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French Pages 752 Year 2017
L A CO U R P O N T IFICAL E AU XVIe SIÈCL E D ’ ALE X A N D R E V I À CL ÉMEN T VIII ( 14 9 2 - 1605)
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STUDI E TESTI 511
Pierre Hurtubise
LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII (1492-1605)
CITTÀ DEL VATICANO
B iblioteca A postolica Vaticana 2017
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Pubblicazione curata dalla Commissione per l’editoria della Biblioteca Apostolica Vaticana: Marco Buonocore (Segretario) Eleonora Giampiccolo Timothy Janz Antonio Manfredi Claudia Montuschi Cesare Pasini Ambrogio M. Piazzoni (Presidente) Delio V. Proverbio Adalbert Roth Paolo Vian
Descrizione bibliografica in www.vaticanlibrary.va
Proprietà letteraria riservata © Biblioteca Apostolica Vaticana, 2017 ISBN 978-88-210-0967-9
TIPOGRAFIA VATICANA
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AVANT-PROPOS Dans mon ouvrage: Tous les chemins mènent à Rome paru en 2009, je faisais déjà état des raisons et des circonstances qui m’avaient amené à m’intéresser à l’histoire de la cour pontificale à l’époque moderne. Je reviens à nouveau, mais de façon plus élaborée, sur ces dernières dans l’Introduction qui suit. Le présent Avant-propos vise plutôt à souligner l’apport des personnes qui m’ont accompagné tout au long de ce parcours et surtout m’ont fourni, chacune à sa façon, les connaissances, les perspectives et les outils qui m’ont permis de mener à bien le projet que j’avais à un certain moment formé d’écrire un ouvrage sur la cour des papes du XVIe siècle. Tout commence durant les deux années passées à Rome, soit de 1963 à 1965, à préparer une licence en histoire de l’Église à l’Université grégorienne où l’un de mes maîtres jésuites, le regretté Pierre Blet, me convainquit d’aller préparer en Sorbonne un doctorat portant sur les relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège au temps des guerres de religion et, plus spécifiquement, durant les années 1572-1578 correspondant à la nonciature d’Antonio Maria Salviati dont la riche correspondance était en grande partie conservée aux Archives du Vatican. Séduit par cette proposition, j’entrepris dès 1964 le dépouillement de cette correspondance, encouragé en cela par le fait que j’étais encore à Rome et pouvais donc facilement accéder à cette dernière et surtout que je pouvais en plus profiter de l’expertise et des bons conseils du grand spécialiste de la diplomatie pontificale qu’était le P. Blet. Ce fut pour moi le début d’une longue et assidue fréquentation des Archives et de la Bibliothèque du Vatican qui allaient me fournir éventuellement une grande partie des matériaux dont j’allais plus tard tirer nombre de communications, d’articles et de livres portant sur la Rome pontificale de même que sur l’Italie du XVIe siècle, fréquentation qui allait en même temps me permettre de faire la connaissance de chercheurs partageant mes intérêts dont, dès le départ, un certain Wolfgang Reinhard devenu le grand spécialiste de la Rome pontificale que l’on sait et qui me fit profiter des vastes connaissances qui étaient les siennes et surtout m’honora dès ce moment de son amitié. Comme tant d’autres, je lui dois beaucoup et, sans lui, mon œuvre ne serait pas la même. Il en va de même du professeur Roland Mousnier qui m’accueillit à la Sorbonne en 1965 et sous la direction duquel je préparai la thèse de doctorat que je soutiendrai en 1969 sur le nonce Salviati. C’est lui qui m’initia à l’histoire des institutions et à l’histoire sociale et continua par la suite à
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
me faire profiter de son expertise dans l’un et l’autre de ces domaines. À ses deux collègues, les professeurs Victor-Lucien Tapié et Alphonse Dupront, dont je fréquentai à la même époque les séminaires de doctorat, je dois l’intérêt que j’allais porter par la suite à l’histoire culturelle ou à ce que l’on appelait à ce moment l’histoire des mentalités. Je note que le professeur Tapié s’était comme moi au départ intéressé à l’histoire diplomatique. Sans le savoir, ces trois éminents universitaires, depuis disparus, me préparaient à affronter le défi de taille qu’allait représenter la décision que je pris au tournant des années 1980 de mettre en chantier une histoire de la cour pontificale au XVIe siècle. À ces mentors de la première heure vont venir s’ajouter au fil des ans des archivistes tels que Gino Corti, conservateur des Archives Salviati à Pise, qui me fit découvrir à partir des années 1970 les richesses des Archives en question en même temps que celles de l’Archivio di Stato de Florence dont il avait une connaissance hors pair, ou encore le regretté Luigi Fiorani de la Bibliothèque du Vatican qui fut pour moi un guide sûr, avisé et d’une grande disponibilité en ce qui concerne surtout les fonds d’archives dont il avait la garde. Je m’en voudrais de ne pas ajouter à ces deux noms ceux de Mgr Charles Burns aux Archives du Vatican, de Mgr Louis Duval Arnoud, d’un Adalbert Roth et d’un Paolo Vian à la Bibliothèque du même nom qui me facilitèrent grandement l’accès à l’un et l’autre de ces exceptionnels lieux de mémoire et l’exploitation fructueuse des trésors qu’ils recèlent. Comment ne pas souligner, d’autre part, tout ce que je dois à la famille Salviati, feue la duchesse Immacolata en particulier, qui, il y a plus de quarante ans, m’ouvrit ses richissimes archives, aujourd’hui déposées à la Scuola Normale Superiore de Pise et dont je tirai année après année des matériaux qui ne contribuèrent pas peu à me convaincre de faire désormais de la cour pontificale mon principal champ d’investigation. S’impose par ailleurs la mention de collègues italiens, canadiens, américains, allemands, français que j’ai eu l’heur de rencontrer lors de colloques, de conférences ou de séjours de recherche à Rome et ailleurs et avec lesquels j’ai eu plus d’une fois l’occasion d’échanger sur l’histoire de Rome et de sa cour et qui, de surcroît, m’ont souvent fait profiter de leurs propres découvertes ou encore suggéré des pistes ou des éclairages qui, plus d’une fois, se sont avérés fort utiles. Je pense ici notamment au regretté Paolo Brezzi de la Sapienza, Egmont Lee de l’Université de Calgary et Massimo Miglio de l’Université de Viterbe, spécialistes de l’histoire de Rome à la fin du Moyen Âge et qui ont joué un rôle important dans l’organisation entre 1980 et 1992 de colloques italo-canadiens portant sur cette période vue à travers le prisme de l’histoire sociale et de l’histoire des mentalités. Également, Ivana Ait, Anna Esposito, Luciano Palermo, de la Sapienza, Melissa Bullard, de l’Université de la Caroline du Nord
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AVANT-PROPOS
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(Chapel Hill), Irene Fosi, de l’Université de Chieti-Pescara, Thomas et Elizabeth Cohen, de l’Université York (Toronto) rencontrés dans le cadre de ces mêmes colloques. Et que dire de Gigliola Fragnito, de l’Université de Parme, qui me fit connaître le Centre Europa delle Corti et le large cercle de spécialistes gravitant autour du Centre en question et dont les travaux m’ont été d’un très grand profit. Que dire également d’un John O’Malley, s.j., de l’Université de Georgetown, d’un Mario Rosa, de la Scuola Normale Superiore de Pise, d’une Maria Antonietta Visceglia, de la Sapienza, d’un Antonio Ippolito Menniti, de l’Université de Cassino, d’un Wolfgang Reinhard, de l’Université de Munich, plus haut mentionné, d’un Jean Delumeau, du Collège de France, d’un Bernard Barbiche et d’un Olivier Poncet, de l’École des Chartes (Paris), qui furent, eux aussi, tout au long de l’élaboration du présent ouvrage sources d’inspiration et d’encouragement. Je tiens à leur exprimer à tous et toutes ma plus entière et sincère gratitude. On me permettra de remercier en particulier le professeur Jean Delumeau et la professeure Maria Antonietta Visceglia qui lurent, lui en entier, elle, en partie, la version manuscrite du présent ouvrage et me firent des suggestions pertinentes permettant de l’améliorer, ce dont je leur suis fort reconnaissant. Je m’en voudrais par ailleurs de ne pas remercier mon ancien secrétaire, Jean-Marie LeBlanc, d’avoir bien voulu accepter d’assurer la saisie du texte de mon livre au fur et à mesure qu’il prenait forme, chapitre par chapitre, avec tout ce que cela supposait de corrections, de modifications, d’ajouts avant d’en arriver à une version finale, travail combien fastidieux dont il s’est acquitté avec la patience et la compétence que depuis longtemps je lui connais. Toute ma gratitude également à mon neveu, Marc Lemay, graphiste, qui a mis au point les figures et tableaux émaillant le présent ouvrage. Des le moment ou j’ai mis en chantier le present ouvrage,ma conviction etait que la niche ou il trouverait le plus naturellement sa place serait la collection Studi e Testi de la Blbliotheque du Vatican. Or, a ma grande satisfaction, voila que cette conviction qui etait en meme temps un souhait devient realite. Je le dois en particulier a trois personnes dont je tiens a mentionner ici les noms, soit S.E. Mgr Jean-Louis Brugues, o.p., archiviste et bibliothecaire de la Sainte Eglise romaine, le docteur Ambrogio Piazzoni, vice-prefet de la Bibliotheque du Vatican et,le docteur Adalbert Roth, directeur du departement des imprimes de ladite Bibliotheque. Qu’ils en soient tous trois sincerement remercies.
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INTRODUCTION La cour pontificale a été dès les XVe et XVIe siècles objet tout à la fois de curiosité, d’admiration, d’envie, de censure, voire de haine. Une abondante littérature est là pour en témoigner. Par ailleurs, elle est restée longtemps un repère obligé du discours politique, religieux, culturel, voire philosophique de l’Europe d’Ancien Régime. Là aussi les témoignages littéraires et autres ne manquent pas. L’ouverture des Archives du Vatican sous Léon XIII a permis de raviver cet intérêt et surtout de sortir des limites du discours antérieur grâce à l’apport et à la disponibilité de matériaux jusque-là pratiquement inaccessibles sinon à quelques privilégiés d’ailleurs triés sur le volet1. En d’autres mots on a beaucoup écrit sur la cour des papes des XVe et XVIe siècles et on dispose depuis la fin du XIXe siècle de sources permettant de beaucoup mieux connaître cette cour, mais il n’en reste pas moins que nous savons encore relativement peu de choses sur elle et qu’une histoire de cette cour reste en grande partie à écrire. Ce constat, je ne suis pas seul à l’avoir fait. Paolo Prodi et Amedeo Quondam, fins connaisseurs en la matière, l’ont fait avant moi, appelant d’ailleurs de tous leurs vœux le jour où serait enfin comblé ce vide à première vue surprenant et, cela, d’autant plus, comme ils le soulignent tous deux, que les papes produisirent à l’époque un modèle culturel type qui sera d’ailleurs considéré par plusieurs dans l’Europe de l’Ancien Régime comme le modèle par excellence de ce qu’était, mieux de ce que devait être une cour princière digne de ce nom2. Sans doute ne manque-t-il pas d’études sur certains personnages de cette cour, papes en tête, mais également cardinaux, prélats, artistes, humanistes, voire bouffons ou sur certains aspects de la vie ou du fonctionnement de cette cour –– sa dimension liturgique par exemple –– ou encore sur tel ou tel secteur de l’administration pontificale et donc, la distinction entre cour et curie étant encore aux XVe et XVIe siècles relativement floue3, sur certains secteurs d’activité de cette même cour, mais, cela dit, force est de constater que ces regards obliques, furtifs ou sélectifs nous apprennent assez peu de choses sur 1 À ce sujet, voir, en particulier, O. Chadwick, Catholicism and History. The Opening of the Vatican Archives, Cambridge 1978. 2 P. Prodi, Il Sovrano Pontefice, Bologne 1982, p. 102-103. A. Quondam, Un’assenza, un progetto per una ricerca sulla storia di Roma tra 1465 e 1537, dans Studi Romani, 27 (1979), p. 167. 3 Voir à ce sujet, P. Hurtubise, Tous les chemins mènent à Rome. Arts de vivre et de réussir à la cour pontificale au XVIe siècle, Ottawa, 2009, p. 1-19.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
la cour comme telle, c’est-à-dire sur cette réalité non plus seulement politique, mais sociale et culturelle qu’était la cour des papes à l’époque. Pourquoi cette ignorance ou, du moins, apparente négligence soulignée par Prodi et Quondam et bien d’autres après eux, alors que tant d’autres facettes de la Rome des XVe et XVIe siècles ont passionné savants et curieux depuis si longtemps et nous ont valu l’abondante littérature dont je faisais état plus haut? Il y a à cela, me semble-t-il, plusieurs raisons. Des raisons tout d’abord de nature heuristique. Malgré l’ouverture des Archives du Vatican à la fin du XIXe siècle, il a fallu un certain temps avant qu’on ne se familiarise avec le contenu de ces mêmes Archives et, en particulier, qu’on ait les instruments voulus pour arriver à s’y retrouver. Plusieurs de ces instruments, même pour des séries anciennes, restaient à ce moment à compléter, voire à créer. On pourrait en dire autant des sources existant à la section des manuscrits de la Bibliothèque du Vatican tout comme de celles de l’Archivio di Stato de Rome. Aussi, jusqu’à il y a une soixantaine d’années, les sources disponibles en vue d’une étude détaillée et approfondie de la cour pontificale paraissaient plutôt maigres. D’ailleurs on se sentait à l’époque très mal outillé pour arriver à exploiter correctement et utilement ce genre de sources. Une fois connu l’existence de ces dernières et surtout le fait qu’elles étaient beaucoup plus abondantes que supposé ou prévu, nombre de chercheurs ont quand même hésité à s’y plonger, le type de dépouillement et d’analyse que certaines d’entre elles exigeaient leur paraissant de loin trop fastidieux et coûteux en regard des résultats à en attendre. Problème heuristique donc, mais également, pour certains, problèmes d’abord et avant tout de « rentabilité ». À ces deux difficultés, il faut en ajouter une troisième tenant à la conception qu’on se faisait encore au début du XXe siècle de l’histoire. Au moment de l’ouverture des Archives du Vatican en 1880-81, l’histoire événementielle régnait encore en maîtresse avec, il est vrai, quelques timides ouvertures du côté de l’histoire des institutions et de la Kulturgeschichte, ouvertures qui nous vaudront d’ailleurs les premiers travaux modernes importants sur le fonctionnement de l’administration pontificale4 et sur les 4 Entre autres, A. Gottlob, Aus der Camera Apostolica des XV Jahrhunderts, Innsbruck 1889; A. Pieper, Zur Enstehungsgeschichte der Ständingen Nuntiaturen, Fribourg-en-Br. 1894; M. Tangl, Die päpstlichen Kanzleiordmengen von 1200-1500, Innsbruck 1894. L. Célier, Les dataires du XVe siècle et les origines de la Daterie apostolique, Paris 1910; E. Göller, Der Liber taxarum der päpstlichen Kammer, dans Quellen und Forschungen, 8 (1905), p. 113-173, 305-343; id., Der päpstliche Penitentiarie von ihrem Ursprung bis zu ihrer Umgestaltung unter Pius V, 2 vol., Rome 1907-1911; P. Richard, Origines et développement de la Secrétairerie d’État, dans RHE, XI (1910), p. 61-72, 505-523; A. Clergeac, La curie et les bénéfices ecclésiastiques. Étude sur les communs et menus services, 1300-1600, Paris 1911; W. Von Hofmann, Forschungen zur Geschichte der Kurialen Behorden vom Schisma bis zur Reformation, 2 vol., Rome 1914.
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Introduction
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transformations du paysage culturel italien aux XVe et XVIe siècles5. Mais ces ouvertures, si prometteuses fussent-elles, restaient plutôt modestes et traditionnelles par rapport à celles qu’allaient constituer un demi-siècle plus tard l’histoire sociale et l’histoire des mentalités. Or, coïncidence pour le moins significative, ce n’est qu’avec l’irruption de ces deux nouvelles disciplines, il y a soixante ans à peine, sur la scène historiographique que le thème de la cour ou, mieux, de la société de cour fait, pour la première fois, surface, en d’autres mots, commence à intéresser les historiens. Cet intérêt, on le doit, pour une bonne part, aux travaux pionniers d’un Norbert Elias6, sociologue, et d’un Otto Brunner7, historien, qui, il y a une cinquantaine d’années ont, à toutes fins pratiques, « inventé » le thème de la cour. L’un et l’autre, ils ont eu le mérite de fournir aux spécialistes d’histoire sociale et d’histoire des mentalités les catégories et certains des paramètres qui vont servir à orienter les recherches depuis entreprises sur les principales cours d’Italie, de France et d’Angleterre notamment8. Et ces spécialistes, à leur tour, ont développé, à partir des ressources de leurs disciplines respectives, les techniques, les approches les mieux adaptées à l’exploitation des matériaux disponibles, matériaux qui, comme je l’indiquais plus haut, faute de telles techniques et de telles approches, avaient été jusque-là négligés, pour ne pas dire ignorés. On ne saurait trop souligner à cet égard l’apport unique et irremplaçable du Centre « Europa delle Corti » qui, depuis une vingtaine d’années, multiplie colloques et publications sur le phénomène de la cour tel qu’il se manifestait en Europe, en Italie tout particulièrement, de la fin du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime. Je m’en voudrais de ne pas souligner ici ce que, comme plusieurs autres, je dois aux travaux remarquables des animateurs et collaborateurs de ce Centre unique en son genre9. La cour n’est donc pas l’inconnue qu’elle était il n’y a pas si longtemps, mais il s’en faut de beaucoup que les explorateurs de ce nouveau « territoire » aient fait ne fût-ce qu’un premier inventaire de ce dernier. Pour ce 5 Dans le sillage de l’ouvrage désormais classique de J. Burckhardt, La civilisation de la Renaissance en Italie, Paris 1885, dont l’édition originale allemande parut en 1860. 6 N. Elias, Die hofische Gesellschaft, Neuwied-Berlin 1969. Une édition française est parue à Paris en 1974 sous le titre: La société de cour. Le même auteur s’est fait d’abord connaître par un ouvrage fondamental: Über der Prozess der Zivilisation, 2 vol., Bale 1939. 7 O. Brunner, Adeliges landleben und eüropaischer Geist, Salzbourg 1949. Une édition italienne sous le titre Vita nobiliare e cultura europea a été publiée à Bologne en 1972 (rééd. 1982). 8 O. Brunner, Adeliges landleben und eüropaischer Geist, Salzbourg 1949. Une édition italienne sous le titre Vita nobiliare e cultura europea a été publiée à Bologne en 1972 (rééd. 1982). 9 Le Centre créé en 1976 à l’Istituto di Studi Rinascimentali de l’Université de Ferrare par Amadeo Quondam et Giancarlo Mazzacurati a organisé depuis de nombreux colloques portant sur le monde de la cour et sur certaines cours en particulier, en Italie surtout, colloques qui ont donné lieu à de nombreuses publications dont celles mentionnées à la note précédente.
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qui est de la cour pontificale, en tout cas, l’essentiel du travail il y a trente ans à peine restait à faire. Peu de chercheurs s’étaient jusque-là intéressés à la question et encore moins avaient sérieusement tenté d’aller au-delà des images largement « impressionnistes » et « anecdotiques » auxquelles mémorialistes et historiens nous avaient jusque-là habitués. Que savons-nous au juste de cette cour au moment précisément où, comme le soulignent Prodi et Quondam, elle se constituait en modèle, c’est-à-dire, en gros, de la deuxième moitié du XVe à la fin du XVIe siècle? Une enquête menée par moi il y a une quinzaine d’années sur la présence des « étrangers » à la cour pontificale, enquête qui a depuis fait l’objet d’une publication10, m’avait amené à constater que les travaux désormais classiques d’un Von Pastor, d’un Rodocanachi, d’un Ferrajoli, d’un Dorez11 nous apprenaient finalement assez peu de choses sur la cour pontificale comme telle si ce n’est de façon très ponctuelle et très sélective, bien qu’on trouvât chez la plupart de ces auteurs qui avaient tous, soit dit en passant, une bonne connaissance des sources archivistiques disponibles à leur époque, de nombreux filons, à peine exploités par eux, mais susceptibles de conduire à une connaissance beaucoup plus poussée et systématique de la cour comme telle. Je pense ici notamment aux riches séries des archives de la Chancellerie, de la Daterie et de la Chambre Apostolique conservées, pour une part, aux Archives et à la Bibliothèque du Vatican, pour le reste, à l’Archivio di Stato de Rome12. Je pense également aux diaires d’un Burc10 P. Hurtubise, La présence des étrangers à la cour de Rome dans la première moitié du XVIe siècle, dans Forestieri e stranieri nella città basso-medievale, Florence 1988, p. 57-80. Une version revue et corrigée de ce texte se trouve dans mon ouvrage: Tous les chemins cit., p. 21-54. 11 L. Von pastor, Geschichte der Päpste, vol. III-XI, Fribourg-en-Br. 1875-1927. E. Rodocanachi, La première Renaissance. Rome au temps de Jules II et de Léon X, Paris 1912; id., Une cour princière au Vatican pendant la Renaissance, Paris 1925; id., Le pontificat de Jules II, 1503-1513, Paris 1928; id., Le pontificat de Léon X, Paris 1931; id., Le pontificat d’Adrien VI et de Clément VII, Paris 1933. A. Ferrajoli, Il ruolo della corte di Leone X, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 363-391; XXXV (1912), p. 219-271, 483-539; XXXVI (1913), p. 191-223, 519-584; XXXVII (1914), p. 317-360, 453-484; XXXVIII (1915), p. 215-281, 425-452; XXXIX (1916), p. 53-77, 537-576; XL (1917), p. 243-277; XLI (1918), p. 87-110. L. Dorez, La cour de Paul III, 2 vol., Paris 1932. 12 Entre autres, pour la Chancellerie, les Registra Vaticana où sont conservés copies des milliers de requêtes présentées chaque année en vue de l’obtention de bénéfices ou de dispenses ou encore de grâces de la part du pape, puis les Registra Lateranensia où étaient consignées les réponses faites aux requérants. En ce qui concerne la Daterie, s’imposent les Registra Supplicationum et à partir du XVIe siècle en particulier, les Brevia Lateranensia où sont enregistrées sous forme de copies les concessions de bénéfices, dispenses ou grâces «per via secreta», c’est-à-dire par faveur du pape à des personnes qui lui étaient personnellement recommandées ou étaient de quelque façon liées à sa personne. Mérite aussi mention la riche série des Libri officiorum vacabilium conservés eux aussi aux ASV qui, eux, concernent plutôt les offices dits «vénaux», c’est-à-dire faisant l’objet de ventes. Autant de sources de première main permettant de dresser les cursus honorum de nombreux personnages dont plusieurs membres des cours des papes de l’époque. Pour ce qui est de la Chambre Apostolique, s’imposent
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Introduction
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kard, d’un Grassi, d’un Baroni, des Firmano, des Mucanzio, d’un Alaleoni, cérémoniaires des papes de l’époque13 dont il y a beaucoup à tirer sur les faits et gestes, le climat, les humeurs de la cour pontificale de l’époque. Sans oublier les collections d’avvisi, les correspondances diplomatiques, les correspondances, diaires et journaux privés et, bien évidemment, les documents officiels (bulles, brefs, chirographes, etc.), émanant des administrations spirituelles et temporelles des papes du temps14. Sans doute ne faut-il pas considérer comme mineurs les travaux d’un certain nombre de spécialistes qui, comme je le soulignais plus haut, ont commencé et pour certains continuent à explorer telle ou telle dimension ou aspect particulier de la cour pontificale à l’époque, travaux, entre autres, d’un Dykmans sur le cérémonial papal à la fin du moyen âge15, d’un Celani, d’un Casimiri, d’un Frei, sur les chanteurs de la chapelle Sixtine16, les séries Introitus et Exitus, Diversa Cameralia et Resignationes, que l’on trouve également aux ASV. La série Resignationes est particulièrement riche en renseignements sur le personnel de la cour papale en raison du fait qu’une bonne partie du «trafic» de bénéfices qui se faisait à Rome à l’époque intéressait des membres de ladite cour. Or chaque pièce figurant dans la série en question nous fournit le nom du résignataire, celui du ou des bénéficiaires, ceux d’au moins deux témoins habituellement de l’entourage immédiat des bénéficiaires, le nom également du notaire de la Chambre qui a enregistré la résignation, enfin le lieu où s’est faite cette dernière, ce lieu étant très souvent le palais apostolique où justement habitent ou travaillent plusieurs des résignataires ou bénéficiaires figurant dans ce type de document. À la BAV, également, section des manuscrits, on trouve d’importantes séries de registres provenant des anciennes archives de la Daterie, telles les Entrate e uscite (Vat. lat. 10599-10665), couvrant les années 1531-1555 et, pour ce qui est de la Chambre Apostolique, un certain nombre de registres des majordomes au service des papes de la fin du XVIe siècle, soit de Grégoire XIII à Clément VIII (Introiti ed Esiti, 1-32). Aux ASR, mérite surtout mention l’énorme Fondo Camerale: I qui va nous fournir une grande partie des données chiffrées concernant la vie matérielle de la cour. On trouvera la liste complète des registres, boîtes ou fitze tirées de ces divers dépôts d’archives, du moins de ceux auxquels j’ai eu recours, dans la bibliographie figurant en fin de volume sous la mention: sources manuscrites. 13 Les diaires des deux premiers ont fait l’objet de publications. En ce qui concerne Burckard, il y a tout d’abord celle de L. Thuasne, Diarium sive Rerum Urbanarum Commentarii, 1483-1506, 3 vol., Paris 1883-85, puis celle d’E. Celani, Liber Notarum ab Anno MCCCCLXXXIII usque ad Annum MDVI, 2 vol., Città di Castello 1911. Ces deux éditions reproduisent l’ensemble du diaire de Burckard. La seconde doit être préférée à la première. Par contre celle de P. Delicati – M. Armellini, Il Diario di Leone X di Paride de Grassi (Rome 1884) ne couvre que la partie consacrée au pontificat de Léon X et il faut donc aller aux originaux ou copies de ces derniers conservés à la BAV et aux ASV aussi bien pour Grassi que pour ses successeurs. On trouvera également la liste complète de ces sources en fin de volume. 14 On se rendra assez vite compte de l’exploitation que j’en ai moi-même faite au fur et à mesure qu’on progressera dans la lecture du présent ouvrage. Encore là, on en trouvera la liste dans la Bibliographie figurant en fin de volume. 15 M. Dykmans, Le cérémonial papal de la fin du Moyen Âge à la Renaissance, III-IV, Bruxelles-Rome 1983-1985 et L’œuvre de Patrizi Piccolomini ou le cérémonial papal de la première Renaissance, 2 vol., Cité du Vatican 1980-1982. 16 M. Celani, I Cantori della Cappella Pontificia nei Secoli XVI-XVIII, Milan 1909; R. Casimiri, I Diarii Sistini. I primi anni (1535-1559), Rome 1939; H. W. Frei, Die Diarien der Sixti-
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
d’un Antonovics, d’un Chambers, d’un Reinhard, d’une McLung Hallman, d’une Fragnito, d’une Byatt sur les cardinaux et, plus particulièrement, les cardinaux romains des XVe et XVIe siècles17, d’un Frenz et d’un Partner sur les personnels de curie de l’époque18, d’un O’Malley, d’un d’Amico, d’un Stinger, d’un Paschini, d’un Ponnelle et d’un Bordet ou encore d’un Prosperi19 sur la présence des courants humanistes et réformistes à la cour pontificale à la même époque, mais si utiles, si valables ces travaux soientils, ils ne constituent encore qu’une réponse très partielle à l’invitation d’un Prodi, d’un Quondam d’écrire enfin l’histoire qui jusqu’ici n’a pas été écrite de la cour des papes aux XVe et XVIe siècles. Le modèle qui vient spontanément à l’esprit est bien évidemment la très riche étude de Bernard Guillemain sur la cour pontificale d’Avignon20. Il y a beaucoup à emprunter à ce modèle, ne fût-ce que d’un point de vue heuristique et méthodologique. Mais il faut en même temps se dire que la cour des papes n’était plus au XVIe siècle tout à fait ce qu’elle avait été au XIVe, que le problème des sources en termes aussi bien quantitatifs que qualitatifs se pose différemment dans un cas et dans l’autre et que surtout chacune de ces cours était le produit de circonstances de temps et de lieu elles aussi fort différentes. Autant de facteurs qui ajoutent à la difficulté de nischen Kapelle in Rom der Jahre 1560 und 1561, Düsseldorf 1959. 17 A. V. Antonovics, Counter-Reformation Cardinals, 1534-1590, dans European Studies Review, 2 (1972), p. 301-328; d. S. Chambers, The Economic Predicament of Renaissance Cardinals, dans Studies of Medieval and Ranaissance History, III, Lincoln 1966, p. 289-313 et The Housing Problems of Cardinal Francesco Gonzaga, dans Journal of the Wartburg and Courtauld Institute, 39 (1976), p. 21-58; W. Reinhard, Amterlaufbahn und Familien Status. Der Aufstieg des Hauses Borghese, 1537-1621 dans Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 53 (1974), p. 328-427 et Sozialgeschichte der Kurie in Waffenbauch und Siegelbild. Ein Versuch über Devotionswappen frühneuzeitlischer Kardinäle, dans Romische Kurie. Kirchliche Finanzen. Vatikanisches Archiv. Studien zu Ehren von H. Hoberg, II, Rome 1979, p. 741-772; B. McClung Hallman, Italian Cardinals. Reform and the Church as Property. Berkeley-Los Angeles, 1985; G. Fragnito, Parenti e familiari nelle corte cardinalizie del Rinascimento, dans Famiglia del Principe e famiglia aristocratica, II, Rome 1988, p. 565587 et Il cardinale Gregorio Cortese (1483?-1548), nella crisi religiosa del Cinquecento, dans Benedictina, 30 (1983), p. 129-171, 417-459, 31 (1984), p. 79-134. 18 T. Frenz, Die Kanzlei der Päpste der Hochrenaissance (1471-1572), Tübingen 1986; P. Partner, The Pope’s Men. The Papal Service in the Renaissance, Oxford 1990. 19 J. O’Malley, Praise and Blame in Renaissance Rome, Durham 1979; J. F. D’amico, Renaissance Humanism in Papal Rome, Baltimore-London 1983; C. L. Stinger, The Renaissance in Rome, Bloomington-Indianapolis 1995. P. Paschini, S. Gaetano Thiene, Gian Pietro Carafa et le origini dei Chierici Regolari Theatini, Rome 1946 et, du même, Cinquecento romano e riforma cattolica, Rome 1958; L. Ponnelle - L. Bordet, Saint Philippe Néri et la société romaine de son temps (1515-1595), Paris 1958. A. Prosperi, Riforma cattolica, Controriforma, disciplinamento sociale, dans Storia dell’Italia religiosa. 2. L’età moderna, éd. G. de Rosa ˗ T. Gregory, Bari 1994, p. 3-48. 20 B. Guillemain, La cour pontificale d’Avignon (1309-1376). Étude d’une société, Paris 1962.
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l’entreprise. Si, malgré cette difficulté et les nombreuses autres évoquées plus haut, je me suis laissé il y a plus de trente ans tenté par cette entreprise –– d’où le présent ouvrage –– c’est que grâce à d’abondantes lectures et à quelques recherches ponctuelles faites jusque-là sur la cour pontificale au XVIe siècle, l’histoire de cette dernière avait fini par susciter chez moi le plus grand intérêt et que je me sentais par conséquent interpellé par le souhait d’un Quondam et d’un Prodi de voir cette histoire enfin racontée comme elle aurait dû depuis longtemps l’être. Je ne mesurais pas encore à ce moment l’ampleur de la tâche qui m’attendait, compte tenu surtout du fait que j’avais dès l’abord décidé que, contrairement à Guillemain, je ferais place et très large place à la vie matérielle de ladite cour21, mais, fort de l’appui et des encouragements de collègues s’intéressant comme moi à la Rome pontificale et, plus particulièrement à sa cour, porté surtout par l’intérêt, parfois même l’enthousiasme que suscitaient en moi la richesse et l’inédit des documents que me fournissaient et qu’au fil des ans me fourniraient de plus en plus abondamment les divers fonds d’archives dépouillés, cette tâche a pu être menée à bien, même si, j’en suis bien conscient, elle ne constitue qu’une première et, sans doute, incomplète réponse au vœu d’un Prodi et d’un Quondam. Je me permets de signaler qu’à divers moments de cette longue exploration, profitant des « trouvailles » qu’il m’arrivait de faire, j’ai produit un certain nombre d’articles nés de communications présentées à l’un ou l’autre séminaire, colloque ou symposium touchant de près ou de loin à mon champ privilégié de recherche et que plusieurs d’entre eux ont été par la suite regroupés pour former un recueil intitulé Tous les chemins mènent à Rome paru en 2009, constituant en quelque sorte le prélude du présent ouvrage22. On trouvera d’ailleurs dans ce dernier de nombreux renvois aux textes en question qui déjà font état des problèmes heuristiques et méthodologiques que m’ont posé les divers types de sources, les unes, connues, d’autres, beaucoup moins, qu’il m’a fallu exploiter pour arriver à reconstituer dans toute la mesure du possible la complexe et singulière histoire de la cour des papes au XVIe siècle. Bon nombre de ces problèmes étaient identiques ou presque à ceux dont Guillemain faisait déjà état dans son ouvrage sur la cour d’Avignon. En particulier, comme il le souligne lui-même, celui d’une documentation abondante, dans certains cas riche de détails de toutes sortes, mais qui, en fin de compte, s’avérait assez souvent décevante, ne fournissant qu’une vue partielle sinon fragmentaire de ce qu’était en réalité la cour en question, c’est-à-dire, pour employer sa propre formule, la « société » en21 22
Ibid., p.3. C’est ce que j’explique dans l’Avant-propos dudit ouvrage, p. x.
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tourant le pape et l’aidant à remplir les diverses fonctions lui incombant23. Et, comme lui, j’ai été à même de constater à quel point il fallait lire et interpréter avec précaution des sources de nature et de facture très différentes, les unes de caractère officiel, semi-officiel ou, au contraire, privé, voire confidentiel, cela pouvant aller du prescriptif, au sens le plus strict de ce terme telles les réglementations ou décisions de toutes sortes provenant des papes eux-mêmes ou de subalternes agissant en leur nom et les correspondances auxquelles ces réglementations et décisions donnaient lieu jusqu’au descriptif ou narratif sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de diaires, de correspondances privées, d’avvisi entre autres, mais aussi, pour ce qui est de l’administration de la cour, des livres de comptes parvenus jusqu’à nous, en particulier ceux produits par la Chambre Apostolique et par la Daterie sans oublier ceux que nous ont laissés certains autres officiers de la cour liés de près à la personne du pape, notamment, pour la période qui nous intéresse ici, le majordome et le trésorier secret. Comme Guillemain et d’ailleurs Jean Delumeau avant lui, j’ai dû me rendre à l’évidence que beaucoup de ces sources, celles concernant l’administration de la cour en particulier, étaient souvent lacunaires, d’où le fait que, dans plusieurs cas, on ne pouvait aller au-delà d’évaluations numériques approximatives24. Nous aurons plus loin l’occasion d’examiner de plus près et de résoudre dans la mesure du possible certains de ces problèmes lorsque nous aborderons surtout les chapitres concernant la composition, les activités, le train de vie et le financement de la cour, mais il me paraissait important de les mentionner dès à présent pour que le lecteur soit bien conscient des limites à l’intérieur desquelles, comme Bernard Guillemain, il m’a fallu travailler et ne s’attende donc pas à trouver réponse à toutes les questions qu’il pourrait légitimement se poser. Le présent ouvrage compte huit chapitres. Les deux premiers, comme il se doit, mettent en scène les divers papes de l’époque depuis Alexandre VI (1492-1503) jusqu’à Clément VIII (1592-1605), l’accent étant tout naturellement mis sur ceux d’entre eux qui eurent des règnes autres qu’éphémères. Vu la place centrale qu’ils occupaient chacun dans leurs cours respectives, le rôle-clé qu’ils y jouaient, le visage qu’ils entendaient lui donner à l’image des intérêts, valeurs et goûts qui leur étaient propres, comment en effet pouvoir entrer dans le vif de notre sujet, c’est-à-dire ce qu’était au départ et ce que deviendra par la suite la cour pontificale au XVIe siècle, sans d’abord nous intéresser à ceux qui en étaient après tout la raison d’être? Nous ne faisons d’ailleurs en cela que suivre l’exemple de Bernard Guillemain qui, lui aussi, jugea indispensable de procéder de la sorte. Guillemain, La cour pontificale cit., p. 38. Ibid., p.2, 38. J. Delumeau, Vie économique et sociale de Rome dans la seconde moitié du XVIe siècle, 2 vol., Paris 1957-1959, p. 689-693. 23 24
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Ces papes, nous ferons leur connaissance tout d’abord comme groupe, rappelant, d’une part, le contexte politique, socio-culturel et religieux à l’intérieur duquel il leur fallut œuvrer, de l’autre, les obligations et le style de vie que leur imposait leur double rôle de chefs de l’Église et de chefs d’État. Nous nous demanderons ensuite, premièrement, en quoi ils se ressemblaient et en quoi ils se distinguaient les uns des autres en termes aussi bien d’antécédents familiaux que de formation reçue et d’influences subies sans négliger ce qu’avaient été, chacun, leurs carrières antérieures, puis –– ce sera l’objet de notre second chapitre –– nous nous intéresserons aux règnes des principaux d’entre eux et à ce que ces règnes révélent de leurs personnalités respectives, de la conception qu’ils se faisaient de leur pouvoir, des ambitions politiques et autres qu’ils nourrissaient, de leur capacité à réaliser ces dernières et à relever les défis auxquels il leur fallut l’un après l’autre faire face. Nous serons alors en mesure d’entreprendre notre exploration, et une exploration aussi exhaustive que possible de l’univers complexe et changeant que représentait la cour pontificale au XVIe siècle ou peut-être vaudrait-il mieux dire des cours dont se dotèrent, chacun, les papes de l’époque. Il sera tout d’abord question dans un troisième chapitre des lieux de résidence de ces derniers et de leurs « familles », le lieu principal étant à l’époque constitué par le Vatican, palais et annexes, mais assorti d’un certain nombre de résidences secondaires dans Rome ou dans la campagne environnante, lieux cette fois tout aussi bien de repos que de loisirs, voire, à l’occasion, de refuge. Ce chapitre consistera en une description détaillée des lieux en question et des nombreuses transformations qu’ils subirent au cours du XVIe siècle avec une attention particulière à la décoration intérieure du palais apostolique et, cela, en raison du fait que cette décoration –– nous aurons l’occasion de le montrer –– illustre on ne peut mieux le type d’image que les papes de l’époque entendaient projeter d’eux-mêmes et de leur pouvoir. Suivra un quatrième chapitre consacré, lui, aux effectifs de la cour, c’est-à-dire à l’ensemble des personnes dont les papes de l’époque avaient choisi de s’entourer en vue d’assurer les différents services auxquels ils pouvaient légitimement s’attendre. Nous verrons que pour des raisons tant heuristiques que méthodologiques la question aussi bien du nombre que de l’identité de ces personnes soulève surtout pour la première moitié du XVIe siècle de nombreuses difficultés. Ainsi faut-il attendre le pontificat de Jules III (1550-1555) pour disposer de rôles de cour dignes de ce nom et, encore, ces derniers ne sont-ils pas toujours d’une totale fiabilité. C’est que les critères permettant d’établir avec certitude qui faisait et qui ne faisait pas partie de la cour sont loin d’être aussi clairs et déterminants que l’on pourrait être tenté de le croire. J’ai publié il y a quelques années
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précisément à ce sujet un article auquel je me permets de renvoyer le lecteur25. Il faudra donc nous contenter dans la plupart des cas de chiffres approximatifs, en d’autres mots, de simples ordres de grandeur qui nous permettront tout de même de nous faire une assez bonne idée de l’importance, numériquement parlant du moins, que chacun des papes de l’époque accordait à sa cour. Si déficients soient-ils, les différents rôles de cour dont nous disposons, complétés par les quelques rôles funéraires ou encore de « familiarité » parvenus jusqu’à nous, ont le grand mérite de nous permettre d’identifier les diverses catégories d’officiers ou de fonctions de la cour et de nous fournir les noms de bon nombre de leurs titulaires. Nous nous intéresserons à ces derniers, en particulier à certains d’entre eux ayant joué un rôle marquant tout comme nous chercherons à établir le plus exactement possible en quoi consistaient les offices ou fonctions, depuis les plus prisées jusqu’aux plus humbles, faisant partie de l’organigramme de la cour. Une attention spéciale sera par ailleurs accordée à des personnages que j’ai choisi d’appeler « hôtes » de la cour, en ce sens qu’ils ne figurent pas dans les organigrammes en question, étant pour la plupart là à titre de parents, clients ou protégés du pape régnant, cela pouvant aller de cardinaux ou de prélats domestiques lui servant parfois de conseillers ou de chargés de mission jusqu’aux savants, musiciens, artistes, poètes, voire bouffons dont certains papes aimaient s’entourer. Mais il sera aussi question des voies d’accès à la cour, complexe problème qui, notons-le, intéressa un certain nombre d’auteurs à l’époque26 et auquel nous chercherons à répondre à partir de nombreuses sources jusqu’ici peu exploitées, sources qui nous réserveront peut-être quelques surprises en ce qui concerne surtout certaines catégories de personnes admises à faire partie de la cour. Enfin, nous accorderons, comme il se doit, beaucoup d’attention aux divers types de rapports que les papes du XVIe siècle entretenaient avec leurs « familles » respectives. Qu’en était-il, par exemple, des traitements dont les membres de ces dernières faisaient l’objet? Nous verrons qu’ils variaient considérablement, quantitativement et qualitative Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 1-19. Notamment le célèbre Discorso sopra la Corte di Roma du cardinal Francesco Commendon écrit vers 1564-1565 et qui connut une large diffusion à l’époque comme en témoignent les nombreux exemplaires qui en subsistent dans divers fonds d’archives d’Europe. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, il ne fit pas à ce moment l’objet d’une publication. Ce n’est que récemment, soit en 1996, qu’il fut édité à Rome par Cesare Mozzarelli du Centre «Europa delle Corti». Autre texte du même genre, à ce qu’il semble moins connu à l’époque, mais qui fit, lui, l’objet d’une publication au début du XVIIe siècle: L’idea del prelato, attribué à Baldovino del Monte, mais dont l’auteur était plus vraisemblablement le cardinal Antonio del Monte, oncle du futur Jules III, à qui ce texte était probablement destiné, donc du début du XVIe siècle. À ce propos, voir l’analyse que j’en ai fait et qu’on trouve dans Tous les chemins cit., p. 109-128. 25 26
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ment parlant, d’une catégorie de personnes, voire d’une personne à l’autre, que ce soit sous la forme de rémunération, au sens strict du terme, ou sous forme de mancie, les unes saisonnières, les autres occasionnelles. Et qu’en était-il du gîte et du couvert, ingrédients, eux, essentiels de la « familiarité » comme le rappelait à l’époque Tommaso Azzio dans ses Discorsi Nuovi27? Dans le cas du gîte, nous verrons qu’il était en général assuré au plus grand nombre, mais que cela ne signifiait pas nécessairement être logé dans le palais apostolique ou dans l’une ou l’autre de ses dépendances. Pour ce qui est du couvert, il ne fait pas de doute que tous y avaient droit, mais sous des formes qui varieront tout au long du XVIe siècle, depuis la parte en nature jusqu’à la parte en argent, cette dernière, introduite sous sa forme la plus radicale par Sixte V en 1586 et qui, nous le verrons, donnait un nouveau sens au mot « familiarité », modifiant du coup profondément, comme nous pourrons nous en rendre compte, le type de rapports que les papes avaient jusque-là entretenu avec leurs cours. Ayant pris connaissance des lieux où séjournait la « famille » pontificale et surtout des diverses catégories de membres qui la composaient, mous voudrons tout naturellement voir vivre au quotidien cette dernière, en d’autres mots, en reconstituer dans toute la mesure du possible, d’une part, les grands moments marqués, eux, par des rites d’une particulière solennité, de l’autre, les occurrences de tous les jours soumises, elles, à des rites convenus, stéréotypés même et en général moins ostentatoires. Les cinquième et sixième chapitres seront consacrés à la description de ces deux types de rites visant, l’un et l’autre, mais chacun à sa façon, à mettre en relief l’autorité et le prestige de la personne en fonction de laquelle ils avaient été conçus, c’est-à-dire le pape. Les premiers de nature aussi bien liturgique que protocolaire relevaient de ce qu’il est convenu d’appeler la fonction de « représentation ». D’où, compte tenu du rang occupé par les personnages qui étaient en ces circonstances honorés, les déploiements sans pareil qui les caractérisaient. Nous verrons qu’il en était ainsi des cérémonies entourant l’entrée en fonction de chaque pape, qu’il s’agisse de son couronnement ou encore, du moins au début et vers la fin du XVIe siècle surtout, de la prise de possession du Latran. Qu’il en allait de même, mais à un moindre degré, de celles entourant sa mort ou, dans certains cas, l’anniversaire de celle-ci, tout comme des messes solennelles où habituellement il présidait, celles de Noël, de Pâques, de la Saint-Pierre-etPaul et du Jeudi Saint notamment, sans oublier la célèbre procession de la Fête-Dieu qui avait lieu sous sa présidence également chaque année dans le Borgo. Et que dire des entrées de ville, véritables « triomphes » à l’ancienne auxquels eurent droit certains papes au retour de missions 27
T. Azzio, Discorsi Nuovi delle prerogative de’ curiali e moderni cortigiani, Venise 1600, fol. 6v.
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d’envergure les ayant retenus pendant de plus ou moins longues périodes loin de leur capitale. Toutes circonstances –– nous aurons l’occasion de le montrer –– où les maîtres de cérémonie étaient appelés à faire montre de leur expertise et, parfois, de leur ingéniosité en matière aussi bien liturgique que protocolaire, non plus seulement lorsque le pape était l’unique objet de leur sollicitude, mais lorsque ce dernier recevait des visiteurs de marque, un Charles Quint par exemple en 1536, mais aussi les ambassadeurs d’obédience envoyés par nombre de chefs d’État à chacun des papes nouvellement élus ou encore certains ambassadeurs étrangers tels ceux du tsar de Russie en 1582 chargés de mission spéciale auprès de Grégoire XIII et qui, nous le verrons, ne seront pas sans causer de nombreux maux de têtes aux cérémoniaires de ce dernier. Au-delà des descriptions détaillées qui seront faites de plusieurs des cérémonies en question –– et, ici, les diaires des maîtres de cérémonie nous seront d’un précieux secours –– nous chercherons à comprendre le sens et la portée de ces « mises en scène » étudiées tant pour le pape lui-même que pour ceux qu’il entendait honorer et, par ailleurs, à vérifier jusqu’à quel point cette cérémonialité évolua au cours de la période ici considérée et, si oui, pour quelles raisons. Mais la vie de la cour n’était pas faite que de grands moments. Ces derniers de fait occupaient assez peu de place dans la longue trame d’un quotidien d’un caractère, lui, moins hiératique et surtout beaucoup plus routinier bien qu’il pût comporter des éléments ressortissant eux aussi à la fonction de représentation. Tout le sixième chapitre sera consacré à l’analyse de ce quotidien fait d’innombrables activités, certaines de nature administrative, voire politique, d’autres de nature liturgique ou paraliturgique, d’autres encore de nature « ludique » - il y sera entre autres question de la « chasse », passe-temps princier qu’affectionnaient tout particulier certains papes de la première moitié du XVIe siècle –– d’autres, enfin, que pour faire court nous appellerons « domestiques », activités intéressant, les unes et les autres aussi bien la personne du pape que ceux et celles qui étaient appelés à le servir ou tout simplement à lui tenir compagnie. Pour ce qui est de la sphère « domestique », nous nous intéresserons tout particulièrement aux rites et pratiques touchant de près ou de loin aux aspects les plus concrets, pour ne pas dire matériels de la vie de la cour: le lever et le coucher du pape, les audiences que quotidiennement ou presque il accordait, le boire et le manger, l’hygiène corporelle, l’entretien et la sécurisation des lieux habités ou fréquentés par le pape, ses déplacements dans Rome ou hors de Rome. Ce qui va nous amener à voir à l’œuvre les divers services de la cour, en particulier ceux affectés au bien-être physique, voire psychique du pape et de ses proches et, par le fait même, nous donnera accès à ce que l’on serait tenté d’appeler l’envers du décor ou, si l’on préfère, la face cachée de la cour. Car la cour pontificale à l’époque, c’est aussi cela, c’est peut-être même au quotidien surtout cela. Il me paraissait
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important, indispensable même, malgré les longs et fastidieux dépouillements d’archives que cela m’a imposés, de faire ressortir cette dimension à première vue secondaire de la réalité de la cour des papes du XVIe siècle tant les quelques sondages effectués au départ dans un certain nombre de livres de comptes, ceux en particulier tenus par les trésoriers secrets et les majordomes des papes de l’époque m’avaient convaincu de la nécessité de recourir à ces données pour avoir une juste idée de ce que fut cette cour et des transformations qu’elle subit du début à la fin du XVIe siècle. Terminée la longue exploration que nous aurons ainsi faite de la cour en termes de lieux, d’effectifs et d’activités, nous ne pourrons éviter la question de savoir ce que tout cela représentait en termes de coûts et surtout d’où venaient les ressources permettant de couvrir ces derniers. Ce sera l’objet d’un septième chapitre consacré précisément au financement de la cour. Ici encore, nous nous fonderons sur les données fournies par les livres de comptes des trésoriers secrets et des majordomes, mais également sur ceux de la Daterie et de la Chambre Apostolique auxquels viendront s’ajouter un certain nombre de bilans financiers parvenus jusqu’à nous. Le caractère lacunaire de la plupart de ces sources, une fois de plus, ne facilitera en rien notre travail. Aussi nous faudra-t-il assez souvent nous contenter d’ordres de grandeur. Et cela vaut aussi bien pour les entrées annuelles dont jouissaient les papes de l’époque que pour la portion de ces dernières affectée à l’entretien comme tel de leurs cours. Première et essentielle question: d’où venaient ces argents et par quels canaux leur parvenaient-ils? La réponse à cette question est loin d’être simple et elle nous obligera à examiner de près la mécanique administrative qui se mit progressivement en place à partir du milieu du XVe siècle, complexe et hésitante au départ, beaucoup plus simple et rationnelle à l’arrivée, à l’image d’ailleurs des réglementations de plus en plus précises et détaillées relatives à la gestion financière à tous les échelons de l’appareil administratif pontifical, cour y comprise. Cela nous amènera, en ce qui concerne cette dernière, à examiner de près le rôle joué en aval par les trésoriers secrets et les majordomes, exécuteurs des volontés de leur maître, le pape, en amont, par la Daterie, la Chambre Apostolique et leurs principaux officiers, sans oublier le personnage-clé de tout ce système, le dépositaire de la Chambre. Une fois démontré comment fonctionnait le système en question, du moins en ce qui concernait la cour, et les problèmes que cela ne manquait pas de poser, nous serons en mesure de nous intéresser à l’utilisation que faisaient des ressources mises à leur disposition les administrateurs de la cour, trésorier secret, d’une part, majordome, de l’autre. Cela nous permettra de chiffrer de façon plus précise que nous l’avons fait aux quatrième et sixième chapitres les divers types de dépenses qu’entraînait la gestion quotidienne de la cour et, cela, en fonction des quelque dix
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postes correspondant aux dépenses en question et que comportaient habituellement les bilans dressés à intervalles réguliers par les majordomes de l’époque, du moins ceux dont les registres sont parvenus jusqu’à nous. Nous porterons une toute particulière attention à l’achat de denrées de première nécessité, telles l’eau, puis surtout le blé et le vin. L’ensemble de ces dépenses, et ces dernières en particulier, nous permettront par ailleurs de découvrir le rôle joué par les nombreux banquiers, entrepreneurs, artisans et commerçants auprès desquels ou par l’intermédiaire desquels se faisaient les dépenses en question. Nous verrons que n’avaient peut-être pas tort ceux qui disaient à l’époque que Rome était non seulement une ville de cour, mais une ville vivant essentiellement de la cour. Convaincu, comme d’autres avant moi, que telle était bien la situation à Rome à l’époque et que l’impression des contemporains à ce sujet était bel et bien fondée28, j’ai décidé d’en faire le point de départ de mon huitième et dernier chapitre consacré à ce que j’ai choisi d’appeler: le rayonnement de la cour. De quoi s’agit-il au juste? Tout d’abord des efforts déployés par les plus entreprenants des papes de l’époque pour faire de leurs cours des modèles enviés de magnificence et de grandeur ne le cédant en rien à ceux de leurs homologues séculiers, y compris les plus puissants d’entre eux. Ces efforts visaient bien évidemment à créer une image, une image susceptible d’impressionner non seulement ces mêmes homologues séculiers, mais les nombreux visiteurs, pèlerins surtout, qui venaient de plus en plus nombreux à Rome et, plus près d’eux, leurs propres sujets romains. Les principaux bénéficiaires de cet investissement étaient sans conteste les habitants de Rome qui avaient le privilège de jouir à longueur d’année du spectacle d’une ville qui se faisait chaque jour plus belle et qui, en plus, leur donnait souvent l’occasion d’assister, voire de participer à des déploiements liturgiques protocolaires et festifs d’une exceptionnelle splendeur, mais qui avaient aussi et peut-être surtout celui de profiter immensément de la présence du pape et de sa cour qui était pour eux directement ou indirectement source d’emplois et de revenus, sans compter les mancie que certains papes particulièrement généreux multipliaient à l’intention des plus pauvres d’entre eux. Nous verrons que cette dernière dimension d’ordre d’abord et avant tout pécuniaire ne comptait pas pour peu dans le type de rapport que les papes de l’époque entretenaient avec leurs sujets romains. Tout autre le rapport avec les « étrangers » ou comme on les appelait à l’époque: stranieri et fuorusciti qui à divers titres venaient occasionnellement à Rome pour des séjours pouvant varier de deux ou trois jours à plusieurs semaines, voire mois. Car c’est à eux d’abord et avant tout 28
Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 35-88.
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qu’était destinée l’image que les papes du XVIe siècle entendaient projeter d’eux-mêmes, de leur cour et de leur capitale. Mais ces derniers, comme nous aurons l’occasion de le constater, n’étaient que très imparfaitement maîtres de ces images et se rendront assez vite compte que la perception qu’en avaient leurs « hôtes » variait d’une personne et d’une catégorie de personnes à l’autre au gré des convictions et des attentes de tout un chacun, cela pouvant aller de l’admiration sans bornes de visiteurs de marque: princes, diplomates, humanistes, artistes sensibles, les uns, aux attraits de la cour papale, les autres, à ceux d’une Rome antique qu’on était en train de redécouvrir, au temps des papes de la Renaissance en particulier, ou encore de pèlerins qui n’avaient d’yeux que pour la Rome « dévote », celle des lieux de culte, des reliques, des indulgences à gagner –– indulgences plénières surtout –– jusqu’à la défaveur parfois extrême à l’endroit d’une papauté jugée trop « mondaine », voire « corrompue » et d’une Rome estimée trop « païenne » de la part des plus zélés partisans d’une réforme in capite et in membris de l’Église auxquels il faut ajouter les auteurs souvent anonymes de la prolixe littérature anticléricale de l’époque, notamment des célèbres pasquinate qui feront les délices des Romains durant une bonne partie du XVIe siècle. Il faudra un certain temps pour que les papes, ceux de la première moitié du XVIe siècle en particulier, se rendent à l’évidence qu’ils ne pouvaient faire fi des reproches en question et qu’il était de leur devoir d’apporter d’importants correctifs à l’image que, volens nolens, ils projetaient d’eux-mêmes, de leurs cours respectives et de leur ville. Nous verrons quels efforts, à partir du pontificat de Paul III surtout, ils déployèrent à cet effet et du progressif changement d’image qui en résultera aussi bien en ce qui les concernait eux-mêmes qu’en ce qui concernait leurs « familles » et leur capitale. Mais cette métamorphose n’aurait pas été possible sans le mouvement de réforme catholique de plus en plus présent et agissant à Rome à partir du règne de Paul III, puis sans la mise sur pied par ce dernier en 1535 d’un concile se situant dans la droite ligne de ce même mouvement et qui sera mené à terme par un de ses successeurs, nommément Pie IV, trente ans plus tard, enfin sans l’action vigoureuse et concertée des papes post-tridentins qui feront, entre autres, de l’expérience jubilaire née deux siècles et demi plus tôt un outil de conversion à l’intention des pèlerins qui vinrent en 1575 et en 1600 en plus grand nombre que jamais à Rome et y découvrirent une papauté, une cour et une ville devenues modèles de dévotion, de ferveur même, et de charité. Nous accorderons beaucoup d’espace à l’analyse de ce processus qui en fut aussi un de transformation « physique » de Rome grâce aux travaux de caractère monumental surtout entrepris ou complétés par divers papes de l’époque –– pensons ne fût-ce qu’à la construction de la nouvelle basilique SaintPierre qui s’étendit sur tout le XVIe siècle –– travaux visant à faire de leur
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capitale une « ville sainte » comme il convenait qu’elle le soit, permettant du coup, du moins l’espéraient-ils, de faire oublier la réputation de « ville mal famée » qui avait été à un certain moment la sienne. Mais il existait une autre image de la Rome pontificale, image « virtuelle » celle-là, qui, elle, concernait non plus ceux, pèlerins en particulier, qui, ayant séjourné à Rome, en avaient une connaissance « réelle », bien que sélective, mais ceux, beaucoup plus nombreux, qui n’avaient jamais mis les pieds et ne mettraient vraisemblablement jamais les pieds dans la ville. Cette autre image était le fruit surtout des efforts déployés par les papes eux-mêmes et ceux que Gérard Labrot appelle leurs « alliés conscients ou inconscients »29 pour mettre en valeur leur capitale et, par ce biais, leur propre figure et, cela, en termes aussi bien « culturels » que « cultuels », l’accent étant mis sur le premier de ces termes au temps des papes de la Renaissance, sur le second au temps de leurs homologues post-tridentins. Avec Gérard Labrot comme guide, nous examinerons les divers « vecteurs », ceux fournis par le monde de l’imprimerie en particulier, auxquels les papes en question et leurs « alliés » recoururent pour diffuser et, dans toute la mesure du possible, imposer cette « image », puis, cet examen complété, nous chercherons à établir jusqu’à quel point leurs efforts, ceux des papes post-tridentins en particulier, furent couronnés de succès. Ainsi s’achèvera notre exploration de l’univers tout à la fois complexe et singulier de la cour pontificale au XVIe siècle, exploration qui se voulait au départ exhaustive, mais qui, vu les limites imposées par une documentation souvent lacunaire, ne pouvait l’être et ne le sera sans doute jamais, bien qu’on puisse un jour disposer de nouvelles sources d’information permettant sur certains points particuliers d’aller plus loin ou, du moins, d’y voir plus clair, ce dont, bien entendu, je serais le premier à me réjouir. On me permettra en terminant de signaler que si le présent ouvrage doit beaucoup aux dépouillements que durant de nombreuses années j’ai effectués dans divers dépôts d’archives, à Rome, Florence, Pise et Paris en particulier, il en doit presque autant à l’irremplaçable apport d’un certain nombre d’ouvrages pionniers, dont j’ai d’ailleurs fait état plus haut, portant tout aussi bien sur l’histoire de la papauté que sur celle de Rome ou encore sur certains secteurs d’activité de la cour pontificale, voire sur certains personnages ayant joué à l’un ou l’autre de ces titres un rôle digne de mention. Et, parmi ces ouvrages, pour m’en tenir à ce que je serais tenté d’appeler les « incontournables », la monumentale Geschichte der Päpste de Ludwig von Pastor, la très riche Histoire économique et sociale de Rome au XVIe siècle d’un Jean Delumeau, les remarquables travaux d’un Michel G. Labrot, L’image de Rome. Une arme pour la Contre-Réforme, 1534-1677, Seyssel 1987, p. 68.
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Introduction
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Dykmans sur le cérémonial pontifical de même que de ceux, fondamentaux, d’un Peter Partner sur les finances du Saint-Siège qui ont été du début à la fin de mes recherches mes plus fidèles compagnons de route auxquels, d’ailleurs –– on s’en rendra assez vite compte — je renvoie souvent tout au long de mon ouvrage, que ce soit dans le texte même ou en note. Mais je me dois aussi de souligner l’apport, tout aussi déterminant, d’une plus jeune génération d’historiens et d’historiennes découverts par le biais des lectures que je faisais ou encore des colloques ou de séminaires auxquels je participais en lien avec le projet qui m’habitait et qui, d’année en année, prenait de plus en plus distinctement forme. On trouvera dans la bibliographie figurant en fin de volume la liste complète des historiens et historiennes en question et de celles de leurs publications qui ont retenu mon attention, mais je m’en voudrais de ne pas mentionner ici les noms d’un certain nombre d’entre eux et d’entre elles dont les travaux m’ont été sur tel ou tel point particulier d’un singulier profit, qu’il s’agisse pour ce qui est des personnages clés de la cour, papes surtout, de ceux d’un Ivan Cloulas, d’une Christine Shaw, d’une Nicole Lemaistre et d’un Christoph Weber; pour ce qui est des lieux de la cour, de ceux d’un Italo Insolera, d’un Charles Stinger, d’un David R. Coffin, d’un Niels Rasmussen, d’une Alberta Campitelli et des membres de l’équipe qui a produit sous la direction de Carlo Pietrangeli le remarquable ouvrage sur le palais du Vatican (Il Palazzo Apostolico Vaticano); pour ce qui est de la sphère administrative et financière, de ceux d’un Wolfgang Reinhard, d’un Antonio Menniti Ippolito, d’un Olivier Poncet et d’un Francesco Guidi Bruscoli; pour ce qui est de l’univers des rites aussi bien liturgiques que protocolaires, de ceux d’une Maria Antonietta Visceglia, d’un Agostino Paravicini Bagliani, d’une Irene Polverini Fosi, d’un Richard Sherr, d’un Adalbert Roth; enfin, pour ce qui est de la vie quotidienne, de ceux d’une Raffaella Sarti, d’une Ivana Ait et d’une Elisa Andretta. À cette liste, il faut bien évidemment ajouter l’œuvre phare d’un Gérard Labrot, plus haut mentionnée, qui constitue en quelque sorte le fil d’Ariane du chapitre VIII consacré au rayonnement de la cour. Devant l’ampleur de la tâche à laquelle, il y a plus de trente ans, j’avais décidé de me consacrer –– et je mesure mieux aujourd’hui la témérité que représentait une telle décision –– j’avais un moment pensé qu’il serait plus sage de m’entourer pour ce faire d’une équipe qui assumerait avec moi la tâche en question, chaque collaborateur ou collaboratrice se chargeant d’un chapitre ou d’une partie de chapitre correspondant à son champ particulier d’intérêt ou d’expertise. Cela ne fut malheureusement pas possible, mais je me rends compte aujourd’hui que si mon ouvrage n’est pas, au sens strict du terme, un ouvrage collectif, il l’est, tout de même, d’une certaine façon, compte tenu de l’apport, dans certains cas, décisif des auteurs
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dont j’ai fait jusqu’ici mention et de bien d’autres dont les noms figurent dans ma bibliographie. En ce sens, il est aussi et à plusieurs titres le leur. Aussi est-ce à eux que je m’empresse de le dédier en espérant qu’il ne soit pas trop indigne de leur concours ni trop éloigné de ce qu’ils pouvaient en attendre.
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I TELS PAPES, TELLES COURS?
Au cœur de tout discours sur la cour pontificale au XVIe siècle s’impose la considération, mieux la mise en valeur d’un personnage central auquel cette cour doit tout à la fois son existence, son prestige et sa légitimité. Ce personnage, on l’aura sans peine reconnu, c’est le pape. Comment, en effet, parler de la cour pontificale sans d’abord s’interroger sur sa raison d’être, c’est-à-dire ce fait qu’elle était d’abord et avant tout au service d’un homme hors du commun qui, fort de sa double autorité temporelle et spirituelle, avait sur cette cour un pouvoir incontestable, la percevait comme une sorte d’extension de lui-même et surtout était persuadé qu’il lui appartenait de la former ou réformer à sa guise. Prérogatives qui comportaient certes des limites –– les monarques même les plus absolus devaient savoir composer tout à la fois avec les vicissitudes du temps et le poids de traditions établies ––, mais qui n’en étaient pas moins bien réelles et d’ailleurs, à l’époque, fort enviées sinon convoitées. Nous aurons plus loin l’occasion de montrer à quel point les papes du XVIe siècle ont marqué et tenu à marquer de leur empreinte particulière les lieux, décors, pratiques ou rites de la cour pontificale, mais vu la place qu’ils occupaient dans cette cour, vu le rôle-clé qu’ils y ont joué, nous croyons devoir dès à présent et avant toutes autres choses nous intéresser à ces hommes en tant que tels, une meilleure connaissance de chacun d’entre eux et des circonstances de temps et de lieu avec lesquelles ils eurent chacun à composer nous paraissant constituer un préalable obligé à toute enquête sur la cour pontificale au XVIe siècle. 1. Le triomphe du népotisme L’argument qui milite peut-être le plus en faveur d’une telle façon de procéder est le fait que les papes, contrairement à la plupart des princes, leurs homologues, étaient depuis des siècles désignés par mode électoral. Le passage d’un pontificat à l’autre était donc des plus aléatoires, les papes se succédant, mais très souvent ne se ressemblant guère. De sorte que, dans le cas de la cour du moins, tout était chaque fois à recommencer,
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chaque nouveau titulaire tenant en général à se démarquer de son prédécesseur et donc à s’entourer, dans toute la mesure du possible, d’une « famille » bien à lui, c’est-à-dire à son image et à sa dévotion et à imprimer à sa cour un style, un cadre de vie et un mode de fonctionnement reflétant tout à la fois les intérêts, les valeurs et les goûts qui lui étaient propres. Cette « particularité » n’avait d’ailleurs pas échappé aux contemporains. Dans son célèbre Discorso sopra la corte di Roma, le cardinal Commendone faisait grand état de l’immense pouvoir dont disposait le pape à l’époque avec, ne craignait-il pas d’ajouter, les risques d’abus que cela pouvait comporter, risques bien réels selon lui. Mais il affirmait en même temps le caractère éphémère de ce même pouvoir inexorablement circonscrit par le temps, un temps souvent parcimonieusement compté, d’où les craintes, l’anxiété qui habitaient aussi bien ceux qui jouissaient de la protection et des largesses d’un pape régnant que ceux qui en attendaient tout autant sinon plus d’un possible successeur. Et Commendone essayait d’imaginer la stratégie la mieux à même de permettre tout à la fois de profiter des avantages du système en question et d’en éviter les principaux inconvénients1. De nombreux autres observateurs font ce même constat au XVIe, mais également aux XVIIe et XVIIIe siècles et en tirent de semblables leçons à l’adresse aussi bien de ceux ayant à transiger avec la cour pontificale que ceux désireux d’y trouver un emploi à la hauteur de leurs ambitions2. Le cardinal Antonio del Monte, oncle du futur Jules III, expliquait au début du XVIe siècle qu’en raison du fait que la première dignité y était élective, la cour de Rome était un lieu changeant et surtout imprévisible où ne pouvaient réussir que ceux qui étaient de « prudents » et habiles navigateurs3. Cette idée va être constamment reprise aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles et devenir un véritable topos exploité à satiété par les auteurs d’ouvrages portant sur la cour pontificale. Dans sa Relation de la cour de Rome écrite au temps de Clément IX, François Nodot fait grand cas des 1 G. F. Commendone, Discorso sopra la corte di Roma, éd. C. Mozzarelli, Rome 1996, p. 5072, 111-114 et passim. La première rédaction de ce texte serait, selon Mozzarelli, de 1554. Ibid., p. 9 et note. 2 Entre autres, L’Idea del Prelato de Baldovino del Monte publié à Florence en 1616, mais qui est un texte probablement du début du XVIe siècle, comme nous avons eu l’occasion de le démontrer (Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 114-123); les Avvertimenti politici per quelli che vogliono entrare in Corte attribués au comte de Verrua, ambassadeur du duc de Savoie à Rome de 1598 à 1608, qui circuleront sous forme manuscrite un peu partout en Europe à partir du XVIIe siècle avant d’être édités à Turin en 1862 (Miscellanea di storia italiana, 1ère série, t. 1, p. 321-352); ou encore Istruttione per il duca di Terranova, ambasciatore del Re di Spagna a Roma, probablement du milieu du XVIIe siècle, texte qui, lui aussi, a beaucoup circulé en Europe à l’époque. (Nous renvoyons à la version italienne que nous avons pu consulter à la Vaticane: BAV, Vat. lat. 10446, fol. 40-50r). 3 L’Idea del Prelato cit., p. 4-6.
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« changements subits » qui surviennent à la cour pontificale dès que meurt un pape4. À telle enseigne, précise-t-il, qu’aussitôt cette mort confirmée, vous voyez des gens qui étaient près du trône, courtisez, honorez, respectez, ramper en un instant comme les autres, y être regardez d’un œil indifférent, ou avec horreur, suivant la conduite qu’ils ont tenuë pendant le Pontificat expiré: ce qui doit s’entendre des parents du Pape deffunt, & des principaux ministres. Quant aux autres courtisans, ils se détachent tout-à-coup de ceux pour qui ils paroissoient avoir le plus de zele, le plus de venération, & le plus d’obeissance 5.
Propos quelque peu cyniques, mais qui ne sont pas sans rappeler ceux guère plus amènes d’un Commendone un siècle plus tôt6 et ceux, plus acides encore, d’un comte de Verrua au début du XVIIe siècle7. Moins caustique, le témoignage un siècle plus tard d’un autre voyageur français, Jérôme Lefrançois de Lalande, n’en est pas moins révélateur de pratiques et d’attitudes qui manifestement avaient depuis longtemps cours à Rome. Présent dans la ville en août 1765, au moment où y circule une rumeur à l’effet que le pape Clément XIII est mort, le sieur de Lalande se dit scandalisé du fait que l’on fasse si peu de cas de la disparition réelle ou supposée de ce « bon prince » et qu’on se préoccupe plutôt du problème de sa succession. Et il explique cette attitude, à ses yeux choquante, par le fait que Rome est un endroit « où l’on change si souvent de maître » que tous ceux ayant quelque ambition d’accéder aux charges, grandes et petites, de la cour « soupirent » constamment « après un nouveau règne » et s’agitent facilement « au premier danger du souverain », c’est-à-dire à la moindre rumeur concernant son état de santé8. Ce constat n’est d’aucune façon propre au XVIIIe siècle. Il faisait déjà, deux cents ans plus tôt, la une des informations orales ou écrites émanant de la Rome pontificale. Écrivant le 20 février 1546 à son bon ami le cardinal Cervini, à l’époque légat au concile de Trente, Bernardino Maffei, secrétaire de Paul III et du petit-fils de ce dernier, le cardinal Alexandre Farnèse, faisait état d’une récente indisposition du pape –– en l’occurrence un flux de sang –– qui l’avait à ce point affaibli qu’il avait dû se résigner à prendre quelques jours de repos, ce qui n’avait pas été sans émouvoir son entourage, en particulier le cardinal Farnèse qui, notait avec satisfaction Maffei, avait compris qu’il lui faudrait dorénavant s’occuper un 4 F. Nodot, Relation de la Cour de Rome où l’on voit le vrai caractère de cette cour & de quelle manière on s’y conduit pour parvenir aux souverains honneurs, I, Paris 1701, fol iiiv. Comme ce premier tome est fait de trois lettres écrites à M. de Lionne, secrétaire d’État, mort en 1671, il faut en situer la rédaction entre cette dernière date et le pontificat de Clément IX (1667-1669). 5 Ibid., p. 31-32. 6 Discorso sopra la Corte di Roma cit., p. 80-91. 7 Avvertimenti politici cit., p. 333-352. 8 J. J. Lefrançois de Lalande, Voyage en Italie, VI, Paris 1786, p. 105-106. L’ouvrage fut publié une première fois en 1765-1766.
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peu plus de ses affaires (« pensare a casi suoi »). Ledit Maffei s’empressait toutefois de rassurer le cardinal Cervini en lui annonçant que, grâce à Dieu, le pape était totalement remis de cet accident et qu’il avait vite retrouvé ses couleurs et son appétit9. Trois jours plus tôt, le cardinal Farnèse avait lui-même fait part de l’indisposition du pape au cardinal Cervini et à son collègue, le cardinal del Monte, mais en insistant plus que Maffei sur le fait que tout était rapidement rentré dans l’ordre et qu’ils ne devaient donc pas se laisser trop impressionner par les rumeurs de toutes sortes qui sans doute leur parviendraient de Rome à ce sujet10. Une année plus tard, nouvelle alerte et nouvelles craintes –– il s’agissait cette fois d’un catarrhe que, vu son âge avancé, le pape avait eu du mal à supporter –– et Maffei de souhaiter une fois de plus que le cardinal Farnèse profite de ce nouvel avertissement pour voir enfin à ses intérêts et à ceux de sa maison11. Exemples parmi beaucoup d’autres d’une préoccupation, pour ne pas dire d’une obsession typique des milieux gravitant autour de la cour pontificale à l’époque. Mais, on l’aura remarqué, pour tous les observateurs jusqu’ici mentionnés, le climat d’agitation, d’intrigues, voire d’anxiété découlant de cette préoccupation ou obsession tenait d’abord et avant tout au fait qu’élective la monarchie pontificale n’était pas à l’abri de fréquentes et parfois imprévisibles mutations. Mais l’incertitude entourant tout aussi bien le passage d’un pontificat à un autre que la durée de chaque pontificat n’inquiétait pas que les « parents », « ministres » ou « courtisans » des papes régnants: elle inquiétait aussi et peut-être surtout ces derniers qui ne savaient que trop à quel point les années leur étaient comptées –– les prédicateurs de la chapelle pontificale ne se privaient d’ailleurs pas à l’occasion de le leur rappeler12 –– et donc quelle diligence ils devaient mettre à réaliser au plus tôt les ambitions qui les habitaient, depuis les plus nobles jusqu’aux plus intéressées, à commencer par celles relevant d’une vertu fort prisée à l’époque, la pietas, qui leur faisait un devoir d’honorer et de favoriser dans toute la mesure du possible leur propre maison, c’est-àdire leur famille selon le sang13. D’où, sans doute, la place de plus en plus 9 Bernardino Maffei au card. Cervini, Rome, 20 février 1546, Conc. Trid. 10: Epist. I, p. 392-393. 10 Alexandre Farnèse aux card. Cervini et del Monte, Rome, 17 février 1546, Ibid., p. 385. 11 Bernardino Maffei au card. Cervini, Rome, 20 juillet 1547, Conc. Trid. 11: Epist. II, p. 223. 12 Comme le fera éloquemment Alessio Celadoni, évêque de Gallipoli, s’adressant aux cardinaux chargés d’élire un successeur à Alexandre VI. Voir le texte de ce sermon dans J. M. McManamon, The Ideal Renaissance Pope: Funeral Oratory from the Papal Court, dans Archivum Historiae Pontificiae, 14 (1976), p. 65. 13 Sur la notion de pietas: voir Thomas D’Aquin, Somme théologique, III, Paris 1985, p. 198201, 228-230, 420-421, 640-641. Wolfgang Reinhard invoque le témoignage de ce dernier à l’appui du népotisme pratiqué par les papes des XVIe et XVIIe siècles, mais il se fonde uniquement sur un texte portant sur l’acception de personnes. Cf. Papal Power and Family Strategy
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grande qu’avait fini par occuper une pratique déjà connue des papes médiévaux mais qui s’était transformée à partir du milieu du XVe siècle en une véritable institution: le népotisme. Et pour cause. Rares en effet étaient, au XVe siècle, les hommes d’Église, papes y compris, qui souscrivaient à l’idée mise en avant par un Benoît XII au XIVe siècle d’agir, à l’exemple de Melchisédech, comme s’ils n’avaient « ni père, ni mère, ni généalogie14 ». D’ailleurs, eussent-ils été tentés par la chose, leurs entourages n’auraient tout simplement pas toléré pareille « inhumanité » et pareille « ingratitude » et auraient vite fait de leur montrer à quels inconvénients, à quels dangers surtout ils s’exposaient en agissant de la sorte. Même un Pie V –– nous le verrons plus loin ––, pape austère si jamais il en fut, n’osa pas aller aussi loin, se rendant finalement aux objections de ses plus proches conseillers. Sans doute s’entendait-on pour dire qu’il y avait en matière de népotisme certaines règles à respecter, certaines limites à ne pas franchir, mais bien peu à l’époque auraient été prêts à récuser le népotisme comme tel, tant il leur paraissit indissociable de la pietas et donc de la charité et de la justice sur lesquelles cette même pietas était fondée15. in the Sixteenth and Seventeenth Centuries dans R. G. Asch — A. M. Birke (éd.), Princes, Patronage and the Nobility, Oxford 1991, p. 331, note 15. Comme nous le verrons plus loin (notes 15, 18), l’argumentaire élaboré par Thomas d’Aquin pour justifier la pietas allait bien au-delà de ce texte qui paraît d’ailleurs mineur par rapport aux nombreux autres que l’on trouve dans la Somme théologique. Il ne devait pas manquer à Rome de bons connaisseurs de saint Thomas –– on pense, entre autres, à un Cajetan (†1534) –– capables au besoin de fournir aux papes de l’époque les arguments mis en avant par leur maître à tous pour justifier les faveurs faites à des proches. Mais il y a fort à parier que ces mêmes papes eurent peu recours à ces arguments, la pietas devant leur paraître chose ou pratique allant de soi. Laurent le Magnifique estime de son devoir de rappeler vers 1489 au pape Innocent VIII qu’il n’est pas immortel, qu’il ne peut par ailleurs «rendre sa dignité héréditaire» et qu’il doit donc, renonçant à la modestie et à la retenue que depuis «si longtemps» il garde, consentir enfin à se montrer généreux envers les siens, car, dit-il, il ne peut et ne pourra «appeler sa propriété que les honneurs et les bienfaits» qu’il aura faits à ses proches. Cité par L. Ranke, Histoire de la papauté, I, Paris 1848, p. 50. C’étaient là des arguments auxquels un Innocent VIII et les papes qui lui succédèrent ne devaient pas être insensibles. 14 Propos prêtés au pape avignonnais Benoît XII (1334-1342) qui était, il faut le dire, un homme austère et fort attaché à l’idée de réforme. Cf. Y. Renouard, La papauté d’Avignon, Paris 1962, p. 31 15 C’est là la conviction d’un Thomas d’Aquin qui invoque tout aussi bien la première que la seconde de ces vertus pour justifier la pietas. Aussi n’hésite-t-il pas à écrire que «les bienfaits d’aucun bienfaiteur ne peuvent être comparés à ceux des parents, de sorte que lorsqu’il s’agit de rendre les bienfaits, les parents doivent passer avant tous les autres, à moins, toujours, qu’il n’y ait d’autre part une nécessité prépondérante ou quelque autre motif, comme le bien général de l’Église ou de la cité». Somme théologique, III, Paris 1985, p. 230. Mais la pietas est aussi et peut-être surtout pour lui une question de justice. «Après Dieu, affirme-til, l’homme est surtout redevable à ses père et mère». Ibid., p. 640. Et il ajoute: «L’honneur envers les parents signifie aussi bien l’assistance qui leur est due». Ibid., p. 641.
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Mais d’autres mobiles, politiques cette fois, semblent bien avoir également servi à justifier aux yeux de la plupart des papes de l’époque la pratique du népotisme. Un de ces mobiles était au dire de bon nombre d’historiens16 le besoin de s’entourer d’hommes sûrs, c’est-à-dire de ministres et de serviteurs sur la fidélité et le dévouement desquels on pouvait à tout moment et en toutes circonstances compter. Besoin que semblent avoir ressenti plus vivement que d’autres les papes d’origine étrangère, voire non romaine. C’est le cas notamment des Borgia qui favorisèrent à l’excès non seulement leurs parents et clients, mais également leurs compatriotes qui, pour cette raison sans doute, affluèrent en grand nombre à Rome à partir du milieu du XVe siècle. Mais on peut en dire autant des papes d’origine vénitienne (Eugène IV, Paul II), gênoise (Sixte IV, Innocent VIII), siennoise (Pie II, Pie III), florentine (Léon X, Clément VII, Clément VIII), plus tard napolitaine (Paul IV) ou milanaise (Pie IV, Grégoire XIV) qui furent eux aussi d’une grande sollicitude envers les leurs, parfois avec presque autant de zèle et de partialité que les Borgia17. Est-il besoin de rappeler ici que la pietas telle que définie par Thomas d’Aquin s’étendait tout aussi bien à la patrie qu’à la famille et qu’on pouvait donc considérer les égards à l’endroit de connationaux comme presque aussi justifiés que ceux réservés aux parents18. L’autre mobile, lui aussi de nature politique, était d’assurer dans toute la mesure du possible l’avenir de ces mêmes parents, y compris dans certains cas –– pensons à un Alexandre VI, à un Paul III, voire à un Grégoire XIII ––, de ses propres enfants ou petits-enfants. Cela se faisait de diverses façons au gré des circonstances ou des atouts dont disposaient les principaux intéressés, mais comprenait à peu près toujours les trois éléments-clés suivants: tout d’abord, la promotion d’un certain nombre de proches parents aux plus hautes dignités ou fonctions ecclésiastiques (cardinalat, vice-chancellerie, sacrée pénitencerie, etc.) avec en prime, des bénéfices et revenus à l’avenant; deuxièmement, la constitution d’une base territoriale adéquate par le biais soit de l’achat de propriétés à Rome même 16 À ce propos, voir M. Laurain-Portemer, Absolutisme et népotisme. La surintendance de l’État ecclésiastique, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, CXXXI (1973), p. 491; Reinhard, Papal Power cit., p. 331-332, Christine Shaw, tout en admettant l’existence de ce mobile, ne croit pas qu’il ait été aussi déterminant et aussi bien fondé que ne le prétendent ces mêmes historiens. C. Shaw, Julius II. The Warrior Pope, Oxford-Cambridge (Mass.) 1996, p. 7. 17 Reinhard, Papal Power cit., p. 333-334. 18 Après Dieu, l’homme est surtout redevable à ses père et mère et à sa patrie», Thomas D’Aquin, Somme théologique cit., III, p. 640. S’inspirant de Cicéron, saint Thomas précise: «Le culte et le devoir sont dus à tous ceux qui nous sont unis par le sang ou l’amour de la patrie, non pas à tous également, mais surtout à nos parents, et aux autres dans la mesure de nos ressources et de leur situation sociale». Ibid., p. 641. Les papes avaient là de quoi justifier amplement leurs largesses.
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ou dans l’agro romano, soit de la concession ou de l’acquisition de fiefs, voire de principautés à l’intérieur comme à l’extérieur de l’État pontifical; finalement, la réalisation d’alliances matrimoniales profitables visant à assurer, dans certains cas, une rapide ascension sociale, dans d’autres, la consolidation de liens ou d’avantages déjà existants19. Stratégie complexe qui n’était pas toujours couronnée de succès, mais qui montrait bien à quel point les papes, conscients du caractère éphémère de leur pouvoir, cherchaient à prolonger en quelque sorte ce dernier par le truchement de leur parentèle, parfois –– l’exemple des Borgia, des della Rovere, des Piccolomini, des Médicis est là pour le prouver –– non sans arrière-pensée dynastique20. Un sérieux coup de frein sera donné à cette stratégie, tout d’abord par le concile de Trente, dans sa vingt-cinquième et dernière session, le 4 décembre 1563, où sera voté un décret rappelant aux cardinaux et aux évêques qu’il leur était interdit « de chercher à enrichir leurs parents ou leurs familiers » à même les revenus ecclésiastiques et qu’ils devaient donc à tout prix se défaire de cette mauvaise habitude, « source de tant de maux dans l’Église21 », puis, surtout, par la bulle Admonet nos du 29 mars 1567 par laquelle Pie V (1566-1572), répondant de toute évidence aux vœux du concile, interdisait toute aliénation de territoire appartenant au SaintSiège22. Deux mesures qui sonnaient le glas du « grand népotisme » tel qu’il avait été pratiqué au temps des papes de la Renaissance et annonçaient la venue de ce qu’on appellera le « petit népotisme »23. Il ne faudrait toutefois pas oublier la place de plus en plus importante que s’apprêtait à occuper, au moment précisément où se faisait ce passage d’une forme de népotisme à une autre, un personnage apparu au temps de Paul III (1534-1549) et qui ne disparaîtra qu’après le pontificat d’Alexandre VIII (1689-1691): le cardinal-neveu. Ce personnage, vu à l’époque comme une sorte d’alter ego du pape, va se voir confier des responsabilités administratives, parfois 19 À ce sujet, voir W. Reinhard, Amterhaufbahn und familienstatus. Der Aufstieg des Hauses Borghese 1537-1621, dans Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 54 (1974), p. 328-427. Voir aussi id., Nepotismus. Der Funktionswandel einer päpstgeschitlichen Konstanten, dans Zeitschrift für Kirchengeschichte, 86 (1975), p. 145-185. Le même auteur reprend ce thème mais de façon plus succincte, dans Papal Power cit., p. 333-349. Voir aussi B. McClung Hallman, Cardinals, Reform and the Church as Property, Berkeley-Los Angeles 1985, p. 158-163. 20 Cf. P. Hurtubise, Un projet de dynastie pontificale au XVIe siècle: La succession du pape Paul III, dans Sociétés et idéologies des temps modernes. Hommage à Arlette Jouanna, I, Montpellier 1996, p. 182-195. 21 J. Hefele ˗ H. Leclercq, Histoire des conciles, X, Paris 1938, p. 611. 22 Sur cette bulle et le contexte dans lequel elle se situe, voir P. Prodi, Il Sovrano Pontifice, Bologne 1982, p. 74-79, 151-155. 23 Laurain-Portemer, Absolutisme cit., p. 488.
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même des missions diplomatiques qui lui vaudront un indéniable prestige, mais, il importe de le souligner, sans que cela ne lui confère toujours nécessairement, comme on a parfois eu un peu trop souvent tendance à l’affirmer, une autorité égale à ce prestige24. Certes, en créant à l’intention de son neveu, Carlo Carafa, le titre et la fonction de surintendant de l’État ecclésiastique (soprintendente dello Stato Ecclesiastico) et en rattachant à ce titre des pouvoirs très étendus, le pape Paul IV (1555-1558) proposait-il un modèle qui semblait aller en ce sens25, mais, assagis par les déboires qui lui avait valus cette première expérience, ses successeurs prendront, pour la plupart, soin de limiter, et de limiter parfois considérablement l’autorité consentie au titulaire de cette fonction. Un Grégoire XIII (1572-1585) n’accordera à aucun moment à son neveu Filippo Boncompagni des pouvoirs ressemblant de près ou de loin à ceux d’un Carlo Carafa26. On a reproché à Wolfgang Reinhard de ne pas avoir suffisamment tenu compte dans ses études sur le népotisme à Rome des variations que subit, d’un pontificat à l’autre, l’exercice du double rôle de cardinal-neveu et de surintendant de l’État ecclésiastique27, mais il n’en reste pas moins qu’il a raison de souligner le fait qu’assez souvent ce rôle en était moins un d’ordre politique que d’ordre social, en ce sens que le cardinal-neveu faisait aussi et parfois surtout office de chef de clan et de patron de la clientèle pontificale, office qui pouvait d’ailleurs assez souvent se prolonger bien au-delà du règne du pape qu’il avait été appelé à servir28. Qu’il suffise de renvoyer ici à l’exemple d’un Alexandre Farnèse, petit-fils de Paul III qui, jusqu’à sa mort en 1589, exercera sur Rome, au moment des conclaves en particulier, un pouvoir et une influence à nuls autres pareils. Il faut dire que, bien que n’étant plus cardinal-neveu depuis 1549, il restait un puissant et incontournable personnage tant au titre de sa fonction de vice-chancelier de l’Église que de son ascendant sur de vastes réseaux de parents et de clients à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire pontifical, même si par ailleurs il ne réussit pas, comme il y avait un moment songé, à se faire élire pape29. A. Menniti Ippolito, Il tramonto della Curia nepotista, Rome 1999, p. 29-32. Laurain-Portemer, Absolutisme cit., p. 489-492. 26 Ibid., p. 496-497. 27 Menniti Ippolito, Il tramonto cit., p. 58, note 1. 28 Reinhard, Papal Power cit., p. 343 et suiv. 29 Sur le cardinal Alexandre Farnèse, petit-fils de Paul III et sur le rôle qu’il joua à Rome en particulier au moment des conclaves, voir L. von Pastor, Storia dei Papi, V, p. 25, 206-207; VI, p. 23-24, 29-33, 343-346; VII, p. 28-30, 41-53; VIII, p. 8, 10-30; IX, p. 12-13; X, p. 11-14, 506-507; XI, p. 178-180. De même, G. Alberigo, Farnese (Alessandro), dans DHGE, 16, col. 608-615; S. Andretta ˗ C. Robertson, Farnese (Alessandro), dans DBI, 45, p. 52-65; Hurtubise, Un projet cit., p. 188-194. Tous ces auteurs déplorent le fait qu’il n’existe pas encore de biographie scientifique de cet important personnage. 24 25
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Le népotisme ne produisit pas toujours les fruits escomptés: il lui arriva même d’en produire d’assez inattendus. En effet, si certains papes de la fin du XVe et du début du XVIe siècle crurent pouvoir assurer à leurs proches richesse et considération, voire une certaine emprise sur le trône pontifical, ces mêmes proches, à partir du milieu du XVIe siècle, durent se rendre à l’évidence que si le premier de ces paris pouvait et avait de fait, pour la plupart d’entre eux, été tenu, il n’en allait pas de même du second qui, lui –– l’échec d’Alexandre Farnèse en était la meilleure preuve ––, n’était plus et serait de moins en moins à leur portée. C’est que les raisons plus haut évoquées qui avaient poussé les papes de l’époque à pratiquer le népotisme les avaient du même coup très tôt amenés à multiplier les alliances avec de grandes familles à Rome même, mais aussi dans le reste de l’Italie, à chercher en plus l’appui et les faveurs des « princes » et, partant, à ouvrir généreusement à tous ces alliés réels ou potentiels les portes du Sacré Collège. Avec le résultat que, considérablement changé par tous ces apports nouveaux, le collège des cardinaux avait fini par devenir au fil des ans le lieu d’intérêts discordants, d’ambitions concurrentes et donc de laborieux compromis, surtout au moment des conclaves, rendant par le fait même quasi impossible la succession, du moins à brève échéance, de membres d’une même famille sur le trône pontifical. Aussi, faute de pouvoir réitérer l’exploit des Borgia, des della Rovere ou des Médicis, les héritiers des papes de la seconde moitié du XVIe siècle avaient-ils fini par se résigner à leur sort, un sort malgré tout plus qu’enviable, compte tenu de la place qu’ils occupaient et continueront pour la plupart d’occuper dans la société romaine comme en témoignent éloquemment les réussites des Farnèse (Paul III), des Borromée et des Altemps (Pie IV), des Ghislieri (Pie V), des Boncompagni (Grégoire XIII), des Peretti (Sixte V) et des Aldobrandini (Clément VIII), pour ne mentionner que ceux-là30. Autre effet des alliances recherchées par les papes népotistes de l’époque: un nouveau type d’aristocratie que l’on pourrait à juste titre qualifier de « pontificale » va progressivement prendre forme à Rome à la faveur des liens de type de plus en plus endogame qui, d’un pontificat à l’autre, iront se multipliant entre vieilles familles et nouvelles familles romaines, puis entre ces nouvelles familles elles-mêmes31. Développement Reinhard, Papal Power cit., p. 333-334. Ibid., p. 339, 346-347. La plus convaincante illustration de ce phénomène nous est fournie par C. Weber, Genealogien zur Päpstgeschichte, 6 vol., Stuttgart 1971-2002. Pour les papes ici mentionnés, voir III, 31, 76-94, 250; IV, 939; V, 372; VI, 652-666 (Alexandre VI); III, 525,627; IV, 754-777, 896; VI, 861, 912 (Pie III); I, 333-344; II, 352, 929, 931; III, 32; VI, 652, 702 (Jules II); II, 835-837; III, 433-464, 527; IV, 820-824; VI, 709, 745, 940 (Léon X, Clément VII); III, 77, 79, 99, 391, 520-532; VI, 652, 724-725, 912 (Paul III); II, 503; III, 272-277; IV, 560, 639; VI, 726-732 (Jules III); I, 222-223; II, 929-932; III, 58, 61 (Marcel II); III, 182-224, 227, 387, 484, 505; VI, 724, 750 (Paul IV); III, 465-467; IV, 877; V, 432; VI, 529, 725 (Pie IV); 30 31
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qui, joint à la nécessité de se ménager les faveurs des « princes », ne sera pas sans influer sur le recrutement de la cour pontificale, limitant, et pour cause, la marge de manœuvre dont auraient dû normalement pouvoir disposer à cet égard les papes de l’époque. Passe encore qu’ils aient dû se résigner à accepter de telles contraintes dans le cas du Sacré Collège, mais dans celui de leur cour, c’est-à-dire de leur propre « famille », on imagine mal qu’ils l’aient fait avec la même résignation. Le népotisme comportait donc des limites tout à la fois « éthiques » et « politiques », mais de toute évidence ces dernières pesaient plus lourd et s’avéraient en fin de compte plus incontournables que les autres. 2. La cour, lieu de pouvoir Ces limites ne doivent toutefois pas faire oublier qu’à partir du milieu du XVe siècle les papes, depuis peu rentrés à Rome, s’étaient patiemment, méthodiquement attelés à la tâche de rétablir leur autorité de chefs d’État et de chefs d’Église et, cela, à l’encontre tout à la fois du pouvoir communal à Rome même, du pouvoir « baronal » dans l’ensemble des États pontificaux et du pouvoir, à leurs yeux, excessif de cardinaux cherchant à jouer le rôle de « sénat » de l’Église. Ce rétablissement est pratiquement chose faite au début du XVIe siècle32. Les historiens de la papauté ou de l’État pontifical ont jusqu’à ces dernières années fait surtout état de la « domestication » des deux premiers de ces pouvoirs. Mais celle des membres du Sacré Collège, du point de vue qui nous intéresse ici, est peut-être de toutes ces « mises au pas » la plus révélatrice et la plus significative. De collègues du souverain pontife que nombre d’entre eux, encore à la fin du XVe siècle, croyaient ou, du moins, prétendaient être, les cardinaux trouveront assez rapidement au début du siècle suivant que le rôle que les papes entendaient désormais leur faire IV, 601-611; VI, 779 (Pie V); I, 114-117; II, 510-512, 883; V, 64 (Grégoire XIII); II, 744-747; V, 244; VI, 907 (Sixte V); II, 464-465; III, 231-233; IV, 612 (Urbain VII); II, 638, 879-881; IV, 928, 930, 968; V, 381 (Grégoire XIV); I, 389; V, 63 (Innocent IX); I, 28-33 (Clément VIII). Voir aussi du même auteur: Senatus Divinus. Verborgene Strukturen im Kardinals Kollegium der frühen Wenzeit (1500-1800), Francfort 1996, p. 240-270, 303-362, 367-434. 32 Pour une vue d’ensemble, voir M. Caravale ˗ A. Caracciolo, Lo Stato Pontificio da Martino V a Pio IX, Turin 1978, p. 3-189. Ces deux auteurs soulignent toutefois, contre Jean Delumeau entre autres, qu’en dehors de Rome, les communes et les propriétaires de fiefs conservèrent bon nombre des pouvoirs qui avaient été jusque-là les leurs. Ibid., p. 186-189. Paolo Prodi n’en affirme pas moins qu’à partir du règne de Jules II, l’État pontifical imposa de façon irréversible son autorité au pouvoir communal et au pouvoir «nobiliaire». Cf. Lo sviluppo dell’assolutismo nello stato pontificio (Secoli XV-XVI), I, Bologne 1968, p. 60-61. Reprenant plus tard ce thème, il maintient son point de vue tout en concédant à Caravale et à Caracciolo que la reprise en main pontificale ne fut jamais totale et qu’elle connut au XVIe siècle des hauts et des bas. Il Sovrano Pontifice cit., p. 28-30, 84-86.
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jouer n’en était plus qu’un d’auxiliaires, pour ne pas dire de subalternes au service d’un appareil bureaucratique qui commençait déjà à l’époque à se mettre en place et qui atteindra son apogée avec la grande réforme de la curie décrétée par Sixte V en 158833. Les plus décisifs coups de barre furent peut-être donnés tout d’abord par Jules II qui, après avoir consenti toutes les « capitulations » que l’on voulait en vue d’assurer son élection, produisit en 1506 une bulle extrêmement sévère contre ce genre de pratiques34, puis, onze ans plus tard, par un Léon X qui, suite à la conjuration manquée du cardinal Petrucci, truffa le Sacré Collège de cardinaux à sa dévotion35. Paolo Paruta, ambassadeur vénitien à Rome à la fin du XVIe siècle, ne craint pas d’écrire que les cardinaux de son temps n’ont pratiquement plus aucun pouvoir et que le consistoire autrefois utilisé par les papes pour régler avec leurs « frères » (cum consensu fratrum) les grands problèmes de l’Église ne sert plus qu’à distribuer de temps à autre les bénéfices dits consistoriaux36. Indice précieux de cette évolution, à partir du pontificat de Paul III, un nombre croissant de cardinaux tiennent à ce que les armes du pape à qui ils doivent le chapeau figurent en bonne place sur leurs écussons. Cette pratique d’ailleurs devient de plus en plus la règle au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle37. Sans doute tous ces hommes avaient-ils fini par comprendre qu’en échange des avantages socio-économiques et du prestige personnel que leur rang leur assurait dans l’Église et la société, 33 Ibid., p. 169-189. Sur ce même phénomène, mais vu d’un autre angle, voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 129-149. 34 Pastor fait état des «capitulations» de toutes sortes auxquelles le futur Jules II se prêta avec les Espagnols tout d’abord, puis avec d’autres électeurs avant et pendant le conclave, sans compter les promesses qu’il fit à plusieurs d’entre eux, ce qui, selon Pastor, rendait son élection, comme celle d’Alexandre VI avant lui, manifestement «simoniaque», (Storia dei papi, IV/2, p. 659-663), mais il néglige de souligner le fait que ce même Jules II prépara en 1506 une bulle (Cum tam divino) que, par précaution peut-être, il ne publia qu’en 1510 avant de la faire entériner par le cinquième concile du Latran en 1513, bulle extrêmement sévère qui rendait invalide toute élection papale entachée de simonie. Sur cette bulle et le contexte dans lequel elle fut rédigée et publiée, voir M. Dykmans, Le conclave sans simonie ou la bulle de Jules II sur l’élection papale, dans Miscellanea Bibliothecae Apostolicae Vaticanae, III, Cité du Vatican 1989 (Studi e Testi, 333), p. 203-259. La bulle en question, est-il besoin de le rappeler, resta en vigueur jusqu’en 1904 et ne conduisit pas aux schismes que certains, au XVIe siècle déjà, redoutaient. Ibid., p. 217-229, 253-255. 35 En effet, à l’été de 1517, en une seule promotion, Léon X créa 31 cardinaux –– un record absolu pour le XVIe siècle –– et choisit ces derniers en fonction de l’appui qu’il croyait pouvoir en attendre. À ce sujet, voir E. Rodocanachi, Le pontificat de Léon X, Paris 1931, p. 128-137. Sur la conjuration Petrucci et ses conséquences, voir A. Ferrajoli, La congiura dei Cardinali contro Leone X, Rome 1919 et F. Winspeare, La congiura dei cardinali contro Leone X, Florence 1957. 36 E. Alberi, Relazioni degli ambasciatori veneti al senato, 2e série, vol IV, Florence 1857, p. 413 37 Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 142-144.
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il leur fallait consentir à ce que leur pouvoir n’en soit plus qu’un de simple délégation38. À force d’habileté, de ténacité, mais parfois aussi grâce à une conjoncture favorable, les papes de l’époque étaient donc devenus ou redevenus maîtres chez eux. À noter que les principaux stratèges de cette réussite: un Sixte IV, un Alexandre VI, un Jules II et un Léon X étaient en même temps, Jules II mis à part, de grands népotistes qui ne se firent aucun scrupule de partager avec leurs proches les fruits de cette réussite, comptant bien que ces derniers, comblés et reconnaissants, se feraient les fidèles exécuteurs de leurs volontés et n’auraient d’autres ambitions que celles qu’ils leur avaient consenties ou qu’ils nourrissaient eux-mêmes. Sans doute auront-ils quelques déceptions à ce chapitre, mais ce que nous avons dit plus haut du collège des cardinaux montre bien que, dans l’ensemble, parents et « créatures » des papes étaient on ne peut plus conscients de leur état de dépendance et, avec le temps, seront de plus en plus réticents à agir, voire à paraître agir pour leur propre compte. Cela dit, on ne saurait trop souligner le fait que la reprise en mains que nous venons de décrire s’est faite, comme l’a amplement démontré Paolo Prodi, sur un mode et dans une perspective éminemment politiques. Menacés d’un côté par le conciliarisme, de l’autre par les ambitions de « princes » plus avides que jamais de pouvoir, les papes de la Renaissance estimaient non sans raison que le rétablissement de leur autorité spirituelle passait par celui de leur autorité temporelle, mieux par le renforcement de cette dernière. D’où les efforts déployés à partir du pontificat d’Eugène IV pour faire d’un État de type féodal, morcelé et largement disfonctionnel, un État de plus en plus centralisé et bureaucratisé. Efforts si réussis que Paoli Prodi croit pouvoir avancer l’hypothèse que le modèle en question, en termes aussi bien de forme que de style de gouvernement, est à l’origine et peut même être considéré comme le prototype de l’État monarchique moderne tel qu’on le trouve de plus en plus en Europe à partir des XVIe et XVIIe siècles39. Mais il y a plus étonnant. En effet, le type de structures et le mode de fonctionnement que va se donner l’État pontifical vont par une sorte d’effet d’osmose affecter et transformer progressivement la façon de gouverner et d’administrer l’Église40. Aussi, frappés, sinon scandalisés par cette confusion des genres, de nombreux critiques de l’intérieur comme de l’extérieur vont-ils reprocher aux papes de l’époque de se comporter en chefs d’État plutôt qu’en chefs d’Église, mettant par le fait même en péril leur autorité spirituelle et, partant, leur rôle de pasteurs de l’Église universelle41. Ibid., p. 281. Prodi, Il Sovrano Pontifice cit., p. 174-180. Ibid., p. 15-18 et passim. 40 Ibid., p. 251-293. 41 Ibid., p. 46-55. 38 39
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Ces mises en garde laisseront plutôt froids les papes du XVIe siècle, y compris les plus « spirituels » d’entre eux, qui n’arrivaient pas à imaginer que le fait d’être « princes » pût en quoi que ce soit compromettre leur autorité papale, tant il leur paraissait évident que, dans le contexte politique de l’époque, il leur fallait être souverains et souverains temporels pour disposer de la liberté et des moyens requis à l’exercice de leur fonction de pasteurs. En d’autres mots, ils n’arrivaient pas à concevoir qu’on pût être « pape » sans être en même temps « roi ». À tel point d’ailleurs que les efforts déployés par la plupart d’entre eux à partir du milieu du XVe siècle pour se doter d’un État digne de ce nom les avaient insensiblement amenés, comme le montre bien Paolo Prodi, à modeler leur façon de gouverner l’Église sur leur façon de gouverner l’État et, cela, au plan aussi bien administratif que législatif ou judiciaire42. Bien évidemment, un tel parti, qu’ils l’aient voulu ou non, ne pouvait pas à la longue ne pas conduire à un certain nombre d’impasses, voire d’incohérences comme s’en rendra amèrement compte au temps de Pie V le cardinal Paleotto, évêque de Bologne, qui verra son autorité épiscopale battue en brèche par le gouverneur de la ville, gouverneur qui, fort des pouvoirs dont il disposait, n’hésitait pas à intervenir dans le domaine aussi bien spirituel que temporel. Et, cela, avec l’appui des plus hautes instances romaines, comme lui convaincues que c’était là le moyen le plus sûr et le plus efficace d’assurer la pleine autorité du pape sur ses sujets43. Les critiques plus haut évoqués n’avaient donc pas complètement tort de mettre les papes de l’époque en garde contre les dangers auxquels les exposait l’exercice d’un pouvoir bicéphale où le temporel prenait souvent le pas sur le spirituel, mais, ayant choisi d’êtres princes, ces mêmes papes ne pouvaient échapper à la logique de ce choix et se voyaient donc par le fait même condamnés à être papes à la façon de princes. N’en déplût à ceux qui leur en faisaient grief. Cela, bien évidemment, n’était pas sans conséquences sur la conception qu’ils pouvaient avoir et l’utilisation qu’ils entendaient faire de leur cour. Il suffit de parcourir les ruoli dont nous disposons pour l’époque –– nous aurons plus loin l’occasion de les examiner de plus près –– pour constater que la fonction de la cour papale n’était pas que « domestique », mais qu’elle était aussi, et, à plusieurs titres, « politique ». Qu’il suffise de mentionner ici la présence dans cette cour d’un secrétaire « intime » –– le futur secrétaire d’État ––, plus tard, du cardinal-neveu assurant, l’un ou l’autre, parfois les deux à la fois, la correspondance diplomatique du pape et, pour ce faire, habitant le Vatican, souvent tout près des appartements pontificaux44. Ou encore, la place qu’occupait dans la vie de la cour et Ibid., p. 179-207. Ibid., p. 257-290. 44 Comme nous le verrons plus loin (chapitres II et IV), cela est déjà vrai au temps d’Alexandre VI et ne fera que s’accentuer par la suite. Clément VIII se paiera même le luxe de deux cardinaux-neveux habitant tous deux le palais apostolique. Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 39. 42 43
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surtout des personnels de cour la réception de « princes », d’ambassadeurs ordinaires et extraordinaires, de délégués des villes soumises à l’autorité du pape venant traiter d’affaires ou, dans le cas de ces derniers, solliciter des faveurs de nature politique. Sans oublier, par ailleurs, les impératifs et les soucis protocolaires –– les maîtres de cérémonie en savaient quelque chose –– liés à ces va-et-vient continuels de personnages à ménager, à flatter, à impressionner, surtout à ne pas offusquer. Et que dire du soin que l’on mettait et des sommes que l’on consacrait à aménager les lieux: salles, appartements, jardins où l’on recevait ces mêmes personnages et d’autres du même acabit. Nous reviendrons plus loin sur les diverses facettes de ce jeu subtil et complexe faisant de toute évidence partie de la vie de la cour pontificale. Retenons pour le moment le caractère éminemment politique de ce jeu et, partant, la nécessité devant laquelle se trouvait et se trouvera de plus en plus la cour papale de se faire cour princière et cour princière ne le cédant en rien à ses homologues ou rivales d’Italie et d’ailleurs. Les réformateurs –– catholiques aussi bien que protestants –– auront beau jeu de dénoncer cette recherche d’un luxe, d’un prestige et d’avantages qui à leurs yeux n’avaient rien d’évangélique, recherche, disaient-ils, inspirée par des ambitions trop humaines et un mimétisme de mauvais aloi. Sensibles à ces critiques, certains papes, acquis à l’idée de réforme, chercheront à paraître moins « mondains » et, pour ce faire, entreprendront de réduire leur train de vie, mais même ces derniers ne pouvaient échapper à la logique de choix faits bien avant eux et qui les obligeaient volens nolens à adopter un style de vie et des comportements « seigneuriaux ». Paul IV qui, comme cardinal, avait été un modèle d’austérité et d’ascétisme, au lendemain de son élection, ordonnera à ses serviteurs de faire désormais tout « aussi pompeusement que s’il s’agissait d’un prince »45. C’est qu’il avait très bien compris que, devenu pape, il n’avait pas d’autre choix que de se plier au exigences protocolaires, voire somptuaires propres à sa nouvelle fonction. Bien entendu, à l’intérieur de ce cadre imposé et jusqu’à un certain point contraignant, divers aménagements restaient possibles et les papes de l’époque –– nous y avons fait allusion plus haut –– ne se priveront pas, dans la mesure où les circonstances le permettaient, de donner à leur cour le visage qui leur paraissait le mieux correspondre à leurs convictions, goûts, voire caprices personnels, mais aussi et peut-être surtout aux ambitions qu’ils nourrissaient pour eux-mêmes et pour l’Église. Que ces ambitions aient eu, comme nous venons de le voir, un fort contenu politique et, dans certains cas, « népotiste » ne doit toutefois pas faire oublier qu’avec le temps elles durent de plus en plus composer avec les appels, relativement timides au départ, puis de plus en plus insistants en 45
Ibid., VI, p. 352.
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faveur d’une réforme in capite et in membris de l’Église. En quoi consistaient ces appels et surtout à partir de quel moment et pour quelles raisons finirent-ils par avoir un impact réel sur la façon de voir et sur la façon d’agir des papes de l’époque? La réponse à cette question peut, à première vue, paraître n’intéresser que de loin l’histoire de la cour pontificale, mais nous aurons plus loin l’occasion de montrer qu’au contraire elle l’intéresse au premier chef et mérite donc de retenir dès maintenant notre attention. L’idée d’une réforme in capite et in membris, au sens où on l’entend au XVIe siècle, est née au concile de Constance dans le sillage de la crise suscitée par le Grand Schisme d’Occident. Les papes du XVe siècle, bien que sensibles à cette idée, seront en général plutôt réticents à la faire leur en raison de ses résonances conciliaristes et donc du danger qu’elle représentait pour leur autorité et leur pouvoir à une époque justement où ces derniers restaient encore relativement fragiles. Mais il y avait dans leur entourage immédiat des voix qui déjà se faisaient entendre, leur rappelant, arguments à l’appui, leurs obligations en ce domaine. À la fin du XVe et au début du XVIe siècle, ces voix se font de plus en plus insistantes, voire incisives. Aussi les papes commencent-ils à leur prêter un peu plus attention. Un Alexandre VI, fortement ébranlé, il est vrai, par l’assassinat de son fils Jean, duc de Gandie, crée en 1497 une commission de réforme où siègent, entre autres, les cardinaux Oliviero Carafa et Georges Costa, réformistes convaincus, commission qui propose d’importantes mesures, dont certaines portant sur le train de vie du pape et de sa cour, mesures, de fait, passablement radicales et qui, pour cette raison sans doute et peutêtre le manque de conviction d’Alexandre VI, seront vite reléguées aux oubliettes46. Le cinquième concile du Latran (1512-1517), convoqué au départ pour des raisons tactiques –– il s’agissait de faire échec au concile « schismatique » de Pise-Milan organisé à l’initiative du roi de France ––, prendra sous Léon X un caractère beaucoup moins politique et finira même par adopter un certain nombre de réformes visant tout à la fois la « tête » et le « corps » de l’Église, réformes, il faut le reconnaître, qui n’allaient pas très loin et qui d’ailleurs s’avéreront, en grande partie, inefficaces47. On crut un moment qu’Adrien VI réussirait là où ses prédécesseurs avaient échoué, mais la brièveté de son pontificat et surtout un manque flagrant d’appuis à Rome même l’en empêchèrent48. H. Jedin, Le concile de Trente, I, Tournai 1965, p. 17-116. Ibid., p. 117-125. De même O. de La Brosse et al., Latran V et Trente, Paris 1975 (Histoire des conciles œcuméniques, 10), p. 35-114. 48 Ibid., p. 167-170. 46 47
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Mais le rêve d’une réforme par voie conciliaire n’était pas pour autant mort et, une fois mieux perçue la gravité du défi posé par le cri de révolte de Luther et de ses émules, ce rêve resurgit, motivé au départ par l’espoir d’une réconciliation avec les « rebelles », mais une fois dissipé cet espoir, par le désir de sauver au moins la partie de l’Église restée fidèle à Rome par des mesures curatives et régénératrices appropriées. Clément VII n’était pas homme à se lancer dans pareille aventure49. Il faut attendre son successeur, Paul III, pour voir enfin le rêve devenir réalité. C’est que le pape Farnèse, converti depuis au moins l’époque du cinquième concile du Latran à l’idée de réforme, était parfaitement conscient du danger que posait le protestantisme et savait par ailleurs qu’il pouvait désormais compter non plus seulement sur quelques individus ou quelques groupes épars prêts à l’aider à réaliser le rêve en question, mais sur un véritable « parti de la réforme » fait d’un certain nombre de figures de proue, entre autres, un Gasparo Contarini, un Gian Pietro Carafa, un Jacques Sadolet, un Reginald Pole, un Marcello Cervini, un Giovanni Morone, auteurs du célèbre Consilium de emendanda Ecclesia (1537) dont s’inspirera plus tard le mouvement de réforme catholique, mais aussi de familles religieuses « réformées » (Bénédictins, Franciscains, Dominicains « observants », Minimes, Capucins), de familles « nouvelles » (Théatins, Barnabites, Somasques, Jésuites) et de regroupements tels que les influents Oratoires du divin amour, à l’origine de nombreuses initiatives pastorales et caritatives qui avaient contribué à améliorer l’état de santé morale et spirituelle de nombreuses villes italiennes, dont Rome50. Si le concile de Trente (1545-1563) réussit, à travers vents et marées, à effectuer le redressement qui, aux yeux de Paul III et de ses successeurs, s’imposait, c’est qu’il put dès le départ compter sur l’appui de ce « parti » qui, au fil des ans, gagnera en nombre et en assurance et que de ce même « parti » sortirent presque tous les papes qui s’employèrent, chacun à sa façon, à compléter et à consolider son œuvre51. Ibid., p. 170-183. À ce sujet, voir von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 548-603; P. Tacchi Venturi, Storia della Compagnia di Gesù in Italia, I/1, Rome 1931, p. 3-95, 201 et suiv.; L. Cristiani, L’Église à l’époque du concile de Trente, Paris 1948 (Fliche-Martin, Histoire de l’Église, 17), p. 245-337; H. Jedin, Le concile de Trente, I, p. 108-149, 366-396; P. Paschini, Cinquecento romano e riforma cattolica, Rome 1958; L. Ponnelle - L. Bordet, Saint Philippe Neri et la société romaine de son temps (1515-1595), Paris 1958, p. 22-185. A. Prosperi, Riforma cattolica, controriforma, disciplinamento sociale, dans Storia dell’Italia religiosa, 2: L’età moderna, éd. G. de Rosa ˗ T. Gregory, Rome-Bari 1944, p. 3-48. Sur les confréries en particulier, excellente vue d’ensemble dans L. Fiorani, Charità et pietate. Confraternite e gruppi devoti nella città rinascimentale e barocca, dans Roma, città del Papa, Turin 2000 (Storia d’Italia, Annali 16), p. 429-476. Sur les Oratoires du Divin Amour, voir D. Solfaroli Camillocci, I Devoti della Carità, Naples 2002. 51 Comme nous le verrons plus loin (chapitre II) tous ces papes avaient été impliqués à divers titres dans le processus conciliaire ou post-conciliaire et étaient connus pour leurs 49 50
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On n’était plus à l’époque d’un Alexandre VI, d’un Jules II ou d’un Léon X. Longtemps réticente à entreprendre les réformes dont l’Église, selon plusieurs, avait besoin et surtout d’emprunter pour ce faire la voie du concile, voilà que la papauté s’imposait à la tête, mieux devenait l’élément moteur du mouvement de réforme et, forte des pouvoirs que le concile de Trente habilement travaillé par Pie IV lui avait reconnus, était à même de fournir à l’Église, du moins à la portion de l’Église qui lui était restée fidèle, un modèle d’orthodoxie et d’orthopraxie appelé avec le temps à transformer profondément le mode d’être et d’agir de l’Église. Aux papes « politiques » et « népotistes » de la première partie du XVIe siècle succédaient des papes « réformistes » qui, sans pour autant renoncer à certaines ambitions politiques, voire familiales, n’en accordaient pas moins désormais la première place au « spirituel », Dieu premier servi. Dans une contribution neuve et éclairante sur le rôle joué par l’Inquisition romaine en Italie à partir de sa création par Paul III en 1542, Adriano Prosperi montre que ce tribunal chargé au départ de combattre l’hérésie, et plus spécifiquement l’hérésie protestante, devint avec le temps une sorte de pouvoir occulte à l’intérieur même du gouvernement de l’Église, pouvoir d’autant plus efficace qu’il agissait sous le voile du secret le plus absolu, avec le résultat qu’à Rome même, les possibilités d’avancement à l’intérieur de l’appareil ecclésiastique, surtout aux plus hauts échelons de cet appareil, papauté y comprise, en furent profondément affectées. Simple coïncidence le fait qu’un Marcel II, qu’un Paul IV, qu’un Pie V, qu’un Sixte V, qu’un Urbain VII, qu’un Innocent IX, soit 60% des papes élus au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, aient été d’anciens inquisiteurs ou, à l’inverse, que des hommes aussi éminents que les cardinaux Pole et Morone, réformistes convaincus, aient été, pour leur part, exclus du trône pontifical parce que soupçonnés d’hérésie? Le seul fait que des hommes tels que Pie V et Sixte V, tous deux religieux, et religieux d’humble origine, aient pu à l’époque accéder à la papauté est, selon Prosperi, la meilleure preuve du contraire. Manifestement, conclut-il, « la victoire du modèle inquisitorial porté sur le trône de saint Pierre par des hommes tels que Carafa et Ghislieri » démontre à quel point ce modèle avait à l’époque réussi à s’imposer et à quel point surtout il avait fini par imprégner l’ensemble de la structure ecclésiastique52. Les papes de la seconde moitié du XVIe siècle ne furent donc pas que des papes « réformistes », ils furent aussi, bon nombre d’entre eux, des papes « aguerris », prêts à livrer à tout moment le bon combat. Un comconvictions réformistes. 52 A. Prosperi, L’Inquisitione in Italia, dans Clero e società nell’Italia moderna, éd. M. Rosa, Rome-Bari 1995, p. 280-281, 300-301. Mais voir surtout, du même auteur, La presa del potere dell’Inquisitione romana 1550-1553, Rome-Bari 2014.
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bat, notons-le, qui, bien que se voulant « spirituel », n’en restait pas moins, qu’ils l’aient voulu ou non, « politique », compliquant du coup, comme nous le verrons plus loin, les rapports de ces mêmes papes avec leurs vis-àvis, les princes catholiques, leurs divers collaborateurs, cardinaux en tête, mais également et peut-être surtout, leurs sujets auxquels ils se verront obligés de faire porter une part de plus en plus importante du coût de leurs ambitions politico-religieuses53. 3. Itinéraires croisés Si le passage que nous venons de décrire d’un type de papauté à un autre fut, pour une part, le résultat de circonstances qui, de diverses façons, modifièrent le contexte culturel et politico-religieux à l’intérieur duquel les papes de l’époque eurent à exercer leur pouvoir, force est d’admettre qu’il fut aussi, pour une part, fonction de la personnalité de chacun de ces papes, de leur capacité surtout à relever les défis qui les attendaient, en particulier celui de la réforme de l’Église. Aussi, le moment est-il venu de nous intéresser de plus près à chacun de ces hommes, de voir en quoi et pourquoi ils furent, parfois à leur corps défendant, les artisans des changements plus haut évoqués, en quoi et pourquoi surtout ces changements à leur tour amenèrent certains d’entre eux à repenser le rôle qu’ils entendaient faire jouer à leur cour. Mais avant que de songer à les présenter dans ce qu’ils ont chacun d’unique ou de particulier, il s’impose, en un premier temps, de les considérer comme groupe, les comparant les uns aux autres, montrant surtout en quoi ils se ressemblent et en quoi ils se distinguent tant par leurs antécédents que par leur rapport à la culture, à la société et à l’Église de leur temps54. Première et essentielle question: d’où venaient-ils? Jusqu’à Paul III, premier Romain depuis Martin V (1417-1431) à accéder au trône pon53 Sur ce développement qui ne sera pas sans compliquer les rapports des papes avec leurs sujets, voire, à certains moments, envenimer ces mêmes rapports, se reporter à l’excellente étude de M. G. Pastura Ruggiero, La fiscalità pontificia nel Cinquecento. Aspetti e Problemi, dans Sisto V, I: Roma e il Lazio, Rome 1992, p. 211-223. 54 À moins d’indications contraires, les renseignements qui suivent relatifs aux papes de l’époque sont tirés de von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 324-368, 641-658, 663-681 (Alexandre VI, Pie III, Jules II); IV/1, p. 11-50 (Léon X); IV/2, p. 3-55, 151-177 (Adrien VI, Clément VII); V, p. 9-28 (Paul III); VI, p. 34-55, 303-340, 340-363 (Jules III, Marcel II, Paul IV); VII, p. 56-100 (Pie IV); VIII, p. 1-93 (Pie V); IX, p. 11-50 (Grégoire XIII); X, p. 9-55, 505520, 520-537, 576-589 (Sixte V, Urbain VII, Grégoire XIV, Innocent IX); XI, p. 7-44 (Clément VIII). Nous utilisons l’édition de 1942-1962. Voir aussi à ce même sujet les études plus récentes de W. Reinhard, Le carriere papali e cardinalizie, dans Roma, la città del Papa, Turin 2000, p. 271-282 et A. Menniti Ippolito, Il governo dei papi nell’età moderna. Carriere, gerarchie e organizzazione curiale, Rome 2007, p. 37-41, 44-46, 59-65.
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tifical, ils étaient tous ou étrangers (le catalan Alexandre VI, le néerlandais Adrien VI) ou non romains (le siennois Pie III, le gênois Jules II, les florentins Léon X et Clément VII). À noter que parmi les successeurs de Paul III, deux seuls peuvent être considérés comme romains, soit Jules III et Urbain VII. Trois étaient, il est vrai, originaires de l’État pontifical (Grégoire XIII, Sixte V, Innocent IX), donc sujets du pape, mais tous les autres, de provenance siennoise (Marcel II), napolitaine (Paul IV), milanaise (Pie IV, Pie V, Grégoire XIV) ou florentine (Clément VIII), étaient, comme on disait à l’époque, des forestieri. Il ne faudrait toutefois pas en conclure que, Paul III, Jules III et Urbain VII exceptés, tous ces hommes ne connaissaient pas ou connaissaient mal Rome. Bien au contraire, hormis Adrien VI, tous avaient fait de plus ou moins longs séjours dans la ville, certains comme étudiants, d’autres comme religieux, prélats ou fonctionnaires pontificaux, d’autres encore à titre de parents ou de clients de grands personnages, cardinaux, papes y compris. Alexandre VI était à Rome depuis plus de quarante ans lorsqu’il accéda au trône pontifical en 1492. Son oncle Calixte III qui l’y avait fait venir en 1449 lui avait très tôt fourni les moyens d’être un jour un des hommes les plus riches et les plus puissants de la ville et donc d’être en mesure, le cas échéant, de lui succéder, ce que, on le sait, il ne se priva pas de faire, le moment venu. Pie III était le neveu du grand pape humaniste du même nom qui l’avait fait cardinal en 1460 et aussitôt appelé à ses côtés. Le jeune prélat avait à partir de ce moment fait de Rome son principal pied-à-terre. Même scénario dans le cas de Jules II, créé cardinal par son oncle Sixte IV en 1471. Absent de Rome durant une bonne partie du pontificat d’Alexandre VI avec qui il ne s’entendait guère, il ne s’en considérait pas moins, à l’instar de ses deux prédécesseurs, Romain d’adoption. Léon X, promu au cardinalat en 1489, alors qu’il n’avait encore que quatorze ans, avait dû lui aussi vivre plusieurs années en exil, en raison des déboires politiques de sa famille, mais, revenu à Rome en 1500, il s’y était vite fait une enviable réputation de protecteur des arts et de mécène généreux, voire prodigue, ce qui lui avait aussitôt valu la faveur des Romains. Son cousin, Clément VII, qu’il avait fait entrer au Sacré Collège en 1513, vécut lui aussi de nombreuses années à Rome où il remplit d’ailleurs d’importantes charges dont celle, prestigieuse, de vice-chancelier de l’Église. Et que dire de Marcel II, fils d’un fonctionnaire de la Sacrée Pénitencerie, protégé de Paul III de qui il obtiendra le chapeau en 1539 et qui, après un premier séjour à Rome au temps de Clément VII, y était revenu en 1531, cette fois à demeure? Paul IV avait été éduqué à Rome dans la maison d’un proche parent, le cardinal Oliviero Carafa, ce qui lui avait permis d’entreprendre une remarquable carrière ecclésiastique au service de la papauté, carrière couronnée par le cardinalat en 1536, puis la tiare en 1555. De tous les
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papes non romains de l’époque, il était peut-être celui qui avait passé le plus grand nombre d’années dans la Ville Éternelle. Tel n’est pas le cas d’un Pie IV et d’un Pie V qui ne vinrent que tardivement à Rome, le premier à l’instigation de son frère aîné, Gian Giacomo, condottière célèbre qui, grâce à ses liens de parenté avec le pape Paul III, ne contribua sans doute pas peu à sa réussite, y compris à son accession au cardinalat en 1549; le second, sur recommandation d’un Gian Pietro Carafa, le futur Paul IV qui, admiratif du zèle et de la sévérité de cet alter ego, ne tardera pas, une fois élu, à le faire cardinal (1557), puis surtout, inquisiteur général (1558). Malgré leur venue tardive dans la ville, ces deux hommes y avaient passé suffisamment de temps pour la bien connaître et, du même coup, s’y faire connaître, pas toujours favorablement d’ailleurs, comme le futur Pie V s’en rendra assez vite compte. On peut en dire autant d’un Grégoire XIII et d’un Sixte V qui, venus eux aussi plutôt sur le tard à Rome, l’un après avoir enseigné le droit à Bologne, l’autre, s’être adonné pendant un certain nombre d’années au ministère de la prédication, s’y firent remarquer, le premier, par un Paul III, un Paul IV et surtout un Pie IV, ce qui lui vaudra le chapeau en 1565, le second, par un Pie V qui, l’ayant connu et apprécié au temps où il était inquisiteur général, n’hésitera pas à le faire cardinal en 1570. Appelés à remplir diverses fonctions et missions au service du Saint-Siège, ils eurent plus d’une fois, l’un et l’autre, à s’absenter de Rome, mais la ville n’en resta pas moins, à partir de 1539 dans le cas du futur Grégoire XIII et à partir de 1552 dans le cas de Sixte V, leur principal pied-à-terre. Grégoire XIV, ami de Charles Borromée dont il s’inspirera d’ailleurs durant les longues années où il dirigera le diocèse de Crémone, ne viendra s’installer à Rome qu’en 1583, suite à sa promotion au Sacré Collège. Il ne lui restait alors que huit années à vivre. De santé fragile, plus attiré par les milieux gravitant autour de Philippe Neri que par les fastes de la cour ou de la ville, il est, après Adrien VI, peut-être celui qui connaissait le moins bien Rome, d’où sans doute les difficultés de toutes sortes qu’il rencontra durant son court pontificat de dix mois. Tout à l’opposé, Innocent IX, lui aussi condamné à un règne très court –– à peine plus de deux mois –– était un fin connaisseur de Rome où, protégé du cardinal Alexandre Farnèse, il avait poursuivi à partir de 1549 une fructueuse carrière au service du cardinal et de sa famille, puis des papes Pie IV, Pie V et Grégoire XIII, de ce dernier surtout qui lui confia d’importantes responsabilités à Rome avant de le faire cardinal en 1583. Même parcours ou presque dans le cas d’Ippolito Aldobrandini, le futur Clément VIII, qui, pratiquement « adopté » par Pie V, protecteur de sa famille, occupa très tôt d’importantes fonctions curiales avant de devenir en 1585 un des hommes de confiance de Sixte V qui, cette même année, l’avait fait cardinal. Hormis quelques missions diplomatiques qui l’éloignèrent pour un temps de la Ville Éternelle, on
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peut dire qu’il vécut la plus grande partie de sa vie, de sa vie adulte du moins, à Rome et que, tout compte fait, il considérait cette ville comme pratiquement la sienne. Romains de souche ou Romains d’adoption, les papes du XVIe siècle, hormis un Adrien VI et peut-être un Grégoire XIV, avaient tous eu le temps de bien connaître la Ville Éternelle: ses coutumes, ses humeurs, ses habitants, mais ils avaient surtout eu le temps de se familiariser avec la cour grâce aux liens de parentèle et de clientèle qui les unissaient aux plus influents personnages de cette cour, papes en tête, grâce également à leur implication au jour le jour dans le gouvernement de l’Église ou de l’État pontifical ou, mieux encore, leur éventuelle accession au Sacré Collège. Il y a fort à parier que cette connaissance, cette familiarité leur facilitèrent énormément la tâche lorsque vint pour eux le moment de former et d’organiser leur propre cour. Mais, ce seul facteur eût-il joué, la cour pontificale aurait eu tendance à se reproduire, d’un pontificat à l’autre, plus ou moins à l’identique. Or, tel n’est pas le cas, comme nous aurons l’occasion de le démontrer plus loin. D’autres facteurs sont donc nécessairement entrés en ligne de compte, facteurs tenant, entre autres, pour nous limiter aux plus importants, à l’origine sociale, à l’éducation reçue, aux influences subies, à l’expérience acquise, mais aussi, fait non négligeable, à la durée de chaque pontificat. Six des papes de l’époque provenaient de grandes familles (Alexandre VI, Léon X, Clément VII, Paul III, Paul IV, Urbain VII). Tous les autres étaient de familles « moyennes » (Jules III, Marcel II, Pie IV, Grégoire XIII, Innocent IX, Clément VIII) ou modestes (Jules II, Adrien VI, Pie V, Grégoire XIV), voire très modestes (Sixte V). Mais ce facteur ne semble pas avoir eu l’impact auquel on aurait pu facilement s’attendre. Car, comme nous le verrons dans les chapitres qui suivent, si la plupart des papes de noble extraction se comportèrent en grands seigneurs, bon nombre de leurs homologues d’origine plus modeste en firent tout autant, même si certains d’entre eux: un Pie V, un Grégoire XIII, un Clément VIII, imitant en cela l’exemple de l’ascétique Paul IV, s’efforçaient personnellement de vivre aussi frugalement que possible au milieu du luxe et du faste dont par ailleurs ils tenaient à s’entourer. Sans doute, de quelque extraction qu’ils aient été, tous ces hommes étaient-ils convaincus, le prestige du SaintSiège étant ce qu’il était, qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’agir de la sorte, même si, par conviction ou goût personnel, certains d’entre eux auraient probablement préféré ne pas avoir à faire à ce point étalage de leur grandeur. Mais, en cela, ils ne faisaient les uns et les autres, que refléter un point de vue dominant à Rome à l’époque, même parmi les plus zélés partisans d’une réforme en profondeur de l’Église, à l’effet que s’il leur était demandé de corriger les abus existant à Rome et ailleurs, cela ne
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signifiait en rien la transformation de leurs cours en monastères de stricte observance. Car, comme l’expliquait en 1547 l’humaniste Agostino Steuco, protégé de Paul III et ardent défenseur du pouvoir pontifical, il était indispensable à l’exercice de ce même pouvoir que les papes s’entourent de richesse et de splendeur, car c’était là, insistait-il, le meilleur moyen d’assurer que le peuple surtout accepte et respecte leur autorité et, partant, celle de l’Église55. Le type d’éducation ou de formation reçue par les papes de l’époque constituait aussi un facteur non négligeable, conditionnant tout aussi bien la conception qu’ils se faisaient de leur cour que la façon dont ils entendaient la gérer ou s’en servir. La plupart d’entre eux –– neuf au total –– avaient fait des études de droit; quatre s’étaient plutôt spécialisés en théologie (Adrien VI, Paul IV, Pie V, Sixte V), mais plusieurs, du moins durant la première moitié du XVIe siècle avaient en outre été initiés à l’humanisme, voire –– c’est le cas d’un Marcel II –– pouvaient être considérés comme d’authentiques humanistes. Le droit était vu à l’époque comme une sorte de voie royale menant à coup sûr aux plus hautes fonctions de l’Église et de l’État56 et il n’est donc pas surprenant que la majorité des papes du XVIe siècle aient emprunté cette voie, récoltant au passage des connaissances et une expérience administratives sans pareil et, par le fait même, facilitant leur éventuelle accession au suprême pontificat. Mis à part Adrien VI dont l’élection-surprise ne peut s’expliquer que par une conjoncture exceptionnelle, les théologiens devront attendre la deuxième moitié du XVIe siècle, c’est-à-dire les années dominées par la dynamique tridentine et post-tridentine pour se voir confier le gouvernement de l’Église. Quant aux papes « humanistes », on n’est pas surpris de constater qu’ils sont à peu près tous de l’époque où la Renaissance battait son plein à Rome. On imagine d’ailleurs mal un Alexandre VI ou un Léon X hors de ce contexte particulier. Juristes, théologiens ou humanistes, le bagage intellectuel et culturel que les papes du XVIe siècle apportèrent avec eux sur le trône pontifical dut très certainement, qu’ils en aient eu conscience ou non, compter pour beaucoup dans le style qu’au fil des ans ils imprimèrent à leur cour. On 55 À ce sujet, voir R. K. Delph, Polishing the Papal Image in the Counter-Reformation. The Case of Agostino Steuco, dans Sixteenth Century Journal, XXIII (1992), p. 35-47. 56 De bonnes indications en ce sens dans H. Rashdall, The Universities of Europe in the Middle Age, III, Oxford 1936, p. 456-458; A. Gouron, Le recrutement des juristes dans les universités méridionales à la fin du XIVe siècle: Pays de canonistes et pays de civilistes?, dans J. Ijsewijn - J. Paquet, éd., The Universities in the Late Middle Age, Louvain 1978, p. 524-548; F. Rapp, La naissance de l’Europe moderne, dans L’époque de la Réforme et du concile de Trente, Paris 1990 (Histoire du droit et des institutions de l’Église en Occident, XIV), p. 66-67; A. Tuilier, Histoire de l’Université de Paris et de la Sorbonne, I, Paris 1994, p. 229-230, 246, 351.
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pourrait sans doute en dire autant des influences, bonnes ou mauvaises, subies au contact de milieux, de groupes ou d’individus fréquentés par eux à divers moments de leur vie à Rome ou ailleurs. Viennent ici spontanément à l’esprit les noms d’un Paul IV, passé par l’Oratoire du Divin Amour avant de fonder avec Gaëtan de Thiene l’ordre des Théatins, puis s’être imposé au sein du parti réformiste à Rome comme le chef de file des « intransigeants »; ou d’un Clément VIII, habitué de l’Oratoire philippin et durant de nombreuses années pénitent et intime de Philippe Neri auquel il vouait la plus grande admiration; ou, tout à l’opposé, d’un Alexandre VI, homme d’une grande sensualité, habité par des passions de toutes sortes et menant, même comme pape, une existence ouvertement licencieuse. Ce sont bien évidemment là des cas extrêmes. Mais ils montrent bien qu’il y avait parmi les papes du temps des hommes vertueux, édifiants même et d’autres qui l’étaient moins, beaucoup moins, sans compter un certain nombre de « convertis » qui, après une jeunesse dissipée ou des années de tiédeur, avaient trouvé ou retrouvé le « bon chemin », tel un Pie IV par exemple qui, sous l’influence de son neveu Charles Borromée, avait fini par adopter un style de vie moins ostentatoire. Il faut dire qu’on était alors en pleine effervescence conciliaire et, comme l’a bien montré Gérard Labrot, depuis Paul III la papauté cherchait à faire oublier un passé jugé trop « mondain » et à transformer Rome non plus seulement en la plus belle mais en plus édifiante ville du monde57. Le faste, le luxe de la cour pontificale étaient là pour rester, mais au fur et à mesure que les papes « mondains » et parfois « scandaleux » du début du siècle seront remplacés par des papes réformistes et « dévots », ce faste et ce luxe seront mis au service de stratégies visant des objectifs moins politiques et beaucoup plus religieux. Il n’y a qu’à comparer la cour d’un Alexandre VI à celle d’un Clément VIII pour avoir une assez juste idée du chemin parcouru entre la fin du XVe et le début du XVIIe siècle grâce à l’arrivée sur le trône pontifical d’hommes tels que Paul IV, Pie V, Grégoire XIII et Sixte V, pour ne nommer que ceux-là. Mais s’il était en quelque sorte inévitable que les cours des papes de l’époque reflètent la culture ou la non culture, la finesse ou le manque de finesse, les qualités ou les défauts, les vertus ou les vices de chacun d’entre eux, encore fallait-il que ces hommes aient à leur disposition le temps voulu pour ce faire. Or force est de constater que si certains papes eurent des règnes relativement longs –– quinze ans dans le cas de Paul III, treize dans celui de Grégoire XIII et de Clément VIII, onze pour ce qui est d’Alexandre VI et de Clément VII, d’autres, à l’inverse, en eurent d’extrêmement courts: un peu plus d’un an pour ce qui est 57
Labrot, L’image de Rome cit.
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d’Adrien VI, moins d’un an dans le cas de Grégoire XIV et deux mois ou moins dans celui de Pie III, Marcel II et Innocent IX, le champion en la matière étant Urbain VII qui régna à peine quinze jours. Si les premiers eurent amplement le temps de se doter d’une cour de leur cru, les seconds ne l’eurent guère et laissèrent d’ailleurs si peu de traces de leur passage au Vatican qu’on dispose aujourd’hui, et pour certains d’entre eux seulement, tout au plus d’un rôle, et d’un rôle parfois lacunaire de leur cour58. Ce n’est donc pas à ces derniers, mais à leurs homologues ayant eu l’heur de régner suffisamment longtemps qu’il faut demander ce qu’ils cherchaient et réussirent éventuellement à faire de cette cour. Aussi dans les pages qui suivent où nous chercherons à dresser une prosopographie des papes de l’époque, nous intéresserons-nous en priorité à ceux de ces derniers ayant régné un an ou plus, ne faisant place aux autres que dans la mesure où ils auront contribué de façon significative à la transformation de la cour pontificale.
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À ce sujet voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 23-25 et notes.
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II UNE GALERIE DE PORTRAITS Dix-huit papes en tout se sont succédé sur le trône pontifical au cours du XVIe siècle. Grâce surtout au travail pionnier et encore aujourd’hui fondamental de Ludwig von Pastor, historien par excellence de la papauté1, ces hommes nous sont bien connus, même si, sur l’un ou l’autre point, comme l’ont montré de nombreuses études parues après coup, certains doutes subsistent et si, par ailleurs, les interprétations et conclusions de l’auteur sont parfois sujettes à caution2. Ces réserves faites, Pastor n’en reste pas moins un bon guide en la matière et c’est à lui surtout que nous demanderons de nous dire qui étaient ces personnages hors du commun qui de 1492 à 1605 occupèrent la chaire de Pierre et présidèrent par le fait même aux destinées d’une Église appelée à de profondes et irréversibles transformations3. 1. D’Alexandre VI à Clément VII Le plus notoire et le mieux connu d’entre eux, grâce aux nombreux chroniqueurs, historiens, romanciers et artistes qui depuis des siècles se sont intéressés à lui est, sans conteste, Alexandre VI (1493-1503). Homme d’une vigueur, d’une intelligence et d’une habileté politique sans pareil, mais en même temps, comme l’écrivait déjà au XVIe siècle un de ses premiers biographes, Onofrio Panvinio, modèle de sensualité, d’avidité, voire 1 C’est encore aujourd’hui l’opinion qui prévaut. Cf. E. Duffy, Saints & Sinners. A History of the Popes, New Haven 1997, p. 312. 2 À ce sujet, nous renvoyons, entre autres, au jugement de P. Paschini, Roma nel Rinascimento, Bologne 1940, p. 482 et à celui de R. Aubenas - R. Ricard, L’Église et la Renaissance, 1449-1517, Paris 1951 (Fliche-Martin, Histoire de l’Église, 15), p. 7. 3 Tel qu’indiqué au chapitre précédent (note 29), tous les renvois à l’ouvrage de von Pastor seront faits à partir de la version italienne (Storia dei papi cit., t. III-XI), de loin la meilleure. Comme cette version a connu plusieurs rééditions ou réimpressions, nous nous servirons de la toute dernière parue, soit celle de 1942-1962. Nous avons également exploité les excellentes notices biographiques que l’on trouve dans l’Enciclopedia dei Papi, Rome 2000, qui complètent et parfois même corrigent sur certains points Pastor. On les trouve au tome III, p. 22-269.
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de duplicité4, Rodrigue Borgia ne laissa de son vivant et ne laisse encore aujourd’hui personne indifférent. Quel improbable successeur de l’apôtre Pierre! Ce n’est pas sans raison que Machiavel s’inspira de lui et de son fils César pour construire le modèle qu’il proposa au début du XVIe siècle du prince ambitieux, ne reculant devant rien pour arriver à ses fins5. Habile manœuvrier et stratège sans scrupules, Alexandre VI fut effectivement, aussi bien par goût que par nécessité, presque constamment pris dans le tourbillon d’affaires qui avaient beaucoup plus à voir avec le temporel qu’avec le spirituel et où, on le sait, étaient presque toujours emmêlés les intérêts de l’Église et ceux de sa propre famille. Cela ne pouvait pas ne pas rejaillir sur l’organisation et le fonctionnement de sa cour, une cour que les contemporains nous représentent d’ailleurs bruissant de rumeurs, d’intrigues, de complots de toutes sortes où, nul doute, une grande partie des fêtes, réceptions, spectacles qu’on y offrait relevaient de stratégies et de visées d’abord et avant tout politiques. Envoûtés par ces mises en scène d’une somptueuse, mais parfois troublante beauté, visiteurs et hôtes de marque –– on pense ici à un Charles VIII de passage à Rome en 1495 –– auront plus d’une fois la désagréable surprise de découvrir après coup que tout cela n’était que stratagèmes en vue de les amadouer, voire tromper6. Et que dire du népotisme sans vergogne pratiqué par le même Alexandre VI, un népotisme dont les premiers bénéficiaires étaient ses propres enfants, César et Lucrèce en particulier, qui avaient pratiquement libre accès à la cour et étaient d’ailleurs souvent appelés à y jouer un rôle tout autre que figuratif? Faut-il après cela se surprendre du fait que les contemporains aient vu en Alexandre VI plutôt le « prince » que le « prêtre », un prince ne le cédant en rien à ses homologues séculiers, que ce soit en termes de style de vie ou encore de type d’occupations et de loisirs. Insignes pontificaux mis à part, comment en effet distinguer cet homme d’Église affichant ostensiblement ses « maîtresses » et ses « bâtards » de vis-à-vis laïques qui en faisaient tout autant et avec la même désinvolture, à une époque où ces pratiques mani4 Le Vite de’ Pontefici di Bartolomeo Platina Cremonense, Venise 1685, p. 478-479. Rodocanachi dépeint ainsi le pape Borgia: «Alexandre VI était de son temps, d’une époque où les vertus du moyen âge s’étaient chez plus d’un converties en vices, où de pieux on était devenu dévotieux, où l’astuce remplaçait le courage, et le désir, l’amour». Une cour princière au Vatican pendant la Renaissance, Paris 1925, p. 153. L’auteur a peut-être une vue un peu trop idéalisée du moyen âge, mais son portrait d’Alexandre VI n’a rien d’excessif. 5 César est le modèle privilégié par Machiavel, mais celui-ci s’inspire aussi de l’exemple d’Alexandre VI dont il vante la ruse et l’habileté. À ce sujet, voir J. R. Hale, Machiavelli and Renaissance Italy, Harmondsworth 1961, p. 111, 115-116. 6 Sur les ruses employées pour tromper Charles VIII, voir I. Cloulas, Les Borgia, Paris 1987, p. 139-165.
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festement étaient considérées comme allant de soi7? Il suffit de parcourir le journal de Jean Burckard, cérémoniaire du pape, pour constater à quel point les enfants d’Alexandre VI ne faisaient pratiquement qu’un avec lui et à quel point surtout ils formaient un élément-clé, presque essentiel de sa cour comme de sa politique d’ailleurs. C’est au Vatican que sont célébrés avec pompe les trois mariages successifs de Lucrèce8, chaque fois en présence de son père qui, en ces occasions comme en tant d’autres, laisse transparaître l’immense affection qu’il lui porte, une Lucrèce qu’il a par ailleurs dès 1493 installée avec Julie Farnèse, sa maîtresse, dans un palais contigu au Vatican: le palais Santa Maria in Porticu, d’où elle peut à tout moment accéder à ses appartements9, une Lucrèce à qui il va même jusqu’à confier en 1499 le gouvernement de Spolète et de Foligno10 et, fait plus inouï encore, à qui il laisse deux années plus tard, durant trois courtes absences de Rome, la direction des affaires courantes11. On peut en dire autant de César, moins aimé peut-être que Lucrèce, mais qui avait lui aussi libre accès au Vatican, voire à certains moments, y habitait, y jouant tour à tour le rôle de conseiller du pape, d’exécuteur de ses volontés, mais aussi d’ordonnateur des fêtes de toutes sortes destinées aux hôtes et visiteurs de la cour pontificale12. Fêtes d’ailleurs qu’un Burckard ne se prive pas de décrire dans son journal avec un luxe de détails propres à ternir la réputation des Borgia, même si, comme le croit Louis Thuasne, ce n’était vraisemblablement pas là son intention13. Sans doute, certains autres chroniqueurs de l’époque ne se priveront-ils pas de noircir à dessein le tableau, tant leur répugnait, mieux les irritait sinon l’amoralisme, du moins le favoritisme sans retenue Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 95-99 Cloulas, Les Borgia cit., p. 105-107, 201, 270. 9 Ibid., p. 105, 167-168. 10 J. Burckardi, Liber Notarum ab Anno MCCCCLXXXIII usque ad Annum MDVI, éd., E. Celani, II, Città di Castello 1911, p. 157-158. 11 Ibid., p. 294, 301. 12 Cloulas, Les Borgia cit., p. 107-108, 112-114, 146-148, 150, 154-155, 158, 174-180, 184190, 193-197, 201-203, 205-220, 234-240, 264-273 et passim. 13 J. Burckardi, Diarium sive Rerum Urbanarum Commentarii, 1483-1506, éd. L. Thuasne, III, Paris, 1895, p. XXXVI-XXXVII. Cet incident comme d’autres du genre signalés par Burckard ne semblent d’ailleurs pas l’avoir scandalisé ou ému outre mesure: il les décrit comme il les a vus ou comme ils lui ont été rapportés, «sans état d’âme», voire avec une sorte de détachement qui, encore aujourd’hui, étonne. À ce sujet, voir E. Vansteenberghe, Burckard (Jean), dans DHGE, 10, col. 1249. Jean Lesellier qui a consacré un important article à Burckard (Les méfaits du cérémoniaire Jean Burckard, dans MAH, XLIV (1927), p. 11-31) dans lequel il reproche à Thuasne de mal connaître son personnage et de le blanchir un peu trop facilement des accusations qui, à l’époque, pesaient contre lui (p. 11-19) n’en convient pas moins, lui aussi, que Burckard était «un mélange de conscience professionnelle et d’amoralité foncière», ce qui, selon lui, permettrait d’expliquer le détachement plus haut évoqué avec lequel il décrivait les «débordements» des Borgia (p. 20). 7
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d’Alexandre VI, surtout à l’endroit de sa propre progéniture, mais il n’en reste pas moins que sur ces points précis et sans doute un certain nombre d’autres, ils avaient raison et qu’on peut difficilement nier que la cour du second pape Borgia ressemblait étonnamment aux cours « séculières » d’Italie et d’ailleurs où, par la force des choses, les préoccupations premières étaient d’ordre politique, mais au service d’ambitions que l’on peut à juste titre qualifier de dynastiques ou, tout simplement, familiales. Mais Rodrigue Borgia était par ailleurs un homme de la Renaissance, comme l’avaient été ses prédécesseurs Nicolas V, Pie II et Sixte IV, comme le seront après lui un Jules II, un Léon X et, jusqu’à un certain point, un Clément VII. Le recours à Pinturicchio pour la décoration de ses appartements et à l’humaniste Pomponius Laetus pour commenter après coup les fresques que ledit Pinturicchio y avait peintes, l’emploi d’un Antonio da Sangallo l’Ancien pour le réaménagement du Château Saint-Ange, les sommes consacrées à la reconstruction du Studium Urbis, la future Sapienza: autant d’indices d’un certain raffinement esthétique et culturel digne d’un homme de la Renaissance14. Cela dit, Alexandre VI n’était d’aucune façon l’émule d’un Nicolas V ou d’un Pie II, l’un et l’autre humanistes authentiques, ni même d’un Jules II ou d’un Léon X qui aimaient s’entourer d’écrivains et d’artistes et qui surtout faisaient fréquemment appel aux talents de ces derniers comme en témoignent encore aujourd’hui les œuvres laissées par ces hommes. Le faste, les décors, les spectacles, les rituels élaborés que l’on trouve à la cour d’Alexandre VI ne sont certes pas étrangers à l’esprit de la Renaissance, mais ils ne semblent pas avoir été commandés par un amour, encore moins une passion pour le luxe, l’art et la littérature en tant que tels. En ce domaine comme en tant d’autres, Rodrigue Borgia donne l’impression de se laisser guider par des mobiles d’abord et avant tout politiques. Luxe, art et littérature ont moins pour but de le satisfaire, lui, personnellement, que de plaire à ses hôtes et visiteurs et surtout d’impressionner, voire séduire ces derniers. Il est en tout cas frappant de constater qu’alors qu’il consacre des fortunes à divertir et banqueter ces mêmes hôtes et visiteurs, en privé, il vit lui-même de façon plutôt modeste, au point d’ailleurs où ses proches fuient autant qu’ils le peuvent sa table jugée trop simple, pour ne pas dire spartiate15. Il en va de même du contraste existant entre les spectacles et divertissements destinés aux grands personnages qu’il reçoit à sa cour et ceux qui semblent avoir eu sa préférence 14 Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 606-607, 622-633. Sur les travaux entrepris par Alexandre VI dans la ville, voir également I. Insolera, Roma. Immagine e realtà dal x al xx Secolo, Rome 1980, p. 43-50. Sur ceux entrepris au Vatican, voir C. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico Vaticano, Florence 1992, p. 15, 90-93, 263. 15 Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 348.
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et qui sont, eux, beaucoup moins raffinés, voire d’un goût parfois assez douteux. Qu’il suffise de mentionner ici, entre autres, la fête digne des Saturnales organisée au Vatican le 31 octobre 1501 par César Borgia et où Alexandre VI et, possiblement, sa fille Lucrèce furent présents16, ou encore le spectacle « équestre » offert le 11 novembre suivant place SaintPierre, à la demande cette fois du pape lui-même qui, note Burckard, y prit, comme Lucrèce d’ailleurs, grand plaisir17. Au fond, pour comprendre Alexandre VI et sa façon d’être pape, il faut toujours en revenir au fait qu’il était d’abord et avant tout un stratège politique et que c’est à travers ce prisme qu’il faut lire son pontificat et chercher à établir le rôle que, par rapport à sa double fonction de chef d’Église et de chef d’État, il entendait faire et fit effectivement jouer à sa cour. De ce point de vue, son successeur Jules II (1503-1513) lui ressemble étonnamment et, même si les deux hommes furent longtemps à couteaux tirés, on pourrait être facilement tenté de les assimiler l’un à l’autre. Et pour cause. Car Jules II, tout comme Alexandre VI avant lui, fut constamment en butte aux difficultés que posait dans un contexte politique embrouillé et changeant la reprise en mains de l’État pontifical. Tous deux d’ailleurs, très tôt associés au gouvernement de l’Église à titre de proches parents de deux des papes les plus népotistes du XVe siècle: Calixte III, dans le cas d’Alexandre VI, Sixte IV, dans le cas de Jules II, avaient eu amplement le temps de s’initier à l’art de la diplomatie en même temps que d’acquérir une solide expérience administrative, ce qui leur avait certainement facilité l’accès au suprême pontificat, mais ce qui les avait surtout préparés à affronter avec lucidité et détermination les défis d’ordre politique qui, l’un et l’autre, les attendaient18. La stratégie d’un Jules II visant à assurer tout à la fois sa pleine autorité sur l’État pontifical et l’indépendance du Saint-Siège par rapport aux principales puissances européennes se situe dans la droite ligne de celle adoptée dix ans plus tôt par un Alexandre VI, cruauté et duplicité comprises, avec cette différence toutefois que la composante militaire de la stratégie de Rodrigue Borgia était du ressort de son fils César, alors que Burckardi, Liber Notarum cit., II, p. 303. Ibid., p. 304. Ce spectacle assez grossier consista en la saillie d’un certain nombre de juments par quatre étalons conduits à cet effet place Saint-Pierre. Compte tenu du lieu où il se déroula et de la nature du personnage qui le commandita, le spectacle en question aujourd’hui paraîtrait des plus choquants, mais, comme le note avec justesse Thuasne, il est fort douteux qu’il l’ait été à l’époque. Burckardi, Diarium cit., III, p. XXXV. 18 Autre point de ressemblance entre ces deux hommes: Jules II, à l’instar d’Alexandre VI, acheta probablement son élection. À ce sujet, voir F. Gilbert, The Pope, his Banker and Venice, Cambridge (Mass.)-Londres 1980, p. 75-76; C. Shaw, Julius II, the Warrior Pope, Oxford-Cambridge (Mass.) 1996, p. 122. Il faut toutefois souligner, comme nous l’avons rappelé au chapitre précédent (note 34), qu’il produisit plus tard une bulle interdisant ce genre de pratique. 16 17
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Jules II avait assumé lui-même ce rôle de premier plan, au point d’ailleurs où, à diverses reprises, il n’avait pas hésité à se présenter, casqué et armé, à la tête de ses troupes. Est-il besoin d’ajouter que, contrairement à César Borgia qui comptait tirer un profit personnel de ses succès militaires, Jules II n’avait pour sa part qu’un but en tête: imposer son autorité et par le fait même celle de l’Église à l’intérieur comme à l’extérieur de l’État pontifical19. La politique occupe donc chez Jules II tout autant de place qu’elle en occupait chez Alexandre VI. Même un événement à première vue aussi peu politique que la convocation d’un concile, en l’occurrence le cinquième concile du Latran, s’avère être à l’examen un geste éminemment politique visant de fait à contrer l’initiative d’un Louis XII de France convoquant en 1511 pour des raisons tout aussi politiques un concile de son cru: le concile de Pise-Milan. Faut-il après cela se surprendre qu’un Guicciardini ose dire de Jules II, comme il aurait sans doute pu le dire d’Alexandre VI, qu’il n’avait de prêtre que l’habit et le nom20? Mais, dès qu’on quitte le champ politique, on se rend assez vite compte que Jules II a peu à voir avec Alexandre VI. Tout d’abord, son népotisme discret ne ressemble en rien à celui sans retenue du second pape Borgia. S’il crée quatre de ses neveux cardinaux et installe sa fille Felice à proximité du Vatican, l’autorisant à l’occasion à venir le visiter, il garde par contre ses distances par rapport à la plupart de ses proches, ne voulant d’aucune façon être influencé ou paraître être influencé par eux21. Sa belle-sœur, Giovanna de Montefeltro, qu’il n’aimait guère, aura droit à ses foudres pour s’être un jour permise de visiter officiellement les cardinaux habitant Rome22. Jules II n’est pas pour autant un ingrat: il sait le moment venu avantager ou récompenser les siens, mais jamais aucun d’entre eux ne sera autorisé à jouer un rôle équivalent à celui d’un César Borgia à la cour d’Alexandre VI. Jules II tenait à son indépendance comme à celle de l’Église d’ailleurs. Vers la fin de sa vie, il s’attachera à un de ses neveux, Bartolomeo Grosso della Rovere, frère du cardinal Leonardo23, mais il faisait en général plutôt confiance à des « créatures » l’ayant servi à l’époque où il était cardinal, tels par exemple un Fazio Santori, un Francesco Alido19 L’historien Ranke fait grand état de ce trait singulier de la vision politique de Jules II. «Quelques autres papes, note-t-il, avaient cherché à donner des principautés à leurs neveux, à leurs fils; Jules II, au contraire, fit consister toute son ambition à étendre l’État de l’Église». Histoire de la papauté, I, Paris 1848, p. 58. 20 Shaw, Julius II cit., p. 127-162, 209-315. Sur le jugement porté par Guicciardini, voir ibid., p. 270. 21 Ibid., p. 166, 188. Sur la fille du pape, Felice, voir C. P. murphy, The Pope’s Daughter, Oxford 2005. 22 Shaw, Julius II cit., p. 168. 23 Ibid., p. 169, 185.
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si ou un Robert Guibé qui occuperont d’importantes fonctions à sa cour et seront éventuellement faits cardinaux. Notons toutefois que, mauvais juge d’hommes, il lui arrivera plus d’une fois d’avoir à regretter la confiance qu’il avait mise dans certaines de ces « créatures », le cas le plus flagrant étant celui du tristement célèbre cardinal Alidosi assassiné en 1511 par Francesco Maria della Rovere, neveu du pape24. Si le choix de ses proches collaborateurs n’était pas toujours des mieux inspirés, celui des artistes auxquels il fera appel aussi bien pour l’aménagement et la décoration de la résidence pontificale que pour la reconstruction de la basilique Saint-Pierre fut, à l’opposé, d’une perspicacité et d’un goût presque sans faille. Qu’il suffise de mentionner ici les noms d’un Bramante, d’un Raphaël et d’un Michel-Ange à qui nous devons certaines des œuvres encore aujourd’hui les plus connues et admirées du monde entier, œuvres commandées, voire supervisées par Jules II lui-même, un Jules II qui manifestement savait en ce domaine distinguer le sublime du médiocre25. En cela, il fut nul doute sinon le plus important, du moins le plus inspiré des papes mécènes du XVIe siècle, éclipsant la plupart de ses homologues, en particulier son prédécesseur, Alexandre VI, qui –– force est de le reconnaître ––, sur ce plan, supporte très mal la comparaison. Les biographes de Jules II soulignent, par ailleurs, le fait qu’il avait un train de vie personnel marqué au coin de la frugalité, comme Alexandre VI avant lui. Il faut dire que ce dernier lui avait laissé une caisse vide et qu’il devra, avec l’aide de son banquier, Agostino Chigi26, faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour arriver à trouver l’argent nécessaire au financement de ses nombreuses entreprises aussi bien guerrières qu’artistiques. À ce compte, rien de surprenant à ce qu’au dire de ses proches –– qui d’ailleurs s’en plaignaient ––, il ait eu tendance à tenir les cordons de la bourse serrés27. On imagine facilement ces mêmes proches, mais également les membres de sa cour s’étonnant, voire se scandalisant du contraste existant entre les sommes consacrées à l’embellissement des lieux où la plupart Ibid., p. 187. bid, p. 189-207. Sur les travaux réalisés par Jules II dans la ville de Rome, voir P. Portoghesi, Roma nel Rinascimento, Milan 1971, I, p. 17-19; Insolera, Roma cit., p. 50-[65]. Sur ceux réalisés au Vatican, voir Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 15-16, 54-55, 73-74, 107-115, 217-218, 220, 222, 238, 250. Autre initiative digne de mention et qui illustre bien le raffinement culturel de Jules II, en 1513, soucieux de conférer plus de solennité aux offices célébrés à Saint-Pierre en même temps que de préparer une relève pour le chœur de la chapelle Sixtine, il créa la Capella Giulia formée surtout d’enfants. À ce sujet, voir L. von Pastor, Storia dei papi, III, p. 853-856. Voir aussi, au sujet de son raffinement culturel, Giulio II. Papa, politico, mecenate, éd. G. Rotondo Terminiello ˗ G. Nepi, Gênes 2005, p. 91-140, 145153, 207-226. 26 Sur ses liens étroits avec Agostino Chigi, voir Gilbert, The Pope cit., p. 63-93. 27 Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 674. 24 25
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d’entre eux œuvraient ou vivaient et celles consenties à l’entretien au jour le jour de leurs personnes. Si l’on ajoute à cela le tempérament du pape, homme énergique, entreprenant, mais en même temps impulsif, sujet à de fortes sautes d’humeur, à de violentes colères surtout qui lui vaudront le surnom d’« il terribile », il n’y a pas à se surprendre du fait qu’il était craint d’un peu tout le monde et que peu de membres de sa cour lui restèrent jusqu’au bout fidèles. Au point où il fut pratiquement abandonné des siens lorsqu’en août 1511 il tomba gravement malade et qu’on crut sa fin prochaine28. Homme d’action, Jules II n’accordait sans doute pas beaucoup d’importance à la vie de cour, du moins telle qu’on la concevait à l’époque, et, surtout, il ne semble pas qu’il ait vu en sa propre cour une « famille » dont il aurait été en quelque sorte le « père ». Peut-être faut-il chercher là, plutôt qu’en ce que certains à l’époque appelaient son avarice, la véritable explication du malentendu existant entre son entourage et lui-même. Il devait nul doute être plus agréable de vivre à la cour d’un Alexandre VI, même si, nous l’avons vu, on y vivait peut-être plus dangereusement. Après deux papes, l’un mal famé, l’autre mal aimé, voilà qu’arrive en 1513 sur le trône pontifical un homme qui avait tout pour plaire et sera effectivement adulé, en particulier des écrivains, musiciens et artistes qui à tout moment l’entouraient. En effet, fort de la réputation qu’il s’était faite de cardinal raffiné, généreux et bienveillant, Léon X (1513-1521) paraissait aux yeux de ses nombreux admirateurs celui qui était le mieux à même de redonner au Saint-Siège une dignité, un prestige et une respectabilité qu’il semblait avoir perdus. Romains et Florentins et, parmi ces derniers, parents et clients du nouveau pape, furent bien évidemment unanimes à se féliciter de cette élection, convaincus qu’ils ne tarderaient pas à en tirer, comme il se devait, honneur et profit29. De tous les papes de la Renaissance, Léon X était sans doute celui qui incarnait le mieux les idéaux et les valeurs véhiculés par ce mouvement avec lequel Rome s’était depuis Nicolas V en quelque sorte identifié. Aussi –– faut-il s’en surprendre? –– sa cour passera à l’époque pour une des plus représentatives des idéaux et des valeurs en question tant par la somptuosité des lieux, décors et objets qu’on pouvait y admirer que par la qualité des personnes, talents et services qu’on y trouvait. Sans doute Léon X devait-il pour une bonne part à ses prédécesseurs, entre autres, à un Jules II, la magnificence des édifices, jardins et autres espaces à sa disposition, mais il avait à la différence d’un Jules II, décidé d’y vivre en prince de la Renaissance, ne reculant pour ce faire devant aucune dépense, fût-ce au 28 29
Shaw, Julius II cit., p. 172, 188. M. M. Bullard, Filippo Strozzi and the Medici, Cambridge 1980, p. 73 et suiv.
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risque de se couvrir de dettes et, par le fait même, grever sérieusement les finances du Saint-Siège. Risque d’autant plus réel qu’il entendait en même temps mener, comme Alexandre VI et Jules II avait lui, une politique de conquête qui risquait à la longue de s’avérer fort coûteuse. Notons au passage que Léon X ne semble pas avoir été un grand stratège politique, mais qu’habile diplomate, il sut presque toujours trouver des « arrangements commodes » pour lui-même et sa famille, évitant par le fait même les catastrophes que semblaient annoncer les nombreux obstacles auxquels il lui fallut à divers moments se mesurer30. Notons surtout que les objectifs politiques qu’il poursuivait intéressaient tout autant sinon plus sa propre maison que le Saint-Siège. Sur ce plan, Léon X rejoignait Alexandre VI, comme lui népotiste invétéré, rêvant de grandes choses pour les siens, avec cette différence toutefois qu’Alexandre VI travaillait surtout à l’avancement de ses propres enfants alors que Léon X travaillait à celui de ses neveux dont il entendait faire rien de moins que des princes31. Ce népotisme un peu trop affiché et surtout la campagne menée en 1516 contre Francesco della Rovere, duc d’Urbin, ne pouvait pas ne pas lui attirer des ennemis. En 1517, il réussit à déjouer un complot visant à l’empoisonner, complot fomenté par un certain nombre de cardinaux, dont Alfonso Petrucci qu’il fera d’ailleurs par la suite exécuter32. Peut-être prit-il à ce moment conscience du fait que sa prodigalité presque sans retenue et surtout les ambitions qu’elle servait à alimenter n’étaient pas nécessairement du goût de tous et que sa popularité à la longue pourrait en souffrir. 30 F. Fossier, Léon X, dans DHP, p. 1027-1028. Selon Ranke, Laurent de Médicis aurait dit de ses trois fils: Julien, Pierre et Jean, le futur Léon X, que le premier était bon, le second, fou, et le troisième, prudent. Histoire de la papauté cit., I, p. 82. Ranke est d’accord avec ce jugement, du moins en ce qui concerne Jean, mais il s’empresse d’ajouter que ce dernier était en plus très habile, comme le montrera la situation politique difficile dans laquelle, comme pape, il se trouvera. Ibid., p. 83. Et il précise, à ce sujet: «Un pape n’était pas si peu important qu’il lui fût possible de rester neutre dans la lutte, et il n’était pas assez fort pour jeter un poids décisif dans la balance; il devait donc chercher son salut dans son habileté à profiter de la situation des choses. On a prétendu que Léon X avait dit que quand on a traité avec un parti, ce n’était pas une raison pour cesser de négocier avec l’autre. Cette politique à double face lui était nécessairement imposée par la position dans laquelle il se trouvait». Ibid., p. 85. Ranke reconnaît par ailleurs que les succès remportés en ce domaine par Léon X s’expliquent en bonne partie par le fait qu’il fut bien servi par les circonstances et que si ses successeurs, entre autres, un Clément VII, firent beaucoup moins bien que lui c’est qu’ils durent, eux, faire face à des circonstances beaucoup moins favorables. Ibid., p. 89. 31 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 57-59. Dans une lettre à Machiavel du 12 juillet 1513, Francesco Vettori affirme que telle est bien l’intention du pape, c’est-à-dire: «mantenere la chiesa nella riputatione l’ha trovata, non volere che diminuisca di stato, se già quello che diminuisse non lo consegnasse a sua, cioè a Giuliano e Lorenzo, a quali in ogni modo pensa dare Stati». N. Machiavelli, Tutte le Opere, éd. M. Martelli, Florence 1971, p. 1143. 32 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 108-125.
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Cela dit, il n’en restait pas moins admiré, voire adulé à Rome et ailleurs tant pour sa culture que pour sa bonté, sa jovialité et surtout son extrême générosité appréciées des grands comme des petits. N’avait-il pas une bourse constamment à portée de la main dont il se servait pour gratifier ceux dont il appréciait le talent ou qu’il sentait dans le besoin33? Les humanistes ne pouvaient que lui être reconnaissants d’avoir appelé plusieurs d’entre eux à son service: notamment un Bembo, un Sadolet, un Giovio, un Accolti, pour ne mentionner que ceux-là, d’avoir en outre beaucoup investi dans l’acquisition de manuscrits anciens, d’avoir surtout relevé considérablement le prestige de l’université de Rome, la Sapienza, en la dotant pour la première fois d’un corps professoral digne de ce nom34. Et que dire des écrivains, poètes, rimailleurs, acteurs, voire bouffons dont il recherchait volontiers la compagnie et auxquels il commandait à l’occasion des œuvres, des divertissements de tous genres35? Que dire également des musiciens, instrumentistes aussi bien que chanteurs, recrutés un peu partout en Europe et dont il se faisait partout accompagner, ou encore des artistes: architectes, peintres, sculpteurs aux talents desquels il n’hésitait pas à recourir, à un Raphaël en particulier avec qui il se sentait manifestement en étroite communion d’esprit et auquel il confiera, entre autres, la poursuite de la décoration des Stanze commencée sous Jules II et la mise en chantier de celle des Logge dans ses propres appartements36? Autant d’hommes qui lui devaient beaucoup et qui, par ailleurs, ne pouvaient que se sentir à l’aise à l’ombre de ce pape qui savait apprécier leurs talents et qui, de surcroît, prenait plaisir à entendre, voir, à l’occasion partager, aussi bien les plus sublimes que les plus facétieuses de leurs prestations. On peut en dire autant des nombreux parents et clients qui, comme au temps d’Alexandre VI, qu’ils aient ou non habité le palais apostolique, avaient pour ainsi dire libre accès à la personne du pape, ne se privant guère de le pourvoir de conseils de toutes sortes, conseils d’ailleurs rarement désintéressés et –– familiarité oblige –– sollicitant à tout moment de lui mille et une faveurs. Qu’il suffise à ce propos de mentionner ici, d’une part, le rôle, parfois bénéfique, parfois néfaste, joué auprès de lui par sa famille immédiate, en particulier son cousin Jules de Médicis, le futur Clément VII, et son neveu Filippo Strozzi, dépositaire général de la Chambre Apostolique, par certains de ses favoris également, entre autres le cardinal Ibid., p. 338-339, 343-344, 389-390. Ibid., p. 375, 407-412, 452-455, 457-460. 35 Ibid., p. 377-385, 394-398, 403-425. 36 Ibid., p. 465-505. Sur les travaux réalisés par Léon X dans la ville, voir aussi Portoghesi, Roma cit., I, p. 19-21; Insolera, Roma cit., p. 70-[75]. Ce dernier souligne le fait que les efforts de Léon X en ce domaine portèrent beaucoup plus sur le Vatican que sur la ville. Sur les travaux réalisés dans le palais pontifical, voir Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 16, 18, 55, 93, 112-116, 152, 220. 33 34
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Bibbiena et le banquier Agostino Chigi; d’autre part, les grâces que réussirent à lui arracher certains proches particulièrement chers à son cœur, notamment ses sœurs Lucrezia, Contessina, Maddalena, sa belle-sœur Alfonsina, son frère Giuliano, pour nous en tenir aux plus influents37. Mais Léon X avait également su s’attacher le bon peuple de Rome grâce aux fêtes et spectacles de toutes sortes qu’il faisait organiser à son intention, au temps du carnaval en particulier, grâce aussi à la bonté et à la générosité dont il faisait preuve chaque fois qu’il entrait en contact avec la foule bigarrée de ses sujets38. Il ne serait sans doute pas exagéré de dire que de tous les papes du XVIe siècle Léon X fut, à Rome du moins, le plus acclamé et le plus aimé. Brillante, trop peut-être aux yeux de ceux de ses contemporains qui rêvaient de réforme, sa cour était à l’époque l’objet d’éloges dithyrambiques aussi bien de la part de ceux qui y vivaient que de ceux qui avaient l’heur ou le privilège d’y être reçus. Mais elle faisait en même temps l’admiration des Romains qui en tiraient quelque fierté et ne pouvaient par ailleurs que se féliciter de pareille magnificence, d’autant plus que la prospérité de la ville et donc leur propre bien-être dépendaient en grande partie –– ils n’en étaient que trop conscients –– du prestige, du rayonnement et, partant, du pouvoir d’attraction de cette même cour. Sur ce point, Léon X ne le cédait en rien à Alexandre VI et faisait beaucoup plus penser à ce dernier qu’à Jules II, un Jules II dont l’avarice, mais aussi le mauvais caractère étaient de nature à faire fuir plutôt qu’à attirer les personnes. En revanche, ce côté « séducteur » de Léon X a peu à voir avec celui, moins innocent et plus troublant, d’un Rodrigue Borgia, car si Pastor est le premier à reconnaître que Léon X était lui aussi avide de plaisirs et qu’il jouissait de tous ceux qu’il était à même de s’offrir avec la sereine tranquillité et l’insouciance d’un enfant gâté par la fortune, il s’empresse aussitôt d’ajouter qu’il était en même temps un homme digne et pieux, vertueux même, en tout cas fidèle aux obligations qui étaient les siennes comme, par exemple, la récitation de l’office, l’assistance quotidienne à la messe et l’observance exacte des lois du jeûne et de l’abstinence39. Sans doute n’était-il pas un saint, loin de là, mais il était certainement, et de loin, un pape plus « édifiant »40 que ne l’avait été en son temps Alexandre VI. Bullard, Filippo Strozzi cit., p. 84-90. Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 338-339, 389-390. 39 Ibid., p. 334-337. Ranke reconnaît que Léon X était un homme de plaisirs, mais il s’empresse de préciser: «Les plaisirs monstrueux d’Alexandre VI sont un éternel sujet de réprobation, mais ceux de la cour de Léon X n’inspirent en eux-mêmes aucun dégoût», bien que, ajoute-t-il, «on ne peut disconvenir qu’ils ne répondaient pas à la haute destination d’un chef de l’Église». Histoire de la papauté cit., I, p. 73. 40 Certains spécialistes de la période croient que Léon X chercha peut-être à exploiter à son avantage le mythe du «pape angélique», d’origine joachimite, mais repris et promu aux 37 38
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Léon X n’avait que 38 ans lorsqu’il accéda au trône pontifical. Compte tenu du fait qu’Alexandre VI et Jules II en avaient 61 et 60 respectivement au moment de leur élection, on pouvait à l’époque être en droit de penser qu’il avait toutes les chances de connaître un règne beaucoup plus long qu’eux. C’est sans doute ce qu’escomptaient parents et clients des Médicis qui s’imaginaient installés pour vingt ans ou plus au sommet de l’appareil ecclésial. Mais Léon X était d’une santé fragile et ses partisans auront la désagréable surprise de le voir disparaître inopinément en décembre 1521, probablement victime d’une attaque de paludisme. Il n’avait régné que huit ans. Les plus désespérés furent nul doute ses nombreux créanciers, pour la plupart des proches, qui se retrouvèrent en un instant non seulement « orphelins », mais pratiquement ruinés41. L’élection-surprise, un mois et demi plus tard, du cardinal Adrien Florensz, protégé de l’empereur Charles Quint, dut leur paraître de fort mauvais augure. Chose certaine, elle suscita beaucoup de craintes à Rome en particulier parmi tous ceux qui vivaient ou, de quelque manière, dépendaient de la cour pontificale. Pieux, austère, partisan d’une réforme en profondeur de l’Église, le nouveau pape qui avait pris le nom d’Adrien VI annonça dès le départ son intention de mettre fin aux désordres existant dans l’Église et, pour ce faire, transformer de fond en comble l’administration pontificale qu’il estimait responsable de ces désordres. Arrivé à Rome huit mois seulement après son élection, il se rendit vite à l’évidence que pour ce qui était des réformes à entreprendre, il ne rencontrerait que résistance de la part des fonctionnaires en place et qu’il ne pourrait donc compter que sur lui-même et sur l’appui des quelques hommes de confiance, allemands, espagnols et flamands pour la plupart, dont il s’était dès le départ entouré42. Mais, très tôt désillusionné, usé par des efforts qui ne menaient à rien, il tomba gravement malade et mourut le 14 septembre 1523, un peu plus d’un an après son arrivée dans la Ville Éternelle. Pour ceux qui dans l’Église, voire à Rome même, espéraient le voir réussir, cette perte bien évidemment fut cruellement ressentie, mais pour les Romains en général et pour le clan Médicis en particulier, elle fut au XVe siècle par le franciscain Beato Amadeo Menez de Sylva († 1482). Selon ce mythe, on pouvait espérer voir bientôt apparaître un pape qui réformerait l’Église, pacifierait la chrétienté et détruirait l’Islam. À ce sujet, voir N. H. Minnich, Raphael’s Portrait Leo X with the Cardinals Giulio de’ Medici and Luigi de’ Rossi. A Religious Interpretation, dans Renaissance Quarterly, LVI (2003), p. 1035-1042 et C. Vasoli, L’immagine sognata: il papa angelico, dans Roma, la città del papa, Turin 2000 (Storia d’Italia. Annali 16), p. 100. 41 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 350-351. Une des familles qui fut le plus affectée par cette mort inopinée fut celle des Salviati. À ce sujet, voir P. Hurtubise, Une famille-témoin: les Salviati, Cité du Vatican 1985, p. 155-156. 42 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 52-55.
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contraire accueillie avec soulagement43. Aussi ces derniers ne purent-ils retenir leur joie lorsque, deux mois plus tard, ils apprirent l’élection d’un autre Médicis, Clément VII (1523-1534), qu’ils connaissaient bien pour l’avoir vu servir à la cour de Léon X, à titre de proche parent et surtout de principal conseiller du pape. Bâtard de Julien de Médicis et donc cousin de Léon X, il était légitime de penser qu’avec lui la cour pontificale brillerait à nouveau de tous ses feux à l’avantage bien entendu et des Romains et du clan Médicis. Sous Adrien VI, la cour avait été réduite à sa plus simple expression, ce dernier ayant choisi de vivre comme un moine entouré de quelques rares conseillers et serviteurs44. Il faut dire que Léon X avait laissé l’administration pontificale sans le sou et surtout criblée de dettes. Passé ce mauvais moment, on pouvait logiquement s’attendre à ce qu’avec l’arrivée sur le trône pontifical d’un second pape Médicis, la cour retrouve rapidement l’allure et l’élan de ses plus beaux jours. C’était oublier qu’Adrien VI n’avait guère eu le temps de régler le problème de la dette laissée par Léon X et que Clément VII non seulement allait devoir traîner ce boulet durant une bonne partie de son règne, mais le verrait progressivement s’alourdir, en raison d’erreurs politiques coûteuses commises dès les premières années de son pontificat. En effet, soucieux comme l’avait été Léon X avant lui, d’assurer à la fois l’indépendance du Saint-Siège et les intérêts des Médicis à Florence, il crut pouvoir y arriver en poursuivant la politique louvoyante, fluctuante de son cousin à laquelle il avait d’ailleurs été à partir de 1517 étroitement associé45. Mal servi par les circonstances et ne disposant manifestement pas du flair politique de Léon X, il commit faute sur faute, s’alliant, à certains moments, à l’empereur, à d’autres, au roi de France, alors qu’il aurait fallu dans certains cas faire le contraire ou, mieux, comme certains le lui avaient conseillé, rester neutre46. Résultat: l’armée impériale envoyée en Italie en 1526 en vue de servir une leçon au pape qui venait une fois de plus de tourner le dos à Charles Quint finit, de pillage en pillage, de frus Ibid., p. 159-160. Ibid., p. 46-47. 45 Ibid., p. 164-165. 46 Hurtubise, Une famille-témoin cit., p. 182-183. Sur la politique louvoyante de Clément VII au cours de l’année qui précéda le sac de Rome, voir J. Fraikin, Nonciatures de Clément VII, I, Paris 1906, p. XXXV-LXXXVII. Ranke qui porte un jugement plutôt positif sur Clément VII, allant même jusqu’à dire «que nul ne pouvait [le] surpasser en prudence dans les conseils et en circonspection dans l’exécution» (Histoire de la papauté cit., I, p. 97), ne trouve d’autre explication aux malheurs de ce pape que le fait qu’il fut victime de circonstances qui ne le favorisaient en rien. Ibid., p. 97-117. Aussi est-il de l’opinion que le second pape Médicis «fut bien le plus malheureux de tous les papes qui aient jamais occupé le siège romain». Ibid., p. 121. Il n’est pas le seul à penser ainsi. Voir à ce sujet, B. McClung Hallman, The Disastrous Pontificate of Clement VII , dans The Pontificate of Clement VII, éd. K. Gouwens - S. E. Reiss, Aldershot 2005, p. 29-46. 43 44
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tration en frustration, par aboutir à Rome et, le 6 mai 1527, ayant réussi à pénétrer dans la ville, mit pendant plusieurs jours celle-ci à feu et à sang47. Réfugié au Château Saint-Ange, Clément VII ne put qu’assister impuissant aux scènes d’horreurs qui se déroulaient sous ses yeux, tandis qu’entouré de la garnison du Château et d’une partie de la cour, il connaissait luimême les affres d’un siège qui s’annonçait long48. Ayant dû au bout d’un mois se constituer prisonnier, puis accepter de verser d’énormes cautions et rançons en échange d’une éventuelle réconciliation avec l’empereur, il réussit le 7 décembre à « tromper » la vigilance de ses geôliers et à gagner Orvieto, plus tard Viterbe où il s’installa le 1er juin 1528 avec ce qui restait de sa cour49. On sait le reste: la signature en 1529 du traité de Barcelone par lequel le Saint-Siège d’une part, recouvrait la plupart de ses possessions et les Médicis se voyaient promettre, par la force si nécessaire, la restitution de Florence, tandis que, pour sa part, le pape promettait d’appuyer financièrement et politiquement l’empereur dans sa volonté d’instaurer la paix en Europe et de mettre celle-ci à l’abri de la menace turque. Signature suivie quelques mois plus tard par la rencontre, souhaitée de part et d’autre, de Clément VII et de Charles Quint à Bologne, rencontre culminant le 24 février 1530 avec le couronnement de l’empereur, en attendant qu’avec l’aide des troupes fournies en bonne partie par ce dernier, le pape réussisse six mois plus tard à reprendre Florence et à y installer son « cousin » Alessandro pour lequel il avait obtenu à Barcelone la main de Marguerite d’Autriche, bâtarde de Charles Quint50. Si l’on ajoute à cela la signature, en 1529 également, de la paix de Cambrai mettant fin aux hostilités entre François Ier et Charles Quint, puis quatre ans plus tard, le mariage de Catherine de Médicis, fille du duc d’Urbin, Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 243-272. Très révélateur à ce sujet le Registro delle spese tenu par l’évêque de Vaison, majordome du pape, durant le séjour forcé au Château Saint-Ange du début octobre au début décembre 1527. ASR, Camerale I: 1495, fol. 5r-40v. On y constate que le régime de vie y est plus spartiate qu’à l’ordinaire en raison sans doute des grandes difficultés d’approvisionnement occasionnées par le sac, puis l’occupation de la ville par la soldatesque impériale. Nous aurons, dans un prochain chapitre, l’occasion de revenir sur les renseignements fournis par ce précieux registre. 49 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 301-316. Sur le séjour du pape et de sa cour à Orvieto, voir A. Reynolds, The Papal Court in Exile. Clement VII in Orvieto, 1527-1528, dans The Pontificate of Clement VII, éd. K. Gouwens ˗ S. E. Reiss, p. 143-161. 50 Ibid., p. 339-365. La rumeur courait à l’époque qu’Alexandre de Médicis, né en 1510, était le fils naturel de Clément VII. Certains auteurs prêtent encore aujourd’hui foi à cette rumeur. Cf. C. Hibbert, The Rise and Fall of the House of Medici, Hammondsworth 1979, p. 236; P. Bargellini, Storia di una grande famiglia: I Medici, Florence 1980, p. 170-171. Pastor est d’avis que cette opinion n’est aucunement fondée. Storia dei papi, IV/2, p. 162, n. 2. Roger Mols est du même avis. Cf. Clément VII, dans DHGE, 12, col. 1241. 47 48
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avec le dauphin de France, le futur Henri II51, force est de reconnaître qu’en fin de compte, malgré toutes ses erreurs, Clément VII avait fini par se tirer assez bien d’affaires. Mais à quel prix? L’État pontifical avait peut-être retrouvé son indépendance, mais que valait cette indépendance dans une Italie désormais contrôlée par l’empereur et où le pape se voyait pratiquement réduit à n’être plus qu’un vassal de ce dernier52? Et que dire de Rome qui sortait meurtrie, appauvrie, traumatisée surtout de l’hallucinante épreuve qu’avait été pour ses habitants le sac de 1527, comme avait pu d’ailleurs s’en rendre compte Clément VII à son retour dans la ville le 6 octobre 1528 après dix mois d’absence53. Sans compter l’état plus catastrophique que jamais des finances pontificales au point où, à court d’expédients, le pape n’aura pas d’autre choix que de recourir de plus en plus à un instrument de crédit qu’il avait, il faut le dire, utilisé une première fois, à Rome en 1526, le Monte ou emprunt public, instrument dont il n’arrivera plus à se passer, comme ses successeurs d’ailleurs, eux aussi constamment aux prises avec des problèmes de déséquilibre budgétaire54. Dès lors, on comprend que Clément VII n’ait pas été en mesure de répondre aux attentes de ceux, particulièrement nombreux, qui espéraient trouver en lui un second Léon X. Ceux qui l’avaient connu antérieurement à son élection savaient qu’il était un homme sérieux, mesuré, peu enclin aux « frivolités » et qu’il ne fallait pas donc s’attendre à ce qu’en matière de faste et de luxe il aille aussi loin que son prodigue cousin, mais ils n’en étaient pas moins persuadés qu’il se comporterait lui aussi en « grand seigneur ». Les premiers jours de pontificat semblèrent confirmer ce pronostic. Tout d’abord, on vit le pape, dès le départ, s’entourer de bon nombre d’humanistes qu’il avait appris à connaître comme cardinal, entre autres, un Sadolet, un Colocci, un Palladio, un Sanga. Puis, le bruit courut qu’il recevait volontiers et avec beaucoup d’amabilité les nombreux visiteurs qui se présentaient à sa cour. Enfin, on remarqua que tous ceux envers qui il avait une dette de reconnaissance: électeurs, parents, clients, serviteurs étaient traités avec munificence55. Au point où, impressionné par tant de générosité, un ambassadeur de Bologne, n’hésitait pas à proclamer: « (Clément VII) a plus donné le premier jour de son pontificat qu’Adrien VI durant toute sa vie »56 Tous les espoirs paraissaient donc permis, d’autant plus que le nouveau pape n’était âgé que de 45 ans, jouissait, contraire Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 341, 436, 449. Ibid., p. 365. 53 Ibid., p. 322. 54 Ibid., p. 510 et n. 3. 55 Ibid., p. 159-160. 56 Ibid., p. 160. 51 52
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ment à Léon X, d’une excellente santé, avait en outre la réputation de vivre sobrement et qu’on pouvait par conséquent espérer qu’il règne longtemps. Son règne fut effectivement plus long que celui de Léon X, mais, pour tout le reste, on dut assez rapidement déchanter. Sans doute Clément VII était-il un homme cultivé, amateur de littérature, d’art, de musique et allait-il donner au cours des premières années de son règne d’abondantes preuves de cette culture, tant par les excellents rapports qu’il entretenait avec des humanistes (Érasme, Machiavel), des poètes (Sannazaro, Vida), des artistes (Michel-Ange, Giulio Romano)57 que par les travaux des restauration et de décoration qu’il fera exécuter, entre autres, dans le palais apostolique, à la Sapienza, au Château Saint-Ange, dans ce dernier cas –– signe non équivoque de son penchant humaniste ––l’aménagement d’une salle de bains décorée de fresques à l’antique représentant l’histoire de Vénus58! À quoi il faut ajouter la commande qu’à la fin de son pontificat il passa à Michel-Ange d’une œuvre destinée à compléter le programme iconographique de la chapelle Sixtine: le célèbre Jugement dernier59. Mais les difficultés financières auxquelles très tôt il se vit confronté, jointes au fait que ses préoccupations premières n’étaient pas d’ordre artistique ou littéraire, mais plutôt politiques firent assez tôt comprendre à ceux qui, comme Michel-Ange, s’étaient réjoui, de son élection60 qu’il n’y aurait à la cour de Clément VII ni folles dépenses, ni fêtes extravagantes, ni coûteux divertissements, d’autant plus qu’il n’y avait chez lui rien du côté ludique, de la légèreté qui plaisaient tant chez son cousin Léon X. De fait, côté caractère et côté comportement, Clément VII ressemblait assez peu à Léon X, si ce n’est au chapitre de sa piété et de sa générosité, de cette dernière surtout fort appréciée des Romains61. Bourreau de travail –– encore ici on est loin de Léon X –– Clément VII passait le plus clair de son temps à remplir consciencieusement ses nombreuses obligations aussi bien liturgiques et protocolaires qu’administratives et politiques, les dernières occupant, et de loin, la première place62, ce qui ne fut sans doute pas sans affecter le mode d’être et le mode d’opérer de sa cour. Sans doute était-il tout aussi, sinon plus rusé, secret et calculateur que Léon X –– cet homme, disait 57 Ibid., p. 513-520. Nous renvoyons ici de nouveau à l’excellent collectif édité par K. Gouwens - S. E. Reiss, The Pontificate of Clement VII cit., en particulier aux contributions d’un William E. Wallace, p. 189-198, Caroline Elam, p. 199-225, Charles L. Stinger, p. 165-183 et Richard Sherr, p. 227-250. 58 Ibid., p. 522-527, 530-532. Sur la salle de bain du château Saint-Ange, voir B. Contardi, Il bagno di Clemente VII in Castel Sant’Angelo, dans Quando gli dei si spogliano, Rome 1984, p. 5172 et L. Saari, Lettura della decorazione pittorica del bagno di Clemente VII, Ibid., p. 75-95. 59 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 532. 60 Ibid., p. 530-531. 61 Ibid., p. 163, 164 et n. 2. 62 Ibid., p. 162-163.
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l’ambassadeur espagnol, est « le plus mystérieux et le plus indéchiffrable de tous ceux à qui il m’ait été donné de parler »63 –– mais il était par contre beaucoup plus craintif, hésitant et donc changeant que son cousin, ce qui permet vraisemblablement d’expliquer le caractère tourmenté de chacune de ses décisions et, partant, les nombreuses erreurs stratégiques dont, nous l’avons vu, il se rendit coupable. Au désespoir des chefs d’État avec lesquels il avait à transiger. Au grand dam surtout de ses propres sujets, voire de ses proches qui eurent à en payer le prix, et quel prix! Comment après cela se surprendre du fait que son règne ait été pendant longtemps considéré comme particulièrement néfaste64. Chose certaine, tous les facteurs jusqu’ici mentionnés pesèrent lourdement sur les décisions qu’à divers moments Clément VII fut amené à prendre concernant sa cour. Nous ne possédons malheureusement pas de rôles de cette dernière, mais on peut assez facilement imaginer, ne fûtce que pour les raisons économiques plus haut évoquées, qu’elle ne fut jamais quantitativement ou qualitativement parlant en mesure de rivaliser avec celle de Léon X, surtout après le sac de 1527 qui constitua pour elle, comme pour Rome et ses habitants d’ailleurs, une catastrophe tout à la fois financière et psychologique. Un certain nombre de courtisans y avaient laissé leur vie. D’autres, leur fortune. Quant aux survivants qui avaient pris en grand nombre le chemin de l’exil, ils répugnaient, comme d’ailleurs la plupart des écrivains et artistes qui leur avaient emboîté le pas, à remettre les pieds dans la ville, une ville qui à leurs yeux n’était et, croyaient-ils, ne serait jamais plus le haut-lieu de la Renaissance qu’ils avaient, après tant d’autres, appris à admirer. Il faut reconnaître que sur ce dernier point, ils avaient en bonne partie raison, car la Rome d’après 1527 ne ressemblerait plus guère à celle qu’ils avaient connue jusque-là65. En ce sens, le pontificat de Clément VII représente une frontière, une sorte de point de non-retour entre la Rome d’Alexandre VI et de Léon X et celle d’un Paul IV et d’un Pie V. Il ne devait pas manquer d’observateurs à l’époque pour se dire que la cour pontificale ne sortirait pas indemne d’un aussi important changement de cap. Cité Ibid., p. 162. Ibid., p. 510-513. Roger Mols porte un jugement assez sévère sur Clément VII. Indécis, perdu dans des combinazioni mesquines et irréalistes, il fut, dit-il, «un politicien étroit et calculateur, un homme faible, plus riche en velléités qu’en volonté, un pape qui, pour son malheur et celui de l’Église, ne fut avant tout qu’un Médicis». Cf. Clément VII, dans DHGE, 12, col. 1240. Jugement qu’il tient toutefois à nuancer en ajoutant: «Giulio de Médicis a récolté la tempête. Ce n’est pas lui qui l’avait semée». Ibid., col. 1241. Il rejoint sur ce point l’opinion d’un Ranke plus haut citée. Cf. n. 45. 65 Sur les répercussions psychologiques et morales de cet événement et de ses séquelles, voir l’étude suggestive d’A. Chastel, Le sac de Rome, 1527. Du premier maniérisme à la Contre-Réforme, Paris 1984, p. 173-192, 235-245 et passim. 63 64
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2. De Paul III à Pie IV Il ne fallait toutefois pas s’attendre à ce que cette métamorphose se fasse en un jour. Les successeurs immédiats de Clément VII: Paul III (1534-1549) et Jules III (1550-1555) restaient à plus d’un titre des hommes de la Renaissance et leur élection sembla à plusieurs annoncer plutôt un retour à la Rome d’avant 1527 que le passage souhaité par certains à une Rome plus édifiante. Alexandre Farnèse, descendant d’une célèbre famille de condottières depuis longtemps au service de la papauté, avait reçu une excellente formation humaniste à Rome, Florence et Pise. Grâce aux charmes de sa sœur, la belle Giulia, maîtresse d’Alexandre VI, il s’était vu octroyé en 1494 le chapeau de cardinal après avoir obtenu une année plus tôt l’office de trésorier général de l’Église66. L’exemple du pape Borgia aidant, il avait luimême entretenu pendant un certain nombre d’années une maîtresse dont il avait d’ailleurs eu quatre enfants67, mais, ayant rompu avec cette dernière en 1513, au terme d’un processus de conversion qui avait peut-être débuté avec sa nomination au siège de Parme quatre années plus tôt, il décida en 1519 de se faire ordonner prêtre et de joindre le parti de ceux qui, à l’époque, aspiraient à une réforme in capite et in membris de l’Église. Un des rares évêques à avoir pris au sérieux les décrets du cinquième concile du Latran, n’avait-il pas dès 1519 fait promulguer ces derniers dans son diocèse de Parme68? À la mort de Clément VII, il était, à 67 ans, le plus âgé des membres du Sacré Collège et celui qui, de par sa longue expérience aussi bien administrative que diplomatique, de par son intelligence et sa culture, de par ses sympathies « réformistes » également, paraissait le mieux à même de remettre sur pied une Église qui sortait d’une longue série d’épreuves matérielles et spirituelles. En moins de deux jours il fut élu pape à l’unanimité des voix. Ceux qui voyaient en lui un nouveau Léon X, protecteur des lettres et des arts, amateur de belles choses et promoteur d’événements et de divertissements « princiers » eurent dès le départ l’impression que leurs espoirs ne seraient pas déçus. Comment ne pas le croire, en effet, à la vue des fêtes organisées et des gestes posés à l’occasion de son couronnement, fêtes et gestes à plus d’un titre dignes d’un « grand seigneur »69? 66 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 13-14. Paul III était conscient de tout ce qu’il devait à Alexandre VI. Aussi, chaque année, faisait-il célébrer une messe à la mémoire de ce dernier et de sa maîtresse, «Madama Adriana», mère de César et de Lucrèce. Cf. ASR, Cam I: 1290, fol. 2. (Il s’agit d’un versement de 8 ducats à cet effet aux chanoines de Saint-Pierre en date du 7 novembre 1540). 67 Von Pastor, Storia dei papi cit., p. 15-16. 68 Ibid., p. 16 et n. 1. 69 Ibid., p. 19-20.
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Paul III aurait sans doute voulu pouvoir honorer toutes ces attentes. Homme aux goûts fastueux, à l’intelligence vive, moins cultivé peut-être que Léon X, mais néanmoins bon connaisseur des lettres anciennes, grecques aussi bien que latines70, il s’était montré durant ses longues années de cardinalat l’ami et le protecteur de nombreux humanistes, savants et artistes. Arioste vantera plus tard le cercle littéraire qui s’était à l’époque constitué autour de lui71. Mais le nouveau pape était prisonnier de circonstances qui ne permettaient plus d’être mécène à la façon de Léon X. Les conséquences désastreuses des erreurs commises par son prédécesseur immédiat, Clément VII, en particulier le sac de 1527 qui avait tout à la fois entraîné la ruine de Rome et mis à mal les finances pontificales72 de même que les défis politiques majeurs auxquels il aura lui-même à faire face, le laissant souvent sans le sou, l’obligeront à tenir les cordons de la bourse plus serrés qu’il ne l’aurait sans doute souhaité, s’exposant par le fait même à décevoir plusieurs de ceux qui comptaient sur sa protection et sa libéralité. D’où les pasquinades et autres « méchancetés » dont il fera l’objet durant tout son pontificat de la part d’écrivains ou de « scribouilleurs » s’estimant injustement traités par lui73. Cela dit, Paul III n’en sera pas moins un généreux mécène. Nombre de savants, d’humanistes, d’écrivains, voire de poètes feront l’objet de sa sollicitude quand ils ne seront pas appelés à son service. On pense ici à un Girolamo Fracastoro, médecin et astronome, au mathématicien Alfano Alfani, à un Latino Giovenale Manetti, humaniste et diplomate précédemment au service de Léon X, dont il fera son secrétaire particulier et à qui il confiera d’importantes missions et responsabilités dont celle de commissaire des antiquités romaines, à un Blosio Palladio, secrétaire des lettres latines sous Léon X et Clément VII, qu’il confirmera dans cette fonction, à un Agostino Steuco et à un Marcello Cervini –– le futur Marcel II ––, tous deux humanistes, mais spécialistes surtout de l’Antiquité chrétienne, qu’il placera successivement à la tête de la Bibliothèque Vaticane74. Sans oublier les nombreux savants et humanistes qu’il élèvera à la dignité cardinalice: un Sadolet, un Pio di Carpi, un Aléandre, un Bembo, pour ne mentionner que ceux-là ou à qui il confiera l’éducation de ses petits-fils, en particulier un Romolo Amaseo, un Bernardino Maffei, un Francesco Ibid., p. 686-687. Ibid., p. 686. 72 Ibid., p. 687-688 73 Ibid., p. 693-694. Sur les pasquinades de l’époque et particulièrement celles dirigées contre Paul III, voir V. Marucci, éd., Pasquinate del Cinque e Seicento, Rome 1988, p. 121-122, 131-132, 134-136, 144-146, 148-157, 160-165, 174-179, 193-198. 74 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 695-696. 70 71
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Florido Sabino, un Lodovico Beccadelli75. Il ne fait pas de doute que, grâce à lui, l’humanisme retrouva à Rome un espace qui certes n’était plus celui qu’il avait connu au temps de Léon X, mais qui n’en restait pas moins important76. Vont dans le même sens les efforts déployés pour remettre sur pied l’Université de Rome, victime elle aussi du sac de 1527, et surtout la doter à nouveau d’un corps professoral compétent. En 1548, elle comptait 29 professeurs dont, fait significatif, 14 théologiens77. Est-il besoin de rappeler ici que depuis 1536 Paul III cherchait à réunir un concile général, qu’en 1542 il avait créé l’Inquisition romaine, que trois ans plus tard avaient eu lieu à Trente les premières sessions du concile projeté et que, dans ce contexte, la théologie paraissait d’une plus urgente nécessité que jamais? D’autant plus d’ailleurs que toutes ces initiatives se situaient dans un contexte plus large encore qui avait nom réforme et qui avait poussé le pape, dès le début de son pontificat, à s’entourer d’hommes gagnés, comme lui, à cette cause, à produire un certain nombre d’ordonnances en plus d’encourager, voire soutenir diverses initiatives propres à redonner à l’Église et, en particulier, à Rome un visage plus digne sinon plus évangélique78. Signalons au passage qu’il n’y réussira qu’à moitié, car il restait un pape de la Renaissance, amateur de luxe, de faste, de spectacles et de divertissements de toutes sortes –– c’est lui, notons-le, qui, à la grande joie des Romains, ressuscitera le Carnaval en 153679 ––, mais, du moins, doiton lui reconnaître le mérite d’avoir jeté les bases de la grande réforme qui interviendra plus tard, au lendemain du concile de Trente. Si Paul III semble avoir été moins généreux envers les humanistes, savants et écrivains de son temps que ne l’avait été une vingtaine d’années plus tôt Léon X, tel n’est pas le cas en ce qui a trait aux artistes qui, eux, seront considérablement mieux traités. Sur ce plan, Paul III fait beaucoup plus penser à Jules II qu’à Léon X. Sans doute l’ère des grands créateurs était-elle pratiquement terminée, mais il en restait tout de même un, le plus grand de tous peut-être: Michel-Ange. Paul III réussira à force de diplomatie à vaincre les réticences de ce dernier et à lui confier, avec le titre composite d’architecte-en-chef et de sculpteur et peintre du palais pontifical, toute une série de travaux de construction, rénovation et décoration à l’intérieur comme à l’extérieur du Vatican. Et, à tous ces titres, Ibid., p. 689-690, 697-698. Ibid., p. 687-688. 77 Ibid., p. 688-689. À noter toutefois que, nostalgiques d’une Rome qui, à leurs yeux, n’existait plus, certains des grands noms que le pape avait pressentis se récuseront et qu’il devra donc se contenter de noms moins prestigieux. 78 Ibid., p. 92-142, 503-631. 79 Ibid., p. 704-705. 75 76
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soulignons-le, Michel-Ange sera traité princièrement par le pape Farnèse, ce qui n’avait pas toujours été le cas sous les papes précédents, Jules II en particulier80. Mais Paul III fit aussi appel à des architectes, sculpteurs et peintres moins réputés pour divers autres projets aussi bien à Rome qu’en dehors de Rome. Notons en particulier les importants travaux d’urbanisme qu’il fit entreprendre à Rome même et qui allaient permettre d’effacer les traces au moins physiques du sac de 1527 en même temps que donner un nouveau visage à une ville qui s’apprêtait, grâce à lui, à renaître et à reprendre en quelque sorte le fil de son histoire81. Manifestement, Paul III partageait les convictions plus haut évoquées de son protégé, l’humaniste Agostino Steuco, à l’effet que le pape et, à travers lui, l’Église devaient savoir s’entourer de faste et de splendeur s’ils voulaient que soit acceptée et respectée des grands comme des petits leur autorité aussi bien spirituelle que temporelle. Comme Jules II avant lui, Paul III voyait grand et, s’agissant du Vatican, s’agissant de Rome, décors obligés d’un prestige et d’un pouvoir qui allaient bien au-delà de sa personne, il était prêt à délier et à délier outre-mesure, si nécessaire, les cordons de sa bourse. Gérard Labrot n’a sans doute pas tort lorsqu’il affirme que de tous les papes qui ambitionnèrent de donner suite aux projets grandioses de Nicolas V, Paul III fut le premier à chercher à le faire à partir d’un programme précis, cohérent, dicté tout à la fois par des considérations pratiques et idéologiques82. Mais, à l’exemple d’Alexandre VI, il semble bien que ce coûteux investissement dans le « paraître » ait aussi correspondu aux préoccupations sinon aux ambitions politiques du pape Farnèse, ambitions qui, comme chez la plupart de ses prédécesseurs, étaient et, dans son cas en particulier, ne pouvaient qu’être fortement teintées de népotisme. Si, dans le palais apostolique, Paul III fait mettre en chantier la somptueuse Sala Regia, c’est qu’il tient à disposer d’un lieu ou recevoir officiellement avec tout le faste possible empereurs, rois ou autres grands personnages en visite à sa 80 Ibid., III, p. 925-926. Sur les rapports difficiles entre Jules II et Michel-Ange, voir M. Brion, Génie et destinée: Michel-Ange, Paris 1939, p. 147-202 et M. Marnat, Michel-Ange, Paris 1974, p. 88-126. 81 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 711 et suiv. Sur les travaux entrepris par Paul III dans la ville, voir Portoghesi, Roma cit., I, p. 170-172 et Insolera, Roma cit., p. [97]-112. Portoghesi souligne le fait que Paul III, comme plus tard Sixte V, n’hésita pas à ordonner la destruction de certaines églises et de nombreuses maisons en vue de dégager certains espaces, faire voir certains monuments et, cela, dans le but de faire de Rome une «ville-spectacle». Portoghesi, Roma cit., p. 171 82 Labrot, L’image cit., p. 63. Italo Insolera abonde dans le même sens. «Paolo III, écritil, può essere dunque considerato il primo papa che considera Roma come un organismo completo, in cui occorre una multiplicità di interventi e non più come un campo neutro su cui costruire un palazzo, innalzare un tempio, aprire una strada». Labrot, L’image cit., p. 102.
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cour83. Et si, à l’occasion de la venue de Charles Quint à Rome en 1536, il orchestre à grands frais une incomparable entrée de ville qui a toutes les allures d’un triomphe à l’antique, c’est qu’il veut gagner les faveurs de l’empereur et obtenir qu’il appuie les projets politiques et autres qu’il a à ce moment en tête84. Encore une fois on est renvoyé à Rodrigue Borgia qui, nous l’avons vu, concevait les dépenses somptuaires, y compris celles consacrées à l’art sous toutes les formes, comme une nécessité non pas tant esthétique que politique. Telle semble bien avoir été aussi l’attitude d’un Paul III. Mais le parallèle avec Alexandre VI ne s’arrête pas là. Car, à l’égal de ce dernier, le pape Farnèse mena une politique où les intérêts de l’Église et de l’État pontifical étaient inextricablement liés à ceux de sa famille. Une famille à laquelle, comme Alexandre VI, il était profondément attaché et dont il s’entourait d’ailleurs ostensiblement, lui faisant en toutes occasions l’honneur de sa table, l’associant volontiers aux fêtes, réjouissances ou passe-temps dont il était lui-même friand, puis surtout la comblant d’innombrables privilèges et faveurs85. Aussitôt élu, il fait cardinaux deux de ses petits-fils: Guido Ascanio Sforza et Alexandre Farnèse, issus, le premier, de sa fille Costanza, le second, de son aîné Pier Luigi86. Craignant peut-être les critiques de ses amis « réformistes », il attend jusqu’en 1537 pour faire venir officiellement Pier Luigi à Rome, mais il s’empresse aussitôt de le nommer gonfalonier de l’Église avant de lui accorder l’année suivante le titre de duc de Castro. Ce fils qui avait embrassé très tôt la carrière militaire ressemblait par bien des côtés à César Borgia et, comme ce dernier, génie en moins, s’emploiera efficacement à la remise en ordre de l’État pontifical, éliminant l’une après l’autre les poches de résistance qui y subsistaient. Reconnaissant, son père le fera en 1545 duc héréditaire 83 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 718. Sur les travaux exécutés sous Paul III dans les palais du Vatican, voir Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 18-19, 33, 55-56, 58, 73-75, 77, 115, 252. 84 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 161-162. Sur la venue de Charles Quint à Rome, voir aussi P. Pecchiai, Roma nel Cinquecento, Rome 1948, p. 59-60. L’auteur signale que le pape profita de l’occasion pour obtenir certaines faveurs de l’empereur. 85 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 161-162. Sur la famille Farnèse, voir l’excellent article de R. Aubert, Farnèse, dans DHGE, 16, col. 598-608. L’auteur montre bien que les faveurs du pape à l’endroit de ses enfants et petits-enfants étaient faits dans une perspective «dynastique». Ibid., col. 601-605. 86 Il y eut avant Alexandre Farnèse des cardinaux qui exercèrent de façon sporadique des pouvoirs annonçant ceux du personnage que l’on appellera éventuellement cardinal neveu, mais le petit-fils de Paul III est sans doute le premier à qui l’on puisse sans hésitation reconnaître ce titre sinon de droit, du moins de fait. À ce propos, voir M. Laurain-Portemer, Cardinal neveu, dans DHP, p. 283-284 et G. Alberigo, Farnèse (Alessandro), dans DHGE, 16, col. 609-612.
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de Parme et Plaisance87. Ottavio, deuxième fils de Pier Luigi, sera, pour sa part, marié en 1536 à Marguerite d’Autriche, bâtarde de Charles Quint et veuve d’Alexandre de Médicis, en même temps qu’il recevait le titre de duc de Camerino échangé plus tard pour celui de Castro88. Le plus jeune fils, Orazio, sera, quant à lui, nommé préfet de Rome avant d’être marié en 1547 à Diane, bâtarde d’Henri II, roi de France89. On avait manifestement, en l’occurrence, affaire à une stratégie patiemment, minutieusement élaborée, mais l’assassinat de Pier Luigi en 1547, puis le passage deux ans plus tard d’Ottavio au camp impérial en vue d’assurer ses droits sur Parme et Plaisance –– et, cela, contre la volonté expresse du pape –– montre bien que la stratégie en question n’était pas à l’abri des mauvais coups du sort90. Paul III s’était efforcé tout au long de son pontificat d’éviter les fatales erreurs de Clément VII et, pour ce faire, avait cherché à s’en tenir dans toute la mesure du possible à une politique de stricte neutralité. Habile négociateur, ne dévoilant jamais complètement son jeu, au grand désespoir parfois de ses interlocuteurs, il avait réussi pendant de nombreuses années à se gagner l’estime et des Français et des Impériaux, au point d’ailleurs de faire signer à ces deux implacables adversaires une trêve de dix ans à Nice en 153891. L’adhésion, onze ans plus tard, de son petit-fils Ottavio au parti impérial brisait l’équilibre qu’il avait jusque-là réussi tant bien que mal à préserver. Amer, Paul III dut se rendre à l’évidence que politique et népotisme ne faisaient pas toujours nécessairement bon ménage. Cet échec, s’ajoutant à bien d’autres qui assombrirent ses derniers jours, ne fut pas étranger à sa mort survenue le 10 novembre 154992. Paul III avait régné plus de quinze ans. Qui, au moment de son élection, aurait pu prédire une telle éventualité et surtout croire que son pontificat serait le plus long du XVIe siècle? Personnalité riche et complexe, Alexandre Farnèse n’avait peut-être pas atteint tous les objectifs qu’il s’était fixés au départ, mais du moins avait-il donné à Rome, au parti réformiste et à sa propre famille l’élan qui allaient leur permettre, chacun à leur façon, d’affronter avec succès les défis qui les attendaient. Succès mitigé, diront certains, mais peut-être est-il bon de rappeler ici que le pontificat de Paul III et d’ailleurs Paul III lui-même se situaient au point de rencontre de deux univers culturels et religieux, l’un en voie de disparition, l’autre en train de naître. D’où ce paradoxe d’un pape tout à la fois « mondain », et Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 200-201, 208-210. Ibid., p. 213-215, 231. 89 Ibid., p. 585, n. 5, 627, 638. 90 Ibid., p. 589-590, 638-640. 91 Ibid., p. 181-191. 92 Ibid., p. 639-640. 87
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réformateur93. Les mêmes causes produisant en général les mêmes effets, faut-il après cela se surprendre que ce même paradoxe se retrouve, bien qu’à un moindre degré, chez son successeur, Jules III?L’échec d’un cardinal Pole à qui il ne manquait qu’une voix pour être élu montre bien qu’à la mort de Paul III on n’était pas encore prêt à donner le coup de barre décisif souhaité par le parti des réformistes94 et que le seul choix possible en paraissait donc encore un de compromis, pour ne pas dire d’ambivalence. Giovan Maria del Monte dut probablement son élection au fait qu’il était de tous les candidats en lice celui qui correspondait le mieux à ce profil. Né à Rome en 1487, juriste éminent comme son oncle et protecteur, le cardinal Antonio del Monte, Jules III arrivait sur le trône pontifical riche d’une longue expérience curiale et administrative acquise sous les papes Jules II, Léon X, Clément VII et Paul III, ce dernier surtout qui lui avait accordé le chapeau en 1536 avant de lui confier en 1545 la co-présidence du concile de Trente95. Mais, à l’image de Paul III, il restait un homme de la Renaissance, ami des plaisirs, des divertissements et des passe-temps typiques des cours princières de l’époque. Il fera même scandale en s’éprenant d’un jeune garçon supposément trouvé dans les rues de Plaisance qu’il fera adopter par son frère Baldovino et à qui, suprême scandale, il conférera le chapeau de cardinal dès 1550, soit deux mois à peine après son élection. Connu sous le nom d’Innocenzo del Monte, ce jeune prélat de dix-sept ans dont Jules III allait de façon presque inconsidérée faire son cardinal-neveu n’avait rien d’« innocent » et défrayera d’ailleurs, des années durant, au grand désespoir des successeurs de Jules III, la chronique mondaine, voire judiciaire de Rome96. Personnalité toute en contrastes, Jules III constitue à plus d’un titre, une énigme, une énigme encore aujourd’hui difficile à résoudre. Capable de la plus grande amabilité et jovialité, mais en même temps de colères subites rappelant celles de son ancien maître, Jules II, passant assez faci93 Tout en vantant l’immense talent de Paul III («Les étranges contradictions de cette époque, avec lesquelles il entrait alors en contact de tous côtés, auraient étouffé un faible génie; le sien y trouva, y puisa au contraire tout son développement») et tout en reconnaissant que «rarement à Rome un pape (avait) été aussi aimé», Ranke n’en conclue pas moins que, politiquement parlant, son pontificat compta pour assez peu. Et il explique ainsi cet échec: «Paul III fut un homme plein de talent et d’esprit. Dans la plus haute position, il ne se laissa point éblouir et n’oublia jamais les règles de la prudence la plus consommée. Et pourtant, quand on le met, si parfait qu’il pût être, vis-à-vis du grand mouvement du monde qu’il semble régler, combien il apparaît faible et de peu d’importance». Cf. Histoire de la papauté, I, p. 265, 290. Mais Ranke ne reprenait-il pas là, tout simplement, l’argument qu’il avait employé précédemment pour expliquer les déboires de Clément VII? 94 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 10-24. 95 Ibid., p. 34-36 96 Ibid., p. 51-53. Sur la vie mouvementée et peu édifiante du cardinal Innocenzo del Monte, voir Ibid., VII, p. 109 et n. 1, 130-131; VIII, p. 103-104; IX, p. 162.
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lement de moments de totale indolence à des moments de fébrile activité, grand dévot à ses heures mais, à d’autres, amateur de divertissements et de spectacles « osés » dignes de ceux que s’offraient en leur temps un Alexandre VI et un Léon X97, on ne sait trop où classer ce pape déconcertant avec lequel il ne devait pas toujours être facile de vivre, mais qui pourtant allait prendre très au sérieux la promesse qu’il avait faite à ses électeurs de travailler à la réforme de l’Église. Il s’était en particulier engagé auprès de ces derniers à remettre en route le processus conciliaire, ce qu’il fit dès novembre 1550, ordonnant la reprise des travaux depuis trois ans interrompus. Ces derniers reprirent effectivement à Trente en avril 1551, mais une conjoncture politique des plus défavorables, conjoncture sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus loin, obligera le pape à les suspendre sine die une année plus tard. Entre-temps, Jules III avait de son propre chef entrepris la réforme depuis longtemps demandée de la curie romaine. Dès 1550, une commission de six cardinaux avait été créée à cet effet. S’inspirant des recommandations de cette dernière, le pape avait annoncé en 1552 un vaste plan de redressement touchant à de nombreux aspects de l’administration curiale, plan qu’il ne réussira lui-même qu’à mettre partiellement en route, mais dont tireront plus tard profit un certain nombre de ses successeurs98. Il aurait sans doute voulu accomplir beaucoup plus en ce domaine, mais un tempérament fait, nous l’avons vu, de hauts et de bas, l’opposition de ceux qui se sentaient directement menacés par le plan en question: titulaires de rentes, d’une part, officiers de curie, de l’autre, et, surtout, les difficultés politiques auxquelles il eut très tôt à faire face lui rendirent, ces dernières en particulier, la tâche presque impossible. Le clan Farnèse à qui il devait en bonne partie son accession à la papauté avait obtenu de lui la promesse qu’il confirmerait aussitôt élu les droits de leur parent Ottavio sur le duché de Parme. Jules III avait respecté cet engagement, mais l’opposition inattendue de Charles Quint ayant poussé le petit-fils de Paul III à rechercher contre la volonté du pape l’appui du roi de France, le même Jules III s’était vu pratiquement contraint d’appeler à sa rescousse l’empereur en vue de l’aider à chasser Ottavio Farnèse de Parme, entraînant par le fait même le SaintSiège dans une guerre qui allait de nouveau mettre l’Italie à feu et à sang et obérer sérieusement les finances pontificales. Forcé de signer en 1552 un armistice avec la France, Jules III cherchera par la suite à jouer, comme son prédécesseur, le rôle d’arbitre entre Charles Quint et Henri II, mais sans grand succès, l’un et l’autre belligérant ne croyant plus à la neutralité du 97 98
Ibid., p. 45-48.. Ibid., p. 42-43, 110-118 et passim.
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Saint-Siège99. D’où les difficultés croissantes devant lesquelles se trouvera le pape à l’époque, difficultés qui le conduisirent, l’inconstance de son caractère aidant, à rechercher de plus en plus les plaisirs et divertissements auxquels il avait pris goût depuis le début de son pontificat. Ce qui pourrait permettre d’expliquer la place de plus en plus grande occupée à partir de ce moment dans l’emploi de son temps par la villa Giulia alors en construction et que Jules III jusqu’à sa mort utilisera comme une sorte de « refuge », loin des vicissitudes d’un quotidien devenu trop lourd. On a souvent présenté Jules III, au physique comme au psychologique, comme un être frustre, voire grossier, amateur de plats lourds et fortement assaisonnés, friand de grosses blagues et de propos déplacés, mais la villa Giulia, imaginée, voulue par lui et dont il surveillera d’ailleurs de près la construction entre 1551 et 1553 témoigne encore aujourd’hui d’un goût artistique sûr, voire exceptionnel. Sans doute a-t-il en l’occurrence profité de l’expertise, entre autres, d’un Ammannati, d’un Vignola, peut-être aussi des bons conseils d’un Michel-Ange, mais encore fallait-il qu’il sache reconnaître et mettre à profit le talent de ces derniers100. De fait, même s’il avait un faible, un peu comme Alexandre VI et, jusqu’à un certain point, Léon X avant lui, pour les divertissement « populaires », les spectacles quelque peu « lestes », l’humour facile des bouffons, il n’en restait pas moins un homme d’une réelle culture, qui s’entourera d’humanistes, apportera son aide à l’Université de Rome, honorera écrivains et artistes101. C’est tout de même lui qui nomme Palestrina maître de chapelle de Saint-Pierre, puis en 1555 l’introduit, tout homme marié qu’il fût, à la Sixtine; lui, également, qui traite généreusement, protège et, à l’occasion, défend Michel-Ange contre la hargne de ses ennemis102. Certes, dû au mauvais état de ses finances, ne sera-t-il pas le mécène qu’il aurait sans doute souhaité être. Certains écrivains, certains artistes à l’époque le lui reprocheront. Mais il n’en restera pas moins populaire auprès de bon nombre d’entre eux, cette popularité n’étant guère dépassée que par celle dont il jouissait de la part des habitants de la ville qui, grâce à lui, durant tout son règne, manquèrent rarement de « pain » ou de « jeux »103. Ibid., p. 67, 70, 72, 90-98, 100-107. Ibid., p. 237-245. Sur les travaux entrepris par Jules III dans la ville, voir Portoghesi, Roma cit., I, p. 172. L’auteur fait remarquer qu’à part la villa Giulia, le pape contribua assez peu à l’embellissement de Rome. 101 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 228-231. 102 Ibid., p. 232-233. 103 Ibid., p. 45-46, 228. Au début de son pontificat, en effet, Jules III avait cherché à supprimer certains impôts. Il élimina de fait la très impopulaire taxe sur la farine, mais il dut la rétablir dès 1552, bien qu’à un taux moins élevé. Comme tant d’autres papes à l’époque, les problèmes financiers auxquels il devait faire face l’amenaient à accroître plutôt qu’à alléger le poids fiscal de ses sujets. Par contre, il se préoccupa durant tout son règne des conditions 99
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Ceux qui le connaissaient bien savaient qu’il aimait par-dessus tout être entouré et adulé et qu’il était par surcroît très attaché aux siens, en particulier à son aîné, Baldovino, qu’il appellera dès le début de son pontificat à ses côtés et qu’il logera même pendant un certain temps au Vatican avant de lui assigner comme demeure le palais dell’Aquilà place Saint-Pierre104. La parentèle et, jusqu’à un certain point, la clientèle de Jules III sauront exploiter à leur avantage ce trait de personnalité qui le rendait particulièrement vulnérable. Au départ, voulant à tout prix éviter de sombrer dans le népotisme sans retenue de certains de ses prédécesseurs, le pape chercha à résister aux sollicitations un peu trop pressantes de ses proches, mais cela ne dura guère et, dès mars 1550, les faveurs commencèrent à pleuvoir sur la famille, à commencer par la nomination de deux proches parents: Pietro del Monte et Ascanio della Corgna, l’un, à la préfecture du Château Saint-Ange, l’autre, au commandement de la garde pontificale, bientôt suivie de celle de Baldovino et de son fils Giovan Battista, le premier, au gouvernement de Spolète, le second, à celui de Fermo et Nepi avec en prime la charge de gonfalonier de l’Église, gouvernement et charge qui, à sa mort en 1552, passeront à son père105. À quoi, il faut ajouter les cinq cardinaux (sur un total de vingt) créés par Jules III, tous proches parents, dont un cousin Cristoforo del Monte, et quatre neveux ou petits-neveux: Fulvio della Corgna, Girolamo Simoncelli, le tristement célèbre Innocenzo del Monte, déjà mentionné, et, tout à l’opposé, le très digne et très exemplaire Roberto de’ Nobili106. Tous ces proches seront reçus à la cour quand ils n’y séjourneront pas –– c’est le cas, entre autres, du cardinal Innocenzo del Monte ––, trop heureux, femmes y comprises, de profiter de tout ce que cette cour avait à leur offrir en termes aussi bien de prestige que de faste et surtout d’agréables moments. Le népotisme d’un Jules III n’était certes pas comparable à celui d’un Alexandre VI, d’un Léon X ou encore de vie des Romains et, à cet effet, consacra d’importantes sommes, entre autres, à l’approvisionnement en vivres de la ville. À ce sujet, voir Delumeau, Vie économique cit., II, p. 830-831; G. Brunelli, Giulio III, dans DBI, 57, p. 34. Par ailleurs, Jules III, amateur de divertissements et de fêtes de toutes sortes, aimait partager cette passion avec le peuple, au temps du carnaval en particulier. Cf. Pecchiai, Roma cit., p. 76-77. Il savait à l’occasion combiner cette passion avec le souci qu’il avait d’assurer, surtout en période de pénurie, l’approvisionnement en grains de la ville, comme le montre ce luxueux défilé de chars qu’il fit organiser un jour à l’occasion de l’arrivée à Rome d’une importante quantité de blé dont il avait financé l’importation. Ibid., p. 357. 104 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 49. 105 Mais ce n’était là qu’un début. En effet, après avoir reçu, dès 1550, de la part du duc de Florence, Côme de Médicis, le titre de comte de Monte San Savino, Baldovino del Monte se verra remettre par le pape, bien qu’à titre viager seulement, le duché de Camerino autrefois propriété des Farnèse, tandis que son bâtard, Fabiano, légitimé par Jules III et aussitôt appelé à la cour de ce dernier, obtiendra en 1554, grâce à ses liens de parenté avec le pape, la main de la fille du duc de Florence, Lucrezia. Ibid., p. 48-50. 106 Ibid., p. 50-53, 62, 121-123.
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d’un Paul III, et ses proches ne se priveront pas de lui en faire grief, mais il n’en était pas moins manifeste au point d’ailleurs de scandaliser certains cardinaux de son entourage107. Un astrologue, paraît-il, avait prédit à Jules III au moment de son élection qu’il connaîtrait un règne d’au moins vingt ans108. C’était oublier que ce sexagénaire souffrait de la goutte, qu’en plus il était psychologiquement vulnérable, comme le montre bien l’effet dévastateur qu’auront sur lui les revers de fortune ou les échecs politiques plus haut évoqués. Cela dit, il faut reconnaître à Jules III le mérite d’avoir tout de même réussi durant un règne relativement court et à travers mille déboires à faire faire quelques pas de plus à la cause de la réforme. Les vingt-et-un jours de règne de Marcel II ne permettront évidemment pas à celui-ci de poursuivre, et surtout accentuer cet effort, comme l’avaient espéré ceux qui, déçus des lenteurs du processus de réforme en cours, croyaient enfin avoir trouvé en lui le « sauveur » dont l’Église avait cruellement besoin109. Il fallut chercher ailleurs et, à défaut de pouvoir dénicher un autre Marcello Cervini, se rabattre sur un candidat à première vue improbable, mais dont les convictions réformistes et surtout la force de caractère permettaient d’espérer que les « abus » depuis trop longtemps tolérés dans l’Église pourraient enfin être éradiqués. C’est ainsi qu’après un conclave relativement court, les cardinaux finirent par s’entendre sur la candidature de Gian Pietro Carafa qui prit le nom de Paul IV (1555-1559)110. Pourtant, convictions « réformistes » mises à part, le nouveau pape était l’exact opposé de Marcel II. Les sympathies que durant bon nombre d’années il avait eues pour l’humanisme avaient été au temps d’Adrien VI abandonnées au profit d’une aversion de plus en plus marquée pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à l’« hérésie »111. Créé cardinal Ibid., p. 51. Ibid., p. 44. 109 Ibid., p. 305-338. 110 Ibid., p. 340-346. Le 25 mai 1555, apprenant l’élection de Paul IV, le futur cardinal Seripando, chaud partisan de la réforme de l’Église, commente ainsi la nouvelle qui vient de lui parvenir: «Det illi Deus agere de reformanda ecclesia, quae Paulus III in ore habuit. Hic enim dixit et non fecit, Iulius nec dixit nec fecit, Marcellus fecit, quae temporis puncto quo vixit facere potuit, non dixit. Utinam Paulus IV dicat ut faciat, imo quae dixit faciat, et qui hactenus potens fuit in sermone, nunc potens sic in opere». Conc. Trid. 2, Diar. 2, p. 449. L’éditeur de ce texte trouve le jugement que Seripando porte sur Jules III en particulier beaucoup trop sévère. Ibid., n. 1. 111 Sur cette évolution du personnage, voir G. M. Monti, Ricerche su papa Paolo IV Carafa, Bénévent 1923, p. 11-47. L’auteur signale qu’appelé en 1523 à Rome par Adrien VI pour travailler à la réforme de l’Église, Carafa devait probablement cette invitation au fait qu’il avait à l’époque la réputation d’être «l’ami de toutes les réformes». Ibid., p. 13. Dans son excellent ouvrage sur l’origine des Théatins, Pio Paschini décrit fort bien l’itinéraire intellectuel et 107 108
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par Paul III en 1536, membre cette même année de la Commission de réforme mise sur pied par ce dernier, personnage-clé du tribunal de l’Inquisition établi à sa suggestion en 1542, Gian Pietro Carafa arrivait sur le trône pontifical précédé d’une réputation de juge sévère et de réformateur intransigeant. Aussi était-il tout à la fois admiré et craint112. Si l’on ajoute à cela l’hostilité qu’en tant que Napolitain il éprouvait à l’endroit de l’Espagne113, on comprend que sa candidature ait au départ rencontré quelque opposition. Mais peut-être les hésitants avaient-ils fini par se laisser convaincre de voter pour cet homme controversé par le fait qu’âgé de près de quatre-vingts ans il n’aurait que peu de temps à sa disposition et se limiterait donc à l’essentiel, soit la réforme des abus les plus criants existant dans l’Église, en particulier à Rome. Or, à la surprise générale, Paul IV régna presque aussi longtemps que Jules III, de seize ans son cadet, et surtout déploya une énergie sans commune mesure avec son âge au service des causes qui lui tenaient à cœur, causes –– on allait très tôt s’en rendre compte –– se situant bien au-delà des limites imaginées, voire souhaitées par ses électeurs. Se croyant investi d’une mission divine114, il décida en effet de faire la guerre, et une guerre sans merci, à tout ce qui menaçait ou paraissait menacer d’une façon ou d’une autre l’Église et la papauté. Jetant par-dessus bord la politique de neutralité adoptée et tant bien que mal maintenue par ses prédécesseurs, il n’hésita pas à faire secrètement alliance avec la France contre les Habsbourg, Habsbourg qu’il rendait responsables de la montée du protestantisme en Allemagne et à qui il reprochait par ailleurs d’occuper beaucoup trop de place en Italie, menaçant par le fait même l’indépendance du Saint-Siège. Le « Fuori i barbari » de Jules II n’avait manifestement pour lui rien perdu de son actualité. S’ensuivit une guerre désastreuse (1556-1557) qui démontra l’imprudence sinon la folie d’une telle entreprise qui ne servait en rien les intérêts de l’Église et fit même, à spirituel de Gian Pietro Carafa qui, d’humaniste, d’ailleurs admiré d’Érasme –– fait qu’on cherchera à occulter plus tard dans l’entourage de Paul IV –– se muera en pourchasseur d’hérésie, changement qui, selon Paschini, pourrait dater de la rencontre qu’il fit de Gaëtan de Thiene vers 1523 et de sa décision de renoncer aux deux diocèses dont il était titulaire en vue de fonder avec ce dernier la société de clercs réguliers plus tard connus sous le nom de Théatins. Cf. S. Gaetano Thiene, Gian Pietro Carafa e le origini dei Chierici Regolari Teatini, Rome 1946, p. 28-40. Voir aussi, à ce même sujet, A. Aubert, Alle origini della Controriforma: Studi e problemi su Paolo IV, dans Rivista di Storia e letteratura religiosa, 22 (1986), p. 303-355. 112 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 348. Ranke écrit à ce propos: «S’il existait un parti qui se proposait la restauration du catholicisme dans toute sa sévérité, ce fut non un membre, mais bien un fondateur, un chef de ce parti, qui monta sur le siège papal». Histoire de la papauté cit., I, p. 299. 113 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 354-358. 114 Ibid., p. 352-353.
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un certain moment, craindre un second sac de Rome115. Comme si cela ne suffisait pas, Paul IV, se prenant pour un nouvel Innocent III, chercha à imposer à tous, protestants y compris, son autorité, allant même jusqu’à promulguer en 1559 une bulle (Cum apostolatus officio) dépossédant de leurs dignités, privilèges, biens ou territoires tous ceux: ecclésiastiques, princes, laïcs prêts à faire fi de cette autorité116. Manifestement, ses préférences allaient à la confrontation plutôt qu’à la conciliation. Il en fournit de nouvelles preuves lorsque, délaissant le champ politique, il décida de s’en prendre aux maux qui minaient et, partant, affaiblissaient l’Église de l’intérieur et avaient, selon lui, contribué à rendre celle-ci moins crédible et moins aimable. Frustré par les lenteurs et l’apparente inefficacité du processus conciliaire, il s’attela à la tâche de réformer lui-même l’Église in capite et in membris. Son premier champ d’activité fut la ville de Rome qu’il débarrassa rapidement, à coup d’expulsions et d’incarcérations, des nombreux évêques non résidents et religieux « vagabonds » qui s’y trouvaient. Immoralité publique et violence firent également de sa part l’objet de répressions sans ménagement. Aux juifs qu’il accusait d’être sympathiques aux ennemis de l’Église il imposa le ghetto et le port d’un signe distinctif. Mesure, notons-le, qui ne sera à aucun moment désavoué e par ses successeurs, mais, au contraire, renforcée par certains d’entre eux, un Pie V notamment117. Puis il s’en prit à la curie romaine dont il ne connaissait que trop les travers et les abus, en ayant été lui-même, depuis plus de cinquante ans, témoin et, parfois même, victime. Certaines pratiques de la Daterie et de la Pénitencerie furent interdites ou, du moins, sujettes à de sévères restrictions118. Très exigeant dans le choix de ses cardinaux, sauf, nous le verrons plus loin, en ce qui concerne son neveu Carlo, il le fut tout autant à l’endroit de ses anciens collègues dont certains, un Morone et un Pole par exemple, furent accusés d’hérésie et menacés des foudres inquisitoriales119. Ainsi n’est-on pas surpris de le voir à la même époque élargir et renforcer considérablement les pouvoirs du tribunal de l’Inquisition, assister lui-même régulièrement aux séances de ce dernier et surtout placer à sa tête un homme presque Ibid., p. 415-418. Ibid., p. 508-509. 117 Ibid., p. 448-452, 461-463. Sur l’enfermement des juifs, voir Ibid., p. 488-489. Pie V renforcera les mesures prises par Paul IV contre la communauté juive et abolira les quelques concessions faites par son prédécesseur Pie IV. À ce sujet, voir Ibid., VIII, p. 230-233. Également, N. Lemaitre, Saint Pie V, Paris 1994, p. 241-256. Pour une vue d’ensemble sur le problème du ghetto à Rome, voir A. Foa - K. Stow, Gli ebrei a Roma. Potere, rituale e società in età moderna, dans Roma, la città del papa, p. 555-581. 118 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 422-437, 443-452, 459-463, 487-490. 119 Ibid., p. 424-428, 499-509. 115 116
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aussi dur et intransigeant que lui, Michele Ghislieri, le futur Pie V. Sans compter qu’il s’ingénia par ailleurs à produire le premier Index général des livres prohibés (1557, 1559), Index, notons-le, d’une telle rigueur que son successeur immédiat, Pie IV, s’empressa dès 1561 d’en donner une version plus « tempérée »120. Les électeurs de Paul IV n’en demandaient pas tant, mais celui-ci, convaincu que c’était Dieu lui-même et non le Sacré Collège qui l’avait choisi, entendait bien exécuter les desseins de la Providence ou, du moins ce qu’il croyait être ces derniers. Il était toutefois pleinement conscient du fait qu’il était beaucoup plus craint qu’aimé et qu’il lui fallait donc procéder avec quelque précaution dans l’exécution des desseins en question. Aussi n’hésitera-t-il pas au début de son pontificat à faire un certain nombre de concessions et de faveurs propres à lui gagner la sympathie du peuple surtout. Les Romains furent agréablement surpris lorsqu’ils apprirent, puis constatèrent que le pape qui, nous l’avons vu, comme cardinal avait mené une vie austère et retirée entendait vivre en « prince ». Les fêtes du couronnement, le 26 mai, puis surtout le splendide cortège organisé le 4 juin suivant entre le Château Saint-Ange et le palais SaintMarc où le pape entendait s’installer pour l’été firent croire à plusieurs qu’on en était revenu au temps de Léon X121. Il faut dire que cet étalage, à première vue étonnant, de faste et de luxe, étalage que Paul IV maintiendra d’ailleurs durant tout son règne correspondait à la haute idée qu’il se faisait de la papauté et donc au besoin qu’il ressentait d’exprimer visiblement l’autorité et les pouvoirs dont il se sentait comme pape investi122. Le fait attesté par de nombreux témoins qu’il continuait en privé à vivre aussi frugalement et modestement qu’il ne l’avait fait jusque-là montre bien que cette volonté de grandeur ne correspondait pas à un choix personnel, mais 120 Sur l’Inquisition, voir Ibid., p. 478-486, 499-518;. Sur l’Index, Ibid., p. 491-494. Cet Index promulgué en 1557, puis remanié deux années plus tard parut si sévère à Pie IV que ce dernier sentit le besoin de le «modérer» en 1561. Sur ces divers états du premier Index général paru dans l’Église et sur les réactions négatives, parfois même la panique qu’il suscita surtout parmi les intellectuels et éditeurs catholiques, voir J. M. De Bujanda, éd., Index de Rome: 1557, 1559, 1564, Sherbrooke-Genève 1990, p. 27-54. Il n’est pas sans intérêt de noter que Philippe Neri s’associa en 1558 aux dominicains de la Minerve pour essayer d’empêcher la condamnation des œuvres de Savonarole, efforts qui s’avéreront inutiles puisque les œuvres en question seront inscrites à l’Index de 1559 au grand scandale du fondateur de l’Oratoire et de ses amis dominicains qui ne pouvaient admettre qu’on allât jusque-là. Cf. Ponnelle ˗ Bordet, Saint Philippe Neri cit., p. 176-178, 203. 121 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 352. Dans son diaire, Massarelli nous a laissé une description haute en couleur des fêtes du couronnement de Paul IV, le 26 mai 1555, fêtes, selon lui, d’une si incomparable grandeur et somptuosité qu’il n’hésite pas à conclure à leur propos: «ita laute itave magnificum munificentissimumique, ut tale a multis annorum centuriis actum non fuerit». Con. Trid., 2, Diar. 2, p. 269-270. 122 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 348-349.
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bien à un choix, à ses yeux, dicté par la fonction qui était la sienne. Ce qui sans doute permet d’expliquer qu’il n’ait pas sur ce point suivi l’exemple d’un Marcel II qui, lui, au contraire, n’avait pas hésité à réduire considérablement ses dépenses somptuaires en même temps que les effectifs et les frais d’entretien de sa cour123. La satisfaction des Romains fut encore plus grande lorsque le nouveau pape entreprit d’alléger leur fardeau fiscal124. De fait, manquant de ressources, Paul IV se verra assez tôt contraint de faire machine arrière, mais la Commune, reconnaissante, ne lui fera pas moins en 1556, l’honneur d’une statue au Capitole, honneur insolite, mais –– on s’en rendra plus tard compte –– prématuré, puisque à la mort du pape en août 1559, le peuple passé entretemps de l’adulation à la haine, détruira avec rage ce monument devenu symbole de rigueur excessive et d’oppression125. C’est que, passée l’euphorie des premiers mois de pontificat, on dut se rendre à l’évidence que le pape n’était pas cet homme libéral, généreux, bienveillant que certains –– un Massarelli, par exemple –– avaient cru voir en lui126. La piété sincère, la foi profonde, la vie exemplaire de cet athlète de Dieu ne pouvaient faire oublier les outrances verbales, voire physiques, les sautes d’humeur, les propos imprudents ou encore les décisions hâtives de cet homme tout d’une pièce, au tempérament volcanique, supportant mal la contradiction et enclin aux mesures extrêmes127. Il ne devait pas être facile de vivre à sa cour, tout comme il ne devait pas l’être de devoir transiger avec lui. Qu’il suffise de mentionner ici la dureté avec laquelle il traita les jésuites et, en particulier, leur fondateur Ignace de Loyola128. Mais une décision, à première vue incompréhensible, allait éventuelle bid., p. 326-328. Ibid., p. 585. Paul IV avait au début de son pontificat réduit un certain nombre d’impôts, ce qui lui avait valu la faveur du peuple, mais la guerre contre l’Espagne l’obligea à les augmenter de nouveau, ce qui ne plut guère aux Romains. À ce sujet, voir P. Pecchiai, Roma nel Cinquecento, p. 92, 94 et Delumeau, Vie économique cit., II, p. 831. 125 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 585-586. 126 Massarelli, ébloui par la munificence et la libéralité du nouveau pape, de même que par le faste de sa cour explique, dans son diaire, que tout cela résulte de directives données par Paul IV lui-même: «Nihil non pontificia maiestate, honore, auctoritate, nihil non potentia, opibus, presentiaque regia caesareaque dignum condecensque vel fecit vel fieri mandavit». Et il ajoute: «pluris suis se dixisse testantur ut domum, ut familiam, ut rem domesticam, ut externam, utque omnia denique ita instituant, ut a vera insignique pontificia dignitate celsitudineque alienum arbitrati non possit, seque ipsam dignitatem pontificiam omni cum honore, omni cum maiestate, omni cum auctoritate, gravitate, existimatione, pompa, celsitudine, praeeminentia decoreque esse conservaturam». Conc. Trid. 2, Diar. 2, p. 270-271. 127 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 348-351. 128 Ibid., p. 470-478. Sur les rapports difficiles entre Paul IV et les jésuites, voir aussi P. Tacchi Venturi, Storia della Compagnia di Gesù in Italia, II/2, Rome 1950, p. 585-590. L’auteur fait remarquer que le pape pouvait être, à certains moments, fort bienveillant à l’endroit des jsuites et de leur fondateur, à d’autres, exécrable. 123 124
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ment le rendre encore plus antipathique et, donc, impopulaire, à savoir la création le 7 juin 1555, soit quelques jours à peine après son élection, du cardinal Carlo Carafa, son neveu, puis, surtout, l’abandon un mois plus tard à ce dernier de l’entière responsabilité des affaires politiques et diplomatiques du Saint-Siège. Ce n’est pas tant cette décision comme telle qui choqua –– le népotisme était après tout une pratique désormais considérée comme allant de soi ––, mais le fait que Paul IV ait accordé sa pleine confiance, une confiance presque aveugle, à ce proche parent qui, de toute évidence, ne la méritait pas. En effet, Carlo Carafa, condottière plus qu’homme d’État –– un condottière d’ailleurs au passé plus que troublant –– était un triste personnage, ambitieux, fourbe et intrigant qui ne pouvait qu’apporter malheurs à l’Église et au pape129. Lorsque, en janvier 1559, Paul IV réalisa enfin son erreur, il s’empressa de chasser Carafa et ses complices de Rome et de les dépouiller de leurs charges130. Mais le mal était fait et la réputation de Paul IV était à tout jamais ternie. Sa mort, quelques mois plus tard, ne fut peut-être pas étrangère à cette ultime humiliation. On a dit de Paul IV que, bien que fin connaisseur de la littérature ancienne, grecque et latine, son principal bagage culturel était plutôt de nature théologique et biblique. Mais les efforts qu’il déploya dès le début de son pontificat pour assurer que la Bibliothèque du Vatican dispose d’un personnel et de moyens de fonctionnement adéquats obligent à admettre que ses horizons culturels n’étaient pas aussi limités que cela131. On a aussi prétendu qu’il n’avait que peu d’intérêt pour l’art. À la lumière d’études récentes, il semble bien que sur ce point également on ait été injuste à son endroit. En effet, on ne peut considérer comme mineurs les travaux qu’il confia aux architectes Sallustio Peruzzi et Pirro Ligorio à l’intérieur du palais apostolique, puis surtout dans les jardins du Vatican132. Et on ne peut faire fi des excellents rapports qu’il entretenait avec Michel-Ange et de Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 358-360. Ibid., p. 454-458. 131 Certains ont parlé de l’«inculture» de Paul IV, mais il existe de nombreux témoignages d’époque vantant son érudition et son extraordinaire connaissance des langues et des lettres anciennes. Son petit-neveu, le cardinal Alfonso Carafa disait qu’il pouvait citer de mémoire de longs passages de Cicéron, Virgile et Homère. À ce propos, voir Paschini, Gaetano Tiene cit., p. 38-39. À cela, il faut ajouter le grand intérêt qu’il portait à la Bibliothèque du Vatican et le fait, assez peu connu, qu’il donna à cette prestigieuse institution ses structures définitives en termes de personnel, de fonctionnement et de financement. Cf. R. De Maio, La Biblioteca Vaticana nell’età della Controriforma, dans Riforme e miti nella Chiesa del Cinquecento, 2e éd., Naples 1992, p. 308-310 et passim. 132 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 588. Sur les travaux entrepris par Paul IV dans le palais pontifical, voir Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 19, 54, 77-78, 114, 116, 140, 239, 252. Paul IV n’intervint pratiquement pas dans le tissu urbain, hormis la création du ghetto destiné aux juifs. Cf. Portoghesi, Roma cit., I, p. 172-173. 129 130
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l’admiration sincère et profonde qu’il avait pour ce dernier133. Le fait qu’il ait par ailleurs laissé démolir dans les anciens appartements de Léon X une partie de la décoration due à Raphaël et qu’il ait même à un certain moment songé, pour cause d’« indécence », à faire disparaître le Jugement Dernier de Michel-Ange134 oblige toutefois à mettre un certain bémol aux prétentions de ceux qui voudraient en faire un grand promoteur ou amateur d’art. De toute évidence, il ne peut, comme mécène, être comparé à un Alexandre VI, un Jules II, un Léon X, voire un Jules III. Mais, tout compte fait, cette apparente « négligence », si négligence il y a, a probablement moins à voir avec son plus ou moins grand intérêt pour l’art et la culture qu’avec le fait que ses énergies étaient employées ailleurs, c’està-dire à la réforme de l’Église et au rétablissement de l’autorité pontificale135. On pouvait très bien à l’époque ne pas être d’accord avec sa façon de poursuivre l’un et l’autre de ces objectifs, on pouvait même, comme Onofrio Panvinio, penser qu’il aurait mieux valu pour lui et pour l’Église qu’il n’accédât jamais au suprême pontificat136, mais on ne pouvait pas ne pas lui reconnaître au moins le mérite d’avoir mis fin à certains désordres et corrigé de nombreux abus existant dans l’Église de son temps. L’élection du pape Pie IV (1559-1565) pour succéder à Gian Pietro Carafa montre clairement à quel point le pontificat de ce dernier avait été pour plusieurs une épreuve difficile à supporter et à quel point surtout on sentait le besoin de se libérer de la camisole de force qu’il avait durant plus de quatre ans cherché à imposer à une Église et, tout particulièrement, à une Rome récalcitrantes. Même s’il avait fallu près de quatre mois pour y arriver, le choix d’Ange de Médicis trouvait là sa principale explication137. Ceux qui finirent par se rallier à sa candidature n’étaient pas sans savoir qu’outre ses indéniables qualités de diplomate et d’administrateur, il était, à plus d’un titre, tout ce que Paul IV n’était pas, au point d’ailleurs où, ne pouvant plus supporter l’intransigeance de ce der À ce sujet, voir de Maio, Michelangelo cit., p. 95-120. Il est vrai que Paul IV eut à un certain moment l’intention de détruire ou, du moins, «habiller» le Jugement dernier dont les «nudités» commençaient à choquer à l’époque, mais, mieux conseillé, il y renonça. Le plus ironique, c’est que la décision de couvrir les «nudités» en question fut prise par son successeur, Pie IV, pape «mondain», si jamais il en fut. Cf. Ibid., p. 99-101, 119. 135 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 587, 588 et n. 1 et 2. Roberto de Maio opine dans le même sens. Cf. Michelangelo cit., p. 98-99. 136 Le vite de’ Pontefici di Bartolomeo Platina cit., p. 555. À l’inverse, Massarelli, admirateur de Paul IV, n’hésita pas à écrire au lendemain de la mort de Paul IV: «Infelix, heu nimium infelix ecclesia Sancta Dei tanto pastore orbata! Faxit Deus, ut si non meliorem, saltem similem (si is inveniri potest) ei restituat!» Conc. Trid., 2, Diar, 2, p. 332. 137 Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 11-53. Ranke écrit à ce propos: «Peut-être est-ce précisément le contraste de son caractère avec celui de Paul IV, qui a le plus contribué à son élection». Histoire de la papauté, I, p. 333. 133 134
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nier, il avait, à l’instar de plusieurs autres, quitté Rome en 1558138. Il était donc à prévoir qu’il aurait, comme pape, un comportement et un style de gouvernement tout à l’opposé de ceux de Paul IV. Sur ces deux points, on ne fut pas déçu. En effet, aussitôt qu’il le put, Pie IV révoqua la plupart des mesures répressives adoptées par son prédécesseur, restreignit les pouvoirs de l’Inquisition romaine, ordonna la révision de l’Index de 1559, réhabilita le cardinal Morone dont il fit d’ailleurs un de ses principaux conseillers en même temps qu’il s’efforçait de rétablir de bonnes relations avec le roi d’Espagne et l’empereur139. Habile politique, il comprit qu’il lui faudrait en plus frapper à Rome même un grand coup qui lui permettrait tout à la fois d’exprimer son total désaccord avec le fanatisme et la rigueur d’un Paul IV et exorciser les sentiments de haine que continuaient de ressentir les Romains à l’endroit du pape Carafa et de sa famille. Oubliant son aménité habituelle, il fit arrêter les neveux du défunt pape, leur intenta un procès, puis, à l’issue de ce dernier, condamna deux d’entre eux: le cardinal Carlo et son frère Giovanni, duc de Paliano, à la peine capitale140. Façon comme une autre, mais combien efficace, d’indiquer que l’ère Carafa était bel et bien terminée et que l’on pouvait à nouveau respirer à l’aise, en d’autres mots, reprendre le cours normal des choses. Affable et bon vivant, aimant la bonne chère et se plaisant en agréable compagnie141, on pouvait en effet s’attendre à ce que le nouveau pape redonne à la ville et à la cour l’élan et la joie de vivre dont depuis près de cinq ans elles avaient été privées. Malgré ses soixante ans passés et certains problèmes de santé –– il souffrait, entre autres, de la goutte –– il était un homme vigoureux, pratiquait beaucoup la marche et aimait en particulier, malgré l’avis contraire de ses proches, parcourir à grandes Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 65-67. Sur les rapports de Pie IV avec Ferdinand Ier d’Autriche et sur ceux avec l’Espagne, Ibid., p. 161-162, 182, 518-521 et passim. Sur le rôle qu’il entendait faire jouer à l’Inquisition, Ibid., p. 481-483, 488-489. Sur la libération de Morone, Ibid., p. 482. 140 Ibid., p. 102-132. 141 Ibid., p. 71-72. Pie IV, jusqu’à son élection, n’avait pas été un modèle de vertu. On lui connaissait au moins trois bâtards, un garçon et deux filles. Il cherchera toujours à garder le plus grand secret sur le nombre et l’identité de ces enfants. Comme de nombreuses rumeurs circuleront après sa mort à l’effet qu’il aurait continué, comme pape, à mener une vie «dissolue», Pastor, anxieux, comme à son habitude, de rétablir la vérité, non sans une certaine arrière-pensée apologétique d’ailleurs, fait état de tous les indices qu’il a pu recueillir à ce sujet, en particulier le témoignage de Nicolas Cusano, ambassadeur impérial, qui parle en 1566 d’un médecin qui aurait conseillé au pape d’avoir des rapports sexuels, conseil que le pape, selon lui, aurait suivi. Hésitant à récuser ce témoignage, Pastor finit par admettre qu’on ne peut, dans les circonstances, répondre ni par un oui ni par un non à la question de savoir si Ange de Médicis continua à avoir des «amantes» comme cardinal et, surtout, comme pape. Ibid., p. 62, n. 3. 138 139
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enjambées les rues de Rome, y visitant palais, églises, villas ou l’un ou l’autre des chantiers qui, sous son règne, se multiplieront un peu partout dans la ville142. Les Romains se félicitaient de la simplicité, de l’accessibilité et de la sensibilité de cet homme dont un des premiers gestes avait été d’abaisser en leur faveur le prix des céréales. Ils appréciaient en outre le zèle avec lequel il s’employait à rendre leur ville plus commode et plus attrayante par l’édification de nouveaux bâtiments et la multiplication de travaux d’urbanisme de toutes sortes au point d’ailleurs d’attirer à Rome une abondante main d’œuvre qui, en quelques années, avait, selon certains, fait passer la population de la ville à 80 000 habitants143. N’eût été les difficultés financières auxquelles, comme tous ses prédécesseurs, il avait été acculé et, partant, les nouvelles levées d’impôts auxquelles, au grand déplaisir du peuple, il avait dû se résigner144, Pie IV aurait sans doute été, après Léon X, le pape le plus aimé et le plus apprécié de ses sujets au XVIe siècle. S’il ne réussit pas à maintenir intacte sa popularité auprès du peuple, il en alla tout autrement avec les humanistes, écrivains et artistes de son temps, les artistes surtout. Car, s’il se montra généreux envers certains savants: théologiens et canonistes, entre autres, travailla au relèvement de la Sapienza, s’entoura de bons latinistes, encouragea l’imprimerie, enrichit la Bibliothèque du Vatican145, c’est surtout en tant que protecteur des arts qu’il se fit remarquer et apprécier. Il sera comme Paul III et Jules III avant lui, un grand admirateur de Michel-Ange auquel il fournira les moyens de poursuivre activement la reconstruction de Saint-Pierre et qu’il n’hésitera pas lui aussi à défendre contre les menées de ses ennemis de toujours146. En ce qui concerne le Vatican et donc sa cour, il confiera à ses deux architectes de prédilection: Pirro Ligorio et Sallustio Peruzzi, à Ligorio surtout, l’achèvement du casino mis en chantier par Paul IV: la célèbre villa Pia, le prolongement du Belvédère, lieu de retraite préféré des papes depuis Jules II, en particulier la construction de l’aile ouest jusque-là manquante, créant par le fait même la cour grandiose qu’avait prévue Bramante cinquante ans plus tôt; puis, dans le palais apostolique Ibid., p. 68-71. Ibid., p. 99-100, 564-567, 569-577. Sur les progrès économiques et démographiques de la ville sous Pie IV, voir aussi Pecchiai, Roma cit., p. 446-447, 450-451. À ce sujet, voir aussi P. Partner, Renaissance Rome. 1500-1559, Berkeley-Los Angeles-Londres 1976, p. 46. Peter estime la population de Rome à 50 000 habitants en 1560 et ne croit pas que le chiffre de 80.000 habitants n’ait été atteint avant 1580. Ibid., p. 82-83. 144 Ibid., p. 531-534. Delumeau signale que, forcé de créer de nouveaux impôts, voire d’augmenter ceux déjà existants, Pie IV s’attira l’inimitié des Romains au point où sa mort fut accueillie par ces derniers avec joie. Cf. Vie économique cit., II, p. 831-832. 145 Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 548-552. 146 Ibid., p. 577-583. 142 143
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lui-même, la reconstruction, l’aménagement ou l’embellissement de divers lieux de prestige, tels la salle du consistoire secret ou encore les salles Regia et Ducale147. De toute évidence, Pie IV entendait tout autant sinon plus que ses prédécesseurs, Paul IV y compris, s’entourer d’un décor digne de l’autorité et de la grandeur qui étaient les siennes et capable surtout d’exprimer visuellement cette même autorité et cette même grandeur. Mais, à la différence d’un Paul IV, il refusait de s’identifier à ce décor, préférant s’y montrer comme il avait toujours été, c’est-à-dire cet être simple, débonnaire, qui prenait plaisir à recevoir ses hôtes, quels qu’ils soient, de façon assez peu protocolaire. Bénéficieront surtout de cette familiarité et accessibilité les ambassadeurs en poste à Rome qui seront toujours bien accueillis par lui et se verront même à l’occasion invités à l’accompagner dans l’une ou l’autre de ses promenades quotidiennes, voire introduits dans ses appartements privés148. Dans la même veine, des contemporains signalent que sa table était beaucoup moins recherchée et surtout guindée que celle de son prédécesseur et que, contrairement à ce dernier, il y invitait de préférence des hommes de culture et d’esprit, parfois même des bouffons avec qui il souhaitait d’abord et avant tout passer de joyeux et agréables moments. Même les banquets officiels, à en croire ces mêmes contemporains, étaient empreints de pareille simplicité et bonne humeur. Il semble, cérémoniaires et autres gardiens du protocole exceptés, que cette manière, ce style qui ne ressemblaient en rien à ceux de Paul IV aient été appréciés aussi bien des membres que des hôtes de sa cour149. Pie IV était par ailleurs un homme fort généreux. Les pauvres de Rome en savaient quelque chose150. Mais ceux qui profiteront le plus de ses largesses –– faut-il s’en surprendre? –– seront d’abord et avant tout ses proches. Dès le début de son pontificat, l’ambassadeur de Venise s’inquiétait de voir le pape circonvenu par sa nombreuse et ambitieuse parentèle, qu’il s’agit des Serbelloni, du côté de sa mère, des Médicis, du côté de son père, y compris son soi-disant « cousin », Côme Ier, duc de Florence151, des Borromée et des Altemps, du côté de ses sœurs Marguerita et Chiara. À peu d’exceptions près, tous ces proches seront bien traités. Un Serbelloni (Gian Antonio) et un Altemps (Mark Sittich) recevront le chapeau de 147 Ibid., p. 554-563. Sur les travaux exécutés au Vatican, voir aussi Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 19-20, 36, 74-78, 90, 93, 151-152, 220, 222-223, 237-240, 252. Sur les interventions dans la ville, voir Portoghesi, Roma cit., I, p. 173-174. Portoghesi signale que beaucoup de ces interventions (via Pia, porta Pia) annoncent celles de Sixte V. 148 Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 71-73. 149 Ibid., p. 73-74. 150 Ibid., p. 67 et n. 6. 151 Ibid., p. 66-67, 75, 79, 507-510 et passim.
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cardinal. Les frères et sœurs de ces derniers se verront gratifiés qui d’un poste de commandement militaire, qui d’une mission diplomatique, qui d’un beau mariage. Mais, les trouvant les uns et les autres, les Altemps surtout, trop ambitieux et donc fort encombrants, Pie IV s’ingéniera à les tenir le plus possible loin de Rome. Quant à Côme 1er, il entretiendra toujours avec lui les meilleurs rapports, le recevra d’ailleurs princièrement à sa cour à l’automne de 1560, mais ne lui accordera jamais le titre « royal » auquel il s’attendait. Les seuls de ses proches qui auront droit à sa pleine confiance et feront de ce fait l’objet de toutes ses complaisances seront les neveux Borromée: Federigo et Carlo en particulier, fils de sa sœur cadette, Marguerita152. Federigo sera marié à Virginia della Rovere, fille du duc d’Urbin –– mariage qui donnera lieu à des fêtes et réceptions particulièrement brillantes à Rome et au Vatican en décembre 1560 –– tandis que la même année étaient célébrées les noces de la sœur de Federigo, Camilla, avec Cesare Gonzaga, fils aîné du duc de Mantoue. Federigo se verra, dès l’année suivante, promu capitaine général de l’Église en même temps qu’une autre sœur, Anna, était mariée à Fabrizio Colonna, fils du duc de Paliano, viceroi de Sicile. La mort inopinée de Federigo en 1562 mit tragiquement fin à une carrière qui s’annonçait prometteuse, mais elle fut surtout un terrible choc pour le pape qui était très attaché à ses neveux Borromée153. Heureusement, il lui restait Carlo qu’il avait élevé au cardinalat dès le début de son pontificat et dont il avait fait par la suite son bras droit, pour le plus grand bien de l’Église et surtout de la cause de la réforme catholique. Les contemporains ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés, eux qui n’avaient qu’éloges pour ce neveu qui, après avoir aidé Pie IV à mener à bon terme le concile de Trente, avait fourni, à Rome même, plus tard à Milan, un modèle inégalé de ce que pouvait, mieux devait être la « conversion » personnelle et institutionnelle à laquelle appelait le concile154. Si certains n’ont pas craint d’appeler Charles Borromée le « bon génie » de son oncle et s’il paraît juste de le citer comme un des meilleurs exemples de népotisme réussi, il faut par ailleurs se garder de minimiser le rôle-clé joué par le pape lui-même dans les domaines aussi bien religieux que politique. La grande œuvre de son pontificat: la reprise et l’heureuse conclusion du concile de Trente, c’est tout de même à lui qu’en revenait d’abord et avant tout le mérite155. Homme affable, fin diplomate, Pie IV n’en était pas moins un homme de décision qui ne s’en laissait pas facilement imposer, même si la plupart du temps il finissait par opter pour le Ibid., p. 75-82. Ibid., p. 88-89. 154 Ibid., p. 82-88, 90-94. 155 Ibid., p. 94-96. 152 153
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moyen terme, c’est-à-dire la solution à ses yeux la moins dommageable aux diverses parties en cause156. L’affaire Carafa montrait qu’il pouvait tout de même, lorsque nécessaire, oublier sa mansuétude habituelle et agir avec toute la rigueur d’une justice sans ménagement. Pie IV mourut le 9 décembre 1565, victime d’attaques de plus en plus fréquentes de goutte, maladie probablement due à un mauvais régime alimentaire comme cela était souvent le cas chez les « grands » de l’époque. Il avait régné près de six ans. Six ans qui lui avaient permis de faire disparaître la plupart des traces du règne honni de Paul IV, de donner à l’Église un programme de réforme articulé et efficace, de rétablir des liens d’amitié avec les souverains catholiques du temps, de redonner vie et lustre à la ville de Rome, mais qui, par contraste, l’avait amené à avantager considérablement, un peu trop peut-être les siens et à s’aliéner le peuple en raison des taxes nouvelles qu’à partir de 1562 il lui avait imposées. Bilan mitigé donc, mais qui tout compte fait, s’avérait largement positif. Il faut toutefois préciser qu’il eut sur tous ses prédécesseurs, à commencer par Alexandre VI, l’immense avantage de jouir du climat de paix instauré en Italie par la signature en 1559, année de son élection, du traité de Cateau-Cambrésis. Jules II aurait sans doute mal accepté cette paix qui équivalait à une mise en tutelle de la péninsule italienne par l’Espagne, mais la majorité des Italiens étaient en 1559 prêts à s’accommoder de cette pax hispanica, somme toute assez peu contraignante, tant elle leur paraissait de loin préférable aux violences dont ils avaient été témoins, parfois même victimes depuis plus de cinquante ans157. Pie IV était manifestement de cet avis, et pour cause, comme le seront d’ailleurs la plupart de ses successeurs au XVIe siècle. En cela, son pontificat représente tant du point de vue religieux que du point de vue politique une frontière au-delà de laquelle les choses ne seront plus tout à fait, et pour l’Église et pour la papauté, ce qu’elles avaient été jusque-là. 3. De Pie V à Clément VIII L’élection de Pie V (1566-1572) un mois à peine après la disparition de son prédécesseur parut à l’époque et paraît encore aujourd’hui une surprise, même si elle se situait dans la logique du programme de réforme adopté par le concile de Trente. Le parti rigoriste comptait bien faire monter sur le trône pontifical cet homme totalement gagné à l’idéal tridentin et, à ses yeux, le plus apte à faire triompher, voire imposer cet idéal partout dans l’Église, mais il n’aurait pu y parvenir sans l’appui, à première 156 157
Ibid., p. 72. F. Braudel, Le modèle italien, Paris 1994, p. 50.
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vue improbable, du cardinal Farnèse, puis surtout le ralliement tardif du cardinal Borromée qui avait longtemps hésité à faire sien ce choix158. Le nouvel élu ne déçut guère ses plus chauds partisans, mais il n’en fut pas de même de ceux –– et ils étaient nombreux –– qui ne pouvaient oublier les sombres années du règne de Paul IV et qui craignaient voir cet ancien inquisiteur général leur infliger un second pontificat du même genre, une sorte de règne Carafa bis159. Leurs craintes –– ils s’en rendront assez vite compte –– n’étaient que trop fondées. En effet, non seulement Pie V entendait-il prendre sur plusieurs points le contre-pied de son prédécesseur immédiat avec lequel d’ailleurs il n’avait jamais été en très bons termes, mais il ambitionnait par-dessus tout renouer avec l’esprit et les stratégies politico-religieuses de Paul IV. Signe non équivoque de ce changement de cap, il s’entoura dès le départ d’hommes comme lui sortis de l’austère école du pape Carafa, tels, entre autres, Marcantonio Maffei qu’il placera à la tête de la Daterie, le cardinal Reumano auquel il confiera le « secrétariat d’État » ou encore Antonio Carafa, petit-neveu de Paul IV, dont il fera un de ses camériers avant de le créer cardinal en 1568160. Sans compter qu’il s’employa par ailleurs activement, malgré les objections d’un grand nombre, à réhabiliter la famille Carafa, à ses yeux injustement traitée par son prédécesseur, Pie IV161. Aucunement intéressé à la politique, il aurait bien voulu pouvoir se consacrer uniquement et exclusivement aux questions intéressant le « salut des âmes », c’est-à-dire la réforme de l’Église, la lutte contre l’hérésie et l’éloignement, sinon l’élimination pure et simple de la menace turque. Mais tous ces combats, qu’il l’ait voulu ou non, comportaient d’importants volets politiques et il lui fallut assez tôt se rendre à l’évidence qu’il ne pouvait, comme il y avait un moment songé, se décharger de cette responsabilité sur d’autres, d’autant plus d’ailleurs qu’il n’avait que méfiance pour ceux qui, comme le cardinal Farnèse par exemple, possédaient une grande expérience dans le domaine, les ambitions de ces derniers lui paraissant trop « mondaines » et donc, de son point de vue, contraires aux 158 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 13-31. Le scénario proposé par Pastor selon lequel le cardinal Ghislieri aurait été dès le départ le candidat du cardinal Borromée est sérieusement mis en doute par Nicole Lemaitre. À ce sujet, voir son Saint Pie V cit., p. 83-96. 159 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 31-32. Également Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 96. Ranke rappelle que plusieurs à l’époque virent en lui un nouveau pape Carafa et, que ses partisans jubilaient, criant partout à qui voulait bien les entendre: «Dieu nous a ressuscité Paul IV». Histoire de la papauté cit., I, p. 363. 160 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 51, 107-108, 110; Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 106-111. 161 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 68-69.
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intérêts de l’Église162. Il ne put par conséquent, comme il l’aurait souhaité, s’en tenir au « spirituel »: il dut aussi s’impliquer dans le « temporel » avec parfois, son inexpérience ou sa naïveté politiques aidant, des résultats plus que décevants. Mise à part l’éclatante victoire remportée en 1571 à Lépante contre la puissance turque, victoire qui devait beaucoup aux efforts qu’il avait déployés pour mettre sur pied la Sainte-Ligue163, le pape avait peu de raisons de se féliciter des nombreuses incursions qu’il s’était permises dans le domaine politique164. Nostalgique, comme son mentor Paul IV, d’une chrétienté plus imaginée que réelle, croisé attardé rêvant de reconquêtes d’un autre âge –– d’où, notons-le, sa déception de voir que la victoire de Lepante parût devoir rester sans lendemain165 ––, manquant par ailleurs, non seulement d’expérience, mais de réalisme politique, on comprend et on comprendrait à moins que Pie V ait eu si peu de succès et essuyé tant de revers en ce domaine. Nicole Lemaitre a sans doute raison d’écrire que Pie V fut de tous les papes de l’époque « le premier [...] à exercer le pontificat comme un prêtre plutôt que comme un souverain »166. En effet, cet homme d’une grande piété, d’une extrême austérité, d’un zèle sans pareil –– nombre de contemporains le considéraient déjà comme un saint167 –– s’était donné comme première et essentielle mission de mener à bien le programme de réforme voulu par le concile de Trente et ainsi purifier et régénérer une Église, à ses yeux, objet de scandale. S’appuyant sur les structures mises en place par son prédécesseur et n’hésitant pas à les compléter lorsque nécessaire, Pie V entreprit avec son énergie et sa détermination habituelles le difficile redressement d’une situation qui paraissait à certains quasi désespérée. Il s’efforça en particulier de faire appliquer partout dans l’Église, au besoin 162 Ibid., p. 52-53, 55-56. Nicole Lemaitre souligne le fait que, manquant d’expérience politique, Pie V n’eut pas d’autre choix au départ que de s’appuyer sur ceux qui en avaient, un Alexandre Farnèse, entre autres, auquel il devait d’ailleurs en bonne partie son élection. Mais il prit assez rapidement la mesure du personnage et lui retira sa confiance, quitte à devoir se mettre lui-même à la politique. Saint Pie V cit., p. 106, 108, 117. 163 Sur Pie V et la Sainte-Ligue, voir Ibid, p. 299-320. 164 Le bilan à ce niveau est en effet plutôt négatif. Les interventions maladroites du pape en Écosse et en Angleterre en vue d’y rétablir le catholicisme ne serviront qu’à rendre encore plus improbable pareille éventualité. Et que dire de l’aide financière et militaire apportée aux catholiques français combattant les huguenots qui, à part la victoire de Moncontour en 1569, valut à Pie V plus de déceptions qu’autre chose. Que dire également de son intransigeance face aux puissances catholiques de l’heure auxquelles il reprochait leur trop grande intrusion dans les affaires ecclésiastiques, intransigeance qui, bien entendu, ne facilita en rien ses rapports avec les puissances en question, l’Espagne en particulier. Sur tous ces points, voir von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 371-392, 400-432, 337-363, 371, 263-313. Également Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 277-298. 165 Ibid., p. 317-320; von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 573. 166 N. Lemaitre, Pie V, dans DHP, p. 1329. 167 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 584-585.
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en les renforçant, les normes adoptées par le concile en matière aussi bien d’orthodoxie que d’orthopraxie et, pour ce faire, fit appel à la collaboration des nonces en poste dans les principales capitales de l’Europe catholique, à celle également de certains ordres religieux, les jésuites notamment, et, de plus en plus, à celles d’évêques selon son cœur, disciples ou émules du saint archevêque de Milan, Charles Borromée168. Mais il comprit, dès l’abord, que pour être convaincante et, partant, efficace cette reprise en mains à l’échelle de la catholicité devait d’abord être effectuée et, si possible, réussie en haut lieu, c’est-à-dire à Rome même. D’où l’offensive tous azimuts déclenchée dès le début de son pontificat contre les « dissidences » et « délinquances » de tous genres qui depuis longtemps étaient monnaie courante dans la capitale de la chrétienté. Aussi bien le tribunal de l’Inquisition que les divers autres tribunaux romains furent encouragés à rechercher et à traiter avec la plus extrême rigueur hérétiques, blasphémateurs, pécheurs publics, assassins, prévaricateurs, voleurs, prostituées et autres fauteurs de troubles ou de scandales169. Parallèlement, clergés séculier et régulier, monastères et couvents, curialistes, courtisans, voire militaires se virent plus étroitement surveillés et encadrés que jamais170. Par ailleurs, comme son maître, le pape Carafa, Pie V prit grand soin de n’admettre au Sacré Collège que des hommes de bonne réputation. À noter, à ce propos, qu’étant, contrairement à Paul IV, peu enclin au népotisme171, il n’eut pas comme ce dernier à se repentir de choix dictés par le cœur plutôt que par la raison. Si, sous pression de son entourage, il finit par accepter de faire de Michele Bonelli, petit-fils d’une de ses sœurs, son cardinal-neveu, c’est qu’il savait que ce jeune dominicain 168 Ibid., p. 93-94. Sur cette action multiforme menée avec rigueur, une rigueur qui n’était pas sans rappeler celle d’un Paul IV, voir aussi Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 123-137, 174-198, 278-281. 169 Ibid., p. 227-234, 257-270. Un avviso de 1566 établi à 30 000 le nombre d’habitants qui auraient quitté Rome en deux mois en raison des réglementations de plus en plus sévères imposées par le pape, de sorte, y lit-on, que «le cose di Roma vanno stretissimo, li offici, censi, casati et alti guadagni che mantegono la corte sono dati qui in grosso, né si trovano compratori di essi, ni artigiani et mercanti la fanno male, sono faliti et senza un quatrino». Il y avait manifestement un prix à payer pour faire de Rome une ville «édifiante». Sur cet avviso, voir S. Andretta, Il governo dell’osservanza: poteri e monache dal Sacco a fine Seicento, dans Roma, La città del papa, p. 404, n. 41. 170 Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 137-148, 164-173 et passim. Ces interventions ne furent pas, elles aussi, sans conséquences, parfois tragiques. On connaît le cas de religieuses qui, refusant de se laisser imposer la clôture comme l’exigeait le pape, allèrent jusqu’à se suicider. Andretta, Il governo cit., p. 404. 171 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 53. C’est lui, ne l’oublions pas, qui le 29 mars 1567, promulgua la bulle Admonet Nos qui interdisait toute aliénation future d’une partie quelconque du territoire pontifical, mettant par le fait même fin au grand népotisme. Sur cette bulle et ses répercussions, voir P. Prodi, Lo sviluppo dell’assolutismo nello stato Pontificio, I, Bologne 1968, p. 74-79.
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ne lui causerait pas d’ennuis, et que, de toute façon, l’ayant constamment à l’œil, il pourrait, si nécessaire, à tout moment le rappeler à l’ordre, ce qu’il fit d’ailleurs et sans ménagement dès qu’il se rendit compte en 1566 que celui-ci commençait à se comporter d’une façon à ses yeux du moins, trop « mondaine »172. Mais il ne suffisait pas de sévir: il fallait aussi réhabiliter, mieux éduquer en vue de rendre meilleur. Aux diverses mesures d’assainissement tôt adoptées et rigoureusement appliquées, Pie V se fit fort d’ajouter toute une série de mesures plus positives propres à relever le niveau de la foi et des mœurs. Ainsi encouragea-t-il, entre autres, la mise sur pied de confréries de la doctrine chrétienne (De Doctrina Christiana) chargées d’assurer l’instruction religieuse des enfants. Toutes mesures qui au dire de nombreux témoins de l’époque, portèrent rapidement fruit173. Mais au-delà de toutes ces ordonnances et réglementations, au-delà de toutes ces actions visant à faire de Rome une ville catholique phare, ce qui contribua probablement le plus à la réussite de Pie V fut le fait qu’il était lui-même la parfaite illustration, pour ne pas dire l’incarnation de ce modèle. Tous ceux qui, durant les six années de son pontificat entrèrent en contact avec lui, des plus grands jusqu’aux plus petits, étaient inévitablement frappés, tout d’abord, par son aspect physique, en particulier, cette extrême maigreur dont font état beaucoup de témoins, maigreur attribuable selon eux aux nombreuses mortifications qu’il s’imposait; frappés également par l’ostensible piété de ce pape chez qui, manifestement, Dieu et les choses de Dieu occupaient, et de loin, la première place. On disait que, contre l’avis de ses médecins, il mangeait et buvait très peu, jeûnait parfois à l’excès et ne se permettait que peu de moments de repos ou de loisir. Au fond, hormis les quelques occasions où il lui fallait recevoir avec tout le faste voulu certains grands personnages ou célébrer comme il se devait certaines fêtes ou événements marquants, il continuait, tout pape qu’il fût, à vivre comme il l’avait toujours fait, c’est-à-dire le plus frugalement, le plus modestement et le plus simplement possible174. Mutatis mutandis, il en allait de même de sa cour, une cour qui visiblement –– nous aurons l’occasion d’y revenir dans un prochain chapitre –– s’inspirait beaucoup plus de l’exemple d’un Marcel II que de celui d’un Paul IV. Grand marcheur, à l’instar de ses deux 172 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 53-58. Un autre neveu, laïque celui-là: Paolo Ghislieri, fut lui aussi l’objet de sévères réprimandes, Ibid., p. 58-59. 173 Ibid., p. 153. Sur ces confréries, voir G. Martin, Roma Sancta, éd. G. B. Parks, Rome 1969, p. 110-114. Le texte de Martin est de l’époque de Grégoire XIII. 174 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 36-38. Ranke ne craint pas d’affirmer que Pie V «vivait comme pape avec toute la rigidité d’un moine». Aussi, ajoute-t-il, répétait-il souvent «à ses serviteurs qu’ils devaient se regarder comme habitant un couvent». Histoire de la papauté, I, p. 365.
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prédécesseurs immédiats, il ne dédaignait pas, à l’automne surtout, visiter la villa qu’il s’était fait construire via Aurelia, mais ses nombreuses sorties prenaient plutôt en général la forme de visites d’églises ou de maisons religieuses, en particulier le couvent Sainte-Sabine sur l’Aventin, auquel, à titre de dominicain, il restait très attaché175. Bourreau de travail, il s’efforçait de remplir le plus consciencieusement et plus scrupuleusement possible les diverses tâches relevant de sa fonction, mais était surtout attentif à se réserver quotidiennement des temps de prière: célébration de la messe, récitation de l’office, longs moments de prière personnelle et de méditation, récitation également du rosaire –– pratique chère aux dominicains et à laquelle il tenait lui-même beaucoup ––, sans compter les nombreuses occasions qui lui étaient données de participer, parfois à titre d’officiant principal, aux solennelles liturgies de la chapelle Sixtine, de Saint-Pierre ou de quelque autre basilique romaine. Toutes instances où il laissait libre cours à son immense piété, une piété empreinte tout à la fois d’émotion et de simplicité, provoquant chez les uns l’étonnement, chez d’autres, une admiration confinant, au sein du peuple surtout, à un véritable culte176. Les Romains étaient particulièrement sensibles, entre autres, au fait que, contrairement à ses prédécesseurs, il participait à la procession de la Fête-Dieu, moment fort de la vie religieuse à Rome, tête nue, à pied comme tout le monde et laissant ouvertement paraître son intense émotion177. On peut en dire autant d’une autre pratique qui lui était chère, soit la visite des sept églises qu’il faisait lui-même deux fois l’an, accompagné d’une faible escorte, pratique qui fit si grande impression que plusieurs à Rome s’empressèrent de l’adopter comme le feront d’ailleurs après lui la plupart de ses successeurs. Un témoin de l’époque signale en 1571 qu’à Pâques tous les cardinaux et presque tous les prélats de la cour avaient, à l’exemple du pape, fait le pèlerinage en question178. Manifestement, les considérables efforts déployés par le pape pour faire de Rome une ville plus édifiante portaient fruit. D’où le constat fait par plusieurs à l’époque que la Ville Éternelle était devenue un immense couvent179. Cela, bien évidemment, ne plaisait pas à tout le monde. Les plus récalcitrants, anxieux d’éviter qui le bûcher, qui la galère, qui la prison ou tout simplement les contraintes de ce qui leur paraissait être un régime de terreur s’empressèrent de quitter la ville, ce qui, dans certains cas, ne fut pas sans conséquences pour la santé économique, voire la sécurité de Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 40-42. Ibid., p. 42-43. 177 Ibid., p. 40, 43. 178 Ibid., p. 42. 179 Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 227. 175 176
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la ville et de ses environs. On sait aujourd’hui que plusieurs de ceux qui prirent la fuite allèrent grossir les rangs des hors-la-loi qui, déjà à l’époque, semaient le désordre un peu partout dans l’État pontifical, contribuant par le fait même à aggraver le problème du banditisme, problème qui, on le sait, allait par la suite causer d’énormes ennuis aux successeurs de Pie V180. Le pape était conscient du fait que plusieurs de ses décisions ou interventions ne seraient pas très populaires. Aussi, comme Paul IV avant lui, cherchera-t-il au départ à se gagner la faveur du peuple surtout par diverses mesures visant à réduire le fardeau fiscal de ce dernier, à améliorer ses conditions de vie en matière surtout de sécurité, de salubrité et de ravitaillement, à venir par ailleurs en aide aux nombreux pauvres et indigents de la ville de même qu’aux institutions pieuses vouées aux œuvres d’assistance ou de miséricorde181. Mais des besoins de plus en plus pressants d’argent dus à l’implication grandissante du Saint-Siège dans les divers dossiers politico-religieux plus haut évoqués vont rapidement l’obliger à recourir, comme ses prédécesseurs, à toute la panoplie des expédients désormais bien connus: impôts, contributions « volontaires », emprunts publics permettant de faire face aux besoins en question182. Témoins en même temps qu’objets de sa très grande générosité, une générosité qui ne se démentira à aucun moment durant tout son règne, les Romains, pour la plupart, lui resteront malgré tout reconnaissants et lui voueront jusqu’à la fin une admiration certes mêlée de crainte, mais néanmoins sincère183. Pie V ne fut pas, comme nombre de ses prédécesseurs, un protecteur empressé des écrivains, poètes ou artistes de son temps. Ce monde lui était pratiquement inconnu et le laissait d’ailleurs assez indifférent184. On lui a prêté toutes sortes d’intentions iconoclastes qu’il n’avait probablement pas et qui d’ailleurs ne se réaliseront jamais. La seule chose dont on est sûr, c’est qu’il entendait « dépaganiser » le Vatican et qu’à cet effet il songea à se défaire de toutes les statues et autre « monuments » de l’Antiquité païenne se trouvant dans le palais apostolique et ses dépendances. Devant les protestations énergiques de certains cardinaux et autres personnages influents, il accepta de garder une bonne partie des œuvres en question, les autres étant remises, pour la plupart, à la ville de Rome ou encore à divers souverains catholiques I. Polverini Fosi, La società violenta, Rome 1985, p. 52-53. Pie V s’était, en effet, engagé au début de son pontificat à ne pas augmenter les taxes. Pecchiai, Roma cit., p. 124. Mais il fit plus que cela, allant par exemple jusqu’à réduire la taxe de 4 giulii par botte de vin établie par Pie IV. Il est d’ailleurs possible qu’il ait aussi annulé l’augmentation de l’impôt sur la farine décrétée par ce dernier. Mais, comme tous ses prédécesseurs, et pour les mêmes raisons, il dut dès 1567 faire machine arrière et créer de nouvelles taxes. Delumeau, Vie économique cit., II, p. 832-833. 182 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 72-73. 183 Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 322-323. 184 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 80-81, 88-89. 180 181
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qui en avaient fait la demande. Ce n’est donc pas à l’art antique comme tel qu’il en voulait, mais au fait que, selon lui, cet art fait de « nudités » n’avait pas sa place dans la maison du successeur de Pierre185. Il ne faudrait toutefois pas en conclure que Pie V n’avait pas à cœur d’embellir le Vatican ou de doter la ville de Rome de monuments dignes du rôle qu’il entendait faire jouer à ces deux puissants vecteurs du prestige et de l’autorité du Saint-Siège. Au Vatican même, divers chantiers furent ouverts, les uns de restauration (chapelle Sixtine), d’autres de décoration (fresques de Vasari à la Sala Regia), d’autres enfin de construction (tour Pia, chapelle S. Martin et S. Sébastien destinée à la garde suisse, achèvement de la villa Pia). À noter que la plupart de ces interventions avaient un cractère d’abord et avant tout religieux. Ainsi la Torre Pia attenante aux appartements Borgia –– y avait-il là quelque arrière-pensée « expiatrice »? –– consistait en une juxtaposition de trois chapelles, l’une à la disposition du pape lui-même (chapelle S. Michel Archange), les deux autres réservées aux gens de sa cour (S. Pierre Martyr, S. Étienne)186. Quant aux chantiers ouverts dans la ville, ils étaient, les uns de nature plutôt utilitaire (restauration de l’Acqua Vergine et des anciens murs de Rome, achèvement des fortifications du Borgo), les autres, de caractère nettement religieux (achèvement ou restauration d’églises et de couvents, construction de l’église et du cloître San Domenico e San Sisto, érection du palais de l’Inquisition, aménagement de maisons pour juifs convertis et catéchumènes)187. Autant d’indices d’une intention bien arrêtée de faire de la capitale de la chrétienté une ville sans doute plus belle et plus commode, mais surtout plus dévote188. Le fait que Pie V paraissait, au moment de son élection, beaucoup plus âgé qu’il ne l’était en réalité, qu’il souffrait par ailleurs de la pierre et que, surtout, il faisait peu de cas des conseils de ses médecins avait fait croire à plusieurs qu’il ne vivrait pas très longtemps. Déployant une énergie et une détermination sans commune mesure avec ce sombre pronostic, le pape eut l’heur de régner plus de six ans, six ans durant lesquels il fit subir à l’Église et, tout particulièrement, à sa ville et à sa cour une cure morale et spirituelle dépassant, et de loin, ce qu’avaient pu imaginer aussi bien ceux qu’avaient enchantés que ceux qu’avaient effrayés son élection. Il faut dire que sa tâche avait été grandement facilitée par l’existence à Rome même –– nous y avons fait allusion plus haut –– de toute une série de réseaux associatifs gravitant autour d’un certain nombre de familles religieuses nouvelles ou réformées ou encore de tel ou tel personnage charismatique Ibid., p. 76-80; Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 222-224. Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 81-83. À ce sujet, voir aussi Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 20, 53, 76, 147-148, 223, 252. 187 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 83-88. 188 Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 222-240. 185 186
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–– on pense ici spontanément à l’incontournable Philippe Neri ––, réseaux qui de plus en plus se recoupaient les uns les autres et qui, au temps de Pie V, constituaient probablement ce qu’on appellerait aujourd’hui une masse critique189. Le pape, bien évidemment, qu’il en ait eu conscience ou non, profita de cette conjoncture favorable bien que, force est de le reconnaître, Rome n’aurait pas à ce point changé de visage, n’eût été le zèle et l’obstination avec lesquels durant tout son pontificat, mû par des considérations d’abord et avant tout, mais non exclusivement réformistes190, il s’employa à faire de sa capitale non seulement une ville catholique modèle, mais en quelque sorte, pour employer l’expression d’un contemporain, l’« antichambre du paradis »191. Utopie que tout cela? Certes. Et utopie qui, malgré tous ses efforts, ne sera que très imparfaitement réalisée, mais cette réserve faite, la réussite de Pie V n’en constituait pas moins un décisif et irréversible changement de cap et pour l’Église, et pour Rome et pour la papauté. Les pontificats de ses trois principaux successeurs: Grégoire XIII (1572-1585), Sixte V (1585-1590) et Clément VIII (1592-1605) allaient bientôt en fournir la preuve. Sans doute l’élection de Grégoire XIII le 14 mai 1572, soit treize jours à peine après le décès de son « vénéré » prédécesseur, fut plutôt au départ interprétée comme un retour au temps de Pie IV192. Ugo Boncompagni était, on le savait, une « créature » de ce dernier et, comme lui, préférait la bienveillance et la modération à l’austérité et à l’intransigeance affichées de Pie V, un Pie V qu’il avait loyalement servi, mais à qui, à l’occasion, il n’avait pas hésité à reprocher sa trop grande sévérité193. Cela dit, il poursuivra certes avec plus de souplesse et de diplomatie, mais néanmoins avec rigueur et persévérance l’offensive politico-religieuse tous azimuts lancée par ce dernier. Si ses efforts furent récompensés de succès dans les Pays-Bas espagnols, en Allemagne et en Pologne, il n’en fut pas de même en Irlande, 189 Sur ce phénomène nous renvoyons à ce que nous en avons dit au chapitre I, p. 13-14 et n. 50. 190 Car le réformisme de Pie V comportait une dimension utopiste, eschatologique même. À ce propos, voir Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 227, 252-253, 299, 319-320, 335-336. 191 id., Pie V cit., p. 1329. 192 C’est ce qu’affirme, dans une lettre à Côme Ier, grand duc de Toscane, le cardinal Tolomeo Galli dont Grégoire XIII fera son secrétaire d’État. Cf. P. O. Törne, Ptolomée Galli, Cardinal de Côme, Helsingfors 1907, p. 116. Ranke note, à ce propos: «(Grégoire XIII) ne se montra jamais trop rigide et il témoignait plutôt de la désapprobation pour un certain genre de sévérité: il parut vouloir suivre de préférence l’exemple de Pie IV, dont il fit immédiatement rentrer les ministres aux affaires, plutôt que ceux de son prédécesseur. Mais, par ce pape, on voit tout ce que peut produire la pensée dominante d’une époque. Cent ans auparavant il eut régné comme un Innocent VIII; maintenant au contraire, un homme avec les habitudes de Grégoire ne pouvait plus se soustraire aux austères exigences religieuses de son siècle». Histoire de la papauté, II, p. 38. 193 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 16-20.
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en Écosse, en Angleterre et en Suède où ils contribuèrent plutôt à aggraver la situation du catholicisme dans ces pays194. Il eut un moment l’illusion d’une victoire définitive sur le parti huguenot en France, victoire, croyait-il, acquise grâce à l’aide substantielle consentie par son prédécesseur, Pie V, au roi Charles IX, mais cette illusion fut de courte durée, une fois mieux connus les dessous du massacre de la Saint-Barthélemy dont il s’était prématurément et un peu trop ostensiblement réjoui195. Et que dire des efforts qu’il déploya en vain pour remettre sur pied la ligue anti-turque si chère à Pie V196. Heureusement pour lui et ses électeurs, l’autre versant, beaucop moins politique celui-là, de cette même offensive, soit la poursuite de la réforme in capite et in membris demandée par le concile de Trente, s’avéra beaucoup moins décevant, au point d’ailleurs où la plupart des biographes de Grégoire XIII sont d’accord pour dire que de tous les papes post-tridentins il fut probablement celui qui fit le plus pour la réforme catholique. Il faut dire qu’ayant été lui-même dès le départ associé de près aux travaux du concile, ayant servi à divers titres les papes Pie IV et Pie V, tous deux réformistes convaincus, étant par ailleurs lié de très près à Charles Borromée, figure emblématique de la cause tridentine, il était on ne peut mieux préparé à compléter, sur ce plan, l’œuvre de ses prédécesseurs. Sans compter qu’il connaissait probablement mieux que ces derniers les complexes rouages de l’administration pontificale, qu’il était lui-même un gestionnaire de tout premier ordre: méthodique, précis, diligent, qu’il savait ce qu’il voulait, sans jamais pour autant perdre de vue les difficultés qui l’attendaient et que, surtout, grâce à une santé des plus robuste, il aura près de treize ans à sa disposition, soit plus de temps que Pie IV et Pie V mis ensemble, pour réaliser les objectifs que, dès le début de son pontificat, il s’était fixés197. Qu’il suffise de mentionner ici les nouvelles structures administratives progressivement mises en place (congrégations, commissions) dont plusieurs visant à mieux assurer l’application des décrets tridentins à Rome aussi bien que dans l’ensemble du monde catholique198, la transformation des nonciatures, dont le nombre sera par ailleurs accru, en vue d’en faire non plus seulement des courroies de transmission diplomatiques, mais bel et bien des instruments, et des instruments agissants 194 Sur l’action du pape dans les Pays-Bas espagnols, l’Allemagne et la Pologne, voir ibid., p. 402-419, 420-515, 533-671, 672-690. En ce qui concerne l’Irlande, l’Angleterre et la Suède, Ibid., p. 272-345. 195 Ibid., p. 346-390. 196 Ibid., p. 232-269. 197 Ibid., p. 1-3, 16-21, 23-24. 198 Ibid., p. 44-46.
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–– trop au goût de certains –– au service de la réforme catholique199, le souci d’écarter, dans toute la mesure du possible, les candidatures à l’épiscopat ne répondant pas aux exigences tridentines ou encore ne permettant pas d’espérer que ces mêmes exigences, en matière de résidence surtout, soient respectées200; le recours à certains ordres religieux, jésuites et capucins en particulier, pour le travail de « reconquête spirituelle » sur le terrain201, auprès des élites, dans le cas des jésuites, auprès du peuple, dans le cas des capucins; enfin, la création ou la relance de nombreux collèges, confiés pour la plupart aux jésuites, chargés de former les futurs prêtres des régions passées au protestantisme ou dominées par l’Islam, collèges qui serviront par ailleurs de modèles aux séminaires tridentins qui commençaient à l’époque à se mettre en place202. Mais, à tout cela, il faut ajouter le soin extrême avec lequel Grégoire XIII choisissait ses collaborateurs immédiats, le soin tout aussi méticuleux qu’il mettait à préparer les listes de ceux qu’il entendait appeler au cardinalat, d’où, sans doute, au grand désespoir de plusieurs, le nombre restreint des candidatures retenues203, tous scrupules qui s’expliquaient en bonne partie par l’exemple qu’il entendait, à travers eux, donner d’une Église convertie in capite à l’idéal tridentin, mais également par le besoin de s’entourer d’auxiliaires zélés et compétents, capables de le seconder dans ce qu’il considérait être la grande œuvre de son pontificat. Significative de ce point de vue la décision prise dès le départ de confier la Daterie à Matteo Contarelli, bien connu pour ses convictions réformistes, de confirmer l’inflexible Bernardino Carniglia, ancien collaborateur de Charles Borromée, à la tête de la commission de réforme du clergé romain, de garder près de lui le jésuite Francisco de Toledo que Pie V avait appelé à ses côtés et dont il avait fait son prédicateur attitré, ou encore de se pourvoir des bons conseils du cardinal Santori, autre « créature » de Pie V, pour ce qui était de la réforme de sa cour204. Mais il n’entendait pas pour autant se décharger sur d’autres de ses responsabilités en ce domaine, responsabilités qu’il prenait d’ailleurs très au sérieux. Jusqu’à son ordination sacerdotale en 1558, il n’avait pas été un modèle de vertu –– un fils naturel né en 1548 en était la meilleure 199 Ibid., p. 47-49. Sur l’activité réformatrice des nonces, une bonne vue d’ensemble dans P. Blet, Histoire de la représentation diplomatique du Saint-Siège, des origines à l’aube du XIXe siècle, Cité du Vatican 1982, p. 275-316. En ce qui concerne la France, voir Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati, I, (1572-1574), éd. P. Hurtubise, Rome 1975, p. 63-64, 121-122, et passim. 200 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 55-56. 201 Ibid., p. 91-92, 169-171. 202 Ibid., p. 171-186. 203 Ibid., p. 161-168. 204 Ibid., p. 21-24.
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preuve205 –– mais, converti depuis au moins le pontificat de Pie IV à un style de vie plus simple, plus modeste en même temps que plus conforme à son statut d’homme d’Église, il chercha à conserver dans toute la mesure du possible, comme pape, cette simplicité, cette modestie et surtout à mener une vie très disciplinée et bien réglée, travail, prière et repos compris206. Aussi austère que Paul IV et Pie V, son seul passe-temps, comme eux, consistait en de longues et fréquentes marches au Vatican même ou dans la ville, mais aussi –– et là il distinguait nettement d’eux –– dans la campagne romaine. Témoin les nombreux séjours qu’il fera à la villa du cardinal Sittich à Frascati et le grand attachement qu’il éprouvait pour ce lieu et la région environnante qui lui permettaient de se restaurer physiquement et spirituellement. À noter que les longues marches qu’à chaque séjour il y faisait comportaient toujours, comme à Rome, la visite d’une église ou d’un couvent, ce qui n’était pas sans rappeler encore une fois le mode de faire d’un Paul IV et d’un Pie V207. Il était aussi, comme Pie V surtout, un bourreau de travail, bien que plus méthodique et assidu que celui-ci, y consacrant pratiquement tous les moments dont il disposait en dehors des audiences que chaque jour ou presque il accordait, des sorties qu’il lui arrivait de faire ou des cérémonies ou réunions de toutes sortes où il lui fallait être présent. Il n’aimait pas le faste ou la pompe si ce n’est dans le cadre de réceptions ou de fêtes d’une particulière solennité208. En cela, il ressemblait beaucoup à Pie IV. Les nombreux personnages, grands et petits, avec qui il entrait en contact appréciaient son calme, sa capacité d’écoute, sa bienveillance qui contrastaient singulièrement avec les sautes d’humeur et les réactions abruptes d’un Paul IV ou d’un Pie V, bien qu’au premier abord, frappés par son physique imposant, par le fait qu’il parlait peu et que ses réponses étaient habituellement courtes et décisives, certains le jugeaient sévère et inflexible, ce qui était loin d’être le cas, comme ils finissaient en général par s’en rendre compte209. Mais le trait le plus caractéristique de la 205 Ibid., p. 21, 26. Nous savons aujourd’hui que ce fils né en 1548 n’était pas une «erreur de jeunesse», mais le fruit «délibéré» d’une liaison avec une servante de son frère Buoncompagno. Il semble que le futur Grégoire XIII ait voulu par là s’assurer un héritier, un héritier de son sang à qui transmettre sa part des biens familiaux. Ugo Boncompagni n’était à l’époque que clerc –– il ne sera ordonné prêtre qu’en 1558 ––, mais il remplissait déjà d’importantes fonctions curiales et surtout venait de participer aux premières sessions du concile de Trente. On trouve tous ces renseignements chez P. Pecchiai, La nascità di Giacomo Boncompagni, dans Archivi d’Italia e Rassegna internazionale degli Archivi, 2e série, XXI (1954), p. 9-47. Voir aussi A. Borromeo, Gregorio XIII, dans DBI, 59, p. 204. 206 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 31-33. 207 Ibid., p. 33-36. Pastor signale que Frascati servait de refuge au pape durant le temps du carnaval. 208 Ibid., p. 32. 209 Ibid., p. 39-40.
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personnalité de Grégoire XIII était, à n’en pas douter, son indépendance, une indépendance à laquelle il tenait visiblement beaucoup. Même son secrétaire d’État, Tolomeo Galli, l’homme en qui il avait le plus confiance, savait qu’il n’était qu’un exécutant, que le seul décideur en fin de compte était le pape, et qu’il lui appartenait donc, s’il tenait à conserver son poste, d’agir en conséquence, ce qu’il fera d’ailleurs, s’assurant par le fait même et, cela, jusqu’à la fin du règne de Grégoire XIII l’estime et les faveurs de ce dernier210. D’autres, par contre, proches parents ou encore intimes du pape, ne croyant pas que cette volonté d’indépendance pût de quelque façon les concerner, découvriront, parfois un peu tard, qu’en cela ils se trompaient lourdement, ce qui vaudra d’ailleurs à certains d’entre eux, au mieux de simples rappels à l’ordre, au pire, la perte de leur emploi et leur renvoi de la cour211. Homme reconnu pour son impartialité –– il en avait maintes fois comme curialiste fourni la preuve –– Grégoire XIII n’était pas du genre à faire acception de personnes. Au lendemain de son élection, après avoir confirmé la bulle de Pie V interdisant l’aliénation de biens ecclésiatiques dans l’État pontifical, bulle visant surtout les aliénations de type népotiste, il avait tenu à déclarer publiquement que sa famille ne devait pas s’attendre à être favorisée au détriment des intérêts du Saint-Siège212. Certes, suivant en cela une tradition désormais bien établie, se dota-t-il dès mai 1572 d’un cardinal-neveu en la personne de Filippo Boncompagni, fils de son frère cadet, Buoncompagno, et, deux ans plus tard, à la surprise de plusieurs, fit-il de Filippo Guastavillani, fils aîné de sa sœur Jacopa, une sorte de cardinal-neveu bis, mais il se garda bien de leur confier, l’un et l’autre, une responsabilité de premier plan et surtout leur imposa un régime de vie plutôt strict et, au début du moins, passablement austère213. Il en fut de même de son propre fils, Giacomo, qu’il fit très tôt venir à Rome, le nommant dès 1572 châtelain du Château Saint-Ange, puis, l’année suivante, commandant en chef des troupes pontificales, mais lequel, un peu trop sûr de lui-même et se croyant à l’abri des foudres de son père, se permit quelques libertés qui lui coûtèrent fort cher au point où il dut attendre jusqu’en 1576 pour obtenir le beau mariage auquel il estimait avoir droit et jusqu’en 1578 pour se voir investi des titres nobiliaires et muni des ressources lui permettant de vivre Ibid., p. 40-44. Un exemple, entre autres, de l’intransigeance du pape à cet égard. En août 1576, Giacomo Boncompagni, fils de Grégoire XIII, fait libérer de prison un de ses serviteurs. Il fallut l’intercession de nombreux cardinaux pour empêcher le pape de retirer à Giacomo toutes ses fonctions. Ce dernier n’en sera pas moins exilé à Pérouse. Ibid., p. 27-28. 212 Ibid., p. 22. 213 Ibid., p. 25. 210 211
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en « grand »214. Quant aux autres membres de la famille, il ne furent guère mieux traités et ne se privèrent d’ailleurs pas de manifester plus d’une fois leur déception sinon leur déplaisir215. Il ne faudrait toutefois pas en conclure trop vite qu’il y avait là mesquinerie de la part du pape. Sa cour comptait, outre les quelques parents plus haut mentionnés, de nombreux compatriotes qui étaient en général bien traités, mais ils l’étaient tous au mérite, c’est-à-dire en fonction de leur fidélité à le servir. Ajoutons que Grégoire XIII était, à l’image de son père, un homme d’une très grande générosité –– Cesare Speciano, agent du cardinal Borromée, estimait que depuis Grégoire le Grand aucun pape n’avait fait autant pour les pauvres et les nécessiteux216 –– et innombrables étaient les personnes, innombrables, les institutions, innombrables, les causes qui, au fil des ans, avaient bénéficié de ses largesses. Le dépositaire de la Chambre Apostolique assurait en 1581 que le pape, depuis le début de son pontificat, avait affecté plus d’un million et demi d’écus à ce seul poste de son budget217. Les sommes considérables consacrées à l’aménagement et à l’embellissement aussi bien du palais apostolique que de la basilique SaintPierre ou encore de Rome et de ses environs montrent que, sur ce plan également, Grégoire XIII était tout le contraire d’un pingre et qu’il savait, là où le prestige de l’Église et de la papauté étaient en jeu, voir loin et grand. Ne se plaisait-il pas à dire que bâtir était une autre façon de faire l’aumône218? Chose certaine, qu’il s’agisse des nombreux travaux d’urbanisme effectués un peu partout dans la ville (régulation du cours du Tibre, aménagement ou réfection de rues, de ponts, de places, de fontaines) ou encore de restaurations d’églises, de constructions d’hôpitaux, d’asiles de toutes sortes, de maisons d’enseignement surtout (collèges grec, anglais, maronite en plus de la Sapienza et du Collegio Romano), durant les treize années de son règne, Grégoire XIII avait à tel point multiplié les interventions dans le tissu urbain en plus d’imposer de nouvelles mesures édilitaires visant à améliorer les conditions de vie des Romains que certains spécialistes considèrent aujourd’hui que c’est à lui plutôt qu’à son successeur, Sixte V, qu’il faut réserver le titre d’architecte de la « Rome nouvelle »219, cette Rome tant admirée, dès son époque, entre autres, par les quelque 400 000 pèlerins qui la visitèrent à l’occasion de Ibid., p. 27-29. Ibid., p. 29-30. 216 Ibid., p. 37-39. 217 Ibid., p. 39. 218 Ibid., p. 797. 219 Ibid., p. 789-800, 806-829, 846. À ce sujet, voir aussi Insolera, Roma cit., p. 149-158, 162-165. 214 215
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l’Année Sainte de 1575220, mais également par un Montaigne lors de ses séjours dans la ville en 1580 et 1581221. Moins spectaculaires, mais néanmoins dignes de mention, les travaux de construction, rénovation ou décoration entrepris aussi bien à SaintPierre (chapelle grégorienne) qu’au Vatican (Sala Ducale, Sala Regia, Chapelle pauline, loggia S. Damase, galerie des cartes géographiques), voire au Quirinal (villa pontificale) montrent à l’envie qu’à l’instar d’un Jules II, d’un Paul III, d’un Pie IV surtout, Grégoire XIII n’entendait rien épargner pour faire en sorte que la chaire de Pierre soit aussi dignement et aussi somptueusement mise en valeur que possible222. Mais tout cela, ajouté aux nombreux autres postes du budget pontifical, coûtait cher, très cher même et Grégoire XIII qui voulait à tout prix éviter d’en faire porter le poids au peuple dut, comme ses prédécesseurs, recourir à des expédients de toutes sortes dont l’un, inédit, allait, à la surprise, mais surtout au mécontentement de plusieurs, s’avérer des plus rentable. En effet, sur les conseils de son trésorier général, son compatriote Rodolfo Bonfiglioli, il fit à partir de 1581 examiner les titres de propriété de nombreux possesseurs de fiefs de l’État pontifical, enquête qui révéla de nombreuses anomalies et conduisit assez rapidement à d’importantes rentrées d’argent sous forme de paiements d’arrérages, de rachats de propriétés, voire de saisies de fiefs –– une cinquantaine au total –– par la Chambre Apostolique223. Conséquence non désirée, mais néanmoins inévitable de cette opération vérité: Grégoire XIII se fit de nombreux ennemis parmi les victimes de l’opération en question, ennemis qui n’hésitèrent pas à jouer la carte du banditisme, rendant par le fait même encore plus difficile la lutte que, depuis le début de son pontificat, le pape menait, sans beaucoup de succès, il faut le dire, contre ce fléau d’un autre âge224. Ugo Boncompagni n’avait donc pas que des victoires ou des réussites à son actif, mais du moins pouvait-il se consoler à la pensée qu’il avait Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 151-155. Ibid., p. 791-796. 222 Ibid., p. 800-806, 833-843. À ce propos, voir aussi Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 20-21, 23, 28, 52-54, 58-59, 73-74, 76-78, 89-90, 116, 147, 151-157, 187-190, 198-199, 222-223, 252. Sur la chapelle grégorienne à Saint-Pierre, voir P. Hurtubise, Une procession à nulle autre pareille, dans AHP, 39 (2001), p. 129-149. 223 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 764-768. En contrepartie, Grégoire XIII s’ingénia à ne pas accroître, voire à diminuer les impôts. Ainsi l’augmentation de la taxe sur la viande de porc décrétée par son prédécesseur fut-elle en partie annulée et surtout, à la grande joie des Romains, l’impôt tant décrié sur la farine fut-il purement et simplement supprimé. Il est vrai qu’il doubla, par ailleurs, la taxe sur les coches et carrosses, mais cette dernière, est-il besoin de le souligner, n’atteignait que les riches. À ce propos, voir Delumeau, Vie économique cit., II, p. 833-834. 224 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 767, 771-784. Voir également Polverini Fosi, La società cit., p. 71-102, 107-122. 220 221
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efficacement complétée l’œuvre d’un Pie IV et d’un Pie V et rendue par le fait même possible l’ultime couronnement de cette même œuvre par son successeur immédiat, Sixte V. Lorsqu’il mourut le 10 avril 1585, à l’âge plus que respectable de 83 ans, on commençait un peu partout à cueillir les premiers fruits de la réforme tridentine et Rome elle-même, portée par cette même dynamique, pouvait se féliciter d’être enfin devenue, en bonne partie grâce à lui, cette ville « édifiante » dont avait rêvé en son temps Paul III, puis cherché à construire un Paul IV et un Pie V, mais libre des insupportables « rigueurs » que ces deux partisans d’un catholicisme « pur et dur » avaient tentés d’imposer aux Romains. Ces derniers ne pouvaient que lui en être reconnaissants. Grégoire XIII n’aurait sans doute pas apprécié l’élection, et surtout l’élection ultra rapide du cardinal Felice Peretti qui lui succéda le 24 avril 1585 sous le nom de Sixte V. Ce dernier, en effet, n’avait jamais eu l’heur de lui plaire. Il l’avait d’ailleurs sciemment tenu à l’écart de toute responsabilité curiale durant les quelque treize années de son règne225. Vraisemblablement, il y avait entre ces deux hommes ce qui semble bien avoir été un conflit de personnalité, mais le fait que Grégoire XIII, contrairement à la plupart de ses prédécesseurs n’ait appelé aucun religieux à faire partie du Sacré Collège, jugeant que ces derniers n’y avaient pas leur lace226, pourrait aussi expliquer le sort fait au cardinal Peretti. Les électeurs de Sixte V ne partageaient visiblement pas ce point de vue et leur empressement à placer ce franciscain de très humble origine à la tête de l’Église montre bien qu’ils avaient, contrairement à Grégoire XIII, le sentiment qu’il était l’homme tout désigné pour poursuivre et, au besoin, compléter l’œuvre de ce dernier. Plus convaincu que jamais du besoin de réformer et de régénérer l’Église, le Sacré Collège s’était vite rallié à l’idée que c’était là, tout bien considéré, le choix qui s’imposait227. Sixte V ne régnera que cinq ans, mais, homme de décision et d’action avec un côté impulsif, fougueux, voire colérique –– à tous ces titres, il fait penser à Jules II, le « terrible »228 ––, il fera tant pour Rome et pour l’Église qu’encore aujourd’hui on lui attribue spontanément le mérite d’avoir donné naissance tout à la fois à la Rome « baroque » et à l’Église « moderne », oubliant, comme le souligne fort justement Pastor, qu’en réalité il ne faisait là que mener à bon port avec, il est vrai, une énergie et une efficacité peu communes –– c’est peut-être là son principal mérite –– une reprise en mains commencée bien avant lui et qui devait déjà beaucoup à son prédé Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 32-34, 37. Ibid., p. 33. 227 Ibid., p. 14-20. 228 Ibid., p. 40. 225 226
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cesseur immédiat, Grégoire XIII229. Ses réalisations n’en restent pas moins à tous égards impressionnantes. La plus marquante de toutes –– et elle l’est restée jusqu’à ce jour –– fut nul doute la création le 22 janvier 1588 de quinze congrégations permanentes de cardinaux –– six vouées aux affaires spirituelles, neuf, aux affaires temporelles –– qui allaient désormais, et pour des siècles, modifier en profondeur la façon de gouverner l’Église, faisant des cardinaux non plus comme auparavant des « collègues » du pape, mais des exécuteurs des volontés de ce dernier. Nouvelle mécanique curiale ou, si l’on préfère, bureaucratique au service du programme de réforme tridentin, mais aussi et peut-être surtout d’un pouvoir papal qui se savait, se voulait désormais absolu à l’égal de celui des principales monarchies européennes230. Ajoutons que, deux années plus tôt, Sixte V avait limité à soixante-dix le nombre maximum de membres du Sacré Collège231 et que si certaines considérations politiques, voire « népotistes » entrèrent en ligne de compte dans le choix de l’un ou l’autre des 33 cardinaux créés durant son règne, en général, les candidats retenus par lui l’étaient en fonction de leur valeur personnelle et de leur compétence administrative. Les ambitions de Sixte V étant ce qu’elles étaient, il ne savait que trop à quel point il lui faudrait compter sur la collaboration d’hommes d’expérience et de talent. D’hommes de confiance surtout. Aussi n’est-on pas surpris de le voir dès le départ s’entourer des cardinaux Rusticucci et Bonelli, comme lui « créatures » de Pie V, puis faire de son compatriote Dezio Azzolini, futur cardinal, son « secrétaire intime » en même temps que le mentor de son jeune neveu Alessandro appelé très tôt au Sacré Collège, trop au goût de certains232. Et que dire de sa décision de recourir aux services d’un Antonio Maria Graziani, ancien secrétaire du cardinal Commendone, bien connu pour ses convictions réformistes, de 229 Ibid., IX, p. 846, 852-853. C’est aussi l’avis de Ranke: «Sixte V, écrit-il, fut toujours regardé comme l’unique fondateur des ordonnances de l’État de l’Église. On lui attribue des institutions qui existaient pourtant bien avant lui. On le vante comme un incomparable maître en finance, comme un homme d’État exempt de tout préjugé, comme un restaurateur des antiquités. Il avait une de ces natures qui se gravent profondément dans la mémoire des hommes, et qui donnent croyance aux récits les plus fabuleux et les plus extraordinaires». Histoire de la papauté, II, p. 63. Et il ajoute que ce serait faire injustice aux prédécesseurs de Sixte V si on lui attribuait «à lui seul» ses nombreuses réalisations, car «ce qui distingue Sixte V, ce n’est pas d’avoir pris une nouvelle route, mais plutôt d’avoir suivi avec plus d’ardeur et d’énergie la route tracée». Ibid., p. 67. 230 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 181-193. Sur la sévérité et l’autoritarisme du pape, voir Ibid., p. 40-41. Il n’est pas sans intérêt et même assez piquant de constater que Sixte V avait en sa possession Le Prince de Machiavel. M. Rosa Sixte V, dans DHP, p. 1594. Ce qui pourrait peut-être permettre d’expliquer une certaine «rouerie» de sa part. 231 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 170. 232 Ibid., p. 48-49.
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prendre conseil, en matière diplomatique surtout, des cardinaux Santori, Gesualdo et Aragon, le premier « créature » de Pie V, les deux autres, de Pie IV, plus tard, suite au décès du cardinal Azzolini, de confier la charge de « secrétaire intime » à un autre proche du cardinal Commendone, Giovan Andrea Caligari, ancien nonce en Pologne, puis surtout d’appeler à ses côtés les cardinaux Domenico Pinelli et Ippolito Aldobrandini, le futur Clément VIII, qu’il avait tous deux fait entrer au Sacré Collège en décembre 1585233. On n’était manifestement plus au temps de Grégoire XIII. Sixte V, et pour cause, voulait qu’on le sache. Il voulait en même temps rappeler la dette de reconnaissance qu’il avait à l’endroit d’un Paul IV, d’un Pie IV et d’un Pie V, d’un Pie V surtout à qui il devait le chapeau et dont il devait, par ailleurs, se sentir proche, étant comme lui d’humble origine et, comme lui également, membre d’un ordre religieux, celui des franciscains dans son propre cas, celui des dominicains dans le cas de Pie V. Mais le parallèle avec le pape Ghislieri ne s’arrête pas là. À l’instar de ce dernier, Sixte V entendait être seul maître à bord, ne laissant pratiquement aucune initiative à ses collaborateurs, même ses plus proches collaborateurs en qui il voyait d’abord et avant tout des exécutants. L’ambassadeur vénitien Giovanni Gritti allait même jusqu’à dire qu’auprès de lui personne n’avait voix fût-ce consultative, encore moins décisive234. Significatif de ce point de vue le fait qu’il traitait toujours lui-même en personne avec les ambassadeurs, recevant les plus important d’entre eux une fois par semaine et leur consacrant chacun de longues heures235. Homme de détails, il cherchait à tout savoir, n’hésitant pas le cas échéant à éplucher lui-même tous les dossiers jugés par lui de quelque importance, leur consacrant même chaque jour le plus clair de son temps. De très tôt le matin à très tard le soir –– car il dormait peu ––, tous ses moments libres étaient réservés aux affaires236. Très secret par ailleurs, il surprenait assez souvent ses collaborateurs en leur communiquant à l’improviste des décisions qu’il leur fallait parfois exécuter sur-le-champ237. Visiblement, cet homme savait ce qu’il voulait et n’était pas du genre à laisser traîner les choses en longueur. Dès le 20 décembre 1585, il décida de ressusciter la règle depuis longtemps tombée en désuétude de la visite al limina, c’est-à-dire l’obligation faite aux évêques de soumettre à intervalles Ibid., p. 48, 50-52. Ibid., p. 48. Ranke souligne que Sixte V ne dédaignait pas faire des faveurs, faveurs qui, dit-il, avaient chez lui «un caractère d’abandon et de familiarité, et lui servaient à donner des preuves de bienveillance, publique et privée», mais, s’empresse-t-il aussitôt d’ajouter, «jamais il ne songea à quitter le gouvernail: toujours il régna par lui-même», Histoire de la papauté, II, p. 70. 235 Von Pastor, Storia dei papi cit., p. 51-52. 236 Ibid., p. 45-47. 237 Ibid., p. 47-48. 233 234
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réguliers, et normalement en personne, un rapport détaillé sur l’état de leurs diocèses respectifs, décision capitale pour l’avenir de la réforme catholique puisqu’elle fournissait à la papauté un moyen de plus, et un moyen particulièrement efficace de vérification et, si nécessaire, d’intervention à ce niveau238. Ajoutons que, fort de sa propre expérience, il se montra comme Paul IV et Pie V avant lui, des plus favorable à l’Inquisition romaine, autre redoutable et, à ses yeux, indispensable instrument de contrôle239. Tout aussi remarquable, mais au plan politique cette fois, l’appui, entre autres financier, qu’il accorda à la Pologne, au duché de Savoie, à l’Espagne, mais également à la Ligue en France en vue d’aider les catholiques à reprendre au moins une partie du terrain perdu aux mains des protestants, appui qui, toutefois, si ce n’est dans le cas de la Pologne, ne lui apporta guère plus de consolation qu’à ses prédécesseurs, Pie V et Grégoire XIII, la cuisante défaite en 1588 de l’Armada espagnole face à l’Angleterre en étant probablement la meilleure preuve240. Il fut plus heureux dans la lutte sans merci qu’il engagea contre le banditisme dans ses propres États, phénomène, nous l’avons vu, en constante progression depuis le pontificat de Pie IV, mais auxquels ses prédécesseurs immédiats, Grégoire XIII en particulier, n’avaient pas su donner une riposte adéquate. En moins de deux ans, exécutions publiques et châtiments exemplaires à l’appui, il réussit à rétablir l’ordre et à donner, par le fait même, un certain sentiment de sécurité à ses sujets241. Soucieux du bien-être de ces derniers, le pape chercha en outre par diverses mesures économiques: réglementation du prix des denrées, assèchement des marais, encouragement de l’agriculture et de l’industrie à améliorer le plus possible leur sort, bien que, force est de le reconnaître, ces mesures ne furent pas toujours des plus efficaces242. À Rome même, il fit entreprendre d’immenses travaux publics (extension considérable et amélioration des voies de communication urbaines, installation d’obélisques à certains carrefours-clé de la ville, restauration d’aqueducs, mise 238 Ibid., p. 101. Sur l’origine de cette pratique, sur sa complexe histoire, sur le fait qu’elle était à la fin du moyen âge pratiquement tombée en désuétude et sur la signification et la portée du décret de Sixte V ressuscitant cette pratique et lui donnant une force juridique et, pour la première fois, une extension universelle, voir R. Rybak, La visita «Ad Limina Apostolorum» nei documenti della Santa Sede et nel Codice di Diritto Canonico del 1983, Rome 1994, p. 39-67. 239 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 144-147. À noter toutefois, que le nombre de condamnations diminua sous son pontificat. Ibid., p. 145. 240 Sur ses rapports avec l’Espagne, la France et la Pologne, voir Ibid., p. 194-263, 263275, 390-392, 396-466. Sur son implication dans l’organisation de l’Armada, Ibid., p. 310-322. 241 Polverini Fosi, La società cit., p. 133-163 et passim. 242 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 75-82. À noter par ailleurs que Sixte V alourdit considérablement le fardeau fiscal de ses sujets, ce qui pourrait expliquer la joie du peuple à l’annonce de sa mort en 1590. À ce sujet, voir Delumeau, Vie économique cit., II, p. 834-839.
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en valeur des « monts » jusqu’alors peu habités) en même temps que, soucieux d’exalter le pouvoir pontifical, il faisait restaurer le palais du Latran, compléter le dôme de Saint-Pierre, poursuivre les travaux entrepris par Grégoire XIII au Quirinal. À quoi, il faut ajouter, au Vatican même, l’édification du nouveau palais destiné à lui servir de résidence et, en direction du Belvédère, la construction de nouveaux locaux pour la bibliothèque243. Cette dernière initiative témoigne encore aujourd’hui de l’intérêt qu’il portait à l’érudition, bien que l’érudition ne fût pas son fort, comme le montre bien la piètre édition « révisée » de la Vulgate qu’il fit paraître en 1590244. Ce tourbillon quasi ininterrompu d’interventions et de réalisations de toutes sortes, tant au plan spirituel que temporel, bien évidemment supposait la mise à la disposition du pape et de ses collaborateurs de considérables ressources financières. Or, en montant sur le trône pontifical, Sixte V avait trouvé une caisse pour ainsi dire vide. Comme tant de ses prédécesseurs: un Jules II, un Adrien VI, un Clément VII notamment. À leur instar, il chercha très tôt à surmonter cette difficulté, d’une part, en coupant le plus possible certaines dépenses, de l’autre, en recourant aux expédients habituels: levées de nouveaux impôts, ventes additionnelles de titres ou de charges, fréquents recours au mécanisme désormais classique de l’emprunt public –– il créera, à lui seul, onze nouveaux Monti ––, avec le résultat que, non seulement il fut à même de financer ses nombreux et coûteux projets à Rome et ailleurs, mais réussit à laisser à ses successeurs un trésor de plus de quatre millions d’écus, trésor qui fit de lui un des princes les plus riches d’Europe. Cela allait bien au-delà des exploits réalisés avant lui par un Jules II ou un Clément VII qui avaient, eux aussi, fort habilement réussi à surmonter ce même type de handicap245, mais, pour spectaculaire qu’elle était, la réussite de Sixte V n’en était pas moins plus illusoire que réelle puisqu’elle reposait pour l’essentiel sur une augmentation sans précédent de la dette publique, dette qui n’allait pas peu contribuer par la suite aux difficultés financières de la papauté246. Le côté dépensier et, jusqu’à un certain point, mégalomane du personnage pourrait donner à penser qu’il était lui-même friand de nobles, fastueuses et brillantes choses. Or –– tous les témoignages concordent là-dessus –– ses goûts et son train de vie personnels étaient des plus simples, surtout en ce qui avait trait à sa table, et il s’ingéniera durant tout son 243 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 422-423, 428-502. Voir également à ce sujet, pour ce qui est de la ville, Insolera, Roma cit., p. 165-197 et, pour ce qui est du palais du Vatican, Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 22, 151, 169, 188-190, 198-200, 218, 223, 252, 256. 244 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 481. 245 Ibid., p. 86-95. 246 Ibid., p. 95. Jean Delumeau montre bien les problèmes que le trésor de Sixte V va poser à ses successeurs. Cf. Vie économique cit., II, p. 766-767.
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règne à réduire le plus possible ses dépenses « domestiques » au grand déplaisir d’ailleurs de plus d’un membre de sa cour247. Cela dit, s’inspirant de l’exemple des plus ascétiques de ses prédécesseurs: un Paul IV, un Pie V, entre autres, en qui il voyait d’ailleurs des modèles à suivre, il tiendra, du moins en ce qui concernait ses apparitions en public (cérémonies, fêtes, réceptions) à faire montre de faste et de grandeur comme, pensait-il, l’exigeaient le rang qu’il occupait et l’autorité dont il était investi248. Pieux et charitable, infatigable promoteur d’une Église plus sûre d’ellemême et surtout plus édifiante, génial constructeur de la Rome « nouvelle » conçue par Grégoire XIII, mais, en bonne partie, réalisée par lui, Sixte V avait tout pour susciter l’admiration de ses contemporains et la gratitude de ses sujets. Or, dans le cas de ces derniers du moins, force est de reconnaître qu’il ne fut pas l’objet de beaucoup de reconnaissance de leur part. À sa mort, une foule en colère s’en prit à la statue qu’on lui avait érigée sur le Capitole249. Le seul autre pape de l’époque à avoir eu droit à pareille infamie était, rappelons-le, Paul IV. Toute une référence! Comment expliquer que cet homme exceptionnel et, à plus d’un titre, fascinant ait été à ce point exécré d’une partie au moins de ses sujets? Son passé d’inquisiteur, sa grande sévérité, la violence et l’inflexibilité avec lesquelles il se comporta durant les années où il fit la guerre au banditisme –– ne l’appelait-on pas déjà à l’époque le « pape de fer »250? ––, la levée de nouveaux impôts: autant de facteurs qui sans doute lui aliénèrent une partie non négligeable de la population. Mais entra peut-être aussi en ligne de compte le comportement qu’il eut à l’endroit de ses proches, un comportement qui n’était pas sans rappeler celui des plus népotistes de ses prédécesseurs. Il avait une particulière affection pour son aînée Camilla et ses deux enfants qu’il avait très tôt fait venir à Rome, puis, une fois devenu cardinal en 1570, aidé de diverses façons à tenir un rang comparable à celui qui était désormais le sien251. Sa nièce Maria Felice étant morte relativement jeune, laissant quatre enfants en bas âge, il avait aussitôt adopté ces derniers, leur donnant même son nom: Peretti, à ses yeux sans doute plus prestigieux que celui de leur père Fabio Damasceni, simple commerçant. En 1573, il avait rendu financièrement possible le mariage de son neveu Francesco avec Vittoria Accoramboni issue d’une famille noble de Gub Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 44-45. Ibid., p. 44. Ranke ne craint pas d’écrire que Sixte V «se croyait choisi par la Providence pour réaliser les pensées qu’il couvait dans son intelligence». Histoire de la papauté cit., II, p. 316. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter: «toutes ses actions [...] avaient toujours pour but l’intérêt général de la religion catholique». Ibid., p. 317. 249 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 408-410. 250 J. N. D. Kelly, Dictionnaire des papes, trad. Colette Friedlander, Bruxelles 1994, p. 568. 251 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 35. 247 248
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bio252. Devenu pape, il ne ménagera aucun effort pour assurer l’avenir de ses petits-neveux, à commencer par l’aîné des fils de Maria Felice, Alessandro, dont à la grande surprise, sinon au scandale de plusieurs, il fit, aussitôt élu, son cardinal-neveu, alors que ce dernier n’avait encore que quinze ans253. Puis ce fut au tour du cadet, Michele, âgé d’à peine huit ans, qui, la même année, obtint le titre de capitaine de la garde pontificale et de gouverneur du Borgo avant de se voir trois ans plus tard promis en mariage à une riche héritière milanaise, Margherita della Somaglia254. Quant aux deux petites-nièces du pape, Flavia et Orsina, elles furent, la première, mariée à Virginio Orsini, duc de Bracciano, et, la seconde, à Marcantonio Colonna, connétable du royaume de Naples, avec, dans chaque cas, une dot fournie par le pape de quelque 100 000 écus. Les deux époux furent d’ailleurs aussitôt élevés au rang d’assistants au trône pontifical, Marcantonio Colonna obtenant en plus le titre du duc de Paliano. On sait aujourd’hui que cette double alliance et les titres donnés à l’un et l’autre de ces illustres personnages faisaient partie d’une stratégie de Sixte V visant à domestiquer les grandes familles romaines255, mais, à l’époque, ce qui dut frapper, sinon choquer le plus, ce fut sans doute de voir une famille partie pour ainsi dire de rien accéder en quelques années, par la seule volonté du pape, aux plus hauts échelons de la société romaine. D’autant plus que Camilla, sœur de Sixte V, femme très pieuse par ailleurs, tenait cour dans le palais où le pape l’avait installée près de l’églie et du couvent des SaintsApôtres, largement pourvue de revenus et de biens qui lui venaient aussi de son frère, dont la vigna acquise par ce dernier près de Sainte-Marie-Majeure en 1576 et qu’il n’avait cessé depuis d’enrichir et d’embellir256. Cela ne pouvait que prêter flanc aux critiques des uns, aux jalousies des autres, mais sans doute aussi à un certain malaise de la part de ceux qui, tout en admirant ce que le pape avait réussi à faire pour l’Église et pour Rome, ne pouvaient admettre, vingt ans après la clôture du concile de Trente, un népotisme à ce point flagrant257. Ceux qui, à l’annonce du décès de Sixte V, avaient cherché à jeter bas sa statue au Capitole, ne savaient peut-être pas exactement pourquoi ils posaient ce geste de dépit, mais peut-être exprimaient-ils là symboliquement ce que beaucoup d’autres ressentaient à l’époque à l’endroit de ce pape à Ibid., p. 35. Ibid., p. 48-49. 254 Ibid., p. 53. Ce dernier sera plus tard, notons-le, capitaine général de l’Église en même temps qu’il se verra pourvu de terres et de titres à l’avenant, dont ceux de marquis d’Incisa et de prince de Venatro. À ce propos, voir Weber, Genealogien cit., II, p. 745. 255 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 53-55. 256 Ibid., p. 36-37, 52-53. 257 Ibid., p. 49. 252 253
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plus d’un titre remarquable, mais qui visiblement s’était fait de nombreux ennemis à Rome et dans l’État pontifical. En cela aussi, Sixte V fait penser à Jules II, comme lui, mal aimé de son vivant, mais comme lui aussi, fort admiré plus tard pour ses réalisations de toutes sortes. Sixte V mourut le 27 août 1590, emporté par un catarrhe mal soigné et peut-être aussi les inquiétudes qui lui inspiraient les mauvaises nouvelles lui parvenant d’Espagne et de France. Il avait 69 ans258. De ses trois successeurs immédiats: Urbain VII, Grégoire XIV et Innocent IX, il y a assez peu à dire, sinon qu’ils régnèrent très peu de temps –– moins d’un an dans le cas du premier, quelques semaines dans le cas des deux autres ––, qu’ils étaient tous trois des « créatures » de Grégoire XIII, d’ailleurs élevés au cardinalat par ce dernier le même jour (12 décembre 1583) et qu’à la différence de Sixte V, ils durent leur élection en grande partie à l’influence et, dans le cas des deux premiers, aux pressions de l’Espagne259. Aussi n’eurent-ils pas d’autre choix que de renoncer à la politique de neutralité adoptée par Sixte V et de faire leurs les stratégies du Roi catholique, à l’endroit de la France notamment260. L’homme qui leur succéda le 5 mars 1592 sous le nom de Clément VIII (1592-1605), bien qu’il ne fût pas le premier choix de l’Espagne, n’en fut pas moins lui aussi élu grâce à l’appui de cette monarchie alors au faîte de sa puissance261. Notons toutefois que, contrairement à ses prédécesseurs immédiats, Clément VIII refusa d’être le « valet » de l’Espagne –– sa politique à l’endroit de la France en étant la meilleure preuve ––, tout en cherchant par ailleurs à maintenir d’aussi bons rapports que possible avec cet allié naturel, pour ne pas dire incontournable du Saint-Siège262. Sans doute, le roi ’Espagne regretta-t-il d’avoir fait confiance à cette « créature » de Pie V et de Sixte V qui, à l’instar de ces derniers, entendait garder ses distances par rapport non pas tant à sa personne qu’à l’immense pouvoir qu’il représentait. Peut-être avait-on oublié à Madrid qu’Ippolito Aldobrandini venait d’une famille de fuorusciti florentins passée en 1531 au service du SaintSiège et surtout depuis 1548 installée à Rome où plusieurs de ses membres, fils de l’avocat consistorial Silvestro Aldobrandini (1499-1558), n’avaient pas tardé, grâce entre autres à la protection du cardinal Alexandre Farnèse, à se tailler des postes importants dans l’administration pontificale263. « Adopté » par Pie V qui n’avait qu’admiration pour la vie exemplaire qu’il Ibid., p. 406-408. Ibid., p. 506, 509-512, 516, 520-530. 260 Ibid., p. 516, 536. 261 Ibid., XI, p. 7-15. 262 Ibid., p. 149-152. 263 Ibid., p. 16-18. 258 259
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menait, Ippolito, le plus jeune des fils de Silvestro Aldobrandini, avait, quant à lui, rapidement gravi les principaux échelons d’une carrière prometteuse (avocat consistorial, auditeur de Rote), carrière temporairement bloquée à la mort de Pie V en 1572, mais qui avait connu un nouvel élan dès le début du pontificat de Sixte V, un Sixte V qui, de toute évidence, appréciait beaucoup cet ancien protégé de son « maître » Pie V et qui donc, aussitôt élu, n’hésita pas à faire de lui son dataire avant de le créer cardinal le 18 décembre suivant264. L’expérience acquise à Rome, les liens qui l’unissaient à deux des papes les plus réformistes de l’époque, par surcroît ardents défenseurs des droits du Saint-Siège, ajoutés au fait qu’il était depuis plusieurs années un habitué de l’Oratoire et un proche de Philippe Neri265: autant d’éléments qui annonçaient un pontificat assez différent de ce que les Espagnols vraisemblablement attendaient ou souhaitaient. Relativement jeune au moment de son élection –– il n’avait que 56 ans ––, il pouvait malgré quelques ennuis de santé266, espérer régner plus longtemps que ses prédécesseurs immédiats, Sixte V y compris. On se rendit assez vite compte qu’il n’avait rien de la fougue ou de l’intrépidité de ce dernier. Esprit lent, prudent, méticuleux, il lui était difficile de prendre une décision et assez souvent il lui arrivait de laisser traîner les choses en longueur, d’autant plus qu’étant d’un naturel anxieux, voire scrupuleux, il tenait, comme Grégoire XIII et Sixte V avant lui, à tout voir, tout vérifier, tout contrôler lui-même. Cela n’était pas sans inconvénients –– on s’en rendra compte au temps de la querelle De auxiliis267 ––, mais cela pouvait, par contre, comporter certains avantages, dans le domaine politique surtout, où des décisions hâtives n’étaient pas toujours à propos ou souhaitables. Ce n’est qu’après mûre réflexion et beaucoup d’hésitation que Ibid., p. 18-20. Les premiers contacts d’Ippolito Aldobrandini avec l’Oratoire et Philippe Neri se firent probablement à travers Francesco Maria Tarugi, disciple de Philippe, qui fut avec le futur Clément VIII de la légation du cardinal Alessandrino en Espagne, au Portugal et en France en 1571. A. Cistellini, San Filippo Neri. L’Oratorio e la Congregazione Oratoriana, I, Brescia 1989, p. 153. En 1587, les indications ne manquent pas de relations étroites entre le cardinal Aldobrandini et le fondateur de l’Oratoire. Ibid., p. 490. Le confesseur du futur Clément VIII était d’ailleurs à l’époque Giovanni Francesco Bordini, autre disciple de Philippe Neri, qu’Ippolito Aldobrandini, une fois devenu pape, fera évêque de Cavaillon. Ibid., II, p. 767. Ce même Bordini fait état de la grande affection de Clément VIII pour l’Oratoire et surtout Philippe Neri. Ibid., p. 768. On sait, par ailleurs, que le fondateur de l’Oratoire avait un jour prédit l’élection de Clément VIII et qu’il avait à une autre occasion guéri ce dernier d’une attaque de goutte. Ponnelle - Bordet, Saint Philippe Neri cit., p. 104, 109, 114. Devenu pape en 1592, Ippolito Aldobrandini s’empressera d’octroyer une pension à Philippe Neri. Ibid., p. 167. À quoi il faut ajouter qu’avant comme après son élection, Clément VIII fréquentait assidûment l’Oratoire, tout comme ses neveux Cinzio et Pietro d’ailleurs qu’il avait confiés à Philippe Neri. Ibid., p. 244, 474-483, 485-486, 493-499. 266 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 26-27. 267 Ibid., p. 522-582. 264 265
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Clément VIII finira par lever en 1595 l’excommunication prononcée par Sixte V contre Henri IV, roi de France, mais cette décision qui lui vaudra la vindicte de l’Espagne était, dans les circonstances, la plus sage et, on le reconnaîtra plus tard, dans l’intérêt et de l’Église et de la papauté. Ne lui permettra-t-elle pas non seulement d’assurer l’avenir du catholicisme en France, mais d’obtenir en plus, grâce à l’appui d’un Henri IV réconcilié avec Rome, le retour du duché de Ferrare au Saint-Siège en 1597, puis une année plus tard, la signature du traité de Vervins mettant fin aux hostilités entre la France et l’Espagne268? Mais ce qui frappe le plus chez Clément VIII, c’est sa très grande piété, une piété empreinte d’émotion, qui n’est pas sans rappeler celle de son protecteur Pie V. Les contemporains, admiratifs, signalent entre autres choses, qu’il célèbre la messe tous les matins, se confesse tous les soirs, se retire souvent dans sa chapelle pour prier et méditer, s’impose des jeûnes très sévères, suit pieds nus les nombreuses processions auxquelles il lui arrive de participer269. On a calculé que durant son pontificat il avait fait 160 fois la visite des sept églises, pratique, nous l’avons vu, recommandée et mise en valeur par Pie V, qu’il avait en outre durant le Jubilé de 1600 fait soixante fois la visite traditionnelle des quatre basiliques, sans compter les nombreuses fois où on l’avait vu gravir à genoux la Scala Sancta270. Mais ce grand priant, contrairement à Pie V, savait à l’occasion se ménager des moments de pure détente qui pouvaient prendre la forme de promenades à la campagne, d’excursions à la mer, voire de repas intimes en compagnie de proches ou d’amis, agrémentés des facéties du nain Trulla qu’il avait un jour reçu en cadeau du roi de Pologne271. Travailleur infatigable –– en cela aussi il faisait penser à Pie V et à Sixte V ses « modèles » de prédilection ––, il gardait un emploi du temps très serré, se réservant toutefois les dimanches et jours de fête pour des loisirs, mais des loisirs dignes du grand priant qu’il était: visites, entre autres, d’églises et de couvents à Rome ou dans les environs de Rome, visites surtout de l’Oratoire philippien pour lequel il avait une toute particulière affection272. Très attentif aux pauvres et aux malades qu’il aidait et, dans le cas des malades, visitait volontiers, il ira même à partir de 1594, jusqu’à recevoir chaque jour quelques indigents à sa table273. Très pointilleux en ce qui concernait le cé Ibid., p. 45-108. Ibid., p. 21-24. 270 R. Mols, Clément VIII, dans DHGE, 12, col. 1294. 271 Ibid.; Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 27, 676-678; «Relatione fatta all’ill. Mo Sig. cardinale d’Este al tempo della sua promotione, che doveva andar in Roma», Ibid., p. 760. 272 Ibid., p. 25. 273 Ibid., p. 28. 268 269
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rémonial de cour, bien que, pour sauver du temps peut-être, il se permettait parfois de donner audience en marchant avec ses interlocuteurs dans les corridors du palais apostolique, très conscient par ailleurs de la dignité de la fonction et, partant, du rang qui étaient les siens, il tenait à se montrer en public avec toute la solennité, voire la pompe requises274. Par contre, en privé, il entendait vivre le plus simplement possible et ne craignait pas d’exiger cette même simplicité de son entourage275. De ses principaux collaborateurs, tous soigneusement choisis par lui, on peut dire qu’ils étaient en général, pour la plupart, à son image et ressemblance, à commencer par l’exemplaire Silvio Antoniano (1540-1603), disciple de Charles Borromée et intime de Philippe Neri, dont il fera, aussitôt élu, son maître de la chambre en même temps qu’il lui confiera l’office de secrétaire des brefs, office qu’il lui laissera d’ailleurs même après l’avoir élevé au cardinalat en 1598, preuve supplémentaire de la grande estime qu’il avait pour lui276. Mais, si attaché fût-il à tous ces proches collaborateurs, y compris ses neveux Cinzio et Pietro sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir plus loin, il ne leur faisait jamais totalement confiance, tenant, comme Sixte V avant lui, à prendre en toute indépendance les décisions qu’il estimait utiles ou nécessaires, même s’il ne se privait pas de consulter largement autour de lui277, un de ses conseillers préférés étant le cardinal Antonio Maria Salviati qu’il avait d’ailleurs placé avec les cardinaux Montalto et Pierbenedetti à la tête de la Congrégation du Buon Governo créée peu après son élection en vue de poursuivre la politique de centralisation de Sixte V aussi bien à Rome que dans l’État pontifical278. Comme cardinal, Clément VIII ne s’était pas privé de dénoncer les méfaits du népotisme. Comme pape, il n’eut pas d’autre choix que de se plier à cette pratique désormais séculaire. Peu après son élection, il appela à ses côtés deux de ses neveux: Cinzio (1551-1610) et Pietro (1571-1621) à qui il confia conjointement en septembre 1592 la direction des « affaires d’État »279. Grande fut la surprise à Rome de constater qu’il n’avait pas jugé bon leur conférer en même temps le chapeau de cardinal. Sans doute craignait-il d’être accusé par certains de succomber un peu trop vite à la tentation du népotisme. Il attendit donc jusqu’en septembre 1593 pour les faire Ibid., p. 27. Ibid., p. 26, 31. 276 Ibid., p. 28-30. Sur ce remarquable personnage, voir P. Richard, Antoniano (Silvio), dans DHGE, III, col. 841-844. 277 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 32-34. 278 Ibid., p. 33, n. 6 et 34. 279 Ibid., p. 34-35. Cinzio était le fils de sa sœur Giulia, mais il avait très tôt été «adopté» par son oncle et se faisait depuis longtemps appeler Aldobrandini. Quant à Pietro, il était le fils du frère aîné du pape, appelé lui aussi Pietro. À ce sujet, voir aussi C. Weber, Genealogien zur Papstgeschichte, I, Stuttgart 1999-2002 (Päpste und Papsttum, 29), p. 31. 274 275
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entrer tous deux au Sacré Collège, mais dans le cadre d’une promotion où figuraient aussi les noms de deux hommes qu’il tenait en haute estime: le jésuite Francisco de Toledo qui, depuis le pontificat de Pie V, habitait le palais apostolique, y jouant discrètement le rôle de « conseiller » papal, et le Napolitain Lucio Sassi, depuis 1590 titulaire de l’importante fonction de dataire et que Clément VIII avait tenu à garder près de lui280. Pietro, de vingt ans le cadet de Cinzio, mais d’un physique ingrat et surtout d’une santé plutôt fragile, ne semblait pas, à première vue, faire le poids face à son vigoureux et flamboyant cousin. Mais le pape se rendit assez vite compte que Pietro était, de ses deux neveux, le plus intelligent, le plus habile, le plus souple et surtout le plus fiable et, à partir de 1594, il n’hésita pas à faire de lui son cardinal-neveu au sens fort du terme, bien que, pour sauver les apparences, il demanda à ce qu’on continue à considérer Cinzio comme étant l’égal de Pietro. Ce qui, à l’époque, ne trompa personne, Cinzio le premier, lequel, désillusionné, finit par se retirer de l’avant-scène, laissant à son jeune cousin et rival le soin d’occuper la première place. Pietro sera, de fait, à partir de 1594, en quelque sorte le « premier ministre » du pape, un « premier ministre » qui, notons-le, ne cherchera d’aucune façon à s’imposer à lui, car il savait à quel point l’oncle tenait à son indépendance, mais qui saura jouer avec doigté et efficacité le rôle de conseiller, d’entremetteur et surtout d’exécuteur des volontés de ce dernier dans tous les domaines où il était appelé à le servir. Clément VIII comprit sans doute au fil des ans à quel point la présence à ses côtés de ce neveu d’exceptionnel talent était providentielle et à quel point, sans lui, certains dossiers particulièrement épineux –– celui de la France, entre autres –– seraient sans doute restés sans solution ou, du moins sans solution satisfaisante ou acceptable. Dès lors, rien d’étonnant à ce que le pape ait fait de ce jeune et talentueux neveu le premier personnage de sa cour et l’ait comblé de titres, d’honneurs et de bénéfices à l’avenant. Les contemporains, y compris le premier intéressé, n’en attendaient pas moins de sa part281. Sans doute fut-on un peu plus surpris, dans certains cercles du moins, des faveurs que le pape fit pleuvoir sur plusieurs autres membres de sa famille, en particulier son lointain cousin Gian Francesco (1545-1601), marié à sa nièce Olympia, sœur du cardinal Pietro, à qui il confiera dans un premier temps la charge de gouverneur du Borgo, puis successivement celles de commandant de la garde pontificale, de châtelain du Château Saint-Ange et de général de l’Église, charges qui en 1598 rapportaient à l’intéressé 60 000 écus l’an; puis, surtout, le fils aîné de ce même Gian Francesco, Silvestro, favori du pape, que ce dernier fera cardinal en 1603, alors que le 280 281
Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 35-36. Ibid., p. 36-41.
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jeune homme en question n’avait que quatorze ans282. Manifestement le népotisme avait ses raisons que la raison ne connaissait pas, même chez un Clément VIII qui, n’eût-il été pape, aurait été le premier à dénoncer une telle façon de faire qui cadrait d’ailleurs mal avec le personnage qu’il avait été et la vie simple, modeste, austère même qu’en privé il menait. Chose certaine, en cela, il était beaucoup plus l’émule d’un Sixte V que d’un Pie V. Cette « faiblesse » qui lui sera d’ailleurs reprochée de son vivant283 ne doit toutefois pas servir à masquer ou faire oublier l’ensemble de son œuvre, une œuvre à plus d’un titre remarquable. Certes, ses réalisations « monumentales » ne se comparent-elles pas à celles d’un Sixte V. Mise à part la construction de la villa Aldobrandini à Frascati, son lieu de repos préféré, il n’entreprendra rien de vraiment neuf, se limitant pour l’essentiel à compléter au Vatican, au Quirinal, à Saint-Pierre et à Saint-Jean du Latran les importants travaux qu’y avaient entrepris les papes Boncompagni et Peretti284. On peut en dire autant de ses initiatives dans le domaine culturel. Sans doute prit-il sous sa protection le poète Torquato Tasso, s’intéressa-t-il à l’œuvre du certains savants ou érudits, entre autres les oratoriens Francesco Maria Tarugi et Cesare Baronio, les jésuites Francisco de Toledo et Robert Bellarmin qu’il fera d’ailleurs tous quatre entrer au Sacré Collège, sans compter l’appui, financier au besoin, qu’il accorda à diverses reprises à la Bibliothèque et aux toutes jeunes Presses du Vatican ou encore à la Sapienza285. Mais il n’y avait en tout cela rien qui fût vrament à la hauteur de ce qu’avaient accompli dans le domaine nombre de ses prédécesseurs. Les points forts de l’œuvre de Clément VIII doivent être recherchés ailleurs. Et, tout d’abord, dans la sphère politique où, s’inspirant de l’exemple des papes post-tridentins, il s’efforça de reprendre le terrain perdu en Suède, en Angleterre, en Allemagne et en Pologne notamment, tout en travaillant d’autre part au rapprochement des puissances catholiques en vue de les unir, comme autrefois Pie V, contre la menace turque. Comme ses devanciers, il devra se contenter de résultats ne répondant que très imparfaitement à ses attentes: échec total dans le cas de la Suède et de l’Angleterre, dans le cas de la croisade également; succès mitigés ailleurs286, 282 Ibid., p. 41-42. Sur le népotisme de Clément VIII, voir aussi K. Jaitner, Il nepotismo del Papa Clemente VIII (1592-1605): il dramma del cardinale Cinzio Aldobrandini, dans Archivio Storico Italiano, 146 (1988), p. 57-93. 283 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 44. 284 Ibid., p. 657-673. Sur la villa Aldobrandini, Ibid., p. 677-681. En ce qui concerne les travaux exécutés dans le palais du Vatican, voir également Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico I,, p. 22, 78, 169-171, 189. 285 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 637-647, 649. 286 Sur les efforts en vue de la croisade, Ibid., p. 197-225, 401-405; sur les interventions en Allemagne et dans l’Empire, Ibid., p. 230-291; en Angleterre, p. 352-363; en Suède, p. 379-400; en Pologne, p. 404-421.
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bien que, force est de le reconnaître, la réconciliation avec Henri IV et la signature de la paix de Vervins méritaient à l’époque et méritent encore aujourd’hui d’être considérées comme des victoires, et des victoires dont Clément VIII pouvait à juste titre se féliciter. On peut en dire autant de l’action vigoureuse et efficace qu’à l’exemple de Sixte V, il engagea dans ses propres États contre le fléau du banditisme287. Cela dit, l’œuvre de Clément VIII se distingue surtout par sa forte imprégnation religieuse, pour ne pas dire pastorale, même si cette dimension de son œuvre est encore aujourd’hui imparfaitement connue288. Nous avons évoqué plus haut son implication dans la célèbre querelle De auxiliis opposant jésuites et dominicains, mais cela n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’intérêt qu’il portait aux questions doctrinales, comme le montre bien d’ailleurs l’assiduité avec laquelle il participait aux réunions hebdomadaires du tribunal de l’Inquisition289. Il y avait indéniablement chez lui, en lien peut-être avec son naturel anxieux, voire scrupuleux, une certaine propension à la rigueur, à la sévérité en matière aussi bien de foi que de mœurs. On s’en rendait bien compte chaque fois qu’arrivait le moment de procéder à des nominations d’évêques290. Cette même sévérité qui n’était pas sans rappeler celle d’un Pie V, on la retrouve d’ailleurs durant la visite pastorale qu’il fit lui-même de son diocèse de 1592 à 1600 et de 1602 à 1603, passant d’une église, d’une paroisse, d’une maison religieuse à l’autre et n’hésitant pas, le cas échéant, à prendre les mesures, à appliquer les sanctions qu’il estimait nécessaires291. Aucun de ses prédécesseurs aux XVe et XVIe siècles n’avait pris à ce point au sérieux son rôle d’évêque de Rome. À noter, à ce propos, qu’il avait un moment songé à supprimer les fêtes du Carnaval, mais, devant l’impossibilité de le faire, avait fortement encouragé les Romains à remplacer cette pratique par celles des Quarante Heures popularisée à l’époque par les jésuites292. Aussi Clément VIII mérite-t-il d’être considéré, à l’égal d’un Pie V, d’un Grégoire XIII et d’un Sixte V, comme un des grands artisans de la réforme catholique et, peut-être, en ce qui concerne son propre diocèse et sa propre ville de Rome, le plus grand de tous. Le spirituel avait manifestement pour le pape Aldobrandini plus d’importance que le temporel. Il ne pourra toutefois pas se désintéresser totalement de ce dernier. Beaucoup moins impliqué que Grégoire XIII et surtout Sixte V dans de grands travaux à Rome et dans les environs de Rome, il ne lui en fallut pas moins porter le poids financier de ses obligations Ibid., p. 592-594. Voir également Polverini Fosi, La società I,, p. 195-219. A. Borromeo, Clemente VIII, dans DBI, 26, p. 273. 289 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 464-476. 290 Ibid., p. 458-459. 291 Ibid., p. 428-432. 292 Ibid., p. 22-23. 287 288
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comme chef d’Église et comme chef d’État, poids d’autant plus lourd que la dette accumulée par ses prédécesseurs et donc le service de cette dette ne lui laissait que très peu de marge de manœuvre. Le « trésor » de Sixte V ne changeait rien à la dure réalité de l’administration au jour le jour et, malgré tous ses efforts pour réduire, d’une part, les dépenses, pour accroître, de l’autre les revenus du Saint-Siège, il n’eut d’autre choix que d’augmenter le capital des Monti existants, d’en créer même de nouveaux –– quatorze au total293 ––, ce qui, dans l’immédiat, permettait de parer au plus pressé, mais, à plus long terme, ne pouvait servir qu’à aggraver une situation financière déjà, à l’époque, désastreuse. Mais, à la décharge de Clément VIII, il faut dire qu’en tout cela, il était beaucoup plus la victime d’erreurs commises avant lui que de ses propres erreurs294. Clément VIII mourut le 3 mars 1605 des suites d’une attaque d’apoplexie survenue trois semaines plus tôt295. Il avait régné un peu plus de treize ans. L’historien Roger Mols porte sur lui un jugement contrasté, ne craignant pas d’affirmer que tout ce qu’il y avait de positif dans son pontificat ne doit pas être mis à son compte mais à celui d’excellents et fort habiles collaborateurs296. Agostino Borromeo, spécialiste de Clément VIII, trouve ce jugement trop sévère même s’il admet avec Roger Mols et Bernard Barbiche, autre excellent connaisseur du pape Aldobrandini et de son époque, qu’il y a effectivement chez Clément VIII et du positif et du négatif, mais que, tout bien considéré, le positif l’emporte. C’est d’ailleurs le sentiment de la plupart des historiens qui se sont intéressés à ce pontificat297. Chose certaine, Clément VIII reste une des figures emblématiques du catholicisme post-tridentin, une figure qui illustre on ne peut mieux le chemin parcouru par la papauté depuis qu’un certain Rodrigue Borgia accéda un siècle plus tôt, sous le nom d’Alexandre VI, au suprême pontificat. Ibid., p. 594-596. Ibid., p. 595. En réaction à la politique fiscale de Sixte V, Clément VIII chercha à réduire les impôts. Il abolit, entre autres, les taxes sur les poids et mesures et sur les peaux et cuirs. Mais il ne put persévérer dans cette voie et dut augmenter certains impôts et en créer d’autres. À ce sujet, voir Delumeau, Vie économique cit., II, p. 839-840. Confronté au même dilemme économique que la plupart de ses prédécesseurs, il se voyait lui aussi obligé de renoncer à son intention initiale d’alléger le fardeau fiscal de ses sujets. Il faut dire qu’il était aux prises avec une dette accumulée de quelque douze millions d’écus héritée de ces mêmes prédécesseurs. 295 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 635. 296 Mols, Clément VIII cit., col. 1295. 297 A. Borromeo, Clemente VIII, dans DBI, 26, col. 279-280; B. Barbiche, Clément VIII, dans DHP, p. 383. Il n’est pas sans intérêt de noter qu’un siècle plus tôt, Leopold Ranke était du même avis. Cf. Histoire de la papauté I,, II, p. 105. 293 294
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*** « Tels papes, telles cours »: telle était la question que nous nous étions posée en tête du précédent chapitre. Sommes-nous maintenant en mesure d’y répondre? Pour une part, oui. En effet, le regard, si rapide soit-il, que nous avons jeté sur les papes du XVIe siècle, individuellement et collectivement pris, et sur l’univers politique, socio-culturel et religieux à l’intérieur duquel ils durent exercer leur pouvoir nous a permis de constater que, même s’ils eurent tous à faire face à certaines contraintes internes aussi bien qu’externes, limitant parfois considérablement leur marge de manœuvre, ils n’en réussirent pas moins pour la plupart à donner à leurs cours un visage correspondant en gros à leurs intérêts, leurs ambitions, mais aussi, déjà à partir du règne de Paul III, leurs convictions religieuses. Même un Marcel II qui régna moins d’un mois réussit à le faire, et avec une radicalité que même les plus sévères de ses successeurs ne jugèrent pas opportun, voire possible d’imiter. De fait, Marcel II et Adrien VI exceptés, tous les papes du XVIe siècle cherchèrent à donner à leurs cours une splendeur, une majesté égales à ce qu’ils estimaient être la sublimité de la fonction qu’ils exerçaient. La conjoncture politique ou économique ne leur permettra pas toujours de le faire comme ils l’auraient souhaité –– on pense ici, entre autres, à un Clément VII ––, mais ils n’en étaient pas moins tous convaincus que c’était là un devoir auquel ils ne pouvaient se soustraire, même si certains d’entre eux: un Pie V, un Grégoire XIII, un Sixte V, entre autres, adopteront en privé un style de vie simple, dépouillé, voire ascétique. Il faut dire que la splendeur, la majesté à laquelle ils visaient leur était en quelque sorte imposée non seulement par des considérations théologiques, politiques ou, comme l’avait suggéré Agostino Steuco, psychologiques, mais également par une longue tradition liturgique et protocolaire sur laquelle veillaient jalousement et méticuleusement, au XVIe siècle en particulier, les cérémoniaires pontificaux. Mais là où les papes de l’époque furent peut-être le mieux à même de modeler leurs cours à leur image et ressemblance, même si, là aussi, ils ne furent pas exempts de contraintes de toutes sortes, est à n’en pas douter au plan du recrutement ou, si l’on préfère, de la composition de ces mêmes cours. Nous aurons dans un prochain chapitre à examiner de plus près cette question, mais ce que nous en savons déjà permet au moins d’affirmer que la pietas, entendue au sens large du terme, joua un rôle primordial dans le recrutement de chacune de ces cours –– parents, clients, compatriotes y jouissant à peu près toujours d’une certaine priorité d’accès ––, mais que comptèrent aussi beaucoup, en ce qui concerne en particulier le choix des proches collaborateurs ou conseillers, les intérêts politiques, économiques, voire artistiques, les ambitions personnelles, puis, à partir
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du règne de Paul III, les convictions religieuses des papes qui se succédèrent de 1492 à 1605 sur le trône de Pierre. Les convictions religieuses: on ne saurait trop insister sur ce facteur-clé de l’évolution de la cour pontificale au XVIe siècle. Car, comme nous l’avons vu au chapitre premier, les appels à la réforme qui avaient retenti dans l’Église depuis l’époque du Grand Schisme d’Occident avaient fini par gagner Rome et, à partir de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, timidement au départ, plus résolument par la suite, avaient convaincu un nombre grandissant de papes de se faire les champions de cette cause et, par voie de conséquence, de veiller à ce que leurs cours soient non plus, comme elles l’avaient trop souvent été dans le passé, objets de scandale et de dérision, mais plutôt objets d’admiration et d’édification. Il y a plus d’un siècle déjà, Leopold Ranke avait fort bien saisi l’importance du rôle joué par ce puissant agent catalyseur. « Si, écrit-il, tous les éléments de la vie et de l’intelligence à cette époque étaient entraînés [...] dans la direction de l’Église, la cour de Rome elle-même, chez laquelle se rencontraient tous ces éléments, devait nécessairement se trouver transformée »298. En cours depuis le pontificat de Paul III, cette transformation se fera surtout sentir à partir des règnes de Paul IV, Pie V et Grégoire XIII. En ce sens, ne pourrait-on pas dire que la cour pontificale est, au XVIe siècle, en quelque sorte le microcosme de ce qui se passe à l’époque dans l’ensemble de l’Église, reflétant et inspirant tout à la fois une dynamique de changement, mieux de « conversion » dont les effets deviendront de plus en plus perceptibles au fur et à mesure que s’imposera à Rome tout d’abord, puis dans le reste de l’Église, le modèle tridentin? C’est là une hypothèse qui peut paraître à première vue hasardeuse, bien qu’elle se situe dans la logique de celle, plus haut évoquée, de Ranke, mais elle nous paraît suffisamment fondée pour être retenue, quitte à lui apporter plus loin les nuances qui pourraient s’avérer nécessaires. Autre facette de la cour ou de la vie de cour qui doit beaucoup à l’initiative des papes de l’époque, de certains d’entre eux en particulier: l’aménagement des lieux où se déroulait cette vie de cour, que ce soit dans sa composante strictement « aulique » ou domestique, ou dans ses composantes politiques et administratives. Rares, en effet, sont les papes du XVIe siècle qui n’ont pas cherché à laisser des traces et, pour certains, des traces imposantes, encore aujourd’hui visibles, de leur passage au Vatican. Les champions en la matière furent, nul doute, un Jules II, un Léon X, un Paul III, un Pie IV, un Grégoire XIII et un Sixte V, mais il ne faudrait pas pour autant négliger l’apport des autres qui, bien que moins entreprenants en ce domaine, cherchèrent tout autant qu’eux à s’entourer de décors et d’ob298
Ranke, Histoire de la papauté cit., II, p. 105.
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jets reflétant leurs ambitions, leurs convictions, leurs goûts, voire leurs caprices personnels. Les architectes et artistes auxquels ils faisaient appel, les types de constructions, d’aménagements, de décoration qu’ils privilégiaient, les programmes iconographiques dont ils s’inspiraient: autant d’indices d’intentions sinon explicites, du moins implicites de marquer de leur personnalité, de leur singularité même, les lieux où par la grâce de Dieu et le bon vouloir de leurs électeurs, ils avaient été appelés à exercer la plus haute et la plus sublime des fonctions. Significatif de ce point de vue le fait qu’ils tenaient en général à ce que leurs noms ou, du moins, leurs armes figurent partout où ils avaient fait exécuter des travaux de quelque importance dans le palais apostolique ou l’une ou l’autre de ses dépendances. Façon comme une autre de rappeler à la postérité ce qu’avait été leur contribution au renforcement du prestige tant spirituel que temporel de la papauté et, par le fait même, de l’Église de Rome, au moment précisément où, nous l’avons vu, cette Église se donnait ou, du moins, cherchait à se donner un visage plus édifiant. Il y avait peut-être à cela une certaine vanité, un certain orgueil même de leur part, mais cet orgueil, si orgueil il y avait, était, il faut le reconnaître, dans bien des cas, fort bien placé. Tels nous apparaissent, pour l’essentiel, la nature des liens unissant les papes du XVIe siècle à leurs cours respectives et l’importance du rôle joué par ces derniers en ce qui concerne aussi bien le recrutement et l’encadrement des individus appelés à servir dans chacune de ces cours que l’aménagement des espaces mis à la disposition de ces mêmes individus et des nombreux hôtes ou visiteurs qui, à l’époque, y étaient reçus. Le moment est venu de nous intéresser à cette cour en tant que telle, c’est-à-dire aux lieux, personnes et activités constituant la complexe et mouvante réalité de cette cour telle qu’elle se présente au XVIe siècle. Ce sera l’objet des quatre prochains chapitres.
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III LES LIEUX DE LA COUR Parmi les définitions que les dictionnaires anciens proposent du mot « cour », on trouve, entre autres, celle-ci figurant habituellement en première place: palais, lieu où habite un roi ou un prince et sa « famille »1. C’est que les auteurs de ces dictionnaires étaient conscients du fait qu’à leur époque, l’ère des cours itinérantes étant bel et bien terminée, tout souverain digne de ce nom se devait d’avoir une résidence permanente capable d’exprimer tout à la fois sa puissance et son prestige en même temps que de lui servir de lieu d’habitation, de représentation et de gouvernement. L’ampleur et la somptuosité de cette résidence variaient bien évidemment d’un souverain à l’autre selon le rang ou la réputation d’un chacun ou encore des ressources dont il disposait. Les papes du XVIe siècle, pour les raisons que nous avons vues, n’entendaient d’aucune façon se laisser sur ce plan distancer par leurs homologues séculiers. Nous avons montré plus haut jusqu’où cela pouvait parfois les conduire. Il nous reste à voir plus en détail comment ils s’acquittèrent de cette tâche et surtout jusqu’à quel point leurs initiatives en ce domaine étaient dictées par des considérations idéologiques, politiques, voire esthétiques ou, tout simplement, pratiques. Sans oublier l’impact que ces interventions de tous genres eurent sur l’ordonnance, le fonctionnement et le style de leurs cours. S’agissant du XVIe siècle, nous nous intéresserons surtout au principal lieu de résidence des papes à l’époque, c’est-à-dire le ou les palais du Vatican2. Mais, comme nous le verrons plus loin dans les chapitres consacrés aux activités de la cour, les papes disposaient à la même époque de nombreux autres lieux de séjour, les uns leur appartenant en propre, les autres mis spontané1 Nous renvoyons ici aux définitions que l’on trouve dans le Vocabulario degli Accademici della Crusca, Venise 1602, p. 230 (« Palazzo de’ Principi »); le Nouveau Dictionnaire François de Pierre Richelet, Cologne 1694, p. 273 («Palais du Prince. Lieu où est le Prince. Lieu où le Souverain fait sa demeure») et le Dictionnaire de Trévoux, II, Paris 1721, col. 310 (« Lieu où habite un roi, ou un Prince Souverain »). 2 En raison des nombreux corps de bâtiment qui forment le vaste complexe résidentiel du Vatican, les plus anciens remontant au XIIIe, voire au XIIe siècle, les plus récents, aux pontificats de Grégoire XIII (1572-1585) et de Sixte V (1585-1590), certains auteurs emploient le pluriel plutôt que le singulier pour désigner ce complexe. Pour des raisons de commodité nous utiliserons ici de préférence le singulier, donc « le » et non « les » palais du Vatican.
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ment ou sur demande à leur disposition. C’est le cas notamment du Château Saint-Ange, du palais de Venise, de la villa Giulia, du futur palais du Quirinal, de la forteresse d’Ostie, du pavillon de chasse de la Magliana, de la villa Mondragone à Frascati, tous lieux qui, à juste titre, pouvaient être considérés, sinon comme des dépendances, du moins comme des extensions de la cour. Nous leur accorderons eux aussi toute l’attention qu’ils méritent. 1. Le Vatican: d’Eugène III à Innocent VIII Même si les papes du XVIe siècle furent, et de loin, ceux qui contribuèrent le plus à donner à leur résidence principale l’aspect qu’elle conserve encore aujourd’hui, il ne faudrait pas pour autant oublier tout ce qu’ils devaient sur ce plan à leurs prédécesseurs et, cela, depuis au moins le XIIe siècle. En effet, c’est au pape Eugène III (1145-1153) que l’on doit la construction au nord de l’ancienne basilique Saint-Pierre, sur une élévation connue à l’époque sous le nom de Mons Saccorum, d’un édifice comprenant une aula ou salle de réception, une loggia et quelques chambres à la disposition du pape et de ses familiers3. Estimant, pour des raisons aussi bien pratiques qu’idéologiques4, ce bâtiment trop exigu et trop modeste, Innocent III (1198-1216) décida de l’agrandir et de le réaménager afin de pouvoir y loger convenablement les services domestiques et administratifs de sa cour et, le cas échéant, être en mesure d’y accueillir avec tout le faste requis des personnages de haut rang5. Un de ses successeurs, le Génois Innocent IV (1243-1254) jugera, pour sa part, nécessaire, pour des raisons probablement de sécurité, d’ajouter à cet ensemble une tour-forteresse dont il comptait faire sa résidence, mais où il n’habita vraisemblablement jamais, ayant dû, comme tant d’autres papes avant et après lui, se résigner à l’exil, dans son cas, un exil de près de neuf ans6 3 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 13, 31. D. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani, Bologne 1967, p. 21. A. Paravicini Bagliani, La cour des papes au XIIIe siècle, Paris 1995, p. 15. 4 Paravicini Bagliani croit que la décision d’Innocent III, comme celle d’Eugène III avant lui, n’était pas étrangère à une prise de conscience de la part des papes de l’époque du double rôle qu’ils se devaient d’exercer, tout d’abord comme évêques de Rome, puis comme chefs de l’Église universelle. Si le Latran symbolisait parfaitement le premier de ces rôles, il fallait lui trouver un pendant capable d’en faire autant pour le second et ce pendant ne pouvait être que le Vatican où était précieusement conservé le corps de Pierre, «prince» des Apôtres. D’où le besoin de disposer en ce deuxième lieu d’un complexe résidentiel à même de rivaliser avec celui du Latran. Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 15-16. 5 Ibid., p. 19-20. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 22-25. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit, p. 13, 31. 6 Ibid., p. 31-33. Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 20-21. Redig de Campos attribue à Innocent III la construction de la tour en question, mais à la lumière de recherches archéologiques récentes, l’hypothèse de Pietrangeli et de ses collègues, tout comme celle de Paravicini Bagliani, paraît mieux fondée.
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La construction de cette tour montre à quel point l’accent était mis à l’époque –– il continuera d’ailleurs de l’être par la suite et, cela, pratiquement jusqu’au XVIe siècle –– sur les éléments permettant d’assurer la défense du palais pontifical. Depuis la chute de l’Empire d’Occident, Rome avait été maintes fois l’objet de violences de toutes sortes et on comprend que les papes du temps aient eu à cœur de se mettre à l’abri de menaces ou d’exactions venant aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Ce n’est pas pour rien que, déjà au IXe siècle, Léon IV (847-855) avait ceint de murs la zone entourant l’ancienne basilique Saint-Pierre, c’est-à-dire la future Cité léonine, assurant par le fait même à ses successeurs un lieu de refuge plus sûr que celui du Latran où depuis le pontificat de Sylvestre Ier (314-335) ils avaient élu domicile7. Dès lors, on comprend qu’un Eugène III, plus tard un Innocent III et un Innocent IV aient choisi de s’offrir à l’intérieur de cette zone protégée une sorte de résidence-bis pouvant leur servir tout à la fois de lieu de refuge ou, tout simplement, d’alternative au Latran, ce dernier gardant –– il le gardera jusqu’au XVe siècle –– le titre de résidence officielle des papes8. Il faut attendre le pontificat de Nicolas III (1277-1280), soit plus de trente ans après la construction de la tour-forteresse plus haut mentionnée, pour que de nouvelles modifications soient apportées au palais du XIIe siècle. C’est qu’entre-temps les successeurs d’Innocent IV avaient presque tous été obligés de vivre à l’extérieur de Rome9. Issu du clan Orsini, Nicolas III avait sur eux l’avantage de disposer d’importants atouts politiques, voire militaires, tels l’accès au Château Saint-Ange, propriété depuis un certain nombre d’années de sa famille, le contrôle de la basilique et du chapitre de Saint-Pierre, contrôle qu’il devait, là encore, aux siens, puis, surtout, la protection que ces derniers, puissamment installés sur les hauteurs de Monte Giordano, face au Vatican, étaient à même de lui assurer10. Il décida donc de faire du palais de Monte Sacco sa résidence habituelle, mais non sans lui avoir fait subir au préalable d’importantes transformations visant, d’une part, à intégrer les divers éléments existants en un tout plus cohérent, de l’autre, à leur apporter les compléments qu’il estimait nécessaires. Les avis sont partagés quant à l’étendue de ces transformations. De l’époque d’Innocent III, il n’aurait, semble-t-il, conservé intacte que l’aile occidentale abritant au premier étage une salle d’apparat dite aula prima 7 Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 15. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 13, 31, 255. Sur le Latran, résidence officielle de la papauté et sur les problèmes que posait la défense du palais en question, voir Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 9-13, 22, 27-28 et passim. 8 Ibid., p. 28. 9 Ibid., p. 21. 10 Ibid., p. 22.
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(la future Sala Regia) et au rez-de-chaussée un grand espace ayant probablement servi jusque-là d’écurie. Il aurait, d’autre part, agrandi et considérablement transformé l’aile voisine, y aménageant ou réaménageant au premier étage deux autres salles (aula secunda et tertia) appelées à former plus tard la Sala Ducale. Il aurait en plus inséré au point de jonction de l’aula prima et de l’aula secunda une chapelle dédiée à saint Nicolas (Capella parva S. Nicolai) qui sera détruite au temps de Paul III pour faire place à la chapelle Pauline. Là où il innova le plus –– et, sur ce point, les avis sont unanimes –– fut du côté est du palais où il édifia une toute nouvelle aile orientée du sud au nord, comportant, à cause de la déclivité du sol, un étage de plus que le corps de bâtiment voisin et incorporant au passage la tour-forteresse d’Innocent IV. Cette dernière servit, entre autres, à abriter les appartements privés du pape, y compris une chapelle « secrète » (Capella Niccolina) décorée un siècle et demi lus tard par Fra Angelico et qu’on peut encore aujourd’hui admirer. La nouvelle aile comprenait en outre, au deuxième étage, deux salles, l’une correspondant à la future Sala Vecchia dei Svizzeri, l’autre à celle dite del Pappagallo (plus tard, dei Chiaroscuri ou dei Palafrenieri), toutes deux munies de fenêtres donnant à l’est sur un jardin (viridarium) situé dans l’actuelle cour Saint-Damase. À ce même étage, côté ouest, se trouvait une plus petite pièce qui sera utilisée au XVe siècle par Nicolas V comme studiolo et, au siècle suivant, par Jules II comme chambre à coucher11. Quant au premier étage, il abritait, côté est, deux salles dites plus tard dei Paramenti, puis, côté ouest, deux pièces qui deviendront éventuellement, l’une, la salle della Falda, l’autre, la chambre à coucher de Nicolas V. Le rez-de-chaussée, pour sa part, était constitué d’au moins deux espaces dont l’un servit peut-être à l’époque de magasin à blé (granaio), l’autre, accueillera à un certain moment une cuisine, dite cuisine diplomatique (cucina diplomatica). À tout cela, il faut ajouter l’imposant portique dont Nicolas III munit la façade est du nouveau corps de bâtiment et les escaliers qu’il fit par ailleurs construire en vue de faciliter l’accès soit à Saint-Pierre, soit à la nouvelle aile du palais12. Tout en conservant son allure de forteresse –– Nicolas III avait même, semble-t-il, prévu de le munir de quatre tours additionnelles13 –– le palais hérité d’Eugène III, Innocent III et Innocent IV pouvait désormais être considéré comme une demeure princière en termes aussi bien de répartition que d’aménagement des lieux. Mais là ne s’arrêtèrent pas les efforts du pape Orsini en vue de rendre le palais de Monte Sacco tout à la fois plus accueillant et plus imposant. S’inspirant de l’exemple de son prédécesseur Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 34. Ibid., p. 32-24. Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 23. 13 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 14. 11 12
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Innocent IV, il se porta acquéreur d’un certain nombre de terrains voisins du palais pontifical et s’en servit, entre autres, pour créer un agréable jardin (pomerium) où alternaient vignes, arbres fruitiers, herbes et plantes potagères, jardin qui s’étendait du Monte Sacco au Monte Sant’Egidio où, à la fin du XVe siècle, Innocent VIII édifiera son célèbre palazzetto, dit du Belvédère. Mieux: s’inspirant cette fois de l’exemple des princes laïques de son temps, il décida d’ajouter au charme et au prestige de ce jardin en l’agrémentant de la présence d’un certain nombre d’animaux exotiques14. Ces divers aménagements semblent avoir plu aux successeurs de Nicolas III qui, malgré leurs réticences à s’installer comme lui en permanence au Vatican, n’en furent pas moins nombreux à y faire d’assez longs et fréquents séjours, en particulier Boniface VIII à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle15. On a longtemps pensé que ce dernier était à l’origine du prolongement vers le nord de la nouvelle aile de Nicolas III, mais des études récentes montrent que cette initiative reviendrait plutôt à Urbain V (1362-1370), avant-dernier pape avignonnais, qui, on le sait, cherchait à l’époque à réintégrer Rome. Le nouveau corps de bâtiment qui s’étendait jusqu’à l’actuelle cour du Belvédère comprenait au second étage une grande salle appelée plus tard de Constantin, au premier, une autre salle d’égale dimension, connue aujourd’hui sous le nom de salle des Pontifes (Sala dei Pontifici) et, au rez-de-chaussée, quatre espaces de dimensions variables dont deux, donnant sur la cour Saint-Damase, serviront un siècle plus tard, à loger une partie de la bibliothèque de Sixte IV. À cause d’une déclivité prononcée du terrain, l’édifice en question s’étalait sur quatre niveaux, un de plus que l’aile voisine, et reposait, côté nord, sur d’imposantes fondations, d’ailleurs renforcées par toute une série de puissants contreforts. Une tour d’angle massive complétait le tout, destinée sans doute à faciliter l’accès aux divers niveaux du palais, un palais qui manifestement prenait de plus en plus d’ampleur, en réponse peut-être à des besoins d’espace nouveaux. Du pontificat d’Urbain V également, et non de celui d’Innocent III, comme a eu longtemps tendance à le croire, daterait la construction à l’ouest de la future Sala Regia d’une grande chapelle (capella magna), ancêtre de la Sixtine16. Le palais ne subira pas d’autre modification d’importance jusqu’au pontificat de Nicolas V, soixante-dix ans plus tard. Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 24-27. Ibid., p. 24. 16 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 36-37. Ces hypothèses paraissent mieux fondées que celles d’un Redig de Campos qui attribue la construction du prolongement vers le nord de l’aile de Nicolas III à Boniface VIII et celle de la Chapelle palatine (Cappella magna), ancêtre de la Sixtine, à Nicolas III. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 28, 41, 64. 14
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Grâce à Nicolas III, l’alternance entre le Vatican et le Latran était devenu au début du XIVe siècle, pour ainsi dire, pratique commune, même si le Latran restait, en raison de son ancienneté et de son prestige, le siège privilégié de l’autorité papale. L’exil d’Avignon (1308-1378) va obliger la papauté à se doter d’une troisième résidence qui aura, à un certain moment, toutes les apparences d’une demeure permanente17. Rentré à Rome vers la fin de son règne, Grégoire XI (1370-1378) peu attiré par le Latran qui, depuis le départ de la papauté pour Avignon, avait été victime de deux incendies (1308, 1361) et d’un tremblement de terre (1348), fit du Vatican sa résidence principale18. C’est d’ailleurs là qu’aura lieu le conclave conduisant à l’élection de son successeur Urbain VI (1378-1389), premier pape italien depuis l’exil d’Avignon, élection qui, on le sait, sera quelques mois plus tard désavouée par une majorité de cardinaux et conduira éventuellement au Grand Schisme d’Occident (1378-1417). L’élection de Martin V (1417-1431) et, par le fait même, la fin du schisme en question, pouvait laisser croire que le palais du Vatican serait à nouveau appelé à servir de résidence principale au pape et à sa cour. De fait, ni Martin V ni son successeur immédiat, le Vénitien Eugène IV (1431-1447) ne firent ce choix, préférant plutôt, l’un et l’autre, pour des raisons de sécurité sans doute, s’installer, le premier au palais Colonna, propriété familiale, le second, à San Lorenzo in Damaso, et encore, Martin V attendit-il jusqu’à 1420 pour rentrer à Rome et Eugène IV, pour sa part, fut-il absent de la ville de 1434 à 1443. Aussi estce à Nicolas V (1447-1455) que revient l’honneur d’avoir réintégré le Vatican et surtout de s’être attelé à la tâche de faire du palais de Nicolas III et de la basilique voisine le point d’ancrage d’une Rome nouvelle qui, dans son esprit, se distinguerait nettement de l’ancienne et incarnerait, face à elle, le nouveau siège d’une papauté que les circonstances appelaient à jouer à nouveau un rôle à la hauteur de sa mission tout à la fois spirituelle et temporelle. Homme de la Renaissance, Nicolas V souhaitait en particulier faire de la Rome pontificale, non seulement la parfaite illustration d’un pouvoir et d’un prestige retrouvés, mais en même temps, en bon humaniste qu’il était, le reflet des idéaux esthétiques et littéraires chers à son époque. Il ne put réaliser le vaste plan qu’avec l’aide, entre autres, d’un Leon Battista Alberti (1404-1472), il avait conçu dès les premières années de son règne, mais, du moins, eut17 La référence essentielle ici est B. Guillemain, La cour pontificale d’Avignon (1309-1376). Étude d’une société, Paris 1962. Mais voir aussi, pour ce qui est du palais comme tel, L. H. Labande. Le Palais des papes et les monuments d’Avignon au XIVe siècle, 2 vol. Aix-Marseille 1925. 18 Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 28.
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il le temps d’en tracer certaines grandes lignes qui serviront plus tard de repères aux plus entreprenants de ses successeurs19. Ainsi jugea-t-il indispensable –– conscient lui aussi des dangers auxquels la papauté restait exposé –– de poursuivre les travaux de fortification de la Cité léonine en cours depuis le IXe siècle, ajoutant pour ce faire, tout d’abord, près de l’actuelle porte Sainte-Anne, une tour massive de quelque 60 mètres, puis, à proximité de la porte Cavaleggeri, une seconde tour, de dimensions plus modestes celle-là, tout en reconstruisant ou prolongeant par ailleurs ce qui restait de l’enceinte léonienne et d’un certain nombre d’autres ouvrages de défense érigés après coup, notamment par Innocent III et Nicolas III. Pour ce qui est du palais apostolique, il fit ajouter à l’extrémité du corps de bâtiment édifié par Urbain V, et à angle droit avec celui-ci, une nouvelle aile orientée vers l’ouest et comprenant, comme celle d’Urbain V, quatre niveaux, soit un sous-sol, un rez-de-chaussée qui servira lui aussi plus tard à loger la bibliothèque de Sixte IV, puis deux étages, le premier correspondant au futur appartement Borgia, le second, aux « stances » qu’allait au début du siècle suivant décorer Raphaël. Il intervint également dans la partie ancienne du palais, interventions dont on trouve encore aujourd’hui des traces, en particulier les remarquables fresques qu’il fit exécuter par Fra Angelico dans la chapelle « secrète » du palais (Capella Niccolina)20. C’est également à lui que l’on doit les premiers travaux d’envergure au Château Saint-Ange en vue de faire de cet ancien mausolée impérial une sorte d’extension du palais pontifical pouvant, en cas de danger, servir d’ultime lieu de refuge. Nicolas V dut, par contre, laisser à ses successeurs la réalisation des deux autres grands rêves qui l’habitaient, soit la construction d’une nouvelle basilique Saint-Pierre mieux adaptée au rôle qu’il entendait faire jouer à ce vénérable monument qu’Innocent III n’avait pas craint de baptiser « mère des églises » (Mater ecclesiarum) et, 19 Insolera, Roma cit., p. 24-28. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 14, 36-38. L’ouvrage essentiel sur Nicolas V comme constructeur reste: C. W. Westfall, In this most Perfect Paradise. Alberti, Nicolas and the Invention of Conscious Urban Planning in Rome, 1447-1455, University Park (Pennsylvanie) 1974. Voir aussi M. Tafuri, Cives esse non licere. La Roma di Niccoló V e Leon Battista Alberti: elementi per una revisione storiografica, introd. à l’édition italienne de l’ouvrage de Westfall (Rome 1984), p. 13-39. Tout en reconnaissant le rôle irremplaçable joué par Nicolas V comme concepteur d’une Rome nouvelle, on doit toutefois se demander, en ce qui concerne le Vatican, s’il entendait vraiment tout reprendre à neuf comme semblent le suggérer les plans attribués à Leon Battista Alberti. Pour ce qui est de la basilique, force est de répondre par l’affirmative. Pour ce qui est, par contre, du palais, les choses ne sont pas aussi claires: les quelques travaux que Nicolas V y entreprendra vont plutôt dans le sens d’un réaménagement, au besoin d’un agrandissement, de l’édifice existant, non d’une reconstruction ab ovo. Fait significatif, c’est ce même choix que fera plus tard Jules II, celui des papes du XVIe siècle qui fut peut-être le plus sensible à la vision grandiose de Nicolas V. 20 Ibid., p. 51-52.
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en parallèle, l’aménagement du Borgo San Pietro dont il souhaitait faire le quartier par excellence des « curialistes » et autres « habitués » de la cour pontificale21. Calixte III (1454-1458) et Pie II (1458-1464) laissèrent assez peu de traces de leur passage au Vatican. Si, comme certains spécialistes le prétendent, on doit à Paul II (1464-1471) l’ajout de l’aile fermant côté ouest le Cortile del Pappagallo22, force, par contre, est de constater que ce même pape, imitant en cela Martin V, vécut plutôt dans le palais que comme cardinal il s’était fait construire près de l’église Saint-Marc, église que, d’ailleurs, une fois élu, il n’hésita pas à doter d’une loggia de bénédiction digne de celle de Saint-Pierre23. Il faut de fait attendre Sixte IV (1471-1484) pour voir réactiver de façon significative le chantier ouvert une vingtaine d’années plus tôt par Nicolas V. Francesco della Rovere aura l’immense mérite, d’une part, de loger convenablement et ainsi mettre en valeur l’importante collection de manuscrits hérités de ses prédécesseurs et, d’autre part, de remplacer la chapelle palatine (capella magna) datant probablement du pontificat d’Urbain V par un édifice plus imposant et surtout plus conforme aux nouveaux canons esthétiques du temps, édifice qui porte encore aujourd’hui et, à juste titre, son nom. Pour ce qui est des manuscrits, il fut décidé –– nous y avons fait allusion plus haut –– de les regrouper au rez-de-chaussée du corps de bâtiment attribué à Urbain V, plus tard agrandi par Nicolas V, dans des locaux donnant, d’un côté, sur la cour Saint-Damase, de l’autre, sur le Cortile del Pappagallo. Pour ce faire, on procéda à l’aménagement de quatre salles, l’une, la plus grande, réservée aux manuscrits latins (bibliotheca latina), une seconde, plus petite, affectée aux manuscrits grecs (bibliotheca greca), une troisième regroupant les manuscrits considérés comme les plus précieux (bibliotheca secreta) et la quatrième donnant sur la cour Saint-Damase, affectée aux registres pontificaux (bibliotheca pontificum). La réalisation de ce projet fut confiée à l’humaniste Platina (1421-1481), nommé en 1475 préfet de la bibliothèque, qui fit appel à divers artistes dont Melozzo da Forlì (1438-1494) pour la décoration des espaces en question. La fresque peinte par ce dernier, aujourd’hui conservée dans la pinacothèque du Vatican, rend bien le caractère faste de cette réalisation, la fierté qu’en tiraient un Platina et 21 Insolera, Roma cit., p. 28. Sur le Château Saint-Ange, bonne vue d’ensemble dans M. Borgatti, Castel S. Angelo in Roma, Rome 1931 et C. D’Onofrio, Castel S. Angelo, Rome 1971. Pour la période qui nous intéresse, voir aussi P. Portoghesi, Roma nel Rinascimento, II, Milan 1971, p. 420-423. 22 Insolera, Roma cit., p. 29-31. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 14, 37-38. 23 Insolera, Roma cit., p. 31, 34.
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un Sixte IV de même que l’admiration, voire l’envie qu’ils espéraient sans doute susciter parmi la gent humaniste de l’époque24. Dans le cas de la Chapelle Sixtine, construite entre 1473 et 1477 sur le site de la chapelle d’Urbain V dont elle conservera d’ailleurs divers éléments, décorée à partir de 1482 par certains des meilleurs artistes du temps, inaugurée une année plus tard par le pape lui-même, on est devant un projet de toute autre envergure et surtout de toute autre portée, même si l’on y retrouve des éléments propres à susciter eux aussi l’admiration des humanistes et artistes du temps. Destinée à des fonctions d’abord et avant tout liturgiques, la Sixtine se devait en effet de refléter le caractère particulier de ces fonctions en même temps qu’illustrer le caractère tout aussi particulier, pour ne pas dire unique de celui par qui ou en présence de qui ces fonctions devaient normalement être assurées. Sans doute la réputation de la Sixtine est-elle aujourd’hui liée au nom de celui qui fut sans conteste un des plus grands, sinon le plus grand artiste de la Renaissance: Michel-Ange, mais cela ne saurait en rien servir à occulter le fait que c’est à Sixte IV que revient le mérite d’avoir créé cet espace hors du commun et d’en avoir fait, de son vivant déjà, un lieu prisé et admiré tant pour son parti architectural que pour sa richesse iconographique. Chose certaine, de tous les ajouts faits ou de toutes les améliorations apportées au palais du Vatican aux XVe et XVIe siècles, peu seront en mesure de rivaliser avec la Sixtine, ne fût-ce qu’à titre de lieu privilégié de rassemblement liturgique autour de la personne du pape. À noter toutefois que Sixte IV avait profité de l’occasion pour aménager au-dessus de la voûte de la chapelle un grand espace pouvant être utilisé en cas de nécessité pour loger soldats, armes et munitions et que, par ailleurs, il avait fait disposer au sommet de l’édifice une bordure faite de créneaux soutenus par des pierres en saillie qui donnaient à l’ensemble une allure incontestablement militaire25. Le sentiment d’insécurité, de toute évidence, n’était pas près de disparaître à Rome. Il appartiendra à son successeur immédiat, Innocent VIII (1484-1492) de munir la Sixtine d’une sacristie adossée à la façade ouest de la cha24 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 14-15. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 57-63. Pour plus de détails, voir E. Muntz ˗ P. Fabre, La Bibliothèque du Vatican au XVe siècle d’après des documents inédits, Paris 1887; J. Bignami Odier, La Bibliothèque Vaticane de Sixte IV à Pie XI, Cité du Vatican 1973, p. 20-25. Sur le rôle joué par Sixte IV, voir J. Ruysschaert, Sixte IV, fondateur de la Bibliothèque Vaticane, dans AHP, 7 (1969), p. 513-524. 25 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 15, 52-55. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 45-52. Parmi les artistes qui travaillèrent sous Sixte IV à la décoration de la Sixtine méritent d’être mentionnés les noms d’un Pietro Perugino (1450-1523), d’un Sandro Botticelli (1445-1510), d’un Domenico Ghirlandaio (1449-1494), d’un Luca Signorelli (1445-1523) et d’un Cosimo Rosselli (1439-1507). Sur cette décoration comme telle, voir J. Shearman, La costruzione della Cappella e la prima decorazione al tempo di Sisto IV dans La Cappella Sistina. I Primi restauri: la scoperta del colore, Novara 1986, p. 22-88.
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pelle, sacristie comprenant trois étages dont l’un, le dernier, servant à loger le sacriste et ses aides26. Mais la contribution majeure d’Innocent VIII à l’embellissement du palais devenu depuis Nicolas V résidence officielle de la papauté fut la construction au sommet du Monte Sant’Egidio, connu désormais sous le nom de Belvédère, d’une villetta, au départ simple abri où le pape pouvait s’arrêter et se reposer au cours de ses fréquentes promenades dans le grand jardin s’étendant au nord du palais pontifical, abri plus tard transformé en une élégante résidence estivale comportant loggia, chambres et chapelle, cette dernière décorée par Andrea Mantegna (1431-1506), tout le reste étant l’œuvre de Pinturicchio (1454-1513) et de ses disciples. Par le fait même et peut-être sans trop s’en rendre compte, Innocent VIII préparait l’inclusion du pomerium de Nicolas III dans le grand complexe résidentiel dont avait rêvé Nicolas V et que s’apprêtaient à réaliser les papes du XVIe siècle. Ajoutons que ces derniers auront aussi à cœur de constamment embellir, au besoin agrandir la villa innocentienne –– cela sera particulièrement vrai de Jules II et de Pie IV –– et que plusieurs d’entre eux en feront un de leurs lieux de « retraite » favori, preuve s’il en était besoin de l’immense attrait qu’exerçait sur tous ces hommes l’édifice en question27. 2. Le Vatican: d’Alexandre VI à Clément VIII Avec Alexandre VI (1492-1503) va commencer à s’écrire une nouvelle page de l’histoire du palais apostolique. Bien qu’il fût en réalité un homme du XVe siècle avec des préoccupations qui, en général, restaient celles de ses prédécesseurs immédiats, il avait été suffisamment touché par l’esprit de la Renaissance pour que cela l’amène à faire certains choix qui ne seront pas sans affecter le type d’interventions qu’il se permettra, au Vatican notamment. Signalons, tout d’abord, les deux très importantes initiatives 26 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 15. Portoghesi, Roma cit., II, p. 417. Redig Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 78-79. Cette sacristie fera l’objet de divers réaménagements, mineurs sous Jules II et Jules III (Ibid., p. 103-104, 140), beaucoup plus importants sous Grégoire XIII et Clément VIII (Ibid., p. 178-179, 198-199). Grégoire XIII fera construire une annexe comprenant un certain nombre de chambres et une petite chapelle; Clément VIII, quelques chambres additionnelles, un vestibule et un escalier à vis. 27 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 237. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 70-78. D. R. Coffin, The Villa in the Life of Renaissance Rome, Princeton 1979, p. 69-81. Tous ces auteurs, Coffin en particulier, montrent à quel point cette initiative d’Innocent VIII fut appréciée de ses successeurs, en particulier d’un Jules II, d’un Léon X, d’un Clément VII, d’un Paul III, d’un Jules III, voire d’un Paul IV qui, tous, firent un libéral usage de ce lieu privilégié, y cherchant tour à tour refuge, repos ou divertissement, assez souvent entouré d’hôtes de prestige ou accompagnés d’intimes ou de proches. À ce sujet, voir surtout D. R. Coffin, The Villa cit., p. 81-86.
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prises par lui, l’une au palais pontifical comme tel, l’autre au Château SaintAnge, initiatives toutes deux de nature incontestablement militaire. En ce qui concerne le Château Saint-Ange, contentons-nous, pour le moment, d’évoquer les gigantesques travaux qu’il y fit entreprendre sous la gouverne de l’architecte Antonio da Sangallo l’Ancien (1455-1534) en vue de compléter ceux amorcés un demi-siècle plus tôt par Nicolas V et ainsi réaliser l’ambition de ce dernier de mettre à la disposition de ses successeurs une forteresse digne de ce nom, et, surtout, une forteresse rapidement accessible à partir de la résidence pontificale. Notons à ce propos qu’Alexandre VI restaura et améliora considérablement l’ancien corridor qui courait du Vatican au mausolée d’Adrien. On constate sans surprise que la plupart de ces travaux furent réalisés au lendemain de l’occupation de Rome par Charles VIII en 1495, occupation qui avait eu un effet de choc sur le pape Borgia et lui avait fait prendre conscience du mauvais état de défense de la ville et surtout du Vatican. Pour ce qui est du palais pontifical comme tel, Alexandre VI fera édifier entre 1492 et 1494 à l’extrémité nord-ouest du palais une tour de 36 mètres connue par la suite sous le nom de tour Borgia qui, s’ajoutant à celles construites à divers moments par ses prédécesseurs, permettra de compléter le projet initial de château fortifié conçu par Nicolas III et, jusqu’à un certain point, repris par Nicolas V. Mais cette tour, il importe de le souligner, n’avait pas qu’une vocation militaire, car elle servira à abriter, en partie du moins, le célèbre appartement Borgia décoré, entre autres, par Pinturicchio, celui-là même qu’Innocent VIII avait, quelques années plus tôt, fait travailler au Belvédère. Sans compter qu’elle comportait, par ailleurs, au deuxième étage, à la hauteur des futures « stances » de Raphaël, un élégant loggiato qui faisait plus « palais » que « forteresse »28. Alexandre VI se situe, de toute évidence, au point d’intersection ou de rencontre de deux concepts d’architecture palatine, l’un privilégiant la vocation « défensive », l’autre la vocation « résidentielle », l’un tourné plutôt vers le passé, l’autre, vers l’avenir. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, eu égard à la réputation de pape « guerrier » qui fut à l’époque et est encore aujourd’hui la sienne, c’est à Jules II (1503-1513) qu’il appartiendra de mettre fin à ce dilemme en privilégiant, et de façon décisive, la seconde de ces vocations. En effet, même s’il ne décida pas, comme il le fera pour la basilique Saint-Pierre, de tout reprendre a capo, Giuliano della Rovere n’en fit pas moins subir au complexe résidentiel du Vatican d’importants changements qui sans doute ne reniaient pas le passé, mais n’en pointaient pas moins résolument vers l’avenir.
si,
28 Insolera, Roma cit., p. 45-46. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 41-52. PortogheRoma cit., p. 417. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 15, 90-93.
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Côté architectural, il confia très tôt à Bramante (1444-1514) qu’il connaissait déjà et dont il partageait d’ailleurs les vues « mégalomanes » le soin de rendre la résidence pontificale tout à la fois plus élégante et plus commode et surtout de la relier au palazzetto d’Innocent VIII afin de permettre au palais apostolique de s’ouvrir à des possibilités nouvelles d’ordre aussi bien ludique qu’artistique, comme en témoignent la fête des « taureaux » (festa taurorum) organisée en 1509 dans la partie basse du Belvédère, et la Cour des Statues (Cortile delle Statue) aménagée trois années plus tôt dans la partie haute de ce même Belvédère29. Bramante se lança dans ce double projet, comme dans celui de la basilique Saint-Pierre d’ailleurs, avec un enthousiasme qui n’avait d’égal que celui de son commanditaire, le pape. Se servant d’éléments déjà existants et les complétant d’un certain nombre d’autres de son cru, il habilla à neuf la façade est du palais de Nicolas III, tout d’abord en allongeant de 22 mètres le portique qui s’y trouvait déjà, d’autre part, en coiffant ce dernier de deux étages de galeries ou loggias, fournissant par le fait même au pape un magnifique observatoire d’où embrasser du regard l’ensemble de la ville, y compris, en premier plan, la fière et rassurante silhouette du Château Saint-Ange. Il fit, par ailleurs, démolir une partie de l’édifice existant entre la future cour Saint-Damase et la cour dite del Maresciallo et utilisa cet espace pour insérer un escalier à rampe (a cordonata) permettant d’accéder commodément, y compris à cheval, aux étages supérieurs du palais. Fait significatif, à la demande expresse de Jules II, il remplaça entre 1509 et 1511 la bordure crénelée chapeautant la tour Borgia par une coupole octogonale en bois en vue probablement d’atténuer l’aspect militaire de ladite tour, puis fit subir le même sort à la façade nord du palais qu’il agrémenta d’un élégant balcon. À noter que Léon X et Pie IV s’inspireront plus tard de cet exemple pour ajouter, dans le cas de Léon X, un second balcon à la hauteur des « stances » de Raphaël et, dans le cas de Pie IV, un troisième face à l’appartement Borgia. Tout aussi significative, la construction à la même époque sur le toit du palais de Nicolas III d’une imposante volière (uccelliera) dont l’architecte fut peut-être Baldassare Peruzzi (1481-1536)30. Jules II n’était manifestement pas qu’un homme de guerre. En ce qui concerne le Belvédère, le projet imaginé par Bramante comportait, entre autres, deux longs corridors rectilignes reliant sur plusieurs niveaux le palais principal à la villa d’Innocent VIII. Faute de temps et sans doute aussi d’argent, il se limita à la construction du seul corridor est qui, à son sommet, permettait de passer de la deuxième loggia du palais apostolique au premier étage de la villa du Belvédère, tandis qu’à l’étage Ibid., p. 16, 217-218. Ibid., p. 15-16, 107-112. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 100-106. Portoghesi, Roma cit., p. 418. 29 30
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en-dessous, un second passage, couvert celui-là, servait à relier la loggia de l’appartement Borgia au cortile de la villa d’Innocent VIII. On doit, par ailleurs à Bramante, l’aménagement de l’ancien pomerium de Nicolas III en une succession de terrasses: la plus basse correspondant à l’actuelle cour du Belvédère, la seconde, à ce qui est aujourd’hui la cour de la Bibliothèque et la troisième, la plus élevée, à la cour dite della Pigna, toutes trois reliées les unes aux autres par des ouvrages (escaliers, rampes, murets, portiques, niches) de divers styles. On lui doit aussi la construction du célèbre escalier hélicoïdal (a chiocciolo) faisant partie de la tour de 19 mètres qu’il édifia à l’extrémité nord du corridor conduisant au Belvédère, escalier qui déjà, à l’époque, permettait d’accéder directement de l’extérieur à la villa d’Innocent VIII. À noter qu’il ne put terminer cet ouvrage –– il appartiendra plus tard à Pirro Ligorio de le faire ––, mais que déjà, de son vivant, l’escalier en question faisait l’admiration d’un grand nombre31. Côté pictural, Jules II eut la main encore plus heureuse en faisant appel à deux artistes de génie: Michel-Ange (1475-1564) à qui il confia la décoration du plafond de la Sixtine, avec le résultat que l’on sait, et Raphäel (1483-1520) qu’il employa plutôt à celle de son propre appartement au deuxième étage du palais apostolique, c’est-à-dire dans les quartiers autrefois occupés par son oncle, Sixte IV. Répugnant à s’installer dans ceux de son ennemi juré, Alexandre VI, situés un étage plus bas, bien qu’il semble y avoir habité, à l’occasion, au cours de ses deux premières années de pontificat, hésitant par ailleurs à emménager dans un appartement dont la disposition et la décoration lui déplaisaient, il décida en 1507 de remettre à plus tard son installation définitive dans ledit appartement et, dans l’intervalle, de confier à un certain nombre d’artistes connus dont le Pérugin (1450-1523) et Sodoma (1477-1549) une reprise a capo de la décoration existante, exception faite de la « chapelle secrète » peinte un demi-siècle plus tôt par Fra Angelico. L’arrivée en 1508 de Raphaël qui lui avait été recommandé par nul autre que Bramante, puis la découverte de l’extraordinaire talent de ce jeune artiste, originaire, comme Bramante, d’Urbino, menèrent Jules II à congédier derechef l’équipe embauchée une année plus tôt et à ordonner de tout recommencer, cette fois sous la seule responsabilité de Raphaël32. Jules II n’était pas l’homme des demi-mesures. 31 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 16, 217-218, 237-238. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 90-100. Portoghesi, Roma cit., p. 417-418. Pour plus de détails, voir J. S. Ackerman, The Cortile del Belvedere, Cité du Vatican 1954, p. 17-51. Il semble que Jules II souhaitait que la « Cour des Statues » soit accessible au grand public et que c’est à cette fin qu’il demanda à Bramante de construire son célèbre escalier hélicoïdal qui permettait d’accéder directement à cette cour sans passer par le palais. Cf. Coffin, The Villa cit., p. 82. 32 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 108-112. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 104-106. Insolera, Roma cit., p. 51.
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Raphaël ne put mener à terme la décoration des Stanze avant la mort du pape –– il appartiendra à Léon X de lui fournir les moyens de le faire ––, de sorte qu’on est en droit de penser que Jules II n’habita probablement que sporadiquement l’ancien appartement de son oncle, même si l’aménagement de la partie « privée » de cet appartement était chose faite en novembre 150733. Dans l’intervalle, il se pourrait que sa résidence habituelle ait été le palais della Rovere, propriété de sa famille, ou encore, comme en 1504-1505 par exemple, suite à l’épidémie de peste qui s’était abattue sur Rome, le Château Saint-Ange34. Il faut dire –– nous y reviendrons plus loin –– qu’il fut durant tout son pontificat souvent absent de Rome pour des raisons aussi bien politiques que personnelles35. Le Vatican continua, bien entendu, à jouer le rôle de résidence officielle du pape et Jules II ne manqua sans doute pas d’y être présent chaque fois que le requéraient ses fonctions de chef d’Église et de chef d’État, mais tout porte à croire qu’il ne se sentait pas tout à fait chez lui dans ce palais transformé en chantier permanent et donc difficilement habitable sinon en cas de nécessité ou pour de courtes périodes de temps. Il serait d’ailleurs à se demander si cet « inconfort » n’expliquerait pas, en partie du moins, l’attachement particulier qu’il éprouvait pour la villa du Belvédère et les nombreuses « escapades » qu’il s’y permit durant toutes ces années36. Cela dit, le grand mérite de Jules II fut peut-être justement d’avoir renoncé à jouir de son vivant des aménités du palais pontifical afin de pouvoir léguer à ses successeurs un complexe résidentiel mieux à même de refléter la grandeur et l’autorité du Siège Apostolique. Italo Insolera a, à ce propos, une réflexion des plus judicieuse et pertinente. Le rôle de Jules II, écrit-il, semble avoir été de s’assurer que soit atteint, dans le cas de Saint-Pierre comme dans celui du palais apostolique, une sorte de point de non-retour. D’une part, faire en sorte que la destruction de la vieille basilique soit à ce point avancée qu’on n’ait pas d’autre choix que de poursuivre le projet de Bramante; d’autre part, conserver trop d’éléments de l’ancien palais pour qu’on songe à reconstruire à neuf ce dernier, mais, en même temps, pousser suffisamment loin la construction du double raccordement avec le Belvédère pour qu’on se sente obligé de compléter ce dernier37. Résultat: les successeurs de Jules II et, cela, pratiquement jusqu’à Sixte V ne se poseront plus le problème de savoir ce qu’il fallait faire du Vatican: ils se contenteront de compléter du mieux qu’ils pouvaient les travaux entrepris par Jules II et ses collaborateurs38. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 108. Insolera, Roma cit., p. 51. 35 Shaw, Julius II cit., p. 169-170. 36 Coffin, The Villa cit., p. 81. 37 Insolera, Roma cit., p. 51. 38 Ibid., p. 55. 33 34
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Avant de nous intéresser de plus près à l’apport de ces derniers, peutêtre le moment est-il venu de nous arrêter un moment et d’essayer de nous représenter la configuration et la disposition des principaux espaces privés, semi-publics et publics qui composaient le palais apostolique à la fin du règne de Jules II et surtout l’utilisation qui en était faite à l’époque. Signalons, tout d’abord, que l’accès à l’appartement papal se faisait par le moyen de la rampe construite par Bramante à partir du Cortile del Maresciallo, rampe qu’empruntait, pour sa part, le pape lorsqu’il avait à se rendre, monté sur la sedia gestatoria, soit à Saint-Pierre, soit à la Chapelle Sixtine, soit aux anciennes salles d’apparat du palais (les futures salles Ducale et Royale) qui servaient déjà à l’époque de salles de réception de grands personnages (empereurs, rois, princes ou leurs représentants) ou de salles de réunion à l’occasion de conclaves, consistoires publics ou autres événements du genre. Une fois arrivés à l’entrée de l’appartement, souvent après avoir gravi à cheval la rampe en question, les visiteurs étaient introduits par des officiers ad hoc, connus sous le nom d’ostiarii ou de custodi degli ingressi dans une sorte d’atrium ou vestibule baptisé plus tard Sala Vecchia degli Svizzeri où ils attendaient d’être reçus par le pape. L’audience pouvait avoir lieu, surtout si elle réunissait plusieurs personnes, dans une salle relativement proche, dite Sala delle Feste ou tout simplement Sala Grande –– elle prendra éventuellement le nom de salle de Constantin –– qui, en raison de ses dimensions, servait surtout à des événements d’un particulier relief ou faste, tels spectacles, réceptions ou banquets offerts par le pape. S’agissant de groupes plus restreints ou encore d’une seule personne –– un ambassadeur, par exemple –– l’audience se tenait habituellement dans une plus petite salle appelée à l’époque, et pour cause, Sala dell’Audientia –– elle sera connue plus tard sous le nom de Stanza d’Eliodoro ––, salle qui présentait pour le pape l’avantage d’être directement accessible de l’antichambre de son appartement privé. Il arrivait même que certains personnages soient reçus –– question de discrétion sans doute –– dans le secret de l’antichambre en question. La Sala Vecchia degli Svizzeri ouvrait sur une seconde salle dite du Perroquet (del Pappagallo). Cette appellation lui venait, à ce qu’il semble, du fait que depuis au moins 1317 il y avait habituellement dans cette pièce un perroquet en souvenir peut-être de celui que le pape Léon IX avait au milieu du XIe siècle reçu du roi du Danemark. Cet oiseau était vu à l’époque comme le symbole du pouvoir temporel. La salle en question était utilisée, entre autres, pour les consistoires secrets, mais elle servait aussi, comme la Sala Vecchia degli Svizzeri d’ailleurs, de vestiaire à l’occasion des diverses cérémonies impliquant le pape et ses cardinaux. Ces derniers endossaient leurs tenues liturgiques dans cette dernière salle, puis passaient dans la Sala del Pappagalo où ils assistaient à la vêture du pape
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pour ensuite l’accompagner, porté par ses palefreniers, à la cérémonie du jour, d’où le nom de Sala dei Palafrenieri aussi donné à la salle en question. Celle-ci était également utilisée à la mort du pape pour préparer ce dernier à être exposé un étage plus bas dans la salle dite dei Paramenti. Coincé entre la salle du Perroquet et la future salle de Constantin, se trouvait l’appartement privé du pape composé d’une chambre à coucher, d’une salle de bain (stufetta), d’une chapelle « secrète » –– la Capella Niccolina décorée par Fra Angelico –– et de l’antichambre mentionnée plus haut, chapelle et antichambre auxquelles le pape avait directement accès de sa chambre à coucher. Venaient ensuite à l’ouest de la Sala Grande (ou de Constantin), c’est-à-dire dans l’aile construite par Nicolas V, trois pièces connues plus tard sous les noms de Stanza d’Eliodoro, Stanza della Segnatura et Stanza dell’Incendio dont Jules II avait fait, la première, tel qu’indiqué plus haut, sa salle d’audience, la seconde, sa bibliothèque privée et la troisième, la salle où se réunissait en sa présence la Signature de grâce. À noter toutefois que ces trois salles, alors en cours de décoration par Raphaël, étaient à l’époque d’une disponibilité limitée et que ce n’est que sous Léon X qu’elles deviendront pleinement opérationnelles. Voilà, pour l’essentiel, en quoi consistaient et comment se présentaient à la fin du règne de Jules II les principaux espaces publics, semi-publics et privés formant le palais apostolique, c’est-à-dire ceux ayant un rapport direct avec la personne du pape de même qu’une incidence sur ses activités au temporel comme au spirituel. Ces espaces resteront substantiellement les mêmes jusqu’au milieu du XVIe siècle, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’ils ne feront pas à certains moments, de la part de l’un ou l’autre des successeurs de Giuliano della Rovere, l’objet de reconfigurations ou de réaffectations, parfois assez importantes, mais, du moins, ces aménagements resteront-ils en général respectueux du parti adopté par ce dernier39. C’est à Léon X (1513-1521) qu’il appartiendra de fournir un premier exemple de ce que pouvait signifier cette double interprétation de l’hé39 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 108-110. La Salle du Perroquet (Sala del Pappagallo) semble avoir constitué encore au XVIe siècle une composante essentielle de l’appartement papal. Jusque-là tous les palais pontificaux ou presque en avaient été pourvus. À ce sujet, voir H. Diener, Die ‘Camera Papagalli’ im Palast des Päpstes, dans Archiv für Kulturgeschichte, XLIX (1967), p. 43-97. À noter que le palais Saint-Marc (futur palais de Venise), résidence d’été de plusieurs papes, avait, lui aussi, une salle de ce nom (C. Pietrangeli, Rione IX - Pigna, Rome 1977, Guide Rionali di Roma, III, p. 102, 130) et qu’il en allait de même de la villa du Belvédère (Coffin, The Villa cit., p. 76). Qui plus est, il semble bien qu’il y eut encore dans cette salle, au début du XVIe siècle du moins, comme le voulait depuis longtemps la tradition, un vrai perroquet. Léon X en avait d’ailleurs lui-même toute une collection. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 109, 114.
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ritage de Jules II40. Son premier geste fut non seulement de reprendre Raphaël à son service et de le charger de mener à terme la décoration en cours de l’appartement papal, y compris des loggias édifiées par Bramante, mais de faire de lui, suite à la mort dudit Bramante en 1514, l’architecte du palais apostolique. Deux décisions qui, manifestement, pointaient dans le sens de la continuité. Tout comme celle prise par Raphaël et approuvée par Léon X de compléter l’œuvre de Bramante en ajoutant, face au Cortile della Cisterna (la future cour Saint-Damase) une nouvelle loggia, de style corinthien cette fois, afin de rendre le tout conforme aux canons de Vitruve. À noter, toutefois, que cet ajout rendit nécessaire, d’une part, la construction d’un troisième étage et donc la destruction de la volière de Jules II, d’autre part, le prolongement de la rampe de Bramante jusqu’à l’étage en question41. Premier indice d’une certaine prise de distance de Raphaël et de son maître, Léon X, par rapport au legs de Jules II. D’autres, de loin plus éloquents, allaient bientôt suivre. Passe encore que Léon X ait exigé, au lendemain de son élection, que dans la fresque de la salle d’Héliodore consacrée à Léon Ier chassant Attila, ce saint pape soit représenté sous ses propres traits et non plus sous ceux de Jules II42. Il n’y avait là rien d’étonnant ou de particulièrement choquant. Soucieux de leur image « posthume », rares en effet étaient les papes de l’époque qui ne recouraient pas à ce genre d’artifice d’ailleurs prisé par les artistes du temps. Beaucoup plus significative paraît la décision prise par ce même Léon X de donner à l’appartement de son prédécesseur où il avait choisi lui aussi de vivre, un profil plus conforme à ses goûts personnels et à l’usage qu’il entendait en faire. Il confia à Gian Barile le soin d’installer partout d’élégantes portes ornées de motifs médicéens et, cela, en vue de mieux isoler les unes des autres les diverses pièces de l’appartement en question, tandis qu’il faisait construire entre la Sala Grande (ou de Constantin) et la dernière « stance » (dite plus tard dell’Incendio) un raccordement extérieur sous forme d’un balcon accroché à la façade nord du palais, balcon suffisamment bas pour qu’on ne puisse voir à l’intérieur de l’appartement et que soit ainsi assuré le caractère privé de celui-ci. La bibliothèque de Jules II, transformée en studiolo, fut, pour sa part, revêtue de somptueuses boiseries dues au célèbre ébéniste, Fra Giovanni da Verona. À noter que Léon X se servira à l’occasion de cette pièce comme salle de musique. De la toute dernière salle dite dell’Incendio où, sous Jules II, se tenaient les séances de la Signature de grâce, il fera sa salle à manger 40
Pour tout ce qui suit sur l’apport de Léon X, nous renvoyons pour l’essentiel à C. Pie-
trangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 16-17, 112-116; Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit.,
p. 107-118; Portoghesi, Roma cit., p. 418-419. 41 41 Ibid., p. 418. 42 42 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 112.
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« privée » (tinello segreto), ce qui l’obligera à créer entre 1513 et 1514, le long de la façade donnant cette fois sur le Cortile del Pappagallo un second balcon en direction de la cuisine « secrète » (cucina segreta) située au même étage, mais dans l’aile de Nicolas III. Ayant par ailleurs décidé de faire aménager dans la tour Borgia une pièce destinée à lui servir de garde-robe privée et ayant, par le fait même, bloqué le passage donnant accès à l’escalier situé dans ladite tour, il n’eut pas d’autre choix que de faire construire un troisième balcon permettant d’accéder de l’extérieur de la tour en question à sa salle à manger (Sala dell’Incendio), balcon que Jules III plus tard remplacera tout en le prolongeant jusqu’au mur extérieur de la Sala Regia. Mérite également d’être soulignée l’installation dans plusieurs salles du palais d’imposants plafonds à caisson qui, ajoutés aux ouvrages d’ébénisterie déjà mentionnés, reflètent on ne peut mieux les raffinements auxquels on était arrivé à l’époque, mais pourraient aussi être l’indice d’un certain goût de Léon X –– goût qu’il avait peut-être acquis à Florence43 –– pour ce genre de décor particulièrement apprécié dans le cas de pièces destinées à un usage privé ou semi-privé. Qu’il suffise à ce propos d’évoquer le contraste qui, inévitablement, devait exister, et d’ailleurs pouvait difficilement ne pas être remarqué par ceux qui avaient accès au palais apostolique, entre la « chaleur » des boiseries de salles telles que le studiolo du pape et la « froideur » d’autres espaces (salles, tours, corridors) qui en étaient restés à leur revêtement « en dur » d’un autre âge. Et que dire du très bel appartement que Léon X fit construire entre 1515 et 1516 pour son secrétaire domestique, le cardinal Bibbiena, de son vrai nom Bernardo Dovizi (1470-1520), qu’il tenait à avoir constamment à ses côtés. Situé à l’étage que Raphaël, nous l’avons vu, avait ajouté au palais de Nicolas III, l’appartement en question comprenait, entre autres, une loggetta, une chambre à coucher et surtout un bain (stufetta) qu’on peut encore aujourd’hui admirer et qui était une reproduction en miniature d’une étuve romaine (calidarium romanum) avec une décoration à l’avenant, c’est-à-dire d’inspiration mythologique, les thèmes choisis, à ce qu’il semble, par Bibbiena lui-même se rattachant à peu près tous à la figure de Vénus44. Preuve, s’il en était besoin, de l’attraction que continuait à exercer à l’époque l’Antiquité païenne, y compris dans ce qu’elle avait de plus « osé » sur des hommes d’Église, papes en tête. Clément VII, s’inspirant peut-être de l’exemple de Bibbiena, ne se paiera-t-il pas lui aussi quelques années plus tard, mais cette fois au Château Saint-Ange, le luxe d’une stufetta d’à peu près même inspiration45? À ce sujet, voir D. Mateer et al., The Courts, Patrons and Poets, New Haven-Londres 2000, p. 189. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 116-117. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 109-114, 216-217. Du même, voir aussi: La Stufetta del Cardinal Bibbiena in Vaticano e il suo restauro, dans Römisches Jarbuch für Kunstgeschichte, 20 (1983), p. 221-240. 45 Cf. chap. II, p. 62 et note 58. 43 44
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Anxieux de voir terminés le plus rapidement possible les travaux en cours, Léon X ordonna, comme Jules II avant lui, qu’on s’active sur plusieurs chantiers à la fois, le tout, bien entendu, sous la supervision de Raphaël qui, pour ce faire, dut recourir aux services d’une pléiade d’artistes et d’artisans qui s’efforcèrent du mieux qu’ils pouvaient de répondre à ses attentes et continueront d’ailleurs à le faire après sa mort en 1520 avec des résultats qui –– on le reconnaissait déjà à l’époque et on le reconnaît encore plus aujourd’hui –– n’étaient pas toujours à la hauteur. On n’a pour s’en rendre compte qu’à comparer les œuvres réalisées par Raphaël lui-même et celles confiées à ses disciples et collaborateurs, même si l’ensemble du projet raphaëlien, inauguré sous Jules II, terminé sous Clément VII, fut à juste titre admiré à l’époque et ne cessera d’ailleurs de l’être par la suite46. Jules II et Léon X avaient su reconnaître le génie de cet incomparable artiste et, par le fait même, s’étaient mérités la gratitude de leurs successeurs qui, grâce à eux, sauraient désormais ce que c’était que d’être entourés de beauté, et d’une beauté à la hauteur du prestige et de l’autorité qui étaient les leurs. Adrien VI (1521-1523), et pour cause, ne fut pas de ceux-là, mais Clément VII (1523-1534) manifestement en était et, malgré ses nombreux déboires politiques et financiers, s’efforcera de compléter le projet raphaëlien, comme en témoignent les fresques peintes en 1524 par un certain nombre de disciples de Raphaël dans la salle dite de Constantin. Mais le second pape Médicis fut aussi celui qui fit entreprendre d’importants travaux dans la partie ancienne du palais, confiant à Antonio da Sangallo le Jeune (1483-1546), successeur de Raphaël, le soin de consolider et restructurer l’aile abritant l’aula tertia du palais qui servait à l’époque de salle des consistoires publics, travaux qui comportèrent, entre autres, l’ajout d’au moins un étage de chambres destinées aux camériers secrets, ajout, notons-le, qui avait été demandé expressément par le pape lui-même. Peut-être commençait-on à l’époque à se sentir à l’étroit dans le palais apostolique. Ces travaux traîneront toutefois en longueur et devront être poursuivis par un Paul III, un Paul IV et un Pie IV avant d’être finalement complétés par un Grégoire XIII47. Paul III (1534-1549), soucieux d’effacer dans toute la mesure du possible les traces encore visibles du sac de 1527, s’était, dès le début de son pon Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 116. Ibid., p. 18, 77-78, 115. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 118-124, Portoghesi, Roma cit., p. 419. À propos des diverses interventions de Clément VII dans le palais apostolique, André Chastel n’hésite pas à parler d’un style nouveau marqué, selon lui, par une certaine « suavité », style qu’il situe quelque part entre ceux d’un Raphaël et d’un Michel-Ange, et qu’il ne craint pas d’appeler « clémentin ». Chastel, Le sac cit., p. 206-235. Par un livre de comptes de l’époque, nous savons que Clément VII consacra en 1530 et 1531, 5000 ducats or à la construction et à l’aménagement des salles voisines de la chapelle Sixtine. Cf. ASR, Cam. I: Mand. Cam. 862, fol. 86rv. 46
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tificat, fixé comme tâche de donner à sa capitale un visage nouveau. Nous avons eu plus haut l’occasion de signaler les nombreuses initiatives qu’il prit en ce domaine. Ses interventions au Vatican n’eurent sans doute pas la même envergure: elles n’en restent pas moins importantes. En plus de poursuivre l’œuvre de Clément VII, y compris –– est-il besoin de le rappeler –– l’exécution entre 1535 et 1541 du célèbre Jugement dernier qu’avant de mourir Clément VII avait commandé à Michel-Ange pour la Sixtine, Paul III fit entreprendre de considérables travaux à la Sala Regia. Entre autres, le remplacement du vétuste plafond de bois existant par une imposante voûte en berceau haute à son sommet de 18 mètres, le percement de grandes fenêtres « à lunettes » (lunettate) permettant un meilleur éclairage de la salle en question, puis, surtout, le parement du plafond et des murs de cette dernière: de stucs, dans le cas du plafond, de stucs et de fresques, dans le cas des murs, le tout réalisé par Perin del Vaga (1501-1547), puis, suite à la disparition de ce dernier, par Daniele da Volterra (1509-1566). Mais les travaux, restés incomplets à la mort du pape, devront attendre les pontificats de Pie IV, Pie V et Grégoire XIII pour être menés à terme48. Paul III décida, par ailleurs, d’élargir l’« escalier royal » (Scala regia) reliant la salle du même nom au Cortile del Maresciallo et dut, pour ce faire, démolir l’ancienne chapelle de Nicolas III (Capella parva S. Nicolai) qu’il remplaça par un nouvel oratoire destiné lui aussi à servir de chapelle du Saint-Sacrement, oratoire qui sera connu plus tard sous le nom de chapelle Pauline (Capella Paolina). Mis en chantier en 1537 sur des plans d’Antonio da Sangallo le Jeune, décoré, entre autres, par Perin del Vaga et Michel-Ange, l’oratoire en question fut inauguré en janvier 1540 par le pape qui y célébra une première messe, bien que Michel-Ange n’eût pas encore à ce moment terminé la seconde des fresques auxquelles il travaillait. Cette dernière portant sur la crucifixion du saint Pierre ne sera de fait complétée qu’en 1550, donc après la mort de Paul III49. Rares, par contre, furent les interventions du pape Farnèse dans l’ancien appartement de Jules II où, comme Léon X et Clément VII avant lui, il avait choisi d’habiter. Mérite toutefois d’être signalée l’initiative qu’il prit d’installer le tribunal de la Signature de grâce dans l’ancienne bibliothèque de Jules II –– d’où le nom de Stanza della Segnatura que prendra désormais cette salle –– et d’en profiter pour redécorer cette dernière et y installer la cheminée de la salle dite dell’Incendio dont, nous l’avons vu, Léon X avait fait vingt ans plus tôt sa salle à manger privée50. 48 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 73-77. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 118-124. Portoghesi, Roma cit., p. 419. 49 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 56-59. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 130-132. 50 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 115. Il ne faut pas oublier les déprédations commises par les lansquenets allemands installés dans le palais apostolique. Les « stances »
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Jules III (1550-1555) est surtout connu pour la splendide villa d’été qu’il se fit construire près de la via Flaminia et qui porte encore aujourd’hui son nom. Comme il y fit de longs et fréquents séjours, nous aurons plus loin l’occasion de montrer à quel point cet ultime témoin d’une Renaissance qui se sentait de plus en plus mal à l’aise à Rome était emblématique d’une situation pour le moins ambiguë contre laquelle allait bientôt réagir, et avec une violence qui allait en choquer plus d’un, un certain Gian Paolo Carafa, le futur Paul IV. Ce qu’on sait moins, c’est que Jules III, contrairement à tous ses prédécesseurs, Léon X en tête, préféra se doter d’un appartement bien à lui au lieu de s’installer, comme eux, dans celui de Jules II. Cette décision n’avait vraisemblablement rien à voir avec la personne de ce dernier, car Jules III avait été de la cour de Giuliano della Rovere et se considérait –– le fait qu’il ait choisi de s’appeler lui aussi Jules en est la meilleure preuve –– comme une de ses « créatures ». D’ailleurs, en emménageant comme il le fera dans la partie méridionale du corridor est conduisant au Belvédère, corridor qui faisait partie de la stratégie de Jules II visant à doter le palais apostolique de nouvelles aires de déploiement, Gian Pietro del Monte rendait à sa façon hommage au génie de son « patron ». Mais peut-être y avait-il aussi chez cet homme porté à l’inconstance comme une sorte de besoin irrépressible de changement, ou serait-ce tout simplement que voulant se sentir un peu plus chez lui dans un cadre correspondant mieux à son tempérament, ses goûts, ses habitudes, il ne voyait pas d’autre solution que d’aller s’installer à neuf ailleurs? Chapeautant, d’une part, le corridor de Bramante préalablement allongé de six travées en direction de la loggia du second étage du palais de Nicolas III et occupant, d’autre part, vers l’est, un nouveau corps de bâtiment construit à cet effet entre l’ancienne tour d’Urbain V et le mur de fortification érigé un siècle plus tôt par Nicolas V, le nouvel appartement comprenait un vestibule, une antichambre donnant sur une salle qui –– on en a la preuve –– servait à l’époque de salle de théâtre, une loggia et diverses autres pièces, de nature plus privée celles-là, à la disposition du pape lui-même et de ses proches. Les transformations radicales apportées à cet appartement par Urbain VIII (1623-1644) font qu’on ne peut se faire aujourd’hui une idée qu’approximative de l’allure qu’il avait au temps où Jules III l’habitait. Du moins, les quelques éléments qui subsistent de la décoration primitive due pour une bonne part à Daniele da de Raphaël, entre autres, subirent des dommages, dans certains cas, irréparables. À noter que ces déprédations ne se limitèrent pas aux fresques de Raphaël, mais quelles s’étendirent aussi aux superbes boiseries de la salle de la Signature de même qu’aux vitraux que Jules II et Léon X avaient fait installer à l’étage des « stances », boiseries que les lansquenets utilisèrent pour se chauffer, vitraux qu’ils détruisirent sans doute en vue d’en tirer les plombs pour la fabrication de balles d’arquebuse. À ce sujet, voir Chastel, Le sac cit., p. 123-129.
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Volterra et Taddeo Zuccari (1529-1566) permettent d’imaginer un décor à l’antique rappelant par certains côtés celui de la villa Giulia, et donc bien dans l’esprit du maître de céans51. On peut en dire autant de l’appartement que Jules III fit aménager tout contre le mur d’enceinte donnant sur la place Saint-Pierre à l’intention de son ami de vieille date, le cardinal Giovanni Ricci, connu à l’époque sous le nom de Montepulciano, qui était pour lui l’équivalent de ce que le cardinal Bibbiena avait été pour Léon X et qu’il tenait donc à avoir, lui aussi, constamment à ses côtés. En effet, cet appartement qui a conservé jusqu’à ce jour une bonne partie de sa décoration originale donne la même impression de « légèreté » et de « mondanité » qui semble bien avoir été un des traits marquants du caractère du pape del Monte52. Rien de cela –– et pour cause –– chez un Paul IV (1555-1559) qui, d’ailleurs, peu après son élection, ayant choisi de s’installer dans l’appartement de son prédécesseur, n’hésitera pas à apporter des modifications importantes à la décoration dudit appartement et surtout à y aménager une chapelle où il fera exécuter un certain nombre de fresques dont l’une, consacrée au Père Éternel et à l’Esprit Saint, est encore aujourd’hui visible53. Le pape Carafa n’était pas du genre à s’entourer d’« amours ailés » et de « satyres ». Il n’était pas pour autant insensible à la beauté, comme le montrent les divers travaux qu’il fit entreprendre au Vatican sous la direction des architectes Pirro Ligorio (1513-1583) et Sallustio Peruzzi, entre autres, la poursuite de la décoration de l’aula tertia (la future Sala Ducale), l’aménagement de l’appartement Carafa, voisin de celui du cardinal Ricci, puis surtout la mise en chantier de la Casina del Boscho (la future villa Pia) dont il entendait faire un lieu de « retraite » privilégié54, mais il y avait en même temps chez lui un certain côté « iconoclaste » qui le poussera à faire disparaître la décoration de l’ancienne salle du Perroquet (Sala del Pappagallo), dite aussi dei Chiaroscuri, décoration due, nous l’avons vu à l’atelier de Raphaël, et à envisager de faire subir le même sort à la Sala Vecchia degli Svizzeri et à la Capella Niccolina, dans ce dernier cas, en vue de créer à cet endroit un « jardin suspendu » (giardino pensile), fantaisie qu’heureusement il n’eut pas le temps de se payer55. Il faut dire à sa décharge que certains de ses prédécesseurs, et non des moindres, Ibid., p. 139-141. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 138-139. Ibid., p. 139-140. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 141-143. 53 Ibid., p. 19, 141. Sur ces travaux et d’autres entrepris par Paul IV au Vatican, voir aussi R. Ancel, Le Vatican sous Paul IV, dans Revue bénédictine, 25 (1908), p. 49-71. 54 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 239. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 145-146. Voir également Coffin, The Villa cit., p. 267-268. 55 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 19. Redig de Campos, Il Palazzi Vaticani cit., p. 144-145. 51 52
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avaient donné des exemples tout aussi déconcertants, pour ne pas dire choquants d’« iconoclasme », qu’il s’agisse de Jules II ordonnant à Raphaël de reprendre a capo la décoration de salles où il avait d’abord fait travailler des artistes tels que Sodoma ou Perugino56 ou qu’il s’agisse d’un Paul III faisant disparaître sans état d’âme apparent la « petite chapelle Saint-Nicolas » (Capella parva S. Nicolai) décorée par Fra Angelico pour la simple raison qu’elle faisait obstacle à l’élargissement de l’escalier donnant accès à la Sala Regia qu’il était alors en train de réaménager57. Les interventions du pape Carafa, pour significatives qu’elles aient été, pâlissent toutefois en comparaison de celles de son successeur immédiat, Pie IV (1559-1565), qui, non seulement poursuivit la construction de la casina mise en chantier par Paul IV, mais se lança dans une opération tous azimuts visant à compléter le vaste projet élaboré un demi-siècle plus tôt par Bramante en direction du Belvédère. Faisant lui aussi appel à l’expertise d’un Pirro Ligorio et d’un Sallustio Peruzzi, il entreprit tout à la fois de remettre au goût du jour la villa d’Innocent VIII, de compléter les travaux de raccordement entre les trois terrasses séparant la dite villa du palais apostolique et, surtout, de construire le corridor ouest prévu par Bramante, mais resté jusque-là en plan, corridor qui allait enfin permettre de constituer le vaste « théâtre » intérieur dont avait rêvé Jules II. Il n’est pas sûr que Paul IV aurait été d’accord avec la version revue et corrigée que son successeur produisit de l’« ermitage » qu’en 1558 il avait décidé de se faire construire dans les « bosquets » bordant à l’ouest le palais apostolique. Il n’en fut sans doute pas de même de son architecte Pirro Ligorio qui trouva en Pie IV un commanditaire infiniment plus ouvert au concept qui était probablement déjà le sien d’une villa classique, d’un classicisme d’ailleurs qui n’aurait vraisemblablement pas plu à Paul IV. D’où le très élégant édifice qu’après trois années de travaux il livra en 1563 à son nouveau « patron », un « patron » manifestement satisfait, comme en témoignent les nombreux séjours qu’entouré de ses proches il fit dans ce lieu de rêve. Comprenant trois étages dont un sous-sol où était installée une cuisine, une tour pouvant servir de belvédère, très probablement, dans cette même tour, une chapelle, au rez-de-chaussée un grand salon, à l’étage, quelques chambres à coucher et une galerie munie de trois grandes fenêtres, puis, lui faisant face, une loggia ouverte donnant comme elle sur une cour ovale au centre de laquelle avait été placée une fontaine, la villa Pia avait tout pour plaire, d’autant plus qu’elle s’élevait au milieu d’un écrin de verdure et que, grâce à l’orientation de sa façade vers l’est, elle permettait à ses hôtes qui s’y rendaient de préférence l’après-midi ou 56 57
Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 110. Ibid., p. 74
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en fin de journée d’être protégés, l’été surtout, des ardeurs du soleil et de pouvoir par ailleurs profiter de la brise qui assez souvent à ces mêmes heures rafraîchissait la loggia et la cour ovale voisines, rendant par le fait même possibles repos, conversations ou dîners à l’air libre. Et que dire du programme iconographique –– d’inspiration mythologique ou allégorique à l’extérieur, d’inspiration plutôt religieuse, voire théologique à l’intérieur –– choisi par Ligorio, avec l’accord sans doute du pape, pour la décoration de la casina et de ses annexes, décoration qui comprenait en plus une imposante collection de statues et sculptures antiques venues pour la plupart de la villa Giulia. Comment, après cela, se surprendre de l’admiration sans borne que Jacob Burckhardt vouait à cet édifice, à ses yeux modèle inégalé de ce qui se faisait dans le genre à l’époque58. En ce qui concerne la villa d’Innocent VIII, le pape fit ajouter aux ouvrages que Bramante, plus tard Michel-Ange et Girolamo da Carpi avaient disposés à l’extrémité nord de la cour du Belvédère, donc face à ladite villa, un édifice annexe d’un étage dont la décoration fut confiée à divers artistes parmi lesquels Federico Barocci (1530-1612), les frères Zuccari et Santi di Tito (1536-1603). Fait à noter, s’agissant d’un espace sinon public, du moins semi-public et non plus, comme dans le cas de la villa Pia, d’un espace privé, pour ne pas dire « intime », le programme iconographique imposé à ces derniers était pour l’essentiel d’inspiration religieuse avec une forte insistance sur des épisodes de l’Ancien Testament et, cela, malgré que le pape entendait faire de cet édifice un appartement « de repos » (di ritiro) destiné surtout aux hôtes de marque de passage à sa cour, tels, par exemple, Côme Ier, duc de Florence, et son épouse, Éléonore de Tolède qui y seront logés en 1560. Décidément, on n’était plus au temps d’un Léon X, d’un Paul III ou encore d’un Jules III. Pour ce qui est de la nouvelle aile devant relier, côté ouest cette fois, la villa du Belvédère au palais apostolique, on y travailla presque sans relâche de 1561 à 1565 avec le résultat qu’à la mort du pape, le raccord était chose faite, mais, côté nord, à la hauteur seulement de la terrasse donnant sur la villa d’Innocent VIII. Il appartiendra à Pie V et Grégoire XIII de compléter cette gigantesque entreprise. Quant à la cour du Belvédère comme telle, elle fut agrémentée à son extrémité nord d’une imposante niche (Nicchione) avec à son sommet une terrasse comportant une loggia et au centre, d’un escalier (gradinata) permettant de passer du niveau intermédiaire au niveau inférieur de ladite cour, c’est-à-dire à l’espace correspondant à l’actuelle cour du Bel58 Ibid., p. 239. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 147-154. Coffin, The Villa cit., p. 268-277. La villa était peu connue à l’époque en dehors du cercle restreint de l’entourage pontifical. Il n’en est d’ailleurs à peu près jamais question dans les guides de l’époque. C’était donc, au sens fort du terme, un lieu de « retraite » tout à la fois privé et secret. À ce propos, voir von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 564.
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védère. Dans ce dernier espace, le pape fit construire un exèdre fermant en quelque sorte l’espace en question si bien qu’en 1565, à l’occasion des noces de son neveu, Annibal Altemps, et de sa nièce, Ortense Borromée, il sera en mesure d’offrir en ce lieu de prestige un spectacle digne des plus grandes cours d’Europe59. Mais on doit à l’infatigable Pie IV toute une série d’autres interventions dans le palais apostolique, qu’il s’agisse de l’extension des loggias de Bramante et de Raphaël vers l’est, de la construction d’une porte cochère (portone) donnant accès à la rampe de Bramante, de la décoration de la loggia du troisième étage ajouté, nous l’avons vu, par Raphaël à l’ancien palais de Nicolas III, ou encore de la poursuite des travaux entrepris par ses prédécesseurs aussi bien à la Sala Regia et à la chapelle Pauline, qu’à la Sala Ducale et à la Sala dei Pontifici de l’appartement Borgia. Là encore, il fera appel aux talents des artistes plus haut mentionnés auxquels viendront s’ajouter, dans le cas de la Sala Regia, Cecchino Salviati (1510-1563), puis, à la mort de ce dernier en 1563, son homonyme Giuseppe Salviati, de son vrai nom, Giuseppe Porta (1520-1573)60. Pie V (1566-1572) n’avait pas à ce point le goût du neuf et du beau, mais il n’en retint pas moins les services de Pirro Ligorio qu’il chargea de poursuivre la construction en cours de l’aile ouest reliant la villa du Belvédère au palais apostolique, puis surtout d’édifier au point de jonction de cette aile et du palais, c’est-à-dire face à la tour Borgia, une tour additionnelle (appelée plus tard, comme il se devait, Torre Pia) comprenant cinq étages dont trois –– nous l’avons vu au chapitre précédent –– abritant chacun une chapelle, ce qui ne dut guère surprendre à l’époque, compte tenu de la réputation de sainteté dont jouissait ce pape dévot entre tous. Une de ces chapelles placée sous le patronage de Saint Michel Archange faisait en réalité corps avec l’appartement privé que Pie V s’était fait aménager au deuxième étage de ladite tour. Les transformations qu’a subies cet appartement au XIXe siècle en ont modifié considérablement l’apparence, mais les très beaux plafonds à caisson qui subsistent dans deux des salles qui le composait, plafonds ornés des armes du pape et de figures représentant, dans une des salles, les quatre Évangélistes, dans l’autre, un certain nombre de docteurs de l’Église, autorisent à penser qu’il n’avait rien de mesquin, même si par contraste avec celui de Jules III, on avait sans doute pris soin d’y bannir tout ce qui pouvait de près ou de loin sentir la « mondanité » ou la « légèreté »61. Ajoutons que Pie V intervint aussi à la Sala Regia où il fit, entre autres, Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 19, 220-222, 238-239. Ibid., p. 20, 74-77. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 159-165. 61 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 147-148. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 167. 59 60
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peindre –– là encore, à la surprise de personne –– une fresque célébrant la victoire de Lépante (1571), victoire qui, nous l’avons vu, avait pour lui une valeur emblématique dépassant, et de loin, si éclatante fût-elle, la victoire en question. Il confia la réalisation de cette œuvre à Giorgio Vasari (1511-1574), artiste et surtout chroniqueur d’art bien connu, qui avait déjà travaillé au Vatican et qui allait d’ailleurs continuer à le faire sous le successeur immédiat de Pie V, Grégoire XIII (1572-1585)62. En effet, c’est à lui que le pape Boncompagni, peu après son élection, confie la tâche de poursuivre la décoration de la Sala Regia avec une nouvelle commission en novembre consistant en la commémoration du « massacre » de la Saint-Barthélemy datant du 24 août précédent. D’autres commissions du même genre ne tarderont pas à suivre –– nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin –– reflétant toutes un esprit de combativité qui, manifestement, depuis Pie V, commandait de plus en plus les choix politiques ou, si l’on préfère, politico-religieux du Saint Siège63. Mais les interventions de Grégoire XIII n’allaient pas tarder à s’étendre bien au-delà du seul périmètre de la Sala Regia. On lui doit, en effet, le prolongement à partir de 1574 des loggias ajoutées quelques années plus tôt par son « patron » Pie IV à celles de Bramante et Raphaël. Les trois « galeries » en question, ornées elles aussi, de stucs et de fresques, ces dernières d’ailleurs inspirées de celles des loggias voisines, furent complétées entre 1575 et 1580, mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’elles servaient en réalité de façade à une nouvelle aile que le pape Boncompagni faisait au même moment édifier à cet endroit, une aile de fait d’une telle ampleur qu’il faudrait, à son propos, utiliser plutôt le mot: palais. D’autant plus d’ailleurs que Grégoire XIII y élira domicile dès qu’il lui sera physiquement possible de le faire. Notons au passage que les architectes responsables de ce projet, comme des divers autres d’ailleurs commandités par le pape, étaient, jusqu’en 1578, Martino Longhi l’Ancien (1534-1591) et, à partir de cette date, Ottaviano Nonni, dit il Mascherino (1524-1606), tous deux compatriotes de Grégoire XIII64. La nouvelle résidence papale comprenait, au premier étage, les bureaux de la Chambre Apostolique, au second, en plus de l’appartement privé du pape, une « chapelle commune » (Capella Comune) à la disposition de la « famille » pontificale et deux salles dites dei Foconi, ornées de scènes de 62 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 20, 76. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 168. 63 Ibid., p. 179-180. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 76 Sur les fresques consacrées à la Saint-Barthélemy, voir A. Herz, Vasari’s “massacre” series in the Sala Regia: The Politic, Juristic and Religious Background, dans Zeitschrift für Kunstgeschichte, 49 (1986), p. 41-54. 64 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 20-21, 151-152. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 169-174.
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la vie de Grégoire le Grand, salles où, semble-t-il, par temps froid, étaient installés des brasiers (foconi) servant à réchauffer l’appartement papal. Le troisième étage, réservé plutôt à des fonctions de représentation, comprenait une vaste antichambre et la salle dite de Bologne (Sala della Bologna) où Grégoire XIII fit exécuter toute une série de fresques à la gloire de sa ville natale en plus de diverses figures (signes du Zodiaque, astronomes et cosmographes de l’Antiquité) reflétant le grand intérêt qu’il portait aux sciences qu’allait, quelques années plus tard, illustrer Galilée. Intérêt qui se doublait chez lui d’une véritable passion pour la géographie comme en témoignent les cartes qu’il fit peindre dans la troisième loggia de sa nouvelle résidence, à l’exemple de celles que son « maître »65 Pie IV avait fait exécuter dans la loggia voisine, puis, surtout, la célèbre galerie des cartes (Galleria delle carte geografiche) longue de 120 mètres qu’il fit aménager entre 1578 et 1580 dans le corridor ouest du Belvédère. Et que dire de l’élégante tour de 73 mètres qu’il fit construire dans ce même corridor: la tour dite des vents (Torre dei Venti) en raison de l’anémographe qu’y avait installé le dominicain Ignazio Danti, illustre mathématicien florentin que le pape avait fait venir à Rome pour y travailler à la réforme du calendrier66. Mais, à toutes ces interventions, il faut ajouter celles que Grégoire XIII effectua à la même époque à la Sala Regia et à la Sala Ducale dont il compléta, de part et d’autre, la décoration, de même qu’à la chapelle Pauline où il fit exécuter toute une série de fresques à partir de cartons fournis par Vasari. Sans compter celles qu’il se permit dans plusieurs salles de l’ancien palais de Nicolas III: au premier étage, les salles dites dei Paramenti, de la Galleriola et della Falda; au second, la Sala dei Chiaroscuri (ou del Pappagallo) et la Sala di Costantino où, là encore, on procéda à des restaurations et réparations de toutes sortes67. On imagine assez facilement l’effet que dut avoir sur la vie de la cour la présence de tous ces chantiers se succédant les uns les autres, voire fonctionnant de pair, de même que celle des cohortes d’artistes et d’artisans qui y étaient employés. Les nombreuses « absences » du pape à l’époque ne pourraient-elles pas trouver là, en partie du moins, leur explication? Tout cela, bien évidemment, coûtait cher, très cher même, mais pour Grégoire XIII –– nous l’avons rappelé au chapitre précédent –– bâtir était une autre façon de faire l’aumône et on sait à quel point, sur ce plan, il Ibid., p. 160-162. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 152-154. Ibid., p. 21, 154, 187-190. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 174-178. Sur la tour des vents, voir N. Courtright, The Papacy and the Art of Reform in Sixteenth-Century Rome. Gregory XIII’s Tower of the Winds in the Vatican, Cambridge 2003. 67 Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 179-184. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 21-22, 59-60, 76-78, 90-91. 65
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pouvait être généreux, prodigue même68. Chose certaine, de tous les papes du XVIe siècle, il fut peut-être celui qui se permit le plus grand nombre d’interventions dans le palais apostolique, interventions, qui –– force est de l’admettre –– n’avaient toutefois, pour la plupart, rien de la qualité de celles d’un Jules II ou d’un Léon X. On n’était manifestement plus à l’époque de Bramante, de Raphaël ou de Michel-Ange69. Son successeur immédiat, Sixte V (1585-1590), ne voulant pas être de reste, décida de laisser lui aussi, mais de façon beaucoup plus ponctuelle, sa marque sur le vaste complexe résidentiel qu’était devenu avec le temps le palais apostolique. En effet, considérant que les grands travaux d’aménagement et d’embellissement des parties existantes du palais étaient à toutes fins pratiques terminées, il décida de procéder à un agrandissement sous forme de deux édifices totalement nouveaux, l’un appelé à lui servir de résidence officielle, l’autre, à loger les collections de plus en plus imposantes de la bibliothèque pontificale, édifices qui, en raison de leur emplacement, étaient appelés à modifier considérablement l’aspect extérieur du palais apostolique. Amateurs de manuscrits anciens et bibliophiles ne pouvaient qu’applaudir à l’idée de mettre à la disposition de la bibliothèque palatine les espaces dont à l’époque elle avait cruellement besoin. La construction entre 1587 et 1588, au point de rencontre des niveaux inférieur et intermédiaire de la grande cour du Belvédère, d’une aile transversale de trois étages, rez-de-chaussée compris, répondait on ne peut mieux à ce besoin, sans compter qu’une expansion restait à tout moment possible en direction de l’une ou l’autre des ailes reliant la villa du Belvédère au palais apostolique. Disposant au premier étage de huit pièces qui leur étaient expressément réservées, au second, d’une grande salle (Salone Sistino) où étaient conservés livres et manuscrits et d’une plus petite (Sala degli Scrittori) où ils étaient à même d’assurer les divers services requis d’eux, les bibliothécaires avaient toutes raisons de se réjouir de la décision prise par Sixte V. D’autant plus d’ailleurs qu’entre 1588 et 1590, celui-ci fera somptueusement décorer l’étage abritant la bibliothèque comme telle, y employant de nombreux artistes dont Giovanni Guerra, Cesare Nebbia et Paolo Bril travaillant à partir d’un programme iconographique proposé par Federico Rainaldi, « gardien » (custode) de la bibliothèque et Silvio Antoniano, secrétaire du Sacré Collège70. Certains reprocheront plus tard à Cf. chap. II, p. 99 et note 222. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 169. L’auteur attribue la « médiocrité » de plusieurs des réalisations de Grégoire XIII à Ottaviano Mascherino, principal architecte du pape. 70 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 198-200. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 185-189. Bignami Odier, La Bibliothèque cit., p. 70-75. 68
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Sixte V d’avoir par là même à tout jamais détruit la « magie » d’un espace dont Jules II, plus tard, Pie IV avaient cherché et jusqu’à un certain point réussi à faire un lieu d’exceptionnelle beauté –– « théâtre » et « jardin » tout à la fois –– se prêtant aussi bien aux vastes déploiements des grands jours qu’aux simples et discrètes déambulations quotidiennes du pape ou de ses hôtes. Homme pratique, pragmatique même, Sixte V n’était pas du genre à se laisser émouvoir par ce type d’argument. Il ne semble d’ailleurs pas qu’il ait eu à l’époque à y faire face, mais, cela eût-il été le cas, il ne fait pas de doute qu’il n’en aurait guère tenu compte. Beaucoup moins contestable, par contre, parut la décision d’ériger face à l’ancien palais de Nicolas III et à l’angle nord-est de celui de Grégoire XIII un troisième palais appelé à lui servir de résidence. Et, cela, pour deux raisons. Tout d’abord, le fait que les appartements occupés jusque-là par ses prédécesseurs étaient de l’avis du pape lui-même insalubres; puis –– à ce qu’il semble –– le désir qu’il avait de pouvoir jouir de la vue de la place Saint-Pierre71. C’était là des motifs –– le premier surtout –– qui apparemment ne manquaient pas de poids. Mais il y avait aussi, d’un point de vue architectural cette fois, l’argument que, ce faisant, Sixte V créait un nouvel espace d’accueil, la cour Saint-Damase, et, autour de cet espace, un nouvel ensemble résidentiel faisant en quelque sorte pendant à celui, plus ancien, de la cour du Perroquet (Cortile del Pappagallo) et que, par le fait même, il se situait dans la parfaite logique des partis architecturaux adoptés par ses prédécesseurs Pie IV et Grégoire XIII72. Édifice imposant –– sa surface totale faisait 53 x 52,40 mètres –– le nouveau palais conçu par l’architecte de prédilection du pape, Domenico Fontana (1543-1607), comprenait comme les deux corps de bâtiment voisins, trois étages, sans compter le rez-de-chaussée, et trois séries de loggias prolongeant celles des palais de Grégoire XIII et de Nicolas III. Mis en chantier en 1589 seulement, l’édifice n’en était pas moins presque terminé lorsque mourut le pape une année plus tard. Avec Sixte V, les choses ne 71 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 198-200. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 191. L’argument de l’insalubrité de l’air mis en avant par Sixte V pour justifier la construction d’un nouveau palais au Vatican reposait sur un courant d’opinion très ancien remontant peut-être au XIe siècle et que les Romains en général croyaient bel et bien fondé. Or de nombreux voyageurs venus à Rome au XVIe siècle, un Montaigne entre autres, n’étaient pas de cet avis. Stefano Borgia, auteur d’une histoire de Bénévent publié à la fin du XVIIIe siècle, abondera dans le même sens, en particulier pour ce qui était du Vatican qui, selon lui, jouissait d’une bonne ventilation ou aération, tout en reconnaissant que l’argument de l’insalubrité de l’air était souvent utilisé par les papes et certains cardinaux ou officiers de curie pour justifier leurs plus ou moins longues absences de Rome. Antonio Menniti Ippolito se demande si, en réalité, il ne s’agissait pas là dans bien des cas d’un prétexte servant à masquer les vraies raisons des « absences » en question. À ce sujet, voir son excellent ouvrage: I papi al Quirinale, Rome 2004, p. 27-38. 72 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 169.
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traînaient guère. Il restait toutefois à aménager et à décorer les diverses pièces de l’édifice en question, notamment ceux du deuxième étage où Sixte V, comme il se devait, avait prévu de s’installer, aménagement et décoration qui seront assurés principalement par Clément VIII (1592-1605), dernier pape du XVIe siècle. La plus connue des réalisations de ce dernier est bien évidemment la grande salle portant encore aujourd’hui son nom qui servira plus tard d’antichambre à l’appartement pontifical, mais qui jouait déjà à l’époque le rôle de salle de réception ou d’apparat. De nombreux artistes dont les frères Alberti, Baldassare Croce et Paolo Bril travailleront durant tout le pontificat de Clément VIII à la décoration des diverses salles de l’appartement papal, en particulier de la salle Clémentine73. Les successeurs de Clément VIII ayant choisi d’emménager au Quirinal, ce seront là, hormis la construction au XVIIe siècle du grand escalier joignant le palais apostolique à la place Saint-Pierre, les derniers grands travaux entrepris dans le complexe résidentiel du Vatican, jusqu’au XVIIIe siècle74. Le palais de Sixte V, redevenu depuis 1870 résidence officielle de la papauté, dresse encore aujourd’hui sa fière silhouette face à la place Saint-Pierre, prestigieux rappel d’un pouvoir politico-religieux qui commandait encore à la fin du XVIe siècle plus que le simple respect. 3. Le Vatican: une vue d’ensemble « Ajouts » de Sixte V compris, le complexe résidentiel du Vatican s’étendait au début du XVIIe siècle sur 55.000 m2 et totalisait quelque 11.500 pièces. À titre de comparaison, à la même époque, l’Escorial, résidence du roi d’Espagne, couvrait 33 116 m2 et le palais de Westminster à Londres, 32 368 m2. Et encore, dans le cas du Vatican, faut-il ajouter les 107.000 m2 de jardins et de bosquets entourant le palais apostolique75. Que de chemin Ibid., p. 169-171. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 189-198. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 22-28, Delumeau, Vie économique cit., II, p. 269. 75 L. Callari, I palazzi di Roma et le case d’importanza storica ed artistica, Rome 1932, p. 309. Delumeau, Vie économique cit., II. p. 269. En effet, à l’ouest du palais apostolique, s’étendait un vaste espace vert délimité pour l’essentiel par l’enceinte que Léon IV (749-755) avait fait édifier autour de la basilique Saint-Pierre et de ses principales annexes. Il semble bien que très tôt cet espace ait fait l’objet de cultures de diverses sortes: arbres fruitiers, plantes potagères, herbes médicinales, vignes. Une première mention en ce sens remonte au pontificat d’Innocent IV (1243-1254). Nous avons vu que Nicolas III (1277-1280) avait créé à l’intérieur de cet espace un jardin clos s’étendant jusqu’au mont Sant’Egidio. Ses successeurs, y compris les papes d’Avignon, tout en s’intéressant au jardin en question, continuèrent à exploiter les terrains à l’extérieur de ce dernier, tel Urbain V par exemple qui, au XIVe siècle, y fit disposer, entre autres, un imposant vignoble. Nicolas V (1447-1455) et Pie II (1458-1464) réorganisèrent ces espaces, en particulier ceux consacrés à la vigne et aux cultures potagères. Avec 73 74
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parcouru depuis l’époque d’un Innocent III, d’un Nicolas III, voire d’un Nicolas V. Ne fût-ce qu’en termes de superficie, de volume et d’apparence extérieure, aucun de ces hommes ne se serait sans doute reconnu dans l’imposant palais qui s’étalait fin XVIe siècle entre l’ancien Monte Sacco et son vis-à-vis, le Monte Sant’Egidio, connu depuis le XVe siècle sous le nom de Belvédère. Et, pourtant, une bonne partie de ce qu’ils avaient construit était toujours là, considérablement modifié, il est vrai, mais tout de même reconnaissable par un œil suffisamment averti ou attentif. C’est que leurs successeurs avaient, assez tôt, semble-t-il, adopté la stratégie, d’ailleurs confirmée, et, cette fois, de façon définitive, par un Jules II au début du XVIe siècle, d’éviter le plus possible de détruire ce qui existait déjà et de procéder plutôt par adjonction, juxtaposition, à la limite, reconfiguration, si ce n’est dans le cas d’aménagements intérieurs où pour des raisons tout aussi bien esthétiques qu’éthiques ou tout bonnement pratiques, on ne se faisait pas scrupule de substituer tel décor à tel autre, voire d’éliminer purement et simplement ce dernier, qu’elle qu’en fût par ailleurs la qualité ou la notoriété. Ainsi –– nous y avons fait allusion plus haut –– disparurent à tout jamais des œuvres de Fra Angelico, Perugino, Raphaël et autres grands noms de la peinture des XVe et XVIe siècles. D’où le fait que le vaste complexe du Vatican tel qu’il se présentait au début du XVIIe siècle avec ses innombrables points de passage, postes de travail, lieux de rassemblement, de réception ou d’habitation constituait –– et constitue d’ailleurs encore aujourd’hui –– un véritable palimpseste dont archéologues et historiens de l’art n’ont pas encore fini quatre siècles plus tard d’élucider tous les mystères. Chose certaine, il ne devait pas être simple de s’y retrouver dans le dédale de ces milliers de pièces la construction de la villa du Belvédère à la fin du XVe siècle, le jardin clos de Nicolas III se vit imposer une nouvelle vocation et n’accueillit plus que des plantes ornementales destinées à créer un effet d’abord et avant tout scénographique. Effet qu’on ne tardera pas à retrouver à l’extérieur du Belvédère, le long du sentier conduisant au poulailler (gallinarium) situé au nord-ouest du palais où on plantera une allée de cyprès entrecoupés de statues antiques. Clément VII (1523-1534), pour sa part, fera aménager dans cette même zone toute une série de plates-bandes, tandis que Paul III (1513-1549), quelques années plus tard, créait à la lisière des bosquets occupant la partie ouest de la zone en question un « jardin secret » à la française, reprise sans doute du viridarium datant de l’époque de Nicolas V et de Pie II. C’est dans ce cadre que viendra s’insérer la villa Pia au milieu du XVIe siècle. Renouant avec une tradition remontant à Nicolas IV (1288-1292), Pie V (1566-1572) prendra l’initiative d’installer au milieu des jardins de ladite villa un jardin d’herbes médicinales (giardino dei semplici). Quant à Grégoire XIII (1572-1585), il fit régulariser la partie boisée à l’ouest restée jusque-là à l’état « sauvage ». Avec lui, la « domestication » des espaces verts entourant le palais apostolique était à toutes fins pratiques terminée. Cf. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 251-252. Pour ce qui est de l’histoire des jardins du Vatican, il faut désormais renvoyer de préférence à A. Campitelli, Gli Horti dei Papi. I giardini Vaticani dal Medioevo al Novecento, Milan 2009. Pour la période qui nous ceoncerne, voir surtout les pp. 27 à 119.
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de toutes dimensions et de tous usages étalées sur trois, quatre, parfois six ou sept étages, malgré les efforts déployés au fil des siècles pour faciliter le passage d’un corps de bâtiment, d’un appartement, d’une salle ou d’une pièce à l’autre à l’aide de rampes, d’escaliers, de passages couverts, de corridors, de portes, de balcons, de loggias et de cours intérieures. Un Rolo delle stantie del Palazzo datant de 1594, c’est-à-dire du pontificat de Clément VIII, permet de nous faire une assez bonne idée des « acrobaties » auxquelles on devait parfois se livrer à l’époque pour passer d’un secteur à un autre, voire, simplement, d’une pièce à une autre du palais. Ainsi y apprend-on que le cardinal Cinzio Aldobrandini, neveu du pape, occupait un appartement voisin de celui de son oncle, sous la salle dite de Bologne, donc au deuxième étage du palais de Grégoire XIII, mais que sa « famille » était dispersée un peu partout, son majordome et son auditeur habitant à l’étage au-dessus, mais en direction de l’ancien appartement du cardinal Ricci, son écuyer tranchant, au sommet de l’escalier en colimaçon descendant vers le jeu de paume situé à l’est du palais, son médecin de même que ses palefreniers, à mi-parcours de ce même escalier, son échanson, au Belvédère, lui aussi à mi-parcours d’un escalier du même type, mais donnant sur le passage liant le Cortile delle Statue à celui della Stampa, le reste de la domesticité étant pour sa part casée, soit, elle aussi, du côté du jeu de paume ou du Belvédère, soit, comme les trois valets de chambre du cardinal, du côté de la Sala Regia. Il en allait d’ailleurs de même des services de bouche et des services de garde-robe du cardinal, ces derniers se trouvant dans un local situé au-dessus du passage plus haut mentionné entre le Cortile delle Statue et celui della Stampa, les premiers occupant les étages inférieurs du palais, étages qu’on ne pouvait atteindre qu’après un tortueux parcours comprenant deux escaliers en colimaçon, un corridor et une courette (cortillazzo)76. Décidément, il fallait être agile et costaud pour servir à la cour de Clément VIII. Quoi qu’il en soit de cet inconvénient et d’autres du même genre qui affectaient surtout le petit personnel de la cour, le palais apostolique n’en restait pas moins un lieu de prestige, admiré, recherché même, un lieu qui, bien entendu, servait d’abord et avant tout à loger le pape et sa « famille », mais qui servait aussi à recevoir des personnages de toute provenance et de tout rang et, il ne faudrait pas l’oublier, à abriter un certain nombre d’instances administratives ou « curiales » liées de près à la personne du pape. Mais qu’en était-il de la répartition des espaces affectés à ces diverses fonctions? 76 Rolo delle Stantie del Palazzo di San Pietro in Vaticano, ASV, Fondo Confalonieri, 64, fol. 4v, 5r, 14-15r. G. P. Chattard, Nuova Descrittione del Vaticano, III, Rome 1766, p. 332.
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Grâce à un certain nombre de sources contemporaines, nous sommes heureusement en mesure de répondre de façon relativement sûre à cette question. En ce qui concerne les instances administratives, nous savons qu’au moins quatre d’entre elles avaient leur port d’attache au Vatican, la première: le tribunal de la Rote, occupant des locaux à l’entrée du palais apostolique, dans une cour intérieure donnant sur les murs de fortification bordant la place Saint Pierre77; la deuxième: la Chambre Apostolique, installée au premier étage du palais de Sixte V où elle disposait d’une salle de réunion, d’une chapelle et de quelques bureaux faisant face à la cour intérieure dudit palais78 ; la troisième: la Secrétairerie Apostolique, logée aux deuxième et troisième étages de ce même bâtiment, dans des locaux voisins de la tour de Nicolas V (appelée à l’époque « torrione degli Svizzeri »)79; la dernière: la Daterie ayant, quant à elle, ses quartiers au Belvédère, dans le palais d’Innocent VIII, face au Cortile della Pigna80. Et sans doute faudrait-il ajouter à cette liste les Signatures de grâce et de justice, la première surtout qui se réunissait toujours en présence du pape et qui, durant de nombreuses années, avait tenu à le faire dans l’une ou l’autre des « stances » de Raphaël81. À noter toutefois que le fait d’être rattaché à ces diverses instances judiciaires, administratives ou secrétariales et, par conséquent, de travailler au Vatican ne voulait pas nécessairement dire qu’on faisait partie de la cour pontificale et qu’on pouvait donc escompter y trouver gîte et couvert. Les choses n’étaient pas aussi simples que cela, comme nous aurons l’occasion de le démontrer dans notre prochain chapitre. Qu’il suffise pour le moment de signaler que ni les personnels de la Rote ni ceux de la Chambre Apostolique n’habitaient le palais apostolique, mais que, par contre, au moins une partie de ceux rattachés à l’une et l’autre des Signatures, ou à la Secrétairerie Apostolique ou encore à la Daterie très certainement y étaient logés et nourris82. Cela dit, les espaces mis à la disposition des instances en question restaient, tout compte fait, relativement restreints. Il en allait tout autrement de ceux qu’occupaient la cour comme telle, c’est-à-dire la « famille » du pape. D’après le « rôle » de 1594, le palais apostolique comprenait lors une cinquantaine d’appartements, dont 41 munis de cuisines et, neuf, 77 Pianta del Palazzo Apostolico (c. 1620), BAV, Vat. lat. 10742, fol. 424rv. Ce plan est attribué à Martino Ferrabosco. 78 Ibid., fol. 428v. Rolo delle Stantie, fol. 8v. 79 Ibid., fol. 429r. 80 Pianta del Palazzo, Ibid., fol. 492r. Rolo delle Stantie, fol. 5v. Cette dernière source signale la présence dans ce même secteur du palais de la Secrétairerie des brefs (fol. 8v), de pièces à la disposition de la Secrétairie Apostolique (fol. 9v) et d’autres occupées par les réviseurs des supplications (fol. 9v-10r). 81 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 109, 115. 82 Rolo delle Stantie, fol. 8r, 9r-10v, 12r.
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de chapelles83. Appartements de dimensions très variables selon qu’il s’agissait de personnages de tout premier plan, à commencer par le pape lui-même, ses deux neveux et les six autres cardinaux qu’il tenait à avoir sous son toit, ou de personnages de moindre relief, bien que, pour la plupart, titulaires de charges importantes84. Mais, à tout cela, il faut ajouter les espaces assignés aux divers services « domestiques » du palais: services d’entretien, services de bouche, services d’écurie, les uns logés dans l’enceinte même du palais, mais, le plus souvent, dans les étages inférieurs (sous-sols, rez-de-chaussée) –– on pense ici aux magasins (cantine) servant à entreposer bois, fourrage, vin, huile, denrées et matériaux de toutes sortes de même qu’aux cuisines, dépenses, garde-robes, garde-meubles, ateliers, voire logements du petit personnel (bassa famiglia)85 ––, les autres, dans des bâtiments annexes –– c’est le cas, notamment, des écuries, du fenil, de la boulangerie (panetteria) et du poulailler, comme on peut s’en rendre compte à l’examen d’un certain nombre de sources écrites et figurées de l’époque86. Quant à la Garde Suisse qui assurait le service de protection rapprochée du pape, mais aussi de sa « famille » et du palais, elle avait ses quartiers en contre-bas du palais de Sixte V dans des bâtiments situés entre la tour de Nicolas V et la place Saint-Pierre, bâtiments qui, du moins pour certains, dataient du pontificat de Sixte IV87. Ibid., passim. Ibid., fol. 4-5v. 85 Ibid., fol. 4v, 9r, 10v, 11rv, 13rv, 14v, 15rv, 17rv. Pianta del Palazzo, fol. 425r, 427r. 86 Rolo delle Stantie, fol. 9v, 11v. Voir également A. P. Frutaz, Le piante di Roma, II, Rome 1962 (Tavola 205). Il s’agit d’une reproduction d’une section (Zona del Vaticano) du plan de Bufalini (1551). Sans oublier F. Ehrle, La grande veduta Maggi-Mascardi (1615), Rome 1914, p. 15-19 et le plan annexe en huit sections. 87 Pianta del Palazzo, fol. 424v, 425v. Des indications plus précises se trouvent dans Frutaz, Le piante cit., II, Tavola 205 et surtout Tavola 251. Il s’agit, dans ce dernier cas, d’un détail du plan d’Étienne du Pérac (1577). Le tout est confirmé par Chattard (Nuova descrittione cit., III, p. 331-340) qui non seulement situe à cet endroit précis les quartiers de la Garde Suisse, mais nous fournit une description détaillée de ces derniers. Il parle de trois corps d’habitation construits autour de trois cortili accessibles côté sud par une porte donnant sur la place S. Pierre et côté nord par deux portes ouvrant sur le Borgo Pio. Il signale, par ailleurs, que les officiers de même que les fifres et tambours de la Garde ont des appartements à part, tandis que les soldats ont à leur disposition un ensemble de 88 chambres réparties entre les divers corps d’habitation. Le complexe en question comprend également une chapelle (S. Martin et S. Sébastien) construite par Pie V en 1568, une auberge (osteria), un lavoir (lavatajo), un arsenal (armeria), une prison, un puits et toute une série de services (cuisines, magasins de toutes sortes, etc.). Chattard se fondant sur le témoignage de Platina, affirme que les premiers éléments de ce complexe dateraient du pontificat de Sixte IV, les transformations et améliorations ultérieures étant, selon lui, attribuables principalement aux papes Pie IV, Pie V et Clément VIII. Vérification faite, on trouve effectivement chez Platina mention de la construction par Sixte IV de premières casernes affectées au logement de sa garde qui n’était pas encore la Garde Suisse, mais qui la préfigurait. Cf. Le vite de’ Pontifici cit., p. 462. 83 84
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La cour de Clément VIII, Garde Suisse non comprise, comptait en 1595 quelque 720 membres88. Combien de ces derniers étaient effectivement logés au Vatican? La réponse à cette question appartient plutôt au chapitre qui suit où nous nous intéresserons plus spécifiquement à la « famille » du pape, mais, à simple titre indicatif, nous croyons pouvoir dès à présent affirmer qu’en ce qui concerne la cour de Clément VIII, environ 80% des effectifs de cette dernière habitaient le palais apostolique89. Dans des conditions qui, pour le petit personnel du moins –– nous en avons donné quelques exemples plus haut ––, n’étaient pas toujours des plus reluisantes, mais que ce dernier acceptait probablement sans trop rechigner, conscient des nombreux avantages que comportait par ailleurs pour lui le seul fait d’être inscrit au rôle de la cour, l’un de ces avantages, et non des moindres, étant de pouvoir jouir presque à tout moment de la présence, mais aussi de la libéralité de hauts et grands personnages gravitant autour de la personne du pape ou reçus par lui –– princes, prélats et ambassadeurs ––, ou encore lui faisant cortège à l’occasion des événements, cérémonies et fêtes de toutes sortes se succédant au fil des saisons et des jours. Car –– est-il besoin de le rappeler –– le palais apostolique était aussi un lieu de représentation. On peut même dire que c’était là, à l’époque, sa principale fonction et, cela, non seulement aux yeux des nombreux hôtes du palais ou encore de ceux, visiteurs, pèlerins ou simples badauds, qui devaient se contenter de l’admirer de l’extérieur, mais également et peut-être surtout des papes eux-mêmes et de leurs architectes qui, manifestement, avaient tout mis en œuvre pour qu’y soit clairement affirmée, magnifiée même, l’autorité du pontife romain et, à travers lui, celle de l’Église. Une Chapelle Sixtine, une Sala Regia, une Sala Ducale, les vestibules, antichambres, loggias, salles de réunion ou de réception des divers appartements aménagés ou réaménagés pour les papes de l’époque –– on pense ici, en particulier, aux « stances » de Raphaël, à la salle des Pontifes, aux salles de Constantin et de Bologne, à la salle Clémentine ––, sans oublier la galerie des cartes géographiques du Belvédère, et le Belvédère lui-même avec sa villa, ses cours, ses jardins: autant de lieux où l’on cherchait à impressionner, à émouvoir, à séduire, à convaincre surtout à des fins aussi bien politiques que strictement religieuses. Comment expliquer autrement l’importance, pour ne pas dire la priorité accordée, en termes aussi bien quantitatifs que qualitatifs, à tous ces espaces publics ou semi-publics pensés expressément en fonction des objectifs plus haut mentionnés et les sommes considérables affectées par plusieurs des papes du XVIe siècle à la BAV, Ruoli 133, fol. 15v. Notre estimation est fondée sur le recoupement de données fournies par cette même source et le Rolo delle Stantie. 88
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construction ou reconstruction, à l’embellissement surtout de ces espaces de prestige d’ailleurs encore aujourd’hui admirés par les milliers de touristes visitant chaque jour les musées du Vatican. Impressionner, émouvoir, séduire, convaincre: il suffit de passer de l’un à l’autre de ces lieux hors du commun pour constater à quel point le programme iconographique destiné à chacun d’entre eux correspondait bien à une intention idéologique précise, même si cette intention n’était pas toujours clairement ou immédiatement perceptible. Dans son excellente étude sur la Renaissance à Rome, Charles L. Stinger démontre que l’idéologie en question datait du XVe siècle et était née de la rencontre de deux « mythes »: celui de la Rome impériale promue par les humanistes accourus en grand nombre dans la Ville Éternelle à partir du pontificat d’Eugène IV et celui de la Rome papale mis en valeur par les théologiens et canonistes alors au service de la papauté, rencontre qui avait permis de fusionner en quelque sorte ces deux « mythes » en un seul: celui d’une Rome des « temps nouveaux » appelée à redevenir capitale du monde (caput mundi), mais sous l’égide cette fois d’un personnage pouvant se réclamer du double héritage païen et chrétien de la ville en même temps que de l’autorité, du prestige et des pouvoirs découlant de l’héritage en question. Ce personnage, bien entendu, c’était et ne pouvait d’ailleurs être que le pape90. Encore fallait-il qu’il accepte de jouer le rôle qu’on lui assignait, c’est-à-dire la remise en valeur de Rome comme capitale religieuse et culturelle du monde et, pour ce faire, la mobilisation de toutes les ressources, qu’elles soient d’ordre spirituel, politique, financier, intellectuel ou artistique, susceptibles de lui permettre d’atteindre cet objectif. Nous avons vu au chapitre précédent à quel point les papes du XVIe siècle avaient pris au sérieux ce rôle, même si, au lendemain du sac de Rome, de plus en plus sensibles à l’appel des réformistes, ils avaient cherché à valoriser plutôt le passé chrétien que le passé païen de Rome. Le palais apostolique, et pour cause, sera un des lieux privilégiés d’exercice de ce rôle et reste encore aujourd’hui probablement celui le mieux à même de révéler les intentions idéologiques ou autres soustendant les initiatives prises à cet égard par les papes de l’époque. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner la décoration, en particulier la décoration picturale, des espaces publics ou semi-publics du palais. En effet, celle-ci non seulement met très bien en évidence les intentions des papes qui occupèrent de 1492 à 1605 la chaire de Pierre, mais permet de constater à quel point leurs façons d’interpréter et de traduire ces mêmes intentions évoluent au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle. 90
Stinger, The Renaissance cit., p. 1-33.
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À l’époque faste de la Renaissance, on ne se fait aucun scrupule de mêler symboles païens et symboles chrétiens, motifs religieux et réminiscences mythologiques, sagesses grecque, égyptienne, voire étrusque et sagesses de l’Ancien comme du Nouveau Testament. C’est que, forts de la conviction qu’un nouvel « âge d’or » s’annonce, un âge qui verra enfin se réaliser autour de la personne du pape le plan de Dieu sur le monde, les humanistes, poètes, artistes, théologiens, voire canonistes au service des papes de la deuxième moitié du XVe et du début du XVIe siècle, et ces papes eux-mêmes, semblent partager le même rêve d’une « république chrétienne » (respublica christiana) ayant, pour capitale, Rome, pour souverain, le pape et, pour vocation, d’apporter la paix au monde et de l’unir sous la bannière du Christ91. Gilles de Viterbe (1469-1532), théologien, philosophe, poète, humaniste et orateur de renom, ne dressait-il pas au temps de Léon X un parallèle entre les dix âges de l’Ancien et les dix âges du Nouveau Testament et n’allait-il pas jusqu’à assurer les papes de l’époque dont il était d’ailleurs un conseiller écouté que le dernier de ces âges était arrivé et que, sous leur gouverne, le plan de Dieu allait bientôt trouver son plein achèvement92? On a peine à imaginer aujourd’hui le crédit que ces idées « prophétiques » à forte saveur millénariste pouvaient avoir à Rome, à la cour pontificale en particulier, au temps d’un Alexandre VI, d’un Jules II, d’un Léon X, voire d’un Clément VII93. Plus surprenante encore nous apparaît l’infinie variété des sources auxquelles s’alimentaient ces mêmes idées, cela pouvant aller des mythologies grecque et égyptienne aux spéculations néoplatoniciennes en passant par la kabbale juive, syncrétisme, qui, à première vue étonne, mais qu’on justifiait à l’époque à partir de la longue tradition remontant aux Pères de l’Église, aux Pères grecs en particulier, selon laquelle plusieurs des concepts, symboles ou images que véhiculaient ces diverses sources pouvaient être considérées comme autant de « préfigurations » du mystère chrétien et qu’elles pouvaient donc être mises au service de la cause que défendaient depuis le milieu du XVe siècle les coryphées de la Rome pontificale et de son souverain, le pape, c’est-à-dire celui qu’à l’ouverture du cinquième concile du Latran un Cristoforo Marcello ne craignait pas d’appeler « l’autre dieu sur terre » (alter deus in terra)94. Aussi n’est-on pas surpris de voir la liberté et la facilité avec laquelle les artistes alors à l’œuvre dans les salles, loggias et corridors du palais apostolique passaient de l’un à l’autre de ces univers symboliques et iconographiques. On pourrait ici multiplier les exemples, que ce soit sous Ibid., p. 292-308. Ibid., p. 306-308. 93 J. Delumeau, Mille ans de bonheur, Paris 1995 (Histoire du paradis, 2), p. 92-95. 94 Stinger, The Renaissance cit., p. 295-296. 91 92
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les pontificats d’Alexandre VI, Jules II ou encore Léon X. Deux des plus éloquents se trouvent encore aujourd’hui dans la salle des Saints (Sala dei Santi) et la salle des Sibylles (Sala delle Sibille) de l’appartement Borgia, appartement, nous l’avons vu, décoré sous la direction de Pinturicchio. La salle des Saints, comme son nom l’indique, comportait des fresques –– six au total –– évoquant des épisodes connus de la vie d’un certain nombre de saints personnages, entre autres, sainte Catherine, saint Sébastien, sainte Barbe, mais également –– aussi ironique que cela puisse paraître, s’agissant de l’appartement Borgia ––, la chaste Suzanne. Ces fresques étaient disposées tout autour de la salle ne question. Mais il suffisait de lever les yeux vers le plafond pour se voir soudainement transporté dans un tout autre univers, mythologique celui-là, fait de scènes tirées de l’histoire d’Isis et d’Osiris, divinités égyptiennes auxquelles on attribuait le mérite d’avoir fait passer l’humanité de l’état de barbarie à l’état de civilisation. On comprend que les humanistes de l’époque, ceux de la cour pontificale en particulier, aient été séduits par cette « préfiguration » lointaine de ce qu’ils étaient ou, du moins, croyaient être en train de vivre à l’époque. C’est d’ailleurs un proche de ces humanistes, le dominicain Annio da Viterbo, égyptologue à ses heures, qui avait, semble-t-il, suggéré cette thématique à Pinturicchio. Mais cette thématique permettait aussi –– et ce n’était pas là un mince avantage –– de célébrer tout à la fois la famille du pape et le pape lui-même, nouvel Osiris, bienfaiteur de l’humanité et surtout producteur de paix et de prospérité. En effet, on devait assez facilement faire le lien à l’époque entre le dieu égyptien représenté, comme le voulait la tradition, sous la forme d’un taureau et les Borgia qui avaient fait de cet animal leur symbole héraldique par excellence. Mais le parallèle allait beaucoup plus loin, car dans une des scènes peintes par Pinturicchio on représente Osiris transporté triomphalement par un groupe de prêtres égyptiens avec à la tête de la procession un enfant soufflant dans un cor orné de l’écusson Borgia, ce qui pouvait cette fois évoquer non plus seulement la famille d’Alexandre VI, mais Alexandre VI lui-même défilant au milieu de ses fidèles et les bénissant du haut de sa sedia gestatoria95. Tout aussi, sinon plus suggestive la décoration de la salle des Sibylles où l’on découvre le long des murs, tout d’abord des scènes s’inspirant à nouveau des mythes d’Isis et d’Osiris, puis surtout, un peu plus haut, douze lunettes mettant chacune en scène un prophète et une sibylle, mariage qui à première vue peut aujourd’hui surprendre, mais qui, de fait, symbolisait à l’époque, selon une tradition remontant au moyen âge, l’attente messianique que l’on croyait avoir existé aussi bien dans le monde païen que 95
Ibid., p. 304-306, Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 91.
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dans le monde juif96. Il faut rappeler ici le grand intérêt que, depuis des siècles, suscitaient les sibylles, ces mystérieuses prophétesses sorties tout droit des mythologies grecque, égyptienne et romaine dont les Pères de l’Église avaient très tôt fait des oracles chargés par Dieu d’annoncer la venue et le triomphe du christianisme, prophétesses qui serviront plus tard à cautionner toute une série de légendes mises au service de la promotion de Rome, capitale de la chrétienté et, à la limite, capitale du monde et au témoignage desquelles recouraient encore au XVe siècle un Pomponio Leto, créateur de l’Académie romaine, et un Platina, bibliothécaire de Sixte IV et auteur d’une Vie des papes. Sans compter, au début du siècle suivant, un Gilles de Viterbe qui s’intéressera surtout à la Sibylle cuméenne, celle dont se réclamait la Rome antique et qui, selon lui, avait prédit non seulement la venue du Christ, mais également l’établissement de son empire à Rome97. D’où sans doute la décision prise plus tard par Michel-Ange qui connaissait bien les écrits de Gilles de Viterbe et de quelques autres auteurs de même persuasion d’accorder à son tour une place de choix aux Sibylles, en particulier à la Sibylle cuméenne ou romaine, dans l’immense fresque consacrée au livre de la Genèse dont en 1508 il entreprit d’orner la voûte de la Chapelle Sixtine98. Mais ce choix venait de Michel-Ange lui-même, son patron, Jules II, ayant finalement renoncé à lui imposer le programme iconographique prévu au départ. Raphaël n’aura pas cette liberté, Jules II ayant dans son cas décidé, peut-être pour se démarquer une fois de plus de son ennemi juré, Alexandre VI, d’écarter toute référence aux mythologies grecque, égyptienne ou romaine et de mettre plutôt en valeur le ou les parallèles existant entre les sagesses hébraïque et chrétienne. Il se pourrait que l’influence de Gilles de Viterbe, encore ici, ait joué. Ce dernier, en effet, avait vers 1507 découvert la littérature talmudique et l’intérêt qu’il avait jusque-là porté à la mythologie égyptienne s’était rapidement mué en une véritable passion pour la kabbale juive. Il faut dire par ailleurs que cette dernière était déjà connue à Rome grâce à Flavius Mithridate, juif converti au temps de Sixte IV, grâce également à Pic de la Mirandole qui avait, lui aussi, largement contribué à la faire connaître à la gent humaniste de même qu’aux théologiens et philosophes de son temps99. Quoi qu’il en soit de toutes ces influences, le programme iconographique adopté par Raphaël pour la décoration des « stances » de l’appartement de Jules II correspondait manifestement à un choix en ce sens fait par le pape lui-même. La meilleure preuve que nous en ayons se trouve dans la salle d’Héliodore, salle Ibid., p. 92. Stinger, The Renaissance cit., p. 308-312. 98 Ibid., p. 312-314. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 54. 99 Stinger, The Renaissance cit., p. 306-307. 96 97
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préférée de Jules II où Raphaël présente en parallèle des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament ou encore de l’histoire de l’Église, par exemple, Héliodore chassé du Temple et Léon le Grand arrêtant Attila aux portes de Rome, mais où surtout, à la suggestion de Léon X cette fois, il utilisera la voûte de cette même salle pour y évoquer quatre moments-clés de l’Ancien Testament: l’Apparition de Dieu à Abraham, le Sacrifice d’Isaac, l’Échelle de Jacob et la Scène du Buisson Ardent100. Cela dit, Jules II, comme Alexandre VI avant et Léon X après lui, n’avait aucune objection à ce qu’on fasse la démonstration des liens, voire des « connivences » existant entre philosophie ancienne et révélation chrétienne. On n’a pour s’en convaincre qu’à se reporter à la décoration de sa bibliothèque, la future salle de la Signature (Sala della Segnatura), où Raphaël, à sa demande, mit en vedette quatre disciplines particulièrement appréciées à l’époque: théologie et philosophie, d’une part, poésie et jurisprudence, de l’autre, la théologie y étant évoquée sous forme d’un débat entre théologiens et auteurs chrétiens de diverses époques (Dispute du Saint-Sacrement), la philosophie, à partir d’une discussion entre philosophes païens, parmi lesquels Aristote, Platon et Socrate (École d’Athènes). Disposées l’une face à l’autre, s’inscrivant dans un même cadre de référence –– une rencontre fictive entre penseurs, chrétiens, d’un côté, païens, de l’autre ––, mettant en scène des personnages ayant beaucoup d’affinités entre eux –– il suffit de rappeler ici ce qu’un saint Augustin, un saint Bonaventure et un Thomas d’Aquin devaient aux philosophes grecs ––, les deux fresques en question visaient de toute évidence à montrer que sagesse païenne et sagesse chrétienne allaient de pair, la première devant être considérée comme une sorte d’anticipation, de pierre d’attente par rapport à la seconde. On pourrait en dire autant de la fresque consacrée à la poésie où étaient regroupées, cette fois, dans un seul et même cadre: le mont Parnasse, des poètes païens et chrétiens, ou encore de celles servant à illustrer la jurisprudence où étaient rappelés les liens étroits existant entre droit romain (Justinien remettant les Pandectes à Trebonius) et droit canon (Grégoire IX remettant les Décrétales à saint Raymond Peñafort)101. Dans la Rome de la Renaissance, cette mise en parallèle d’univers symboliques, iconographiques et conceptuels de diverses sortes empruntant aussi bien aux mythologies et philosophies anciennes qu’aux traditions et pratiques du judaïsme et du christianisme n’était pas de nature à choquer ou à scandaliser tant elle paraissait à même de servir la cause de la « république chrétienne » et de son porte-étendard, le pape. Un émule de Gilles de Viterbe, Agostino Steuco, qui, nous l’avons vu, était un protégé 100 101
Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 112-113. Ibid., p. 111-112.
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de Paul III, croyait encore au milieu du XVIe siècle aux vertus d’une telle approche102, mais, au lendemain du sac de Rome, dynamique réformiste et conciliaire aidant, cette approche, du moins en ce qui concernait les emprunts au monde de la mythologie, paraîtra de plus en plus suspecte et même un Paul III qui restait fonièrement un homme de la Renaissance n’osera pas l’exploiter comme il aurait peut-être été tenté de le faire. La veine mythologique trouvera encore preneurs –– l’appartement de Jules III, la villa Giulia, le casino de Pie IV nous en fournissent la preuve ––, mais dans un cadre beaucoup plus intime, personnel, voire ludique ayant peu à voir avec les prétentions idéologiques des papes de la fin du XVe et du début du XVIe siècle103. Le but recherché, c’est-à-dire la promotion de Rome et de la papauté, restera le même, mais l’accent sera désormais mis sur les symboles, personnages et récits tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais surtout, et de plus en plus, de l’histoire du christianisme et d’un christianisme dominé par la figure du pape, successeur de Pierre. Non pas qu’on avait négligé jusque-là de rappeler la place occupée et le rôle exercé par ce dernier depuis la fondation de l’Église de Rome. S’inspirant probablement de l’exemple des anciennes basiliques romaines qui se faisaient un point d’honneur d’exposer les portraits des papes des trois premiers siècles –– l’atrium de l’ancienne basilique Saint-Pierre témoignait encore à la fin du XVe et au début du XVIe siècle de cette pratique104 ––, Sixte IV avait fait réaliser ce même type de portraits pour la Sixtine. Mais il y avait en même temps fait peindre des scènes tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament dont une Remise des Clefs à Saint Pierre105, sujet qui, de toute évidence n’avait pas été choisi au hasard, surtout s’agissant du lieu où le pape, entouré de sa cour et de nombreux hôtes, dont les ambassadeurs des souverains catholiques, parfois de ces souverains eux-mêmes, présidait les fonctions liturgiques de toutes sortes ponctuant la vie de cette même cour. Tout aussi significative la série de tapisseries consacrées à la vie des apôtres Pierre et Paul et destinées elles aussi à la Sixtine que Léon X avait commandées à Raphaël en 1515 et qui y seront exhibées quatre ans plus tard106. Rien d’innocent, là encore, dans les scènes retenues par l’artiste et son patron, telles, par exemple, la Pêche miraculeuse, la Guérison du paralytique, la Mort d’Ananie ou, encore une fois, la Remise des Clefs, autant d’épisodes hautement symboliques des pouvoirs que le Christ Stinger, The Renaissance cit., p. 326-327. Ibid., p. 330. 104 Ibid., p. 191. 105 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 53-54. 106 Ibid., p. 55. 102 103
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avait conférés à Pierre et à ses successeurs107. On peut en dire autant de la fresque portant sur la Libération de Saint Pierre que Jules II avait, pour sa part, commandée pour la salle d’Héliodore, sujet qui, semble-t-il, lui tenait, comme à son oncle Sixte IV avant lui, particulièrement à cœur108. Même chose dans le cas de la Dispute du Saint-Sacrement, fresque de la salle de la Signature cette fois, où l’on trouve quantité d’allusions aux pouvoirs et à l’autorité du pape en ce domaine comme en tant d’autres109. Autant d’images, dont certaines fort éloquentes, mises au service de la cause chère aux théologiens, canonistes et humanistes défenseurs et promoteurs de la mission historique et providentielle de la Rome pontificale. Mission historique et providentielle: nul n’a mieux valorisé et popularisé ce concept à l’époque que Platina, l’auteur de la Vie des papes plus haut mentionnée, qui, comme plusieurs humanistes avant et après lui, se plaisait à présenter la papauté en général et chacun des papes ayant succédé ou devant succéder à Pierre à la tête de l’Église de Rome comme les instruments voulus de toute éternité par Dieu pour le salut de l’humanité et le gouvernement du monde110. Théologiens et canonistes de l’entourage pontifical n’auront aucun scrupule à faire leur cette vision et les arguments sur lesquels elle prétendait se fonder, arguments d’ailleurs empruntés le plus souvent à l’histoire. Aussi n’est-on pas surpris de constater à quel point ce type d’arguments, à partir du règne de Jules II déjà, compte de plus en plus dans le choix des programmes iconographiques devant servir à la décoration des espaces publics ou semi-publics du palais pontifical. Témoin la salle de l’Incendie de l’appartement de Jules II où Léon X, s’inspirant en partie du programme approuvé par son prédécesseur, fait peindre sur les murs de la salle en question quatre épisodes de l’histoire de la papauté mettant en scène un Léon III (Scène du Serment), un Léon IV (Incendie du Borgo, Bataille d’Ostie) et sa propre personne (Couronnement de François 1er comme nouveau Charlemagne), épisodes de toute évidence destinés à rappeler l’ancienneté, l’étendue et l’éminence du ou des pouvoirs exercés par le pontife romain. D’ailleurs, comme pour renforcer cette impression, le pape fait disposer sous les fresques en question toute une série de portraits de souverains chrétiens depuis Constantin jusqu’à Ferdinand le Catholique111. C’est sans aucun doute cette même idéologie qui soustend le projet suggéré par Léon X, mais réalisé plus tard par son cousin Clément VII, dans la grande salle des Fêtes contiguë à l’appartement de Jules II, soit la confec Stinger, The Renaissance cit., p. 192-194.. Ibid., p. 195-196. 109 Ibid., p. 198-201. 110 Ibid., p. 190-191. 111 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 113-114. 107 108
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tion entre 1523 et 1524 de six fresques célébrant la conversion de l’empereur Constantin. Le contenu des deux dernières scènes retenues est, à cet égard, tout particulièrement significatif. En effet, faisant fi des sévères critiques d’un Lorenzo Valla (1407-1457) et d’un Maffeo Vegio (c.14061458) quelque cinquante ans plus tôt, on n’a pas craint d’y évoquer, tout d’abord, le Baptême de Constantin par le pape Sylvestre Ier, puis la Donation de Constantin à ce même pape des insignes lui conférant tous pouvoirs sur Rome et les provinces environnantes. Nous savons aujourd’hui qu’il s’agit là de légendes n’ayant aucun fondement historique, mais au début du XVIe siècle, les prétentions d’un Valla et d’un Vegio étant depuis plusieurs années discréditées, on ne se faisait aucun scrupule de recourir à ces deux épisodes et à d’autres du même genre pour fonder le pouvoir des successeurs de Pierre sur le monde, au temporel comme au spirituel112. En d’autres mots, pour les défenseurs et promoteurs des prérogatives pontificales, l’histoire devait savoir se mettre au service de l’idéologie. On en est toujours là lorsqu’en 1538 Paul III décide de donner à la Sala Regia un lustre égal à la qualité des personnages, politiques surtout, qu’elle était appelée à recevoir et, à cet effet, confie à Antonio da Sangallo le Jeune, Perin del Vaga et Daniele da Volterra le soin d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de restauration et de redécoration de ladite salle. De l’unique fresque exécutée du vivant du pape, nous ne savons rien puisqu’elle fut détruite lorsque, sous Pie IV, reprirent les travaux en question, mais il semble bien qu’elle correspondait déjà au programme dont s’inspireront les artistes embauchés à partir de 1561 par Pirro Ligorio, architecte du palais apostolique, dont Giuseppe Porta dit Salviati à qui l’on doit la toute première des sept fresques prévues, soit celle consacrée au pape Alexandre III se réconciliant avec l’empereur Frédéric Barberousse. Les six autres, exécutées par divers artistes, sont presque toutes de la même veine, mettant en scène des souverains rendant hommage au pape (Pierre II d’Aragon payant tribut de son royaume à Innocent III, Charles Quint baisant le pied de Paul III) ou, plus fréquemment, lui faisant don ou restitution de l’un ou l’autre des territoires formant l’État pontifical (La Donation de Charlemagne de 774, Otton restituant les terres de l’Église au pape Agapit II, Grégoire II recevant de Liutprand la confirmation de la donation d’Aripert, Pépin II offrant l’exarquat de Ravenne et le Pentapole à Étienne II). On sait qu’avait aussi été prévue une « grande peinture » représentant l’autorité conférée par le Siège Apostolique aux Électeurs du Saint Empire Romain Germanique, mais il ne semble pas que cette œuvre 112 Stinger, The Renaissance cit., p. 248-254. Voir aussi, à ce propos, Chastel, Le sac cit., p. 77-92.
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ait vu le jour113. Peut-être Pie IV jugea-t-il que la leçon servie aux souverains de passage à Rome ou encore à leurs ambassadeurs, tout aussi sinon plus chatouilleux qu’eux à ce chapitre, était suffisamment explicite et que la peinture en question risquerait de paraître un peu trop provocatrice. Pie V, Grégoire XIII et Sixte V, beaucoup moins amènes et conciliants que lui, ne se seraient sans doute pas limités à ces quelques scènes de réconciliation, d’hommage ou de don. Grégoire XIII, pourtant le moins « agressif » des trois, n’ira-t-il pas en 1573 jusqu’à faire remplacer la fresque représentant Charles Quint baisant le pied de Paul III par une autre évoquant cette fois l’empereur Henri IV venant solliciter le pardon de Grégoire VII à Canossa114? Sensibles aux arguments d’un Platina et des théologiens et canonistes, comme lui, ardents promoteurs de la primauté et de l’universalité du pouvoir pontifical, les papes du XVIe siècle s’étaient progressivement ralliés à l’idée de privilégier désormais une rhétorique visuelle s’inspirant de récits ou d’images tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament, puis, à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle surtout, de leur propre histoire. Finie par conséquent l’époque où l’on pouvait se permettre de comparer le pontife romain à un Jupiter, un Osiris, un Alexandre le Grand, un César ou un Auguste115. Les modèles imposés s’appelaient désormais Moïse, Aaron, Élisée, Salomon116, puis, de plus en plus, l’un ou l’autre des grands papes du passé: un Sylvestre 1er, un Léon le Grand, un Grégoire le Grand, un Grégoire II, un Léon III, un Léon IV, un Grégoire VII, un Innocent III, le modèle par excellence et, pour ainsi dire, obligé restant toutefois, comme il l’avait toujours été d’ailleurs, Pierre, le « prince » des apôtres. Manifestement, les papes du XVIe siècle avaient pleinement conscience du fait que le palais apostolique n’était pas qu’un lieu de résidence ou de gouvernement, mais qu’il était aussi et peut-être surtout un lieu de représentation. D’où les sommes considérables affectées à l’embellissement dudit palais en vue d’impressionner, d’éblouir même les visiteurs, en particulier les visiteurs de marque qui y étaient reçus, mais d’où également, comme nous venons de le voir, le soin mis à livrer un message visuel susceptible de faire comprendre à ces mêmes visiteurs où ils se situaient par rapport à l’auguste personnage, prince et pontife tout à la fois, qui daignait les recevoir. Sans doute ce message n‘était-il pas toujours perçu ou reçu comme ils l’auraient souhaité, mais du moins –– les règles protocolaires étant ce qu’elles étaient à l’époque –– pouvaient-ils en général compter sur le fait qu’on n’en laisserait, extérieurement ou rituellement parlant, rien paraître. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 73-76. Ibid., p. 75. 115 Stinger, The Renaissance cit., p. 12, 91, 236, 238, 242, 245-246, 260, 304, 306. 116 Ibid., p. 5, 201-223, 226. 113 114
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Nous aurons, dans les prochains chapitres, à examiner de plus près les divers aspects de la vie quotidienne au Vatican et, partant, les avantages et désavantages qu’il y avait à habiter le palais apostolique ou encore, à défaut d’y habiter, d’y travailler ou d’y être reçu. Pour le moment, parvenus au terme d’une longue exploration visant à reconstituer d’une part, l’histoire de ce lieu de prestige, de l’autre, l’état dans lequel ce dernier se trouvait à la fin du XVIe siècle, trois conclusions nous paraissent s’imposer. Et, tout d’abord, celle-ci: le palais du Vatican tel qu’il se présente à la mort de Clément VIII en 1605 est le produit de quelque quatre siècles d’efforts plusieurs fois renouvelés en vue de créer à partir d’un noyau primitif remontant sinon au XIIe, du moins au XIIIe siècle un complexe tout à la fois administratif et résidentiel permettant de répondre, au fur et à mesure qu’ils se présentaient, aux besoins des papes et de leurs cours. Efforts marqués par un certain souci de continuité, même si on ne se privait pas de retrancher, d’ajouter, de réaménager, de redécorer en fonction des circonstances ou des nécessités du moment ou parfois des goûts, voire des caprices des maîtres de céans –– on pense ici à un Jules II, un Léon X, un Jules III ––, mais sans jamais oublier par ailleurs le but poursuivi qui était d’assurer aux pontifes appelés à se succéder sur le trône de Pierre espaces, locaux et décors jugés nécessaires à l’exercice optimal de leur double fonction de chefs d’Église et de chefs d’État. Cela dit, il faut se rendre à l’évidence qu’à force d’allonger, de transformer, de juxtaposer, on avait fini par constituer un ensemble incomparablement plus vaste et imposant, mais, en même temps, beaucoup plus « éclaté » que celui existant au départ, d’où, nous l’avons vu, le véritable casse-tête que constituera, du moins pour le personnel de la cour, les déplacements d’un secteur du palais à l’autre. On comprend que Sixte V ait voulu se doter d’un palais nouveau relié certes à l’ancien, mais pouvant à la limite fonctionner de façon autonome. Et on s’explique tout aussi bien la décision d’un Paul V (1605-1621) de quitter le Vatican pour le Quirinal où l’attendait un complexe résidentiel au goût du jour et de loin beaucoup plus accueillant et fonctionnel117. Enfin, on ne saurait trop insister sur le fait que les espaces qui aux XVe et XVIe siècles firent l’objet de la plus grande sollicitude et occasionnèrent les dépenses les plus considérables étaient ceux où les papes exerçaient les grandes fonctions publiques liées à leur ministère: fonctions liturgiques, administratives et politiques surtout, où s’exprimait le plus clairement et le plus solennellement le charisme qui leur était propre. Pour le visiteur occasionnel, pour le prince, l’ambassadeur ou le prélat qui avait l’heur d’être reçu par le pape, pour le pèlerin ou le touriste de passage à Rome, le palais du Vatican, c’était d’abord et avant tout cela et c’était sans doute ce que les maîtres de céans voulaient que ce soit. 117
À ce sujet, voir Menniti Ippolito, I papi cit., p. 52-57.
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4. Autres lieux Les papes du moyen âge –– nous y avons fait allusion plus haut –– furent presque tous de grands « nomades ». Agostino Paravicini Bagliani a calculé qu’entre 1198 et 1304 ils furent absents de Rome environ 60% du temps. Absences qui n’étaient habituellement que saisonnières –– d’où le titre de « palais d’hiver » donné à l’époque au Latran ––, mais qui pouvaient parfois durer plusieurs années. Ce qui permet nul doute d’expliquer la construction au XIIIe siècle d’un certain nombre de résidences pontificales hors de Rome, notamment à Viterbe, Orvieto et Rieti118. On n’en est plus là au XVIe siècle, les papes se sentant désormais beaucoup plus en sécurité dans leur capitale et disposant de moyens leur permettant d’exercer à distance leur autorité sur l’État pontifical. Sans oublier que l’expérience d’Avignon leur avait appris les avantages d’une certaine sédentarisation119. Il ne faudrait pas pour autant en conclure qu’ils étaient devenus totalement insensibles à l’attrait du « large ». Sans doute ne faut-il pas tenir pour typiques les longs et coûteux voyages d’un certain nombre d’entre eux –– un Clément VII à Marseille en 1533, un Paul III à Nice en 1537, un Clément VIII à Ferrare en 1598120 –– ni surtout les absences prolongées d’un Jules II en 1506-1507 et, de nouveau en 1510-1511, l’une et l’autre pour motifs de guerre121 –– c’était là « éloignements » exceptionnels imposés par des circonstances tout aussi exceptionnelles ––, mais les papes du XVIe siècle n’en peuvent pas moins être, eux aussi, considérés comme des « nomades », même si leur « nomadisme » a peu à voir avec celui de leurs prédécesseurs des XIIe et XIIIe siècles, leurs déplacements étant en général beaucoup plus circonscrits –– Rome, les environs de Rome, à la limite, le Patrimonio –– et beaucoup plus courts, si ce n’est l’été où, par temps chaud, ils sentaient le besoin de fuir le Vatican. Sans compter que ces mêmes déplacements étaient le plus souvent dictés par des considérations ayant beaucoup plus à voir avec leur bien-être physique, moral, voire spirituel qu’avec quelque impératif politique122. Les avvisi de l’époque qui font grand état de tous ces déplacements évoquent souvent à leur sujet le besoin que ressentaient les papes du temps, y compris les plus ascétiques d’entre eux, de s’offrir des moments de repos, de retraite ou, pour employer le vocabulaire des humanistes, d’otium. Détail 118 Cf. A. Paravicini Bagliani, La mobilità della corte papale nel secolo XIII dans Itineranza pontificia. La mobilità della Curia papale nel Lazio, éd. S. Carocci, Rome 2003, p. 3-78. 119 Menniti Ippolito, I papi cit., p. 35. 120 À ce sujet voir von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 447-452; V, p. 191-193; XI, p. 609-613. 121 Shaw, Julius II cit., p. 209-212, 261-278. 122 Coffin, The Villa cit., p. 24-26, 34-38 et passim.
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qui ne manque pas d’intérêt, les auteurs de ces avvisi emploient fréquemment à ce propos une formule qui avait depuis longtemps cours à Rome: « changer d’air » (mutar aria)123. Mais « changer d’air », cela supposait qu’on ait à sa disposition un certain nombre de lieux permettant d’échapper ne fût-ce qu’occasionnellement aux « pesanteurs » d’une vie trop bien réglée ou trop accaparante. Sans doute y avait-il, au Vatican même, la villa du Belvédère et le casino de Pie IV, mais pour agréables qu’ils aient été, ces lieux de rêve ne permettaient pas une véritable mise à l’écart des soucis, tracas ou désagréments de tous les jours. Bien que voisin du Vatican auquel il était d’ailleurs depuis longtemps relié, le Château Saint-Ange paraîtra aux papes de l’époque mieux à même de répondre, en partie du moins, au besoin de « distanciation » éprouvé par bon nombre d’entre eux. Bien entendu, l’ancien mausolée d’Adrien s’était vu depuis le moyen âge conféré une vocation d’abord et avant tout militaire et était encore au XVe, voire au XVIe siècle, considéré comme un lieu de refuge ou de mise à l’abri plutôt que comme un lieu de détente ou de repos. Un Alexandre VI, un Jules II, plus tard un Clément VII sauront, chacun à sa façon, apprécier la protection presque sans faille qu’était à même de leur offrir cet impressionnant et redoutable château-fort124. Mais les deux derniers de ces papes, imités en cela par un Léon X, puis surtout un Paul III et un Pie IV décidèrent de donner une seconde vocation, civile cette fois, à l’ancien mausolée d’Adrien et entreprirent à cet effet d’importants travaux visant à transformer les modestes quartiers d’habitation utilisés jusque-là par leurs prédécesseurs en appartements pontificaux dignes de ce nom, c’est-à-dire répondant à des critères autres que strictement militaires. Premier indice de cette nouvelle vocation: la loggetta que Jules II fit construire à même la façade est du Château. Plus significatives encore les interventions d’un Léon X et d’un Clément VII qui, non seulement réaménagèrent et redécorèrent les quartiers d’habitation existants, y installant, entre autres, une chapelle (S. Côme et S. Damien), plus tard, le célèbre bain dit de Clément VII, dont il a déjà été question plus haut, mais, en plus, multiplièrent les travaux en vue de faciliter l’accès aux quartiers en question (rampes, escaliers, passages) et s’efforcèrent de mettre au goût du jour les divers cortili faisant partie de ces mêmes quartiers. Ils firent pour cela appel aux talents notamment d’un Sangallo le Jeune et d’un Michel-Ange. À noter que Léon X venait 123 Cette expression ou quelque équivalent revient souvent, par exemple, au temps de Paul IV. (Avvisi du 24 septembre 1558 et du 8 avril 1551, BAV, Urb. lat. 1038, fol. 339r; 1039, fol. 24r) et de Pie IV (Avvisi du 23 juin et du 17 juillet 1565, Ibid., Urb. lat. 1040, fol. 358, 51v). L’ambassadeur florentin à Rome mentionne à l’été de 1560 que le jeune cardinal Médicis se prépare à quitter la ville « per ritirarsi in migliori arie ». Cf. Coffin, The Villa cit., p. 24. 124 Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 398; III, 657; IV/2, p. 218, 257.
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souvent au Château, l’été surtout, pour s’y mettre à l’abri de la canicule et que, chaque année, au temps du Carnaval, il y faisait donner des représentations théâtrales et autres divertissements du genre125. C’est toutefois à Paul III que l’on doit les interventions les plus décisives, soit, d’une part, l’agrandissement et la poursuite de l’ornementation des espaces remis à neuf par les deux papes Médicis, puis surtout l’aménagement à l’étage supérieur d’un appartement de son cru comprenant, entre autres, chambre à coucher, bibliothèque, salles de séjour et d’apparat, le tout richement décoré par un Perin del Vaga, un Luzio Romano et un Domenico Zapa. À quoi il faut ajouter, sur ce même étage, la très belle loggia faisant en quelque sorte pendant à celle de Jules II, mais orientée, elle, vers le nord, c’est-à-dire en direction des Prati, alors que l’autre l’était vers l’est, en direction de la ville, loggia dont il confiera la construction à Raffaello da Montelupo et la décoration à Girolamo da Sermoneta. À noter, par ailleurs, qu’à sa demande, Montelupo apportera certaines améliorations aux voies d’accès existantes (rampes, escaliers) et surtout réaménagera une des cours intérieures bordant l’appartement de Léon X et de Clément VII, l’actuel Cortile dell’Angelo qui portait à l’époque le nom de Cortile d’onore126. Pie IV, pour sa part, procédera à un agrandissement de l’appartement de Paul III, y ajoutant quelques chambres de même qu’un giretto ou déambulatoire ceinturant l’étage où se trouvait ledit appartement. À la fin du siècle, Clément VIII décidera de s’installer plutôt à l’étage du dessous et, à cette fin, s’y fera aménager un appartement bien à lui, face à celui de Léon X et de Clément VII127. Le Château Saint-Ange ne perdait pas pour autant sa vocation militaire –– on continuera durant tout le XVIe siècle à y entretenir une garnison, à y maintenir une prison, à ajouter aux ouvrages de défense qui s’y trouvaient128 ––, mais la vocation civile prenait de plus en plus de place et rares à l’époque seront les papes qui ne chercheront pas à profiter des espaces discrets et commodes qui y étaient désormais à leur disposition. Mais il était à prévoir qu’ils ne se contenteraient pas de cette alternative qui, si intéressante fût-elle, ne répondait que très imparfaitement à leur besoin de « changer d’air ». Très tôt, ils se mirent à la recherche de lieux moins confinants, plus vastes, voire plus « riants », en un mot, mieux à même de satisfaire leur désir de « distanciation » aussi bien psychologique 125 Portoghesi, Roma cit., II, p. 421-422; A. Zanella, Rione XIV - Borgo, Rome 1994 (Guide Rionali di Roma, V), p. 12, 27, 40, 44-47, 56, 63-65. 126 Ibid., p. 27, 34-35, 37-38, 40, 42-43, 49-65. Portoghesi, Roma cit., p. 422-423. 127 Ibid., p. 423. Zanella, Rione XIV cit., p. 27, 30-31, 38-39, 48-49. 128 Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 390, 411, 422, 622-623, 921; V, p. 158; VII, p. 564567; VIII, p. 87; IX, p. 830. Zanella, Rione XIV cit., p. 12-14.
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que physique. Jules II qui, nous l’avons vu, n’avait rien d’un sédentaire, préférait se déplacer, entouré de quelques proches, dans la campagne romaine ou encore dans le Patrimonio plutôt que de s’installer dans quelque lieu de retraite, mais il n’en avait pas moins adopté la forteresse d’Ostie (Rocca d’Ostia), dont il avait eu longtemps la responsabilité et où il avait fait faire d’importants travaux, comme une sorte de pied-à-terre privilégié où il aimait venir se reposer entre ses fréquentes « escapades »129. Léon X, grand amateur de chasse, jettera plutôt son dévolu sur une villa suburbaine située à la Magliana, à quelque 9 kilomètres à l’ouest de Rome, villa dont la construction remontait au pontificat d’Innocent VIII, sinon de Sixte IV. C’était à la fin du XVe siècle une modeste construction de deux étages comprenant au rez-de-chaussée une loggia à voûte et, à l’étage supérieur, l’appartement papal contenant une salle de séjour munie d’un foyer et deux autres pièces plus petites dont l’une servant de chambre à coucher. Jules II s’était beaucoup intéressé à cette maison de campagne en laquelle il voyait une étape commode entre Rome et Ostie, sa destination préférée, et avait confié à son favori, Francesco Alidosi qu’il avait fait cardinal en 1505, le soin de l’agrandir et de lui donner un caractère plus imposant. Ce dernier retint les services d’un architecte depuis longtemps lié à la personne du pape, Giuliano da Sangallo (1445-1516), qui proposa un plan très élaboré, trop peut-être, qui aurait transformé l’édifice existant en un palais de type urbain se déployant autour d’une cour intérieure et comportant sur trois faces, deux étages de portiques et, entre ces étages, deux escaliers monumentaux. De fait, Alidosi, d’accord sans doute avec le pape, opta pour une solution moins coûteuse et mieux adaptée à l’usage qu’on entendait faire dudit édifice, soit l’ajout d’une aile à la structure existante, aile en forme d’équerre abritant au rez-de-chaussée les divers services de la maison (cuisines, salle à manger du personnel, etc.) de même qu’une chapelle et, à l’étage, plusieurs chambres et antichambres. Les travaux commencés probablement entre 1505 et 1507 se poursuivirent jusqu’en 1509, à partir de 1507, vraisemblablement sous la direction du célèbre Bramante, Sangallo étant cette même année rentré à Florence. Jules II, jusqu’à sa mort, fera de fréquents, mais très courts passages à la Magliana, habituellement à l’aller et au retour d’Ostie. Il restait à entreprendre la décoration intérieure de l’édifice, le cardinal Alidosi mort inopinément en 1511 n’ayant pas été en mesure de le faire. Ce sera l’œuvre de Léon X qui, contrairement à Jules II, n’entendait pas faire 129 Coffin, The Villa cit., p. 34. Tivoli fut aussi durant tout le XVe et la première moitié du XVIe siècle un lieu d’« escapade » apprécié des papes de l’époque. Suivant en cela l’exemple d’un Pie II et d’un Sixte IV avant eux, Alexandre VI, Léon X et Paul III y firent de nombreux séjours. Voir à ce sujet, C. Pierattini, Soggiorni papali a Tivoli nella Rinascenza, dans Rinascimento nel Lazio, Rome 1980 (Lunario Romano, IX), p. 518-539.
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de la Magliana un simple lieu de passage, mais bel et bien un lieu de séjour et tenait donc, ses goûts personnels étant ce qu’ils étaient, à y retrouver, dans la mesure du possible, un décor digne de celui dont il jouissait au Vatican. D’où les fresques exécutées par un certain nombre d’élèves de Raphaël dans diverses pièces de la villa, en particulier dans la grande salle de l’étage du haut, de même que dans la chapelle. La salle en question portera à partir de ce moment le nom de salle des Muses en raison du programme iconographique adopté qui s’inspirait de celui de la salle de la Signature au Vatican, notamment de la fresque dite du mont Parnasse. Contrairement à Innocent VIII qui voyait en cet édifice une simple maison de campagne où venir de temps à autre se reposer, Léon X voulait plutôt s’en servir comme d’un pavillon de chasse, au sens propre du terme, et, de fait, chaque année ou presque, il viendra s’y installer de la mi-septembre à la mi-novembre pour s’y livrer à son passe-temps favori –– passe-temps qui lui était d’ailleurs recommandé par ses médecins ––, tout en y faisant par ailleurs d’assez fréquents séjours hiver et printemps, entouré d’un cercle d’intimes et de proches, mais aussi de musiciens et d’acteurs à qui il confiait le soin d’offrir à ses hôtes et à lui-même, le plus souvent dans la salle des Muses, concerts et spectacles susceptibles de leur plaire. Il arrivait que les chasses que le pape organisait ou faisait organiser à partir de la Magliana comprennent plusieurs centaines de participants. D’où le problème qui se posera assez tôt d’un bâtiment annexe où loger chevaux et personnels de chasse. C’est à Léon X principalement que revient le mérite d’avoir cherché à répondre à ce besoin, même si, malgré tous ses efforts, l’édifice mis en chantier à cet effet, édifice dont il reste encore aujourd’hui d’imposants vestiges, ne put être complété de son vivant et ne le sera d’ailleurs jamais, probablement en raison du fait que ses successeurs ne partageaient en rien l’attachement presque viscéral qui le liait à la Magliana. Paul III et, durant les premières années de leurs règnes, Jules III et Pie IV ne dédaigneront pas à l’occasion y faire de brefs séjours, mais l’âge d’or de la villa était terminé et, de fait, ne reviendrait jamais130. Dans le cas de Jules III, il importe de rappeler qu’il souffrait de la goutte, ce qui lui rendait l’exercice de la chasse quasi impossible et qu’en plus, à partir de 1551, il s’était fait construire via Flaminia, à moins d’un kilo130 Portoghesi, Roma cit., p. 430-431. Coffin, The Villa cit., p. 34, 111-131. À noter que Clément VII, beaucoup moins amateur de « divertissements » que son cousin Léon X, ne fréquenta guère la Magliana. Son lieu de « retraite » favori était la villa suburbaine qu’il s’était fait construire à partir de 1517-1518 sur les pentes verdoyantes de Monte Mario, à peu de distance de la ville, par nul autre que Raphaël, villa que Paul III céda plus tard à Marguerite d’Autriche, épouse de son petit-fils Ottavio, et qui, à partir de ce moment, prendra le nom de villa Madama. Devenu pape, Clément s’en servit surtout pour recevoir des hôtes de marque, mais, au cours des années 1525 et 1526, il s’y rendit assez souvent pour son propre agrément. Ibid., p. 245-257.
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mètre de la Porta del Popolo, une villa suburbaine de son cru, la célèbre villa Giulia où, nous l’avons vu, durant les dernières années de son règne, il passa le plus clair de son temps. D’une exceptionnelle beauté et commodité avec son élégant pavillon principal, sa cour intérieure, ses loggias, son nymphaeum, ses grottes, le tout magnifiquement décoré à l’antique (stucs, fresques, statues) et plus magnifiquement encore agrémenté de fontaines, de pièces d’eau, d’arbres, de jardins et de vignes, la villa en question due aux talents surtout d’un Vignola et d’un Ammanati comportait, entre autres avantages, tout d’abord, d’être à plus courte distance de Rome que la Magliana, puis, en ce qui concernait Jules III lui-même, de disposer d’eau en abondance et d’une eau de qualité: la célèbre Acqua Vergine sur laquelle, fort des recommandations de ses médecins, le pape comptait pour soigner sa goutte qui, d’année en année, le faisait de plus en plus souffrir, Jules III avait en 1553 légué cette propriété à son frère Baldovino. Paul IV qui n’arrivait pas à admettre pareille « libéralité », s’empressera de reprendre possession des lieux de même que d’autres propriétés cédées par Jules III aux siens, prétextant que la famille del Monte devait d’immenses sommes d’argent à la Chambre Apostolique. Plus conciliant, Pie IV régla cette affaire à l’amiable, mais conserva la villa Giulia pour laquelle, comme tant d’autres à l’époque, il avait la plus grande admiration. Il y fera d’ailleurs exécuter des travaux de restauration de diverses sortes et, à l’occasion de ses nombreux déplacements dans Rome ou dans les environs de Rome, s’arrangera assez souvent pour y passer quelques heures avec ses proches. Fait à noter, c’est durant son pontificat qu’on commencera à utiliser la villa pour loger les ambassadeurs ou autres personnages de marque s’apprêtant à faire leur entrée dans la ville131. Pie V, choqué par le caractère trop « mondain » de la villa Giulia, surtout par les « nudités » qui y étaient déployées, selon lui, en trop grand nombre, ordonna un « nettoyage » en règle des lieux, « nettoyage » plus poussé, semble-t-il, que celui qu’il s’était permis au Belvédère et à la villa Pia. Il n’en voulait sans doute pas à la villa comme telle, mais les quelques rares apparitions qu’il y fit montre bien qu’il préférait, et de loin, son casaletto de la Porta S. Pancrazio132. Sixte V songea, à un certain moment, à se servir de la villa Giulia comme lieu de repos et de détente, mais ses médecins ayant jugé que l’air ambiant y était malsain, il opta plutôt pour la villa du cardinal d’Este au Quirinal, comme l’avait déjà fait avant lui son prédécesseur immédiat, Grégoire XIII133. Ibid., p. 150-174. Sur ce casaletto moins rustique et simple qu’on l’a prétendu et qui sera, de fait, la « retraite favorite » de Pie V, voir Ibid., p. 38-40. 133 Ibid., p. 174. 131 132
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Tous les lieux jusqu’ici décrits répondaient au besoin que ressentaient les papes de l’époque d’« escapades » occasionnelles en compagnie d’un nombre réduit de proches et de serviteurs, en général pour de courtes périodes de temps. Restait à résoudre l’épineux problème de la période estivale où, en raison des grandes chaleurs, certains papes cherchaient à fuir le Vatican, ce qui supposait la mise à leur disposition, pendant quelque deux mois, d’un bâtiment ou d’un ensemble de bâtiments suffisamment grand pour les loger eux et leurs cours –– car, durant tout ce temps, il fallait continuer à vaquer aux affaires –– et disposant par ailleurs de toutes les commodités requises, y compris les moyens de se protéger des ardeurs du soleil. Construit à partir de 1452 par le cardinal Pietro Barbo devenu par la suite pape sous le nom de Paul II, le palais Saint-Marc, connu plus tard sous le nom de palais de Venise, s’avéra assez tôt le choix qui d’emblée s’imposait, ayant été conçu par Paul II, qui d’ailleurs y résida durant une grande partie de son règne, comme une sorte d’alternative au Vatican. Il faut toutefois attendre l’arrivée de Paul III sur le trône pontifical pour que le palais Saint-Marc devienne effectivement le « palais d’été » des papes du XVIe siècle. Pourquoi avoir attendu jusque-là pour prendre une décision allant apparemment de soi? Serait-ce que les prédécesseurs de Paul III étaient moins sensibles que lui à la chaleur de l’été romain ou, encore, qu’ils avaient trouvé d’autres moyens de se prémunir contre elle ou, peut-être, qu’ils hésitaient à prendre une décision qui risquait de leur poser de considérables problèmes logistiques? Il n’était pas si simple que cela de déplacer tant de personnes à la fois et surtout de les loger commodément en un même endroit. Toutes ces raisons entrèrent sans doute en ligne de compte et peut-être quelques autres tenant au tempérament de chacun de ces papes. Le fait que Paul III ait été plus âgé et probablement en moins bonne santé qu’eux au moment de son élection pourrait, dans son cas, avoir été l’élément-clé ayant permis de faire pencher la balance en faveur du palais Saint-Marc. C’est ce que semble confirmer un avviso d’avril 1535 de même qu’une note du maître de cérémonie deux mois plus tard annonçant que le pape, sur l’avis de ses médecins, a décidé d’aller s’installer pour l’été dans le palais en question. Décision qui va marquer le début d’une tradition appelée à se perpétuer pratiquement jusqu’au début du pontificat de Sixte V, si ce n’est dans le cas d’un Paul IV et d’un Pie V qui, pour des raisons que nous avons eu plus d’une fois l’occasion d’évoquer ici, avaient opté pour d’autres solutions, solutions sans doute jugées par eux moins « onéreuses ». Paul IV avait même en 1556 remis la tour que Paul III avait fait construire à proximité du palais Saint-Marc aux religieux du couvent de l’Ara Coeli, voisins de la tour en question, mesure qui sera rappelée par son successeur, Pie IV, qui enten-
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dait, lui, reprendre la tradition inaugurée par Paul III et donc profiter des aménités non seulement du palais Saint-Marc, mais également de cette tour merveilleusement située et aménagée. En 1585, cette dernière sera à nouveau remise, mais définitivement cette fois, aux conventuels de l’Ara Coeli par Sixte V qui –– est-il besoin de le rappeler –– était luimême issu de cette branche de la famille franciscaine. Le palais Saint-Marc, nous l’avons vu, comportait l’immense avantage d’avoir été voulu par son constructeur, du moins à partir du moment où ce dernier accéda à la papauté, comme une sorte de résidence papale bis. À la mort de Paul II en 1471, le palais avait été à nouveau mis à la disposition des cardinaux titulaires de l’église voisine, cardinaux, pour la plupart, comme Paul II lui-même, d’origine vénitienne, à commencer par son proche parent, Marco Barbo, disparu à son tour en 1491. D’où sans doute la décision prise en 1564 par Pie IV, pour des raisons manifestement politiques, de céder une bonne moitié du palais en question à la République de Venise pour y loger ses ambassadeurs, décision qui entraînera le changement de nom du palais qui, à partir de ce moment, s’appellera palais de Venise. En raison des destructions et remaniements de toutes sortes que va entraîner à partir de 1886 l’édification du monument Victor-Emmanuel, on a peine à se représenter aujourd’hui l’allure que pouvait avoir au XVIe siècle ce chef-d’œuvre d’architecture urbaine, constitué d’un corps de bâtiment principal, flanqué à l’est d’une église: l’église Saint-Marc et, au sudest, d’un élégant palazzetto où Paul II, en son temps, se plaisait à recevoir hôtes de marque et ambassadeurs. Monumental ensemble qui, en termes architecturaux du moins, marquait le début de la Renaissance à Rome et qui, avec ses deux cours intérieures, celle du palazzetto en particulier qui recelait un agréable jardin, ses galeries qui enserraient l’une et l’autre les cours en questions, ses nombreuses salles d’apparat, ses multiples appartements, y compris l’appartement pontifical –– salles et appartements d’ailleurs somptueusement décorés et meublés ––, sans compter les commodités de toutes sortes qu’on était à même d’y trouver, le palais SaintMarc paraissait on ne peut plus apte à recevoir les papes de l’époque et leurs cours. La façade du bâtiment principal faisait à elle seule 26 mètres de haut et 126 mètres de large et le palais tout entier, jardins compris, totalisait quelque 11.000 m2 alors qu’à l’origine, c’est-à-dire à l’époque où il n’était encore que palais cardinalice, il ne dépassait pas les 700 m2. Détail particulièrement révélateur, Paul II, comme pour affirmer clairement le rôle qu’il entendait faire jouer à ce double du Vatican, y avait fait aménager une salle du Perroquet, une salle du Consistoire, une Sala Regia, une Sala dei paramenti qui jusqu’au milieu du XVIe siècle feront l’objet de la sollicitude des cardinaux titulaires de Saint-Marc, ces derniers voulant
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sans doute par là marquer le fait que le palais mis à leur disposition restait, à leurs yeux, palais pontifical plutôt que palais cardinalice. En plus d’ajouter à cet impressionnant ensemble la tour dont il a été fait mention plus haut, tour relié au palais par un long et imposant corridor permettant d’y accéder commodément, Paul III avait fait construire dans un des appartement du bâtiment principal –– l’appartement Cibo –– une chapelle privée. Aussi s’explique-t-on que le palais Saint-Marc ait plu à ceux des papes du temps qui étaient à la recherche d’une alternative leur permettant de fuir le Vatican durant les torrides mois d’été. Notons toutefois que, contrairement à ce que certains auteurs ont supposé, le palais Saint-Marc n’était pas en mesure de loger la cour pontificale en son entier, ce qui, comme nous le verrons dans un prochain chapitre, ne sera pas sans causer des maux de tête aux majordomes des papes de l’époque134. Celui qui, après Paul III, fut le plus assidu à faire du palais de Venise sa résidence d’été –– Grégoire XIII –– fut, par ailleurs, celui qui chercha, le premier, à se doter d’un lieu permanent de villégiature hors de Rome et qui, pour ce faire, lorgna non plus, comme Jules II et Léon X avant lui, du côté de la mer ou du Tibre, mais plutôt en direction des Monts Albins qui, depuis le milieu du XVIe siècle, attiraient de plus en plus les meilleurs éléments de la bonne société de Rome. L’année précédant son élection à la papauté, Ugo Boncompagni avait été reçu à la villa que le cardinal Altemps, neveu de Pie IV, possédait à Frascati. Cette visite lui plut tellement qu’une fois élu, il décida de répéter l’expérience et, à sa demande, fut de nouveau l’hôte du cardinal Altemps en septembre 1572. De nombreuses autres visites suivirent. Dès 1573, le neveu de Pie IV comprit que le pape entendait devenir un habitué de la villa Tusculana –– c’est le nom qu’Altemps avait donné à cette maison de vacances achetée cinq ans plus tôt des héritiers du cardinal Ranuccio Farnèse, mais qu’il avait depuis considérablement transformée avec l’aide des architectes Vignola et Longhi –– et il décida de procéder à la construction d’une seconde villa beaucoup plus grande, afin d’être en mesure d’accueillir le plus dignement et le plus commodément possible le pape et sa « famille ». En mai de cette même année, il confia à l’architecte Longhi qui avait été impliqué dans la construction de la villa Tusculana le soin de mener à bien ce projet. Le contrat signé avec Longhi stipulait que tout devait être terminé dans les huit mois: de fait, les travaux traînèrent en longueur et le pape ne put occuper la nouvelle résidence, qu’en son honneur on avait choisi d’appeler villa Mondragone, qu’à la fin de 1575. 134 Sur tout ce qui précède relatif au palais de Venise, nous renvoyons à C. Pietrangeli, Rione IX - Pigna, Rome 1977 (Guide Rionali di Roma, III), p. 100-130 et Coffin, The Villa cit., p. 27-34.
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Comme la plupart des villas de Frascati, la villa Mondragone formait un carré avec, au centre, sur deux étages, un grand salon orienté nordsud. Construit à flanc de colline, l’édifice faisait côté nord, trois étages et, côté sud, deux étages seulement, de sorte que ce qui apparaissait au sud comme le rez-de-chaussée devenait au nord le piano nobile. Ce dernier contenait, de part et d’autre du salon central, deux appartements de trois pièces chacun, le premier, à l’est, réservé au pape, le second, à l’ouest, à ses cardinaux-neveux, son fils ou quelque autre invité de marque. Une loggia située au nord-est de même qu’un casino de deux pièces situé à l’angle sud-est de l’appartement du pape étaient tous deux à l’usage exclusif de ce dernier et d’ailleurs directement accessibles de son appartement. Le dernier étage abritait un certain nombre de chambres à la disposition de la domesticité. Côté sud, l’architecte avait pris soin de disposer deux étages de loggias accessibles grâce à un escalier en spirale situé au sud-ouest de la villa, escalier qui permettait en même temps de passer commodément d’un étage à l’autre. En plus, chacun des deux appartements du piano nobile donnait sur un jardin et à l’angle sud-est de ce même étage se trouvait une chapelle, elle aussi directement accessible de l’appartement du pape, chapelle placée, comme il se devait, sous le patronage de saint Grégoire. Est-il besoin d’ajouter que tous ces espaces étaient, par ailleurs, élégamment décorés et meublés. Manifestement, le cardinal Altemps et son architecte avaient mis tout en œuvre pour que le pape se sente parfaitement chez lui à Frascati et y trouve toutes les aménités et commodités souhaitables. Les fréquents séjours de Grégoire XIII à la villa Mondragone –– entre quatre et douze fois par année –– et le fait que ces séjours pouvaient parfois s’étendre jusqu’à un mois montrent bien que les attentes de ce dernier n’avaient pas été déçues et qu’il entendait profiter à plein de l’exceptionnel lieu de détente que le neveu de Pie IV avait si généreusement mis à sa disposition. Pour des raisons de santé, mais peut-être aussi à cause de frictions grandissantes entre le cardinal Altemps et la domesticité du pape que ledit cardinal accusait d’abuser de son hospitalité –– consommation excessive de vin, mauvais entretien du mobilier, gaspillage de toutes sortes –– et donc de grever chaque année un peu plus son budget, Grégoire XIII décida à partir de 1582 de réduire le nombre et la durée de ses séjours à Frascati135. Il faut dire qu’il commençait à l’époque à s’intéresser de plus en plus à une autre destination de choix, la villa du cardinal d’Este juchée au sommet du Mont Quirinal mieux connu à l’époque sous le nom de Monte Cavallo. Cette villa faisait en réalité partie d’une immense propriété ou vigna acquise au XVe siècle par le cardinal Oliviero Carafa (1467-1511), oncle de 135
Ibid., p. 40-42.
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Paul IV, propriété qu’il avait par la suite léguée à sa famille et qui continuait à appartenir à cette dernière au moment où Grégoire XIII envisageait la possibilité d’en faire son nouveau, peut-être même son principal lieu de villégiature. Les riches cardinaux d’Este –– Ippolito II (1509-1572) et Luigi (1538-1586) –– qui avaient construit la villa en question à partir d’un modeste casino datant de l’époque du cardinal Carafa et qui, surtout, avaient, à grands frais, aménagé tout autour les plus beaux jardins de Rome n’étaient donc là qu’à titre de locataires, comme l’avaient été avant eux les Farnèse qui, eux aussi, avaient eu à cœur d’ajouter à la beauté et à la commodité des lieux, sous forme, entre autres, d’une seconde villa, moins exposée que la première aux vents et qui, pour cette raison sans doute, figurait sur les plans de l’époque sous le nom de « palais d’hiver ». Paul III avait une particulière affection pour ce lieu de délice où nature verdoyante et vestiges de l’ancienne Rome faisaient bon ménage, et y fera durant son pontificat de très fréquents séjours. C’est d’ailleurs là qu’il trouvera la mort en novembre 1549. Durant l’exil forcé d’Ippolito d’Este de 1555 à 1559 –– Paul IV l’avait pratiquement chassé de Rome –– le pape Carafa et ses neveux avaient repris possession des lieux qui, de fait, nous l’avons vu, leur appartenaient et ils en avaient profité pour aller aussi souvent qu’ils le pouvaient s’y divertir et s’y reposer. Rentré à Rome à la suite de l’élection de Pie IV, Ippolito d’Este obtiendra du nouveau pape la « vigne » Boccacci, voisine de celle des Carafa, laquelle lui servira à donner encore plus d’ampleur aux jardins déjà existants, jardins qu’avec l’aide des meilleurs architectes paysagistes de l’heure, français aussi bien qu’italiens, il élèvera à un sommet inégalé d’opulence et de raffinement. Nouvelles plantations d’arbres fruitiers de diverses sortes, ajouts, à plusieurs endroits, de loggias, de pavillons, de grottes, de fontaines, de murs et de murets, d’escaliers et de rampes permettant de passer facilement d’un niveau à l’autre de la propriété, le tout agrémenté de statues, pour la plupart d’inspiration mythologique, disposées ici et là en fonction des parcours imposés par les architectes du cardinal, parcours de toute évidence savamment étudiés: autant de particularités qui expliquent l’admiration presque sans borne que suscitera cette propriété à l’époque, chez un Montaigne par exemple. Même un Pie V succombera aux charmes de ce lieu de rêve et acceptera d’y séjourner à quelques reprises au cours de l’été de 1566 dans un appartement que le cardinal venait d’y faire construire à son intention. Aussi n’est-on pas surpris de voir Grégoire XIII caresser en 1583 le projet de reconstruire à ses frais cette villa en vue d’en faire son nouveau lieu, voire son lieu privilégié d’« évasion ». Il avait d’ailleurs dès 1573 envisagé cette possibilité avant que le cardinal Altemps ne construise à son intention la villa Mondragone à Frascati. Il avait même, dès cette époque, profité à
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plusieurs reprises de l’hospitalité du cardinal Luigi d’Este qui ne demandait pas mieux que de mettre l’ancienne villa Carafa à son entière disposition, lui-même, comme son oncle Ippolito avant lui, préférant, et de loin, les charmes de leur autre lieu de retraite: la célèbre villa d’Este à Tivoli. Le pape hésita un moment devant les coûts d’une telle entreprise, comme il l’avait fait d’ailleurs en 1573, ces coûts comprenant non seulement les frais de construction, mais aussi ceux, considérables, de la fourniture en eau de la nouvelle villa. Une entente signée en 1585 avec la Commune de Rome et le cardinal d’Este permit de régler cette seconde difficulté, mais les travaux prévus à cet effet ne pourront être menés à terme que sous le règne du successeur du pape Boncompagni, Sixte V. Entre-temps, l’architecte de confiance du pape, Ottaviano Mascarino, mettait en chantier la version revue et corrigée de la villa d’Este, de sorte qu’en mai 1584 l’édifice était à peu près terminé, exception faite de la décoration et de l’aménagement intérieurs qui se poursuivront jusqu’à la mort du pape, l’année suivante. Grégoire XIII suivait de près les travaux en cours, s’installant pour ce faire dans la villa Farnèse, mieux connue à l’époque sous le nom de « palais d’hiver ». À noter qu’il y sera, comme par le passé, princièrement reçu par le cardinal d’Este qui ordonnera à son agent, le comte Ercole Tassone, de voir à ce que le pape et sa suite soient somptueusement logés et nourris entièrement à ses frais. Ce qui explique sans doute la décision prise par Grégoire XIII de faire don de sa nouvelle villa à cet hôte incomparable qui, des années durant, l’avait si merveilleusement reçu et dont il pouvait attendre qu’il se montre tout aussi généreux à l’endroit de ses successeurs. Ottaviano Mascarino a laissé au moins deux plans de la villa qu’il entendait édifier à l’intention de Grégoire XIII, un premier, relativement simple –– celui que finalement il retiendra ––un second, beaucoup plus élaboré dont se servira plus tard Domenico Fontana, architecte de Sixte V, pour la réalisation du projet beaucoup plus ambitieux que le pape Peretti lui confiera. La décision de Mascarino s’explique sans doute par la maigreur du budget que Grégoire XIII avait mis à sa disposition, soit 23.000 écus au lieu des 50.000 dont il avait été question dix ans plus tôt. Il décida donc de partir de la structure existante: l’ancienne villa Carafa plusieurs fois réaménagée par les cardinaux d’Este, oncle et neveu, et d’incorporer dans toute la mesure du possible cette structure dans l’édifice destiné à son commanditaire, le pape. Il commença par régulariser l’ordonnance verticale de la façade nord de la villa, greffa sur la façade sud une double loggia –– celle du haut peut-être destinée à être éventuellement utilisée comme loggia de bénédiction ––, ajouta, côté sud, une série de pièces nouvelles dont, à l’étage supérieur (piano nobile), un grand salon pouvant servir de salle du Consistoire, au rez-de-chaussée, une chapelle, aujourd’hui disparue, complétant le tout par un monumental escalier ovale placé à l’extrémité sud-ouest
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du bâtiment. En 1584, à la demande expresse du pape, il procéda à un ultime ajout, soit celui, côté nord, d’une tour-belvédère surplombant la ville de Rome et permettant de voir la campagne environnante, par beau temps, jusqu’à la mer. Décidément, Grégoire XIII à qui, nous l’avons vu, le palais apostolique devait sa célèbre tour des Vents, aimait ce genre de structures qui avaient entre autres mérites celui de permettre des observations à distance. Au lendemain de son élection, Sixte V informa le cardinal d’Este qu’il n’avait aucune intention de se servir de la villa de son prédécesseur, ayant déjà à sa disposition sa propre maison de vacances sur l’Esquilin136. Rassuré, le cardinal entreprit à ses frais de nouveaux travaux dans la villa grégorienne, en particulier dans le salon qui avait servi jusque-là de salle du Consistoire en vue d’y accueillir éventuellement le nouveau pape qui, effectivement, y fit quelques visites en juin 1585 et décida même, en juillet, de s’y installer pour échapper aux grandes chaleurs qui sévissaient alors à Rome. Craignant de perdre ses droits sur l’édifice en question, Luigi d’Este ordonna au comte Tassone de couvrir les dépenses de bouche du pape et de sa « famille » durant tout le temps de leur séjour à la villa. Mais le cardinal mourut en 1586. Aussitôt, Sixte V entreprit de racheter à la famille Carafa la vaste propriété de Monte Cavallo. Le 11 mai suivant, c’était chose faite au prix presque dérisoire de 20.000 écus. La première décision prise par le pape suite à la conclusion de cette transaction fut de faire remplacer les armes Boncompagni qui figuraient au sommet de la tour de la villa par les siennes propres. Ce qui fut assez mal reçu par les Romains à l’époque, mais peut-être ces derniers oubliaient-ils à quel point le nouveau pape s’était toujours mal entendu avec son prédécesseur et d’ailleurs avait été, durant tout son règne, tenu à l’écart par lui. Deux ans plus tard, avec l’aide de son architecte, Domenico Fontana, le pape s’attela à la redoutable tâche de transformer la villa grégorienne, qui restait de dimensions relativement modestes, en un palais, au sens fort du terme –– pour le moment en un « palais d’été » ––, capable d’accueillir pour un ou deux mois, comme l’avait fait jusque-là le palais de Venise, non seulement le pape et quelques membres de sa « famille », mais la majeure partie de sa cour. Le deuxième plan de Mascarino semblait aller dans ce sens. Il n’est d’ailleurs pas impossible que Grégoire XIII ait un moment lui-même songé à réaliser ce plan. Quoi qu’il en soit, Fontana, impressionné par ce dernier et sentant bien qu’il était dans la logique de ce que Mascarino, peut-être dès le départ, avait eu en tête, décida, avec l’accord du pape, d’adopter le plan en question, du moins dans ses grandes lignes. Il s’agissait pour l’essentiel de construire un second palais faisant pendant à la villa grégorienne et relié à cette dernière par deux longues ailes à portiques de deux étages. De fait, Fontana ne réussit 136 Sur cette maison connue à l’époque sous le nom de villa Montalto et dont il a été question au chapitre précédent, voir Coffin, The Villa cit., p. 365-369.
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à construire qu’une de ces ailes, soit celle située du côté de l’actuelle place du Quirinal, place qu’il était d’ailleurs à la même époque en train d’aménager devant la villa grégorienne, mais qui ne trouvera son aspect définitif qu’au temps de Paul V (1605-1622). À noter qu’au bout de l’aile qu’il avait eu le temps de terminer, il avait prévu une rallonge pour le logement éventuel de la Garde Suisse, rallonge qui ne sera, elle aussi, construite que plus tard. Sixte V qui, depuis 1589, menait de front l’édification de son nouveau palais du Vatican et l’agrandissement de la villa de Monte Cavallo ne put profiter à plein ni de l’une ni de l’autre de ces résidences, ayant trouvé la mort en décembre 1590 dans la seconde d’entre elles, alors que beaucoup de travaux, comme au Vatican d’ailleurs, restaient à faire. Il s’agissait surtout, notons-le, de travaux de décoration intérieure. Ces derniers se poursuivirent sous ses successeurs immédiats, de sorte qu’à partir de 1595, Clément VIII put jouir à plein de l’un et l’autre de ces palais où il choisit d’ailleurs de vivre en alternance pratiquement jusqu’à la fin de son règne. Il faut toutefois attendre Paul V qui ajouta, entre autres, la seconde aile prévue par Mascarino et Fontana, permettant par le fait même de loger convenablement l’ensemble des personnels et des services de la cour, pour voir le Quirinal supplanter le Vatican comme résidence principale de la papauté137. Nous avons vu plus haut que cette « migration » s’expliquait, en partie du moins, par des raisons d’ordre climatique (« changer d’air »), mais, s’agissant d’un déménagement définitif et non plus seulement occasionnel ou saisonnier comme cela avait été le cas jusque-là, d’autres facteurs, de nature géopolitiques ceux-là, entrèrent certainement en ligne de compte, comme l’a amplement démontré Antonio Menniti Ippolito dans son excellente étude sur le palais du Quirinal138. 137 Les détails concernant l’histoire du Quirinal sont empruntés à A. Negro, Rione II - Trevi, Rome 1985 (Guide Rionali di Roma, II/1), p. 38-104 et à Coffin, The Villa cit., p. 181-190. 138 I papi cit. L’auteur souligne le fait que, même si le Quirinal ne devint la residence principale des papes qu’à partir du règne de Paul V, successeur de Clément VIII, une logique était déjà à l’oeuvre remontant peut-être à Paul III, logique dictée par le fait que les papes étaient désormais maîtres de leur capitale et qu’il était donc dans leur intérêt de se rapprocher de leurs sujets, non plus seulement durant la saison estivale comme certains avaient pris l’habitude de le faire, hôtes du palais de Venise notamment, mais de se doter d’un second palais bien à eux leur fournissant les mêmes commodités que celui du Vatican et donc pouvant, lui aussi, servir à leur guise de siège de gouvernement. Que l’on ait choisi de construire ce palais sur le Monte Cavallo tenait, d’une part, à l’exceptionnelle qualité de cet emplacement, de l’autre, au fait qu’il était au coeur des nouvelles zones de peuplement de la ville –– le rione Trevi en particulier –– qui devaient en grande partie leur existence aux efforts déployés à cet effet par les papes de l’époque. Mais sur cette logique de rapprochement va venir s’en greffer une autre, de nature administrative celle-là, soit de permettre de distinguer les fonctions « temporelles » propres au pape en tant que « souverain » de ses fonctions « spirituelles » comme « pontife », les premières conçues comme relevant principalement du Quirinal, les
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Pour le moment, ce qu’il importe de souligner, c’est qu’avec le passage du Vatican au Quirinal, une page de l’histoire de la cour pontificale venait d’être tournée et une autre commençait à s’écrire. *** Les papes du XVIe siècle, contrairement à leurs prédécesseurs des XIIe et XIIIe siècles, choisirent d’être des « sédentaires ». La décision d’un Nicolas V de faire du Vatican sa résidence officielle et les travaux qu’il entreprit à cet effet au milieu du XVe siècle ne sont sans doute pas étrangers à ce choix, même si d’autres facteurs, politiques, économiques, voire culturels, y furent indéniablement aussi pour quelque chose. La plupart de ces papes cherchèrent d’ailleurs, chacun à sa façon, à agrandir, réaménager, embellir la résidence en question en vue d’en faire un lieu où il faisait bon vivre, prier et travailler en même temps qu’un instrument au service des stratégies aussi bien politiques que religieuses qu’il leur fallait, comme papes, mettre en œuvre. En cela, ils ne différaient guère de leurs homologues séculiers qui, eux aussi, à la même époque et pour les mêmes raisons, se sédentarisaient de plus en plus139. Mais cette « sédentarisation » n’excluait pas un certain « nomadisme » imposé parfois par les circonstances –– circonstances politiques surtout ––, mais découlant surtout d’un besoin de « changer d’air », en d’autres mots, de se mettre périodiquement à l’abri des préoccupations, tensions et mauvaises surprises liées au train de vie exigeant ou trop bien réglé de la cour. Certains papes, avides chasseurs, grands marcheurs ou, tout simplement, amateurs de plein air –– on pense ici, en particulier, à un Jules II, un Léon X, un Paul III, un Pie IV, un Grégoire XIII et un Sixte V –– cherchèrent plus que d’autres à se ménager des lieux hors de l’enceinte vaticane leur permettant tout à la fois de « prendre du champ » et de se remettre physiquement, psychologiquement, voire spirituellement parlant. Nous avons passé en revue les plus importants et les plus signifiants de ces lieux, depuis le Château Saint-Ange et la forteresse d’Ostie jusqu’aux villas de Frascati et du Quirinal, en passant par le pavillon de chasse de
secondes, du Vatican en raison sans doute du fait que seul le Vatican pouvait offrir le cadre approprié à l’exercice de fonctions de nature surtout liturgique, à savoir la basilique SaintPierre. Les indices d’une telle dichotomie sont déjà presents durant le règne de Clément VIII: ils vont l’être plus au temps de Paul V. Avec la mise en place progressive d’un complexe administratif regroupant autour du palais du Quirinal les principales instances « curiales », on peut dire que la dichotomie en question est pour ainsi dire consommée. Ce long processus est bien décrit par Menniti Ippolito. Nous renvoyons en particulier aux p. 18-22, 45-71, 132166, 175-198, 211-216. 139 P. Elmer, Court Culture in the Renaissance, dans Courts, Patrons and Poets, éd. D. Mateer, Londres 2000, p. 3
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la Magliana, la villa Giulia et, surtout, le palais de Venise. Certaines de ces destinations garderont longtemps la faveur des papes, d’autres seront assez vite délaissées, le tout, bien évidemment, en fonction des intérêts variés et variables de ces hommes, mais aussi de la conjoncture politique, économique, culturelle ou encore religieuse avec laquelle il leur fallut, à tour de rôle, composer. Nous aurons à revenir sur ce point lorsqu’il nous faudra plus loin traiter des activités de la cour pontificale. Mais, avant de nous risquer à le faire, il importe que nous identifions au préalable les responsables de ces activités, en d’autres mots, l’ensemble des personnes formant la cour et assistant le pape dans l’exercice de ses multiples fonctions. Qui était ces hommes, d’où venaient-ils, comment avaient-ils été recrutés, quels rôles remplissaient-ils à la cour, quel statut cela leur conférait-il et à quel point ces rôles et ce statut évoluèrent-ils au cours de la période ici considérée? Autant de questions et, éventuellement, de sous-questions auxquelles, dans la mesure où les sources le permettent, nous chercherons à répondre dans le chapitre qui suit.
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IV LES EFFECTIFS DE LA COUR Si, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les dictionnaires anciens définissent la cour d’abord comme un lieu, ces mêmes dictionnaires s’empressent aussitôt d’ajouter, comme d’un même souffle, que le mot désigne aussi l’ensemble des personnes entourant un « prince » et assurant les différents services auxquels ce dernier est en droit de s’attendre1. Mais qui étaient ces personnes et quels services au juste étaient-elles appelées à rendre? En ce qui concerne la cour pontificale, la réponse à cette question se heurte à une première difficulté dont nous avons d’ailleurs fait état dans notre Introduction et qu’il nous faut maintenant examiner de plus près tant elle conditionne le regard que nous nous apprêtons à porter sur la cour vue non plus seulement comme réalité « matérielle », mais comme réalité « humaine », c’est-àdire d’abord et avant tout « socio-culturelle ». En effet, malgré les nombreuses sources dont nous disposons –– « rôles » de cour, livres de comptes, registres de salaires ––, il reste dans nombre de cas difficile de déterminer avec précision qui fait ou qui ne fait pas partie de la cour. Aucun des critères habituellement invoqués en la matière ne permet, du moins dans ces cas, de trancher clairement la question, qu’il s’agisse du critère de la résidence, c’est-à-dire le fait d’habiter ou de ne pas habiter à la cour; ou de celui de la « commensalité », en d’autres mots, le fait d’avoir « part » (parte) ou non à la « table » du pape, ou de celui de la fonction, soit le fait d’exercer ou de ne pas exercer un office propre à la cour et clairement identifié comme tel, ou encore de celui de la « familiarité », c’est-à-dire le fait de jouir ou de ne pas jouir des privilèges habituellement liés à certains titres ou offices, y compris ceux de la cour. Car –– nous en donnerons des exemples plus loin –– on peut ne pas résider à la cour, ne pas y remplir de fonction spécifique, ne pas figurer sur les rôles de « familiarité » et, pourtant, être membre de cette même cour. Et, à l’opposé, on peut très bien jouir 1 À ce sujet, voir Vocabulario degli Accademici della Crusca, p. 230 (« Palazzo de’ Principi, e la famiglia stessa del Principe »); le Nouveau Dictionnaire François de Pierre Richelet, p. 273 (« Le prince et ses courtisans. La troupe des courtisans »); le Dictionnaire de Trévoux, II, col. 311 (« Tous les officiers & la suite du Prince »).
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des privilèges de la « familiarité », avoir droit à la parte, voire à une « provision » mensuelle à même la caisse du pape et ne pas être pour autant de la cour2. À cette première difficulté s’en ajoute une autre: soit celle de tracer la frontière existant au XVIe siècle entre cour et curie, courtisan et curialiste. Le flou du vocabulaire utilisé à l’époque pour désigner l’une et l’autre de ces réalités n’est pas –– et pour cause –– de nature à simplifier notre tâche. Même un cardinal de Luca, éminent canoniste de la deuxième moitié du XVIIe siècle et grand spécialiste en la matière, s’empêtre continuellement dans le vocabulaire –– « curie » devient assez souvent sous sa plume « cour » et vice-versa –– même si, par ailleurs, il n’hésite pas à affirmer qu’il y a bien une nette distinction entre cour et curie, la cour étant selon lui le lieu où s’exerce la fonction « aulique » ou, si l’on veut, l’ensemble des tâches « domestiques », et la curie, la fonction « judiciaire », c’est-à-dire l’administration de la justice, au sens le plus large de ce terme3. Pio Pecchiai, fin connaisseur de la Rome pontificale, est, pour sa part, d’avis que cette distinction existe déjà au XVIe siècle, même si elle n’est pas encore sémantiquement assurée4. Nous partageons sur ce point particulier son avis et, comme lui, croyons pouvoir affirmer qu’il y a bien frontière –– même si cette frontière reste à l’époque difficile à tracer –– entre cour et curie, la première regroupant l’ensemble de ceux qui servent le pape au plan « domestique », mais également « politique »; la seconde, l’ensemble de ceux qui font partie de l’appareil judiciaire et administratif du Saint-Siège. Bon indice permettant de fixer au moins approximativement cette frontière: le fait que les « courtisans » en général habitent ou travaillent au Vatican et qu’à l’opposé, les « curialistes » n’y habitent et, pour la plupart, n’y travaillent pas. Cette frontière n’existait pas encore ou, si elle existait, restait très imprécise aux XIVe et XVe siècles. Les quelques rôles de cour dont nous disposons pour ces époques en sont la meilleure preuve5. Il est d’ailleurs, à ce propos, significatif que l’ambitieux projet de Nicolas V visant à faire du Vatican sa résidence officielle, et une résidence prestigieuse, prévoyait la construction éventuelle à 2 Sur les problèmes que pose l’application de ces divers critères, voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 9-11. 3 Ibid., p. 5-7, 11. 4 Ibid., p. 4, 11. 5 Pour la cour d’Avignon, nous renvoyons à B. Guillemain, Les papes d’Avignon, 1309-1376, Paris 1998, p. 35-42 et, surtout, son maître-ouvrage: La cour pontificale d’Avignon, 1309-1376. Étude d’une société, Paris 1962, p. 357-496. L’auteur souligne à quel point il est difficile de distinguer courtisan et curialiste à l’époque, la même personne pouvant assez souvent être l’un et l’autre. Pour le XVe siècle, voir les rôles d’Alexandre V et de Pie II qui confirment cet état de fait. Le premier de ces rôles a été publié par F. Gattico, Acta selecta coeremonalia Sanctae Romanae Ecclesiae, Rome 1753, p. 263 et suiv.; le second par G. Marini, Archiatri Pontifici, II, Rome 1825, p 152 et suiv.
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proximité du palais apostolique de toute une série de bâtiments annexes où auraient été regroupés l’ensemble des fonctionnaires pontificaux6. Or Jules II, celui des papes du XVIe siècle qui s’inspira le plus du modèle mis en avant par Nicolas V, décida dès le début de son pontificat de renoncer à cette partie du projet de son illustre prédécesseur et d’opter plutôt pour un vaste complexe « judiciaire » situé non plus au Vatican, mais, de l’autre côté du Tibre, dans la via Giulia alors en cours d’aménagement, face au palais Sforza qui abritait à l’époque les services de la Chancellerie Apostolique. Cet édifice mis en chantier en 1508 sous la supervision de Bramante ne sera toutefois jamais complété –– il n’en reste aujourd’hui que des vestiges7 ––, mais une logique était déjà à l’œuvre, une logique à laquelle n’allaient pas tarder à se rallier les successeurs de Jules II, Léon X, le premier, qui en 1517 assigna à la Chancellerie Apostolique le palais Saint-Damase dont il venait de dépouiller le cardinal Riario, suite à la participation de ce dernier à la conjuration Petrucci8. Et que dire de la décision d’un Paul IV de loger le tribunal de l’Inquisition romaine hors de l’enceinte vaticane9 et surtout du fait que la plupart des Congrégations romaines mises sur pied par les papes du XVIe siècle, Sixte V notamment, se réunissaient non pas au Vatican, mais dans les palais des cardinaux placés à la tête de chacune d’entre elles10. Ne fut-ce qu’en termes « spatiaux », il y avait bien à l’époque une différenciation de plus en plus marquée entre cour et curie. À ce sujet, voir Westfal, In this Most Perfect Paradise cit., p. 131, 149-154. Cf. Shaw, Julius II cit., p. 202. Également, von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 916; IV/1, p. 572. 8 Sur Riario et la confiscation de son palais de Saint-Damase, voir A. Ferrajoli, La congiura dei cardinali contro Leone X, Rome 1919, p. 53-55, 91-92 et passim. 9 Peu après son élection, Paul IV avait fait construire au coût de 12.000 écus via Ripetta, près du port du même nom, un palais affecté au tribunal de l’Inquisition. Il ne faut pas oublier que, comme cardinal, il avait été un de ceux qui avaient poussé Paul III à créer ce tribunal et qu’il en avait d’ailleurs été le premier commissaire. Il n’est d’ailleurs pas impossible que, dès cette époque, il ait fait édifier à ses frais sur ce même emplacement une maison qui servit de premier siège audit tribunal. À ce sujet, voir von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 675; VI, p. 482. À la mort de Paul IV, le peuple qui, au fil des ans, avait pris en haine ce pape dur et intransigeant détruira de fond en comble le palais en question. Ibid., p. 585-586. Le palais se trouvait là où se dresse aujourd’hui l’École d’architecture de la Sapienza, entre la place Borghèse et via Ripetta. Cf. C. Benocci, Rione IV ˗ Campo Marzio, Rome 1997 (Guide Rionali di Roma, VII), p. 46. Pie V relogera ce dernier près du Vatican, là où se trouve le palais actuel. Le tout au coût de 50.000 écus. À ce sujet, voir L. Gigli, Rione XIV - Borgo, Rome 1994 (Guide Rionali di Roma, IV), p. 52-59. 10 À ce propos, voir G. Fragnito, Le corti cardinalizie nella Roma del Cinquecento, dans Rivista Storica Italiana, CVI (1994), p. 40. L’auteur renvoie à Lunadoro, c’est-à-dire à la célèbre Relation publiée par ce dernier et souvent rééditée par la suite. À quelques exceptions près, assure Lunadoro, les réunions des congrégations romaines se tiennent chez les cardinaux préfets de celles-ci. G. Lunadoro, Relatione della Corte di Roma e de’ riti da osservarsi in essa, Bracciano 1650, p. 46-58. À noter que la première rédaction de cette Relation remontait probablement au début du XVIIe siècle et qu’avant d’être imprimée elle avait connu une large circulation sous forme manuscrite. À ce sujet, voir l’édition parue à Viterbe en 1642, p. 197198. Gigliola Fragnito a donc raison de suggérer que la situation décrite par Lunadoro vaut aussi pour la fin du XVIe siècle. 6 7
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Force est toutefois de reconnaître que certaines instances judiciaires et administratives continuaient à siéger au Vatican, notamment la Rote, la Chambre Apostolique, la Daterie, la Signature de grâce et peut-être même, durant un certain nombre d’années, la Sacrée Pénitencerie et la Signature de justice11. Mais ni les officiers de la Rote, ni ceux de la Sacrée Pénitencerie, ni la plupart de ceux de la Chambre Apostolique ou encore des deux Signatures ne figurent dans les rôles de cour existants12. Seul le personnel de la Daterie y trouve place, sans doute à cause des liens étroits l’unissant à la personne du pape –– la Daterie était en effet chargée d’alimenter la caisse de ce dernier –– et, d’ailleurs, pour des raisons faciles à comprendre, le dataire –– puissant personnage à l’époque –– était presque toujours un proche, voire un « intime » du pape. On comprend que celui-ci ait tenu à ce que le personnel en question non seulement œuvre, mais habite sous son toit13. L’exemple de la Daterie, tout comme celui de la Rote, de la Sacrée Pénitencerie ou de la Chambre Apostolique montrent à quel point la réponse à la question posée au départ, à savoir: qui faisait, qui ne faisait pas partie de la « famille » pontificale, doit être cherchée d’abord et avant tout dans les rôles de cour, en particulier dans ceux que nous avons choisi d’appeler de « commensalité ». Le fait d’y être ou de ne pas y être inscrit constitue, et de loin, une des meilleures, sinon la meilleure preuve d’appartenance dont nous disposons. Malheureusement, il nous manque les rôles d’un certain nombre de papes, ceux notamment d’un Alexandre VI, d’un Jules II, d’un Adrien VI, d’un Clé11 Un plan du palais apostolique du début du XVIIe siècle préparé par Martino Ferrabosco montre clairement que la Rote, la Chambre Apostolique et la Daterie étaient installées au Vatican. BAV, Vat. lat. 10742, fol. 424, 428v, 442r. Ce que confirme le Rolo delle stantie de 1594 qui mentionne aussi la présence de salles affectées à la Sacrée Pénitencerie, ce qui donne à penser que ce tribunal siégeait encore à l’époque au Vatican. ASV, Fondo Confalonieri 64, fol 5v, 8v, 9v. Quant à la Signature de grâce, présidée par le pape lui-même, ses réunions avaient nécessairement lieu au Vatican. Cela était probablement aussi le cas pour la Signature de justice, du moins jusqu’à ce que Sixte V élève cette dernière au rang de Congrégation et lui assigne un cardinal préfet. À partir de ce moment, à ce qu’il semble, les réunions de ce dicastère se tenaient, à l’instar de la plupart des autres congrégations, au palais du cardinal en question. À ce propos, voir G. Moroni, Segnatura di giustizia, dans Dizionario di erudizione, LXVII, p. 223-224. 12 En effet, comme nous le verrons plus loin, seuls le trésorier général, le comptable, parfois le président et le commissaire de la Chambre Apostolique ou encore l’un ou l’autre référendaire assigné aux Signatures de grâce et de justice trouvent place dans les rôles en question. 13 Voir N. Storti, La storia e il diritto della Dataria Apostolica, Naples 1969, p. 59-79. À la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, dans ses Avvertimenti politici, le comte de Verrua, ambassadeur de Savoie à Rome, conseille à quiconque songe à faire carrière à la cour pontificale de commencer par se gagner les faveurs du dataire qui, dit-il, a plus que tout autre l’oreille du pape. Son influence, ajoute-t-il, vaut celle de trente cardinaux. Avvertimenti politici per quelli che vogliono entrare in Corte, dans Miscellanea di Storia Italiana, 1° série, I, Turin 1862, p. 348.
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ment VII et, aussi surprenant que cela puisse paraître, d’un Grégoire XIII14. Il reste dans certains cas possible de reconstituer, en partie du moins, ces rôles à partir d’autres sources, mais les résultats ne sont généralement pas à la hauteur des efforts consentis15. Autre difficulté: certains rôles, ceux par exemple d’un Pie III ou encore d’un Paul III, ne sont pas des rôles de cour au sens strict du terme, mais des rôles « funéraires », c’est-à-dire fournissant les noms des personnes ayant reçu, chacune selon son rang, la quantité de tissu 14 Les déprédations commises lors du sac de Rome en 1527 pourraient expliquer les premières de ces lacunes. En ce qui concerne Grégoire XIII, on se trouve devant une véritable énigme que personne jusqu’ici n’a pu résoudre. Peut-être retrouvera-t-on un jour l’un ou l’autre des rôles de ce pape dans l’Archivio Boncompagni Ludovisi aujourd’hui aux Archives du Vatican. 15 Les dépouillements que nous avons faits d’un certain nombre de livres de comptes des majordomes et trésoriers secrets de Grégoire XIII ne nous ont permis d’identifier qu’une fraction des effectifs de la cour de ce dernier, en tout et partout, 187 individus. Mais un document de 1575 que nous avons trouvé à l’Archivio di Stato de Rome dans la série Giustificazioni di Tesoreria nous a fourni une liste d’officiers –– 194 au total –– ayant reçu la mancia de Noël cette année-là. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 12, fasc. 15. Au moins 33 de ces officiers devaient avoir des serviteurs (« famuli ») qui ne figurent toutefois pas dans cette liste. Grâce aux rôles dont nous disposons pour les cours des prédécesseurs et successeurs de Grégoire XIII, nous pouvons sans crainte de trop nous tromper estimer à deux en moyenne par officier le nombre de ces serviteurs, soit 66 individus, pour un grand total de 250 personnes. Mais n’apparaissent pas dans cette liste la plupart des grands personnages de la cour. Tout d’abord, pour ce qui est des officiers, le majordome, le dataire, le trésorier général, le sacriste, le maître de la chambre, l’auditeur, le trésorier secret, le premier médecin, l’aumônier, le maître du Sacré-Palais, les camériers, les secrétaires, les chapelains, les maîtres de cérémonie. En ce qui concerne les camériers et les chapelains, les sources auxquelles nous avons eu accès ne nous ont permis d’identifier que 16 et 6 d’entre eux respectivement. Or, à la cour de Pie V, prédécesseur immédiat de Grégoire XIII, il y avait encore en 1571, malgré la réduction d’effectifs intervenue en 1566, 28 camériers et 10 chapelains. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. 4rv-6v. Il serait surprenant que Grégoire XIII n’en ait pas eu au moins autant. Nous pouvons donc estimer le nombre des officiers ne figurant pas dans la liste de 1575 à 56. Nous inspirant des données de notre Tableau III, nous croyons pouvoir affirmer que les officiers en question pouvaient compter sur les services d’au moins 95 famuli. Ce qui donne un total de 151 individus. Mais manquent aussi dans notre liste des plus grands personnages encore, en particulier les cardinaux palatins au nombre de trois (Boncompagni, Guastavillani, Galli), des « hôtes », tels le comte Pepoli ou encore le jésuite Toledo, prédicateur de la cour. Pour ces cinq personnes, il faut compter au moins 80 « familiers » ou serviteurs. Et puis, il faudrait aussi tenir compte du personnel de la Sixtine, chanteurs y compris, se chiffrant à quelque 40 individus. Tout compris, nous arrivons à 530 personnes. Mais, là encore, nous sommes sans doute loin du compte. Car il nous manque toute une série d’officiers subalternes à la Secrétairerie pontificale, à la Daterie, à la Bibliothèque et ailleurs, également un certain nombre d’« hôtes » de la cour, entre autres, le contingent habituel de prélats domestiques qu’on trouve dans les cours des prédécesseurs et des successeurs de Grégoire XIII, officiers, « hôtes » surtout qui étaient, eux aussi, entourés de « familiers » ou serviteurs. D’où notre conviction que la cour de Grégoire XIII devait en 1572 compter à peu près le même nombre de membres que celle de Pie V à ses débuts, soit au minimum 700 personnes, mais qu’elle connut par la suite, comme celle du pape Ghislieri, une baisse marquée, moins drastique toutefois que cette dernière. À partir d’un certain nombre d’indices –– par exemple la réduction du nombre des palefreniers de 60 en 1572 à 41 en 1579 (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 3v; Ibid., 14, fasc. 3), il paraît tout à fait plausible d’admettre que vers le milieu de son règne, le pape Boncompagni avait réduit de quelque cent unités sa « famille », pour un total d’environ 600 personnes.
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nécessaire à la confection du costume qu’elles étaient tenues de porter à l’occasion de la mort du pape. Or plusieurs des noms qui figurent dans ces listes sont ceux d’individus ou de groupes d’individus de toute évidence n’appartenant pas à la cour16. Il en va de même des rôles de « familiarité » d’un Léon X, d’un Paul III, d’un Paul IV et d’un Pie IV17. Et –– difficulté supplémentaire ––, de quelque nature qu’ils soient, plusieurs des rôles à notre disposition comportent des lacunes, et des lacunes parfois surprenantes18. La plus fiable de nos sources n’est donc pas sans poser elle-même quelque problème. Maniée avec précaution, elle n’en reste pas moins, et à plus d’un titre, celle dont nous pouvons espérer tirer le plus de profit et c’est par conséquent à elle que nous aurons principalement recours, quitte à l’enrichir au besoin de l’apport des nombreuses autres sources disponibles19. 1. Une première vue d’ensemble Un des principaux, sinon le principal mérite des ruoli est de nous fournir des données chiffrées permettant de nous faire une assez bonne idée des dimensions des cours des papes de l’époque, mais également du poids relatif des diverses catégories de personnes formant ces cours. Sur la base de ces données et tenant compte des lacunes dont nous avons fait état plus haut, nous croyons pouvoir fixer à environ 800 individus l’effectif moyen de la cour pontificale au XVIe siècle avec un sommet de plus de mille au temps de Léon X et de Pie IV et un plancher d’entre 4 ou 500 au temps de Pie III et de Sixte V. Il suffit de se reporter au graphique ci-dessous et de le mettre en parallèle avec les circonstances de temps, de lieu et de personnes évoquées dans nos deux premiers chapitres pour constater à quel À ce sujet, voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 24. Ces rôles se trouvent dans le cas de Léon X, à la BAV, Vat. lat. 8598, dans celui de Paul III, à l’ASR, Cam. I: Giust di Tes. 2, fasc. 7, dans celui de Paul IV, à la BAV, Ruoli 27 et 28 de même que Vat. lat. 15046 et dans celui de Pie IV, Ibid., Ruoli 39 et 42. Le rôle de Léon X a été publié par Alessandro Ferrajoli dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 363-391. Vincenzo de Caprio a depuis réédité ce texte et les notices biographiques que Ferrajoli avait consacré à un certain nombre de personnages mentionnés dans le rôle en question sous le titre: Il ruolo della Corte di Leone X, Rome, 1984. Ces rôles incluent les noms de personnes jouissant des privilèges dits de « familiarité » dont celui d’être exempts des droits liés à l’obtention de bénéfices ecclésiastiques, donc de nombre d’individus ne faisant pas nécessairement partie de la cour. À l’inverse, cette particularité fait que nombre de personnages, de petits personnages surtout, faisant eux bel et bien partie de la cour ne figurent pas dans les rôles en question. 18 À ce propos, voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 24-25 et notes. 19 Entre autres, aux ASV, les séries Introitus et Exitus, Diversa cameralia et Resignationes, à la BAV, la riche série des Diaires des maîtres de cérémonies de même que celle des Avvisi, sans oublier les Entrate e Uscite de la Daterie pour les années 1531-1555 (BAV, Vat. lat. 10599-10605), enfin, à l’ASR, l’énorme Fondo Camerale, en particulier la première série (Camerale I). Nous nous sommes expliqué dans notre Introduction sur les raisons qui nous ont poussé à privilégier ces diverses sources. 16 17
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point les hauts et les bas qui y figurent sont fonction non seulement des conjonctures politiques, socio-économiques, culturelles et religieuses avec lesquelles eurent à composer les papes de l’époque, mais aussi des ambitions plus ou moins grandes, des convictions plus ou moins fortes, voire des goûts plus ou moins fastes dont faisait preuve chacun d’entre eux.
Figure 1 Effectifs des cours pontificales au XVIe siècle *
1 300 1 200
1 200
1 100
1 100 1 000
980 920
900 800
960
750
750 700
700
670
700 600
600 500
700
600
550 470 400
400 300 200 100
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*Sources : BAV, Vat. lat. 9027, fol. 162-169 (Pie III); Ibid., Vat. lat. 8598 (Léon X); Ibid., Borg. lat. 354, ASR, Cam. I : Giust. di Tes., fasc. 7 (Paul III); BAV, Ruoli 2, 6 (Jules III); Ibid., Ruoli 27-28, 30, 32, 34 et Vat. lat. 15046 (Paul IV); Ibid., Ruoli 39, 42 et ASR, Cam. I : Giust. di Tes. 4, fsc. 18 (Pie IV); BAV, Ruoli 56, 64 et ASR, Cam. I : Giust. di Tes. 9, fasc. 14 (Pie V); BAV, Ruoli 65, 75 (Sixte V); Ibid., Ruoli 100 et ASR, Cam. I : 1364-1365 (Grégoire XIV); BAV, Ruoli 109, 113, 133 (Clément VIII). Les chiffres indiqués restent approximatifs et ont été établis à partir de rôles de cour, de rôles funéraires ou de documents de nature administrative ou financière. À partir de ces sources nous avons pu identifier quatre cours (Paul IV, Pie IV, Pie V et Grégoire XIII) qui avaient subi des coupures significatives d’effectifs en cours de pontificat. Pour le cas particulier de la cour de Grégoire XIII, voir la note 15 du présent chapitre.
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Qu’un Alexandre VI, un Pie III et un Jules II se soient contentés de « familles » se situant probablement quelque part entre 4 et 500 membres ne surprend guère, compte tenu du fait, premièrement, que leurs prédécesseurs immédiats au XVe siècle en étaient eux-mêmes resté à des niveaux ne dépassant vraisemblablement pas les 300 personnes20, deuxièmement, que Pie III régna moins d’un mois et Alexandre VI et Jules II accordèrent l’un et l’autre plus de place et de temps aux jeux de la politique et de la guerre qu’aux raffinements de la vie de cour. Sans compter que les travaux d’aménagement et d’agrandissement entrepris par Jules II étaient loin d’être terminés au moment de sa mort et que, par conséquent, même à son époque, le Vatican n’était sans doute pas en mesure de loger convenablement une cour dépassant les 4 ou 500 individus. Ce qui ne devait d’ailleurs pas trop déplaire au neveu de Sixte IV qui, nous le savons, avait toujours eu tendance à tenir les cordons de la bourse serrés. Qu’un Léon X, par contraste, ait choisi de doubler d’un seul coup les effectifs de la cour pontificale n’étonne guère plus et d’ailleurs ne surprit aucunement les contemporains21, ses goûts fastueux et sa prodigalité presque sans borne leur paraissant en quelque sorte imposer ce choix et, cela, d’autant plus que, grâce à Jules II, il avait à sa disposition beaucoup plus d’espaces, et d’espaces de qualité que ses prédécesseurs. Quoi qu’il en soit, avec lui un nouveau plateau est atteint, un plateau que respecteront en gros un Paul III, un Jules III, un Paul IV et un Pie IV, pour des raisons sans doute assez proches des siennes. Toute autre, par contre, l’attitude d’un Adrien VI et d’un Marcel II qui, hostiles à toute forme de luxe ou d’ostentation, chercheront réduire à l’extrême les effectifs de leurs cours22. Autre également 20 Pastor, se fondant sur les données du rôle de cour de Pie II publié par Marini (Archiatri Pontifici, II, p. 152 et suiv.) estime avec d’autres auteurs dont Gregorovius que le nombre de membres de la cour de ce pape se situait quelque part entre 260 et 280. Storia dei papi cit., II, p. 23. Stinger, quant à lui, est d’avis que la cour, curialistes compris, avait retrouvé à la fin du XVe siècle les dimensions qu’elle avait atteintes à Avignon, soit environ 600 membres, ce qui donnerait quelque 300 courtisans au sens propre du terme, soit un peu plus qu’à la cour de Pie II. Cf. The Renaissance cit., p. 123. 21 À ce sujet, nous renvoyons pour l’essentiel à ce que nous avons dit de ce pape aux chapitres II et III. On pourrait par ailleurs citer de nombreux témoignages de contemporains allant dans le même sens. Entre autres, celui d’un chanoine de Ste Marie Majeure, Giacomello Cutinelli, qui, apprenant la mort de Léon X en 1521, n’hésite pas à qualifier ce dernier de « più glorioso papa che fussi da San Pietro ». J. Coste, Un diario inedito degli anni 1519-1524, dans Rinascimento nel Lazio, Rome, 1980. p. 277. Pour ce qui est des dimensions de la cour de Léon X, notre seule base de calcul étant le rôle de « familiarité » mentionné plus haut (voir note 17), il reste difficile de chiffrer au juste les effectifs de ladite cour. Partner parle de 700 membres. Renaissance Rome, 1550-1559, p. 118. Cette estimation est de toute évidence trop basse. Le chiffre de 1200 avancé par le maître de cérémonies Grassi à la mort de Léon X en 1521 paraît plus vraisemblable. Il Diario di Leone X di Paride de Grassi, éd. P. Delicati - M. Armellini, Rome 1884, p. 89. C’est ce chiffre que nous avons retenu et qui apparaît dans notre Graphique I. 22 Pour ce qui est de Paul III, Jules III, Paul IV et Pie IV, voir plus haut Figure I. Nous n’avons pas de chiffres précis concernant les cours d’Adrien VI et de Marcel II, mais tous les
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celle d’un Clément VII, d’un Pie V, d’un Grégoire XIII, d’un Sixte V, d’un Grégoire XIV et d’un Clément VIII qui refuseront d’aller aussi loin, mais n’en décideront pas moins de se doter de « familles » moins nombreuses et, cela, pour une variété de raisons: conjoncture défavorable et souci d’économie, dans le cas du premier de ces papes, même souci d’économie, mais doublé du désir de se conformer le plus possible aux directives du concile de Trente, dans le cas des cinq autres. De tous ces cas, celui de Clément VII mérite de retenir tout particulièrement notre attention, tant il illustre bien la complexité des situations auxquelles, pour la plupart, les papes de l’époque étaient confrontés et, partant, la difficulté des choix qu’en début, parfois en cours de pontificat il leur fallait faire concernant la « visibilité » à donner à leurs cours. Avec ses 700 membres –– c’est là le chiffre proposé par Domenico Gnoli sur la base de la Descriptio Urbis de 1526-152723 –– la cour du second pape Médicis se situait à mi-chemin de celle d’un Pie III et d’un Léon X, correspondant assez bien en cela à l’image que Clément VII nul doute entendait projeter de lui-même et de sa « famille », mais les tristes séquelles du sac de Rome l’avaient assez tôt acculé à renoncer à cette plus qu’honorable « médiocrité » et à se contenter, tout d’abord, au lendemain de son « évasion » du Château Saint-Ange, d’une cour « squelettique », puis, la situation s’améliorant, d’une « famille » plus « étoffée », mais sans commune mesure avec ce qu’avait été cette dernière avant la débâcle de 1527. Moins dramatique, mais tout aussi significative, la décision d’un Pie IV en 1564, sous pression il est vrai de son entourage, notamment de son neveu Charles Borromée, de réduire de plus d’un tiers les effectifs de sa cour24. À noter que Paul IV, son prédécesseur, tout grand seigneur qu’il était, en avait fait presque autant vers la fin de son règne25. Et que dire d’un Pie V qui, en 1566, poussé, lui, par un goût prononcé pour l’austérité témoignages d’époque vont dans le sens d’effectifs très réduits. Au sujet d’Adrien VI, voir von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 46-47. Aux cardinaux qui l’incitaient à s’entourer d’une domesticité plus fournie, Adrien VI répondait qu’il n’en avait pas les moyens, vu les dettes que son prédécesseur lui avait laissées et à ceux qui lui rappelaient que Léon X avait cent palefreniers à son service, il rétorquait que quatre lui suffiraient, se résignant finalement à en prendre douze. Ibid., p. 47. Pour ce qui est de Marcel II, nous avons le témoignage de Massarelli qui parle d’une cour réduite à sa plus simple expression. Cf. Conc. Trid., II, Diar. 2, p. 261-262. 23 D. Gnoli, Descriptio Urbis, dans ASRSP, XVII (1894), p. 386. 24 Le cérémoniaire Gian Francesco Firmano note dans son diaire en date du 2 août 1564 que le pape vient de couper la parte à 450 membres de sa cour. BAV, Vat. lat. 12278, fol. 234v. Ce chiffre pourrait comprendre des membres « externes » ne recevant que la parte d’onore: il n’en correspond pas moins en gros à la réduction de plus de mille à quelque 600 individus suggérée par Partner. Cf. Renaissance cit., p. 118. 25 Dès octobre 1557, Paul IV, devant les cardinaux réunis en consistoire, invite ces derniers à réformer leurs cours tout comme il s’apprête à le faire lui-même. BAV, Urb. lat. 1038, fol. 270r. Cet engagement fut-il suivi d’effets et surtout, entraîna-t-il des coupures d’effectifs? Nous n’en savons rien. En mars 1559, sous le choc probablement de la mise à jour des mé-
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et peut-être également l’attrait d’un certain non conformisme social, opte pour des effectifs encore plus maigres26. Sixte V ira plus loin encore, mais pour des raisons ayant peu à voir avec celles d’un Pie V, sa principale motivation, du moins en ce qui concerne les dimensions de sa « famille », étant, comme nous le verrons plus loin, beaucoup plus d’ordre monétaire que d’ordre éthique ou spirituel. Tels papes, telles cours? Oui, sans doute, mais, comme nous venons de le voir, à condition de ne pas oublier que les papes en question n’étaient pas toujours nécessairement libres, en ce domaine comme en tant d’autres, d’agir à leur guise, même si certains –– question de caractère, de convictions ou, tout simplement, de circonstances favorables –– réussirent mieux que d’autres à donner à leurs cours la physionomie, l’allure souhaitée. On pense ici, entre autres, à un Léon X, à un Pie V, à un Sixte V. Chose certaine, quoi qu’il en soit de la libéralité ou de la « prudence » des choix faits par les papes de l’époque, leurs cours étaient, globalement prises, numériquement plus importantes que celles de leurs homologues des XIVe et XVe siècles. De combien plus importantes? Sur la base des sources dont nous disposons, il semble bien qu’on puisse sans hésitation parler de doublement, voire, dans certains cas, de triplement des effectifs27. Mais qu’en était-il de la composition de ces mêmes cours? Encore ici, les ruoli nous sont d’un grand secours, puisque, comme nous l’avons indiqué plus haut, nous y trouvons de précieux renseignements sur les diverses catégories de personnes faisant partie des cours en question et sur le poids respectif de chacune de ces catégories. Notons, tout d’abord, que plusieurs types de catégories figurent dans les rôles des cours du XVIe siècle fondées, les unes, sur le rang occupé, les autres, sur la fonction exercée. Dans le premier cas, il s’agit de groupements par titres, de titres servant manifestement à définir un certain ordre d’estime et donc de préséance. Ainsi le rôle de cour de Léon X s’ouvre-t-il avec une liste de quelque 253 individus arborant faits commis par ses « proches », à commencer par ceux de son neveu Carlo, il se fait remettre la liste des membres de sa cour et en retranche quelque 200 noms. Ibid., Urb. lat. 1039, fol. 13r. 26 Dès avril 1566, Pie V parle de réduire les effectifs de sa cour. BAV, Urb. lat. 1090, fol. 211v. En juillet de la même année, il ordonne à tous les cardinaux et prélats habitant le palais apostolique de quitter les lieux afin de lui permettre de redistribuer les appartements qu’ils occupaient. Ibid., fol. 252v. En septembre, retiré au Belvédère, il entreprend lui-même cette redistribution, mais cette fois pour l’ensemble du palais, le tout en vue de réduire le nombre des « locataires » et mettre fin à certains abus. Ibid. fol. 298v-299r. En juin 1567, il confie à ses hommes de confiance, Niccolò Ormanetto et Bernardino Cirillo le soin de réduire les effectifs comme tels de la cour. Ces derniers remercient 150 membres de la « famille » pontificale dont plusieurs écuyers et palefreniers. Ibid., fol. 411v, 413r (Avvisi du 31 mai et du 7 juin). En 1570, on constate que la « famille » a été ramenée à quelque 600 têtes. BAV, Ruoli 64. Sur les motivations ayant poussé Pie V à agir de la sorte, voir Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 111-112. 27 On pourrait même parler dans le cas de la cour de Léon X d’un quadruplement d’effectifs, cette dernière ayant compté jusqu’à 1200 membres (cf. Figure I), alors que les cours des XIVe et XVe siècles n’avaient probablement jamais dépassé les 300 unités.
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les titres de prélats domestiques, camériers, « cubiculaires » (cubicularii) et écuyers. Ces individus forment, notons-le, environ le quart des effectifs de la cour léonine28. Mutatis mutandis, on retrouve ce premier type de classement dans la plupart des ruoli du XVIe siècle29. Dans le second cas, l’accent est mis sur les tâches ou fonctions remplies par les divers membres de la « famille » pontificale. À la cour de Léon X, le nombre de ces tâches et fonctions s’élève à 72, mais les cours des successeurs du premier pape Médicis, du moins celles de taille comparable, ne sont guère moins prodigues à ce chapitre30. Même s’ils ont beaucoup à nous apprendre sur la composition, éventuellement le fonctionnement de la cour pontificale au XVIe siècle et, à ce titre, doivent, dans un premier temps du moins, être considérés séparément, ces deux types de regroupements ne doivent pas pour autant être vus comme s’excluant les uns les autres, car, sous ces deux chefs, nous avons à peu près toujours affaire aux mêmes personnes, mais considérées sous des angles chaque fois différents. Ainsi parmi les prélats domestiques, camériers, « cubiculaires » ou écuyers de Léon X trouve-t-on bon nombre d’officiers exerçant des fonctions aussi diverses que celles de sacriste, majordome, trésorier secret, secrétaire, crédencier secret, maître de l’écurie, médecin, comptable ou encore maître d’hôtel31. Il en va d’ailleurs de même dans les cours de Paul III, Jules III, Paul IV et Pie V, pour ne nommer que celles-là32. Il s’impose, par ailleurs, de tenir compte du fait qu’un certain nombre de personnages figurant bel et bien dans nos ruoli échappent à toute catégorisation, du moins en termes d’office exercé. Ils sont là, pour la plupart, à titre de proches parents, clients, amis, protégés du pape, leur rôle n’étant pas tant de servir ce dernier, au sens technique du terme, que de lui faire cortège, témoins tout à la fois de sa grandeur, de sa « piété » et de sa munificence33. Nous avons choisi de les appeler, faute de mieux, « hôtes » de la cour et c’est par ce vocable que nous les identifierons chaque fois qu’il sera question d’eux dans les analyses et tableaux statistiques qui suivent. A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 367-384. Il en est ainsi à la cour de Paul III (BAV, Borg. lat. 354, fol. 3-6, 11v-13r, 14v-18v, 3641r), Jules III (Ibid., Ruoli 21, fol. 17r, 18r-19r, 20v, 6v-7v), Paul IV (Ibid., Ruoli 32, fol. 3v, 5v7r, 8rv, 9r-10r), Pie IV (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 2v, 4v-5v, 6v-7r, 8rv), Pie V (Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. 2v, 4r-5r, 6v, 7v), Sixte V (BAV, Ruoli 65, fol. 3v-4r) et Clément VIII (Ibid., Ruoli 113, fol. 2v, 4r-5r, 6r, 7r), même si, comme nous aurons l’occasion de le montrer plus loin, ces catégories subissent en cours de route certaines modifications et que de nouvelles catégories de type plus « fonctionnel » viennent s’ajouter à elles. 30 En effet, à la cour de Pie IV, presque aussi imposante que celle de Léon X, ce nombre s’élève à au moins 78, voir ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, passim. 31 A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 367-368, 370, 374, 379, 381, 383. 32 Voir à ce sujet les sources indiquées à la note 29. 33 Nous reviendrons plus loin sur le problème que pose l’identification de ces « hôtes » dont les noms n’apparaissent pas toujours dans les ruoli et qui font d’ailleurs souvent l’objet d’un traitement à part, traitement dont nous trouvons parfois des traces dans les livres de comptes du majordome et surtout du trésorier secret. 28
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
TABLEAU I Principaux personnages et officiers de la cour *
Papes
cardinaux palatins
prélats domestiques
camériers
cubiculaires / chapelains
écuyers
Total
%
Pie III
---
21 (62)
18 (18)
40 (40)
28 (28)
107 (138)
52%
245 Léon X
1 (10?)
27 (78)
64 (161)
69 (83)
93 (107)
254 (439)
58%
693 Paul III
1 (8)
64 (173)
20 (22)
23 (18)
24 (24)
132 (245)
38%
377 Jules III
1 (10?)
29 (113)
67 (144)
17 (20)
18 (18)
132 (305)
47,50%
437 Paul IV
6 (44)
20 (73)
38 (57)
24 (27)
31 (31)
119 (232)
36,50%
551 Pie IV
1 (10?)
23 (94)
60 (71)
27 (29)
27 (27)
138 (231)
33,50%
369 Pie V
6 (27?)
6 (24)
38 (57)
10 (10)
12 (12)
72 (131)
35,50%
202 Sixte V
1 (12)
4 (15)
32 (32)
---
6
33 (59)
23%
92 Grégoire XIV
1 (10?)
8 (35)
43 (100)
13 (11)
9 (9)
74 (165)
40%
239 Clément VIII
4 (37)
18 (58)
51 (109)
16 (17)
18 (18)
107 (239)
46%
346
*Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de serviteurs rattachés aux personnages et officiers dont il est ici fait état. Pour ce qui est des sources qui nous ont fourni les données en question nous renvoyons à celles mentionnées sous la Figure I de même qu’aux notes 28 et 29 du précédent chapitre et, pour ce qui est de Pie III, également à P. PICCOLOMINI, « La famiglia di Pio III », dans ASRSP, XXVI (1900), p. 143-164.
Des deux types de regroupements dont nous avons fait jusqu’ici état, celui par titres ou, pour être plus exact, par titres de dignité est d’une toute particulière importance parce que révélateur d’une certaine conception que l’on avait à l’époque de la cour pontificale, cour qui, à l’instar de ses homologues séculières, mais aussi à l’image de la société du temps, se devait d’être fortement hiérarchisée, d’autant plus d’ailleurs que, dans son cas, hiérarchique allait de pair avec sacral et que le pape se voyait et se verra de plus en plus au XVIe siècle comme le garant d’un ordre voulu par Dieu et dont, croyait-il, l’Église était et avait vocation d’être la plus parfaite illustration. On n’est donc pas surpris de constater que dans les ruoli de l’époque les prélats domestiques occupent toujours la première place, suivis des camériers, des « cubiculaires » et des écuyers en attendant d’être devancés au temps de Paul IV par une catégorie nouvelle qui fait alors son apparition, celle des « cardinaux palatins »34. 34 Paul IV ne fut pas le premier pape à s’entourer de cardinaux en qui il avait une particulière confiance ou avec lesquels il était intimement lié. Alexandre VI, Jules II, Léon X, Paul III, Jules III en firent tout autant, bien qu’ils n’employèrent à aucun moment le titre de cardi-
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Les titres de camériers, « cubiculaires » et écuyers ne rendaient pas, ce dernier surtout, un son très ecclésiastique –– on les trouvait tout aussi bien dans les cours séculières de l’époque ––, mais peut-être n’est-il pas inutile de rappeler ici que le pape était aussi « prince » et qu’il lui fallait donc, jusqu’à un certain point, se conformer au vocabulaire en usage dans les cours de ses homologues, avec cette nuance toutefois qu’à la cour pontificale, dès le début du XVIe siècle et de plus en plus par la suite, ces titres étaient et seront portés par des personnages qui, contrairement à ce qui se passait dans les cours des princes séculiers, étaient, pour la plupart, clercs plutôt que laïques, sans compter qu’à partir du pontificat de Paul III, la catégorie: « cubiculaires » devint celle de « cubiculaires » et chapelains35 –– Paul IV, quelques années plus tard, laissera même tomber le premier de ces titres pour ne retenir que le second36 ––, autre indice, s’il en était besoin, d’une volonté manifeste de cléricalisation de la cour. Nous avons souligné plus haut le fait que prélats domestiques, camériers, « cubiculaires » et écuyers formaient environ le quart des effectifs de la cour de Léon X. Mais pour rendre adéquatement compte du poids numérique réel de ce groupe d’élite par rapport aux divers autres groupes faisant partie de la « famille » papale, il faudrait aussi tenir compte des nombreux serviteurs (famuli) –– 439 au total –– assignés à la quasi totalité des membres de ce groupe d’élite37. Certes ce dernier chiffre est-il sujet à caution –– certains des dignitaires de la cour de Léon X étaient en même temps, nous l’avons vu, titulaires de charges ou d’offices au service et, dans certains cas, au service immédiat du pape et il n’est donc pas impossible que leurs famuli ou, du moins, une partie d’entre eux aient été considérés à l’époque moins comme étant à leur service qu’à celui du pape38 ––, mais, cette réserve faite, on est en naux palatins pour désigner ces « hôtes » qui, très souvent, « parents », « clients » ou « amis », jouaient auprès d’eux le rôle de proches collaborateurs ou de conseillers privilégiés. On pense ici à un César Borgia au temps d’Alexandre VI, à un Francesco Alidosi au temps de Jules II, à un Bernardo Dovizi et à un Jules de Médicis au temps de Léon X, à un Alexandre Farnèse au temps de Paul III. Mais c’est Paul IV qui, le premier, créa la catégorie de « cardinaux palatins », catégorie à laquelle, comme il se doit, il accorda la première place, immédiatement devant celle des « parents » (parenti) –– autre catégorie qui apparaît pour la première fois dans les ruoli de l’époque –– et les « prélats » (prelati). BAV, Ruoli 32, fol. 3rv. Il faut dire qu’en 1558 la cour comptait six cardinaux palatins, non compris Carlo Carafa, le cardinal neveu, dont le nom n’apparaît pas dans le rôle en question, ce dernier faisant sans doute l’objet d’un traitement à part. Les successeurs de Paul IV qui, pour la plupart, comptèrent eux aussi de nombreux cardinaux sous leur toit –– Pie V en particulier –– feront désormais leur ce modèle. 35 BAV, Borg. lat. 354, fol. 14v. 36 Ibid., Ruoli 32, fol. 8rv. 37 A. Ferrajoli, Il Ruolo dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 367-384. 38 Il est, en effet, difficile d’imaginer que les longues listes d’individus présentés comme des famuli des prélats domestiques et des camériers en particulier n’aient été que des serviteurs des personnages en question. Des sept famuli du sacriste, Gabriele Foschi, il y a fort à parier que bon nombre étaient en réalité des subalternes l’assistant dans l’accomplissement de ses fonctions. Ibid., p. 367. On peut en dire autant du trésorier secret, Serapica, et de ses sept ou huit « serviteurs ». Ibid., p. 370.
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droit de penser que l’ensemble de ces dignitaires: prélats domestiques, camériers, « cubiculaires », écuyers, plus tard, cardinaux palatins représentaient, serviteurs compris, un poids numérique de loin supérieur à notre estimation de départ. Il ne serait sans doute pas exagéré de fixer ce poids non plus à 25, mais à près de 60% des effectifs de la cour léonine. Pareille domination peut à première vue surprendre. De fait, comme le montre le tableau ci-dessus (Tableau I), on la retrouve, bien qu’à un moindre degré, chez tous les successeurs de Léon X, à la seule exception –– faut-il s’en surprendre? –– du très « pragmatique » Sixte V. Mais pouvait-on en attendre moins de souverains qui se considéraient tout à la fois « princes » et « pontifes »? À noter cependant qu’avec le temps l’organigramme de la cour papale s’enrichira de catégories nouvelles fondées, elles, sur la nature de la fonction exercée plutôt que sur la qualité des personnes exerçant ces fonctions, ce qui donne à penser que, sans renier pour autant l’importance acordée au rang, on tendait à mettre de plus en plus l’accent sur la fonction, c’est-à-dire sur le type d’office rempli ou de service rendu par les divers membres de la cour. Sixte V –– et pour cause –– est sans doute celui qui alla le plus loin dans cette direction39. Mais peutêtre ne faisait-il là que prendre acte d’une évolution en cours, du fait surtout que des titres tels que ceux de prélats domestiques, camériers, « cubiculaires » ou écuyers correspondaient de moins en moins, et, cela, depuis bon nombre d’années, aux fonctions qu’à une certaine époque ils avaient servi à désigner, que certains d’entre eux d’ailleurs étaient devenus avec le temps purement honorifiques, que certains mêmes –– ceux de « cubiculaires » et d’écuyers en particulier –– assez souvent n’étaient plus que des titres nominaux, parfois même de simples titres de rente, sans obligation aucune de servir, voire de paraître à la cour 40. 39 En effet, il est frappant de constater qu’à la cour de Sixte V, la fonction prime sur le titre ou le rang. On retrouve, comme chez ses prédécesseurs, les catégories traditionnelles: cardinaux palatins, prélats domestiques, camériers, écuyers, mais elle concernent cette fois un petit nombre de personnes qui, chacune, remplissent une fonction précise correspondant à la catégorie en question. Ainsi le seul cardinal figurant dans le rôle de 1588 est le cardinal neveu, personnage qui, jusque-là, ne figurait pas dans les rôles de cour, mais qui y fait cette fois son apparition à l’égal des autres « employés » ou auxiliaires du pape. Tout aussi significatif le fait que, pour les autres membres de la cour, les regroupements se font par secteurs ou types d’activité: secrétariat, Daterie, chapelle (« secrète » et palatine), santé (médecins, chirurgiens, apothicaire), cuisine (« secrète » et « commune »), comptabilité, services d’entretien, Belvédère, écuries, services de garde, crédence, dépense, garde-meuble, bouteillerie, boulangerie, etc. ou, pour les officiers échappant à cette typologie, par catégories plus générales du genre: diversi maggiori, diversi minori ou, tout simplement, signori officiali. BAV, Ruoli 65 et 75. Il faut toutefois préciser que, ce faisant, Sixte V s’inspirait d’une logique en cours depuis au moins le pontificat de Paul III. En effet, c’est à ce dernier que l’on doit, entre autres, la création d’une catégorie à part pour les médecins et chirurgiens, pour les officiers de la Daterie et c’est lui qui, le premier, réserve la catégorie: camériers aux seuls officiers exerçant effectivement cette fonction. BAV, Borg. lat. 354, passim. 40 À ce sujet, voir Delumeau, Vie économique cit., II, p. 774 et suiv.
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Mais cette évolution n’affectait pas que les titres de dignité qui avaient longtemps servi et, jusqu’à un certain point, servaient encore à la fin du XVIe siècle à mettre en évidence ceux qui faisaient partie des groupes d’élite de la cour: elle affectait aussi les divers types d’offices ou de fonctions existant au sein de cette même cour. Que penser, par exemple, d’offices tels que ceux de sous-diacres et d’acolytes apostoliques qui étaient encore exercés au XVIe siècle et continueront de l’être par la suite, mais qui depuis au moins 1514 étaient devenus vénaux et d’ailleurs à l’époque ne faisaient habituellement l’objet de mentions que dans les rôles « funéraires » ou de « familiarité »41? Et que dire des 29 secrétaires apostoliques, des 81 rédacteurs de brefs, des 101 rédacteurs de lettres apostoliques, des 25 « sergeants d’armes » (servientes armorum) et des 16 « maîtres-huissiers » (magistri hostiarii de virga rubea) dont les offices étaient eux aussi vénaux –– dans leur cas depuis la fin du XVe siècle –– et qui, comme groupes, brillent par leur absence dans les rôles de « commensalité » d’un Jules III et de ses successeurs42? Certes, il arrivait que certains détenteurs de ces charges, achetées parfois à prix d’or, fassent, au moins occasionnellement, acte de présence à la chancellerie apostolique dont, en principe, ils dépendaient, voire à la cour43, mais il paraît difficile d’admettre qu’ils aient été, à ce seul titre, membres de la « famille » du pape. Plus problématique le cas des 19 courriers (cursores), eux aussi acquéreurs de leurs charges, mais qui remplissaient effectivement ces dernières, le plus souvent au service sinon du pape lui-même, du moins de l’un ou l’autre de ses collaborateurs immédiats. Que ce groupe ne figure pas comme tel dans les rôles de « commensalité » ne change rien au fait que de toute évidence son port d’attache était la cour et que, d’ailleurs, certains de ses 41 Sur ces offices, voir W. von Hofmann, Forschungen zur Geschichte der Kurialen Behörden vom Schisma bis zur Reformation, II, Rome 1914, p. 169. Il faut distinguer ces offices de ceux de diacre de l’Évangile, de sous-diacre de l’Épître et d’acolyte qui, eux, n’étaient pas vénaux et apparaissent bel et bien dans les rôles de « commensalité » de l’époque. Un premier exemple nous est fourni par le rôle de Jules III de 1550-1551, BAV, Ruoli 6, fol. 6v. 42 Cf. von Hofmann, Forschungen cit., II, p. 166-167. 43 Cela est particulièrement vrai du collège des secrétaires apostoliques dont les membres vont continuer pendant un certain temps à servir à la cour, mais qui va devoir progressivement s’effacer devant des concurrents qui, eux, n’étaient plus des « curialistes », mais des « courtisans » au service immédiat du pape ou, éventuellement, du cardinal neveu. À ce sujet, voir l’article fondamental et toujours valable de P. Richard, Origines et développement de la Secrétairerie d’État, dans RHE, XI (1910), p. 61-72, 505-523. Se fondant sur le mémoire de Giovanni Carga, vétéran de la Secrétairerie Apostolique, René Ancel ne craint pas d’affirmer qu’au temps de Paul IV, le collège des secrétaires apostoliques n’était plus que l’ombre de lui-même et que le titre dont se réclamaient ses membres n’était plus qu’un titre de rente. La Secrétairerie pontificale sous Paul IV, dans RQH, XXXV (1906), p. 410.
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membres figurent bel et bien dans les rôles en question44. Tout aussi problématique, à première vue du moins, le cas des chanteurs de la Sixtine qui, bien que remplissant un rôle-clé au sein du dispositif de la chapelle pontificale, n’apparaissent pratiquement jamais dans les rôles de cour au XVIe siècle, ce qui pourrait donner à penser qu’ils n’appartenaient pas à cette dernière, un peu comme la Garde Suisse qui, pourtant, elle aussi, jouait un rôle de premier plan, dans son cas, au sein du dispositif de sécurité entourant le pape et sa « famille ». Mais autant le fait de ne pas figurer dans les rôles de cour de l’époque paraît dans le cas de la Garde Suisse compréhensible, autant, au contraire, il surprend dans celle des chanteurs de la Sixtine, d’autant plus d’ailleurs qu’ils sont les seuls membres de la chapelle pontificale à ne pas y figurer45. Il y a là une anomalie que seul peut expliquer le statut spécial dont jouissaient à l’époque les chanteurs de la Sixtine –– statut sur lequel nous aurons à revenir plus loin –– et qui faisaient d’eux en quelque sorte des membres « à part » de la cour, mais membres tout de même au même titre que ces nombreux « hôtes » dont nous avons fait état plus haut. À l’encontre de Peter Partner qui refuse le statut de « courtisans » non seulement aux chanteurs, mais à l’ensemble des membres de la chapelle pontificale46, nous croyons pleinement justifié de les inclure les uns et les autres dans l’organigramme de la cour pontificale au XVIe siècle47. Reste le cas des hommes de métier, artisans et « professionnels » de toutes sortes dont les noms apparaissent ici et là dans les rôles, mais surtout les livres de comptes de la cour. Bien évidemment, il faut, en ce qui les concerne, d’une part, écarter ceux qui ne sont que des fournisseurs de la cour ou qui n’y sont employés que de façon ponctuelle, de l’autre, retenir leurs homologues faisant manifestement partie de la « famille » pontificale, cela pouvant aller de la lavandière à l’architecte en passant par le boucher, le menuisier, le jardinier, le « distillateur » (stillatore) et le maréchal-ferrant, pour ne nommer que ceux-là. Même s’il n’est pas toujours facile d’identifier avec certitude les fonctions faisant effectivement partie de l’organigramme de la cour –– les exemples que 44 En effet, dans les rôles de « commensalité » de l’époque, on trouve toujours parmi les officiers palatins assurant le service de garde mention de trois courriers (cursores). Ils sont déjà présents dans le premier rôle de « commensalité » dont nous disposons, soit celui de Jules III de 1550-1551, BAV, Ruoli 6, fol. 10r. Ce qui donne à penser que, tout titulaires de charges vénales qu’ils aient été, lesdits courriers étaient appelés à servir à tour de rôle à la cour et donc à avoir droit chaque fois qu’ils le faisaient aux privilèges accordés aux membres de la cour, dont la parte. 45 Le seul rôle où ils apparaissent à côté d’autres membres de la chapelle Sixtine est le rôle « funéraire » de Pie III. Voir P. Piccolomini, La famiglia di Pio III, dans ASRSP, XXVI (1903), p. 154-155. 46 Partner, Renaissance cit., p. 122. 47 La place centrale occupée par la liturgie à la cour pontificale, le fait que la Sixtine jouait le rôle de chapelle palatine et le fait que ses principaux officiers occupaient une place éminente dans les rôles de cour, autant de facteurs qui obligent à rejeter l’affirmation d’un Partner.
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nous venons de donner le montrent assez –– il n’en reste pas moins que, grâce aux sources à notre disposition, nous sommes en mesure de le faire dans une bonne majorité de cas. Sans compter que ces mêmes sources permettent par ailleurs de nous faire une assez bonne idée de l’ordre d’importance de ces fonctions les unes par rapport aux autres. Le moment est venu de nous intéresser de plus près à ces dernières et de chercher à en dresser une nomenclature aussi exacte et complète que possible. Pour ce faire, il nous a semblé utile de commencer par les regrouper sous huit chefs différents constituant en quelque sorte les grands secteurs d’activités de la cour, soit: 1) les services de la chambre; 2) les services de la chapelle et du protocole; 3) les services de chancellerie et de secrétariat; 4) le service de la bibliothèque et des archives; 5) les services d’intendance et de finance; 6) les services d’alimentation; 7) les services de transport et 8) les services généraux. Nous aurons plus loin à revenir sur plusieurs des offices rattachés à ces divers secteurs d’activité, mais peut-être n’est-il pas superflu d’indiquer brièvement ici quels sont ces offices et comment ils se répartissent d’un secteur à l’autre. Les services de la chambre regroupent d’abord et avant tout ce que l’on pourrait appeler les offices d’« intimité » ou de « proximité », c’est-à-dire ceux touchant de près la personne du pape. On y retrouve bien évidemment le groupe des camériers, celui des écuyers, celui des palefreniers; le groupe des médecins et chirurgiens auquel on peut associer le « barbier », déjà, à l’époque, figure emblématique de l’« intimité »; mais également un certain nombre de personnages de relief, tels le maître du Sacré-Palais, l’aumônier, éventuellement, le confesseur, et quelques titulaires de postes plus modestes, mais eux aussi, auréolés du prestige envié de l’« intimité », tel ce mystérieux personnage appelé « distillateur » (stillatore) installé au Belvédère avec comme principale tâche de préparer sur demande diverses « concoctions » destinées au pape ou à ses « proches »48. Aux services de la chapelle appartiennent tout naturellement les chapelains, en particulier les chapelains « secrets » qui, assistés d’un ou plusieurs clercs, assurent les fonctions liturgiques à la chapelle privée du pape; mais également et peut-être surtout le personnel de la chapelle Sixtine: sacriste, diacre, sous-diacre, acolyte, clercs, maître de chapelle, chanteurs, copistes (scriptores), conservateur (custos) des livres de chant; également, mais à la basilique Saint-Pierre cette fois: altariste, chapelain du Saint-Sacrement, portier (mansonarius) et gardien (« cacciacani »). Et, bien entendu, les céré48 Cette fonction apparaît pour la première fois à la cour de Jules III. Son premier titulaire s’appelait François Vaniers et était originaire de Lorraine. BAV, Ruoli 2, fol. 22v; Ruoli 6, fol. 8r; ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito, 1550, fol. 15r. Jules III fut-il le premier pape à recourir aux services d’un stillatore? Peut-être. Nous essaierons de voir dans notre sixième chapitre quelles raisons le poussèrent à créer ce poste et pourquoi la plupart de ses successeurs maintinrent ce dernier.
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moniaires pontificaux chargés de veiller au respect des normes non seulement liturgiques, mais protocolaires de la cour. Quant aux services de chancellerie et de secrétariat, nés les uns et les autres de la volonté du pape de se réserver pour des raisons aussi bien « politiques » que financières, certaines « expéditions » ou affaires confiées jusque-là à la Chancellerie, à la Chambre, voire à la Pénitencerie Apostolique, ils sont représentés, d’une part, par des personnages tels que l’auditeur et le référendaire domestique, les officiers de la Daterie, certains officiers des deux Signatures, de la Signature de grâce notamment, sans oublier quelques personnages plus effacés tels ces deux frères Cisterciens préposés au sceau pontifical et, pour cette raison, connus à l’époque sous le nom de piombatores; de l’autre, par un nombre grandissant de secrétaires avec à leur tête un secrétaire « domestique », un secrétaire « intime » –– le futur secrétaire d’État –– et un secrétaire des brefs chargés respectivement de la correspondance destinée aux « princes », de la correspondance diplomatique et des lettres de « grâces » ou de dispenses accordées par le pape ou en son nom, de même que de l’enregistrement des bulles expédiées par « voie secrète » (via secreta), c’est-à-dire sans passer par la Chancellerie, voire la Daterie. Mériterait également de figurer ici les courriers (cursores) du pape et peut-être le maître de poste responsable de l’acheminement des lettres et colis quittant la cour pontificale ou y arrivant49. 49 Jean Delumeau parle d’un certain Gabriel de Sandro, apparenté à la famille des Tassis, qui aurait été maître de poste d’Alexandre VI. Vie économique et sociale de Rome, I, p. 69. Or le titre de « magister caballiorum » (ou « taballiorum ») que portait ce dernier fait plutôt penser à la fonction de doyen des courriers du pape, courriers, on le sait, chargés de porter à qui de droit ou d’afficher là où il le fallait, brefs, missives, ordonnances et autres documents émanant de l’administration pontificale. Le titre comme tel de maître de poste apparaît pour la première fois au temps de Léon X. Il concerne un certain Bartolomeo del Vantaggio. ASV, Intr. et Ex. 560, fol. 103r. Lui succède, sous Clément VII, un membre de la même famille du nom d’Angelo. Ibid., Intr. et Ex. 561, fol. 138r. Au début du règne de Paul III, c’est encore un del Vantaggio, du nom de Francesco cette fois, qui occupe ce poste: ASR, Cam. I: 868, fol. 3r et passim. Mais il est remplacé dès janvier 1535 par Matteo Gherardi (ou de Gherardis) (Ibid., fol. 21r et passim), Paul III estimant sans doute que le règne des del Vantaggio avait assez duré. Or Gherardi fera encore mieux que ces derniers, réussissant à se maintenir dans ladite fonction jusqu’au début du règne de Pie IV. Ibid., Cam. I: 886, fol. 64v et passim; BAV, Ruoli 32, fol. 9r; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 7r. Il reçoit au départ une provision de 125 ducats par mois (Ibid., Cam. I: 868, fol. 3r), alors que celle d’un Bartolomeo del Vantaggio était en 1520 de 70 ducats (ASV, Intr. et Ex. 560, fol. 130r). On constate toutefois que Gherardi joue aussi à l’occasion le rôle de courrier, voire d’agent diplomatique. J. Lestocquoy, Correspondance des nonces en France Carpi et Ferrerio (1535-1540), Rome-Paris 1961, p. 371-373, 618; id., Correspondance des nonces en France Capodiferro, Dandino et Guidiccione (1541-1546), Rome-Paris 1963, p. 243-244; id., Correspondance des nonces en France Dandino, della Torre et Trivulzio (1546-1551), Rome-Paris 1966, p. 414. Ce qui semble confirmer l’assertion de Pierre Richard à l’effet que cette fonction était encore à l’époque à l’état d’ébauche. Origine cit., p. 524. Le rôle du maître de poste, écrit-il, consistait pour l’essentiel à remettre aux ambassadeurs en poste à Rome les dépêches et paquets destinés à leurs cours respectives et aux
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De dimensions beaucoup plus modestes, le service de la bibliothèque et des archives peut toutefois se targuer de compter en son sein des hommes de savoir et de prestige tels le bibliothécaire qui, à partir de 1555, sera toujours un cardinal, les deux conservateurs (custodes) dont l’un chargé aussi de la garde des documents d’archives, les sept ou huit scribes spécialisés dans la copie de manuscrits anciens: grecs, latin, voire hébreux, les réviseurs des textes en question, ou encore le personnel affecté à l’imprimerie créée par Sixte V en 1587, tous ces hommes étant par ailleurs entourés d’auxiliaires de diverses sortes50. Aux services d’intendance et de finance, rouages essentiels de la complexe mécanique de la cour, se rattachent, d’une part, le majordome, le dépensier (spenditore), le comptable (computista) et leurs collaborateurs respectifs, d’autre part, certains officiers de la Chambre Apostolique, notamment le trésorier général, le président, le comptable, enfin le trésorier secret à qui revenait la redoutable tâche de gérer la caisse personnelle du pape. Les services d’alimentation ou de « bouche », comme on disait à l’époque, regroupent, pour leur part, un riche éventail d’expertises et de métiers liés d’une façon ou d’une autre aux « arts de la table », qu’il s’agisse de ceux –– prisés –– de maître d’hôtel (scalco), d’écuyer-tranchant (trinciante), de crédencier, de bouteiller, d’échanson (coppiere), de sommelier (canovaro), de cuisinier, de boulanger (fornaro), de pâtissier, ou de ceux –– plus prosaïques –– de préposés aux salles à manger (tinelli), aux fours, à la paneterie, à la dépense, à la cave (cantina), à la boucherie (macellaria), à la basse-cour (gallinaria), sans compter le petit personnel gravitant autour des titulaires des offices en question et surtout la « domesticité » à laquelle il incombait d’assurer aux heures des repas le service de la table du pape, des cardinaux ou encore des gentilshommes, « domesticité », dans le cas de la table du pape, tirée en grande partie des effectifs de la chambre. Liés qu’ils étaient aux modes de locomotion existant à l’époque: cheval, mule, charrette, litière, coche et, à partir du milieu du XVIe siècle, carrosse, parler des services de transport de la cour pontificale, c’est parler nonces qui y étaient en poste, et à recevoir en retour les dépêches et paquets provenant de ces mêmes destinations, le tout par l’intermédiaire des courriers dont disposaient lesdits ambassadeurs. Les choses changent à partir du règne de Grégoire XIII avec l’affermage du poste en question à des entrepreneurs passant contrat à cet effet avec la Chambre Apostolique. Les bails annuels versés par ces derniers varient de 5000 écus au temps de Grégoire XIII, à 8 500, 10.000, puis 16.600 au temps de Sixte V, pour atteindre 18.000 écus au temps de Clément VIII. Delumeau, Vie économique cit., I, p. 78-79. Cette transformation du statut du maître de poste pontifical coïncide d’ailleurs avec la décision prise par Grégoire XIII de donner à son maître de poste priorité sur tous ses homologues étrangers alors présents à Rome avec peutêtre l’intention d’éliminer éventuellement ces derniers. Ceux-ci de fait ne disparaîtront pas, mais seront de plus en plus soumis au contrôle de la poste pontificale. Ibid., p. 74-78. 50 Pour tout ce qui concerne la bibliothèque à l’époque et le personnel qui y travaille, voir Bignami Odier, La Bibliothèque cit., p. 26-81, 320-327.
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d’abord et avant tout des écuries et des remises où étaient logés animaux et véhicules assurant les services en question et où, par le fait même, travaillait le personnel affecté à l’ensemble de ces services. Personnel nombreux pouvant aller du maréchal-ferrant au garçon d’écurie en passant par les muletiers, les charretiers, les cochers, les préposés aux litières, les préposés à l’avoine (biada), au foin (fieno) ou à la paille (paglia) tous sans exception soumis à l’autorité d’un maître de l’écurie avec habituellement à ses côtés un compagnon, parfois un sous-maître. Aux services généraux (aménagement, entretien, garde) appartiennent l’architecte en titre du palais, le « mesureur » (misuratore), le préposé à l’entretien des bâtiments, le maçon, le charpentier, leurs aides et compagnons, les jardiniers, les préposés aux puits et fontaines, le préposé aux « bosquets » (selve), le vigneron, les garde-meubles, les préposés aux horloges, les nombreux balayeurs, portefaix, acquiféraires, lavandiers ou lavandières, sans oublier l’imposant contingent des portiers et gardiens contrôlant l’accès à certaines salles, certains escaliers et certaines portes du palais ou de telle ou telle de ses dépendances: le Belvédère, la villa Pia, notamment, la protection du pape comme tel étant pour sa part assurée, comme nous avons eu l’occasion de le rappeler plus haut, par la Garde Suisse, mais en liaison avec d’autres corps de troupes installés au Vatican même ou au Château Saint-Ange. TABLEAU II Offices et officiers de la cour *
Papes Jules III
Paul IV
Pie IV
Pie V
Sixte V
Grégoire XIV
Clément VIII
chambre
chapelle
chancellerie
bibliothèque
bouche
écurie
infendance
autres
Total 506
115
64
46
9
120
52
60
20
(27%)
(13%)
(9%)
(2%)
(24%)
(10%)
(12%)
(4%)
119
71
53
14
93
39
83
15
(24%)
(14,5%)
(11%)
(3%)
(19%)
(8%)
(17%)
(3%)
137
78
45
13
98
53
78
12
(27%)
(15%)
(7%)
(2,5%)
(19%)
(10%)
(15%)
(2%)
86
52
45
8
72
31
56
14
(24%)
(14%)
(12%)
(2%)
(21%)
(8,5%)
(17%)
(4%)
78
49
36
9
61
22
45
12
(25%)
(16%)
(11,5%)
(2,5%)
(19%)
(17%)
(14%)
(4%)
115
53
33
11
50
16
45
17
(34%)
(15,5%)
(10%)
(3%)
(15%)
(15%)
(13%)
(5%)
135
54
56
17
62
18
54
20
(32%)
(13%)
(13%)
(4%)
(15%)
(4%)
(13%)
(5%)
487
514
364
312
340
416
*Sources : BAV, Ruoli 6 (Jules III); Ibid., Ruoli 32 (Paul IV); ASR, Cam. I : Giust. di Tes. 4, fasc. 14 (Pie V); BAV, Ruoli 65, 75 (Sixte V); Ibid., Ruoli 100 (Grégoire XIV); Ibid., Ruoli 113, 133 (Clément VIII).
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Comme le montre le tableau ci-dessus, tous ces services ne sont pas d’égal poids ou, du moins, d’égale estime, même s’ils sont tous, d’une façon ou d’une autre, indispensables à la bonne marche de la cour. Que ceux de la chambre occupent et, d’assez loin, le premier rang n’a rien pour nous surprendre, compte tenu du fait qu’ils regroupent la plupart des « familiers » du pape appelés, à divers titres, à le servir, soit dans le secret de ses appartements privés, soit dans le cadre de ses nombreuses apparitions publiques et cela, en fonction des circonstances et des événements de toutes sortes, prévus ou imprévus, scandant la vie de la cour. On peut en dire autant, même s’ils sont numériquement moins importants, des services de la chapelle et du protocole, services s’apparentant par certains côtés à ceux de la chambre –– on pense ici aux chapelains et clercs affectés à la chapelle « secrète » du pape ou encore aux maîtres de cérémonies ––, mais tirant surtout leur prestige et leur poids du fait qu’ils servaient à mettre en évidence le caractère « sacral » du pouvoir dont était investi le pape, c’est-à-dire le fait qu’il était tout à la fois pontifex et princeps et que le premier de ces titres dominait et, en quelque sorte, confortait l’autre. Ceux qui avaient l’heur de participer aux cérémonies bien réglées de la Sixtine ou de Saint-Pierre et ceux qui avaient le privilège d’être solennellement reçus au palais apostolique en savaient quelque chose, même s’ils n’étaient pas toujours nécessairement d’accord avec l’idéologie sous-tendant ces rituels admirés et, jusqu’à un certain point, enviés. Par contraste, les services de chancellerie et de secrétariat représentent ce que l’on pourrait à juste titre appeler la face « bureaucratique » de la cour. Bureaucratie faite de juristes, d’humanistes, d’administrateurs, de scribes et de petits fonctionnaires de toutes sortes dont le nombre d’ailleurs s’accroît au fur et à mesure qu’on se rapproche du XVIIe siècle. La place occupée par la Daterie, surtout dans la première moitié du siècle, celle de plus en plus déterminante assumée par la Secrétairie Apostolique à partir du règne de Paul III marqué par l’entrée en scène du cardinal neveu51 illustrent bien ce processus qui n’est d’ailleurs pas propre à la cour pontificale même si, comme l’a démontré Paolo Prodi, celle-ci fait à l’époque figure de précurseur en la matière52. Le même constat vaut pour les services d’intendance et de finance qui, eux aussi –– notre tableau le laisse deviner ––, gagnent en importance à l’époque, dans leur cas, pour des raisons d’ordre probablement surtout financier, comme nous aurons l’occasion de le montrer dans un prochain chapitre. Du personnel de la bibliothèque et des archives il y a assez peu à dire sinon qu’au XVIe siècle il dépend totalement de l’intérêt que chaque pape 51 Sur ces développements, voir pour la Daterie, Storti, La storia cit., p. 70-91, 178-227 et, pour la Secrétairerie Apostolique, Richard, Origines cit., p. 69-72, 505-522. 52 Il Sovrano Pontifice cit., p. 15-40 et passim.
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portait à sa bibliothèque –– seuls Pie IV, Pie V et Grégoire XIII semblent s’être préoccupés du sort des archives en tant que telles53 ––, d’où les hauts et les bas que connaît à l’époque le recrutement de ce personnel et, ce, malgré l’indéniable prestige attaché à la bibliothèque papale en passe de devenir une des plus riches et des plus enviées d’Europe. Avec les services de « bouche », d’écurie et ceux que nous avons choisi de regrouper sous le titre de services généraux, nous nous retrouvons dans un tout autre univers: celui des besoins de première nécessité, c’est-àdire, entre autres, nourriture, médicaments, transports, chauffage, lessive, entretien, surveillance, protection. Besoins matériels donc pouvant, aux yeux de certains, passer pour être de second ordre, mais qui, s’agissant de la cour pontificale, ne méritaient aucunement ce qualificatif, ces services ayant pour fonction non pas seulement d’assurer le bien-être « physique » des membres de la cour, pape en tête, mais également de contribuer par le savoir-faire de ceux qui les assuraient à la réputation et au prestige de cette même cour. Aussi n’est-on pas surpris du poids que ces services, globalement pris, représentent par rapport à l’ensemble des effectifs de la « famille » pontificale, cela pouvant aller de 46% au temps de Jules III à 40% au temps de Sixte V, la baisse subséquente s’expliquant probablement –– nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin –– par un certain nombre de mesures administratives adoptées par ledit Sixte V. De tous ces services, ceux de « bouche » occupent manifestement la première place et pourraient même, du moins numériquement parlant, être considérés comme les plus importants de la cour si, comme nous le suggérions plus haut, était tenu compte des nombreux « familiers » appelés à servir à la table du pape surtout lorsque celle-ci réunissait un grand nombre de convives. On ne peut en dire autant des services d’écurie et des services généraux qui, par la force des choses, se situent –– ces derniers surtout –– à un autre niveau d’estime, bien qu’ils requéraient, eux aussi, une main d’œuvre abondante et qualifiée. Il ne devait pas être indifférent au pape et à sa « famille » d’avoir à leur disposition des montures bien dressées et parfaitement harnachées, des lieux de séjour correctement aménagés, entretenus et sécurisés, voire d’agréables espaces de détente parsemés de fleurs, d’arbres, de fontaines, parfois d’animaux exotiques confiés à des mains expertes et attentives. On pouvait préférer à tous ces « arts » ceux de la table, mais ils n’en contribuaient pas moins eux aussi, à la réputation et au prestige de la cour pontificale. Pour être bien complet, il faudrait sans doute ajouter à notre tableau l’imposante cohorte des serviteurs (famuli) dont les principaux personnages et officiers de la cour étaient presque tous pourvus, dans certains 53
Bignami Odier, La Bibliothèque cit., p. 50-52.
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cas, généreusement pourvus. De toute évidence, ces individus, malheureusement rarement identifiés dans les rôles de l’époque54, remplissaient à leur niveau des fonctions s’apparentant à celles que leurs maîtres assuraient pour leur part auprès du pape à titre de camériers, écuyers ou chapelains « secrets ». Domesticité abondante qui représentait en moyenne quelque 30% des effectifs des neuf cours pour lesquelles nous disposons de données fiables, avec un sommet de plus de 40% à la cour de Léon X et un plancher de 13% à celle de Pie V qui manifestement, comme son émule Sixte V, n’était pas du genre à s’inspirer en ce domaine de l’exemple de ses prédécesseurs y compris de son mentor, un mentor pourtant fort admiré: Paul IV55. Même si nos sources ne permettent pas de savoir avec précision quels services ces famuli étaient appelés à rendre à leurs maîtres respectifs, on est en droit de penser qu’il s’agissait dans la plupart des cas de rôles de « proximité », ceux de camérier ou de valet de chambre en particulier, mais aussi, dans le cas de personnages d’un certain relief, ceux d’écuyer, de chapelain, de secrétaire, peut-être même, comme semble le suggérer le Rolo delle stantie de 1594, de cuisinier56. Dès lors, il est permis d’affirmer que le nombre de camériers, écuyers, chapelains présents à la cour pontificale était beaucoup plus imposant que ne le donne à penser notre tableau, comme il est permis de croire que le palais apostolique abritait non pas une seule, mais plusieurs « familles », grandes et petites, gravitant certes autour de celle du pape dont elles tiraient d’ailleurs leur raison d’être et leur subsistance, mais jouissant tout de même d’une certaine autonomie, autonomie qui pouvait parfois aller assez loin. Qu’il suffise de penser ici aux cardinaux dits palatins, au cardinal neveu en particulier, à certains « hôtes », à certains officiers –– le dataire, le majordome, par exemple –– qui, entourés d’une « domesticité » relativement abondante, pouvaient, en dehors des heures où ils étaient appelés à servir ou à accompagner le pape, se retirer dans des appartements bien à eux où il leur était loisible de se donner un style ou un mode de vie conforme à leurs dispositions, convictions ou goûts personnels. L’exemple d’un Bernardo Dovizi, tout comme ceux d’un Carlo Carafa et d’un Charles Borromée suffisent à montrer jusqu’où cela pouvait aller57. 54 Seuls les rôles de « familiarité » comportent, en partie du moins, ce genre de renseignements. 55 Comme nous l’avons vu au Chapitre II, certains papes cherchèrent à l’époque à imposer un style de vie moins « ostentatoire » à l’ensemble de leur cour, mais Adrien VI, Marcel II, Pie V et Sixte V mis à part, leurs efforts furent rarement couronnés de succès. 56 ASV, Fondo Confalonieri 64, Rolo delle stantie, fol. 4v, 5v, 6r-12r, 13v, 15rv. 57 Est-il besoin de rappeler ici que, créé cardinal en septembre 1513, Bernardo Dovizi, mieux connu à l’époque sous le nom de Bibbiena, obtiendra de Léon X dont il était le secrétaire « intime » l’aménagement au troisième étage du palais apostolique, sur des plans de
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2. Une hiérarchie de fonctions Manifestement, la cour pontificale, à l’image des principales cours de l’époque, était une ruche bourdonnante d’activités et d’activités nécessitant la présence de services nombreux et variés intéressant, les uns, la personne comme telle du pape, d’autres, ses principaux auxiliaires, d’autres encore, l’ensemble de sa « famille ». Nous avons jusqu’ici décrit sommairement en quoi consistaient ces services et montré ce que représentaient quantitativement et qualitativement parlant les personnes qui leur étaient affectés: il nous reste à examiner de plus près au moins les plus importantes des fonctions exercées dans le cadre des activités et des services en question et, dans la mesure du possible, à les situer dans l’organigramme de la cour tel qu’il se présente à l’époque. Bien entendu, dès le départ, s’impose la distinction évoquée plus haut entre ce que l’on pourrait appeler la face « politique » et la face « domestique » de la cour. Dans le premier cas, l’accent est mis sur des activités axées principalement sur l’« extérieur », activités occupant d’ailleurs une place quelque peu à part dans l’organigramme de la cour du fait qu’elles concernent le pape en tant que chef d’État et qu’elles sont par le fait même placées directement sous son autorité ou celle d’un homme de confiance, d’un bras droit, habituellement un cardinal, qui prend au milieu du XVIe siècle le nom de cardinal neveu. Gravitant autour de ce dernier et du pape, une pléiade de secrétaires, de scribes, de courriers, d’émissaires, ces derniers assez souvent tirés des rangs du personnel de la chambre: camériers, écuyers, voire palefreniers ou, le cas échéant, de ceux de la « famille » du cardinal neveu. Les études quelque peu vieillies, mais toujours valables de Pierre Richard et de René Ancel, celles plus récentes de Madeleine Laurain-Portemer, Wolfgang Reinhard et Antonio Menniti Ippolito permettent de nous faire une assez bonne idée de la place occupée par ce personnage de tout premier plan et du rôle-clé, bien que souvent discret, joué par l’équipe polyvalente qui le seconde et l’entoure58. Raphaël, d’un magnifique appartement où, entouré de sa « famille », il pourra à partir de 1516 s’installer à son aise et s’y adonner aux passe-temps convenant au prince de l’Église et à l’humaniste qu’il était. Sur ce personnage, voir G. Patrizi, Dovizi, Bernardo, dans DBI, 41, p. 593-600. Sur son appartement, voir Pietrangeli et al., Il Palazzo Vaticano cit., p. 116-117. Quant à Carlo Carafa et Charles Borromée, cardinaux neveux respectivement de Paul IV et de Pie IV, ils eurent tous deux droit aux somptueux appartements Borgia où le premier adopta un style de vie des plus mondains et, le second, du moins à partir de 1562, des plus dépouillés, l’un et l’autre à l’exact opposé de celui de leurs oncles, le très ascétique Paul IV et le très « libéral » Pie IV. À ce sujet, voir A. Prosperi, Carafa, Carlo, dans DBI, 19, p. 498, 505, puis surtout, R. Ancel, La disgrâce et le procès Carafa (1559-1567), dans Revue bénédictine, XXIV (1907), p. 237-240 et R. Mols, Charles Borromée (saint), dans DHGE, 12, col. 493-495 de même que A. de Roo, Saint Charles Borromée, Paris 1963, p. 159-183. 58 Richard, Origines cit., p. 69-72, 505-593; Ancel, La Secrétairerie pontificale cit., p. 408-470; M. Laurain-Portemer, Absolutisme et népotisme, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, CXXXI
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Autre personnage d’influence et de poids, flanqué lui aussi de secrétaires et de scribes, mais surtout de fonctionnaires rompus aux pratiques de la chancellerie: le dataire qui, de petit officier chargé d’apposer la « date » sur les suppliques ayant reçu l’aval de la Signature Apostolique, est devenu au XVe, puis surtout au XVIe siècle le rival d’un vice-chancelier, d’un grand pénitencier et d’un camerlinque grâce aux décisions prises par un certain nombre de papes de l’époque de lui confier toute une série de responsabilités et de pouvoirs jusque-là détenus par ces trois hommes: concessions de bénéfices et de dispenses de toutes sortes, perception de certains « droits » liés à ces mêmes concessions, éventuellement, ventes d’« offices » et de titres de rente, toutes opérations qui représentaient –– est-il besoin de le souligner –– de grosses entrées d’argent. Dès lors, on comprend qu’il ait fini par être considéré comme un des principaux officiers de la cour pour des raisons qui avaient peut-être moins à voir avec cette montée en puissance qu’avec le simple fait qu’il avait et aura durant une bonne partie du XVIe siècle les moyens non seulement d’alimenter, et d’alimenter généreusement la caisse personnelle du pape, mais de couvrir en plus pour une large part, les dépenses de sa cour59. Comment, après cela, se surprendre de ce que les dataires aient été à l’époque presque tous des proches, voire des « intimes » du pape et que des 45 individus ayant occupé ce poste entre 1492 et 1605, 18, soit 40%, aient été promus au cardinalat et que l’un d’entre eux, Ippolito Aldobrandini, ait en plus accédé en 1592, au trône pontifical60. Rares étaient au XVIe siècle les emplois conduisant aussi sûrement et aussi rapidement aux plus hauts échelons de la hiérarchie ecclésiastique. Délaissant les secteurs d’activité « politiques » et « administratifs » qu’incarnaient les deux figures emblématiques dont il vient d’être question pour ceux, numériquement beaucoup plus importants, de la cour au sens « domestique » du terme, un premier personnage dès l’abord s’impose que les ruoli d’ailleurs placent presque toujours en tête de liste, un personnage connu sous diverses appellations avant de se voir attribuer au plus tard au temps de Léon X celle de majordome (magister domus)61. Même s’il n’était (1978), p. 487-511 et passim; W. Reinhard, Papal Power and Family Strategy, dans Princes, Patronage and the Nobility, éd. G. Asch ˗ A. M. Birke, p. 334-345; A. Menniti Ippolito, Il tramonto della Curia nepotista, Rome 1999, p. 29-70. 59 Storti, La storia cit., p. 59-79, 178-226, 260. 60 Ibid., p. 164-170. 61 Aux XIVe et XVe siècles, ce personnage est appelé au départ « magister hospitii » ou « maestro del Sacro Ospizio », puis « prefetto del Sacro Palazzo Apostolico », enfin « magister domus » ou « maestro di casa ». À ce sujet, voir M. Dykmans, Le cérémonial papal de la fin du moyen âge à la Renaissance, III, Bruxelles 1983, p. 424-426; G. Moroni, Maestro di Casa de’ Sacri Palazzi Apostolici, dans Dizionario di erudizione, XLI, p. 151-163; Maestro del Sacro Ospizio, Ibid., p. 181-191; Maggiordomo del Papa, Ibid., p. 239-298. Au XVIe siècle, on utilise surtout les titres « magister domus »
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plus l’homme-orchestre qu’il avait été à une certaine époque, ayant autorité pratiquement sur tout et sur tous, il n’en gardait pas moins au XVIe siècle la haute main sur la majeure partie des personnes et services de la maison. Sans doute échappaient à son emprise, du moins à son emprise directe, les services de chancellerie et de secrétariat, le service de la bibliothèque et des archives, les personnels de la chambre et de la chapelle de même que les divers « hôtes »: parents, clients, écrivains, artistes ayant droit aux honneurs de la cour et, ce, pour des raisons tenant probablement à l’accroissement considérable des effectifs de cette même cour à partir de la fin du XVe siècle et donc à la nécessité de mieux distribuer et encadrer ces effectifs, entre autres, en distinguant plus nettement les personnels affectés au service immédiat du pape de ceux qui ne l’étaient pas. À noter toutefois que si les premiers ne relevaient plus ou, du moins, ne semblaient plus relever de l’autorité du majordome, chacun d’entre eux ayant désormais à sa tête un dignitaire ou un officier dépendant directement du pape62, il n’en restait pas moins que, responsable du bon ordre de la maison et disposant pour ce faire d’un pouvoir de sanction, pouvoir que ou « maestro di casa » comme l’attestent les rôles de cour ou encore les livres de comptes des majordomes de l’époque à commencer par le rôle de cour de Léon X (A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXV (1912), p. 368 et le livre de comptes d’Angelo Archilegi pour l’année 1538 (ASR, Cam. I: 1349, page frontispice). Le P. Dykmans traduit le titre « magister hospitii » utilisé au XIVe et peut-être encore au XVe siècle par « maître d’hôtel » (Le cérémonial cit., p. 424), ce qui prête à confusion, car la fonction de maître d’hôtel semble plutôt relever de celui que la source à laquelle il se réfère appelle « magister aulae », officier qui portera au XVIe siècle le titre de « scalco » et non de « maggiordomo ». Moroni, pour sa part, doit être manié avec beaucoup de précautions, car les renseignements qu’il fournit, en particulier ceux concernant les majordomes du XVIe siècle (Maggiordomo del Papa, p. 250-262), ne sont pas toujours fiables et comportent de nombreuses lacunes. Il suffit de vérifier dans les sources de l’époque –– livres de comptes des majordomes, registres de la Chambre Apostolique –– pour s’en rendre compte. À sa décharge, il faut dire qu’il s’est inspiré, comme bien d’autres après lui, de l’ouvrage de Renazzi (Notizie storiche degli antichi vice domini del PatriarchioLateranenseede’moderniPrefettidelSacroPalazzoApostolicoovveroMaggiordomipontifizi, Rome 1784) qui, lui aussi, n’est pas exempt d’erreurs. Ainsi Renazzi fait de Bernardino Cirillo le majordome de Paul IV, Pie IV, Pie V et Grégoire XIII et assure que Fantino Petrignani ne fut majordome de Grégoire XIII que de 1576 à 1578. (p. 89-91, 93-95). Moroni, sans doute mieux informé, exclue que Cirillo ait été majordome de Pie IV, mais s’en tient pour le reste à la version de Renazzi. (p. 259-260). Les plus récentes études confirment que Cirillo fut bien majordome de Paul IV et de Pie IV, mais non de Pie V et de Grégoire XIII. Cf. V. Lettere, Cirillo, Bernardino, dans DBI, 25, p. 786-789. Pour ce qui est de Petrignani, nous avons la preuve qu’il fut nommé majordome de Grégoire XIII dès juin 1572 et qu’il conserva cet office jusqu’en 1577 (et non 1578). Voir ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 2r; Ibid., Cam. I: 929, fol. 135r. 62 Nous pensons ici, entre autres, au cardinal neveu, au cardinal bibliothécaire, au dataire, au sacriste, au maître de la chambre, au doyen des chapelains, au premier médecin ou encore à des personnages tels que le maître du Sacré Palais, l’aumônier et le trésoriers « secrets », le secrétaire « intime » et le secrétaire « domestique ». On voit mal comment le majordome aurait pu avoir quelque autorité sur ces hommes ou sur les services dont ils étaient responsables, encore moins sévir contre eux à moins d’en avoir eu l’ordre exprès ou l’autorisation du pape.
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le cardinal de Luca assimilait à celui d’un juge63, le majordome pouvait prétendre à un certain droit de regard au moins sur le comportement de la plupart des membres de ces personnels, bien entendu, pour autant que ce comportement contrevenait aux règles établies. Sans compter qu’il disposait en plus du pouvoir d’embauche et de licenciement à presque tous les niveaux de la cour, y compris, assure Renazzi, celui des « familiers »64. Sans compter également qu’une bonne partie des argents servant à loger, nourrir, vêtir, soigner, divertir et rémunérer la « famille » du pape transitait et était contrôlée par lui65: autre redoutable pouvoir qui ne devait laisser personne indifférent. Comment après cela se surprendre du fait que la fonction de majordome conserve à l’époque un indéniable attrait. Pour des raisons de prestige? Sans doute, bien que seuls cinq des 38 individus qui se succédèrent à ce poste entre 1492 et 1605, soit à peine 13%, accédèrent au cardinalat66, ce qui paraît bien maigre en regard du taux de réussite des dataires, même si plusieurs d’entre eux étaient revêtus de la dignité épiscopale, voire archiépiscopale et pourvus de bénéfices à l’avenant67. Mais peut-être l’attrait principal du poste était-il plutôt d’ordre financier, les importantes sommes d’argent mises à la disposition du majordome pouvant très bien être exploitées à l’avantage de ce dernier et des « siens » sans nécessairement impliquer des malversations ou des indélicatesses du type de celles qui, à l’époque, défrayaient la chronique judiciaire68. G. B. De Luca, Il Dottor Volgare, XV, Rome 1673, p. 72. Renazzi, Notizie storiche cit., p. 55-56. Il faudrait toutefois savoir ce que Renazzi entendait par « familiers ». Le pouvoir d’embauche et surtout de licenciement du majordome devait tout de même comporter certaines limites. Chose certaine, il ne concernait pas l’ensemble des effectifs de la « famille » pontificale. Pouvoir réel donc, mais qui devait savoir tenir compte des circonstances de temps, de lieu et de personnes. 65 Les entrées des livres de comptes des majordomes de l’époque illustrent bien l’étendue et la portée de ce pouvoir. Qu’il suffise de mentionner ici le premier en date de ces livres, soit celui d’Angelo Archilegi pour l’année 1538 (ASR, Cam. I: 1349) qui, déjà à lui seul, permet de se faire une assez bonne idée de la quantité et de la variété des domaines qui relevaient de son autorité ou étaient soumis à son contrôle. 66 Nous nous fondons ici sur les données fournies par Renazzi (Notizie storiche cit., p. 46106) et Moroni (Maggiordomo del Papa cit., p. 250-262) qui, sur ce point, paraissent beaucoup plus fiables. 67 Ibid. 68 Un bel exemple d’exploitation réussie de l’office en question nous est fourni par le Florentin Alessandro Neroni qui servit sous Jules II, Léon X et Adrien VI. À son sujet, voir A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXVII (1913), p. 517-544. Cette « réussite » serait-elle la raison pour laquelle Clément VII qui devait très bien connaître Neroni ne le reprit pas à son service lorsqu’il accéda à la papauté en 1524, lui préférant un de ses hommes de confiance, Girolamo Schio, évêque de Vaison? Peut-être, mais, quelle qu’ait été l’honnêteté ou le manque d’honnêteté du titulaire de l’office en question, le maniement de tant d’argent n’était pas sans comporter certains risques. Au lendemain du sac de Rome, Schio dont tous les livres de comptes avaient été à cette occasion détruits obtient du pape un ordre à la Chambre Aposto63
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À parcourir la liste des majordomes du XVIe siècle, on se rend assez vite compte qu’ils étaient tous en général choisis en fonction de la confiance qu’ils inspiraient aux papes sous lesquels ils étaient appelés à servir, confiance fondée assez souvent sur les liens de parentèle ou de clientèle les unissant à ces derniers, mais également de la compétence dont ils avaient jusque-là fait preuve en matière aussi bien de gestion et de finance que de diplomatie. Un Antoine Filhol avait été président de la Chambre des Comptes à Paris, puis ambassadeur de Louis XII à Rome avant de devenir majordome de Jules II en 150569. C’est après avoir fait ses preuves comme collecteur apostolique, responsable de la reconstruction de Saint-Pierre et gouverneur que Bartolommeo Ferratino fut appelé à remplir cette même fonction par son maître Clément VII en 153370. Sebastiano Graziani et Vincenzo Duranti, majordomes de Paul III en 1544 et 1545 respectivement, avaient été auparavant, le premier, président de la Chambre Apostolique, le second, majordome du cardinal Ridolfi, puis vice-légat des Marches71. Quant à Giovan Battista Galletti, il avait longtemps servi à la Chambre Apostolique avant que Jules III ne le place à la tête de sa cour en 155072. Majordome de Grégoire XIII de 1572 à 1577, Fantino Petrignani avait été successivement gouverneur de Viterbe, puis de la Romagne et des Marches73. Enfin, majordomes de Clément VIII, le premier à partir de 1598, le second à partir de 1601, Annibale Rucellai et Fabio Biondi avaient tous deux à leur actif une longue et fructueuse carrière administrative et diplomatique74. N’était pas à l’époque majordome à la cour pontificale nécessairement qui le voulait. Nous avons vu plus haut que le majordome était entouré d’un certain nombre d’auxiliaires. Au dépensier et au comptable déjà mentionnés, il importe d’ajouter ici le ou les scribes chargés de tenir livres de compte et matricules de tous genres75, puis, surtout, un personnage qu’on voit appalique obligeant celle-ci à lui délivrer quittance pour toutes les entrées et sorties apparaissant dans les livres en question jusqu’à son départ de Rome en décembre 1527. ASV, Arm. XXIX: 82, fol. 6-7r. La quittance est datée du 20 octobre 1528. 69 Renazzi, Notizie storiche cit., p. 52-55. 70 Ibid., p. 64-68. 71 Ibid., p. 77-80. 72 Ibid., p. 82-84. 73 Ibid., p. 93-95. Contrairement à ce qu’affirme Renazzi, Petrignani servit de 1572 à 1577 et non de 1576 à 1578. Voir note 61. 74 Ibid., p. 106-110. 75 Aux XIVe et XVe siècles, le majordome avait déjà à son service un clerc chargé de vérifier les comptes et un acheteur dit aussi dépensier (emptor, seu expensor) à qui il incombait de fournir chaque jour le nécessaire, d’abord et avant tout aux cuisines du palais. M. Dykmans, Le cérémonial cit., III, p. 424-425, 434-435. Le clerc en question sera remplacé au XVIe siècle par un comptable (computista) qui fut peut-être au départ tout simplement le comptable de la Chambre Apostolique. Ainsi Camillo Lazzari, titulaire de cet office de 1499 à 1503 (ASV, Indice 552, fol.
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raître au plus tard au temps de Paul III et qui a droit au titre de sous-majordome76. Ce personnage mérite plus qu’une simple mention. S’il semble jouer jusqu’au pontificat de Pie V un rôle plutôt effacé, il acquiert par la suite une visibilité et un poids sans commune mesure avec le rang qu’il occupe, visibilité et poids résultant sans doute du caractère de plus en plus technique et bureaucratique des tâches confiées au majordome et à ses principaux collaborateurs. Un homme incarne mieux que tout autre cette évolution. Il s’appelle Antonio de Abbatis. Entré vers 1556 à la cour de Paul IV où il remplit la charge de sous-comptable avant de devenir quatre ans plus tard comptable attitré de la maison, il se voit vers 1571 promu au poste de sous-majordome, fonction qu’il occupe par la suite sans interruption au moins jusqu’en 159577. Fort de l’expérience acquise au cours de ses longues années de service, Antonio de Abbatis avait manifestement réussi sinon à s’imposer, du moins à se rendre indispensable et 200r) est-il inscrit dans le rôle de cour de Pie III avec ce même titre (Piccolomini, La famiglia cit., p. 154). Il en va de même d’Alberto Salvi qui sert sous Jules II et Léon X (ASV, Indice 552, fol. 200r) et apparaît, toujours avec ce même titre, dans le rôle de cour du premier pape Médicis (A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV, 1911, p. 382). Il semble bien que le premier comptable attitré du palais ait été Gian Pietro de Conis qui a droit pour la première fois à cette appellation en 1545 (BAV, Borg. lat. 354, fol. 17), mais qui probablement exerçait depuis un certain temps déjà la fonction correspondante. Il conservera ce poste jusqu’à sa mort en 1560. BAV, Vat. lat. 12278, fol. 215r; Ibid., Ruoli 39, fol. 24. Pour ce qui est des acheteurs ou dépensiers, les premiers connus pour la période qui nous intéresse ici sont Nicolas Bret et Antonio Podio qui servirent sous Alexandre VI et Jules II respectivement avec le titre d’expenditores et qui nous ont laissé des registres de Spese minute, ASR, Cam. I: 1484 et 1487, pages frontispices. À noter qu’à partir du pontificat de Jules III, l’office de dépensier (spenditore) se scindera en deux avec, d’un côté, le dépensier « secret », chargé sans doute des achats intéressant la personne du pape et son entourage immédiat, de l’autre, le dépensier « commun », responsable de tous les autres types d’achats. BAV, Ruoli 2, fol. 24r. Le titre de scriptor ou d’enregistreur des dépenses (« scrittore delle spese in palazzo ») fait son apparition au temps de Paul III (Ibid., Borg. lat. 354, fol. 22), mais il y a fort à parier que la fonction correspondante existait depuis longtemps et qu’elle ne se limitait pas à la seule tenue des livres de comptes. 76 Le premier à porter le titre de sous-majordome fut Niccolò Bonelli, futur comptable de la Chambre Apostolique –– il exercera cette dernière fonction à partir de 1538 (ASV, Indice 552, fol. 200r) et s’y maintiendra jusqu’en 1562 (Ibid., fol. 200v) ––, mais le titre de sous-majordome était en l’occurrence quelque peu trompeur puisque Bonelli assurait en réalité par intérim la fonction de majordome en attendant la nomination d’un nouveau titulaire suite à la mort de Bartolomeo Ferratino à la fin de l’été de 1534. Il ne sera de fait en poste que six ou sept mois, la nomination du successeur de Ferratino, Antonio Giacomo Bongiovanni, étant intervenue fin mars 1535. ASR, Cam. I: 1492, fol. 56, 96, 128. Bongiovanni qui tenait sans doute à avoir à ses côté un homme d’expérience décida de conserver le poste de sous-majordome, mais cette fois au sens propre du terme et fit, pour ce faire, appel à Gian Pietro Conis qui exerçait peut-être déjà, mais sans en avoir encore le titre, la fonction de comptable du palais. Ibid., Cam. I: 1493, Ad indicem. L’office de sous-majordome était né et ne sera plus jamais remis en cause. 77 À ce sujet, voir BAV, Ruoli 27, fol. 40; Ibid., Ruoli 39, fol. 23; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 19, fol. [7r]; Ibid., Cam. I: Mand. cam. 927, fol. 108-109; BAV, Ruoli 65, fol. 5r; ASR, Cam. I: 1364, fol. 12v; BAV, Ruoli 113, fol. 6v.
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aux papes et aux majordomes de l’époque, réticents probablement les uns et les autres à se voir privés de l’expertise de cet habile bureaucrate qui visiblement connaissait mieux que quiconque la complexe mécanique de l’administration palatine78. Bel exemple d’un personnage de second rang qui, grâce à son savoir-faire, avait su trouver le moyen de survivre à au moins neuf changements de règne79. Enviable record dont sans doute fort peu pouvaient se réclamer à l’époque. Vu le rôle éminent que joue la liturgie dans la vie de la cour pontificale, il faut faire une place à part, et une place ne le cédant que de peu à celle du majordome, à un officier lui aussi habituellement revêtu de la dignité épiscopale, voire archiépiscopale, mais avec ceci de particulier qu’il est religieux, plus précisément membre de l’ordre des ermites de Saint-Augustin80. Connu sous le nom de sacriste, il est le premier responsable de la préparation des cérémonies se dérolant à la chapelle Sixtine de même que de l’entretien de cette dernière et, par ce biais, responsable également du personnel affecté à ladite chapelle, qu’il s’agisse des diacres et sous-diacres grecs et latins, de l’acolyte, des deux clercs chargés du service de l’autel, des chanteurs et de leurs auxiliaires, même si son autorité sur ces derniers semble avoir été limitée, du moins jusqu’à ce qu’un Egidio Valentini et un Giuseppe Pamphili cumulent les charges de sacriste et de maître de chapelle dans la seconde moitié du XVIe siècle81. Échappent bien évidemment à son emprise les chapelains « secrets » affectés à la chapelle privée du pape de même que les cérémoniaires pontificaux dont, nous l’avons vu, l’aire d’intervention débordait et de loin, l’enceinte de la Sixtine et, ce, en termes aussi bien liturgiques que protocolaires. Mais cela ne semble pas avoir porté atteinte au prestige dont jouissait à l’époque le sacriste, ce prestige ne découlant pas uniquement de la qualité du poste qu’il occupait, mais également du fait qu’il était lui-même habituellement fort bien 78 Aux prises, nous l’avons vu, avec des problèmes financiers de plus en plus graves, les papes du XVIe siècle cherchèrent à s’entourer d’hommes d’expérience capables, d’une part, de leur procurer de nouvelles sources de revenus, de l’autre, d’assurer une gestion plus serrée des argents à leur disposition. En ce qui concerne la cour comme telle, cette gestion était la responsabilité du majordome, mais ce dernier, étant pris par mille autre choses, se déchargeait et se déchargera de plus en plus de ladite responsabilité sur ses principaux collaborateurs: le sous-majordome et le comptable qui, avec le temps, finiront par s’imposer et, en quelque sorte, se rendre indispensables en raison de leur expertise en la matière. D’où sans doute la facilité avec laquelle certains d’entre eux réussiront à passer d’un pontificat à l’autre. 79 En effet, il servit sous au moins neuf papes, soit Paul IV, Pie IV, Pie V, Grégoire XIII, Sixte V, Innocent IX, Urbain VII, Grégoire XIV et Clément VIII. 80 G. Moroni, Sacriste, dans Dizionario di erudizione, LX, p. 171 et suiv. Une seule exception à cette règle: le cas de Ventura Benassai qui fut sacriste de 1503 à 1504. Contrairement à ce que suppose Moroni, il n’était pas ermite de Saint-Augustin, mais membre du clergé séculier. À ce sujet, voir L. Jadin, Benassai (Ventura), dans DHGE, 7, col. 1030-1031. 81 Moroni, Sacriste cit., p. 187.
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préparé à rencontrer les exigences du poste en question82, sans compter qu’il avait sur la plupart des autres officiers de la cour l’avantage d’être nommé à vie, rare privilège qui lui vaudra dans plus d’un cas de servir de très longues années –– un Gabriele Foschi, un Giangiacomo Barba, un Angelo Rocca compteront chacun plus de vingt ans de service83 –– avec le résultat qu’en matière de liturgie il était nul doute, avec les maîtres de cérémonie, celui auquel le pape faisait le plus confiance. À ce propos, il n’est pas sans intérêt de noter qu’au moins deux sacristes furent en même temps confesseurs, l’un, d’Alexandre VI, l’autre, de Jules III84. Nous avons à diverses reprises souligné la polyvalence du rôle joué par les cérémoniaires pontificaux rattacés, par certains côtés, à la chambre, par d’autres à la chapelle, mais impliqués surtout dans la gestion au jour le jour des rituels liturgiques et protocolaires autour desquels s’articulait la vie publique du pape et de sa « famille ». Gestion qui –– nous aurons l’occasion de le montrer dans un prochain chaptre –– n’était pas nécessairement de tout repos. Autant de raisons qui justifient qu’après nous être intéressés à la personne du sacriste, nous nous intéressions à celle des maîtres de cérémonie qui certes n’avaient ni le poids ni la prestance de ce dernier85, mais 82 Tous ces hommes avaient reçu une formation poussée en théologie et certains avaient occupé des fonctions importantes dans leur ordre. Ainsi Gabriele Foschi avait été provincial des Marches et assistant du général des Augustins, le célèbre Gilles de Viterbe, avant d’accéder à ce poste. A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXV (1912), p. 219-226. En plus, plusieurs d’entre eux avaient été coadjuteurs du sacriste en poste avant de lui succéder. C’est le cas, entre autres, d’un Alfonso Oliva et d’un Egidio Valentini, sacristes, le premier de 1534 à 1544, le second, de 1565 à 1568. Moroni, Sacriste cit., p. 186-187. 83 Foschi servit de 1512 à 1534, Barba, de 1544 à 1565, Rocca, de 1593 à 1620. Ibid., p. 186-188. 84 Il s’agit d’Agostino Castellano, sacriste de 1501 à 1503 (Ibid., p. 185) et de Giangiacomo Barba qui le fut de 1544 à 1565. Ibid., p. 187 et ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito, 1550, fol. 22r. À noter toutefois qu’en raison du fait que le sacriste était souvent appelé à conférer les ordres sacrés, aussi bien mineurs que majeurs, y compris l’épiscopat, dans la chapelle de la sacristie de la Sixtine, qu’il n’était pas à l’abri d’abus en ce domaine, ce qui sera le cas d’Egidio Valentini, évêque de Segni, qui sera destitué par Grégoire XIII en avril 1574 pour avoir accepté d’ordonner contre argent des candidats non idoines. BAV, Urb. lat. 1044, fol. 78r. 85 Il est frappant de constater que les cérémoniaires ne figurent que sporadiquement dans les rôles de cour du XVIe siècle et, leur arrive-t-il d’y figurer, sont loin d’y occuper les premières places. Dans le rôle funéraire de Pie III, Burckard et son collègue Gutteri apparaissent tout simplement parmi plusieurs autres dans la catégorie des cubiculaires. P. Piccolomini, La Famiglia cit., p. 161. Aucune trace des cérémoniaires dans le rôle de « familiarité » de Léon X. Aucune pareillement dans celui de Paul III. Ils figurent par contre dans le rôle funéraire de ce dernier pape (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 10v, 11v) où ils semblent être l’objet d’une certaine considération, Giovanni Francesco Firmano, premier cérémoniaire et son coadjuteur et neveu, Lodovico Firmano, recevant chacun quatre cannes de tissu de première qualité, ce qui les situe au deuxième rang de cette catégorie, tandis que leur collègue Onofrio Pontano se voit lui aussi attribuer quatre cannes de tissu, mais de seconde qualité. Cela dit, à partir de Jules III, les cérémoniaires disparaissent purement et simplement des rôles de cour. Sans doute avaient-ils un statut à part, à l’instar des chanteurs de la Sixtine. Ajoutons que si trois d’entre eux accédèrent à l’épiscopat, ce fut dans chaque
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dont l’indispensable, bien que discrète présence aux côtés du pape chaque fois ou presque qu’il devait se produire en public leur conférait un pouvoir envié, dans certains cas même redouté, ce pouvoir en étant un non seulement d’interprétation, mais aussi d’arbitrage en tout ce qui avait trait aux divers cérémonials de cours. Or qui dit arbitrage dit satisfaction des uns, insatisfaction des autres, surtout, comme c’est souvent le cas à Rome, s’il s’agit de questions de préséance où, de par la volonté du pape, les maîtres de cérémonie ont souvent le dernier mot86. À noter par ailleurs que ces derniers se voyaient à l’occasion confier la tâche de créer des rituels nouveaux en prévision de cérémonies ou de manifestations en partie du moins inédites87. On ne peut donc considérer comme secondaire le rang qu’ils occupent à la cour, d’autant moins d’ailleurs qu’à l’instar des sacristes, ils sont pratiquement inamovibles et que leurs longues années de service comme substituts ou compagnons ou enfin cérémoniaires en titre font d’eux les détenteurs d’un savoir défiant toute concurrence. Qu’il suffise de mentionner ici, à titre d’exemple, le cas d’un Giovanni Francesco Firmano qui, entré comme substitut de Biagio Baroni en 1529, occupa à son tour le poste de cérémoniaire principal de 1540 à 1574 pour un total de 45 années de service88. Faut-il après cela se surprendre que de 1492 à 1605 l’office de premier cérémoniaire n’ait compté en tout et partout que six titulaires. Précisons par ailleurs qu’à partir de Biagio Baroni, ce même office bien que non vénal et donc, en principe, à la libre disposition du pape, devint pratiquement la chasse-gardée de deux familles, soit celle des Baroni et des Firmano qui, telles de véritables dynasties, monopolisèrent à tour de rôle l’office en question, les premiers durant 30, les seconds durant près de 50 ans89. Si les diaires qu’à l’exemple de Burckard, cas pour des raisons qui avaient plus à voir avec leurs personnes qu’avec l’office qu’ils remplissaient. Ainsi si Jean Burckard et son successeur immédiat, Paride de’ Grassi, restèrent en poste après avoir été promus évêques en 1504 et 1513 respectivement, c’est que Jules II et Léon X avaient consenti à cette dérogation. M. Dykmans, Grassi (Paris de), dans DHGE, 21, col. 1217-1218. Il n’en sera pas ainsi d’un Giovanni Francesco Firmano qui, nommé évêque d’Osimo en 1574 devra aussitôt quitter sa fonction et aller occuper son siège épiscopal. BAV, Vat. lat. 12286, fol. 79v-80r. C’est qu’il n’y avait pas, comme dans le cas des sacristes, un lien pour ainsi dire « naturel » entre la fonction de premier cérémoniaire et la dignité épiscopale. 86 G. Constant, Les maîtres de cérémonie du XVIe siècle. Leurs Diaires, dans MAH, XXIII (1903), p. 191.194. 87 À ce sujet, voir P. Hurtubise, Une procession à nulle autre pareille, dans AHP, 39 (2001), p. 129-149. 88 M. Dykmans, Cérémonial pontifical, dans DHP, p. 325. G. Constant, Les maîtres cit., p. 167. 89 Biagio Baroni et son neveu, Francesco Mucanzio, occupèrent ce poste de 1528 à 1540 et de 1574 à 1592 respectivement, soit 30 ans, tandis que Giovanni Francesco Firmano et son petit-neveu, Paolo de Branca Alaleone, le monopolisèrent de 1540 à 1574 et de 1592 à 1638, soit pour la période qui nous intéresse ici, 47 ans. Alaleone succéda à Mucanzio suite à la mort de celui-ci, le 6 octobre 1592. BAV, Vat. lat. 12294, fol. 228r. Sur Alaleone, voir l’excellente notice de G. Constant, Alaleone (Paolo di Branca), dans DHGE, 1, col. 1323-1326. Ajoutons que les Baroni et les Firmano devaient leur succès à des stratégies habilement menées, mais aussi
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tous ces hommes nous ont laissés témoignent tout à la fois de leurs ambitions personnelles et familiales90 et de leur attachement aux traditions liturgiques et protocolaires dont ils se considéraient en quelque sorte les gardiens, ils sont, en même temps, révélateurs d’une commune convictin à l’effet que la cour pontificale ne pouvait sans eux espérer rester fidèle aux pratiques qui avaient fait et continuaient de faire d’elle la mieu réglée et, partant, la plus admirée des cours européennes de l’époque. Francesco Mucanzio, neveu de Biagio Baroni qui prendra en 1574 la succession de Gian Francesco Firmano ne note-t-il pas au début de son diaire en mai 1572 que, certes, les papes ont le pouvoir de modifier à leur guise les rites existants et que certains ne se sont pas privés de le faire, mais que, grâce aux cérémoniaires, grâce surtout à leurs diaires, les rites depuis longtemps fixés et observés à Rome ont plutôt tendance à s’imposer et à durer pour le plus grand bien de la cour pontificale, voire de l’Église toute entière91. à un certain nombre de circonstances qui jouèrent en leur faveur. Ainsi, pour ne donner que cet exemple, Onofrio Pontano, collègue de Giovanni Francesco Firmano, ayant dû en 1548, pour cause de maladie, cesser d’exercer ses fonctions, Firmano obtint du pape Paul III que son neveu, Lodovico di Branca, devienne le substitut de Pontano avec le titre de coadjuteur. BAV, Vat. lat. 12281, fol. 1r. Or c’est ce même Lodovico di Branca, devenu collègue de son oncle Giovanni Francesco qui, en 1582, obtiendra du pape Grégoire XIII que son neveu, Paolo Alaleone, lui soit adjoint, lui aussi, comme coadjuteur (G. Constant, Alaleone cit., col. 1323). Ce dernier succédera à son oncle mort subitement le 29 juin 1587 alors qu’il descendait des appartements pontificaux vers Saint-Pierre (BAV, Vat. lat. 12293, fol. 297r). Cinq ans plus tard, il sera promu premier maître de cérémonie. À ce sujet, voir G. Constant, Les maîtres cit., p. 227. Même si la fonction de cérémoniaire n’était pas vénale, certains papes n’étaient pas insensibles à l’odeur de l’argent. Lodovico di Branca signale dans son diaire que le 22 juillet 1565, donc à l’époque de Pie IV, son cousin germain, Cornelio di Branca, obtint un office de cérémoniaire avec le titre sans doute de substitut, au coût de 2500 écus or et, cela, précise-t-il, « consentiante pontefice quod offitium nunquam fuit venale ». BAV, Vat. lat. 12281, fol. 371v. 90 En effet, plusieurs des maîtres de cérémonie n’hésitent pas à rappeler tout ce qu’ils doivent à leurs familles respectives ou encore à certains « patrons » influents et à quel point leurs réussites s’expliquent par celles de proches parents les ayant précédés dans la fonction qui est présentement la leur. À ce sujet, voir, entre autres, le diaire de Biagio Baroni. BAV, Barb. lat. 2799, fol. 1r, 594v-595r. Au lendemain de sa mort, le 6 octobre 1592, Francesco Mucanzio se verra, par contre, reprocher par son frère Giovan Paolo d’avoir trop tardé à obtenir le bref confirmant la succession qu’il lui avait plusieurs années plus tôt promise et d’avoir ainsi permis à un autre cérémoniaire –– en l’occurrence Alaleone –– de le priver d’une place qui logiquement aurait dû lui revenir. Et il en profitait pour rappeler à quel point à Rome on devait être diligent en ces matières (« chi ha tempo non aspetti tempo perché porco pigro, come si dice, magna pera mezza »). Ibid., Vat lat. 12291, fol. 99v. Ces mêmes cérémoniaires notent par ailleurs soigneusement les mancie, regalie ou libéralités de toutes sortes dont ils font l’objet. Ainsi Giovan Paolo Mucanzio fait état dans son diaire du splendide banquet offert le 30 janvier 1596 à tout le personnel de la chapelle Sixtine, cérémoniaire y compris, par le cardinal Antonio Maria Salviati, principal célébrant à la messe marquant l’anniversaire de l’élection du pape Clément VIII (Ibid., fol. 302r) tout comme de celui offert aux mêmes le 6 février suivant par le cardinal de Florence qui, lui, venait d’officier à la messe commémorant le couronnement du pape (Ibid., fol. 303r). 91 BAV, Vat. lat. 12286, fol. 2r.
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Si majordomes, sacristes et maîtres de cérémonies avaient l’oreille du pape ou, du moins, étaient souvent appelés de par leurs fonctions à paraître à ses côtés, ils n’étaient pas nécessairement pour autant des « proches » de ce dernier. Le privilège de la « proximité » était en général plutôt réservé à des personnages tels que le cardinal neveu, le secrétaire « intime », le dataire ou encore à certaines catégories d’officiers immédiatement attachés à la personne du pape, notamment ceux faisant partie de ce que nous avons choisi d’appeler les services de la chambre. Si un Giovanni de Amatis peut se targuer d’être un « intime » de Pie IV, ce n’est pas parce que depuis 1560 il est maître de cérémonies associé et, à ce titre, collègue de Giovanni Francesco Firmano, mais bien parce qu’il est en même temps doyen des chapelains du pape et donc premier responsable de la chapelle « secrète », fonction qui devait paraître à l’époque et paraît d’ailleurs encore aujourd’hui comme relevant beaucoup plus des services de la chambre que de ceux de la chapelle92. Nous avons vu plus haut de quel poids étaient quantitativement et qualitativement parlant les services de la chambre et, à l’intérieur de ceux-ci, le rôle de tout premier plan joué par les camériers, les camériers « secrets » surtout, entourant jour et nuit leur maître et, cela, jusque dans sa plus stricte intimité. Sans compter les missions de toutes sortes, y compris de nature diplomatique qui leur étaient assez souvent confiées93. À la tête de ces camériers, un doyen, dit aussi maître de la chambre, habituellement 92 Amatis devint cérémoniaire associé le 27 mai 1560. Ibid., Vat lat. 12278, fol. 210v. Il était déjà doyen des chapelains de Pie IV. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 6v et BAV, Ruoli 39, fol. 24. Giovanni Francesco Firmano note au passage qu’Amatis n’a aucune expérience en la matière et qu’il va lui falloir tout lui apprendre. Manifestement cette nomination ne lui plaisait pas beaucoup. Peut-être craignait-il que ce protégé du pape ne finisse par supplanter son neveu Lodovico qu’il voyait déjà comme son successeur. 93 Jusqu’au pontificat de Grégoire XIII, il semble que ces missions aient été surtout d’ordre diplomatique. À partir de ce même pape, elles seront presque exclusivement d’ordre protocolaire. À titre d’exemples, citons, au temps de Clément VII, la mission, fin 1526 début 1527, d’un Paolo d’Arezzo, « doyen » des camériers secrets, auprès de l’empereur, alors en Espagne (J. Fraikin, Nonciatures de Clément VII, Paris 1906, p. xxx, 153, 157, 161 et passim); celle d’un Francesco del Nero à la cour de France de novembre 1531 à janvier 1532 (Ibid., p. xxxii); celle également d’un Ubaldo Ubaldini en France et en Angleterre de février à juin 1533 (Ibid.), sans oublier celle d’un Giovanni della Stufa en juillet 1529 auprès du sieur de St Pol, commandant des troupes du roi de France en Italie (ASR, Cam. I: 862, fol. 5v). Jules III, pour sa part, charge en 1554 son camérier secret Giovanni Stanchino d’aller remettre le chapeau cardinalice à Louis de Guise, récemment promu au Sacré-Collège, et d’en profiter pour négocier un certain nombre d’affaires avec le roi de France. R. Ancel, Nonciatures de Paul IV, I, Paris 1909, p. 29 et n. 1. C’est ce même genre de mission, négociation diplomatique en moins, que Grégoire XIII confie en 1578 à ses camériers secrets Flaminio Fontana, Valerio Atracino et Alessandro Ruffini, les heureux récipiendaires étant cette fois les cardinaux Charles de Lorraine-Vaudémont, René de Birague et Louis de Lorraine (P. Hurtubise ˗ R. Toupin, Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati, II, Rome 1975, p. 757 et n. 1, 770, 773, 780-781, 783), alors que cinq années plus tôt, soit en janvier 1573, il avait chargé un autre de ses camériers, Silvio
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choisi en fonction des liens de parentèle ou de clientèle l’unissant au pontife régnant, car ce dernier devait pouvoir compter sur la totale disponibilité, « complicité » et discrétion de cet officier responsable de tout ce qui touchait de près ou de loin à sa vie « privée » ou « semi-privée ». Aussi estce son neveu, Luigi de’ Rossi, depuis longtemps attaché à sa personne, que Léon X, place à la tête de sa chambre avant de le faire cardinal en 151794. Clément VIII fera plutôt appel à un homme dont il avait la plus grande admiration, d’ailleurs comme lui disciple de Philippe Neri: le latiniste Silvio Antoniano à qui il conférera pareillement le chapeau de cardinal en 159895. Paul IV, quant à lui, s’en remet à un de ses confrères en religion, le théatin Paolo Consiglieri, qu’il aurait bien voulu en 1557 honorer lui aussi de la pourpre, mais sans y parvenir, ce dernier ayant réussi à le convaincre de choisir plutôt son frère Giovan Battista96. Tout autre le sort d’un Gaspare Bianchi qui, compatriote et ancien familier de Pie IV, se voit en décembre 1561 dépouillé par ce dernier de son office de maître de la chambre et aussitôt emprisonné au Château SaintAnge97. Sans doute avait-il commis quelque « indélicatesse » du genre peutêtre de celles que s’étaient permises un Francesco d’Aspra et un Michelangelo Spata respectivement trésorier général et échanson de Jules III qui, pour cette raison, avaient fait six années plus tôt de la part de ce même Jules III l’objet de sanctions tout aussi exemplaires98. Mais le cas de Bianchi paraît exceptionnel, car les maîtres de la chambre de même que leurs principaux auxiliaires, de par leurs fonctions, étaient probablement Savelli, de porter les traditionnels estoc et chapeau bénis au roi de France qui était à l’époque Charles IX. Ibid., I, p. 35, 381 et n. 1, 392, 410, 413, 418, 424. 94 Sur ce personnage qui n’avait pas très bonne réputation, voir A. Ferrajoli, La congiura 2 vol., Rome 1975, p. 171-172. 95 Antoniano faisait déjà partie de la cour de Pie IV et était connu à l’époque sous le surnom d’« il poetino », allusion au talent qu’on lui avait très reconnu de versificateur latin. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 7v; BAV, Ruoli 39, fol. 30. Il sera fait maître de la chambre dès 1592. Ibid., Ruoli 113, fol. 4r. Sur le personnage en question, voir P. Richard, Antoniano (Silvio), dans DHGE, 3, col. 841-844. 96 BAV, Ruoli 27, fol. 20. Moroni affirme par erreur que Paolo Consiglieri fut créé cardinal en 1557. Dizionario di erudizione, XLI, p. 133. De fait, ce fut son frère Giovan Battista qui eut droit à cet honneur, un mois à peine avant qu’il ne décède au grand chagrin du pape qui lui était très attaché. À ce sujet, voir F. Andrieu, Ghislieri Consiglieri (Paolo), dans DHGE, 20, col. 1186-1187. 97 C’est très exactement le 7 décembre 1561 que Bianchi fut expédié au château SaintAnge. On le dit à ce moment « doyen » de la chambre et écuyer tranchant du pape. BAV, Vat. lat. 12278, fol. 226r. Il occupait l’office en question depuis le début du pontificat de Pie IV, soit depuis février 1560. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 4v. 98 C’est Massarelli qui nous apprend cette nouvelle en août 1555, signalant au passage que Francesco d’Aspra était soupçonné de concussion alors que Michelangelo Spata était accusé de s’être approprié quelque 5000 écus sous fausse représentation. Conc. Trid., II: Diar. 2, p. 278-279.
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ceux qui étaient le mieux à même de profiter des largesses d’un maître qu’ils côtoyaient et servaient à longueur de journée. Et il n’était d’ailleurs pas besoin pour cela d’être le premier officier de la chambre. Moroni fait était d’au moins quinze autres camériers « secrets » qui, entre 1492 et 1605 eurent le privilège d’accéder au Sacré Collège99. Cela dit, les services de la chambre ne se limitaient pas à l’apport, si essentiel, se déterminant fût-il, des camériers, du moins de ceux qui remplissaient effectivement les diverses tâches rattachées à cette fonction. Nous avons proposé plus haut une assez longue liste de personnages exerçant eux aussi des offices de « proximité » et donc dignes d’être considérés comme faisant partie du monde « select » et envié de la chambre. Les écuyers sont de ce nombre, mais, comme nous avons eu l’occasion de le rappeler plus haut, ceux qui apparaissent sous ce titre dans les rôles de cour des papes du XVIe siècle ne remplissent pas toujours nécessairement la fonction correspondante –– de fait, très peu, à ce qu’il semble, le font –– et d’ailleurs cette fonction est à l’époque en train de leur échapper au profit d’un groupe rival, alors en plein essor, celui des palefreniers. C’est que les écuyers, figures emblématiques de la cour des princes séculiers où ils assurent depuis longtemps la plupart des fonctions réservées aux gentilshommes100 trouvent de moins en moins leur place à la cour pontificale et, cela, depuis au moins le XVe siècle101. Il est à cet égard significatif du constater qu’à partir du règne de Paul III leur nombre varie en fonction de l’origine aristocratique ou non des papes qu’ils sont appelés à servir. Ainsi sont-ils plus de trente à la cour d’un Paul IV, mais six seulement à celle d’un Sixte V pour remonter ensuite à dix-huit au temps de Clément VIII102. Autre indice allant dans le même sens: Alberto Franchino, doyen des écuyers sous Paul IV et Pie IV, ne porte plus que le titre de garde-robe principal (forriere maggiore) à la cour d’un Pie V, plus tard d’un Grégoire XIII103. Tout porte donc à croire qu’avec le temps la fonction d’écuyer en est devenue de plus en plus une de figuration plutôt que de service au sens technique du terme, même si, à l’occasion, il arrive à ce dernier de se voir assigner ce type de service. Ainsi Jules III, lors d’un voyage à Viterbe en 1550, se fait-il accompagner de six écuyers à qui il demande d’agir comme garde-meubles et d’assurer, le temps du voyage, le service de sa table104. Mais ce sont là occurrences G. Moroni, Camerieri del Papa, dans Dizionario di erudizione, VII, p. 32-33, 36. Sur l’évolution du mot « écuyer » à l’époque et sur les tâches réservées aux personnages portant ce titre, voir C. Loyseau, Traité des seigneuries, Lyon 1701, p. 28-29. 101 En effet, déjà aux XIVe et XVe siècles, on limite à 8 ou 10 le nombre d’écuyers appelés à servir à la cour pontificale, les autres n’étant là qu’à titre honorifique. M. Dykmans, Le cérémonial cit., III, p. 426-427. 102 Cf. Tableau I. 103 BAV, Ruoli 30, fol. 11v. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 8r. Ibid., Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [7v]. Ibid., Cam. I: 927, fol. 1v-2r et passim. 104 BAV, Ruoli 3, fol. 3v. 99
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de plus en plus rares. L’espace autrefois réservé aux écuyers est désormais occupé, et ostensiblement occupé, par les palefreniers. Sortis probablement vers la fin du XVe siècle des écuries papales où ils avaient rempli jusque-là le rôle de garçons d’écurie, ils font leur entrée au palais apostolique où les attendent des fonctions considérablement plus reluisantes et surtout valorisantes105. Leur rôle principal consiste de fait à assurer la garde rapprochée du pape et à l’accompagner chaque fois qu’il apparaît en public et, cela, aussi bien à lintérieur qu’à l’extérieur du Vatican, voire de Rome106. Est-il besoin de rappeler à ce propos que ce sont eux qui portent la sedia gestatoria quand le pape doit aller processionnellement de ses appartements à la chapelle Sixtine ou encore à Saint-Pierre. D’où le nom de salle des Palefreniers donné au XVIe siècle à l’ancienne salle du Perroquet où avait lieu la vêture du pape et d’où, par conséquent, se faisait le départ de 105 Aux XIVe et XVe siècles, ils étaient encore confinés aux écuries où ils assuraient diverses tâches sous l’autorité d’un officier appelé maître de l’écurie (magister palafrenarii sive stabuli). Dykmans, Le cérémonial cit., p. 443-444. Sur leur entrée au palais et le rôle qu’ils vont être appelés à y jouer, voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 64-65 et notes 38-41. Dans le rôle funéraire de Pie III, les palefreniers forment déjà une catégorie à part, soustraite à l’autorité du maître de l’écurie et se distinguant nettement de celle des garçons d’écurie qui occupent désormais la place qui était autrefois la leur. Piccolomini, La Famiglia cit., p. 157, 159. Le fait que plusieurs des noms apparaissant dans ce rôle sont de personnages venant de la cour d’Alexandre VI autorise à penser que les palefreniers jouissaient déjà de ce nouveau statut à la cour de ce dernier. 106 Premiers indices de ce rôle d’accompagnement, les nombreuses occasions où l’on voit des palefreniers distribuer des aumônes à l’occasion des déplacements du pape à Rome et ailleurs. Ainsi, pour nous limiter à quelques exemples, remontant à l’époque de Léon X, les registres du trésorier secret de ce dernier font état de remises de mancie faites par un Valerio Tornabuoni (oct. 1517), un Giovan Battista (sept. 1518), un Morgantino (nov. 1518) au hasard de sorties du pape ici et là à Rome. ASR, Cam. I: 1489, fol. 35r, 72r, 88r. Il en va de même de Clément VII. Ibid., Cam. I: 1491, passim. Cette pratique semble s’être maintenue jusqu’au temps de Grégoire XIII. Ainsi, en juin 1583, le trésorier secret reçoit-il l’ordre de remettre 10 écus au palefrenier Paolo Tartaglia et, cela, chaque fois que le pape sortira, argent de toute évidence destiné à la distribution de mancie. Ibid., Cam. I: 1310, fol. 5r. Le rôle d’accompagnement des palefreniers est encore plus manifeste lors des voyages du pape hors de Rome. Ils sont, en effet, en ces occasions, toujours présents à ses côtés, leur nombre variant habituellement selon l’importance et la longueur du voyage. Lors d’un déplacement à Viterbe en 1556, Jules III compte dans sa suite 46 palefreniers (BAV, Ruoli 3, fol. 4r), mais, pour une excursion à la Magliana en octobre 1551, il limite ce nombre à 12 (Ibid., Ruoli 10, fol. 2v). C’est en gros le modèle que l’on retrouve chez tous les papes qui, par goût ou par nécessité, voyagent hors de Rome au XVIe siècle. Ajoutons que ceux d’entre eux qui prenaient leurs quartiers d’été hors du palais apostolique, au palais de Venise notamment, se faisaient toujours accompagner de leurs palefreniers. C’est le cas notamment de Grégoire XIII qui séjournera plusieurs étés dans ledit palais. Dès 1572, année de son élection, il y loge 60 palefreniers. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 3r. Les palefreniers étaient bien évidemment aussi de tous les défilés, de toutes les processions où figuraient le pape. Cf. L. Dorez, La cour du pape Paul III, I, Paris 1932, p. 64. Le sieur de Villamont, dans son récit de voyage à Rome publié en 1595 nous a laissé une pittoresque description d’un de ces défilés où il signale la présence des palefreniers (qu’il appelle « estafiers ») et de deux d’entre eux chargés de « gouverner les mulets » portant la litière du pape. Voyages du Seigneur de Villamont, Paris 1595, fol. 36rv.
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la procession ou du cortège en question107. C’est sans doute dans cette même salle, du moins jusqu’au pontificat de Jules III, plus tard dans quelque espace équivalent que, jour et nuit, se tenaient les palefreniers chargés d’assurer, en liaison, bien entendu, avec la Garde Suisse, la sécurité du pape108. Mais là ne s’arrêtait pas la tâche de ces derniers. L’un d’entre eux, appelé palefrenier du Saint-Sacrement (« parafreniere del Sacramento »), éventuellement placé sous l’autorité du sacriste, avait, comme son titre l’indique, la responsabilité de conduire la hacquenée portant le Saint-Sacrement lors de la solennelle procession de la Fête-Dieu fixée au jeudi suivant l’octave de la Pentecôte109. Un autre, habituellement le doyen du groupe, était pour sa part chargé de la distribution des aumônes que le pape, parfois à l’improviste, choisissait de faire à l’occasion de cérémonies ou de sorties à l’intérieur comme à l’extérieur de la ville110, jouant là en quelque sorte Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 109. En 1581, le trésorier secret de Grégoire XIII commande au coût de 40,40 écus 36 cannes de toile (« tela barbante alta ») pour les lits (« lenzuoli ») des palefreniers assurant la garde de nuit (« per li palafrenieri che dormono in guardia »). ASR, Cam. I: 1308, fol. 73v. Deux ans plus tard, des travaux de maçonnerie et de menuiserie sont exécutés dans l’escalier et la salle dits des palefreniers. Ibid., Cam. I: 1309, fol. 55. Depuis quand les palefreniers assuraient-ils cette fonction et depuis quand la salle du Perroquet où ils se tenaient habituellement portait-elle leur nom? Il est difficile de le dire. Dorez a trouvé dans le livre de comptes qu’il a publié mention en date du 11 juin 1536 de travaux exécutés dans la salle où se tenaient les palefreniers. La cour cit., I, p. 64. Mais il ne croit pas qu’il s’agisse de la salle du Perroquet décorée au temps de Léon X par Raphaël. Peut-être en effet s’agissait-il d’une salle voisine où les palefreniers assuraient la garde du pape, la nuit surtout. Mais cela n’exclue pas que les palefreniers aient été également présents, le jour en particulier, dans la salle du Perroquet, ce qui laisse entier le problème de savoir à partir de quel moment la salle du Perroquet fut appelée salle des Palefreniers. 109 Le premier titulaire de cette fonction dont le nom nous est connu est un certain Bernardino Gavelli, clerc du diocèse de Pesaro, inscrit sous cette appellation dans le rôle de « familiarité » de Paul III de 1545-1546. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 2, fol. 10. Depuis quand exerçait-il ladite fonction? Une « résignation en faveur » de novembre 1545 donne à penser qu’il venait tout juste d’y accéder en remplacement, à ce qu’il semble, de Valentino de’ Rustici, lui aussi inscrit parmi les palefreniers dans le rôle de 1545-1546. Familier d’Alfonso Oliva, ancien sacriste, de même que du successeur de ce dernier, Giacomo Barba, Gavelli dut probablement à ces deux hommes la promotion qui faisait de lui un palefrenier, mais un palefrenier jouissant d’un statut à part. ASV, Resign. 103, fol. 59r. À noter que Gavelli accédera plus tard sous Paul IV au poste envié de garde-robe « secret ». BAV, Ruoli 27, fol. 25 et Ruoli 32, fol. 6r. Le titre de palefrenier du Saint-Sacrement va désormais figurer dans tous les rôles de cour, du moins jusqu’au pontificat de Pie V. En effet, on n’en trouve plus trace, du moins dans les sources qu’il nous a été donné de consulter, à partir du règne de Grégoire XIII. Cette fonction aurait-elle été à partir de ce moment supprimée? 110 Eusebio, doyen des palefreniers de Léon X, distribue à l’occasion des aumônes lors de sorties du pape –– par exemple, à la Magliana, en novembre 1518 (ASR, Cam. 1: 1489, fol. 88r) ––, mais, nous l’avons vu, il n’est pas le seul à le faire et surtout il ne jouit pas encore du titre d’aumônier qui sera éventuellement accolé à celui de doyen des palefreniers, au plus tard à partir du règne de Jules III. Ibid., Cam. I: 1295, Introito et Exito, 1550, fol. 37v, 40v; 1295: Thesaureria Secreta, fol. 23v; 1295: Libro delle Spese, fol. 15r, 20v. Le titulaire de cette 107 108
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le rôle de substitut de l’aumônier en titre, ce qui ne devait pas nécessairement plaire à ce dernier, mais illustrait bien dans quelle estime les papes de l’époque tenaient leurs palefreniers. Mais c’était encore là assez peu de choses en regard des missions que se verront confier plusieurs d’entre eux, en particulier durant la première moitié du XVIe siècle111, missions parfois « délicates » leur conférant un rang égal ou presque à celui des secrétaires, camériers, écuyers ou encore chapelains « secrets » à qui les dites missions étaient habituellement réservées112. Aussi n’est-on pas surpris de voir un Antonio Pighetti, palefrenier à la cour de Clément VII, devenir successivement écuyer de Paul III, puis camérier de Jules III113 ou encore de voir ce même Jules III conférer le titre d’écuyer à au moins quatre palefreniers venus de la cour de son prédécesseur, Paul III114. On peut en dire autant fonction s’appelle à l’époque Coroliano Gerbone. Son successeur sous Paul IV est un certain Juan Martin qui porte lui aussi le titre d’aumônier et se voit confier à l’occasion la responsabilité de distribuer des mancie (Ibid., Cam. I: 1296 D, fol. 23r; 1298, fol. 34r, 38v, 70v), mais en alternance avec un collègue, simple palefrenier celui-là, du nom de Nicolas de Genève qui, de fait, distribue plus d’aumônes que lui.(Ibid., Cam. I: 1296 D, fol. 17v, 22r, 32r, 38v, 45r; 1297, fol. 16v, 18r, 22rv, 26v). Baldassare Chiavellino qui porte ce même titre au temps de Pie IV ne semble pas avoir eu à subir cette concurrence. Voir Ibid., Cam. I: 1299, Entrata et Uscita 1559-61, fol. 7r; Conto 1563-64, fol. 13; Conto 1564-65, fol. 77-78. On peut en dire autant du Liégeois Jean Vimont (« Giovanni Vinamonte »), doyen des palefreniers de Grégoire XIII. Ibid., Cam. I: 1300, fol. 25r; Cam. I: 1301, fol. 11v et passim. 111 Ainsi, en novembre 1518, Giovan Maria Borsetti, palefrenier de Léon X, est-il chargé d’aller présenter un livre au duc de Florence. ASR, Cam. I: 1589, fol. 85r. En juillet 1520, c’est un certain « Capretto », autre palefrenier du pape, qui se voit assigner le rôle d’accompagner le duc d’Albany, oncle de la jeune Catherine de Médicis, alors en visite à Rome. Ibid., Cam. I: 1590, fol. 72v. Sur cette visite d’Albany, voir J. Balteau, Albany (Jean Stuart, duc d’), dans DBF, 1, col. 1150. Au temps de Clément VII, de nombreux palefreniers se voient pareillement confier des missions du genre tel, par exemple, Antonio Pighetti qui fait des aller et retour entre Rome et diverses destinations en août 1528, (Ibid., Cam. I: 862, fol. 15r, 19v), avril et août 1531 (Ibid., fol. 85, 87r) et juin 1532 (Ibid., 866, fol. 37r). Paul III, pour sa part, faisait souvent appel aux services d’un de ses favoris, le palefrenier Bartolomeo d’Alba. Ainsi, en août 1536, l’envoie-t-il en mission à Farnese (Dorez, La cour cit., II, p. 66) et en août 1537 le charge-t-il d’aller avec cinq compagnons à Caprarola porter une importante somme d’argent à son petit-fils Ottavio (Ibid., p. 144). Manifestement, les papes de l’époque tenaient tous ces hommes en haute estime et avaient grande confiance en eux. 112 À titre d’exemples, citons le cas de Girolamo Campisio, palefrenier de Clément VII, envoyé en mission auprès de l’armée impériale en septembre 1529 (ASR, Cam. I: Mand. cam. 862, fol. 25r) de même qui celui de Girolamo Guidino chargé, lui, en mars 1530, d’accompagner les troupes de l’empereur d’Acquapendente aux frontières du royaume de Naples (Ibid., fol. 86r). Mais, plus probant encore, le cas d’Antonio Pighetti, ancien palefrenier de Clément VII passé au service de Paul III que ce dernier nomme en avril 1536 commissaire chargé d’assister le gens de pied accompagnant Charles Quint alors en route pour Rome. L. Dorez, La cour cit., I, p. 66. 113 ASR, Cam. I: 862, fol. 85; BAV, Borg. lat. 354, fol. 15; Ibid., Ruoli 2, fol. 18v. Sur ce personnage, voir aussi Dorez, La cour cit., I, p. 66. 114 Il s’agit de Secondo Tamayo, Bartolomeo Merloto, Bartolomeo d’Alba et Luis Arroyo. BAV, Borg. lat. 354, fol. 20; Ruoli 2, fol. 21. Sur Bartolomeo d’Alba, très lié à Paul III qu’il
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de plusieurs doyens du groupe qui en plus d’agir très souvent comme aumôniers de leurs maîtres donnent l’impression, du moins certains d’entre eux, d’avoir été des « intimes » de ces derniers et, pour cette même raison sans doute, objets d’une particulière sollicitude de leur part115. On peut en dire autant des médecins, eux aussi rattachés aux services de la chambre, avec cette nuance toutefois que, forts du prestige de leurs titres universitaires, ces derniers avaient sur les palefreniers l’immense avantage, grâce à leurs connaissances professionnelles –– réelles ou supposées ––, d’être les garants de la santé du pape et, partant, pour peu que celui-ci leur ait fait confiance, de jouir d’un considérable ascendant sur lui. Cela était particulièrement vrai de leur doyen qui, d’office, se devait d’être en tout temps à la disposition du pape et, pour cette raison, était tenu d’habiter au Vatican ou, le cas échéant, de se déplacer avec son maître chaque fois que celui-ci décidait de s’éloigner de Rome, parfois pour d’assez longs périples116. Ajoutons que certains médecins ou chirurgiens de la cour étaient par ailleurs d’influents et réputés personnages, influence et réputation qui –– il importe de le souligner –– ne tenait pas qu’à leur compétence ou expertise médicale. Ferdinando Ponzetti (1444-1527), médecin d’Innocent VIII, avait entrepris sous les successeurs immédiats de ce dernier, Clément VII y compris, une brillante carrière curiale qui lui avait valu en 1499 une charge de secrétaire accompagnera d’ailleurs à Nice en 1538 et qui deviendra en 1555 doyen des écuyers de Paul IV, voir Dorez, La cour cit., I, p. 65-66. 115 Jean Vimont, doyen des palefreniers de Grégoire XIII, en plus des émoluments et diverses mancie auxquels il a droit, est logé aux frais du pape (ASR, Cam. I: 1300, fol. 28v) et son épouse est gratifiée tous les mois d’un companatico en argent (Ibid., Cam. I: 1352, fol. 30v). Il y a de fortes chances qu’il ait été de la « famille » de Grégoire XIII avant que ce dernier ne devienne pape, ce qui pourrait permettre d’expliquer le traitement de faveur dont il faisait l’objet. Impression que semble confirmer le fait qu’il restera en fonction durant tout le pontificat de Grégoire XIII. Giovanni Lungo, doyen des palefreniers de Sixte V, a droit à la mention « ancien serviteur » (servitore vecchio) dans le rôle de cour de 1586 (BAV, Ruoli 65, fol. 4v), indice là aussi d’un lien particulier permettant de justifier certaines faveurs. 116 Déjà aux XIVe et XVe siècles, un des médecins du pape était tenu d’habiter le palais apostolique afin d’être à tout moment à la disposition de ce dernier. Dykmans, Le cérémonial cit., III, p. 442. Ce médecin prendra au XVIe siècle le titre de médecin « secret » ou « domestique ». C’est le cas, entre autres, de Tiberio Palleli, originaire de Sabina, qui servit Paul III jusqu’à sa mort après avoir été un de ses médecins alors que ce dernier n’était encore que cardinal. Marini, Degli Archiatri cit., I, p. 364-366; ASR, Cam. I: 868, fol. 120v. Il habitait sans doute à l’époque au Vatican comme le feront plus tard ses homologues Giovan Andrea Bianchi (ou de Albis), médecin de Pie IV (ASV, Miscell. Arm. II 80, fol. 205v), Giovan Francesco Marengo, médecin de Pie V (Ibid.) et Sigismondo Brumani, médecin de Clément VIII (BAV, Introiti ed Esiti 12, fol. 16v) qui, lui, non seulement eut ses quartiers au Vatican, mais y mourut en 1594 (Marini, Archiatri cit., I, p. 483). Le médecin « secret » était bien évidemment aussi tenu d’accompagner le pape dans ses déplacements. Ainsi Balduino Balduini est-il des deux voyages de Jules III à Viterbe en 1550 et 1551 (BAV, Ruoli 3, fol. 3r; Ruoli 8, fol. 11r) comme de l’excursion de ce dernier à la Magliana en octobre 1551 (Ibid., Ruoli 10, fol. 21r).
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apostolique, puis, deux années plus tard, un cléricat de la Chambre avant de se voir octroyer par Léon X en 1513 le plantureux office de trésorier général. Quatre années plus tard, ce même pape dont il était devenu un des principaux créanciers le faisait coup sur coup évêque de Molfetta, puis cardinal. Victime du sac de Rome, il ne survécut que de quelques mois à cette terrible épreuve. Il faut dire qu’il avait à l’époque 84 ans. Docteur aussi bien en théologie qu’en médecine, il était l’auteur de nombreux traités consacrés à l’une et l’autre de ces disciplines, mais également à la philosophie, à la philosophie morale surtout117. Sans doute est-il le seul médecin de la cour pontificale à avoir réussi à l’époque un tel cursus honorum, cardinalat y compris, mais certains de ses confrères sauront eux aussi se mettre en évidence et s’attirer ainsi les faveurs de leurs maîtres, tels, par exemple, Gerolamo Accoramboni (1469-1537), philosophe et médecin originaire de Gubbio, qui soignera les papes Léon X, Clément VII et Paul III tout en enseignant la médecine à la Sapienza118 ou encore Balduino Balduini († 1582) dont le futur Jules III avait fait son médecin et confident à l’époque où il était légat au concile de Trente et qu’il confirmera dans cette double responsabilité, une fois devenu pape, avant de le promouvoir au siège de Mariano en 1550, puis à celui d’Aversa quatre années plus tard119. Médecine et cléricature faisaient encore à l’époque bon ménage, mais cela allait bientôt changer et, de fait, à partir du règne de Paul IV, rares sont les médecins et chirurgiens de la cour appartenant au clergé et, par conséquent, habilités à tenir offices ou bénéfices ecclésiastiques120. Une place à part doit être faite à un personnage à première vue modeste, mais lui aussi très proche du pape et d’ailleurs souvent associé aux médecins et chirurgiens dont il vient d’être question. Ce personnage, c’est le barbier. Était-il tout simplement « barbier barbant » comme on disait à la fin du XVIIe siècle en France ou « barbier-chirurgien », c’està-dire autorisé à pratiquer des chirurgies mineures dont la saignée, comme cela se faisait encore couramment au XVIe siècle? Il est difficile de le savoir, mais si les chirurgiens inscrits aux rôles de la cour pontificale sont, comme on est en droit de le penser, des maîtres-chirurgiens, il y a fort à parier qu’en plus des divers autres soins relevant de son expertise, le barbier du pape pratiquait au moins à l’occasion la sai117 Sur ce personnage hors du commun, voir A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXVI (1913), p. 553-584. 118 À son sujet, voir Marini, Archiatri cit., I, p. 317-319, puis surtout F. Cagnetti, Accoramboni, Gerolamo, dans DBI, 1, p. 111-112. 119 Cf. C. Ginzburg, Balduini, Balduino, dans DBI, 5, p. 539-540. 120 Selon Marini, les seuls médecins du pape qui appartenaient au clergé à partir du règne de Paul IV furent Simone Pasqua et Giovan Francesco Manfredi, au temps de Pie IV, Agostino Baglioni, au temps de Pie V, et Girolamo Provenziali, au temps de Clément VIII. À noter que Pasqua, Baglioni et Provenziali accéderont par ailleurs tous trois à l’épiscopat et que le premier fut en plus créé cardinal. Cf. Degli Archiatri cit., I, p. 433-435, 435-439, 441, 477-478.
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gnée, intervention que d’ailleurs les médecins de l’époque ne jugeaient pas digne de leur profession121. Chose certaine, présent tous les jours, le matin surtout, dans la chambre du pape, il pouvait à l’égal des camériers « secrets » se targuer d’avoir l’oreille de ce dernier, ce qui, à l’époque, constituait aux yeux de plusieurs un immense privilège, et un privilège envié. Dès lors, rien de surprenant à ce que plusieurs barbiers aient fait l’objet d’insignes faveurs de la part de leurs maîtres et, à partir au moins du pontificat de Paul III, aient été systématiquement élevés au rang de sous-camériers ou camériers122. Un coutumier de la fin du XVIe siècle les pensait même dignes du titre d’écuyer123. Autre personnage que nous aurions pu rattacher aux services de « bouche », mais qui paraît plus à sa place ici: l’apothicaire (aromatarius) appelé aussi dans les ruoli de l’époque spetiale à qui revenait la responsabilité d’approvisionner le pape et sa « famille » en denrées et produits domestiques de toutes sortes (épices, sel, poivre, sucre, cire), mais aussi –– et peut-être surtout - en médicaments, d’où les liens étroits qu’il entretenait nécessairement avec les services de la chambre, en particulier avec les officiers, médecins et autres, chargés de veiller sur la santé du pape et des membres de la cour. D’ailleurs, dans certains ruoli, son nom figure à côté 121 Moroni, barbier de Grégoire XVI, retrace bien l’évolution de cette profession à l’époque et du rôle du barbier à la cour pontificale à partir de la fin du moyen âge, rôle dont, bien évidemment, il ne se prive pas de faire l’éloge. Cf. Dizionario di eruzione, LXXXIV, p. 74-88. Fait à noter, dans le rôle de cour de Pie III, le barbier est inscrit parmi le groupe des médecins. Piccolomini, La famiglia cit., p. 154. Ce ne sera plus le cas par la suite. 122 M° Miguel d’Aragona, barbier d’Alexandre VI reçoit une provision de 5 ducats par mois. ASV, Intr. et Ex. 525, fol. 169r et passim. Quant à Jean de « Buxelles », clerc de Cambrai, qui remplit cette même fonction auprès d’Adrien VI, il voit sa provision passer à 8 ducats. Ibid., Arm. XXIX: 73, fol. 16v. M° Giovanni Merlano, barbier de Paul III, reçoit pour sa part 6,30 écus par mois. ASR, Cam. I: 1290, fol. 5 et passim. On constate qu’il porte à la même époque le titre de sous-camérier. Ibid., fol. 66. À noter que Vincenzo Taparusco, barbier de Pie IV, portera vingt ans plus tard celui de camérier. BAV, Ruoli 39, fol. 21. Paul IV, beaucoup moins généreux, ne verse plus à son barbier, M° Bartolomeo Mafarelli, que 4 écus par mois. ASR, Cam. I: 901, fol. 34v et passim. Mais ce sont là, même dans le cas de Mafarelli, des émoluments situant tous ces hommes à la hauteur des camériers, écuyers et chapelains de la cour. Il paraît donc logique qu’on leur ait éventuellement donné des titres correspondant mieux à l’estime dont manifestement ils faisaient l’objet. Ajoutons que Paul III, en juin 1543, fera don à son barbier d’un office de « massier », remplaçant du coup la provision qui lui avait été jusque-là versée par une rente viagère d’un rapport nul doute plus intéressant et surtout mieux assuré. Grégoire XIII en fera autant en 1576 en faveur de son barbier, Giovan Battista Boschetti, allant même jusqu’à lui faire verser 417,20 écus pour couvrir les divers frais qu’entraînait l’admission à cet office. ASR, Cam. I: 1304, fol. 44r. Le barbier faisait manifestement partie du cercle restreint des « proches » du pape. Christine Shaw dit de M° Tommasino, barbier de Jules II, qu’il était un des rares « intimes » de ce dernier et que celui-ci aimait l’avoir à ses côtés lorsqu’il se reposait ou prenait quelques moments de loisir. Julius II cit., p. 166. Il ne dut pas être le seul pape à l’époque à avoir des rapports de ce genre avec son barbier. 123 BAV, Vat. lat. 12348, fol. 186r.
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de celui des médecins et chirurgiens124. Nous verrons plus en détail dans le chapitre sixième en quoi consistait et de quelle importance était la contribution de cet officier à la vie quotidienne de la cour. Et nous en ferons tout autant en ce qui concerne un autre personnage s’apparentant par certains côtés à l’apothicaire et figurant dans les ruoli à partir du règne de Jules III sinon de Paul III sous le nom de distillateur, qui, lui, était chargé de fournir divers produits destinés pour la plupart à la chambre ou à la table du pape125. Mais peut-être n’est-il pas sans intérêt de souligner dès à présent, quitte à y revenir plus loin, que ce que Jules III attendait de son stillatore, le Lorrain François Vaniers, se résumait pour l’essentiel à la production d’« eaux de toilette »126! Avant de quitter les hauteurs de la chambre pour les réalités plus terreà-terre des services d’alimentation, de transport et d’entretien, il nous faut faire la connaissance de trois personnages, eux aussi très près du pape et objets d’une particulière considération de sa part, soit le maître du Sacré-Palais, l’aumônier et le confesseur. Le confesseur, tout d’abord. Nous avons vu plus haut que deux sacristes au moins jouèrent à un certain moment ce rôle, ce qui donne à penser que le rôle en question continuait au XVIe siècle d’être assez souvent combiné avec un ou plusieurs autres au gré du pape. De fait on trouve assez peu souvent dans les ruoli mention d’un confesseur ne faisant que cela. Le conventuel Giovanni da Prato, protégé des Médicis, mais client par ailleurs de Jules II qui le fit évêque de l’Aquilà en 1504, fut à ce qu’il semble confesseur de Léon X, mais tout en étant concurremment pénitencier de Saint-Pierre, office que le pape lui avait obtenu en 1495, alors qu’il était jeune cardinal127. Fra Pietro Martire, vicaire général des dominicains, prend en 1558 la succession d’un certain Fra Angelico, autre dominicain sans doute, qui avait exercé jusque-là la fonction de confesseur de Paul IV, mais il ne quitte pas pour autant le poste qui était à ce moment le sien au sein de son ordre128. Il faut de fait attendre le pontificat de Pie IV pour voir pour la première fois apparaître un confesseur 124 Il en est ainsi dans les rôles de cour de Jules III. Ibid., Ruoli 2, fol. 19v et Ruoli 6, fol. 6r. Sur la profession en question et la place qu’elle occupait à Rome à la fin du moyen âge, voir l’importante étude d’Ivana Ait, Tra scienza e mercato. Gli Speziali a Roma nel tardo medioevo, Rome 1996. Voir aussi de la même: Alla corte dei Papi: Gli Speziali, dans Être médecin à la cour (Italie, France, Espagne, XIIIe-XVIIIe siècles), Florence 2013, p. 35-49. 125 Ce personnage apparaît pour la première fois dans un rôle de cour au temps de Jules III. BAV, Ruoli 2, fol. 22v et Ruoli 6, fol. 8r. Dans un livre de comptes de 1550 on l’appelle aussi « distillator de acque », ASR, Cam. I: 1295: Introito et Exito, 1550, fol. 15r. Mais il semble bien qu’il ait eu un prédécesseur au temps de Paul III, car Dorez a trouvé la trace d’un certain Francesco « Bomes » (?) qui en 1545 s’occupait de distillation d’eaux, d’eaux de vie surtout, au Belvédère. La cour cit., I, p. 216, n. 3. 126 ASR, Cam. I: 1295: Introito et Exito, 1550, fol. 13r et passim. 127 À son sujet, voir A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXVI (1913), p. 191-204. 128 BAV, Ruoli 30, fol. 7r; Ruoli 32, fol. 5r; ASR, Cam. I: 901, fol. 52v, 78r.
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n’exerçant à ce qu’il semble que cette fonction. Il s’agit de Fra Francesco da Nizza, membre comme son nom l’indique, de l’ordre de saint François. Fait à noter, il conserve ce poste durant tout le pontificat de Pie IV129. Moroni, pour sa part, assure que le dominicain Archangelo Bianchi à qui Pie V accordera le chapeau de cardinal en 1570 avait été entre-temps le confesseur de ce dernier, bien qu’il ait été à la même époque successivement commissaire de l’Inquisition (1565), puis évêque de Teano (1566)130. Rien de tel, par contre, dans le cas du conventuel Girolamo Bevilacqua, confesseur de Sixte V, qui n’eut d’autre tâche que celle-là, même après que le pape l’eût élevé au rang d’archevêque de Nazareth en 1587131. On aura vite fait de constater que tous ces hommes étaient des religieux, membres d’ordres anciens, plus précisément d’ordres mendiants. Clément VIII, rompant avec cette tradition, fera plutôt confiance à des confesseurs venus de deux ordres nouveaux nés à Rome quelques années plus tôt, soit, d’une part, les jésuites, de l’autre, les oratoriens. Dans le premier cas, il jettera son dévolu sur un homme pour lequel, nous l’avons vu, il avait la plus grande admiration et qu’il fera d’ailleurs cardinal en 1493: le jésuite espagnol, Francisco de Toledo, installé au palais apostolique avec le titre de « prédicateur » depuis au moins le pontificat de Pie V132. Dans le second, il fera appel à deux des fils de son maître spirituel, Philippe Neri, soit Giovanni Francesco Bordini, futur archevêque d’Avignon, et Cesare Baronio, successeur désigné de Philippe Neri et, lui aussi, futur cardinal133. Manifestement les papes de l’époque ne tenaient pas à confier leur âme au premier venu. Être confesseur du pape imposait, et pour cause, une grande discrétion. On pourrait presque en dire autant de l’aumônier, autre proche collaborateur du pape que nous avons eu plus d’une fois l’occasion de croiser jusqu’ici, mais auquel le moment est venu d’accorder toute l’attention qu’il mérite. Sans doute –– nous venons de le voir ––, le pape se servait à l’occasion d’autres membres de sa cour, des palefreniers par exemple, pour faire des « oboles » tout particulièrement à ceux et celles qu’il rencontrait lors de ses nombreux déplacements à Rome ou ailleurs, mais la responsabili129 Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 4r; Cam. I: 1299, Conto 1563-64, fol. 24, 33; Ibid., Conto 1564-65, fol. 64. Le camérier de Fra Francesco affirmera au lendemain de la mort du pape que son maître était au courant des rapports que Pie IV entretenait avec des concubines, comme certains l’affirmaient à l’époque. Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 62, n. 3. 130 Moroni, Dizionario cit., XVI, p. 113. Sur ce personnage, voir également M. H. Laurent, Bianchi (Archangelo), dans DHGE, 8, col. 1373. 131 BAV, Ruoli 65, fol. 3v; Ruoli 75, fol. 3v. Eubel et al., Hierarchia cit., III, p. 254. 132 G. Moroni, Confessore del Papa, dans Dizionario di erudizione, XVI, p. 114. 133 En ce qui concerne Bordini, voir A. Cistellini, San Filippo Neri. L’Oratorio e la Congregazione oratoriana, II, Brescia 1979, p. 767-768. Sur le rôle de Baronio, voir C. Ginsburg, Baronio, Cesare, dans DBI, 6, p. 473. À noter que Clément VIII se confessait tous les soirs. A. Borromeo, Clemente VIII, dans DBI, 26, p. 264. Il faut dire qu’il était passablement scrupuleux, ce qui ne devait pas faciliter la tâche de ses confesseurs.
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té première du « ministère de la charité », ministère auquel, fidèles à une longue tradition, les papes du XVIe siècle faisaient et feront de plus en plus de place, revenait de fait à un « intime » du pape, connu éventuellement sous le nom d’aumônier « secret »134. Nous verrons dans un prochain chapitre l’importance des sommes qui lui étaient régulièrement remises à cet effet, mais à titre indicatif, signalons dès maintenant qu’au temps de Paul III cela représentait quelque 350 écus par mois, soit au total plus de 4000 écus par année135. Il n’existe pas de liste complète et fiable des aumôniers « secrets » du XVIe siècle –– ce qui explique sans doute la pauvreté des renseignements que Moroni nous fournit à leur sujet136 , mais trois noms semblent dominer cette liste et méritent donc ici particulière mention, à savoir Francesco Vannuzzi (1491-1556), chanoine de Saint-Pierre, mais aussi protecteur et ami d’Ignace de Loyola, qui remplira cette fonction sous Paul III, Jules III et Paul IV, soit en tout quelque vingt ans137, Bernardino Cirillo (1500-1575), chanoine de Sainte Marie-Majeure et « commissaire » de l’hôpital Santo Spirito, qui succédera à ce dernier probablement en 1556 et servira pour sa part, sous Paul IV et Pie IV, tout en remplissant, sous le premier de ces papes, la fonction de majordome138, enfin Giovanni Daddei († 1596), lui aussi chanoine de Sainte Marie-Majeure, qui occupera le même poste sous Grégoire XIII, Sixte V, Grégoire XIV et Clément VIII, soit plus de vingt ans139. Hommes de toute évidence choisis avec soin et jouant un rôle important à la cour, mais qui, comme aumôniers, laissent 134 Ce rôle, comme celui de confesseur, existait depuis longtemps à la cour. Ces deux hommes étaient déjà au XIVe siècle des personnages importants. Cf. Dykmans, Le cérémonial cit., III, p. 437-438, 439-440. 135 BAV, Vat. lat. 10603, fol. 118r et passim. 136 G. Moroni, Elemosiniere del Papa, dans Dizionario di erudizione, XXI, p. 152-156. 137 À son sujet, voir Dorez, La cour cit., I, p. 44-45. Dorez le fait mourir en 1566, mais une liste ancienne des chanoines de Saint-Pierre fixe l’année de sa mort plutôt à 1556. BAV, Vat. lat. 10171, fol. 25r. Le successeur de Vannuzzi, Bernardino Cirillo étant entré en fonction cette même année ou, au plus tard, en 1557 (ASR, Cam. I: 1298, fol. 21v, 39r, 52v), la date indiquée par l’auteur de la liste en question paraît plus vraisemblable que celle proposée par Dorez. 138 Sur Cirillo, voir Renazzi, Notizie storiche cit., p. 89-91; V. Lettere, Cirillo, Bernardino, dans DBI, 25, p. 786-789. À noter que ni l’un ni l’autre de ces auteurs ne mentionne le fait que Cirillo était tout à la fois majordome et aumônier de Paul IV. Cirillo est identifié comme aumônier de Pie IV dès le début du pontificat de ce dernier. Ainsi en décembre 1559 se voit-il remettre à ce titre 600 écus à distribuer à des monastères et lieux pieux de Rome à l’occasion de la création du nouveau pape. ASR, Cam. I: 1299, Entrata et Uscita, 1559-61, fol. 7r. 139 Giovanni Daddei était originaire de Vercelli. P. De Angelis, Basilicae S. Mariae Maioris, Rome 1629, p. 47. Il était entré à la cour pontificale au temps de Paul IV à titre d’écuyer. BAV, Ruoli 27, fol. 33; Ruoli 32, fol. 9v. Il conservera cette fonction sous Pie IV (Ibid., Ruoli 39, fol. 27) et Pie V (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [7v]). À l’été de 1574, il deviendra aumônier de Grégoire XIII. Ibid., Cam. I: 1302, fol. 34r. Il succédait à Giacomo Ercolani et Giovan Francesco Pallavicini qui avaient occupé ce poste, le premier de 1572 à 1573 et, le second, d’août 1573 au printemps de 1574, Ibid., Cam. I: 1300, fol. 5v, 9r; Cam. I: 1301,
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à peine deviner leur présence, celle-ci, pour l’essentiel, devant être déduite des quelques entrées les concernant dans les livres de comptes du majordome ou du trésorier « secret »140. Rien de tel dans le cas de notre dernier personnage, lui aussi rattaché à la chambre, lui aussi proche du pape, mais qui depuis le XIIIe siècle a l’honneur de porter le titre quelque peu « ronflant » de maître du Sacré Palais. Réservée à partir du XIVe siècle à un membre de l’ordre de saint Dominique, cette charge qui, au départ, en avait été plutôt une d’enseignant, se transforma progressivement pour en deveni une de conseiller du pape en matière de doctrine, puis fin XVe début XVIe siècle, de responsable de la prédication à la cour pontificale, et, à partir de 1515, de censeur des ouvrages imprimés à Rome141. Rôle donc, à partir de ce moment, de nature beaucoup plus « domestique », ce qui supposait d’avoir en tout temps l’oreille et la confiance du pape. Vingt dominicains et non des moindres, occuperont ce poste entre 1492 et 1605142. Qu’il suffise de mentionner ici les noms d’un Silvestro Mazzolini (1456-1523), théologien réputé, mieux connu à l’époque sous le nom de Prierias, que Léon X, sur les conseils du cardinal Cajetan, nomma à cette charge en 1515143, ou encore Paolo Constabile (1520-1582) et Sisto Fabri (1541-1594) qui exerceront cette même fonction, le premier, de 1573 à 1580, le second, de 1580 à 1583, avant de devenir, l’un et l’autre, maître généraux de leur ordre144 ou, mieux encore, Tommaso Badia (1483-1547) qui, après avoir occupé près de vingt ans le poste en question, obtiendra de Paul III le chapeau de cardinal145. Les dominicains ne devaient pas être peu fiers de pouvoir compter sur la présence d’un des leurs au sein du groupe restreint de ceux qui étaient régulièrement reçus chez le pape et dont les avis avaient de bonnes chances d’être sérieusement pris en compte. Chose certaine, les maîtres du Sacré Palais ne passaient pas inaperçus à la cour pontificale. Coupés aussi bien physiquement que mentalement des activités proprement « auliques » de la cour, le personnel du service de la bibliofol. 12r. Daddei continuera à servir sous Sixte V (BAV, Ruoli 65, fol. 5r), Grégoire XIV (ASR, Cam. I: 1365, fol. 50r) et Clément VIII (BAV, Ruoli 113, fol. 6v). 140 En effet, le seul aumônier identifié sous ce titre dans les rôles de cour est Giovanni Daddei. Tous les autres ne nous sont connus que grâce aux renseignements épars fournis par les livres de comptes des majordomes et des trésoriers secrets. 141 Cf. A. Borromeo, Maître du Sacré Palais, dans DHP, p. 1083. 142 Moroni nous en fournit la liste. Voir Maestro del Sacro Palazzo, dans Dizionario di erudizione, XLI, p. 213-214. 143 À son sujet, voir E. Amann, Mazolini, Silvestre, dans DTC, X, col. 474-478. 144 Sur ces deux hommes, voir G. Moroni, Maestro del Sacro Palazzo, dans Dizionario di erudizione, XLI, p. 214. 145 À son sujet, voir P. Mandonnet, Badia, Thomas, dans DTC, II, col. 33, mais surtout M. T. Disdier, Badia (Tommaso), dans DHGE, 6, col. 146.
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thèque et des archives n’en comprenait pas moins un certain nombre d’individus liés d’assez près à la personne du pape. On pense ici, en ce qui concerne le bibliothécaire-en-chef, à un Filippo Beroaldo, poète, philologue et orateur proche de Léon X, que ce dernier mettra à la tête de la bibliothèque et des archives en 1516, à un Jérôme Aléandre, diplomate et humaniste de renom, au surplus futur cardinal, qui occupera ce poste de 1519 à 1538, à un Marcello Cervini, le futur pape Marcel II, qui en fera tout autant de 1548 à 1555 et surtout à un cardinal Guglielmo Sirleto, ancien conservateur de la bibliothèque, ami personnel de Grégoire XIII, auquel ce dernier confiera la direction de la Vaticane en 1572146. Peu de conservateurs de la bibliothèque connaîtront l’heureux sort d’un Sirleto, mais au moins l’un d’entre eux, Niccolò Maiorano, en poste de 1532 à 1553, accédera à l’épiscopat147. À noter, par ailleurs, qu’à partir du milieu du XVIe siècle, l’office de conservateur (ou « custode ») devient pratiquement la chasse-gardée de deux familles, soit les Rainaldi et les Sirleto148, phénomène qui n’est pas sans rappeler celui dont nous faisions état plus haut concernant les maîtres de cérémonie. Même si, bibliothécaire-en-chef mis à part, le personnel de la Vaticane avait rarement l’occasion de côtoyer le pape, on a la preuve que ce dernier, surtout s’il s’appelait Léon X, Paul III, Paul IV, Grégoire XIII ou Sixte V, s’intéressait à ce que faisait ce personnel et savait, le moment venu, montrer son appréciation149. La même remarque vaut pour l’imposant contingent des officiers et serviteurs rattachés aux services d’alimentation, de transport et d’entretien dont il a déjà été question plus haut, mais dont il nous faut maintenant faire plus ample connaissance. À moins d’être appelés « secrets », c’est-à-dire inclus dans le personnel assigné au service immédiat du pape, ces officiers et serviteurs avaient peu de chances d’être connus du maître de céans. Ils n’en faisaient pas moins, à l’occasion, y compris les plus humbles d’entre eux, l’objet de la sollicitude papale150. 146 Sur tous ces hommes, voir Bignami Odier, La Bibliothèque cit., p. 28-29, 44, 46-47, 51. Sirleto sera en poste jusqu’en 1585, année de sa mort qui, fait à noter, coïncide avec celle de Grégoire XIII. Ibid., p. 55. 147 Il obtint le siège de Molfetta. Ibid., p. 31, 47. 148 Ibid., p. 78-81, 324-327. 149 Ibid., p. 28-31, 44-46, 48-49, 51-54, 70-74. 150 Qu’il suffise de mentionner ici, à titre d’exemples, le cas d’un Giovanni (Jean?) Rogon, garçon d’écurie qui, le 3 mars 1538, reçoit 20 écus pour couvrir le coût d’expédition d’un bénéfice résigné en sa faveur, ou celui d’un Alberico, petit employé du Belvédère, à qui l’on verse, le 10 octobre 1537, 10 écus à l’occasion d’une maladie, ou, enfin, d’une certaine Elisabetta, servante logée au Belvédère qui se voit octroyer, le 10 juin 1536, 5 écus pour aller en pèlerinage à Lorette, toutes sommes provenant du trésorier secret de Paul III. Dorez, La cour cit., II, p. 192, 151, 54. Nous verrons plus loin que plusieurs de ces humbles serviteurs ont également droit aux mancie versées à certains moments précis de l’année.
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En ce qui concerne les services de « bouche », priorité doit tout naturellement être accordée aux officiers affectés à la table du pape, c’està-dire, tout d’abord, le maître d’hôtel (scalco), chargé de coordonner le service en question, puis l’écuyer tranchant (trinciante), l’échanson (coppiere) et le bouteiller, responsables, le premier, comme son nom l’indique, de découper les viandes à être ensuite servies au pape et à ses convives, les deux autres, d’assurer le service du vin, enfin, le crédencier à qui il revenait, d’une part, de fournir vaisselle, ustensiles, nappes, serviettes et autres objets destinés à la table, d’autre part, aliments (pain, fruits, fromages, etc.) ou condiments servant à accompagner les plats préparés par les cuisiniers « secrets »151. La plupart de ces officiers, nous l’avons vu, ont à l’époque rang de camériers ou d’écuyers et, comme nous le montrerons plus loin, font l’objet d’insignes faveurs de la part de leur maître. Il faut dire que plusieurs d’entre eux étaient probablement d’anciens serviteurs de ce dernier. Il en est ainsi chez Pie V notamment152, mais tout porte à croire qu’il en était de même chez la plupart de ses prédécesseurs ou successeurs153. Mais il y a aussi le cas, plus rare à ce qu’il semble, mais tout de même révélateur, d’individus qui, forts de leur expérience ou de leur talent ou encore de l’appui de protecteurs bien en cour réussissent, à l’instar d’un Antonio de Abbatis dont nous évoquions plus haut l’extraordinaire résilience, à se maintenir en poste pendant deux, voire trois pontificats. Citons, à titre d’exemple, l’« exploit » d’un Angelo Soriano, vraisemblablement proche parent de Marco Soriano, prélat domestique de Paul IV, qu’on trouve dès 1556 à la cour de ce dernier, y remplissant déjà la fonction d’écuyer tranchant « secret », fonction qu’il continue à exercer sous Pie IV et qu’on retrouve plus tard avec ce même titre à celle de Grégoire XIII154. 151 Déjà aux XIVe et XVe siècles on trouve dans les coutumiers de la cour pontificale mention de plusieurs de ces offices et une description passablement détaillée des tâches qui leur étaient associées. À ce propos, voir Dykmans, Le cérémonial cit., III, p. 424-426, 428-429, 433-434, 441-442. Pour le XVIe siècle, de précieux renseignements à ce sujet nous sont fournis par Francesco Priscianese et Cesare Evistascandalo qui s’intéressaient surtout aux cours des cardinaux de l’époque, mais dont les descriptions valent aussi pour la cour pontificale. Voir, du premier, le Del Governo della Corte d’un Signore a Roma, Rome 1883, p. 31-35, 74-77, 81-82 et, du second, le Dialogo del Maestro di Casa, Rome 1598, p. 13, 16-27, 54-59, 100-101, 194-195, 210-215, 238-250. 152 Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 111. 153 C’est le cas, entre autres, d’un Grégoire XIII qui, durant son pontificat, s’entoura d’un certain nombre d’anciens serviteurs dont Paolo Ghiselli qui fut son premier maître d’hôtel. Cf. Relazione su papa Gregorio XIII, dans von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 871-872. 154 BAV, Ruoli 39, fol. 34; Ruoli 32, fol. 9v; Ruoli 39, fol. 27. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 8r; Ibid., Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 5v; Ibid., Cam. I: 1301, fol. 28v. Pour ce qui est de Marco Soriano, évêque d’Archadio et prélat domestique de Paul IV, son nom apparaît dans le rôle de cour de 1558. BAV, Ruoli 32, fol. 3v.
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Ou encore, celui d’un Cristoforo Massimelo, lui aussi écuyer tranchant à la cour de Pie IV, qui devient par la suite maître d’hôtel et de Pie V et de Grégoire XIII155. Mais on ne saurait parler des officiers affectés au service de la table du pape sans évoquer en même temps la figure de ceux qui donnaient à cette table, les jours de fête en particulier, tout son éclat, à savoir: les cuisiniers « secrets ». On a longtemps vu en Bartolomeo Scappi, auteur d’un célèbre traité de cuisine paru pour la première fois à Venise en 1570, le modèle par excellence de ce que furent les chefs des cuisines papales au XVIe siècle. Nous savons aujourd’hui un peu mieux à quoi nous en tenir. Si Scappi, présent à Rome au plus tard au début du règne de Paul III –– il était alors au service du cardinal Lorenzo Campeggio ––, fut assez souvent impliqué dans la préparation de fastueux banquets dont celui, en 1536, marquant le passage de Charles Quint à Rome et un autre, presque aussi mémorable, à l’occasion cette fois du couronnement de Pie V en 1566, il est pour le moins douteux qu’il ait été, au sens strict, cuisinier « secret » de Pie V ou, du reste, de quelque autre pape que ce soit156. Ce qui n’enlève rien au mérite des nombreux, mais beaucoup moins « flamboyants » maîtresqueux employés à la cour pontificale entre 1492 et 1605. Et puis, il ne faut surtout pas oublier que les papes de l’époque n’étaient pas toujours à banqueter et que certains d’entre eux se contentaient dans le secret de leur salle à manger privée d’ordinaires plutôt spartiates. Ce dont ils avaient surtout besoin, c’était de bons « artisans » capables de leur offrir jour après jour une cuisine simple, variée et assaisonnée à leur goût. Pour le reste, ils pouvaient toujours, si l’occasion le requérait, faire appel à la « magie » d’un Scappi ou de quelque autre cuisinier-vedette de ce type. C’est d’ailleurs l’impression qui se dégage de l’examen des ruoli et livres de comptes de l’époque où, à quelques exceptions près, le ou les cuisiniers « secrets » ne sont identifiés que par leurs prénoms, quand ils le sont; mieux, sont habituellement relégués au rang d’officiers mineurs et, détail plus significatif 155 Ibid., Ruoli 39, fol. 27; ASR, Cam. I: 1299, Introito et Exito 1561-64, fol. 10r; Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [10v]; Ibid., Cam. I: 927, fol. 108-109; Ibid., Cam. I: 1351, fol. 28r; Cam. I: 1352, fol. 32r. 156 À ce sujet, voir B. Laurioux, De Jean Bockenheim à Bartolomeo Scappi, dans Offices et papauté (XIVe––XVIIIe siècles), Rome 2005, p. 324-328. L’hypothèse de l’auteur paraît d’autant plus vraisemblable que Scappi n’apparaît qu’une seule fois dans un rôle de cour de l’époque et, cela, en 1571 (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 4, fol. [10v]) soit une année après la parution de son célèbre traité de cuisine et que s’il y a droit au titre de cuisinier secret (cuoco secreto), il partage ce titre avec Giovanni Croce qui, lui, exerce effectivement depuis au moins 1566 la fonction correspondante –– il est même à cette fin logé au Vatican (ASV, Miscell. Arm. II: 80, fol. 205v) ––, ce qui donne à penser que le titre de cuisinier secret n’était peut-être dans le cas de Scappi qu’honorifique. Croce étant un disciple de Scappi, ne se pourrait-il pas que ce soit lui qui ait obtenu que son maître soit inclus dans le rôle de 1571?
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encore, font l’objet de « salaires » plutôt que de « provisions », ce qui les situe parmi les officiers tout au plus de second rang157. Rien de tel dans le cas des deux personnages qui assuraient, habituellement en tandem, la direction des services de transport du palais, c’est-àdire les maîtres de l’écurie. Certes, au temps d’Alexandre VI, ces derniers figurent-ils encore, comme les cuisiniers « secrets », parmi les « salariés » de la cour158, mais, à partir de Léon X au plus tard et jusqu’à Pie IV au moins, ces deux hommes ont droit au titre d’écuyers, titre qu’ils troquent par la suite pour celui d’officiers majeurs159. Plusieurs d’entre eux d’ailleurs se voient dans les ruoli appeler « chevaliers »160, indice d’une probable origine aristocratique et donc d’une connaissance innée ou presque de tout ce qui touchait de près ou de loin au cheval et aux modes de transport associés aussi bien à ce dernier qu’aux autres bêtes de selle, de trait ou de somme qu’abritaient à l’époque les écuries du palais. Cette expertise n’est sans doute pas étrangère au fait que certains maîtres de l’écurie feront longue carrière à la cour pontificale tels, par exemple, Niccolò de Bellis, 157 Il en est ainsi au temps d’Alexandre VI (ASR, Cam. I: 1484, fol. 25r) et de Jules II (Ibid., Cam. I: 1487, fol. 32r) où tous les cuisiniers, y compris les cuisiniers « secrets » font partie du groupe des « salariés ». Si le patronyme de Jean Valls, chef cuisinier de Jules II, nous est connu, c’est qu’il s’illustra par ailleurs comme un des fondateurs de la corporation romaine des pâtissiers et rôtissiers. Rodocanachi, Le pontificat cit., p. 92. Sixte V, à la fin du XVIe siècle, verse encore à son cuisinier secret, un certain « Tomaso », un « salaire » assorti, il est vrai, du companatico en argent désormais remis à tous les membres de la cour. BAV, Ruoli 65, fol. 6v. Dans le rôle funéraire de Pie III, les cuisiniers « secrets » qui ne sont d’ailleurs connus que par leurs prénoms sont considérés comme des officiers de second rang. P. Piccolomini, La Famiglia di Pio III, p. 157. Antonio Ladio (« Ladius »), maître-queux de Paul III, est inscrit dans le rôle de familiarité de ce dernier parmi la turba magna des officiers palatins (BAV, Borg. lat. 354, fol. 21) et, à la mort du pape, il a droit à trois cannes de tissu de troisième qualité pour la confection de son habit de deuil (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 9r). Les cuisiniers « secrets » de Paul IV apparaissent dans un rôle de 1558 parmi les officiers mineurs (« officiali minori ») et ne font l’objet d’aucune identification. BAV, Ruoli 32, fol. 13v. Nous verrons plus loin que la plupart d’entre eux font, par contre, l’objet de généreuses et fréquentes « étrennes » (« mancie »), mais cela ne change rien au fait qu’ils n’occupaient pas un rang très élevé dans la hiérarchie de la cour pontificale. 158 ASR, Cam. I: 1484, fol. 25r. 159 À titre d’exemples, citons le cas du maître d’écurie de Léon X, un certain « Franciosino » –– comme son nom ou surnom l’indique, d’origine probablement française –– et de son associé, « Alexandrinus », originaire du diocèse d’Utrecht, qui sont tous deux inscrits dans le rôle de 1514-1516 parmi les écuyers (A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV, 1911, p. 381), tout comme Pierluigi « Francioso » –– vraisemblablement lui aussi d’origine française –– et son compagnon Ercole di Cannaia dans le rôle de familiarité de Paul III (BAV, Borg. lat. 354, fol. 16, 18). Mauro Sinibaldi, maître d’écurie de Paul IV, apparaît dans les rôles de cour de ce dernier parmi les « diversi maggiori » (BAV, Ruoli 27, fol. 3r et Ruoli 32, fol. 9r) et il en va de même d’Antonio Barile au temps de Pie IV (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 7v) et de Scipione Asinario, au temps de Clément VIII (BAV, Ruoli 113, fol. 6v). 160 C’est le cas, entre autres, de Gagliardo Forcada au temps de Jules III (BAV, Ruoli 2, fol. 20v) et de Scipione Asinario au temps de Clément VIII (Ibid., Ruoli 113, fol. 6v).
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entré dès 1550 au service de Jules III, passé par la suite, toujours à titre de maître de l’écurie, à celui d’un Paul IV et d’un Pie IV ou encore son homonyme et peut-être proche parent, Francesco de Bellis, employé à son tour dans cette même fonction par Pie V et Grégoire XIII161. Parmi le personnel affecté aux services généraux, personnel fait surtout d’humbles tâcherons placés à quelqus exceptions près, sous l’autorité du majordome, on chercherait en vain des titulaires de fonctions méritant l’attention que nous avons cru devoir accorder à ceux dont il a été jusqu’ici question. Sans doute certains d’entre eux, du fait qu’ils étaient appelés à servir la personne du pape –– on pense ici aux portefaix, balayeurs, lavandiers, lavandières, acquiféraires ou encore garde-meubles dits « secrets » –– faisaient l’objet d’une particulière sollicitude de la part du maître de céans, mais leurs tâches comme telles, mises à part celles des garde-meubles162, n’en restaient pas moins assez peu considérées à l’époque, comme en témoigne d’ailleurs le fait que la plupart d’entre eux ne nous sont connus que par leurs prénoms, et encore. Certains, pourtant, pour des raisons n’ayant probablement rien à voir avec l’office qui était le leur, occupent dans les ruoli une place quelque peu à part. C’est le cas, entre autres, d’un certain Ercole Falcone qui, vers 1551, succède à Paschasio Savelli comme portier principal du palais et réussit à conserver ce poste apparemment sans interruption jusqu’au pontificat de Sixte V, soit au minimum quelque trente-cinq ans163. Savelli portait le titre d’écuyer au moment où il exerçait cette fonction sous Paul III tout d’abord, puis sous le successeur de ce dernier, Jules III164. Falcone, d’origine probablement plus humble, aura tout d’abord droit à la catégorie passe-partout de « divers » (diversi) avant de se voir promu à celle d’officier majeur (offitiale maggiore) à partir du règne de Paul IV. Sous Grégoire XIII, il se fait même donner du « capitaine », titre quelque peu suspect, mais sans doute toléré aussi bien par ses 161 Pour ce qui est de Niccolò de Bellis, voir BAV, Ruoli 2, fol. 20v; Ruoli 32, fol. 9r; Ruoli 39, fol. 29. Quant à Francesco de Bellis, il semble avoir occupé cette même fonction durant le pontificat de Pie V (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [7r]) et au début du pontificat de Grégoire XIII (Ibid., Cam. I: 1300, fol. 10v). 162 Il était, comme son titre l’indique, responsable du mobilier du palais, de celui des appartements du pape dans le cas du garde-meubles « secret », des autres appartements, salles ou dépendances du palais, dans le cas des garde-meubles « communs », ce qui voulait aussi dire l’aménagement au jour le jour des locaux où, au palais même, se tenaient des réunions ou encore avaient lieu des réceptions et, à l’extérieur du palais, où se rendait ou séjournait le pape. C’était manifestement un personnage essentiel à la bonne marche et au prestige de la cour. Pour une description de ses fonctions, voir M. Dykmans, Le cérémonial papal, III, p. 431-432. 163 BAV, Ruoli 6, fol. 8v; ASR, Cam. I: 1296 D, fol. 26r et passim; Ibid., Cam. I: 1299, Conto 1563-64, fol. 27 et passim; Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [10r]); Ibid., Cam. I: 1310, fol. 97r; BAV, Ruoli 65, fol. 6r. 164 Ibid., Ruoli 2, fol. 22v.
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supérieurs hiérarchiques que par les autres membres de la cour en raison de ses longues années de service, mais peut-être aussi de « faveurs » faites à bon nombre d’entre eux. Car –– il importe de le souligner –– détenteur des clés du palais, c’est lui qui contrôlait, la nuit surtout, les entrées et sorties de tout un chacun, d’où l’intérêt qu’il y avait à être en bons termes avec lui ou, du moins, à le traiter avec certains égards165. Comme quoi être portier à la cour pontificale conférait un pouvoir sans commune mesure avec la nature du poste en question, surtout lorsque, à l’instar d’un Ercole Falcone, on trouvait le moyen de conserver ce poste durant quelque cinq pontificats successifs. Nous nous sommes attardés plus haut au rôle joué et à la place occupée dans l’organigramme de la cour par les services d’intendance et, en particulier, par celui qui avait la haute main sur ces derniers, le majordome. Mais ces mêmes services et l’ensemble des services de la cour d’ailleurs étaient totalement dépendants de leurs homologues des finances, supports essentiels, mais, en général plutôt « discrets », des innombrables activités de la cour. Une première surprise nous est ici réservée, soit celle de voir apparaître sous cette nomenclature les noms d’officiers appartenant à la Chambre Apostolique, officiers, à première vue, ayant beaucoup plus à voir avec la curie qu’avec la cour. Comment expliquer, en effet, qu’un trésorier général, qu’un président, voire qu’un comptable de la Chambre Apostolique trouvent place dans les rôles de « commensalité » des papes de l’époque alors qu’ils sont tous titulaires d’offices curiaux et, pour certains, « acheteurs » et donc, en un certain sens, « propriétaires » des offices en question166? La réponse à cette question tient tout à la fois au fait que le premier personnage de la Chambre, le cardinal camerlingue, avait été longtemps, sous le nom de « camérier » (camerarius), responsable non seulement des finances du SaintSiège, mais aussi de l’administration de l’État pontifical et de celle de la 165 Sur le titre de « capitaine » dont on le pare à l’époque, voir ASR, Cam. I: 1301, fol. 3v et passim. En 1555, on souligne le fait qu’il a la responsabilité de verrouiller chaque soir les portes du palais (« per la cura di far serrar le porte del Palazzo ogni sera »). Ibid., Cam. I: 1296 B, fol. 8r. 166 À ce sujet, voir G. Moroni, Camerlengo di Santa Romana Chiesa, dans Dizionario di erudizione, VII, p. 65. Moroni signale toutefois que Pietro Aldobrandini, neveu de Clément VIII, obtint de ce dernier l’office de camerlingue sans avoir rien eu à débourser. Ibid., p. 82. Il aurait pu ajouter qu’il en fut de même du cardinal Alessandrino, neveu de Pie V à qui ce dernier concéda ledit office en 1568 et qu’à cette occasion le pape avait justifié sa décision en disant qu’il était inadmissible qu’un office comportant juridiction fût vénal (BAV, Urb. lat. 1040, fol. 651r). À noter toutefois que, deux années plus tard, aux prises avec de graves difficultés financières, le même Pie V obligea son neveu à résigner l’office en question en faveur du cardinal Cornaro qui, lui, déboursa 65.000 écus. Ibid., Urb. lat. 1041, fol. 269r. Quant à l’office de trésorier général, il ne fit pour la première fois l’objet d’une vente qu’au temps de Grégoire XIII avec l’accession à ce poste de Rodolfo Bonfiglioli, laïc bolonais, qui déboursa à cet effet 24.000 écus. G. Moroni, Tesoriere Generale cit., LXXIV, p. 252.
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cour et du palais apostolique167; au fait également que, même si cette dernière responsabilité était depuis le XVe siècle au moins devenue celle du majordome, la Chambre avait et allait avoir de plus en plus au XVIe siècle droit de regard sur l’administration des budgets de la cour; au fait surtout que ce droit était depuis 1481, de par la volonté de Sixte IV168, exercé en priorité par le trésorier général assisté d’un certain nombre d’autres officiers de la Chambre. Nous verrons dans un prochain chapitre consacré au financement de la cour à quels types de contrôles ces derniers étaient soumis. Qu’il suffise pour le moment de signaler le rôle joué à cet égard par la Chambre, rôle d’ailleurs grandement facilité par le fait que celle-ci, comme la Daterie, avait son siège au Vatican, mieux, à l’intérieur même du palais apostolique. Les papes de l’époque, souvent, nous l’avons vu, à cours de ressources, tenaient sans doute à ce que le personnel de la Chambre, à l’instar de celui de la Daterie, soit aussi près que possible d’eux et de leurs préoccupations financières, ce qui pourrait permettre d’expliquer que certains membres de ce personnel –– le trésorier général, le comptable notamment –– figurent en bonne place dans les rôles de leurs cours. La fonction de trésorier général en était une, et pour cause, de toute première importance. Notons, à ce sujet, que douze de ses titulaires au XVIe siècle accéderont au cardinalat, à commencer par Alexandre Farnèse, le futur Paul III, au temps du pape Alexandre VI169. Nulle surprise donc à ce que cet office ait été fort recherché à l’époque. Mais, vu justement son importance, les papes avaient tout intérêt à ce qu’il soit occupé par quelqu’un qui, en plus d’une compétence avérée en la matière, ait leur pleine confiance. Aussi n’est-on pas étonné du fait que des 31 ou 32 trésoriers généraux nommés par eux entre 1492 et 1605, rares sont ceux n’ayant pas un lien quelconque de « familiarité » avec eux. Pensons à un Alexandre Farnèse, déjà mentionné, et à un Francesco Borgia au temps d’Alexandre VI, à un Francesco Alidosi et à un Orlando Carretto della Rovere au temps de Jules II, à un Francesco del Nero au temps de Clément VII, à un Ascanio Parisani au temps de Paul III, à un Tommaso Gigli et à un Rodolfo Bonfiglioli au temps de Grégoire XIII170. Ce ne sera plus tout à fait le cas à partir de Sixte V qui rendit cette fonction officiellement vénale, mais même là, il va de soi qu’était exclue toute candidature n’ayant pas l’aval du pape171. 167 N. Del Re, La Curia Romana, p. 298. O. Guyotteannin ˗ F. I. Uginet, Camerlingue, dans DHP, p. 267-268. 168 Ibid., p. 268. 169 G. Moroni, Tesoriere Generale della Reverenda Camera Apostolica dans Dizionario di erudizione, LXXIV, p. 284-299. 170 Ibid., p. 285-186, 288, 291-292. 171 Ibid., p. 296. Voir aussi M. C. Giannini, Note sui tesorieri generali della Camera Apostolica, dans Offices et Papauté (XIVe-XVIIIe siècles), p. 870-871.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Rien de tel dans le cas du comptable de la Chambre qui n’avait en rien la stature du trésorier général, mais qui n’en était pas moins l’auxiliaire indispensable de ce dernier, ce qui pourrait permettre d’expliquer que son nom apparaisse, lui aussi, dans les rôles de cour de l’époque. Le fait qu’il y figure, pendant de nombreuses années, parmi les écuyers, plus tard dans la catégorie des officiers majeurs (diversi maggiori)172 montre qu’il était tout de même l’objet d’une certaine considération en raison probablement surtout de ses compétences professionnelles. Compétences qui lui vaudront d’ailleurs dans certains cas de servir durant de très nombreuses années, tels, par exemple, Niccolò Bonelli, en poste sous Paul III, Jules III, Paul IV et Pie IV, ou encore Vincenzo Renzi qui lui succéda et réussit à conserver cette charge jusqu’au pontificat de Clément VIII, soit une vingtaine d’années dans le cas du premier, plus d’une trentaine dans le cas du second173. Autre bel exemple de longévité « professionnelle » qui, notons-le en passant, devait être appréciée non seulement d’un Bonelli ou d’un Renzi, mais de ceux, papes en tête, qui pouvaient, grâce aux quelques « permanents » de ce type, avoir l’assurance que le passage d’un pontificat à un autre se ferait sans trop de heurts ou d’inconvénients. Il nous reste à parler d’un officier que nous avons plus haut choisi de rattacher aux services d’intendance et de finance, mais qui occupe une place tellement à part dans l’organigramme de la cour qu’il faudrait, pour lui faire pleinement justice, le déclarer hors catégorie. Nous voulons parler du trésorier secret qui n’apparaît sous ce vocable qu’à partir du règne de Paul III, mais qui existe déjà sous diverses autres appellations dès le XVe siècle174. C’est à lui, nous l’avons vu, qu’était confiée la caisse personnelle du pape et donc qu’il appartenait de fournir chaque jour ou presque à ce dernier ou à des intermédiaires désignés par lui les argents nécessaires 172 Ont droit au titre d’écuyer, entre autres, Camillo Lazzari, au temps d’Alexandre VI et de Pie III (P. Piccolomini, La Famiglia, p. 154 et n. 1; ASV, Indice 552, fol. 200r), Alberto Salvi, au temps de Léon X (A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV, 1911, p. 382) et Niccolò Bonelli, au temps de Paul III (BAV, Borg. lat 354, fol. 18). À la cour de Pie V, le même Bonelli est inscrit parmi les « diversi maggiori ». ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 7v. 173 Pour Bonelli, voir Ibid., Cam. I: 869, fol. 320r (7 janvier 1540); BAV, Ruoli 2, fol. 20v; Ruoli 6, fol. 7r; Ruoli 27, fol. 35; Ruoli 39, fol. 29. Selon Garampi, il aurait occupé ce poste à la cour de Paul III à partir de 1538, suite à la mort d’Alessandro Benci qui le détenait depuis 1524. ASV, Indice 552, fol. 200r. Voir aussi à ce sujet L. Dorez, La cour du pape Paul III, I, p. 295, 298. Sur Renzi, voir ASR, Cam. I: 1351, fol. 26v; BAV, Ruoli 65, fol. 5v; ASR, Cam. I: 1365, fol. 50r; BAV, Ruoli 113, fol. 6v. Selon Garampi, il serait entré en fonction en 1562. ASV, Indice 552, fol. 200v. 174 À ce propos, voir F. Litva, L’attività finanziaria della Dataria durante il periodo tridentino, dans AHP, 5 (1967), p. 90-91. Celui qui remplissait cette fonction était habituellement un des camériers secrets. C’est le cas d’un Serapica –– de son vrai nom Giovanni Lazzaro de Magistris –– qui l’exerça sous Léon X, Adrien VI et Clément VII. À son sujet, voir A. FERRAJOLI, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 370.
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Les effectifs de la cou
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à l’exécution de ses moindres volontés concernant aussi bien sa propre personne ou son entourage immédiat que l’ensemble de ceux, parents et clients notamment, qu’il entendait de quelque façon honorer, récompenser ou assister. Nul n’était mieux informé de tout ce qui touchait à la vie privée ou encore aux dispositions physiques, psychiques et morales du maître de céans. Il n’y a qu’à parcourir les livres de comptes des trésoriers secrets pour s’en convaincre. Nous en fournirons d’ailleurs dans les chapitres qui suivent maintes fois la preuve. Aussi n’est-on pas surpris de constater que le trésorier secret est à peu près toujours sinon un proche, du moins un homme de confiance du pape. Giovanni Lazzaro de Magistris, mieux connu à l’époque sous le nom de Serapica, qui remplissait cette fonction au temps de Léon X, Adrien VI et Clément VII, portait le titre de camérier secret et, à la cour du premier de ces papes, avait droit à au moins huit serviteurs, ce qui le plaçait dans le groupe de tête de sa catégorie, signe non équivoque de la considération dont il jouissait dans cette même cour175. Pietro Giovanni Aleotti, premier à porter officiellement le nom de « trésorier secret », succède en 1545 dans cette charge à Bernardino della Croce et Bernardino Elvino176 après avoir rempli sous Clément VII tout d’abord, puis sous Paul III l’office de garde-robe « secret », office qu’il continue d’ailleurs d’exercer concurremment avec celui de trésorier, probablement jusqu’à la fin du règne du pape Farnèse177. Ayant démontré hors de tout doute son remarquable savoir-faire et sa diligence à toute épreuve –– Michel-Ange l’avait surnommé Messer tante cose178 ––, Jules III, Paul IV et Pie IV n’hésiteront pas à le garder à leur service. Le premier le fera d’ailleurs évêque de Forlì en 1551, siège auquel il finira par renoncer en 1563 en même temps qu’à sa fonction de trésorier en raison de son grand âge179. Serapica, bien que généreusement pourvu de bénéfices ecclésiastiques, n’avait pas été jugé digne de l’épiscopat180, mais à partir du règne de 175 Sur le nombre de ses serviteurs, voir Ibid.. Nous possédons encore les registres tenus par lui sous les papes Léon X, Adrien VI et Clément VII. Cf. ASR, Cam. I: 1489-1491. 176 À leur sujet, voir L. Dorez, La cour du pape Paul III, I, p. 36-37, 91. 177 Sur la carrière d’Aleotti, voir Ibid., I, p. 59-63. 178 R. Ancel, Aleotto (Pietro Giovanni), dans DHGE, 2, col. 101. 179 Dorez, La cour cit., I, p. 61-62. 180 Le 1er août 1513, soit quatre mois à peine après l’élection de Léon X, Serapica reçoit du pape une pension annuelle de 600 ducats, résidu d’une pension de 4000 ducats dont ce dernier jouissait comme cardinal sur un ensemble de monastères et prieurés bénédictins d’Italie. J. Hergenroether, Leonis X Pontificis Maximi Regesta, Fribourg-en-Br. 1884-1891, p. 234. D’autres pensions et bénéfices viendront s’ajouter par la suite, entre autres, le 1er mars 1514, une pension de 100 ducats sur le prieuré San Antonio de Mantoue. Ibid., p. 444. Manifestement, Serapica faisait l’objet d’une considération spéciale en raison sans doute de l’importance des services qu’il rendait au pape.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Jules III, au moins trois trésoriers secrets auront droit à la mitre181 et, par le fait même, passeront du rang de camériers secrets à celui, beaucoup plus honorable, de prélats domestiques, signe évident du prestige grandissant de la fonction qu’ils exerçaient. À noter, à ce propos, que vers la fin du XVIe siècle un certain nombre d’entre eux cumuleront cette charge avec celle de majordome. C’est le cas, entre autres, d’un Alessandro Musotti au temps de Grégoire XIII182. Ni Marzio Frangipani, ni Giovan Battista Ubertini ni Filippo Guicciardini, trésoriers secrets, le premier, de Sixte V, les deux autres de Clément VIII n’auront droit à l’épiscopat183, mais, cela dit, la fonction de trésorier secret n’en restait pas moins à l’époque tout aussi indispensable que par le passé et on est en droit de penser qu’un Sixte V et qu’un Clément VIII tenaient, comme leurs prédécesseurs, à ce que les titulaires de ce poste soient non seulement compétents, mais totalement fiables. Il y avait –– nous le soulignions plus haut –– quelque 72 fonctions différentes exercées à la cour de Léon X, presque autant sinon plus dans celles de bon nombre de ses successeurs. Il n’était pas et ne pouvait être question dans les pages qui précèdent d’en faire une énumération et une description exhaustives. Nous nous en sommes tenus à celles qui nous paraissaient les mieux à même, d’une part, de nous faire voir les principales articulations du complexe socio-culturel qu’était la cour et, de l’autre, nous aider à comprendre le mode de fonctionnement de cette dernière. Ce qui, s’agissant de la cour pontificale, amène inévitablement à poser à nouveau la question 181 Il s’agit de Pietro Giovanni Aleotti déjà mentionné, d’Alessandro Musotti au temps de Grégoire XIII et d’Antonio Maria Galli au temps de Sixte V. Sur Musotti, voir F. M. Renazzi, Notizie Storiche, p. 98-99 et C. Eubel et al., Hierarchia Catholica, III, p. 213 et n. 14. Sur Galli, R. Aubert, Galli (Antonmaria), dans DHGE, 19, col. 839-840. Musotti, promu évêque en 1579, n’en resta pas moins trésorier secret et continua à exercer cette fonction jusqu’à la mort de Grégoire XIII en 1585, comme il l’avait fait depuis le début du pontificat de ce dernier. Cf. ASR, Cam. I: 1300-1311, pages frontispices. Il en aurait sans doute été de même de son successeur Galli, n’eût été le fait qu’en novembre 1586, celui-ci se vit octroyer tout à la fois le siège de Pérouse et le chapeau de cardinal. R. Aubert, Galli (Antonmaria) cit. Aubert néglige de signaler qu’il était à ce moment trésorier secret de Sixte V. À ce propos, voir BAV, Ruoli 113, fol. 3v. 182 Musotti accéda en 1579 à la charge de majordome suite à la démission de Claudio Gonzaga qui avait dû se retirer pour cause, non comme l’affirme Renazzi de maladie (Notizie Storiche, p. 98), mais de malversation. À ce sujet, voir BAV, Urb. lat. 1047, fol. 359r, 364v, 366r, 384v, 432v-433r. Mais il conserva son poste de trésorier secret. Il en ira de même de Marzio Frangipani qui, après avoir succédé à Antonio Maria Galli comme trésorier secret de Sixte V en 1586, se vit presque aussitôt promu majordome en remplacement de Giovanni Battista Santorini, nommé nonce en Suisse et évêque de Tricarico. Ibid., p. 99-102; G. Moroni, Maggiordomo del Papa, dans Dizionario di erudizione, XLI, p. 261; C. Eubel et al., Hierarchia Catholica, III, p. 318. Frangipani n’était que protonotaire apostolique, mais n’en figurait pas moins en tête de liste des prélats domestiques. BAV, Ruoli 65, fol. 3v; Ruoli 75, page frontispice; ASR, Cam. I: 1358 et 1362, pages frontispices. 183 Sur Frangipani. voir la note précédente. Sur Ubertini et Guicciardini, voir BAV, Ruoli 113, fol. 3v et ASR, Cam. I: 1313, page frontispice et passim.
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Les effectifs de la cou
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que nous avions soulevée dès le départ, à savoir celle de la hiérarchisation de ces diverses fonctions et, partant, du rang occupé dans cette pyramide qu’était la cour par les titulaires de ces mêmes fonctions. Disons-le tout de suite: la réponse à cette question n’est pas aussi simple qu’il pourrait y paraître au premier abord. Prenons, par exemple, le cas du cardinal neveu. Qui oserait mettre en doute qu’il était à l’époque le premier personnage de la cour? Et, pourtant, les exemples ne manquent pas de cardinaux neveux qui, certes, eurent droit à tous les honneurs et à toutes les faveurs dus au titre qu’ils portaient, mais furent souvent en réalité réduits à jouer des rôles secondaires, parfois même des rôles de simples figurants184. D’ailleurs, peut-on, au ens strict, considérer les cardinaux neveux comme des officiers de la cour? Ne faudrait-il pas plutôt, comme semblent le suggérer les ruoli, les inclure dans la catégorie des « hôtes » du pape185 et, donc, les exclure de celle des officiers, au sens technique du terme? Que dire, à l’inverse, du cas du trésorier secret que nous venons tout juste d’évoquer? Eu égard à sa fonction, on pourrait être tenté d’assimiler ce dernier aux divers officiers chargés de micro-gestion budgétaire ou financière, tels, par exemple l’acheteur, le comptable ou le caissier du majordome, ce qui le situerait parmi les officiers de second rang, mais le fait qu’il exerce sa fonction au service non pas de l’un ou l’autre des principaux officiers de la cour, mais du pape lui-même ne permet pas ce genre d’assimilation et oblige, au contraire, à lui reconnaître sinon de droit, du moins de fait un rang de loin supérieur à celui de la plupart de ses homologues186. Les rôles de cour dont nous disposons pour le XVIe siècle et auxquels nous avons eu jusqu’ici abondamment recours sont en général respectueux d’un certain ordre de préséance lié, d’une part, aux titres portés –– titres de dignité, s’entend ––, de l’autre, aux fonctions exercées par les divers individus ou groupes d’individus y figurant. Dans la première moitié du siècle, l’accent semble avoir été mis d’abord et avant tout sur les titres de dignité, dans le second, de plus en plus sur les offices ou fonctions. Ainsi –– pour ne donner que cet exemple ––, alors que dans le rôle de « familiarité » de Léon X, les médecins sont compris, les uns, dans le groupe des écuyers, les autres, dans celui des camériers187, dans le rôle équivalent de Paul III datant de 1545-46, de même que dans les rôles de « commensalité » d’un Jules III, d’un Paul IV, d’un Pie IV et d’un Pie V, ils forment une catégorie 184 On pense ici à un Innocenzo del Monte au temps de Jules III, à un Michele Bonelli au temps de Pie V, à un Filippo Boncompagni au temps de Grégoire XIII et à un Alessandro Peretti au temps de Sixte V. 185 En effet, à l’exception d’Alessandro Peretti (BAV, Ruoli 75, fol. 2r) et de Pietro et Cinzio Aldobrandini (Ibid., Ruoli 133, fol. 2v), les cardinaux neveux de l’époque sont absents des rôles de la cour pontificale. 186 D’ailleurs le rang qu’ils occupaient à la cour, depuis celui de camérier secret jusqu’à celui de prélat domestique, suffisait à marquer la distance les séparant des homologues en question. 187 A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 374, 379, 383.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
à part insérée entre celle des camériers et des chapelains188, avant de se voir au temps de Sixte V relégués après les chapelains et écuyers, tout juste devant les palefreniers189. C’est qu’entre-temps les titres de dignité, notamment ceux de camériers, chapelains et écuyers ont été progressivement réservés aux seuls individus remplissant effectivement les offices correspondant à ces titres, tandis qu’étaient regroupés sous d’autres rubriques: professions, métiers, expertises ou, tout simplement, domaines d’activités les titulaires d’offices ne correspondant pas ou ne correspondant plus à la nomenclature en question. On voit même apparaître, au temps de Paul III, une catégorie passe-partout baptisée tout simplement: « hors cadre » (extraordines) où se retrouvent un certain nombre de personnages, et non des moindres, ne tombant sous aucune des rubriques existantes. C’est le cas, entre autres, du maître du Sacré-Palais, des maîtres de cérémonies, du trésorier secret, du trésorier général, du président, du commissaire et du dépositaire de la Chambre Apostolique, mais aussi de certains secrétaires, du confesseur et du prédicateur du pape190. Autant d’éléments qui rendent pour le moins problématique toute tentative de reconstituer adéquatement l’organigramme de la cour, du moins tel qu’il était perçu ou encore conçu à l’époque en termes aussi bien fonctionnels qu’hiérarchiques, mais hiérarchiques surtout. Heureusement, certains rôles de cour, les rôles de « commensalité » en particulier, nous fournissent divers repères permettant de contourner, en partie du moins, cette difficulté. En effet, nous trouvons dans ces rôles mention du nombre de serviteurs, de chevaux, parfois même des montants de la « provision » attribués aux dignitaires, « familiers » et principaux officiers de la cour, chacun selon son rang. Nous inspirant de l’exemple de René Ancel qui s’était livré à ce genre d’exercice bien avant nous191 et nous fondant sur un certain nombre de pointages faits dans les rôles en question nous avons réussi à identifier une vingtaine d’offices ou fonctions-clés pour lesquels ces renseignements sont disponibles et que nous pouvons donc situer hiérarchiquement dans l’organigramme de la cour. Le tableau qui suit, malgré ses inévitables limites, nous semble refléter assez bien l’ordre de préséance existant à partir au moins du règne de Jules III entre les titulaires de ces divers offices ou fonctions de même que les fluctuations que cet ordre va connaître d’un pontificat et d’un pape à l’autre. 188 BAV, Borg. lat. 354, fol. 13v-14r; Ibid., Ruoli 2, fol. 19v. Ruoli 32, fol. 7v; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 6r; Ibid., Cam I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [6r]. 189 BAV, Ruoli 65, fol. 4v. 190 Pour Jules III, voir Ibid., Ruoli 6, fol. 3v; Paul IV, Ibid., Ruoli 32, fol. 5r; Pie IV, ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 4r; Pie V, Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol [3v]; Sixte V, BAV, Ruoli 65, fol. 3v. 191 R. Ancel, La Secrétairerie pontificale sous Paul IV, dans RQH, XXXV (1906), p. 457-461.
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239 Les effectifs de la cou
TABLEAU III Ordre hiérarchique des principaux officiers de la cour *
Échanson
Sacriste
Trésorier général
Maître de la chambre
Majordome
Trésorier secret
Dataire
4 3
5 2
5 3
5 4
6 3
7 2
7 4
7 4
Premier médecin
Auditeur
Secrétaire "domestique"
Maître d'hôtel
Sacriste
Trésorier secret
Dataire
Trésorier général
Majordome
3 1
3 2
3 2
4 2
4 2
4 3
6 4
7 3
9 4
# 4
Échanson
Auditeur
Maître de la chambre
Secrétaire "domestique"
Trésorier secret
Sacriste
Aumônier secret
Dataire
Secrétaire "intime"
Trésorier général
Majordome
2 1
3 1
3 2
3 2
4 2
4 2
4 3
4 3
4 3
7 3
9 2
9 4
# 4
Secrétaire du bref
Premier médecin
Trésorier secret
Garde-robe
Échanson
Maître d'hôtel
Maître du Sacré Palais
Majordome
Maître de la chambre
Sacriste
Secrétaire "intime"
Dataire
Trésorier général
2 1
3 1
3 1
3 1
3 1
3 1
3 1
4 1
4 2
6 1
6 3
7 2
9 2
Maître du Sacré Palais
Secrétaire "intime"
Secrétaire du chiffre
Secrétaire du bref
Garde-robe
Sacriste
Maître d'hôtel
Échanson
Maître d'hôtel
Maître de la chambre
Majordome
Dataire
Trésorier général
-- --
-- --
2 1
3 1
3 4
4 1
4 2
4 2
4 2
4 2
7 2
7 3
8 2
Maître du Sacré Palais
Garde-robe
Sacriste
Premier médecin
Secrétaire du bref
Échanson
Maître d'hôtel
Secrétaire "intime"
Auditeur
Maître de la chambre
Dataire
Trésorier général
Majordome
3 1
3 2
4 1
4 2
4 2
4 2
4 2
4 2
4 2
5 2
7 3
8 2
8 3
Clément VIII
Maître d'hôtel 4 3 Conservateur bibliothèque
3 1
Maître d'hôtel
Premier médecin
Sixte V
Secrétaire "domestique" 3 2 Maître de la chambre
2 2
3 1
Pie V
Secrétaire "intime" 3 2
Maître de la chambre
Échanson
Pie IV
Auditeur
3 1
3 2
Paul IV
Garde-robe
Jules III
Doyen des chapelains
2 1
3 1
2 1
2 1
Trésorier secret
Maître de l'écurie
-- --
Doyen des chapelains
Aumônier secret
-- --
-- --
-- --
Conservateur bibliothèque
-- --
-- --
Maître de cérémonie
Maître de l'écurie Maître de cérémonie
-- --
Doyen des chapelains
Conservateur bibliothèque
-- --
2 1 -- --
Aumônier secret
2 1
-- --
Auditeur
Doyen des chapelains
Maître de cérémonie
-- --
Maître de l'écurie
Conservateur bibliothèque
-- --
2 1
2 --
Aumônier
2 1
1 1
Auditeur
Garde-robe
Conservateur bibliothèque
-- --
Doyen des chapelains
Maître de l'écurie
-- --
2 1
2 1
Maître du Sacré Palais
2 1
2 1
Maître de cérémonie
Maître de cérémonie Garde-robe
-- --
Maître du Sacré Palais
Doyen des chapelains
-- --
2 2 2 1
Aumônier secret
2 3
Premier médecin -- --
Secrétaire "intime"
Maître de l'écurie
Maître de cérémonie -- --
Maître du Sacré Palais
Aumônier
*Sources : BAV, Ruoli 6 (Jules III); Ibid., Ruoli 32 (Paul IV); ASR, Cam. I : Giust. di Tes. 4, fasc. 18 (Pie IV); Ibid., Cam. I : Giust. di Tes. 9, fasc. 14 (Pie V); BAV, Ruoli 65,75 (Sixte V); Ibid., Ruoli 113, 133 (Clément VIII). Le premier chiffre indique le nombre de serviteurs et, le second, le nombre de chevaux attribués à chacun des officiers en question.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Notons, tout d’abord, certaines constantes qui sautent immédiatement aux yeux. Entre autres, la place éminente occupée d’une cour à l’autre par le majordome, le dataire et le trésorier général qui se situent à peu près toujours en tête de liste, si ce n’est à la cour de Pie V où le majordome est relégué à la sixième place. Également, le bon score réalisé par le sacriste, le maître de la chambre, le maître d’hôtel, l’échanson, les secrétaires et, parmi eux, notamment le secrétaire « intime » qui se voit sous Pie IV et Pie V hisser au troisième rang192. Tout cela correspond assez bien aux hypothèses que nous avions formulées plus haut concernant l’importance du rôle joué par ces officiers de premier plan. Par contre, on est quelque peu surpris du sort fait au doyen des chapelains, au maître du Sacré-Palais et au maître de l’écurie, personnages tout de même d’un certain relief, comme nous avons pu le constater plus haut. Mais on pourrait en dire autant des maîtres de cérémonies, de l’aumônier « secret », des conservateurs de la bibliothèque et du président de la Chambre Apostolique, personnages non moins importants de la cour. Mais peut-être sommes-nous ici victimes des imperfections ou encore des lacunes de la source à laquelle nous avons eu recours193, même si, dans certains cas, des circonstances de temps, de lieu ou de personnes pourraient être invoquées permettant d’expliquer, en partie du moins, le peu de considération dont semblent avoir fait l’objet les personnages en question. Pour ne donner que cet exemple, le fait que les conservateurs de la bibliothèque réalisent un si bon score à la cour de Paul IV tient probablement au fait que ce dernier avait, nous l’avons vu, en particulière estime la Vaticane et tenait à ce qu’elle dispose d’un personnel et de moyens à l’avenant194. À l’inverse, un Pie V et un Sixte V, soucieux de réduire le train de vie de leurs « familles » respectives, avaient, le second surtout, pratiqué des coupes sombres dans les budgets de la cour, ce qui avait entraîné de considérables réductions tout aussi bien de personnel que de traitements consentis à ce même personnel. On comprend, dès lors, que même des personnages d’un certain relief se soient vus de 192 Le fait que Tolomeo Galli et Girolamo Rusticucci, secrétaires intimes de Pie IV et de Pie V respectivement, aient eu des liens privilégiés avec l’un et l’autre de ces papes –– ils avaient été leurs secrétaires avant qu’ils n’accèdent au trône pontifical –– pourrait expliquer cette rapide progression dans le rang. À ce sujet, voir P. Richard, Origines et développement de la Secrétairerie d’État, p. 521-522. 193 En effet, il faut tenir compte du fait que les ruoli sont des « instantanés » et des « instantanés » n’existant parfois qu’à un seul exemplaire pour l’ensemble d’un pontificat, qu’ils furent par ailleurs dressés selon des règles ou des normes pouvant varier d’un pontificat à l’autre et que les renseignements qu’ils nous fournissent, si valables soient-ils, ne constituent pas les seuls éléments permettant de situer hiérarchiquement les officiers ou fonctionnaires de la cour. 194 Cf. R. De Maio, La Biblioteca Vaticana nell’età della Controriforma, dans Riforma e miti nella Chiesa del Cinquecento, 2e éd., p. 308-310 et passim.
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Les effectifs de la cou
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ce fait réduits à la « portion congrue », du moins en ce qui concerne le nombre de serviteurs ou de chevaux mis à leur disposition, avec le résultat qu’il devient, dans le cas, entre autres, des maîtres de cérémonies, de l’aumônier « secret » et des conservateurs de la bibliothèque, très difficile de déterminer avec précision le rang qu’ils occupaient à la cour de ces deux papes. Ces quelques réserves faites, il n’en reste pas moins que notre tableau correspond assez bien à l’image que nous renvoient de la cour pontificale de nombreux témoignages aussi bien écrits que figurés de l’époque, faisant assez souvent les uns et les autres, la part belle aux titulaires d’offices d’intendance et de finance, à ceux de la secrétairerie « domestique », à ceux également de la chambre, de la chapelle, sans oublier ceux de « bouche » voire d’écurie, qui, tous, mais à leur façon, permettaient au maître de céans de remplir le plus efficacement, le plus dignement et le plus élégamment possible son double rôle de prince et de pontife. Bien évidemment, les officiers en question ne pouvaient s’arroger seuls ce mérite et, pour être bien complet, y aurait-il lieu d’évoquer ici les figures de certains personnages: proches parents, compatriotes, cardinaux, prélats domestiques, camérier, écuyers ne remplissant aucune des fonctions inscrites à l’organigramme de la cour, mais n’en figurant pas moins, et en fort bonne place, dans les ruoli de l’époque, à commencer par le cardinal neveu dont il a été plusieurs fois question jusqu’ici. Quelques exemples suffiront en l’occurrence à montrer à quel point, mus, dans le cas des parents et compatriotes, par la pietas, dans celui des cardinaux, prélats, camériers ou écuyers, par le respect, l’amitié ou la gratitude que leur inspiraient ces hommes, les papes du XVIe siècle tenaient à montrer quel cas ils faisaient de ces derniers et quelle place, par conséquent, ils voulaient leur voir occuper dans leur cours. Paul IV met en 1558 quatorze serviteurs et cinq chevaux à la disposition de son petit-neveu et favori, le cardinal Alfonso Carafa, tandis que son confrère, le cardinal Bernardino Scotti se voit, pour sa part, gratifier de douze familiers et de trois montures195. Sebastiano Gualterio, évêque de Viterbe, prélat domestique à la cour de Pie IV, mais qui n’y exerce aucune fonction particulière a droit à six serviteurs et à trois chevaux, c’est-à-dire autant que le puissant dataire qu’on trouve à l’époque au quatrième rang de l’organigramme de la cour196. Le jésuite Francisco Toledo, installé depuis plusieurs années au palais apostolique avec le titre de « prédicateur », reçoit en 1595 de Clément VIII en même temps que le chapeau de cardinal quelque vingt serviteurs, ce qui le situe loin devant les principaux offi195 196
BAV, Ruoli 32, fol. 3r. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 2v.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
ciers de la cour197. Et que dire de Vinciolo Vincioli et du chevalier Carlo Grotta, probablement anciens camériers dudit Clément VIII, mais qui ne semblent plus exercer à sa cour de fonction particulière, à qui il n’en fait pas moins assigner respectivement cinq et quatre familiers et deux chevaux chacun198. L’ordre de préséance existant à la cour pontificale n’était donc pas qu’affaire de compétence ou d’expérience professionnelle: il tenait aussi pour beaucoup à la « qualité » des personnes et aux liens que celles-ci entretenaient avec le pontife régnant. D’où l’inévitable distance existant entre un cardinal « Tolet » et le reste de la cour de Clément VIII ou entre un Vinciolo Vincioli et un chevalier Grotta et leurs collègues camériers qui continuaient à figurer à ce titre dans les rôles de ladite cour. C’était là la logique des grandes maisons princières ou souveraines du temps et le pape lui-même pouvait difficilement, même s’il l’avait voulu, s’y soustraire. D’ailleurs, à moins de s’appeler Adrien VI ou encore Marcel II, pourquoi l’aurait-il voulu? Même le très austère Paul IV, nous l’avons vu, avait très bien compris qu’il n’était pas et ne pouvait être dans l’intérêt de l’Église et de la papauté de faire comme si cette logique ou cette règle n’existait pas. 3. L’accès à la cour Quelque dix mille individus au moins se sont succédé à la cour pontificale entre 1492 et 1605199, certains s’y trouvant à titre d’« hôtes », le plus BAV, Ruoli 133, fol. 2v. Ibid., fol. 4v. 199 Ce chiffre, au demeurant plutôt conservateur, est fondé sur les données tirées des ruoli et autres sources à notre disposition (Cf. Figure I), mais également sur un certain nombre de supputations concernant les cours des papes pour lesquelles il n’existe pas (ou n’existe plus) de rôles ou de sources équivalentes, c’est-à-dire Alexandre VI, Jules II, Adrien VI, Marcel II et Grégoire XIII. Il paraît vraisemblable d’admettre que les « familles » des deux premiers de ces papes étaient de même ordre que celle de Pie III, d’autant plus que cette dernière était probablement en grande partie formée d’éléments venant de la cour du pape Borgia. On peut donc raisonnablement, dans leur cas, parler d’environ 450 individus. Mais, ce faisant, nous fondant sur l’hypothèse formulée par Paolo Piccolomini (La Famiglia, p. 144-145), il nous faut, pour fins de comptabilisation, éliminer quelque 400 noms de la cour de Pie III et ne retenir que les 60 ou 70 individus qui ne venaient pas de la cour d’Alexandre VI. Pour ce qui est d’Adrien VI et de Marcel II, à la lumière d’un certain nombre de témoignages contemporains, il est difficile d’imaginer que leurs « familles » aient dépassé les 150 membres. À ce sujet, voir, plus haut, la note 22. Quant à Grégoire XIII, il ne paraît pas exagéré de fixer à 700 le nombre de ses courtisans au début de son règne, ce qui le situerait à la hauteur de Pie V, puis à 600 vers 1578-1579 après qu’il eut, comme ce même Pie V, réduit les effectifs de sa cour. À ce propos, voir plus haut, note 15. Le problème soulevé à propos de la cour de Pie III se pose à nouveau au temps d’Urbain VII et d’Innocent IX, tous deux, comme lui, papes « éphémères », problème qui se complique dans le cas d’Urbain VII du fait que nous n’avons de lui qu’un rôle posthume (ASR, Cam. I: 1363) ne comprenant 197 198
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Les effectifs de la cou
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grand nombre, comme nous venons de le voir, à titre d’officiers ou de serviteurs y exerçant une grande variété de fonctions depuis les plus relevées jusqu’aux plus humbles. D’où venaient ces individus, à qui ou à quoi devaient-ils leur entrée à la cour, quel rôle jouèrent-ils par la suite dans le recrutement de nouveaux membres et quels liens les unissaient à ces derniers: autant de questions que nous nous posions déjà à la fin de notre second chapitre et auxquelles le temps est venu de donner, dans toute la mesure du possible, réponse. Nous avons montré dans une étude publiée il y a près de vingt ans que si la cour d’un Léon X, à l’image de la Rome de l’époque, avait un air très cosmopolite avec 59% d’étrangers, celle d’un Paul III, à peine une trentaine d’années plus tard, faisait déjà beaucoup plus italienne avec 35% seulement d’effectifs d’outre-frontière. Et nous avions émis l’hypothèse que, mis à part certaines fonctions de peu d’importance ou, encore, exigeant une compétence ou un savoir-faire particulier, la cour pontificale, encore là à l’instar de Rome, était devenue à la fin du XVIe siècle non seulement très italienne, mais beaucoup plus romaine200. À partir de recherches plus poussées entreprises depuis la parution de cette étude, nous sommes vingt ans plus tard en mesure de confirmer cette hypothèse et de l’enrichir d’un certain nombre d’éléments nouveaux. Les deux tableaux qui suivent, reprenant tout en les complétant ceux que nous avions inclus dans l’étude en question, en sont déjà à eux seuls, si besoin était, la meilleure preuve.
probablement que des « restes » de sa cour, c’est-à-dire les quelque 180 individus à qui le cardinal camerlingue fit verser le « companatico in danaro » durant les deux mois que dura la vacance du siège apostolique. Quoi qu’il en soit, dans son cas comme dans celui d’Innocent IX, il y eut inévitablement un certain nombre de recoupements entre leurs cours et celles de leurs prédécesseurs immédiats. Ces recoupements ne semblent toutefois pas avoir été aussi importants qu’à l’époque de Pie III. En effet, une comparaison des rôles de Sixte V et d’Urbain VII, d’une part, de Grégoire XIV et d’Innocent IX, d’autre part, à notre grande surprise, ne nous a permis d’identifier qu’une trentaine de « doublets », dans le premier cas, une cinquantaine, dans le second, ce qui, dans les circonstances, paraît très peu. Il faut dire que la « machine » de la cour était à la fin du XVIe siècle mieux rodée qu’au temps de Pie III et qu’au surplus, ce dernier, non seulement comme Urbain VII et Innocent IX connut un règne très court, mais fut dès son élection aux prises avec de graves problèmes de santé. On peut donc estimer à quelque 150 et 350 respectivement le nombre de membres des cours d’Urbain VII et Innocent IX qui ne venaient pas de celles de leurs prédécesseurs. Reste le problème des recoupements existant entre les cours des papes ayant eu, contrairement à Pie III, Marcel II, Urbain VII et Innocent IX, la chance de connaître d’assez longs règnes. Or ces recoupements qui –– nous y reviendront plus loin –– ne semblent pas avoir dépassé les 5 ou 6%, ne nous paraissent pas devoir être comptabilisés, étant pour la plupart largement compensés par le renouvellement à peu près continuel, surtout au niveau des services « communs » et du petit personnel, des effectifs de la cour. 200 P. Hurtubise, Tous les chemins mènent à Rome, p. 21-54.
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(1514-16)
(1545-46)
(1556)
(1560-61)
Léon X
Paul III
Paul IV
Pie IV
71 (8%)
668
(6%)
(70%)
(77%)
49
(14%)
(65%) 598
101
468
157 (20%)
320
espagnols/ portugais
(41%)
italiens
(10%)
86
(16%)
135
(16%)
119
(19%)
151
français/ lorrains
(1,5%)
14
(3%)
27
(4%)
26
(16%)
127
impériaux
Non-italiens
(3,5%)
33
(5%)
39
(1%)
9
(4%)
25
autres
(23%)
204
(30%)
250
(35%)
255
(59%)
460
Total non-italiens
*Sources : BAV, Vat. lat. 8598 (Léon X); Ibid., Borg. lat. 359 (Paul III); Ibid., Ruoli 27 (Paul IV); ASR, Cam. I : Giust. di Tes. 4, fasc. 18 (Pie IV).
années
Papes
TABLEAU IV Effectifs italiens / non-italiens des cours des papes Léon X, Paul III, Paul IV et Pie V *
244 LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
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Les effectifs de la cou
TABLEAU V Familiers italiens / non-italiens des cours des papes Pie III à Clément VIII * Non-italiens cours
Pie III
italiens
espagnols / portugais
français / lorrains
impériaux
autres
87
7
---
9
1
(84%) Léon X
165
168
34
9
9
1
103
26
4
2
4
118
13
8
---
2
158
13
8
1
5
62
24
6
3
9
34
6
2
1
3
97 (92%)
12 (18%)
1
---
---
---
(97%) Clément VIII
42 (21%)
(82%) Sixte V
27 (19%)
(79%) Pie V
23 (18%)
(81%) Pie IV
36 (18%)
(82%) Paul IV
53 (24%)
(82%) Jules III
17
(16%)
(76%) Paul III
Total non-italiens
1 (3%)
3
---
1
4
8 (8%)
*Sources : BAV, Vat. lat. 9027, fol. 162-169 (Pie III); Ibid., Vat. lat. 8598 (Léon X); Ibid., Borg. lat. 354 (Paul III); Ibid., Ruoli 2, 6 (Jules III); Ibid., Ruoli 27 (Paul IV); ASR, Cam. I : Giust. di Tes. 4, fasc. 18 (Pie IV); Ibid., Cam. I : Giust. di Tes. 9, fasc. 14 (Pie V); BAV, Ruoli 65 (Sixte V); Ibid., Ruoli 113 (Clément VIII).
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Le premier qui s’appuie sur des données statistiques fournies par sept rôles de « familiarité » s’échelonnant de 1514 à 1562 se passe presque de commentaire tant il abonde dans le sens de notre hypothèse. Le second en fait tout autant avec cette nuance toutefois que s’intéressant au seul groupe des « familiers » et s’étendant sur une période plus longue, il montre, d’une part, que le phénomène d’italianisation de la cour était déjà bien engagé au temps de Léon X et, d’autre part, que ce phénomène allait soixante-dix ans plus tard atteindre un sommet avec la chute brutale des effectifs étrangers au temps de Sixte V et de Clément VIII. L’un et l’autre corroborent par ailleurs l’impression que nous avions d’une meilleure résistance des hispano-portugais et des francophones au phénomène en question –– des premiers surtout si nous nous en tenons aux seuls « familiers » ––, impression vite renforcée par un examen plus détaillé des données sur lesquelles reposent nos deux tableaux. En effet, une fois quittées les hautes sphères de la cour, nous retrouvons cette même domination des hispano-portugais et des franco-lorrains, mais, cette fois, de ce dernier groupe surtout, en particulier dans les services de chancellerie, d’alimentation, de transport de même que dans les services généraux de la cour. Sans oublier un groupe, nous l’avons vu, lié de près au pape, soit celui des palefreniers faisant, lui, partie des services de la chambre. Par exemple, chez Paul IV, ces services, palefreniers compris, regroupent 54 francophones dont 29 pour les seuls services de « bouche ». Chez Pie IV, le nombre des francophones est de 41 dont 13 inscrits comme palefreniers et 12 rattachés aux services de chancellerie, en particulier à la Daterie201. Y aurait-il des raisons politiques sous-tendant ces choix? Dans le cas de Paul IV, cela ne fait pas de doute, compte tenu des liens étroits que son neveu, Carlo Carafa, et lui-même entretenaient avec la France et de leur commune hostilité à l’endroit de l’Espagne. Pour ce qui est de Pie IV, tel ne semble pas avoir été le cas. Tout d’abord, il n’était pas anti-espagnol et sa politique étrangère en était une plutôt de conciliation que d’affrontement. On est donc en droit de penser que, dans son cas, des motifs beaucoup plus personnels entrèrent en ligne de compte. Notons, par ailleurs, à ce propos que le recours à une main d’œuvre française ou francophone, en ce qui concerne surtout les services de « bouche », était depuis longtemps traditionnel à la cour pontificale et le restera au moins jusqu’au règne de Grégoire XIII202. 201 Nos renseignements sont tirés, dans le cas de Paul IV, de BAV, Ruoli 27 et 28 et Vat. lat. 15046; dans le cas de Pie IV, de BAV Ruoli 39 et 42. 202 À la cour de Léon X, la majorité du personnel des cuisines était francophone. A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 386; ASR, Cam. I: 1389, fol. 30r. Clément VII eut comme chef cuisinier un certain Jean Duval qui servit aussi pendant quelque temps à la cour de Paul III. L. Dorez, La cour du pape Paul III, I, p. 78, 354; II, p. 12, 55, 59, 98, 133. Maître « Giulan » (Julien?), cuisinier secret de Jules III, était, comme son nom l’indique,
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Les effectifs de la cou
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Grâce à quelles influences, par quel heureux concours de circonstances, en raison de quelles compétences ou talents particuliers ces individus ou groupes d’individus, de quelque origine qu’ils aient été, réussirent-ils au XVIe siècle à se faire inscrire aux rôles de la cour papale et, pour certains, à y faire longue et fructueuse carrière? Nous voilà cette fois en terrain moins bien connu et pour l’exploration duquel il faudra nous contenter de données fragmentaires, voire éparses permettant tout au plus la formulation d’un certain nombre d’hypothèses qu’il appartiendra à de futures générations de chercheurs de confirmer ou d’infirmer à partir de travaux de nature prosopographique203. Une chose toutefois est certaine: compte tenu de la dynamique sociale existant à l’époque, à Rome comme ailleurs, l’entrée, puis la poursuite de quelque carrière que ce soit à la cour pontificale supposaient au point de départ l’appui de parents, d’amis, de compatriotes, mais surtout la protection d’un ou plusieurs influents patrons. Homo solus, nullus homo. C’était là la conviction commune des contemporains et les auteurs de traités sur l’art de réussir à la cour à l’époque en faisaient la base même des stratégies qu’ils proposaient à leurs nombreux lecteurs204. Bien évidemment, du moins en ce qui concernait les titulaires des principales charges de la cour pontificale, le fait d’être lié de quelque façon au pontife régnant comptait pour beaucoup, dans certains cas même, était indispensable lorsque venait le moment de déterminer qui ferait ou ne ferait pas partie de la « famille » papale. C’est, nous l’avons vu, particulièrement vrai dans le cas de personnages tels que le cardinal neveu, le dataire, le majordome, le maître de la chambre, le trésorier secret, le trésorier général, voire d’officiers moins en vue, mais ayant le privilège d’être au service immédiat de la personne du pape, qu’il s’agisse des camériers et chapelains dits « secrets », de certains écuyers, de certains officiers de « bouche » qui, d’ailleurs, assez souvent étaient d’anciens serviteurs de ce dernier205. On peut en dire autant d’officiers de tous rangs que nous voyons, après quelques années d’absence, réapparaître à la cour grâce aux liens de clientèle ou d’amitié existant entre leur ancien et leur nouveau patron, les deux meilleurs exemples de cela nous étant fournis par Pie V et Sixte V, créatures, le premier, de Paul IV, le second, dudit Pie V206. probablement français. ASR, Cam. I: 1295: Introito et Esito, 1550, fol. 25v. Grégoire XIII fit appel aux services d’un maître-queue du nom de Louis « Beson » (Besson?), manifestement lui aussi français ou, du moins, francophone, ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 3v; Ibid., Cam. I: 1300, fol. 42v. 203 On trouvera un certain nombre de ces hypothèses dans notre ouvrage: Tous les chemins mènent à Rome, p. 43-48. 204 Voir Ibid., p. 109-123. 205 À ce sujet, voir plus haut notes 152 et 153. 206 Sur Pie V, cf. N. Lemaitre, Saint Pie V, p. 106-107, 113. Sur Sixte V, voir L. von Pastor, Storia dei papi, X, p. 48.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Chose certaine, le fait d’être parent, client, ami ou compatriote du maître de céans facilitait considérablement les choses. Cela était particulièrement vrai et, cette fois, à tous les niveaux de la cour, des candidats de même origine ethnique ou géographique que le pape. Personne ne devait être à l’époque surpris de voir les Espagnols, les Gênois, les Florentins, les Lombards, les Bolonais, les « Marchisans » (Marchigiani) dominer à la cour d’un Alexandre VI, d’un Jules II, d’un Léon X et d’un Clément VII, d’un Pie IV et d’un Pie V, d’un Grégoire XIII, d’un Sixte V, pas plus d’ailleurs que de constater qu’un Paul III, un Jules III et un Clément VIII s’entouraient ostensiblement de courtisans provenant des mêmes régions qu’eux, soit Rome, le Lazio ou encore la Toscane207. C’est plutôt le contraire qui aurait paru à l’époque étonnant. Mais là où l’intervention du pape se fait le plus directement et le plus immédiatement sentir, c’est sans aucun doute au niveau de ceux et celles que nous avons choisi d’appeler « hôtes » de la cour, c’est-à-dire les nombreux parents, clients, et protégés de toutes sortes inscrits aux rôles de « commensalité » bien que n’exerçant aucun des offices faisant à l’époque partie de l’organigramme de la cour. Les parents, tout d’abord. Certains papes, tout en se montrant –– pietas oblige –– plus que généreux à l’endroit des leurs hésiteront à faire de ces derniers des « hôtes » de leurs cours. On pense ici à un Pie V et à un Grégoire XIII en particulier qui, cardinaux neveux mis à part, s’ingénièrent à garder leur parentèle, même leur proche parentèle, à distance208. Tel n’est pas le cas de la majorité des autres qui crurent au contraire de leur devoir non seulement de multiplier les largesses à l’endroit de leurs proches, mais de faire place et plus qu’honorable place à certains d’entre eux au sein même de la « famille » pontificale. Nous n’avons pas à revenir ici sur ce que nous avons dit dans les chapitres qui précèdent de cette présence remarquée, parfois décriée de parents entourant en plus ou moins grand nombre la personne du pape, parfois même, tout laïques qu’ils aient été, avec droit de résidence au palais apostolique. Aucun des rôles de « commensalité » de la première moitié du siècle n’ayant à ce qu’il semble survécu aux outrages du temps, au sac de 1527 en particulier, nous ne sommes pas en mesure pour la période en question d’établir hors de tout doute que ces proches étaient effectivement inscrits à ces rôles. Tel n’est plus le cas à partir de Jules III où, exception faite du pontificat de Grégoire XIII, nous disposons de tels rôles, mieux de livres de comptes permettant de compléter ou de préciser au besoin l’information fournie par ces mêmes rôles. 207 Pour Grégoire XIII, voir N. Reinhardt, Bolonais à Rome, Romains à Bologne?, dans Offices et Papauté (XIVe––XVIIIe siècles), p. 237-249. 208 À ce sujet, voir N. Lemaitre, Saint Pie V, p. 113-117. En ce qui concerne Grégoire XIII, cf. L. von Pastor, Storia dei papi, IX, p. 24-30.
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Les effectifs de la cou
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Ledit Jules III n’hésite pas, dès son élection, à s’entourer de cinq proches parents dont un neveu, trois petits-neveux et un cousin qu’il fait aussitôt prélats domestiques –– trois d’entre eux recevront plus tard les insignes cardinalices –– en même temps qu’au scandale de plusieurs il élève son neveu d’« adoption », le tristement célèbre Innocenzo del Monte, au rang de cardinal neveu. Rappelons, par ailleurs, que pendant un certain temps il loge son frère Baldovino au Vatican avant de l’installer à deux pas de là au palais dell’Aquilà209. D’aucuns se crurent sans doute revenus aux beaux jours d’Alexandre VI et de Léon X. Paul IV, pourtant pape austère si jamais il en fut, fait inscrire comme « hôtes » de sa cour au moins sept proches parents dont deux à titre de cardinaux palatins, les quatre autres –– et, parmi eux, deux, sinon trois laïques –– n’ayant d’autre titre que celui de parents (parenti). Sans compter la présence à ses côtés de trois autres membres de la famille: Carlo, le tout-puissant cardinal neveu, Diomède, son frère naturel, à qui il ne craint pas de confier le château Saint-Ange et un cousin, Giovan Francesco, dont il fait son maître d’hôtel « secret ». On pourrait d’ailleurs ajouter à cette liste les noms des cardinaux palatins Bernardino Scotti et Gianbattista Consiglieri, le premier, comme lui membre de l’ordre des Théatins, et le second, frère de Paolo Consiglieri, lui aussi Théatin, mais surtout fidèle compagnon et confident auquel, aussitôt élu, il s’empresse de confier la charge de maître de sa chambre210. Non moins népotistes que lui, Pie IV, Sixte V et Clément VIII sont toutefois plus discrets à ce chapitre, à cette nuance près que Sixte V n’hésite pas un instant à accorder à sa très chère sœur Camilla les privilèges dits de « commensalité » avec, entre autres, une allocation alimentaire (companatico a danari) de 60 écus par mois, de loin la plus importante de toutes celles versées aux membres de sa cour, son neveu, le cardinal Montalto, y compris211. Le tout, bien évidemment, justifié une fois de plus, par la pietas, vertu toujours aussi prisée, voire célébrée à l’époque. Mais cela ne valait pas que pour la parentèle: cela valait aussi pour tous ceux, clients et amis, qui avaient contribué à la réussite du pontife régnant ou, du moins, accompagné celui-ci tout au long de son cursus honorum. Avec cette différence toutefois que, dans leur cas, il faudrait peut-être plutôt parler de gratitude que de pietas au sens fort du terme. Identifier ceux des « hôtes » qui appartenaient à cette catégorie est, faute de sources adéquates, beaucoup plus difficile que dans le cas des parents. Il est toutefois permis de supposer que plusieurs des prélats domestiques, camériers, Cf. Chap. II, p. 73. Sur la présence des cardinaux Scotti et Consiglieri à la cour de Paul IV, voir BAV, Ruoli 32, fol. 32r. Sur Paolo Consiglieri, maître de la chambre, Ibid., Ruoli 27, fol. 20 et F. Andrieu, Ghislieri Consiglieri (Paolo), dans DHGE, 20, col. 1186-1187. 211 ASR, Cam. I: 1359, fol. 10rv, 12r. 209 210
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chapelains, écuyers et autres courtisans sans fonction connue ou clairement identifiée dans les ruoli relevaient de fait de cette catégorie. Citons, à titre d’exemple, le cas d’un Tranquillo de Leonibus, d’un Zaccaria Ferreri, d’un Vincenzo de Andreis, d’un Gentile Santesio, mieux connu sous le nom de « Pindare » et d’un Mario Sinibaldi présents à la cour de Léon X en qualité de prélats domestiques212, ou celui de Robert Wauchope, administrateur du diocèse d’Armagh213, de Stefanos V, catholicos des Arméniens, des évêques Ambrogio Catharino Politi, Giacomo Nacchianti et Sebastiano Leccavella, le premier « hôte » de la cour de Paul III, les quatre autres, de celle de Jules III, eux aussi sans autre titre que celui de prélats domestiques214, ou encore le cas d’un Girolamo Conti, abbé commendataire de San Gregorio al Monte Celio à Rome auquel le même Jules III accorde les privilèges de la « commensalité », mais sans lui assigner quelque titre ou fonction que ce soit215. Et que dire des quelque seize cardinaux palatins qu’on trouve en 1566 à la cour de Pie V, pour la plupart compagnons de route, collaborateurs parfois de longue date de ce dernier et qu’il tenait sans doute à avoir à ses côtés, ne fût-ce que pour profiter de leurs bons conseils. On pense ici, entre autres, à un Rebiba, à un Reumano, à un Niccolini, à un Scotti, « créatures » de Paul IV, leur vénéré maître, mais aussi à un Alciati, à un Mula, à un Cicada, à un Dolera, à un Morone, à un Simo212 A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 367, 369. Sur ces divers personnages, voir Ibid., XLI (1918), p. 105-107, 91-104, 87, 91; XL (1917), p. 255-262; XXXV (1912), p. 522-526. 213 BAV, Borg. lat. 354, fol. 40v. Sur Wauchop, voir H. Irgens, Armagh, dans DHGE, 4, col. 255. 214 Pour les « hôtes » de la cour de Jules III, se reporter à BAV, Ruoli 2, fol. 17r et Ruoli 6, fol. 3r. Stefanos V était déjà depuis 1549 « hôte » de la cour de Paul III. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 13v. Sur ce personnage qui fut catholicos des Arméniens de 1545 à 1552, voir P. Ananian, Étienne V Salmastec’i, dans DHGE, 15, col. 1204-1205. Quant à Politi, il avait été professeur de droit de Jules III à Sienne. Entré par la suite chez les dominicains, il s’illustra comme théologien et controversiste, d’où le rôle important qu’il joua au concile de Trente, puis son élévation au siège de Minori en 1546. M. M. Gorce, Politi, Lancelot, dans DTC, 12/2, col. 2418-2434; A. Duval, Catharin (Ambroise), dans Catholicisme, 2, col. 672-675. Nacchiante, autre dominicain, ancien professeur de philosophie et de théologie à la Minerve à Rome, avait été lui aussi actif à Trente après avoir été fait évêque de Chiozza par Paul III en 1544. M. M. Gorce, Nacchiante ou Naclantus, Jacques, dans DTC, 11/1, col. 1-3. Même parcours dans le cas de leur confrère Leccavella, originaire de l’île grecque de Chio, lui aussi présent à Trente avec le titre d’archevêque de Naxos auquel viendra s’ajouter en 1562 celui d’évêque de Lettere. C. Eubel et al., Hierarchia Catholica, III, p. 227 et 254 et notes. Manifestement, Jules III qui avait été un des présidents ou légats du concile connaissait bien ces hommes et tenait à les avoir à ses côtés au moment où il s’apprêtait comme pape à relancer le processus conciliaire. 215 BAV, Ruoli 2, fol. 17r; Ruoli 6, fol. 3v. Girolamo Conti, issu d’une célèbre famille romaine, avait été fait en 1519, alors qu’il n’était encore qu’enfant, abbé du monastère San Gregorio. BAV, Barb. lat. 2799, fol. 23rv. En 1586, il se démit en faveur de son neveu Giovan Battista et Sixte V transforma le monastère en commende. Ibid., Urb. lat. 1054, fol. 355v-356r.
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netta, prélats qui, comme lui, prenaient au sérieux la mise en application des réformes prescrites par le concile de Trente216. Pour un Pie V les affinités spirituelles comptaient sans doute plus que celles dictées par le sang. Moins affichée, mais tout aussi sinon plus significative la sollicitude montrée par certains papes à l’endroit d’anciens serviteurs qu’ils acceptent de continuer à nourrir, voir à loger bien que ne remplissant plus aucune fonction à la cour. Nous faisions allusion plus haut au cas d’un Vinciolo Vincioli et d’un Carlo Grotta, anciens camériers de Clément VIII que ce dernier avait tenu à garder à ses côtés. Plus éloquent encore l’exemple d’un certain Giovan Battista dit « Aiutami Christo », ancien palefrenier de Grégoire XIII, qu’on retrouve inscrit sous cette appellation dans les rôles de cour du même Clément VIII217, ou celui d’un Stefano Cernicone et d’un Don Cecco, le premier identifié comme « parrain » (compare), le second, comme ex-serviteur de Sixte V, à chacun desquels celui-ci accorde l’hospitalité de sa cour et le titre (honorifique?) d’écuyer218, ou encore d’une Maddalena, ancienne préposée au poulailler dit du fenil que Pie V accepte de traiter comme faisant encore partie de sa « famille »219. Mais ce ne sont pas là cas isolés. On en retrouve tout autant sinon plus au temps d’un Jules III, d’un Paul IV et d’un Pie IV220. Cela dit, de tous les « hôtes » accueillis à la cour pontificale au XVIe siècle, celui qui, à tous les points de vue, mérite le plus de retenir notre attention est sans conteste un personnage que nous avons eu plus d’une fois l’occasion de croiser jusqu’ici: nous voulons parler du jésuite espagnol Francisco Toledo, objet de la sollicitude d’au moins cinq papes, à commencer par Pie V qui, au plus tard en mars 1566, le fait venir à la cour, l’y installe et l’adjoint aussitôt à l’équipe chargée d’entreprendre la réforme du clergé de Rome. Muni du seul titre de « prédicateur » qui en cachait de fait beaucoup d’autres, cet homme discret, effacé, mais d’une grande influence sur les papes de l’époque, ne devait plus quitter le palais 216 ASV, Miscell. Arm. II: 80, passim. Au sujet de ces hommes et de leurs rapports avec Pie V, voir N. Lemaitre, Saint Pie V, p. 106-111 et passim. 217 Il entra probablement à la cour de Grégoire XIII en 1576. ASR, Cam. I: 429, fol. 100v-101r. On le retrouve à la cour d’Innocent IX avec la mention « ancien palefrenier de Grégoire XIII » (Ibid., Cam. I: 1366, fol. 19v), puis à la cour de Clément VIII (BAV, Ruoli 113, fol. 6v). 218 BAV, Ruoli 65, fol. 4v. 219 ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [11v]. 220 Jules III accorde l’hospitalité à son ancien barbier, Francesco da Rimini (BAV, Ruoli 2, fol. 22v; Ruoli 6, fol. 8v) et à un certain Niccolò, fils d’une de ses anciennes lavandières (Ibid., Ruoli 6, fol. 8v); Paul IV, à Juan Scobedo, ancien sous-diacre de l’Épître (Ibid., Ruoli 32, fol. 12v), personnage que l’on retrouve en 1560 dans le rôle de cour de Pie IV avec la mention: « infirmo » (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 10r). Ce même Pie IV offre à son tour l’hospitalité à un ancien serviteur connu simplement sous le nom de « Borgognone vecchio ». Ibid., fol. 9r.
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apostolique jusqu’à sa mort en 1595, un an à peine après avoir été élevé au cardinalat par un de ses plus grands admirateurs, Clément VIII221. Autant d’exemples qui montrent à quel point les papes de l’époque n’avaient pas hésité à faire place, et parfois large place dans leurs cours à des personnages, grands et petits, n’y remplissant aucune fonction spécifique ou, du moins, identifiée comme telle dans les rôles de ces mêmes cours. Ces exemples toutefois concernent presque exclusivement des individus qui, à la limite, pouvaient se réclamer d’obligations que chacun de ces papes avait à leur endroit, fût-ce en raison des liens de diverses sortes les unissant à eux –– liens de parentèle et liens de clientèle surtout –– ou encore des situations parfois difficiles dans lesquelles certains d’entre eux se trouvaient. On pense ici à un Robert Wauchope, à un Stefanos V et à tant d’autres « exilés », clercs et laïques222, réfugiés pour un temps du moins à la cour pontificale. Mais les papes de l’époque, ceux de la première moitié du XVIe siècle surtout, n’entendaient pas se limiter à ce type d’hospitalité qu’on serait tenté d’appeler « de prescription »: ils tenaient également à s’entourer d’« hôtes » d’un tout autre genre, cette fois librement choisis par eux et auxquels il leur serait loisible de faire en toute occasion appel pour répondre à des besoins n’ayant rien à voir ou presque avec le fonctionne221 Pour ce qui est de sa présence à la cour de Pie V, voir ASR, Miscell. Arm. II: 80, fol. 204r. Il s’agit, nous l’avons vu, d’une liste des résidents du palais apostolique datant de mars 1566. Parmi ces derniers, on mentionne le « prédicateur » de la cour, mais sans le nommer. De toute évidence, ce « prédicateur » est le jésuite Francisco de Toledo, à l’époque fort apprécié de Pie V. À ce sujet, voir N. Lemaitre, Saint Pie V, p. 146. On retrouve Toledo à la cour de Grégoire XIII (ASR, Cam. I: 1301, fol. 4v; Cam. I: 1352, fol. 30V), Sixte V (BAV, Ruoli 65, fol. 3v), Grégoire XIV (ASR, Cam. I: 1365, fol. 49V) et Clément VIII (BAV, Ruoli 113, fol. 3v), toujours avec ce même titre de « prédicateur ». 222 Déjà, au XVe siècle, les papes avaient offert l’hospitalité à toute une série de seigneurs « grecs » fuyant l’avance ottomane, tel par exemple, au temps de Pie II, Thomas Paléologue, despote de Morée. P. Paschini, Roma nel Rinascimento, p. 211. Le fils de ce dernier, André, est l’hôte d’Alexandre VI qui lui fait remettre 50 florins par mois (ASR, Cam. I: 857, fol. 7r) et se montre tout aussi généreux à l’endroit de Leonardo Tocco, despote d’Epire ou d’Arta (Ibid.), installé à Rome depuis 1480. Paschini, Roma cit., p. 251. Ce dernier a d’ailleurs droit aux mêmes égards de la part de Jules II. Rodocanachi, Le pontificat cit., p. 118 et n. 2. On retrouve un Leonardo Tocco –– sans doute son fils –– à la cour de Paul III, objet lui aussi d’une provision mensuelle, mais de 20 écus seulement. BAV, Vat. lat. 10603, fol. 101v et passim. Sans doute le titre de despote d’Arta avait-il avec le temps perdu quelque peu de son éclat. Pie V accueille, lui, volontiers des « exilés » » des Iles britanniques, entre autres, Maurice MacBrien, évêque d’Emly en Irlande (ASR, Cam. I: Giust. di Tes., fasc. 14, fol. [2v]) et Thomas Butler (« Botler »), catholique anglais réfugié à Rome (Ibid., fol. [8r]). Sur ce dernier, voir T. Cooper, Butler, Thomas, dans Dictionary of National Biography, III, p. 531. Mais certains papes étaient aussi sensibles à l’infortune de beaucoup plus humbles personnages. Ainsi voit-on inscrite à la cour de Pie IV et de Pie V une certaine « Madonna Cecilia, Turcha » (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 9r; Ibid., Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [8r]), ancienne esclave peut-être, que ces hommes avaient cru bon prendre sous leur protection.
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ment ordinaire de la cour et ne relevant d’ailleurs d’aucun des services chargés d’assurer le fonctionnement en question. Besoins d’ordre intellectuel, artistique, voire ludique que même les papes les plus austères du temps ne pouvaient ignorer tant ils faisaient partie de l’essence même de toute cour digne de ce nom et de l’image que tout prince, fût-il pape, se devait de projeter de lui-même et du pouvoir qu’il incarnait. Aussi n’est-on pas surpris de constater la présence dans l’entourage immédiat des papes du XVIe siècle d’un certain nombre de savants, d’humanistes, de musiciens, d’artistes, de poètes, voire de bouffons entourant leurs maîtres dans les plus solennels comme dans les plus intimes moments de leur vie de tous les jours. Tous ne peuvent être considérés comme des « hôtes » au sens strict du terme puisque, nous l’avons vu, certains d’entre eux –– savants et humanistes en particulier –– remplissent par ailleurs des fonctions clairement établies faisant partie des services de chancellerie et de secrétariat ou encore de ceux de la bibliothèque et des archives. Mais la plupart des autres méritent pleinement cette appellation, qu’il s’agisse des musiciens, des artistes, des poètes, des bouffons qui, en plus ou moins grand nombre, leur tiennent compagnie. Le champion en la matière –– et pour cause –– est sans conteste Léon X, cité tout au long du XVIe siècle et bien au-delà comme le mécène, le protecteur par excellence des écrivains, artistes et musiciens de son temps223. Qu’il suffise de mentionner ici, pour ce qui est des hommes de lettres, les noms d’un Camillo Querno dit l’« archipoète » (« archipoeta »), d’un Giovanni Gazoldo et d’un Raffaello Brandolini, les deux premiers habitués des banquets « lucullaires » que Léon X aimait de temps à autre s’offrir224 et, pour ce qui est des artistes, celui de Léonard de Vinci, puis surtout de l’incomparable Raphaël, peintre de prédilection du pape Médicis auquel ce dernier avait d’ailleurs accordé, comme à Gazoldo et Brandolini, le titre de « cubiculaire »225. Mais le groupe manifestement le plus cher au cœur 223 On s’entend aujourd’hui pour dire que Léon X ne fut pas toujours très bon juge du talent des écrivains, musiciens et artistes dont il s’entourait, mais on reconnaît, par contre, qu’il fut à leur endroit d’une bienveillance et d’une générosité sans pareil. Rodocanachi, Le pontificat cit., p. 196-216, 223-233, 247, 278-280. 224 Au sujet de Querno et de Gazoldo et de leur participation aux banquets qui faisaient le bonheur de Léon X, voir R. Ridolfi, Gazoldo, Giovanni, dans DBI, 52, p. 753-754. Querno recevait en 1519 une provision de 9 ducats par mois. ASR, Cam. I: 1490, fol. 29r. Sur Brandolini qui avait surtout un remarquable talent d’improvisateur, voir G. Ballistreri, Brandolini, Raffaele Lippo, dans DBI, 14, p. 40-42. 225 Léonard de Vinci fut logé au Belvédère de 1513 à 1516. R. D. Coffin, The Villa in the Life of Renaissance Rome, p. 83. Pour ce qui est du titre de « cubiculaire » accordé à Gazoldo et Brandolini, voir A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 376-377. Le nom de Raphaël n’apparaît pas dans le rôle en question, mais Vasari assure que le pape qui avait pour lui une immense affection et admiration avait fait de lui un de ses « cubiculaires ». G. Vasari, Le Vite, Rome 1997, p. 640. Le rôle de Léon X étant un rôle de « familiarité », un laïc
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de Léon X fut, et de loin, celui des musiciens. Chanteurs de la Sixtine non compris, au moins une bonne trentaine firent, à un moment ou l’autre, partie de sa cour et, parmi eux, 17 instrumentistes et 11 chanteurs dont les noms nous sont connus, tels, dans le cas des premiers, Girolamo d’Asti, Giovan Maria de’ Medici et Galeazzo Baldo qui eurent en plus droit au titre d’écuyer et, dans celui des seconds, Niccolò Bianchi (« de Albis »), Lorenzo di Modena et Gabriele di Lodi qui faisaient, eux, partie du groupe des « cubiculaires »226. Indice, dans l’un et l’autre cas, du statut privilégié dont ces hommes jouissaient à la cour médicéenne. Nous verrons plus loin que ce n’était pas là les seuls égards auxquels ils avaient droit de la part du maître de céans. Et les bouffons? Il faudrait peut-être tout d’abord rappeler ici que toutes les cours de l’époque en comptaient un certain nombre227. Léon X ne faisait pas exception à la règle, d’autant plus d’ailleurs que, tout cultivé, voire raffiné qu’il était, il se plaisait énormément en compagnie de ces histrions à l’humour facile et, parfois, d’assez bas étage. Rodocanachi assure qu’il en eut au moins huit228. Quatre d’entre eux figurent dans le rôle de 1514-1516, soit Niccolò Gabrieli dit « Proto », Domenico Brandino, Cicotto (Chicotus) et Fra Mariano Feti, dominicain, le premier, portant le titre de « cubiculaire », les deux suivants, celui d’écuyer et, le dernier, de « bullaire »229. À noter que Cicotto était en plus astrologue (stronomo) du pape, fonction qui n’avait rien d’insolite à l’époque comme permettent de le constater les rôles de la plupart des cours d’Europe et, cela, jusque tard dans le XVIe siècle230. tel que Raphaël avait peu de chances d’y figurer, d’où peut-être le fait qu’on ne l’y trouve pas. Mais il y a aussi la possibilité que l’office de « cubiculaire » dont parle Vasari soit en réalité un des soixante offices vénaux (ou titres de rente) connus sous ce nom. 226 Pour Girolamo d’Asti, Giovan Maria de’ Medici et Galeazzo Baldo, voir A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 379 et pour Niccolò Bianchi, Lorenzo di Modena et Gabriele di Lodi, Ibid., p. 376, 378. Nous avons pu établir la liste des musiciens secrets à la cour de Léon X grâce à von Pastor, Storia dei papi cit., IV/I, p. 378 et n. 1, puis surtout ASR, Cam. I: 1489 et 1490, passim. 227 À ce sujet, voir Rodocanachi, Le pontificat cit., p. 181-184 et Dorez, La cour cit., I, p. 54-58. 228 Le pontificat cit., p. 182-184. Mais il faut ajouter à sa liste les noms de Giovanni Manente, camérier, et Cristoforo de Los Rios, « cubiculaire » à la cour de Léon X. A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIX (1916), p. 569-571, 573-576. 229 Pour Gabrieli, voir Ibid., XXXIV (1911), p. 379; pour Brandino, Ibid., p. 380; pour Feti, Ibid., p. 385. 230 S. Fuzeau-Braesch, L’astrologie, Paris 1989, p. 54. L’auteur renvoie à M. Préaud, Les astrologues à la fin du moyen âge, Paris 1984. Jean-François Boudet qui s’est beaucoup intéressé aux astrologues des XVe et XVIe siècles souligne le fait que les horoscopes dont on trouve trace pour les XIVe et XVe siècles concernent exclusivement les élites laïques du temps et qu’il faut attendre le XVIe siècle pour voir papes et cardinaux s’intéresser aux astrologues. Et il signale à ce propos que les astrologues de cour étaient vus à l’époque « dans une certaine mesure » comme « des instruments de prestige, des signes de luxe et de magnificence » que ne
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Cela dit, on chercherait en vain parmi les prédécesseurs ou successeurs de Léon X, un mécène d’une envergure comparable à la sienne en ce qui a trait aussi bien à la place faite aux écriains, artistes, musiciens et bouffons qu’aux faveurs et largesses consentie à ces derniers. Ce qui ne veut pas dire que ces hommes n’eurent pas, eux aussi, à cœur de s’entourer d’« hôtes » de talent capables d’impressionner leurs nombreux visiteurs, visiteurs de marque surtout, ou leur procurer dans l’intimité de leurs appartements les plaisirs de la littérature ou de l’art sous toutes leurs formes. Hormis un Adrien VI ou, à la limite, un Pie V ou encore un Sixte V, tous s’efforcèrent de respecter leurs obligations en ce domaine même si, pour la plupart, ils le firent de façon plus modeste et moins ostentatoire que leur illustre collègue. Alexandre VI qui n’avait rien d’un esthète n’en comprenait pas moins l’importance « stratégique » de l’art et fera appel à un grand peintre de son temps, Bernardino di Betti, connu à l’époque sous le nom de Pinturicchio, dont il fera en quelque sorte son peintre « résident », l’employant durant plusieurs années à la décoration de ses appartements, mais également du Château Saint-Ange231. Jules II, son grand rival, fait beaucoup mieux à ce chapitre avec le recours simultané aux services d’un Bramante, d’un Raphaël et d’un Michel-Ange dont il suit de près les travaux et avec lesquels il entretient d’étroits rapports, rapports toutefois, vu son mauvais caractère, assez souvent houleux232. Par contre, il ne semble pas que sa pouvaient se payer « que les princes les plus riches ». Se pourrait-il que les papes et certains de leurs cardinaux jusque-là réticents à faire appel aux astrologues en raison du fait que ces derniers étaient soupçonnés de pratiquer la divination depuis longtemps condamnée par l’Église aient à partir de la fin du XVe siècle réussi à surmonter leurs scrupules afin de ne pas se laisser distancer en ce domaine par leurs vis-à-vis séculiers? La question mérite d’être posée. Chose certaine, Alexandre VI, Jules II, Léon X et Paul III consultèrent des astrologues et certains autres firent l’objet d’horoscopes. Cf. J. F. Boudet, Les horoscopes princiers dans l’Occident médiéval (XIIe-XVe siècle) dans Micrologus, XVI (2008), p. 373-392 et, en particulier, en ce qui concerne papes et cardinaux, p. 390-392. Voir aussi, du même: Manipuler le ciel: note sur les horoscopes d’Alexandre VI et de Jules II établis par Luca Gaurico, dans La fortuna dei Borgia, Rome 2005, p. 225-234. À noter que ledit Gaurico qui à partir de 1552 publiera une bonne partie de sa riche collection d’horoscopes verra cette publication mise à l’index par Paul IV en 1559. ID, Les horoscopes princiers, p. 392. Les successeurs de Paul IV se garderont bien d’entretenir des astrologues à leur cour, voire de faire appel à leurs services. Mais on n’en était pas encore là à l’époque de Paul III qui, durant tout son règne, se prévaudra des services de Luca Gaurico qui en 1530 lui avait prédit son élection à la papauté. Il le fera même évêque en 1545 au grand scandale de certains. Sur ce personnage, voir F. Bacchelli, Gaurico, Luca, dans DBI, 52, p. 697-705, puis, surtout, A. Menghini ˗ F. Menghini Di Biagio, Paolo III, Pillole e profezic. Astrologia e medicina alla corte papale del Cinquecento, Pérouse 2004. À la même époque, de nombreux prélats avaient recours aux astrologues, tels, par exemple, les cardinaux Giovanni et Bernardo Salviati qui faisaient assez souvent appel à l’expertise du « philosophe » Ettore Ausonio de Padoue. Hurtubise, Une famille-témoin cit., p. 357 et n. 195. 231 G. Vasari, Le vite, p. 520. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 90-92. Cloulas, Les Borgia cit., p. 123-130. 232 Shaw, Julius II cit., p. 194-206.
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« famille », pas plus que celle d’Alexandre VI d’ailleurs, ait compté des écrivains ou des musiciens « attitrés », bien qu’il en invitait parfois certains à se produire au palais apostolique et ailleurs233. Ni lui ni Alexandre VI ne renonceront toutefois à la compagnie de bouffons. Malheureusement nous ne connaissons ni les noms ni le nombre de ceux qui étaient employés à la cour du pape Borgia234. Pour ce qui est de Jules II, nous savons qu’il en entretenait au moins deux qui se retrouveront d’ailleurs plus tard à la cour de Léon X, soit Niccolò Gabrieli, déjà mentionné, et Andrea di Venezia235. Adrien VI, nous venons de le rappeler, n’était pas du genre à s’entourer d’écrivains, d’artistes ou de musiciens, mais, tout austère qu’il ait été, il se paiera quand même le luxe d’un bouffon, Andrea Marone, qui connut peut-être aussi du service à la cour de Clément VII avant de disparaître en mars 1528, victime des séquelles du sac de Rome236. Les nostalgiques du pontificat de Léon X s’étaient imaginés que ledit Clément VII se ferait l’émule, et l’émule empressé de son prodigue cousin. Mais le deuxième pape Médicis qui aurait peut-être voulu jouer ce rôle n’en avait pas les moyens et, tout au plus, réussit-il à donner l’hospitalité à quelques rescapés de la cour léonine, entre autres, le bouffon Romanello, le chanteur Jean du Conseil et surtout l’instrumentiste Giovan Maria de’ Medici, juif converti depuis longtemps lié à la famille du pape dont il avait d’ailleurs fini par adopter le patronyme237. Connu pour son amour des arts et des lettres, Paul III aurait pu être ce nouveau Léon X que Clément VII –– et pour cause –– n’avait pas été ou n’avait pu être, mais pape-charnière, produit tout à la fois de la Renais233 Sur Alexandre VI, voir Rodocanachi, Une cour princière cit., p. 148. Pour Jules II, id., La première Renaissance: Rome au temps de Jules II et de Léon X, Paris 1912, p. 93. 234 id., Une cour princière cit., p. 229 et n. 1, 259. Nous savons toutefois, grâce à Paride de’ Grassi, le futur maître de cérémonie de Jules II et de Léon X, qui fut de 1495 à 1497 au service de César Borgia à l’époque où ce dernier était encore cardinal et habitait le palais apostolique que ledit César avait un bouffon Venu d’Espagne qui se faisait faussement appeler évêque de Cagli et s’amusait à faire rire l’entourage de César en parodiant, avec chaque fois le costume approprié, la figure de pape, de cardinal, de roi, voire de joueur de trompette. À ce sujet, voir M. Dykmans, Paris de Grassi, dans Eph. Lit., XCVI (1982), p. 410-413. On est en droit de penser qu’Alexandre VI dut à l’occasion être témoin de l’une ou l’autre de ces facéties. 235 id., Le pontificat cit., p. 182. 236 id., La cour cit., p. 65, 223. 237 Sur Romanello, voir A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIX (1916), p. 571-573. Romanello, de son vrai nom, Leone « Hebreo » était, comme ce nom l’indique, juif. Clément VII chercha à le convertir au christianisme, sans succès à ce qu’il semble. Jean du Conseil avait été petit chanteur (« parvus cantor ») à la cour de Léon X. Ibid., XXXIV (1911), p. 391. Entré plus tard à la Sixtine, Clément VII le chargera en 1528 d’aller recruter des chanteurs en France et en Flandres. R. Sherr, Clement VII and the Golden Age of the Papal Choir, dans The Pontificate of Clement VIII, éd. K. Gouwens ˗ S.E. Reiss, Aldershot 2005, p. 227-250. Sur Giovan Maria de’ Medici, voir von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 378 et n. 1. Pour ce qui est de sa présence à la cour de Clément VII, voir ASR, Cam. I: 1491, passim.
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sance et de la Réforme catholique naissante, il se rendit vite compte que l’ère léonine était terminée et qu’il lui faudrait pratiquer un mécénat d’un autre genre. Sans doute, nombreux furent les humanistes qui trouvèrent place à sa cour, mais tous ou presque s’y trouvaient à titre d’officiers au service du pape lui-même ou du cardinal neveu. Quant aux artistes employés à la construction ou à la décoration soit de Saint-Pierre, soit du palais apostolique et de la Sixtine, soit du Château Saint-Ange, ils avaient certes des liens avec la cour, mais il n’en faisaient pas pour autant partie238. Michel-Ange qui était, lui, au cntraire, dûment inscrit dans les ruoli de l’époque, y figurait à titre d’architecte, sculpteur et peintre officiel du palais, excluant par le fait même la possibilité qu’il puisse être considéré comme un « hôte » de la cour239. Peut-être Romolo Amaseo, Francesco Florido, Bernardino Maffei, Galeazzo Rossi et Lodovico Beccadelli à qui Paul III avait confié l’éducation de ses petits-fils pourraient-ils, à la limite, avoir droit à cette appellation, encore que Maffei deviendra assez rapidement secrétaire d’un des petits-fils en question, le cardinal neveu Alexandre Farnèse et doit être plutôt considéré comme un officier de la cour240. Moins problématique le cas de Francesco Bellini, l’un des rares écrivains de l’époque à avoir eu droit aux faveurs du pape241, ou celui de Luca Gaurico, 238 Nous avons fait état au chapitre précédent des artistes employés par Paul III. Les quelques indices dont nous disposons concernant ces derniers semblent exclure qu’ils aient appartenu ou pu appartenir à la cour. Il faut ajouter à cette liste le nom du célèbre peintre vénitien Titien que Paul III fit venir à Rome en 1545 pour réaliser un portrait de lui-même entouré de ses petits-fils Alessandro et Ottavio, portrait visant manifestement à mettre en valeur, à travers sa personne, la famille Farnèse et son moment de gloire. À noter que Titien fut logé au Belvédère, lieu habituellement réservé à de grands personnages. Au sujet de ce portrait et de son auteur Titien, voir A. Forcellino, 1545. Gli ultime giorni del Rinascimento, Rome-Bari 2010, p. 3-43, 70-92. 239 À ce sujet, voir von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 704-706 et Dorez, La cour cit., I, p. 147-154. Comme il n’existe pas de rôles de « commensalité » remontant au pontificat de Paul III, nous n’avons pas de preuve irréfutable de l’appartenance de Michel-Ange à la cour pontificale à l’époque, mais le fait qu’on lui verse au plus tard à partir de 1545 une « provision » de 50 écus par mois (BAV, Vat. lat. 10603, fol. 118r et passim) et qu’il figure plus tard dans les rôles de cour de Paul IV et Pie IV (BAV, Ruoli 32, fol. 5r; Ibid., Ruoli 39, fol. 29) permettent de formuler l’hypothèse qu’il jouissait déjà de ce statut au temps de Paul III. 240 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 697-698. Sur Amadeo, voir R. Avesani, Amadeo, Romolo Querino, dans DBI, 2, p. 660-666. Sur Florido, voir F. Pignatti, Florido, Francesco, Ibid., 48, p. 343-344. Florido reçoit en décembre 1545, à titre de précepteur d’Orazio Farnèse, une mancia de 100 écus. BAV, Vat. lat. 10603, fol. 118r,. Sur Rossi, voir Dorez, La cour cit., I, p. 41-44. Sur Ceccadelli, voir F. Buonamici, De Claris Pontificiarum Epistolarum Scriptoribus, Rome 1753, p. 229-230. Maffei devint en 1537 l’adjoint de Marcello Cervini dont Paul III avait fait son secrétaire intime. Lorsque Cervini fut créé cardinal en 1539, Maffei lui succéda, mais cette fois comme secrétaire du cardinal neveu Alexandre Farnèse, petit-fils du pape. Maffei fut à son tour promu au cardinalat en 1549. Richard, Origines cit., p. 518-519. 241 Dorez, La cour cit., p. 245-247. Voir également F. Tateo, Bellini, Francesco, dans DBI, 7, p. 694-695.
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astrologue de ce dernier242, ou encore celui des quelques théologiens dont Paul III s’était entouré, vraisemblablement en vue du concile de Trente, tels, par exemple, le conventuel Cornelio Musso, évêque de Bitonto, « créature » des Farnèse, et le dominicain Giacomo Nacchianti, admiré de Paul III qui l’avait fait évêque de Chioggia en 1544243. Mais, on l’aura remarqué, on est là très loin de l’affluence de « beaux esprits » et de « joyeux drilles » qui faisaient le charme et l’attrait de la cour léonine. Et pourtant –– les chroniqueurs de l’époque en font foi ––, Paul III multipliait les fêtes au Vatican et ailleurs où l’on voyait, comme au temps de Léon X, musiciens, improvisateurs, mimes, chanteurs, danseurs et bouffons s’exécuter pour le plus grand délice de ceux et celles qui avaient l’heur d’y être invités244. Mais très peu de ces artistes et « amuseurs » de tous genres avaient droit aux honneurs de la cour. Léon Dorez signale que Francesco da Milano, musicien fort réputé à l’époque, de même que son disciple, le Florentin Pierino, furent, l’un et l’autre, dans les bonnes grâces du pape, le premier surtout qui fut pendant un certain temps professeur de luth d’Ottavio Farnèse, petit-fils de Paul III245. Mais ils ne faisaient ni l’un ni l’autre partie de la « famille » palatine. Pas plus d’ailleurs que « Madonna Laura », épouse de Francesco Ruggieri que l’on voit apparaître en 1538 dans les livres de comptes du trésorier secret avec le titre de « musicienne » (musica) et dont on assure, quatre années plus tard, qu’elle avait à un certain moment figuré sur la liste des chanteurs de la Sixtine246. Seuls le Sicilien Giovan Battista Sansone et un certain « Giuliano » figurant dans le rôle funéraire de 1549, tous deux instrumentistes à ce qu’il semble, eurent probablement droit à ce privilège247. Même si l’on ajoute à ces derniers les deux bouffons Dorez, La cour cit., I, p. 230-231. Voir aussi, plus haut, note 230. Le franciscain conventuel Cornelio Musso avait d’abord été évêque de Bertinoro à partir de 1541 avant d’accéder au siège de Bitonto en 1544, siège qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1574. Eubel et al., Hierarchia cit., III, p. 138 et n. 11, 139 et n. 7. Il était très lié aux Farnèse. À ce propos, voir Hurtubise, Un projet cit., p. 191-192. En 1545, il figure dans le rôle de « familiarité » de Paul III à titre de prélat domestique. BAV, Borg. lat. 354, fol. 37r. La lettre qu’il écrit le 23 novembre 1549 au cardinal Alexandre Farnèse à l’occasion de la mort de Paul III ne permet pas de douter du fait qu’il était, au sens fort du terme, une « créature » du pape et des Farnèse. BAV, Borg. lat. 300, fol. 152-153r. Pour ce qui est de Nacchiante, voir M. M. Gorce, Nacchiante ou Naclantus, Jacques, dans DTC, XI, p. 1-3. 244 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 232-236. 245 Au sujet de ces deux musiciens, voir Dorez, La cour cit., I, p. 226-227. 246 Ibid., II, p. 166, 185 et passim. Le 29 août 1542, le trésorier secret qui lui fait remettre une mancia de 1,50 écus à l’occasion de Pâques signale qu’elle figurait auparavant dans la liste des chanteurs de la Sixtine, mais qu’elle n’y est plus. Le 12 juin de la même année, le pape lui fait don de 8 écus suite à un concert qu’elle a donné en sa présence. ASR, Cam. I: 1290, fol. 53 et 56. 247 On trouve un certain nombre de renseignements sur Sansone dans Dorez, La cour cit., I, p. 226, 232, 298 et II, p. 70 et passim. Il recevait une provision mensuelle de 20 ducats. Pour ce qui est de « Giuliano », voir ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 11r.: Introito et Exito, 242 243
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du pape, Cagnetto et Fra Baccio248 qui, eux –– tradition oblige ––, furent très certainement de la « famille » pontificale, on reste bien en deçà de ce que s’était permis en ce domaine l’incomparable Léon X. Les successeurs de Paul III avaient désormais un nouveau modèle à leur disposition, un modèle dont, si « mondains » que certains d’entre eux aient été, ils n’oseront plus guère s’éloigner. Ainsi, passionné comme Léon X de musique et de théâtre, Jules III n’entretient toutefois à sa cour que trois musiciens, soit deux joueurs de luth qui ne nous sont connus que sous les noms de Cesare et Vincenzo, puis, surtout, le grand Domenico Cesare Ferrabosco à qui il confie la responsabilité d’organiser des concerts à son intention249. Comme il est par ailleurs friand de « drôleries », encore là à l’instar de Léon X, il croit bon s’entourer d’au moins deux bouffons: Moretto et Marcantonio250. Rien de tel chez un Paul IV, un Pie V et un Sixte V qui ne daignent même pas sur ce plan suivre l’exemple d’un Adrien VI qui, nous l’avons vu, tout austère qu’il ait été, tenait à avoir à ses côtés un bouffon. C’est que le pape Carafa et ses deux fidèles émules préféraient et de loin la compagnie de savants et de spirituels tels, par exemple, le théologien Francisco Torres dans le cas d’un Paul IV251, le patrologue Achille Statio et –– est-il besoin de le rappeler –– le jésuite Francisco de 1553, fol. 33v. Notons qu’il est en plus chanteur de la Sixtine et le sera jusqu’à son expulsion en 1555. Sur cet homme et sa carrière musicale, voir S. De Salvo, Ferrabosco, Domenico Maria, dans DBI, 46, p. 393-394. 248 Sur Cagnetto dit le « bouffon maigre » et Fra Baccio dit le « bouffon gras », voir Dorez, La cour cit., I, p. 54-58 et 298. 249 Cesare et Vincenzo voient en novembre 1552 leur provision mensuelle passer de 5,50 à 8,30 écus. ASR, Cam. I: 1295: Libro delle Spese, fol. 35v. Depuis quand étaient-ils « hôtes » de la cour? Nous ne le savons pas. Chose certaine, en 1553 ils y étaient encore. Ibid., Cam. I: 1295: Introito et Exito, 1553, passim. Quant à Ferrabosco, il figure dans le rôle de cour de Jules III de 1551. BAV, Ruoli 6, fol. 8v. Il y est inscrit avec deux de ses fils et un serviteur. En 1552, ses trois fils et leur mère reçoivent 8,80 écus à titre d’étrennes de Noël. ASR, Cam. I: 1295: Libro delle Spese, fol. 9v. Tout cela, en raison du fait qu’il est musicien « secret » du pape et responsable de la « bande » du Château Saint-Ange. Ibid., fol. 10 et Cam. I: 1295 250 Moretto reçoit, le 18 juin 1550, 22 écus à titre de mancia pour avoir fait des bouffoneries devant le pape (« per haver buffoneggiato avanti S. S.tà »). ASR, Cam. I: 1295: Introito et Exito, 1550, fol. 24r. Il a donc dû faire partie de l’entourage de Jules III dès le début de son pontificat. Quant à Marcantonio, il est mentionné pour la première fois dans les registres de la trésorerie secrète, le 24 février 1551. Il y fait l’objet d’une mancia à l’occasion de l’anniversaire du couronnement du pape. Ibid., Cam. I: 1295: Thesaureria Secreta, fol. 23r. 251 BAV, Ruoli 24, fol. 36; Ruoli 32, fol. 9r. Torres apparaît dans l’un et l’autre de ces rôles qui sont de 1556 et 1558 respectivement avec le titre de « docteur ». Il avait été auparavant théologien du cardinal Giovanni Salviati. Son nom figure en 1544 dans un livre de comptes de ce dernier (Ibid., Archivio Salviati 234, Entr. e Usc. 1543-46, fol. 56r, 65r) et de nouveau en 1553, à titre d’héritier du cardinal, dans un registre posthume (Ibid., Archivio Salviati 263, Entrata et uscíta del card. Bernardo Salviati 1553-56, fol. 113). Mais Paul IV, à ce qu’il semble, savait aussi apprécier d’autres types de talent d’où sans doute la présence à sa cour d’un poète, un certain Virgilio « vecchio », qu’on y trouve en 1557. Ibid., Ruoli 30, fol. 14r.
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Toledo dans le cas d’un Pie V252, enfin ce même Francisco de Toledo dans le cas de Sixte V253. Sans doute retrouve-t-on Torres et Statio à la cour d’un Pie IV254, mais ce dernier n’avait pas hésité à se doter en plus d’au moins un musicien, Cecchino Santini255 et d’un poète, Silvio Antoniani, promis à un bel avenir256. Pastor signale qu’il aimait à l’heure des repas s’entourer de convives à l’esprit vif et au verbe joyeux: écrivains, conteurs, voire bouffons257. Certains de ces derniers faisaient-ils partie de sa « famille »? Pour ce qui est des bouffons, probablement. Malheureusement ces derniers ne sont jamais identifiés comme tels dans les rôles de cour258. Quant à Grégoire XIII dont tout le monde à l’époque vantait la vie bien réglée, le sérieux et surtout la frugalité, il semble bien qu’il se soit contenté, à l’instar de Paul IV et Pie V, d’« hôtes » de la trempe d’un Statio et d’un Tolet259 qu’il considérait sans doute mieux convenir au style qu’il entendait donner à sa cour. On peut en dire autant de Clément VIII, à cette nuance près que, renouant avec la tradition, il se prévaudra des services appréciés d’un bouffon, le nain Trulla que lui avait offert le roi de Pologne260. Les papes du XVIe siècle, pour des raisons qui tenaient, d’une part, aux liens les unissant à certains individus ou groupes d’individus: parents, clients, amis, demandeurs d’asile, compatriotes et, d’autre part, à leurs goûts et intérêts personnels avaient choisi d’inclure dans leurs « familles » un certain nombre d’« hôtes » qui étaient là non pas tant pour ce qu’ils y faisaient que pour ce qu’ils représentaient aux yeux de ces mêmes papes. Ces « hôtes » constituaient, à n’en pas douter, un groupe à part, et un groupe jouissant de privilèges, dans certains cas, considérables. Mais, pour la majeure partie des membres de la « famille » pontificale, telle n’était pas 252 Sur le patrologue et humaniste portugais Statio –– de son vrai nom Achille Estaço ––, voir P. Hurtubise, Une procession à nulle autre pareille, dans AHP, 39 (2001), p. 146-147. Pour ce qui est de Toledo, se reporter à la note 221. 253 BAV, Ruoli 65, fol. 3r. 254 Pour ce qui est de Torres, voir ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 4r. Il s’agit d’un rôle de 1560 où Torres est inscrit parmi les extraordines et a droit à un serviteur. En 1564, il reçoit une provision de 20 écus par mois. Ibid., Cam. I: 1299, Conto 1564-65, fol. 57. Ce même registre contient le nom d’Achille Statio qui a droit, lui, à une provision mensuelle de 15 écus. Ibid., fol. 65. Pour ce qui est de Toledo, se reporter plus haut à la note 221. 255 BAV, Ruoli 39, fol. 29. 256 Ibid., fol. 30. Antoniani y est inscrit parmi les diversi maggiori. Sur ce personnage, voir note 95. 257 Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 71-72. 258 Ou, peut-être, comme certains « hôtes » à l’époque, n’y figurent-ils pas, comme ce sera plus tard le cas de Trulla, bouffon de Clément VIII. Heureusement pour nous –– malheureusement pour le principal intéressé ––, nous connaissons par ailleurs l’un d’entre d’eux: il s’agit du « docteur Buccea » que Pie V s’empressera de chasser de sa cour dès son élection. Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 98. 259 Pour Statio et Toledo, voir respectivement notes 252 et 221. 260 R. Mols, Clément VIII, dans DHGE, 12, col. 1294.
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et d’ailleurs ne pouvait être la voie d’accès normale à la cour. D’autres « médiations » étaient nécessaires, cela pouvant aller de l’intervention de patrons plus ou moins ou influents: cardinaux, évêques, princes, ambassadeurs à celle de « proches » –– parents, amis, compatriotes –– faisant déjà eux-mêmes partie de la cour. Tous ces cas de figure existent et, pour certains, en très grand nombre, encore qu’il ne soit pas toujours facile d’en faire l’illustration et surtout la démonstration. En ce qui concerne le premier type d’intervention, nous sommes heureusement bien servis par deux documents à première vue surprenants qui se trouvent aujourd’hui dans la série des Ruoli de la Vaticane. Ils datent des pontificats de Paul IV et de Pie V261. Il s’agit sans doute, dans l’un et l’autre cas, de « témoins » exceptionnels d’une pratique qui n’avait, elle, probablement rien d’exceptionnel, comme permettent de le constater un certain nombre d’indices fournis par d’autres sources sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir plus loin. Que nous disent ces documents? Tout d’abord, qu’au début de chaque pontificat, cardinaux et ambassadeurs présents à Rome de même que certains prélats ou seigneurs avaient le droit de proposer des candidats aux principaux offices de la cour, dans le cas d’offices « secrets », au pape lui-même, s’agissant d’autres types de charges, au majordome alors en fonction. À noter toutefois que certains « aspirants », surtout ceux dont les offices dépendaient du majordome, pouvaient présenter eux-mêmes leurs candidatures. Lors de la formation initiale de la cour de Paul IV en 1555, un total de 278 candidatures du premier262 et de 64 du second type263 furent déposées. On constate, sans trop de surprise, que plusieurs d’entre elles concernaient d’anciens serviteurs du nouveau pape ou, plus généralement, des Carafa. Il y avait bien évidemment plus de demandeurs que de postes disponibles –– ils étaient, par exemple, 50 à postuler une charge de camérier, 10, une place de chirurgien, 38, un office d’écuyer, 77, un emploi de palefrenier ––, d’où nécessairement le coefficient de risque que comportait la démarche en question pour qui n’avait ni les « accointances » ni les appuis requis. À preuve, l’échec d’un Adriano, horloger du palais apostolique depuis 32 ans, qui, se fondant sur le fait que cette charge lui avait occasionné de lourdes dépenses à peine compensées par son maigre salaire, demandait à être reconduit dans cette même charge, mais qui, faute peut-être d’appuis suffisants, se vit évincer par un concurrent, comme lui, allemand, un certain « Giovan » à qui Paul IV avait promis quelque temps auparavant de lui BAV, Ruoli 22 et 56. Le premier de ces rôles est de 1555, le second, de 1566. Ibid., Ruoli 22, fol. 8-27. 263 Ibid., fol. 28-33r. 261 262
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fournir le moyen de subvenir aux besoins de ses nombreux enfants264. Ou, à l’opposé, la réussite du Savoyard François Set qui obtint tel que souhaité la charge de préposé au four du palais grâce aux recommandations de nul autre que Carlo Carafa, neveu du pape, auxquelles était venu s’ajouter le témoignage favorable de Paolo Consiglieri, maître de chambre du pape265. La mise en place de la cour de Pie V en 1566 est pareillement l’occasion de multiples recommandations –– 193 au total –– dont 110 de la part de cardinaux et 16 de la part d’ambassadeurs alors en poste à Rome. On est frappé du nombre de celles faites par le cardinal Farnèse, soit une vingtaine266, ce qui en dit long sur l’influence qu’il avait ou, du moins, estimait avoir à l’époque et peut-être surtout sur le rôle déterminant qu’il avait joué dans l’élection du pape Ghislieri. On aura par ailleurs remarqué que les chiffres de 1566 sont de loin inférieurs à ceux de 1555 –– 193 vs 342 ––, ce qui semble suggérer que les requérants de 1566 n’étaient pas sans savoir que Pie V, en ce qui concernait les offices « secrets » surtout, entendait se limiter au strict minimum. Bon indice en ce sens, le seul fait que de 1555 à 1566 on passe de 50 à 31 aspirants à la charge de camérier et de 77 à 27 à celle de palefrenier267. Cela dit, comment se faisait le choix final? Vraisemblablement en fonction d’un jeu complexe d’influences où le pape essayait de satisfaire le plus grand nombre possible de demandes provenant des siens tout en cherchant à répondre du mieux qu’il pouvait à celles présentées par d’autres: cardinaux, princes, ambassadeurs surtout, avec lesquels il n’était pas sans savoir qu’il lui faudrait éventuellement collaborer ou, du moins, transiger et qu’il n’avait pas donc pas intérêt à se mettre à dos. Il est un groupe toutefois pour lequel sa marge de manœuvre était pour ainsi dire inexistante. Ce groupe, c’est celui des palefreniers. Lunadoro, auteur d’une Relation de la cour de Rome parue au début du XVIIe siècle et qui sera souvent rééditée par la suite, assure qu’une coutume « inviolable » obligeait les papes nouvellement élus à prendre pour palefreniers les doyens des palefreniers des cardinaux et ambassadeurs présents à Rome au moment de son élection268. Depuis quand cette coutume existait-elle? Il n’en dit rien. Mais tout porte à croire qu’elle était déjà bel et bien établie sous une forme ou une autre au XVIe siècle. Sans quoi il serait 264 Ibid., fol. 28v. Dans un rôle de 1557, M° Giovan est dit « ancien » préposé à l’horloge. Ibid., Ruoli 30, fol. 14r. Sur Adriano, voir Dorez, La cour cit., I, p. 174; II, p. 270. Dorez croit que cet Adriano s’appelait en réalité Adrien « Boichant » et qu’il était d’origine allemande. 265 BAV, Ruoli 22, fol. 32r. La présence de Set à la cour est confirmée par le rôle de « familiarité » de 1556. Ibid., Ruoli 27, fol. 42. Une note marginale indique que ledit Set serait mort cette même année. 266 Ibid., Ruoli 56, passim. 267 Ibid., Ruoli 22, fol. 8-27; Ruoli 56, fol. 19-32. 268 G. Lunadoro, Relatione della corte di Roma, Bracciano 1650, p. 16.
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difficile d’expliquer un phénomène que l’on observe d’un pontificat à l’autre, du moins à partir de Jules III, soit un gonflement considérable des effectifs des palefreniers au début de chacun de ces pontificats, puis au fil des années, sinon des mois une réduction marquée de ces mêmes effectifs. Ainsi, de 51 qu’ils étaient en 1550, au moment de son élection, les palefreniers de Jules III ne sont plus que 34 une année plus tard269. Chez Paul IV, leur nombre passe de 50 en juin 1556 à 39 en juin 1558270. Statistique encore plus impressionnante dans le cas de Grégoire XIII qui, des 60 palefreniers qu’il avait à sa disposition en juin 1572, soit un mois à peine après son élection, n’en a plus que 47 en 1575 et 41 quatre années plus tard271. Sans doute des raisons, entre autres, économiques peuvent-elles expliquer, en partie du moins, ces compressions d’effectifs. Mais la motivation principale pourrait bien être ailleurs, à savoir, pour chacun de ces papes, la présence à leurs côtés d’imposantes cohortes de « familiers » que, pour la plupart, ils n’avaient pas choisis, mieux qui leur avaient été en quelque sorte imposés. Certes y avait-il quelque avantage à cette présence, en ce sens qu’elle pouvait servir à établir des liens de confiance, voire à faciliter les rapports avec les cardinaux et ambassadeurs qui leur avaient offert les « familiers » en question. Mais il y avait à cela un revers, à savoir que ces mêmes palefreniers n’étaient pas à l’abri de sollicitations de la part de leurs anciens maîtres visant à obtenir d’eux des renseignements sur ce qui se passait ou se tramait à la cour pontificale. Aussi peut-on comprendre que les papes de l’époque, utilisant au besoin des prétextes de tous ordres, aient cherché à écarter certains de ceux qui étaient ainsi entrés à leur service. Et cette pratique, il va sans dire, ne concernait pas que les palefreniers272. D’ailleurs, pourquoi un Jules III, un Paul IV et un Grégoire XIII n’auraient-ils pas eu le droit d’éloigner ou de remplacer les éléments indésirables de leurs cours ou, du moins, ceux qui, à leurs yeux, ne semblaient pas ou ne semblaient plus répondre à leurs attentes? Poser la question c’est déjà y répondre. Si l’appui de puissants personnages, papes y compris, était le moyen le plus sûr d’accéder à la cour pontificale, d’autres voies d’accès restaient possibles et pouvaient, dans certains cas, s’avérer presque aussi rentables, la plus fréquentée, à ce qu’il semble, consistant en l’exploitation des liens de parentèle, d’amitié ou de concitoyenneté existant avec des membres de la BAV, Ruoli 2, fol. 23; Ruoli 6, fol. 9. Ibid., Ruoli 27, fol. 36-37; Ruoli 32, fol. 10v-11r. Il y a fort à parier que ce nombre était encore plus élevé au moment de l’élection de Paul IV, une année plus tôt. 271 ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 3r; Giust. di Tes. 12, fasc. 15; Giust. di Tes. 14, fasc. 3. Clément VIII en fera tout autant. Le 30 juin 1593, il licencie 33 de ses 60 palefreniers. ASV, Urb. lat. 1061, fol. 365r. 272 Un exemple, parmi d’autres: de 1550 à 1551, le nombre d’écuyers inscrits à la cour de Jules III passe de 37 à 19 (BAV, Ruoli 2, fol. 21; Ruoli 6, fol. 7v) et le nombre de chapelains de 51 à 34 (Ibid., Ruoli 2, fol. 23; Ruoli 6, fol. 9). 269 270
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cour bien en place ou, du moins, disposant d’un certain capital d’influence. L’examen systématique des ruoli de l’époque révèle de nombreuses homonymies qui, à elles seules, suffisent à montrer à quel point cette voie, bien que plus discrète, n’en était pas moins fort efficace. Que d’exemples pourraient être ici invoqués. À commencer par celui d’un personnage qui ne nous est pas inconnu, à savoir le Dalmate Vincenzo de Andreis, prélat domestique de Léon X, qui réussit à faire inscrire sur le rôle de « familiarité » de ce dernier quatre proches parents, dont deux neveux et, notons-le au passage, au moins un compatriote, Nicholas Petrovich273. Ou celui du Bressan Pietro Duranti, prélat domestique de Paul III auprès duquel il assure de 1537 à 1539 la fonction de dataire et qui profite de sa situation pour favoriser trois de ses neveux, en particulier Durante qui, grâce à lui et à la protection des Farnèse, réussit une brillante carrière ecclésiastique, cardinalat y compris, et en profite à son tour pour ouvrir les portes de la cour et de la curie à plusieurs autres membres de la famille274. Ou encore celle d’un Giovanni Battista Galletti dont Jules III a fait son majordome en 1550 et à qui Bindo et Fabrizio Galletti doivent nul doute leur entrée une année plus tard à la cour à titre de camériers275. Et que dire de la famille de Bellis dont deux membres nous sont déjà connus, soit Niccolò et Francesco, l’un et l’autre maîtres de l’écurie, le premier sous Jules III, Paul IV et Pie IV, le second sous Pie V et Grégoire XIII, mais auxquels il faut ajouter Giacomo de Bellis présent dès 1545 à la cour de Paul III avec le titre de panetier « commun », office qu’il continuera à exercer jusqu’au temps de Grégoire XIII, et Scipione de Bellis qui occupe, à la cour de Pie IV cette fois, le rang envié d’écuyer domestique276? Que dire par ailleurs des Benci, des Zeffiri, des Chassaing qui font leur entrée à la cour pontificale au temps de Paul III, des Petit qui les rejoignent sous Paul IV, des Giachanelli et des Caligari qui y apparaissent sous les règnes de Grégoire XIII et de Sixte V respectivement et qui tous réussissent à s’y maintenir dans une variété de fonctions A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXIV (1911), p. 369. Pietro Duranti était un habitué de la cour pontificale qu’il fréquentait déjà au temps d’Alexandre VI et où il se lia d’amitié avec le cardinal Farnèse, le futur Paul III. On comprend que, dès l’élection de ce dernier, il ait été appelé à la cour pontificale et qu’il ait eu, comme dataire surtout, toute facilité de promouvoir les intérêts de sa famille. À ce sujet, voir M. Sanfilippo, Duranti, Durante, dans DBI, 42, p. 124-126; Duranti, Pietro, Ibid., p. 135-138 et Duranti, Vincenzo, Ibid., p. 138-139. 275 BAV, Ruoli 2, fol. 17r; Ruoli 6, fol. 3r, 4v. 276 Pour ce qui est de Niccolò de’ Bellis, voir Ibid., Ruoli 2, fol. 20v; Ruoli 6, fol. 7r; Ruoli 32, fol 9r; Ruoli 39, fol. 29; ASR, Cam. I: 1299, Intr. et Ex. 1561-64, fol. 10r. Pour Francesco, voir Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [7r]; Cam. I: 1300, fol. 10v. À noter qu’un certain Francesco de’ Bellis –– s’agit-il du même? –– était familier d’Eliseo Teodino d’Arpino, évêque de Sora, prélat domestique à la cour de Paul III en 1545. BAV, Borg. lat. 354, fol. 37. Sur Giacomo de’ Bellis, voir Ibid., fol. 24; Ibid., Ruoli 27, fol. 43; Ruoli 39, fol. 36; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [10v]; Ibid., Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 4r. Enfin sur Scipione de’ Bellis, voir Ibid., Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 8r. 273 274
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durant deux, trois, quatre, voire cinq pontificats277? Et, dans la même veine, comment ne pas rappeler ici l’exemple des Baroni et des Firmano qui firent de l’office de maître de cérémonie pratiquement leur chasse-gardée durant 277 Grâce, entre autres, à la protection d’un oncle paternel du nom de Francesco ou Cecco qui avait été secrétaire de Clément VII (ASR, Cam. I: 861, fol. 17), Trifone Benci était entré au service de Paul III en 1535 à titre, lui aussi, de secrétaire, mais de secrétaire chargé tout spécialement du chiffre. Fonction qu’il continuera à occuper à la cour de Jules III (BAV, Ruoli 2, fol. 17v; Ruoli 6, fol. 3v), Paul IV (Ibid., Ruoli 32, fol. 4v), Pie IV (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 3v; Ibid., Cam. I: 1299, Conto 1563-64, fol. 15; Conto 1564-65, fol. 73); Pie V (Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [3r] et Grégoire XIII (Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 2v). Sur ce personnage quelque peu original, mais qui sut se faire de nombreux amis et protecteurs qui ne furent sans doute pas étrangers à sa réussite, voir L. Dorez, La cour du pape Paul III, I, p. 37-42 et A. Prosperi, Benci, Trifone, dans DBI, 8, p. 203-204. Dorez signale la présence à la cour du pape Farnèse d’un autre Benci, prénommé Alessandro, qui occupait à l’époque le poste de comptable à la Chambre Apostolique. Dorez, La cour cit., I, p. 84. Un proche parent? Peut-être. Egidio Zeffiri, un des camériers favoris de Paul III, était le frère de Lodovico Zeffiri qui avait été secrétaire d’Alexandre Farnèse avant l’accession de ce dernier au trône pontifical. Il profitera à son tour de son ascendant sur le pape pour faire nommer son fils Silvio médecin de la cour et un autre fils, Pietro, châtelain d’Ancone. Ibid., I, p. 50-51. Sur Silvio Zeffiri, voir aussi Marini, Archiatri cit., I, p. 363-364. Des Chassaing (ou Cassaing), nous connaissons Jean qui fut portier du Belvédère au temps de Paul III (BAV, Borg. lat. 354, fol. 23) et exerçait encore cette fonction au temps de Paul IV (Ibid., Ruoli 27, fol. 46), de même que Vital, serviteur des palefreniers tant à la cour du pape Farnèse (Ibid., Borg. lat. 354, fol. 20) qu’à celle de Jules III (Ibid., Ruoli 2, fol. 23v) et qui semble avoir exercé par la suite, à moins qu’il ne s’agisse d’un homonyme, l’humble fonction de balayeur du Belvédère au temps de Paul IV (Ibid., Ruoli 39, fol. 39). Nous ne connaissons pas les liens de parenté existant entre ces deux ou trois modestes personnages, mais il serait surprenant qu’il n’y en ait eu aucun. On peut en dire autant des Petit, qu’il s’agisse de Jean, cuisinier « commun » à la cour de Paul IV (Ibid., Ruoli 27, fol. 44), Sébastien, palefrenier à cette même cour (Ibid., Ruoli 32, fol. 11r), ou encore Jérôme, écuyer au service de Paul IV et de Pie IV (Ibid., Ruoli 27, fol. 33; Ruoli 39, fol. 27). Dorez a trouvé trace d’un autre Jean Petit exerçant la fonction de scriptor à la chapelle Sixtine à la cour de Paul III cette fois. La cour du pape Paul III, II, p. 239. Encore là, s’agit-il d’un parent et serait-il pour quelque chose dans la venue des autres Petit à la cour pontificale? Peut-être. Francesco Giacanelli, dit parfois scriptor des dépenses, parfois sous-comptable du palais de Grégoire XIII (ASR, Cam. I: 1310, fol. 36r), est promu, à ce qu’il semble, en 1583 au poste de comptable, poste qu’il conserve à la cour de Sixte V. BAV, Ruoli 65, fol. 5r. Giovan Battista Giacanelli –– son frère, son neveu? –– lui succède comme sous-comptable en 1583 (ASR, Cam. I: 1310, fol. 36v) avant d’occuper à son tour la charge de comptable, probablement vers la fin du règne de Sixte V. ASR. Cam. I: 1363, fol. 9r. Giovan Andrea Caligari, après une longue carrière curiale et diplomatique facilitée par le crédit dont il jouit auprès d’un certain nombre de cardinaux: Commendone, Ippolito d’Este et Borromée, entre autres, devient en 1587 secrétaire de Montalto, cardinal neveu de Sixte V (BAV, Ruoli 75, fol. 2v) et fait si bien que les successeurs de ce dernier, Clément VIII y compris, n’hésitent pas à le garder à leur service avec le titre de secrétaire des brefs. Ibid., Ruoli 113, fol. 3r. Sur ce personnage et le rôle qu’il a été appelé à jouer à l’époque, voir G. de Caro, Caligari, Giovanni Andrea, dans DBI, 16, p. 711-717. Il est sans doute pour quelque chose dans le fait que l’année même de sa nomination comme secrétaire du jeune cardinal Montalto, un certain Lodovico Caligari –– son neveu? –– soit nommé scriptor auprès du secrétaire des brefs Boccapaduli (ASR, Cam. I: 1358, fol. 10r) avant de devenir sous Clément VIII substitut dudit secrétaire (BAV, Ruoli 113, fol. 3r; Ruoli 133, fol. 3v). Giuliano Caligari, « dépensier » du palais au temps de Clément VIII (ASR, Cam. I: 1367, fol. 2v) ne lui devrait-il pas lui aussi son poste?
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trois quarts de siècle ou encore celui des Rainaldi et des Sirleto qui égalèrent presque ce record à titre de conservateurs de la bibliothèque palatine. Manifestement le népotisme n’était pas qu’affaire de « hauts » personnages, pape y compris: il existait à tous les échelons de la cour, y compris les plus bas. Lorsque nous avons abordé dans notre premier chapitre le problème du népotisme, nous avons rappelé, entre autres choses, que la pietas qui servait à justifier cette pratique pouvait être comprise comme s’appliquant aussi aux compatriotes, l’amour de la patrie étant vu comme une sorte d’extension de l’amour dû à sa propre famille. Nous venons de voir que les papes de l’époque avaient presque autant de considération pour les liens du sol que pour ceux du sang. On est en droit de penser qu’il en allait de même des membres de leurs cours de quelque rang qu’ils aient été. Simple hasard le fait que, malgré une italianisation de plus en plus marquée de la cour à partir du règne de Paul III, la fonction de courrier (cursor) reste jusqu’à la fin du XVIe siècle un monopole ou presque des étrangers278? Ou qu’on assiste à une augmentation sensible du nombre de francophones à la Daterie entre 1545 et 1565 avec l’accession, à quelques années d’intervalle, du Messin Nicolas Vernely, du Lyonnais François Bachod et du Savoyard Gélase Regard à la tête du dicastère en question279? Ou encore que le chœur de la Sixtine se peuple d’une majorité de Français au temps de Clément VII avant de s’italianiser durant le pontificat de Paul III280? Il est Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 33-34. Dorez, La cour cit., I, p. 68-69. Vernely fut dataire probablement de 1544 à 1550 (Ibid., I, p. 35; Storti, La storia cit., p. 168), Bachod, de 1556 à 1559 (Ibid., p. 169; B. Katterbach, Referendarii Utriusque Signaturae, Cité du Vatican 1931, p. 117), Gélase Regard, de 1565 à 1566 (Ibid., p. 134; N. Storti, La storia cit., p. 169). À noter toutefois que Regard occupait déjà en 1560 un poste important à la Daterie. BAV, Ruoli 39, fol. 30; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 7v. Dans le rôle de « familiarité » de Paul III de 1545-1546, on trouve les noms de cinq officiers œuvrant aux côtés de Vernely. Or quatre d’entre eux sont français, dont un certain Nicolas Vernely, un proche parent sans doute. BAV, Borg. lat. 354, fol. 19r. Sur les douze membres du personnel de François Bachod inscrits au rôle de « familiarité » de Paul IV de 1556, au moins cinq sont francophones, sans compter Jean Bachod, distributeur des suppliques, dont on découvre le nom plus tard à la cour de Pie IV. Ibid., Vat. lat. 15046, fol. 8; Ibid., Ruoli 39, fol. 41. Malheureusement, nous ne disposons pas de renseignements du genre pour ce qui est de Regard, mais il serait surprenant qu’il n’ait pas lui aussi cherché à favoriser ses compatriotes. 280 En effet, sur les 52 chanteurs dont les noms figurent dans les rôles de la Sixtine au temps de Clément VII, 26 sont français, soit très exactement la moitié, et sur les 44 qu’on y trouve au temps de Paul III, 21 sont italiens, soit 45%, les français ne représentant plus que 23% du total. Ces données sont empruntées à R. Sherr, Singers in the Chapel of Clement VII (1524-1534) et Singers in the Papal Chapel on the Years Covered by the Diarii Sistini and the Mandati (1535-1590). Il s’agit de tableaux que l’on trouve sur son site Web: www.Smith.edu/ rsherr. Peut-être est-il bon de rappeler ici qu’à la suite du sac de Rome, Clément VII avant envoyé un de ses chanteurs, Jean du Conseil, en tournée de recrutement en France. À ce sujet, voir plus haut note 237. Plusieurs années plus tôt, Jules II avait noté à quel point les chanteurs français, mais aussi espagnols étaient attirés par la Sixtine. Dorez, La cour cit., I, p. 221, n. 2. 278 279
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permis d’en douter comme de nombreuses autres occurrences du genre qui émaillent les ruoli de l’époque281. Si l’appartenance à un réseau de parents, d’amis, de compatriotes ou encore la protection d’un ou plusieurs influents patrons paraissaient constituer autant de préalables obligés à toute ambition d’accéder à la cour pontificale –– les cas que nous venons d’évoquer le montrent amplement ––, cela toutefois ne suffisait pas toujours à atteindre l’objectif souhaité. Il fallait en plus, surtout si l’on venait de loin géographiquement et socialement parlant, posséder certaines des qualités dont faisaient état les auteurs de manuels portant sur l’art de réussir à la cour, en particulier: souplesse, « prudence », clairvoyance et persévérance. Un des plus remarquables exemples que nous ayons de réussite due surtout à ce type de qualités nous est fourni par la carrière d’un jeune Andalou, parti pour ainsi dire de rien, venu à Rome probablement vers la fin du règne de Sixte IV et dont on peut franchement dire, compte tenu de ce qui lui arrivera par la suite, qu’il fut le principal artisan de l’incroyable ascension qu’il connut, à partir surtout du pontificat de Jules II, vers des sommets qui paraissaient au départ inaccessibles. Nous voulons parler de Gabriele Merino (c.1472-1535), originaire de San Esteban del Puerto, près de Jaen dans le sud de l’Espagne, personnage étonnant dont les exploits encore aujourd’hui donnent l’impression de relever de la légende plutôt que de la réalité. Jeune orphelin, venu comme tant d’autres de ses compatriotes chercher fortune à Rome, il a la chance d’entrer très tôt au service du cardinal Ascanio Sforza à titre de garde-chiens. Avait-il quelque expérience en ce domaine? Peut-être. Mais l’important dans les circonstances, c’est que ce poste à première vue sans avenir était lié de très près à la chasse, exercice par excellence des cardinaux de l’époque, surtout des cardinaux d’origine aristocratique tel qu’Ascanio Sforza et que Merino saura utiliser cet atout pour se gagner les faveurs de son maître et ainsi se hisser progressivement jusqu’au rang de camérier secret, puis de secrétaire particulier de ce dernier. Mettant à profit cette nouvelle situation, il réussira à se rapprocher d’autres puissants personnages, entre autres, le cardinal Alidosi et, par le truchement de ce dernier, de Jules II, rapprochement qui lui vaudra en 1509 un office de camérier à la cour pontificale. À la même époque, il se lie d’amitié avec le cardinal Luigi Cornaro, amitié qui lui vaut peut-être son entrée à la cour de Léon X et le titre d’archevêque de Bari en 1513. Parfait courtisan –– résultat probablement de l’expérience acquise à la cour du cardinal Sforza, mais aussi d’un certain nombre de talents naturels qu’il avait su durant tout ce temps cultiver, tels la musique et l’art de la chasse 281
Nous renvoyons aux exemples donnés plus haut, p. 253.
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notamment, deux passions qu’il partageait avec Léon X ––, il devient vite un des favoris de ce dernier. La course aux honneurs et aux bénéfices prend à partir de ce moment une toute autre allure. Évêque de Leon en 1516 sur résignation de son ami le cardinal d’Aragon, cette nomination lui vaut en 1519 une missive du futur Charles Quint l’incitant à venir occuper son nouveau siège épiscopal. Il rentre finalement en Espagne une année plus tard où, ayant fait la connaissance de l’empereur, il se gagne en peu de temps la faveur de ce dernier. Une nouvelle étape de son étonnante carrière s’ouvre, dominée cette fois par la figure de Charles Quint qui sera désormais son maître incontesté, ce qui lui vaudra en 1523 de se retrouver à Rome avec Adrien VI qui fera de lui un de ses rares intimes (!), d’obtenir la même année le siège de Jaen dont il rêvait depuis très longtemps, de servir d’intermédiaire entre Charles Quint et Clément VII avant et après le sac de Rome, de devenir grand aumônier de l’empereur en 1531 et, finalement, d’obtenir sur les instances de ce dernier le chapeau de cardinal en 1533. Ne doutant plus de sa bonne étoile et escomptant peut-être l’appui de Charles Quint, il cherche à se faire élire pape au conclave suivant la mort de Clément VII. Mais l’empereur qui le connaissait bien et avait sans doute plus que lui à cœur le bien de l’Église lui refuse son appui. Déçu sans doute comme pouvait l’être un homme à qui tout ou presque jusque-là avait réussi, il meurt le 28 juillet 1535 dans son palais de la place de Pasquino. « Cardinal d’une grande sagesse et d’une exceptionnelle habileté », disait de lui l’ambassadeur de Venise à Rome282. Sur ce dernier point du moins, on ne peut qu’être d’accord avec lui. Pour le reste... Moins spectaculaire sans doute, mais tout de même fort instructive la saga d’un autre étranger qui réussira lui aussi à se tailler une place à la cour pontificale, même si sa carrière n’eut pas l’envergure de celle d’un Merino et surtout se termina plutôt mal: le Français César Grolier. Étrange entrée en scène que celle de ce fils naturel d’un trésorier du roi de France, Jean Grolier, qui, venu en ambassade à Rome avec son père en 1526, avait, à ce qu’il semble, à ce point impressionné le pape Clément VII que celui-ci avait décidé de le prendre sous sa protection. Né à Milan d’une mère inconnue probablement vers 1505, César devait avoir à ce moment environ une vingtaine d’années. Son père, bien connu pour ses accointances avec de nombreux humanistes de l’époque, avait sans doute pris soin de lui communiquer son amour des lettres et de lui faire donner une formation à l’avenant, ce qui permettrait d’expliquer, d’une part, la description en latin du sac de Rome qui lui est attribuée et qui sera d’ailleurs un siècle plus tard publiée sous son nom à Paris, et, 282 Sur ce personnage hors du commun, voir A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XXXV (1912), p. 226-271.
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d’autre part, son accession éventuelle aux postes de scriptor, puis de secrétaire des brefs latins, postes qu’il occupera sous au moins cinq papes. Fut-il vraiment le protégé de Clément VII? Nous n’en savons rien. Mais, s’il le fut, il ne semble pas que cela lui ait été d’un grand profit. Léon Dorez affirme que lorsque Jean Grolier quitta Rome, il installa son fils chez l’imprimeur Francesco Cavo283 en vue peut-être de lui permettre de parfaire son éducation et de lui fournir en même temps quelque moyen de subsistance. À l’âge de 25 ou 26 ans, c’est-à-dire vers 1529, César aurait réussi à acquérir, probablement avec l’aide de son père, une charge d’« écuyer »284, c’est-à-dire un de ces nombreux titres de rente créés depuis la fin du XVe siècle par une papauté en mal d’argent. C’est d’ailleurs sous ce titre qu’il apparaît vers 1545 dans le rôle de « familiarité » de Paul III285. Dorez assure qu’il fit aussi, à partir de 1553, partie du collège des scrittori apostolici286, autre charge vénale qui n’impliquait pas nécessairement l’exercice de la fonction correspondante, ce qui, semble-t-il, ne fut pas le cas en ce qui concerne César Grolier, car, au dire de Dorez, il existe déjà de cette époque des actes pontificaux portant sa signature. Tout cela d’ailleurs paraît corroboré par le fait que Grolier accède en 1550 à la cour pontificale avec le titre de scriptor brevium, faisant de lui non plus un employé de la Chancellerie apostolique, mais un « familier » du pape, en l’occurrence Jules III qui semble l’avoir pris assez tôt sous son aile. C’est en tout cas lui qui le persuade de quitter l’état ecclésiastique –– il n’était probablement que simple tonsuré –– pour épouser une florentine –– une certaine Maddalena Ginori, selon Dorez287 ––, de laquelle il aura quatre enfants: une fille et trois garçons dont l’un, Alessandro, sera orienté vers une carrière ecclésiastique qui le verra, avec l’aide 283 Ce renseignement et ceux qui précèdent sont empruntés à L. Dorez, Le sac de Rome (1527), relation inédite de Jean Cave, Orléanais, dans MAH, XVI (1896), p. 355, 437 et à V. Gallo, Glorieri, Alessandro, dans DBI, 57, p. 419. 284 Ibid. 285 BAV, Borg. lat. 354, fol. 16. 286 Dorez, Le sac cit., p. 437. Dorez s’étonne du retard que mit Grolier à entrer dans le collège des secrétaires apostoliques malgré la protection de son père. Mais –– nous l’avons montré plus haut (voir note 43) –– ce collège n’était plus à l’époque que l’ombre de lui-même et abritait surtout des « rentiers » qui, pour la plupart, ne remplissaient plus l’office pour lequel ce collège avait été fondé. 287 Ibid., p. 439. Se fondant sur l’ouvrage d’un certain abbé Pernetty (Recherches pour servir à l’histoire de Lyon, Lyon 1757, p. 331-332), Dorez affirme que l’épouse que Jules III trouva à Grolier était une Gironi. S’il s’agit bien d’une riche héritière florentine, il faut plutôt penser à Ginori, vieille famille florentine qui figure dans les listes dressées par Vincenzo Borghini au XVIe siècle. Cf. V. Borghini, Storia della Nobiltà Fiorentina, éd. J. R. Woodhouse, Pise 1974, p. 303, 315, 323. Les Gironi, si tant est qu’il existait une famille de ce nom à Florence, en sont absents. Sur l’entrée de Grolier à la cour à titre de scriptor des brefs, voir BAV, Ruoli 2, fol. 22r.
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de son père, passer successivement de la Chancellerie à la Chambre Apostolique avec au départ une charge d’abbréviateur de parco maggiore et à l’arrivée celle, beaucoup plus reluisante, de clerc de la Chambre288. Grolier qui vivait depuis près de vingt-cinq ans à Rome se rendit sans doute assez vite compte que la cour, du moins à son niveau, prenait une allure de plus en plus italienne et décida donc, comme le feront d’autres Français après lui –– un Cointerel par exemple289 –– de se mettre à l’heure de cette nouvelle et apparemment irréversible tendance. Dans le rôle de cour de 1551, il apparaît pour la première fois sous le nom de Cesare Gloriero et ce sera désormais sous ce patronyme que tous ses enfants et lui-même seront connus à Rome290. Entré en 1551 avec quelques autres au secrétariat des brefs personnels créé par Paul IV, il devient sous Pie IV le seul responsable de ce secrétariat, responsabilité qu’il continue à exercer sous Grégoire XIII291. Il est alors au sommet de sa carrière et, fort de l’amitié de nombreux et puissants cardinaux: un Alexandre Farnèse, un Ferdinand de Médicis, un Louis d’Este, peut espérer continuer à profiter de longues années encore des nombreux avantages que sa fonction lui procure, entre autres, celui d’être en mesure de fournir à son fils Alessandro le moyen d’atteindre les objectifs qu’il lui a ou que ce dernier s’est lui-même fixés. Mais voilà que tout ce beau rêve s’écroule en 1584 avec la décision de Grégoire XIII de le chasser de son poste, de faire subir le même sort à son fils depuis trois ans clerc de la Chambre et de mettre en séquestre les biens de la famille en attendant la fin de l’enquête que la Chambre Apostolique a été chargée de faire à leur sujet. Comment expliquer cette catastrophe que personne, semble-t-il, n’avait vu venir? L’impression qui se dégage des avvisi qui durant quelque trois mois suivront de près cette affaire est que le coupable en l’occurrence était Alessandro, fils de César, qui avait osé tenir tête au cardinal Guastavillani, neveu de Grégoire XIII, devenu quelques mois plus tôt son patron à titre de camerlingue. D’autres accusations concernant cette fois César étaient venues se greffer sur ce 288 Sur les enfants de Grolier, voir Dorez, Le sac cit., p. 439-440. Sur Alexandre ou Alessandro en particulier, se reporter à V. Gallo, Glorieri, Alessandro, dans DBI, 57, p. 419-421. 289 Sur ce personnage, voir M. Morsoletto, Contarelli, Matteo, dans Enciclopedia Catolica, IV, col. 433. Originaire de Morannes en Anjou, il vint étudier le droit à Bologne où il connut Ugo Boncompagni, le futur Grégoire XIII, auquel il s’attacha, ce qui lui valut une fructueuse carrière à Rome qui éventuellement le mènera au cardinalat. Il ne fut pas, comme l’affirme l’auteur, dataire au temps de Pie IV –– c’est sous Grégoire XIII qu’il exerça cette fonction ––, mais il fut durant ces années, à l’instar de son ami et protecteur Boncompagni, référendaire de l’une et l’autre Signatures. Cf. Katterbach, Referendarii cit., p. 127. 290 BAV, Ruoli 6, fol. 8r. 291 Sur sa présence à la cour de Paul IV, à titre de membre de la secrétairerie des brefs, voir Ancel, La Secrétairerie cit., p. 453-457. Pour ce qui est des cours de Pie IV, Pie V et Grégoire XIII, voir ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 3v. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [3r]; Ibid., Cam. 1: Giust. di Tes. 11, fasc. 9, fol. 4v; Ibid., Cam. I: 1352, fol. 31v.
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premier contentieux et le pape, prenant ouvertement parti pour son neveu, avait décidé de sévir, et de sévir avec toute la rigueur dont il était capable292. L’intervention des cardinaux proches des Glorieri, y compris celle du tout-puissant cardinal Farnèse, n’y avait rien fait. Le pape refusait obstinément de revenir sur sa décision293. César et son fils comprirent qu’il valait mieux pour eux quitter au plus tôt Rome, voire l’État pontifical. Avec la complicité des cardinaux de Médicis et d’Este, ils réussirent à gagner Florence où le grand-duc Francesco les prit sous sa protection294. Sixte V qui, nous l’avons vu, n’avait jamais été en très bons termes avec son prédécesseur, s’empressa, aussitôt élu en 1585, d’absoudre César et son fils des accusations qui pesaient contre eux et tous deux purent rentrer à Rome où Alessandro retrouva son poste de clerc de la Chambre et César, après quelques mois de tractations avec la Chambre Apostolique, l’ensemble de ses biens. Le second ne put toutefois récupérer son poste de secrétaire et dut se retirer dans la résidence du Parione où il mourut le 15 juin 1595. Quant à Alessandro qui avait réussi à reprendre sa carrière où il l’avait laissée en 1584 et paraissait en voie d’accéder à de plus grandes choses, il disparut à son tour en avril 1597, âgé d’à peine 47 ans295. Si les réussites d’un Merino et d’un Grolier illustrent bien l’une et l’autre le bien-fondé des conseils donnés par les auteurs des traités sur l’art de réussir à la cour, elles font en même temps ressortir les dangers que représentait ce que ces mêmes auteurs appelaient la « fortune » (fortuna), en d’autres mots la conjoncture, une conjoncture avec laquelle il fallait savoir à tout moment composer, qu’elle fût bonne ou mauvaise. Merino fut de toute évidence celui qui réussit le mieux en ce domaine peut-être parce que les circonstances lui furent en général plus favorables qu’à Grolier, mais peut-être manquait-il à ce dernier l’habilité et la souplesse d’un Merino qui aurait sans doute su mieux que lui conjurer le mauvais sort dont il avait été victime. Mais, cela dit, il ne faudrait pas oublier que Merino était sorti bredouille du conclave de 1534 où il avait cru pouvoir se faire élire pape. Comme quoi même les plus « fortunés » n’étaient pas nécessairement à l’abri de revers, et de revers parfois cuisants. Les papes, nous l’avons souligné à diverses reprises, étaient sans doute ceux qui étaient les mieux à même de faciliter l’accès à leurs cours, même Sur toute cette affaire, voir V. Gallo, Glorieri, Alessandro, dans DBI, 57, p. 420. Sur l’intervention du cardinal Farnèse, voir BAV, Urb. lat. 1052, fol. 172rv (14 nov. 1584). Le cardinal d’Este cherchera lui aussi à défendre les Glorieri, père et fils. Ibid., fol. 504r (8 déc. 1584). S’excusant quelques semaines plus tard auprès du pape d’avoir pris la défense de César Grolier et de sa famille et de continuer à le faire, il invoquera le fait que ces derniers étaient sujets du roi de France et qu’étant lui-même protecteur de la nation française, il n’avait pas d’autre choix que de le faire. Ibid., fol. 523v. 294 V. Gallo, Glorieri, Alessandro, dans DBI, 57, p. 419-420. 295 Ibid. 292 293
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si –– nous en avons donné de nombreux exemples plus haut –– ils s’en remettaient assez souvent à d’autres pour recruter le plus gros des effectifs appelés à faire partie de leurs « familles » respectives, c’est-à-dire ceux qui en général n’étaient pas destinés à leur tenir compagnie ou à les servir de près. Ils n’en cherchaient pas moins –– le contraire aurait été surprenant –– à se doter de cours correspondant le plus possible à leurs ambitions, intérêts et goûts particuliers. Cela était particulièrement vrai en ce qui concerne les « hôtes » de la cour, mais cela valait aussi pour les autres membres de leurs « familles » même s’ils devaient souvent s’en remettre pour le choix de ces derniers aux recommandations de certains éminents personnages: cardinaux, ambassadeurs et autres ou au bon jugement d’un officier dépendant directement d’eux et avec lesquels ils étaient en contact quasi quotidien: le majordome. Quitte, le cas échéant, à écarter ceux des membres en question qui ne leur convenaient plus ou à destituer, voire punir ceux qui avaient ou paraissaient avoir trahi leur confiance. Il suffit d’ailleurs d’examiner de près les rôles de cour existants pour se rendre compte du fait que la plupart des « familles » des papes de l’époque, pour l’essentiel, leur ressemblaient, les seules exceptions à cette règle ayant nom Pie III, Urbain VII et Innocent IX qui, en raison de l’extrême brièveté de leurs règnes, n’eurent pas le temps de se doter de cours bien à eux, s’en remettant pour une large part aux effectifs ou, du moins, ce qui restait des effectifs laissés par leurs prédécesseurs immédiats296. Ce qui amène à poser à nouveau la question des courtisans « transfuges », c’est-à-dire de ceux qui, grâce à leurs talents ou encore à la protection de puissants personnages, réussirent à passer d’une cour à l’autre, parfois même à plusieurs autres. Les limites des sources à notre disposition ne permettant pas, sinon dans quelques cas particuliers, de fournir à ce sujet des données chiffrées totalement fiables, nous en sommes, dans la plupart des cas, réduits à de simples approximations permettant, tout au plus, de fournir certains ordres de grandeur. Des quelques spécialistes qui se sont intéressés à la question, Théodore von Sickel, à notre connaissance, est le seul à s’être aventuré au-delà de cette frontière, ne craignant pas d’affirmer sur la base de l’examen d’un certain nombre de ruoli de l’époque que la cour de Pie V était formée pour un sixième environ d’éléments provenant de celle de Pie IV297. Ce qui, ne fût-ce qu’en raison des différences de caractère et de mentalité opposant ces deux hommes, paraît tout à fait invraisemblable298. À ce sujet, voir plus haut note 199. T. von Sickel, Ein Ruolo di famiglia des Papstes Pius IV, cité par von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 98. 298 Voir à ce sujet Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 106-122. Au départ, écrit-elle, le pape fera appel à un certain nombre d’anciens collaborateurs ou de « créatures » de Pie IV, mais ses hommes de confiance, à quelques exceptions près, venaient et viendront de plus en plus de l’en296 297
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Fait significatif, Pastor cite ce chiffre sans le commenter par crainte peutêtre de froisser son éminent collègue, mais il est lui-même à ce chapitre très prudent, se contentant d’indiquer à partir de témoignages d’époque les quelques cas où des papes décidèrent de reprendre à leur service certains éléments venant des cours de leurs prédécesseurs, de ceux surtout dont ils se sentaient proches. Les exemples qu’il donne –– et pour cause –– concernent justement Pie V et Sixte V, tous deux émules de Paul IV299. Mais il aurait pu ajouter à cette liste les noms d’un Clément VII, d’un Jules III et d’un Grégoire XIII qui, pour les mêmes raisons, favorisèrent la présence dans leurs cours d’anciens « familiers » de Léon X, Paul III et Pie IV respectivement300. Mais en aucun de ces cas paraît-il vraisemblable d’admettre que cette présence pût être de l’ordre de quelque 17% comme semble le supposer von Sickel à propos de Pie IV et Pie V. Même si on incluait dans ce nombre les « transfuges » dont nous faisions état plus haut, on arriverait difficilement à dépasser 5 ou 6% de chevauchement d’une cour à l’autre, si ce n’est dans les cas déjà mentionnés d’un Pie III, d’un Urbain VII et d’un Innocent IX301. Les contemporains avaient donc raison de prétendre que l’élection d’un nouveau pape entraînait presque automatiquement un renouvellement en profondeur des effectifs de la cour, d’où –– nous l’avons maintes fois souligné dans notre premier chapitre –– les craintes et les espoirs que suscitait le passage d’un pontificat à un autre. Malgré les quelques contraintes avec lesquelles ils devaient savoir composer, on peut donc dire que les papes de l’époque restaient en gros maîtres de leurs cours et de la physionomie qu’ils entendaient donner à ces dernières. tourage de Paul IV. Il est difficile d’imaginer que le recrutement de l’ensemble de sa « famille » n’ait pas été à l’avenant. Une comparaison des rôles de cour de ces deux papes nous a permis d’identifier tout au plus une vingtaine de noms se retrouvant de part et d’autre. Nous sommes très loin des chiffres suggérés par Von Sickel. Ce dernier aurait-il confondu cour et curie? 299 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 46-47; X, p. 48. 300 Clément VII succédant, après le bref pontificat d’Adrien VI, à son cousin Léon X, il était inévitable qu’il fasse de nouveau appel, du moins pour ce qui était des principaux services et des principales fonctions de la cour, à la parentèle et à la clientèle Médicis. Les sources de l’époque nous en fournissent d’ailleurs la preuve. À ce sujet, voir, entre autres, ASV, Intr. et Ex. 560-561, passim. Proche des Farnèse, Jules III avait tout intérêt à reprendre à son service un certain nombre des membres de la cour et de l’entourage de Paul III. Une comparaison des rôles de cour de ces deux hommes nous a permis de trouver au moins une cinquantaine de « doublets ». Quant à Grégoire XIII, en tant que « créature » de Pie IV, il ne pouvait faire autrement que de s’entourer d’un certain nombre d’hommes qu’il avait appris à connaître et avec lesquels il avait collaboré à la cour de ce dernier. Le choix de Tolomeo Galli comme secrétaire intime en est le meilleur exemple, mais il ne fut sans doute pas le seul. Malheureusement, les rôles de cour de Grégoire XIII ayant disparu, il n’y a pas de moyen de déterminer avec exactitude le nombre de membres de la cour de Pie IV qui reprirent du service chez lui. 301 Voir, plus haut, les notes 199 et 298.
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4. Une variété de traitements Mais comment exerçaient-ils cette « maîtrise », en d’autres mots, de quelle façon traitaient-ils les membres de leurs « familles » respectives et quels types de rapports entretenaient-ils avec eux? Difficile question, mais qu’on ne saurait éluder tant elle paraît indispensable à la compréhension de ce qu’était la cour pontificale à l’époque en termes non plus seulement de structure ou d’organigramme, mais de communauté de personnes en continuelle interaction les unes avec les autres, chacune selon le rang occupé et la fonction exercée au sein de cette même cour. Nous avons jusqu’ici employé plus d’une fois –– et à dessein –– le terme « famille » comme substitut du mot « cour », car, depuis l’Antiquité, c’est bien ainsi qu’était perçue la communauté de ceux et celles qui avaient l’heur de servir à la cour d’un « prince », la famille, au sens propre du terme, faisant en l’occurrence figure de premier analogué. Le « prince » était par le fait même assimilé au père et les membres de sa cour en quelque sorte à ses enfants302. Le fonctionnement de la cour pontificale durant tout le XVIe siècle correspond bien à ce modèle, à cette différence près qu’à partir du règne de Sixte V le rôle du pape comme « père » sera repensé en des termes ayant plus à voir avec la « fonctionnalité » qu’avec la « domesticité ». En d’autres mots, on commencera à partir de ce moment à traiter les membres de la cour en fonction de ce qu’ils faisaient plutôt qu’en fonction de ce qu’ils étaient. Nous montrerons plus loin comment s’opéra ce changement et dans quelle mesure il affecta le mode d’être et d’agir de la cour. Quoi qu’il en soit de cette transformation qui n’intervint –– peut-être est-il bon de le rappeler –– qu’à la toute fin de notre période, un des traits marquants de la cour pontificale à l’époque était et restera, même après le virage pris par Sixte V, sa structure fortement hiérarchisée. Dès lors, rien de surprenant à ce qu’à l’imposante pyramide de fonctions dont était faite la cour corresponde une échelle de traitements reflétant le degré d’estime attaché à chacune des dites fonctions. Dans une étude consacrée aux métiers de cour à l’époque de la Renaissance, nous avions proposé à partir de l’analyse d’un certain nombre de livres de comptes ayant appartenu aux cardinaux Giovanni et Bernardo Salviati de regrouper sous trois chefs les différents types de rémunération accordés aux membres des cours de ces deux hommes, soit la « gratification », la « provision » et le salaire, chacun de ces chefs correspondant en gros aux rangs occupés par les membres desdites cours303. Les recherches que nous avons depuis menées dans les 302 À ce sujet, voir D. Frigo, Il padre di famiglia, Rome 1985, p. 82-88 et passim. L’auteure renvoie à de nombreux traités des XVIe et XVIIe siècles, traités eux-mêmes inspirés d’une longue tradition remontant à Aristote. 303 Cf. Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 75-77.
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archives financières de la papauté pour le même époque nous permettent d’affirmer que, mutatis mutandis, ce même schéma vaut pour la cour pontificale et qu’il est de toute façon celui qui permet le mieux de rendre compte des divers modes de rémunération et de traitement qu’on y trouvait. Les modes de rémunération, tout d’abord. Les moins bien payés: officiers mineurs, d’une part, petit personnel, de l’autre, apparaissent comme il se doit dans les livres de comptes sous la mention « salariés » (salariati). Chez les cardinaux Salviati, leur rémunération se situait dans la première moitié du XVIe siècle entre 6 et 18 écus par an304. À la cour pontificale, l’écart est de 4 à 36 écus au temps de Paul III et de 5 à 48 sous Grégoire XIII305. La fourchette cette fois est nettement plus large –– s’agissant de la cour pontificale, le contraire aurait été surprenant ––, mais, toutes proportions gardées, on reste, pour l’essentiel, dans un même ordre de grandeur. Notons au passage que les salariati ne représentent qu’une fraction des effectifs de la cour, à peine 8,5% sous Paul III et quelque 12% au temps de Grégoire XIII306 et que, par ailleurs, le poste qui les concerne occupe très peu de place dans les budgets d’opération des cours de ces deux papes, soit très exactement 1,7%307. Mais les coûts de main-d’œuvre étant ce qu’ils étaient à l’époque, en particulier au niveau des salariati, ce pourcentage ne surprend guère et correspond d’ailleurs à ce que l’on trouve chez de grands personnages contemporains de Paul IV et de Grégoire XIII, tels le cardinal Alexandre Farnèse par exemple308. Toute autre la situation des provisionati qui, avec une rémunération annuelle oscillant entre 24 et 120 écus au temps du pape Farnèse et, probablement, 32 et 360 à l’époque de son homologue Boncompagni309, Ibid., p. 75. Ces données sont tirées, dans le cas de Paul III, de ASR, Cam. I: 1349, fol. 33r et Cam. I: 1492, fol. 31v, 53v, 94v, dans le cas de Grégoire XIII, de ASR, Cam. I: 1350, fol. 37v-38r et Cam. I: 1352, fol. 32r. À titre de comparaison, vers 1563, cet écart était de 9 à 52 écus à la cour du cardinal Alexandre Farnèse, petit-fils de Paul III. Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 261, n. 20. 306 Ces calculs ont été faits à partir des sources indiquées à la note précédente. 307 Ce pourcentage a été établi, pour Paul III, sur la base de ASR, Cam. I: 1349, fol. 95r et, pour Grégoire XIII, sur celle de Cam. I: 1350, fol. 41r. 308 L’intendance du palais du cardinal Farnèse incluant dans sa liste des salariati des personnages que l’intendance du palais apostolique considérait à l’époque comme appartenant plutôt à celle des provisionati, nous avons pris soin, pour fins de comparaison, de ne pas comptabiliser les sommes allouées aux personnages en question. Cette rectification faite, nous arrivons à un pourcentage de 3 %, soit 996 écus par rapport à un budget annuel total de 38 242 écus. Notre information est tirée de AS, Filz. I: 81, fasc. 32, fol. 4v et 11r. Pour une vue d’ensemble sur les coûts d’intendance du palais du cardinal Farnèse, voir P. Hurtubise, Tous les chemins mènent à Rome, p. 250. 309 En ce qui concerne Paul III, nos données sont tirées de ASR, Cam. I: Mand. cam. 868, fol. 13r-27r; 875, fol. 1r-78r; 886, fol. 6r-25r et, pour ce qui est de Grégoire XIII, de ASR, Cam. I: 1352, fol. 30r-31r. Chez le cardinal Farnèse, l’écart est de 24 et 396 écus. Cf. Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 261, n. 20. 304 305
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donnent l’impression d’habiter un autre monde fait exclusivement d’officiers majeurs, de « familiers » et d’un certain nombre d’« hôtes », c’est-àdire de personnages d’un certain relief. Mais on est encore là loin du sommet de la pyramide, car bon nombre de ces même officiers, « familiers » et surtout « hôtes » font partie d’un groupe plus sélect encore, objet, lui, d’un tout autre type de rémunération, si ce mot peut encore être employé à leur sujet, cette rémunération prenant dans leur cas, la forme non plus de salaire ou de provision, mais de revenus provenant de bénéfices ecclésiastiques ou d’offices curiaux, ou de pensions sur lesdits bénéfices et offices, ou encore de titres de rentes. On pourrait ici multiplier les exemples tirés soit des livres de comptes des majordomes et trésoriers secrets, soit des registres de la Chancellerie, de la Chambre Apostolique ou encore de la Daterie. Les données recueillies par Barbara McLung Hallman sur les cardinaux italiens de la première moitié du XVIe siècle sont à cet égard particulièrement éclairantes surtout en ce qui concerne ceux d’entre eux ayant fait à un moment ou l’autre partie de la cour pontificale. Qu’il suffise de mentionner ici les noms d’un Adriano Castellesi au temps d’Alexandre VI, d’un Bernardo Dovizi, d’un Ferdinando Ponzetti, d’un Silvio Passerini et d’un Francesco Armellini au temps de Léon X, d’un Alexandre Farnèse au temps de Paul III, tous influents personnages qui jouèrent un rôle de premier plan à la cour de ces papes et qui en profitèrent pour exploiter au mieux, avec l’aide ou, du moins, la bénédiction de ces derniers, le plantureux marché de bénéfices, offices, pensions et rentes existant à l’époque, marché qui, de fait, seul pouvait leur permettre de vivre à la hauteur de ce qu’ils estimaient être leur juste rang310. On pourrait ajouter à cette liste le nom d’un Francesco Alidosi, homme de confiance de Jules II, et, pour ce qui est de la deuxième moitié du XVIe siècle, ceux d’un Charles Borromée et d’un Pietro Aldobrandini, neveux respectivement de Pie IV et de Clément VIII311. Le champion en la matière est sans conteste Alexandre Farnèse, petit-fils de Paul III, dont les entrées se situaient vers 1540 à la hauteur de 60.000 écus l’an, entrées provenant surtout de bénéfices et d’offices tels, dans le cas des offices, le poste de vice-chancelier de l’Église et, dans celui des bénéfices, l’archidiocèse de Monreale en Sicile rapportant à lui seul 17.000 écus par année312. 310 Sur ces hommes, voir B. McClung Hallman, Italian Cardinals. Reform and the Church as Property, Berkeley-Los Angeles 1985, Ad indicem. Sur Alexandre Farnèse en particulier, voir S. Andretta ˗ C. Robertson, Farnese, Alessandro, dans DBI, 45, p. 52-59, 61, 63-70. 311 Sur Alidosi, voir G. B. De Caro, Alidosi, Francesco, dans DBI, 2, p. 373-376 et C. Shaw, Julius II, p. 168-170, 173-174, 178, 181, 184-185, 187-188; sur Borromée, R. Mols, Charles Borromée (saint), dans DHGE, 12, col. 478-494; sur Aldobrandini, P. Richard, Aldobrandini (Pietro), dans DHGE, 2, col. 56-59 et E. Fasano Guarini, Aldobrandini, Pietro, dans DBI, 2, p. 107-112. 312 Andretta ˗ Robertson, Farnese, Alessandro cit., p. 61.
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Mais les cardinaux palatins ne représentaient qu’une partie des effectifs jouissant de ce traitement de faveur. La plupart des prélats domestiques et de nombreux camériers, chapelains et écuyers y avaient pareillement droit, à un niveau plus modeste sans doute, mais les situant tout de même loin devant les salariati et provisionati mentionnés plus haut. Aussi est-on en droit de se demander si ce n’était pas là, et de beaucoup, le principal mode de rémunération existant à la cour pontificale et si, à l’image de ce qui se passait à la même époque dans l’Église en matière aussi bien de bénéfices ecclésiastiques313 que de titres de rentes, les papes du XVIe siècle, conseillés en cela par leurs experts financiers, n’avaient pas sciemment choisi cette façon, à vrai dire fort commode, de réduire leurs budgets d’opération, en d’autres mots, faire porter à l’ensemble de l’Église de même qu’à leurs sujets de l’État pontifical une bonne partie de ce fardeau. Divers exemples peuvent ici être invoqués en faveur de cette hypothèse, et, tout d’abord, celui du barbier de Paul III, un certain Giovanni Merlano, qui, le 29 juin 1541, est informé qu’il ne recevra plus la provision mensuelle de 6,30 écus qui lui avait été jusque-là versée, en raison du don que le pape vient de lui faire d’un office de « massier »314. Plus éloquent encore l’exemple de Niccolò de Santis, apothicaire de Pie IV, qui, en octobre 1563, se voit remettre deux offices vénaux, l’un de chevalier de Lorette, l’autre de « janissaire » d’une valeur combinée de 1100 écus en compensation d’argents que le pape lui doit (« a conto d’un credito ha con S. S. Tà »), lui assurant du coup non seulement le remboursement de cette dette, mais un revenu assuré, sous forme de rente, sa vie durant315. Beaucoup plus nombreux et plus convaincants surtout les exemples de rémunérations liées au marché des bénéfices ecclésiastiques surtout. On pourrait ici dresser une longue liste de noms de « familiers » promus au rang de prélats domestiques avec à la clef un titre épiscopal, voire archiépiscopal et des revenus à l’avenant, souvent après s’être vu conférer au préalable un ou plusieurs autres bénéfices ou offices de moindre importance: protonotariat apostolique, canonicat, voire simple cure, mais représentant déjà un revenu appréciable. Tenons-nous en à quelques exemples choisis en fonction surtout de leur représentativité. À commencer par celui du Florentin Giovanni Battista Bonciani (†1533), « créature » des Médicis, que Léon X, aussitôt élu, appelle à ses côtés, 313 À ce sujet, voir P. Hurtubise, Idéal réformiste et contraintes sociales. Le problème des bénéfices ecclésiastiques au XVIe siècle, dans Aequitas, Aequalitas, Auctoritas, Paris 1992, p. 127-139. 314 ASR, Cam. I: 1290, fol. 26. Vers 1550-1560, cet office valait entre 600 et 700 écus et rapportait annuellement entre 80 et 120 écus. BAV, Vat. lat. 6528, fol. 262v, et Vat. lat. 7246, fol. 137v. De toute évidence, Merlano y gagnait au change. 315 ASR, Cam. I: 1299, Conto 1563-64, fol. 22.
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le faisant tout d’abord protonotaire apostolique avant de le promouvoir au siège de Caserta en 1514 et qui, après des années plutôt discrètes au service du premier pape Médicis, se voit conférer en 1527 par Clémet VII la charge de dataire316, ou, au temps de Paul III, celui d’Angelo Archilegi (1480-1543), originaire d’Amelia, qui était déjà camérier d’Alexandre Farnèse au moment de l’élection de ce dernier et qui continuera à le servir à ce même titre par la suite avant d’accéder en 1537 tout à la fois au poste de majordome et au siège épiscopal de Marsico Nuovo, siège qu’il échange en 1541 pour celui d’Assise317, ou encore celui d’Antonio Giannotti, maître de la chambre de Pie IV, qui obtient en 1563 le siège de Forlì, bénéfice qui vient s’ajouter à un certain nombre d’autres déjà en sa possession dont un canonicat à Padoue318. Tout aussi typique, bien qu’à un niveau plus modeste, le traitement que reçoit un personnage qui nous est déjà connu, c’est-à-dire Giovanni Daddei, originaire de Vercelli, qui entre au plus tard en 1556 à la cour de Paul IV à titre d’écuyer domestique, qui conserve cette même charge à la cour de Pie IV, passe ensuite à celle de Pie V où il fait partie du groupe des camériers secrets, un Pie V d’ailleurs à qu’il doit probablement son entrée en 1567 au chapitre de Sainte-Marie Majeure, et qui, finalement, se retrouve en 1574 à la cour de Grégoire XIII à titre d’aumônier secret, fonction qu’il conserve sous Sixte V, Grégoire XIV et Clément VIII et, cela, probablement jusqu’à sa mort en 1596319. On peut en dire autant du Bolonais Lodovico Bianchetti, maître de la chambre de Grégoire XIII qui obtient en 1573 avec l’aide du pape un office de chanoine à la basilique Saint-Pierre320, office, notons-le, qui à sa mort en 1587 passe à Biagio Cangi, maître de la chambre de Sixte V321. 316 A. Ferrajoli, Il Ruolo, dans ASRSP, XLI (1918), p. 107-110. Katterbach, Referendari cit., p. 71, 73, 81, 83, 86. Voir aussi I. Cervelli, Bonciani, Giovanni Battista, dans DBI, 11, p. 676. 317 Renazzi, Notizie Storiche, p. 74-75; Dorez, La cour cit., I, p. 28; Eubel et al., Hierarchia cit., III, p. 120, 136 et notes. 318 ASR, Cam.. I: 1299, Conto 1564-65, fol. 16-17. Également, C. Eubel et al., Hierarchia Catholica, III, p. 198, 323 et notes. 319 BAV, Ruoli 27, fol. 33; Ruoli 32, fol. 9v; Ruoli 39, fol. 27; Ruoli 65, fol. 5r; Ruoli 113, fol. 6v; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 8r; Ibid., Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. [4r]; Ibid., Cam. I: 1302, fol. 34r; Ibid., Cam. I: 1365, fol. 50r. Daddei occupe en 1566 un appartement au-dessus du corridor « secret » du palais apostolique. ASV, Miscell. Arm. II: 80, fol. 205r. Sur son canonicat de Sainte-Marie-Majeure, voir De Angelis, Basilicae cit., p. 47. En 1596, lui succède dans cette prébende un certain Cristoforo Daddei, probablement un proche parent. Ibid., p. 48. 320 ASR, Cam. I: 1301, fol. 10r. Le pape lui fait remettre 18,75 écus pour prendre possession de son canonicat et 52,40 écus additionnels pour s’habiller en conséquence. Sur son entrée au chapitre de Saint-Pierre, voir BAV, Vat. lat. 10171, fol. 33r. Peu après l’élection de Grégoire XIII, Lodovico avait fait venir son frère Lorenzo à Rome et lui avait obtenu l’office de juge de la Rote. Ce dernier accédera au cardinalat sous Clément VIII. D. Caccamo, Bianchetti, Lorenzo, dans DBI, 10, p. 51-52. 321 BAV, Vat. lat. 10171, fol. 33r.
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À la hiérarchie de fonctions existant à la cour pontificale correspond donc une hiérarchie de traitements et, cela, en termes aussi bien qualitatifs que quantitatifs, car salaires, provisions, bénéfices et rentes ne servent pas qu’à mesurer l’importance du rôle joué à la cour: ils servent aussi et peut-être surtout à définir le rang qu’on y occupe. Aussi n’est-on pas surpris de voir la place prise par la « rente », au sens le plus large de ce terme322, comme mode de rémunération quasi exclusif des principaux auxiliaires du pape323. Il faut dire que bénéfices ecclésiastiques, offices curiaux, pensions et titres de rentes représentaient pour eux un type de traitement plus « honorable » et plus avantageux en même temps que plus sûr. Cela étant, il ne faudrait toutefois pas faire de la distinction: salaire, provision, d’une part, bénéfice, rente de l’autre, une sorte d’absolu, car il existe à l’époque, à la cour pontificale, au moins un groupe échappant, en partie du moins, à cette schématisation. Ce groupe, c’est celui des chanteurs de la chapelle Sixtine. Nous avons eu jusqu’ici plus d’une fois l’occasion de parler de ces derniers et d’expliquer en particulier pourquoi ils devaient être considérés comme faisant partie de la cour pontificale tant nous paraissait significatif pour ne pas dire emblématique le rôle qu’ils y jouaient. Le moment est venu de nous intéresser de plus près à ce groupe quelque peu « à part » pour lequel les papes de l’époque avaient d’ailleurs la plus grande considération, mais qui eut lui-même assez souvent maille à partir avec ces derniers ou du moins, avec leurs officiers de finance en ce qui avait trait à la rémunération de ses membres. Richard Sherr, spécialiste de la question, souligne le fait que cette rémunération fut jusqu’en 1586 et, de nouveau, à partir de 1591, de type salarial, mais que durant le règne de Sixte V elle fut plutôt de type bénéficial, en ce sens qu’elle provenait des revenus générés par un ensemble de bénéfices ecclésiastiques enregistrés au nom des membres du chœur de la Sixtine formant désormais, de par la volonté du pape, Collège324. À cela, s’ajoutaient des dons (mancie, regaglie) de plus 322 C’est-à-dire revenus provenant aussi bien d’un bénéfice, d’un office que d’un titre de rente au sens propre du terme. 323 Nous verrons plus loin que le pape ne se privait pas à l’occasion de faire des cadeaux (regaglie), et des cadeaux princiers, à certains de ses auxiliaires, mais cela représentait sans doute assez peu de choses à côté des revenus qu’ils tiraient des bénéfices et pensions dont ils les avaient par ailleurs pourvus. Quant à la « provision » que recevaient bon nombre d’entre eux, elle était selon toute vraisemblance destinée à l’entretien de leurs serviteurs ou, du moins, d’une partie d’entre eux. 324 Sherr, The Papal Choir cit., p. 29-31, 170-180. Nous remercions l’auteur de nous avoir fourni copie des premières épreuves de cet important ouvrage à paraître dans la collection Storia della Cappella musicale Pontificia à Palestrina. Comme le montre bien Sherr, si Paul III fit passer en 1540 de 8 à 9 ducats le salaire mensuel des chanteurs de la Sixtine, ces derniers découvrirent assez vite qu’ils avaient été leurrés, car les officiers de la Chambre Apostolique, jugeant peut-être que le pape avait été trop généreux à leur endroit, leur comptèrent les du-
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ou moins grande importance, mais auxquels les chanteurs de la Sixtine tenaient beaucoup, ne fût-ce, dans certains cas, que pour leur valeur symbolique. Dons en argent, tout d’abord, habituellement associés soit à des dates significatives du calendrier liturgique romain, soit à des événements –– plus ponctuels ceux-là –– mettant en scène des personnages d’un certain relief, qu’il s’agisse du pape lui-même, de l’empereur, de membres du haut-clergé, cardinaux notamment ou de princes325. Dons en nature également, cela pouvant aller de repas, de collations, de distributions quotidiennes de pain et de vin, voire de « friandises » (confetti), comme on disait à l’époque, jusqu’à des vêtements, entre autres liturgiques, sans oublier les cats or en question à 90 giulii au lieu de 96 comme ils auraient dû normalement le faire, de sorte que lesdits chanteurs se retrouvèrent, non pas gagnants comme ils auraient dû l’être, mais perdants. Ils livreront, mais en vain, jusqu’à la fin du règne de Grégoire XIII un long combat en vue d’obtenir qu’on corrige cette injustice. Sixte V croira régler le problème en leur attribuant un certain nombre de bénéfices ecclésiastiques dont les revenus serviraient à leur assurer chacun un salaire correspondant à leurs attentes. Mais les revenus générés par lesdits bénéfices étant liés surtout à l’exploitation de terres agricoles n’étaient pas toujours au rendez-vous, de sorte que cette nouvelle formule s’avéra plutôt décevante. Aussi Grégoire XIV, d’un naturel plus généreux que Sixte V, revint-il à la formule d’un salaire fixe, mais beaucoup plus élevé, versé comme auparavant par la Chambre Apostolique. Les chanteurs ne pouvaient souhaiter mieux. 325 Le pape lui-même faisait verser aux chanteurs de la Sixtine à l’occasion de cérémonies liées à certaines dates importantes du calendrier liturgique romain –– Sherr en compte six en 1553 –– une mancia de un ou deux écus chacun. Il le faisait également lors de banquets qu’il offrait à des invités de marque au cours desquels lesdits chanteurs exécutaient des motets, ce qui leur valait chacun une mancia d’un écu. Mais il arrivait que certains papes, en mauvaise position financière –– un Paul IV par exemple en 1559 –– éliminent toutes les libéralités en question. Sherr, The Papal Choir cit., p. 33-35. À cela il faut ajouter les mancie « saisonnières » qu’à l’instar d’une bonne partie du personnel de la cour le pape leur octroyait quatre fois par année, mancie qu’on peut estimer, au temps de Paul III, à 15 et, au temps de Grégoire XIII, à 30 écus l’an par chanteur. ASR, Cam. I: 1290, fol. 9, 12, 14, 26. Ibid., Cam. I: 1299, fol. 7v, 56v, 65r, 91v. Mais d’autres grands personnages étaient aussi mis à contribution. Ainsi les nouveaux cardinaux lors de la cérémonie de remise du chapeau et de l’anneau devaient-ils verser aux chanteurs présents, jusqu’au règne de Paul III, 10, à partir du règne de celui-ci, 50 ducats à diviser également entre lesdits chanteurs. Ce qui devait représenter certaines années des sommes plus que respectables. Sherr note toutefois que certains porporati étaient très lents à payer leurs dûs. Ces mêmes cardinaux, mais aussi certains évêques qui étaient appelés à présider les messes papales, ce qui était fréquent, car le pape ne le faisait que rarement, étaient tenus par ailleurs à verser chaque fois, les premiers, quatre, les seconds deux ducats aux chanteurs de la Sixtine, dans ce cas également, à partager entre eux. Sherr, The Papal Choir cit., p. 31-33. Autres mancie, de nature funéraire celles-là, telles celles qu’on leur versait à l’occasion des dix messes célébrées suivant la mort d’un pape. À ce sujet, voir, pour Clément VII, ASR, Cam.I; 866, fol. 194r, pour Jules III et Marcel II, Ibid., Cam. I: 896, fol. 189v, 236r. Dans la même veine, méritent d’être mentionnés les 70 ducats remis aux chanteurs lors de la messe de Requiem de Charles Quint célébrée le 4 mars 1559. Sherr, The Papal Choir cit., p. 37. Autre exemple de mancia, mais fortuite celle-là: les 126 écus que Paul III fait remettre à douze chanteurs de la Sixtine qui l’ont accompagné à Lucques et à Bologne en octobre 1541. ASR, Cam. I: 1290, fol. 35.
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cierges qui leur étaient remis à l’issue de certaines cérémonies où leurs services étaient requis326. Pour ce qui est du salaire revenant à chaque chanteur, nous savons qu’il était jusqu’en 1540 de 8 ducats par mois, qu’il passa ensuite à 9 ducats, donc à 96 et 108 ducats l’an respectivement, avec cette réserve toutefois que, dans ce dernier cas, comme l’a montré clairement Richard Sherr, les chanteurs y perdirent au change; que, par ailleurs, la formule adoptée par Sixte V, bien que prometteuse, ne permit pas l’augmentation de salaire espérée et que c’est Grégoire XIV qui, en 1591, donnera enfin satisfaction aux chanteurs en leur accordant un salaire de 16,60 écus de monnaie par mois, donc 200 écus l’an, soit une hausse de 86% par rapport à celui dont 326 Il importe tout d’abord de signaler les mancie de « bouche » servies après chaque messe papale ou vêpres du même type sous forme, dans le premier cas, d’un repas, dans le second, d’une collation. Sherr note qu’en 1559, les chanteurs eurent droit à 28 repas et à 13 collations. Ces dernières consistaient surtout en boîtes de « friandises » (confetti) remises à chacun des chanteurs. Léon X et, plus tard, Paul IV, chercheront tous deux à abolir ces types de mancie, mais se raviseront presque aussitôt devant les récriminations des principaux intéressés. Comme le suggère Sherr, peut-être comprirent-ils que cette pratique permettait d’assurer que les chanteurs, les jours de messes ou de vêpres, restent au palais et soient ainsi plus assidûment présents aux offices. Durant les vacances dites de la Rote, soit de juillet à octobre, les chanteurs avaient en plus droit à la parte de pain et de vin que recevaient, mais, eux, tous les jours, les membres de la cour. Sherr, The Papal Choir cit., p. 38-41. Étaient aussi appréciés des chanteurs les distributions de cierges qu’on leur faisait le jour de la Purification en particulier, mais également lors de messes de Requiem de grands personnages, cela pouvant représenter chaque fois un ou deux cierges d’une livre chacun. Pour ce qui en est du vêtement, méritent une mention spéciale les tissus destinés à la confection d’habits de chœur qu’on leur fournissait le jour du couronnement d’un nouveau pape ou les jours de consécration d’Agnus Dei et, par ailleurs, les tissus destinés, eux, à la confection d’habits de deuil à l’occasion des funérailles papales. Ibid., p. 41-42. Il n’est pas facile d’établir la valeur de cette dernière mancia, mais un mandat de la Chambre Apostolique de 1555 permet de nous en faire une assez bonne idée puisque on y trouve mention d’un versement de 1008 écus aux chanteurs de la Sixtine à l’occasion du décès des papes Jules III et Marcel II disparus tous deux à un mois d’intervalle. ASR, Cam. I: 896, fol. 237. Somme qui, à première vue, surprend, mais il faut dire qu’il s’agissait là d’un paiement compensatoire, la Chambre ayant négligé de verser aux intéressés la somme qui leur était due au moment du décès de l’un et l’autre de ces papes. À tout bien considérer, les chanteurs de la Sixtine n’étaient pas si mal traités que cela en termes de mancie aussi bien en nature qu’en argent. Mais il leur manquait deux formes de rémunération auxquelles ils tenaient plus que tout, soit, d’une part, la spese ou parte in tinello, qui consistait dans le couvert ou companatico, d’autre part, l’allocation quotidienne de pain et de vin auxquelles avaient droit tous les jours les membres de la cour à titre de familiares et continui commensales. Or les chanteurs de la Sixtine, tout détenteurs du même titre qu’ils étaient, devaient se contenter, nous l’avons vu, de quatre mois d’allocation de pain et de vin, ce qui leur paraissait en l’occurrence une bien mince compensation. Ils feront des pieds et des mains durant de nombreuses années pour obtenir qu’on corrige ce qui leur paraissait une anomalie, sinon une injustice. Ils ne réussiront toutefois jamais à obtenir la parte in tinello. Du moins, Sixte V leur accordera-t-il en 1586 la ration quotidienne de pain et de vin, ce qui donnait plus de vraisemblance à leur titre de familiares et continui commensales. Sherr, The Papal Choir cit., p. 42-45, 175.
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ils jouissaient entre 1540 et 1586. À ces revenus de base il faut ajouter les entrées provenant des bénéfices ecclésiastiques dont bon nombre de chanteurs, sinon tous, étaient pourvus. Ainsi, pour ne citer que cet exemple, un Bertrand Vaquérat, membre du chœur de la Sixtine entre 1483 et 1507, qui recevait à ce titre 274 ducats l’an pour un revenu annuel total, salaire compris, de 370 ducats327. Exception faite de celles que nous avons appeléees « saisonnières », la plupart des autres mancie sont en général trop irrégulières, trop aléatoires ou trop difficiles à chiffrer pour servir de bases de calcul fiables. Richard Sherr croit qu’à la fin du XVIe siècle la rémunération de base de chaque chanteur de la Sixtine, mancie y comprises, s’établissait à environ 300 écus l’an328. Mais ce montant ne tient pas compte des revenus générés par les bénéfices ecclésiastiques détenus par la plupart des chanteurs, revenus qui obligeraient à au moins multiplier par deux cette somme comme autorisent à le penser les 274 ducats qu’un Bertrand Vaquérat, plus haut évoqué, tirait chaque année de ses seuls bénéfices329. Chose certaine, le mode de rémunération dont les chanteurs de la Sixtine faisaient l’objet avait plus à voir avec celui des plus hauts qu’avec celui des plus humbles fonctionnaires de la cour. Savaient-ils, entre autres, que la provision mensuelle d’un sous-majordome était à l’époque à peine plus élevée que la leur et celle d’un maître de l’écurie, de beaucoup inférieure330, et que l’un et l’autre de ces hommes, officiers tout de même d’une certaine importance, n’avaient pas comme eux accès aux bénéfices ecclésiastiques, ce qui ajoutait considérablement, du moins en termes monétaires, à la distance les séparant d’eux? Tout prince –– et donc tout pape –– digne de ce nom devait savoir faire preuve d’équité à l’endroit des membres de sa cour –– dans le cas du pape, 327 bid., p, 30-31, 175-180. Sur Vaquérat, voir C. Reynolds, The Music Chapel at San Pietro in Vaticano in the Later Fifteenth Century. Thèse de doctorat, Princeton University 1982, p. 138-142. 328 Sherr, The Papal Choir cit., p. 180. 329 Il nous manque une liste des bénéfices ecclésiastiques détenus par les chanteurs qui firent partie de la Sixtine au cours du XVIe siècle. Mais, comme l’a démontré Richard Sherr, les dépouillements d’archives que cela exigerait, ne fût-ce qu’aux Archives du Vatican, dépasseraient et de loin les capacités d’un seul chercheur et demanderaient, même de la part d’une équipe de chercheurs, beaucoup de temps. Ibid., p. VIII-X. Les quelques exemples dont nous disposons, tel celui de Vaquérat, entre autres, permettent toutefois de penser que la part occupée dans la rémunération d’ensemble des chanteurs de la Sixtine par les revenus en question dépassait celle que représentaient les salaires et mancie dont disposaient par ailleurs lesdits chanteurs. 330 Au temps de Grégoire XIII, Filippo Coccuagnio, comptable et sous-majordome de ce dernier, reçoit 10 écus par mois. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 12, fasc. 15, fol. 37r. Quant à Francesco Lando, maître d’écurie à la même époque, il doit se contenter de 4 écus. Ibid, Cam. I: 1304, fol. 4v.
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les divers types de rémunération dont nous venons de faire état, répondaient ou, du moins cherchaient à répondre à cet impératif ––, mais il devait aussi et peut-être surtout en tant que prince savoir se montrer généreux, voire magnanime envers eux. C’était là le rôle des « gratifications », comme nous les avons appelées plus haut, qui, elles, relevaient plutôt du cœur que de la raison. Les livres de comptes des majordomes et trésoriers secrets de l’époque, parfois aussi ceux de la Chambre Apostolique, sont pleins de largesses du genre, les unes intéressant des groupes entiers, tels –– nous venons de le voir –– les chanteurs de la Sixtine, les autres, certains individus auxquels les papes du temps sentaient le besoin d’exprimer leur attachement, leur reconnaissance ou encore leur sollicitude. Ces largesses étaient de divers types. Il y avait tout d’abord celles –– de loin, les plus visibles –– destinées à des catégories particulières de membres de la cour et qui, assez souvent, coïncidaient avec certains moments-clés de l’année: les fêtes de Noël et du Nouvel An, la fête de Pâques, la Saint-Jean, la fête des apôtres Pierre et Paul, le jour anniversaire du couronnement du pape régnant auxquelles viendront à un certain moment s’ajouter, mais pour un temps seulement, des fêtes particulièrement chères à l’un ou l’autre pontife, telles la fête de l’apôtre Paul ou au temps de Paul III, celle de la chaire de Saint-Pierre, au temps de Paul IV331 et il y avait, par ailleurs, celles, d’un caractère beaucoup plus irrégulier, liées cette fois non plus à une date ou événement-phare, mais à l’imprévu de circonstances affectant, en bien ou en mal, la vie d’un ou plusieurs membres de la « famille » pontificale et jugés de ce fait dignes de la sollicitude du pape. Le nombre de ceux ou celles qui profitaient des mancie versées en ces occasions variait d’une fois à l’autre en fonction de l’importance que les papes attachaient aux fêtes, anniversaires ou circonstances en question, mais en fonction également et, parfois, surtout de leur plus ou moins grande libéralité ou encore de la situation financière dans laquelle, chacun, ils se trouvaient. Ainsi Jules III, très généreux à ce chapitre au début de son pontificat, le devient beaucoup 331 Même si le trésorier secret de Paul III parle en janvier 1541 de « solita mancia » au moment où il verse à l’occasion de la fête de la Conversion de saint Paul (25 janvier) 18,70 et 16 écus respectivement aux chanteurs de la Sixtine et aux fifres du Château Saint-Ange (ASR, Cam. I: 1290, fol. 12), il semble bien que cette « étrenne » n’ait existé ni avant ni après le règne de Paul III et que ce dernier en fut l’instigateur, de toute évidence dans le but d’honorer son saint patron. Pour ce qui est de Paul IV, nul doute possible: apparue en 1558 à l’occasion de la fête de la Chaire de saint Pierre (22 février) à laquelle il fit donner cette année-là une particulière solennité, la mancia en question avait manifestement pour but de montrer quel cas il faisait de cette fête à laquelle, défenseur acharné des droits du Saint-Siège, il tenait visiblement beaucoup. Aussi n’est-on pas surpris des quelque 130 écus qu’il fit alors remettre aux chanteurs de la Sixtine et aux musiciens du Château Saint-Ange. ASR, Cam. I: 1298, fol. 43-44r. Même s’il avait choisi lui aussi de s’appeler Paul, le fait qu’il était pape et donc successeur de Pierre comptait sans doute beaucoup plus à ses yeux.
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moins par la suite en raison des énormes dépenses que lui occasionne la guerre de Parme332. Il en va de même de Paul IV, homme lui aussi fort libéral, mais qui, pour de semblables motifs, se voit à plusieurs reprises dans l’obligation de réduire, voire supprimer certaines « étrennes », y compris les plus traditionnelles comme celles de la Nativité, par exemple, ou encore d’en retarder, parfois de beaucoup, le versement333. À qui allaient habituellement ces « étrennes », et que représentaient-elles qualitativement et quantitativement parlant? Notons, tout d’abord, qu’elles n’étaient pas réservées aux seuls membres de la cour. De proches parents, des fournisseurs, des écrivains, des artistes, les membres du personnel affecté à la chasse, les musiciens de la Garde Suisse, du Château Saint-Ange et du Campidoglio et bien d’autres faisaient, eux aussi, du moins occasionnellement, l’objet de mancie, que ce soit à titre individuel ou collectif. De très bonnes indications à ce sujet nous sont fournies par le trésorier secret de Jules III qui, le 24 décembre 1550, inscrit dans son livre de comptes les noms des groupes ou des individus à qui le pape a décidé de verser, pour la première fois, les traditionnelles « étrennes » de Noël334. Signalons, dès l’abord, que quelque 250 personnes sont comprises dans ce « rôle » et qu’on leur verse au total plus de 2400 écus. Figurent, comme il se doit, en tête de liste neuf proches parents dont deux sœurs du pape, Ersilia et Lodovica, qui reçoivent chacune 110 écus, les sept autres membres 332 Alors que la mancia de Noël de 1550 s’élève à quelque 2400 écus (ASR, Cam. I: 1295, Intr. et Ex. 1550, fol. 47-50r), celle de 1551 qui, de fait, ne sera versée qu’en janvier 1552 totalise un peu moins de 850 écus (Ibid., Cam. I: 1295, Libro delle Spese, fol. 9v-11r). C’est que la guerre de Parme déclenchée en mai 1551, bientôt suivie de celle de Sienne qui, elle, se poursuivra jusqu’à près la mort du pape avaient mis à mal les finances pontificales et que Jules III n’avaient donc plus les moyens de récompenser, comme il l’aurait sans doute voulu, les membres de sa cour. De fait, on ne trouve plus de trace de mancia de Noël ou du Nouvel An durant les deux années qui suivent. Il faut attendre janvier 1555 pour voir à nouveau versées à un certain nombre d’officiers et de serviteurs les traditionnelles « étrennes » de fin d’année et encore ne sont-elles que d’environ 550 écus, soit à peine le quart de ce qu’elles avaient été en 1550 (ASR, Cam. I: 1296 B, fol. 8r). 333 Des traditionnelles mancie saisonnières, Paul IV ne semble avoir retenu que celles de la Saint-Jean et encore s’ingénie-t-il à les garder à l’intérieur de certaines limites. Si la mancia de 1555 approche les 550 écus (ASR, Cam. I: 1296 D, fol. 32v-38r), celles de 1556 et 1557 ne sont plus que de 500 écus (Ibid., Cam. I: 1297, fol. 52v-58v; Cam. I: 1298, fol. 34v-43r). Mais, preuve supplémentaire des ennuis financiers que connaissait à l’époque le pape, toutes ces mancie sont payées avec beaucoup de retard: celle de 1555, à la toute fin d’octobre, celle de 1556, en août et celle de 1557, à la fin de cette même année et au début de l’année suivante. Grégoire XIII semble avoir connu les mêmes difficultés, du moins à partir de 1576. Ainsi la mancia de Noël de cette année-là n’est-elle versée qu’en avril de l’année suivante (Ibid., Cam. I: 929, fol. 119-120v) et la mancia de la Saint-Jean, que le 28 février 1577 (Ibid., Cam. I, 1304, fol. 54r). 334 ASR, Cam. I: 1295: Introito et Exito 1550, fol. 47r-50r.
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de la famille se partageant la rondelette somme de 495 écus335. Des six fournisseurs, des cinq membres du personnel de chasse et de la vingtaine de musiciens qui font pareillement l’objet de mancie, il y a assez peu à dire sinon que les 106 écus qu’au total on leur verse paraissent maigre pitance en regard de ce que Jules III faisait remettre au même moment à ses « proches », mais ces hommes n’en avaient probablement cure, sachant très bien où ils se situaient par rapport à ces mêmes « proches » et donc à quoi ils pouvaient en l’occurrence s’attendre. On peut sans doute en dire autant des courtisans proprement dits –– plus de 200 au total –– dont les « étrennes » représentent des montants se situant à l’intérieur d’une fourchette comprise entre 1,10 et 55, voire 110 écus si l’on inclue un personnage quelque peu à part et qui nous est déjà connu: Balduino Balduini, ancien médecin du pape, depuis peu promu au rang de prélat domestique336. Par ailleurs, on n’est guère surpris de constater que parmi les mieux nantis de ce groupe figurent des officiers d’un certain poids tels que camériers, chapelains, crédenciers, maîtres d’hôtel et bouteiller « secrets », mais aussi le premier médecin du pape, le sacriste et le maître de l’écurie, et, parmi les moins bien nantis, les titulaires de fonctions tels qu’acquiféraires, balayeurs ou portiers337. Inattendus, par contre, les 27,50 écus versés au cuisinier secret, les 22 écus que se voit remettre le maître-boulanger, les 16,50 écus consentis à la lavandière secrète alors que, face à eux, un sous-majordome, un clerc de la chapelle secrète, un aide garde-robe doivent se contenter d’« étrennes » de 11, 7,70 et 5,50 écus respectivement. Le cas du cuisinier secret pose tout particulièrement problème. Comment expliquer, en effet, que cet officier considéré comme étant de rang inférieur, d’ailleurs assez souvent inscrit dans les ruoli de l’époque parmi les salariés, se retrouve soudainement dans le registre du trésorier secret en compagnie des principaux officiers de la cour? La réponse à cette question est tout à la fois simple et complexe. Tout d’abord, la mancia n’est pas, au sens strict du terme, une rémunération et n’a donc rien à voir avec le salaire ou la « provision ». Elle reflète un ordre d’estime personnel, donc subjectif, plutôt qu’un ordre d’estime social, donc conventionnel, fondé, ce dernier, sur un certain nombre de règles ou de normes servant à définir le rang occupé par chaque membre d’un groupe donné. Les rôles de cour ne 335 Ibid., fol. 47rv. À noter que les proches parents ne figurent plus dans la liste de l’année suivante. Ibid., Libro delle Spese, fol. 9v-11r. 336 Ibid., Introito et Exito 1550, fol. 47v. Sur ce personnage, voir C. Ginzburg, Balduini, Balduino, dans DBI, 5, p. 539-540. Il venait d’être nommé évêque de Mariana en Corse. Cf. Eubel et al., Hierarchia cit., III, p. 235. 337 Même s’il s’agissait d’« étrennes », un certain ordre hiérarchique devait tout de même être respecté. Si les camériers secrets et le premier médecin du pape reçoivent chacun 55 écus, acquiféraires et balayeurs doivent se contenter respectivement de 1,10 et 2,20 écus chacun.
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pouvaient faire autrement que de se conformer à la logique de ce second type de classement. Grâce aux « étrennes », les papes étaient en mesure d’apporter à cette hiérarchie en quelque sorte imposée les correctifs qui leur paraissaient de mise ou, du moins, souhaitables à l’égard de courtisans qu’ils avaient en particulière estime en raison soit des liens étroits qu’il entretenaient avec eux, soit de la nature ou de la qualité des services que ces derniers étaient à même de leur rendre. Le cuisinier secret tombait manifestement dans cette deuxième catégorie. Les « étrennes », aussi bien celles dont il est question ici que celles que Jules III lui fera remettre en d’autres circonstances338, servaient de toute évidence à montrer à quel point était appréciée sa contribution à la vie de la cour, une contribution qui, au jugement du pape, méritait mieux que le modeste salaire dont il faisait l’objet à l’époque ou encore le rang qu’il occupait dans cette même cour. Mais, en cela, Jules III –– il importe de le souligner –– se situait dans la droite ligne de pratiques qui existaient bien avant et continueront d’exister bien après lui, comme en témoignent l’exemple d’un Léon X, d’un Pie IV et d’un Grégoire XIII, eux aussi fort généreux à l’endroit de leurs cuisiniers et, en particulier, de leurs cuisiniers secrets339. On peut en dire autant du traitement de faveur réservé à certains autres membres de la « famille » du pape: la lavandière secrète, le maître-boulanger déjà mentionnés, mais aussi le gardien de son chien: Fragametto à qui il faut verser 5,50 écus et quelques mois plus tard, à l’occasion des fêtes de Pâques, 13,20 écus, alors que le salaire de ce dernier était à l’époque de 1,10 écus par mois340. Encore là, rien qui ne le distingue de la plupart de ses homologues qui en font tout autant341 et qui, comme lui d’ailleurs, lors des grandes distributions 338 En mars 1551, « Giulan » (Julien?), le cuisinier secret, reçoit à l’instar d’une trentaine d’autres courtisans la mancia de Pâques. Sa part est de 13,20 écus, juste derrière l’écuyer-tranchant qui se voit, lui, attribuer 16,50 écus. ASR, Cam. I: 1295, Thesaureria Secreta, fol. 27v.. 339 En septembre 1517, Léon X fait remettre à chacun de ses deux cuisiniers secrets, Niccolò Porcari et Simon Picard, une mancia de 50 ducats. ASR, Cam. I: 1489, fol. 30r. Pour fins de comparaison, notons que l’écuyer-tranchant du pape ne reçoit à cette même occasion que la moitié de cette somme. Ibid., fol. 30v. En août 1563, Pellegrino, cuisinier secret de Pie IV, reçoit 20 écus or au titre de la mancia de la Saint-Jean, tandis que ses compagnons, Gabriele et Giannino, et son adjoint, Giovanni da Pistoia, reçoivent, les deux premiers, chacun 11 et, le dernier, 8 écus. Ibid., Cam. I: 1299, Introito et Exito 1561-64, fol. 9v. Le 26 décembre 1572, Louis Besson (« Beson »), cuisinier secret de Grégoire XIII, se voit remettre 15 écus à l’occasion des fêtes de Noël. Ibid., Cam. I: 1300, fol. 42v. 340 Ibid., Cam. I: 1295, Thesaureria Secreta, fol. 27v; Ibid., Libro delle Spese, fol. 8r, 17r 341 On pourrait ici multiplier les exemples. Nous nous limiterons aux trois suivants qui nous ont paru particulièrement éclairants. Et tout d’abord la mancia de Noël de 1540 versée début janvier 1541 par le trésorier secret de Paul III, mancia qui, par bien des côtés, s’apparente à celle de Jules III dix ans plus tard, y compris le fait qu’on y trouve les noms de nombreux membres de la proche parentèle du pape. ASR, Cam. I: 1290, fol. 8-9. (Des listes semblables existent pour 1542 et 1543. Ibid., fol. 42 et 71). Y figurent comme chez Jules III, les noms d’officiers et de serviteurs faisant l’objet de mancie souvent équivalentes à plusieurs mois de salaire,
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d’« étrennes », à Noël en particulier, privilégient certaines catégories d’officiers par rapport à certaines autres, le personnel des services de « bouche » arrivant habituellement en première place, suivis des personnels des services d’écurie et des services généraux, ceux de la chambre, de la chapelle et de l’intendance venant la plupart du temps loin derrière342. Preuve une fois de plus, que les mancie servaient tout autant à bonifier certains traitements, notamment ceux d’officiers mineurs –– et, de ce point de vue, il est significatif que ces derniers constituent, à Noël et à Pâques surtout, la majorité des récipiendaires d’« étrennes » –– qu’à exprimer un attachement particulier à tel ou tel groupe ou à tel ou tel individu faisant ou non partie de la cour. En d’autres mots, la mancia était pour tout pape digne de ce nom l’occasion rêvée de se montrer « bon prince ». Jules III est un très bel exemple de ce que cela pouvait signifier au XVIe siècle. Il l’est aussi en ce qui concerne les mancie occasionnelles, c’est-à-dire liées non plus à une fête ou un anniversaire fixé d’avance, mais à une circonstance fortuite ou un événement particulier affectant l’un ou l’autre membre de sa cour. À preuve les dons qu’il multiplie, jour après jour, semaine après semaine, à l’intention d’officiers ou de serviteurs dans le besoin ou à qui il entend tout simplement démontrer son attachement, sa gratitude ou sa sollicitude. Le 27 juin 1550, il fait remettre 16,50 écus à son cuisinier secret, maître Julien (« Giulan »), en partance pour les « eaux » où il compte se faire soigner343. Le 8 août suivant, c’est un certain « Fedrico », tel, entre autres, celui de M° Giovanni (Jean Duval?), cuisinier secret du pape, qui reçoit à ce titre 12 ducats. Plus probante encore, au temps de Pie IV cette fois, la mancie de la Saint-Jean de 1563 d’une libéralité dépassant, et de loin, du moins en ce qui concerne les officiers mineurs de la cour, celles d’un Paul III et d’un Jules III. Ainsi le balayeur secret et ses trois compagnons se voient-ils remettre 44 écus, le préposé au fourrage, 16,50 écus, le préposé aux litières, 13,20 écus, le préposé à la paneterie, 11 écus. ASR, Cam. I: 1299, Introito et Esito 1561-64, fol. 9v-10r. On peut en dire autant d’un Grégoire XIII qui, pour la mancia de Noël de 1572, année de son élection, ouvre grande sa bourse, à la hauteur de quelque 1450 écus, en faveur aussi bien d’officiers majeurs –– 300 écus or chacun à son majordome, à son maître de la chambre et à son maître d’hôtel –– que d’officiers mineurs ou de simples serviteurs –– 10 écus au préposé aux mules, 10 également au crédencier du tinello commun, 5 à chacun des garçons du cuisinier secret. Ibid., Cam. I: 1300, fol. 42v. Autant d’indices d’une sollicitude particulière à l’endroit de ceux des membres de la « famille » pontificale qui assuraient chacun à son rang et chacun à sa façon la bonne marche de la maison, sollicitude que semblent avoir partagé sinon la totalité, du moins la majorité des papes de l’époque. 342 Si nous prenons comme point de référence la mancia de décembre 1550 plus haut mentionnée (ASR, Cam. I: 1295, Introito et Esito 1550, fol. 47r-50r), nous constatons en effet qu’en nombre le personnel de « bouche » vient largement en tête (42%), suivi d’assez loin du personnel d’écurie (25%) et de plus loin encore des services généraux (11,50%) et des services de la chambre (10%), ceux de la chapelle et de l’intendance ne comptant respectivement que pour 3 et 2%. Mutatis mutandis ce sont là des proportions que l’on retrouve dans les quelques listes de récipiendaires de mancie saisonnières, celles de Noël en particulier, figurant dans les livres de comptes des trésoriers secrets de l’époque. 343 ASR, Cam. I: 1295, Introito et Esito 1550, fol. 25v.
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scriptor de la chapelle Sixtine, qui, frappé par la maladie, reçoit une allocation spéciale de 22 écus344. Le 26 septembre, Messer Giovanni, gardemeuble, a droit à 27,50 écus au moment où il s’apprête à quitter la cour pour rentrer chez lui345. Le 9 novembre, un palefrenier du nom de Giovanni se voit verser 22 écus, somme devant lui servir à s’habiller et à s’acheter un cheval en vue d’aller à la chasse aux grues346! Le 15 du même mois, à l’occasion d’une visite faite aux cuisiniers des cardinaux, il leur fait don de 5,50 écus347. Le 18 décembre, les portefaix de la chambre reçoivent 8,70 écus pour divers services rendus peut-être en vue des fêtes de Noël348. Exemples, entre mille, des rapports quasi « paternels » que Jules III entretient avec les membres de sa « famille », de quelque importance ou de quelque rang qu’ils soient. Ici encore, Jules III se situe à l’intérieur d’une tradition remontant loin dans le temps et dont le modèle le plus achevé fut sans doute au XVIe siècle, en ce domaine comme en tant d’autres, Léon X349. Autre type de mancia, mais qui, cette fois, a plus à voir avec la « provision » qu’avec les « étrennes », bien qu’elle se présente sous cette dernière forme: l’allocation dite du vestire qui, chez Jules III, coïncide habituellement avec la fête de la Saint-Jean, mais qui, chez ses successeurs, a lieu à divers autres moments de l’année, Noël entre autres350. Qui a droit à cette allocation et que représente-t-elle en termes monétaires? Nous référant Ibid., fol. 31r. Ibid., fol. 37v. 346 Ibid., fol. 42r. 347 Ibid., fol. 43r. 348 Ibid., fol. 46r. 349 Que d’exemples pourraient être ici invoqués à partir des registres du trésorier secret de Léon X, Serapica. En juillet 1517, un certain Bava, acquiféraire secret du pape, a droit à une mancia de 10 ducats, « per suoi bisogni », écrit sans autre précision ledit Serapica. ASR, Cam. I: 1489, fol. 24v. En juillet 1518, le pape fait remettre 5 ducats à un de ses palefreniers, Macciacone, frappé par la maladie. Ibid., fol. 57r. Le même mois un des marmitons de la cuisine secrète, un certain « Perusino », reçoit 30 ducats pour marier une de ses sœurs. Ibid., fol. 61r. En août 1520, c’est de nouveau un palefrenier du nom de Jean-Henri (« Ioanni Henrico ») qui obtient 20 ducats pour se rendre dans son pays natal (la France?). Le même mois, Franciosino, maître de l’écurie, reçoit 30 ducats à cette même fin. Ibid., Cam. I: 1490, fol. 79r, 81r. 350 Ainsi en est-il chez Pie IV et Grégoire XIII notamment qui, pour des raisons difficiles à expliquer, offrent à Noël ce que Jules III offrait à la Saint-Jean et vice-versa. Peut-être les fêtes de la Nativité leur paraissaient-elles mieux indiquées pour ce genre d’« étrennes ». En ce qui concerne le premier, voir ASR, Cam. I: 1299, Conto 1564-65, fol. 16 (mancia de Noël de 1564) et Ibid., Introito et Esito 1561-64, fol. 9v-10r; Conto 1563-64, fol. 12 (mancie de la Saint-Jean de 1563 et 1564). Pour le second, voir Ibid., Cam. I: 927, fol. 108-110r; Ibid., 928, fol. 95v-97r, 230v-232r; Ibid., 929, fol. 119-120v, 179-180r; Ibid., Giust. di Tes. 11, fasc. 15; Giust. di Tes. 13, fasc. 7; Giust. di Tes. 14, fasc. 3 (mancie de Noël de 1573 à 1579); Ibid., Cam. I: 1301, fol. 7r; Ibid., Cam. I: 1302, fol. 14r; Ibid., Cam. I: 1304, fol. 54r (mancie de la Saint-Jean de 1573 à 1576). À noter toutefois qu’en décembre 1572, tel qu’indiqué à la note 341, Grégoire XIII suit plutôt l’exemple de Jules III. Ce n’est qu’en 1573 qu’il transformera la mancia de Noël en allocation de vêtement. 344 345
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une fois de plus aux données fournies par le trésorier secret de Jules III, nous constatons qu’à l’été de 1550, la mancia de la Saint-Jean comporte deux volets, l’un consacré au vêtement au sens large du terme, l’autre, uniquement à la chaussure et qu’alors que 72 courtisans la reçoivent sous l’une et l’autre de ces formes –– et, parmi eux, 52 palefreniers ––, 134 autres n’y ont droit que sous la première et un, le barbier du pape, que sous la seconde, soit en tout 207 personnes. Coût de ladite mancia: plus de 775 écus. Et qui en étaient les heureux bénéficiaires? Palefreniers mis à part, des officiers de « bouche » surtout –– quelque 130 au total ––, confirmation s’il en était besoin de l’attention toute spéciale dont ces derniers faisaient l’objet de la part du pape351. Que l’allocation en question ne concerne qu’environ un quart des effectifs de la cour de Jules III peut à première vue surprendre, compte tenu de l’importance du costume, au sens fort du terme, dans un milieu aussi hiérarchisé et ritualisé que pouvait l’être la cour pontificale au XVIe siècle. Il suffit toutefois de parcourir les livres de comptes de l’époque, ceux des trésoriers secrets en particulier, pour en venir à la conclusion que bon nombre de ceux qui semblent avoir été à dessein exclus de ce type d’allocation de fait y ont droit, mais sous une autre forme, plus ponctuelle et surtout plus personnalisée. Ainsi, le 8 mars 1541, les membres de la chapelle Sixtine, depuis le sacriste jusqu’au conservateur des livres liturgiques se voient remettre 136 ducats en vue d’acheter 180 cannes de tissu devant servir à confectionner les surplis dont ils ont besoin352. Trois ans plus tard, à l’occasion de la fête de Pâques, le dominicain Sebastiano Leccavella, théologien et prélat domestique de Jules III, reçoit 55 écus devant servir à renouveler sa garde-robe353. Au temps de Pie IV, soit le 11 novembre 1563, Trifone Benci, secrétaire du chiffre, a droit à 80,10 écus à cette même fin354. En septembre 1573, c’est Grégoire XIII qui fait verser à Lodovico Bianchetti, son maître de la chambre, 52,40 écus pour s’acheter une chape suite à son entrée deux mois plus tôt au chapitre de Saint-Pierre355. La même année, et les années subséquentes le jésuite Francisco de Toledo, prédicateur de la cour, reçoit 55 écus pour ses besoins vestimentaires et 351 Pour tout le détail de cette mancia, voir ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito 1550, fol. 20v-30v. En ce qui concerne les palefreniers, signalons qu’à l’instar de la Garde Suisse et de la garnison du Château Saint-Ange ils avaient droit à une seconde allocation vestimentaire habituellement à Noël, allocation qui ne concernait cette fois que les chaussures. Cf. Ibid., Cam. I: 1295, Libro delle spese, fol. 35v; Ibid., Cam. I: 1295, Introito et Exito, 1553, fol. 33r (mancie de décembre 1552 et 1553). 352 ASR, Cam. I: 874, fol. 26r. 353 Ibid., Cam I: 1295, Thesaureria Secreta, fol. 27. 354 Ibid., Cam. I: 1299, Conto 1563-64, fol. 15. 355 Ibid., Cam. I: 1301, fol. 29r.
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sans doute aussi ceux de ses serviteurs356. Manifestement, le vêtir était à la cour pontificale une préoccupation qui allait bien au-delà d’allocations « saisonnières » n’intéressant qu’un nombre limité de courtisans. Un document du 1er juin 1554, donc de l’époque de Jules III, est à cet égard fort instructif. Il s’agit d’un mandat du cardinal camerlingue aux dépositaires de la Chambre Apostolique leur ordonnant de verser 9 132 écus à Bartolomeo Bussotti et associés pour les tissus que de mai 1551 à avril 1554 ils ont fournis au palais apostolique pour les besoins vestimentaires du pape et de sa « famille », soit un remboursement de plus de 3000 écus par année357. Or cette somme ne comprend pas les allocations mentionnées plus haut et plusieurs autres du même type figurant dans les livres de comptes du majordome et du trésorier secret de Jules III qui, elles, étaient versées en argent comptant et non en nature. Les quelque 5000 écus que Paul IV consacrait chaque année à ce même poste358 reflètent sans doute mieux le coût réel du poste en question et on est donc en droit de penser que rares, très rares même étaient les membres de la cour qui ne se voyaient pas d’une année à l’autre attribuer au moins un costume, en fonction, chacun, du rang qu’ils occupaient ou de l’office qu’ils exerçaient359. Force est toutefois de reconnaître que tel n’est pas le cas en ce qui concerne les autres types de mancie dont nous venons de faire état. En effet, à quelques exceptions près, les principaux dignitaires et officiers de la cour ne semblent pas y avoir eu droit pour des raisons qui tenaient probablement à la nature ou encore à la raison d’être des mancie, comme nous l’avons suggéré plus haut. Il faut dire que, disposant de sources de revenus substantielles et fiables: bénéfices ecclésiastiques, titres de rentes, pensions, les personnages en question n’avaient que faire d’« étrennes » qui, en ce qui les concernait, représentaient assez peu de choses, sans compter que certains, en leur for intérieur, pouvaient très bien se dire que la mancia n’était pas faite pour eux et que ce serait de leur part se rabaisser que d’y prétendre. D’ailleurs, les papes de l’époque avaient à leur disposition Ibid., Cam. I: 1301, fol. 4v; 1302, fol. 65v; 1303, fol. 10r; 1304, fol. 11r, 70v. Ibid., Cam. I: 896, fol. 82r. 358 Ibid., Cam. I: 901, fol. 198-199r. Il s’agit d’un « mandat » du cardinal camerlingue du 7 décembre 1557 ordonnant de verser 6972 écus à Bartolomeo Bussotti et associés pour des tissus fournis au pape et à sa « famille » depuis juillet 1556. À noter que ce montant reste toutefois incomplet car, nous trouvons ici et là, dans les livres de comptes de la Chambre Apostolique mention de versements additionnels pour le vêtir. Ainsi de 1557 à 1560, habituellement deux fois par année, une douzaine de « familiers » dont le majordome reçoivent quelque 735 écus pour se procurer chacun un costume. Et on précise que les vêtements en question leur sont « dus ». À ce sujet, voir Ibid., fol. 124r. 359 Dans un registre du trésorier secret du début du pontificat de Pie IV, on trouve mention de tissus fournis à certains membres de la cour (maître d’hôtel du tinello secret, balayeurs secrets) et on précise qu’il s’agit là du « vêtir » de l’année en cours. Ibid., Cam. I: 1299, Entrata e Uscita, fol. 8r. 356 357
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mille autre moyens de montrer quel cas ils faisaient d’eux. Que d’exemples pourraient être ici, à ce propos, invoqués. À commencer par celui de Jules III qui, le 20 octobre 1551, fait remettre à Innocenzo del Monte, son jeune cardinal neveu, la somme de 1000 écus pour lui permettre de s’acheter de la vaisselle d’argent360 et qui, à peine un mois plus tard, fait don de 1100 écus à un autre neveu, Fulvio della Corgna, qu’il vient de promouvoir du rang de prélat domestique à celui de cardinal361. Et que dire d’un Pie IV qui, au début de 1565, sentant peut-être sa fin prochaine, décide d’ouvrir toute grande sa bourse en faveur d’un certain nombre de ses « favoris », ce qui vaut à ces derniers un véritable « pactole », soit 2750 écus à Giovanni Francesco Firmano et Giovanni Amatis, ses deux maîtres de cérémonie, 1 199 écus additionnels audit Amatis, 1100 écus à son neveu, le cardinal Borromée, 1045 à son maître de la chambre, Giulio Cattanei, 330 à un de ses prélats domestiques, Sebastiano Gualterio, et 44 à Trifone Benci, son secrétaire du chiffre362. Pie V, pourtant réputé pour sa grande austérité et ses réticences face à toute forme de favoritisme, ne se permet pas moins, début février 1567, quelques jours à peine avant le Mardi Gras, un certain nombre de largesses visant des hommes de confiance ou chers à son cœur tels Alfonso Carafa, comte de Montorio, arrière-petit-neveu de Paul IV, à qui il fait remettre mille écus, son dataire Marcantonio Maffei et son maître de la chambre, Alessandro Casale, qui reçoivent, chacun, 650 écus, son référendaire domestique, Antonio da Castello et son premier médecin, « M° Fedrico » qui ont droit, l’un et l’autre à 300 écus, enfin, un gentilhomme romain, ami de vieille date, Camillo Crescenzi, à qui, à l’égal du comte de Montorio, il fait don de mille écus363. Et que dire encore d’un Grégoire XIII qui, en plus de prendre à son compte nombre de dépenses de ses principaux officiers, se complaît à leur verser à divers moments de l’année de substantielles « primes », tels les 330 écus que reçoivent, chacun, le 26 décembre 1572, son majordome, son maître de la chambre et son maître d’hôtel secret364. Ajoutons que, contrairement à ce qu’affirme Pastor, il fut particulièrement généreux à l’endroit de ses cardinaux neveux, Filippo en particulier, et, cela, dès le début de son règne, comme permettent de le constater les quelque 6000 écus qui de juin à décembre 1572 sortent de la caisse du trésorier secret à l’intention dudit Filippo365. Ibid., Cam. I: 1295, Thesaureria Secreta, fol. 52v. Ibid., fol. 55v. 362 Ibid., Cam. I: 1299, Conto 1564-65, fol. 72-75. 363 BAV, Urb. lat. 1040, fol. 370r (Avvisi des 5 et 7 février 1567). 364 ASR, Cam. I: 1300, fol. 42v. Parmi les dépenses « extraordinaires » assumées par le pape, signalons les 110 écus remis le 7 novembre 1572 à Lodovico Bianchetti, maître de la chambre, pour couvrir les frais que lui ont occasionné une récente maladie. Ibid., fol. 28v. 365 Ibid., passim. 360 361
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Salaires, « provisions » et surtout « gratifications » de diverses sortes: autant de preuves de la sollicitude des papes du XVIe siècle à l’endroit des membres de leurs « familles , de quelque rang qu’ils aient été. Mais là ne s’arrêtaient pas leurs obligations is-à-vis de ces derniers, Tommaso Azzio, reprenant un dicton qui semble avoir été passablement répandu à l’époque, ne craint pas d’affirmer dans ses Discori Nuovi que la « familiarité » est d’abord et avant tout affaire de gîte et de couvert (« si fa col corpo, e denti »)366. À quel point cela était-il le cas à la cour pontificale? Nous nous étions déjà posé cette question, du moins en ce qui concerne le « gîte », dans le chapitre précédent et avions alors formulé l’hypothèse qu’au temps de Clément VIII environ 80% des effectifs de la cour étaient effectivement logés au Vatican, que ce soit au palais apostolique lui-même ou dans l’une ou l’autre de ses dépendances367. Cette hypothèse vaut-elle aussi pour les « familles » de ses prédécesseurs? Difficile de le dire, car à part le Rolo delle Stantie del Palazzo de 1594 et un « rôle » beaucoup moins élaboré datant du pontificat de Pie V368, nous disposons de peu de sources permettant de confirmer ou d’infirmer cette même hypothèse. Ce dont nous sommes relativement sûrs, c’est qu’en général les laïcs, laïcs mariés surtout de même que les quelques rares femmes figurant dans les rôles de cour, n’habitaient pas au Vatican. Il y avait bien à cette règle des exceptions, tel le premier médecin du pape, par exemple, qui, nous l’avons vu, était tenu de par sa fonction d’être constamment à la disposition de son illustre patient et donc de loger sous son toit. Il y avait aussi le cas de « parents »: un César Borgia, à l’époque d’Alexandre VI, un Jacopo Salviati, au temps de Clément VII, un Baldovino del Monte, sous Jules III, une duchesse de Paliano, à l’époque de Paul IV, un Paolo Ghislieri, sous Pie V369, T. Azzio, Discorsi Nuovi delle prerogative de’ curiali e moderni cortigiani, Venise 1600, fol. 6v. Voir chap. III, p. 31. 368 BAV, Ruoli 133. 369 Cesar Borgia s’installa probablement dès 1493 au palais apostolique. Mais il venait à ce moment d’obtenir le chapeau et faisait en quelque sorte figure de cardinal neveu. Il n’était donc que normal qu’il habite au Vatican. Mais, réduit en 1498 à l’état laïc, il n’en conservera pas moins son appartement audit palais où il passera d’ailleurs près de mourir en 1503. À ce sujet, voir Cloulas, Les Borgia cit., p. 264, 266-267, 319, 325 et passim. Jacopo Salviati, beaufrère de Léon X et donc cousin de Clément VII, sera à partir de 1524 un des trois secrétaires de ce dernier, puis à partir de 1527 son premier secrétaire. Il est possible qu’il ait logé au Vatican dès 1524, mais le plus probable est qu’il l’ait fait plutôt à partir de 1528 lorsque, dix mois après le sac de Rome, le pape réintégra le palais apostolique. C’est d’ailleurs là que Jacopo Salviati mourra en 1533. Cf. Hurtubise, Une famille-témoin cit., p. 164-167, 192-197. Au début de son pontificat, Jules III installa son frère Baldovino au Vatican avant de lui assigner le palais dell’Aquilà place Saint-Pierre. Voir von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 49. Annonçant en octobre 1557 qu’il avait l’intention de réformer sa cour, Paul IV assura les cardinaux réunis en consistoire qu’il allait obliger sa nièce, la duchesse de Paliano, à quitter son appartement de la tour Borgia. BAV, Urb. lat. 1038, fol. 270r. En 1567, Pie V installera pendant un certain temps Paolo Ghislieri, petit-fils de son oncle Francesco, au Belvédère, puis dans ses propres 366
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qui, tous, disposèrent pendant de plus ou moins longues périodes d’appartements ou, du moins, de pied-à-terre dans le palais apostolique. On ne peut par ailleurs exclure que certains officiers, voire subalternes dont les services étaient à tout moment requis –– on pense ici aux garçons d’écurie –– aient eu droit ne fût-ce qu’à une paillasse dans le palais même ou dans l’une ou l’autre de ses annexes370. Par contre, tout porte à croire que les palefreniers, comme groupe, n’habitaient pas au Vatican, même s’ils faisaient partie de la garde rapprochée du pape et devaient chaque nuit, à tour de rôle, assurer le guêt dans la salle qui portait leur nom371. Il en allait de même des chanteurs de la Sixtine qui eux, –– nous en avons la preuve –– étaient installés un peu partout dans la ville, parfois hôtes de cardinaux ou autres dignitaires romains372. À noter qu’ils étaient presque tous clercs comme l’étaient d’ailleurs bon nombre des palefreniers373. Cette appartements avant de le faire gouverneur du Borgo. Ibid., Urb. lat. 1040, fol. 395r, 645r. Sur les déboires par la suite de ce proche parent du pape, voir Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 115-116. 370 On peut en dire autant du ou des préposés à la basse-cour et aux jardins. Le plan Maggi Mascardi de 1615 indique clairement l’existence de logis pour les personnels d’écurie et pour les jardiniers. Voir F. Erhle, La grande veduta Maggi Mascardi (1615) del tempio e del palazzo Vaticano, Rome 1914, p. 17 (n° 48), 19 (n° 113). La description d’un plan datant probablement du règne de Clément VIII fait pour sa part état d’une habitation réservée au gallinario. Cf. BAV, Vat. lat. 10741, fol. 400r. Le plan auquel cette description renvoie ne figure malheureusement pas dans le dossier où se trouve la description en question. Qu’en était-il des lavandières mentionnées dans les rôles de cour de l’époque? Il est possible que certaines aient habité dans quelque dépendance du palais. Le plus probable est qu’elles étaient logées à l’extérieur, telle cette Angelica, lavandière de la crédence à qui en juin 1553 on versa 13,75 écus représentant six mois de loyer d’une maison qu’elle occupait en ville. ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito, 1553, fol. 24v. 371 En juin 1555, le palefrenier Jean Golard ou Colard (« Giovanni Golardi ») reçoit 8,25 écus pour acheter des lits pour la salle des palefreniers, lits de toute évidence destinés à ceux de ses collègues assurant la garde de nuit. Ibid., Cam. I: 1296 D, fol. 16v. 372 Une liste de 1566 nous fournit le lieu d’habitation de 22 des chanteurs de la Sixtine. Quatre étaient à ce moment installés chez le cardinal d’Este, deux chez Virginio de’ Massimi, un aux Saints-Apôtres, un à Saint-Jean des Florentins, un à l’hôpital Santo Spirito, les autres dispersés dans diverses maisons privées, parfois avec des membres de leurs familles ou des compatriotes. Cf. H. W. Frey, Die Diarien der Sixtinischen Kapelle, Düsseldorf 1951, p. 149, n. 1. 373 Membres de la chapelle pontificale –– ils portaient même le titre de chapelains ––, il allait de soi que les chanteurs de la Sixtine fassent partie du clergé, c’est-à-dire soient au moins tonsurés, d’autant plus d’ailleurs que le plus clair de leurs revenus provenait de bénéfices ecclésiastiques auxquels ils n’auraient pu normalement prétendre s’ils n’avaient pas été clercs. Quelques laïques mariés feront tout de même partie de ladite chapelle au XVIe siècle, un Palestrina entre autres, mais ils en seront éventuellement exclus précisément parce qu’ils n’avaient pas le statut requis. À ce propos, voir J. Lionnet, Chapelle pontificale (musique), dans DHP, p. 345-348. Pour ce qui est des palefreniers, l’inclusion de bon nombre d’entre eux dans les rôles de « familiarité » –– 26 au temps de Paul III (BAV, Borg. lat. 354, fol. 1920), entre 40 et 49 au temps de Paul IV (BAV, Ruoli 27, fol. 36-38; Ruoli 28, fol. 32-33; Ibid., Vat. lat. 15046, fol. 29-30), 47 au temps de Pie IV (Ibid., Ruoli 39, fol. 31; Ruoli 42, fol. 37) –– donne à penser que la majorité des palefreniers de l’époque étaient au moins tonsurés et donc aptes à tenir bénéfices ecclésiastiques, même si certains d’entre eux étaient par ailleurs
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qualité n’assurait donc pas nécessairement qu’on pût trouver à se loger au Vatican comme la condition de laïc n’excluait pas qu’on se vît, dans certains cas, offrir ce privilège. Cela dit, il ne fait pas de doute que le fait d’être clerc constituait et constituera de plus en plus au XVIe siècle un avantage à cet égard, un avantage qui devenait une garantie ou presque si, en plus, on jouissait d’un statut, remplissait une fonction ou faisait partie d’un service mettant en contact direct ou fréquent avec le pape ou l’entourage immédiat de ce dernier. Il suffit de parcourir le rôle plus haut mentionné de Clément VIII et accessoirement celui de Pie V pour assez rapidement s’en convaincre. En effet, qui ces deux papes admettent-ils sous leur toit? Tout d’abord, des hôtes de haut rang: cardinaux palatins et prélats domestiques, entre autres, puis des officiers majeurs, cardinal neveu en tête, suivi du dataire, du majordome, du maître du Sacré Palais, du sacriste, des maîtres de cérémonies, du maître de la chambre, du doyen des chapelains « secrets », de l’aumônier et du trésorier « secrets », mais également de nombreux membres des personnels de la chambre, de la chapelle, de la chancellerie et du secrétariat « domestiques », de la bibliothèque, de la cuisine, de l’intendance et des services généraux sans oublier les serviteurs dont étaient entourés bon nombre de ces personnages374. Nous avons vu plus haut que le seul groupe des cardinaux palatins, prélats domestiques, camériers, « cubiculaires » ou chapelains et écuyers représentait en moyenne à l’époque quelque 41% des effectifs de la cour pontificale375. Tenant compte du fait que bon nombre d’officiers de moindre importance et d’auxiliaires de ces derniers étaient eux aussi logés à la cour, il est permis de croire que l’hypothèse que nous formulions plus haut au sujet de la « famille » de Clément VIII pourrait aussi être applicable aux « familles » de la plupart de ses prédécesseurs, c’est-à-dire que des membres des « familles » en question environ 80% habitaient effectivement le palais apostolique ou l’une ou mariés. C’est le cas, entre autres, de Jean Vimont, doyen des palefreniers de Grégoire XIII qui était clerc du diocèse de Liège. Cf. ASR, Cam. I: 927, fol. 102r. Au sujet de son épouse, voir Ibid., Cam I: 1352, fol. 30v. Les officiers de la Chancellerie Apostolique qui n’appréciaient guère voir des « clercs de convenance » jouir des privilèges de la « familiarité », dont celui de ne pas avoir à payer de « droits » sur les expéditions d’offices ou de bénéfices, s’efforçaient de dénicher ces « intrus » qui les privaient ainsi de ce qu’ils estimaient être leur dû. D’où la mention « uxoratus » que l’on trouve ici et là en marge des listes de noms apparaissant dans les rôles de « familiarité » de l’époque. Voir, pour Paul IV, BAV, Ruoli 27, fol. 36-38 et Ruoli 28, fol. 32-33. Peut-être ces officiers espéraient-ils faire ainsi disparaître un certain nombre de ces « intrus » des listes en question. Sur ce problème, voir G. Fragnito, Le corti cardinalizie nella Roma del Cinquecento, dans Rivista Storica Italiana, CVI (1994), p. 11-13. 374 Nous renvoyons ici de nouveau, pour ce qui est de Clément VIII, au Rolo delle Stantie de 1594 (ASV, Fondo Confalonieri, 64) et, pour ce qui est de Pie V, à la Nota di tutte le stantie de 1566 (Ibid., Miscell. Arm. II: 80, fol. 204-207r). 375 Cf. Tableau I.
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l’autre de ses dépendances. Il s’agit bien évidemment là d’un simple ordre de grandeur, sujet comme toute approximation du genre à une certaine marge d’erreur, mais qui permet tout de même d’affirmer que les papes du XVIe siècle en gros respectaient ce que Tommaso Azzio appelait la première règle de la « familiarité », c’est-à-dire le droit à un « gîte ». Et, cela, d’autant plus que les exemples ne manquent pas d’officiers d’un certain rang, laïques surtout, qui avaient choisi ou à qui on avait demandé de loger hors du Vatican, et qui recevaient à cet effet une allocation permettant habituellement de couvrir le loyer de la maison ou de l’appartement qu’ils occupaient. Au temps de Léon X, Domenico Brandino inscrit à la cour sous le titre d’écuyer, mais qui y joue en réalité le rôle de bouffon, se voit verser 50 ducats à cette fin376. Sous Paul III, c’est Antonio Capello, chanteur de la Sixtine, qui reçoit à ce même titre 32 écus l’an377. Grégoire XIII qui semble avoir été particulièrement généreux à ce chapitre fait pareillement remettre chaque année, 200, 55, 30, 23 et 20 écus respectivement à Tommaso Gigli, son trésorier général, Giovanni Lippi, son maître de l’écurie, Marco Vanna (ou Banna), son barbier, Louis Besson, son cuisinier secret et Jean Vimont (« Giovanni Vinamonte »), doyen de ses palefreniers qui, tous, à son instigation peut-être, ont pris quartiers dans la ville, chacun –– les montants alloués en font foi –– selon son rang378. Sous Clément VIII, c’est Niccolò Incarnatione, maître-queux du pape, qui reçoit à cette même fin 24 écus l’an379. Exemples parmi d’autres d’une pratique qui était probablement plus généralisée que ne le laissent deviner des livres de comptes jusqu’à la deuxième moitié du XVIe siècle passablement lacunaires. Si important qu’ait paru à Tommaso Azzio le devoir fait au maître de maison de loger convenablement les membres de sa « famille », combien plus impératif paraissait aux contemporains celui de leur offrir en plus les commodités de la « table », en d’autres mots, comme on disait à l’époque, l’accès au tinello. Cet accès était depuis longtemps et restait encore au XVIe siècle un indice probant d’appartenance à la « famille » du maître. De fait, il y a encore à l’époque tout un vocabulaire inspiré de cette notion de « commensalité », de pain partagé, de table commune. La littérature de cour renvoie d’ailleurs assez souvent avec une sorte de nostalgie à la belle époque du tinello commune, c’est-à-dire à la salle à manger unique 376 ASR, Cam. I: 1489, fol. 65r. Sur Brandino, voir E. R odocanachi, Le pontificat de Léon X, p. 182. 377 ASR, Cam. I: 1290, fol. 2. Capello figure dans le rôle de la chapelle Sixtine de 1549. BAV, Cap. Sist. 678, fol. 59r. 378 Pour Gigli, voir Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 5r; pour Lippi, Ibid., Giust. di. Tes. 12, fasc. 15 et Cam. I: 928, fol. 47; pour Vanna, Ibid., Giust. di Tes. 12, fasc. 15 et Mand. cam. 928, fol. 35v-36r; pour Besson, Ibid., Cam. I: 1301, fol. 31v et Cam. I: 1303, fol. 27v; pour Vimont, Ibid., Cam. I: 1300, fol. 28v et Cam. I: 1301, fol. 31v. 379 ASR, Cam. I: 942, fol. 132v, 181v.
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où toute la « famille » était réunie autour du maître. Le mot « nostalgie » n’a ici rien d’exagéré, car au XVIe siècle le tinello commune n’existait plus que comme un lointain souvenir. Francesco Priscianese dans son Del governo della Corte d’un Signore di Roma paru en 1543 déplore le fait qu’à son époque la plupart des grandes maisons de Rome avaient mis fin au tinello et se contentaient de fournir la parte en argent ou en nature à leurs divers personnels380. Cesare Evitascandalo, auteur d’un Dialogo del Maestro di Casa, publié cinquante ans plus tard, est à ce sujet un peu moins pessimiste, assurant que si certains maîtres avaient effectivement renoncé au tinello, souvent pour des raisons de coût, d’autres continuaient à offrir tout à la fois le tinello et la parte au choix des intéressés381. Qu’en était-il à la cour pontificale?Tout d’abord, il n’y avait plus –– et depuis belle lurette –– de tinello commune au sens ancien du terme, le pape ayant depuis fort longtemps renoncé à manger, entouré de sa « famille »382, mais il y avait encore des salles à anger (tinelli) en plus ou moins grand nombre, affectées à des catégories particulières de membres de la cour. Au temps de Jules III, on en compte au moins quatre: un tinello secreto à ce qu’il semble réservé au pape et à son entourage immédiat, un tinello maggiore, et un tinello minore, comme leurs noms l’indiquent probablement destinés, le premier, à de grands, le second, à de plus humbles personnages, enfin un tinello à la disposition exclusive des palefreniers383. Le tinello secreto était encore en usage au temps de Sixte V384. Quant aux deux suivants on n’en trouve plus trace dès le pontificat de Paul IV, le premier sans doute remplacé par un tinello de’ cardinali qui apparaît sous ce nom dans un rôle de la cour de Pie IV, mais qui existait probablement déjà au temps de son prédéces380 Del governo della Corte, p. 26-27. Nous utilisons la réédition de ce traité fait à Città de Castello en 1883. 381 Dialogo del Maestro di Casa, p. 168-169. Nous renvoyons à l’édition romaine de 1598. 382 Au XIIIe siècle déjà, ce n’est qu’à l’occasion de certaines grandes fêtes et d’événements exceptionnels que le pape invitait sa « famille » ou, du moins, certains éléments d’entre elle à sa table. Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 157-159. Chose certaine, depuis au moins l’exil d’Avignon, le pape avait un tinello bien à lui identifié par le qualificatif « secret ». C’est habituellement là qu’il mangeait en compagnie d’intimes ou d’invités de marque. Guillemain, La cour cit., p. 392-394. De même, B. Laurioux, Cuisinier du pape, dans DHP, p. 491-492. On en est toujours là au XVIe siècle comme le montrent bien les livres de comptes des majordomes de l’époque où la « table » du pape fait toujours l’objet d’une entrée à part avec souvent le détail des menus servis chaque jour à cette même table. Un premier exemple nous en est fourni par le seul registre de ce genre qui nous reste pour la période antérieure au règne de Grégoire XIII, soit celui du majordome de Paul III, Angelo Archilegi, allant de juillet à décembre 1538. ASR, Cam. I: 349, fol. 9v-24v. On retrouve ce modèle presque sans changement dans les registres couvrant les pontificats de Grégoire XIII et de ses successeurs immédiats. Cf. Ibid., Cam. I: 1350-1367 et BAV, Introiti ed Esiti: 1-15. 383 L’existence de ces quatre tinelli est attestée par le rôle de cours de 1551. BAV, Ruoli 6, fol. 9v, 10v, 11r. 384 Cf. Ibid., Ruoli 65, fol. 7r. Il s’agit du rôle de cour de 1586.
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seur385. Le tinello des palefreniers, pour sa part, ne figure plus dans les ruoli à partir du pontificat de Pie IV386. Par contre, au temps de Grégoire XIII, font leur apparition un tinello dit des gentilshommes et un autre dit de la « famille »387, reprises peut-être sous une autre forme du tinello maggiore et du tinello minore de l’époque de Jules III. Autant d’indices d’une situation qui, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, évolue rapidement, rendant du coup fort difficile la tâche de l’historien cherchant à préciser qui était et qui n’était pas nourri aux frais du pape et de quelle façon ce dernier s’acquittait de ces obligations en ce domaine. Qu’ils aient eu ou non accès à l’une des salles à manger du palais apostolique, tout porte à croire que dans leur très grande majorité les membres de la cour recevaient le parte sous une forme ou une autre. Les rôles de « commensalité » en font foi. De Jules III à Grégoire XIII, en continuité probablement avec ce qui s’était fait jusque-là, ceux dont les noms figuraient dans les rôles en question avaient, à ce qu’il semble, accès soit à l’un des tinelli plus haut mentionnés, soit à l’un ou l’autre des garde-manger (cantine) du palais388. Il s’agissait dans chaque cas ou presque d’une « part » en nature, comme le confirment d’ailleurs les formules employées dans les ruoli de l’époque, telles que « a tutto vitto » ou « continui commensales »389. Mais en quoi consistait concrètement cette parte? Chose certaine, elle n’était et ne pouvait être la même pour tous et devait donc varier considérablement d’une catégorie de personnes à l’autre. Aussi est-on en droit de penser que celles des habitués des tinelli était qualitativement et quantitativement parlant supérieure à celle de leurs collègues réduits à s’approvisionner directement aux cantine, sans compter que les premiers avaient sans doute droit à des repas complets préparés dans les cuisines du palais alors que les seconds devaient, selon toute vraisemblance, voir eux-mêmes à cette préparation avec l’aide probablement des cuisiniers dits du commun pour ce qui était des alimens exigeant une forme ou l’autre de cuis385 ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 11r. Il s’agit d’un rôle de cour de 1560. Au temps de Pie V, on ne parle plus que de crédence et de cuisine des cardinaux. ASV, Miscell. Arm. II: 80, fasc. 204v. Serait-ce que, vu leur nombre élevé, les cardinaux de la cour de Pie V n’avaient plus ou ne tenaient plus à avoir une salle à manger commune? 386 En effet, les quatre serviteurs des palefreniers appelés « offitiali della tavola » que l’on trouvait encore à la cour de Paul IV (BAV, Ruoli 32, fol. 11r) n’y figurent plus chez Pie IV ni chez ses successeurs d’ailleurs. 387 Des indications à ce sujet nous sont fournies par le devis des travaux exécutés au palais apostolique en octobre 1585. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 15, fasc. 2, fol. 4v. 388 La diminution du nombre de tinelli à partir du règne de Paul IV autorise à penser que, déjà à cette époque, la vaste majorité des membres de la cour était nourrie à partir des cantine. 389 Chez Jules III on utilise la formule « continui commensales ». BAV, Ruoli 6. À partir de Paul IV, c’est plutôt la formule « a tutto vitto » qui domine. Ibid., Ruoli 32.
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son390. Cela dit, il est permis de croire que tous recevaient au minimum ce qui était considéré à l’époque comme essentiel à une alimentation digne de ce nom, soit pain, vin, huile, viande, poisson, œufs, légumes, fromage, sel et, peut-être, fruits391. À noter que le pain et le vin occupaient dans cet ensemble une place à part, faisant en quelque sorte office d’emblème par excellence de la « commensalité » au point d’ailleurs où toute une série de grands personnages: cardinaux, prélats, ambassadeurs recevaient chaque jour ce qu’on appelait à l’époque la parte d’onore consistant en une certaine quantité de pain ou de vin, parfois les deux à la fois, qui, par le fait même, faisaient d’eux des « commensaux », donc des « proches » du pape, même s’ils n’appartenaient pas comme tels à la cour392. Les chanteurs de la Sixtine qui n’avaient pas droit à la parte, sinon en certaines occasions bien précises, se battront durant tout le XVIe siècle en vue d’obtenir au moins d’être compris dans la distribution quotidienne de pain et de vin, distribution à laquelle ils prétendaient avoir droit en raison du statut de « familiers » (familiares continui commensales) qui leur était depuis fort longtemps reconnu. Il leur faudra attendre le pontificat de Sixte V pour obtenir à ce sujet gain de cause393, mais le seul fait qu’ils se soient à ce point investis dans ce long combat montre bien l’importance qu’ils attachaient à cette revendication, importance probablement plus symbolique que réelle en termes monétaires du moins, bien que celle-ci ne fût pas négligeable394. 390 Mais où mangeaient ces centaines d’individus qui n’avaient pas accès à un tinello? Sans doute ici et là dans le palais apostolique ou l’une ou l’autre de ses dépendances, individuellement ou par groupes, selon le rang, la fonction ou le lieu de résidence ou de travail de chacun d’entre eux. 391 L’examen des livres de comptes des majordomes confirme cette hypothèse tout en montrant que la quantité et la qualité des denrées fournies variaient d’un pape à l’autre. On trouve dans le livre de comptes de Paolo Girolamo de’ Franchi, majordome de Paul III en 1535, une liste typique de ces denrées (ASR, Cam. I: 1493, fol. 93), liste qui, à peu de différences près, correspond à celles qui figurent dans les livres de comptes de ses successeurs au XVIe siècle. 392 Par exemple, au temps de Pie IV, cinq cardinaux, un ambassadeur de même qu’un certain nombre de grands officiers ou fonctionnaires reçoivent une ration quotidienne (portione) de pain et de vin. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 13. Par contre, 42 cardinaux, 8 ambassadeurs, 8 prélats domestiques et divers officiers de curie doivent se contenter d’une simple ration de pain. Ibid., fol. 14-21r. On retrouve mutatis mutandis ce type d’entrée dans tous les rôles de cour dont nous disposons pour l’époque. Ajoutons que l’emploi dans les livres de comptes de la même époque du terme companatico pour désigner les éléments autres que le pain et le vin dans la parte distribuée quotidiennement aux membres de la « famille » pontificale va, lui aussi, dans le sens du caractère privilégié de l’un et l’autre de ces éléments de base. 393 Voir note 326. 394 Ibid., p. 7-14. Parlant de symbolisme, il ne faudrait peut-être pas négliger par ailleurs le fait que pain et vin, surtout dans le cadre d’une cour telle que la cour pontificale, avaient aussi une connotation sacrale, connotation qui ne devait pas échapper à des hommes tels que les chanteurs de la Sixtine étroitement associés à la vie liturgique de ladite cour.
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Nourrir une « famille » qui, nous l’avons vu, pouvait compter au minimum 4 ou 500, au maximum, plus de mille personnes, n’était pas une mince affaire et, cela, en termes aussi bien logistiques que monétaires. Nous nous intéresserons de plus près à ce redoutable défi dans un prochain chapitre, mais peut-être n’est-il pas hors de propos de faire dès à présent état des coûts que cela représentait à l’époque. Au temps de Paul III, les livres de comptes du majordome nous apprennent qu’on consacrait à ce seul poste environ 70% des dépenses totales inscrites au budget du palais395. Ce pourcentage ne surprend guère, étant très proche de ce que l’on trouve en 1563 à la cour du cardinal Alexandre Farnèse, petit-fils de Paul III, et semble bien correspondre à ce qu’il en était habituellement dans les grandes maisons du temps396. Mais force est de constater qu’il n’est plus que de 60% à la cour de Grégoire XIII en 1576397, reflet sans doute d’une certaine tendance à l’austérité de la part de ce champion de la cause tridentine, mais, en même temps, indice peut-être d’une volonté de réduire, dans toute la mesure du possible, une dépense qu’une situation financière difficile ne permettait plus de supporter, du moins au même niveau qu’auparavant. Ce constat restait valable neuf années plus tard et fut sans doute à l’origine de la grande réforme introduite par Sixte V en 1586 et qui consistait à donner désormais la parte ou, plus exactement, le companatico en argent seulement et non plus en nature. L’idée n’était pas tout à fait nouvelle. Déjà, Paul III le faisait pour un nombre, il est vrai, limité de ses courtisans398. Grégoire XIII ira beaucoup plus loin, imposant ce même régime à quelque 200 membres de sa cour, cela pouvant aller de la parte complète à un companatico réduit au seul poulet (pulli) ou à la seule viande (carne)399. Si Sixte V décida de recourir à cette même formule pour l’ensemble de sa « famille », c’est qu’il comptait nul doute y trouver son compte en termes aussi bien administratifs que monétaires. Cela fut-il le cas? Il semble bien que oui. À preuve la courbe descendante des dépenses de « bouche » durant son pontificat. 395 En décembre 1534, le majordome enregistre une « sortie » de 3729 ducats pour les seules dépenses de « bouche », soit 66% du budget total du mois en question. ASR, Cam. I: 1492, fol. 70-71. Pour la période allant d’août à décembre 1538, il consacre à ce même poste 16.703 ducats, soit 70% de toutes les dépenses. Ibid., Cam. I: 1349. 396 À ce sujet, voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 250. 397 En effet, pour la période allant de juillet 1576 à juin 1577, le majordome du pape enregistre une dépense de « bouche » de 57.916 écus sur un budget total de 95.860 écus. ASR, Cam. I: 1350. 398 En 1548, le pape fait verser la parte complète (« a tutto vitto ») en argent à seize membres de sa cour et le companatico également en argent à vingt-huit autres membres, dont, notons-le, les garçons d’écurie. Ibid., Cam. I: 1349, fol. 30r. 399 Quatre courtisans reçoivent la parte complète; 145, le companatio complet; trois, un companatico partiel comprenant viande et poulet; huit, poulet seulement et 40, viande seulement, le tout représentant un déboursé mensuel de 659 écus. Ibid., Cam. I: 1350, fol. 36-37r.
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En effet, alors que celles-ci, en mai 1585, soit le mois suivant son élection, sont encore –– début de pontificat oblige –– d’un niveau comparable à celles de la cour de Grégoire XIII, c’est-à-dire près de 3000 écus400, en août de la même année elles ne sont déjà plus que de 2 188 écus avant de passer en août 1586 à 1150 et, en août 1588, sous la barre de mille écus401. C’est que, s’inspirant de la méthode de son prédécesseur, Sixte V avait, de mois en mois, d’une part, augmenté le nombre d’ayants droit au companatico en argent –– cette opération se terminera en octobre 1586 avec le passage de toute la « famille » à cette nouvelle formule402 –– de l’autre, réduit progressivement les sommes allouées à ces derniers. Mais le manque à gagner résultant de ces diverses coupures était de fait beaucoup plus important qu’il n’y paraissait et dut frapper d’autant plus durement les moins bien nantis de la cour, car ce que les livres de comptes appelaient, comme au temps de Grégoire XIII, companatico en argent (« companatico in denari ») était en réalité, comme l’explique une note du majordome ou de son scribe d’octobre 1586, une « provision », donc une forme de rémunération couvrant non plus seulement les dépenses de « bouche » », mais l’ensemble des dépenses courantes auxquelles avaient chaque jour à faire face les membres de la « famille » du pape403. En somme, sans trop s’en rendre compte peut-être, Sixte V avait réussi d’un trait de plume à « fonctionnariser » sa cour, en d’autres mots, à faire des membres de celle-ci en quelque sorte des employés, employés faisant désormais tous l’objet d’un même type de traitement qui, il faut le reconnaître, ressemblait étrangement à un salaire. Du moins n’eut-il pas l’audace d’aller jusqu’à supprimer l’allocation quotidienne de pain et de vin à laquelle toute la « famille » avait jusque-là eu droit404 –– il en fit même bénéficier, nous l’avons vu, les chanteurs de la Sixtine ––, décision qui ne contribua sans doute pas peu à atténuer l’effet négatif de sa réforme, car, en conservant comme il le faisait ces deux éléments-clés de la parte, il donnait au moins l’impression que le principe de la « commensalité » était sauf et qu’il n’était pas question de le remettre en cause. Ses successeurs immédiats, notamment Grégoire XIV et Clément VIII, trouvant peut-être cette réforme sinon trop radicale, du Très exactement 2823 écus. Ibid., Cam. I: 1353, fol. 12r. Ibid., fol. 64v; Ibid., Cam. I: 1354, fol. 84r; Ibid., Cam. I: 1360, fol. 26r. Dans ce dernier cas, le montant exact est de 884 écus. 402 Ibid., Cam. I: 1356, fol. 26-27. 403 Ibid., fol. 34r. 404 Il suffit de comparer les rôles de cour de 1586 et de 1588 (BAV, Ruoli 65 et 80) pour voir qu’effectivement les membres de la cour continuaient à recevoir leur allocation quotidienne de pain et de vin. Tout cela est confirmé par l’examen des livres de comptes du majordome pour la même période (ASR, Cam. I: 1353-1362) où l’on constate que les achats de blé et de vin se maintiennent à des niveaux comparables à ceux d’avant le passage au companatico en argent. 400 401
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Les effectifs de la cou
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moins passablement audacieuse, chercheront à revenir quelque peu en arrière405, mais, pour l’essentiel, ladite réforme sera maintenue, en raison probablement des grands avantages financiers qu’elle présentait. **** Nous nous étions demandé au départ en quoi consistait la cour pontificale au XVIe siècle, de quelle importance, qualitativement et quantitativement parlant, elle était, quels types de fonctions y étaient exercées et quel statut cela conférait aux titulaires desdites fonctions. Puis, nous intéressant aux personnes comme telles, nous avons cherché à savoir d’où venaient ces dernières, à qui ou à quoi elles devaient leur accession et, le cas échéant, leur carrière à cette même cour et, finalement, de quel traitement elles jouissaient de la part du maître de céans, c’est-à-dire du pape. Il est vite apparu que les choses étaient plus complexes qu’il ne pouvait y paraître au premier abord. Faute d’une documentation adéquate, surtout en ce qui concerne la première moitié du XVIe siècle, nous avons souvent dû nous contenter d’hypothèses et d’approximations concernant surtout les données d’ordre statistique. Il n’en reste pas moins que la cour nous est apparue comme une vaste ruche bourdonnante d’activités de toutes sortes, d’activités nécessitant la présence d’un personnel varié et nombreux regroupé autour d’un certain nombre de pôles de service, les uns intéressant la personne même du pape, d’autres ses principaux auxiliaires, d’autres encore l’ensemble de sa « famille », y compris ceux que nous avons 405 L’un et l’autre, en effet, maintiennent le companatico en argent, mais l’assortissent pour certains membres de leurs cours de compléments en nature, tels, par exemple, ces « fruits » (frutti soliti) que Grégoire XIV, s’inspirant à ce qu’il semble d’une tradition ancienne, fait à nouveau distribuer aux membres en question. ASR, Cam. I: 1369, fol. 10r, 24r, 39rv. Grégoire XIV, de fait, va beaucoup plus loin que cela. En effet, il réintroduit le companatico en nature pour un nombre, à ce qu’il semble, passablement élevé de ses courtisans. Mieux: ce companatico qui figure dans les bilans établis chaque mois par son majordome représente un déboursé deux, sinon trois fois supérieur à celui du companatico en argent qui figure lui aussi dans les bilans en question. Voir Ibid., Cam. I: 1364, fol. 30r, 45v, 58r et 1365, fol. 16r, 28v, 43r, 57r, 71r, 85r, 121r. Il dut paraître à certains que ce pape qui était, il ne faut pas l’oublier, une « créature » de Grégoire XIII, avait décidé de revenir à la formule qu’avait adoptée ce dernier. À noter toutefois que certains de ceux à qui Grégoire XIV avait accordé cette « faveur » ne s’en prévalurent pas (« non hanno preso robba ») et préférèrent se faire verser un équivalent en argent comme au temps de Sixte V. À ce propos, voir Ibid., Cam. I: 1365, fol. 52r-53r. Par contre, Clément VIII qui était, lui, une « créature » de Sixte V et qui avait sans doute mieux que Grégoire XIV compris les avantages, pécuniaires surtout, du companatico en argent, revint pour l’essentiel à ce régime tout en ne renonçant pas totalement au companatico en nature qui continuera à figurer, mais pour des sommes vingt, sinon trente fois inférieures à celles du companatico en argent, dans les livres de comptes de son majordome. Voir BAV, Introiti ed Esiti 12, fol. 26r, 41r, 55r, 71r, 88v, 104v et 14, fol. 18r, 32v, 46r, 61v, 77r, 90v.
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suggérer d’appeler « hôtes » de la cour. Personnel fait surtout de clercs et, il va de soi, à l’image de la société du temps, fortement hiérarchisé. D’où le traitement très différencié dont faisaient l’objet les membres de ce personnel, même si la plupart des papes de l’époque –– sollicitude oblige –– n’hésitaient pas, chaque fois qu’ils en sentaient ou qu’on leur en exprimait le besoin, à corriger par des mancie de diverses sortes les inégalités ou inconvénients résultant des différents modes de rémunération existant à leurs cours. Nous avons été également à même de constater que la cour pontificale n’était pas une réalité statique. Les circonstances variant d’un pontificat et d’un pape à l’autre, il était inévitable qu’elle finisse par s’ajuster, s’adapter, au besoin, se transformer en fonction desdites circonstances, que ce soit dans sa composition, ses structures et son mode de fonctionnement. C’est Sixte V, nous l’avons vu, qui fut le plus radical à ce chapitre, d’une part, en réduisant encore plus que se ne l’étaient permis même les plus « réformistes » de ses prédécesseurs, les effectifs de sa cour, de l’autre, en faisant des membres de celle-ci, à toutes fins pratiques, des « fonctionnaires » ou des quasi « fonctionnaires ». Comment à travers tous ces changements la cour pontificale réussit-elle à assumer le rôle qui était prioritairement le sien, soit d’être à temps et à contre-temps au service de la personne du pape, que ce service fût d’ordre « domestique », « politique » ou « symbolique », en d’autres mots, qu’il concerne la prosaïque réalité de tous les jours ou celle, fastueuse, des grands jours. Telle est la question que nous ne pouvons éviter de nous poser au terme du présent chapitre et telle est la question à laquelle, dans la mesure où les sources nous le permettent, nous chercherons à répondre dans les deux chapitres qui suivent.
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V LA VIE DE LA COUR RITES ET RITUELS DES GRANDS JOURS Si l’on devait, parmi les diverses fonctions de la cour, surtout s’agissant d’une cour de type monarchique, choisir celle qui définit et reflète le mieux ce qu’est une cour et ce à quoi elle est ordonnée, ce serait sans doute le mot « représentation » qui viendrait spontanément à l’esprit. Si les papes du XVIe siècle ont consacré tant d’efforts et d’argent à se doter de palais, de villas, de jardins, d’espaces où recevoir, entretenir et surtout impressionner leurs nombreux hôtes, visiteurs ou sujets et s’ils ont tenu, pour la plupart, à s’entourer, également à grands frais, de personnels à l’avenant, c’est qu’ils savaient pertinemment qu’il ne suffisait pas de se dire « souverains pontifes »: qu’il fallait en plus et peut-être surtout montrer qu’on l’était. Et, cela, rien ne permettait mieux de le faire que d’exploiter certains moments, certains événements privilégiés pour faire montre de leur autorité et de leur grandeur par le truchement de rites consacrés par l’usage et, au besoin, remis à jour par des maîtres de cérémonie aussi à l’aise dans le monde du déploiement liturgique que dans celui du protocole de cour. Non que les rites ponctuant la vie de tous les jours n’aient pas eu, eux aussi, un rôle à jouer à cet égard, mais ce rôle –– nous aurons l’occasion de le montrer dans notre prochain chapitre –– en était plutôt un de soutien et d’accompagnement, les rites et rituels des grands jours paraissant beaucoup mieux à même de jouer, et de jouer de façon convaincante, le rôle en question. Comme le note avec justesse Olivier Michel, dans cette capitale de la chrétienté qu’était Rome, où « nations catholiques rivalisaient entre elles d’une magnificence qui se voulait le reflet de leur grandeur » –– grandeur, est-il besoin de le préciser, qui était d’abord et avant tout celle de leurs souverains respectifs ––, le pape se devait de donner une image aussi, sinon plus éclatante de son pouvoir tout à la fois spirituel et temporel pour signifier « la vérité et la puissance de l’Église »1. Mais cette démonstration d’autorité et de grandeur n’était pas, du moins en ce qui 1
O. Michel, Fêtes de la Rome pontificale, dans DHP, p. 675.
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concerne le pape, qu’affaire d’émulation: elle s’imposait tout autant, sinon plus face à l’ensemble de ceux et celles qui lui devaient ou qu’il estimait lui devoir respect et obéissance, qu’il s’agisse de ses sujets de l’État pontifical, habitants de Rome y compris, ou encore des catholiques du monde entier de quelque statut ou rang qu’ils aient été. Et, cette démonstration, il fallait savoir saisir, au besoin créer les occasions qui permettaient de la faire, ce dont ne se priveront pas –– nous aurons l’occasion de le voir plus loin –– les papes de l’époque. Mais avant de nous intéresser aux diverses formes que prendra cette démonstration au XVIe siècle, peut-être serait-il bon de rappeler ici, du moins brièvement, à quelles traditions se rattachaient les formes en question. Les rites et rituels de cour, fruits d’une longue et complexe histoire remontant très loin dans le temps, ont tous ceci en commun qu’ils cherchent à affirmer, légitimer et, dans toute la mesure du possible, pérenniser par des gestes, paroles et signes appropriés un pouvoir de type monarchique comportant à peu près toujours une dimension « sacrale »2. Héritiers, d’une part, du riche cérémonial de cour romain, dans sa forme aussi bien païenne que chrétienne3, d’autre part, de l’univers symbolique et des rituels élaborés dans le cadre de la religion et du culte juifs4, les papes 2 Le premier modèle connu est celui des pharaons d’Égypte il y a quelque 5000 ans, suivi de ceux des rois de Babylone, d’Assyrie et de Perse, modèles qui vont à partir du Moyen Âge influencer les cours européennes par le biais des rois d’Israël, puis surtout des empereurs byzantins qui, les uns et les autres, accordaient une très grande importance à l’idée de « sacralité » indissociablement liée à la personne du monarque. À ce propos, voir P. R. Rohden, Royal Court, dans Encyclopaedia of the Social Sciences, XIII, p. 448-449. Pour Byzance, se reporter à l’excellente étude de G. Dacron, Empereur et prêtre. Étude sur le césaro-papisme byzantin, Paris, 1996, p. 74-105. Pour une période plus récente, voir l’excellente étude de R. Strong, Coronation (Londres-New York 2005) consacrée à la monarchie anglaise, en particulier les quatre premiers chapitres, p. 3-182. 3 Et, dans ce dernier cas, des empereurs byzantins surtout. Voir Ibid., p. 106-138. À ce propos, il est intéressant de noter que plusieurs papes, notamment au VIe, VIIe et VIIIe siècles, avaient, avant leur élection, vécu à Constantinople, en étroit rapport avec la cour impériale, à titre d’apocrisiaires (ou nonces) ou encore de chargés de mission, à commencer par un Félix IV (526-530), en 519, suivi d’un Vigile (537-555), à partir de 531, d’un Grégoire Ier (590-604), de 579 à 585, d’un Martin Ier (649-653) de 642 à 649 et d’un Constantin (705715), de 680 à 681, lequel d’ailleurs, comme pape, passa de nouveau un an à Constantinople, soit de 710 à 711, hôte de l’empereur Justinien II. Cf. Kelly, Dictionnaire cit., p. 109, 119, 131, 148, 172. Tous ces hommes –– et ils ne furent pas les seuls –– eurent bien évidemment l’occasion d’admirer les fastes liturgiques et protocolaires de la cour byzantine et, rivalité oblige, cela ne fut sans doute pas sans affecter les usages de leurs propres cours. 4 Est-il besoin de souligner ici le fait que le christianisme était né en milieu juif et que, même s’il prit par la suite ses distances par rapport au judaïsme, il en garda de nombreux traits dans le domaine liturgique surtout et que, par ailleurs, les humanistes et théologiens des XVe et XVIe siècles gravitant autour de la cour pontificale n’hésitaient pas à faire le lien entre les pouvoirs du pape et ceux des grands prêtres et rois d’Israël, les figures de Moïse, d’Aaron et de Salomon étant souvent invoquées à cet effet. Un Gilles de Viterbe ira même jusqu’à justifier la
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avaient su profiter de l’un et l’autre de ces héritages pour se doter de rites et de symboles bien à eux reflétant ce qu’ils estimaient être l’étendue et la prééminence de leur pouvoir, le tout, comme il se devait, fondé sur les lectures et relectures que leurs théologiens et canonistes, voire eux-mêmes avaient faites des textes fondateurs les concernant5. Le point d’arrivée de ce long processus se situe probablement quelque part entre le XIe et le XIIIe siècle, au moment précisément où la papauté donne l’impression d’avoir atteint le sommet de sa puissance. Simple coïncidence le fait que ce soit sous le pape Innocent III (1198-1216), figure emblématique de ce « sommet », qu’apparaît un « Ordinaire » dit de la cour pontificale destiné à remplacer les anciens Ordines Romani qui avaient jusque-là servi à régler les cérémonies –– liturgiques surtout –– de cette même cour6? De toute évidence, non. De fait, nous sommes là devant un tournant majeur annonciateur de changements encore plus décisifs concernant cette fois non plus seulement les usages liturgiques, mais les usages protocolaires de la cour. Changements dont on trouve les premières traces dans le Cérémonial de Jacopo Stefaneschi achevé à Avignon avant 1341, bientôt relayé par celui de Pierre Ameilh vers la fin du même siècle avant que ce dernier ne soit à son tour supplanté par celui d’Agostino Patrizi au temps du pape Innocent VIII7. C’est que, depuis surtout Avignon, les papes disposent de maîtres de cérémonies de mieux en mieux informés et de plus en plus expérimentés, soucieux, d’une part, d’assurer que les rites soient toujours et partout fidèlement observés, mais, en même temps, capables, au besoin, d’adapter ces derniers à des situations ou des exigences nouvelles, voire imprévues. Les diaires, compagnons indispensables des livres de cérémonies dont disposait la cour à l’époque, sont probablement nés magnificence des vêtements liturgiques portés par les papes de l’époque à partir de l’exemple des grands prêtres d’Israël. Il le fera en particulier en ce qui concerne la tiare inspirée selon lui de celle que portaient ces derniers au Temple. Dans le programme iconographique adopté par les papes de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, on trouve d’ailleurs de nombreux emprunts à l’histoire d’Israël mettant en scène un Moïse ou un Aaron, figures annonciatrices de la papauté. À ce propos, voir Stinger, The Renaissance cit., p. 203-221, 306-308. 5 À ce sujet, voir K. Schatz, La primauté du pape. Son histoire des origines à nos jours, Paris 1992, p. 1-147. 6 Sur cette évolution, voir Dykmans, Cérémonial cit., p. 323-325. En ce qui concerne les Ordines Romani, la référence obligée est M. Andrieu, Les Ordines romani du haut Moyen Âge, 5 vol., Louvain 1931-1961. Pour ce qui est de l’« Ordinaire » d’Innocent III, se reporter à J. P. Van Duk, The Ordinal of the Papal Court from Innocent III to Boniface VIII and Related Documents, Fribourg 1975 et M. Dykmans, L’Ordinaire d’Innocent III, dans Gregorianum, 59 (1978), p. 191203. 7 Pour Stefaneschi et Ameil, voir du même Dykmans, Le cérémonial papal de la fin du Moyen Âge à la Renaissance, vol. II-IV, Bruxelles 1981-1985. En ce qui concerne Patrizi, se reporter à L’œuvre de Patrizi Piccolomini ou le cérémonial papal de la première Renaissance, Cité du Vatican 1980-1982, ouvrage également de Dykmans.
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de cette double préoccupation. Malheureusement, ceux d’un Stefaneschi, d’un Ameilh et d’un Patrizi n’ont pas survécu, mais ceux de leurs successeurs qui, eux, pour la plupart, nous ont été conservés, notamment celui de Burckard à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, suffisent à montrer à quel point s’était enrichi depuis Innocent III le cérémonial de la cour pontificale, à quel point surtout il avait été mis, et consciemment mis au service de l’image que la papauté entendait projeter d’elle-même, à quel point également les maîtres de cérémonie prenaient au sérieux leur rôle d’ordonnateurs, de conservateurs et, au besoin, de défenseurs des règles liturgiques et protocolaires établies8. La fonction de représentation telle qu’elle sera exercée à la cour pontificale au XVIe siècle et telle que la percevront les papes et leurs maîtres de cérémonie à cette même époque doit manifestement beaucoup aux divers développements dont nous venons de faire état, en particulier ceux de la fin du Moyen Âge. Et, cela, comme l’a démontré Maria Antonietta Visceglia, est particulièrement vrai des rites marquant les grands moments de la vie de la cour, notamment ceux relatifs à l’entrée en fonction de chaque pape9. Aussi est-ce à la description et à l’analyse de ce moment-clé de la vie de la cour pontificale que nous avons choisi de consacrer la première partie du présent chapitre tant il nous paraît emblématique du but visé et de l’effet recherché par le cérémonial de cour tel qu’il se présente à Rome au XVIe siècle. 1. L’accession au pouvoir Contrairement à la plupart de leurs homologues « séculiers », les papes ne pouvaient comme eux accéder au pouvoir par voie de succession héréditaire ou dynastique: ils étaient élus. Cette élection, depuis le XIIIe siècle, obéissait à des règles de plus en plus strictes et précises, qui, même si elles n’étaient pas toujours observées à la lettre, n’en conféraient pas moins au processus en question un caractère dramatique, d’ailleurs souvent accentué par les informations plus ou moins fondées qui filtraient du lieu où étaient réunis en conclave les cardinaux électeurs, particularité qui n’en rendait que plus anxieuse l’attente du résultat des délibérations de ces derniers et, partant, plus intense la réaction, selon le cas, de joie ou de tristesse, voire de dépit, lorsque le résultat était enfin rendu public. D’où sans doute l’importance accordée à l’annonce de ce résultat, annonce qui, à partir du XIIIe siècle, prendra le caractère de plus en plus solennel qu’on lui connaîtra par la suite, avec la proclamation du nom du nouvel-élu par 8 9
id., Cérémonial cit., p. 324. M. A. Visceglia, La città rituale, Rome 2002 (La corte dei papi, 8), p. 59-93.
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le premier cardinal-diacre, parfois la présentation dudit élu au peuple réuni à cet effet, le tout en vue de fournir à ce même peuple l’occasion d’acclamer son nouveau souverain et, en quelque sorte, ratifier symboliquement son élection10. Qu’en est-il de ce rite au XVIe siècle? Un contemporain nous a laissé un récit haut en couleur de l’élection d’Alexandre VI qui permet de nous en faire une assez bonne idée11. Il signale tout d’abord que durant la nuit du 11 au 12 août 1492 une rumeur s’était répandue à Rome à l’effet que le cardinal Borgia avait été choisi pour succéder à Innocent VIII et que sur la foi de cette rumeur une foule était accourue au palais du cardinal et l’avait allègrement pillé, comme le voulait la coutume à l’époque. Le matin qui suivit eut lieu l’annonce officielle de l’élection12, annonce qui fut accueillie par une explosion de joie de la part du peuple venu en grand nombre place du Maréchal, le tout accompagné de tirs de « mousquets » et de « bombardes », de sonneries de trompettes, de roulements de tambour, et des carillonnements à tout rompre des principales églises de la ville. Impressionné, l’auteur n’hésite pas à affirmer que jamais rien de tel n’avait été vu à Rome à l’occasion de l’annonce de l’élection d’un pape. À noter toutefois qu’il n’est pas question dans ce récit d’une apparition du nouvel-élu à la fenêtre d’où avait été faite cette annonce. Il semble plutôt, comme cela avait été généralement le cas jusque-là, qu’une fois élu, le nouveau pape revêtu des ornements et insignes appropriés se soit rendu directement à Saint-Pierre pour le chant du Te Deum. Notre auteur précise qu’en ce qui concerne Alexandre VI, cette descente vers la basilique constantinienne se fit processionnellement, croix et chanteurs en tête suivis des dignitaires « de l’Église, de l’État et des cours » et qu’une fois arrivé à la place qui lui avait été réservée, le pape reçut l’hommage des fidèles, remercia Dieu de la grâce qui lui avait été faite –– allusion sans doute au chant du Te Deum –– puis bénit Rome et le monde « à partir 10 Ce rite n’apparaît pas dans le Cérémonial de Grégoire X (1271-1276), mais il est bel et bien dans celui de Stefaneschi au début du XIVe siècle. Dykmans, Le cérémonial cit., II, p. 268-269. Il pourrait dater de l’élection de Célestin V en 1294. En effet, dans la description qu’il nous fournit de cette élection, Stefaneschi note qu’après l’hommage rendu par les cardinaux électeurs, le nouveau pape fut présenté au peuple de la fenêtre du Château Neuf (Castelnuovo) de Naples où avait eu lieu l’élection. Ibid., p. 156-157. Cette présentation de l’élu ne semble pas avoir été répétée par la suite, mais l’annonce officielle de l’élection par le premier cardinal devint, elle, standard. 11 A. Leonetti, Papa Alessandro VI secondo documenti e carteggi del tempo, I, Bologne 1880, p. 206-255. 12 Ibid., p. 207. Patrizi, se servant de l’exemple de l’élection d’Innocent VIII, précise que cette annonce se fait par le premier cardinal diacre depuis la petite fenêtre de la sacristie (« aperta sacraria fenestrella ») de la chapelle Saint-Nicolas. Dykmans, L’œuvre cit., p. 49. Cette chapelle appelée aussi capella parva était contiguë et parallèle à la salle ducale et sa sacristie donnait sur la cour du Maréchal. Le P. Dykmans nous fournit un plan détaillé permettant de visualiser la disposition des lieux à l’époque. Ibid., p. [98*]-99*.
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du tombeau des Apôtres ». On aura reconnu sans peine, mais en beaucoup plus imagé, les prescriptions du cérémonial de Patrizi concernant l’élection papale13 de même que les descriptions que Burckard nous a laissées de l’élection du prédécesseur d’Alexandre VI, Innocent VIII, et de celle de son successeur, Pie III14. À peu de détails près, il en sera de même pour tous les papes qui leur succéderont au XVIe siècle15. À noter que, canoniquement parlant, de toutes les étapes marquant l’entrée en fonction d’un pape, celle de l’élection était considérée comme la plus importante, suivie de près par celle de la consécration –– nous dirions aujourd’hui, de l’ordination –– à l’époqu où les nouveaux élus n’étaient pas encore évêques, plus tard, par celle de l’intronisation, à partir du moment où, au contraire, la plupart d’entre eux l’étaient, la ligne de démarcation se situant vers la fin du IXe siècle16, mais il n’en allait pas de même « politiquement » parlant, car, avec l’apparition de l’État pontifical au VIIIe siècle et l’affirmation de plus en plus nette de la primauté et de la souveraineté pontificales à partir surtout du règne de Grégoire VII (1073-1085), le besoin se fera de plus en plus sentir d’une étape additionnelle capable de traduire « symboliquement » cette nouvelle réalité. Cette étape, ce sera celle du couronnement qui figurera, au plus tard, à partir du XIe siècle au terme de la messe de consécration ou d’intronisation à Saint-Pierre17 et prendra avec le temps tellement d’importance qu’au XIIIe siècle le mot « couronne13 Leonetti, Papa Alessandro VI cit., I, p. 207-208. Pour ce qui est de Patrizi voir Dykmans, L’œuvre cit., p. 49-51. 14 Cf. J. Burckard, Liber notarum, éd. E. Celani, (Rerum Italicarum Scriptores, 32), I, p. 47-54; II, p. 387-388. 15 De fait, à partir de Grassi (1504-1521), les diaires des maîtres de cérémonies se limitent à une description sommaire des rites entourant l’élection, ce qui donne à penser que ces rites avaient à l’époque trouvé leur forme à peu près définitive. Ce qui ne veut pas dire que d’aucuns n’eurent pas en cours de route à être adaptés à certaines circonstances particulières, voire à la limite être purement et simplement abandonnés, ce qui semble bien être le cas d’un rite plutôt insolite qui d’ailleurs ne figure pas dans le Cérémonial de Patrizi, mais qui est, par contre, mentionné à diverses reprises par Burckard dans son diaire, (Liber notarum cit., I, p. 53, 387; II, p. 411), soit celui qui consistait à asseoir ou faire s’asseoir le pape sur l’autel principal de Saint-Pierre au terme de la procession suivant son élection. Pourquoi avoir renoncé à cette pratique qui visait vraisemblablement à assurer que le pape puisse être vu du plus grand nombre? Peut-être tout simplement parce qu’elle posait des problèmes logistiques qui en rendait l’exécution difficile, voire sujette à ridicule. À l’élection d’Alexandre VI, le cardinal Sanseverino, personnage fort imposant et surtout corpulent, se rendant compte que le nouvel-élu, très fatigué, était dans l’incapacité de se hisser lui-même sur l’autel principal de la basilique, le prit à bras-le-corps et réussit tant bien que mal à l’y installer, non sans susciter quelques rires dans l’assemblée. Leonetti, Papa Alessandro VI cit., I, p. 208. Ce qui n’était sans doute pas de nature à plaire aux maîtres de cérémonie. 16 B. Schimmelpfennig, Couronnement pontifical, dans DHP, p. 485. 17 À ce sujet, voir F. Wasner, De consacratione, inthronizatione, coronatione Summi Pontificis, dans Apollinaris, 8 (1935), p. 428-432.
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ment » (coronatio) sera substitué aux mots « consécration » (consecratio) et « intronisation » (inthronizatio) utilisés jusque-là pour désigner l’ensemble des cérémonies ou rites marquant l’accession au pouvoir du pape18. Il faut dire que la propension de certains papes et de leurs conseillers à s’inspirer des fastes « impériaux » avaient atteint sous Grégoire X (1271-1276) un sommet inégalé19. Partant du principe que, juridiquement parlant, le seul acte constitutif de l’autorité pontificale était l’élection, Bernard Schimmelpfennig a peut-être raison de dire que, strictement parlant, les actes liturgiques faisant suite à l’élection du pape n’étaient plus aux XIIe et XIIIe siècles que « cérémonies vides de sens » bien « qu’organisées avec pompe »20. (Et, il aurait pu ajouter: avec de plus en plus de pompe). Mais c’est là oublier que pour un « pontife » qui était en même temps « souverain », ces cérémonies n’avaient rien d’« insignifiant », pompe y comprise, étant les unes et les autres au service d’une symbolique du pouvoir dont la papauté ne pouvait à l’époque se passer si elle voulait rendre visible et surtout crédible aux yeux de ceux et celles à qui ces cérémonies étaient destinées le caractère tout à la fois « sacral » et « politique » du pouvoir en question. Et cela valait surtout pour le petit peuple de Rome qui formait le gros des foules qu’attiraient ces cérémonies supposément « vides de sens ». Il ne suffisait pas d’élire un pape, rite qui d’ailleurs se déroulait derrière portes closes et donc loin des regards des fidèles et des sujets du nouvel-élu: il fallait en plus, à l’intention de ces derniers, rendre public, puis surtout célébrer « audiblement » et visuellement l’événement en question. Or, de toutes les cérémonies faisant partie de cette célébration, pour ne pas dire cette « démonstration », celle du couronnement constituait, depuis au moins le XIIIe siècle, le point culminant. Qu’en est-il de cette cérémonie au XVIe siècle? Nous en possédons un certain nombre de descriptions passablement détaillées provenant de témoins oculaires, en particulier des maîtres de cérémonie de l’époque. Ce n’est malheureusement pas le cas en ce qui concerne Alexandre VI qui nous a servi jusqu’ici de point de référence, mais, cela dit, en mettant bout à bout, si incomplets soient-ils, les quelques récits ou témoignages que nous ont laissés des contemporains –– récits et témoignages recueillis par Alessandro Leonetti au XIXe siècle –– et nous inspirant pour le reste des pages que Burckard a consacrées au couronnement d’Innocent VIII en 148421, nous disposons de suffisamment d’éléments pour être en mesure de savoir ce qu’il en fut dans le cas du pape Borgia. Alexandre VI, nous l’avons vu, avait été élu dans la nuit du 11 au 12 Schimmelpfennig, Couronnement cit., p. 484. Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 214. Ibid. 20 Schimmelpfennig, Couronnement cit., p. 485. 21 Burckard, Liber notarum cit., I, p. 72-79. 18 19
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août. Or son couronnement n’eut lieu que quatorze jours plus tard, soit le 26 août. Dans l’intervalle, les Romains s’investirent fébrilement dans la préparation de ce spectaculaire événement. Effervescence dont on a un premier indice dans la cavalcade organisée le 12 août au soir par certains des principaux citoyens de la ville qui, munis de torches, se rendirent du Campidoglio au palais du Vatican et, là, voulant rendre hommage au nouveau pape et sans doute gagner ses faveurs, se livrèrent à des quadrilles d’un bel effet, d’ailleurs fort appréciés par le principal intéressé qui, à la fin du spectacle, s’empressa de leur donner sa bénédiction22. Mais tout cela n’était qu’anticipation de l’événement-clé auquel allaient assister le 26 août les Romains et les nombreux visiteurs présents à Saint-Pierre pour la cérémonie du couronnement. Cérémonie bien réglée, mais surtout, au dire des contemporains, d’une somptuosité sans pareille et, cela, depuis la procession d’entrée à Saint-Pierre jusqu’au couronnement comme tel qui eut lieu, comme le voulait la coutume, au sommet de l’escalier donnant accès à la basilique constantinienne où, devant le peuple rassemblé, le premier cardinal-diacre, en l’occurrence le cardinal de Sienne, le futur Pie III, imposa au nouvel-élu la tiare, symbole éloquent du prestige et de la dignité dont il était désormais investi. Le tout sanctionné par les sonneries de cloches de Saint-Pierre et les canonnades du Château Saint-Ange23. Girolamo Porzio, chanoine de Saint-Pierre, un des témoins auxquels Leonetti a eu recours pour décrire la cérémonie en question insiste surtout sur le bel ordre de la procession d’entrée à Saint-Pierre, procession rassemblant clercs et laïcs, courtisans et curialistes, chacun selon son rang, sur le fait également qu’à titre de porte-tiare, –– tiare dont il se plait à souligner l’exceptionnelle richesse ––, il eut l’honneur de défiler immédiatement après le pape, puis sur le double hommage rendu à ce dernier par les chanoines de Saint-Pierre, à l’entrée de la basilique, par les cardinaux, à la chapelle Saint-André, dans l’un et l’autre cas, sous forme du rite on ne peut plus révélateur de l’« obédience » (obedientia)24. Il aurait pu ajouter certains détails, eux aussi fort significatifs, que nous trouvons chez Patrizi et Burckard comme, par exemple, le fait que durant la procession d’entrée à Saint-Pierre la traîne du pape était portée par le plus digne des princes présents et que le dais sous lequel il s’avançait était confié à huit nobles ou ambassadeurs choisis eux aussi en fonction de leur rang25. Manifestement on tenait à ce que la cérémonie du couronnement frappe l’imagination de ceux et celles qui y prenaient part Leonetti, Papa Alessandro VI cit., I, p. 209. Ibid., p. 213-214. 24 Ibid., p. 212. 25 Dykmans, L’œuvre cit., p. 111*. 22 23
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et serve par la même occasion à leur rappeler une fois de plus à quelle hauteur se situaient l’autorité et le prestige de celui à qui on s’apprêtait à imposer la tiare. Le rite du roseau ou de l’étoupe brûlée passé sous silence par Porzio, mais mentionné par Patrizi et Burckard26 pouvait, à première vue, paraître véhiculer un tout autre type de message. Ce rite introduit au XIIe siècle et qui prenait place immédiatement avant la messe d’intronisation précédant le couronnement servait en effet à rappeler au nouvel-élu le caractère éphémère de l’honneur qui lui était fait. Mais ce rappel concernait l’être limité, voire « indigne » qu’il était, non l’autorité et les pouvoirs dont, à titre de pape, il était désormais investi. Pie II (1458-1464) qui au cours de sa jeunesse n’avait pas toujours été un modèle de vertu ne disait-il pas à ceux qui l’avaient connu de rejeter l’homme qu’il avait été et d’écouter le pape qu’il était27, formule qu’auraient pu reprendre nombre de ses successeurs à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, Alexandre VI, le premier. En termes de symbolique du pouvoir et dans un monde où ce type de symbolique gardait toute sa puissance d’attraction et de persuasion28, la cérémonie du couronnement loin d’être « vide de sens », jouait un rôle essentiel, voire indispensable auquel les papes de l’époque et leurs nombreux « thuriféraires » n’étaient pas près de renoncer. On peut d’ailleurs en dire autant de la procession dite de « possession » (possessio) qui jusqu’au début du XVIe siècle suivait de très près ladite cérémonie, lui servant en quelque sorte d’« apothéose » dans la plus pure tradition du « triomphe à l’antique »29. Il n’en avait pas toujours été ainsi. Jusqu’au XIIe siècle, les rites d’accession au pouvoir commençaient et se terminaient au Latran. C’est habituellement là que se tenait l’élection du pape suivie immédiatement de la prise de possession du palais et de la basilique du même nom, sièges officiels du pape en tant qu’évêque de Rome et patriarche d’Occident. Par contre, la consécration, l’intronisation et, éventuellement, le couronnement avaient lieu le dimanche suivant à la basilique Saint-Pierre devenue avec le temps symbole de la primauté pontificale, primauté liée à la personne et au charisme de Pierre dont les papes depuis longtemps se disaient les vicaires et dont, croyaient-ils, le pouvoir s’étendait bien au-delà de Rome, voire de l’Occident. D’où le choix que ces mêmes papes avaient Ibid. La formule exacte employée par Pie II était: « Aeneam reiicite, Pium recipite ». On trouve cette formule dans sa célèbre bulle de rétractation « In minoribus agentes » du 26 avril 1463. Cf. Bullarium, Diplomatum et Privilegiorum Sanctorum Romanorum Pontificum, V, Turin 1860, p. 175. 28 Bonne vue d’ensemble à ce sujet dans Visceglia, La città cit., p. 17-44. 29 Ibid., p. 69. 26 27
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fait de Saint-Pierre où reposait et était vénéré le corps du premier des apôtres pour réaffirmer avec éclat à la face du monde ce qui était devenu pour eux une vérité sans appel. Une fois accomplie cette deuxième partie du rituel d’accession, on se contentait de rentrer sans cérémonie particulière au Latran où habitait encore à l’époque le pape et sa cour30. Or cette dernière étape de peu de relief va subir au XIIe siècle un changement majeur, changement qui va finir par lui conférer moins d’un siècle plus tard une toute autre allure et signification. En effet, le retour au Latran va à partir de ce moment prendre la forme d’une procession, et d’une procession de plus en plus solennelle empruntant les principales artères de la ville et mettant en vedette le pape couronné entouré de ses cardinaux, de ses principaux officiers, y compris ceux de la ville, et de nombreux autres membres de sa cour, les uns et les autres richement vêtus, chacun selon son rang, et défilant pour la plupart sur d’élégantes montures dont plusieurs superbement harnachées. Le tout ponctué par les acclamations de la foule massée le long des rues et places où s’avançait en bel ordre cet impressionnant cortège, rues et places qu’on avait d’ailleurs pris soin d’orner de tapisseries, de tableaux, d’appareils et d’inscriptions de toutes sortes comme il était traditionnel de le faire en pareille circonstance. Et c’est au terme de ce défilé-spectacle qui avait toutes les apparences d’un « triomphe » que le pape prenait une seconde fois possession du Latran après y avoir été accueilli par ses cardinaux prêtres et les chanoines de la basilique31. « Triomphe »: le mot n’est pas trop fort. Comment en effet qualifier autrement ce mélange étudié de sacré et de profane visant à célébrer, à magnifier, voire à imposer la figure d’un homme investi d’un pouvoir à nul autre pareil dont celui de lier et de délier les consciences et qui, à l’instar de ses prédécesseurs, ne craignait pas de se dire tout à la fois successeur de Pierre et vicaire du Christ. Certains signes ne trompent pas, à commencer par le fait que, tout au long de la procession que nous venons de décrire, le pape se présente, couronne en tête, monté sur un cheval blanc de fort belle prestance guidé par le sénateur de Rome et que, par ailleurs, se trouvent à ses côtés un certain nombre d’ambassadeurs et quelques-uns des principaux citoyens de la ville portant à tour de rôle le baldaquin sous lequel il s’avance, suivi de près par un de ses Ibid., p. 55-56. Schimmelpfennig, Couronnement cit., p. 484-485. Visceglia, La città cit., p. 56-57. Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 218-219. Pour le détail de ce changement majeur, le rituel qui va en résulter et l’allure que prendra ce rituel au XVIe siècle, se reporter tout d’abord au Cérémonial de Patrizi (Dykmans, L’œuvre cit., p. 113*-119*, 76-84), puis aux descriptions que nous fournit Burckard du couronnement des papes Innocent VIII et Jules II (Liber notarum cit., I, p. 79-84; II, p. 418-420), enfin aux témoignages recueillis par Leonetti concernant l’élection d’Alexandre VI (Papa Alessandro VI cit., I, p. 214-225). 30 31
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officiers lançant à intervalles plus ou moins réguliers des pièces de monnaie à la foule, mais également le fait que douze haquenées représentant le tribut et donc l’hommage du royaume de Naples au nouvel-élu fassent partie du cortège –– ce royaume, en effet, était depuis longtemps vassal du Saint-Siège ––, puis surtout le fait qu’au cœur même du défilé figurait le saint sacrement, lui aussi monté sur un cheval blanc et accompagné par une douzaine d’écuyers à pied, munis de cierges, et d’un nombre égal de seigneurs romains, eux aussi à pied, portant l’ombrelle servant à couvrir la précieuse « monstrance » dont ils ont la garde32. Autant d’indices d’une volonté bien arrêtée d’affirmer symboliquement jusqu’où allait le pouvoir du pape et à quel respect, voire à quelle vénération il était en droit de s’attendre de la part de ceux et celles qui lui étaient assujettis et comme pape et comme souverain. Simple hasard le fait que, comme nous venons de le voir, le pape et le saint sacrement fassent l’objet d’une « mise en scène » presque identique? Il est permis d’en douter. Ne se pourrait-il pas qu’on entendait par là suggérer, peutêtre même signifier que l’adoration due au second, c’est-à-dire, sacramentalement parlant, au Christ, était inséparable de la vénération due à son vicaire, le pape, en d’autres mots que cette dernière était justifiée, voire exigée par l’autre? N’employait-on pas depuis longtemps le mot « adoration » (adoratio), pour décrire l’hommage que les cardinaux étaient tenus de rendre au pape immédiatement après son élection et à divers moments du cérémonial d’accession au pouvoir, rite de prise de possession du Latran y compris33? Et que dire des nombreux écrivains, poètes surtout, gravitant autour de la cour pontificale qui, à la même époque n’hésitaient pas à recourir à ce même vocable pour mettre en valeur et célébrer la figure du pape34? La description que nous venons de faire de l’entrée en fonction d’Alexandre VI donne à penser que dans son cas comme dans celui de son prédécesseur immédiat, Innocent VIII, on suivit presque à la lettre le rituel mis au point par Patrizi avec peut-être un accent particulier mis Ibid., p. 214-216. Le mot adoratio servait à l’époque à désigner aussi bien le culte dû à Dieu que les signes extérieurs de vénération réservés aux images, à la croix, mais aussi au pape. On appelait par conséquent « adoration » (adoratio) chacune des « obédiences » que les cardinaux rendaient au pape le jour de son élection, le jour de son couronnement et éventuellement le jour du possesso. Cf. R. Lesage, Adoration des images, de la croix et du pape, dans Catholicisme, I, col. 159-160. 34 Vers les années 1550-1560, Cornelio Musso, évêque de Bitonto et « créature » des Farnèse, personnage haut en couleur et à la plume féconde, utilisait encore fréquemment les mots « adorer » et « adoration » en parlant du pape, voire de son protecteur le cardinal Alexandre Farnèse en qui il voyait un futur pape. Cf. Hurtubise, Un projet cit., p. 191-192. 32 33
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sur le côté « spectacle ». C’est ce même rituel qui sera, en gros, repris tout au long du XVIe siècle, bien qu’avec des accommodements de toutes sortes dictés par les circonstances de temps, de lieu ou de personnes propres à chaque pontificat. Le premier de ces accommodements, et peut-être le plus significatif, a trait au possesso, plus exactement à la solennelle procession à laquelle ce rite donnait lieu, possesso qui, selon le cérémonial de Patrizi, devait normalement se dérouler le jour même du couronnement comme une sorte de prolongement « épiphanique » de ce dernier. Innocent VIII et Alexandre VI observèrent ad unguem le rite en question, conscients sans doute des grands avantages qu’ils pouvaient en tirer en termes de prestige personnel et de pouvoir. Or –– décision à première vue surprenante ––, Jules II choisit, au contraire, de détacher ce même rite de celui du couronnement. Une des raisons de cette décision pourrait être le fait que l’accomplissement le même jour de ce double rite était physiquement épuisant –– Alexandre VI s’était évanoui durant la cérémonie du possesso au Latran et on avait même craint pour ses jours35 ––, mais il se pourrait aussi que Jules II était d’avis, comme tant d’autres à l’époque, que la procession et surtout le rite comme tel du possesso étaient devenus en quelque sorte accessoires face à la cérémonie du couronnement qui représentait désormais, et de loin, le sommet de tout le rituel d’accession au pouvoir. Aussi retarda-t-il de dix jours le rite en question, non sans lui avoir apporté par ailleurs un certain nombre de modifications de son crû36. Tous ses successeurs suivront cet exemple, le décalage du rite du possesso par rapport à celui du couronnement oscillant habituellement entre une dizaine et une trentaine de jours avec des points extrêmes pouvant aller de cinq jours au minimum à une vingtaine de mois au maximum37. À noter que certains papes « éphémères »: un Leonetti, Papa Alessandro VI cit., I, p. 225. Élu le 1er novembre, Jules II avait d’abord décidé que son couronnement aurait lieu le 11, puis le 18 novembre, suivi le lendemain du rite du possesso, puis il avait renvoyé le tout aux 19 et 26 novembre respectivement pour enfin déterminer que le couronnement aurait lieu le dimanche 26 novembre et le possesso, le mardi, 5 décembre seulement. J. Burckard, Liber notarum, II, p. 411-414, 417. Le tout, selon Pastor, décidé après consultation d’un astrologue. Storia dei papi, III, p. 683, note 1. Burckard signale qu’il a dû passer de longs moments avec le pape et accepter de nombreuses modifications aux rites de même qu’aux tenues liturgiques prévues concernant surtout la personne du pape et qu’il n’osa pas s’opposer à ce dernier, sachant très bien à qui il avait affaire. Et il crut préférable de se taire également face aux libertés que son maître se permit le jour du possesso. Burckard, Liber notarum cit., II, p. 412, 414, 417, 420. 37 Nous nous sommes fondé surtout sur Cancellieri (Storia de’ Solenni possessi de’ Sommi Pontifici, Rome 1802, p. 51-158) pour établir cette statistique. L’intervalle le plus court appartient à Sixte V (1er mai - 5 mai 1585); le plus long, à Clément VII (26 novembre 1523 - 24 juin 1525) s’il est bien exact qu’il renvoya son possesso à cette dernière date. Mais, à ce sujet, voir plus loin la note 39. 35 36
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Pie III, un Adrien VI, un Marcel II, un Urbain VII n’auront pour leur part ni l’énergie, ni le temps, ni peut-être, dans le cas du second, le désir de se prêter au rite en question38. Ajoutons qu’un Clément VII et qu’un Paul III, pour leur part, le réduiront à sa plus simple expression39. Résultat? 38 Moroni signale qu’Adrien VI qui répugnait à se plier au rite du possesso demanda à ses cardinaux réunis un consistoire si le rite en question pouvait être accompli par procuration et que ces derniers lui auraient répondu par l’affirmative. Cappelle pontificie o papali, dans Dizionario di erudizione, VIII, p. 173. Cela le conforta sans doute dans sa décision de renoncer au possesso et surtout à la triomphale et coûteuse procession qui lui était associée. 39 En effet, quoi qu’en disent Cancellieri (Storia cit., p. 88, 92-93) et Pastor (Storia dei papi, IV/2, p. 182; V, p. 20), il ne semble pas, dans le cas de l’un et l’autre de ces papes, que l’on puisse parler de possesso au sens propre du terme. Le diaire de Baroni nous en fournit d’ailleurs la preuve. On y trouve que Clément VII se rendit effectivement le dimanche 30 avril à SaintJean du Latran (et non le 1er mai comme l’affirme Pastor), accompagné d’une vingtaine de cardinaux et de toute sa cour, mais que ce ne fut pas pour prendre « possession » de l’église en question, cette visite, comme l’affirmait le pape lui-même, en étant une de simple « dévotion » (causa devotionis), le possesso comme tel devant avoir lieu le 24 juin suivant. ASV, Fondo Borghese I: 120, fol. 82rv. Or on ne trouve ni dans le diaire de Baroni ni dans quelque autre source trace de ce possesso. Tout donne à penser que ce dernier n’eut à aucun moment lieu et que Clément VII n’y tenait probablement pas plus que de juste. Il est permis de poser la même question concernant Paul III. Cancellieri et Pastor assurent tous deux que, dans son cas, le possesso eut lieu le 11 avril 1535. Mais en quoi consista au juste ce possesso? Encore ici, les renseignements fournis par Baroni obligent à apporter beaucoup de nuances à l’affirmation de Cancellieri et de Pastor. Le but principal de la procession du dimanche 11 avril était de fait de se rendre à l’église de la Minerve pour la traditionnelle remise des dots organisée chaque année par la Confrérie de l’Annunziata. Le tout en réponse à une invitation pressante de ladite Confrérie. Or le pape décida de profiter de l’occasion pour procéder ce même jour au rite du possesso. Une fois terminée la cérémonie de la Minerve et le repas qui suivit, il repartit donc de nouveau en procession, mais, à cause de la grande chaleur qui régnait ce jour-là, par la route la plus directe vers Saint-Jean du Latran où il fut reçu, comme il se devait, par le cardinal de Cupis, puis les chanoines de la cathédrale, mais, pour le reste, s’en tint à l’essentiel –– vénération des reliques des apôtres Pierre et Paul, bénédiction solennelle de la foule présente, « obédience » des chanoines, visite à la Scala Sanctorum –– pour ensuite se retirer au palais Saint-Marc où il entendait passer la nuit. À noter que le lendemain, il rentra à Saint-Pierre, mais en beaucoup plus simple appareil, par voie de Santa Maria del Popolo où il assista à la messe, mais non sans s’être arrêté au passage, à la suggestion de son aumônier, à l’hôpital San Giacomo degli Incurabili. ASV, Fondo Borghese I: 120, fol. 262v-265r. Sans doute peut-on parler de possesso, mais le contexte dans lequel il se situe et le fait qu’il ait été réduit à sa plus simple expression suggèrent que Paul III lui-même n’y attachait pas une très grande importance. De fait, comme le souligne Moroni, le rite du possesso, procession y comprise, n’était déjà plus à l’époque ce qu’il avait été encore au temps d’un Léon X. Il note qu’en ce qui concerne la procession, on avait cessé d’y faire figurer le saint sacrement et qu’on avait éliminé la remise des livres de la loi de la part des représentants de la communauté juive de même que les lancers de monnaie à la foule et, que pour ce qui est du possesso comme tel, on avait laissé tomber le rite de la sedia stercoriata de même que celui des chaires de porphyre (sedie porphiretiche). Cappelle pontificie o papali dans Dizionario di erudizione, VIII, p. 173. Sans doute avait-on fini par trouver que ces éléments n’étaient plus de mise ou encore appartenaient à une époque révolue. Le retrait du saint sacrement paraît à première vue, du moins symboliquement parlant, la chose la plus surprenante, mais peut-être les successeurs de Léon X avaient-ils tout simplement décidé qu’il valait mieux ne plus recourir à ce type de faire-valoir qui leur paraissait peut-être désormais
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Avec le temps, ce rite perdra de plus en plus de relief par rapport à celui du couronnement. Les cérémoniaires lui accordent d’ailleurs de moins en moins d’espace dans leurs Diaires, parfois même le passent sous silence au point où, dans certains cas, il devient presque impossible de savoir s’il fut ou non observé et, si oui, à quel moment et sous quelle forme40. Sans doute, certains papes –– un Léon X, notamment, comme nous le verrons plus loin –– donneront-ils à ce rite au moins autant d’éclat que ne l’avaient fait en leur temps un Innocent VIII et un Alexandre VI, mais, à partir du milieu du XVIe siècle, le côté « festif », l’aspect « triomphal » semblent s’estomper au profit de quelque chose de plus sobre, de moins ostentatoire à l’image d’une Église, d’une Rome en voie de conversion aux valeurs mises en avant par les réformateurs catholiques, valeurs éventuellement incarnées par certains papes post-tridentins, un Pie V et un Sixte V notamment, qui, l’un et l’autre, imposeront au rite du possesso, comme plus tard, au XVIIe siècle, un Alexandre VII et un Clément IX, ce qu’un contemporain de ce dernier se plaisait à appeler une « sainte modération »41. hors cadre, sinon hors proportion et, cela, d’autant plus qu’ils disposaient d’occasions beaucoup plus appropriées pour ce faire, telles –– nous le verrons plus loin –– les processions de la Fête-Dieu que, chaque année, ils étaient appelés à présider, entourés de tout Rome. Ce qui ne veut pas dire que les papes avaient à tout jamais renoncé à se faire accompagner du saint sacrement lors de déplacements de nature politique. Clément VIII n’hésitera pas à le faire à la fin du XVIe siècle à l’occasion de son célèbre voyage à Ferrare (1598) marquant le retour de ce territoire au Saint-Siège. À ce sujet voir L. von Pastor, Storia dei papi, XI, p. 609-613. Le cardinal d’Ossat note en 1599 que pour ce voyage le sacriste du pape, Angelo Rocca, avait composé un livre où il traitait de l’origine et du bien-fondé de la coutume qu’avaient les papes de porter le saint sacrement devant eux quand ils allaient en quelque long voyage. Lettres du cardinal d’Ossat, éd. Amelot de la Houssaye, II, Paris 1698, p. 111. Et il ajoute qu’à la demande du pape, il en envoie copie accompagnée d’une lettre de ce dernier au roi de France. Ibid. Pape dévot si jamais il en fût, Clément VIII tenait sans doute plus que certains de ses prédécesseurs à cette coutume et vraisemblablement était-ce à sa suggestion que son sacriste avait écrit et publié l’ouvrage en question. Détail significatif et qui nous renvoie à la procession du possesso: le saint sacrement était tout au long de ce voyage porté par une mule blanche. La blancheur, du moins aux yeux de Clément VIII, n’avait manifestement, s’agissant du pouvoir pontifical, rien perdu de sa charge symbolique. 40 Cancellieri n’a trouvé aucune trace du rite de possesso pour les papes Jules III et Paul IV dans les diaires des cérémoniaires de l’époque, mais se fonde sur le journal inédit de Coleine pour affirmer que ces deux papes ont bel et bien accompli le rite en question. Storia de’ solenni possessi cit., p. 104-105, 108. Cola Coleine (1521-1561) était chef de quartier (caporione), du Transtevère. Il existe de nombreuses copies de son diaire à la BAV, entre autres, Ott. lat. 2603, fol. 274-311 et 314-341. 41 Visceglia, La città cit., p. 74-75. Martine Boiteux fait une intéressante analyse de la symbolique et du style adoptés par Sixte V lors de son possesso du 5 mai 1585. Côté symbolique, elle note l’élimination des arcs de triomphe autrefois disposés par la ville le long du parcours de la procession conduisant le pape de Saint-Pierre au Latran, le renoncement au banquet traditionnel offert aux cardinaux à la fin du rite du possesso, la distribution d’aumônes aux hôpitaux et œuvres pies de la ville, comme l’avait fait en son temps son mentor, Pie V, puis surtout l’instauration d’un jubilé extraordinaire en vue de placer son pontificat
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Il ne faudrait pas trop vite en conclure que les papes de la seconde moitié du XVIe siècle, un Pie V et un Sixte V y compris, avaient par le fait même renoncé à faire ostensiblement montre de leur autorité et de leur pouvoir. Si le rite du possesso avait à la fin du XVIe siècle perdu passablement de son éclat, il n’en restait pas moins symboliquement, voire « politiquement » important au point d’ailleurs où, tout en lui imposant une certaine « modération », Pie V et ses successeurs lui redonneront nouvelle vie, mais, cette fois, comme rite indépendant de celui du couronnement, visant non plus comme à Saint-Pierre à affirmer leur pouvoir plénier et universel sur l’Église, mais leur autorité plus immédiate et plus concrète d’évêques de Rome et de souverains de l’État pontifical42. Sans doute partageaient-ils l’avis d’un Massarelli, secrétaire du concile de Trente, qui écrivait en 1555, au lendemain de la prise de possession du Latran par le pape Paul IV, que ce rite avait à l’époque perdu tout son sens, mais qu’il fallait le maintenir à cause surtout de la procession à laquelle il donnait lieu, procession qui permettait au pape de se montrer solennellement à son peuple, entouré de ses cardinaux et de sa cour et d’ainsi se faire en quelque sorte plébisciter par ce même peuple, comme le voulait une très ancienne tradition remontant, selon certains, à Charlemagne43. Le rite principal d’accession sous les meilleurs auspices, les deux premières initiatives visant, d’une part, à réduire les dépenses encourues, ce qui était bien dans la manière de Sixte V, d’autre part, à affirmer plus nettement son autorité au détriment des officiers de la ville et, jusqu’à un certain point, des membres du collège cardinalice, les deux autres cherchant plutôt à renforcer le caractère religieux, pour ne pas dire « sacral » de l’événement. Côté style, elle souligne, par contraste, la magnificence du cortège accompagnant le pape jusqu’au Latran –– elle parle même de « cortège-spectacle » ––, cortège ne le cédant en rien à ceux des plus fastueux de ses prédécesseurs, mais qui, dans son cas, visait non pas tant à se gagner la faveur des foules massées le long du parcours de la procession qu’à leur faire comprendre qu’il était leur maître, et leur maître absolu, au spirituel comme au temporel, M. Boiteux, Rivalità festive. Rituali pubblici romani al tempo di Sisto V, dans Sisto V, I: Roma e il Lazio, Rome 1992, p. 360-366. La comparaison avec Grégoire XIII, prédécesseur de Sixte V, est sur ce point loin d’être sans intérêt. Le cérémoniaire Mucanzio nous a laissé une description détaillée du possesso du pape Boncompagni qui, comme dans le cas de Sixte V, eut lieu peu de temps après son couronnement, soit le 27 mai 1572. Elle permet de confirmer le caractère plus sobre et moins ostentatoire qu’avec le temps les papes avaient fini par conférer à ce rite, même s’il restait ici et là des éléments rappelant la pompe d’autrefois, tels, par exemple, les canonnades et sonneries de trompettes saluant le pape à son passage près du Château Saint-Ange et près du Campidoglio. Mucanzio explique que cette pompe était devenue trop onéreuse et surtout coûteuse et qu’il valait mieux y renoncer, mais il n’en reconnaît pas moins qu’elle reflétait mieux la noblesse et la grandeur du pontife romain. Nostalgie de sa part? Peut-être. Le style Sixte V lui aurait sans doute plu. Le texte complet de la description de Mucanzio se trouve aux ASV, Borghese I: 800, fol. 39r-41r. 42 Visceglia, La città cit., p. 78-82. 43 Conc. Trid. II. Diar. 2, p. 284. Massarelli reprend ce même argument en 1560 à l’occasion du possesso de Pie IV en ajoutant que ce dernier comme ses prédécesseurs immédiats se pliait au rite en question pour des raisons surtout de dévotion. Ibid., p. 341. Il est intéressant
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au pouvoir n’en restait pas moins, et de loin, celui du couronnement qui, lui, continuera durant toute cette période à briller de tous ses feux, même s’il tendait de plus en plus à se dérouler presque exclusivement à l’intérieur de Saint-Pierre, au fur et à mesure que la nouvelle basilique prenait forme, limitant par le fait même la participation du peuple à la seule partie du rite qui lui fût désormais accessible, soit l’imposition de la tiare à la toute fin de la cérémonie d’intronisation ou d’installation du nouveau pape44. Fait significatif, Pie V, en raison des désordres que cela avait causés dans le passé45, supprima la pratique d’origine impériale qui consistait à lancer des pièces de monnaie à la foule réunie place Saint-Pierre à l’occasion du couronnement. Ses successeurs maintiendront cette interdiction qui ne fut sans doute pas très appréciée du petit peuple de Rome. Manifestement, la cérémonie du couronnement prenait d’un pontificat à l’autre des airs de plus en plus « élitistes », prélats, nobles, ambassadeurs des princes et officiers de la ville y jouant le premiers rôles, en attendant que ces derniers, au début du XVIIe siècle, perdent, momentanément du moins, les leurs au profit de certains « familiers » du pape ou de certains officiers de curie46, rançon peut-être d’une certaine aristocratisation et cléricalisation de la cour et des milieux gravitant autour d’elle ou encore du caractère de plus en plus hiératique imposé au rite du couronnement, comme à l’ensemble de ceux de la cour d’ailleurs, par des cérémoniaires de plus en plus soucieux d’ordre et de dignité. Il faut dire que leurs maîtres avaient beaucoup d’autres occasions de se donner en spectacle au peuple et que tout au long du XVIe siècle ils ne se priveront guère de le faire, parfois avec des déploiements de luxe et de grandeur que ne le cédaient en rien à ceux dont nous avons fait jusqu’ici état. Il ne saurait donc être question de passer rapidement sur ces autres types de déploiements tant ils ont, eux aussi, beaucoup à nous apprendre sur les modes de représentation, de représentation publique ou populaire surtout, que privilégiaient les papes de l’époque et leurs principaux conseillers ou stratèges. Mais avant de quitter l’univers des rites d’accession au pouvoir auxquels nous nous sommes plus particulièrement intéressés jusqu’ici, il importe de noter que Clément VII avait invoqué les mêmes raisons lors de son pseudo possesso de 1525. Voir note 39. 44 Visceglia, La città cit., p. 66. 45 Au couronnement de Pie IV, comme nous en informe le cérémoniaire Cornelio Firmano, le lancer de monnaies à la foule réunie devant la basilique avait résulté en une cohue indescriptible qui avait entraîné la mort de plusieurs malheureux spectateurs. Conc. Trid. II. Diar. 2, p. 531-532. On comprend que Pie V ait mis fin à cette pratique qui d’ailleurs devait lui paraître des plus inconvenantes. Voir, à ce propos, la description de son couronnement par le même Cornelio Firmano dans ASV, Fondo Borghese I: 755, fol. 26v-29v. Voir aussi P. A. Maffei, Vita di San Pio Quinto, Rome 1712, p. 70-71. 46 Visceglia, La città cit., p. 66-68.
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de nous arrêter un moment à l’un d’entre eux dont il n’a pas encore été question, mais qui, tout accessoire qu’il puisse nous paraître aujourd’hui, n’en constituait pas moins, jusqu’à ce qu’on l’abolisse vers la fin du XVIe siècle, un élément jugé par certains indispensable à la pleine réussite de la séquence rituelle dont nous venons de faire état. Il s’agit du banquet qui suivait immédiatement soit le rite du couronnement soit celui du possesso et qui servait en quelque sorte de bouquet final exprimant tout à la fois la gratitude du nouvel-élu et la joie de ceux qui l’avaient accompagné jusque-là qui, tout naturellement, espéraient que ce geste de munificence ne serait que le premier de plusieurs autres. À quelques exceptions près –– on pense ici à un Grégoire XIII, un Sixte V et un Clément VIII –– il semble bien que les papes du XVIe siècle aient eu conscience de l’importance ne fût-ce que symbolique du rite en question, même s’ils ne s’y prêtèrent pas tous avec la même conviction et la même libéralité47. Les champions en la matière furent nul doute un Léon X, un Paul III, un Jules III, un Pie IV et, aussi surprenant que cela puisse paraître, un Paul IV et un Pie V48. 47 On ne trouve aucun trace d’un tel banquet le jour du couronnement d’Alexandre VI, mais il faut dire que le pape Borgia avait décidé de tenir ce même jour son possesso et qu’il était si épuisé à l’arrivée au Latran qu’il y perdit connaissance et qu’il n’était donc pas en état d’y présider quelque banquet que ce soit. Leonetti, Papa Alessandro VI cit., I, p. 225. Mais il prouvera en d’autres occasions qu’il savait se servir de cette « arme » à des fins politiques dans l’intérêt aussi bien du Saint-Siège que de sa famille. À ce propos voir Cloulas, Les Borgia cit., p. 107, 201 et passim de même que E. Rodocanachi, Une cour princière au Vatican, Paris 1925, p. 259. Jules II qui eut l’intelligence de mettre un intervalle de quelques jours entre son couronnement et le rite du possesso fut, lui, en mesure d’offrir au palais du Latran le banquet prévu pour l’occasion. Il lui aurait coûté 1500 ducats, somme qui est loin d’être négligeable, mais qui pâlit face à ce que son successeur Léon X déboursera à cette même fin dix ans plus tard. À ce sujet, voir Burckard, Liber notarum cit., II, p. 420 et E. Rodocanachi, Le pontificat de Jules II, Paris 1928, p. 10 et note 4. Des sources contemporaines établissent à 4300 ducats le coût du banquet offert par Léon X. Cf. id., Le pontificat de Léon X, p. 46-47 et note 1. Très sobre, au contraire, celui qu’Adrien VI offrit suite à son couronnement le 31 août 1522. Von Pastor, Storia dei papi cit., VI-2, p. 46. Il en fut de même de celui de Clément VII, lui aussi offert le jour de son couronnement et non de son possesso renvoyé, nous l’avons vu, sine die. L. von Pastor, Storia dei papi, IV-2, p. 162. La décision d’un Sixte V ne surprend guère, compte tenu de son habituelle parcimonie, mais celle d’un Grégoire XIII et d’un Clément VIII étonne. L’exemple d’un Pie V aurait dû les inciter à maintenir cette tradition, mais peut-être n’en voyaient-ils plus la pertinence et donc trouvaient-ils difficile d’en justifier la dépense. Pour ce qui est de Grégoire XIII, nous renvoyons au diaire de Francesco Mucanzio (ASV, Borghese I: 800, fol. 39r-41r) où il n’y a aucune trace d’un banquet ni après le couronnement ni après le possesso. Même chose dans le cas de Sixte V (BAV, Vat. lat. 12293, fol. 138v) et de Clément VIII (Ibid., Vat. lat. 12291, fol. 12r, 44r-45v, et Vat. lat. 12294, fol. 200r-202v). 48 Pour ce qui est du banquet offert par Léon X à la suite de son possesso, voir note précédente. En ce qui concerne Paul III dont le banquet eut lieu plutôt le jour de son couronnement, se reporter à von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 19. Pour ce qui en est de Jules III, nous avons le témoignage de Massarelli qui souligne l’exceptionnel faste de l’événement (« prandium omnibus seculorum numeris absolutissimum fuit ») et la qualité des personnes présentes. À noter que le banquet en question eut lieu dans la salle de Constantin du palais
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Les banquets offerts par ces mêms papes et quelques autres le jour anniversaire de leur élection ou de leur couronnement obéissaient sans doute à cette même logique49. Paul IV qui, nous l’avons vu, plus que tout autre, apostolique. Conc. Trid., II, Diar. 2, p. 136. Pour sa part, Pie IV choisit d’offrir son banquet de possesso au Château Saint-Ange. BAV, Vat. lat. 12278, fol. 205v et Vat. lat. 12280, fol. 130v. Sur Paul IV qui, lui aussi, choisit d’offrir ce banquet au Château Saint-Ange, mais le jour de son couronnement, voir von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 352. Sur Pie V, cf. Ibid., VIII, p. 48. Ce banquet qui eut pareillement lieu le jour du couronnement fut préparé par nul autre que Bartolomeo Scappi, le célèbre cuisinier, qui était un protégé de Pie V auquel ce dernier avait d’ailleurs accordé le titre de « cuoco secreto » et une provision à l’avenant. Voir B. Scappi, Opera, Venise 1570, fol. 286. Sur ce personnage et les rapports qu’il entretenait avec le pape, se rapporter à A. Capatti ˗ M. Montanari, La cuisine italienne, histoire d’une culture, Paris 2002, p. 218, 248, 272 et passim, mais également ce que nous en disons au chapitre IV, p. 229 et note 156. Nicole Lemaître a raison de souligner le caractère à première vue contradictoire des liens existant entre Pie V et Scappi. Saint Pie V, p. 112-113. Mais peut-être faut-il chercher la réponse à cette énigme dans le fait que, comme Paul IV avant lui, Pie V savait très bien distinguer l’ascétisme extrême de son style de vie personnel du style tout autre qu’exigeait la sublime fonction qui était la sienne. 49 Une longue tradition existait voulant que soient célébrées chaque année deux messes solennelles marquant, la première, l’anniversaire de l’élection, la seconde, celui du couronnement du pape régnant. Nous avons la preuve qu’à moins d’empêchements majeurs, cette tradition était respectée. Pour ce qui est d’Alexandre VI et de Jules II, voir J. Burckard, Liber notarum, I, p. 645; II, p. 46, 49, 115-116, 158, 161, 240-241, 296, 299, 339, 464, 498. Burckard note qu’à cause de la peste qui sévissait alors à Rome, ces célébrations n’eurent pas lieu en 1494. Ibid., I, p. 533. Ces messes anniversaires avaient lieu à la Sixtine dite aussi chapelle palatine. Comme celle-ci n’était pas faite pour accueillir des foules, les messes en question réunissaient un nombre restreint de personnes habituellement triées sur le volet. Mais les papes tenaient à ce que le peuple soit d’une façon ou une autre associé à ces hommages rendus à leurs personnes. En 1499, la fête anniversaire de son élection ayant eu lieu un dimanche, Alexandre VI ordonna que le lendemain soit jour férié pour tout Rome. Ibid., II, p. 158. On ne trouve toutefois à aucun moment chez Burckard mention d’un banquet offert en l’une ou l’autre de ces occasions. Serait-ce que cette pratique n’existait pas encore? Pas nécessairement. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les diaires de Grassi et de Baroni concernant, dans le cas du premier, le pontificat de Léon X et, dans le cas du second, celui de Clément VII. En effet, Grassi ne fait état d’aucun banquet de ce type pour tout le règne du premier pape Médicis, mais il note, le mardi 11 mars 1516, jour anniversaire de l’élection de son « maître » que Léon X ne convia pas « comme d’habitude » ses cardinaux et autres dignitaires au banquet prévu pour l’occasion, car, dit-il, on était en plein Carême et il n’était pas question que le pape brise le jeûne quadragésimal qu’il observait lui-même scrupuleusement tous les jours. ASV, Fondo Borghese I: 111, fol. 167v. C’est donc qu’en dehors du Carême, ce banquet avait effectivement lieu. Baroni, pour sa part, ne fait qu’une fois mention d’un tel banquet au temps de Clément VII, soit le 26 novembre 1532, jour anniversaire du couronnement de son « maître », banquet, précise-t-il, réunissant cardinaux, barons et prélats présents pour l’occasion. Ibid., Fondo Borghese IV, 64, fol. 133rv. Il est plus disert en ce qui concerne Paul III puisqu’il fait état d’un banquet le jour anniversaire de son élection en 1537 et d’un autre le jour anniversaire de son couronnement en 1538 (Ibid., fol. 307 et 349v), mais il n’en mentionne aucun autre. Le « comme d’habitude » de Grassi en 1516 ne pourrait-il pas aussi valoir dans le cas d’un Clément VII et d’un Paul III, les silences ou omissions d’un Baroni ne signifiant pas nécessairement chaque fois que banquet il n’y avait pas eu. Ne pourrait-on pas en dire autant d’un Alexandre VI et d’un Jules II? Les « more solito » et les « more consueto »
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tenait à ce genre d’« ostentation » ira même en 1558 jusqu’à offrir l’un et l’autre de ces banquets, tous deux, au dire d’un témoin d’époque, somptueux à souhait (« sontuosissimo »), le premier, le 23 mai, marquant le jour de son élection, le second, le 26 mai, celui de son couronnement50. Pie V, estimant sans doute que c’en était trop, supprima en 1567 l’usage de ce banquet annuel, ne laissant subsister que celui du jour même du couronnement ou du possesso51. Il faut dire qu’il avait une année plus tôt fourni de ce dernier, grâce au talent de son protégé, Bartolomeo Scappi, un modèle quasi indépassable. Les papes de l’époque savaient par ailleurs profiter de toutes les occasions qui se présentaient: visite d’un grand personnage, événement exceptionnel ou particulièrement significatif de nature aussi bien religieuse, politique que domestique, commémorations de tous genres pour offrir à une grande variété d’hôtes choisis à dessein de solennelles, plantureuses et souvent joyeuses agapes leur permettant sinon d’impressionner ces derniers, du moins gagner leur amitié ou encore leurs faveurs. En cela, ils ne faisaient d’ailleurs que rivaliser avec leurs vis-à-vis séculiers qui s’y connaissaient eux aussi en matière de banquets et avaient depuis longtemps fait de ceux-ci une arme politique et diplomatique particulièrement prisée et, à leurs yeux, efficace52. On pourrait ici multiplier les qu’utilise Burckard pour s’éviter d’avoir à donner tous les détails du cérémonial propre aux messes marquant l’anniversaire de l’élection et du couronnement d’Alexandre VI (Liber notarum, I, p. 645; II, p. 46, 49, p. 115-116) ne pourraient-ils pas, pour leur part être interprétés en ce même sens? On retrouve d’ailleurs une formule similaire (« prout e’ di more ») en 1563 chez Gian Francesco Firmano faisant état du banquet offert par Pie IV au palais apostolique suite à la messe anniversaire de son couronnement le 6 janvier (BAV, Vat. lat. 12278, fol. 219v), alors qu’à l’instar de ses prédécesseurs il ne fait état d’aucun autre banquet de ce type et, cela, ni en 1561, ni en 1562, ni en 1564, ni en 1565. 50 Ibid., Urb. lat. 1038, fol. 311r. 51 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 49. L’interdiction de Pie V fut observée scrupuleusement par ses successeurs comme le montrent les diaires d’un Francesco Mucanzio en ce qui concerne Grégoire XIII (ASV, Fondo Borghese I: 800 et 812, passim) et d’un Alaleone, en ce qui concerne Sixte V (BAV, Vat. lat. 12293, fol. 227r et passim) et Clément VIII (Ibid., Vat. lat. 12294, fol. 238rv et passim; 12295, passim). À noter toutefois que l’astucieux Sixte V trouva le moyen de tourner cet interdit à son avantage - pécuniaire, s’entend -, en transférant dès 1586 la messe anniversaire de son couronnement à l’église des Saints-Apôtres (Santi Apostoli) confiée à ses confrères d’antan, les franciscains conventuels et se faisant offrir par eux, dans leur couvent voisin, un repas –– Alaleone emploie le mot « pransus », mais il y a fort à parier qu’il s’agissait bien d’un banquet ––, repas regroupant autour de lui cardinaux et autres invités de marque présents à la messe en question. Cf. Ibid., Vat. lat. 12293, fol. 228rv. Ce même scénario se répète au moins en 1588 (fol. 342r) et 1589 (fol. 411rv). Mais il est plus que probable qu’il en fut ainsi également en 1587, même si Alaleone n’en dit mot et tout aussi bien en 1590, alors qu’il est absent de Rome. Ibid., fol. 426r. Quoi qu’il en soit, on reconnaît bien là la manière de l’habile, mais surtout parcimonieux Sixte V. 52 On pense ici tout naturellement aux ducs de Bourgogne qui, dès le XVe siècle, avaient fait la démonstration, et une démonstration qui avait frappé les esprits du temps, de ce que
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exemples concernant tout aussi bien les papes de la première que de la seconde moitié du XVIe siècle. Nous nous contenterons des quelques-uns qui suivent qui, nous semble-t-il, illustrent bien, chacun à sa façon, les diverses raisons ou circonstances poussant ces mêmes papes à recevoir en grande pompe à leur table des hôtes auxquels ils devaient ou encore dont ils attendaient quelque chose. En novembre 1505, Jules II organise dans une des salles du palais apostolique un somptueux banquet à l’occasion du mariage de son petit-neveu Niccolò Franciotti avec Laura Orsini, fille de Giulia Farnese, l’ancienne maîtresse d’Alexandre VI53. Une année plus tard, soit le 15 juin 1506, c’est à sa propre fille, Felicia, qu’il fait cette même faveur suite à son union quinze jours plus tôt avec le prince Gian Giordano Orsini54. Sans surprise, nous constatons que Léon X ne fut guère moins prodigue à ce chapitre. Son frère, Giuliano, ayant obtenu le 13 septembre 1513 la citoyenneté romaine au cours d’une cérémonie d’un faste sans pareil organisé par la Commune, il décida, ne voulant pas être de reste, d’offrir, cinq jours plus tard, en l’honneur de l’heureux récipiendaire et de ses proches un banquet en tous points digne de l’occasion55. Dans une toute autre veine, le 27 du même mois, suite à sa décision de faire de la Saints-Côme-et-Damien la fête patronale de la cour, il invita les principaux personnages ayant assisté à la messe solennelle célébrée ce jour-là à la Sixtine à un grand repas qui, à l’instar de la fête à laquelle il était associé, se répétera d’année en année jusqu`à la fin de son règne56. Paul III qui s’y connaissait lui aussi en fêtes et réceptions de tous genres, mais à l’intention surtout des membres de sa propre famille57, donnera un bel pourrait donner le recours à cette « arme » de prestige. Leurs banquets d’une magnificence inégalée servirent de modèles dès cette époque aux rois d’Angleterre, plus tard, à la cour des Habsbourg d’Espagne. À ce sujet, voir Splendeur de la cour de Bourgogne, éd. D. Régnier-Bohler et al., Paris 1995, p. 1027-1127. 53 Ce mariage eut lieu le dimanche 16 novembre 1505, présidé par le pape lui-même, et fut suivi le même jour d’un grand banquet au palais apostolique où figurèrent plusieurs membres des familles des deux mariés, entre autres, de nombreuses femmes, malgré que leur présence en ce lieu contrevenait aux règles canoniques existantes. Burckard, Liber notarum cit., II, p. 496-497. Est-il besoin de préciser que ni Alexandre VI, prédécesseur de Jules II, ni ses successeurs Léon X, Paul III, Jules III ou Pie IV ne tinrent sérieusement compte de ces interdits. 54 Sur le mariage qui eut lieu le 25 mai et sur les raisons pour lesquelles le pape n’y assista pas, voir C. Murphy, The Pope’s Daughter, Oxford 2005, p. 82-84. Sur le banquet, voir ibid., p. 102. 55 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV-1, p. 393. 56 ASV, Fondo Borghese I: 111, fol. 65v-66r, 115v et passim. En 1513 ce banquet eut lieu dans la salle du Consistoire et s’avéra des plus agréable et joyeux grâce à la présence de chanteurs et d’instrumentistes de talent recrutés pour l’occasion. Peut-être serait-il bon de rappeler ici que les saints Côme et Damien étaient aussi les patrons des Médicis. À ce sujet, voir P. Bargellini, Storia di una grande famiglia. I Medici, Florence 1980, p. 14-15. 57 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 236 et note 2. Pastor signale que le cérémoniaire Biagio Barone se plaint assez souvent de la présence de nombreuses femmes parmi la paren-
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exemple de ce type d’hospitalité le jour du mariage de son petit-fils Ottavio avec Marguerite d’Autriche, fille de Charles Quint, le 4 novembre 1538, par un dîner somptueux réunissant cardinaux, ambassadeurs et proches parents dans une salle du palais apostolique58. De Paul IV qui, nous l’avons vu, savait tenir son rang, retenons les exemples suivants eux aussi fort instructifs, qu’il s’agisse des banquets qu’il offrit au palais de Venise au cours de l’été 1555 à l’occasion, le 29 juin, de la Saints-Pierre-et-Paul, le 28 juillet, d’un jubilé pour la paix qu’il venait de décréter et, le 26 septembre, d’une audience publique accordée aux ambassadeurs de Venise, ou encore qu’il s’agisse de celui, festif à souhait, qui eut lieu le 21 septembre 1557 à la suite de la messe d’action de grâces marquant la conclusion de la paix avec l’Espagne59. Un dernier exemple se situant cette fois au dernier quart du XVIe siècle et qui en dit long sur le type de célébrations et de fêtes que privilégiaient les papes post-tridentins. Il s’agit du banquet offert par Grégoire XIII le 23 mars 1585 aux jeunes « ambassadeurs » japonais venus avec leurs mentors jésuites lui rendre obédience au nom de leurs compatriotes récemment convertis au catholicisme. Faveur insigne qui sera suivie de plusieurs autres de la part de ce pape à l’âme missionnaire qui découvrait soudain avec émotion en la personne de ces jeunes visiteurs venus de l’autre bout du monde jusqu’où s’étendaient les frontières de l’Église qui lui avait été confiée60. Nous aurons plus loin l’occasion de revenir sur cette « ambassade » et sur le retentissement qu’elle connut non seulement à la cour pontificale, mais dans tout Rome. Pour le moment, retenons le fait que le banquet du 23 mars 1585, bien que relevant de motifs d’abord et avant tout religieux, se situait tout de même dans la logique de tous ceux évoqués jusqu’ici, même si, dans le cas de ces derniers, l’accent souvent était mis plutôt sur des considérations politiques ou familiales, ces deux d’ailleurs allant souvent de pair. Cela dit, force est de reconnaître que tous ces hommes avaient manifestement conscience du rôle que pouvait jouer en termes de représentation, c’est-à-dire d’image à projeter, voire à imposer du pouvoir et du prestige qui étaient les leurs un rite en apparence aussi « profane » pour ne pas dire « mondain » que celui de réunir autour d’une table d’apparat des hôtes d’un certain rang et d’une certaine influence dont on entendait soit conserver, soit gagner ou regagner la confiance, le respect ou, dans certains cas, l’amitié. Aussi rien de surprenant que, dans son Cérémonial, Agostino Patrizi n’ait pas hésité à inclure une description détaillée du rite du banquet, rite auquel il confère d’ailleurs un caractère quasi liturgique. tèle que le pape invite fréquemment à sa table. 58 R. Lefevre, « Madama » Marguerita d’Austria, Rome 1986, p. 126. 59 Conc. Trid. II, Diar. 2, p. 276, 278, 283, 316. 60 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 729.
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Et pour cause. Le modèle qu’il propose est en effet celui du banquet du Jeudi Saint qui, précise-t-il, avait encore lieu du temps de Pie II et de Paul II, ses anciens « patrons », modèle, selon lui, applicable à tout autre banquet offert par les papes de son temps, y compris celui du jour de leur couronnement61. À la lecture de son texte, la dimension liturgique saute de fait immédiatement aux yeux. À commencer par le Bénédicité d’ouverture que le pape lui-même prononce et les Grâces récitées en toute fin de repas, puis, surtout la lecture de textes de l’Écriture Sainte qui se fait tout au long du banquet et que les convives sont tenus d’écouter en silence. À quoi il faut ajouter le rite du lavement des mains au début et à la fin de ce même banquet, rite assuré par les deux plus nobles invités laïques présents, le tout ressemblant étrangement au rite du lavabo observé durant les chapelles papales comme nous aurons l’occasion de le montrer dans notre prochain chapitre. Autre détail qu’on pourrait considérer comme purement protocolaire, mais qui fait lui aussi très liturgique: quand le pape boit, tous doivent fléchir les genoux, sauf les prélats de rang épiscopal ou cardinalice62. D’intérêt cette fois plus strictement protocolaire, les divers articles que Patrizi consacre aux problèmes de préséance qu’inévitablement posait l’organisation de tels repas et les conseils qu’il donne à ce propos aux maîtres d’hôtel et de cérémonies du pape. Ainsi les encourage-t-il, entre autres, à se faire remettre chaque fois à l’avance par écrit la liste de tous les invités, de façon à s’éviter d’inutiles ennuis ou contestations63. Enfin, dernier détail d’ordre lui aussi protocolaire et qui en dit long sur les précautions que les « grands » prenaient encore à la fin du XVe siècle lors de repas du genre: l’« épreuve » qui devait obligatoirement être faite par des serviteurs désignés à cet effet, une première fois à la crédence, une seconde, sous les yeux même du pape, de tout breuvage ou de tout plat qui lui était destiné64. Comme le souligne avec raison Michel Dykmans, il est fort douteux que ce modèle d’un hiératisme achevé, doublé par ailleurs d’emprunts à la tradition monastique ait été respecté à la lettre par les papes du XVe et, encore moins, par ceux du XVIe siècle65. Pour ne donner que cet exemple, il était absolument défendu d’admettre une femme, fût-elle impératrice, à ce type de repas, mais Patrizi lui-même reconnaît –– et il donne l’exemple 61 Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 119, 84. À noter que Patrizi offre ailleurs dans son Cérémonial la description, elle aussi fort détaillée, d’un autre banquet, cette fois plutôt type collation, que le pape offrait immédiatement après les vêpres de la vigile de Noël à tous les personnages de quelque importance qui y avaient pris part. Voir ibid., II, p. 173-174, 282-285. Cette description complète bien celle à laquelle nous renvoyons ici. 62 Ibid.,I, p. 119-121. 63 Ibid., p. 120. 64 Ibid., p. 121. 65 Ibid.
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de son propre maître, Innocent VIII –– que les papes pouvaient à l’occasion passer outre à cet interdit66. Nous avons vu plus haut que sur ce point et sur bien d’autres –– nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre sixième chapitre –– les successeurs d’Innocent VIII, en particulier ceux de la première moitié du XVIe siècle, étaient prêts à aller beaucoup loin que lui. Il était en effet des circonstances –– banquets de noce ou de victoire par exemple –– où il était impensable d’imposer aux convives présents la lecture de textes de l’Écriture Sainte et, par le fait même, un silence de moines. Le modèle proposé par Patrizi demandait donc d’être modulé en fonction des types de repas offerts et de la qualité des personnes présentes. C’est ce que feront un Jules II, un Léon X, un Paul III, comme nous venons de le voir. Mais il est un point sur lequel tous ces papes, même les plus libéraux, n’étaient pas prêts à transiger, c’est celui des égards qui, croyaient-ils, en toutes ces occasions, leur étaient dus en raison de l’autorité et des pouvoirs dont, comme papes, ils étaient investis. Rien n’illustre mieux cette préoccupation qu’un détail d’ordre protocolaire que l’on trouve également chez Patrizi à l’effet que lors des banquets du genre de ceux que nous venons de décrire le pape mangeait seul à une table qui lui était expressément réservée et que cette table était elle-même installée sur une tribune d’une certaine hauteur lui permettant d’être vu de tous ses convives, mais en même temps de marquer la distance le séparant d’eux67. Bel exemple de jusqu’où pouvait aller à l’époque la symbolique du pouvoir. La description que vient de nous fournir Patrizi du rite du banquet prend place dans son Cérémonial immédiatement après celle des rites d’accession au trône pontifical, sans doute parce que, comme il le dit luimême, il voyait dans le banquet du couronnement ou encore dans celui du Jeudi Saint des modèles, pour ne pas dire des prototypes de tout repas festif ou d’apparat auxquels donnaient souvent lieu les grands moments de la vie de la cour. C’est sur ces derniers que nous voudrions maintenant concentrer notre attention à partir des quelques exemples qui suivent qui, tous, chacun à sa façon, nous paraissent le mieux à même d’illustrer les diverses scénographies auxquelles, en ces circonstances, faisaient appel les cérémoniaires pontificaux, voire, parfois, les papes eux-mêmes. 2. Du « triomphe à l’antique » aux grands déploiements liturgiques Un premier exemple nous est fourni par l’entrée triomphale de Jules II à Rome le 28 mars 1507, dimanche des Rameaux –– la coïncidence n’avait rien de fortuit ––, suite à la grande victoire qu’il venait de remporter sur 66 67
Ibid., p. 122. Ibid., p. 84-85.
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les Baglioni à Pérouse, puis sur les Bentivoglio à Bologne, « tyrans » qui, depuis de nombreuses années, narguaient le pouvoir pontifical. Précédé d’une messe à Santa Maria del Popolo, église chère aux della Rovere, le grand défilé organisé à cette occasion remonta, aux acclamations de la foule, la vie Flaminia, puis la via Lata aménagée quelque quarante ans plus tôt par Paul II pour ce genre d’événement, puis bifurqua en direction du pont Saint-Ange. À divers points stratégiques avaient été disposés des appareils de toutes sortes dont une reproduction de l’arc de Constantin place Saint-Pierre, appareils renvoyant pour la plupart à la Rome impériale. Particulièrement remarqué fut, près du pont Saint-Ange, un char tiré par quatre chevaux blancs comme au temps des anciens triomphes romains et sur lequel figuraient un globe, symbole de pouvoir universel, et, sur ce globe, un chêne, emblème des della Rovere, tandis que dix jeunes hommes montés sur ce même char et déguisés en génies ailés agitaient des rameaux en forme de salutations, salutations destinées de toute évidence au pape, héros du jour. Le message était on ne peut plus clair. Jules II faisait remonter son autorité et son pouvoir, en tant que chef d’État, aux empereurs romains, païens aussi bien que chrétiens, en tant que chef d’Église, au Christ dont il était le vicaire. Autorité et pouvoir qui avaient donc, du moins dans ce dernier cas, une portée universelle. En d’autres mots, le pape se réclamait tout à la fois de la Rome et de la Jérusalem anciennes, préfigurations de la Rome et de la Jérusalem nouvelles qui lui avaient été confiées. Une médaille frappée pour l’occasion ne laisse d’ailleurs à ce sujet aucun doute. À l’avers, le portrait de Jules II avec cette inscription: « Julius Caesar Pont[ifex] II » et, à l’envers, les armes du pape et de sa famille avec comme légende l’acclamation: « Benedictus qui venit in nomine Domini » évoquant l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem le jour dit des Rameaux68. Mélange étudié de sacré et de profane qui convenait parfaitement à l’occasion et qui ne dut guère surprendre ceux qui étaient familiers de la symbolique depuis longtemps utilisée par les papes pour rendre visible et crédible le pouvoir aussi bien temporel que spirituel dont ils se réclamaient. Il n’est pas sûr que les foules présentes aient saisi toutes les nuances de cette symbolique, mais il serait surprenant qu’elles n’aient pas été impressionnées par la figure de ce pape chef de guerre rentrant en vainqueur dans sa ville et montrant aux Romains comme il l’avait fait quelques mois plus tôt aux Bolonais qu’il entendait être le maître de ses États comme il entendait l’être de l’Église qui lui avait été confiée, n’en déplût à certains esprits chagrins, dont le grand Érasme à qui l’idée d’une papauté casquée et cuirassée répugnait souverainement. N’en déplût également à Paride de’ 68 Stinger, The Renaissance cit., p. 235-238. La description de cette entrée de ville se trouve dans le diaire du cérémoniaire Grassi. ASV, Fondo Borghese I: 889, fol. 171r-172v.
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Grassi, cérémoniaire du pape, qui déplorait le fait que ce dernier ait fait de son entrée de ville un triomphe à l’antique et que surtout il ait osé le faire le jour des Rameaux, ce qui lui paraissait d’une suprême inconvenance, pour ne pas dire plus. Jules II n’était pas homme à se laisser ébranler par ce genre de critiques d’où qu’elles viennent. Ce triomphe, il l’avait lui-même voulu et planifié, convaincu qu’il produirait l’effet anticipé qui était, d’une part, de magnifier le succès qu’il venait de remporter sur les « tyrans » de Pérouse et de Bologne, de l’autre, d’imposer à ses sujets sinon l’admiration, du moins le respect, respect au besoin mêlé de quelque crainte. Il semble bien que sur le dernier point du moins il ait réussi son pari69. Ce n’était pas là la première fois qu’un pape avait recours à ce genre de déploiement pour rappeler qui il était et à quelle hauteur se situait son pouvoir. Dans son De Roma Triumphante, Bindo da Forlì en avait d’ailleurs au milieu du XVe siècle fourni le modèle et justifié l’emploi à partir de l’idée que la Rome pontificale n’avait rien à envier à la Rome impériale, qu’elle en était même en quelque sorte la réincarnation et qu’il convenait donc que le « pontife romain » s’inspire, en ce domaine, des maîtres de la Rome ancienne. Entourés d’humanistes, voire humanistes eux-mêmes, certains papes s’étaient assez facilement laissé convaincre à la fin du XVe et au début du XVIe siècle qu’ils avaient tout à gagner à s’inspirer de ce modèle, quitte à le « baptiser », en d’autres mots, l’assortir d’éléments empruntés à la liturgie chrétienne70. Le « triomphe » de Jules II peut être considéré comme le premier exemple, du moins poussé à ce point, de ce que pouvait donner l’amalgame proposé par Bindo da Forlì. Il en annonçait d’autres dont un, particulièrement réussi, en juin 1538, soit l’entrée de ville de Paul III à son retour de Nice où il avait obtenu, après plusieurs semaines de pourparlers, la signature d’une trêve de dix ans entre l’empereur et le roi de France. Ses sujets à juste titre reconnaissants, avaient alors décidé de lui ménager un accueil digne de l’exploit qu’il venait de réaliser. Salué à Ponte Molle par le sénateur, les conservateurs et les caporioni de la ville, accueilli à l’entrée de la Porta del Popolo par son trésorier et des représentants des grandes familles romaines, puis passée celle-ci, par les chanoines de Saint-Jean du Latran portant le saint sacrement, le pape entouré de sa cour avait assisté à la messe à Santa Maria del Popolo pour ensuite se diriger processionnellement aux acclamations de la foule vers le palais San Marco où l’attendait le chapitre de Saint-Pierre. Tout au long du parcours avaient été disposées diverses inscriptions vantant sa sagesse et son autorité, puis surtout de magnifiques arcs de triomphe, dont un érigé à grands frais par la Commune, célébrant, les uns, la lutte en cours contre l’hérésie 69 70
Shaw, Julius II cit., p. 213-214. Visceglia, La città cit., p. 93-94.
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protestante, d’autres, le succès que Paul III venait de remporter à titre de médiateur face aux deux grandes puissances catholiques de l’heure71. À la différence de Jules II, Paul III n’était ni l’instigateur, encore moins le metteur en scène du « triomphe » dont il faisait l’objet et, surtout, c’était en tant qu’artisan de paix et non de chef de guerre que ses sujets s’étaient concertés pour le lui offrir. Quel contraste avec son prédécesseur qui, en 1507, à son grand déplaisir avait été boudé par les autorités de la ville et, donc, avait dû se rabattre sur certains membres de sa cour pour organiser et financer ce même type d’événement72. Paul III qui fut peut-être témoin du « triomphe » de 1507 dut apprécier d’autant plus l’hommage que, trente ans plus tard, lui rendait le peuple de Rome. Mais le modèle proposé par Bindo da Forlì n’était d’aucune façon limité aux entrées de ville, même s’il se prêtait particulièrement bien à ces dernières. Ce que nous avons vu plus haut du rite du possesso et surtout de la procession organisée à cette occasion montre assez que celle-ci pouvait, elle aussi, très bien s’inspirer, et avec profit de ce modèle et qu’un Alexandre VI comme un Innocent VIII, avant, et un Jules II, après lui, ne s’étaient pas privés de le faire, aidés en cela par le large cercle d’humanistes et d’artistes gravitant autour d’eux, dont certains directement à leur service. Mais celui qui s’illustra le plus et les dépassa tous en ce domaine fut sans conteste le successeur immédiat de Jules II, Léon X, premier pape Médicis, qui, élu le 20 février 1513, ne se présentera aux Romains que le 11 avril suivant, le temps sans doute de préparer une procession du possesso digne du nom qu’il portait et de l’autorité qui était désormais la sienne. Un témoin oculaire, le médecin florentin Giovan Jacopo Penni, nous a laissé un récit haut en couleur de cette procession qu’il n’hésite d’ailleurs pas à qualifier de « triomphale », aussi bien en raison de la qualité des personnes entourant le pape, à commencer par les ducs de Ferrare et d’Urbino de même que le seigneur de Camerino tenant tout au long du parcours la bride de son cheval que de la splendeur des costumes, des objets, des décors qu’on s’était ingénié à trouver ou à créer pour l’occasion. Penni souligne en particulier la présence de nombreux représentants des grandes familles romaines: Orsini, Colonna, Savelli, Conti, des grandes familles florentines également, ou encore de jeunes nobles provenant des diverses cours italiennes, mais aussi celle des principaux officiers de la ville avec à leur tête Giovan Giorgio Cesarini portant l’étendard du Peuple romain, sans oublier le cortège habituel des ambassadeurs des princes, 71 Ibid., p. 64-65. On trouve une description contemporaine de cette entrée dans V. Forcella, Tornei e giostre, ingressi trionfali e feste carnavalesche in Roma sotto Paolo III, Milan 1896, p. 53-67. 72 Shaw, Julius II cit., p. 214.
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voire certains princes eux-mêmes. Le faste déployé par tous ces grands personnages était tel qu’on en finissait par oublier la présence pourtant numériquement importante de la « famille » et des officiers du nouvel-élu eux aussi défilant en bel ordre et magnifiquement vêtus. Et que dire des divers appareils disposés ou édifiés tout au long du parcours par plusieurs des « nations » présentes à Rome, en particulier celui commandité par le richissime Agostino Chigi à l’angle de la via Papalis et de la via Mercatoria, au cœur de la Rome florentine, appareils qui tous s’inspiraient de thèmes et de motifs chers aux Médicis, mais en même temps s’efforçaient d’établir un lien privilégié entre Rome et Florence, nouvel axe d’une stabilité retrouvée au profit de l’Italie toute entière73. Mais le plus impressionnant, c’est que ce « triomphe » n’était en réalité que le premier d’une série de trois, les deux autres, tout aussi spectaculaires et minutieusement préparés, étant les cérémonies entourant l’octroi de la citoyenneté romaine à Julien et Laurent de Médicis, respectivement frère et neveu du pape, les 13 et 14 septembre de la même année et l’entrée, fin novembre 1515, de Léon X à Florence, une Florence redevenue trois années plus tôt, en bonne partie grâce à lui, médicéenne74. On pouvait difficilement faire mieux dans le genre. Mais les triomphes à l’antique auxquels les papes de l’époque et leurs « scénographes » n’hésitaient à recourir pour affirmer, mieux magnifier leur autorité tout à la fois temporelle et spirituelle n’étaient pas que le fait des entrées de villes ou des processions dites du possesso: ils avaient aussi trouvé place, et une place appelée à grandir, au cœur même de rites anciens et très populaires, tels ceux du Carnaval, rites que les papes de la Renaissance chercheront de plus en plus à encadrer, à contrôler même pour des raisons qui avaient, elles aussi, de plus en plus à voir avec leur autorité et de leur pouvoir. C’est Paul II qui, le premier, aura l’idée de déplacer certaines activités propres au Carnaval, notamment les courses dont la popularité ne faisait à l’époque que grandir, du mont Testaccio à la via Lata que, nous l’avons vu, il venait d’aménager précisément à cet effet. Un des avantages de ce déplacement était qu’il lui permettait de sa résidence habituelle, le palais San Marco, d’assister à la fin des courses en question de même qu’aux divertissements qui, à son instigation, étaient venu avec le temps compléter le menu du Carnaval, entre autres, mascarades, défilés de chars allégoriques, 73 Visceglia, La città cit., p. 69-70. La description de Penni se trouve dans son ouvrage publié à Rome en 1513 sous le titre: Cronacha delle magnifiche et honorate pompe fatte in Roma per la creatione et incoronatione di Papa Leone X. À compléter par les renseignements plus « techniques » fournis par le cérémoniaire Grassi. ASV, Fondo Borghese I: 111, fol. 36v-46v. 74 Visceglia, La città cit., p. 70. Pour l’entrée de Léon X à Florence, se reporter à I. Ciseri, L’ingresso trionfale di Leone X in Firenze nel 1515, Florence 1990. On y trouve en particulier reproduits de nombreux documents d’époque (p. 173-378).
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banquets publics75. Il faut dire que Paul II était originaire de Venise et s’y connaissait donc en la matière76. Installés au Vatican, ses successeurs tendront à rapprocher de leur lieu de résidence plusieurs des courses se déroulant via Lata, de sorte qu’on en verra un certain nombre partir désormais du Campo de’ Fiori, voire du pont Saint-Ange pour aboutir place Saint-Pierre. Parallèlement, diverses autres activités se retrouveront, les unes, place du Campidoglio ou encore place Saint-Pierre, les autres –– de fait, la majorité ––, place Navone et dans les rues avoisinantes, notamment le défilé de la fête de l’Agone qui prendra d’année en année de plus en plus d’importance et de relief en ce qui concerne surtout la figure du pape, objet d’hommages et d’éloges de plus en plus appuyés. Le Carnaval qui avait été jusque-là l’affaire du peuple était en passe de devenir celle de la cour. Certes restait-il, logistiquement parlant, la responsabilité des officiers de la ville, mais rien ne pouvait être fait sans l’approbation du pape et surtout une bonne partie des coûts étaient absorbés par ce dernier. Aussi ces mêmes officiers avaient-ils intérêt à ce que les principaux événements du Carnaval tiennent compte de cette nouvelle réalité. Ils ne se feront pas prier pour le faire77. Rien ne le prouve mieux que la procession de la fête de l’Agone de 1513 qui prit la forme d’une apothéose de Jules II. Parti de la place du Compidoglio avec à sa tête le gouverneur, les conservateurs, les caporioni et les autres magistrats et officiers de la ville suivis des membres des diverses corporations de métiers que comptait alors Rome, le défilé en question impressionnera surtout par les nombreux chars allégoriques qui le composaient, commandités les uns et les autres par ces mêmes corporations. Un d’entre eux exhibait une carte de l’Italie avec à son sommet un palmier et la légende explicative suivante: « Italie libérée », allusion évidente aux succès militaires remportés par le pape. Un autre, plus explicite encore, était coiffé d’un obélisque avec des inscriptions en latin, grec et hébreu en plus d’un certain nombre d’hiéroglyphes égyptiens proclamant Jules II « libérateur de l’Italie et fléau des schismatiques ». Ce thème était de fait celui de l’ensemble des chars offerts aux regards ébahis des spectateurs rassemblés le long du parcours du défilé, diverses figures mythologiques, bibliques et chrétiennes y symbolisant les exploits réalisés par le pape. Ainsi y voyait-on un dieu Apollon détruisant un certain nombre de géants à l’aide de flèches, un ange tranchant à coups d’épée les multiples têtes de l’Hydre, un Saint Ambroise chassant les hérétiques de Milan, un Moïse exhibant un serpent d’airain de même qu’un Aaron offrant un sa Stinger, The Renaissance cit., p. 57. J. Heers, La vie quotidienne à la cour pontificale au temps des Borgia et des Médicis, Paris 1986, p. 125-127. 77 Stinger, The Renaissance cit., p. 57-58. 75 76
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crifice préfigurant, l’un, le pouvoir temporel, l’autre, le pouvoir spirituel du pape. Mais un char, d’inspiration beaucoup plus clairement politique celui-là, se contentait d’arborer un chêne, emblème des della Rovere, sur les branches duquel étaient assis les membres de la Sainte-Ligue, pape en tête78. Triomphe d’un homme qui, certes, inspirait la crainte, pour ne pas dire plus, mais qui n’en était pas moins admiré. On peut en dire autant, crainte en moins, de son successeur immédiat, Léon X, qui, dès 1514, aura droit à un hommage encore plus éclatant de la part des organisateurs de la fête de l’Agone, aidés en cela, il faut le dire, par Tommaso Inghirami, mieux connu à l’époque sous le nom de Fedra, « scénographe » attitré du pape, qui imagina une procession de chars –– dix-huit au total –– célébrant les vertus et qualités de son maître à l’aide de symboles empruntés au riche arsenal dont disposaient humanistes et artistes de son temps, tels, entre autres, un arc de triomphe, une roue, une montagne surmontée d’une victoire ailée représentant respectivement la magnificence, la fortune et la félicité79. Tout aussi sinon plus appuyés les honneurs rendus à Paul III lors de la procession de l’Agone de 1539 qui mit en vedette le pape lui-même à l’aide de chars allégoriques fournis par les treize rioni de la ville, célébrant, les uns, Paul III et sa famille, d’autres, l’histoire de Rome, l’un, le concile –– ce dernier ne siégeait pas encore, mais l’annonce en avait été faite une année plus tôt ––, un autre encore, les princes catholiques alliés du pape, chacun de ces chars recourant pour ce faire à toute une série de symboles païens aussi bien que chrétiens renvoyant aux gloires présentes et passées de la ville80. Il faut dire que c’est à Paul III que les Romains devaient depuis 1536 le retour des fêtes du Carnaval après une éclipse de quelque dix ans due aux effets dévastateurs, mais surtout traumatisants du sac de 1527. Ils n’étaient sans doute que trop heureux, comme ils l’avaient fait dès 153681, de manifester ainsi une reconnaissance à ce pape généreux et, par ailleurs, très attaché à la ville et aux traditions de la ville qui l’avait vu naître. Le triomphe à l’antique n’avait donc rien perdu de son attrait à Rome et, manifestement, Paul III, comme Jules II et Léon X avant lui, savait quel profit il pouvait espérer en tirer comme pape et comme chef de famille car –– népotisme oblige ––, à l’époque, l’un n’allait pas sans l’autre. Mais, comme le souligne fort justement Gérard Labrot, le pape Farnèse entendait par la même occasion refaire l’image de Rome et de la papauté « par une sorte d’alliance harmonieuse » entre humanisme et christianisme, en d’autres mots, Ibid., p. 58-59. Ibid., p. 59. 80 Visceglia, La città cit., p. 96-97. 81 Ibid., p. 96. 78 79
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« entre héritage ancien et vérité de la révélation »82. L’insertion dans la procession de l’Agone de 1539 d’un char dédié au concile, d’un autre mettant en scène Hercule domptant les monstres, métaphore de la lutte que Paul III était en train de livrer contre l’hérésie, et d’un troisième rappelant l’appui que lui assuraient en ce domaine les princes catholiques constituait déjà, à elle seule, un précieux indice en ce sens. Toutefois un certain nombre des prélats réformistes dont depuis 1536 il s’était ostensiblement entouré, notamment les cardinaux Carafa et Contarini, trouvaient que le pape et ses « metteurs en scène » faisaient encore la part trop belle au « profane » et leur en firent grief83. Ce qui pourrait peut-être expliquer que pour le défilé de 1545, tout en recourant de nouveau à des allégories tirées de la mythologie et de l’histoire anciennes, on fit plus de place à l’histoire sacrée et surtout on mit les allégories en question au service de thématiques liées à la conjoncture religieuse de l’heure, soit la paix entre les princes restés fidèles à Rome, la croisade contre les infidèles et la lutte contre les protestants. L’ambassadeur de Venise en conclut que les défilés de l’Agone n’étaient plus et ne seraient sans doute plus ce qu’ils avaient été jusque-là84. De fait, la procession de l’Agone de 1545 fut la dernière de type « classique » en attendant que Pie V n’inerdise purement et simplement le défilé en question de même que les très populaires tauromachies du Mont Testaccio, ne laissant subsister des fêtes du Carnaval que les mascarades, défilés de chars et joutes organisées à titre privé de même que certaines courses: courses de chevaux, course des juifs en particulier, toutes deux fort prisées, mais à condition que l’ensemble de ces manifestations se déroule désormais loin du Vatican85. L’histoire « profane » cédait le pas à l’histoire « sacrée », une histoire dont Onofrio Panvinio fournira au milieu du XVIe siècle un premier exemple, substituant aux thèmes de la Rome païenne ceux de la Rome chrétienne, de la Rome pontificale surtout dont les grands noms, les hauts faits et les principales réalisations seront par lui célébrés et magnifiés. Le tout relayé par les importantes réformes liturgiques introduites au lendemain du concile de Trente et la création subséquente de la Congrégation des rites et cérémonies par Sixte V en 1588, mais également la « christianisation » par ce dernier de nombreux monuments de la Rome antique, obélisques et colonnes en particulier, la récupération progressive de l’espace urbain au profit d’une Rome gagnée de plus en plus par la dévotion –– Philippe Néri en fournira en 1552 un premier modèle avec sa procession des Sept Églises d’intention manifestement anti-carnavalesque ––, puis, finalement, la découverte en 1578 des premières catacombes qui allait Labrot, L’image cit., p. 63. Visceglia, La città cit., p. 97. 84 Ibid., p. 97. 85 Ibid., p. 97-98. Voir aussi à ce sujet Pecchiai, Roma cit., p. 358-359. 82 83
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donner naissance à un nouveau type d’archéologisme privilégiant cette fois non plus la Rome païenne, mais la Rome chrétienne, mieux, la Rome des martyrs86. Le temps n’était plus aux triomphes à l’antique: il était à des formes de représentation reflétant mieux la nouvelle image que les papes entendaient projeter d’eux-mêmes et de leur capitale, Rome. Ils n’avaient d’ailleurs pas loin à chercher pour trouver les formes en question, le calendrier liturgique et le cérémonial pontifical leur en fournissant déjà un certain nombre qui pouvaient très bien être exploitées à cet effet. Que l’on songe, par exemple, aux Années Saintes qui rassemblaient tous les vingt-cinq ans d’immenses foules à Rome, en particulier lors des cérémonies d’ouverture et de clôture87, aux béatifications et canonisations, plutôt rares au XVIe siècle, mais qui n’en étaient que plus courues, prenant parfois la forme de véritables apothéoses, telle celle d’un François de Paule en 151988, ou encore aux translations de reliques de saints personnages qui donnaient habituellement lieu à de solennelles processions, elles aussi très « mobilisatrices », comme ce sera le cas en 1580 lors du transfert des restes de Grégoire de Naziance du monastère de Santa Maria in Campo Marzio à la basilique Saint-Pierre89, toutes instances où le pape était appelé à jouer un rôle prééminent et qui, de ce fait, pouvaient éventuellement servir à confirmer, magnifier même le charisme qui était le sien. Irene Fosi suggère, avec raison croyons-nous, que si Alexandre VI introduisit en 1500 un nouveau rituel de l’Année Sainte qui faisait beaucoup plus de place à la basilique Saint-Pierre comme lieu de rassemblement, c’est qu’il entendait profiter du Jubilé « pour affirmer solennellement » (son) pouvoir (potestas) »90, tout comme, un siècle plus tard, un Clément VIII qui, lui, il est vrai, mettait plutôt l’accent sur l’Église, l’Église de Rome s’entend, « mère de tous les croyants et maîtresse de toutes les églises », mais en précisant bien qu’à la tête de cette Église, il y avait le pape, « unique pasteur » de l’« unique troupeau » et donc « unique gardien et dispensateur des indulgences » qu’à l’occasion du Jubilé l’Église par son entremise mettait généreusement à la disposition de ses fidèles91. Visceglia, La città cit., p. 101-103. Ibid, p. 107-108. Sur les jubilés de 1500, 1525, 1550, 1575 et 1600, voir P. Brezzi, Storia degli Anni Santi, Milano, Mursia, 1975, p. 80-122. 88 Le cérémoniaire Grassi nous a laissé dans son diaire un important dossier relatif à cette canonisation qui eut lieu le 1er mai 1519 et rassembla des foules imposantes. ASV, Fondo Borghese I: 111, fol. 324v-350r. 89 À ce sujet, voir P. Hurtubise, Une procession à nulle autre pareille dans AHP, 39 (2001), p. 129-149. 90 I. Fosi, Fasto e decadenza degli anni santi, dans Roma, la città del Papa, Turin 2000 (Storia d’Italia. Annali 16), p. 794. 91 Ibid., p. 796. 86
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Mais si spectaculaires et si rassembleurs qu’ils aient été, les déploiements liturgiques dont nous venons de faire état souffraient tous d’un même défaut, soit celui d’être trop espacés dans le temps et donc exposés au risque de n’avoir un impact que momentané ou encore d’assez courte durée. Heureusement, les papes de l’époque étaient en mesure de parer à cet inconvénient grâce au riche éventail de fêtes inscrites au calendrier liturgique ou au cérémonial de la cour dont ils pouvaient chaque année se prévaloir. Une des plus importantes de ces fêtes, peut-être même la plus importante du point de vue qui nous intéresse ici, était sans conteste celle de la Fête-Dieu, dite aussi du Corps du Christ (Corpus Domini) qui avait lieu le jeudi suivant la semaine de la Pentecôte. Introduite à Rome au XVe siècle par le pape Nicolas V92, elle prit au siècle suivant de plus en plus d’ampleur et d’éclat grâce, entre autres à la présence dès 1501 d’une confrérie du Saint-Sacrement dont feront partie tous les papes du XVIe siècle, Jules II le premier, suivis en cela par un nombre grandissant de Romains de tous rangs et de toutes professions avec comme résultat que déjà au temps de Paul III le culte de l’Eucharistie était répandu dans à peu près toutes les couches de la population93. Les descriptions qui nous restent de la solennelle procession à laquelle elle donnait lieu suffisent à elles seules à montrer l’importance qu’avait prise dès le XVe siècle cette manifestation et le prix qu’y attachaient les papes de l’époque. Et pour cause, car ce qui distinguait la procession du jeudi suivant l’octave de la Pentecôte de celles qui avaient lieu les jours précédents ou suivants dans les diverses paroisses de la ville, c’est que non seulement elle était de part en part organisée et supervisée par les maîtres de cérémonies du pape, mais que ce dernier en était le principal acteur en ce sens qu’il lui revenait de porter le saint sacrement, ce qui faisait inévitablement de lui, et, ce, à double titre, le point de mire des foules réunies place Saint-Pierre et tout au long du parcours de ladite procession qui –– ce choix n’était pas fortuit –– se déroulait toute entière à l’intérieur du Borgo, donc à l’ombre des hauts-lieux du pouvoir pontifical94. Solennel et spectaculaire défilé qui n’était pas sans rappeler celui du possesso ancienne manière en ce sens qu’y figuraient de part et d’autre et le pape et le saint sacrement, mais avec cette différence –– et elle était de taille –– que pour la procession du possesso pape et saint sacrement étaient séparés, alors que pour celle de la Fête-Dieu ils étaient réunis, le Christ et son vicaire n’y faisant en quelque sorte plus qu’un. Comme l’écrit avec perspicacité Paolo Prodi, en termes de symbolique du pouvoir et d’un pouvoir qui se voulait tout à la fois spirituel et temporel, on pouvait difficilement faire mieux95. M. Dykmans, Paris de Grassi, dans Ephemerides Liturgicae, XCVI (1982), p. 448. Pecchiai, Roma cit., p. 361-362. 94 G. Martin, Roma Sancta, éd. G. Bruner Parks, Rome 1969, p. 86. 95 Prodi, Il Sovrano Pontifice cit., p. 92-93. 92
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On n’est donc pas surpris du faste entourant au XVIe siècle cette procession on ne peut plus emblématique. Forts de l’exemple d’un Pie II qui n’avait rien ménagé, en particulier à Viterbe en 1462, pour donner au rite en question un éclat sans pareil96, les papes du XVIe siècle n’hésiteront pas à en faire tout autant sinon plus. Grâce au cérémonial d’Agostino Patrizi rédigé à la fin du règne d’Innocent VIII, où il est fait pour la première fois mention de la procession de la Fête-Dieu97, et grâce surtout aux précieux diaires que nous ont laissés les successeurs de Patrizi, à commencer par le célèbre Burckard, nous sommes particulièrement bien renseignés sur le déroulement de ce rite et sur l’évolution qu’il connaîtra d’un pape et d’un pontificat à l’autre. Nous avons vu qu’il se déroulait tout entier à l’intérieur du Borgo, c’est-à-dire, comme le précise le Cérémonial de Patrizi, de la basilique Saint-Pierre jusqu’au Château Saint-Ange en empruntant, à l’aller, la via recta ou nova –– l’actuelle via del Borgo Nuovo –– et, au retour, la via sancta –– l’actuelle via del Borgo Vecchio. Il revenait au pape, nous l’avons dit, de porter le saint sacrement, habituellement à pied, ou, s’il souffrait de la goutte, installé dans une chaise à porteurs avec au-dessus de lui un dais porté par divers personnages de haut rang se relayant à intervalles réguliers. Devant lui, le long cortège des officiers de curie et des membres de sa « famille », chacun selon son rang, auxquels venaient s’ajouter les procureurs d’ordres religieux ou de princes, les ambassadeurs de ces mêmes princes, puis surtout les prélats: abbés, évêques, archevêques ou encore cardinaux présents à Rome et, derrière lui, les protonotaires apostoliques et autres dignitaires de même rang, les généraux d’ordres et un certain nombre de curialistes portant l’habit ecclésiastique. Ce qui faisait beaucoup de monde et, compte tenu de la variété et, dans certains cas, de la richesse des costumes portés par ces « processionnants », ne devait pas manquer d’impressionner les foules réunies pour l’occasion. Au retour à Saint-Pierre, le rituel prévoyait que le pape y célèbre la messe en présence du saint sacrement et qu’à l’issue de cette messe, après avoir béni la foule, il accorde à cette dernière un certain nombre d’indulgences. Pie II note dans ses Commentaires qu’une des raisons pour lesquelles tant de fidèles vinrent assister à la procession de la Fête-Dieu de 1462 fut la perspective d’y voir le pape et d’y profiter à plein des grâces qu’il ferait en cette occasion pleuvoir sur eux98. On est en droit de penser que ce même réflexe jouait encore cinquante, voire cent ans plus tard à Rome. 96 Pie II nous a laissé lui-même une très pittoresque description de cette procession. Cf. Pii II Commentarii, éd. A. Van Heck, Rome 1984, vol. II, p. 499-504. Au sujet de cette description, voir G. Ugurgieri Della Berardenga, Pio II Piccolomini, Florence 1973, p. 368-370. 97 Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 210*-213*, 426-430. 98 Pii II Commentarii cit., II, p. 500.
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Mais la description fournie par le Cérémonial de Patrizi étant de l’ordre du normatif et d’un normatif « daté », elle ne nous permet pas de savoir comment se déroulait effectivement aux XVe et XVIe siècles la procession de la Fête-Dieu propre au Borgo et surtout quelle dimension, quelle couleur particulière il lui arrivait de prendre d’un pape et d’un pontificat à l’autre. Cela, seuls les témoins oculaires de l’époque et, d’abord et avant tout les maîtres de cérémonie, sont en mesure de nous le dire. Burckard, collègue et protégé de Patrizi, de même que son successeur, Paride de’ Grassi, méritent ici une mention toute spéciale, car ils nous fournissent la preuve que déjà au temps où Patrizi composait son Cérémonial les choses étaient à ce propos loin d’être fixées et qu’on était constamment aux prises avec des problèmes de toutes sortes, notamment de préséance99. On leur doit, en plus, de précieuses indications sur le rôle joué par le pape et certains de ses auxiliaires, à commencer par les cardinaux, de même que d’intéressantes données d’ordre aussi bien quantitatif que qualitatif sur les effectifs mobilisés et les foules réunies lors de ladite procession. C’est ainsi que nous apprenons qu’un Innocent VIII, qu’un Alexandre VI et qu’un Jules II tenaient beaucoup à porter eux-mêmes le saint sacrement lors de cette procession, mais qu’ils laissaient habituellement à l’un de leurs cardinaux le soin de célébrer la messe qui suivait, se contentant au mieux d’y assister et qu’assez souvent ils demandaient à ce même célébrant de concéder en leur nom l’indulgence prévue qui était de sept ans et quarante jours100. C’est également Burckard et Grassi qui nous apprennent que 99 Dès 1486, donc au temps d’Innocent VIII, Burckard fait état de problèmes de préséance. Liber notarum cit., I, p. 154-155. Les tentatives faites de sa part avec l’appui du pape pour résoudre les conflits opposant divers groupes d’officiers de curie, voire de membres du clergé à ce sujet se soldent souvent par l’échec. Ibid., p. 203-206, 236, 268-269. Les choses ne s’arrangent guère sous Alexandre VI. Il en résulte même parfois, comme en 1497 par exemple, des incidents des plus disgracieux. Ibid., II, p. 39. Au point où certains groupes d’officiers seront durant quelques années interdits de participation. Ibid., p. 113, 233, 328. Comme en témoigne Grassi, ces mêmes querelles de préséance reprennent de plus belle sous Jules II (ASV, Fondo Borghese I: 563, fol. 101rv; ibid.,Fondo Borghese I: 890, fol. 62rv) et réapparaissent périodiquement sous Léon X. Ibid., Fondo Borghese I: 111, fol. 380rv. En 1521, ce dernier demande à Grassi de revoir l’ordre de préséance existant pour mettre fin aux querelles opposant les divers groupes impliqués, ce que Grassi s’empresse de faire à la satisfaction du pape. Mais les notaires de la Chambre Apostolique refusent de passer après les notaires de la Rote comme en a décidé Grassi et le pape, contre l’avis de son cérémoniaire, finit par leur donner raison. Ibid., fol. 403v-405r. Tout est à recommencer. Aux prises lui aussi avec des problèmes de préséance, Clément VII demande à son tour à son cérémoniaire –– il s’agit cette fois de Baroni qui a succédé à Grassi –– de préparer un nouvel ordre de préséance qu’il s’empresse lui aussi d’approuver. Ibid., Fondo Borghese I: 120, fol. 172r-176r. Il semble avoir été mieux reçu que le précédent si l’on en juge par les descriptions fournies par ledit Baroni des processions des années suivantes, y compris au temps de Paul III. Ibid., passim. 100 En ce qui concerne la procession comme telle, nous ne connaissons que deux absences d’Innocent VIII, soit en 1485 et 1489 (Burckard, Liber notarum cit., I, p. 116, 268),
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c’était les cardinaux qui avaient la responsabilité de décorer les façades des immeubles situés le long du parcours de la procession101 et que tout au long de ce même parcours les rues étaient couvertes de grandes toiles servant à protéger « processionnants » et spectateurs de l’ardeur des rayons du soleil102. C’est d’eux également que nous tenons l’information à l’effet qu’en plus des participants mentionnés dans le Cérémonial de Patrizi figuaucune, dans le cas d’Alexandre VI (Ibid., p. 439; II, p. 40, 113, 144, 233, 286, 328); une dans le cas de Jules II, soit en 1507, à l’occasion d’une attaque de goutte (ASV, Fondo Borghese I: 889, fol. 105v). À aucun moment, voyons-nous, par contre, un de ces papes célébrer la messe suivant la procession. C’est toujours un de leurs cardinaux qui est chargé de le faire, eux se contentant habituellement d’assister à la messe en question. Jules II qui, manifestement n’aimait pas les très longues cérémonies, ne se faisait pas scrupule d’y briller par son absence. Ainsi en sera-t-il en 1505 (Burckard, Liber notarum cit., II, p. 484), 1507 et 1508 (ASV, Fondo Borghese I: 563, fol. 101v, 143v). Ce qui pourrait expliquer l’ajout fait plus tard par Grassi au Cérémonial de Patrizi prévoyant une telle éventualité. Cf. M. Dykmans, Paris de Grassi, dans Ephemerides Liturgicae, XCVI (1982), p. 451. Pie II, en 1462, avait concédé une indulgence plénière aux fidèles accourus à Viterbe pour la procession de la Fête-Dieu qu’il y avait organisée. Pii II Commentarii cit., II, p. 500. Mais la norme était plutôt de sept ans et quarante jours comme permet de le constater le diaire de Burckard. Liber notarum cit., I, p. 155, 207, 236; II, p. 40 et passim. En 1507 et 1508, Jules II, pour des raisons qui nous échappent, décidera de concéder une indulgence de dix ans. ASV, Borgh. I: 563, fol. 102r, 144r. S’inspirant peutêtre de l’exemple de Pie II, Léon X octroiera en 1513 une indulgence plénière (Ibid., Borgh. I: 111, fol. 49r), peut-être en raison de son élection récente, puis récidivera en 1514 et 1515 (Ibid., fol. 110r, 124v), pour revenir ensuite, au plus tard en 1517 aux sept années et quarante jours traditionnels. Ibid., fol. 227v et passim. À partir de Clément VII, on voit réapparaître l’indulgence de dix ans (ASV, Borgh. I: 120, fol. 209r), pratique qu’adoptera à son tour Paul III (Ibid., fol. 33r), bien qu’au dire du cérémoniaire Mucanzio, il aurait à une reprise au moins accordé une indulgence plénière. Ibid., Fondo Borghese I: 812, fol. 269r. Dans le diaire du même Mucanzio, nous constatons que Grégoire XIII octroyait, lui, une indulgence de quinze ans. Ibid., Fondo Borghese I: 800, fol. 287v et passim. Comme quoi sur ce point comme sur plusieurs autres les papes de l’époque ne se sentaient pas liés par les pratiques de leurs prédécesseurs 101 On trouve déjà chez Burckard de nombreuses indications à ce sujet. En 1500, il note que les cardinaux ont procédé « more solito » à la décoration de ces façades. Liber notarum, II, p. 232. De fait, cette décoration était assurée par leurs serviteurs. Ibid., p. 144. À partir du pontificat de Jules II, il semble que les garde-meubles (forrieri) du pape aient été associés à cette opération, peut-être même à titre de premiers responsables. Ibid., p. 454. On fait encore mention d’eux sous Clément VII. ASV Fondo Borghese I: 120, fol. 176v. Serait-ce que l’un et l’autre de ces papes craignaient que les cardinaux et leurs serviteurs ne fassent pas correctement les choses ou encore ne suffisent pas à la tâche? Mais, au temps de Paul III, on constate que la plus grande partie de la décoration continuait d’être la responsabilité des cardinaux, chacun se voyant assigner par les garde-meubles un secteur particulier à cet effet. Notons que lesdits garde-meubles fournissaient eux-mêmes de nombreux éléments (tapisseries, tapis, etc.) pouvant servir à cette décoration, éléments provenant du riche mobilier dont ils avaient la garde. Ibid., fol. 271v. 102 C’est à l’initiative du sacriste Gian Paolo de Sassis qu’en 1488 ces toiles furent pour la première fois utilisées. Burckard, Liber notarum cit., I, p. 236. Fort apprécié des « processionnants », pape y compris, cette initiative était là pour durer. Mucanzio, cérémoniaire de Grégoire XIII, prétendra plus tard –– à tort –– que cette initiative datait du pontificat de Paul IV (ASV, Borgh. I: 800, fol. 154v).
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raient la majeure partie du clergé de Rome, aussi bien régulier que séculier, un certain nombre de confréries, plusieurs autres titulaires d’offices rattachés à la cour sans compter les membres de la garde pontificale, les courriers, les massiers de même que les officiers du gouverneur de Rome chargés, eux, de l’encadrement et du bon ordre de la procession, pour un effectif total qui, bon an mal an, devait à l’époque avoisiner les 3000 personnes103. Et c’est enfin à eux que nous devons l’information selon laquelle les officiers de curie étaient tenus sous peine damende d’être présents, seule la maladie ou une absence motivée pouvant les en dispenser104. 103 Notre estimation est fondée sur le fait que tous les curialistes et la plupart des membres de la cour du pape étaient tenus d’être présents, ce qui devait faire au bas mot quelque 1 200 personnes au temps d’Alexandre VI et de Jules II, près de 2000 au temps de Léon X. À ce propos, voir notre chapitre IV, p. 187-188 et Figure I de même que J. Burckard, Liber notarum, II, p. 24-39, von Hofmann, Forschungen cit., II, p. 166-167, 175-176 et Partner, The Pope’s Men cit., p. 38-39. Mais à tous ces personnages, il faut ajouter, tout d’abord, les cardinaux –– entre une quinzaine et une vingtaine pour Alexandre VI et Jules II, entre vingtaine et une trentaine pour Léon X –– accompagnés, chacun, de quelques familiers, puis surtout les membres des clergés séculier et régulier, chanoines y compris –– probablement plus d’un millier à l’époque (E. Lee, Habitatores in Urbe, Rome 2006, CD-Rom: Indici, Churches / Chiese, Monasteries / Monasteri), sans compter les ambassadeurs en poste en Rome, des membres de l’aristocratie romaine, l’un ou l’autre « prince » de passage dans la ville, eux aussi accompagnés de membres de leurs « familles ». Grassi, pour sa part, fait état de la présence de confréries qui, précise-t-il, défilaient immédiatement après les chanoines. Cf. M. Dykmans, Paris de Grassi, dans Ephemerides Liturgicae, XCVI (1982), p. 451, Burckard ne faisant à aucun moment mention de cette présence, il semble bien que ce soit là une innovation datant du pontificat de Léon X. Il est d’ailleurs permis de croire que seules quelques confréries liées à la cour pontificale –– on pense ici à celle du Gonfalone –– ou encore au Borgo étaient autorisées à figurer dans la procession présidée par le pape. À noter toutefois qu’il n’est plus question de confréries dans les diaires des maîtres de cérémonie postérieurs à Grassi. Que ces confréries aient été ou non présentes, affirmer qu’environ 3 000 personnes figuraient bon an mal an dans la procession du Borgo au temps d’Alexandre VI, Jules II et Léon X ne paraît en rien excessif. Un bon indice en ce sens: lors de la procession de 1501, Alexandre VI qui se présenta à la porte du palais pour le départ de la procession dut renoncer à voir, comme il le souhaitait, d’un seul coup d’œil l’ensemble des « processionnants », le grand nombre de ceux-ci faisant qu’au moment où les derniers se mettaient en marche place Saint-Pierre, les premiers n’étaient déjà plus, depuis un bon moment, visibles. J. Burckard, Liber notarum cit., II, p. 286. Avec l’augmentation du nombre de curialistes et de membres des deux clergés au cours du XVIe siècle, ce n’est plus de 3000 « processionnants », mais sans doute 4 000 et peut-être même 5000 qu’il faudrait parler au temps des papes tridentins et post-tridentins. À la fin du XVIe siècle Rome aurait compté près de 2000 prêtres séculiers et quelque 2200 religieux. E. Sonnino, Le anime dei romani: fonti religiose e demografica storica, dans Roma, la città del papa, p. 349. Bien évidemment tous les religieux n’étaient pas prêtres et, d’autre part, les membres de l’un et l’autre clergé n’étaient pas, comme les curialistes, tous tenus d’être présents lors de la procession du Borgo, mais ne fût-ce que par esprit d’émulation, bon nombre d’entre eux devaient tenir à être là. Pour ce qui est des curialistes, si l’on tient compte du fait que près de 3700 offices étaient à leur disposition vers 1560-1570 (BAV, Vat. lat. 6528, fol. 262r-263r), on peut, se fondant sur le coefficient proposé par Peter Partner (The Pope’s Men, p. 39), estimer leur nombre à environ 1900. 104 Déjà au temps d’Innocent VIII, les officiers de curie recevaient à l’avance l’ordre d’être présents sous peine d’amende. En plus, leurs responsables étaient tenus de fournir une liste des absents, faute de quoi ils étaient passibles d’une amende de 50 ducats chacun. J. Burckard, Liber
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Autant d’éléments qui montrent une fois de plus l’importance que les papes de l’époque attachaient à la procession du Borgo qui leur permettait de célébrer à leur façon et en fonction d’objectifs qui leur étaient propres la Fête-Dieu. Si ceux de la seconde moitié du XVe et du premier quart du XVIe siècle maintiennent, conformément à leur inclination ou encore à l’esprit du temps, certains éléments « profanes » rappelant les triomphes à l’antique –– on pense ici à un Pie II, à un Alexandre VI105 –– , leurs successeurs, à partir du milieu du XVIe siècle surtout, chercheront au contraire à éliminer ces éléments « profanes » au profit d’une religiosité affichée et, dans toute la mesure du possible, « édifiante ». Non que ce type de religiosité ait été absent des processions présidées par les papes de la première moitié de ce même siècle. Un Jules II, pr respect pour le saint sacrement (« ob venerationem sacramenti »), décidera en 1512, malgré l’avis contraire de son cérémoniaire, Paride de’ Grassi, de participer à la procession coiffé du simple camauro, alors que le cérémonial prévoyait le port de la mitre106. Un Léon X ira encore plus loin, choisissant, pour les mêmes raisons, de défiler, du moins jusqu’en 1518, tête nue et, cela, en dépit des objections non seulement de ses maîtres de cérémonies, mais de bon nombre de ses carnotarum cit., I, p. 206-207. Alexandre VI réduira cette amende à 10 ducats. Quant à celle prévue pour chacun des officiers absents sans motif valable elle était de 5 ducats. Ibid., p. 427-428. Cette façon de faire se maintiendra durant tout le XVIe siècle. Il semble toutefois qu’au temps de Grégoire XIII on faisait en plus une vérification sur place des présents et des absents. En 1574, Mucanzio signale que cette vérification fut plus difficile que d’habitude en raison d’un nombre d’officiers beaucoup plus élevé que les années précédentes. ASV, Fondo Borghese I: 800, fol. 284v. 105 À Viterbe en 1462, Pie II, en bon humaniste qu’il était, avait fait disposer le long du parcours de la procession des tapisseries dont l’une représentait des hommes illustres de l’Antiquité. Certains cardinaux, pour leur part, avaient commandité à divers endroits le long de ce même parcours des tableaux vivants dont l’un mettant en scène des hommes sauvages combattant des lions et des ours. Pii II Commentarii cit., II, p. 499-504. Lors de la procession de 1502, Burckard note la présence pour le moins insolite d’un César Borgia entouré de ses familiers et d’un certain nombre de bouffons se donnant en spectacle au soin des tambours et, cela, à quelques pas du pape portant le saint sacrement. Cf. Liber notarum cit., II, p. 328. Ce mélange de sacré et de profane n’était sans doute pas à l’époque aussi choquant qu’il peut nous paraître aujourd’hui. En 1493, Alexandre VI, malgré le mauvais temps, décida de suivre le parcours habituel de la procession au lieu de la faire à l’intérieur de Saint-Pierre comme le lui avait suggéré ses cardinaux parce que, assure Burckard, les ambassadeurs d’obédience espagnols logés secrètement chez le cardinal S. Clément de même que sa maîtresse Giulia Farnèse et sa fille Lucrezia habitant le palais Sancta Maria in Porticu souhaitaient ardemment voir ladite procession. Ibid., I, p. 439-440. Faut-il mettre ce souhait au seul compte de la dévotion ou ne faudrait-il pas y voir aussi l’extraordinaire attrait que constituait cette même procession sans doute une des plus admirées et courues de Rome à l’époque? Et ne pourrait-on pas poser la même question à propos des foules qui chaque année étaient massées le long de son parcours? 106 ASV, Fondo Borghese I: 890, fol. 62v. Le camauro était un bonnet de couleur rouge réservé exclusivement au pape et qu’il portait en diverses occasions. D’origine monacale ou, peut-être même impériale, il avait été adopté par la papauté vers le IXe siècle. Cf. J. B. D’Onorio, Camauro, dans DHP, p. 1714.
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dinaux107. Il faut toutefois attendre le pontificat de Pie V pour voir la « dévotion », voire l’« émotion » devenir le trait dominant et, en quelque sorte, l’image de marque de la procession de la Fête-Dieu du Borgo. Ce « saint » pape –– il était déjà considéré tel de son vivant –– avait en effet choisi dès 1566 de porter le saint sacrement à pied, puis, à partir de 1568, tête nue, comme s’était risqué à le faire Léon X cinquante ans plus tôt, mais sans se voir, lui, reprocher l’une et l’autre de ces initiatives108. On n’était manifestement plus au temps de Paride de’ Grassi. Ajoutons que Pie V avait la larme facile, surtout en présence du saint sacrement, et que cela donnait au défilé que chaque année il présidait en présence de milliers de fidèles venus des quatre coins de la vile une couleur très particulière qui ne laissait personne indifférent109. Grégoire XIII reviendra à un style plus traditionnel et plus imposant, sedia gestatoria et mitre précieuse à l’appui, tout en s’efforçant par ailleurs de ne pas trahir le caractère « édifiant » que Pie V avait tenu à donner à la procession du Borgo110. Mais Clément VIII, émule de Pie V, n’hésitera pas à la fin du XVIe siècle à reprendre la formule de son vénéré « maître », larmes y comprises. Le cérémoniaire Paolo Mucanzio parle même de « manuterges » (manutergii) avec lesquels il fallait fréquemment lui essuyer le visage tant il pleurait tout au long du parcours de la procession111. On est loin des défilés de la Fête-Dieu de l’époque d’Alexandre VI. Un trait toutefois, déjà perceptible à cette même époque, se retrouve, mais en plus accentué, en plus appuyé même à la fin du XVIe siècle. Il s’agit de la place accordée à la messe célébrée, jusqu’au temps de Paul IV, après, par la suite, avant la processsion de la Fête-Dieu. Le Cérémonial de Patrizi prévoyait une messe solennelle à Saint-Pierre présidée par le pape lui-même. Or, nous l’avons vu, ce n’était à peu près jamais le cas, 107 ASV, Fondo Borghese I: 111, fol. 43r, 110r, 124v, 174r. En 1518, le pape se laissera persuader de ne plus défiler tête nue et de porter désormais la mitre, et une mitre « précieuse », en raison, lui avait-on expliqué, de la particulière solennité de la Fête-Dieu. Ibid., fol. 301v. Cet argument, le pape le connaissait déjà et le fait qu’il ait durant les premières années de son règne accordé à l’occasion de la Fête-Dieu une indulgence plénière montre bien qu’il y était sensible mais peut-être, de guerre lasse et sans doute à regret, avait-il fini par renoncer à ce que par dévotion et une dévotion qu’on peut estimer sincère, il croyait en l’occurrence beaucoup plus approprié. 108 Ibid., Fondo Borghese I: 755, fol. 83r, 128r, 170v, 235v-236v. En 1570, toutefois, le pape décide de porter le camauro, comme il l’avait fait en 1566 (Ibid., fol. 82v) à l’imitation d’un Jules II qui, lui, nous l’avons vu, disait le faire par respect pour le saint sacrement, mais peut-être aussi comme l’affirme Paride de’ Grassi, pour se protéger de l’air frais. Ibid., Fondo Borghese I: 111, fol. 49r. Le choix de Pie V obéissait-il aux mêmes mobiles? Possiblement. 109 Voir à ce sujet, Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 157. 110 À noter toutefois qu’en 1572, lors de sa première procession de la Fête-Dieu, peu après son couronnement, Grégoire XIII, par respect peut-être pour son prédécesseur Pie V, portera le saint-sacrement à pied, coiffé du simple camauro. ASV, Fondo Borghese I: 755, fol. 384v. Mais dès l’année suivante, il revient à la sedia gestatoria et à la mitre traditionnelle. Ibid., fol. 432rv. 111 Ibid., Fondo Borghese I: 764, fol. 204v-205v, 399r. Voir aussi BAV, Urb. lat. 1061, fol. 338r.
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un cardinal étant habituellement chargé de le faire à la place du pape, celui-ci n’étant d’ailleurs pas toujours présent et, lorsqu’il l’était, demandant assez souvent, comme le feront notamment un Alexandre VI et un Jules II, d’« expédier les choses » afin de pouvoir rentrer le plus tôt possible dans ses appartements112. Manifestement, les papes de la fin du XVe et du début du XVIe siècle accordaient beaucoup plus d’importance à la procession qu’à la messe de la Fête-Dieu. En choisissant dès le début de son règne de célébrer cette messe non plus après, mais avant ladite procession et surtout d’en faire une messe basse113, Paul IV démontrait, mais beaucoup plus clairement que ne l’avaient fait ses prédécesseurs, que tel était, lui aussi, son point de vue. Tous ses successeurs iront dans le même sens à l’exception d’un Pie IV qui jugera bon reprendre la formule de la messe solennelle114. Le plus radical de tous fut sans conteste Pie V qui, non seulement opta lui aussi pour une messe basse, mais choisit de célébrer celle-ci dans la chapelle Pauline, qui faisait à l’époque fonction de chapelle « secrète », entouré de quelques rares cardinaux et autres dignitaires et familiers115. Nul doute possible: la Fête-Dieu pour les papes du XVIe siècle 112 En effet, Alexandre VI et Jules II demanderont à plusieurs reprises à leurs cérémoniaires de faire en sorte que cette messe se termine le plus tôt possible. En 1500, elle ne dépassera pas une demi-heure. Il faut dire que ce jour-là Alexandre VI, comme il lui arrivait assez souvent, avait été victime de deux « syncopes », l’une, avant, l’autre, durant la messe. Burckard, Liber notarum cit., II, p. 234. 113 À noter toutefois que cette messe était célébrée à Saint-Pierre et que c’est le pape luimême qui la célébrait. À ce propos, voir le diaire de Massarelli dans Conc. Trid. II, Diar. 2, p. 274, 291, 311, 323. 114 Ibid., p. 346. 115 ASV, Fondo Borghese I: 744, fol. 81v, 128r, 170r, 236v-237r, 312v. Le pape célébrait lui-même la messe. Mais en 1571, ce sera le cardinal Chiesa qui le fera à sa place. Ibid., fol. 351v. Grégoire XIII maintiendra la pratique de la messe basse, mais célébrée cette fois non plus à la Pauline, mais à la Sixtine, sans doute pour accommoder un plus grand nombre de personnes. Ibid., fol. 384rv. En 1572, le pape présidera lui-même cette messe, mais à partir de 1573 ce sera habituellement un de ses cardinaux qui en sera chargé. Ibid., fol. 432r; Ibid., Fondo Borghese I: 800, fol. 151rv, 287r, 413v, 598v et passim. Cette même année, s’il faut en croire Francesco Mucanzio qui venait d’être nommé maître de cérémonies, le pape se serait laissé persuader d’opter pour une messe solennelle plutôt que pour une messe basse, messe qui sera d’ailleurs présidée par son homme de confiance, le cardinal de Côme. Option justifiée, selon Mucanzio, par le fait que les vêpres précédant la Fête-Dieu étaient célébrées solennellement. Ne fallait-il pas donner la même importance à la messe du lendemain? Ibid., fol. 151rv. Curieusement, le collègue de Mucanzio, Cornelio Firmano, affirme que ce fut une messe basse et non une messe solennelle qui fut célébrée cette année-là. Ibid., Fondo Borghese I: 755, fol. 432r. Or Firmano était bel et bien présent à cette messe, alors que Mucanzio, de son propre aveu, était à ce moment aux portes du palais apostolique, veillant aux ultimes préparatifs de la procession qui allait suivre. À première vue, on serait donc plutôt porté à croire Firmano, mais Mucanzio assure dans son diaire que c’est ce même Firmano qui lui a dit que la messe avait été célébrée solennellement. Ibid., Fondo Borghese I: 800, fol. 152r. Firmano qui avait servi sous Pie V et avait l’habitude de la messe basse aurait-il inscrit par distraction dans son diaire « messe basse » au lieu de « messe solennelle »? Peut-être.
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c’était d’abord et avant tout la procession solennelle qui, chaque jeudi suivant le dimanche de la Trinité, leur permettait d’aller, muni du saint sacrement, à la rencontre de leur peuple, un peuple qui, ils le savaient, viendrait en grand nombre rendre hommage et, pour certains, un hommage ému, au Christ et, par la même occasion, aux vicaires du Christ qu’ils étaient, le Christ, bien entendu, occupant la première place, comme certains maîtres de cérémonie ne manquaient d’ailleurs pas de temps à autre, de le leur rappeler116. Ainsi ne faut-il pas se surprendre que ces mêmes papes aient à ce point tenu à présider eux-mêmes cette procession et se soient ingéniés tout au long du XVIe siècle à lui donner un caractère répondant à l’attente de fidèles de plus en plus attirés par des manifestations ou des expériences religieuses du genre. Et, cela, d’autant plus qu’ils subissaient eux-mêmes à divers degrés cette même attraction. Gregory Martin (c. 1542-1582), prêtre anglais installé à Rome de 1576 à 1578, donc au temps de Grégoire XIII, nous a laissé une fort intéressante description de la procession du Borgo, Quoiqu’il en soit, que Grégoire XIII ait été d’accord pour donner plus de solennité à la messe de la Fête-Dieu n’a rien pour nous surprendre, car il était de l’école de Pie IV plutôt que de celle de Pie V. Le seul fait d’avoir déplacé cette messe qu’il célébrera d’ailleurs lui-même, du moins en 1572, de la chapelle Pauline à la chapelle Sixtine est déjà un bon indice en ce sens. Notons que s’inspirant de l’exemple de son maître Pie V, Clément VIII reviendra à la formule de la messe basse. Ibid., Fondo Borghese I: 764, fol. 203v, 398v. En 1597, il la célébrera même privément (« private ») très tôt le matin, Ibid., fol. 693v. 116 Au temps de Léon X, le maître de cérémonies, Grassi, appuyé en cela par de nombreux cardinaux, insistait pour que le pape porte la mitre « précieuse » durant la procession de la Fête-Dieu en raison du caractère solennel de l’occasion. ASV, Fondo Borghese I: 111, fol. 300v. Soixante ans plus tard, Mucanzio, cérémoniaire de Grégoire XIII, était plutôt de l’opinion, contre l’avis des cardinaux cette fois, que le pape aille tête nue comme le faisait Pie V avant lui, mais, contrairement à ce dernier, monté sur la sedia gestatoria, pour que le saint sacrement soit clairement vu et puisse donc faire l’objet de l’adoration de tous. Ibid., Fondo Borghese I: 800, fol. 153v. Le changement de perspective est on ne peut plus significatif. L’accent est désormais mis sur le saint sacrement plutôt que sur la personne du pape. Peutêtre faut-il rappeler ici qu’à l’époque le saint sacrement était porté dans une « monstrance » ayant la forme d’un reliquaire et donc ne ressemblant en rien au grand ostensoir souvent appelé « soleil » qui fera son apparition au XVIIIe siècle. À ce sujet, voir Liturgia. Encyclopédie populaire des connaissances liturgiques, éd. R. Aigrain et al., Paris 1930, p. 290-296. Pour que cette « monstrance » d’assez modeste dimension et surtout l’hostie qu’elle contenait soit visible de partout, il fallait donc que celui qui la portait, en l’occurrence le pape, le fasse de façon à assurer cette visibilité, ce qui supposait un certain « effacement » de sa part. Dans ses « suppléments et apostilles » au Cérémonial de Patrizi, Grassi exigeait qu’une tablette soit installée à l’avant de la sedia gestatoria, tablette devant servir d’appui à la « monstrance » –– il employait plutôt le terme « ciboire » (ciborium) –– portée par le pape. M. Dykmans, Paris de Grassi, dans Ephemerides Liturgicae, XCVI (1982), p. 450. Mais l’« effacement » demandé au pape par Mucanzio ne signifiait en rien un « abaissement » de sa personne, encore moins de son autorité ou de son prestige. Bien au contraire, dans le contexte d’une Rome de plus en plus gagnée à la « dévotion », cet « effacement » était de nature à rehausser cette autorité et ce pouvoir. L’exemple d’un Pie V suffirait, à lui seul, à le prouver. Et ne pourrait-on pas en dire autant de celui de son émule, Clément VIII?
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en tout cas, permettant de nous faire une assez juste idée de ce qu’était devenue dans le cadre d’une Rome de plus en plus gagnée par la dévotion la cérémonie en question117. On y retrouve beaucoup des éléments mentionnés jusqu’ici, mais repensés, recadrés en même temps qu’enrichis d’apports nouveaux reflétant une volonté manifeste de conférer à cette même cérémonie un caractère plus solennel et surtout plus « dévot ». Révélateur de ce point de vue le fait que certains des spectateurs présents lançaient manteaux et branches de palmier sur la chaussée au passage du saint sacrement118, initiative que Martin n’hésite pas à comparer à celle des foules accueillant Jésus la jour de son entrée « triomphale » à Jérusalem. Révélateur également le fait que tous les participants, clercs et laïcs, défilaient cierge à la main, à l’exception des principaux dignitaires qui, eux, étaient accompagnés, chacun, d’un serviteur le portant à leur place et qu’aussi bien les officiers de la cour que ceux de la curie, vêtus, chacun, du costume correspondant à leur état et à leur rang –– Martin se plaît d’ailleurs à en détailler les divers coloris –– s’avançaient en bel ordre, deux par deux, formant le gros du cortège papal. Révélateur surtout le fait –– toujours selon Gregory Martin –– que Grégoire XIII arborait tout au long du parcours un air grave et concentré119, ce qui ne pouvait qu’ajouter un caractère tout à la fois majestueux et « édifiant » à une cérémonie qui semblait enfin correspondre à ce que recherchaient de plus en plus les papes post-tridentins, le « sacré » y occupant désormais pratiquement toute la place. Autant d’éléments qui conféraient à la procession décrite par Gregory Martin un lustre inégalé, comparable sinon supérieur à celui de la procession du possesso. L’auteur d’ailleurs n’hésite pas à la qualifier de « triomphale » (triumphant), mais le mot n’a plus sous sa plume le sens qu’il avait au temps d’un Pie II, d’un Alexandre VI, d’un Jules II ou d’un Léon X. Le triomphe dont il parle est celui d’une papauté qui, grâce au concile de Martin, Roma Sancta cit., p. 86-88 Ibid., p. 87. 119 Ibid., p. 88. Martin prétend que le pape, richement vêtu, portait en outre une tiare ornée de pierres des plus rares, ce qui va à l’encontre de ce qu’affirment à ce sujet les maîtres de cérémonie de l’époque. Sans doute a-t-il confondu tiare et mitre précieuse. D’autres détails pourraient avoir été inventés par lui, vraisemblablement pour impressionner ses lecteurs, comme, par exemple, ces sonneries de trompettes et ces salves de canons accueillant le pape au sortir du palais au moment où il s’apprêtait à joindre la procession. Il n’existe aucune trace de telles sonneries ou canonnades dans les diaires des maîtres de cérémonie. Notons toutefois qu’un avviso du 20 juin 1579, donc au temps de Grégoire XIII, fait état de telles « allégresse » provenant du Château Saint-Ange et ajoute même qu’elles étaient « habituelles » (solite) le jour de la procession de la Fête-Dieu. BAV, Urb. lat. 1047, fol. 231v. Étant « habituelles », peut-être n’intéressaient-elles pas outre mesure des maîtres de cérémonie dont les soucis immédiats étaient d’un tout autre ordre. Il ne faudrait donc pas écarter trop facilement, sur ce point du moins, le témoignage de Martin. 117 118
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Trente et au mouvement de réforme catholique, avait retrouvé vigueur, élan et autorité et entendait de ce fait projeter une nouvelle image d’ellemême, celle, nous l’avons vu, qu’avait cherché avec plus ou moins de succès à promouvoir Paul III, et c’est cette image, devenue trente ans plus tard réalité, que Gregory Martin avait découverte avec ravissement à Rome, la procession de la Fête-Dieu en constituant, à ses yeux du moins, une des plus probantes illustrations, d’où la description admirative, enthousiaste même qu’il en fait dans sa « Rome sainte » (Roma Sancta) destinée –– il importe de le souligner –– à ses compatriotes anglais. Manifestement, la procession de la Fête-Dieu présidée par le pape le jeudi suivant la semaine de la Pentecôte était devenue à la fin du XVIe siècle un des grands moments de la vie religieuse, pour ne pas dire de la vie tout court à Rome. Mais peut-on encore parler à son sujet de représentation? En d’autres mots, cette cérémonie pouvait-elle, à l’égal des rites et rituels décrits plus haut, prétendre, elle aussi, être lieu d’affirmation, de légitimation, au besoin, de confirmation de l’autorité et du pouvoir dont se réclamaient les papes de l’époque? Sans doute n’avait-elle pas le caractère « politique » ou, du moins, explicitement « politique » de rites type entrées de ville, mais cela ne veut en rien dire qu’elle n’avait pas, elle aussi, sinon une visée, du moins une portée « politique ». À l’égal de la cérémonie du couronnement ou encore de la procession du possesso, bien que de façon beaucoup plus discrète. Discrétion qu’il ne faudrait toutefois pas confondre avec inefficacité, car en mettant l’accent sur le caractère « sacral » de leur autorité et de leur pouvoir, les papes de l’époque, surtout ceux de la deuxième moitié du XVIe siècle, savaient très bien que cela ne pouvait que servir leur cause face à des sujets et à des fidèles de plus en plus sensibles à ce genre d’argument. De ce point de vue, la procession de la Fête-Dieu avait sur celle du possesso l’immense avantage d’être célébrée chaque année alors que cette dernière ne l’était qu’au début de chaque pontificat, donc sporadiquement; l’avantage également de correspondre à un mouvement de dévotion populaire comptant de plus en plus d’adeptes à Rome, ce qui, du coup, lui conférait une puissance d’attraction et de « sensibilisation » » sans pareille. Un Grégoire XIII, mais, surtout, un Pie V, avant, et un Clément VIII, après lui, n’en avaient-ils pas, chacun à sa façon, fourni la preuve? Et quelle preuve. Cela dit, il ne faudrait toutefois pas oublier que, tout au long de l’année liturgique, les papes disposaient de nombreuses autres occasions, moins spectaculaires peut-être que la procession de la Fête-Dieu, mais néanmoins, elles aussi, efficaces, de faire montre de leur autorité et de leur pouvoir. À commencer par les quatre ou cinq fêtes: Noël, Pâques, éventuellement la Pentecôte, la Saints-Pierre-et-Paul et la Toussaint où il était prévu qu’ils président eux-mêmes la messe solennelle célébrée ces jours-là, solennité, bien entendu, à la mesure de l’importance de chacune
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de ces fêtes, mais également du rôle emblématique qu’ils étaient appelés à y jouer. À noter que, quelques siècles plut tôt, ils n’auraient pas hésité à en faire autant lors des nombreuses autres fêtes inscrites au calendrier liturgique existant à leur époque120. Sans doute, au fil des ans, avaient-ils fini par comprendre qu’une telle assiduité, outre le fait qu’elle pouvait à la longue s’avérer exténuante, compte tenu de l’âge et de l’état de santé de plusieurs d’entre eux, risquait avec le temps de « banaliser » leur rôle de « hiérarques » et, par le fait même, porter atteinte à l’aura dont, depuis le XIIIe siècle surtout, ils tenaient à s’entourer chaque fois qu’ils paraissaient en public. Aussi n’est-on pas surpris de constater que des 35 « chapelles papales » existant au début du XVIe siècle, ils aient décidé de ne s’en réserver au maximum que cinq, celles de fait qui se prêtaient le mieux à un grand déploiement cérémonial121. Précisons qu’à la fin de ce même siècle, le nombre de ces fêtes ne sera plus que de trois, soit Noël, Pâques et la Saints-Pierre-et-Paul122. Les rites observés lors des messes qu’ils célébraient en ces occasions étaient particulièrement étudiés, rappelant par certains côtés ceux entourant leur accession au pouvoir, notamment ceux du jour de leur couronnement. Même impressionnantes processions d’entrée, eux-mêmes y figurant, tiare en tête, habituellement montés sur la sedia gestatoria portée par leurs cubiculaires, éventuellement leurs palefreniers, avec à leurs côtés les principaux ambassadeurs en poste à Rome, portant, eux, le baldaquin sous lequel ils s’avançaient majestueusement vers le lieu de la célébration; mêmes rites élaborés d’« obédience » de la part des cardinaux, autres prélats et, s’ils s’en trouvaient, « princes » ou « barons » présents; même « hiératisme » de la gestuelle liturgique pensée surtout en fonction de leurs personnes et, cela, tout au long d’une cérémonie regroupant beaucoup de monde et s’étendant parfois sur plusieurs heures; puis, à la fin, nouvelle procession, mais, cette fois, du moins à Pâques, en direction de la loggia de Saint-Pierre où, de nouveau, coiffés de la tiare, ils donnaient aux milliers de fidèles présents la bénédiction urbi et orbi assortie d’une indulgence plénière, le tout ponctué par les vivats de la foule et le son des cloches de Saint-Pierre rivalisant avec celui des trompettes et des canons du Château Saint-Ange123. La plus importante de ces célébrations et, de loin, la plus courue était –– faut-il s’en surprendre? –– celle de Pâques. En 1512, le cérémoniaire Pa Paravicini Bagliani, La cour cit., p. 236-238. M. Dykmans, Chapelles papales dans DHP, p. 344. id., L’œuvre de Patrizi Piccolomini II, p. 176*, 528. 122 D’après un tableau publié à Rome en 1583. BAV, Stampati Barberini: U. IV. 29, n° 5. On y trouve la liste des 39 messes solennelles célébrées dans le cadre des chapelles papales, dont trois présidées par le pape lui-même (Noël, Pâques, la Saints-Pierre-et-Paul), 29 par l’un ou l’autre cardinal et sept par des évêques assistant au trône pontifical. 123 Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 176*-184*, 204*-208*, 294-316, 411-416. 120 121
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ride de’ Grassi évaluera à 50.000 le nombre de personnes réunies ce jour-là place Saint-Pierre pour recevoir la bénédiction de Jules II124. Cinq ans plus tard, le même Grassi assure qu’elles étaient au moins deux fois ce nombre pour recevoir celle de son successeur, Léon X. On se serait cru, dit-il, en pleine année de Jubilé125. Ces chiffres, à première vue, étonnent, compte tenu du fait qu’à ce moment la population de la ville se situait probablement quelque part entre 50 et 60.000 habitants126. Il ne faut toutefois pas oublier qu’à l’époque Rome attirait beaucoup de pèlerins et de visiteurs, notamment au temps de Pâques, et que la perspective d’y voir le pape et de recevoir de lui bénédiction et indulgence plénière était de nature à attirer un plus grand nombre d’habitants des environs de Rome. Pie II, nous l’avons vu plus haut, n’en avait-il pas fait l’expérience à Viterbe en 1462? Il arrivait que des circonstances particulières ajoutent à l’éclat de cette fête et, par la même occasion, à sa puissance d’attraction et de « sensibilisation ». Ce sera le cas notamment en 1536 lorsque Charles Quint, en visite officielle à Rome, se joindra aux fidèles venus assister à la messe paschale célébrée par Paul III, figurera même, entouré d’une suite imposante, dans la procession d’entrée précédant la messe –– procession qui aura d’ailleurs beaucoup de difficulté à se frayer un passage dans Saint-Pierre en raison de l’exceptionnelle densité de la foule présente ––, assistera ensuite à la messe, flanqué des cardinaux Trivulzio et Salviati et, à la demande du pape, du cérémoniaire Baroni, dans ce dernier cas en vue d’assurer qu’il accomplisse correctement les parties du rituel le concernant, en particulier, lorsqu’il était prévu qu’il s’approche ou soit à proximité du pape. Sans doute ce dernier aura-t-il pour lui tous les égards possibles, le faisant à l’offertoire encenser immédiatement après lui-même, l’honorant à la fin de la messe d’une bénédiction particulière, se faisant même ensuite accompagner par lui pour la traditionnelle vénération des reliques de la Sainte Lance et du Saint-Suaire, mais il n’en veillera pas moins à ce que son hôte lui rende en retour tous les égards qui lui étaient dus en tant que successeur de Pierre et vicaire du Christ. Significatif, de ce point de vue, le fait que l’empereur, comme nul doute il en avait été convenu d’avance avec lui, se retire avec les siens avant la procession de sortie en direction de la loggia de Saint-Pierre, laissant le pape se présenter seul à l’extérieur de la basilique, face aux milliers de fidèles qui l’y attendaient, anxieux de recevoir de lui la bénédiction solennelle et l’indulgence plénière que, seul, il était habilité à leur octroyer127. ASV, Fondo Borghese I: 890, fol. 19r. Ibid., Fondo Borghese I: 111, fol. 211r. 126 À ce sujet, voir Partner, Renaissance cit., p. 82-85 de même que Lee, Habitatores cit., p. 135-140. 127 Sur cette célébration haute en couleur, voir ASV, Fondo Borghese I: 120, fol. 302v-303v. Baroni qui nous en fournit la description consacre beaucoup d’espace au rôle 124 125
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On aura remarqué l’immense attrait que représentait, à elle seule, la bénédiction solennelle –– surtout si elle était accompagnée d’une indulgence plénière –– que les papes offraient aux fidèles présents lors des grandes célébrations dont ils s’étaient réservé la présidence. Un bon indice de l’importance qu’ils attachaient eux-mêmes à ce rite: leur arrivait-il, pour une raison quelconque, de ne pouvoir célébrer l’une des messes en question, voire y assister, ils faisaient en général tout leur possible pour venir au moins à la toute fin bénir la foule présente. C’est ce que fera Jules II les dimanches de Pâques 1509 et 1512, peut-être pour s’épargner comme il en avait l’habitude les fatigues d’une cérémonie jugée par lui trop longue128. C’est ce que fera, à son tour, Pie V le jour de Pâques 1572, mais cette fois pour des raisons de santé –– il allait de fait mourir quelque trois semaines plus tard ––, circonstance qui n’avait pas peu contribué à conférer à sa bénédiction urbi et orbi –– sa dernière, de fait –– un caractère dramatique qui, on le comprendrait à moins, n’avait laissé place Saint-Pierre quasi personne indifférent129. Pour compléter ce tableau, il faudrait ajouter les bnédictions solennelles accompagnées elles aussi de l’indulgence plénière que le pape octroyait lors d’autres célébrations, celle du Jeudi Saint, par exemple, ou encore celle de l’Ascension où il ne jouait pas et d’ailleurs il n’était pas prévu qu’il joue le rôle de célébrant principal. Le Jeudi Saint mérite une mention toute spéciale, car c’est ce jour-là que d’une loggia du palais apostolique le pape posait un des gestes les plus emblématiques de l’autorité dont il se réclamait, y faisant lire en latin et en italien la célèbre bulle In Coena Domini menaçant d’excommunication et de censures de toutes sortes les ennemis de l’Église et de la papauté avant de bénir solennellement, indulgence plénière à l’appui, la foule réunie pour l’occasion130, donnant ainsi à voir, d’un seul coup, toute l’étendue du pouvoir qu’il avait, en tant que pape, de lier et de délier les consciences. Combinaison à première vue surprenante, mais qui, justement, visait peut-être à légitimer, dans le cadre d’une cérémonie liturgique à haute teneur « sacrale »131, un pouvoir de censure qui allait joué et à la place occupée par l’empereur, mais rôle et place pensés surtout en fonction des égards particuliers dus au pape. 128 Ibid., Fondo Borghese I: 563, fol. 195rv; Fondo Borghese I: 890, fol. 18v-19r. 129 Ibid., Fondo Borghese I: 755, fol. 356r. Cette bénédiction aura lieu le 6 avril. Pie V mourra le 1er mai suivant. 130 Pour une description complète du rituel de la cérémonie du Jeudi Saint, voir Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 192*-195*, 368-376. 131 En effet, la messe du Jeudi Saint, moment fort de la Semaine Sainte, servait à commémorer l’institution de l’Eucharistie, sacrement qui, on le sait, occupait une place éminente dans la vie liturgique, sinon la vie tout court de l’Église. Elle était d’ailleurs suivie d’une procession solennelle vers le lieu devant servir de reposoir –– la chapelle Saint-Nicolas jusqu’au milieu du XVIe siècle, la chapelle Pauline par la suite –– où le saint sacrement porté par le pape était déposé en vue de la liturgie du Vendredi Saint.
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bien au-delà des limites du seul domaine « spirituel ». Montaigne, témoin en 1580 de la lecture place Saint-Pierre de la bulle In Coena Domini, note, non sans une certaine ironie, le fait qu’elle excommuniait « une infinie sorte de gens, entre autres les huguenots, sous ce propre mot, et tous les princes qui (détenaient) quelque chose des terres de l’Église ». Comme le souligne avec justesse Paolo Prodi qui cite ce texte, il était difficile, même à l’époque, de ne pas voir dans la promulgation en question une intrusion dans le domaine politique, même si c’était au nom des intérêts supérieurs du « spirituel »132. Ne pourrait-on pas en dire autant de la cérémonie dite de la « chinée » (chinea) qui avait lieu, chaque année, le 29 juin, fête de la Saints-Pierre-etPaul et qui consistait en la remise au pape d’un cheval blanc et d’une importante somme d’argent représentant le tribut que le royaume de Naples était tenu de lui verser en tant que vassal du Saint-Siège133? Sans doute ne s’agissait-il pas comme dans le cas de la promulgation de la bulle In Coena Domini d’un rite faisant corps avec la messe célébrée ce jour-là, mais il serait faux d’en conclure qu’il n’avait rien à voir avec cette messe qui, ne l’oublions pas, servait à honorer la mémoire des apôtres Pierre et Paul, de Pierre surtout, et, par le fait même, à mettre en évidence l’éminente dignité du pape, successeur de Pierre. C’est d’ailleurs ce dernier qui normalement, du moins au XVIe siècle, célébrait cette messe et c’est encore lui qui, à l’issue de ladite célébration, recevait, parfois à la salle royale (Sala regia), par132 Il Sovrano Pontifice cit., p. 243-244 et note 69. Dès le XIIIe siècle, on trouve trace d’excommunications solennelles promulguées, notamment le Jeudi Saint, contre des hérétiques, mais également des ennemis des libertés de l’Église. Ce n’est toutefois qu’au XVIe siècle que le pape se réservera ce type de censure. On en trouve un premier modèle dans la Constitution Consueverunt de Jules II publiée en 1511. Devant l’opposition de certains États, Clément XIV renoncera au XVIIIe siècle à la promulgation solennelle de ladite bulle. À noter que cette dernière comprenait douze délits au temps de Jules II, six au temps de Paul III, mais vingt-et-un au temps de Grégoire XIII dont plusieurs de nature « politique ». Cf. F. Claeys Bouvaert, Bulle in Coena Domini, dans DDC, II, col. 132-136. 133 C’est Charles d’Anjou qui venait de recevoir du pape Clément IV l’investiture du royaume de Naples qui, en 1265, sur ordre du pape, versa en tant que vassal, un premier tribut au Saint-Siège. Mais il faut attendre 1456 pour qu’un roi de Naples, en l’occurrence Alphonse V d’Aragon, accepte de le faire au cours d’une imposante cérémonie. Ferdinand le Catholique qui, au début du XVIe siècle, rattachera le royaume de Naples à la couronne d’Espagne se pliera à cette tradition. O. Michel, Chinea, dans DHP, p. 355. Le montant du tribut payé variera d’une époque et d’un pontificat à l’autre. G. Moroni, Chinea o Ghinea, dans Dizionario di erudizione, XIII, p. 89-90. Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, il était de 7000 écus or. Conc. Trid. II, Diar. 2, p. 276, 323, 346; BAV, Urb. lat. 1047, fol. 252v. En reconnaissance de services rendus à l’Église et à eux-mêmes certains papes exempteront à l’occasion le royaume de Naples du tribut en question –– ainsi Sixte IV en 1472 et Jules II en 1510 (Moroni, Chinea cit.) ––, mais il ne sera jamais question de renoncer à la présentation solennelle de la « chinée » qui se faisait au départ tous les trois ans, mais à partir de 1510, tous les ans. Ibid., p. 90. Les papes tenaient visiblement à ce que soit ainsi reconnue publiquement leur juridiction sur le royaume de Naples.
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fois à l’entrée de Saint-Pierre, le tribut offert par le royaume de Naples134. Il ne fait pas de doute qu’aux yeux des papes de l’époque une telle cérémonie ayant lieu à cette date précise et dans le contexte que nous venons de décrire était une occasion de plus, et une occasion à ne pas manquer, de faire montre de l’autorité et du pouvoir tout à la fois spirituels et temporels dont ils étaient investis. Leur point de vue n’était pas nécessairement partagé, et le sera d’ailleurs de moins à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, par les rois d’Espagne qui, depuis 1503, présidaient aux destinées de l’ancien royaume angevin135. Au point où ces derniers chercheront de plus en plus à donner à la cérémonie de la « chinée » une toute autre allure, l’entourant d’un faste et d’un éclat sans pareil visant, d’une part, à impressionner les Romains, de l’autre, à faire oublier le caractère « féodal » et donc, pour eux, quelque peu humiliant de la cérémonie en question136. Les papes, comme on pouvait s’y attendre, réagiront plutôt mal à cette trop évidente tentative de « récupération ». Dès 1536, constatant que le brillant cortège qui servait à conduire la « chinée » destinée au pape du centre de Rome à la basilique Saint-Pierre était en train de devenir l’occasion d’une démonstration de puissance de la part des sujets du roi d’Espagne, Paul III publia une nouvelle ordonnance limitant considérablement la présence de ces derniers, mieux, leur imposant celle de ses propres sujets: cardinaux, « barons », officiers, familiers auxquels il prit soin de joindre les soldats de sa garde137. Un Paul IV, un Pie V, un Sixte V ne se priveront pas, pour leur part, de manifester à leur tour, par la parole et par le geste, à quel point leur déplaisait l’« orgueil », voire l’irrespect affiché par certains envoyés du roi d’Espagne à l’occasion de la présentation de la « chinée »138. Comme Paul III, mais visiblement plus que lui, ils ne pouvaient tolérer que cette cérémonie soit détournée de sa fin première qui était de rappeler symboliquement à quelle hauteur se situait le rôle qu’ils étaient appelés à jouer Michel, Chinea cit., p. 356. En 1503 le roi d’Espagne, Ferdinand le Catholique, s’était attribué le titre de roi de Naples et de Sicile sans égard aux prétentions du roi de France sur ce même territoire en tant qu’héritier de la famille d’Anjou. Cela donnera lieu à partir de 1504 à l’étrange spectacle de la présentation de deux « chinées », l’une offerte par le roi de France, l’autre par le roi d’Espagne. G. Moroni, Chinea cit., p. 89. Ce qui obligera pendant quelques années Jules II à jouer un prétendant contre l’autre à l’aide de la formule suivante que lui avaient sans doute fournie ses conseillers juridiques: Nous acceptons (ce tribut) sans préjudice de nos droits et de ceux des autres (« Acceptamus ne preiudicio nostri et alieni iuris »). J. Burckard, Liber notarum, II, p. 456, 487. Et, cela, jusqu’à ce que, en 1510, Jules II accorde enfin l’investiture du royaume de Naples à Ferdinand le Catholique. Moroni, Chinea cit., p. 90. À noter toutefois que certains successeurs de Jules II, par précaution peut-être, continueront à utiliser cette même formule. Ce sera le cas notamment de Jules III. Conc. Trid. II. Diar. 2, p. 180. 136 Michel, Chinea cit., p. 356. 137 Visceglia, La città cit., p. 213. 138 Ibid., p. 213-214. 134 135
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et donc à quel respect ils étaient en droit de s’attendre surtout de la part d’un monarque catholique, fût-il le plus puissant de l’heure. Il n’était donc pas et ne pouvait être question pour eux de laisser dénaturer un rite qui, à première vue, pouvait paraître mineur, voire quelque peu folklorique, mais qui, symboliquement parlant, comme le souligne avec justesse Maria Antonietta Visceglia, pouvait encore à l’époque être avantageusement exploité139. C’est ce que feront Alexandre VI et ses successeurs tout au long du XVIe siècle, convaincus qu’il en allait de leur autorité et du prestige de la fonction qu’ils avaient l’heur d’exercer. Cela dit, la cérémonie de la « chinée », même si elle était associée de près, et pour cause, à la Saints-Pierre-et-Paul, faisait en réalité beaucoup plus rite « protocolaire », c’est-à-dire intéressant le pape en tant que « souverain » ou chef d’État que rite liturgique visant, lui, plutôt à mettre en relief son rôle de « pontife » ou de chef d’Église. Nous avons jusqu’ici peu parlé de cet autre versant, beaucoup plus politique, de la fonction de représentation. Or, compte tenu du fait que le pouvoir temporel du pape ou, mieux, l’exercice de ce pouvoir gardait à l’époque toute son importance et que, par ailleurs, des rituels élaborés existaient répondant aux exigences propres à cet autre type de représentation, nous ne pouvons nous permettre d’ignorer ce dernier tant il a, lui aussi, beaucoup à nous apprendre sur la vie de la cour pontificale au XVIe siècle dans ce qu’elle avait de plus « hiératique » et de plus minutieusement réglé. Le moment est venu de lui accorder tout l’espace qu’il mérite. 3. Honorer et être honoré Commençons par souligner le fait que nombreuses et variées étaient les occasions que cet autre type de représentation fournissait aux papes de l’époque de faire montre d’une autre dimension, à leurs yeux, tout aussi légitime, pour ne pas dire indispensable de l’autorité et des pouvoirs dont ils se réclamaient, occasions liées, les unes, à des moments rituels obligés et donc prévisibles, les autres, à des circonstances beaucoup plus aléatoires où l’expérience et le savoir-faire des maîtres de cérémonie risquaient d’être et seront de fait parfois mis à rude épreuve. Nous en fournirons plus loin un certain nombre d’exemples. Le Cérémonial de Patrizi auquel nous avons eu jusqu’ici plus d’une fois recours consacre plusieurs pages à décrire, parfois jusque dans les moindres détails, les rituels prévus dans le cas de visites officielles de grands personnages, de chefs d’État surtout, ou encore de leurs représentants accrédités, les protocoles alors observés variant d’un personnage ou 139
Ibid., p. 218.
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d’un groupe de personnages à l’autre en fonction, comme il se devait, du rang occupé ou du type de mission remplie par chacun d’entre eux. En tête de liste figure bien évidemment l’empereur, objet d’une sollicitude et d’un respect sans égal. Ce que nous avons dit plus haut de la participation de Charles Quint à la solennelle liturgie du matin de Pâques lors de sa visite à Rome en avril 1536 permet déjà de nous en faire une assez bonne idée. Pour être bien complet, il faudrait toutefois inclure ici l’extraordinaire accueil dont il fit l’objet lors de son entrée de ville onze jours plus tôt, soit le 5 avril, entrée de ville qui prit, comme l’avait souhaité le pape, l’allure d’un triomphe à l’antique avec cette particularité d’ailleurs, elle aussi imaginée par le pape et ses habiles scénographes, que la première partie du parcours emprunté par le cotège impérial se ferait au cœur de l’ancienne Rome, permettant ainsi à Charles Quint, nouveau Constantin, d’admirer les nombreux monuments d’époque qu’il voyait d’ailleurs pour la première fois, monuments récemment débarrassés d’accrétions de toutes sortes datant, pour certaines, de plusieurs siècles140. Cette particularité mise à part et quelques autres dont il sera question plus loin, tout donne à penser que le protocole observé en cette occasion et lors des apparitions publiques qui suivront au cours des quelque deux semaines que l’empereur passera à Rome reprit pour l’essentiel ce qu’avait prescrit Patrizi à ce sujet dans son Cérémonial. Accueil de l’empereur à deux jours de la ville par deux cardinaux-légats chargés de l’accompagner jusqu’à sa rencontre avec le pape à Saint-Pierre; mobilisation des officiers de la ville, de ceux de la curie, d’un certain nombre de membres de la cour pontificale, des chefs des grandes familles romaines, des ambassadeurs en poste à Rome, du clergé de Saint-Pierre, puis surtout du collège des cardinaux à qui il était demandé d’accueillir le distingué visiteur de part et d’autre de la porte où il était prévu qu’il fasse son entrée pour ensuite se joindre à lui et à son imposante suite afin d’assurer que sa traversée de la ville se fasse dans le meilleur ordre et avec le plus de décorum possible; enfin, au terme de cet impressionnant parcours, rencontre du pape et de son hôte à Saint-Pierre dans le cadre d’un cérémonial mi-liturgique mi-protocolaire aux règles très précises, pointilleuses même, reflétant de toute évidence –– nous y reviendrons plus loin –– l’image que la papauté entendait projeter d’elle-même et de l’autorité sans appel qu’elle estimait être historiquement et théologiquement la sienne141. Mais cette partie du Cérémonial de Patrizi, comme il nous en informe lui-même, était inspirée du rituel dont il avait été témoin lors de la visite B. Podestà, Carlo V a Roma nell’anno 1536, dans ASRSP, I (1878), p. 303-344; CancelStoria cit., p. 93-104; von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 159-168; Visceglia, La città cit., p. 191-201. 141 Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 190-194. 140
lieri,
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de l’empereur Frédéric III à Rome en 1468. Ce détail n’échappa sans doute pas à l’attention de Paul III et de ses maîtres de cérémonie qui ne se firent pas scrupule d’adapter le cérémonial en question aux circonstances nouvelles devant lesquelles ils se trouvaient, compte tenu surtout du prestige et du poids politique de Charles Quint, l’un et l’autre de loin supérieurs à ceux de son bisaïeul Frédéric III142. D’où le soin mis à recevoir avec des égards sans pareils le nouvel empereur alors au faîte de sa gloire et qui rentrait d’ailleurs d’une grande victoire remportée sur les Ottomans à Tunis. L’accueil triomphal dont il fit l’objet et les argents dépensés à cette occasion –– quelque 50.000 ducats à ce qu’il semble143 –– le montre assez. Mais cela n’empêchera pas le pape Farnèse de soumettre son hôte –– et, cela, dès son arrivée place Saint-Pierre –– au rite traditionnel de l’« obédience ». En 1468, Paul II avait choisi un lieu plus discret pour ce faire, soit une des chapelles de l’ancienne basilique constantinienne. En rendant beaucoup plus manifeste et beaucoup plus solennel le rite en question, Paul III entendait-il rappeler à l’empereur l’humiliation dont avait fait l’objet son prédécesseur Clément VII lors du sac de Rome neuf ans plus tôt et, par la même occasion, l’absoudre en quelque sorte de ce geste quasi « sacrilège » et de tout ce que sa soldatesque avait par ailleurs fait subir aux Romains? La question mérite d’être posée. Chose certaine, on ne peut qu’être frappé par la mise en scène à laquelle va donner lieu l’arrivée de l’empereur place Saint-Pierre, arrivée dont le maître de cérémonies Baroni nous fournit une très minutieuse description144. Débouchant sur ladite place au son des trompettes et des canons du Château Saint-Ange, Charles Quint aperçut aussitôt, à quelque distance, une estrade placée à l’entrée de la basilique sur laquelle, entouré d’un certain nombre de cardinaux, le pape, mitre en tête, l’attendait, assis sur son trône. L’empereur descendit alors de cheval et, laissant derrière lui l’imposante suite qui l’avait accompagné jusque-là, s’avança à pied, précédé du maître de cérémonies, en direction de l’estrade où avait pris place le souverain pontife. Et, là, il fit, l’un après l’autre, les trois agenouillements prescrits, le dernier sur la plus haute marche de l’estrade en question, après quoi il baisa, tel que prévu, tout d’abord le pied, puis la main du pape avant d’être invité par ce dernier à se lever en même temps que lui pour le baiser ou l’accolade finale. Ils échangèrent alors tous 142 Le maître de cérémonie, Baroni, nous apprend que le 26 mars, après le repas du midi, l’archevêque de Manfredonia, Giovan Maria del Monte –– le futur Jules III ––, le sacriste et luimême furent convoqués chez le pape qui voulait discuter avec eux du protocole à suivre lors des divers événements publics devant marquer la visite de l’empereur et que, pour ce faire, il entendait s’inspirer des lettres qu’il avait sous les yeux du cardinal Jacopo Ammanati décrivant la visite de l’empereur Frédéric III à Rome en 1468. ASV, Fondo Borghese I: 120, fol. 296rv. On n’entendait donc pas simplement reproduire ce qui se trouvait dans le Cérémonial de Patrizi. 143 Podestà, Carlo V a Roma cit., p. 316. 144 ASV, Fondo Borghese I: 120, fol. 299rv.
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deux quelques bonnes paroles et, au signal donné par le cérémoniaire, entrèrent côte à côte dans la basilique, précédés par la croix et les cardinaux présents. Ils y furent reçus par le cardinal archiprêtre de Saint-Pierre qui, en signe d’accueil et de respect, les aspergea l’un et l’autre. Tout le reste de la cérémonie, de caractère cette fois beaucoup plus liturgique, se déroula conformément à ce qu’avait prescrit Patrizi dans son Cérémonial, avec cette particularité toutefois qu’à la demande de l’empereur, le pape permit qu’avant que ne débutent les chants et les prières en l’honneur de son hôte les membres de la suite de ce dernier puissent venir à tour de rôle baiser la mule du pape, ce que ne prévoyait pas le cérémonial en question145. Manifestement, une fois obtenue l’« obédience » de Charles Quint et s’être assuré que les exigences du rite en question avaient été observées ad unguem, le pape était prêt à traiter son hôte avec tous les égards possibles. La concession qu’il venait de lui faire était dans la logique de la cérémonie en cours qui, par contraste avec le rite de l’« obédience », visait d’abord et avant tout à honorer l’empereur et à appeler sur lui les faveurs et la protection de Dieu, logique qui –– est-il besoin de le souligner –– était aussi celle des marques de respect et de considération dont Charles Quint allait faire l’objet au cours des diverses liturgies de la Semaine Sainte auxquelles il participera, en particulier celle solennelle entre toutes du dimanche de Pâques dont il a été fait état plus haut146. Honoré comme il se devait et comme il s’y attendait, le pape était on ne peut plus disposé à en faire autant pour l’empereur, pourvu, bien entendu, que soit respectée et bien marquée liturgiquement et protocolairement la « distance » existant entre eux et les pouvoirs que, l’un et l’autre, ils représentaient. Cette démonstration faite –– démonstration nécessairement « publique » –– rien n’interdisait d’adopter en privé, fût-ce avec l’empereur, un style beaucoup plus simple, voire familier. Paul II et Paul III, à quelque soixante-dix ans de distance, nous en fournissent chacun la preuve, ayant l’un et l’autre choisi, une fois sortis du cadre cérémoniel, de traiter leurs hôtes respectifs comme des « proches« », tout d’abord en les logeant tous deux au Vatican –– Charles Quint aura droit aux anciens appartements d’Innocent VIII et à une partie de ceux d’Alexandre VI147 ––, puis en passant de longs moments avec eux à deviser familièrement –– Paul II poussera la délicatesse jusqu’à se rendre lui-même, et à plusieurs reprises, pour ce faire chez son hôte Frédéric III148 –– ou encore à discuter avec eux de problèmes d’intérêt commun –– Charles Quint et Paul III consacreront de longues heures à parler, seul à seul, de politique, de réforme et de paix149 ––, le tout en singulier Ibid., fol. 299v. Voir p. 25. 147 Cf. Dorez, La cour cit., I, p. 259 et n. 1. 148 Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 194. 149 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 162-163. 145 146
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contraste avec le style quelque peu « empesé » auquel ils devaient l’un et l’autre s’astreindre à chacune de leurs apparitions publiques. C’est comme pèlerin que Frédéric III était venu à Rome en 1468150: c’est, au contraire, comme héros que son arrière-petit-fils Charles Quint le fit en 1536, d’où sans doute l’accueil beaucoup plus élaboré auquel il eut droit, mais de nombreux indices permettent de croire que ce n’était pas là sa seule motivation, qu’il entendait, lui aussi, vivre l’expérience du pèlerin, comme le montre l’assiduité avec laquelle il suivit les offices de la Semaine Sainte et le temps qu’il consacra à des dévotions de toute sortes telle, entre autres, la visite des sept églises le Vendredi Saint151. D’ailleurs aussi bien lors de son entrée triomphale à Rome que lors de ses diverses pérégrinations dans la ville les jours suivants, on le vit toujours sobrement vêtu152 comme pour signifier qu’au-delà de l’empereur il y avait le simple fidèle et que c’était aussi à ce titre qu’il faisait halte à Rome, surtout s’y trouvant au moment du Triduum pascal. Mais, cela dit, il restait empereur et il se devait de montrer qu’il l’était, en particulier chaque fois qu’il lui fallait paraître à titre officiel dans une cérémonie quelconque, liturgique ou autre, ou encore chaque fois que ses intérêts politiques ou dynastiques étaient en jeu. Frédéric III, en 1468, n’avait pas hésité à demander, à exiger même, notons-le avec succès, certaines modifications au rituel prévu lors de la messe de Noël à laquelle il avait participé, l’une ou l’autre rubrique le concernant ne lui plaisant pas comme, par exemple, de devoir porter une étole de diacre alors qu’il s’attendait plutôt à en porter une de prêtre, ou encore de devoir s’agenouiller devant le pape pour recevoir sa bénédiction avant la lecture de l’Évangile qu’il s’apprêtait à faire, alors qu’il entendait s’en tenir à une simple inclinaison153. Charles Quint ne s’aventurera point sur ce terrain en 1536. Peut-être était-il moins enclin que son aïeul à se préoccuper de « détails » du genre, même si ceux-ci trouvaient encore preneurs au XVIe siècle. Ses intérêts et ses préoccupations étaient à l’époque plutôt d’ordre politique et dynastique comme l’étaient ceux de son vis-à-vis, Paul III, d’ailleurs. Aussi, cérémoniellement parlant, était-il prêt à rendre au pape tous les honneurs et tout le respect que ce dernier considérait lui être dus et, cela, d’autant plus qu’il avait été lui-même magnifiquement et révéremment traité. Tout cela relevait de l’ordre du protocole et donc de la symbolique propre au rang que le pape et lui-même occupaient et à l’univers dans lequel ils se mouvaient l’un et l’autre. Pourquoi aurait-il cherché à remettre cet ordre en cause? Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 190. Visceglia, La città cit., p. 197-198. 152 von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 161. 153 Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 147*-148*. 150 151
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Mais Charles Quint n’était pas venu à Rome que pour se faire honorer et festoyer. Au-delà du héros, il y avait l’homme politique et, à ce niveau, protocole et symbolique n’entraient qu’accessoirement en ligne de compte. On le vit bien lorsque le 17 avril, veille de son départ, il se présenta à l’improviste à la Sala de’ Paramenti où cardinaux et autres dignitaires s’apprêtaient à gagner avec le pape la chapelle Sixtine pour la messe du lundi de Pâques et que, contre toute règle protocolaire ou liturgique et à la totale surprise de la plupart des personnes présentes, il se lança dans un violent réquisitoire de plus d’une heure dirigé principalement contre le roi de France qu’il accusait d’être de mèche avec ses plus grands ennemis, Turcs, d’une part, Luthériens, de l’autre et donc de mettre en péril la chrétienté, une chrétienté dont il s’était fait, lui, le plus ardent défenseur souvent à ses risques et périls. Et il demandait au pape de condamner François Ier et de se joindre à lui pour faire triompher la cause qui leur était, l’un et l’autre, chère. Paul III qui au fil des conversations qu’il avait eues avec l’empereur une semaine plus tôt avait très bien compris où ce dernier voulait l’entraîner ne fut donc pas trop surpris par l’algarade que son hôte venait de lui servir. Il se contenta de lui répondre sur un ton posé et sans acrimonie qu’il était lui aussi fort préoccupé par la situation devant laquelle se trouvait la chrétienté, mais qu’il n’entendait pas prendre parti dans le conflit opposant son hôte au roi de France, qu’il entendait plutôt, suivant en cela l’avis de ses cardinaux, rester neutre pour être mieux à même de jouer le rôle de réconciliateur que, dans les circonstances, il estimait être le sien. Charles Quint n’eut pas d’autre choix que de s’incliner devant ces paroles d’une sagesse et d’une pondération qui contrastaient singulièrement avec les siennes. Il ne lui restait plus qu’à se joindre, quelque peu mal à l’aise sans doute, mais en même temps rassuré au cortège accompagnant le pape vers la chapelle Sixtine où allait se tenir la cérémonie du jour154. Le lendemain, 18 avril, ne laissant rien paraître de la leçon qu’il avait servie à l’empereur la veille, le pape, entouré d’un certain nombre de cardinaux, reconduisit son hôte jusqu’à la cour du Belvédère où ce dernier s’apprêtait à prendre congé de lui. Sans doute était-il heureux d’avoir pu accueillir et honorer Charles Quint comme il l’avait fait, mais il était en même temps soulagé, comme beaucoup de Romains d’ailleurs, de voir 154 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 163-166; L. Dorez, La cour du pape Paul III, I, p. 263-264. Maria Antonietta Visceglia parle d’un discours fait en consistoire –– ce qui n’est pas le cas –– et d’un discours de nature politique –– ce en quoi elle a parfaitement raison. Elle ajoute que certains s’y attendaient et ne furent donc pas surpris par la « sortie » de l’empereur. Voir La città rituale, p. 198-200. Brandl, biographe de Charles Quint, assure, pour sa part, que l’empereur eut toutes les raisons d’être satisfait de cet échange quelque peu acrimonieux avec le pape, car il avait obtenu que ce dernier se déclare neutre, ce qu’au fond il souhaitait le plus, d’où le geste et les paroles de gratitude qu’il adressa à Paul III après l’intervention de celui-ci. C. Brandl, Charles-Quint, 1500-1558, Paris, 1939, p. 374-378.
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partir ce personnage quelque peu encombrant et qui, au surplus, n’était pas sans lui inspirer quelque crainte. Le sac de 1527 était encore frais à toutes les mémoires, y compris la sienne. Aussi, Léon Dorez, commentant cette cérémonie de départ, n’hésite-t-il pas à écrire que lorsque Paul III donna sa bénédiction d’adieu à l’empereur, il la lui donna « avec toute la sincérité que pouvait lui inspirer le départ d’un hôte inquiétant et d’un partenaire malhabile »155. Le même Paul III pouvait-il alors deviner que, deux ans plus tard, il retrouverait ce même hôte à Nice et qu’il réussirait à le réconcilier, comme il s’y était engagé, avec le roi de France et que cet « exploit » lui vaudrait en 1539, comme nous avons eu l’occasion de le montrer plus haut, un accueil triomphal de la part des Romains, accueil qui n’était pas sans rappeler celui qu’il avait lui-même réservé et à grands frais à Charles Quint trois années plus tôt, mais qui, dans son cas, paraissait beaucoup plus sincère et spontané et surtout avait la faveur du peuple156. Juste retour des choses? Peut-être. On sera peut-être étonné de l’importance que nous avons accordée à la visite officielle de Charles Quint à Rome en 1536, mais ce choix nous paraissait s’imposer, compte tenu de l’immense intérêt que cet événement suscita à l’époque, mais aussi des nombreuses traces tant figurées qu’écrites qui en subsistent et qui ont été jusqu’à ce jour abondamment exploitées et compte tenu du fait que ce même événement illustre on ne peut mieux tout ce qu’impliquait la réception d’un grand personnage à la cour pontificale au XVIe siècle en termes aussi bien protocolaires qu’organisationnels, voire scénographiques, tous éléments indispensables à la réussite du type de représentation qu’exigeait un événement de cette nature et de cette ampleur. Nous avons vu que le Cérémonial de Patrizi avait été mis à contribution en ce qui concernait surtout l’entrée de ville, plus tard la réception de l’empereur au Vatican, mais avec de nombreuses modifications apportées par le pape qui, au dire de son maître de cérémonie, Baroni, avait tenu à fixer lui-même, jusque dans les moindres détails, les 155 Dorez, La cour cit., I, p. 264. À noter que ni le pape ni l’empereur « indisposé » ne se présentèrent à la Sixtine pour la messe du mardi de Pâques, mais les cardinaux les retrouvèrent tous deux vers les 18 heures à la salle du Consistoire où ils avaient été convoqués en vue d’assister au départ de l’empereur. Ayant ensuite accompagné Paul III et son hôte jusqu’à la salle des Pontifes, ils les virent aussitôt tous deux se retirer pour une ultime conversation d’environ une demi-heure dans les appartements privés du pape. Après quoi, se retrouvant dans l’antichambre desdits appartements en compagnie d’un certain nombre de prélats, de princes et d’ambassadeurs eux aussi présents pour l’occasion, ils assistèrent à un bref discours d’adieu de l’empereur, lequel, voulant sans doute faire oublier l’algarade de la veille, chercha à rassurer du mieux qu’il put ses auditeurs. Il ne lui restait plus qu’à prendre congé de son hôte, comme il avait été prévu, dans la cour du Belvédère. Pour le détail de cette journée fourni par Baroni, voir ASV, Fondo Borghese I, 120, fol. 305rv. 156 Visceglia, La città cit., p. 200.
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rites à observer dans un cas comme dans l’autre157. C’est que ne s’agissant pas de rites à proprement parler liturgiques, même si par certains côtés ils s’y apparentaient, Paul III se sentait beaucoup plus libre de faire les ajustements qu’il estimait en l’occurrence nécessaires ou souhaitables vu le poids du personnage qu’il s’apprêtait à recevoir, vu aussi les circonstances expliquant la venue de ce dernier à Rome. Il se permettra même, pour les mêmes raisons sans doute, certaines « libertés » par rapport aux normes proprement liturgiques cette fois, comme, par exemple, lors de la liturgie du dimanche de Pâques où, nous l’avons vu, l’empereur eut droit à des marques d’honneur et de respect qui ne figuraient pas au rituel prescrit ce jour-là. Mais le bisaïeul de Charles Quint, Frédéric III n’avait-il pas obtenu, il est vrai à sa demande, pareilles faveurs en 1468? Considérations politiques aidant, il n’était donc pas si rare ou si inhabituel que cela que le « protocolaire » prenne parfois le dessus sur le « liturgique », bien entendu à l’intérieur de certaines limites. C’est que la fonction de représentation de type politique avait besoin de ce genre de souplesse, l’exigeait même, n’en déplût à certains maîtres de cérémonies plus pointilleux que d’autres. Paul III ne partageait manifestement pas le point de vue de ces derniers. L’analyse que nous venons de faire de l’accueil qu’il réserva à Charles Quint en 1536 nous en fournit à plus d’un titre la preuve. Chose certaine, on n’était pas près d’oublier à Rome et ailleurs la munificence, mais en même temps l’habileté politique avec lesquelles il avait reçu le puissant Charles Quint à sa cour et traité avec lui durant les quelque deux semaines qu’il passa dans la Ville Éternelle. La leçon méritait d’être retenue. Mais ce n’était pas tous les jours que la cour pontificale accueillait un empereur. Charles Quint sera de fait le premier et le dernier grand monarque à honorer Rome de sa présence au XVIe siècle158. Des quelques Podestà, Carlo V cit., p. 318-321. Il était sans doute devenu trop coûteux et peut-être trop risqué pour un empereur ou un roi de faire ce genre de déplacement. On préférait désormais s’en remettre à la diplomatie économiquement et stratégiquement plus rentable que des face à face souvent ni souhaitables ni souhaités. Dans le cadre des négociations entre Clément VII et le roi de France principalement au sujet du mariage de la nièce du pape, Catherine de Médicis, et du fils du roi, le futur Henri II, les cardinaux de Tournon et de Gramont n’hésitaient pas à écrire de Bologne le 31 janvier 1533 au roi François Ier: « Quand le pape et vous serez ensemble, vous ferez ce qu’il vous plaira avec luy et avec ceste Italie, tant pour ce que vous estes le plus sage ambassadeur de vostre royaume et que vous mesmes scaurez mieux conduire vos affaires que tout autre ». Correspondance du cardinal François de Tournon, 1521-1562, éd. M. François, Paris 1946, p. 82. Effectivement le pape et le roi de France se rencontrèrent à Nice en septembre de cette même année, mais c’est le pape qui vint à la rencontre du roi et non l’inverse. Comme le souligne Garrett Mattingly, après 1530, les souverains préférèrent confier les négociations avec le Saint-Siège, s’agissant de pactes ou traités importants, à des envoyés spéciaux habituellement de haut rang, réservant tout le reste aux ambassadeurs résidents dont de plus en plus ils disposaient à Rome, les rencontres directes entre souverains, pape y compris, étant 157 158
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rares souverains qui en feront autant avant ou après lui, deux seuls méritent ici notre attention, soit Charles VIII, roi de France, et Côme de Médicis, grand-duc de Toscane. Le premier entré en vainqueur à Rome en 1495, mais en qui Alexandre VI voyait plutôt un intrus, mieux, un ennemi, fit l’objet d’un accueil en apparence cordial, mais qui était en réalité de pure façade et s’avéra d’ailleurs une véritable parodie des règles contenues dans le Cérémonial de Patrizi au point où Burckard osa se plaindre amèrement au pape des accrocs qu’il avait tolérés de la part des officiers du roi et, fait plus grave, de ceux qu’il s’était lui-même permis aux règles en question. Plaintes qui, il faut le dire, laissèrent plutôt froid l’habile et rusé politique qu’était Rodrigue Borgia159. Paul III, « créature » d’Alexandre VI et formé à son école, avait peut-être encore cet exemple à l’esprit lorsqu’il reçut en 1536 Charles Quint à sa cour. En tint-il compte? Possiblement, mais avec cette différence toutefois –– et elle est de taille –– que, bien que craignant l’empereur, il ne le considérait pas comme un ennemi, mais plutôt comme un allié, un allié parfois incommode, mais allié tout de même. Autant l’accueil réservé à Charles VIII en 1495 était contraint et factice, autant celui que Pie V ménagera à Côme de Médicis en 1570 reflétait parfaitement les sentiments qu’il éprouvait pour ce prince cher à son cœur à qui il venait d’ailleurs d’accorder le titre que ce dernier avait en vain sollicité de son prédécesseur, Pie IV, celui de grand-duc de Toscane160. Aussi est-ce avec les plus grands honneurs qu’il reçut Côme de Médicis à Rome du 15 février au 13 mars 1570. Entrée de ville préparée avec soin de part et d’autre et se terminant à la villa Giulia où depuis le pontificat de Pie IV étaient logés, du moins à leur arrivée à Rome, les grands personnages reçus par le pape; rencontre secrète de ce dernier et de son hôte le soir même au Vatican, suivie trois jours plus tard de la réception officielle à la Sala regia pour le consistoire public durant lequel devait être et sera de fait proclamé le nouveau titre du duc de Florence; enfin, le 5 mars, dimanche de Laetare, messe solennelle à la chapelle Sixtine au cours de laquelle Côme de Médicis reçut enfin des mains du pape le couronne grand-ducale tant désirée, sans compter la remise qui lui fut faite ce même jour de la célèbre rose d’or, hommage habituellement réservé à des personnages de marque ayant rendu service à l’Église ou à la papauté161. Ces deux derniers rites rencontrés ici pour la première fois méritent plus qu’une simple mention. Si les entrées de ville et les réceptions offidevenues, politiquement, trop risquées et, financièrement, trop coûteuses. Renaissance Diplomacy, Boston 1971, p. 253. 159 Burckard, Liber notarum cit., I, p. 555-558, 565 et suiv. 160 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 452-455. 161 Ibid., p. 455. Sur la rose d’or, voir C. Burns, Rose d’or, dans DHP, p. 1489-1490.
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cielles à la Sala regia de personnages de haut rang étaient relativement fréquentes à Rome au XVIe siècle, les cérémonies de couronnement étaient, elles, plutôt rares, on pourrait même dire: rarissimes. Aucun empereur n’était venu se faire couronner à Rome depuis le XVe siècle, le dernier en date étant Frédéric III en 1452, celui-là même qui avait tenu à revenir dans la Ville Éternelle, mais comme pèlerin cette fois, en 1468162. Sans doute Charles Quint, renouant avec la tradition, avait-il décidé de se faire couronner par le pape, mais c’était à Bologne qu’il avait choisi de le faire en 1530, non à Rome. Il sera d’ailleurs le tout dernier empereur allemand à se prévaloir du rite en question163. Quant aux autres souverains catholiques, ils n’en sentaient guère le besoin, ayant depuis très longtemps pris l’habitude de se faire sacrer et couronner chez eux. Aussi devait-on avoir depuis longtemps oublié à Rome en quoi consistait et à quoi ressemblait le couronnement d’un souverain lorsque, le 5 mars 1570, Côme de Médicis reçut des mains de Pie V la couronne grand-ducale et les quelques autres insignes emblématiques de la dignité qui était désormais la sienne. L’événement suscita beaucoup d’intérêt dans la ville comme en témoignent les avvisi de l’époque164. Pour ce qui est des rituels suivis ce jour-là et les jours précédents on s’inspira sans doute une fois de plus du Cérémonial de Patrizi, mais en l’adaptant aux circonstances du moment, car il n’était question dans ledit Cérémonial que du couronnement d’un empereur165. Aussi n’est-on pas surpris de constater que le 162
Sur le couronnement de Frédéric III, voir Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 93-110, 122*-
128*. 163 Sur le couronnement de Bologne, voir von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 360-364. Sur le fait que Charles Quint ait été le dernier empereur allemand à se soumettre à ce rite, voir Schimmelpfennig, Couronnement cit., p. 483. 164 À ce sujet, voir von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 455 et n. 2-4. À ce propos, rien n’illustre mieux ce qu’était devenu le rite du possesso à la fin du XVIe siècle que l’exemple que nous en fournit Sixte V, le 5 mai 1585, où l’on se rend compte que tout en cherchant à réduire au minimum le coût du déploiement en question, il ne renonce pas pour autant à en exploiter à l’intention du peuple surtout, massivement présent, le côté « spectacle », comme le montrent d’ailleurs très bien les descriptions que nous en fournissent certains contemporains, le tout, bien évidemment, en vue de faire lui aussi montre de son autorité et de son pouvoir. Martine Boiteux, qui s’est beaucoup intéressée à ce possesso n’est peut-être pas loin de la vérité lorsqu’elle affirme qu’en interdisant l’érection d’arcs de triomphe par la Commune de Rome et en éliminant le banquet traditionnellement offert aux cardinaux à la fin du rite du possesso, le pape, tout pingre qu’il fût, songeait moins à couper ses dépenses qu’à montrer aux édiles municipaux et aux membres du Sacré Collège qu’il était leur maître, et leur maître absolu. Obligés après plusieurs heures de cavalcade sous un soleil brûlant de se débrouiller pour trouver chacun à manger dans l’une ou l’autre villa voisine du Latran, alors que le pape en faisait tout autant, mais seul, dans sa villa de l’Esquilin, les trente-deux cardinaux qui lui avaient fait jusque-là escorte ne durent pas se méprendre sur le message qui leur était ainsi plus ou moins subtilement adressé. M. Boiteux, Rivalità festive. Rituali pubblici romani al tempo di Sisto V, dans Sisto V. I: Roma e il Lazio, p. 360-363. 165 Cf. Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 93-117, 122*-128*.
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maître de cérémonies de Pie V, Cornelio Firmano, consacre soixante-dix pages à décrire, jusque dans le menu, les rites et rituels déployés durant les nombreuses cérémonies aussi bien liturgiques que protocolaires ayant marqué le long séjour de Côme de Médicis à Rome166. Mais, au-delà de ce déploiement, il importe de souligner le caractère très particulier, pour ne pas dire unique du couronnement dont fit l’objet le duc de Florence. À la différence des souverains venus bien avant lui se faire couronner à Rome, Côme de Médicis devait tout au pape, et le titre qui allait être désormais le sien, et le privilège de recevoir des mains du pape les insignes correspondants. En effet, c’est Pie V qui, s’inspirant de l’exemple de certains de ses lointains prédécesseurs, avait, à la demande du duc de Florence et malgré l’opposition déclarée de l’empereur et du roi d’Espagne, élevé de son propre chef Côme de Médicis au rang de grand-duc, lui donnant par la même occasion préséance sur tous les autres princes régnants d’Italie, ce qui était de fait le but recherché dès le départ par Côme de Médicis. Mais, en retour, celui-ci acceptait de se déclarer vassal du pape, ce qu’il fera d’ailleurs au cours de la cérémonie du couronnement167. Pie V sortait donc lui aussi, du moins en apparence, gagnant de cette opération qui, d’une part, lui per166 ASV, Fondo Borghese I: 755, fol. 260r-295v. Firmano était bien conscient du caractère inédit de l’événement qu’il allait être appelé à vivre et, par voie de conséquence, de l’importance que pourrait avoir pour ses successeurs et pour la postérité un compte rendu aussi fidèle que possible des rites observés à cette occasion. Mais peut-être n’avait-il pas prévu tous les ennuis, voire les mauvaises surprises que cela allait lui causer. À commencer par les protestations et les absences calculées d’un certain nombre d’ambassadeurs, celui de l’empereur en particulier, dont les maîtres n’appréciaient guère, voire condamnaient ouvertement les honneurs faits à Côme de Médicis. Ibid., fol. 264r, 273v, 277v-278r, 282r, 290r. À quoi il faut ajouter les sempiternelles querelles de préséance, par exemple, entre Marcantonio Colonna et Paolo Giordano Orsini chargés d’accompagner le duc de Toscane au moment du couronnement et pour lesquels il faudra trouver sur place une formule de compromis quelque peu alambiquée (Ibid., fol. 270v-271r, 284rv) ou encore de la part des auditeurs de Rote, indignés d’avoir été encensés après un certain nombre de nobles: Colonna, Orsini, Sforza, Malaspina, comme eux présents à la messe pontificale du dimanche 19 février. Ibid., fol. 274r. Ces mêmes « maudites préséances » (maledictas precedentias) entraîneront la suppression de la plupart des encensements, voire du baiser de paix lors de la messe du couronnement, le dimanche 5 mars, messe qui d’ailleurs ne plut guère à Firmano tant, selon lui, furent grands la confusion et le désordre (« magna confusio et nullus ordo »). Ibid., fol. 290r. Et que dire du problème que lui causa la venue inattendue de Côme de Médicis à la messe papale du dimanche 19 février à laquelle Pie V aurait souhaité qu’il ne vienne pas, préférant qu’il attende pour ce faire le jour de son couronnement et où de nombreuses erreurs furent commises par le duc lui-même peu au fait du cérémonial prescrit, du moins en ce qui concernait sa personne, mais aussi par d’autres que Firmano se garde bien de nommer qui lui firent l’honneur auquel il n’avait pas encore droit de prendre place entre les deux derniers cardinaux diacres, Ibid., fol. 273r-274r. 167 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 455. Firmano, frappé par le caractère inédit du serment fait par Côme de Médicis, en reproduit le texte dans son diaire. ASV, Fondo Borghese, I: 755, fol. 292v-293v.
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mettait de démontrer jusqu’où, selon lui, s’étendaient ses pouvoirs et, de l’autre, de s’attacher un prince qui lui avait été jusque-là d’un grand secours et dont il espérait encore plus. Il est vrai que sur ce dernier point il sera passablement déçu et que, par ailleurs, il finira par regretter d’avoir passé outre aux objections de la cour impériale et de la cour d’Espagne168, mais, en termes de représentation, l’ensemble des rites et rituels déployés avant, pendant et après la cérémonie comme telle du couronnement de Côme de Médicis constituait pour lui et pour le Saint-Siège un moment privilégié d’affirmation d’un pouvoir tombé, à ce qu’il semblait, depuis longtemps en désuétude, mais que Pie V, non sans une certaine audace, se croyait justifié de revendiquer à nouveau169. La remise de la rose d’or au grand-duc de Toscane le jour de son couronnement peut paraître, dans ce contexte, d’un intérêt purement anecdotique. Mais était-ce bien le cas? Commençons par rappeler en quoi consistait ce précieux objet et pourquoi il était si prisé à l’époque. Il s’agissait de fait d’une pièce d’orfèvrerie ayant la forme d’une rose ou d’un rosier artistiquement travaillée dans de l’or et consacrée chaque année par le pape le dimanche dit de Laetare, puis attribuée, habituellement le même jour, à un grand personnage, très souvent un prince ou une princesse, ayant bien mérité de l’Église et du pape. Or, la plupart du temps, l’heureux récipiendaire n’étant pas sur place, on se contentait de remettre l’objet en question à son ambassadeur ou, dans le cas de très grands personnages, à un légat chargé de se rendre chez ledit récipiendaire et, là, de le lui présenter de main à main au cours d’une cérémonie prévue à cet effet170. Étant déjà sur place, Côme de Médicis aura le rare privilège de se voir remettre la rose d’or à Rome même au cours d’une cérémonie en tous points semblable. Bien évidemment, dans son cas, cette cérémonie pouvait paraître secondaire, très secondaire même, étant donné qu’elle ne faisait pas le poids face à celle, grandiose, de son couronnement, mais peut-être n’était-elle pas si secondaire que cela, du moins symboliquement parlant, aux yeux de ses sujets et de ses proches qui y virent sans doute une preuve de plus du crédit dont il jouissait auprès de Pie V, un Pie V qui, manifestement, le tenait en haute estime. Nous venons de souligner le fait que c’était assez souvent les ambassadeurs en poste à Rome qui recevaient au nom de leurs maîtres la rose d’or. Il en allait de même du chapeau et de l’épée bénits, eux aussi remis, mais plus occasionnellement, à certains princes particulièrement méritants171. Côme de Médicis fait donc, en la matière, figure d’exception. Aussi ne faut-il pas se surprendre du fait qu’à Rome, au XVIe siècle, les face à face F. Diaz, Il Granducato di Toscana, Turin 1976 (Storia D’Italia, XIII), p. 188-191. Lemaitre, Saint-Pie V cit., p. 204-206. 170 C. Burns, Rose d’or, dans DHP, p. 1489-1490. 171 id., Chapeau et épée bénits, Ibid., p. 340-342. 168 169
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papes––princes régnants étaient plutôt rares et que les relations à ce niveau se faisaient généralement par personnes interposées: nonces, légats ou envoyés spéciaux, d’une part, ambassadeurs ou chargés de mission, de l’autre. À la cour pontificale, la fonction de représentation de type protocolaire consistait donc le plus souvent à recevoir les envoyés ou porte-parole des divers chefs d’État avec lesquels le pape entretenait à l’époque des liens diplomatiques. Réservant à notre prochain chapitre l’étude des rapports que celui-ci avait sur une base régulière avec les ambassadeurs résidant à Rome, nous nous en tiendrons plutôt ici à l’étude des missions diplomatiques de caractère plus ponctuel, dans certains cas même, exceptionnel, nécessitant le recours à des mises en scène protocolaires beaucoup plus élaborées. L’exemple le plus classique et d’ailleurs le mieux connu à l’époque de ce type de mission, c’est celui de l’envoi d’ambassadeurs dits d’« obédience » chargés par leurs maîtres respectifs d’aller au lendemain de l’élection d’un nouveau pape présenter leurs vœux et faire acte de filiale obéissance à ce dernier. C’est donc à ces ambassadeurs « de circonstance » que nous nous intéresserons plus particulièrement ici. 4. Ambassades de circonstance Le Cérémonial de Patrizi –– et pour cause –– consacre plusieurs pages à décrire le rituel propre à ce type d’occasion172. Burckard et Grassi, ce dernier surtout, sentiront le besoin d’apporter à ce texte un certain nombre de corrections et d’améliorations à la fin du XVe et au début du XVIe siècle173. La venue à Rome d’ambassades de cette nature ou, du moins, s’y apparentant explique sans doute l’importance et l’espace accordés par ces trois cérémoniaires au rituel en question que l’on peut à juste titre considérer comme le texte protocolaire-type de la cour pontificale à l’époque. Aussi vaut-il la peine qu’on s’y arrête un peu plus longuement. Patrizi commence par rappeler qu’avant de se présenter à Rome les ambassadeurs concernés étaient tenus d’informer le pape du moment de leur arrivée et de la porte par laquelle ils entendaient faire leur entrée officielle dans la ville et, cela, afin qu’ils puissent y être accueillis selon leur rang et selon l’importance de la mission qui leur avait été confiée. Suite à quoi, s’agissant d’une mission de haut niveau, comme l’était l’ambassade d’« obédience », le pape faisait avertir par ses courriers les cardinaux et les prélats de curie du jour, de l’heure et du lieu d’arrivée des ambassadeurs en Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 148*-150*, 204-210. Dykmans fait état de détails ajoutés par Burckard, Ibid., p. 149*. Pour ce qui est de Grassi, voir du même, Paris de Grassi, dans Ephemerides Liturgicae, XCIX (1985), p. 400-403 où il est question du « Traité des Ambassadeurs » de Grassi. 172 173
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question afin qu’ils puissent envoyer leurs « familles » respectives accueillir comme il se devait lesdits envoyés. Le jour indiqué, les « familles » des cardinaux se rendaient séparément à la rencontre de ces derniers à environ un demi-mille des murs de la ville. Là, les porte-parole de chacune de ces « familles » cardinalices allaient à tour de rôle saluer les distingués visiteurs, les félicitant de leur heureuse arrivée et soulignant le fait que leurs maîtres les avaient envoyés pour rendre hommage aux princes qu’ils représentaient et que ces mêmes maîtres étaient à leur disposition pour tout service qu’ils souhaiteraient de leur part, puis, ayant reçu la réponse des ambassadeurs, lesdites « familles » accompagnaient ces derniers jusqu’à la porte de la ville où était prévue leur entrée. Là les attendaient la « famille » du pape qui, à son tour, leur faisait les compliments d’usage à travers un porte-parole choisi à cet effet et, aussitôt après, se mettait en branle le cortège chargé d’accompagner les hôtes du pape jusqu’à leur logis. Ce cortège suivait l’ordre suivant: tout d’abord venaient les « familiers » des cardinaux et des autres prélats de la cour, suivis des chariots à bagages et des membres de la suite des ambassadeurs défilant, ces derniers, deux par deux, puis les familiers laïcs du pape accompagnant les nobles et barons présents pour l’occasion, les huissiers pontificaux munis de leurs masses d’argent précédant, eux, les ambassadeurs défilant l’un après l’autre flanqués chacun de deux prélats domestiques ou, s’ils étaient trop nombreux, d’un prélat domestique et d’un des ambassadeurs en poste à Rome. Puis venaient les autres prélats présents, chacun selon son rang, suivis des sous-diacres, de l’auditeur des clercs de la Chambre, des acolytes, des cubiculaires et autres familiers du pape portant la robe longue (togati) et, enfin, fermant le cortège, tous les autres officiers de curie, eux aussi selon le rang que, chacun, ils occupaient. Arrivés à destination, les ambassadeurs s’arrêtaient à la porte du palais ou de l’hôtel où il avait été prévu qu’ils logent, remerciaient les prélats et ambassadeurs qui les avaient accompagnés jusque-là et restaient ainsi, têtes découvertes, jusqu’à ce que ces derniers aient quitté les lieux, après quoi ils descendaient de cheval et entraient dans leur logis avec ordre de n’en point sortir tant que le pape ne leur aurait pas accordé l’audience publique prévue. Ce jour arrivé, ces derniers, dûment prévenus par les maîtres de cérémonie et muni de leurs lettres de créance, se présentaient au palais accompagnés d’un certain nombre de leurs proches et de membres des « familles » de leurs cardinaux protecteurs et étaient aussitôt conduits soit à la chapelle Saint-Nicolas (capella parva), soit dans un local aménagé à cet effet sous la salle royale (Sala regia) si tel était le lieu où devait se tenir le consistoire public où ils devaient paraître. Pendant ce temps, informés par les courriers du pape du jour, de l’heure et du lieu de la cérémonie, les cardinaux et autres prélats ou officiers tenus d’y être avaient pris place dans la Salle du consistoire. Le pape n’y était pas encore, car voulant éviter d’avoir
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à attendre les ambassadeurs, ce qui, selon Patrizi, aurait été tout à fait inconvenant, il n’était pas question qu’il fasse son entrée tant qu’il n’aurait pas été informé de l’arrivée de ces derniers. Le moment venu, il pénétrait dans la salle, allait prendre place sur son trône et aussitôt les cardinaux présents venaient à tour de rôle lui rendre « obédience ». Ce rite accompli, le maître de cérémonie principal invitait les prélats assistants au trône pontifical à aller chercher les ambassadeurs. Détail intéressant: celui ou ceux de ces derniers chargés de faire un discours avaient été avertis d’avance d’avoir à leur côté un secrétaire muni de leur texte et pouvant au besoin leur servir de souffleur. Flanqués, chacun, d’un certain nombre de prélats –– quatre dans le cas de ceux d’entre eux qui étaient évêques –– lesdits ambassadeurs faisaient à leur tour leur entrée dans la Salle du consistoire et, là, procédaient, l’un après l’autre, au nom de leur souverain, au rite de l’« obédience », soit le triple agenouillement suivi du triple baiser décrits dans le Cérémonial, puis, de nouveau à genoux, adressaient, chacun, à voix basse quelques paroles au pape avant de lui présenter après les avoir baisées leurs lettres de créance. Le cérémoniaire les conduisait alors à leur place, c’est-à-dire debout face au pape, mais derrière les bancs des cardinaux diacres. Le temps des discours pouvait alors commencer. Chaque orateur parlait la tête découverte, s’inclinant ou s’agenouillant chaque fois qu’il le jugeait à propos, ses collègues lui faisant chaque fois chorus. Le ou les discours terminés, le pape répondait à sa guise, suite à quoi toute l’assistance se levait et les ambassadeurs accompagnés de quelques cardinaux venaient faire cercle autour du pape. Les membres de leur suite procédaient alors, chacun, au baisement du pied du souverain pontife. Puis ce dernier, à son tour, se levait, saluait une dernière fois ses distingués hôtes avant de regagner ses appartements. Les ambassadeurs, quant à eux, étaient reconduits à leur domicile, mais, cette fois, accompagnés de leurs seuls proches, les familiers de leurs cardinaux protecteurs étant, à ce même moment, appelés à rendre le même service à leurs maîtres respectifs. Et ainsi se terminait la cérémonie ou le rituel dit de l’« obédience »174. À la fin de son commentaire de la description fournie par Patrizi du rituel en question, Marc Dykmans n’hésite pas à parler d’un tableau suggestif « permettant de » deviner la politique [se dissimulant] sous [les] rubriques des cérémoniaires175. On ne peut qu’être d’accord avec lui, car si les ambassadeurs d’« obédience » font l’objet d’honneurs de toutes sortes, en particulier lors de leur entrée solennelle à Rome, celui qui, de fait, est, en l’occurrence, le plus honoré est à n’en pas douter le pape, comme en témoigne la gestuelle dont il fait l’objet et que nous venons de décrire, la seule exception à ce scénario étant le baiser échangé à la fin du rite comme 174 175
Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 204-210. Ibid., p. 150*.
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tel de l’« obédience » entre le pape et chacun des ambassadeurs présents, signe, cette fois, non plus de sujétion ou de soumission, mais bien d’amitié, amitié, bien entendu, non pas entre le pape et chacun desdits ambassadeurs, mais entre le pape et chacun des souverains qu’ils représentent, car, sous couvert du rituel de l’« obédience », ce sont, de fait, deux pouvoirs qui se rencontrent, deux pouvoirs qui cherchent à se définir et à se situer l’un par rapport à l’autre avec ceci de particulier, dans le cas qui nous occupe ici, que l’un se considère supérieur à l’autre –– d’où le rituel imposé –– et l’autre, dans les circonstances, accepte, du moins symboliquement, cette sujétion, mais à l’intérieur de certaines limites qu’il se garde bien, pour le moment, de fixer, sachant bien que les occasions ne lui manqueront pas plus tard de le faire. Conclusion: une fois de plus, force est de reconnaître qu’à la cour pontificale, comme dans les autres cours européennes à l’époque, protocole et politique vont de pair et font habituellement bon ménage. Aussi ne faut-il pas se surprendre du fait que les ambassades d’« obédience » ne se passaient pas toujours exactement comme l’avait prévu Patrizi dans son Cérémonial. Trop de facteurs, dont certains imprévisibles, entraient en ligne de compte, liés, les uns, à la qualité des personnes impliquées, d’autres, aux intérêts aussi bien politiques que dynastiques de ces dernières. N’en déplut à un Patrizi ou à un Burckard et à un Grassi, voire aux divers papes qu’ils furent appelés à servir, il fallait savoir tenir compte de tous ces aléas et, en conséquence, être prêt à faire chaque fois les adaptations ou les compromis qui s’imposaient. Burckard nous fournit de cela un très bel exemple avec sa description de l’ambassade d’« obédience » envoyée à Alexandre VI en décembre 1492 par le roi de Naples, Ferdinand (ou Ferrand) Ier176. À noter que ce dernier, pourtant vassal du Saint-Siège, attendit quatre mois pour rendre au nouveau pape l’hommage convenu. Selon Leonetti, ce retard était dû au fait que Rodrigue Borgia n’était pas son candidat et qu’il le savait par ailleurs plutôt méfiant à son endroit177, mais il n’est pas impossible qu’à l’instar de Pierre de Médicis178, il ait lui aussi fait le calcul d’attendre que les États de moindre importance se soient exécutés et ainsi se donner le temps de préparer une ambassade de toute autre envergure, capable d’impressionner durablement le pape et, qui sait, par la même occasion, servir à se gagner les faveurs de ce dernier. Malheureusement pour lui, ce calcul ne produisit pas, dans l’immédiat du moins, les fruits escomptés179. Imposante par le nombre et la qualité des personnes et des équipages la composant, l’ambassade napolitaine avait, en plus, ceci de particulier Burckard, Liber notarum cit., I, p. 374-393. Leonetti, Papa Alessandro VI cit., I, p. 243-244. 178 Ibid., p. 233-234, 240. 179 Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 356. 176 177
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qu’elle avait à sa tête le prince d’Altamura, Frédéric, fils puîné du roi. Ce détail d’une extrême importance changeait du tout au tout la nature de la rencontre qui allait avoir lieu entre le pape et l’ambassade en question. Il fallut donc prévoir un protocole à l’avenant et on s’y employa durant plusieurs jours, le pape tenant à ce que tout soit fait à la perfection. Il fut décidé que les envoyés du roi de Naples feraient l’objet d’un accueil solennel aux portes de la ville, qu’ils seraient accompagnés tout aussi solennellement tout au long de leur traversée de la ville et, faveur exceptionnelle, que le prince d’Altamura et sa suite seraient reçus immédiatement par le pape sans attendre la cérémonie d’« obédience » qui ne devait intervenir que quelques jours plus tard. Pour s’assurer que tout se passe comme prévu, le pape chargea son premier cérémoniaire, Burckard, d’aller à la rencontre du prince Frédéric à Marino pour lui faire part des détails du rituel prévu pour l’occasion. L’entrée en grande pompe fixée au deuxième dimanche de l’Avent, soit le 9 décembre, dut être retardée de deux jours en raison des pluies abondantes qui s’étaient abattues sur Rome et ses environs. Ce ne fut donc que le mardi 11 décembre que l’entrée en question put avoir lieu. Salué à deux milles de la ville par le cardinal de Naples, Oliviero Carafa, et son collègue de Sienne, Francesco Piccolomini, le futur Pie III, Frédéric d’Aragon, entouré d’un fort contingent de personnages de tous rangs venus avec lui de Naples, se rendit jusqu’au portique de Saint-Jean-du-Latran où il fut à nouveau salué, cette fois par les cardinaux Ascanio Sforza et Giovanni Borgia, respectivement archevêques de Milan et de Monreale, avant de recevoir sur la place homonyme l’hommage des « familles » des cardinaux et des ambassadeurs présents à Rome de même que celui des représentants de la noblesse qui, tous, en signe de respect pour leur hôte l’y attendaient à pied et l’auraient ainsi reçu n’eût été le refus du principal intéressé de se voir ainsi traité et l’ordre qu’il leur donna de bien vouloir se remettre en selle. Suivit l’hommage particulier des officiers de l’antichambre du pape, du majordome surtout qui, au nom de son maître, présenta au distingué visiteur les compliments d’usage. L’affluence était telle de part et d’autre qu’il fallut ensuite un long moment pour que ne se forme le cortège chargé de l’accompagner jusqu’au Vatican et qu’entouré des cardinaux Sforza et Borgia, le prince d’Altamura, sa « famille » et l’ensemble de la délégation napolitaine soient en mesure de se mettre en marche pour leur « triomphale » traversée de la ville. Le spectacle qui suivit avait tout pour impressionner les Romains qui, pourtant, s’y connaissaient en la matière. Furent tout particulièrement remarqués les six pages du prince, somptueusement vêtus et montés sur des chevaux de belle allure, portant une partie de la garde-robe de leur maître en plus d’armes et de joyaux dont l’un valant 6000 ducats, puis le prince lui-même, comme il se devait, dans
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ses plus riches atours, sans oublier les 200 mules couvertes de housses rouges, transportant, elles, les bagages de ce dernier et de sa « famille », une « famille », il faut le dire, forte de quelque 700 individus. Arrivé au Vatican où le pape l’attendait, Frédéric d’Aragon fut aussitôt reçu avec les sept ambassadeurs et autres éminents personnages de sa suite dans une salle aménagée à cet effet où, se conformant au rite prévu pour l’occasion, il se rendit jusqu’au trône pontifical et, là, baisa le pied et la main du pape avant de recevoir de celui-ci l’accolade traditionnelle, puis se mit à genoux à la gauche du pontife et resta dans cette position tant que ce dernier lui adressa la parole. Terminée l’audience et ayant obtenu son congé du pape, il quitta le palais et rejoignit, flanqué de ses deux cardinaux accompagnateurs, le cortège qui, pendant tout ce temps, l’attendait place Saint-Pierre, prêt à repartir en direction cette fois du palais Saint-Pierre-aux-Liens où il avait été convenu que le prince se retirerait durant son séjour romain comme le faisaient habituellement les membres de la famille royale de Naples. Et ainsi s’acheva la première journée d’une ambassade d’« obédience » manifestement pas tout à fait comme les autres. De fait, l’« obédience » comme telle n’eut lieu que dix jours plus tard, soit le 21 décembre, fête de saint Thomas. Frédéric d’Aragon en profita, une fois de plus, pour se rendre au Vatican avec toute la pompe imaginable et, là, reçu comme il se devait en consistoire public, il accomplit fidèlement, comme les sept ambassadeurs qui l’accompagnaient d’ailleurs, les divers rites prescrits avant d’exposer lui-même au pape les raisons qui avaient poussé son père à lui envoyer une ambassade de pareille envergure, laissant à un des ambassadeurs présents, l’évêque de San Marco, le soin de reprendre dans un style grandiloquent et flatteur à souhait cette même argumentation en soulignant surtout le fait que le roi de Naples avait toujours pris soin de nommer des évêques de grand mérite et que, justement, certains d’entre eux faisaient partie de l’ambassade que le souverain pontife avait sous les yeux. Avec son talent habituel, Alexandre VI répondit avec grande amabilité à l’un et l’autre de ces orateurs avant de leur donner congé et de rentrer dans ses appartements180. Quatre jours plus tard, au cours de la messe de Noël, il remettait de ses propres mains au prince Frédéric la traditionnelle épée bénite, dernier gage d’estime de sa part à celui qui, par sa seule présence, avait conféré à l’ambassade d’« obédience » du royaume de Naples un caractère aussi inhabituel. Deux semaines plus tard, soit le 10 janvier 1493, le prince d’Altamura repartait avec son imposante escorte en direction de Naples181. Burckard, Liber notarum cit., I, p. 383-385, Leonetti, Papa Alessandro VI cit., I, p. 248-252. Burckard, Liber notarum cit., I, p. 386-393. Les égards dont il avait fait l’objet durant son séjour romain durent lui paraître à ce moment de peu de poids face à l’échec de sa 180 181
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Verrait-on de nouveau à Rome une ambassade d’« obédience » de pareil déploiement et de semblable prestige? On pouvait en douter. D’où sans doute la décision d’Alexandre VI et de ses cérémoniaires de traiter celle du roi de Naples comme un cas à part méritant des attentions, des égards hors du commun, dignes tout autant du personnage qui était reçu que de celui qui le recevait. Bel exemple venant après d’autres évoqués plus haut des « bricolages » protocolaires auxquels la cour pontificale se livrait à l’époque chaque fois que les circonstances, politiques et autres, l’exigeaient, voire l’imposaient, mais ces « bricolages » concernaient habituellement des personnages ou des groupes de personnages de souche européenne ayant partie liée avec le pape et le considérant sinon comme leur suzerain, tel le roi de Naples par exemple, du moins comme leur chef spirituel. On restait là en pays connu, ce qui simplifiait d’autant la tâche des cérémoniaires pontificaux. Mais que faire lorsque les ambassadeurs ou les dignitaires reçus n’étaient ni catholiques ni même chrétiens ou encore, bien que catholiques, ne l’étaient que depuis peu et surtout venaient de contrées, culturellement et géographiquement, fort éloignées de l’Europe? Commençons par ce dernier cas de figure. En 1582, le P. Alessandro Valignano, responsable des missions jésuites des Indes orientales avait réussi à convaincre les quelques « princes » japonais (daimyô) convertis au catholicisme d’envoyer une « ambassade » au pape pour aller lui exprimer leur profond attachement et celui de la jeune Église nippone. Valignano voulait en même temps fournir à ces mêmes « princes » l’occasion de voir l’Europe, Rome surtout, et d’y être vus, d’une part, pour leur faire prendre conscience des richesses de la culture de l’Occident et des « splendeurs » de la religion à laquelle ils venaient d’adhérer, de l’autre, pour leur gagner les sympathies et, le cas échéant, l’appui de leurs coreligionnaires européens, pape en tête. Il fut décidé que l’« ambassade » en question serait composée non des « daimyô » eux-mêmes, mais de jeunes parents ou proches de ces derniers et qu’elle comprendrait en outre quelques-uns de leurs mentors jésuites qui leur serviraient tout à la fois de guides et d’interprètes. Les conditions de voyage vers l’Europe étant ce qu’elles étaient à l’époque, il leur faudra quelque deux ans pour rejoindre le Portugal et un autre six mois pour arriver en Italie, plus exactement à Livourne où ils débarquèrent le 1er mars 1585182. Ils étaient attendus avec beaucoup d’intérêt et surtout de curiosité à Rome183. Grégoire XIII était tout particulièrement heureux de cette visite, mission secrète auprès du pape visant à convaincre ce dernier de faire alliance avec Naples contre Milan. Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 356. 182 Ibid., IX, p. 725-726. 183 Un avviso du 16 février signale leur arrivée prochaine à Rome. On les identifie comme des « Indiens » (Indiani), tout en précisant par ailleurs qu’ils viennent du Japon et que le but de leur voyage est de « baiser les pieds du pape ». BAV, Urb. lat. 1053, fol. 95v.
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lui qui à l’époque s’intéressait beaucoup aux missions étrangères, en particulier celles de l’Extrême Orient. Aussi envoya-t-il aux « ambassadeurs » japonais une garde d’honneur qui les rencontra à la frontière des États pontificaux et les accompagna jusqu’à Rome où ils se présentèrent le soir du 22 mars. S’il faut en croire un avviso expédié deux jours plus tôt, ne sachant pas encore clairement s’ils venaient à Rome par simple curiosité ou pour faire acte officiel d’« obédience », rien n’avait encore été décidé quant au type de réception que le pape leur accorderait184. Mais ce problème dut être assez rapidement réglé, puisque, dès le 23 mars, la délégation japonaise, logée dans la maison professe des Jésuites, était reçue en consistoire public à la Sala regia après le traditionnel défilé de la Villa Giulia au Vatican en présence d’une immense foule attirée par le caractère insolite de l’événement, le tout ponctué en fin de parcours par le crépitement des canons du Château Saint-Ange185. Manifestement rien n’avait été négligé pour donner à l’événement en question tout l’éclat possible. Dès leur entrée dans la palais apostolique les jeunes « ambassadeurs » se virent offrir des rafraîchissements, puis, accompagnés, chacun de deux prélats, furent conduits à la salle Regia où les attendait le pape entouré de ses cardinaux. La cérémonie d’« obédience » suivit selon le rituel prévu avec cette nuance toutefois que Grégoire XIII, visiblement ému, donna à l’accolade finale un caractère très paternel, tranchant avec l’hiératisme protocolaire habituel. Les délégués remirent ensuite leurs lettres de créance, prononcèrent quelques mots à l’adresse du pape en japonais, traduits en italien par un de leurs mentors jésuites, le P. Meschita, puis allèrent prendre place sur une tribune préparée à leur intention. C’est alors qu’un autre Jésuite, le P. Consalvi, tint en leur nom un long discours en latin, vantant les mérites de la société et de la culture japonaises auxquelles, disait-il, n’avait jusque-là manqué que la lumière de la foi, se félicitant surtout du fait que cette dernière ait enfin été accueillie, non seulement par une partie du peuple, mais également par des seigneurs de ce lointain pays pour la plus grande consolation du pape régnant. Après quoi il expliqua pourquoi les seigneurs en question avaient souhaité venir jurer Ibid., fol. 135v. Sur l’ensemble de ces événements, voir le compte rendu détaillé du cérémoniaire Francesco Mucanzio. ASV, Fondo Borghese: 812, fol. 546v-560r. Mucanzio est particulièrement prolixe en ce qui concerne la description de la procession de la Villa Giulia au Vatican et du consistoire comme tel. Ibid., fol. 548r-560r. Les témoins oculaires soulignent tout à la fois les traits physiques et le jeune âge des « ambassadeurs » japonais et les particularités de leurs costumes: robes de soie blanche ornées de dorures, d’oiseaux et de fleurs de diverses couleurs sur chacune desquelles était disposé un foulard croisé sur la poitrine, sans oublier le sabre recourbé et le poignard tous deux artistiquement travaillés qu’ils portaient, le premier dans la main droite, le second, dans la main gauche. Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 727. 184 185
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obéissance à ce « nouveau Grégoire le Grand » leur enseignant « non des choses du monde, mais la science du ciel ». À ce discours dithyrambique et flatteur à souhait répondit, au nom du pape, Antonio Boccapaduli, secrétaire des brefs, qui, lui aussi, dans son plus beau latin, exprima la joie que procurait à son maître la venue d’une ambassade d’« obédience » d’un caractère si particulier186. Preuve de cette « particularité », une fois terminée la cérémonie en cours, Grégoire XIII invita ses hôtes à l’accompagner jusque dans ses appartements, puis leur fit offrir par le cardinal Boncompagni, son neveu, un somptueux repas où furent aussi présents son fils, le duc de Sora, et son autre neveu, le cardinal Guastavillani. Les jeunes « princes » eurent aussi droit au cours des jours qui suivirent à deux audiences privées dont l’une au cours de laquelle ils firent don au pape de précieux objets apportés à son intention du Japon. Celui-ci, en plus de couvrir tous leurs frais de séjour, leur offrit pareillement de multiples cadeaux et surtout eut pour eux tout le temps qu’ils furent à Rome les plus grands égards. Ainsi, lors de la fête de l’Annonciation à la Minerve, il leur fit assigner, en tant que « princes », une place supérieure à celle du margrave de Bade187. En plus, s’il faut en croire un avviso du 3 avril, le dimanche précédent après la messe à laquelle ces derniers assistèrent à la Sixtine, il aurait reçu en leur présence dans ladite chapelle le serment d’obédience des nouveaux officiers du peuple romain, alors que normalement cela aurait dû se faire dans ses appartements privés, le tout vraisemblablement en vue d’impressionner ses jeunes visiteurs188. Manifestement, Grégoire XIII avait choisi de donner à l’« ambassade » japonaise un relief qu’en termes strictement diplomatiques elle ne méritait pas, mais sans doute avait-il compris, comme le P. Valignano d’ailleurs, que sous couvert de diplomatie, l’effet recherché était, lui, de nature d’abord et avant tout « apologétique » et qu’à ce niveau et pour ces raisons on pouvait se permettre, voire justifier certaines libertés d’ordre aussi bien liturgique que protocolaire. À noter que les « princes » japonais n’avaient pas encore quitté Rome lorsque le pape mourut le 10 avril 1585, soit sept jours à peine après leur dernière rencontre avec lui à la Sixtine. Le cardinal Santori dans son Autobiographie n’hésite pas à écrire à ce propos que la visite des « ambassadeurs » japonais dont il avait été lui-même témoin, fut la dernière joie de Grégoire XIII189. 186 Mucanzio reproduit en leur entier les textes (discours, lettres) présentés au cours du consistoire. ASV, Fondo Borghese I: 812, fol. 560r-580v. 187 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 729. 188 BAV, Urb. lat. 1053, fol. 151r. Mucanzio situe cette prestation de serment avant la messe en question et ne mentionne pas la présence des « princes » japonais. ASV, Fondo Borghese I: 812, fol. 586v-587v. Qui dit vrai? 189 G. A. Santori, Autobiografia, éd. G. Gugnoni, dans ASRSP, XIII (1890), p. 163.
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Rien de tel dans le cas de l’ambassade du roi de Suède en 1577 ou de celle du tsar de Russie en 1582, sources, la première, d’une profonde déception, la seconde, de désagréments et d’embarras de toutes sortes pour Grégoire XIII. Marié à Catherine Jagellon, sœur du roi Sigismond-Auguste de Pologne, Jean III, roi de Suède depuis 1568, avait tenté à diverses reprises, mais en vain, d’occuper également le trône de Pologne, appuyé en cela par son épouse, fervente catholique. Comprenant qu’il lui faudrait pour cela se rapprocher de Rome, voire promettre de se convertir lui-même au catholicisme et de chercher à convaincre ses sujets d’en faire autant, il décida en 1576 d’envoyer une ambassade officielle au pape chargée d’informer secrètement ce dernier de ses intentions. Cette ambassade fut confiée au général Pontus de La Gardie qui se présenta à Rome en avril 1577 et, ayant informé à l’avance Grégoire XIII que son ambassade en était de fait une d’« obédience », obtint que la cérémonie prévue à cet effet ait lieu, non en public comme cela aurait dû normalement se faire, mais dans les appartements privés du pape en présence de quelques cardinaux triés sur le volet et, cela, pour éviter des ennuis à son maître dont l’annonce d’une conversion prochaine au catholicisme risquait d’être fort mal reçue en Suède et pourrait même mener à sa perte190. Que le pape ait accepté cet arrangement pour le moins inhabituel montre bien qu’il croyait à la sincérité du roi et voyait déjà, aussi naïf que cela puisse paraître, le royaume de Suède rentrer dans le giron de Rome. L’échec de la mission du P. Possevino, jésuite, dépêché auprès de Jean III en vue d’assurer que le roi respecte ses engagements eut tôt fait de démontrer à Grégoire XIII que les intentions de ce dernier étaient liées à ses ambitions politiques plutôt qu’à une volonté bien arrêtée de se faire catholique191. Quel contraste entre cette prestation d’« obédience » de la part d’un souverain « hérétique » qui parlait de se convertir et qu’on traitait comme s’il l’était déjà, et celle des jeunes « princes » japonais qui, eux, n’avaient rien du prestige d’un roi de Suède, mais étaient, par contre, bel et bien catholiques, fiers de l’être et fiers de pouvoir à ce titre faire publiquement au nom de la jeune Église japonaise acte de soumission au pape. Après les faux espoirs suscités par l’ambassade d’« obédience » du roi de Suède, de quel prix celle des daimyô japonais dut-elle être pour un Grégoire XIII vieillissant et traqué par la mort. On pourrait sans doute en dire autant de l’ambassade que le tsar de Russie, Ivan IV, envoya au pape en 1582, bien que celle-ci, et de par sa nature et de par sa portée, se distinguait nettement des deux autres. Tout d’abord, il 190 Aucune trace de cette cérémonie dans le diaire de Francesco Mucanzio, ce qui montre bien qu’elle était secrète. ASV, Fondo Borghese I: 800, passim. 191 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 695-708.
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ne s’agissait pas d’une ambassade d’« obédience » –– le souverain moscovite n’avait aucune intention de se convertir au catholicisme romain, bien au contraire192 ––; il s’agissait plutôt d’une simple mission de courtoisie ouverte à la considération d’une possible alliance avec le pape et certaines puissances catholiques contre la menace turque. De fait, l’idée d’une telle ambassade venait du P. Possevino, homme de confiance de Grégoire XIII, qui de la Suède était passé en Russie où il avait été appelé à jouer divers rôles dont celui de médiateur entre le tsar et le roi de Pologne, ennemis jurés, qui, justement, grâce à lui, venaient de signer une trêve. Aussi est-ce à lui qu’Ivan IV confia le soin d’accompagner l’ambassade en question dirigée par Iakov Molvianinov, ambassade qui, souligne non sans un certain humour Paul Pierling, « allait offrir à l’Europe l’étrange spectacle d’une mission diplomatique orthodoxe se rendant à Rome, guidée par un Jésuite »193. Après un difficile et long périple à travers la Pologne, l’Allemagne, l’Italie avec, dans ce dernier cas, un long arrêt à Venise, on aboutit enfin à Rome le 13 septembre. Le P. Possevino avait eu le temps de se rendre compte que ses compagnons de route n’étaient pas de tout repos. « Hautains, insolents, méfiants à l’extrême, vindicatifs, jouant facilement du couteau, se livrant à toute espèce d’excès, ils avaient besoin d’être retenus dans les bornes par un bras de fer »194. Ce jugement de Paul Pierling semble bien correspondre à la réalité de ce qu’eut à vivre le pauvre P. Possevino durant les longues semaines passées avec les envoyés du tsar, y compris à Rome même. Partageant les « vastes et audacieuses espérances »195 de son homme de confiance quant aux fruits à attendre de l’ambassade en question, Grégoire XIII avait donné ordre que, dès leur arrivée sur le territoire pontifical, les émissaires russes soient partout reçus avec honneur et munificence. Il avait même demandé de retarder leur arrivée à Rome jusqu’à la mi-septembre pour leur éviter les grandes chaleurs de l’été qui risquaient de leur être insupportables196. L’ambassade russe finit donc par faire son entrée à Rome le 13 septembre et fut logée au palais Colonna en attendant l’audience solennelle qui eut lieu trois jours plus tard au palais de Venise dans la salle dite de la Mappemonde où l’attendait le pape rentré la veille de la villa Mondragone à Frascati, son lieu de retraite favori. De toute évidence mal préparée et mal encadrée, la cérémonie prévue pour l’occasion tourna presque au désastre: des intrus avaient réussi à envahir la salle de sorte que les cardinaux eurent toutes les peines du monde à gagner leurs places et, comme si cela ne suffisait pas, le pape avait dû se 192 P. Pierling, La Russie et le Saint-Siège, II, Paris 1846, p. 190-191, von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 706-707. 193 Pierling, La Russie cit., II, p. 192. 194 Ibid., p. 194. 195 Ibid., p. 191. 196 Ibid., p. 201-202.
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contenter d’un simple fauteuil, faute d’avoir pu lui trouver à temps le trône qui, dans les circonstances s’imposait. Désespérés, les officiers pontificaux et le pape lui-même eurent en plus à composer avec les allures désinvoltes, voire grotesques d’un Molvianinov que le P. Possevino dut pratiquement forcer à plier le genou devant le pape et à baiser la mule de celui-ci, mais, par contre, n’arriva pas à convaincre de se découvrir devant le souverain pontife comme le voulait le protocole. L’ambassadeur alla même à un certain moment jusqu’à asséner un vigoureux coup de poing à son secrétaire Tichine, suite à une maladresse de ce dernier. Spectacle lamentable qui en choqua plus d’un, notamment l’ambassadeur de Venise197. Au cours des jours qui suivirent de nouvelles frasques de la part de Molvianinov et de certains membres de sa suite achevèrent de convaincre et la cour et la ville qu’elles avaient affaire à des « barbares » incultes et fort mal élevés198. On les vit partir sans regret le 16 octobre, accompagnés comme à l’aller par le P. Possevino, un P. Possevino sans doute excédé et humilié par tout ce que ces « grossiers » personnages lui avaient fait voir et vivre, à Rome surtout. Mais l’illusion d’une entente possible avec le tsar était toujours là presque intacte, partagée d’ailleurs par son protecteur le pape qui jusqu’à la fin s’efforcera de traiter du mieux qu’il pouvait ses hôtes moscovites et leur confiera même une lettre pour leur maître, l’invitant à la paix avec ses voisins en vue d’une croisade les réunissant tous éventuellement contre l’ennemi commun Ottoman199. L’illusion n’allait pas durer très longtemps. À peine quelques mois plus tard, Grégoire XIII se rendait à l’évidence qu’il avait été floué et que les promesses d’un Ivan IV ne valaient guère mieux que celles d’un Jean III de Suède cinq ans plus tôt. 197 Ibid., p. 204. Une des raisons de ce spectacle lamentable nous est fournie par le cérémoniaire Mucanzio. C’est que ni lui ne son collègue Alaleone ne furent prévenus de cette audience, preuve sans doute qu’on entendait se passer de leurs services. En ayant tout de même été informé à temps, il avait décidé de s’y rendre, ce qui lui permit de constater l’inadmissible degré d’impréparation et d’improvisation de la cérémonie en question, surtout s’agissant d’une ambassade venue de si loin et de la part d’un souverain dont Rome espérait la conversion à la foi catholique. Le pape, dans de telles circonstances, ne pouvait se permettre un tel laisser-aller. Il lui fallait se montrer dans son plus splendide appareil, ce qui malheureusement n’avait pas été le cas, au grand scandale de plusieurs personnes présentes. Et Mucanzio de commenter, amer: « De bien peu de prix sont (aujourd’hui) les maîtres de cérémonie comparativement aux temps passés » (« Exiguo in pretio habent magistri cerimoniarum respectu temporum preteritorum »). ASV, Fondo Borghese I: 812, fol. 338v-341r. Le même Mucanzio fournit un certain nombre de détails que ne mentionnent pas les sources utilisées par Pierling concernant, par exemple, l’entrée de ville de l’ambassade. (Ibid., fol. 335v-336r), la cérémonie comme telle du 16 septembre (Ibid., fol. 336r-338v) et surtout se montre beaucoup plus indulgent que Pierling à l’endroit des envoyés du tsar qui, souligne-til, étaient sans doute quelque peu perdus face à des façons de faire fort différentes des leurs. Ibid., fol. 336v, 341r. 198 Pierling, La Russie cit., II, p. 205-206. 199 Ibid., p. 205, 208.
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Aussi insolites qu’aient pu paraître aux yeux des contemporains les ambassades de la Suède, de la Russie et du Japon à la cour de Grégoire XIII et si dérangeantes, voire frustrantes qu’elles aient pu être, la seconde surtout, pour l’entourage du pape, elles restent en termes de singularité ou d’étrangeté bien en deçà de celle qu’enverra en 1601 au pape Clément VIII le shah de Perse, Abbas Ier. Ce geste, à première vue improbable, surtout de la part d’un chef d’État musulman ou, comme on disait à l’époque, « infidèle », mérite une explication. Il faut en effet savoir que, reprenant le rêve d’un Grégoire XIII de mettre sur pied une ligue anti-ottomane, Clément VIII avait dès le début de son pontificat multiplié les démarches en ce sens auprès de plusieurs souverains catholiques, voire orthodoxes, puis appuyé financièrement et militairement les efforts déployés par certains d’entre eux en vue de déloger les Turcs d’une partie des territoires qu’ils occupaient en Europe orientale. Mais, informé des succès remportés à l’époque contre ces mêmes Turcs par le shah de Perse, il avait très tôt pris contact avec ce dernier, tout musulman qu’il fût, espérant le convaincre de se joindre à la ligue en question. Probablement plus intéressé à ce projet que ne l’avait été le tsar Ivan IV en 1582, Abbas Ier décida en 1600 d’envoyer une ambassade au pape chargée d’explorer cette possibilité avec lui. Informé de la venue de cette ambassade et mesurant l’importance stratégique, décisive peut-être d’une adhésion éventuelle de la Perse à la ligue projetée, Clément VIII demanda à ses principaux officiers de donner à cet événement tout l’éclat possible200. Gian Paolo Alaleone était à l’époque le premier cérémoniaire du pape. Avait-il été témoin des scènes disgracieuses, voire choquantes auxquelles avait donné lieu l’ambassade russe en 1582? Peut-être201. Quoi qu’il en soit, il ne manquait pas autour de lui de personnages qui l’avaient été et il pouvait trouver auprès d’eux comme dans les diaires de ses prédécesseurs d’ailleurs, ceux de Francesco Mucanzio en particulier202, toute l’information voulue. S’il avait été difficile de faire respecter le protocole prescrit dans le cas de représentants d’un prince, non catholique certes, mais tout de même chrétien, que ne fallait-il craindre dans le cas de ceux d’un souverain non chrétien et, au surplus musulman? Grassi avait prévu Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 221. Le 15 décembre 1582, au cours du consistoire tenu ce même jour, Paolo Alaleone obtint, grâce surtout à la protection du cardinal Alexandre Farnèse, la coadjutrerie de son oncle, Lodovico Branca, maître de cérémonies de Grégoire XIII. BAV, Vat. lat. 12293, fol. 1r. Protégé de son oncle et se préparant déjà à lui succéder, il n’est pas impossible qu’il ait été témoin des scènes en question survenues trois mois plus tôt. Il succédera d’ailleurs à son oncle Branca le 1er juillet 1587, suite à la mort de celui-ci, deux jours plus tôt, Ibid., fol. 297v. 202 BAV, Vat lat. 12286, passim. 200 201
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cette éventualité et dans son traité des ambassadeurs inspiré de Patrizi il avait pris soin d’ajouter une section traitant précisément de ce cas203. Mais les us et coutumes de la cour persane n’étaient pas ceux de la cour pontificale et on ne savait rien ou presque des personnes composant l’ambassade d’Abbas Ier. Il fallait donc s’attendre, comme en 1582, à quelques mauvaises surprises. Après un long périple marqué par des arrêts notamment à la cour du tsar, puis à celle de l’empereur, la délégation persane se présenta à Rome le 5 avril 1601. Abbas Ier avait mis à la tête de son ambassade un de ses principaux officiers, un certain Huseyn Alî-Beg, mais flanqué d’un alter ego anglais du nom d’Anthony Shirley, employé depuis quelques années à sa cour204. Or ce dernier prétendait avoir préséance sur son collègue persan, ce que celui-ci contestait vivement et tout au long de leur séjour à Rome, les deux hommes se querelleront à ce sujet en venant même à certains moments aux mains205, ce qui compliqua singulièrement la tâche des cérémoniaires pontificaux, à tel point d’ailleurs que, n’arrivant pas à convaincre leurs hôtes de faire trêve, du moins le temps d’être reçus en consistoire public par le pape, ils durent, d’accord avec ce dernier, se résigner à les recevoir séparément. Ils furent donc invités à se présenter, l’un le 25, l’autre, le 26 avril. Shirley, tout anglican qu’il fût, s’accommoda sans problème du rituel prescrit. Il était là en pays connu. Il n’en alla pas de même de son visà-vis persan qui, lui, n’avait que faire du rituel en question, allant même, souligne Alaleone, jusqu’à s’adresser au pape tête couverte et assis par terre à l’orientale, comme cela se faisait sans doute à la cour de son maître206. Contrairement à ses maîtres de cérémonie, Clément VIII ne s’offusqua pas trop de ces divers accrocs au protocole de sa cour, comme de l’animosité d’ailleurs existant entre les deux diplomates persans. Il eut pour eux 203 M. Dykmans, Paris de Grassi, dans Ephemerides Liturgicae, XCIX (1985), p. 400-403. Le texte original de ce traité se trouve à la BAV, Vat. lat. 1227. Les sections 33 à 39 portent sur la réception d’ambassadeurs non chrétiens ou d’Éthiopie. 204 Sur ce personnage, voir S. LEE, Shirley or Sherley, Sir Anthony (1565-1635?), dans Dictionary of National Biography, XVIII, p. 121-124. 205 Lettres du cardinal d’Ossat, éd. Amelot de la Houssaye, II, Paris 1698, p. 350-351. 206 BAV, Vat. lat. 12295, fol. 120v-121r. Le même Alaleone décrit l’entrée solennelle des ambassadeurs persans arrivés par la porte del Popolo le 5 avril et note, fait inusité, qu’ils furent reçus immédiatement au palais apostolique par le majordome du pape. Parlant de la querelle de préséance opposant les deux envoyés du Shah, il dit ne pas trop s’en surprendre, s’agissant là, souligne-t-il, de gens barbares (« sed non miror, quia barbara gentes »). Il note, par ailleurs, que le sieur Shirley observe le carême et va à la messe, ce que ne fait pas l’ambassadeur Beg, étant musulman. Il souligne aussi le fait que le pape traite ses hôtes persans magnifiquement (« splendide ») et leur a assigné un certain nombre de ses propres camériers, écuyers et palefreniers. Non sans une certaine malice, il souligne le fait que les deux ambassadeurs sont de gros mangeurs: « Angles comedit pisces, perse vero carnes, et devorant », Ibid., fol. 114rv.
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tous les égards possibles, espérant sans doute comme Grégoire XIII avant lui, impressionner à travers eux leur souverain dont il attendait beaucoup. Mais il se rendit lui aussi assez vite compte que ses espoirs allaient être déçus si ce n’est sur le plan religieux, le shah connu pour sa tolérance à l’endroit des non musulmans ayant accepté l’envoi chez lui de nouveaux missionnaires catholiques. Son rêve d’une ligue anti-ottomane n’était pas près de se réaliser207. Les diverses ambassades dont il a été jusqu’ici question, qu’elles aient été ou non d’« obédience », montrent à l’évidence que les papes et leurs cérémoniaires savaient s’adapter aux circonstances particulières entourant chacune d’entre elles, cela pouvant parfois conduire à traiter certains ambassadeurs avec des égards auxquels, à strictement parler, ils n’avaient pas droit ou, encore, à faire exception aux règles protocolaires établies. Cela vaut aussi pour les visites de certains souverains dont nous avons également fait état: celles d’un Frédéric III et d’un Charles VIII au XVe siècle, celles d’un Charles Quint et d’un Côme de Médicis au siècle suivant, parfaites illustrations des « bricolages » protocolaires auxquels même ces grands et parfois périlleux moments donnaient lieu. Mais pouvait-on en l’occurrence faire autrement? Manifestement pas. Qu’il s’agisse d’ambassades d’« obédience » ou de visites officielles de grands personnages, de souverains en particulier, il fallait chaque fois tenir compte de l’incontournable composante politique de chacun de ces grands moments. D’où le dosage étudié, parfois même précautionneux des honneurs rendus à tel personnage ou tels groupes de personnages par rapport à tels autres; d’où les faveurs exceptionnelles faites à certains d’entre eux; d’où également les singularités, voire les incongruités tolérées de la part de certains autres: le tout justifié par les intérêts politiques des papes de l’époque. Intérêts qui, nous l’avons vu, conditionnent de plus en plus les stratégies adoptées et mises en place par ces mêmes papes à partir surtout de la deuxième moitié du XVIe siècle. À preuve le 207 Clément VIII envoya de fait en Perse en 1604 des carmes Déchaux de la Congrégation d’Italie. Il les munit d’un bref à l’adresse du Shah Abbas Ier dans lequel il vantait à profusion la « valeur guerrière » de ce dernier, les grandes victoires remportées sur son ennemi turc et la « renommée éclatante » que cela lui avait valu « par tout l’univers ». Il ne parle plus de ligue anti-ottomane, mais on sent bien que ce rêve est toujours là présent comme en filigrane. B. J. de Sainte-Anne, Histoire de l’établissement de la mission de Perse par les Pères Carmes-Déchaussés. Paris 1885, p. 45-47. De fait, le pape avait secrètement confié aux missionnaires en question, à titre d’ambassadeurs, le soin d’aborder ce sujet avec Abbas Ier. Il est intéressant de noter à ce propos qu’à leur arrivée en Perse à l’automne 1607, ils se firent dire par Robert Shirley, frère d’Anthony, lui aussi à l’emploi du Shah, que celui-ci se plaignait amèrement de l’attitude à son endroit du pape, de l’empereur et des autres princes de l’Occident chrétien qui n’avaient pas encore répondu aux diverses propositions qu’il leur avait faites et qu’il avait même appris que l’empereur entre-temps avait fait la paix avec les Turcs. Ibid., p. 222. La déception de Clément VIII tenait donc tout aussi bien au fait qu’il n’avait pas réussi à rallier ses alliés naturels, les princes chrétiens, à sa cause.
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traitement qu’un Alexandre VI et qu’un Paul III réservent, le premier, à un Charles VIII, le second, à un Charles Quint, et celui que reçoivent des ambassadeurs venus de la Suède, de la Russie et du Japon, au temps de Grégoire XIII, plus tard, de la Perse, au temps de Clément VIII. La fonction de représentation requérait des règles protocolaires, voire liturgiques précises, pointilleuses même, mais étant au service d’une politique et, dans le cas de la papauté, d’une politique à forte composante religieuse, il fallait savoir accommoder les règles en question aux circonstances de temps, de lieu et de personnes au fur et à mesure qu’elles se présentaient, si imprévues, voire si insolites fussent-elles. C’est ce que comprirent et n’hésitèrent pas à faire les papes du XVIe siècle, ne différant guère sur ce point de leurs homologues séculiers, comme eux convaincus qu’en ce domaine la fin justifiait, et justifiait amplement les moyens. N’en déplût à leurs maîtres de cérémonie qui, nous l’avons vu, n’étaient pas toujours d’accord avec eux et eurent plus d’une fois à marcher sur leurs principes et à subir des frustrations, voire des humiliations, du moins à leurs yeux, largement imméritées. Les ambassades d’« obédience », proprement dites, c’est-à-dire celles qui suivaient de plus ou moins près l’élection d’un nouveau pape et servaient en quelque sorte à entériner officiellement l’accession de ce dernier au pouvoir étaient sans doute les moins sujettes à des accommodements du genre. Le traitement de faveur accordé aux ambassadeurs du roi de Naples en 1492 constitue, comme nous l’avons montré plus haut, un cas d’espèce. L’exception confirmant la règle. Ce qui ne veut pas dire que ce type d’ambassade, de nature répétitive, pour ne pas dire stéréotypée et, généralement, sans surprise, revêtait moins d’importance aux yeux des papes de l’époque. Bien au contraire. Et pour cause. L’ambassade d’« obédience » ne venait-elle pas clore, comme une sorte d’ultime confirmation, de placet final, le processus d’accession au pouvoir de celui qui avait été élu, installé, puis couronné « souverain pontife » et ne pouvait-elle pas, en ce sens, être considérée comme le dernier écho du triomphe que représentait pour l’heureux élu et ses proches cette même accession au pouvoir. Et quel pouvoir!Mais malheureusement pour le principal intéressé, ce pouvoir n’était pas là pour durer: inéluctablement la mort allait à plus ou moins brève échéance finir par l’en dépouiller. En d’autres mots, il y avait un envers au décor du pouvoir triomphalement assumé et souverainement exercé et même si cet envers faisait lui aussi depuis longtemps partie, et partie intégrante du rituel de cour et visait d’ailleurs, d’une part, à honorer la figure du pontife disparu, de l’autre, à célébrer sa mémoire, rien n’assurait que ce rituel serait chaque fois suivi à la lettre ou, même s’il l’était, produirait l’effet anticipé ou souhaité. Il n’en restait pas moins un grand moment de la vie de la cour. Et c’est sur l’examen de celui-ci que nous avons choisi de clore le présent chapitre.
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5. Ultimes honneurs? On trouve de premières traces d’un rituel funéraire réservé à la personne du pape au début du XIIe siècle. Mais il faut attendre la fin du XIVe siècle pour voir apparaître un premier cérémonial fournissant le détail du rituel en question. Son auteur: le maître de cérémonies Pierre Ameilh dont il a été fait mention plus haut208. Ce texte sera repris et remanié par Agostino Patrizi dans le cadre de la remise à jour du cérémonial pontifical due, nous l’avons vu, à l’initiative du pape Innocent VIII à la fin du XVe siècle. C’est cette dernière mouture du texte en question qui, à quelques modifications près, servira à encadrer tout au long du XVIe siècle le rituel entourant la mort du pape209. La pièce maîtresse de ce rituel et que l’on trouve d’ailleurs mentionnée pour la première fois dans le Cérémonial d’Ameilh est la neuvaine (novena), c’est-à-dire la période de deuil de neuf jours imposée par le pape Grégoire X en 1274 en lien avec la nouvelle réglementation du conclave qu’il avait fait adopter par le IIe concile de Lyon, mais qui ne sera de fait régulièrement observée qu’à partir de la mort de Clément VI en 1352. En obligeant les cardinaux à attendre dix jours avant d’entrer en conclave, Grégoire X créait, peut-être sans le savoir, « un nouvel espace rituel » destiné à modifier profondément le cérémonial jusque-là observé à la mort d’un pape. En effet, depuis très longtemps la pratique commune était d’ensevelir les papes le jour même de leur décès. Un certain délai commença, il est vrai, à être respecté à partir du XIIIe siècle, mais ce n’est qu’à partir du siècle suivant que put se faire pleinement sentir l’effet de ce point précis de la réglementation de Grégoire X qui d’ailleurs n’était peut-être pas sans lien avec les pratiques funéraires de la cour impériale byzantine. C’est que la novena permettait, entre autres, d’assurer qu’une importante innovation introduite au XIIIe siècle, c’est-à-dire l’exposition de la dépouille du pape défunt, pût beaucoup plus commodément et décemment se faire, permettant ainsi d’honorer une dernière fois, comme il se devait, l’auguste personnage qu’avait été le défunt et qu’en un certain sens il continuait d’être. Mais ce type d’exposition qui parfois s’étendait sur plusieurs jours supposait une forme quelconque d’embaumement, surtout si, comme l’estimait nécessaire le médecin Pierre Argellata au début du XVe siècle, il fallait laisser libre le visage, les mains et les pieds du pape afin que sa mort puisse être attestée publiquement et sa dépouille exposée à la dévotion des fidèles. Nous savons qu’à partir du XIVe siècle, l’embaumement consistait principalement en l’extraction des viscères du défunt. Pierre Argellata di208 A. Paravicini Bagliani, Mort du pape, dans DHP, p. 1143. Pour le texte de Pierre Ameilh, voir Dykmans, Le cérémonial cit., IV, p. 216-227. 209 id., L’œuvre cit., I, p. 158*-162*, 231-237.
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sait pouvoir par là rendre possible une exposition d’au moins huit jours210. Exagération peut-être, mais qui en dit long sur l’importance que l’on accordait à l’époque à l’exposition de la dépouille du pape. Nous verrons plus loin que les maîtres de cérémonie finiront par trouver une façon plus coûteuse sans doute, mais moins risquée d’assurer durant les neuf jours prescrits la mémoire et les honneurs dus au pontife défunt. Cela dit, que savons-nous de l’ensemble du rituel funéraire dont s’inspireront ces mêmes maîtres de cérémonie et qu’ils chercheront par ailleurs, tant bien que mal, à respecter ou faire respecter tout au long du XVIe siècle? Leur référence essentielle, nous l’avons vu, était le Cérémonial de Patrizi, reprise de celui qu’avait produit un siècle plus tôt Pierre Ameilh. Or que leur apprenait Patrizi aussi bien sur le rôle qu’ils étaient eux-mêmes appelés à jouer que sur celui relevant des autres membres de la cour, cardinaux y compris? Notons, tout d’abord, qu’une bonne partie du rituel était consacrée aux derniers moments de la vie du pape. Et là le rôle principal était joué au départ par le ou les médecins, puis par le confesseur du souverain pontife à qui il incombait d’avertir en secret ce dernier de son état et de l’exhorter à penser au salut de son âme. Fait à noter, Patrizi croyait que le confesseur devait en plus encourager le pape à faire de sa préparation à la mort un exemple digne d’être suivi par les autres princes ou souverains chrétiens. Mis au courant de son était, il était prévu que le pape fasse alors sa confession et demande l’indulgence plénière à l’article de la mort. Suite à quoi il faisait venir dans sa « chambre » (camera) ses prélats domestiques et ses principaux familiers et, en leur présence, devant le Saint Sacrement, renouvelait sa profession de foi, puis après avoir demandé pardon à tous ceux qu’il aurait pu offenser, accordait quelques ultimes faveurs tout en priant les personnes présentes de se souvenir de lui après sa mort. C’est alors qu’intervenait le sacriste ou, au choix du pape, un autre prélat de son entourage qui lui administrait le viatique et, le cas échéant, les autres rites prévus à cette occasion. Terminée cette partie plus « intime » et plus personnelle du rituel de préparation à la mort, le pontife convoquait à son chevet tous les cardinaux présents à Rome. Il commençait par leur recommander l’Église qu’il allait bientôt quitter, puis les exhortait à élire le plus rapidement possible son successeur, successeur idéalement mieux préparé et plus compétent que lui. Patrizi indique à ce propos que le pape pouvait, s’il le désirait, proposer un ou plusieurs noms de candidats qu’il considérait idoines. Suivaient des informations de sa part sur ses dettes et créances, mais aussi sur ses avoirs, en particulier les pierreries et autres objets précieux en sa possession. Selon 210
Paravicini Bagliani, Mort cit., p. 1143-1144. Du même, voir aussi La cour cit., p. 258.
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Patrizi, il pouvait à ce moment faire son testament et, s’il le souhaitait, indiquer le lieu où il voulait être inhumé. Puis il recommandait sa parentèle et sa clintèle aux cardinaux présents en même temps qu’il leur concédait un certain nombre de grâces spirituelles, après quoi ces derniers le quittaient, munis, il va sans dire, de sa bénédiction. Patrizi signale que cette ultime rencontre, à première vue, de simple « passation de pouvoirs », pouvait parfois se transformer en tout autre chose comme ce fut le cas lors de la « longue et douce conversation » que Pie II eut, en 1464, à quelques heures de sa mort avec ses cardinaux, « conversation » qui suscita chez ces derniers une très grande émotion dont Patrizi lui-même fut d’ailleurs témoin211. Survenus les derniers moments du pape, un des prélats domestiques devait se tenir constamment à ses côtés, lui montrant et lui faisant à divers moments baiser un crucifix qu’il tenait dans sa main tout en lui parlant dévotement de la passion du Christ. Pendant tout ce temps, les camériers présents s’assuraient que leur maître ne manque de rien. Le moment venu, le sacriste lui administrait l’extrême onction et recommandait son âme à Dieu. C’est alors que se présentaient les pénitenciers de Saint-Pierre, entourant le pape et récitant à son intention les psaumes de la pénitence ou quelque autre prière appropriée, puis, une fois constaté son décès, entamant le chant de l’office des défunts. Les cardinaux entraient alors à nouveau dans la chambre mortuaire et, se joignant à eux, prononçaient chacun, à tour de rôle, les répons et oraisons d’usage. Ce premier temps de prière terminé, on procédait aussitôt à la toilette du corps du défunt où intervenaient cette fois le camerlingue, les frères dits du plomb ou bullaires, le barbier et, de nouveau, le sacriste. On lavait à deux reprises le cadavre, la deuxième fois avec du vin blanc chaud et parfumé, le tout suivi d’un léger embaumement. À noter que Patrizi ne parle pas d’extraction des viscères, ce qui semblerait indiquer que cette pratique n’était pas courante à son époque en raison peut-être de la décrétale Detestande feritatis promulguée en 1299 pour le pape Boniface VIII qui interdisait surtout le dépècement des cadavres, mais qui parlait aussi de l’extraction des viscères, pratique qu’il trouvait également barbare. Mais qu’elle fût ou non rare à son époque, cette pratique ne l’était plus au XVIe siècle, comme nous l’apprend Moroni citant le cas des papes Jules II, Clément VII, Paul IV, Pie IV, Pie V et Sixte V dont les entrailles, précise-t-il, furent déposées, les cinq premiers, dans les grottes de Saint-Pierre, le dernier, à l’église San Vincenzo e Anastasio, voisine du Quirinal212. Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 158*-159*, 231-233. Ibid., p. 160*-161*, 233-235. En ce qui concerne l’extraction des viscères, voir G. Moroni, Cadavere, dans Dizionario di erudizione, V, p. 202-204 et, du même, Preendi de’ Papi, Ibid., LV, p. 62. 211 212
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Complétée la toilette du corps du défunt, les pénitenciers reprenaient du service, chargés cette fois de vêtir le pape des habits ordinairement portés par lui, rochet y compris, auxquels ils prenaient soin d’ajouter les vêtements liturgiques qu’il était tenu de porter lorsqu’il célébrait et, cela, depuis les sandales jusqu’à la mitre. Cet habillage se faisait habituellement dans la « chambre secrète », c’est-à-dire l’appartement privé du pape. Puis, de là, le corps était transporté dans la salle du Perroquet où il était placé sur un brancard ou lit funèbre couvert de drap d’or et décoré des armes du défunt, un large oreiller, lui aussi en tissu d’or, lui soutenant la tête, tandis qu’à ses pieds deux autres oreillers semblables portaient les chapeaux rouges dont, de son vivant, il avait fait usage. Si le décès survenait la nuit, les pénitenciers –– toujours eux –– assuraient la veille du défunt, y allant de psalmodies diverses, comme durant la période de l’agonie. L’heure venue, le cadavre était de nouveau transporté, cette fois à la chapelle Sixtine, le tout dans le cadre d’une procession impliquant le sous-diacre pontifical portant la croix, le chœur de la Sixtine chantant de concert avec les pénitenciers le Subvenite et 26 ou 28 écuyers pontificaux munis de torches, euxmêmes suivis des autres membres de la « famille » pontificale. Une fois sur place, chœur de la Sixtine et pénitenciers procédaient au chant des vêpres, puis des matines des défunts en attendant qu’arrive le clergé: chanoines de Saint-Pierre, tout d’abord, ou, à leur défaut, religieux des divers ordres présents à Rome qui, à tour de rôle, chantaient l’office des défunts qui leur était propre, complété chaque fois par l’encensement et l’aspersion du corps autour duquel ils étaient réunis. Achevée cette plus ou moins longue série d’absoutes, on procédait de nouveau au transport de la dépouille du défunt pape vers le lieu où allaient se tenir ses funérailles, c’est-à-dire la basilique Saint-Pierre, le tout dans le cadre une fois de plus d’une procession, mais plus imposante que la précédente, comprenant plusieurs des personnages venus l’honorer à la Sixtine et d’autres encore portant chacun une « torche » ou un cierge et, à la suite du brancard arborant le corps du défunt, toute la « famille » pontificale en habit de deuil. Un office des défunts plus solennel que les précédents était alors célébré en présence des nombreuses personnes présentes. La période d’exposition pouvait alors commencer. On ne saurait trop insister sur cette étape du rituel funéraire qui depuis le XIIIe siècle n’avait cessé de prendre de l’importance, manifestant par là même un intérêt croissant pour la dépouille du pape, intérêt nourri par une rhétorique de plus en plus insistante sur le devoir de rendre au pape défunt tous les honneurs qui lui étaient dus213. Cette exposition, comme le souligne avec justesse Agostino Paravini Bagliani, doit être replacée dans le contexte de 213
A. Paravicini Bagliani, Le corps du pape, Paris 1997, p. 142.
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l’imitatio imperii qui était à l’origine de nombreuses pratiques et de nombreux rites introduits dans le cérémonial pontifical depuis le XIIe siècle surtout214. S’inspirant de l’exemple de Byzance où « la dépouille de l’empereur, revêtue des habits du couronnement, était exposée dans la Salle des Dix-Neuf-Lits », l’exposition du corps du pape défunt, comme à Byzance, n’avait pas « pour seul but d’authentifier publiquement sa mort : elle (était) aussi instrument au service de sa gloire »215. Patrizi parlait dans son Cérémonial d’une période d’exposition de deux ou trois jours –– on finira par fixer cette période à trois jours ––, période durant laquelle les fidèles, des plus humbles aux plus éminents, étaient invités à venir s’incliner devant la dépouille du pape et, si tel était leur désir, lui baiser une dernière fois, le pied ou la main, car, terminée cette période, le corps du défunt devait être transporté de nuit à la grande chapelle du palais d’où il était prévu qu’on procède immédiatement à son inhumation là où il avait été décidé qu’elle se fasse216. Pendant tout ce temps on s’activait à la préparation des obsèques, en particulier du castrum doloris, pièce maîtresse autour de laquelle allait se dérouler cette autre séquence-clé du rituel funéraire décrit par Patrizi, séquence, bien entendu, elle aussi « au service de (la) gloire » du pape. Le castrum doloris qu’on appellera plus tard « catafalque » était apparu à Rome au cours du XVe siècle. Il s’imposera rapidement pour les funérailles non seulement des papes, mais également des cardinaux et de certains autres grands personnages217. Dans son ouvrage: L’homme devant la mort, Philippe Ariès montre, preuves à l’appui, que cette coutume était née en Europe du Nord où, à partir de la fin du Moyen Âge, on répugna de plus en plus à laisser voir le corps du défunt et qu’on chercha donc à le dissimuler, tout d’abord sous un linceul, puis dans un cercueil et, comme si cela ne suffisait pas, du moins aux yeux de la noblesse et de la haute bourgeoisie de l’époque, sous une construction, au départ assez modeste, mais avec le temps de plus en plus élaborée, appelée parfois chapelle du fait qu’elle était entourée d’un luminaire, comme les chapelles des saints, ou encore « représentation » en ce qu’elle n’était pas sans rappeler les effigies qu’on avait jusque-là pris l’habitude de placer sur les cercueils des « grands » au moment de leurs funérailles218. À Rome, Ibid., p. 38-41. Ibid., p. 154-155. 216 Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 161*, 235. Sur l’inhumation comme telle, voir Ibid., Appendice III, p. 244-250. Il s’agit d’un texte inédit de Burckard fournissant à ce sujet des précisions fort intéressantes qu’on ne trouve pas chez Patrizi. 217 Ibid., p. 161*, 224-230. Au sujet du castrum doloris et de son usage lors des funérailles des papes et des cardinaux à l’époque, voir S. Chiesi, Il « Tractatus de Funeribus » de Paride de Grassis, thèse de doctorat, Rome, La Sapienza, 2008, p. 89-92. 218 P. Ariès, L’homme devant la mort, Paris 1977, p. 172. 214 215
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comme dans les diverses capitales du pourtour méditerranéen d’ailleurs, on n’avait pas la même répugnance à voir, approcher, toucher même le corps du défunt. Bien au contraire. À preuve les trois jours durant lesquels à Saint-Pierre la dépouille du pape, visage, mains et pieds découverts, était livrée au regard et à la vénération des fidèles défilant en grand nombre devant le lit funèbre où elle reposait. On n’en adoptera pas moins, et assez tôt, le castrum doloris, mais pour des raisons toutes autres d’ordre d’abord et avant tout pratique et symbolique. En effet, exposer le corps du pape défunt ne fût-ce que trois jours n’était pas sans poser problème, qu’il y eût ou non extraction des viscères. Comme le souligne avec raison Maria Antonietta Visceglia, dans un cas comme dans l’autre, le succès était loin d’être assuré219. Aussi, comme nous le verrons plus loin, ne sera-t-il pas toujours possible d’observer la règle des trois jours. Le castrum doloris permettait de pallier à cet inconvénient en rendant présent non plus physiquement, mais symboliquement le corps du pape défunt et, cela, durant toute la période de deuil prescrite. Comme en Europe du Nord, le « catafalque » prendra avec le temps, du moins en ce qui concerne la papauté, des airs de plus en plus imposants et impressionnants, comme semblait le requérir aux yeux d’un nombre grandissant de promoteurs et défenseurs du pouvoir pontifical la grandeur et le prestige de celui qui, de son vivant, avait été, pour employer une formule chère à Pierre Damien (10071072), « le premier parmi les hommes (praecipuus hominum) »220. Le rite d’inhumation du pape complété, donc généralement au XVIe siècle trois jours après sa mort, débutait la neuvaine proprement dite, c’està-dire les novemdiales marquées par la célébration en présence du castrum doloris de neuf messes funéraires présidées, la première, par le doyen des cardinaux évêques –– messe, notons-le, suivie du panégyrique du pontife défunt ––, la dernière, par le second de ces mêmes cardinaux, les autres étant assurées par sept de leurs collègues selon un strict ordre de préséance. Étaient par ailleurs concurremment célébrées, le premier jour, deux cents, les autres jours, cent messes lues pour le repos de l’âme du disparu. Les premiers et derniers jours des novemdiales étaient les plus représentatifs et significatifs car les messes célébrées ces jours-là à Saint-Pierre étaient d’une particulière solennité, regroupant, d’ailleurs, et de loin, le plus de monde, depuis les cardinaux et autres dignitaires ecclésiastiques et laïques présents à Rome jusqu’aux clergés séculiers et réguliers de la ville, en passant par les membres de la cour et de la proche parentèle du défunt pape, l’ensemble des officiers de curie ainsi que de ceux de la ville, ces trois derniers groupes Visceglia, La città cit., p. 83. Ariès, L’homme cit., p. 172. Sur la formule de Pierre Damien, voir Paravicini Bagliani, Le corps cit., p. 26-27. 219 220
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vêtus de noir aux frais de l’administration pontificale et, pour cette raison, appelés pallati221. Ces derniers, comme l’ensemble des personnes présentes d’ailleurs, avaient en outre droit à un cierge dont la taille et la quantité variaient selon le statut ou le rang occupé par chacun, là encore aux frais de la trésorerie pontificale. À noter que ce luminaire était distribué immédiatement après le chant de la première oraison et, cela, non seulement à la première et à la dernière, mais à toutes les messes des novemdiales, le tout représentant une considérable dépense. Le premier jour des obsèques, un important luminaire était par ailleurs disposé un peu partout à Saint-Pierre, mais, en particulier, au-dessus et autour des castrum doloris, là aussi à très grands frais222. Autant d’éléments qui ajoutaient à l’éclat de la cérémonie en cours et qui, manifestement, servaient à honorer et à magnifier l’homme qu’avait été le pape et le pouvoir, l’immense pouvoir qu’il représentait. C’est qu’au terme d’une longue réflexion tout à la fois théologique et canonique qui remontait au XIe siècle, plus exactement à l’époque de Pierre Damien, un des inspirateurs de la réforme de l’Église du temps, on avait fini par réconcilier caducité et pérennité du pouvoir pontifical, c’est-à-dire le fait que, d’une part, chaque tenant de cet extraordinaire pouvoir était mortel et donc appelé à disparaître, mais que, d’autre part, ce pouvoir, lui, ne disparaissait pas, car il se transmettait d’un pape à l’autre, non par voie dynastique comme chez les souverains temporels, mais par voie ecclésiale, le collège cardinalice chargé d’élire le nouveau pape exerçant jusqu’au moment de cette élection, à titre collectif, le pouvoir en question223. En d’autres mots, le pape mourait, mais l’Église, elle, n’était d’aucune façon sujette à la mort. D’où toute une rhétorique, dont nous avons fait état plus haut, insistant de plus en plus sur les « honneurs » dus au corps du pape défunt, ces honneurs étant de plus en plus vus comme ne faisant qu’un avec ceux dus à l’Église, le pape, selon certains, faisant lui-même corps avec l’Église224. Ces « honneurs, nous venons de voir, grâce au cérémonial de Patrizi, en quoi à la fin du XVe siècle ils pouvaient consister. Peut être faudrait-il ajouter ici quelques éléments empruntés à Burckard qui décrit, entre autres, l’appareil qu’on avait l’habitude d’installer au-dessus de la sépulture du pape, appareil qui consistait en une « châsse » ou capsa noire couverte d’un drap de même couleur, surmontée d’une grande croix blanche et ornée aux quatre coins des armes du défunt, avec à chacune des extrémités deux imposants candélabres supportant des « torches » appelées à brûler 221 Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 161*, 156-157, 224-230, 236. Chiesi, Il « Tractatus de Funeribus » cit., p. 78-92. 222 Ibid., p. 84-88. 223 Paravicini Bagliani, Le corps cit., p. 21-92, 166-190. 224 Ibid., p. 88-89.
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jusqu’à un an au moins après la mort du pape225. Du même Burckard nous possédons une description détaillée du castrum doloris qui montre à quel point, de son temps déjà, on avait donné à ce monument des proportions et une décoration des plus impressionnantes en plus de l’entourer de flots de lumière provenant de quelque deux cents « torches » dont une bonne quarantaine placées près du castrum doloris lui-même226. Le doute n’est plus possible: on tenait manifestement à ce que soit honorée, célébrée même la mémoire de l’auguste personnage symboliquement représenté par le monument en question, monument, ne l’oublions pas, placé au centre de la basilique Saint-Pierre et, surtout, point de mire des rites funéraires qui, chaque jour, s’y déroulaient, en particulier celui de l’absoute intervenant à la fin de chacune des messes cardinalices célébrées ces jours-là. Mais les modèles proposés par un Ameilh, un Patrizi, un Burckard, plus tard, un Grassi, comme ils en avaient d’ailleurs eux-mêmes parfaitement conscience, ne pouvaient pas toujours être suivis à la lettre et leurs maîtres, comme ceux de leurs successeurs, n’auront pas toujours droit au traitement, encore moins aux honneurs auxquels, selon les modèles en question, ils auraient normalement pu s’attendre. Que nous disent à ce sujet les sources narratives de l’époque? Le cas d’Alexandre VI est, à cet égard, des plus éloquents, pour ne pas dire emblématiques, car le traitement qu’il subit à sa mort fut tout sauf honorable. Burckard raconte que, décédé le 18 août 1503 à l’heure de vêpres, après s’être confessé, puis avoir reçu, comme il se devait, le viatique et l’extrême onction, c’est son collègue –– sans doute Bernardo Guttierez –– entré quelque temps après dans la chambre du défunt qui prit les premières dispositions qui, en l’occurrence, s’imposaient, demandant, d’une part, à Baldassare Nicolai, familier du sacriste, de procéder du mieux qu’il pouvait à la toilette du corps du pape, puis, ayant réussi à trouver quelques vêtements qui avaient échappé au pillage des appartements pontificaux depuis un bon moment en cours, assura lui-même un premier habillage de la dépouille d’Alexandre VI avant de faire transporter celle-ci dans une antichambre voisine où elle fut posée sur un brancard ou lit mortuaire. On aura remarqué l’absence de la plupart des officiers qui, selon le Cérémonial de Patrizi, auraient dû normalement être présents et participer à toutes ces opérations. Informé par son collègue du décès du pape, Burckard se présenta au palais environ une heure plus tard, au moment où on annonçait officiellement la mort du souverain pontife. Il s’employa aussitôt à compléter la vêture du pape, cette fois avec les ornements pontificaux prévus pour l’occasion ou, du moins, ce qu’il put en trouver et, de là, fit 225 226
Dykmans, L’œuvre cit., I, Appendice III, p. 249. Ibid., p. 250.
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à nouveau transporter le corps du défunt, cette fois dans la salle du Perroquet où fut complétée la décoration du lit mortuaire, Les pénitenciers ne s’étant pas présentés pour l’office des morts, la dépouille du pape resta là, seule, toute la nuit, ayant pour unique compagnie deux « torches » qui avaient été posées de chaque côté de l’appareil sur lequel il reposait. Le lendemain matin, comme le prévoyait le cérémonial, Burckard assisté de quatre pénitenciers qui avaient finalement fait acte de présence, puis d’un certain nombre de cubiculaires et d’écuyers, chacun de ces derniers muni d’une « torche », procéda au transfert de la dépouille du pape vers la Sixtine où se trouvaient déjà les religieux de la ville et les chanoines et clercs de SaintPierre qu’il avait fait convoquer la veille à cet effet. Ces derniers, aussitôt le cortège arrivé sur place, furent invités à s’y joindre et on repartit, sans autre cérémonie vers Saint-Pierre, les chanoines entourant la dépouille du pape qui, elle –– détail intrigant –– était portée par un certain nombre de pauvres. On se rendit ainsi, en plus ou moins bon ordre, jusqu’au centre de la basilique où il avait été prévu que soit placé le lit mortuaire sur lequel gisait le pape, le tout en vue de l’expositio, rite essentiel d’ailleurs lui aussi prévu par le cérémonial. C’est alors que se produisit un incident des plus disgracieux, certains soldats de la garde papale ayant cherché à s’emparer des « torches » ou cierges qu’ils avaient sous les yeux et les membres du clergé, indignés, ayant tenté de les en empêcher. Il s’ensuivit une cohue indescriptible qui obligea les clercs, incapables de tenir tête à la soldatesque, à s’enfuir à la sacristie. La dépouille du pape se trouva de ce fait pratiquement abandonnée. Burckard, craignant le pire, s’empressa avec trois de ses aides de transporter le lit funéraire dans le chœur de la basilique où il le plaça entre l’autel principal et la grille du chœur qu’il fit aussitôt fermer à clef. Partageant les craintes du maître de cérémonies, mais soucieux par contre d’assurer que le peuple puisse au moins voir le corps du pape comme l’exigeait le rite de l’exposition, un intime du pape, Martin Zappata, fit placer le lit mortuaire tout contre ladite grille de sorte que les pieds du défunt puissent non pas être baisés comme le voulait la coutume, mais simplement touchés de la main par les fidèles qui le souhaiteraient. Le corps fut ainsi exposé durant les heures qui suivirent, la grille restant durant tout ce temps soigneusement verrouillée. Il importe de préciser –– et c’est Burckard une fois de plus qui nous en informe –– que le corps du pape était déjà à ce moment dans un état de décomposition avancée, horrible à voir et donc peu attirant, pour ne pas dire plus. Rares, par conséquent, durent être les fidèles, voire les proches prêts dans les circonstances ne fût-ce qu’à s’approcher de ce corps « sombre et affreux »227. 227 Burckard, Liber notarum cit., II, p. 352-355. Leonetti, Papa Alessandro VI cit., III, p. 379389. Martin Zappata était une « créature » des Borgia. Chanoine et trésorier de Tolède, un des plus riches diocèses d’Espagne, le jeune César Borgia, l’avait nommé en 1491 administrateur du diocèse de Pampelune dont il venait d’être nommé titulaire par Innocent VIII. En 1499,
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La nuit tombée, sans doute en raison de l’effroyable état du corps du défunt –– il ne pouvait être en l’ocurrence question de respecter la règle des deux ou trois jours –– on expédia la dépouille du pape à la chapelle dite des Fièvres (« Nostra Signora della Febre »), et là, rapporte Burckard, six hommes « de la plus grande vulgarité » chargés de préparer l’inhumation du pape traitèrent ce dernier avec une brutalité inouïe, l’abreuvant de railleries, voire de blasphèmes du plus mauvais goût avant de le déposer à grand renfort de coups de poing et sous un vilain drap trouvé sur place dans le cercueil que deux maîtres menuisiers venaient de construire à son intention, mais qui s’était avéré trop court et trop étroit pour lui228. Pouvait-on imaginer plus grande humiliation? Les circonstances de la mort d’Alexandre VI –– au plus chaud de l’été, suite à ce que certains crurent être un empoisonnement alors qu’il s’agissait selon toute probabilité d’une violente attaque de paludisme, l’absence de plusieurs de ses proches, les inimitiés dont sa famille et lui-même faisaient l’objet –– autant d’éléments qui pourraient expliquer ce traitement des plus déshonorants, comme d’ailleurs les nombreuses entorses au Cérémonial de Patrizi indiquées plus haut qui, elles aussi, n’étaient pas de nature à servir « la gloire » du second pape Borgia. Si l’on ajoute à cela le caractère étriqué des obsèques auxquelles il eut le droit par la suite, c’est de « honte » qu’il faudrait plutôt parler229. Ennemi juré d’Alexandre VI, Jules II qui, en son for intérieur, ne devait pas être trop fâché de voir son prédécesseur ainsi humilié,, n’en éprouvait pas moins une grande angoisse à la pensée qu’il pourrait un jour subir le même sort et ayant fait part de ses craintes à son maître de cérémonie, Paride de’ Grassi, il s’était dit prêt à le payer par avance pour qu’il lui évite l’infamie de se voir, à sa mort, tout pape qu’il fût, abandonné de tous, gisant d’indigne manière pratiquement nu, « les parties honteuses découvertes », comme cela avait été plus d’une fois le cas avant lui230. Il faut dire qu’étant passé quelques années plus tôt à deux doigts de la mort, il s’était vu ainsi traité et qu’il en avait sans doute gardé un très mauvais pour ne pas dire terrifiant souvenir231. Rares furent toutefois au XVIe siècle les occasions où des papes eurent à subir pareilles humiliations. Il arriva qu’une mort précipitée ou des complications de dernière heure privent l’un ou l’autre d’entre Alexandre VI l’avait promu au siège de Sessa Arunca. Il faisait alors partie du cercle des intimes du pape. Sur ce personnage, voir Cloulas, Les Borgia cit., p. 85 et Eubel, Hierarchia cit., II, p. 293; III, p. 305. 228 Burckard, Liber notarum cit., II, p. 354-355. 229 Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 575. 230 Paravicini Bagliani, Le corps cit., p. 148-149. 231 Shaw, Julius II cit., p. 172.
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eux d’une partie des rites prévus à l’article de la mort. Ainsi un Léon X, à cause de son grand état de faiblesse, et un Sixte V, à cause du catarrhe qui l’affligeait, ne purent recevoir le viatique232. Grégoire XIII et Urbain VII, morts presque subitement, eurent tout juste le temps de recevoir l’extrême-onction233. Inutile de dire que dans tous ces cas, comme dans celui de Marcel II d’ailleurs, mort d’apoplexie234, une bonne partie du rituel de préparation à la mort dont, nous inspirant de Patrizi, nous avons fait état plus haut, ne put être observé. En ce qui concerne les rites funéraires comme tels, les seules irrégularités dignes de mention concernent Jules III qui, pour des raisons mystérieuses, dut se contenter d’obsèques d’une extrême modestie qu’un témoin de l’époque qualifie même de « sordides » et Paul IV dont le corps ne fut exposé que durant quelques heures par crainte de voir le peuple s’en emparer pour lui faire un mauvais sort235, comme cela avait failli être le cas pour Alexandre VI. Mais, à ces quelques exceptions près, les maîtres de cérémonie furent généralement à même de respecter et faire respecter le rituel prévu avec tout le respect, tout le décorum et toute la majesté qui, en l’occurrence, s’imposaient. Les diaires d’un Grassi, d’un Baroni, d’un Firmano, d’un Mucanzio et d’un Alaleone, d’un Grassi en particulier, prolixe à souhait en la matière, ne permettent pas d’en douter. Ainsi, par ce dernier, apprenons-nous que, contrairement à ce qu’il appréhendait, Jules II eut droit à tous les égards prévus par le Cérémonial de Patrizi, qu’en plus, les fidèles vinrent en très grand nombre lui rendre hommage à Saint-Pierre durant la période d’exposition de son corps –– hommage, précise-t-il, empreint d’une très grande émotion –– et qu’enfin, ses obsèques furent dignes du grand pape qu’il avait été. C’est le même Grassi qui souligne le fait que Léon X, par contraste, dut se contenter de funérailles beaucoup plus modestes qui ne concordaient pas avec la magnificence et la munificence du personnage, mais que cette anomalie était due au fait qu’à sa mort, sa caisse, comme celle de l’administration pontificale d’ailleurs, était pratiquement vide236. Chose certaine, le témoignage des maîtres de cérémonie permet de constater que les rites entourant la mort du pape Von Pastor, Storia dei papi cit., IV, p. 325; X, p. 408. Ibid., IX, p. 851; X. p. 519. 234 Ibid., VI, p. 335. 235 BAV, Urb. lat. 1039, fol. 79r. Il s’agit d’un avviso du 26 août 1559. En ce qui concerne Jules III, nous renvoyons au témoignage de Massarelli dans Conc. Trid., II, Diar. 2, p. 199. Massarelli se dit d’autant plus surpris du caractère sordide des funérailles en question qu’il y avait selon lui une réserve de quelque 33.000 écus au Château Saint-Ange déposés là par le défunt pape et qui auraient pu servir à lui offrir des funérailles dignes de son rang. 236 Sur Jules II, voir Cloulas, Jules II cit., p. 299-301. En ce qui concerne Léon X, nous renvoyons à E. Rodocanachi, Le pontificat de Léon X, 1513-1521, Paris 1931, p. 278. 232 233
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avaient atteint au XVIe siècle un degré de sophistication rejoignant ceux de leur installation (élection, couronnement, possesso), assurant par le fait même qu’à l’un et l’autre de ces « passages », sedens et sedes, c’est-àdire pape et papauté soient pareillement, mieux, conjointement honorés et que se fasse ainsi, dans l’intérêt de toute l’Église, l’indispensable « soudure » d’un pontificat et d’un pape à l’autre. Mais les rites en question n’avaient pas fini d’évoluer et, à l’image de ceux de l’« installation », allaient connaître de nouveaux et, jusqu’à un certain point, prévisibles développements reflétant une ecclésiologie de plus en plus centrée sur la personne du pape et sur l’exceptionnel pouvoir qu’il représentait ou, du moins, qu’un nombre grandissant de théologiens et de canonistes lui attribuaient à l’époque. Premier indice de cette évolution : la place de plus en plus importante que va occuper un rite nouveau venu au cours du XVIe siècle se greffer sur le cérémonial mis au point par Patrizi, soit la translation des restes de certains papes à l’église que souvent ils avaient eux-mêmes choisie comme lieu de dernier repos, église où à leur initiative ou à celle de leurs proches avait été aménagé à cette fin un tombeau, parfois même une chapelle célébrant leur mémoire et, par le fait même, fournissant à leurs parentèles une occasion à nulle autre pareille d’« autocélébration »237. Compte tenu du caractère privé de l’initiative en question, le rituel auquel elle donnera éventuellement naissance se déroulera, les premières fois du moins, dans la plus grande discrétion. C’est sans aucune pompe (« senza alcuna pompa ») et, de surcroît, de nuit que le corps de Pie IV sera transporté le 4 janvier 1583 de Saint-Pierre à l’église Santa Maria degli Angeli dont il avait entrepris de son vivant la construction et où, par voie de testament, il avait demandé qu’au moment jugé opportun on transporte son corps238. Il en sera de même pour Pie V dont les restes seront transférés le 8 janvier 1588, eux aussi de nuit, à Sainte-Marie-Majeure où les attendaient le tombeau que son émule, Sixte V, avait fait construire dans la chapelle Sixtine érigée par ses soins et où il entendait Visceglia, La città cit., p. 86-87. Ibid., p. 87. On avait dès le début du XVIe siècle songé à édifier une église dédiée aux Saints Anges sur le site des Thermes de Dioclétien. Mais c’est sous Pie IV que fut entreprise la construction de cette église. La mort de Michel-Ange en 1564 suivie de celle de Pie IV l’année suivante entraîna l’interruption des travaux qui ne reprirent que sous Grégoire XIII. Ce n’est donc qu’en 1583 qu’on put procéder au transfert des restes de Pie IV vers Santa Maria degli Angeli. La construction de la chapelle Saint-Pierre où devaient reposer ces restes n’étant pas encore terminée, c’est dans le presbytère voisin que le pontife fut inhumé en attendant un transfert définitif qui, lui, n’aura lieu qu’en 1596. N. Cardano, Rione XVIII - Castro Pretorio, Rome 2000 (Guide Rionali di Roma, II), p. 69-75. 237 238
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bien l’y retrouver un jour239. On aura remarqué que ces deux translations intervenaient, dans le premier cas, à dix-huit, dans le second, à treize ans de distance du décès de l’un et l’autre pontife. C’est qu’il avait fallu, dans chaque cas, attendre pour ce faire que soient réunies toutes les conditions requises, entre autres, l’autorisation du pape régnant: Grégoire XIII, dans le cas de Pie IV, Sixte V, dans le cas de Pie V240. Rien de tel en ce qui concerne ledit Sixte V qui, lui, eut droit à ce même privilège, mais moins d’un an après sa mort, soit le 26 avril 1591 et, surtout, au cours d’une cérémonie non plus privée, mais bel et bien publique et, au surplus, en plein jour, cérémonie qui vit la Rome curiale et cléricale presque au complet défiler de Saint-Pierre à Sainte-Marie-Majeure qu’à l’instar de son « maître » Pie V, le pape Peretti avait lui aussi choisi comme lieu d’ultime repos. On assista de fait, ce jour-là, à un véritable « triomphe » qui n’était pas sans évoquer ceux de la première moitié du XVIe siècle. En tête du cortège figuraient les clergés séculier et régulier de Rome suivis d’un certain nombre d’orphelins, de pauvres et autres « pupilles » du pape défunt, puis venait la « bière » (bara) contenant les restes de ce dernier portée à tour de rôle par les chanoines de Saint-Pierre, de Saint-Jean-du-Latran et de Sainte-Marie-Majeure eux-mêmes entourés de part et d’autre par la Garde Suisse, enfin, fermant le cortège et cavalcadant comme aux grands jours, défilait en grande pompe tout le collège des cardinaux, les prélats assistants et l’ensemble de la « famille » du pape régnant, Grégoire XIV, que le neveu de Sixte V, Alessandro Peretti, mieux connu sous le nom de cardinal Montalto avait réussi à convaincre d’autoriser la translation des restes de son oncle et surtout la solennité avec laquelle cette translation se ferait. Mais ce cortège, si impressionnant fûtil, n’était là en réalité que pour servir de prélude à la cérémonie qui allait suivre à Sainte-Marie-Majeure où devait être rendu un dernier hommage et célébré une dernière fois avec tout autant sinon plus de solennité la mémoire du pape Peretti. Célébration qui allait avoir pour point de mire le castrum doloris ou « catafalque » que l’on avait installé au centre de la nef de Sainte-Marie-Majeure en vue de rappeler à l’aide de symboles et d’allégories de toutes sortes la grandeur du personnage dont on faisait mémoire: ses vertus aussi bien religieuses que politiques, ses réalisations, surtout, représentées par des reproductions des colonnes d’Antonin et de Trajan de même que par les quatre obélisques qu’il avait fait dresser à divers points stratégiques de la ville, reproductions symbolisant les efforts 239 Visceglia, La città, p. 87. Sur cette chapelle, voir L. Barroero, Rione I - Monti (Guide Rionali di Roma, III), p. 102-108. 240 Est-il besoin de rappeler ici que Grégoire était une « créature » de Pie IV, alors que Sixte V l’était de Pie V.
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par lui déployés pour christianiser autant qu’il le pouvait ce qu’il restait à l’époque de la Rome monumentale païenne. Inondé de lumière grâce au luminaire imposant que l’on avait pris soin de disposer tout autour, l’appareil en question qui, notons-le, dépassait, et de loin, tout ce qu’on avait vu jusque-là à Rome en la matière ne manqua pas d’impressionner les personnes présentes, comme en témoignent les descriptions admiratives que nous ont laissées un certain nombre de contemporains241. Comme le souligne avec justesse Maria Antonietta Visceglia, on est là devant une innovation importante qui trouvera de nombreux émules aux XVIIe et XVIIIe siècles, à Rome comme ailleurs. Pour ce faire, le cardinal Montalto avait dû vaincre l’opposition de la congrégation des Rites –– Congrégation, il ne faut l’oublier, créée par Sixte V –– qui lui avait rappelé que pareil honneur avait été refusé à Pie IV et à Pie V et que, de toute façon, elle voyait d’un très mauvais œil qu’on fasse de la cérémonie en question une « réplique » de celle de Saint-Pierre, castrum doloris y compris242. Qu’on ait à partir de ce moment fait de plus en plus fi des objections de la Congrégation des Rites, du moins en ce qui concernait ce type de cérémonie, tiendrait, selon la même auteure, au fait que le rite en question était désormais vu, d’une part, comme relevant de la famille du pape défunt et, en particulier, de son chef (capo), le cardinal-neveu243 et, d’autre part - grâce, entre autres, à la présence de la « famille » du pape régnant - comme liant symboliquement pape défunt et pape en exercice, renforçant par le fait même l’idée à laquelle, nous l’avons vu, on tenait beaucoup à l’époque de succession papale ininterrompue244. À quoi viendra s’ajouter plus tard un autre argument de poids, à savoir que la cérémonie de translation permettait au pape régnant de célébrer à travers la figure de son prédécesseur la sainteté et la sacralité de la fonction qu’à l’instar de ce dernier, il exerçait, étant comme lui successeur de Pierre245. Comment après cela se surprendre qu’on ait fini par passer outre aux objections de la Congrégation des Rites. Si les honneurs faits à un pape défunt lors des funérailles suivant immédiatement sa mort n’étaient pas toujours des plus sincères ou des plus spontanés, le souvenir de l’homme qu’il avait été prenant parfois le dessus sur celui de la fonction qu’il avait incarnée, ceux qui à partir de la seconde moitié du XVIe siècle seront réservés à un Pie IV, à un Pie V, mais Visceglia, La città cit., p. 87-88. Ibid., p. 88-89. 243 Ibid., p. 89. 244 Ibid., p. 89-90. 245 Ibid., p. 92. Et tout cela dans la ligne d’une tradition en ce sens relevée par Agostino Paravicini Bagliani dans Le corps du pape, p. 184-189. 241 242
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surtout à un Sixte V à l’occasion de la translation de leurs restes étaient, eux, sans équivoque, car célébration tout à la fois de l’homme: parent, « maître » ou, tout simplement, prédécesseur, et du pouvoir sans égal qui avait été le sien. À partir de Sixte V, nous l’avons vu, on peut même parler du rite de translation en termes de « triomphe ». Peut-on aller jusqu’à dire, comme le fait Maria Antonietta Visceglia, que ce rite prenait en quelque sorte la place du « possesso » qui avait depuis longtemps perdu sa signification première246? En un sens, oui. Chose certaine, cet ultime honneur venait heureusement compléter la longue liste de ceux auxquels avaient eu droit les papes de l’époque depuis ceux, grandioses, de leur couronnement, jusqu’à ceux, plus aléatoires certes, mais néanmoins parfois presque aussi princiers de leurs obsèques à Saint-Pierre. Mais la translatio avait ceci de particulier qu’elle comportait en outre l’avantage d’être une célébration posthume permettant de ce fait de substituer à la rhétorique de la caducité du corps du pape, partie intégrale du rituel du couronnement comme de celui des funérailles d’ailleurs, celle de la sacralité de ce même corps, objet désormais de vénération et de culte, car symbole du pouvoir transmis par le Christ lui-même à Pierre et à ses successeurs. De l’accent mis sur l’humiliation du cadavre putrescent on passait à celui mis plutôt sur la sainteté de la personne ayant exercé la plus haute et la plus sublime fonction qui se pût imaginer sur terre247. N’a peut-être pas peu contribué à cette évolution, bien qu’à un tout autre niveau, l’initiative prise depuis bon nombre d’années, d’une part, par les papes eux-mêmes de célébrer ou faire célébrer chaque année avec tout le décorum voulu une messe marquant l’anniversaire de la mort de leurs prédécesseurs immédiats; de l’autre, par les « créatures » de ces mêmes papes d’en faire tout autant sinon plus pour le repos de l’âme et le rappel de la mémoire de « patrons » à qui ils devaient beaucoup. De quand datent l’une et l’autre de ces pratiques et à quel moment devinrent-elles coutume? Il est difficile de le dire avec précision248. Chose certaine, dès le XVe siècle Visceglia, La città cit., p. 92. Ibid. 248 Le cérémoniaire Grassi dans son « Supplément » au cérémonial de Patrizi mentionne l’existence d’une messe marquant l’anniversaire de la mort du prédécesseur du pape régnant, messe habituellement célébrée à la chapelle palatine, c’est-à-dire, à l’époque où il écrit, la Sixtine, par un cardinal parent ou client du pontife défunt. Si le jour de l’anniversaire en question tombait un dimanche ou coïncidait avec une fête inscrite au calendrier liturgique, la messe était transférée à un autre jour. Il en profite pour donner quelques exemples de tels transferts, le premier en date étant celui d’Eugène IV mort en 1447. Voir à ce sujet M. Dykmans, Paris de Grassi, dans Ephemerides Liturgicae, XCVI (1982), p. 454. Cette messe était-elle célébrée chaque année comme ce sera le cas plus tard? Grassi ne le précise pas. Chose certaine, la pratique que décrit Grassi existait bel et bien au milieu du XVe siècle. Remontait-elle 246
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on trouve mention de telles célébrations ayant habituellement lieu, dans le cas des premières, à la chapelle palatine, en présence du pape, ce dernier assurant l’absoute finale, mais laissant à un prélat parent ou protégé du pontife défunt le soin de célébrer la messe249,dans le cas des secondes –– si plus loin dans le temps? Il n’en dit rien. Par ailleurs, il ne fait pas mention de messes anniversaires célébrées à l’initiative des « créatures » des papes défunts. 249 Grâce au diaire de Jacopo Gherardi da Volterra, nous apprenons qu’en 1482 et 1483 fut célébrée le 29 juillet sur ordre du pape Sixte IV à la chapelle palatine une messe pour le repos de l’âme de son prédécesseur Paul II, mort en 1471. Volterra assure que chaque pape faisait célébrer une telle messe commémorative tout le temps de son règne et que c’était là une coutume ancienne. Diarium Romanum de Jacobo Volaterrani, Città di Castello 1904 (Rerum Italicarum Scriptores, 23/3), p. 62, 106, 121. Il est donc permis de penser qu’il s’agissait là d’une tradition remontant bien avant le XVe siècle. Le pape ne présidait pas la cérémonie en question, Mais il assurait l’absoute finale, « more solito », dit à ce propos le cérémoniaire Burckard qui nous fournit par ailleurs de nombreux exemples en ce sens datant du pontificat d’Innocent VIII (1484-1492). Il s’agit des messes anniversaires en l’honneur de Sixte IV auxquelles il put assister, soit en 1485, 1486, 1488, 1489 et 1491. Liber notarum, I, p. 118, 157, 238, 283, 312. Innocent VIII, pour sa part, semble avoir été beaucoup moins bien traité. Si nous nous fions encore une fois au diaire de Burckard, il aurait eu droit à une messe commémorative au moins en 1500 et 1503. Ibid., II, p. 239, 336. Celle de 1494 avait été supprimée en raison de la peste. Ibid., I, p. 533. Pour les autres années, aucune mention de la part de Burckard. Si messe anniversaire il y eut durant cette période, ce ne fut probablement que de façon sporadique. À noter surtout que lors des deux messes mentionnées par Burckard, le pape, en l’occurrence Alexandre VI, brillait par son absence. Jules II, ennemi juré du pape Borgia, aurait pu très bien priver celui-ci de toute messe commémorative, car, à strictement parler, Alexandre VI n’était pas son prédécesseur immédiat, l’éphémère Pie III s’étant interposé entre eux deux, mais pour des raisons manifestement politiques, entre autres la crainte de se mettre à dos les « créatures » de Rodrigue Borgia, il accepta les deux premières années de son règne que cette messe soit célébrée et, comme il se devait, en sa présence. Il s’agissait toutefois là d’une concession temporaire, car il prit bien soin par la suite d’être absent de Rome au moment où devait avoir lieu cette célébration, de sorte qu’on ne trouve plus trace de la messe en question à partir de 1506. ASV, Fondo Borghese I: 562, fol. 24r-26r, 125rv. À noter que lors de la célébration de 1505, la dernière mentionnée par Grassi dans son diaire, peu de cardinaux, d’ambassadeurs et de prélats étaient présents. Ibid., fol. 125v. Jules II sentit probablement à partir de ce moment qu’il n’avait plus à ménager les susceptibilités du clan Borgia. À l’inverse, il respecta scrupuleusement ses engagements envers Pie III, son prédécesseur immédiat, si ce n’est qu’il lui arriva parfois de retarder de quelques jours la messe anniversaire normalement prévue pour le 19 octobre, en raison d’empêchements de diverses sortes, car, contrairement à son ennemi Alexandre VI, il tenait à être présent à chacune des cérémonies en question. Ibid., fol. 31rv, 129v-130r; Fondo Borghese I: 563, fol. 111v-112r, 136rv, 212rv; Fondo Borghese I: 889, fol. 54rv, 116v-120v, 191r; Fondo Borghese I: 890, fol. 103r. Léon X sera d’un pareil scrupule à l’endroit de ce même Jules II. Il tenait en particulier à ce que tout se fasse avec le plus de décorum possible. C’est à lui, notons-le, que l’on doit la décision prise en 1518 de faire présider la messe commémorative annuelle en l’honneur du dernier pape défunt, non plus par un simple prélat, mais par un des cardinaux créés par le pape en question. Ibid., fol. 275v. Mal servi par les circonstances - son successeur immédiat Adrien VI qui régna moins de deux ans ne semble pas avoir fait célébrer une messe anniversaire à son inten-
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l’on peut se fier aux quelques traces qui nous en restent –– à proximité de tion, bien qu’il lui eût été possible de le faire en décembre 1523 - Léon X subira, suprême injure, un sort pire que celui d’Alexandre VI, son cousin Clément VII n’ayant malheureusement pas d’autre choix que de réserver les honneurs de la Sixtine à son prédécesseur immédiat, le mal aimé Adrien VI, ce qu’il fit d’ailleurs, sans enthousiasme peut-être, mais du moins aussi ponctuellement qu’il le put, compte tenu des nombreuses épreuves auxquelles il eut à faire face durant les années 1526, 1527 et 1528 en particulier. Ibid., Fondo Borghese IV: 64, fol. 70r, 78v, 98r, 128r, 181r. Paul III semble avoir été plus négligent à ce chapitre, en raison peut-être des vacances qu’il prenait certaines années du côté de Viterbe, précisément au moment où devait avoir lieu la messe anniversaire à l’intention de Clément VII, soit le 25 septembre. Mais on trouve tout de même traces de telles célébrations en 1537 et 1538 (Ibid., Fondo Borghese I: 120, fol. 341v; Fondo Borghese IV: 64, fol. 326v) et il ne faudrait donc pas trop vite conclure que ses absences de Rome, comme celles de Jules II avant lui, découlaient d’une volonté quelconque de se soustraire à l’obligation de faire annuellement mémoire de son prédécesseur immédiat. Faudrait-il en dire autant de Paul IV qui ne semble pas avoir été très fidèle à honorer la mémoire de son prédécesseur, l’éphémère Marcel II? Il semble bien que oui. Du moins c’est l’impression que donne le diaire de Lodovico Branca. Il faut préciser toutefois que ce diaire comporte des trous, particulièrement pour le début mai, période où aurait dû normalement avoir lieu la messe anniversaire de Marcel II. Mais même lorsque cette période est couverte, en 1559 par exemple, il n’y a aucune trace d’une telle messe. Cf. BAV, Vat. lat. 12281, fol. 190r-191r. Il semble donc y avoir eu au moins négligence de la part du pape Carafa, par ailleurs grand dévot. Mais ce même Paul IV semble avoir été pareillement traité par son successeur Pie IV qui, il faut le reconnaître, ne l’avait pas en très grande estime. En effet, dans le diaire encore une fois de Lodovico Branca, ni pour 1561, ni pour 1562, ni pour 1564, ni pour 1565 (Ibid., fol. 228r, 231v-232r, 262v, 375r) ne trouve-t-on trace de messe anniversaire à la mémoire du pape Carafa. Même constat chez Giovanni Francesco Firmano pour toutes les années du règne de Pie IV. Ibid., Vat. lat. 12278, fol. 212r, 225r, 228r, 231r, 235r. Il semble donc y avoir eu cette fois plus que de la négligence de la part de Pie IV qui avait gardé un bien mauvais souvenir de son prédécesseur. Les plus exacts à respecter cette obligation furent sans contredit Pie V et Grégoire XIII en faveur, le premier, de son prédécesseur Pie IV, le second, dudit Pie V. Ibid., Fondo Borghese I: 755, fol. 103v, 144v, 197v, 249v, 327r, 430rv; Fondo Borghese I: 800, fol. 260v, 406r, 520rv, 593rv, 662r-663r, 799v-800r; Fondo Borghese I: 812, fol. 262v-263r, 402rv; Fondo Borghese I: 814, fol. 481rv. Grégoire XIII, quant à lui, vit sa mémoire scrupuleusement honorée par son successeur Sixte V qui, pourtant, avait eu avec lui des rapports plutôt tendus. À ce sujet, voir le diaire de Paolo Alaleone: BAV, Vat. lat. 12293, fol. 224v-225r, 292r, 337r, 410v. Et, fait à noter, Sixte V fut, lui-même, présent à chacune de ces messes. Il ira même en 1586 jusqu’à décider que cette messe qui tombait le jeudi de l’octave de Pâques aurait quand même lieu ce jour-là et qu’elle serait célébrée en noir. Ibid., fol. 224v. Mais ce pauvre Sixte V, comme Léon X et Jules III avant lui, n’aura pour sa part droit à aucune messe anniversaire à la Sixtine, son successeur Urbain VII n’ayant régné que quelques semaines. Grégoire XIV eut le temps d’honorer la mémoire de ce dernier, mais une seule fois, soit le 27 septembre 1591 (Ibid., Fondo Borghese I: 719, fol. 224rv), mais il fut luimême traité comme Sixte V, son successeur Innocent IX ayant connu, à son tour, un règne très court, de sorte que ce fut ce dernier qui, à l’instar d’un Pie III, eut droit à une longue série de messes anniversaires - douze au moins - de la part de Clément VIII qui lui succéda en 1592. Ibid., Fondo Borghese I: 764, fol. 498v-499r, 767rv; BAV, Urb. lat. 1062, fol. 2r; Ibid., Vat. lat. 12294, fol. 236v, 281rv, 324v-325r, 352v-353r, 426v; 12295, fol. 23v,
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la tombe du disparu, c’est-à-dire en général à Saint-Pierre, où se retrouvaient parents et clients pour une messe commémorative présidée par l’un d’entre eux250. Nous trouvons chez Moroni une description détaillée 89rv, 152v, 193r, 235r, 281r. Souvent affligé de la goutte, il ne put toutefois être toujours présent. Ce fut le cas en 1592, 1594, 1599, 1600 et 1602. 250 Le premier exemple que nous ayons d’une messe anniversaire célébrée à l’initiative de « créatures » d’un pape défunt est de 1481. Il nous est fourni, lui aussi, par Jacopo Gherardi da Volterra. En effet, le 27 juillet de cette année-là fut célébrée à la mémoire de Paul II une messe de ce type dans la chapelle du chœur de la basilique Saint-Pierre. Diarium Romanum de Jacobo Volaterrani, p. 62. Même chose l’année suivante et, cette fois, Volterra précise que la messe en question fut organisée par les cardinaux vénitiens, parents ou proches de Paul II. Ibid., p. 106, Burckard, pour sa part, fait état d’une autre messe du même genre célébrée en 1486 et note que la cérémonie eut lieu près de la tombe du défunt pontife et qu’y assistaient deux cardinaux, onze prélats, un auditeur de Rote et le maître du Sacré-Palais, en plus d’un certain nombre de serviteurs et des chanoines de Saint-Pierre. Liber notarum, I, p. 157. Paul II étant décédé en 1471, on comprend que le nombre des « créatures » de ce dernier allait diminuant et que, partant, l’assistance à la messe en question se faisait de plus en plus clairsemée. À noter que cette dernière intervenait deux ans après la mort de Sixte IV, ce qui semble indiquer qu’existait déjà à l’époque la pratique selon laquelle les cardinaux de chaque pape défunt étaient tenus de célébrer ladite messe jusqu’à ce qu’ils fussent tous disparus. À ce propos, voir G. Moroni, Capelle pontificie, o Papali, dans Dizionario di erudizione, VIII, p. 158. Pour la période qui nous intéresse, on trouve traces de telles messes dans le diaire de Grassi pour les années 1504 et 1505, mais en lien avec celles célébrées le même jour à la Sixtine avec l’autorisation de Jules II. En effet, en ces deux occasions, aussitôt terminées les messes « papales », les « créatures » du pape Borgia et quelques autres cardinaux, ambassadeurs et prélats se rendirent à Saint-Pierre, plus exactement à la chapelle Santa Maria de Febribus où se trouvait la tombe d’Alexandre VI pour une seconde messe chantée en 1504 par un chanoine, en 1505, par un bénéficiaire de la basilique. Grassi note que ces secondes célébrations eurent lieu en présence d’un depositum (catafalque?) orné de tissus d’or et entouré de vingt candélabres. ASV, Fondo Borghese I: 562, fol, 26v, 126rv. Le fait que Grassi ne fasse état d’aucune autre messe des « créatures » après 1505 ne signifie en rien que cette pratique, du coup, cessa. Comme Jules II mit fin en 1506 aux célébrations commémoratives à la Sixtine et que Grassi n’avait pas à intervenir à la messe des « créatures », il ne se sentit sans doute pas à partir de ce moment obligé d’en faire mention. Et cela vaut aussi pour la plupart de ses successeurs qui, de fait, dans leurs diaires font rarement état de telles messes. Mais il pourrait y avoir, dans le cas de Grassi du moins, une autre raison. En effet, on constate qu’au temps de Léon X, la messe anniversaire célébrée pour le repos de l’âme de Jules II à la Sixtine était suivie non plus d’une messe, mais d’une seconde absoute à Saint-Pierre. En 1518, Grassi, avec l’accord du pape, invita non seulement les « créatures » de Jules II, mais tous les cardinaux présents à la messe papale à se rendre à la basilique, plus exactement à la chapelle où était inhumé le défunt pape, pour ladite absoute. Certains cardinaux qui avaient autrefois fait l’objet d’une destitution de la part de Jules II refusèrent de suivre leurs collègues. Ibid., Fondo Borghese I: 111, fol. 276r. Même scénario en 1519, bien que le cardinal Carvajal, un des objecteurs de l’année précédente, fut cette fois présent. Ibid., fol. 322 rv. L’année suivante, en ayant reçu l’ordre formel du pape, tous les autres dissidents décidèrent , fût-ce à contrecœur, de suivre son exemple. Ibid., fol. 375v. Plus surprenant encore, en 1521, malgré le fait qu’aucune des « créatures » de Jules II ne se présenta à la Sixtine pour la messe à son intention et qu’ilfallut trouver sur place un substitut, en l’occurrence le cardinal Achille Grassi, frère du cérémoniaire, pour présider cette célébration, le pape n’en donna pas moins de nouveau ordre à tous les cardinaux présents de se rendre à Saint-Pierre, comme par les an-
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nées passées, pour l’absoute au pied de la tombe de son prédécesseur. Ibid., fol. 396r. À noter, en passant, que ce même scénario sera suivi en ce qui concerne Adrien VI au temps de Clément VII. En effet, tous les cardinaux présents se rendaient à la chapelle Saint-André où était inhumé ledit pape pour y prier à son intention, mais aussi - ajout significatif - à celle de tous les papes défunts. Ibid., Fondo Borghese IV: 64, fol. 98r. Il en ira de même entre 1566 et 1571 pour Pie V avec cette nuance toutefois que ses « créatures » iront prier devant l’autel du Saint-Sacrement à Saint-Pierre avant de procéder à la seconde absoute au pied de la tombe où sa dépouille se trouvait encore à l’époque. Ibid., Fondo Borghese I: 755, fol. 144v, 249v. Pie V, à ce qu’il semble, sera, lui aussi, sous Grégoire XIII, pareillement traité. Ibid., Fondo Borghese I: 814, fol. 481r. Toute autre la situation en ce qui concerne Léon X. Clément VII ne pouvant, nous l’avons vu, honorer la mémoire de son parent, comme il l’aurait sans doute souhaité, à la Sixtine, ordonna, aussitôt élu, qu’une messe des « créatures » soit célébrée le 2 décembre 1523 à Saint-Pierre, messe présidée par l’évêque de Caserta, Giovan Battista Bonciani, proche des Médicis et qui, au dire du cérémoniaire Baroni, fut particulièrement belle (« pulchrum officium »). Ibid., Fondo Borghese IV: 64, fol. 65r. Il en fut de même en 1524 et 1530, le même Bonciani agissant chaque fois comme célébrant. Ibid., fol. 70v, 116v. La messe des « créatures » servait donc parfois d’alternative à celle de la Sixtine, lorsqu’il arrivait qu’un pape défunt - c’était le cas de Léon X - n’y eut pas droit. Elle tenait alors, en quelque sorte, lieu de cette dernière. D’où l’éclat particulier que les « créatures » de Léon X jugèrent bon donner à cette messe, comme nous l’apprend Baroni. Mais il y avait aussi les messes des « créatures » que l’on célébrait après que le cycle de celles de la Sixtine fût terminé. Le cas de Paul IV est, à cet égard, particulièrement intéressant. En 1566, donc à l’époque où il n’avait plus droit à la messe « papale » à la Sixtine, ses « créatures », fidèles à la tradition remontant, nous l’avons vu, au XVe siècle, lui firent hommage d’une messe à Saint-Pierre où Pie V, « créature » lui-même du pape Carafa, se fit un point d’honneur d’assister alors qu’il n’y était aucunement tenu et que - on était au mois d’août - il faisait une chaleur atroce dans la ville. BAV, Urb. lat. 1040, fol. 285r. Treize ans plus tard, la dépouille de Paul IV ayant été entre-temps transportée à la Minerve, c’est dans cette dernière église qu’a lieu la messe en question en présence de douze cardinaux et de tout le personnel du Saint-Office. Le tout, assure un témoin de l’époque, conformément aux instructions laissées à ce sujet par le défunt pape Pie V. Ibid., Urb. lat. 1047, fol. 334v. Ce sont sans doute ces mêmes instructions qui expliquent qu’en 1584 on en soit encore à assurer la messe anniversaire en question, alors qu’il ne restait plus une seule « créature » de Paul IV et qu’on n’était donc plus tenu à ladite messe. Une seule explication à cette anomalie: la plupart des cardinaux présents étaient des « créatures » de Pie V. Ibid., Urb. lat. 1052, fol. 338v. Ce dernier, voulant sans doute rendre un dernier hommage à celui qu’il considérait comme son maître, sinon son modèle avait confié à ses propres cardinaux le soin de poursuivre aussi longtemps qu’ils le pourraient, se substituant en quelque sorte aux « créatures » de Paul IV, le rôle assumé jusque-là par ces dernières. Exemple de fidélité qui en dit long sur les liens existant entre le pape Carafa et Pie V. Il en ira de même de Pie IV qui, au temps de Grégoire XIII, se verra à l’initiative de ses « créatures », lui aussi gratifié de messes commémoratives à Saint-Pierre - sa dépouille y était encore à l’époque - et, cela, s’il faut en croire un avviso d’août 1582, en présence de plusieurs cardinaux et de nombreux « seigneurs » de la cour. Ibid., Urb. lat. 1050, fol. 311r. Il y a fort à parier que Grégoire XIII, « créature » dudit Pie IV, n’était pas étranger à l’initiative en question. Sixte V qui, nous l’avons vu, pour les raisons plus haut indiquées, n’avait pas eu droit à la traditionnelle messe anniversaire de la Sixtine, se verra pareillement traité aussitôt complétée la translation de ses restes à Sainte-Marie-Majeure le 27 avril 1591. Fait à noter, c’est une de ses « créatures », le cardinal Ippolito Aldobrandini, futur Clément VIII, qui présida la première messe commémorative célébrée à son intention en ce lieu envié, messe entourée d’ailleurs d’un faste inhabituel qui ne manqua pas d’impressionner le cérémoniaire Paolo Mucanzio qui nous en fournit une ample description. ASV, Fondo Borghese I: 719, fol. 208r-221v. Tout donne à penser
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de l’une et l’autre de ces cérémonies qui avaient atteint à son époque, en ce qui concerne surtout la seconde, un degré de solennité rivalisant avec celui de la translatio, catafalque y compris251. On n’en était pas encore là au XVIe siècle, mais le seul fait de faire chaque année doublement mémoire de papes depuis plus ou moins longtemps disparus ne pouvait pas ne pas contribuer à accréditer à la longue l’idée de sacralité et de pérennité du pouvoir pontifical, idée, nous l’avons vu, chère aux papes de l’époque, et, en ce sens, le rite de translatio, dans la forme qu’il prendra à la fin du XVIe siècle, pourrait très bien être considéré comme le dernier avatar et, sans doute, le plus réussi, de l’idée en question. *** Nous avions émis l’opinion au début du présent chapitre que la clé permettant de comprendre la nature, les particularités et le sens des rites et rituels marquant les grands moments de la vie de la cour pontificale au XVIe siècle était la notion de « représentation ». Les nombreux exemples que nous avons fournis de cette ritualité à grand déploiement concernant au premier chef la personne du pape, depuis le moment de son élection jusqu’à celui de sa disparition, suffiraient à eux seuls à démontrer que telle était bien la raison d’être de ces mises en scène scrupuleusement codifiées et, dans toute la mesure du possible, soigneusement exécutées. Qu’il s’agisse de la cérémonie du couronnement, moment par excellence de cette ritualité ou, plus modestement, de la réception d’ambassadeurs d’obédience en passant par toute la gamme des déploiements liturgiques et protocolaires propres aux grands jours, tout était prévu en fonction du
que cette pratique se maintint, avec sans doute moins d’éclat, sous le pontificat de Clément VIII qui ne pouvait que lui être favorable. À ce sujet, voir BAV, Urb. lat. 1061, fol. 486v. Détail intéressant, sous ce même pape, il semble qu’on soit revenu à la tradition d’une messe des « créatures » à Saint-Pierre suivant immédiatement celle de la Sixtine. En effet, en date du 30 décembre 1595, Paolo Mucanzio note dans son diaire qu’aussitôt terminée la cérémonie à la Sixtine pour le repos de l’âme du pape Innocent IX, ses deux « créatures », les cardinaux Sega et Facchinetti, se rendirent prier sur sa tombe où ils retrouvèrent les chanoines de SaintPierre célébrant sur un autel voisin une messe commémorative à son intention. ASV, Borghese I: 764, fol. 498v-499r. Ajoutons, pour faire bien complet, que n’ayant pas eu le temps de créer ne fût-ce qu’un seul cardinal, un Pie III, un Marcel II et un Urbain VII ne purent compter sur aucune messe des « créatures », bien que ce dernier eut droit, comme d’autres avant lui, après la messe « papale » à la Sixtine, à une prière auprès de sa tombe à SaintPierre. Ibid., Borghese I: 719, fol. 224rv. Autant de cas de figures qui, malgré les lacunes de la documentation dont nous disposons, permettent au moins de conclure que la messe des « créatures » connut au cours du XVIe siècle des fortunes diverses d’un pontificat et d’un pape à l’autre. Preuve que la tradition n’en était pas encore parfaitement établie. 251 À ce propos, voir G. Moroni, Cappelle pontificie o papali, dans Dizionario di erudizione, VIII, p. 157-159.
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rôle, de l’autorité et, partant, du prestige du personnage, objet principal des déploiements en question. Les textes, gestes, costumes, voire décors auxquels on avait en toutes ces occasions recours, les uns empruntés aux rituels ou cérémonials existants, les autres créés, parfois au dernier moment, en fonction de circonstances nouvelles ou imprévues, visaient tous sans exception –– nous en avons donné plus haut de multiples exemples –– à montrer à quelle hauteur se situaient ce rôle, cette autorité et ce prestige et, du même coup, à inspirer aux personnes présentes, fussent-elles elles-mêmes de très haut rang, le respect, voire l’obéissance dus à l’auguste personnage devant lequel ou en compagnie duquel elles se trouvaient. André Chastel qui s’est beaucoup intéressé à ce phénomène propre à la vie de cour n’hésite pas à établir un lien nécessaire entre pouvoir politique et représentation. Se référant aux programmes des « entrées princières » du XVIe siècle, il se dit frappé par le sérieux avec lequel ces dernières étaient organisées comme si, poursuit-il, la légitimité des nouveaux règnes inaugurés par ces entrées en dépendait. Il vient même, ajoute-t-il, un moment où ce genre de spectacle « domine et entraîne toutes les capacités d’un milieu ». Et, de cela, la cour des Valois, constituerait, selon lui, à l’époque « l’exemple le plus saisissant »252. Mais ne pourrait-on pas en dire autant sinon plus de la cour pontificale dès la fin du XVe et le début du XVIe siècle, comme le montrent les grands moments plus haut décrits des règnes d’un Alexandre VI, d’un Jules II, puis, surtout, d’un Léon X? Mais, pour bien saisir dans toute son épaisseur et dans toute sa portée ce phénomène, il faut remonter beaucoup plus loin dans le temps, comme nous le suggérions d’ailleurs au début de ce chapitre et admettre avec Paul Veyne, historien de la Rome antique, que depuis l’ère impériale et pratiquement jusqu’au XVIIIe siècle, l’Occident, y compris l’Occident chrétien, a vécu d’une « dissymétrie entre gouvernants et gouvernés » généralement perçue comme allant de soi. D’où, dit-il, le faste et la splendeur entourant les gouvernants en question, ce faste et cette splendeur paraissant, aux yeux de tous, « aussi naturelle que la crinière [distinguant] le roi des animaux »253. Pittoresque image que n’aurait sans doute pas hésité à faire sienne Agostino Steuco, théologien et humaniste au service de Paul III, dont nous avons eu plus d’une fois l’occasion de rappeler le conseil donné aux papes de son temps de ne pas hésiter à s’entourer de splendeur, cette dernière étant, selon lui, la meilleure façon de se faire respecter et obéir, de la part du peuple surtout254. Pouvoir et représentation allaient donc de pair: on ne pouvait à l’époque imaginer qu’il pût en être autrement. A. Chastel, La crise de la Renaissance, 1520-1600, Genève 1968, p. 161. P. Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien, Paris 2007, p. 235. 254 R. K. Delph, Polishing the Papal Image in the Counter-Reformation, dans Sixteenth Century Journal, XXIII (1992), p. 35-47. 252 253
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Les papes du XVIe siècle n’avaient par conséquent pas d’autre choix que de se conformer à cette formule éprouvée et d’ailleurs pluriséculaire. Il en allait de leur autorité et de leur pouvoir. Certains d’entre eux: un Paul IV, un Pie V, voire un Sixte V auraient peut-être préféré un style de vie moins ostentatoire –– de fait, nous l’avons vu, c’est celui qu’ils adoptèrent en privé –– mais, pour tout le reste, du moins chaque fois que leur autorité était en jeu, ils furent parmi les plus empressés –– un Paul IV en particulier –– à laisser briller de tous leurs feux les symboles liturgiques et protocolaires servant tout à la fois à promouvoir et à cautionner cette autorité. Les papes de l’époque étaient par ailleurs conscients du caractère particulier et, jusqu’à un certain point, unique de l’autorité en question. Le seul fait de pouvoir se dire « vicaires du Christ » les mettait déjà dans une catégorie à part. Aussi, au terme de l’examen que nous venons de faire des diverses formes que prit la fonction de représentation à la cour pontificale au XVIe siècle, ne sommes-nous pas trop surpris de constater que si, au point de départ, les papes s’inspiraient d’une symbolique mi-païenne mi-chrétienne où d’ailleurs la figure du souverain ou, si l’on préfère, du « prince » prenait beaucoup de place –– pensons ici au triomphalisme à l’antique des « entrées de ville » d’un Jules II en 1507 et d’un Paul III en 1538 –– au point d’arrivée, leurs préférences allaient plutôt à une symbolique presque exclusivement chrétienne où la figure du pontife, c’est-à-dire du « prêtre » était de loin dominante. C’est qu’ils avaient fini par comprendre, le mouvement de réforme catholique aidant, que la meilleure façon d’asseoir leur autorité, mieux de montrer qu’elle était supérieure à celle de leurs vis-à-vis « séculiers », voire qu’à la limite elle avait préséance sur toute autre forme d’autorité sur terre, était non pas de chercher à concurrencer sur leur propre terrain les puissances de ce monde, mais d’exploiter au mieux les atouts qui leur étaient propres et qui les avantageaient face à ces dernières, à savoir le caractère éminemment « sacral », pour ne pas dire « théocratique » de leur pouvoir. D’où l’importance de plus en plus grande accordée à la symbolique liturgique qui, de toute évidence, était mieux à même d’exprimer et d’illustrer le caractère unique, singulier de ce pouvoir. Témoin l’exploitation en ce sens qui sera faite, par exemple, des Années Saintes et, cela, nous l’avons vu, dès le règne d’Alexandre VI, mais également et peut-être surtout de certaines fêtes liturgiques dont les papes se réservaient la présidence, entre autres, les fêtes de Noël, de Pâques, de la Saints-Pierre-et-Paul, du Jeudi Saint sans oublier la célèbre procession de la Fête-Dieu qui, plus que toute autre, allait servir à célébrer et à magnifier la charisme qui leur était propre, charisme dont ils avaient d’ailleurs depuis longtemps acquis la conviction qu’il leur venait du Christ lui-même et qu’il était donc sans égal.
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La symbolique protocolaire ne sera pas pour autant abandonnée –– tout « vicaires du Christ » qu’ils étaient les papes de l’époque restaient chefs d’État et ils entendaient bien se faire respecter également à ce titre ––, mais elle sera subordonnée à l’autre, mieux, mise au service de l’autre, cette dernière paraissant désormais mieux à même de fonder l’autorité et les pouvoirs dont ils se réclamaient. À vrai dire, encouragés en cela par leurs théologiens et canonistes, ils ne faisaient là que remettre à l’honneur le principe énoncé dès le XIe siècle par Grégoire VII, puis érigé en dogme par Boniface VIII trois siècles plus tard, à savoir que le pouvoir temporel était inférieur au pouvoir spirituel et qu’il devait donc accepter d’être soumis à ce dernier. Force toutefois est de reconnaître que c’était là peut-être de leur part un peu trop demander, plusieurs princes catholiques –– les rois d’Espagne et de France notamment –– n’étant pas nécessairement prêts à pousser jusque-là le respect qu’ils avaient pour le successeur de Pierre , mais, du moins, l’image de plus en plus « exemplaire » qu’ils avaient commencé, dès le règne de Paul III, à projeter d’eux-mêmes et de leur capitale, Rome –– qu’il suffise de penser au rôle joué en ce sens par un Pie V, un Grégoire XIII, un Sixte V, un Clément VIII –– ne contribua pas peu à redorer leur blason et, par le fait même, à rendre plus plausibles, plus acceptables le respect, la soumission, voire la vénération et, partant, les honneurs auxquels, au temporel comme au spirituel, ils estimaient avoir droit. À ce compte, comment ne pas voir dans les rites marquant le début et la fin des règnes des papes de l’époque: rites du couronnement, d’une part, rites funéraires, de l’autre, et surtout dans la transformation que subirent ces rites, les seconds en particulier, au cours du XVIe siècle, la plus parfaite illustration du passage auquel nous nous sommes plus d’une fois intéressés jusqu’ici d’une papauté, aux yeux de plusieurs, trop « mondaine », pour ne pas dire « scandaleuse », à une papauté « dévote », « édifiante » même, au point de faire éventuellement l’objet d’un véritable culte, comme il en sera d’un Pie V, par exemple. Cette « conversion » ne pouvait pas ne pas affecter à la longue la physionomie et le style de vie de la cour pontificale. Les pages que nous venons de consacrer aux grands moments de cette vie, moments appartenant tous et sans exception à l’univers de la « représentation » nous en fournissent déjà une première et éloquente preuve: il nous reste à voir jusqu’à quel point on peut en dire autant des rites et rituels de tous les jours. Ce sera l’objet de notre prochain chapitre.
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VI LA VIE DE LA COUR RITES ET RITUELS DE TOUS LES JOURS
S’il est une chose que nous ont apprise les trois chapitres précédents, le dernier en particulier consacré aux rites et rituels des grands jours, c’est que la cour pontificale est un lieu où l’on s’affaire, où l’on prie et où l’on se divertit. Mais pour la grande majorité de ceux qui en font partie, la cour pontificale est surtout un lieu où l’on vit, au sens le plus concret pour ne pas dire « matériel » de ce terme, avec tout ce que cela suppose de services que, pour faire court, nous appellerons « domestiques ». Il sera beaucoup question de ces derniers dans le présent chapitre consacré aux rites et rituels de tous les jours. Nous avons déjà dans notre quatrième chapitre dressé la liste de ces divers services et décrit sommairement en quoi ils consistaient. Il nous faut maintenant pousser plus loin l’enquête et, pour ce faire, examiner de plus près comment chacun d’entre eux remplissait le ou les rôles qui lui étaient propres, de quelle importance étaient ces rôles et, le cas échéant, quelles transformations ces derniers subirent au cours de la période ici considérée. Mais s’agissant de « services », c’est-à-dire de personnels et de moyens mis à la disposition du pape et de ses principaux auxiliaires en vue de leur permettre de remplir au mieux les responsabilités qui étaient les leurs dans les domaines aussi bien politique que liturgique, voire ludique, nous ne pouvons donner aux services en question toute l’attention qu’ils méritent avant d’avoir au préalable montré de quoi était faite au quotidien, c’est-à-dire en dehors des grands moments dont il a été question dans le chapitre précédent, la vie d’une cour telle que la cour pontificale dans chacun de ces domaines, domaines d’ailleurs à l’époque typiques de toute cour souveraine digne de ce nom. C’est donc à ces diverses sphères d’activité que nous allons d’abord nous intéresser. 1. La sphère politique Chef d’Église et chef d’État, le pape exerçait à l’un et l’autre de ces titres une autorité et des pouvoirs de nature politique exigeant de sa part une connaissance aussi étendue que possible des situations existant tout
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aussi bien au niveau de l’Église universelle, qu’à celui des divers États où l’Église était présente, et, plus immédiatement, à l’intérieur des territoires dépendant directement de lui à titre de souverain temporel. Mais cela supposait par ailleurs et peut-être surtout, lorsque les situations en question posaient problème, la capacité d’intervenir à temps et à bon escient en vue de redresser celles-ci et éviter qu’elles ne s’enveniment ou ne se détériorent au détriment de ses propres intérêts et de ceux de l’Église. Bien évidemment, aucun pape n’était en mesure d’assurer seul cette double responsabilité et depuis longtemps chacun d’entre eux avait pris soin de s’entourer d’hommes de confiance et d’auxiliaires qualifiés capables de l’éclairer, de le conseiller, le cas échéant, de l’assister lorsque venait le moment d’intervenir ou de ne pas intervenir, d’agir ou de ne pas agir et, si oui, de quelle façon le faire. Avec le retour de la papauté à Rome au lendemain du Grand Schisme d’Occident, avait commencé à se mettre en place l’embryon de ce qui allait devenir deux siècles plus tard la Secrétairerie d’État, instance chargée d’assister le pape en tout ce qui touchait à la sphère politique: politique interne pour ce qui était du gouvernement de Rome et de l’État pontifical, politique externe, en ce qui concernait les rapports avec les autres États, chrétiens ou non chrétiens, puis, à partir du deuxième quart du XVIe siècle, catholiques ou non catholiques. Le désordre dans lequel les papes rentrés dans leur capitale avaient trouvé leurs propres territoires, celui de Rome y compris; les dangers qu’allaient quelques années plus tard présenter pour eux les guerres dites d’Italie; les maux de tête qu’allaient leur occasionner par la suite la ou peut-être vaudrait-il mieux dire les dissidences protestantes; les guerres qui s’en étaient suivies entre Valois et Bourbon, d’une part, Habsbourg, de l’autre; la menace toujours présente de nouveaux affrontements avec la puissance turque: autant de facteurs qui avaient poussé les papes des XVe et XVIe siècles à étoffer, élargir et diversifier de plus en plus le cercle privilégié de ceux qui les secondaient au jour le jour dans la difficile gestion de tous ces redoutables dossiers d’ailleurs souvent compliqués du fait qu’ils se recoupaient les uns les autres. Sans compter qu’il leur fallait aussi –– népotisme oblige –– tenir compte de leurs propres intérêts et de ceux de leurs familles respectives, ce qui inévitablement les contraignait, non sans risques parfois, à jouer de tous ces registres à la fois avec le secret espoir d’en sortir sinon totalement, du moins partiellement gagnants, ce qui –– nous avons eu l’occasion de le montrer dans notre second chapitre –– n’était pas toujours le cas. Il existait déjà à Avignon un bureau appelé « chambre secrète » (camera secreta) où travaillaient un certain nombre de notaires portant le nom de
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« secrétaires du pape » (secretarii papae)1. Rentrés à Rome, Martin V et ses successeurs vont progressivement augmenter le nombre de ces secrétaires et surtout les recruter parmi l’élite des écrivains de l’époque. Ces hommes de plume servaient à rédiger les documents de tous ordres qui, au XVe et encore au début du XVIe siècle, sortaient de la camera secreta dont bon nombre débordant le seul champ politique ou diplomatique. Mais sous Sixte IV va apparaître un secrétaire principal, en l’occurrence un certain Leonardo Griffo (1437-1485), à qui sera confiée la préparation des lettres touchant à la politique, mais également à l’adinistration des États pontificaux. Qualifié dans les documents parfois de secrétaire « domestique », parfois de secrétaire « secret », Griffo fut probablement le premier secrétaire à être logé au palais apostolique2. Tous les secrétaires faisant partie de la « chambre secrète » restaient encore à l’époque révocables au gré du pape3. Innocent VIII, pour des raisons à coup sûr fiscales –– il était constamment à court d’argent –– décida en 1487 de porter le nombre de secrétaires pontificaux à 24, de rendre leurs offices vénaux, de fixer leurs attributions, privilèges et émoluments et de faire d’eux un « collège », comme il était et sera de plus en plus en pareil cas coutume de le faire. Mais il s’empressa par la même occasion de créer officiellement le poste de secrétaire « domestique » avec obligation pour ce dernier de résider au Vatican, d’y être à tout moment à sa disposition et de lui servir de chef de secrétariat4. La future Secrétairerie d’État commençait à prendre forme. L’appellation: secrétaire « domestique » sera maintenue durant tout le XVIe siècle, mais pour désigner un poste qui ressemblera de moins en moins à celui créé par Innocent VIII. En effet, Léon X décida au début de son pontificat de confier la correspondance diplomatique qui se faisait de plus en plus en italien à un autre secrétaire dit « intime », ne laissant au secrétaire « domestique » que les brefs latins dits ad principes, c’est-à-dire destinés à de grands personnages. De ce fait, c’est au secrétaire « intime » et non plus au secrétaire « domestique » que revint désormais le rang de secrétaire principal. Il en sera ainsi jusqu’à la fin du XVIe siècle avec cette nuance toutefois que, sous Clément VIII, le secrétaire « intime » sera plutôt connu sous le nom de « Secrétaire d’État »5. Si le secrétaire « domestique » occupait désormais le second rang, cela ne voulait aucunement dire que la correspondance dont il avait la respon Richard, Origines cit., p. 58. Ibid., p.61-67. Sur Griffo, voir M. Simonetta, Griffi (Grifi, Grifo) Leonardo, dans DBI, 59, p. 360-363. 3 Richard, Origines cit., p. 68. 4 Ibid., p. 68-69. 5 Ibid., p. 505-511, 529. 1 2
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sabilité était de moindre importance. D’un point de vue politique et diplomatique, son rôle était tout aussi indispensable que celui du secrétaire « intime ». Pour employer une distinction proposée par Pierre Richard, les brefs latins représentaient la correspondance diplomatique officielle du pape, alors que les dépêches italiennes constituaient sa correspondance diplomatique privée6. Les brefs latins (Brevia ad principes et alios viros), vont être remplacés au temps de Pie IV par des brefs d’une facture moins solennelle appelés pour cette raison sans doute lettres latines (Epistolae ad principes et optimates). Sous cette deuxième forme, la correspondance en question cessera éventuellement de dépendre de la Secrétairerie apostolique, l’ancienne Camera Secreta7. Il faut dire que celle-ci n’avait cessé de perdre de son importance depuis qu’Alexandre VI avait mis en place un Secrétariat dit des brefs mineurs où étaient préparés les bulles et brefs ayant trait aux faveurs, grâces et privilèges accordés directement par lui, c’est-à-dire sans passer par la Chancellerie ou la Daterie8. Ce secrétariat prendra sous Pie V le nom de Secrétariat des brefs et cessera de dépendre du Secrétariat apostolique9 ou « Collège » des 24 créé par Innocent VIII. La « Chambre secrète » avait à toutes fins pratiques perdu sa raison d’être. De plus en plus dominante et accaparante, la fonction politique l’avait progressivement vidée de sa substance, ne laissant survivre d’elle qu’un Secrétariat des brefs nouvelle manière qui, de fait, en tant que dispensateur des faveurs et « grâces » du pape, n’était peut-être pas si éloigné que cela des autres secrétariats au service, eux, de la fonction politique comprise au sens strict du terme. Cette dernière, nous l’avons vu, concernait depuis Léon X un cercle de plus en plus sélect d’hommes de confiance dépendant directement du pape, à commencer par le secrétaire « intime ». Mais le rôle joué par ce personnage, il importe de le souligner, variera beaucoup d’un pape à l’autre, dépendant du caractère, des intérêts ou de l’entourage de chacun d’entre eux, mais également des circonstances politiques dans lesquelles, l’un après l’autre, ils se trouveront. Certains –– un Jules II, par exemple, ou encore un Pie V et un Sixte V –– assumeront eux-mêmes une grande partie des responsabilités habituellement confiées au secrétaire « domestique » ou « intime », réduisant par le fait même ce dernier à n’être plus qu’un simple secrétaire au sens le plus restrictif de ce terme10. D’autres –– on Ibid., p. 508. Ibid., p. 521. 8 Ibid., p. 507, 516-517. 9 Ibid., p. 522-523. 10 Ibid., p. 72, 521-522, 528. Sur Jules II, voir aussi Shaw, Julius II cit., p. 179-182; sur Pie V, Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 177-182; sur Sixte V, von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 51-52. 6 7
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pense ici à un Alexandre VI, à un Paul III, à un Paul IV, à un Pie IV et à un Clément VIII –– interposeront entre ledit secrétaire et eux-mêmes un proche, souvent un parent qui prendra éventuellement le nom de cardinal neveu et jouera au plan politique le rôle d’alter ego du pape, encore là au détriment du secrétaire « domestique » ou « intime »11. D’autres enfin, tels un Léon X et un Grégoire XIII, feront d’un de leurs hommes de confiance, cardinal par surcroît, leur secrétaire « intime », conférant du coup à ce dernier poste un prestige qu’il n’avait jamis eu jusque-là12. Clément VII, qui avait joué aux côtés de son cousin Léon X le rôle de cardinal neveu avant la lettre et qui, comme Jules II, était plutôt du genre « interventionniste », ne s’en remettra pas moins à ses secrétaires « intimes »: un Gian Matteo Giberti, plus tard, un Jacopo Salviati pour tout ce qui concernait la correspondance diplomatique13. Jules III, quant à lui, mit en place un système passablement compliqué à l’image du personnage tout en contraste qu’il était lui-même. En effet, après s’être offert un cardinal neveu des plus improbables et qui d’ailleurs ne jouera qu’un rôle de figurant, il prit lui-même la direction des affaires, assisté de son frère Baldovino et d’un ancien secrétaire de Paul III, Girolamo Dandino qui, jusqu’à son élévation au cardinalat, eut le titre de secrétaire « intime », titre qui passera ensuite à un certain Giulio Canino, lui aussi venu de la cour de Paul III, mais qui jouera de fait plutôt le rôle de « second violon », Dandino continuant à signer alternativement avec lui la correspondance diplomatique et, cela, jusqu’à la fin du règne de Jules III14. Autant de cas de figure qui reflètent bien et permettent même de mesurer l’intérêt que chacun des papes de l’époque accordait à la chose politique et, partant, le temps qu’il était prêt à lui consacrer. Bien évidemment, tous tenaient à garder la haute main sur tout ce qui touchait de près ou de loin à ce domaine –– il en allait après tout du sort de l’Église et de leurs États -, mais tous ne s’appelaient pas Jules II, Pie V et Sixte V et ils choisissaient donc, pour la plupart, de confier qui à un cardinal neveu, qui à un secrétaire « intime », entourés, l’un et l’autre, de personnels qualifiés et fiables, la gestion au jour le jour des dossiers relevant du domaine en question, quitte à être informés et consultés régulièrement par eux à ce sujet15. Ce qui ne posait guère problème, ces deux chargés de pouvoir 11 Richard, Origines cit., p. 70-71, 515-516, 520-522, 529. Sur la formule qu’adoptera Paul IV et qui s’avérera en fin de compte désastreuse, voir id., La Secrétairerie pontificale sous Paul IV, dans RQH, XXXV (1906), p. 411-441. 12 Les cardinaux Bibbiena et Giulio de’ Medici dans le cas de Léon X; le cardinal Galli dans le cas de Grégoire XIII, id., Origines cit., p. 508-510, 527. 13 Ibid., p. 513-514. 14 Ibid., p. 520. 15 Sur ces personnels, voir Ibid., p. 70-72, 506-528. Un document du début du règne de Paul V note que le jeudi et le samedi, après le repas du soir, le pape se faisait lire les lettres
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étant de par leur fonction tenus d’habiter le palais apostolique, habituellement à proximité des appartements pontificaux. Sans doute le système ne fonctionnait-il pas toujours aussi bien que chacun des papes de l’époque l’aurait souhaité –– Paul IV l’apprendra à ses dépens16 -, mais, en réalité, la plupart du temps, ce n’était pas le système qui était en cause, mais bien l’incompétence ou la négligence de ceux qui l’avaient mis en place, c’est-àdire des papes eux-mêmes. Il faut toutefois dire à la décharge de certains d’entre eux qu’ils furent parfois bien mal servis par les circonstances. Cela dit, sommes-nous en mesure de préciser comment fonctionnait au jour le jour le système en question et quel espace il occupait en termes aussi bien de personnel que de temps dans la vie de la cour? Et qu’en étaitil, en particulier, de l’implication du pape dans tout cela? Commençons d’abord par examiner le rôle de ce dernier qui était après tout celui pour lequel et autour duquel ce système avait été mis en place. Sans doute le pape pouvait-il confier –– et souvent, nous l’avons vu, il le faisait –– à un alter ego ou à un bureaucrate particulièrement doué et expérimenté le soin d’assurer la bonne marche dudit système et se décharger ainsi de bon nombre de tâches qui gagnaient à être faites par d’autres, mais il est une tâche dont il ne pouvait se départir, soit celle de la représentation, cette dernière étant de l’essence même de l’autorité et des pouvoirs qui étaient les siens et, cela, non seulement lors des grands moments tels ceux décrits dans le chapitre précédent, mais tout aussi bien lors de moments moins spectaculaires et parfois plus discrets comme, par exemple, les audiences ou encore les simples tête-à-tête accordés au jour le jour à des individus ou à des groupes venant solliciter une faveur, défendre une cause, engager une négociation, toutes démarches impliquant une dimension politique, même si, à première vue, celle-ci n’était pas toujours obvie. Même les plus a-politiques des papes de l’époque, si tant est que cela fût possible au XVIe siècle, ne pouvaient se soustraire à cette obligation et il suffit de parcourir les diaires des maîtres de cérémonie, les correspondances des ambassadeurs en poste à Rome ou encore les collections d’avvisi qui nous restent de l’époque pour constater qu’ils ne s’y dérobaient pas et y consacraient même beaucoup de leur temps. Une fois mieux assise leur autorité sur les États pontificaux –– en gros, à partir de la fin du XVe et du début du XVIe siècle –– cette obligation envoyées sur son ordre aux nonces résidents. Cf. A. Menniti Ippolito ˗ M. A. Visceglia, Corte papale e palazzo: note a margine di un documento dell’età di Paolo V, dans Dimensioni e Problemi della Ricerca Storica, 7 (2011), p. 67. 16 La disgrâce en 1559 de Carlo Carafa, neveu et homme de confiance de Paul IV, révéla au grand jour à quel point ce dernier avait fait un mauvais choix. Au sujet de cette douloureuse déconvenue, voir R. Ancel, La disgrâce et le procès des Carafa, dans Revue bénédictine, XXV (1908), p. 194-224; XXVI (1909), p. 52-80, 189-220, 301-324.
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s’exercera surtout à l’endroit des représentants des principaux États européens, y compris l’un ou l’autre État italien, Venise notamment, disposant en permanence à Rome qui d’un ambassadeur, qui d’un cardinal protecteur, parfois des deux à la fois, assurant l’un et l’autre un contact suivi entre lesdits États et le Saint-Siège, tout comme le faisaient, mais en sens inverse, les nonces ou légats dont le pape disposait pour sa part auprès des États en question. Simple coïncidence le fait que ce système, du moins en ce qui concerne les ambassades ou nonciatures permanentes, commence à prendre forme au temps de Léon X? Il est permis d’en douter. Chose certaine, à partir de ce moment, devancées par l’Espagne, l’Empire, l’Angleterre et Venise qui se pourvurent d’envoyés permanents à Rome dès la fin du XVe siècle17, la France, le Portugal, plus tard Florence et la Savoie jugèrent indispensable d’en faire tout autant au cours du siècle suivant, dans le cas de la France au plus tard à partir de 152018. Cette présence d’un corps diplomatique permanent en relation constante avec le pape, n’hésitant pas d’ailleurs à le suivre chaque fois qu’il s’éloignait tant soit peu de sa capitale, ne pouvait pas ne pas modifier, et modifier de façon significative le type de rapport que la papauté allait à partir de ce moment entretenir avec ses vis-à-vis européens et, par le fait même, sa façon de transiger avec eux. Aux rares tête-à-tête avec certains de ces chefs d’État ou encore l’un ou l’autre éminent personnage chargé de les représenter, voire à l’occasion, négocier en leur nom, allaient succéder des rencontres à intervalles plus ou moins réguliers, éventuellement fixes avec les divers membres d’un corps diplomatique désormais de résidence à Rome, donc à tout moment prêt à entrer en contact avec le pape, ce qui par le fait même assurait aux liens que le Saint-Siège tenait à maintenir et, au besoin, renforcer avec ses principaux interlocuteurs européens une continuité, pour ne pas dire une fluidité permettant plus que par le passé d’éviter de part et d’autre malentendus, faux pas ou encore mauvaises surprises. Mais cela supposait que les papes de l’époque soient prêts à consacrer à ce nouveau type de diplomatie vécu pour ainsi dire au quotidien tout le temps et toute l’attention voulus, ce qui, nous l’avons vu, n’était pas toujours nécessairement le cas. Mais qu’il leur en coûtât ou non, ces mêmes papes n’avaient pas d’autre choix que d’accorder aux ambassadeurs accrédités auprès d’eux les audiences auxquelles ils estimaient avoir droit ou que, par G. Mattingly, Renaissance Diplomacy, Boston 1971, p. 138-140, 145-146, 158-159. Ibid., p. 172, 182-183, 191. Pour la France, voir aussi P. Richard, Ambassadeurs auprès du St-Siège, dans DHGE, 2, col. 1018. Dans le cas de Florence, il semble bien que le premier ambassadeur permanent ait été Averardo Serristori que Côme Ier, craignant un nouveau conflit entre la France et l’Espagne, envoya en mission à Rome en 1541. E. Palandri, Les négociations politiques et religieuses entre la Toscane et la France, Paris-Florence-Bruxelles 1908, p. 73-74. 17
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ailleurs, ils sollicitaient à l’instance de leurs maîtres, tout refus de leur part risquant d’être interprété par ces derniers comme malveillance, insulte, voire provocation. En tout cas, c’est bien ainsi qu’en 1499 les ambassadeurs des Rois Catholiques réagirent face à l’attitude d’un Alexandre VI qui ne consentit à les recevoir en audience qu’après leur avoir signifié à plusieurs reprises qu’il ne tenait pas à les rencontrer19, tout comme, plus tard, l’empereur Charles Quint, puis son fils, Philippe II d’Espagne devant les rebuffades dont leurs ambassadeurs à Rome firent l’objet de la part de Paul IV entre 1555 et 155920. Les raisons que parfois certains papes invoquaient pour justifier le refus ou le renvoi à plus tard d’une audience n’étaient pas toujours, elles aussi, à l’abri d’interprétations négatives ou, du moins, de soupçons, comme ce sera le cas en 1572 au plus fort des tractations entre Grégoire XIII et la cour de France concernant le mariage projeté d’Henri de Navarre, le futur Henri IV, avec la sœur du roi, Marguerite de Valois21. Mais c’étaient là cas d’exception, car, en général, les papes du XVIe siècle ouvraient volontiers leurs portes aux diplomates en poste à Rome et leur faisaient au moins la faveur d’une écoute sinon intéressée, du moins polie. Peu loquace, d’un extérieur plutôt froid, avare de paroles courtoises, ce qui donnait parfois l’impression qu’il n’était pas sociable22, Grégoire XIII n’en était pas moins fidèle à recevoir selon les règles et avec tous les égards prévus par le protocole les ambassadeurs, résidents ou non, qui frappaient à sa porte23. Il en allait de même de Clément VIII, pourtant, Burckard, Liber notarum cit., II, p. 124. À ce sujet, voir M. J. Levin, Agents of Empire. Spanish Ambassadors in Italy, Ithaca-Londres 2005, p. 64-65. Pour le récit de ces événements vécus au jour le jour par un témoin oculaire, le secrétaire Massarelli, voir Conc. Trid. II, Diar. 2, p. 292-318. Une bonne vue d’ensemble sur les rapports parfois tendus entre les papes de l’époque et les ambassadeurs espagnols nous est fournie par M. A. Visceglia, L’ambasciatore spagnolo alla corte di Roma. Linee di lettura di una figura politica, dans Diplomazia e politica della Spagna a Roma. Figuri d’ambasciatori, Rome 2007, p. 3-25. 21 Voir à ce propos P. Hurtubise, Mariage mixte au XVIe siècle, dans AHP, 14 (1976), p. 108-110. Dans la même veine, on peut citer le cas de Miguel Mai, ambassadeur de Charles Quint à Rome de 1529 à 1532 qui avait eu de difficiles rapports avec Clément VII en raison de la versatilité de ce dernier. Il était méfiant à son endroit et le restera jusqu’à la fin. Cette méfiance n’était peut-être pas sans lien avec le fait que durant ses premiers mois à Rome il arpenta en vain les corridors du palais apostolique, incapable d’obtenir une audience du pape. Ce dernier, lui disait-on, était sérieusement malade. L’était-il à ce point? Mai n’en était sans doute pas convaincu. D’où une certaine méfiance dont il n’arrivera jamais à se départir. À ce propos, voir Levin, Agents cit., p. 45-46. 22 A. Baschet, La diplomatie vénitienne. Les princes de l’Europe au XVIe siècle, Paris 1862, p. 194. 23 Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’il accordait beaucoup d’importance aux ambassades d’« obédience » et fit tout en son pouvoir pour recevoir le mieux qu’il le pouvait même les plus « incongrues » d’entre elles. Il fut tout aussi attentif et exact à le faire en ce qui 19 20
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lui aussi, d’une grande circonspection, mais, par contre, plus disert que Grégoire XIII et surtout d’un abord plus agréable que lui, cela pouvant parfois aller jusqu’à une certaine familiarité, avec les ambassadeurs de Venise notamment24. Ne se permettait-il pas d’ailleurs, à l’occasion, de donner audience à ces derniers ou à certains de leurs collègues en marchant avec eux dans les corridors du palais apostolique25, un peu comme son prédécesseur Pie IV qui, lui, allait encore plus loin, invitant fréquemment l’un ou l’autre ambassadeur à l’accompagner dans ses promenades quotidiennes hors du palais et, même, certains jours, n’hésitant pas, à l’instar d’un Jules II, à les introduire dans ses appartements privés26. Les heureux bénéficiaires de ces quelques entorses aux règles protocolaires établies n’en demandaient pas tant, mais elles n’étaient sans doute pas sans leur plaire, car elles allaient bien dans le sens de l’accueil sinon chaleureux, du moins bienveillant qu’ils se croyaient à tout moment justifiés d’attendre d’un souverain en qui ils voyaient aussi un « père », un « père » toujours prêt à les recevoir, à les écouter, à échanger avec eux chaque fois qu’ils le jugeaient opportun, voire nécessaire. Aussi certains d’entre eux, depuis plusieurs années en poste à Rome et forts du crédit dont ils jouissaient à la cour ou, tout simplement, de la connaissance qu’ils avaient des us et coutumes de celle-ci n’hésitaient-ils pas à l’occasion à se présenter sans préavis chez le pape pour l’informer ou discuter avec lui de choses jugées par eux particulièrement urgentes. Un des exemples les plus frappants et haut en couleur de ce type d’« intrusion » - car, à strictement parler, c’en était une –– nous est fournie par le célèbre diariste Sanuto qui raconte comment, au lendemain de la fête organisée à Rome pour fêter ce que l’on croyait être la victoire de Léon X et de ses alliés sur François Ier à Marignan, l’ambassadeur de Venise, au reçu d’une lettre de la Seigneurie confirmant plutôt la victoire du roi de France, se présenta de bon matin au palais apostolique où, apprenant que le pape était encore au lit –– Léon X avait l’habitude de se lever tard ––, insista pour qu’on le réveille et, aussitôt celui-ci sorti, encore à moitié endormi, de sa chambre, lui fit lire la dépêche qu’il venait de recevoir, plongeant du coup le malheureux Léon X dans le plus grand désarroi, lui qui, quelques heures plus tôt, croyait avoir réussi un grand coup propre à servir et ses intérêts et ceux de sa famille27. concerne les ambassadeurs en poste à Rome. Un diplomate de l’époque signale le fait qu’il passait une grande partie de ses journées en audience, qu’il avait de bonnes relations avec les ambassadeurs, qu’il aimait écouter ce qu’on avait à lui dire, car il voulait par-dessus tout la paix et donc de bonnes relations avec les princes. Relatione della Corte di Roma in tempo di Gregorio XIII, dans von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 868, 871. 24 Baschet, La diplomatie cit., p. 206-208. 25 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 27. 26 Ibid., VII, p. 71-73. 27 Baschet, La diplomatie cit., p. 174-176.
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La facilité avec laquelle un ambassadeur de Venise pouvait en 1515 s’introduire tôt le matin dans le palais apostolique et se rendre sans problème jusqu’aux appartements pontificaux peut, à première vue, surprendre, mais c’est peut-être oublier que les diplomates en poste à Rome étaient des habitués de la cour, s’y montrant souvent à l’occasion d’audiences publiques ou privées ou de cérémonies de diverses sortes dont, en particulier, les nombreuses chapelles papales –– une cinquantaine chaque année –– où ils figuraient en bonne place, faisant d’ailleurs tout pour qu’on les y remarque28, sans compter qu’ils pouvaient pour la plupart se prévaloir d’intelligences au sein même de l’entourage pontifical. Quarante ans plus tard, un des ambassadeurs de Charles Quint, le marquis de Sarria, qui comme ses collègues était à couteaux tirés avec le pape Paul IV, n’eut, malgré cela, aucune difficulté à se frayer un passage jusqu’à l’antichambre de l’appartement pontifical, espérant forcer le pape à le recevoir, ce qui était bien mal connaître Paul IV qui, bien entendu, refusa de lui ouvrir sa porte, l’obligeant, du coup, à rentrer, mortifié, chez lui29. Qu’ils aient été ou non en bons termes avec le pontife régnant, les membres du corps diplomatique établis en permanence à Rome n’en restaient pas moins liés et, pour certains, liés de très près à la cour. Le seul fait qu’à l’instar des cardinaux ils aient eu droit à la parte –– parte symbolique, il est vrai, mais parte tout de même –– en est déjà un précieux indice30. C’est que, tout autant qu’eux, les papes de l’époque savaient à quel point leur était utile la présence de ces derniers et qu’il était donc dans leur intérêt de cultiver avec eux d’aussi bonnes relations que possible. Que cela n’ait pas toujours été le cas, comme nous venons de le voir, ne changeait rien au fait que, même en période de crise, voire de guerre, on tenait de part et d’autre à garder les voies de communication ouvertes. Même un Paul IV savait, lorsque nécessaire, oublier ses ressentiments, pour ne pas dire ses haines, et reprendre contact avec des ambassadeurs qu’il avait, un moment, voué aux gémonies31. Voir Mattingly, Renaissance cit., p. 106. Levin, Agents cit., p. 64. Un témoignage de 1554 illustre bien la « porosité », du moins de jour, du palais apostolique. Un jeune prélat allemand du nom de Rot en visite à Rome raconte comment au terme d’une sortie avec quelques amis ou compatriotes membres de la cour (papisticis), ces derniers le ramenèrent au palais et l’invitèrent à venir boire avec eux du bon vin « grec » dans la cave réservée au pape! Cf. G. Dickinson, Du Bellay in Rome, Leyde 1960, p. 105. 30 À ce sujet, voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 10 et note 35. 31 Lorsque l’ambassadeur Sarria vint au début d’août 1556 solliciter du pape la permission de quitter Rome, l’empereur et son fils Philippe, roi d’Espagne, lui en ayant donné l’ordre, Paul IV qui avait eu jusque-là des rapports difficiles, orageux même avec ledit ambassadeur, fit tout en son pouvoir pour le convaincre de rester, l’assurant de ses bonnes dispositions à son endroit et insistant sur le fait que sa présence était nécessaire pour que ses « patrons » soient correctement informés de ce qui se passait et de ce qui se disait à Rome. Ces détails nous sont fournis par un témoin oculaire, le secrétaire Massarelli qui assista à la rencontre de Sarria et du pape, le dimanche 2 août, en présence d’un certain nombre de cardinaux réunis pour l’occasion dans la salle des audiences du Vatican. Conc. Trid. II, Diar. 28 29
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Aussi n’est-on pas trop surpris de constater qu’à partir au moins du règne de Sixte V, les ambassadeurs enposte à Rome avaient droit à une audience hebdomadaire. Aux plus importants d’entre eux, ce même pape n’hésitait pas à consacrer chaque fois plusieurs heures32. Au début du XVIIe siècle, Paul V (1605-1621) fixera au vendedi matin l’audience régulière des ambassadeurs de France, de Venise et de leurs collègues de moindre importance et au samedi matin, celles de représentants de l’empereur, puis du roi d’Espagne, et cela, pour la période allant de novembre à juin. Durant les autres mois, les rencontres n’avaient lieu qu’à tous les quinze jours33. Mais tout donne à penser que ce régime était déjà celui qu’avait fini par adopter son prédécesseur Clément VIII34, régime s’inspirant sans doute lui aussi de pratiques plus anciennes qui, avec le temps, avaient fini par s’imposer au fur et à mesure que se précisaient les rapports entre un corps diplomatique installé à demeure à Rome et une papauté de plus en plus intéressée à tirer profit de cette présence35. 2, p. 293. Une autre version de cette rencontre nous est fournie par le cardinal vice-chancelier, Alexandre Farnèse, mais qu’il tenait probablement de quelqu’un d’autre, puisque selon Massarrelli, il n’était pas là, version selon laquelle, avant la réunion dans la salle d’audiences, il y aurait eu un repas auquel participaient, outre le pape et les cardinaux convoqués pour l’occasion, l’ambassadeur Sarria et le duc de Paliano et que, d’autre part, à l’audience même, après avoir entendu le plaidoyer dudit ambassadeur, le pape aurait demandé à ce dernier et au duc de Paliano qui l’accompagnait de se retirer, puis, ayant consulté les cardinaux présents, l’aurait fait revenir pour lui annoncer qu’il lui accordait la permission de partir, mais dans quelques jours seulement et qu’il devait dans l’intervalle rester à son poste. ASV, Arch. Consist., Acta Vicecanc. 8, fol. 56v-57r. Ce que les deux sources ne disent pas, c’est que Paul IV n’était pas encore assuré en ce début d’août 1556 de l’aide militaire que lui avait promise le roi de France et que, d’autre part, il avait déjà fait arrêter et enfermer au Château Saint-Ange les autres ambassadeurs ou émissaires de l’empereur et du roi d’Espagne. À ce sujet, voir Levin, Agents cit., p. 64-66. Sarria restait donc son seul contact diplomatique officiel avec les deux souverains en question, d’où sans doute les égards soudains que le pape avait à l’endroit d’un personnage qu’il ne tenait pas en très haute estime. 32 Von Pastor, Storia dei papi cit., X, p. 51-52. 33 A. Menniti Ippolito, Il governo dei papi nell’età moderna, Rome 2007, p. 173. 34 34 À ce propos, voir Lettres du cardinal d’Ossat, éd. A. de la Houssaye, II, Paris 1698, p. 13, 16. Mais, déjà en 1581, donc au temps de Grégoire XIII, l’ambassadeur de France, Paul de Foix, signale au roi Henri III que le vendredi est « le iour ordinaire auquel nostre Sainct Père donne audience à vostre ambassadeur resident ». Paul de Foix à Henri III, 15 mai 1581, dans Les lettres de messire Paul de Foix, Paris 1628, p. 13. Il y a donc déjà une pratique en ce sens, même si elle ne fait pas encore l’objet d’une réglementation. 35 Voir, à ce sujet, Mattingly, Renaissance cit., p. 108-110. Si les papes du XVIe siècle comptaient beaucoup sur les ambassadeurs en poste à Rome pour les tenir informés de ce qui se passait dans leur pays respectifs et sur ce que pensaient leurs « maîtres », les ambassadeurs, de leur côté, cherchaient à profiter de l’extraordinaire « poste d’écoute » qu’était Rome pour informer, à leur tour, ces mêmes « maîtres » de tout ce qui se passait, se disait ou parvenait comme nouvelle à Rome. C’est ce qui fait encore aujourd’hui l’attrait de Rome pour les nombreux ambassadeurs accrédités près le Saint-Siège. Mais, comme le souligne Christine Shaw, il ne faudrait pas trop vite en conclure, comme l’ont fait, à tort selon elle, un Maulde-la-Clavière, un Mattingly, voire un Prodi, que la cour pontificale était à l’époque le
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Nous avons mentionné plus haut l’existence également à la cour pontificale de cardinaux dits protecteurs chargés de représenter les intérêts des chefs d’État de l’époque, habituellement de concert avec les ambassadeurs que ces derniers maintenaient à Rome. Ces cardinaux avaient toutefois sur les ambassadeurs en question l’avantage de jouir d’un plus grand prestige qu’eux, puis surtout d’avoir plus facilement et presque quotidiennement accès à la personne du pape que ce soit dans le cadre des chapelles papales auxquelles ils étaient tenus d’assister ou encore des diverses instances juridico-administratives où ils se retrouvaient en sa compagnie, notamment à l’occasion des consistoires où il leur revenait de présenter au nom de leurs souverains respectifs les candidats nommés par ces derniers à des bénéfices ecclésiastiques majeurs36. Mais leurs interventions, consistoires y compris, ne se limitaient pas à ce seul domaine. À l’instar des ambassadeurs et parfois en leur compagnie, ils avaient assez souvent à traiter avec le pape d’affaires politiques. Il n’était pas rare que leur avis ait plus de poids que celui desdits ambassadeurs, ce qui, on le devine, n’était pas de nature à plaire à ces derniers. D’aucuns, d’ailleurs, ne manqueront pas de s’en plaindre en haut-lieu. Arnaud d’Ossat, sans doute le plus habile diplomate que la France ait compté à Rome à l’époque et qui y fut, tour à tour, secrétaire d’ambassade, chargé d’affaires et vice-cardinal protecteur, nous a laissé, au fil de sa diserte correspondance publiée par Amelot de la Houssaie au XVIIe siècle, un portrait détaillé et réaliste à souhait du jeu diplomatique auquel se livraient le pape, son secrétaire d’État, les divers cardinaux protecteurs et ambassadeurs en poste à Rome et maints autres principal centre de la diplomatie européenne dans le sens que c’était de là que partaient des initiatives ou là que se prenaient des décisions affectant le sort politique de l’Europe. C. Shaw, The Papal Court as a Centre of Diplomacy. From the Peace of Lodi to the Council of Trent, dans La papauté à la Renaissance, éd. F. Alazard ˗ F. La Brasca, Paris 2007, p. 621-638. Pour la période à laquelle elle s’intéresse, Christine Shaw a probablement, du moins en partie, raison, mais pour celle qui suit, c’est-à-dire la seconde moitié du XVIe siècle, les nombreuses interventions dans le domaine surtout politico-religieux des papes tridentins et post-tridentins et l’appareil diplomatique qu’ils mirent en place à cet effet obligent à admettre que la cour pontificale fut à partir de ce moment plus qu’un simple « poste d’écoute » ou encore, comme le suggère l’auteure, un lieu où il n’était question que d’affaires ecclésiastiques, de nature surtout bénéficiales, administrative ou fiscale. 36 G. Moroni, Protettore, dans Dizionario di erudizione, LV, p. 331. Les correspondances que les souverains de l’époque entretiennent avec leurs ambassadeurs à Rome sont pleines de demandes de ce type. Voir, entre autres, Lettres de Henri III, éd. M. François ˗ B. Barbiche ˗ H. Zuber - J. Boucher, I-VI, Paris 1954-2006, passim. Il en va de même pour les ambassadeurs d’Espagne. Voir, à ce sujet, Levin, Agents cit., p. 143-146. Pour une vue d’ensemble sur les cardinaux protecteurs des grands États européens, voir Moroni, Protettore cit., LV, p. 326-330. Moroni souligne le fait qu’au XIVe siècle déjà le pape Urbain V avait cherché à mettre un frein aux « faveurs » dont ces cardinaux faisaient l’objet de la part des princes qu’ils représentaient et qu’en 1417 Martin V, l’élu du concile de Constance, leur avait interdit d’accepter de telles « faveurs ». Léon X, pour sa part, avait cherché au moins à réglementer ces dernières. Ce qui ne semble pas avoir eu beaucoup d’effets.
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plus modestes personnages gravitant autour d’eux, et de la place que ce jeu occupait à la cour pontificale vers la fin du XVIe siècle. Nous nous limiterons ici aux desriptions qu’Arnaud d’Ossat nous fournit de ce jeu pour les années 1599-1600, c’est-à-dire avant et après son accession au Sacré Collège –– il fut créé cardinal le 3 mars 1599 ––, ce qui aura, entre autres, l’avantage de nous permettre de distinguer le type de rapport que pouvait avoir à l’époque, d’une part, un ambassadeur, de l’autre, un cardinal protecteur avec le pontife régnant, en l’occurrence, Clément VIII. Mais pour bien comprendre toutes les subtilités de ce jeu –– et elles étaient nombreuses –– il nous faut d’abord rappeler ce qu’avait été jusque-là la contribution dudit d’Ossat à la solution des nombreux conflits qui, à partir de 1585 surtout, avaient envenimé les rapports entre le SaintSiège et la cour de France. Refus cette même année de la part d’Henri III d’accepter l’archevêque de Nazareth comme nonce en France suivi, trois années plus tard, de l’exécution par ledit Henri III du duc de Guise, chef de la Ligue, puis, surtout, accession au trône d’Henri IV et complexe histoire de sa conversion, de sa réconciliation avec Rome et de l’annulation de son mariage avec Marguerite de Valois, le tout accompagné d’événements en France même qui ne faciliteront en rien les rapports avec le Saint-Siège, tels l’expulsion des Jésuites en 1595 et la promulgation de l’Édit de Nantes en 1598. Autant de « nœuds » que d’Ossat aida fort adroitement à défaire, se gagnant du coup la confiance des deux principaux intéressés, Clément VIII, d’une part, Henri IV, de l’autre, avec le résultat que le premier fera de plus en plus appel à ses bons offices et le consultera volontiers et que le second recommandera à ses ambassadeurs et autres porte-parole dépêchés à Rome de tenir compte de ses avis et de prendre soin de toujours l’associer à leurs démarches37. On pouvait difficilement trouver à l’époque homme mieux informé sur les rouages et le fonctionnement de ce qu’on peut déjà appeler à la fin du XVIe siècle la Secrétairerie d’État, sur le rôle surtout qu’y jouait le pape et le chef du Secrétariat en question, son neveu, le cardinal Pietro Aldobrandini. Ainsi Arnaud d’Ossat nous apprend-il que le pape donnait régulièrement audience aux ambassadeurs résidents, que cette audience, dans le cas des « ministres » du roi de France, était fixée au vendredi38 et qu’au cours 37 A. Degert, Le cardinal d’Ossat, Paris 1894, p. 34-38, 42-48, 58-92, 107-148, 181-271, 276280, 292-303 et passim. Voir aussi A. Duméril, La France et la cour de Rome au temps de Henri IV. Le cardinal d’Ossat, dans Annales de la Faculté de lettres de Bordeaux, 4 (1882), p. 117-177. 38 L’ambassadeur en titre, François de Luxembourg, duc de Piney, étant absent de Rome, d’Ossat, comme il l’avait souvent fait dans le passé, est, à titre de substitut, reçu en audience par le pape les vendredis 1er, 8, 15 et 22 janvier puis, de nouveau, les 5 et 26 février. Il n’a pu l’être le 29 janvier en raison d’une indisposition du pape occasionnée sans doute par la goutte dont Clément VIII était souvent affligé, ni le 19 février, le pape étant alors à Frascati. Lettres du cardinal d’Ossat, II, p. 1, 2, 13, 17, 29, 32. D’Ossat précise, par ailleurs, qu’il ne s’est
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de ces rencontres, les « ministres » en question traitaient d’une grande variété d’affaires, cela pouvant aller de sujets brûlants, voire controversés jusqu’à de simples demandes de faveurs de la part du roi ou encore de la part de proches ou de protégés de ce dernier39. Mais il nous fait surtout découvrir le rôle-clé joué par le cardinal neveu auquel, souligne-t-il, les ambassadeurs ne manquent jamais d’aller rendre visite en sortant de chez le pape, d’une part, « pour l’informer des choses traitées » avec ce dernier, d’autre part, pour « le prier de s’y rendre favorable & propice ». Et –– détail encore plus révélateur –– il signale que parfois il arrive qu’on se présente d’abord chez ledit cardinal « pour sonder sa disposition & inclination, & en prendre son avis » avec l’espoir de gagner ainsi sa confiance et peut-être obtenir qu’il appuie telle ou telle requête à soumettre plus tard au pape40. C’est toutefois sur la figure du cardinal protecteur et sur la place qu’occupait ce dernier dans le jeu diplomatique évoqué plus haut que d’Ossat a beaucoup à nous apprendre. Commençons par souligner le fait qu’il n’eut jamais droit à ce titre comme à celui d’ambassadeur d’ailleurs, mais qu’il exerça bel et bien l’une et l’autre de ces fonctions, dans le premier cas, sous l’appellation de vice-cardinal protecteur41. Se pourrait-il qu’il ait préféré pas présenté à l’audience du 5 mars, car, ayant été deux jours plus tôt créé cardinal, il aurait été contraire à la coutume établie qu’il le fasse, celle-ci voulant que « les cardinaux nouvellement faits […] ne sortent point de leur logis jusqu’à ce qu’ils [prennent] le chapeau ». Or, explique-t-il, ce dernier ne lui a été remis que le samedi 6 mars. Ibid., p. 39. Mais, passés ces quelques jours de réclusion, il n’hésite pas, tout cardinal qu’il soit, à se présenter de nouveau à l’audience du vendredi –– il y est les 12 et 19 mars (Ibid., p. 39-41) –– sans doute parce que le nouvel ambassadeur en titre, M. de Sillery, n’est pas encore là: il n’arrivera de fait que le 19 avril. Ibid., p. 43-59. S’il ne s’y rend pas le 26 mars, c’est, explique-t-il, qu’il n’avait rien d’urgent à traiter et surtout que, ce même jour, il devait aller prendre possession de l’église de Saint-Eusèbe, son titre cardinalice. Ibid., p. 56. Mais il y est de nouveau le 16 avril, vendredi de la semaine de Pâques, (Ibid., p. 57), puis le 23, mais, cette fois, pour la première audience « à découvert » du nouvel ambassadeur que le cardinal de Joyeuse et lui-même, le premier à titre de cardinal protecteur, avaient jugé bon accompagner. Ibid., p. 59. Mais ce sera là sa dernière présence à l’audience du vendredi. 39 Qu’il suffise de mentionner ici les sujets traités par Arnaud d’Ossat lors de ses audiences de janvier 1599. D’une part, côté faveurs: confirmation des privilèges de l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris, acceptation par le pape de l’abbé de Fisque comme camérier secret, concession d’une dispense à un chevalier de Malte, fils du président Séguier pour qu’il puisse tenir un prieuré en France, diverses nominations à des bénéfices ecclésiastiques également en France en faveur de sujets ou de protégés du roi; d’autre part, côté affaires: demandes du roi à l’effet que le pape permette que soit réduit le nombre de fêtes chômées en France, puis surtout qu’il tranche en sa faveur le différent l’opposant au duc de Savoie au sujet du marquisat de Saluces avec, en contrepartie, une requête du pape au roi pour qu’il intervienne auprès des Genevois en faveur des catholiques de la ville. Ibid., p. 1-26. 40 Ibid., p. 3. D’Ossat, pour sa part, a de fréquentes conversations avec le cardinal neveu. Voir ibid., p.18-20, 37, 40, 52-53 et passim. 41 Avant son accession au cardinalat début mars 1599, Ossat avait rempli la fonction de secrétaire du cardinal d’Este, protecteur des affaires de France, puis du cardinal de Joyeuse qui avait succédé à ce dernier en 1587. Degert, Le cardinal cit., p. 31-38. Devenu cardinal
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ce type de rôle qui lui permettait, entre autres choses, d’être moins exposé aux feux de l’avant-scène politique? On a toutes les raisons de le croire. Chose certaine, son naturel le portait plutôt à l’effacement, à la discrétion qui lui paraissaient sans doute dans les circonstances mieux correspondre à la complexité, voire à la sensibilité des dossiers qu’il s’était vu ou allait se voir de plus en plus confier. On pourrait ici multiplier les exemples. Nous n’en retiendrons qu’un, particulièrement révélateur de la nature et du style des rapports qu’il entretenait avec les principaux acteurs « politiques » de la cour, le pape tout d’abord, puis son neveu, le cardinal secrétaire d’État. Il s’agit de l’épineux dossier mentionné plus haut concernant la « dissolution » du mariage d’Henri IV et de Marguerite de Valois. Tout commence en juin 1599. D’Ossat reçoit une lettre d’Henri IV l’exhortant à appuyer du mieux qu’il peut son ambassadeur à Rome, Nicolas Brûlart de Sillery, dans les démarches qu’il va bientôt entreprendre à ce propos42. Il répond aussitôt au roi l’assurant qu’il mettra toute son âme à le servir en cette affaire43. Le même jour, dans une lettre au secrétaire d’État, Villeroy, il souligne les difficultés que ne manquera pas de présenter le dossier en question44. Il revient sur le sujet le 14 juillet, faisant état d’un autre cas de « dissolution » dans lequel il est présentement impliqué et qui permet de soupçonner ce que seront les exigences et les hésitations du pape face à la demande du roi45. Il signale par ailleurs audit Villeroy que, trois jours plus tôt, Sillery lui a demandé de préparer un mémoire appuyant la demande du roi, mémoire qu’il se chargerait de remettre au pape lors d’une prochaine audience46. Or ce n’est que le 28 juillet, à ce qu’il semble, lors d’une audience spéciale, que cette présentation sera faite et que le pape sera ainsi officiellement informé de la requête du roi47. Peutêtre l’ambassadeur avait-il dû attendre jusque-là pour avoir en main toutes les pièces requises, y compris le mémoire du cardinal d’Ossat. Chose certaine, à partir de ce moment, l’affaire est bel et bien enclenchée et va, des mois durant, occuper beaucoup de personnes dans l’entourage du pape et donc collègue de Joyeuse, il joue plutôt le rôle de conseiller de celui-ci, mais il lui arrive d’être reçu avec ce dernier par le pape. Lettres cit., II, p. 43-53. Joyeuse reçoit la même année permission du roi de rentrer en France pour régler des affaires de famille. En son absence, Ossat se dit prêt à accepter la charge de vice-cardinal protecteur comme le lui demande le roi. Ibid., p. 71. Il n’est toutefois pas sûr qu’il tenait à occuper ce poste. À l’occasion du départ de Joyeuse le 25 avril, il précise que s’il est devenu vice-cardinal protecteur, c’est que les cardinaux Aquaviva et Giustiniani ont refusé ce titre. Ibid., p. 89. 42 Ibid., p. 68. 43 Ibid., p. 71. 44 Ibid., p. 72-73. 45 Lettre au même, ibid., p. 74-77. 46 Ibid., p. 77. 47 Ibid., p. 83.
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et de son secrétaire d’État comme dans celui du cardinal protecteur et de l’ambassadeur de France cherchant, les uns et les autres, avec l’aide d’Arnaud d’Ossat dont la réputation de diplomate et, surtout, de « moyenneur » n’était plus à faire, à trouver une solution répondant tout à la fois aux attentes d’une des parties, celle du roi, et aux hésitations pour ne pas dire aux scrupules de l’autre, celle du pape. Le 19 juillet, Clément VIII s’était plaint au cardinal d’Ossat lors d’un tête-à-tête auquel il l’avait convié « en sa chambre », des maux, voire des insomnies que lui causait le dossier du marquisat de Saluces, dossier que d’Ossat connaissait bien pour y avoir été lui-même associé depuis des mois48. Combien plus redoutable et angoissant pour lui risquait d’être celui de la « dissolution » du mariage d’Henri IV et de Marguerite de Valois qui relevait, lui, plus du domaine religieux que du domaine politique. L’audience accordée à Sillery le 28 juillet marque de fait le début d’un véritable ballet diplomatique qui va se poursuivre des semaines durant. Le vendredi 30 juillet, jour d’audience normalement réservé à l’ambassadeur de France, c’est le cardinal protecteur, François de Joyeuse, qui se présente à sa place et fait valoir à nouveau les arguments lui semblant militer en faveur d’une réponse favorable de la part du pape. Deux jours plus tard, soit le dimanche 1er août, c’est au tour du cardinal d’Ossat d’intervenir, mais cette fois à la demande expresse de Clément VIII qui, après l’avoir interrogé « tant sur le fait, que sur le droit », sollicite de lui un avis écrit sur toute cette affaire, avis que d’Ossat montre au cardinal de Joyeuse et à l’ambassadeur Sillery avant que ce dernier ne le présente au pape lors de son audience régulière du 6 août. Trois jours plus tard, d’Ossat est de nouveau convoqué chez le pape qui, après lui avoir fait « quelques difficultez » sur son avis, lui remet une autre « écriture » préparée par un de ses conseillers et faisant état des « difficultez » en question. Rentré chez lui, d’Ossat se met aussitôt à la tâche de répondre à ces dernières sous forme d’un mémoire qu’il espère pouvoir remettre à l’ambassadeur en vue d’être présenté par celui-ci au pape lors de l’audience du vendredi 13 août. Or, le 48 Ibid., p. 80-81. Il n’est pas sans intérêt de noter que cet entretien eut lieu un jour de Consistoire. Or, comme l’explique d’Ossat, les « cardinaux nouveaux » — ce qui était son cas — avaient l’habitude à l’occasion des Consistoires et des « chapelles », de se rendre à l’antichambre du pape et là attendre qu’il sorte de ses appartements pour ensuite l’accompagner jusqu’à la salle du Consistoire. Ce matin-là, n’ayant pu célébrer la messe à cause d’une nouvelle attaque de goutte, Clément VIII s’était contenté d’assister à une messe dite en sa présence et d’Ossat, arrivé très tôt au palais pontifical, avait pu participer à cette messe et même servir le pape « de l’Evangile & de la paix ». C’est alors que profitant du temps qui restait avant la réunion du Consistoire, Clément VIII avait invité d’Ossat à sa « chambre » pour échanger avec lui. Bel exemple de l’immense avantage que les cardinaux protecteurs ou de couronne avait sur les ambassadeurs en poste à Rome de pouvoir aussi facilement approcher le pape et, le cas échéant, préparer le terrain de sollicitations ou de négociations à venir.
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mercredi 11 août, alors que vers les 21 heures il est à rédiger une lettre au secrétaire Villeroy décrivant les diverses démarches entreprises jusque-là, un « estaffier » du pape se présente et lui dit que son maître demande à le voir deux heures plus tard. D’Ossat est bien évidemment là à l’heure fixée. Or, après avoir fourni au pape les principaux éléments du texte qu’il a préparé en réponse au mémoire qu’il lui avait remis le 1er août et l’avoir assuré par ailleurs que ce texte lui serait transmis par l’ambassadeur du roi lors de l’audience du 13 août, voilà qu’il découvre que Clément VIII a fait préparer une nouvelle « écriture » due cette fois à la plume de trois conseillers dont « il avoit voulu prendre avis », mieux, qu’il a déjà en tête la liste des cardinaux qu’il voudrait voir faire partie de la Congrégation chargée d’étudier la requête du roi, liste qu’il entend lui remettre sur-le-champ, ce qu’il fait d’ailleurs après l’avoir rédigée devant lui « de sa propre main ». À sa sortie du palais, d’Ossat est accueilli par l’ambassadeur Sillery et le cardinal de Joyeuse se promenant en carrosse du côté du Belvédère –– sans doute les avait-il informés de l’audience impromptue à laquelle il avait été convoqué –– et il leur rend compte de ce qui s’est passé après avoir remis à Sillery la liste de cardinaux qu’il a en main. Il fait nuit lorsqu’il rentre chez lui et peut enfin terminer la rédaction de la lettre destinée à Villeroy49. Le vendredi 13 août, tel que prévu, Sillery présente le mémoire du cardinal d’Ossat au pape. Mardi le 17, d’Ossat est de nouveau convoqué chez ce dernier qui lui fournit copie du dossier qui doit être remis aux membres de la Congrégation chargée d’étudier la requête du roi et lui demande de tout vérifier avant que le dossier en question ne parvienne auxdits membres. Ce que s’empresse de faire d’Ossat afin d’être en mesure de rapporter le tout le lendemain soir au cardinal neveu, Pietro Aldobrandini afin qu’il le remette à son oncle le jour suivant, c’est-à-dire jeudi. Or ce même jeudi, soit le 19 août, le pape lui fait parvenir une troisième « écriture » rédigée celle-là par un jésuite qui venait s’ajouter à celles qu’il lui avait remises, la première, le 6 août, la seconde, le 17, cette dernière de la main du cardinal Zacchia. D’Ossat se met aussitôt en frais de préparer un troisième mémoire répondant « à certains points » contenus dans ces diverses « écritures », puis un quatrième reprenant tout ce qui avait été jusque-là dit et écrit de part et d’autre, destiné celui-là aux cardinaux de la Congrégation mise sur pied par le pape afin, explique-t-il, de « les soulager d’autant ». Mais d’Ossat ne se contente pas d’écrire. Le 24 août, il se présente de bon matin chez le cardinal Aldobrandini avant que celui-ci ne parte pour son tête-à-tête quotidien avec le pape et là lui demande d’essayer de convaincre son oncle de renoncer à certaines exigences auxquelles il semble tenir plus que tout, mais qui risquent de compliquer et surtout de retarder indûment 49
Ibid., p. 83-86.
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le processus en cours. Convoqué ce même soir par le pape, d’Ossat a tôt fait de constater que le cardinal neveu n’a pas réussi à ébranler la détermination de son oncle en ce qui concerne surtout l’envoi d’un auditeur de Rote en France, mais il ne perd pas pour autant espoir, comptant bien que le cardinal de Joyeuse et lui-même pourront fournir à l’ambassadeur Sillery pour son audience du 27 août quelques autres arguments de nature à faire fléchir le pape50. Restait à savoir à quelles conclusions arriverait la Congrégation mise sur pied par Clément VIII et surtout ce que ce dernier en ferait. Dans une lettre du 8 septembre, d’Ossat annonce à Villeroy qu’une première réunion de ladite Congrégation a eu lieu le 31 août et que l’affaire de la « dissolution » qui était restée jusque-là secrète est désormais connue de tout Rome, car, explique-t-il, « la curiosité est merveilleusement grande en toute cette nation, & mêmement en cete Cour »51. Et –– détail qui ne manque pas de piquant –– il signale qu’en vue de favoriser au mieux la cause du roi, Sillery est allé en personne, quelques jours avant cette première réunion, remettre à chacun des cardinaux membres de la Congrégation les « écritures » qu’avec son aide il avait réunies et que lui-même est allé à son tour voir ces mêmes cardinaux en vue de répondre à leurs « doutes & difficultez » et ainsi les « laissez tous bien édifiez de la justice » de la cause du roi. Une seconde réunion était prévue pour le vendredi 10 septembre, mais il connaissait déjà les principaux points sur lesquels il leur restait à s’entendre. Aussi l’ambassadeur et lui-même restaient-ils vigilants « pour faire passer le tout en la meilleure façon que faire se [pourrait] »52. Ce n’était pas là vaines promesses. En effet, le 22 septembre, d’Ossat était en mesure d’apprendre au secrétaire Villeroy, tout d’abord que Sillery avait réussi à dissuader le pape d’envoyer, tel que prévu, un auditeur de Rote en France et que lui-même avait obtenu que, recommandé par les cardinaux de la Congrégation créée par le pape, ce soit plutôt une Commission qui soit chargée d’établir la vérité des faits entourant le premier mariage du roi, mieux, que cette Commission soit composée de trois membres et, mieux encore, que les membres en question soient, en plus du nonce à Paris, auquel tenait beaucoup le pape, le cardinal de Joyeuse et l’archevêque d’Arles. Mais le plus révélateur, du point de vue qui nous intéresse ici, est la complexe négociation faite dans le plus grand secret et par personnes interposées qui Ibid., p. 87-90. Ibid., p. 191. D’Ossat en donne la raison. Chaque cardinal, dit-il, a « un secrétaire » et « un auditeur » et, par ailleurs, « des cardinaux amis » à qui il ne saurait cacher ces choses. D’Ossat était bien placé pour le savoir, lui qui était probablement, comme le montrent ses lettres à Villeroy, une des personnes les mieux informées de Rome grâce justement aux nombreux cardinaux et prélats « amis » qu’il comptait dans la ville. 52 Ibid. 50 51
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permit à d’Ossat d’arriver à ce résultat. Le récit qu’il en fait relève presque du roman, pour ne pas dire du roman à suspense. Le samedi 11 septembre au soir, il reçoit de la part du cardinal Zacchia dit San Marcello, un des sept membres de la Congrégation chargée de l’affaire de la « dissolution », mais surtout homme de confiance du pape, une invitation à se rendre le lendemain matin à la « vigne » du marquis de Riano, près de la porte du Peuple, pour une promenade où ils pourraient l’un et l’autre discuter librement de l’affaire en question. Cette rencontre d’apparence anodine a effectivement lieu et les deux hommes finissent par s’entendre sur les noms des commissaires qu’ils souhaiteraient voir le pape nommer. D’Ossat demande toutefois de pouvoir consulter l’ambassadeur de France avant de donner son accord final. Zacchia n’y voit aucun inconvénient, d’autant moins d’ailleurs qu’il doit lui-même en faire autant en ce qui concerne le pape. Sillery chez qui d’Ossat s’est aussitôt rendu approuve sur-le-champ la proposition de ce dernier. Rien de tel dans le cas du pape qui, ce même dimanche, « après dîner » dépêcha son neveu, le cardinal secrétaire d’État, auprès d’Ossat pour l’informer qu’il souhaitait le voir de même que le cardinal San Marcello le plus tôt possible afin de poursuivre avec eux la discussion sur le « fait des commissaires ». Mais, à sa grande surprise, d’Ossat entend son visiteur lui dire qu’en ce qui le concernait personnellement, il verrait plutôt qu’on se contente d’un seul commissaire, c’est-à-dire du nonce en France. Quelque peu décontenancé, d’Ossat accourt de nouveau chez Sillery et tous deux conviennent que, dès le lendemain, jour de consistoire, d’Ossat profitera de l’occasion pour rencontrer le pape et faire à nouveau valoir les arguments qui lui paraissaient militer en faveur de la formule sur laquelle le cardinal San Marcello et lui-même s’étaient mis d’accord. La rencontre effectivement a lieu et, comme le souligne lui-même d’Ossat, Clément VIII, incapable de trouver des failles dans son argumentation, se limite à répondre qu’il va prier Dieu de l’éclairer dans la poursuite de sa réflexion. Mais le lendemain, d’Ossat apprend du cardinal San Marcello que le pape l’a, à son tour, rencontré et qu’il a repris devant lui les arguments que lui avait servi la veille d’Ossat et qu’il était prêt à nommer les trois commissaires qu’ils lui avaient proposés, pourvu que l’ambassadeur du roi en fasse la demande. Ce qu’informé par d’Ossat, Sillery s’empressa de faire le vendredi 17 septembre, jour d’audience. Restait à préparer le rescrit destiné aux commissaires. Or, voilà que, dès le lendemain, soit le samedi 18 septembre, le « Seigneur Vestio », premier secrétaire du pape, se présente chez d’Ossat en vue d’avoir son avis sur la forme et le contenu de ce rescrit. Fort des renseignements fournis par d’Ossat, il rentre chez lui et passe toute la journée du dimanche et du lundi à rédiger le texte en question, puis l’apporte le mardi 21 septembre au matin
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à d’Ossat qui lui suggère quelques corrections aussitôt acceptées. Le même jour, d’Ossat montre cette nouvelle version du texte à Sillery qui donne son accord, de sorte que le lendemain il est en mesure de remettre lui-même le tout à Vestio. Ne manquait plus que l’approbation du pape53. Mais, comme à son habitude, Clément VIII tient à examiner minutieusement et scrupuleusement le texte mis au point par Vestio et d’Ossat et ce n’est donc que le 25 septembre que ce dernier se vit remettre par Vestio le revu et corrigé du pape. Après en avoir discuté avec l’ambassadeur du roi, il propose quelques ultimes corrections que Vestio prend en note en vue de les présenter au pape. À la demande de Sillery, d’Ossat fournit à ce dernier copie du texte que Vestio va soumettre à nouveau au pape afin qu’il puisse en parler avec celui-ci en connaissance de cause lors de l’audience qu’il s’apprête à avoir ce même jour avec lui. Le lendemain, 26 septembre, d’Ossat, visiblement soulagé, est en mesure d’informer Henri IV, puis son secrétaire d’État, Villeroy, que le rescrit tant attendu a enfin été entériné par le pape et qu’il sera prochainement expédié en France sous forme de bulle54. Il ne manquait plus que le rapport des trois commissaires chargés de vérifier l’exactitude des faits allégués dans la requête soumise par le roi. Ce sera chose faite le 17 décembre 1599 avec le jugement favorable rendu par lesdits commissaires55. D’Ossat avait une fois de plus montré à quel point il connaissait bien les humeurs et les habitudes de la cour pontificale et à quel point surtout il savait exploiter cette connaissance à l’avantage de ceux qui faisaient appel à ses services, en particulier le roi de France et ses principaux conseillers et « ministres » à Paris comme à Rome. Si nous avons accordé autant d’espace au récit de la négociation entreprise dès juin 1599 par le cardinal d’Ossat, le cardinal de Joyeuse et l’ambassadeur Brülart de Sillery avec Clément VIII et son secrétaire d’État, Pietro Aldobrandini, au sujet de la « dissolution » du mariage d’Henri IV et de Marguerite de Valois, c’est qu’elle nous paraissait on ne peut plus révélatrice du fonctionnement de la cour pontificale en tant que lieu de concertation, d’intervention et de décision politique. Ce qui saute immédiatement aux yeux, c’est le temps que Clément VIII consacre à ces diverses activités au point où, à certains moments, il se plaint des désagréments aussi bien psychiques que physiques que cela lui cause, allant même jusqu’à dire un jour à d’Ossat qu’il avait l’impression que certains de ceux qui faisaient appel à lui voulaient sa mort56. Il faut dire que Clément VIII était un anxieux, un scrupuleux même, Ibid., p. 91-102. Ibid., p. 102-104. 55 P. Féret, Nullité du mariage de Henri IV avec Marguerite de Valois, dans RQH, XI (1876), p. 112. 56 C’est lors de son tête-à-tête avec le cardinal d’Ossat, le 19 juillet 1599, qu’il fait cet aveu. Il était alors aux prises avec l’affaire du marquisat de Saluces où il avait été appelé à jouer le 53 54
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sujet à une méticulosité presque maladive57. Il fera éventuellement de plus en plus confiance à son neveu, le cardinal Pietro Aldobrandini, et s’appuiera de plus en plus sur lui, mais, à l’instar de ses prédécesseurs Pie V, Grégoire XIII et Sixte V, il ne se résoudra jamais à lui abandonner la conduite des affaires « politiques » ou, pour être plus exact, politico-religieuses et tiendra, surtout s’agissant de dossiers épineux, à avoir de ces derniers une connaissance aussi exhaustive que possible. Rien n’illustre mieux ce comportement que l’affaire de la « dissolution » du mariage d’Henri IV dont nous venons de reconstituer la trame. Il multiplie les consultations, sollicite avis et mémoires, invite plus d’une fois d’Ossat à venir en discuter avec lui, accepte volontiers de le recevoir, donne chaque semaine audience à l’ambassadeur Sillery et, cela, en plein mois de juillet et d’août, alors que normalement durant l’été le nombre d’audiences était moindre, mieux, charge un de ses confidents, le cardinal Zacchia, de rencontrer secrètement d’Ossat à un moment critique des négociations avec les représentants du roi de France, envoie même, peu après, son propre neveu, le secrétaire d’État, Pietro Aldobrandini sonder d’Ossat à ce même sujet et, enfin, confie à son premier secrétaire, Vestio, le soin de préparer avec d’Ossat le rescrit destiné aux commissaires qui auront à statuer sur le bien-fondé de la requête d’Henri IV. Et, pendant tout ce temps, il passe lui-même des heures à compulser, lire et relire, annoter, au besoin corriger les diverses pièces d’un dossier qui se fait chaque jour plus complexe et plus volumineux. Bien évidemment, il n’était pas toujours à ce point accaparé par des affaires de cette nature et de ce poids, mais il l’était assez souvent –– et on pourrait ici multiplier les exemples –– pour que l’on puisse dire que le « politique », y compris le politico-religieux, occupait une très large place dans son emploi du temps et dans celui de ses nombreux auxiliaires, les uns attachés à sa personne, les autres à celle de son neveu Pietro Aldobrandini. Et, cela, nous semble-t-il, vaut aussi pour la plupart des papes du XVIe siècle qui, eux aussi, eurent à faire face à des défis, des conflits, voire des crises internes et externes de toutes sortes. Ce que nous avons dit plus haut de certains d’entre eux le montre assez. Et sans doute rôle d’arbitre entre le roi de France et le duc de Savoie. Cela l’occupait déjà depuis des mois. À cela s’ajoutaient les fatigues que lui occasionnaient les grandes chaleurs sévissant à Rome en juillet 1599. De cela aussi il se plaignait à d’Ossat. Ce dernier lui répliqua que le temps qu’il consacrait à ce dossier ne convenait « ni à sa dignité, ni à son âge, ni à la saison de l’année » et que même si le roi de France tenait beaucoup à ce que cette affaire soit bientôt réglée, il « estimoit plus la vie & la santé de S[a] S[ainteté] que tous les Marquisats du monde ». Ce qui ne sembla guère ébranler Clément VIII qui continua à insister sur le fait qu’il ne pouvait déléguer à d’autres une décision qui lui appartenait, qui, surtout, dans les circonstances, urgeait, mais qui en même temps devait être prise en connaissance de cause. D’Ossat, devant la détermination du pape, jugea inutile d’ajouter quoi que ce soit. Lettres cit., II, p. 80-81. 57 Voir à ce sujet les réflexions de l’ambassadeur Paolo Paruta. E. Alberi, Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato, 2e série, vol. IV, Florence 1857, p. 413.
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faudrait-il inclure ici tout le rituel protocolaire dont nous avons abondamment parlé dans le chapitre précédent qui, lu aussi, pouvit être accaparant, parfois même très accaparant. Mais, pour être bien complet, il faut à tout cela ajouter un certain nombre d’activités à forte incidence religieuse, mais comportant par ailleurs et presque toujours un volet politique. Cela est particulièrement vrai d’un rouage administratif remontant très loin dans le temps et qui avait nom: consistoire. Toutefois, avant de parler du rôle joué et de la place occupée par ce rouage dans la vie de la cour pontificale au XVIe siècle, il importe de rappeler en quoi il consistait. Notons, tout d’abord, qu’il y avait trois types de consistoires: le consistoire ordinaire dit « secret », le consistoire extraordinaire dit « public », enfin, s’apparentant à ce dernier, le consistoire semi-public. Ne nous intéresse ici que le premier d’entre eux, d’ailleurs le plus fréquent, où, réunis autour du pape, intervenaient les seuls cardinaux, alors que les deux autres, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, étaient ouverts à de nombreux autres personnages et, surtout, étaient empreints d’une beaucoup plus grande solennité58. Les consistoires secrets, affirme Moroni, se tenaient habituellement les lundi et vendredi matins, tandis que les publics et semi-publics avaient lieu le jeudi. Mais, s’empresset-il d’ajouter, les papes étaient libres de les convoquer à d’autres moments et ne se privaient pas de le faire59. Il suffit de parcourir les registres tenus par le cardinal vice-chancelier qui agissait comme notaire des consistoires aussi bien publics que secrets pour constater qu’au XVIe siècle tel était bien le cas, les consistoires publics ayant rarement lieu le jeudi et les consistoires secrets étant convoqués tout aussi bien le mercredi que le lundi et le vendredi.60 Moroni note par ailleurs qu’avec la multiplication des rouages administratifs, notamment au XVIe siècle, le nombre de matières à traiter en consistoire secret diminua considérablement et que, par conséquent, on en vint à passer de deux réunions la semaine à une seule avant d’en arriver au début du XVIIe siècle à une réunion tous les quinze jours61. De fait –– et les registres consistoriaux en font foi –– déjà, au temps de Léon X, on n’en était plus qu’à une réunion hebdomadaire et, parfois même, moins62 et pis encore, à partir du règne de Jules III, il y eut des années où on ne tint même pas une réunion par quinzaine63. 58 Sur le Consistoire et son évolution dans le temps, une bonne vue d’ensemble dans G. Moroni, Consistoro o Concistorio, dans Dizionario di erudizione, XV, p. 187-258. Pour ce qui en était du déroulement du Consistoire et du lieu où il se tenait à la fin du XVe siècle, voir Dykmans, L’œuvre cit., I, p. 140*-145*, 164-178. 59 Ibid., p. 191. 60 ASV, Arch. Concist., Acta Vicecanc. 2, 3, 7, 14, passim. 61 Moroni, Consistoro cit., p. 216. 62 ASV, Arch. Concist., Acta Vicecanc. 2, passim. 63 Ibid., Acta Vicecanc. 7-14, passim.
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Les consistoires secrets, toujours selon Moroni, se tenaient là où le pape résidait habituellement ou encore là où occasionnellement il se trouvait et, dans un cas comme dans l’autre, aussi près que possible des appartements qui lui étaient réservés. Pendant longtemps, même au Vatican, il n’y eut pas de salle désignée à cet effet. On allait d’un local à l’autre selon les besoins ou les disponibilités du moment64. Il faut attendre Grégoire XIII pour que soit mis fin à ce « nomadisme ». En effet, en 1577, celui-ci fit construire une magnifique salle affectée spécifiquement à cette activité65. Décision pour le moins surprenante, puisque, comme nous venons de le voir, le nombre de réunions du consistoire allait sans cesse décroissant et que, pour les raisons alléguées plus haut par Moroni, l’institution en question semblait de ce fait avoir perdu une grande partie de son utilité. Peut-être Grégoire XIII cherchait-il par là à lui redonner un certain prestige permettant, dans la mesure du possible, sinon de faire accepter, du moins de faire oublier aux principaux intéressés –– ses propres cardinaux –– ce qu’était devenue une instance où ils avaient, à une certaine époque, joui d’un pouvoir réel. Ces derniers ayant compris depuis longtemps que cette époque était bel et bien révolue lui en furent sans doute reconnaissants, sachant très bien que leur rôle, à toutes fins pratiques, en était désormais un de pure consultation et qu’ils devaient, la plupart du temps, se contenter de donner leur avis sur des questions d’assez peu d’importance ou encore réglées d’avance. De fait, le seul domaine où les cardinaux avaient encore voix au chapitre était, comme nous l’avons signalé plus haut, celui de la nomination aux bénéfices ecclésiastiques majeurs dits, pour cette raison, bénéfices « consistoriaux », où ils étaient appelés à confirmer les choix faits par le pape ou encore l’un ou l’autre souverain disposant du droit de nomination aux bénéfices en question, dans ce dernier cas, sur présentation du cardinal protecteur de chacun des États concernés66. Il n’était évidemment pas question de contester ces choix, ceux du pape en particulier. Quant à ceux des princes, ils avaient déjà été avalisés par ce dernier, parfois au terme 64 Moroni, Consistoro cit., p. 190-191. Tout cela est confirmé et parfaitement illustré par les registres consistoriaux. Par exemple, on voit un Léon X tenir Consistoire fin septembre 1517 à Viterbe, mi-novembre de la même année, à la Magliana, fin octobre 1518, à Corneto. ASV, Arch. Concist., Acta Vicecanc. 2, fol. 51v, 58v, 91r. À partir de Paul IV, on constate qu’à l’été les Consistoires ont souvent lieu au palais San Marco. En ce qui le concerne, voir ibid., Acta Vicecanc. 7, fol. 22v-28v. Pour Pie IV, ibid., Acta Vicecanc. 9, fol. 51v-61r, 88r-96r, 122r-126v; Acta Vicecanc. 10, fol. 12r-15r. Pour Pie V, ibid., fol. 32v-35v. À partir de Sixte V, le lieu alternatif principal devient le Quirinal. Ibid., Acta Vicecanc. 12, fol. 4v-10r, 25r-28v. 65 C’est au cérémoniaire Francesco Mucanzio que nous devons cette information. Il signale, par ailleurs, que la salle en question est munie d’une antichambre où les cardinaux peuvent revêtir les ornements prévus pour l’occasion. ASV, Fondo Borghese I: 800, fol. 629rv. 66 Voir note 36.
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d’assez longues, voire pénibles négociations67. Par contre, certains cardinaux ne se privaient guère de faire l’éloge d’un candidat ami ou particulièrement méritant chaque fois qu’ils jugeaient bon ou utile de le faire. Le cérémoniaire Francesco Mucanzio, présent au consistoire secret du 9 décembre 1573, note qu’au moins dix cardinaux et le pape lui-même ont fait l’éloge du clerc de la Chambre Luis Torres promu au siège de Monreale et que certains même y sont allés d’assez longs discours dont il se plaît d’ailleurs à faire copieusement état68. Ce type de témoignage est plutôt rare dans les diaires des maîtres de cérémonie du XVIe siècle, mais il n’en est que plus significatif. Il faut dire que Mucanzio, comme il le reconnait luimême, était un « client » de Torres, ayant été de sa « famille » pendant plus de quinze ans à titre d’auditeur et qu’il lui devait beaucoup69. Malgré le caractère de plus en plus formel qu’avaient fini par prendre les réunions du consistoire secret, ce dernier n’avait pas pour autant perdu tout intérêt politique. Qu’il suffise de mentionner ici les nombreuses occasions où le pape lui-même ou encore l’un ou l’autre cardinal rentrant de mission à l’étranger faisaient part au consistoire d’événements, de développements ou encore de négociations en cours intéressant au spirituel comme au temporel le Saint-Siège et donc, par le fait même, les cardinaux présents70. Ces derniers y trouvaient certainement leur profit et, cela, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi, notamment dans le cas des cardinaux protecteurs ou des cardinaux de couronne, pour chacun des « patrons » dont ils défendaient les intérêts à Rome71. Mais il y avait plus. Avant chaque réunion du consistoire, le pape recevait volontiers les cardinaux qui souhaitaient s’entretenir avec lui ou lui demander quelque faveur pour eux-mêmes ou pour des tiers72. Dans le cas des cardinaux pro67 On pourrait ici fournir de nombreux exemples de candidatures contestées par le pape. Qu’il suffise de mentionner ici le cas de Paul de Foix qui dut attendre huit ans avant d’obtenir, peu avant sa mort, le siège de Toulouse qu’était prêt à résigner en sa faveur son cousin, le cardinal d’Armagnac. Sur toute cette affaire, voir P. Didier, Paul de Foix et Grégoire XIII, 1572-1584, Grenoble 1941, p. 65-144. 68 ASV, Fondo Borghese I: 800, fol. 174v-180r. 69 Ibid., fol. 180rv. 70 Ainsi Clément VII profite-t-il de la réunion du Consistoire pour faire part aux cardinaux présents de l’envoi de légats auprès de l’empereur (lundi, 12 juin 1525) ou pour faire lire des lettres venus d’Allemagne concernant les Luthériens (vendredi, 18 août 1525) ou encore pour donner la parole au cardinal Campeggio rentré de sa légation en Allemagne (vendredi, 20 octobre 1525). Ibid., Arch. Concist., Acta Vicecanc. 4, fol. 80v, 88v, 93r. 71 En 1576, Grégoire XIII reprochera aux cardinaux de divulguer à leurs familiers et à d’autres ce qui se passait en Consistoire. BAV, Urb. lat. 1044, 76r (Avviso du 16 mars). Combien plus indiscrets les cardinaux protecteurs ou de couronne devaient-ils l’être à l’endroit de leurs « patrons ». D’Ossat, à lui seul, nous en fournit amplement la preuve. Voir Lettres du cardinal d’Ossat, II, passim. 72 Moroni, Consistoro cit., p. 191. Cette coutume semble s’être maintenue durant tout le XVIe siècle. Un avviso du 15 janvier 1574 parle des « audiences habituelles » qui eurent lieu
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tecteurs, ces tiers étaient souvent leurs souverains respectifs en quête de grâces, de privilèges ou d’exemption de diverses sortes pour eux-mêmes ou certains de leurs proches ou clients. Certaines des faveurs sollicitées étaient d’ailleurs souvent liées à des bénéfices ecclésiastiques octroyés par les souverains en question et que leurs cardinaux protecteurs avaient fait ou s’apprêtaient à faire approuver en consistoire. Comment, dès lors, ne pas parler à ce propos de trafic d’influence et donc de « politique » quand on sait –– et les correspondances des souverains catholiques avec leurs ambassadeurs ou cardinaux protecteurs à Rome en font foi –– à quel point l’octroi de bénéfices ecclésiastiques, de bénéfices « consistoriaux » en particulier –– et cela vaut aussi pour le pape –– n’était jamais totalement exempt de considérations humaines, cela pouvant aller du simple favoritisme type népotiste ou clientéliste à de véritables stratégies visant à assurer les intérêts et les ambitions de l’Église comme de l’État. De toute évidence, le consistoire secret joue encore au XVIe siècle un rôle qu’on peut à juste titre qualifier de « politique ». Ce que semble d’ailleurs corroborer le fait que les papes de l’époque convoquaient de temps à autre des « congrégations cardinalices » assimilables à plus d’un titre à des consistoires secrets –– leurs comptes rendus ne figurent-ils pas eux aussi dans les registres tenus par le vice-chancelier? –– où les membres du Sacré Collège étaient mis au fait d’importantes et, parfois, urgentes affaires intéressant aussi bien l’Église universelle que l’État pontifical et invités à donner leur avis en vue d’aider le pape à prendre les décisions qui, dans chaque cas, lui paraîtraient appropriées73. Pensons ici à celle convoquée le samedi 28 février 1525 par Clément VII en vue d’étudier un projet de retour des Hussites à Rome74 ou à celle organisée par un Paul IV le dimanche 10 mai 1556 et visant à créer le duché de Paliano en faveur de son neveu Giovanni, comte de Montorio75, ou encore à celle présidée par Pie IV le lundi 18 mai 1562 et consacré à l’examen du bien-fondé de subsides à verser au roi de France pour lui permettre de poursuivre la lutte contre les huguenots76. Là aussi, on baigne à plein dans le politique. Peut-on en dire autant d’institutions telles que les Signatures de grâce et de justice, liées elles aussi de près à la personne du pape? À première vue, il semblerait que non, mais à y regarder de plus près, on se rend avant le début de la réunion du Consistoire. BAV, Urb. lat. 1044, fol. 3v. On retrouve la même formule dans un avviso du 14 janvier 1579. Ibid., Urb. lat. 1047, fol. 13v. 73 G. Moroni, Congregazioni cardinalizie, dans Dizionario di erudizione, XVI, p. 133. 74 ASV, Arch. Concist., Acta Vicecanc. 3, fol. 66v. 75 Ibid., Acta Vicecanc. 8, fol. 38r. Paul IV sera particulièrement intéressé à ce type de réunions d’ailleurs presque toujours tenues le dimanche. Voir ibid., fol. 17r, 19r-21v, 28v, 46r-47r, 59v, 66r, 71r-72v, 75r, 86r. 76 Ibid., Acta Vicecanc. 9, fol. 119v. On aura remarqué que cette réunion se tenait le lundi, jour normalement réservé aux Consistoires secrets.
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compte qu’elles n’étaient pas toujours, la première surtout, à l’abri de considérations, voire de pressions politiques. Peut-être serait-il bon de rappeler ici qu’elles étaient l’une et l’autre nées à la fin du XVe siècle de la division d’un tribunal d’appel préexistant dont l’origine remonterait à Boniface VIII. Division qu’avait rendu nécessaire le volume grandissant de demandes ou, comme on disait à l’époque, de « suppliques » parvenant au tribunal en question et le fait que ces demandes étaient de nature passablement différente, les uns sollicitant un bienfait, les autres demandant plutôt justice77. Si le nom de tribunal convenait parfaitement à la Signature de justice, il n’en allait pas de même de la Signature de grâce qui, elle, s’occupait de cas échappant aux pouvoirs dont jouissait ou même aux règles auxquelles était astreinte la Signature de Justice. Sixte V l’avait très bien compris, lui qui, lors de sa grande réforme de 1587, n’hésita pas à faire de la Signature de grâce une Congrégation et, mieux encore, à lui accorder le second rang immédiatement après la toute puissante Congrégation de l’Inquisition78. 77 Sur la complexe histoire de l’une et l’autre Signature, voir G. MORONI, « Signatura di Giustizia » et « Signatura di Grazia », dans Dizionario di erudizione, LXIII, p. 210-223 et 223226. Également, R. Parayre, La Signature Apostoliue, dans L’Université catholique, 68 (1911), p. 227-245. Pour une vue d’ensemble plus récente, voir N. Del Re, La Curia Romana. Lineamenti storici giuridici, Rome 1970, p. 227-234. Mais tous ces auteurs ont un commun défaut, soit celui de mal distinguer les étapes par lesquelles sont passées les deux Signatures. Le fonctionnement de ces dernières est décrit principalement à partir de ce qu’en dit le cardinal de Luca à la fin du XVIIe siècle. Mais qu’en était-il au siècle précédent? Cela, nous ne pouvons compter sur eux pour nous le dire. Heureusement, les travaux récents de l’excellent chercheur Christoph Weber nous permettent d’y voir un peu plus clair bien qu’il avoue lui-même que, vu la grande complexité du sujet, il est et restera difficile de reconstituer très exactement les diverses étapes de l’histoire des deux Signatures. Son grand mérite est d’être retourné aux sources, notamment au fonds « Tribunale della Signatura » de l’Archivio di Stato de Rome et à certains ouvrages de l’époque, entre autres, la Praxis Signaturae Gratiae de Q. Mondosio publiée en 1585 et, surtout, parue en 1615, la Praxis Signaturae de Battista Marchisani, doyen de 1572 à 1621 des référendaires des deux Signatures. Nous renvoyons ici à son excellente étude: Il Referendariato di ambidue le Signature. Una forma speciale del servizio publico della Corte di Roma e dello Stato pontificio, dans Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècles), éd. A. Jamme - O. Poncet, Rome 2005, p. 565-577. Weber note que le champ d’intervention de la Signature de grâce était beaucoup plus vaste que celui de la Signature de justice, cette dernière ne s’occupant que de causes relevant de la justice et d’une valeur d’au moins 50 écus, alors que l’autre acceptait de considérer toutes causes échappant au droit commun, fussent-elles de peu d’importance et de peu de valeur. Mais, précise-t-il, en pratique vers la fin du XVIe siècle, le champ d’intervention de la Signature de grâce commença à se rétrécir au profit de la Daterie, du Secrétariat des brefs et de l’auditeur du pape. Et cela se poursuivra au XVIIe siècle. Ibid., p. 565-566. Sur la Signature de Grâce, voir aussi l’intéressante description de son mode de fonctionnement au temps de Paul V que nous trouvons dans le document publié par Menniti Ippolito ˗ Visceglia, Corte papale cit., p. 64-65. 78 Nous renvoyons ici à la bulle Immensa Aeterni du 11 février 1587 créant les quinze Congrégations romaines. Le texte se trouve dans Bullarum, Diplomatum et Privilegiorum sanctorum Romanorum Pontificum, VIII, Turin 1863, p. 988.
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Mais il y a plus. Chaque Signature avait à sa tête un préfet, habituellement un cardinal nommé par le pape, assisté d’un certain nombre de « référendaires » chargés d’instruire les causes ou de présenter les cas qui lui étaient soumis. Mais alors que le préfet de la Signature de Justice avait pouvoir –– pouvoir délégué, il est vrai, mais pouvoir tout de même –– de trancher en toutes matières relevant de sa juridiction, celui de la Signature de grâce ne l’était qu’à titre honorifique, la présidence de ce dicastère étant de fait assurée par le pape lui-même qui se réservait chaque fois la décision finale après avoir, d’une part, entendu les référendaires lui présenter les cas soumis à sa « grâce » et, de l’autre, consulté les prélats, cardinaux y compris, qui, à l’époque, l’assistaient dans cette tâche. Au XVIe siècle, la Signature de grâce avait habituellement lieu une fois la semaine, soit le mardi ou le samedi, dans une salle ad hoc qui, pour cette raison, sera éventuellement connue sous le nom de salle « de la Signature » (Sala della Signatura)79. C’est dire à quel point les papes de l’époque tenaient à cette institution qui leur permettait, entre autres, de se montrer bienveillants à l’endroit de sujets ou de fidèles « qui attendaient d’eux justice, protection ou faveur »80. Bien que les causes relevant de la Signature de grâce étaient surtout de nature administrative, d’ailleurs très souvent liées au complexe système bénéficial alors existant, il lui arrivait d’accepter de « reconsidérer » des causes refusées ou rejetées par la Signature de Justice, en d’autres mots, d’agir comme toute dernière instance par rapport à cette dernière81. 79 Moroni, Signatura di Grazia cit., p. 224. Del Re, La curia romana cit., p. 233. Sur la salle de la Signature, voir Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 109-115. Cette salle était l’une des trois décorées par Raphaël dans l’appartement de Jules II. Elle est connue aujourd’hui sous le nom de salle de l’Incendie en raison de la décoration qu’on y trouve. Jules II en fit la salle de la Signature de grâce. Léon X changea la vocation de cette dernière en en faisant sa salle à manger. Paul III, par contre, installa la Signature de grâce dans l’ancienne bibliothèque de Jules II qui comportait une décoration qui lui sembla des plus appropriée puisqu’elle comportait un certain nombre de fresques portant sur la jurisprudence. C’est à partir de ce moment que cette salle prit le nom de salle de la Signature, nom qu’elle a d’ailleurs conservé jusqu’à ce jour. 80 Parayre, La Signature cit., p. 230. 81 Moroni, Signatura di Grazia cit., p. 224. Sixte V, dans sa bulle Immensa Aeterni, justifie ce pouvoir de dernière instance à partir du fait qu’étant pape, il incarne en quelque sorte la loi –– il se définit d’ailleurs lui-même « loi vivante » (viva lex) –– et peut donc l’interpréter à son gré. Bullarum,Diplomatum…, VIII, p. 988. S’inspirant de l’ouvrage de Mandosio (Praxis Signaturae Gratiae), paru en 1585, Christoph Weber nous fournit la liste des domaines et des types de cause que la Signature de grâce jugeait dignes de sa considération. On y trouve mention d’indults ou de dispenses en matières aussi bien sacramentelles (empêchements aux ordres ou au mariage, réductions à l’état laïc) que bénéficiales (cumul de bénéfices, non résidence, réserves de fruits, ventes de biens ecclésiastiques, transferts de pensions, assignations de biens séculiers à des réguliers, capacité de conférer des bénéfices réservés), voire personnelles (licence de tester). Il y est même question d’absolution d’hérésie. C. Weber, Il Referendariato di ambidue le Signature. Una forma speciale del servizio publico della Corte di
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Maîtres absolus du dicastère en question et disposant de tout pouvoir d’y trancher en dernier ressort, matières de justice y comprises, il paraît difficile d’admettre que les papes du XVIe siècle ne se soient pas à l’occasion servi de ce pouvoir pour avantager des proches ou des dépendants ou n’aient pas été, par ailleurs, sensibles aux arguments de ceux qui leur faisaient valoir les avantages politiques qu’ils pouvaient espérer tirer de faveurs faites, en matière bénéficiale surtout, à des souverains et autres grands personnages ou encore à leurs nombreux parents, protégés ou « clients ». N’était-ce pas d’ailleurs là le langage que leur tenaient à longueur de jour les cardinaux protecteurs, ambassadeurs et autres porte-parole des « grands » de l’époque? La correspondance d’Arnaud d’Ossat, s’il en était besoin, suffirait, à elle seule, à démontrer que ces arguments portaient et finissaient par donner de bons résultats. Sans doute, certains papes étaient-ils moins accommodants que d’autres à ce chapitre –– on pense ici à un Pie V, entre autres –– mais même eux savaient, lorsque nécessaire, passer outre à leurs scrupules. Clément VIII pourrait ici servir d’exemple82. Manifestement, la Signature de grâce que d’ailleurs certains n’hésitaient pas aux XVIIe et XVIIIe siècles à mettre en parallèle avec le Consistoire, n’était pas plus que ce dernier exempte d’« accointances » avec le politique83. Mériterait sans doute de trouver également place ici une institution liée, elle aussi, de près, de très près même à la personne du pape, c’està-dire la Daterie qui –– on pourrait facilement le démontrer –– n’était pas plus que le Consistoire ou que la Signature de grâce à l’abri de jeux d’influence politiques84, mais le fait qu’elle remplissait concurremment, à l’époque, le rôle de caisse personnelle du pape nous incite à en renvoyer l’étude à notre prochain chapitre consacré au financement de la cour. Nous verrons que, grâce à la Daterie, le pape jouissait d’une plus grande liberté encore de faire montre de sa bienveillance à l’endroit aussi bien de ceux qui étaient déjà que de ceux dont il espérait faire ses proches ou Roma e dello Stato pontificio, dans Offices et papauté (XIVe-XVIe siècles), éd. A. Jamme - O. Poncet, Rome 2005, p. 566. Manifestement, on ratissait large à la Signature de grâce. 82 Nous renvoyons de nouveau ici à Arnaud d’Ossat qui nous fournit d’innombrables exemples d’accommodements du genre consentis par ledit pape. Lettres du cardinal d’Ossat cit., II, passim. 83 À noter qu’à partir de Grégoire XIII, il fut décidé que ce serait l’auditeur du pape qui fixerait l’ordre dans lequel allaient être présentées les causes soumises à la Signature de grâce. Del Re, La curia cit., p. 233. N’était-ce pas là une façon d’assurer que le pape puisse, s’il le souhaitait, avantager ou favoriser telle ou telle cause plutôt que telle autre pour diverses raisons dont certaines, à n’en pas douter, de nature « politique ». 84 Un bel exemple nous en est fourni encore une fois par le cardinal d’Ossat. À l’automne de 1599, après avoir réussi à convaincre Clément VIII d’accorder à Henri de Montmorency, connétable de France, une dispense lui permettant d’épouser en secondes noces la tante de sa défunte épouse, il obtint en outre de lui que ledit connétable n’ait pas à verser l’habituelle « composition » à la Daterie, « composition », précise-t-il, qui aurait pu facilement atteindre les « dix-mille écus ». Lettres du cardinal d’Ossat cit., II, p. 110, 112.
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ses alliés. Mais, vu le climat social et politique de l’époque, vu les exigences –– politiques également –– de sa fonction, comment en aurait-il pu en être autrement? Ce que nous a révélé le bilan que nous venons de dresser ne permet donc pas de douter de l’importance du jeu politique dans la vie de la cour pontificale au XVIe siècle et, cela, non seulement à certains moments privilégiés tels ceux évoqués dans le chapitre précédent, mais dans la prosaïque réalité de tous les jours. La plupart des papes de l’époque nous sont apparus comme les maîtres incontestés de ce jeu, même si d’aucuns ne s’y sentaient pas toujours parfaitement à l’aise. Chose certaine, ils y consacraient beaucoup de temps et il serait même à se demander si, en termes de temps justement, ce n’était pas là leur principale activité ou, du moins, la plus accaparante. Et que dire des personnels qui les assistaient dans l’exécution des diverses tâches rattachées directement à cette activité, depuis le secrétaire « intime », plus tard le cardinal neveu jusqu’au plus humble scribe relevant de ce qui s’appellera à la fin du XVIe siècle la Secrétairerie d’État. Sans oublier les maîtres de cérémonie, les courriers pontificaux, le maître de la poste, voire le personnel du Secrétariat des brefs, lui aussi, bien que de façon moins obvie, au service de cette même activité. Et si on incluait ici, comme nous l’avons suggéré, des instances administratives telles que le Consistoire secret ou la Signature de grâce ou encore la Daterie, c’est l’ensemble des officiers appartenant à ces diverses instances qu’il faudrait également rattacher à la sphère politique. Mais, pour faire bien complet, ne faudrait-il pas aussi, en ce qui concerne surtout les activités de type protocolaire –– et, nous l’avons vu, ces dernières occupaient beaucoup de place à la cour pontificale ––, tenir compte de l’apport des personnels rattachés aux services d’accueil, de garde, d’écurie, à ceux de la chambre en particulier, voire, le cas échéant, à ceux de bouche. Nous aurons à revenir plus loin sur l’ensemble des activités relevant de ces divers services, mais il fallait, nous semble-t-il, en faire dès ici mention pour bien montrer que la place occupée par le jeu politique dans la vie de la cour papale ne se mesurait pas qu’à l’aune du temps; qu’on devait aussi tenir compte du nombre de personnes directement ou indirectement affectées à cette activité. Car cette dernière n’était pas que l’affaire du pape ou de son secrétaire d’État ou des personnels au service immédiat de l’un et l’autre: elle était aussi l’affaire de toute la cour ou presque et représentait probablement une tranche fort importante de la vie au jour le jour de cette dernière. La cour d’un souverain qui se disait aussi pontife ne pouvait évidemment pas limiter son emploi du temps à la seule sphère politique: elle devait aussi faire place, et bonne place, sinon quantitativement, du moins qualitativement parlant, à ce que nous avons choisi d’appeler la « sphère » liturgique que nous aurions pu d’ailleurs tout aussi bien nommer la
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« sphère » sacrale, c’est-à-dire au type d’activités qui lui était propre, voire singulière en tant que pontificale. C’est à cette autre et fort importante dimension de la vie de la cour que nous voudrions maintenant accorder toute notre attention. 2. La sphère liturgique Le chapitre que nous venons de consacrer aux rites et rituels des grands jours suffirait à lui seul à démontrer que la liturgie formait une partie intégrante de la vie de la cour. Mais il nous a permis aussi de constater à quel point le liturgique n’était jamais très éloigné du politique. Et pour cause. Mais qu’en était-il des liturgies célébrées au quotidien, que ce soit dans le cadre de la chapelle Sixtine ou, parfois, de Saint-Pierre –– nous renvoyons ici aux 54 chapelles dites « papales » figurant au calendrier liturgique de la cour 85 — ou que ce soit dans celui, beaucoup plus intime, de la chapelle « secrète » où, en dehors des jours où on faisait chapelle à la Sixtine ou à Saint-Pierre, les papes célébraient privément la messe ou, comme c’était souvent le cas dans la première moitié du XVIe siècle, se contentaient d’y assister? Vu le rôle central, pour ne pas dire emblématique joué par les chapelles papales dans la vie de la cour et, cela, en termes aussi bien socio-culturels, voire politiques que liturgiques –– nous en ferons plus loin la démonstration ––, c’est à elles que nous nous intéresserons en premier lieu et c’est à elles que nous demanderons de nous fournir non plus seulement, comme au chapitre précédent, les traits les plus saillants, voire saisissants de la « cérémonialité » pontificale, mais les éléments de base constituant en quelque sorte la « grammaire » de ladite « cérémonialité ». Il faut dire que, grâce aux sources dont nous disposons aujourd’hui et dont nous avons d’ailleurs fait abondamment usage dans les chapitres précédents, le cinquième en particulier, mais grâce également aux travaux pionniers de chercheurs qui ont repris à nouveaux frais, les uns, l’histoire des chapelles papales, d’autres, celle des lieux où se célébraient ces dernières, nous sommes on ne peut mieux armés pour reconstituer au quotidien le cadre dans lequel se déroulait chacune d’entre elles et ce déroulement lui-même. Des 54 chapelles inscrites au calendrier liturgique palatin, 39 l’étaient à titre de messes, dix de vêpres et cinq, de matines86. Au temps de Patrizi, le 85 Insignia, Nomina, Cognomina, Patriae, Administrationes et Tituli S.R.E Cardinalium Nunc Viventium, Rome 1583. Il s’agit d’un tableau imprimé donnant la liste des cardinaux vivant à l’époque avec les informations utiles concernant les chapelles auxquelles ils étaient tenus d’assister. Nous utilisons ici l’exemplaire de ce tableau qui se trouve à la BAV, Stampati Barberini, V. IV. 29, no 5. 86 Ibid.
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pape célébrait lui-même quatre, parfois cinq des messes en question, soit celles du jour de Noël, des dimanches de Pâques et de la Pentecôte, de la Saints-Pierre-et-Paul ou de la Toussaint87. À la fin du XVIe siècle, le nombre était tombé à trois et ne concernait plus que Noël, Pâques et la SaintsPierre-et-Paul, la Pentecôte et la Toussaint étant désormais du ressort des cardinaux-évêques ou prêtres, ce qui donnait au total 29 messes présidées par ces derniers dont cinq réservées aux cardinaux-évêques (Épiphanie, Jeudi Saint, Ascension, Pentecôte, Toussaint), les autres relevant de leurs homologues prêtres selon un certain ordre de préséance. Les sept messes restantes, toutes de l’Avent et du Carême, étaient assurées par les évêques assistants. Par ailleurs, seules huit des messes en question étaient célébrées à Saint-Pierre dont deux de celles présidées par le pape lui-même, soit celles de Noël et de Pâques, les autres ayant toutes lieu à la Sixtine. Quant aux vêpres et aux matines qui se déroulaient habituellement en présence du pape, elles étaient les unes et les autres étroitement liées à des fêtes importantes telles, pour ce qui était des vêpres, Noël, l’Épiphanie, la Pentecôte, la Fête-Dieu, la Saints-Pierre-et-Paul, la Toussaint et, dans le cas des matines, de nouveau Noël et la Toussaint, en plus des mercredi, jeudi et vendredi de la Semaine Sainte, tous ces offices ayant lieu à la Sixtine à l’exception des vêpres de Noël et de la Saints-Pierre-et-Paul qui se tenaient à la basilique Saint-Pierre88. Avant d’en arriver à la description des rites les plus significatifs observés ces jours-là, il nous paraît indispensable de faire d’abord l’inventaire des lieux où se déroulaient ces mêmes rites. Pour ce qui est de la Sixtine, nous sommes bien servis par le plan détaillé que nous en a laissé le graveur Étienne Dupérac en 1578 et surtout par l’utile et fort intelligent commentaire qu’en a fait le regretté Niels Rasmussen dans un article paru en 198389. Comme nous l’avons vu au chapitre III, cette chapelle était principalement l’œuvre du pape Sixte IV –– d’où le nom qu’on finira par lui donner –– et elle faisait déjà à l’époque l’admiration des contemporains tant pour son parti architectural que pour sa décoration iconographique. Qu’il suffise de mentionner ici les noms des principaux artistes employés par Sixte IV: un Botticelli, un Perugino, un Guirlandaio, un Signorelli, un Rosselli. La disposition des lieux ne changera guère par la suite si ce n’est qu’Innocent VIII pourvoira ladite chapelle d’une sacristie surmontée de logements pour le sacriste et ses aides, sacristie qui fera l’objet de réaménagements mineurs sous Jules II et Jules III, puis beaucoup plus Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 528. Insignia cit. 89 N. K. Rasmussen, Maiestas Pontificia. A Liturgical Reading of Etienne Dupérac’s Engraving of the Capella Sixtina from 1578, dans Analecta Romana. Instituti Danici, XII, Rome 1983, p. 109-148. 87
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importants, sous Grégoire XIII et Clément VIII. Il n’en alla pas de même du programme iconographique qui, lui, subit de nombreuses et, dans certains cas, profondes modifications. Passe encore qu’on ait retouché, voire éliminé certains éléments de la décoration primitive –– Pie V et Grégoire XIII, entre autres, s’y emploieront –– ou qu’un Léon X ait commandé à Raphaël une série de tapisseries consacrées aux apôtres Pierre et Paul qu’il fera à partir de 1519 déployer les jours de fête le long des murs latéraux de la chapelle. C’était là de fait bien peu de choses en regard de ce qu’allaient se permettre, tout d’abord un Jules II, plus tard un Clément VII et un Paul III avec la complicité, au départ hésitante, puis, une fois acquise, irrépressible d’un Michel-Ange qui commença par repeindre à neuf le plafond de la Sixtine pour ensuite s’attaquer, sous Paul III, au mur de fond de la chapelle, mur qui servait en quelque sorte d’arrière-scène à l’autel qu’on y avait dès le départ installé pour le besoin des liturgies papales90. Le spectacle qu’auront sous leurs yeux à partir de 1512, puis surtout de 1541 les quelque 200 personnes ayant le privilège de participer ou, du moins, d’être présentes à l’une ou l’autre des liturgies en question ne ressemblait sans doute plus que de loin à celui offert à leurs homologues de la fin du XVe et du début du XVIe siècle. À lui seul, son génie aidant, Michel-Ange avait réussi à changer complètement la donne. Par contre, comme nous venons de le voir, la disposition des divers éléments du mobilier propre à la Sixtine n’avait probablement guère changé depuis le temps de Sixte IV de sorte que la représentation qu’en fit Étienne Dupérac en 1578 avait de bonnes chances d’être pour l’essentiel fidèle à ce qu’il en était déjà au temps d’un Innocent VIII et d’un Alexandre VI. C’est, du moins, ce que soutient, preuves à l’appui, Niels Rasmussen91. Regardons-y de plus près. L’exemplaire de la gravure de Dupérac utilisé par Rasmussen est muni de chiffres renvoyant aux diverses pièces de mobilier et aux nombreux personnages ou groupes de personnages que Dupérac a tenu à y figurer. La première place, comme il se devait, est accordée à l’autel, autel surmonté d’une tapisserie représentant la Vierge, puis, coiffant le tout, d’un baldaquin passablement haut au point d’ailleurs de dissimuler une partie du Jugement Dernier de Michel-Ange. Il faut dire que l’autel est lui-même monté sur une plate-forme comportant quatre gradins et qu’il repose à son tour sur une autre plate-forme, plus grande, comportant le même nombre de marches. Tout cela sans doute pour le bénéfice des personnes ayant l’heur d’assister à une chapelle papale –– il était important qu’elles puissent voir ce qui s’y passait ––, mais pour le bénéfice également –– la gravure de Dupérac nous en fournit la preuve –– de toute 90 91
Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 53-55. Rasmussen, Maiestas pontificia cit., p. 145.
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une série de prélats et d’officiers aussi bien de la cour ou de la curie que de la ville à qui les gradins en question servaient de sièges. Nous identifierons plus loin un certain nombre d’entre eux. Nous situant, comme a choisi de le faire Dupérac, face à l’autel, nous découvrons, à gauche de celui-ci, le trône réservé au pape. C’est là que ce dernier se tient lorsqu’il ne célèbre pas ou, quand il lui arrive de le faire, durant les longs moments où il n’officie pas à l’autel. Ce trône est, lui aussi, coiffé d’un baldaquin et monté sur une double plate-forme comportant, la plus grande, un et, la plus petite, deux gradins. Encore là, il s’imposait que le pape puisse être facilement vu de toutes les personnes présentes. À ses côtés, deux sièges, l’un, à sa droite, pour le premier, l’autre, à sa gauche, pour le second cardinal-diacre, l’un et l’autre lui servant d’assistants. À droite de l’autel et faisant face au trône papal, la crédence dite du sacriste où ce dernier et ses clercs disposaient tout ce qui leur paraissait nécessaire au rite en cours. Du même côté et devant les marches menant à l’autel, le siège du célébrant, en l’occurrence un cardinal-prêtre, entouré de ses assistants, les uns debout à ses côtés, les autres assis, un peu plus loin, sur les gradins de l’autel. À gauche, cette fois, et devant ces mêmes gradins, le siège du premier auditeur ou juge de la Rote, porte-mitre du pape, flanqué, lui, de deux camériers secrets et des deux secrétaires particuliers du pontife régnant qui ont, tous quatre, les yeux tournés vers leur maître, prêts à intervenir au moindre signe de sa part. Immédiatement à gauche du pape, assis sur les marches menant à son trône, le premier cérémoniaire, de par sa fonction chargé d’assurer le bon déroulement de l’office en cours et surtout l’exacte observance du rituel intéressant la personne du pape. Du même côté et longeant le mur qui s’y trouve de même qu’une partie de celui formant la base de l’immense fresque de Michel-Ange, deux bancs où ont pris place, selon un strict ordre de préséance, les patriarches, archevêques et évêques assistants de même que le sacriste, premier responsable de la chapelle. De l’autre côté de l’autel, le long des murs formant angle avec celui-ci, le groupe des clercs de la chapelle, les uns debout, les autres à genoux attendant sans doute que le premier cérémoniaire ou leur patron immédiat, le sacriste, ne fassent appel à eux. Quittant ce qu’on pourrait à juste titre appeler l’« aire de célébration », on trouve, tout d’abord, aux pieds de la première série de gradins menant à l’autel et à égale distance de ce dernier et du trône papal, un faldistoire, c’est-à-dire un siège habituellement réservé aux hauts dignitaires ecclésiastiques, mais servant ici plutôt de prie-dieu au pape, et au pape seulement, chaque fois qu’il doit s’agenouiller, que ce soit au terme de la procession d’entrée à la Sixtine ou encore durant le canon de la messe. De beaucoup plus d’intérêt sinon d’importance, la série de bancs formant en quelque sorte carré (quadratura) autour de cette section du chœur, bancs, notons-le, montés eux aussi sur des plates-formes elles-mêmes en-
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tourées de murets couverts d’étoffes où se donnent à voir les cardinaux présents, chacun selon son rang, depuis les cardinaux-évêques, assis à peu de distance du pape et du même côté que lui jusqu’aux cardinaux-diacres leur faisant face avec, entre eux, occupant le centre du carré, les cardinaux-prêtres, de loin les plus nombreux, tous ces éminentissimes dûment accompagnés de leurs porte-traîne assis devant eux. À droite du faldistoire et directement en face du trône papal, un groupe de camériers d’honneur; tout près d’eux, à genoux, les neuf avocats consistoriaux; derrière ceux-ci, la chaire où se donne habituellement le sermon du jour; enfin, un peu plus loin, le premier médecin du pape gratifié, lui, d’un siège près du banc des cardinaux-diacres. À l’arrière dudit banc et donc à l’extérieur de la quadratura, trois autres séries de sièges réservés cette fois aux archevêques et évêques non assistants, aux abbés et protonotaires, aux supérieurs d’ordres religieux et procureurs généraux de ces mêmes ordres dont, en particulier, ceux des quatre ordres mendiants souvent appelés à prêcher à la Sixtine, et, entre ces deux derniers groupes, celui des pénitenciers des basiliques romaines. À noter qu’en tête de la troisième de ces rangées, face au trône papal, prennent place, immédiatement après le gouverneur de Rome, les ambassadeurs-prélats, c’est-à-dire jouissant d’un titre épiscopal. Quant à leurs collègues laïques, on les retrouve de l’autre côté du chœur, debout sur les gradins donnant accès au trône papal ou, encore, assis à l’extrémité gauche de l’espace ménagé entre la quadratura et le chancel, c’est-à-dire la clôture ajourée séparant le chœur du reste de la chapelle. C’est d’ailleurs dans ce même espace que se tiennent, debout à ce qu’il semble, les membres de l’aristocratie ou de la noblesse de passage à Rome à l’exception des princes, ducs ou autres grands personnages qui, eux, ont droit à une place assise à l’intérieur de la quadratura, plus exactement entre le dernier des cardinaux-prêtres et le premier des cardinaux-diacres. Pour ce qui est des officiers de la ville, notamment le sénateur et les conservateurs de Rome, Dupérac les représente en compagnie d’un certain nombre de « barons » romains, assis sur les gradins faisant face au trône papal. C’était sans doute là un honneur auquel ces hommes, sujets du pape et surtout, à l’époque, de plus en plus dépendant de lui, devaient beaucoup tenir. Autre groupe que Dupérac a pris soin de représenter et qui mérite, lui aussi, une mention spéciale: celui des chanteurs de la Sixtine que l’on découvre, au point de rencontre du chancel et du mur occupant le côté droit de la chapelle, dans une sorte de jubé en forme d’alcôve s’enfonçant dans le mur en question. On est, à première vue, quelque peu surpris de cette apparente « mise à l’écart » quand on sait de quelle réputation jouissaient ces mêmes chanteurs et quel éclat ils apportaient aux cérémonies de la Sixtine, mais peut-être, ce faisant, avait-on voulu tout simplement leur rappeler qu’ils étaient là pour servir et non pour briller. Enfin, un dernier groupe égale-
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ment digne de mention, chargé, lui, du bon ordre et de la sécurité avec à sa tête, d’une part, le majordome du pape, de l’autre, le capitaine de la Garde Suisse, tous deux debout à l’intérieur de la quadratura avec, à leurs côtés, un certain nombre de maîtres-huissiers de la verge rouge, puis, un peu plus loin, devant la porte du chancel, quatre massiers, les uns et les autres prêts à tout moment à intervenir, puis, de l’autre côté du chancel, surveillant de près la foule bigarrée de ceux qui n’avaient pas accès au chœur, deux rangées compactes de gardes suisses se tenant de part et d’autre de la porte d’entrée à ce dernier92. L’analyse que nous venons de faire avec l’aide de Niels Rasmussen de la gravure d’Étienne Dupérac nous a permis de visualiser avec passablement de précision le spectacle qu’offrait la Sixtine chaque fois qu’y était célébrée une chapelle papale. Les choses ne sont pas si simples en ce qui concerne Saint-Pierre, la basilique constantinienne ayant subi à partir du règne de Jules II de très profondes transformations qui s’étendront d’ailleurs sur plusieurs années et obligeront les cérémoniaires pontificaux à vivre au rythme de chantiers quelque peu chaotiques ne facilitant en rien leur travail93. Heureusement pour eux, le nombre de chapelles papales devant être célébrées à Saint-Pierre était très limité, sans compter qu’en cas de difficulté, il restait toujours possible de déplacer l’une ou l’autre de ces célébrations ailleurs –– à la Sixtine par exemple –– ce qu’on ne se privera pas de faire à l’occasion94. Cela dit, la disposition des lieux dans l’ancienne comme dans la nouvelle basilique n’était pas substantiellement différente de celle que l’on trouvait à la Sixtine si ce n’est que le trône du pape était situé derrière l’autel et à une hauteur permettant à la foule de voir ce dernier à tout moment et que l’autel en question était beaucoup plus imposant 92 Ibid., p. 115-144. Aux renseignements fournis par Rasmussen, nous avons ajouté, au passage, quelques commentaires de notre crû. 93 Pour la Toussaint 1507, les cérémoniaires du pape, estimant que les travaux de démolition en cours à Saint-Pierre ne permettaient pas d’y célébrer une messe pontificale avec tout le décorum requis, recommandèrent à Jules II de déplacer cette célébration à la Sixtine. Le pape ne voulut rien entendre et les obligea à maintenir comme prévu la cérémonie à Saint-Pierre. ASV, Fondo Borghese I: 563, fol. 114r. Grassi et son collègue ne durent pas être très heureux de cette décision. Deux années plus tard, Jules II, arguant du grand froid qui sévissait alors à Rome, fit déplacer la messe du jour de l’Épiphanie de Saint-Pierre à une des chapelles du palais. Ibid., Fondo Borghese I: 889, fol. 5r. Il y a fort à parier que ce n’est pas le seul froid qui motiva cette décision, mais peut-être surtout le fait que dans l’état où se trouvait à ce moment la basilique, ouverte à tous vents, ce froid risquait d’être insupportable et ainsi décourager même les plus dévots de se présenter à Saint-Pierre. 94 En 1513, à cause des travaux de démolition et de reconstruction qui se poursuivaient à Saint-Pierre, Léon X décida de célébrer la messe de Pâques à la Sixtine. Grassi note qu’on y fut passablement à l’étroit, mais que, malgré cet inconvénient, tout se passa très bien et que, finalement, ce lieu lui paraissait plus propice que Saint-Pierre –– du moins, Saint-Pierre dans l’état qui était présentement le sien –– à des célébrations dignes et bien réglées. Il ajoute même que le pape était lui aussi de cet avis. Ibid., Fondo Borghese I: 120, fol. 168rv.
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et orné que celui de la Sixtine; qu’il y avait, par ailleurs, deux crédences au lieu d’une, la première dite du pape, la seconde, du sacriste, disposées de part et d’autre de l’autel; qu’enfin la nef où se pressait la foule était de dimensions de très loin supérieures, celle de la nouvelle basilique en particulier qui pouvait accueillir des milliers de fidèles alors que la Sixtine ne pouvait en accommoder au maximum qu’une ou deux centaines. Le tout bien évidemment justifié par le fait que les cérémonies à Saint-Pierre étaient d’une beaucoup plus grande solennité que celles de la Sixtine95. Qu’en résultait-il pour les célébrations ayant lieu dans l’un et l’autre de ces cadres liturgiques? De crainte de nous perdre dans des détails qui risqueraient de nous mener très loin et, surtout, pourraient s’avérer en fin de compte d’un intérêt purement « rubriciste », nous nous en tiendrons aux rites permettant de saisir ce qu’avaient de particulier ou de spécifique les chapelles papales tant à la Sixtine qu’à Saint-Pierre. Tout d’abord, comme le fait Michel Dykmans, l’éditeur du Cérémonial de Patrizi, commençons par reconnaître le bien-fondé du qualificatif « papales » employé à leur propos. Car ce qui distingue ces liturgies des autres célébrées à Rome comme ailleurs, c’est qu’elles sont liées à la personne du pape et concernent d’abord et avant tout l’ensemble de ceux qui le servent ou dépendent à divers titres de lui. La centralité du rôle qu’il y joue et de la place qu’il y occupe, les égards exceptionnels dont il fait d’un bout à l’autre l’objet, le nombre considérable et la grande variété des personnes gravitant autour de lui aussi bien à la Sixtine qu’à Saint-Pierre: autant d’éléments qui permettent de comprendre pourquoi elles sont appelées « papales ». Peut-être est-il bon d’ajouter ici que, depuis l’époque d’Avignon, ce qualificatif avait pris un sens de plus en plus précis et restreint, associant les chapelles papales non plus seulement à la personne du pape, mais de plus en plus à son lieu de résidence, c’est-à-dire, pour le XVIe siècle, le Vatican, avec comme conséquence que ces dernières devinrent en quelque sorte l’apanage de la Sixtine ou encore, exceptionnellement, de la toute proche basilique Saint-Pierre96. Mais cela devient encore plus évident lorsqu’on s’arrête à examiner les rites propres à ces « chapelles », ceux de la messe en particulier, presque tous pensés en fonction de la personne du pape. Commençons par la procession d’entrée qui donne déjà le ton de ce qui va suivre. Le pape aura d’abord endossé les ornements liturgiques appropriés dans la salle dite du Perroquet qui lui était réservée, objet, tout au long de cette vêture, « d’une vénération sans précédent » de la part de ses deux cardinaux-diacres assistants et des deux sous-diacres qui les se95 On n’a pour s’en convaincre qu’à comparer les rubriques des messes papales célébrées à la Sixtine avec celles de Saint-Pierre telles que décrites par Patrizi dans son Cérémonial. Cf. Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 165*-170*, 259-276; 176*-184*, 294-318. 96 R. Lesage, Chapelle papale, dans Catholicisme, II, col. 935.
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condent97. Fût-il appelé à présider, à Saint-Pierre, par exemple, les jours de Noël et de Pâques, une vêture supplémentaire aurait lieu, au terme de la procession d’entrée, dans l’abside de la basilique, avec la même « vénération » de la part, cette fois, du doyen des cardinaux-évêques, du premier cardinal-diacre, du sacriste, du sous-diacre latin, d’un certain nombre de chapelains et d’acolytes et, enfin, d’un camérier98. Pour ce qui est de la procession comme telle, même si elle n’est pas toujours aussi spectaculaire que celle à laquelle participa l’empereur Charles Quint le jour de Pâques 1536, elle n’en reste pas moins, comme nous l’avons souligné au chapitre précédent99, un des plus éloquents exemples existant à Rome à l’époque de déploiement cérémoniel visant à magnifier la figure et le rôle du pape à titre tout à la fois de chef d’Église et de chef d’État, mais, dans le cas des chapelles papales, de chef d’Église surtout. Grassi, dans ses « Suppléments et postilles » fournit la liste de ceux qui, en son temps, étaient tenus ou encore avaient le droit, pour ne pas dire le privilège de figurer dans cette procession. Cette liste correspond, pour l’essentiel, à celle que nous a permis d’établir la gravure de Dupérac. Mais elle a l’avantage de nous fournir en plus l’ordre dans lequel défilaient les différents personnages ou groupes de personnages présents de même que certains détails permettant de confirmer ce que nous disions plus haut de la centralité du rôle joué et de la place occupée par le pape lors des chapelles papales. Aux « familiers » des cardinaux figurant en tête de la procession –– il s’agissait, nous l’avons vu, de leurs caudataires –– succèdent, en alternance, divers membres de la « famille » du pape et certains officiers de curie, puis, immédiatement après eux, les représentants des grandes familles romaines, les conservateurs de la ville, les ambassadeurs laïques, le sénateur de Rome, le cas échéant, les princes ayant accès au trône pontifical, eux-mêmes suivis des sous-diacres apostoliques dont l’un portant la croix avec, à ses côtés, deux maîtres-huissiers de la verge rouge, les uns et les autres précédant les princes ayant droit à siéger parmi les cardinaux. Derrière tout ce monde, les cardinaux eux-mêmes: diacres, prêtres, évêques, dans cet ordre, chacun selon son rang, exception faite des deux cardinaux-diacres assistants placés, eux, immédiatement devant le pape, s’il utilise la sedia gestatoria, de chaque côté de lui, s’il choisit plutôt d’aller à pied. Détail fort intéressant et particulièrement révélateur, le pape est, par ailleurs, entouré de six à dix « servants d’armes » ou massiers assurant sa sécurité et, pour ce faire, utilisant leurs bâtons à tête d’argent pour écarter la foule et la forcer à s’agenouiller au passage du pape. Mais ce dernier peut en outre compter sur la présence Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 167*. Ibid., p. 177*-178*, 297-300. 99 Cf. chap. V, p. 139-140. 97 98
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à ses côtés de « seigneurs » alliés, du capitaine et d’un certain nombre de membres de la Garde du palais, du gouverneur de la ville et, comme il se doit, de son majordome et de son premier maître de cérémonie prêts, tous et chacun, à intervenir le moment venu. Leur font suite, mais cette fois en ordre descendant, tout d’abord deux camériers secrets accompagnant le porte-mitre, en l’occurrence le doyen des auditeurs de la Rote, puis un secrétaire non prélat, un ou deux médecins du pape, eux-mêmes suivis de l’ensemble des archevêques et évêques non assistants, des protonotaires participants, des abbés de monastères, des généraux d’ordres, des pénitenciers, des référendaires non prélats et, enfin, des autres curialistes portant toge ou soutane100. Impressionnant cortège, mais qui, de toute évidence, n’est là que pour mettre en relief la figure de l’auguste personnage autour duquel il s’articule, à l’instar d’ailleurs d’un rite apparemment aussi simple que celui de la vêture du pape intervenu, nous l’avons vu, quelques instants plus tôt dans la salle du Perroquet. Manifestement une logique est ici à l’œuvre, une logique qui va se poursuivre, s’accentuer même à partir du moment où, à la procession que nous venons de décrire va succéder la célébration de la messe à Saint-Pierre ou à la Sixtine. Deux rites sont, de ce point de vue, particulièrement révélateurs, soit celui de l’encensement et celui du lavement des mains, qu’on appelait aussi lavabo. En ce qui concerne le premier, Patrizi note tout d’abord que c’est au pape, qu’il soit ou non célébrant, qu’il appartient de bénir l’encens chaque fois que le rite en question a lieu au cours de la messe, c’est-à-dire en tout quatre fois, bien qu’il n’ait lui-même droit qu’à trois encensements, le quatrième étant réservé au Saint Sacrement au moment de l’élévation. Tout débute par l’encensement de l’autel, puis du pape, immédiatement après le Confiteor. Même scénario, au moment de l’Évangile, avec l’encensement, en premier lieu, de l’Évangéliaire, puis, plus tard, du pape. Compte tenu du caractère sacré de l’autel et du livre des Évangiles représentant l’un et l’autre la personne du Christ, il n’était que normal que celui qui se faisait appeler vicaire du Christ vienne, dans un cas comme dans l’autre, en second. L’offertoire donne lieu à un nouvel encensement de l’autel, mais cette fois suivi d’un encensement général intéressant, lui, toutes les personnes présentes et donc permettant de bien marquer la différence, mieux la distance existant entre ces dernières et le pontife régnant. Le rituel se fait ici des plus précis et des plus méticuleux. Non seulement appartient-il 100 Dykmans, Paris de Grassi cit., p. 441. Burckard, dans un de ses Suppléments au Cérémonial de Patrizi, ajoute à cette liste les procureurs des princes et des ordres religieux qu’il place immédiatement après les écuyers du pape. id., L’œuvre cit., II, p. 260, note. Grassi les aurait-ils oubliés? La gravure de Dupérac signale la présence des procureurs des princes qui, au temps de Grégoire XIII, ont été remplacés par les ambassadeurs de ces derniers.
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au doyen des cardinaux-prêtres, dit le cardinal chapelain, d’encenser le pape –– ce dernier l’avait été, lors du deuxièmement encensement, par le diacre de l’Évangile ––, mais ce même cardinal doit s’exécuter à genoux, le pape, lui, étant durant tout ce temps, assis, mitre en tête, alors que toutes les autres personnes devant être encensées après lui, à commencer par les membres du Sacré Collège, devront, elles, au moment de l’être, se lever et se découvrir. À noter, par ailleurs, que chaque fois qu’il lui faut passer devant le souverain pontife, le ministre chargé de l’encensement général est pareillement tenu de fléchir le genou devant lui101. Autant d’égards qui, au dire de Michel Dykmans, suffiraient à eux seuls à montrer que le pape était à la Sixtine comme à Saint-Pierre, « le centre des rubriques »102. Que dire du rite du lavement des mains répété, lui aussi, quatre fois au cours de la célébration, soit au tout début de la messe, durant le Credo, à l’offertoire et après la communion, mais se distinguant du rite de l’encensement par encore plus de déférence à l’endroit de la personne du pape. À souligner tout d’abord que c’est à des laïcs: princes, nobles ou ambassadeurs qu’il est demandé de l’assurer, le moins digne se chargeant du premier lavabo, le plus digne, du dernier, conformément à l’ordre de préséance existant, mais, dans ce cas-ci, on l’aura remarqué, de type ascendant. C’est au cérémoniaire qu’il revient d’aller chaque fois chercher l’heureux élu, lequel, entouré de deux massiers et suivi de deux auditeurs de Rote, se rend aussitôt, précédé par ledit cérémoniaire, à la crédence. Là, un voile huméral de soie lui est posé sur les épaules. Tenant dans sa main droite un bassin qu’on lui a remis et que le crédencier a rempli d’eau, il verse alors un peu de cette eau dans un gobelet pour que ce dernier puisse en boire et ainsi en vérifier la qualité. Pendant ce temps, on lui remet dans la main gauche un autre bassin qu’il place au-dessous du premier. Après quoi, le majordome ou le maître d’hôtel lui ayant ramené les coins du voile huméral sur les mains, il élève celles-ci jusqu’à la hauteur des yeux et se met alors en marche en direction du trône papal, précédé des deux massiers, du cérémoniaire et des auditeurs de Rote qui l’ont jusque-là accompagné, le majordome et le maître d’hôtel marchant, pour leur part, à ses côtés. Le plus ancien des auditeurs de Rote porte l’essuie-mains qu’il a reçu du crédencier et aussitôt pris soin de baiser. Son collègue, quant à lui, a en mains le grémial destiné au pape. Passant devant l’autel, tous ces personnages s’arrêtent un moment pour y faire une première génuflexion, puis repartent en direction du trône papal, mais non sans avoir à nouveau tous ensemble fléchi à trois reprises le genou avant d’arriver à destination. Là, le deuxième auditeur baise le grémial dont il s’est chargé avant de le remettre aux deux cardinaux-diacres 101 102
Ibid., p. 235*-237*, 510-514. Ibid., p. 167*.
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assistants, qui le déploient sur les genoux du pape. Tandis que les deux auditeurs, agenouillés de part et d’autre, leur aident à tendre ledit grémial, le cardinal chapelain s’approche du « seigneur » aquiféraire, à ce moment à genoux devant le pape, touche de la main les deux bassins qu’il porte et aussitôt ce dernier élève le premier jusqu’à sa bouche, absorbe un peu d’eau, la goûte, puis, tenant l’autre sous les mains du pontife, lui verse la quantité d’eau qu’il juge nécessaire. Le doyen des auditeurs de Rote présente alors au pape l’essuie-mains dont il a la garde, attend qu’il ait fini de s’en servir, puis la reprend tandis que, de leur côté, les cardinaux-diacres assistants récupèrent le grémial posé sur les genoux du pontife et le remettent au second auditeur de Rote. Il ne reste plus au « seigneur » aquiféraire et aux deux auditeurs qu’à se relever et à reformer cortège, massiers et cérémoniaire en tête, en vue de retourner, tout d’abord, à la crédence, puis, éventuellement, chacun à leur place, mais non sans avoir posé en direction du pape, mais à rebours cette fois, les mêmes gestes de déférence qu’à l’aller. À noter que, pendant tout ce temps, cardinaux et prélats sont debout, tête découverte, tandis que les autres membres de l’assemblée, clercs aussi bien que laïcs, sont, eux, à genoux103. Le rite que nous venons de décrire ne devait pas manquer d’impressionner ceux qui participaient ou assistaient pour la première fois à une messe papale. Et, cela, d’autant plus qu’ils le voyaient répéter quatre fois au cours de cette messe et, chaque fois, par des personnages de plus en plus élevés en dignité. Mais pour ces mêmes personnages, tout flattés qu’ils aient pu être de l’honneur qu’on leur faisait et auquel d’ailleurs ils tenaient, les craintes ne devaient pas manquer, vu la complexité du rite en question, de commettre quelque bourde les exposant à l’humiliation, voire au ridicule. Frappé par les « circonvolutions » auxquelles devaient se soumettre lesdits personnages, Michel Dykmans parle de « l’étiquette » qui avait fini par s’emparer de ce qui n’était à l’origine qu’un simple « geste d’hygiène »104. Peut-être serait-il plus juste de parler à ce propos d’« hiératisme », c’est-à-dire de cette attitude héritée de la cour impériale de Byzance dont nous avons fait état au chapitre précédent. Hiératisme visant, comme à Constantinople, à affirmer et à confirmer au besoin l’autorité et le prestige d’un personnage hors du commun, détenteur de pouvoirs qu’il croyait lui venir directement de Dieu et donc défiant toute comparaison. Les deux rites que nous venons de décrire reflètent bien cette visée, mais on pourrait en dire tout autant du rite d’obédience des cardinaux au début de la messe, du fait que ces mêmes cardinaux devaient à quatre reprises, soit à l’introït, au Credo, à la préface et à l’Agnus Dei, quitter leurs sièges, se rendre auprès du pape et faire cercle autour de lui, ou encore du complexe 103 104
Ibid., p. 238*-239*, 517. Ibid., p. 177*-178*.
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rituel entourant la communion du pape105. Car ces gestes, attitudes et précautions étaient manifestement eux aussi dictés par un même souci, une même volonté de « distanciation » tout à la fois hiératique et hiérarchique. Ce qui nous amène à parler du problème de la préséance qui va s’avérer un véritable cauchemar pour les maîtres de cérémonie durant tout le XVIe siècle. Nous en avons fourni un certain nombre d’exemples dans le chapitre précédent et nous avons vu à quels esclandres cela pouvait parfois conduire de la part de petits comme de grands personnages106. Les chapelles papales constituaient des lieux particulièrement propices à ce genre d’incident. Niels Rasmussen en mentionne quelques-uns dans son étude sur la chapelle Sixtine, l’un concernant un différend entre les clercs de la Chambre et les auditeurs de la Rote, un autre, entre ces derniers et le maître du Sacré-Palais, un autre enfin, entre les camériers secrets ou participants et leurs homologues non participants107. Et il ne manque pas de souligner les continuelles récriminations et querelles des ambassadeurs entre eux ou avec les maîtres de cérémonie concernant les places qui leur étaient assignées lors des chapelles papales108. Maria Antonietta Visceglia, qui s’est beaucoup intéressée aux dessous politiques de ces tenaces et parfois interminables affrontements entre les « grands » de l’époque par le biais de leurs ambassadeurs respectifs, ceux qui avaient le titre de résidents en particulier, a en même temps montré comment la cour pontificale avait en ce domaine, comme en tant d’autres, servi de modèle à la plupart des cours européennes109. Non sans peine, il faut le dire, la patience des papes, mais surtout de leurs maîtres de cérémonie était souvent mise à rude épreuve face aux demandes, voire aux exigences des uns et, à l’inverse, face aux protestations parfois violentes des autres. Et, cela, malgré l’existence de listes de préséance depuis longtemps établies et auxquelles se référeront constamment les cérémoniaires pontificaux, mais qui ne correspondaient plus toujours à la réalité sociale et politique du moment et qu’il fallait donc chercher à adapter à cette dernière, ce que ces mêmes cérémoniaires, tous très attachés aux traditions consacrées par l’usage, répugnaient à faire. D’où les réticences avec lesquelles ordinairement ils accueillent les exemptions, dérogations, voire promotions que pour des raisons de politique aussi bien interne qu’ externe, leurs maîtres Ibid., p. 167*-168*, 182*, 486-487. Cf. Chap. V, p. 360, note 166. 107 Rasmussen, Maiestas Pontificia cit., p. 134-135. 108 Ibid., p. 138-140. 109 Visceglia, La città cit., p. 119-126. Voir aussi de cette dernière: Il ceremoniale come linguaggio politico. Su alcuni conflitti di precedenza alla corte di Roma tra Cinquecento e Seicento, dans Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), éd. C. Brice ˗ M. A. Visceglia, Rome 1997, p. 117-176. 105 106
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se sentent parfois dans l’obligation d’accorder, ne fût-ce qu’occasionnellement ou encore temporairement, dans ce dernier cas, en attendant une ou des solutions à plus long terme. On pourrait ici multiplier les exemples à l’infini. Tenons-nous en aux quatre suivants qui illustrent bien les dilemmes auxquels avaient assez souvent à faire face les papes de l’époque et leurs maîtres de cérémonie. En janvier 1508, les ambassadeurs de Bologne et de Sienne demandent à être reçus le même jour en audience par le pape. Grassi est d’avis que ceux de Sienne ont préséance sur ceux de Bologne et qu’ils devraient donc être reçus les premiers. Les Bolonais font appel de cette décision à Jules II. Celui-ci se dit d’accord avec son premier cérémoniaire qui a pris soin de lui rappeler que, venant en ambassade d’obédience, les Siennois sont chaque fois reçus en Consistoire public, alors que les Bolonais, étant sujets du pape, n’ont pas droit à cet honneur. Mais il n’en décide pas moins d’accorder exceptionnellement à ces derniers le même traitement qu’aux Siennois, tout en maintenant par ailleurs le principe de la préséance des Siennois sur eux. Cherchant à tirer profit de ce passe-droit, les Bolonais, lors d’une cavalcade du pape à laquelle ils participent le 27 janvier, tentent de s’imposer aux Siennois, mais, à mi-chemin, se voyant observés par Jules II dont ils n’étaient pas sans connaître l’irritabilité, s’empressent de reprendre la place qui leur avait été assignée110. Un peu comme des enfants pris en flagrant délit. L’année suivante, en décembre cette fois, un certain Bartolomeo Zambeccario, Bolonais lui aussi, chargé de mssion auprès de Jules II, demande à prendre place à la Sixtine parmi le corps diplomatique. Grassi s’y objecte. Consulté, le pape se montre tout aussi réticent, mais il en profite pour demander à son maître de cérémonie de toujours lui soumettre les cas de ce genre111. Sans doute parce que conscient des implications politiques de toute décision prise en ce domaine, il entend se garder le pouvoir de faire en dernier ressort exception aux règles protocolaires existantes. En 1512, à l’occasion de la messe du jour de Noël à Saint-Pierre, se pose le probléme de savoir qui de l’ambassadeur de Gênes ou de celui de Florence aura droit à la meilleure place. Grassi estime que, venant d’une principauté ayant rang ducal, celui de Gênes devrait avoir préséance sur celui de Florence qui, lui, ne représente qu’une république. Protestations véhémentes de la part de ce dernier qui n’accepte pas cette décision, il faut le reconnaître, quelque peu arbitraire. Grassi ne pouvant consulter à ce propos le pape, ce dernier étant absent, et voulant à tout prix éviter le scandale, opte pour une solution de compromis, plaçant l’un à droite, 110 111
ASV, Fondo Borghese I: 563, fol. 124rv. Ibid., Fondo Borghese I: 889, fol. 64r.
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l’autre à gauche des cardinaux présents et, les jours suivants, recourant au stratagème de ne jamais les admettre à la Sixtine tous les deux à la fois112. Le premier dimanche de Carême de 1514, les ambassadeurs de Parme et de Plaisance ayant manifesté le désir d’assister aux messes et offices de la chapelle palatine, Grassi et son collègue Guttierez demandent à Léon X qui a succédé une année plus tôt à Jules II si lesdits ambassadeurs doivent être admis à la Sixtine comme ambassadeurs, bien qu’à strictement parler, étant sujets du pape, ils n’aient pas droit à ce titre. Celui-ci commence par s’enquérir de la position de Jules II en la matière. Grassi répond que ce dernier acceptait par faveur (« ex gratia ») que les envoyés de Parme et de Plaisance soient traités comme ambassadeurs quand ils venaient faire acte d’obédience, mais refusait qu’ils ne le soient en toute autre circonstance. À Guttierez qui, pour sa part, aurait voulu que les ambassadeurs de Bologne soient inclus dans cette même catégorie, Léon X réplique qu’il ne peut en être question car, explique-t-il, les ambassadeurs bolonais ont toujours eu le privilège d’être reconnus comme tels et non comme simples envoyés ou procureurs113. Autant de cas pris sur le vif qui montrent à quel point était complexe et délicate la gestion des problèmes posés par la préséance et à quel point surtout la dimension politique presque toujours présente obligeait les maîtres de cérémonie, puis surtout leur souverain, le pape, à faire assez souvent exception aux règles établies. Le cas de Bologne est, de ce point de vue, particulièrement éclairant. Ville rebelle –– Jules II en savait quelque chose ––, mais à laquelle la papauté tenait beaucoup, il ne pouvait être question de trop indisposer ses habitants et les quelques concessions faites à l’amour-propre de ces derniers devaient paraître aux yeux des papes de l’époque un bien mince prix à payer pour s’assurer leur allégeance, n’en déplût à leurs maîtres de cérémonie. Mais il s’agissait là de vassaux ou de voisins qui, pris isolément, ne constituaient pas une grande menace pour eux, politiquement ou militairement parlant. Tout autres leurs rapports avec les grandes monarchies de l’époque, tout d’abord la France et l’Empire au temps de Charles Quint, plus tard, la France et l’Espagne devenues au milieu du XVIe siècle les deux grandes puissances catholiques de l’Europe qui, rivalisant d’ambition, se livreront une guerre diplomatique sans merci, en particulier à Rome où, nous l’avons vu, elles maintenaient, l’une et l’autre, des ambassadeurs expérimentés et, du côté espagnol surtout, aguerris. Les papes de la seconde moitié du XVIe siècle et, par la force des choses, leurs maîtres de cérémonie seront fréquemment appelés à arbitrer les querelles de pré112 113
Ibid., Fondo Borghese I: 890, fol. 133rv. Ibid., Fondo Borghese I: 111, fol. 96rv.
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séance auxquelles se livraient ces dernières ou, pis encore, à assister, indignés, parfois impuissants, aux coups de force de leurs ambassadeurs pour s’assurer la meilleure place possible lors des chapelles papales. Selon l’ordre de préséance depuis longtemps établi et dont Grassi fait état dans son Diaire, le premier rang revenait à l’empereur, le second au roi des Romains, le troisième rang à la France et le quatrième seulement au roi d’Espagne114. Mutatis mutandis, cette règle s’appliquait aussi tout naturellement à leurs ambassadeurs. On sait par ailleurs qu’au temps de Jules II, à la Sixtine comme à Saint-Pierre, l’empereur occupait la première place à la droite du pape et le roi de France, la première à sa gauche115. Mais, victorieux à Saint-Quentin en 1557, une année après avoir succédé à son père à la tête de l’Espagne, des Pays-Bas, d’une grande partie de l’Italie et de l’immense empire espagnol, Philippe II n’entendait pas s’en laisser imposer par le roi de France: il lui fallait la première place, du moins lorsque l’empereur –– c’est-à-dire, à l’époque, son oncle Ferdinand 1er –– ou l’ambassadeur de ce dernier était absent de Rome. Son rival, Henri II de France, et les successeurs de ce dernier n’entendaient évidemment pas lui faire cette faveur et feront tout en leur pouvoir pour l’empêcher d’arriver à ses fins. Ils auront en 1564 la satisfaction de voir le pape Pie IV confirmer le rang qui depuis très longtemps était le leur. Le roi d’Espagne ne baissera pas pour autant pavillon et, malgré les efforts déployés par la Congrégation du Cérémonial mise sur pied par Grégoire XIII pour régler ce différend et d’autres du même genre, cherchera par tous les moyens possibles à s’approprier le rang qu’il estimait devoir être le sien116. Aussi tard qu’en 1598, Arnaud d’Ossat qui avait accompagné Clément VIII à Ferrare pour la prise de possession de ce duché dévolu cette même année au Saint-Siège, signale que lors de la messe papale célébrée le 13 octobre en présence du pape pour le repos de l’âme de Philippe II, roi d’Espagne, l’ambassadeur de ce dernier brillait par son absence, ce qui parut pour le moins étrange à d’Ossat, car, note-t-il, Ibid., Fondo Borghese I: 562, fol. 3v-4r. Visceglia, La città cit., p. 126. 116 Pour une bonne vue d’ensemble de ce conflit, voir Ibid., p. 126-129. L’auteure souligne le fait que cette Congrégation était aussi chargée d’examiner de nombreux autres différends du genre et de s’efforcer dans tous ces cas de ramener les choses à ce qu’elles étaient auparavant (« alla forma antica »). Ibid., p. 128. Pour ce qui est de l’Espagne, notons que Philippe II n’eut à aucun moment gain de cause, même s’il eut parfois la consolation de voir ses ambassadeurs occuper de fait le premier rang au cours des années 80 et au début des années 90 en raison d’absences prolongées de leurs homologues français. À ce sujet, voir M. J. Levin, Agents of Empire, p. 80-81. Mais cela ne changeait rien au fait que les ambassadeurs de France avaient droit de préséance sur leurs rivaux espagnols au point d’ailleurs où ces derniers, pour s’éviter l’humiliation de passer en second, n’hésiteront pas à s’absenter à certains moments des chapelles papales, voire à quitter Rome en forme de protestation. Ibid., p. 77-78, 81. 114 115
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l’ambassadeur de France étant lui aussi absent, celui d’Espagne ne risquait pas de se voir relégué à la seconde place. Mais d’Ossat nous fournit, peut-être à son insu, la véritable raison de cette absence, à savoir que la célébration en question fut, comme il semble se plaire à le noter, de peu d’éclat117. Le représentant de la couronne d’Espagne jugea sans doute que c’était là une insulte à la mémoire de feu son maître et qu’il ne pouvait donc d’aucune façon cautionner par sa présence un tel manque d’égard et de respect à l’endroit du grand, puissant et très catholique monarque qu’avait été Philippe II. Question d’orgueil national donc plutôt que question de préséance, au sens strict du terme, mais, à tout bien considérer, cette dernière ne dérivait-elle pas, mieux, n’était-elle pas le produit de l’autre? Plus typique, la scène décrite par le même d’Ossat, relative, elle, à l’entrée de ville, ce même 13 octobre, de Marguerite d’Autriche, fille de l’archiduc de Graz, promise au nouveau roi d’Espagne, Philippe III, dont le mariage par procuration devait être béni le dimanche 15 octobre suivant à Ferrare par le pape Clément VIII en même temps que celui, également par procuration, de l’archiduc Albert d’Autriche, fils de l’empereur Maximilien II avec l’Infante d’Espagne. Or, le connétable de Castille, gouverneur de Milan, qui vint à la rencontre de la future reine et s’apprêtait avec un certain nombre de seigneurs espagnols à lui faire escorte jusqu’au palais où s’apprêtait à la recevoir le pape, changea soudainement d’avis, tout comme les seigneurs qui l’accompagnaient, lorsque les cérémoniaires pontificaux lui firent savoir qu’il ne pourrait précéder les cardinaux faisant partie du cortège, comme il avait l’intention de le faire. Il est facile d’imaginer quel effet cette volte-face impromptue eut sur les personnes présentes. D’Ossat, quant à lui, ne fut guère surpris. Le Français qu’il était avait depuis longtemps pris à Rome la mesure de l’arrogance espagnole118. Les cérémoniaires pontificaux présents à Ferrare étaient sans doute, eux aussi, de cet avis, eux qui avaient l’expérience presque quotidienne du type de querelles impliquant de grands seigneurs tels le connétable de Castille, mais également, nous l’avons vu, de plus modestes personnages cherchant, comme lui, à profiter des chapelles papales et autres cérémonies du genre pour marquer des points « politiques ». Leur position, en ce domaine –– ils ne le savaient que trop ––, n’en était pas et n’en serait jamais une de tout repos119. Les « mises en scène » élaborées et minutieusement réglées des chapelles papales à la Sixtine comme à Saint-Pierre, puis surtout le côté spectaculaire Lettres du cardinal d’Ossat cit., I, p. 592-593. Ibid., p. 606. 119 Pour ce qu’il en sera aux XVIIe et XVIIIe siècles, voir Visceglia, La città cit., p. 130-162. 117 118
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de certaines de ces « mises en scène » tout comme les conflits de préséance auxquels ces dernières donnaient parfois lieu obligent à poser un certain nombre de questions concernant l’attitude aussi bien des « acteurs » que des « spectateurs » impliqués dans les cérémonies en question. Commençons par ces derniers. Étaient-ils là pour voir, ou étaient-ils là pour prier? La gravure de Dupérac montre un certain nombre de personnages, et non des moindres, devisant familièrement durant ce qui semble avoir été le sermon, sermon pourtant considéré à l’époque comme un des moments forts des messes papales. Relevant ce détail anecdotique, qui pouvait à première vue sembler une simple licence de la part de l’artiste, Rasmussen croit au contraire qu’il correspond à la réalité, du moins à celle décrite par les maîtres de cérémonie en particulier qui se plaignaient assez souvent d’un certain manque de décorum à la Sixtine, du fait surtout qu’on y observait peu la règle du silence au détriment du respect dû à la « majesté pontificale » (maiestas pontificia)120. Mais ce manque de respect ne concernait pas que la personne du pape : il concernait aussi et peut-être surtout Celui qu’il représentait et qui constituait, Lui, liturgiquement parlant, la raison d’être, mieux le point de référence essentiel des cérémonies auxquelles donnaient lieu les chapelles papales. Comment, dès lors, ne pas s’interroger sur les véritables motivations de ceux qui étaient et tenaient à être présents aux cérémonies en question? Sans doute certains y étaient-ils d’abord et avant tout par dévotion, d’autres par goût du spectacle, d’autres encore pour des mobiles plus intéressés et plus terre-à-terre de nature aussi bien politique que sociale. Nous situant de part et d’autre de la « frontière » tridentine, il y a fort à parier que jusqu’au pontificat de Pie V, la troisième motivation fut dominante, du moins parmi les « habitués » de la Sixtine, mais qu’à partir de Pie V, la première finit par prendre le dessus, sans que ne disparaisse pour autant les deux autres, la troisième surtout qui saura toutefois progressivement s’adapter aux nouvelles exigences d’une cour et d’une papauté gagnées au réformisme et à la piété. Quant à la seconde motivation qui était surtout le fait de « passants »: visiteurs, pèlerins ou autres, de tout rang et de toute provenance, on est en droit de penser qu’elle n’était pas faite que du désir d’être émerveillé, ébloui même, mais qu’elle l’était aussi du besoin de ressentir une émotion, si possible, une forte émotion correspondant à la sensibilité religieuse de l’époque, désir, besoin que, dans leurs meilleurs moments, les chapelles papales étaient en mesure de satisfaire, comme nous avons pu le constater jusqu’ici. 120 Rasmussen, Maiestas Pontificia cit., p. 145-146. Il semble qu’il en allait de même à la basilique Saint-Pierre. Montaigne, présent en 1580 à la messe de Noël présidée par le pape, exprime sa surprise qu’ « en cette messe et autres […] le pape et cardinaux et autres prélats y sont assis et quasi tout du long de la messe, couverts, devisant et parlant ensemble ». Et il ajoute: « Ces cérémonies semblent être plus magnifiques que dévotieuses ». Montaigne, Œuvres complètes, éd. R. Barral ˗ P. Michel, Paris 1967, p. 489.
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Mais qu’en était-il au juste des « acteurs » directement impliqués, eux, dans la préparation et le déroulement desdites chapelles? Qu’en était-il surtout du pape qui, nous l’avons vu, y jouait un rôle de premier plan, qu’il en assurât ou non la présidence? Les maîtres de cérémonie qui y remplissaient, eux, le rôle de « metteurs en scène » tenaient bien évidemment, d’abord et avant tout, à ce que les rites prescrits soient observés ad unguem et avec le plus grand décorum possible. Et ils n’hésitaient pas à rappeler à l’ordre tout intervenant, pape y compris, qui se rendait coupable de la moindre entorse aux règles établies. Ce qui n’était pas d’ailleurs sans leur causer parfois des ennuis. Mais ce n’était pas tous les papes, surtout s’ils avaient connu de longs règnes, qui partageaient les « scrupules » de leurs cérémoniaires et on peut facilement comprendre que certains d’entre eux aient pu à la longue trouver lourd, épuisant, énervant même le ritualisme répétitif, pointilleux, contraignant et parfois hermétique auquel ils devaient se soumettre de cérémonies en cérémonies, de chapelles en chapelles et, cela, des heures durant. Est-il besoin de rappeler ici les fréquentes absences à la Sixtine comme à Saint-Pierre d’un Alexandre VI et d’un Jules II, hommes d’action et stratèges politiques l’un et l’autre, qui n’avaient que faire de ces interminables liturgies où ils devaient se plier aux exigences d’un Burckard ou d’un Grassi, inflexibles gardiens et interprètes du cérémonial que venait de codifier Agostino Patrizi, maître de cérémonie d’Innocent VIII. Les papes qui viendront après eux seront en général plus fidèles et plus exacts à remplir leurs obligations en ce domaine, même si celles-ci leur pesaient parfois. C’est qu’ils étaient parfaitement conscients que cela faisait partie, et partie intégrante de leur fonction de « représentation » et qu’ils ne pouvaient donc se soustraire, si contraignants soient-ils, aux rites et rituels des chapelles papales sans risquer d’affaiblir, voire mettre en péril l’autorité et les pouvoirs dont ils se réclamaient. Leur entourage, à commencer par leurs cardinaux, aurait d’ailleurs mal accepté, peut-être même dénoncé pareil manquement à leur devoir. Car il s’agissait bien de cela. On ne leur demandait pas d’affectionner particulièrement ce genre de cérémonies, encore moins de s’y complaire: on leur demandait d’être là parce qu’il était de leur devoir d’y être et d’y remplir au mieux leur rôle d’hiérarques. Sans doute y eut-il au XVIe siècle des papes qui y virent plus qu’une obligation, qui se prêtèrent même volontiers à ce qu’on attendait d’eux, majesté, gravité, dignité y comprise –– on pense ici, entre autres, à un Léon X ou à un Grégoire XIII ––, mais qu’en était-il des autres? Avant de chercher à répondre à cette question, peut-être faudrait-il commencer par en poser une autre, parallèle à celle que nous avons soulevée plus haut concernant ceux qui n’avaient pas de rôle spécifique à jouer à la Sixtine ou à Saint-Pierre et que, pour cette raison, nous avons appelés « spectateurs ». Les papes de l’époque étaient-ils là uniquement pour fins de « représentation » ou l’étaient-ils aussi pour fins de « dévotion », c’est-à-
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dire dans le but d’y vivre eux-mêmes et d’y faire vivre aux autres une expérience religieuse digne de ce nom? Il n’est pas simple de répondre à cette question bien qu’on imagine mal que de grands priants, tels un Pie V et un Clément VIII par exemple, n’aient pas su tirer profit des chapelles papales pour nourrir leur piété personnelle, malgré la profusion et la complexité des « rubriques » avec lesquelles il leur fallait composer. Un certain nombre d’indices recueillis au hasard des diverses sources que nous avons pu consulter permettent de penser que, même dans le cas d’un Pie V et d’un Clément VIII, les chapelles papales n’étaient pas les lieux où ils se sentaient le plus à l’aise pour prier ou faire acte de dévotion. Prenons le cas de Jules II, par exemple. Nous avons vu qu’il n’aimait pas les longues et, du moins, à ses yeux, fastidieuses cérémonies de la Sixtine et de Saint-Pierre et qu’il les évitait le plus possible121. Mais, par contre, les jours où il n’était pas là, il célébrait ou faisait célébrer en sa présence une messe « basse » dans sa chapelle privée ou « secrète » –– à l’époque, la chapelle Saint-Laurent et Saint-Étienne ––, entouré de quelques « familiers », quitte à aller plus tard assurer le rite-phare de la « chapelle » en cours à la Sixtine ou à Saint-Pierre, tel, par exemple, la distribution des cierges, le jour de la Chandeleur, l’imposition des cendres, le mercredi marquant l’ouverture du Carême, la bénédiction des rameaux, le dernier dimanche du Carême122, puis, surtout, la bénédiction urbi et orbi à la fin des messes solennelles qu’il aurait dû normalement présider, celle de Pâques en particulier. Grassi qui note soigneusement toutes ces absences qui, on le devine, ne devaient guère lui plaire, s’attarde longuement sur celle du dimanche de Pâques 1512 qui dut lui paraître des plus incongrues. Comme il l’avait déjà fait en 1509, le pape décida qu’il se contenterait d’une messe basse, mais avec cette différence qu’elle aurait lieu cette fois dans sa chapelle privée et non à la Sixtine et qu’il se contenterait d’y assister alors qu’en 1509 il l’avait présidée et avait même distribué lui-même la communion aux membres de sa « famille » présents, cardinaux palatins y compris. Ce qui fut fait. Comme en 1509, il se rendit aussitôt après à la sacristie de la Sixtine et là y déjeuna avec ses « proches » pendant qu’à Saint-Pierre se déroulait en grande pompe la très solennelle liturgie de Pâques, présidée par un de ses cardinaux. Aussitôt celle-ci terminée, les cardinaux et prélats chargés de l’accompagner vinrent le retrouver à la Sixtine et de là firent cortège avec lui jusqu’à la loggia de bénédiction d’où le pape, coiffé de la tiare, bénit more solito une foule estimée par Grassi à 50.000 personnes123. Cf. chap. V, p. 21 et note 91. Pour ce qui en est de ces trois rites, voir ASV, Fondo Borghese I: 889, fol. 12r, 15r; 890, fol. 12rv, 15r et passim. 123 Ibid., Fondo Borghese I: 563, fol. 195rv; 890, fol. 18v-19v. 121 122
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Quel contraste entre la messe sans « fioritures » célébrée dans le calme et la discrétion de la chapelle « secrète » et le rite solennel et spectaculaire entre tous de la bénédiction urbi et orbi du haut de la loggia de Saint-Pierre. Alors que Grassi trouvait inconvenant, choquant même le choix du pape –– ce dernier se devait plutôt d’être à Saint-Pierre pour assurer, comme le voulait la tradition, la présidence de la messe pascale ––, Jules II, au contraire, n’eut probablement aucune difficulté à justifier son choix qui d’ailleurs correspondait bien à son tempérament et à sa vision des choses. Il n’entendait pas être assujetti au « rubricisme » étroit de ses maîtres de cérémonie, il n’entendait surtout pas renoncer à une certaine liberté de décider quand et où il apparaîtrait ou n’apparaîtrait pas en public. En d’autres mots, il tenait à se garder des espaces et des moments où il pourrait être lui-même, loin de la foule, loin des regards indiscrets, et faire ce qui lui plaisait, en l’occurrence, célébrer, prier comme il le voulait et là où il le voulait. Nous reviendrons plus loin sur le problème que posait aux papes du XVIe siècle la délimitation des espaces « publics » et des espaces « privés » et le dilemme que cela constituera pour certains d’entre eux. Pour le moment, retenons que la « sphère » liturgique n’était pas étrangère au dilemme en question et qu’en ce domaine, le risque était grand de désaccords ou de frictions entre ces papes et leurs maîtres de cérémonie. On chercherait en vain parmi les successeurs de Jules II des « absentéistes » capables de rivaliser sur ce point avec lui, mais certains, et non des moindres, semblent bien avoir partagé son goût d’une cérémonialité plus simple et plus discrète. Un Pie V et un Clément VIII n’avaient-ils pas remplacé la messe solennelle associée à la procession de la Fête-Dieu par une messe « basse » dans leur chapelle « privée », messe qu’ils célébraient d’ailleurs habituellement eux-mêmes124? À Noël 1572, pendant que deux de ses cardinaux assuraient à tour de rôle la présidence des messes de la nuit et de l’aurore à la Sixtine, Grégoire XIII en faisait tout autant dans sa « petite chapelle » (capella parva) entouré de sa « famille » à laquelle, précise-t-on, il distribua lui-même la communion, mais il s’agissait cette fois de messes « basses » qu’on pouvait tout aussi bien qualifier de « privées »125. Répéta-t-il cette expérience par la suite? La chose n’est pas impossible. Le 1er novembre 1579, bien qu’il eut assisté, comme il se devait, à la messe solennelle de la Toussaint à la Sixtine, le même Grégoire avait tenu à célébrer lui-même plus tôt ce même matin, dans sa chapelle « secrète » une messe « basse » à laquelle assista le nouveau vice-roi de Naples qu’il reçut plus tard à déjeuner126. Sans doute la politique était-elle pour quelque Cf. chap. V, p. 80-81, note 94, ASV, Fondo Borghese I: 955, fol. 413v. 126 BAV, Urb. lat. 1047, fol. 422v. 124 125
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chose dans cette décision, mais il ne faudrait pas écarter trop vite la possibilité que la motivation première en était plutôt une d’ordre religieux et que Grégoire XIII aimait chaque fois qu’il le pouvait célébrer « privément » parce qu’il trouvait là une nourriture spirituelle que ne pouvaient lui procurer les majestueuses célébrations de la Sixtine et de Saint-Pierre, même s’il n’était d’aucune façon réfractaire à celles-ci et, nous l’avons vu, les présidait ou y assistait volontiers. En cela, il représente fort bien les papes de la seconde moitié du XVIe siècle qui furent, pour la plupart, comme lui, des papes « dévots ». Il ne faudrait pas oublier par ailleurs –– et cela concerne aussi leurs prédécesseurs, depuis Alexandre VI jusqu’à Jules II –– que les messes dites « papales » célébrées à l’occasion des chapelles du même nom n’occupaient qu’une minime partie du calendrier liturgique romain –– 39 jours au total –– et que, pour ce qui était des 326 ou 327 autres jours, les papes pouvaient célébrer ou faire célébrer en leur présence, là où ils le voulaient et quand ils le voulaient, entourés de leurs « familles » ou non une messe « basse » quotidienne, comme cela se faisait d’ailleurs dans les cours de leurs cardinaux, mais aussi, ne l’oublions pas, dans celles de leurs homologues laïcs, à commencer par le roi de France127. Ils disposaient là d’espaces où ils avaient moins à s’offrir en spectacle, et où ils pouvaient donc plus commodément et plus aisément prier à leur guise. Cela variait sans doute d’un pape à l’autre, mais il ne faudrait pas trop vite conclure que la « dévotion » était surtout le fait des papes tridentins ou post-tridentins par contraste avec ceux de la Renaissance mieux connus pour leurs intérêts et leurs passe-temps « mondains », très « mondains » même. Ce serait faire injure à un Adrien VI, mais également à un Léon X, un Clément VII, un Paul III, peut-être un Jules II qui, tout imbus qu’ils aient été de l’esprit de la Renaissance, n’en restaient pas moins des priants et des priants, à ce qu’il semble, sincères. Pastor souligne le fait que Léon X, avide de plaisirs et de divertissements de toutes sortes, était en même temps un homme digne et pieux, fidèle à réciter l’office divin, c’est-à-dire le bréviaire, à assister chaque jour à la messe et à observer scrupuleusement les lois du jeûne et de l’abstinence128. Il en dit tout autant de son cousin, Clément VII129 et des successeurs de ce dernier, Paul III et Jules III130. La palme en la matière 127 Pour la France, voir J. F. Solnon, La cour de France, Paris 1987, p. 139, 323-324 et J. Boucher, La cour de Henri III, Ouest France 1986, p. 175-176. 128 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 334-337. 129 Ibid., IV/2, p. 163-164. 130 Nous renvoyons ici pour ce qui est de Clément VII et de Paul III à ce que nous avons dit à ce sujet dans les chapitres II et V. En ce qui concerne Jules III, Massarelli souligne le fait que les jours où il y avait chapelle papale, le pape célébrait plus tôt une messe dans sa chapelle privée. Et il précise: « par dévotion » (« devotionis causa »). Conc. Trid., II, Diar. 2, p. 158, 160, 161 et passim.
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n’en revenait pas moins –– et Pastor était le premier à le reconnaître –– aux papes post-tridentins, en particulier à un Pie V, à un Grégoire XIII et à un Clément VIII, ce dernier surtout qui, aux yeux de ses contemporains, passait pour le pape « dévot » par excellence, même si ces derniers réservaient à son maître Pie V le qualificatif de « saint »131. Mais pour rendre pleinement justice à tous ces hommes, tant ceux de la première que de la deuxième moitié du XVIe siècle, peut-être faudrait-il ici sortir de la « sphère » liturgique au sens strict du terme, en d’autres mots, élargir l’espace en question pour y inclure ce que nous appelons aujourd’hui le « paraliturgique », c’est-à-dire l’ensemble des pratiques relevant plutôt du domaine de la « dévotion », pratiques, notons-le, très souvent d’origine ou, du moins, à saveur populaire. La procession de la Fête-Dieu à laquelle les papes de l’époque attachaient tant d’importance appartenait à cet univers, bien qu’elle avait fini par acquérir, probablement déjà au XVe siècle, un statut quasi liturgique. Patrizi, rappelons-le, n’hésita pas à l’inclure dans le Cérémonial pontifical, mais, fait significatif, il fut le premier à le faire132. Dévotion qui en annonce d’autres du même genre qui finiront, elles aussi, par gagner la faveur populaire avec la bénédiction des papes du temps dont certains s’en feront même les zélés propagateurs. Commençons par celle des Quarante-Heures née à Milan au début du XVIe siècle, mais se situant manifestement dans la foulée de pratiques remontant au Moyen Âge et dont la procession de la Fête-Dieu à laquelle nous nous sommes beaucoup intéressés jusqu’ici était un des nombreux avatars. Inspirées de l’adoration du Saint Sacrement qui se faisait depuis au moins le XIIe siècle du Jeudi Saint au soir au Samedi Saint au midi durant ce qu’on appelait tantôt un sépulcre tantôt un reposoir, les Quarante-Heures se seraient à partir de 1527 détachées de ce cadre strictement pascal pour inclure aussi les fêtes de la Pentecôte, de l’Assomption et de Noël. Les Barnabites et les Capucins leur assureront par la suite une grande diffusion, tout d’abord dans la région milanaise, puis dans le reste Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 210*-213*. Cf. P. De Roo, Materials for a History of Pope Alexander VI. His Relatives and his Times, III, New York 1924, p. 331-337. À noter en particulier que le pape Borgia approuva en 1501 l’Ordre de l’Annonciade fondé par Jeanne de France dont il avait dissous le mariage avec Louis XII en 1498. Et, cela, contre les objections de plusieurs éminents personnages à l’époque. La Chronique de l’Annonciade rédigée au XVIe siècle a attribué à la dévotion mariale du pape, en particulier au « Saint Spasme » de Marie, la faveur qu’il fit à Jeanne de France. Cette dévotion appelée aussi de la « Compassion » de la Vierge était née d’une révélation privée à Catherine de Suède. Alexandre VI parlait même avant sa mort d’instituer une fête en l’honneur de cet événement dramatique de la vie de la Vierge. Mais le cardinal Cajetan et Jules II n’en voulaient rien entendre. À ce sujet, voir J. F. Drèze, Raison d’État et raison de Dieu. Politique et mystique chez Jeanne de France, Paris 1991, p. 147-148, 288, note 161. 131 132
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de l’Italie133. À noter que les premiers que Nicole Lemaître n’hésite pas à appeler les « charismatiques du XVIe siècle » avaient donné à cette nouvelle dévotion un tour dramatique qui seyait bien à l’exploitation qu’ils en faisaient, au temps du Carnaval en particulier. Formule qui était appelée à un bel avenir et dont se souviendra Pie V notamment qui avait connu les premiers Barnabites à Milan134. Ces derniers avaient par ailleurs obtenu en 1537 du pape Paul III une première approbation officielle de la dévotion et de la formule en question135. Coïncidence qui n’avait probablement rien de fortuit. Cette même année le pape Farnèse faisait mettre en chantier près de la Sala Regia la construction d’une nouvelle chapelle qui portera éventuellement son nom et qui était destinée à remplacer la chapelle du Saint-Sacrement dite aussi Saint-Nicolas qui avait dû être détruite pour faire place à un escalier donnant accès à la Salle Ducale alors en voie de réaménagement136. Chapelle qui, comme sa devancière, allait servir au culte eucharistique et, en particulier, à l’accueil chaque année durant le Triduum pascal, du sépulcre ou reposoir où viendront prier le pape et sa « famille »137, mais où, par ailleurs, les Jeudis Saints au soir seront reçus les confréries et les corporations de métier de Rome à l’occasion de la procession du Saint-Sacrement qui les amenait au palais apostolique, puis à Saint-Pierre, dans le premier cas, pour rendre hommage au Saint Sacrement exposé dans la chapelle papale, dans l’autre, pour vénérer les reliques de la Sainte-Face et de la Sainte-Lance. Gregory Martin nous a laissé une description saisissante de cette procession telle qu’elle se déroulait au temps de Grégoire XIII, procession qu’il ne craint pas d’appeler la plus belle et la plus impressionnante de Rome et qui, de fait, s’il faut croire ce qu’il nous en dit, avait atteint à l’époque un degré de ferveur, pour ne pas dire de pathos inégalé138. Avec, de toute évidence, les encouragements et le soutien des papes du temps. Le fait d’accueillir la foule des processionnants à la chapelle Pauline, puis à Saint-Pierre pour l’ostension de reliques prisées entre toutes n’en constituait-il pas, à lui seul, la meilleure preuve? P. Rouillard, Quarante-Heures, dans Catholicisme, 12, col. 341-342. Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 29. 135 Ponnelle-Bordet, Saint Philippe Néri cit., p. 62; C. Cargnoni, Quarante-Heures, dans DS, XII/2, col. 2707. À noter que l’auteur confond la Confrérie de la Trinità dei Monti avec celle d’Orazione e Morte. 136 Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 56. 137 Ce reposoir figure déjà dans le Cérémonial de Patrizi. Il décrit le rite de translation du « ciboire » contenant une hostie consacrée au cours de la messe du Jeudi Saint, translation qui se fait processionnellement de la Sixtine à la chapelle Saint-Nicolas appelée à être remplacée par la chapelle Pauline, le pape portant lui-même le saint sacrement jusqu’au lieu du reposoir. Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 192*-1193*, 369-371. 138 Martin, Roma Sancta cit., p. 89-91. 133 134
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Mais si Paul III s’était montré favorable à la dévotion des Quarante-Heures telle que proposée par les Barnabites milanais, c’est au charismatique Philippe Néri que revient le mérite d’avoir implanté avec succès ce type de dévotion à Rome et, cela, au plus tard en 1551 dans le cadre de la confrérie de la Trinità dei Pellegrini fondée avec son ami et confesseur Persiano Rosa trois années plus tôt. Philippe optera, au départ du moins, pour des réunions ayant lieu le premier dimanche de chaque mois et les premiers jours de la Semaine Sainte. Sous son influence peutêtre, la Confrérie dell’Orazione e Morte, créée en 1538, mais approuvée seulement en 1552 par Jules III, adopta à son tour cet exercice, mais le fixa au troisième plutôt qu’au premier dimanche du mois139. Au cours des années qui suivirent, de nombreuses confréries leur emboîtèrent le pas140. Les Jésuites ne tardèrent pas à en faire tout autant, mais à leur manière et dans les lieux qui leur étaient familiers. Après avoir expérimenté une première fois et avec succès les Quarante-Heures à Messine en 1553, ils décidèrent, s’inspirant peut-être de l’exemple des Barnabites, de faire coïncider celles-ci avec les trois derniers jours du Carnaval dans le but avoué de faire contrepoids à ce qui, à leurs yeux et aux yeux des papes de l’époque, était devenu un intolérable moment de « folie » dionysiaque. Testée une première fois au Collège de Lorette en 1556, la formule connut un tel succès qu’elle fut étendue à toutes les églises et à tous les collèges jésuites en Italie, y compris, bien évidemment, Rome141. Tout cela ne pouvait être que bien vu, mieux, encouragé par une papauté de plus en plus soucieuse de faire de sa capitale une ville, moralement et spirituellement parlant, exemplaire. Le sommet sera atteint avec la promulgation en 1592 de la bulle Graves et Diuturnae par laquelle Clément VIII, invoquant les dangers dont l’Église était à ce moment menacée, consacrait et officialisait en quelque sorte la dévotion des Quarante-Heures en l’étendant à toute la ville de Rome sous forme d’une célébration en continu, toutes les basiliques, collégiales, églises, maisons religieuses et confréries assurant à tour de rôle, à longueur d’année, de jour et de nuit, l’exercice en question, empruntant pour ce faire aux rituels qu’elles avaient pour la plupart fini par adopter au contact les unes des autres. Mais le plus significatif était que, par la volonté du pape, le point de départ de cette « conspiration » de prière allait être sa propre chapelle, c’est-à-dire la Pauline, où le premier dimanche de l’Avent, entouré de ses cardinaux et des évêques ou prélats présents ce jour-là à Rome, il en donnerait lui-même le coup d’envoi, comme pour bien marquer quelle importance il accordait à cette dévotion Cargnoni, Quarante-Heures cit., col. 2706. À ce sujet, voir le témoignage de Gregory Martin dans Roma Sancta, p. 215. 141 Cargnoni, Quarante-Heures cit., col. 2708. 139 140
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qu’à l’instar de ses prédécesseurs, Pie V en tête, il avait fait sienne. Il n’est pas sans intérêt de noter que ses successeurs maintiendront cette tradition longtemps après lui142. Autre exercice paraliturgique auquel les papes du XVIe siècle se prêteront encore plus volontiers: celui de la visite des Sept Églises. Il s’agit là d’une très ancienne pratique remontant au haut Moyen Âge et s’inspirant tout à la fois de la symbolique septénaire et du prestige dont jouissaient les plus anciennes basiliques romaines très tôt objet d’une vénération particulière. Les sept églises qui feront éventuellement partie du parcours que l’on retrouve encore au XVIe siècle sont, dans l’ordre, celles de SaintPierre, de Saint-Paul-hors-les-Murs, de Saint-Sébastien, de Saint-Jean-duLatran, de la Sainte-Croix-de-Jérusalem, de Saint-Laurent-hors-les-Murs et de Sainte-Marie-Majeure. C’est Philippe Néri –– encore lui –– qui va donner une nouvelle vocation à cet antique et vénérable exercice en lui faisant jouer, à partir de 1553, le rôle d’alternative au Carnaval, lequel –– plaisir oblige –– n’avait à l’époque rien perdu de son attrait à Rome. Il faut dire que le Jubilé de 1550 auquel il avait été étroitement associé avait remis à l’honneur la visite des Sept Églises. Philippe fixa au « Jeudi gras », c’est-à-dire le jeudi précédant le début du Carême l’exercice en question. Les Jésuites qui, nous l’avons vu, rêvaient eux aussi d’une telle alternative, choisirent plutôt comme arme de combat les Quarante-Heures. La tactique était différente, mais le but poursuivi était le même et il n’est pas sans intérêt de constater que Philippe Néri et ses émules jésuites emploieront éventuellement la même formule, soit celle du « Carnaval spirituel » pour désigner l’alternative qu’ils avaient en tête. Au début Philippe n’entraîna à sa suite qu’une poignée de disciples –– une trentaine au total ––, mais le nombre ne tarda pas à s’étoffer, atteignant son apogé eau temps de Pie IV –– on parle de 5 ou 6000 personnes –– au point où il fallut non plus seulement accompagner et encadrer, mais également sustenter les participants, car Philippe tenait à ce que la visite des Sept Églises se fasse à pied et cela supposait qu’on y consacre pratiquement une journée. Aussi décidera-t-on à un certain moment de la 142 À ce sujet, voir R. Diez, Le Quarantore. Una predica figurata, dans La festa a Roma, II, p. 87; A. De Santi, L’orazione delle Quarantore e i tempi di calamità e di guerra nel secolo XVI, dans Civiltà Cattolica, 68 (1917), vol. 4, p. 517-519. De Santi appelle la bulle de Clément VIII une encyclique, anachronisme flagrant repris d’ailleurs par Diez. Le prolixe Moroni, quant à lui, nous fournit une description détaillée des Quarante-Heures célébrées à partir du premier dimanche de l’Avent 1592 à la chapelle Pauline. Le pape, dit-il, fait transporter le saint sacrement processionnellement de la chapelle Sixtine à la chapelle Pauline, cette dernière ayant été au préalable richement décorée et illuminée. Il précise, par ailleurs, que Clément VIII se rendait lui-même tous les soirs prier devant le saint sacrement comme il le faisait chaque Jeudi Saint lors du Triduum Pascal. Puis, après lui, se relayaient l’un après l’autre les membres de sa cour: camériers secrets, camériers d’honneur, chapelains secrets, etc. chacun y consacrant une heure. Quarantore, dans Dizionario di erudizione, LVI, p. 115.
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faire débuter la veille à Saint-Pierre. Détail qui ne manque pas d’intérêt, en 1559, au plus fort de la crise marquant la fin du règne de Paul IV, le vicaire de ce dernier, le cardinal Rosario, mal disposé à l’endroit de Philippe Néri et craignant par ailleurs les mouvements de foule, avait fait interdire les pèlerinages aux Sept Églises organisés par Philippe, au grand désarroi d’ailleurs de ce dernie et de ses disciples, mais, suite à la mort subite du cardinal en mai, le pape avait fait savoir au fondateur de l’Oratoire qu’il pouvait reprendre ses pèlerinages et qu’il regrettait de ne pas pouvoir se joindre à la foule de ceux qui l’y accompagneraient143. On aura remarqué qu’aussi bien le cardinal Rosario que le pape parlaient de « pèlerinages » au pluriel, car Philippe Néri organisait également des Visites aux Sept Églises à d’autres moments de l’année, au temps de Pâques notamment, même si ces derniers attiraient beaucoup moins de monde que celles du « Jeudi gras »144. Manifestement, les papes de la seconde moitié du XVIe siècle voyaient d’un bon œil l’initiative prise par Philippe Néri de redonner vie à la traditionnelle visite des Sept Églises à l’égal de celle qu’il s’était permise pour ce qui était des Quarante-Heures. Paul IV, à un certain moment réticent, Pie IV, dès le départ favorable à Philippe, comme son neveu Charles Borromée d’ailleurs145, furent de ceux-là. Mais certains papes –– un Pie V et un Grégoire XIII en particulier –– ne se contentèrent pas d’appuyer les efforts déployés par le fondateur de l’Oratoire pour rendre aussi populaire que possible le pèlerinage aux Sept Églises: ils firent leur cette dévotion si chère au cœur de Philippe et n’hésitèrent pas à se proposer eux-mêmes en exemple, multipliant les visites aux sept basiliques romaines, souvent à pied et accompagnés d’un certain nombre de leurs proches, cardinaux y compris. Pie V y fut particulièrement assidu au cours des dernières années de son règne, au grand étonnement des Romains qui n’en revenaient pas de voir le pape parcourir à pied, « en simple pèlerin » les six kilomètres que représentait le circuit en question146. Grégoire XIII fut tout aussi sinon plus zélé à ce chapitre et, cela, durant tout son pontificat147 avec cette différence peut-être qu’il n’avait rien de l’aura et du charisme d’un Pie V. Chose certaine, l’exemple de ces deux hommes, en particulier la conviction et la dévotion avec lesquelles ils accomplissaient chacune de leurs visites, ne pouvaient que rehausser la force d’attraction du pèlerinage remis Ponnelle ˗ Bordet, Saint Philippe Néri cit., p. 143, 182-183, 205-208. Ibid., p. 205. 145 Ibid., p.197-198, 206, 220, 227 et passim. 146 Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 233-234. 147 Les avvisi font souvent mention de ces visites. Ainsi, le 24 février 1574 (BAV, Urb. lat. 1044, fol. 39r); le 19 février 1575 (Ibid., fol. 382); le 4 novembre 1579 (Ibid., Urb. lat. 1047, fol. 422v). Les ambassadeurs de Venise en font tout autant. Voir à ce sujet, Ponnelle ˗ Bordet, Saint Philippe Néri cit., p. 242, note 10. 143 144
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à l’honneur par Philippe Néri. Ils furent sans doute, l’un et l’autre, pour beaucoup dans le fait que la visite des Sept Églises fut au cœur du Jubilé de 1575148. D’autres dévotions chères aux papes de l’époque et dont ils se feront d’ailleurs assez souvent les promoteurs pourraient être ici évoquées –– on pense en particulier à la récitation du Rosaire que Pie V, en bon Dominicain qu’il était, chercha à répandre au cours de son pontificat149 ––, mais les deux exemples dont nous venons de faire état suffisent amplement, croyonsnous, à montrer à quel point le « paraliturgique » fournissait à ces hommes des espaces de prière, de dévotion librement choisis venant heureusement compléter ceux que leur procuraient les liturgies célébrées dans le calme et la discrétion de leurs chapelles ou de leurs appartements privés. Si le politique et le liturgique, y compris, dans ce dernier cas, le paraliturgique occupaient une place importante pour ne pas dire prépondérante dans la vie quotidienne de la cour, sinon en termes de temps, du moins en termes de préoccupations, comme toute cour digne de ce nom, la cour pontificale était, mieux, se devait d’être également un lieu de divertissement, de fête, de loisirs. C’est à cette « sphère » que nous avons choisi d’appeler « ludique » que nous voudrions maintenant nous intéresser. 3. La sphère ludique À l’exemple d’un Cicéron, les humanistes, notamment florentins, des XIVe et XVe siècles avaient remis à l’honneur l’otium, cet indispensable complément du negotium, seul capable à leurs yeux d’assurer l’équilibre d’une vie de patricien digne de ce nom. Pour Cicéron, l’otium consistait d’abord et avant tout en un temps de réflexion et d’étude, un temps qui, pour être pleinement profitable, exigeait, selon lui, le calme et la solitude de la campagne. Pétrarque avait fait sien ce modèle, mais il faut attendre le milieu du XVe siècle pour voir les humanistes florentins l’adopter en ce qui concerne surtout l’importance accordée à la campagne. En 1458, Benedetto Cotrugli recommandera à ses collègues marchands de se doter non plus d’une seule, mais de deux villas servant, la première, comme cela était déjà le cas, à assurer en tout temps à leurs familles une nourriture abondante et variée, la seconde, à leur procurer un lieu de repos, de détente, loin des soucis et des ennuis du négoce et de la politique. Cette recommandation ne restera pas lettre morte. Nombreux seront les patriciens florentins à s’en prévaloir à l’époque, à commencer par les Médicis 148 Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 233. L’auteure croit que ce mérite revient principalement à Pie V, mais Grégoire XIII y fut certainement aussi pour quelque chose. 149 Ibid., p. 158.
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qui, eux –– faut-il s’en surprendre ––, ne se contenteront pas d’une seule villa de repos ou de détente, mais les multiplieront à l’envie. Si l’étude restait pour bon nombre de patriciens, à Florence comme ailleurs, un indispensable ingrédient de l’otium –– on pense ici à un Côme et à un Laurent de Médicis, à ce dernier en particulier –– d’autres éléments viendront rapidement s’ajouter de type, eux, beaucoup plus ludiques, cela pouvant aller des plaisirs de la musique, du théâtre et de la poésie à ceux, plus physiques, de la chasse sous toutes ses formes en passant par ceux de la table particulièrement appréciés en raison du cadre non conventionnel, familier surtout dans lequel ils étaient proposés, ou encore ceux, plus prosaïques, de simples balades par champs et par vaux150. L’inclusion dans cette liste de la chasse, de la chasse à courre notamment, depuis longtemps privilège réservé à la seule noblesse, revêt ici une toute particulière signification. Manifestement, les Médicis se considéraient déjà, dans la deuxième moitié du XVe siècle, comme des aristocrates, non titrés certes, mais aristocrates tout de même, comme permettaient d’ailleurs de le croire ou, du moins, le faire croire le mariage de Laurent le Magnifique avec Clarice Orsini en 1468 et celui de sa fille Maddalena avec Franceschetto Cibo en 1488151. Les papes de la Renaissance issus pour la plupart de familles patriciennes ou nobles ou, du moins, apparentés à l’une ou l’autre d’entre elles, se sentiront parfaitement à l’aise face à cette nouvelle conception de l’otium, tout en prenant soin de l’adapter à leurs besoins, moyens et intérêts propres. Déjà, comme cardinaux, aussi bien à la campagne que dans leurs résidences urbaines ou suburbaines, ils s’étaient familiarisés avec les plaisirs intellectuels, esthétiques ou proprement ludiques, chasse y comprise, désormais caractéristique de l’otium. À l’égal de leurs contemporains de même rang ou extraction. Combien plus, comme papes, donc « souverains », pouvaient-ils justifier ces moments de détente, d’évasion, d’autant plus indispensables dans leur cas que le negotium, nous l’avons vu, occupait une large, parfois même très large place dans leur vie et finissait assez souvent par peser lourd, très lourd même sur leurs épaules. Leurs médecins étaient d’ailleurs les premiers à leur recommander d’assortir ces périodes d’intense activité de temps de repos, de détente, au besoin, de « dépaysement » pour le bien tant de leur âme que de leur corps152. Sans doute, en raison de leur âge, de leur tempérament ou de leurs goûts particuliers, l’otium n’avait-il pas pour eux tous la même impor Coffin, The Villa cit., p. 11-14, 16-19. I. Cloulas, Laurent le Magnifique, Paris 1982, p. 92-96, 114-117, 155-156, 167-174, 187, 255-256. 152 Cortese, l’auteur du De Cardinalatu publié en 1510, partageait sur ce point l’avis des médecins de son temps. Rodocanachi, Le pontificat de Léon X cit., p, 179. Léon X, grand chasseur, assurait que ses propres médecins lui recommandaient chaudement cet exercice. Ibid., p. 175. 150
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tance ni surtout le même attrait. Alexandre VI préférait les jeux de la politique et de l’amour à ceux de l’esprit, du moins tels que recommandés et célébrés par les humanistes de son temps, mais il n’était pas insensible aux charmes de la musique, du théâtre et de la poésie tout en étant par ailleurs particulièrement friand de spectacles et de divertissements pour le moins « osés » ou encore d’assez bas étage153. La campagne ne semble pas avoir été pour lui d’un particulier attrait. Ni la chasse d’ailleurs. Il laissera ces plaisirs à ses enfants et à ses proches, cardinaux y compris, qui s’y livreront avec délices, comme il l’avait fait lui-même au temps où il n’était, tels ces derniers, que cardinal154. Son lieu de retraite favori était le Château Saint-Ange qu’il avait pris soin de fortifier, de réaménager et décorer, entre autres, à cette fin155. Tout compte fait, on est, avec lui, encore loin de l’otium tel que pratiqué par un Laurent le Magnifique et la gent patricienne et aristocratique de son temps. On peut en dire autant de Jules II, lui aussi amateur d’art au goût d’ailleurs beaucoup plus raffiné que celui de Rodrigue Borgia –– il en fournira maintes fois la preuve tout au long de son pontificat ––, mais il est, lui aussi, habité par le démon de la politique et le temps qu’il consacre à cette passion qui est chez lui tout à la fois celle d’un chef d’État et d’un chef de guerre ne lui laisse pas ou si peu que point le loisir de se livrer à plein, comme ses neveux cardinaux, aux plaisirs de la chasse et de la pêche, bien qu’il n’était pas, à ce qu’il semble, insensible à ces derniers et qu’il en tâta peut-être à l’occasion156. Il ne faudrait toutefois pas l’imaginer enfermé à longueur de journées dans ses appartements ou accompagnant des semaines durant ses troupes sur divers champs de bataille en quête de victoires diplomatiques ou militaires répondant aux stratégies par lui minutieusement mises au point. Amoureux de la nature, épris de liberté, il savait se ménager des temps de répit, quittant, parfois à l’improviste, le Vatican pour des escapades dans la campagne romaine avec des haltes ici et là dans des lieux de particulier attachement, Ostia entre autres157. Cela avait toutefois –– il faut le reconnaître –– peu à voir avec l’otium tel que conçu par les beaux esprits de Florence et d’ailleurs. Mais Jules II n’en avait sans doute cure. Homme d’action, chef de guerre, bien connu par ailleurs pour son indépendance d’esprit, il s’était taillé une définition de l’otium à sa mesure et il n’avait que faire de celle des humanistes de son temps. Cloulas, Les Borgia cit., p. 106-107, 201, 264-265, 270-271. Ibid., p. 56-57, 76, 195. 155 Von Pastor, Storia dei papi cit., III, p. 622-624, 642. Voir aussi E. Rodocanachi, Le Château Saint-Ange, Paris 1909, p. 93-101. 156 Cloulas, Jules II cit., p. 123-124. 157 Voir chapitre III, p. 39-40. 153 154
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Rien de tel dans le cas de son successeur immédiat, Léon X, qui, en digne fils de Laurent le Magnifique, sera, de tous les papes du XVIe siècle, celui qui illustrera le mieux en quoi pouvait consister et jusqu’où pouvait aller l’otium dans le cadre d’une cour qui, en ce domaine comme en tant d’autres, n’entendait pas se laisser distancer par ses homologues séculiers. Passionné d’art sous toutes ses formes –– musique et théâtre en particulier –– et, par ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître, grand amateur de facéties et de drôleries d’un goût parfois douteux, il s’était entouré, à prix d’or, de chanteurs, d’instrumentistes, de poètes de renom, mais en même temps de rimailleurs, de farceurs et de bouffons d’une tout autre stature, ce qui donnait à sa cour un air tout à la fois raffiné et bon enfant et lui procurait personnellement des moments appréciés et sans doute, à ses yeux, indispensables de détente, de plaisirs et d’évasion. Nombreux d’ailleurs sont les témoignages qui nous restent de soirées et de repas intimes ou encore de représentations théâtrales et de banquets offerts en faveur d’illustres hôtes, faisant appel sous une forme ou une autre aux talents variés de la kyrielle d’artistes et de joyeux drilles faisant partie de sa cour ou y étant fréquemment invités158. Ainsi apprenons-nous qu’assez souvent Léon X se plaisait à organiser des concours d’improvisations musicales ou poétiques autour de repas regroupant des « proches » et où s’affrontaient les plus talentueux de ses protégés, tels, par exemple, un Rafaello Brandolini et un Andrea Marone, ce dernier surtout qui était tout à la fois poète et musicien159. Nombreuses aussi étaient les occasions où il faisait appel aux talents plus triviaux, mais talents tout de même, du moins à ses yeux, des sept ou huit bouffons faisant partie de sa cour160. Le plus célèbre d’entre eux, Fra Mariano, était en même temps celui qui avait le plus sa faveur, car il était celui qui le faisait le plus rire, ce que Léon X appréciait par-dessus tout, étant convaincu que l’hilarité était gage de longue vie161. Dans la même veine, il se prêtait volontiers aux mauvais tours que certains membres de son entourage s’amusaient à jouer à des poétereaux fréquentant de temps à autre sa cour. Ce fut notamment le cas d’un Camillo Querno et d’un certain Baraballo di Gaeta, de ce dernier surtout pour lequel fut organisé, à grand renfort de publicité, un faux triomphe qui faillit très mal se terminer, mais qui fit beaucoup rire le pape et tout Rome d’ailleurs162. Comme l’écrit avec justesse Emmanuel Rodocanachi, aimant s’entourer en tout temps de gais 158 Voir chapitre IV, p. 47-48, et notes 23 à 30. Également Rodocanachi, Le pontificat de Léon X cit., p. 179-188. 159 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 380-381. 160 Ibid., p. 381-385. 161 Ibid., p.382. 162 Ibid., p.383-384.
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compagnons, une des grandes joies de Léon X « était d’exciter les jeunes gens de sa cour à faire des folies »163. La passion de Léon X pour le théâtre se situait à un tout autre niveau, mais elle n’était pas étrangère à ce même besoin presque épidermique d’amusement et de divertissement. Très révélateur, à cet égard, le fait que la plupart des pièces auxquelles il aura le plaisir d’assister soit au Vatican, soit au Château Saint-Ange étaient de nature plutôt leste, à commencer par la Calandria, œuvre de son favori, le cardinal Bibbiena, présentée à l’occasion de la visite d’Élisabeth Gonzague, marquise de Mantoue, à Rome en 1514164. Sans compter que les spectacles en question étaient habituellement offerts dans le cadre des fêtes du Carnaval, fêtes qui avaient la faveur du pape et auxquelles il participait d’ailleurs lui-même allègrement, même si ce n’était qu’à titre de spectateur165. Ces mêmes spectacles étaient parfois agrémentés d’intermèdes musicaux comme ce fut le cas lors de la présentation d’I Suppositi, oeuvre de l’Arioste, au Château SaintAnge en mars 1519166. Mais cet ingénieux mariage des arts qui correspondait bien aux goûts éclectiques de Léon X était aussi le fait des banquets offerts par ce dernier aux nombreux et distingués hôtes qui affluaient à sa cour. Quel plaisir ce devait être pour eux d’entendre des chanteurs, des instrumentistes, des poètes, des acteurs, des bouffons même intervenir à tour de rôle tout au long des somptueuses et parfois interminables agapes qui les réunissaient autour de la personne du pape, et, parfois, de se voir en plus gratifier à la toute fin d’une moresque, danse particulièrement prisée à l’époque167. Ce plaisir était bien évidemment aussi celui du pape qui trouvait là, opportunément réunis, plusieurs des arts qui avaient enchanté sa jeunesse et auxquels il restait profondément attaché. À un tout autre niveau, mais révélateur lui aussi de la place que le ludique occupait dans la vie de Léon X, le goût marqué qu’il avait pour les jeux de cartes et d’échecs auxquels il se livrait presque tous les jours, ne craignant pas, note Pastor, d’en faire, tout pape qu’il était, autant d’occasions de miser et miser parfois gros168. 163 E. Rodocanachi, La première Renaissance. Rome au temps de Jules II et de Léon X, Paris 1912, p. 110. 164 id., Le pontificat de Léon X cit., p. 185. 165 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 393-398. Voir aussi Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 331-336 et id., Le pontificat de Léon X, p. 188-190. 166 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 394-395. 167 Rodocanachi, Le pontificat de Léon X cit., p. 181. 168 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 376 et note 3. Jules III aimait lui aussi jouer. Le 20 octobre 1551, son trésorier secret note que son maître a perdu 56 écus en jouant durant son séjour à la Magliana. ASR, Cam. I: 1295, Thesaureria Secreta, fol. 8r. À quoi jouait-il? Aux échecs, probablement. Le 17 septembre 1550, il fait l’acquisition de deux jeux d’échecs au coût de 4,40 écus. Ibid., Introito et Exito 1550, fol. 37r.
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Mais tous ces divertissements de quelque nature ou importance qu’ils aient été pâlissent en regard de la passion qui l’habita tout au long de son pontificat et révèle peut-être le mieux ce qui, en matière d’otium, le distingue le plus des autres papes du XVIe siècle. Et cette passion qu’il avait probablement héritée de son père, Laurent le Magnifique, c’était –– on l’aura deviné –– celle de la chasse, de la chasse à courre notamment. On attribue au cardinal vénitien, Lodovico Trevisan, le mérite d’avoir introduit ce type de chasse à Rome vers le milieu du XVe siècle. Considérant sans doute, comme lui, que les règles canoniques interdisant au clergé la pratique de ce sport ne s’appliquaient pas aux « princes » qu’ils étaient, nombre de ses collègues s’empressèrent d’en faire, à son exemple, un de leurs passe-temps favoris, profitant d’ailleurs des fréquents passages de grands personnages à Rome pour organiser, avec la bénédiction des papes du temps, de gigantesques battues dans la campagne romaine, telle, par exemple, celle mise sur pied en avril 1480 par le neveu de Sixte IV, le cardinal Girolamo Riario, en l’honneur du duc Ernest de Saxe, alors en visite à la cour pontificale169. Jeune cardinal établi à Rome depuis 1492, Léon X avait eu tout le temps de s’initier à ce sport et d’en faire, à son tour, un passe-temps de prédilection. Son père, grand chasseur lui-même, lui avait d’ailleurs fortement conseillé ce type d’exercice de nature, disait-il, à lui éviter les maladies qu’entraînait habituellement le style de vie sédentaire adopté par certains de ses collègues170. Conseil que reprendra Paolo Cortese dans son De Cardinalatu publié en 1510, arguant que la chasse était un des passe-temps les mieux adaptés à l’état de cardinal171. Voulant peut-être justifier le fait que, comme pape, il entendait continuer à s’adonner aussi régulièrement et intensément qu’auparavant à ce sport princier, Léon X n’écrira-t-il pas en octobre 1514 dans une lettre annonçant à son maître de chasse son arrivée prochaine à la Magliana: Nous avons décidé de nous éloigner des soins et des fatigues que nous occasionne l’administration de la République chrétienne afin de nous procurer le réconfort que donnent la chasse et l’oisellerie, car il est excellent pour la santé de parcourir à cheval monts et vux et de faire de la marche. Nos médecins nous le recommanden chaudement172.
C’est, notons-le, le même argument qu’il fera valoir dans une missive au futur Charles Quint trois années plus tard173. Estimant que les conseils de Coffin, The Villa cit., p. 111-112. Ibid., p. 122. 171 De Cardinalatu, Castro Cortesio, 1510, fol. LXXV. À ce propos, voir aussi Rodocanachi, Le pontificat de Léon X cit., p. 179. 172 Ibid., p. 175. Il s’agit d’une traduction française faite par l’auteur de l’extrait d’une lettre originellement écrite en latin. 173 Coffin, The Villa cit., p. 124. 169 170
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son père et le point de vue d’un Paolo Cortese ne suffiraient peut-être pas à convaincre tout son entourage du bien-fondé de la décision qu’il avait prise de continuer à se livrer à son passe-temps favori, le pape jugeait bon faire appel à l’autorité, plus difficilement contestable, des médecins. Du moins, ne pourrait-on pas l’accuser de pratiquer la chasse uniquement par goût ou par plaisir, bien qu’on pût, non sans raison, penser que telle était bien sa principale motivation174. En mai 1513, soit deux mois à peine après son couronnement, Léon X, accompagné de quatre cardinaux, et de son frère Giuliano, se rendit chasser pour la première fois, comme pape, dans la campagne romaine. À partir de ce moment, on le verra presque à chaque automne consacrer deux mois aux diverses formes de chasse pratiquées à l’époque: chasse à courre, chasse au faucon, chasse au filet et, cela, dans la zone comprise entre Rome et Viterbe où abondaient forêts et terres giboyeuses pour la plupart propriétés des Farnèse et des Orsini, sans doute fort heureux, les uns et les autres, de l’y accueillir175. Viendront s’ajouter en cours d’année, aussi bien au printemps qu’à l’été, parfois même à l’hiver, de plus courtes escapades variant d’une journée à une ou deux semaines, organisées, elles, pour la plupart à partir de la Magliana, villa suburbaine datant, nous l’avons, de l’époque d’Innocent VIII, mais dont Léon X entendait faire tout à la fois un lieu de retraite privilégié et un pavillon de chasse, au sens propre du terme, et non plus seulement comme au temps de Jules II un simple lieu de passage ou d’étape. D’où les travaux considérables qui s’y poursuivront durant tout son règne, consistant, d’une part, à agrandir et embellir considérablement l’édifice existant et, de l’autre, à aménager, près de là, de vastes écuries capables d’accueillir les chevaux et valets des centaines d’invités qui parfois se joignaient au pape pour des battues dans les bois et taillis environnant176. Notons, au passage, qu’en raison des longs et fréquents séjours qu’y faisait Léon X, La Magliana était vue par plusieurs à l’époque comme une sorte d’annexe du Vatican, le pape y donnant parfois audience, aux ambassadeurs entre autres, y signant bulles et brefs et, par ailleurs, en profitant pour s’offrir dans un cadre plus intime qu’à Rome –– ce qui ne devait pas lui déplaire –– les plaisirs de la musique, du théâtre, du jeu et de la bouffonnerie177. À ce sujet, voir von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 387. Coffin, The Villa cit., p. 124. Dès juillet 1513, le cardinal Alexandre Farnèse, le futur Paul III, avait invité Léon X à chasser avec lui dans la région de Viterbe. Ne pouvant à ce moment se libérer, le pape avait dû à regret refuser cette invitation, mais il en accepta avec empressement une autre que ledit cardinal lui fit en janvier 1514. Ibid., p. 385. 176 Voir Chapitre III, p. 167-168. Il arrivait aussi que Léon X chasse à Rome même, plus exactement dans les thermes de Dioclétien où le cardinal Ascanio Sforza avait aménagé quelques années plus tôt un enclos regroupant quantité de cerfs et de daims. Rodocanachi, Le pontificat de Léon X cit., p. 175. 177 Coffin, The Villa cit., p. 124. 174 175
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Pastor, si admiratif par ailleurs de certains traits de caractère de Léon X, trouve inconvenant, scandaleux même que celui-ci ait consacré tant de temps et d’argent à une activité depuis longtemps interdite aux clercs et que surtout il l’ait fait de façon aussi ostentatoire178. Les diplomates en poste ou de passage à Rome déploreront eux aussi les longues et fréquentes absences de ce pape chasseur, mais pour des raisons ayant plus à voir avec la politique qu’avec la morale, ces absences les obligeant à passer des jours, parfois des semaines à le suivre ou à le poursuivre en quête d’audiences qu’ils n’arrivaient pas toujours à obtenir, surtout durant la longue saison des chasses d’automne179. Chose certaine, il fut le seul pape du XVIe siècle à avoir fait l’objet de pareils reproches, car il fut, et de loin, le seul à s’être investi à ce point dans la chasse, type de divertissement paraissant encore à son époque convenir à des cardinaux, mais qui était déjà et sera de plus en plus vu par la suite comme contraire à la dignité papale. De fait, Léon X fut le dernier pape chasseur. Ni son cousin, Clément VII, qui, pourtant, comme cardinal, l’avait accompagné dans certaines de ses plus mémorables expéditions180, ni son émule, Paul III, qui partageait sa passion et l’avait à diverses reprises accueilli dans ses vastes domaines du Patrimonio181 ne semblent avoir été tentés de le suivre sur ce terrain. Marco Foscari, ambassadeur de Venise, disait du deuxième pape Médicis qu’il préférait les discussions philosophiques et théologiques à la chasse et à tout autre passe-temps du genre. Ce qui pourrait expliquer le fait qu’il s’était doté d’une villa suburbaine, connue par la suite sous le nom de Villa Madama, mise en chantier du vivant de Léon X et dont il projetait de faire son lieu de repos, la Magliana et son pavillon de chasse n’ayant manifestement pour lui que peu d’intérêt. Il ne s’y rendra d’ailleurs que deux fois durant son long pontificat182. Il était plutôt du genre casanier. À part ses voyages « politiques »: ceux de Bologne en 1529-1530, puis 1532, celui de Marseille en 1533 ou encore sn « exil » forcé à Orvieto et Viterbe de 1527 à 1528 suite au sac de Rome, déplacements qui étaient tout sauf des moments de loisir, on le vit rarement s’éloigner de sa capitale. Paul III, au contraire, était très attiré par la Magliana et s’efforcera de lui redonner vie et comme lieu de repos et comme rendez-vous de chasse, mais, tel Jules II avant lui, non pas dans son intérêt, mais dans celui de sa Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 391. Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 64. id., Le pontificat de Léon X cit., p. 177. 180 id., La première Renaissance cit., p. 66. 181 Coffin, The Villa cit., p. 124, 127. 182 Ibid., p. 127. Dès 1525, Clément VII consacre 100 ducats par mois à la construction de la future villa Madama et rend fréquemment visite au chantier en question tout en profitant des aménités de la « vigne » qui y existe déjà. ASR, Cam. I: 1489, passim. D’autres membres de la famille font de même, telle Lucrezia Salviati sa cousine, sœur de Léon X qui le 25 avril de cette même année va y prendre un repas en bonne compagnie. Ibid., fol. 73v. 178 179
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famille et de ses proches qui, habités eux aussi par la passion de la vénerie, ne demandaient pas mieux que d’ajouter ce lieu magique à tous ceux dont ils disposaient déjà183. Il faut dire que Paul III avait 67 ans au moment de son élection. L’heure de la chasse à courre était sans doute pour lui passée. Son successeur immédiat, Jules III, élu à un âge moins avancé, viendra à diverses reprises se reposer à la Magliana durant les premières années de son règne et y participera à des excursions de chasse en compagnie de son frère Baldovino et de ses deux favoris, les cardinaux Crescenzio et del Monte, mais souffrant de la goutte et ayant entrepris la construction dans la proche banlieue de Rome d’une villa bien à lui, la Villa Giulia, il abandonnera la Magliana et, par le fait même, la pratique de la vénerie en faveur de passe-temps plus sédentaires184. Il sera de fait le tout dernier pape à avoir goûté aux plaisirs de la chasse. Aucun de ces successeurs ne pratiquera ce sport, voire s’y intéressera, à l’exception peut-être de Pie IV qui, bien que non chasseur lui-même, n’en encouragera pas moins son neveu le cardinal Borromée –– le futur saint! –– à organiser des battues à la Magliana pour l’un ou l’autre grand personnage de passage à sa cour, ce que celui-ci fera, durant quelques années du moins, avec grande diligence, peut-être même plaisir185. Preuve qu’un cardinal pouvait encore à l’époque s’occuper de vénerie. On en verra même certains s’y livrer à la toute fin du XVIe siècle186. Mais, à partir du règne de Paul III, peut-être même de Clément VII, il paraîtra de plus en plus difficile, voire risqué pour un pape de le faire, tant le mouvement réformiste gagnait chaque jour un peu plus de terrain en attendant qu’il ne triomphe à Trente en 1564 avec l’adoption de règles très sévères concernant le mode de vie des clercs dont l’une réitérant l’interdiction depuis longtemps faite à ces derniers de se livrer à la chasse, en particulier à la chasse à courre187. Les papes avaient fini par comprendre qu’en ce domaine comme en tant d’autres, il leur faudrait désormais prêcher d’exemple. Nous ne pouvons clore les quelques pages que nous venons de consacrer à la chasse telle que pratiquée par les papes du XVIe siècle sans nous poser la question du rapport qu’ils entretenaient avec la gent animale. Notons tout d’abord que ce rapport était pour le moins ambigu. En effet, alors que, d’une part, ils ne reculaient devant aucune violence, voire cruauté face à la bête traquée, puis, éventuellement, mise à mort –– et cela Coffin, The Villa cit., p. 127. Ibid. 185 Ibid., p. 128-131. Même si Paul IV ne pratiqua à aucun moment la chasse, il n’est pas sans intérêt de noter que ses neveux le firent avec passion. BAV, Urb. lat. 1038, fol. 342v et passim. 186 Coffin, The Villa cit., p. 130-131. 187 M. Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, Lyon 1770, p. 536. 183 184
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était particulièrement vrai lorsqu’il s’agissait de gros gibier ––, de l’autre, ils traitaient avec le plus grand soin les animaux auxquels ils faisaient appel pour les seconder dans les divers types de chasse auxquelles ils se livraient. Léon X s’était constitué une imposante meute de chiens de diverses races: limiers, lévriers, braques, entre autres, les uns achetés un peu partout en Europe, les autres reçus en cadeaux. Son grand veneur, le cardinal d’Aragon, lui en avait, à lui seul, trouvé et fait expédier 250 en 1517188. Il possédait en outre un léopard fort bien dressé avec lequel il lui arrivait de chasser189. Et que dire des chevaux, indispensables auxiliaires de la chasse à courre et d’ailleurs entraînés à cet effet, qu’il gardait en grand nombre dans ses écuries de Rome et de la Magliana190. Mais il y avait aussi les animaux de proie: faucons, dont certains venus d’aussi loin que la Crète, autours de Grèce et d’Arménie, sacres de Venise qui, eux, servaient à la chasse au petit gibier191. Paul III, plus tard, mettra à la disposition de ses fils et petits-fils, comme lui passionnés de chasse, outre les meutes de chiens et les chevaux de rigueur, une impressionnante collection, comme chez Léon X, d’autours, de faucons, de sacres, mais aussi de gerfauts, de tiercelets, d’éperviers et d’aigles192. De tous les plaisirs que procurait la vénerie, la présence de ces animaux d’une exceptionnelle habileté aux côtés de leurs maîtres respectifs ne devait pas être celui que ces derniers prisaient le moins. Et, cela, d’autant plus que ces précieux auxiliaires, grands ou petits, brillaient, les uns, par leur force et leur endurance, d’autres, par leur élégance, d’autres encore, par leur beauté. Paolo Giovio, biographe de Léon X, le représente assis un jour dans son jardin de la Magliana et suivant, à l’aide d’une lunette d’approche, avec grand intérêt et sans doute admiration, un de ses faucons sur le point de capturer une proie193. Cette scène, prise sur le vif, est, à elle seule, d’une particulière éloquence. Qu’il s’agisse de leurs chevaux ou de leurs meutes de chiens, qu’il s’agisse de leurs oiseaux de proie, tout semble indiquer que les papes chasseurs de l’époque, et un Léon X en particulier, étaient très attachés à ces créatures qui, à plus d’un titre, agrémentaient leur vie en même temps qu’elles donnaient un lustre particulier et souvent envié à leur cour. 188 Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 63-64. L. Bonis, Animaux, dans DHP, p. 100. A. Chastel, Le cardinal Louis d’Aragon. Un voyageur princier de la Renaissance, Paris 1986, p. 38-39, 111-112, 206. 189 Bonis, Animaux cit., p. 101. Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 64. 190 En 1517, le cardinal d’Aragon, à l’occasion de son célèbre périple européen, lui expédie par voie de terre, en même temps que les 250 chiens plus haut mentionnés, expédiés eux par bateau, 28 chevaux de ce type. Ibid. 191 Ibid., p. 63-64. Bonis, Animaux cit., p. 100. Coffin, The Villa cit., p. 125. 192 Bonis, Animaux cit., p. 100. 193 Coffin, The Villa cit., p. 127.
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Mais cet attachement et les raisons qui le fondaient, nous les retrouvons par rapport à une autre catégorie d’animaux, pour la plupart, ceux-là, sauvages ou encore exotiques qui formaient la ou les ménageries que depuis des siècles, les papes, à l’instar des princes de leur temps, entretenaient à proximité de leurs résidences principales. S’inspirant de l’exemple d’un Boniface VIII, puis de celui des papes d’Avignon, aussitôt rentrés à Rome au début du XVe siècle, les successeurs de ces derniers, à commencer par Martin V, se feront, à leur tour, collectionneurs d’animaux exotiques. Mais la première véritable ménagerie (serraglio) au sens fort du terme, c’est à Léon X –– encore lui –– qu’on la doit. Il faut dire que le premier pape Médicis avait sur ses prédécesseurs l’avantage d’avoir été durant toute son enfance en contact avec force lions, tigres, guépards, ours, singes et autres créatures sauvages ou exotiques dont son grandpère, Côme l’Ancien, et son père, Laurent le Magnifique avaient fait l’acquisition et exhibaient fièrement dans la ménagerie familiale ou encore les jours de fête, sur l’une ou l’autre des places de Florence, lors de combats entre animaux sauvages et domestiques organisés pour l’occasion. La ménagerie de Léon X comprendra, en un premier temps, un enclos situé à proximité du Belvédère où étaient regroupés lions, léopards, singes, civettes, ours; plus tard, dans la partie accidentée des jardins du Vatican, de nouveau, léopards, lions –– dont plusieurs offerts au pape en hommage au nom qu’il avait choisi ––, mais également panthères194. À noter toutefois qu’à un certain moment le pape jugea bon exhiber les lions en question dans des cages placées dans les arcades du corridor reliant le Vatican au Château Saint-Ange. On sait par ailleurs que sa collection s’enrichit vers 1520 de chameaux qu’il fit défiler au moins une fois à l’occasion du « Jeudi gras »195. Et puis, il y avait ailleurs, dans les jardins du Vatican, un bel assortiment de cerfs, faisans, dindons rivalisant avec les paons blancs qui, eux, agrémentaient les jardins du Château Saint-Ange196. Mais celui qui aurait pu facilement être la vedette de cette riche ménagerie et qui, de fait, pendant un certain temps, le fut était un humble caméléon que Léon X avait peut-être hérité de son prédécesseur immédiat, Jules II197. Malheureusement 194 Bonis, Animaux cit., p. 100. S. A. Bedini, The Pope’s Elephant, Harmondsworth 2000, p. 82-84. En accordant autant d’importance à sa ménagerie, Léon X se situait dans une longue tradition qui voulait que tout « prince » digne de ce nom dispose d’un pareil « trésor » qu’il était l’un des seuls à pouvoir se payer et qui servait par le fait même à montrer à quelle hauteur se situaient son prestige et son pouvoir. À ce sujet, voir D. M. Pastoureau, Les ménageries princières: du pouvoir au savoir (XIIe-XVIe siècle) dans Micrologus, XVI (2008), p. 3-30. 195 Bonis, Animaux cit. Rodocanachi situe en 1520 l’arrivée d’un de ces chameaux. Le pontificat de Léon X cit., p. 179. 196 Ibid. 197 Bedini, The Pope’s Elephant cit., p. 84. Jules II était en effet propriétaire de quelques animaux exotiques, dont un caméléon, qu’il avait installés au Belvédère. Bonis, Animaux cit., p. 100. Animal rare et assez peu connu, le caméléon était considéré à l’époque comme une curiosité.
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pour cet étrange animal, objet à l’époue de beaucoup de curiosité, un nouveau « pensionnaire », don du roi du Portugal, Manuel Ier, fit son apparition à la cour pontificale en 1514 et lui ravit aussitôt la première place. Le nouveau venu était un éléphant du nom de Hanno que le souverain portugais avait fait venir de la lointaine Inde en vue de l’offrir à Léon X, récemment élu, et qui, après un long et périlleux voyage, avait fait le 19 mars son entrée, et une entrée remarquée, dans la Ville Éternelle. Le pape s’attacha aussitôt à ce fort imposant, mais par ailleurs très docile animal et ne manqua jamais une occasion de le faire paraître en public au grand plaisir de ses sujets romains, mais aussi de nombreux visiteurs attirés dans la ville par la renommée que s’était rapidement acquise en Italie et ailleurs cette extraordinaire créature. La mort de cette dernière deux années plus tard fut cruellement ressentie par Léon X qui avait développé pour elle une affection toute particulière198. À la longue liste des animaux sauvages ou semi-sauvages dont nous venons de faire état, appartenant pour la plupart à la ménagerie de Léon X, il importe d’ajouter celle de leurs congénères recrutés, eux, presque tous, parmi la gent ailée et qui jouaient plutôt le rôle d’animaux de compagnie vivant sinon à l’intérieur, du moins à peu de distance des appartements de leurs maîtres, permettant ainsi d’avoir avec ces derniers des rapports allant bien au-delà de la simple curiosité. Nous avons vu au chapitre III que Jules II s’était fait construire sur la terrasse du toit coiffant ses appartements privés une imposante volière (uccelleria) abritant les nombreux oiseaux qu’au fil des ans il s’était procurés ou lui avaient été offerts199. Cet amoureux de la nature, comme tant d’autres personnages de son temps, voyait sans doute là une façon pratique et des plus agréables de maintenir, à l’intérieur même de son lieu d’habitat, un contact direct avec cette même nature200. Il fit de fait de sa volière un lieu de détente et de repos201. Léon X partageait cette même passion et installa à son tour, mais un étage plus haut, une uccelleria 198 Sur l’extraordinaire odyssée de l’éléphant de Léon X, se reporter à Bedini, The Pope’s Elephant cit., p. 26-28. 32-58, 78-110, 137-162. À noter que le roi du Portugal avait en même temps offert au pape toute une série de fauves et d’animaux exotiques provenant d’Afrique et d’Asie qui faisaient déjà partie de ses propres ménageries. Ibid., p. 27. À noter surtout qu’il avait projeté de lui envoyer plus tard un rhinocéros qui, malheureusement, fut en février 1515 victime d’un naufrage tout près de la Spezia au grand chagrin du pape qui se voyait ainsi privé d’une autre extraordinaire créature. Ibid., p. 111-1367. 199 Cf. chapitre III, p. 130 et note 30. Voir également Portoghesi, Roma cit., II, p. 418. La volière fut construite entre novembre 1508 et novembre 1509. 200 Un bel exemple de cet attachement à la gent ailée et de la place qu’on lui faisait dans les grandes maisons de l’époque nous est fourni par le cardinal Giovanni Salviati, neveu de Léon X, qui ne recula devant aucune dépense pour se doter à partir des années 1520 d’une des plus belles volières de Rome. Cf. Hurtubise, Une famille-témoin cit., p. 278. 201 Portoghesi, Roma cit., II, p. 418.
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grouillante d’oiseaux aux multiples chants et coloris202. Ces oiseaux étaient confiés à son maître de la garde-robe203. À noter qu’il disposait par ailleurs à la Magliana d’une seconde volière où il gardait pigeons, hérons, pies et autres volatiles du genre capturés par les paysans des environs et dont certains s’empressaient de lui faire don204. Léon X avait en plus une très belle collection de perroquets dont l’un, conformément à une tradition remontant au XIVe siècle, figurait probablement à l’occasion dans la salle homonyme (Sala del Pappagallo) qui servait à diverses fonctions palatines205. Paul III, comme lui, grand amateur d’oiseaux de proie, ne semble pas toutefois avoir été son émule en ce qui concerne les oiseaux d’agrément, mais il n’en possédait pas moins un certain nombre, comme chez Léon X confiés à son garde-robe, dont –– tradition oblige –– quelques perroquets206. À noter, par contre, qu’en termes d’animaux de compagnie, sa préférence allait et de loin à une petite chienne à laquelle il était très attaché et pour laquelle il fit faire en 1536 un collier orné de huit grelots d’argent207. Caprice d’un pape vieillissant ou indice d’un nouveau type de sensibilité vis-à-vis de la gent animale? L’un et l’autre peut-être. Chose certaine, nous voilà loin, très loin même des limiers, dogues et braques que ses fils et petits-fils lançaient à la poursuite des cerfs, daims et sangliers du Patrimonio. 202 En effet, la volière de Jules II étant disparue pour faire place à un nouvel étage ajouté par Raphaël, c’est sur la terrasse de ce nouvel étage que Léon X installa sa propre volière. Ibid. 203 Bonis, Animaux cit., p. 100. 204 Coffin, The Villa cit., p. 125. 205 Sur la présence de perroquets à la cour de Léon X, voir Rodocanachi, Le pontificat de Léon X cit., p. 179; Bonis, Animaux cit.; Bedini, The Pope’s Elephant cit., p. 84. Sur leur présence dans la salle du même nom et sur la symbolique justifiant cette présence, nous renvoyons à notre chapitre III, p. 134 et note 39. Paul III semble bien lui aussi avoir respecté cette tradition. En juillet 1537, il fait fabriquer au coût de 10 écus –– somme considérable –– une cage en noyer pour « le » perroquet, c’est-à-dire manifestement celui qui était appelé à jouer le rôle symbolique qui était le sien. Cf. Dorez, La cour cit., II, p. 136. 206 À ce sujet, voir Ibid., II, p. 35, 102, 136. Jules III, se souvenant sans doute de l’attachement de Jules II à sa volière –– n’oublions pas qu’il avait été membre de la cour de ce dernier –– n’hésitera pas à faire de même, en hommage peut-être à son ancien « patron », et dès le début de son pontificat, installera une semblable volière dans une loggia près de ses appartements. Le 27 juin 1550, il achète douze abreuvoirs et six vasques (« vaselli ») pour le bain destinés aux futurs « habitants » de ladite volière. ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito 1550, fol. 25v. Deux jours plus tard, il acquiert 38 oiseaux qui furent probablement les premiers de ces « habitants ». Ibid., fol. 26r. 207 Bonis, Animaux cit., p. 101. Dorez, La cour cit., II, p. 3. Comme nous l’avons montré à la note précédente, Jules III était beaucoup plus intéressé que Paul III aux oiseaux de compagnie, mais sur un point il lui ressemble, en ce sens qu’il avait un attachement très particulier à un oiseau, en l’occurrence une grive (« tordo ») pour laquelle il fera faire dès le 17 mai 1550 une cage à elle seule réservée (ASR, Cam. I: 1295. Introito et Exito 1550, fol. 17v) et, cela, plus d’un mois avant l’installation de la volière destinée, elle, aux 38 oiseaux acquis le 29 juin, grive qui aura en plus droit à sa propre vasque pour le bain. Ibid., fol. 25v.
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Amateurs de chasse, de chasse à courre notamment, avides collectionneurs d’animaux sauvages, pour bon nombre exotiques, tout aussi entichés d’oiseaux d’agrément dont ils goûtaient la compagnie, les papes de la Renaissance, à l’instar de leurs vis-à-vis séculiers, privilégiaient un rapport à la nature digne de l’image qu’ils entendaient à l’époque projeter d’eux-mêmes. Paul III annonce un nouveau type de rapport tout à la fois moins agressif et moins ostentatoire, mais capable tout de même, lui aussi, d’assurer, comme le recommandaient les médecins des « grands » de l’époque, une bonne hygiène du corps et de l’esprit. C’est le choix que feront les papes de la seconde moitié du XVIe siècle. Restaient à leur disposition divers autres exercices de plein air, entre autres, les chevauchées et la marche que plusieurs d’entre eux pratiqueront d’ailleurs avec passion sinon fougue. Paul III ne chassait plus, mais il n’avait pas pour autant renoncé à parcourir chaque année, des semaines durant, les vastes espaces champêtres ou boisés qu’il avait appris à connaître et aimer comme cardinal, en particulier ceux appartenant à sa famille et, cela, par souci d’abord et avant tout de refaire périodiquement ses forces qu’il sentait à l’époque décliner208. Paul IV mis à part qui, comme Clément VII avant lui, était plutôt un sédentaire, mais un sédentaire qui, malgré son âge avancé, restait d’une étonnante vigueur, tous les successeurs de Paul III sentiront, pour les mêmes raisons que lui, le besoin de bouger, de quitter leur palais, de se déplacer dans la ville ou la campagne environnante, parfois à pied, parfois à cheval, en vue d’éviter l’ataxie et la cachexie, maux auxquels, selon l’auteur du De Cardinalatu, ils étaient de par leur fonction inévitablement exposés209. Le champion en la matière fut sans conteste Pie IV. Sujet à l’embonpoint en raison probablement de son goût prononcé pour la lourde cuisine milanaise, il comprit très tôt que sa meilleure riposte était l’exercice physique, en particulier la marche qu’il pratiquait régulièrement. C’est en marchant qu’il récitait chaque jour l’office. C’est à pied également que très souvent il circulait dans Rome, visitant l’un ou l’autre des chantiers que comptait alors la ville ou encore quelque palais ou monument qui l’intéressait ou lui était cher. Il était particulièrement attiré par la villa Giulia où, en raison de la distance à parcourir, il se rendait à cheval, mais d’où, après avoir déjeuné en agréable compagnie, il partait à pied à l’assaut des collines environnantes, admirant au passage le vaste panorama qui s’offrait à ses yeux et faisant halte dans quelque villa appartenant à l’un ou l’autre cardinal ou prélat. Les contemporains notent qu’il marchait toujours d’un pas alerte, très alerte même et que les membres de sa suite, les cardinaux en 208 209
Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 235. Dorez, La cour cit., II, p. 236. Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 61.
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particulier, peinaient à le suivre210. Son successeur immédiat, l’ascétique Pie V, qui, lui, ne souffrait aucunement d’embonpoint, et pour cause, n’en était pas moins comme Pie IV un grand adepte de la marche. À l’automne, il se rendait chaque matin à pied à sa modeste villa de Porta Cavalleggeri où il trouvait le calme et le silence qui lui manquaient au Vatican. Mais ses promenades favorites et, de loin, les plus fréquentes consistaient en la visite d’églises ou de chapelles qu’il affectionnait tout particulièrement et où il se rendait prier. On disait qu’à l’instar de son prédécesseur, il marchait lui aussi à grands pas, ce qui n’était pas sans faire le désespoir de ceux qui l’accompagnaient211. Grégoire XIII ressentait tout autant sinon plus qu’eux le besoin de bouger. Il craignait à ce point la sédentarisation que souvent il se tenait debout plutôt qu’assis pour travailler. L’été, il consacrait au moins une heure avant le repas du soir à se promener dans la loggia voisine de ses appartements ou dans les jardins jouxtant le palais apostolique, mais c’est à l’extérieur de l’enceinte vaticane qu’il ira chercher l’air frais et les grands espaces dont il était friand, cette même enceinte n’étant pas en mesure de les lui offrir. Durant les chauds mois d’été, il ira, au départ, s’installer, comme d’autres avant lui, au palais San Marco avant de découvrir plus tard l’air salubre et les merveilleux jardins de la villa du cardinal d’Este coiffant le sommet du Quirinal où il décidera de se construire à partir de 1582 une villa de son cru. Parallèlement il fera de plus ou moins brefs séjours, en 1573, par exemple, à Tivoli, hôte du cardinal d’Este, en 1578, à Caprarola, Bagnaia et Capodimonte, invité du cardinal Farnèse, en 1579, à la villa, suburbaine celle-là, que le cardinal de Médicis possédait au faîte du Pincio. Mais son refuge de prédilection fut durant de nombreuses années la villa Sittich à Frascati –– elle sera connue plus tard, en son honneur, sous le nom de villa Mandragone –– où, au printemps tout d’abord, puis, progressivement, durant l’été et l’automne, il fera des séjours de huit, dix, parfois même quinze jours, accompagné habituellement de son secrétaire d’État, Tolomeo Galli, son neveu, le cardinal Boncompagni et son fils, Giacomo. Chaque matin, il se rendait, selon le cas, à pied, en litière ou à cheval, dans une des églises environnantes où il assistait dévotement à la messe. Il en faisait tout autant, notons-le, lorsqu’il séjournait l’été au palais Saint-Marc. Mais, à Frascati, il faisait en plus chaque jour de longues marches pouvant parfois totaliser jusqu’à quatre milles. Il se félicitait lui-même du grand bien que cela lui faisait. On s’en rendait d’ailleurs bien compte à Rome, le voyant chaque fois revenir, de Frascati en particulier, frais et dispos, certains disaient même: rajeuni. Est-il besoin d’ajouter qu’à Rome même, il se déplaçait volontiers dans la ville, encore là, à pied, en litière ou à cheval, attiré, comme Pie V, 210 211
Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 69. Ibid., VIII, p. 40.
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par certaines des dévotions alors en vogue, telle, nous l’avons vu, la visite des Sept Églises212. Homme d’action, infatigable travailleur, Sixte V n’était pas du genre à s’offrir, à l’exemple de nombre de ses prédécesseurs, des moments de détente ou de loisir. Il consacrait beaucoup de temps à la marche, mais contrairement à ces derniers, il ne concevait pas cet exercice comme ayant une valeur en soi, c’est-à-dire pour employer la formule de Léon X, comme permettant de s’« éloigner des soins et des fatigues » occasionnés par les lourdes tâches et responsabilités papales. Les deux heures qu’il consacrait tôt chaque matin à déambuler de long en large dans la cour du Belvédère étaient entièrement consacrées à régler des affaires. Il lui arrivait assez souvent de donner audience tandis qu’il se promenait de la sorte, que ce fût au Vatican ou ailleurs. Les longs séjours, l’été surtout, qu’il faisait à sa villa de Sainte-Marie-Majeure ou encore à celle que lui avait laissée Grégoire XIII au Quirinal avaient essentiellement pour but de fuir l’accablante chaleur et le mauvais air du Vatican à cette saison de l’année et non de se payer du bon temps, car il s’imposait là, comme si cela allait de soi, les mêmes horaires et les mêmes rythmes de travail qu’au palais apostolique213. Clément VIII était lui aussi un bourreau de travail avec cette différence toutefois qu’étant sujet à l’embonpoint et à la goutte, il s’imposait, sur ordre de ses médecins, de longues marches aussi bien à Rome qu’à Frascati, mais ces marches étaient plutôt du type que décrivait Léon X, c’est-à-dire servant d’abord et avant tout à se remettre physiquement et moralement, car, il ne faut pas l’oublier, Clément VIII était aussi porté à l’anxiété, même si parfois, unissant l’utile à l’agréable, il lui arrivait de profiter de l’occasion pour deviser familièrement avec quelque personnage reçu par lui en audience214. Nous verrons plus loin qu’il savait aussi, à l’encontre de Sixte V, se ménager des moments de pure détente. Nous avons vu jusqu’ici que tous les papes ou presque de la première moitié du XVIe siècle avaient su se réserver de tels moments et que certains, un Léon X surtout, l’avaient fait avec un abandon que Pastor n’a pas craint de taxer d’excessif. Ils ne furent pas tous des Léon X, loin s’en faut, mais tous en général avaient comme lui à cœur de faire place à l’otium dans leur vie de tous les jours et, à cette fin, de s’entourer de beaux esprits, de belles voix, de talentueux instrumentistes, voire d’acteurs et de plaisantins capables de les enchanter, de les charmer ou, tout simplement, certains jours, de les divertir. Mélomane averti –– on disait d’ailleurs qu’il avait une très agréable voix ––, Clément VII fit la fortune du chœur de la Ibid., IX, p. 32-36. Ibid., X, p. 45-46. 214 Ibid., XI, p. 25-27. Voir aussi Mols, Clément VIII cit., col. 1294. 212 213
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chapelle Sixtine qui, sous son règne, connut incontestablement son « âge d’or », mais il s’entoura par ailleurs de musiciens de talent –– il aurait même, semble-t-il, conservé l’ensemble vocal (musica secreta) qu’avait créé son cousin, Léon X –– à qui il demandait d’agrémenter, certains jours de fête en particulier, les repas qu’il prenait avec des proches ou des invités triés sur le volet. On dit même qu’un jour il aurait interrompu une sérieuse conversation pour écouter un claveciniste qui s’exécutait dans l’appartement où il se trouvait215. Mais ce fut peut-être là son seul véritable divertissement. Sa cour comptait au moins deux bouffons dont l’un, Andrea Marone, venu de la « famille » de son cousin, Léon X, mais ni l’un ni l’autre ne semblent avoir joué un rôle digne de mention216. Paul III partageait l’amour d’un Léon X pour les arts et les lettres et aurait sans doute été tenté de se faire l’émule de ce dernier, mais le temps n’était plus à ce genre d’extravagance et il limitera considérablement le nombre de litterati, de musiciens et de « joyeux drilles » invités à faire partie de sa cour. De fait, selon toute vraisemblance, celle-ci ne comptera que deux musiciens et deux bouffons. Toutefois, en bon père de famille qu’il était, cela ne l’empêchera pas de multiplier les fêtes au Vatican où figuraient, réunis pour l’occasion, chanteurs, instrumentistes, improvisateurs, mimes et bouffons pour le plus grand plaisir de sa proche parentèle et clientèle217. Jules III était comme Léon X passionné de musique et de théâtre, bien qu’à l’instar de son prédécesseur, le pape Farnèse, il n’entretenait en tout et partout à sa cour que trois musiciens et deux bouffons. Mai il aimait s’amuser et, pour lui, tout était prétexte à la fête, spécialement durant la saison du Carnaval. Cela pouvait prendre la forme de pièces de théâtre, et de pièces parfois fort osées comme au temps du premier pape Médicis, mais cela trouvait surtout à s’exprimer en termes de repas plantureux et bien arrosés s’étendant sur plusieurs heures et parfois tard dans la nuit. Repas où, à titre d’hôte, soit au Vatican, soit dans sa villa de Porta Flaminia, ou encore, à titre d’invité, ailleurs à Rome ou dans sa banlieue, il se livrait, en compagnie de ses proches, femmes y comprises, mais parfois aussi de cardinaux et autres distingués personnages, aux plaisirs tout à la fois de la table et de la conversation, une conversation, il faut le dire, habituellement assaisonnée de propos libres, pour ne pas dire grivois, les siens y compris, 215 R. Sherr, Clement VII and the Golden Age of the Papal Court, dans The Pontificate of Clement VII, éd. M. Gouwens — S. Reiss, Aldershot 2005, p. 228-234. 216 E. Rodocanachi, La cour d’Adrien VI et de Clément VII, Paris 1933, p. 65. Marone avait dû quitter Rome à l’arrivée d’Adrien VI. C’est Clément VII qui l’y avait rappelé. Mais ledit Marone mourut de chagrin et de faim suite à la mise à sac de sa maison lors de l’incursion des Colonna à Rome en mars 1528. Ibid., p. 223. Notons, par contre, qu’aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Adrien VI avait un bouffon, un certain Toccino, amené d’Espagne qui l’égayait durant ses repas et lui servait par ailleurs d’espion. Ibid., p. 59. 217 Von Pastor, Storia dei papi cit., V, p. 232-236. Dorez, La cour cit., I, p. 54-58, 225-232, 298.
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qui, de toute évidence, le comblaient d’aise et, à en croire certains témoignages d’époque, ne semblaient pas déplaire à ses commensaux218. Il n’en allait toutefois pas de même de certains membres de son entourage, un cardinal Carafa en particulier, qui avaient une tout autre idée de ce que devait être l’emploi du temps d’un souverain pontife dans une Église qui, à leurs yeux, était en mal de réforme et de conversion. De fait, qu’il en eut conscience ou non, Jules III était le tout dernier de ceux qu’on appellera plus tard et qu’on appelle encore aujourd’hui papes de la Renaissance. Les mots « délassement » et « divertissement » n’auront désormais plus le même sens ni surtout le même contenu pour la plupart de ses successeurs. À commencer par ce cardinal Carafa qui avait été un de ses plus acerbes critiques et qui, après le très court règne de Marcel II, accédera en 1555, sous le nom de Paul IV, au trône pontifical. Adieu beaux esprits, musiciens, poètes, comédiens et surtout bouffons. Gian Pietro Carafa n’avait que faire de ces marchands de « mondanité ». Il n’y avait place dans son quotidien que pour le « politique » et le « religieux ». Tout le reste, à ses yeux, n’était que frivolité. Il découvrira, mais un peu tard, que son neveu et favori, Carlo, ne partageait pas, sur ce point du moins, sa vision des choses. Il le lui fera, nous l’avons vu, chèrement payer. En ce qui le concernait lui-même, le seul moment de détente qu’il se permettait était de s’entretenir, mais uniquement de choses sérieuses, très sérieuses même, avec les quelques hôtes qu’il recevait à sa table219. Ce même modèle qui, par bien des côtés, semblait s’inspirer de l’ora et labora du monachisme bénédictin, on le retrouve chez un Pie V, un Grégoire XIII et un Sixte V, avec cette différence toutefois que, poussant plus loin la logique du modèle en question, ces trois papes l’adopteront même en ce qui concernait les repas. Ainsi Pie V faisait-il précéder et suivre ces derniers de longues prières, imposant par ailleurs durant le repas lui-même la lecture de quelque texte propre à nourrir l’esprit et le cœur, ce qui ne laissait à ses convives et à lui-même d’ailleurs pas d’autre choix que d’observer le silence le plus complet220. Il faut dire qu’étant religieux, membre de l’ordre dominicain, Pie V se sentait sans doute parfaitement à l’aise avec cette façon de faire. Grégoire XIII qui, lui, au contraire, appartenait au clergé séculier et avait même certaines préventions à l’endroit des religieux, n’en adoptera pas moins cette même coutume qui, pour l’ascète qu’il était, présentait en outre l’avantage de pouvoir expédier rapidement les déjeuners et dîners faisant partie de sa routine quotidienne, le tout étant habituellement réglé tout au plus en une demi-heure221. Sixte V aurait bien voulu Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 46. Ibid., p. 347. 220 Ibid., VIII, p. 38. 221 Ibid., IX, p. 31. 218 219
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suivre cet exemple, mais ses médecins lui ayant interdit la sieste après le repas du midi, il restait, une fois terminé ce dernier, un assez long moment à table, moment qu’il occupait soit à des discussions animées avec ses proches soit à se faire lire des ouvrages ou des documents pouvant l’intéresser ou lui être de quelque utilité222. Ni chez lui, ni chez Grégoire XIII, ni chez Pie V –– et on pourrait en dire autant de Paul IV ––, n’y avait-il place pour le ludique au sens que l’on donne habituellement à ce terme. Fait significatif, aucun de ces papes ne toléra à sa cour la présence de bouffons. Pie V, par exemple, s’empressa de chasser celui que lui avait laissé son prédécesseur, Pie IV223. Les seules exceptions à ces régimes spartiates, c’est, sans trop de surprise, chez un Pie IV justement, mais aussi –– et cela est plus inattendu –– chez un Clément VIII qu’il faut les chercher. Non seulement entretinrent-ils, l’un et l’autre, au moins un bouffon à leur cour, Buccea, dans le cas du premier, Trulla, dans le cas du second, mais ils demandèrent à ces derniers de les divertir à l’occasion de repas intimes qu’assez souvent ils s’offraient ou se voyaient offrir. Pie IV était visiblement celui qui, en la matière, se permettait le plus de libertés. Sensible aux plaisirs de la table, comme Jules III avant lui, il aimait les repas copieux et bien arrosés, mais il les voulait peut-être surtout détendus, sans contrainte et, plus que tout, enjoués. Contrairement à Paul IV, il n’invitait jamais de cardinaux à sa table ou encore de doctes personnages se prenant un peu trop au sérieux: ses convives étaient, à son image, de préférence de bons vivants au verbe agile et surtout guilleret. Et, vu le caractère intime et sans apprêt des repas en question, le service était habituellement assuré par de simples valets de chambre224. Clément VIII n’ira pas jusque-là, mais tout dévot et scrupuleux qu’il était, il savait quand même à l’occasion se réserver des moments de détente pouvant prendre la forme de promenades à la campagne, d’excursions à la mer ou, comme Pie IV avant lui, mais en moins leste, de repas intimes agrémentés de facéties du nain Trulla que lui avait offert, alors qu’il était cardinal, le roi de Pologne225. Son père spirituel, Philippe Néri, qui s’y connaissait bien en facéties, ne pouvait qu’approuver, ne sachant que trop à quel point son dirigé était d’un naturel soucieux, anxieux même. Aussi bien au temps de Clément VIII qu’à celui de son lointain prédécesseur, Alexandre VI, le ludique faisait manifestement partie de la vie de la cour pontificale, cela pouvant aller de simples balades dans Rome ou dans la campagne environnante jusqu’à la chasse à courre, plaisir favori des « grands », en passant par ceux de la musique, du théâtre, du jeu et de Ibid., X, p. 45-46. Il s’agit du bouffon Buccea. Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 98. 224 Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 71. M. Smith, Pie IV, dans DHP, p. 1326. 225 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 27, 676-678. 222 223
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la « table ». Ce qui ne voulait pas dire que tous les papes du XVIe siècle accordaient au ludique la même importance et le pratiquaient de la même façon. Entre la place qu’il occupait chez un Léon X et celle que lui consentait un Paul IV, il existait, nous l’avons vu, un véritable abîme. De semblables contrastes existaient entre les autres papes du XVIe siècle, mais ils étaient en général moins accusés. Chose certaine, au fur et à mesure que triomphait l’esprit réformiste à Rome, les types de divertissement qu’on se permettait à la cour pontificale s’éloignaient de plus en plus de ceux qu’affectionnaient un Alexandre VI, un Léon X, un Paul III ou encore un Jules III. En ce domaine comme en tant d’autres, la frontière tridentine marque un point de non-retour et les quelques « libertés » prises par un Pie IV et un Clément VIII ne changent rien au fait que les papes de la seconde moitié du XVIe siècle privilégiaient, et de loin, les plaisirs innocents de la cavalcade et de la marche, plaisirs d’ailleurs souvent associés à la visite de lieux de culte où ils pouvaient se livrer aux dévotions qui leur étaient chères. Ne pourrait-on pas alors dire qu’avec eux, le « liturgique » envahissait en quelque sorte le territoire du « ludique » et que, sans trop s’en rendre compte peut-être, ils apportaient, ce faisant, chacun une pierre, modeste certes, mais néanmoins significative, à la construction de la Rome « édifiante » dont rêvait déjà en son temps leur illustre prédécesseur, Paul III. Il ne devait pas manquer de « réformistes » et de « dévots » à l’époque pour s’en réjouir. 4. La sphère domestique Nous venons de montrer de quoi étaient constituées les trois principales sphères d’activité de la cour pontificale au XVIe siècle et de jauger, dans la mesure du possible, l’importance et le poids relatif de chacune d’entre elles, d’un pape et d’un pontificat à l’autre. Il nous reste à examiner ce que nous avons choisi d’appeler la « sphère » domestique, c’est-àdire l’ensemble des rites, gestes et pratiques touchant aux aspects plus concrets, pour ne pas dire matériels de la marche de la cour: le lever et le coucher du pape, les audiences que chaque jour ou presque il accordait, le boire et le manger, l’hygiène corporelle, l’entretien et la sécurisation des lieux habités ou fréquentés par le pape, enfin, les déplacements de ce dernier dans Rome et hors de Rome. Ce qui va nécessairement nous amener à faire de nouveau état des divers services existant à la cour, de certains, plus particulièrement, qui jouaient un rôle important, pour ne pas dire essentiel, non seulement en ce qui concernait la « sphère » domestique, mais aussi les trois autres secteurs d’activité qui ont fait jusqu’ici l’objet de notre considération. Il y aurait plusieurs façons d’aborder cette autre dimension de la vie de la cour, mais le plus simple et le plus logique sans doute serait de
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nous laisser guider par la succession des activités rythmant d’une heure, d’un jour ou d’une semaine à l’autre, tout d’abord, la vie privée aussi bien que publique du pape –– car c’est autour de lui que s’articulait celle des membres de sa cour -, puis celle de ces derniers, en particulier de ceux d’entre eux appelés, à divers titres et sous diverses modalités, à servir le maître de céans, cela pouvant aller du majordome ou encore du maître de la chambre qui passaient chaque jour de longs moments à ses côtés jusqu’aux garçons d’écurie et aux balayeurs du commun qui ne le voyaient sans doute que rarement et, encore là, que de loin. C’est cette approche que nous allons privilégier ici, quitte à nous en éloigner lorsque le sujet traité nous paraîtra le requérir. Le lever et le coucher du pape. Pour bien comprendre ce dont il s’agit il faut commencer par chasser de notre mémoire les mises en scène élaborées du lever et du coucher d’un Louis XIV au XVIIe siècle dont il nous reste de nombreuses descriptions d’époque, entre autres celles bien connues du duc de Saint-Simon. Ces rites –– car il s’agissait bien de rites au sens strict du terme –– étaient on ne peut plus publics, voire solennels, rassemblant d’ailleurs une foule de personnages qui, même s’ils n’avaient pas un rôle spécifique à jouer, n’en tenaient pas moins tous à être là, car cela représentait pour eux un grand honneur et la perspective de faveurs à l’avenant226. De semblables rituels, beaucoup moins étudiés toutefois, existaient déjà à la cour d’Henri II un siècle plus tôt, mais on les trouvait aussi à la même époque et en plus pointilleux à la cour d’Angleterre227. Rien de tel chez les papes du XVIe siècle. Autant ils tenaient à ce que les moments où il leur fallait se présenter en chefs d’Église ou chefs d’État, en d’autres mots, faire acte de représentation, soient entourés d’un protocole à l’avenant, laissant manifestement voir où se situaient leur autorité et leurs pouvoirs, autant ils souhaitaient que les moments les plus intimes, plus personnels de leur vie de tous les jours soient exempts de toute ritualité, pour ne pas dire contrainte de ce genre. Ils se contentaient de la discrète présence de l’un ou l’autre de leurs camériers ou aide-camériers auxquels venaient s’ajouter, lorsque nécessaire, d’autres officiers de la chambre, le barbier par exemple, chacun aidant à sa façon le pape, le matin, à faire sa toilette, à s’habiller et à se préparer aux diverses fonctions de la journée, le soir, à se dévêtir et à se mettre au lit228. Cela supposait par ailleurs que le responsable de la garde-robe « secrète » ait tôt chaque matin remis aux camériers ou aide-camériers de service les vêtements dont le pape allait avoir besoin ce jour-là229. Il en allait de même des aquiféraires Solnon, La cour cit., p. 321-323, 326. Voir aussi F. Bluche, Louis XIV, Paris 1986, p. 522-524. Ibid., p. 139. 228 C. Evitascandalo, Dialogo del Maestro di Casa, Rome 1598, p. 9-10. 229 Ibid., p. 50. 226
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et des portefaix « secrets » qui, eux, étaient chargés de fournir chaque jour l’appartement pontifical d’eau et, par temps froid, de bois230. À noter que le ou les camériers et aide-camériers de service dormaient dans une pièce voisine de la chambre du pape afin de pouvoir être en tout temps à sa disposition, que ce fût au moment de son réveil ou encore durant la nuit231. Cesare Evitascanalo à qui nous devons cette description des diverses tâches associées au lever et au coucher des « grands » de son temps, papes y compris, prend soin de préciser qu’en dernier ressort, il appartient à chacun de ces derniers de décider de la façon dont il entend, en l’une et l’autre de ces circonstances, être servi et par qui. Ainsi, souligne-t-il, certains d’entre eux exigeront que ce soit leur maître de la chambre, d’autres un de leurs camériers, d’autres encore, un simple aide-camérier qui se charge de ces tâches on ne peut plus intimes. Il en est même, ajoute-t-il, qui préfèrent en ces circonstances se débrouiller seuls. D’autres, tout à l’opposé, insistent pour que l’un des camériers ou aide-camériers présents à leur côté au moment du coucher passe la nuit dans leur chambre, prêt à répondre à tout instant à leur moindre besoin. Mais, de préciser Evitascandalo, cela se voit surtout dans le cas de maîtres ayant des problèmes de santé232. Était-ce bien ainsi que les choses se passaient à la cour des papes du XVIe siècle? Pour l’essentiel, probablement que oui. Mais, pour ne donner que cet exemple, on voit mal, compte tenu des nombreuses responsabilités qui étaient les siennes –– nous y reviendrons plus loin –– comment le maître de la chambre pouvait accomplir les tâches que nous venons de décrire, d’autant plus que celles-ci convenaient beaucoup mieux à l’un ou l’autre de ses subalternes, camériers ou aide-camériers, même s’il lui revenait de surveiller le travail de ces derniers et de s’assurer qu’il l’accomplisse à l’entière satisfaction du pape, son « patron », Par ailleurs, question d’âge, de tempérament, de style de vie, les façons de faire ne devaient pas être tout à fait les mêmes d’un pape à l’autre surtout dans un domaine touchant de si près à leur intimité. Il y avait des papes lève-tôt et des papes lève-tard, tout comme il y avait parmi eux des couche-tôt et des couche230 Ibid., p. 51. Ayant surtout en tête la cour d’un cardinal, Evitascandalo confie la plupart de ces tâches de même que celle de balayer et de tenir propre l’appartement du maître aux aides-camériers. Mais la cour pontificale comptait des acquiféraires, des portefaix et des balayeurs « secrets », comme nous l’avons montré dans notre quatrième chapitre. C’est à ces derniers que les camériers ou aides-camériers de service faisaient nul doute appel pour les tâches en question. Par contre, Evitascandalo a probablement raison lorsqu’il affirme qu’il appartenait aux aides-camériers de faire le lit du maître et, par temps froid, d’assurer que sa chambre soit bien chauffée. Ibid., p. 10. 231 Ibid., p. 51. 232 Ibid., p. 50-51.
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tard233. Et il y avait le cas assez particulier d’un Sixte V qui, lui, se contentait de quelques heures de sommeil chaque nuit234. Ou encore de Jules II à qui il arrivait en temps de crise de souffrir d’insomnie et de se plonger des nuits durant dans les dossiers qu’il gardait toujours à portée de main235. Et que dire d’un Paul IV, autre insomniaque, qui, lui, en profitait pour lire et écrire jusqu’à ce que la fatigue s’ensuive236. Cela ne pouvait pas ne pas affecter, d’une façon ou d’une autre, les rituels du lever et du coucher des papes en question. Prenons par exemple le cas de Paul IV. Fougueux, impulsif et, de ce fait, souvent imprévisible, il bousculait continuellement ses horaires, fixant à la dernière minute l’heure de ses repas, laissant des visiteurs, et parfois des visiteurs de marque, attendre, cinq, six ou sept heures avant de les recevoir et, pour ce qui était du lever et du coucher, refusant de décider d’avance à quels moments ils se feraient. Il faut dire qu’il était en plus opposé à ce que quiconque soit, à l’un et l’autre de ces moments, présent dans sa chambre. Le matin, il fallait attendre qu’il ait lui-même fait sa toilette et se soit habillé, puis ait enfin sonné pour se permettre d’entrer chez lui237. On peut facilement imaginer la nervosité, l’anxiété même qui devait habiter camériers, aide-camériers et autres membres du personnel de la chambre postés sans doute depuis tôt le matin devant l’appartement du pape et ne sachant jamais à quel moment la fatidique cloche allait se faire entendre et surtout dans quel état ils allaient trouver leur irascible « patron ». On pourrait d’ailleurs en dire autant du personnel de la cuisine, condamné lui aussi, et pour les mêmes raisons, à un qui-vive presque quotidien. Mais il y avait un envers à cette médaille. Frappé durement par la maladie à l’été de 1558, ce même Paul IV, si jaloux de son intimité au point de n’admettre personne dans sa chambre à son lever comme à son coucher, se verra dans l’obligation d’accepter qu’un de ses familiers dorme désormais chaque nuit à ses côtés238. 233 Léon X est un bon exemple de pape lève-tard. Cf. A. Baschet, La diplomatie vénitienne. Les princes de l’Europe au XVIe siècle, Paris 1862, p. 178. Paul IV en est un autre, bien que les heures de lever et de coucher variaient beaucoup d’une journée à l’autre. Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 348. Adrien VI, à l’instar des moines, se levait très tôt pour réciter matines, puis se recouchait jusqu’à l’aube. Alberi, Relazioni cit., III, p. 112. Pie IV était lui aussi un lève-tôt. Von Pastor, Storia dei papi cit., VII, p. 71. Tout comme Grégoire XIII d’ailleurs qui se contentait chaque nuit de sept heures de sommeil. Ibid., XI, p. 30. Clément VIII était également un lève-tôt. Ibid., XI, p. 24. Pie V se couchait et se levait tôt. Ibid., VIII, p. 38. 234 Ibid., X, p. 45. Il lui arrivait de déambuler jusqu’à deux heures de la nuit le long des corridors découverts du Belvédère. BAV, Urb. lat. 1053, fol. 237v. Un lève-tôt et un couchetard donc. 235 Shaw, Julius II cit., p. 171. 236 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 348. 237 Ibid. 238 Au début ce service était assuré par un certain don Alessandrino, probablement un camérier, mais étant tombé lui-même malade, il sera remplacé en juin par le Père Agostino,
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Terminé le rite du lever, le pape pouvait alors entreprendre sa journée de travail, qu’il s’agisse de tâches relevant de la routine quotidienne de la cour ou de celles particulières à certains jours, cela pouvant aller du ponctuel jusqu’à l’exceptionnel. Bien évidemment, il y avait en ce qui concernait surtout la routine journalière un certain nombre d’incontournables telles les chapelles papales, par exemple, encore que –– nous avons eu jusqu’ici maintes fois l’occasion de le vérifier –– certains papes ne se faisaient pas scrupule, chaque fois qu’ils le jugeaient à propos, de s’en dispenser. Il ne pouvait être question de faire de même dans le cas des audiences, surtout celles accordées à des personnages de haut rang, mais il était toujours possible de les renvoyer à plus tard, ce que, nous l’avons vu, certains papes ne se privaient pas de faire pour des raisons qui, d’ailleurs, n’étaient pas toujours fondées, mais qu’on se gardait bien de donner. Pour ce qui est des autres éléments de la routine quotidienne, les papes disposaient d’une certaine liberté quant à l’ordre dans lequel ils entendaient les voir se dérouler et quant au temps qu’ils souhaitaient chacun leur accorder. S’il faut en croire l’ambassadeur vénitien Luigi Gradenigo, Léon X, aussitôt éveillé, ce qui était généralement assez tard, recevait tout d’abord Matteo Giberti, secrétaire chargé des affaires d’État, puis le dataire de qui relevaient les questions bénéficiales et, en troisième lieu seulement, les camériers de service. Une fois cette étape franchie, il allait à la messe, après quoi, revenu dans ses appartements, il passait un long moment en audiences. Gradenigo ajoute qu’il ne prenait qu’un repas chaque jour et, cela, vers les 21 heures, soit trois heures avant le coucher du soleil239. Ce sans doute un des membres de la petite communauté de théatins que Paul IV, dès son élection, avait installée au palais apostolique avec, à sa tête, Paolo Consiglieri, son maître de la chambre. BAV, Urb. lat. 1039, fol. 49v. Mais le cas de Paul IV n’est pas unique. Nous savons que Serapica, trésorier secret et homme de confiance de Léon X, couchait dans la chambre de ce dernier, car, disait-il, son maître avait un sommeil agité en raison des nombreux problèmes avec lesquels il était souvent aux prises, d’où le fait que fréquemment il se levait passablement tard. Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 101. S’il faut en croire l’ambassadeur vénitien, Leonardo Donato, il en allait de même de Clément VIII qui avait toujours à ses côtés un serviteur du nom de Diego qui dormait dans sa chambre la nuit, mais également le jour durant la longue sieste de son maître et, en plus, récitait avec lui l’office. Voir Baschet, La diplomatie cit., p. 209. Qui était ce Diego? Sans aucun doute, Diego de Campo, comme son nom l’indique d’origine espagnole, qui figure dès 1592 dans un rôle de cour de Clément VIII à titre de camérier, immédiatement après le maître de la chambre dont il était peut-être l’adjoint, et qui est encore là en 1595. BAV, Ruoli 113, fol. 4r; 133, fol. 5v. Il n’y est plus en 1597. Ibid., Ruoli 145, fol. 5v. 239 Baschet, La diplomatie cit., p. 178. Pour ce qui est du lever, il serait surprenant qu’avant de recevoir Giberti le pape n’ait pas d’abord fait sa toilette et ne se soit habillé avec l’aide de l’un ou de l’autre camérier ou aide-camérier. Par ailleurs, nous savons, grâce à des témoignages contemporains, qu’en raison de son embonpoint, il avait besoin chaque matin de l’aide de deux serviteurs pour sortir du lit. Bedini, The Pope’s Elephant cit., p. 23. Et, à tout cela, il faut ajouter la présence de son confident, Serapica, qui passait la nuit dans sa
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qu’il ne dit pas, c’est que Léon X avait grand besoin de moments de détente et de loisirs et, comme nous l’avons vu plus haut, tenait à ce que ses horaires soient pensés en fonction du besoin presque viscéral chez lui d’échapper le plus souvent possible au poids et à l’ennui des tâches quotidiennes, de celles de nature administrative surtout. Par contraste, un Grégoire XIII, pape d’une exemplaire régularité et discipline, se levait tous les matins avant l’aube, puis, sa toilette faite, précédait aussitôt à la récitation des premières heures de l’office divin qui servait en quelque sorte de prélude à sa messe quotidienne, messe à laquelle, dans certains cas, il se contentait d’assister, dans d’autres –– ce qui était fréquent –– présidait, et d’ailleurs tenait à présider lui-même. Le reste de la matinée était consacré aux audiences qui parfois duraient si longtemps qu’il fallait retarder l’heure du repas du midi. Ce dernier, précédé de la récitation de deux autres heures de l’office, durait à peine une demi-heure, était plutôt austère et, dans le style qui était de plus en plus celui de la cour, se passait en silence, « agrémenté » d’une lecture faite par un des chapelains du pape. Grégoire XIII n’étant pas très loquace et, d’ailleurs, plutôt avare de son temps, cette formule devait parfaitement lui convenir. Ne prenant que très rarement la sieste, au sortir de la table il se faisait habituellement lire les suppliques qui lui avaient été adressées en vue de décider de la réponse à donner. Il recevait chaque jour le dataire, puis ses deux cardinaux neveux qui lui présentaient les décisions prises par la Consulta, enfin, son secrétaire d’État, le cardinal Tolomeo Galli et, presque chaque jour, le gouverneur de Rome et le trésorier général. Les mercredi et samedi après-midi étaient réservés au secrétaire des brefs. Des audiences avaient aussi parfois lieu l’après-midi où pouvaient se présenter les cardinaux, ambassadeurs et autres personnages n’ayant pu être reçus ou n’ayant pas été en mesure de venir le matin. Au terme de chacune de ces journées, souvent longues et harassantes, le pape se retirait dans sa chapelle privée pour les deux dernières heures de l’office et la récitation du Rosaire, après quoi il s’enfermait dans sa chambre où il procédait à l’examen de dossiers d’une particulière importance ou urgence et, cela, jusqu’au repas du soir, chambre, comme nous l’avons indiqué dans la note précédente. En ce qui concerne la messe quotidienne, Gradenigo ne précise pas s’il s’agit d’une messe basse dans sa chapelle privée ou d’une messe solennelle à la Sixtine ou à Saint-Pierre ou si le pape lui-même célébrait cette messe ou se contentait d’y assister. Mais nous savons qu’à l’époque les papes en général ne faisaient qu’assister à la messe. Pour ce qui est du repas du soir qui aurait été le seul que prenait le pape, Gradenigo exagère sans doute quelque peu. Il est vrai que Léon X était sujet à l’embonpoint et qu’il s’imposait un régime alimentaire en conséquence en plus de jeûner régulièrement. À ce sujet, voir Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 101. Mais il est quand même permis de penser que de légères collations lui étaient servies aux moments opportuns afin d’assurer qu’il puisse accomplir avec l’énergie nécessaire les diverses tâches qui même les jours les plus ordinaires l’attendaient.
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repas qui était, lui, encore plus simple que celui du midi. Mais c’était là l’horaire des mois d’hiver. L’été, les journées étant plus longues, Grégoire XIII prenait une heure avant son ultime repas pour déambuler dans les corridors ou loggie du palais ou encore dans les jardins avoisinants. Exceptionnellement, après le repas, il accordait quelques audiences, puis, avant de se mettre au lit, passait quelque temps à l’examen de suppliques sur lesquelles, le cas échéant, il notait sa décision240. Cette routine était bien évidemment celle des jours ordinaires. Chaque fois qu’il y avait sortie dans Rome ou cérémonie religieuse de quelque ampleur ou encore réunion type Consistoire, Inquisition, Signature de grâce où le pape devait être présent, il fallait bousculer quelque peu les horaires, ce qui n’était pas sans compliquer les choses et souvent ajouter au poids de journées déjà passablement lourdes et accaparantes. Un examen attentif de l’emploi du temps des autres papes du XVIe siècle montrerait qu’il était chez la plupart d’entre eux pour l’essentiel à peu près le même, mais que le temps alloué à chacune des tâches composant leur quotidien et le sérieux avec lequel ils se consacraient à ces dernières variaient beaucoup de l’un à l’autre. De ce point de vue, Léon X représente bien les papes de la première moitié du XVIe siècle, à quelques exceptions près, comme lui ne se laissant pas trop accaparer par les tâches en question, au point parfois de négliger certaines d’entre elles, et non des moindres, alors que Grégoire XIII, au contraire, incarne le souci que l’on trouve chez la plupart des papes de la seconde moitié du siècle, de ne négliger en rien et d’accomplir scrupuleusement ces mêmes tâches, fût-ce au prix de devoir leur consacrer dans certains cas presque la totalité de leur temps. Une de ces tâches avait nom audience et, comme nous venons de le voir, occupait une notable partie de leurs avant-midi, parfois même, comme chez Grégoire XIII, de leurs après-midi et, cela, tous les jours de la semaine à l’exception, bien entendu, des jours fériés ou des jours où il y avait Consistoire ou Signature de grâce ou encore, à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, réunion du tribunal de l’Inquisition. Le temps alloué pour la plupart des papes de l’époque à cette activité ne permet pas de douter de l’importance qu’ils lui accordaient, même si parfois elle leur pesait. Elle mérite donc que nous nous y attardions quelque peu. Commençons par distinguer l’audience ordinaire, quotidienne ou presque et généralement ouverte à tous des trois autres types d’audiences existant à l’époque, soit l’audience dite publique beaucoup moins fré240 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 31-33. Il n’est pas sans intérêt de noter qu’en ce qui concernait les audiences, Clément VIII consacrait, lui, le vendredi après-midi à recevoir le tout venant, parfois jusqu’à 300 personnes auxquelles il répondait toujours quelque chose. Menniti Ippolito ˗ Visceglia, Corte papale cit., p. 62.
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quente et surtout d’un caractère beaucoup plus solennel, l’audience de type administratif, elle aussi quotidienne, réservée à certains proches collaborateurs du pape et à certains officiers de curie, enfin, l’audience de nature, elle, plutôt politique ou diplomatique à laquelle avaient habituellement droit chaque semaine les ambassadeurs en poste à Rome. Comme il a déjà été plus haut question de ces trois dernières formes d’audience, c’est à la première que nous voudrions à ce point-ci accorder toute notre attention, même si elle peut, à première vue, nous sembler d’un intérêt plus prosaïque sinon terre-à-terre. Mais à première vue seulement, car, tout ordinaire qu’elle fût, elle mettait, elle aussi, en scène le pape, était par conséquent, elle aussi, entourée d’un rituel pointilleux, moins élaboré certes que celui des audiences publiques, mais rituel tout de même, et qu’elle avait donc, elle aussi, un caractère public, même si elle n’avait pas droit à ce qualificatif. Et, en ce sens, il ne serait pas faux de dire qu’elle s’apparentait plus à l’audience publique qu’aux deux autres types d’audiences dont nous venons de faire état, de nature, elles, l’une, administrative, l’autre, diplomatique. Pendant son séjour de quelques mois à Rome en 1580-1581, Montaigne eut, grâce à son ami Louis Chasteigner de la Roche-Posay, ambassadeur de France près le Saint-Siège, le privilège d’être reçu avec son jeune frère, M. d’Estissac, par le pape Grégoire XIII. Son secrétaire nous a laissé une description fort pittoresque du rituel auquel ils durent tous deux se soumettre. Or ce rituel est une exacte réplique, mais en moins solennel, de celui qui réglait les audiences publiques. Triple fléchissement du genou, accompagné chaque fois de la bénédiction du pape, avant de finalement arriver au trône papal, puis, atteint ce dernier, agenouillement complet aux pieds du pape et baisement de sa mule ou, pour employer la formule du secrétaire de Montaigne, de sa « pantoufle rouge ». Dans le cas de Montaigne et de son jeune frère, une fois ce rite accompli, l’ambassadeur de France les ayant chaudement recommandés au pape, ces derniers, toujours à genoux, reçurent quelques bons conseils et quelques mots d’encouragement de la part de leur hôte, mais sans avoir pu eux-mêmes lui adresser la parole. Ils eurent alors droit à une dernière bénédiction du pape, signe que l’audience était terminée et qu’ils pouvaient prendre congé du maître de céans. Ils se relevèrent aussitôt et, comme le prescrivait le rituel, quittèrent la salle d’audience plus ou moins à reculons, c’est-à-dire s’efforçant de ne jamais tourner le dos au pape tout en fléchissant à nouveau le genou, tout d’abord à mi-chemin, puis à la sortie de la salle, gratifiés chaque fois, comme à l’aller, de la bénédiction du pape. Notons, au passage, que Montaigne fut fort impressionné par ce dernier qu’il décrit comme « un très beau vieillard d’une moyenne taille et droite » et « le visage plein de majesté »241. 241
Montaigne, Œuvres complètes, éd. R. Barral ˗ P. Michel, Paris 1967, p. 489-490.
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Le secrétaire de Montaigne signale que c’est le « camérier » du pape, en d’autres mots son maître de la chambre qui, à la demande de l’ambassadeur de France, était venu chercher son maître et le sieur d’Estissac et les avait introduits tous deux dans la sale d’audience242. De toute évidence, c’est ledit ambassadeur qui profitant de son tête-à-tête hebdomadaire avec Grégoire XIII, avait obtenu de ce dernier qu’il reçoive ses deux compatriotes pour le traditionnel baisement de pied. Mais cela aurait pu tout aussi bien être la décision du seul maître de la chambre qui, aussi surprenant que cela puisse paraître, avait toute autorité pour le faire. En effet, selon Cesare Evitascandalo, le maestro di camera pouvait donner accès à la chambre de son « patron » à qui il voulait et, pour ce qui était des audiences proprement dites, pouvait décider lui-même dans quel ordre les personnes allaient être reçues, mais en s’assurant bien qu’elles le soient toutes et surtout qu’aucune ne reparte insatisfaite, ce qui exigeait de sa part, beaucoup de doigté. Il lui fallait, par contre, dans tous ces cas, éviter tout favoritisme. Evitascandalo qui s’y connaissait en la matière, ne devait pas se faire trop d’illusions à ce sujet. Ce n’est pas pour rien qu’il met ledit maître de la chambre en garde contre les pots-de-vin qui ne manqueront pas de lui être offerts. Nous avons vu plus haut que ce dernier avait toute autorité sur le personnel qui assistait de quelque façon le pape à son lever et à son coucher, mais sans s’impliquer lui-même en l’une ou l’autre de ces prestations. Tout autre son implication lors des audiences ordinaires où, en plus de s’assurer que tout le personnel sous ses ordres: camériers, aides-camériers, palefreniers, garde-robe, balayeurs et portefaix « secrets » fassent correctement et consciencieusement leur travail, il devait lui-même accueillir les visiteurs se présentant chez le pape, savoir traiter avec eux, savoir surtout à quels égards, chacun, ils avaient droit, compte tenu de leur statut et de leur rang243. Ce qui supposait de sa part de bonnes connaissances et une longue expérience dans le domaine, connaissances et expérience que devaient aussi jusqu’à un certain point posséder ses plus proches collaborateurs, camériers surtout, qui, non seulement étaient appelés à le seconder, mais parfois même, en cas d’absence ou de maladie, à le remplacer244. Se fondant sur le fait que ce dernier était tenu d’être presque continuellement aux côtés ou, du moins, à la disposition de son maître, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais apostolique, Evitascandalo ne craint pas d’affirmer que la fonction de maître de la chambre est une des plus importantes de la cour245. Ce qui explique, sans doute, comme nous avons été à Ibid., p. 489. Evitascandalo, Dialogo cit., p. 185-187. 244 Ibid., p. 48-49. 245 Ibid., p. 186. 242 243
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même de le montrer dans notre quatrième chapitre, pourquoi les papes de l’époque mettaient tant de soin à choisir celui qui allait être appelé à remplir cette fonction des plus délicate. Comme nous avons été à même de le constater plus haut, une fois terminées les audiences du matin, Grégoire XIII consacrait environ une demi-heure à la récitation du bréviaire, puis se mettait presque aussitôt à table. Le moment est venu de nous intéresser à cette autre activité journalière de caractère beaucoup plus « privé », pour ne pas dire « intime » que l’audience, même si celle-ci, contrairement à l’audience publique ou semi-publique, pouvait, elle aussi, par certains côtés, être considérée comme faisant partie du « privé ». Précisons, dès le départ, qu’il ne sera pas ici question de banquets, c’est-à-dire de ces grands et solennels repas, offerts à l’occasion de fêtes, anniversaires, événements marquants ou encore de la venue de grands personnages à la cour pontificale. Nous avons déjà traité de ce type d’activité dans notre précédent chapitre consacré aux rites et rituels des grands jours. La « table » dont il sera ici principalement question appartient à un tout autre registre, bien qu’elle fasse elle aussi appel au large éventail de ce que nous avons appelé dans notre quatrième chapitre les services de « bouche », services « secrets » dans le cas du pape, car réservés à sa personne et à son proche entourage de même qu’aux quelques privilégiés qui avaient parfois l’heur d’y être invités. Comment se déroulait ce rituel quotidien et quelle place occupait-il dans l’emploi du temps des papes de l’époque? Il n’est pas facile de répondre à l’une et l’autre de ces questions, les sorces dont nous disposons étant souvent en ce domaine lacunaires, comme en tant d’autres d’ailleurs touchant à ce que Michel de Certeau a appelé les « pratiques communes » ou les « manières de faire » de tous les jours246. Comme c’est encore aujourd’hui le cas, on ne sentait pas à l’époque le besoin de décrire des pratiques que l’on considérait comme allant de soi. Patrizi crut bon inclure dans son Cérémonial un rituel détaillé du banquet, mais il ne fit rien de tel en ce qui concernait la « table » quotidienne. Nous disposons tout de même d’un certain nombre d’indices permettant de nous faire une assez bonne idée des repas servis ces jours-là aux papes et à leurs convives, mais aussi et peut-être surtout, du moins dans certains cas, du type de cuisine ou, pour parler moderne, des menus qui caractérisaient ces mêmes repas. Comme nous avons eu jusqu’ici l’occasion de le constater, s’agissant d’une pratique quotidienne, au surplus, de caractère « privé », le facteur déterminant était chaque fois, comme dans le cas du lever et du coucher plus haut évoqués, la personnalité, en d’autres mots, les goûts, dispositions et humeurs de celui à qui étaient principalement destinés les repas en question, c’est-à-dire, le pape. 246
M. De Certeau et al., L’invention du quotidien, I, Paris 1980, p. 7, 9.
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Les repas servis au jour le jour à la table d’un Alexandre VI étaient, s’il faut en croire Pastor, des plus simples, voire des plus frugaux au point où ses proches les fuyaient volontiers247. Il y a peut-être exagération de la part du grand spécialiste de l’histoire des papes, car nous possédons un certain nombre d’indices montrant que Rodrigue Borgia certes ne faisait pas bombance, mais que sa table ne méritait pas pour autant le qualificatif de « frugale ». Au menu d’un repas pris par lui à l’été de 1503 figurent œufs, langoustes, citrouille au poivre, confitures, prunes en plus d’une tourte enveloppée de feuille d’or248. Repas léger faisant plutôt penser à une collation, mais digne tout de même du « prince » qu’il était. Cela dit, il paraît peu vraisemblable que les budgets affectés à la table du pape Borgia aient été en 1501, comme l’affirme Rodocanachi, de l’ordre d’environ 1860 ducats en moyenne par mois249. Nous verrons plus loin que Paul III, « créature » d’Alexandre VI, mais ne partageant en rien sa frugalité, ne consacrait à ce même poste que 474 ducats par mois. Le chiffre avancé par Rodocanachi ne s’appliquerait-il pas plutôt à l’ensemble des dépenses de « bouche » de la cour, celles du pape ne représentant en réalité qu’une fraction de ce total? Tout porte à le croire. Ce qui nous renvoie à la raison donnée plus haut par Pastor pour expliquer qu’on ne se pressait pas à la table d’Alexandre VI. Rien de tel dans le cas de Jules II qui aimait la bonne chère et, en ce domaine comme en tant d’autres, ne regardait pas à la dépense. Sa table, même en temps de disette était des plus opulentes. On y trouvait, les jours gras, poulet, chevreau, faisan, grive, lièvre, cochon de lait et, les jours maigres, écrevisses, thon, alose, esturgeon, lamproie. Comme légumes, on y servait habituellement pois, fèves, artichauts, cardons surtout pour lesquels Jules II avait un faible. Pour aiguiser son appétit, le pape se faisait volontiers servir du caviar qui, notons-le, n’était pas une denrée rare à l’époque en raison de la présence d’une abondance d’esturgeons dans les rivières d’Italie. Sachant que cela lui ferait grand plaisir, on lui faisait fréquemment don de galantine, de mortadelle, de confiture de coings. Et que dire du vin qui occupait une place très importante à sa table, ses crus favoris venant de France, de Mirabeau en particulier, dans le Vaucluse, qu’il avait sans doute connus alors qu’il était légat à Avignon, mais, également, aussi surprenant que cela puisse paraître, ceux de l’île grecque 247 Storia dei papi cit., III, p. 348. S’il est vrai, comme l’affirme Rodocanachi, qu’Alexandre VI avait fait peindre au fond des assiettes dans lesquelles il mangeait lui-même et faisait manger ses convives des têtes de morts servant à rappeler qu’ils étaient, eux comme lui, condamnés à disparaître, cela aurait pu suffire à les éloigner de sa table. Rodocanachi, Le pontificat de Léon X cit., p. 180. L’auteur ajoute qu’il n’imagine rien de tel à la cour de Léon X.. 248 id., Une cour princière au Vatican pendant la Renaissance, Paris 1925, p. 277. L’auteur ajoute en note que le pape Borgia aimait beaucoup les épices, en particulier la cannelle, le gingembre, la noix de muscade, le safran, le cumin, l’anis et la moutarde. 249 Ibid., note 1.
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de Samos. On savait qu’il aimait également le malvoisie et certains de ses cardinaux l’en régalaient régulièrement250. Table opulente donc qui, bien évidemment, coûtait cher. Rodocanachi affirme qu’en 1505 cela représentait un déboursé mensuel d’environ 2500 ducats251. Pour les mêmes raisons que celles invoquées plus haut au sujet de la table d’Alexandre VI, nous croyons que ce chiffre est excessif et correspond plutôt aux dépenses de « bouche » de l’ensemble de la cour ou, du moins d’une partie importante de celle-ci, mais avec cette dfférence que la part revenant à la table du pape devait être beaucoup plus substantielle dans le cas de Jules II que dans celui du pape Borgia. Nous avons vu plus haut que Léon X ne prenait qu’un repas complet chaque jour, et que celui-ci avait lieu le soir vers les 21 heures. Ce repas, notons-le, était en général copieux. Il importe toutefois de préciser que cela ne valait que les dimanche, lundi, mardi et jeudi, car, les trois autres jours, le pape jeûnait, se contentant de fruits, de légumes et de biscuits. En toutes autres occasions, qu’il fût ou non celui qui invitait, et, cela, même dans le cas de banquets ou de repas festifs, il ne mangeait pour ainsi dire rien, prenant, par contre, grand plaisir à être là, surtout qu’habituellement il s’y trouvait en bonne et joyeuse compagnie252. Ces repas étaient en somme pour lui, d’abord et avant tout, des occasions de se divertir –– et on sait à quel point il tenait à ce genre d’occasions ––, repas qui, par ailleurs, du fait que c’était souvent lui qui invitait, finissaient par lui coûter cher, 250 id., Le pontificat de Jules II, 1503-1513, Paris 1928, p. 81 et note 18. id., La première Renaissance cit., p. 86. On est toutefois surpris de constater que les crus qu’il fait acheter sont en très grande partie des vins corses. En 1505, ces derniers représentent 95% de tous les vins achetés cette année-là contre 5% de vins « grecs », c’est-à-dire napolitains, soit 3147 barils contre 161, ASR, Cam. I: 1487, fol. 19v et passim. Mais peut-être ces vins corses étaient-ils destinés surtout à la « famille », comme le suggèrera plus tard Sante Lancerio, le bouteiller de Paul III, quoique ce dernier reconnaissait que certains d’entre eux étaient de fort bonne qualité et que son « patron » ne dédaignait pas leur faire honneur à certains moment de l’année. E. Faccioli et al., L’arte della cucina in Italia, Turin 1987, p. 336. Jules II aurait-il fait la connaissance de ces vins à l’époque où il était à Avignon comme il en avait été du Mirabeau, son vin favori? La chose n’est pas impossible. Cela dit, il ne faudrait pas oublier que beaucoup des vins qu’il buvait et non des moindres lui étaient donnés en cadeau et que les vins corses n’étaient pas nécessairement ceux qui figuraient le plus souvent à sa table. Il y aurait ici un parallèle intéressant à dresser avec Alexandre VI. En effet, en 1494, ce dernier fait venir d’Espagne six bottes de vin de Valence (ASV, Intr. et Exit. 525, fol. 160v), vin dont il a gardé sans doute un agréable souvenir tout comme, quelques années plus tard, son ennemi juré, Jules II, nostalgique, lui, de vin du Vaucluse, de Mirabeau pour être plus exact, sentira le besoin de retrouver de temps à autre sur sa table ce précieux témoin d’une époque révolue 251 Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 86. Il n’est pas sans intérêt d’ajouter que Jules II fit à diverses reprises acheter des carafes de cristal, dont certaines dorées, pour le service de sa table et que l’eau de rose avec laquelle les convives se lavaient les mains était présentée dans une aiguière de cristal. Ibid., p.87. 252 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/1, p. 377. Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 101. ID., Le pontificat de Léon X cit., p. 179-180.
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même si, culinairement parlant, ils profitaient beaucoup plus à ses invités qu’à lui-même. Mais il ne faudrait pas trop facilement en conclure qu’il dédaignait la bonne chère. On sait, par exemple, que le poulpe figurait souvent aux menus de sa table et qu’à l’instar de Jules II il raffolait de lamproie qu’on lui préparait d’ailleurs selon une recette d’un particulier raffinement253. On a de bonnes raisons de croire qu’il appréciait aussi le vin et ne se privait pas d’en boire chaque fois que l’occasion se présentait254. Si l’on peut parler de modération, voire de sobriété, dans le boire et le manger surtout, à propos d’un Alexandre VI et d’un Léon X, c’est d’extrême frugalité qu’il faut le faire dans le cas d’un Adrien VI, successeur de ce dernier. Pour ses repas, on lui servait dans des plats de faïence des mets qui, disait-on à l’époque, n’étaient même pas dignes de la table d’un pauvre curé de campagne. Il mangeait surtout du merlan, car c’était là le poisson le moins cher à Rome. Sa cuisinière était une compatriote venue avec lui à Rome qui lui servait en même temps de lingère. Il remettait chaque soir à son maître d’hôtel un ducat pour couvrir le coût de la pitance qu’on allait lui servir le lendemain255. Si on fuyait volontiers la table d’un Alexandre VI, combien plus devait-on chercher à éviter celle de ce pape ascétique à souhait annonçant déjà, à plus d’un titre, les futurs champions en la matière, Pie V et Sixte V. De Clément VII, il y a peu de choses à dire sinon que, naturellement porté à la gourmandise, il s’était imposé un régime passablement sévère, allant même certains jours jusqu’à jeûner au pain et à l’eau256. Un modeste registre tenu au temps du sac de Rome par l’évêque de Vaison, son majordome, registre « miraculeusement » parvenu jusqu’à nous, permet tout de même de nous faire une assez bonne idée du régime en question et de ce qu’il pouvait coûter au jour le jour257. Il couvre la période allant du début 253 id., La première Renaissance cit., p. 101. Rodocanachi nous fournit les détails de cette recette. On commençait, écrit-il, par noyer le poisson dans du vin de Crète, puis on insérait du clou de girofle dans ses ouïes, une noix dans sa bouche, après quoi on le faisait cuire dans de l’huile mélangée de vin de Crète et assaisonnée d’aromates variées, le tout accompagné d’une purée d’avelines. 254 Selon l’ambassadeur de Venise, Gradenigo, Léon X disait souvent après avoir bu: « Un grand verre fait bien répondre, donnez m’en un autre ». Baschet, La diplomatie cit., p. 178. Gradenigo, même s’il ne le précise pas, parle de toute évidence de vin, de ce vin qui facilitait la conversation, déliait les langues et provoquait les bons mots et les astucieuses réparties, ce qui devait parfaitement convenir à un Léon X qui passait de longs moments à table ou ailleurs avec les beaux esprits et les joyeux drilles dont il aimait s’entourer. 255 Rodocanachi, La cour cit., p. 58-59. 256 Ibid., p. 100. 257 Ce registre se trouve à l’ASR dans le fonds Cam. I: 1495 sous le titre « Spese minute di palazzo » et le sous-titre: « Spese del cubiculario ». De fait, il s’agit là de titres donnés sans doute par l’archiviste qui a classé le registre en question. Le vrai titre qu’on trouve au fol. 5r est: « 1527. Registro delle spese sono fatte in Castello de Santo Angelo per uso di N.S. et sua
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d’octobre à la fin de décembre 1527, soit, tout d’abord, les deux derniers mois de la captivité de Clément VII au Château Saint-Ange en compagnie de quelques cardinaux, familiers et serviteurs que ses geôliers espagnols avaient daigné lui laisser, puis la période allant du 7 au 31 décembre où, après avoir réussi à prendre la fuite, le pape était parti en direction de Bracciano, puis de Capranica, pour finalement établir ses quartiers à Orvieto. Il importe de rappeler ici qu’il était en fait prisonnier depuis le 7 juin, qu’en juillet la peste avait fait son apparition dans la ville, fauchant au passage des milliers d’habitants et, au Château même, de très nombreux membres de la « famille » du pape, qu’en plus les vivres se faisaient de plus en plus rares, ce dernier malheur expliquant sans doute, du moins en partie, l’autre et donc que le pape et les siens durant tous ces mois ne mangèrent certainement pas à leur faim258. Notre registre représente une nette amélioration par rapport à ce régime de famine, amélioration qui s’explique en grande partie par le fait qu’en septembre le pape avait obtenu l’autorisation de s’approvisionner à l’extérieur et que, sans doute, il était devenu plus facile de trouver au moins les produits de première nécessité à Rome et dans les environs. Pastor exagère plus que de juste lorsqu’il affirme que les entrées de l’évêque de Vaison reflètent une situation de grande rareté vivrière persistant durant toute la période couverte par le registre de ce dernier. En effet, il suffit de parcourir les entrées d’octobre et de novembre, c’est-à-dire au moment où le pape et les siens étaient encore prisonniers pour constater qu’ils ne mangeaient certes pas comme des princes, mais qu’ils n’en étaient pas pour autant réduits, comme ils l’avaient été jusque-là, à une pitance de misère. Prenons, par exemple, l’entrée du 3 octobre 1527. On y consomme ce jour-là de la viande de vache (« vacina »), de mouton, de veau, mais aussi de la saucisse, voire de la grive et des ris de veau, ces deux plats réservés à la table du pape peut-être, du vermicelle, probablement servi en potage, du fenouil, du raifort, du radis, de la salade, du miel, des amandes, des noix, des œufs, ces derniers servant peut-être comme le verjus et le safran pareillement mentionnés ou encore la bigarade et le miel à confectionner un plat ou l’autre au goût du pape et de ses commensaux. Le tout, bien entendu, couvrant l’ensemble des repas qui leur furent servis ce même jour. Il ne s’agissait manifestement pas là de repas de temps de disette, mais ceux-ci n’en restaient pas moins relativement modestes, comme les aimait d’ailleurs familia p. man del R. mons. Vasionen mastro de casa de Sua S.ta incominciando del primo de ottobre 1527 ». Pastor en fait le registre de Paolo Montanaro, « speditore » (il faut sans doute plutôt lire: « spenditore »), c’est-à-dire celui qui était chargé des achats pour le pape et sa « famille ». Storia dei papi, IV/2, p. 299, ce en quoi il a manifestement tort. Montanaro était tout simplement l’exécuteur des ordres du majordome, c’est-à-dire Girolamo de Schio, évêque de Vaison. 258 Von Pastor, Storia dei papi cit., IV/2, p. 257-258, 272-281, 289-303.
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le parcimonieux Clément VII qui dut en particulier apprécier que ceux du 3 octobre ne lui coûtent en tout et partout que 5 ducats259. Même si ses dépenses totales d’octobre s’élevèrent à 289, celles de novembre à 359 ducats, et, encore, n’était-ce pas là uniquement des dépenses de « bouche »260, cela restait encore loin des sommes qu’un Jules II consacrait chaque mois à ce poste de son budget. Les choses vont changer à partir du moment de l’évasion de Clément VII dans la nuit du 6 au 7 décembre. On voit en effet mentionné, le 9 du même mois, l’achat à Bracciano de 250 livres de porc venant s’ajouter aux 400 achetées la veille, en plus de cinq barils de vin et, le même jour, à Capranica, l’acquisition de quatre barils additionnels en même temps que de 159 « piccie » de pain261. C’est qu’on était en route et qu’il fallait nourrir non seulement le pape et les quelques familiers et serviteurs qui avaient réussi à le rejoindre, mais également les militaires qui assuraient leur protection. On avait décidé de se contenter d’une nourriture substantielle, mais simple qui, il est facile de l’imaginer, devait surtout faire l’affaire de ces derniers. Mais la mention de pain et de vin dans cette liste, deux aliments dont le pape et les siens semblent avoir été assez souvent privés durant leur captivité, revêt ici une particulière signification, car il s’agissait là, ne l’oublions pas, des deux éléments de base de la cuisine à laquelle ces hommes étaient habitués, éléments qui avaient en plus pour eux une valeur emblématique, pour ne pas dire « sacrée »262. Ils durent avoir à ce moment le sentiment d’être en quelque sorte revenus à la normale. Ce sera chose faite le 10 décembre avec leur arrivée, puis leur installation à Orvieto. Les achats faits à partir de cette date en font foi263. Cela aura pour effet de faire grimper le compte de dépenses de décembre à 507 ducats264, mais il ne s’agissait pas là que de dépenses de « bouche » et, surtout, la cherté de certains aliments, le pain par exemple265, pourrait à elle seule expliquer cette hausse par rapport aux ASR, Cam. I: 1495, « Spese minute », fol. 5r Ibid., fol. 20r, 36v. 261 Ibid., 41v-42r. 262 À ce sujet, voir les remarquables pages que Pierre Mayol a consacrées à cette réalité dans M. De Certeau et al., L’invention cit., II, p. 107-125. 263 Ainsi, ce jour même, on achète non plus de la viande de porc, mais de la viande de bœuf en même temps que 230 « piccie » de pain. ASR, Cam. I: 1495, « Spese minute », fol. 42r. Le 18, on verse plus de 28 ducats à un boulanger qui les a sans doute fournis de pain depuis leur arrivée dans la ville. Ibid., fol. 46v. Le 21 on achète au prix de 18,85 ducats 18 « quartelle » de blé, possiblement parce qu’on est désormais en mesure de fabriquer le pain au palais même. Ibid., fol. 48r. Le 31, on fait provision de vin à raison de 30 « some » pour un coût total de 42 ducats. Ibid., fol. 53r. 264 Ibid., fol. 38r-53r. 265 Les 230 « piccie » de pain achetés le 10 décembre ont coûté 17,70 ducats. Ibid., fol. 42v. Les séquelles du sac de Rome se faisaient manifestement encore sentir non seulement dans la ville, mais dans la campagne environnante. 259 260
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chiffres d’octobre et de novembre. Cela dit, on est encore loin des niveaux des dépenses de « bouche » atteints par ses prédécesseurs, Adrien VI excepté. Revenir à la « normale » pour un Clément VII, cela voulait tout simplement dire retrouver sa « table » habituelle, c’est-à-dire un régime alimentaire tout à la fois modeste et parcimonieux. À partir d’un certain nombre de témoignages contemporains et de quelques données chiffrées d’un maniement, il faut le reconnaître, parfois délicat, nous avons pu nous faire une certaine idée de la place que la « table » occupait dans le quotidien des papes de la fin du XVe et du premier tiers du XVIe siècle, une idée toutefois que nous aurions souhaité tout à la fois plus précise et mieux étayée. Avec Paul III, heureusement, nous sortons de cet à-peu-près grâce à une source dont nous ne disposions pas jusqu’ici, à savoir les registres ou livres de comptes des majordomes pontificaux, source qui, cette fois, est à même de nous fournir des données précises sur les dépenses de « bouche » d’un mois à l’autre en plus du détail de ce qui se consommait chaque jour à la table du pape. Pourquoi toutà-coup ce raffinement et ce souci comptable dignes des grandes maisons marchandes de l’époque? C’est ce que nous chercherons à expliquer dans notre prochain chapitre consacré au financement de la cour. Pour le moment, tenons-nous en à ce que les livres de comptes en question sont en mesure de nous dire sur les habitudes et pratiques alimentaires des papes de l’époque. Paul III –– nous avons eu plus d’une fois l’occasion de le vérifier jusqu’ici –– restait un homme de la Renaissance aimant le faste, la fête et les somptueux banquets regroupant des invités de marque ou encore des membres de sa propre famille, une famille à laquelle –– est-il besoin de le rappeler –– il était très attaché, mais qu’en était-il des repas de tous les jours qu’il partageait avec quelques proches et, parfois, l’un ou l’autre invité? Nous avons mentionné plus haut qu’il consacrait à sa table environ 471 ducats par mois, soit en moyenne 16 ducats par jour266. Bien évidem266 Les chiffres fournis par le registre tenu par Angelo Archilegi, majordome de Paul III, de juillet à décembre 1538 permettent d’établir la dépense moyenne par mois à 434 ducats. ASR, Cam, I: 1349, fol. 24r, 65r, 95r, 126r, 155r. Ce sont là des chiffres approximatifs, car ils ne comprennent pas le vin, comptabilisé à part, vin dont –– nous y reviendrons plus loin –– le pape Farnèse était grand amateur et fin connaisseur. Mais même si on ajoutait cette donnée, cela ne modifierait pas de beaucoup les chiffres fournis par Archilegi. En effet, compte tenu de ce que coûtait le baril de vin à Rome à l’époque, soit 2 ducats environ (J. Delumeau, Vie économique et sociale de Rome, II, p. 700), compte tenu par ailleurs que le baril était à Rome d’une contenance de 58 litres (Ibid., I, p. 116, note 7) et qu’on peut établir à environ 1200 litres par mois la consommation de vin à la table du pape et, cela, sur la base d’une moyenne de vingt convives chaque jour ayant chacun droit à deux litres de vin, ce qui paraît vraisemblable pour l’époque à Rome, nous arrivons à une dépense moyenne de 40 ducats par mois. Ce qui donne au total un déboursé moyen de 474 ducats. Notre estimation s’inspire de celle que nous avons été à même d’établir sur la consommation de vin à la cour du cardinal
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ment, cela variait d’un jour à l’autre selon les hasards du calendrier, le nombre de convives ou le lieu où se trouvait le pape. En ce qui concerne le calendrier, il faut tout d’abord tenir compte des jours de jeûne qui étaient aussi des jours d’abstinence –– 57 ou 58 selon les années –– comme de ceux où l’on était tenu à la seule abstinence, soit 72 ou 73 autres, pour un total de 130267. Le jeûne, naturellement, entraînait une consommation moindre de nourriture et donc réduisait d’autant les dépenses de « bouche ». L’abstinence qui obligeait à se rabattre sur le poisson et autres créatures aquatiques, voire amphibies n’avait pas nécessairement le même effet. Certains poissons importés de loin, de fort loin même, ou encore rares et recherchés pouvaient singulièrement grever les budgets affectés à la table du pape268. Il y avait par ailleurs tout au long de l’année des jours de fête où il fallait faire montre de munificence sans trop regarder à la dépense. Le livre de comptes du majordome de Paul III, Angelo Archilegi, couvrant la seconde moitié de 1538, nous fournit un très bel exemple de ce dernier cas de figure. La semaine suivant la fête de l’Assomption, le 15 août, le pape est à Frascati269 pour « prendre l’air » sans doute, comme il en avait depuis longtemps l’habitude. Le dimanche 25 août, Archilegi inscrit une dépense de 33 ducats correspondant aux achats qu’il a dû faire pour le repas festif offert ce jour-là par le pape à un nombre inhabituel de convives. Qu’on en juge. Les cuisiniers et crédenciers du pape se voient remettre à cette fin un veau et un agneau entiers, Bernardo Salviati et Alexandre Farnèse, ce dernier petit-fils de Paul III, à partir de registres tenus par leurs majordomes. Cf. Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 220, 226, 242 (notes 126-132), 251-252. 267 En ce qui concerne le calendrier, il faut tout d’abord tenir compte des jours où l’on était tenu de jeûner –– 57 ou 58 selon les années –– qui étaient en même temps des jours d’abstinence, puis de ceux où on était tenu à la seule abstinence, soit 72 ou 73 autres jours, pour un total d’environ 130. À ce sujet, voir R. Naz, Jeûne, dans DDC, VI, col. 140 et A. Villiers, Abstinence, Ibid., col. 130-135. Ce dernier note qu’à Rome on observait l’abstinence non seulement le vendredi, mais également le samedi. 268 Comme nous l’avons montré dans une étude sur la table du cardinal Alexandre Farnèse. Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 253-254. 269 E. Bonomelli, I papi in Campagna, Rome 1953, p. 27. Paul III avait été à un certain moment évêque de Frascati (1519-1523). Il connaissait donc bien cette ville. Durant son règne, il y fera chaque année des séjours parfois relativement courts, parfois, au contraire, passablement longs. Frascati était depuis 1537 fief de l’Église et donc le pape y était pour ainsi dire chez lui. Où y prenait-il ses quartiers? Bonomelli parle de la villa Rufina, mais celle-ci ne fut construite, à ce qu’il semble, que vers la fin du règne de Paul III. Cf. Coffin, The Villa cit., p. 42. Peut-être habitait-il plutôt la rocca qu’y avait édifiée Pie II au siècle précédent. L. Devoli, Le sedi municipali della Civitas Tuscolana, dans Palazzi municipali del Lazio, Rome 1984, p. 348. Notons par ailleurs que le pape qui n’était pas un sédentaire profitait de ses séjours à Frascati, comme il le faisait partout ailleurs, pour se déplacer dans la région. Le 16 avril, il est à Velletri, le 24, à Palestrina et à Castel SanAngelo, le 26, de nouveau à Velletri. À ce sujet, voir Dorez, La cour cit., II, p. 240-241.
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33 becfigues, 20 cailles, 26 tourterelles, quatre poules, 35 poulets, 550 livres d’agneau et de bœuf destinées probablement, du moins en partie, aux palefreniers et autres serviteurs du pape et de ses convives, mais aussi une grande variété de légumes, entre autres, fenouil et chou, diverses sortes d’herbes, des oignons, de la salade en quantité, des poires et des figues, du verjus, le tout –– on est en droit de le penser –– sans doute complété par les multiples ingrédients, condiments entre autres, dont les maîtres-queux de l’époque se servaient abondamment et qu’ils avaient toujours à portée de la main270. Mais pourquoi ce repas plantureux à souhait précisément ce jour-là? Selon toute vraisemblance parce que le dimanche en question coïncidait avec la Saint-Louis, fête nationale des Français, et que le pape, alors en pourparlers avec François Ier en vue du concile qu’il entendait pouvoir enfin réunir en 1539, avait décidé de marquer de façon spéciale cette fête et peut-être profiter de l’occasion pour inviter à sa table les principaux représentants et sujets du roi alors présents à Rome. La « table, ne l’oublions pas, jouait un rôle stratégique important en matière aussi bien politique que diplomatique »271. Quoi qu’il en soit, ce repas faisait figure d’exception en regard de ceux servis durant ce même mois d’août 1538 qui, eux, représentaient des déboursés dépassant rarement les 10 ducats, se situant même pour une bonne moitié entre 4 et 6 ducats par jour272. Ce qui ne veut en rien dire que les repas offerts ces jours-là étaient de médiocre qualité. En veuton la preuve? Le lundi, 12 août, sont mis à la disposition des services de « bouche » du pape 37 livres de veau, 19 livres d’agneau, un chevreau, un lièvre, huit becfigues, des poires, des prunes, des figues et des pêches en quantité en plus d’herbes de diverses sortes, de salades et de verjus, le tout représentant une dépense d’au plus 4 ducats273. 270 ASR, Cam. I: 1349, fol. 21v. Pour avoir une bonne idée de ce que les grands cuisiniers de l’époque tenaient à avoir à leur disposition en tout temps pour être en mesure d’exercer du mieux leur art, nous renvoyons au traité du célèbre Cristoforo Messisbugo paru pour la première fois à la fin du règne de Paul III et dont nous trouvons une édition récente dans L’arte della cucina cit., p. 287-326. Voir en particulier p. 288-293. 271 Après avoir convoqué une première fois le concile à Mantoue en 1537, puis à Vicence en 1538, chaque fois sans succès, le pape s’apprêtait le lendemain et le surlendemain du repas du 25 août à envoyer au nonce près l’empereur, puis à ses collègues de France, d’Espagne et du Portugal le texte d’une bulle prorogeant une fois de plus le concile, mais annonçant par la même occasion que l’ouverture en était renvoyée à Pâques de l’année suivante. O. de la Brosse et al., Latran V et Trente, Paris 1975 (Histoire des conciles œcuméniques, 10), p. 189-196 et Conc. Trid., IV, Act. 1, p. 173. Une apparente réconciliation entre Charles Quint et François Ier intervenue à Aigues-Mortes à la mi-juillet lui donnant à croire que cette troisième fois serait peut-être la bonne, on comprend qu’il ait cherché à se gagner l’appui de François Ier en invitant certains de ses plus éminents sujets vivant à Rome à célébrer avec lui autour d’une bonne table la Saint-Louis. 272 ASR, Cam. I: 1349, fol. 9v-24rv. 273 Ibid., fol. 15r. C’est d’ailleurs là un menu typique des jours ordinaires. Ibid., passim.
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Mais, puisque nous en sommes à parler de qualité, il faut aux menus que nous venons de décrire ajouter un élément essentiel dont il n’a pas été question jusqu’ici, mais auquel, surtout s’agissant de Paul III, il faut accorder une particulière importance: le vin. Comme tout Italien de son époque, le pape Farnèse était un oenophile, mais, dans son cas, un oenophile des plus avertis. Grâce à un écrit laissé par son bouteiller « secret », Sante Lancerio274, nous savons quels crus avaient sa faveur et quel usage il en faisait. Ses préférences allaient aux vins de l’Italie méridionale, entre autres le « grec » d’Ischia275, le Chiarello et le Centola de Calabre276, le « Mazzacane » et l’Asprino de la région de Naples qu’il buvait volontiers les soirs d’été, dans le cas de l’Asprino avant de se coucher, pour étancher sa soif277, l’Aglianico de la même région qu’il disait convenir particulièrement au vieillard qu’il était278, et puis, surtout le « grec » de Somma qui lui plaisait à tel point qu’il en demandait une ou deux fois à chaque repas, mieux, en emportait dans tous ses déplacements hors de Rome, sachant pertinemment que, contrairement à plusieurs autres vins, il supportait bien le voyage, mais pour lequel, en fin connaisseur qu’il était, il exigeait qu’il ait au minimum six, au maximum huit ans d’âge, car c’était là le moment où il était à son meilleur279. Autre vin « grec », mais au sens propre du terme cette fois: le malvoisie, qu’on lui faisait parvenir de Crète par voie de Venise et dont il faisait divers usages, certains d’ordre plutôt médicinal comme nous le verrons plus loin, mais qu’il appréciait aussi comme breuvage, surtout le malvoisie dit « rond » (tondo) qu’il trouvait très nourrissant280. Mais il aimait aussi certains vins du Nord –– ceux du Piémont, entre autres, qu’il buvait de préférence à l’automne281 ––, certains crus toscans, tels le San Gemignano, le Montepulciano et le Cortone282, et, pour ce qui était de la région avoisinant Rome, le Monterano qui, selon Lancerio était en son temps le meilleur vin rouge d’Italie283, puis le rouge de Tolfa dont le pape faisait chaque année provision en vue du Carême et des mois 274 Il s’agit d’une lettre envoyée au cardinal Guido Ascanio Sforza, neveu de Paul III, que ce dernier avait fait cardinal en 1534, lettre qui ne serait pas de 1549 comme certains l’ont prétendu, mais de quelques années postérieures à la mort du pape Farnèse. À ce sujet, voir l’édition du traité de Lancerio qu’a faite Emilio Faccioli dans L’arte della cucina cit., p. 329355. C’est à cette édition que nous renvoyons ici. 275 Ibid., p. 334. 276 Ibid., p. 335-336. 277 Ibid., p. 340-341. 278 Ibid., p. 346. 279 Ibid., p. 333. 280 Ibid., p. 331-332. 281 Ibid., p. 346, 349. 282 Ibid., p. 334-335, 349, 351. 283 Ibid., p. 343-344.
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d’automne284. À quoi, toujours selon Lancerio, il faut ajouter un certain nombre de vins provenant des vignobles appartenant à la famille du pape, en particulier le Monterosso qui lui plaisait beaucoup285. Par contre, il détestait les vins espagnols, n’appréciait guère les vins français et évitait les vins du Patrimonio qu’il valait mieux, s’il faut en croire Lancerio, laisser aux paysans286. À noter que plusieurs des crus qui avaient l’honneur de figurer dans la cave « secrète » du palais apostolique, c’est-à-dire réservés au pape et à ses invités étaient des « gracieusetés » venant de « proches » ou de « clients »287, ce qui réduisait d’autant la note à payer à ce chapitre par le majordome. Léon Dorez qui s’est beaucoup intéressé à Paul III affirme que, tout oenophile qu’il fût, ce dernier n’abusait pas du vin, car, explique-t-il, dans la boisson comme dans la nourriture, il était « extrêmement sobre »288. On voudrait bien le croire, mais les détails fournis par Lancerio à ce sujet donnent plutôt à penser que cette sobriété, du moins en ce qui concerne le vin, n’avait rien d’extrême, Paul III n’étant pas du genre à se priver des plaisirs que lui procuraient les « exquises liqueurs » qu’on lui servait matin, midi et soir. Chose certaine, il faisait honneur à la bonne chère, vin y compris, comme un Jules II et, jusqu’à un certain point, un Léon X avant lui289. Peut-on en dire autant de ses successeurs? Certainement pas d’un Paul IV, d’un Pie V, d’un Grégoire XIII et d’un Sixte V qui se distinguaient tous quatre par leur notoire frugalité, frugalité qui n’était pas sans rappeler celle d’un Clément VII et, dans le cas de Pie V et de Sixte V, d’un Adrien VI, du moins en ce qui les concernait chacun personnellement. Pour ce qui est de Jules III, Pie IV et Clément VIII, on pourrait être tenté d’en faire des émules de Paul III en ce sens qu’ils étaient, comme lui, sensibles aux plai Ibid., p. 351-352. Ibid., p. 348, 359. 286 Ibid., p. 346-347, 355. 287 À ce propos, voir Ibid., p. 332, 335, 338, 349-351. Fait divers intéressant allant dans le même sens, le 18 septembre 1546, Giovan Battista Cervini, frère du cardinal du même nom, présente au pape et à sa cour qui se trouvait à ce moment à Pérouse des vins de grande qualité (« perfettissimi ») et des truites de Nocera. Bernardino Maffei au cardinal Cervini, Pérouse, 19 septembre 1546, Conc. Trid., X, Epist., 1, p. 653. 288 Dorez, La cour cit., I, p. 76. Donnant libre cours à son imagination, l’auteur n’hésite pas à se représenter Paul III, « ce vieillard nerveux et fin buvant goutte à goutte dans sa petite tasse d’argent doré, deux doigts –– tout au plus –– de quelqu’une de ces liqueurs exquises ». 289 Sur le pain qui, comme le vin, faisait nécessairement partie des menus de tous les jours, nous sommes mal renseignés, le livre de comptes du majordome Archilegi ne nous fournissant à ce sujet que des chiffres globaux intéressant l’ensemble de la cour. Mais Dorez nous fournit un détail qui en dit long sur le raffinement culinaire d’un Paul III. En effet, le 20 octobre 1537, ce dernier fait remettre à son crédencier, Messer Pompeio, la somme de 15 écus pour défrayer le coût d’un four qu’il s’est fait construire dans la maison de Messer Luca Muziano en vue d’y faire cuire le pain destiné à son usage personnel. Ibid., p. 152. 284 285
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sirs de la table, mais ce serait là faire fausse route, car la cuisine qu’on leur servait n’avait ni la diversité ni le raffinement de celle d’un pape Farnèse. Chose certaine, quantitativement et qualitativement parlant, chez les papes de la seconde moitié du XVIe siècle, la table, en particulier la table de tous les jours, n’a plus l’éclat qu’elle pouvait avoir chez un Jules II, un Léon X et surtout un Paul III. Paul IV, nous l’avons vu, tenait à ce que les repas où il recevait de grands personnages soient opulents à souhait, comme il convenait, croyait-il, au rang qui était le sien, mais, en ce qui le concernait personnellement, même en ces grandes occasions, il mangeait très peu. Il avait toutefois un faible pour les vins « noirs » et robustes (« gagliardi »), type « Mangiaguerra », qu’il faisait venir de Naples. C’est celui qu’on lui servait chaque jour midi et soir, mais il n’en buvait chaque fois qu’un seul verre. Le repas terminé, on lui offrait un peu de malvoisie, ce vin tant apprécié de Paul III, mais qu’il utilisait, lui, plus prosaïquement, comme rince-bouche290. L’ascétique Pie V allait beaucoup plus loin, se contentant, le midi, de pain bouilli, de deux œufs et d’un verre de vin, le soir, d’une soupe aux légumes, d’un peu de salade, de quelques crustacés, puis de fruits cuits, le tout accompagné de deux petits verres de vin. Pour ce qui était de la viande, elle ne figurait à sa table et en petite quantité que deux fois la semaine. L’été, il mangeait et buvait encore moins, y voyant la meilleure défense contre les grandes chaleurs qui sévissaient alors à Rome291. Nous avons vu la place limitée 290 Von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 347. Alberi, Relazioni cit., III, p. 380-381. Paul III, notons-le, refusait de boire le « Mangiaguerra » qu’il trouvait nocif pour la santé. L’arte delle cucina cit., p. 344-345. 291 Von Pastor, Storia dei papi cit., VIII, p. 38. Alberi, Relazioni cit., IV, p. 181. La mention d’œufs dans le régime famélique de Pie V nous amène à soulever le problème que pose la présence d’un poulailler ou, si l’on préfère, d’une basse-cour au Vatican, plus exactement près du Belvédère, confiée à un « gallinaro » ou une « gallinara » et, cela, déjà du temps d’Alexandre VI. ASR, Cam. I: 1484, fol. 25v. Exemple qui sera suivi par nombre de ses successeurs, à commencer par Jules II qui emploiera, lui, deux « gallinari » (Ibid., Cam. I: 1487, fol. 32r) et Léon X, comme Alexandre VI avant lui, un seul (Il ruolo della Corte dans ASRSP, XXXIV, p. 389). Nous n’avons pu trouver trace de préposés à la basse-cour dans les sources, il est vrai lacunaires, relatives aux cours de Clément VII et de Paul III, à moins que le « gallinaro » dont il est fait mention dans un livre de comptes de la Chambre Apostolique de l’époque du pape Farnèse en soit vraiment un et non, comme il semble plus vraisemblable en raison du fait qu’on lui achète pour plus de 60 ducats de dindonneaux, un marchand de volailles. ASR, Cam. I: 869, fol. 135r. Jules III, pour sa part, entretenait une « gallinara » assistée de deux servantes (BAV, Ruoli 6, fol. 11v), - ce qui donne à penser qu’il s’agissait d’une basse-cour passablement importante. Ladite « gallinara » reçoit d’ailleurs comme « mancia » de Noël fin décembre 1550 la somme de 5,50 écus (ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito 1550, fol. 50v), ce qui la situe parmi les officiers mineurs les mieux récompensés. Paul IV avait bien à son emploi un « gallinaro », mais avec un seul serviteur (BAV, Ruoli 32, fol. 14v), alors que celui qu’employait Pie IV en avait deux (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, « Rotolo della fameglia », fol. 11v),tout comme celui de Pie V d’ailleurs (Ibid., Giust. di Tes. 9, fasc. 14, « Ruolo di Pio V », fol. 11v). Grégoire XIII embauchera tout d’abord une « gallinara » qui pour le « vêtir » de Noël 1573 recevra la somme de dix écus, c’est-à-dire autant que le
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qu’occupaient les repas dans l’emploi du temps d’un Grégoire XIII. Cela ne voulait pas nécessairement dire qu’il était un ascète à la façon de Pie V, mais du moins peut-on soupçonner qu’il n’était pas pour autant un émule de Paul III. Il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir les livres de comptes de ses majordomes. En effet, ils nous apprennent, chiffres à l’appui, qu’il ne consacrait en moyenne à sa table qu’environ 210 écus par mois, soit environ 7 écus par jour292. Nous sommes, dans l’un et lavandier « secret », ce qui n’est pas peu dire (Ibid., Cam. I: 1351, fol. 27r, 37v). Chez Sixte V, par contre, aucune trace de ce préposé qui semble avoir subi le même sort que de nombreux autres membres de la cour du pape Peretti, victimes des coupures sombres imposées à cette dernière à partir de 1586. Chose certaine, il ne figure pas dans les rôles de cour de 1586 et de 1588. BAV, Ruoli 65 et 75. On retrouve toutefois un « gallinaro » à la cour de Clément VIII. On connaît même son nom: Stefano Giorgio, mais, fait à noter, il n’a pas de serviteur. BAV, Ruoli 113, fol. 11v. Il a droit à un companatico de 1,50 écu par mois, ce qui le situe au niveau de la lavandière commune, donc assez bas. Rien n’empêche que durant la majeure partie du XVIe siècle, il y avait bien une basse-cour au Vatican confiée à un ou plusieurs préposés et qu’on est en droit de se demander à quoi servait ladite basse-cour. Certainement pas à fournir poule, poulet ou autre type de volaille consommés à la table du pape ou faisant partie du companatico auquel avaient et auront de plus en plus droit à l’époque nombre de membres de la cour. Cette viande était fournie par un « pollarolo », fournisseur attitré de la cour et qui apparaît sous ce nom dans les livres de comptes au plus tard à partir du pontificat de Paul IV. ASR, Cam. I: 1296 D, fol. 36r. Si tel est le cas, la conclusion qui s’impose est que la basse-cour servait d’abord et avant tout à fournir chaque jour des œufs frais au pape, à l’exemple de Pie V, ou encore à la cuisine « secrète » où ils servaient à la confection de divers types de plats destinés à la table du pape. Et ne pourrait-on pas tirer semblable conclusion concernant les jardiniers (giardinieri) et maraîchers (ortolani), eux aussi mentionnés dans les livres de comptes, plus tard dans les rôles de la cour, qui étaient à même de fournir en saison fruits, légumes et herbes de toutes sortes sans doute destinés, comme les œufs frais des préposés à la basse-cour, d’abord et avant tout à la table du pape, mais, cette fois, non plus seulement par le truchement de la cuisine, mais également de la crédence « secrète ». À noter que la distinction entre jardiniers et maraîchers apparaît au plus tard à partir de Paul III. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 7r et 8r. 292 Nos renseignements sont tirés des registres de Fantino Petrignani du 1er juin 1576 au 12 juin 1577 (ASR, Cam. I: 1350), de Claudio Gonzaga de juillet 1577 à mai 1578 (Ibid., Cam. I: 1351) et de juin 1578 à septembre 1579 (BAV, Introiti ed esiti 1), enfin, de celui d’Alessandro Musotti de juin 1580 à mai 1582 (ASR, Cam. I: 1352). Nos chiffres sont fondés sur les bilans que ces trois majordomes dressaient à la fin de chaque mois où figurent toujours en tête de liste les dépenses afférentes à la table du pape. Cela nous a donné une moyenne de 190 écus par mois. Comme le vin est comptabilisé à part, nous avons estimé, comme nous l’avions fait pour Paul III, que le vin représentait une dépense additionnelle d’environ 20 écus, ce qui donne au total 210 écus par mois, donc 7 écus par jour. Encore est-il bon de noter que cette somme comprend un montant de 60 écus représentant les « fruits » (frutti) remis chaque mois aux camériers du pape. En quoi consistaient ces « fruits »? En companatico sans doute, versé soit en nature soit en argent comme c’était alors la pratique à la cour pontificale Les camériers étant ceux qui côtoyaient de plus près le pape et qui d’ailleurs le servaient probablement assez souvent à table, on n’est pas surpris qu’ils aient eu droit à pareille faveur. Comme nous ne disposons pas de rôle de la cour de Grégoire XIII il est difficile de savoir ce que cela représentait pour chacun d’entre eux quotidiennement, mais peut-être est-ce là poser une question sans objet, car il n’est pas impossible que les frutti en question consistaient en repas qu’ils prenaient en commun avant ou après celui du pape.
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l’autre cas, loin des moyennes que nous a permis d’établir le registre d’Angelo Archilegi, majordome de Paul III. Et encore faut-il préciser que, s’il y a, comme chez ce dernier, un écart relativement important entre les repas de jours de fête et les autres, ces derniers, dans le cas de Grégoire XIII, sont des plus modestes n’entraînant qu’une dépense oscillant entre 2 et 3 écus par jour, alors que, nous l’avons constaté, chez le pape Farnèse, cette dépense se situait plutôt quelque part entre 4 et 6 ducats. Il n’est pas sans intérêt, de ce point de vue, de comparer, comme nous l’avons fait pour Paul III, l’un et l’autre de ces types de menus tels que nous les décrits Fantino Petrignani, premier majordome du pape Boncompagni. Le mercredi, 13 juin 1576 –– Grégoire XIII est alors à sa villa de Frascati –– le pape et ses convives de toute évidence plus nombreux qu’à l’accoutumée, se voient offrir, entre autres, de l’esturgeon, de l’alose, du corbeau et du loup de mer, du mulet, du rouget, de la lamproie, du crabe, des écrevisses, de la tortue, du plongeon –– on faisait manifestement maigre ce jour-là ––, le tout accompagné de caviar, d’anchois, de salades, de légumes et d’herbes de diverses sortes. Mention est aussi faite de poires et d’amandes achetées pour l’occasion. Le majordome qui nous fournit le détail de tous ces achats en établit le coût à près de 38 écus293. Par contraste, le samedi 23 juin, le pape rentré à Rome où il a repris le cours habituel de ses activités retrouve la table de tous les jours comportant certes comme à Frascati –– le samedi était aussi jour d’abstinence à Rome –– esturgeon, rouget, crabe, plongeon auxquels sont venus s’ajouter porc de mer et maquereau, mais le tout manifestement de moindre qualité et en beaucoup moindre quantité qu’à Frascati, en raison sans doute du nombre beaucoup plus limité de convives. Le majordome a par ailleurs fourni aux cuisiniers et crédenciers « secrets » anchois, échalotes, fenouil, verjus, poires, figues, mûres, citrons. Et tout cela à un coût dépassant à peine les 3 écus294. Pour fin de comparaison, il faudrait bien évidemment ajouter ici le vin qui figurait nécessairement chaque jour à la table du pape Boncompagni. On est tout d’abord frappé par le fait qu’on y boit surtout des vins napolitains –– les « grecs » de Somma et d’Ischia en particulier de même que le « Lacrima » qui, à eux seuls, représentent, bon an mal an, quelque 80% des crus consommés à la cour de Grégoire XIII295.
ASR, Cam. I: 1350, fol. 24r. 294 Ibid., fol. 29r. 295 Ibid., fol. 184v. Il s’agit d’une liste de vins achetés à Naples entre septembre 1576 et mai 1577. Au total 10.145 barils payés 19.049 écus, frais de transport y compris. 293 294
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Vins appréciés certes de Paul III –– le « grec » de Somma en particulier –– mais parmi tant d’autres qui l’enchantaient et dont on ne retrouve aucune trace à la table de Grégoire XIII. Et encore faut-il préciser que si certains des meilleurs vins « grecs » y figuraient –– le Somma en particulier –– il en laissait tout l’agrément à ses hôtes, se contentant, pour sa part, d’un vin râpeux (« restato ») qu’il prenait d’ailleurs coupé d’eau et à raison de trois petits verres chaque midi et de deux le soir296. On est là loin, très loin même de Paul III. Et que dire de Sixte V, digne émule, lui, de Pie V pour lequel il avait d’ailleurs la plus grande admiration et qui, se distançant encore plus de Paul III, tenait à ce que tous les repas qu’il présidait, même ceux offerts à de grands personnages, soient d’une extrême simplicité. Certains contemporains affirment même qu’il avait donné l’ordre de limiter les dépenses de « bouche » à 5 ou 6 giulii par jour, soit moins d’un écu297. Voilà qui peut paraître à première vue exagéré, mais les livres de comptes des majordomes de Sixte V montrent, chiffres à l’appui, que ce ne l’est d’aucune façon298 et que les contemporains, sur ce point du moins, avaient parfaitement raison et qu’ils ne se trompaient guère lorsqu’ils attribuaient cette « extrême » simplicité à son souci tout aussi « extrême » d’économie. Détail intéressant qui oblige toutefois à nuancer quelque peu ce jugement: même s’il exigeait qu’on lui serve des mets simples, très simples même et en fort petite quantité, Sixte V tenait par contre à boire de bons vins afin, disait-il, de pouvoir disposer de l’énergie nécessaire à l’exercice de son difficile et exigeant ministère. Malheureusement pour lui, il consommait ces « bons vins » Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 31 et note 4. Ibid., X, p. 45-46 et notes 4 et 5. Alberi, Relazioni cit., IV, p. 306. 298 Les premiers mois de son pontificat, soit mai, juin et juillet 1585, Sixte V s’en tint à la formule de Grégoire XIII, y compris les 60 écus de « frutti » destinés chaque mois aux camériers, ce qui donnera une dépense mensuelle de 226 écus, soit 7,50 écus par jour. Mais les choses ne tardèrent pas à changer. Pour la période allant d’août 1585 à avril 1586, qui était en réalité une période de transition, il n’en réussit pas moins à abaisser cette moyenne mensuelle à 54 écus, soit 1,6 écu par jour. Mais il n’avait pas l’intention d’en rester là. De mai 1586 à juin 1587, la chute se poursuivit pour en arriver finalement à une moyenne de 9,20 écus par mois et donc 0,30 écu par jour. Nos calculs sont fondés sur les données tirées des registres suivants: ASR, Cam. I: 1353, 1354, 1355 et 1356. La moyenne de 0,30 écu recouvre de fait un écart significatif allant d’un minimum de 0,04 à un maximum de 0,66 écu. Trois exemples de menus permettant d’illustrer cet écart, tous trois, de 1586: le 1er juin, le pape se contente d’une soupe à l’oignon et d’un plat d’asperges (0,04 écu); le 1er mai, on lui sert de la tête de chevreau, des œufs, des bucardes (scafi) et de la chicorée (0,11½ écu); le 27 septembre, il se voit offrir du poisson de qualité (« pesce bono »), du chou, des petits pois, un autre type de poisson non identifié, mais de petite taille (« pesciotti »), des crustacés et de nouveau des œufs (0,66 écu). ASR, Cam. I: 1355, fol. 58r, 46r; 1356, fol. 21r. Le tout bien évidemment accompagné de vins « glacés » qui plaisaient tant au pape. 296 297
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frais, très frais même, au point où il fallait lui fournir à cette fin de la neige conservée en dehors de la saison froide en des lieux ad hoc299. Même si cette pratique était de plus en plus répandue en Italie à l’époque, elle était sévèrement condamnée par de nombreux médecins qui la croyaient fort nuisible à la santé300. Sixte V qui avait quelques notions de médecine et qui croyait fermement qu’on n’était jamais aussi bien soigné que par soi-même, faisait fi de ces condamnations et continuera jusqu’à la fin à s’en tenir à ses vins « rafraîchis », persuadé qu’ils lui faisaient le plus grand bien, ce qui n’était sans doute pas le cas301. Chose certaine, Paul III 299 Nous avons la preuve que Sixte V et, déjà, Grégoire XIII avant lui faisaient commande de neige pour les besoins de la cuisine « secrète » et que cette neige était conservée au Belvédère dans un espace clos aménagé à cet effet. Dans le registre du trésorier secret de Grégoire XIII pour l’année 1578, il y a de nombreuses traces de travaux de maçonnerie réalisés au Belvédère sous la supervision de Giovan Maria Belinceni, distillateur (« stillatore ») du pape. Le 19 janvier, Belinceni reçoit 12,85 écus pour couvrir (en partie, sans doute) le coût de construction du puits (pozzo) qu’il a fait aménager en vue de recevoir la neige et la glace qui y seront éventuellement conservées. ASR, Cam. I: 1305, fol. 51v. Nouveaux versements de 20,40 et 17,38 écus les 15 et 28 février pour des travaux additionnels réalisés entre le 27 janvier et le 15 février. Ibid., fol. 58r. Or, la semaine suivant la fin de ces travaux, Belinceni accueille un premier arrivage de neige provenant de la « montagne » dont le seul transport a coûté 32,50 écus. Ibid., fol. 57v. De toute évidence, c’était là un « caprice » qui coûtait cher et qui surprend de la part d’un Grégoire XIII. Mais à quel usage était destinée cette neige? Malheureusement, nous n’en savons rien. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne Sixte V. Notant en octobre 1589 un achat de 400 livres de neige au coût de 4 écus (excluant sans doute le coût du transport), le majordome du pape prend soin de spécifier que cette neige est à l’usage exclusif du pape. ASR, Cam. I: 1362, fol. 44r. Et on sait très bien en quoi consistait cet usage. Rodocanachi signale l’existence à l’époque d’un monopole qui aurait été concédé à un entrepreneur pour l’approvisionnement en neige de Rome. Tous devaient passer par lui pour s’en procurer. Il avait en plus la ferme des glaciers de Rocca di Papa où se trouvaient d’importants puits à « neige ». Cf. Les corporations ouvrières à Rome depuis la chute de l’empire romain, I, Paris 1894, p. 338. 300 A. Capatta ˗ M. Montanari, La cuisine italienne, Paris 2002, p. 56. 301 L. von Pastor, Storia dei papi, X, p. 407-408. Pastor souligne le fait que durant ses études à Sienne Sixte V avait lu Hippocrate, Galien et Avicenne et qu’il croyait connaître suffisamment la médecine pour pouvoir prétendre être en mesure de se soigner lui-même. Il note que quelques jours avant de mourir il crut bon combattre les forts accès de fièvre qu’il subissait depuis le 20 avril par force verres de vin rafraîchi à la neige accompagnés de tranches de melon, ce que lui déconseillaient fortement ses médecins. Un récent biographe de Sixte V se demande si la combinaison de vin « frappé » et de melon frais dont, souligne-t-il, le pape était très friand n’aurait pas de fait servi à aggraver son état plutôt qu’à l’améliorer et donc à précipiter sa mort survenue le 27 août 1590. I. De Feo, Sisto V, un gran papa tra Rinascimento e Barocco, Milan 1987, p. 20. De fait, s’il faut en croire un avviso du 29 avril 1590, les médecins qui ouvrirent son corps le lendemain de son décès conclurent qu’il était victime de la mauvaise habitude qu’il avait de boire trop souvent « des vins purs et glacés », ce qu’il avait d’ailleurs continué à faire jusqu’à son dernier soupir « au point que les camériers en tenaient constamment de prêts avec de la neige ». Cf. J. Delumeau, Vie économique et sociale de Rome, I, p. 116-117.
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aurait été horrifié de voir de quelle façon il se permettait de traiter des vins selon toute apparence de qualité302. Il l’aurait sans doute été moins face aux habitudes alimentaires d’un Jules III, d’un Pie IV et d’un Clément VIII qui, comme lui, aimaient la bonne chère, mais il aurait tout de même vraisemblablement fait la moue devant le manque de raffinement des plats qui agrémentaient habituellement les tables des deux premiers. En ce qui concerne Jules III, nous sommes plus ou moins bien renseignés sur la nature et la qualité des mets qui avaient sa préférence, mais tout donne à penser qu’ils étaient à l’image de l’humour de bas étage qui faisait ses délices et ceux des joyeux drilles avec lesquels il aimait partager des heures durant sa table, une table où, est-il besoin de le rappeler, les plaisirs de la conversation –– une conversation, dans son cas, des plus lestes –– prenaient le pas sur ceux de la gastronomie303. Quant à Pie IV, amateur de lourde cuisine milanaise, de plats « forts », mais en même temps de vins réputés qu’il buvait d’ailleurs en grande quantité, croyant qu’ils ne pouvaient que lui faire du bien304, Paul III aurait certainement apprécié ce côté oenophile qui ne pouvait que lui plaire, mais, pour tout le reste, Pie IV lui serait sans nul doute apparu comme un gourmand plutôt que comme un gourmet. Et que dire de Clément VIII, complexe personnage qui, comme son homonyme Clément VII, jeûnait au pain et à l’eau, mais, par contre, s’offrait volontiers de temps à autre d’agréables repas en joyeuse compagnie, repas où selon toute apparence il faisait honneur à la cuisine qu’on y servait, vin y compris, ce qui pourrait permettre d’expliquer qu’il souffrait de la goutte et était sujet à l’embonpoint avec le résultat que très tôt ses médecins, comme nous l’avons vu plus haut, lui prescrivirent 302 Mais on peut poser la question: s’agissait-il vraiment de « bons vins »? Il semble bien que oui. Nous en avons pour preuve que les vins napolitains qui plaisaient tant à Paul III –– le « grec » de Somma en particulier qui, notons-le au passage, était de tous ces vins le plus coûteux - figurent en très bonne place dans la cave de Sixte V. À ce sujet, voir ASR, Cam. I: 1359, fol. 50v-51r; Cam. I: 1361, fol. 54v. Il s’agit de listes de vins achetés à Naples pour les années 1587-1589. On en fournit chaque fois la quantité achetée et le coût par baril. 303 Les indices en ce sens ne manquent pas. Il y avait de fait chez lui un côté « paysan » qui frappait ceux qui le voyaient pour la première fois. Les contemporains notent qu’il était un « grand mangeur » dont les préférences allaient aux aliments solides et lourds fortement assaisonnés à l’ail. Son mets de préférence était l’oignon. En somme, il n’avait que faire des plats recherchés qui plaisaient aux « fins gourmets de la Renaissance ». L. von Pastor, Storia dei papi, VI, p. 37-38. Si sa consommation de vin était à l’avenant, on aurait peut-être là l’explication des fréquentes crises de goutte qui l’affligeaient. 304 Ibid., VII, p. 71. Pastor note toutefois qu’à partir de 1563, alors qu’il relevait d’une longue maladie, les médecins de Pie IV réussirent à le convaincre de tourner le dos à ce régime alimentaire des plus contre-indiqué au goutteux qu’il était. Voir aussi, au sujet du vin surtout, Alberi, Relazioni cit., V, p. 129.
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l’exercice physique, la marche en particulier, et, plus tard, l’incitèrent à modifier son régime alimentaire, voyant là la cause ou, de moins, une des causes de ses problèmes de santé305. Chose certaine –– les livres de comptes de ses majordomes en font foi — sa table ne ressemblait en rien à celle d’un Pie V ou d’un Sixte V et n’aurait sans doute pas déplu outre mesure à un Paul III306. Autre indice allant dans le Ibid., IV, p. 437. Pour la période allant de juillet 1593 à juin 1594, la dépense pour la seule table du pape s’élève à 2094 écus l’an, soit 174,50 écus par mois et donc 5,82 écus par jour. Nos calculs sont fondés sur les données fournies par les livres de comptes du majordome Tassoni. BAV, Introiti ed esiti 12 et 14. Si nous ajoutons le vin, non compris dans le total, selon la formule que nous avons jusqu’ici utilisée, c’est-à-dire 10% en plus, nous obtenons un déboursé annuel de 2323 écus, donc 193,50 écus par mois et 6,40 écus par jour. Mais ces chiffres paraissent très en-dessous de la réalité, car Tassone a placé, comme l’avaient fait certains de ses prédécesseurs, sous le « vitto papa », un poste appelé « altro companatico » distinct du « companatico danari » auxquels sont désormais assujettis la plupart des membres de la cour, poste qui regroupe diverses dépenses liées d’une façon ou d’une autre à la table du pape, les unes, tels certains achats de denrées par exemple, sans doute réservées à cette même table, mais d’autres tout aussi certainement destinées à certains personnages auxquels le pape continuait d’assurer un « companatico » en nature s’inspirant peut-être des « frutti » dont Grégoire XIII gratifiait chaque mois ses camériers. Mais d’autres dépenses sont inscrites sous ce même poste qui dans les registres des majordomes des prédécesseurs de Clément VIII n’auraient pas figuré ici, mais dans d’autres postes du budget, en particulier dans celui qui avait nom « straordinario ». Malheureusement, les renseignements fournis par Tassone ne permettent pas de faire le partage entre ce qui concerne la table du pape comme telle et tout le reste. Mais cet « altro companatico » constituant un déboursé total de 3025,94 écus, même si nous n’attribuions que le tiers de cette somme au « vitto papa » — ce qui ne paraît d’aucune façon excessif –– cela donnerait une dépense annuelle de quelque 3400 écus, ce qui représenterait un déboursé quotidien de 9,40 écus. Mais nous sommes probablement encore là en deçà de la réalité. À preuve, les données que nous fournit le majordome Biondi pour l’année 1604 et le début de l’année 1605 qui, pour le seul poste « vitto papa », permettent d’établir cette même dépense, mais pour quatorze mois cette fois, à 4505,20 écus, c’est-à-dire 321,80 écus par mois et donc 10,70 écus par jour. Ibid., Introiti ed esiti 32. Si nous ajoutons le vin, nous obtenons un déboursé total de 4955,70 écus et donc près de 354 écus par mois représentant une moyenne quotidienne de 11,80 écus. Mais si nous tenons compte de l’« altro companatico » qui totalise 4079,33 écus pour cette même période et attribuons le tiers de cette somme au « vitto papa », soit 1359,77 écus, comme nous venons de le faire pour la période 1593-1594, nous nous trouvons devant une dépense totale de 6451,37 écus et donc un déboursé moyen de 460,81 écus par mois, et de 15,36 écus par jour. Nous voilà très près des 16 ducats par jour que Paul III consacrait à sa table en 1538. Mais, comme pour cette dernière, il faut tenir compte des écarts considérables pouvant exister entre jours ordinaires où la dépense était d’environ 5 ou 6 écus et les jours fastes où elle pouvait grimper jusqu’à 41,33, voire 68,78 écus, comme permet de le constater le registre de Tassone aux dates du 27 janvier et du 21 février 1593. Ibid., Introiti ed esiti 14, fol. 4v, 18r. Sans doute s’agissait-il de repas regroupant un plus grand nombre de personnes ou encore des invités de marque, dans ce dernier cas, nécessitant l’achat de denrées beaucoup plus recherchées et donc beaucoup plus coûteuses. Et cela nous amène à poser le problème de la qualité des vins que l’on servait à la table du pape. Nous disposons heureusement à ce sujet des renseignements très précis, de fait beaucoup plus précis que ceux dont nous avons fait état dans le cas de Paul III, Grégoire XIII et Sixte V, sur la quantité, la qualité et le coût des vins en question. Par exemple, d’octobre 1592 à juillet 305 306
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même sens, mais concernant cette fois non plus seulement ses propres dépenses de « bouche », mais celles de l’ensemble de sa cour: alors que la part du budget affectée à ce poste était chez Grégoire XIII de 65%, elle est chez Clément VIII de plus de 75%, lui permettant du coup d’éclipser, sur ce plan du moins, même un Paul III, ce qui n’est pas peu dire307. De toute évidence –– et l’examen que nous venons d’en faire le montre assez –– la cuisine occupait à la cour pontificale au XVIe siècle une place éminente et même si certains papes, les uns pour raison d’ascèse, d’autres par souci d’économie, réussirent à limiter, parfois considérablement, leurs propres dépenses de « bouche », cette réussite fut de peu d’effets sur la part du budget de leurs cours affectée à l’ensemble de ces mêmes dépenses, la meilleure preuve en étant que chez un Sixte V, pape parcimonieux si jamais il en fut, ces dépenses, aussi surprenant, voire paradoxal que cela puisse paraître, représentent au total entre 85 et 90% de toutes celles inscrites au budget de de sa propre cour. C’est que de toutes ces dépenses, les moins compressibles étaient justement celles qui concernaient la « table ». 1593, on a acheté 9991 barils de vins « napolitains » au coût de 17.217, 95 écus. Dominant et de loin, quantitativement parlant, le « grec » d’Ischia (1966 barils), le « grec » de Somma (1582 barils), le Chiarello (1474 barils) et le Calabrese (1325 barils), mais, qualitativement parlant, le « grec » de Somma les dépasse tous, représentant une dépense totale de 4422,70 écus (soit 23,50 giulii le baril). Ibid., Introiti ed esiti 12, fol. 12v. Or le livre de comptes du majordome Biondi permet d’affirmer que, de ces vins, ceux qui avaient la faveur du pape et qui avaient donc l’honneur de figurer en bonne place dans sa cave, étaient, dans l’ordre, le Chiarello, le Centola, le Scalea, le Belvedere, le « grec » de Somma, le Lacrima et le « Mazzacane ». Ibid., Introiti ed esiti 32, fol. 77v, 173v. Cinq de ces vins, en particulier le « grec » de Somma, avaient, nous l’avons vu, l’estime de Paul III. Lancerio, pour sa part, a une bonne opinion du Scalea, mais, cela dit, croyait qu’il était plutôt un vin « de famille ». Faccioli et al., L’arte della cucina cit., p. 342. Ce vin aurait donc dû se trouver dans la cave « commune » plutôt que dans la cave « secrète ». Mais Clément VIII avait peut-être en la matière des goûts plus éclectiques que ceux de son illustre prédécesseur, ne dédaignant pas à l’occasion voir ce vin de « famille » figurer à sa table, à moins qu’il ne le destinait à ceux des membres de son personnel de la « chambre » qui souvent assuraient le service à sa table. Quant au Belvedere que ne mentionne pas Lancerio, il était probablement lui aussi un vin méridional, et un vin d’une certaine qualité, si on tient compte du prix qu’il commandait à l’époque, soit 17,50 giulii le baril à l’égal, notons-le, du Chiarello, vin de bonne réputation. Au cours de l’année 1592-1593, donc au tout début de son règne, Clément VIII en fera acheter 389 barils. BAV, Introiti ed esiti 12, fol. 12v. De toute évidence, sa table se rapprochait beaucoup plus de celle d’un Paul III que de celle d’un Pie V et d’un Sixte V, voire d’un Grégoire XIII. 307 Nous renvoyons ici à notre quatrième chapitre où sur la base des données dont nous disposions, nous avons estimé que la part du budget global de la cour consacré aux dépenses de « bouche » se situait chez un Paul III quelque part entre 65% et 70%. Comme nous ne disposions dans son cas que de données fragmentaires, cette estimation ne visait bien évidemment qu’à fournir un ordre de grandeur. Le budget d’une année entière aurait permis d’être plus près de la réalité, donc de mieux mesurer la distance séparant sur ce plan Paul III et Clément VIII. Pour ce qui est de Grégoire XIII, ce problème ne se posait pas en raison de la documentation beaucoup plus complète dont nous disposions. Cf. Chap. IV, p. 299 et notes 395, 397.
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Un élément en particulier a sans doute contribué à déjouer les calculs des papes en question, Sixte V le premier, et c’est le fait que la parte dite du pain et du vin depuis longtemps distribuée chaque jour à tous les membres de la cour, parte qui avait pour ces derniers une valeur hautement symbolique et était donc quasi intouchable, représentait, à elle seule, une forte proportion de l’ensemble de leurs dépenses de « bouche », proportion pouvant atteindre, chez un Sixte V par exemple, les 75%308. Mais pour établir de façon encore plus exacte ce qu’il en coûtait réellement chaque année à ces mêmes papes pour se nourrir et nourrir leurs « familles », il faudrait aussi tenir compte des salaires versés à l’ensemble des personnels affectés aux divers services de « bouche » du palais, ce qui obligerait sans doute à revoir à la hausse les pourcentages dont nous venons de faire état. Car –– nous avons eu l’occasion de le montrer dans notre quatrième chapitre309 –– ces personnels représentaient à l’époque 308 Sixte V avait réussi comme il le souhaitait ardemment à réduire au minimum les dépenses de sa cour. Elles n’étaient plus pour l’année 1587 que de 46.071,64 écus. ASR, Cam. I: 1355 et 1356. Quand on sait qu’elles étaient d’environ 68.000 ducats l’an chez Paul III en 1538 (Ibid., Cam. I: 1349), à une époque où le coût de la vie à Rome était passablement plus bas, de 95.860 écus chez un Grégoire XIII en 1577 (Ibid., Cam. I: 1350), de 143.788 écus chez Clément VIII en 1604 (BAV, Introiti ed esiti 32), cette réussite constituait à n’en pas douter un exploit. Mais la décision prise, probablement à contrecoeur par Sixte V, de maintenir la part de pain et de vin distribuée chaque jour à tous les membres de la cour, part à laquelle tenaient mordicus ces derniers pour des raisons tout à la fois économiques et symboliques, celles-ci comptant tout autant sinon plus que les autres, l’obligera à faire des achats massifs de blé et de vin, achats qui expliquent la place occupée par la parte dite du pain et du vin dans l’ensemble des dépenses de « bouche » de sa cour. À ce sujet, nous renvoyons une fois de plus à ASR, Cam. I: 1355 et 1356, passim. Or des 39.150 écus affectés en 1587 aux dépenses de « bouche », quelque 75% correspondent aux seuls achats de blé et de vin. Nous renvoyons encore ici à ASR, Cam. I: 1355 et 1356, passim. À titre de comparaison, cette proportion n’est que de 46% chez Grégoire XIII dans le budget de 1577 (Ibid., Cam. I: 1350, passim) et de 57% chez Clément VIII en 1604 (BAV, Introiti ed esiti 32, passim). Mais ces pourcentages n’en restent pas moins, dans un cas comme dans l’autre, très élevés. Le pain et le vin occupaient, de toute évidence, une place à part dans les régimes alimentaires des membres de la cour pontificale, exprimant tout à la fois le lien quasi paternel unissant le pape à sa « famille » et le caractère jugé par plusieurs « sacral » de l’une et l’autre de ces denrées de base. 309 Voir chap. IV, p. 228, 231-232. Les services de « bouche », aussi bien que ceux affectés à la seule « table » du pape que ceux responsables des tinelli réservés à certains membres de la cour, puis surtout du companatico en nature fourni, du moins jusqu’au temps de Sixte V, à la plupart des autres membres de la « famille » pontificale, comptaient bien évidemment sur leurs collègues des services d’intendance pour leur procurer ce dont ils avaient besoin pour donner à manger et à boire à tout ce monde chacun selon son rang, mais aussi et peut-être surtout en fonction de la générosité plus ou moins grande du maître de céans. Ces collègues, majordome en tête, s’efforçaient de répondre du mieux qu’ils pouvaient aux desiderata des chefs des services en question et, pour ce faire, s’adressaient à des fournisseurs attitrés –– nous reviendrons sur eux dans nos deux prochains chapitres –– auprès desquels ils savaient pouvoir normalement trouver la plupart des éléments de base nécessaires à l’alimentation de la cour. Voir à ce propos le registre de l’année 1577-1578 tenu par le majordome de Grégoire XIII, Claudio Gonzaga, où abondent les renseignements de toutes sortes concernant les
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une main d’œuvre particulièrement abondante entourant, à divers titres, les principaux officiers de « bouche » du palais chargés, les uns, de ravitailler celui-ci en denrées de toutes sortes, d’autres, de stocker et de conserver le mieux possible ces dernières, d’autres encore, d’assurer qu’elles soient dûment sélectionnées, apprêtées, au besoin, transformées pour les besoins de la table du maître en particulier, d’autres enfin, de faire en sorte que les produits en question soient servis au pape et à ses hôtes avec tout le décorum voulu et, cela, en fonction du type de repas servi, puis surtout du nombre et de la qualité des personnes présentes. Peut-être est-il bon de rappeler ici qu’il n’existait pas encore à l’époque, même dans les cours princières, de salle à manger au sens propre du terme310, qu’on s’installait au gré des circonstances de temps, de lieu et de personnes dans l’une ou l’autre pièce du palais –– cela pouvant aller d’une simple antichambre à une grande salle d’apparat ––, pièce qu’il fallait chaque fois aménager à l’avenant, ce qui représentait chaque jour et, parfois, plus d’une fois par jour le placement et le déplacement de meubles, vaisselle et autres objets requis pour le service du pape surtout et des plus ou moins nombreux convives reçus à sa table et donc le recours fréquent à une main d’œuvre ad hoc placée sous la gouverne du maître d’hôtel, voire, à l’occasion, du majordome à qui incombait au premier chef cette responsabilité311. Autant d’éléments qui ne permettent pas de douter de l’importance de la cuisine dans la vie de la cour pontificale au XVIe siècle et, cela, d’un fournisseurs en question et le type de produits qu’ils livraient à la cour. ASR, Cam. I: 1351, passim. C’est aux dépensiers (« expenditores » ou « spenditori ») –– on en trouve déjà un à la cour de Jules II (Ibid., Cam. I: 1487, page frontispice) –– qu’il appartenait de passer au jour le jour les commandes nécessaires –– après autorisation, bien entendu, du majordome ou du sous-majordome –– et de voir à ce que les commandes en question soient suivies d’effets et à la satisfaction des principaux intéressés. Une fois livrés au palais apostolique, les produits venant de ces divers fournisseurs partaient, selon le cas, vers les magasins (cantine) ou directement vers les dépenses et cuisines du palais et devenaient, à partir de ce moment, la responsabilité des services de « bouche ». Il arrivait toutefois que certains de ces produits aient besoin d’être transformés avant de pouvoir servir à la consommation, par exemple, comme au temps de Grégoire XIII, veaux, vaches, moutons achetés sur pied, non plus de bouchers, mais de marchands de bestiaux. Ainsi, début juin 1578, Claudio Gonzaga, majordome du pape, note-t-il qu’il a en inventaire pour 1078,50 écus de « bestie vive diverse ». BAV, Introiti ed esiti 1, fol. 7r. Pour le seul mois de septembre de cette même année, il enregistre une dépense de 1355,17 écus pour l’achat de 45 veaux, 18 vaches et 310 moutons. Ibid., 78r. D’où la nécessité d’avoir sur place un boucher et le fait qu’il s’en trouve effectivement un (« macellaro di palazzo ») à la cour de Grégoire XIII. Ibid. Peut-être ce dernier ou son majordome avaitil calculé qu’il en coûterait moins cher de procéder de la sorte. Chose certaine, ils n’étaient pas, l’un et l’autre, sans savoir de quel poids étaient les dépenses de « bouche », provisions et salaires du personnel y compris, dans les budgets annuels de la cour. 310 À ce propos, voir R. Sarti, Vita di casa, Rome-Bari 2003, p. 165-166. 311 Sur le rôle joué en ce domaine par la maître d’hôtel ou scalco, voir Evitascandalo, Dialogo cit., p. 211-223.
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point de vue non seulement économique qui d’ailleurs à lui seul suffirait amplement à nous en convaincre, mais également culturel, social, politique, voire religieux, comme nous avons été à même de le démontrer. Aussi croyons-nous pleinement justifié le choix que nous avons fait d’accorder à cette réalité de tous les jours autant d’espace que nous l’avons fait. Mais cette même réalité est inséparable d’une autre qui, par certains côtés, l’englobe, par d’autres, dépend d’elle et qu’il nous faut maintenant aborder: c’est celle que nous avons choisi d’appeler l’hygiène corporelle. De quoi s’agit-il au juste? Des efforts déployés par les papes eux-mêmes de leur propre initiative ou à l’instigation d’autres: médecins, barbiers, apothicaires, camériers en vue de se maintenir en bon état de santé et, le cas échéant, combattre les diverses pathologies susceptibles de mettre cet état en péril. Il a déjà été question de certains aspects de cette « cure » corporelle dans les pages que nous avons consacrées à la sphère ludique. Chasse, pêche, randonnées à cheval ou à pied nous sont apparues comme autant d’exercices propres à favoriser la santé du corps et de l’esprit des papes de l’époque, exercices d’ailleurs fortement recommandés par leurs médecins. Nous venons par ailleurs de faire état des avis donnés par ces mêmes médecins à certains papes concernant leurs régimes alimentaires jugés par eux mal adaptés à leurs conditions de vie et à leurs « humeurs » et, donc, de nature à nuire et, parfois, sérieusement nuire à leur équilibre mental et physique. Avis, nous l’avons vu, dont il n’était pas toujours tenu compte. Il a aussi été question de soins du corps lorsque nous nous sommes intéressés au lever du pape et avons mentionné, en passant, que ce dernier commençait d’abord par faire sa toilette habituellement avec l’aide de ses camériers, mais, parfois, comme l’avait décidé pour son compte l’inimitable Paul IV, sans cette aide. Le moment est venu de nous intéresser de plus près à ce moment à première vue banal de la vie intime des papes de l’époque, car il va subir au cours du XVIe siècle une transformation majeure résultant d’un changement de mentalité pour le moins surprenant concernant l’utilisation du bain et donc de l’eau comme moyen d’assurer la propreté du corps. S’inspirant de l’Antiquité romaine, les papes d’Avignon avaient été parmi les premiers à se munir d’étuves (stufe) au sens strict du terme, c’està-dire disposant d’eau chaude et de vapeur. Fort de cet exemple –– il avait été, ne l’oublions pas, évêque, puis légat d’Avignon et, à ce double titre, avait séjourné dans cette ville de 1473 à 1482 –– le futur Jules II se fit construire entre 1483 et 1486 dans la forteresse d’Ostie dont il était le gouverneur une étuve disposant comme à Avignon d’un système élaboré d’adduction d’eau. Devenu pape, il en fit tout autant dans l’appartement qu’il se fit aménager au Vatican à partir de 1507 et on trouve encore au-
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jourd’hui des traces de cette stuffeta décorée à la Romaine312. On connaît l’existence d’un autre bain à peu de distance de la stuffeta de Jules II qui serait de l’époque de Clément VII et que Redig de Campos attribue à celui-ci, alors qu’il se pourrait qu’il soit plutôt dû à l’initiative de Gian Matteo Giberti, secrétaire du pape. Clément VII, nous l’avons vu, avait, par contre, fait aménager une superbe stufa au Château Saint-Ange avec un système d’adduction d’eau passablement sophistiqué. Le bain que Redig de Campos attribue à ce même Clément VII était, à ce qu’il semble, encore en usage au temps de Paul III313. Mais les stufe vont se faire de plus en plus rares à partir de 1525314 et, pour ce qui est du Vatican, après Clément VII, il n’y a plus trace dans les livres de comptes de la cour d’aménagements ou de réaménagements de bains de ce type dans le palais apostolique. Sans doute avait-on fini par renoncer aux salles de bain ou même aux bains fixes inspirés de l’Antiquité romaine. Peut-être est-il bon de rappeler ici qu’à partir des XIVe et XVe siècles les bains publics, jusque-là fort populaires, avaient pour des raisons tant morales qu’hygiéniques perdu beaucoup de leur crédit et avaient même été, en certains endroits, condamnés. Suite à la peste noire, on craignait en particulier qu’ils ne soient lieux propices à la contagion. Les bains privés qui étaient surtout le fait de gens fortunés avaient subi le même sort, car l’idée s’était répandue que le contact avec l’eau, avec l’eau chaude surtout exposait le corps à de dangereux agents pathologiques. D’où la disparition progressive du bain et surtout de la stufa dans de nombreuses grandes maisons et cours d’Europe. On dit de Louis XIV qu’il ne se baigna qu’une fois entre 1647 et 1711. On dut donc trouver une autre façon de garder le corps propre et on se rabattit alors sur la lessive qui permettait de fréquents changements de vêtements, de vêtements de dessous surtout, libres de toutes taches ou odeurs résultant d’usages précédents. C’est ce que Raffaella Sarti appelle la conception « sèche » (asciutta) de l’hygiène corporelle. Mais elle note par ailleurs qu’à cette même fin on faisait aussi à l’époque largement usage de parfums et d’eaux de toilette315. Or –– s’agirait-il d’une simple coïncidence? –– c’est sous Paul III que l’on trouve pour la première fois mentionnée dans un rôle de cour la présence 312 J. Sinisalo, Le stufe romane, dans Quando gli dei si spogliano, éd. B. Concardi ˗ H. Lilius, p. 11-18. Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p.104. Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 108. 313 Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 123-124. SINISALO, Le stufe cit., p. 18. 314 Ibid. 315 Sarti, Vita di casa cit., p. 247-255. Voir aussi à ce sujet, N. Elias, La civilisation des mœurs, Paris 1997, p. 243-245.
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d’une lavandière « secrète », c’est-à-dire au service exclusif du pape316 et c’est sous ce même Paul III qu’entre en scène un personnage jusque-là absent aussi bien des livres de comptes que des rôles de cour: le distillateur (« stillatore »)317. Jules III va suivre, dans un cas comme dans l’autre, cet exemple. Détail intéressant, sa lavandière « secrète », Madonna Girolama, avait un serviteur du nom de Cesare qui avait rempli ce même office auprès de Madonna Orsolina, ultime lavandière de Paul III318. La fonction de lavandière « secrète » en était donc une d’une certaine importance, mais il ne fait pas de doute qu’elle était par ailleurs fort harassante, d’où la présence de ce serviteur chargé probablement des tâches pénibles et surtout physiquement exigeantes que comportait le métier de lavandier ou de lavandière319. Quant au distillateur dûment inscrit dans les rôles de cour de Jules III sous le nom de Francesco dit « le Lorrain » (« Loreno »)320 et qui ne fait sans doute qu’un avec le « Francesco » de la cour de Paul III, il s’appelait en réalité François Vaniers et il était surtout employé, ainsi que nous l’avons vu au chapitre quatrième, à préparer des eaux de toilette à l’intention du pape321. Notons, par ailleurs, que ce dernier faisait assez souvent l’acquisition de parfums qui devaient servir au besoin de complément aux eaux de toilette322. Comme le fera à l’occasion son successeur Paul IV323 qui avait par ailleurs, lui aussi, à son emploi un distillateur du nom de Desiderio324, Pie IV, Pie V et Grégoire XIII continueront à faire appel à des stillatori, un Sebastiano Manzoni, dans le cas du premier, un Giovan Maria Belinceni, dans le cas des deux autres, mais nous ne savons pas si ces deux hommes fabriquaient ou non des eaux de toilette325. Aucune trace 316 Au début de son règne, il eut à son service une certaine Giovanna qui recevait pour salaire 4 ducats par mois. ASR, Cam. I: 1492, fol. 31v. Cette Giovanna fut éventuellement remplacée par une certaine Orsolina qui était encore là au moment de sa mort. Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 8r. 317 Ce stillatore du nom de « Francesco » était installé depuis au moins 1545 au Belvédère où il préparait des eaux de diverses sortes, en particulier, s’il faut en croire Léon Dorez, des eaux de vie. Dorez, La cour cit., I, p. 216, note 3. 318 ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito 1550, fol. 24v; 1295, Thesaureria Secreta, fol. 21v. 319 À ce propos, voir Sarti, Vita cit., p. 25. 320 BAV, Ruoli 2, fol. 22v; Ruoli 3, fol. 8r. 321 Une première mention en ce sens le 28 avril 1550 suivie de nombreuses autres par la suite. ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito 1550, fol. 13r et passim. À noter l’achat le 23 mai de 32 douzaines de roses pour servir à la fabrication desdites eaux de toilette. Ibid., fol. 18r. 322 Et, cela, à partir du 4 avril 1550. Ibid., fol. 13v et passim. 323 Ibid., Cam. I: 1298, fol. 40r. 324 324 BAV, Ruoli 32, fol. 11v. 325 En ce qui concerne Manzoni, voir BAV, Ruoli 39, fol. 30 et ASR, Cam. I: Giust. Di Tes. 4, fasc. 18, fol. 9r. Pour ce qui est de Belinceni, au temps de Pie V, voir Ibid., fasc. 14, fol. [8r] et au temps de Grégoire XIII, Ibid., 11, fasc. 4, fol. 5v. Le seul indice que nous ayons qui pourrait donner à penser que les stillatori préparaient encore à l’époque des eaux de toilette concerne Grégoire XIII. En effet, en mars 1574, Belinceni reçoit 115 écus pour acheter des « herbes » et autres ingrédients pour fins de distillation (« erbe et altre cose …per stillare »).
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par contre de distillateurs dans les rôles de cour de Sixte V et de Clément VIII, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’ils ne recouraient pas, du moins à l’occasion, aux talents de stillatori oeuvrant ailleurs dans Rome ou travaillant à leur compte. Pour ce qui est des lavandières « secrètes », leur présence est attestée è la cour de Paul IV de même qu’à celle de Pie IV326 –– Grégoire XIII fera, lui, plutôt appel aux services d’un lavandier327 ––, mais on ne trouve plus trace de cet emploi chez un Pie V, un Sixte V et un Clément VIII328. Peut-être ces derniers préféraient-ils confier leur lessive personnelle à une femme de peine de l’extérieur comme le faisait déjà en son temps Léon X329. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse et de celle concernant l’absence de distillateurs à la cour de Sixte V et de Clément VIII, force est de reconnaître qu’à partir du pontificat de Paul III, le nouveau type d’hygiène corporelle décrit pa Raffaella Santi était en voie de supplanter celui qui avait eu jusque-là la faveur de la cour pontificale, d’un Jules II et d’un Clément VII en particulier, amateurs l’un et l’autre de bains et surtout d’étuves (stufe) à la romaine. Dans la Rome pontificale comme ailleurs, la conception « sèche » de l’hygiène corporelle trouvait de plus en plus preneurs. Ibid., Cam. I: 1301, fol. 75r. De fait cette subvention se répète de mois en mois depuis au moins 1573. Ibid., fol. 3v et passim. À quoi servaient au juste ces « herbes » et autres ingrédients comme on peut le constater fort coûteux? À fabriquer des eaux de toilette? Peut-être. Mais il pourrait aussi s’agir d’eaux de vie à base de fruits ou encore de médicaments. 326 Nous ne connaissons pas le nom de la lavandière de Paul IV, Mais nous savons qu’elle entra à son service dès le début de son règne et qu’elle était rémunérée à raison de 4,40 écus par mois. Ibid., Cam. I: 1296 D, fol. 19v et passim; 1297, fol. 20r et passim, 1298, fol. 17v et passim. Celle de Pie IV s’appelait Camilla. En août 1563, elle reçut à l’occasion de la SaintJean une mancia de 3,30 écus pour elle et son « garçon », c’est-à-dire son serviteur, Constantino Longhino. Ibid., Cam. I: 1299, Introito et Exito 61-64, fol. 10r. Elle était payée 2,50 écus par mois. Ibid., Conto 63-64, fol. 25 et passim. 327 Le lavandier de Grégoire XIII s’appelait Andrea Mescati et était originaire de Ferrare. Embauché dès juin 1572, on constate qu’il n’habitait pas la cour et qu’on lui versait 20 écus l’an pour couvrir le loyer de la maison où il logeait. Ibid., Cam. I: Giusti. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 5r. Il recevait une provision de 4,90 écus par mois. Ibid., Cam. I: 1390, fol. 12v. Le 25 août 1577, apprenant qu’il est frappé par la maladie, le pape lui fait remettre une mancia de 11 écus. Ibid., Cam. I: 1305, fol. 16r. 328 On trouve dans le rôle dressé en 1592 de la cour de Clément VIII mention d’une lavandière commune. BAV, Ruoli 113, fol. 11r. Dans un rôle de 1597, on parle d’une « madama Francesca », lavandière, sans autre qualification, mais aussi d’un certain Stefano, préposé à la lessive. Ibid., Ruoli 145, fol. 13v. Cette lessive, serait-elle celle du pape? On ne le précise pas. 329 Ainsi, le 27 mai 1513, Léon X fait-il remettre à Margarita « Albanensis » sa lavandière (« lavandara ») 7,10 florins pour le travail effectué depuis le 15 mars. Et, notons-le, cet argent est remis à son mari, un certain Lazare (« Lazaro »). C’est donc qu’elle travaille chez elle et que ledit Lazare sert probablement d’intermédiaire entre elle et le garde-robe du pape. ASV, Intr. et Exit. 551, fol. 95v. En juin 1514, cette même Margarita dite, cette fois, de Terracina reçoit 5 ducats comme provision mensuelle et cet argent est une fois de plus remis à son conjoint « Lazaro ». Ibid., Intr. et Exit. 552, fol. 61r. En 1520 a succédé à cette Margarita une certaine « Madama » Chiara qui, elle aussi, est payée 5 florins par mois. Ibid., Intr. et Exit. 560, fol. 128v.
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Nous ne pouvons quitter le monde de l’hygiène du corps sans dire quelques mots du gabinetto, l’ancêtre de notre cabinet d’aisance. Jules II, à ce qu’il semble, en avait fait aménager un à proximité de la stuffeta de l’appartement qu’il s’était fait construire au Vatican330. Raffaella Santi signale que ce type de cabinet appelé aussi « destro » était probablement répandu dans les grandes maisons de l’époque331. Il serait surprenant qu’il n’en ait pas été de même chez les papes du XVIe siècle332. Les médecins avaient joué un rôle important dans la disparition progressive du bain et de la stufa un peu partout en Europe à partir du XVe siècle333. Ceux qui étaient au service des papes de l’époque ne furent sans doute pas étrangers au fait que leurs maîtres finirent par renoncer eux aussi à l’eau comme vecteur privilégié d’hygiène corporelle. Mais, comme nous avons eu plus d’une fois jusqu’ici l’occasion de le constater, leur influence s’étendait à beaucoup d’autres domaines touchant au bien-être physique et psychique de leurs patrons. En matière de loisirs comme en matière d’alimentation, ils n’hésitaient pas à donner à ces derniers avis, conseils et recommandations, même si ceux-ci n’étaient pas toujours suivis d’effets. Mais là où leur présence se faisait le plus sentir et était généralement de plus de conséquence, pour le meilleur et pour le pire d’ailleurs, c’était chaque fois qu’ils étaient appelés à traiter les indispositions de toutes sortes, les unes bénignes, les autres, plus graves qui, occasionnellement ou périodiquement ou encore chroniquement, affligeaient leurs illustres patients. Le fait que ces derniers aient cherché du moins durant la première moitié du XVIe siècle à recruter les meilleurs ou, du moins les plus réputés d’entre eux un peu partout en Italie et ailleurs pour veiller sur leur santé et celle de leurs « familles », confiant par la même occasion à certains de ces praticiens des chaires à l’Université de Rome, montre bien qu’ils tenaient à les avoir en tout temps près d’eux et qu’ils comptaient sur leur expertise pour les aider à combattre et éventuellement vaincre les maux qui pouvaient à tout moment les frapper. Avaient-ils raison de 330 À ce propos, nous renvoyons de nouveau à Sinisalo, Le stufe cit., p. 11-18 de même qu’à Redig de Campos, I Palazzi Vaticani cit., p. 164 et Pietrangeli et al., Il Palazzo Apostolico cit., p. 108. 331 Sarti, Vita cit., p. 163. 332 Cela dit, devaient continuer à exister un peu partout dans le palais apostolique des latrines à l’ancienne pour la commodité de la « famille » pontificale ou des hôtes de passage. En ce qui concerne les papes eux-mêmes, ils pouvaient sans doute aussi compter, la nuit surtout, sur les traditionnels pots de chambre et urinaux depuis longtemps en usage. De fait, on trouve traces d’achats d’urinaux ici et là dans les livres de comptes de leurs cours. Ainsi, le 25 juin 1555, Paul IV en fait-il acheter pour 6,15 écus. ASR, Cam. I: 1296D, fol. 17v. Le 20 mars 1556, nouvel achat, mais cette fois il est précisé qu’il s’agit d’urinaux de cristal. Ibid., Cam. I: 1297, fol. 28v. Paul IV savait être grand seigneur même dans les plus petites choses. 333 Sarti, Vita cit., p. 247-248.
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leur faire pareille confiance? Il est permis d’en douter, car si quelques rares médecins de l’époque plus curieux, plus hardis et plus pragmatiques que d’autres avaient trouvé des façons novatrices et efficaces de traiter certaines maladies, la grande majorité d’entre eux en étaient encore à la « science » d’Hippocrate et de Galien qui continuaient à régner en maîtres dans la plupart des écoles de médecine d’Europe334. Tout était question d’« éléments » –– l’air, l’eau, le feu –– qui parfois se combinaient, parfois se combattaient à l’intérieur du corps humain, ou encore d’« humeurs » –– le chaud et le froid, l’humide et le sec –– qui déterminaient aussi bien les vulnérabilités internes propres à tout un chacun que les menaces externes auxquelles l’organisme humain était d’une saison à l’autre constamment exposé. Aussi attribuait-on le plus souvent à l’air les diverses maladies qui avaient cours à l’époque, en particulier celles de nature contagieuse335. D’où sans doute, nous l’avons vu, le souci commun à la plupart des papes de l’époque de fuir le Vatican, l’été surtout, à cause de la mauvaise qualité de l’air qui y régnait et donc de la nécessité d’aller s’installer pour un temps du moins dans des lieux plus salubres, tels le palais de Venise ou, mieux, les monti et castelli entourant Rome. Les connaissances limitées des médecins du temps dans le domaine aussi bien de l’anatomie que de la physiologie –– de fait, dans ce dernier cas, presque nulles –– les condamnait à l’à-peu-près de diagnostics douteusement fondés et de traitements souvent inefficaces336. On comprend 334 Sur tous ces points, nous renvoyons à l’étude fouillée d’Elisa Andretta: Roma medica. Anatomie d’un système médical au XVIe siècle, Rome, 2011. Pour ce qui est des médecins au service des papes de l’époque, voir en particulier p. 219-347. 335 R. Mandrou, Introduction à la France moderne, Paris 1961, p. 44-45, 48. 336 Ibid., p. 54. Marie Boas qui, contrairement à Mandrou, est d’avis que des progrès importants furent réalisés au XVIe siècle dans des domaines scientifiques intéressant la médecine, tels la botanique, l’anatomie, voire la physiologie, n’en reconnaît pas moins que ces progrès n’eurent aucun impact sur les médecins de l’époque qui, pour la plupart, en restèrent aux bonnes vieilles et parfois dangereuses pratiques d’autrefois. Cf. The Scientific Renaissance, 1450-1630, New York 1966, p. 347. Pour sa part, Giovanni Ceccarelli qui s’est intéressé plus récemment à la santé des papes de l’époque et aux soins que leur prodiguaient leurs médecins donne de nombreux exemples qui vont dans le même sens. À un Alexandre VI qui était sujet à d’assez fréquents évanouissements ou ictus causés peut-être par un problème cérébro-vasculaire et qui mourra en 1503 très probablement de la malaria et d’un ictus qui, cette fois, lui fut fatal, ses médecins ne trouvèrent rien de mieux que de lui prescrire et à plusieurs reprises la traditionnelle saignée. La salute dei pontifici nelle mani di Dio e dei medici, Milan 2001, p. 12-13. Pie III mourut probablement d’une septicémie conséquente à une saignée imprudemment administrée par son chirurgien barbier. Un contemporain, Sigismondo de’ Conti, ne craint pas d’accuser ce dernier d’homicide. Ibid., p. 17-18. Un des médecins de Clément VII, Matteo de Curte ou Curzio, sera accusé de la mort de son maître pour lui avoir servi un remède à sa façon qui était, semble-t-il, à base de rhubarbe. Ibid., p. 37. Jules III mourut probablement d’une cure diététique excessive prescrite par ses médecins, cure qui le rendit de plus en plus faible et enleva au gros mangeur qu’il était jusqu’au goût de manger. Ibid., p. 47. Clément VIII qui sera finalement emporté par une série de violentes attaques
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qu’un Sixte V qui, comme eux, avait lu Hippocrate et Galien préférait se soigner lui-même à sa façon sans égard pour leurs mises en garde répétées. Beaucoup, à l’époque, témoins de l’impuissance de ces mêmes médecins face aux épidémies qui sévissaient périodiquement sur l’ensemble ou certaines parties seulement du territoire européen –– la « peste » en particulier –– préféraient s’en remettre à la fuite, s’ils en avaient les moyens, ou encore aux remèdes et recettes hérités d’une longue tradition populaire, voir aux pratiques « dévotieuses » qui avaient encore cours à l’époque, elles-mêmes fondées sur la croyance largement répandue que les maladies, surtout les maladies contagieuses étaient autant d’avertissements, voire de punitions servis par Dieu lui-même aux pécheurs qu’ils étaient337. De toutes ces réponses, la fuite était sans doute la plus rationnelle et, de loin, la plus efficace et on est en droit de penser que beaucoup de médecins étaient d’accord avec elle, ne sachant que trop en leur for intérieur à quel point ils étaient démunis face aux pandémies de ce genre. Mais qu’en était-il des maladies plus courantes résultant, comme on le croyait, de la mauvaise qualité de l’air ou encore de sur ou de sous-alimentation, type « fièvres », dans le premier cas338, type « goutte » ou « mal des écrouelles », c’est-à-dire adénite scrofuleuse, dans le second? Dans la plupart des cas, on recourait volontiers à la saignée ou à la purgation, armes privilégiées des praticiens de l’époque, qui voyaient là le moyen le plus efficace d’expulser « les mauvaises humeurs » qui, selon eux, étaient à l’origine de bon nombre de maux dont souffraient leurs contemporains339. Pour ce qui était des maladies de l’alimentation, il n’est pas impossible que l’un ou l’autre médecin ait soupçonné qu’elles étaient liées à la présence ou à l’absence de certains éléments nutritionnels dans les régimes alimentaires de ceux ou celles qui en étaient affectés. Nous savons aujourd’hui que la goutte dont souffraient les « grands » et les « riches » de l’époque résultait d’une trop grande consommation de viandes, de viandes rouges d’apoplexie début mars 1605 sera durant ses derniers jours traité par son chirurgien Giuliano Cecchini à coup de vésicatoires, de potions à base de poussière d’or, de potages contenant de la poudre de perle, puis, en désespoir de cause, verra ledit Cecchini lui poser la tête dans les viscères chaudes d’un mouton qu’on venait d’abattre à cette fin. Ibid., p. 83. Mais voir aussi à ce sujet, Andretta, Roma medica cit., p. 320-333. 337 Mandrou, Introduction cit., p. 55. Peut-être serait-il bon de mentionner ici qu’astrologie et médecine, du moins jusqu’au règne de Paul III, faisaient bon ménage à la cour pontificale et que cet élément entra sans doute lui aussi en ligne de compte lorsque venait le moment de prescrire un traitement ou une médication adaptés à l’indisposition ou à la maladie diagnostiquée, puis surtout au patient concerné. À ce sujet, voir A. Menghini ˗ F. Menghini Di Biagio, Paolo III. Pillole e profezie. Astrologia e medicina alla Corte papale nel Cinquecento, Pérouse 2004. 338 Le terme « fièvres » couvre de fait à l’époque une foule de maladies qu’on ne sait pas encore nommer. Il en va de même du terme « peste » d’ailleurs. Ibid., p. 47-48 339 Ibid., p. 59.
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surtout et de vin et les « écrouelles », à l’opposé, d’un manque de viande, entre autres, dans les régimes faméliques de certaines populations pauvres et démunies d’Europe340. Il est toutefois douteux que, dans leur ensemble, les médecins du XVIe siècle aient été conscients de ce lien de cause à effet. Ceux d’un Pie IV qui conseillaient fortement à leur auguste patient de renoncer à sa lourde cuisine milanaise le faisaient surtout en raison de ce qu’ils croyaient être l’incompatibilité de ce régime avec ses humeurs. En somme, ils en étaient toujours aux théories d’Hippocrate et de Galien. Notons, au passage, que c’est au nom de ces mêmes théories que Sixte V justifiait l’habitude qu’il avait prise de ne boire que des vins « glacés ». Visaient plus juste et paraissaient plus clairvoyants les praticiens qui, nous l’avons vu, au début du XVIe siècle, recommandaient aux hauts dignitaires ecclésiastiques de leur temps, papes y compris, de s’adonner à la chasse, plus tard, à la marche, en d’autres mots, à l’exercice physique, pratiquant de ce fait, peut-être sans le savoir, ce que nous appellerions aujourd’hui la médecine préventive. Si la saignée et la purgation restaient les thérapeutiques préférées des médecins du XVIe siècle –– et, sur ce point, notons-le, ils avaient l’agrément des papes du temps qui croyaient aux effets bénéfiques de la saignée et s’imposaient volontiers eux-mêmes des « purges » saisonnières341 ––, ils n’en favorisaient pas moins, lorsqu’ils le jugeaient nécessaire, le re340 Ibid., p.50. Platina qui, dans son célèbre De honestate voluptate et valetudine écrit vers la fin du XVe siècle et dont l’influence sera grande sur la conception de la gastronomie à Rome au siècle suivant, avait innové en associant considérations culinaires, médicales et agricoles, ce qui montre bien qu’on ne craignait pas à l’époque d’établir un lien entre santé et cuisine, mais, de fait, l’analyse des registres de dépenses des papes de cette même époque montre que les achats faits pour la table de ces derniers ne tenaient pratiquement aucun compte des recommandations diététiques faites par certains médecins du temps, y compris ceux au service de la papauté dont Platina avait recueilli les avis. À ce sujet, voir B. Laurioux, Les savoirs gastronomiques à la cour des papes du XVe siècle, dans Micrologus, XVI (2008), p. 217-232 de même que M. Nicoud, Les savoirs diététiques entre contraintes médicales et plaisirs aristocratiques, Ibid., p. 233-255. 341 Léon X qui passait chaque année à l’automne deux mois à la Magliana et y retournait au printemps et à l’hiver pour de courtes visites avait aussi fait de ce lieu de prédilection le site de sa purgation annuelle. Coffin, The Villa cit., p. 124. Selon ce même auteur, Pie V faisait la sienne au Belvédère. Ibid., p. 37. Mais peut-être n’était-ce pas toujours le cas. Un avviso du 20 avril 1566 nous informe que ledit Pie V s’apprête à partir après Pâques à sa « vigne » où il entend se purger (« per purgarsi »). BAV, Urb. lat. 1040, fol. 221r. Onze ans plus tard, un avviso du 4 mars 1577 nous apprend que Grégoire XIII est en période de purgation et spécifie qu’il a l’habitude de faire ainsi chaque année à cette même période. BAV, Urb. lat. 1045, fol. 312v. Trois jours plus tard, on annonce que la période en question est terminée, que le pape en est sorti en bonne forme et que toute la cour s’en réjouit. Ibid., fol. 316v. En 1579, un avviso du 20 juin nous informe que le pape s’apprête à partir pour la villa (de Frascati sans doute) où il compte compléter sa « purge ». Ibid., Urb. lat. 1047, fol. 231v. Paul IV fait ici, comme en tant d’autres domaines, figure d’exception. Sujet à d’assez fréquentes diarrhées (« flussi »), il se contentait de ces « purgations naturelles » qui, disait-il, permettaient d’élimi-
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cours aux ressources de la pharmacopée. La pharmacopée de l’époque, prolixe à souhait, se présentait sous forme de liquides ou de solides (sirops, onguents, tablettes, etc.) confectionnés à partir d’une grande variété de végétaux et de minéraux combinés les uns aux autres en fonction des maux de toutes sortes qu’on entendait combattre ou contre lesquels on souhaitait se prémunir. Des recettes à l’infini existaient dont les concepteurs ou les vendeurs, éventuellement des utilisateurs satisfaits vantaient les mérites, mais que de produits offerts par certains de ces mêmes concepteurs ou vendeurs ne trouvaient preneurs qu’en raison de la crédulité ou du désespoir de malades croyant aux vertus « magiques » que contenaient les produits en question. Les charlatans ne manquaient pas en ce monde trouble de la proto ou de la pseudomédecine342. Bien évidemment, les remèdes que les médecins de l’époque, y compris ceux des papes, prescrivaient ou proposaient à leurs patients étaient d’une autre nature, mais ces mêmes médecins ne devaient pas être sans savoir que les médicaments « populaires » dont nous venons de faire état jouissaient d’un plus grand prestige que les leurs. Les vouaient-ils, de ce fait, aux gémonies comme autant de produits indignes de leur science et, par ailleurs, au mieux, sans utilité, au pis, dangereux pour leurs patients? Pas nécessairement, car il y avait tout de même dans cette pharmacopée « populaire » certains produits qui avaient fait leur preuve ou relevaient du simple bon sens. Par exemple, il serait surprenant qu’ils n’aient pas admis, comme plusieurs à l’époque, que le vin utilisé à bon escient constituait un excellent préservatif contre la maladie343. Et que dire des remèdes traditionnels que l’on trouvait en abondance dans les campagnes d’Italie et d’ailleurs, pour la plupart à base ner au fur et à mesure les mauvaises humeurs présentes dans son organisme. Ceccarelli, La salute cit., p. 51. 342 Mandrou, Introduction cit., p. 56, 59-60. 343 Ibid., p. 56. On peut d’ailleurs compter parmi ceux qui croyaient aux vertus thérapeutiques du vin la plupart des papes de l’époque. Ce qui pourrait permettre d’expliquer, comme nous avons été à même de le constater, la très abondante consommation de ce précieux liquide à la cour pontificale et le fait que ces mêmes papes n’aient pas reculé devant l’énorme coût que cela représentait. Ajoutons que certains d’entre eux utilisaient effectivement le vin comme remède. Les jours de tramontane Paul III se faisait servir le matin du malvoisie doux dans un peu de soupe pour se protéger des effets de ce vent du nord et il recourait souvent par ailleurs au malvoisie le plus fin pour se gargariser afin de chasser les humeurs qui le rendaient asthénique ou, au contraire, colérique. Il utilisait en outre le « grec » de Somma chaque matin pour se baigner les yeux et d’autres parties du corps. Faccioli et al., L’arte della cucina cit., p. 74-75. Sixte V, nous l’avons vu, partageait lui aussi cette croyance, mais, dans son cas, l’utilisation de vin à des fins curatives fut, il faut le reconnaître, moins bien avisée. On nous permettra d’ajouter ici le témoignage d’un médecin français du début du XVIIe siècle, Paul Dubé, connu sous le nom de « médecin des pauvres » qui recommandait chaudement le vin qui, disait-il, soutenait « les principes de la vie comme un baume naturel », mais pourvu, précisait-il, qu’on n’en abuse point. Cf. J. C. Dubé, Le père des pauvres, Ottawa 2007, p. 188. Notons qu’il le recommande en particulier aux gens de la campagne. Ibid., p. 192-193.
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de produits naturels connus et qui donc ne pouvaient pas tous, tant s’en faut, être considérés comme de douteuses concoctions « magiques ». Qu’il suffise de mentionner ici à titre d’exemples, les divers remèdes destinés en priorité au monde paysan que décrit au début du XVIIe siècle Paul Dubé, le célèbre « médecin des pauvres »344. Les praticiens de l’époque avaient toutefois sur leurs nombreux compétiteurs, charlatans ou non, l’avantage de pouvoir compter sur l’expertise de spécialistes en la matière –– ceux que l’on appelait alors aromatarii ou spetiali, c’est-à-dire apothicaires –– qui étaient à même de leur fournir des produits pharmaceutiques éprouvés répondant aux besoins de leurs patients. Il existait depuis longtemps un tel personnage à la cour pontificale dûment inscrit d’ailleurs dans les ruoli et, fait significatif, y figurant, du moins à partir du règne de Jules III, immédiatement après les médecins et chirurgiens345. Mais peut-être est-il bon de rappeler ici que l’apothicaire était aussi le fournisseur attitré de produits de toutes sortes destinés, les uns, telle la cire par exemple, à l’ensemble des services de la cour, mais, plus particulièrement, aux chapelles palatines, d’autres, telles les « épices », aux divers services de « bouche », cuisine et crédence notamment346. L’affectation principale du spetiale était toutefois dans le domaine 344 Ibid., p. 192-196. En ce qui concerne les médecins au service des papes du XVIe siècle, on serait curieux de savoir ce qu’ils pensaient de certains de leurs illustres patients –– on pense ici à un Pie V et à un Sixte V, entre autres, tous deux d’origine paysanne –– qui n’hésitaient sans doute pas à recourir à l’une ou l’autre de ces médicamentations de « pauvres » qu’ils avaient connues durant leur enfance. Pie V qui souffrait de la « pierre » et qui en mourra d’ailleurs se soignait au lait d’ânesse. Ceccarelli, La salute cit., p. 62-63. Sixte V, nous l’avons vu, croyait contre l’avis de ses médecins, que la meilleure façon de se maintenir en santé surtout durant les périodes de grande chaleur était de boire force vin « glacé », ce qu’il ne manquait pas de faire. Voir, plus haut, note 301. On pourrait ajouter à cette liste le nom de Jules II qui, pour combattre sa goutte –– une des nombreuses maladies qui l’affligeaient –– se faisait à l’occasion servir des raves rôties ou encore un potage aux navets accompagnés de malvoisie doux, un de ses vins préférés. Il faut dire qu’il croyait dans les vertus médicinales du vin dont il faisait d’ailleurs une grande consommation, lui aussi contre l’avis de ses médecins. Mais ces derniers étaient-ils mieux inspirés lorsqu’ils lui prescrivaient, entre autres, pour ses douleurs arthritiques fréquentes, un onguent composé d’huile de rose, de vin de grenade, de lait maternel et de vers de terre? À ce propos, voir Ceccarelli, La salute cit., p. 21. 345 BAV, Ruoli 2, fol. 19v; Ruoli 6, fol. 6r. 346 La fourniture de cire pour les besoins du palais, mais des chapelles surtout représentait une considérable dépense. Déjà au temps de Jules II, 700 ducats étaient affectés à la production de cierges pour la seule fête de la Purification. ASV, Intr. et Exit. 535, fol. 114r. Sous Grégoire XIII, cette même dépense oscille entre 1500 et 1800 écus l’an. ASR, Cam. I: 927, fol. 1r, 170r; 928, fol. 210r; 929, fol. 73r, 160v. Si l’on ajoute à cela les quelque 3200 écus que coûte l’approvisionnement en cierges ou chandelles et du palais et des chapelles, à raison d’environ 1500 écus de part et d’autre, on arrive à un déboursé total d’environ 4600 écus l’an. Nous fondons cette estimation sur les données fournies par les mêmes sources (Cam. I: 927, 928, 929, passim), mais surtout Cam. I: 928, fol. 217v et 929, fol. 142r, 154v. Nous ne disposons malheureusement pas de données comparables permettent d’établir le coût
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de la pharmacopée qui intéressait, elle, non seulement le pape, mais toute sa « famille » en plus, occasionnellement du moins, les chevaux et mules de ses écuries347. D’où la place relativement importante occupée par ce poste dans les budgets annuels de la cour348. Mais le spetiale du palais dépendait lui-même, en ce qui concernait précisément son affectation principale, d’un autre personnage dont le nom n’apparaît pas toujours dans les rôles de la cour pontificale, mais qui n’y remplissait pas moins une fonction importante, soit celle de semplicista, des « épices » et autres produits fournis par l’apothicaire aux services de « bouche », mais un inventaire de la fin du XVe siècle permet de nous faire une assez bonne idée de ce que ledit apothicaire tenait à leur disposition. On y trouve en effet mention, entre autres, de sucre et de poivre de divers types, de safran, de clou de girofle, de cannelle, de noix de muscade et de raisin de Corinthe. Cet inventaire a été publié par Ivana Ait dans Tra Scienza e Mercato. Gli Speziali a Roma nel Tardo Medioevo, Rome 1996, p. 257-263. Mais il importe de souligner que l’apothicaire n’était pas le seul fournisseur de produits du genre aux cuisines et crédences du palais. Depuis le XIIIe siècle au moins on faisait culture d’herbes de toutes sortes, de légumes et de fruits dans les jardins jouxtant le palais pontifical et on y entretenait en plus un vignoble, le tout représentant un apport non négligeable qui devait être apprécié des services de « bouche » en question. À ce propos, voir Campitelli, Gli Horti cit., p. 18, 20, 25, 66-67, 70. Ajoutons que les cuisiniers « secrets » des papes de l’époque ne devaient pas hésiter à se procurer ailleurs si nécessaire les herbes et condiments répondant à leurs propres besoins ou caprices ou encore à ceux de leurs « patrons ». 347 En avril 1589, le majordome de Sixte V dit devoir 1,40 écu à Mo Antonio Gannassi, « spetiale » du pape, pour des médicaments fournis à ce dernier (« per conservare la sanità di N. Sre ») et aux écuries du palais pour soigner une mule affectée à la litière du pape (« e curare l’infirmità di un’ mula da lettighe di N. Sre »). ASR, Cam. I: 1360, fol. 51r. Détail anecdotique qui ne manque pas d’intérêt, illustrant on ne peut mieux le fait que tout ce qui touche à la personne du pape, fût-ce une simple mule, mérite mention. La formule toutefois la plus commune employée par le majordome en ce qui concerne les remèdes fournis par l’apothicaire est: « per conservar la sanità di N. Sre e curar l’infermità della famiglia ». Ibid., Cam. I: 1353, fol. 51r, 64v et passim. Pour ce qui est des produits mis à la disposition du pape et de ses médecins, nous renvoyons à nouveau à la liste publiée par Ivana Ait. Voir la note précédente. On y trouve une grande variété d’ingrédients pharmaceutiques de base tels, par exemple, opium, casse, acide borique, castoreum, assafoetida, tamarin, gomme de palmier, résine de sarcocolle, laudanum, maniguette, gomme d’Arabie, os de corne de cerf, diachylon de même que –– fait à noter –– des pierres précieuses ou semi-précieuses déjà broyées ou à broyer, parmi lesquelles: perles, coraux, rubis, saphirs, grenats, poussière d’or qui, de toute évidence, entraient aussi dans la composition de certains médicaments. Les apothicaires utilisaient ce large éventail d’ingrédients de toutes sortes pour préparer au fur et à mesure les médicaments qui leur étaient demandés, mais, pour ceux qui étaient le plus en demande, ils les préparaient à l’avance sous forme de sirops, onguents, huiles ou pilules. AIT, Tra Scienza e Mercato cit., p. 40. On trouve de fait trace de ce type de produits prêts à être utilisés dans la liste publiée par Ivana Ait. 348 Au temps de Grégoire XIII, ce poste représentait un déboursé annuel de plus de mille écus. En 1578, il est très exactement de 1084,02 écus. ASR, Cam. I: 1350, fol. 180r; BAV, Introiti ed esiti 7, fol. 125r. De mai 1585 à février 1586, le majordome de Sixte V débourse à ce même titre 1135,12 écus. ASR, Cam. I: 1353, fol. 51r, 64v; Ibid., Cam. I: 1354, fol. 32v, 45v, 57r, 71v, 83v, 95r. Ce qui projeté sur douze mois devait représenter une dépense totale d’environ 1200 écus.
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c’est-à-dire de responsable du jardin des « simples », comme on disait au XVIe siècle, en d’autres mots, des plantes médicinales. Selon Alberta Campitelli, le Vatican comptait déjà au XIIIe siècle ce qu’on appellera plus tard un « jardin secret » où se faisait, entre autres, la culture des « simples » et cette dernière, négligée, sinon délaissée durant l’exil d’Avignon, aurait repris vie au XVe siècle avec l’arrivée sur le trône pontifical de Nicolas V avant d’atteindre un sommet sous Pie V, grâce à la création vers 1570 d’un jardin entièrement consacré aux « simples » sous la direction de Michele Mercati, médecin et botaniste réputé, qui en fera un des hauts-lieux de ce type de culture en Europe349. Les apothicaires pontificaux ne pouvaient faire fi de ces hommes, surtout de ceux qui, comme Mercati, étaient en même temps médecins et médecins attachés à la personne du pape, et durent fréquemment faire appel à eux pour compléter, mieux enrichir la liste des produits pharmaceutiques dont ils disposaient et ainsi être mieux à même de répondre aux demandes qu’on leur faisait. Autre personnage dont nous avons fait connaissance dans notre quatrième chapitre, puis retrouvé dans la section consacrée plus haut au lever et au coucher du pape et qui mérite d’être lui aussi considéré en ce qui a trait à l’hygiène corporelle: le barbier. Et, cela, non seulement en raison de son expertise particulière, mais également et peut-être surtout du lien d’intimité que cela lui valait avec la personne du pape. À l’égal des camériers et des médecins, du moins de ceux d’entre eux qui avaient presque quotidiennement accès à sa chambre. Le rôle le plus obvie du barbier était bien entendu d’entretenir la chevelure et la barbe de son maître selon les canons du temps ou les goûts particuliers de ce dernier. La Renaissance avait en effet remis la barbe à l’honneur et tous les papes du XVIe siècle crurent bon de suivre sur ce point l’exemple de leurs prédécesseurs à l’exception, aussi surprenant que cela puisse paraître, de Léon X, pourtant pur produit de la Renaissance. Il sera le seul d’entre eux à devoir être rasé chaque jour 349 Campitelli, Gli Horti cit., p. 12-25, 68, 80, 106-110, 116-117. L’auteure signale qu’en 1513, Léon X avait créé une première chaire de botanique à l’Université de Rome consacrée, entre autres, à l’étude des « simples » et que Pie IV avait plus tard retenu les services du Ferrarais Giacomo Boni, titulaire de cette même chaire, en vue de s’occuper de la culture des plantes médicinales au Vatican. Ibid., p. 107. Mercati qui lui succéda et qui surtout créa le jardin qui allait faire sa réputation et celle de la papauté se lança dès son entrée en fonction dans la chasse aux plantes et semences pouvant intéresser ses visées tout à la fois médicales et scientifiques, n’hésitant pas à faire très tôt appel, brefs pontificaux à l’appui, aux nonces du Portugal et de l’Espagne en vue d’obtenir des spécimens des plantes, y compris les plus rares, découvertes en Amérique surtout. Dans sa correspondance des années 1571-1573 avec le botaniste Ulisse Aldrovandi, Mercati nous apprend qu’il avait dans son jardin 470 variétés de plantes médicinales. Des centaines d’autres viendront s’ajouter par la suite grâce aux plantes et semences reçues des rois d’Espagne et du Portugal, de la cour impériale également. Ibid., p. 110.
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par son barbier350. Un certain nombre de tâches accessoires semblent bien avoir été aussi du ressort des barbiers pontificaux, telle celle, par exemple, de tailler régulièrement les ongles de leurs maîtres351. Leur arrivait-il de pratiquer aussi la saignée? Fort probablement, car les médecins du temps répugnaient à s’en charger eux-mêmes et, surtout, encore à la fin du XVIe siècle à Rome, les statuts de la corporation des barbiers prévoyaient que ces derniers aient à l’occasion à faire des interventions de ce genre, y compris des chirurgies mineures, et les obligeaient en conséquence à avoir des connaissances médicales à l’avenant352. On ne peut donc considérer comme mineur le rôle joué par les barbiers pontificaux de l’époque et on ne doit pas se surprendre du profond attachement de certains papes à ces hommes qui contribuaient discrètement chaque jour ou presque à leur bien-être physique et peut-être même psychique. Si le pape avait besoin d’être protégé contre l’invasion possible d’agents pathogènes représentant une menace pour sa santé et, éventuellement, mis en état de combattre ces derniers –– c’est le rôle que jouaient les médecins et les quelques autres intervenants dont il vient d’être question –– il lui fallait tout autant pouvoir compter sur d’autres types d’intervenants capables d’assurer tant la propreté que la salubrité des lieux qu’il habitait que sa sécurité et celles de ses proches à l’intérieur comme à l’extérieur de l’enceinte vaticane. Et c’est à cs intervenants oeuvrant dans le cadre de ce que nous avons choisi d’appeler dans notre quatrième chapitre les services généraux que nous voudrions maintenant nous intéresser de plus près en privilégiant ceux d’entre eux chargés, les uns, de l’entretien du palais, les autres, de la garde du pape. L’entretien des bâtiments formant ce qu’il était convenu d’appeler à l’époque le palais du Vatican, mais qui était de fait un complexe immobilier hétéroclite, d’ailleurs en perpétuel réaménagement, n’était pas –– il est assez facile de l’imaginer –– une mince affaire. Les travaux d’envergure concernant les bâtiments comme tels étaient bien évidemment confiés à une main d’œuvre externe dont, vu notre propos, nous n’avons pas à nous occuper ici, mais notons tout de même que les travaux en question étaient 350 P. Boutry, Barbier du pape, dans DHP, p. 190. Sur l’histoire du port de la barbe, voir G. Moroni, Università artistiche di Roma, dans Dizionario di erudizione, LXXXIV, p. 79-84. Sur la façon dont la barbe était portée par les papes du XVIe siècle, voir Papi in Posa. 500 anni di ritrattisca papale, éd. F. Petrucci, Rome 2005, p. 56-94. Les nombreux portraits d’époque reproduits dans ce catalogue d’exposition montrent bien que si certains papes tenaient à ce que leur barbe soit bien taillée, d’autres étaient plutôt négligents à ce chapitre. 351 Le 7 juillet 1541, le majordome de Paul III fait remettre à son barbier 40 baiocchi pour l’achat de ciseaux devant servir à tailler les ongles des mains du pape. ASR, Cam. I: 1290, fol. 27. Tâche en principe des plus banales, mais qui prenait une tout autre valeur s’agissant d’un service rendu à un personnage de cette stature. 352 Moroni, Unviersità cit., LXXXIV, p. 87.
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placés sous l’autorité d’architectes désignés à cet effet par le pape et dont certains firent partie de la cour, tel, entre autres, Jacopo Meleghino au temps de Paul III353. Certains travaux de moindre importance faisaient aussi l’objet de contrats avec des entrepreneurs ou des gens de métier de l’extérieur, tels ceux de maçonnerie, de menuiserie et de blanchiment effectués vers la fin du règne de Grégoire XIII, plus exactement en 1583, 1584 et 1585 dans diverses parties du palais apostolique354, mais d’autres, de simple entretien et généralement mineurs, étaient assurés par le maçon et le menuisier ou charpentier de la cour355, soumis probablement, l’un et l’autre, à l’autorité d’un surintendant des travaux356 ou, tout simplement, à celle du majordome ou du vice-majordome. Mais l’entretien au jour le jour des espaces qu’habitaient ou auxquels avaient accès le pape et sa « famille » représentait un tout autre défi requérant une main d’œuvre moins qualifiée sans doute, mais beaucoup plus abondante. Nous avons déjà fait la connaissance des balayeurs « secrets » qui assuraient la propreté des appartements du pape, y compris l’antichambre où il donnait chaque jour ou presque audience. Habituellement au nombre de trois ou quatre, ils ne représentaient toutefois à l’époque qu’une partie des scopatori qu’employait la cour. En effet, il suffit d’inclure ceux dits de « commun » pour atteindre un effectif total variant entre dix ASR, Cam. I: 886, fol. 16v. Meleghino est dit commissaire de la « fabrica ». Les travaux de maçonnerie furent assurés par Mo Battista Righi, ceux de menuiserie par Mo Ambrosio Boncini et ceux de blanchiment par Mo Giovanni Taddei, dans le cas de ce dernier en 1584 (ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 15, fasc. 2, fol. 4r-5v), dans le cas du second en 1583 (Ibid., Cam. I: 1309, fol. 55) et, dans le cas du premier, en 1583, 1584 et 1585 (Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 15, fasc. 6, fol. 1r-6r et Cam. I: 1309, fol. 55). 355 La présence d’un maçon (« muratore ») à la cour est attestée pour une première fois chez Léon X. Cf. Il ruolo della Corte di Leone X, dans ASRSP, XXXIV, p. 390. Mais si le titre « conciator delli tetti del palazzo » donné au maçon du palais au temps de Grégoire XIII est exact (ASR, Cam. I: 1301, fol. 11v et passim), on pourrait considérer comme maçon le « reformator tectorum palatij » que l’on trouve beaucoup plus tôt à la cour d’Alexandre VI et de Jules II. Ibid., Cam. I: 1484, fol. 25 et Cam. I: 1487, fol. 32r. À partir de Sixte V, il n’y a plus de maçon inscrit dans les rôles de cour. Pour ce qui est du menuisier (« falegname »), il est bel et bien présent à la cour d’un Jules III, d’un Paul IV, d’un Pie IV et d’un Pie V (BAV, Ruoli 6, fol. 11r; Ruoli 32, fol. 14rv; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 4, fol. 11v), mais on n’en trouve plus trace par la suite, ce qui oblige à repenser le rôle du maçon chez Grégoire XIII et la signification du titre qu’on lui donnait renvoyant à l’époque d’Alexandre VI et de Jules II où il n’y avait apparemment ni maçon ni menuisier. Ce titre énigmatique de « reformator tectorum palatij » ne renvoyait-il pas plutôt à un rôle beaucoup plus ample que celui de simple maçon tel, par exemple, celui de responsable de l’ensemble des travaux d’entretien du palais. 356 Nous avons émis l’hypothèse dans la note précédente qu’il y eut effectivement à certains moments un tel personnage à la cour pontificale. À l’appui de cette même hypothèse, signalons qu’il se trouvait à la cour de Pie IV un tel chef de travaux du nom de Bernardino Manfredi qualifié de préposé aux « fabriche ». ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 4, fol. 9r. 353 354
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et quinze balayeurs357. Mais ces derniers ne pouvaient correctement faire leur travail sans l’aide d’aquiféraires aussi bien « secrets » que « communs » qui assuraient la distribution d’eau dans l’ensemble du palais et de ses dépendances. Il en allait dans ce cas non seulement de la propreté, mais de la salubrité des lieux, surtout des lieux les plus fréquentés. Il ne semble pas que les aquiféraires aient été très nombreux –– cinq ou six au maximum358 ––, mais sans doute pouvaient-ils au besoin compter sur l’aide des membres des petits personnels –– portefaix, garçons et autres –– que comptaient la plupart des services du palais, y compris ceux de la chambre. Autre intervenant digne ici de mention, mais d’une tout autre stature, celui-là: le préposé à la cire (« soprastante alla cera ») chargé de l’éclairage du palais et donc à qui incombait d’assurer qu’il y ait partout cierges, chandelles et torches là et au moment où il le fallait et en quantité suffisante. Dans les rôles de la cour de l’époque, il est habituellement flanqué de deux aides ou serviteurs359. Ils n’étaient sans doute pas trop de trois pour répondre chaque jour aux attentes et exigences de leurs nombreux commettants, pape en tête. Méritent peut-être encore plus de retenir notre attention: leurs collègues, les garde-meubles (« forrieri ») qui, eux, comme leur titre l’indique, assuraient l’entreposage de tout meuble du palais jugé excédentaire ou en attente d’utilisation avec, dans ce dernier cas, l’obligation de fournir sur demande des chefs de services concernés et au moment fixé par eux les diverses pièces de mobilier requises pour l’occasion, qu’il s’agisse d’appartements à meubler ou à remeubler ou encore, de repas, d’audiences, de réunions et célébrations de toutes sortes voulus ou autorisés par le pape360. Ils étaient habituellement au nombre de deux assistés de quatre aides ou 357 Ils sont déjà douze à l’époque de Jules II. Ibid., ASR, Cam. I: 1487, fol. 32r. Ils seront quinze à celle de Léon X. Il ruolo della Corte cit., XXXIV, p. 388. Mais le plus souvent ils sont au nombre de onze, trois « secrets », huit « communs » comme c’est le cas chez Jules III, Paul IV, Pie IV, Pie V. BAV, Ruoli 6, fol. 10v, 11r; Ruoli 32, fol. 13v, 14v; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 10r; Ibid., Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. 11rv. Mais ils ne sont plus que sept chez Sixte V. BAV, Ruoli 65, fol. 7v. 358 Chez Jules III, ils sont six, dont un « secret » et un « commun », flanqués chacun d’un adjoint, les deux autres étant affectés respectivement aux salles à manger (tinelli) et aux écuries. BAV, Ruoli 6, fol. 11rv. Même chose chez Paul IV (ibid., Ruoli 32, fol. 14v) et chez Pie IV (ASR, Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 11rv). Pie V n’en a que quatre dont un affecté à l’ensemble du palais aidé de deux adjoints. Ibid., Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. 11rv. 359 On le trouve déjà à la cour de Léon X (Il ruolo della Corte di Leone X, dans ASRSP, XXXIV, p. 385), mais avec un seul adjoint. Chez Paul IV, Pie IV et Pie V, il a droit à deux aides ou serviteurs. BAV, Ruoli 32, fol. 8r; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 6v; Ibid., Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. 10r. Dans ce dernier cas, il est mis parmi les « offitiali maggiori ». Sur les responsabilités de ce personnage, voir Dykmans, Le cérémonial cit., III, p. 430-431. Le texte publié par l’auteur est du début du XVe siècle. 360 Nous renvoyons encore ici à Dykmans, Le cérémonial cit., p. 431-432.
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serviteurs361. Sans doute pouvaient-ils eux aussi lorsque nécessaire faire appel aux portefaix et autres membres des petits personnels des divers services concernés pour le transport et le placement des pièces de mobilier demandées par chacun de ces derniers. Vu le nombre d’activités publiques, semi-publiques ou privées qui avaient lieu chaque jour à la cour, vu aussi la polyvalence des lieux où souvent se déroulaient les activités en question, la fonction de garde-meubles ne devait pas en être une de tout repos. Autant les services d’entretien intéressaient tout à la fois sinon plus la « famille » du pape que le pape lui-même, autant ceux de garde étaient d’abord et, dans certains cas, exclusivement pensés en fonction de sa personne. Il faut toutefois ici distinguer ce que l’on pourrait appeler, d’une part, garde « éloignée », de l’autre, garde « rapprochée », la première composée surtout d’officiers chargés à divers titres de contrôler l’accès au palais pontifical, la seconde, d’effectifs militaires et non militaires chargés, eux, de contrôler l’accès à la personne du pape à l’intérieur comme à l’extérieur du palais et, dans ce dernier cas, de lui servir d’escorte et, en cas de danger, d’assurer sa protection. La première est faite de gardiens (« custodi ») au sens strict du terme, mais aussi de portiers (« uscieri »)362 et, par361 Tel est le cas à la cour de Paul III, de Jules III, de Paul IV, de Pie IV et de Grégoire XIII. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 9v; BAV, Ruoli 6, fol. 10v; Ibid., Ruoli 32, fol. 12v; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4 fasc. 18, fol. 10r; ibid. Giust. di Tes. 11, fasc. 15. Chez Pie V, le nombre d’aides ou de serviteurs a été réduit à trois. Ibid., Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. 9v. Il en est de même chez Sixte V et Clément VIII. BAV, Ruoli 65, fol. 6r; Ruoli 113, fol. 9v. Tous ces forrieri sont inscrits comme les préposés à la cire parmi les « offitiali maggiori ». On trouve en plus chez Jules III, Paul IV et Pie IV un personnage du nom d’Andrea Besozzo, appelé « forriero del palazzo » qui, chez Paul IV et Pie IV a droit à deux serviteurs et est inscrit parmi les « diversi maggiori ». BAV, Ruoli 6, fol. 8r; Ruoli 32, fol. 9r; ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 7v. Quel était au juste le rôle de ce personnage? Sixte V qui en employait un du nom de Geronimo Grassis l’appelle « forero maggiore » et lui assigne un serviteur. BAV, Ruoli 65, fol. 5r. S’agissait-il d’un officier ayant autorité sur les autres garde-meubles ou se pourrait-il qu’il y ait eu deux « forrerie », l’une « secrète », réservée au pape, l’autre « commune » desservant le palais dans son ensemble? Les sources dont nous disposons ne permettent pas de trancher dans un sens ou dans l’autre. 362 Dans le rôle dressé en 1551-1552 de la cour de Jules III, on trouve pour la première fois regroupés les officiers chargés de la garde du palais (« offitiali palatini de custodia ») et, parmi eux, trois gardiens de la porte de fer (« porta ferrea »), trois également de la « première chaîne » (« 1a catena »), deux de la « deuxième chaîne » (« 2a catena »), un de la « troisième chaîne » (« 3a catena »), deux maîtres-huissiers (« mastrusceri ») et deux massiers (« mazzeri »). Mais on trouve aussi mention dans cette même liste de deux « cubiculaires » (« cubiculari »), de deux écuyers (« scudieri ») et de trois courriers (« cursori »). BAV, Ruoli 6, fol. 10r. Les deux maîtres-huissiers, les deux massiers et surtout les « cubiculaires » et écuyers de garde doivent plutôt être considérés comme de garde « rapprochée », étant tous de service à l’entrée ou dans l’une ou l’autre des antichambres de l’appartement papal et, par ailleurs, étant également tous titulaires d’offices « vénaux » (von Hofmann, Forschungen cit., II, p. 170) n’étaient sans doute là qu’à titre honorifique, n’ayant droit au companatico que les jours où ils étaient appelés à servir, ce qui devait être à intervalles espacés, peut-être même irréguliers dans le cas surtout des « cubiculaires » et des écuyers qui étaient au nombre de 140 et de
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mi ces derniers, d’un portier principal (« portinaro maggiore ») appelé, à partir du règne de Paul IV, gardien du palais (« custode del palazzo »)363. Au temps de Jules III, ce corps de garde est composé de douze personnes si on inclut dans celui-ci l’adjoint du portier principal364. Ce nombre va passer à treize sous Paul IV avec la disparition d’un des officiers en question, mais l’adjonction de trois autres365. Il restera à peu près à ce niveau par la suite366. La responsabilité première de cette garde « éloignée » était d’interdire de jour l’accès au palais apostolique à toute personne non autorisée ou indésirable et, la nuit –– cette responsabilité incombant alors au seul portier principal ––, d’assurer qu’une fois les portes soigneusement verrouillées par ce dernier nul ne puisse entrer au palais ou en sortir sans 60 respectivement. Quant aux courriers, leurs tours de garde devaient être plus fréquents et plus réguliers du fait qu’ils étaient 19, ce qui voulait dire une présence par semaine pour chacun d’entre eux. Mais peut-on parler dans leur cas de service de garde? Ils étaient sans doute là d’abord et avant tout au titre de leur fonction qui était d’assurer que toute décision ou communication urgente du pape puisse être livrée sur-le-champ à qui de droit. Sur les courriers, leur nombre et leurs tours de garde, voir ce qu’en dit le cérémoniaire Grassi au début du XVIe siècle. ASV, Fondo Borghese I: 568, fol. 286r-288r. À son époque, chaque tour de garde était assuré par deux courriers seulement. Il signale par ailleurs qu’ils ont droit au companatico lorsqu’ils sont de garde, tout comme les autres titulaires d’offices « vénaux » lors de leurs propres services de garde. 363 Dans le rôle de cour de Jules II, il a en effet le titre de « portinaro maggiore » et, fait à noter, il ne figure pas dans la liste des « offitiali palatini de custodia ». Il est inscrit ailleurs et, en plus identifié, ce qui est déjà signe de l’importance qu’on accorde à la fonction. Il s’agit d’Ercole Falcone dont il a été question au chapitre IV et qui, on l’a vu, réussira à se maintenir dans ce poste jusqu’au temps de Sixte V. Voir chap. IV, p. 231. Son prédécesseur, Paschasio Savelli, ne l’oublions pas, portait le titre d’écuyer. Lui-même aura droit à une particulière considération de la part des papes sous lesquels il sera appelé à servir. Ibid. Pour ce qui est du changement de nom de sa fonction sous Pie IV, voir ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 10v. 364 BAV, Ruoli 6, fol. 8v, 10r. 365 Ibid., Ruoli 32, fol. 13v. On voit en effet disparaître le gardien de la « troisième chaîne » (« 3a catena ») et arriver, tout d’abord, un gardien des « deux chaînes de l’escalier » (« 2 catene della scala ») –– peut-être les travaux entrepris par Paul IV et son prédécesseur Jules III ontils conduit à ce changement d’affectation –– puis, un gardien de la porte de la tour Borgia (« custode della porta di Tor Borgia »), enfin, un gardien de la salle du Consistoire. À noter que tous ces personnages font désormais partie des « offitiali maggiori ». 366 Pie IV reprend la liste de Paul IV. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 4, fasc. 18, fol. 10rv. Pie V a laissé tomber les trois gardiens de « première chaîne », mais fait passer à trois ceux de la « deuxième chaîne » pour un total de onze. Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 9, fasc. 14, fol. 9v. Sixte V va ramener ce nombre à douze, si l’on compte l’adjoint du gardien du Consistoire et celui du gardien du palais. Mais il ajoute deux gardiens au Belvédère –– il s’agit de « lanze spezzate », c’est-à-dire d’anciens chevau-légers –– et, si l’on compte ces derniers, il faudrait monter ce total à quatorze. BAV, Ruoli 65, fol. 5v-6r. Sous Clément VIII, il n’est plus question de « lanze spezzate », mais on est de nouveau au même nombre qu’au temps de Paul IV, soit treize. Ibid., Ruoli 13, fol. 9r.
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l’autorisation du pape ou d’officiers mandatés à cet effet367. La présence de gardes suisses aux principales entrées de la résidence pontificale et à quelques autres points stratégiques donnant accès aux dépendances de ladite résidence permettait de renforcer, la nuit surtout, le dispositif de sécurité en question368. Pour ce qui était de la garde « rapprochée » chargée, elle, de contrôler l’accès aux appartements pontificaux, elle comprenait tout à la fois, comme nous avons été à même de le constater plus haut, plusieurs membres du personnel de la « Chambre », mais aussi un certain nombre de palefreniers qui, est-il besoin de le rappeler, jouaient auprès des papes de l’époque le rôle autrefois réservé aux écuyers, auxquels il faut ajouter les deux « cubiculaires », les deux écuyers, les deux maîtres-huissiers (« mastruscieri ») et les deux massiers (« mazzeri ») inclus dans les rôles de cour parmi les officiers de garde, mais qui ne remplissaient probablement qu’à titre honorifique ces diverses fonctions369, le rôle de garde au sens strict du terme étant plutôt le lot, au temps d’Alexandre VI et au début du règne de Jules II, d’un corps de garde à pied italien, puis de 1506 à 1534, et, de nouveau, à partir de 1548 de membres de la Garde Suisse370 qui se tenaient, eux, à l’entrée des appar367 Les livres de comptes de l’époque décrivent le rôle du portier principal comme étant de faire verrouiller les portes du palais tous les soirs (« per la cura di far serrar le porte del palazzo ogni sera »). ASR, Cam. I: 1296 B, fol. 8r. Mais cela voulait aussi nécessairement dire qu’il avait aussi la garde des clefs du palais et qu’il devait être disponible en cas d’urgence pour laisser entrer ou sortir toute personne possédant l’autorité ou l’autorisation voulue pour ce faire. Ce système était-il totalement sécuritaire? Il est permis d’en douter. Compte tenu des « méandres » de toutes sortes que comportait le palais apostolique, il ne devait pas manquer d’issues « furtives » que certains habitués connaissaient bien et qu’ils ne se privaient pas d’utiliser au besoin. Une indication en ce sens nous est fournie par un ordre donné par le pape Pie V fin août 1568 de mieux fermer les portes « secrètes » dont d’aucuns, disait-il, se prévalaient à mauvais escient. BAV, Urb. lat. 1040, fol. 602v. 368 La présence des gardes suisses à ces divers points névralgiques, surtout la nuit, est confirmée par un ordre du pape Pie V fin septembre 1568 exigeant du capitaine de la Garde qu’il lui remette tous les jours la liste des personnes entrées et sorties du palais apostolique à partir de deux heures de la nuit. Ibid., fol. 620r. 369 Voir, plus haut, note 362. 370 Se fondant sur diverses sources d’époque, Andrea da Mosto affirme qu’au début du XVIe siècle Alexandre VI et Jules II avaient à leur disposition deux corps de garde, l’un, à pied, de 200 fantassins, l’autre, à cheval, de 100 cavaliers munis d’arbalètes, commandés, l’un et l’autre, par un capitaine entouré d’un certain nombre d’officiers. En 1506, Jules II réduira le premier de ces corps de garde à cent fantassins, mais créera en contrepartie un nouveau corps recruté exclusivement en Suisse et qui sera donc connu sous le nom de Garde Suisse, comprenant, lui, 189 soldats et un état-major en conséquence. C’est cette dernière qui assurera désormais la garde « rapprochée » du pape. Après la catastrophe de 1527, cette Garde sera de quelque façon reconstituée, mais ne comprendra plus que 150 soldats ou hallebardiers, comme on disait à l’époque. Délaissant cette formule, Paul III se dotera d’un nouveau type de garde dite « allemande », composée effectivement d’Allemands, mais aussi de Suisses. Toutefois, en 1548, il reviendra à la formule de Jules II. Les nouveaux effectifs de la Garde Suisse seront de 226 unités, dont 203 soldats. Mais le nombre de ces derniers sera éventuellement
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tements pontificaux et dans l’antichambre qui portera éventuellement leur nom où ils se relayaient de jour et de nuit, comme les palefreniers d’ailleurs qui, eux, occupaient la salle dite du Perroquet. À noter que, dans le cas de ces derniers, la nuit, des lits étaient mis à leur disposition371. À combien se chiffraient les effectifs de cette garde « rapproché »? Il est difficile de le dire avec précision. Chose certaine, camériers et palefreniers y compris, ils devaient dépasser, et de loin, ceux de la garde « éloignée ». Concentrés qu’ils étaient dans un espace relativement restreint, leur présence ne pouvait, ne fût-ce que de ce fait, passer inaperçue. Il y a même fort à parier que les divers personnages reçus par le pape, surtout ceux qui l’étaient pour la première fois, devaient être impressionnés non seulement par leur nombre, mais également par leur fière allure tenant pour une bonne part à la beauté, l’élégance, voire l’originalité des livrées qu’ils arboraient, chacun selon son statut, son rang et sa fonction, mais aussi, dans le cas des gardes suisses, à la présence des hallebardes dont ces derniers étaient armés. Peut-être est-il bon de rappeler ici que plusieurs membres de ce service de garde, entre autres, maîtres-huissiers, massiers, soldats et officiers de la Garde helvétique entouraient également le pape lors des cérémonies ayant lieu au Vatican, plus tard au Quirinal, d’ordre aussi bien protocolaire que liturgique372. De toute évidence, les papes du XVIe siècle prenaient très au sérieux tout ce qui touchait de près ou de loin à leur sécurité. Ils n’hésitaient d’ailleurs pas, au moindre signe de danger, à intervenir. Nous pourrions ici multiplier les exemples en ce sens. Contentons-nous du suivant, typique de ceux que nous révèlent les sources de l’époque. Le 2 avril 1562, des coups d’arquebuse partis d’on ne sait où atteignent une fenêtre de la deuxième salle du palais Saint-Marc où Pie IV aimait déambuler. On trouve même des traces de balles réduit à 168. Sur tout ce développement et le contexte dans lequel il se situe, voir l’étude un peu vieillie, mais encore utile d’Andrea da Mosto: Ordinamenti militari delle soldatesche dello Stato Romano nel secolo XVI, dans Quellen und Forschungen aus Italienischen Archiven und Bibliotheken, VI (1904), p. 90-92. Sur la Garde Suisse comme telle, voir aussi P. M. Krieg, Die Schweizer Garde in Rom, Lucerne 1960. Il semble bien qu’à partir du règne de Grégoire XIII, six lanciers (« lanze spezzate ») –– ils seront douze au temps de Paul V –– aient aussi fait partie de cette garde de nuit. Menniti ippolito ˗ Visceglia, Corte papale cit., p. 56. 371 ASR, Cam. I: 1308, fol. 73v. 372 À ce sujet, nous renvoyons tout d’abord à notre cinquième chapitre, puis à la deuxième section du présent chapitre (la « sphère » liturgique) où est signalée la présence de ces divers éléments du service de garde « rapprochée ». Gregory Martin dans sa Roma Sancta écrite au temps de Grégoire XIII nous fournit une pittoresque description du rôle joué par la Garde Suisse, depuis les simples soldats jusqu’à leurs officiers qu’il appelle « capitaines », aussi bien lors des audiences données par le pape (Martin, Roma Sancta cit., p. 242) que lors des chapelles papales. Il montre comment les cardinaux et autres dignitaires, ambassadeurs y compris, étaient reçus à l’entrée principale du palais apostolique au son des flûtes et tambours de la Garde Suisse, puis empruntaient à cheval l’escalier menant à la grande cour du palais puis à la Sixtine, entourés de part et d’autre par deux rangées de soldats de la Garde leur rendant les honneurs. Ibid., p. 99-100.
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qui, pensent certains, le visaient. On soupçonne les Carafa d’être derrière cet attentat. Aussitôt, le pape décide qu’il ne se montrera plus dans cette salle, puis, surtout, ordonne sur-le-champ de renforcer la garde chargée d’assurer sa protection373. Mais les problèmes de sécurité ne se posaient pas qu’à l’intérieur de l’enceinte vaticane, plus tard, celle du Quirinal: ils concernaient aussi et, dans certains cas, surtout les déplacements « privés », si on peut employer ce qualificatif pour des activités ayant lieu hors du périmètre restreint des appartements pontificaux, qui, eux, ne faisaient généralement appel qu’à des équipages réduits, d’autant plus d’ailleurs qu’assez souvent ils étaient décidés à la dernière minute, ce qui simplifiait d’autant le rituel ou le protocole entourant les déplacements en question. Lorsque Pie V, accompagné de son secrétaire et de son dataire se rend un soir de juillet 1567 dans le Borgo en vue d’y revoir le palais qu’il avait habité alors qu’il n’était que simple prélat (« in minoribus »), palais qu’il venait d’ailleurs d’acheter pour y loger son neveu, le cardinal Alessandrino, tout donne à penser qu’à part le ou les préposés au « coche » dans lequel ses deux collaborateurs et lui-même prenaient place, peu d’autres membres de sa « famille » étaient présents374. On peut en dire autant des visites que le même Pie V assez fréquemment faisait à la « vigne » qu’il possédait à peu de distance du Vatican et où il se fera éventuellement construire un casaletto375 comme de celles qu’il se permettait volontiers à l’une ou l’autre église ou chapelle de Rome pour laquelle il avait une particulière affection376. Mêmes cas de figure en ce qui concerne Grégoire XIII qui, à l’instar de son « maître » Pie IV, aimait de temps à autre aller voir avec quelques proches des édifices en cours de construction dont il assurait le financement et auxquels il était de ce fait particulièrement attaché et qui, par ailleurs, comme son prédécesseur immédiat, Pie V, ne se privait pas de visites parfois impromptues de lieux de culte depuis longtemps connus de lui où il aimait assister à la messe ou tout simplement se retirer pour prier377. On pourrait en dire 373 BAV, Vat. lat. 12281, fol. 213v. À ce sujet, voir E. Bonora, Roma 1564. La congiura contro il papa, Rome-Bari 2011. 374 Ibid., Urb. lat. 1040, fol. 434rv. 375 Coffin, The Villa cit., p. 38-40. Coffin affirme que la construction du casaletto en question ne fut terminée qu’en 1569, mais cela ne signifie pas nécessairement que Pie V ne fréquentait pas déjà sa « vigne » au début de son règne. Nicole Lemaitre signale qu’à l’automne il y allait à pied presque chaque matin, prenant toujours soin de s’arrêter en route au petit oratoire de la Madonna del Riposo. Saint Pie V cit., p. 225. 376 Ibid., p. 225, 233. 377 Vers la fin de juillet 1579, Grégoire XIII, après avoir donné audience comme il le fait chaque matin, va visiter le Collège grec alors en construction et en profite pour aller voir, à peu de distance de là, le chantier du palais et des jardins que le cardinal Orsini est en train d’aménager près de la Trinité-des-Monts. BAV, Urb. lat. 1047, fol. 295r. Le premier dimanche de mai 1582, le pape se rend à pied de bon matin de Montecavallo où il est installé à Santa
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autant de Clément VIII qui, en digne émule de Pie V, s’intéressait surtout à la Rome dévote qu’il aimait visiter en petite compagnie et surtout sans s’être annoncé378. Cette liberté de mouvement, nul doute que la plupart des papes du XVIe siècle auraient souhaité pouvoir en jouir à leur guise, mais elle n’était pas sans risques et ils ne pouvaient faire fi de cette réalité. Aussi, très souvent, n’avaient-ils pas d’autre choix que de se plier aux règles de sécurité, mais aussi de protocole que leur rappelaient leurs proches collaborateurs, en particulier ceux responsables des services de garde ou encore du cérémonial de cour. Ces règles, devait-on leur dire, ne pouvaient être ignorées, même dans le cas de sorties n’ayant aucun caractère officiel, car il en allait non seulement de leur sécurité, mais de leur réputation et de leur prestige en tant que chefs d’Église et chefs d’État. Le 3 janvier 1581, de la fenêtre de son logement à Rome, Montaigne voit soudain apparaître, puis défiler devant lui un cortège formé de 200 membres de la cour pontificale « de l’une et l’autre robe », tous à cheval, précédant le pape –– Grégoire XIII, en l’occurrence ––, lui-même monté sur une haquenée blanche richement harnachée et donnant à tous les quinze ou vingt pas sa bénédiction, avec à ses côtés le cardinal Ferdinand de Médicis devisant familièrement avec lui, et, derrière eux, fermant le cortège, quelque cent chevau-légers « armés de toutes pièces ». Et où donc se dirigeait cette imposante cavalcade? Vers quelque cérémonie dans un des hauts-lieux de Rome? D’aucune façon. Sa destination finale était le palais du cardinal Médicis où ce dernier avait invité le pape à « dîner »379. Une visite de courtoisie, en somme. Mais si ce genre de déplacement n’avait pas de caractère « officiel », il n’en méritait pas moins le qualificatif de « public ». Et, dès lors, certaines règles s’imposaient, y compris dans le cas de sortie de type « dévotionnel », comme, par exemple, la visite des Sept Églises qui, à partir du règne de Pie V, connaîtra une vogue extraordinaire. Pour aider à populariser cette dévotion, Pie V, Grégoire XIII et Clément VIII s’entoureront chaque fois Maria degli Angeli pour y entendre la messe, non sans avoir visité au passage les greniers (« granari ») dont la Chambre Apostolique avait entrepris la construction près de là. Il est accompagné seulement de ses deux cardinaux-neveux, du cardinal de Côme, son secrétaire d’État, et du cardinal Dezza. Ibid., Urb. lat. 1050, fol. 42r. Cette même semaine, accompagné une fois de plus de ses cardinaux-neveux, il se rend prier à l’église Santa Maria del Popolo, après quoi il va visiter le Collège grec, demandant qu’on termine au plus tôt l’église voisine dont il avait ordonné la construction. Ibid., fol. 148r. 378 Début juillet 1593, il descend de bon matin à l’improviste au couvent des Capucins situé sous le palais du Quirinal où il est installé pour l’été avec sa cour. BAV, Urb. lat. 1061, fol. 383r. À la fin du même mois, il se rend prier, cette fois aussi, tôt le matin, à Santa Maria della Rotonda, c’est-à-dire l’église du Panthéon. Ibid., fol. 424 v. 379 379 Montaigne, Œuvres complètes, Paris 1967, p. 490-491.
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de membres de leurs cours, cardinaux en tête. Ainsi, le 21 décembre 1576, Grégoire XIII fait-il la visite en question, accompagné de sept cardinaux, de nombreux prélats et de son fils Giacomo, châtelain du Château SaintAnge380. De nombreuses autres mentions du genre émaillent les avvisi de l’époque, mais concernant, cette fois, l’assistance à la messe dans l’une ou l’autre église de Rome, en particulier, dans le cas de Grégoire XIII, Santa Maria del Popolo. Or, là aussi, on constate que le pape est fort bien entouré, les auteurs des avvisi en question ne manquant pas d’ailleurs assez souvent d’ajouter: « con tutta la corte »381. Il ne faut évidemment pas prendre cette formule à la lettre, mais elle n’en est pas moins indicative de l’importance des effectifs accompagnant le pape en ces occasions, bien entendu, services de garde y compris382. Combien plus importants devaient être ces effectifs lorsque les papes s’aventuraient hors de Rome et surtout allaient s’installer pour quelques jours, voire quelques semaines dans des lieux de villégiature leur appartenant ou mis à leur disposition par des hôtes accommodants, cardinaux en particulier. On pense ici à un Léon X qui, nous l’avons vu, passait chaque automne deux mois à la Magliana et y retournait fréquemment à l’hiver et au printemps, ce qui supposait le déplacement chaque fois d’une partie notable de la cour, à l’automne surtout. D’où les travaux d’agrandissement qu’il avait entrepris afin de pouvoir loger le personnel qui l’accompagnait et l’ajout d’un grand bâtiment devant servir à abriter ses chevaux, ceux de ses hôtes et ceux des membres de sa cour de même qu’une bonne partie du personnel affecté notamment aux services d’écurie et probablement aussi de garde383. La formule « con tutta la corte » prend ici tout son sens, comme elle le prendra quand, plus tard, un Paul III, un Pie IV et un Grégoire XIII iront, chaque année ou presque, s’installer pour l’été dans le palais de Venise qu’on appelait aussi à l’époque San Marco384. 380 BAV, Urb. lat. 1045, fol. 265r. Lors d’une visite précédente le 30 juin 1573, il est clairement indiqué que la Garde Suisse et celle des chevau-légers l’accompagnent. ASR, Cam. I: 1300, fol. 9r. Il en est de même au temps de Clément VIII. Un document d’époque indique qu’à l’occasion d’une visite des Sept Églises le 18 février 1601, le pape était entouré de ses palefreniers, de deux compagnies de chevau-légers et de membres de la Garde Suisse. ASV, Fondo Confalonieri 64, fol. 55r. 381 Ainsi, fin février 1574 (BAV, Urb. lat. 1044, fol. 39r), mi-février 1575 (Ibid., fol. 382r), fin juillet 1577 (Ibid., Urb. lat. 1045, fol. 340r), début septembre où le pape s’est d’abord rendu à Sainte-Marie-Majeure (Ibid., fol. 441r) et début mai 1582 (Ibid., Urb. lat. 1050, fol. 77r). 382 Sans doute, comme pour la visite des Sept Églises, certains éléments au moins de la Garde Suisse et de corps des chevau-légers. 383 Coffin, The Villa cit., p. 124-126. 384 Un compte dressé en 1572 par Mo Alberto Franchino, garde-meuble du pape, nous fournit la liste des membres de la cour qui le suivirent au palais Saint-Marc où il avait décidé de passer l’été, certains installés au palais même, d’autres, ne pouvant y trouver place, habitant dans des maisons environnantes. Or, à la lecture de cette liste qui comprend plus de 50 entrées,
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Les courtes escapades d’un Jules II, d’un Léon X, d’un Paul III, d’un Grégoire XIII, ou encore d’un Clément VIII dans les environs immédiats de Rome ne nécessitaient évidemment pas de telles « mobilisations », mais, vu l’incertitude des routes sillonnant la campagne romaine, il ne fait pas de doute qu’elles devaient toujours inclure une escorte militaire d’une certaine consistance, capable pour le moins de tenir en respect les hors-la-loi qui pullulaient dans l’État pontifical, dans les zones rurales et moins peuplées surtout, y compris celles entourant Rome385. Il en allait tout autrement lorsque les papes décidaient de se permettre non plus une simple sortie dans les environs de Rome, mais un voyage au sens propre du terme, que ce soit pour des raisons d’affaires ou de simple agrément. Il ne sera évidemment pas question ici des grands voyages politiques entrepris par un Jules II, un Clément VII, un Paul III ou un Clément VIII qui les amenèrent loin, parfois même très loin de Rome et dont il a été fait mention dans les précédents chapitres, notamment le deuxième et le cinquième. Notre perspective étant dans le présent chapitre plutôt celle de l’« ordinaire » que celle de l’« extraordinaire », nous nous en tiendrons ici aux déplacements effectués par les papes de l’époque, certains d’entre on constate que la cour de Grégoire XIII est là presque au complet, en plus de la Garde Suisse et de celle des chevau-légers (« Cavalli leggieri »), elles aussi au complet. Coût total des locations aussi bien au palais qu’en dehors du palais, ces dernières s’étendant pour la plupart sur quatre mois: 1510 écus. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 11, fasc. 4, fol. 2r-9r. Notons au passage que certains occupants récalcitrants des maisons ou des chambres réquisitionnées ont dû être expulsés de force et que cela a coûté à Franchino 4,50 écus. Ibid., fol. 9v. Le pape n’a pas dû se faire que des amis ce jour-là. Le fait qu’on ait dû procéder à toutes ces locations montre par ailleurs que Coffin a tort lorsqu’il affirme que Paul III et Grégoire XIII avaient choisi le palais San Marco comme résidence d’été parce que le palais en question était en mesure de loger toute leur cour. Cf. The Villa cit., p. 31-33. Sixte V devra faire face à cette même situation lorsqu’à l’été de 1585, il décidera d’aller s’installer non plus au palais San Marco comme Grégoire XIII, mais à la villa que ce dernier avait fait construire vers la fin de son règne à Montecavallo. Cette dernière ne pouvait pas plus que San Marco accueillir tous les éléments de sa cour: elle le pourra, plus tard, surtout lorsqu’agrandie par les soins de Paul V au début du XVIIe siècle, mais ce n’était pas encore le cas en 1585. À ce sujet, voir COFFIN, The Villa cit., p. 209-213. Ainsi Sixte V dut-il lui aussi loger la majeure partie de sa cour, en plus de la Garde Suisse et de celle des chevau-légers dans toute une série de maisons du voisinage. Et, cela, au coût de 808 écus. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 15, fasc. 38, fol. 3r-9v, 13v. 385 Sur le phénomène du banditisme dans l’État pontifical à l’époque, voir Polverini Fosi, La società cit., p. 25-33 et passim. À l’occasion de courts séjours effectués par Grégoire XIII fin septembre-début octobre 1573, le majordome mentionne les noms d’un certain nombre de membres de la « famille » pontificale qui l’accompagnent et à qui il remet l’argent nécessaire pour se préparer à partir pour la villa de Frascati. On y trouve le crédencier, le bouteiller et le cuisinier « secrets », chacun avec un certain nombre d’aides, deux aides-camériers, un balayeur « secret » et son compagnon, un ancien cocher, le garde-meuble, un certain nombre de garçons d’écurie et de palefreniers. ASR, Cam. I: 1300, fol. 24v et 26r. Personnel réduit, mais comportant les éléments essentiels au bon fonctionnement, « matériel » du moins, de la cour. On aura remarqué que les services de « bouche » sont particulièrement bien représentés.
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eux en particulier, à l’intérieur de l’État pontifical, mais à une certaine distance de Rome et pour un assez long laps de temps. Voyages d’affaires, tout d’abord, tels ceux effectués par un Jules II, un Paul III, un Pie V, un Grégoire XIII et un Sixte V à Civitavecchia, principale ville portuaire de la côte ouest de l’État pontifical que les papes s’emploieront à fortifier tout au long du XVIe siècle. Ces voyages duraient habituellement entre une et deux semaines386. Pie V excepté qui se déplaçait, lui, en restreinte compagnie387, tous ces papes étaient en général fort bien entourés et tenaient sans doute à l’être388. Autres types de déplacements, plutôt d’agrément ceux-là, qui étaient la spécialité d’un Léon X, d’un Paul III, d’un Jules III en particulier et dont nous fournit un très bel exemple le deuxième de ces papes lorsqu’il entreprend entre le 25 août et le 30 septembre 1547 un voyage à Pérouse, voyage ponctué, comme il se doit, de nombreuses haltes à l’aller et au retour389. Nous ne possédons pas la liste des personnes qui l’accompagnaient, mais quand on sait que le périple en question occasionna une dépense totale de 4839 écus, on est bien obligé de conclure que le pape Farnèse se déplaçait en imposante compagnie, escorte militaire y comprise390. À titre de com386 Sur les voyages de Jules II à Civitavecchia, voir Shaw, Julius II cit., p. 170, 202, 253, 254, 261. Pour Paul III, voir Dorez, La cour cit., II, p. 78, 122-123, 181-182. Nous savons que Pie V s’y rendit au moins une fois en novembre 1566 (BAV, Urb. lat. 1040, fol. 314r), Grégoire XIII, deux fois, en avril 1578 (ASR, Cam. I: 1350, fol. 163v) et en février 1579 (BAV, Introiti ed esiti 1, fol. 148rv), Sixte V, deux fois également, fin mai-début juin 1588 (ASR, Cam. I: 1359, fol. 68r-69r) et fin novembre de la même année (Ibid., Cam. I, fol. 53rv). 387 L’auteur de l’avviso nous apprenant que Pie V était allé à Civitavecchia en novembre 1566 signale en outre qu’il se déplaçait à pied ou en litière, car il ne pouvait aller à cheval, et qu’il fit des arrêts à Tolfa, Cerveteri et Bracciano où il fut reçu par Paolo Giordano Orsini. BAV, Urb. lat. 1040, fol. 314v. 388 Quelques bons indices en ce sens: pour le voyage de Paul III à Civitavecchia fin avril 1535, son majordome reçoit de la Chambre Apostolique 600 ducats pour le seul logement de la « famille » pontificale (ASR, Cam. I: 809, fol. 43v); pour celui de Grégoire XIII au début d’avril 1578, 797 écus sont consacrés aux dépenses de « bouche » et de transport (Ibid., Cam. I: 1351, fol. 163v); pour celui de Sixte V, fin mai-début juin 1588, on loue 59 chevaux et 36 mules au coût de 138 écus pour le transport sans doute d’une partie de la « famille », c’est-àdire ceux qui n’étaient pas ex officio pourvus de montures (Ibid., Cam. I: 1359, fol. 68v-69r). 389 Grâce à la correspondance échangée entre le secrétariat du pape et les cardinaux-légats du Concile à ce moment réfugiés à Bologne, on peut suivre à la trace le voyage en question. Le départ effectivement eut lieu le 25 août. Conc. Trid. XI, Epist. 2, p. 248. Le 30 août, on est à Narni (Ibid., p. 251-252), le 4 septembre à Foligno d’où on prévoyait arriver à Pérouse le 7 ou le 8 (Ibid., p. 260-261), le 6, à Assise (Ibid., p. 262-264) et, enfin, le 9, à Pérouse (Ibid., p. 268-270) où on séjournera au moins jusqu’au 17 (Ibid., p. 276-277) pour ensuite regagner Rome par voie de Gradoli et de Capodimonte (Ibid., p. 279). Peut-être est-il bon de souligner que ce voyage se situait au sortir de sérieux ennuis de santé qui avaient fait craindre le pire à l’entourage de Paul III. Voir ibid., p. 223. Le vieux pontife avait besoin de refaire ses forces. Le voyage de Pérouse arrivait à point nommé. 390 ASR, Cam. I: 1561-62, fasc. 2 (« Conto delle spese del viaggio di Nostra Signore a Perugia »), fol. 34v-35r.
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paraison, notons que Pie IV qui refait ce même périple en septembre 1560 est accompagné de plus de mille personnes dont 832 membres de sa cour, mais aussi de cinq ambassadeurs et leurs suites et –– il importe de le souligner –– de trois corps de garde, les uns à pied, les autres à cheval, comptant probablement chacun une centaine d’hommes, officiers y compris391. On est en droit de penser que le cortège entourant Paul III en 1547 avait tout aussi imposante allure. Chose certaine, dans l’un et l’autre cas, les auteurs d’avvisi n’auraient pas hésiter à employer, et cette fois avec raison, la formule « con tutta la corte ». Moins spectaculaires, les fréquentes « escapades » de Jules III en direction de Viterbe méritent tout de même de retenir, elles aussi, notre attention. Elles avaient habituellement lieu en juin et septembre392. Celle de septembre 1551 pour laquelle nous avons la chance de disposer de renseignements précis et détaillés nous servira ici de modèle. Ce qui frappe dès l’abord, c’est le nombre de membres de la « famille » du pape qui font partie du voyage –– 364 au total ––, nombre, on l’aura remarqué, qui est de moitié inférieur à celui que comptait le cortège accompagnant Pie IV à Pérouse en 1560 et peut-être aussi celui entourant Paul III treize années plus tôt. Mais il ne faudrait pas accorder à cette marge plus d’importance qu’elle n’en mérite. En effet, quand on examine de plus près le rôle de voyage de 1551, on constate qu’il y est aussi fait mention de quatre cardinaux, dont le cardinal-neveu, Innocenzo del Monte, du frère du pape, Baldovino, d’un certain nombre de gentilshommes, tous ces personnages accompagnés de leurs « familles », qu’en plus y figurent 83 serviteurs « hors cour » (« fuora di casa »), embauchés pour l’occasion, dont 60 muletiers, et qu’enfin tout ce monde voyage sous la protection d’une escorte de plus de 300 soldats393. Calcul fait, on n’est pas loin des effectifs dont disposaient Paul III et Pie IV lors de leur voyage à Pérouse. 391 Parmi ces 832 membres, signalons la présence de neuf cardinaux, de quelques membres de la parentèle du pape, des chefs et de la quasi-totalité des officiers et du petit personnel des divers services de la cour, d’une bonne partie du personnel de la chapelle papale accompagnant le Saint Sacrement qui, nous avons eu l’occasion de le montrer, fait habituellement partie de ce genre de déplacement et de deux clercs de la Chambre. Cinq ambassadeurs et leurs « familles » sont aussi du voyage –– 78 personnes au total -, de même qu’un certain nombre de diversi –– cinq en tout. Pour ce qui est des trois corps de garde, identifiés, l’un, comme appartenant à la Garde Suisse, le second, à celle des chevau-légers, le troisième, à la garde dite « pontificale », on n’en chiffre les effectifs que dans le cas des Suisses, soit 25 hommes, mais en supposant que les deux autres corps étaient au moins aussi nombreux et en ajoutant leurs officiers respectifs on n’est pas loin de la centaine. Et sans doute ne s’agit-il là que d’un minimum. Enfin signalons que toutes ces personnes, chevau-légers non compris, ont à leur disposition 620 chevaux et 270 mules. À ce sujet, voir BAV, Ruoli 41, fol. 3r-8rv, 19r. 392 ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito 1553, fol. 24rv, 27r, 29v. Il s’agit de voyages effectués en 1553. 393 BAV, Ruoli 8, fol. 10r-15r.
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Un des traits frappants des voyages dont nous venons de faire état, ceux de Pérouse et de Viterbe en particulier qui, contrairement à ceux de Civitavecchia étaient d’abord et avant tout des voyages d’agrément, c’est que tous les services nécessaires au bon fonctionnement de la cour, y compris ceux de chancellerie et de secrétariat, en font partie. Même en « cavale », les papes devaient continuer à exercer leurs fonctions de chefs d’Église et de chefs d’État et donc être à tout moment prêts à intervenir en cas d’urgence ou de nécessité. Les ambassadeurs accrédités auprès d’eux et maints autres solliciteurs d’audiences ou de faveurs de toutes sortes étaient d’ailleurs là pour le leur rappeler. Certains s’arrangeaient même pour être des voyages en question.394 Mais ces derniers donnaient aussi à un Paul III, un Jules III et un Pie IV, comme autrefois aux papes itinérants du XIIIe siècle395, même si dans leur cas ce n’était pas là le but recherché, l’occasion de reprendre contact avec le peuple et de se l’attacher par des paroles et des gestes appropriés396, mais aussi de se familiariser avec des régions et des situations dont souvent ils n’avaient qu’une connaissance de seconde main. Mais la logistique qu’exigeaient et les coûts qu’entraînaient ces déplacements les condamnaient à disparaître à plus ou moins brève échéance. 394 En effet, si l’on tient compte du fait que lors du voyage de Pie IV à Pérouse en 1560, son neveu, le cardinal Borromée, avait une suite de 50 personnes, que les autres cardinaux en comptaient, chacun, une de 20 à 30 personnes, que les parenti et les ambassadeurs étaient à peine moins bien entourés, on peut raisonnablement supposer que les cardinaux, parents et gentilshommes accompagnant Jules III à Viterbe en 1551 formaient un contingent de quelque 200-250 personnes. On arrive ainsi à presque 900 personnes au total. Et, encore, faudrait-il ajouter à ce total les membres de la « garde des Italiens » pour lesquels aucun chiffre ne nous est fourni. La présence d’une telle force militaire –– 300, peut-être 400 hommes –– accompagnant le pape à l’occasion de ce qui semble n’avoir été qu’un voyage d’agrément de plus à Viterbe n’est pas sans poser problème. Lors de son voyage à Pérouse en 1560, Pie IV se contentera, à ce qu’il semble, d’effectifs militaires beaucoup moins importants. Serait-ce qu’il était plus facile de déplacer 300 soldats de plus, pour la plupart d’ailleurs à pied, à Viterbe, ville de moitié moins distante que Pérouse ou encore qu’en 1551 le trajet entre Rome et Viterbe présentait quelque danger inhabituel. La première hypothèse n’est pas à écarter, mais la seconde paraît mieux fondée. En effet, Jules III était à ce moment à couteaux tirés avec les Farnèse au sujet de la possession des fiefs de Parme et Plaisance. À ce sujet, voir von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 66-70, 91, 94-95. Or pour arriver à Viterbe, on pouvait difficilement éviter de traverser les terres des Farnèse ou du moins des zones longeant ces dernières. La prudence était donc de rigueur. D’où l’imposant contingent militaire auquel avait fait appel le pape. 395 À ce propos, voir Menniti Ippolito, I papi cit., p. 34-38. 396 En effet, ils n’hésitaient pas à faire des faveurs de toutes sortes et à distribuer force mancie d’une halte à l’autre ou encore en cours de route. Un très bel exemple de cela nous est fourni par Paul III lors d’un second voyage qu’il fit à Pérouse en 1544. En effet, d’une part, il fait distribuer en cours de route quelque 324 ducats à des pauvres et miséreux et, d’autre part, fait remettre 110 ducats à divers couvents d’Orvieto et de Viterbe. Dorez, La cour cit., II, p. 313-316. Il suffit de parcourir les registres des trésoriers secrets des papes de l’époque pour se rendre compte que c’est là une pratique que l’on retrouve chez la plupart d’entre eux.
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Exception faite du grand voyage politique de Clément VIII à Ferrare en 1598, le périple de Pie IV à Pérouse en 1560 sera le dernier du genre. En avril 1567, Pie V renoncera à se rendre à Lorette, où il aurait bien voulu aller en pèlerinage, en raison de la dépense, à ses yeux trop élevée, que cela aurait représenté397. Pour sa part, Grégoire XIII en 1584 entretiendra durant des mois le projet de se rendre à Bologne, sa ville natale, dans le cadre de négociations en cours en vue de remettre sur pied la Ligue contre les Turcs398, mais il finira lui aussi par renoncer au projet en question399. L’ère du nomadisme pontifical était close. Les papes limiteraient désormais leurs déplacements à la ville de Rome et à la campagne environnante. * * * La longue exploration que nous venons de faire de ce qui se passait au jour le jour et d’un secteur d’activité à l’autre à la cour pontificale au XVIe siècle nous a permis de confirmer l’impression que nous avions déjà d’une ruche bourdonnante où étaient à tout moment impliqués plusieurs BAV, Urb. lat. 1070. Fol. 444v. Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 266-269. 399 Dès la première annonce de ce voyage début janvier, son entourage immédiat, nombre de cardinaux et même le peuple exprimèrent leur total désaccord, arguant que vu son âge avancé et l’insalubrité du climat à Bologne, ce serait là mettre sa vie en danger; qu’en plus, cela coûterait excessivement cher, non seulement en ce qui concernait le voyage comme tel, mais en ce qu’il faudrait dépenser pour maintenir le bon ordre dans la ville durant son absence. BAV, Urb. lat. 1052, fol. 7r et 12r. Le pape semblait particulièrement sensible aux arguments concernant le coût du voyage et fin janvier tint conciliabule avec son trésorier général et le comptable de la Chambre Apostolique pour voir comment il pourrait réduire le plus possible ce coût. Ibid., fol. 27rv. Voyant qu’il persistait à vouloir se rendre à Bologne, le cardinal Farnèse lui signala qu’il n’avait pas entrepris pareil voyage depuis très longtemps et que ce serait là présumer de ses forces. Ibid., fol. 37r. Mais le pape ne se laissa pas ébranler et les préparatifs iront bon train durant les mois de février, mars et avril malgré les avertissements des astrologues qui lui prédisaient un malheur si jamais il s’exécutait. Ibid., fol. 40rv, 46v-47r, 57r, 60v, 67r, 73rv, 119r, 142r. Mais, fin avril, différents indices semblent confirmer l’opinion de ceux qui depuis le départ doutaient qu’il entreprenne ce voyage. Ibid., fol. 156r, 157r, 160r, 170r. En mai, on apprend que le pape se prépare à passer l’été au palais Saint-Marc et que donc le projet de voyage à Bologne est probablement mort. Ibid., fol. 179v, 186rv. Fin juillet, circule la rumeur à l’effet que le pape, après son voyage prévu à Lorette en septembre, se rendrait enfin à Bologne et ne retournerait à Rome que pour l’Avent. Ibid., fol. 306r. De fait, il n’en sera rien. Le pape n’ira ni à Lorette ni à Bologne. À noter qu’en juillet Grégoire XIII savait déjà que les discussions en vue de remettre sur pied la Sainte Ligue n’aboutiraient pas (cf. von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 269). Et donc que la raison officielle de son voyage à Bologne ne tenait plus. Mais était-ce bien la vraie raison? L’auteur de l’avviso du 24 mars 1584 nous apprend que depuis l’Année Sainte de 1575, le pape avait en tête d’aller revoir sa ville natale et que, chaque année, ce « caprice » (« capriccio ») lui revenait à l’esprit. BAV, Urb. lat. 1052, fol. 105r. S’il décide finalement de renoncer à ce voyage qui était au fond beaucoup plus de nature sentimentale que de nature politique, c’est qu’il se rend aux arguments de ceux qui dès janvier s’objectaient à ce qu’il donne suite à ce projet tout à la fois risqué et coûteux 397 398
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services de la cour, voire, à certains moments, la totalité d’entre eux. Elle nous a permis aussi de voir qu’au-delà des impératifs d’ordre politique et liturgique auxquels ils pouvaient difficilement se soustraire et qui pouvaient à l’occasion leur paraître d’un poids excessif, la presque totalité des papes auxquels nous nous sommes intéressés tenaient à organiser à leur façon leur emploi du temps surtout en ce qui concernait leur vie « privée » relevant, nous l’avons vu, pour une large part de la sphère domestique, mais également des sphères ludique et, jusqu’à un certain point, liturgique. Ce souci d’une distinction aussi nette que possible entre le « privé » et le « public » nous a semblé démarquer les papes de l’époque de leurs vis-à-vis séculiers chez qui tout ce que nous serions portés à considérer comme « privé », tels le lever et le coucher par exemple, se passait de fait en public, un public limité il est vrai à un certain nombre de personnes triées sur le volet, mais public tout de même. Nous avons aussi été à même de constater qu’en ce qui concerne le ludique, les papes de la première moitié du XVIe siècle, exception faite, bien entendu, d’un Adrien VI et, jusqu’à un certain point, d’un Clément VII, lui consacraient passablement de temps et se permettaient même assez facilement des « mondanités » qui parfois ne manquaient pas de choquer, alors que leurs successeurs, artisans ou produits du mouvement de réforme catholique, avaient une toute autre vision des choses, limitant, pour la plupart, leurs périodes de loisir ou de repos à des activités propres à assurer leur bien-être corporel et spirituel, spirituel surtout. En ce qui concerne la sphère proprement domestique qui nous a amenés à considérer les divers moments de la vie au quotidien de chaque pape et de sa cour, il nous est apparu que les services de la chambre et ceux de « bouche » occupaient une place à part, du moins en ce qui concernait la personne du pape, les premiers, veillant au bien-être physique et moral de ce dernier –– nous avons insisté en particulier sur le rôle de premier plan joué à cet égard par le maître de la chambre, le barbier, l’apothicaire et les médecins et chirurgiens –– tout en assurant par ailleurs le bon déroulement d’une des activités les plus accaparantes de leur maître, soit l’audience; les seconds, s’efforçant de donner à la table de ce dernier, surtout lorsqu’il recevait des proches ou des invités de marque, l’éclat auquel ses hôtes et lui-même pouvaient s’attendre, tout en cherchant pas ailleurs à s’ajuster le mieux possible aux goûts, voire aux caprices de ce même maître, en particulier lorsqu’il mangeait seul ou en compagnie de quelques rares proches collaborateurs. À ce propos, n’a pas manqué de frapper notre attention la part considérable du budget de fonctionnement de la cour consacré aux seules dépenses de « bouche ». Nous avions déjà pris note lorsque nous avons traité de la sphère liturgique du rôle fort prisé, mais parfois un peu trop « rubriciste » joué par les
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maîtres de cérémonie et leurs collègues des services de la chapelle. Eux aussi constituaient un rouage essentiel à la bonne marche de la cour et, vu le caractère « sacral » des tâches qui leur étaient confiées, jouissaient d’un prestige particulier et sans doute envié. Moins prestigieux certes, les services d’entretien et de surveillance n’en constituaient pas moins, eux aussi, un rouage important de la cour en termes aussi bien de salubrité et de sécurité des lieux fréquentés par le pape et sa « famille ». Ils étaient donc, eux aussi, dignes de l’attention que nous leur avons accordée. Enfin les pages que nous avons consacrées à une activité relevant tout à la fois du politique et du ludique, soit les déplacements des papes de l’époque dans Rome et hors de Rome, nous ont permis de voir à l’œuvre tous les services de la cour, y compris les services de garde, de garde « éloignée » surtout, et de constater à quel point, chacun à sa façon, était indispensable non seulement au bon fonctionnement de la cour, mais au prestige et à la réputation de celui qui en était la raison d’être: le pape. On aura constaté qu’il a été peu question dans le présent chapitre des services d’intendance avec à leur tête le majordome dont dépendait l’administration de la cour et à qui devaient recourir, quotidiennement ou presque, à peu près tous les chefs de service de cette même cour. Il ne s’agit pas là d’un oubli de notre part. Ce personnage et surtout le rôle que ses nombreux collaborateurs et lui-même étaient appelés à jouer en termes aussi bien administratifs que financiers va faire l’objet de notre prochain chapitre consacré précisément au financement de la cour, c’est-à-dire aux argents dont cette dernière disposait et à la façon dont ces argents étaient dépensés. Il y sera surtout question des rouages de la complexe mécanique tout aussi bien financière qu’administrative qui permettaient à cette cour d’être ce que les papes de l’époque voulaient qu’elle soit en fonction du rôle qu’ils entendaient, chacun, lui faire jouer. En donnant à voir ce que fut cette mécanique et surtout comment elle se comporta d’un pontificat à l’autre, peut-être serons-nous mieux à même, d’une part, de mesurer le défi que représentait la gestion d’une cour de cette stature et, d’autre part, d’expliquer pourquoi certains papes réussirent mieux que d’autres à donner à cette dernière l’allure et la forme qu’ils souhaitaient, ce qui –– nous avons été plus d’une fois à même de le constater –– n’était pas toujours nécessairement ce qu’aurait voulu leur entourage ou encore le peuple de Rome. Indispensable donc nous apparaît l’exploration que nous nous apprêtons à faire des livres de comptes des majordomes pontificaux, mais aussi, pour ce qui est des dépenses personnelles des papes de l’époque, de ceux de leurs trésoriers secrets. Ces sources que nous n’avons fait jusqu’ici qu’effleurer ont encore –– on aura tôt fait de le constater –– beaucoup à nous apprendre sur ce qu’était, mieux, était en train de devenir la cour pontificale au XVIe siècle.
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VII LE FINANCEMENT DE LA COUR Financer l’entretien d’une cour qui, à partir du pontificat de Léon X, pouvait compter au minimum 600, au maximum, jusqu’à 1200 membres n’était pas, comme nous avons pu jusqu’ici nous en rendre compte, une mince affaire. Peter Partner, s’appuyant sur les données d’un certain nombre de bilans financiers de l’époque croit pouvoir affirmer que cette dépense monopolisait à elle seule entre 8 et 9 % des revenus annuels du Saint-Siège avec une pointe de 13 % au temps de Clément VIII1. Mais d’où venaient les sommes d’argent qui servaient à ce financement et par quels canaux parvenaient-elles à la cour, c’est-à-dire aux officiers chargés d’administrer le ou les budgets de cette dernière? C’est ce que, dans un premier temps, nous chercherons à établir à partir de sources connues utilisées par Partner et, avant lui, Bauer et Delumeau2 et d’autres moins bien connues ou, du moins, exploitées jusqu’ici auxquelles nous aurons nous-même recours avec l’espoir qu’elles nous permettent d’y voir un peu plus clair dans la complexe mécanique des finances pontificales des XVe et XVIe siècles. 1. Les sources de financement Comme ne manquent pas de le souligner Jean Delumeau et Peter Partner, les sources dont nous disposons pour calculer les entrées dont jouissaient d’une année à l’autre les papes de l’époque ou encore pour identifier la provenance de ces dernières comportent de nombreuses lacunes, et, par ailleurs, ne sont pas toujours fiables. Un certain nombre de renseignements fournis par des contemporains –– les ambassadeurs de Venise en particulier –– permettent de combler un certain nombre de ces lacunes, mais, encore là, doivent être maniés 1 P. Partner, Papal Financial Policy in the Renaissance and Counter Reformation, dans Past and Present, 88 (1980), p. 51. 2 C. Bauer, Die Epochen der Papstfinanz: Ein Versuch, dans Historische Zeitschrift, CXXXVIII (1927), p. 457-503. Delumeau, Vie économique cit. Pour une bonne vue d’ensemble récente, voir L. Palermo, Il denaro della Chiesa e l’assolutismo economico dei Papi agli inizi dell’età moderna, dans Chiesa e denaro tra Cinquecento e Settencento, éd. Ugo Dovere, Cinisello Balsamo, Edizioni San Paolo, 2005, p. 67-146.
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avec précaution. Aussi devons-nous nous contenter dans bien des cas de données approximatives, mais qui, tout compte fait, n’en représentent pas moins de l’avis d’un Delumeau et d’un Partner –– et, sur ce point, nous sommes d’accord avec eux –– des ordres de grandeur vraisemblables et donc permettent de nous faire une assez bonne idée des revenus sur lesquels pouvaient compter les papes du XVIe siècle pour rencontrer leurs diverses obligations dont, en ce qui nous concerne, le financement de leurs cours3. Leurs entrées –– il importe de le souligner dès le départ –– étaient de deux sortes que, pour faire court, on avait très tôt pris l’habitude d’appeler, les unes, « spirituelles », les autres, « temporelles ». Les premières comprenaient l’ensemble des ressources générées par l’octroi de bénéfices ecclésiastiques ou de dispenses matrimoniales sous forme de « taxes » ou de frais de service connus sous le nom d’annates, de « communs services » ou encore de « compositions », puis, à partir du règne de Sixte IV, de ventes d’offices4, ventes qui avec le temps prendront de plus en plus d’importance et finiront par constituer le gros de ce type d’entrées à la fin du XVIe siècle5. Aussi incongru que cela puisse paraître, on n’en continuera pas moins à les appeler « spirituelles ». À cela, il faut ajouter, à partir de Pie V, certaines contributions exigées occasionnellement de la part des grands Ordres religieux, sans oublier l’apport beaucoup plus modeste que dans le passé, mais tout de même appréciable, des collectoreries, entre autres, d’Espagne, du Portugal et du royaume de Naples6. Grâce, en partie, à ces nouvelles ponctions fiscales visant spécifiquement le clergé aussi bien régulier que séculier, mais grâce surtout à la montée en flèche des ventes d’offices, les entrées « spirituelles » qui n’étaient que de 105.000 florins or en 1480, passeront à 384.000 écus d’argent en 1605 après un sommet de 420.000 écus en 1592 suite aux efforts de Sixte V pour augmenter ce type de revenus7. Pour ce qui en est des entrées « temporelles », elles étaient pour l’essentiel constituées d’impôts directs et indirects prélevés sur l’État pontifical ou, pour être plus concret, sur les sujets du pape, y compris, dans 3 Voir à ce sujet, Partner, Papal financial cit., p. 38-39 de même que Delumeau, Vie économique cit., II, p. 753-757. 4 Ibid., p. 768-782. Partner, Papal Financial cit., p. 46-47. 5 Ibid., p. 47-48. Sur la vente des « offices », voir S. Levati, La venalità delle cariche nello Stato pontificio tra XVI e XVII secolo, dans Richerche Storiche, 26 (1996), p. 525-543. 6 Partner, Papal Financial cit., p. 47-48. 7 Ibid., p. 49 (Table 5).
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Le financement de la cour
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certains cas, le clergé8. Alors qu’elles ne représentaient que le double des entrées « spirituelles » en 1480, soit quelque 211.000 florins or par rapport à 105.000, elles étaient en 1605 quatre fois plus élevées, s’établissant à 1.129.000 écus d’argent contre 384.0009. C’est que les entrées « spirituelles » suffisaient de moins en moins à couvrir les dépenses auxquelles devaient de plus en plus faire face les papes du XVIe siècle et qu’ils n’avaient donc plus d’autre choix que de mettre à contribution leurs propres sujets pour combler la différence10, ce qui, bien évidemment, leur vaudra des rapports difficiles, pour ne pas dire acrimonieux avec ces derniers11. Est-il possible d’établir avec exactitude ce que ces diverses entrées représentaient chaque année en termes de revenus globaux? Malheureusement, non. Comme l’a montré Jean Delumeau, l’absence de Libri Mastri pour la période qui nous intéresse ici exclut toute possibilité de disposer d’une série continue de bilans annuels12. Et donc, vu par ailleurs le caractère sporadique et souvent lacunaire des autres sources disponibles, nous en sommes réduits à quelques rares bilans constituant, pour la plupart, comme nous l’avons indiqué plus haut, de simples approximations. Jean Delumeau et Peter Partner ont tout de même réussi à dresser, chacun, un tableau statistique regroupant un certain nombre de bilans annuels –– douze, dans le cas du premier, sept, dans le cas du second –– comportant la somme totale des revenus du Saint-Siège pour chacune des années comptabilisées. Les chiffres qu’ils proposent –– ils sont les premiers à le reconnaître –– ne constituent que des ordres de grandeur, mais n’en sont pas moins indicatifs des ressources financières dont disposaient les papes du XVIe siècle. Le tableau ci-après fait d’emprunts à ceux de nos deux auteurs, complété, dans le cas de Paul III, par des données nous venant de Francesco Guidi Bruscoli13, illustre bien, entre autres choses, la progression à laquelle il a déjà été fait allusion des ressources en question, grâce surtout à l’augmentation considérable des entrées « temporelles » à partir du milieu du XVIe siècle.
8 Le meilleur exemple que nous en ayons est le sussidio triennale créé par Paul III en 1535 qui s’appliquera d’ailleurs à une bonne partie de l’Italie. Partner, Papal Financial cit., p. 47. 9 Delumeau, Vie économique cit., II, p. 768-843. 10 Ibid., p. 841. 11 Ibid., p. 824-843. 12 Ibid., p. 753. 13 Ibid., p. 756. Partner, Papal Financial cit., p. 49. F. Guidi Bruscoli, Papal Banking in Renaissance Rome, Aldershot 2007, p. 73.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
TABLEAU VI Revenus de la papauté de 1492 à 1605 * Papes
Delumeau
Alexandre VI
275 000 ducats
Jules II
350 000 ducats
Léon X (1521)
500 000 ducats
Clément VII
499 000 ducats
Bruscoli
Partner
(1525)
476 000 florins 681 467 écus
Paul III (1541) Jules III
a
770 000 écus
Pie IV (1560) (1565) Pie V
750 000 écus 850 000 écus (?)
b
900 000 écus
Grégoire XIII (1576)
1 261 000 écus
Sixte V (1590)
1 419 000 écus
(1592)
1 601 000 écus
Clément VIII (1594) (1604) (1605)
1 441 000 écus 1 777 000 écus 1 513 000 écus
*Sources : J. DELUMEAU, Vie économique et sociale de Rome, II, p. 756 (Tableau); F. GUIDI BRUSCOLI, Papal Banking in Renaissance Rome, p. 73; P. PARTNER, « Papal Financing Policy », p. 49. (a) Ce total comprend les 571 467 écus de revenus comptabilisés par Benvenuto Olivieri, dépositaire général de la Chambre et les 100 000 de la Daterie tels qu’indiqués par Jean Delumeau. (b) Jean Delumeau propose à partir du témoignage d’un ambassadeur vénitien 1 200 000 écus, mais reconnaît qu’il s’agit là d’un « chiffre trop fort » pour 1565. Op. cit., p. 756. Celui que nous proposons nous paraît plus vraisemblable, compte tenu de la progression des revenus de la papauté à l’époque.
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Le financement de la cour
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Nous nous demanderons plus loin quelle portion de ces revenus était de fait affectée à l’entretien de la cour, c’est-à-dire tout à la fois du pape lui-même et de sa « famille ». Pour le moment, il nous importe de savoir par quels canaux les sommes en question parvenaient aux officiers chargés de leur gestion au jour le jour. Pour l’essentiel, ces transferts se faisaient, d’une part, par la Chambre Apostolique ou, du moins, sur ordre de celle-ci, d’autre part, par la Daterie. Nous disons bien: pour l’essentiel, car, en réalité, comme nous le verrons plus loin, les choses étaient parfois beaucoup plus compliquées que cela. Rien de surprenant à ce que la Chambre Apostolique ait été appelée à jouer ce rôle : elle faisait depuis longtemps figure de ministère des finances chargé de répondre aux besoins de l’administration pontificale dans les domaines aussi bien « spirituel » que « temporel » et, pour ce faire, de trouver les ressources monétaires requises. Mais elle était également chargée de répondre aux besoins du pape lui-même et de couvrir les coûts d’entretien de sa cour. Mérite surtout de retenir ici notre attention le fait que l’administration des sommes versées au pape lui-même était confiée à un proche de ce dernier, habituellement un de ses camériers secrets qui dépensait les sommes en question selon les directives venant de son maître. Notons au passage qu’il ne s’appelait pas encore « trésorier secret » –– ce titre ne lui sera attribué officiellement qu’au temps de Paul III –– mais c’était bel et bien là la fonction que déjà il exerçait, peu importe le titre sous lequel il était connu à l’époque14. À partir du règne d’Eugène IV, la Chambre Apostolique ne sera plus la seule à alimenter la caisse personnelle du pape. Des subsides vont commencer à arriver d’une instance nouvelle, en voie de formation, qu’on appellera plus tard Daterie, chargée, elle, de la perception des « taxes » dont il a été question plus haut, la concession de bénéfices et de grâces de toutes sortes, puis surtout, à partir du règne de Sixte IV, de la vente d’offices, vente, nous l’avons vu, qui deviendra avec le temps une des principales sources de revenus de la Daterie. Un registre de la Trésorerie secrète de 1464 montre qu’à cette date la caisse du pape était alimentée, en partie, par la Chambre Apostolique, mais qu’elle l’était surtout et de plus en plus par la Daterie. Ce système donnait toutefois de moins en moins satisfaction, d’autant plus que la Chambre n’était pas toujours en mesure de fournir les sommes dont avait besoin la Trésorerie secrète. Cette dernière souhaitait avoir plus de stabilité de revenus et donc dépendre de moins en moins de la Chambre. Le dataire dont les compétences s’élargissaient de plus en plus avec des entrées 14 F. Litva, L’attività finanziaria della Dataria durante il periodo tridentino, dans AHP, Rome 1967, p. 90-91. N. Storti, La storia e il diritto della Dataria Apostolica dalle origini ai nostri giorni, Naples 1969, p. 57-62.
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à l’avenant paraissait dans les circonstances un pourvoyeur plus sûr et plus fiable, capable de répondre aux besoins de pontifes aux goûts de plus en plus fastueux et coûteux. Ce sera chose faite sous le règne de Sixte IV. Le dataire aura désormais sa propre caisse, sa propre comptabilité et cessera de dépendre de la Chambre Apostolique, si ce n’est qu’il devait encore chaque année lui soumettre ses livres de comptes pour fins de vérification15. « Intime » –– et pour cause –– du pape, il aura ses quartiers au palais apostolique et, surtout, tel qu’indiqué au chapitre précédent, jouira de l’insigne privilège d’être reçu chaque jour par le pontife régnant. Promue caisse personnelle du pape –– un ambassadeur vénitien ne craignait pas de l’appeler encore tard dans le XVIe siècle, sa « borsa particolare »16 –– la Daterie était à même de répondre et de répondre plus que de juste aux multiples besoins, voire caprices de ce dernier. C’est qu’elle avait et aura à partir de la fin du XVe siècle des sommes considérables d’argent à sa disposition venant aussi bien des « compositions » que des ventes d’office. Storti, s’inspirant de Litva, estime qu’entre 1535 et 1565 les « compositions » et les ventes d’office rapportèrent respectivement 2.137.000 et 2.508.000 écus or pour une moyenne annuelle de 141.000 écus17. Sans doute faut-il accepter ces chiffres avec quelque précaution, car les données recueillies par Litva ne sont pas toujours complètes, entre autres, pour ce qui est des pontificats de Jules III et de Paul IV18, mais on peut néanmoins penser qu’il s’agit là d’ordres de grandeurs vraisemblables19. À noter, toutefois, que pour certaines ventes d’offices, le dataire était tenu de remettre les montants perçus à la Chambre Apostolique, plus exactement au trésorier général qui s’en servait comme caution pour les emprunts faits aux banquiers avec lesquels il transigeait20, ce qui réduisait d’autant les sommes d’argent qu’il était à même de mettre à la disposition du pape ou des personnes, institutions ou œuvres que celui-ci lui indiquait. Mais il suffit de parcourir les registres tenus par les services de comptabilité du dataire –– nous aurons plus loin l’occasion de le faire –– pour constater que, nonobstant ce que lui soutirait Ibid., p. 62-63. Litva, L’attività finanziaria cit., p. 92-93. Il s’agit de G. Soranzo. Cf. Alberi, Relazioni cit., IV, p. 87. 17 Storti, La storia cit., p. 260. 18 Litva, L’attività finanziaria cit., p. 163-164. 19 Il importe toutefois de signaler que ces mêmes entrées ont connu durant cette même période d’importantes fluctuations, qu’il s’agisse des « compositions » ou des ventes d’offices. Ainsi, pour ne donner que ces quelques exemples, alors que les ventes d’offices rapportaient entre 1531 et 1534, soit au temps de Clément VII, en moyenne 40.135 ducats l’an, sous Paul III, cette moyenne passe à 77.228 écus l’an pour redescendre sous Pie IV à 50.683 écus. On constate le même phénomène dans le cas des « compositions » qui d’ailleurs à certains moments représentent des entrées supérieures à celles des offices. Ibid., p. 163-164. 20 Ibid., p. 160. 15 16
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la Chambre Apostolique, celui-ci avait encore moyen de répondre adéquatement aux besoins ou exigences de son maître. En ce qui concerne les sommes remises au trésorier secret et qui, elles, étaient destinées au pape personnellement pour tout usage qu’il jugerait bon en faire, nous disposons pour la période qui nous intéresse d’une importante série de livres de comptes comportant, il est vrai, de nombreux hiatus, mais permettant tout de même de nous faire, du moins à partir du règne de Clément VII, une assez bonne idée des sommes que le dataire versait à intervalles plus ou moins réguliers audit trésorier pour les besoins de son maître et de ceux qu’il entendait honorer, favoriser, récompenser ou, tout simplement, aider à l’instar des « grands » de l’époque et, sans doute, pour les mêmes raisons qu’eux. Il s’agit, d’une part, des registres tenus par le caissier ou dépositaire du trésorier secret, de l’autre, de ceux produits par les officiers de finance du dataire21. Malheureusement, avant 1540, ceux de la Trésorerie secrète nous sont de peu de profit du fait qu’ils se contentent de nous fournir les « menues dépenses » (spese minute) du pape et ne sont donc pas en mesure de nous dire ce que le trésorier secret recevait en réalité chaque mois de la Daterie. Il faut donc pour cette période recourir aux livres de comptes de cette dernière. Mais, là aussi, nous sommes plutôt mal servis, puisque le premier registre dont nous disposons couvre la période 1531-1535. Un bilan de 1525 nous permet tout de même de savoir que la Daterie versait à l’époque 12.000 ducats par mois au pape, c’est-à-dire 144.000 ducats l’an, ce qui à première vue peut surprendre, les entrées totales de la Daterie n’étant à ce moment que de 212.000 florins or annuellement22. Mais il se peut que l’auteur du bilan en question ait raison. De bons indices en ce sens nous sont 21 Les premiers se trouvent à l’Archivio di Stato de Rome, les uns sous le titre « Spese minute » (ASR, Cam. I: 1484-1493, 1495), les autres sous celui de « Tesoreria Segreta » (Ibid., 1290, 1292, 1295, 1297, 1299-1300, 1311-1313) et couvrent, pour ce qui est des « Spese minute », les années 1501-1502, 1505, 1516, 1521, 1523-1527, 1534-1536, et, pour ce qui est de la « Tesoreria Segreta », les années 1540-1543, 1545-1548, 1550-1553, 1556, 1559-1565, 1572-1573, 15841586, 1596-1605. Le tout, dans ce dernier cas, heureusement complété par l’édition que Léon Dorez a faite des registres en sa possession couvrant les années 1535-1538 et 1543-1545. Voir La Cour du pape Paul III, II, passim. Les seconds sont conservés à la Bibliothèque du Vatican (Vat. lat. 10599-10605) et couvrent les années 1531-1550, 1554-1555. Storti notait déjà en 1969 que la majeure partie des livres de comptes de la Daterie conservés aux Archives du Vatican n’avaient pas encore fait l’objet d’un inventaire. Voir La storia et il diritto della Dataria, p. 254. Il semble que l’on ait depuis fait des progrès significatifs, mais on serait encore loin du compte. Cf. F. X. Blouin et al., An Inventory and Guide to Historical Documents of the Holy See, New York-Oxford 1998, p. 145. Déjà, en 1967, le P. Litva notait que plusieurs des registres en question étaient dans un très piteux état et donc pratiquement inutilisables. Cf. L’attività finanziaria cit., p. 90. 22 BAV, Barb. lat. 1652, fol. 38v. Michele Monaco qui a publié une autre version de ce bilan qui se trouve aux Archives du Vatican (ASV, Arm. XXXVII, 27, fol. 590r-636r) note les nombreuses lacunes de ces deux textes que l’auteur anonyme de l’un et de l’autre est
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d’ailleurs fournis par le registre de 1531-1535. Ainsi, pour les années 1532 et 1533, le trésorier secret se voit remettre par le dataire 31.179 et 63.816 ducats respectivement. Pour les huit premiers mois de 1534 –– Clément VII disparaît en septembre de cette même année –– il reçoit 58.746 ducats pour une moyenne mensuelle de 7.343 ducats qui, répartie sur une année, équivaudrait à près de 90.000 ducats23. Certes, on est encore loin des 144.000 ducats de 1525, mais il faut dire que dans l’intervalle Rome avait été victime d’une catastrophe, le sac de 1527, qui avait mis à mal les finances du Saint-Siège. Les choses vont toutefois progressivement s’améliorer durant les règnes des papes Paul III et Jules III, éclipsant même et de beaucoup les niveaux jusque-là atteints. À preuve, en 1544, 1546 et 1547, la Daterie fait remettre au pape Farnèse 189.378, 229.203 et 176.520 ducats respectivement sous forme de versements variant entre 7000 et 29.000 écus par mois24. Les 144.000 ducats de 1525 sont nettement dépassés. Jules III fait encore mieux en 1551 avec un sommet de 394.633 écus25. Retour par contre à la normale deux années plus tard avec des entrées de 149.195 écus seulement26. Notons qu’une grande partie de ces sommes est affectée à des dépenses militaires, comme cela avait été le cas d’ailleurs au temps de Paul III27. Sous Paul IV, il y a une baisse significative des versements faits par la Daterie. C’est que le pape Carafa qui avait été un des auteurs du célèbre De Emendanda Ecclesia de 1537, qui préconisait, entre autres choses, de réformer en profondeur le système de nomination aux bénéfices et les trafics honteux auxquels il donnait lieu, avait décidé de transformer de fond en comble la Daterie et, dans l’intervalle, de puiser ailleurs les sommes dont d’ailleurs le premier à reconnaître. M. Monaco, La situazione della Rev. Camera Apostolica in 1525, Rome 1960, p. 5-7. Le texte publié par lui se trouve p. 69-127. 23 BAV, Vat. lat. 10599, fol. 115v, 129v, 132v-142v, 143r-155r. 24 Ibid., Vat. lat. 10603, fol. 57r-93v; 1604, fol. 83r-110v, 112v-136r. Litva, se fondant sur les dossiers des registres de la Trésorerie secrète, en particulier ceux publiés par Dorez, estime à 220.000 écus or l’an les sommes remises entre 1535 et 1545 par la Daterie au trésorier secret de Paul III. Litva, L’attività finanziaria cit., p. 158. 25 ASR, Cam. I: 1295, Thesaureria Secreta, fol. 1v-11r. 26 Ibid., Introito et exito, 1553, fol. 5r. 27 Litva note qu’en 1538 30.000 écus furent affectés à la guerre contre les Turcs. L’attività finanziaria cit., p. 161. Delumeau, pour sa part, signale qu’entre 5 et 600.000 écus serviront à combattre tout à la fois les Turcs et les protestants. Vie économique cit., II, p. 760. À cette fin, à diverses reprises, d’importantes sommes d’argent furent envoyées par le dataire au Château Saint-Ange. En 1541, cela atteignit l’impressionnant total de 270.000 écus. Litva, L’attività finanziaria cit., p. 162. On retrouve un même scénario chez Jules III. Ainsi entre février et décembre 1551, son trésorier secret met-il à sa disposition pour fins militaires 207.831 écus dont une partie provenant du Château Saint-Ange. ASR, Cam. I: 1295, Thesaureria Secreta, fol. 37r-59v. Il faut dire que le pape était à l’époque en guerre avec Ottavio Farnèse et son allié le roi de France. À ce sujet, voir von Pastor, Storia dei papi cit., VI, p. 91-98.
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il avait tout de même besoin, à l’instar de ses prédécesseurs28. Ainsi, en 1556, les 56.246 écus remis à son trésorier secret proviennent tous de la Chambre Apostolique29. L’année suivante, des 61.355 écus versés à ce dernier, la plus grande partie, soit 57.360 écus, provient du trésor du Château Saint-Ange, trésor constitué pour une large part d’argent provenant de la Daterie30. Cela, Paul IV ne devait pas être sans le savoir. Mais, du moins pouvait-il sauver les apparences du fait que cet argent ne lui venait pas directement de la Daterie. Quoi qu’il en soit, on aura constaté que le niveau de financement de la Trésorerie secrète n’était plus du tout ce qu’il avait été au temps d’un Paul III et d’un Jules III. Avec Pie IV, voilà que les choses se compliquent un peu plus. Durant les deux premières années de son règne, Aleotti, son trésorier secret, n’a à sa disposition que 9912 écus, soit quelque 413 écus par mois, et tout cet argent, il, importe de le souligner, lui vient comme au temps de Paul IV de la Chambre Apostolique31. Mais Ruberto Ubaldini qui succède à Aleotti en 1563 se voit octroyer pour la période allant du 1er septembre de cette même année au 31 août de l’année suivante 145.183 écus –– on peut parler d’un retour à la normale ––, mais avec cette particularité toutefois qu’il est financé conjointement par la Chambre Apostolique et la Daterie à raison de 80.000 et 62.000 écus respectivement32. Notons au passage que la moitié de cette somme est consacrée à des « fabriche », c’est-à-dire des travaux de construction de diverses sortes33. Le bilan suivant, couvrant cette fois seize mois, soit de septembre 1564 à décembre 1565, est à peu près du même ordre avec des entrées totales de 214 243 écus, pour une moyenne mensuelle de 13.377 écus –– elle l’était de 12.097 l’année précédente ––, entrées provenant de la Daterie, de la Chambre Apostolique et du commandeur de Santo Spirito, leur contribution étant respectivement de 89.789, 65.000 et 57.733 écus34. Il est intéressant de noter qu’une fois de plus la moitié de ces revenus va à des « fabriche »35. Visiblement, Pie IV ne se faisait pas scrupule de trouver l’argent dont il avait besoin là où il le pouvait, fût-ce dans les caisses du commandeur de Santo Spirito! Or, c’est un peu ce même modèle que va adopter sa « créature », Grégoire XIII, du moins au début de son pontificat, comme le montrent les registres de son trésorier secret, Alessandro Musotti. En effet, durant les À ce sujet, voir Ibid., V, p. 103-104, 110, 113, 115, 119; VI, 112, 436-437, 444. ASR, Cam. I: 1297, fol. 2r-11r. 30 Ibid., Cam. I: 1298, fol. 1bis-4v. 31 Ibid., Cam. I: 1299, Entrata et uscita, 1559-1561, fol. 1-4. 32 Ibid., Conto di Ruberto Ubaldini, fol. 1-7. Il reçoit par ailleurs 1650 écus du commandeur de l’hôpital Santo Spirito auxquels viennent s’ajouter 1638 écus de profits sur le change. 33 Ibid., fol. 50-51. 34 Ibid., Cam. I: 1299, Conto della Tesaureria Segreta, fol. 1-10. 35 Ibid., fol. 79. 28
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trois premiers mois de son règne, la caisse de ce dernier est alimentée principalement par la Chambre Apostolique à raison de 26.770 écus contre les 19.063 de la Daterie36. Mais cela ne va pas durer. Pour les autres trimestres comme pour les années subséquentes, c’est la Daterie qui domine, et de très loin, retrouvant ainsi en quelque sorte son rôle de principal pourvoyeur de la caisse personnelle du pape37. Cela, toutefois, ne voulait en rien dire qu’on s’apprêtait à retrouver les niveaux de financement des années 1535-1555 ou encore du règne de Pie IV. Bien au contraire. À partir de 1573, les entrées de Musotti ne cessent de décliner: elles atteignent même un plancher de 36.475 écus en 1576-157738. Grégoire XIII était, contrairement à son « patron », Pie IV, un homme d’une grande frugalité et, comme nous avons pu le constater au chapitre précédent, tenait à ce que son train de vie personnel soit des plus modestes. Il en sera de même de son successeur, Sixte V, lui aussi très économe, mais pour des raisons qui tenaient plus à la pingrerie qu’à la frugalité. De fait, il employera la plus grande partie de l’argent reçu du dataire à la constitution d’un trésor au Château Saint-Ange, trésor qui, dans son esprit, devait servir de réserve de dernier recours en cas de crise grave ou de nécessité extrême. Ainsi, sur les 36.000 écus or reçus à l’automne de 1586, 32.000 aboutirent vers la mi-novembre audit Château Saint-Ange39. Malheureusement, le livre de comptes dont nous tenons cette information est le seul dont nous disposons pour le pontificat de Sixte V40. Mais, connaissant ce dernier, on est en droit de penser que s’il réclama de plus grandes sommes de la Daterie que son prédécesseur, c’est à la constitution de ce trésor devenu pour lui une véritable obsession qu’il les utilisa. Nous disposons heureusement d’une documentation beaucoup plus abondante et s’étendant sur une plus longue période de temps en ce qui concerne Clément VIII, mais elle n’est pas elle aussi sans poser pro36 Ibid., Cam. I: 1300, fol. 3r-5r. S’ajoutent quelque 2277 écus provenant de diverses autres sources, entre autres, ventes de propriétés et agio. 37 Dès le deuxième trimestre (septembre-novembre), sur une entrée totale de 25.957 écus, la part de la Daterie est de 19 063 contre 1 640 seulement pour la Chambre Apostolique. Ibid., fol. 19r-22r. 38 Ibid., Cam. I: 1304, fol. 17r, 37r, 56v, 75r. 39 Ibid., Cam. I: 1312, fol. 11r. Comme l’explique Antonio Maria Galli, trésorier secret du pape, cette monnaie fut transportée dans « 32 sacs de toile rouge scellés de son propre sceau » et déposée au Château Saint-Ange en présence du camerlingue, du trésorier général, du président de la Chambre et plusieurs autres trésoriers. 40 Le 17 novembre 1586, Galli fut remplacé par Marzio Frangipani qui depuis le premier septembre exerçait la fonction de majordome. Il cumulera désormais les deux fonctions. Ibid., fol. 11v. Mais si nous possédons la série complète des registres qu’il a tenus comme majordome –– nous y reviendrons plus loin –– il ne reste aucune trace de ceux qu’il a dû aussi tenir comme trésorier secret.
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blème41. Du moins, sommes-nous en mesure d’affirmer que le trésorier secret dudit pape, Filippo Guicciardini, dépensa, de juin 1601 à février 1605, 273.835 écus monnaie, soit 2738 écus par mois, le tout représentant une moyenne de 32.856 écus monnaie, c’est-à-dire 26.000 écus or l’an42. Manifestement, les ressources dont disposait la Trésorerie secrète n’étaient plus que l’ombre de ce qu’elles avaient été à l’époque faste d’un Paul III et d’un Jules III, La cure de minceur que lui avaient fait subir un Grégoire XIII et, à sa façon, un Sixte V se poursuivait: elle semblait même au temps de Clément VIII gagner en efficacité. C’est peut-être que dans la logique du changement de vocation qui, nous l’avons vu, se dessinait déjà à l’époque d’un Pie IV, peut-être même d’un Paul IV, les papes de la seconde moitié du XVIe siècle entendaient de plus en plus exploiter les ressources de la Trésorerie secrète à des fins d’ordre surtout « domestique », intéressant leur propre personne ou encore les œuvres, besoins, projets, individus ou groupes d’individus qui leur étaient tout particulièrement chers, y compris, dans ce dernier cas, certains membres de leurs cours. Il n’en reste pas moins qu’une partie seulement des sommes mises à la disposition du trésorier secret servait à répondre aux besoins comme tels de la cour. Mais nous verrons plus loin qu’à partir du règne de Pie IV elle était loin d’être négligeable. Pour le moment, il nous faut revenir à la principale et, de fait, plus traditionnelle source de financement de la cour, c’est-à-dire la Chambre Apostolique. Cette dernière avait depuis longtemps la responsabilité première de fournir au majordome chargé, nous l’avons vu, d’assurer le bon fonctionnement de l’ensemble des services de la cour les liquidités dont il avait besoin pour ce faire. Malheureusement, ici encore, nous ne disposons de données complètes et fiables qu’à partir du règne de Grégoire XIII, ce qui est relativement tard, les livres de comptes des majordomes des papes précédents ayant totalement disparu, exception faite d’un registre, au demeurant lacunaire, que nous a laissé Angelo Archilegi, majordome de Paul III43. Existerait-il d’autres sources d’information nous permettant de combler au moins en partie ce vide? Effectivement, il en existe. Ces sources sont, d’une part, les séries Introitus et Exitus et Diversa Cameralia 41 En effet, bien qu’il couvre les années 1596-1605, le registre qui est parvenu jusqu’à nous et qui est de Filippo Guicciardini, trésorier secret de Clément VIII, comporte de nombreuses lacunes, en particulier concernant les entrées dont disposait à l’époque la Trésorerie secrète. Une seule entrée nous est fournie: elle s’élève à 29.687 écus or. Cette somme serait parvenue à Guicciardini sous forme de prêts –– neuf au total –– consentis par on ne sait qui. S’agirait-il d’emprunts faits par la Daterie? On ne le dit pas. Par ailleurs, on signale que cette entrée est d’avant le 13 octobre 1596, mais sans préciser la période de temps qu’elle servait à couvrir. ASR, Cam. I: 1313, registre B, fol. 1v-21r. 42 Ibid., fol. 45r. 43 ASR, Cam. I: 1349.
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provenant des anciennes archives de la Chambre Apostolique, et qui se trouvent aujourd’hui aux Archives du Vatican; d’autre part, les séries Mandati Camerali, Giustificazioni di Tesoreria ainsi que trois registres des Spese minute de même provenance, mais conservées, elles, à l’Archivio di Stato de Rome. Auxquelles, aussi surprenant que cela puisse paraître, il importe d’ajouter un registre de la Daterie, en l’occurrence celui de 15311535 auquel nous venons d’avoir recours en rapport avec la Trésorerie secrète. Bien évidemment il ne faut pas s’attendre à ce que cet ensemble documentaire par ailleurs fort riche en renseignements de toutes sortes relatifs à la vie quotidienne du pape et de sa cour nous fournisse noir sur blanc et de façon très précise les sommes dont disposaient chaque année les majordomes des prédécesseurs de Grégoire XIII. Ce serait trop lui demander. Du moins –– et ce sera déjà beaucoup –– nous permettra-t-il de combler en partie les vides devant lesquels nous nous trouvons. Le registre de « Spese minute » de 1501 nous apprend que cette année-là le majordome d’Alexandre VI avait obtenu 20.427 ducats de la Chambre Apostolique pour couvrir les dépenses en question44. En 1505, donc au temps de Jules II, ce sont 16.000 ducats que l’expenditor de ce dernier, Antonio di Podio, reconnaît avoir reçu de la Chambre Apostolique à cette même fin45. Mais, comme dans l’un et l’autre cas, il ne s’agit que de « menues dépenses », on est en droit de penser que les coûts d’entretien du palais étaient beaucoup plus élevés que cela. Marino Giorgi, ambassadeur de Venise, les estimait en 1517 à 60.000 ducats l’an46. Que dire alors des 27.500 remis en 1529 par la Chambre Apostolique à Girolamo Schio, majordome de Clément VII, pour ce que celle-ci appelle les « dépenses du palais »47? Peter Partner se fondant sur un certain nombre d’études récentes et de sources d’époque estime à 40.256 ducats les dépenses en question en 1525-152648. Or, grâce au registre de la Daterie plus haut mentionné couvrant les années 1531-1535, nous savons que du 1er mars au 31 août 1531, un montant de 13.480 ducats fut versé à Giuliano Visconti, majordome de Clément VII, montant couvrant les dépenses du palais pour six mois, c’est-à-dire de février à juillet49. On peut raisonnable44 Ibid., Cam. I: 1484, fol. 2r-7v. Ce registre était tenu par Nicolas Bret, « expenditor » du pape, qui agissait sur ordre du majordome, Diego Menendez de Valdes, évêque de Zamora. Ibid., fol. 2r et passim. 45 Ibid., Cam. I: 1487, fol. 1r-6v. Mais les dépenses de cette même année s’élèveront à 22.845 ducats pour un déficit de quelque 6845 ducats. Ibid., fol. 32v et passim. Qui combla le déficit? La Chambre Apostolique ou la Daterie? Il appartenait sans doute au pape d’en décider. 46 Alberi, Relazioni cit., III, p. 53-54. 47 ASV, Intr. et Exit. 561, fol. 134 et passim. 48 Partner, Papal Financial cit., p. 50. 49 BAV, Vat. lat. 10599, fol. 97 et passim.
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ment estimer au double ce qu’il en coûta de fait pour couvrir les dépenses de toute l’année, soit environ 27.000 ducats, ce qui paraît faible par rapport au chiffre avancé par Partner, mais, ne l’oublions pas, on est en 1531 à quelques années à peine du sac de Rome et dans une situation financière beaucoup plus précaire qu’en 1525-26, d’où l’obligation de vivre beaucoup plus parcimonieusement qu’on ne le faisait cinq années plus tôt. Dès lors, les 27.500 ducats de 1529 ne paraissent plus du tout insolites. Les choses semblent revenir à la normale durant le pontificat de Paul III. En effet, si nous combinons les chiffres fournis par son majordome, Angelo Archilegi, pour les cinq mois que couvre le registre de ce dernier, soit de la fin juillet à la fin décembre 1538 et ceux qui nous viennent du livre de comptes du trésorier secret, Bernardino della Croce où nous découvrons que celui-ci couvrit, pour sa part, les dépenses de la cour (« spese di casa ») durant le voyage que Paul III, entouré d’une bonne partie de sa « famille », entreprit à Nice du 23 mars au 27 juillet de cette même année50, nous arrivons à un déboursé total pour l’année en question de 59.088 ducats51. Et sur la base des données du registre tenu par le mansario de la Chambre Apostolique pour 1539, on est en droit de penser que cette année-là le même Archilegi eut à sa disposition quelque 58.740 ducats52. On en est toujours au même point ou presque sous Jules III, successeur du pape Farnèse, qui en 1551 fait remettre à son majordome 63.300 écus, soit 57.970 ducats, pour couvrir les « spese di casa » de l’année en cours53. 50 Sur ce voyage dont il a été question dans notre deuxième chapitre, voir L. von Pastor, Storia dei papi, V, p. 181-191. Il s’agissait d’une mission de paix au terme de laquelle Paul III réussit à convaincre François 1er et Charles Quint de signer une trêve de dix ans. Le pape était bien évidemment accompagné d’une grande partie de sa cour, d’où le fait que dans le registre de Bernardino della Croce, on parle de « Spese di casa » et que ce dernier remettait les sommes servant à couvrir ces dépenses à Niccolò Bonelli, qui était à l’époque sous-majordome du pape. Il l’était de fait depuis au moins 1537. ASV, Div. Cam. 99, fol. 197r. Ce n’était ni la première ni la dernière fois que la caisse personnelle du pape servirait à couvrir, du moins en partie, les « spese di casa ». 51 Nous arrivons à ce total en additionnant les sommes dépensées par Archilegi sur cinq mois, soit 24.341 ducats (ASR, Cam. I: 1349, fol. 4r, 39r, 67r, 98r, 128rv, 155v) et celles remises par Bernardino della Croce au sous-majordome Bonelli, soit 19.978 ducats (Dorez, La cour cit., II, p. 215-234), ce qui nous donne pour neuf mois 44.319 ducats, donc une moyenne mensuelle de 4924 ducats. Si nous répartissons cette moyenne sur douze mois, nous arrivons à un grand total de 59.088 ducats. 52 ASR, Cam. I: 871, fol. 1v, 2r, 10v, 16v, 19v, 21r, 23r, 26r, 32r, 34r, 40v, 49r, 50v, 59r, 64v, 69v, 70r, 90v, 104r, 104r, 111r, 112r, 113r, 114v, 131v, 141r, 143v, 150r, 152r, 161v, 168v, 170v, 178r. Le registre ne couvrant en fait que dix mois de versements, soit de janvier à octobre, nous avons calculé que sur la base de 4895 ducats en moyenne par mois, cela donnait sur douze mois 58.740 ducats. Le mansario était le notaire de la Chambre qui enregistrait quotidiennement les ordres de paiement du camerlingue concernant les provisions ordinaires (ordinariae provisiones). À ce sujet, voir P. Cherubini, Mandati della Camera Apostolica, Rome 1988, p. 48. 53 Ibid., Cam. I: 886, fol. 64r et passim. À noter que le registre en question ne couvre que neuf mois, soit de mars à décembre 1551. Le majordome reçoit 5000 écus mensuellement,
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Aucun livre de comptes des majordomes de Paul IV, Pie IV et Pie V n’étant parvenu jusqu’à nous, nous en sommes aussi dans leur cas réduits à des estimations fondées sur les chiffres fournis par les registres de Mandati Camerali correspondant à leurs règnes respectifs. Comme il en était de ceux de Jules III, les majordomes de Paul IV et de Pie IV reçoivent chacun 5.000 écus par mois pour –– précisent les registres en question –– les dépenses « ordinaires » de la cour, soit, au total, 60.000 écus par années54. Ceux de Pie V semblent avoir dû se contenter au départ de 55.000 écus, de 44.000 seulement en 1568, pour remonter ensuite à 48.000 à partir de 156955. Mais, dans le cas de Pie IV au moins, ces sommes ne paraissent pas avoir été suffisantes, car son majordome, Felice Tiranni, fera l’objet, en 1560, de rallonges de 2000 et 4000 écus et, l’année suivante, de 1000, 2000 et, de nouveau, 1000 écus56, de sorte que l’apport de la Chambre Apostolique sera, ces deux années-là, de 66.000 et 64.000 écus respectivement. Or, cela semble avoir été le cas durant tout le règne de Pie IV car, grâce à l’existence d’une facture remise en 1567 à ladite Chambre par l’ancien dépositaire secret de Pie IV, facture établissant que Tiranni avait reçu de cette même Chambre, entre le 29 juin 1563 et le 11 mars 1564, 43.314 écus, nous sommes en mesure d’affirmer que celle-ci lui remit cette année-là au moins 63.000 écus57. Il s’agit bien évidemment dans ce dernier cas comme dans tous ceux jusqu’ici considérés de simples ordres de grandeur, car, pour être bien complet, il aurait fallu pouvoir tenir compte de certains autres revenus dont disposaient les majordomes, mais que les sources à notre disposition ne permettaient pas d’identifier, puis surtout des « provisions » versées directement par la Chambre Apostolique à certains officiers de la cour, par exemple, le personnel de la Chapelle Sixtine et celui de la bibliothèque pontificale, « provisions » qui, à elles seules, représentaient, au temps de Pie IV, un déboursé annuel de quelque 6000 écus58, ce qui aurait obligé, dans ce cas du moins, à estimer l’apport annuel de la Chambre à 70.000 mais on lui verse des suppléments en août, octobre et décembre pour un total de 8400 écus (fol. 78v, 82v, 84r). On arrive donc pour neuf mois à un grand total de 53.400 écus. Si l’on ajoute les mois de janvier et de février à raison de 5000 écus chacun, on arrive à 63.400 écus. 54 Pour ce qui est de Paul IV, voir Ibid., Cam. I: 901, fol. 1r, 44r; Pie IV, Ibid., Cam. I: 906, fol. 1r. 55 En effet, jusqu’en 1567, on leur attribue bien 5000 écus, mais pour onze mois seulement, aucun versement ne leur étant fait en octobre. Ibid., Cam. I: 920, fol. 2r. Au début de 1568, cette mensualité est réduite à 4000 écus (Ibid.), mais comme on a encore sauté un mois, celui de mars cette fois, cela donne un total de 44.000 écus. Ibid., Cam. I: 924, fol. 1r. En 1569, pour des raisons qui nous échappent, on décide de faire désormais douze paiements (Ibid.), ce qui donne au total 48.000 écus. 56 Ibid., Cam. I: 906, fol. 1r. 57 Ibid., Cam. I: 1299, Computa 1563-1564, fol. 19. Il suffit, en effet, d’annualiser les sommes en question portant sur huit mois et demi pour arriver à ce montant. 58 Ibid., Cam. I: 906, fol. 12r, 22v, 23rv, 24rv, 25r, 26rv, 33r, 34r, 36r.
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écus et plus, mais comme nous ne disposions de ce renseignement que pour les papes Paul IV, Pie IV et Pie V, il nous a semblé que, pour fins de comparaison, il valait mieux nous en tenir aux sommes devant servir à couvrir les dépenses « ordinaires » de la cour, pour employer le vocabulaire des registres de Mandati Camerali, quitte à revenir plus loin sur certains autres apports venant de la Chambre et d’ailleurs. Ce problème, par contre, ne se pose plus à partir du règne de Grégoire XIII, car voilà que la documentation devient plus abondante, nous permettant du coup de disposer de données beaucoup plus complètes, précises et surtout fiables. Malgré qu’elle ne débute qu’en 1576, soit quatre années après le début du règne de ce dernier et comporte quelques trous, la riche série de livres de comptes que nous ont laissée ses majordomes permet de dresser un très exact portrait de ce que coûtait chaque année l’entretien de sa cour et des revenus dont il disposait à cette fin59. Qu’on en juge. Pour l’année 1576-1577, les entrées sont de 77.199 et les sorties de 84.108 écus60. En 1577-1578, elles passent à 81.579 et 96.242 écus respectivement61. En 1578-1579, nouveau bond en avant avec des entrées de 86.292 écus contre des sorties de 102.396 écus62. Enfin, le livre de comptes de 1581-1582, le dernier de la série, nous apprend que les entrées, cette année-là, étaient de 94.263 écus et les sorties, de 96.711 écus63 Mais, en ce qui concerne la provenance desdites entrées –– car, pour le moment, ce sont elles qui nous intéressent surtout –– nos quatre registres nous fournissent des renseignements détaillés qui méritent toute notre attention. Tout d’abord, s’il est vrai que les sommes dont disposent les majordomes proviennent surtout du dépositaire général de la Chambre Apostolique, en l’occurrence Bernardo Olgiati, à raison de 5 ou 6000 écus chaque mois64, d’autres leur parviennent d’ailleurs, par exemple, d’avances faites par des banques65, de ventes de surplus ou de 59 En effet, seules sont couvertes les années 1576-1577, 1577-1578, 1578-1579, 1581-1582. À noter que le livre de comptes de 1578-1579 se trouve à la Bibliothèque du Vatican (BAV, Introiti ed Esiti 1), les autres à l’Archivio di Stato de Rome (ASR, Cam. I: 1350, 1351 et 1352). 60 ASR, Cam. I: 1350. Pour les entrées, fol. 1v-3r; pour les sorties, fol. 34v, 160v, 175r, 192r, 206v. 61 Ibid., Cam. I: 1351. Voir fol. 5v-7r et fol. 185r. 62 BAV, Introiti ed Esiti 1, fol. 10v et 262 r. Ce registre couvrant un peu plus de 15 mois, les chiffres que nous proposons sont le fruit d’un calcul sur 12 mois, calcul que nous estimons nécessaire pour être en mesure de comparer les budgets d’une année à l’autre. 63 ASR, Cam. I: 1352, fol. 4v-7r et 160r. 64 Ibid., Cam. I: 1350, fol. 1v-2r; 1351, fol. 4v; 1352, fol. 4v et BAV, Introiti ed Esiti 1, fol. 10v. 65 Les avances sont pour la plupart liées aux achats de vin que le nonce de Naples fait chaque année pour les besoins de la cour. Ainsi, en 1576, 3000 écus de la banque Montenegri et 4000 autres de la banque Mari e Grimaldi (ASR, Cam.: 1350, fol. 2v); en 1581-1592, 18.000 écus avancés par la banque Olgiati de Naples sans doute liée au dépositaire général de la Chambre, Bernardo Olgiati (Ibid., Cam. I: 1352, fol. 6v).
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restes provenant des divers services de « bouche » de la cour66 ou encore, comme c’était déjà le cas à la Trésorerie secrète, de profit (« utile ») sur le change67. On aura constaté par ailleurs que toutes ces entrées, la plupart du temps, ne suffisaient pas, et que les majordomes n’avaient pas d’autre choix que d’afficher chaque fois un déficit. Celui-ci est de plus de 7000 écus en 1576-1577, grimpe à 14.663 en 1577-1578, puis à 16.164 en 1578-1579 pour redescendre ensuite à 2448 seulement en 1581-1582. Des efforts ont sans doute été faits, probablement sous pression de la Chambre Apostolique ou peut-être du pape lui-même pour réduire cet écart qui risquait de devenir à la longue inquiétant. Nous aurons plus loin l’occasion d’exploiter plus à fond, en ce qui concerne les dépenses surtout, les richesses que contiennent les registres dont nous venons de prendre connaissance, mais, pour le moment, retenons ce fait que l’administration qu’assuraient d’année en année les majordomes de Grégoire XIII semble beaucoup plus pointilleuse et beaucoup mieux ordonnée que ce qu’il en était avant eux. Résultat sans doute d’une amélioration progressive des mécanismes de l’administration financière à tous les niveaux du gouvernement pontifical et –– nous y reviendrons plus loin –– d’une certaine professionnalisation des cadres chargés de cette administration, en particulier, à la Chambre Apostolique. Ce même constat vaut d’ailleurs pour les cours des deux principaux successeurs de Grégoire XIII, soit Sixte V et Clément VIII. Là aussi, nous avons la chance de disposer d’un certain nombre de livres de comptes impeccablement tenus par leurs majordomes respectifs. Pour ce qui est de Sixte V, nous possédons dix de ces registres couvrant sans interruption les entrées et sorties de pratiquement tout son règne, c’est-à-dire d’avril 1585 à décembre 1589. Nous avons choisi de nous attarder sur les trois premiers d’entre eux qui ont ceci de particulier –– d’où leur grand intérêt –– de nous permettre de suivre à la trace comment s’est fait le passage du style de gestion financière propre à Grégoire XIII à celui qu’allait adopter pour son compte Sixte V. Pour l’ensemble de la période couverte par ces trois livres de comptes –– elle va de la fin avril 1585 à la fin août 1586 ––, les entrées sont de 100.096 écus et les sorties de 125.074 écus. À raison d’une moyenne mensuelle de 6256 et 7817 écus respectivement, cela donne sur un an 75.072 écus de revenus et 93.804 écus de dépenses et donc un déficit de 18.732 écus68. À première vue, ces chiffres ne diffèrent pas tellement de ceux que nous avons relevés dans les livres de comptes des majordomes de Grégoire XIII. Mais ils masquent de fait une profonde transformation en 66 Ainsi en 1576-1577, ces ventes rapportent 2134 écus. Ibid., Cam. I: 1350, fol. 2v-3r. Détail qui ne manque pas d’intérêt: 366 écus proviennent de la vente de viande par le boucher du palais à un certain nombre de camériers « secrets » du pape. Ibid., fol. 3r. 67 Cela représentera en 1576-1577, 736,80 écus. Ibid., fol. 2v. 68 68 Ibid., Cam. I: 1353, fol. 1v-2v, 70r; Cam. I: 1354, fol. 2v, 97rv; Cam. I: 1355, fol. 2r4v, 91r.
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train de s’opérer et dont nous avons fait état dans notre chapitre précédent, à savoir qu’après avoir adopté au départ la façon de faire de Grégoire XIII, il s’en était rapidement éloigné et s’était ingénié à imposer la sienne qui visait, elle, à réduire le plus possible les coûts d’entretien de sa cour. Ainsi, alors qu’il maintient jusqu’en février 1586 les entrées versées par la Chambre Apostolique à 5000 écus par mois, dès mars il les réduit à 4000, puis, en août, à 3000 écus69. Et, parallèlement, il pousse à couper les dépenses: elles passent de 8741 écus mensuels entre mai 1585 et février 1586, c’est-à-dire les dix premiers mois de son règne, à 6261 écus durant les six mois subséquents70. Mieux: il réussit à transformer un déficit qui était de 25.754 écus pour les dix premiers mois en question à un surplus de 908 écus pour la période suivante71. Un coup de barre décisif était donné et on allait à partir de ce moment assister à un renversement complet de la situation. À preuve, pour les quatre mois allant de septembre à décembre 1586, les entrées ne sont plus que de 16.104 et les sorties de 10.140 écus pour un surplus de 5964 écus72. Surplus qui fera désormais partie de tous les bilans semestriels –– à partir du dernier semestre de 1588 il dépassera même les 9800 écus73 –– et sera chaque fois inscrit comme revenu d’appoint d’un bilan à l’autre. Comment expliquer qu’on en soit arrivé là? La raison en est simple. Dès le printemps 1586, Sixte V avait mis à exécution le plan de réduction de coûts qu’il avait déjà en tête. Résultat? Alors que pour le semestre mars-août 1586 on en était encore à des coûts de l’ordre de 6261 écus par mois, dès le quadrimestre suivant, cette moyenne n’est plus que de 2535 écus74 se maintenant par la suite, avec des hauts et des bas, à un niveau légèrement plus élevé75. On est loin, très loin même des montants que les prédécesseurs de Sixte V consacraient chaque mois à ce même poste. Le pape Peretti avait gagné son pari, mais peut-être était-il allé trop loin. C’est ce dont était convaincu son principal successeur, Clément VIII, qui s’empressera de tourner le dos à ce régime spartiate, n’hésitant pas pour ce faire à revoir considérablement à la hausse les sommes consacrées Ibid., Cam. I: 1353, fol. 1v; Cam. I: 1354, fol. 2v; Cam. I: 1355, fol. 2r. Ibid., Cam. I: 1353, fol. 66r; Cam. I: 1354, fol. 96r; Cam. I: 1355, fol. 89v. Le comptable du majordome ayant cru bon inclure dans le bilan d’août 1586, les vins achetés à Naples entre le 1er septembre 1585 et le 8 juin 1586 (Ibid., Cam. I: 1355, fol. 88v), nous avons dû, pour avoir une idée plus exacte de l’évolution des coûts d’entretien de la cour, répartir les 14.902 écus en question sur la dizaine de mois durant lesquels s’étaient faits les achats de vins. Résultat? Pour le semestre septembre 1585-février 1586, les 46.193 écus de sorties figurant au bilan du majordome sont devenus 55 133 et les 46.513 écus du mois d’août 1586 sont été réduits à 37 571. 71 Ces calculs ont été faits sur la base des données auxquelles renvoient les trois notes précédentes. 72 ASR, Cam. I: 1356, fol. 3r-5r, 29r-40v, 59v, 63r. 73 Ibid., Cam. I: 1360, fol. 66v; 1361, fol. 74v; 1362, fol. 67r. 74 Ibid., Cam. I: 1356, fol. 29r, 40v, 59v, 63r. 75 La moyenne est de 3079 écus par mois. Ibid., Cam. I: 1360, fol. 66r; 1361, fol. 74r; 1362: fol. 66r. 69 70
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à l’entretien de sa cour. En veut-on la preuve? Dès le début de son pontificat, suivant en cela l’exemple de son proche prédécesseur, Grégoire XIV76, il demande à la Chambre Apostolique de mettre de nouveau à la disposition de son majordome, Ercole Tassone, les 5 000 écus traditionnellement alloués chaque mois pour les dépenses « ordinaires » de la cour77, mais se rendant assez vite compte que cela ne suffisait pas –– la Chambre devra en 1593 venir à plusieurs reprises à la rescousse de Tassone78 –– il fait passer ce montant à 7500 écus en septembre 159479. On en reste à ce niveau par la suite, mais force est de constater qu’on est de nouveau en difficulté et en sérieuse difficulté en 1599 et que la Chambre doit y aller cette fois de rallonges totalisant 36.040 écus sans compter les 7394 écus obtenus de la Daterie80. À cela, de fait, rien de très surprenant, car pour la période allant de juillet 1593 à juin 1594, la dépense moyenne mensuelle est déjà de 7978 écus81, soit plus du double de ce qu’elle avait été à partir de la fin de 1586 à la cour de Sixte V. Mais ce n’était là qu’un début. En 1597, cette moyenne passe à 8 225 écus82, puis, en 1604, à 12.044 écus83. Ce qui, comme il fallait s’y attendre, obligera le dernier majordome de Clément VIII, le patriarche Fabio Bondi, à enregistrer, cette même année, un déficit de 19.334 écus et, cela, malgré les 7500 écus mensuels que lui versait la Chambre Apostolique, les 47.682 écus venus de la Daterie et de nombreux autres revenus d’appoint84. Mais c’était là une année exceptionnelle et il ne faudrait pas conclure trop vite, comme Peter Partner l’a fait, que Clément VIII était de tous les papes du XVIe siècle le plus dépensier à ce chapitre85. Grâce à une documentation, déficiente il est vrai en ce qui concerne les prédécesseurs de Grégoire XIII, mais qui nous a tout de même fourni un certain nombre de repères significatifs, nous avons été à même d’évaluer, mieux, de chiffrer ce que représentait d’un pape à l’autre le coût d’entretien de leurs cours et de préciser d’où venaient les subsides que leurs major BAV, Introiti ed esiti 11, fol. 3v. Ibid., Introiti ed esiti 12, fol. 1r. 78 En juillet, deux rallonges de 500 et 4000 écus respectivement suivies, en août, par une de 1875, en novembre, de 2200 et, en décembre, de 3000 écus. Ibid. 79 Ibid., Introiti ed esiti 16, fol. 1v. 80 Ibid., Introiti ed esiti 25, fol. 4v; 27, fol. 9v. 81 BAV, Introiti ed Esiti 12, fol. 107v; Introiti ed Esiti 13, fol. 43rv. Mais peut-être n’est-il pas sans intérêt de noter que Grégoire XIV qui s’intercalera entre Sixte V et Clément VIII, mais régna moins d’une année, avait lui aussi décidé de prendre ses distances par rapport au régime minceur imposé par son prédécesseur avec le résultat que le coût d’entretien de sa cour avait grimpé à 11.961 écus par mois, soit presque le triple de ce qu’il était chez Sixte V à partir de 1586. ASR, Cam. I: 1364, fol. 59r; 1365, fol. 125r. 82 Ibid., Cam. I: 1367, Nota de’ mandati, passim. 83 BAV, Introiti ed Esiti 32, fol. 178r. 84 Ibid., fol. 7r-8v, 178v. 85 Partner, Papal Financial cit., p. 50-51. 76 77
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domes recevaient à cet effet. Ce qui nous a permis d’établir que la Chambre Apostolique était bien la principale pourvoyeuse des sommes en question, mais que les majordomes avaient pour leur part accès à d’autres sources de revenus, de moindre importance il est vrai, mais qui n’étaient pas pour autant négligeables. Plus surprenant, pour ne pas dire intriguant le fait qu’à un certain moment, c’est le dataire qui joue le rôle de principal bailleur de fonds, fournissant la presque totalité des revenus requis, comme ce fut le cas pour Clément VII en 1531, à d’autres, qui se contente d’un rôle d’appoint, comme au temps de Pie IV, Grégoire XIII et, nous venons de le voir, Clément VIII. Mais l’inverse est tout aussi vrai. N’avons-nous pas vu Paul IV ordonner à la Chambre Apostolique de fournir à son trésorier secret les sommes dont il entendait le pourvoir? Et cela n’est-il pas aussi le cas en ce qui concerne Pie IV, voire Grégoire XIII qui, eux aussi, à un certain moment, alimentèrent leurs caisses « secrètes » à même les revenus de la Chambre Apostolique, fût-ce pour une part seulement? Mais pourquoi faudrait-il nous surprendre de ces quelques exceptions à une règle apparemment bien établie. Il est vrai qu’il y avait eu vers la fin du XVe siècle une certaine volonté et même un effort de distinguer le rôle joué en ce domaine par la Daterie et la Chambre Apostolique. Mais les papes restaient les maîtres incontestés de l’un et l’autre de ces dicastères. Et, ne l’oublions pas, ils recevaient chaque jour en audience le dataire et, une fois la semaine, le trésorier général de la Chambre, deux personnages clés de leur administration financière, personnages qui leur étaient par ailleurs intimement liés. Pourquoi, en cas de nécessité ou pour toute autre raison à leur convenance, n’auraient-ils pas pu ordonner à ces derniers d’alimenter de concert ou séparément l’une comme l’autre des caisses servant à satisfaire leurs besoins personnels et ceux de leurs « familles »? Ces deux mêmes personnages ne demandaient sans doute pas mieux que de répondre, dans toute la mesure du possible et en toute discrétion, aux directives données à ce propos par leurs maîtres. On trouve dans les livres de comptes de la Daterie une expression qui revient très souvent sous la plume du scribe chargé de la tenue de ces mêmes livres et qui reflète on ne peut mieux cette discrète, sinon déférente soumission à la volonté du pape. Elle consiste en deux simples mots: « Ita est », c’est-à-dire: C’est ce que veut le maître et il ne nous appartient pas de savoir pour quelle raison86. 86 Ainsi, en mars 1536, le scribe en question inscrit-il, accompagnée de cette seule mention, une somme de 16.000 écus remise au pape. Suivent en septembre 9000 écus dont on prend le soin d’indiquer qu’ils lui furent livrés en main propre (« in mano di N. S. »). En novembre, il reçoit exactement le même montant. Pour 1537, notons, toujours avec la même mention, des transferts, en mars, de 5000 écus, en avril, de 6, puis de 7000 écus, en mai, de 8, puis 18.000 écus; en août, de 4000 écus, en septembre, de 13.000 écus, enfin, en novembre, de 8000 écus. BAV, Vat. lat. 10600, fol. 83v, 95v, 99v, 105r, 107r, 108r, 110v, 116r, 117v, 122v.
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Mais si la Daterie était parfois appelée à garnir la caisse du majordome et ainsi financer en tout ou en partie l’entretien de la cour pontificale, ne se pourrait-il pas que, par le biais de la Trésorerie secrète, elle ait, mais, cette fois, indirectement, rendu ce même service et l’ait fait, non plus seulement à l’occasion, mais de façon tout à fait régulière, pour ne pas dire normale? C’est la question à laquelle nous voudrions maintenant essayer de répondre à partir des sources qui nous ont été jusqu’ici d’un grand profit, c’est-à-dire, d’une part, les registres de la Daterie, de l’autre, ceux de la Trésorerie secrète. Précisons dès l’abord que ce que nous demanderons à ces sources, c’est de nous dire quel était l’apport du trésorier secret au bien-être de la cour, qu’il s’agisse, d’une part, du pape lui-même et de son entourage immédiat, y compris le personnel dit « secret » affecté à son service exclusif, de l’autre, le personnel dit du « commun » au service, lui, de l’ensemble de la « famille » pontificale et, cela, en tout ce qui concernait de près ou de loin les divers aspects de leur vie quotidienne. Les sources dont nous disposons sont-elles à même de nous fournir des renseignements utiles et significatifs à ce sujet? Un bon point de départ est le registre des « Spese minute » de Serapica, trésorier secret de Léon X, qui contient déjà un certain nombre d’indices des plus révélateurs. Ainsi y est-il fait souvent mention de dépenses personnelles du pape de même que de « provisions » ou encore de mancie versées à l’un ou l’autre membre de la cour. Pour la seule année 1518, cela représente un déboursé de 4367 ducats, dont 1 918 pour les seules dépenses du pape87 et 2449 pour les sommes remises à certains membres de sa « famille »88. De toute évidence, il ne s’agit là que d’une partie des déboursés de ce type, les autres étant assurés par le majordome. Mais force est de le reconnaître: l’apport du trésorier secret n’avait rien de marginal, surtout si on accepte la supposition faite en 1517 par Marino Giorgi et dont nous avons fait état plus haut à l’effet que le coût d’entretien du palais pontifical s’élevait à l’époque à 60.000 ducats l’an. Tout aussi révélatrices les données que recèle le livre de comptes tenu de novembre 1540 à novembre 1543 par Bernardino della Croce, trésorier secret 87 Ainsi, en mai, consacre-t-il 35 ducats à l’achat d’oiseaux et de paons (ASR, Cam. I: 1489, fol. 52r); en juillet, 300 à l’acquisition de fournitures pour ses chevaux et mules (Ibid., fol. 57); en octobre, 15, à l’achat d’un faucon (Ibid., fol. 83v); en novembre, 1 327 à l’acquisition de tissus d’or et de brocart écarlate pour la confection de vêtements liturgiques taillés dans les tissus en question (Ibid., fol. 85r). Ne manque pas de piquant le remboursement de 13,3 ducats à Charles Miltitz, familier du pape, d’un prêt que ce dernier avait fait à son maître en octobre pour jouer à la « lotta » (Ibid., fol. 79r). 88 Il s’agit surtout de mancie faites à divers membres de la cour. Ainsi les 250 ducats remis en juillet à Giovan Maria (de’ Medici), musicien préféré du pape (Ibid., fol. 58r) ou encore les 347 versés en septembre à certains membres du personnel de « bouche » (fol. 67rv). Mail il y a aussi quelques cas de « provisions » dont celle de 35 ducats destinée au comte Lodovico Rangone, familier du pape (Ibid., fol. 51, 64r).
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de Paul III89. À titre d’exemple, durant l’année 1541, il consacre 2774 écus aux « provisions » et mancie destinées à divers membres de la « famille » pontificale90 et 1864 aux dépenses intéressant le pape lui-même91, soit, au total, 4413 écus. Encore ici, on peut parler d’une contribution non négligeable au bon fonctionnement de la cour, contribution qui –– nous en avons la preuve –– était à juste titre appréciée des majordomes servant à l’époque Paul III92. Cette contribution va considérablement augmenter sous Jules III, atteignant la première année de son pontificat, soit de février à décembre 1550, 13.405 écus dont 4854 allant au personnel de la cour93, 7564 au pape et à son « neveu » Innocenzo94, le reste servant à couvrir le coût de diverses fournitures ou encore de travaux intéressant l’un ou l’autre secteur du palais95. Or ces 13.405 écus représentent près de 40% de toutes les sorties enregistrées par le trésorier secret de Jules III pour la période en question96, alors que ce rapport n’était que d’environ 29% dans le cas des dé ASR, Cam. I: 1350. De ce montant, il est intéressant de noter que plus de la moitié, soit 1444 écus, est allée à des chanteurs ou musiciens, dont 572 aux chanteurs de la Sixtine. Ibid., fol. 9, 12, 19, 26, 35, 37. Parmi les autres chanteurs ou musiciens, notons les « provisions » de 240 et 180 écus l’an versés respectivement à Battista Sansone et « madonna Laura ». Ibid., fol. 3. Pour ce qui est du personnel du palais, mérite une mention spéciale la « provision » de 75,60 écus, soit 12,60 écus tous les deux mois, remise à Mo Giovanni, barbier du pape. Ibid., fol. 5. 91 La dépense majeure concerne le voyage entrepris par Paul III à Lucques et Bologne à l’automne de 1541. Elle s’élève de fait à 860,65 écus. Ibid., fol. 33-37. Autre importante sortie: les 339 écus qu’ont coûtés divers travaux d’aménagement au Belvédère. Ibid., passim. Mérite aussi mention l’achat d’un certain nombre de manuscrits en février au coût de 33,60 écus (Ibid., fol. 13) et l’acquisition d’un cheval frison en octobre au coût cette fois de 105 écus (fol. 35). 92 Le 14 novembre 1540, Vincenzo Duranti qui était probablement à ce moment majordome substitut refile au trésorier secret une facture de 1109,89 écus dont le détail ne nous est malheureusement pas fourni (Ibid., fol. 3) et c’est encore lui qui en octobre 1541 demande au même de bien vouloir couvrir des dépenses de voyage du pape, soit 665,90 écus (Ibid., fol. 36). 93 La dépense la plus considérable à ce chapitre est celle de la mancia de Noël qui représente à elle seule un déboursé de 1837, 30 écus. ASR, Cam. I: 1295, Introito et Exito, 1550, fol. 42r-50r. Suivent de près les 878,80 écus versés en juin à un grand nombre de membres de la « famille » pour le vêtir de la Saint-Jean et le don de chaussures (calze) à certains d’entre eux pour la visite du pape à Saint-Jean du Latran. Ibid., fol. 20v-22r, 23r, 24v, 26r, 27v, 29v, 30r. 94 On est frappé par les sommes que le pape consacre à l’achat de joyaux –– 914 écus au total (Ibid., fol. 15r, 16r, 17r, 18v, 35v) –– et les 1837,50 écus investis dans l’achat d’or et d’argent et la confection subséquente de la traditionnelle épée de Noël (« Spada di Natale ») offerte chaque année à un souverain ou autre grand personnage (Ibid., fol. 46v). La plupart des autres dépenses concernent le vêtement et le mobilier –– ainsi, en novembre, l’achat de vaisselle d’or et d’argent au coût de 1282,12 écus (Ibid., fol. 43v) –– vêtement et mobilier qui concernent tout aussi bien son « neveu », le mal famé cardinal Innocenzo, que lui-même. 95 Beaucoup de ces dépenses sont dites du palais (« di palazzo »), mais bon nombre d’entre elles avaient sans doute quelque lien avec la personne du pape. 96 Ces sorties sont en effet de 34.237 écus. Ibid., fol. 11r-51r. 89 90
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penses enregistrées par le trésorier secret de Paul III en 154197. Comment expliquer cet écart? Selon toute vraisemblance, parce qu’il fut demandé à Piergiovanni Aleotti, trésorier secret de Jules III, de couvrir une portion plus élevée des dépenses qui normalement auraient été du ressort de son collègue le majordome. Preuve encore une fois que la ligne de partage des responsabilités financières de l’un et l’autre de ces hommes n’avait rien d’arrêté et variait d’un pape à l’autre au gré des circonstances devant lesquelles, chacun, ils se trouvaient. Si cela est vrai dans le cas d’un Paul III et d’un Jules III, cela l’est encore plus dans celui d’un Paul IV. Quel contraste, en effet, entre les 3 645 écus qu’Aleotti affecte en 1556 aux dépenses de la cour de son nouveau maître et les 13 405 que lui soutirait six années plus tôt et à ce même titre son ancien « patron », le pape del Monte et, surtout, quelle marge, pour ne pas dire abîme entre les 3337 écus que Paul IV lui fait verser au personnel de sa cour98 et les maigres 308 écus dont il se contente lui-même. Adieu bijoux, beaux vêtements et mobilier de luxe99. Aussi n’est-on pas surpris de constater que moins de 7% des sorties d’Aleotti pour l’année 1556 intéressent la personne du pape et les membres de sa cour100. Pour ce qui est de Pie IV, à partir du livre de comptes tenu de fin décembre 1559 à fin décembre 1561 par son premier trésorier secret, l’indélogeable Piergiovanni Aleotti101, nous avons vu que ce dernier avait reçu de la Chambre Apostolique pendant les deux années en question 9912 écus. Mais ce montant, de fait, n’avait pas suffi et il s’était retrouvé en décembre 1561 avec un déficit de 2760 écus102. Quelle fut des dépenses en question la part réservée au pape et à sa « famille »? Il est difficile de le dire. Chose 97 Les dépenses totales du trésorier Bernardino della Croce pour la période allant du 3 novembre 1540 au 2 novembre 1543, soit 32 mois, s’établissant à 41.149 écus, on peut estimer, à raison de 1281 écus par mois, les sorties de 1541 à 15.372 écus, d’où le pourcentage de 29% que nous proposons ici. Nous renvoyons de nouveau ici à ASR, Cam. I: 1290, passim. 98 La principale sortie qui s’élève à 670,30 écus concerne la mancia de la Saint-Jean versée à la majeure partie du personnel de la cour. ASR, Cam. I: 1297, fol. 52v-58v. À noter que c’est là la seule mancia versée à l’ensemble du personnel. 99 Voir, plus haut, note 82. Quel contraste entre les 1282,52 écus que Jules III affectait à l’achat de vaisselle d’or et d’argent et les 49,41 écus que Paul IV débourse le 3 février 1556 pour acquérir de la vaisselle de faïence. Ibid., fol. 20v. 100 La dépense totale de la Trésorerie secrète pour cette même année fut de 51.113 écus. Ibid., fol. 6v, 7v, 9r, 11r. À quoi avait été affecté le reste de cette somme? À des affaires politiques surtout, entre autres, la mission du cardinal neveu. Carlo Carafa, en France –– 22.000 écus! –– , à la légation du cardinal de Pise auprès de l’empereur –– 4400 écus -, mais aussi à des travaux de construction importants sur plus d’un chantier à la fois: les appartements du pape, la chapelle Pauline, le Belvédère, le palais Saint-Marc à raison de 400 ou 500 écus par mois. Ibid., fol. 42v, 43v et passim. 101 Il avait en effet servi sous Paul III, Jules III et Paul IV. 102 ASR, Cam. I: 1299, Entrata et uscita, fol. 1-4, 11v, 17r, 22r, 29r, 32r, 38r.
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certaine, plus du quart fut affecté aux dépenses dites d’« installation »103. On était, il ne faut pas l’oublier, en début de règne. Pour le reste, nous pouvons tout au plus risquer un autre 15 ou 20%, ce qui nous rapprocherait du 40% de dépenses faites en 1550 par le même Aleotti, alors au service de Jules III, là aussi en début de règne. Mais nous sommes en terrain plus sûr avec les bilans de Ruberto Ubaldini beaucoup plus représentatifs, eux, de ce qu’était le niveau réel, pour ne pas dire normal des dépenses de la Trésorerie secrète au temps de Pie IV. Le seul fait qu’on passe d’entrées « anémiques » de quelques 4956 écus l’an au début du règne de ce dernier aux 145.183 écus dont jouissait Ubaldini en 1563-1564 le dit assez, surtout s’agissant d’un pape reconnu pour avoir été fort dépensier. Les deux bilans dressés par Ubaldini comportent par ailleurs l’immense avantage de regrouper les diverses dépenses faites au jour le jour sous cinq chefs: 1) dons (donativi); 2) aumônes (elemosine); 3) dépenses diverses (diverse); 4) « provisions » (provisioni); 5) constructions (fabriche). Ce qui nous facilite énormément la tâche. Ainsi pouvons-nous éliminer dès le départ de notre calcul, les « fabriche » et aumônes qui ne concernent pas, du moins directement, la cour. Restent les « provisions » qui, elles, nous intéressent au premier chef. Nous fondant surtout sur le registre de 1564-1565, nous croyons pouvoir affirmer que la contribution annuelle de la Trésorerie secrète au bien-être du pape et de sa « famille » était pour la dernière année du pontificat de Pie IV au minimum de 19 066 écus en regard d’un déboursé total de 160 524 écus, ce qui nous donne un pourcentage de près de 12%104, pourcentage inférieur à ceux enregistrés jusqu’ici, Paul IV excepté, mais, par contre, en chiffres absolus, les éclipsant tous, et de loin. De fait, aucun des trésoriers secrets des successeurs de Pie IV, Clément VIII excepté, n’arriva à dépasser cette performance. Qu’on en juge. À partir des bilans d’Alessandro Musotti pour les années 1573-1574 et 1582-1583, nous avons été à même d’établir que la contribution de la Trésorerie secrète à l’entretien de Grégoire XIII et de sa « famille » avait été de 7001 et 7856 écus respectivement, soit 8 et 12% des sorties effectuées par Musotti durant l’une ou l’autre de ces années105. De Sixte V, il n’y a presque rien à dire, la quasi-totalité des entrées dont dis103 Pour la seule période allant de décembre 1559 à mai 1560, cela représente un déboursé de quelque 1942 écus. Ibid., fol. 11v. Durant les mois qui suivent sont enregistrées de nombreuses dépenses concernant des travaux de construction ou de réaménagement à l’intérieur du palais, au Belvédère ou dans les jardins du Vatican pour un total dépassant les 2500 écus. Ibid., passim. 104 Ubaldini avait à sa disposition 145.183 écus fournis principalement par la Chambre Apostolique et la Daterie à raison de 80.000 et 62.000 écus respectivement. ASR, Cam. I: 1299, Conto di Ruberto Ubaldini, fol. 1-3. Ses dépenses s’élevant à 145.162 écus, il finira l’année avec un maigre surplus de 21 écus. Ibid., fol. 50-51. 105 ASR, Cam. I: 1301 et 1309, passim.
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posait son trésorier secret servant, nous l’avons vu, à alimenter le trésor qu’il était en train de se constituer au Château Saint-Ange106. Clément VIII, pour sa part, fera mieux, beaucoup mieux même, du moins en termes de pourcentage, que Grégoire XIII –– en effet plus de 23% des revenus à la disposition de son trésorier secret en 1596-1597 serviront à répondre aux besoins de sa cour -, mais les sommes réelles impliquées –– 26.925 écus au total107 –– dépassent celles que déboursait, une trentaine d’années plus tôt, Ruberto Ubaldini, bien qu’il faudrait peut-être ici tenir compte du facteur inflation qui du pontificat de Pie IV à celui de Clément VIII connut une montée en flèche108. Fort des données que nous ont fournies les registres des majordomes et des trésoriers secrets de Paul III, Jules III, Pie IV, Grégoire XIII et Clément VIII, nous sommes maintenant en mesure d’établir avec passablement de précision quelle a été la contribution des caisses gérées par ces deux hommes au financement des cours de chacun de leurs maîtres. TABLEAU VII Dépense de cour: contributions respectives des majordomes et des trésoriers secrets *
Papes
majordomes
trésoriers secrets
total
revenus pontificaux
%
Paul III (1538)
59 088
5 185
64 273
681 467
9,4
Jules III (1551)
63 000
13 405
78 405
770 000
9
Pie IV (1564-65)
63 000
19 066
82 066
Grégoire XIII (1581-82)
96 711
7 856
104 567
945 000
10
Clément VIII (1597-98)
98 700
26 925
125 635
1 441 000
8,7
(850 000 ?)
a
9,6
*Sources : ASR, Cam. I : Mand. cam. 570; Ibid., Cam. I : 1349. Ibid., Cam. I : 1350; Ibid., Cam. I : 1295, « Introito et exito 1550 ». Ibid., Cam. I : 886; Ibid., Cam. I : 1299, « Conto di Ruberto Ubaldini ». Ibid., Cam. I : 1352; Ibid., Cam. I : 1301 et 1309. Ibid., Cam. I : 1313 B. J. DELUMEAU, Vie économique et sociale de Rome, II, p. 756. F. GUIDI BRUSCOLI, Papal Banking in Renaissance Rome, p.73. P. PARTNER, « Papal Financial Policy », p. 49. Les sommes indiquées sont en écus. (a) Voir la note (b) du Tableau VI.
106 Tout au plus pouvons-nous faire état de 245,50 écus de « provisions » et 20,39 de mancie. Ibid., Cam. I: 1312, passim. 107 ASR, Cam. I: 1313B, fol. 1v-10r. De ce total, 3459 écus sont allés en mancie et 1702 en « provisions » à des membres de la cour; 1119 à des travaux d’aménagement dans le palais et les jardins avoisinants; enfin 26.425 au pape pour ses propres besoins. 108 À ce propos, voir Delumeau, Vie économique cit., II, p. 727-728, 736, 741, 750.
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Le financement de la cour
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Comme le montre le tableau ci-dessus, nos estimations fondées sur une documentation de première main obligent à remettre en cause les chiffres tirés de certains bilans ou encore témoignages d’époque dont se sont servis les historiens s’intéressant aux problèmes financiers des papes du XVIe siècle, entre autres, Peter Partner. Tenons-nous en pour le moment à ce dernier. Notre documentation étant lacunaire pour le premier tiers du XVIe siècle, nous ne sommes pas en mesure d’infirmer ou de confirmer l’estimation qu’il fait des dépenses de cour de Clément VII et surtout de la part que cela représentait des revenus d’ensemble dont ce dernier disposait. Mais nous le sommes en ce qui concerne Grégoire XIII et Clément VIII. Nous possédons par ailleurs des données intéressantes sur trois de leurs prédécesseurs, Paul III, Jules III et Pie IV qui, eux, n’ont pas été pris en compte par Partner. Commençons par ces trois derniers. Comme l’indique notre tableau, nous estimons à 9,4, 9 et 9,6% respectivement la part du budget que ces trois papes consacraient à leurs dépenses de cour. Donc, dans chaque cas, un pourcentage supérieur à celui retenu par Partner en ce qui a trait à Clément VII. Rien de tel, par contre, dans le cas d’un Grégoire XIII et d’un Clément VIII. En effet, autant les chiffres proposés par Partner nous paraissent, pour ce qui est du premier, en deçà de la réalité, autant ceux qu’il met en avant pour Clément VIII nous semblent, au contraire, de beaucoup supérieurs à cette même réalité. Aussi faut-il, selon nous, fixer à 10 et 8,8% respectivement et non à 8,3 et 13%, comme le fait Partner, les parts de budgets allant à leurs cours109. 109 En effet, Partner propose pour la période couvrant les années 1572-1576 une dépense moyenne de 79.590 écus l’an. Partner, Papal Financial cit., p. 50. Or c’est la période pour laquelle manquent les livres de comptes des majordomes de Grégoire XIII. Les chiffres que nous proposons sont fondés, eux, sur les livres en question disponibles à partir justement de 1576. Ceux figurant à notre tableau sont de 1581-1582. Mais déjà en 1576-1577, les dépenses des majordomes étaient de 84.108 écus sans compter l’apport de la Trésorerie secrète qui était d’au moins 6000 écus pour un total de 92.000 écus. ASR, Cam. I: 1304, passim. Ce qui donne pour 1576-1577, 9,7% et pour 1581-1582, 10% des revenus du Saint-Siège contre les 8,5% proposés par Partner. Papal Financial cit., p. 51. En ce qui concerne Clément VIII, Partner établit à 190.538 écus le coût d’opération de la cour en 1599 et estime donc que 13% des revenus y furent affectés. Ibid., p. 50-51. Nous fondant sur le livre de comptes tenu de 1597 à 1599 par le majordome de Clément VIII, Annibale Rucellai, nous avons pu établir que pour l’année 1597 les dépenses totales de la cour s’étaient élevées, contribution de la Trésorerie secrète comprise, à 125.625 écus. ASR, Cam. I: 1367, fol. 2r-15r. Ibid., Cam. I: 1313 B, fol. 1v-10r. Nous sommes loin, très loin même des 190.538 écus proposés par Partner et, sur la base des chiffres que nous avançons, ce n’est plus à 13%, mais bien à 8,7% qu’il faut estimer la part des revenus du Saint-Siège consacrée à l’entretien de la cour. De fait, pour arriver à un niveau comparable, il faudrait choisir l’année 1604, année d’exceptionnelles dépenses, comme nous l’avons montré plus haut (note 71) avec des sorties de 144.528 écus, ce qui donne en effet un pourcentage de 12,7%. Mais cette année atypique ne peut servir de base pour calculer le pourcentage de revenus du Saint-Siège que Clément VIII consacrait à sa cour.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Comment expliquer ces décalages à première vue surprenants dans le cas de ces deux derniers papes surtout? Selon toute vraisemblance, par le simple fait que nos chiffres et ceux dont s’est servi Partner ne partent pas de la même base de calcul. Ainsi, en ce qui nous concerne, nous avons choisi dès le départ de ne retenir des données des registres des majordomes et trésoriers secrets auxquels nous avons eu accès que celles intéressant spécifiquement la vie de la cour. D’où le fait que nous avons systématiquement exclu de nos calculs toute dépense ayant trait à des dons ou « provisions » intéressant des personnes ne faisant pas partie de la cour: cardinaux, princes, ambassadeurs et autres personnages de marque, tout comme nous avons écarté les aumônes à des groupes –– souvent des communautés religieuses –– ou à des individus auxquels les papes choisissaient de venir en aide. Nous avons également exclu tout ce qui tombait sous le chef dit « fabriche », sauf là où il s’agissait clairement d’entretien, d’aménagement ou de réaménagement d’espaces déjà existants dans le palais apostolique ou dans l’une ou l’autre de ses dépendances. Au fond, nous n’avons retenu que ce qui concernait les divers aspects de la vie quotidienne de la cour telle que nous l’avons décrite dans nos deux chapitres précédents, soit logement, alimentation, soins du corps, loisirs, sécurité, entretien du palais et de ses annexes, services de secrétariat et de gestion, cérémonies, liturgiques aussi bien que protocolaires, et, bien entendu, « provisions » et salaires. Or les utilisateurs des quelques bilans annuels parvenus jusqu’à nous, à notre avis, n’ont pas prêté suffisamment attention à ce que leurs auteurs mettaient sous l’entrée: « palazzo ». Il suffit, par exemple, d’examiner de près celui de 1576 pour se rendre immédiatement compte que cette entrée ne couvre en réalité qu’une partie des dépenses de la cour. En effet, si l’on ajoute, comme il se doit, à cette dernière les « provisions » et salaires versés à un certain nombre de courtisans, les coûts d’opération de la « chapelle », les sommes affectées à la bibliothèque, enfin les frais de location de maisons ou d’appartements auxquels avaient droit certains officiers de la cour, on arrive à un total de 96.711 écus, soit quelque 12.000 de plus que ce que le bilan en question inscrit sous le chef « palazzo »110. Et encore, ne sommes-nous pas sûrs que l’apport du trésorier secret ait été pris en compte. Peter Partner qui, disons-le tout de suite, a le grand mérite de nous faire connaître un certain nombre de ces bilans, s’est peut-être un peu trop fié aux chiffres fournis par les auteurs de ces derniers, d’où les écarts, dans un sens comme dans l’autre, entre ses estimations et les nôtres. 110 BAV, Ott. lat. 3142, fol. 304v-305v, 309v. Ce bilan établit à 75.581 les dépenses du palais.
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Le financement de la cour
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Dans sa relation au Sénat de 1517, l’ambassadeur vénitien Marino Giorgi dont il a été question plus haut fait une distinction qui, à notre connaissance, est passée jusqu’à ce jour pratiquement inaperçue. Après avoir affirmé que les dépenses du « palais » s’élevaient à l’époque à 60.000 ducats l’an, il nous apprend que celles de la « cour » se situaient entre 96 et 108.000 ducats111. Malheureusement, il ne nous dit pas ce qu’il met sous l’un et l’autre de ces vocables. Faut-il après cela se surprendre des décalages existant entre les diverses estimations faites jusqu’à ce jour des coûts d’entretien de la cour pontificale au XVIe siècle? Ayant, pour notre part, fait plutôt confiance, là où elles existaient, aux données fournies par les majordomes et trésoriers secrets des papes de l’époque, nous croyons pouvoir affirmer que nos chiffres collent de plus près que tous les autres à ce qu’il en coûtait réellement pour répondre, jour après jour, aux besoins de ces mêmes papes et de leurs « familles ». D’où notre conviction qu’il faut réviser à la hausse, dans le cas de Grégoire XIII, à la baisse, dans le cas de Clément VIII la part du budget que, selon Peter Partner, ils consacraient chaque année, l’un et l’autre, à leurs cours. En d’autres mots, proportionnellement parlant, le premier aurait été plus, le second moins dépensier à ce chapitre qu’on ne le croyait jusqu’ici. Si tel est le cas –– et nos données relatives à Paul III, Jules III et Pie IV vont dans le même sens –– la conclusion qui s’impose, c’est que les correctifs que nous avons cru devoir apporter aux chiffres avancés par Partner obligent –– et sans doute nous en saura-t-il gré –– non pas à infirmer, mais à confirmer, renforcer même sa conclusion à l’effet que le taux annuel de dépenses de la cour pontificale se serait maintenu à peu près au même niveau durant tout le XVIe siècle112. Nous reviendrons plus loin sur la nature et l’importance relative des dépenses en question de même que sur les circuits à l’intérieur desquels elles s’inscrivaient, mais il était important que dès le départ nous ayons sous les yeux un tableau d’ensemble des revenus dont disposaient les majordomes et trésoriers secrets des papes de l’époque, de la provenance de ces mêmes revenus et des canaux par lesquels ils parvenaient à l’un et l’autre de ces hommes. En ce qui concerne ces canaux, il importe de préciser –– nous y faisions allusion plus haut –– que les transports d’argent, dans le cas des majordomes du moins, ne se faisaient pas toujours directement de la Chambre Apostolique aux caisses de ces derniers. La Chambre, en effet, passait assez souvent par des intermédiaires dont elle savait pouvoir non seulement obtenir les sommes requises, mais les obtenir au moment Alberi, Relazioni cit., III, p. 53-54. Partner, Papal Financial cit., p. 51. En effet, si nous retenons le 8,7% de Clément VII tel que proposé par Partner et les ajoutons aux pourcentages que nous proposons pour Paul III, Jules III, Pie IV, Grégoire XIII et Clément VIII, nous arrivons à un pourcentage moyen de très exactement 9%. 111 112
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même où il le fallait. Diverses sources que nous avons jusqu’ici exploitées nous fournissent à ce sujet des renseignements des plus révélateurs. Ainsi un livre de comptes de 1501, donc au temps d’Alexandre VI, nous permet de découvrir que ce sont les fermiers de la douane de Ripa et de Ripetta qui fournissent de mois en mois au dépensier du pape les sommes dont il avait besoin pour les « menues dépenses » de la cour113. Même scénario dans le cas du dépensier de Jules II en 1505114. Renazzi, pour sa part, fait état d’un Motu proprio de ce dernier ordonnant aux fermiers de la douane de Ripa de verser chaque année à son majordome 20.000 ducats pour l’entretien de sa « famille »115. Mais il arrive aussi qu’on fasse appel à d’autres « fermes » douanières, celle du Studium Urbis par exemple, pour couvrir de « menues dépenses » faites par un officier ou l’autre de la cour ou des sommes dues à tel ou tel autre116. Sous Paul III, les fermiers des douanes de Rome sont de nouveau mis à contribution pour de modestes comme pour de très importantes sommes. Ainsi, le 7 juillet 1537, le camerlingue Agostino Spinola ordonne à Silvestro Monteacuto, administrateur des douanes de la ville, de verser 30 ducats or à Benedetto Monteacuto, scriptor secret du pape, pour la rédaction de divers brefs expédiés par ce dernier et le 6 octobre suivant le même Silvestro est invité à remettre 1000 ducats or à Niccolò Bonelli, sous-majordome de Paul III, pour éponger un déficit laissé par l’ancien majordome, Vincenzo Boccaferri117. Le 4 février 1538, c’est Lorenzo Strozzi et Pasquale Sauli, à l’époque administrateurs, à ce qu’il semble, de la gabelle du sel à Rome, qui reçoivent l’ordre de verser 4000 ducats or au nouveau majordome, Angelo Archilegi, pour couvrir les dépenses en cours du pa113 ASR, Cam. I: 1484, fol. 2r-7v. Il reçoit en tout 20.427 ducats. Ces sommes ont été remises au majordome du pape. 114 Ibid., Cam. I: 1487, fol. 1r-6v. Le dépensier reçoit cette fois 16.000 ducats. 115 Renazzi, Notizie cit., p. 552. On est, avouons-le, quelque peu surpris de voir le pape lui-même donner des ordres à cet effet, car normalement il appartenait aux officiers de la Chambre de le faire, qu’il s’agisse du camerlingue, du trésorier général ou du dépositaire général, mais peut-être est-il bon de rappeler ici que c’est sous son autorité qu’ils le faisaient et il restait donc lui-même libre d’intervenir personnellement s’il le jugeait à propos. Connaissant Jules II, ils ne devaient pas être trop surpris de le voir agir de la sorte. 116 Ainsi le 2 juillet 1529, donc au temps de Clément VII, le trésorier général de la Chambre demande-t-il au banquier Bernardo Bracci, titulaire de cette douane, de rembourser 10 ducats or au préposé à la cire du palais qui venait d’acheter 44 livres de cire blanche pour la confection de cierges destinés à la chapelle papale. ASR, Cam. I: 862, fol. 2r. Le 16 juillet suivant, on demande au même banquier de verser 10 ducats or au maître du Sacré-Palais, Fra Tommaso di Modena, pour sa provision du mois de juin. Ibid. 117 ASV, Div. cam. 99, fol. 197r. Le scriptor « secret » du pape était-il apparenté à Silvestre Monteacuto? Si oui, nous aurions là un autre bel exemple des accointances existant entre les membres de la « famille » du pape et certains banquiers, entrepreneurs et fournisseurs faisant affaire avec la cour.
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lais118. Autre cas de figure qui se situe lui aussi au temps de Paul III: le 15 mars 1538, ledit Archilegi est invité par la Chambre Apostolique à bien vouloir rembourser 1500 ducats à Girolamo Gentile et Damiano Pallavicini, marchands établis à Rome, pour le coût de vins fournis par eux à la cour et, cela, à partir des 2500 ducats qui lui ont été remis à cette fin par les fermiers des douanes de la ville119. On retrouve ces mêmes pratiques au temps de Grégoire XIII: elles semblent même y atteindre un sommet. Ainsi pour l’année 1581-1582, son majordome, Alessandro Musotti, enregistre-t-il des entrées provenant des douanes de Rome et d’Ancône, de la trésorerie de Romagne et de la banque Olgiati. Notons qu’il s’agit dans ce dernier cas d’une avance de 18.500 écus devant servir à l’achat de vins à Naples120. Sous Sixte V, le recours aux fermiers de l’impôt est réduit à sa plus simple expression –– le régime minceur qu’il a imposé à la cour a fait qu’il n’avait plus besoin de cet apport additionnel ––, mais, comme ses prédécesseurs, il confie à des banquiers le soin de financer les achats massifs de vins qu’il fait lui aussi à Naples121. Dans le but sans doute de faciliter la tâche des gestionnaires de sa cour, majordome en tête, mais vraisemblablement aussi celle des officiers de la Chambre Apostolique, Clément VIII va remplacer au plus tard en 1597 ce complexe système de financement par une formule on ne peut plus simple en ce sens qu’il n’y aurait désormais plus qu’un seul intermédiaire entre la Chambre Apostolique et l’intendance de la cour, à savoir le dépositaire général de la Chambre, en l’occurrence le banquier Giuseppe Giustiniani, qui se chargerait de couvrir les coûts d’opération de la cour soit indirectement par des versements faits aux officiers de cette dernière pour des dépenses faites ou à faire, soit directement par le paiement des factures présentées par les fournisseurs, entrepreneurs ou gens de métier faisant affaire avec la cour122. Mais Ibid., fol. 207rv. ASR, Cam. I: 869, fol. 118r. On voit déjà poindre ici une pratique qui concerne l’achat de vins pour la cour, soit, d’une part, le fait qu’on recoure de plus en plus à des achats groupés et, d’autre part, qu’à cette fin, on fasse de plus en plus appel aux marchands-banquiers pour le financement de ces opérations complexes et coûteuses. 120 Ibid., Cam. I: 1352, fol. 5v-6v. Il n’est peut-être pas sans intérêt de souligner le fait que le président de la Chambre était un certain Antonio Olgiati, que le dépositaire général de cette même Chambre s’appelait Bernardo Olgiati et que ce n’est donc pas par hasard que la banque Olgiati se voyait octroyer cet important contrat. 121 Ibid., Cam. I: 1355, fol. 4v. 122 Nous avons la chance d’avoir le « Riscontro del Banco » de Giuseppe Giustiniani, dépositaire de la Chambre Apostolique, couvrant les années 1597-1599. ASR, Cam. I: 1367. C’est ce précieux registre qui nous permet d’affirmer qu’à partir de 1597 au moins, tel était le système de couverture des dépenses de la cour pontificale. Pour ne donner que ces quelques exemples, en janvier 1597, on voit, d’une part, des sommes versées à certains officiers de la cour, tels, entre autres, Messer Silvestro, acheteur ou dépensier « secret », qui reçoit 200 écus 118 119
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cette nouvelle formule, on l’aura remarqué, ne fait son apparition qu’à la fin de la période à laquelle nous nous intéressons. Dans l’intervalle, majordomes et trésoriers secrets, mais majordomes surtout, n’avaient pas d’autre choix que de gérer du mieux qu’ils pouvaient la complexe mécanique financière qui s’était progressivement mise en place à partir du XVe siècle et qui –– force est de le reconnaître –– n’était pas toujours d’un maniement facile. Le moment est venu d’y regarder de plus près. 2. La gestion financière de la cour Nous avons fait plus haut la connaissance des principaux officiers chargés de cette gestion et de certains de leurs auxiliaires123 et le chapitre VI nous a permis de les voir à l’œuvre, le majordome surtout et ses nombreux subalternes de qui relevait tout ce qui touchait de près ou de loin au bienêtre de la cour. Il nous reste à découvrir comment ils s’acquittaient, chacun, de la responsabilité qui leur incombait d’assurer que les ressources pour des dépenses à faire pour le pape, Silvestro, le préposé aux fourneaux, 58,05 écus pour divers achats qu’il a effectués, Giuliano Galligari, acheteur ou dépensier « commun », 2348,08 écus pour les « provisionati » de janvier, 66,61 écus pour les « salariati » de ce même mois et 6,80 écus pour les « menues dépenses » de décembre; d’autre part, des versements faits directement à bon nombre de fournisseurs: 100, 270,60 et 248,05 écus à Cesare Pandolfini, Fabio Paulicci et Alessandro Concedente à qui on a acheté du bois de chauffage; 20,38 écus à Mo Antonio Maria, « pollarolo »; 17,76 écus à Mo Bernardo, « pizzicarolo », 912 écus à Giovanni Matteo Mazzara, fournisseur de blé; enfin 1500 écus à Renato di Martino, marchand de vin. Ibid., fol. 2r-3r. Tout compte fait, on découvre que sur les 7950 écus affectés ce mois-là aux dépenses de la cour, 2 000 seulement, soit 26% ont été versés à des officiers de la cour et, par contre, 74% à des fournisseurs de cette même cour. Les 7500 écus qu’à la demande du pape la Chambre Apostolique mettait chaque mois à la disposition de son majordome pour les dépenses « ordinaires » n’étaient donc pas versés directement à ce dernier: une partie seulement transitait par lui ou par l’un ou l’autre de ses subalternes, tout le reste allant aux fournisseurs auxquels lui ou ces derniers faisaient appel. Le livre de compte de 1598 du majordome Annibale Rucellai reflète d’ailleurs très bien cette nouvelle réalité lorsqu’à côté des 7500 écus inscrits comme entrées venant de la Chambre Apostolique, le scribe qui fait ladite entrée précise: « por provisione ordinaria di febraio nel libro del depositario generale ». BAV, Introiti ed esiti 24, fol. 3v. Il suffit de se reporter au précieux registre récapitulatif du majordome Fabio Bondi couvrant les années 1600-1605 pour constater que tel est bien le cas et que même les entrées autres que celles venant de la Chambre Apostolique –– celles venant du dataire par exemple –– sont, elles aussi, à quelques exceptions près, entre les mains du dépositaire général. À ce propos, voir Ibid., Introiti ed esiti 28, fol. 1rv (1600), fol. 1v-3v (1601), fol. 4r (1602), fol. 4v-5r (1603), fol. 5r-6r (1604), fol. 6r (1605). Par contre, pour ce qui est des sorties, on en est toujours au système adopté au plus tard en 1597. Ainsi, en janvier 1600, les mêmes officiers, acheteurs ou dépensiers « secrets » et « communs » en particulier, et les mêmes fournisseurs reçoivent à peu près dans les mêmes proportions les sommes qui, dans le cas des premiers, leur sont nécessaires et, dans le cas des fournisseurs, leur sont dues. Ibid., fol. 25rv. 123 Chapitre IV, p. 200, 208-213, 240-241 et notes.
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financières mises à leur disposition soient administrées conformément, d’une part, aux désirs et desseins de leur maître, le pape, de l’autre aux règles et normes auxquelles, de par la volonté de ce même maître, était assujetti l’exercice de la responsabilité en question. Car, comme le montre l’organigramme qui suit, c’est bien du pape que dépendait ultimement la gestion financière de la cour, bien qu’en pratique et pour des raisons faciles à comprendre, c’est par personnes interposées que se faisait cette gestion, personnes disposant, chacune, d’un pouvoir délégué, mais dont elles devaient être, le cas échéant, prêtes à répondre au maître de céans, les plus exposés étant bien évidemment le dataire, le trésorier secret, le majordome et le trésorier général avec qui le pape avait des rapports, dans le cas des trois premiers, quotidiens ou presque, dans le cas du dernier, au moins hebdomadaires.
Figure II Circuits de financement de la cour
Pape
Daterie
Cour
Dataire Dépositaire ou Caissier Comptable
Chambre Apostolique Camerlingue Trésorier général Président Clercs
Trésorier secret
Majordome
Dépositaire ou Caissier
Sous-majordome Comptable Caissier
Dépositaire général
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Il ne fait pas de doute que les papes de l’époque, qu’ils aient été ou non dépensiers, tenaient à ce que leurs comptes soient bien, voire scrupuleusement tenus pour assurer que les ressources dont ils disposaient ne soient pas sujettes aux malversations des officiers en question ou à l’un ou l’autre de leurs auxiliaires. Paul IV n’hésitera pas à destituer et à condamner à de longues peines de prison Francesco d’Aspra, trésorier général de son prédécesseur Jules III, et Giambattista Osio, son propre dataire, accusés, l’un et l’autre, à juste titre semble-t-il, de détournements de fonds124. Il en sera de même de Claudio Gonzaga, majordome de Grégoire XIII, que ce dernier privera de son poste et chassera même de sa cour en 1579 à cause de fraudes dont il s’était rendu coupable dans l’exercice de ses fonctions125. Dès lors, on comprend que les papes aient cherché à se doter de mécanismes de contrôle permettant sinon d’éliminer, du moins de limiter ce type de forfaiture. Point d’arrivée de toute une série de dispositions administratives et légales en ce sens126, la bulle Cum inter cetera que promulgue le pape Pie IV le 1er novembre 1564 nous fournit le détail des règles auxquelles étaient soumis les principaux officiers de finance de la cour et de la ville127. Il y est tout d’abord question de la façon dont ils doivent tenir leurs livres de comptes, par exemple, le type de renseignements qui doivent y figurer et dans quel ordre. On y parle aussi de la conservation des pièces justificatives pouvant servir de cautions aux renseignements en question, voire de la forme et de la qualité requises des registres dans lesquels doivent être consignés ces mêmes renseignements128. Mais il y est surtout question de l’obligation 124 Litva, L’attività finanziaria cit., p. 114. Dans son diaire, Colleine note en date du 3 décembre 1555 que le dataire –– il s’agit d’Osio –– et toute sa « famille » ont été emprisonnés sur ordre du pape. BAV, Ott. lat. 2603, fol. 333r. Par ailleurs, par un avviso du 3 juin 1559, nous apprenons que ledit Osio a été libéré et qu’il a été envoyé dans son diocèse de Ricti. Ibid., Urb. lat. 1039, fol. 47r. 125 BAV, Urb. lat. 1047, fol. 359r, 364v, 366r, 384v, 432v-433r. Ses malversations concernaient les achats de vin qu’il faisait à Rome et à Naples pour le pape et sa cour. Ibid., fol. 366r. 126 Parmi ces dernières, méritent particulière mention la constitution Licet Felicis promulguée le 3 janvier 1518 par Léon X et les précisions et compléments apportés à ce document par Clément VII le 31 janvier 1520, le 22 septembre 1531 et le 14 mars 1534. De nombreux éléments de la bulle Cum inter cetera se trouvent déjà là. Voir, à ce sujet, Cherubini, Mandati cit., p. 44-47. 127 Bullarum cit., éd. de Turin, VII, 1862, p. 310-323. Cette bulle représentait le deuxième volet de la réforme de la Chambre Apostolique entreprise par Pie IV dans le cadre des réformes que le concile de Trente avait décrétées pour l’ensemble de l’Église, mais que le pape s’était réservées pour ce qui était de la curie. Le premier volet concernait la Chambre Apostolique comme tribunal et avait fait l’objet d’une autre bulle datée du 27 mai et que l’on trouve p. 203-207. 128 Ibid., p. 318-319. La bulle ne craint pas d’aller à ce propos jusque dans les moindres détails. Qu’on en juge. Sur la première page de chaque registre ou livre de comptes devait apparaître le ou les noms des administrateurs concernés, la nature de leur administration, le
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faite auxdits officiers de finance de présenter à échéance fixe leurs états de comptes respectifs pour fins de vérification par la Chambre Apostolique. Nous limitant aux seuls officiers liés de près au financement de la cour, nous constatons que tombent sous cette obligation, en ce qui concerne la Chambre, le trésorier général et, pour ce qui est de la cour, le trésorier secret et le majordome. On aura remarqué que le dataire, pourtant lui aussi impliqué, parfois, même directement impliqué, ne figure pas dans cette liste129. Et pour cause. Comme l’a bien montré Litva, les papes de l’époque ne tenaient pas à ce que leur caisse personnelle soit soumise à ce genre de contrôle et même s’ils consentaient à ce que les comptes de leurs dataires fassent l’objet d’une vérification périodique, entre autres, par des officiers de la Chambre –– le président, par exemple, ou encore le trésorier général ––, ce n’est pas au titre de cette fonction qu’ils le faisaient, mais en tant qu’hommes de confiance de ces mêmes papes, heureux de leur rendre ce service, tout comme certains autres officiers, mais de la cour cette fois –– majordomes, sous-majordomes, trésoriers, voire camériers secrets –– appelés à l’occasion à ce faire130. Fort de la complaisance et de la discrétion de ces derniers, le dataire, tout comme son maître d’ailleurs, était assuré d’avoir le dernier mot131. Tout autre le sort réservé au trésorier général, au trésorier secret et au majordome. Ils étaient, eux, bel et bien soumis aux contrôles de la Chambre Apostolique, à tous les six mois, dans le cas du premier, à tous les trois mois, dans le cas des deux autres132. Les quelques livres de comptes dont nous disposons pour la période précédant Cum inter cetera semblent indiquer que ce type d’échéancier, du moins pour ce qui est du type d’opérations financières dont ils étaient chargés et la période couverte par chacun des registres en question. Devaient suivre sur autant de pages qu’il était nécessaire copies conformes des facultés, mandats, contrats ou autres pièces fondant leur pouvoir et leur mode d’opérer. Puis venaient les entrées comme telles inscrites, chacune, séparément et comportant le nom de la ou des personnes concernées, la somme en cause, la date et le lieu où cette somme avait été remise à cette ou ces personnes et à quelle fin. Il fallait par ailleurs prendre soin d’entrer séparément revenus (« accepti ») et dépenses (« expensi ») et dresser à la fin de chaque exercice financier un bilan permettant de voir si l’exercice en question se terminait de façon positive ou négative. Il fallait aussi conserver précieusement les quittances et autres pièces justificatives concernant aussi bien les sommes reçues que remises et, en plus, les faire transcrire toutes dans un registre ad hoc. Enfin, on allait même jusqu’à exiger que les registres où devaient être consignés tous ces renseignements soient reliés en cuir ou en parchemin. 129 Ibid., p. 320. 130 Litva, L’attività finanziaria cit., p. 111-115. 131 À défaut de pièces justificatives, les vérificateurs faisaient appel au témoignage du dataire, probablement présent lors des séances de vérification. Ibid., p. 117. Conflit d’intérêt flagrant, mais qui montre à quel point la Daterie était sous le total contrôle des papes de l’époque qui ne tenaient pas à ce que la Chambre Apostolique mette le nez où elle n’avait pas d’affaire. 132 Bullarum cit., éd. de Turin, VII, 1862, p. 320.
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trésorier secret et du majordome, n’existait pas encore. En effet, des registres remis par ces derniers à la Chambre Apostolique, certains couvrent trois ans, d’autres à peine quelques mois133. Sans doute Pie IV sentait-il le besoin d’imposer une périodicité plus stricte afin d’être mieux à même d’intervenir si nécessaire et avant qu’il ne soit trop tard en cas d’erreurs ou, beaucoup plus grave, de malversations décelées par les vérificateurs de la Chambre Apostolique. Il s’agissait après tout de matières qui le concernaient au premier chef134. Cette règle fut-elle fidèlement appliquée par ses successeurs? Elle le fut dans le cas du trésorier secret, du moins à partir du pontificat de Grégoire XIII135, mais non dans celui du majordome dont les livres de comptes n’étaient, eux, contrôlés, sous Grégoire XIII, qu’à tous les ans, plus tard, sous Sixte V et Clément VIII, tous les six mois, ce 133 Ainsi les deux registres de la Trésorerie secrète de Paul III, publiés par Dorez (La cour cit., II) couvrent, chacun, trois ans (1535-1538, 1543-1545). Il en va de même d’un autre registre de même provenance conservé celui-là à l’Archivio di Stato de Rome. ASR, Cam. I: 1290. Sous Jules III, la période couverte est d’une année. Ibid., Cam. I: 1295. Le trésorier secret de Paul IV observe ce même échéancier pour la première année de règne de ce dernier. (Ibid., Cam. I: 1297), mais passe à 27 mois pour le suivant qui couvre les années 1557-1559 (Ibid., Cam. I: 1298). Quant aux deux trésoriers secrets de Pie IV –– Aleotti et Ubaldini -, leurs registres vont d’un an (1563-1564) à deux ans (1559-1561) voire à 32 mois (1561-1564). Ibid., Cam. I: 1299. Pour ce qui est des quelques rares livres de comptes de majordomes parvenus jusqu’à nous pour cette même période, deux d’entre eux consacrés de fait aux seules « Spese minute » (1534-1535, 1535-1536) ne couvrent en réalité que huit et trois mois respectivement. Ibid., Cam. I: 1492-1493. Un autre registre, de 1538 celui-là, se limite, quant à lui, à un peu plus de cinq mois. Ibid., Cam. I: 1349. Mais le fait qu’à partir au moins du règne de Jules III, les trésoriers secrets avaient pris l’habitude de dresser des bilans, tout d’abord à tous les quatre mois (Ibid., Cam. I: 1295: Introito et Exito, 1550), puis à tous les trois mois (Ibid., Cam. I: 1295: Introito et Exito, 1553) pourrait expliquer que Pie IV n’ait pas hésité à rendre obligatoire le contrôle trimestriel des registres des trésoriers secrets et des majordomes. 134 À noter que le contrôle des registres du dataire se faisait tous les trois mois et, cela, déjà au temps de Jules III. Cf. Litva, L’attività finanziaria cit., p. 116. Cette préoccupation était donc déjà celle de certains des prédécesseurs de Pie IV. 135 En effet, dans tout le premier registre soumis par Alessandro Musotti, trésorier secret de Grégoire XIII, soit le 7 septembre 1572, il est clairement indiqué que ses comptes avaient été remis à la Chambre Apostolique dans les délais prescrits par la bulle de Pie IV, soit trois mois. ASR, Cam. I: 1350, fol. 1v. Les registres conservés à l’Archivio di Stato regroupent les données d’une année complète, mais on se rend compte que le bilan de chaque trimestre a bel et bien été visé par les officiers de la Chambre et cela vaut pour tout le pontificat de Grégoire XIII. Ibid., Cam. I: 1300-1311, passim. Peut-être Musotti présentait-il effectivement ses comptes tous les trois mois, mais que ces derniers étaient ensuite regroupés à la fin de chaque année par la Chambre elle-même pour former les registres qui nous sont parvenus. Il semble bien que l’on en soit encore à la règle du dépôt trimestriel au temps de Sixte V comme l’indique le seul registre qui nous reste de son pontificat, soit celui de septembre-novembre 1586. Ibid., Cam. I: 1312. Pour ce qui est de Clément VIII, les données très incomplètes du registre de Filippo Guicciardini couvrant les années 1595-1605 ne permettent pas de savoir s’il y avait encore oui ou non vérification trimestrielle. Ibid., Cam. I: 1313.
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qui, notons-le, était l’échéance prévue pour le trésorier général136. Pourquoi cette dérogation à première vue quelque peu surprenante? Peut-être, comme nous le verrons plus loin, parce que le type de dépenses relevant du majordome se prêtait mal à une comptabilisation trimestrielle et donc à la périodicité imposée par la bulle Cum inter cetera. Mais il ne suffisait pas que les livres de comptes soient présentés à temps à la Chambre Apostolique: il fallait aussi et peut-être surtout qu’ils le soient conformément aux règles dont nous avons fait état plus haut concernant le contenu de ces livres et la façon dont ce contenu devait être présenté. Or, sur ces deux points, force est de constater que trésoriers secrets et majordomes étaient d’une parfaite, pour ne pas dire scrupuleuse observance. Il faut dire qu’ils en avaient déjà l’habitude comme le montrent dès le début du XVIe siècle les registres de « Spese minute » d’un Léon X et d’un Clément VII, plus tard, les livres de comptes plus complets et plus élaborés des trésoriers secrets et majordomes d’un Paul III, d’un Jules III et d’un Paul IV. On y trouve, en effet, à peu près tout ce qu’allait exiger à ce propos la bulle de Pie IV, à savoir entrées inscrites chacune séparément selon un ordre chronologique strict: date, jour, mois, année; nom de la ou des personnes concernées; montant exact des sommes remises à ces derniers et à quelle fin. On y trouve également, tel que prescrit par cette même bulle, des bilans –– généralement trimestriels –– permettant de voir où on en est côté actif (havere) aussi bien que passif (dare). Le tout d’ailleurs facilité par le recours à la comptabilité à partie double qu’exigera également en 1564 Cum inter cetera, mais que connaissaient déjà depuis longtemps les teneurs de livres des trésoriers secrets et majordomes au service des papes de la première moitié du XVIe siècle137. Toutefois –– il 136 À partir de Grégoire XIII, les registres des majordomes, à commencer par le premier qui nous reste, soit celui de Fantino Petrignani couvrant la période juin 1576 - juin 1577, correspondent tous à une année entière. À ce sujet, voir ASR, Cam. I: 1350-1352 et BAV, Introiti ed esiti 1. Une attestation du président de la Chambre, Marcantonio Olgiati, en tête du registre de Claudio Gonzaga, successeur de Petrignani, pour l’année 1577-1578 à l’effet que son registre est aussi fiable que les précédents, eux aussi annuels, en est la meilleure preuve. ASR, Cam. I: 1351, fol. 2r. Les choses sont moins claires en ce qui concerne Sixte V. Les livres de comptes de son premier majordome, Giovambattista Santoni, couvrent, le premier, quatre mois (Ibid., Cam. I: 1353), les deux suivants, six mois (Cam. I: 1354-1355). Ceux de son successeur, Marzio Frangipani, passent eux aussi de quatre mois (Ibid., Cam. I: 1356) à, de nouveau, six mois (Ibid., Cam. I: 1357-1362). C’est cette dernière périodicité que semble avoir adoptée Clément VIII. Cf. BAV, Introiti ed esiti 12-14. Comme chez Sixte V, les semestres s’étendent de janvier à juin et de juillet à décembre. Peut-être ces deux papes avaient-ils décidé qu’un contrôle annuel ne suffisait pas. Mais ils n’en dérogeaient pas moins eux aussi à ce que prescrivait à ce sujet la bulle de Pie IV. À noter que, ce faisant, ils soumettaient leurs majordomes à la règle que Pie IV avait choisi d’imposer au trésorier général de la Chambre plutôt qu’à celle intéressant le trésorier secret. 137 Voir à ce sujet Y. Renouard, Les hommes d’affaires italiens au Moyen Âge, Paris 1968, p. 221-224.
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importe de le souligner –– ces deux hommes tenaient par ailleurs à ce que leurs registres comportent en plus des éléments dont ne fait pas mention la bulle de Pie IV, mais qui leur paraissaient nécessaires, indispensables même à une comptabilité à plusieurs volets, donc complexe, qui ne pouvait se contenter d’entrées quotidiennes, si circonstanciées fussent-elles ou encore de bilans de fins de trimestre ou d’année. D’où –– nous l’avons vu plus haut –– l’initiative prise par un Ruberto Ubaldini, trésorier secret de Pie IV, de regrouper lesdites entrées sous quatre chefs représentant chacun un type particulier de dépenses avec un cinquième (« diverse ») réservé à celles ne tombant sous aucun des chefs en question. Mais il faut se garder d’y voir une innovation de sa part car, en réalité, il ne faisait là que suivre l’exemple de ses collègues majordomes qui avaient bien avant lui adopté cette formule, formule qui, de fait, correspondait mieux au caractère hétérogène des besoins et, partant, des dépenses auxquelles il leur fallait faire face. Déjà au temps d’Alexandre VI et de Jules II on comptabilisait à part les salaires ou provisions des personnels de la cour138. Angelo Archilegi, majordome de Paul III, va beaucoup plus loin. Non seulement enregistre-t-il lui aussi à part les émoluments des salariati139 et provisionati140, mais il dresse en plus chaque mois un tableau récapitulatif couvrant par catégories –– onze au total –– toutes les dépenses de la cour141. Il va même jusqu’à fournir chaque mois le détail de ce qui s’achète en matière de companatico, viande, d’une part, poisson, de l’autre, et ce qu’il lui en coûte142. Mais, comme si cela ne suffisait pas, il consacre plus de quinze folios à décrire jour après jour ce qui se consomme à la table du pape et ce que cela représente chaque fois comme dépense143. De fait, nous avons là le modèle que reprendront mutatis mutandis ses collègues de la seconde moitié du XVIe siècle144. Trésoriers secrets et majordomes n’avaient donc pas attendu la bulle Cum inter cetera pour se doter de techniques de gestion et de règles de comptabilité de plus en plus précises et performantes. Mais comment pou ASR, Cam. I: 1484, fol. 25rv. Ibid., Cam. I: 1487, fol. 32r. Ibid., Cam. I: 1349, fol. 33r. 140 Ibid., fol. 30r. 141 Ces catégories sont au nombre de onze et intéressent tout autant le domaine de l’alimentation (table du pape, « companatico » ou viande et poisson destinés aux membres de la cour, vin, céréales) que celui du chauffage, de l’éclairage, du mobilier, du transport, du vêtement, des salaires et « provisions » et de l’« extraordinaire ». Ibid., fol. 37r, 65r, 95r, 126r, 155r. 142 Ibid., fol. 25rv, 55rv, 83v-84r, 115rv, 145r-146r. 143 Ibid., fol. 9v-24rv. 144 Pour ce qui est de Sixte V, voir Ibid., Cam. I: 1353-1362, passim. Pour ce qui est de Clément VIII, voir BAV, Introiti ed esiti 12-32, passim. À noter toutefois que ni les majordomes de Sixte V ni ceux de Clément VIII ne donnent comme ceux de Grégoire XIII le détail de ce qui se consommait chaque jour à la table du pape. 138 139
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vait-il en être autrement de la part d’hommes qui pour une bonne part venaient du monde de l’administration et de la finance et, en plus, étaient flanqués de subalternes: comptables, caissiers, dépositaires issus de ce même monde. Antoine Filhol, majordome de Jules II, avait été au préalable président de la Cour des Comptes à Paris145. Giovambattista Galletti qui remplira ce même office sous Jules III avait d’abord été trésorier de Romagne, puis clerc et président de la Chambre Apostolique146. Quant à Ruberto Ubaldini, trésorier secret de Pie IV, il venait d’une famille de banquiers florentins liés de près aux Olivieri et faisant comme eux partie du groupe des « marchands » gravitant autour de la cour papale ou, comme on disait à l’époque, « curiam romanam sequentes »147. Les papes de l’époque ne pouvaient se passer d’hommes de cette expertise et de cette expérience, mais ils ne devaient pas être sans savoir qu’à trop leur faire confiance il y avait certains risques. Le cas de Ruberto Ubaldini nous en fournit déjà un premier exemple. En effet, à titre de membre d’une famille de banquiers florentins très actifs sur la place de Rome et, par ailleurs, fort impliqués avec d’autres dans des opérations intéressant le Saint-Siège, voire le pape lui-même, il pouvait difficilement faire abstraction de ces liens de parentèle et de clientèle qui, certes, d’une part, pouvait lui permettre de mieux servir les intérêts de son maître, mais, de l’autre, pouvait tout aussi bien être exploités à son propre avantage et à celui de cette même parentèle et clientèle. Mais le cas le plus frappant et le plus obvie de pareille ambivalence est, nul doute, celui de Filippo Guicciardini, trésorier secret de Clément VIII de 1596 à 1605 qui, non seulement appartenait à une famille de marchands-banquiers florentins eux aussi très actifs à Rome, mais était lui-même, comme l’affirme Jean Delumeau, « un des grands manieurs d’argent » impliqué dans le commerce, le change et les assurances. Or il continuera durant toutes les années où il exercera la charge de trésorier secret à diriger sa propre banque et à se lancer avec d’autres dans de vastes opérations commerciales surtout, intéressant la ville de Rome, mais aussi sinon directement, du moins indirectement la cour pontificale148. Nous aurons l’occasion de revenir sur une de ces opérations lorsque nous traiterons plus loin des dépenses de la cour. Les papes de l’époque devaient donc être conscients des risques que cela représentait pour eux financièrement, voire politiquement. Mais dépendants qu’ils étaient du vaste et complexe réseau bancaire romain pour une grande partie de leurs revenus fiscaux et autres, pour les nombreux emprunts qu’il leur fallait parfois en toute urgence faire, comme pour les Cf. Renazzi, Notizie cit., p. 52-55. Ibid., p. 82-84. 147 Guidi Bruscoli, Papal Banking cit., p. 56-59. 148 148 Delumeau, Vie économique cit., II, p. 846-849. 145 146
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ventes d’offices et de titres de rentes (luoghi di monti)149, ils n’avaient sans doute pas d’autre choix que de s’accommoder des ambiguïtés inhérentes à cette situation, quitte à laisser à la Chambre Apostolique le soin d’assurer qu’au moins les cas les plus flagrants de fraudes, de détournements de fonds ou de collusions ne passent pas inaperçus et, dans toute la mesure du possible, soient sévèrement sanctionnés. Le cas le plus surprenant, mais en même temps des plus révélateur de ce type d’ambiguïté est sans contredit celui du banquier juif Giovanni Lopez, « provisoirement converti », qui obtint de Sixte V dont il était le principal conseiller financier la charge de dépositaire de la Daterie150. Cas exceptionnel et qui d’ailleurs surprit beaucoup à l’époque, mais qui néanmoins en dit long sur les rapports de force et les jeux d’influence avec lesquels devaient composer et les papes eux-mêmes et les officiers auxquels ils confiaient la gestion financière de leurs cours. Nous avons souligné plus haut le fait que les majordomes disposaient de revenus autres que ceux leur parvenant de la Chambre Apostolique ou, parfois, de la Daterie et que ces revenus étaient inscrits à part dans leurs livres de comptes. Le moment est venu d’examiner de plus près cet élément distinctif des livres en question, du moins en regard de ceux de leurs vis-à-vis les trésoriers secrets. Prenons par exemple le registre tenu par le premier majordome de Grégoire XIII, Fantino Petrignani, pour l’année 1576-1577. Sous la rubrique entrata qu’il appelle aussi dare, il dresse la liste des sommes d’argent qui lui sont parvenues en cours d’année, tout d’abord, de la Chambre Apostolique –– 65.000 écus ––, puis d’avances faites par un certain nombre de banquiers pour l’achat de vins à Naples –– 7000 écus ––, enfin du pape –– 1328,25 écus –– pour l’achat d’un titre de rente (« cavallerato di S. Paolo ») en faveur de Papa Egidio, apothicaire du palais. Suivent le produit des ventes faites par les préposés aux fourneaux, le boucher et le dépensier du palais –– 3154,10 écus au total –– et les profits (« agio ») réalisés sur le change –– 736,80 écus. Mais à tout cela il ne manque pas d’ajouter ce qu’il appelle « la provisione ordinaria » qui est de fait un inventaire des denrées et autres produits de nécessité qui lui restent de l’année précédente –– blé, farine, vin, bois, charbon, avoine –– pour un total de 11.872,20 écus151. Nous voilà loin du type de comptabilité que tenait Ibid., p. 849-862. Ibid., p. 854. Delumeau note que quiconque réussissait à obtenir la charge de dépositaire de la Daterie ou de la Trésorerie secrète était bien placé « pour connaître […] les secrets financiers de la papauté et profiter des meilleures occasions de profit ». Aussi est-on en droit de penser que si, à la surprise de plusieurs, l’astucieux Sixte V consentit une telle faveur à Giovanni Lopez, c’est qu’il comptait en tirer lui-même au moins autant de profit que ce dernier. 151 ASR, Cam. I: 1350, fol. 1r-3r. 149 150
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son collègue le trésorier secret. Ce qui pourrait jusqu’à un certain point expliquer que les majordomes, du moins à partir du pontificat de Grégoire XIII, aient, comme nous l’avons signalé plus haut, réussi à obtenir de n’être soumis qu’à des contrôles annuels, à la limite semestriels, alors que, selon la bulle de Pie IV, ils auraient dû l’être tous les trois mois comme les trésoriers secrets. Contrôles moins fréquents donc, mais contrôles tout de même. Ce qui nous amène tout naturellement à poser la question de savoir en quoi consistaient ces contrôles et par qui ils étaient faits. La bulle Cum inter cetera nous est encore ici d’un précieux secours, nous fournissant sur les officiers de la Chambre Apostolique chargés de vérifier les livres de comptes des trésoriers secrets et des majordomes des papes de l’époque, des informations précises et éclairantes. Les livres en question étaient d’abord remis aux notaires qui devaient en faire un premier examen. Puis intervenaient les clercs qui, eux, avaient comme responsabilité de pousser plus loin l’enquête, entrée par entrée, bilan par bilan, confrontant chaque fois si nécessaire ces diverses données aux pièces justificatives leur correspondant. Enfin il appartenait au président et au trésorier général de confirmer par écrit « manu propria » le jugement des clercs de la Chambre152. Pour bien assurer que les divers officiers impliqués dans cette vérification fassent consciencieusement leur travail, Cum inter cetera les menaçait tous de sanctions passablement sévères au cas où ils auraient failli à leur tâche: 200 ducats, dans le cas des notaires; 1000, dans celui des clercs; une peine à déterminer par le pape lui-même pour ce qui était du président et du trésorier général153. On ne prenait donc pas en haut-lieu tout ce processus à la légère. Mais était-ce bien ainsi que les choses se passaient en réalité? En ce qui concerne la trésorerie secrète, il semble bien, du moins à partir du pontificat de Grégoire XIII, qu’on respectait pour l’essentiel les règles imposées par la bulle Cum inter cetera. En tête du tout premier registre d’Alessandro Musotti, trésorier secret du pape Boncompagni, on indique que ledit registre a été présenté le 5 septembre 1572 par Musotti lui-même à la Chambre Apostolique, laquelle l’a confié pour examen à deux de ses clercs, nommément Andrea Spinola et Giulio Vitelli. Suit une note du trésorier général, Tommaso Gigli, spécifiant que les comptes en question ont été remis dans les trois mois comme prescrit par la bulle de Pie IV et que toutes les dépenses qui y figurent ont été inscrites conformément aux ordres et directives du pape et qu’il ne reste donc aux clercs de la Chambre qu’à vérifier comme d’habitude (« secondo il solito ») les quittances provenant 152 153
Bullarum cit., éd. de Turin, VII, 1862, p. 318. Ibid., p. 319.
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des récipiendaires des sommes indiquées154. On aura remarqué qu’il n’est question dans ce processus ni des notaires ni du président de la Chambre. S’agirait-il d’un oubli ou tout simplement de ce qu’on prenait pour acquis qu’ils étaient partie prenante dudit processus et qu’il n’était donc pas nécessaire d’en faire mention? De fait, on a peine à imaginer que le président de la Chambre n’ait plus été impliqué tant était majeur le rôle qu’il avait jusque-là joué comme vérificateur des comptes de la trésorerie secrète. Les registres publiés par Léon Dorez montrent clairement que cette vérification était faite au temps de Paul III presque exclusivement par ce personnage-lige du pape155 qui, bien évidemment, ne pouvait se permettre de contester des dépenses faites sur ordre ou avec l’assentiment de son maître. Au fond, il paraissait aller de soi que le trésorier secret soit traité avec la même bienveillance et la même discrétion que le dataire. Les choses semblent toutefois changer au temps de Pie IV. Le registre de début de règne (1559-1561) tenu par Piergiovanni Aleotti porte le visa du président de la Chambre, Francesco Odescalchi, assurant que tout l’argent reçu par Aleotti a été dépensé conformément aux ordres reçus156, mais à partir du second registre couvrant les années 1562-1564, on découvre que les comptes sont visés par la Chambre Apostolique avec ici et là en marge la mention: « accepter » (admittentur) ou « ne pas accepter » (non admittentur)157, signes évident d’un contrôle plus strict et moins complaisant. Qui étaient les auteurs de ces notes marginales? Les clercs de la Chambre jusque-là exclus du processus en question? La chose n’est pas impossible: elle paraît même vraisemblable, d’autant plus –– est-il besoin de le rappeler –– que Pie IV s’apprêtait en 1564 à leur confier ce rôle dans Cum inter cetera. Si le président de la Chambre avait encore un rôle à jouer, et on peut penser qu’il en avait un, ce rôle n’était désormais plus celui exercé jusque-là. Mais la note plus haut citée du trésorier général, Tommaso Gigli, à l’effet que les clercs de la Chambre devaient se contenter de vérifier les quittances des récipiendaires des sommes remises par le trésorier secret montre bien que ce dernier continuait à jouir d’un certain traitement de faveur. Mais qu’en était-il de celui réservé au majordome? À première vue, on serait porté à croire qu’il ne jouissait pas, mieux ne pouvait jouir de pareil traitement. Tout d’abord, parce que le rapport au ASR, Cam. I: 1300, fol. 1rv. Dorez, La cour cit., II, p. V. 156 ASR, Cam. I: 1299, Entrata et uscita, fol. 4. 157 Ibid., Introito et exito, Conto di Ruberto Ubaldini, Conto della Tesoreria Segreta, passim. À noter qu’Ubaldini lui-même fit l’objet d’un « non admittentur ». En effet, s’étant plaint du fait que sa « provision » mensuelle ne lui avait pas été versée depuis deux ans et demi et qu’on lui devait donc 1650 écus, les officiers de la Chambre jugèrent qu’il n’avait de fait droit qu’à 1000 écus. Ibid., « Conto della Tesoreria Segreta », fol. 71. 154 155
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pape n’était pas le même; d’autre part, parce que le type de gestion qu’il pratiquait différait considérablement de celui relevant du trésorier secret. Ce dernier, après tout, se limitait à exécuter les ordres du pape et, n’ayant qu’un ou deux officiers sous ses ordres, pouvait assez facilement contrôler les entrées et sorties des sommes d’argent qui transitaient par lui. Rien de tel dans le cas du majordome qui avait des responsabilités beaucoup plus lourdes et complexes que son collègue tant au titre du personnel qui de près ou de loin le secondait: sous-majordome, dépensier, comptable, caissier, scribes, sans compter les différents chefs de service du palais, qu’au titre des banquiers, entrepreneurs, fournisseurs avec lesquels il faisait chaque jour ou presque directement ou indirectement affaire. Le danger de vols, de fraudes, de malversations, de fausses factures et autres délits du genre était toujours à craindre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais. Les papes n’étaient sans doute pas sans le savoir. Aussi devaient-ils être plutôt enclins à laisser les officiers de la Chambre Apostolique examiner avec plus d’attention et plus à fond les comptes de leurs majordomes que ceux de leurs trésoriers secrets. Grégoire XIII dut se féliciter du sérieux avec lequel lesdits officiers faisaient leur travail lorsque, grâce à eux, il découvrit en 1579 que celui qui précisément était chargé de la police de la cour, son majordome Claudio Gonzaga, s’était rendu coupable de détournement de fonds. Il le remplaça aussitôt, ainsi que nous l’avons vu plus haut, par son homme de confiance, Alessandro Musotti, qui, à partir de ce moment, cumulera la charge de trésorier secret et de majordome. Mais Musotti aura désormais droit à un double traitement de la part de la Chambre Apostolique: complaisance et discrétion, comme par le passé, en tant que trésorier secret; examen beaucoup plus minutieux et sans ménagement, en tant que majordome. En veut-on la preuve? Le 3 juin 1582, Musotti qui en est à sa troisième année comme majordome remet à la Chambre Apostolique son livre de comptes pour l’année qui vient de s’écouler, soit du 1er juin 1581 au 31 mai 1582. Il fait le serment d’usage selon les règles fixées par la Chambre à l’effet que les données contenues dans ledit registre sont véridiques. Antonio Olgiati, président, et Lodovico Taverna, trésorier général de cette dernière, approuvent ces comptes pour autant que cela dépend d’eux. Mais les clercs de la Chambre qui, eux, sont chargés d’examiner en détail ces mêmes comptes n’ont pas le même empressement. En septembre 1584, ne voyant encore rien venir, Musotti demande aux deux officiers à qui ces comptes ont été confiés, soit Agostino Cusano, substitut du cardinal Salviati, et Luis Torres, doyen des clercs, de bien vouloir enfin les approuver. Ils ne le seront finalement que le 7 janvier 1585, soit deux ans et demi
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après leur remise à la Chambre Apostolique158. L’élévation d’Antonio Maria Salviati au cardinalat le 12 décembre 1583159 pourrait avoir contribué à ce retard. Mais il n’en saute pas moins aux yeux que le traitement réservé par les officiers de la Chambre, les clercs en particulier, aux comptes présentés par le majordome Musotti était plus sévère et méticuleux que celui dont bénéficiait le trésorier secret Musotti. Sa personne n’était pas en cause, mais bien la nature fort différente des deux offices dont à partir de 1579 il s’était vu chargé. En veut-on une autre preuve? À l’été 1578, sur réception du premier livre de comptes de Claudio Gonzaga, Antonio Olgiati et Lodovico Taverna dont nous avons déjà fait la connaissance, le premier, président, le second, trésorier général de la Chambre, n’avaient pas craint d’affirmer que le registre en question était aussi fiable que les cinq précédents tenus par Fantino Petrignani et que tous les achats qui y étaient consignés avaient été faits à de très justes prix (« a prezzi honestissimi »)160. Attestation de complaisance? Sans doute, car il n’y a pas trace dans ce même livre de comptes d’une semblable approbation de la part d’Antonio Maria Salviati et Andrea Spinola, clercs chargés de son examen. Et pour cause. Ces deux prélats avaient fini par découvrir la forfaiture de Claudio Gonzaga qui allait conduire à sa destitution en septembre 1579. Forfaiture d’autant plus grave que le 9 janvier de cette même année Gonzaga avait, tel qu’exigé, prêté serment devant le notaire de la Chambre, Andrea Martini, à l’effet que ses comptes étaient en tous points conformes à la réalité161. Il ne faudrait toutefois pas aller jusqu’à croire que la Chambre Apostolique se méfiait surtout des officiers chargés de la gestion financière de la cour, majordome en tête. Elle craignait nul doute beaucoup plus les fraudes ou malversations commises par les banquiers, entrepreneurs et fournisseurs avec qui lesdits officiers faisaient affaire. Nous avons vu plus haut que déjà au temps de Pie IV les officiers de la Chambre ne se privaient pas de refuser (« non admittentur ») certaines dépenses du fait probablement que les pièces justificatives exigées soit manquaient soit étaient sujettes à caution. Ces cas ne devaient pas être rares. Et il ne faudrait pas non plus croire qu’ils ne concernaient que le majordome: le trésorier secret était lui aussi sujet à être trompé par des banquiers, entrepreneurs ou fournisseurs peu scrupuleux ou un peu trop « voraces ». Malheureusement il ne nous reste pour le XVIe siècle que des épaves de la documentation qui servit à l’époque à justifier les refus de la Chambre Apostolique, documentation que l’on trouve aujourd’hui dans la sous-série Giustificazioni ASR, Cam. I: 1352, fol. 3rv. Eubel, Hierarchia cit., III, p. 47. 160 ASR, Cam. I: 1351, fol. 2r. 161 Ibid., fol. 3r. 158 159
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di Tesoreria de l’Archivio di Stato de Rome. Nous nous contenterons ici de quelques exemples tirés de cette documentation éparse et nous nous limiterons à celle correspondant au règne de Grégoire XIII en raison de la relative abondance de documents de cette nature que nous y trouvons. Un premier exemple se présente sous la forme d’un compte détaillé –– il couvre quelque huit pages –– envoyé le 4 juillet 1580 par le chasublier (« banderaro ») Bernardo Attavanti probablement à Alessandro Musotti, trésorier secret du pape, relatif à la fourniture entre le 15 mai et le 26 juin de cette même année de tissus et de toiles de diverses sortes devant servir, d’une part, à l’ornementation de la chapelle Grégorienne à Saint-Pierre alors en cours d’aménagement, de l’autre, à la confection d’ornements liturgiques destinés au pape et à un certain nombre de ses chapelains. La facture totale s’élevait à 1307 écus. Vérification faite, les officiers de la Chambre réduisirent cette somme à 1250 écus162. Autre exemple concernant cette fois des travaux de blanchiment faits dans diverses pièces du palais apostolique, de même qu’au palais San Marco en 1584 par la société d’« imbiancatura » dirigée par Mo Giovanni Taddei. Cette dernière avait présenté un compte à cet effet au montant de 59,94 écus au trésorier secret du pape, le même Alessandro Musotti, compte que ce dernier avait approuvé le 12 mars 1585. On retrouve ce compte à la Chambre Apostolique en octobre de la même année, donc après le décès de Grégoire XIII, sans doute comme pièce justificative accompagnant le dernier registre remis à la Chambre par Musotti. Le président de la Chambre, Antonio Olgiati, n’hésite pas à entériner l’accord donné par ce dernier au compte présenté par Giovanni Taddei, mais, prudence oblige, sous réserve de l’approbation du pape –– Sixte V, en l’occurrence, en poste depuis la fin d’avril ––, mais aussi du trésorier général et des clercs de la Chambre. Or, il semble bien que ces derniers aient fait des difficultés à entériner à leur tour le placet de l’ancien trésorier secret de Grégoire XIII, car en 1591 et de nouveau en 1592, Mo Taddei se voit dans l’obligation de revenir à la charge en produisant cette fois le détail des travaux réalisés au Vatican et à San Marco. Eut-il finalement gain de cause? Notre document malheureusement n’en dit rien163. Mais quelle qu’ait été l’issue de cette dispute autour d’une facture somme toute relativement modeste, on ne 162 Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 14, fasc. 1. Que cette facture ait d’abord été envoyée à Musotti à titre de trésorier secret –– il était, ne l’oublions pas, depuis septembre 1579 également majordome –– paraît évident du fait que toute dépense relative aux travaux en cours à la chapelle Grégorienne ou touchant la garde-robe du pape relevait de lui en tant que trésorier secret. À preuve, son livre de comptes couvrant l’année 1579-1580 comporte de nombreuses et substantielles sorties liées à la construction de ladite chapelle, en particulier pour les mois de mai et de juin 1579. Ibid., Cam. I: 1307, fol. 122r-124r; 1308, fol. 3r-5rv. 163 Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 15 fasc. 2.
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peut qu’être frappé par le scrupule avec lequel les clercs de la Chambre, du moins certains d’entre eux, accomplissaient leur tâche de contrôleurs ou vérificateurs. Que Mo Taddei ait dû les affronter dans le cadre du régime « minceur » imposé par Sixte V n’aida sans doute pas sa cause. Un dernier exemple. Le 2 avril 1585, la maison Arigucci del Fondaco fait parvenir au majordome du pape –– encore une fois, Alessandro Musotti –– un compte au montant de 1456,10 écus pour la livraison de divers tissus devant servir à la confection de vêtements d’apparat pour les « rois venus d’Inde » (« Re venuti di India ») –– il s’agit de fait des jeunes ambassadeurs japonais dont il a été question au chapitre V –– et le 27 mai suivant, à titre d’ancien majordome –– son maître était décédé le 10 avril –– Musotti approuve ce compte à la demande probablement de la Chambre Apostolique qui est en train de réviser le dernier registre qu’il leur a fait parvenir à titre de majordome. Vérification faite, cette dernière réduit le montant demandé par la maison Arigucci à 1381,66 écus164. Subiront le même sort deux comptes venus ceux-là de Mo Bernardino di Gallese, tailleur (« sartore ») pour la confection des vêtements en question, l’un s’élevant à 144,70, l’autre à 72,83½ écus qui ne se verront honorés qu’à la hauteur de 99 et 55 écus respectivement165. Manifestement, les officiers de la Chambre Apostolique, les clercs en particulier, prenaient au sérieux le rôle de vérificateurs ou contrôleurs que leur avait assigné la bulle Cum inter cetera. Le prenaient-ils plus au sérieux qu’avant que n’intervienne cette nouvelle réglementation? Les sources dont nous disposons pour la période précédant le pontificat de Pie IV ne permettent pas de l’affirmer avec certitude. Mais il semble bien y avoir eu dans la foulée de cette bulle un renforcement des contrôles de la part de la Chambre Apostolique et, cela, comme nous venons de le constater, peu importe qu’il s’agît de grosses ou de modestes sommes. Nous avons réussi jusqu’ici à nous faire une assez bonne idée de ce qu’il en coûtait bon an mal an aux papes du XVIe siècle pour assurer la bonne marche de leurs cours et le bien-être de ceux qui avaient le privilège d’y vivre. Nous avons également pu établir d’où venaient les ressources permettant de couvrir les coûts en question et par quels canaux ces mêmes ressources parvenaient aux premiers intéressés, c’est-à-dire les officiers chargés d’en assurer la gestion, majordomes, d’une part, trésoriers secrets, de l’autre. Nous avons enfin pu montrer, grâce aux livres de comptes de ces derniers, à quelles techniques administratives et comptables ils faisaient appel, jusqu’à quel point celles-ci relevaient de règles ad hoc existantes, mais sujettes à changement, comme ce fut le cas en 1564 avec la 164 165
Ibid., fasc. 9, fol. 3-9r. Ibid., fasc. 16 et 18.
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Le financement de la cour
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promulgation de la bulle Cum inter cetera, et dans quelle mesure ils tenaient, pour leur part, compte de ces règles. De fait, à quelques exceptions près, il semble bien qu’ils le faisaient ou, du moins s’efforçaient de le faire comme nous ont permis de le constater les contrôles périodiques auxquels ils étaient assujettis de la part de la Chambre Apostolique. Il nous reste à voir quel usage ces mêmes officiers faisaient des ressources mises à leur disposition, en d’autres mots, à quels types de dépenses ils les affectaient et à qui, éventuellement, profitaient ces dernières à l’intérieur comme à l’intérieur de la cour. 3. Les dépenses de la cour Nous avons déjà en mains un certain nombre d’éléments permettant de répondre à l’une et l’autre de ces questions. En effet, nos quatrième et sixième chapitres nous ont permis d’identifier plusieurs des postes inscrits aux budgets des cours des papes de l’époque et d’établir que certains de ces postes représentaient des déboursés considérables, telle la « table » par exemple qui occupait et de loin la première place. Repères importants, mais qui ne disent pas tout et ont donc besoin du renfort tout d’abord d’une vue d’ensemble englobant les divers types de dépenses effectuées chaque année, puis d’une analyse plus poussée et plus fine de certaines de ces dépenses permettant de révéler, d’une part, l’importance relative de chacune d’entre elles, de l’autre, le rôle joué et la place occupée par les nombreux banquiers, entrepreneurs, artisans et commerçants auprès desquels ou par le truchement desquels se faisaient les dépenses en question. Une bonne vue d’ensemble de ces dernières nous est fournie par les tableaux récapitulatifs que nous ont laissés les majordomes des papes de l’époque, à partir surtout du règne de Grégoire XIII. Pour la période antérieure, nous ne disposons que d’un seul de ces tableaux: c’est celui dressé en 1538 par Angelo Archilegi, majordome de Paul III. Malheureusement, il ne couvre que cinq mois, mais, comme nous avons pu nous en rendre compte au chapitre précédent, il n’en est pas moins des plus révélateurs et peut donc nous servir de point de comparaison avec ceux heureusement plus nombreux et plus complets datant des pontificats de Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII. Il mérite donc toute notre attention166. 166 Tous les chiffres de ce tableau comme des trois qui suivent ont été arrondis à l’unité près. En ce qui concerne le tableau d’Archilegi, l’unité monétaire utilisée est le ducat; pour les trois autres, l’écu. Afin d’uniformiser la nomenclature utilisée par les auteurs de ces mêmes tableaux, nous avons adopté le terme companatico pour tout ce qui concerne la « table » du pape et de sa « famille »; les termes « chauffage » et « éclairage » au lieu de « bois » (« ligneus », « legno ») et « cire » (« cereus », « cereo ») utilisés par nos majordomes et remplacé « écurie » (« scuderia ») par « transport ». Nous avons par contre conservé le terme « blé » (« granum »,
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
TABLEAU VIII Dépenses de la cour de Paul III : août - décembre 1538*
postes
août
sept.
oct.
nov.
déc.
total
%
companatico (pape)
850
390
435
526
356
2 257
9
companatico (famille)
908
746
907
937
1 030
4 528
18
blé
954
906
487
412
760
3 529
15
vin
1 025
1 179
890
2 002
1 245
6 341
25
257
127
306
403
332
1 375
6
74
220
85
98
99
576
2
mobilier
318
51
226
45
191
831
4
salariati
74
74
73
68
71
360
2
vêtements
23
24
16
14
518
595
3
transport
531
351
382
843
296
2 403
10
extraordinaire
122
203
100
147
974
1 546
6
4 796
4 271
3 907
5 495
5 872
24 341
chauffage/éclairage provisionati
Total
*Sources : ASR, Cam. I : 1349. Les sommes indiquées sont en écus. Les pourcentages ont été arrondis à l’unité près.
On aura remarqué sans surprise la place dominante occupée dans le tableau d’Archilegi par la « table », le vin en particulier qui, à lui seul, représente 25% de toutes les dépenses de la cour, tout en notant par ailleurs celle moins importante, mais tout de même significative occupée par les dépenses d’écurie (« scuderia »), autrement dit de transport. Par contre, peut-être aura-t-on été frappé par la maigreur des sommes consacrées à la rémunération aussi bien des provisionati que des salariati. Il importe toutefois de rappeler ici que ces derniers avaient tous droit à une ration quotidienne de pain et de vin, que plusieurs d’entre eux avaient en plus accès au companatico de même qu’à des mancie saisonnières de diverses sortes et que, par conséquent, malgré leurs modestes émoluments, ils étaient loin d’être les parents pauvres du bilan dressé par Archilegi. Cette remarque, disons-le tout de suite, vaut aussi pour les bilans des cours d’un Grégoire XIII, d’un Sixte V et d’un Clément VIII, bien que, dans le cas du pape Peretti, il eût sans doute préféré ne pas avoir à se montrer aussi généreux. Mais étaient-ce là les seuls liens de parenté existant entre les bilans de ces trois cours et celle de la cour farnésienne? Seul l’examen des tableaux qui suivent dressés, eux, par les majordomes de Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII peut nous permettre de le savoir.
« grano ») qui représente de fait tous les aliments à base de cette céréale, qu’il s’agisse de pain, de pâtisserie ou de pâtes. D’ailleurs Archilegi dans son tableau associe « granum » et « furnus », c’est-à-dire blé et boulangerie.
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581 Le financement de la cour
TABLEAU IX Dépenses de la cour de Grégoire XIII : juin 1576 - mai 1577*
223
1 560
235
1 825
109
2 265
276
2 122
198
20 898
2 775
24
3
%
1 582
total 205
mai
1 790
avril 179
mars
1 284
février 277
janvier
1 778
déc.
443
24
12
nov.
2 589
20 430
10 036
oct.
908
155
178
sept.
168
16 744
août
1 021
53
541
juillet
307
31
1 040
juin
2 174
151
2 567
postes
companatico (famille)
companatico (pape)
40
5
4
599
3 117
10
85
210
8 193
4 372
331
268
684
1 011
737
253
645
718
180
280
758
439
950
333
613
451
1955
307
708
345
---
---
213
253
679
1359
289
673
296
1281
322
672
324
140
---
933
163
688
140 250
706
365
218 189 708
363
vin 60
blé
659
cire provisionati
1
2
bois et charbon
1 199
1 480
4
10
103
3 559
8 201
170
783
39
185
103
864
22 388
46
89
100 745
5 861
95
81
22 342
5 427
99
146
115 707
6 462
99
585
284 20
5 336
50
1209
100 1 567
5 336
100
146
155 497
5 465
61
238
100 86
7 235
23
311
100 77
4 813
37
45
100 1 016
5 182
100
190
478 1 497
4 926
salariati
334
84 260
6 156
mobilier transport Total
extraordinaire
*Sources : ASR, Cam. I : 1350. Les sommes indiquées sont en écus. Les pourcentages ont été arrondis à l’unité près.
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1 569 236 33
blé
vin
cire
14
transport
3 192
8
1 682
4
101
62
1
---
37
---
379
1 051
45
février
2 749
203
33
62
2
165
40
---
1 079
1 033
120
12
mars 5 39
1 490
19
27
60
4
89
18
194
---
1 085
avril 8 34
2 674
3
9
60
2
156
20
131
1 219
1 032
mai 4 26
10 594
276
29
59
2
---
15
8 375
811
997
juin 4
1 578
2
55
59
7
128
8
---
244
1 025
46
juillet 4 79
8 081
22
186
58
3
---
14
---
6 695
1 020
août
*Sources : ASR, Cam. I : 1357-1358. Les sommes indiquées sont en écus. Les pourcentages ont été arrondis à l’unité près.
Total
3
62
salariati
extraordinaire
17
mobilier
173
1 041
companatico (argent)
bois et charbon
5 19
companatico (autres)
janvier
companatico (pape)
postes 3
2 228
1 061
58
1
---
11
---
78
996
20
sept.
TABLEAU X Dépenses de la cour de Sixte V : janvier - décembre 1587*
4 41
3 176
8
58
4
---
19
407
1 660
975
oct. 7 55
1 409
16
194
57
9
---
27
61
65
918
nov.
8 78
1 380
12
12
51
27
---
75
140
58
924
déc.
72
40 238
560
1 729
706
79
711
317
9 544
13 871
12 047
602
total
%
1
4
2
0,2
2
1
24
34
31
1
0,2
582 LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
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583 Le financement de la cour
TABLEAU XI Dépenses de la cour de Clément VIII : juillet 1593 - juin 1594 *
326
148
2 302
225
161
26 909
3 024
2 089
3
2
% 174
2 253
total
478
juin 204
2 239
mai
121
avril 228
2 252
mars
443
février 197
2 233
janvier
352
déc. 178
2 231
nov. 164
395
oct. 169
2 227
sept. 157
72
août 152
2 284
juillet 157
250
postes companatico (pape)
2 220
29
118
22
24
2 209
19 847
21 345
106
623
2243
394
2 931
88
181
127
2 216
36
495
companatico (argent)
27
2 160
companatico (autres)
40
1 430
6
5
1 271
5 283
4 355
1 700
447
295
115
259
308
153
213
397
563
687
435
2 930
594
416
---
402
502
2 588
564
466
---
829
498
47
314
320
6 661
357
302
17 220
321
248
vin 296
168
blé
bois et charbon
1
1
cire
756
1 017
3
5
63
3 076
4 540
309
58
63
205
33
222
4 688
63
38
50 43
6 975
63
656
33 93
4 621
63
77
64 12
4 496
63
52
115 25
6 342
63
351
297 13
5 708
63
22
42 370
7 196
63
266
40 645
4 856
63
366
14 39
7 880
63
61
10 855
5 908
63
166
10 2 165
4 211
salariati
816
92 241
29 360
mobilier transport extraordinaire Total
*Sources : BAV, Introiti ed esiti, 12, 14. Les sommes indiquées sont en écus. Les pourcentages ont été arrondis à l’unité près.
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584
LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Un premier constat. Considérés dans leur globalité, les bilans des cours de Grégoire XIII et de Clément VIII semblent en chiffres absolus dépasser et de loin le niveau de dépenses révélé par le bilan que nous a laissé le majordome de Paul III. En effet, nous avons vu plus haut que les données des cinq mois comptabilisés par Angelo Archilegi ajoutées à celles des quatre mois pris en compte par le trésorier secret Bernardino della Croce représentaient vraisemblablement un déboursé annuel de 58. 088 ducats. Or, en ce qui concerne Grégoire XIII et Clément VIII, ce déboursé est de 84.260 et 92.241 écus respectivement. Mais cet écart est trompeur, car, compte tenu de la montée des prix à Rome à partir de 1550 surtout et du fait que l’écu valait à l’époque 9% de moins que le ducat, on peut légitimement estimer que Paul III était moins dépensier à ce chapitre que Grégoire XIII, mais, par contre, plus que Clément VIII167. Pour ce qui est de Sixte V, que dire sinon qu’il est totalement éclipsé par la performance du pape Farnèse comme par celle des papes Boncompagni et Aldobrandini d’ailleurs. Ce qui n’a rien pour nous surprendre, compte tenu de son côté lésineur, pour ne pas dire grippe-sou. Deuxième constat. Si les dépenses de « bouche » comme nous l’avions constaté au chapitre précédent, occupent et de loin la première place, il y a tout de même une marge considérable entre les 67 et 65% que nous trouvons chez Paul III et Grégoire XIII respectivement et les 90 et 80% que nous révèlent les bilans dressés par les majordomes de Sixte V et de Clément VIII. Comment expliquer cette marge? Dans le cas de Sixte V, la réponse est simple: tout en cherchant à réduire au minimum les dépenses de sa cour, y compris celles de « bouche » –– d’où le passage à un companatico en argent –– il n’a pu se débarrasser de la parte (pain et vin) remise chaque jour aux membres de sa « famille », ce qui nous vaut ce paradoxe d’un pape, lui-même d’une grande frugalité, qui consacre 90% de ses dépenses domestiques à la « table ». Pour ce qui est de Clément VIII qui rétablit le companatico en nature pour un certain nombre de membres de sa cour tout en conservant le companatico en argent pour 167 Nous nous fondons ici sur les données fournies par Jean Delumeau. Cf. Vie économique cit., II, p. 658 et 747. Sur cette double base, les sommes consacrées par Paul III à sa cour en 1538 s’élèveraient par rapport à celles consenties par un Grégoire XIII et un Clément VIII à 82.846 et 95.516 écus respectivement. Mais l’éventail de prix nominaux fourni par Delumeau ne comprend pas le blé dont le prix connut une montée vertigineuse à partir des années 1590. Ibid., p. 695. Or cette denrée occupe une place très importante dans les bilans de l’époque comme le montrent les quatre tableaux ci-dessus. Il se pourrait donc que le niveau de dépenses de la cour de Paul III dépasse plus qu’indiqué ici celui que l’on trouve à la cour de Clément VIII.
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Le financement de la cour
585
les autres, le fait d’avoir par ailleurs, lui aussi, continué à distribuer la parte lui valut sans doute, même si sa table était beaucoup moins austère que celle de Sixte V, de se retrouver en compagnie de ce dernier, bien qu’à une certaine distance. Mais en ce qui concerne les sommes que chacun de ces papes consacrait à sa propre table, force est de constater que le rapport n’est plus du tout le même. Alors que chez Paul III cette dépense représente 9% du budget de sa cour, chez Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII, elle n’est plus que de 3, 0,2 et 2% respectivement. N’aurions-nous pas là un autre bel exemple de l’impact des exigences « tridentines » sur le style de vie des papes de la seconde moitié du XVIe siècle, en ce qui concerne leurs cours en particulier? Même si Paul III fut l’instigateur du concile de Trente, il restait lui-même un homme de son temps sensible aux plaisirs de la « table ». Un dernier constat. Si les dépenses autres que celles de « bouche » occupent beaucoup moins de place dans nos quatre bilans, certaines n’en restent pas moins significatives, telles celles d’écurie ou de transport, qui représentent chez Grégoire XIII et Clément VIII, tout comme chez Paul III, 10% des dépenses enregistrées par leurs majordomes. Sixte V fait encore ici bande à part avec un maigre 4%. Ce qui, une fois de plus, ne nous surprend guère. Pour être bien complet, il faudrait probablement tenir également compte de l’apport des trésoriers secrets qui, nous l’avons vu, couvraient un certain nombre de dépenses intéressant le pape et sa « famille », dépenses qui peuvent à juste titre être considérées comme étant de cour. Malheureusement la répartition de ces sommes d’appoint entre les divers postes figurant sur les tableaux que nous venons d’examiner paraît dans plusieurs cas malaisée et le fait par ailleurs que Sixte V n’a pas jugé bon faire profiter sa cour de cette source de revenus complémentaire rendent aléatoire, sinon impossible toute tentative d’infirmer ou de confirmer les conclusions auxquelles nous sommes jusqu’ici arrivés concernant les types de dépenses que commandaient l’entretien de la cour pontificale à l’époque et l’importance relative de ces dépenses d’une période et d’un pape à l’autre168. Il vaut donc mieux en rester aux constats que nous avons pu jusqu’ici faire à ce sujet. 168 Où placer, par exemple, les nombreuses mancie faites à des membres de la « famille » du pape, les unes en argent, les autres en nature ou encore les sommes remises directement à ce dernier pour ses besoins personnels sans qu’il soit toujours spécifié quels étaient ces besoins? Les mancie en nature seraient sans doute assez faciles à caser, mais qu’en serait-il des autres? Autant d’inconnus qui dans bien des cas obligeraient à des choix arbitraires. D’où la décision que nous avons prise de renoncer à nous aventurer sur ce terrain.
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586
LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Mais il nous faut maintenant dépasser cette première vue d’ensemble faite surtout de données statistiques pour atteindre la réalité concrète des dépenses auxquelles les majordomes et les divers officiers sous ses ordres devaient se livrer chaque jour ou presque en vue de répondre aux besoins surtout matériels de la cour. Nous avons déjà traité dans les chapitres IV et VI des provisions ou salaires versés à certains membres de cette cour de même que des mancie dont bénéficiaient bon nombre d’entre eux. Nous y avons également fait état des dépenses liées aux domaines de la liturgie, des loisirs, des soins du corps, de l’entretien du palais apostolique et de ses dépendances, de la protection du pape, enfin des déplacements de ce dernier dans Rome et hors de Rome. Nous ne reviendrons pas ici sinon exceptionnellement sur ces types de dépenses. Notre intérêt ira plutôt à celles touchant de près ou de loin à la « table », domaine qui présente le double intérêt d’être, comme nous l’avons vu, le plus important, et par une très large marge, de tous ceux figurant aux budgets des majordomes des papes de l’époque, mais en même temps celui impliquant le plus grand nombre d’intervenants que ce soit à l’intérieur comme à l’extérieur de la cour, ce qui va nous permettre de voir à l’œuvre la complexe mécanique à laquelle était soumise la gestion financière de cette même cour. Nous avons choisi de nous intéresser en premier lieu aux divers types de denrées figurant communément à la table aussi bien du pape que des membres de sa cour, à l’exception du pain et du vin qui, pour les raisons que nous avons données plus haut, méritent un traitement à part et seront donc considérés en dernier lieu. Un excellent point de départ nous est fourni par un des rares registres de « Spese minute » dont nous disposons pour le XVIe siècle. Il s’agit de celui que nous a laissé le majordome de Paul III, Paolo Girolamo de’ Franchi, pour les deux derniers mois de 1535 et le premier mois de 1536169. Le tableau ci-après nous fournit la liste des divers types de denrées entrées au palais durant le trimestre en question et à quel coût.
169 ASR, Cam. I: 1493. Le registre était sans doute tenu par le dépensier du pape, un certain « Peruccio ». Voir la page-titre. La liste des denrées achetées se trouve au fol. 93.
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587
Le financement de la cour
TABLEAU XII Dépenses de "bouche" à la cour de Paul III novembre 1535 - janvier 1536*
Denrées hors d'oeuvres et entremets
Coûts (en ducats) 194,59
viande
1 767,00
volaille
380,53
poisson
462,29
oeufs
480,00
charcuterie
531,661/2
légumes
92,361/2
fruits
17,621/2
moutarde huile
24,42 122,25
vinaigre
46,38
sel blanc
4,86
eau sucre et épices Total
9,88 216,95 4 460,67
*Sources : ASR, Cam. I : 1493 (Spese minute 1535-1536).
On aura d’abord remarqué la place considérable occupée par les produits carnés: viande, volaille et charcuterie qui représentent à eux seuls 60% des dépenses enregistrées. Le poisson et les œufs figurent aussi en bonne place, mais le fait que la période ici considérée incluait les quatre semaines de l’Avent, temps d’abstinence, permet de penser que les chiffres concernant ces deux produits sont supérieurs à la normale. La somme consacrée à l’achat d’eau paraît, par contre, dérisoire, mais il faudrait savoir à quoi servait cette eau et d’où elle venait, problème complexe auquel il n’y a pas de réponse facile et qu’il vaut mieux donc traiter à part, ce que nous ferons un peu plus loin. Mais auprès de quels fournisseurs achetait-on ces divers produits? Un registre de Mandati Camerali de l’année 1536 nous fournit les noms d’un certain nombre d’entre eux dont le boucher (« macellaro »), Mo Marino, le poissonnier (« pescivendolo »), Mo Julio, le charcutier (« pizzicarolo »), Mo Vicenzo, le marchand de volailles (« gallinaro »), Mo Berto, le moutardier (« mustardaro »), Mo Giovanni qui, notons-le au passage, fournissait outre la moutarde des condiments de diverses autres saveurs (« altri
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588
LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
sapori »)170. Mais il y avait aussi le marchand de légumes (« herbarolo »), le marchand de fruits (« fruttarolo »), le marchand d’huile (« oliero ») et l’apothicaire (« spetiale ») dont malheureusement nous ne connaissons pas les noms. Peut-être est-il bon de préciser ici que le boucher était le fournisseur de viandes bovines et ovines surtout, le charcutier, pour sa part, l’étant de viandes salées, de saucisson, de fromage et de beurre, voire de fruits de mer171. Quant au sucre et aux épices, c’était là, nous l’avons vu au chapitre précédent, la spécialité de l’apothicaire. Mais revenons à notre tableau. Faute de registres de « Spese minute » postérieurs à 1536, il semblerait qu’il nous faille renoncer à comparer les données dudit tableau avec celles que nous fournissent les livres de comptes des majordomes d’un Grégoire XIII, d’un Sixte V et d’un Clément VIII, les livres de comptes en question ne comportant que le détail des achats faits auprès des bouchers, charcutiers, marchands de volailles et poissonniers. Autre difficulté: ces mêmes livres de comptes couvrent toute une année, alors que le registre de 1535-1536 n’est que trimestriel. Mais le fait que les quatre produits sélectionnés par les majordomes de Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII représentent, comme nous venons de le constater, pain et vin non compris, le gros des produits consommés à l’époque à la cour pontificale, rend tout à fait possible une mise en regard de ces diverses listes, à la condition toutefois que nous nous en tenions aux trois mois couverts par le majordome de Paul III. C’est ce que fait le tableau qui suit. TABLEAU XIII Achats comparés de certaines denrées de base servant d'alliments aux cours de Paul III, Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII *
denrées
Paul III
Grégoire XIII
Sixte V
Clément VIII 48,09
viande
1 767 (2 503)
3 083,87
47,19
volaille
380,53 (506)
870,44
130,96
135,2
charcuterie
531,661/2(706)
584,32
59,43
49,07
poisson
462,29 (613)
388,33
10,46
10,5
3 141,49 (4 328)
4 926,96
248,04
242,86
Total
*Sources : ASR, Cam. I : 1493, fol. 93. Ibid., Cam. I : 1351, fol. 83-84v, 96-97v; 111v-112v. Ibid., Cam. I : 1360, fol. 46rv, 55v-56r. Ibid., Cam. I : 1361, fol. 16r. Ibid., Cam. I : 1367, fol. 2r et suiv. Les sommes indiquées sont en écus. Pour ce qui est de Paul III, on trouve, entre parenthèses, l’équivalent en écus des sommes qui à l’origine étaient en ducats. Il s’agit donc dans chaque cas d’achats couvrant les trois mêmes mois, soit novembre, décembre et janvier.
Ibid., Cam. I: 869, fol. 134v-135r. Voir, à ce sujet, Ibid., Cam. I: 1351, passim. Il s’agit du livre de comptes tenu par Claudio Gonzaga, majordome de Grégoire XIII. 170 171
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Le financement de la cour
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Notre tableau est, à première vue, des plus déconcertants. Et pour cause. Si les données fournies par les majordomes de Paul III et de Grégoire XIII ont, une fois les premières converties en écus et en écus constants, un indéniable air de parenté, celles provenant des majordomes de Sixte V et de Clément VIII n’en ont pratiquement aucun. C’est qu’elles appartiennent à un tout autre univers relevant d’une tout autre logique, à savoir celle qui avait poussé Sixte V à remplacer le companatico en nature par le companatico en argent, pour les raisons que l’on sait, et qu’adoptera à son tour Clément VIII, pour les mêmes raisons sans doute. Nous avons ici un autre exemple, et peut-être le plus frappant, de ce que nous avons appelé au chapitre IV la bureaucratisation de la cour et des conséquences que cela allait avoir sur le mode de financement de cette dernière. Chose certaine, les fournisseurs de l’un et l’autre de ces papes devaient amèrement regretter le bon vieux système du companatico en nature qui était pour eux considérablement plus avantageux. Mo Marino, boucher attitré de la cour au temps de Paul III devait arborer en 1535-1536 un plus large sourire de contentement que son homologue Mo Nicolò, à partir de 1585 au service des cours de Sixte V et de Clément VIII172. Il nous reste à considérer les dépenses de loin les plus importantes auxquelles devait faire face l’intendance du palais apostolique au XVIe siècle, soit celles concernant l’approvisionnement en pain et en vin de ses habitants, pape en tête. Mais avant d’aborder ce sujet financièrement et administrativement parlant d’un très grand intérêt, il importe que nous prenions en considération, même s’il paraît à première vue d’assez peu d’importance, le complexe problème évoqué plus haut du ravitaillement en eau potable de la cour pontificale, Il faut tout d’abord savoir que les nombreux aqueducs construits par les empereurs romains pour subvenir aux besoins en eau d’une ville qui comptait à un certain moment un million d’habitants étaient au fil des siècles tombés en désuétude et que lorsque la papauté réintégrera Rome après le Grand Schisme il fallut assez rapidement songer à fournir en eau, en eau potable surtout, une population qui, jusque-là, se contentait de l’eau des puits et citernes dont une partie d’entre elle disposait ou encore, tout simplement, de l’eau du Tibre. Or la qualité de ces eaux laissait dans plusieurs cas à désirer. Aussi tard qu’en 1566 on attribuera à la corruption de l’eau des puits situés dans les rioni Colonna, Trevi et Campo Marzo l’épidémie de typhus qui s’était répandue dans toute la ville173. Nicolas V entreprit de restaurer un premier aqueduc, l’Acqua Vergine qui au temps de la Rome antique amenait l’eau, et une excellente 172 173
Ibid., Cam. I: 1362, fol. 8r et 1367, fol. 2r. Delumeau, Vie économique cit., I, p. 329.
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eau, jusqu’au Panthéon. Il réussit donc, pour sa part, à l’acheminer jusqu’au pied du Quirinal où il fit aménager une fontaine plus tard connue sous le nom de Trevi. Sixte IV dut reprendre ces travaux qui n’avaient pas donné les résultats escomptés et, plus tard, Léon X et Paul III devront intervenir à leur tour. Mais la distribution de l’eau restait précaire. Paul III élabora alors un projet visant à répondre aux besoins de tous les secteurs de la ville. Mais c’est sous Pie IV, Pie V et Grégoire XIII que se réalisera, du moins en partie, le projet en question qui permettra de fournir en eau potable toute la ville basse, c’est-à-dire les zones les plus habitées de la ville. Mais cette dernière continuait à s’étendre et Grégoire XIII mettra sur pied un nouveau projet visant cette fois à restaurer un autre aqueduc romain, l’Acqua Claudia qui avait sa source près de Subiaco. Il appartiendra à Sixte V de le mener à bien. La ville haute sera désormais elle aussi approvisionnée en eau potable. En 1586, c’était déjà chose faite grâce à la ténacité du pape Peretti. Ainsi l’Acqua Claudia sera-t-elle dorénavant connue sous le nom d’Acqua Felice. En 1593, l’aqueduc en question traversera le Tibre pour aller desservir le Transtevère. Toute la ville avait désormais accès à de l’eau potable à l’exception toutefois du Vatican qui devra attendre jusqu’au début du XVIIe siècle pour être raccordé à l’Acqua Paola que le pape du même nom avait fait venir de Bracciano174. Durant tout le XVIe siècle, le palais apostolique n’eut donc pas d’autre choix que de s’approvisionner en eau potable à même le Tibre, comme le faisait une grande partie de la population de la ville jusqu’au moment où elle eut accès à l’Acqua Vergine. Non pas qu’il était impossible de trouver sur place de l’eau –– depuis au moins le XIIIe siècle les papes avaient aménagé à proximité de leur résidence vaticane des jardins, plus tard des fontaines et réussi à trouver dans un cas comme dans l’autre l’eau nécessaire175 –– mais cette eau qui provenait de puits et de citernes aménagés à cet effet n’était sans doute pas de la meilleure qualité et donc probablement impropre à la consommation. D’où le besoin de recourir aux acquarenari ou marchands d’eau176 qui allaient durant la majeure partie du XVIe siècle fournir l’eau potable dont le palais apostolique avait besoin. Nous avons fait état plus haut d’achats d’eau potable faits entre novembre 1535 et janvier 1536 par le majordome du pape Paul III au coût de 9,88 ducats. Il s’agit là de fait de la seule preuve que nous ayons de tels achats avant le dernier tiers du XVIe siècle, la raison en étant, comme nous 174 Sur tout ce développement, voir ibid., p. 327-339. Voir aussi A. Campitelli, I Giardini Vaticani, p. 126-128. 175 Ibid., p. 12, 16, 18, 20-22, 67, 84. 176 Delumeau, Vie économique cit., I, p. 327.
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avons plusieurs fois été à même de le constater, que peu, très peu même de registres ou de livres de comptes antérieurs à cette période sont parvenus jusqu’à nous. Et, encore, est-il bon de le rappeler, sont-ils souvent lacunaires. Il nous faut donc attendre le pontificat de Grégoire XIII pour être en mesure de savoir d’où venait cette eau, qui en faisait la livraison, où et de quelle façon elle était conservée, mais aussi ce que cela représentait quantitativement et financièrement parlant. Il faut tout d’abord préciser qu’au sens strict les majordomes n’achetaient pas l’eau qu’ils faisaient livrer au palais apostolique177: ils se limitaient à en défrayer le coût de transport, d’où sans doute le peu de place qu’occupait cette dépense dans leurs bilans annuels. Cette précision faite, que nous apprennent à ce sujet les livres de comptes de Grégoire XIII et de ses successeurs? Tout d’abord que l’eau transportée au palais provient bel et bien du Tibre –– on parle chaque fois d’« acqua del fiume »178 ––; d’autre part, que les livraisons en question ne se font que certains mois de l’année: mars, avril, juillet, août, septembre et décembre chez Grégoire XIII; qu’enfin, aussi bien chez ce dernier que chez Sixte V, a lieu deux fois l’an le transport groupé de grandes quantités d’eau qui sont aussitôt stockées dans le grand réservoir (« conserva grande ») du palais179. Regardons-y de plus près. Chez Grégoire XIII, en juillet 1578, ce sont 6 160 some d’eau du Tibre qui arrivent au palais et, en avril 1579, 5875 au coût de 77 et 81 écus respectivement180. Les autres mois ne représentent au total qu’une dépense de 25 écus181. Ce qui nous donne en tout et partout 14.035 some pour la période allant de juillet 1578 à juin 1579, donc en moyenne 38,40 some ou 6297,60 litres par jour. Si l’on répartit ce volume sur les quelque 600 membres que pouvait compter à l’époque la cour de Grégoire XIII, on arrive à une moyenne brute de 10,41 litres par tête par jour182. Bien évidemment, cette eau ne servait pas qu’à étancher la soif des habitants du palais: elle était affectée à 177 L’eau étant une ressource naturelle, surtout celle venant des cours d’eau publics tels, à Rome, le Tibre, elle ne pouvait faire l’objet au sens strict de vente, bien qu’on pût fixer certaines limites à la quantité que chaque utilisateur ou fournisseur tirait desdits cours d’eau durant une période donnée. Mais on voit mal comment le pape aurait pu être soumis à de telles restrictions. Et pour cause. 178 ASR, Cam. I: 1358, fol. 5r. 179 Ibid. Il est intéressant de noter que c’est au préposé au fourrage, assisté des acquiféraires (« acquaroli ») du palais qu’il appartenait de transporter à leur tour cette eau dans le réservoir en question. Sans doute ces mêmes acquiféraires avaient-ils ensuite la responsabilité de distribuer chaque jour la quantité d’eau requise dans les divers secteurs du palais, notamment à la « chambre », c’est-à-dire les appartements privés du pape. 180 BAV, Introiti ed esiti 1, fol. 50r, 171r. 181 Ibid., fol. 65v, 78r, 119r, 156v. 182 Au sujet des effectifs de la cour de Grégoire XIII, voir chap. IV, note 15.
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beaucoup d’autres usages de nature aussi bien alimentaire, hygiénique que protocolaire, voire liturgique. La quantité d’eau potable à laquelle avaient chaque jour accès le pape et sa « famille » n’en reste pas moins impressionnante. Aussi surprenant que cela, à première vue du moins, puisse paraître, Sixte V ne se montrera pas moins prodigue à ce chapitre. En effet, en 1589 il fait livrer au palais apostolique 10.264 some d’eau du Tibre à un coût de 128,30 écus183, soit en moyenne 25,65 some ou 4266,60 litres par jour. Mais comme sa cour compte tout au plus 400 membres, cela représente de fait une moyenne brute quotidienne de 10,66 litres par tête, soit une quantité d’eau potable ne le cédant en rien à celle dont pouvaient se prévaloir les membres de la cour de son prédécesseur. Sixte V avait réussi à réduire considérablement le coût d’entretien de sa « famille », mais il était des denrées essentielles sur lesquelles il ne pouvait lésiner et, manifestement, l’eau en était une à l’égal, rappelons-le, du pain et du vin dont il a déjà été et sera de nouveau question plus loin. Pour ce qui est de Clément VIII, les livres de comptes de ses majordomes font état de livraisons d’eau du Tibre atteignant les 11.450 some en 1594 et 11.800 en 1595 au coût de 229 et 236 écus respectivement, les entrées des autres années étant à peu près du même ordre avec des quantités variant entre 9000 et 11.000 some pour une dépense moyenne annuelle de 202 écus. Répartis sur les quelque 750 membres que pouvait compter la cour de Clément VIII, les 11.500 some de 1594 représentent une moyenne quotidienne d’environ 7,33 litres par personne184. Moyenne, on l’aura remarqué, de quelque trois litres inférieure à celle des cours de Grégoire XIII et Sixte V. Comment expliquer ce décalage? Peut-être par le simple fait que Clément VIII passait plus de temps que Grégoire XIII et Sixte V hors du Vatican, à Monte Cavallo en particulier –– il y séjournera six mois en 1594185 –– où il était sans doute comme eux attiré surtout l’été par la qualité de l’air de loin supérieure à celle du Vatican et, en plus, dans son cas, par l’exceptionnelle qualité de l’eau qu’on y trouvait, c’est-à dire l’Acqua Felice dont Sixte V avait gratifié ce lieu et, par le fait même, le palais qu’il s’y ASR, Cam. I: 1361, fol. 70v. Ibid., Cam. I: 1362, fol. 25r. BAV, Introiti ed esiti 15, fol. 62r; 16, fol. 47v; 17, fol. 58r; 18, fol, 45r; 19, fol. 57v; 21, fol. 67v; 24, fol. 57; 25, fol. 53r; 27, fol. 24v; 30, fol. 62v, 110v; 31, fol. 60v, 142r. 185 ASV, Fondo Borghese I: 764, fol. 191rv, 192r, 194v, 197r, 202v, 271v, 273v, 274rv, 275v, 278v. Toutefois, entre le 27 juillet et le 22 août, le pape se réfugiera au palais Colonna pour fuir les chaleurs devenues insupportables même au Quirinal. Ibid., fol. 272rv, 273v. En 1595, il sera de nouveau au Quirinal du début juin à la fin octobre, soit durant cinq mois. Ibid., fol. 402v, 414r, 419v-420r, 433v, 455rv, 458r-459r, 460, 464v-466r. Il en sera de même, à ce qu’il semble, au cours des années qui suivirent. Cf. Menniti Ippoliti, I papi al Quirinale cit., p. 52. 183 184
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était fait construire et dont Clément VIII n’était que trop heureux de titrer profit, l’été surtout. Chose certaine, en ce qui concerne l’eau en particulier, on est en droit de penser que les membres de sa cour comme lui-même d’ailleurs devaient préférer de loin l’Acqua Felice à la plus que douteuse « acqua di fiume » dont ils devaient se contenter au Vatican. Nous venons de voir que les commandes d’eau potable assurées par l’intendance des cours de Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII se distinguaient de la plupart des autres papes du fait qu’elles consistaient surtout sinon exclusivement –– chez un Sixte V et un Clément VIII, par exemple –– en achats groupés bisannuels. Les deux seuls autres cas où l’on voit les majordomes adopter, pour une bonne part du moins, cette formule concernent des denrées estimées elles aussi de première nécessité, sont le pain et le vin, et c’est à elles que nous voudrions maintenant nous intéresser de plus près, non seulement en raison de la place considérable qu’elles occupaient dans les bilans dressés par les majordomes des papes de l’époque, mais également en ce qu’elles sont en mesure de nous apprendre sur les circuits financiers et autres qu’elles devaient emprunter, sous forme de blé dans le cas de la première de ces denrées, pour arriver jusqu’aux caves et réserves du palais apostolique. Que nous disent à ce propos les sources dont nous disposons et auxquelles nous avons eu recours jusqu’ici, en ce qui concerne le blé, tout d’abord, qui, nous l’avons vu, ne servait pas qu’à la fabrication du pain, mais dont c’était là tout de même la destination première? Quelques indices, pour commencer, tirés, eux, de la maigre documentation qui nous reste pour la période antérieure au pontificat de Grégoire XIII. En novembre et décembre 1501, le majordome d’Alexandre VI achète pour les besoins de la cour 2161 ducats de blé186. En décembre 1505, c’est 1105 ducats que celui de Jules II débourse à cette même fin187. Il s’agit là de sommes importantes, mais ne représentant sans doute qu’une partie des achats de ce type. Le registre de « Spese minute » de 1535-1536 qui nous a fourni plus haut des données chiffrées intéressantes concernant les dépenses de « bouche » de la cour de Paul III fait état d’achats de blé pour un montant de 1120 ducats durant le trimestre que couvre le registre en question188, ce qui correspond à près de 14% de toutes lesdites dépenses189. Quant au livre de comptes du majordome Archilegi qui est, lui, de 1538, il nous apprend que d’août à décembre, 3520 ducats ont servi à l’achat de blé, soit 20% du budget affecté durant cette même période à l’alimenta ASR, Cam. I: 1484, fol. 206v, 230rv. Ce blé a été acheté en grande partie à Corneto. Ibid., Cam. I: 1487, fol. 248r, 249v, 252v. 188 Ibid., Cam. I: 1493, fol. 93a. 189 Ces dépenses totalisent en effet, blé et vin compris, 8212 ducats. Ibid. 186 187
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tion190. Les sommes consacrées chaque mois à ce poste étant toujours à peu près du même ordre dans les divers cas dont il a été jusqu’ici fait mention, on est en droit de penser que le blé ne faisait pas encore à l‘époque l’objet d’achats groupés191. Tout autre la situation à partir du pontificat de Grégoire XIII. Le premier bilan dont nous disposons, soit celui dressé par le majordome Fantino Petrignani pour l’année 1576-1577, se distingue déjà par les hauts et les bas de la courbe des achats faits de mois en mois, cela pouvant aller d’un minimum de 280 à un maximum de 2567 écus192. Mais ce n’est là que le premier indice de changements importants en cours. Dans le livre de comptes de 1578-1579 tenu par Claudio Gonzaga on découvre tout à coup l’achat en mars de 1000 rubbia de blé au coût de 5440 écus, soit 34% de tout le blé acheté cette année-là193. Même cas de figure chez le successeur de Gonzaga, Alessandro Musotti qui inscrit en décembre 1581 un achat de 1010 rubbia de blé au coût de 6060 écus, soit 38% des sommes dépensées à ce chapitre pour l’année en cours194. Comme on pouvait s’y attendre, Sixte V ne sera pas de reste et ira même jusqu’au bout de cette logique. À preuve, les livres de comptes de son majordome, Marzio Frangipani, nous apprennent que, pour l’année 1588, 5052 écus ont été affectés à l’achat de blé, mais que 85% de cette somme, soit 4319 écus, l’a été sous forme d’achats groupés faits en juillet et août195. Sous Clément VIII, on semble être revenu à l’ancienne formule, comme permet de le constater un livre de comptes de Fabio Biondi, dernier majordome dudit pape. Certes les sommes impliquées sont-elles beaucoup plus importantes qu’au temps de Sixte V, soit au total, 26.365 écus pour l’année 1604, ce qui ne nous surprend guère, compte tenu des dimensions de la cour de Clément VIII et du côté dépensier de ce dernier, mais, 190 Ibid., Cam. I: 1349, fol. 37r, 65r, 95r, 126r, 155r. La dépense totale de « bouche » pour ces cinq mois s’élève à 17.718 ducats. 191 Cette hypothèse semble confirmée par un certain nombre d’entrées des registres de Mandati camerali couvrant les années 1539 et 1546. On y trouve en effet mention de divers achats de blé faits par le majordome de Paul III, en l’occurrence Alessandro Guidiccioni, le 29 octobre 1539, 300 rubbia; le 28 janvier et le 12 février 1540, 100 rubbia chaque fois. Ces achats se font par l’intermédiaire des marchands-banquiers Cavalcanti, Giraldo et Olivieri « Romanam curiam sequentes ». Ibid., Cam. I: 870, fol. 325r; 871, fol. 191v et 329v. 192 Ibid., Cam. I: 1350, fol. 54v, 66r, 77v, 92v, 106r, 120v, 135v, 147v, 160v, 175v, 192r, 206v. Le minimum se situe en novembre; le maximum, en février. 193 BAV, Introiti ed esiti 1, fol. 157r. Le total des dépenses en la matière a été calculé à partir de bilans mensuels. Ibid., fol. 43r, 57v, 72r, 86r, 97r, 113r, 138r, 163v, 172v, 192v. 194 ASR, Cam. I: 1352, fol. 92r. Pour la dépense totale de l’année, voir Ibid., fol. 34v, 45r, 55r, 64v, 76v, 87r, 98v, 110r, 121r, 130v, 144v, 158v. 195 Ibid., Cam. I: 1359, fol. 16v, 20v, 36r, 46v, 58r, 69v. Ibid., Cam. I: 1360, fol. 16r, 26r, 35v, 44v, 54r, 63v. Pour ce qui est des achats groupés, voir Ibid., fol. 19r, 28v.
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ce qui frappe le plus, c’est que ces sommes sont étalées sur l’ensemble de l’année et, cela, à l’intérieur d’une fourchette oscillant entre 1035 écus au minimum et 3800 au maximum, soit en moyenne 2197 écus par mois196. On trouve d’ailleurs à peu près ce même type d’étalement en 1597197. Ce qui ne veut en rien dire qu’on ne se permettait pas à l’occasion de gros achats. Ainsi, le 16 janvier 1597, acquiert-on 76 rubbia de blé au coût de 912 écus et, le 4 février suivant, 140 rubbia supplémentaires au coût cette fois de 1680 écus198. Mais ces types d’achats s’échelonnent de fait tout au long de l’année en alternance avec d’autres plus modestes au gré sans doute de ce que chaque majordome estimait être de mois en mois les besoins de la cour199. Bien qu’on semblait être revenu à la formule initiale, le but poursuivi n’en restait pas moins toujours le même, soit d’assurer le plus adéquatement possible l’approvisionnement en pain du palais apostolique. Mais qu’en était-il des intermédiaires, fournisseurs et autres, auxquels on avait recours en vue d’assurer en tout temps l’approvisionnement en question? Jusqu’au pontificat de Paul III, le seul indice que nous ayons à ce sujet est une entrée du dépensier d’Alexandre VI à l’effet que le blé acheté en novembre et décembre 1501 au coût de 2161 ducats provient de Corneto, donc de l’agro romano, ce qui permet de penser que le fournisseur était, dans ce cas, un des grands propriétaires de la région, propriétaires qui, à l’époque, servaient très souvent d’intermédiaires entre les paysans producteurs de grain et le marché de Rome, cour pontificale y comprise200. En 1539, 1540 et 1542, donc au temps de Paul III, nous découvrons que l’approvisionnement en blé de la cour est assuré par un consortium de marchands-banquiers réunissant Tommaso Cavalcanti, Giovanni Giraldo et Benvenuto Olivieri201. S’agit-il de BAV, Introiti ed esiti 32, fol. 20v, 32r, 43v, 56v, 68r, 79v, 91r, 102v, 114r, 128r, 140v, 152v. ASR, Cam. I: 1367, fol. 2r-17v. La fourchette se situe cette fois entre 1000 et 3000 écus pour une moyenne de 1695 écus par mois. 198 Ibid., fol. 2v, 3r. 199 Ainsi, le jour même où Giovanni Matteo da Mazzara reçoit 912 écus pour avoir fourni à l’intendance du palais apostolique 76 rubbia de blé, Papirio Alvero et Giovan Battista Alessi se voient remettre 60 écus chacun pour les cinq rubbia qu’ils ont l’un et l’autre, pour leur part, fournis. Ibid., fol. 2v. 200 Jean Delumeau signale que la maremme du Patrimonio, en particulier autour de Corneto-Tarquinia, était à l’époque le « grenier à blé » de Rome. Vie économique cit., II, p. 536. Il souligne par ailleurs le fait que les grands propriétaires terriens, dits « barons romains », contraignaient souvent, sous toutes sortes de prétextes, les paysans en question à leur vendre le produit de leurs récoltes qu’ils revendaient ensuite beaucoup plus cher, surtout lorsque le grain commençait à manquer à Rome. Jules II, Léon X et Clément VII tenteront sans succès de les en empêcher. Ibid., p. 567-568. 201 ASR, Cam. I: 870, fol. 325r; Ibid., Cam. I: 871, fol. 191v, 329v; Ibid., Cam. I: 875, fol. 161v. À noter que ces marchands sont payés directement par la Chambre Apostolique qui 196
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simples intermédiaires entre les grands propriétaires dont nous venons de parler et l’intendance de la cour ou, comme ce sera le cas plus tard, de mercanti di campagna, c’est-à-dire d’hommes d’affaires qui prenaient à ferme les grands domaines de ces mêmes propriétaires202? Nous ne saurions le dire. Chose certaine, les majordomes des papes de l’époque ne faisaient pas directement affaire avec les producteurs de blé, que ce soit du Patrimonio ou d’ailleurs: ils se contentaient de passer chaque fois qu’ils le jugeaient nécessaire des commandes aux fournisseurs désignés par la Chambre Apostolique, laissant, par ailleurs, à celle-ci le soin de les rémunérer. Ce qui représentait pour eux l’immense avantage en période de disette notamment –– et elles seront passablement nombreuses à Rome durant le XVIe siècle203 –– de pouvoir à tout moment compter sur ladite Chambre qui avait parmi ses nombreuses attributions celle d’assurer le ravitaillement de la ville et donc, a fortiori, celui de la cour pontificale en ce qui concernait surtout le blé204. Elle fut d’ailleurs sans doute la première à profiter des nombreuses importations de grain faites sur ordre du pape ou du cardinal camerlingue tout au long du XVIe siècle, dont certains de pays lointains, pour parer aux disettes en question205, mais sans doute aussi aux troubles sociaux auxquels elles pouvaient donner lieu206. Sous Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII, il semble bien qu’on en soit toujours à cette même formule avec cette particularité toutefois que les achats de blé, surtout les achats groupés, se font désormais auprès de commerçants qui ne sont plus que de simples fournisseurs, mais des investisseurs, voire des spéculateurs qui possèdent parfois eux-mêmes à Rome, à l’instar de la Chambre Apostolique des entrepôts appelés « greniers » (granari) où ils stockent de grandes quantités de grain qu’ils espèrent bien évidemment vendre au meilleur prix possible. Ainsi les 1000 rubbia de blé que le majordome de Sixte V, Marzio Frangipani, achète en août 1587 au coût de 5900 écus de Jacomo Catalano proviennent-ils du « grenier » que ce dernier possède dans le Transtevère207. Que dire, par ailleurs, de Filippo Guicciardini, banquier florentin très impliqué à l’époque dans le commerce du grain, qui, tout trésorier « secret » de Clément VIII qu’il soit, fournit en février 1597 à la cour de ce dernier, de concert avec son associé, Lorenzo Cavalcanti, 140 rubbia de blé au coût de 1680 écus208? Cas on ne leur a remis à cet effet une avance de 10.000 ducats. Ibid. Cam. I: 879, fol. 325r. 202 Delumeau, Vie économique cit., I, p. 481-482; II, p. 570-571. 203 Ibid., II, p. 598-625. 204 Ibid., p. 599-602. 205 Ibid., p. 626-649. 206 Ibid., p. 622-624. 207 ASR, Cam. I: 1358, fol. 16r. 208 Ibid., Cam. I: 1367, fol. 3r.
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peut plus flagrant de conflit d’intérêt dont nous avons d’ailleurs fait état plus haut, mais qu’importait cette « irrégularité » à Ercole Tassone, majordome alors en fonction, puisque grâce à ce collègue, d’ailleurs lié de près au pape et à la Chambre Apostolique, l’approvisionnement en blé de la cour était assuré d’une année et d’un mois à l’autre, quoi qu’il en soit des fluctuations du marché. Ce que nous a appris jusqu’ici la documentation exploitée concernant le blé acquis bon an mal an pour les besoins de la cour pontificale, c’est qu’il ne s’agissait pas là d’une « menue dépense » et que, par conséquent, il avait fallu dans ce cas mettre au point une formule ad hoc, formule qui consistera finalement en une prise en charge par la Chambre Apostolique et du choix et de la rémunération des fournisseurs en grain du palais apostolique. En était-il de même en ce qui concernait le vin? C’est la question à laquelle nous voudrions maintenant tenter de répondre. Disons dès l’abord que nous avons dans le cas du vin la chance d’être beaucoup mieux servis par les sources à notre disposition. C’est que, dans le cas du blé, on ne se préoccupait pas tellement de savoir d’où il venait et de quel type ou variété il était: l’important était qu’il soit d’une qualité répondant aux attentes et aux besoins d’une cour telle que la cour pontificale. Il n’en allait pas de même pour le vin qui, lui, produit de terroir et objet de longues et, parfois, complexes élaborations, se déclinait au pluriel en fonction du cépage utilisé, mais aussi et peut-être surtout du soin mis à en tirer le meilleur parti possible. Cela obligeait à des choix tant de la part des acheteurs que des consommateurs, choix qui supposaient, eux, de bonnes connaissances en matière viticole, pour ne pas dire œnologique. Dans toute maison digne de ce nom, on n’achetait pas du vin: on achetait telle ou telle sorte de vin en fonction des besoins ou des préférences du maître tout d’abord, puis de sa « famille », besoins et surtout préférences qui n’étaient habituellement pas les mêmes de part et d’autre. Comment ne pas rappeler à ce propos qu’à la cour pontificale il y avait deux caves à vin: la « secrète » réservée au pape, la « commune » destinée à la « famille ». La première, bien évidemment, comme nous avons été à même de le constater dans notre chapitre précédent, accueillait des crus de qualité supérieure et donc beaucoup plus dispendieux, sans compter que certains venaient de loin, souvent par voie de mer, ce qui ajoutait considérablement au coût des vins en question. La seconde abritait des crus de bien moindre qualité, mais comme elle était appelée à fournir chaque jour la parte à tous les membres de la cour, elle était quantitativement parlant beaucoup plus importante. D’où la place dominante occupée par le vin –– un poste lui était d’ailleurs exclusivement consacré dans les budgets de la cour.
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Dans le registre de « Spese minute » de 1535-1536, il représente déjà 32% de toutes les dépenses de « bouche » contre –– nous l’avons vu plus haut –– 14% pour le blé209. Le livre de comptes du majordome Archilegi, beaucoup plus complet et portant sur une plus longue période, permet de constater qu’en 1538 ce n’est plus de 32, mais de 36% qu’il faut parler dans le cas du vin contre 20% dans celui du blé210. À première vue, on pourrait être tenté de croire que ces données couvrant, dans le premier cas, trois, dans le second, cinq mois, ne peuvent d’aucune façon être aussi fiables que celles fournies par les majordomes d’un Grégoire XIII, d’un Sixte V et d’un Clément VIII qui, elles, ont le net avantage de porter sur des années entières, mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’en est rien, comme le montrent les quelques exemples qui suivent, tirés des livres de comptes des majordomes en question. Ainsi, pour l’année 1576-1577, à la cour de Grégoire XIII, les sommes consacrées à l’achat de vin représentent 38% de toutes les dépenses de « bouche » contre 18,5% pour le blé211. Quatre années plus tard, à cette même cour, la part du vin passe à 35,5% et celle du froment à 22%212. À eux deux, vin et blé constituent donc, dans le premier cas, 56,5%, dans le second, 57,5% de toutes les dépenses relevant de l’alimentaire. À peu de choses près, nous en sommes toujours dans les mêmes ordres de grandeur qu’au temps de Paul III. Il en va de même sous Sixte V avec, il est vrai, un sommet cumulatif de 64% en 1586-1587213, mais suivi deux années plus tard par un 58% sans surprise214. Pour ce qui est de Clément VIII, le fait que le ratio tombe à quelque 50%, comme c’est le cas en 1593-1594215, peut à première vue étonner, surtout en regard des 64% et 58% de son prédécesseur, le pape Peretti, mais il faut ici tenir compte du fait qu’il affectait beaucoup plus d’argent que ce dernier à sa propre « table » comme à celle de sa « famille », companatico en argent y compris, ce qui diminuait d’autant la part réservée au blé et au vin dans les sommes que ses majordomes Ibid., Cam. I: 1492, fol. 93a. Ibid., Cam. I: 1349, fol. 37r, 65r, 95r, 126r, 155r. 211 Ibid., Cam. I: 1350, fol. 41r, 54v, 66r, 77v, 92v, 106r, 120v, 135v, 147v, 160v, 192r, 206v. Au total les dépenses de « bouche » s’élèvent à 54.139 écus. 212 Ibid., Cam. I: 1352, fol. 34v, 45r, 55r, 64v, 76v, 87r, 98v, 110r, 121r, 130v, 144v, 158v. Les dépenses de « bouche » sont en 1581-82 de l’ordre de 80.442 écus. 213 Soit 34% pour le vin et 30% pour le blé. Au total les dépenses de « bouche » s’élèvent à 29.068 écus. ASR, Cam. I: 1355, fol. 45r, 56v, 67v, 78v, 89r. Ibid., Cam. I: 1356, fol. 29r, 40v, 54v, 64r. Ibid., Cam. I: 1357, fol. 15r, 24v, 34v.. 214 Soit 40% pour le vin et 18% pour le blé. Les dépenses de « bouche » totalisent 141.313 écus. ASR, Cam. I: 1359, fol. 46v, 58r, 69v. Ibid., Cam. I: 1360, fol. 16r, 26r, 35v, 44v, 54r, 63v. Ibid., Cam. I: 1361, fol. 23v, 32v, 42r. 215 Soit 27% pour le vin et 23% pour le blé. Le total de ces dépenses de « bouche » s’élève à 73.465 écus, soit cinq fois ce qu’il en était en 1588-1589 à la cour de Sixte V. BAV, Introiti ed esiti 12, fol. 26r, 41r, 55r, 71r, 88r, 104v. Ibid., Introiti ed esiti 14, fol. 16r, 32v, 61v, 77r, 90v 209 210
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consacraient à l’alimentaire. Il suffit de comptabiliser ce que cette part représente en chiffres absolus pour constater qu’il ne le cédait en rien à ce chapitre à son homologue Sixte V, pour ce qui était du vin en particulier216. Chose certaine, le vin occupait une place à part dans les bilans dressés par les majordomes des papes du XVIe siècle, cela pouvant aller de 27 à 40% de toutes leurs dépenses de « bouche », comme en font foi les bilans en question217. Mais comment et où se faisaient les achats de cette denrée prisée entre toutes et par quels circuits parvenait-elle jusqu’aux caves du palais apostolique? Autant de questions auxquelles il nous faut maintenant tenter de répondre comme nous l’avons fait en ce qui concerne l’eau et le blé, eux aussi produits de première nécessité. Les données éparses que nous fournissent les quelques registres ou livres de comptes parvenus jusqu’à nous pour la période précédant le pontificat de Grégoire XIII nous permettent de constater que, d’un pape à l’autre, du moins pour ce qui en est de la cave qui leur était réservée, les achats se font souvent en fonction des préférences, voire des caprices de chacun d’entre eux. Cela peut vouloir dire, pour un Alexandre VI, par exemple, l’achat en janvier 1494, au coût de 25 ducats, de six bottes de vin de Valence218, sa terre natale, ou, pour un Jules II, les 1823 ducats consacrés en 1505 à l’acquisition de vins corses, peu prisés pour certains à l’époque, mais qui visiblement avaient sa faveur219, ou encore, pour un Paul III, l’achat, à prix forts, de crus des environs de Rome (« romanesco ») ou de la Toscane (« Montepulciano ») destinés exclusivement à sa table220. Et cela vaut aussi pour un Grégoire XIII, un Sixte V et un Clément VIII comme nous le verrons plus loin. Mais, Jules II mis à part, force est de constater que les achats de vin faits en réponses aux besoins des papes et de leurs caves tout au long du 216 Alors que Sixte V affecte, en 1586-1587, 13.570 et, en 1588-1589, 11.044 écus à l’achat de vin, Clément VIII, pour sa part, y va en 1593-1594, de 19.845 écus. 217 Nous renvoyons ici aux notes qui précèdent, soit 186, 187 et 188. 218 ASV, Intr. et Exit. 525, fol. 160v. 219 ASR, Cam. I: 1487, fol. 19v, 20v, 28r, 43r, 57r, 58v, 77r, 96r, 115r, 220v, 226r. Au total, 393 bottes, soit 3 147 barils, ont été achetés. Lancerio, sommelier de Paul III, était de ceux qui considéraient les vins corses d’une qualité en général médiocre et donc ne convenant pas à la table du pape (« sono vini de famiglia pur che da Signori »), mais il admettait qu’il y avait quelques crus de qualité que son maître buvait volontiers. Faccioli et al., L’arte della cucina cit., p. 336. Effectivement nous trouvons dans le registre de « Spese minute » de 1535-1536 quelques entrées à cet effet. Ainsi, en novembre 1535, neuf barils de vin corse, achetés au coût de 11,47 ducats entrent-ils dans la cave « secrète ». ASR, Cam. I: 1493, fol. 78. 220 Ainsi, en novembre 1535, fait-il acheter neuf barils de « romanesco » au coût de 13,50 ducats pour sa table (« per la tavola di N. S.re »). Ibid., fol. 27. Le 30 décembre de la même année, son majordome note la présence dans la cave « secrète » de 92 barils de Montepulciano et 68 barils provenant des vignobles appartenant aux Farnèse et valant au total 205,53 ducats, réservés eux aussi au pape (« per la bocca di N. S.re »). Ibid., fol. 65.
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XVIe siècle se font surtout à Naples et concernent principalement les vins dits « grecs » qui étaient à l’époque fort prisés à Rome. C’est déjà le cas au temps d’Alexandre VI. En décembre 1501, son majordome en achète quelque 280 bottes au coût de 1403 ducats221. On est loin des 25 ducats consacrés en 1494 à l’importation de vins aragonais. En ce qui concerne Paul III, même si dans le registre des « Spese minute » de 1535-1536 les vins corses destinés surtout à la cave « commune » occupent quantitativement parlant beaucoup plus de place que les vins « grecs » –– 1488 barils contre 424 au coût de 2 035 et 505 ducats respectivement222 –– en réalité ce sont 3162 ducats qui sont durant cette même période affectés à l’importation de vins « grecs » dont 2657 sous forme d’un achat groupé fait probablement en novembre ou décembre 1535, comme permettent de le constater trois entrées d’un registre de Mandati camerali couvrant les années 15351537223. Une année plus tôt, soit en octobre 1534, le majordome de Paul III avait consacré 2010 ducats à un semblable achat224. Mais, en cela, le pape Farnèse n’innove pas. Son prédécesseur, Clément VII, en fait tout autant. En 1532, à sa demande, la Chambre Apostolique met à la disposition de son majordome, Giuliano Visconti, une somme de 3000 ducats à cette même fin225. Cette pratique semble donc à l’époque déjà aller de soi, ce qui, nous l’avons vu, n’était pas encore le cas pour ce qui était du blé. Elle va se confirmer et atteindre pour ainsi dire un sommet sous Grégoire XIII et Sixte V. En veut-on la preuve? Dans son livre de comptes de 1576-1577, Fantino Petrignani, majordome de Grégoire XIII, enregistre en mai 1577 un déboursé de 16.744 écus pour l’achat groupé de vins napolitains alors que ceux achetés sur place tout au long de l’année ne lui coûtent au total que 3685 écus226. Même cas de figure dans le registre tenu l’année suivante par son successeur Claudio Gonzaga avec cette fois une marge de 21.978 contre 2138 écus seulement227. La commande annuelle de vins « grecs » en provenance de Naples prenait manifestement de plus en plus le pas sur les achats faits à Rome d’un mois à l’autre. Sixte V, comme on pouvait s’y attendre, va pousser encore plus loin la logique de ce modus operandi en réduisant de plus en plus les achats faits sur place. Ainsi, alors que la part de 221 Ibid., Cam. I: 1484, fol. 23r. Déjà, en janvier, il avait fait l’acquisition de cinq bottes de vin de Paola, vin « grec » de bonne réputation et, cela, au coût de 130 florins, soit environ 104 ducats. Ibid., fol. 15rv. 222 Ibid., Cam. I: 1493, fol. 27, 65. 223 Ibid., Cam. I: 869, fol. 6r, 20v, 46v. Que cet achat ne figure pas dans le registre de Spese minute s’explique par le fait que ce dernier ne comptabilisait que les dépenses faites sur place au jour le jour. 224 Ibid., Cam. I: 1492, fol. 2v. 225 Ibid., Cam. I: 866, fol. 15r. 226 Ibid., Cam. I: 1350, fol. 54v, 66r, 92v, 108r, 120v, 135v, 147v, 160v, 175r, 184v, 192r. 227 Ibid., Cam. I: 1351, fol. 49r, 65v, 79r, 90v, 119r, 133r, 164v, 180v.
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ceux faits à Rome est encore en 1586 de 1158 écus contre 15.056 pour ce qui est de ceux en provenance de Naples228, deux années plus tard ces derniers occupent toute la place, mais, notons-le au passage, ne représentent plus qu’un déboursé de 9568 écus229. Clément VIII procédera autrement, comme il l’avait fait d’ailleurs –– est-il besoin de le rappeler –– pour ce qui en était de l’achat de blé et nous verrons plus loin quelle formule il adopta en ce qui concernait le vin. Mais avant d’en arriver là, peut-être serait-il bon que nous nous arrêtions un moment, d’une part, pour examiner les circuits qu’empruntaient les vins destinés au palais apostolique, en particulier ceux en provenance de Naples, d’autre part, pour déterminer, dans la mesure du possible, qui faisait partie de ces circuits et à quel titre. Premier constat: sous Alexandre VI, Jules II et Paul III, plusieurs des vins achetés sur place, en particulier les vins corses, le sont de propriétaires de bateaux qui en assurent tout à la fois le transport et la vente230. Jules II et Paul III nous fournissent d’ailleurs les noms d’un certain nombre d’entre eux231. Ces vins sont achetés de mois en mois en fonction des besoins de la cour et sans doute de ce que les propriétaires des « barques », Corses et autres, avaient à offrir232. C’était manifestement là la façon la moins risquée et peut-être la moins coûteuse de pourvoir le palais apostolique en vin, surtout en vin de consommation courante. Mais il y avait à ces achats pour ainsi dire « à la pièce » un côté « paperassier » qui pouvait à la longue s’avérer onéreux et on peut aisément comprendre qu’assez tôt l’intendance du palais ait songé à des achats groupés annuels ou bisannuels et, cela, d’autant plus que les vins « grecs » étaient fort appréciés à Rome et qu’à Naples, plaque tournante du commerce des vins en question, il était possible de trouver des intermédiaires capables d’assurer à un coût raisonnable l’achat et le transport de grandes quantités de ces crus, en Ibid., Cam. I: 1354, fol. 89r, 95v; 1355, fol. 32r, 45r, 56r, 67r, 88v; 1356, fol. 40v, 54v. Ibid., Cam. I: 1361, fol. 62r. 230 Les sommes qui leur sont versées correspondent d’ailleurs aux prix pratiqués à l’époque par botte ou par baril, prix qui comprenaient sans doute aussi le coût de transport. Pour Jules II, voir Ibid., Cam. I: 1487, fol. 19v, 20v, 28r, 43r, 57r, 58v, 77r, 96r, 115r, 134, 220v, 226r. Pour Paul III, voir Ibid., Cam. I: 1493, fol. 14, 27, 65, 78. 231 Parmi les fournisseurs de Jules II, on trouve un Giuliano, un Simone, un Sebastiano « Gayardo » (Gaillard »), un Giovanni Passano, un Simone di Bastia, tous Corses. Ibid., Cam. I: 1487, fol.28r, 43r, 57r, 58v, 77r, 220v. Mais on trouve aussi un Carlo « Copula », fournisseur, lui, de vins « grecs ». Ibid., fol. 79r. Parmi ceux de Paul III, sont mentionnés un Gregorio di Levante, un Francesco di Cane, un Pasqualino, un Gregorio, un Girolamo, identifiés comme Corses, mais également un Bernard Sicard de Marseille, fournisseur de vins français et un Pietro di Sperlonga, importateur de vins « grecs ». Ibid., 1493, fol. 14. Les noms de tous les fournisseurs sont toujours précédés de la formule « ex barca ». 232 Les références données dans les deux notes précédentes permettent de suivre de mois en mois les achats en question. 228 229
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particulier de ceux qui avaient et allaient avoir de plus en plus la faveur des papes de l’époque et des membres de leurs cours. Déjà, nous l’avons vu, au temps d’Alexandre VI, on avait commencé à faire des achats de cette nature. Mais nous ne disposons malheureusement pas d’indices nous permettant de savoir qui se chargeait d’acheter les vins en question et de les acheminer jusqu’à Rome. Il faut attendre le pontificat de Clément VII pour découvrir que le personnage-clé de ce type d’opérations était le nonce à Naples. En effet, grâce à une entrée d’un registre de Mandati camerali couvrant la période 1531-1534, nous apprenons qu’en avril 1532 la Chambre Apostolique a versé à Fabio Arcelli, qui occupait alors cette fonction, les 3000 ducats or que, sur ordre du pape, elle avait mis quelques mois plus tôt à la disposition de Giuliamo Visconti, majordome de ce dernier, pour l’achat éventuel de vins napolitains233. Les successeurs d’Arcelli vont de fait continuer à jouer ce rôle probablement jusqu’à la fin du règne de Sixte V. Disons-le tout de suite –– nous y reviendrons plus loin –– il ne s’agissait pas là d’une tâche de tout repos. Déjà, en 1539, Annibale Caro qui, on ne sait trop à quel titre, se trouvait à Naples chargé d’expédier par voie de mer les vins destinés au pape, en l’occurrence Paul III, se plaignait amèrement des ennuis que lui causaient mariniers, charretiers, courtiers et autres intermédiaires par lesquels il lui fallait passer234. Mais ce n’était pas là les seuls soucis qu’occasionnaient aux nonces ou chargés d’affaires du pape à Naples l’achat et l’acheminement jusqu’à Rome des crus dont les majordomes de ce dernier leur avaient passé commande. Se posait aussi le problème d’assurer que les sommes requises pour ce faire leur parviennent à temps et en toute sécurité, ce qui supposait l’intervention de banquiers et parfois l’envoi sur place d’un homme de confiance chargé de veiller à ce que ces transferts d’argent se fassent avec toutes les précautions nécessaires. Ce qui pourrait expliquer la présence d’Annibale Caro à Naples en 1539. Chose certaine, déjà en octobre 1534, un certain Antonio, « massier » du pape, s’y trouve, précisément à cet effet, porteur d’une lettre de change au montant de 1500 ducats que lui a remise à Rome la banque des héritiers de Pandolfo della Casa235. Cette somme couvrait-elle l’ensemble des frais à prévoir? Rien 233 ASR, Cam. I: 866, fol.15v. On précise par ailleurs que Bernardo Brusciati et Antonio Novari, familiers de Giuliano Visconti, dépêchés auprès du nonce, ont eux aussi accès à cet argent, sans doute en vue de seconder ce dernier ou peut-être assurer un certain contrôle sur l’opération en cours. 234 À ce sujet, voir Dorez, La cour cit., I, p. 75, note 10. Caro était très lié à l’époque à Giovanni Gaddi et Giovanni Guidiccioni, personnages proches du pape et de sa famille. C. Mutini, Caro, Annibale, dans DBI, 20, p. 498-499. Peut-être ces liens lui avaient-ils valu cette mission qui allait lui causer tant d’ennuis. 235 On lui verse 10 ducats pour couvrir ses frais de déplacement. C’est sur ordre d’Ascanio Parisani, majordome de Paul III, que cette lettre de change lui a été remise par les héritiers de
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n’est moins sûr, car on trouve dans les livres de comptes de l’époque des entrées concernant les seuls frais de transport236. Mais il ne semble pas y avoir eu en la matière de règle absolue, car on y trouve aussi mention de sommes couvrant tout à la fois achat et transport237. Les quelques renseignements jusqu’ici recueillis à partir des rares sources dont nous disposons pour les pontificats précédant celui de Grégoire XIII nous ont tout de même permis d’établir que, déjà au temps d’Alexandre VI, des achats groupés de vins « grecs » existaient et que, Jules II excepté, ces types d’achats furent de plus en plus pratiqués par ses successeurs. Mais nous avons en même temps pu constater que c’était là des opérations complexes impliquant beaucoup d’argent et d’intervenants et donc exposées à des risques de toutes sortes. Les sources beaucoup plus abondantes et circonstanciées dont nous disposons pour les pontificats de Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII vont nous permettre de voir jusqu’à quel point ces risques existaient encore et, si oui, dans quelle mesure on avait réussi sinon à les éliminer, du moins à les circonscrire. En mai 1577, Fantino Petrignani, majordome de Grégoire XIII, dresse le bilan de ce que lui a coûté durant l’exercice financier 1576-1577 la commande annuelle de vins napolitains et surtout nous fournit à ce sujet des informations précises et détaillées qui vont beaucoup plus loin que celles auxquelles nous avons eu jusqu’ici accès238. Ainsi apprenons-nous que toute cette opération a été confiée à un « proveditore » du nom de Lorenzo Feo qui s’est chargé et de l’achat et du transport des crus en question, allant pour ce faire jusqu’à multiplier les allers-retours NaplesRome en vue sans doute d’assurer qu’au départ comme à l’arrivée tout se passe correctement239. Nous avons vu plus haut qu’Annibale Caro faisait Pandolfo della Casa, lesquels auraient reçu, pour leur part, dudit majordome 2000 ducats, soit 1500 correspondant au montant de la lettre de change et 500 autres en vue d’assurer que les 1500 ducats en question soient effectivement remis en espèces à Antonio, une fois ce dernier arrivé à Naples. ASR, Cam. I: 1492, fol. 2v. Ce genre d’opération n’était donc pas sans risques. 236 Ainsi, en date du 30 avril 1534, enregistre-t-on un déboursé de 663 ducats versés aux marins des bateaux qui ont transporté de Naples à Rome les vins parvenus vers cette même date à la cour pontificale. Ibid., fol. 144v. Le 1er mai 1535, ce sont 602 ducats qu’on affecte à ce même poste. Ibid., Cam. I: 869, fol. 46r. 237 Ainsi, le 25 janvier 1535, la Chambre Apostolique verse-t-elle 975 ducats au majordome de Paul III pour couvrir l’ensemble des frais occasionnés par l’achat de vins « grecs ». Ibid., fol. 8r. Même cas de figure en septembre 1548 avec la remise au majordome Bernardino Silveri de 4988 écus représentant également les coûts d’achat et de transport des vins venus de Naples. Ibid., Cam. I: 885, fol. 34r. 238 On trouve ces informations Ibid., Cam. I: 1350, fol. 184v. 239 À noter que le titre officiel de Feo est « proveditore di vini in Regno di Napoli ». On est en droit de penser qu’il disposait d’une licence l’autorisant à pratiquer à ce titre dans le royaume de Naples. Le titre de « proveditore » vient probablement du mot « providitor » que l’on trouve dans le latin médiéval et qui signifiait « procureur » ou « pourvoyeur ». À ce sujet, voir C. Du Cange, Glossarium Mediae et Infimae Latinitatis, VI, Paris 1938, p. 546.
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en son temps appel aux services d’un courtier (« sensale ») qui jouait probablement un rôle s’apparentant à celui de Lorenzo Feo, mais, nul doute, beaucoup plus limité. Feo, lui, avait l’entière responsabilité de l’opération, ce qui n’était pas le cas du courtier employé par Caro. Aussi le pape et son majordome n’avaient-ils plus à envoyer sur place un officier ou homme de confiance chargé de superviser l’opération en question. Ce qui, tout naturellement, leur simplifiait la tâche, mais supposait par ailleurs qu’ils aient totalement confiance en la personne à qui ils confiaient cette responsabilité. Mais qu’en était-il du nonce à Naples? Avait-il encore un rôle à jouer? Petrignani n’en dit mot, mais nous avons la preuve que les sommes qui servaient à financer chaque année l’importation de vins napolitains transitaient encore à l’époque par lui240. Ce qui, bien évidemment, supposait comme par le passé l’intervention de banquiers qui, par lettres de change ou autrement, faisaient parvenir à ce dernier les sommes requises. Petrignani nous fournit aussi des informations des plus révélatrices concernant, cette fois, les coûts de transport, comme par exemple, les frais d’assurance qui représentaient, à eux seuls, un déboursé de 721 écus, somme qui, à première vue, a de quoi surprendre, mais qui, tout compte fait, n’a rien d’exorbitant quand on songe aux risques auxquels étaient exposés les 38 navires ou barques qui de septembre 1576 à mai 1577 transportèrent les quelque 10.145 barils de vins achetés à Naples, risques, d’une part, de perte de l’une ou l’autre de ces embarcations, de l’autre, d’une partie de leur précieuse cargaison. Il valait mieux se prémunir contre pareils dangers qui, à l’époque, n’étaient que trop réels Et que dire de la possibilité de vols à bord de ces mêmes navires –– il devait être difficile aux équipages de ces derniers de résister à la tentation que représentait la seule vue de tant de bottes de vin et de vin de qualité, là, sous leurs yeux –– d’où, sans doute, les 173 écus que Petrignani inscrit dans son livre de comptes pour ce qu’il appelle la « bevanda » des marins, c’est-à-dire la ration de vin qu’il leur faisait servir quotidiennement tout le temps que durait le voyage de Naples à Rome. Autre type d’assurance, certes, mais assurance tout de même qui devait paraître aussi indispensable que l’autre.
240 Ainsi, le 11 juin 1577, ordre est donné par le pape lui-même au trésorier général Taverna de faire payer par le nonce Sauli, alors en poste à Naples, un reste de compte de vins achetés dans cette ville totalisant 354 ducats « di Regno », paiement qui devra être fait à la personne désignée par son ancien majordome, Fantino Petrignani. ASR, Cam. I: Giust. di Tes. 13, fasc. 7. Il n’est pas sans intérêt de noter que le pape signe cet ordre de sa propre main avec la précision suivante: « Et tante eseguite, che così è mente nostra ».
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Carlo Gonzaga qui succède à Petrignani en 1577 adopte pour l’essentiel le même mode opératoire241. Il en va de même d’Alessandro Musotti qui en 1579 devient à son tour majordome en remplacement de Gonzaga242. L’intendance de la cour et aussi le pape lui-même avaient manifestement trouvé là la formule qui leur convenait le mieux en termes aussi bien de commodité que de sécurité, peut-être même de coûts. Sixte V semble bien avoir été du même avis si l’on en juge par les informations que nous fournissent à ce sujet les livres de comptes de ses majordomes243. Détail, entre autres, digne de mention et qui confirme le bien-fondé du système existant: en 1586, Giovan Battista Santoni, majordome alors en fonction, fait état d’une entrée de 837 écus résultant de l’assurance qu’il avait prise sur le transport des vins « grecs » achetés cette année-là, somme qui couvrait la perte en mer de 137 bottes de vin244. Preuve, s’il en était besoin, de la nécessité de se protéger de la sorte, vu les nombreux risques que représentait le transport maritime à l’époque, surtout à certains moments de l’année. Autre détail allant dans le même sens et que nous fournit le même Santoni, mais concernant cette fois la ration de vin (« bevanda ») destinée aux marins assurant le transport en question: le vin qu’on leur sert en est un de qualité, à savoir du « grec » d’Ischia. En 1586, c’est 79 barils de cet excellent cru qu’on met à leur disposition au coût de 103 écus245. Le tout sans doute en vue d’éviter qu’ils ne soient tentés de faire main basse sur les vins auxquels à Rome on tenait le plus. Les livres de comptes des majordomes de Sixte V nous permettent par ailleurs de constater que, fidèle à lui-même, ce dernier n’hésite pas à apporter au mode d’opérer existant les correctifs qu’il juge nécessaires en vue de le rendre encore plus performant. Santoni fait, comme ses prédécesseurs, appel aux services d’un « proveditore » qui sans doute a les mêmes responsabilités que Lorenzo Feo au temps de Grégoire XIII. Il s’agit, dans son cas, d’un certain Severo Severi246. Mais voilà que son 241 Pour l’année 1577-1578, voir Ibid., Cam. I: 1351, fol. 173v et pour 1578-1579, BAV, Introiti ed esiti 1, fol. 185v-186r. À noter toutefois qu’en 1578, Messer Lorenzo Feo a été remplacé par un certain Valerio Innocenti. Serait-ce qu’on ne faisait plus confiance à Feo ou qu’Innocenti avait quelque lien avec Gonzaga et pouvait, aux yeux de ce dernier, mieux servir ses intérêts? Quand on sait que Gonzaga sera en 1579 accusé de malversation (voir, plus haut, note 103), ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être chassé de la cour, on peut légitimement se poser la question. 242 Voir, à ce sujet, ASR, Cam. I: 1352, fol. 151v. 243 Voir en particulier Ibid., Cam. I: 1355, fol. 88v; 1357, fol. 63r; 1359, fol. 50v-51r; 1361, fol. 54v. 244 Ibid., Cam. I: 1355, fol. 4v. Le plus gros de cette somme, soit 787 écus, concernait 45 bottes de vins de qualité, dont le célèbre Lacrima Christi. 245 Ibid., fol. 88r. 246 Ibid., fol. 88v.
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successeur, Marzio Frangipani, s’adresse plutôt à un consortium de marchands auquel il confie in solidum l’approvisionnement en vins di la cour. Ce groupe comprend trois associés, soit Francesco di Rosa, Giovambattista del Ponte et Fabio di Massa247. Les vins qu’ils fournissent à la cour sont à peu près exclusivement des vins « grecs ». Achetaient-ils ces derniers sur place pour ensuite les faire transporter par bateau jusqu’à Rome, comme le faisaient Feo et sans doute aussi Severi avant eux? Ou, alors, comme ce sera le cas deux années plus tard sous Grégoire XIV, se contentaient-ils de se les procurer à Rome même de marchands ou propriétaires de barques qui approvisionnaient la ville en crus napolitains248? Après tout, c’est la formule qu’on privilégiait au temps de Jules II et de Paul III pour ce qui était des vins corses. Il semble plutôt que Rosa, del Ponte et Massa aient trouvé le moyen de combiner l’une et l’autre de ces formules en se faisant eux-mêmes tout à la fois acheteurs et transporteurs et, cela, grâce à Giovambattista del Ponte qui était lui-même propriétaire de barques faisant régulièrement l’aller-retour Naples-Rome et était donc à même d’assurer en tout ou en partie le transport des vins destinés à la cour249. Ce qui simplifiait et rendait d’autant moins risqué, du moins pour leur client, le pape, le processus en question. Ne serait-ce d’ailleurs pas là la raison pour laquelle Sixte V et son majordome, Marzio Frangipani, avaient opté pour cette formule? Chose certaine, elle plut à Clément VIII qui l’adopta à son tour pour la même raison sans doute. Mais des trois fournisseurs auxquels avaient eu recours Sixte V et Grégoire XIV il ne retint que Fabio di Massa, les deux autres ayant été remplacés par un certain Ferrante di Martino250. En 1597, 247 Ibid., Cam. I: 1359, fol. 54v. Ces trois hommes sont dits « mercanti et proveditori di vini in solido per il Palazzo Apostolico ». Les vins qu’ils fournissent sont à peu près exclusivement des vins « grecs ». Avaient-ils à Naples licence pour ce faire ou passaient-ils par des intermédiaires? Nous ne saurions le dire. 248 Voir, à ce sujet, Ibid., Cam. I: 1384, fol. 19rv. Ainsi en janvier 1591, achète-t-on à Ripa divers vins « grecs » (Latino, Lacrima Christi, Centola) d’Ottaviano Morelli et Pietro Bazzaro, propriétaires de barques, mais également à des marchands tels Mario Cerolo et Cesare San Pietro. 249 Ibid., fol. 19v. On découvre en effet dans ce même livre de comptes que del Ponte est bel et bien propriétaire de barques et qu’il est de loin le principal vendeur de vins « grecs », en l’occurrence le « grec » d’Ischia et le Scala destinés à la cour pontificale. À lui seul, en janvier 1591, il fournit 400 barils de « grec » d’Ischia et 435 barils de Scala au coût total de 1437 écus. Dans un second livre de comptes couvrant la période mars-octobre 1591, son rôle de principal fournisseur est encore plus évident. Il fournit en effet à lui seul, pour la période allant d’avril 1590 à mai 1591, 5942 barils de vins « grecs » au coût de 10.200 écus. Ibid., Cam. I: 1365, fol. 34r. 250 BAV, Introiti ed esiti 12, fol. 12v. Une entrée d’un registre de Mandati camerali de l’époque, datée du 30 janvier 1592, nous apprend que Giovambattista del Ponte n’est plus depuis un certain temps au service de la cour (« olim provisor vinorum in Regno Neapolitano »). Ibid., Cam. I: 942, fol. 132v.
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on ne trouve plus trace de Fabio di Massa et tout donne à penser que le principal fournisseur ou « proveditore » était désormais –– un peu comme Giovambattista del Ponte cinq ans plus tôt –– un certain Renato di Martino qui pourrait fort bien être un proche parent de Ferrante. Il a, à ce qu’il semble, comme partenaire –– ou peut-être s’agit-il plutôt d’un concurrent –– Messer Onofrio Cacacci qui, lui aussi, approvisionne la cour en vins napolitains, quoiqu’en plus petites quantités. Ces nouveaux « proveditori », qu’ils aient été ou non associés, assuraient-ils comme leurs prédécesseurs immédiats et l’achat et le transport des crus en question? On est en droit de le penser251. Mais on sent que la formule du consortium adopté par Sixte V est sur le point d’être abandonnée. Peut-être n’était-il pas aussi simple que cela d’avoir affaire à des associés qui n’étaient pas toujours nécessairement d’accord entre eux. En 1604, Renato di Martino n’est plus là: son partenaire ou concurrent, Onofrio Cacacci, occupe désormais toute la place avec le titre non plus de « proveditore », mais d’« appaltatore »252. En d’autres mots, il s’est vu adjuger le monopole de la fourniture en vins « grecs » du palais apostolique. En somme, on est revenu à la formule privilégiée par Grégoire XIII, mais avec cette différence –– et elle est de taille –– qu’Onofrio Cacacci ne se contente pas de superviser l’opération en question, comme le faisaient en leur temps un Lorenzo Feo et un Severo Severi, mais se charge lui-même, à l’instar d’un Rosa, d’un del Ponte et d’un Massa, de chacune des étapes qu’elle comporte, qu’il s’agisse de l’achat, du transport et de la livraison, éliminant du coup la plupart des intermédiaires auxquels Feo lui-même devait avoir recours au temps du pape Boncompagni. Mais on a décidé d’aller encore plus loin. Dans la logique de la formule adoptée au plus tard en 1597, la Chambre Apostolique confie à son dépositaire général, Giuseppe Giustiniani, le soin de payer les fournisseurs en vins de la cour. En 1604, ces paiements sont à peu près exclusivement faits à Onofrio Ca251 Ibid., Cam. I: 1367, fol. 3r, 4v, 5v, 6v, 8r, 9r, 10v, 13v. De janvier à novembre 1597, Renato di Martino a fourni à la cour des vins pour une somme totale de 10.071,50 écus. On précise (fol. 13v) que cette somme représente le « soldo e resto de vini dati dell’appalto al palazzo » et que cet « appalto » s’élevait au total à 18.101 écus. Le mot « appalto » est vraisemblablement employé ici au sens d’adjudication, ce qui donne à penser que Renato di Martino avait obtenu de préférence à d’autres le privilège de fournir en vins, en vins « grecs » surtout, la cour pontificale, mais à des conditions fixées par cette dernière. On voit mal qu’elle n’ait pas exigé qu’il se charge, à ce titre, de l’ensemble des opérations requises pour ce faire. En ce qui concerne Onofrio Cacacci, son nom apparaît pour la première fois le 3 septembre 1597, à l’occasion d’un paiement qu’on lui fait de 3000 écus pour la fourniture de vins napolitains. Ibid., fol. 10v. On l’y retrouve de nouveau le 22 décembre de la même année, cette fois pour un paiement de 1000 écus. Ibid., fol. 13r. N’oublions pas que, pour cette même période, Renato di Martino en a fourni pour 10.071 écus. Cacacci ne semble pas avoir fait à ce moment partie de l’« appalto » liant Renato di Martino à la cour. 252 BAV, Introiti ed esiti 32, fol. 77r.
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cacci253. On n’avait donc même plus à passer par le nonce à Naples. Et que dire de l’intendance du palais qui voyait son rôle désormais limité à fournir à Giustiniani après chaque livraison de vins en provenance de Naples une attestation à l’effet que ces derniers avaient été bel et bien reçus au palais apostolique, qu’ils correspondaient aux commandes faites à Messer Cacacci et que ce dernier pouvait donc recevoir le paiement auquel il avait droit en tant qu’ « appaltatore »254. Nous voilà loin, très loin même des soucis et tracas d’un Annibale Caro se retrouvant à Naples en 1539, chargé d’expédier à Rome les vins « grecs » destinés cette année-là à la cour pontificale. Les efforts déployés par les papes du XVIe siècle, à partir du règne de Pie IV en particulier, pour simplifier et rationaliser les mécanismes administratifs et financiers de leurs cours avaient manifestement porté fruit. Ceux consacrés à l’approvisionnement en blé et en vin du palais apostolique et dont il vient d’être longuement question suffiraient à eux seuls à le prouver et, cela, comme on a pu s’en rendre compte, de façon on ne peut plus concrète. Ajoutons que cette réussite, on la doit en particulier à un Grégoire XIII, un Sixte V et Clément VIII. Mais on la doit aussi et peut-être surtout aux majordomes et aux conseillers financiers astucieux et expérimentés dont ils avaient su s’entourer. Que Clément VIII ait eu à ses côtés, de 1592 à 1597, un Ercole Tassone, de 1598 à 1601, un Annibale Rucellai et, de 1601 à sa mort, un Fabio Bondi, tous administrateurs chevronnés s’y connaissant bien par ailleurs en finances255, pourrait expliquer qu’il fut celui qui poussa jusqu’au bout la logique du système d’approvisionnement de la cour mis en place par ses prédécesseurs, les papes Boncompagni et Peretti. Mais cela vaut sans doute aussi, mutatis mutandis, pour la plupart des autres papes du XVIe siècle qui cherchèrent, chacun à sa façon, à utiliser au mieux les ressources dont ils disposaient pour répondre aux besoins de leurs « familles », besoins dominés, et de loin, nous l’avons vu, par l’alimentaire. Dans ses Discorsi Nuovi, Tommaso Azzio rappelait que la « fa253 Entre le 1er janvier 1604 et le 27 février 1605, on lui verse 25.888 écus pour la fourniture de 15.207 barils de vins « grecs ». Ibid., fol. 77 r. 254 Ibid., fol. 1r. À noter toutefois que la banque en question paie les fournisseurs en vins de la cour sur ordre du majordome du pape, ce qui suppose que ce dernier avait d’abord vérifié ou fait vérifier que les paiements demandés correspondaient bien à la quantité et à la qualité des vins reçus. 255 Sur ces trois hommes, voir Renazzi, Notizie cit., p. 105-110. Tassone qui avait d’abord été au service de la famille d’Este avait en plus une expérience diplomatique tout comme Rucellai d’ailleurs qui avait été par la suite gouverneur d’Ancône, de Bologne et de Rome. Biondi avait servi comme internonce à Venise, mais il avait surtout à titre de collecteur apostolique au Portugal de 1592 à 1597 été exposé au monde de la finance.
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miliarité » était d’abord et avant tout affaire de « corps » et de « dents »256, en d’autres mots qu’elle concernait au premier chef le gîte et le couvert, ce dernier surtout. Manifestement, comme nous avons pu le constater jusqu’ici, les papes du XVIe siècle étaient, pour la plupart, d’accord avec lui. Faut-il après cela se surprendre qu’ils aient fait tant de place aux dépenses de « bouche » dans les budgets de leurs cours? * * * Si nous avons, pour notre part, accordé autant d’espace et prêté autant d’attention au problème que constituait l’approvisionnement en blé, en vin, voire en eau de la cour pontificale, c’est qu’il nous semblait emblématique de tous ceux auxquels était confrontée à l’époque l’intendance de cette même cour. À commencer par celui de la provenance de l’argent qui servait à couvrir les dépenses relevant de cette dernière. Nous avons vu qu’en principe c’était là la responsabilité de la Chambre Apostolique, mais que la Trésorerie secrète alimentée, elle, par la Daterie n’hésitait pas à venir à la rescousse chaque fois que le pape dont elle dépendait directement le jugeait à propos. Et, à tout cela, il faut ajouter les revenus que l’intendance du palais réussissait elle-même bon an mal an à générer. Les quelques bilans parvenus jusqu’à nous, plutôt rares jusqu’au pontificat de Grégoire XIII, plus nombreux par la suite, nous ont permis de constater que ce triple apport n’était pas toujours suffisant pour couvrir les dépenses d’une année à l’autre. Bilans de la cour de Sixte V mis à part, les déficits étaient de loin plus fréquents que les surplus. Et, pourtant, un certain nombre de papes cherchèrent à équilibrer les budgets de leurs cours, un Grégoire XIII, entre autres, soucieux, à ce qu’il semble, de les maintenir à l’intérieur de certaines limites. Il est tout de même, à ce propos, significatif que durant tout le XVIe siècle le niveau de dépenses encourues à ce chapitre ne varie guère, se situant à l’intérieur d’une fourchette oscillant entre 8,5 et 10,5%, soit en moyenne 9% du budget global du Saint-Siège. Vont dans le même sens les règles édictées par Pie IV en particulier pour chercher à mieux encadrer les pratiques financières et administratives intéressant aussi bien le gouvernement de l’Église que celui de l’État pontifical, mais dont certaines visaient explicitement la cour. Les bilans de cette dernière faisaient déjà depuis le XVe siècle l’objet de contrôles de la part de la Chambre Apostolique, mais ces derniers ne semblent pas avoir été très stricts, du moins jusqu’au milieu du XVIe siècle. Ils le deviendront sous Pie IV et ses successeurs comme nous avons eu l’occasion de le montrer plus 256 « La vera familiarità si fa col corpo, e denti ». Discorsi nuovi delle prerogative de’ curiali e moderni cortigiani, Venise 1600, fol. 6v.
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haut, exemples à l’appui. Ce qui, notons-le ne permettra pas d’éliminer complètement les cas de malversations qui y avaient eu jusque-là cours, mais, à ce qu’il semble, les rendra sinon moins fréquents, du moins plus faciles à détecter. Un certain Claudio Gonzaga, est-il besoin de le rappeler, l’avait vite appris à ses dépens. Autre problème concernant cette fois les canaux ou intermédiaires par lesquels parvenaient aux majordomes et aux trésoriers secrets les sommes qui leur étaient nécessaires pour répondre aux besoins de la cour, ceux du pape surtout, dans le cas du trésorier secret, celles de sa « famille », dans le cas du majordome. Nous avons vu que jusqu’au pontificat de Sixte V, la Chambre Apostolique passait assez souvent par les fermiers de la douane ou encore de l’impôt –– de la gabelle en particulier –– pour alimenter les caisses de ces deux hommes, puis que progressivement elle fera de plus en plus appel à des banquiers pour ce faire, quitte, à la toute fin de siècle à confier, pour ce qui était du majordome, au seul dépositaire général de la Chambre la responsabilité d’assurer lui-même le paiement de la plupart des fournisseurs, entrepreneurs ou gens de métier faisant affaire avec la cour. On comprend que l’on ait cherché au fil des ans à simplifier le système existant pour éviter les complications, voire les risques que représentait le transfert de sommes d’argent, parfois considérables, d’un lieu à l’autre, même si, pour ce qui était des transferts sur de longues distances, on faisait le plus souvent appel à la lettre de change, comme nous avons pu le constater pour les achats massifs de vins napolitains, au plus tard à partir du règne de Clément VII. Des divers types de dépenses faites tout au long du XVIe siècle par l’intendance de la cour, que conclure sinon qu’elles diffèrent peu de celles que se permettaient les grandes cours de l’époque, notamment en ce qui a trait à la place faite aux dépenses de « bouche ». Mais la cour pontificale a peut-être ceci de particulier par rapport à ses homologues laïques ou ecclésiastiques, en ce qui concerne justement les dépenses de « bouche », qu’elle est progressivement passée de la formule du companatico en nature, dominante jusqu’au pontificat de Grégoire XIII à celle du companatico en argent imposé par Sixte V et retenu pour l’essentiel par ses successeurs immédiats. Si ce changement eut un effet surtout psychologique sur le personnel de la cour qui acceptait mal de se voir traité de la sorte, il en eut un d’abord et avant tout économique sur les fournisseurs de cette même cour qui se voyaient ainsi privés d’une grande partie des profits que leur avait valu jusque-là ce titre, bien qu’ils pouvaient se consoler à la pensée qu’ils restaient fournisseurs de la « table » du pape. Les seuls qui tirèrent avantage de cette nouvelle situation ou, du moins, n’eurent pas trop à en souffrir, furent bien évidemment les marchands, courtiers, entremetteurs qui, depuis longtemps, assuraient l’approvisionnement en blé et en vin
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Le financement de la cour
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du palais apostolique et les banquiers qui, eux, s’étaient progressivement imposés comme indispensables courroies de transmission de la Chambre Apostolique dont dépendait en dernier ressort le financement de la cour. Au fond, ils étaient avec les papes de la fin du XVIe siècle et peut-être plus qu’eux les principaux bénéficiaires des efforts déployés par ces mêmes papes et leurs conseillers financiers pour simplifier et rendre tout à la fois plus efficace et, si possible, moins onéreux l’appareil administratif chargé d’assurer le bien-être du pape et de sa « famille ». Arrivés au terme du présent chapitre qui, lui-même, représente la dernière étape d’une enquête visant à reconstituer dans toute la mesure du possible les lieux, le mode de fonctionnement et le vécu de la cour pontificale au XVIe siècle tels que révélés par les sources aussi bien figurées qu’écrites disponibles pour l’époque, il nous reste, pour que cette enquête soit bien complète, à analyser tout d’abord le type de rapports que la cour entretenait avec le monde extérieur, aussi bien à Rome qu’ailleurs, puis le regard que ce même monde portait sur elle, tel que révélé par les témoignages que nous ont laissés de nombreux contemporains, là aussi de Rome et d’ailleurs, C’est là ce que nous avons choisi d’appeler le rayonnement de la cour et ce sera là l’objet de notre prochain et dernier chapitre.
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VIII LE RAYONNEMENT DE LA COUR Indispensables « instruments » et « reflets » du pouvoir de tout prince digne de ce nom, les cours de la Renaissance, selon André Chastel, étaient là « pour étonner et pour plaire » et, cela, en s’offrant à tous moments en spectacle pour le bénéfice non seulement des « grands » qui avaient le privilège d’y être admis, mais également et peut-être surtout des foules qui attendaient tout de leur maître. Aussi, de conclure Chastel, les cours princières étaient-elles, à l’époque, inséparables des princes qu’elles entouraient et auxquels elles servaient pour ainsi dire d’« enveloppes »1. Ces cours étaient donc faites pour être vues, fréquentées, admirées, pour impressionner surtout. D’où le soin apporté à l’aménagement du palais qui leur servait de résidence habituelle, en particulier des espaces où étaient reçus les visiteurs, honorés les plus éminents d’entre eux, célébrés les événements ou accomplis les rites propres à mettre en valeur la figure et les hauts faits du maître de céans. Il y avait là une logique à laquelle même la cour pontificale ne pouvait échapper. Aussi, comme nous ont permis de le constater les chapitres précédents, les troisième, cinquième et sixième en particulier, les papes du XVIe siècle n’hésitèrent-ils pas à se donner les moyens de rivaliser sur ce plan avec les plus brillantes cours princières de l’époque. Il suffit pour s’en convaincre de reprendre un à un les principaux éléments des projets et programmes, élaborés, adoptés, puis mis en œuvre par les plus entreprenants d’entre eux en vue de faire de leurs cours des modèles inégalés de magnificence et de grandeur. Aussi bien au Vatican que, plus tard, au Quirinal, ils surent se doter de résidences vastes et somptueuses pour la construction et la décoration desquelles ils firent appel aux plus grands architectes et artistes du temps. Et que dire de leur chapelle palatine, la célèbre Sixtine, de la nouvelle basilique Saint-Pierre jouxtant le Vatican, l’une et l’autre incomparables lieux de déploiement liturgique où ils étaient à même d’affirmer avec éclat de qui ils détenaient leur pouvoir et, partant, à quelles hauteur se situait ce dernier. Mais il y avait aussi le Belvédère, plus tard, la villa Pia et les monuments, places et jardins qui formaient avec eux des lieux de fête et de divertisse1
A. Chastel, La crise de la Renaissance, 1520-1600, Genève 1968, p. 10-11.
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ment fort admirés, d’un caractère plus mondain certes, mais correspondant bien aux prérogatives dont les papes pouvaient se réclamer à titre de chefs d’État, même si, à partir de Pie V, certains d’entre eux seront plutôt réticents à se prévaloir des dites prérogatives, craignant par là compromettre, voir trahir le caractère d’abord et avant tout « sacral » de leur pouvoir. Les palais des princes n’étaient toutefois pas les seuls lieux où il leur fallait faire montre de leur magnificence et de leur grandeur. Cérémonies, défilés, jeux et fêtes se déroulant à l’extérieur de la cour permettaient de se faire voir et admirer de la part de ceux qui normalement n’avaient pas accès aux palais desdits princes ou même à leurs dépendances. Là aussi, nous avons pu nous en rendre compte, les papes du XVIe siècle n’avaient rien à envier à leurs homologues séculiers. C’était plutôt le contraire qui était vrai. Côté cérémonies, qu’il suffise de mentionner ici celles particulièrement solennelles du couronnement marquant le début de chaque pontificat ou encore les bénédictions urbi et orbi qui avaient lieu, elles, à divers moments de l’année place SaintPierre, dans l’un et l’autre cas en présence de foules considérables. Pour ce qui est des défilés, comment ne pas rappeler, en tout premier lieu, la très impressionnante procession de la Fête Dieu qui se déroulait chaque année dans le Borgo, mais attirait tout Rome, ou encore celle de la prise de possession du Latran, plus ponctuelle celle-là, mais qui attirera, elle aussi, pendant de nombreuses années, de très grandes foules. Mais il y avait également le très impressionnant défilé du Carnaval dit de l’Agone dont, jusqu’au temps de Paul III, les papes étaient les principaux commanditaires et qui servait, comme de juste, à célébrer leurs hauts faits. Et que dire des entrées de ville, celles des grands personnages tels Charles Quint en 1536 ou Côme de Médicis en 1568 ou encore celles d’ambassadeurs extraordinaires comme, par exemple, Frédéric d’Aragon en 1492 ou les jeunes ambassadeurs japonais et les envoyés du tsar de Russie au temps de Grégoire XIII, ou, mieux encore, celles des papes eux-mêmes revenant de missions importantes aussi bien militaires que diplomatiques tels Jules II en 1507 et Paul III en 1538. Pour ce qui est des jeux et des fêtes destinés au peuple, certes les papes n’y figuraient-ils pas eux-mêmes, sinon comme spectateurs et, pour certains, spectateurs discrets, mais ils ne craignaient pas, comme leurs cardinaux d’ailleurs, de s’en faire les commanditaires et encouragèrent même, du moins jusqu’au temps de Jules III, les membres de leurs cours à s’y impliquer. C’est le cas notamment du Carnaval, y compris cette fois non plus seulement le solennel défilé en l’honneur du pape régnant, mais l’ensemble des autres activités auxquelles il donnait lieu, d’un caractère, elles, beaucoup plus débridé2. 2 Sur le Carnaval comme tel, la référence obligée reste F. Clementi, Il Carnevale romano nelle chronache contemporanee, Rome 1899. Sur les papes et le Carnaval au temps de Jules II et de Léon X, voir Rodocanachi, La première Renaissance cit., p. 331-336 et Le pontificat de Léon X cit., p. 188-190. Il ne fait pas de doute que de nombreux cardinaux participaient
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Le rayonnement de la cour
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Cérémonies, défilés, fêtes: autant d’instances ou soit le pape lui-même, entouré de ses cardinaux et de sa « famille » se donnait à voir et faisait montre de magnificence, soit ces mêmes cardinaux, leurs « familles » et une plus ou moins grande partie de celle du pape en faisaient tout autant, rappelant aux spectateurs présents en chacune de ces occasions qui était le maître de céans et quels égards ils lui devaient. Que d’images, que de descriptions d’époque pourraient être ici invoquées mettant en scène ces divers figurants accompagnant ou représentant le pape, dans le premier cas, lors de cérémonies où ce dernier était lui-même présent et où ils étaient donc appelés à lui faire aussi dignement, aussi magnifiquement que possible cortège, dans le second, lors de défilés en son honneur, tel celui de l’Agone par exemple, ou lors de la venue à Rome de chefs d’État ou, plus communément, d’ambassadeurs de ces derniers, surtout ceux dits d’« obédience », le but recherché étant chaque fois d’être les meilleurs « instruments » et les meilleurs « reflets » possibles du pouvoir inégalé et inégalable de leur maître, le pape. Mais ces diverses « mises en scène » qui, en réalité, ne faisaient qu’un avec la fonction de représentation et donc avec l’exercice du pouvoir, un pouvoir, ne l’oublions pas, souverain, à quels publics étaient-elles destinées et comment étaient-elles perçues par ces derniers? Le premier de ces publics était tout naturellement formé, tout d’abord des habitants de la ville de Rome et de ses environs immédiats, puis, par extension, de ceux des États pontificaux avec lesquels les papes entretenaient des rapports obligés, dans le premier cas, très étroits, dans le second, plus distants, mais des rapports par ailleurs ambivalents, parfois même conflictuels, les intérêts de part et d’autre n’étant pas toujours les mêmes. Le second était formé des étrangers –– fuorusciti aussi bien que stranieri –– qui visitaient en grand nombre Rome, parfois même y séjournaient quelque temps, que ce soit par affaires, par dévotion ou par simple curiosité. Là aussi, il faut parler d’ambivalence, les uns quittant la ville satisfaits, admiratifs, voire laudatifs, d’autres avec des sentiments contrastés sinon franchement négatifs, cela pouvant aller parfois jusqu’à la haine. Et puis, il y avait l’immense foule de ceux qui n’étaient jamais venus et n’auraient jamais l’occasion de venir à Rome et qui n’avaient donc de cette dernière, du pape et de sa cour que les images qui leur en parvenaient par le biais aléatoire des activement au Carnaval. En 1544, Paul III fait remettre 17,40 écus à son barbier Giovanni pour l’achat de masques afin qu’il puisse avec quelques compagnons faire le Carnaval. Dorez, La cour cit., II, p. 279. En 1551, Jules III verse 17,90 écus au personnel du Belvédère « per far Carnevale ». ASR, Cam. I: 1295, Thesaureria Secreta, fol. 21r. Cette même année, ce sont 25 écus que reçoivent les soldats et bombardiers du Château Saint-Ange comme « mancia solita » du Carnaval. Ibid., fol. 24r. N’était-ce pas là aussi en vue de leur permettre de se joindre aux festivités en cours?
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récits, écrits, illustrations de toutes sortes diffusés un peu partout dans l’Europe catholique et, à partir des années 1520, de l’Europe protestante, voire bien au-delà. C’est à partir de ces divers publics et donc des rapports que la cour pontificale entretenait directement ou indirectement avec eux que nous voudrions aborder le problème du rayonnement de cette même cour, en d’autres mots du type de rapport qu’elle entretenait avec eux aussi bien en tant qu’instance de « représentation » qu’en tant qu’instance administrative chargée d’assurer le bien-être du pape et de sa « famille » et donc, de ce fait, étroitement liée au monde de la finance, du commerce, de l’artisanat, de l’entreprenariat, des professions et des métiers de toutes sortes que l’on trouvait à l’époque à Rome. Aussi est-ce à cette ville que nous demanderons de nous servir de point de départ. 1. Le rayonnement intra muros Côté « représentation », il ne fait pas de doute que les Romains étaient de loin les mieux à même de profiter des « mises en scène » liturgiques, protocolaires et autres que les papes et leurs cours leur offraient à longueur d’année. Il y avait bien évidemment, en tête de liste, les très grands déploiements, liturgiques tout d’abord, type procession de la Fête-Dieu ou bénédictions urbi et orbi, ou celle impliquant de grands personnages tels l’empereur et, bien entendu, le pape lui-même, ou encore, du moins jusqu’au milieu du XVIe siècle, festifs, tels les populaires défilés du Carnaval, toutes circonstances où les habitants de Rome se pressaient en très grand nombre sur les places ou le long des parcours où avaient lieu les « spectacles » en question. Mais il y avait aussi, beaucoup moins « spectaculaires » celles-là, les sorties de toutes sortes auxquelles étaient tenus ou que se permettaient à l’occasion les papes de l’époque, entourés de leurs « familles » ou, du moins, d’une partie d’entre elles, s’offrant par le fait même à voir et, dans certains cas, à voir de près par ceux qui se trouvaient, fût-ce par hasard, sur leur passage. Autant d’instances de « représentation », mais d’une toute autre nature cette fois, permettant, elles, un contact plus direct, voire plus personnel avec le peuple surtout, contact d’autant plus apprécié que souvent les papes en profitaient pour lancer ou faire remettre quelques pièces de monnaie à ceux qu’il leur arrivait de croiser au cours de ces diverses sorties. Qu’il suffise de mentionner ici, pour ce qui est des déplacements auxquels ils étaient tenus, ceux coïncidant avec certaines grandes fêtes, telles celles de l’Ascension et de l’Assomption cé-
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lébrées respectivement à Saint-Jean-du-Latran et à Sainte-Marie-Majeure3 ou ceux que leur imposaient d’anciennes traditions, entre autres celle de la remise de dots à des jeunes filles pauvres, cérémonie qui se déroulait chaque année le 25 mars à la Minerve4. Et ne faudrait-il pas inclure dans cette liste, même s’il n’impliquait pas de déplacement dans la ville, le rite de la Chandeleur qui attirait beaucoup de monde en raison de son caractère festif, pour ne pas dire ludique, du moins jusqu’à ce que Grégoire XIII le réforme en 1573, marqué surtout par le lancement de cierges allumés dans la foule5. Précisons qu’en chacune de ces occasions les papes étaient entourés de leurs cardinaux et de nombreux membres de leurs « familles ». Pour ce qui est des sorties relevant de leur propre initiative, méritent une toute particulière attention celles que l’on pourrait à juste titre appeler de « dévotion » qu’on voit apparaître et se multiplier à partir du règne de Pie V surtout et qui consistent en visites de certains lieux où ils ont le goût d’aller prier ou se recueillir. Nous avons fait longuement état de ces types de visites dans notre sixième chapitre. Qu’il suffise de rappeler ici celle des Sept Églises, dévotion ancienne à laquelle Philippe Néri avait redonné vie à Rome et que feront leur un Pie V et un Grégoire XIII, n’hésitant pas à multiplier les visites aux sept basiliques en question, souvent à pied, accompagnés d’un certain nombre de cardinaux et de membres de leurs cours. Autre dévotion que feront également leur Pie V et ses successeurs, celle des Quarante Heures introduite elle aussi à Rome par Philippe Néri et qui les amènera à aller très souvent se recueillir dans les églises et chapelles où était exposé le saint sacrement, encore là entourés de leurs proches. Autant d’occasions d’être vus de leurs sujets, mais cette fois moins comme souverains que comme pasteurs donnant à ces derniers l’exemple de la place que la prière devait occuper dans leurs vies. On n’est manifestement plus là à l’époque d’un Alexandre VI, d’un Jules II, d’un Léon X, voire d’un Paul III. Mais cette sollicitude pastorale, piété y comprise, ne plaisait pas nécessairement à tout le monde. Pie V qui cherchera en plus à imposer à la ville un ordre moral rigoureux fera beaucoup de mé3 Cf. G. Moroni, Benedizioni del Sovrano Pontifice, dans Dizionario di erudizione, V, p. 74. Voir aussi Dykmans, L’œuvre cit., II, p. 424 et 432. 4 À ce sujet, nous renvoyons également à G. Moroni, Arciconfraternità dell’Annunziata, dans Dizionario di erudizione, II, p. 297-298. Ne manquent pas d’intérêt les descriptions que nous fournissent de cette cérémonie un Montaigne et un Gregory Martin au temps de Grégoire XIII. Pour ce qui est du premier, se reporter à son Journal de voyage en Italie (Œuvres complètes, éd. R. Barral ˗ P. Michel, Paris 1967, p. 501); pour ce qui est du second, à sa Bruner Parks, Roma Sancta cit., p. 218-219. 5 Voir à ce sujet Rodocanachi, Le pontificat de Léon X cit., p. 193. Pour ce qui est de la réforme de Grégoire XIII, voir le témoignage du cérémoniaire Mucanzio. ASV, Fondo Borghese I; 800, fol. 196r. À noter que le pape interdira aussi, sans doute pour les mêmes raisons, le lancer de rameaux le dimanche de la Passion. Ibid., fol. 200r.
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contents et devra faire face à une opposition sourde durant tout son règne, opposition qui se manifestera ouvertement et violemment à sa mort. Les Romains n’étaient pas opposés à une certaine moralisation de leur ville, mais ils n’étaient pas prêts à laisser celle-ci être transformée en monastère comme semblait vouloir le faire leur « saint » pontife. Heureusement pour eux, les successeurs de Pie V seront sur ce point beaucoup plus prudents et circonspects comme il seyait d’ailleurs aux chefs d’État qu’ils étaient. Aux sorties de « dévotion » dont il vient d’être question il faut ajouter celles que l’on pourrait à juste titre appeler de « loisir » qui, cette fois, concernent à peu près tous les papes du XVIe siècle. Un Jules II, un Léon X, un Paul III, un Jules III, un Pie IV, un Grégoire XIII et un Clément VIII, nous l’avons vu, étaient particulièrement friands de ces échappées, parfois impromptues, qui leur permettaient de prendre quelque distance par rapport aux lourdes responsabilités qui étaient les leurs. Pour certains, cela pouvait consister en visites faites à des proches ou des hôtes d’un certain rang à Rome même ou dans la proche campagne romaine pour un repas festif, un simple moment de détente, parfois un séjour un peu plus long; pour d’autres, la visite de monuments en cours de construction ou de réfection, comme aimaient le faire un Pie IV et un Grégoire XIII; pour d’autres encore, de sorties de plus longue durée en dehors de Rome, telles celles d’un Jules II à Ostia, d’un Léon X à la Magliana, d’un Paul III dans la région de Viterbe, d’un Grégoire XIII et d’un Clément VIII à Frascati. Tous déplacements qui permettaient également aux papes d’être en contact direct avec leurs sujets de Rome et de la campagne environnante en compagnie, là aussi, de nombreux membres de leurs « familles », déplacements d’ailleurs qui donnaient souvent lieu à des rencontres impromptues d’humbles paysans ou de pauvres hères qui venaient les saluer, voire leur faisaient don de quelque objet et auxquels en retour certains de ces papes, un Léon X, un Paul III entre autres, s’empressaient de faire remettre, souvent par un de leurs palefreniers, une mancia, comme on peut facilement imaginer, fort appréciée. On ne saurait trop souligner ce que représentaient ces rapides échanges, ne fût-ce que de bons mots, en termes d’« image » aux yeux des humbles sujets des papes de l’époque dont on pouvait attendre qu’ils se fassent à leur tour diffuseurs empressés de cette même « image » autour d’eux. Mais il y avait aussi durant l’été les très longs séjours, au palais de Venise tout d’abord, plus tard au Quirinal ou à Frascati qui supposaient, eux, de tout autres types de déplacements –– de fait il faudrait plutôt parler à leur propos de déménagements –– impliquant cette fois non plus le pape et une partie de sa cour, mais la quasi-totalité de cette dernière. Autre cas de figure donc qui ne consistait plus en de simples, voire fugitives rencontres à l’occasion de sorties dans Rome ou hors de Rome, mais en
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un contact permanent de deux, trois, voire quatre mois avec les habitants des rioni entourant soit le palais de Venise soit le Quirinal avec ceci de très particulier que plusieurs des membres de la cour pontificale étaient installés dans des maisons, appartements ou simples chambres loués sur place, donc au cœur même du rione où l’on avait décidé d’emménager pour échapper, comme on disait à l’époque, aux chaleurs insupportables et à l’air irrespirable du Vatican durant les mois d’été. Pour les pauvres locataires chassés manu militari de leurs logis pour faire place au personnel de la cour, l’arrivée du pape et de sa « famille » dans leur secteur de la ville ne devait pas être bienvenue malgré tout le respect qu’ils pouvaient par ailleurs avoir pour lui –– certains crieront d’ailleurs à l’injustice ––, mais pour les propriétaires des immeubles, appartements ou chambres où était logée pour l’été une bonne partie de la « famille » pontificale, la réaction devait être tout autre, la présence de ces hôtes hors du commun représentant pour eux une importante source de revenus, voire de prestige. Et que dire des fournisseurs de toutes sortes installés à proximité qui, eux aussi, trouvaient là l’occasion d’améliorer leur chiffre d’affaires et peut-être même de se faire un nom. Nous voilà tout-à-coup face à un autre type de rapport, soit celui que la cour entretenait avec Rome et ses habitants non plus en tant qu’instance de « représentation », mais en tant qu’instance d’administration chargée du bien-être physique et moral du pape et de sa « famille ». Non pas qu’il faille de ce fait tourner le dos à celui qu’elle jouait en tant qu’instance de « représentation », car, comme nous ont permis de le constater nos sixième et septième chapitres, bon nombre des opérations financières, commerciales et autres effectuées par l’intendance de la cour visaient de toute évidence à permettre au palais apostolique de briller de tous ses feux afin d’assurer qu’en toute circonstance la grandeur, la magnificence et l’ascendance du pontife régnant soient pleinement manifestées. Mais, pour les habitants de Rome, bien qu’ils aient été eux aussi sensibles à toutes ces « mises en scène » et au prestige que cela conférait à leur ville, ce qui leur importait sans doute le plus étaient les immenses avantages économiques que cela représentait pour eux et pour leurs familles. Il ne nous appartient pas de traiter ici des efforts déployés par plusieurs papes du XVIe siècle pour faire de Rome une des plus belles villes d’Europe, efforts appréciables et, par bien des côtés, remarquables qui leur vaudront d’ailleurs l’admiration des nombreux visiteurs, pèlerins et autres, qui affluèrent à Rome au cours du XVIe siècle, en particulier à l’occasion des Années Saintes. Car ces efforts ne concernent pas comme tel le rôle joué par la cour ou, plus exactement, l’intendance de la cour qui, lui, se situait à un tout autre niveau de fait beaucoup plus terre à terre intéressant de très près bon nombre des membres des corporations professionnelles et autres de la ville qui y trou-
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vaient, eux, leur profit et, pour certains, un profit substantiel en tant que fournisseurs de biens et de services ou en tant que main d’œuvre employée directement ou indirectement par la cour. Tout cela faisait beaucoup de monde, surtout si l’on tient compte des familles de ceux à qui l’intendance de la cour faisait à tous ces titres appel et si l’on inclut, comme on peut raisonnablement le faire, les cours satellites des cardinaux de résidence à Rome qui, elles aussi, avaient recours à ces mêmes types de fournisseurs et à ce même genre de main d’œuvre. Aussi ne peut-on qu’être d’accord avec les historiens qui affirment que Rome n’était pas seulement à l’époque une ville de cour, mais une ville vivant essentiellement de la cour. En tête de liste des fournisseurs de biens et de services figurent bien évidemment les marchands, entrepreneurs et courtiers par l’intermédiaire desquels la cour se procurait les denrées de première nécessité, tels le blé et le vin surtout, destinés aux habitants du palais, auxquels on pourrait ajouter les fourrages destinés, eux, aux chevaux et mules à la disposition du pape et de sa « famille ». Mais il faut aussi inclure à ce niveau les nombreux banquiers « romanam curiam sequentes » qui assuraient le paiement des denrées en question ou qui, parfois, en étaient eux-mêmes les fournisseurs, étant tout à la fois banquiers et marchands. Qu’ils aient été fournisseurs ou banquiers ou les deux à la fois, tous ces intervenants étaient certainement, et de loin, ceux qui à ces divers titres avaient le plus à gagner, mais le plus à perdre également. Car il suffisait qu’accède au trône pontifical un nouveau titulaire pour que tout bascule et qu’ils se voient évincés par des compétiteurs proches de ce dernier ou bien vus de lui. Aussi était-il très important pour tous ces grands fournisseurs ou banquiers de la cour ou encore pour ceux qui aspiraient à le devenir d’exploiter à fond les liens de parentèle ou de clientèle qu’ils pouvaient avoir non seulement avec le pape régnant ou l’un ou l’autre de ses proches, mais avec tous les cardinaux jugés papabili et leurs entourages. Certains réussissaient mieux que d’autres à le faire, mais tous savaient à quels risques leurs liens avec la cour étaient exposés. L’un de ces risques, et non des moindres, dans le cas des banquiers, était, comme le montre l’historien Francesco Guidi Bruscoli, de ne se voir rembourser qu’avec beaucoup de retard les avances ou prêts faits au pape pour ses propres besoins ou ceux de sa cour, ce qui, pour certains, entraînait plus de coûts que de profits et pouvait donc, à plus ou moins brève échéance, conduire à la faillite6. Si tant de banquiers étaient prêts à prendre ces risques, c’est sans doute qu’ils gardaient malgré tout espoir d’y gagner quelque chose, ne fût-ce qu’en terme d’ascension sociale. Qu’il suffise de mentionner ici, à titre d’exemple, le cas des Salviati qui, grâce à l’octroi que leur fit en 1514 Léon X de la trésorerie de Romagne et de 6
Cf. Guidi Bruscoli, Papal Banking cit., p. 69-71, 80.
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la ferme du sel pour tout l’État pontifical, accédèrent éventuellement à la noblesse romaine au début du XVIIe siècle7. À un niveau moindre, mais tout de même important, nous trouvons les fournisseurs de denrées inscrites dans les livres de comptes des majordomes de l’époque sous l’appellation générique de companatico. Qu’il s’agisse, pour ne nommer que les plus importants, des bouchers, poissonniers, maraîchers, marchands de volailles, moutardiers, marchands de légumes, fruitiers, marchands d’huile, apothicaires, tous, sans exception, jouissaient d’un avantage incontestable sur leurs compétiteurs, tout d’abord, en termes financiers, mais également et peut-être surtout de prestige. Quand on sait –– et nous en avons fait état dans notre septième chapitre –– que le companatico représentait, à lui seul, entre 27 et 34% du budget d’entretien de la cour8, on comprend, d’un seul point de vue monétaire, l’intérêt que ce marché constituait pour ces derniers. Toutefois, eux aussi étaient exposés aux risques inévitablement liés à tout changement de règne. Il suffit de parcourir les livres de comptes des majordomes pour constater que de fait peu réussissaient à passer le cap9. Et est-il besoin de rappeler qu’à partir de Sixte V, en raison de la décision de ce dernier, maintenue par son successeur, Clément VIII, de passer du companatico en nature au companatico en argent, ils virent leurs revenus fondre, bien qu’ils pouvaient encore se prévaloir du prestige que leur procurait le titre de fournisseur de la table du pape. Autre domaine occasionnant des dépenses substantielles et donc de nature à intéresser nombre de marchands ou artisans de Rome: le vêtir. Ici, les fournisseurs étaient principalement les marchands de tissus et les merciers à qui on achetait les éléments nécessaires à la confection de vêtements d’apparat, liturgiques ou autres –– ces derniers concernant surtout le pape –– ou des vêtements de fonction –– notamment, les livrées de certains officiers de la cour, tels les palefreniers, par exemple, y compris dans leur cas et dans celui de certains autres courtisans, les coiffures (cappelli), voire les souliers (scarpe) qui leur étaient également fournis et pour la fabrication desquels on faisait sans doute appel aux chapeliers et cordonniers connus de l’intendance de la cour. Le tout représentant une dépense annuelle de plusieurs milliers d’écus: 4 ou 5000 au minimum au temps de Jules III et de Paul IV10. Voir Hurtubise, Tous les chemins cit., p. 267-300. Voir, plus haut, Chap. VII, Tableaux X, XI, XII et XIII. 9 Un bon indice en ce sens: aucun des fournisseurs de la cour de Grégoire XIII ne se retrouve au service de son successeur, Sixte V. Il suffit pour s’en rendre compte de comparer les listes des noms des fournisseurs en question figurant dans les livres de comptes de 157778 et de 1589 tenus par leurs majordomes respectifs. ASR, Cam. I: 1351, fol. 24rv, 27v, 28r, 29rv, 99v, 102r, 103r, 104v et Ibid., Cam. I: 1362, fol. 8r, 9v, 14r, 15r, 27r, 32r, 33v, 36rv, 42r, 43v, 44r, 52r, 56r, 63v. 10 Voir, plus haut, Chap. IV, p. 289-290 et notes 357-358. 7 8
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Mais à tous les fournisseurs, artisans et gens de métier jusqu’ici mentionnés, il faut pour être bien complet ajouter la longue liste de ceux à qui s’adressait régulièrement ou de façon ponctuelle la direction de la cour en vue de répondre à tous les autres besoins de cette dernière, ce qui représentait, nul doute, une quarantaine d’autres professions11 qui, ajoutées à celles dont nous venons de faire état, nous donneraient au total près de soixante corporations professionnelles ou ouvrières dont les membres pouvaient espérer obtenir des commandes ou des offres d’emploi de la part des principaux officiers de la cour. Il ne faut toutefois pas oublier que celle-ci comptait elle-même un certain nombre de représentants desdites corporations, entre autres, médecins, barbiers, apothicaires, tailleurs, bouchers, acquiféraires, charretiers, maréchaux-ferrants, maçons, charpentiers, jardiniers, vignerons, architectes, joailliers, artistes dûment inscrits dans les rôles de la cour et ayant de ce fait droit, comme tous les autres, à une « provision » ou un salaire, voire aux mancie versées à divers moments de l’année12. Ce qui ne veut aucunement dire que la cour ne faisait pas par ailleurs appel aux services d’autres membres de ces mêmes corporations. Et pour cause. Le cas le plus intéressant de ce point de vue est celui de l’apothicaire qui avait de toute évidence recours à divers de ses collègues pour la fourniture des épices, du sel, du poivre, du sucre, mais surtout de la cire et des nombreux ingrédients nécessaires à la préparation de remèdes, tous produits dont il avait besoin au titre de ses multiples responsabilités13. Quant aux tailleurs dont s’entourèrent un certain nombre de papes à l’époque, comme ils étaient, selon toute apparence, au service exclusif de ces derniers et de leurs proches, pour tout ce qui était des besoins vestimentaires 11 Jean Delumeau fournit une liste détaillée des professions et métiers exercés à Rome à l’époque. Cf. Vie économique cit., I, p. 377-378. Voir aussi les Tableaux I, II et III insérés entre les p. 372 et 373. 12 À titre d’exemple, prenons le cas de l’orfèvre ou joaillier que l’on trouve à la cour de plusieurs papes. Jules II versait au sien, Domenico di Sutri, une « provision » mensuelle de 4 ducats. ASV, Intr. et exit. 549, fol. 69v. Il en allait de même de celui de Clément VII, Niccolò di Mo Sanctis, qui, notons-le, avait auparavant servi sous Léon X. Ibid., Div. Cam. 76, fol. 161r. Paul III verse aux siens –– car il en aura plus d’un –– 5 ducats par mois. ASR, Cam. I: 866, fol. 14r, 17v et 18r. Le dernier en date, un certain Giorgio Jacopo, aura droit à la mort du pape à la traditionnelle « mancia » funéraire sous forme de tissus noirs devant servir à la confection d’un habit de deuil. Ibid., Cam. I: Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 10v. Jules III eut à son service un certain « Joan » Cecchino (BAV, Ruoli 6, fol. 8r) et Paul IV en eut au moins deux, soit Andrea Ginetto et Bartolomeo Bulgari (Ibid., Ruoli 32, fol. 12r), mais nous ne savons pas ce qu’ils recevaient comme « provision ». On est en droit de penser qu’elle était probablement du même ordre que celle versée par leur prédécesseur, Paul III. À titre de comparaison, le tailleur de Jules II, un certain Andrea, se voyait remettre mensuellement une « provision » de 6 ducats. ASV, Intr. et Exit. 549, fol. 99r. C’était ce que recevait encore entre 1556 et 1559 le tailleur de Paul IV, un certain Ippolito de’ Mariani. ASR, Cam. I: 901, fol. 35r. 13 À son sujet, voir, plus haut, Chap. IV, p. 222-223 et Chap. VI, p. 514-515.
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des autres membres de la cour on faisait appel, comme nous l’avons indiqué plus haut, à l’un ou l’autre des quelque 200 ou 300 tailleurs que comptait alors la ville14. Et que dire des architectes, tels un Meleghino au temps de Paul III, un Peruzzi et un Ligorio au temps de Paul IV et de Pie IV, ou encore d’artistes tels que Michel-Ange sous les pontificats de Paul III, Paul IV et Pie IV, Fra Michele, maître-verrier au temps de Jules III, tous inscrits dans les rôles de cours desdits papes et traités en conséquence et, donc, sans aucun doute tous objets de l’envie de leurs confrères moins fortunés, mais, par contre, vraisemblablement, fort appréciés de ceux à qui ils procuraient, à certains moments, en grand nombre du travail sur l’un ou l’autre des chantiers placés sous leur autorité15. Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier les fournisseurs qui, bien que ne figurant pas dans les rôles de cour, n’en faisaient pas moins l’objet de faveurs particulières, indices de l’estime dont ils jouissaient de la part du maître de céans ou de ses principaux officiers. Ainsi, au temps de Jules II, son cordonnier (« calzolario »), son sellier (« sellario ») et son pelletier (« pelliciaro ») qui reçoivent chacun, une « provision » mensuelle de 6 ducats16 et, au temps de Paul III, le cordonnier et le chasublier (« banderario ») de ce dernier qui en reçoivent tout autant17. Tout aussi significatif, sinon plus, le fait qu’à la mort dudit Paul III, douze fournisseurs au moins de sa cour se voient remettre le tissu nécessaire à la confection du traditionnel vêtement de deuil, soit le pelletier, le chasublier, le bâtier, le marchand de meubles, le laitier, le chandelier, le boucher, le poissonnier, le sellier, le chaudronnier, le bourrelier et le cordonnier18. Façon comme une autre de s’assurer de bons services de la part des fournisseurs déjà à l’emploi de la cour ou aspirant à le devenir. Delumeau, Vie économique cit., I, p. 312 (Tableau I) et 377. Meleghino, architecte de Paul III avec le titre de commissaire de la fabrica du palais apostolique, recevait une « provision » de 10 écus par mois. ASR, Cam. I: 886, fol. 16v. Peruzzi qui jouait le même rôle sous Paul IV était en 1555-1556 rémunéré à raison de 19,80 écus le mois. Ibid., Cam. I: 1297, fol. 17v. Il est par ailleurs inscrit aux rôles de la cour. BAV, Ruoli 32, fol. 9r. Il est remplacé en 1558 par Pirro Ligorio qui se voit, lui, attribuer une « provision » de 27,50 écus mensuels. Ibid., fol. 12r et ASR, Cam. I: 1298, fol. 41r. Passé au service de Pie IV, il se voit attribuer la même rémunération. Ibid., Cam. I: 1299, Conto 1563-64, fol. 25 et BAV, Ruoli 39, fol. 29. Pour ce qui est de Michel-Ange, tout à la fois architecte et peintre au service de Paul III, Paul IV et Pie IV et qui jouit manifestement d’une estime particulière, il voit sa « provision » passer à 50 écus par mois. Il est comme tous les autres architectes inscrit aux rôles de la cour. BAV, Vat. lat. 10603, fol. 118r; 10 604, fol. 165r; Ibid., Ruoli 32, fol. 5r et ASR, Cam. I: 1299, Conto 1563-64, fol. 26. Pour ce qui est de Fra Michele, maître-verrier au service de Jules III, il est inscrit lui aussi dans les rôles de cour avec sept compagnons et un serviteur (BAV, Ruoli 6, 8r), mais nous n’avons pu trouver trace d’une « provision » mensuelle. 16 Cf. ASV, Intr. et Exit. 535, fol. 118r, 158r. Ibid., Intr. et Exit. 549, fol. 93r. 17 ASR, Cam. I: 868, fol. 97r. Ibid., Cam. I: 866, fol. 12r. 18 Ibid., Giust. di Tes. 2, fasc. 7, fol. 11v, 12rv, 13r. 14
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Tout compte fait, force est d’admettre que la cour pontificale, grande consommatrice de produits de toutes sortes, depuis les plus luxueux jusqu’aux plus ordinaires, était par le fait même très certainement une des plus grandes pourvoyeuses d’emplois à Rome, d’où l’anxiété, le désarroi, la colère même que suscitait dans la ville toute absence quelque peu prolongée du pape et de sa « famille », car cela représentait inévitablement un manque à gagner considérable pour les membres de la plupart des corporations professionnelles et ouvrières de la ville, les banquiers « suivant la cour » étant probablement les seuls à ne pas trop en souffrir19. Ce qui pourrait peut-être expliquer la joie, voire l’enthousiasme avec lequel les papes étaient accueillis par les Romains au retour d’absences de longue durée, tels Paul III en 1538 et Clément VIII en 1598 rentrant de missions, le premier, à Nice, le second, à Ferrare. On comprend que les Romains aient été attachés à la personne du pape et aient fait grand cas de sa cour avec laquelle plusieurs d’entre eux entretenaient des liens étroits. Mais cet attachement était loin d’être désintéressé et il suffisait que les avantages ou faveurs que cela leur valait se fassent plus rares ou plus modestes pour qu’ils manifestent ostensiblement leur mécontentement, cela pouvant parfois aller jusqu’à la violence. Car s’ils étaient fiers de leur ville, fiers des travaux d’embellissement qu’y effectuaient d’année en année les papes de l’époque, fiers des cérémonies, déploiements et fêtes qu’occasionnait la présence à Rome de ces derniers et le fait qu’ils y tenaient cour, cérémonies, déploiements et fêtes auxquels d’ailleurs ils participaient volontiers et en grand nombre, qu’étaient cette beauté, qu’étaient ces moments grandioses ou festifs en regard de la grisaille de tous les jours qui était le lot de la plupart d’entre eux. Sans compter que le caractère répétitif d’une bonne partie de la cérémonialité aussi bien liturgique que protocolaire propre à la cour pontificale pouvait avoir à la longue sur eux un effet d’usure, voire de banalisation. Sentiments partagés donc qui varieront d’un pontificat à l’autre selon la plus ou moins grande sollicitude ou générosité de ces mêmes papes à leur endroit, du style de vie adopté par chacun de ces derniers ou encore des ressources plus ou moins importantes dont, chacun, ils disposaient. Aussi n’est-on pas surpris du fait que les plus libéraux, voire dépensiers d’entre eux, un Léon X par exemple, aient fait l’objet d’une beaucoup plus grande estime de la part de leurs sujets romains, riches et pauvres. Mais n’exagérons rien: quel qu’ait été ce niveau d’estime, lesdits Romains devaient tout de même être conscients du fait que sans la présence du pape et de sa cour, Rome aurait été une tout autre ville et, de ce seul fait, leur sort tout autre qu’enviable. Et, sans doute, devaient-ils aussi savoir que, sans cette même 19
À ce sujet, voir Guidi Bruscoli, Papal Banking cit., p. 73-74.
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présence, ils auraient également été privés des avantages pécuniaires et autres que leur procurait la venue bon an mal an de dizaines de milliers de visiteurs attirés par la « gloire » de Rome, une « gloire » qui au XVIe siècle tenait pour une large part aux efforts déployés par les papes de l’époque pour faire de leur capitale sinon la plus brillante, du moins une des plus brillantes d’Occident20. Le moment est venu d’examiner de plus près le rapport que ces visiteurs entretenaient avec la Rome pontificale et, en particulier, le pape et sa cour. 2. Le rayonnement de la cour extra muros Il nous faut ici commencer par distinguer ceux de ces visiteurs qui, en raison de leur rang ou des missions dont ils étaient chargés, étaient reçus au palais apostolique et avaient le privilège d’entrer en contact direct avec le pape, voire d’être ses hôtes de ceux, beaucoup plus nombreux, qui devaient se contenter de voir ce dernier et sa cour de loin, de très loin parfois, à l’occasion de cérémonies au Vatican ou ailleurs, ou encore de défilés, voire de sorties impromptues dans la ville ou la campagne environnante. Soulignons, dès l’abord, le fait qu’étant de simple passage à Rome et, pour une majorité d’entre eux, pour la seule fois de leur vie, ces visiteurs, de quelque rang qu’ils aient été, avaient toute chance d’être éblouis par le spectacle que leur offrait la Rome pontificale, notamment lors des cérémonies liturgiques et protocolaires où intervenaient le pape et sa cour, cardinaux y compris. Aussi ne risquaient-ils pas, comme les Romains de souche ou d’adoption, de trouver à la longue « banal » ou « lassant » le spectacle en question. On ne saurait trop insister sur cette différence de perception qui permet sans doute d’expliquer que les fuorusciti et les stranieri aient été en général satisfaits, ravis même des quelques jours ou semaines passés à Rome où ils avaient probablement eu plus d’une fois l’occasion d’admirer la figure auguste du successeur de Pierre et l’imposante cohorte de prélats, « familiers » et soldats qui lui faisaient habituellement cortège.
20 Sur le rôle joué par les papes à cet effet, nous renvoyons à l’étude récente de Jean Delumeau (La seconde gloire de Rome, Paris 2013) qui éclaire d’un jour nouveau ce rôle, rôle dont il avait d’ailleurs déjà traité dans son ouvrage désormais classique: Vie économique cit. auquel nous avons jusqu’ici plusieurs fois fait référence. Norbert Elias souligne un autre aspect du rôle joué à l’époque par les cours princières par rapport aux villes dépendant d’elles, aspect que l’on pourrait appeler « mimétique ». La cour, écrit-il, « revêtait, dans la plupart des pays européens [ »] un caractère représentatif et central ». Et il ajoute: « La ville était comme on disait au temps de l’ancien régime le ‘singe’ de la cour ». La société de cour, Paris, 1974, p. 11. Cette affirmation mous semble-t-il, pourrait très bien s’appliquer à la Rome du XVIe siècle.
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Nous disons bien: en général, car certains de ces visiteurs et non des moindres n’appréciaient pas toujours les « mises en scène » étudiées que les cérémoniaires pontificaux et parfois les papes eux-mêmes leur imposaient ou ne se privaient pas de critiquer parfois sévèrement le luxe, à leurs yeux excessif, de certaines de ces mises en scène et des décors qui leur servaient de toiles de fond. Pour ce qui est des premiers, comment ne pas rappeler ici le rite d’« obédience » public auquel dut se soumettre Charles Quint au terme de sa triomphale entrée à Rome en 1536, rite qu’il n’apprécia probablement pas plus que de juste –– son aïeul Frédéric III avait obtenu en 1468 qu’il se fasse en privé ––, mais auquel tenait beaucoup Paul III, peut-être pour lui faire expier l’humiliation qu’il avait infligée à son prédécesseur Clément VII neuf années plus tôt21. Ou encore le traitement que reçut Côme de Médicis de la part de Pie V à l’occasion de son couronnement comme grand-duc de Toscane en 1570. En effet, non seulement dut-il durant cette cérémonie faire acte d’« obédience » au pape, mais il dut en plus se reconnaître publiquement son « vassal »22. Voir, plus haut, notre Chap. V, p. 352. Ibid., p. 360. Il n’est peut-être pas sans intérêt de rapporter ici les propos supposément tenus par ledit Côme de Médicis lors d’une conversation avec l’ambassadeur de France possiblement à l’occasion de son couronnement par le pape en 1570. Il commence par dire tout le bien qu’il pense de la cour de Rome: « la piu santa, la piu nobile, la piu illustre, la piu honorata, la piu virtuosa, la piu fedele, la piu regolare et la piu bella che sia al mondo ». Aussi, poursuit-il, on doit toujours parler du pape saintement (« santamente »), car il est le vicaire de Dieu et le successeur de Pierre, le patriarche universel et le Seigneur tout-puissant du monde (« Signore omnipotente del mondo ») à qui tous les princes sont soumis. Il n’hésite pas à faire par ailleurs état d’une même déférence à l’endroit de la cour des cardinaux, ces derniers, dit-il, ne faisant qu’un avec le pape, et il fait l’éloge de plusieurs d’entre eux, à ses yeux particulièrement estimables, tels un Borromée, un Morone, un Farnèse, un Savelli, un Commendone, bien que, s’empresse-t-il d’ajouter, ces éminentissimes personnages, individuellement pris, soient sujets au jugement humain. Et voilà que, fort de cette réserve à première vue de simple bon sens, il s’interroge sur la qualité de personnes dont papes et cardinaux s’entourent. Idéalement, dit-il, on s’attendrait à ce que les personnes en question soient des plus cultivées (« letterat »), vertueuses (« virtuose »), nobles (« nobili »), riches (« ricche »), mais, de fait, trop souvent ils font appel aux services de personnes viles et ignorantes soumises à la tyrannie de la fortune (« fortuna »), de l’or (« oro »), de l’amour (« amore »), de l’ambition (« ambitione »), des plaisirs (« piaceri ») et de la nécessité (« necessità »). Il faudrait au contraire, selon lui, que papes et cardinaux s’entourent de personnes de mérite, tout à la fois sages et vertueuses, se méfient de celles qui pratiquent à leur endroit l’adulation, assurent une meilleure distribution des biens considérables à leur disposition, cessent de concéder bénéfices, dignités, offices et honneurs à des personnes ne les méritant guère, tiennent moins compte de leurs amis, écoutent volontiers tous ceux qui leur demandent audience, mais ne prêtent foi qu’à un petit nombre d’entre eux, enfin exercent les pouvoirs dont ils disposent avec moins de « superbe » (superbia). Et, de conclure Côme de Médicis, si l’on observait toutes ces règles à la cour de Rome, celle-ci serait la plus noble et la plus exemplaire de toutes. Car les vertueux y seraient préférés aux méchants, les pauvres instruits aux riches ignorants, les vrais amis aux adulateurs, les savants aux bouffons. BAV, Ott. lat. 2264 (« Parere del Gran Cosmo de Medici […] sopra la Corte di Roma »), fol. 175179rv. Que cette conversation entre le grand-duc de Toscane et l’ambassadeur de France ait eu 21 22
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C’était là, il le savait, le prix à payer pour l’honneur que venait de lui faire ce dernier, mais sans doute le « prince » qu’il était aurait-il préféré ne pas être soumis à l’un et l’autre de ces rites. Et que dire de la solennelle proclamation de la bulle In Coena Domini qui avait lieu chaque année au terme de la liturgie du Jeudi Saint et qui, selon Montaigne, consistait essentiellement en l’excommunication d’une « infinie sorte de gens », entre autres, « tous les princes qui (détenaient) quelque chose des terres de l’Église »23. Là encore, il ne devait pas y avoir grand enthousiasme parmi les personnes visées. On pourrait en dire autant des rois d’Espagne qui en tant que souverains de l’ancien royaume angevin de Naples et donc, à ce titre, « vassaux » du pape devaient le 29 juin de chaque année payer tribut à ce dernier au cours d’une cérémonie dite de la « chinée », cérémonie que ces mêmes rois trouveront au fil des ans de plus en plus humiliante et, faute de pouvoir la supprimer, chercheront à tourner à leur avantage, ce qui leur vaudra à partir du règne de Paul III des rapports acrimonieux, tout d’abord avec ce dernier, puis surtout avec ses successeurs, Paul IV, Pie V et Sixte V notamment24. Par ailleurs, on peut facilement imaginer l’effet, pour le moins dérangeant sinon vexant, que devait avoir sur les envoyés des souverains catholiques de l’époque ou sur ces souverains eux-mêmes reçus les uns et les autres au palais apostolique ou prenant part à des cérémonies à SaintPierre ou à la Sixtine les fresques, tapisseries ou autres œuvres d’art dont, à partir de Jules II surtout, les papes orneront les murs des lieux de prestige où étaient accueillis les hauts personnages en question, œuvres dues aux plus grands artistes du temps et qui, de plus en plus, visaient à magnifier le rôle providentiel de la papauté et des pouvoirs prééminents que cela leur conférait. Pie IV n’avait-il pas commandé pour la Sala Regia une fresque représentant Charles Quint agenouillé devant son prédécesseur Paul III et s’apprêtant à lui baiser la mule25. Les réticences sinon les désagréments dont nous venons de faire état étaient, on l’aura constaté, de nature surtout politique. Ceux qui critiquaient parfois avec virulence le faste dont croyaient devoir s’entourer les ou non effectivement lieu, elle n’en reflète pas moins très bien l’ambivalence des sentiments que les princes catholiques, Côme de Médicis y compris, entretenaient à l’époque à l’endroit du pape régnant, quel qu’il soit. Si, d’une part, ils étaient tous d’accord pour lui accorder le respect qui lui était dû en tant que « pontife », c’est-à-dire de vicaire du Christ et de successeur de Pierre, de l’autre, ils se sentaient parfaitement libres de le critiquer, voire de s’opposer à lui en tant que « souverain », c’est-à-dire chef d’État rivalisant avec eux d’ambitions politiques, dynastiques même, en un mot « terrestres » qui faisaient de lui en quelque sorte leur égal, sujet comme eux au jugement des hommes. 23 Voir Chap. V, p. 347-348. 24 Ibid., p. 348-350. 25 Voir notre Chap. III, p. 159-162.
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papes de l’époque le faisaient pour des raisons d’abord et avant tout morales. Qu’il suffise de renvoyer ici à Martin Luther et à ses émules qui tout au long du XVIe siècle dénonceront à qui mieux mieux le luxe inconsidéré et scandaleux d’une cour dont le maître, au dire de Luther, préférerait « la tiare à son âme »26. Notons toutefois que nombre de réformateurs catholiques leur feront à la même époque chorus avec parfois presque autant de virulence. C’est le cas entre autres d’un Érasme qui, dans son célèbre Iulius exclusus e coelis, s’en prend au riche accoutrement dans lequel Jules II se présente au paradis au grand scandale de l’apôtre Pierre venu l’accueillir27. Va d’ailleurs dans le même sens la prolixe littérature anticléricale de l’époque faite de pamphlets, d’épitaphes, d’épigrammes et, en particulier, les très populaires pasquinate qui feront surtout fortune à Rome durant une bonne partie du XVIe siècle28. Mériterait peut-être de figurer également dans ce même courant de pensée « réprobateur » le regard désabusé d’un Joachim du Bellay, installé à Rome de 1555 à 1557, donc au temps de Paul IV, et qui dans les Regrets n’hésite pas à écrire ceci au sujet de la cour papale qu’il connaissait bien. Si je monte au Palais, je n’y trouve qu’orgueil, Que vile dignité, qu’une cérémonie, Qu’un bruit de tambourins, qu’une étrange harmonie, Et de rouges habits un superbe appareil29 Ou encore : Je te raconterai du siège de l’Église Qui fait d’oisiveté son plus riche trésor Et qui dessous l’orgueil de trois couronnes d’or Court l’ambition, la haine et la feintise30. 26 26 Labrot, L’image cit., p. 57. L’auteur renvoie à un propos de table de Luther qu’il a trouvé dans l’édition italienne de Tischreden assurée par Leandro Perini, Turin 1969, p. 256. À propos de l’attitude de Luther à l’endroit de la papauté, voir aussi C. Lastraioli, Roma coda Mundi. Le ‘cas Luther’ dans la satire de la papauté, dans La papauté à la Renaissance, éd. F. Alazard — F. La Brasca, Paris 2007, p. 571-587. Voir également, pour ce que l’on a appelé la « double expérience de Luther », F. Rapp, La cour de Rome au temps de Luther, dans Revue de philosophie et de théologie, 119 (1987), p. 171-194. Pour ce qui est du monde protestant en général, cf. D. Solfaroli, Dévoiler le mal dans l’histoire. Les recueils de vies des papes dans la Genève de Calvin, dans La papauté à la Renaissance, p. 511-532 et L. Felici, Il Papa Diavolo. Il paradigma dell’Anticristo nella publicistica europea del Cinquecento, ibid., p. 533-569. 27 Papa Giulio casciato dei cieli, éd. P. Cassiano, Lucca 1998, p. 110-122. Au sujet de cet ouvrage, voir J. P. Vanden Branden, Un pamphlet d’Érasme contre Jules II: Julius Exclusus a Coelis, dans La papauté à la Renaissance, p. 465-473. 28 À ce sujet, voir, en particulier O. Niccoli, Rinascimento anticlericale, Bari 2005. Voir aussi A. Matucci, Or sia vero che il Papa attenga tutto. La corte di Roma negli serittori del Cinquecento, dans La papauté à la Renaissance, p. 465-473. 29 J. du Bellay, Les regrets, éd. S. de Sacy, Paris 1967, p. 121-122. 30 Ibid., p. 120. Bien évidemment, il faut situer ce quatrain dans le contexte de la Rome de l’époque et des tâches souvent ingrates que s’était vu confier du Bellay alors au service
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Il ne faudrait toutefois pas croire que c’était là le point de vue de la majorité des fuorusciti et stranieri qui visitaient Rome à l’époque. Les témoignages et indices ne manquent pas suggérant plutôt le contraire. On pourrait ici multiplier les exemples. Contentons-nous pour ce qui est du moins des personnages de quelque relief des trois suivants, particulièrement révélateurs. À l’automne 1514, Isabella d’Este, épouse du marquis de Mantoue, Francesco Gonzaga, fit son entrée à Rome où elle allait passer cinq mois. C’était là la réalisation d’un rêve qu’elle chérissait depuis de nombreuses années, alimenté en bonne partie par la correspondance qu’elle entretenait avec des amis de longue date, en particulier le cardinal Bibbiena et l’humaniste Pietro Bembo, tous deux proches collaborateurs de Léon X. Ce dernier, entouré de ses cardinaux, la reçut aussitôt au Vatican avec tous les honneurs auxquels elle pouvait prétendre, le tout empreint d’une très grande cordialité. Les semaines qui suivirent furent consacrées à visiter les hauts-lieux de la Rome aussi bien antique que moderne, à commencer par les trésors artistiques et autres du Vatican dont elle avait si souvent entendu parler par Bembo et Bibbiena, en compagnie de ces derniers, mais aussi d’admirateurs tels que Castiglione et probablement Raphaël avec lequel elle eut plus d’une fois l’occasion d’échanger. Elle fut par ailleurs l’hôte de nombreux cardinaux et seigneurs qui lui offrirent banquets et réceptions de toutes sortes agrémentés de musique, de poésie, voire des facéties de Fra Mariano, le bouffon du pape. Léon X, pour sa part, fit en son honneur présenter à nouveau la Calandria, œuvre du cardinal Bibbiena, dans une mise en scène des plus somptueuses qui fera sur les spectateurs présents, y compris l’invitée d’honneur, la marquise Isabelle, un très grand effet. De retour de Naples, où elle s’était rendue fin novembre, elle fut de nouveau invitée au Vatican par le pape qui, voulant lui faire plaisir, fit présenter quelques autres comédies, dont l’Andria de Térence qu’elle avait eu l’occasion de voir à Mantoue l’année auparavant. Elle s’apprêtait à quitter Rome en décembre en raison du mauvais état de santé de son époux, mais celui-ci, à la demande pressante du pape lui-même, l’autorisa à prolonger son séjour jusqu’après les fêtes du Carnaval, ce qu’elle fit au grand plaisir de Léon X et de sa cour, de Bembo en particulier qui n’hésitera pas à écrire que, grâce à la présence de la « Signora Marchesa », le Carnaval fut un des plus gais que Rome ait connu31. De retour chez elle, le 18 mars 1515, Isabella écrit à son ami, le cardinal Bibbiena: de son cousin, le cardinal Jean du Bellay. À ce sujet, voir G. Gadoffre, Du Bellay et le sacré, Paris 1978, p. 45-84. 31 J. Cartwright, Isabella d’Este, Marchioness of Mantua, 1474-1539, II, Londres 1907, p. 110117.
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Je suis à Mantoue, mais mon cœur est à Rome […]. Pensez seulement combien sont différents les lieux où j’habite et le type de vie qui est le mien ici des vastes salles du Vatican et de la vie que je menais à Rome. Mon corps, je le répète, est ici, mais mon âme est là-bas. Dans mon esprit, je me vois encore marchant avec vous, jouissant de votre conversation et de celle des autres cardinaux et baisant la mule de Sa Sainteté32.
On ne saurait même exprimer le profond sentiment d’admiration pour le pape et sa cour qui l’habitait au terme des quelques semaines qu’elle venait de passer à Rome. Mais ce sentiment fut sans doute quelque peu écorché lorsqu’elle apprit en avril 1516 que Léon X venait d’excommunier et de destituer son gendre, le duc d’Urbino, puis, en août, qu’il avait donné comme successeur à ce dernier son propre neveu, Lorenzo. Elle n’en gardera pas moins de bons rapports avec certains membres de la cour du pape, notamment Pietro Bembo et même le cardinal Bibbiena, mais elle ne remettra pas les pieds à Rome du vivant de Léon X33. On l’y retrouve toutefois en 1525 au lendemain de la défaite cuisante de François 1er à Pavie aux mains de l’armée impériale, visite cette fois motivée par son espoir d’obtenir de Clément VII, récemment élu, l’élévation de son jeune fils Ercole au cardinalat, mais en même temps, à ce qu’il semble, par son désir de tirer profit, profit spirituel s’entend, de l’Année Sainte en cours. En raison des menaces que faisaient peser sur Rome la défaite du roi de France, allié du pape, elle fut la seule personne de son rang à participer aux offices de la Semaine Sainte et à y obtenir l’indulgence plénière propre au Jubilé. Clément VII la reçut avec beaucoup d’égards et lui accorda le 9 mars une audience privée. Mais dès qu’il découvrit quel était le motif principal de sa venue à Rome, il se montra des plus évasifs, car il n’était pas prêt à lui accorder, au moins pour le moment, la faveur demandée. Convaincue qu’il lui faudrait du temps pour l’amener à céder, elle accepta l’offre du cardinal Pompeo Colonna d’aller s’installer dans le magnifique palais de la famille de ce dernier où elle passera de fait les deux prochaines années. Certains de ses vieux amis n’étaient plus là, Bibbiena entre autres, mais elle en retrouva d’autres, un Sadolet, par exemple, et un Pietro Bembo qui lui feront l’honneur et le plaisir de fréquentes visites et de conversations lui rappelant celles qui l’avaient enchantée dix années plus tôt. En mai 1527, elle finit par obtenir du pape le chapeau tant désiré pour son fils, Ercole, mais au coût de 40.000 ducats, ce qui revenait à dire que le pape, à court d’argent, en réalité le lui avait vendu. Mais, qu’à cela ne tienne, elle avait atteint son but et c’est cela qui comptait d’abord et avant tout pour son fils et pour elle. 32 33
Ibid., p. 117. Ibid., p. 118-129, 157, 187.
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Elle était encore au palais Colonna lorsque l’armée impériale fit irruption dans Rome le 6 mai. Rassurée par le fait que son neveu Alessandro et son fils Ferrante faisaient partie du commandement de l’armée en question, elle se crut en sûreté tout comme les 2000 personnes qui avaient trouvé refuge dans ledit palais et, de fait, elle s’en sortira elle-même indemne, mais elle dut assister pendant plusieurs jours, terrorisée et impuissante, aux horreurs sans nom commises par une soldatesque déchaînée et incontrôlable. Le 18 mai, sous la protection d’une forte escorte militaire commandée par son fils Ferrante, elle put enfin quitter Rome et rejoindre par voie de mer et de terre sa chère ville de Mantoue où elle arrivera le 13 juin34. Sans doute lui restait-il l’image sombre et cruelle du sac de Rome qui sonnait en quelque sorte le glas de la longue histoire d’amour qu’elle avait nouée depuis 1514 avec cette ville, mais elle pouvait par contre se consoler à la pensée qu’elle y avait vécu certains des plus beaux moments de sa vie. Et puis, il y avait le chapeau rouge de son jeune fils, Ercole, qui laissait entrevoir des jours meilleurs tant pour sa famille que pour Rome. Si nous avons cru devoir nous attarder plus que de juste peut-être sur les deux séjours d’Isabelle d’Este à Rome, c’est qu’ils nous paraissaient fort bien illustrer l’attrait que Rome et sa cour exerçaient sur des personnages de sa stature et, cela, malgré toutes les contrariétés d’ordre politique surtout qui menaçaient à tout moment de transformer cet attrait en son contraire, mais en général n’y arrivaient pas tant cet attrait était fort, correspondant sans doute à ce que représentait symboliquement pour eux en termes aussi bien spirituels et intellectuels qu’esthétiques la capitale de la chrétienté. C’est le cas manifestement en ce qui concerne Isabelle d’Este, mais il serait facile de démontrer que ce l’est aussi pour plusieurs des voyageurs de marque venus à Rome au XVIe siècle. Ne pourrait-on pas en dire autant d’autres visiteurs, moins prestigieux peut-être, mais tout de même représentatifs d’une certaine élite européenne pour laquelle Rome était devenue une destination privilégiée, pour ne pas dire obligée. Un des plus fascinants exemples de voyageur de cette persuasion nous est fourni par Michel Eyquem, sieur de Montaigne, dont nous avons déjà fait la connaissance et qui séjourne à Rome de la fin novembre 1580 à la mi-avril 1581, donc au temps de Grégoire XIII35. Il est dès l’abord littéralement séduit par cette ville à nulle autre pareille. Curieux, cela pouvant aller parfois jusqu’à l’indiscrétion, il arpente en tous sens Rome et la campagne environnante, s’extasiant devant tel ou tel monument, tel ou tel palais, telle ou telle collection d’art, se surprenant de certaines façons de faire, du style de vie ou des goûts propres aux diverses 34 35
Ibid., p. 243-268. Montaigne, Œuvres cit., p. 488-583.
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catégories d’habitants de la ville, admirant la magnificence des cérémonies auxquelles il lui est donné d’assister, à Saint-Pierre en particulier, l’éloquence des prédicateurs qu’il ne manque pas d’aller entendre, l’exubérance des fêtes et des réjouissances auxquelles il prend part, au temps du Carnaval en particulier, l’ardente piété des Romains manifeste surtout durant le Carême et notamment la Semaine Sainte au cours de laquelle d’innombrables confréries défilent dans les divers quartiers de la ville, grand nombre d’entre elles se rendant le Jeudi Saint au soir, torches à la main, jusqu’à Saint-Pierre. Témoin de ce spectacle étonnant –– les processionnants auraient été, selon lui, au nombre de 12.000 –– Montaigne n’hésite pas à écrire que ce fut là « la plus noble chose et magnifique » qu’il ait jamais vue36. Et, à tout cela, il faut ajouter l’éloge dithyrambique qu’il fait du pape Boncompagni par lequel il a été reçu en audience le 29 décembre, soit un mois après son arrivée dans la ville37. Mais ce que Montaigne a le plus apprécié de Rome, c’est le fait qu’elle ait été, comme il le dit, « la plus commune ville du monde », c’est-à-dire celle « où l’étrangeté et différence de nation se considère le moins » au point où « chacun y est comme chez soi » et, cela, explique-t-il, parce que « son prince embrasse toute la chrétienté de son autorité », ce qui permettrait selon lui d’expliquer, entre autres, que « la considération de l’origine (n’ait) nul poids » en ce qui concerne le choix qu’il fait « des princes et des grands de sa cour »38. Montaigne revient dans ses Essais sur ce trait particulier de la Rome pontificale qu’il appelle cette fois la « seule ville commune et universelle », allant même jusqu’à déclarer à ce propos « qu’il n’est lieu ça-bas que le ciel ait embrassé avec telle influence de faveur et de constance »39. On pouvait difficilement aller plus loin dans l’éloge de quelque ville que ce soit et du « prince » chargé de présider aux destinées de cette dernière. Il n’est pas sans intérêt de rapprocher ce témoignage de celui d’un contemporain, le Gallois Gregory Martin qui séjourna à Rome peu avant Montaigne, soit de décembre 1576 à juillet 1578 à titre de professeur au Collège anglais que venait de créer Grégoire XIII. Gradué d’Oxford où il avait été aussi professeur de grec, les menaces qui pesaient à l’époque sur lui en tant que catholique l’avaient poussé à gagner au plus tard en 1570 le Continent où il poursuivra des études en théologie à l’Université de Douai Ibid., p. 499. Sur l’éloquence des prédicateurs, voir ibid., p. 498. Ibid., p. 489-490. Voir aussi au sujet de pape, p. 490-491, 494, 498. Notons qu’avant son départ de Rome, il obtint du pape, grâce à l’intervention de son majordome, Filippo Musotti avec lequel Montaigne s’était lié d’amitié, le titre de citoyen de Rome auquel il tenait beaucoup. Ibid., p. 501. 38 Ibid., p. 501. 39 Ibid., p. 402. 36 37
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avant d’y devenir professeur en 157540. Le regard de Montaigne était celui d’un laïc et d’un laïc cultivé fasciné par les divers visages de Rome depuis les plus profanes jusqu’aux plus sacrés. Prêtre d’une grande ferveur par ailleurs très attaché à la personne du pape, Martin n’avait d’yeux que pour la Rome « dévote » qu’il avait découverte durant les quelque dix-huit mois passés dans cette « ville sainte » et dont il entendait faire la promotion auprès de ses compatriotes anglais, ce qu’il ne réussira toutefois pas à faire puisque son ouvrage restera à l’état de manuscrit jusqu’à ce que George Bruno Parks le publie en 196941. Montaigne et Martin ont tout de même ceci en commun qu’ils ont tous deux été frappés par la ferveur religieuse des Romains, du peuple surtout, et étaient aussi admiratifs l’un que l’autre de Grégoire XIII qui occupe une place très importante dans leur description de la Rome de l’époque42. Chose certaine, leur regard n’est plus celui d’une Isabelle d’Este, car la Rome que celle-ci a connue et adulée était celle d’avant le sac de Rome et d’avant le concile de Trente, c’est-à-dire la Rome de la Renaissance, où aimaient se retrouver et se sentaient à l’aise les humanistes, poètes et artistes de l’époque. Entre autres, un certain Érasme. Car, tout critique qu’il ait été, mais pour des raisons surtout politiques de Jules II, Érasme qui séjourna à Rome pendant quatre mois au cours de l’année 1509, n’hésite pas à reconnaître à quel point il fut séduit et par la ville qui l’accueillait et par les beaux esprits qu’il y fréquenta dont plusieurs liés de près à la personne du pape43. N’écrit-il pas en 1515 aux cardinaux Riario et Grimani qui lui avaient grand ouvert leurs portes et celles de la cour: Quelle liberté, quels paysages, quelle lumière, quelles promenades, quelles bibliothèques, quelles conversations avec les hommes les plus savants, quel charme dans leur commerce, quels monuments de l’antiquité et quelle joie de voir réunies dans un même lieu toutes les lumières du monde44.
C’est de cette Rome qu’Isabelle d’Este fait d’abord et avant tout l’éloge, car elle correspond, comme pour Érasme, au type d’éducation qu’elle a reçue et au monde dans lequel elle a grandi. Toute autre la Rome que décrivent soixante ans plus tard Montaigne et Martin. Travaillée par le mouvement de réforme catholique, transformée par l’action vigoureuse des papes post-tridentins, la ville a pris un air de plus en plus « dévot » en attendant de devenir la capitale du baroque, image de marque du catholi Martin, Roma Sancta cit., p. XII-XIV. Ibid., p. XIV-XV, XXII-XXXII. 42 Pour ce qui est de l’estime que Martin a de Grégoire XIII, voir Ibid., p. 28, 59, 88, 100104, 108-112, 118-120, 122, 126, 129. 43 A. Renaudet, Érasme et l’Italie, Genève 1954, p. 89-100. 44 Ibid., p. 117. 40
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cisme post-tridentin. C’est surtout cette Rome « dévote » qui attire l’attention d’un Montaigne et d’un Gregory Martin. Ce n’est pas pour rien que ce dernier parle de ville sainte (« Roma Sancta »). Mais Montaigne fait par ailleurs état des nombreuses constructions dues à Grégoire XIII, non seulement de collèges, d’églises et de chapelles, mais de bâtiments publics et dit son admiration pour les efforts qu’il déploie pour donner un nouveau visage à sa ville, ce qui, ajoute-t-il, constituera un jour « un singulier honneur à sa mémoire »45. Les guides destinés aux voyageurs de l’époque réalisés entre la fin du XVe et le début du XVIIe siècle reflètent très bien ce passage d’une Rome « humaniste » à une Rome « dévote ». En effet, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, aux monuments antiques qui avaient été jusque-là, et de loin, privilégiés, viennent s’ajouter et prennent de plus en plus de place les nouveaux bâtiments édifiés par les papes post-tridentins et les renseignements intéressant les pèlerins qui affluent de plus en plus nombreux à Rome. En font tout autant, comme le souligne Jean Delumeau, les plans de Rome qui, eux aussi, se multiplient à l’époque. Autant, au départ, à l’instar des guides, mettaient-ils l’accent sur les vestiges de la Rome antique, autant à partir de la seconde moitié et surtout du troisième quart du XVIe siècle cet accent porte-t-il plutôt sur la Rome « dévote », l’ancienne culture, c’est-à-dire celle de la Rome antique, servant désormais « moins de référence que de faire-valoir à la nouvelle »46. La prise en compte de plus en plus marquée de l’intérêt des pèlerins par les auteurs des guides et plans en question reflète on ne peut mieux la place de plus en plus importante que ces pèlerins occupaient au sein du large spectre des visiteurs qui bon an mal an mettaient le cap sur Rome au XVIe siècle. Aussi, même s’ils sont restés pour la plupart anonymes, ces pèlerins venus seuls ou en groupe accomplir à leur façon ce que l’on serait tenté d’appeler leur visite ad limina47 méritent-ils de retenir notre attention, car s’il est un public que les « mises en scène » aussi bien liturgiques que protocolaires des maîtres de cérémonie du pape et de sa cour pouvaient impressionner, éblouir même, c’était bien celui-là. Comment ne pas rappeler ici le conseil qu’Agostino Steuco, protégé de Paul III, donnait aux papes de son temps à l’effet qu’il leur fallait s’entourer de majesté et de Montaigne, Œuvres cit., p. 490. Delumeau, La seconde gloire cit., p. 170. 47 À strictement parler, cette visite concernait les évêques qui devaient à intervalles réguliers venir à Rome pour rendre compte de l’état de leurs diocèses respectifs. Pratiquement tombée en désuétude à la fin du Moyen Âge, elle sera ressuscitée par Sixte V en 1585. Voir à ce sujet, R. Rybak, La visita « Ad limina Apostolorum » nei documenti della Santa Sede et nel Codice di Diritto canonico, Rome 1994, p. 39-67. Nous employons bien évidemment au sens purement métaphorique la formule en question. 45 46
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splendeur, car, expliquait-il, c’était là le moyen par excellence de se gagner la faveur et le respect du peuple surtout48. Rome recevra chaque année à partir du milieu du XVe siècle de très nombreux visiteurs, plusieurs dizaines de milliers sans doute, et ce nombre sera particulièrement élevé à partir du troisième quart du XVIe siècle49. Burckard, cérémoniaire d’Alexandre VI, affirme que le jour de Pâques 1500, 100.000 fidèles étaient massés devant Saint-Pierre pour y recevoir la bénédiction du pape à la fin de la messe que ce dernier venait de célébrer. Comme la population de la ville ne dépassait guère à l’époque les 50.000 âmes et qu’une fraction seulement de cette population était vraisemblablement en mesure d’être là à ce moment précis, on peut raisonnablement supposer que les « étrangers » constituaient la majorité des personnes présentes et que la plupart de ces derniers étaient là à titre de pèlerins ou de Romei, comme on disait à l’époque50. Et cela d’autant plus que 1500 était une Année Sainte, gage assuré d’une affluence inhabituelle de pèlerins en quête surtout de l’indulgence dite du Jubilé51. Précisons toutefois que ce type d’affluence n’était pas que le fait des Années Saintes. En 1517, le cérémoniaire Paride de’ Grassi estime à plus de 100.000 personnes la foule réunie place Saint-Pierre pour recevoir la bénédiction du pape Léon X à l’issue, là aussi, de la liturgie de Pâques. On se serait cru, commente-t-il, en pleine année du Jubilé52. Certes un certain nombre de visiteurs venaient-ils d’abord et avant tout à Rome par affaire ou encore par amour de l’Antiquité ou de l’art, mais leur nombre était largement éclipsé par celui des Romei qui sans doute profitaient parfois de l’occasion pour visiter la ville et ses monuments ou régler quelque affaire, mais qui étaient principalement là pour accomplir un vœu ou voir au salut de leur âme53. Les papes du XVIe siècle étaient parfaitement conscients du capital « politico-religieux » qu’ils pouvaient espérer tirer du passage chaque année dans leur ville de ces milliers de Romei, pour la plupart attirés par la perspective d’une expérience religieuse à nulle autre pareille –– et, pour la plupart d’entre eux, unique, car ils n’auraient sans doute plus la chance de la vivre à nouveau –– expérience qui allait les mettre en contact, par le biais des monuments abritant leurs 48 R. K. Delph, Polishing the Papal Image in the Counter-Reformation, dans Sixteenth Century Journal, XXIII (1992), p. 35-47. 49 Delumeau, Vie économique cit., I, p. 146-188. 50 Delumeau signale que le même Burckard parle à un autre endroit de son Diaire de 200.000 personnes présentes, chiffre qui lui paraît invraisemblable. Celui de 100.000 paraît plus acceptable. Des témoignages d’époque vont d’ailleurs dans ce sens. Ibid., p. 169. 51 Cette indulgence qui était une indulgence plénière avait été créée par le pape Boniface VIII à l’occasion de la première Année Sainte établie par lui en 1500 et qui connut un immense succès. À ce propos, voir P. Brezzi, Storia degli Anni Santi, Milano, Mursia, 1975, p. 19-36. 52 ASV, Fondo Borghese I: 111, fol. 211r. 53 Delumeau, Vie économique cit., I, p. 151-165.
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restes, avec les martyrs de l’Église primitive, Pierre en tête et, surtout, avec le successeur de ce dernier, le pape régnant, dispensateur des grâces que, seul, à titre de vicaire du Christ, il pouvait leur octroyer. Irene Fosi a raison d’insister sur le fait que dans l’esprit de Boniface VIII qui promulgua la première Année Sainte, il y avait vraisemblablement l’intention de répondre à une attente populaire largement répandue à l’époque de pardon universel, mais également celle de profiter de l’occasion pour affirmer et renforcer autant que possible son autorité et ses pouvoirs comme pape face à des adversaires politiques qui les lui contestaient. Et elle montre bien qu’au XVIe siècle cette double motivation est encore bel et bien présente, mais en fonction d’un climat religieux qui n’est plus celui du XIVe siècle et de contestations de l’autorité du pape qui sont désormais tout à la fois politiques et religieuses54. D’où les efforts considérables déployés par les papes de l’époque pour faciliter l’accès à leur capitale et, dans la ville même, aux lieux faisant partie de l’itinéraire habituel des Romei, itinéraire obligé dans le cas des quatre grandes basiliques: Sainte-Marie-Majeure, Saint-Jean-du-Latran, Saint-Paul-hors-les-murs et Saint-Pierre, itinéraire recommandé pour ce qui était des autres lieux, entre autres ceux abritant des reliques d’un particulier attrait pour l’ensemble des pèlerins ou l’un ou l’autre groupe en particulier. À remarquer toutefois que tous ces efforts visaient en priorité à faciliter l’accès à Saint-Pierre dont ces mêmes papes entendaient faire le point de mire de l’expérience jubilaire. Déjà, en prévision de l’Année Sainte de 1475, Sixte IV fit construire un nouveau pont et percer une nouvelle rue, dans l’un et l’autre cas, en vue de faciliter l’accès au Vatican et ordonna par ailleurs de paver les rues existantes à commencer par celles menant à Saint-Pierre55. Pour le jubilé de 1500, Alexandre VI poursuit sur cette lancée, mais il prend surtout la décision –– capitale –– d’introduire une nouveauté dans le rituel du Jubilé, à savoir que, dorénavant, l’ouverture de la Porte Sainte se ferait toujours prioritairement à Saint-Pierre56. Jules II entreprendra des aménagements édiliaires beaucoup plus importants qu’il ne put malheureusement mener à terme, mais qui visaient tous à tracer des itinéraires beaucoup plus nombreux et commodes, orientés eux aussi vers le Vatican57. Léon X, Clément VII et Paul III perceront, pour leur part, quatre nouvelles artères dont le tracé s’inspirait de 54 I. Fosi, Fasto e decadenza degli Anni Santi, dans Roma, la città del Papa, Turin 2000, p. 792-796. 55 Delumeau, Vie économique cit., I, p. 298-299. 56 Fosi, Fasto cit., p. 794. L’auteure est d’avis qu’Alexandre VI prit cette décision pour une raison surtout « politique », c’est-à-dire « affermare solennelmente la potestas della duplice natura della monarchia pontificia ». 57 Delumeau, Vie économique cit., I, p. 300-301. Méritent une particulière mention le percement des rues Giulia et Lungara et les travaux visant à améliorer l’accès au pont Saint-Ange.
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cette même logique 58, tandis que Grégoire XIII et Clément VIII s’intéressèrent surtout à l’état des ponts de la ville, en reconstruisant un et en consolidant deux autres, en particulier, le célèbre Ponte Sant’Angelo, qui avaient souffert à divers moments des crues du Tibre59. Mais il ne suffisait pas de rendre plus accessibles les lieux fréquentés par les Romei: il fallait aussi assurer à ces derniers le gîte et le couvert, car la vaste majorité d’entre eux étaient de modeste condition et ne pouvaient donc se loger et se nourrir à leurs frais comme le faisaient les visiteurs mieux nantis, tel un Montaigne en 1580. Certes pouvaient-ils parfois compter sur l’hospitalité de proches, de compatriotes ou encore des hospices dont disposaient bon nombre de confréries nationales depuis longtemps établies dans la ville, mais les années de Jubilé, telles celles de 1575 et 1600 qui virent affluer à Rome quelque 400.000 et 500.000 pèlerins respectivement60, la demande dépassait de si loin l’offre qu’il fallait à tout prix trouver, créer au besoin, et en abondance, d’autres lieux d’hébergement capables, eux aussi, d’offrir tout à la fois le gîte et le couvert. C’est ce à quoi s’employèrent un Grégoire XIII et un Clément VIII avec l’aide notamment de la Trinité des Pèlerins établie par Philippe Néri qui avait déjà accueilli quelque 60.000 Romei lors du Jubilé de 155061, mais qui fera beaucoup mieux en 1575, s’étant dans l’intervalle dotée d’un hospice-hôpital capable de recevoir beaucoup plus de pèlerins. À preuve, les quelque 175.000 Romei auxquels elle accorda gîte et couvert durant l’année en question. Ce nombre passera à 210.000 pour le Jubilé de 1600, dont près de 10.000 durant la seule Semaine Sainte62. Tout cela coûtait fort cher, mais Philippe Néri pouvait compter sur la générosité de ses associés et, bien entendu, de celle de Grégoire XIII et de Clément VIII qui tenaient à ce que les foules accourues à Rome à l’occasion des Jubilés qu’ils avaient, l’un et l’autre, promulgués soient traités le plus dignement et le plus humainement possible63. Notons, par ailleurs, que ces deux mêmes papes consacreront d’importantes sommes d’argent à assurer durant l’une et l’autre de ces Années Saintes le ravitaillement de la ville et imposèrent de lourdes amendes à ceux, les aubergistes entre 58 Ibid., p. 142, 301. Il s’agit dans le cas de Léon X de la via Leonina (auj. Ripetta) qui permettait aux visiteurs d’accéder directement de la Porta del Popolo au pont Saint-Ange, dans le cas de Clément VII, de la via Babuina, dans le cas de Paul III, de la via Paola et de la via di Panico. 59 59 Ibid., p. 303. Le pont reconstruit par Grégoire XII fut celui de Santa Maria détruit par une crue du Tibre en 1557, pont que Clément VIII dut reconstruire à nouveau en 1598 pour les mêmes raisons. Les deux ponts qu’il consolida furent le pont Saint-Ange et celui des Quatro Capi. 60 Ibid., p. 171-172. 61 Storiografia e archivi delle Confraternite romane, éd. L. Fiorani, Rome 1985 (Ricerche per la storia religiosa di Roma, 6), p. 404. 62 Delumeau, Vie économique cit., I, p. 171-172. 63 Ibid., p. 170.
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autres, qui cherchaient à profiter de l’occasion pour augmenter les prix64. Grégoire XIII, pour sa part, réduira de 15 à 5 le nombre de jours que les Romei avaient été jusque-là tenus de passer à Rome pour gagner l’indulgence du Jubilé, considérant qu’une telle obligation était pour la plupart d’entre eux beaucoup trop onéreuse65. Manifestement, les papes de l’époque tenaient à ce que leurs « fils » et « filles » viennent en très grand nombre en pèlerinage à Rome et à ce qu’ils en repartent satisfaits, admiratifs, voire transformés. Leurs efforts en ce sens ne furent pas tous couronnés de succès –– lors des Années Saintes de 1525 et de 1550 notamment –– mais ils le furent parfois au-delà de leurs espérances, comme ce fut le cas lors des Jubilés de 1575 et de 1600. Si les mobiles qui les poussaient à déployer tous ces efforts étaient, comme nous l’avons souligné plus haut, à peu près toujours de nature politico-religieuse, tout donne à penser que durant la première moitié du XVIe siècle, le politique l’emportait sur le religieux alors que ce sera plutôt, et de plus en plus nettement, l’inverse par la suite. Le plus bel exemple de ce renversement nous est fourni par Grégoire XIII à qui nous devons le Jubilé de 1575 et qui, dès le départ, situera ce dernier dans une perspective de conversion tout à la fois collective et individuelle. Dès janvier 1574, il ordonne aux prêtres de Rome et du reste de l’Italie d’ailleurs d’expliquer à leurs ouailles que tel est bien le sens de l’indulgence plénière qui leur sera offerte à l’occasion de l’Année Sainte et de la démarche qu’il leur faudra entreprendre en vue de l’obtenir66. Vont dans le même sens les documents officiels publiés à partir du 10 mai de même que la décision prise d’annuler le Carnaval de 1575 et l’invitation faite aux Romains de faire de leur ville une ville sainte (« città santa ») pour leur propre édification, mais surtout celle de ceux qui s’apprêtaient à la visiter à l’occasion du Jubilé67. Très significatif également l’appel fait au saint archevêque de Milan, Charles Borromée pour lequel Grégoire avait une particulière admiration, de venir s’installer à Rome pour quelque temps afin de servir de modèle et d’exemple à ceux, Romains et autres, qu’on verrait bientôt défiler en grand nombre dans les rues de la ville en quête de l’indulgence du Jubilé. Cet appel reçut un accueil des plus favorables et, comme le lui avait demandé le pape, le cardinal, parti le 8 décembre de Milan arriva à temps à Rome pour assister à l’ouverture de la Porte Sainte 64 Ibid., p. 176-181. Dès 1573, en vue du Jubilé qui se profilait à l’horizon, Grégoire ordonna à la Chambre Apostolique de grossir les réserves ordinaires de blé de 200.000 rubbie ou 460.000 hectolitres et de construire de nouveaux greniers publics en vue de stocker ces arrivages additionnels. Ces mesures permirent de répondre à la demande accrue anticipée. En 1600, par contre, dès le mois d’avril, les approvisionnements s’avérèrent insuffisants et Clément VIII n’hésita pas à débourser 150.000 écus pour faire venir en toute hâte du blé des Marches, des Pouilles et de la Sicile. D. Julia, L’accoglienza dei pellegrini a Roma dans Roma, la città del Papa, p. 846-847. 65 Delumeau, Vie économique cit., I, p. 182-183. 66 Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 144. 67 Ibid., p. 145.
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la veille de Noël. Il allait passer deux mois dans la ville, installé chez les Chartreux de Santa Maria degli Angeli, se comportant en pèlerin comme il l’avait fait d’ailleurs durant son périple de Milan à Rome, allant même jusqu’à visiter à plusieurs reprises, pieds nus, entouré de quelques membres de sa suite, les basiliques donnant accès aux grâces du Jubilé, ce qui fera grande impression aussi bien sur les Romains que sur les Romei qu’il avait l’occasion de croiser lors de chacune de ses sorties68. Plusieurs de ses collègues du Sacré Collège, notamment le cardinal Montalto, le futur Sixte V, s’empressèrent de suivre son exemple, encouragés en cela par le pape qui avait d’ailleurs dès janvier 1574 fait appel à bon nombre d’entre eux pour l’organisation matérielle et spirituelle de l’Année Sainte69. Mais Grégoire XIII n’entendait pas s’en tenir au bon exemple de ses proches collaborateurs, cardinaux ou prélats: il tenait à en faire tout autant sinon plus lui-même. Il effectuera de fait six fois la visite des quatre basiliques, accompagné chaque fois d’un certain nombre de membres de sa cour, de membres du clergé et, notons-le, de citoyens de la ville, Grande fut l’impression que faisait sur les foules de marcheurs rencontrés en chacune de ces occasions le spectacle de ce personnage hors du commun, vénéré entre tous, faisant comme eux, en simple pèlerin, le parcours prescrit, allant même, malgré son grand âge, jusqu’à gravir à genoux la Scala Sancta et à faire à pieds le trajet entre la Porta San Paolo et la basilique du même nom70. À tout cela il faut ajouter les mesures qu’il prit ou fit prendre pour assurer que les pèlerins trouvent partout l’assistance spirituelle dont ils avaient besoin pour accomplir le plus fructueusement possible les diverses étapes propres au rituel du Jubilé. Ainsi avait-il ordonné que dans toutes les églises susceptibles d’être visitées par eux soient disponibles en tout temps de nombreux confesseurs et prédicateurs connus tout autant pour leur vertu que pour leur compétence. On disait qu’à l’Aracoeli il y avait chaque jour seize confesseurs présents et que chez les Jésuites on recevait des pénitents de l’aube jusqu’à la tombée du jour71. Efforts qui ne semblent pas avoir été déployés en vain car, au dire de certains contemporains, il en résulta de nombreuses conversions de pécheurs coupables de graves manquements à l’un ou l’autre des dix commandements, voire d’hérétiques et de schismatiques désireux de revenir à la vraie foi72. Plusieurs de ces mêmes contemporains attribuaient d’ailleurs à ce fort sentiment de repentance et au climat de ferveur qui le sous-tendait le fait que Rome ait été en 1575 épargnée de la peste qu’avait connu cette même année l’ensemble de l’Italie73. Ibid., p. 145-146. Voir aussi A. De Roo, Saint Charles Borromée, Paris 1963, p. 290-292. Von Pastor, Storia dei papi cit., IX, p. 144, 147-148. 70 Ibid., p. 147. 71 Ibid., p. 152-153. 72 Ibid., p. 153. 73 Ibid., p. 155. Les mêmes témoins soulignent également le fait que les Romains se montraient à l’exemple du pape particulièrement généreux à l’endroit des Romei qu’ils accueillaient avec grande charité. 68 69
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On ne peut donc douter du fait que Grégoire XIII entendait faire de son Jubilé aussi bien pour les habitants de Rome que pour les Romei un moment de conversion individuelle et collective –– ce que manifestement il fut –– et que le but visé était d’abord et avant tout d’ordre religieux, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’il ne restait rien de la dimension « politique » qui avait dominé pratiquement jusqu’au pontificat de Paul III74. Ne pourrait-on pas dans le cas de Grégoire XIII –– et cela vaut aussi pour Clément VIII vingt-cinq ans plus tard –– suggérer que la frontière entre la face « politique » et la face « religieuse » de l’événement Jubilé se situe quelque part entre les grands déploiements liturgiques de SaintPierre où le pape apparaissait dans toute sa majesté, tiare en tête, à des foules de 50, parfois 100.000 fidèles venus l’acclamer et recevoir de lui la traditionnelle bénédiction urbi et orbi et les six visites qu’en homme de prière qu’il était ce même Grégoire XIII fera des quatre basiliques majeures pour bien montrer qu’il avait lui aussi, comme tout autre pèlerin, besoin de pardon, n’hésitant pas pour ce faire à gravir chaque fois à genoux la Scala Sancta. Dans la ville « dévote » qu’était devenue Rome sous l’influence notamment d’un Philippe Néri, on est en droit de penser que cette seconde image était, pour les Romains du moins, beaucoup plus parlante que l’autre tant cette dernière leur était devenue au fil des ans familière et donc moins impressionnante. Il n’en allait sans doute pas de même pour la plupart des Romei qui assistaient nul doute pour la première et peut-être dernière fois de leur vie aux imposantes « mises en scène » de Saint-Pierre, bien que pour ceux d’entre eux qui eurent en 1575 l’occasion de voir Grégoire XIII se faire, comme eux, pèlerin, il serait surprenant qu’ils n’aient pas été eux aussi très sensibles à cette image d’un pape-roi daignant se faire comme eux pèlerin et pénitent, oubliant pour un moment l’immense distance hiérarchique qui le séparait d’eux. On pourrait en dire autant d’un Clément VIII qui, tout au long du Jubilé de 1600, en plus de visiter lui aussi à diverses reprises les quatre basiliques –– il le fera de fait soixante fois75 –– recevait régulièrement à sa table de pauvres pèlerins dont il lavait d’abord les pieds, puis servait lui-même malgré la goutte dont il était souvent affligé76. Mais il y a plus. En effet, au-delà des deux images que nous venons d’évoquer, l’admiration que suscitaient l’un et l’autre de ces papes aussi bien chez les Romains que chez les Romei venait sans doute aussi et peutêtre surtout du fait qu’ils incarnaient tous deux d’éminente façon un catholicisme qui, depuis le concile de Trente, avait progressivement retrouvé Fosi, Fasto cit., p. 795. Mols, Clément VIII cit., col. 1294. 76 Von Pastor, Storia dei papi cit., XI, p. 517. En cela, Clément VIII entendait sans doute suivre l’exemple de Jésus servant ses apôtres lors de la dernière Cène. 74 75
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sa ferveur et sa vigueur face aux défis qu’avaient constitué et constituaient encore la dissidence protestante et la menace turque. Dans sa lettre pastorale du 10 septembre 1574, Charles Borromée n’encourageait-il pas les diocésains à se rendre en grand nombre à Rome pour montrer en « vrais catholiques qu’ils étaient l’intensité de leur foi et de leur piété »77. Ce besoin d’affirmation identitaire face à l’hérésie protestante semble avoir été passablement répandu à l’époque en Italie comme ailleurs78. Ce qui pourrait expliquer, en partie du moins, le fait que les Jubilés de 1575 et de 1600 aient attiré autant de pèlerins à Rome qui, sans le savoir, confortaient, ne fût-ce que par leur nombre, Grégoire XIII et Clément VIII dans leur volonté de faire de leur capitale une ville catholique modèle. Sans doute ces deux papes n’étaient-ils pas sans savoir que la mobilisation d’aussi considérables foules de pèlerins attirés à Rome par la perspective d’y gagner l’indulgence du Jubilé pourrait aussi servir à renforcer leur autorité et leurs pouvoirs face à des concurrents aussi bien ecclésiastiques que laïques qui persistaient à vouloir poser des limites à cette autorité et à ces pouvoirs. Dans sa bulle d’indiction du 19 mai 1599, Clément VIII n’assignait-il pas à l’Année Sainte qui allait bientôt s’ouvrir le rôle de mettre en évidence que « l’unique troupeau était uni à son unique pasteur », que Rome était « la mère de tous les croyants et la maîtresse de toutes les Églises » et que le siège de Pierre était l’unique « gardien et dispensateur des indulgences »79. Toutes ces affirmations partaient de considérations d’abord et avant tout théologiques mais, dans le contexte de l’époque, elles comportaient nécessairement une dimension politique à laquelle certains princes catholiques, voire certains épiscopats ne pouvaient pas ne pas être sensibles, bien qu’il ne s’agissait plus comme au temps d’un Alexandre VI, d’un Jules II, d’un Léon X et d’un Paul III de politique au sens étatique du terme. Les arrière-pensées « politiques » d’un Grégoire XIII et d’un Clément VIII étaient d’un autre ordre qu’on pourrait à juste titre qualifier de « moral », visant surtout à mobiliser autour de leurs personnes l’ensemble des forces catholiques face à celles, protestantes et autres, qui menaçaient l’Église de toutes parts. Aussi Grégoire XIII et Clément VIII ne pouvaient-ils pas ne pas être sensibles à la présence de centaines de milliers de pèlerins accourus à Rome à l’occasion des Années Saintes de 1575 et de 1600 et qu’ils voyaient à certains moments rassemblés devant eux en foules compactes de 50, voire 100.000 personnes, à d’autres, faisant dévotement comme eux, en groupes plus restreints, la visite des quatre basiliques. Ne fût-ce que psychologiquement, ces divers face à face, les uns très solennels, tels ceux de De Roo, Saint Charles Borromée cit., p. 290. À ce propos, voir M. Venard, L’Église catholique, dans Histoire du christianisme des origines à nos jours, VIII, p. 247-279. 79 Bullarium, Diplomaticum et privilegiorum Sanctorum Romanum Pontificum, X, Turin 1865, p. 505. 77 78
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la place Saint-Pierre, les autres beaucoup plus informels, ne pouvaient que leur être d’un grand réconfort. Mais on ne peut nier qu’ils représentaient aussi pour eux un certain capital « politique », pour être plus exact, « politico-religieux ». Et venait sans doute s’ajouter à ce capital, mais à plus long terme cette fois, les récits, impressions, voire écrits que les centaines de milliers de pèlerins venus à Rome à l’occasion des Jubilés de 1575 et de 1600 rapportaient avec eux au profit de leurs familles, mais aussi de leurs villes et villages respectifs, c’est-à-dire l’image d’une Rome dévote et généreuse et de papes tout aussi dévots qu’ils avaient d’ailleurs eu l’occasion d’admirer dans toute leur majesté, mais aussi faisant comme eux, en simples pèlerins, la visite des quatre basiliques. Mais cette admiration incluait sans doute aussi les cours de l’un et l’autre de ces papes, car aussi bien à l’occasion des grandes cérémonies à SaintPierre que de celles ayant lieu dans d’autres basiliques ou églises de Rome, voire de processions d’un particulier relief, telle celle par exemple de la Fête-Dieu80, ces mêmes papes étaient toujours entourés des membres de leurs « familles » défilant en bel ordre et en magnifique tenue, à leurs côtés, comme ils le faisaient d’ailleurs, mais en plus petit nombre et en plus simple appareil, lors des visites plus « discrètes » de leurs maîtres aux quatre basiliques ou, comme nous l’avons vu dans notre sixième chapitre, à quelque autre lieu de culte où ils aimaient aller se recueillir. Ce constat vaut aussi pour les années où il n’y avait pas Jubilé, même si l’affluence de pèlerins étant beaucoup moindre, l’effet multiplicateur était d’autant réduit. Est-il besoin de rappeler ici la forte impression que laissait sur tous ceux qui entraient en contact avec lui, à l’intérieur comme à l’extérieur du palais apostolique, un Pie V, sans doute le plus dévot des papes post-tridentins qui, déjà de son vivant, était considéré comme un saint et qui cherchera à faire de sa ville, comme de sa cour d’ailleurs, des modèles de vertu et de piété81 qui annonçaient déjà ceux de ses successeurs Grégoire XIII, 80 L’affluence des pèlerins était particulièrement élevée durant la Semaine Sainte, la semaine précédant la Pentecôte et la semaine suivant la Pentecôte, semaine durant laquelle avait lieu la fête et surtout la procession de la Fête-Dieu. Julia, L’accoglienza cit., p. 835. En 1600, la seule Trinità de’ Monti accueillit cette semaine-là près de 15.000 pèlerins. On est donc en droit de penser qu’un grand nombre des Romei en question assista à la très impressionnante et émouvante procession de la Fête-Dieu. 81 Voir à ce propos, Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 227-240, 322-332. L’auteure insiste surtout sur la réforme que Pie V entreprit de la ville et du diocèse de Rome et ne fait qu’allusion à celle de sa cour. Or cette dernière fut très importante. En effet, si Pie V fit venir à Rome Niccolò Ormanetto, disciple de Giberti et bras droit de Charles Borromée, c’était non seulement pour assurer la réforme de son diocèse, de son clergé surtout, mais aussi celle de sa cour. Un mémoire qui pourrait être d’Ormanetto recommandait à ce sujet au pape de n’admettre à sa cour que des hommes de bonne réputation et d’écarter tous ceux qui seraient de quelque façon scandaleux, tels concubinaires et joueurs, entre autres, et l’incitait par ailleurs à donner une bonne formation religieuse à ceux qui y seraient admis. Il semble bien que Pie V ait
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Sixte V et Clément VIII, modèles il est vrai moins ambitieux que les siens, mais néanmoins dignes d’admiration de la part des visiteurs, pèlerins surtout, qui se présentaient bon an mal an à Rome. La Roma Sancta de Gregory Martin écrite au cours des années 1580-1581 décrit très bien et en connaissance de cause ce qui faisait désormais l’attrait de Rome aux yeux tenu compte jusqu’à la lettre de ces recommandations. Il tenait à ce qu’en bons chrétiens ils observent scrupuleusement les préceptes de l’Église, assistent aux catéchèses ou sermons qui leur étaient destinés, aient sous la main durent leurs temps libres un livre édifiant, se réunissent tous les jours pour prier et fréquentent régulièrement les sacrements. Au point où on disait à Rome à l’époque qu’il avait transformé le Vatican en couvent. Pecchiai, Roma cit., p. 127-128. Un certain nombre d’avvisi de l’époque confirment cette impression. Celui du 12 octobre 1566 nous apprend que le dimanche précédent le pape avait convoqué après dîner tous les membres de sa « famille » dans la salle de Constantin et leur avait fait un éloquent discours, les incitant à vivre religieusement, à se confesser et à communier souvent, à ceux qui étaient prêtres à célébrer fréquemment la messe, à tous à s’habiller sans ostentation aucune, à ceux qui avaient des serviteurs à s’assurer que ces derniers se conduisent bien, évitant tout particulièrement le jeu, les blasphèmes et la fréquentation des prostituées, enfin à ceux qui étaient appelés à faire la garde à occuper leurs temps libres à de bonnes lectures (« qualche libro spirituale »). Et on signale que le même jour il avait ordonné à son majordome et à Ormanetto de surveiller de près toute la « famille » et, le cas échéant, de punir ceux qui se seraient mal conduits. BAV, Urb. lat. 1040, fol. 309v. Cet ordre ne semble pas avoir été pris à la légère. Un avviso du 25 août 1568 fait état de la condamnation au bûcher et de l’exécution récente d’un jeune homme, serviteur du « dépensier » du pape trouvé coupable de sodomie (« bruttezza »). Ibid., fol. 602v. (Signalons au passage que Pie V avait, comme Paul IV avant lui, une sainte horreur de la sodomie et que, sous son règne, plusieurs sodomites finirent sur le bûcher. (Lemaitre, Saint Pie V cit., p. 230). Un mois plus tard, soit le 25 septembre, à la lumière peut-être de la conduite scandaleuse du jeune serviteur du « dépensier » du pape, le capitaine de la Garde Suisse reçut l’ordre de remettre tous les soirs au pape la liste des personnes entrées et sorties du palais à partir de deux heures. Et, le même jour, les membres de la Garde des chevau-légers reçoivent l’ordre d’être rentrés dans leurs quartiers à partir de quatorze heures et de n’en sortir qu’avec l’autorisation expresse de leur capitaine. Et on leur rappelle qu’il leur est interdit de jouer, de blasphémer et de fréquenter les femmes de mauvaise vie. Ibid., fol. 620r. Mais Pie V ne se préoccupait pas que de la bonne conduite des membres de sa « famille »: il s’intéressait aussi à leur vie spirituelle. Un avviso du 1er mars 1567 signale qu’à la demande du pape une prédication est donnée tous les jours aux membres de la Garde Suisse dans leur langue à la Chapelle Sixtine. Ibid., fol. 377v. Il faut dire qu’on était alors en plein Carême. Nous ne possédons malheureusement pas de renseignements aussi détaillés concernant les successeurs de Pie V. Mais les indices ne manquent pas permettant de croire qu’ils suivirent en gros son exemple. Deux d’entre eux, Sixte V et Clément VIII, n’étaient-ils pas ses créatures –– Sixte V était en plus comme lui un ancien inquisiteur –– et Grégoire XIII, pour sa part, n’avait-il pas exercé des fonctions judiciaires importantes qui lui avaient appris l’impartialité et la rigueur, impartialité et rigueur dont il fera à maintes reprises la démonstration –– nous avons été à même de le constater –– une fois devenu pape? Et que dire du fait qu’ils avaient tous trois retenu les services du jésuite Francisco de Toledo que Pie V avait recruté et installé au Vatican avec le titre de « prédicateur » de la cour et dont Clément VIII fera son confesseur avant de l’élever au rang de cardinal? Sans oublier que deux de ces mêmes papes, Grégoire XIII et Clément VIII, entretenaient des rapports très étroits avec Philippe Néri, un des principaux artisans de la conversion des Romains à une vie plus « édifiante », parmi lesquels bon nombre de membres de la cour pontificale. À ce sujet, voir Ponnelle - Bordet, Saint Philippe Néri cit., p. 244-246, 267-268, 474-483.
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des pèlerins qui y venaient en nombre grandissant et, de toute évidence, pour des raisons d’abord et avant sinon exclusivement religieuses. Et il attribue aux papes du temps, à un Grégoire XIII en particulier qu’il a eu l’occasion d’observer et d’admirer le mérite d’avoir donné à sa ville un visage « dévot » et « charitable » qui, selon lui, la caractérisait82. Malgré son dessein apologétique, cette description n’en correspond pas moins à ce que nous savons par ailleurs des transformations aussi bien physiques que morales que subissait à l’époque la Rome pontificale83. Le type de rapports que les papes et leurs cours entretenaient avec les nombreux visiteurs, pèlerins en particulier, qui affluaient à Rome au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle n’était plus celui qu’avaient connu leurs prédécesseurs qui, contrairement à eux, avaient, à quelques exceptions près, adopté un style de vie « mondain » et cultivé des ambitions à l’avenant faisant d’eux des émules de leurs vis-à-vis séculiers au point d’ailleurs de rendre envieux certains de ces derniers. Humanistes, artistes et banquiers proches de la cour s’accommodaient fort bien de cette « mondanité » qui leur valait faveurs, emplois et profits et donc la possibilité de jouir à plein des avantages d’une ville qui était devenue un des hauts-lieux de la Renaissance et allait en garder certains traits au-delà de la catastrophe que fut le sac de 1527 vu par certains comme une punition de Dieu. Certains visiteurs, amateurs d’antiquités, d’art et de belles-lettres s’en accommodaient tout autant tels, nous l’avons vu, une Isabelle d’Este en 1514, voire un Érasme en 1509, malgré le jugement sévère porté par ce dernier sur Jules II mais, rappelons-le, pour des raisons qui avaient surtout à voir avec le côté belliqueux de ce dernier. Par contre, il ne manquait pas de contemporains gagnés à la cause d’une réforme en profondeur de l’Église pour dénoncer vigoureusement le luxe et l’immoralité affichés qui régnaient à la tête même de l’Église, en d’autres mots à la cour pontificale. Martin Luther était un de ceux-là et le sera de plus en plus à partir du moment où il coupera tous liens avec Rome, mais il y en avait d’autres, et non des moindres, qui, eux, ne se contenteront pas de condamner la situation existante, mais s’emploieront patiemment et inlassablement de l’intérieur à donner à la ville et à la cour de Rome un nouveau visage, à leurs yeux plus conforme à ce que devait être la Ville Éternelle. Mais qu’en était-il des pèlerins qui vinrent en plus ou moins grand nombre à 82 À ce sujet, il est intéressant de noter que son ouvrage comporte deux axes, l’un consacré aux lieux et pratiques de dévotion (« the devotion of the citie of Rome »), l’autre, aux œuvres de charité (« the charitie of Rome ») qui constituent à ses yeux les meilleures preuves de la « sainteté » de Rome. Roma Sancta cit., p. 17-104, 107-260. À noter qu’il consacre plusieurs pages à l’Année Sainte en général (Ibid., p. 60, 220-223) et à celle de 1575 en particulier (p. 223-240). 83 Nous renvoyons de nouveau à ce sujet à Delumeau, Vie économique cit., I, p. 246-273, 297305.
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Rome lors des Années Saintes de 1500 et de 1525 ou encore entre l’une et l’autre de ces années phares qui, eux, n’étaient pas là principalement pour découvrir les « merveilles » (mirabilia) de la ville telles que décrites dans certains guides à leur disposition, mais pour gagner les indulgences dont leur parlaient certains autres guides ou parfois les mêmes. Et alors on peut légitimement se demander s’ils avaient conscience de ce que pouvaient avoir de « scandaleux » le style et le mode de vie des papes du temps et de leurs cours –– on pense ici tout naturellement à un Alexandre VI en particulier –– ou si, au contraire, n’ayant d’intérêt que pour les lieux de culte à visiter, les reliques à vénérer, les gestes pénitentiels à poser et surtout les indulgences à gagner, ils ne rentraient pas chez eux avec une image positive de Rome, ayant pu, entre autres, prier sur la tombe des apôtres Pierre et Paul et reçu par ailleurs la bénédiction urbi et orbi du successeur de Pierre, le pape régnant, fût-il un Rodrigue Borgia. Martin Luther qui sera si critique à l’endroit de la Rome pontificale ne reconnaît-il pas lui-même dans ses Tischreden que, lorsqu’il séjourna dans cette même ville en 1510-1511, il en visita avec dévotion les églises principales, y gravit même à genoux comme tant d’autres la Scala Sancta, en profita pour faire une confession générale, tout en admettant par ailleurs qu’il avait à l’époque le plus grand respect pour le pape84. Si le religieux et l’universitaire qu’il était percevait à l’époque Rome de cette façon, comment s’étonner que des pèlerins pour la plupart moins instruits sinon analphabètes aient eu cette même réaction. Or, comme nous ont permis de le constater les Jubilés de 1575 et de 1600, les pèlerins qui accouraient à Rome un demi-siècle plus tard en sont toujours à cette même vision des choses avec cette différence toutefois, et elle est de taille, que la Rome qu’ils ont sous les yeux n’est plus celle d’Alexandre VI, Jules II, Léon X, voire Paul III, mais celle dont rêvait ce dernier qui, de fait, ne commencera à prendre forme que sous Paul IV et surtout Pie V pour atteindre son apogée sous Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII. Changement capital, car il n’y avait plus désormais dichotomie entre la Rome « réelle » et la Rome telle que la percevaient les pèlerins et celle que voulaient depuis longtemps les partisans d’une réforme in capite de l’Église. Les témoignages en ce sens d’ailleurs ne manquent pas85. Pour ce qui est des habitants de Rome, ils ne furent évidemment pas sans être affectés par cette métamorphose –– et, ici également, les témoignages à cet 84 A. Esch, Immagine di Roma tra realtà religiosa e dimensione politica, dans Roma, la città del Papa, p. 18. 85 Nous avons invoqué plus haut le témoignage d’un Montaigne et d’un Gregory Martin à ce propos. Mais nous aurions pu en invoquer de nombreux autres. Voir, à ce sujet, Labrot, L’image cit., p. 286-346 de même que l’ouvrage un peu vieilli, mais qui reste une référence de choix sur la Rome de la seconde moitié du XVIe siècle, soit Ponnelle ˗ Bordet, Saint Philippe Néri cit., p. 187 et suivantes.
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effet sont nombreux86 –– mais s’ils y gagnèrent au change, du moins spirituellement parlant, certains d’entre eux –– nous pensons aux fournisseurs de la cour en particulier –– durent regretter l’époque où les papes et leurs cours rivalisaient de luxe et de « mondanité » avec leurs vis-à-vis séculiers. Mais il existait à l’époque un autre public qui, lui, n’était jamais venu à Rome et qui ne connaissait donc cette ville et sa cour que par personnes, écrits ou représentations visuelles interposés. Il a lui aussi quelque chose à nous apprendre sur le rayonnement de la cour pontificale à l’époque. Le moment est venu de nous intéresser à lui. 3. L’image changeante de la Rome pontificale et de sa cour Le grand spécialiste de la Rome de la fin du Moyen Âge, Arnold Esch, parle des deux images de la ville existant à l’époque, celle de ceux qui l’avaient visitée, pèlerins et autres, et celle de ceux qui n’y ayant jamais mis les pieds n’en avaient qu’une connaissance vicariale87. Il donne l’exemple d’un tableau du XVe siècle d’Enguerrand Quarton conservé aujourd’hui à Villeneuve-lès-Avignon qui représente la basilique Saint-Pierre et les environs tels que le commanditaire dudit tableau le lui avait demandé88. Donc une Rome plus imaginée que réelle. Même ceux, pèlerins surtout, qui avaient visité Rome à l’époque n’en repartaient-ils pas souvent, comme nous l’avons vu plus haut, avec une image partielle, pour ne pas dire sélective de la ville, image qui de fait avait assez peu à voir avec ce qu’était en réalité cette dernière, physiquement et moralement parlant. Gérard Labrot, pour sa part, fait état de l’existence d’une image « antérieure » de Rome existant chez ceux qui ne l’avaient pas ou, du moins, pas encore visitée, image « savante » résultant de connaissances acquises par la lecture ou autrement dans le cas des élites aussi bien laïques que cléricales de l’époque, image plutôt « naïve » dans le cas des lecteurs de guides type Mirabilia Urbis Romae qui jouiront d’une grande diffusion à partir de la deuxième moitié du XVe siècle89. Un bon exemple de cette image « antérieure » nous est fourni par Montaigne qui écrit dans les Essais qu’il a eu « connaissance des affaires de Rome » longtemps avant qu’il ne connaisse « celles de sa maison » et qu’il savait le Capitole et son plan « avant qu’il ne connaisse le Louvre »90. Lors Voir Labrot, L’image cit., p. 233-285. Il parle dans ce cas de la « Roma immaginaria degli occhi interiori ». Esch, Immagine di Roma cit., p. 13. 88 Ibid., p. 15. L’auteur donne d’autres exemples de ce type de représentations physiques. Ibid., p. 16-17. Et cela vaut aussi pour les descriptions des lieux et monuments de la ville que font, rentrés chez eux, les visiteurs ayant séjourné à Rome. Ibid., p. 18. 89 Labrot, L’image cit., p. 37-39. 90 Montaigne, Œuvres cit., p. 401. 86 87
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de son séjour à Rome en 1580-1581, il aura tôt fait de constater que l’image livresque qu’il s’était faite de la Rome antique avait peu à voir avec ce que laissaient deviner les ruines qu’il en restait et qu’il eut, plus d’une fois, l’occasion de visiter91. Il ne fut sans doute pas le seul à devoir faire face à cette désillusion à l’époque. Par contre, on est en droit de penser que les lecteurs des Mirabilia furent moins déçus, car la seule Rome antique qui comptait à leurs yeux était la Rome chrétienne et les « consolations » qu’elle était à même de leur apporter sous forme d’indulgences de toutes sortes, y compris, à tous les vingt-cinq ans, celle du Jubilé. Pour eux, comme le souligne Gérard Labrot, le « cultuel » comptait beaucoup plus que le « culturel »92. Mais, passée l’époque de la Renaissance, on constate que le regard des « élites » ou, du moins, d’une bonne part d’entre elles se rapproche de plus en plus de celui du « peuple » et, cela, d’autant plus que la Rome antique païenne est désormais vue par ces mêmes « élites » comme une anticipation providentielle de la Rome chrétienne en laquelle elle aurait trouvé en quelque sorte sa pleine réalisation. Gérard Labrot n’hésite pas à dire à ce propos que déjà au temps de la Renaissance Rome apparaissait à certains humanistes et artistes comme un symbole d’« éternité » renvoyant, d’une part, à « la foi chrétienne » et, de l’autre, aux « principes de la civilisation romaine » et que ce « symbole » valait tout à la fois « pour les êtres simples et pour les élites »93. Mais il s’empresse aussitôt d’ajouter qu’il s’agissait là d’une « éternité fictive » ne correspondant que très imparfaitement à la Rome réelle telle qu’elle sera perçue, entre autres, au début du XVIe siècle, par un dom Edme qui, manifestement, n’avait que faire de ce genre de mythification94. Une dynamique était toutefois à l’œuvre visant, elle, à faire coïncider le plus possible la Rome « réelle » avec la Rome « idéale », l’accent étant cette fois très nettement mis sur la Rome chrétienne plutôt que sur la Rome païenne, cette dernière, comme le suggérait plus haut Jean Delumeau, n’étant plus là que pour servir de « faire valoir » à la première. Ces efforts qui, nous l’avons vu, finirent par porter fruit auprès des visiteurs, pèlerins surtout, qui affluaient en nombre grandissant à Rome à partir du dernier quart du XVIe siècle furent-ils aussi profitables auprès de ceux qui ne vinrent jamais à Rome et d’ailleurs n’avaient probablement ni les moyens, peut-être même ni le Ibid., p. 491-492. Labrot, L’image cit., p. 38-39. 93 Ibid., p. 43. 94 Ibid., p. 41-47. Dom Edme qui visita Rome en 1520-1521 déplorait le fait que plusieurs monuments de la Rome antique chrétienne, Saint Pierre et Saint-Paul-hors-les-murs en particulier, étaient en piteux état et que la papauté semblait impuissante à remédier à cet état de choses. Voir Relation d’un voyage à Rome commencé le XXIII du mois d’août 1520 et terminé le XIV du mois d’avril 1521, dans Mémoires de la Société d’Agriculture, Sciences et Belles-Lettres de l’Aube (1850), p. 196-197, 201. 91 92
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goût de faire ce déplacement? C’est la question à laquelle il nous faudra maintenant tenter de répondre. Les papes, dès leur retour à Rome au milieu du XVe siècle, avaient eu à cœur de redonner à leur capitale le prestige dont elle avait joui avant d’être supplantée par Avignon au XIVe siècle et d’en faire à nouveau le haut-lieu spirituel et culturel de la chrétienté. Deux d’entre eux, Nicolas V et Sixte IV, profiteront des Années Saintes proclamées par eux en 1450 et 1475 respectivement pour restaurer un certain nombre d’églises anciennes et promouvoir des célébrations liturgiques empreintes d’une plus grande beauté et dignité, le tout en vue de faire ressortir le caractère « sacré » de leur capitale aux yeux, tout d’abord, des pèlerins qui viendraient à Rome pour l’un et l’autre de ces Jubilés, puis de ceux auxquels ces mêmes pèlerins feraient éventuellement part de leur expérience95. Le rôle joué par ces derniers comme diffuseurs de la nouvelle image que Nicolas V, Sixte IV et certains de leurs successeurs entendaient promouvoir de Rome ne saurait être tenu pour négligeable et, cela, d’autant moins que c’était précisément la dimension qu’entendaient privilégier ces mêmes papes qui avait retenu toute leur attention et était au cœur de leur expérience de pèlerins, expérience faite surtout d’impressions, d’émotions, parfois de conversions et qui étaient bien faites pour rejoindre à ce même niveau et, sans doute, dans beaucoup de cas, de façon persuasive ceux et celles à qui, rentrés chez eux, ils en rendraient compte. Mais la papauté pouvait aussi compter, grâce au « miracle » de l’imprimerie, sur une prolifique littérature « promotionnelle » destinée aux pèlerins surtout, qui, elle aussi, mettait l’accent sur la dimension « sacrale » et, cela, en termes de lieux, d’objets, de rites ou encore de récits, de récits de miracles surtout, pouvant intéresser ce public, et, partant, le convaincre de venir à Rome96. Mais c’étaient là des entremetteurs sur lesquels les papes de l’époque n’avaient que peu de contrôle. Ils vont assez tôt songer à s’entourer de conseillers et de stratèges capables de les aider à élaborer et diffuser une image de Rome correspondant mieux et de plus près à celle qu’ils entendaient, chacun, privilégier. Malheureusement, ce ne sera pas là tâche facile, du moins pour ceux de la première moitié du XVIe siècle tant ils prêtaient flanc moralement et politiquement parlant aux sévères critiques de ceux qui leur reprochaient de vivre et d’agir comme des « princes » plutôt que comme des « pasteurs » et d’être ainsi eux-mêmes en contradiction avec l’image d’une Rome, ville « sainte », ville « éternelle » dont ils cherchaient à faire la promotion. 95 96
Sur les efforts déployés par ces deux papes, voir Stinger, The Renaissance cit., p. 6-7, 9. Voir Ibid., p. 31-46.
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Gérard Labrot, dans l’analyse qu’il fait des reproches adressés à Rome et aux papes de l’époque, souligne le fait que ces reproches sont de nature tout aussi bien politique qu’éthique et que, dans l’un et l’autre cas, la dimension religieuse compte pour beaucoup97. Pour ce qui est des griefs de nature politique, qu’il suffise de renvoyer ici à notre deuxième chapitre où nous faisions état des rapports difficiles que certains papes entretenaient avec leurs vis-à-vis séculiers –– et cela concerne la plupart de ceux de la première moitié du XVIe siècle et même un peu au-delà –– alors qu’ils cherchaient à consolider leur pouvoir sur leur propre État face aux ambitions territoriales sinon hégémoniques de compétiteurs aux dents longues, notamment la France et l’Espagne, l’Espagne surtout98. Mais les reproches que l’on faisait à ce propos aux papes en question ne différaient pas tellement –– il importe de le souligner –– de ceux que ces derniers adressaient à ces mêmes compétiteurs. Le hic, et il était de taille, c’est que les papes avaient longtemps joué en Europe le rôle de « pacificateurs » et que d’aucuns comprenaient mal qu’ils ne continuent pas de le jouer à l’époque. Érasme était de ceux-là et on sait la férocité avec laquelle il s’en prendra à un Jules II qui semblait se complaire dans son rôle de chef de guerre, osant même se montrer armé et casqué à la tête de ses troupes99. Il ne sera d’ailleurs pas le seul à déplorer le fait que les papes du temps n’aient pas été les artisans de paix qu’ils auraient dû être. Paul III, nous l’avons vu, s’y essaiera en 1538 avec un certain succès, il faut le reconnaître, mais le contexte politique d’alors se prêtait mal à ce genre d’intervention et peu d’autres s’y risqueront si ce n’est Clément VIII à la fin du XVIe siècle. Le mythe répandu par certains cercles réformistes de l’accession prochaine sur le siège de Pierre d’un « pape angélique » qui inaugurerait une ère de paix universelle n’était que cela: un mythe100 et on aura tôt fait de comprendre qu’aucun des papes de l’époque, même s’il l’avait voulu, n’aurait pu réussir cet exploit. Mais les principaux reproches adressés à la Rome pontificale, aussi bien à ses habitants qu’à leur « maître », le pape, et à sa cour relevaient pour la plupart du domaine de la morale, en d’autres mots du fait qu’y pullulaient tous les vices imaginables et qu’il fallait donc décourager qui que ce soit, les plus jeunes générations en particulier, de s’y rendre, le danger d’en revenir perverti et corrompu étant trop grand. Il ne fallait surtout pas s’imaginer qu’on en reviendrait meilleur. Et on invoquait à ce propos Labrot, L’image cit., p. 54-62. Mattingly, Renaissance cit., p. 162-190. 99 Papa Giulio scacciato dei coeli, éd. P. Cassiano, p. 122. Voir aussi Adagia. Sei saggi politici in forma di proverbi, éd. S. Seidel Menchi, Turin 1980, p. 107. 100 À ce propos, voir C. Vasoli, L’immagine sognata: il papa angelico, dans Roma, la città del Papa, p. 96-109. 97 98
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le proverbe bien connu: « Jamais ni cheval ni homme n’amenda d’aller à Rome »101. Les protestants, Luther en tête, abondaient dans le même sens, dénonçant le fait que « Rome, jadis ville sainte entre toutes (soit) devenue une caverne de voleurs, la sentine de tous les vices, le royaume du péché, de la mort et de l’enfer » et qu’au surplus l’argent y régnait en maître, supplantant du coup la foi qui, de fait, n’y était plus que superstition! Le grand responsable de cette « mascarade »? Le pape « qui préfère sa tiare à son âme »102. D’Allemagne, de Suisse, de France les mêmes accusations vont pleuvoir, ne perdant rien de leur mordant, pratiquement jusqu’à la fin du XVIe siècle. Innocent Gentillet, reprenant en 1576 dans son Anti Machiavel les vers de l’Écossais George Buchanan, n’hésite pas à affirmer que l’histoire de Rome pourrait se résumer comme suit: les païens en ont conquis le territoire, les premiers chrétiens lui ont apporté le ciel et le pape, l’enfer103. Les papes de l’époque dont certains nommément visés par les attaques de ces antipapistes notoires auraient peut-être préféré ne pas avoir à leur répondre tant leurs accusations paraissaient excessives et, pour certaines, non fondées, mais les reproches que leur adressaient à ce sujet nombre de réformateurs catholiques dont certains proches d’eux ne leur permettaient pas de laisser tranquillement passer la tempête comme si de rien n’était. Il leur fallait réagir. Il en allait de leur réputation et de celle de leur capitale et de leur cour et, partant, du sentiment d’appartenance à la grande famille qu’était l’Église, la vraie Église s’entend, sur laquelle, successeurs de Pierre et vicaires du Christ, ils présidaient. Une riposte s’imposait qui tiendrait tout à la fois compte et des divers types d’accusations lancées à la figure de Rome, du pape et de sa cour et de la nostalgie de ceux qui déploraient le fait que la Rome qu’ils avaient sous les yeux n’était pas à la hauteur de la Rome antique ou, du moins, de l’image qu’ils s’en faisaient. Le défi était donc double: d’une part, montrer que la Rome « nouvelle » en cours de réalisation ne le cédait en rien à l’ancienne, de l’autre, entreprendre la moralisation de la ville, à commencer par celle de la cour, pape en tête, sans le bon exemple desquels cette entreprise d’« assainissement » risquait d’être vouée à l’échec. Pour ce qui est du premier de ces défis, qu’il suffise de rappeler ici le rêve d’un Nicolas V de créer une Rome nouvelle qui, certes, s’inspirerait de l’ancienne, du moins de ce qu’il en restait à l’époque en termes de mo101 Labrot, L’image cit., p. 55. Le proverbe semble avoir été répandu à l’époque sous diverses formes et dans plus d’une langue. À ce sujet, voir Roma e il Papa nei proverbi e nei modi di dire, éd. M. Besso, Rome 1971, p. 157-159. 102 Labrot, L’image cit., p. 56-58. 103 Ibid., p. 58.
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numents, d’œuvres d’art ou d’écrits, mais chercherait surtout à s’en faire l’émule plutôt que l’imitatrice et, cela, en fonction des canons esthétiques qui avaient désormais cours, en Italie notamment, et du rôle de capitale de la chrétienté sinon du monde (« Roma communis patria ») que la papauté entendait de plus en plus privilégier104. Rêve que firent leur, chacun à sa façon, les successeurs de Nicolas V et qu’avec l’aide d’urbanistes, d’architectes et d’artistes de talent ils réussirent à concrétiser, la nouvelle basilique Saint-Pierre dont la construction s’échelonnera sur l’ensemble du XVIe siècle constituant sans doute l’exemple le plus typique et le plus achevé de cette réussite. Pour ce qui est du second défi, soit celui de la « moralisation » de la ville et de la cour, il s’annonçait beaucoup plus redoutable, car il ne s’agissait plus simplement de transformer et de transformer le plus commodément et le plus esthétiquement possible l’aspect physique de Rome, mais d’amener ses habitants et, pour ce faire, d’amener le pape surtout et sa « famille » à modifier profondément leur façon d’être et de vivre, ce qui supposait une prise au sérieux des préceptes, voire des conseils évangéliques de la part de ceux qui avaient mission de les faire connaître et, dans toute la mesure du possible, observer. Les papes de la Renaissance, à quelques exceptions près, n’étaient pas très bien placés pour exiger de leurs sujets et de leurs subalternes l’observance des préceptes et des conseils en question. Ce que nous ont appris à ce sujet plusieurs des chapitres qui précèdent le montre assez. C’est pourtant un de ces papes, c’est-à-dire Paul III, qui va être à l’origine d’une transformation non plus seulement « physique », mais « spirituelle » de Rome, annonçant déjà celle, beaucoup plus poussée, qui sera le fait de ses successeurs post-tridentins. Avec le résultat que l’on sait. La Rome, la cour en particulier de la fin du XVIe siècle ne ressemblent plus guère, en ce domaine en particulier, à celles du début de ce même siècle. Les visiteurs, les pèlerins notamment qui afflueront de plus en plus nombreux à Rome surtout à l’occasion des Années Saintes de 1575 et 1600 étaient à même de constater et, pour la plupart, admirer à quel point la ville avait gagné en beauté et en dignité, mais comment rendre ce constat et cette expérience crédibles à ceux, beaucoup plus nombreux, qui n’y avaient jamais mis les pieds? Ce sera là le troisième défi que les papes du XVIe siècle auront à relever qui était, cette fois, non plus de l’ordre du « réel », mais de l’ordre du « virtuel ». Pour ce faire, ils auront principalement recours au livre qu’ils répandront eux-mêmes ou feront répandre à profusion « par des alliés conscients ou inconscients » un peu partout en Europe, précieux instrument qui, souligne Gérard Labrot, leur permettra de construire « un modèle dominant 104
Ibid., p. 59.
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auquel il (était) à peu près impossible de se soustraire »105. Cela va donner lieu à deux types de publication: d’une part, des ouvrages de caractère « savant » qui, à partir d’enquêtes archéologiques et historiques de plus en plus poussées, vont permettre de dissiper de nombreux doutes et corriger tout autant d’inexactitudes concernant la Rome ancienne, païenne aussi bien que chrétienne106; d’autre part, des ouvrages de nature plutôt « descriptive » qui chercheront au contraire à valoriser la Rome « nouvelle » qu’étaient en train d’édifier les papes de la seconde moitié du XVIe siècle surtout, une Rome « riche de son passé certes », mais qui tenait à montrer qu’elle était par ailleurs « bien vivante et dynamique »107. Les vecteurs traditionnels de l’image de Rome, type Mirabilia, vont s’ajuster à cette évolution et tenir de plus en plus compte aussi bien des données archéologiques désormais disponibles que des spectaculaires transformations qu’à l’initiative des papes du temps et de certains de leurs émules la ville était en train de subir108. Les nouveaux vecteurs qui font leur apparition au cours de la deuxième moitié du siècle vont, par contre, se concentrer surtout sur la Rome « nouvelle ». C’est le cas notamment de nombreuses monographies consacrées soit à un monument –– souvent une église ––, soit à une œuvre charitable, soit à l’un ou l’autre des papes régnants, monographies qui, pour la plupart, mettent en valeur l’image d’une Rome « plus proche, plus tentatrice, plus morale » propre à édifier autant qu’à attirer le lecteur109. Même si plusieurs de ces ouvrages n’étaient pas commandités par les papes eux-mêmes ou encore par l’un ou l’autre de leurs proches ou admirateurs, au moins ceux publiés à Rome, et ils étaient nombreux, ne pouvaient échapper au contrôle idéologique que représentait le nihil obstat qui existait déjà à l’époque110. Ainsi n’est-on pas surpris de constater que la plupart projettent une image positive et que, dans bon nombre de cas, information et eulogie y font bon ménage111. Gérard Labrot parle de la grande efficacité du livre comme vecteur de ce genre d’image112, mais il reconnaît en même temps ses limites113, limites 105 Ibid., p. 68. À la différence de l’humaniste qui, au début du XVIe siècle surtout, abordait la ville « armé de ses propres lumières » et du simple pèlerin qui, Mirabilia en mains ou « récits de son curé en tête » était lui aussi livré à lui-même. Ibid., p. 67-68. 106 Ibid., p. 68-69. De commenter Labrot: « Une Rome légendaire a dû s’estomper, une Rome historique naît ». Un savoir plus exact, ajoute-t-il, était à l’époque très important, car il conditionnait la défense de la foi et l’accession à un nouveau type de culture. 107 Ibid., p. 80. 108 Ibid., p. 80-83. 109 Ibid., p. 84. 110 Ibid., p. 86. Voir à ce sujet, Index Librorum Prohibitorum, éd. J. M. de Bujanda, Montréal-Genève 2002, p. 27. 111 Labrot, L’image cit., p. 82. 112 Ibid., p. 85. 113 Ibid., p. 86-87.
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que va permettre de surmonter, du moins en partie, le recours aux illustrations de divers types qui se multiplient et se diversifient tout au long du XVIe siècle, mais plus particulièrement à partir du pontificat de Grégoire XIII. Il y a tout d’abord celles que l’on trouve de plus en plus dans les diverses catégories de livres mentionnées plus haut. Puis il y a celles que constituent les plans de Rome qui, eux aussi, gagnent en nombre et sont de plus en plus précis et raffinés. Il y a enfin les illustrations « libres » de la ville sous forme de dessins, de gravures et de tableaux. Ces trois systèmes de fait se chevauchent et se renforcent l’un l’autre114. Il vaut la peine de noter que le livre illustré qui apparaît vers 1580 se présente sous deux formes, l’une s’intéressant prioritairement à la « Rome qui fait penser », l’autre, à la « Rome qui fait prier », la première, « fille de l’humanisme scrutateur, profane, puis chrétien » né à la fin du XVe et au début du XVIe siècle115, la seconde, issue de la conversion progressive de la ville aux idéaux mis en avant par les chefs de file du mouvement de réforme catholique. Gérard Labrot note que plusieurs des guides illustrés qui font leur apparition à l’époque se réduisent souvent à n’être plus que « des supports commodes d’images pieuses »116. Tout autre le rôle des plans de ville qui se multiplient à la même époque. Ils ont tout d’abord l’avantage de montrer à partir d’une certaine hauteur soit l’ensemble soit certaines parties seulement de la ville, offrant du coup de cette dernière « une visibilité nouvelle » et parfois « un relief saisissant »117. Pour ce qui est des plans partiels, très nombreux et très répandus à partir du règne de Grégoire XIII –– entre autres, le célèbre plan des Sept Églises produit par Lafréry à l’occasion du Jubilé de 1575 –– ils n’étaient pas et ne prétendaient d’ailleurs pas être des représentations exactes, mais plutôt des « croquis » constituant ce que Gérard Labrot appelle des « mimodrames » destinés aux pèlerins s’apprêtant à vivre le Jubilé118. Les plans entiers, au contraire, visaient et viseront de plus en plus à l’exactitude, qu’il s’agisse des plans de type archéologique, tels ceux d’un Pirro Ligorio en 1561 ou d’un Étienne Dupérac en 1574, ou encore de type composite tel celui d’Antonio Tempesta en 1593 qui fait une très large place à la « nouvelle » Rome monumentale sans négliger pour autant les nobles ves Ibid., p. 194. Ibid., p. 195. L’auteur donne comme modèles de ce type d’ouvrages le Theatrum Urbis Romae d’Onofrio Panvinio et le Dell’Antichità di Roma de Pirro Ligorio publiés tous deux vers le milieu du XVIe siècle. Il n’est pas sans intérêt de noter que bon nombre de voyageurs d’un certain rang venant à Rome dans la seconde moitié du XVIe siècle étaient surtout attirés par cette Rome antique. À ce sujet, voir, entre autres, M. M. McGowan, The Vision of Rome in the Late Renaissance France, New Haven-Londres 2000. 116 Ibid., p. 197. 117 Ibid., p.200. 118 Ibid., p. 202. 114 115
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tiges de la Rome ancienne119. Beaucoup de ces plans entiers, difficilement utilisables sur place à cause de leurs dimensions « encombrantes », vont de fait servir surtout à diffuser hors de Rome une image propre à impressionner et durablement impressionner non seulement ceux qui se les étaient procurés sur place ou ailleurs, mais sans doute aussi ceux avec qui ils entraient en contact, proches, amis, voisins avec qui ils devaient tenir à partager l’admiration que leur inspirait cette ville à nulle autre pareille qu’ils avaient peut-être eux-mêmes visitée ou dont ils avaient au moins une connaissance « vicariale » par le biais de lectures faites ou de témoignages d’autrui120. La carte ne remplaçait pas le livre qui, lui, était à même de fournir des détails archéologiques ou artistiques qu’elle n’était pas en mesure d’offrir, mais, visuellement parlant, elle était beaucoup mieux à même que le livre, y compris le livre illustré, de communiquer une impression d’inégalable beauté, majesté et grandeur. Il en va de même des dessins, gravures et tableaux qui nous offrent en quelque sorte une « chronique » sinon une « poétique » de l’évolution de la ville, nous permettant de contempler, d’une époque à l’autre, « le spectacle de la ville par-dessus l’épaule de l’artiste qui le fixer »121. De fait, durant tout le XVIe siècle, de nombreux artistes aussi bien Italiens que non Italiens vont être attirés par Rome et vont, de ce fait, comme le souligne à juste titre Gérard Labrot, transformer la ville « en un véritable sujet pictural »122. Et, s’inspirant des réalisations de ces derniers, de leurs gravures en particulier fort répandues à l’époque123, plusieurs artistes, Flamands entre autres, vont peindre à leur tour Rome, mais sans l’avoir vue. C’est, suggère Gérard Labrot, que Rome est pour eux « infiniment plus qu’une ville. Elle est aussi l’image d’une terre promise à laquelle tous aspirent et peu parviennent ». Avec le résultat que « la nostalgie de Rome s’ancrera surtout en l’âme de ceux qui n’y (étaient) point allés et la peindront pour se venger »124. 119 Ibid., p. 202-206. De ce plan de Tempesta qu’il juge infiniment supérieur à ceux de tous ses prédécesseurs, Labrot n’hésite pas à dire: « C’est la vraie Rome de 1593 qui est ainsi étalée sous nos yeux dans une unité urbaine insurpassable qu’aucun plan postérieur ne parviendra à égaler ». Ibid., p. 206. Ayant eu nous-même plusieurs fois l’occasion de consulter ce plan, nous ne pouvons qu’être d’accord avec l’auteur. 120 Ibid., p. 210. Labrot se contente de parler du profit que le pèlerin pouvait tirer de la lecture personnelle, à tête reposée, de ces cartes « entières » rapportées par lui de Rome. Nous croyons fondée l’hypothèse selon laquelle ce même profit était accessible à ceux qui n’avaient pas fait le pèlerinage romain, mais qui étaient en contact avec des proches qui eux l’avaient fait et avaient en leur possession les cartes en question. 121 Ibid., p. 212. 122 Ibid. 123 À ce sujet, voir Chastel, La crise cit., p. 77-78. 124 Labrot, L’image cit., p. 226.
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Mais cette nostalgie n’était-elle pas aussi le fait de nombreux catholiques d’Europe et d’ailleurs qui, comme ces mêmes artistes n’auront jamais l’occasion, la chance d’aller à Rome, mais qui, nourris des textes, de l’iconographie, des récits que leur fournissaient en abondance promoteurs et admirateurs de la Rome « nouvelle », avaient toutes les chances de s’en faire, à l’égal des Romei sinon plus qu’eux, une image des plus positive, séduisante, voire, inspirante. Mais, comme nous avons été à même de le constater jusqu’ici, cette nouvelle image de Rome, on la doit en très grande partie aux efforts déployés par les papes du XVIe siècle pour faire de leur capitale un modèle inégalé de beauté et de piété. Et pour cause. Car cette ville ne faisait qu’un avec chacun d’entre eux125. Gérard Labrot donne de nombreux exemples de ce lien tout à la fois intentionnel et réel de la papauté avec Rome, tels, par exemple, la présence d’un autel dit pontifical dans chacune des basiliques majeures, autel réservé au pape ou à un de ses délégués, ou encore, les inscriptions que l’on trouve un peu partout dans la ville sur de nombreux monuments, palais et églises entre autres, arborant en lettres majuscules les noms des pontifes auxquels ils devaient leur existence, voire les armes de ces mêmes papes, elles aussi partout visibles, proclamant tout à la fois leur souveraineté temporelle et spirituelle, sans oublier surtout les multiples apparitions en public de ces derniers, apparitions parfois programmées, donc prévisibles, mais souvent, par ailleurs, non programmées et donc imprévisibles126. Et, à ce propos, il ne craint pas d’écrire: Plus que tout autre souverain, [le pape] doit se faire voir, circuler, car sa personne est l’objet d’une quête pressante de tous les voyageurs qui disent bien souvent la grande joie qu’ils éprouvent à le voir et à se rendre là où il se rend afin de le surprendre. Le pape est donc l’âme de la ville, une ville toujours mieux préparée à l’encadrer127.
Mais le pape est en chacune de ces occasions entouré de membres de sa cour dont le nombre, il est vrai, varie d’une occasion à l’autre, mais qui, chaque fois, font l’admiration des visiteurs, tous émerveillés par le bel ordonnancement des cortèges en question et le comportement exemplaire, souvent empreint de piété, de ceux qui y figurent, émerveillement dont font de plus en plus état à la fin du XVIe siècle certains de ces visiteurs et nombre d’auteurs d’ouvrages sur Rome128. Montaigne qui, lors de son séjour à Rome 125 Ibid., p. 325. Labrot va même jusqu’à dire qu’il en est « le seul habitant véritable ». Et il ajoute: Jamais symbiose aussi complète n’a existé, intentionnellement et en réalité, entre un souverain et sa capitale ». 126 Ibid., p. 325-326. 127 Ibid., p. 328. 128 Ibid., p. 331-333. Un bel exemple de ce type de description au XVIe siècle nous est fourni par le Sieur de Villamont dans son ouvrage: Voyages du Seigneur de Villamont, chevalier de l’Ordre de Hierusalem, Gentilhomme du pays de Bretagne, Paris 1595, fol. 36r-38v.
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en 1580-1581, eut plus d’une fois l’occasion de voir le pape s’offrir ainsi en spectacle et qui, par ailleurs, s’était bien rendu compte que les Romains étaient totalement dépendants du pape, ne craignait pas de dire que Rome était « une ville toute cour »129. Gérard Labrot qui évoque ce témoignage renchérit en disant que cette cour est le lieu « où, réellement et métaphoriquement, la vie de l’entière population, sédentaire et adventice, puise son sens », à savoir « dans la présence du pontife et dans la participation à ses actes »130. Et, parmi ces actes, précise-t-il, il faut compter ceux qui font du pape le maître absolu « de tout déplacement d’autrui qui suscite le sentiment religieux » tels « le culte des saints », la « distribution des indulgences », la « localisation des autels privilégiés »131. Sans compter ceux, représentant le sommet de la visite à Rome, qui consistaient à recevoir sa bénédiction ou, le cas échéant, ce qui était plus rare, à être reçu par lui et à baiser sa mule132. Le pape est, en somme, « celui qui toujours va devant ». Les catholiques, « du plus puissant cardinal au plus humble acquaio » suivent, en d’autres mots, empruntent le chemin qu’il leur indique. Mais cela vaut aussi pour ceux qui vivent « aux confins de la catholicité » et qui sont eux aussi invités à suivre Rome, cette dernière représentant « déjà la catholicité idéale », cour y comprise, cette dernière n’étant d’ailleurs aussi « spectaculairement cour » que pour inviter ces derniers « dans les sortilèges de l’imagination réduite aux livres et aux images […] à adopter le comportement de ces bons courtisans », en d’autres mots, « à s’agréger à cette cour »133. Mais, au-delà des images en question, la cour comme telle était-elle à l’époque aussi « édifiante » que d’aucuns le disaient ou le croyaient? Montaigne, encore lui, ne craignait pas d’affirmer vers la fin de son séjour à Rome et, cela, en plein accord avec le jésuite Maldonat qui connaissait bien Paris que les riches « et notamment les courtisans » étaient à Rome plus dévots qu’en France134. Ponnelle et Bordet, biographes de Philippe Néri, sont pour leur part d’avis que l’attachement de Grégoire XIII et de nombre de ses cardinaux à la Vallicella où Philippe avait élu domicile en 1575 joua un rôle important dans l’influence de plus en plus grande que Philippe exerça sur les courtisans aussi bien du pape que des cardinaux proches de l’Oratoire. Et ils expliquent cet état de choses par le fait que « soit par intérêt, soit par goût », ces courtisans avaient décidé de conformer « leurs mœurs à ceux de leurs patrons » et peut-être aussi, suggèrent-ils, parce que « la vie spirituelle jadis tournée en dérision et en mépris par les grands » était « en Montaigne, Œuvres cit., p. 497. Labrot, L’image cit., p. 334. 131 Ibid., p. 335. 132 Ibid., p. 336. 133 Ibid., p. 337. 134 Voyage en Italie, dans Œuvres complètes, éd. du Seuil, 1967, p. 500. 129 130
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trée dans la pratique générale ». Mais à ces explications de nature plutôt « contextuelle », ils s’empressent d’en ajouter une d’ordre, elle, « causal », à savoir que l’Oratoire et, en particulier, Philippe Néri lui-même avaient aidé pour une bonne part au « redressement rapide de la morale et de la piété à la cour ». Car, ajoutent-ils, « c’est là que les courtisans ébranlés dans leurs aspirations profanes, viennent parachever leur conversion ». Il importe de souligner ici l’emploi du mot « parachever », car, pour certains de ces courtisans, leur conversion était déjà en cours depuis au moins le pontificat de Pie V, peut-être même avant. Il n’en reste pas moins que les courtisans en question finirent par former un jour « presque tout l’effectif pieux » des conférences spirituelles organisées par l’Oratoire. Il y a donc bien à l’époque une transformation profonde de la cour et le qualificatif « édifiante » appliqué à celle-ci n’est pas sans fondement et semble bien correspondre à la réalité. Aller jusqu’à dire comme le fera l’Oratorien Antonio Talpa au début du XVIIe siècle que c’est par l’intermédiaire des courtisans qui fréquentaient l’Oratoire que l’influence réformatrice de Philippe Néri se fit sentir dans tout Rome est plus difficile à admettre, bien que cela pût être vrai de certains d’entre eux liés de près à la personne de Philippe135. Cela dit, il ne fait pas de doute que la conversion de la cour comme celle de Rome d’ailleurs, même avant l’arrivée sur le trône de Grégoire XIII doit être en bonne partie attribuée à la personnalité charismatique et à la présence rayonnante du fondateur de l’Oratoire. Il était important de le souligner ici. Comme nous venons de le voir, Rome, le pape et sa cour sont à l’époque trois réalités inséparables et parler de l’image changeante de Rome au XVIe siècle, c’est parler tout à la fois de la métamorphose qu’a subie la figure du pape tout au long de ce même siècle et des transformations profondes qu’ont connues de ce fait aussi bien la ville que la cour. Sans doute le titre: Tels papes, telles cours que nous avons choisi de donner à notre premier chapitre ne doit-il pas être pris à la lettre, mais ce que nous a appris le présent chapitre comme ceux qui le précèdent d’ailleurs oblige à admettre que les efforts déployés par les papes du XVIe siècle pour donner à leurs cours, à leur capitale également une physionomie et un caractère reflétant tout à la fois leurs intérêts, leurs goûts et leurs valeurs ne l’avaient pas été en vain et que si les cours des papes de la Renaissance ressemblent si peu à celles des papes tridentins et surtout post-tridentins, c’est que, de part et d’autre, les intérêts, les goûts, les valeurs en particulier n’étaient pas les mêmes Avec les conséquences que l’on sait et auxquelles il fallait s’attendre. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer la cour d’un Alexandre VI à la fin du XVe et au début du XVIe siècle à celle d’un Clément VIII un siècle plus tard. Autant celle du pape Borgia était on ne peut plus « mondaine » et donc sujette 135
Ponnelle ˗ Bordet, Saint Philippe Néri cit., p. 267.
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aux sévères critiques de ceux qui rêvaient à l’époque d’une Rome « nouvelle Jérusalem » et d’une cour à l’avenant, autant celle du pape Aldobrandini répondait on ne peut mieux aux vœux exprimés par ces mêmes partisans d’une réforme in capite désormais en position de force. Diagnostics, sans doute, dans l’un et l’autre cas, quelque peu excessifs, peut-être même biaisés, mais reflétant bien, par contre, l’image que l’un et l’autre de ces papes, consciemment ou non, projetaient d’eux-mêmes et de leurs cours. Chose certaine, le mot « rayonnement » n’a pas la même connotation ni la même extension ni surtout la même signification lorsqu’appliquée à la cour d’un Alexandre VI ou d’un Léon X et à celle d’un Grégoire XIII ou d’un Clément VIII. Dans le cas des deux premiers, pour employer la distinction suggérée par Gérard Labrot, l’accent est mis sur le « culturel », dans le cas des deux autres, sur le « cultuel ». C’est que les premiers visaient deux publics différents, l’un, « cultivé », séduit par la Rome « ancienne », monumentale aussi bien que littéraire, l’autre, « populaire », en quête plutôt d’émotions religieuses fortes et d’indulgences, d’indulgences plénières surtout, d’où le caractère ambivalent de l’« image » qu’ils avaient à offrir et de leur capitale, Rome, et de leurs cours respectives. Quant aux seconds, grâce aux initiatives prises et aux efforts déployés par euxmêmes et par certains de leurs prédécesseurs, cette ambivalence avait été progressivement levée au profit d’une nouvelle « image » où le « culturel » et le « cultuel » ne faisaient plus qu’un, comme il seyait à une ville et à une cour qui se voulaient modèles de vertu et de piété, « image » qui convenait d’ailleurs parfaitement à un public aussi bien « cultivé » que « populaire » uni désormais dans une même admiration d’une Rome enfin digne de son titre de « ville sainte » comme le proclamait fièrement le Gallois Gregory Martin en 1581 au terme d’un séjour de dix-huit mois dans ladite ville. Pour ce qui est de la cour comme telle, Gérard Labrot ne craint pas d’affirmer qu’elle englobe en réalité à l’époque « la catholicité toute entière », c’est-à-dire « le pape et sa cour immédiate au sens technique du terme, le pape et la population romaine, le pape et tous les catholiques ». Il admet volontiers le côté « mythique » de ce lien, mais il n’en maintient pas moins qu’il s’agit là d’un lien réel entre la cour pontificale et ce qu’il appelle « le reste du monde »136. On serait donc pleinement justifié de parler d’un « rayonnement » de la cour allant bien au-delà des limites de Rome, de l’Europe, voire de la catholicité. À première vue, pareille affirmation peut surprendre, mais à première vue seulement, car, comme le présent chapitre nous a permis de la constater, si un nombre grandissant de visiteurs, pèlerins surtout, se rendaient à Rome au XVIe siècle, avaient l’occasion d’y voir le pape, parfois même d’être reçus par lui et en revenaient 136
Labrot, L’image cit., p. 353.
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favorablement impressionnés, il en allait de même de ceux, beaucoup plus nombreux, qui, eux, n’avaient jamais vu Rome, mais qui, grâce aux écrits, aux récits et peut-être surtout aux représentations iconographiques auxquels ils avaient de plus en plus accès, n’en avaient pas moins une connaissance, « vicariale » certes, mais tout de même susceptible de leur inspirer, à l’égal des Romei, des sentiments d’admiration et de dévotion à l’endroit tout à la fois de la capitale spirituelle que représentait de plus en plus pour eux Rome et de celui qui en était pour ainsi dire la « figure de proue », le pape. L’affirmation de Gérard Labrot n’est donc pas sans fondement. D’ailleurs, dans son ouvrage sur la « seconde gloire » de Rome publié en 2013, l’historien Jean Delumeau fait à peu près le même constat, mais en précisant bien que ce dernier vaut surtout pour la période s’étendant du pontificat de Grégoire XIII à celui d’Urbain VIII au milieu du XVIIe siècle, période constituant pour l’Italie du moins, ce que l’on a appelé l’âge d’or du baroque137. Nous inspirant d’André Chastel, nous affirmions au début du présent chapitre que les cours de tous princes dignes de ce nom étaient faites pour être vues, fréquentées, admirées, mais pour impressionner surtout, et que la cour pontificale ne faisait pas exception à cette règle. Nous venons de voir que cette dernière réussit tout au long du XVIe siècle à impressionner non seulement ceux qui habitaient Rome ou qui y avaient fait séjour, mais également ceux qui n’en avaient qu’une connaissance « virtuelle », avec cette nuance toutefois, et elle est de taille, que l’« image » que projetaient d’eux-mêmes et de leurs cours les papes de la fin du XVIe siècle ne ressemblait plus guère à celle que projetaient leurs prédécesseurs du début de ce même siècle. Le type d’admiration que généraient les cours d’un Grégoire XIII et d’un Clément VIII avait peu à voir avec celui que suscitaient celles d’un Alexandre VI et d’un Léon X. Vue de cet angle, l’histoire de la cour pontificale au XVIe siècle ne pourrait-elle pas être considérée comme une sorte de micro-révélateur de ce qu’était en train de devenir l’Église « romaine », secouée, d’une part, par la crise protestante, dynamisée, de l’autre, par l’appel à la réforme venu de l’intérieur et que fera éventuellement sien le concile de Trente? Ce n’est peut-être là qu’une composante parmi d’autres de cette histoire, mais au terme d’un chapitre consacré au « rayonnement » de la cour et qui est, par surcroît, le dernier du présent ouvrage, elle méritait d’être mise en relief, car –– nous y reviendrons dans la conclusion qui suit –– elle seule permet d’expliquer les profondes transformations, pour ne pas dire les « conversions » que connaîtra la cour pontificale, tout particulièrement dans la deuxième moitié du XVIe siècle. 137
Delumeau, La seconde gloire cit., p. 145-149, 158-267.
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CONCLUSION Tels papes, telles cours. Cette hypothèse formulée dès le premier chapitre s’est avérée pour l’essentiel juste, même si l’environnement politique, économique, socio-culturel, voire religieux qui caractérisa le règne de chacun des papes en question –– notre second chapitre a été sur ce point particulièrement éclairant –– n’a pas permis à plusieurs d’entre eux, et à certains plus que d’autres, de se doter du type de cour qui aurait parfaitement convenu à leurs besoins, réels ou supposés, à leurs ambitions politiques, familiales ou personnelles, mais aussi à leurs goûts, voire caprices. Les « familles » dont à tour de rôle ils s’entourèrent avaient, à quelques exceptions près, ceci en commun qu’elles étaient le résultat de choix faits en fonction des critères propres aux sociétés de cour de l’époque, soit le népotisme et le clientélisme. Cela valait tout aussi bien pour les choix faits par les papes eux-mêmes, qu’il s’agisse de leurs principaux collaborateurs ou encore d’officiers, voire de simples serviteurs affectés à leur personne, ou qu’il s’agisse de ceux recrutés par leurs majordomes ou encore par certains chefs de service habilités à le faire, sans oublier, surtout au moment de la formation de chacune des cours en question, des candidats proposés, dans certains cas, imposés par de grands personnages ne faisant pas nécessairement pas partie de la cour, mais y ayant leurs entrées tels cardinaux et ambassadeurs résidant à Rome. Le quatrième chapitre nous a permis de voir comment fonctionnait ce complexe mécanisme de sélection qui d’ailleurs était loin d’être parfait, d’où les correctifs qui de temps à autres s’imposaient pour des raisons d’incompétence, de mauvaise conduite, de malhonnêteté, d’indiscrétion, cela pouvant aller jusqu’à la trahison. Niccolò di Gozze, dans son traité: Governo della famiglia publié à Venise en 1589, parle de deux types de serviteurs, ceux qui le font par souci de gain (« servi per mercede ») et ceux qui le font par attachement à leur maître (« servi per virtù »)1. La nature humaine étant ce qu’elle est, il y a fort à parier que les courtisans du premier type étaient plus nombreux que ceux du second. D’où, nous l’avons vu, les congédiements qui ne manquèrent pas à la cour des papes de l’époque, surtout de ceux qui connurent des règnes relativement longs. Le sort que Paul IV réserva à certains membres de sa propre famille, à commencer par Carlo, son cardinal neveu, est, de ce point de vue, exemplaire. 1
N. V. di Gozze, Governo della famiglia, Venise 1589, p. 101-102.
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S’il y avait des officiers qui connaissaient de longues années de service, certains même réussissant à se maintenir en poste durant deux, trois, voire quatre pontificats –– nous en avons identifié quelques-uns ––, la règle était plutôt à de brèves carrières se limitant à un seul pontificat et, dans le cas de longs règnes, à beaucoup moins que cela. Chose certaine, rares étaient ceux qui réussissaient à faire le saut d’une cour à l’autre. En effet, la tendance était plutôt, de pontificat en pontificat, à un renouvellement sinon complet, du moins substantiel des effectifs de la cour. Dans ce monde dominé par la règle du népotisme et du clientélisme, comment aurait-il pu en être autrement? Pour ce qui est des dimensions de chacune des cours auxquelles nous nous sommes intéressé, nous avons été à même de constater qu’elles variaient d’un pape à l’autre en fonction des styles de vie « princiers » ou, à l’inverse, modestes privilégiés par chacun d’entre eux –– pensons ici, d’une part, à un Léon X, un Paul III et un Jules III, de l’autre, à un Pie V, un Grégoire XIII et notamment un Sixte V –– en fonction également des espaces, puis surtout des ressources financières à leur disposition, bien que ce dernier facteur qui pesait lourd dans les choix faits principalement par les pontifes post-tridentins comptaient pour peu dans ceux faits par certains de leurs prédécesseurs, un Léon X en particulier, qui préféraient accumuler les dettes –– et dans le cas de ce dernier elles furent colossales –– plutôt que de renoncer aux ambitions et aux goûts qui étaient les leurs. Cela dit, même ceux qui avaient adopté pour eux-mêmes un style de vie simple, parfois même d’une grande frugalité, tenaient à ce que leurs cours, en tant qu’instances de « représentation », ne le cèdent en rien à celles de leurs vis-à-vis séculiers, car il en allait de leur pouvoir et de leur autorité. À ce niveau, magnificence et munificence étaient de rigueur. D’où le soin apporté à ce que tout ce qui relevait de la « cérémonialité » tant liturgique que protocolaire soit entouré de tout le faste, de toute la solennité et de toute la majesté souhaitables. À preuve, les argents consacrés à l’achat de riches ornements liturgiques et à vêtir somptueusement les membres de la cour appelés à entourer leur maître chaque fois qu’il présidait une cérémonie, recevait de distingués visiteurs, donnait audience ou, tout simplement, se montrait en public. Et que dire des somptueux banquets que même un Pie V, pape d’un ascétisme inégalé, n’hésitait pas à offrir les jours où il lui fallait recevoir des personnages de haut rang à sa table. Mais la meilleure preuve qu’il s’agissait bien là d’un choix délibéré en ce sens nous est fournie par les efforts déployés, souvent à grands frais, par les papes du XVIe siècle en vue de se doter de résidences de prestige et dans ces résidences d’espaces permettant d’exercer la fonction de « représentation » correspondant au rang qui leur était propre, rang qui à leurs yeux et aux yeux de leurs « thuriféraires », théologiens, canonistes, voire humanistes, était et
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CONCLUSION
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ne pouvait être qu’inégalé. Le chapitre consacré aux lieux de la cour nous a permis de constater jusqu’où cela pouvait aller. Bien évidemment, à ce niveau, la cour, maîtres de cérémonies en tête, jouait un rôle déterminant, à certains moments même, critique au service du maître de céans et méritait pleinement d’être considéré, pour employer une image empruntée à André Chastel, l’« enveloppe », l’indispensable « enveloppe » du maître en question et du personnage hors du commun qu’il incarnait. Le cinquième chapitre nous a permis de voir de près comment ce rôle était exercé et à quel point l’ensemble de la « famille » pontificale était, d’une façon ou d’une autre, chaque fois mobilisée. Mais les papes n’étaient pas toujours en instance de « représentation »: ils avaient aussi une vie « privée » faite de moments d’intimité, de dévotion, de loisirs, de repos, voire d’évasion relevant de ce que, pour faire court, nous avons appelé la sphère « domestique » et, là aussi, le rôle de la cour, bien que plus discret et, en ce sens plus « prosaïque », n’en était pas moins d’une importance capitale pour le pape lui-même et ses proches ne fût-ce qu’en ce qui concernait leur bien-être physique. Nous avons été à même de constater tout au long du sixième chapitre ce que cela représentait en termes de personnel et de coûts d’un secteur à l’autre de l’organigramme de la cour, depuis le service de la chambre jusqu’à celui de l’entretien en passant par ceux de la chapelle, de la cuisine, de l’écurie sans oublier –– sécurité oblige –– les indispensables services de garde. Nous a particulièrement frappé la place prééminente occupée dans les budgets annuels par les seules dépenses de bouche et le fait que la fourniture de pain et de vin constituait et de loin la plus importante de ces dépenses. Ce constat nous a amené à poser la question des rapports existant entre les papes et leurs cours. Nous avons vu que les auteurs des traités sur le gouvernement de la cour faisaient tous à l’époque référence à une longue tradition voulant que tout « prince » disposant d’une cour digne de ce nom devait se comporter comme un « père » à l’endroit de cette dernière qu’il pouvait à juste titre appeler sa « famille ». Or, de l’avis de ces mêmes auteurs, le gîte et le couvert, le couvert surtout, constituaient les éléments clés de cette sollicitude paternelle. Les papes du XVIe siècle semblent bien avoir été conscients du risque de désaffectation de la part de leurs courtisans si jamais, par souci d’économie, ils tentaient de réduire leurs dépenses de bouche et, pour ce faire, allaient jusqu’à couper l’allocation quotidienne de pain et de vin perçue par ces mêmes courtisans comme le gage par excellence de leur « familiarité », gage auquel ils tenaient d’ailleurs plus qu’à toute autre chose. Se pourrait-il –– la question mérite d’être posée et nous l’avons posée –– que cet attachement ait eu pour eux valeur de symbole créant pour ainsi dire entre eux et leur maître le pape un lien presque « sacral »? Le pain et le vin qui leur étaient chaque jour fournis ne renvoyaient-t-ils pas, qu’ils en aient eu
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conscience ou non, à un type d’attachement qui allait bien au-delà de ce que représentait pour eux, matériellement parlant, ladite allocation de pain et de vin. Il est en tout cas frappant de constater que Sixte V qui s’évertua tout au long de son règne à réduire au minimum le coût d’entretien de sa cour, en particulier pour ce qui en était des dépenses de bouche, n’osa toutefois pas supprimer l’allocation en question d’où, nous l’avons vu, le fait que lesdites dépenses continuèrent de représenter et, chez lui, plus que chez tout autre pape de l’époque, le poste le plus important du budget annuel de sa cour. C’est que sans doute il craignait les réactions négatives qu’une telle décision aurait entraînées et, partant, le risque de s’aliéner une grande partie de sa « famille ». Il y avait là une limite qu’il ne pouvait, quoi qu’il lui en coûtât, se permettre de franchir. Force est toutefois de reconnaître que, cette « réticence » mise à part, les papes de l’époque, surtout ceux de la seconde moitié du XVIe siècle, transformèrent progressivement le traditionnel companatico en nature qui avait été jusque-là un élément essentiel, pour ne pas dire constitutif, de la « familiarité » en companatico en argent et, cela pour des raisons d’abord et avant tout financières –– Sixte V étant celui qui alla le plus loin en la matière, poussant en quelque sorte jusqu’au bout la logique de ce choix ––, mais sans s’en rendre compte peut-être, du moins au départ, ils finirent par changer la nature du rapport qu’ils entretenaient avec les membres de leurs cours, ces derniers, leurs proches, favoris et sans doute aussi « hôtes » exceptés, ressemblant à la fin du XVIe siècle beaucoup plus à des fonctionnaires qu’à des « familiers » au sens traditionnel de ce terme, même si le maintien de l’allocation quotidienne de pain et de vin pouvait encore donner l’impression (ou l’illusion?) de liens de « familiarité » existant encore entre eux et ces derniers. Si les considérations financières comptèrent pour beaucoup dans cette progressive « fonctionnarisation » de la cour pontificale, c’est que les papes de l’époque, criblés de dettes et vivant pour l’essentiel d’emprunts prirent assez tôt conscience de la nécessité de mécanismes de contrôle de leurs budgets, ceux de leurs cours y compris. Le septième chapitre nous a permis de suivre presqu’à la trace la mise en place de ces mécanismes. Nous avons tout d’abord été à même de constater qu’en ce qui concernait la cour, le financement de cette dernière était assuré à l’origine presque exclusivement par la Chambre Apostolique, mais qu’à partir de la seconde moitié du XVe siècle furent également mises à contribution, tout d’abord, la Daterie, de création récente, qui alimentait, elle, la caisse personnelle du pape, puis, à l’occasion, l’une ou l’autre des « fermes » confiées à des banquiers proches de la cour. Nous avons ensuite vu que les sommes provenant de ces diverses sources étaient remises, en ce qui concernait la caisse personnelle du pape, à son trésorier secret et, pour ce qui en était de celle de la cour, alimentée, elle, par la Chambre Apostolique, à son
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majordome. Autre précision importante: alors que les contributions du trésorier secret servaient surtout à couvrir les nombreuses mancie offertes périodiquement ou à l’occasion par le pape à bon nombre de ses officiers, voire simples serviteurs, les argents à la disposition du majordome servaient, pour leur part, à payer les « provisions » ou salaires des diverses catégories de membres de la cour, puis surtout à assurer l’entretien sous toutes ses formes de ces derniers de même que celui du palais apostolique qui servait de résidence à la plupart d’entre eux. Ce qui supposait, dans le cas du majordome, d’innombrables transactions à longueur de jours et de semaines impliquant fournisseurs, artisans et gens de métier et donc le paiement éventuel de factures que ces derniers ne manquaient pas de lui présenter directement ou par le truchement des divers officiers ou chefs de service sous ses ordres. Grâce aux livres de comptes que nous ont laissés un certain nombre de majordomes, nous avons été à même de voir que ce n’était pas là tâche de tout repos. Aussi ces derniers chercheront-ils à simplifier les choses en passant par des intermédiaires, banquiers ou entrepreneurs, du moins pour ce qui en était des produits de première nécessité tels blé et vin, achetés en grandes quantités et, pour cette raison, faisant de plus en plus , à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, l’objet d’achats groupés. Or ces mêmes intermédiaires étaient prêts à assumer la totale responsabilité desdites opérations, transport y compris. La formule avait tout pour plaire. À partir de Grégoire XIII, les papes se rendirent vite compte des avantages, pécuniaires entre autres, d’une telle façon de faire. Clément VIII en poussera même jusqu’au bout la logique, confiant, à quelques exceptions près, le paiement de toutes les factures reçues par le majordome au dépositaire de la Chambre, allégeant du coup considérablement le poids des transactions et, partant, des entrées et sorties d’argent dont étaient responsables le ou les caissiers assistant le majordome dans l’exercice de ses fonctions. Le mot « rationalisation » n’est pas trop fort pour décrire le système en question progressivement mis au point par les papes de l’époque avec l’aide des spécialistes en la matière dont ils s’étaient de plus en plus entourés. Mais pour que ce système produise tous les fruits escomptés, il manquait un élément essentiel, soit celui de contrôles externes de la gestion des budgets relevant et du trésorier secret, pour ce qui en était de la caisse personnelle du pape, et du majordome, en ce qui concernait celle de sa cour. Il n’est pas sans intérêt de noter que Léon X, pape dépensier si jamais il en fut, produisit en 1518 une première réglementation en ce sens que Clément VII précisa et compléta plus tard avant que n’intervienne la célèbre bulle Cum inter Cetera de Pie IV en 1564 qui, elle, allait beaucoup plus loin et sera, de fait, de beaucoup plus de conséquence comme nous avons pu nous en rendre compte. Trésoriers secrets et majordomes de-
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vaient produire à intervalles réguliers variant de trois mois à un an des bilans détaillés soumis, dans le cas du majordome, à l’examen des officiers de la Chambre Apostolique, dans celui du trésorier secret, à des vérificateurs désignés par le pape lui-même. Différence de traitement qui, nous l’avons vu, s’expliquait par le fait que les papes ne tenaient pas à ce qu’on s’intéresse de trop près à leurs propres dépenses, mais, par contre, tenaient à ce que celles de la cour soient scrutées à la loupe afin d’assurer que toutes les dépenses inscrites dans les registres tenus par leurs majordomes soient pleinement justifiées et que, dans le cas contraire, soient démasqués et éventuellement punis les auteurs de fausses ou douteuses factures ou, ce qui était beaucoup plus grave, les responsables de malversations. Comme nous avons été à même de le constater, les contrôles en question furent, à partir du pontificat de Grégoire XIII du moins, particulièrement rigoureux et produisirent assez souvent les effets escomptés. Est-il besoin de rappeler ici le sort que subit suite à l’examen de ses comptes, Claudio Gonzaga, majordome du pape Boncompagni. Tous les efforts de rationalisation et de systématisation dont nous venons de faire état ne sont peut-être pas étrangers au fait que les papes de l’époque, du moins à partir du pontificat de Paul III, réussirent à maintenir à 9% en moyenne la part de leur budget annuel global consacré à l’entretien de leurs cours. Chose certaine, ils prirent de plus en plus conscience du fait qu’une saine gestion des ressources à leur disposition s’imposait pour des raisons non seulement pécuniaires, mais morales, en ce sens qu’au lendemain du concile de Trente et dans la foulée du mouvement de réforme catholique le luxe affiché et coûteux de certains papes de la Renaissance n’était plus de mise et qu’on attendait d’eux une certaine retenue, une certaine simplicité même, sauf, bien entendu, lorsque dans le cadre de l’exercice de la fonction de « représentation » il leur fallait faire montre de grandeur et de magnificence. La transformation que connaît la cour pontificale à partir de la seconde moitié du XVIe siècle n’est donc pas que d’ordre organisationnel et matériel: elle est aussi d’ordre moral et, peut-être vaudrait-il mieux dire, spirituel. C’est ce que le huitième chapitre a cherché à montrer à partir d’une analyse de l’image que projetaient, ou, du moins cherchaient à projeter à l’époque, tout d’abord ad intra, c’est-à-dire à Rome même, le pape et sa cour, puis ad extra, c’est-à-dire en dehors de Rome et, plus particulièrement d’Italie, non plus seulement le tandem pape-cour, mais la triade Rome-pape-cour qui, de loin, était perçue comme ne faisant qu’une seule et même réalité tant il paraissait impossible d’imaginer Rome sans le pape et le pape sans sa cour. Bien évidemment, pour les Romains, ce qui comptait d’abord et avant tout était la sollicitude du pape à leur endroit –– on appréciait en parti-
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culier celle de papes « dépensiers » tel un Léon X par exemple –– et les avantages matériels qu’ils pouvaient espérer tirer d’une cour à nourrir, à vêtir et à entretenir avec tout ce que cela représentait en termes d’emplois et donc de revenus pour ceux d’entre eux qui étaient manieurs d’argent ou qui exerçaient un art ou un métier répondant aux besoins de cette même cour. C’est avec raison que l’on disait déjà à l’époque de Rome qu’elle était une ville vivant essentiellement de la cour. Aussi comprend-on très bien que les commerçants spécialisés dans le domaine de l’alimentaire n’aient pas apprécié le passage du companatico en nature au companatico en argent effectué par les papes de la fin du XVIe siècle comme on n’est pas surpris que les absences, surtout les absences prolongées de certains papes et de leurs cours, par exemple, celle de Paul III en 1538 ou celle de Clément VIII en 1598-1599, étaient très mal acceptées par les Romains, car là aussi, plusieurs d’entre eux étaient perdants. Par contre, même s’ils s’élevaient parfois, cela pouvant aller jusqu’à la violence, contre les mesures d’austérité adoptées par tel ou tel pape ou encore les campagnes d’« épuration » et de « moralisation » lancées par certains autres, un Paul IV et un Pie V notamment, les plus lucides d’entre eux savaient très bien que sans la présence du pape et de sa cour leur ville perdrait une grande partie de son éclat et leur sort serait en conséquence des moins enviables. Aussi leurs sautes d’humeurs occasionnelles étaient-elles largement compensées par les vivats –– vivats intéressés peut-être, mais vivats tout de même –– avec lesquels ils accueillaient habituellement leur maître et souverain chaque fois qu’il se montrait en public, notamment lors de cérémonies ou de sorties d’une particulière solennité. D’autre part, il ne faudrait pas oublier que Rome subit, à partir du règne de Paul III déjà, une double cure « morale » et « spirituelle », assurée, dans le premier cas, par le tribunal de l’Inquisition récemment créé avec à sa tête Gian Pietro Carafa, le futur Paul IV, dans le second, par un certain nombre de personnages charismatiques, un Ignace de Loyola et un Philippe Néri, entre autres, chefs de file du mouvement de réforme catholique qui transformeront progressivement la ville par le moyen de la coercition, dans le cas de l’Inquisition, par celui de la persuasion, dans le cas d’un Ignace de Loyola, d’un Philippe Néri et autres maîtres spirituels de leur trempe, en l’opposée de ce qu’elle avait été jusque-là, c’est-à-dire ville de bonne et non de mauvaise réputation, ville « dévote » surtout. Du moins était-ce là l’image que les nombreux visiteurs, pèlerins surtout, rapportaient de leurs plus ou moins longs séjours dans la Ville Éternelle. Les témoignages d’un Montaigne et d’un Gregory Martin nous sont parus à cet égard particulièrement convaincants. Tel n’aurait sans doute pas été leur verdict trois quarts de siècle plus tôt alors que la Renaissance battait son plein à Rome avec l’entier accord
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de papes tels qu’Alexandre VI, Jules II et Léon X. De fait, nous l’avons vu, les avis à ce sujet étaient à l’époque très partagés. Alors qu’humanistes et artistes se félicitaient de la protection et des appuis reçus de la part de ces papes amateurs de belles choses, avides de fêtes et de spectacles ne le cédant en rien à ceux de leurs vis-à-vis séculiers, réformateurs catholiques, plus tard, protestants décriaient la « mondanité », voir l’« impiété » de ces mêmes papes et de leurs cours qui, selon eux, étaient causes de scandale et avaient donc grand besoin de conversion. Quant aux pèlerins qui accouraient à Rome en grand nombre, surtout à l’occasion des Années Saintes, ils ramenaient en général avec eux une image des plus positives de la ville, les quelques jours qu’ils y passaient étant presque toujours consacrés à de pieuses visites des grandes basiliques et autres lieux de culte où ils avaient la satisfaction de vénérer les reliques des saints et martyrs auxquels ils étaient tout particulièrement attachés, de recevoir la bénédiction urbi et orbi du pape régnant, puis surtout, s’il s’agissait d’une Année Sainte, de gagner l’indulgence plénière du Jubilé, motif principal de leur venue à Rome. Cette triple perception de Rome, du pape et de sa cour va progressivement se transformer en une seule, positive cette fois, sous l’influence combinée du mouvement de réforme catholique qui, au lendemain du sac de Rome, allait gagner de plus en plus de terrain et d’une littérature promotionnelle éventuellement doublée d’une iconographie à l’avenant qui après avoir fait, au départ, une large place à la Rome païenne mettra, par la suite, de plus en plus l’accent sur la Rome chrétienne, celle d’autrefois dont il restait encore à Rome d’importants vestiges, mais celle également qu’étaient en train d’édifier à grands frais les papes post-tridentins, soucieux de donner à leur capitale un visage aussi bien physique que moral conforme à ce qu’on était en droit d’attendre d’eux et d’elle. C’est cette nouvelle image, « réelle » dans leur cas, que découvriront admiratifs, un Montaigne et un Gregory Martin au temps de Grégoire XIII. Les Années Saintes de 1575 et de 1600, toutes deux fort réussies, ne compteront pas peu dans l’accréditation de cette image. C’est cette dernière, mais « virtuelle » cette fois, qui par divers biais parviendra à ceux et celles, catholiques ou non, qui n’avaient jamais mis et ne pouvaient espérer mettre un jour les pieds à Rome et, à ce qu’il semble, protestants et autres « dissidents » exceptés, suscita ce même type d’admiration. Les papes post-tridentins, eux surtout, avaient réussi à réaliser le rêve d’un Paul III de faire de Rome une ville « édifiante », en d’autres mots, conforme à la vocation qui, de par la volonté de Dieu, était la sienne, soit d’être, au sens fort de ce terme, la capitale « spirituelle » de la chrétienté. Ces mêmes papes inclurent bien évidemment leurs cours dans le long processus de réforme in capite et in membris, dans leurs cas, in capite surtout, qu’ils entreprirent à partir de Pie V en particulier et s’efforcè-
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rent de mener à bien. Ils commencèrent par réduire les effectifs de leurs cours. Pie V s’y employa sans ménagement comme la plupart de ses successeurs d’ailleurs qui virent sans doute là, la réputation de Pie V aidant, le modèle-type qui dorénavant s’imposait. Ils entreprirent par ailleurs la moralisation de ces mêmes cours. Encore ici, Pie V servit de guide, introduisant des normes de conduite beaucoup plus sévères que celles qui avaient existé jusque-là et n’hésitant pas à chasser de sa cour ceux qui contrevenaient aux règles en question, voire à les punir sévèrement2. En ce domaine toutefois, ses successeurs n’oseront pas en général aller aussi loin. Mais là où ils s’inspirèrent le plus de son exemple, c’est en matière de piété, on pourrait même dire de vie spirituelle, incitant les membres de leurs « familles » à être des priants, à pratiquer en particulier les dévotions qui avaient à l’époque de plus en plus la faveur du peuple et auxquelles ils étaient eux-mêmes très attachés, telles, entre autres, la visite des Sept Églises et les Quarante-Heures. Grégoire XIII et Clément VIII ne se faisaient-ils pas d’ailleurs accompagner d’un certain nombre d’entre eux lors de leurs visites des lieux où se pratiquaient ces dévotions? Est-il besoin, dans cette même veine, de rappeler que Pie V avait inclus dans la Torre Pia qu’il avait fait construire au Vatican vers la fin de son règne deux chapelles –– S. Pierre martyr et S. Étienne –– destinées l’une et l’autre aux membres de la cour et que ces derniers avaient donc à leur disposition des lieux où ils pouvaient aller prier seuls ou en groupe et, éventuellement, y célébrer ou y entendre la messe. Et que dire du ministère exercé auprès de ces mêmes courtisans par le jésuite espagnol Francisco de Toledo, « hôte » de la cour recruté à cette fin par le même Pie V avec le titre de « prédicateur » et qui continuera à exercer ce rôle jusqu’au temps de Clément VIII? Il ne faudrait pas non plus oublier que lors des grandes cérémonies que présidait le pape ou auxquelles il assistait une bonne partie sinon la totalité de la cour était présente, notamment lors de processions à grand déploiement, telle celle de la Fête-Dieu, ou de messes d’une particulière solennité à Saint-Pierre ou dans quelque autre basilique romaine. À tout cela, il faut ajouter que plusieurs membres de la cour, à partir du milieu du XVIe siècle surtout –– et leur nombre ne fera que grandir par la suite –– feront partie de confréries, les unes qui leur étaient spécifiquement destinées telles celles du Saint-Sacrement rattachée à la basilique Saint-Pierre intéressant l’ensemble des membres de la cour ou encore celle de Sainte-Anne des palefreniers, réservée à ce seul groupe, les autres, au contraire, comptant des membres de tous horizons, telle celle de la Sanctissima Trinità dei Pellegrini e Convalescenti créée en 1540 par Philippe Néri qui, nous l’avons vu, jouera un rôle de premier plan lors des Années Saintes de 1575 2
Voir Chap. VIII, note 81.
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et de 16003. Toutes ces confréries, en particulier celle du fondateur de l’Oratoire liaient indissolublement piété et charité, ce qui leur vaudra l’admiration des visiteurs et pèlerins venus à Rome dans la seconde moitié du XVIe siècle, comme en témoignent Montaigne et Gregory Martin dont il a été plusieurs fois fait mention dans le huitième chapitre. Autant d’indices de la volonté affichée des papes post-tridentins de faire de leurs cours des modèles de vertu et de piété, mais également des efforts déployés par certains membres de ces mêmes cours pour correspondre le plus et le mieux possible à ce que leurs maîtres attendaient d’eux. En ce qui concerne ces efforts, on ne saurait trop insister sur le fait qu’ils n’auraient sans doute pas été, au point où ils le seront, couronnés de succès sans l’apport de Philippe Néri qui eut sur les membres des cours des papes de l’époque un immense ascendant et, par le biais de la Vallicella où les membres en question affluèrent de plus en plus nombreux, servit en quelque sorte de catalyseur de la transformation que subit à partir de ce moment une cour qui ressemblera de moins en moins à ce qu’elle avait été au temps d’un Alexandre VI, d’un Jules II et d’un Léon X et, de plus en plus, à ce qu’un Pie V, un Grégoire XIII et un Clément VIII voulaient qu’elle soit. Habitat, encadrement, fonctionnement, traitement, rites et rituels de tous genres, gestion financière, rayonnement et, comme nous venons de le voir, conversion, toutes les dimensions aussi bien concrètes que symboliques de la vie de la cour pontificale au XVIe siècle avaient fait, à l’exception peut-être des rituels des grands jours, l’objet de transformations considérables et, en ce qui concerne la dimension religieuse, allant bien au-delà de ce qu’auraient pu imaginer même les plus sévères critiques des papes de la Renaissance. Mais au mot « transformation », dans le cas de la dimension religieuse surtout, peut-être faudrait-il préférer celui de « métamorphose » pour caractériser le processus en question tant il affecta en profondeur l’être et le vécu de ladite cour entre la fin du XVe et le début du XVIIe siècle. Sans doute plusieurs des changements intervenus le furentils à l’initiative des papes qui se succédèrent durant la période en question, mais il faut aussi tenir compte que plusieurs de ces initiatives sinon la plupart n’auraient probablement pas vu le jour sans le concours, voire l’impératif des circonstances de temps, de lieu et de personnes qui caractérisèrent le XVIe siècle, siècle de transition et donc, de remises en question de tous genres. Côté événementiel, qu’il suffise ici de rappeler l’impact 3 Sur le rôle joué à cet égard par Philippe Néri, voir Ponnelle - Bordet, Saint Philippe de Néri cit., p. 244-246, 267-268 et 474-483. Sur les confréries romaines de l’époque et, en particulier, celles dont faisaient partie les membres de la cour pont-ficale, voir Storiografia e archivi delle confraternite romane, éd. L. Fiorani, Rome 1985 (Ricerche per la storia religiosa di Roma, 6), p. 16-17, 64-105, 243-244, 382-383, 404-407.
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qu’auront et les conséquences qu’entraîneront le sac de Rome (1527), la création du tribunal de l’Inquisition romaine (1542), le concile de Trente (1545-1563) et les Années Saintes de 1575 et 1600. Côté structurel, méritent d’être soulignées la progressive bureaucratisation de la cour et la rationalisation de plus en plus poussée de son mode de financement dues en bonne partie à la présence d’officiers ou de conseillers plus compétents et expérimentés en ces matières que par le passé, officiers et conseillers auxquels eurent assez tôt recours les papes de l’époque. Côté culturel, force est de reconnaître aussi bien dans le domaine de l’art, de l’art visuel surtout, que de la littérature l’abandon progressif, après le sac de Rome, de modèles empruntés, en grande partie, à l’Antiquité païenne au profit de contre-modèles privilégiant plutôt et de plus en plus nettement une vision chrétienne, mieux catholique et « papiste » de Rome qui donnera naissance à un art et à une littérature à l’avenant qu’on qualifiera éventuellement de « baroque ». Côté religieux, comment ne pas rappeler à nouveau le rôle séminal joué à cet égard par un Ignace de Loyola et un Philippe Néri pour ne mentionner que ceux-là, sans oublier la multiplication des confréries qui à l’instar de l’Oratoire du Divin Amour apparu à Rome au début du XVIe siècle s’adonneront tout à la fois aux exercices de piété et aux bonnes œuvres. En ce sens, la cour pontificale peut à juste titre être considérée comme un microcosme de l’Église et de la société du temps cherchant l’une et l’autre à composer avec plus ou moins de succès avec des idées, des ambitions, des pratiques et des ferveurs nouvelles qu’elles ne pouvaient ignorer et que leurs dirigeants feront dans certains cas éventuellement leurs, allant même parfois jusqu’à s’en attribuer le mérite. La cour dont on peut à juste titre dire qu’elle fut ou, du moins, nous paraît avoir été un microcosme révélateur des profonds changements que vécut l’Europe du XVIe siècle ne se limite évidemment pas à la seule « famille » du pape au sens strict du terme: elle comprend aussi toute une foule de personnages, cardinaux en tête, qui gravitaient autour de la cour et y avaient leurs entrées; elle comprend même jusqu’à un certain point la ville de Rome et elle comprend bien évidemment surtout le pape auquel, pour employer la formule de Gérard Labrot, cour et ville étaient indissociablement liées, formant avec lui une image-type de ce qu’il voulait ou, du moins souhaitait que l’une et l’autre soient: hauts-lieux de la Renaissance, durant le premier tiers du XVIe siècle, lieux-phares de la Réforme tridentine, durant le dernier tiers de ce même siècle, avec, entre les deux, une période incertaine marquée par une succession de guerres entre les Valois et les Habsbourg notamment qui rendirent laborieux sinon impossible un choix net entre ce qu’avait été jusque-là la cour pontificale et ce qu’elle allait être par la suite. Mais si les décisions prises ou à prendre tout au long de ce processus relevaient en dernier ressort du seul pape,
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en réalité plusieurs d’entre elles sinon toutes étaient l’aboutissement d’un jeu complexe d’influences d’individus ou de groupes avec lesquels il était directement ou indirectement en contact et dont dans plus d’un cas il avait fini par épouser les idées ou les causes. Et ces mêmes individus ou groupes étaient aussi ceux sur lesquels le pape en question, même s’il prêchait parfois lui-même d’exemple, comptait pour rendre efficaces des décisions, voire de simples souhaits avec lesquels, il le savait, ils étaient eux-mêmes d’accord. Parler de la cour pontificale comme d’un microcosme de ce que vivaient l’Église et la société du temps, c’est donc parler d’une réalité complexe dont le pape était certes la figure dominante, mais au sein d’une dynamique dont il ne contrôlait que certains éléments, les autres étant le fait d’acteurs, souvent d’humbles acteurs, qui lui étaient parfaitement inconnus ou, alors, qu’il ne connaissait que par le biais d’intervenants liés de quelque façon, de près ou de loin, à sa personne. L’histoire de la cour pontificale ne se résume donc pas à l’histoire des papes de l’époque, même si elle est inextricablement liée à cette dernière tout comme à celle de Rome d’ailleurs. Sa singularité a toutefois jusqu’ici en grande partie échappé à la plupart des historiens qui se sont consacrés à l’histoire de la papauté. Pensons à un Ranke, à un von Pastor, voire, plus récemment aux éditeurs de l’Enciclopedia dei Papi parue à Rome en l’an 2000. Et, cela, sans doute pour les raisons que nous avons indiquées dans notre Introduction, mais peut-être aussi parce que la cour ne paraissait pas, à leurs yeux du moins, constituer un matériau historique susceptible d’ajouter quelque chose de significatif à la compréhension des faits et gestes, voire de la personnalité des papes auxquels ils se sont intéressés. Nous avons vu qu’au contraire l’histoire des cours de ces mêmes papes permettait d’éclairer d’un jour nouveau tout aussi bien leur façon de gouverner que leur façon de vivre. À quoi auraient ressemblé leurs pontificats respectifs sans la présence à leurs côtés de maîtres de cérémonies, de dataires, de majordomes, de trésoriers secrets, de sacristes, de maîtres du Sacré-Palais, de maîtres de la chambre et de tant d’autres officiers et subalternes qui, certes, étaient soumis à leur autorité, mais qui, dans le concret de la vie de tous les jours, prenaient les décisions et posaient les gestes qui s’imposaient pour assurer que les rites et rituels qui, de près ou de loin, concernaient leurs maîtres soient accomplis selon les règles établies et avec tout le doigté souhaitable et que, par ailleurs, l’entretien de ces mêmes maîtres et des membres de leurs « familles » soit assuré conformément à leurs attentes et, dans toute la mesure du possible, sans trop grever les budgets prévus à cet effet. Et que dire du ou des rôles déterminants joués par certains « hôtes » de la cour: cardinaux, prélats, humanistes, théologiens, religieux qui, à titre de confidents, de conseillers, voire de confesseurs des papes qui leur avaient fait cette faveur influencèrent
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des choix faits et des décisions prises par ces derniers quand ils ne leur servirent pas d’émissaires, d’entremetteurs, voire de négociateurs. Qu’il suffise de rappeler ici tout ce que les papes post-tridentins, depuis Pie V jusqu’à Clément VIII, devront au jésuite espagnol Francisco de Toledo installé au Vatican avec le simple titre de « prédicateur », mais appelé à leur rendre, de même qu’aux membres de leurs « familles », de nombreux services. Mais le principal élément permettant de parler de la « singularité » de la cour pontificale au XVIe siècle, et cela vaut pour toutes les cours de l’époque, ne serait-il pas plutôt le fait qu’elle formait, comme l’a montré Norbert Elias4, une société au sens plein du terme, c’est-à-dire qu’elle n’était pas un simple agrégat d’individus au service d’un maître qui avait nom pape, mais un groupe humain structuré ayant une existence propre faite de multiples liens unissant, tout d’abord les uns aux autres les membres des divers sous-groupes figurant à l’organigramme de la cour, puis ces sousgroupes eux-mêmes par l’intermédiaire des officiers qui avaient autorité sur eux et, finalement, à leur tour, ces derniers dont certains ayant accès directement au pape, assurant de ce fait un lien « organique », mais, dans la plupart des cas, distant entre ce dernier et les divers membres de sa « famille ». À ces liens de type fonctionnel, il importe toutefois d’ajouter des liens de caractère, eux, personnel relevant tout aussi bien de la parentèle et de la clientèle que de l’amitié et de la concitoyenneté qui, eux, permettaient de transcender les frontières existant entre les divers sous-groupes de la cour et donc de créer des liens d’une toute autre nature favorisant, eux, des rapports tout aussi bien verticaux qu’horizontaux obéissant aux lois du népotisme et du favoritisme comme nous avons été à même de le constater dans le quatrième chapitre. La cour pontificale est donc bien une société, au sens obvie du terme, devant, au départ, son existence à la volonté de celui qui l’a constituée, mais une fois constituée, fonctionnant selon les lois propres à toute société, soit celles de l’interdépendance sociale consistant principalement en ce que chaque membre, à son niveau, y trouve son profit, faute de quoi, risquait de s’ensuivre un mécontentement généralisé rendant éventuellement difficile sinon impossible le bon fonctionnement de cette société. Nous avons vu que les papes de l’époque étaient conscients de ce danger et cherchaient dans toute la mesure du possible de l’éviter, entre autres par le moyen de mancie de toutes sortes distribuées à divers moments de l’année. C’est qu’ils ne devaient pas, du moins les plus lucides d’entre eux, se faire trop d’illusions sur les pouvoirs 4 Nous renvoyons ici à son ouvrage pionnier: La société de cour (Paris 1974), et plus particulièrement à l’Introduction, p. 9-11. Le développement qui suit s’inspire pour l’essentiel du concept de cour, au sens sociologique du terme, qu’ il propose.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
qu’ils étaient à même d’exercer sur leurs cours respectives, pouvoirs en principe absolus, mais en pratique limités puisqu’ils n’avaient pas affaire à de simples individus, mais à des groupes humains structurés avec la dynamique et les humeurs desquels ils devaient apprendre à composer. Autant d’éléments expliquant, mieux imposant le choix fait dès le départ d’écrire une histoire de la cour pontificale où la cour en tant que cour occuperait la première place, mais où serait en même temps toujours présente, au moins en filigrane, celui qui en était tout à la fois la raison d’être et la figure emblématique, c’est-à-dire le pape. Cela dit, cette histoire n’aurait probablement jamais vu le jour sans l’appel d’un Amadeo Quondam et d’un Paolo Prodi dont j’ai fait plusieurs fois état dans mon Introduction et sans, par ailleurs, l’appui que m’ont accordé tout au long de sa longue élaboration nombre d’historiens et d’historiennes convaincus comme moi du bien-fondé d’une telle entreprise. Qu’ils en soient une fois de plus remerciés. Sans doute n’aurai-je pas répondu à toutes leurs attentes tant le territoire à couvrir était considérable et les obstacles à surmonter nombreux. Aussi suis-je très conscient des limites et des imperfections du présent ouvrage, dues pour une bonne part, comme je l’ai souvent souligné, au caractère lacunaire de plusieurs des sources disponibles, mais dues aussi au fait que les réponses à un certain nombre de questions que je me suis posées en cours de route auraient demandé des recherches beaucoup plus poussées dans certains fonds d’archives, les uns, accessibles, mais dont la rentabilité était loin d’être assurée, d’autres, pour le moment inaccessibles ou, du moins, difficilement accessibles. Je pense ici à tout le problème du financement de la cour qui aurait mérité une enquête de plus d’envergure sur certains points particuliers tels, par exemple, le rôle joué, en aval, par les banquiers, les fournisseurs, les proveditori surtout et, en amont, par l’incontournable dépositaire de la Chambre Apostolique. Faute de moyens et de temps, j’ai dû me contenter de fournir les renseignements essentiels concernant ces derniers, comptant bien que des historiens mieux qualifiés que moi en la matière pourraient éventuellement apporter sur tous ces points les compléments, voire les correctifs nécessaires. Il en va de même du problème de la réforme tout à la fois morale et spirituelle de la cour à propos duquel j’ai indiqué, au passage, le rôle joué à cet effet par un certain nombre de confréries romaines comptant des membres de ladite cour. Il y aurait là aussi une enquête plus approfondie à faire à partir des archives des confréries en question, enquête qui demanderait sans doute beaucoup de temps –– temps, là encore, que je n’avais pas –– mais qui pourrait éclairer d’un jour nouveau le processus de « conversion » de la cour surtout à partir de la seconde moitié du XVIe siècle. Je me permets d’ajouter qu’au fur et à mesure que je progressais dans ma recherche, je me suis rendu compte à quel point depuis
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CONCLUSION
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von Pastor peu de papes du XVIe siècle ont fait l’objet de biographies tenant compte de ce qui a depuis été publié à leur sujet et des progrès de la science historique. Il y aurait là un important vide à combler. Mon étude étant la première à tenter de reconstituer dans son ensemble la vie de la cour pontificale au XVIe siècle, il ne fallait pas s’attendre à ce que je trouve réponse à toutes les questions qui peuvent légitimement être posées à son sujet. Mon ambition n’était d’ailleurs pas de réussir cet exploit qui, de toute façon, était hors de portée, mais de fournir une vue d’ensemble suffisamment détaillée et étoffée pour intéresser le lecteur et lui faire découvrir un monde jusqu’ici peu, voire mal connu, mais en même temps pouvant servir de base à des recherches plus poussées sur certains thèmes ou certains points particuliers. N’aurais-je réussi à atteindre que ces deux objectifs, je me sentirais amplement récompensé des efforts déployés et des longues années passées à produire le présent ouvrage. Mais il appelle une suite et j’ose espérer qu’il se trouvera une nouvelle génération de spécialistes en la matière pour la lui donner.
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SIGLES ET ABRÉVIATIONS
Acta
Vicecanc.=Acta Vicecancellaria
AHP
Archivum Historiae Pontificae
Arch.
Consist.=Archivum Consistoriale
Arm.
Armadio
ASR
Archivio di Stato, Roma
ASRSP
Archivio della Società Romana di Storia Patria
ASV
Archivio Segreto Vaticano
Barb. lat.
Barberini Latini
BAV
Biblioteca Apostolica Vaticana
BNF
Bibliothèque nationale de France
Borg. lat.
Borgiani latini
Cam.
Camerale
Chap.
Chapitre
Conc. Trid.
Concilium Tridentinum
DBF
Dictionnaire de biographie française
DBI
Dizionario biografico degli Italiani
DDC
Dictionnaire de droit canonique
DHGE
Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques
DHP
Dictionnaire historique de la papauté
Diar.
Diarium
DS
Dictionnaire de Spiritualité
DTC
Dictionnaire de théologie catholique
éd.
éditeur(s)
Epist.
Epistolae
fasc.
fascicule
filz.
filza(e)
fol.
folio(s)
Giust. di Tes.
Giustificazione di Tesoreria
Intr. et Ex.
Introitus et Exitus
MAH
Mélanges d’archéologie et d’histoire
Mand. cam.
Mandati camerali
MEFRM
Mélanges de l’École française de Rome (Moyen Âge - Temps modernes)
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678
LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Miscell.
Miscellanea
Ott. lat.
Ottoboniani latini
p.
page(s)
Resign.
Resignationes
RHE
Revue d’histoire ecclésiastique
RQH
Revue des questions historiques
Urb. lat.
Urbinates latini
Vat. lat.
Vaticani latini
vol.
volume(s)
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SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
SOURCES MANUSCRITES
Archivio Segreto Vaticano (ASV) Archivio Consistoriale Acta vicecancellaria 2-3, 7-14 Camera Apostolica Armarium XXIX (Diversa cameralia) 63-71, 73, 75-76, 82, 87 Introitus et Exitus 524-525, 532, 535, 544, 551-552, 560-561 Resignationes 10-19, 52-53, 100-105 Fondo Borghese I
111-113 Diaires Grassi (1513-1521) 562-563
«
«
(1504-1509)
889-890
«
«
(1512-1513)
568 «Tractatus de Ceremonijs Papalibus» (Grassi) 120 Diaire Baroni (1518-1538) 755 Diaire Cornelio Firmano (1568-1570) 800 Diaire Francesco Mucanzio (1572-1580) 812
«
«
«
(1581-1585)
719 Diaire Paolo Mucanzio (1590-1591) 725
«
«
«
(1605-1606)
769
«
«
«
(1594-1598)
IV 64 Diaire Baroni (1518-1539)
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Fondo Confalonieri 64 (Miscellanea) «Rolo delle stantie del palazzo, 1594» (fol. 3-17v) «Pigioni di case per la famiglia di N.S. per l’anno 1601» (fol. 30-31r) Bilan des comptes du dépositaire général du 24 août 27 septembre 1592 (fol. 35rv) Dépense faite pour le pèlerinage du pape aux Sept Églises, 18 février 1601 (fol.55r) « Rolo della famiglia di Gregorio XIII » (fol. 179-180r) Miscellanea Arm. II : 79 «Origine et sommario dell’opere pie di Roma institute dal Pontificato di Leone Xmo sino al Pontificato di Paulo Quarto» (fol. 239-245r) «Nota di tutte le Stantie di palazzo et chi l’habita», 1566 (fol. 204r-206v) Biblioteca Apostolica Vaticana (BAV) Barberini latini 1652 «Quinternus Introitum, Gabellarum, Thesauriarum et Salinarum Sanctae Romanae Ecclesiae» (c. 1525) 2799 «Diarium Blasii de Cesena» (1518-1540) 5657 Budget du Saint-Siège (c. 1592) Borgiani latini 354
Rôle de «familiarité» de Paul III
Introiti ed esiti 1-32 Livres de comptes des majordomes (1576-1605) Ottoboniani latini 1613-1614 «Ephemerides Historiae ab anno 1511 ad annum 1531» (Cornelio de Fine) 2264 «Parere del Gran Cosimo de’ Medici Gran Duca di Toscana sopra la Corte di Roma» (fol. 175-179v) 2603 «Diario di Cola Colleine Romano» (1521-1561) (fol. 274-341) 3140 I «Instruzione et avvertimenti all’Ill.mo card. Montalto sopra el modo nel quale si possa e debba ben governare come nipote del Papa» (fol. 286-295v) «Nota degli uffizi del palazzo apostolico e fuori» (fol. 280-285v) 3142 «Nota delle intrate della Camera Apostolica sotto il pontificato de N.S. Papa Gregorio XIIIo fatta l’anno 1576» (fol. 297v-309v)
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SOURCES MANUSCRITES
681
Ruoli 1-3, 6, 8-11, 17, 21-22, 24, 27-28. 30, 32, 34, 36-37, 39-43, 53, 56-57, 64-65, 71, 75, 80, 98, 100, 109, 113, 117, 133, 135, 138, 142, 145. Urbinates latini 1038-1074
Avvisi (1555-1605)
1640
«Di Giulio IIIo» (fol. 431-450r)
Vaticani latini 3351 «Ricordi e epigrammi di Evangelista Maddalena Capodiferro» 5462 «Officialium et officiorum Romanae Curiae et Status Ecclesiastici» 5986 « Tractatus de funeribus et exequiis in Romana Curia peragendi» (Paride de’ Grassi) 6528 «Nota degli officij della Corte di Roma» (fol. 262-272v) 7901 «Necrologio Galletti» 7930 «Catalogo de’ Maestri di ceremonie» (1503-1715) (fol. 386-390rv) 7997 Liste d’officiers de la Bibliothèque du Vatican dressée par Galletti (fol. 8r-17r) 8598 Rôle funéraire de Léon X 9027 «Rotulus familiae P.P. III» (fol. 162A-180B) 10171 «Descendentiae Cap.li Sacros. Vaticanae Basilicae» (XVe-XIXe siècles) 10446 «Instruttione per il duca di Terranova ambasciatore del Re di Spagna a Roma» (fol. 40-50r) 10599-1605 «Entrate e uscite della Dataria» (1531-1555) 10741 Histoire du palais du Vatican (Ferrabosco) (fol. 268-288) 10742 Officiers de la Bibliothèque du Vatican (fol. 85-86r) «Pianta del Palazzo Apostolico» (Ferrabosco) (fol. 399-400, 423-468) 12270 «Tractatus de oratoribus Romanae Curiae» (Paride de’ Grassi) 12272-12275 Diaires de Paride de’ Grassi (1504-1521) 12278 Diaire de Gian Francesco Firmano (1533-1565) 12281 Diaire de Ludovico Firmano (1548-1568) 12286-12288 Diaires de Francesco Mucanzio (1572-1585) 12291-12292 Diaires de Gian Paolo Mucanzio (1592-1596, 1598) 12293-12295 Diaires de Paolo Alaleone (1582-1612) 12308 Diaire de Biagio Baroni (1518-1548) 12310 Diaire de Pietro Paolo Gualtieri (1532-1544) (fol. 343-383) 12311 Diaire de Cornelio Firmano (1565-1573) 14831-14833 Lettres du cardinal Alexandre Farnèse à Giovanni della Casa (15441549)
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
14834-14837 Lettres reçues par Giovanni della Casa (1544-1549) 15046 Rôle de «familiarité» de Paul IV (1556) Archivio di Stato, Roma (ASR) Camerale I Mandati camerali 855 (1492-1494) 857 (1500-1513) 859 (1513-1519) 861 (1527) 862 (1529-1531) 864 (1530-1534) 866 (1533-1534) 867 (1534) 868 (1534-1537) 869 (1535-1537) 870 (1537-1541) 871 (1539) 873 (1539) 874 (1541-1542) 875 (1541-1543) 885 (1548) 886 (1548) 896 (1555) 901 (1556-1560) 906 (1560-1561) 920 (1566-1567) 923 (1568) 924 (1568-1569) 926 (1568-1572) 927 (1572-1574) 928 (1574-1575) 929 (1576-1578) 934 (1585-1590) 942 (1592-1593)
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SOURCES MANUSCRITES
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Entrate e uscite del tesoriere segreto 1290 Livre de comptes 1540-1543 1295 Ensemble de livres de comptes «Introito et Exito» 1550 «Thesaureria secreta» 1557 «Libro delle spese» 1552 «Introito et Exito» 1553 1296 «Entroito et exito» (3 registres B-D) 1297 «Entroito et exito» 1556 1298 «Thesaureria secreta» 1557 1299 Ensemble de livres de comptes «Entrata et uscita» 1559-1561 «Introito et Exito» 1561-1564 «Conto di Roberto Ubaldini» 1563-1564 «Conto della Tesaureria segreta» 1564-1565 «Computa di Matteo Morelli» 1567 1300 Livre de comptes 1572-1573 1301
«
«
1573-1574
1302
«
«
1574-1575
1303
«
«
1575-1576
1304
«
«
1576-1577
1305
«
«
1577-1578
1306
«
«
1578-1579
1307
«
«
1579-1580
1308
«
«
1580-1581
1309
«
«
1582-1583
1310
«
«
1583-1584
1311
«
«
1584-1585
1312
«
«
1586
1313
«
«
1596-1605
Entrate e uscite del maggiordomo 1349 Livre de comptes 1538 1350
«
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1576-1577
1351
«
«
1577-1578
1352
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«
1585
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«
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«
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Spese minute 1484 Livre de comptes 1501 1487
«
«
1505-1506
Viaggi de’ Pontifici 1561- 1562 Ensemble de livres de comptes couvrant notamment le voyage de Paul III à Bologne en 1543 (no 1), à Pérouse en 1547 (no 2) et celui de Clément VIII à Ferrare en 1598-1599 (no 3) Giustificazioni di Tesoreria 2, fasc. 7 Rôle funéraire de Paul III (1549) 4, «
18 Rôle de cour de Pie IV (1560)
5, «
15 1563-1564
6, « 9, « 11, « «
4 Rôle de cour de Pie IV (1565) 14 Rôle de cour de Pie V (1571) 2 1572 4 1572-1575
«
15 1575
«
16 1572-1575
12, «
5 1575
«
15 1575
13, «
7 1577
«
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SOURCES MANUSCRITES
14, «
1 1579-1583
«
2 1579
«
3 1580
«
4 1580
« 15, «
685
10 1581-1582 2 1584
«
6 1584-1585
«
9 1584
«
12 1585
«
14 1585
«
16 1585
«
18 1585
«
38 1585-1589
Paris : Bibliothèque nationale de France (BNF) Cabinet des manuscrits Fonds français 15870 «Estat par estimation des train et suitte livrees equipages et ammeublement d’Ambassadeurs à Rome et de la despence quil convient faire en la charge es trois annees que l’Ambassade a de coustume de durer» (fol. 608-633r) 16038-16039 Correspondance diplomatique de Philibert Babon de la Bourdaisière (1558-1561) 16039 Correspondance diplomatique de Henri Clutin de Villeparisis (1563-1566), du comte de Tournon (1566-1568) et de Charles d’Angennes (1568-1571) 16039-16040 Correspondance diplomatique de François Rougier, baron de Ferrals (1571-1575) 16043-16044 Correspondance diplomatique de Paul de Foix (1581-1584) 16045-16046 Correspondance diplomatique de Jean de Vivonne et autres (15851589)
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SOURCES IMPRIMÉES
Adagia. Sei saggi politici in forma di proverbi, éd. S. Seidel Menchi, Turin 1980. Alberini, Marcello, I Ricordi, éd. D. Orano, dans Il sacco di Roma del 1527, Rome 1901, p. 67-462. Anvertimenti politici per quelli che vogliono entrare in Corte del Signor Conte di Verrua, éd. D. Carutti, dans Miscellenea di storia italiana, I (1862), Turin, p. 321-352. Azzio, Tommaso, Discorsi Nuovi delle prerogative de’ curiali antichi e moderni cortigiani, Venice, 1680. Babou de la Bourdaisière, Philibert, Correspondance de Philibert Babou de la Bourdaisière, évêque d’Angoulême, depuis cardinal, ambassadeur de France à Rome, éd. E. Henry - C. Loriquet, Reims 1859. Balan, Pietro, Monumenta saeculi XVI historiam illustratia, I, Innsbruck, 1885. Barbiche, Bernard, éd., Correspondance du nonce en France Innocenzo del Bufalo (1601-1604), Rome 1964. Blet, Pierre, éd., Girolamo Ragazzoni, évêque de Bergame, nonce en France. Correspondance de sa nonciature (1583-1588), Rome-Paris 1962. Borghini, Vincenzo, Storia della Nobilità fiorentina, éd. J. R. Woodhouse, Pise 1974. Bullarum Diplomatum et Privilegiorum Sanctorum Romanorum Pontificum, 24 vol., Turin 1857-1872. Burchardi, Joannis, Diarium sive Rerum Urbanorum Commentarii, 1483-1506, éd. L. Thuasne, 3 vol., Paris 1883-1885. Burchardus, Joannes, Liber Notarum ab Anno MCCCCLXXXIII usque ad Annum MDVI, éd. E. Celani, 2 vol., dans Rerum Italicarum Scriptoris, XXXII, Città di Castello 1907-1911. Calendar of State Papers Relating to English Affairs Existing in the Archives and Collections of Venice and other Libraries of Northern Italy, éd. R. Brown, vol. I-II, Londres 1864, 1867. Chattard, Giovanni Pietro, Nuova Descrizione del Vaticano, Rome 1767 (Nuova Descrizione del Vaticano o sia della sacrosancta Basilica di S. Pietro, III). Cloulas, Ivan, éd., Correspondance du nonce en France Anselmo Dandino (1578-1581), Rome 1970. Commendone, Giovanni Francesco, Discorso sopra la corte di Roma dans Biblioteca del Cinquecento, 68, éd. C. Mozzarelli, Rome 1996. ConciliumTridentinum.Diariorum,Actorum,Epistularum,TractatuumNovaCollectio,13 vol., éd. S. Merkle et al., Fribourg-en-Br. 1961-2001. Correspondance polititique de L. de St Gelais de Lansac, éd., C. Sauzé, Poitiers 1904. Correspondencia diplomática entre España y la Santa Sede durante el pontificado de Pio V, éd. L. Serrano, 4 vol., Madrid 1914.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
A Aaron, 162, 330 Abbas 1er, Shah de Perse, 374-375, 376 et n. Abbatis, Antonio de, sous-majordome de divers papes, 209-210, 228 Abraham, 158 Accolti, Bernardo, poète, 56 Accoramboni, Gerolamo, médecin, 221 Accoramboni, Vittoria, nièce de Sixte V, 105 Adrien VI, pape, 41-46, 58, 61, 104, 115, 137, 184, 188 et n., 204 n., 222 n., 235, 242 et n., 255, 259, 268, 273 n., 315 et n., 319 n., 393 n., 395 n., 450, 472 n., 478 n., 487, 490, 494, 532 Agapit II, pape, 161 Agostino, padre, théatin, familier de Paul IV, 478 n. Alaleone, Gian Paolo de Branca, cérémoniaire pontifical, 212 n., 213 n., 321 n., 373, 374 et n., 375 et n., 388, 393 n. Alba, Bartolomeo d’, palefrenier de Paul III, écuyer de Jules III, 219 n. Albany, duc d’, voir Stuart Alberti, Cherubino, peintre, 148 Alberti, Giovanni, peintre, 148 Alberti, Leon Battista, architecte, 124, 125 n. Alciati, Francesco, cardinal, 250 Aldobrandini, famille, 31, 107 Aldobrandini, Cinzio, neveu de Clément VIII, cardinal, 110-111, 150 Aldobrandini, Gian Francesco, neveu de Clément VIII, 111 Aldobrandini, Giulia, sœur de Clément VIII, 110 n. Aldobrandini, Ippolito, voir Clément VIII Aldobrandini, Olympia, nièce de Clément VIII, 111
Aldobrandini, Pietro, neveu de Clément VIII, cardinal, 110-111, 232 n., 276, 413-414, 417, 419-421 Aldobrandini, Silvestro, père de Clément VIII, 107-108 Aldobrandini, Silvestro, fils de Gian Francesco, cardinal, 111-112 Aléandre, Jérôme, humaniste, cardinal, 65 Aleotti, Piergiovanni, garde-robe secret, puis trésorier secret de plusieurs papes, 235, 236 n., 543, 556 et n., 557 et n., 568 n, 574 Alessandrino, cardinal, voir Bonelli, Michele Alessandrino, don, camérier de Paul IV, 478 n. Alexandre le Grand, 162, 260 Alexandre III, pape, 161 Alexandre VI, pape, 28, 34, 41-45, 4758, 63-64, 67-68, 71-73, 80, 88, 114, 128-129, 131, 155-156, 158, 164, 184, 192 n., 198 n., 209 n., 211, 217 n., 222 n., 230 et n., 233, 234 n., 242 n., 253 n., 255 et n., 256, 264 n., 276, 292, 307, 308 et n., 309-311, 313314, 316, 319 n., 320 n., 322 et n., 328, 333, 336 et n., 337 et n., 338 n., 339 et n., 340, 341 et n., 343, 350, 353, 358, 365-368, 377, 385-388, 393 n., 395 n., 398, 404-405, 408, 432, 447, 450, 451 n., 458, 474-475, 485 et n., 486 et n., 495 n., 510 n., 518 n., 522 et n., 538, 546, 562, 570, 593, 595, 599-603, 617, 635, 636 et n., 641, 645, 657-659, 668, 670 Alexandre VII, pape, 29 Alexandre VIII, pape, 316 Alexandrinus, maître d’écurie adjoint de Léon X, 230 n. Alfani, Alfano, humaniste et mathématicien, 65
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Ali Beg, Huseyn, ambassadeur d’Abbas 1er, 375 et n. Alidosi, Francesco, trésorier général, puis cardinal, 167, 193 n., 233, 267, 276 Allemagne, 93, 112, 650 Alphonse V d’Aragon, roi de Naples, 348 n. Altemps, famille, 31, 83-84 Altemps, Annibal, neveu de Pie IV, 143 Altemps, Mark Sittich, cardinal, 83, 96, 172-173 Amasco, Romolo, humaniste, secrétaire pontifical, 65, 257 et n. Amatis, Giovanni, cérémoniaire pontifical, 214 et n., 291 Ambroise, saint, 330 Ameilh, Pierre, cérémoniaire pontifical, 305-306, 378-379, 385 Ammanati, Bartolomeo, sculpteur, 72, 169 Ammanati, Jacopo, cardinal, 352 n. Andrea, tailleur de Jules II, 622 n. Andreis, Vicenzo de, prélat domestique de Léon X, 250, 264 Angelico, Fra, dominicain, peintre, 122, 125, 131, 134, 141 Angelico, Fra, dominicain, confesseur de Paul IV, 223 Angleterre, 94, 112, 214 n., 321 n., 407, 476, Annio da Viterbo, dominicain, égyptologue, 156 Antoniano, Silvio, maître de la chambre de Clément VIII, cardinal, 110, 215 et n. Aquaviva, Ottavio, cardinal, 415 n. Aragon, Frédéric d’, fils de Ferdinand, roi de Naples, 366-368, 614 Aragon, Jean d’, cardinal, 268 Aragon, Louis d’, cardinal, 365 et n. Aragon, Miguel d’, barbier d’Alexandre VI, 222 n. Arcelli, Fabio, nonce à Naples, 602 Archilegi, Angelo, majordome de Paul III, 206 n., 207 n, 278, 296 n., 490 n. 491, 494 n., 497, 545, 562-563, 570, 579 et n., 580, 584, 593, 598
Arezzo, Paolo d’, doyen des camériers de Clément VII, 214 n. Argellata, Pietro, médecin, 378-379 Arigucci, famille, marchands de tissus, 578 Ariosto, Luigi, écrivain, 65, 460 Aripart, roi des Lombards, 161 Aristote, 158 Armagnac, Georges d’, cardinal, 424 n. Armellini, Francesco, cardinal, 276 Arroyo, Luis, palefrenier de Paul III, écuyer de Jules III et doyen des écuyers de Paul IV, 219 n. Asinario, Scipione, maître d’écurie de Clément VIII, 230 n. Aspra, Francesco d’, trésorier général, 215 et n., 566 Assise, 528 n. Assyrie, 304 n. Atracino, Valerio, camérier de Grégoire XIII, 214 n. Attavanti, Bernardo, chasublier, 574 Attila, roi des Huns, 159 Auguste, empereur, 162 Augustin, saint, 158 Ausinio, Ettore, astrologue, 255 n. Autriche, Albert d’, archiduc, 445 Autriche, Isabelle d’, Infante d’Espagne, 445 Autriche, Marguerite d’, fille de Charles Quint, 60, 69, 168 n., 323 Autriche, Marguerite d’, épouse de Philippe IIII, roi d’Espagne, 445 Avicenne, 499 n. Avignon, 402-403, 436, 466, 485, 505, 516, 648 Azzio, Tommaso, auteur, 15, 292, 295, 608-609 Azzolini, Dezio, cardinal, 52-53, 101102 B Babylone, 304 n. Baccio, Fra, bouffon, 259 Bachod, François, dataire, 266 et n. Bachod, Jean, officier de la Daterie, 266 n.
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
Badia, Tommaso, dominicain, maître du Sacré-Palais, cardinal, 226 Baglioni, famille, 326 Baglioni, Agostino, médecin de Pie V, 221 n. Bagnaia, 476 Baldo, Galeazzo, musicien, 254 Balduini, Balduino, médecin de Jules III, 220 n., 221, 285 Banna, voir Vanna Barabello di Gaeta, poète, 459 Barba, Giangiacomo, augustin, sacriste, 211 et n., 216 Barbe, sainte, 155 Barbo, Marco, cardinal, 171 Barbo, Paolo, voir Paul II Barile, Antonio, maître d’écurie de Pie IV, 230 n. Barile, Gian, sculpteur, 135 Barocci, Federico, peintre, 142 Baroni Martinelli, famille, 265 Baroni Martinelli, Biagio, cérémomiaire pontifical, 212 et n., 213 et n. 320 n., 322 n., 336 n., 346 et n. 352 n,, 388, 395 n. Baronio, Cesare, oratorien, cardinal, 112, 224 Bava, acquiféraire de Léon X, 288 n. Bazzaro, Pietro, courtier en vins, 606 n. Beccadelli, Lodovico, humaniste, 66, 257 et n. Belinceni, Giovan Maria, distillateur de Pie V et de Grégoire XIII, 499 n., 507 n. Bellay, Jean du, cardinal, 628 n. Bellay, Joachim du, poète, 628 et n. Bellis, Francesco de, maître de l’écurie de Pie V et Grégoire XIII, 231, 264 et n. Bellis, Giacomo de, panetier, 264 Bellis, Niccolò de, maître de l’écurie de Jules III, Paul IV et Pie IV, 230-231 Bellis, Scipione de, écuyer de Pie IV, 264 Bellini, Francesco, écrivain, 257 Bembo, Pietro, cardinal, 56, 65, 629630
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Benassai, Ventura, sacriste, 210 n. Benci, famille, 264 Benci, Alessandro, comptable de la chambre Apostolique, 234 n., 265 n. Benci, Francesco, secrétaire de Clément VII, 265 n. Benci, Trifone, secrétaire du chiffre, 265, 289, 291 Benoît XII, pape, 27 Bernardino di Gallese, tailleur, 578 Beroaldo, Filippo, poète et bibliothécaire, 227 Besozzo, Andrea, garde-meubles, 520 n. Besson, Louis, cuisinier de Grégoire XIII, 247 n., 286 n., 295 Bevilacqua, Girolamo, conventuel, confesseur de Sixte V, 224 Bianchetti, Lodovico, maître de la Chambre de Grégoire XIII, 278 et n., 289, 291 n. Bianchetti, Lorenzo, cardinal, frère de Lodovico, 278 n. Bianchi, Archangelo, dominicain, confesseur de Pie V, puis cardinal, 224 Bianchi, Gaspare, maître de la chambre de Pie IV, 215 et n. Bianchi, Giovan Andrea, médecin de Pie IV, 226 n. Bianchi, Niccolò, chanteur, 254 Bibbiena, Bernardo Dovizi, cardinal, 136, 140, 143 n., 203, 204 n., 276, 460, 629-630 Bindo da Forli, humaniste, 327-328 Biondi, Fabio, majordome de Clément VIII, 208, 501 n., 552, 594, 608 et n. Birague, René de, cardinal, 214 n. Boccaferri, Vincenzo, majordome de Paul III, 562 Boccapaduli, Antonio, secrétaire des brefs, 370 Boichant, Adrian, horloger du palais apostolique, 261, 262 n. Bomes », Francesco, voir Vanniers, « François Bonaventure, saint, 158
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Bonciani, Giovan Battista, dataire, 277278, 395 n. Boncompagni, famille, 31 Boncompagni, Buoncompagno, frère de Grégoire XIII, 97 Boncompagni, Filippo, cardinal, 30, 97, 237 n., 291, 370, 470 Boncompagni, Giacomo, fils de Grégoire XIII, 95-98, 370, 470, 526 Boncompagni, Jacopa, sœur de Grégoire XIII, 97 Boncompagni, Ugo, voir Grégoire XIII Bonelli, Michele, cardinal neveu de Pie V, 88-89, 101, 232 n. 237 n. Bonelli, Niccolò , sous-majordome de Paul III, puis comptable de la Chambre Apostolique, 209 n., 234 et n., 547 n., 562 Bonfiglioli, Rodolfo, trésorier général, 232 n., 233 Bongiovanni, Antonio Giacomo, majordome de Paul III, 209 n. Boni, Giacomo, professeur de botanique, 516 n. Boniface VIII, pape, 123, 380, 400, 466, 635 n. Bordini, Gian Francesco, oratorien, confesseur de Clément VIII, 224 Borgia, famille, 28-29, 31, 156 Borgia, César, cardinal, puis duc de Valence, 48, 51-52, 68, 139 n., 255 n., 292 et n., 339 n., 386 n. Borgia, Francesco, trésorier général, 233 Borgia, Giovanni, cardinal, 366 Borgia, Jean, duc de Gandie, 37 Borgia, Lucrèce, 48, 51, 339 n. Borgia, Rodrigue, voir Alexandre VI Borgia, Stefano, historien, 147 n. Borromée, famille, 51, 83 Borromée, Anna, sœur de Charles, 84 Borromée, Camilla, sœur de Charles, 84 Borromée, Charles, cardinal, 45, 84, 86, 88, 94-95, 110, 203, 204 n., 265 n., 276, 291, 455, 530 n., 626 n., 638-
639, 641 Borromée, Federigo, frère de Charles, 84 Borromée, Ortensia, nièce de Charles, 143 Borsetti, Giovan Maria, palefrenier de Léon X, 219 n. Boschetti, Giovan Battista, barbier de Grégoire XIII, 222 n. Botticelli, Sandro, peintre, 127 n., 431 Bracci, Bernardo, banquier, 562 n. Bracciano, 488-489, 590 Bramante, Donato, architecte, 53, 82, 130-133, 139, 142-144, 167, 183, 255 Branca, Cornelio, cérémoniaire pontifical, 211 n., 213 n, 393 n. Brandino, Domenico, bouffon, 254, 295 Brandolini, Raffaelo, humaniste, 253, 459 Bret, Nicolas, dépensier d’Alexandre VI, 209 n., 546 n. Bril, Paolo, peintre, 146, 148 Brûlart de Sillery, Nicolas, ambassadeur de France à Rome, 413 n., 415421 Brumani, Sigismondo, médecin de Clément VIII, 220 Buccea, bouffon de Pie IV, 260 n. 474 Buchanan, George, auteur protestant, 650 Bulgari, Bartolomeo, joaillier de Paul IV, 622 n. Burckard, Jean, cérémoniaire pontifical, 44, 51 et n., 211 n., 212 et n. 306, 308 et n., 309-311, 312 n., 314 n., 320 n., 336 et n., 337 n., 338 n., 339 n., 358, 362, 365-366, 382 n., 384-387, 393 n., 395 n., 438 n., 447, 635 et n. Bussotti, Bartolomeo, marchand de tissus, 290 Butler, Thomas, réfugié anglais, 252 n. « Buxelles », Jean de, barbier d’Adrien VI, 222 n. Byzance, 304 n., 382, 440
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
C Cacacci, Onofrio, courtier en vins, 607608 Cagnetto, bouffon, 259 Cajetan, Thomas de Vio dit, dominicain, cardinal, 226, 451 n. Calabre, 493 Caligari, famille, 264 Caligari, Giovan Andrea, secrétaire des brefs, 102, 265 n. Caligari, Giuliano, dépensier à la cour de Clément VIII, 265 n. Caligari, Lodovico, scriptor, 265 n. Calixte III, pape, 41, 51, 126 Camerino, 328 Camilla, lavandière de Pie IV, 508 n. Campeggio, Girolamo, palefrenier de Clément VII, 219 n. Campeggio, Lorenzo, cardinal, 229, 424 n. Cangi, maître de la chambre de Sixte V, 278 Canino, Giulio, secrétaire pontifical, 405 Cannaia, Ercole di, maître d’écurie adjoint de Paul III, 230 n. Canossa, 162 Capello, Antonio, chanteur de la Sixtine, 295 Capodimonte, 470, 528 n. Capranica, 488-489 Caprarola, 219 n., 470 « Capretto », palefrenier de Léon X, 219 n. Carafa, famille, 81, 85, 261, 524 Carafa, Alfonso, cardinal, 79 n., 241 Carafa, Alfonso, comte de Montorio, 291 Carafa, Antonio, cardinal, 86 Carafa, Carlo, cardinal neveu de Paul IV, 30, 76, 79, 81, 193 n., 203, 204 n., 246, 248, 262, 406 n., 473, 556 n., 661 Carafa, Gian Pietro, voir Paul IV Carafa, Giovanni, duc de Paliano, 81, 411 n., 425 Carafa, Oliviero, cardinal, 37, 41, 173, 366
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Carniglia, Bernardino, réformateur du clergé, 95, 270 Caro, Annibale, secrétaire de Paul III, 602 et n., 603-604, 608 Carretto della Rovere, Orlando, trésorier général, 233 Carvajal, Bernardino Lopez de, cardinal, 395 n. Casale, Alessandro, maître de la chambre de Pie V, 291 Castellano, Agostino, augustin, sacriste, 211 n. Castellesi, Adriano, cardinal, 276 Castello, Antonio da, référendaire de Pie V, 291 Castiglione, Baldassare, humaniste et diplomate, 629 Catalano, Jacomo, marchand de blé, 596 Cateau-Cambrésis, 95 Catherine, sainte, 155 Catherine de Médicis, reine-mère de France, 60, 214 n., 357 n. Cattanei, Giulio, maître de la chambre de Pie IV, 291 Cavalcanti, famille de banquiers, 594 n. Cavalcanti, Lorenzo, banquier, 596 Cavalcanti, Tomasso, banquier, 595 Cavo, Francesco, imprimeur, 219 Cecchini, Giulano, chirurgien de Clément VIII, 510 n. Cecchino, « Joan », joaillier de Jules II, 222 n. Cecco, don, familier de Sixte V, 251 Celadoni, Alessio, évêque de Gallipoli, 26 n. Célestin V, pape, 307 n. Cernicone, Stefano, familier de Sixte V, 251 Cervini, Giovan Battista, frère de Marcel II, 494 n. César, Jules, 162, 326 Cesare, musicien, 259 et n. Cesarini, Giovan Giorgio, gonfalonier de Rome, 328 Charlemagne, empereur, 160-161 Charles d’Anjou, roi de Naples, 348 n.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Charles VIII, roi de France, 48, 124, 358, 376-377 Charles IX, roi de France, 94 Charles Quint, empereur, 16, 58-60, 6869, 71, 161-162, 214 n., 219 n., 268, 280 n., 323, 346, 351-357, 359, 376377 Chassaing, famille, 264 Chassaing, Jean, portier du Belvédère, 265 n. Chassaing, Vital, serviteur des palefreniers, 265 n. Chasteigner de la Roche-Posey, Louis, ambassadeur de France à Rome, 482-483 Chiavellino, Baldassare, doyen des palefreniers de Pie IV, 219 n. Chigi, Agostino, banquier, 52, 57, 329 Cibo, Franceschetto, fils d’Innocent VIII, 457 Cicada, Giambattista, cardinal, 250 Cicéron, 456 Cicotto, bouffon et astrologue, 254 Cirillo, Bernardino, majordome et aumônier de Paul IV et de Pie IV, 206 n., 225 Civitavecchia, 528 et n. Clément IV, pape, 348 n. Clément VI, pape, 378 Clément VII, pape,, 28, 38, 41, 43, 45, 50, 59-65, 69-70, 104, 115, 136-138, 149 n., 155, 160, 165-166, 168 n., 185, 187, 189, 198 n., 207 n., 208, 214 n., 217 n., 219 et n., 220-221, 233, 235, 246 n., 248, 265 n., 268269, 273 et n., 292 et n., 314 n., 315 et n., 319 n., 320 n., 336 n., 337 n., 352, 357 n., 359, 380, 393 n., 395 n., 405, 424 n., 425, 432, 450, 463 et n., 469, 471-472, 487-490. 494, 495 n., 506, 508, 532, 538, 540 n., 541-542, 546-547, 553, 559, 562 n., 566 n., 569, 595 n., 600, 602 et n., 610, 626, 630, 636, 637 n., 665 Clément VIII, pape, 28, 41-43, 45, 93, 102, 107-114, 128 n., 148, 150, 152 n., 153, 163-164, 166, 187, 192, 200,
205, 208, 210 n., 213 n., 215-216, 220 n., 221 n., 224-225, 230 n., 232 n., 234, 239, 241-242, 245-246, 248, 251-252, 265 n., 276, 278, 292, 293 n., 295, 300, 301 n., 316 n., 319 et n., 321 n., 333, 340, 344, 374-375, 376 et n., 377, 393 n., 395 n., 400, 403, 408409, 411, 413 et n., 421, 428 n., 432, 444-445, 448-449, 451, 453, 454 et n., 471, 474-475, 478 n., 479 n., 481 n., 494, 496 n., 500, 501 et n., 502 et n., 503 et n., 508 et n., 510 n., 520 n., 521 n., 525 et n., 526-527, 531, 535, 538, 544-545, 550-553, 557-558, 559 et n., 561-563, 568 et n., 570 n., 571, 579-580, 583-584, 588-589, 592-594, 596, 598-599, 601, 603, 606-608, 618, 621, 628, 637 et n., 638 et n., 640 et n., 641, 643 et n., 645, 649, 657-659, 665, 667, 669-671 Clément IX, pape, 24, 316 Clément XIII, pape, 25 Coccuagnio, Filippo, sous-majordome de Grégoire XIII, 283 n. Cointerel, voir Contarelli Coleine, Cola, caporione du Transtévère, 316 n. Colocci, Angelo, secrétaire pontifical, 61 Colonna, famille, 328 Colonna, Fabrizio, vice-roi de Sicile, 84 Colonna, Marcantonio, duc de Paliano, 160, 360 n. Colonna, Pompeo, cardinal, 630 Côme et Damien, saints, 322 et n. Côme 1er, duc, puis grand-duc de Toscane, 73 n., 83, 142, 358-359, 360 et n., 361, 376, 614, 626 et n., 627 Commendone, Gian Francesco, cardinal, 14 n., 24-25, 101, 265 n., 626 n. Concedente, Alessandro, marchand de bois, 564 n. Conis, Gian Pietro de’, comptable et sous-majordome de divers papes, 209 n. Consalvi, Padre, jésuite, 369 Conseil, Jean du, chanteur, 256 n.
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
Consiglieri, Giovani Battista, cardinal, 215 et n., 248, 262. 478 n. Consiglieri, Paolo, théatin,maître de la chambre de Paul IV, 215 et n., 248, 262, 478 n. Constabile, Paolo, dominicain, maître du Sacré-Palais, 226 Constantin, pape, 304 n. Constantin Ier, empereur, 160-161, 351 Constantinople, voir Byzance Contarelli, Matteo, cardinal, 95 Contarini, Gasparo, cardinal, 38, 332 Conti, famille, 328 Conti, Girolamo, abbé de San Gregorio al Monte Celio, 258 Conti, Sigismondo de’, humaniste, 510 n. Cornaro, Luigi, cardinal camerlingue, 232 n., 267 Corneto, 423 n., 595 Corse, 486 n., 599 et n. Cortese, Paolo, humaniste, 457 n., 461462 Cortone, 493 Cotrugli, Benedetto, marchand et humaniste, 456 Costa, Georges, cardinal, 37 Crescenzi, Camillo, ami de Pie V. 291 Crête, île de, 465, 493 Croce, Baldassare, peintre, 148 Croce, Giovanni, cuisinier de Pie V, 229 n. Cusano, Agostino, clerc de la Chambre Apostolique, 575 Cusano, Nicolas (Nikolaus Krebs von Kues), ambassadeur impérial à Rome, 81 n. D Daddei, Christoforo, chanoine de Ste Marie Majeure, 278 n. Daddei, Giovanni, aumônier de divers papes, 225, 226 n., 278 et n. Damasceni, Fabio, marchand, beaufrère de Sixte V, 105 Dandino, Girolamo, secrétaire pontifical, puis cardinal, 405 Danemark, 133
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Danti, Ignazio, dominicain, mathématicien, 145 Della Casa, Pandolfo, banquier, 602 n. Della Corgna, Ascanio, neveu de Jules III, 73 Della Corgna, Fulvio, cardinal, 73, 291 Della Croce, Bernardino, trésorier secret de Paul III, 235, 547 et n., 554, 555 et n., 556 n., 584 Del Monte, famille, 169 Del Monte, Antonio, cardinal, 24, 70 Del Monte, Baldovino, frère de Jules III, 70, 73, 109, 292 et n., 405, 529 Del Monte, Christoforo, cardinal, 73 Del Monte, Ersilia, sœur de Jules III, 284 Del Monte, Fabiano, fils de Baldovino, 73 n. Del Monte, Giovan Battista, neveu de Jules III, 73 Del Monte, Giovan Maria, voir Jules III Del Monte, Innocenzo, cardinal, 70, 73, 237 n., 291, 529 Del Monto, Lodovica, soeur de Jules III, 284 Del Monte, Pietro, 73 Del Nero, Francesco, camérier de Clément VII, puis trésorier général, 214 n., 233 Del Ponte, Giovanbattista, courtier en vins, 606-607 Della Rovere, famille, 29, 31, 331 Della Rovere, Bartolomeo Grosso, cardinal, 52 Della Rovere, Felice, fille de Jules II, 52, 322 et n. Della Rovere, Franceso Maria, duc d’Urbin, 53, 55 Della Rovere, Leonardo Grosso, cardinal, 52 Della Rovere, Virginia, épouse de Federigo Borromée, 84 Della Somaglia, Margherita, 106 Della Stufa, Giovanni, camérier de Clément VII, 214 n. De Luca, Giovan Battista, cardinal, 182, 207
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Del Vaga, Perin, peintre, 138, 161, 166 Del Vantaggio, Angelo, maître de la poste de Clément VII, 198 n. Dela Vantaggio, Bartolomeo, maître de la poste de Léon X, 198 n. Del Vantaggio, Francesco, maître de la poste de Paul III, 198 n. Desiderio, distillateur de Paul IV, 507 Diane de France, bâtarde de Henri II, 69 Diego de Campo, camérier de Clément VIII, 479 n. Dolera, Clemente, cardinal, 250 Donato, Leonardo, ambassadeur de Venise à Rome, 479 n. Dovizzi, Bernardo, voir Bibbiena Douai, 632 Dubé, Paul, médecin français du XVIIe siècle, 513 n., 514 Dupérac, Étienne, graveur et imprimeur, 431-435, 437, 653 Duranti, Durante, cardinal, 264 et n. Duranti, Pietro, prélat domestique de Paul III, 264 et n. Duranti, Vincenzo, majordome de Paul III, 208, 555 n. Duval, Jean, cuisinier de Clément VII et de Paul III, 246 n. E Écosse, 94 Edme, Dom, abbé bénédictin, 647 et n. Egidio Canisio di Viterbo, voir Gilles de Viterbe Égypte, 304 n. Élisée, prophète, 162 Elvino, Bernardino, trésorier secret de Paul III, 235 Érasme, Didier, 62, 326, 628, 633, 644 Ercolani, Giacomo, aumônier de Grégoire XIII, 225 n. Espagne, 85, 103, 107, 109, 214 n., 246, 248, 321 n., 323, 344, 400, 407-408, 411, 443, 444 et n., 445, 492 n., 536, 627, 640 Estaço, Achille, voir Statio Este, Ippolito II d’, cardinal, 174, 265 n.
Este, Isabella d’, épouse de Francesco Gonzaga, 460, 624-631, 633, 644 Este, Luigi d’, cardinal, 173-176, 270271 Étienne II, pape, 161 Eugène III, pape, 120-122 Eugène IV, pape, 28, 124, 154, 392 n., 539 Evitascandalo, Cesare, auteur, 223 n., 246, 477 et n., 483-484 Eyquem, Bertrand, sieur d’Estignac, frère de Montaigne, 482-483 F Fabri, Sisto, dominicain, maître du Sacré-Palais, 226 Facchinetti, Antonio, cardinal, 395 n. Falcone, Ercole, portier du palais apostolique, 231 et n., 232 et n., 521 n. Farnèse, famille, 71, 174, 264, 331, 462, 599 n. Farnèse, Alexandre, voir Paul III Farnèse, Alexandre, petit-fils de Paul III, cardinal, 25-26, 30-31, 42, 68, 86, 107, 193 n., 257 et n., 262, 270271, 275 n., 276, 299 n., 374 n., 411 n., 470, 490 n., 491 n., 531 n., 626 n. Farnèse, Costanza, fille de Paul III, 68 Farnèse,Giulia, sœur de Paul III, 64, 322, 339 n. Farnèse, Orazio, petit-fils de Paul III, 69 Farnèse, Ottavio, petit-fils de Paul III, 69, 71, 258, 323, 542 n. Farnèse, Pier Luigi, fils de Paul III, 6869 Farnèse, Ranuccio, cardinal, 172 « Fedrico », M°, médecin de Pie V, 291 « Fedrico », scriptor de la Chapelle Sixtine, 287-288 Félix IV, pape, 304 n. Feo, Lorenzo, courtier en vins, 603 et n., 604, 605 n., 606-607 Ferdinand Ier, empereur, 444 Ferdinand Ier, roi de Naples, 365 Ferdinand II, roi d’Aragon, dit le Catholique, 160, 348 n., 349 n.
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
Fermo, 73 Ferrabosco, Domenico Cesare, musicien, 259 et n. Ferrabosco, Martino, architecte, 151 n., 152 n. Ferrare, 164, 328, 444-445, 531, 624 Ferratino, Bartolomeo, majordome de Clément VII, 208, 209 n. Ferreri, Zaccaria, prélat domestique de Léon X, 250, 256 n. Feti, Fra Mariano, bouffon, 254 Filhol, Antoine, majordome de Jules II, 208, 251 Firmano, famille, 212, 265 Firmano, Cornelio, cérémoniaire pontifical, 213 n., 318 n., 341 n., 360 et n. Firmano, Giovanni Francesco, cérémoniaire pontifical, 211 n., 212, 213 et n., 214 et n., 291, 320 n., 388 Florence, 60, 248, 407 et n., 442, 466 Florensz, Adrien, voir Adrien VI Florido Sabino, Francesco, humaniste, 66, 257 et n. Foix, Paul de, ambassadeur de France à Rome, 411 n., 424 n. Foligno, 49, 528 n. Fontana, Domenico, architecte, 147, 175-177 Fontana, Flaminio, camérier de Grégoire XIII, 230 n. Forcada, Gagliardo, maître d’écurie de Jules III, 230 n. Foschi, Gabriele, augustin, sacriste, 211 et n. Fracastoro, Girolamo, humaniste et médecin, 65 Fragametto, garde-chiens de Paul III, 286 France, 75, 94, 103, 107, 109, 111, 214 n., 246, 329, 400, 407-408, 411-421, 443-445, 450, 492 et n., 494, 542 n. Francesca, madonna, lavandière de Clément VIII, 508 n. Francesco di Milano, musicien, 258 et n. Francesco di Nizza, franciscain, confesseur de Pie IV, 224 et n.
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Francesco da Rimini, barbier de Jules III, 251 n. Franchi, Paolo Giordano de’, majordome de Paul III, 298 n., 586 Franchino, Alberto, garde-robe de Pie V et Grégoire XIII, 216, 526 n. « Francioso », Pier Luigi, maître d’écurie de Paul III, 230 n. « Franciosino », maître d’écurie de Léon X, 230 n., 288 n. Franciotti, Niccolò, neveu de Jules III, 322 François de Paule, saint, 333 et n. François Ier, roi de France, 59-60, 160, 355, 357 n., 409, 492 et n., 547 n. François de Médicis, grand-duc de Toscane, 271 Frangipani, Fabio Mirto, archevêque de Nazareth, nonce en France, 413 Frangipani, Marzio, trésorier secret et majordome de Sixte V, 236 et n., 544 n., 569 n., 594, 596, 606 Frascati, 96, 112, 120, 172-174, 372, 470, 491 et n., 497, 618 Frédéric Barberousse, empereur, 161 Frédéric III, empereur, 352 et n., 353354, 357, 359i, 376, 626 G Gabriele di Lodi, musicien, 254 Gabrieli, Niccolò, dit « Proto », bouffon, 254 Galien, 499 n., 510, 512 Galilée, 145 Galletti, Bindo, camérier de Jules III, 264 Galletti, Fabrizio, camérier de Jules III, 264 Galletti, Giovanni Battista, majordoime de Jules III, 208, 264, 571 Galli, Antonio Maria, trésorier secret de Sixte V, puis cardinal, 236 n., 544 n. Galli, Tolomeo, secrétaire d’État de Grégoire XIII, cardinal, 97, 273 n., 470, 480 Gannassi, Antonio, apothicaire de Sixte V, 515 n.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Gaurico, Luca, astrologue, 205 n., 257258 Gavelli, Bernardino, palefrenier de Paul III, garde-robe de Paul IV, 218 n. Gazoldo, Giovanni, humaniste, 253 Gênes, 248, 442 Gentile, Girolamo, marchand de vin, 563 Gentillet, Innocent, auteur protestant, 650 Gerbone, Coroliano, doyen des palefreniers de Jules III, 219 n. Gesualdo, Alfonso, cardinal, 102 Gherardi, Jacopo da Volterra, secrétaire pontifical, 393 n., 395 n. Gherardi, Matteo, maître de poste de Paul III, Jules III, Paul IV et Pie IV, 198 n. Ghiselli, Paolo, maître d’hôtel de Grégoire XIII, 220 n. Ghislieri, famille, 31 Ghislieri, Francesco, oncle de Pie V, 292 n. Ghislieri, Michele, voir Pie V Ghislieri, Paolo, cousin de Pie V, 292 et n. Giachanelli, famille, 264 Giachanelli, Francesco, comptable de Grégoire XIII et de Sixte V, 265 n. Giachanelli, Giovan Battista, comptable de Sixte V, 265 n. Giannotti, Antonio, maître de chambre de Pie IV, 278 Giberti, Gian Matteo, secrétaire pontifical, dataire, 405, 479 et n., 506 Gigli, Tommaso, trésorier général, 233, 295, 573-574 Gilles de Viterbe, cardinal, 155, 157158, 211 n. Ginetto, Andrea, joaillier de Paul IV, 222 n. Ginori, Maddalena, épouse de Cesare Gloriero, 269 et n. Giorgio, Marino, ambassadeur de Venise à Rome, 546, 554, 561 Giorgio, Jacopo, joaillier de Paul III, 622 n,
horloger du palais Giovan », « apostolique, 261, 262 n. Giovan Battista, dit « Aiutami Christo », palefrenier de Grégoire XIII, 251 Giovan Battista, palefrenier de Léon X, 217 n Giovanna, madonna, lavandière de Paul III, 507 n. Giovanni, barbier de Paul III, 555 n., 615 n. Giovanni, « Messer », garde-meubles de Jules II, 288 Giovanni, palefrenier de Jules III, 288 Giovanni da Prato, conventuel, confesseur de Léon X, 223 Giovanni di Verona, Fra, ébéniste, 135 Giovio, Paolo, historien, 56, 465 Giraldo, Giovanni, banquier, 594 n., 595 Girolama, madonna, lavandière de Jules III, 507 Girolamo d’Asti, musicien, 254 Girolamo da Carpi, peintre, 142 « Giulian » voir Julien Giulio Romano, peintre, 62 Giustiniani, Giuseppe, dépositaire général de la Chambre Apostolique, 563 et n., 608 Giustiniani, Vincenzo, cardinal, 415 n . Gloriero, Alessandro, fils de Cesare, clerc de la Chambre Apostolique, 269-271 Gloriero, Cesare, secrétaire des brefs, 268-271 Gonzaga, Alessandro, 631 Gonzaga, Cesare, époux de Camilla Borromée, 84 Gonzaga, Claudio, majordome de Grégoire XIII, 496 n., 504 n., 566 et n., 569 n., 575-576, 594, 600, 605 et n., 610 Gonzaga, Ercole, cardinal, 630-631 Gonzaga, Ferrante, 631 Gonzaga, Francesco, marquis, puis duc de Mantoue, 460, 629 Gonzaga, Isabella, voir Este, Isabelle d’ Gozze, Niccolò di, auteur, 661
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
Gradenigo, Luigi, ambassadeur de Venise à Rome, 479 et n., 487 n. Gramont, Gabriel de, cardinal, 357 n. Grassi, Achille, cardinal, 395 n. Grassi, Paride de’, cérémoniaire pontifical, 212 n., 308 n., 320 n., 326-327, 333 n., 336 et n., 340 n., 346, 362, 365, 374-375, 385, 387-388, 392 n., 393 n., 435 n., 437, 443-444, 447449, 521 n., 635 Grassis, Geronimo, garde-meubles de Sixte V, 520 n. Graziani, Antonio Maria, secrétaire du cardinal Commendone, 101-102 Graziani, Sebastiano, majordome de Paul III, 208 Grèce, 465 Grégoire 1er, dit le Grand, pape, 145, 162, 173, 304 n. Grégoire II, pape, 161-162 Grégoire VII, pape, 162, 308, 400 Grégoire IX, pape, 158 Grégoire X, pape, 307 n., 309, 378 Grégoire XI, pape, 124 Grégoire XIII, pape, 16, 28, 30, 41-43, 45, 93-101, 103-105, 108, 112-113, 115-116, 128 n., 137-138, 142, 144, 147, 149 n., 150,162, 169, 172-176, 178, 185 et n., 187-189, 192, 200, 202, 206 n., 208, 210 n., 211 n., 212 n., 214 n., 216, 217 n., 218 n., 219 n., 220 n., 222 n., 225, 227, 228 et n., 229, 232 n., 233, 236 et n., 237 n., 242 n., 246, 247 n., 248, 251, 263264, 265 n., 270-271, 273 et n., 275 et n., 276, 278, 280 n., 283 n., 284 n., 286 et n., 289, 291, 294 n., 295, 296 n., 297, 299 et n., 300, 317 n., 319 et n., 323, 334 n., 340 et n., 341 n., 342344, 348 n., 368-373, 374 et n., 377, 388, 389 n., 390, 393 n., 395 n., 400, 405, 408-409, 411 n., 423, 424 n., 428 n., 432, 444, 447, 449-452, 455-456, 470-471, 473-474, 478 n., 480-484, 494, 495 n., 496 et n., 497-498, 499 n., 501 n., 502 et n., 503 n., 504 n., 507 et n., 508 et n., 512 n., 514 n>,
731
515 n., 518 n., 520 n., 523 n., 524 et n., 525, 526 et n., 527 et n., 528 et n., 531 et n., 538, 543-545, 549-553, 557-558, 559 et n., 561, 563, 566, 568 et n., 569 n., 572-573, 575, 577, 579-581, 584-585, 588-594, 596, 598-600, 631-633, 637 et n., 638 et n., 639-642, 643 n., 644-645, 653, 656-659, 662, 665-666, 668-670 Grégoire XIV, pape, 28, 41, 43, 46, 93, 107, 187, 189, 192,200, 210 n., 225, 243 n., 289, 300, 301 n., 390, 393 n., 552 et n. 606 Grégoire XVI, pape, 222 n. Griffo, Leonardo, secrétaire pontifical, 403 Grimani, Domenico, cardinal, 633 Gritti, Giovanni, ambassadeur de Venise à Rome, 102 Grolier, César, voir Gloriero, Cesare Grolier, Jean, trésorier du roi de France, père de César, 268 Grotta, Carlo, camérier de Clément VIII, 242, 251 Gualterio, Sebastiano, prélat domestique de Pie IV, 241, 291 Guastavillani, Filippo, cardinal neveu de Grégoire XIII, 97, 270, 370 Guerra, Giovanni, peintre, 146 Guibé, Robert, cardinal, 53 Guicciardini, Filippo, trésorier secret de Clément VIII, 236 et n., 545 n., 568 n., 571, 596 Guicciardini, Francesco, historien, 52 n. Guidiccioni, Alessandro, majordome de Paul III, 594 n. Guidino, Girolamo, palefrenier de Clément VII, 219 n. Guirlandaio, Domenico, peintre, 127 n., 431 Guise, Henri 1er, duc de, 413 Guise, Louis de, cardinal, 214 n. Guttierez, Bernardo, cérémoniaire pontifical, 211 n., 385, 443
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
H Henri II, roi de France, 61, 69, 71, 357 n., 444, 476 Henri III, roi de France, 411 n., 413 Henri IV, roi de France, 109, 113, 408, 413-421 Henri IV, empereur, 162 Hippocrate, 449 n., 510, 512 I Ignace de Loyola, saint, 78, 225, 617 Incarnatione, Niccolò, cuisinier de Clément VIII, 295 Infante d’Espagne, voir Autriche, Isabelle d’ Inghirami, Tommaso, dit « Fedra », 331 Innocent III, pape, 76, 120-123, 125, 149, 161-162, 305-306 Innocent IV, pape, 120-123, 148 n. Innocent VIII, pape, 28, 123, 127-131, 141-142, 151, 167-168, 220, 305, 307 et n., 308, 313-314, 316, 325, 328, 335, 336 et n., 338 n., 378, 393 n., 403-404, 431-432, 447, 462 Innocent IX, pape, 39, 41-43, 46, 107, 210 n., 242 n., 251 n., 272-273, 393 n., 395 n. Innocenti, Valerio, courtier en vins, 605 n. Irlande, 93 Isaac, 158 Ischia, 493 Israël, 304 n. Italie, 75, 85, 444 Ivan IV, tsar de Russie, 371-373 J Jacob, 158 Jagellon, Catherine de, épouse de Jean III, roi de Suède, 371 Japon, 323, 368-370, 377 Jean III, roi de Suède, 371, 373 Jeanne de France, épouse de Louis XII, roi de France, 451 n. Jérusalem, 326 Joyense, François de, cardinal, 413 n., 416-417, 420 Jules II, pape, 33-34, 39, 41, 43, 50-55,
57-58, 67, 70,75, 80, 85, 100, 104, 116, 125 n., 128, 139-141, 140-147, 149, 155-158, 160, 163-167, 178, 183-184, 192 n., 200, 207 n., 208, 209 n., 211, 222 n., 223, 230 n., 246 n., 248, 252 n., 255 et n., 267, 276, 314 et n., 319 n., 320 n., 322 et n., 325-327, 330-331, 334, 337 n., 338 n., 339 et n. 340 n., 341 et n., 343, 346-347, 348 n., 349 n., 380, 387, 393 n., 395 n., 398-399, 404-405, 409, 427 n., 431-432, 435 et n., 442443, 447-450, 451 n., 458, 462-464, 466 et n., 467, 468 et n., 485, 486 et n., 487, 489, 494, 495 et n., 505-506, 508-509, 514n., 518 n., 519 n., 521 n., 522 et n., 527, 528 et n., 538, 546, 562, 570-571, 595 n., 599, 601 et n., 606, 616-618, 622 n., 623, 627-628, 633, 636, 641, 644-645, 649, 668, 670 Jules III, pape, 13, 24, 26, 41, 43, 7075, 80, 82, 128 n., 136, 139, 142-143, 158, 163, 168-169, 187-188, 192 et n., 197 n., 198 n., 200, 202, 209 n., 211 n., 214 n., 215, 217n., 218 et n., 219 et n., 220 n., 221, 223 et n., 225, 234-236, 237 et n., 238-239, 245, 246 n., 248, 250-251, 259 et n., 263-264, 265 n., 269, 273 et n., 280 n., 281 n., 283-285, 286 et n., 287, 291, 292 et n., 296, 297 et n., 316 n., 319 et n., 352 n., 388, 405, 422, 431, 450 et n., 453, 460 n., 468 n., 472, 475, 478 et n., 494, 495 n., 500 et n., 507 et n., 518 n., 519 n., 520 n., 521, 528-530, 538, 540, 542 et n., 543, 545, 547548, 555 et n., 556 et n., 558, 561 et n., 566, 568 n., 569, 571, 614, 615 n., 621, 622 n., 623 et n., 661 Giulian ») cuisinier de Jules Julien (« III, 241 n., 286 n., 287 Justinien 1er, empereur, 158 Justinien II, empereur, 304 n. L Ladio, Antonio, cuisinier de Paul III, 230 n.
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
Lafréry, Antoine, graveur et éditeur, 653 La Gardie, Pontus de, ambassadeur du roi de Suède, 371 Lancerio, Santo, bouteiller de Paul III, 486 n., 493 et n., 494, 502 n., 599 n., Lando, Francesco, maître d’écurie de Grégoire XIII, 282 n. Lazzari, Camillo, comptable de la Chambre Apostolique, 208 n., 234 n. Lecavella, Sebastiano, prélat domestique de Jules III, 250, 289 Lefrançois de Lalande, Jérôme, auteur, 25 Léon 1er, dit le Grand, pape, 158, 162 Léon III, pape, 160, 162 Léon IV, pape, 121, 148 n., 160, 162 Léon IX, pape, 133 Léon X, pape, 28, 33-34, 39, 41, 43-44, 50, 54, 55 et n., 56-59, 61-66, 70-73, 77, 80, 82, 116, 130, 132, 134-140, 142, 146, 155-156, 158-160, 163, 165-168, 178, 183, 186-191, 192 et n., 193-194, 198 n., 203, 207 n., 209 n., 211 n., 213, 217 n., 218 n., 219 n., 221, 223, 226-227, 230 et n., 235, 243-245, 246 et n., 248, 250, 253254, 255 et n., 258-259, 264, 267268, 273 et n., 276-278, 281 n., 286 et n., 288 et n., 295, 316, 319 et n., 320 n., 322 et n., 325, 328-329, 331, 336 n., 337 n., 338 n., 340, 343, 346, 388, 393 n., 395 n., 398, 403-405, 409, 412 n., 422, 423 n., 427 n., 432, 435 n., 443, 447, 450, 459-461, 462 et n., 463, 465, 466 et n., 467 et n., 468 et n., 471-472, 475, 478 n., 479 et n., 480, 486, 487 et n., 494, 495 et n., 508 et n., 512 n., 516 et n., 518 n., 519 n., 526-528, 535, 538, 554 et n., 566 n., 569, 590, 595 n., 617-618, 629-630, 635-636, 637 n., 641, 645, 658-659, 662, 667-668, 670 Léonard de Vinci, 253 et n. Leone « hebreo », voir Romanello Leonibus, Tranquillo, prélat domestique de Léon X, 250
733
Lépante, 87, 144 Leto, Pomponio, humaniste, 50 Ligorio, Pirro, architecte, 77, 131, 140143, 161, 623 et n., 653 et n. Lippi, Giovanni, maître d’écurie de Grégoire XIII, 295 Liutprand, roi des Lombards, 161 Livourne, 368 Lombardie, 248 Londres, 148 Longhi, Martino, dit l’Ancien, architecte, 144, 172 Lopez, Giovanni, banquier, dépositaire de la Daterie, 572 et n. Lorenzo di Modena, chanteur, 254 Lorette, 453, 531 et n. Lorraine Vaudémont, Charles de, cardinal, 214 n. Lorraine, Louis de, cardinal, 214 n. Los Rios, Cristoforo de, cubiculaire de Léon X, 254 n. Louis XII, roi de France, 37, 52 Louis XIV, roi de France, 451 n., 476, 506 Lucques, 555 n. Lunadoro, Girolamo, auteur, 262 Lungo, Giovanni, doyen des palefreniers de Sixte V, 220 n. Luther, Martin, 38, 628 et n., 644-645, 650 Luxembourg, François de, ambassadeur de France àRome, 413 n. Luzi, Luzio, peintre, 166 M Macciacone, palefrenier de Léon X, 288 n. Machiavel, 48, 55 n. Mafarelli, Bartolomeo, barbier de Paul IV, 22 n. Maffei, Bernardino, secrétaire de Paul III, puis cardinal, 25-26, 65, 257 et n. Maffei, Marcantonio, dataire de Pie V, 86, 291 Magistris, Giovanni Lazzaro de’, trésorier secret de Léon X, Adrien VI et Clément VII, 234 n., 285 et n., 479 n.
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Magliana (La), 120, 167-168, 217 n., 220 n., 423 n., 461-465, 468, 512 n., 526, 618 Maiorano, Niccolò, conservateur de la bibliothèque du Vatican, 227 Maldonado (Maldonat), Francesco, jésuite, 656 Manente, Giovanni, camérier de Léon X, 254 n. Manetti, Latino Giovenale, humaniste, 65 Manfredi, Bernardino, chef des travaux du palais apostolique, 518 n. Manfredi, Giovan Francesco, médecin de Pie IV, 221 n. Mantegna, Andrea, peintre, 128 Mantoue, 492 n., 629-631 Manuel 1er, roi du Portugal, 467 Manzoni, Sebastiano, distillateur de Pie IV, 507 n. Marcantonio, bouffon, 259 et n. Marcel II, pape, 25-26, 38-39, 41, 43-44, 46, 65, 74, 78, 81, 115, 188 et n., 227, 242 et n., 243 n., 280 n., 281 n., 315, 388, 393 n., 395 n. Marcello, Cristoforo, archevêque de Corfoue, 155 Marches, (Les), 208, 248 Marengo, Giovan Francesco, médecin de Pie V, 220 n. Margarita di Terracina, lavandière de Léon X, 508 n. Mariani, Ippolito, tailleur de Paul IV, 622 n. Mariano, Fra, bouffon, 459, 629 Marone, Andrea, bouffon, 459, 472 n. Marseille, 164, 463 Martin 1er, pape, 314 n. Martin V, pape, 40, 124, 126, 403, 412 n., 466 Martin, Gregory, prêtre gallois, 342, 343 et n., 344, 452, 523 n., 617 n., 632634, 643, 644 et n., 658, 667-668, 670 Martin, Juan, doyen des palefreniers de Paul IV, 219 n. Martini, Andrea, notaire de la Chambre Apostolique, 576
Martini, Fra Pietro, dominicain, confesseur de Paul IV, 223 Martino, Ferrante di, courtier en vins, 606-607 Martino, Renato, marchand de vin, 564 n., 607 Mascarino, Ottaviano, architecte, 175177 Massa, Fabio di, courtier en vins, 606607 Massarelli, Angelo, secrétaire du concile de Trente, 77 n., 78, 317 et n., 319 et n., 341 n., 388 n., 408 n., 410 n., 450 n. Massimelo, Cristoforo, maître d’hôtel de Pie V et de Grégoire XIII, 229 Maximilien II, empereur, 445 Mazzara, Giovanni Matteo, marchand de blé, 564 n. Mazzolini, Silvestro, dit Prierias, maître du Sacré-Palais, 226 McBrien, Maurice, évêque d’Emley (Irlande), 252 n. Medici, Giovan Maria de’, musicien, 254, 554 n. Médicis, Ange, voir Pie IV Médicis, Chiara, sœur de Pie IV, 83 Médicis, Gian Giacomo, frère de Pie IV, 42 Médicis, Margherita, sœur de Pie IV, 83-84 Médicis (de Florence), famille, 29, 31, 58, 83, 223, 277, 456-457 Médicis, Alexandre de, duc de Florence, 60 n., 69 Médicis, Alfonsina de, belle-sœur de Léon X, 57 Médicis, Côme de, dit l’Ancien, 457, 466 Médicis, Contessina de, sœur de Léon X, 57 Médicis, Ferdinand de, cardinal, puis grand-duc de Toscane, 270-271, 470, 525 Médicis, Jean de, voir Léon X Médicis, Jules de, voir Clément VII Médicis, Julien de, frère de Léon X, 55 n., 57, 59, 322, 329, 462
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
Médicis, Laurent de, dit le Magnifique, 55 n. 457-459, 461, 466 Médicis, Laurent de, neveu de Léon X, 55 n., 329, 630 Médicis, Lucrezia de, 57 Médicis, Pierre de, frère de Léon X, 55 n., 365 Meleghino, Jacopo, architecte, 578, 623 et n. Melozzo da Forlì, peintre, 126 Menendez de Valdes, Diego, majordome d’Alexandre VI, 546 n. Mercati, Michele, médecin et botaniste, 516 n. Merino, Gabriele, cardinal, 267-268 Merlano, Giovanni, barbier de Paul III, 222 n., 277 Merloto, Bartolomeo, palefrenier de Paul III, écuyer de Jules III, 219 n. Mescati, Andrea, lavandier de Grégoire XIII, 508 n. Meschita, Padre, jésuite, 369 Messine, 453 Messisbugo, Cristoforo, célèbre cuisinier, 492 n. Michel-Ange, 53, 62, 66-67, 72, 79-80, 82, 127, 131, 138, 142, 146, 157, 165, 235, 257 et n., 432, 623 et n. Michele, Fra, maître-verrier, 623 et n. Milan, 330, 451-452 Miltitz, Charles, familier de Léon X, 254 n. Mirabeau, 485, 486 n. Mithridate, Flavien, juif converti, 157 Moïse, 162, 330 Molvianinov, Jakov, ambassadeur du tsar de Russie, 372-373 Montaigne, Michel Eyquem, sieur de, 99, 147 n., 174, 446 n., 482-483, 525, 617 n., 627, 631-634, 637, 646-647, 655-656, 667-668, 670 Montalto, Alessandro, cardinal, voir Peretti Montanaro, Paolo, dépensier de Clé ment VII, 487 n. Monteacuto, Benedetto, scriptor secret de Paul III, 562 et n. Monteacuto, Silvestro, fermier des douanes de Rome, 562
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Montefeltro, Giovanna, belle-sœur de Jules II, 52 Montepulciano, 493, 599 et n. Montmorency, Henri de, connétable de France, 428 n. Moretto, bouffon, 284 et n. Morgantino, palefrenier de Léon X, 214 n. Morone, Giovanni, cardinal, 38-39, 76, 81, 250, 626 n. Mucanzio, Francesco, cérémoniaire pontifical, 202 n., 213 et n., 317 n., 321 n., 337 n., 341 n., 369 n., 370 n., 371 n., 373 n., 374, 388, 423 n., 424, 607 n. Mucanzio, Giovanni Paolo, cérémoniaire pontifical, 213 n., 340, 395 n. Mula, Marcantonio, cardinal, 250 Musotti, Alessandro, majordome et trésorier secret de Grégoire XIII, 231 et n., 296 n., 543-544, 557-558, 563, 568 n., 573, 575-578, 605, 632 n. Musso, Cornelio, conventuel, théologien, 258 et n., 313 n. N Nacchianti, Giacomo, dominicain, prélat domestique de Jules III, 250, 258 Naples, 313, 493, 495, 536, 549 n., 563, 600-608, 627 Narni, 528 n. Nebbia, Cesare, peintre, 146 Nepi, 74 Néri, Philippe, saint, 42, 45, 93, 108, 215, 224, 332, 453-456, 474, 617, 637, 656-657, 667, 669, 670 et n., 671 Neroni, Alessandro, majordome de Jules II, Léon X et Adrien VI, 207 n. Niccolini, Angelo, cardinal, 251 Nice, 69, 164, 327, 547, 624 Nicolai, Baldassare, cérémoniaire pontifical, 385 Nicolas III, pape, 121-125. 129-130, 136, 138-139, 143, 148 n., 149 et n., Nicolas IV, pape, 144 n. Nicolas V, pape, 50, 67, 122-126, 128129, 134, 139, 148 n., 149 et n., 152,
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736
LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
178, 182-183, 334, 516, 589-590, 648, 650-651 Nicolas de Genève, palefrenier de Paul IV, 219 n. Nobili, Roberto de’, cardinal, 73 Nodot, François, auteur, 24-25 Nonni, Ottavio, dit Il Mascherino, architecte, 144 O Odescalchi, Francesco, président de la Chambre Apostolique, 574 Olgiati, banque, 549 n., 563 Olgiati, Bernardo, dépositaire général, 549, 563 n. Olgiati, Marcantonio, président de la Chambre Apostolique, 563 n., 569 n., 575-577 Oliva, Alfonso, augustin, sacriste, 211 n., 218 n. Olivieri, Benedetto, banquier, 594 n., 595 Ormanetto, Niccolò, 190 n., 642 n. Orsini, famille, 328, 462 Orsini, Clarice, épouse de Laurent de Médicis, 457 Orsini, Laura, épouse de Niccolò Franciotti, 322 Orsini, Paolo Giordano, duc de Bracciano, 360 n. Orsini, Virginio, duc de Bracciano, 106 Orsolina, madonna, lavandière de Paul III, 507 n. Orvieto, 60, 164, 463, 488-489, 530 n. Osio, Giambattista, dataire de Paul IV, 506 et n. Ossat, Arnaud d’, diplomate, cardinal, 412-421, 424 n., 428 et n., 444-445 Ostia, 120, 167, 458, 505, 518 Otton 1er, empereur, 161 P Paléologue, Andrea, fils de Thomas, 252 n. Paléologue, Thomas, despote de Morée, 252 n. Paleotto, Gabriele, cardinal, 35 Palestrina, 491 n. Palestrina, Giovanni Pierluigi, compositeur, 72
Palladio, Blosio, humaniste, 61, 65 Pallavicini, Damiano, marchand de vin, 563 Pallavicini, Giovan Francesco, aumônier de Grégoire XIII, 225 n. Palleli, Tiberio, médecin de Paul III, 220 n. Pamphili, Giuseppe, augustin, sacriste et maître de chapelle, 210 Pandolfini, Cesare, marchand de bois, 564 n. Panvinio, Onofrio, historien, 47, 80, 332, 653 n. Papa Egidio, apothicaire de Grégoire XIII, 572 Parisani, Ascanio, majordome de Paul III, puis trésorier général, 233, 602 n. Parme, 64, 69, 284, 443 Paruta, Paolo, ambassadeur de Venise à Rome, 33, 421 n. Pasqua, Simone, médecin de Pie IV, puis cardinal, 221 n. Passerini, Silvio, cardinal, 276 Patrimonio, 494 Patrizi, Agostino, cérémoniaire pontifical, 305-306, 307 n., 308 et n., 310311, 312 n., 323, 324 et n., 325, 335338, 340, 350-351, 352 et n., 353, 358-359, 362, 365, 375, 378-380, 382, 384-385, 387-389, 430-431, 436 n., 438-441, 447, 451, 452 n., 484 Paul, saint, 159, 348, 645 Paul II, pape, 28, 126, 170-171, 324, 326, 329-330, 352-353, 393 n. Paul III, pape, 19, 25, 28-30, 33, 38-45, 67-71, 74-75, 82, 115-116, 122, 128 n., 137-138, 141-142, 159, 161-162, 164-166, 168 et n., 170-172, 174, 177 n., 178, 185-188, 191, 192 et n., 193, 194 n., 198 n., 201, 221, 222 et n., 223 et n., 225-226, 227 et n., 229, 230 n., 233, 234 et n., 238, 243-245, 246 n., 248, 250, 252 n., 255 et n., 257 et n., 258 et n., 259, 264 et n., 265 n., 266 et n., 269, 273 et n., 275 et n., 276-278, 279 n., 280 n., 283 et n., 286 n., 293 n., 295, 296 n., 299
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
et n., 300, 315 et n., 319 et n., 320 n., 322-323, 325, 327-328, 331-332, 334, 336 n., 337 n., 344, 346, 348 n., 349, 351-358, 377, 393 n., 398-400, 405, 427 n., 432, 450, 452-453, 463464, 468 n., 469, 472, 475, 485, 486 n., 490 et n., 491 et n., 492 et n., 493 et n., 494 et n., 495 et n., 496 et n., 497-499, 500 et n., 501, 50 et n., 506, 507 et n., 508, 511 n., 513 n., 17 n., 518, 520 n., 522 n., 526, 527 et n., 528 et n., 529, 530 et n., 537 et n., 538-539, 542 et n., 543, 545, 547 et n., 555 et n., 556 et n., 558, 561 et n., 562-563, 568 n., 569-570, 574, 579-580, 584-588, 590, 593, 595, 595, 599 et n., 600, 601 et n., 602, 603 et n., 606, 614, 615 n., 617-618, 622 n., 623 et n., 624, 626-627, 634, 636, 637 n., 641, 645, 649, 651, 661, 666-668 Paul IV, pape, 28, 30, 36, 38-39, 41-45, 63, 79-81, 83, 85-89, 91, 96, 102-103, 105, 116, 128 n., 137, 140-141, 169170, 174, 183, 186-189, 192-193, 198 n., 200, 203, 204 n., 206 n., 208, 210 n., 215, 218 n., 219 n., 220 n., 221 et n., 222 n., 223, 225, 227-228, 230 n., 234-235, 237, 239, 241-242, 244246, 251 et n., 255 et n., 259 et n., 261, 263-264, 265 n., 270, 273, 278, 280 n., 281 n., 283 et n., 284 et n., 291, 292 et n., 293, 296, 297 n., 298 n., 317, 319 et n., 323, 332, 340, 341 et n., 349, 380, 388, 393 n., 395 n., 399, 405-406, 408, 410 et n., 423 n., 425, 455, 469, 473-475, 478 et n., 494, 495 et n., 496 n., 501, 505, 507, 508 et n., 509 n., 512 n., 518 n., 519 n., 520 n., 521 et n., 540, 542-543, 545, 548-549, 556 et n., 566, 568 n., 569, 621, 622 n., 623 et n. 627-628, 645, 667 Paul V, pape, 163, 177 et n., 411, 426 n., 523 n. Paulicci, Fabio, marchand de bois, 564 n.
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Pays-Bas, 93, 444 Pellegrino, cuisinier de Pie IV, 286 n. Penni, Giovanni Jacopo, médecin et écrivain florentin, 328 Pépin II, roi d’Aquitaine, 161 Peretti, Alessandro Montalto, cardinal , 106, 110, 237 n., 249, 390-391 Peretti, Camilla, sœur de Sixte V, 31, 106, 298 Peretti, Felice, voir Sixte V Peretti, Flavia Damasceni, 106 Peretti, Maria Felice, nièce de Sixte V, 106 Peretti, Michele Damasceni, 106 Peretti, Orsina Damasceni, 106 Pérouse, 326-327, 494 n., 528 et n. Perse, 304 n., 374-375, 376 n., 377 Pérugin, Pietro Vannucci, dit le, peintre, 127 n., 131, 141, 431 Peruzzi, Baldassare, architecte, 130 Peruzzi, Sallustio, architecte, 79, 140141, 623 n. Petit, famille, 264 Petit, Jean, cuisinier à la cour de Paul IV, 265 n. Petit, Jean, scriptor de la Chapelle Sixtine, 265 n. Petit, Jérôme, écuyer de Paul IV et Pie IV, 265 n. Petit, Sébastien, palefrenier de Paul IV, 265 n. Pétrarque, 456 Petrignani, Fantino, majordome de Grégoire XIII, 206 n., 208, 496 n., 497, 572, 594, 600, 603, 604 et n. Petrovich, Nicholas, membre de la cour de Léon X, 264 Petrucci, Alfonso, cardinal, 33, 55, 183 Philippe II, roi d’Espagne, 408 et n., 410 n., 411 n., 444 et n., 445 Philippe III, roi d’Espagne, 445 Pic de la Mirandole, Jean François, humaniste, 151 Picard, Simon, cuisinier de Léon X, 266 n. Piccolomini, famille, 29 Piccolomini, Francesco, voir Pie III
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Pie II, pape, 28, 50, 126, 148 n., 252 n., 311 et n., 324, 335 et n., 337 n., 339 et n., 343, 346, 380, 395 n., 491 n. Pie III, pape, 28, 41, 46, 185-189, 209 n., 211 n., 217 n., 222 n., 230 n., 234 n., 242 n., 243 n., 245, 272-273, 308, 310, 315, 366, 393 n., 395 n., 510 n. Pie IV, pape, 19, 28, 39, 41-43, 77, 8086, 93-94, 96, 100, 102-103, 108, 116, 128, 130, 137-138, 141-145, 147, 152 n., 159, 161-162, 165-166, 169-171, 173-174, 178, 186-189, 192, 198 n., 200, 202, 204 n., 206 n., 210 n., 213 n., 214-216, 219 n., 220 n., 222 n., 224 et n., 225, 227-229, 230 n., 234-235, 237, 239, 240 et n., 241, 244-246, 248, 251 et n., 260 et n., 264, 265 n., 266 n., 270, 272 et n., 273 et n., 276-278, 286 et n., 289, 291, 296-297, 316 n., 318 n., 319 et n., 320 n., 341, 344, 358, 380, 389 et n., 390-391, 393 n., 404-405, 409, 444-455, 469-470, 474, 478 n., 494, 495 n., 500 et n., 507, 508 et n., 512, 516 n., 518 n., 519 n., 520 n., 521 n., 523-524, 526, 529 et n., 530-531, 538, 540 n., 543-545, 548-549, 553, 557-558, 561 et n., 566 et n., 568 et n., 569 n., 570-571, 573-574, 576, 590, 609, 623 et n., 627, 661, 665 Pie V, pape, 29, 35, 39, 41-45, 65, 76-77, 85-97, 100-105, 107-109, 111-113, 115-116, 138, 142-144, 149 n., 152 n., 162, 169-170, 174, 187, 189, 190 et n., 191-192, 200, 202-203, 206 n., 209, 210 n., 216, 218 n., 220 n., 221 n., 224, 229 et n., 232 n. 237 et n., 239, 240 et n., 242 n., 245, 250251,252 n., 255 n., 259-262, 264, 265 n., 272 et n., 273, 278, 291, 292 et n., 294, 297 n., 316-317, 318 et n., 319 et n., 321 et n., 340 et n., 341 et n., 345, 349, 358-361, 380, 389-391, 393 n., 395 n., 399-400, 404, 432, 446, 448-449, 451-452, 455-456, 470-471, 473-474, 478 n., 487, 494, 495 et n., 496 et n., 498, 507-508, 512 n., 514
n., 518 n., 519 n., 521 n., 524 et n., 525-526, 528 et n., 531, 536, 538, 548-549, 590, 614, 617-618, 624, 642 et n., 645, 657, 662, 668-671 Piémont, 493 Pierbenedetti, Mariano, cardinal, 110 Pierino, musicien, 258 Pierre, apôtre, 159-160, 348, 628, 636, 645 Pierre II, roi d’Aragon, 161 Pierre Damien, saint, 383-384 Pietro Martire, Fra, dominicain, confesseur de Paul IV, 223 Pighetti, Antonio, palefrenier de Clément VII, écuyer de Paul III, camérier de Jules III, 219 et n. Pindare, voir Santesio, Gentile Pinelli, Domenico, cardinal, 102 Pinturicchio, Bernardino di Betti, dit, peintre, 50, 128-129, 156, 255 Pio da Carpi, Rodolfo, cardinal, 65 Plaisance, 69-70 Platina, voir Sacchi, Bartolomeo Platon, 158 Podio, Antonio di, dépensier de Jules II, 209 n., 246 et n. Pole, Reginald, cardinal, 38-39, 76, 653 n. Politi, Ambrogio Catharino, prélat domestique de Jules III, 258 Pologne, 93, 103, 109, 112, 371-372 Pompeio, Messer, crédencier de Paul IV, 494 n. Pomponio Leto, Giulio, humaniste, 50, 157 Pontano, Onofrio, cérémoniaire pontifical, 213 n. Ponzetti, Ferdinando, médecin de divers papes, puis cardinal, 220-221, 271 Porcari, Niccolò, cuisinier de Léon X, 286 n. Portugal, 368, 407, 492 n., 536 Porzio, Girolamo, chanoine de SaintPierre, 310-311 Possevino, Antonio, jésuite, 371-373 Priscianese, Francesco, auteur, 228 n., 296
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
Provenziali, Girolamo, médecin de Clément VIII, 221 n. Q Querno, Camillo, poète, 203, 459 Quarton, Enguerrant, peintre, 646 R Raffaello da Montelupo, sculpteur, 166 Rainaldi, famille, 227, 266 Rainaldi, Federico, curateur de la bibliothèque du Vatican, 146 Rangone, Lodovico, comte de, familier de Léon X, 554 n. Raphaël, peintre, 53, 56, 125, 129, 131132, 134-137, 140-141, 143-144, 146, 151, 153, 157-159, 168 et n., 204 n., 218 n., 253 et n., 255, 427 n,, 432, 629 Ravenne, 161 Raymond de Peñafort, saint, 158 Rebiba, Scipione, cardinal, 250 Regard, Gélase, dataire, 266 et n. Renzi, Vincenzo, comptable de la Chambre Apostolique, 234 Reumano. Giovanni Suario, cardinal, 86, 250 Riario, Girolamo, cardinal, 46 Riario, Raffaello, voir Sansoni Ricci, Giovanni, cardinal, 208 Ridolfi, Niccolò. Cardinal, 208 Rieti, 164 Rocca, Angelo, augustin, sacriste, 211 Rogon, Jean, garçon d’écurie, 127 n. Romagne, 208, 563, 620 Romanello, bouffon, 256 et n. Romano, Luzio, voir Luzi, Luzio Rosa, Francesco di, courtier en vins, 606-607 Rosa, Persiano, confesseur de Philippe Néri, 453 Rosario, Virgilio, cardinal, 455 Rosselli, Cosimo, peintre, 127 n., 431 Rossi, Galeazzo, humaniste, 257 et n. Rossi, Luigi de’, maître de chambre de Léon X, puis cardinal, 215 Rucellai, Annibale, majordome de Clément VIII, 208, 554 n., 464 n., 608 et n.
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Ruffini, Alessandro, camérier de Grégoire XIII, 214 n. Ruggieri, Laura, musicienne, 258 et n., 555 n. Ruiz de Castro, Fernando, ambassadeur de Charles Quint et de Philippe II à Rome, 410 et n. Russie, 16, 371-373, 377 Rustici, Valentino, palefrenier du Saint-Sacrement de Paul III, 218 n. Rusticucci, Girolamo, cardinal, 101 S Sacchi, Bartolomeo, dit Platina, humaniste, 126, 152 n., 157, 160, 162, 512 n. Sadolet, Jacques, cardinal, 38, 56, 61, 65, 630 Saint-Simon, Louis de Rouvray, duc de, mémorialiste, 476 Salomon, roi d’Israël, 162 Salvi, Alberto, comptable de la Chambre Apostolique, 209 n. Salviati, famille, 620-621 Salviati, Antonio Maria, cardinal, 110, 213 n., 575-576 Salviati, Bernardo,, cardinal, 255 n., 274-275, 490 n. Salviati, Cecchino, alias Francesco de’ Rossi, peintre, 143 Salviati, Giovanni, cardinal, 255 n., 259 n., 274-275, 346, 467 n. Salviati, Giuseppe, alias Porta, peintre, 134, 161 Salviati, Jacopo, beau-frère de Léon X, secrétaire de Clément VII, 292 et n., 405 Samos, 486 Sanctis, Niccolò de, joaillier de Léon X et de Clément VII, 622 n. Sandro, Gabriel de, maître de poste d’Alexandre VI, 198 n. Sanga, Battista, secrétaire pontifical, 61 Sangallo, Antonio da, dit l’Ancien, architecte, 50, 129, 167 Sangallo, Antonio da, dit le Jeune, architecte, 137-138, 161, 165
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LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Sangallo, Giuliano da, architecte, 167 San Gemignano, 493 Sannazaro, Jacopo, poète, 62 Sanseverino, Federigo, cardinal, 308 n. Sansone, Giovan Battista, musicien, 258 et n., 555 n. Sansoni Riario, Raffaello, cardinal, 183, 633 Santesio, Gentile, prélat domestique de Léon X, 250 Santi di Tito, peintre, 142 Santini, Cecchino, musicien, 260 Santis, Niccolò de, apothicaire de Pie IV, 277 Santoni, Giovambattista, majordome de Sixte V, 236 n., 369 n., 605 Santori, Fazio, cardinal, 52 Santori, Giulio Antonio, cardinal, 102, 370 Sanuto, Mariano, diariste, 409 Sarria, marquis de, voir Ruiz de Castro, Fernando Sassi, Lucio, cardinal, 111 Sassis, Gian Paolo, augustin, sacriste, 337 n. Sauli, Antonio Maria, nonce à Naples, puis cardinal, 604 n. Sauli, Pasquale, banquier, 562 Savelli, famille, 528 Savelli, Jacopo, cardinal, 626 n. Savelli, Paschasio, portier du palais apostolique, 231, 521 n. Savelli, Silvio, camérier de Grégoire XIII, 214 n. Savoie, 103, 407 Saxe, Ernest de, duc, 461 Scaglia, Filiberto Gherardo, diplomate et écrivain, 24 n., 25 Scappi, Bartolomeo, célèbre cuisinier, 224 et n., 320 n., 321 Schio, Girolamo di, majordome de Clément VII, 207 n., 487 et n., 488 Scobedo, Juan, sous-diacre de l’Épître, 251 n. Scotti, Bernardino, théatin, cardinal, 241, 248, 251 Sébastien, saint, 155
Sega, Filippo, cardinal, 215 n., Serapica, voir Magistris, Giovanni Lazzaro de’ Serbelloni, Gian Antonio, cardinal, 83 Seripando, Girolamo, cardinal, 74 n. Sermonetta, Girolamo da, peintre, 167 Serristori, Averardo, ambassadeur de Florence à Rome, 407 n. ‘Set’, François, préposé au four du palais apostolique, 262 et n. Severi, Severo, courtier en vins, 605607 Sforza, Guido Ascanio, cardinal, 68, 267, 366, 462 n., 493 n. Shirley, Anthony, envoyé du Shah de Perse, 375 et n. Shirley, Robert, frère d’Anthony, 376 n. Sienne, 442 Sigismond Auguste, roi de Pologne, 371 Signorelli, Luca, peintre, 127 n., 431 Silveri, Bernardino, majordome de Paul III, 603 n. Simoncelli, Girolamo, cardinal, 73 Simonetta, Jacopo, cardinal, 251 Sinibaldi, Mario, prélat domestique de Léon X, 250 Sinibaldi, Mauro, maître d’écurie de Paul IV, 230 n. Sirleto, famille, 227, 266 Sirleto, Guglielmo, bibliothécaire, puis cardinal, 227, 266 Sittich, voir Altemps Sixte IV, pape, 28, 34, 41, 50-51, 123, 125-127, 131, 132 et n., 157, 159160, 348 n., 393 n., 395 n., 403, 431432, 461, 536, 539-540, 590, 636, 648 Sixte V, pape, 15, 33, 39, 41-45, 93, 100-110, 112-113, 115-116, 132, 146-148, 151-152, 162-163, 169-171, 175-178, 183, 186-187, 189, 192, 194 et n., 200, 203, 210 n., 216, 220 n., 224-225, 227, 230 n., 236 et n., 237 n., 238-239, 240 et n., 243 n., 245246, 248, 251, 255, 259-260, 265 n., 273-274, 278, 280 n., 281 et n., 296, 299-300, 314 n., 316 et n., 317 et n.,
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
319 et n., 332, 349, 359 n., 380, 388, 390-392, 393 n., 398, 400, 404-405, 411, 423 n., 426, 427 n., 471, 473474, 478 et n., 487, 494, 496 n., 498 et n., 499 et n., 500 n., 501, 502 et n., 503 et n., 508, 511-512, 513 n., 514 n., 515 n., 518 n., 519 n., 520 n., 521 n., 527 n., 536, 538, 544-545, 550-552, 563, 568 et n., 569 n., 570 n., 572 et n., 577-580, 582, 584-585, 588-594, 596, 598-603, 605-606, 608-610, 621 et n., 627, 634 n., 639, 643 et n., 645, 662 Socrate, philosophe, 158 Sodoma, Giannantonio Bazzi, dit, peintre, 131, 141 Soriano, Angelo, écuyer tranchant de Paul IV, Pie IV et Grégoire XIII, 228 Spata, Michelangelo, échanson de Jules II, 215 et n. Speciano, Cesare, 98 Sperlonga, Pietro di, fournisseur de vin, 601 n. Spinola, Agostino, cardinal camerlingue, 562 Spinola, Andrea, clerc de la Chambre Apostolique, 573, 576 Spolète, 49, 73 Stanchino, Giovanni, camérier de Jules II, 214 n. Statio, Achille, patrologue, 259, 260 et n. Stefaneschi, Jacopo, cérémoniaire pontifical, 305-306, 307 n. Stefanos V, Catholicos des Arméniens, prélat domestique de Jules III, 250, 252 Steuco, Agostino, humaniste, 44, 65, 67, 115, 158, 398, 634-635 Strozzi, Filippo, banquier, 56 Strozzi, Lorenzo, banquier, 562 Stuart, Jean, duc d’Albany, 219 n. Suède, 94, 112, 371, 377 Suisse, 650 Sutri, Domenico di, joaillier de Jules II, 622 n. Sylvestre 1er, pape, 161-162
741
T Taddei, Giovanni, blanchisseur, 577578 Talpa, Antonio, oratorien, 657 Tamayo, Secondo, palefrenier de Paul III, écuyer de Jules III, 214 n. Taparusco, Vincenzo, barbier de Pie IV, 222 n. Tartaglia, Paolo, palefrenier de Grégoire XIII, 217 n. Tarugi, Francesco Maria, oratorien, cardinal, 112 Tasso, Torquato, poète, 112 Tassone, Ercole, comte, majordome de Clément VIII, 175-176, 502 n., 552, 597, 608 et n. Taverna, Lodovico, trésorier général, 575-576 Tempesta, Antonio, peintre, 653, 654 n. Térence, auteur romain, 629 Thiene, Gaëtan de, co-fondateur des Théatins, 45 Thomas d’Aquin, dominicain, saint, 26 n., 28, 158 Tirani, Felice, majordome de Pie IV, 548 Titien, Vecellio, peintre, 257 n. Tivoli, 175, 470 Toccino, bouffon d’Adrien VI, 472 n. Tocco, Leonardo, despote d’Épire ou d’Arta, 252 n. Tocco, Leonardo, fils du précédent, 252 n. Tolède, Éléonore de, épouse de Côme 1er, grand-duc de Toscane, 142 Toledo, Francisco de, jésuite, cardinal, 95, 111-112, 224, 241-242, 251-252, 259-260, 289-290, 669, 673 Tolfa, 493 « Tomaso », cuisinier de Sixte V, 230 n. Tommasino, barbier de Jules II, 222 n. Tommaso di Modena, Fra, dominicain, maître du Sacré-Palais, 562 n. Tornabuoni, Valerio, palefrenier de Léon X, 117 n. Torres, Francisco, théologien, 259 et n. Torres, Luis, clerc de la Chambre Apostolique, 424, 575
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742
LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Tournon, François de, cardinal, 357 n. Trebonius Caius, 158 Trente, Concile de, 29, 38-39, 66, 70-71, 84-85, 87, 94, 251, 331-332, 344, 492 et n., 564 n., 585, 659, 666, 671 Trevisan, Lodovico, cardinal, 461 Trivulzio, Scaramuccia, cardinal, 346 Trulla, bouffon de Clément VIII, 109, 260 et n., 474 U Ubaldini, Ruberto, trésorier secret de Pie IV, 543 et n., 557 et n., 568 n., 570-571, 574 n. Ubaldini, Ubaldo, camérier de Clément VII, 214 n. Ubertini, Giovan Battista, trésorier secret de Clément VIII, 236 et n. Urbain V, pape, 123, 125-127, 139, 148 n., 412 n. Urbain VI, pape, 129 Urbain, VII, pape, 39, 41, 43, 107, 210 n., 242 n., 243 n., 272-273, 315, 388389, 393 n., 395 n. Urbain VIII, pape, 139, 659 V Valence, 486 n. Valentini, Egidio, augustin, sacriste et maître de chapelle, 210, 211 n. Valignano, Alessandro, jésuite, 318, 370 Valla, Lorenzo, humaniste, 161 Valls, Jean, cuisinier de Jules II, 230 n. Valois, Marguerite de, épouse d’Henri IV, 408, 413-421 Vaniers, François, distillateur de Paul III et Jules III, 197 n., 223 et n., 507 et n. Vanna, Marco, barbier de Grégoire XIII, 295 Vannuzzi, Francesco, aumônier de Paul III, Jules III et Paul IV, 225 Vaquérat, Bernard, chanteur de la Chapelle Sixtine, 282 et n. Vasari, Giorgio, peintre, 144-145, 254 n. Vaucluse, 485. 486 n. Veggio, Maffeo, humaniste, 161
Velletri, 491 n. Venise, 323, 407, 409-411 Vernely, Nicolas, dataire, 266 et n. Verrua, comte de, voir Scaglia, Filiberto Gherardo Vervins, 109, 113 Vestio, Gherardo, secrétaire de Clément VIII, 419-421 Vettori, Francesco, diplomate et écrivain, 55 n. Vicence, 492 n. Vida, Marco Girolamo, poète, 62 Vigile, pape, 304 n. Vignola, Jacopo Barozzi da, architecte, 72, 169, 172 Villamont, Jacques, sieur de, auteur, 217 n., 655 n. Villeroy, Nicolas de Neufville de, secrétaire d’État d’Henri IV, 415, 417418, 420 Vimont, Jean, doyen des palefreniers de Grégoire XIII, 219 n., 220 n., 294 n., 295 Vincenzo, musicien, 259 et n. Vincioli, Vinciola, camérier de Clément VIII, 242, 251 Virgilio « vecchio », poète à la cour de Paul IV, 259 n. Visconti, Giuliano, majordome de Clément VII, 546, 600, 602 Vitelli, Giulio, clerc de la Chambre Apostolique, 573 Viterbe, 60, 164, 208, 216, 217 n., 220 n., 239 n., 346, 423 n., 462-463, 529, 530 n., 618 Volterra, Daniele da, peintre, 138, 140, 161 W Wauchope, Robert, évêque d’Armagh, prélat domestique de Paul III, 250, 252 Z Zacchia, Paolo Emilio, cardinal, 417, 419 Zambeccario, Bartolomeo, envoyé de Sienne à Rome, 442
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
Zapa, Domenico, peintre, 166 Zappata, Martin, familier d’Alexandre VI, 386 et n. Zeffiri, famille, 264 Zeffiri, Egidio, camérier de Paul III, 265 n.
743
Zeffiri, Lodovico, ancien secrétaire de Paul III, 265 n. Zeffiri, Pietro, châtelain d’Ancône, 265 n. Zeffiri, Silvio, médecin de Paul III, 265 n. Zuccari, Federico, peintre, 142 Zuccari, Taddeo, peintre, 140, 142
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TABLE DES FIGURES ET DES TABLEAUX Figure I:
Effectifs des cours pontificales au XVIe siècle . . . . . . 187
Figure II: Circuits de financement de la cour
. . . . . . . . . .
565
Tableau I: Principaux personnages et officiers de la cour . . . . . .
192
Tableau II: Offices et officiers de la cour . . . . . . . . . . . . . 200 Tableau III: Ordre hiérarchique des principaux officiers de la cour . . 239 Tableau IV: Effectifs italiens / non italiens des papes Léon X, Paul III, Paul IV et Pie V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244 Tableau V: Familiers italiens / non-italiens des cours des papes Pie III à Clément VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Tableau VI: Revenus de la papauté de 1492 à 1605 . . . . . . . .
538
Tableau VII: Dépenses de la cour : contributions respectives des majordomes et des trésoriers secrets Tableau VIII: Dépenses de la cour de Paul III : août-décembre 1538 . . . . . . . . . . . . . . 558,580 Tableau IX: Dépenses de la cour de Grégoire XIII : juin 1576-mai 1577 . 581 Tableau X: Dépenses de la cour de Sixte V : janvier-décembre 1587
.
582
Tableau XI: Dépenses de la cour de Clément VIII : juillet 1593-juin 1594
583
Tableau XII: Dépenses de « bouche » à la cour de Paul III : novembre 1535-janvier 1536 … . . . . . . . . . . . . . . . . . . 587 Tableau XIII: Achats comparés de certaines denrées de base servant d’aliments aux cours de Paul III, Grégoire XIII, Sixte V et Clément VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 588
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TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Chapitre I: Tels papes, telles cours?
. . . . . . . . . . . . . . . 23
1. Le triomphe du népotisme
. . . . . . . . . . . . . . .
23
2. La cour, lieu de pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 3. Itinéraires croisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
40
Chapitre II: Une galerie de portraits . . . . . . . . . . . . . . . 47 1. D’Alexandre VI à Clément VII 2. De Paul III à Pie IV
. . . . . . . . . . . . . . 47
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
64
3. De Pie V à Clément VIII
. . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre III: Les lieux de la cour
. . . . . . . . . . . . . . . . 119
1. Le Vatican: d’Eugène III à Innocent VIII
85
. . . . . . . . . . 120
2. Le Vatican: d’Alexandre VI à Clément VIII . . . . . . . . . 128 3. Le Vatican: une vue d’ensemble . . . . . . . . . . . . .
148
4. Autres lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 Chapitre IV: Les effectifs de la cour . . . . . . . . . . . . . . . 1. Une première vue d’ensemble
181
. . . . . . . . . . . . . . 186
2. Une hiérarchie de fonctions . . . . . . . . . . . . . . . 204 3. L’accès à la cour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242 4. Une variété de traitements
. . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre V: La vie de la cour: Rites et rituels des grands jours
274
. . . . . 303
1. L’accession au pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . 306 2. Du « triomphe à l’antique » aux grands déploiements liturgiques 325 3. Honorer et être honoré . . . . . . . . . . . . . . . . . 350 4. Ambassades de circonstance . . . . . . . . . . . . . . . 362 5. Ultimes honneurs ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 Chapitre VI: La vie de la cour : Rites et rituels de tous les jours 1. La sphère politique
. . . . 401
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
401
2. La sphère liturgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 430 3. La sphère ludique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 456 4. La sphère domestique . . . . . . . . . . . . . . . . .
475
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748
LA COUR PONTIFICALE AU XVIe SIÈCLE D’ALEXANDRE VI À CLÉMENT VIII
Chapitre VII: Le financement de la cour . . . . . . . . . . . . . .
535
1. Les sources de financement . . . . . . . . . . . . . . . 535 2. La gestion financière de la cour . . . . . . . . . . . . .
564
3. Les dépenses de la cour . . . . . . . . . . . . . . . . . 579 Chapitre VIII: Le rayonnement de la cour . . . . . . . . . . . . . 613 1. Le rayonnement intra muros . . . . . . . . . . . . . .
616
2. Le rayonnement extra muros . . . . . . . . . . . . . .
625
3. L’image changeante de la Rome pontificale et de sa cour . . . 646 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
661
Sigles et abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677 Sources et bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 679 Sources manuscrites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 679 Sources imprimées
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 687
Dictionnaires, encyclopédies, répertoires: ouvrages antérieurs à 1800 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 693 Dictionnaires, encyclopédies, répertoires: ouvrages postérieurs à 1800 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 695 Bibliographie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . .
697
Index des noms de personnes et des lieux . . . . . . . . . . . . .
721
Table des figures et des tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . .
745
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
747
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