagne ce manuscrit est exceptionnellement détaillée et précise pour la BnF. Bischoff, Katalog III, no 4321, p. 99. Mordek, Bibliotheca, p. 502-507. Capitula per missos cognita facienda, Boretius no 67, p. 155-157. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 1088. 177 Mordek, Bibliotheca, p. 503. L’hypothèse est reprise par Bullough, « Charlemagne’s », p. 358 et 362. 178 Ces deux dialogues ont été édités et traduits par Ganz, « Some ». Voir la discussion infra à propos du manuscrit E 16. 173 174 175 176
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un modèle dont le copiste aurait orné les titres de façon exubérante, suivant les pratiques répandues au viiie siècle. Viennent ensuite, sur un nouveau cahier, des capitulaires de Charlemagne, (f. 19-f. 27v). Le premier d’entre eux, le très répandu Capitulare legibus additum de 803179, est introduit par le titre Capitulum que in legem salicam mitenda sunt, ce qui souligne la complémentarité entre les lois et les capitulaires. Il est suivi du Capitulare missorum (Boretius no 40) et l’ensemble des deux capitulaires se clôt sur la rubrique : VIII kalendas iulia missa sancti Iohannis Baptiste ad Mogontiam siue a Caualonno generale placitum habere uolumus (f. 22-v). Nous décidons [cela] lors du 8e jour des calendes de juillet, au jour de la messe de saint Jean Baptiste, au plaid général à Mayence et à Châlon.
Après la rubrique Item alios capitulos (f. 22v) suit le Capitulare legi Ribuariae additum (Boretius no 41), dont le lien avec la Loi Ripuaire ne peut donc plus être reconnu, puis un chapitre des Capitula omnibus cognita facienda (Boretius no 57), émis entre 802 et 813, qui n’a pas d’introduction. Les deux capitulaires de Thionville (Boretius no 43 et 44) apparaissent réciproquement après la rubrique Infra Aecclesiam (f. 23v) ou l’adresse Communiter aecclesiae et populi (f. 24v). Les Capitula per missos cognita facienda (Boretius no 67) ont été rajoutés dans un deuxième temps (f. 18v) avec comme introduction : « Que nos envoyés fassent connaitre ces chapitres dans toutes les régions »180. Ce sont donc les recherches érudites qui permettent de reconstituer l’unité de cette législation autour de Char lemagne. Son autorité n’est directement invoquée pour aucun de ces capitulaires. Ceux-ci sont présentés comme émis par un « nous » de majesté, parfois associés à un plaid général, parfois à un domaine d’application pour clercs et laïcs. La copie de la Lex Ribuaria, version A, commence au folio 28, mais a été perturbée : la liste des titres s’arrête au chapitre LI, le folio suivant semble avoir été effacé et une main postérieure, du ixe ou xe siècle, y a copié des passages d’Isidore de Séville sur le livre de l’Exode (f. 29-v). Le texte de la Lex Ribuaria est ensuite copié sans interruption (f. 30-f. 50) jusqu’au chapitre 89. Il est suivi de la Recapitulatio solidorum (f. 50-51v) ainsi introduite181 : f. 50 : Sciendum est quibusdam salice legis inueniantur capituli principaliter posita LXX, qui habent CCCLXII uel paulo plus aut minus. Quem numerum per minimum quem uero per maximum in conpositionibus teniat. Il faut savoir que pour certains [exemplaires] de la loi salique se trouvent 70 chapitres posés au départ, d’autres en ont un peu plus ou un peu moins
179 Capitulare legibus additum, Boretius no 39. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 1083-1084. 180 E 15, Paris, BnF, latin 4629, f. 18v : Haec capitula missi nostri cognita faciant omnibus partibus. 181 Ce manuscrit est mentionné dans Ubl, « Die Recapitulatio ».
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de 362. Que ce nombre soit considéré comme un minimum ou comme un maximum dans les compositions. Suit le classement des différentes amendes de composition. Ce passage montre que lors de la copie de ce manuscrit, la version K de la loi salique, en 70 chapitres, était connue, mais que le copiste a choisi de recopier la version E, tout en notant, dans ce paragraphe, la fluctuation du nombre de chapitres de la loi salique et en considérant que tous les chapitres jusqu’à 362 environ pouvaient être utilisés pour des compositions judiciaires. Sa brève liste des amendes s’achève sur cette remarque synthétique : f. 51 : De romanus uero uel litus lex ista ex mediaetate soluatur Pour un romain ou un lète, cette loi fait payer la moitié. Cette remarque montre que les érudits de l’époque carolingienne avaient la même distance que nous face à la logique de la loi salique, qui multiplie les exemples et les cas précis sans jamais définir de principes généraux, et qu’ils étaient capables de combler ce manque par déduction, tout en continuant néan moins de copier aussi l’intégralité de la loi. Des mains plus récentes ont ensuite ajouté de brefs passages didactiques : des extraits d’Isidore de Séville (Étymologies I, 27, f. 51v-53), des remarques sur l’orthographe (f. 53-54), un dialogue sur la théologie et la philosophie (f. 54v), un extrait d’Alcuin (Liber de virtutibus et vitiis, c. XXXVI, f. 55), puis son épitaphe182 (f. 55v-56), un poème de Venance Fortunat qui fait l’éloge de Palatina (f. 56)183 et une formule qui mentionne la cité de Bourges (f. 56v). Bien que K. Zeumer considère qu’il s’agit de la formule no 7 de la collection de Formules de Bourges et désigne cet ensemble comme une collection cohérente184, A. Rio rappelle que les formules rassemblées furent « extraites de trois manuscrits qui n’ont aucun texte en commun (Leyde BPL 114, Paris BnF lat. 4629, et Paris BnF lat. 10756) »185 par l’éditeur des Monumenta. Il faut donc l’analyser en cohérence avec l’ensemble du manuscrit, et non par rapport à un formulaire dont il n’existe aucun témoin. Ce petit volume a connu différentes étapes d’élaboration : l’ajout d’une deuxième partie à partir du folio 51, puis des textes insérés dans les espaces laissés libres : un capitulaire de Charlemagne (f. 18v), des notes tironiennes (f. 23v), des extraits d’Isidore de Séville (f. 29-v), un mot en grec (f. 42v186), une prière (f. 55), des remarques sur la durée du jour et de la nuit (f. 56v). R. McKitterick a proposé que :
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Dummler éd., Poetae latini aevi carolini I, no CXXIII, p. 350-351. Venance Fortunat, Poème VII, 6, Leo éd., p. 158. Formules de Bourges, Zeumer éd., no 7 p. 171. Rio, « Les formulaires », note 6 p. 330. Il est déchiffré dans la notice détaillée de la BnF, voir ark :/12148/btv1b84386755, consulté le 7 avril 2020.
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Le manuscrit ait en fait été initialement possédé par un laïc représentant du roi, puis que des additions lui aient été faites quand il a été utilisé comme un texte scolaire187. Certes, ce manuscrit comporte les deux lois franques, associées à la loi ro maine et à des capitulaires, ce qui peut le destiner à des juges, éventuellement laïcs. Mais dès la première partie du manuscrit se trouvent des textes scolaires, comme les dialogues sur la Trinité et sur la philosophie copiés juste avant les capitulaires. Il n’est donc pas possible, pour ce manuscrit, de séparer exercice de la justice et réflexions sur la Trinité et la vertu. Les destinataires de l’ouvrage étaientils pour autant des ecclésiastiques ? Quand Alice Rio s’interroge sur les recueils où furent copiées les formules à l’époque carolingienne, elle constate l’association de « textes divers, mais tous unis par la volonté de définir la manière de faire et de comprendre les choses »188. La rectitude parait bien la préoccupation commune des textes recopiés à côté de la version E de la loi salique et les ajouts multiples de ce manuscrit semblent surtout indiquer la longue durée de son usage. Celui-ci envisageait sans doute la formation, mais aussi l’exercice concret de la justice, car la formule finale qui mentionne Bourges cherche à obtenir des chartes de remplacement. Plus qu’un changement de destination, entre l’exercice du pouvoir et la formation, il me semble qu’il faut l’envisager comme le reflet de la volonté globale de réforme des comportements portée par la cour de Charlemagne. L’association avec le manuscrit de Leyde B. Bischoff a proposé de considérer que le manuscrit de Paris était originelle ment relié à celui de Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 114189 et H. Mordek présente les deux manuscrits comme constituant un seul recueil juridique190. Le manuscrit comporte des extraits des Étymologies d’Isidore de Séville, l’Epitome Aegidii et le Formulaire de Marculf avec des formules de Bourges191. Il a des caractéristiques très proches du manuscrit E 15 concernant la taille du manuscrit et de l’espace écrit, même si son écriture paraît un peu antérieure. Les deux recueils comportent tous deux des formules de Bourges, mais, comme nous l’avons vu plus haut, cela indique seulement la copie de formules contenant la mention de la cité de Bourges, et non de textes communs. L’association entre
187 McKitterick, « Some », p. 25 : « the manuscript was indeed originally in the possession of a lay royal official, but that additions were made to it when it was later used as a school text ». 188 Rio, « Les formulaires », p. 345. 189 Bischoff, Katalog III, no 4321, p. 99. 190 Mordek, Bibliotheca, p. 502-507. 191 Bibliotheca Universitatis Leidensis. Codices manuscripti 3 : Codices Bibliothecae Publicae Latini, Leiden, 1912, p. 57-58. Sur cette association des formules de Marculf et de Bourges, dont la cohérence était refusée par Zeumer, voir Rio, « Les formulaires », p. 335.
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Illustration 6.4 : Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 114, f. 19 (détail).
Illustration 6.5 : Paris, BnF, latin 4629, f. 16r (détail).
les deux manuscrits a été refusée par A. Rio192 ainsi que par D. Ganz193, mais sans préciser les fondements de leur jugement. Reprenons les différents éléments d’ar gumentation en faveur ou contre l’assimilation des deux manuscrits. D’un côté, l’association entre le droit romain et la version E de la loi salique est courante. Les deux manuscrits ont des liens avec Bourges, car ils ont repris des formules différentes mentionnant cette cité. La proximité formelle entre les deux recueils est frappante : ils ont le même espace de copie (185 × 110 mm), avec le même nombre de lignes ; les titres et les initiales sont parfois rehaussés de vert et de jaune et accompagnés de petites figures animales coloriées, comme le montrent les deux exemples ajoutés (Ill. 6.4 et 6.5).
192 Rio, « Les formulaires », 2008, note 6 p. 330. 193 Ganz, « Some ».
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Illustration 6.6 : La reliure du manuscrit Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 114.
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Pour autant, chaque copie a été faite de nombreuses mains et aucune ne peut être identifiée comme commune aux deux manuscrits. Les affinités formelles pourraient provenir de la même époque de copie, au tournant des viiie-ixe siècles, ou d’un même scriptorium, en lien avec Bourges. Un argument important contre l’association des deux manuscrits repose sur la reliure du manuscrit de Leyde, dont H. Mordek reconnait qu’elle pourrait bien remonter à l’époque carolingienne et constituer la reliure originale du recueil (Ill. 6.6)194. Elle a été remaniée au Moyen Âge, puisque des fragments de rouleau des morts de Reims du xive siècle avaient été placés en renfort sur les ais de bois195. La présence de ce manuscrit à Reims est confirmée par deux ex-libris qui indiquent Saint-Remi de Reims (f. 3 et f. 57) avec une écriture du xiiie siècle. Il passa ensuite en possession d’A. Petiau, puis d’I. Vossius. Ce manuscrit connut donc dès le Moyen Âge un destin distinct de celui du manuscrit de Paris, BnF, latin 4629, qui fut inséré dans la bibliothèque de Colbert par É. Baluze en 1682, à partir de l’héritage de M. de Rignac, conseiller à la cour des aides de Montpellier196. Les arguments avancés pour rapprocher ces deux manuscrits me semblent insuffisants, au regard de l’ancienneté de la reliure du manuscrit de Leyde et de la circulation médiévale séparée des deux manuscrits. En l’absence d’information nouvelle, il nous faut traiter les deux recueils comme indépendants, même s’ils peuvent avoir été produits dans le même scriptorium. Le manuscrit E 15, le plus ancien manuscrit de la version E de la loi salique, montre la connaissance de la version K, à travers la Recapitulatio solidorum, et son association à la législation franque, à travers la Lex Ribuaria dans la version A, ainsi que les capitulaires de Charlemagne. Le droit romain n’apparaissait dans le recueil manuscrit que dans la reprise d’une formule de Bourges, ajoutée dans un deuxième temps. Des dialogues sur la Trinité et sur la philosophie furent copiés à la suite de la loi salique, suivant un enchaînement particulier qui se retrouve dans le manuscrit E 16, beaucoup plus récent. Le manuscrit E 16, Berlin, SBPK, Phill. 1736
Dans la présentation de sa première édition, K. A. Eckhardt reconnaissait qu’il n’avait pu consulter le manuscrit de Berlin, E 16, mais soutenait que cela avait peu d’importance et le présentait comme le descendant du manuscrit E 15197. Il a donc fondu la présentation des deux manuscrits, y compris dans l’édition
194 H. Mordek, Bibliotheca, p. 502 : « Karolingischer Einband (Original ?) ». 195 Ces fragments sont conservés sous la cote Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2505. 196 Paris, BnF, latin 9364, f. 75 : « Un volume quarto comprenant Lex Salica. Quaestio de trinitatis. Capitula quae in lege salica mittenda sunt. Lex Ribuariorum ». 197 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 39.
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de 1969198. Le contenu de ce manuscrit suit précisément les folios 1 à 27 du manuscrit E 15, Paris, BnF, latin 4629, mais son écriture le fait dater de la seconde moitié du xe siècle199. Il ne comporte que 23 feuillets, ce qui parait extrêmement court pour un manuscrit juridique de cette époque et fait penser qu’une grande partie a été perdue. Sur le modèle du manuscrit de Paris, il s’agirait au moins de la copie de la Lex Ribuaria, version A. Le manuscrit s’ouvre par la table des 98 titres de chapitre de la version E de la loi salique (f. 1v-2). Le prologue long suit après la rubrique : In nomine sanctę trinitatis incipit prologus liber salicae (f. 2). Le texte est copié ensuite avec la même alternance d’absence et de copie des titres des chapitres que les autres exemplaires de la version E. Le paragraphe sur la chrenecruda est comptabilisé comme 99e chapitre avec la rubrique (f. 14) : XCVIIII SD De chrenechrucx, alors que manuscrit E 15, Paris, BNF, latin 4629, donnait S De chrenechrucx (f. 13). Le titre suivant, qui introduit le décret de Childebert (f. 14) devait être plus facile à comprendre, mais la rubrique donne ici : Incipit decretum Hildeberti. Hildebertus rex Francorum vir illustris alors qu’elle se terminait par uir inluster dans les manuscrits E 13, E 14 et E 15. Le titre étant en toutes lettres et très lisible dans ce dernier manuscrit (f. 13), le manuscrit de Berlin montre que s’il en dépend directement, il pouvait alterner la reprise passive de ces erreurs évidentes, comme dans les titres des dialogues philosophiques ou du dernier chapitre de la loi salique, et la réinterprétation libre de son modèle, comme ici. Le manuscrit E 16 présente, comme dans les trois manuscrits E 13, E 14 et E 15, un enchaînement direct (f. 15v) entre le décret de Childebert et l’épilogue, qui induit la compréhension du texte de la loi salique comme publication du roi Childebert. Le dialogue qui suit porte le même titre que dans le manuscrit E 15 : (f. 15) Incipit questio de trinitate, de même que le dialogue suivant : (f. 16v) : Inci pit philosophia ikudicio cum (E 15, f. 16v donnait Incipit filosofia ikuditio cum). Le manuscrit de Berlin présente ensuite la même sélection et la même formulation de sept capitulaires de Charlemagne (f. 17v-23). La fin du feuillet, laissée libre, a été remplie d’essais de plume et de chants avec des neumes (xie siècle).
Les caractéristiques de la version E L’évolution du texte de la loi salique
La présentation synoptique avec la version D, adoptée par K. A. Eckhardt, en obscurcit l’organisation, ce qui a poussé K. Ubl à en reprendre l’étude200. Il
198 Eckhardt, Lex Salica, 1969 : les textes des manuscrits E 15 et E 16 sont fusionnés dans une même colonne. 199 Mordek, Bibliotheca, p. 47-50. 200 Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 88-92.
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aboutit à l’idée que le montage de texte directement associés à la loi salique serait extrêmement restreint : -
liste des titres des chapitres (98) invocation : In nomine Sanctae Trinitatis titre : Incipit prologus libri Salicae prologue long, rédaction E texte de la Loi Salique en 98 chapitres, plus un paragraphe non numéroté sur la chrenecruda.
Il faut ajouter à ces éléments le décret de Childebert, ainsi que l’épilogue, qui suivent le texte de la loi dans tous les manuscrits. Par rapport aux textes liés à la version D de la loi salique, les copistes ont donc fait leur choix : ils n’ont pas retenu la liste des rois, sauf dans E 11 ou E 12, mais elle a été retravaillée et se présente même deux fois dans ce dernier manuscrit, qui en inclut une autre dans l’ensemble lié à la Loi salique, de même qu’un glossaire. Les variations de la présentation dans les autres manuscrits, qui ne reprirent pas la liste des rois, sont très faibles. Ainsi, E 13 choisit de placer le prologue long avant la liste des titres, contrairement au cinq autres manuscrits. Comme nous l’avons vu supra, seuls un petit nombre de titres sont repris au cours du texte dans tous les manuscrits de la version E. Tous les manuscrits montrent donc une incohérence entre la liste des titres initiale et le contenu du texte. Même pour une version de la loi salique élaborée dans le dernier tiers du viiie siècle, il n’était pas possible, ou jugé nécessaire, de copier sans erreur une liste aussi longue de titres proches et de garantir sa correspondance exacte avec le texte suivant. Des erreurs de numérotation n’existent pas pour les autres manuscrits que E 12, mais la fin du texte est flottante. Le dernier paragraphe, sur le refus de la chrenecruda, n’est jamais numéroté dans la liste des titres, mais il reçoit le numéro XCVIIII dans tous les manuscrits, sauf le manuscrit E 12. Le même phénomène, une fin floue du texte, apparait dans les manuscrits de la version K contemporains, copiés durant le règne de Charlemagne, que nous examinerons au chapitre suivant. Comme pour la version D, le décret de Childebert suit la loi salique, de même que l’épilogue. La démarcation entre les deux textes a disparu ou est peu visible dans cinq manuscrits sur six (tous sauf E 12), ce qui favorise l’interprétation cette version de la loi salique comme reprise d’un texte antérieur sous l’autorité du roi Childebert. Dans l’ensemble, le rédacteur de la version E a établi fort peu de changements par rapport à la version D, sa seule action marquante consistant à supprimer le paragraphe sur la chrenecruda, les gloses malbergiques et quelques termes spécifiques du droit franc, tandis que sont introduits des termes issus du droit romain. En revanche, la version E marque une étape importante dans l’évolution de la loi salique par l’attention portée par les copistes à leurs modèles, dont ils se sont en général très peu éloignés. Les changements d’un manuscrit à l’autre ne portent que des éléments mineurs comme la numérotation du dernier chapitre ou les enchainements entre les différents textes et se concentrent dans le manuscrit
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E 12. Cette nouvelle fidélité aux modèles apparaît de façon caricaturale dans E 15 et E 16, qui conservent même des titres clairement erronés. Avec la réforme carolingienne, la relation des copistes aux textes précédents a donc changé : ils pratiquent franchement la réécriture et la sélection, comme le rédacteur initial de la version E, ou se contentent d’une copie fidèle. Contrai rement à leurs prédécesseurs, ils distinguent clairement une adaptation d’une reproduction de la loi. La loi salique n’est plus un texte variant à chaque copie. Les copistes ont le choix entre reproduire fidèlement un texte figé, ou proposer une rédaction entièrement nouvelle, comme les rédacteurs des versions E et K, mais aussi A 1 ou K 17, comme nous le verrons ci-dessous. La datation de la version E
Une version utilisée par le rédacteur de K Sa tradition manuscrite indique que la rédaction de la version D est antérieure à 763/4. La version E reposant sur la version D201, elle est postérieure et sa rédaction peut être située au plus tôt dans la seconde moitié du viiie siècle. En outre, la liste de souverains qui précède la loi salique dans deux manuscrits de la version E mentionne le règne de Pépin durant 16 années et demi (E 11)202 ou 15 années et demi (E 12)203. L’élaboration de cette liste et des copies de la version E, peut donc être située durant le règne de Charlemagne. Néanmoins, la liste des rois n’étant présente que dans ces deux manuscrits, il n’est pas impossible que la version E ait été rédigée auparavant. C’est aussi la recherche d’une langue plus propre des règles de la grammaire classique qui la rapproche des préoccupations de ce règne davantage que de celles dominantes sous son père. Par ailleurs, la version K semble avoir utilisée plusieurs versions antérieures de la loi salique comme le montre ce doublon204 :
K, ch. XVII, § 3 : Si quis mortuum hominem aut in noffo aut in petra quae uasa ex usu sarcofagi dicuntur super alium miserit, IIDtos denariis qui faciunt solidos LXIIs culpabilis iudicetur205. K, ch. LVII, § 4 : Si quis hominem mortuum super alium in naufo uel in petra miserit, ICCCCtis denariis qui faciunt solidos XXXV culpabilis iudicetur206.
201 Voir la comparaison des différences de rédaction entre les deux versions dans Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 56-58. 202 E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846, f. 59v. 203 E 12, Paris, BnF, latin 4409, f. 125. 204 Ubl, Sinnstiftungen, p. 176-178. 205 Eckhardt éd., Pactus legis Salicae II, 2, 1956, p. 485. 206 Ibid., p. 520.
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Si quelqu’un a mis un homme mort au-dessus d’un autre dans un cercueil en bois ou en pierre appelé, d’après son usage, sarcophage, qu’il soit jugé coupable pour 2500 deniers, qui font 62 sous et demi. Si quelqu’un a placé un mort au-dessus d’un autre dans un cercueil en bois ou en pierre, qu’il soit jugé coupable pour 1400 deniers, qui font 35 sous. La première amende correspond à celle des versions D (ch. XIX, § 2) et E (ch. XVIII, § 2) de la loi salique207. La seconde amende correspond à celle de la version C (ch. LV, § 4)208. Dans le dernier cas, il est clair que le rédacteur de la version K a utilisé C et non A qui donne une amende de XLV sous209. En revanche, la première amende peut aussi bien provenir de la version D que de la version E, car le rédacteur de K aussi a supprimé les gloses malbergiques. L’argumentation d’Eckhardt en ce sens, qui ne repose que sur l’orthographe ou l’ordre des mots est ici peu convaincante210 : le rédacteur de K prouve son autonomie en rajoutant la glose quae uasa ex usu sarcofagi dicuntur qui ne se trouve dans aucun des manuscrits des versions A, C, D et E conservés. Qu’il s’agisse de la reprise de son modèle ou d’un ajout de sa propre initiative, le rédacteur de K montre ici sa distance par rapport aux manuscrits conservés, trop grande pour que l’ordre des mots ou l’orthographe permette d’établir un lien certain avec son modèle. Un autre doublon concerne le cheval écorché211, un troisième le vol avant l’inhumation212, mais ils correspondent à la transformation de dispositions déjà présentes deux fois dans les versions A et C. En revanche, certains termes de vocabulaire, spécifiques à la version E sont bien repris dans la version K, comme l’expression aestimatio damni213 et le terme de fedeiussor214. Ces reprises ne sont pas systématiques : le rédacteur de K reprend par exemple le titre De alode215 des autres versions, que la version E avait abandonné au profit de De intestatorum hereditatibus216. La version E parait donc antérieure à la version K de la loi salique, mais la datation de celle-ci, dont le terminus ante quem est 805, reste, elle aussi, imprécise comme nous le verrons infra.
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Eckhardt, Lex salica, 1969, p. 60-61. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 209. Eckhardt, Pactus, 1962, p. 208. Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 37-38. version K, ch. XL, § 16 et LXVIII, § 1 correspondent aux versions A (ch. XXXVIII, § 8 et ch. LXV) et C, (ch. XXXVIII, § 14 et ch. LXV), éd. Eckhardt, Pactus, 1965, p. 140-141 et 232-233. version K, ch. XVII, § 1 et LVII, § 1 correspondent aux versions A et C, ch. XIV § 9 et ch. LV § 1, ibid., p. 68-69 et 204-205. version K, ch. X, § 11. version K, ch. LII, § 2. version K, ch. LXII. version E, ch. XCIII, éd. Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 27.
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Pour la version E, Eckhardt a proposé de rapprocher les termes du prologue de la version E avec une lettre d’Alcuin217 et de reprendre la datation donnée par l’édition de Jean du Tillet, en 798, à la 6e année de l’indiction, comme base de sa datation. Son raisonnement repose sur le fait qu’il manque un feuillet au manuscrit E 11 qui devait comporter le prologue et la liste des titres de 1 à 23218. Ce manuscrit fut possédé par Jean du Tillet, qui y aurait pris cette datation avant cette perte de feuillet219. Or cette datation apparait dans des manuscrits de la version K, mais jamais dans un manuscrit de la version E220. Quant aux termes proches des lettres d’Alcuin, ils restent aussi vagues que communs. En outre, il n’est pas certain que Jean du Tillet a utilisé pour son édition un manuscrit de la version E, contrairement à l’opinion d’Eckhardt, qui met en avant des emprunts pour le prologue long, le chapitre 71, le décret de Childebert et l’épilogue221. Le chapitre 71 de la loi salique que reproduit l’édition de Jean du Tillet222 appartient à la tradition manuscrite des plus anciennes copies de la version K, comme nous le verrons au prochain chapitre. Quant au paragraphe contre la chrenecruda de la loi salique version E, qui est reproduit dans son édition comme paragraphe 16 du décret de Childebert223, il correspond bien à une extension de celui-ci à partir de la version E, ou de sa source, mais elle n’est reproduite dans aucun manuscrit qui nous soit parvenu. Il s’agit probablement d’une glose ajoutée dans le modèle manuscrit utilisé par Jean du Tillet pour le dé cret de Childebert : son refus des pratiques païennes est commun au paragraphe précédent, qui impose le repos dominical. Cette insertion n’indique pas que Jean du Tillet disposait pour son édition de l’intégralité de la version E car le décret circulait avec les autres versions de la loi salique, ou parfois sans elle224. L’influence la plus claire de la version E apparaît dans les formulations du prologue long (p. 38-39), qui précède le prologue court et la datation (p. 40) puis la loi salique dans la version K en 71 chapitres dans cette édition. La base du texte reste de celui de la version D, comme dans le modèle identifié de Jean du Tillet, le manuscrit K 31225, qui montre le prologue long, le prologue court et une datation avant une version K de la loi salique en 69 chapitres. Néanmoins, trois passages du prologue long, p. 38, montrent que la version D y a été contaminée par la version E : -
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immunis quidem ab omni haerese,
Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 62-65. E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846, entre les feuillets f. 79 et f. 80. Mordek, Bibliotheca, p. 830-833. Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 55-78. Dans le même sens, Ubl, « Die erste-Leges-Reform », p. 80-81. Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 72-75. Jean du Tillet éd., p. 117. Ibid., p. 122. Eckhardt, « Die Decretio Childeberti ». K 31, Paris, Bnf, latin 4626, f. 1v-2. L’introduction par les deux prologues a été présentée et transcrite supra au chapitre 3.
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discutiendo tractantes de singulis sicut ipsa lex declarat iudicium decreuerunt Childebertus et Clotharius in culmine regale deo protegente peruenere quicquid in pacto habebatur minus idoenum per illos fuit lucidius emendatum226.
Malgré ces modifications du prologue long, il reste que la datation de la loi sa lique n’apparait que dans des manuscrits proches de K 31, avec les deux prologues et la version K227. Les insertions à partir de la version E peuvent venir aussi bien du modèle manuscrit utilisé, qui ne nous est pas parvenu, que des interventions de l’éditeur. Elles ne correspondent de toute façon pas au manuscrit E 11, qui a pourtant appartenu à Jean du Tillet, comme est obligé de le reconnaitre K. A. Eckhardt228. La datation fournie dans l’édition de la loi salique par Jean du Tillet ne peut donc pas permettre de dater la version E et doit être étudiée avec les autres datations de la version K. Une rédaction vers 789 ?
K. Ubl a proposé trois arguments pour dater la version E en 789229 : tout d’abord, l’existence de périodes intenses de production juridique, comportant des capitulaires, mais aussi des documents de travail. Il relève une phase importante autour de 802 et seulement une autre autour de 789 sous Charlemagne. Hors de ces deux moments de production n’apparaissent que le capitulaire de Herstal (779) et celui de Francfort (794), où la loi écrite tient peu de rôle, contrairement à l’Admonitio generalis (789) et au capitulaire pour l’Italie (787 ?)230. Le deuxième argument tient à l’importance du droit romain. Une copie perdue du Bréviaire d’Alaric aurait mis en avant la vingtième année du règne de Charlemagne, soit entre 9 octobre 787 et le 8 octobre 788231. Cela aurait correspondu à un effort conjoint, pour la loi romaine et pour la loi franque. Enfin 4 manuscrits de la version E, sur 5 complets, portent cette version de la loi salique et le Bréviaire sous une forme abrégée, l’Epitome Aegidii. Les derniers arguments se renforcent peu, car la copie perdue datée de 787/8 concerne le Bréviaire, et non l’Epitome Aegidii232. Par ailleurs, un manuscrit du
226 Comparer avec l’édition Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 2-9. 227 Voir infra la discussion sur la datation de la version K. 228 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 74 : « Il donne aussi des variantes pour lesquelles il n’existe pas de correspondance avec E 11 », « Aber er bringt auch Lesarten, bei denen keine Berührung mit E 11 vorliegt ». 229 Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 82-86. Id, Sinnstiftungen, p. 165-174. 230 Capitulare Italicum, Boretius éd., no 95, c. 10 : Placuit nobis inserere : ubi lex est, praecellat consue tudinem, et nulla consuetudo superponatur legi, p. 200-201. Voir la datation et le titre proposés par Mordek, Bibliotheca, p. 1090. 231 J. M. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 255-256. 232 Lex Romana visigothorum, Haenel éd., p. XXII et p. LXXXIX, note 3.
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Bréviaire copié au ixe siècle comporte un colophon daté de 782233, qui pourrait correspondre à son modèle et démontre que l’attention au droit romain n’eut pas lieu qu’à deux moments du règne de Charlemagne. Les manuscrits de la version E et cette datation prouvent un même intérêt pour le droit romain, mais pas à travers les mêmes textes, si l’on s’en tient à l’étude séparée des parties des manuscrits dont l’assemblage est incertain. Ainsi, le Bréviaire d’Alaric est copié dans les manuscrits E 12 et E 13, mais l’Epitome Aegidii n’apparait de façon assurée aux côtés de la loi salique E que dans E 12234. Les Formules de Tours apparaissent dans E 12 et E 13, une formule de Bourges dans E 15. Les notes tironiennes ne coexistent avec la version E que dans les manuscrits E 13 et E 15 et leur diffusion dépasse le cadre de la cour ou des textes juridiques235. Outre la loi salique, l’héritage franc n’est représenté que par la Lex Ribuaria dans E 15. La législation de Charlemagne apparait dans E 11 avec le capitulaire de Herstal, dans E 15 et E 16 avec des capitulaires de 803-805. Il n’y a donc aucun texte de loi qui soit spécifiquement associé au petit dossier constitué autour de la loi salique version E. K. Ubl défend aussi une datation vers 789 en lien avec la chronologie pré cise des préoccupations principales de la législation de Charlemagne236, mais reconnait qu’en dehors de la formulation impérative du refus de la chrenecruda, numquam ualeat, « il n’y a aucune preuve certaine que la version E a été produite à la cour de Charlemagne237 ». Or cette formulation montre, à mes yeux, que le rédacteur de la loi adopte sa position d’autorité, mais pas que celle-ci vienne de lui-même, ou de la mission qui lui aurait été officiellement donnée. Par ailleurs, l’étude de K. Ubl a montré que l’association particulière de la version E à un scriptorium lié à la cour de Louis le Pieux ne se justifie pas : seul E 13 peut être assigné au scriptorium de Tours. Th. Faulkner a repris l’étude des manuscrits qui ont été attribués au scriptorium des lois de Louis le Pieux sans se limiter aux critères paléographiques ou codicologiques et a étudié ainsi E 11, E 13 et E 14. Lui aussi doit conclure par la diversité de la taille et de la présentation, du contenu et des modèles de ces différents recueils238. Si nous faisons le bilan de la diffusion manuscrite de cette version de la loi salique sous le règne de Charlemagne, elle se limite à deux manuscrits conservés, 233 Paris, BnF, latin 4415, f. 110va-vb. Voir Bischoff, Katalog III, 2014, no 4315, p. 97-98. Coma Fort, Codex Theodosianus, 2014, p. 256 et p. 280-282. 234 La version de l’Epitome Aegidii copiée dans la première partie du manuscrit E 11, Vatican, BAV, Reg. lat 846 ne comporte par le Commonitorium, au contraire de celle copiée dans E 12, Paris, BnF, latin 4409. Les deux textes n’apportent donc pas d’argument pour associer la première et la deuxième partie du manuscrit E 11. 235 Faulkner, Law, p. 201-202. Muzerelle, « Les notes ». 236 Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 86. Id., « Gab ? », p. 60 et Id., Sinnstiftngen, 2017, p. 167-174. 237 Ubl, Sinnstiftungen, p. 173 : « Auch sonst gibt es keinen sicheren Beleg dafür, dass die E-Fassung am Hof Karls des Groβen enstand ». 238 Faulkner, Law, p. 193-247.
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E 11 et E 15, ainsi qu’à un manuscrit qui semble reproduire sans modification un modèle de cette époque, E 16. C’est exactement le même nombre que celui auquel je suis parvenue pour les manuscrits de la version K239. Si ces deux versions ont connu ensuite une diffusion très différente, seulement trois manuscrits conser vés de plus pour E, 73 conservés pour la version K, cela eut donc lieu dans un deuxième temps et ne reflète pas le statut initial de ces versions. La présence de la Recapitulatio solidorum, qui montre à la fois la connaissance de la version K de la loi salique et la validité accordée à toutes les versions de la loi dans le plus ancien manuscrit de la version E (E 15) comme dans celui de la version K (K 81)240, reflète bien la valeur semblable qui leur était accordée. Sous Charlemagne, les versions E et K de la loi salique ont bénéficié de la même attention des copistes et de la même diffusion. Deux manuscrits copiés au ixe siècle utilisent d’ailleurs le prologue long de la version E pour introduire la loi salique dans sa version K, ce qui montre l’équivalence des deux versions aux yeux des copistes241. Le point commun le plus important de tous les manuscrits de la version E consiste en l’attention à la définition et au sens des mots avec des extraits des Etymologies d’Isidore de Séville dans E 11, E 12, E 13 et E 15 et des glossaires dans E 12 et E 13. Une préoccupation nouvelle, plus large, autour de la rectitude des comportements apparait dans la rare association de loi salique et des canons (E 13) ou de traités de théologie et de philosophie (E 15, E 16). L’insistance sur l’orthodoxie des Francs, dans la reprise du prologue long ou l’invocation initiale de la Trinité correspond bien aux préoccupations perceptibles vers 789242, mais elles ne cessent pas ensuite, comme le montre la rédaction par Alcuin de son traité De fide sanctae Trinitatis et de incarnatione Christi en 802243. La version E de la loi salique apparaît bien comme le fruit d’une attention nouvelle aux textes normatifs, à leur compréhension et à leur reproduction à l’identique. Elle appartient pleinement au mouvement de Réforme lancé par la cour carolingienne, même si elle n’avait peut-être aucun lien direct avec elle.
Conclusion L’étude détaillée des manuscrits de la version E a montré qu’il fallait refuser l’association de cette version de la loi salique à des textes particuliers, à l’exception d’un très bref dossier, comportant le prologue long, l’édit de Childebert et l’épi logue. D’autres éléments, comme la liste des rois, les abrégés du Code Théodosien
239 Voir infra. 240 K 81 : Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11. 241 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. Lat. Q. 119, f. 64v. K 26, Paris, BnF, latin 4759, f. 1v. Voir supra ch. 2. 242 Ubl, Sinnstiftungen, p. 173. 243 Voir l’introduction de l’édition du traité d’Alcuin, De fide sanctae trinitatis et de incarnatione christi ; Quaestiones de sancta Trinitate, Knibbs et Matter éd.
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ou les formules apparaissent dans certains exemplaires, mais révèlent les choix spécifiques de leurs copistes. La complémentarité des droits romain et franc comme des lois écrites et de la pratique juridique sont des éléments communs aux manuscrits carolingiens, qui reflètent les intérêts des lecteurs contemporains. Dans leur ensemble, les manuscrits de la version E ne montrent aucun lien particulier avec l’une des réécritures du droit romain, ni avec les décisions royales, ni avec le scriptorium de Tours, ni encore avec l’écriture en notes tironiennes. Ils s’inscrivent pleinement dans une Renaissance dont le but général est de : « mettre et tenir en ordre le monde244 ». Cette nouvelle rédaction de la loi salique propose une rédaction plus claire que la version D et un refus accentué du passé supposé païen. La continuité de la législation depuis l’époque mérovingienne est toujours présente, malgré la disparition de la liste des rois et des gloses malbergiques, à travers l’épilogue et la présentation finale implicite de l’ensemble comme une législation publiée par Childebert. Cette révision de la loi salique s’est engagée sans jamais remettre en cause ses données initiales : accumulation de chapitres d’origines diverses et imprécises, multiplication de cas précis plutôt que principes généraux, évolution continue de la loi sans précision des réviseurs ni des promulgations officielles. Le Bréviaire d’Alaric, ou ses résumés, montraient pourtant d’autres système d’expres sion de la norme, par la déclinaison de principes généraux. La copie conjointe de la version E et de la Recapitulatio solidorum souligne aussi que ces éléments étaient bien perçus comme des particularités sous le règne de Charlemagne et qu’il était possible de reprendre sous une autre forme le contenu normatif de la loi salique. L’option conservatrice retenue était donc un choix du rédacteur de la version E, alors que l’unique mise à jour revendiquée était le refus de la chrenecruda. Elle démontre le statut particulier de la loi salique dans le monde franc à la fin du viiie siècle. Son archaïsme n’empêchait pas sa validité, qui ne pouvait être remise en cause que s’il était soupçonné de lien avec le paganisme. L’expression pouvait être améliorée, les termes anciens ou incompréhensibles comme les gloses malbergiques supprimés, mais la succession des articles, qui restait flottante d’un manuscrit à l’autre et incohérente dans ses doublons, n’était pas réformée. La loi salique n’était donc pas susceptible d’une adaptation, qui passait, de fait, par les capitulaires, comme nous l’a montré le chapitre précédent. Le rédacteur de la version K se montra plus ouvert que celui de E à l’égard des termes anciens et de la chrenecruda, un peu plus entreprenant contre les incohérences, mais resta en général dans cette même attitude de respect des textes transmis, se contentant d’une simple reprise, plus cohérente et plus compréhensible, des précédentes ver sions d’un ensemble suranné. Le seul changement en profondeur semble l’attitude générale des copistes, qui choisirent de plus en plus souvent une reproduction à l’identique de leur modèle.
244 Devroey, Puissants, p. 609.
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La Lex Salica Karolina L’édition de Jean du Tillet
La publication de Jean du Tillet1 représente la plus ancienne édition de la loi salique, sous le titre suivant : Libelli seu decreta a Clodoveo et Childeberto et Clotha rio prius aedita ac postremum a Carolo lucide emendata auctaque plurimum, in quibus haec habentur : capitula ex Isidori junioris, Hispalensis episcopi, etymologiarum lib. v ; pactum pro tenore pacis DD. Childeberti et Clotharii regum ; decretio Clotharii regis ; sententiae de septem septenis ; lex salica ; decretum Childeberti regis ; recapitulatio legis salicae. Cette édition, imprimée à Paris, ne porte pas de date, mais elle eut lieu sans doute vers 1548, car, comme l’a fait remarquer J.-M. Pardessus2, les caractères typographiques et la mise en page, dans un format de poche, sont extrêmement proches de l’édition des capitulaires carolingiens publiée par le même atelier en 1549, qui contient, de fait, la suite du texte des manuscrits utilisés pour le volume comportant la loi salique. La fiche de la BnF indique que l’imprimeur Jacques Bogard était actif entre 1541 et sa mort, entre le 11 aout et le 28 octobre 1548, mais que deux éditions ont paru encore sous son nom en 15493. Il semble ainsi que la publication des capitulaires eut lieu entre 1548 et 1549 et qu’elle prenait la suite de la publication de la loi salique, qui fut probablement imprimée en 1548. Il s’agit donc de la plus ancienne édition de la loi salique, antérieure à celle de Johannes Herold, imprimée à Bâle en 1557. La liste de la première page est bien respectée dans le contenu de l’édition, qui comporte, dans l’ordre initialement annoncé : -
le livre V des Étymologies d’Isidore de Séville, p. 3-30 ; le Pactum pro tenore pacis de Childebert et Clotaire, avec le décret de Clotaire, p. 31-36 ;
1 Sur les deux frères Jean du Tillet, voir Kelley, « Jean du Tillet ». L’édition de la loi salique est l’œuvre du plus jeune, évêque de Saint-Brieuc puis de Meaux, mort, comme son frère, en 1570. 2 Pardessus, Loi salique, p. II. 3 Sur J. Bogard, voir la fiche de la BnF : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12235247t (consulté le 26 février 2016).
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les Sententiae de septem septinis, p. 37, un classement par les montants des peines des délits évoqués par la loi salique. Il est ici réduit à sept cas ; le prologue complet, p. 38-40, suivit d’une datation en 798. Le prologue long comporte quatre noms de rédacteurs de la loi salique, de même que le prologue court qui le suit ; une liste de 71 titres, p. 41-44, puis le texte de la loi salique version K en 71 chapitres, p. 45-117.
Le paragraphe LXII, § 6 est imprimé en majuscules, p. 113, signe de l’intérêt de Jean du Tillet pour ce chapitre considéré comme le fondement de la succession royale française, mais aussi de sa transformation des sources anciennes, car aucun manuscrit de l’époque carolingienne n’accorde une attention particulière à ce passage, alors qu’il fut considéré comme décisif après le xiiie siècle. L’article LXXI De terra condemnata est imprimé en pointe, ce qui montre bien que cet article clôt la loi salique dans l’édition de Jean du Tillet : Si quis terram alienam condemnaue rit et ei fuerit adprobatum, IID. den. qui faciunt sol. LXIIS. culpabilis iu dicetur4. Le chapitre 71 est intégré à la loi salique dans deux des trois plus anciens manuscrits de la version K : il s’agit donc d’une variante ancienne. Néanmoins, elle n’apparaît pas dans les quelques manuscrits que nous pouvons repérer comme modèles de cette édition5 ; -
le décret de Childebert, qui est copié sans démarcation avec l’épilogue de la loi salique, que l’éditeur ne considérait donc pas comme un texte distinct, p. 118-123.
Ici, le décret est doté d’un seizième paragraphe qui reprend le refus de la chrenecruda qui clôt la loi salique dans sa version E, suivant un assemblage qui n’a été transmis par aucun manuscrit. Comme la liste des chapitres ne l’intégrait pas et que le paragraphe final du décret de Childebert, copié ensuite, évoquait aussi le refus du paganisme, l’éditeur ou le copiste de son modèle manuscrit a pu considérer que ce paragraphe avait été déplacé et a souhaité le rétablir à ce qu’il considérait comme sa place d’origine. L’influence de la version E est aussi soulignée dans l’édition par l’absence de la mention d’Ascliopodus, alors qu’elle est présente dans le décret de Childebert copié avec la version D de la loi salique. Par ailleurs, l’épilogue a été transformé, car uero a été remplacé par Chlodoueus, p. 123, ce qui avait l’avantage de placer pleinement la loi salique dans la continuité des législateurs francs indépendants de l’empire, depuis Clovis
4 Jean du Tillet éd., p. 117. 5 Voir infra dans ce chapitre la discussion sur le chapitre 71.
une nouvelle version sous charlemagne
Illustration 7.1 : La datation de la loi salique dans l’édition de Jean du Tillet, p. 40.
jusqu’à la révision de Charlemagne, comme le met en valeur le titre de l’édition. Ainsi étaient soulignées, au xvie siècle, l’antiquité et l’indépendance des rois de Francs et la légitimité de leur succession. Il n’existe pas de modèle manuscrit pour cette présentation du décret et de l’épilogue. -
la Recapitulatio solidorum clôt ce petit volume, p. 124-127.
L’une des particularités du texte proposé par Jean du Tillet est de combiner deux prologues à la suite, le prologue long suivi du prologue court, comme cela est présenté dans le manuscrit C 6 (Paris, BnF, latin 18237), et quelques manuscrits de la version K, à savoir K 72, K 31, K 32, K 33, K 34, K 35 et sa copie K 366. Néanmoins, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, la particularité du prologue long de l’édition est de reposer sur la version D, mais en la modifiant pour trois passages à partir de la version E. Un modèle manuscrit n’a pas été repéré pour un tel montage D/E, qui peut aussi provenir d’une intervention de Jean du Tillet ; -
une datation de la loi salique en 798, p. 40 (Ill. 7.1).
Une telle datation en 798 n’apparaît dans aucun manuscrit conservé. K. A. Eckhardt pense pouvoir y lire la marque d’un manuscrit perdu, dont il croit recevoir la confirmation par une remarque d’É. Baluze pour qui cette datation ap paraît « ainsi dans l’édition de Pithou et quelques manuscrits »7. K. A. Eckhardt pose l’hypothèse d’un manuscrit de la famille E, aujourd’hui perdu, qui aurait fourni cette datation à Jean du Tillet, et utilise cette supposition pour appuyer sa datation de la rédaction E, qu’il attribue à Erkanbald, en 7988. Le retour à l’argumentation d’Étienne Baluze révèle qu’Eckhardt a volontaire ment tronqué la citation, car la traduction générale montre que Baluze reconnait 6 Voir supra chapitre 4. Le manuscrit K 35, Paris, BnF, latin 4628A est le premier sur lequel ont travaillé les juristes au service du roi de France entre 1350 et 1450. Voir Beaune, « Histoire » et Ead., Naissance, p. 264-290. 7 Eckhardt, Lex Salica, 1953, p. 68 : « Ita editio Pithoeana et nonnulli codices ». 8 Ubl, « Die erste Leges-Reform » a facilement démontré la fragilité de cette hypothèse.
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l’absence de base manuscrite de la datation en 798 et s’appuie seulement sur l’indiction : 798 : c’est ainsi dans l’édition de Pithou et quelques manuscrits, celui de Saint Gall a 778, celui de Bigot 768, tous deux de manière défectueuse. La sixième indiction montre qu’il s’agit de la vraie leçon, que nous retenons. Dans le manuscrit de Reims, une année est donnée à laquelle Charles a fait écrire ce livre, mais elle a été effacée à l’aide d’un petit couteau. D’autre part, cette notation manque dans nombre de manuscrits anciens9. L’argumentation proposée par K. A. Eckhardt est donc très fragile car elle attribue la datation à la version E, pour laquelle n’existe aucune indication chrono logique conservée10, alors qu’elle correspond en partie à trois manuscrits de la version K, évoqués ci-dessus par Étienne Baluze. K. A. Eckhardt a néanmoins identifié comme modèle du texte de la loi salique K de l’édition de Jean du Tillet les manuscrits K 31 ou K 3211, et il évoque, à pro pos de son édition du Pactus pro tenore pacis, un autre modèle « qui appartenait au groupe des manuscrits K 33-3512 ». Il en déduit que la datation de la loi salique, liée pour lui à la version E, aurait été prise à « un manuscrit de la version K génétiquement antérieur13 ». Sortons de cet imbroglio : Jean du Tillet a transformé ses modèles manuscrits en corrigeant leur expression, en les fusionnant et en les interprétant. Il possédait au moins un manuscrit de la version E, notamment E 1114 et un manuscrit de la version K, K 3315, le plus ancien représentant des manuscrits de capitulaires du « groupe de Reims »16. Ces manuscrits comportent le prologue complet, la datation et un grand nombre des textes que Jean du Tillet a publié en même temps que la loi salique, comme nous allons le voir infra. Un certain nombre de particularismes de son édition n’ont pas de base manuscrite connue comme
9 Baluze, Capitularia, vol. 2, col. 1048-1049 : DCCXCVIII Ita editio Pitheana et nonnulli codices, Sangallensis habet DCCLXXVIII, Bigotianus DCCLVIII, mendose utrique. Indictio sexta arguit veram esse lectionem quam nos retinuius. In codice S. Remigii adscriptus quidem erat annus quo Karolus librum istum scribi jussit, sed cultelli ope erasus est. Deest autem haec nota in plerisque vetustis codicibus. 10 Dans le même sens, Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 80-82. 11 Eckhardt, Lex Salica 100, 1953, p. 72. 12 Eckhadt, Pactus, I, 1, 1954, p. 138 : « die zur Gruppe der Handschriften K 33-35 gehörte ». 13 Ibid., « eine genetisch voraufliegende K-Handschrift ». 14 E 11, Vatican, BAV, Reg. lat. 846. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 830. 15 K 33 : Paris, BnF, latin 10758. Voir Mordek, Bibliotheca, p. 588 et Pardessus, Loi salique, p. XXVI-XXVIII. Un Jean du Tillet (le frère de l’éditeur de la loi salique, greffier au parlement) a aussi consulté un manuscrit conservé à Beauvais qui comportait la loi salique en soixante-dix chapitres et des capitulaires de Louis le Pieux, voir Omont, « Recherches », p. 60-61 et Mor dek, Bibliotheca, p. 1031. 16 Voir supra chapitre 5, Patzold, « Die sogennante Capitulare », 2015 et Faulkner, Law, p. 149-152.
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l’ajout d’un dernier paragraphe au décret de Childebert ou la mention de Clovis comme premier roi des Francs dans l’épilogue de la loi salique. Ils peuvent ne refléter que l’intervention de l’érudit moderne. La datation dans les manuscrits
Les modèles de la première édition Le plus ancien manuscrit à proposer une datation est un manuscrit de SaintGall, K 20, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 728. Ses troisième et quatrième parties, p. 97-176 et p. 177-220 ont probablement été copiées au monastère de Saint-Gall, de la même main, dans la seconde moitié du ixe siècle et y ont été conservées depuis17. Après le capitulaire de 803 (Boretius no 39) apparaît un titre en lignes noires et rouges alternées : Anno ab incarnatione Domni nostri Ihesu Christi DCCLXXVIII indictione sexta Domnus Karolus rex Francorum inclitus hunc libelli tractati legis salicae scribere ordinauit18. Cette datation précède le prologue long de la version D (p. 109-110), la liste de chapitres (p. 110-113) et le texte de la loi salique en soixante-dix chapitres (p. 113-177). La loi ripuaire B est copiée ensuite, p. 178-220. Il s’agit, avec le manuscrit K 33, du plus ancien manuscrit à associer directement la loi salique version K et l’autorité de Charlemagne. La datation est néanmoins fausse, car la 6e indiction correspond à l’année 768 ou 798. Ce manuscrit comporte aussi la Recapitulatio solidorum, version A 119 (p. 98-101) et des extraits des Étymologies20 mais pas les autres textes de l’édition de Jean du Tillet, dont il ne semble pas particulièrement proche. Par ailleurs, ce manuscrit a été prêté à Baluze (p. 3), mais ne semble pas auparavant avoir été disponible en France. Nous avons déjà rencontré, à propos de la tradition manuscrit du prologue complet, long suivi du court, le manuscrit K 33, Paris, BnF, latin 10758, composé dans la seconde moitié du ixe siècle à Reims, dans l’entourage d’Hincmar († 882), probablement dans ses dernières années21. Il a appartenu à Jean du Tillet, qui l’a donné à la bibliothèque des Jésuites de Clermont à Paris et la proximité avec son édition est marquée par le titre de la collection de seize textes juridiques qui 17 Mordek, Bibliotheca, p. 665-668. Bischoff, Katalog, no 5840, p. 332. 18 K 20, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 728, p. 108. 19 Ce manuscrit est utilisé dans l’édition Ubl, « Die Recapitulatio », 2018, sous le signe Sg 4, p. 71. 20 K 20, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 728, p. 101-103. Il s’agit ici d’extraits des livres II, V et XVIII. 21 Voir supra, chapitre 4. Les datations sont présentées et discutées par Eckhardt, Lex Salica 100 Titel-Text, Weimar, 1953, p. 65-68.
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Illustration 7.2 : La datation de la loi salique K dans le manuscrit K 33, p. 85.
introduit les textes qui occupent les p. 59 à 136 : p. 58 : Incipiunt libelli uel decretio Chlodoueo et Childeberto siue Chlotario et Karolo fuit lucide emendatum. Ce titre précède une liste de seize éléments, dont seuls les deux derniers, la loi ripuaire et la loi des Alamans, n’ont pas été copiés. Nous y retrouvons, outre la loi salique version K, ici en 70 chapitres (p. 85-136), de nombreux textes en commun avec l’édition de Jean du Tillet : -
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des extraits du livre V des Étymologies d’Isidore de Séville (p. 59-65). Ces extraits ne correspondent pas à l’édition ; le pacte de Childebert et Clotaire Pro tenore pacis et le décret de Clotaire, p. 65-68 et p. 78-79 ; le décret de Childebert p. 68-71, mais il est tronqué dans cette partie du manuscrit ; les Sententias de septem septinas, p. 75. Elles correspondent directement à la série imprimée par Jean du Tillet ; la Recapitulatio solidorum, dans la version A 1 avec la mention des species de la loi salique. Cette précision, reproduite dans l’édition de Jean du Tillet, est exclusivement présente dans ce manuscrit ou dans le manuscrit K 35 qui dépend de lui22 ; le prologue complet de la loi salique (p. 79-81). Le prologue long (D) apparaît après le titre Incipit tractatus legis salicae (p. 79) et présente six rédacteurs de la loi salique. Le prologue court est copié après le titre Incipit prologus legis salicae (p. 80) et présente quatre rédacteurs ; une datation de la loi salique à la 6e indiction, dont l’année a été effacée, p. 85 (Ill. 7.2).
La datation de la loi salique était donc proposée dans cette petite collection juridique, qui ne comporte en outre que des capitulaires de Charlemagne : le capi tulaire de Herstal (p. 71-75), le capitulaire d’ajouts aux lois de 803 (Boretius no 39, p. 81-84) et le capitulaire aux missi de 803 (Boretius no 40, p. 84-85). Le ma nuscrit de Reims reprenait un modèle antérieur, comme le montre l’absence de la loi ripuaire et de la loi des Alamans initialement annoncées dans la liste. Cette col lection assimile la loi salique aux différentes publications royales dès l’époque
22 K 35, Paris, BnF, latin 4628A. Voir la remarque dans Ubl, « Die Recapitulatio », p. 62.
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mérovingienne, car le neuvième item de la collection, un extrait du Pactus pro te nore pacis est précédé d’une rubrique qui commence ainsi : Pactus Chlodoueo uel Childeberto siue Chlotario fuit lucide emendatum. Incipit tractatus lege salicae pro tenore pacis23 Nous ignorons pourquoi le pacte de Childebert et Clotaire est aussi associé à Clovis. L’appellation tractatus lege salicae pouvait se référer au pacte, mais les mêmes termes sont utilisés pour le prologue long de la loi salique. Leur ambiguïté permettait aussi de comprendre que Clovis fut l’auteur de la loi salique, ce qui peut avoir été à l’origine de cette attribution dans l’édition de Jean du Tillet, où elle apparaît cette fois dans l’épilogue de la loi salique. Le reste du manuscrit K 33 proposant une nouvelle fois une version complète de l’édit de Childebert24 ainsi que l’épilogue de la loi salique25, il apparaît clairement comme le modèle de base de l’édition de Jean du Tillet. Néanmoins, il n’est pas été suivi pour le prologue long car il y propose tout d’abord une liste de six rédacteurs, alors que l’édition de Jean du Tillet retient une liste de quatre rédacteurs. On peut y voir un nouveau signe de l’influence de la version E, en partie reprise pour le prologue long dans l’édition. La datation tronquée, avec l’indiction mais pas l’année, apparaît ensuite dans les manuscrits qui dépendent de K 33, à savoir K 3426, K 3527 et K 3628. K. A. Eck hardt proposait comme modèle pour Jean du Tillet le manuscrit K 32, Paris, BnF, latin 965429. Ce manuscrit copié au xe ou xie siècle en Lotharingie, probablement à Metz, comporte le prologue complet (f. 121-v) et la loi salique version K (f. 122-134) en 70 chapitres, dans une dernière partie où le texte de loi Euua ad Amorem montre sa proximité avec le manuscrit K 35 du groupe de Reims30. Il ne comporte pas de datation de la loi salique. K. A. Eckhardt avançait aussi l’hypothèse du manuscrit K 31, Paris, BnF, latin 4626, copié aux xe-xie siècles, probablement à Mâcon31. Il donne le prologue long (D) suivi du prologue court,
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K 33, Paris, BnF, latin 10758, p. 78. K 33, Paris, BnF, latin 10758, p. 138-140. Ibid., p. 140. K 34, Paris, BnF, latin 4760, f. 29 : Anno ab incarnatione domini nostri Ihesus Christi indictione sexta domnus Karolus rex Francorum inclitus hunc libellum tractati legis salicę scribere iussit. Suit la liste des chapitres de la loi salique (f. 29-31), puis la version K en 70 chapitres (f. 31-71)°. K 35, Paris, Bnf, latin 4628A, f. 78ra : Anno ab incarnatione domini nostri Ihesu Christi indictione sexta domnus Karolus rex Francorum inclytus hunc libellum tractate legis salicae scribere iussit. La copie de la loi salique K en 70 chapitres est bien auparavant dans le manuscrit, f. 9va-30ra. K 36 : Paris, BnF, latin 4631, f. 119vb : Anno ab incarnatione domini nostri Ihesu Christi indictione sexta domnus Karolus rex Francorum inclitus hunc libellum tractate legis salice scribere iussit. La loi salique K en 70 chapitres est copiée bien auparavant dans ce manuscrit, f. 4va-22rb. Mordek, Bibliotheca, p. 562-578. L’Euua ad Amorem ne se trouve que dans les manuscrits K 35, Paris, Bnf, latin 4628A et K 32, Paris, BnF, latin 9654. Voir Faulkner, Law, p. 29-45. Sur la constitution de ce manuscrit, voir la notice dans Ubl, « Handschrift ».
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avec, à chaque fois, quatre noms de rédacteurs de la loi salique32. C’est le seul autre manuscrit, à part K 20, à proposer de nouveau une datation de la loi salique K. Cette fois, c’est à la suite du prologue complet et avant la liste des chapitres qu’apparaît la datation : Anno ab incarnatione domni nostri Ihesu Christi DCCLXVIII indiccione VI donnus Karolus rex Francorum hunc libellum tractati legis salicae scribere iussit. Ce manuscrit ne peut avoir été l’unique modèle complémentaire de Jean du Tillet pour la version K car la loi salique copiée p. 2-40 s’y arrête après 69 cha pitres seulement. Elle apparaît avec une collection de capitulaires de Charlemagne et de Louis le Pieux qui occupe toute la première partie du manuscrit (p. 1-72). Aucun de ces deux manuscrits ne paraît avoir été en possession de Jean du Tillet. Ils ne peuvent avoir été la source des éléments discordants ente K 33 et l’édition. Pour la datation, on voit mal pourquoi l’éditeur aurait remplacé 768 par 798, s’il avait eu sous les yeux la datation complète. Pour l’édition de Jean du Tillet, nous pouvons affirmer qu’il a utilisé le manus crit K 33, où l’année de la rédaction de la loi salique sur ordre de Charlemagne avait été grattée, pour ne garder que l’indiction. Il a utilisé au moins un autre manuscrit de la version K, pour ajouter le 71e chapitre présent dans son édition, mais nous ne connaissons pas d’exemplaire portant la datation, tronquée ou complète, et la loi salique en soixante-et-onze chapitres. Rien n’empêchait Jean du Tillet de compléter tout seul l’indication de l’indiction, qui pour le règne de Charlemagne peut correspondre à 768 ou à 798. Au lieu de prendre 768, qui est présent dans le manuscrit K 31 qu’il ne montre pas connaître, il a pu choisir par simple logique 798, une époque où Charlemagne était déjà lancé dans la réforme des savoirs qui semble absente des dix premières années de son règne. Discordance des témoins manuscrits Pouvons-nous nous fier à cette datation des manuscrits pour préciser la date de rédaction de la version K ? Elle apparaît seulement dans la seconde moitié du ixe siècle, de façon tronquée dans manuscrit de Reims K 33, de façon erronée dans le manuscrit de Saint-Gall, K 20, qui donne 778 et de façon correcte dans le manuscrit K 31, plus tardif. On peut supposer que la mention du manuscrit K 33 portait elle aussi une date erronée, ce qui aurait poussé à son effacement. La proximité des termes montre que ces trois mentions ont une origine commune. Elle apparaît avant le prologue long dans K 20, juste avant le texte, après les deux prologues et deux capitulaires de 803 dans K 33, après les deux prologues dans K 31. Son emplacement initial n’était semble-t-il pas satisfaisant pour les copistes, qui ont chacun choisi un positionnement différent. Peut-être que la datation ne se rapportait pas initialement à la loi salique version K.
32 K 31, Paris, BnF, latin 4626, p. 1-2. Voir supra chapitre 4.
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En effet, la désignation libellum tractati legis salicae pourrait correspondre à la loi salique seule, aussi bien qu’à n’importe quel texte juridique franc : nous l’avons vue précisément utilisée dans le manuscrit K 33 pour les édits royaux mérovingiens, la même expression pouvait aussi désigner les capitulaires carolin giens. Par exemple, dans le manuscrit de Cologny K 62, copié à la fin du ixe siècle, la loi salique K en soixante-dix chapitres est close par Explicit liber legis salice (f. 56), mais le capitulaire de Herstal par les mots Explicit lex salica (f. 138v), de même que la Recapitulatio solidorum (f. 142)33. Les trois manuscrits comportant la datation associent la version K aux capitulaires de Charlemagne, néanmoins aucun capitulaire n’est attribué à Charlemagne pour 76834 ni pour 778. La date de 768 paraît bien improbable pour la rédaction de la version K, qui est postérieure à la version E, elle-même postérieure à la version D. En outre, elle montre une maîtrise de la tradition antérieure et du latin rénové qui correspondent à la deuxième partie du règne de Charlemagne, certainement pas aux premiers mois de son règne. La tentation serait alors de retenir 778 – il faut alors corriger les trois exemplaires, en remplaçant sexta, pourtant deux fois écrit en toutes lettres, pour évoquer la 16e année de l’indiction – ou 798, en gardant l’indiction mais en corrigeant les deux années proposées. Outre sa discordance avec ce que nous pouvons reconstituer de la chronologie du règne de Charlemagne, la datation en 768 d’une copie de la loi salique sur ordre de Charlemagne apparaît de façon trop tardive pour être retenue contre le témoignage de tous les manuscrits copiés durant le règne de Charlemagne ou de Louis le Pieux, qui ne considèrent jamais la version K de la loi salique comme une version officielle, diffusée sous l’autorité directe de Charlemagne, ainsi que nous le verrons en détail infra. La distance par rapport à cette première diffusion du texte, sans aucun prologue, est marquée par la présence du prologue long ou du prologue complet dans les trois manuscrits qui portaient une datation, caractéristique d’une deuxième vague de copie de la version K, dans la seconde moitié du ixe siècle. La tradition manuscrite de la loi salique K durant le règne de Charlemagne confirme seulement incidemment sa diffusion à cette époque, en la présentant à côté des capitulaires antérieurs à 805, mais elle n’indique jamais un rôle officiel donné à ce texte et ne l’introduit par aucun prologue. L’association avec la Recapitulatio solidorum dans le plus ancien manuscrit conservé, K 81, montre bien qu’il ne s’agissait nullement d’abolir les versions antérieures de la loi salique35. Les ajouts faits au texte, dès sa copie, sur ce manuscrit montrent aussi qu’il ne s’agissait pas d’un texte officiel figé.
33 K 62, Cologny (Genève), Bibliotheca Bodmeriania, Cod. Bodmer 107. Voir Mordek, Biblio theca, p. 113-118. 34 Mordek note l’existence éventuelle d’un premier capitulaire de Charlemagne, perdu, dans Id., Bibliotheca, p. 1081 (no 19) et p. 547, mais sans trop y croire. 35 Voir infra et Ubl, « Die Recapitulatio ».
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Les trois manuscrits qui comportaient une datation de la loi salique K comme copiée à la demande directe de Charlemagne ont été élaborés dans les régions centrales du monde carolingien, Reims, Saint-Gall et Mâcon, dans des territoires de plus en plus fractionnés à chaque succession royale depuis 843. Ils ne per mettent pas de valider l’hypothèse d’une rédaction de la version K sur ordre de Charlemagne en 768, mais témoignent du nouveau statut donné à cette version après le milieu du ixe siècle. Cette version, qui fut effectivement diffusée dès le règne de Charlemagne, apparut plus tard comme l’expression de son autorité. Ce nouveau statut accordé au texte apparaît aussi dans les copies manuscrites établies après 850, qui ne reprennent plus la loi salique que dans sa version K et lui adjoignent souvent le pompeux prologue long élaboré pour la version D. Dater la rédaction de la version K
Les premiers éléments pour une datation de la version K sont relatifs, par rapport aux autres versions de la loi salique. Le chapitre 69 de la version K concerne le gibet : LXVIIII DE EO QUI HOMINEM DE BARGO UEL DE FURCA DIMISERIT
SUR CELUI QUI A RETIRÉ UN HOMME DE LA POTENCE OU DU GIBET
Si quis hominem de bargo uel de furca sine uoluntate iudicis dimiserit, IDCCCtis dinariis qui faciunt solidos XLV culpabilis iudicetur.
Si quelqu’un a retiré un homme de la potence ou du gibet sans l’autorisation du juge, qu’il soit jugé coupable pour 1800 deniers, qui font 45 sous.
Si quis hominem sine consensu iudicis de ramo ubi incrogatus fuerit deponere presumpserit, ICCtis dinariis qui faciunt solidos XXX culpabilis iudicetur.
Si quelqu’un a osé décrocher un homme de la branche où il était pendu sans l’accord du juge, qu’il soit jugé coupable pour 1200 deniers, qui font 30 sous.
Si quis caput hominis quod inimicus suus in palo miserit, sine permissu iudicis aut illius qui eum ibi posuit, tollere praesumpserit, DCtis dinariis qui faciunt solidos XV culpabilis iudicetur.
Si quelqu’un a osé enlever la tête d’un homme que son ennemi a mis sur un poteau sans la permission du juge ou de celui qui l’a placée là, qu’il soit jugé coupable pour 600 deniers, qui font 15 sous.
Si quis uiuum hominem de furca dimiserit, IIII dinariis qui faciunt solidos C culpabilis iudicetur.
Si quelqu’un a retiré un homme vivant de la potence, qu’il soit jugé coupable pour 4000 deniers qui font 100 sous.
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Ce chapitre n’a pas de correspondance dans les 65 chapitres du Pactus, tirés des versions A et C et édités par Eckhardt36, mais la première série de chapitres copiée dans le manuscrit A 1 annonce bien deux chapitres LXVI et LXVII sur ce sujet : LXVI Si quis hominem de furcas descenderit extra consilium iudicis LXVII De eum qui hominem uiuum de furcas furauit37. Puis, dans le corps du texte, le texte du premier chapitre est copié sans le distinguer du chapitre précédent, mais se poursuit avec le titre et le texte du chapitre suivant Si quis hominem de furcas abaterit extra consilium domini sui iudicis. Si quis hominem extra consilium iudicis de furcas abaterit aut de ramum ubi incroatus aut reponere praesumpserit, ICC dinariis qui faciunt solidos XXX cupabilis iudicetur. LXVII De eum qui hominem uiuo de furca furauerit Si quis hominem uiuo de furca tollere aut demittere praesumpserit, mallobergo morchamo, hoc est IIII qui faciunt solidos C culpabilis iudicetur38. La correspondance des peines montre que la version K s’est appuyée sur une version proche pour ses paragraphes 2 et 4 du chapitre LXVIIII. L’emplacement du chapitre indique bien l’usage d’une version A de la loi salique proche de la première série de chapitres fournie dans le manuscrit A 139. Nous avons vu au chapitre précédent que la reprise de deux amendes diffé rentes pour avoir utilisé la même sépulture pour deux corps, aux chapitres XVII, § 3 et LVII, § 4 de la version K pouvait s’expliquer par l’appui sur deux versions différentes de la loi salique, C d’une part, D ou E d’autre part et que l’usage de la version E apparaissait à travers la reprise de son vocabulaire spécifique. Le rédacteur de la version K aurait donc travaillé à partir d’éléments emprun tés à diverses versions antérieures, A dans une version proche du manuscrit A 1 de plus de 65 chapitres, C et E, ce qui indique que le texte n’a pu être établi avant la seconde moitié du viiie siècle40. La clarté de son latin et son refus des éléments obsolètes, comme les gloses malbergiques, rapprochent sa démarche de celle du rédacteur de la version E. Il s’est finalement montré plus conservateur, néanmoins, à propos de la chrenecruda. La démarche de synthèse de toutes les versions précédentes et de nouvelle rédaction de la loi salique semble bien correspondre aux efforts développés durant le règne de Charlemagne pour juger d’après la loi écrite et veiller à l’exactitude des copies. Les deux plus anciens manuscrits de la loi salique K, soit K 81, Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11 et K 57, Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50.2 ont probablement été copiés durant le règne de Charlemagne,
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Eckhardt, Pactus, 1962, p. 255. A1, Paris, BnF, latin 4404, f. 181. Ibid., f. 194v. Ubl, Sinnstiftungen, p. 177 note 65. Ibid., p. 176-181.
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mais ne présentent pas la version K de la loi salique comme ayant été rédigée sous ses ordres. Ils proposent un texte de loi en 70 ou 71 chapitres, sans prologue et associent le texte de la version K à des capitulaires de Charlemagne, notamment ceux publiés avant 805. Ils nous permettent donc, indirectement, de dater la version K d’avant 805. K. Ubl défend quant à lui une rédaction vers 80041. La datation traditionnelle de la version K en 802/803 repose sur deux sources composées par des proches de l’empereur. Éginhard fut l’un de ses conseillers, tandis que le récit des annales de Lorsch, malgré la succession de mains différentes dans l’unique manuscrit conservé42, montre « le récit d’un observateur impliqué, cherchant à la fois à noter pour la postérité et à contrôler l’interprétation contem poraine des événements de son temps43 ». Voici ses remarques sur l’année 802 :
Or l’empereur, pendant que ce synode avait lieu, rassembla les ducs, les comtes et le reste du peuple chrétien avec des connaisseurs des lois, et fit lire toutes les lois de son royaume et expliquer sa loi à chaque homme. Il fit corriger à chaque fois que cela était nécessaire et écrire la loi après correction, afin que les juges puissent juger en fonction du droit écrit et qu’ils n’acceptent pas les présents, mais que justice soit rendue à tous les hommes, pauvres et riches, de son royaume44.
M. Innes interprète ce passage différemment, en considérant que per scriptum ne désigne pas tant l’autorité de la loi écrite, que le fait de rendre des jugements sous forme écrite45. Suivant cette lecture, l’annaliste soulignerait ici l’exigence de formaliser la procédure judiciaire pour la distinguer des règlements infra- ou pa rajudiciaires souvent pratiqués. K. Ubl refuse cette interprétation en considérant que les judices ne pourraient fournir ce type d’arbitrage46. Si les acteurs de la jus tice restaient néanmoins les mêmes, et probablement leurs décisions, la nécessité de les argumenter en fonction du droit écrit pouvait en changer la portée, par la référence à une norme prédéfinie, écrite, et sensément partagée à l’échelle de l’empire47. Cette interprétation peut aussi être appliquée à la recommandation d’un des capitulaires de 802 :
41 Ubl, Sinnstiftungen, p. 167. 42 Wien, ÖNB, cod. 515, f. 4r-5. Voir Collins, « Charlemagne’s » et McKitterick, « Entstehung ». 43 Innes, « Charlemagne », p. 158 « the account of a participant observer, attempting both to record for posterity and to control the contemporary interpretation of public events of his time ». 44 Annales de Lorsch, a. 802 : Sed et ipse imperator interim quod ipsum synodum factum est, congregauit duces, comites et reliquo christiano populo cum legislatoribus, et fecit omnes leges in regno suo legi, et tradi unicuique homini legem suam, et emendare ubicumque necesse fuit, et emendatum legem scribere, et ut iudices per scriptum, et munera non accepissent ; sed omnes homines, pauperes et diuites, in regno suo iustitiam habuissent. Katz éd., p. 46. Pour une traduction conforme, Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 77 et Faulkner, Law, p. 24-25. 45 Innes, « Charlemagne », p. 178-179. 46 Ubl, Sinnstiftungen, p. 182, note 91. 47 Dans le même sens, Davis, Charlemagne’s practice, p. 47-89.
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Que les juges jugent avec justice en suivant la loi écrite, et non suivant leur propre opinion48. Le recours, même purement formel, à une argumentation à partir d’une loi écrite variait la portée idéologique de l’exercice de la justice, en la présentant comme l’application de normes antérieures, validées par le pouvoir royal et susceptibles d’être modifiées, par incrémentation avec les capitulaires. Par ailleurs, l’ambition prêtée à l’empereur est celle de la correction, emendatio, des textes existants49, et se retrouve dans le récit d’Éginhard : Après avoir reçu le nom d’empereur, comme il s’avisait que les lois de son peuple présentaient nombre de lacunes – les Francs ont en effet deux lois mais qui varient grandement dans plusieurs passages –, il conçut le projet d’ajouter les points manquants, d’unifier les éléments discordants et de corriger les erreurs et les ajouts fautifs. Mais en ce domaine, il ne fit rien d’autre qu’ajouter aux lois un petit nombre de chapitres, et encore incomplets50. La mention de legislatores dans les annales de Lorsch ne permet pas de savoir le nom ou le type d’expert consulté. Le récit d’Éginhard est plus précis et montre un travail sur les deux lois franques, la lex salica et la lex ribuaria, plus que sur l’héritage législatif général de tous les peuples sous l’autorité impériale. Son récit a souvent été interprété comme base de la datation des nouveaux textes de loi qui apparaissent à l’époque carolingienne, les leges Saxonum, Thurin gorum et Frisionum et l’Euua ad Amorem51, mais comme le souligne Th. Faulkner, la démarche de révision concerne des lois déjà écrites52. Éginhard pourrait se référer en particulier à des capitulaires d’ajouts aux lois. En soutien de cette interprétation peut être citée une précision sur les efforts de l’hiver 802/803 donnée par la Chronique de Sigebert de Gembloux, dans la seconde moitié du xie siècle, qui note pour l’année 802 : L’empereur Charles dirigea dans tout son empire des envoyés pour juger et rendre la justice à tous, et établit 23 chapitres de loi53.
48 Capitulare missorum generale, § 26 : Ut iudices secundum scriptam legem iuste iudicent, non secun dum arbitrium suum, Boretius no 33, p. 96. 49 Patzold, « Die Veränderung », p. 74. Innes, « Charlemagne », p. 161-162. 50 Éginhard, Vita Karoli, c. 29 : Post susceptum imperiale nomen, cum aduerteret multa legibus populi sui deesse – nam Franci duas habent leges, in plurimis locis ualde diuersas cogitavit quae deerant addere et discrepantia unire, praua quoque ac perperam prolata corrigere. Sed de his nihil aliud ab eo factum est nisi quod pauca capitula, et ea inperfecta, legibus addidit. Sot et Veyrard-Cosme éd. et trad., p. 66-67. Commenté dans Ubl, « Die erste Leges-Reform », p. 75-76. 51 Par exemple dans McKitterick, « History », ici p. 946. 52 Faulkner, Law, p. 25. 53 Sigebert de Gembloux, Chronique, a. 802 : Karolus imperator per omne imperium suum legatos ad faciendum iudicium et iustitiam cunctis dirigit, et legis capitula 23 instituit. Pertz éd., p. 336.
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Si cette précision provient du préambule d’un capitulaire, perdu par ailleurs, elle pourrait concerner les capitulaires no 39, Capitulare legibus additum, et no 41, Capitulare legi Ribuariae additum de l’édition d’A. Boretius54 car leurs paragraphes ajoutés font bien 23. Néanmoins, le premier est beaucoup plus répandu que le second, et s’ils sont le plus souvent associés dans la tradition manuscrite, le capi tulaire no 40, Capitulare missorum, est le plus souvent intercalé entre les deux55. Les deux capitulaires n’apparaissent copiés directement l’un à la suite de l’autre que dans le manuscrit du Vatican, BAV, Pal. Lat. 773, f. 48v à 55v, copié dans la première moitié du ixe siècle56. L’autorité de Charlemagne comme empereur y est bien soulignée de même que sa préoccupation complémentaire pour la loi salique57 et la loi ripuaire, suivant les titres donnés à ces deux capitulaires : f. 48v : Incipit nova legis constitutio Karoli imperatoris qua in lege ribuaria mittenda est. Introduction au Capitulare legi Ribuariae additum de 803 (Boretius no 41). f. 51r : Capitula quae in lege salica mittenda sunt. Introduction au Capitulare legibus additum de 803 (Boretius no 39).
Néanmoins, seule la Lex Ribuaria est copiée dans le manuscrit (f. 1v-48v), ici dans sa version A. Si les annales de Lorsch comme la biographie d’Éginhard soulignent l’inté rêt de Charlemagne pour les deux lois franques en 802, certains manuscrits permettent d’associer ce travail aux capitulaires publiés durant cette année, no tamment le capitulaire d’ajouts à la loi ripuaire. Nous avons vu dans le chapitre 5 que l’ambition de ce capitulaire de compléter certains chapitres précis de la Lex Ribuaria a été rendue impossible par la tradition manuscrite changeante de cette dernière, ce qui justifierait le surprenant jugement négatif d’Éginhard. Quant au capitulaire d’ajouts à la loi salique, il ne repose sur aucun texte précis et ajoute en général de nouvelles dispositions. Si certains capitulaires d’ajouts aux lois, salique et ripuaire, peuvent être associés dans les manuscrits à l’autorité de Charlemagne empereur, ce n’est pas le cas de la loi salique, sauf dans les manuscrits assez tardifs portant une datation de celle-ci, vus supra. Certes, la version K est bien présente dans 38 manuscrits sur les 53 qui reprennent le Capitulare legibus additum (Boretius no 39), le plus répandu des capitulaires de 802/80358. Parmi ces manuscrits se trouvent bien les trois de la version K qui peuvent être associés à une copie sous le règne de Charle
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Boretius, Capitularia I, 1883, p. 111-114 et p. 117-118. Mordek, Bibliotheca, p. 1083-1085. Faulkner, Law, p. 84-154. Mordek, Bibliotheca, p. 800. Sur le sens général de ce terme et ces capitulaires, voir la discussion supra, chapitre 5. Mordek, Bibliotheca, p. 1083-1084. Voir les calculs de comparaison proposés par Faulkner, Law, p. 138-147.
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magne59, mais aussi un manuscrit de la version A copié au même moment60, deux manuscrits de la version E61, dont l’un fut copié sous Charlemagne, un manuscrit de la version D copié peu après 81862 et deux manuscrits de la version S, la réorganisation du texte des lois par Loup de Ferrières vers 83063. Dès le règne de Charlemagne, son capitulaire n’était donc pas lié à la diffusion d’une version spécifique de la loi salique. Par ailleurs, les efforts de Charlemagne pour une réforme de la justice et une attention accrue à l’écrit ne se limitèrent pas à la période suivant son couronne ment impérial : le capitulaire de Herstal de 779 est associé à la version E de la loi salique dans un manuscrit64 ; une copie d’un manuscrit avec une partie du Code Théodosien et du Bréviaire d’Alaric eut lieu en 78265, un manuscrit perdu, consulté par Cujas, mentionnait une reprise du Bréviaire d’Alaric en 78866. Ces copies ne mentionnent pas d’intervention royale. À certaines périodes, l’attention de Charlemagne et de son entourage semblent avoir été particulièrement portée sur la copie des manuscrits, comme le montrent l’Epistola generalis67 et la lettre De litteris colendis68 vers 78769 et l’Admonitio generalis70 en 789. Pour autant, la copie de manuscrits des lois reflète les principes généraux de correctio et de justice pour tous qui semblent communs à l’ensemble du règne de Charlemagne, dès lors que sont conservés des capitulaires qui lui sont attribués, c’est-à-dire après 779. Il ne semble donc pas possible, à partir des récits du règne de Charlemagne, d’associer la rédaction de la version K de la loi salique à une période précise entre 768 et 814, pas plus que la rédaction de la version E. Notre meilleure indication sur la datation de la loi salique version K revient alors aux manuscrits les plus anciens de celle-ci, copiés durant le règne de Charle magne. Les manuscrits que nous présenterons ci-dessous dans le détail montrent que les copistes associaient ce texte au travail législatif mené par Charlemagne avant 805 ou avant 811, et qu’ils n’hésitaient pas à le copier avec la Recapitulatio
59 K 81, Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11. K 57, Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50.2. K 61, Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96. 60 A 1, Paris, BnF, latin 4404. 61 E 15, Paris, BnF, latin 4629. E 16, Berlin, SBPK, Phill. 1736. 62 D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136. 63 S 82, Modena, Biblioteca Capitolare, O. I. 2. S 83, Gotha, Forschungsbibliothek, Memb. I 84. 64 E 11, Vatican, Reg. lat. 846. 65 Le manuscrit de Paris, BnF, latin 4415, f. 110 copié au ixe siècle, porte un colophon qui évoque une copie durant la 5e année du roi Charles, qui semble correspondre à son modèle. Voir supra ch. 6. 66 Coma Fort, Codex, p. 255. 67 Epistola generalis, Boretius no 30, Capitularia I, 1883, p. 80-81. 68 Wallach, « Charlemagne’s ». Patzold, « Prius ». 69 Glatthaar, « Zur Datierung ». 70 Innes, « Charlemagne », p. 163. Ubl, « Die erste Leges-Reform ».
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solidorum, qui insiste sur l’existence de versions très divergentes de la loi salique, toutes valables à leurs yeux. Cette attitude et conforme à celle des copistes postérieurs qui associèrent presque toujours la Recapitulatio solidorum à la loi salique K71. Sous le règne de Charlemagne, les copistes n’accordaient donc à la version K aucune primauté sur les textes antérieurs et n’exposaient pas qu’elle relevait directement de l’autorité du roi. Leurs choix pour la composition de leurs recueils juridiques montrent seulement qu’elle était chronologiquement associée aux capitulaires de cette époque, ainsi qu’aux réflexions contemporaines des érudits, comme la Recapitulatio solidorum. K. Ubl propose de revenir à une datation floue, pour la version K, vers 80072. Il relève le travail du rédacteur, qui a utilisé les versions précédentes, A, C et E, pour proposer une version conservatrice, mais aussi plus claire, en n’hésitant pas à in tervenir et à fournir des éclaircissements pour certains passages particulièrement obscurs73. En conséquence, le texte obtenu est beaucoup plus compréhensible, même si demeurent trois doublons incohérents74. K. Ubl considère que l’aspect officiel du texte est assuré par l’insertion au chapitre VIII du discours direct iussimus75. Il y a effectivement une grande rupture de ton pour ce passage qui forme le troisième paragraphe du chapitre VIII : Hanc quoque legem et de uitibus furatis obseruari iussimus. Nous ordonnons que cette loi soit aussi observée à propos des ceps volés. Il n’est pourtant pas impossible qu’il tire son origine d’un des modèles de la version K, car il se retrouve ainsi comme troisième paragraphe du chapitre VIII dans l’édition de J. Herold76 : ce passage peut y provenir de la version K, comme les paragraphes 2 et 4 qui l’encadrent, ou d’une version ancienne proche de C, comme le paragraphe 177. Ce passage à la première personne du pluriel reflète bien une rupture de ton, mais s’agit-il de la voix du dernier législateur ou bien de la reprise d’un modèle ? Un seul terme enchâssé dans un texte qui synthétise de multiples influences ne me paraît pas suffisant pour proclamer l’aspect officiel d’une rédaction qui, comme nous le verrons infra, a visiblement échappé à ses premiers copistes. Il est vrai que cette première personne du pluriel, pour une précision mineure, perturbe l’unité de présentation des chapitres sur le vol dans la loi salique. Mais l’origine ne peut
Ubl, « Die Recapitulatio », p. 70. Ubl, Sinnstiftungen, p. 167. Ubl, Sinnstiftungen, 2017, p. 176-180. Trois doublons demeurent dans la version K de la loi salique : sur le montant des amendes pour avoir perturbé une tombe (ch. XVII, § 3 différent de ch. LVII, § 4), volé un mort (ch. XVII, § 1 différent de ch. LVII, § 1) ou écorché un cheval (ch. XL, § 16 différent du ch. LXVIII). 75 Ubl, Sinnstiftungen, p. 178. 76 Herold, Originum, p. 7. 77 Eckhardt, Pactus, 1965, p. 43. 71 72 73 74
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en être précisée, dans un texte qui ne comporte pas, par ailleurs, d’innovations. Elle ne remonte pas nécessairement à Charlemagne. La Lex salica karolina correspond donc, de façon générale, aux efforts déployés par les élites du monde franc, sous le règne de Charlemagne, pour réformer les comportements. Cette entreprise reposait sur le recours massif à la communica tion écrite78, rendu possible par l’usage d’un latin rénové, éloigné de la langue parlée, et compréhensible par tous les lettrés79 et par une nouvelle écriture per mettant la circulation des copies dans l’espace et dans le temps80. La création de la version K de la loi salique correspond indéniablement à cette Renaissance carolingienne, dans la mesure où elle propose une langue rénovée, dont les archaïsmes n’empêchent pas la compréhension, tout comme la version précédente E. Mais cette fois, cette nouvelle rédaction semble reposer sur l’ensemble des versions préexistantes de la loi salique, puisqu’elle emprunte des éléments à toutes les versions antérieures, A, C, et E, nouvelle rédaction de D. C’est donc l’ensemble de l’héritage législatif du vie au viiie siècle que cette version prétendait reprendre. Sa rédaction n’invalidait pas les autres versions, comme le montre la Recapitulatio solidorum. Elle visait néanmoins à rendre les autres inutiles, ce qui fut progressivement relayé par le choix des copistes en sa faveur à partir de la deuxième moitié du ixe siècle.
Les manuscrits de la loi salique K copiés durant le règne de Charlemagne Les débats sur le texte originel de la loi salique ont reposé sur un petit nombre de manuscrits, 16 seulement, qui présentent ce que j’appellerai ici les versions minoritaires de loi salique, à savoir les versions A, C, D et E, voire les six d’entre eux qui représentent les versions A et C. En dehors de ces manuscrits, la loi salique a été copiée dans 72 autres manuscrits qui reproduisent une version carolingienne du texte, la version K, et ses remaniements, comme sa traduction en vieil haut allemand, appelée V. Dans la version K, le texte de la loi salique est présenté en 70 à 72 chapitres et montre de très faibles variations d’un manuscrit à l’autre81. En conséquence, ces manuscrits ont été complètement délaissés par K. A. Eckhardt, qui ne les a ni consultés (par exemple, il mentionne un manuscrit K 23, Genève, Bibliothèque de l’université 5082 dans lequel ne se trouve pas la loi salique), ni même seulement classés, comme l’a montré R. McKitterick83.
78 McKitterick, Charlemagne, p. 315-320 et Ead., « Charlemagne ». 79 Banniard, Viva voce et Id., « Niveaux », 2009. 80 Nelson, « Literacy ». Sur l’importance des livres, voir la synthèse présentée dans Denoël, Poilpré et Shimahara « Introduction ». 81 Ubl, Sinnstiftungen, p. 165-191. 82 Eckhardt, Pactus, 1962, n. 5., p. XIX. 83 McKitterick, Carolingians, n. 7, p. 47-56.
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À ce jour, cette version caroline n’a pas réellement été éditée. Eckhardt a paru le faire en deux occasions, une édition à part en 1956, puis l’insertion en parallèle des versions A et C, en 1962, mais l’ensemble repose sur des transcriptions de deuxième main, non vérifiées, et des choix aléatoires et/ou aberrants. Prenons l’exemple du manuscrit K 3984, copié au milieu ou dans la deuxième moitié du ixe siècle pour un dénommé Auttramnus qui se définissait comme avocat laïc. Eckhardt ne connait le manuscrit que d’après les notes de Hessels85. En conséquence, il l’introduit douze fois dans son apparat critique pour des variantes justes, mais situées à coté de variantes plus importantes, qui ne sont pas relevées. Il affirme que les deux derniers chapitres y sont ajoutés d’une autre main après un explicit, ce qui est parfaitement faux (f. 29v). Son édition n’est donc pas fiable et les variantes appuyées sur la version C dans ce manuscrit n’ont pas été relevées. Pour les lecteurs non spécialistes, l’imprécision a empiré avec les trois volumes publiés par les éditions Paléo en 201186. Leur introduction montre un état de connaissances bloqué dans la première moitié du xixe siècle87, tandis que la prétendue édition-traduction des six manuscrits des versions A et C, classés en manuscrits français et allemands (!), se révèle une fumisterie : le texte présenté reste le même, seulement avec un découpage différent et la traduction proposée est toujours celle élaborée pour la version K88. La composition de celle-ci est située en 768, alors que la traduction de J.-F. Peyré en 1828, bien relayée sur internet, reprend les éléments de l’édition de Jean du Tillet pour affirmer que la version K fut composée sur ordre de Charlemagne en 79889. La confusion règne ainsi, pour les francophones, autant sur le contenu de la loi salique élaborée sous Charlemagne que sur sa datation. La situation n’est pas plus claire pour les anglo phones, car la traduction de K. Fischer Drew publiée en 199190 reprend de façon confuse les éditions d’Eckhardt des années 1950, et mêle comme capitulaires les articles de la loi salique version A jugés supplémentaires, des édits des rois mérovingiens et des publications de Louis le Pieux91. Si la version K de la loi salique n’a ainsi pas encore été éditée, c’est que les savants, emportés dans leur quête des origines de la loi salique, ont tenu pour négligeable l’étape carolingienne, bien qu’elle soit la seule à fournir des textes. Elle date du règne de Charlemagne ; elle consiste, comme les autres versions 84 85 86 87 88
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K 39, Paris, BnF, latin 4632. Voir supra, chapitre 2. Eckhardt, Pactus, 1962, n. 5, p. XXI. Desgrugillers éd., La loi salique. Par exemple les cotes de manuscrit, se référant à un « fonds Notre-Dame » n’intègrent pas le classement opéré sous la direction de Léopold Delisle, en 1868. Voir Denoël, « Le fonds ». Par exemple, dans Desgrugillers, La loi salique. Les manuscrits français p. 81, 167 et 265, ch. XLVII. Le texte proposé n’est ni celui du manuscrit A 1, Paris, BnF, latin 4404, ni celui du manuscrit A 4, Paris, BnF, latin 9653, édités par Eckhardt, Pactus, 1962, p. 182. Il ne correspond pas non plus aux manuscrit de la version C. Peyré, Lois, 1828. Fischer-Drew, The Laws. Ibid., p. 163-167 et note 178.
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élaborées sous les Carolingiens (D et E, mais aussi les versions des manuscrits A 1, A 2, A 3 et C 5), en une interprétation, au début de l’époque carolingienne, d’un héritage complexe dont les détails nous échappent. Cette version K fut la version la plus répandue au haut Moyen, avec plus de 70 manuscrits conservés et la profusion de manuscrits rend l’entreprise d’édition particulièrement délicate. K. Ubl a tenté une édition complète, tenant compte de l’ensemble de la tradition manuscrite pour le chapitre XIV, § 16 et le chapitre LIX92. Ses résultats montrent un apparat critique très lourd, sans que les variantes démontrent une grande utilité. L’ordre des mots, l’orthographe ou la ponctuation ont pu être modifiés, mais les divergences manuscrites changent très peu le sens du texte. Les deux manuscrits les plus anciens de la loi salique version K ont pu être copiés sous Charlemagne, tandis qu’un troisième, dont la copie est plus tardive, reproduit une collection juridique fut élaborée du vivant de Charlemagne. Ces trois volumes présentent le texte tel qu’il a circulé peu de temps après sa composi tion, sous Charlemagne, avant que son statut n’évolue au cours du ixe siècle. Cette rédaction K de la loi salique ne fut tout d’abord qu’une version disponible parmi d’autres. L’autorité de Charlemagne n’était pas invoquée dans ces trois manuscrits dont le contenu fut élaboré sous son règne et la fin du texte apparaît flottante. Les trois plus anciens manuscrits
Le manuscrit K 81 : Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11 Ce manuscrit de petite taille, 190-194 × 132 mm, pour un espace d’écriture de 155-165 × 100-107 mm, est copié dans une minuscule caroline très régulière, sur 19 à 21 lignes. Son format pratique laisse supposer que le volume était peu épais, mais des cahiers ont été perdus et aucune marque de cahier ne peut être relevée93. Actuellement, le manuscrit comporte 40 feuillets et débute avec le titre du chapitre XVIII de la Loi Salique dans sa version K. Quatre quaternions se poursuivent jusqu’au feuillet 32. Vient ensuite (f. 33-34) un binion auquel il manque deux pages, puis un feuillet isolé, f. 35, puis un binion (f. 36-39) et un nouveau feuillet isolé, f. 40. Les pertes entrainent des lacunes dans le texte : la Loi salique s’interrompt au folio 32v dans le paragraphe 1 du chapitre LXIV (et insuper ICC dinariis qui) et reprend au folio 33 au chapitre LXVII, § 3 (et conuicta). Elle est suivie, f. 34-36, d’extraits de capitulaires, parfois interrompus par des pages manquantes, qui viennent : -
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du Capitulare legibus additum de 803 (Boretius no 39)94, des Capitula omnibus cognita facienda (Boretius no 57)95,
http://www.leges.uni-koeln.de/materialien/transkriptionen/ consulté le 16/03/20. Mordek, Bibliotheca, p. 702-705. Ibid., p. 1083-1084. Ibid., p. 1087.
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d’un Capitulum de libra et inpunda qui n’est copié qu’ici (Mordek no 996) ; ces deux derniers capitulaires sont datés entre 802 et 813, du Capitulare missorum de 803 (Boretius no 40)97, des Capitula francica (Boretius, no 104) attribués à Charlemagne98.
Vient ensuite, f. 38-40, la Recapitulatio solidorum dans sa forme A99 et sur la page suivante, f. 40v, le début des Capitula per missos facienda (Boretius no 67) datés entre 805 et 813100, coupés par la perte du reste du manuscrit. Le parchemin n’était pas de très bonne qualité, comme le montrent les trous (f. 7, 13, 29 et 34) et les nombreuses traces de poil (f. 15, f. 25…) La ressemblance entre cette sélection de capitulaires et celles contenues dans les manuscrits du ixe siècle de Cologny101, de Nuremberg102 et de deux manuscrits du xve siècle conservés au Vatican103 laisse penser que le contenu du manuscrit a été élaboré sous Charlemagne et que venait au moins ensuite le Capitulare missorum in Theodonis villa datum de 805, qu’ils comportent tous104. L’écriture du manuscrit est datée par Hubert Mordek comme Bernard Bischoff entre le 1er et le 2e quart du ixe siècle105. Rien n’empêche de supposer que l’époque de la copie corresponde à l’élaboration de son contenu, limité à l’apport législatif du règne de Charlemagne, et que le manuscrit ait été copié entre 805 et 814. La provenance du manuscrit ne peut être déterminée en-deçà de son apparte nance à la bibliothèque de l’évêque de Metz Henri-Charles du Cambout, duc de Coislin (mort en 1732), qui l’hérita sans doute de son grand-père, le chancelier Séguier. Il passa ensuite dans la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés (cote 1384 en f. Iv), fut récupéré à la Révolution par Pierre Dubrowski (f. 1, f. 40), secrétaire de l’ambassade de Russie à Paris en 1792, puis vendu à l’État russe en 1805. Au cours de ces tribulations, le manuscrit a perdu des feuillets, mais a aussi été mouillé : les pages ont été abîmées par l’eau au bord inférieur droit jusqu’au folio 15, au recto du folio 24, puis au milieu des pages à partir du folio 35. Les rubriques, notamment les titres des chapitres de la loi salique, sont presque effacées et parfois illisibles. En dehors des titres, la couleur n’est que très rarement utilisée : certaines lettres sont relevées en rouge aux folios 13v et 14.
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Ibid., p. 978. Ibid., p. 1084-1085. Ibid., p. 1091, c. 3. Ubl, « Die Recapitulatio ». Mordek, Bibliotheca, p. 1088. K 62, Cologny (Genève), Bibliotheca Bodmeriana, Bodmer 107. Mordek, Bibliotheca, p. 113-118. K 61, Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96. Mordek, Bibliotheca, p. 401-403. À noter, une coquille dans Mordek, Bibliotheca, p. 703 qui donne App. 95 pour 96. K 66, Vatican, BAV, Reg. lat. 1036 et K 67, Vatican, BAV, Reg. lat. 1728, copiés au xve siècle. Mordek, Bibliotheca, p. 844-847 et 852-855. Ibid., p. 703. Ibid. et Bischoff, Katalog II, no 2331, p. 86.
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Le jugement porté par R. Hubé en 1867 paraît toujours valable : « Ce manus crit est d’autant plus intéressant, qu’il représente une espèce de manuel de la Loi Salique, rédigé en vue des besoins pratiques de l’époque, manuel contenant outre le texte de la loi, les capitulaires qui la complétaient au temps de Charlemagne, et la Recapitulatio qui forme, pour ainsi dire, un résumé systématique des disposi tions de la loi106 ». Pour autant, ce manuscrit ne porte pas de marque d’usage, à part le soulignement moderne des passages sur la parenté (f. 20-v, ch. XLVI) et sur la terre salique (ch. LXII, f. 32). Si l’écriture de l’ensemble du manuscrit semble dater de la première moitié du ixe siècle, plusieurs copistes ont pu y travailler : il semble notamment que le copiste du feuillet 33 ne soit pas le même que pour le reste de la Loi salique. Le manuscrit a été corrigé avec soin pour la partie qui contient le texte de la Loi Salique, comme pour les capitulaires : de nombreux passages ont été grattés, des lettres ajoutées ou des chapitres complétés en bas de page, comme en f. 5v, 10v, 23 et 28. Ces corrections se montrent quasiment à chaque page et semblent être l’œuvre d’un réviseur unique. Son encre apparaît aujourd’hui plus noire que celle des copistes initiaux. La forme caractéristique de certaines lettres apparaît dans toutes les révisions, comme le « e » proche du caractère oncial, avec une barre médiane plus longue que les deux barres extérieures (par exemple : f. 4v : ei ; f. 7v : furauerit ; f. 28v : ominem) ainsi que le « g », ouvert avec une barre en bas comme le caractère oncial (par exemple : f. 14v : plagiauerit, f. 26 : grafio, f. 28 : sagibaronem), tout à fait différent du « g » à tête ronde et boucle en bas utilisé par les copistes du texte. L’obel, comme un signe égal oblique barré, utilisé par trois fois pour ajouter un passage complémentaire (f. 10v, 23r et 28r) est le même. Cette révision semble s’être poursuivie en ajoutant les chapitres LXXI et LXXI après la mention EXPLICIT LEX SALIGAE du premier copiste (f. 33v), qui montrent la même écriture. Le réviseur de la Loi salique a poursuivi son travail de correction du texte, qu’il estimait ici incomplet, en lui ajoutant deux chapitres. Il peut s’agir d’une correction de peu postérieure à la copie, dans la première moitié du ixe siècle. Les interventions sur le texte des capitulaires conservés ne comportent pas d’ajout et ne permettent pas de savoir s’il s’agit du même réviseur. Le manuscrit K 57 : Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50.2 Ce manuscrit de format de poche (180-185 × 115-120 mm pour un espace d’écriture de 140-145 × 75-80 mm)107 semble provenir de Wissembourg, mais aucun signe particulier n’indique qu’il y fut copié108. Le coin supérieur droit du
106 Hubé, La loi salique, p. XXI. 107 Von Heinemann, Die Augusteischen Handschriften, Bd. 8, c. 50. Mordek, Bibliotheca, p. 918-920. 108 Bischoff, Katalog III, p. 500, no 7298, note « Nordostfrankreich », France du nord-est, mais sans davantage de justification et sans doute en rapport avec le lieu médiéval de conservation du manuscrit.
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manuscrit a été abîmé et certains mots n’y sont plus lisibles. Il comporte 63 folios sur lesquels ont été copiés la loi salique, suivie de capitulaires et de prières. La loi salique présente une version K en 71 chapitres, sur les folios 1 à 50v. Le projet est particulièrement cohérent, car la liste initiale des titres (f. 1-2v) comporte elle aussi 71 chapitres. La Loi salique a été copiée sur cinq quaternions, suivi d’un quinion, ce qui a permis d’arrêter la copie à la fin du cahier. La fin du manuscrit a été moins planifiée : à un quaternion, jusqu’au folio 58 a été ajouté un autre quaternion dans lequel trois feuillets manquent. La même main a copié sur un cahier suivant la Loi salique des capitulaires de Charlemagne : -
f. 51-53v : le Capitulare legibus additum de 803 (Boretius no 39). f. 53v-54v : le capitulaire de Thionville (Boretius no 43) de 805 f. 54v-59v : le deuxième capitulaire de Thionville (Boretius no 44) de 805. L’ensemble se clôt par FINIT à la fin du folio 59v.
Une autre main109, avec une encre beaucoup plus pâlie, a copié ensuite, f. 60-f. 61, le capitulaire de Louis le Pieux, Capitulare legibus addenda, de 818/819 (Boretius no 139). Une troisième main, plus tardive, a ajouté, de façon désormais peu lisible, une prière ad prima, f. 61v-62v, suivie d’une prière ad uesperas, f. 62v, incomplète par perte d’un feuillet. Le folio 63 comporte des essais de plume. Des noms propres ont été inscrits, en sens inverse du texte, dans les marges des folios 37, 43 et 59, sans que puisse être précisé le sens de ces marques. La datation de la copie du manuscrit peut se faire d’après l’écriture, qui in dique un travail dans la première moitié du ixe siècle, mais peut aussi être précisée, il me semble, par la copie des capitulaires. Seuls ceux de Charlemagne ont été copiés dans un premier temps, mais un lecteur du manuscrit a jugé nécessaire d’y ajouter par la suite un des plus importants capitulaires de Louis le Pieux. On peut supposer que s’il avait été connu lors de la copie, il l’aurait directement inséré. Or ce capitulaire fut très répandu : H. Mordek relève 33 manuscrits110, en sus de la collection d’Anségise. La première main semble donc avoir travaillé avant 818 et son travail aurait été complété sous le règne de Louis le Pieux. De façon exceptionnelle pour un manuscrit de la Loi salique, ce manuscrit comporte des marques d’usage sur le texte, sous la forme de manicules en regard de certains passages, qui ont parfois aussi été soulignés. La première marque se trouve au folio 12, devant le paragraphe 2 du chapitre XV, Si Romanus homo Francum expoliauerit, « Si un Romain a dépouillé un Franc… ». L’intérêt pour un même conflit pourrait correspondre à l’indication au f. 23v, devant le § 3 du cha pitre XXXIV, Si uero Romanus Francum sine causa ligauerit, « Si un Franc a attaché un Romain sans raison… ». Ces annotations sont surprenantes, car la distinction entre Franc et Romain paraîtrait plutôt d’actualité dans les royaumes francs du vie siècle que dans l’empire carolingien. Néanmoins, le terme de Romani avait acquis
109 Mordek l’estime du ix-xe siècle, voir Id., Bibliotheca, p. 919. 110 Ibid., p. 1094-1095.
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Illustration 7.3 : K 57, Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50.2, f. 30r (détail).
de nouvelles significations avec l’élévation de Charlemagne à l’empire111 et ces passages ont semblé signifiants au début du ixe siècle. Les autres marques concernent des éléments moins étonnants. Au folio 23, une manicule signale le paragraphe 5 du chapitre XXXII sur les invectives, concer nant celui qui est accusé de fuite au combat. Dans le chapitre XXXV sur la chasse, au folio 24, le paragraphe 2 sur le cerf domestique utilisé pour la chasse semble indiquer qu’il s’agissait d’une pratique importante. Dans le chapitre XXXVII sur le meurtre des esclaves, au folio 25v, l’équivalence du triens a été relevée, ce qui montre l’interrogation de lecteurs carolingiens sur le système monétaire obsolète de la loi salique (Ill. 7.3). Deux annotations, aux folios 29 et 30, portent sur le chapitre XLII, sur l’esclave accusé de vol, et font ressortir la précision qu’il doit être super scamnum tensus, « étendu sur le chevalet », et que celui qui veut le torturer uirgas paratas debet ha bere quae in similiudinem minimi digiti grositudienm habeant, « qu’il doit avoir des verges prêtes, de l’épaisseur du petit doigt ». Il semble bien ici que la lecture de la loi salique a précédé le châtiment d’un serviteur. Enfin, une dernière marque sur le texte de la loi salique concerne, au folio 45, le rassemblement de douze témoins dans le cas d’un refus de se rendre à l’assemblée judiciaire (ch. LIX, § 2). Cet ensemble d’annotations se poursuit pour les capitulaires copiés après la Loi salique avec une logique similaire. Au folio 52v est désigné le paragraphe 5 du capitulaire de 803, qui concerne celui qui a tué un proche pour conserver son sta tut d’homme libre : Et si negaouerit illum occidisse, ad nouem uomeres ignitus iudicio Dei examinandus accedat. « Et s’il a nié l’avoir tué, qu’il marche sur neuf fers brû lants pour être examiné par le jugement de Dieu ». Il semble ici que le lecteur s’intéressait à la préparation d’une ordalie. Au folio 53, le terme de widrigildum est souligné, ce qui comme pour triens montre l’importance des catalogues d’amendes dans l’exercice de la justice à l’époque carolingienne112. Enfin, au folio 55v, est mis en avant le paragraphe 7, qui concerne le commerce avec les régions orientales, De negociatoribus qui partibus Sclauorum et Auarorum pergunt, « Sur les commerçants qui se rendent dans les
111 Sarti, « Frankish Romaness ». 112 Depreux, « Wergeld ». Esders, « “Eliten” ».
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régions de Slaves et des Avars ». Par la suite, le capitulaire de Louis le Pieux n’est accompagné que de notes de l’époque moderne ou contemporaine, se référant à l’édition des capitulaires de Baluze. Ces annotations, tout comme le format de l’ouvrage, semblent bien se référer, parfois, à une mise en pratique, aussi bien de la loi salique que des capitulaires de Charlemagne, pour mettre en place des amendes, des supplices et une ordalie. L’usage courant du manuscrit paraît aussi souligné par les prières, pour le matin et pour le soir, qui ont été copiées à la suite des textes juridiques, qui indiquent que le copiste pensait que l’on pourrait se référer au manuscrit de façon quotidienne. Le manuscrit K 61 : Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96 Le manuscrit se présente sur un format pratique, mais un peu plus grand que les deux précédents, de 225 × 140 mm (espace d’écriture 195 × 105-110 mm) avec 39 folios113 (Ill. 7.4). La minuscule caroline est de la même main jusqu’au verso du folio 39, où les trois prières ont été rajoutées ensuite. L’ensemble est cohérent dans sa présentation : les titres sont en rouge, le plus souvent en onciales, de même que les chiffres. L’intérieur des initiales et de nombreux chiffres du texte, notamment dans la loi salique, ont été rehaussés de jaune. Bien que ce manuscrit ait été conservé à Würzburg, il ne semble pas provenir de son scriptorium114. Il pourrait y avoir été acquis dès l’épiscopat de Gozbald (842-857)115. L’histoire de ce manuscrit nous échappe avant le xve siècle, où il fut possédé par la bibliothèque de la cathédrale de Würzburg116 avant d’être donné en 1854 à la bibliothèque de la ville de Nuremberg par un magistrat de la ville (marque dans la couverture). La marque des cahiers, de « a » à « d » (f. 8v, 16v, 23v et 31v) et le rajout des prières montrent que le volume a été conçu initialement pour ne comporter que la loi salique et quelques capitulaires. La variété des cahiers, deux quaternions jusqu’au folio 16, puis un ternion et un feuillet sur onglet jusqu’au folio 23, puis un ternion et deux feuillets jusqu’au folio 31, et enfin un quaternion, correspondent au matériau disponible et non à un changement de projet de copie. Le parchemin n’est pas d’excellente qualité : on note un trou (f. 11), et des pages gardant la marque des poils (f. 12v, 13, 14v, 15…). La copie a fait l’objet de révisions, comme le montrent les marques de grattage (f. 3v, 4, 12…). Parfois, la dernière ligne de la page est exagérée vers le bas comme dans l’écriture diplomatique (f. 14v, 19, 24v, 27v…). Les notes tironiennes que l’on repère au folio 26v incitent à considérer que le copiste avait connaissance des pratiques notariales, même si leur usage était plus large117.
113 Mordek, Bibliotheca, p. 402-404. Neske, Die Hanschriften, p. 127-128. Münsch, Der Liber legum, p. 131-134. 114 Bischoff et Hofman, Libri, p. 58, 69 et 133. 115 Ibid., p. 156 et 171. 116 Marque de catalogage du xve siècle, f. 1 : CLXXV puis en dessous Sextemuli quinque legalium. 117 Muzerelle, « Les Notes ».
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Illustration 7.4 : K 61, Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96, f. 26v.
La datation par l’écriture est impossible et sa précision spatiale est si peu claire que dans un premier temps, en 1952, B. Bischoff envisageait une écriture de la pre mière moitié du ixe siècle et « peut-être un copiste occidental dans un environne ment germano-insulaire »118. Autant dire que l’écriture reflète l’ensemble des in fluences à l’œuvre lors de la diffusion de la minuscule caroline et que le volume est suffisamment standardisé pour pouvoir correspondre à n’importe quel lieu de l’empire de Charlemagne119. Pour la reprise de son catalogue général, B. Bischoff
118 Bischoff et Hofman, Libri, p. 133, n. 132 : « Karolingische Minuskel noch vor der Mitte des 9. Jh., möglicherweise von einem westfränkischen Schreiber im deutsch-insularen Gebiet ges chrieben ». 119 Sur les localisations impossibles de la plupart des manuscrits carolingiens, malgré les efforts de Bischoff, voir les remarques dans Ubl, « Recht », p. 208-209.
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devenait bien plus prudent et notait seulement « Allemagne centrale ?, 2e tiers du ixe siècle »120. La loi salique est copiée sur les folios 1 à 26v. Elle est introduite par une liste de soixante-dix chapitres. Au folio 26v, le 70e chapitre est suivi d’un paragraphe non numéroté, intitulé DE TERRE CONDEMPNATA, suivi d’un chapitre LXXI DE INUITU STRITTO, puis de la mention EXPLICIT LEX SALIGA. Ils sont donc bien considérés comme faisant partie de la loi, bien qu’ils soient absents de la liste des chapitres comme, pour l’un d’eux, non numérotés. Après la loi salique viennent des capitulaires de Charlemagne, (Boretius no 20, 21, 39, 40, 67, 43, 44, 61, 62, 63121 et 71)122. L’originalité des capitulaires qui suivent la loi salique provient de leur présentation dans une collection dans l’ordre chronologique ne comportant que des capitulaires de Charlemagne dont le der nier est daté de 811, que l’on peut rapprocher du manuscrit de Saint-Pétersbourg, mais qui a aussi des éléments communs avec le manuscrit de Cologny123 et celui de Montpellier D 7124. La copie date donc d’après 811, probablement vers le milieu du ixe siècle. Les trois prières rajoutées sur la dernière page ne permettent pas d’aller plus loin : l’écriture correspond au ixe ou au xe siècle et leur contenu n’a rien de spécifique125. Nous avons donc ici la Loi salique dans son état correspondant à l’époque de Charlemagne. Même si la copie manuscrite a sans doute eu lieu après son règne, la reprise des capitulaires complémentaires limités au règne de Charlemagne montre qu’il n’y a pas eu de volonté d’actualisation ou de changement du modèle. Le manuscrit ne porte aucune marque d’usage, à part des notations contemporaines au crayon en marge du chapitre sur l’héritage de la terre salique (f. 25) ou de certains capitulaires. Une version sans prologue, en 70, 71 ou 72 chapitres
Les trois manuscrits retenus sont les plus anciens à comporter un texte de la version K de la loi salique. Si on exclut le manuscrit de Saint-Pétersbourg K 81126, dont il manque les deux premiers cahiers, les deux autres semblent avoir conservé l’agencement originel du recueil manuscrit et tous débutent par un titre 120 Bischoff, Katalog II, no 3650, p. 326-327 : « Mitteleres Deutschland (?), IX. Jh., 2. Drittel ». 121 Davis, Charlemagne’s practice, p. 114 considère que la dernière clause de ce capitulaire, qui n’est présente en intégralité que dans ce manuscrit, indique une rédaction particulière, dans une optique précise. 122 Voir les détails dans Mordek, Bibliotheca, p. 401-404. 123 K 62, Cologny (Genève), Bibliotheca Bodmeriana, Bodmer 107, un manuscrit de la fin du ixe siècle. 124 D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, un manuscrit qui date du premier tiers du ixe siècle. 125 Le texte est donné par Neske, Die Hanschriften, p. 127-128. 126 K 81, Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11.
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qui n’évoque aucune autorité pour la Loi salique et la liste de ses chapitres. La mention de Charlemagne apparaît dans les manuscrits, mais seulement à propos des capitulaires. Dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg (K 81) Dans le manuscrit K 81, la copie des capitulaires montre un état perturbé, puisqu’il manque des pages après le folio 32. Néanmoins, le titre introduisant le capitulaire d’ajouts aux lois de 803127, au folio 34 est conservé : CAPITULA QUE IN LEGE SALICE MITTENDA SUNT. Au folio 36, deux lignes ont été laissées libres comme pour une rubrique avant le Capitulaire aux missi de 803, mais aucune trace n’indique qu’elles ont été remplies. Les extraits de capitulaires se suivent ensuite sans interruption autre qu’un retour à la ligne, de même pour la Recapitulatio solidorum. Celle-ci se finit en haut du folio 40, et l’espace suivant a été laissé libre. Le capitulaire Per missos cognita facienda (Boretius no 67) a été copié après deux lignes de rubrique, qui ne sont plus déchiffrables. La Recapitulatio solidorum est une présentation synthétique du contenu de la Loi salique qui fut élaborée entre 802 et 806. Le texte contenu dans ce manuscrit de Saint-Pétersbourg n’a pas été utilisé par K. A. Eckhardt pour son édition128 ; dans la nouvelle édition fournie par K. Ubl129, il correspond au texte A1, dans la version du premier groupe130. Néanmoins, le début du deuxième paragraphe par In primis, comme dans le deuxième groupe de cette version131 reflète sans doute une contamination132. La Recapitulatio solidorum copiée dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg se réfère tout d’abord à des versions de la loi salique en 65 chapitres, puis en 70 chapitres : Il faut connaitre ces têtes de chapitre qui se trouvent dans certains [livres] saliques de la loi, 65 ou 70 dans certains, dans d’autres un peu plus ou un peu moins. Ils contiennent d’autres chapitres, 300 dans certains livres, un peu moins dans d’autres133. Boretius, no 39. Eckhart, Pactus II, 2, 1956, p. 529-532. Ubl, « Die Recapitulatio ». Le premier groupe comporte avec le manuscrit de Saint-Pétersbourg les manuscrits Cy : Colo gny, Bibliotheca Bodmeriana, Bodmer 107 (Eckhartd : K 62) ; P2 : Paris, BnF, latin 10758 (Eckhardt : K 33) et P3 : Paris, BnF, latin 4628A (Eckhardt : K 35). 131 Le deuxième groupe comporte Mo : Modena, Biblioteca Capitolare, O. I. 2, (Eckhardt : S 82) ; P 7 : Paris, BnF, latin 4995 (sans loi salique), Sg4 : Sankt Gallen, Stiftsbibliothek 728 (Eck hardt : K 20), P 8 : Paris, BnF, latin 4626 (Eckhardt : K 31) et V 31, Vatican, BAV, Reg. lat. 388 (Eckhardt : K 69). 132 Ubl, « Die Recapitulatio », p. 66. 133 S : Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11 (K 81), f. 38, l. 12-18 : Sciendum est que in quibusdam legis salicis inueniuntur capituli principia LXV in quibusdam uero LXX, in quibusdam eciam paulo 127 128 129 130
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La nouvelle version K n’occupe donc pas une place exclusive pour l’auteur de la Recapitulatio134, et cette représentation est partagée : la Recapitulatio solidorum est présente dans d’autres manuscrits de la version K, mais aussi dans les manus crits de Montpellier, D 7 et de Paris, E 15135. Elle mentionne une Loi salique en 70 chapitres qui semble bien être la version K, mais aussi une version en 65 chapitres, qui pourrait être A ou C, et appuie son classement sur des chapitres présents dans les versions de la loi antérieures à la version K136. Elle n’est donc pas liée directement à la révision de la loi salique sous le règne de Charlemagne, mais un intérêt conjoint pour les capitulaires de Charlemagne et cette récapitulation se trouve manifesté aussi bien par le manuscrit de Saint-Pétersbourg, K 81, que par le manuscrit de Montpellier, D 7, la collection de capitulaires de Gerbald de Liège, établie avant 806137 et le manuscrit de Cologny, K 62. Il est probable que l’auteur était proche des cercles du pouvoir et qu’il avait suivi avec attention les efforts du rédacteur de la version K. Comme lui, il revenait aux versions les plus anciennes en n’intégrant que de très rares éléments des versions D et E. Le dernier titre copié dans le manuscrit n’est plus lisible, mais il est probable qu’aucun nom de souverain n’apparaissait dans ce volume. Les références à l’auto rité n’avaient nul besoin d’être précisées dans ce manuscrit à vocation pratique. Le pouvoir impérial se reflétait dans ce manuscrit par les effets de la réforme de l’écriture et du latin, mais ne se distinguait pas particulièrement dans un héritage légal franc apparemment conçu comme univoque, quelles qu’en soient les origines. Dans le manuscrit de Wolfenbüttel (K 57) : Dans ce manuscrit, les capitulaires débutent sur un cahier nouveau, qui porte en titre, f. 51r : CAPITULE QUE IN LEGE SALICA DOMNUS AUGUSTUS CA ROLUS ANNO INCARNATIONIS DOMINI NOSTRI IESU CHRISTI DCCCIII IMPERII UERO SUI ANNO TERTIO PREPONENDO ADDERE IUSSIT. C’est la première fois que paraît le nom de Charlemagne dans ce recueil, et son autorité est invoquée pour le capitulaire qui suit, le Capitulare legibus additum de 803 (Boretius no 39), non pas pour la version de la Loi salique qui le précède.
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plus aut paulo minus. Que continentur alia capitola, in quibusdam codicibus CCC in quibusdam uero minussue. Ubl, « Die recapitulatio », p. 70. D 7 : Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136, f. 174v-175. E 15 : Paris, BnF, latin 4629, f. 50-51, un manuscrit copié peu après 805. Eckhardt, Pactus I, 1954, p. 230 et suivantes. Berlin, SBPK, Lat. f. 626 (xiie siècle). Eckhardt, Die Kapitulariensammlung, p. 95. Mordek, Bibliotheca, p. 34-43.
une nouvelle version sous charlemagne
Dans le manuscrit de Nuremberg (K 61) : La première mention de l’autorité de Charlemagne a lieu après la copie de la loi salique, par le préambule du capitulaire, en f. 26v, qui évoque : Anno feliciter undecimo regni domni nostri Karoli gloriosissimi regis in mense martio facto capitulare… La mention de sa dignité impériale ne vient qu’au folio 35v, avec le titre : ITEM CAPITULA QUEM DOMNUS IMPERATOR AQUIS PALATIUM CONSTITUIT. Le statut de la version K La comparaison des trois plus anciens manuscrits de la Loi salique dans sa version K, les seuls éventuellement copiés sous Charlemagne que nous pouvons identifier comme tels, nous donne des informations déterminantes sur le statut de cette version de la loi avant 814. Sa diffusion est étroitement associée à la législation de Charlemagne, mais l’autorité de ce souverain n’est pas invoquée à son propos. Elle ne comporte nul prologue précisant son origine ou sa portée. Les recueils manuscrits qui la comportent ont une vocation pratique, confirmée dans le cas du manuscrit de Wolfenbüttel, par les marques relevant des éléments concrets d’organisation de supplices d’esclave ou d’ordalie. L’absence de statut particulier donné à cette version de la Loi salique par rapport aux autres est souli gnée par l’insertion, dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg, d’une Recapitulatio solidorum qui reprend des éléments des versions plus anciennes et qui a été aussi associée à des copies de versions D et E de la Loi salique. Bien qu’elle soit associée à la législation de Charlemagne, la version K n’avait pas le statut d’un texte de référence intangible, comme le montre le flottement sur son nombre de chapitres. Pour le manuscrit K 81, nous n’avons pas conservé de liste initiale des chapitres, mais c’est le premier réviseur de la copie qui ajoute les chapitres LXXI et LXXII qu’il estime manquant dans le travail initial du copiste, qui s’arrêtait après le 70e chapitre avec la mention EXPLICIT LEX SALIGAE. Dans le manuscrit K 57, la liste initiale prévoit d’emblée 71 chapitres. Néanmoins, le copiste glisse avant la copie du 71e chapitre un paragraphe sur la terre condam née, sans numérotation, qui lui paraît aussi appartenir au texte de la Loi Salique. Enfin, le manuscrit K 61 comporte une liste initiale de 70 chapitres mais copie 72 chapitres numérotés avant de noter EXPLICIT LEX SALIGA (Tableau 7.1).
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chapiTre 7 Tableau 7.1 : La fin flottante de la version K
LXX DE EO QUI FILIAMi ALIENAM ADQUISIERIT ET SE RETRAXERATii
SUR CELUI QUI A DEMANDÉ EN MARIAGE LA FILLE D’AUTRUI ET S’EST RÉTRACTÉ
Si quis filiam alienam ad coniugium quesierit presentibus suis et puelleiii parentibus, et postea se retraxeritiv et eam accipere noluerit, IIDtis dinariis qui faciunt solidos LXIIs culpabilis iudicetur.
Si quelqu’un a demandé en mariage la fille d’autrui, en présence de ses parents et de ceux de la jeune fille, qu’il s’est ensuite rétracté et a refusé de l’épouser, qu’il soit jugé coupable pour 2500 deniers, qui font 62 sous et demi.
K 81 :
K 61 :
K 57 :
EXPLICIT LEX SALICAE
DE TERRA CONDEMPNATA
SUR LA TERRE CONDAMNÉE
Si quis terra condemnata fuerit et ei fuerat adprobatum.
Si quelqu’un a condamné une terrevi et que cela a été prouvé,
solidos LXIIs.
IIDtis dinariis qui faciunt solidos LXIIs culpabilis iudicetur.
qu’il soit jugé coupable pour 2500 deniers, qui font 62 sous et demi.
LXXII
LXXI DE INUITU STRITTO
v
LXXI DE TERRA CONDAMNATA
SUR LE BANDEAU ARRACHÉvii
Si quis pittoviii alterius excusseritix, mallobergo inuitu stritto,
Si quelqu’un a arraché le bandeau d’autrui, ce qui se dit au malbergx inuitu stritto,
solidos III.
qu’il soit jugé coupable pour 120 deniers qui font 3 sous.
solidos III culpabilis iudicetur.
CXX dinariis qui faciunt solidos III culpabilis iudicetur.
une nouvelle version sous charlemagne
K 51 :
K 61 :
K 57 :
EXPLICIT LEX SALIGA
Si uero contra uoluntate domni et negare uoluerit, et ei fuerit adprobatum, capitale in locum restituat et insuper ICCCCtos dinarios qui faciunt solidos XXX culpabilis iudicetur, excepto capitale et dilatura.
S’il l’a fait contre la volonté de son maître, qu’il a décidé de le nier et qu’il a été convaincu de cela, qu’il restitue l’équivalent en compensation et qu’il paie en sus 1400 deniers, qui font 30 sous, sans compter compensation et dommage.
i
K 57 : FILIA. K 57 : TRAXERIT. iii K 81 : puella. iv K 81 : retracserit. v Ajouté d’une autre main. vi Tous les manuscrits qui comportent le chapitre correspondant, dans les versions D (ch. 99) et E (ch. 98), comportent condemnaverit, avec différentes orthographes, mais toujours sous une forme active. J’ai donc considéré que la forme passive exprimait ici un sens actif. vii Traduction proposée par Eckhardt, Pactus II, 2, 1956, p. 561, mais qui reste hypothétique. viii K 81 : pito. ix K 81 : excuserit. x Sur les gloses malbergiques en général, voir Seebold, « Untersuchungen » et Quak, « Sprachmischung ». ii
Ces chapitres supplémentaires sont associés de manière plus ou moins étroite, suivant les jugements différents des copistes, à la version K de la Loi salique. Une telle association apparaît aussi dans le manuscrit de Cologny, copié à la fin du ixe siècle138. Dans ce manuscrit, la Loi salique est copiée en amont, sous une forme K en 70 chapitres. Mais au milieu de la reprise des capitulaires de Charlemagne se trouvent copié le texte des chapitres 71 et 72 (f. 135v), cette fois sans indication de provenance, juste avant le capitulaire de Herstal (Boretius no 21). L’association étroite des capitulaires publiés par Charlemagne et de la version K de la loi salique a donc entrainé très tôt sa contamination. Les copistes du début du ixe siècle hésitent quant à considérer que le texte comporte 70, 71 ou 72 chapitres. Plusieurs versions, même de la loi salique dans sa version K, circulent, comme le montre le
138 K 62, Cologny (Genève), Bibliotheca Bodmeriana, Bodmer 107.
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chapiTre 7
travail du réviseur de K 81. Le fonctionnement des copistes de la loi reste donc dans la lignée de ceux de l’époque mérovingienne et le texte apparaît d’emblée comme flottant dans sa partie finale : il ne s’agit pas encore d’une version figée du texte, même si le reste des chapitres est très stable. Sous le règne de Charlemagne, la version K est donc une version de la loi salique placée au même niveau que les autres. Elle apparaît bien plus claire que les versions anciennes, A ou C, mais présente un travail du même type que les versions D et E effectuées peu de temps auparavant. La réinterprétation de l’héritage législatif franc se présente dans une version plus compréhensible, grâce à un latin rénové, mais dont le texte est flottant entre 70 et 72 chapitres. L’autorité impériale chapeaute de façon lointaine sa diffusion, associée étroitement aux capitulaires de Charlemagne, mais sans aucun titre ni prologue qui préciserait ce lien. Ainsi s’explique le choix d’un copiste, qui nous apparaît pourtant proche des lieux de pouvoir, comme Audgarius, le copiste du manuscrit A 1139, qui n’avait nul frein, peu après 805, pour proposer, à son tour, une nouvelle interprétation de la loi salique aux côtés des capitulaires de Charlemagne. Sous le règne de Charlemagne, plusieurs réécritures concurrentes de la loi salique circulaient donc de nouveau, et ce n’est semble-t-il qu’à partir du règne de son fils qu’apparut une nouvelle ambition de contrôler la diffusion des textes législatifs de référence.
139 A 1, Paris, BnF, latin 4404.
cHApiTrE 8
Les différentes versions de la loi salique au ixe siècle
Dans les chapitres précédents, nous nous sommes intéressé aux différentes rédactions de la loi salique. Nous avons vu que la version A était le fruit d’un montage récent de différentes listes d’articles, dont les copistes ne savaient trop dans quel ordre les présenter, ni comment les distinguer des articles des édits royaux mérovingiens. Il ne s’agissait pas d’un texte en 65 chapitres, comme le prétendait K. A. Eckhardt, mais d’un texte vivant, en cours de constitution, par la récupération d’un héritage législatif confus. Les copistes des manuscrits conser vés, ou de leurs modèles, ont créé leur propre sélection de chapitres, comprenant très souvent des doublons. Les copistes de la version C ont recopié un texte plus stable, auxquels ils ont adjoint le prologue long, commun avec la version D et le prologue court. Au milieu du viiie siècle, la version D montre une tentative de synthèse et d’ordonnancement de l’héritage mérovingien. La fin du viiie siècle rassemble des initiatives diverses pour accéder à un texte plus complet et plus compréhensible de la loi salique, dans les versions E puis K. La version D reste flottante sur les trois manuscrits conservés, mais la version E montre une démarche nouvelle des rédacteurs et des copistes, dont les rôles paraissent désormais bien distingués. Le rédacteur de la version E a glissé dans la version D un autre vocabulaire, proche du droit romain, mais a repris le texte antérieur, sauf dans son dernier chapitre. Ni le prologue, ni l’ordre ni le contenu des chapitres n’ont été perturbés, sauf pour une pratique jugée païenne, mais la rédaction du texte a été modifiée, pour un latin plus conforme aux règles antiques. Les copistes ont respecté l’aspect formel de la première rédaction de E, jusque dans la présence ou l’absence des titres de chapitres dans le corps du texte. Enfin, la version K montre une volonté de synthèse et de clarification appliquée à l’ensemble des versions antérieures, à travers des éléments repris aux versions A, C et E. Les premiers manuscrits qui la comportent montrent un texte figé, sauf pour sa fin, qui peut intégrer jusqu’à 72 chapitres. Le choix a été fait de séparer strictement la Loi salique de l’ensemble des textes qui l’accompagnaient, contrairement à la version E. La version de la loi salique K diffusée sous Charlemagne, que nous avons vue au chapitre précédent, est ainsi présentée sans prologue ni épilogue, ni aucune mention de législateur. Elle est parfois copiée avec les capitulaires de Charlemagne, mais ne se réfère nullement à son autorité. Elle peut être accompa gnée de la Recapitulatio solidorum qui commente la diversité des versions héritées de la loi salique, les considère toutes comme valables et en propose une synthèse.
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chapiTre 8
La chronologie de la copie des différentes versions de la loi salique révèle une lente diffusion de cette version K, qui ne s’est pas imposée de façon immédiate ou exclusive. Ainsi, de façon emblématique, le manuscrit A 11, probablement copié peu après 805, reproduit une version ancienne de la loi salique, dont certains passages étaient devenus incompréhensibles, alors qu’il existait les versions D, E et la récente version K, bien plus claires. De même, le copiste du manuscrit A 42 connaît la version K mais ne l’utilise qu’en complément de la version A. Pourquoi ce choix archaïsant ? Pourquoi, en général, copier une version ancienne comme A, C ou D alors qu’il existe des versions plus claires, dans un latin proche des nouvelles règles grammaticales désormais présentées comme correctes ? Je vais tenter de montrer dans ce chapitre que la diversité des manuscrits de la Loi salique au ixe siècle doit aussi être interprétée non pas dans la dynamique de constitution et de diffusion propre à chaque version, mais dans la logique chronologique des positionnements des copistes. L’exercice de la justice à partir de la loi écrite était au cœur des préoccupations du pouvoir royal depuis Charle magne, mais la diversité des héritages juridiques et le flou des transmissions méro vingiennes plaçaient les copistes face à des choix stratégiques entre différentes versions concurrentes de la loi salique. Leurs décisions reflètent aussi bien les documents qui leur sont parvenus, qu’un positionnement face aux écrits hérités. Dans tous les manuscrits que nous pouvons étudier, tout comme dans le Liber Historiae Francorum, la loi salique est présentée comme une législation royale. À ce titre, il est notable que le petit prologue, qui ne présente pas de roi à l’origine de la rédaction de la loi, n’ait jamais été recopié de façon isolée3. Cette perception des copistes, qui associaient la loi salique et la dynastie mérovingienne, transparaît dans les textes associés à la loi dans les manuscrits : l’épilogue, le prologue long ou le prologue complet, le pacte de Childebert et Clotaire, les généalogies de rois francs, etc. Cette compréhension s’accorde avec la cohérence de son contenu, qui règlemente le fonctionnement d’une assemblée judiciaire locale, le mallus4, et établit la suprématie de l’autorité royale5. Chaque copie de la loi salique peut ainsi se rapporter aussi bien à l’exercice de la justice qu’à la mise en scène de l’autorité royale. Nous allons tenter de repérer le positionnement des manuscrits entre ces deux pôles d’intérêt pour la loi salique au cours du ixe siècle, suivant une évolution que nous allons essayer de mettre en relation avec les réformes carolingiennes. L’entreprise est périlleuse, car malgré les efforts de B. Bischoff, la datation des manuscrits du ixe siècle reste hypothétique si l’on s’en tient aux critères paléographiques6. Il est fort possible que malgré la durée des règnes des premiers Carolingiens, notre datation de la
1 2 3 4 5 6
A 1, Paris, BnF, latin 4404. A 4, Paris, BnF, latin 9653. Voir la remarque de Faulkner, Law, 2016, p. 213. Voir supra chapitre 4. Barnwell, « The early Frankish mallus ». Ubl, Sinnstiftungen, p. 81-87. Ubl « Im Bann ». Ganz, « Carolingian Manuscripts ».
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
copie des manuscrits sous les différents règnes s’avère erronée à quelques dizaines d’années près. Mais le tableau général ainsi dégagé, s’il peut être faux dans certains détails, montre néanmoins une évolution qui fait sens et doit être globalement juste, entre la valeur pragmatique et idéologique de la loi.
Sous les premiers rois carolingiens, Pépin et Charlemagne Les manuscrits de la fin du viiie siècle Tableau 8.1 : Les manuscrits de la loi salique copiés avant la mort de Charlemagne (814)
Sigle dans l’édition
Cote
Date de copie
A 2
Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97
après 751, par Agambertus
D 9
Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 731
793, par Wandalgarius
A 3
München, BSB, Clm 4115
autour de 800
C 5
Paris, BnF, latin 4403B
fin viiie/début ixe siècle
E 15
Paris, BnF, latin 4629
peu après 805
A 1
Paris, BnF, latin 4404
peu après 805, par Audgarius
K 81
Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11
après 805, 1er/2e quart du ixe s.
K 57
Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50. 2
après 805, sans doute avant 818
Avant le couronnement impérial de Charlemagne, la loi salique fut copiée sous des formes diverses, sans aucun contrôle (Tableau 8.1). L’espace de liberté ainsi créé apparaît dans le manuscrit A 27. Il comporte la Loi salique dans une version A en 93 chapitres, incluant le Pacte de Childebert et Clotaire. Son insertion dans la numérotation des chapitres de la loi salique montre que pour le copiste Agambertus, la loi salique était constituée par incrémentation, en incorporant les édits royaux, tout comme dans le manuscrit A 38. L’épilogue copié ensuite éclaire cette conception, en présentant la loi salique comme une suite de publications royales mérovingiennes, depuis le premier roi des Francs9. Il est justement suivi
7 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 87v : colophon. Commentaire dans Ubl, Sinnstiftun gen, 2017, p. 137-138. 8 Voir supra chapitre 2. 9 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37, l. 4-21.
325
326
chapiTre 8
d’une liste de rois mérovingiens10. Comme nous l’avons vu, le refus de l’autorité des Carolingiens y semble exprimé par le texte appelé Parodie de la loi salique qui fait alors écho à ce qui paraît un positionnement légitimiste. Sans souverain légitime, l’œuvre législative est présentée de façon grotesque11. Depuis 744, les maires du palais avaient présenté des modifications de la loi, comme l’expression de la volonté commune de tous les puissants, à travers des capitulaires. Depuis 751, ils prétendaient assurer le rôle législatif exclusif du roi. Cet article loufoque comporte des éléments qui le rapprochent de la loi salique, copiée auparavant dans le manuscrit, mais aussi de très nombreuses expressions qui renvoient à des emprunts généraux à la langue de la chancellerie, telle qu’elle apparaît aussi dans les formules et les capitulaires12. Si la parodie s’inspire donc de la loi salique comme de la tradition juridique franque en général, l’étude plus précise de sa forme la rapproche davantage des capitulaires produits par les maires du palais, qui s’inséraient dans le même héritage13. Or dans le manuscrit, cette pa rodie occupe précisément la place, juste après la loi salique, où de très nombreux manuscrits reproduisent les édits mérovingiens ou pippinides. Le manuscrit D 9, St Gallen, Stiftsbibliothek, 731, peut-être contemporain, présente ainsi le décret de Childebert après la loi salique14. Le manuscrit E 15, Paris, BnF, latin 4629, de peu postérieur à 805, comporte un enchaînement du décret de Childebert et de l’épilogue, suivi ensuite du capitulaire de Herstal (f. 97v-98v). Nous ignorons dans quel contexte put émerger une telle critique, mais il semble bien que ce soient ici les ajouts à la lex salica qui sont ridiculisés, et à travers eux le nouveau pouvoir des Pippinides. Le copiste a noté l’absence d’atten tion à la tradition manuscrite de la loi et des capitulaires et il s’engouffre dans cet espace de liberté pour refuser, en caricaturant sa législation, la légitimité de la nouvelle dynastie15. Néanmoins, aucun des textes du manuscrit de Wolfenbüttel ne semble avoir servi de modèle à un autre manuscrit. D’autres manuscrits de la loi salique montrent au contraire une position bienveillante à l’égard de la nouvelle dynastie. En 793, le copiste Wandalgarius copia dans le manuscrit D 9 une liste de règnes proche de celle de A 216 ainsi qu’une version D de la Loi salique et un résumé du Bréviaire d’Alaric, complétés cette fois par la Loi des Alamans. Cette liste royale est amplifiée par rapport au manuscrit A 2, car elle s’appuie sur Isidore de Séville pour proposer une datation 10 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97, f. 37-v. Édition par Eckhardt, Pactus, 1965, p. 253. Voir Ewig, « Die fränkischen Königskatalogue » et Trouvé, Les listes, p. 142-146 et annexe 3, p. 91-132. 11 Voir supra, chapitre 5. 12 De Sousa Costa, Studien. 13 Coumert, « Écrire ». 14 D 9, St Gallen, Stiftsbibliothek, 731, p. 287-292. 15 La composition de la Parodie peut être rapprochée d’autres traces de productions indépen dantes au début du ixe siècle, comme les Annales de Lorsch. McKitterick, « Histoire ». 16 D 9, St Gallen, Stiftsbibliothek, 731, p. 293. Le texte est édité dans Eckhardt Lex Salica, 1969, p. 192 et 194.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
depuis la création du monde, ajouter des rois mérovingiens depuis Clotaire II ainsi que 17 années de règne pour le défunt roi Pépin17. Wandalgarius a donc choisi de ne pas actualiser la liste jusqu’au roi régnant. Néanmoins, la 26e année de règne de Charlemagne, soit 793, est mentionnée deux fois par ailleurs dans le manuscrit (p. 237 et p. 342) et le monogramme royal sert deux fois à décorer les initiales du manuscrit (p. 111 et p. 113). W. Trouvé a souligné les positionnements parallèles de la généalogie du Christ, p. 232-233, après le Bréviaire d’Alaric, et de la liste royale après la loi salique, qui établissent « un parallèle implicite entre le temps chrétien et le temps royal »18. Tout comme Agambertus, Wandalgarius met en avant son nom et sa responsabilité dans la copie. Il n’intègre dans son calcul que les années de règne des rois défunts, mais n’hésite pas à mentionner le souverain actuel à d’autres passages du manuscrit. Son indépendance se manifeste néanmoins dans l’attribution de la Loi des Alamans (p. 295), car ce manuscrit est le seul, avec le manuscrit A 3, München, BSB, Clm 4115, (f. 42) à attribuer la rédaction à un duc des Alamans Lantfrid, mort en 730, qui appartenait aux grandes familles franques concurrentes progres sivement éliminées par les Pippinides19. Or le manuscrit A 3, copié vers 800, ne comporte aucune mention des rois carolingiens. Dans les manuscrits D 9 et A 3 de la loi salique, les versions anciennes de la loi salique sont donc associées à une législation issue des concurrents des Pippinides, suivant une présentation qui témoigne de l’existence de plusieurs autorités législatrices possibles. La perte du premier feuillet du manuscrit C 5, Paris, BnF, latin 4403B, ne permet pas de comprendre comment le copiste présentait le résumé du Bréviaire d’Alaric, l’Epitome Monachi, établi au viiie siècle20, ni s’il le présentait en rapport avec la loi salique. En revanche, le choix d’un résumé des deux prologues en introduction de celle-ci montre une certaine liberté face à un archétype, dont on peut supposer qu’il comprenait l’intégralité du prologue long suivi du petit prologue, comme dans les manuscrits C 6, Paris, BnF, latin 18237 et C 6a, Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 2005, f. 11-16. La présentation synthétique de six rédacteurs de la loi salique et de deux lieux de rédaction montre que l’intégralité des prologues a été jugée inutile, avec des informations redondantes. Le copiste de C 5, ou de son modèle, a donc choisi de reproduire des textes remontant au vie siècle, comme le Bréviaire d’Alaric et une version de la loi salique en 65 chapitres, mais dans des formes retravaillées au viiie siècle. Il recherchait l’autorité des textes anciens, mais n’hésitait pas à les reformuler. Son positionnement rejoint ainsi celui du manuscrit A 3, München, BSB, Clm 4115, qui a supprimé les
17 Trouvé, Les listes, p. 301-302. 18 Ibid., p. 302. 19 Sur la Loi des Alamans et la révision attribuée au duc Lantfrid (mort en 730), voir les discussions des articles de D. Geuenich, E. Schumann, C. Schott et S. Patzold, dans Brather dir., Recht. 20 Coma Fort, Codex, p. 331-333.
327
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chapiTre 8
gloses malbergiques ou la répétition des équivalences entre sou et deniers « pour améliorer la compréhension21 ». Si nous tentons d’établir des critères communs aux manuscrits de la loi salique copiés avant 800, nous pouvons proposer : -
la copie dans un même recueil de différents textes de loi, tous jugés aussi utiles, d’origine romaine, gothique, franque ou burgonde ; la copie de textes d’accompagnement – prologues ou épilogue – qui per mettent d’évoquer différentes étapes de transformation de ces textes juri diques ; l’évocation, à travers ces présentations, d’autorités législatrices successives, incorporant parfois des ducs en sus de différents rois mérovingiens ; des manipulations et reprises qui pourraient être le fait même du copiste, concernant différentes lois (la Parodie de la loi, la loi romaine dans des résumés spécifiques, l’association des prologues long et court) ; la mise en avant, une fois sur deux, d’un nom de copiste qui prend une responsabilité d’auteur.
Ces recueils apparaissent tous comme des originaux, au sens où leurs modèles ont disparu, et nous ne pouvons reconstituer la part de transformation effectuée lors de la copie qui nous est parvenue. Elle semble néanmoins très importante pour les manuscrits de la version A, qui diffèrent considérablement les uns des autres et contiennent des textes sans autre exemplaire connu, moindre pour celui de la version C, où l’originalité de C 5 peut se limiter à la contraction des deux prologues, et pour ceux des versions D, E et K, qui s’inscrivent dans une tradition manuscrite cohérente. Les manuscrits de la loi salique copiés après 803
En 803, Charlemagne promut des capitulaires généraux et des capitulaires d’ajouts aux lois22, qui sont associés aux plus anciens manuscrits de la version K de la loi salique. Sa grande diffusion – cette version est conservée dans plus de 70 témoins – s’appuie sur un nouveau type de manuscrits de lois, tel que le manuscrit K 57, Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50. 2, probablement originaire de Wissembourg. Le texte de la loi salique, version K, s’y trouve copié en 71 chapitres, sans prologue ni épilogue. Il est suivi d’un capitulaire de 803 et de deux capitulaires de 805. Une main plus tardive a ajouté avant l’an mil un capitulaire de Louis le Pieux de 818/9, une autre une prière23. L’autorité de l’empereur n’est indiquée de façon explicite que pour le capitulaire de 803 (f. 51). Quant au manuscrit K 81, Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11, la loi salique K n’y est
21 A 3, München, BSB, Clm 4115, f. 44 : propter utilitatem legendi. 22 Innes, « Charlemagne », p. 155-203. 23 Mordek, Bibliotheca, p. 918-920.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
copiée qu’avec des capitulaires de Charlemagne et la Recapitulatio solidorum et il ne comporte ni nom de souverain, ni marque de copiste. Le manuscrit K 61, Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96, un peu postérieur mais qui reposait probablement sur un modèle copié sous Charlemagne, montre la même restric tion des intérêts des copistes pour la loi salique et les capitulaires récents des souverains. Leur format réduit et la présence de quelques annotations montrent qu’ils étaient copiés pour servir de référence dans l’exercice concret de la justice. Ces manuscrits réalisés sous Charlemagne partagent avec la plupart de ceux de la version K copiés dans la première moitié du ixe siècle la capacité de repousser toute tentative de contextualisation. La loi salique, sans prologue ni épilogue, est souvent suivie d’une sélection de capitulaires, parmi lesquels se trouvent ceux de 803, sans référence développée à l’autorité royale. Contrairement à ce que propose K. Ubl, il me semble que cette absence de justification du pouvoir est délibérée et significative24. Celui-ci est, et n’a nul besoin d’être précisé ni contextualisé. Suivant S. Airlie, la culture politique du monde carolingien était avant tout caractérisée par « les efforts de la dynastie pour faire croire à ses soutiens que sa domination royale exclusive était naturelle25 ». Elle exprimait ici, de façon absolue, son autorité législatrice. Un tel positionnement était en décalage avec les manuscrits antérieurs des lois, notamment de la loi salique, qui n’hésitaient pas à rappeler les étapes et les autorités successives qui les avaient modifiées. Leur composition était supposée refléter différentes entreprises de mises à jour, abréviations et compléments, y compris en dehors de l’autorité des rois francs, comme nous l’avons vu pour la loi des Alamans. Dans ce nouveau type de manuscrit des lois, rien ne permet de situer le contexte de la copie. Il n’y a ni colophon ni indication de provenance. Dans le cas de K 57, il semble qu’il a été copié sous Charlemagne, après 805, car le capitulaire de 818 fut ajouté plus tard, d’une autre main. Sur le plan paléographique, aucun spécialiste ne se risque à être plus précis que « première moitié du ixe siècle », et à proposer, éventuellement, la France du Nord ou du Nord-Est (ce que firent Mordek et Bischoff26). Cette uniformité des copies est elle-même porteuse de sens : la réforme carolingienne est ici appliquée dans toute sa rigueur, pour réduire le rôle du scribe à celui d’un acteur anonyme, reproducteur du texte antérieur, standardisé. Le manuscrit K 57 est un livre de lois de format réduit, conçu pour être consulté et appliqué en tout lieu de l’empire, sans qu’il y ait besoin de préciser que les textes qu’il contient définissent la justice voulue par le roi carolingien. Les mêmes caractéristiques s’appliquent aux manuscrits K 8127 et E 1528 : petit 24 Ubl, Sinnstiftungen, p. 227-236 raisonne à partir de collections rassemblées dans des manuscrits à mes yeux trop tardifs pour représenter la situation du règne de Charlemagne, notamment en raison de l’influence d’Hincmar, ainsi que nous le verrons infra. 25 Airlie, Power, p. IX. 26 Bischoff, Katalog III, no 7298, p. 500. 27 K 81, Sankt Peterburg, RNB, lat. 4° v.II. 11. 28 E 15, Paris, BnF, latin 4629.
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format, faible nombre de textes copiés (le manuscrit E 15 n’ajoute initialement à l’ensemble que la lex Ribuaria), loi salique complétée par des capitulaires de Charlemagne, sans que le nom du souverain n’apparaisse forcément. L’esprit est le même que celui des ajouts aux lois de 803 et la présence, deux fois sur trois, de la Recapitulatio solidorum montre bien que toutes les versions de la loi salique sont considérées comme valables. Les interventions des réviseurs et copistes pour ajouter des capitulaires plus récents de Charlemagne montrent la composition pragmatique de ces volumes, destinés à un usage judiciaire. Ces volumes ont en commun leur caractère pratique et anonyme, prêts à être utilisés dans l’ensemble de l’empire. Le choix des versions E et K de la loi salique reposerait alors sur leur clarté. C’est face à l’émergence de ce nouveau type de manuscrit, normé à défaut d’être standardisé, qu’il faut placer la composition remarquable du manuscrit A 1. Copié sur un format beaucoup plus grand29, il comporte de nombreuses images, ce qui est rare pour un manuscrit de lois30. D’autre part, le copiste s’y met en scène, donne deux fois son nom et insiste, dans la préface, sur la cohérence de son projet de copie. L’écart entre sa copie de la version A et les trois autres copies conservées tend à mettre en valeur le poids de ses interventions, qui se présenteraient dans la lignée des copistes de la loi salique de la fin du viiie siècle. Alors que nombre de scribes contemporains s’attachaient à confectionner des volumes pratiques et anonymes, Audgarius menait une œuvre personnelle et ambitieuse, plaçant la copie des lois sur le même plan que celle des Écritures saintes et les recherches pour en améliorer le texte.
Le manuscrit A 1 et le modèle biblique Le manuscrit A1, Paris, BnF, latin 4404, copié après le couronnement impérial de Charlemagne et probablement après 805, a occupé une place très importante dans les études sur la loi salique, en raison de la version ancienne de la loi salique qu’il comporte, mais aussi de sa recherche formelle et de ses illustrations31. B. Krusch le présentait même comme le reflet d’un manuscrit original de la loi salique32. Pourtant, comme nous l’avons vu supra, la loi salique qu’il comporte est le fruit d’une collecte, avec deux parties distinctes : Augdarius présente comme lex salica une liste de 77 à 78 chapitres, où il annonce, mais ne copie pas un édit de Chilpéric et à laquelle il ajoute le prologue long de la version D. Après la copie de la Loi des Alamans et de la Loi Ripuaire, il copie un ensemble qu’il associe à l’édit de Childebert, qui comporte de nouveaux articles de la loi salique, dont trois communs avec la première liste, et le Pactus pro tenore pacis de Childebert et Clotaire. Ces éléments n’appartiennent pas, à ses yeux, à la loi salique, alors que de 29 30 31 32
Son espace d’écriture est 285 × 180 mm. Bougard, « Illustrer ». Bougard, « Le livre » et Id., « Illustrer ». Voir supra chapitre 1, III.
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nombreux autres manuscrits les y incluent. Il fournit donc le classement personnel d’un héritage mérovingien confus33. Le prologue souligne la continuité de l’action législatrice, depuis les empereurs romains et les souverains mérovingiens, que reflète aussi l’iconographie qui pré sente de façon unifiée les différents législateurs34. Cette suite de souverains intègre des individus hétérogènes, puisque l’introduction à la loi des Alamans met en avant comme législateur un surprenant Lodhanri, rex dux Alamannorum (f. 197v) qui montre le désir d’opérer la synthèse de versions contradictoires sur l’origine de la loi des Alamans. Audgarius nous laisse ainsi une des dernières traces du pouvoir législatif de certains ducs, dont témoignent aussi les manuscrits D 9 et A 3, mais qui ne semble déjà plus être comprise. Elle ne sert plus ici à la défense de la légitimité de familles concurrentes des Pippinides, mais s’intègre dans une présentation de l’ampleur de l’héritage judiciaire repris et intégré par l’empereur carolingien, parmi lequel le copiste effectue sa propre sélection, y compris avec une version rare de la loi salique. Le prologue de A 1 : Audgarius, Peregrinus et Alcuin
Le manuscrit A1, Paris, BnF, latin 4404, est le fruit d’un travail cohérent exposé dans un prologue copié après le Commonitorium d’Alaric : Ici commence le texte des livres des lois. Pour le renforcer, j’ai pris les paroles profondes de nombreux [auteurs]. Voici devant toi, lecteur, cet ensemble sacré tel qu’il apparaît à présent : un livre dicté à partir de nombreux [livres] tirés de l’ensemble en XVI livres de Théodose, un livre des novelles de Théodose le Jeune, un petit livre de Valentinien Auguste, aussi de Marcien, de Majorien, de Severus et de Gaius, où ne sont pas formulées d’interprétations, Paul, cinq livres des sentences ; les cinq livres de Grégorien, d’Hermogène, de Papien avec trois sentences, s’accordent. Après se trouve écrit dans ce volume le pacte de la [loi] salique, un petit livre, un des Alamans, un des Ripuaires, et l’édit du roi Childebert, et l’édit par notre seigneur l’empereur Charles est écrit à la fin. Toi, lecteur heureux, lis tout cela heureusement, et toi, frère très cher qui lis, souviens-toi de moi, Peregrinus, en bien35.
33 Voir supra, chapitre 2, III. 34 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 1v-2 et 197. 35 A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 3, col. A, l. 32-33, col. B, l. 1-32 : INCIPIT TEXTUS LIBRORUM LEGUM. In hoc dicta condurretur sumi multorum mystica. Hoc corpus sacrum lector in ore tuo, quod nunc a multis constat codix istius dictatus : ex corpore Theodosiani libelli XVI, Theodosiani iuniore novellarum unum Valentiniani augusti libellus nempe Martiani Maioriani Severi et Gai, ubi non sonunt interpretes. Paulus sententiarum libelli quinque, Gregoriani consonant simili libelli quinque Hermogeniani Papiani cum sententiis tres. Post modum in hoc volumine continet scriptus pactus salicae libellus unus seu et Alamannorum et Ribuariorum et edictus Childeberti regis et domino nostro
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L’évocation d’un Peregrinus dans l’appel final à la bienveillance du lecteur sur prend, car le copiste Audgarius, qui a peut-être travaillé à Tours36, a laissé son nom dans le livre37. Diverses hypothèses ont déjà été proposées : L. Wallach considérait que le copiste désignait ainsi son œuvre, appelée à voyager38, H. Mordek suggérait que le terme de peregrinus aurait « indiqué l’origine étrangère de l’auteur »39. Une autre interprétation peut en être proposée, car le nom de Peregrinus est associé à une révision de la Bible latine, probablement dans la seconde moitié du ve siècle, en Espagne40. Ce Peregrinus a inséré des éléments nouveaux au texte biblique, notamment une édition des Proverbes précédée des préfaces de Jérôme à ses deux traductions et d’un appendice Ideo et de graeco… qui explique : Voici pourquoi, dans ce livre, les deux préfaces, celle de la traduction du grec et celle de la traduction de l’hébreu, ont été placées en tête : c’est que, pour élucider le sens et pour édifier le lecteur, un certain nombre d’éléments tirés du grec ont été ou bien insérés dans la traduction de l’hébreu, ou bien mis en marge. Et pour cela, lecteur, souviens-toi de Peregrinusi. i
Ideo et de graeco et de hebraeo praefatiuncula utraque in hoc libro praemissa est, quia non nulla de graeco ob inluminationem sensus et legendis aedificationem, uel inserta hebraicae translationi uel extrinsecus iuncta sunt. Et idcirco qui legis semper Peregrini memento.
Traduction proposée par Bogaert, « La Bible », p. 294-295.
Cette présentation se retrouve dans de nombreuses Bibles révisées durant le règne de Charlemagne s’inspirant de textes espagnols. D. De Bruyne note ainsi la présence de la note citée ci-dessus dans 21 manuscrits de la Bible41, dont la Bible de Théodulfe42. L’appel à la mémoire de Peregrinus répond à celui de la fin du prologue du manuscrit A 1, mais les termes sont trop banals pour que ce soit nécessairement un emprunt. De même, l’apostrophe dilectissime frater de la préface retrouve la particularité d’une version de la préface au livre de Job, qui remplace les noms de deux femmes dédicataires par fratres dilectissimi, que D. De Bruyne associe, en raison de sa diffusion manuscrite, aux traces de la révision du texte biblique par
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Karolo imperatore edictus eius extremus scribitur. Hos lege tu lector felix feliciter omnes, et tu qui legis peregrini mei in bonis memento, dilectissimae frater. Mordek, Bibliotheca, p. 456. Bischoff, Katalog III, no 4304, p. 94-95. A 1, Paris, BnF, latin 4401, f. 214ra : AUDGARIUS NOMEN. Wallach, « A manuscript ». Mordek, Bibliotheca, p. 458 : « was auf fremdländische Herkunft des Verfassers deutet ». Fischer, « Bibelausgaben », p. 50-53. Marsden, The Text, p. 152-154. De Bruyne, « Étude », p. 382. Voir Marsden, The Text, p. 335 et 362. Par exemple, la Bible de Théodulfe, Paris, BnF, latin 9380, f. 170ra.
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Peregrinus43. Aucun de ces rapprochements n’est dirimant, mais tous ces éléments en lien avec les révisions bibliques font écho à des emprunts aux préfaces d’Alcuin. Les termes employés dans le prologue, mystica, corpus sacrum, pouvaient aussi se rapporter au corpus biblique : ils sont aussi présents dans des dédicaces de la Bible par Alcuin44 et le poème qui clôt certaines de ses versions de la Bible comporte des expressions communes. Voici par exemple celui de la Bible de Moutiers-Grandval45, où j’ai fait ressortir en gras les éléments communs avec le prologue du manuscrit A 1 : Nomine pandetten proprio vocitare memento Hoc corpus sacrum, lector, in ore tuo. Quod nunc a multis constat bibliotheca dicta Nomine non proprio, ut lingua pelasga probat. In hoc dicta dei conduntur mistica summi. Codicis istius quot sunt in corpore sancto Depictae formis litteruae variis : Mercedes habeat Christo donante per aevum Tot Carolus rex, qui scribere iussit eum46. L. Wallach a relevé les parallèles entre la préface du manuscrit A 1 et le poème d’Alcuin et a proposé que le manuscrit, copié après la mort d’Alcuin, porte sa marque particulière, comme issu de Tours47. Bien que la Clavis retienne cette autorité, elle ne me paraît pas établie48. Le copiste du manuscrit, Audgarius, a composé cette préface en écho aux poèmes d’Alcuin de préface de la Bible, ainsi qu’à la présentation de la révision de la Bible par Peregrinus. Il a ainsi placé son travail de compilation des lois romaines et franques de l’époque mérovingienne sous le patronage d’individus qui ont fait des choix pour parvenir à un texte plus clair que les manuscrits qui étaient parvenus jusqu’à eux. La comparaison entre la clarté du texte de la version A qu’il propose et les obscurités des autres copies, notamment du texte du manuscrit A 2, nous permettent de considérer qu’il a, à juste titre, souligné l’importance de ses choix pour parvenir à un texte signifiant. Il est probablement intervenu très souvent pour interpréter et transformer le texte. La démarche de Peregrinus correspond à l’insertion d’ajouts pour parvenir à un texte plus complet, notamment de préfaces, mais aussi d’éléments de tra ductions oubliées, peut-être issus des versions hexaplaires de l’Ancien Testament.
43 De Bruyne, « Étude », p. 380. 44 Ganz, « Mass production », p. 56. Voir Clavis, ALC 11.65.1, dans Jullien et Perelman dir., Clavis, t. II, p. 79-80. 45 London, British Library, Add. 10546, f. 448v. 46 Une version légèrement différente est éditée comme Alcuin, Poème LXV, 1, Dümmler éd., p. 283. 47 Wallach, « A Manuscript ». 48 ALC 83 : Textus librorum legum, dans Jullien et Perelman, Clavis, 1999, p. 492. La notice note à tort la Loi des Bavarois dans les textes copiés dans le manuscrit Paris, BnF, latin 4404.
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Ce désir d’une version conservatrice et complète se retrouve dans le travail du copiste du manuscrit A 1 par sa précision de l’absence d’interprétations dans une partie du Bréviaire d’Alaric et du nombre de sentences de Papien dès le prologue, sa suppression des gloses malbergiques (désormais incompréhensibles), son ajout du prologue de la version D et, de façon générale, sa copie d’une version A de la Loi Salique, plus ancienne, alors qu’il existait des versions D, E et K plus compréhensibles. Sa recherche du texte le plus complet possible apparaît dans les doublons, avec la reprise de trois chapitres non numérotés associés une première fois à la loi salique, une autre fois à l’édit de Childebert, l’annonce de l’édit de Chilpéric, même s’il ne fut finalement pas copié dans le manuscrit, et la présentation du capitulaire de Charlemagne de 803 comme un complément nécessaire, sous le titre Item capitula quae in lege salica mittenda sunt49. Mais la préface incite également à rapprocher les démarches d’Audgarius et d’Alcuin pour réviser la loi, humaine et divine. Les révisions inspirées, d’Esdras à Charlemagne
À partir des échos alcuiniens, F. Bougard a recherché les points communs entre le manuscrit A 1 et les manuscrits de la Bible. Il a relevé la proximité entre la représentation de Théodose et des empereurs qui participèrent à l’élaboration du droit romain (f. 1v et f. 2) et les images contemporaines du Christ et des apôtres, ainsi que des quatre évangélistes50. Ces parallèles, ainsi que les illustrations de la table des chapitres, proches des canons des Évangiles, lui font affirmer qu’« il s’agit du témoin manuscrit pour lequel l’assimilation entre deux livres d’autorité d’inspiration différente est la plus poussée, pour ne pas dire portée à un niveau extrême51 ». L’association de la Bible et des lois du monde franc forme ainsi un programme cohérent dans ce manuscrit, dans la mise en forme comme dans les citations de Peregrinus et d’Alcuin dans la préface. Loin de représenter un texte intangible, au ixe siècle, la Bible constitue un ensemble de textes qu’il est possible, sous l’inspiration divine, d’améliorer. Le modèle en est par exemple le prophète Esdras, dont le travail est comparé à celui d’un copiste. Alors que l’Ancien Testament décrit bien Esdras comme un scribe, il rapporte seulement qu’Esdras parla à la foule et lut publiquement la Loi52. Néanmoins, de nombreux exégètes lui attribuent la réécriture, de mémoire, de l’Ancien Testament après le retour à Jérusalem, comme le résume Isidore de Séville : Une fois les Juifs rentrés à Jérusalem, le scribe Esdras, sous l’inspiration de l’Esprit divin, restaura l’ensemble de l’Ancien Testament qui avait été brûlé
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A 1, Paris, BnF, latin 4404, f. 232vb. Bougard, « Le livre », p. 101. Ibid. Esdras, 7-10 et Néhémie, 8.
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par les Chaldéens. Esdras corrigea tous les livres de la Loi et des Prophètes, qui avaient été corrompus par les païens et constitua en vingt-deux livres l’ensemble de l’Ancien Testament, pour qu’il y eût autant de livres que de lettres de l’alphabet53. Certains copistes de la Bible n’hésitaient pas à se comparer à Esdras, comme le montre l’exergue de la miniature du Codex Amiatinus, une Bible complète copiée à Wearmouth-Jarrow au début du viiie siècle54, qui représente un copiste au travail55 sous la légende suivante56 : Alors que les livres sacrés avaient été brûlés par le fléau ennemi, Esdras, enflammé par Dieu, répara cette œuvre57. Cette comparaison entre le travail du prophète et celui du scribe pour établir le texte de la Bible est aussi reprise par Alcuin pour introduire son travail de révision du texte biblique : Alors que les livres sacrés avaient été brûlés par le fléau ennemi, Esdras, enflammé par Dieu, répara cette œuvre. Or celle-ci te soustrait aux funestes flammes, Ô lecteur, si tu lis par amour de la paix58. Alcuin place ainsi son travail de correction du texte biblique sous le modèle d’Esdras, à la fois prophète et restaurateur inspiré du texte des Écritures. Le copiste et l’érudit qui retravaillent le texte biblique sont donc considérés comme aussi importants que le prophète dans la transmission du texte sacré. Il est notable que la question de la légitimité de leurs interventions ne se pose nullement en termes philologiques : l’inspiration divine semble une garantie suffisante pour retrouver le sens originel des Écritures.
53 Isidore Etymologies VI, 3, 2 : Bibliotecam ueteris testamenti Esdras scriba post incensam legem a Caldeis, dum Iudei regressi fuissent in Hierusalem, diuino afflatus Spiritu reparauit, cunctaque legis ac prophetarum uolumina quae fuerant a gentibus corrupta correxit, totumque uetus testamentum in uiginti duos libros constituit, ut tot libri essent in lege quot habebantur et litterae, Chaparro Gómez éd. 54 Bogaert, « The Latin Bible », p. 75-76. 55 Firenze, Bibliotheca Medicea Laurenziana, Amiatinus 1, copié à Wearmouth-Jarrow avant 716, f. V. 56 Marsden, The Text, p. 119-122. 57 Firenze, Bibliotheca Medicea Laurenziana, Amiatinus 1, f. V : Codicibus sacris hostili clade perustis Esdra Deo feruens hoc reparauit opus. 58 Alcuin, Carmen LXIX, Dümmler éd., p. 292, v. 201-204 : Codicibus sacris hostili clade perustis Ezra deo fervens hoc reparavit opus. Hoc opus, hoc etenim flammis te subtrahit atris, O lector, si tu pacis amore legis.
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Illustration 8.1 : Saint Jérôme distribuant des Bibles dans la Bible de Charles le Chauve. Paris, BnF, latin 1, f. 3v, détail. Voir le commentaire par Stotz, La Bible, p. 22 et suivantes.
Dans la chaîne des croyants qui rend accessible le texte de la Bible, le traduc teur a aussi une place de choix, comme le montre l’importance donnée à Jérôme, tel que le présente Isidore de Séville : De même, le prêtre Jérôme, maîtrisant les trois langues, traduisit les mêmes textes sacrés de l’hébreu en latin, et le fit d’une manière élégante : sa traduction dépasse les autres, car elle montre un lexique plus approprié, des phrases beaucoup plus claires et, en tant que chrétien, une interprétation plus juste59. Le rôle de Jérôme est mis en avant dans des séries d’enluminures peintes entre 840 et 87060. Dans la Bible de Charles le Chauve, réalisée en 845/846 sur commande de l’abbé laïc et comte de Tours Vivien, une série d’illustrations met en scène le travail de Jérôme, et la dernière le montre en train de distribuer lui-même des volumes du texte sacré (Ill. 8.1). L’image est ainsi commentée : Jérôme distribue ici ses traductions, ce que l’Être suprême lui-même a traduit, à ceux pour qui il les a composées61.
59 Isidore de Séville, Étymologies, VI, 4, 5 : Presbiter quoque Hieronimus trium linguarum peritus ex hebreo in latinum eloquium easdem Scripturas conuertit eloquenterque transfudit ; cuius interpretatio merito ceteris antefertur, nam est et uerborum tenacior et prespicuitate sententiae clarior atque, utpote achristiano, interpretatio uerior, Chaparro Gómez éd. 60 Poilpré, « Dans ». 61 Ibid. : Hieronymus translata sui, quae transtulit almus. Ollis hic tribuit, quis ea conposuit.
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Suivant cette présentation, ainsi que le souligne P. Stotz, « la traduction attri buée à Jérôme semble par conséquent être une œuvre divine ; lui-même apparaît dans une certaine mesure comme un être inspiré62 ». L’importance du modèle de Jérôme est révélée par la correspondance d’Alcuin, où même le surnom de Flaccus pourrait se rapporter aux références hiéronymiennes à Horace63, contribuant à l’« autoportrait d’Alcuin en Jérôme64 ». Dans la présentation du manuscrit A 1, la combinaison d’éléments repris à Peregrinus, connu pour son insertion de textes de Jérôme dans la tradition biblique, et à Alcuin, montre que l’importance de cette comparaison a été retenue par l’auteur du recueil manuscrit. Elle permet aussi de mieux comprendre pour quoi plusieurs versions de la loi salique, notamment les versions E, K et A 1, ont pu voir le jour à la même période, durant le règne de Charlemagne, par des érudits qui avaient probablement connaissance des travaux antérieurs. Ainsi, Audgarius, en choisissant de recopier le prologue long de la version D, montrait qu’il était au fait de l’existence d’autres versions de la loi salique que celle qu’il choisit de retenir, et sa reprise des capitulaires de 803 montre qu’il pouvait connaître la version K qui y fut parfois associée. Il choisit pourtant de proposer sa propre interprétation du texte ancien, en se plaçant sous le modèle de Peregrinus et d’Alcuin. La multiplicité des versions de la loi
Si l’admiration d’Alcuin envers Jérôme se retrouve dans la priorité qu’il donne en général à ses traductions par rapport au texte de la Vetus latina, elle reflète aussi l’ambition d’éclaircir le sens de la Bible et non de rechercher un texte plus authentique. Une telle perspective est néanmoins contrebalancée par les mesures stichométriques, régulièrement données dans les manuscrits. Le texte de la Bible est ainsi considéré comme relativement malléable, dès lors qu’il s’agit de lui restituer sa signification, mais sans lui ajouter de nouveaux éléments. Pour ce faire, copistes et érudits sont supposés suivre l’inspiration divine, bien plus que cher cher à établir un texte plus proche d’un modèle originel. Dans les Bibles copiées à Tours, la reprise du travail d’Alcuin bénéficie ainsi d’une double légitimation : le travail inspiré de Jérôme rejoint le prestige d’Alcuin, qui accorda en général la priorité aux textes de Jérôme sur les autres traductions latines disponibles. Pourtant, la Bible établie par Alcuin ne représentait, au ixe siècle, que l’une des versions établies par les érudits carolingiens et ne dominait pas la transmission des textes bibliques.
62 Stotz, La Bible, p. 26. 63 Poilpré, « Dans », p. 87-88 et 91. 64 Veyrard-Cosme, « Saint Jérôme », p. 351.
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Dès le célèbre capitulaire de 789, l’Admonitio generalis, Charlemagne montrait une préoccupation nouvelle pour l’exactitude de la transmission écrite, notam ment à propos des livres de la Bible, dans ces instructions aux prêtres : Qu’il y ait également des écoles pour l’instruction des enfants. Corrigez bien dans chaque monastère ou évêché les psaumes, les notes, les chants, le calcul, la grammaire et les livres catholiques ; car souvent certains, lorsqu’ils désirent bien prier Dieu, prient mal du fait que les livres ne sont pas corrigés. Et ne laissez pas vos enfants les abîmer en les lisant ou en les copiant. Et s’il s’agit de copier l’évangile, le psautier ou le missel, que des hommes d’âge mûr le copient avec une attention scrupuleuse65. Charlemagne exprime ici le désir partagé par l’ensemble des érudits de son temps de disposer d’un bon texte des Écritures. La référence de cette recherche n’est pas l’époque hébraïque, mais celle des Pères de l’Église. Il ne s’agit nullement de promouvoir une nouvelle traduction ou la recherche d’une reconstitution d’une hypothétique version originelle des traductions latines. La correction est pensée sur les bases de la conformité à la volonté divine. Il n’y a pas de limites dans la correction du texte transmis, comme le souligne la comparaison initiale de l’Admonitio generalis avec le roi Josias : Mais nous avons ajouté également quelques articles relevant du droit canonique, qui nous ont paru nécessaires. Que personne, de grâce, ne juge prétentieuse cette circulaire, adressée dans un sentiment de devoir, et par laquelle nous nous efforçons de corriger les erreurs, de supprimer ce qui est superflu et d’encourager ce qui est juste, mais qu’on l’accueille plutôt avec un sentiment de charité bienveillante. Nous lisons, en effet dans les Livres des Rois comment saint Josias s’est efforcé de ramener au culte du vrai Dieu le royaume que Dieu lui avait confié, en le parcourant, le corrigeant et en l’exhortant ; je le dis non pas pour me comparer à sa sainteté, mais parce qu’il est de notre devoir de suivre toujours et partout les exemples des saints et parce qu’il est nécessaire de rassembler tous ceux que nous pouvons en vue de la pratique d’une bonne vie en l’honneur et à la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ66.
65 Admonitio generalis, § 70, l. 320-326 : Et ut scolae legentium puerorum fiant. Psalmos, notas, cantus, compotum, grammaticam per singula monasteria vel episcopia et libros catholicos bene emendate, quia sepe dum bene aliqui deum rogare cupiunt, sed per inemendatos libros male rogant. Et pueros vestros non sinite eos vel legendo vel scribendo corrumpere. Et si opus est evangelium, psalterium et missale scribere, perfectae aetatis homines scribant cum omni diligentia. Mordek, Zechiel-Eckes et Glatthaar éd. 66 Admonitio generalis, l. 27-35 : Ne aliquis, queso, huius pietatis ammonitionem esse praesumtiosam iudicet, qua nos errata corrigere, superflua abscidere, recta coartare studemus, sed magis benivolo caritatis animo suscipiat. Nam legimus in regnorum libris, quomodo sanctus Iosias regnum sibi a deo datum circumeundo, corrigendo, ammonendo ad cultum veri dei studuit revocare, non ut me eius sanctitate aequiperabilem faciam, sed quod nobis sunt ubique sanctorum semper exempla sequenda, et quoscumque poterimus, ad studium bonae vitae in laudem et in gloriam domini nostri iesu Christi
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La correction et la diffusion des textes préludent à la correction du peuple, guidé par l’Église et le roi législateur, même si le modèle de David, peut-être défendu par l’influence d’Alcuin, remplaça rapidement celui de Josias67. Concrètement, la correction des Saintes Écritures peut néanmoins être envi sagée de façon assez simple. À propos de la Bible d’Alcuin, L. Light considère qu’« au-delà de ces décision d’“éditeur”, la Bible d’Alcuin est le résultat d’une emendatio médiévale classique, c’est-à-dire la rectification de la grammaire, la suppression des erreurs et des barbarismes des scribes, et la correction de l’or thographe68 ». C’est dans cette représentation du « bon texte » des Écritures, comme celui qui rend plus clair le message divin, qu’il faut interpréter le souhait de disposer d’une bonne version des Écritures. Les recherches autour du texte biblique apparaissent comme une préoccupa tion continue du règne de Charlemagne. La Lettre générale composée entre 786 et 800 fait état d’un premier travail de correction des Écritures saintes : Pendant ce temps, nous avons corrigé avec exactitude, Dieu nous aidant en toute chose, l’ensemble des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, depuis longtemps corrompus par l’ignorance des copistes69. Des efforts pour parvenir une meilleure version du texte de la Bible peuvent être signalés dans quasiment tous les centres religieux du monde carolingien70. Les travaux les plus importants commencèrent sous l’abbé Maurdramne de Cor bie (772-781) dans un manuscrit de la Bible en douze volumes qui proposait à la fois une meilleure orthographe et l’expérimentation graphique de la nouvelle écri ture : la minuscule caroline. Mais cette production n’empêcha pas une nouvelle tentative, comme les huit manuscrits du groupe d’Ada, que leur luxe fait associer à la cour impériale, produits entre 781 et 814, tandis que l’évêque Angilram de Metz (mort en 791) proposait pour la première fois dans le monde franc une Bible de grand format en un volume, qu’Alcuin, après 796, supervisait la production d’au moins six Bibles différentes dans le monastère de Saint-Martin-de-Tours et que Théodulfe, évêque d’Orléans et abbé de Saint-Benoît-sur-Loire, travaillait, après 797 à sa propre version du texte biblique71.
67 68 69 70 71
congregare necesse est. Mordek, Zechiel-Eckes et Glatthaar éd., trad. Feller et Bougard, dans Id., Le christianisme, p. 60. Rosé, « Le roi Josias ». Light, « versions », p. 63. Karoli epistola generalis : Inter quae iam pridem universos veteris ac novi instrumenti libros, libra riorum imperitia depravatos, Deo nos in omnibus adiuvante, examussim correximus Boretius éd., Capitularia I, no 30, p. 80. Fischer, « Bibeltext ». McKitterick, « Carolingian Bible production ». Fischer, « Bibeltext ». Light, « Versions ». Bogaert, « La Bible latine ».
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Ces efforts ne constituaient nullement un aboutissement, comme le montrent les ultimes efforts de Charlemagne. Suivant Thegan, actif comme chorévèque de Trèves entre 825 et 84972, il les aurait poursuivis jusqu’à sa mort : Après leur séparation, le seigneur empereur ne fit rien d’autre que s’adonner aux prières et aux aumônes, et corriger les livres ; et il avait corrigé jusqu’à la fin les quatre évangiles du Christ, attribués à Mathieu, Marc, Luc et Jean, à partir des Grecs et des Syriens, jusqu’au jour qui précéda sa mort73. Charlemagne lui-même était supposé capable d’effectuer ce travail, suivant une approche quasi cléricale de la fonction royale, comme la lui reconnaissait Alcuin74. Le travail mené par ce dernier n’empêchait pas l’empereur de poursuivre lui aussi la recherche d’un texte plus compréhensible de la Bible. Il n’y eut donc pas, sous son règne, de volonté de remplacer la diversité de ses versions. Ainsi, L. Light, conclut que « la Bible d’Alcuin n’était qu’une bible parmi un certain nombre d’autres produites “pour” Charlemagne et sa popularité et son influence sont postérieures à la mort d’Alcuin et de Charlemagne75 ». Une telle conception polyphonique de la recherche de textes améliorés peut nous aider à mieux comprendre la diversité des textes de la loi salique élaborés sous le règne de Charlemagne, les versions E, K et A 1. Aucun des textes de la loi salique qui étaient parvenus aux érudits de cette époque ne pouvait les satisfaire. Nous avons vu qu’il s’agissait de listes d’articles disparates, dans un ordre variable, associés à des édits de divers rois mérovingiens. Audgarius lui-même montre l’incohérence du matériel hérité en recopiant deux fois la même série de trois articles non numérotés, en les associant la première fois à une loi salique qui se terminerait par l’édit de Chilpéric, et une deuxième fois à l’édit de Childebert. Le latin de ces articles était inacceptable par rapport aux nouvelles normes grammaticales, car il ne respectait ni les déclinaisons ni l’orthographe classiques. De même, les gloses malbergiques posaient un problème aux érudits, qui ne disposaient pas des connaissances nécessaires en langue ger manique ancienne pour les éclairer. Il fallait donc reconstituer un texte intelligible, comme dans le cas des Saintes Écritures et très rares étaient les copistes qui, comme celui du manuscrit A 2, choisissaient de transcrire le texte hérité en conservant ses obscurités. Ce travail pouvait être concentré sur la grammaire et le vocabulaire, comme le fit l’auteur de la version E par rapport à la version D, qui accompagna cette réécriture de la suppression des gloses malbergiques et des traces de paganisme. Il pouvait
72 Noble, Charlemagne, p. 187-193. 73 Thegan, Gesta Hludowici imperatoris, p. 184-187 : Postquam divisi fuerant, domnus imperator nihil aliud cępit agere nisi in orationibus et elemosinis vacare et libros corrigere ; et quattuor evangelia Christi, quę praetitulantur nomine Mathei, Marci, Lucę et Iohannis, in ultimo ante obitus sui diem cum Grecis et Siris optime correxerat. Tremp éd. et trad. 74 Lauwers, « Le glaive ». 75 Light, « Versions », p. 62.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
être plus ambitieux et opérer à la fois la synthèse de versions précédentes et l’explication systématique de chaque article, comme le fit l’auteur de la version K. Il pouvait aussi se concentrer sur une seule version, considérée comme la plus ancienne, et la reproduire en réécrivant chaque article pour lui redonner du sens, ce que fit Audgarius, qui parait se fier davantage à sa compréhension qu’aux textes transmis. En ce sens, l’attention qui a été portée au manuscrit A 1 depuis B. Krusch, comme reflet du texte le plus ancien de la loi salique, pourrait être exagérée : le copiste a pu prendre le parti de davantage transformer le contenu de ce qu’il pouvait consulter, ce qui expliquerait qu’il soit parvenu à un texte plus convaincant de la loi salique, mais n’indique pas qu’il bénéficiait d’une meilleure source que les copistes antérieurs des manuscrits A 2 ou D 9. L’importance de l’inspiration divine mise en avant dans le travail de révision implique que la qualité du texte produit tient à l’ampleur des interventions d’Audgarius et qu’elles ne reposaient pas sur une recherche philologique ou sur la conviction d’avoir un meilleur modèle. Ni Audgarius ni les auteurs des versions K et E ne prétendirent établir un texte officiel de la loi salique qui aurait entraîné la disparition des autres, comme le montre la copie courante de la Recapitulatio solidorum à côté de ces versions, tout comme les efforts d’amélioration du texte biblique accompagnèrent la diversité des versions latines des Saintes Écritures qui circulaient au ixe siècle. La lente pro portion croissante des traductions issues de Jérôme n’empêcha pas la circulation parallèle des versions de la Vetus Latina, de plus en plus minoritaires. Dans le cas du livre de Judith, P. M. Bogaert relevait que la version de la Vetus latina a pu bénéficier d’une préface de Jérôme et a été copiée à côté de ses traductions des autres livres de l’ancien Testament, comme dans la Bible de Saint-Germain-desPrés (Paris, BnF, latin 11553), copiée à Paris au début du ixe siècle, qui reprend un regroupement antérieur au viie siècle76. Sur vingt témoins conservés de cette version du livre de Judith, neuf datent de l’époque carolingienne et ses copies ne deviennent une survivance qu’à partir du xe siècle. Chaque tentative de révision du texte biblique fut menée de façon indépen dante, et même reprise plusieurs fois par le même érudit, comme le montrent les six bibles conservée associées à Théodulfe, où il ne cessa de modifier et reprendre le texte proposé entre 797 et 81877. De même, le travail d’Alcuin n’est conservé que dans trois exemplaires copiés à Tours sous son abbatiat78. Ce ne fut qu’après sa mort qu’il fut repris dans des Bibles de grande qualité formelle produites dans le scriptorium de l’abbaye de Saint-Martin de Tours : 43 à 46 Bibles et 18 évangéliaires copiés avant 853 ont été mentionnés79. Mais de telles réalisations ont un texte qui varie de l’une à l’autre et leur diffusion n’empêchait pas la copie de textes bibliques différents, y compris dans le bassin parisien comme 76 77 78 79
Bogaert, « La Bible latine », p. 289 et suivantes. Marsden, The Text, p. 19-22. Candiard et Chevalier-Royet, « Critique textuelle ». Lobrichon, « Le texte ». Marsden, The text, p. 23-24. Ganz, « Mass production ».
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à Saint-Germain-des-Prés peu avant 82080 et à Saint-Denis dans la première moitié du ixe siècle81. L’imposition progressive des choix d’Alcuin sur les autres entreprises carolingiennes de révision de la Bible ne tiendrait ni à son autorité, très relative au ixe siècle, ni à sa qualité philologique, moindre que celle issue des recherches de Théodulfe, mais à la puissance et à la capacité de travail du scriptorium de Tours, notamment par la production des pandectes, qui influença durablement les copies postérieures de la Bible82. En effet, la position glorieuse donnée au copiste, responsable inspiré de la qualité du texte contenant la Parole de Dieu, s’oppose à la réalité du travail de copie en équipe, avec un rythme soutenu, tel qu’il apparaît pour le scriptorium de Tours, où deux Bibles complètes semblent avoir été produites par an dans la première moitié du ixe siècle83. Les paléographes repèrent le travail de 2 à 24 mains différentes par volume. Ces copistes restent le plus souvent anonymes et ne laissent pas de trace de leur travail, mais leurs efforts expliquent que les choix d’Alcuin s’imposèrent progressivement et dominèrent la tradition biblique après le xiie siècle84. La production d’une version de référence pour servir à tout l’empire carolin gien peut être avancée dans le cas de la règle de saint Benoit, de la collection canonique Dionysio-Hadriana et du sacramentaire grégorien85. Pour autant, le choix de la règle bénédictine paraît associé au règne de Louis le Pieux et non à celui de son père86, et les choix liturgiques et canoniques n’empêchèrent pas la copie et la circulation de textes jugés complémentaires, comme la collection canonique irlandaise. L’importance accordée à la correction de la Bible à l’époque carolingienne ne signifiait nullement la fin de la diversité des versions copiées ni de l’octroi d’une même autorité à toutes ces versions, établies sous l’inspiration divine. Dès lors, lorsqu’Audgarius place sur le même plan sa restitution d’une version compréhensible de la version A de la loi salique et les efforts de Peregrinus et d’Alcuin pour le texte biblique, il invite à remettre en question toute idée d’un texte unique de référence à l’époque de Charlemagne. R. McKitterick s’interroge en ce sens : « Devons-nous vraiment penser que l’idée d’un texte uniforme était acceptée par les Carolingiens87 ? ». Probablement pas, ni pour la Bible ni pour les lois écrites… Dans un cas comme dans l’autre, il semble que la meilleure explication de la disparition progressive de versions devenues minoritaires tient aux efforts différenciés des copistes, non à la valeur particulière accordée à une version plutôt qu’à une autre.
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Paris, BnF, Latin 11553. Voir Lobrichon, « Le texte », p. 219. Vatican, BAV, Reg. lat. 7. Voir McKitterick, « Carolingian Bible », p. 68. McKitterick, « Carolingian Bible », p. 70-77. Ganz, « Mass production ». Marsden, The Text, p. 25-29. Stotz, La Bible, p. 43-69. Light, « Versions », p. 57. Vogel, « La réforme ». Davis, Charlemagne’s practice, p. 298-302. McKitterick, « Carolingian Bible », p. 74 : « Should we in fact be thinking of a uniform text as a concept accepted by the Carolingians ? ».
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
Copier la loi salique version K entre 814 et 850 Après le règne de Charlemagne, l’heure, pour la plupart des copistes, n’était plus à la mise en ordre de l’héritage mérovingien, mais à l’organisation de l’héritage carolingien. Cette évolution fut rapide, si l’on suit le témoignage des manuscrits de la version K de la loi salique. Dans la première moitié du ixe siècle furent copiés trois types de recueils comportant la loi salique, dont 26 exemplaires ont été au moins partiellement conservés : -
les volumes de petit format, centrés sur la loi salique version K, à vocation pratique (11 témoins conservés) ; les volumes de moyen et grand format comportant des collections de lois où la version K de la loi salique participe à une illustration du passé franc (3 ou 4 témoins) ou du pouvoir impérial (4 témoins) les volumes comportant des versions anciennes de la loi salique, A, C, D ou E (7 témoins)
Tableau 8.2 : Manuscrits de la loi salique Ki probablement copiés sous Louis le Pieux, ou du moins dans la première moitié du ixe siècle
Manuscrits incomplets K 80 (fragments)
München, BSB, Clm 29560,
début du ixe s.
+ München, UB, 4° Cod. ms. 1140 + Philadelphia, Free Library, Lewis T162 K 86 (fragment)
Vatican, BAV, Reg. lat. 1431, f. 74
1er quart du ixe s.
K 80a (fragment)
Würzburg, UB, M. p. j. q. 3
1er tiers du ixe s.
V 84 (fragment)
Trier, Stadtbibliothek, Mappe X, Fragm. 1
2e quart du ixe s.
Manuscrits de petit format, qui tiennent dans la mainii K 29 (fragment)
Paris, BnF, latin 8801, f. 25-66
1er/2e quart du ixe s.
K 69
Vatican, BAV, Reg. lat. 338, f. 1-63
1re moitié du ixe s.
K 60
Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 327
1er quart du ixe s.
K 38
Paris, BnF, latin 4758
1re moitié du ixe s.
K 64
Bamberg, Staatsbibliothek, Jur. 35
1re moitié du ixe s.
K 70
Vatican, BAV, Reg. lat. 857
1er quart du ixe s.
K 61
Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96
Après 811, 1re moitié du ixe s.
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Manuscrits consacrés au passé franc K 18
Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. O. 86
1er tiers du ixe s.
K 46 et prologue D
Paris, BnF, latin 18238
après 819, 2e quart ou milieu du ixe s.
K 26 et prologue E
Paris, BnF, latin 4759
2e quart du ixe s.
L’illustration du pouvoir impérial K 27
Paris, BnF, NAL 204
après 821
K 71
Vatican, BAV, Reg. lat. 991
2e quart du ixe s.
K 73
Vatican, BAV, Reg. lat. 1128
1re moitié du ixe s.
K 19
Sankt Paul im Lavanttal, Stiftsbibliothek, 4/1
entre 816-819 et 825
Un manuscrit composite ? K 50
Lyon, BM, 375
2e quart du ixe s.
i Reprises des sigles des éditions de K. A. Eckhardt et K. Ubl. Cette dernière est proposée pour deux articles de la lex salica K sur le site Bibliotheca legum, « Materialen », consulté 15 mai 2020. ii Voir l’explication de cette désignation infra.
Les fragments et manuscrits incomplets de petit format
La dispersion des feuillets semble avoir particulièrement concerné les manus crits de petit format, qui constituent l’origine de l’ensemble des fragments de la Loi salique conservés de façon isolée. Les fragments de K 80 B. Bichoff avait repéré, parmi les scriptoria du sud de l’Allemagne les restes du manuscrit K 80 dont témoignent les trois fragments de feuillets conservés comme reliures, présents dans deux bibliothèques de Munich et dans la collection de John Frederick Lewis à Philadelphie88. Il s’agit de la loi salique dans la version K, qui présente ici la particularité d’une numérotation des chapitres d’une unité en deçà des autres manuscrits conservés. Deux fragments, un de la Staatsbibliothek de Munich et celui de la Free Library de Philadelphie, sont en ligne, ce qui permet de voir qu’il s’agit du démembrement d’un même cahier, qui comportait des pages de 17 lignes, pour un espace d’écriture d’environ 140 × 100 mm, dont les deux 88 Bischoff, Katalog II, no 3485, p. 293. Il s’agit des trois fragments : K 80, München, BSB, Clm 29560, München, UB, 4° Cod. ms. 1140 et Philadelphia, Free Library, Lewis T162.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
dernières lignes manquent sur le feuillet le plus long de Munich89. Ces quatre pages, incomplètement conservées, comportaient le texte depuis le milieu du chapitre XLVII (§ 2, [inter]dictor (München, BSB, Clm 29560, f. 1) à LII, § 2 nec pignus (München, BSB, Clm 29560, f. 2v). Le fragment de Philadelphie s’insère parfaitement dans celui de Munich qui s’arrête une première fois au chapitre XLVIII, § 2 laisum fistu[cam], en reprenant deux lignes plus loin sua quantum… (f. 1 de Philadelphie), jusqu’au chapitre L, § 3 culpabilis iudicetur (f. 2v de Philadel phie). Le fragment de Munich (München, BSB, Clm 29560 f. 2) reprend alors le début du § 4 Alii uero… Je n’ai pu consulter le deuxième fragment conservé à Munich. Je n’ai pas repéré d’autre exemple de numérotation de la loi salique version K avec ce décalage d’un chapitre90, qui donne ici ch. XLVIII pour De filtortis (Philadelphie, f. 1v), XLVIIII pour De falso testimonio (Philadelphie, f. 2v) et L pour De testibus (Munich, f. 2). En revanche, l’espace restreint d’écriture, sur environ 150 × 115 mm, pour 17 lignes par page rapproche ces fragments du type de manuscrit qui tient dans la main, comme les sept autres présentés ci-dessous. Les fragments sont donc issus d’un manuscrit de de petite taille, qui ne pouvait comporter que peu de textes, comme la loi salique K suivi de quelques capitu laires. Les fragments de K 86 et K 80a Malgré la remarque de H. Mordek, qui intègre ce fragment dans les manuscrits du supposé scriptorium des lois de Louis le Pieux91, il semble que le feuillet isolé K 86, Vatican, BAV, Reg. lat. 1431, f. 7492, puisse lui aussi être associé à ces manus crits de format réduit, car l’espace d’écriture y est restreint (125 × 85 mm) pour 19 lignes. Les titres y étaient rehaussés de jaune, ce qui l’éloigne des pratiques du scriptorium de Tours dans la première moitié du ixe siècle. De même, le fragment de la loi salique conservé à Würzburg93 ne comporte qu’un peu plus d’un tiers de page, mais permet de supposer un espace d’écriture de 112 mm de haut, pour 18 lignes94. B. Bischoff en situait la copie dans le premier tiers du ixe siècle, peut-être en France.
89 München, BSB, Clm. 29560 est visible en ligne en couleurs, mais je n’ai pu voir le fragment UB, 4° Cod. ms. 1140. 90 Le manuscrit K 46, Paris, BnF, latin 18238 présente lui aussi un décalage d’un chapitre dans la numérotation, mais dans l’autre sens. 91 Mordek, Bibliotheca, p. 423. 92 Le fragment comporte la fin du chapitre LVIIII, [colli]gerit etiam si…, puis le chapitre LX De rachineburgiis (f. 74) et LXI, De Cranecruda (f. 74v) après des titres en onciales surlignées de jaune. Il s’arrête ch. LXI, § 2 : hoc est in limitare. 93 K 80a, Würzburg, UB, M. p. j. q. 3. Bischoff, Katalog III, no 7449, p. 515. Je n’ai pu voir ce fragment. 94 Thurn, Die Handschriften 4, p. 236-237.
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V 84, Trier, Stadtbibliothek, Mappe X, Fragm. 1 Ce type de format de poche n’était pas réservé à la loi salique comme le montre la copie, au début du ixe siècle, d’un manuscrit ne comportant que la loi des Bavarois95, sur un espace d’écriture de 175 × 95 mm, 17 lignes par page et environ 30 caractères par ligne. Il n’empêchait pas non plus les innovations, comme le montre le fragment de la traduction vernaculaire de la loi salique, V 8496, qui fut conservé à Saint-Maximim-de-Trèves. Ce feuillet comporte une partie de la liste des titres (LXI à LXX), le chapitre I et le début du chapitre II97, sur un espace d’écriture de 105 × 65-67 mm, pour 17 à 18 lignes par page. Il aurait été copié au siège archiépiscopal de Ratisbonne, dans le deuxième quart du ixe siècle98. Le désir de faire appliquer la loi salique auprès de populations utilisant une langue vernaculaire germanique explique le cadre de cette traduction, dans la lignée de la nouvelle attention portée aux langues vernaculaires au ixe siècle99. Pour Jens Schneider, « l’intérêt de la rédaction des textes en langue tudesque a été très concrètement lié à la démarche de l’Église pour encadrer les sociétés de l’empire franc, particulièrement les nouvelles populations d’outre-Rhin100 ». Le format réduit incline effectivement à considérer que ce manuscrit avait une vocation pratique et était conçu pour un usage ciblé dans une région donnée de l’empire, comme celui d’un monastère ou d’une cour épiscopale dans les zones de parler tudesque. L’absence de succès manuscrit de cette traduction peut tenir à cet usage très local et à sa précocité, alors que le latin de la loi salique était probablement encore compris d’une large majorité de la population de l’empire dans la première moitié du ixe siècle101. Les manuscrits complets de petit format
Il serait tentant de décrire ces manuscrits de petit format comme des manus crits de poche, en raison de leur proximité avec les formats imprimés. L’anachro nisme est gênant, car ils comportent en général peu de texte. Une désignation 95 München, UB, 8°, 132. Voir Bischoff, Katalog II, no 3528, p. 300. J’ai consulté le manuscrit par le fac-similé proposé par Beyerle, Lex Baiuvariorum. 96 V 84, Trier, Stadtbibliothek, Mappe X, Fragm. 1. Voir la notice par E. Krotz dans le « Paderbor ner Repertorium », http://www.handschriftencensus.de/8737, consultée le 18 mai 2020, qui donne accès aux photos du fragment et à la bibliographie. 97 Sur la traduction en vieil-allemand de la loi salique, voir Seebold, « Zur Entstehung ». Höfin ghoff, « Die Lex Salica ». Coumert et Schneider, « The Lex Salica ». 98 Schneider, « La production vernaculaire », ici dans le catalogue, p. 395. 99 Voir Banniard, « Latinophones » et Id., « The transition ». 100 Schneider, « Production », p. 386. 101 Voir par comparaison, Banniard, « Niveaux », 2008.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
cohérente pour le ixe siècle est celle de liber manualis, comme l’utilise Dhuoda102, à savoir un livre que l’on peut tenir dans la main, ce que j’ai interprété ici avec une limite d’espace d’écriture à 110 mm de large. Dans la catégorie ainsi définie rentrent cinq des huit manuscrits de la loi salique copiés avant 814, à savoir A 2, D 9, E 15, K 81 et K 57. Ces livres qui tiennent dans la main ne comportent donc pas exclusivement la loi salique version K. Ils constituent cependant plus de la moitié de la première diffusion manuscrite conservée de ce texte (2 manuscrits avant 814, 11 manuscrits sur 19 entre 814 et le milieu du ixe siècle). Leur format restreint explique leur conservation fragmen taire car ils ont peu impressionné les lecteurs du Moyen Âge, contrairement aux plus gros volumes. Conçus pour un usage pratique et ne comportant que peu de textes de loi, ils ont pu représenter une proportion bien plus importante de la production manuscrite que ne le montre leur conservation. K 29, Paris, BnF, latin 8801, f. 25-66 Le plus petit manuscrit de la loi salique, K 29103, peut être associé au pre mier quart du ixe siècle, peut-être au nord de la France104. Il ne mesure que 150 × 90 mm pour un espace d’écriture de 120 × 60 mm, ce qui ne permet la copie que d’environ 20 caractères par ligne, avec 15 à 17 lignes suivant les cahiers. Les premières pages sont presque illisibles, mais correspondent au chapitre XIX de la loi salique. Si le reste du manuscrit a disparu, les marques des cahiers (f. 29v, 37v, 45v, 53v, 61v) indiquent qu’il manque au début quatre cahiers, ce qui fait supposer que seule la liste des chapitres et les dix-huit premiers chapitres de la version K étaient copiés auparavant. Pour respecter la maniabilité du format, peu de textes pouvaient avoir été copiés ensuite, tout au plus quelques capitulaires. K. Ubl a proposé l’organisation des cahiers suivante : [3 IV]24 + (III-1)29 + IV37 + IV45 + (V-2)53 + IV61 + 5 I66. Il manque un feuillet avant la dernière page, ce qui rend lacunaire le chapitre XLVIII, qui s’arrête au § 5 Et al[teri tres testes]. Le dernier feuillet comporte le chapitre XLVIIII, De filtortis, jusqu’au § 2, Si uero comunitus f[uerit]. La copie a été faite par plusieurs mains à la minuscule irrégulière105. Pour certains bas de page106 apparaissent des hampes de forme diplomatique, ce qui laisse penser que les scribes avaient l’habitude des chartes. L’aspect fragmentaire et abîmé du manuscrit n’empêche pas de relever la bonne qualité de la copie. Le texte a été corrigé de nombreuses fois107. Il n’y a qu’un seul article manquant
102 Dhuoda, Manuel pour mon fils, Riché éd. et trad. 103 K 29, Paris, BnF, latin 8801, f. 25-66. La première partie du manuscrit, copiée au xiiie siècle, n’a été jointe à la seconde qu’en raison de son petit format. 104 Bischof, Katalog III, no 4564, p. 146. 105 Un changement est notamment visible au folio 45v. 106 F. 40v, 41, 44, 51, 51v, 54v, 56, 60v, 61 et 64. 107 F. 32, 32v, 39, 50v, 51, 65.
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(f. 38v, il manque le ch. XXVIIII, § 36). Le copiste a pu rattraper son erreur au chapitre XL : il avait oublié de copier le § 2 (f. 45v) et l’a placé plus loin dans le même chapitre, après le § 14 (f. 47). Je n’ai relevé que de très rares confusions sur l’ensemble du texte : au ch. XXVI, les mêmes montants d’amende sont donnés aux § 2 et 3 (f. 27v) et le nombre de nuits est omis au § 8 (f. 28) ; une seule erreur sur les montants apparaît : au ch. XLIII, § 6, la peine marquée est ici de XXII mille deniers (f. 55) qui font 300 sous, au lieu du XII mille. Les articles de la Loi salique, et tout particulièrement les montants des amendes, ont donc fait l’objet d’une attention soutenue dans ce petit manuscrit. Ce premier exemple permet de formuler l’hypothèse que c’est dans ce type de recueil de petit format108, le plus souvent limité à la copie d’un texte de loi complet, produit dans la première moitié du ixe siècle, que se serait diffusé un grand nombre de copies de la version K de la loi salique, de bonne qualité, y compris pour les montants des amendes. Leur nombre et l’attention portée au texte pourraient expliquer la stabilité notable de celui-ci au cours de sa diffusion postérieure109. K 69, Vatican, BAV, Reg. lat. 338, f. 1-63 Le plus proche des volumes copiés sous le règne de Charlemagne semble le manuscrit K 69, Vatican, BAV, Reg. lat. 338, f. 1-63, qui fut copié dans la première moitié du ixe siècle, probablement dans le nord de la France110. Son espace d’écriture est restreint : 140 × 110 mm, pour 14 lignes par page. Seuls 63 feuillets sont conservés. Les marques de cahier indiquent la perte de deux cahiers initiaux111 et il manque un feuillet au dernier cahier. L’ensemble initial devait faire moins de cent folios. Il commençait par la Lex Ribuaria, qui n’est conservée qu’à partir du milieu du chapitre 39, dans sa version B (f. 1-28). Ensuite une liste de 70 chapitres de Lex salica Karolina (f. 28v-31) était suivie d’un espace blanc, qui fut rempli aux ixe-xe siècles par la Recapitulatio solidorum (f. 31-32v)112, sans titre, et par le capitulaire de Louis le Pieux Capitula legibus addenda de 818/819 (Boretius no 139, f. 33) avec le titre De honore ecclesiarum. La Loi salique n’est conservée que jusqu’au chapitre XXXIX (f. 34-63v). La copie est très soignée, avec une minuscule caroline régulière, d’une seule main, qui utilise des ligatures ri et ro, ainsi que deux formes de a. Des grattages et
108 L’importance de ce type de recueils comportant la loi salique a été notée par Ubl, Sinnstiftungen, p. 225-226, mais sans les mettre en lien avec la première diffusion de la version K. 109 Sur la bonne transmission du texte de la version K, voir les sondages opérés par Ubl, Sinnstiftun gen, p. 236-242. 110 Mordek, Bibliotheca, p. 822-823. Bischoff, Katalog III, no 6668, p. 428. Les feuillets reliés après le folio 63 sont sans rapport avec le début du manuscrit. 111 K 69, Vatican, Bav, Reg. lat. 338, f. 32v : on devine la marque VI. 112 Recapitulatio solidorum, version A 1. Voir Ubl, « Die Recapitulatio ».
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des corrections ont été faits tout le long de de la Loi salique113. Le résultat est un texte de qualité, avec un seul paragraphe oublié (ch. III, § 10, f. 77v), une erreur dans la formulation des articles (ch. III, § 13, la limite est à XX têtes de bétail au lieu de XXV) et deux erreurs sur des montants (ch. X, § 10 : XL au lieu de X deniers, f. 42v, et ch. XI, § 6, 1400 deniers font XXX et non XXV sous, f. 43v). Cette précision correspond vraisemblablement à la visée pratique du volume. Son intérêt est limité à l’héritage franc strict, Lex Ribuaria et Lex Salica, ici complété par un capitulaire. La Recapitulatio témoigne de la circulation d’autres versions de la loi salique et de leur validité, même au xe siècle. Aucune mention de souverain n’apparaît dans ce recueil, ni aucune justification de l’héritage législatif franc : il est présenté pour être utilisé. Une marque de lecture se trouve f. 54, à propos de l’affranchissement d’un lète sans l’accord de son maître (ch. XXVIII). K 60, Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 327 La compilation comprise dans le manuscrit K 60, Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 327 est copiée sur un espace restreint 116 × 77 mm, sur 16 à 18 lignes pour la loi salique, durant le premier quart du ixe siècle, en France du Nord114. Un premier copiste a recopié la Loi salique version K (f. 1-63) et la Loi des Alamans version B (f. 74, f. 82-85v, f. 94-115v). Un deuxième scribe a copié la Loi des Alamans version A (f. 65-73v, f. 75-81v et f. 90-91)115. Une troisième main copia la suite de cette version (f. 91-93v)116. Les marques de cahier sont conservées et permettent de reconstituer ainsi les cahiers : I2 + 7 IV58 + (III-1)63 // + (V-1)72 + (V-1)81 + 2 III93 + IV101 + (IV+1)110 + (III-1)115, ce qui montre qu’ils ne s’arrêtent ni aux changements de main, ni aux changements de versions de la Loi des Alamans. Les deux versions de la même loi étaient donc considérées comme complémentaires par les différents copistes. Le traité médical sur l’usage magique des « jours égyptiens », dies egiptiaci fut inséré plus tard, (f. 63-64). Il manque le premier feuillet de la loi salique, qui commence (f. 1) par la fin de la liste des 70 chapitres. Le texte de la Loi salique version K a été copié avec soin. L’usage de photos en noir et blanc m’empêche probablement de repérer de nombreuses corrections, mais nombre d’interventions restent visibles (f. 25v, 28v, 49v, 56, 60v, 62), et même deux passages où les corrections sont faites à mauvais escient (f. 12v, f. 23v). Quelques paragraphes ont été oubliés117, mais les montants des amendes
113 F. 40v, 42v, 43v, 44, 45v, 46, 47, 49v, 50-v, 52v, 58, 59, 59v. 114 Bischoff, Katalog III, no 7326, p. 503. J’ai pu consulter, grâce à K. Ubl, les photos du manuscrit en noir et blanc. 115 von Heinemann, Die Handschriften, Bd. 2, p. 247. Le manuscrit porte les sigles A 11 et B 11 dans l’édition de Lehmann, Lex Alamannorum, p. 13 et 15. 116 Voir les précisions apportées par K. Ubl, http://www.leges.uni-koeln.de/mss/handschrift/ wolfenbuettel-hab-gud-lat-327/, consulté le 18 mai 2020. 117 Ch. XIII, § 2, f. 13v ; ch. XXVIIII, § 12, f. 24 ; ch. LVI, § 2, f. 54v ; ch. LXVIIII, § 4, f. 63.
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ne sont erronés qu’en trois passages118. La grande précision de la copie semble bien une caractéristique commune aux volumes de petit format, même lorsqu’ils rassemblent deux textes de loi comme celui-ci. Il porte une marque d’usage, f. 22v, sur le ch. XXVII à propos de l’union d’un homme libre et d’une servante. Ce manuscrit montre la combinaison du travail de deux copistes principaux, associés à deux versions de la loi des Alamans. Tous deux partageaient la convic tion que toutes les versions des lois étaient valides et leur travail reflète proba blement le recours à deux modèles manuscrits différents, qu’ils lisaient plus ou moins bien. Ce volume permet de comprendre pourquoi il n’y eut pas de bascule brutale d’un modèle de livre des lois à l’autre : plusieurs générations de copistes collaboraient sur les ouvrages et les nouvelles conceptions de leur travail, réduit à la retranscription fidèle du texte antérieur, ne s’imposèrent que progressivement. K 38, Paris, BnF, latin 4758 Le manuscrit K 38, Paris, BnF, latin 4758 propose sur un petit format (espace d’écriture : 140-145 × 95-105 mm) 117 pages de 17 à 18 lignes, l’assemblage de capitulaires, de la loi salique et de la loi burgonde. La marque Agian. I sur la première page fait penser, comme pour le manuscrit K 26, Paris, BnF, latin 4759, qu’il était conservé à Saint-Aignan, à Orléans, à la fin du Moyen Âge. Puisqu’il contient la loi des Burgondes, on l’a rapproché d’une production en Burgondie, mais rien ne l’indique sur le plan paléographique119 ; l’écriture permet seulement de le dater du premier tiers (B. Bischoff) ou de la première moitié (H. Mordek) du ixe siècle. Bien que les feuillets 19, 22, 27, et 91 soient sur onglet, la conservation des quatorze marques de cahier montre la cohérence de la fabrication du recueil120. Les chapitres extraits des capitulaires de 803 qui l’ouvrent121 (Boretius no 39 et no 40) ont une fonction de complément de la loi salique soulignée par leur titre : Incipit capitu qui ad lege salica mitendas sunt (f. 2, sic) et leur explicit : Explicit capitula de legem salicam (f. 8). La liste de 70 chapitres de la loi salique les suit (f. 8-f. 10v), puis le texte de la version K (f. 11-f. 63v). Les ratures et les corrections, nombreuses, n’ont pas enlevé toutes les erreurs de copie. Au f. 23v, le chapitre De incendiis est numéroté XVIIII au lieu de XVIII, ce qui provoque un décalage avec la liste des titres initiale pour le chapitre suivant, puis la copie du chapitre XX sans numérotation (f. 25). Au folio f. 26v, le numéro du chapitre XXIIII est donné, mais le titre n’a pas été copié. Les lois des Burgondes copiées ensuite (f. 63v-116) ont beaucoup intéressé les éditeurs, puisqu’on y trouve la version B, complétée ligne par ligne par la
118 F. 7 et ch. III, § 13 et f. 15v, ch. XV, § 2, où il faut remplacer ID par IID deniers ; et f. 32, ch. XXXVII, § 6 où il faut remplacer ICC par ICCCC deniers. 119 Mordek, Bibliotheca, p. 535-536. B. Bischof, Katalog III, no 4327, p. 101. 120 La description de Mordek, Bibliotheca, p. 535 doit être complétée sur ce point. 121 Les extraits des Évangiles copiés sur le premier folio sont un ajout du ixe ou xe siècle.
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version A 122 : l’existence de versions différentes a ici été notée et une présentation exhaustive choisie. L’origine des deux textes n’était pas compréhensible pour le lecteur du haut Moyen Âge, car les chapitres n’étaient introduits que par le titre Incipiunt capitula legum (f. 63v). Le roi Gondebaud n’est évoqué une première fois qu’après les 89 titres de chapitres (f. 66v) puis une deuxième fois à la fin du texte par : Explicit lex gundobada inter Burgundiones et Romanis123 (f. 116). Furent copiées ensuite des prières pour les morts (f. 116v-117v) et un article de loi extrait d’une origine inconnue, ou inventé, rajouté au xie siècle : Si quis alienam feminam [inf…] contaminauerit, sex centos solidos componat (f. 117v)124. Dans ce manuscrit se trouvaient donc une loi salique et ses compléments plus récents sans origine précise, associée à la législation du roi d’un royaume disparu. Le soin apporté à la correction, au complément par la seconde version des lois des Burgondes, ainsi qu’une note d’usage (f. 82) montrent néanmoins l’importance accordée à la précision du texte. Les protestations d’Agobard de Lyon contre la législation de Gondebaud, dans une lettre adressée à l’empereur entre 817 et 822, montrent que les lois burgondes continuaient à être appliquées sous Louis le Pieux125, ce que confirme le manuscrit. Sa présentation souligne combien l’origine de la loi était considérée sans importance, sauf par l’archevêque de Lyon. K 64, Bamberg, Staatsbibliothek, Jur. 35 Le manuscrits K 64, Bamberg, Staatsbibliothek, Jur. 35 comporte un espace d’écriture de 160-170 × 80-90 mm pour 20 à 22 lignes par page, mais avec de nombreux pages : il comprend 146 feuillets. Il comportait initialement quelques feuillets de plus, qui ont été perdus126, comme après f. 47 (manque la Lex Salica du ch. LV, § 2, ad manum suam au ch. LVI § 3 [sagibaronem] posuit occiderit) f. 94, f. 129 et f. 132 ; le bas de du feuillet 56, probablement laissé blanc, a été découpé. Certaines pages et certaines lignes ont été effacées (f. 5, f. 18v par exemple), parfois volontairement pour des corrections (f. 10). De nombreuses corrections soignées, d’une autre main avec une encre plus foncée apparaissent sur la Lex salica127 ainsi que pour la Lex Ribuaria et la Lex Alamannorum, mais le manuscrit ne comporte aucune marque d’usage128. B. Bischoff et H. Mordek supposent qu’il 122 Lex Burgundionum, von Salis éd., p. 15 manuscrit A 1, p. 16 manuscrit B 5. 123 En réalité, les articles copiés proviennent aussi bien de la Lex Romana Burgundionum, de la Lex Burgundionum et des Constitutiones extravagantes, voir Mordek, Bibliotheca, p. 536. 124 L’article le plus proche semble celui de la loi salique K, XXVI, § 7. 125 Adversus legem Gundobadi, éd. Van Acker, p. 19-28. Rubellin, « Agobard » et Id., « Un évêque ». Airlie, « I, Agobard ». 126 H. Mordek, Bibliotheca, p. 17-19. F. Leitschuh, Katalog, vol. I, 2, p. 1508. B. Bischoff, Katalog I, p. 50 n.°221. Certains feuillets disparus ont été numérotés et ont donc été détachés assez récemment. 127 F. 10v, 13-v, 20v, 21-v, 22, 23v, 24v, 25v, 26, 28v, 29, 31v, 32, 33, 34, 35v, 37, 38v, 47, 47v, 51, 52, 55, 56. 128 Bischoff, Katalog, I, p. 50 remarque des « Wiederholt Tiron. N, “hic” », que je n’ai pas vues.
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fut copié par différents copistes dans le nord-est de la France, dans le premier tiers (B. Bischoff) ou la première moitié (H. Mordek) du ixe siècle. Il se trouvait à Bamberg en 1803 et y fut probablement conservé depuis la fin du Moyen Âge. Le manuscrit comporte la Loi Salique version K (f. 1-56), la Loi Ripuaire version B (f. 57-98v), la Loi des Alamans (f. 99v-145v) et la Summula de bannis (f. 145v-146), une liste remontant à Charlemagne, avant son couronnement impé rial, rapportant les huit délits considérés comme une rupture du ban royal et entrainant des amendes de 60 sous129. Au dos du dernier feuillet, laissé blanc, fut copié quatre fois au xe siècle, In nomine domini Lucas, Marcus, Matheius, Ihohannes. Chaque loi est précédée de la liste des chapitres (f. 1-3, f. 57-60 et 99-104v). La loi salique et la loi ripuaire ne comportent aucune introduction, la loi des Alamans seulement le rappel de la réunion des évêques, des comtes et des ducs autour du roi Clotaire (temporibus Hlodharii regis, f. 99). La liste des huit ruptures du ban royal ne se réfère qu’à la volonté du seigneur roi (f. 145v : domnus noster, f. 146 : domino regis) sans précision. L’autorité législatrice est ici de nouveau implicite, sans mention précise des souverains contemporains, tandis que la copie du texte a été vérifiée et corrigée avec soin. K 70, Vatican, BAV, Reg. lat. 857 Le manuscrit K 70, Vatican, BAV, Reg. lat. 857 est attribué par B. Bischoff au premier quart du ixe siècle, où il aurait été copié dans un style proche de celui de Tours130, ce qui a amené à le considérer comme une production du scriptorium des lois du règne de Louis le Pieux131. K. Ubl s’est déclaré contre cette attribution : Je ne vois au contraire pas de rapport avec Tours : les formes doubles pour a, d, et n, tout comme les fréquentes ligatures (pour rt, or, re, ct, st, eret, sp, ra) et une hiérarchie des écritures peu manifeste (capitale quadrata et le plus souvent onciale) plaident autant contre que la mauvaise orthographe (aefregit, quadrubio, graphyo, cytra, lydus, hutilitatem, aegerent…)132. La marque Liber sancti Marcialis (f. 1, f. 147v) montre que ce manuscrit se trouvait à Saint-Martial de Limoges au xe siècle. En 1219, des questions sur le 129 Edition par Boretius, no 110, p. 224. Sur l’inclusion du rapt, voir Joye, « Fabrique », § 25. Sur l’attaque des domiciles, voir Esders, « Late Roman Military Law », p. 19. 130 Bischoff, Katalog III, no 6743, p. 436. 131 Bischoff, Paläographie, p. 57. McKitterick, « Zur Herstellung », p. 11. Mordek, Bibliotheca, p. 423. Coma Fort, Codex, p. 265-267. 132 Ubl, « Gab », note 79, p. 63 : « Bei Vatikan, Bibl. Vaticana, Reg. lat. 857 sehe ich dagegen keine Bezüge nach Tours : Doppelformen bei a, d, n sowie haüfigen Ligaturen (bei rt, or, re, ct, st, nt, eret, sp, ra) und eine schwach ausgeprägte Schrifthierarchie (Capitalis quadrata und meist Unziale) sprechen ebenso dagegen wie die schlechte Orthographie (aefregit, quadrubio, graphyo, cytra, lydus, hutilitatem, aegerent…) ».
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monastère furent copiées à la fin du manuscrit (f. 147-148). Sa surface d’écriture est assez restreinte : 160 × 100 mm, pour en moyenne 22 lignes en minuscule caroline de plusieurs mains, sur 148 feuillets. La loi salique, version K, est présen tée en premier, avec la liste des 70 chapitres (f. 1v-3)133 puis le texte (f. 3-40v). La correction du texte apparaît principalement par des ajouts dans la marge qui viennent compléter les oublis initiaux (f. 7, 10v, 13v, 40v). La Loi des Alamans vient ensuite, avec la liste des chapitres (f. 41-43v), le prologue qui mentionne un plaid général sous le règne de Clotaire (f. 43v) puis le texte de la loi version B134 (f. 43v-72). Aucun des deux premiers textes de loi ne comporte de marques d’usage. Le Bréviaire d’Alaric copié ensuite (f. 73-147) est bien présenté comme des extraits du Code Théodosien (f. 73) Incipiunt tituli legum ex corpore Theodosiani explanati et translati135. Néanmoins, au milieu de la liste des titres (f. 77v-78) ont été copiées des Formules d’origines diverses : un complément du Code Théodosien avec deux Interprétations136 et une formule de Tours137. Ensuite sont copiés des extraits du Code Théodosien, avec des Interprétations qui ne sont pas toutes dans le Bréviaire d’Alaric, dont la sélection paraît habile à C. Juillet, qui relève que le compilateur a repris de préférence ce qui concernait l’organisation concrète des procédures138. Ce souci pratique apparaît aussi dans les nombreuses notes marginales qui soulignent le contenu des articles et de leurs interprétations139. Elles indiquent l’objet (des latrones, f. 102), voire la situation (f. 139 : Si quis rem alienam uindiderit). L’ensemble n’a pas forcément été composé par le copiste, mais les notes marginales montrent bien que les lecteurs ont compris les intentions du rédacteur du résumé du droit romain et qu’il a répondu à leurs attentes. Dans ce manuscrit, seul le résumé de la loi romaine est original, et semble avoir été composé pour des lecteurs qui l’ont effectivement utilisé. L’ensemble est caractéristique du premier quart du ixe siècle, où cohabitent deux attitudes. D’un côté, des copies anonymes et scrupuleuses de versions préexistantes de la loi, comme ici la loi salique et la loi des Alamans ; de l’autre, l’ambition de rédactions entièrement nouvelles des textes héritées du passé, comme ici pour la loi romaine, avec un nouveau résumé du Bréviaire reprenant des éléments du Code Théodosien. En revanche, l’attitude intermédiaire a disparu, celle que choisissaient les copistes des textes juridiques du viiie siècle qui modifiaient légèrement les textes à chaque copie.
133 Il faut corriger sur ce point M. Coma Fort, Codex, p. 266 qui note à tort qu’il manquerait une page de la table des titres. 134 Lex Alamannorum, Lehmann éd., p. 16, manuscrit B 21. 135 C. Juillet interprète ce terme rare dans cet usage comme le signe de la liberté de la composition de ses extraits par le rédacteur de ce résumé du code Théodosien. Juillet, « Lex », p. 249-250. 136 Coma Fort, Codex, p. 266. 137 Formules de Tours no 29. Ce manuscrit n’est pas utilisé par Zeumer, Formulae, 1886, p. 152. 138 Juillet, « Lex », 2005. 139 F. 86, 87v, 90, 95, 96v, 98v, 100, 101, 102, 107v, 11v, 119, 134, 137, 139.
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Le bilan des copies de la loi salique dans des recueils qui tiennent dans la main montre des livres réalisés à des fins pratiques, qui furent tous corrigés, et pré sentent une grande attention au texte de référence, jusque dans les montants des amendes, dont la répétition est pourtant un piège pour le copiste. Cette attention aux détails de la loi salique version K semble avoir été moindre dans les recueils de plus grande taille, qui contiennent des textes de loi plus nombreux. Les manuscrits consacrés au passé franc
K 18, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. O. 86 Le manuscrit K 18 montre le danger qu’il y a à ne se fonder que sur le format pour supposer l’usage des manuscrits140 (Ill. 8.2). Copié sur un espace d’écriture de 135 × 80 mm en moyenne, pour 30 lignes, il est le fruit du travail de deux copistes, le premier pour les folios 1 à 35v puis 42 à 73, l’autre pour les folios 16-41 et 74-85. Les pages sont très abîmées et certains feuillets sont en lambeaux. Certaines marques de cahier sont conservées, A-C (f. 8v, 16v, 24v) et I-M (f. 49v, 57v, 65v, 73v), mais le milieu du manuscrit montre des perturbations : les cahiers actuels sont les suivants : 3 IV24 + (IV-2)30 + (IV-3)35 + (IV-2)41 + 4 IV73 + 2 I75 + V85. Aujourd’hui, le volume s’ouvre sur le Liber Historiae Francorum, dont manquent quelques feuillets. Il est suivi de l’invention de la Croix par sainte Hélène (f. 31v-35v), principalement tirée de l’Histoire ecclésiastique de Rufin. À cette base exposant l’histoire des Francs et du christianisme sont ajoutés des textes juridiques, avec des formules de Marculf141 (f. 36-41v), puis la loi salique version K (f. 43-70) précédée de la liste des 70 chapitres (f. 42-43). Viennent ensuite des prières (f. 70-71), le Livre de Tobie traduit par Jérôme (f. 71v-84), puis des prières en fonction des différentes messes (f. 84-85v). B. Bischoff supposait une écriture aux environs de Paris, dans le premier tiers du ixe siècle. Néanmoins, les formules comprennent des allusions à Trèves, et il peut y avoir été conservé au Moyen Âge (avant P. Petau)142 ce qui incite A. Rio à lui supposer une origine trévire143. L’alternance des deux copistes et la perturbation des cahiers centraux poussent H. Reimitz à considérer que le deuxième scribe, qui aurait terminé la transcription du Livre de Tobie, aurait inséré
140 De Meyier, Pars III, p. 147-150. Bischoff, Katalog II, no 2254, p. 66. 141 Rio, Legal Practice, p. 59, 60, 92, 101-107 sur la considération de ces formules dans son édition par Zeumer. 142 De Meyier, Pars III, p. 149. 143 Ibid. Rio, Legal Practice, p. 246-247.
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Illustration 8.2 : K 18, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. O. 86, f. 45v.
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les formules après le Liber Historiae Francorum peu de temps après la première co pie du manuscrit144. Si l’on suit cette hypothèse, « dans la forme originale du manuscrit, le Liber Historiae Francorum serait apparu directement avant la loi salique145 ». Suivant cette logique, l’absence de prologue aurait été ressentie pour la première fois comme un manque et le Liber Historiae Francorum, dont le paragraphe 4 rapporte des éléments communs au petit prologue146, aurait été utilisé pour associer la loi, dans sa rédaction la plus récente, au passé franc. La copie de l’invention de la Croix, due au premier scribe, viendrait néanmoins compléter le volume en sus du Liber et de la loi salique, de même que le Livre de Tobie. Les deux copistes auraient été intéressés par le passé des Francs aussi bien que par les récits bibliques et chrétiens147. Leurs intérêts correspondent à ceux des évêques de l’empire franc, qui devaient tout à la fois célébrer la messe, prêcher et rendre la justice pour mener le peuple chrétien au Salut. Le manuscrit paraît avoir été un recueil personnel, portatif, permettant de répondre à ces différents centres d’intérêt. Il est notable qu’il ne comporte aucun nom de souverain carolingien car la source de l’autorité était évidente et n’avait nul besoin d’être précisée. La loi salique et la royauté s’enracinaient dans le passé franc. Cette copie de la loi salique comporte de nombreuses initiales ornées, qui aident à distinguer les différents articles, mais ont aussi une fonction décorative. Le texte a été corrigé avec soin (par exemple, f. 48, 51, f. 53, f. 55, f. 55v…) : ainsi, f. 47, au ch. XI, § 5, le montant de l’amende, IIDCCC deniers qui font LXX sous, a été corrigé pour IIDC deniers qui font LXII sous et demi, en conservant la cohérence pour le nouveau montant. Les erreurs sont très rares, comme f. 55, ch. XXXVII, § 2, où ICCCC deniers, au lieu de ICC sont présentés comme l’équivalent de XXX sous. La recherche formelle et historique et la mise en scène du texte de la loi n’ont pas empêché l’attention à la lettre. K 46, BnF, latin 18238 Le désir nouveau de présenter un contexte pour la rédaction de la loi salique apparaît aussi dans le plus ancien manuscrit qui associe la loi salique et le prologue long de la version D (K 46) : Paris, BnF, latin 18238, copié peu après 819148. Dans 144 Reimitz, History, p. 400 : « The paleography of this new continuation of the Tobit history, plus the insertion of the Marculf formulae, show that this reworking took place only shortly after the compendium was originaly produced ». 145 Ibid. : « In the manuscript’s original form, the Liber Historiae Francorum stood directly in front of the Lex Salica ». 146 Geste des rois des Francs, 4, p. 10-11, trad. Lebecq. Voir supra chapitre 4. 147 Dans le même sens, voir les remarques de Rio, Legal Practice, p. 188. 148 Bischoff, Katalog III, no 5044, p. 230. Mordek, Bibliotheca, p. 617-619. Mordek reproduit la remarque de McKitterick, pour laquelle le manuscrit du xve-xvie siècle K 37, Paris, BnF, latin 4630, pourrait être la copie de ce manuscrit. Or K 37 ne comporte pas de prologue, mais seulement la loi salique K en 70 chapitres et sa liste de chapitres. En outre, le deuxième
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un petit format – l’espace d’écriture est de 120-128 × 80-83 mm environ pour 17 lignes par page pour la loi salique – sont rassemblées la législation de Louis le Pieux (f. 1-20), puis la loi salique dans sa version K, introduite par le prologue long de la version D (f. 41-83v). Un fragment de la collection de capitulaires d’Anségise, copié à la fin du ixe siècle ou dans la première moitié du xe siècle, a ensuite été ajouté au milieu du manuscrit initial (f. 21-40)149. Provenant de la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Victor de Paris, dont il porte la cote médiévale R[6]150, il est peut-être passé entre les mains d’Antoine Loisel (1536-1617), avant d’être légué en 1680 au chapitre de Notre-Dame de Paris, avec l’ensemble de sa bibliothèque. Par le prologue long (f. 41), le copiste plaçait la loi salique dans la continuité de l’autorité des rois mérovingiens et du choix du catholicisme. Le prologue a été copié avec un trait rouge pour mettre en valeur les noms des trois premiers rédacteurs de la loi salique (mais pas UUidogast) et des trois lieux qui leur sont associés (f. 41). Le prologue fut ensuite soigneusement corrigé et doctores remplacé par rectores (f. 41). La continuité établie par le nom entre le premier roi catholique des Francs et le fils de Charlemagne était bien perçue : le copiste l’a initialement dénommé Hludouicus, suivant une forme qui n’existe pas dans les manuscrits de la version D151, le correcteur a proposé au-dessus Clodoueus (f. 41v). Le liste des chapitres de la loi salique K proposée ensuite montre de nom breuses hésitations : les titres ont par endroit été grattés et modifiés. Le chapitre IX De furtis apium a été oublié, causant un décalage général d’une unité. Certains titres ne correspondent pas à ceux de la version K : le chapitre VIII s’intitule De auibus furatis, le chapitre XIII, De raptu ingenuorum uel mulierum, le chapitre XIIII De superuenientes uel expoliationibus. Ils correspondent aux versions A, C et D de la loi salique. On peut supposer que le copiste avait sous les yeux deux versions de la loi salique, D et K, et qu’il a commencé par suivre la liste de la version D, après en avoir copié le prologue long, avant de renoncer à une fusion pour ne retenir que la version K. La deuxième page ne montre plus que les titres de la version K, mais le copiste a donné dans une deuxième colonne les titres des chapitres LXIII et LXV (f. 43v), sans les numéroter, semblant ne pas comprendre son modèle, et sa liste se termine ainsi sur un chapitre LXVII. La reprise des titres des versions anciennes est cohérente, puisque le même titre est repris dans le cours de la loi salique (f. 50v), ch. XIII De raptu ingenum uel mulierum et (f. 52) ch. XIIII : De superuentu expolationibus. La fabrication de cette version mixte de la loi salique, une version K contaminée par D, tient
paragraphe du chapitre XIII n’est pas copié dans K 46, f. 50v, alors qu’il est reproduit dans le manuscrit K 37, p. 9, qui avait donc un autre modèle. 149 Bischoff, Katalog III, no 5045, p. 230-231. 150 K 46, BnF, latin 18238, f. 1. Voir la notice du catalogue de la BnF, https://archivesetmanus crits.bnf.fr/ark:/12148/cc691261, consultée le 29 octobre 2018. 151 Voir l’édition par Eckhardt, Lex Salica, 1969, p. 6.
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probablement à la volonté de donner un contexte à la législation des capitulaires de Louis le Pieux copiés au début du manuscrit, car la fin de leur copie donne lieu à cet explicit rare, en majuscules rouges et noires : Expliciunt capitula domni Clodouuici magni imperatoris que sunt omnino custodiendi et obseruandi firmiter (f. 20). À travers le dernier petit manuscrit examiné ici apparaît la transformation de la catégorie des livres qui tiennent dans la main. Dans la première moitié du ixe siècle, ces ouvrages semblent avoir été copiés surtout pour un usage pratique et personnel, en donnant sans aucun accompagnement le texte de référence qui pouvait fournir la base de jugements écrits. Plusieurs textes pouvaient figurer avec la loi salique, mais les manuscrits K 18 et K 46 sont les seuls à laisser la place à des discours de justification de la loi, en présentant son origine. Ils révèlent une divergence dans l’attitude des copistes. Celui de K 46 a continué à faire évoluer le texte de la loi en fonction de ses désirs. Il a ainsi mélangé le début de la version D, avec le prologue long et sa liste des chapitres avec celui de la version K. Au contraire, le copiste du manuscrit K 18 a repris sans la modifier la version K, mais l’a placée aux côtés de textes différents qui éclairaient sa genèse. Le copiste du manuscrit K 26 montre lui aussi une certaine créativité, en associant le prologue de la version E au texte de la version K de la Loi salique, dans un format plus grand. K 26, Paris, BnF, latin 4759 Comme l’a écrit K. Ubl152, ce manuscrit est une compilation originale des lois émises sous les rois mérovingiens : il rassemble sous un format moyen (espace d’écriture : 200 × 120-130 mm, pour 30 lignes par page sur 70 feuillets) la loi salique (version K), la loi des Bavarois, la loi des Ripuaires et la loi des Alamans (version B)153. La conception cohérente comme un Liber legum apparaît sur la première page (f. 1) (Ill. 8.3), ou encore la présentation du deuxième cahier, f. 9 : De lege salicae, Bauuariorum et Alamannorum. B. Bischoff date le manuscrit du deuxième quart du ixe siècle et propose une copie en Francie de l’Est154, mais probablement en raison de la présence de la Lex Alamannorum, de même que dans le manuscrit Paris, BnF, latin 4759B qu’il estime venir du même scriptorium, mais un peu plus tard. Le rapprochement n’est pourtant pas évident avec les 18 feuillets conservés de ce dernier manuscrit, qui ne comporte ni le même système de titres, ni la même version de la loi des Alamans155. Ainsi que le suggère K. Ubl, il me semble plus intéressant de suivre la piste indiquée par la marque Agn. Sur le premier folio, comme sur le premier feuillet du manuscrit K 38, Paris,
152 http://www.leges.uni-koeln.de/mss/handschrift/paris-bn-lat-4759/, consulté le 20 mai 2020. 153 La notice de la BnF conserve l’ancienne datation au xie siècle. 154 Bischoff, Katalog III, no 4328, p. 101. Pardessus, La loi salique, p. XXII, avançait le xe ou le xie siècle. 155 Le manuscrit Paris, BnF, latin 4759 porte le sigle B 33 et le manuscrit Paris, BnF, latin 4759B le sigle A 5 dans K. Lehmann éd., Lex Alamannorum, p. 13 et 17.
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Illustration 8.3 : K 26, BnF latin 4759, f. 1v : le prologue de la version E.
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BnF, latin 4758, elle semble indiquer que les deux manuscrits se trouvaient à Saint-Aignan, à Orléans, à la fin du Moyen Âge, avant d’être intégrés dans la biblio thèque de Colbert, puis dans celle du roi. Copié par plusieurs mains, le manuscrit s’ouvre sur la loi salique version K, ici exceptionnellement introduite par le prologue de la version E (f. 1v-2), avant la liste de 70 chapitres sur deux colonnes (f. 2-2v), puis leur texte (f. 3-21). Le prologue emprunté à la version E ne porte pas de traces de correction et comporte des lacunes. S’il évoque bien les quatre rédacteurs de la loi salique, il ne donne que deux lieux de rédaction, Salebaim et Bodohaim156. En revanche, le texte a été corrigé aux ch. XI (f. 6), XXII, § 1 (f. 8v) et 3 et, pour le montant de l’amende, aux ch. XXII, § 3 (f. 8v) et XXIII, § 4 (f. 9). Le début du texte suivant est un peu confus, car le prologue a pour titre De legibus Moysi gentiis hebreorum (f. 21) (Ill. 8.4). Ensuite, la liste des chapitres s’intitule Incipiunt capitulae de eclesiasticis rebus de libris legis institucionum quae ad clerum pertinent seu aeclesiarum iure. (Ill. 8.5) Néanmoins, l’identification du texte recopié devient plus claire ensuite (f. 25) : Hoc decretum est apud reges et principes eius et apud cunctum populum christianum qui infra regnum meruuungorum consistunt. Incipit Lex Baiuuariorum. Le système de décoration du manuscrit change sur les feuillets 29-63, où des titres sont rehaussés en jaune, alors que des rubriques sont utilisées dans le reste du manuscrit. Il y a néanmoins eu une conception globale du recueil, car ces changements ne correspondent pas aux changements de cahier. Vient ensuite la loi des Bavarois (f. 29-46)157, puis celle des Ripuaires (f. 47-60), signalée avant la liste des chapitres sur deux colonnes par le titre : Incipiunt capitula legis Ribuariorum (f. 46v), puis par le titre Incipit lex Ribuariorum (f. 47). Après la liste des chapitres de la loi des Alamans (f. 60v-61v), un titre avec une ligne en majuscules, puis des mots alternant entre noir et rouge (f. 62) annoncent : Incipit lex Alamannorum que temporibus Clotarii regis una cum principi bus suis, id sunt XXX tribus episcopis et XXXIIII ducibus et LXX duobus comitibus uel cetero populo constituta est. La Loi des Alamans est copiée jusqu’au chapitre XLVII et il manque au moins un cahier ensuite. Le prologue dit de la loi des Bavarois sert ici d’introduction à toutes les lois promulguées par les rois mérovingiens : des Bavarois, des Francs Ripuaires et des Alamans, dont l’origine est précisée sous le roi Clotaire. Il manquait une présentation symétrique pour la loi salique, ce qui peut expliquer le fait de l’avoir complétée par le prologue de la version E. L’unité de présentation des différentes lois est ainsi renforcée, en mettant en valeur la plus grande ancienneté de la loi salique. En sus des rois mérovingiens évoqués par les prologues, il n’est fait aucune mention des souverains carolingiens. L’ensemble rapporte toutes les lois franques anciennes, présentées sous leur forme figée, la plus récente et la plus claire : K
156 Cela le rapproche du résumé des deux prologues copié dans le manuscrit C 5. 157 Dans l’édition d’E. de Schwind, ce manuscrit porte le signe P 4, p. 183.
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Illustration 8.4 : K 26, Paris, Bnf latin 4759, f. 21 : fin de la loi salique et début du prologue de la loi des Bavarois (détail).
Illustration 8.5 : K 26, Paris, BnF, latin 4759, f. 22 : fin du prologue de la loi des Bavarois, table des chapitres (détail).
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pour la loi salique, qui a été préférée au texte de la version E, B pour la loi ri puaire158 et la loi des Alamans. Le manuscrit ne comporte aucune trace d’usage ou de marques de lecture, mais le texte a été corrigé par endroits. L’illustration d’un pouvoir impérial
K 27, Paris, BnF, NAL 204 La datation du manuscrit K 27, Paris, BnF, NAL 204, repose sur les capitu laires qu’il comporte, émis par Louis le Pieux entre 818 et 821. Il fut donc composé après cette date et B. Bischoff envisage pour lui une composition au premier ou deuxième quart du ixe siècle à Tours, car il montre selon lui « une minuscule de Tours régulière »159. H. Mordek ne reprend pas cet argument paléographique160 mais souligne la proximité du manuscrit avec l’exceptionnel manuscrit de Tours en notes tironiennes, Paris, BnF, latin 2718 pour associer les deux aux scriptorium des lois sous Louis le Pieux161, comme R. McKitterick162. Le manuscrit Paris, BnF, 2718 est atypique, par son format oblong, l’importance des notes tironiennes, son contenu théologique, l’absence des lois mais la présence de quelques capitulaires163. L’association de sa copie, par plusieurs mains, au scriptorium de Tours et aux abbés de Tours et chanceliers, comme Fridugise († 833) ou Theoto († 834) s’appuie sur l’usage de la semi-onciale et la proximité avec le pouvoir royal qui transparaît notamment dans l’Ordinatio imperii et les Formules impériales. Or, l’une de ces formules est commune avec le manuscrit K 27, Paris, BnF, NAL 204164, de même que sont partagés deux capitulaires165 – aucun de ces textes n’est transmis par ailleurs. Les deux manuscrits semblent donc proches entre eux et proches du pouvoir impérial. Dans le manuscrit K 27, la régularité de la minuscule caroline, la quasi-absence de ligatures et de formes doubles semblent bien indiquer le scriptorium de Tours, bien que les titres soient notés en onciales. Les textes ont été copiés sur un espace moyen, 192-198 × 140-145 mm, sur 27 lignes. Les marques finales des cahiers conservées XVI (f. 90v) et XVII (f. 94v) montrent que le recueil comportait plus de 136 feuillets, dans des quaternions, dont il ne reste que 95 feuillets, avec la composition suivante : (IV-2)6 + 2 IV22 + (IV-4)26 + 8 IV90 + l91 + I93 + l94 + 1 (fragment)95. Elles permettent de reconstituer que le manuscrit comportait
158 159 160 161 162 163 164 165
Paris, BnF, latin 4759 porte le sigle B 6 dans l’édition de Beyerle et Buchner, p. 36. Bischoff, Katalog III, p. 234, no 5064. Mordek, Bibliotheca, p. 621-624. Ibid., p. 423-430. McKitterick, « Zur Herstellung », p. 11. Ganz, « Paris BN latin 2718 ». Ubl, « Gab », p. 50-51. Formulae imperiales no 15, Zeumer éd., p. 296. Capitula de iustitiis faciendis et Responsa imperatoris de rebus fiscalibus data, Boretius no 144 et 145, p. 295-297.
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la Loi salique, des capitulaires, la Loi des Alamans, la Loi des Bavarois, le Liber Constitutionum burgonde avec le chapitre 17 de la Lex Romana Burgundionum, l’Epitome Aegidii et au moins des passages du Bréviaire d’Alaric. Il s’agissait donc d’un ensemble reprenant toutes les lois du monde franc au haut Moyen Âge, sauf la Lex Ribuaria. La loi salique version K (f. 2-20v) qui ouvre le recueil est copiée de façon extrêmement soignée, après une liste des chapitres sur deux colonnes (f. 1-v), mais sa consultation est malaisée, car à l’intérieur des chapitres le copiste ne fournit ni retour à la ligne, ni initiales rehaussées. Ainsi, les 20 paragraphes du chapitre II, sur le vol de cochons, couvrent d’un bloc la moitié du folio 2 recto et l’ensemble du verso, ce qui rend plus difficile d’y retrouver un cas précis. Aucune marque d’usage n’apparaît. Les corrections et le soin général n’ont pas empêché par ailleurs les erreurs. Ainsi, f. 5, l’avant-dernière ligne du chapitre XI a été effacée, mais reste lisible. Le texte de la fin du paragraphe 6, qui se présentait de façon habituelle : Si quis puerum aut puellam de ministerio dominorum furauerit, I dinariis qui faciunt solidos XXV in capitale restituat et insuper mille CCCCtis dinariis qui faciunt solidos XXXV culpabilis iudicetur excepto capitale et delatura.
Si quelqu’un a volé un garçon ou une jeune fille au service des maitres, qu’il restitue en compensation 1000 deniers, qui font 25 sous, et de plus, qu’il paie 1400 deniers qui font 35 sous, sans compter compensation et dommage.
a été transformé et apparaît désormais sous cette forme (f. 5) : Si quis puerum aut puellam de ministerio dominorum furauerit, I dinariis qui faciunt solidos XX culpabilis iudicetur excepto capitale et delatura. La compensation et l’amende ont ainsi été fusionnées, tandis que l’équivalence sous-deniers est devenue fausse. Autre erreur importante : aux folios 9v et 10, le titre XXX De locationibus a été copié deux fois. À la fin de la copie du chapitre XXX, le scribe a repris le 23e paragraphe du chapitre précédent, dont il a redonné toute la fin, ainsi qu’une nouvelle fois le chapitre XXX, sous le nombre XXXI (Ill. 8.6). L’erreur a été vue et le doublon a été barré d’un trait vertical. Mais les chiffres des chapitres n’ont pas été modifiés et présentent un décalage par rapport à la liste initiale jusqu’au chapitre XLVIII (f. 15), numéroté une deuxième fois XLVII, ce qui permet de retrouver la numérotation habituelle et de finir sur un chapitre LXX. Les petites erreurs sont nombreuses, malgré les corrections. Au folio 12 est copié le chapitre XL (ici XLI) De caballis furatis, où les montants des amendes sont fautifs pour un quart d’entre eux. Au premier paragraphe, l’amende serait de 1300 deniers correspondant à 15 sous, et non 1800 deniers qui font 45 sous. Au deuxième paragraphe, elle serait de 1300 deniers correspondant à 65 sous, et non 1800 deniers qui font 45 sous. Au cinquième paragraphe 2500 deniers sont supposés équivaloir à 62 sous et non 62 sous et demi. Au neuvième paragraphe, 60
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deniers et non 600 sont considérés comme l’équivalent de 15 sous. Aucune cor rection n’apparaît sur tout le chapitre. On pourrait ainsi multiplier les exemples : au folio 16, un correcteur est intervenu deux fois pour corriger, à raison, le texte du chapitre XLVIIII, mais il a laissé solitionem sans le corriger en solutionem et sunt nis pour sunnis, etc. La qualité visuelle de l’écriture et de la mise en forme ne correspondent donc pas à une qualité particulière du texte de la loi salique version K dans ce
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manuscrit. Elle paraît même bien inférieure à la moyenne ! Pourtant, la loi salique est ici associée directement au pouvoir carolingien et à son expression dans les capitulaires, ainsi que nous l’avons vu au chapitre V, car elle est immédiatement suivie de l’introduction suivante, copiée en onciales avec des lignes noires et rouges alternées : Ici commencent les chapitres que notre seigneur l’empereur sérénissime Louis, la cinquième année de son empire, a promulgués dans le palais d’Aix, avec l’assemblée de tout le peuple que Dieu lui a confié, à savoir avec les vénérables évêques, les abbés, les comtes et le reste du peuple, et qu’il a ordonné d’ajouter à ceux de la loi salique et de retenir fermement à tous les ordres supérieurs comme aux rangs inférieurs du peuple de son empire. Alors qu’il avait ensuite un plaid général dans la villa de Thionville, il interdit de les appeler désormais chapitres, mais bien loi, et ordonna avec l’ensemble du conseil des grands qu’ils soient retenus par tous de la manière la plus ferme à la place de la loi166. Cette présentation introduit ici le capitulaire 139, Capitula legibus addenda, promulgué en 818/819 (f. 20v-22v). La perte des quatre feuillets suivants em pêche de savoir comment le capitulaire suivant était introduit167. Les extraits du capitulaire Capitula de iustitiis faciendis168, (vers 820) sont ensuite copiés sous le titre Capitula legis salicae addenda (f. 24). La Responsa imperatoris de rebus fiscalibus data suit avec un simple retour à la ligne. Elle évoque deux fois Charlemagne : domni et genitori nostri (f. 24) et domnus Karolus imperator (f. 24v) : l’autorité législatrice, Louis le Pieux, en est ainsi implicitement confirmée. Le reste de la page est laissé blanc et la loi des Alamans version B qui suit reprend exactement la présentation de la loi salique initiale, avec le même système de titre rubriqué en onciales (f. 25-26v), la liste des chapitres sur deux colonnes, puis le texte (f. 27-40v). Celui-ci est introduit par le prologue de la loi des Alamans (f. 26v)169, qui comprend beaucoup d’éléments communs à l’introduction du premier capitu laire dans ce manuscrit et est présenté avec la même alternance de lignes rouges et noires.
166 K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 20v : Incipiunt capitula quae domnus hludowicus serenissimus impe rator imperii sui V.to cum universo coetu populi a Deo sibi commissi, id est cum venerabilibus episcopis et abbatibus atque comitibus vel cum reliquo populo in Aquisgrani palatio promulgavit atque legis Salicae addere et universis ordinibus superioris videlicet inferiorisque gradus populi imperii sui firmiter tenere praecepit ipsaque postea, cum in Theodone villa generale conventum habuisset, ulterius capitula appellanda esse prohibuit, sed tamatum lex, dicenda immoque ea firmissime ab omnibus pro lege tenenda cum totius optimatum suorum consilio precepit. Boretius no 139, p. 280. 167 K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 23 : Capitula missorum (819) Boretius no 141, p. 288-291. 168 K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 24. 169 K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 26v : Incipit Lex Alamannorum quae temporibus Hlotharii regis una cum principibus suis, id sunt XXXIII episcopiis et XXXIIII ducibus et LXXII comitibus uel cetero populo constituta est.
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La continuité des autorités législatrices est particulièrement mise en avant dans ce recueil, de même que le lien entre les lois et la législation impériale. La loi salique est présentée comme la loi de tous et les capitulaires en sont ses com pléments indispensables, décidés à la suite de plaids généraux à Aix et Thionville et appliqués dans tout l’empire. L’empereur, père de l’empereur est évoqué, mais aussi un ancien roi Lothaire (Hlotarii regis, f. 26v), le nom de l’héritier de l’empire, qui lui aussi avait établi la loi lors de plaids rassemblant les grands du royaume. La loi des Bavarois, version E (f. 44v-58v), est introduite par le prologue (f. 40v-41) qui évoque des rois Thierry, Childebert, Lothaire (Hlotharius, f. 41) et Dagobert établissant les lois, supérieures aux coutumes, pour les Francs, les Alamans et les Bavarois sous son autorité, soit les trois lois copiées jusqu’ici dans cet ordre dans le manuscrit. Il présente ainsi les précédents très anciens de la législation impériale. La copie s’interrompt brutalement, en raison de la perte de feuillets. Nous ignorons comment étaient présentées les lois des Burgondes, par tiellement conservées (f. 59-77), qui comportent ici sans distinction un chapitre issu de la Lex romana Burgundionum (f. 76v-77). Les copies des lois montrent des corrections, mais aucune marque d’usage. La formule impériale (f. 77-v) copiée ensuite ne comporte pas de titre. Elle expose l’extension de l’immunité d’un monastère par l’autorité impériale170. Au folio suivant, le Bréviaire d’Alaric est annoncé par un titre en capitales (f. 78), qui mentionne le roi Alaric. Il est suivi du Commonitorium (f. 78), puis de la suscriptio d’Anianus (f. 78v). Après la liste des titres sur deux colonnes (f. 78v-83) vient de nouveau un titre en capitales (f. 83), suivi de rubriques en onciale pour les différentes parties du texte. Le lecteur ne peut donc comprendre qu’il s’agit de l’Epitome Aegidii171 et non du Bréviaire lui-même. Contre les hypothèses développées autour du scriptorium des lois de Louis le Pieux, ce manuscrit démontre que la reproduction de la Loi salique dans un recueil juridique mettant en scène son inspiration impériale, copié à Tours, propose un texte très médiocre, qui ne peut avoir été le modèle de référence du reste de la tradition manuscrite, généralement de bien meilleure qualité. Le soin apporté à la décoration, le choix idéologique des textes et de la présentation ont été faits au détriment du contenu, considéré comme accessoire. K 71, Vatican, BAV, Reg. lat. 991 B. Bischoff considérait que ce manuscrit avait été copié dans le deuxième quart du ixe siècle, mais hésitait à situer sa copie en Lotharingie ou dans le scriptorium des lois de Tours172. H. Mordek reprenait cette ambiguïté, tout en
170 K 27, Paris, BnF, NAL 204, f. 77v : deux dernières lignes, ajoutées plus tard d’une autre main, glissent des éléments de prières : patris ingeniti filius venit aethereis sedibus, secrete fit. 171 Coma Fort, Codex, p. 312 et Faulkner, Law, p. 225-226. 172 Bischoff, Katalog III, p. 437, no 6748.
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soulignant la proximité avec la cour173. R. Mc Kitterick l’associait au scriptorium des lois174. Le manuscrit présente dans un format in quarto (espace d’écriture de 195-200 × 130-135 mm) 171 feuillets de 23 lignes rassemblant une impression nante collection de lois : la loi ripuaire (f. 1-19v) dans la version B, la loi salique dans la version K (f. 21-49v), toutes deux sans prologue. Suivent la liste de titres puis le prologue de la loi des Alamans et cette loi dans sa version B (f. 52-66v) Elle s’interrompt au milieu du chapitre LVIII, probablement par perte d’un cahier. Viennent ensuite la loi des Bavarois version E avec son prologue (f. 67-105) puis l’Epitome Aegidii (f. 107v-167v)175. Ce dernier texte s’interrompt brusquement (Paul, Sentences, III, 6), par chute d’un cahier. Le recueil présente donc une grande partie des lois anciennes du monde franc, sous leur forme la plus récente : il n’y manque que les lois des Burgondes. Son projet général se rapproche du manuscrit étudié ci-dessus, K 27, mais correspond à une initiative distincte. H. Mordek appuie son hypothèse d’une forte proximité avec la cour sur la qualité du texte de la loi ripuaire et de la loi des Bavarois, malgré le peu de capitulaires qui fut ajouté à la copie initiale176. Il se limite en effet au capitulaire d’ajouts à la loi des Bavarois, copié au ixe siècle (f. 105). Les autres ajouts, dans la seconde moitié du ixe siècle, reproduisent les Officia per ferias d’Alcuin (f. 19v-20v, 50-51v), avec des prières (f. 51v, 72v, 105v-107), et consistent au xe siècle en deux dessins montrant le comte Hugues et le roi Louis177 (f. 69) (Ill. 8.7) et saint Michel combattant le dragon (f. 96). Charlemagne n’était nommé comme législateur dans cet ensemble que par l’introduction du capitulaire ajouté f. 105 : Domnus Karolus serenissimus imperator. Les seules autres autorités législatrices évoquées sont celles du prologue de la loi des Alamans, un roi Clotaire (f. 54v), celles du prologue de la loi des Bavarois (f. 67-68), qui se clôt sur l’évocation du roi Dagobert et celle de la préface de l’Epi tome Aegidii, qui mentionne le roi Alaric (f. 107v). Dans le recueil original, aucune mention n’était faite d’un souverain carolingien, contrairement aux associations soulignées dans le manuscrit K 27, Paris, Bnf, NAL 204. La présentation, standardisée à l’échelle du manuscrit, reproduit la même mise en page pour tous les textes de lois : le titre en capitales rouges INCIPIUNT CAPITULA LEGIS178… précède une liste des chapitres sur deux colonnes179, puis le titre en capitales rouges : INCIPIT LEX180… introduit le texte, rythmé par les titres des chapitres le plus souvent rubriqués, en onciales, tandis qu’un titre
Mordek, Bibliotheca, p. 838-841. McKittterick, The Carolingians, p. 57-59. Coma Fort, Codex Theodosianus, p. 311-312. Mordek, Bibliotheca, p. 838. H. Mordek propose avec logique qu’il s’agit d’une représentation de Louis IV d’Outremer (936-954) et d’Hugues le Grand. 178 F. 1 ; 21, 52, 63, 107v. 179 F. 1v-2 ; f. 21v-22, f. 52-54, f. 64v-72v, f. 108-114v. 180 F. 2v ; 22, 54v, 73, 114a. 173 174 175 176 177
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Illustration 8.7 : Le comte Hugues et le roi Louis. K 71 : Vatican, BAV, Reg. lat. 991, f. 69 (détail).
courant est écrit en capitales sur une double page sur deux. La minuscule caroline de la main principale est régulière, elle ne comporte pas de forme double, mais l’esperluette et des ligatures comme rt, ra, st (f. 21 par exemple), tr (f. 22v) et NT (f. 22v). Ainsi, l’ensemble est d’une grande clarté et régularité, seuls les ajouts pos térieurs paraissent d’une autre main. Le soin apporté à la copie n’empêche pas l’existence de décalages. Ainsi, un chapitre XCI Ut iudices siue missi fiscales freda non exigant priusquam facinus conponatur est copié à la fin de la Loi ripuaire (f. 19v), alors qu’il n’était pas annoncé dans la table initiale. De nombreuses corrections ont été faites sur le texte de la Loi salique, par grat tage et récriture des passages fautifs, ce qui les rend difficilement discernables181. Le soin apporté à la copie a pour résultat un texte de la loi salique d’une grande qualité, avec très peu de variantes par rapport à l’édition proposée. On peut seulement noter une faute f. 33v, où furtim remplace furtum (ch. XXX, § 1) et l’oubli, f. 35v, du paragraphe 2 du chapitre XXXIV. Les retours à la ligne respectent la logique des différentes dispositions, ce qui rend la copie facile à utiliser. La loi salique comporte d’ailleurs des marques d’usage : f. 25 à propos du vol de ceps de vigne (ch. VIII, § 3), f. 39, deux fois à propos du supplice de l’esclave (ch. XLII) et f. 45 sur le grafion qui n’a pas fait payer une dette (ch. LII, § 3). Des marques d’usage figurent aussi pour le texte de la Loi des Alamans (f. 56 et 58) et celui de la Loi des Bavarois (f. 75v). Elles sont encore plus nombreuses dans les marges de l’Epitome Aegidii182. Beaucoup d’espaces sont laissés blancs, comme la moitié inférieure du feuillet 21a (coupée), ce qui a encouragé les ajouts, copiés de façon suivie dans les 181 Par exemple f. 38, 40, 48v, etc. 182 F. 128v, 129, 133v, 135, 135v, 136, 137, 137v, 138v, 139v, 141, 141v, 142, 142v, 143v, 144v, 145, 145v, 146v, 148v, 149v (de lege trigenali), 150, 151, 152, 152v et 154.
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interstices. Les prologues de la loi des Alamans (f. 54v), de la loi des Bavarois et du résumé du Bréviaire d’Alaric sont copiés avec des rubriques en capitales et en onciales. Ils rappellent les autorités législatrices dans l’histoire, depuis Moïse, jusqu’à Théodose, Alaric et les rois mérovingiens. La mention de l’autorité de Charlemagne n’est due qu’à un rajout. L’apparence du recueil et la présentation standardisée des différentes lois rapprochent ce manuscrit du recueil K 27183. Pour autant, la sélection des lois n’est pas exactement la même : les lois des Burgondes sont dans K 27 et pas dans K 71, tandis que la loi Ripuaire est dans K 71 et pas dans K 27. En outre, les qualités et usages du texte divergent totalement, notamment pour la loi salique. Malgré sa beauté, il est fort peu maniable dans K 27, fautif et sans marque d’usage, alors que la qualité et la clarté de la copie du manuscrit K 71 en ont assuré la consultation et l’annotation. Si les deux volumes peuvent être issus du même scriptorium, ils représentent des efforts très différents des copistes et eurent des usages distincts. K 73, Vatican, BAV, Reg. lat. 1128. Ce manuscrit, qui fut possédé par Jean du Tillet († 1570)184, a surtout intéressé les chercheurs en raison du traité juridique qu’il attribue à Ulpien (f. 190v-202v) présenté après le Bréviaire d’Alaric, dans lequel fut reconnu le Liber singularis regularum Le manuscrit a longtemps été daté des xe-xie siècles, mais fut resitué dans la première moitié du ixe siècle par les travaux postérieurs à la seconde guerre mondiale185. M. Avenarius a relevé les éléments paléographiques menant à cette datation : le a avec la forme cc, l’empâtement des hampes des lettres b, d, l et h, les jambages des m repliés vers l’intérieur, les g ouverts, les majuscules N apparaissant au début ou à la fin d’un mot186, etc. B. Bischoff soutenait une datation dans la première moitié du ixe siècle et proposait une copie en Francie de l’Ouest, peut-être à Tours, tout en relevant la proximité avec les initiales utilisées à Reichenau187 tandis que M. Avenarius les a plutôt rapprochées de celles de Saint-Gall188. Une provenance depuis Fleury a aussi été avancée mais
183 K 27, Paris, BnF, NAL 204. 184 C’est le manuscrit utilisé pour son édition : Jean du Tillet, XXVIIII Tituli ex corpore Ulpiani, Paris, 1549. Sur cet ouvrage, voir les utiles renvois de la notice de la bibliographie des éditeurs parisiens du xvie siècle, https://bp16.bnf.fr/ark:/12148/cb43986947p./, consultée le 30 juin 2020. Il s’agit de Jean du Tillet cadet, évêque de Saint-Brieuc puis de Meaux qui édita aussi la loi salique, voir Kelley, « Jean du Tillet », p. 341. Il posséda aussi le manuscrit du Vatican, BAV, Reg. lat. 886, du vie siècle, qui contient les huit derniers livres du Code Théodosien, voir Coma Fort, Codex, p. 71 et p. 403-405. 185 Avenarius, « Inhalt », p. 41-42. 186 Avenarius, Der Pseudo-ulpianische Liber, p. 23-24 et Id., « Inhalt », p. 46-47. 187 Bischoff, Katalog III, p. 438, no 6765. 188 Avenarius, Der Pseudo-ulpianische Liber, 2005, p. 29-32.
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aucun détail n’indique de façon dirimante l’un de ces scriptoria, car les éléments décoratifs invoqués sont assez répandus dans le monde franc au ixe siècle189. Le nom de Gauzbertus qui apparaît deux fois en haut du folio 241 fait penser à l’abbé Gozbert de Saint-Gall (816-837), mais ce nom était porté par d’autres et l’emplacement ne fait pas sens. L’abbaye de Saint-Gall connut des troubles lors de sa réforme, en 1529, où sa bibliothèque fut dispersée et certains livres volés190, mais le lien ne peut être établi avec l’apparition du manuscrit en 1544 dans les mains de Jean du Tillet. Après celui-ci, l’itinéraire du manuscrit peut être ainsi reconstitué : à la mort du petit-neveu de Jean du Tillet en 1646, il passa à Alexandre Petau, qui y laissa sa marque en 1647191, avant d’être acquis par Isaac Vossius pour la reine Christine de Suède et de partir pour Stockholm (1651) puis Rome (1654), pour finalement intégrer la bibliothèque pontificale en 1690192. Le manuscrit comprend aujourd’hui 271 feuillets – il y eut quelques pertes à la fin du volume – sur un grand format (350 × 246 mm), copiés sur deux colonnes de 35 lignes en une minuscule caroline régulière, très ronde, avec des abréviations et des ligatures fréquentes, et en onciale pour les titres et les premiers mots d’un texte. Une première main a copié le Bréviaire d’Alaric (f. 1-190vb) avec des gloses, un résumé d’Ulpien193 (190vb-202vb), la Lex Ribuaria version B (f. 233ra-241rb) et la Lex Alamannorum version B avec son prologue (f. 257va-271vb). Une deuxième main a copié les Notas Iuris (f. 203ra-211va), le Liber Constitutionum version A, en 88 chapitres avec 18 constitutions extravagantes et les chapitres 17 et 44 de la Lex Romana Burgundionum (f. 212ra-232vb), enfin la Lex Salica version K (f. 242ra-257ra)194. La composition du manuscrit repose sur un assemblage de ter nions et de quaternions, qui ont parfois été redéfinis pour permettre l’assemblage des textes195. La Loi des Alamans s’arrête peu avant la fin du 99e chapitre, ce qui laisse penser que des feuillets ont été perdus. Les corrections sont du premier copiste, qui a ajouté les gloses à sa propre copie du Bréviaire, mais d’autres mains sont également intervenues, de même que pour les annotations, et une grande partie semblent de peu postérieures au moment de la copie196. Les textes rassemblés constituent l’intégralité de l’héritage juridique du monde franc au viiie siècle, à l’exception de la Loi des Bavarois. Quelques pièces sont singulières : une constitution impériale qui n’est pas dans le Bréviaire197, une 189 Voir la synthèse présentée par Coma Fort, Codex, p. 173-179. Kaiser, « Rezensionsmiszelle », p. 578, a rappelé la fragilité de l’hypothèse de M. Avenarius, dès lors qu’aucun autre livre de Saint-Gall n’est apparu à Paris dans le deuxième quart du xvie siècle. 190 Avenarius, « Inhalt », p. 57. 191 K 73, Vatican, BAV, Reg. lat. 1128, f. 1. 192 Avenarius, Der Pseudo-ulpianische Liber, p. 34-35 ou Id., « Inhalt », p. 60-61. 193 K 73, Vatican, BAV, Reg. lat. 1128, f. 190vb : Incipiunt tituli ex corpore Ulpiani. 194 Kaiser, « Rezensionsmiszelle », p. 562-577. 195 12 IV96 + (IV-1)103+ III109+ 4 IV141 + III147 + IV155 + (IV-2)163 + (IV-2)170 + 2 IV186 + 2 III198 + II202 + IV210 + (IV-1)217 + IV225 + (IV-1)231 + (IV+1)241 + III247 + 2 IV263 + (II+ 2)269 + I270. 196 Coma Fort, Codex, p. 354. 197 K 73, Vatican, BAV, Reg. lat. 1128, f. 100vb. Voir Coma Fort, Codex, p. 179, 223 et 243.
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autre des rois des Burgondes qui ne figure que dans ce manuscrit198, ainsi que des extraits d’Ulpien dont ce recueil est le seul témoin. Il semble que les copistes aient eu accès à un ouvrage ancien de droit romain199 qui pourrait provenir d’un environnement burgonde et qu’ils l’aient inséré à côté des versions plus récentes des lois barbares qui circulaient dans le monde franc. Peut-être suivaient-ils la même démarche que celle suivie pour le manuscrit K 59, Lyon, BM, 375, si ce dernier n’est pas composite. Les Notas iuris (f. 203ra) reprennent en titre le nom de notae iuris qui leur est donné dans les Étymologies d’Isidore de Séville (I, 23), qui fournit quelques exemples de ces abréviations utilisées pour transcrire des éléments du droit romain. Trois listes d’abréviations se succèdent, dont la dernière paraît incom plète200. Le manuscrit témoigne d’une étape dans la compilation de ces listes, avant leur fusion dans un même ordre alphabétique201. Une série de notes juri diques de ce type fut dédiée par Magnus, évêque de Sens (801-818) à Charle magne202, ce qui montre l’intérêt qui leur était porté. La régularité de la minuscule caroline n’empêche pas que la copie soit de qualité variable. Les pages de titre du début sont très travaillées, avec des initiales ornées sur toute la surface (f. 1, 4). Le reste du Bréviaire d’Alaric porte des titres plus sobres (f. 103ra, 203r), tandis qu’un titre courant a été ajouté au ixe siècle au droit de chaque feuillet203. Le texte du Bréviaire d’Alaric a été plusieurs fois retravaillé : il comporte des gloses204, des corrections, grattages et ajouts (par exemple f. 56rb, 58ra, 72va, etc.). Les notas aussi furent corrigées (f. 204vb). Un titre courant ou les titres des lois manquent en revanche dans la deuxième partie du manuscrit : les espaces qui leur ont été réservés sont restés vides aux f. 212ra, 232vb, 233, 242ra, etc. Les chapitres de la Loi des Alamans ne portent plus de numéros à partir du verso du feuillet 267. Le volume devenait ainsi très peu pratique. Il semble ne pas avoir été achevé et nul ne le compléta pour permettre d’en utiliser la deuxième partie. La copie des lois barbares semble avoir été l’objet de peu d’attention et seule la Loi des Alamans porte quelques corrections. La liste des chapitres de la Lex Ribuaria oublie un chapitre LXVIIII (f. 233v), tandis que le texte ajoute,
198 Constitution XVIII, f. 232ra. Voir Leges Burgundionum, von Salis éd., p. 15 et 118. 199 Aux arguments paléographiques présentés par Kaiser « Rezensionsmiszelle », p. 596 en ce sens, on peut ajouter le caractère singulier de ces textes, qui les distingue des autres textes de lois du manuscrit, très répandus. 200 Ces listes ont été éditées par Mommsen, « Notarum laterculi ». Voir les manuscrits proches dans Kaiser, « Rezensionsmiszelle », p. 576-577. 201 Codoñer. « Posibles sistemas ». 202 Mommsen, « Notarum laterculi », p. 285-306. 203 Kaiser, « Rezensionsmiszelle », p. 573. 204 Celles-ci sont proches du groupe des manuscrits détaillés supra dans le chapitre 6, à savoir E 12, Paris, BnF, latin 4409, Vatican, BAV, Reg. lat. 1048, D 7, Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136 et Paris, BnF, NAL 1631. Voir Kaiser, « Rezensionsmiszelle », p. 572.
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sans numérotation, un 91e chapitre non annoncé (f. 241v). Pour la loi salique apparaissent des oublis (le § 4 du chapitre IX, f. 244rb, les titre des ch. XXX, f. 248rb, LVIII, f. 255rb, LVIIII et LX, f. 255va, les § 3 et 4 du ch. LV, f. 254vb), des interversions (les § 2 et 3 du ch. XVIIII, f. 246rb-247va) et surtout de nombreuses erreurs dans les montants des amendes, par exemple : -
ch. XVI, § 3 : la composition est de 2500 deniers qui font 62,5 sous, et non 60 sous, f. 246ra ; ch. XVIIII, § 2, la composition est de 600 deniers qui font 15 sous, non 500 deniers, f. 246va ; ch. XXVIIII, § 32, la composition est de 600 deniers qui font 15 sous, non 45, f. 248rb ; ch. XXXI, § 2, la composition est de 1800 deniers qui font 45 sous, non 1500, § 5 de 1200 deniers qui font 30 sous, non 2200, f. 249ra, etc.
Aucun de ces oublis et aucune erreur de chiffres n’ont été corrigés au haut Moyen Âge. Si quelques titres semblent avoir été complétés à l’époque moderne, le recueil ne comporte aucune marque d’usage. Seul le droit romain pouvait facilement y être consulté. La copie de la Loi salique comportait trop d’erreurs non corrigées pour avoir servi à déterminer des montants d’amende. Elle semble davantage avoir correspondu à une ambition idéologique – copier un volume comportant les lois du monde franc antérieures aux capitulaires – qu’à un besoin pratique ; l’application et l’intérêt des copistes ont faibli au fur et à mesure de l’avancée de leur travail. La faible qualité du texte, malgré l’ambition du volume, rejoint ici celle du manuscrit K 27, Paris, BnF, NAL 204. K 19, Sankt Paul im Lavanttal, Archiv des Benediktinerstiftes, 4/1 Le manuscrit K 19, Sankt Paul im Lavanttal, Stiftsbibliothek, 4/1, apparaît comme pionnier dans l’émergence d’un nouveau type de recueils juridiques, les Libri legum, illustrés peu après lui par la compilation de Loup de Ferrières. Il a été composé par étapes en Italie du Nord, entre 816-818/9 et 825205. Si son format reste moyen (un espace d’écriture de 220-230 × 155 mm pour 24 à 26 lignes, sur une ou deux colonnes), ses 184 folios lui permettent de rassembler toutes les législations du monde franc : Loi Ripuaire, Loi salique, Loi des Bavarois, Loi des Alamans, Epitome Aegidii, Liber Constitutionum burgonde et quelques capitulaires carolingiens206. Dans un contexte italien caractérisé par la pluralité des régimes juridiques, il s’agissait de les ajouter à la législation des rois lombards, évoquée par un texte du roi Liutprand. Le laïc et la femme représentés sur la première page (f. 1v) ont été assimilés à Bernard d’Italie et à l’Église par H. Mordek207. Mais il plus convaincant d’y voir 205 Bischoff, Katalog III, p. 342, no 5934. Mordek, Bibliotheca, p. 685-695. 206 Coma Fort, Codex, p. 314. 207 Mordek, « Frühmittelalterliche Gesetzgeber », p. 1005-1018.
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un comte et son épouse (S. Esders208), suivant la logique d’autres manuscrits qui portent l’image du destinataire de l’ouvrage209. Néanmoins, l’espace où aurait pu être évoqué un souverain, ou copié un préambule (f. 2) a été laissé vide, et le capitulaire de Mantoue de 813 publié par Bernard d’Italie commence ici abrupte ment, par Placuit primis omnium… (f. 3ra). Ni les capitulaires copiés au début (f. 3ra-f. 6va), ni la Loi ripuaire B (f. 6vb-26vb), la Loi salique K (f. 27ra-57ra), et la Loi des Bavarois E (f. 57va-93va), ne comportent l’évocation d’un souverain. Les lois sont copiées de façon uniforme, sans prologue, avec une liste des chapitres suivie du texte. Seul le prologue de la loi des Alamans B (f. 93va-116va) évoque « l’époque du roi Clotaire210 ». La mention de l’autorité législatrice se poursuit avec l’Epitome Aegidii (f. 116vb-134rb) qui évoque Théodose et un « roi Sala ric211 » et le Liber Constitutionum (f. 135ra-153v) qui rappelle le règne de Sigis mond212. La collection de capitulaires en 92 chapitres (f. 154r-164v) mentionne des souverains, piosissimo domno nostro213, domnus rex214, mais pas leur nom. La collection peut ainsi reprendre des chapitres des capitulaires de Charlemagne et Pépin d’Italie, aussi bien que du roi Liutprand215. Leur autorité est volontairement rendue atemporelle et cette imprécision renforce la continuité de l’autorité royale, des premiers royaumes post-romains jusqu’à l’époque carolingienne. Ce n’est que dans les capitulaires ajoutés au recueil original que furent conservés des préambules évoquant parfois un empereur : Karulus, (f. 165ra) dans les premiers ajouts (f. 165ra-f. 169rb), Ludoico (f. 169va) dans les capitulaires de Louis le Pieux copiés dans un deuxième temps (f. 169va-f. 180). Malgré la maîtrise formelle de l’ensemble, la copie de la loi salique version K est fautive. Ainsi, la liste des titres, f. 27, invente un chapitre XVI De eo qui uillam alienam expoliauerit, en mélangeant deux titres de chapitre. La numérotation est donc décalée, jusqu’à l’oubli du chapitre XVIIII De uulneris, qui permet de présenter une liste en 70 chapitres. Le chapitre XXVII a été ajouté entre deux lignes (f. 27). Le peu d’attention prêtée à la copie se voit dans l’ensemble du texte : les demi-sous sont systématiquement arrondis ou oubliés dans les montants des amendes. Les oublis et les erreurs apparaissent dès le deuxième chapitre : le § 3 du ch. II a été oublié (f. 27v), les montants sont erronés (ch. II, § 13 et § 16, f. 29). Ce type de confusion est constant dans le texte. Ainsi, aux folios 39v et 40, les montants des amendes sont erronés pour les chapitres XXX, § 2 et XXXI, § 3, 4, 18 et 19, etc. Le titre LII a été mis devant le chapitre LIII et ce dernier numéro ne fut pas utilisé (f. 51v).
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Esders, « Deux libri legum ». Bougard, « le livre ». K 19, Sankt Paul im Lavanttal, Stiftsbibliothek, 4/1, f. 95vb : temporibus Hlotari regis. Ibid., f. 116vb : Salarici regis. Ibid., f. 136rb : anno secundo regni domni gloriosissimi Segimundis regis. Ibid., f. 154ra. Ibid., f. 157va. Sa notice de 733 est reprise f. 162rab-164ra, sans mise en valeur distinctive.
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L’ensemble ne montre ni marque d’usage, ni de correction, comme tous les autres textes de loi de ce manuscrit. Une annotation n’apparaît dans la marge que pour la collection finale : De conspirati216 (f. 160) et les capitulaires ajoutés (f. 171ra : passage sur les garants pour un don à l’Église souligné). L’ensemble du recueil propose la somme des législations valables dans le royaume franc, dans un sens plus démonstratif que pratique, sauf pour les capitulaires : ainsi, la copie de l’Epitome Aegidii, initialement composée comme complément au Bréviaire, est ici seule et s’arrête sans explication au début du livre V. Peut-être le copiste s’investit-il plus particulièrement dans l’ornementation du manuscrit, car il pouvait être davantage destiné à être vu qu’à être lu (Ill. 8.8). La collection juridique initialement copiée ne comprend ainsi aucune évoca tion de l’autorité législatrice liée aux souverains contemporains. Elle se présente comme une collection encyclopédique des différents héritages juridiques du monde franc, sans jamais revenir sur les circonstances de leur formation. L’action du copiste se limite à la présentation claire de cet héritage, figé et atemporel. Il peut éventuellement être complété, en fonction de la législation contemporaine, mais celle-ci est bien présentée à part, dans une perspective impériale qu’illustre la titulature du capitulare Italicum de 801 : Karulus diuino coronatus Romanum regens inperium serenissimus augus[tus] (f. 165ra). C’est une conception nouvelle du livre de référence qui est ici illustrée : il semble davantage fait pour être vu, ou feuilleté, que lu et utilisé. Les capitulaires complémentaires étant adressés au comte, S. Esders considère qu’il servait au détenteur de cet office217. Or les noms des 174 individus ayant juré qui fut copiée à la fin du volume indiquent une origine émilienne, entre Plaisance et Bologne, dans les années 840-850, où cette liste aurait pu être dressée pour constituer l’armée que les comtes Autramn de Modène et Wilfrid de Plaisance devaient mener au combat en 847-848. Le livre aurait donc été concrètement utilisé dans la constitution d’une armée au service du souverain carolingien et symbolisait le pouvoir impérial. Il ne montre aucun signe direct de son origine, qui est déduite seulement ici à partir de la forme particulière du capitulaire de 813. Comme le dit S. Esders, ce type de recueils correspond à « la singularité de l’Italie en tant que société juridiquement pluraliste administrée par une élite de fonctionnaires ethniquement hétérogènes218 ». Ce type de livre rapportait à égalité tous les droits produits dans le passé, par les souverains de différentes dynasties, avant que l’ensemble ne soit repris sous l’égide de l’empereur, dont les capitulaires prolongent, et non abolissent, la législation antérieure. Il était fait pour montrer le droit ancien des élites franques, mais ne servait pas, apparemment, à appliquer la justice.
216 Mordek, Bibliotheca, p. 689 note qu’elle devrait se trouver face au § 10 du deuxième capitulaire de Thionville, copié à la page précédente. Mais la note marque néanmoins la bonne ouverture du recueil manuscrit sur ce sujet, pour la retrouver en le feuilletant. 217 Esders, « Deux libri ». 218 Ibid., p. 84.
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Illustration 8.8 : K 19, Sankt Paul im Lavanttal, Archiv des Benediktinerstiftes, 4/1 : Début du texte de la loi salique, f. 28.
Comme les manuscrits K 27 et K 71, autres manuscrits de grand format com portant la loi salique copiés dans la première moitié du ixe siècle, ce manuscrit a été attribué par B. Bischoff à un scriptorium des lois, dépendant de la cour, qui aurait été situé à Tours. K. Ubl a montré qu’il n’existait pas de critères paléogra phiques donnant une unité à cet ensemble, et que ces ouvrages ne comportaient
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pas les caractéristiques du scriptorium de Tours219. Th. Faulkner a révélé par son étude des textes qu’ils comportaient qu’ils ne correspondaient pas à un groupe de textes particuliers ou cohérents220. Il semble bien que ce soit l’impression générale produite par la qualité graphique de ces manuscrits des lois qui a pu aboutir, chez B. Bischoff, H. Mordek et R. McKitterick, a l’idée d’un scriptorium des lois, mal gré l’absence d’unité textuelle ou paléographique de ce groupe. Néanmoins, notre étude vient souligner que la recherche formelle qui les caractérise ne correspond nullement à la recherche de l’exactitude du texte copié, particulièrement mauvaise pour la Loi salique dans les manuscrits K 27, K 73 et K 19. Les manuscrits de grand format, sauf K 71, portent des versions K de la Loi salique particulièrement fautives, avec des oublis ou des doublons d’articles, et surtout des montants d’amende faux, qui n’ont pas été corrigés alors qu’il n’est pas besoin d’un modèle pour relever et corriger les erreurs. Ces textes de la Loi salique étaient donc copiés pour impressionner les lecteurs éventuels, comme ce fut le cas chez les spécialistes de la seconde moitié du xxe siècle, et non pour transmettre un texte de qualité ni pour fournir un support à la pratique, car ils sont inutilisables en l’état. Un manuscrit composite ?
K 50, Lyon, bibliothèque municipale, 375, f. 126-129v Dans sa description du manuscrit, J. M. Coma Fort affirme qu’il est composite et, suivant les remarques de D. Liebs221 que la loi salique (f. 126r-129v) qui y suit l’Epitome de Lyon a été ajoutée à partir d’un manuscrit du xie siècle222. En revanche, B. Bischoff a daté l’ensemble du manuscrit vers le deuxième quart du ixe siècle223 : il relève que la copie est l’œuvre de plusieurs mains, mais il y reconnait « souvent la forme du a caractéristique de Lyon entre l’époque de Leidrade (jusqu’à 814) et après Leidrade (cc sans la petite tête du premier arc), qui au milieu du siècle fut remplacée par le a ouvert en deux parties224 » P. Ganivet considère quant à lui que le manuscrit comporte des signes caractéristiques de l’écriture lyonnaise du second quart du ixe siècle, mais que la partie finale, copiée dans la première moitié du ixe siècle, provient d’un autre manuscrit225.
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Ubl, « Gab ». Faulkner, Law, p. 193 et suivantes. Liebs, Römische Jurisprudenz, p. 112. Coma Fort, Codex, p. 137. Bischoff, Katalog II, p. 137, no 2547. Ibid. : « häufig die für die Leidrad-Zeit (bis 814) und Nach-Leidrad-Zeit in Lyon charakteris tische a-Form (cc ohne Köpfchen des 1. Bogens), die gegen die Mitte des Jhs. von dem offenen 2-sp. a abgelöst wird ». 225 Ganivet, « L’“épitomé” », p. 285.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
Le recueil ne comporte plus que 131 feuillets, numérotés 129 en raison d’un folio 16 bis et 20 bis pour un espace d’écriture de 245 × 138 mm pour 37 à 38 lignes. Le Bréviaire d’Alaric a perdu de nombreux feuillets au début – il manque les deux premiers livres et une partie du livre III des résumés du Code Théodosien – mais aussi au milieu, ce qui entraîne l’absence totale du Liber Gai, et à la fin, où la copie s’interrompt au milieu des Sentences de Paul. La reliure avec les quatre derniers feuillets comportant la Loi salique est donc postérieure à ces pertes, mais antérieure à son altération, car l’ensemble du recueil a été très abîmé, probable ment par un incendie. Il manque pour la partie finale, à laquelle appartient la loi salique, le tiers extérieur des feuillets, sauf pour les dernières lignes. Malgré cette dégradation, il est possible de repérer que le texte de la loi salique, version K, s’y trouvait en 70 chapitres, sans prologue, ainsi que l’indique la liste des titres sur trois colonnes (f. 126). Une telle disposition n’avait pas été utilisée dans le reste du manuscrit, mais on repère la même pratique des rubriques, avec des titres et un nombre de lignes semblables (37 lignes par pages en moyenne). La différence principale entre la partie du droit romain et celle de la loi salique tient à l’utilisation de la surface de la page. Pour le droit romain, le texte était copié sur une seule colonne large, au centre, ce qui permettait de placer des renvois marginaux alignés sur deux colonnes différentes, à gauche et à droite du texte. Ces différents ajouts ont été étudiés avec beaucoup d’attention depuis le xixe siècle et G. Haenel les a édités sous le nom d’Epitome Lugdunensis226. Ce nom est trompeur, car les explications qui ac compagnent le Bréviaire – un exposé historique (f. 78v), des résumés commentant la liste des chapitres et le commentaire de chaque constitution – ont vocation à ac compagner et éclairer le Bréviaire, non à le remplacer227. P. Ganivet en a étudié les formulations dans le détail et démontré que, même si les auteurs des différentes parties peuvent être différents, ils ont participé à un projet cohérent, élaboré entre 534 et 620, probablement dans la vallée du Rhône, voire à Lyon, pour enseigner l’usage du Bréviaire228. Les copistes carolingiens ont repéré l’importance de ce travail et l’ont recopié de façon attentive en complément du Bréviaire. Au contraire, le texte de la loi salique a été copié sur presque toute la largeur des pages, pour autant que leur destruction nous permette d’en juger. Sur ces feuillets, l’espace était économisé en ne pratiquant pas de retour à la ligne pour chaque article. Le S initial rubriqué permettait de séparer les différents paragraphes, mais rendait cet exemplaire peu maniable. L’objectif du copiste était tout à fait différent de la reprise du droit romain, où le Bréviaire est enrichi dans le corps du texte et dans les marges d’une manière originale. La loi salique n’est conservée que jusqu’au chapitre XXXV, § 4 mais cette première moitié permet de voir que le texte était conforme à ceux copiés à la même époque. Il comportait 226 Haenel éd., Lex Romana Visigothorum, p. XXVIII-XXIX. Liebs, Römische Jurizprudenz, p. 184-190 et 217-220. 227 Coma Fort, Codex, p. 300-302. 228 Ganivet, « L’“épitomé” ».
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quelques erreurs : au chapitre XII, § 5 l’amende de 1800 deniers, soit 45 sous, est devenue une amende de 600 deniers, soit 15 sous (f. 127v), dont la cohérence nu mérique a néanmoins été conservée, et dans le chapitre XXIIII, le 4e paragraphe a été oublié. Néanmoins, la copie n’a pas été négligée : on y aperçoit une correction (f. 129) et un renvoi sur la même page permettait probablement d’ajouter le § 27 qui fait défaut dans le chapitre XXVIIII. Il est donc difficile de trancher pour savoir si le Bréviaire d’Alaric et la Loi salique aujourd’hui rassemblés dans le manuscrit K 50 ont fait partie du même projet de copie. Ils ont été probablement été copiés à la même époque, peut-être dans le même scriptorium, et il était courant d’associer dans un manuscrit ces deux bases légales du monde franc. Qu’il soit ou non composite, la logique du recueil manuscrit nous échappe, en raison des pertes et des altérations. Nous ignorons s’il comportait d’autres lois, voire une introduction générale. Pour ce qui est de la copie de la loi salique, son aspect ramassé et son manque de lisibilité la rapprochent de recueils juridiques qui comportaient aussi bien le Bréviaire d’Alaric que de nombreuses lois barbares. Bilan
Nous avons conservé 19 manuscrits ou fragments de manuscrit de la loi salique version K copiés après 814, dans la première moitié du ixe siècle. Sur cet ensemble, un seul manuscrit, K 46, ajoute à la loi salique le prologue de la version D (f. 41-v) et un seul autre, K 26 celui de la version E (f. 1v-2). L’hypo thèse de K. Ubl, qui considérait que cet ajout avait souvent lieu dès l’époque de Charlemagne est donc mal fondée229 : les manuscrits qu’il met pour cela en avant, K 33, BnF, latin 10758, K 65, K 66 et K 67, permettent au contraire de souligner le rôle important joué dans la transmission et la réception de la loi salique par le premier manuscrit, composé à Reims sous l’influence d’Hincmar, qui associe les prologues long et court à la version K de la loi230. Cette recomposition d’éléments auparavant indépendants, comme les deux prologues et l’épilogue, gomme la diversité de la transmission manuscrite antérieure, jusqu’à mentionner six rédacteurs de la loi salique… Les manuscrits tardifs K 65 (Bonn, Universitätsund Landesbibliothek, S 402, xiie siècle), K 66 (Vatican, BAV, Reg. lat. 1036, xve siècle) et K 74 (Vatican, BAV, Ottob. lat. 3081, f. 99-104, xve siècle) en sont les héritiers lointains. Le manuscrit K 17 (Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss, lat. Q. 119) avait peut-être un modèle de la première moitié du ixe siècle, mais son désir de synthèse de multiples traditions antérieures de la loi salique, le place à part, comme nous le reverrons infra. L’attitude de ces copistes diffère radicalement de celle de ceux de la version K qui travaillaient avant 850 : 15 fois sur 18, ils ont négligé de préciser tout contexte d’élaboration de la loi salique. Articuler
229 Ubl, Sinnstiftungen, p. 191 et 231. 230 Voir supra, chapitre 4, II.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
la rédaction de la loi salique avec la glorification des Francs et de leurs rois ne paraissait alors pas nécessaire. Le prologue long tiré des versions D ou E, ou le prologue complet tiré de la version C constituent des compléments tardifs à la version K et ne sont devenus courants qu’après 850, contrairement à ce que sous-entend l’édition de K. A. Eckhardt et sa mise en page231. Par rapport aux manuscrits copiés à l’époque de Charlemagne, on constate tout d’abord une rupture dans la transmission manuscrite. Seul le manuscrit de Nuremberg, K 61 (Nürnberg, Stadtbibliothek, Cent. V, App. 96) apparaît comme la reprise d’un recueil constitué à l’époque de Charlemagne et reproduit, outre quelques-uns de ses capitulaires, un 71e chapitre. On peut donc considérer qu’il y a dès le départ deux textes de référence disponibles : un qui circulait avec les capitulaires de Charlemagne et dont la fin était floue, un autre en 70 chapitres, dont la fin était sans ambiguïté et dont descendent 18 manuscrits sur les 21 de la version K copiés avant le milieu du ixe siècle. Par ailleurs, il est frappant de constater que les manuscrits de la première moitié du ixe siècle ne sont pas des copies les uns des autres. Les mêmes logiques peuvent se dessiner quant au choix des textes copiés avec la loi salique, que le classement présenté ci-dessus essaie de faire ressortir. Pour autant, l’ordre ou le choix des versions des textes varie d’un manuscrit à l’autre. Il semble donc que les recueils aient été composés à chaque fois pour une demande particulière, à laquelle ils se sont adaptés232. Il n’y a donc pas lieu de rechercher un scriptorium particulier pour une production en série, comme cela a été le cas avec l’hypothèse d’un « scriptorium des lois » à Tours. Les recueils présentés à l’appui de cette hy pothèse ne présentent aucune particularité : leurs copistes ont repris et réorganisé des éléments qui circulaient dans l’ensemble du monde carolingien. L’étude qui précède permet de confirmer, dans un autre sens, cette démons tration. Les recueils comportant la loi salique ont été recomposés de façon spé cifique, en sélectionnant des textes qui circulaient dans tout l’empire et en les associant selon les besoins des différents destinataires. Il est donc impossible de repérer un seul lieu de diffusion ni un seul modèle de composition. Il est notable que les rares manuscrits associés à Tours se caractérisent par une qualité de copie très variable. Deux sur les trois, K 27 et K 19, se démarquent par la médiocrité de leur texte : l’effet recherché était essentiellement graphique. Le décalage entre eux, et l’existence d’une copie de la version E de la loi salique à Tours233, montrent que dans un même scriptorium, dans la première moitié du ixe siècle, les copistes pouvaient faire des choix divers, en rapport avec la demande particulière à laquelle ils répondaient. Le texte de la loi salique est long, empli de redondance et de chiffres romains. Une copie sans erreur n’est possible qu’au prix d’une attention soutenue, associée à une relecture scrupuleuse. Des traces de ce travail apparaissent dans tous les 231 Eckhardt, Pactus, 1962, p. 2-3. 232 Dans le même sens, Ubl, Sinnstiftungen, p. 243. 233 E 13, Warsawa, Biblioteka Uniwersytecka I.
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manuscrits sauf deux, K 73 et K 19. Il eut lieu mais fut bâclé pour le manuscrit K 27. Dans tous les autres manuscrits, soit 15 sur les 18 où cela est observable, le texte de la loi a été corrigé de manière à être utilisable. Les traces de correction sont systématiques dans les manuscrits de petit format, qui tiennent dans la main. C’est bien cette catégorie de livres qui est à l’origine de la haute qualité du texte de la loi salique diffusé dans le monde carolingien. K. Ubl a relevé qu’un tiers des 44 manuscrits copiés au ixe siècle qu’il a étudiés comportaient des traces de correction234. La proportion est ici bien plus élevée et souligne le rôle fondamental du premier tiers du ixe siècle dans la diffusion d’un texte de référence stable. Nous pouvons donc discerner trois grands types de manuscrits de la loi salique copiés au ixe siècle, qui permettent une argumentation plus fine quant à son application et à sa diffusion235. La catégorie la plus représentée est celle des manuscrits de petit format, qui tiennent dans la main, qui ne comportent en général qu’un seul texte de loi. La copie y a été scrupuleuse et corrigée, elle semble présentée dans un but pratique, qui laisse penser que ces volumes étaient faits pour accompagner les juges dans leurs déplacements et les aider dans leurs jugements. Une catégorie intermédiaire est celle de manuscrits de format petit (K 18 et K 46) ou moyen (K 26). Le côté pratique se retrouve dans un texte de bonne qualité et des marques d’usage, mais on a ajouté à la loi une présentation de ses origines. Ce souci nouveau de la présentation d’un contexte d’origine de la législation n’empêchait pas ces volumes de servir à la mise en œuvre du droit. Le dernier groupe est celui de manuscrits d’apparat, de moyen et grand format, dont l’écriture, les titres et la décoration ont fait l’objet d’une importante recherche formelle. Le texte copié peut être bon (K 71) mais il est plus souvent franchement mauvais (K 27, K 73 et K 19), car le but était d’impressionner ceux qui pouvaient voir le manuscrit ou éventuellement le feuilleter avant de jurer sur lui (comme le montre la liste de K 19), mais certainement pas l’utiliser pour élaborer un jugement. Ces manuscrits mettaient en scène le pouvoir impérial, mais ne pouvaient servir concrètement à l’application du droit car le texte copié, notamment le montant des amendes, comportait trop d’erreurs. L’étude des manuscrits de la loi salique copiés sous Charlemagne et sous Louis le Pieux se conclut donc par l’idée d’un fonctionnement polycentrique de la Renaissance carolingienne. Si le pouvoir central et le palais ont joué un rôle décisif dans l’impulsion de la recherche d’une écriture de référence, la circulation des hommes et des manuscrits, l’exigence d’un recours systématique à une loi écrite, ces principes généraux ont été déclinés de façon singulière. Les aristocrates laïcs et ecclésiastiques semblent avoir demandé des copies personnelles des textes juridiques de référence, principalement la loi salique, associés en fonction de leurs
234 Ubl, Sinnstiftungen, p. 237. 235 Ubl présente les éléments du débat Ibid., p. 24-29.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
besoins propres, liés à leurs possessions et à leurs charges. Ce sont ces livres de petit format qui, par leur nombre et le soin apporté à la correction des textes de loi, ont permis, pour la version K, la diffusion d’un texte de référence applicable. Cette demande et cette diffusion sont bien distinctes des recueils qui mettent en scène l’autorité impériale, y compris en direction de l’Italie, qui se contentent de rassembler le maximum de textes de lois divers et de les présenter, sans se préoccuper de l’exactitude des textes copiés, ni de leur éventuel usage. De tels manuscrits sont peu nombreux, quatre seulement pour la version K dans la première moitié du ixe siècle, et ils n’ont pu servir de référence par la suite, même si leur beauté formelle a pu mener quelques spécialistes à leur supposer un rôle central dans les réformes juridiques carolingiennes.
La baisse de la diversité des versions de la Loi salique Les manuscrits des versions minoritaires copiés après 814
Vingt et un manuscrits, soit un tiers de ceux qui contiennent la loi salique K, peuvent être rapportés aux règnes de Charlemagne et de Louis le Pieux. Ce nombre doit être comparé avec celui des manuscrits copiés à la même époque, mais qui reprennent une version plus ancienne de la loi, A, C et D, soit neuf manuscrits (en intégrant K 17), dont cinq pour le règne de Charlemagne et quatre pour celui de Louis le Pieux. La version E, plus claire et mieux contrôlée, est copiée une fois sous Charlemagne, trois fois sous Louis le Pieux ; elle est la seule version minoritaire encore copiée deux fois après 850 (Tableau 8.3). Nous pouvons ainsi apporter des arguments complémentaires à ceux qui ont été avancés contre l’existence d’un scriptorium des lois : d’un règne à l’autre, le nombre de manuscrits a considérablement augmenté, mais sa diversité n’a pas cessé. Ce n’est que dans la seconde moitié du ixe siècle que le nombre de manuscrits des versions minoritaires chute brutalement, alors que continue la production d’exemplaires de la version K. Dans la première moitié du ixe siècle, on compte 19 manuscrits de la version K pour 7 de versions minoritaires ; après 850, 21 de la version K pour 3 de versions minoritaires. Le triomphe de la version K sur les autres versions de la loi salique ne remonte donc qu’au milieu du ixe siècle. La deuxième version de la loi salique élaborée sous Charlemagne ne semble pas devoir sa prééminence au travail de copie effectué sous ce souverain, mais bien à l’époque de son fils et de ses petits-fils. Nous avons ici une nouvelle piste pour interpréter le jugement négatif d’Éginhard sur ses réformes législatives236. Le témoignage d’Éginhard peut s’appuyer sur des
236 Éginhard, Vie de Charlemagne, c. 29, éd. et trad. Sot et Veyrard-Cosme, p. 66-67. Commenté dans Ubl, Leges-Reform, n. 7, p. 75-76.
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chapiTre 8 Tableau 8.3 : Manuscrits de versions minoritaires de la loi salique copiés après 814
Manuscrits probablement copiés entre 814 et 840 E 11
Vatican, BAV, Reg. lat. 846
1er quart du ixe s.
A 4
Paris, BnF, latin 9653
après 818
D 8
Paris, BnF, latin 4627
peu après 818
D 7
Montpellier, Bibliothèque universitaire Historique de Médecine, H 136
après 818, 1er tiers du ixe s.
E 14
St Gallen, Stiftsbibliothek, 729
1er/2e quart ixe s.
E 13
Warsawa, Biblioteka Uniwersytecka I
1er/2e quart ixe s.
C 6
Paris, BnF, latin 18237
après 823, 2e quart ixe s.
Manuscrits probablement copiés dans la seconde moitié du ixe siècle K/C 39
Paris, Bnf, latin 4632
Milieu, 2e moitié du ixe s.
K/A 17
Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119
4e quart du ixe s.
E 12
Paris, BnF, latin 4409
fin du ixe siècle
e
Probablement copiés au x siècle E 16
Berlin, SBPK, Phill. 1736
2e moitié xe siècle
éléments objectifs : du point de vue des manuscrits, l’apport de Charlemagne est restreint à la diffusion d’un texte quasiment stable de la loi salique, mais qui restait flottant pour les derniers chapitres, 71 et 72. La tentative de réformer ou d’amen der la Lex Ribuaria fut un échec, car la liste des chapitres et le texte de la loi sont restés instables d’un manuscrit à l’autre et incohérents entre eux237. Les capitu laires d’ajouts aux lois furent recopiés dans de nombreux manuscrits, mais sans lien direct avec les lois préexistantes238. Mais la remarque d’Éginhard peut aussi être mise en relation avec son désir de jouer un rôle à la cour et d’exprimer son propre avis sur les débats qui s’y déroulaient239. Certains, comme Audgarius, prétendaient écrire de nouvelles versions inspirées de la loi salique, tandis que la majorité des copistes concevait leur rôle comme celui de la duplication scrupuleuse de modèles préexistants. Nous avons vu qu’un texte composé en 819, les Capitula legi salicae addita, montre la conscience, pour un érudit de cette époque, de la possibilité de créer une élaboration continue de la loi, en amendant les écrits préexistants. Mais
237 Lex Ribuaria, éd. Beyerle et Buchner. 238 Voir supra, chapitre 5. 239 Pour l’interprétation de la Vita Karoli comme une démonstration du savoir-faire rhétorique d’Eginhard, dans le contexte d’une concurrence curiale exacerbée, voir Patzold, « Einhards ».
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
le caractère probablement officieux du texte reflète le côté minoritaire de telles réflexions, qui ne s’inscrivirent jamais dans le programme de gouvernement carolingien. Les manuscrits révèlent des positionnements variés face à la diversité de l’héritage juridique franc au début du ixe siècle, mais pas de volonté royale de son effacement. Les objectifs poursuivis par Charlemagne selon Éginhard, à savoir « ajouter », « unifier », « corriger » les lois franques sont atteints par les versions E, K et A 1 produites sous son règne. Il n’y eut donc pas d’échec de sa politique, mais Éginhard constate qu’elle n’a pas été plus ambitieuse. Les manuscrits de la version K dans la seconde moitié du ixe siècle
L’attention dont bénéficia la loi salique au ixe siècle, avec 50 manuscrits conservés, peut être mise en relation avec l’importance renouvelée accordée à la loi écrite. Pour Y. Sassier, « un véritable intérêt à l’égard du concept de loi » apparaît dans le royaume occidental à partir du règne de Charles le Chauve et ne cessa pas jusqu’au xie siècle240. Les manuscrits de la loi salique incitent plutôt à placer les débuts de cet intérêt dès le règne de Louis le Pieux, car la production de manuscrits de lois comportant la loi salique fut constante au cours du ixe siècle : 26 manuscrits, en comptant les versions minoritaires dans la première moitié, 24 dans la seconde. Alors qu’il existait encore en usage de nombreux manuscrits copiés dans le demi-siècle précédent, ces copies montrent le désir de rendre ces textes accessibles à tous, partout dans l’empire. Au ixe siècle, la base de la diffusion de la loi salique reposait sur les manuscrits de petite taille, qui peuvent tenir dans la main et comportent un nombre réduit de lois, le plus souvent une ou deux, souvent accompagnés de quelques capitulaires. Huit manuscrits de ce type conservés furent copiés dans la seconde moitié du siècle. Mais leur proportion s’amenuise face aux manuscrits de taille moyenne qui permettent de conserver des collections de loi plus imposantes, dont une partie ne trouvait probablement pas d’usage courant : huit manuscrits aussi sont conservés pour la seconde moitié du ixe siècle. Enfin, le nombre des manuscrits impressionnants par leur taille et leur mise en forme reste important, avec cinq exemplaires. Le lien entre ce type de livres illustrant le pouvoir impérial et la domination carolingienne en Italie reste prédominant. La proportion des manuscrits insérant un prologue avant la loi salique version K a aussi un peu augmenté : dans la seconde moitié du ixe siècle, le prologue D est utilisé pour K 20 et K 49, le prologue E pour K 17, les prologues long et court, comme dans la version C, pour K 33 et K 72 ; une datation apparaît aussi pour K 20 et K 33. Il n’y eut donc pas d’élimination progressive du prologue long, mais au contraire l’ajout, à partir des autres versions, d’une introduction à la version K. Son absence pouvait être ressentie comme un manque dans les recueils, car la
240 Sassier, « Le roi », p. 258.
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plupart des autres lois en bénéficiaient, comme celle des Alamans, des Ripuaire et des Bavarois et les recueils les présentaient de façon uniforme. Ainsi, dans le manuscrit K 21, le prologue de la loi des Bavarois a été ajouté dans un deuxième temps à la collection des deux lois des Francs et de la loi des Alamans pour la conclure. Le recours dans les mêmes proportions aux introductions des versions C, D et E montre que ces versions étaient connues et circulaient à côté de la version K, et que l’emprunt y fut pratiqué au cas par cas. D’autres emprunts à d’autres versions de la loi salique apparaissent à cette époque, pour K 17 et K 39, mais ces innovations n’ont pas été reproduites. Ces synthèses de la tradition manuscrite ne correspondaient pas à un besoin général. Le grand nombre de manuscrits démontre qu’une seule version de la loi salique, la version K, finit par s’imposer mais plus d’un demi-siècle après son élaboration, sous une forme désormais figée. Ces manuscrits illustrent dans leur ensemble la réduction du rôle du copiste, réduit à une exécution matérielle sans intervention sur le contenu ni responsabilité d’auteur dans une synthèse originale. Néanmoins, la liberté du scribe s’exprimait ailleurs, notamment à travers la sélec tion des capitulaires dont les travaux d’Hubert Mordek ont souligné la diversité et l’inventivité. Les manuscrits K 39 et K 28 montrent la même association de la loi salique avec les capitulaires 39 et 40241, mais les autres contiennent des compo sitions ad hoc, comme pour les collections de lois. Le manuscrit K 77 glisse ainsi entre la loi salique et la loi des Alamans des articles de loi d’origine inconnue242. Certains recueils reprennent des injonctions tirées de la justice royale et de la législation religieuse, à travers des citations de la Bible ou des canons, comme K 45 et K 49. À partir de 827, la collection d’Anségise remplaça graduellement la loi salique comme le texte de base d’énoncé des normes. Si la majorité des copistes, dans la seconde moitié du ixe siècle, accepta de devenir le simple transcripteur des textes antérieurs, d’autres persévérèrent dans la fabrication de manuscrits particuliers, reposant sur la combinaison originale de versions minoritaires de la loi salique et d’autres textes de lois : nous en avons quelques exemples conservés, présentés ci-dessous (Tableau 8.4).
241 Faulkner, Law, p. 217. Dans la première moitié du ixe siècle, c’était aussi le cas du manuscrit K 38, Paris, BnF, latin 4758. 242 K 77, Ivrea, Biblioteca Capitolare, XXXIII. La loi salique, conservée ici de façon fragmentaire (f. 17-47) est suivie, après un Explicit, d’un texte (f. 47v-48) que K. A. Eckhardt a édité comme un fragment italien de la loi salique, en fait d’origine inconnue : Eckhardt, Pactus, 1957, I, 2, p. 364-373.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle Tableau 8.4 : ixe sièclei
Manuscrits de la loi salique K copiés dans la deuxième moitié du
Manuscrits de petit format, qui tiennent dans la main K 28
Paris, BnF, latin 4628ii
Milieu ou 3e quart du ixe s.
K 43
Paris, BnF, latin 4788
iii
Milieu ou 3e quart du ixe s.
K 45
Paris, BnF, latin 10754iv
Milieu ou 3e quart du ixe s.
K 30
Paris, BnF, latin 10753v
Milieu ou 2e moitié du ixe s.
vi
3e quart du ixe s.
K 42
Paris, BnF, latin 4787
K 59
Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 299vii
3e quart du ixe s.
K 20
Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 728viii
2e moitié du ixe s.
K 55
Kopenhagen, Kongelige Bibliothek, G. Kgl. Saml. 1943, 4°ix
fin du ixe s.
Collection de lois de format moyen K 47
Autun, Bibliothèque municipale, S 40x
milieu du ixe s.
K/C 39
Paris, BnF, latin 4632xi
milieu-2e moitié ixe s.
K 56
Hamburg, Staats- und Universitätsbibliothek, 141 a in scrinioxii
2e moitié du ixe s.
K 33
Paris, BnF, latin 10758xiii
entre 850 et 880 xiv
2e moitié, fin du ixe s.
K 49
Cambrai, Bibliothèque Municipale, 625
K 62
Cologny (Genève), Bibliotheca Bodmeriana, Bodmer 107xv
fin du ixe s.
K 21
Sankt Gallen, Kantonsbibliothek, Vadianische Sammlung 338xvi
dernier quart du ixe s
A/E/ K 17
Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119xvii
dernier quart du ixe s.
Collections de lois comme illustrations du pouvoir impérial K 72
Vatican, BAV, Reg. lat. 1050xviii
début 2e moitié du ixe s.
K 77
Ivrea, Biblioteca Capitolare, XXXIIIxix
2e moitié du ixe s.
K 24
Paris, BnF, latin 4418xx
2e tiers du ixe s.
K 58
Wolfenbüttel, HAB, Blankenburg 130
3e quart du ixe s.
K 25
Paris, BnF, latin 4417xxii
2e tiers ou fin du ixe s.
i
xxi
Pour tous les manuscrits, j’ai utilisé les indications du site Bibliotheca legum, supervisé par K. Ubl, qui fournit un accès simple et fiable à tous les manuscrits de loi disponibles. ii K 28, Paris, BnF, latin 4628. Espace d’écriture 176-180 × 105-110 mm, de 27 à 30 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 485-488. Bischoff, Katalog III, p. 99, no 4320. Le dernier feuillet porte l’illustration d’une ordalie par le fer rouge ou par l’eau chaude, voir Bougard, « Illustrer ». iii K 43, Paris, BnF, latin 4788. Espace d’écriture : 95-102 × 65-75 mm pour 17 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 546-549. Bischoff, Katalog III, p. 102, no 4333. La loi salique K est suivie de capitulaires et d’un sermon d’Augustin, ce qui fait supposer un propriétaire ecclésiastique.
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chapiTre 8 iv K 45, Paris, BnF, latin 10754. Espace d’écriture : 135-140 × 70-75 mm pour 17 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 585-587. Bischoff, Katalog III, p. 167, no 4656. Le manuscrit inclut comme 71e chapitre de la loi salique un chapitre du Capitulare legibus additum de 803 (f. 67-68v). Après la loi salique sont copiés des capitulaires, puis une sélection d’injonctions bibliques et canoniques, classées par thème. La complémentarité des lois civiles et chrétiennes est ici directement représentée, tout comme dans le manuscrit K 49, Cambrai, BM 625. v K 30, Paris, BnF, latin 10753. Espace d’écriture : 170-177 × 100-110 mm pour 26 à 28 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 581-585. Bischoff, Katalog III, p. 167, no 4655. La table des chapitres de la loi salique en présente 71 (f. 91v-92v), en raison de l’ajout d’un titre XLVIIII De filtortis, hoc est qualiter homo furatas res interciare debet, avant le chapitre L De intertiatis rebus. Il s’agit du titre habituellement donné à ce dernier chapitre dans le cours du texte. Le texte de la loi salique K comporte ensuite les 70 chapitres habituels (f. 93-121v). vi K 42, Paris, BnF, latin 4787. Espace d’écriture 155 × 85 mm pour 19 lignes. Bischoff, Katalog III, p. 102, no 4332. vii K 59, Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 299. Espace d’écriture : 130-135 × 85 mm pour 21 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 943-946. Bischoff, Katalog III, p. 503, no 7325. viii K 20, Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 728. Espace d’écriture : 200 × 102 mm pour 30 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 665-668. Bischoff, Katalog III, p. 332, no 5840. La loi salique est ici introduite par une datation en DCCLXXVIII (p. 108) et le prologue long de la version D. ix K 55, Kopenhagen, Kongelige Bibliothek, Gl. Kgl. Saml. 1943, 4°. Espace d’écriture : 175-180 × 105-110 mm, pour 27 lignes sur deux colonnes. Bischoff, Katalog I, p. 412, no 1985. Mordek, Bibliotheca, p. 192-195. x K 47, Autun, Bibliothèque municipale, S 40, f. 60-99. Espace d’écriture : 160-167 × 110-123 mm pour 22 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 1043. B. Bischoff, Katalog I, p. 39, no 166. Description par Lanoë, dans Maître dir., Catalogue, p. 134-138. Le manuscrit se limitait initialement à la loi salique et la loi des Alamans. Les rubriques y manquent. xi K/C 39, Paris, BnF, latin 4632. Espace d’écriture 200 × 125 mm pour 28 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 516-518. Contamination par la version C, voir supra. xii K 56, Hamburg, Staats- und Universitätsbibliothek, 141 a in scrinio. Espace d’écriture : 190 × 120-140 mm pour 22 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 153-157. Bischoff, Katalog I, p. 311, no 1495. xiii K 33, Paris, BnF, latin 10758. Espace d’écriture : 185-190 × 130-140 mm pour 24, 25 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 587-605. Bischoff, Katalog III, p. 168, no 4659. La loi salique K est accompagnée des prologues long et court, d’une datation radiée, du décret de Childebert, de l’épilogue et d’une liste de rois, voir supra et Ubl, Sinnstiftungen, p. 235-235. xiv K 49, Cambrai, Bibliothèque municipale, 625. Espace d’écriture : 265-295 × 180-210 mm, deux colonnes de 37 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 93-94. Bischoff, Katalog I, p. 177, no 805. Un florilège de canons et décrétales précède des capitulaires et la loi salique. Cette dernière est ici introduite par le prologue long de la version D. xv K 62, Cologny (Genève), Bibliotheca Bodmeriana, Bodmer 107. Espace d’écriture : 170 × 120-125 mm, pour 22 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 113-118, dont je retiens la datation. Bischoff, Katalog I, p. 207-208, no 962 avance plutôt le deuxième quart du ixe siècle. xvi K 21, Sankt Gallen, Kantonsbibliothek, Vadianische Sammlung 338. Taille : 275/280 × 185 mm pour un espace d’écriture de 210 × 145 mm. Bischoff, Katalog, III, p. 297, no 5490. Beyerle et Buchner éd., Lex Ribuaria, p. 36. La collection de loi comporte la loi salique K (p. 1-64), la loi ripuaire B (p. 65-109) et la loi des Alamans (p. 109-158, avec les chapitres VI à VIII copiés avant la liste des titres). Une deuxième main a ajouté ensuite le prologue de la loi des Bavarois, p. 158-160 qui sert de conclusion à l’ensemble.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle xvii K/A/E 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119 pour 24 à 32 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 211-217, espace d’écriture 160-180 × 110 mm. Agencement de versions différentes de la loi salique, voir supra. xviii K 72, Vatican, BAV, Reg. lat. 1050. Espace d’écriture : ca. 225 × 165 mm pour 31 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 847-852. Bischoff, Katalog III, p. 438, no 6762. La loi salique version K est ici précédée du prologue long suivi du court (f. 162vb-163rb). Voir supra. xiv K 77, Ivrea, Biblioteca Capitolare XXXIII. Espace d’écriture : 210 × 150 mm pour 23 lignes. Le manuscrit est très abimé. Mordek, Bibliotheca, p. 172-177. Bischoff, Katalog I, p. 326, no 1560. Sur la provenance de ce manuscrit, voir Gavinelli, « Alle origini ». xx K 24, Paris, BnF, latin 4418. Il s’agit d’un manuscrit géant, de 39 lignes en deux colonnes, sur 340 mm × 207 mm. Mordek, Bibliotheca, p. 423 l’attribuait au scriptorium des lois sous Louis le Pieux, mais B. Bischoff l’a finalement redaté dans le deuxième tiers du ixe siècle, Bischoff, Katalog III, p. 98, no 4317. Ubl, Sinnstiftungen, p. 234-235. xxi K 58, Wolfenbüttel, HAB, Blankenburg 130. Espace d’écriture : 230 × 160 mm pour 32 lignes. Mordek, Bibliotheca, p. 920-943. Bischoff, Katalog III, p. 501, no 7303. Sur ce manuscrit, voir Esders, « Deux libri legum », p. 82-84. xxii K 25, Paris, BnF, latin 4417. Espace d’écriture : 205-225 × 140-153 mm, 25 lignes par page. Mordek, Bibliotheca, p. 466-469. Bischoff, Katalog III, p. 98, no 4316.
Les dernières créations autour de la loi salique K
La version mixte d’Autramnus Quelques rares copistes ont choisi de modifier la version K de la loi salique. Dans la première moitié du ixe siècle, les modifications se limitent à l’ajout de textes d’accompagnement, comme l’ajout d’un prologue dans K 46 et K 26243, ou la transformation de la liste des titres, comme dans K 46. La collection de lois établie par Loup entre 829 et 832244 est la seule à proposer une modification de l’ordre des chapitres. Ce changement apparaît dans une compilation originale, car Loup est le premier, dans la première moitié du ixe siècle, à proposer une intégration des lois lombardes dans l’héritage législatif du monde franc. Certes, le manuscrit K 19 incluait des dispositions de Liutprand dans sa collection de 92 chapitres tirés de capitulaires, mais Loup est apparemment le premier à ajouter les lois des rois lombards aux recueils juridiques encyclopédiques. Sa collection ne reprenait ni les lois burgondes ni les lois romaines, mais la loi salique, la loi ripuaire, les lois lombardes, la loi des Alamans, la loi des Bavarois et certains capitulaires245. Si
243 K 46, Paris, BnF, latin 18238 : ajout du prologue de la version D et modification de la liste des titres. K 26, Paris, BnF, latin 4759 : ajout du prologue de la version E. 244 Elle n’est connue que par deux manuscrits des xe et xie siècles : S 82, Modena, Biblioteca Capitolare, O. I. 2 et S 83, Gotha, Forschungsbibliothek, Memb. I 84. 245 Münsch, Der Liber legum.
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un manuscrit copié dans le royaume carolingien d’Italie vers 830 proposait un panorama des lois des rois lombards avec des capitulaires246, ces présentations restaient alors à l’écart et il revient à Loup d’avoir eu l’initiative de les intégrer au même niveau que les lois anciennes du monde franc. La loi salique ne représentait donc pas la partie la plus originale de son travail. Comme d’autres compilateurs, Loup en recomposa l’introduction, cette fois en associant le prologue de la loi des Bavarois et les prologues long et court de la loi salique : peut-être disposait-il d’un manuscrit de la version C247. Il est le seul à réorganiser le contenu de la loi salique version K selon une logique théma tique248. Néanmoins, il respecta jusqu’à l’absurde le texte antérieur, par exemple en rassemblant l’un à la suite de l’autre, sous les nombres 20 et 21, les dispositions contradictoires sur la condamnation de la perturbation de tombes (chapitre XVII et LVII), ou en ne séparant pas le contenu des chapitres comme l’aurait nécessité son classement249. Son apport est moindre concernant la loi ripuaire, la loi des Bavarois et la loi des Alamans250. Loup montre ainsi une déférence face au texte antérieur dont nous avons déjà vu les premiers effets dans les copies de la version E de la loi salique. Même lorsque les manquements antérieurs étaient évidents, le compilateur ne se reconnaissait plus le droit de les corriger de lui-même. À l’aune de cette position en retrait de Loup, nous pouvons mieux mesurer l’audace des rédacteurs de deux versions mixtes de la loi salique que nous avons décrites dans le détail au chapitre 2251. Le manuscrit K 39 présente ainsi une liste de chapitres de la version K, en 72 chapitres252, mais introduit dans le cours de la copie des titres issus de la version C. Les copistes avaient deux versions de la loi salique sous les yeux et ils ont opéré leurs propres choix, pour élaborer une nouvelle version mixte. Un colophon indique la responsabilité de l’avoué laïc Autramnus, dans l’église Saint-Étienne de la villa de Templeuve253. La sélection originale d’un chapitre d’un capitulaire de 816 montre que les copistes ont com posé le manuscrit pour un usage particulier. Leur attitude semble isolée dans la seconde partie du ixe siècle et il s’agit peut-être de la copie d’un modèle antérieur, comme pour le manuscrit suivant, où nous pouvons repérer la construction volontaire d’une version composite de la Loi salique.
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Ivrea, Biblioteca Capitolare, XXXIV, copié vers 830. Mordek, Bibliotheca, p. 178-185. Voir supra chapitre 5. Wormald, The Making, p. 33-34. Münsch, Der Liber, p. 135-137. Wormald, The Making, p. 35, Münsch, Der Liber, p. 138-224. Ces versions mixtes sont ignorées par Faulkner, Law, p. 213. K 39, Paris, Bnf, latin 4632, f. 29v. Ibid., f. 59.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
Le manuscrit A/E/K 17 Un autre travail original de la seconde moitié du ixe siècle est présenté dans le manuscrit K 17254, où le copiste a formé un étonnant assemblage des différentes versions de la loi salique (f. 64-f. 88v). Il l’introduit par le prologue long lié à la version E, poursuit par les 70 chapitres de la version K, dans lesquels il glisse un deuxième chapitre original, qui n’a que quelques lignes en commun avec une disposition copiée dans le manuscrit A 2255. Il étend cette liste de chapitres jusqu’à plus de 103, puis il envisage un deuxième et un troisième livre de la loi salique. Dans cet ensemble, il intègre des chapitres inconnus par ailleurs, des chapitres connus par la version A et des édits de rois mérovingiens, dont celui de Chilpéric, annoncé et non copié dans le manuscrit A 1256. Il copie aussi l’épilogue de la loi salique, lié aux manuscrits de la version A, puis un résumé des prologues long et court, associés dans cet ordre aux manuscrits de la version C. Bref, il fait feu de tout bois, recomposant un héritage complexe qui nous échappe pour tenter de donner une version intégrale et ordonnée des textes associés à la loi salique. L’apport des souverains carolingiens, les versions E et K, est fondue dans ce remaniement original, qui peut avoir été composé avant 820, car le copiste suit ap paremment un modèle qu’il ne comprend pas. L’autorité de Pépin, Charlemagne et Louis n’est invoquée que pour les capitulaires copiés ensuite, f. 132-141v. Avec la loi ripuaire, la loi des Alamans et la loi des Bavarois, l’ensemble propose une vision synthétique de l’héritage législatif des Francs. Cette version particulière de la Loi salique pourrait bien avoir été conçue dans la dernière série des entreprises de ce type, au début du ixe siècle, car le projet d’harmonisation et de synthèse se rapproche de celui qu’Audgarius a appliqué dans le manuscrit A 1. Mais nous ne pouvons qu’en formuler l’hypothèse.
Conclusion : L’idéal de conservation de la loi La création de nouvelles versions de la loi salique s’arrêta sous le règne de Charlemagne, durant lequel la version E montre une reprise de la version D, le manuscrit A 1 une reprise de la version A et la version K une reprise des versions A, C et E. Après 805, les copistes tentèrent encore parfois de produire de nouveaux assemblages des versions préexistantes, mais elles ne connurent pas de postérité, sauf pour la collection de Loup, dont il n’existe que trois copies. En dehors de ces cas particuliers, les scribes se contentaient de reproduire les textes antérieurs, même s’ils continuaient à recomposer leur agencement et à y ajouter ou non des capitulaires particuliers.
254 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119. 255 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. 256 A 1, Paris, BnF, latin 4404.
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Illustration 8.9 : Le Psautier de Charles le Chauve, Paris, BnF, latin 1152, f. 3v-4r.
La mise sur le même plan des lois humaines et des lois divines apparaît aussi dans le Psautier de Charles le Chauve copié par Liuthard dans les années 860. Le souverain y est représenté comme un roi législateur, qui donne une loi civile et une loi religieuse renouvelées257, comme le montre sa comparaison avec Josias et Théodose : Alors siégeait Charles, couronné avec honneur Semblable à Josias et comparable à Théodose258. La mention de Josias souligne la continuité entre Charlemagne et Charles le Chauve, dédicataire de l’ouvrage259, alors que ce roi biblique était fort peu invoqué depuis les débuts du ixe siècle260, tandis que le lien avait aussi été fait entre Théodose, considéré comme l’auteur du Code261, et l’empereur Louis le Pieux262 (Ill. 8.9). Il est notable que l’enluminure en vis-à-vis de Charles sur son trône soit celle de Jérôme traduisant les Psaumes :
257 Contreni, « The pursuit », p. 107. Bougard, « Illustrer ». 258 Paris, BnF, latin 1152, f. 3v : Cum sedeat Karolus magno coronatus honore est Iosiae similis parque Theodosio. 259 Poilpré, « Le portrait », p. 336-337. 260 Rosé, « Le roi Josias ». 261 Alibert, « Moïse ». 262 De Jong, « L’autorité », p. 1254 et 1260.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
Jérôme, interprète renommé et prêtre transcrivit avec énergie, d’une manière remarquable, les lois de David263. Comme dans le manuscrit A 1, Paris, BnF, latin 4404, Jérôme est ainsi associé à la rénovation de la loi en tant que traducteur des Écritures. Le rôle de législateur associe encore le roi en majesté et le copiste inspiré264 et souligne le rôle central de la loi divine. Comme le synthétise Y. Sassier : L’éthique royale, dans les miroirs du temps, ne peut se définir qu’en fonction de cet impératif absolu qu’est le respect de la loi de Dieu : la promouvoir comme la norme fondamentale dont doivent dériver toutes les normes de la vie sociale, c’est bien là, aux yeux des théoriciens du haut Moyen Âge, la tâche assignée au roi chrétien265. Mais derrière cette importance déterminante accordée aux Saintes Écritures, le rôle attribué au roi semble avoir changé dans la seconde moitié du ixe siècle. Pour Hincmar, il se limite à un rôle conservatoire, ainsi qu’il l’exprime dans une lettre écrite pour Charles le Chauve au pape Adrien II en 870 ou 871266 : II faut que nous conservions de manière intacte et irréfutable les lois promulguées par les empereurs et les rois qui nous ont précédé267.
Hincmar lui-même donne un exemple de cette attitude en se référant systéma tiquement aux capitulaires les plus anciens possibles, de Charlemagne et de Louis le Pieux268. La mission donnée de façon prioritaire aux copistes paraît ainsi avoir évolué, de la correction recherchée par Charlemagne à la conservation du texte des lois sous son petit-fils. La coexistence des différentes versions de la loi salique, toutes considérées comme valides tout au long du ixe siècle, nous a incité à nous demander si l’idée même d’un texte de référence de la loi n’était pas un anachronisme. La fin de la diversité des versions des textes juridiques ne semble pas tenir au choix d’une version comme supérieure aux autres, ou plus officielle, mais à une attitude nou velle des copistes, perceptibles dès les débuts du siècle : une attention scrupuleuse à la lettre, manifeste dans les relectures de correction de leur travail. Ainsi, ils considéraient en général l’héritage législatif franc comme figé et ne recherchaient
263 Paris, BnF, latin 1152, f. 4 : Nobilis interpres Hieronimus atque sacerdos nobiliter pollens transcripsit iura Davidis. 264 Poilpré, « Dans », p. 94-97. 265 Sassier, « Le roi », p. 259. 266 Devisse, Hincmar, t. II, p. 785, et note 477. 267 Lettre de Charles le Chauve au pape Adrien II : quas leges ab imperatoribus et regibus, nostris videlicet praedecessoribus, promulgatas atque decretas, nos immutilate et irrefragabiliter convenit conservare, PL 124, col. 891. Cette édition reproduit celle de Jacques Sirmond de 1645, voir Devisse, Hincmar, t. III, p. 1157. Elle n’est pas retenue par l’édition de Schieffer, Wiesbaden, 2018, MGH, Epistolae 8. 268 Depreux, « Hincmar ».
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plus que dans la sélection des textes copiés et le choix des capitulaires l’adaptation des recueils à une demande particulière. La version K semble avoir le mieux convenu à la recherche d’un texte facilement utilisable. La prolifération soudaine de livres de petite taille, dès le premier quart du ixe siècle, et l’attention qui y a été portée au texte de la loi salique, version K, les distinguaient des recueils proposant une mise en scène du pouvoir impérial qui passait par des manuscrits d’une toute autre facture. Les petits livres juridiques ne répondaient pas non plus aux besoins de l’enseignement, car la présentation des contextes d’élaboration et d’application de la loi en étaient notablement absents. Ils avaient une vocation pratique et les copistes s’y étaient pliés à un rôle de simples reproducteurs du texte de la loi salique. Cette nouvelle conception du rôle du copiste aboutit à une diffusion exemplaire du texte de la loi salique version K, dont seuls quelques éléments mineurs varient, et à la progressive disparition de copies des versions minoritaires. Cette évolution ne reflétait pas une décision du pouvoir central, mais était une conséquence des efforts de copie à finalité pratique fournis dès la première moitié du ixe siècle dans de nombreux scriptoria. Les juges ne furent pas pour autant corsetés dans une application stricte de la loi écrite. La loi salique laissait en elle-même de nombreuses zones d’ombre et plusieurs logiques, individuelles ou spatiales, intervenaient dans le choix d’une loi de référence pour le requérant269. Au fur et à mesure du ixe siècle, les copies des versions minoritaires de la loi salique se firent de plus en plus rares et les copistes n’osaient plus que se livrer à la copie attentive du texte déjà composé : l’adaptation des normes à un contexte changeant ne se faisait plus par les modifications apportées à chaque copie du texte juridique. Mais cette loi écrite, figée, n’avait jamais eu de caractère impératif ni exclusif. Elle était une part des normes qui pouvaient être invoquées dans un conflit, et les procédures qu’elle prescrivait pouvait, ou non, être suivies. Chaque jugement semble montrer un compromis entre l’impératif de la norme écrite et les exigences de ceux auxquels elle doit s’appliquer270. D’autres normes écrites complémentaires étaient toujours considérées comme valides à côté de la loi salique. Les capitulaires et les formulaires271 fournissaient d’autres dispositions écrites susceptibles de servir dans la recherche de compro mis. L’analyse du personnel judiciaire, au ixe siècle, montre le petit nombre d’indi vidus impliqués dans les jugements, la communauté judiciaire s’entremêle avec la communauté des habitants et certains individus y tiennent un rôle éminent, en étant présents, dans divers rôles, dans la majorité des jugements272. Ils étaient à même d’élaborer une solution acceptable pour les différentes parties, gage de la paix sociale future. Il est notable que les marques d’attention laissées par les
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Lupoi, The Origins, p. 388 et suivantes. En ce sens, Brown, « The use ». Nelson, « Dispute ». Rio, « Les formulaires ». Jégou, « Scabini ». Davis, Charlemagne’s Practice, p. 47-89.
les diffÉrenTes versions de la loi salique au ix e siècle
lecteurs de la loi salique concernent souvent les châtiments des esclaves. Pour eux, il n’était pas besoin de rechercher d’autres énonciations de la loi. En dépit de la fixation du texte de la loi salique, à la fin du ixe siècle, la pluralité des textes de référence permettait d’en user comme des outils dans les conflits leur résolution, et non comme des prescriptions intangibles. Ainsi, en 882, Hincmar de Reims fustige les comtes et leurs auxiliaires qui font leur choix entre les différents articles juridiques à leur disposition : Quand ils espèrent gagner quelque chose, ils se tournent vers les lois, mais s’ils ne pensent pas s’enrichir pas la loi, ils recourent aux capitulaires, ce qui fait que pendant ce temps, ils ne s’attachent pleinement ni aux capitulaires ni à la loi et les tiennent pour nuls273. Du ixe au xe siècle, la lente disparition des versions minoritaires de la loi salique n’entraîna qu’un relatif resserrement de la marge de manœuvre des juges. La complexité de la transmission des capitulaires leur fournissait toujours une grande variété de textes écrits où puiser pour établir des jugements acceptables.
273 Hincmar de Reims, Admonitio ad episcopos et ad regem Carolomannum apud Sparnacum facta, PL 125, col. 1007-1018, ici ch. 15, col. 1016 : Quando enim sperant aliquid lucrari, ad legem se conuertunt : quando uero per legem non aestimant acquirere, ad capitula confugiunt : sicque interdum fit, ut nec capitula pleniter conserentur, sed pro nihilo habeantur, nec lex.
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Conclusion générale
Notre enquête a commencé au xxe siècle, pour chercher à comprendre pour quoi le travail fondamental de repérage, description et commentaire des différents manuscrits de la loi salique n’avait toujours pas été effectué de façon exhaustive, malgré l’attention portée à ce texte depuis des siècles. Alors que les travaux de Jean-Marie Pardessus, en 1843, avaient établi des bases solides en distinguant les différentes familles de manuscrit, la recherche s’est embarquée dans la quête vaine du manuscrit, puis, à défaut, du texte originel de la loi salique. K. A. Eckhardt, pris dans les circonstances particulières du nazisme, de la fin de la carrière de B. Krusch, puis de son éviction du système universitaire après 1945, a camouflé l’impasse de cette démarche philologique dans son édition. Ses travaux ont masqué l’ampleur des divergences entre les différents manuscrits de la loi salique, afin de valider des choix établis sans eux, des décennies avant d’en prendre connaissance. Sans justification valide, K. A. Eckhardt a enlevé de la tradition manuscrite tous les éléments qui dérangeaient sa présentation de la loi comme une suite de publications royales officielles qui seraient venues mettre à jour des traditions ethniques originellement rédigées pour le peuple franc en dehors de l’autorité royale. La réalité des manuscrits, notamment la présence systématique du prologue long de la loi salique en accompagnement du petit prologue, la copie de nombre d’articles au-delà de 65 dans les manuscrits de la version A, l’inclusion ou l’exclusion des édits royaux mérovingiens dans la numérotation de la loi, constituent autant d’éléments qui rendent caduques ses démonstrations et incitent à remettre en cause son système explicatif. Nous sommes alors revenu sur les raisons pouvant expliquer la diversité des versions A, C et D contenues dans les manuscrits les plus anciens. Les copistes du viiie siècle ont été confrontés à un héritage de l’époque mérovingienne éparse et contradictoire, dans lequel ils ont prélevé les articles juridiques qui leur semblaient correspondre à la loi salique. Elle était alors reconnue comme un élément fondamental du droit dans les royaumes francs, mais était associée à des collections d’articles dont la provenance n’était plus discernable. Les articles de la loi salique montraient une unité formelle par leur début en Si quis, les montants des peines en deniers et en sous et des termes germaniques archaïques, les gloses malbergiques. Ils étaient présentés dans des chapitres thématiques, qui déclinaient de façon apparemment exhaustive une suite de cas particuliers, mais jamais de principes généraux. Le vol de cochon, par exemple, était détaillé dans des articles différents suivant l’âge et la situation de l’animal au moment du vol, mais la condamnation aboutissait, suivant les cas, à des amendes distinctes ou semblables.
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conclusion gÉnÉrale
Apparemment, différentes listes d’articles circulaient de façon indépendante, tandis que d’autres accompagnaient des édits de rois mérovingiens. Ces diffé rentes listes se chevauchaient partiellement, sans que les copistes soient à même de repérer l’origine de ces doublons, ni de les supprimer. Cette diversité tenait probablement à la fragmentation politique et culturelle des royaumes francs entre les descendants de Clovis. Les textes les plus anciens qui tentaient d’expliquer la divergence entre les versions de la loi salique – l’épilogue et le prologue long – les interprétaient comme le reflet des partitions des royaumes francs : chaque version de la loi salique aurait correspondu à des révisions organisées par des souverains différents. Mais cette déduction restait floue : aucune des listes d’articles n’était rapprochée de l’un ou de l’autre souverain, ni d’un sous-royaume franc particulier, entre l’Austrasie, la Burgondie et la Neustrie. En réalité, ces assemblages étaient le fruit du travail des copistes, en raison de trouvailles qui semblent le plus souvent dues au hasard, peut-être en raison de la réunification du monde franc sous l’autorité pippinide, après 687, qui avait permis une nouvelle circulation des textes juridiques. L’épilogue et le prologue long montrent que la loi salique restait associée à l’autorité royale mérovingienne et la copie systématique du prologue long avec le prologue court, dans les manuscrits conservés, témoigne du fait qu’il n’était pas envisageable, pour les copistes de la seconde moitié du viiie siècle, de présenter une rédaction de la loi hors de l’autorité royale. Dans la première moitié du viiie siècle, la dynastie des rois mérovingiens avait été concurrencée par de grandes familles aristocratiques avides de pouvoir. Les ducs des Alamans et des Bavarois, tout comme les maires du palais pippinides, s’étaient appuyés sur une transmis sion héréditaire de leur pouvoir pour se poser en équivalent des rois francs, et organiser eux aussi une révision de la législation héritée ou l’ajout de nouveaux articles de loi. Après le sacre royal de Pépin en 751, le plus ancien manuscrit de la loi salique, A 21, reflète peut-être une dernière fois le refus de cette nouvelle législation en s’attachant à associer des articles anciens de la loi salique, dont une partie était peu compréhensible, au rappel de l’antiquité des rois mérovingiens et à une parodie des articles ajoutés hors de l’autorité royale légitime. Peu après, Wandalgarius, le copiste du manuscrit D 92 cherchait au contraire à présenter une version plus moderne de la loi, à travers une version plus complète et plus claire, ainsi qu’un rappel de l’autorité royale. Le prologue long qui précédait la loi salique louait le destin providentiel des Francs depuis leurs origines et le rôle joué par leurs rois depuis Clovis. La mention du règne de Pépin montre que la continuité de la domination et de la législation franques lui paraissait plus importante que le changement dynastique. Au viiie siècle, la loi salique restait encore un texte vivant, aux contours flottants, que chaque copiste cherchait diversement à améliorer. Chaque scribe
1 A 2, Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97. 2 D 9, St Gallen, Stiftsbibliothek 731.
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apportait des changements en fonction de ses propres besoins autant que de la variété de l’héritage écrit dont il disposait. Ainsi un copiste de la version C choisit de ne reprendre de la version D que son prologue long, mais de l’associer à un texte à l’origine énigmatique, le prologue court, qui évoquait la mise par écrit de traditions ethniques hors de tout contrôle royal. Cette présentation des origines de la loi salique contenue dans le petit prologue divergeait totalement des autres qui circulaient au viiie siècle, à savoir le prologue long, l’épilogue, le prologue de la loi des Bavarois ou le Liber historiae Francorum, en proposant l’image d’une législation hors de l’autorité royale, portée uniquement par les anciens du peuple. Une telle présentation aurait pu être défendue par les grandes familles qui prétendaient mettre en avant leurs propres révisions de la législation hors du pouvoir royal, comme les ducs des Alamans et des Bavarois ou les maires du palais. Mais elle était devenue caduque depuis les victoires de Charles Martel pour réintégrer les périphéries du monde franc, la mise au pas des Agilolfingiens et l’éviction des Mérovingiens. Le rédacteur de la version C choisit néanmoins de reprendre ce texte, mais pour l’intégrer, à travers le prologue long, dans une présentation glorifiant les rois des Francs depuis le baptême de Clovis. Il associait ce prologue complet à une série différente d’articles de la loi salique, dont seule une partie était commune avec le manuscrit A 2. À la fin du viiie siècle, la loi salique pouvait ainsi prendre la forme de versions aussi diverses que dans les manuscrits A 2, D 9, ou C 53, où les deux prologues étaient résumés pour former une introduction sans répétition. À mesure que s’affirmait le triomphe politique et militaire des Carolingiens, les copistes se partageaient entre deux attitudes possibles : -
-
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la reproduction quasiment à l’identique de leurs modèles manuscrits, quitte à en garder des éléments clairement erronés, comme dans le cas des manuscrits E 15 et 164. Dans ce système, les corrections étaient très limitées : elles pou vaient par exemple concerner la fin de la version K, qui flottait entre 70 et 72 chapitres sous le règne de Charlemagne ; la création de versions nouvelles de la loi, par une rédaction ou une organisa tion plus claire des listes d’articles héritées. C’est le cas des rédacteurs des versions E, K et S, mais aussi du copiste du manuscrit A 15, Audgarius, qui a choisi, sur le modèle de l’établissement des textes bibliques, de tenter de donner une version exhaustive de l’héritage à sa disposition, en reprenant différentes listes d’articles pouvant s’apparenter à la législation franque. De même, le concepteur du contenu du manuscrit K 176 a cherché à rassembler tous les chapitres de la loi salique à sa disposition, pour en proposer un assemblage complexe : prologue long issu de la version E, articles de la version
C 5, Paris, BnF, latin 4403B. E 15, Paris, BnF, latin 4629. E 16, Berlin, SB, PhIll. 1736. A 1, Paris, Bnf, latin 4404. K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119.
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K, épilogue lié à version A, articles supplémentaires issus de la version A ou d’origine inconnue, éléments du petit prologue de la version C et édits de rois mérovingiens. Ces deux attitudes, copie ou nouvelle composition, étaient distinctes aux yeux des copistes de l’époque carolingienne, mais ils accordaient aux versions différentes de la loi salique qui en étaient issues la même valeur normative, comme le montrent les inclusions de passages de la version C dans la loi salique du manuscrit K 397, ou encore l’usage du prologue long des versions D ou E, ou du prologue complet de la version C pour introduire la loi salique version K. Dans la première partie du ixe siècle, les scribes s’intéressèrent autant aux versions A, C, D et E de la loi salique qu’à la version K. Mais ils utilisèrent celle-ci de façon privilégiée pour des manuscrits de format réduit, destinés à un usage pratique, pour lesquels ils portaient une grande attention à la qualité de leur copie. Ce n’est que dans un deuxième temps, dans la seconde moitié du ixe siècle, que la version K occupa progressivement une position dominante dans la transmission de la loi salique, en conséquence des efforts de copie antérieurs. Vers 900, elle était devenue un texte de référence disponible partout dans l’empire, sous une forme standardisée. L’étude des manuscrits de la loi salique aboutit ainsi à expliquer leur diversité par le rôle clef des copistes. Chaque version ancienne fut élaborée de façon anonyme, et les décalages entre les manuscrits des versions A, C et D démontre que chaque scribe est intervenu dans le choix et l’organisation des textes ac compagnant la loi salique comme dans la collection des articles la composant. Avant d’accepter de se cantonner à un simple rôle de reproduction des versions existantes, les copistes furent les acteurs, le plus souvent anonymes, d’une évolu tion continue de la loi salique. Alors qu’un certain nombre de caractéristiques, comme l’équivalence obsolète entre sous et deniers et les gloses malbergiques, venaient démontrer son antiquité, les choix faits pour chaque exemplaire copié continuaient à en faire un texte vivant, en évolution continue jusqu’aux débuts du ixe siècle, comme le montre l’entreprise de correction inspirée de la loi proposée par Audgarius peu après 805. En 1994, M. Lupoi proposait de caractériser le système juridique européen, développé au haut Moyen Âge, comme un système juridique ouvert, qui acceptait toute règle, dans une synthèse novatrice des traditions barbares et romaines8. Alors que la loi romaine définissait de façon écrite des principes applicables à des situations à venir, la tradition barbare, fondée sur l’oralité, aurait élaboré des jugements sur des cas concrets, puis généralisé des règles à partir de ces décisions. Les assemblées locales auraient permis l’osmose entre ces deux perspectives en reconnaissant aussi comme loi des règles issues d’une situation concrète, avant leur mise par écrit.
7 K/C 39, Paris, BnF, latin 4632. 8 Lupoi, The Origins.
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La loi salique s’intègre bien dans un tel schéma, car les détails des articles y montrent une généralisation incomplète, dans l’évocation détaillée de cas aboutissant pourtant aux mêmes condamnations. Si les hypothèses de M. Lupoi correspondent au système général de la loi, elles ne permettent pas d’expliquer la diversité des versions conservées. Si le roi y joue le rôle d’ordonnateur de la mise par écrit de lois établies par le consensus des communautés politiques locales, les publications officielles de la loi viendraient en figer l’évolution. Les versions différentes de la même loi ne peuvent alors s’expliquer que par une multiplicité de publications officielles, suivant l’explication déjà fournie au Haut Moyen Âge. Karl August Eckhardt mettait aussi en avant des étapes multiples de transformation de la loi écrite sous autorité royale, en attribuant chaque version de la loi salique à une publication sous un roi différent, dans les différents royaumes mérovingiens. L’étude a montré que pour les copistes, la loi salique était effectivement liée aux publications royales mérovingiennes, dont elle n’était pas clairement distinguée : les deux paraissent avoir été considérées comme complémentaires, ou équivalentes, comme le montre le manuscrit A 1, qui présente les mêmes articles comme loi salique ou comme édit de Childebert. Il n’est pas impossible qu’il y eut à la base de la loi salique une liste d’articles juridiques rédigée sous une autorité royale dont la mention fut ensuite éliminée. L’exemple de la damnatio memoriae que subit le roi Alaric, hérétique, dans les plus anciens manuscrits du Bréviaire9, démontre qu’un tel procédé était pratiqué au vie siècle. Dans cette hypothèse, le roi législateur effacé ne serait pas Clovis, fondateur catholique de la dynastie victorieuse, mais pourrait être un roi des Francs païen, hérétique ou non-mérovingien. Une telle publication initiale échappe définitivement à notre documentation, mais elle ne représente qu’une étape dans la formation de la loi salique, qui a été transformée à chaque copie. Alors que le droit romain avait été conçu, au ve siècle, comme une évolution écrite contrôlée, sous l’autorité des empereurs et la surveillance de son administra tion, sa transformation aux premiers siècles du Moyen Âge démontre une adapta tion continue et fournit un intéressant point de comparaison avec l’évolution de la loi salique. Le principe moteur de l’adaptation de la loi romaine est celui de la désuétude. La citation du juriste Julien, dans le Digeste de Justinien, rappelle qu’il existait depuis le haut Empire : C’est pourquoi, il a justement été établi que les lois pouvaient être abrogées non seulement par la volonté du législateur, mais aussi par la désuétude, avec le consentement tacite de tous10.
9 Saint-Sorny, « La fin ». Pour les autres rois des Wisigoths dont les mentions ont été effacées, voir Martin, « Le liber ». 10 Digesta I, 3, 32, 1 : Quare rectissime etiam illud receptum est, ut leges non solum suffragio legis legislatoris, sed etiam tacito consensu omnium per desuetudinem abrogentur, Mommsen et Krüger éd.
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Suivant ce principe, la volonté de tous jaugeait et interprétait la norme juridique dans son application sociale et pouvait représenter un concurrent du législateur comme source de la loi11. La constitution du Bréviaire d’Alaric, en 507, repose sur ce principe, en n’incluant pas des lois jugées désormais inutiles dans son résumé du Code Théodosien. Néanmoins, l’obsolescence des lois qui n’y étaient pas incorporées n’était pas définie de façon systématique, puisque cer taines interprétations reposent sur des constitutions du code théodosien écartées du Bréviaire12. À l’inverse, certaines interprétations contredisent des constitutions du Code Théodosien reprises dans le Bréviaire et créent contre elles de nouvelles règles. Ces interprétations prétendent avoir force de loi, mais elles sont de nature inclassable : elles n’ont pas d’auteur et prétendent seulement clarifier la loi. Elles reflètent la préoccupation de juristes qui se préoccupent bien plus de l’actualité de la loi que de son origine. Cette transformation croissante est manifeste dans les différentes transforma tions du Bréviaire, parfois complété par des lois du Code Théodosien ou même des constitutions négligées. Le Bréviaire était le plus souvent résumé dans des versions qui donnaient plus d’importance aux interprétations qu’aux constitutions qu’elles complètent13. L’importance plus grande des Interprétations est bien comprise par le copiste du manuscrit E 13, où les constitutions impériales sont résumées et copiées avec un registre plus petit, pour leur laisser plus de place14. Ainsi fut progressivement mis à jour un droit qui était pourtant présenté avec l’autorité du passé impérial romain. Le parallèle est frappant avec la loi salique. Comme l’a souligné Karl Ubl, le système des amendes de compensation qu’elle comporte, tout en reposant impli citement sur l’autorité royale, présente une innovation par rapport à toutes les législations précédentes15. Pour autant, ce système novateur n’est jamais assumé comme tel. La loi salique, telle qu’elle nous est parvenue, n’est jamais présentée comme le texte originel, mais comme une rénovation de la loi. Celle-ci est attribuée à différents souverains francs, dans l’épilogue ou le prologue long de la loi, ou à l’action de sages désignés pour cela dans le prologue court. Il existe pourtant une discordance fondamentale entre le moment du passé franc évoqué, un premier roi des Francs, une réunion en Germanie ou le règne de Clovis, et le chapitre 47 de la loi, qui évoque une limite spatiale qui ne peut avoir de sens qu’à la fin du viie siècle16. Cet écart n’est pas que le fruit d’une transmission ma nuscrite insaisissable mais représente aussi la volonté systématique de présenter la loi comme l’actualisation d’un droit ancien, sans préciser les modalités de la
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Guéraud, « Introduction ». Jeannin, « Le Code », p. 30. Coma Fort, Codex Theodosianus. E 13, Warsawa, Biblioteka Uniwersytecka I : Bréviaire d’Alaric, f. 1-206. Sur ce manuscrit, voir supra chapitre 6. 15 Ubl, « Im Bann ». 16 Voir supra chapitre 4.
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modification juridique ni une autorité de référence. Ainsi restent dans l’ombre les modifications continues apportées par les différents scribes. La loi salique et la loi romaine étaient donc, jusqu’au viiie siècle, ouvertes à des modifications hors cadre, en fonction des interventions continues des co pistes. Nous ne pouvons estimer cette évolution que dans le cas de la loi romaine : seule la conservation de quelques manuscrits incomplets du Code Théodosien et de quelques manuscrits complets du Bréviaire, ainsi que les échos de la législation justinienne permettent d’éclairer les transformations aboutissant aux manuscrits si divers de la loi romaine au Haut Moyen Âge. Pour la loi salique, l’absence de manuscrit antérieur à 751 permet seulement de conjecturer une évolution semblable. Nous constatons qu’il existait dans la seconde moitié du viiie siècle au moins six versions très différentes de la loi salique : les quatre versions de la famille dite A, qui ne comportent jamais le même nombre d’articles, et les versions C et D. Les versions E et K furent fabriquées à partir de cet héritage, mais parfois surgissent dans les manuscrits des éléments qui peuvent provenir d’autres versions perdues, comme le deuxième article de la loi dans le manuscrit K 1717. Les spéculations ont été multiples sur les étapes de modification de la loi salique, depuis un éventuel texte originel jusqu’à nos jours. La diversité des hypo thèses reflète le dédain des contemporains, qui acceptaient toute loi écrite sans qu’elle soit associée à une autorité royale particulière ni à un rédacteur identifié, mais aussi la volonté des différents copistes, qui présentaient systématiquement la version de la loi salique qu’ils recopiaient comme une actualisation d’un fantomatique texte antérieur. Il est probable qu’aucune version de la loi salique n’ait jamais été présentée comme la première. Charlemagne lui-même n’a pas provoqué de rupture importante dans ce système juridique ouvert. Certes, la version K, Karolina, en 70 titres, associée à son effort législatif de 802/3 représente un succès éclatant : elle fut intégralement recopiée dans plus de soixante-dix manuscrits conservés. Mais sa position domi nante ne fut que lentement acquise au cours du ixe siècle et reflète, de nouveau un choix des copistes. Pour répondre à leurs commanditaires, ils choisirent en nombre la version la plus pratique de la loi salique et leur souci de l’exactitude de leur copie dans les manuscrits de petit format aboutit à la diffusion d’un texte stable de la version K. Le texte de la loi salique fut ainsi progressivement figé, ne laissant plus la place qu’à quelques tentatives marginales d’innovation, comme l’insertion de prologues tirés des autres versions. La loi salique était désormais un texte stable, mais mort, condamné à la désuétude, alors que les transformations juridiques passaient par les capitulaires, ainsi que par la sélection qu’y opéraient les copistes. Cette voie s’amenuisa au cours du xe siècle et la redécouverte du droit de Justinien, après
17 K 17, Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. Q. 119.
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l’an mil18, vient aussi répondre à cette mort du droit franc19. Le manque d’intérêt est révélé par le petit nombre de manuscrits copiés entre 1100 et 1600, dont seulement douze exemplaires de la loi salique ont été conservés20. Malgré ce désintérêt, le grand nombre de copies carolingiennes de la version K garantissait la disponibilité de la loi salique21, et elle fut facilement trouvée par Richard Lescot à Saint-Denis en 135822, qui choisit d’y lire une justification des successions royales françaises, puis, avant 1418, par Gérard Machet à Reims23. Lorsque Charles VII fut contraint de se replier sur Poitiers et Bourges, un autre exemplaire de la loi salique K fut trouvé à Savigny vers 1430. Trois copies du texte réalisées avant 1500 dans le royaume de France24 montrent le nouvel intérêt suscité par le texte, devenu clef de voûte de la justification de la succession royale et de l’indépendance du royaume. Peu importe qu’aucun texte du Haut Moyen Âge n’ait jamais tenté de théoriser les modes de partage et de succession des rois mérovingiens. La loi salique était désormais entrée dans l’« Histoire de France » et il faudra bien plus que cette étude pour la ramener, auprès du grand public, à ses significations antérieures.
18 Radding and Ciaralli, The Corpus. 19 Krynen, L’empire, p. 69-84. 20 K 65, Bonn, Universitäts- und Landesbibliothek, S. 402, xiie siècle ; K 76, Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, LXXVII 1, xiie-xive siècle ; C6a, Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversi teit, BPL 2005, xvie siècle ; K 79, Modena, Biblioteca Estense, Codex Estensis, vers 1490 ; K 54, New Haven, Yale University, The Beinecke Rare Book and Manuscript Library, 212, xve siècle ; K 37, Paris, BnF, latin 4630, xve-xvie siècle ; K 36, Paris, BnF, latin 4631, xve siècle ; K 90, Paris, BnF, NAF 6853, xve siècle ; K 75, Roma, Biblioteca Vallicelliana, C. 20, xvie siècle ; K 74, Vatican, BAV, Ottob. lat. 3081, xve siècle ; K 66, Vatican, BAV, Reg. lat. 1036, xve siècle ; K 67, Vatican, BAV, Reg. lat. 1728, xve siècle. 21 Beaune, « Histoire ». 22 Il utilisa le manuscrit K 35, Paris, BnF latin 4628A dont les cotes montrent qu’il était à Saint-Denis entre le xiiie et le xve siècle. 23 Il utilisa probablement le manuscrit K 33, Paris, Bnf, latin 10758 qui resta à Saint-Remi de Reims du xe au xve siècle. 24 K 36, Paris, BnF, latin 4631. K 90, Paris, BnF, NAF 6853. K 37, Paris, BnF, latin 4630.
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Archives consultées au siège des MGH, à Munich En juillet 2014, j’ai consulté à Munich l’Archiv der Monumenta Germaniae Historica (désormais MGH-Archiv), pour préciser les conditions de travail de K. A. Eckhardt. La composition et la structure des archives des Monumenta, qui déménagèrent plusieurs fois avant 1945, sont expliquées sur leur site internet : https://www.mgh.de/archiv/archiv-allgemeines/ (consulté le 11 juillet 2020), où se trouve aussi détaillé le contenu de chaque carton. München, MGH-Archiv, 338/16 : archives de la société concernant les années 1916-1917.
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index des manuscriTs ciTÉs
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reproduction électronique, p. 14, 66, 106, 199, 271-273, 275, 282, 283, 288, 289, 379, 380, 382, 400 Wien, ÖNB, cod. 406, p. 216 Wien, ÖNB, cod. 515, p. 302 Wolfenbüttel, HAB, Aug. 4° 50. 2 (K 57), consulté à travers sa reproduction électronique, p. 15, 120, 123, 124, 301-302, 305, 311-314, 318-321, 325, 328, 329, 347 Wolfenbüttel, HAB, Blankenburg 130 (K 58), consulté à travers sa reproduction électronique, p. 15, 385, 387 Wolfenbüttel, HAB, Cod. Guel. 513 Helmst. F. 1, p. 189 Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 299 (K 59), consulté à travers sa reproduction électronique, p. 16, 385-386 Wolfenbüttel, HAB, Gud. Lat. 327 (K 60), consulté à travers sa reproduction électronique, p. 16, 343, 349-350 Wolfenbüttel, HAB, Weißenburg 97 (A 2), consulté à travers sa reproduction électronique, p. 13, 23, 32, 37, 38, 44, 54, 55, 66, 72, 89-96, 99-102, 104, 108, 110-114, 128, 129, 132-136, 140, 147, 166, 183, 193, 194, 199, 203, 217-225, 228, 231, 309, 325-326, 340, 341, 347, 389, 396-397 Würzburg, UB, M. p. j. q. 3 (K 80a), pas consulté, p. 16, 343, 345 Zürich, Staatsarchiv C. VI 3 Nr. 1, p. 133