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French Pages [497] Year 2021
VESTIGIA
VESTIGIA
73
BEITRÄGE ZUR ALTEN GESCHICHTE
VESTIGIA
La correspondance grecque privée sur plomb et sur tesson
BEITRÄGE ZUR ALTEN GESCHICHTE
Corpus épigraphique et commentaire historique
Weitere lieferbare Titel
VERLAG C. H. BECK MÜNCHEN
Vestigia_73_Umschlag.indd 1
Dana · La correspondance grecque privée sur plomb et sur tesson
Bd. 14: M. Zahrnt, Olynth und die Chalkidier Bd. 19: T. Schwertfeger, Der Achaiische Bund von 146 bis 27 v. Chr. Bd. 22: W. Gawantka, Isopolitie Bd. 23: J. v. Ungern-Sternberg, Capua im Zweiten Punischen Krieg Bd. 27: A. S. Bradford, A Prosopography of Lacedaemonians from the Death of Alexander the Great, 323 B.C., to the Sack of Sparta by Alaric, A.D. 396 Bd. 28: W. Eck, Die staatliche Organisation Italiens in der hohen Kaiserzeit Bd. 36: T. Spitzl, Lex Municipii Malacitani Bd. 38: J.-U. Krause, Spätantike Patronatsformen im Westen des Römischen Reiches Bd. 40: H. Brandt, Zeitkritik in der Spätantike Bd. 41: E. Baltrusch, Regimen morum Bd. 42: R. Ziegler, Münzen Kilikiens aus kleineren deutschen Sammlungen Bd. 44: M. H. Dettenhofer, Perdita Juventus. Zwischen den Generationen von Caesar und Augustus Bd. 45: W. Ameling, Karthago. Studien zu Militär, Staat und Gesellschaft Bd. 46: H.-U. Wiemer, Libanios und Julian. Studien zum Verhältnis von Rhetorik und Politik im vierten Jahrhundert n. Chr. Bd. 47: M. Wörrle/P. Zanker (Hrsg.), Stadtbild und Bürgerbild im Hellenismus Bd. 48: W. Eck/A. Caballos/F. Fernández, Das senatus consultum de Cn. Pisone patre Bd. 50: Ch. Schuler, Ländliche Siedlungen und Gemeinden im hellenistischen und römischen Kleinasien Bd. 51: K. Zimmermann, Libyen Bd. 52: M. Zimmermann, Kaiser und Ereignis Bd. 53: W. Habermann, Zur Wasserversorgung einer Metropole im kaiserzeitlichen Ägypten Bd. 54: T. Stickler, Aëtius Bd. 55: Ch. Marek, Die Inschriften von Kaunos Bd. 56: M. Haake, Der Philosoph in der Stadt Bd. 57: J. Nollé, Kleinasiatische Losorakel Bd. 58: S. Schmidt-Hofner, Reagieren und Gestalten Bd. 59: A. V. Walser, Bauern und Zinsnehmer Bd. 60: A. Harders, Suavissima Soror Bd. 61: R. Haensch (Hrsg.), Selbstdarstellung und Kommunikation Bd. 62: S. Mitchell/D. French (Hrsg.), The Greek and Latin Inscriptions of Ankara (Ancyra), Vol. I Bd. 63: N. Badoud, Le temps de Rhodes Bd. 64: S. Scheuble-Reiter, Die Katökenreiter im ptolemäischen Ägypten Bd. 65: F. K. Maier, Überall mit dem Unerwarteten rechnen Bd. 66: R. Fabiani, I decreti onorari di Iasos Bd. 67: S. Prignitz, Bauurkunden und Bauprogramm von Epidauros Bd. 68: R. Färber, Römische Gerichtsorte Bd. 69: A. Free, Geschichtsschreibung als Paideia Bd. 70: E. Zingg, Die Schöpfung der pseudohistorischen westpeloponnesischen Frühgeschichte Bd. 71: Ch. Begass, Die Senatsaristokratie des oströmischen Reiches, ca. 457–518 Bd. 72: S. Mitchell/D. French (Hrsg.), The Greek and Latin Inscriptions of Ankara (Ancyra), Vol. II Bd. 74: S. Ruprecht, Unter Freunden
Madalina Dana
BAND 73
MADALINA DANA
La correspondance grecque privée sur plomb et sur tesson Corpus épigraphique et commentaire historique
Vestigia, Band 73 Ce livre consacré à la correspondance privée dans l’Antiquité a comme point de départ une documentation spécifique, les lettres grecques sur plomb et sur tesson, qui est exploitée d’un point de vue philologique, épigraphique et historique. L’étude couvre à la fois l’espace occidental méditerranéen autour du Golfe du Lion, marqué par la présence phocéenne, la rive nord de la mer Noire, avec ses fondations milésiennes, tous deux caractérisés par des modes d’action des Ioniens et des contacts avec les populations locales, mais aussi le « centre », qu’est notamment Athènes. Le corpus, qui propose pour chaque lettre une édition critique avec un commentaire approfondi, est accompagné d’une synthèse historique qui permet d’approcher les divers ressorts qui ont présidé aussi bien à la rédaction et à l’envoi des messages entre individus ou groupes familiaux, qu’à la popularité et à la diffusion de la pratique, sur des matériaux spécifiques dont l’emploi n’est pas anodin dans ces milieux et dans ces régions. L’ouvrage s’interroge sur la literacy des marchands et sur la façon dont la maîtrise de l’écriture détermine et façonne les interactions entre différents groupes sociaux ou ethniques. L’analyse croisée des sources très variées, d’abord épigraphiques mais aussi archéologiques et littéraires, a permis de dégager une dynamique des échanges allant d’un bout à l’autre de la Méditerranée, dépassant la simple logique centre-périphérie pour mettre en avant l’ampleur des réseaux qui reliaient entre eux individus et communautés. Cette recherche se propose une meilleure compréhension de la diffusion et de l’impact des pratiques de l’écriture dans des mondes géographiquement éloignés mais culturellement interconnectés. Madalina Dana est professeur d’histoire grecque à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Ses recherches portent sur la vie culturelle et tout particulièrement sur les mobilités et les échanges. Elle a notamment publié un livre sur les réseaux culturels entre le PontEuxin et le monde méditerranéen ainsi que plusieurs articles sur la literacy et les pratiques épigraphiques, la correspondance privée, la mobilité des professionnels de savoir et l’histoire locale.
ISSN 0506-8010 ISBN 978 3 406 77439 3
C. H. BECK
VERLAG C. H. BECK MÜNCHEN
VERLAG C. H. BECK MÜNCHEN
21.06.2021 15:36:11
KOMMISSION FÜR ALTE GESCHICHTE UND EPIGRAPHIK DES DEUTSCHEN ARCHÄOLOGISCHEN INSTITUTS
VESTIGIA BEITRÄGE ZUR ALTEN GESCHICHTE BAND 73
Madalina Dana
La correspondance grecque privée sur plomb et sur tesson CORPUS ÉPIGRAPHIQUE ET COMMENTAIRE HISTORIQUE
VERLAG C. H. BECK
Contenu Ce livre consacré à la correspondance privée dans l’Antiquité a comme point de départ une documentation spécifique, les lettres grecques sur plomb et sur tesson, qui est exploitée d’un point de vue philologique, épigraphique et historique. L’étude couvre à la fois l’espace occidental méditerranéen autour du Golfe du Lion, marqué par la présence phocéenne, la rive nord de la mer Noire, avec ses fondations milésiennes, tous deux caractérisés par des modes d’action des Ioniens et des contacts avec les populations locales, mais aussi le « centre », qu’est notamment Athènes. Le corpus, qui propose pour chaque lettre une édition critique avec un commentaire approfondi, est accompagné d’une synthèse historique qui permet d’approcher les divers ressorts qui ont présidé aussi bien à la rédaction et à l’envoi des messages entre individus ou groupes familiaux, qu’à la popularité et à la diffusion de la pratique, sur des matériaux spécifiques dont l’emploi n’est pas anodin dans ces milieux et dans ces régions. L’ouvrage s’interroge sur la literacy des marchands et sur la façon dont la maîtrise de l’écriture détermine et façonne les interactions entre différents groupes sociaux ou ethniques. L’analyse croisée des sources très variées, d’abord épigraphiques mais aussi archéologiques et littéraires, a permis de dégager une dynamique des échanges allant d’un bout à l’autre de la Méditerranée, dépassant la simple logique centre-périphérie pour mettre en avant l’ampleur des réseaux qui reliaient entre eux individus et communautés. Cette recherche se propose une meilleure compréhension de la diffusion et de l’impact des pratiques de l’écriture dans des mondes géographiquement éloignés mais culturellement interconnectés.
À propos de l’auteur Madalina Dana est professeur d’histoire grecque à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Ses recherches portent sur la vie culturelle et tout particulièrement sur les mobilités et les échanges. Elle a notamment publié un livre sur les réseaux culturels entre le Pont-Euxin et le monde méditerranéen ainsi que plusieurs articles sur la literacy et les pratiques épigraphiques, la correspondance privée, la mobilité des professionnels de savoir et l’histoire locale.
À la mémoire d’Alexandru Avram, maître inégalable.
1. Auflage. 2021 © Verlag C.H.Beck oHG, München 2021 ISBN Buch 978 3 406 77439 3 ISBN eBook 978 3 406 77442 3
Die Reihe VESTIGIA wird von der Kommission für Alte Geschichte und Epigraphik des Deutschen Archäologischen Instituts herausgegeben: www.dainst.org/standort/muenchen
Die gedruckte Ausgabe dieses Titels erhalten Sie im Buchhandel sowie versandkostenfrei auf unserer Website www.chbeck.de. Dort finden Sie auch unser gesamtes Programm und viele weitere Informationen.
Table des matières
Avant-propos
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IX
Abréviations bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XII Illustrations et crédits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIV Systèmes de translittération (grec ancien/cyrillique)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XVII
Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XVIII Signes critiques
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIX
Introduction générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
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1 2 4 4 6 7 8
Corpus épigraphique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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L’espace égéen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13
11. 12. 13. 14. 15. 16. 17.
11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 1*8. 1*9. *10. *11. 12. *13. 14. 15. 16. 17. 18.
État de la question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Principes de présentation . . . . . . . . . . . . . . . Documents exclus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Documents dont le caractère épistolaire est débattu Apports du corpus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Présentation des documents . . . . . . . . . . . . .
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Message sur tesson de la « maison de Thamneus » (Athènes) . . . . . . . . . . . . . Message sur tesson avec des indications (Athènes) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Message sur tesson d’Arkésimos à Eumèlis (Athènes) . . . . . . . . . . . . . . . . . Message sur tesson de Sôsinéôs à Glaukos, accompagnant un paquet (Athènes) . . Lettre sur plomb envoyée à Gnathios, trouvée sur la Pnyx (Athènes) . . . . . . . . Lettre sur plomb de Mnèsiergos (Athènes) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lettre sur plomb de Lèsis à sa mère et à Xénoklès (Athènes) . . . . . . . . . . . . . Possible lettre sur plomb du banquier Pasiôn (Athènes) . . . . . . . . . . . . . . . . Message (?) sur tesson concernant Corinthe et un Corinthien (Athènes) . . . . . . Message sur l’amphore envoyée par Marôn à Philippos, frère de Philippè (Athènes) Message sur l’amphore envoyée à Hiérônymos (Athènes) . . . . . . . . . . . . . . . Lettre sur plomb concernant une affaire d’argent (Mégare) . . . . . . . . . . . . . . Possible lettre sur plomb (Mendè) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lettre sur plomb de [---]itos à Tégéas (Toronè) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lettre sur plaque de terre cuite d’Euarchos à Échiôn, fils d’Artymoklès (Thasos) . . Lettres commerciales sur tesson (Rhodes) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lettre peinte sur plaque de marbre de Stratonikos à Martyrios (Smyrne) . . . . . . Message sur tesson de Pélagi(o)s à Oxycholios (Éphèse) . . . . . . . . . . . . . . . .
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15 18 20 22 26 30 38 47 56 59 61 63 71 72 77 82 84 85
VI
Le nord de la mer Noire
Table des matières
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19. Lettre fragmentaire sur plomb (Tyras) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20. Lettre sur plomb d’Artémidôros au forgeron Dionysios (Nikonion) . . . . . . . . . . . . . . . . . *20a. Annexe : Possible lettre sur plomb (Nikonion) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21. Lettre sur tesson de Dionysios à sa famille (Nikonion) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22. Lettre sur plomb à Prôtagorès (Mont Živahov, Golfe d’Odessa) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23. Lettre sur plomb mentionnant Mélas (Berezan’) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24. Lettre sur plomb au sujet d’un phortos (Berezan’) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25. Lettre sur plomb d’Achillodôros à Prôtagorès ou « lettre de Berezan’ » (Berezan’) . . . . . . . . . 26. Lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax (Olbia du Pont) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27. Lettre opisthographe sur plomb de l’agora olbienne (Olbia du Pont) . . . . . . . . . . . . . . . . 28. Lettre sur tesson dite « lettre du prêtre » (Olbia du Pont) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29. Lettre sur plomb mentionnant la « caisse de la mère » (Olbia du Pont) . . . . . . . . . . . . . . . 30. Lettre opisthographe sur plomb d’Artikôn à sa famille (Olbia du Pont ?) . . . . . . . . . . . . . . 31. Lettre opisthographe sur plomb de Sôsibios à Mikiôn (Olbia du Pont) . . . . . . . . . . . . . . . 32. Lettre sur plomb de Batis à Diphilos (Olbia du Pont) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . *33. Possible message sur tesson (Olbia du Pont) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34. Lettre sur tesson adressée aux nauclères (Olbia du Pont) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35. Avis de réception sur tesson, envoyé par Rhodôn à Hèrakas (Olbia du Pont ou nord de la mer Noire ?) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36. Message sur tesson de Kophanas, fils d’Adrastos (Kozyrka 2, chôra d’Olbia du Pont) . . . . . . . 37. Message sur tesson concernant Kotytiôn (Panskoe 1, chôra lointaine de Chersonèse Taurique) . 38. Lettre sur tesson d’Apatorios à Néomènios (Kerkinitis, chôra lointaine de Chersonèse Taurique) 39. Lettre sur tesson à Timosthénès (Chersonèse Taurique) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . *40. Possible message sur tesson d’Hèrakleidas (Chersonèse Taurique ?) . . . . . . . . . . . . . . . . . 41. Lettre sur plomb de Botrys à Théopompos (Akra) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42. Lettre fragmentaire sur plomb (Nymphaion) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43. Lettre opisthographe sur plomb de [---]dôros (Nymphaion) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44. Lettre fragmentaire sur plomb (Panticapée) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45. Lettre sur plomb d’Hermaios (Panticapée) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46. Lettre opisthographe sur plomb d’Oréos à Pythoklès, suivie d’une lettre d’Oréos à Kerkiôn et d’une salutation à une femme (Myrmékion) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47. Message sur tesson d’Ak-Kaja (royaume scythe de Tauride) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48. Lettre sur plomb de Pistos à Arestônymos (Patrasys) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49. Billet sur plomb concernant l’esclave Phaullès (Phanagoria) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50. Lettre sur tesson de Polémarchos à Hègèsagorès (Phanagoria) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51. Lettre sur tesson d’une femme à Apollas (Vyšesteblievskaja 3, chôra de Phanagoria) . . . . . . . 52. Lettre sur plomb de Klédikos à Aristokratès (Hermonassa) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53. Lettre sur plomb mentionnant une cité du Bosphore Cimmérien (Hermonassa) . . . . . . . . . . 54. Lettre sur tesson à Apollône[i–] (Gorgippia) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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195 200 202 209 211 213 217 225 226
L’Occident méditerranéen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 *55. 56. *57. 58.
Possible message militaire de Daitis, au sujet d’Euôpidas et du lochagos Dieuchès (Himère) . Lettre sur ostrakon au sujet d’une ferme d’oliviers (Lepcis Magna) . . . . . . . . . . . . . . . . Possible lettre opisthographe sur plomb (ou defixio ?) mentionnant Hermophanès (Antipolis) Billet sur tesson à Eutychès (Olbia de Provence) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58a. Annexe : La fausse lettre de la « chère Mnèsinoè » (Olbia de Provence) . . . . . . . . . . 59. Lettre sur plomb de Mégistès à Leukôn (Massalia) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60. Instructions commerciales sur plomb (Lattara) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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231 236 238 239 241 245 251
VII
Table des matières
61. *62. 63. *64. 65. 66. 67. 68. 69. *70. *71. 72.
Lettre fragmentaire sur plomb (Lattara) . . . . . . . . . . . . . . . . . . Possible lettre sur plomb envoyée à Lètoklès (Lattara) . . . . . . . . . . Lettre opisthographe sur plomb dite « lettre d’Agde » (Agathè) . . . . Possible message sur tesson (Bessan) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lettre opisthographe sur plomb d’Hèro[---] (Ruscino) . . . . . . . . . Lettre fragmentaire sur plomb (Rhodè) . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lettre sur plomb au sujet de Basped[–] (Emporion) . . . . . . . . . . . Lettre sur plomb mentionnant Atielar[–] (Emporion) . . . . . . . . . . Message sur plomb au sujet de Pythagorès et d’Agathoklès (Emporion) Lettre sur tablette d’argile d’Énergos (Emporion) . . . . . . . . . . . . Jeu de messages sur tesson (Valentia) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lettre sur vase de Drakôn à Achilleus (Nida, Germanie Supérieure) . .
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Synthèse historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323 I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . 2. Supports et pratiques d’écriture . . 2.1. La matérialité du support . . . . . Les lamelles de plomb (μολύβδια) .
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. . . . Les tessons (ὄστρακα) et les supports apparentés .
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Les lieux de découverte des lettres sur plomb et sur tesson 2.2. Formes et apparence des lamelles et des tessons . . . . . . 2.3. Pratiques d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Pratiques épistolaires et literacy . . . . . . . . . . . . . . 3.1. L’épistolographie grecque . . . . . . . . . . . . . . . . .
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3.2. Formulaire et structure des messages et des lettres du corpus Invocatio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Praescriptum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Excursus I. Les « verbes épistolaires » . . . . . . . . . . Excursus II. Autres verbes fréquents dans les lettres privées Excursus III. Defixiones et emploi de formules épistolaires Formula valetudinis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Formula valedicendi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Inscriptio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Excursus IV. Les termes pour « lettre » . . . . . . . . . . Excursus V. Les διφθέρια . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Style . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Réseaux épistolaires et mobilités territoriales 2.1. Lettres et réseaux commerciaux . . . . . . . 2.2. Cartographier le territoire . . . . . . . . . . 3. Les acteurs du commerce . . . . . . . . . . .
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. . . . . 3.1. Autour de deux notions : emporion et emporiè . 3.2. Le personnel : termes grecs et acceptions modernes . 3.3. Une visibilité nouvelle : les indigènes et les femmes . 4. Les objets de l’échange . . . . . . . . . . . . . . . .
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VIII
Table des matières
5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380 III. Statuts personnels et pratiques juridiques
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1. 2. 3. 4.
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . Familles, amis ou adversaires . . . . . . . . . « Chargés d’affaires » ou « business agents » Le sylan revisité . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. La saisie à caractère privé . . . . . . . . . . 4.2. Les ennuis d’Achillodôros . . . . . . . . . . 4.3. Apatorios et le rôle des registres . . . . . . . 5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 393 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397 Concordances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 445 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 447 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
Noms de personnes . . . . . . . . . . . . Noms géographiques, ethniques . . . . . Res sacrae . . . . . . . . . . . . . . . . . Topographie, fonctions et titres, métiers Unités de mesure et monnaies . . . . . . Index des mots grecs . . . . . . . . . . . Index thématique . . . . . . . . . . . . .
Planches
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Avant-propos
« Je crois pourtant que dans nos disciplines austères l’inventaire besogneux de ce qui est rare est souvent source de progrès, si minimes soient-ils » (Dubois 2017a, p. 227)
« La documentation papyrologique, parce qu’elle n’a pas fait l’objet de choix et qu’elle émane de tous les milieux qui ont pratiqué la lettre, apporte des données plus complètes et objectives que les correspondances ‹littéraires› et ainsi propices à une véritable ‹archéologie› du genre épistolaire », écrit Jean-Luc Fournet1. Ce constat s’adapte parfaitement au sujet de ce recueil, tant par l’origine aléatoire des textes que par leur apport au développement du genre épistolaire grec. L’histoire des lettres grecques privées sur plomb et sur tesson court sur un siècle et s’est intensifiée ces dernières années. Une première étape est liée à la prise de conscience que le plomb pouvait être utilisé pour communiquer entre vivants, et pas seulement comme messager vers l’au-delà auquel on vouait les ennemis dans les katadesmoi. La vague de curiosité suscitée par la publication des lettres de Mnèsiergos d’Athènes (6) et d’Artikôn d’Olbia du Pont (30), au passage du XIXe au XXe s.2, fut vite éteinte et pas réellement ressuscitée par les découvertes, dans les années 1930–1950, de quelques lettres en provenance de l’Attique (5, lettre de la Pnyx) et du Golfe du Lion (63, d’Agde ; 69, d’Emporion). La véritable rupture, qui représente la deuxième étape, avec une réelle prise en compte de ces documents privés, est marquée par la publication rapide, en 1971, par les soins du jeune épigraphiste russe Jurij G. Vinogradov, de la plus connue des lamelles de plomb, la « lettre de Berezan’ » envoyée par Achillodôros à son fils Prôtagorès et à Anaxagorès (25)3. Non seulement cette publication a suscité une avalanche de réactions et de commentaires, changeant ainsi le regard sur les pratiques d’écriture et le commerce à l’époque archaïque, mais elle a également donné l’occasion à la fois aux savants occidentaux de s’intéresser à la mer Noire, considérée jusqu’alors comme un espace périphérique, et de découvrir sa complexité, et aux chercheurs soviétiques (à l’époque) de pouvoir diffuser leurs résultats et de nouer ainsi des contacts avec l’Occident. L’ambiance générale, de dégel politique, de ces années, saisissable également dans d’autres pays du bloc socialiste (la Roumanie, la Bulgarie), a constitué un terreau favorable à l’accroissement des échanges et à l’augmentation de l’intérêt non seulement pour le Pont-Euxin, mais aussi pour les objets qui portaient des messages. Durant les décennies suivantes (années 1970, 1980 et 1990), de nombreuses lamelles et plaquettes de plomb, ainsi que des ostraka, ont été découverts et progressivement publiés, aussi bien en Attique, en Chalcidique et dans le Pont Nord4, qu’au sud de la Gaule et au nord-est de l’Ibérie (l’espace phocéen occidental, en particulier à Emporion). La moitié des découvertes concerne toutefois le nord de la mer Noire, sur les deux types de supports, sans que tous les documents soient publiés à ce jour. Un troisième pas a été franchi avec la première édition de la lettre d’Apatorios à Léanax, d’Olbia du Pont (26), plus de trente ans après sa découverte. J’ai eu l’occasion inespérée de porter à la connaissance de la communauté savante le texte grec et le fac-similé de ce document exceptionnel, dans des circonstances certes singulières5. Le catalogue exhaustif des lettres alors connues, que j’ai dressé trois ans plus tard dans un article consacré aux lettres nord-pontiques6, a constitué le point de départ d’une pléthore d’études sur des aspects Fournet 2009, p. 63. Lettres de Mnèsiergos (en 1897 et 1904) et d’Artikôn (en 1902 et 1909). 3 Editio princeps : Vinogradov 1971. Les réactions dans l’espace occidental vinrent de Chadwick 1973, Merkelbach 1975 et Miller 1975, avec en particulier la longue étude en français du savant italo-polonais Bravo 1974, qui a constitué par la suite, avec le bref article en anglais de Chadwick, la première référence utilisée par les antiquisants. 4 Vinogradov 1998. 5 Je ne saurais assez remercier Alan Johnston et Walter Burkert pour leur dévouement au progrès scientifique ; voir Dana 2004. 6 Dana 2007a. 1 2
X
Avant-propos
ponctuels et même de travaux de synthèse, dont le dernier date de 20147. Cet intérêt coïncide avec celui, de plus en plus affirmé, que suscitent les milieux de contacts linguistiques et culturels, les pratiques d’écriture et le renouvellement de perspective sur l’économie antique. Par conséquent, la réalisation de ce corpus se veut l’accomplissement d’une réflexion de longue durée, amorcée lors de mon travail doctoral sur la vie culturelle des cités pontiques, qui m’a conduite à m’intéresser aux destins des lettrés pontiques, souvent obscurs, ainsi qu’à la literacy des habitants du Pont-Euxin8. Progressivement, j’ai été captivée par le « petit peuple » et les marchands, les Grecs et les non-Grecs, leurs familles et leurs amis, protagonistes inconnus de cette foisonnante correspondance qui ne cesse de dévoiler ce qu’Édouard Will appelait de ses vœux : une parcelle de la vie des gens qui « maniaient les objets et peuplaient les ruines sur lesquelles on raisonne »9. Je n’aurais jamais pu accomplir ce travail sans l’aide de nombreux amis et collègues qui ont répondu généreusement à mes sollicitations de renseignements et d’illustrations. Qu’ils en soient tous vivement remerciés : Michel Adgé (Agde), Marija Ahmadeeva (Saint-Pétersbourg), Electra Anagnostopoulou-Chadjipolychroni (Salonique), Zosia H. Archibald (Liverpool), Pascal Arnaud (Lyon), Alexandru Avram (Le Mans), Bartosz Awianowicz (Toruń), Roger S. Bagnall (New York), Michel Bats (Montpellier), Alexandre Baralis (Paris), Anastasija P. Behter (Saint-Pétersbourg), Aleksej V. Belousov (Moscou), Gwladys Bernard (Paris), Claudio Biagetti (Münster), Iulian Bîrzescu (Bucarest), Igor’ V. Brujako (Odessa), Alla V. Bujskih (Kiev), †Walter Burkert (Zurich), Aleksander M. Butjagin (Saint-Pétersbourg), Ramon Buxo (Gérone), Albio Cesare Cassio (Rome), Thibaut Castelli (Reims), Paola Ceccarelli (Londres), Véronique Chankowski (Lyon), Michel Christol (Paris), Victor Cojocaru (Iaşi), Thomas Corsten (Vienne), Jaime Curbera (Berlin), Dmitrij E. Čistov (Saint-Pétersbourg), Jean-Claude Decourt (Lyon), Éric Delaval (Antibes), Monique Dondin-Payre (Paris), Laurent Dubois (Paris), Sylvie Dumont (Athènes), Žanna Ecina (Saint-Pétersbourg), †Jean-Louis Ferrary (Paris), Pierre Fröhlich (Bordeaux), Vincent Gabrielsen (Copenhague), Éric Gailledrat (Montpellier), Laura Gawlinski (Chicago), Jean Grimal (Agde), Patrice Hamon (Paris), Antony Hostein (Paris), †Javier de Hoz (Madrid), María Paz de Hoz (Salamanque), Askold Ivantchik (Bordeaux), Hlib Ivakin (Kiev), Alan W. Johnston (Londres), Andrea Jördens (Heidelberg), Ioannis Kanonidis (Salonique), Sergej V. Kašaev (Saint-Pétersbourg), Larisa Kulakovska (Kiev), †Vadim A. Kutajsov (Simféropol), Jessica Lamont (New Haven), Josep Vicent Lerma (Valencia), Béatrice Le Teuff (Paris), Nikos Litinas (Rethymno), Georgij A. Lomtadze (Moscou), Marie-Thérèse Le Dinahet-Couilloud (Lyon), Alberto Maffi (Milan), Anna Magnetto (Pise), Martin Maischberger (Berlin), Igor A. Makarov (Moscou), Dimitra Malamidou (Thasos), Aurora Martin (Gérone), Philippa Matheson (Toronto), Laurence Mercuri (Nice), Béatrice Meyer (Paris), Noemí Moncunill Martí (Paris), Isabelle Mossong (Munich), Jean-Claude Mothes (Agde), Vladimir V. Nazarčuk (Kiev), Nikolaj N. Nikolaev (Mykolaïv), Andrej M. Novičihin (Anapa), Marta Oller Guzmán (Barcelone), Andrei Opaiţ (Iaşi/Toronto), Anna Panayotou (Nicosie), Céline Pardies (Béziers), Natalija A. Pavličenko (Saint-Pétersbourg), Christophe Pellécuer (Montpellier), Georg Petzl (Cologne), Rosa Plana Mallart (Montpellier), Isabelle Rébé (Ruscino), Gil Remberg (Michigan), Joyce Maire Reynolds (Cambridge), Adrian Robu (Paris), Denis Rousset (Paris), Coline Ruiz-Darasse (Bordeaux), Anna S. Rusjaeva (Kiev), Patrick Sänger (Münster), Marta Santos (Ampurias), Sergej Ju. Saprykin (Moscou), Markus Scholz (Francfort sur Main), Christof Schuler (Munich), Ignacio Simón Cornago (Bilbao), Olga Sokolova (Saint-Pétersbourg), Sergej L. Solov’ev (Saint-Pétersbourg), Vladimir F. Stolba (Copenhague), Nikolaj Šarankov (Sofia), John Traill (Toronto), Anna A. Trofimova (Saint-Pétersbourg), Daniela Ugolini (Aix-en-Provence), Laurent Védrine (Marseille), Stéphanie Wackenier (Paris), Aleksander Wolicki (Varsovie), Jurij P. Zajcev (Simféropol), Angelos Zannis (Athènes), Natalija V. Zavojkina (Moscou), Denis V. Žuravlev (Moscou). Je tiens à exprimer une pensée particulière pour mes collègues, devenus amis, Anastasija Behter (SaintPétersbourg), Aleksej Belousov (Moscou) et Natalija Pavličenko (Saint-Pétersbourg), qui ont partagé avec moi non seulement des photographies et des publications confidentielles, mais aussi leurs articles inédits et leur Ainsi, entre autres, Cordano 2005, Eidinow/Taylor 2010, Ceccarelli 2013 ainsi que les nombreux articles et rééditions de B. Bravo ; le dernier en date est le corpus, utile bien qu’incomplet, de Decourt 2014 (cf. SEG LXIV 2163). 8 Dana 2011. 9 Will 1977, p. 415. 7
Avant-propos
XI
admirable érudition dans le domaine de l’épigraphie pontique. J’ai également une pensée émue et reconnaissante pour les premiers éditeurs et commentateurs de ces documents : tout d’abord Jurij G. Vinogradov (1946– 2000), disparu prématurément avant d’avoir donné toute la mesure de son talent d’épigraphiste, mais aussi Benedetto Bravo (Varsovie) avec son impressionnante érudition de philologue. Je lui dois des avis et des informations précieuses ainsi que des polémiques très stimulantes intellectuellement. Javier de Hoz (malheureusement disparu), Marta Oller Guzmán et Jaime Curbera m’ont montré une sollicitude et une disponibilité à toute épreuve. Un soutien constant m’a été offert par Irad Malkin, mon « maître des réseaux » et fin connaisseur de la Méditerranée, infatigable rédacteur de lettres de recommandation qui ont toutes, heureusement, porté leurs fruits. Une reconnaissance renouvelée va aux institutions et aux centres de recherche dédiés à l’Antiquité, comme l’École française d’Athènes, la Kommission für Alte Geschichte und Epigraphik des Deutschen Archäologischen Instituts (Munich) et tout particulièrement son directeur, Christof Schuler, la Fondation Hardt pour l’étude de l’Antiquité classique (Genève), le Center for Hellenic Studies (Harvard, Washington), qui m’ont généreusement accueillie lors de mes recherches. Le statut de membre junior de l’Institut Universitaire de France, depuis octobre 2015, a considérablement contribué à l’avancement de mes recherches. Il reste quelques dettes particulières, que j’aimerais évoquer afin de pouvoir exprimer ma reconnaissance entière. La première est envers Laurent Dubois, dont le séminaire de dialectologie grecque à l’EPHE fut le premier laboratoire d’expérimentation pour ce livre. C’est en effet lors de mon année de DEA que j’ai présenté le dossier de la lettre d’Apatorios d’Olbia du Pont, cité sur laquelle il s’était penché afin de préparer le corpus I. dial. Olbia Pont. Il n’a pas cessé depuis de m’encourager pour l’accomplissement de ce travail, en me prodiguant ses conseils toujours amicaux et chaleureux, sans oublier le don généreux de son « dossier olbien ». Une autre dette, contractée il y a vingt ans, à Bucarest, est celle qui me lie à Alexandru Avram, mon mentor et modèle, à qui la philologue classique que j’étais au départ doit sa passion pour l’histoire antique en général et pontique en particulier. Je ne saurais exprimer ma gratitude aux merveilleuses chercheuses que sont María Paz de Hoz et Paola Ceccarelli, qui non seulement n’ont pas hésité à m’envoyer leurs travaux en cours de publication, essentiels pour l’avancement de mon corpus, alors que nous n’avions pas encore eu l’occasion de nous rencontrer, mais qui ont par la suite répondu, toujours avec la même sollicitude, à mes questions et inquiétudes. Il me reste à avouer à la fin tout ce que je dois à Christel Müller, pour ses conseils, ses relectures, son soutien sans faille. J’ai appris d’elle au long des années non seulement la rigueur et l’exigence, mais aussi la confiance envers soi-même. Je lui suis immensément reconnaissante d’avoir partagé avec moi son savoir polyvalent, d’historienne, d’épigraphiste et d’archéologue, son énorme capacité de travail mais aussi son énergie et son humour. Et, parce que dans la famille nous sommes deux à aimer l’histoire ancienne et une à porter la trace de cette passion dans son nom, je ne saurais jamais dire à Dan et à Bérénice à quel point ils m’ont inspirée et continuent à le faire.
Abréviations bibliographiques
Les abréviations des corpus épigraphiques et d’autres monographies concernant des inscriptions sont celles de la nouvelle liste GrEpiAbbr (https://aiegl.org/grepiabbr.html ; cf. REG, 133, 2020, p. 652–676). Les abréviations des papyrus et des ostraka sont conformes à la Checklist of Greek, Latin, Demotic and Coptic Papyri, Ostraca and Tablets (https://www.papyri. info/docs/checklist). Dans la liste ci-dessous figurent uniquement les abréviations des périodiques qui ne sont pas répertoriés dans l’Année Philologique, en particulier les publications concernant la mer Noire et la Méditerranée occidentale, ainsi que des séries, de certaines monographies ou catalogues d’exposition, à l’exception des abréviations courantes (FGrHist, RE, etc.). La dernière vérification des liens électroniques a été effectuée le 20 novembre 2020. ACSS AGSP AO Aristeas ASHP AVI Avram, PPEE BAR IS BDHesp Bechtel, GD Belousov, EpPont BospFen
BospIssled CAG CCCA Chantraine, DELG CIRB-Album DB DefOlb DMic DTA Foraboschi, Onomasticon FRA
Ancient Civilizations from Scythia to Siberia, Leyde. Antičnye gosudarstva Severnogo Pričernomor’ja [Les États antiques du nord de la mer Noire], Moscou, 1984. Arheologičeskie otkrytija [Découvertes archéologiques], Moscou. Aristej. Vestnik klassičeskoj filologii i antičnoj istorii/Aristeas. Philologia classica et historia antiqua, Moscou. Annuaire de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, Paris. H. R. Immerwahr, R. Wachter, Attic Vase Inscriptions (https://avi.unibas.ch) ; version PDF, janvier 2009 : https://avi.unibas.ch/images/pdf/InscriptionsJanuary2009.pdf. A. Avram, Prosopographia Ponti Euxini Externa, Louvain-Paris-Walpole (MA), 2013 (Colloquia Antiqua 8). British Archaeological Reports. International Series, Oxford (série). Hesperia. Banco de datos de lenguas paleohispánicas (http://hesperia.ucm.es/). Fr. Bechtel, Die griechischen Dialekte, I (Der lesbische, thessalische, arkadische und kyprische Dialekt) – II (Die westgriechischen Dialekte) – III (Der ionische Dialekt), Berlin, 1921–1924. A. B. Belousov, « Grečeskaja i rimskaja ėpigrafika Severnogo Pričernomor’ja » [L’épigraphie grecque et latine du nord de la mer Noire], livraison annuelle dans Aristeas. Bosporskij Fenomen : naselenie, jazyki, kantakty. Materialy meždunarodnoj naučnoj konferencii [Le phénomène bosporain : population, langues, contacts. Actes du congrès scientifique international], Saint-Pétersbourg (série). Bosporskie issledovanija [Recherches bosporaines], Kertch. Carte Archéologique de la Gaule, Paris (série). M. J. Vermaseren, Corpus Cultus Cybelae Attidisque (CCCA), I–VII, Leyde-New York-Copenhague-Cologne, 1977–1989 (EPRO 50). P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, 1999² (= 1968) (supplément par A. Blanc, Ch. de la Lamberterie, J.-L. Perpillou). Corpus Inscriptionum Regni Bosporani. Album Imaginum (CIRB-Album), Saint-Pétersbourg, 2004. Drevnosti Bospora [Antiquités du Bosphore], Moscou. A. V. Belousov, Korpus zakljatij pontijskoj Ol’vii. Defixiones Olbia Ponticae (DefOlb), Moscou, 2020. F. Aura Jorro, F. R. Adrados (éds.), Diccionario micénico (DMic), I–II, Madrid, 1985–1993 (Diccionario griego-español An. 1–2). R. Wuensch, Defixionum Tabellae Atticae (IG III.3. Appendix), Berlin, 1897. D. Foraboschi, Onomasticon alterum papyrologicum. Supplemento al Namenbuch di F. Preisigke, I–IV, Milan, 1967–1971. M. J. Osborne, S. G. Byrne, The Foreign Residents of Athens. An Annex to the Lexicon of Greek Personal Names : Attica, Louvain, 1996 (Studia Hellenistica 33).
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Illustrations et crédits
Cartes Fig. 1 (p. 12). Carte de la Méditerranée et lieux de découverte des lettres sur plomb et sur tesson. Fig. 2 (p. 14). Carte de l’espace égéen. Fig. 49 (p. 88). Carte du nord de la mer Noire. Fig. 148 (p. 230). Carte de l’Occident méditerranéen. Fig. 156 (p. 237). Carte de l’espace phocéen occidental.
Fac-similés personnels Fig. 4, 7, 9, 11, 15, 17, 19, 22, 26, 28, 30, 32, 36, 39, 41, 45, 47, 52, 54, 56, 60, 62, 64, 67, 71, 73, 76, 79, 81, 84, 86, 88, 92, 94, 96, 98, 100, 102, 105, 107, 109, 111, 113, 115, 117, 119, 121, 124, 126, 128, 130, 132, 134, 136, 138, 139, 147, 150, 152, 154, 158, 160, 163, 165, 169, 170, 173, 180, 182, 184, 186, 188, 193, 196, 199, 202, 208, 209, 217, 218.
Planches avec fac-similés personnels Fig. 219 (p. 335). Formats des lettres sur plomb (I). Fig. 220 (p. 336). Formats des lettres sur plomb (II). Fig. 221 (p. 337). Formats des lettres sur tesson.
Crédits photographiques Sauf mention de copyright (©), les droits de reproduction des images ont été transmis par les représentants des institutions ayant droit sur les documents, en tant que directeurs, responsables des fouilles, responsables des archives et responsables des collections, ou par l’editor princeps, en même temps que les photographies. [1] [2] [3] [4]
Fig. 3 : © American School of Classical Studies at Athens (cliché n° 2007.11.1129). Fig. 5, 6 : © American School of Classical Studies at Athens (clichés n° 2015.04.0332 et n° 2015.04.0333). Fig. 8 : © American School of Classical Studies at Athens (cliché n° 2007.11.1127). Fig. 10 : © American School of Classical Studies at Athens (cliché n° 2012.02.6615). – Fig. 12, 13 : clichés M. Dana (avec l’aimable autorisation du Musée de l’Agora, Athènes). [5] Fig. 14 : © American School of Classical Studies at Athens (cliché n° 2015.04.0341). [6] Fig. 16, 18 : © Staatliche Museen zu Berlin, Antikensammlung, Stiftung Preußischer Kulturbesitz (clichés J. Laurentius). [7] Fig. 20, 21, 23, 24, 25 : © American School of Classical Studies at Athens (clichés : « scan of Leica neg. » [Sylvie Dumont, registrar, Agora Excavations], n° 2015.04.0327, n° 2015.04.0328, n° 2015.04.0330, n° 2015.04.0331). [*8] Fig. 27 : © École française d’Athènes (cliché n° 47913). [*9] Fig. 29, 31 : © American School of Classical Studies at Athens (clichés n° 2015.04.0337 et n° 2015.04.0339). [*10] Fig. 33, 35 : © American School of Classical Studies at Athens (cliché « new photo for P 9922 » [Sylvie Dumont, registrar, Agora excavations]). – Fig. 34 : © American School of Classical Studies at Athens (Agora card, n° inv. P 9922). [*11] Fig. 37 : © American School of Classical Studies at Athens (Agora card, n° inv. P 8341). – Fig. 38 : © American School of Classical Studies at Athens (cliché n° 2015.04.0336). [12] Fig. 40, 42 : © Staatliche Museen zu Berlin, Antikensammlung, Stiftung Preußischer Kulturbesitz (clichés J. Laurentius). – Fig. 43 : © J. Curbera. [14] Fig. 44 : © Australian Archaeological Institute at Athens/Archives de l’Éphorat des Antiquités de la Chalcidique et du Mont Athos et de l’Australian Archaeological Institute at Athens (cliché B. Miller).
Illustrations et crédits
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XV
Fig. 46 : © École française d’Athènes (cliché N562–005, Ph. Collet). Fig. 48 : © Cumhur Tanriver. Fig. 50, 51 : photos envoyées par J. Lamont (Yale University). Fig. 53, 55, 57 : © Musée Archéologique d’Odessa (photos transmises par I. V. Brujako, directeur du Musée). Fig. 58 : Alekseev 2002, p. 62, Pl. II.9ab. Fig. 59 : © Musée Archéologique d’Odessa (photo transmise par I. V. Brujako, directeur du Musée). Fig. 61 : © Musée Archéologique d’Odessa (photo transmise par I. V. Brujako, directeur du Musée). Fig. 63 : © archives Ju. G. Vinogradov, Moscou (photo transmise par A. Ivantchik, responsable des archives). Fig. 65 et 66 : photos transmises par N. A. Pavličenko (Académie des Sciences de Russie, Saint-Pétersbourg, editor princeps). Fig. 68 : Gorbounova 1974, p. 440, fig. 1b. – Fig. 69 : Vinogradov 1971, fig. 3 (avec l’aimable autorisation d’A. Vinogradov). – Fig. 70, 72 : © Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg (clichés D. Sirotkin). Fig. 74, 75, 77, 78 : © archives Ju. G. Vinogradov, Moscou (photos transmises par A. Ivantchik, responsable des archives). Fig. 80 : © archives Ju. G. Vinogradov, Moscou (photos transmises par A. Ivantchik, responsable des archives). Fig. 82, 83 : © Musée de l’Institut Archéologique de Kiev (Académie des Sciences de l’Ukraine). Fig. 85 : photo transmise par V. V. Nazarčuk (Kiev, responsable de fouilles). Fig. 87 : Wilhelm 1909, p. 119, fig. 64. Fig. 89 : GraffOlbiaPont, p. 258, Pl. 42.19 (avec l’aimable autorisation d’A. S. Rusjaeva). Fig. 90 : Šebalin 1968, p. 297. – Fig. 91 : © Musée d’État de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. Fig. 93 : © Musée Historique d’État, Moscou (photo transmise par D. V. Žuravlev, responsable de collection). Fig. 95 : Vinogradov 1997a, Pl. 9.1–2 (avec l’aimable autorisation d’A. Vinogradov). Fig. 97 : photo transmise par V. F. Stolba (Copenhague, editor princeps). Fig. 99 : photo transmise par V. A. Kutajsov (Simféropol, responsable de collection). Fig. 101 : photo transmise par I. A. Makarov (Moscou, editor princeps). – Fig. 103 : Koscjuško-Valjužinič 1901, ph. p. 52, fig. 49. Fig. 104 : Alekseev 2004, p. 71, fig. 7.3.a. Fig. 106 : photo transmise par S. Ju. Saprykin (Moscou, editor princeps). Fig. 108 : © Musée d’État de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. Fig. 110 : © Musée d’État de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. Fig. 112 : photo transmise par S. Ju. Saprykin (Moscou, editor princeps). Fig. 114 : photo transmise par S. Ju. Saprykin (Moscou, editor princeps). Fig. 116, 118 : clichés A. M. Butjagin (Saint-Pétersbourg, responsable de fouilles). Fig. 120 : cliché Ju. P. Zajcev (Simféropol, responsable de fouilles). Fig. 122 : photo transmise par N. A. Pavličenko (Académie des Sciences de Russie, Saint-Pétersbourg, editor princeps). – Fig. 123, 125 : © Musée Archéologique auprès de l’Institut d’Archéologie et du Patrimoine Culturel de l’Université d’État de Saratov (clichés E. Kuznecova). – Fig. 127 : Saprykin/Maslennikov 2007, p. 284 (avec l’aimable autorisation de S. Ju. Saprykin). Fig. 129 : photo transmise par N. V. Zavojkina (Institut d’Archéologie, Moscou, responsable des archives). Fig. 131 : cliché N. V. Zavojkina (Institut d’Archéologie, Moscou, responsable de collection). Fig. 133 : photos transmises par N. A. Pavličenko (Académie des Sciences de Russie, Saint-Pétersbourg). Fig. 135, 140, 141, 142, 143, 144, 145 : photos transmises par A. V. Belousov (Université d’État Lomonosov, Moscou, editor princeps). – Fig. 137 : photo transmise par N. A. Pavličenko (Académie des Sciences de Russie, Saint-Pétersbourg, editor princeps [édition parallèle]). Fig. 146 : photo transmise par A. M. Novičihin (Musée d’Anapa, directeur du Musée). Fig. 149 : Manni Piraino 1972, Pl. LV. – Fig. 151, 153, 155 : © Regione Siciliana. Dipartimento dei Beni Culturali e dell’Identità Siciliana. Polo regionale di Palermo per i Parchi e i Musei Archeologici – Parco archeologico di Himera. Fig. 157 : © Centre de conservation et d’étude d’Olbia, Hyères (clichés CNRS, Centre Camille-Jullian, Aix-en-Provence. Photos transmises par M. Bats, Musée de Lattes, responsable de collection). Fig. 159 : © Centre de conservation et d’étude d’Olbia, Hyères (clichés CNRS, Centre Camille-Jullian, Aix-en-Provence. Photos transmises par M. Bats, Musée de Lattes, responsable de collection). Fig. 161 : © Centre Camille-Jullian, Aix-en-Provence (cliché Ph. Folliot) (tiré de : Hesnard 1999, p. 44) – Fig. 162 : © Centre Camille-Jullian, Aix-en-Provence (cliché Ph. Folliot) – Fig. 164 : © Musée d’Histoire de Marseille (cliché Chr. Durand).
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Illustrations et crédits
Fig. 166, 167, 168 : clichés Materia viva, Toulouse (photos transmises par M. Bats, Musée de Lattes, responsable de fouilles et editor princeps). Fig. 171 : http://docprotomidi.fr (n° inv. DPM 7204, photo transmise par M. Py). – Fig. 172 : MLH, III, 1980, p. 309 (fac-similé J. Untermann ; avec l’aimable autorisation de M. Untermann). Fig. 174 : © Archives du Centre Archéologique Rémy Marichal, Mairie de Perpignan (cliché R. Aris). – Fig. 175 : © Archives du Centre Archéologique Rémy Marichal, Mairie de Perpignan (tiré de Aris 1981, p. 53). – Fig. 176, 177 : © Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris (Fonds Louis Robert). – Fig. 178, 179 : © Musée de la Poste, Paris (clichés de 1960). Fig. 181 : Jully 1973, Pl. VIII.17. Fig. 183, 185 : © Centre Archéologique Rémy Marichal, Mairie de Perpignan (cliché I. Rébé). Fig. 187 : © Museu d’Arqueologia de Catalunya, Girona (photo transmise par R. Buxó Capdevila et A. Martin, responsables des archives). Fig. 189, 191 : Sanmartí/Santiago 1987, Pl. III.ab (avec l’aimable autorisation de R. A. Santiago). – Fig. 190 : cliché E. Sanmartí (photo transmise par M. Oller Guzmán, Université Autonome de Barcelone, responsable des archives). – Fig. 192 : Sanmartí-Grego/Santiago 1988, p. 10, fig. 7 (avec l’aimable autorisation de R. A. Santiago). © Museu d’Arqueologia de Catalunya, Empúries (photo transmise par M. Santos Retolaza, directrice du Musée). Fig. 194, 197 : Santiago/Sanmartí 1989, Pl. I.ab (avec l’aimable autorisation de R. A. Santiago). – Fig. 195, 198 : © Museu d’Arqueologia de Catalunya, Empúries (photos transmises par M. Santos Retolaza, directrice du Musée). Fig. 200 : Almagro 1952, p. 35 (avec l’aimable autorisation de M. Almagro Gorbea). – Fig. 201 : © Museu d’Arqueologia de Catalunya, Empúries (M. Santos Retolaza, directrice du Musée). Fig. 203, 204 : E. De Preter, chez Dunst 1969, Pl. 17.ab. – Fig. 205 : E. De Preter, chez Dunst 1969, p. 147, fig. 1. Fig. 206, 207 : © Servicio de Arqueología (SIAM) del Ayuntamiento de Valencia. Fig. 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216 : © Historisch-Archäologische Gesellschaft Frankfurt am Main e. V.
Planches en couleurs Les numéros correspondent aux numéros des documents du corpus, suivis entre parenthèses par les numéros des figures du corpus. Pl. I : 1 (fig. 3), 2 (fig. 6), 3 (fig. 8), 4 (fig. 10), 5 (fig. 14). Pl. II : 6 (fig. 16, fig. 18). Pl. III : 7 (fig. 21, fig. 25). Pl. IV : 12 (fig. 40), 14 (fig. 44), 15 (fig. 46). Pl. V : 17 (fig. 48), 19 (fig. 50), 20 (fig. 53, fig. 55). Pl. VI : 21 (fig. 59), 22 (fig. 61). Pl. VII : 24 (fig. 65, fig. 66). Pl. VIII : 25 (recto) (fig. 70) . Pl. IX : 25 (verso) (fig. 72). Pl. X : 28 (fig. 83), 34 (fig. 91), 35 (fig. 93), 38 (fig. 99). Pl. XI : 39 (fig. 101), 41 (fig. 106), 46 (fig. 116, fig. 118), 47 (fig. 120). Pl. XII : 48 (fig. 123, fig. 125), 49 (fig. 129). Pl. XIII : 50 (fig. 131), 51 (fig. 133), 52 (fig. 135), 54 (fig. 146), 55 (fig. 153), 58 (fig. 157). Pl. XIV : 59 (fig. 162, fig. 164). Pl. XV : 60 (fig. 167, fig. 168), 65 (fig. 183, fig. 185), 67 (fig. 192) . Pl. XVI : 68 (fig. 195, fig. 198), 69 (fig. 201), 71 (fig. 206, fig. 207).
Systèmes de translittération
Système de translittération de certains caractères du grec ancien η ρ υ χ ω
→ → → → →
è rh y ch ô
Système de translittération du cyrillique (russe, bulgare, ukrainien) adopté dans le présent ouvrage1 Caractères russes а б в г д е ё ж з и й к л м н о п р с т у ф х ц ч ш щ ъ ы ь э ю я i ï
→ → → → → → → → → → → → → → → → → → → → → → → → → → →
a b v g d e jo ž z i j k l m n o p r s t u f h c č š šč
→ → → → →
y ’ ė ju ja
ukrainiens
→
h
→
y
bulgares
→ →
→ →
št ă
i ï
1 Je suis ici grosso modo le même système que Burgunder 2012 (Études Pontiques) et Burgunder 2019 (Études Bosporanes) et de la très utile bibliographie pontique de Cojocaru 2014, système qui reste le plus proche de la prononciation.
Abréviations
acc. adj. all. angl. aor. app. crit. att. auj. ca. cat. ch. chypr. col. comm. c.r. décl. diam. dat. dor. éd. e.g. env. éol. ép. esp. ex. fém. fig. fr. gr. ht.
accusatif. adjectif. allemande (traduction). anglaise (traduction). aoriste. apparat critique. attique. aujourd’hui. circa. catalane (traduction). chapitre. chypriote. colonne. commentaire. compte rendu. déclinaison. diamètre. datif. dorien. édition, éditeur. exempli gratia. environ. éolien. épaisseur. espagnole (traduction). exemple. féminin. figure. française. grec (texte)/grammes. hauteur.
imparf. ind. inf. inv. ion. it. l. lat. lg. maj. masc. max. n. n° nom. obs. p. partic. pers. ph. pl. Pl. roum. sg. subj. trad. ukr. vers. v.-indo-ar. v.-iran. voc.
imparfait. indicatif. infinitif. inventaire. ionien. italienne (traduction). ligne. latin. largeur. majuscules (transcription). masculin. maximale (dimension). note. numéro. nominatif. observations. page. particulier. personne. photo. pluriel. planche. roumaine (traduction). singulier. subjonctif. traduction. ukrainienne (traduction). version. vieux-indo-aryen. vieux-iranien. vocatif.
Signes critiques
[αβγ] (ς) ⟦ΑΒΓ⟧ {αβγ} αβγ 〈αβγ〉 αβγ ΑΒΓ […] [---ca. 10---] [---]/[ ] --+ ← ↓ vac. v
25 *8
Restitution d’une partie du texte aujourd’hui perdue. Résolution d’abréviation. Rasura. Suppression de lettres gravées par erreur par le rédacteur antique. Lettre(s) rajoutée(s) par le graveur, en dessous de la ligne (ou à la ligne suivante). Inclusion de lettres oubliées par le graveur ou correction de lettres erronées (chez certains éditeurs, ⌈αβγ⌉). Lettres qui ne se lisent pas entièrement sur le support. Lettres qui se lisent avec certitude mais dont aucun sens précis ne se dégage. Lacune non restituable de longueur déterminée (un point correspond à une lettre manquante). Lacune non restituable de longueur déterminée. Lacune non restituable de longueur indéterminée. Ligne manquante. Trace d’une lettre. Écriture sinistroverse. Écriture tête-bêche. vacat (espace laissé vide par le graveur). Petit espace laissé libre par le graveur (par souci de mise en page). Chiffre en caractère gras qui renvoie aux documents publiés dans ce corpus. Documents publiés dans ce corpus mais dont le caractère épistolaire n’est pas assuré ou dont l’authenticité est douteuse.
Introduction générale
1. État de la question Ce corpus de 72 textes concerne la correspondance grecque privée sur plomb et sur tesson, de l’époque archaïque jusqu’à la fin de l’Antiquité tardive. Après la lettre d’Apatorios à Léanax, restée inédite plus de 30 ans jusqu’à sa première édition en 2004 (à l’aide du fac-similé de Ju. G. Vinogradov), de nouvelles lettres furent découvertes et publiées par des savants occidentaux ou de l’espace ex-soviétique. Les plus nombreuses proviennent du nord de la mer Noire : sur plomb, les lettres de Berezan’ (24), d’Olbia du Pont (29), d’Akra (41), de Nymphaion (42, 43), de Panticapée (44), de Patrasys (48), d’Hermonassa (52) ; sur tesson, les lettres de Nikonion (21), Panskoe 1 (37), Chersonèse Taurique (39 et *40), Phanagoria (50) et Vyšesteblievskaja 3 (51). Vladimir V. Nazarčuk m’a aimablement confié pour ce corpus la publication d’une nouvelle lettre sur plomb découverte à Olbia du Pont (29), dont il avait donné seulement une édition diplomatique, et qui a été entre temps publiée en Russie. J’ai également publié un tesson, probablement d’Olbia du Pont, portant un bref message envoyé par un certain Hèrakas à Rhodôn (35), avec l’accord des collègues du Musée National d’Histoire de Moscou. Deux lettres sur plomb, découvertes lors des campagnes de fouilles de l’été 2017 à Berezan’ (24) et à Myrmékion (46) ont été rapidement publiées1. Une autre lettre sur plomb, découverte il y a une dizaine d’années dans les alentours de Nikonion (20), m’a été confiée pour une publication commune par le directeur du Musée Archéologique d’Odessa, Igor’ V. Brujako ; je donne ici l’édition d’une lettre sur plomb de Tyras (19), sans contexte archéologique. Un certain nombre de lettres sur plomb de l’espace nord-pontique sont toujours en attente de la publication (31 et 32 d’Olbia du Pont, 53 d’Hermonassa). Bien que la lettre de Mendè, introuvable, soit toujours inédite (*13), pour le nord de l’Égée une lettre sur plaque de céramique, découverte il y a longtemps lors des fouilles de Thasos, a été récemment publiée (15). Concernant l’espace occidental, une nouvelle lettre découverte en 2005 à Lattes a été publiée en 2010 (60), une deuxième est encore inédite (61). Lors d’une visite au Musée de Lattara en avril 2016, j’ai retrouvé et signalé un plomb encore plié, photographié pour les besoins d’une exposition, qui pourrait être ce que j’indique dans ce corpus comme la troisième lettre de Lattes (*62). Une quatrième lettre sur plomb, trouvée à Ruscino, vient d’être publiée (65), alors que la lettre de Massalia a été publiée en 2004, dans le corpus régional IG France (59). Je suis partie du petit corpus régional que j’ai établi pour la mer Noire en 20072, pour me pencher ensuite sur l’autre espace touché par la colonisation ionienne, le Golfe du Lion, et enfin sur l’Attique et la Chalcidique. Se sont ajoutés quelques documents tardifs par rapport à la période de prédilection, les époques archaïque et classique, mais néanmoins importants pour montrer la persistance et l’évolution des pratiques épistolaires : une lettre sur plomb de Mégare (12) et un message sur vase de Nida, en Germanie Supérieure (72) d’époque impériale, ainsi que quelques messages tardifs, des IVe–VIe s. (17, 18, 71). Malgré le bilan que je viens d’établir, j’ai pleinement conscience que l’état de ce corpus ne peut être que temporaire et que de nouveaux documents viendront très rapidement enrichir ce recueil. Parallèlement au renouvellement de l’intérêt pour la correspondance sur plomb et sur tesson, depuis deux décennies le rythme des découvertes et de la publication de lettres s’est accéléré, grâce à l’effet conjoint de fouilles plus attentives et de meilleure qualité (à Berezan’, à Olbia du Pont ou à Lattara, entre autres) et à l’usage
Aleksander M. Butjagin, l’archéologue qui a découvert la lettre de Myrmékion, et Anastasija P. Behter m’ont aimablement invitée à participer à la publication de cette dernière lettre ; voir Behter/Butjagin/Dana 2018 et Bekhter/Dana/Butyagin 2019. 2 Dana 2007a. 1
2
Introduction générale
généralisé des détecteurs à métaux3 – aussi bien par les archéologues que, de plus en plus souvent, par des chasseurs de trésors : en effet, certaines tablettes de plomb signalées avec des photographies aux épigraphistes sont restées dans des collections privées d’Ukraine et de Russie. Quant aux lettres et messages sur tesson, les fouilles systématiques de l’Agora athénienne et la publication exemplaire de Mabel Lang4 ont fait qu’une partie considérable du corpus est formée par les exemples attiques, ce qui peut fausser la perspective5. Pourtant, d’assez nombreux exemples proviennent du Pont Nord et d’autres parties du monde grec, où les fouilles systématiques promettent d’apporter des nouveautés6. Si tous les messages et lettres sur plomb sont inclus, les messages sur tesson ont soulevé quelques questionnements : pour la plupart, leur caractère épistolaire est manifeste, tandis que d’autres ont eu des fonctions ludiques, voire de jeu d’écriture, d’échange et de don ; l’astérisque dont ces documents sont pourvus signale leur caractère difficile à saisir. Puisqu’ils relèvent du même support céramique, j’ai ajouté deux lettres sur tablettes d’argile (15, *70) et trois messages sur vase – deux peints sur des amphores (10, 11), un gravé sur un mortier (72) –, ainsi qu’une plaque de marbre utilisée comme un ostrakon, à Smyrne (17). Ces exemples concernent l’ensemble du monde grec, de son extrémité occidentale (Ibérie du Nord-Est et Gaule du Sud) à son extrémité orientale (Bosphore Cimmérien)7, à l’exception notable de l’Égypte, qui a livré un très grand nombre de lettres et divers messages sur ostraka – avec la différence essentielle que ces textes sont peints –, comme cela a pu être le cas dans d’autres régions du Proche et du Moyen Orient touchées par la colonisation grecque d’époque hellénistique. Mon travail a été largement facilité par les éditions récentes, dont certaines m’ont été communiquées avant même la publication, et, pour l’Occident, par la publication des corpora d’inscriptions grecques (IG France, 2004 ; IG España Portugal, 2014). J’ai également profité des recueils plus ou moins complets de cette catégorie documentaire en constante augmentation8 et des travaux des plusieurs savants qui se sont penchés à plusieurs reprises sur ces textes difficiles et ô combien controversés, les éditant ou les rééditant (Benedetto Bravo, Jean-Claude Decourt, Laurent Dubois, David R. Jordan, Alkiviadis N. Oikonomides, María Paz de Hoz, Jurij G. Vinogradov), ainsi que de l’étude la plus récente et la plus exhaustive sur la correspondance grecque antique, publiée par Paola Ceccarelli en 2013.
2. Méthode Dans la mesure du possible, j’ai procédé à l’autopsie des documents sur plomb ou sur tesson conservés dans les musées de France (Marseille, Lattes, Antibes), Espagne (Empúries/Ampurias), Grèce (École Américaine d’Athènes) et Russie (L’Ermitage, Saint-Pétersbourg). Dans le cas des lettres sur plomb et sur tesson conservées dans d’autres musées d’Ukraine et de Russie, je n’ai pas eu l’occasion, pour des raisons géopolitiques, de les examiner toutes de visu. En revanche, j’ai obtenu dans la grande majorité des cas des photos de haute qualité qui m’ont permis de vérifier et d’améliorer sur certains points les éditions de mes prédécesseurs. Si certains documents sont perdus ou introuvables, détruits ou impossible d’accès9, d’autres se trouvent actuellement dans
3 Le même phénomène affecte d’autres textes sur support métallique, comme les defixiones (sur plomb) et les diplômes militaires (sur bronze). 4 Les graffites et les dipinti (Agora XXI, en 1976). 5 Pour les messages sur tessons découverts sur l’Agora d’Athènes (1, 2, 3, 4, *9, *10, *11), j’ai également utilisé les fiches de l’American School of Classical Studies at Athens (http://agora.ascsa.net/). Le corpus des graffites et dipinti de l’Agora d’Athènes a été publié par Mabel Lang en 1976, en partie à partir d’une version manuscrite de George A. Stamiris et Eugene Vanderpool ; les dessins ont été réalisés par Hero Athanasiades et Helene Besi (cf. Agora XXI, 1976, p. VI). 6 Voir infra pour les dossiers épistolaires inédits, à caractère commercial, de Rhodes (16) et d’Éphèse (18), dont la publication est imminente. 7 Voir des cartes avec le lieu de découverte des lettres sur plomb et sur tesson : Ceccarelli 2013, p. XX ; Decourt 2014, p. 69, fig. 1 ; et ma propre carte (fig. 1, p. 12). 8 Jordan 2007 ; Dana 2007a ; Eidinow/Taylor 2010 ; Ceccarelli 2013, p. 335–356 (« Appendix I. Archaic and Classical Documentary Letters ») ; Decourt 2014 ; Sarri 2018. 9 Documents perdus (66, détruit lors d’un incendie) ou égarés (30, introuvable alors qu’il était conservé dans un musée de Saint-Pétersbourg avant la Révolution Russe ; 32, volé et entré dans une collection privée ; 63, volé d’un musée régional et dis-
2. Méthode
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des collections privées de l’espace ex-soviétique. Dans les deux situations, seule une documentation photographique ou d’archives a été utilisée. En de très rares occasions, j’ai été obligée d’utiliser les photographies des premières éditions, dont la qualité laissait parfois à désirer (34, 66, *70). Rassembler les références bibliographiques, dispersées dans des publications parfois confidentielles, n’a pas toujours été très aisé, mais j’estime avoir pu donner, pour la majorité des documents – à l’exception notable des textes trop célèbres, comme la « lettre de Berezan’ » (25) ou l’une des lettres d’Emporion (67) – la bibliographie exhaustive, du moins pour l’édition critique. Une autre difficulté a été, d’une part, de trancher entre les diverses écoles en cas de polémique, et, d’autre part, de proposer des restitutions, sur la base d’une autopsie ou au moins d’une photo en haute résolution. Il faut donc s’exposer à de possibles corrections : autrement dit, donner une édition « définitive » jusqu’à une nouvelle émendation. J’ai retranscrit uniquement les lettres que j’ai aperçues sur l’objet ou sur les différentes photos, en tâchant de prendre en considération les propositions d’autres éditeurs avec autant d’objectivité possible. Pour la quasi-totalité des documents de ce corpus je donne des fac-similés personnels, qui sont parfois différents des dessins de mes prédécesseurs et qui permettent de confronter mes lectures aux photos ainsi que de mieux distinguer la paléographie, les cadres et les corrections des rédacteurs antiques. Pour les documents que j’ai édités moi-même et qui ont été amendés, j’ai adopté le point de vue des éditeurs postérieurs si celui-ci emportait la conviction. Le commentaire ligne à ligne, indispensable étant donné que le commentaire historique se nourrit des détails, concerne notamment les aspects épigraphiques (mises en page, lectures, restitutions), philologiques (grammaire, formes dialectales, langage quotidien, termes rares ou nouveaux) et onomastiques (les noms sont importants dans les milieux « coloniaux », où ils peuvent témoigner des héritages et des identités locales ou régionales). J’ai accordé une attention particulière aux pratiques d’écriture, à la mise en série, aux parallèles connus et moins connus dans les sources littéraires, les inscriptions, les graffites et les papyrus. Le commentaire général, autour des realia (pratiques économiques, juridiques et culturelles), se propose de montrer l’intérêt historique de chaque lettre et sert de base à la synthèse qui accompagne le corpus. Il permet également que chaque texte soit lisible pour le lecteur intéressé par une lettre en particulier. Si la démarche de constitution d’un corpus a comme but premier de produire un instrument de travail, tout corpus – dans mon cas, épistolaire – est aussi œuvre d’historien : la lettre est inscrite à la fois dans une histoire personnelle et familiale, dans un espace et dans un contexte archéologique (la matérialité des documents est importante, car ils sont d’abord des objets), enfin dans la société qui l’a produite. La lettre permet d’interroger l’histoire sociale du point de vue des classes moyennes voire humbles et non des seules élites. En corrigeant les restitutions erronées, je me suis également proposée de lutter contre les mythes historiographiques. Je me suis ainsi intéressée non seulement au document, à sa nature et aux nombreuses controverses qui l’entouraient, mais aussi à son histoire. Chacune des lettres se distingue par un trait caractéristique : – certaines par l’ancienneté de leur découverte, telle les lettres sur plomb de Mnèsiergos et d’Artikôn (6 et 30) ; – d’autres par leur état d’extrême fragmentation ou par leurs véritables aventures (voyages, vols), telle la lettre sur plomb d’Agathè (63) ; – d’autres, au contraire, par leur étonnant état de conservation, car une fois restaurées elles ont livré un texte complet ou presque, telles les lettres d’Artémidôros et de Dionysios de Nikonion (20, 21), d’Achillodôros de Berezan’ (25) et de Klédikos d’Hermonassa (52) ; – d’autres par la distance qui sépare le moment de la découverte de celui de la publication : la lettre d’Apatorios à Léanax (26), découverte en 1971, n’a été publiée qu’en 2004 ; – d’autres, au contraire, par la rapidité avec laquelle elles ont été étudiées et publiées après leur découverte (24 Berezan’, 46 Myrmékion, 48 Patrasys, 51 Vyšesteblievskaja 3, 52 Hermonassa). L’explication doit être cherchée dans le changement de perspective historiographique : ces petites tablettes de plomb et ces menus tessons ne sont plus considérés comme des documents mineurs, découverts dans des régions périphériques, mais comme des sources privilégiées pour les sociétés grecques antiques. paru). La lettre sur plomb de Toronè (14), conservée au Musée de Polygyros (Chalcidique), se trouve dans des collections en cours de réorganisation.
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Introduction générale
3. Principes de présentation Étant donné qu’un nombre considérable de textes ont un caractère dialectal et présentent des graphies archaïques, la transcription du grec rendra naturellement compte de ces caractéristiques. Quant aux noms indigènes, présents dans quelques documents du Pont-Euxin et d’Emporion, ils seront transcrits sans accent, selon les principes exposés par L. Robert et O. Masson et appliqués par L. Dubois10. Par souci d’économie, toutes les dates, sauf mention contraire, s’entendent avant notre ère. Sauf indication contraire, les traductions des textes littéraires sont celles de la Collection des Universités de France (CUF). Les documents seront présentés par ordre géographique, en suivant trois grands ensembles : – l’Attique et l’espace égéen (Mégare, Mendè, Toronè, Thasos, Rhodes, Smyrne, Éphèse)11 ; – l’espace pontique, qui ne concerne pour le moment que le nord de la mer Noire ; il concentre à lui seul presque la moitié du corpus ; – l’espace grec d’Occident (Himère en Sicile, le sud de la Gaule, la région d’Emporion au nord-est de la Péninsule Ibérique), avec des textes plus tardifs venant de régions excentrées comme Lepcis Magna, Valentia et Nida. Quand plusieurs documents proviennent du même site (par exemple Athènes, Olbia du Pont, Emporion), ils seront présentés par ordre chronologique, sauf pour les inédits, si les renseignements dont je dispose ne sont pas suffisants.
4. Documents exclus Le caractère de message privé ou de lettre (contenu, fonctionnalité, présence des formules épistolaires et des adresses, etc.) des documents inclus dans ce corpus sera présenté de manière détaillée dans la Synthèse historique. Tout principe d’inclusion dans un corpus raisonné implique son pendant, celui de l’exclusion. Dans les études anciennes12 ou plus récentes, certains documents ont été publiés ou considérés à tort comme étant des lettres privées. En raison de leur caractère, j’ai exclu de ce corpus13 : – une defixio d’Olbia du Pont, d’époque hellénistique14 (I. dial. Olbia Pont 109 = DefOlb 21) ; – un graffite sur un tesson d’un skyphos à vernis noir, découvert à Panskoe 1 (chôra lointaine de Chersonèse Taurique, ca. 300)15, qui débute par l’invocation « à la Bonne Fortune » et serait une lettre commerciale d’après V. P. Jailenko16. Selon la restitution convaincante de Ju. G. Vinogradov17, il s’agit d’un extrait ou d’une copie
Robert, Noms indigènes, p. 319 n. 5 : « C’est une bonne distinction que de ne pas accentuer (…) un nom tenu pour indigène » ; Masson, OGS, II, p. 499 ; L. Dubois dans I. dial. Olbia Pont. À partir du fascicule B du tome V, les rédacteurs du LGPN ont fait le choix judicieux de ne pas accentuer les noms indigènes (cf. Introduction au LGPN V.B, 2013, p. XXVIII–XXX). 11 Ce n’est que très récemment que j’ai appris l’existence de documents similaires en Asie Mineure, quoique datant de l’Antiquité tardive (Smyrne et Éphèse). 12 Un texte assez long sur un tesson fragmentaire d’Athènes (9 x 9,5 cm), sans doute du début de l’époque hellénistique, a été publié de manière indépendante en 1889 et 1941 et interprété comme un contrat de bail, ce qui est confirmé par l’existence des clauses de pénalité. Voir Szántó 1889, p. 137–145 (cf. SEG XXXI 143) ; Peek, Kerameikos, p. 88–89, n° 168 (et ph. Pl. 22, fig. 1) (cf. SEG XXXII 328). 13 Une autre liste est présente chez Decourt 2014, p. 39–41. 14 Lettre adressée à un juge pour Škorpil 1908 ; Vinogradov 1971, p. 79 ; Vinogradov 1980, p. 313, n° 176 ; Vinogradov 1994b, p. 106 n. 7 ; Jajlenko 2016, p. 469–475. Defixio pour tous les autres : Bravo 1974, p. 114–115 ; Jordan 1985, p. 195, n° 173 ; Bravo 1987 ; I. dial. Olbia Pont 109 ; Jordan 1997 ; Avram/Chiriac/Matei 2007, p. 387 (n° 13) ; Decourt 2014, p. 58, n° 28 ; Belousov 2017 et DefOlb. 15 Ceccarelli 2013, Appendix 1, p. 354–355, n° B.1. 16 Jajlenko 2001, p. 228 : [ὁ δεῖνα ἐπέσ]τελε [τῶι δεῖνι] | ἀγαθεῖ τύχ[ει --- | Ὀ]λβιοπολῖται κτλ. (cf. SEG LI 984, avec les obs. d’A. Chaniotis). Il a été suivi par Eidinow/Taylor 2010, p. 61, n° E16 (« Panskopje », sic) ; Decourt 2014, p. 40 et 61, n° 38 (« lettre (?) sur plomb », sic). 17 Vinogradov 1990 (= Vinogradov 1997a, p. 484–492 et Pl. 33, ph. et dessin) (cf. SEG XLII 722) : [Ἀ]τέλε[ια].| Ἀγαθεῖ τύχ[ει·| Ὀ]λβιοπολῖται ἔ〈δ〉[ω|καν] κτλ. ; Müller 2010, p. 57, 245–246. Pour une autre photo, voir Stolba 2012, p. 349, fig. 10.4. 10
4. Documents exclus
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partielle du décret olbien de proxénie I. Olbia 5 = I. dial. Olbia Pont 21 (ca. 340–330)18, honorant les Athéniens Xanthippos fils d’Aristophôn (du dème d’Erchia) et Philopolis fils de Philopolis (du dème des Deiradiotes) ; – un graffite obscène de Chersonèse Taurique du IVe s., en dialecte dorien, Κοτυτί|ωμ πόρνας | ἔραται τᾶς | νεάς (« Kotytiôn est amoureux d’une prostituée, d’une jeune »), qui a été pris à tort pour une lettre par son éditrice19 ; – un graffite sur tuile d’époque hellénistique, découvert dans une ferme du territoire de Chersonèse Taurique, et composé de deux parties, selon son éditeur S. Saprykin20 : a) une sorte d’exercice poétique ; b) une liste de sommes d’argent. Ju. G. Vinogradov écrivait : « La scriptio continua parfaite des six lignes du texte nous force cependant à voir en lui un texte unique, plutôt une lettre privée dont l’éclaircissement exigera un nouveau recours à l’original » (BÉ, 1990, 569). Non liquet. – une inscription énigmatique en caractères grecs sur un lingot de plomb de Théodosia (Tauride), considérée comme une lettre privée par V. A. Sidorenko et S. Ju. Saprykin21 ; A. Avram se demandait à juste titre : « Est-ce vraiment une lettre ou plutôt un texte magique dont les arcanes nous échappent ? » (BÉ, 2015, 547) ; – des ostraka fragmentaires d’Éphèse, découverts à l’est de l’Agora Haute (« Lukasgrab »), datant des IVe–Ve s., dont au moins deux avec des instructions de paiement (cf. le verbe δός, suivi de noms au datif), appartenant aux archives économiques d’une maison privée ou d’une église22 ; pour un message plus complet, appartenant à un autre dossier tardif de la même cité, voir 18 ; – un ostrakon gravé23 et un autre peint24 de Marisè/Maresha, site hellénistique à 40 km sud-ouest de Jérusalem, comportant des instructions fragmentaires ; – plusieurs ostraka en grec de la garnison juive de Masada, lors de la première révolte (66–73/74 ap. J.-C.), trouvés avec 700 ostraka en araméen, hébreu et quelques-uns en latin (étiquettes, lettres privées, reçus, exercices d’écriture), ainsi que des restes de papyrus. Il s’agit de très brèves instructions/distributions25, e.g. O. Masada 772 [δὸς κ(άβους) ζ΄ σί(του) | ὀναγοῖς εἰς ὄπ(τησιν)], 773 [δὸς Κόσμῳ | εἰς ὄπ(τησιν) ἀνὰ | vac.? κ(άβον) α΄ ὄπ(τησιν) β΄], 774 [δὸς εἰς | vac.? κ(άβους) ζ΄] et 777 [.αμ.| δὸς Σαλώμ(ῃ) [---] | τέσσσαρες] ; – trois ostraka peints de la bourgade byzantine de Sobata (auj. Shivta), dans le Néguev26 ; s’ils comportent les noms des intéressés au datif, dans une sorte de prescrit simplifié, un quatrième tesson possède une formule épistolaire avec χαίρειν27. Les quatre tessons peints publiés par Youtie confirment l’exécution de travaux par des corvéables pour une citerne publique, au VIe s. ap. J.-C. Pourtant, j’ai décidé de ne pas inclure le quatrième dans ce corpus, car ces attestations de travaux sont en tout point similaires à la documentation égyptienne, et empruntent même la forme d’une lettre privée, avec le prescrit suivi d’un verbe à la IIe pers.28. Repris par Müller 2010, p. 390, DE 20. Graffite sur tesson découvert en 1979 derrière le théâtre de Chersonèse Taurique. Voir Solomonik 1987, p. 125–130 (SEG XXXVII 661 ; cf. L. Dubois, BÉ, 1989, 478) ; Vinogradov/Zolotarev 1999, p. 117–118 (et Pl. IV.9) ; Giugni 2004, p. 59–61, n° 33 (ph. et dessin p. 59, fig. 41–42) ; Decourt 2014, p. 60, n° 36 (« Panskoyé », sic). 20 Saprykin 1987 (ph. p. 95, fig. 3 ; dessin p. 96, fig. 4) (SEG XXXVII 662). La lecture sur la photo est très difficile. 21 Sidorenko 2013 (cf. A. Avram, BÉ, 2014, 364) ; Saprykin 2014 [cf. Belousov, EpPont, 2014, 35 (Aristeas, 12, 2015, p. 214– 215)]. 22 Taeuber 2010 (Pl. 203–206). 23 Korzakova 2010, n° 3. 24 Ecker/Korzakova 2014, p. 95–96, n° 1. 25 O. Masada 772–777. Sur ces textes, voir, entre autres : Cotton/Cockle/Millar 1995, p. 227, n° 248 ; Millard 2000, p. 116 (ph. fig. 24) ; Bagnall 2011, p. 124 (ph. fig. 41). 26 Youtie 1936 (= SB V 8073–8076). 27 SB V 8075 : † ἀβᾷ ᾽Ϊωάννῃ Βίκτορος | ἀναγν(ώστῃ) χα(ίρειν)· ἀπείργα(σαι) ἐν τῇ | κιστέρ(νᾳ) ἐργά(την) ἕνα †. Ce tesson est le seul qui comporte une formule épistolaire plus classique, avec le verbe χαίρειν, bien qu’il soit abrégé, comme la plupart des mots, rapidement notés par le scribe ; l’infinitif suit le nom et l’identité complète de la personne concernée (titre de respect + nom + patronyme + métier), alors que deux autres ostraka du même dossier ne donnent que le nom de la personne concernée, au datif : SB V 8073 (τῷ Φλ(αουίῳ) Γάρμῳ Ζαχαρίου) et 8074 (Στεφάνῳ Ἰωάννου | Αλδουβενα ὁ κοινός), avec l’indication du jour, du mois (Dios = octobre) et de l’indiction 7. Pour cette simplification du prescrit, voir Exler 1923, p. 58–59 et 66–67, qui pensait déjà que « similar short forms may be due to the influence of the ostraca. Potsherds are not suitable for long communications ». 28 Youtie cite à titre d’exemple O. Theb. 127 (en 117/118) : Ἰσίδωρο(ς) Φθο(μώνθου) χω(ματεπιμελητὴς) Ἑρμ(ώνθεως) διὰ Μέμνο(νος) γρα(μματέως) | Ψεμώ(νθῃ?) Ἁρπαήσιο(ς) Ἰμού(θου) χα(ίρειν). ἤργ(ασαι) κτλ. Pour l’emploi des formules épistolaires dans des actes du type cheirographon, voir Wolff 1978, p. 106–108. 18 19
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Introduction générale
– un ostrakon peint trouvé dans le camp romain d’Osia dans le Néguev (auj. Yotvata, Israël), du IVe s. ap. J.-C., avec une instruction de livraison à Aurèlia Kasianè de deux charges (γομάρια), de la part de Kasiseos de Sobata29. À l’instar des ostraka de Sobata, ces exemples font partie plutôt de la documentation papyrologique au sens large ; – le fameux plomb commercial de Pech Maho (IG France 135, deuxième tiers du Ve s.)30, dont il sera question à plusieurs reprises dans ce recueil ; – un tesson d’Emporion (IG España Portugal 127, Ve–IVe s.), avec 5 lignes fragmentaires, republié par A. N. Oikonomides comme s’il s’agissait d’une lettre privée31 ; le sens du texte est pourtant difficile à saisir.
5. Documents dont le caractère épistolaire est débattu Inversement, des documents dont le caractère épistolaire est manifeste ou plausible ont été rangés dans d’autres catégories, en particulier parmi les tablettes de malédiction ou les textes à caractère magique et religieux : – le message mégarien sur céramique découvert à Athènes (1), pris par G. Gallavotti pour un texte magique ; – le plomb opisthographe d’Himère, qui aurait été, selon R. Arena, réemployé par un frondeur comme projectile inscrit à l’instar d’une defixio (*55) ; – un texte fragmentaire sur plomb de Rhodè, qui serait une defixio selon I. Canós i Villena (66) ; – l’un des trois textes sur plomb d’Emporion, qui a été pris pour une defixio par L. H. Jeffery et D. R. Jordan32 (69) ; – un tesson opisthographe tardif de Valentia (Hispania), d’interprétation très difficile, qui a été republié comme une demande de divorce (*71). Celui qui propose le plus d’attributions de ce type est Benedetto Bravo, pour lequel non moins de 9 textes sur plomb que j’ai inclus dans ce corpus seraient soit des katadesmoi, soit des textes à caractère religieux : il range ainsi parmi les defixiones les documents sur plomb de Pasiôn (*8, Athènes), celui destiné à Prôtagorès (22, Mont Živahov), les textes 29 et 32 (Olbia du Pont) ainsi que 60 et 61 (Lattara) ; il croit reconnaître un texte orphique (23, Berezan’) et un autre initiatique (27, Olbia du Pont), toujours sur plomb ; enfin, selon Bravo, la « lettre du prêtre » d’Olbia du Pont, sur tesson, aurait connu un réemploi magique (28). Si des textes qui sont indubitablement des lettres privées ou des messages à caractère commercial ont été classés à tort parmi les defixiones, il serait tout aussi hasardeux de chercher à augmenter à tout prix la catégorie que j’ai choisi d’exploiter. Il existe une grande porosité entre ces deux types de documents car non seulement les lettres et les defixiones partagent le même support métallique (et parfois même céramique), mais elles étaient produites par la même société et sont des documents d’ordre privé. J’ai inclus dans le corpus les textes qui sont des lettres privées ou des messages plus ou moins développés, avec des instructions. Il reste pourtant un petit groupe de textes sur plomb ou sur tesson que leur état fragmentaire ou des difficultés de déchiffrement rendent l’interprétation délicate. Je les ai pourtant inclus dans mon corpus, tout en signalant leur caractère problématique par un astérisque : ainsi, deux textes fragmentaires sur plomb de Nikonion (*20a) et le plomb opisthographe d’Antipolis (*57), à caractère inconnu.
Zellmann-Rohrer 2016. Présent dans le recueil de Decourt 2014, p. 51, n° 8, qui l’exclut pourtant avec raison et le désigne comme étant un « texte commercial sur plomb » (p. 40). 31 Oikonomides 1983, p. 110 [« Appendix. One More Brief Greek Letter from Emporion (Ampurias) »] (suivi par Decourt 2014, p. 52, n° 12, avec une transcription en majuscules). 32 Tout en l’insérant dans le catalogue de lettres privées, Decourt 2014, p. 52, n° 11, le qualifie de « défixion ». 29 30
6. Apports du corpus
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6. Apports du corpus Mon intention est de proposer un corpus exhaustif et critique de la correspondance grecque privée sur plomb et sur céramique, à la suite de mes recherches qui ont commencé au début des années 2000 et qui se sont graduellement concentrées sur cette catégorie méconnue jusqu’assez récemment. J’ai eu l’occasion de publier quatre lettres sur plomb inédites ou quasi-inédites, grâce aux enquêtes dans les archives et à l’aide généreuse de savants et divers responsables : la lettre sur plomb d’Artémidôros au forgeron Dionysios, de Nikonion (20), en collaboration33 ; la lettre olbienne d’Apatorios à Léanax (26)34, qui suscita un nouvel intérêt pour la correspondance grecque privée, en particulier sur plomb35, ainsi que pour les pratiques commerciales à l’époque archaïque ; la lettre opisthographe sur plomb de Myrmékion (46), en collaboration36 ; la lettre opisthographe d’Agathè (63), disparue depuis le début des années 196037. La documentation est à présent complètement renouvelée. Le corpus comporte pour la première fois des photos pour les documents suivants : les lettres sur plomb de la Pnyx (5) et d’Apatorios à Léanax (26), ainsi que le verso de la lettre sur plomb de Patrasys (48), avec une adresse externe, à l’instar de l’examen du verso de la lettre sur plomb de Lèsis (7) ; certains graffites d’Athènes (*9, *10, *11) ; le message attique sur tesson comportant une anse, qui accompagnait un paquet (4) ; ainsi que des fac-similés, entre autres des lettres sur plomb de Mnèsiergos (6), de Pasiôn (*8), d’Olbia du Pont (29) et de Rhodè (66). Les révélations et les découvertes qui se sont enchaînées ont produit leurs fruits. Des relectures et de nouvelles lectures changent parfois le sens des éditions consacrées ou facilitent la compréhension des documents suivants : lettre de la Pnyx (5), lettre du banquier Pasiôn (*8), lettre de Toronè (14), lettre de Berezan’ mentionnant Mélas (23), lettre de la « caisse de la mère » (29), lettre de Batis à Diphilos (32), lettre aux nauclères (34), lettre d’Akra (41), première lettre de Panticapée (44), message sur tesson d’Ak-Kaja (47), lettre de Massalia (59), possible lettre sur plomb de Lattara (*62), lettre d’Agathè (63), tesson opisthographe de Valentia (*71). J’ai ajouté quelques possibles messages : Olbia du Pont (*33), Bessan (*64), ainsi que des documents moins connus : le message de Rhodôn à Hèrakas (nord de la mer Noire, 35) et la lettre autour d’un vase-cadeau de Drakôn à Achilleus (Nida, 72). Certaines lectures que je propose sont légèrement améliorées par rapport à mes prédécesseurs : message attique sur tesson (2) ; lettres de Mégare (12) et Thasos (15) ; les deux lettres en boustrophèdon de Berezan’ (23, 24) ; lettre d’Apatorios à Leanax (26) ; message sur tesson de Kophanas (36) et possible message sur tesson d’Hèrakleidas (*40) ; lettres sur plomb de Nymphaion (42, 43) ; billet sur plomb et message sur tesson de Phanagoria (49, 50) ; lettre sur plomb de Klédikos (52) ; message sur tesson de Gorgippia (54) ; lettre sur plomb d’Himère (*55) ; première lettre sur plomb de Lattara (60) ; lettres sur plomb de Ruscino (65), Rhodè (66), Emporion concernant Atielar[–] (68) et Pythagorès (69). J’ai inclus dans des annexes d’autres textes : deux possibles messages sur plomb de Nikonion (*20a) ; une série d’exercices d’écriture d’Olbia de Provence (58a). Concernant les textes inédits38, dans les cas où d’autres personnes sont chargées de leur publication, je me suis contentée de les signaler, avec parfois des précisions tirées des mentions faites par les futurs éditeurs ou par d’autres savants qui en avaient pris connaissance (e.g. 32, lettre de Batis d’Olbia du Pont ; 53, lettre sur plomb d’Hermonassa ; 61, deuxième lettre sur plomb de Lattara). Une lettre sur plomb de Tyras, sans contexte archéologique connu, est publiée ici pour la première fois (19), ainsi qu’une lettre de l’Antiquité tardive, peinte sur une plaque de marbre, provenant de Smyrne (17). Pour certains dossiers en cours de publication, j’ai offert un bref échantillon, tiré en général des publications existantes, afin de montrer leur intérêt : des archives de la fin de l’époque hellénistique de Rhodes (16) ; un étonnant dossier d’Éphèse, datant de l’Antiquité tardive (18).
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Dana/Brujako/Sekerskaja 2018 ; Dana/Brujako/Sekerskaja 2019. Dana 2004. Dana 2007a ; Eidinow/Taylor 2010 ; Decourt 2014 ; de nombreuses études ponctuelles de B. Bravo. Behter/Butjagin/Dana 2018 ; Bekhter/Dana/Butyagin 2019. Dana 2017. Ainsi, la partie A d’un message d’Athènes sur stamnos (*10).
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Introduction générale
Confrontant l’autopsie et/ou la documentation photographique avec la succession de diverses lectures, j’ai été amenée à amender dans beaucoup de cas le textus receptus (dans le SEG), ainsi que les interprétations plus ou moins hasardeuses de ces documents. Je donne ici un seul exemple, celui de la lettre d’Akra (41), considérée à tort comme la plus tardive lettre sur plomb, conservée de manière fragmentaire – qui plus est, d’intérêt historique – et datée de l’époque impériale. Il s’agit en réalité d’une banale lettre privée, d’époque hellénistique, qui est complète, même si son déchiffrement est partiel39 : SEG LVIII 775 (Ier s. av. J.-C.–Ier s. ap. J.-C.)
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Βότρυς ὁ ἐπὶ πόλε[ως ---]πωι χαίρειν· ἱερὰ πάνυγ[ρα ---] σοῦ μὲν ὡ〈ς〉 σωτηρία ὑπ[οκεῖσθαι? ---] στοὰ ὑπὸ ὑδρο[ποιοῦ? ---] [ἅ]πασιν ἐπ᾿ ἁτέρου [---] [---] ἀρὴ καὶ ἴσε ὀβρ[ίμῳ? ---] [---] αὐτὴ ἐν ὕ[δατι? ---] [---------------------------]
Ma lecture (IIIe–IIe s.)
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Βότρυς Θεοπόμπωι χαίρειν· πάνυ σοι μὲν [.]++[..]ΑΡ+[.] Σ[.]++[.]++[..]+[.]+++ Π[.]ΣΙΝ παρά τε τοῦ [.]+++[.]ΚΙΑΙΙΣΕΟ[.?] [---]ΤΙ ἰέναι.
Nous en savons évidemment davantage de nos jours qu’au moment de la publication de beaucoup de lettres privées, qui passaient à l’époque pour des exceptions, non seulement grâce au progrès continu de l’épigraphie, dont la documentation s’accroît, mais aussi par la mise en série et les acquis sur les pratiques de l’écriture.
7. Présentation des documents Chaque document retenu dans le corpus sera signalé par un numéro et un titre, « lettre/message/billet sur plomb/tesson de X à Y (cité antique ou toponyme moderne) », si l’expéditeur et le destinataire sont connus, le cas échéant par un élément d’identification tiré de son contenu. Chaque notice correspondant à un document comporte les sections suivantes : 1[1] Description détaillée du document, avec plusieurs sous-sections : Découverte, contexte (contexte archéologique, s’il est connu). Support, mise en page : dimensions (hauteur × largeur ou diamètre ; épaisseur), typologie, utilisation du support, mise en page (y compris coupe des mots, présence de l’interponction), éventuelles fautes et corrections du rédacteur. Dialecte (e.g. ionien, dorien, koinè ou koinè avec des traits dialectaux). Paléographie (et d’autres particularités qui permettent d’affiner la datation)40. 1[2] Date41. Dans bien de cas, j’ai pu affiner ou modifier la datation consacrée. 1[3] Conservation. Dans certains cas le lieu de conservation reste inconnu : collections privées ou documents volés/égarés.
39 En revanche, la plus tardive des lettres sur plomb est celle de Mégare, d’époque impériale (12), qui n’a été que très récemment prise en compte pour la correspondance privée (par J. Curbera, dans Vogl et alii 2018, p. 18). 40 Sur le sigma lunaire qui peut déjà devenir prédominant vers la fin du IVe s. sur d’autres supports que la pierre, voir Johnston 2013, p. 195–196 et 204–206. 41 Sur la datation des inscriptions dialectales d’une cité pontique, voir I. dial. Olbia Pont, p. XII–XIII ; et les critères énoncés par Vinogradov 2000, p. 326 [« 1. Paläographie, 2. Sprache, 3. Formeltyp, 4. Prosopographie, 5. Archäologischer Denkmaltypus (er ergibt einen ‹terminus post quem› bes. bei Graffiti aus Ton), 6. Sonstiges (z. B. Numismatik) »] (cf. aussi Vinogradov 1997a, p. 253–257). Voir à présent des comparaisons paléographiques entre les defixiones et les lettres privées d’Olbia du Pont dans DefOlb, p. XXVI–XXXI (avec trois tableaux).
7. Présentation des documents
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1[4] Éditions critiques, en indiquant à chaque fois les traductions, les commentaires et les reprises dans les instruments de référence (BÉ, SEG, AÉ) ; l’édition de référence est signalée en gras. 1[5] Bibliographie (mention exhaustive ou ponctuelle du document). 1[6] Illustrations antérieures (photos et dessins). 1[7] Note sur l’édition : bref résumé des éditions antérieures, des éventuelles controverses ainsi que des particularités liées à la connaissance d’un document ; précisions sur l’éventuelle autopsie et les illustrations de qualité que j’ai pu consulter. 1[8] Photographies (avec la mention des crédits photographiques aux p. XIV–XVI) et fac-similés (sauf indication contraire, personnels). Les photographies en couleurs figurent dans les planches à la fin de l’ouvrage. 1[9] Édition critique, avec un apparat critique quasi-exhaustif. Les normes suivies sont celles des éditions papyrologiques et épigraphiques ; j’ai choisi d’indiquer les traces de lettres par des croix (à la place des points), pour plus de visibilité. [10] Traduction personnelle. [11] Commentaire ligne à ligne, des mots et des séquences, des passages difficiles ou des loci desesperati, des anthroponymes et en particulier des termes rares ou nouveaux. Une attention particulière est accordée aux traits dialectaux et aux mots rares ou hapax. [12] Commentaire général du document, avec une brève présentation historique et archéologique du site, des sources littéraires disponibles, de sa production épigraphique et d’autres documents épistolaires qui permettent de mieux comprendre l’apport de chaque texte discuté, avec des renvois internes (les numéros des autres documents, en gras) ou aux chapitres et pages de la Synthèse historique.
CORPUS ÉPIGRAPHIQUE Corpus épigraphique – L’ espace égéen
Fig. 1. Carte de la Méditerranée et lieux de découverte des lettres sur plomb et sur tesson.
L’espace égéen
Fig. 2. Carte de l’espace égéen.
L’espace égéen 1. Message sur tesson de la « maison de Thamneus » (Athènes) 1. Message sur tesson de la « maison de Thamneus » (Athènes) Découverte, contexte : fond de skyphos de type corinthien de la première moitié du VIe s., à vernis noir, découvert en mars 1947 dans la « maison de Thamneus » (Agora d’Athènes, secteur J 18:4), dans le puits B, à 3,80 m de profondeur. Le puits, qui se trouvait au milieu de la cour, a été utilisé comme dépotoir. La plupart du matériel de ce dépotoir date du milieu du VIe s., mais des pièces du début du Ve s. montrent qu’il a été rouvert et réutilisé. Plusieurs vases, attiques ou corinthiens, notamment de la vaisselle de table, y ont été découverts1. Support, mise en page : texte disposé de façon circulaire. Deux lignes inscrites sur la face externe du fond du skyphos (diam. 7 cm), qui s’est brisé par la suite en plusieurs morceaux dont quatre, jointifs, ont été retrouvés. Signes d’interponction à quatre ou cinq reprises, sous la forme de deux points superposés (:)2. Dialecte : mégarien (cf. l. 2, a long). La fausse diphtongue ou est notée partout par omikron, les lettres epsilon et omikron étant utilisées pour noter à la fois les voyelles longues et brèves. Paléographie : gravure profonde, le texte étant parfaitement lisible ; ht. des lettres : 0,3–0,5 cm. Signe de l’aspiration fermé, de forme Η. Lettres remarquables, dont certaines présentent des traits typiquement mégariens : epsilon en forme de bêta anguleux (), thêta rond à la croix (), pi à la deuxième haste plus courte, rhô en triangle renversé (), sigma à quatre branches écartées, upsilon sans haste verticale (). Date : ca. 550. Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (inv. P 17824). Éditions : Thompson 1948, p. 160 (avec trad. angl.) ; LSAG, 1990² [= 1961], p. 135, 137, n° 1 (L. H. Jeffery) ; Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 320–321, fig. 106 (avec trad. it.) ; Gallavotti 1975, p. 289–291 (« Magia megarese ad Atene », avec trad. it.) ; Agora XXI, p. 8, n° B1 (M. Lang, 1976, avec trad. angl.) (cf. Ch. Delvoye, AC, 52, 1983, p. 524, avec trad. fr. ; cf. Jajlenko 1984, p. 196, avec trad. russe) ; Koumanoudis/Matthaiou 1986, p. 190, n° 2 (avec trad. gr.) ; AVI 540 (H. R. Immerwahr, 2009) ; Ceccarelli 2013, p. 351, n° 35 (avec trad. angl.). Bibliographie : Cook 1946, p. 110 ; Welles 1947, p. 271 ; Nieddu 1985, p. 83 n. 6 (avec trad. it.) ; Lang 1988, p. 8–9 (avec trad. angl.) ; Immerwahr 1990, p. 56, n° 294 (avec trad. angl.) ; Sparkes 1991, p. 125 ; Blanck 1992, p. 23–24 (avec trad. all.) ; Threatte, Grammar, II, 1996, p. 757 ; Várhelyi 1996, p. 49 ; Signes Cordoñer 2004, p. 99 ; Pébarthe 2006, p. 81 (avec trad. fr.) ; Matthaiou 2008, p. 114, n° 175 ; Petrucci 2008, p. 5 (avec trad. it.) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 58 (A5) ; Missiou 2014, p. 54, n° 16 (B1) (avec trad. fr.) ; Keegan 2014, p. 32, n° G2.4 (avec trad. angl.) ; West 2015, p. 58 (avec trad. angl.) ; Dana 2016, p. 98–99 ; Kajava 2020, p. 144. Illustrations : Thompson 1948, Pl. XLI.2 (ph.) ; Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 321, fig. 106 (ph.) ; Lang 1976, Pl. 2 (dessin) ; Lang 1988, p. 8, fig. 18 (dessin) ; Jeffery 1990, Pl. 22.1 (ph.) ; Sparkes 1991, Pl. VI.1 (ph.) ; Blanck 1992, p. 24, fig. 8 (dessin) ; Signes Cordoñer 2004, p. 100, fig. 11 (dessin) ; Matthaiou 2008, p. 114, fig. 175 (ph.) ; Decourt 2014, p. 73, fig. 8 (dessin). Note sur l’édition : ce message sur tesson a été publié ou signalé à plusieurs reprises, avant ou après l’édition standard de Lang (1976), dont le commentaire de Gallavotti (1975), qui l’interprète comme un texte magique. Le caractère dialectal du texte et la perte de quelques lettres ont entraîné des variantes de lecture et de restitution. Autopsie, photo et fiche du Musée de l’Agora.
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Sparkes/Talcott 1970, p. 394. L’interponction, fréquente en écriture mégarienne, est vraisemblablement empruntée de l’Attique (cf. LSAG², 1990, p. 133).
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
Fig. 3. Photo du tesson (Pl. I).
Fig. 4. Fac-similé du tesson.
[ca. 1–2]+ : κάθες : hυπὸ τι hōδι : τᾶς θύρα[ς : τᾶ?]ς τ κάπō : πρίον(α). 1 [---] Thompson, Jeffery, Guarducci : [τόδε] Gallavotti : [Θαμνε]ῦ Lang, Immerwahr, Ceccarelli : [Θαμν]εῦ Decourt || hοδι edd. (hοδι ⁝ Thomps.) : hōδι Imm. 2009 || 1–2 τᾶς θύρας | τ Thomps., Lang, Imm. 1990, Cecc., Dec. : τᾶς θύρ[ας τ]|ᾶς τ Guard. : τας θυρ[ας τ]|ας το Jeff. || 2 πρίον(α) Thomps., Lang, Imm. 1990, Cecc., Dec. : πριον[ Guard., Jeff. : πρῖον Gall.
[---], pose une scie sous le seuil de la porte, celle du jardin. L. 1 : au tout début du message, Mabel Lang restitue le vocatif [Θαμνε]ῦ, en accord avec la marque de propriété qui apparaît sur deux vases trouvés dans le même puits (voir ci-dessous, Commentaire). L’éditrice affirme apercevoir la trace d’un upsilon, qui n’est pourtant pas indiqué sur le dessin qu’elle publie dans le corpus des graffites de l’Agora (cf. aussi H. R. Immerwahr, AVI 540, comm.). Or, sur le tesson, on observe à peine la trace d’une lettre ; qui plus est, après τᾶς θύρα[ς] suivait sans aucun doute une interponction [:] ; dans l’intervalle, il ne reste de la place que pour une ou deux lettres, ce qui écarte la possibilité de restituer le vocatif du nom Thamneus. Le destinataire reste donc anonyme, à moins que cette partie perdue ne comportât un mot qui faisait office d’introduction. || On remarque l’usage du signe de l’aspiration archaïque de forme Η, qui, selon L. H. Jeffery, est encore utilisé peu de temps après le milieu du VIe s., alors que des textes du tout début du Ve s. montrent la forme ouverte déjà en usage. || Le mot οὐδός, « seuil »3, présente un [h] initial inattendu, soit en raison de l’ancienneté de l’inscription (M. Lang), soit, selon Leslie Threatte (Grammar, II, 1996, p. 757), à cause de la confusion entre ὁδός et att. ο(ὐ)δός/dor. ὠδός. On pourrait plutôt penser à un banal phénomène d’hypercorrection, du fait que l’aspiration était fortement articulée et régulièrement notée dans le domaine mégarien4. L. 1–2 : à la fin de la première « ligne » circulaire, la solution de Guarducci et de Jeffery a été de compléter τᾶς θύρ[ας τ]|ᾶς τ, ce qui est fort séduisant ; on peut toutefois supposer la présence d’un autre signe d’interponction. Dans tous les cas, l’auteur du message a été obligé de commencer une nouvelle ligne à l’intérieur de la première, plus longue, qui entoure les marges du tesson circulaire. L. 2 : Le dialecte est visiblement dorien, κάπō étant le correspondant attendu du terme ionien κπō (= κήπου). L’outil qui fait l’objet du message rappelle la hache de jardinage qui est évoquée dans une lettre sur tesson de Gorgippia, dans le Royaume du Bosphore (54, l. 2) ; on attendait par ailleurs la présence de l’article τόν. Commentaire : Ce support céramique qui porte un message sous la forme d’un billet appartient au dossier considérable de graffites et dipinti de l’agora athénienne, allant du milieu du VIe s. jusqu’aux IIe–IIIe s. ap. J.-C. Voir Hellmann 1992, p. 314–315. Cf. l’explication convaincante de L. Dubois pour hιατρ dans l’épitaphe d’un médecin à Mégara Hyblaea (I. dial. Sicile I 22, milieu du VIe s.). 3 4
1. Message sur tesson de la « maison de Thamneus » (Athènes)
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On faisait usage des tessons cassés pour prendre des notes, faire des listes de courses ou écrire en urgence à quelqu’un, ou bien on pouvait écrire sur le vase complet, qui représentait le sujet ou l’objet du message. Dans ce dernier cas, le texte fonctionnait comme une sorte d’étiquette qui accompagnait l’objet porté à son destinataire par un intermédiaire5. Notre fragment d’un skyphos découvert dans un puits au milieu d’une cour dont il ne reste qu’un coin, pavée de pierres rugueuses, offre des informations précieuses tant sur l’expéditeur que sur le destinataire. Ce puits circulaire aurait pu être conçu à l’origine comme une citerne mais n’a jamais été achevé, car les murs ne sont pas plâtrés. Sans doute le propriétaire s’était-il rendu compte que la roche n’était pas appropriée et a abandonné le projet. La technique des citernes circulaires, assez courante dans l’Athènes hellénistique, est rarissime à l’époque archaïque, raison pour laquelle on a pensé que le propriétaire avait des relations à étranger qui lui ont donné l’idée de forer ce puits6. Le puits inachevé a été par la suite utilisé comme dépotoir par les gens de la maison, conservant de précieux échantillons de la vaisselle quotidienne d’une maison athénienne7. On y trouve des vases attiques, mais aussi certains types corinthiens (un lebès et trois skyphoi, avec des frises à décor animalier), qui confortent les commentateurs dans l’idée qu’il s’agit d’une personne qui avait des relations avec des non-Athéniens. L’alphabet et le dialecte du message inscrit sur ce grand tesson trouvé dans le dépotoir ne sont pas attiques, mais mégariens, ce qui renforce la thèse de ses liens avec des ressortissants de cette origine. L’expéditeur devait être un Mégarien établi à Athènes, qui écrit dans son propre dialecte, ce qui est confirmé par la forme typiquement mégarienne des lettres8 et la présence du signe de l’aspiration fermé de forme Η. Bien que le destinataire supposé ait dû lire facilement un texte assez bref en mégarien, Thamneus – à son tour, semblet-il, d’origine mégarienne − savait utiliser l’alphabet et le dialecte attiques9, comme il ressort de la marque de propriété gravée sur deux vases, une olpè à vernis noir et une œnochoé : Θαμνέος εἰμί, « J’appartiens à Thamneus »10. En effet, le nom du propriétaire de la maison, Θαμνεύς, sans doute le destinataire du message, est rarissime : bâti sur θάμνος (« arbrisseau »), il est unique à Athènes11 et n’est connu ailleurs que dans une légende de fondation à Rhodes, rapportée par Athénée VI 262, qui cite les Μεγαρικά de l’historien mégarien Dieuchidas12. Cette connotation mégarienne se trouve donc renforcée. Enfin, ce message13 constitue l’inscription la plus ancienne connue en dialecte mégarien, découverte qui plus est non pas dans la cité dorienne, mais bien à Athènes. Il serait également la lettre-message la plus ancienne qui soit conservée14. En effet, compte tenu du contexte archéologique, et d’après la paléographie, on peut dater ce graffite peu après le milieu du VIe s.15. 5 Voir, à Athènes, le tesson utilisé comme étiquette-message par Sôsineôs (4), ainsi que deux amphores avec des dipinti (*10 et *11) ; pour un vase-message, voir le mortier de Nida (72). 6 Thompson 1948, p. 159 n. 15. 7 Sur la maison de Thamneus, voir Boersma 1970, p. 246, n° 145 (sur le versant nord de l’Aréopage). 8 Pour la forme des lettres mégariennes, voir Guarducci, Epigrafia greca, I, 1967, p. 309 (deuxième période) ; LSAG², 1990, p. 132–133. Les Mégariens sont attestés en grand nombre à Athènes (FRA 3576–3662, p. 155–158). 9 Lang 1988, p. 8–9, imagine même un scénario : « The most likely picture conjured up by this message is that of Thamneus having borrowed from his Megarian neighbor a saw which he is now being instructed (perhaps in the absence of the owner) to put under the garden gate, where there presumably was a convenient drain. If the Megarian was either borrowing the saw or requiring it to do some job Thamneus had asked him to do, one would expect the message to be less curt. And it is so easy to imagine the Megarian suddenly remembering on his way out of Athens to visit a sick grandmother in Megara that Thamneus has borrowed his saw and may not know how to return it. So he picked up a handy potsherd, wrote his message, and despatched it by means of a passing small boy ». 10 Thompson 1948, p. 159–160 (Pl. XLI.3 b pour l’inscription) (inv. P 17825 et 17826) ; M. Lang, dans Agora XXI, F 12–13. 11 LGPN II 210 ; Traill, PAA IX 500950. Il faut ajouter le dérivé Θαμνίδης, dans une liste de l’an 459/458 des soldats morts au combat de la tribu Aigeis (SEG XXXIV 45, col. I, l. 13 : Θαμνίδς). Pour l’onomastique athénienne, en plus du vol. II du LGPN et de la prosopographie de Traill (PAA), voir à présent l’Athenian Onomasticon de S. Byrne (http://www.seangb.org/). 12 Historien du IVe s., voire plus tardif : FHG IV 389 ; Piccirilli 1975, p. 43–46 (Dieuchidas F 10) ; FGrHist 485 F 7 (Brill’s New Jacoby). 13 L’hypothèse et la traduction de Gallavotti 1975, p. 289–291, selon lequel on aurait affaire à un vase utilisé pour la préparation d’un pharmakon, inscrit avec un message rythmé, sont extravagantes (« Magia megarese ad Atene »). 14 Cf. Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 320–321. En revanche, la lettre sur plomb la plus récente du corpus, d’époque impériale (12), fut découverte à Mégare (réutilisée pour graver une defixio sur l’autre face). 15 LSAG², 1990, p. 132 et 135.
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
2. Message sur tesson avec des indications (Athènes)
2. Message sur tesson avec des indications (Athènes) Découverte, contexte : tesson provenant d’un dépôt céramique très riche trouvé en 1932, lors des fouilles de l’Agora d’Athènes (secteur G 6:3), dans un puits, utilisé comme dépotoir par les boutiques de potiers des environs, à partir du tout début du Ve s. Il faisait partie d’un groupe de six fragments de kylix à figures rouges de la fin du VIe s., dont la partie supérieure était décorée d’athlètes. Support, mise en page : petite partie du bord du vase (fr. a), de forme trapézoïdale (dim. max. 4,8 cm). Sur la partie externe on voit la tête, les épaules, une partie du corps et des bras d’un jeune homme nu, qui est probablement en train de lancer le disque et qui porte une couronne. Le graffite, sur trois lignes, se trouve sur la face interne, à vernis rouge : sur la première ligne, la lecture est difficile, plusieurs lettres étant définitivement endommagées par l’érosion du vernis. La partie gauche a été conservée, le bas est complet et il reste autant d’espace que celui qui a été utilisé pour graver le message, preuve que l’expéditeur n’a pas souhaité écrire davantage ; la seule demande concernait donc les objets mentionnés dans la partie manquante du tesson, à droite. On peut supposer qu’avant la cassure le tesson choisi avait une forme triangulaire. Coupe non-syllabique en fin de ligne (ll. 2–3). Dialecte : attique. Le o long ouvert et la fausse diphtongue ou sont notés par omikron. Simplification des géminées (l. 2, ἄλōς) ; l. 2, κανς pour καινς. Paléographie : lettres finement inscrites, notamment vers la fin du message ; ht. des lettres : 0,3–0,4 cm. Alphabet ionien (cf. lambda), pi à la deuxième haste plus courte, sigma à quatre branches. Date : ca. 500. Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (inv. P 1265). Éditions : Agora XXI, p. 8, n° B2 (M. Lang, 1976, avec trad. angl.) (cf. Ch. Delvoye, AC, 52, 1983, p. 524, avec trad. fr.) ; cf. Jajlenko 1984, p. 196 ; Oikonomides 1986, p. 51–52, n° 9 (avec trad. angl.) (cf. SEG XXXVI 124) ; Ceccarelli 2013, p. 351, n° 36 (avec trad. angl.). Bibliographie : Vanderpool 1946, p. 279, n° 32 ; Nieddu 1985, p. 83 n. 6 (avec trad. it.) ; Lang 1988, p. 10 (avec trad. angl.) ; Várhelyi 1996, p. 49 ; Pébarthe 2006, p. 81–82 (avec trad. fr.) ; Petrucci 2008, p. 5 (avec trad. it.) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 58 (A6) ; Decourt 2014, p. 54, n° 16 (B2) (avec trad. fr.) ; Keegan 2014, p. 32, n° G2.5 (avec trad. angl.) ; Dana 2016, p. 99. Illustrations : Vanderpool 1946, p. 279, fig. 32 (dessin) (et ph. de la face externe, Pl. XXIX) ; Lang 1976, Pl. 2 (dessin) ; Oikonomides 1986, p. 51 (dessin) ; Lang 1988, p. 10, fig. 22 (dessin) ; Decourt 2014, p. 73, fig. 9 (dessin). Note sur l’édition : ce bref message, signalé avec un dessin par Vanderpool (1946) et publié pour la première fois par Lang (1976), a été trop généreusement restitué par Oikonomides (1986). Fiche et photos du Musée de l’Agora.
Fig. 5. Photo du tesson (face externe, iconographie).
2. Message sur tesson avec des indications (Athènes)
Fig. 6. Photo du tesson (face interne, graffite) (Pl. I).
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Fig. 7. Fac-similé du tesson.
Παῖ, τς φαλα+[---] ἄλōς κα(ι)νς κα[ὶ? ---]ας φόρει. vac. 1 ΦΛλα [ forma Vanderpool : ΦΑΛΙΑ [ forma Lang || 1–3 τι Φαλά[νθοι] | ἄλος κα〈ι〉νὸς κλ[ιντρ]|ας Lang : Φαλία[ι μεγ]|άλōς κανς κα[ὶ hιμάντ]|ας Oikonomides.
Garçon, porte d’autres [----] nouveaux et [---]. L. 1 : on reconnaît le type d’adresse au vocatif παῖ, bien connu dans les sources littéraires, pour s’adresser aux enfants et aux esclaves16 ; dans ce corpus, voir mon interprétation similaire de la l. 2 de la première lettre en boustrophèdon de Berezan’ (23). Notre message était sans doute destiné à un esclave. || L’éditrice Mabel Lang avait restitué e.g. le sobriquet Φάλανθος (« Le chauve ») (Traill, PAA XVII 914265), au datif17. Alkiviadis N. Oikonomides propose Φαλίας d’après le dessin donné dans le corpus des graffites de Mabel Lang, nom après lequel il propose de restituer le début de l’adjectif μέγας à l’accusatif pluriel. Si Φάλανθος est un nom bien attesté à Athènes18, Φαλίας n’y est jamais attesté. Si ma propre lecture exclut ces deux propositions impliquant un nom de personne, il est difficile de proposer un terme convenable pour le mot mutilé. Le mot qui suit le vocatif παῖ est sans doute l’acc. pl. τς (= τούς), puisque la troisième lettre n’est certainement pas un iota, mais plutôt un sigma. Il s’agit de l’article qui précédait le mot désignant les objets à apporter par l’esclave. L. 2 : on remarque l’usage du lambda-1 ionien, avec la première haste verticale et la deuxième haste plus courte19, ainsi que d’un sigma à quatre branches qui, à cette date précoce, est exceptionnel. À l’instar du o long ouvert, la fausse diphtongue ou est notée par omikron, comme il apparaît dans la graphie des deux adjectifs à l’acc. pl. (cf. déjà la l. 1). || Dans ἄλōς, on note la simplification des géminées. || L’omission du iota dans la diphtongue αι, notée, dans l’adjectif καινς, par le simple alpha, n’est pas une exception dans les inscriptions attiques20. || À la fin de la ligne, Oikonomides préfère lire un alpha au lieu d’un lambda choisi e.g. par Lang (qui Voir Dickey 1996, p. 65–72. Et ailleurs : « The writer was preparing for a symposium like that illustrated on a contemporary vase, if it is right to restore the word beginning kappa-lambda as klinterus or couches. Phalanthos’ name is also restored, but it is not essential to the sense. The message was written on the inside of a rim fragment from a red-figured kylix, just a handy piece of the ancient Athenian equivalent of scrap paper » (Lang 1988, p. 10). 18 15 occurrences, notamment entre le Ve et le IIIe s. (cf. LGPN II 440). 19 LSAG², 1990, p. 325. 20 Voir Threatte, Grammar, I, 1980, p. 269 (qui pense plutôt, pour les graffites, à une inattention du graveur lors de la notation des diphtongues). 16 17
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
propose une restitution problématique, κλ[ιντρ]|ας), et restitue la particule de coordination entre ce qu’il suppose être un premier lot d’objets et le second, ce qui est préférable. L. 3 : φόρει, instruction qui confirme qu’il s’agit d’un message. Commentaire : Les difficultés de compréhension de ce bref texte viennent des problèmes de restitution causés par la perte de la partie droite du tesson. Dans sa première publication et description du tesson, Eugene Vanderpool donne un fac-similé21 qui semble orienter davantage vers les solutions proposées par Mabel Lang, dont le fac-similé est pourtant légèrement différent : à la première ligne, il transcrit ΠΑΙΙΟ ΦΛΛΑ [, alors que dans le corpus de Lang la fin de la ligne est transcrite, sur le fac-similé, ΦΑΛΙΑ [. En accord avec ses restitutions, M. Lang traduit de la façon suivante : « Boy, bring other new couches for Phalanthos »22. Oikonomides, en revanche, change de manière substantielle le texte, puisqu’il préfère restituer Παῖ, τι Φαλία[ι μεγ]|άλōς κανς κα[ὶ hιμάντ]|ας φόρει. Par conséquent, sa traduction change aussi, mais elle ne s’éclaire qu’après la lecture de son commentaire : « Boy, put on Phalias big baskets and leather-straps ». Il explique ainsi que pour l’activité commerciale du marché du Céramique, de nombreuses marchandises étaient transportées à l’aide d’animaux. Dans notre cas, il s’agirait d’un ordre donné à l’esclave de quelqu’un qui possédait un animal de traite, un cheval ou un âne appelé Phalias, que l’esclave devait charger de grands paniers et de sangles (ou lanières) en cuir. Il remarque toutefois la forme inhabituelle, au masculin, de ce qu’il considère comme le substantif au pluriel κανοῖ, à la place de celle attendue, à savoir le neutre κανᾶ23. Comme souvent, les restitutions d’Oikonomides sont téméraires, et même si la lecture était correcte, il serait peu probable que le message précise explicitement le nom d’une bête plutôt que d’une personne. Suivant la lecture que je propose, aucun nom de personne n’apparaît après le vocatif. L’expéditeur anonyme enjoint à l’esclave de lui apporter certains objets, que la perte de la partie droite du tesson nous empêche de connaître. Il doit s’agir d’un message similaire à celui de la « maison de Thamneus » (1).
3. Message sur tesson d’Arkésimos à Eumèlis (Athènes)
3. Message sur tesson d’Arkésimos à Eumèlis (Athènes) Découverte, contexte : tesson de la paroi d’une amphore de stockage non-vernie, découvert le 6 mai 1939 avec d’autres matériaux céramiques24. Trouvé dans un puits avec un remplissage surchargé qui contenait en majorité de la vaisselle en bonne condition, dans un contexte daté ca. 490–450 (Agora d’Athènes, secteur F 19:4). Support, mise en page : forme pentagonale, dimension max. 8,9 cm. Le graffite de trois lignes est gravé sur la face externe du tesson. Conservé presqu’intégralement, à l’exception de l’angle supérieur droit où, d’après la disposition générale des lettres, il n’y avait de la place que pour une seule lettre. Le bas et le haut sont entièrement conservés, deux tiers de l’espace offert par le tesson ne sont pas utilisés, preuve que l’expéditeur n’a pas souhaité écrire davantage et que le message se réduisait aux trois lignes qui composent ce billet envoyé à la hâte. Les mots ne sont pas coupés en fin de ligne. La deuxième ligne semble avoir été gravée entre les ll. 1 et 3, en caractères plus petits. Traces d’autres lettres (gribouillages ?) dans la partie inférieure du tesson. Dialecte : attique. Le o long ouvert et le e long ouvert sont notés par omikron, respectivement epsilon. Paléographie : lettres assez profondément gravées ; ht. des lettres : 0,4–0,7 cm (ll. 1, 3) ; 0,3–0,4 cm (l. 2). Alphabet attique (à l’exception du Η utilisé comme voyelle longue aspirée) : lambda crochet (), rhô triangulaire (avec appendice), sigma à trois branches (). Notons un omikron rectangulaire (l. 3)25. Date : ca. 475–450. Vanderpool 1946, p. 279, n° 32. D’autres traductions : « Esclave, apporte à Phalantos d’autres lits nouveaux » (Pébarthe 2006, p. 81–82) ; « Boy, bring to Phalantos other new beds » (Ceccarelli 2013, p. 351, n° 36). 23 Oikonomides 1986, p. 51–52, n° 9 (« Transportation problems… »). 24 Du même contexte provient la paroi d’une amphore de stockage non-vernie (Agora P 15209), avec une liste de 7 noms (M. Lang, dans Agora XXI, n° D39, dessin Pl. 9 ; H. R. Immerwahr, AVI 497) datant de la même époque (alphabet mixte, alors que la forme des lettres est plus archaïque par rapport à notre graffite). 25 Date : deuxième quart du Ve s. (Lang) ; ca. 450 (Immerwahr, AVI 496). 21 22
3. Message sur tesson d’Arkésimos à Eumèlis (Athènes)
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Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (inv. P 15208). Éditions : Agora XXI, p. 9, n° B7 (M. Lang, 1976, avec trad. angl.) [cf. Jordan 1978a, p. 93 (avec trad. angl.) ; cf. Jajlenko 1984, p. 196 (avec trad. russe) ; cf. SEG XXVIII 42] ; Koumanoudis/Matthaiou 1986, p. 190–191, n° 3 (avec trad. gr.) ; Wachter 2007, p. 488 n. 32 ; AVI 496 (H. R. Immerwahr, 2009) ; K. Tsonga, dans Stampolidis/Tassoulas 2009, p. 177, n° 46 (avec trad. angl.) ; Ceccarelli 2013, p. 351, n° 37 (avec trad. angl.). Bibliographie : Nieddu 1985, p. 83 n. 6 (avec trad. it.) ; Lang 1988, p. 14 (avec trad. angl.) ; Immerwahr 1990, p. 106, n° 729 ; Signes Cordoñer 2004, p. 99 ; Pébarthe 2006, p. 82 (avec trad. fr.) ; Matthaiou 2008, p. 114, n° 176 ; Petrucci 2008, p. 5 (avec trad. it.) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 58 (A7) ; Decourt 2014, p. 54, n° 16 (B7) (avec trad. fr.) ; Keegan 2014, p. 33, n° G2.7 (avec trad. angl.) ; Dana 2016, p. 99. Illustrations : Agora XXI (M. Lang, 1976), Pl. 2 (dessin) ; Lang 1988, p. 14, fig. 35 (dessin) ; Signes Cordoñer 2004, p. 100, fig. 11 (dessin) ; Matthaiou 2008, p. 114, fig. 176 (ph. et dessin) ; K. Tsonga, dans Stampolidis/Tassoulas 2009, p. 177 (ph.) ; Decourt 2014, p. 73, fig. 10 (dessin). Note sur l’édition : graffite publié pour la première fois par Lang (1976), avant d’être repris, parfois avec des lectures et des interprétations différentes, notamment par Jordan (1978, autopsie), Wachter (2007) et Immerwahr (2009). Autopsie, fiche et photo du Musée de l’Agora.
Fig. 8. Photo du tesson (Pl. I).
Fig. 9. Fac-similé du tesson.
Εὐμλίς, ἧκ[ε]· ς τάχος· Ἀρκέσιμος. 1 Εὐμελίς Lang edd. : Εὐμλίς Wachter || ἧκ[ε] Lang, edd. : ἡκ[έτο?] Jordan : h()κ[ε] Wacht. : ἧκ[ō] sugg. Jördens || 2 ὁς Lang edd. : (h)ōς Wacht. : ς Immerwahr || 3 « Abresimos » Lang 1988.
Eumèlis, viens aussi vite que possible ! Arkésimos26. L. 1 : au-dessus des deux premières lettres a été gravé un gamma attique. || L’alphabet est attique à l’exception du Η utilisé comme voyelle longue aspirée – « but that may possibly be syllab for he. Or mixed alphabet ? », se demande Henry R. Immerwahr (AVI 496, comm.). || Pour ἧκ[ε], forme d’impératif, voir une construction similaire chez Aristophane, Pax 275 : ἧκέ νυν ταχύ, « et reviens vite »27. La dernière lettre étant perdue, on peut également envisager que l’expéditeur parle de lui-même, en annonçant sa prochaine arrivée : ἧκ[ō] (suggestion D’autres traductions : « Eumelis, come as quickly as you can. Arkesimos » (Lang) ; « Eumélis, arrive aussi vite que possible. Arkésimos » (Pébarthe) ; « Eumelis come as quickly as possible. Arkesimos » (Ceccarelli). 27 Cf. aussi Aristophane, Lys. 924 : ἧκέ νυν ταχέως πάνυ. 26
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d’Andrea Jördens). || David Jordan, qui avait inspecté personnellement le tesson, préfère voir dans Eumèlis l’expéditrice, ajoutant qu’on aurait attendu le vocatif Εὐμλί ; Arkésimos serait alors le sujet d’un verbe, peut-être ἡκ[έτο?]28. Rudolf Wachter propose, en revanche, le texte suivant : Εὐμλίς, h()κ[ε] | (h)ōς τάχος!| Ἀρκέσιμος ; et explique : « Das Fehlen der Anfangsaspiration in ὡς – falls nicht am abgebrochenen Zeilenende ein Heta stand ‒ erklärt sich durch Dissimilation. Wenn wir im Männernamen metrische Dehnung des [e] (falls er richtig gelesen ist) und vorher eine syntaktische Zäsur akzeptieren, könnte unser ‹Telegramm› ein iambischer Trimeter sein. Nur so kann Langs attraktive Interpretation der von Immerwahr vorgebrachten Kritik (in CAVI) : ‹The problem is that the ancients do not sign letters on the bottom›, standhalten »29. Le nom Εὐμλίς (Traill, PAA VII 439432 ; LGPN II 177), où le e long ouvert est noté par epsilon, est la variante féminine d’Εὔμηλος, bien attesté en Attique30 ; son unique attestation dans le monde grec est livrée par notre tesson. L. 2 : cette ligne semble avoir été rajoutée après réflexion, quand les deux autres étaient déjà gravées. Les caractères sont en effet plus petits et comme compressés entre les deux lignes principales, ce qui a modifié l’aspect de la l. 3 : le rhô a été peut-être corrigé, le kappa semble présenter une haste horizontale superflue en haut31. La formule ς τάχος (= ὡς τάχος) (cf. LSJ, s. v. τάχος 2) devait être fréquente dans les messages32 ; on en trouve des variantes dans trois lettres sur plomb du corpus : 22 (l. 4 : ὅτι τάχους), 23 (l. 2 : [ὠς τά]χιστα) et 67 (l. 13 : ὠς ἂν δύνηται τάχιστα). L. 3 : le rhô dans la graphie du nom Ἀρκέσιμος présente un petit appendice. Le message fournit la seule attestation attique de ce nom rare (Bechtel, Personennamen 74)33 ; ailleurs, il n’est attesté qu’à Érétrie (IVe–IIIe s.) et à Camiros (Rhodes, ca. 268) (LGPN I 80). || Quelques lettres adventices furent gravées sur le même tesson : en-dessous du kappa, un epsilon ; dans la partie laissée vide, on aperçoit à droite un chi et en bas un rhô ainsi qu’une ligne verticale (un iota ou la haste verticale d’une autre lettre). Commentaire : Il s’agit d’un message dicté à toute évidence par une urgence, comme le prouvent les mots gribouillés à la hâte dans l’espace laissé libre entre les deux lignes que le billet comportait au début. On ne peut pas savoir quels rapports existaient entre Eumèlis, la femme destinataire du message, et Arkésimos, qui semble avoir été l’expéditeur ; comme le suggère H. R. Immerwahr, ce graffite « may be amatory », donc à caractère érotique. La signature d’Arkésimos a interpellé les commentateurs, tel le même Immerwahr (AVI 496, comm.). L’écriture est assez maladroite, sans doute pas celle d’une personne qui avait l’habitude d’écrire tous les jours, mais qui la pratiquait suffisamment pour savoir s’en servir, le cas échéant. Le contenu est bref, le but de message est très précis. Bien qu’Arkésimos eût assez de place sur le tesson qu’il avait choisi pour donner d’autres indications, il ne le fait pas et se contente de rajouter une ligne pour insister seulement sur l’urgence de la situation. Cette petite phrase rajoutée entre le corps principal du message et le nom propre serait une preuve, à mon avis, qu’il a réellement signé son billet, car la signature devrait arriver à la fin du message.
4. Message sur tesson de Sôsinéôs à Glaukos, accompagnant un paquet (Athènes) 4. Message sur tesson de Sôsinéôs à Glaukos, accompagnant un paquet (Athènes)
Découverte, contexte : tesson découvert en 1933 lors des fouilles de l’Agora d’Athènes, dans un égout polygonal qui contenait beaucoup de céramique fragmentaire (secteur J 13–14:1), dans un contexte céramique du dernier quart du Ve s. Support, mise en page : le graffite de cinq lignes a été gravé sur la face interne de la paroi d’un skyphos à vernis noir, sans décoration, avec l’anse conservée (6,5 cm). Le tesson de forme presque rectangulaire (3,7 × 5,2 cm) semble avoir été brisé avant la gravure ; même si le bas a été légèrement endommagé, il ne devait pas être beaucoup plus grand que le fragment qui a été retrouvé. Le graveur a choisi le tesson à dessein pour son message (voir comm.) et a utilisé tout l’espace disponible ; Jordan 1978a, p. 93 (cf. SEG XXVIII 42). Wachter 2007, p. 488 n. 32. 30 LGPN II 177–178 et II.A 68 (26 occurrences). 31 D’où le nom-fantôme « Abresimos » dans la traduction de Lang 1988, p. 14. 32 Cf. un graffite symposiaque du milieu du Ve s. de Nikonion, au nord de la mer Noire, avec l’impératif [---]ς ἔκπιν’ ὡς τάχο[ς] (Vinogradov/Tohtas’ev 1998, p. 27–28 n. 20 ; cf. SEG XLVIII 1008). 33 LGPN II 64 (pour la famille, cf. LGPN II 63–64 et II.A 26) ; Traill, PAA III 202925. 28 29
4. Message sur tesson de Sôsinéôs à Glaukos, accompagnant un paquet (Athènes)
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ainsi, le dernier mot fut inscrit en suivant la marge ovoïdale, le message étant donc complet (cf. comm.). Par ailleurs, aux ll. 1 et 5, la dernière lettre a été omise par le graveur, faute d’espace. Les mots ne sont pas coupés en fin de ligne. Dialecte : attique. Le o long ouvert est noté par le simple omikron ; la fausse diphtongue ei est notée par un epsilon. Paléographie : lettres assez profondément gravées, mais en plusieurs temps (par ex., le dernier omikron de la l. 1) et avec quelques graphies hésitantes, de dimensions assez inégales (0,4–0,8 cm). Alphabet ionien, d’après la forme du gamma et du lambda ; epsilon avec la haste verticale dépassante en haut (et forme particulière à la l. 5, similaire à un bêta) ; pi crochet (?) ; sigma à quatre branches ; upsilon sans haste verticale (). Comme le remarque H. R. Immerwahr, l’alphabet n’est pas strictement ionien, car l’ômega n’est pas utilisé : l’omikron légèrement ouvert dans Γλαύκōι n’est pas un ômega, étant donné que le nom de Sôsineôs est écrit aussi chaque fois avec omikron. Il rapporte l’observation de D. M. Lewis sur le fait que l’epsilon de la dernière ligne (l. 5) a l’apparence d’un bêta, ce qui pourrait indiquer une influence étrangère34. Date : ca. 425–400. Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (inv. P 2022). Éditions : Agora XXI, p. 9, n° B9 (M. Lang, 1976, avec trad. angl.) [cf. Jordan 1978a, p. 93 (avec trad. angl.) ; cf. SEG XXVIII 41] ; J. et L. Robert, BÉ, 1977, 122 (cf. SEG XXVI 67)] ; Oikonomides 1986, p. 49, n° 6 (avec trad. angl.) (cf. SEG XXXVI 121) ; Koumanoudis/Matthaiou 1986, p. 191, n° 5 (avec trad. gr.) ; Jordan 2003, p. 25 n. 3 ; Jordan 2007, p. 1364 ; AVI 272 (H. R. Immerwahr, 2009, avec trad. angl.) ; Ceccarelli 2013, p. 352, n° 38 (avec trad. angl.). Bibliographie : Lang 1988, p. 14 (avec trad. angl.) ; Immerwahr 1990, p. 121, n° 847 ; Vinogradov 1997, p. 327 et n. 20 ; Jordan 2000a, p. 97 ; Pébarthe 2006, p. 82 (avec trad. fr.) ; Jordan 2007, p. 1365 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 59 (A9) ; Ceccarelli 2013, p. 44 ; Harris 2013, p. 116 n. 34 ; Decourt 2014, p. 54, n° 16 (B9) (avec trad. fr.) ; Keegan 2014, p. 32, n° G2.6 (avec trad. angl.) ; Balke et alii 2015, p. 288 (avec trad. all.) ; Dana 2016, p. 99 ; Sarri 2018, p. 40, 55. Illustrations : Agora XXI (M. Lang, 1976), Pl. 2 (dessin) ; Oikonomides 1986, p. 49 (dessin) ; Lang 1988, p. 14, fig. 37 (dessin) ; Immerwahr 1990, Pl. 40, fig. 167 (ph.) ; Decourt 2014, p. 73, fig. 11 (dessin). Note sur l’édition : graffite publié pour la première fois par Lang (1976) ; d’autres variantes de lecture et d’interprétation, concernant la dernière ligne, ont été proposées par Jordan (1978, 2003, 2007), qui avait inspecté le tesson, et Oikonomides (1986). Autopsie, fiche et photo du Musée de l’Agora.
Fig. 10. Photo du tesson (message) (Pl. I).
Σōσίνεō(ς) ἐπέστλε Γλαύκōι ἐς ἄστυ ἔνδεσμο(ν).
4
34
Immerwahr 1990, p. 121, n° 847 ; Idem, AVI 272.
Fig. 11. Fac-similé du tesson.
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Fig. 12. Photo de l’anse (a).
Fig. 13. Photo de l’anse (b).
1 Σοσίνεο(ς) Lang, edd. : Σōσίνεō[ς] Immerwahr : Σοσίνεο〈ς〉 Jordan 2003, 2007 || 2 ἐπέστελε Lang, edd. : ἐπέστε(ι)λε Oikonomides : ἐπέστλε Imm. || 3 Γλαύκοι Lang, edd. : Γλαύκōι Imm. || 4 ἐς ἄστυ· Robert || 5 ἐν δεσμ[ι] Jord. 1978, 2007 : ἐν δεσμ Jord. 2003 : ἐν δεσμο|[τερίōι] Oik. : ἔνδεσμο[ν] Lang, Imm.
Sôsinéôs a envoyé un paquet à Glaukos, dans la ville. L. 1 : le nom de notre Σōσίνεō(ς) (= Σωσίνεως)35 est attesté encore deux fois à Athènes par des inscriptions, avec la même graphie Σōσίνεōς (cf. LGPN II 417) : une fois à l’époque archaïque (ca. 575–550, IG I² 999 = IG I3 1195), une autre fois vers 500–480 (IG I² 671 = IG I3 690 = Raubitschek, Dedications 42). L. 2 : l’aoriste du verbe ἐπιστέλλω peut paraître surprenant car on attendait une forme de présent (voir comm.) ; la fausse diphtongue ei est notée par un epsilon. L. 3 : Γλαῦκος (Traill, PAA IV 275995) est un anthroponyme banal à Athènes (LGPN II 93–94 et II.A 38, en tout 81 occurrences), comme dans le reste du monde grec. L. 4 : ἐς pour εἰς. || L’expéditeur se trouvait donc quelque part en Attique. L. 5 : l’absence de la consonne finale36, alors que l’omikron est lui-même gravé de manière décalée par rapport à la ligne, a mené à plusieurs restitutions du dernier mot : il a été ainsi considéré soit un accusatif du mot ἔνδεσμος (qui signifie « paquet », « lien », renvoyant à quelque chose qui peut être enroulé, empaqueté, attaché), soit comme le datif du mot δεσμός précédé de la préposition ἐν, soit enfin comme la première partie du mot δεσμωτήριον, au datif, également précédé de la préposition ἐν ; cette dernière restitution impliquerait l’existence – improbable – d’une sixième ligne. Commentaire : L’éditrice Mabel Lang se demandait dans une publication ultérieure à son corpus s’il s’agissait d’une étiquette ou d’un message. Elle remarque la forme du support choisi, qui est suggestive : « The sherd for another message (…) seems to have been selected with care : it is the handle and adjacent wall of a skyphos, so that in addition to a writing surface on the inside wall it provides a means of attachment. Therefore, it may well be that it served as a tag on the very bundle it mentions, giving the sender’s name as well as the address (‹in town›) of the recipient »37. Ce tesson avec l’anse complète avait donc été choisi à dessein par Sôsineôs, car il a pu être facilement attaché au paquet (ἔνδεσμος) envoyé à Glaukos. Étiquette d’envoi, le tesson reste aussi un message. En effet, même s’il devait accompagner un envoi matériel, ce tesson n’en est pas moins un message, écrit par l’expéditeur à l’intention d’un destinataire. Ce dernier devait recevoir en même temps le message et le colis.
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Traill, PAA XVI 862725. Cf. l’omission, faute de place, de la dernière lettre du nom de l’expéditeur (l. 1). Lang 1988, p. 14.
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Ce qui nous conduit à la conclusion qu’il s’agit d’une brève lettre est la présence du verbe ἐπιστέλλω. M. Lang considère ἔνδεσμος comme complément d’objet direct du verbe et traduit par « Sosineos sent a bundle to Glaukos in town ». Or, dans la notice consacrée au corpus de graffites dans le BÉ, J. et L. Robert attirent l’attention sur le fait que le verbe ἐπιστέλλω ne saurait être traduit de façon identique à ἀποστέλλω, qui signifie en effet « envoyer », mais bien comme « mander ». Pour eux, il faut découper le texte en deux parties : a) l’adresse, à savoir Σωσίνεο(ς) ἐπέστελε (ἐπέστειλε) Γλαύκοι ἐς ἄστυ ; b) le message proprement dit dont nous n’avons ici que le début qui commençait à la l. 5, avec le mot ἔνδεσμο[ν], et dont « la suite a disparu »38. En réalité, l’examen attentif du tesson39 montre, même s’il semble qu’un petit morceau s’est détaché dans la partie inférieure, que le texte est complet ; dans le dernier mot, ἔνδεσμο(ν), l’omikron a été gravé en suivant la marge ovoïdale du tesson40, alors que le ny a été omis, faute de place, tout comme le sigma final du nom de l’expéditeur (l. 1). Le tesson n’est brisé ni à droite ni à gauche, et ne contient pas plus d’un mot par ligne, à l’exception de la l. 4, qui comporte aussi la préposition (car elle était perçue comme formant une unité avec le nom). Il a été choisi aussi bien pour sa forme rectangulaire41, parfaite pour un bref message, que pour la présence de l’anse, entièrement conservée, et qui était sans aucun doute attachée au paquet. S’il faut écarter la possibilité d’une lettre qui continue vers le bas du tesson, il faut néanmoins retenir la suggestion des Robert concernant la traduction, puisqu’elle a en effet posé problème aux autres éditeurs et commentateurs42. H. R. Immerwahr traduit, en complétant l’information, par la formule suivante : « Sosineos to Glaukos : a bundle into the city (sc. I have sent) », ou bien en supposant un ordre, « send ». C’est cette dernière solution qu’adopte Chr. Pébarthe (« Sosinéos, envoie une bourse à Glaukos en ville »)43, sans pourtant tenir compte du temps verbal qui n’est pas un impératif mais bien un aoriste. En accord avec sa familiarité avec les defixiones et les lettres sur plomb, D. R. Jordan lit différemment la dernière ligne et traduit : « Sosineos sent a letter in (the form of) a scroll to Glaukos in town ». Je suis d’accord avec P. Ceccarelli sur le fait que la comparaison du δεσμός, compris comme « a scroll-like parcel », avec la defixio DTA 45 (ll. 2–3), Εὔανδρον [κ]ατα|δῶ ἐν δεσμ[ῶι] μο|λυβ[δίν]ωι κτλ., proposée par D. R. Jordan44, n’est pas opérationnelle, car le « desmos de plomb », étant donné le contexte, n’est un rouleau que de façon métaphorique45. Il reste toutefois à expliquer l’emploi du verbe ἐπιστέλλω, qui indique clairement un langage épistolaire, ou plus précisément une relation de correspondance (voir Synthèse historique, p. 348). Si l’on peut s’attendre, comme pour les lettres attiques de Lèsis (7) et de Pasiôn (*8), ou pour les lettres pontiques de Berezan’ (25), Patrasys (48) et Hermonassa (52), à une forme de présent, l’aoriste n’est pas exceptionnel non plus. Il apparaît à Athènes même, dans la lettre de Mnèsiergos, vers la fin du Ve et le début du IVe s., et représente l’une des plus anciennes attestations de ce qu’on appelle l’aoriste épistolaire (6, l. 2 : ἐπέστλε)46. Cette forme de passé, qui pointe, de l’avis de P. Ceccarelli, vers un récit plutôt que vers une lettre, montre en revanche que la lettre a été écrite du point de vue du destinataire47, qui devrait donc la recevoir postérieurement au moment où elle a été rédigée. Une certaine temporalité, sur laquelle je reviendrai dans le commentaire des autres lettres, est ainsi introduite dans le processus épistolaire – rédaction, réception et perception des faits – de façon délibérée. L’usage de l’aoriste trouve par ailleurs un parallèle dans un passage des Nuées d’Aristophane : « Au moment où pour venir ici nous étions prêtes à partir, la Lune, nous ayant rencontrées, nous chargea tout d’abord de dire J. et L. Robert, BÉ, 1977, 122 (proposition signalée dans SEG XXVI 67). Jordan 2003, p. 27 n. 9, qui précise qu’il avait inspecté le tesson, pense que le sigma final du nom de l’expéditeur Sôsinéôs est perdu ; en réalité, la marge gauche du tesson montre que le graveur n’a pas eu de place pour terminer le mot, et en fit de même à la fin de la l. 5. 40 Comme note Jordan 1978a, p. 93. 41 Les tessons choisis pour graver des messages et des lettres ont souvent des formes plus ou moins régulières (rectangulaires ou triangulaires), mais de proportions assez équilibrées. 42 Pour ces difficultés, voir Ceccarelli 2013, p. 352, n° 38 (cf. aussi p. 44 n. 81). 43 H. R. Immerwahr, AVI 272 ; Pébarthe 2006, p. 82. 44 Jordan 1978a, p. 93 (cf. SEG XXVIII 41) ; Jordan 2007, p. 1365. 45 Sur les katadesmoi, leur fonction et leur rapport avec les autres documents sur plomb, voir Ceccarelli 2013, p. 47–56. 46 Pour la répartition des formes verbales entre présent et aoriste, voir Jordan 2007, p. 1363–1364, en partic. p. 1364, avec référence au tesson de Sôsinéôs et la restitution de la dernière ligne au datif. 47 Ceccarelli 2013, p. 45. 38 39
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
le bonjour aux Athéniens et aux alliés, puis elle nous a dit qu’elle est courroucée (ἡ Σελήνη συντυχοῦσ᾿ ἡμῖν ἐπέστειλεν φράσαι, πρῶτα μὲν χαίρειν Ἀθηναίοισι καὶ τοῖς ξυμμάχοις· εἶτα θυμαίνειν ἔφασκε) que vous la traitiez indignement, etc. »48. En raison du sens du verbe ἐπιστέλλω dans ce passage et dans les autres documents mentionnés, il convient de lui donner le sens de « transmettre », « communiquer », « faire savoir », tout en gardant à l’esprit que la communication s’accompagne de l’envoi d’un objet réel, l’ἔνδεσμος, paquet auquel était attachée l’anse et le tesson porteur du message. Quant à la restitution et à la traduction proposées par A. N. Oikonomides, « Sosineos sent a letter to Glaukos who is now in the city’s jail »49, elle me semble aussi fantaisiste que celle qui concerne l’« âne » Phalias, dans le message 250.
5. Lettre sur plomb envoyée à Gnathios, trouvée sur la Pnyx (Athènes)
5. Lettre sur plomb envoyée à Gnathios, trouvée sur la Pnyx (Athènes) Découverte, contexte : lamelle de plomb trouvée en 1931 lors des fouilles gréco-américaines sur la colline de la Pnyx, dans un remblai associé à la IIIe période de la place de l’Assemblée (« above upper strosis »), ce qui donne comme terminus ante quem ca. 325. Support, mise en page : au recto, la partie supérieure et le côté gauche de la plaquette (5 x 4,2 cm ; ép. 0,1 cm) ont conservé les bords originaux, tandis que le bas et le côté droit sont endommagés ; les bords d’où des morceaux se sont détachés sont crantés. Au recto, plusieurs traces de lignes verticales vers l’extrémité droite, et d’autres marques d’une éventuelle pliure, certaines en diagonale (secondaires). Lettres inscrites avec un instrument pointu, sur une seule face ; le verso, anépigraphe, présente deux lignes intersectées et d’autres traces de lignes. Sept lignes sont conservées ; sur la dernière on peut apercevoir seulement la partie supérieure de six lettres. Les mots n’étaient pas coupés en fin de ligne, à l’exception peut-être des ll. 5–6 et 6–7 (sans coupe syllabique). Interponction immédiatement après ΘΕΟΙ (l. 1), sous forme de deux points superposés (:), suivie d’un espace vide sur toute la ligne. Mise en page soignée : les deux premières lignes, avec l’invocation et la formule épistolaire, sont légèrement décalées vers la droite. Le rédacteur s’est corrigé au début de la l. 3 (premier alpha). Dialecte : attique. La diphtongue ei est notée par epsilon ; conjonction conditionnelle ἤν (contraction de ἐάν) (l. 4) ; graphie ποει[.] (l. 7). Paléographie : lettres profondément gravées ; ht. des lettres : 0,2–0,4 cm. Alphabet réformé (ionien). Le ductus des lettres montre une tendance à la cursive (alpha, thêta, omikron, my, ny), ce qui suggère que le rédacteur écrivait couramment sur ce type de support. Lettres remarquables : deuxième haste de l’alpha parfois dépassante ; delta petit ; thêta avec un point ; kappa déconnecté (l. 2) ; ny avec la deuxième haste légèrement surmontée ; omikron petit ; sigma à quatre branches ; ômega « chapeau de gendarme ». Date : ca. 425–400. Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (Pnyx inv. M 46). Éditions : Raubitschek 1943, p. 10–11, n° 17 (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1944, 90) ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 16) (cf. SEG XLIX 325) ; Vinogradov 2000a, p. 326 (ll. 5–7) ; Jordan 2003, p. 33, n° VII ; Jordan 2007, p. 1359, n° VII ; Ceccarelli 2013, p. 352–353, n° 40. Bibliographie : Bravo 1974, p. 114, n° 4 ; Jordan 1980, p. 226 n. 9 ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (A.ii) ; Millett 1991, p. 260 ; Decourt 1993, p. 240, n° 12 ; Jordan 2000a, p. 92, n° 5 ; Henry 2001, p. 765 (A.2) ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (A2) ; Pébarthe 2006, p. 82 n. 94 ; Dana 2007a, p. 68 (A2) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 50 (A2) et 44–45 n. 62 ; Ceccarelli 2013, p. 44–45 ; Decourt 2014, p. 55, n° 18 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 226 ; Dana 2015a, p. 121 ; Bravo 2016, p. 44. Illustrations : Raubitschek 1943, p. 11, fig. 11 (dessin) ; Decourt 2014, p. 74, fig. 13 (dessin). Note sur l’édition : ce texte fut publié à peine une décennie après sa découverte, par Raubitschek (1943) ; l’éditeur précise que le plomb est corrodé et les lettres si peu visibles qu’elles auraient été très difficilement perceptibles sur une photograAristophane, Nu. 607–610. Oikonomides 1986, p. 49, n° 6 (« An informer’s report to his employer ») (cf. SEG XXXVI 121). Comme le notait O. Masson (BÉ, 1990, 372), les deux articles publiés par Oikonomides dans Horos (1986, 1988), dont le premier fut « trop longuement analysé dans SEG XXXVI, 115–135 », sont écrits « sur le même ton polémique et auto-satisfait », d’où l’injonction « caveat lector, pour les ‹lectures› comme pour l’‹index› final ». 50 Elle est pourtant adoptée par Harris 2013, p. 116 n. 34. 48 49
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phie, raison pour laquelle il a préféré fournir un fac-similé ; c’est ce dessin qui a été utilisé par tous les autres éditeurs pour la compréhension du texte. Le document fut immédiatement reconnu par les époux Robert (1944) comme étant une lettre privée et attira un demi-siècle plus tard l’attention de Vinogradov (1998, 2000), Jordan (2003, 2007) et Ceccarelli (2013), chacun avec des lectures et des restitutions différentes. Si pour Vinogradov la lamelle était complète, il est à présent évident que nous ne disposons que d’une partie, vraisemblablement la moitié gauche de la lamelle (sinon un tiers). Malgré les réserves de Raubitschek, la lecture sur l’original est possible et le fac-similé qui en résulte est légèrement différent. Autopsie, fiche et photos du Musée de l’Agora.
Fig. 14. Photos de la lamelle de plomb (recto et verso) (Pl. I).
Θεοί : vac. χαίρν καὶ ὑ[γιαίνν] Γναθίωι παρ[ὰ τοῦ δεῖνος]. Ἢν Ἀρίγνωτος [-----------] κατέθετο ΔΙΑ[----------- γ]ὰρ μένν [-------------------] Ν ποει[.] Υ[-----------------] [-----------------------------?]. v v
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Fig. 15. Fac-similé de la lamelle.
1 Θεοί Raubitschek : Θεογ[νήτωι] Vinogradov 1998 : Θεοί· vac. Jordan : Θεοί : Dana || 2 χαίρε(ι)ν καὶ [ Raub., Ceccarelli, Decourt : ὑγιαίνειν suppl. J. et L. Robert : χαίρε(ι)ν καί Vin. 1998 : χαίρειν καὶ [ὑγιαίνειν] Jord. : χαίρν καὶ ὑ[γιαίνν] Dana || 3 ΓΝΑ ex ΓΝΘ plumbum : Γναθίωι παρ[ Raub. (παρά? Raub., Cecc., Dec.) : Γναθίωι· παῖ[ς] Vin. 1998 : Γναθίωι ΠΑΙ[ Jord. (Ι/Γ/Κ/Μ/Ν/Π/Ρ) : Γναθίωι παρ[ὰ τοῦ δεῖνος] Dana || 4 ην Ἀριγνωτο[ Raub., Cecc., Dec. : ἦν Ἀριγνώτō Vin. 1998 : ΗΝ Ἀριγνωτο[ Jord. : Ἢν Ἀρίγνωτος Dana || 3–4 παρ|ῆν Ἀρίγνωτο[ς]? Cecc. || 5 κατέθετο δι[ Raub. edd. || 6 αρμενει[ Raub., Cecc., Dec. : ΑΡΜΕΝΕΙ[ Jord. || 5–6 [γ]|ὰρ μένν [ Dana || 7 αγκει[ Raub., Cecc., Dec. : αρκει[ Jordan (α/λ, ρ/γ, ι/μ/κ) : ποει[.] Υ[ Dana || 5–7 κατέθετο δι᾿| ἀρμένει|α ἐκει[ν‒] Vin. 1998 : κατέθετο δι᾿| ἀρμένει|α ἐκεί[ν‒] Vin. 2000.
Dieux ! Salut et vœux de bonne santé à Gnathios de la part d’Untel. Si Arignôtos [---] a déposé [---] rester [---].
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La mise en page de la lettre est remarquable : les deux premières lignes, avec une formule d’introduction unique dans ce corpus épistolaire (Θεοί), un signe d’interponction suivi d’un vacat et la formule épistolaire χαίρν καὶ ὑγιαίνν, sont décalées d’une lettre par rapport aux lignes suivantes. On retrouve des mises en page similaires dans d’autres lettres sur plomb : la lettre attique de Mnèsiergos (6), la lettre d’Hermaios de Panticapée (45) et la lettre d’Agathè (63). L. 1 : la formule Θεοί est habituellement attendue pour un décret et l’on peut être étonné de sa présence en tête d’une lettre (cf. comm.). Jurij G. Vinogradov restituait, quant à lui, un nom au datif, Θεογ[νήτωι], car il préférait voir dans la dernière lettre du fac-similé donné par Raubitschek la haste verticale d’un gamma et supposait que la ligne n’a pas été lue jusqu’au bout par le premier éditeur. Par ailleurs, le savant russe partait du présupposé que la plaquette était complète et que les lignes ne devaient pas être plus longues que ce qu’on voyait sur le fac-similé de 1943 ; ce présupposé est pourtant erroné (voir ci-dessous, Commentaire). Dans son édition et sur le dessin qui l’accompagnait, Raubitschek ne note pas les deux points superposés, bien visibles pourtant – par ailleurs présents sur le dessin de la fiche du Musée de l’Agora. Après l’interponction inscrite qui succède l’invocation Θεοί, un espace libre a été laissé par le graveur : l’invocation fait donc office d’en-tête du document. L. 2 : χαίρν, prescrit d’une lettre. || En fin de ligne, on aperçoit la partie inférieure d’une haste horizontale ; la restitution ὑ[γιαίνν] semble s’imposer afin de compléter l’adresse (cf. la lettre de Mnèsiergos, 6, l. 3). Le datif d’un nom de personne à la ligne suivante semble suggérer qu’il n’y avait pas d’autres mots à part ὑγιαίνν. L. 3 : la boucle du rhô n’apparaît pas sur le fac-similé de Raubitschek, où l’on peut voir seulement une haste verticale ; encouragé par ce détail, Vinogradov restitue le mot dans ce sens et y lit παῖ[ς]. Sur la lamelle, on aperçoit pourtant la boucle du rhô, ce qui conforte la lecture παρ[ά]. Cela nous aide à reconnaître le formulaire assez inhabituel de cette lettre : a) invocation ; b) adresse avec les séquences interverties, d’abord la formule χαίρν καὶ ὑγιαίνν, ensuite le nom du destinataire (au datif), suivi du nom de l’expéditeur au génitif construit avec la proposition παρά : τῷ δεῖνι παρὰ τοῦ δεῖνος. On retrouve cette inversion dans l’adresse interne d’une lettre sur plomb d’Olbia du Pont (26, l. 1), où il s’agit pourtant d’un datif suivi du nominatif : Λήνακτι Ἀπατριος. || L’anthroponyme Γνάθιος (Traill, PAA IV 279015), comme le remarque A. Raubitschek, sans être très répandu, est cependant bien attesté à Athènes, où il apparaît quinze fois à partir du dernier quart du VIe s. (cf. LGPN II 95 ; II.A 38, avec deux autres occurrences, dont notre cas). || Le nom de l’expéditeur au génitif, qui reste inconnu, comportait au moins 6 lettres. L. 4 : à la fin de la ligne, on observe un sigma (plutôt qu’un omikron ou un thêta), ce qui permet de reconnaître un nominatif, Ἀρίγνωτος, nom qui est attesté à Athènes six fois51. Si Vinogradov proposait de lire Ἀριγνώτō, avec la fausse diphtongue ou notée par le simple omikron, en le considérant comme déterminant du mot παῖ[ς] qu’il avait restitué à la ligne antérieure, Paola Ceccarelli préfère lire παρ|ῆν Ἀριγνώτο[ς], car à son tour elle a opté pour la solution des lignes courtes et d’un texte complet. || À la lumière du formulaire tel qu’il a été reconnu ci-dessus, le contenu de la lettre commençait en réalité à la l. 4 ; dans ΗΝ, il convient par conséquent de reconnaître la conjonction conditionnelle ἤν (contraction de ἐάν). Du fait qu’on ignore la longueur de la partie perdue, on ne peut pas exclure une séquence [περὶ τὴν ---]|ην, Ἀρίγνωτος κτλ. ; elle me paraît toutefois très peu probable. L. 5 : κατέθετο, ind. aor. moyen-passif, IIIe pers. sg., du verbe κατατίθημι. || διά ou δια[---] : les possibilités de restitution sont trop nombreuses. L. 6–7 : selon la lecture de Vinogradov, τὰ ἀρμένεια serait un diminutif pour τὰ ἄρμενα, « small tools or tackle of a ship » (outil ou matériel, en tout cas petite pièce d’un navire). Pourtant, non seulement ce diminutif n’est jamais attesté, mais cette graphie iotacisante serait étonnante à cette époque. Qui plus est, la dernière lettre conservée sur la l. 6 n’est pas un iota, mais un ny. Il est donc permis de lire, aux ll. 5–6, [γ]|ὰρ μένν [---], séquence qui était précédée sans doute d’une particule (οὐ, etc.) ; le verbe à l’infinitif présente la même graphie attendue que les deux infinitifs de l’adresse (l. 2). L. 7 : après ny (le dessin de l’editio princeps n’est pas fidèle), traces de plusieurs lettres : sans doute un epsilon (ou un gamma, ou un pi), un omikron (ou un thêta), un epsilon, un iota ou un kappa, une lettre perdue, un upsilon (?). Il est très tentant de restituer aux ll. 6–7 [---]|Ν ποει[.], pour ποεῖ/ποεῖς/ποεῖν. 51
La première fois chez Aristophane, Eq. 1278, cf. LGPN II 50 ; notre exemple, LGPN II.A 20 ; Traill, PAA III 161995.
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Verso Aucune lettre n’est visible sur la face B de la lamelle ; cette face présente deux lignes intersectées et d’autres traces de lignes (cf. le verso de la lettre sur plomb de Patrasys, 48). Pourtant, étant donné que la moitié de la plaque a été perdue, on ne peut pas exclure la présence d’une adresse gravée sur la partie externe de la moitié perdue, similaire à l’adresse externe de la lettre attique de Mnèsiergos (6). Commentaire : Le document reste difficile à interpréter, ou, pour reprendre l’expression de Raubitschek, « tantalizing ». La formule qui apparaît à la première ligne, Θεοί, pourrait représenter un écho des documents publics, comme les décrets, où l’on trouve l’invocation des dieux52 : on retrouve cette invocation habituelle de l’épigraphie officielle une seule fois dans une defixio attique, qui commence par Θεοί· Ἀγαθῇ τύχῃ53. Ajoutons également une liste de noms écrits à la manière du stoichèdon dans une grille gravée sur un ostracon de l’Agora, où l’« en-tête » θεοί est présent deux fois54. Cependant, trois autres lettres de notre corpus présentent une invocation, afin de mettre le message sous les meilleurs auspices : la lettre sur tablette d’argile de Thasos (15, l. 4 : [πρὸς?] τ Διὸς τ Πατρωί〈ō〉), la lettre opisthographe sur plomb de Myrmékion (46, A, l. 1 : Θεός· Τύχη) et la première lettre commerciale de Lattara (60, A, ll. 1 et 5 : Ὦ Ζήν). En revanche, le second mot conservé, χαίρν, est la formule de salutation habituelle avec laquelle commence une lettre : « the document may be simply that », écrivait Raubitschek. Pourtant, le premier éditeur hésitait à lui accorder le statut épistolaire, car selon lui les lettres n’étaient pas habituellement écrites sur plomb, à l’exception des demandes adressées aux oracles. Il concédait toutefois qu’il n’y avait pas de raison que ce matériau ne soit pas utilisé occasionnellement dans ce but. Si c’est vrai qu’au moment de la publication les lettres sur plomb étaient très rares, le document n’était pourtant pas unique, comme l’affirmait Raubitschek à la fin de son commentaire55 : la lettre de Mnèsiergos, retrouvée à Chaïdari en Attique (6), avait été publiée de façon détaillée en 1904 par A. Wilhelm, après une édition préliminaire de R. Wünsch en 1897. C’est toujours en 1904 que V. Latyšev avait de son côté publié la lettre d’Artikôn en provenance d’Olbia du Pont (ou de Berezan’), qui allait être bientôt rééditée par le même A. Wilhelm (30). La suggestion de restituer ὑ[γιαίνν] à la suite de χαίρν καί appartient à Jeanne et Louis Robert, qui ont rapproché cette formule de celle qui apparaît, en toutes lettres, précisément dans les lettres sur plomb de Mnèsiergos (6) et d’Artikôn (30)56. Ils citaient également une lettre très fragmentaire, qui venait d’être découverte à Agathè (auj. Agde), au sud de la Gaule, où ils rétablissaient à juste titre la séquence χαίρειν καὶ ὑ|[γιαίνειν] (63, B, ll. 5–6)57. En revanche, partant de l’hypothèse que la lamelle a été retrouvée presque complète, Vinogradov restituait une seule lettre à la fin de la deuxième ligne et considérait qu’à la dernière ligne il ne devait y avoir de place que pour deux lettres tout au plus. Il proposait ainsi de lire : Θεογ[νήτωι] | χαίρε(ι)ν καὶ | Γναθίωι· παῖ[ς] | ἦν Ἀριγνώτō,|5 κατέθετο δι᾿| ἀρμένει|α ἐκει[ν‒]58. Comme nous l’avons déjà vu, la lettre est sans aucun doute fragmentaire : la partie droite est perdue, vraisemblablement la moitié de la lamelle, ainsi que l’extrémité inférieure (on ignore si d’autres lignes étaient inscrites dans la partie inférieure perdue). Par conséquent, nous n’avons que la moitié du texte de la lettre : sur chaque ligne de la partie perdue il devait rester de la place pour un mot long ou moyen, ou pour deux mots brefs. Dans ce cas, les restitutions de Ju. G. Vinogradov deviennent caduques. Cela dit, au-delà de l’aspect matériel de la lettre, qui est incontournable, la syntaxe proposée par le savant russe était très maladroite, même si l’on accepte le préjugé que les auteurs des lettres n’étaient pas nécessairement habitués à écrire quotidiennement. Personnellement, je penche vers une pratique assez assidue de l’écriture « utile », qui servait à la communication à plu52 Gager 1992, p. 200–201, n° 102 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 44–45 et n. 62 ; Ceccarelli 2013, p. 44 et 350. Sur la présence de Θεός dans les en-têtes des inscriptions, voir Pounder 1975. En raison de la présence de cette formule, B. Bravo écrit : « si la lecture est correcte, pourrait ne pas être une lettre » (dans Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 226), mais un document attestant un acte juridique (Bravo 2016, p. 44). 53 Jordan 1985, p. 158, n° 18. 54 M. Lang, dans Agora XXI, 1976, p. 14, n° C21 (deuxième quart du Ve s.). 55 Raubitschek 1943, p. 11. 56 J. et L. Robert, BÉ, 1944, 90 ; cette solution fut adoptée par la plupart des éditeurs et commentateurs, à l’exception de Ju. G. Vinogradov. Pour cette formule épistolaire, voir Decourt 1993, p. 237–250 (p. 240, n° 12, pour notre lettre). 57 Lettre signalée par Grenier 1942, p. 288. 58 Vinogradov 1998, p. 154 n. 4, n° 16 (cf. SEG XLIX 325).
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sieurs niveaux sociaux. Aussi humbles que certains commentateurs considèrent les acteurs qui interviennent dans l’échange révélé par les lettres sur plomb et sur tesson59, on peut difficilement envisager qu’ils auraient pu placer le verbe entre les noms propres au datif, les autres constructions étant elles aussi assez curieuses. Comme nous l’avons déjà remarqué, la tendance vers l’écriture cursive dont témoignent plusieurs caractères de notre document montre en effet que son rédacteur écrivait régulièrement et rapidement sur le plomb – et vraisemblablement sur d’autres supports aussi. Concernant son contenu, la présence du verbe κατέθετο impliquerait pour Raubitschek une quelconque transaction financière. Il pensait que la lettre avait probablement été envoyée par Arignôtos à Gnathios. Si le destinataire semble en effet avoir été Gnathios, en raison de sa présence après la formule de salut60, l’expéditeur, dont le nom devait se trouver dans la lacune, n’est pas Arignôtos, bien que le dernier soit impliqué dans l’affaire. En raison de la perte de la moitié, au moins, de la lettre, on ne connaît pas la nature de cette transaction : était-il question du dépôt d’une somme d’argent ? Nous ne savons pas non plus où la lettre a été envoyée et de quel endroit d’Athènes ou de l’Attique. Elle a été perdue ou jetée par la suite sur la fameuse colline de l’assemblée athénienne, sans doute un certain temps après avoir rempli sa mission. À la lumière de mes propositions, et après avoir reconnu les séquences épistolaires, grâce également à la mise en page soignée, voici la structure probable de la lettre sur plomb retrouvée sur la Pnyx : I
(l. 1) invocation
Θεοί
II III
(ll. 2–3) prescrit : (a) formule épistolaire qui précède (b) le nom du destinataire (dat.) et de l’expéditeur (gén.) (ll. 4 sqq.) contenu – affaire d’Arignôtos
(a) χαίρν καὶ ὑ[γιαίνν] (b) Γναθίωι παρ[ὰ τοῦ δεῖνος] Ἢν Ἀρίγνωτος κτλ.
[IV]
(verso) adresse externe ?
?
6. Lettre sur plomb de Mnèsiergos (Athènes)
6. Lettre sur plomb de Mnèsiergos (Athènes) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte en 1888 en Attique, à Chaïdari (ancien dème d’Hermos), près de Daphni, à env. 7 km au nord-est d’Athènes, par Athanasios Sergios Rhousopoulos. Support, mise en page : plaquette de plomb (4 × 7 cm) brisée en deux, du fait qu’elle avait été pliée d’abord en deux sur elle-même. Grâce aux traces de pliage bien visibles, on peut reconstituer les opérations successives du rédacteur : (I) il a d’abord gravé le texte de la lettre sur la face interne ; (II) il a plié la lamelle sur elle-même, au milieu ; (III) il a replié un tiers du bord droit ainsi obtenu vers la gauche ; (IV) il a retourné la lamelle repliée avec un mouvement de rotation et a gravé l’adresse, centrée, dans le sens de la largeur. Opisthographe, la lamelle comporte le contenu sur la face interne (8 lignes), et l’adresse sur la face externe (4 lignes), écrite transversalement à la direction du texte gravé sur l’autre face (la moitié droite). Si l’adresse est parfaitement lisible, à l’intérieur la moitié droite est en grande partie abîmée par la corrosion et le texte est peu lisible, à l’exception des ll. 1–2 et en partie des ll. 3 et 7 ; la corrosion a beaucoup moins affecté la moitié gauche (ainsi, la fin de la l. 2). Les marges sont en revanche beaucoup plus crantées pour la moitié gauche, où les premières lettres des ll. 4–8 ont été affectées, de même que les caractères qui se trouvent le long de la cassure. On observe un espace laissé libre, qui marque les bords supérieur, gauche et inférieur. Mise en page soignée : sur la face principale, le nom de l’expéditeur est écrit en caractères plus grands (0,4–0,5 cm) que le reste du texte (0,3 cm), et les trois premières lignes, avec le prescrit, sont suivies d’un vacat ; sur l’adresse externe, les caractères sont encore plus petits (0,2 cm). L’adresse externe présente une coupe non-syllabique à la fin de la l. 1, alors que dans le texte de la face principale les mots ne sont pas coupés en fin de ligne. On note une seule interponction, sous forme de deux points superposés (:), à la l. 8. Dialecte : attique (l. 8, -τ- = -ττ- pour -σσ-). La diphtongue ei est notée par epsilon ; le o long fermé est noté par omikron. Crase : θυἰῶι (verso, l. 4). Oubli de deux lettres : εὐτελεστά(τα)ς (l. 7). Dissimilation du ny final avant l’occlusive aspirée chi (verso, l. 2 : τὸγ χυτρικόν).
Pébarthe 2006, p. 82–83. Eidinow/Taylor 2010, p. 50 (A2), se demandent s’il est le destinataire de la lettre ou bien celui qui devait recevoir les instructions. 59 60
6. Lettre sur plomb de Mnèsiergos (Athènes)
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Paléographie : alphabet réformé (ionien). Lettres profondément et régulièrement gravées. Lettres remarquables : thêta petit, avec un point ; ny avec la deuxième haste surmontée ; petit omikron ; sigma à quatre branches ; upsilon tantôt sans haste verticale (), tantôt avec une barre verticale ; phi à grande boucle ; ômega « chapeau de gendarme ». Le ductus suggère la rapidité de la gravure, en particulier pour l’omikron qui n’est parfois pas complètement fermé (l. 4) ou le my (l. 8). La forme des lettres et les traits linguistiques suggèrent une date vers le début du IVe s., voire la fin du Ve s. (A. Wilhelm). Date : fin du Ve–début du IVe s. Conservation : Staatliche Museen zu Berlin, Antikensammlung (Misc. 8608 ; inv. Y 2703). Éditions : DTA, p. II–III (R. Wünsch, 1897) ; Wilhelm 1904 (= Wilhelm 1984, p. 186–197) (cf. E. Bourguet, BÉ, dans REG, 19, 1906, p. 32) ; Crönert 1910, p. 157–158, n° I (avec trad. all. partielle) ; Witkowski 1911², Appendix A.1, p. 135–136 ; Deissmann 19234 (= 1908), p. 119–121, n° 1 (avec trad. all.) ; Syll.3 1259 (E. Ziebarth, 1920) ; Pfohl 1966 (= 1980²), p. 166– 167, n° 159 (avec trad. all.) ; Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 318–319 (avec trad. it.) ; Guarducci, Epigrafia greca², 1987, p. 376–377 (avec trad. it.) ; Jordan 2003, p. 32–33, n° VI (avec trad. angl.) ; Jordan 2007, p. 1358–1359, n° VI (avec trad. angl.) ; Ceccarelli 2013, p. 352, n° 39 (avec trad. angl.). Bibliographie : Anonyme, « Der älteste griechische Brief », Beilage zur Allgemeinen Zeitung, 1904, n° 180 (8 août), p. 263 (avec trad. all.) ; Latyšev 1904, p. 12 ; Gerhard 1905, p. 54 ; Zimmern 1911, p. 278–279 (avec trad. angl.) (= 19615, p. 284– 285 (texte gr., trad. angl.) ; Exler 1923, p. 107 ; Mayser 1934, p. 5 ; Hofmann 1935, p. 83–84 (avec trad. all.) ; J. et L. Robert, BÉ, 1944, 90 ; Van den Hout 1949, p. 32–33, 38, 140 ; Pfohl 1966 (= 1980²), p. 224 ; Vinogradov 1971, p. 78 ; Jordan 1980, p. 226 n. 9 ; Dover 1981, p. 19 (= Dover 1987, p. 21) ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (A.i) ; Millett 1991, p. 260 ; Millett 1993, p. 188 et n. 46 (texte gr., trad. angl.) ; Decourt 1993, p. 240, n° 11 ; Iglesias Zoido 1993, p. 202–204 (avec trad. esp.) ; Arzt 1994, p. 38 ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 15) ; Evans 1999, p. 197 ; Jordan 2000a, p. 92, n° 4 ; Henry 2001, p. 765 (A.1) ; Collins 2002, p. 282 (avec trad. angl.) ; Trapp 2003, p. 50–51 (avec trad. angl.) et comm. p. 198–199 ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (A1) ; Ceccarelli 2005, p. 40–41 ; Cordano 2005, p. 43 (avec trad. it.) ; Pébarthe 2006, p. 82–83 (avec trad. fr.) ; Klauck 2006, p. 19–21 (avec trad. angl.) ; Dana 2007a, p. 68 (A1) ; Muir 2009, p. 2 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 50 (A1) ; Ceccarelli 2013, p. 45 ; Harris 2013, p. 120–121 (avec trad. angl.) ; Decourt 2014, p. 54, n° 17 (avec trad. fr.) ; Dana 2016, p. 100, 105 ; Sarri 2018, p. 41, 123. Illustrations : DTA, p. II (dessin R. Wünsch, 1897) ; Wilhelm 1904, p. 95, fig. 50 (ph. de l’adresse) et p. 96, fig. 51 (ph. de la lettre) ; Deissmann 1923, p. 120, fig. 17–18 (ph. adresse et contenu) ; Lawn 1982, p. 123 (ph.) ; Sievernich/Budde 2000, p. 47, fig. 67 (ph.). Note sur l’édition : Partiellement déchiffré par Wünsch (1897, avec un dessin), ce document est devenu célèbre après la publication magistrale de Wilhelm (1904, avec des photos peu claires) comme « la plus ancienne lettre grecque ». Elle suscita aussitôt les interventions de Crönert (1910) et de Ziebarth (1920), ainsi que des spécialistes de la recherche néo-testamentaire, intrigués par la préhistoire épistolaire (Deissmann, entre autres). D’autres éditions à retenir : Guarducci (1974), Jordan (2003, 2007). Les photos de qualité qui m’ont été envoyées par le musée berlinois ont permis l’établissement du fac-similé et la confirmation des lectures de Wilhelm.
Fig. 16. Photo de la lamelle (recto) (Pl. II).
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
Fig. 17. Fac-similé de la lamelle (recto).
Fig. 18. Photo de la lamelle (verso, adresse externe) (Pl. II).
Fig. 19. Fac-similé de la lamelle (verso, adresse externe).
6. Lettre sur plomb de Mnèsiergos (Athènes)
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Μνησίεργος vac. 4
8
ἐπέστλε τοῖς οἴκοι vac. χαίρν καὶ ὑγιαίνν· vac. καὶ αὐτὸς οὕτως ἔφασ[κ]ε [ἔχν]. Στέγασμα εἴ τι βλεστε, ἀποπέμψαι ἢ ὤας ἢ διφθέρας ὡς εὐτελεστά〈τα〉ς καὶ μὴ σισυρωτὰς καὶ κατύματα : τυχὸν ἀποδώσω.
Verso (adresse externe) :
4
Φέρν ἰς τὸν κέραμον τὸγ χυτρικόν· vac. ἀποδναι δὲ Ναυσίαι ἢ Θρασυκλῆι ἢ θυἰῶι.
2 ἐπέστε(ι)λε Wünsch : ἐπέστειλε Ziebarth, Ceccarelli : ἐπέστελε Wilhelm, edd. (ἐπέστλε Guarducci, Decourt) || 3 χαίρε(ι)ν καὶ ὑγιαίνε(ι)ν Wü. : χαίρεν καὶ ὑγιαίνεν Wilh., edd. (χαίρν καὶ ὑγιαίνν Guard., Dec.) || 4 οὕτως εἶν[αι] Wü. : οὕτως ἔφασ[κ]ε [ἔχειν] Wilh., edd. ([ἔχν] Guard., Dec.) || 5 εἴτι [ἐτε]λ[έ]σ[α]τε … Wü. : εἴ τι βόλεστε Wilh., edd. (βλεστε Guard., Dec.) || 6 ΗΩ….. [γ]έρας Wü. : ἢ ὤας ἢ διφθέρας Wilh., edd. || 7 ΕΥΤΕΛΕΣΤΑΣ plumbum : εὐτελέστε[τ]α καὶ ….. Wü. (et ΣΙΣΥΡΩΤΑΣ forma) : εὐτελεστά〈τα〉ς καὶ μὴ σισυρωτάς Wilh., edd. (εὐτελεστά(τα)ς Zieb., Cecc. : εὐτελεστά〈τας〉 Jordan) || 8 [κ]αὶ κα(θ)᾿ ὑμᾶς [ἵνα] ὑ[μῖν] ἀποδῶ Wü. : καὶ κατύματα : τυχὸν ἀποδώσω Wilh., edd. Inscriptio – 1 φέρε(ι)ν Wü. : φέρεν Wilh., edd. (φέρν Guard., Dec.) || ε(ἰ)ς Wü. : ἰς Wilh., edd. : 〈ε〉ἰς Crönert : ἐς Jord. || 3 ἀποδο(ῦ)ναι Wü. : ἀποδναι Wilh., edd. || 4 ἢ (τῷ) ὑιῶι Wü. : θ᾿ υἱῶι Wilh. : θυἱῶι Zieb., edd. : θυἰῶι Jord., Cecc. 2005.
Mnèsiergos a envoyé par lettre aux gens de la maison salut et vœux de bonne santé. Il leur disait qu’il en est de même pour lui. Si vous voulez bien, envoyez-moi une couverture, des peaux soit de mouton soit de chèvre, les moins chères possibles et non travaillées, ainsi que des semelles de chaussures en cuir. Je rembourserai dès que j’aurai l’occasion. (Adresse :) À porter à l’atelier de pots en céramique. Remettre à Nausias, à Thrasyklès ou au fils. L. 1 : on constate une mise en page manifeste de la lettre, puisque la première ligne n’est occupée que par le nom de l’expéditeur, Mnèsiergos, en lettres plus grandes ; aux ll. 2–3 fut gravé le reste du prescrit, en deux séquences de dimensions similaires. Le reste des trois premières lignes n’est pas gravé. Les lignes suivantes, qui représentent le contenu à proprement parler, sont en revanche plus longues, sans que les mots soient coupés en fin de ligne. Si l’on exclut sa variante dorienne61, le nom Μνησίεργος n’est pas attesté en dehors de l’Attique, cité où il est connu par 7 occurrences (LGPN II 316) ; il faut ajouter le dérivé Μνησιεργίδης (LGPN II 316, une occurrence). L. 2 : le verbe ἐπέστλε, où la fausse diphtongue ei est noté par le simple epsilon, est une forme d’aoriste épistolaire qui sera discutée dans le commentaire. Notons le locatif τοῖς οἴκοι, qui sera remplacé plus tard par le datif, comme dans la lettre sur plomb d’Artikôn d’Olbia (30, ll. 1–2 : Ἀρτικῶν : τοῖς ἐν οἴκωι | χαίρειν)62 et dans la lettre sur tesson de Nikonion (21, l. 1 : Διονύσιος τοῖς ἐν οἴκω[ι] χαίρειν). On retrouve sporadiquement dans les papyrus épistolaires d’Égypte la formule καὶ τοῖς ἐν οἴκωι πᾶσι χαίρειν dans le praescriptum63, mais bien plus souvent elle est insérée dans la formula valetudinis64 ; elle se déplace par la suite (avec des variations) dans la partie finale de la lettre, à savoir parmi les salutations qui précèdent la formula valedicendi. 61 Le patronyme en béotien Μνασιόργιος à Tanagra (IG VII 538, l. 11, au IVe s.), avec un vocalisme -o- au second membre. L’anthroponyme était déjà connu en mycénien, *Mnāsiwergos (= *Μνᾱσίϝεργος), cf. Morpurgo 1963, p. 177, s. v. ma-na-si-we-ko ; Ventris/Chadwick 1973², p. 559 ; DMic, s. v. ma-na-si-we-ko ; Masson, OGS, I, p. 107–108 n. 74 ; García Ramón 2011, p. 221. Pour sa formation, voir Bader 1965, p. 93–94. 62 L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 64 (comm. au n° 25). 63 BGU VI 1296, ll. 1–2 (ca. 210) ; P. Tebt. III 949, l. 2 (IIe s.). 64 Avec des variations : P. Ryl. IV 592, l. 2 (fin du IIIe s.) ; UPZ I 59 et 160, l. 5 (en 168) ; P. Phrur. Diosk. 17, l. 5 (milieu du IIe s.) ; BGU VI 1301, l. 2 (IIe–Ier s.).
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
L. 3–4 : après la formule épistolaire χαίρν καὶ ὑγιαίνν, on note la présence de la formula valetudinis, car l’expéditeur, après avoir transmis ses amitiés, donne de ses nouvelles – καὶ αὐτὸς οὕτως ἔφασ[κ]ε [ἔχν] –, dans une série de sens similaire qui est par la suite bien attestée dans les papyrus. Le verbe ἔφασ[κ]ε est à l’imparfait, forme de passé épistolaire. La même formule χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν se retrouve dans les lettres sur plomb de la Pnyx (5, l. 2, avec --) et d’Agathè (63, B, ll. 5–6) ; pour son apparition, voir Synthèse historique, p. 345. L. 5 : στέγασμα désigne une couverture et pas un toit, comme l’avait cru Wünsch. || εἴ τι βλεστε est une formule de courtoisie qu’on trouve chez Platon (Protag. 317 C : εἴ τι βούλεσθε) et qui apparaît par la suite dans les papyrus d’époque impériale65 ; en latin, on la retrouve dans la correspondance de Cicéron66. L’on reconnaît facilement βλεστε pour βούλεσθε, où le o long fermé est noté par omikron, et la terminaison verbale -εστε, sans aspiration. Cette absence d’aspiration, qui caractérise ordinairement le grec du Nord et de l’Ouest, est sporadiquement attestée à Athènes, cf. IG II² 7826, Μικότε[ρ]ον Ἐπιστένο〈υ〉 Ὄαθεν. L. 6–7 : dans cette lettre attique, le mot διφθέραι signifie « peaux » (ici, de chèvre)67, alors que dans la lettre d’Apatorios à Léanax (26, l. 6) est attesté un diminutif au neutre pluriel, διφθέρια, dérivé de διφθέρα ; dans le contexte de la lettre pontique, le terme διφθέρια ne peut signifier que « registres ». || ΕΥΤΕΛΕΣΤΑΣ, haplographie pour le superlatif εὐτελεστάτας. || σισυρωτάς est un dérivé de σισύρα, pièce de peau de mouton ou de chèvre, utilisée pour la fabrication des manteaux. Dans la même famille, on connaît le nom d’un métier, σισυροποιός à Éleuthernai en Crète68, et συροποιός à Philippopolis, en Thrace (τέχνη συροποιῶν, pour un collège)69. Mnèsiergos prend le soin de préciser que les peaux demandées devaient être non-travaillées : le terme est attesté, avec ce sens, à plusieurs reprises chez Aristophane, par exemple Vesp. 738 (« une bonne fourrure ») et Aves 122 (« peau de fourrure »). L. 8 : κατύματα représente une graphie simplifiée (plutôt que fautive) de καττύματα, forme dialectale attique du neutre pl. κασσύματα. Chez Aristophane, le terme apparaît au sg. (Eq. 315 et 869), avec le sens « cuir » ou « morceau de cuir » (pour rapiécer ses chaussures), et au pl., avec le sens de « semelles de chaussures » (Acharn. 301)70. || τυχόν est une forme d’accusatif absolu71 ; on remarque le changement de personne par rapport au début du texte, car le futur ἀποδώσω est à la Ière pers. sg. Verso (adresse externe) : L. 1–2 : dans φέρν, qui est un infinitif employé à la place de l’impératif, la fausse diphtongue ei est notée par epsilon ; même notation dans les infinitifs de la l. 3, χαίρν καὶ ὑγιαίνν72. || Dans la séquence τὸγ χυτρικόν, on constate l’assimilation du ny final avant la consonne gutturale qui suit. || ἰς pour εἰς, s’il ne s’agit pas d’une faute, pourrait dénoter une prononciation phonétique, un iotacisme assez précoce. M. Guarducci donne un autre exemple de l’iotacisme en Attique : sur une tablette en pierre avec un exercice d’écolier datée de la fin du Ve s. ou du début du IVe s., le iota est noté à la place de l’êta dans les théonymes ΑΙΝΑ et ΑΡΙΣ et le nom ΔΙΜΟΣΟΕΝ[Ι]Σ (sic)73. || τὸν κέραμ|ον τὸγ χυτρικόν (l’adjectif est hapax) : il pourrait s’agir de la pratique athénienne courante d’utiliser le nom des biens ou de produits pour parler des différentes sections du marché où ces produits étaient vendus74 : il faudrait donc comprendre « atelier/échoppe/marché aux pots ». Pour χύτραι, cf. Aristophane, Lys. 557 : ταῖσι χύτραις καὶ τοῖς λαχάνοισιν, « la marché aux marmites et aux légumes » ; Pollux 7.163 : χύτρας δὲ καὶ χυτροπωλεῖα ἐκάλουν. A. Wilhelm suppose qu’il s’agit du marché de poterie d’Athènes et la lettre devait donc être livrée « dans le secteur des potiers », au marché d’Athènes ; mais cela peut Ainsi, εἴ τι βούλεσθε dans un papyrus du IIe s. ap. J.-C. d’Alexandrie (BGU XI 2070, l. 22). Trapp 2003, p. 54–56, n° 5 (lettre de Claudius Terentianus d’Alexandrie à son père, Claudius Tiberianus, début du IIe s. ap. J.-C., P. Mich. VIII 468, ll. 23–24 : si tibi videbitur), et p. 62–63, n° 8 (Cicéron, Ad. fam. 14.7 : si tibi videbitur). 67 Voir les références chez Wilhelm 1904, p. 99–100 ; et Chantraine, DELG, p. 287–288, s. v. διφθέρα. 68 SGDI 4957 = I. Cret. II, IX 9. 69 IGBulg III.1 916, l. 5 (époque impériale). Pour la famille, voir Chantraine, DELG, p. 1006, s. v. σισύρα. 70 Cf. aussi Schol. Aristoph. Plut. 663d : « καττύματα » λέγονται τὰ μικρὰ τμήματα τῶν σκυτῶν ἢ τῶν ὑφασμάτων ἃ διὰ τὸ εὐτελὲς καὶ ἄχρηστον ῥίπτουσιν οἵ τε σκυτοτόμοι καὶ οἱ ῥάπται. 71 Pour cette expression, voir Wilhelm 1904, p. 100. 72 Voir Threatte, Grammar, II, 1996, p. 469. 73 SEG XLI 37 A ; voir Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 319, 343 n. 1 (l’iotacisme en Béotie) et 371–372. 74 Voir Karvonis 2007, p. 39. 65 66
6. Lettre sur plomb de Mnèsiergos (Athènes)
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être une référence également à un atelier ou à un marché ailleurs (cf. comm.). Ce type de précisions supplémentaires dans l’adresse externe est bien attesté dans les papyrus75 ; Wilhelm citait déjà l’adresse de P. Oxy. II 300 verso (Ier s. ap. J.-C.), εἰς τὸ γυμνάσι(ον) Θέωνι Νικοβούλ(ου) | ἐλεοχρείστηι (sic). L. 3–4 : dans la graphie du verbe ἀποδναι, on remarque le o long fermé rendu par le simple omikron. Ce verbe est naturellement très fréquent dans les papyrus, y compris dans les adresses/résumés du verso. || La forme de datif de la IIIe décl. en -ης est Θρασυκλῆι (pour Θρασυκλεῖ), comme souvent dans les inscriptions athéniennes. || θυἰῶι est une crase pour le datif τῷ υἱῷ. À l’instar du nom de l’expéditeur Mnèsiergos76, les autres anthroponymes présents dans l’adresse externe sont bien attestés à Athènes : Θρασυκλῆς (42 occurrences) et Ναυσίας (13 occurrences)77. Commentaire : La lettre de Mnèsiergos est la première lettre grecque sur plomb publiée et étudiée en tant que lettre privée, alors que ce matériau était habituellement attribué aux defixiones et considéré comme propre aux messages destinés aux divinités infernales. L’identification est confirmée par le prescrit et également par l’adresse que la lamelle comportait sur la face externe, similaire aux adresses plus développées de la lettre sur plomb d’Achillodôros à son fils et à Anaxagorès (25, verso : Ἀχιλλοδώρō τὸ μολί|βδιον παρὰ τὸμ παῖδα | κἀναξαγόρην) et d’une des lettres sur plomb d’Emporion (68, verso : Ατιελαρ[– ---]|+ΣΗΣΑΣΑ[---] | ἄνδρα NΑ[---]). Dans le cas de Mnèsiergos, la lettre devait être portée dans un endroit précis, que l’expéditeur et le porteur de la missive connaissaient bien, et confiée à l’une des trois personnes nommées : Nausias, Thrasyklès et un certain « fils ». Une interprétation différente est proposée par E. Harris, selon lequel ce sont les objets sollicités dans la lettre qui doivent être portés à ces trois personnages, censés les lui faire parvenir ou les garder jusqu’à ce qu’il puisse passer les chercher78. Or, s’il y avait des instructions à donner concernant les objets en question, celles-ci auraient figuré dans la lettre proprement dite et non pas sur la face externe, qui est habituellement réservée à l’adresse ou au résumé79. La confusion est créée, dans le cas présent, par le fait que le destinataire collectif (les gens de son oikos) mentionné à l’intérieur, dans le praescriptum, n’est pas formellement identique aux destinataires qui apparaissent à l’extérieur, dans l’adresse ; la correspondance est plus claire dans le cas de la lettre d’Achillodôros (25). Or, les trois hommes nommés dans l’adresse, qui travaillaient dans le κέραμος χυτρικός, devaient faire partie des proches de Mnèsiergos, inclus dans la formule τοῖς οἴκοι. Le « fils » pouvait être, le plus probablement, le fils de Thrasyklès, qui est cité avant lui, mais on devrait aussi envisager la possibilité qu’il s’agisse du propre fils de Mnèsiergos. L’endroit, désigné comme ὁ κέραμος χυτρικός, doit être mis en rapport soit avec un secteur du marché où était exposée la céramique proposée à la vente, autrement dit le marché de poterie80, soit avec un atelier où cette céramique était fabriquée et commercialisée81. Selon M. Guarducci, alors que Mnèsiergos se trouvait à la campagne, il a été surpris par une vague de froid ; il avait donc écrit à sa famille, qui devait habiter soit à Athènes, soit dans un dème en Attique, de lui envoyer les objets dont il a besoin : une couverture, des peaux non travaillées (afin de limiter la dépense), ainsi que de grosses semelles pour résister au froid et à la pluie ; il promettait, selon le commentaire de Guarducci, de « restituer l’argent », à savoir la valeur des objets, quand il aura l’occasion82. Pour un formulaire particulier, voir Llewelyn 1994 (formule εἰς (τὴν) οἰκίαν) ; Daris 2011 (avec des descriptions très détaillées, parfois sous la forme d’itinéraires, pour la distribution des lettres, cf. le terme grec σημασία). 76 Traill, PAA XII 655935. 77 LGPN II 228 et 326. 78 Harris 2013, p. 120–121. 79 Sous une forme plus ou moins développée, ou, parfois, comme une sorte de complément, comme dans le cas des instructions commerciales sur plomb de Lattara (60, verso : ἀπαιτῆσαι | κεῖθι γὰρ ἐ|λάην δύο ὀκ|τάνα). 80 Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 318 : « mercato delle pentole » ; Trapp 2003, p. 51 : « to the earthenware pottery » (trad. reprise par E. M. Harris) ; Pébarthe 2006, p. 83, et Decourt 2014, p. 54 : « là où l’on expose la céramique » ; Jordan 2003, p. 33 (et Jordan 2007, p. 1359) et Ceccarelli 2013, p. 352 : « into the pottery (district ?) ». 81 Deissmann 1923², p. 120 : « Töpferwerkstatt » ; Pfohl 1980², p. 166, hésite entre « Töpfermarkt » et « in die Töpferwerkstatt ? » ; Cordano 2005, p. 43 : « fabbrica di tegami ». 82 Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 319. 75
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Cependant, une autre hypothèse est possible. On peut supposer que Mnèsiergos était impliqué dans des affaires avec la céramique, mais pas seulement : en effet, seuls des articles en rapport avec le travail des peaux et du cuir sont demandés, sans doute pour être commercialisés, redistribués ou retravaillés83. Il sollicite l’envoi de quatre articles différents (στέγασμα, ὤαι, διφθέραι, κατ(τ)ύματα), s’engageant à rembourser au plus vite, sans doute dès qu’il sera rentré dans ses frais. Sur la base des rapprochements prosopographiques, les savants ont essayé d’identifier les personnages cités dans l’adresse à une famille athénienne du dème de Thria. Le stemma familial a été proposé par Johannes Kirchner pour trois générations : le père Ναυσικράτης, ses trois fils du nom de Ναυσίας, Θρασυκλῆς (coïncidence effectivement troublante) et Ἀγασικλῆς, ainsi que le petit-fils Καλλίδημος, fils de Thrasyklès84 ; dans la Prosopographia Attica, un certain Μνησίεργος Ἀθμονεύς, γραμματεὺς ταμιῶν τῆς θεοῦ en 398/397, serait, selon le même Kirchner, « fortasse idem »85 que celui mentionné dans la lettre. Sur la base de cette identification, Wilhelm Crönert pensait à un atelier de potiers du dème de Thria86. Si la chronologie permettrait, dans l’absolu, d’y voir dans le grammateus des trésoriers d’Athéna notre Mnèsiergos expéditeur de la lettre, il n’en est pas de même pour Thrasyklès, ἀναγραφεύς des archontes, qui vécut dans la seconde moitié du IVe s. Dans tous les cas, au-delà du problème soulevé par le décalage chronologique, il reste celui de l’inadéquation sociale. Il me semble évident que ces gens ne fréquentaient pas les mêmes cercles, quand on pense à l’atelier (ou marché) de poterie où la lettre devait être portée, et au contenu même de la lettre qui tourne autour de produits assez modestes. Ce n’est pas le même monde, et donc pas la même famille, bien que le dème de Thria ne soit pas loin – on peut dire même qu’il est assez proche – de celui d’Hermos où la lettre a été retrouvée ; en effet, Thria se trouve à une dizaine de km à l’ouest d’Hermos, à l’est d’Éleusis. Il convient donc de passer outre les coïncidences pour raisonner en fonction des données historiques concrètes. Mnèsiergos est un homme de la campagne ou des quartiers commerciaux, impliqué avec sa famille dans l’artisanat et le commerce. À vrai dire, nous n’avons aucun indice de l’endroit où se trouvaient respectivement Mnèsiergos et sa famille : lui à Athènes et la famille dans un dème, lui quelque part à la campagne et la famille en ville87, ou bien tous à la campagne ? Étant donné que la lettre a été retrouvée à Chaïdari, dans le dème d’Hermos, à 7 km au nordouest d’Athènes, on peut penser que la famille n’habitait pas très loin, en supposant également que la lettre est arrivée à la destination et qu’elle a été découverte in situ. D’autre part, elle aurait pu être déplacée et arriver par hasard dans l’endroit où elle a été découverte. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, qu’il se trouvât à Athènes ou qu’ils fussent tous à la campagne, la lettre, portée par une connaissance de Mnèsiergos, devait être remise à ses proches et associés. Si l’adresse externe comporte plus de précisions que le praescriptum présent à l’intérieur, c’est parce que les deux formules ont des fonctions distinctes : la première servait d’indice concret pour la livraison de la lettre, alors que la seconde comportait en plus une formula valetudinis destinée à la famille selon la pratique épistolaire naissante. La rédaction de cette salutation adressée à la famille a soulevé un certain nombre de questions. M. Guarducci attire l’attention sur l’oscillation entre le style écrit (le texte inscrit sur la lamelle) et la forme orale du message que le porteur était censé prononcer de vive voix quand il rencontrerait l’un des trois destinataires et lui confierait la lettre88. Cette oscillation s’explique par la variation entre la IIIe pers., à l’aoriste, et la Ière pers., au futur. P. Ceccarelli explique la transition entre l’ouverture narrative et le praescriptum formel de la À ce sujet, voir Dercy 2015. Dans la lettre sur plomb d’Agathè est mentionné un cordonnier (63, B, l. 3 : ὁ σκυτεύς). Kirchner, PA 10562, pour la famille (Kirchner, PA, II, p. 112) : le numéro correspond au père Nausikratès, mais Kirchner donne le stemma familial ; Nausias (Kirchner, PA 10543) et Thrasyklès (Kirchner, PA 7323). Voir pour les correspondances Traill, PAA XIII 701520 (ΝΑΥΣΙΑΣ « colleague of ΘΡΑΣΥΚΛΕΣ ΘΡΙΑΣΙΟΣ ») ; IX 517290 (ΘΡΑΣΥΚΛΗΣ ΘΡΙΑΣΙΟΣ, père de ΚΑΛΛΙΔΗΜΟΣ, peut-être le même que 517295) ; IX 517295 (ΘΡΑΣΥΚΛΗΣ ΘΡΙΑΣΙΟΣ, fils de ΝΑΥΣΙΚΡΑΤΗΣ, ἀναγραφεύς des archontes en 321/320, qui en 314/313 propose un décret pour accorder la citoyenneté à Asandros de Macédoine). 85 Kirchner, PA 10275. À l’époque, c’était la seule attestation, mais voir Traill, PAA, XII, p. 401 pour les personnes appelées Μνησίεργος attestés à Athènes. Traill (PAA XII 655935) cite l’expéditeur de la lettre sur plomb, mais ne l’identifie pas à Mnèsiergos du dème d’Athmonia, secrétaire des trésoriers d’Athéna, comme l’avait supposé Kirchner. 86 Crönert 1910, p. 157–158 ; voir aussi Jordan 2007, p. 1359 (la référence serait faite peut-être « to the Thriasian pottery district or market »). 87 C’est la question que se sont posées Eidinow/Taylor 2010, p. 50 (A1). 88 Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 319. 83 84
6. Lettre sur plomb de Mnèsiergos (Athènes)
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façon suivante : la forme ἐπέστλε renvoie plutôt à un récit qu’à une lettre89, alors que le présent du même verbe est utilisé dans quatre autres lettres, celles de Lèsis d’Athènes (7), d’Achillodôros de Berezan’ (25), de Pistos de Patrasys (48) et de Klédikos d’Hermonassa (52). Pour cette raison, P. Ceccarelli est amenée à penser que la lettre a été écrite par quelqu’un d’autre : Mnèsiergos aurait expliqué à celui qui écrivait ce qu’il voulait dire, qui reproduisait ses paroles à la IIIe pers., à l’exception de la dernière phrase. Du formulaire très proche de la formula valetudinis qui apparaît plus tard (e.g. εἰ ἔρρωσαι, εὖ ἂν ἔχοι· κἀγὼ δὲ ὑγιαίνω, « si tu te portes bien, c’est bien ; moi aussi je me porte bien » ; εἰ ἔρρωσαι ὑγιαίνες καὶ αὐτὸς δ᾿ ὑγίαινον)90, on peut supposer que la personne qui écrit au nom de Mnèsiergos a quelques notions de la façon dont il fallait écrire une lettre, mais parce qu’ici elle rapporte les mots de Mnèsiergos, elle a dû adapter les formules épistolaires à l’occasion91. Il ne me semble cependant pas nécessaire de supposer un intermédiaire. Dans son commentaire à la lettre d’Emporion la plus connue (67), R. A. Santiago propose à juste titre de considérer la forme verbale κελεύ (l. 7) comme la IIIe pers. sg. de l’indicatif, et non pas comme un impératif à la IIe pers. sg. Il n’est pas étonnant que l’expéditeur de la lettre se réfère à lui-même à la IIIe pers., puisque la lettre mentionnée n’est rien d’autre qu’une série de κελεύματα, à savoir des instructions données par l’expéditeur à son homme d’affaires d’Emporion92. L’explication la plus satisfaisante pour ce glissement d’une personne à l’autre est offerte par M. Van den Hout : si la « formule classique » qui entre en usage plus tard, ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν, est en général distincte du contenu, dans les lettres plus anciennes, comme dans celle de Mnèsiergos, le praescriptum contenant cette formule est en rapport avec le contenu. Par conséquent, si normalement, dans les documents plus tardifs, le praescriptum est à la IIIe pers. et le contenu proprement dit à la Ière pers., dans les lettres où les deux sont liés, la IIIe pers. peut être utilisée dans le contenu ; cela change au cours de la rédaction. Ainsi, si au début l’expéditeur écrit ἔφασκε, à la fin on voir apparaître le futur ἀποδώσω à la Ière pers.93. Les formes verbales ἐπέστλε et ἔφασκε sont de toute évidence des formes du passé, indicatif aoriste pour le premier verbe, imparfait pour le second. P. Ceccarelli remarquait, par ailleurs, cette occurrence ancienne de l’aoriste épistolaire, que B. G. Mandilaras explique comme une question de perspective, puisque l’expéditeur regarde sa lettre du point du vue dont le destinataire le fera plus tard94 ; les faits et les événements avaient déjà eu lieu, du point de vue du lecteur. Il n’y a donc rien d’étonnant dans l’emploi des temps passés dans les lettres, remarque T. V. Evans, qui ne considère pas le parfait épistolaire comme un passé en soi, mais bien comme un « parfait résultatif ». En effet, dans le cas d’une inscription ou d’une communication verbale, le temps de l’énonciation (« coding time ») est censé être identique à celui de la réception (« receiving time »). Or, les passés épistolaires en grec et en latin sont utilisés comme des conventions linguistiques pour préciser le déplacement du centre d’intérêt du narrateur ou de l’expéditeur, ainsi que du temps de l’énonciation, vers le destinataire et le moment de la réception95. On a déjà rencontré cette situation dans le message sur tesson de Sôsinéôs (4). La structure de la lettre sur plomb de Mnèsiergos la place dans une époque de fixation des formules épistolaires :
89 Pour le formulaire comportant le verbe ἐπιστέλλω, voir Trapp 2003, p. 37. Crönert 1910, p. 158, renvoie au passage d’Aristophane, Nu. 607–610 (cf. 4, le billet de Sôsinéôs d’Athènes). Selon Van den Hout 1949, p. 140, de la comparaison entre la formule rapportée par Aristophane et le praescriptum de la lettre de Mnèsiergos, on peut déduire que le message verbal peut utiliser la même formule que la lettre, et vice versa. 90 Voir Arzt 1994, p. 38. 91 Ceccarelli 2013, p. 45 ; elle n’exclut pourtant pas complètement la possibilité que ce soit Mnèsiergos qui écrit. Dans ce cas, le poids du début à la IIIe pers. et l’inclusion des vœux de bonne santé dans le praescriptum a pu rendre difficile le passage rapide à la Ière pers. 92 Santiago 2003, p. 169. 93 Van den Hout 1949, p. 32–33. Cette alternance entre la IIIe et la Ière pers. se rencontre également dans les épitaphes et les testaments. 94 Mandilaras 1973, p. 136 (§ 295) et 166–168 (§ 344–394). Certains verbes en particulier sont associés avec le langage épistolaire : à l’imparfait, ἀναγγέλλω, γράφω, εἰμί, ὑγιαίνω ; à l’aoriste, ἀποστέλλω, γράφω, κομίζομαι, πέμπω. 95 Evans 1999, p. 194–197 ; et p. 197, n° 4, pour la formula valetudinis de la lettre de Mnèsiergos.
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
(ll. 1–3) prescrit (l. 4) formula valetudinis (ll. 5–8) contenu (fournitures) (verso) adresse externe avec indication des destinataires
Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν καὶ αὐτὸς οὕτως ἔφασ[κ]ε [ἔχν] Στέγασμα εἴ τι βλεστε κτλ. Φέρν ἰς τὸν κέραμ|ον τὸγ χυτρικόν·| ἀποδναι δὲ Ναυσίαι | ἢ Θρασυκλῆι ἢ θυἰῶι
7. Lettre sur plomb de Lèsis à sa mère et à Xénoklès (Athènes)
7. Lettre sur plomb de Lèsis à sa mère et à Xénoklès (Athènes) Découverte, contexte : lamelle de plomb trouvée le 28 juillet 1971 (d’après la fiche du Musée de l’Agora ; en 1972, selon D. R. Jordan), lors des fouilles de l’Agora d’Athènes, dans un puits, près d’un autel orthostate situé dans un carrefour entre le Portique Royal à gauche et le Portique Peint à droite (secteur J 5:1). Dans le même puits on a retrouvé beaucoup de petites pièces en terre-cuite et en plomb, en particulier 15 defixiones du IVe s. Support, mise en page : tablette de plomb rectangulaire (5 x 23,1 cm), bien conservée ; toutes les marges sont quasiment intactes à l’exception du coin supérieur droit. Les bords sont légèrement crantés, avec des traces de perforage, ce qui montre qu’on a utilisé des ciseaux plutôt qu’un couteau pour couper le morceau de plomb. La lamelle est apparemment opisthographe. La face A, qui porte le texte proprement dit, présente 4 lignes profondément gravées ; à la fin de la première ligne a été laissé un espace vide, peut-être par souci de « mise en page ». Seule la moitié de l’espace disponible a été utilisée, afin de transmettre les informations essentielles, preuve de l’urgence de la situation. Sur les trois premières lignes, les lettres sont tracées avec des éraflures qui suggèrent l’usage d’un calame en roseau. Il était possible de l’utiliser pour écrire sur plomb, mais en général les stries servaient pour régler l’afflux d’encre, ce qui montre que le scribe avait l’habitude d’écrire sur du papyrus ou tout autre matériel qui accepte l’encre, peut-être également des tessons. Il semble qu’il taillait son calame de temps en temps (cf. la séquence finale ΩΙ dans le datif ΑΝΘΡΩΠΩΙ) : sur la dernière ligne, les lettres ne présentent plus de stries verticales. La lamelle a été retrouvée enroulée, avec la face inscrite à l’intérieur (la face A) ; elle a été enroulée à plusieurs reprises, de gauche vers la droite, ce qui explique l’endommagement partiel du bord droit, qui a été plus exposé, comme on le voit pour d’autres plombs enroulés. Sur la face B (à l’extérieur), on voit, à une brève distance du bord droit de la partie A et parallèle à celui-ci, une rangée de gribouillages effacés, assez réguliers, donc intentionnels. C’était sans doute le nom du destinataire suivi d’autres indications (l’adresse externe) qui ne sont plus lisibles, puisque le métal est corrodé à cet endroit. Sur la face A, les mots ne sont pas coupés en fin de ligne. Dialecte : attique. Le o long fermé est rendu par omikron ; la diphtongue ei est notée tantôt par epsilon (περιιδν, ἐλθν), tantôt par ei (ἐπιστέλλει), ce qui indique une époque de transition. Paléographie : alphabet réformé (ionien). Lettres remarquables : zêta avec barre verticale ; thêta avec un point ; xi avec barre médiane ; pi avec la deuxième haste plus courte ; sigma à quatre branches. Certaines lettres présentent des traits plus cursifs, en particulier à la dernière ligne (l. 4 : alpha, my, omikron). Date : début du IVe s. Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (inv. IL 1702). Éditions : Jordan 2000a (avec trad. angl.) (= SEG L 276) ; Jordan 2003, p. 33–34, n° IX (avec trad. angl.) ; Harris 2004 (avec trad. angl.) (= Harris 2006, p. 271–279 ; cf. SEG LIV 400) ; Jordan 2007, p. 1360, n° IX (avec trad. angl.) ; Harvey 2007a (avec trad. angl.) (cf. SEG LVII 294) ; Ceccarelli 2013, p. 353, n° 41 (avec trad. angl.). Bibliographie : Kroll 1977, p. 95 n. 29 ; Jordan 1980, p. 226 n. 9 ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (A.iii) ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 17) ; Henry 2001, p. 765 (A.3) ; Golden 2003, p. 14 ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (A3) ; Henrichs 2006, p. 59–60 (avec trad. all.) ; Herman 2006, p. 70–72 (avec trad. angl.) ; Pébarthe 2006, p. 83–84 (avec trad. fr.) ; Steinhart 2006, p. 49 (avec trad. all.) ; Dana 2007a, p. 68 (A3) ; Harvey 2007b, p. 357–358 ; Petrucci 2008, p. 3 (avec trad. it.) ; Thomas 2009a, p. 25 ; Eidinow/ Taylor 2010, p. 51 (A3) ; Villing 2010, p. 35 (avec trad. angl.) ; Hasaki 2012, p. 185–186 (avec trad. angl.) ; Ceccarelli 2013, p. 45–46 ; Harris 2013, p. 115–116 ; Decourt 2014, p. 38–39, 47 et 53, n° 15 (avec trad. fr.) ; Maffi 2014, p. 202–203 ; Dana 2015a, p. 120–121 ; Dana 2016, p. 98 ; Sarri 2018, p. 41, 55, 88 (avec trad. angl.). Illustrations : Jordan 2000a, p. 94, fig. 2 (ph. et dessin du recto), et p. 96, fig. 3–4 (ph. de détail du recto) ; Herman 2006, p. 71, fig. 2.9 (dessin du recto) ; Hasaki 2012, p. 186, fig. 9.13 (ph. et dessin du recto) ; Decourt 2014, p. 72, fig. 7 (dessin du recto) ; Dana 2015a, p. 325, fig. 4 (ph. du recto) ; Sarri 2018, p. 88, fig. 8 (ph. des deux faces).
7. Lettre sur plomb de Lèsis à sa mère et à Xénoklès (Athènes)
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Note sur l’édition : publication magistrale par Jordan (2000), suivie des commentaires de Harris (2004) et Harvey (2007). Autopsie (qui m’a permis d’observer les traces de lettres de l’adresse externe), fiche et photos du Musée de l’Agora.
Fig. 20. Photo de la lamelle enroulée.
Fig. 21. Photo de la lamelle (recto) (Pl. III).
Fig. 22. Fac-similé du texte de la lettre.
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Fig. 23. Photo de la lamelle (détail).
Fig. 24. Photo de la lamelle (détail).
Fig. 25. Photo de la lamelle (verso) (Pl. III).
7. Lettre sur plomb de Lèsis à sa mère et à Xénoklès (Athènes)
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Fig. 26. Fac-similé de l’adresse externe.
Λῆσις {ις} ἐπιστέλλει Ξενοκλεῖ καὶ τῆι μητρὶ μηδαμῶς περιιδν vac. αὐτὸν ἀπολόμενον ἐν τῶι χαλκείωι, ἀλλὰ πρὸς τς δεσπότας αὐτ ἐλθν καὶ ἐνευρέσθαι τι βέλτιον αὐτῶι. Ἀνθρώπωι γὰρ παραδέδομαι πάνυ πονηρῶι· μαστιγμενος ἀπόλλυμαι· δέδεμαι· προπηλακίζομαι· μᾶλλον μᾶ[λ]λον. vac.
4
Verso (adresse externe ?) : Λησ[ι– ---] [----------?]. 1 ΛΗΣΙΣΙΣ plumbum : Λῆσις {ις} Jordan || 2 vel ἀπολμενον || τὸς Jord., edd. || 4 μαστιγόμενος Jordan, edd. Inscriptio – Λησ[ι– ---] Dana.
Lèsis (?) envoie par lettre à Xénoklès et à sa mère de ne pas se montrer indifférents au fait qu’il est en train de périr dans la fonderie, mais qu’ils aillent voir ses maîtres et qu’il soit trouvé quelque chose de mieux pour lui. Car je suis livré à un homme très méchant ; je péris sous les coups de fouet ; je suis ligoté ; je suis couvert d’insultes ; encore et encore. (Adresse :) Lèsis (?) [---]. L. 1 : les trois premières lettres du nom de l’expéditeur sont plus grandes que les autres caractères de la ligne. Le nom même de l’expéditeur est le seul endroit de la lettre qui pose problème. Λῆσις (Traill, PAA XI 607705) est un nom nouveau et certainement pas attique, remarque D. R. Jordan, qui l’explique comme étant bâti sur le radical du verbe λῶ (att. θέλω), attesté en dorien ; il donne l’exemple du nom Λησίας, attesté à Mégalopolis en Arcadie, au IIe s.96. Selon le même D. R. Jordan, la répétition de la terminaison -ΙΣ est due probablement au fait que le nom n’était pas familier aux Athéniens ; il part pourtant du présupposé que la lettre a été écrite par quelqu’un d’autre que Lèsis (cf. comm.)97. Pour F. D. Harvey, il s’agirait plutôt d’une prononciation phonétique de Lysis, mais il n’apporte aucun argument en ce sens98. Une autre possibilité, que l’on ne peut pas exclure, est de ne pas corriger le nom, par lequel commençait par ailleurs la lettre, et de comprendre Λησισις, dont le caractère non grec est manifeste. La même année que la lettre athénienne sur plomb fut publiée une épitaphe grecque d’époque impériale d’Anazarbe (Cilicie), avec une onomastique indigène manifeste : Πνατης Τ|αρκονδι|μοτου Λη|σιν τὸν υἱό|ν μου μνή|μης χάριν (I. Anazarbos 594). Le nom anatolien Λησις, à son tour hapax (LGPN V.B 261), pourrait bien être à l’origine d’un dérivé Λησισις. Par convention, je continue d’utiliser la forme « Lèsis », tout en signalant son caractère problématique. || La forme à la IIIe pers., ἐπιστέλλει, est IG V.2 439, l. 31 (Λησίας Εὐδάμου), 36 et 77 (Εὔδαμος Λησία, sans doute son fils), cf. LGPN III.A 275. Des noms masculins en -ις semblent répandus en pays dorien (cf. Masson, OGS, II, p. 614). Cela a incité Jordan 2000a, p. 97, à supposer une origine dorienne du nom, qu’il compare au nom dorien Βῶλις, dérivé de βώλομαι [att. βούλ-], un synonyme proche de λῶ. 97 Voir aussi Jordan 2003, p. 27 n. 9 : ΛΗΣΙΣΙΣ au lieu de ΛΗΣΙΣ parce que le scribe aurait mal compris ce nom non-attique, prononcé avec un accent non-attique. 98 Harvey 2007a, p. 49 n. 7. 96
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attendue pour une lettre ; le verbe est ici au présent, à la différence de la lettre de Mnèsiergos (6, l. 2) et du message sur tesson de Sôsinéôs (4, l. 2), où il est à l’aoriste. Cette similarité signifie pour Jordan que les Athéniens étaient familiarisés avec ce type de formule épistolaire. || Dans περιιδν, où la fausse diphtongue est le résultat d’une contraction, le e long fermé est noté par epsilon, alors que ἐπιστέλλει et Ξενοκλεῖ présentent la diphtongue héritée. Pour l’expression μηδαμῶς περιιδν, Jordan renvoie à un passage de Démosthène : « que les Proconnésiens, nos alliés, suppliaient votre assemblée de leur porter secours et de ne pas les laisser périr » (καὶ μὴ περιιδεῖν ἀπολομένους)99. || Un espace vide a été laissé par le graveur après περιιδν. L. 2 : la forme ἀπολόμενον est soit un participe futur (contraction en -ου- de -λεόμ-), soit un aoriste (-λόμ-). || Dans αὐτ et ἐλθν, le o long fermé est noté par omikron et le e long fermé est noté par epsilon, puisqu’il s’agit de fausses diphtongues, résultat des contractions ; on constate le même traitement pour τς, où il s’agit d’un allongement compensatoire. L. 3 : ἐνευρέσθαι est la forme d’inf. aor. moyen-passif du verbe ἐνευρίσκω, qui n’est attesté dans les sources littéraires conservées que beaucoup plus tard100. Selon F. D. Harvey, dans la traduction du verbe ἐνευρίσκω, qui est très rare, il faut tenir compte de la préposition ἐν- et donc traduire « trouver ici » ; son hypothèse selon laquelle il s’agirait d’une graphie erronée du verbe ΕΥΡΕΣΘΑΙ101, comme pour ΛΗΣΙΣ (l. 1), est moins convaincante. L. 4 : si la première partie de la lettre est rédigée à la IIIe pers., la seconde partie, à partir de παραδέδομαι, est à la Ière pers. Les trois verbes suivants, ἀπόλλυμαι, δέδεμαι, προπηλακίζομαι, sont en asyndéton, pour marquer la progression et l’intensification. || μᾶλλον μᾶ[λ]λον, expression employée pour suggérer un phénomène qui s’amplifie graduellement. On la retrouve, par exemple, chez Aristophane (Ra. 1001, εἶτα μᾶλλον μᾶλλον ἄξεις), ou chez Euripide, où μᾶλλον δὲ μᾶλλον πρὸς πέτρας ᾔει σκάφος suggère le rapprochement de plus en plus dangereux du navire qui allait se fracasser contre les rochers102. Verso Des traces de lignes trop régulières pour être accidentelles sont visibles à l’extrémité droite, verticalement par rapport au texte qui se trouve sur la face interne. Ce sont, comme attendu, les traces de l’adresse externe, dont ne subsistent que les trois premières lettres du nom de l’expéditeur, à peine lisibles (autopsie) ; le même état déplorable de l’adresse externe concerne le verso de la lettre sur plomb de Patrasys (48). Commentaire : Même si le lieu de découverte pouvait laisser penser à une offrande votive déposée dans le puits près de l’autel orthostate, cette possibilité doit être écartée, de la même façon que d’autres objets trouvés au même endroit, comme les tablettes de defixiones et les insignes militaires en plomb, ne le sont pas. Selon David R. Jordan, la personne à laquelle Lèsis avait confié sa lettre l’avait jetée dans le puits103. Il convient toutefois d’envisager d’autres explications : que la lettre ait été égarée de manière fortuite, ou qu’elle soit bel et bien arrivée à destination et s’est retrouvée plus tard dans ce qui semble avoir été un dépotoir, avec d’autres objets. C’était par ailleurs le destin de la plupart des lettres sur plomb retrouvées de nos jours. Le nom de l’expéditeur, Lèsis, est au nominatif, et ceux des deux destinataires sont au datif. L’écriture est de bonne facture, la syntaxe est correcte et l’orthographe, à une exception près (s’il s’agit vraiment d’une répétition par erreur dans le nom de l’expéditeur), sans faute ; qui plus est, les lignes sont terminées par des mots entiers. Ces caractéristiques ont réveillé les suspicions de l’éditeur, qui suppose que la lettre a été écrite par un scribe professionnel104. Qui plus est, les lettres semblent avoir été tracées avec un calame en roseau, qui avait été taillé Démosthène, Or. 50.5. Flavius Josèphe, BJ 5.13.5 : ὀλίγοις δ᾿ ἐνευρίσκετο ; Aelius Aristide, Or. 28(49).13 : ἄν τι τοιοῦτον ἐνευρίσκῃ, μηδὲν τοῦ δοκοῦντος ἀληθοῦς εἶναι προτιθεὶς μηδαμοῦ ; et des auteurs chrétiens. 101 Harvey 2007a, p. 49 n. 6. 102 Euripide, IT 1406 ; voir aussi Photios, Lex., s. v. μᾶλλον μᾶλλον (Μ 76–77), où trois auteurs comiques sont cités (Alexis F 29 et 186 K.-A. ; Anaxilas F 31 K.-A. ; Ménandre F 555 K.-A.). Voir Stevens 1976, p. 17 (cf. en latin magis magis, en néogrec κάτω κάτω, et en français à qui mieux mieux). 103 Jordan 2000a, p. 93. 104 Bravo 1974, p. 117–118, soutient que la pratique qui consiste à ne pas couper les mots à la fin de la ligne caractérise les inscriptions gravées par les professionnels. Cette remarque a durablement influencé les éditeurs et les commentateurs des lettres privées publiées par la suite. 99
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7. Lettre sur plomb de Lèsis à sa mère et à Xénoklès (Athènes)
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à partir de la seconde moitié de la l. 3, comme D. R. Jordan l’a bien remarqué105. L’emploi de ce type de stylus pourrait suggérer que l’auteur avait l’habitude d’écrire sur le papyrus. Selon l’opinion commune, le fait que certaines lettres privées étaient à la IIIe pers. montrerait qu’il y avait une distinction entre le scribe et l’expéditeur ; le scribe aurait transcrit les mots du garçon tels qu’il les disait oralement. Dans le même sens, le fait que le praescriptum occupe la moitié de la lettre laisse l’impression, comme le suggère P. Ceccarelli, que quelqu’un d’autre aurait pu écrire pour le compte de Lèsis106. Or, comme je l’ai expliqué dans le commentaire à la lettre de Mnèsiergos (6), il s’agit d’un usage épistolaire précoce, qui consiste à privilégier la IIIe pers. dans le praescriptum, et de revenir à la Ière pers. dans le contenu. Par conséquent, si l’on considère également la tonalité désespérée et très personnelle que prend la lettre dans sa deuxième partie, il me semble plus probable que celle-ci ait été rédigée par son expéditeur même. Le praescriptum n’est pas suivi de la formula valetudinis, l’auteur entrant ex abrupto dans le vif du sujet. C’est une preuve que Lèsis, bien qu’ayant des connaissances des pratiques épistolaires, étant donné qu’il utilise le bon verbe et la bonne personne, se trouve dans une situation de détresse telle qu’il n’a pas le temps – ou l’état d’esprit – de procéder aux salutations de rigueur. Le début de la lettre est en effet rédigé dans un style indirect, comme le prouve l’infinitif περιιδν. Puisque la formule consacrée ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν se généralise au cours du IVe s. et la lettre a été rédigée au début même de cette période, on peut aussi penser que le formulaire n’était pas encore parfaitement mis au point. Il est toutefois difficile de trancher si c’est par méconnaissance des pratiques ou par désespoir que Lèsis implore, avec un certain reproche, l’aide de ses proches. Lèsis ne devait pas être plus qu’un adolescent : on peut préjuger de son jeune âge du fait qu’il appelle sa mère à la rescousse et qu’il se fait maltraiter dans l’atelier où il travaille. Les personnes auxquelles Lèsis s’adresse sont un certain Xénoklès107 et sa propre mère. Tous les commentateurs s’accordent pour dire que Xénoklès n’est pas le père du jeune garçon, sinon il ne l’aurait pas appelé par son nom. Le fait qu’il fasse appel à sa mère montre également que celle-ci était son seul parent en vie, car s’il avait eu un père, c’est lui qui devait traiter, du point de vue légal, avec ses maîtres. Autrement dit, s’il avait pu s’adresser à son père il est évident qu’il n’aurait pas écrit à sa mère108. Quant à Xénoklès, il peut être toute personne de sexe masculin disponible pour aider celle qui a l’air d’être une femme seule, veuve (ou jamais mariée) mais avec un enfant/adolescent à charge, en qualité de kyrios ou de prostatès : un (second) mari, un ami de famille, un parent (oncle), ou, pourquoi pas, le frère de Lèsis109. Pour F. D. Harvey, étant donné que la lettre est adressée conjointement à la mère et à Xénoklès, cela signifiait que ce dernier habitait à la même adresse que la mère ou que du moins ils étaient en contact permanent110. On a affaire à un milieu modeste – étant donné que Lèsis travaille à la forge, sa famille ne pouvait pas être riche. Pour résumer, Lèsis se plaint du mauvais traitement de la part de ses patrons, dans l’atelier où sa mère l’aurait placé pour acquérir l’aptitude de travailler le métal. Le χαλκεῖον en question n’est pas nécessairement un atelier de bronzier, car on utilisait le terme aussi bien pour ceux qui travaillaient l’or et le fer ; il est même possible que Lèsis ait travaillé dans l’une des trois fonderies fouillées dans l’Agora, qui datent du IVe s.111. Le fait qu’il demande qu’en accord avec ses maîtres, Xénoklès et sa mère lui trouvent quelque chose de mieux, signifie qu’il y avait un accord préalable, indifféremment du fait que Lèsis ait été un homme libre, apprenti dans un atelier, ou un esclave. S’il était esclave, il me semble exclu qu’il ait été l’esclave de Xénoklès, qui, dans ce cas, aurait conclu un contrat d’apprentissage en tant que propriétaire du garçon, ou en tant que représentant de ses propriétaires112. Xénoklès semble être un ami/proche de la famille, ou du moins de la mère ; Lèsis voit en lui non
Jordan 2000a, p. 96, fig. 3–4. Ceccarelli 2013, p. 45–46. 107 Traill, PAA XIII 731895. Ce nom banal est connu par une centaine d’occurrences à Athènes (LGPN II 345–346). 108 Les réserves de Sarri 2018, p. 88, ne me semblent pas justifiées : « The appellation ‹mother› does not imply necessarily blood relationships, since Lesis could have been a slave who wrote to his housemistress (?) for help ». 109 Suggestion de Leofranc Holford-Strevens à Ceccarelli 2013, p. 46 n. 84. 110 Harvey 2007a, p. 50. 111 Jordan 2000a, p. 97–98. 112 Cette solution a été envisagée par Jordan 2000a, p. 97, avant d’être rapidement abandonnée. 105 106
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pas un maître, qui pouvait se montrer coercitif, mais un espoir pour améliorer sa situation, en le faisant intervenir auprès de ceux qu’il appelle les δεσπόται. La plupart des attestations littéraires qu’E. M. Harris a réunies dans les utiles appendices de la fin de son étude montrent que, lorsqu’il s’agit d’un mortel auquel on applique ce terme (δεσπότης), celui-ci est un propriétaire d’esclaves ; parfois, le terme désigne un tyran ou le pouvoir impérial, mais ce n’est pas le cas dans ce document113. Deux exceptions, toutefois, à savoir deux passages d’Isocrate114, renvoient au sens de δεσπότης comme propriétaire de biens, d’un patrimoine. Cet argument permet à A. Maffi de comprendre ainsi δεσπόται dans le sens de « propriétaires de la fonderie »115, mais il reste assez discutable – surtout pour le premier passage d’Isocrate qui fait référence aux rois comme propriétaires des bonnes choses –, si la démonstration n’est pas renforcée par d’autres raisonnements. Alors, soit les δεσπόται de Lèsis, dans le sens de « propriétaires d’esclaves », ne sont pas les propriétaires de la fonderie, et ils le louent au maître (bronzier ou forgeron), le « méchant homme » nommé à la l. 3 ; soit les « maîtres » sont les propriétaires de l’atelier et le « méchant homme » n’en est que le gérant. Le statut de Lèsis a en effet mobilisé les efforts des commentateurs. Selon D. R. Jordan, s’il était esclave, la mère de Lèsis n’aurait pas eu de compétence légale dans l’arrangement avec les δεσπόται. Pour E. M. Harris, il n’y pas de raison de penser que Lèsis n’aurait pas demandé de l’aide à Xénoklès et à sa mère, même s’ils n’avaient pas de pouvoir légal sur lui : elle aurait pu faire appel aux sentiments116. Les deux exemples cités par Harris, dont le premier est plus connu, me semblent bien loin des réalités juridiques et sociales athéniennes : il s’agit de l’intervention de Thétis auprès de Zeus, à la demande de son fils Achille117. Par ailleurs, le raisonnement de Harris semble circulaire : en se demandant quel était le statut de la mère de Lèsis, il part de l’idée que si Lèsis était esclave (ce qui est précisément à prouver), c’est qu’elle l’était elle-aussi au moment de la naissance de son fils. Elle aurait pu être affranchie après, mais son fils aurait pu rester propriété des anciens maîtres de sa mère ; ou, si elle était encore esclave, elle aurait pu être vendue à un nouveau maître, peut-être ce Xenoklès à qui elle est associée dans l’appel de son fils118. Or, dans le cas présent, on est loin des enjolivements et ruses employés par les déesses dans l’Iliade pour dompter le maître des dieux. Dans l’Athènes du IVe s., Lèsis et ses maîtres (s’il était un apprenti libre) ou les maîtres de Lèsis et son employeur (s’il était esclave) étaient liés par contrat ; la mère pouvait intervenir seulement au cas où elle avait été impliquée dans l’établissement de ce contrat, donc le premier cas de figure, alors que si Lèsis avait été esclave elle n’aurait eu aucun mot à dire. Ainsi, il est évident qu’en envoyant la lettre, Lèsis attendait que les choses s’arrangent pour lui, à la suite de l’intervention de la mère. Il n’est bien entendu pas exclu, et c’est même probable vu la tonalité non-attique du nom de l’expéditeur, qu’ils soient d’anciens esclaves, maintenant affranchis et donc métèques, et que Xenoklès soit le prostatès de la mère ou des deux119 ; en tant que prostatès, il devait être présent dans tout litige concernant le contrat, d’où une explication possible de l’appel de Lèsis. Il est certain que si Lèsis devait travailler, qu’il soit esclave ou homme libre, le seul moyen d’acquérir un métier était de travailler dans un atelier120. En effet, les artisans pouvaient employer un jeune parent ou ami, des fils des hommes libres qui n’avaient pas d’autres moyens d’existence, ou bien des esclaves. Les maîtres des esclaves désiraient qu’ils apprennent un métier, qu’ils aient une bonne formation pour avoir plus de profit grâce à eux plus tard ; cela aurait pu être le cas de Lèsis s’il ne fallait pas prendre en considération l’appel à la mère. Il Harris 2004, p. 164–170 (= Harris 2006, p. 278–279). Il est suivi par Harvey 2007a, p. 49. E. M. Harris maintient son avis concernant le statut d’esclave de Lèsis dans son article récent (Harris 2013, p. 115–116). 114 Isocrate, Nicocl. 50 et Antid. 124. 115 Maffi 2014, p. 202–203. Pour Maffi, Lèsis est un jeune homme libre, qui s’adresse à sa mère (libre) et probablement à son second mari (ou oncle, ou grand-père maternel). 116 Harris 2004, p. 159 (= Harris 2006, p. 275). 117 Il. 1.407–412. 118 Harris 2004, p. 162–164 (= Harris 2006, p. 276–277), qui traite également de la situation familiale des esclaves dont les liens étaient rompus. 119 Voir aussi Eidinow/Taylor 2010, p. 51 (A3) ; Pébarthe 2006, p. 83–84, pense que Xenoklès serait le prostatès de la mère mais que Lèsis est un esclave, comme le propose E. M. Harris. 120 Les affranchis pouvaient exercer divers métiers, comme l’indiquent certaines φιάλαι ἐξελευθερικαί datant des années 350– 330, découvertes à Athènes (IG II² 1553–1578 = SEG XVIII 36) ; voir Meyer 2010. 113
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existait aussi la possibilité que l’artisan achète ses propres esclaves et travaille avec eux121. Grâce aux précisions apportées par les contrats sur papyrus, on voit que les propriétaires pouvaient mettre en apprentissage leurs esclaves, les tuteurs leurs pupilles, les parents leurs enfants. On peut constater deux types d’arrangements : l’apprenti rentre le soir chez lui, ou bien reste chez son patron jusqu’à la fin de l’apprentissage ; c’est ce dernier type de contrat que devait avoir connu Lèsis122. Si l’on tient toujours compte du fait que Lèsis était sous contrat – contrat sur lequel il n’avait de toute façon aucun mot à dire, car établi en son nom par ses tuteurs légaux – on peut comprendre pourquoi il ne pouvait pas s’en aller, tout simplement, au lieu d’écrire une lettre de détresse. D. R. Jordan invoque un parallèle fort intéressant, bien que plus tardif : la carrière de sculpteur de Lucien de Samosate, arrêtée, à vrai dire, avant de commencer. Lucien raconte, en employant le même verbe et la même construction (παρεδεδόμην τῷ θείῳ), ce qui lui était arrivé quand son père, qui n’était pas riche, l’avait envoyé dans l’atelier de son beau-frère, sculpteur, pour qu’il apprenne le métier. Ayant cassé le morceau de marbre que son oncle lui avait donné, par maladresse et parce qu’il avait frappé trop fort, le maître l’avait puni en le frappant avec un bâton. Le jeune apprenti s’était réfugié alors en larmes auprès de sa mère123. Le cadre et les conditions sont loin d’être similaires, si toutefois l’histoire n’est pas une simple anecdote : l’affaire se passe en famille, et il s’agit seulement d’une tentative échouée pour un jeune homme qui se cherchait, et non pas d’une véritable relation patron-employé, comme c’était le cas pour Lèsis. Le seul point commun est que l’un et l’autre se tournent vers leur mère, Lucien afin de trouver du réconfort, Lèsis, pour lequel le choix ne se posait pas, afin de trouver une meilleure place et d’arrêter de se faire maltraiter. L’un des arguments de Jordan pour lequel Lèsis ne pouvait pas être un esclave est que les esclaves dans l’antiquité étaient majoritairement illettrés, argument qui est relativisé par Harris. Si dans le principe je suis d’accord avec ce dernier que certains esclaves savaient lire et écrire, il me semble qu’il faut évaluer la situation cas par cas : les exemples d’esclaves publics, employés par l’administration de la cité, ne sont pas éloquents. Cette catégorie à part est formée et employée afin d’assurer le service public qui permet à la cité de séparer l’administration et l’exercice du pouvoir124. Je ne vois que peu de points de contact entre ces esclaves « de luxe » et l’apprenti forgeron, même si je ne nie pas la possibilité que des esclaves qui n’étaient pas des « fonctionnaires » de l’État aient pu être lettrés, formés par leurs maîtres afin de les aider dans l’administration de leur fortune : le célèbre Pasiôn avait été un esclave, et son affranchi Phormiôn aussi. Néanmoins, même si Lèsis ne fait pas partie de cette catégorie, il avait appris à écrire et à lire, suffisamment pour ne pas commettre de fautes. L’avis de Harris est partagé par Harvey, pour lequel, bien qu’esclave, Lèsis était lettré ; étant donné la nature confidentielle de la lettre et la panique du jeune garçon, il n’aurait pas confié à quelqu’un d’autre cette mission. D’autre part, en tant qu’esclave, il n’avait pas l’argent pour payer un scribe, puisqu’il aurait dû rendre un service en retour125 ; qui plus est, si Lèsis avait été esclave, lettré ou pas, il aurait été sans doute inutile pour lui d’écrire à sa mère ou à quiconque, afin de demander de l’aide. Il me semble qu’en tant qu’homme libre non plus, Lèsis n’aurait pas disposé des ressources pour payer une autre personne pour écrire à sa place. Jusqu’aux temps modernes, les apprentis ne recevaient pas de salaire, mais seulement un toit et de la nourriture, le salaire étant versé à leurs responsables légaux. Pour résumer, les circonstances mêmes de l’envoi, que Lèsis souhaitait sans doute garder loin du regard du maître, le confinement probable du jeune Lèsis qui aurait difficilement pu prendre contact avec un scribe, ainsi que les maigres ressources de l’apprenti, permettent de renforcer l’hypothèse qu’on est en présence d’un texte olographe ; il choisit la voie de la lettre précisément parce qu’il pensait avoir un recours possible. Pour Harris, il n’est pas nécessaire d’identifier le propriétaire de la forgerie avec les propriétaires de Lèsis, qui auraient pu le mettre eux-mêmes aux mains du propriétaire de la forgerie pour apprendre un métier ou pour Burford 1978, p. 87–91. Jordan 2000a, p. 99. 123 Lucien, Somn. 3. 124 Ismard 2015. 125 Harvey 2007a, p. 50. Si Lèsis semble avoir respecté les conventions épistolaires, la traduction de Harvey ne respecte pas le formulaire ancien : « Dear Xenokles and mother, I’m nearly dying in the foundry ! Please do something about it. Come to my masters and find something better for me here (?). I’ve been handed over to an absolutely dreadful man. I’m getting thrashed within an inch of my life ; I’m tied up ; I’m being treated like dirt – it’s getting worse and worse. Yours, Lesis ». 121 122
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payer une dette par le revenu résulté de son travail. Le propriétaire de la fonderie avait le droit de le punir – à savoir, le battre sans conséquences – en tant qu’esclave ; seulement s’il s’agissait d’un homme libre il y avait procès126. La seule option de Lèsis était de demander à ses maîtres de le mettre sous les ordres d’un autre artisan, plus clément127. Deux aspects s’y opposent, à mon sens : le premier est que, pour maintenir la discipline dans l’atelier, on avait souvent recours à des brutalités, indifféremment qu’il s’agissait d’un esclave ou d’un homme libre128 ; le second est l’emploi du pluriel δεσπόται, alors qu’on s’attend à ce que Lèsis soit la propriété d’un seul maître. On pourrait voir dans les δεσπόται non seulement les propriétaires de la fonderie, mais aussi des hommes d’affaires qui ont plusieurs ateliers dont une fonderie administrée ou dirigée par « l’horrible homme »129. Ce dernier n’est donc que l’employé des δεσπόται, et c’est pour cette raison que Lèsis ose se plaindre, car son patron direct doit vraisemblablement rendre des comptes aux maîtres. Cette même interprétation du rôle de « l’horrible homme » a été récemment proposée par Alberto Maffi, qui suggère que ce maître forgeron serait peut-être un esclave, comme le laisse entendre l’emploi du terme ἄνθρωπος130 : on n’a effectivement pas l’impression qu’il s’agit d’une relation hiérarchique très importante. On y sent surtout le mépris et l’aversion que ce personnage devait inspirer au jeune apprenti. Sa gradation des verbes en asyndéton est moins un procédé rhétorique qu’un cri de nécessité illustrant l’urgence de la situation. Des violences contre les travailleurs dans les ateliers athéniens131 – on ne peut évidemment pas savoir s’ils sont esclaves ou non – sont illustrées sur des vases, notamment un vase à figures noires du Ve s. : l’on voit un atelier de potier, où un homme est suspendu au plafond, le pied gauche attaché par une corde, les mains entravées et une corde passée autour du cou132. La représentation réaliste de l’atelier montre que le peintre connaissait bien la vie dans ces manufactures. Le témoignage de cette lettre sur plomb vient enrichir nos connaissances sur la vie économique mais aussi sur d’autres aspects de la société athénienne du IVe s. Comme pour d’autres lettres du corpus, on trouve le meilleur parallèle dans un papyrus : il s’agit d’une pétition du 10 mai 257, envoyée par Simalè, mère d’Hèrophantos, à Zénon, où elle se plaint des mauvais traitements infligés à son fils par un certain Olympichos (son responsable). Hèrophantos avait été confié par sa mère à la maison d’Apollônios, en échange d’un salaire qui devait être versé à Simalè. Seule la paye de la première année ayant été versée, cette dernière réclame par la même lettre le reste du salaire de son fils133. On remarque dans ce cas l’usage du tecnonyme, « mère d’Untel » (l. 1 : Σιμάλη Ἡροφάντου μητὴρ Ζήνωνι χαίρειν) ; Simalè était sans doute une veuve, qui dénonçait en sa qualité de mère les mauvais traitements infligés par Olympichos à son garçon. Ces témoignages épistolaires s’ajoutent ainsi au dossier de la punition corporelle, très répandue dans les milieux d’apprentissage, y compris dans les écoles134.
126 Harris 2004, p. 161–162 (= Harris 2006, p. 275) (un piège tendu par ses adversaires à Apollodôros, fils de Pasiôn, qui aurait pu être amené devant un tribunal s’il avait puni un citoyen comme il l’avait fait avec un esclave : Ps.-Démosthène, Or. 53.16). 127 Harris 2004, p. 161–162 (= Harris 2006, p. 274–275). 128 Burford 1978, p. 91–93. Des témoignages concrets sur les punitions corporelles appliquées aux jeunes apprentis sont cependant tardifs, voir Ulpien, Dig. 9.2.5.3 (qui cite la lex Aquilia). 129 Ce patron pouvait être également, selon Jordan 2000a, p. 99, « the man in charge of some particular branch of work within χαλκεῖον. It is to whom the δεσπόται of the χαλκεῖον will have handed over Lesis over for personal instruction ». Dans ce cas, remarque-t-il (p. 99 n. 25), il ne saurait être question d’une des fonderies de l’agora, qui auraient été trop petites pour une telle division de travail (cf. Mattusch 1977, p. 358–363). 130 Maffi 2014, p. 203. 131 Halm-Tisserant 1998, p. 123–124 (sur la fustigation des esclaves) ; voir aussi Harvey 2007b, p. 357–358. 132 Jordan 2000a, p. 101, fig. 5–8. 133 P. Col. Zen. I 6 ; voir Orrieux 1983, p. 65–66 ; Bagnall/Cribiore/Ahtaridis 2006, p. 100–101. Pour la situation d’époque impériale et protobyzantine, voir Freu 2011. 134 Voir Cribiore 1996, p. 24–26.
*8. Possible lettre sur plomb du banquier Pasiôn (Athènes)
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*8. Possible lettre sur plomb du banquier Pasiôn (Athènes)
*8. Possible lettre sur plomb du banquier Pasiôn (Athènes) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte avant la Seconde Guerre mondiale, car c’est en ce moment qu’elle apparaît sur le marché d’antiquités d’Athènes (photo prise dans une boutique de Monastiraki). On ne connaît ni le lieu de la découverte ni le contexte archéologique, la datation se faisant d’après des critères historiques qui peuvent être déduits du contenu. Support, mise en page : lamelle rectangulaire (8,5 × 8 cm), inscrite sur la face intérieure. Elle n’est pas complète, et ne conserve que la partie centrale du texte (cf. Note sur l’édition). Alors que la plupart des lettres sur plomb sont inscrites sur des lamelles rectangulaires dans le sens de la largeur, dans ce cas le texte a été inscrit dans le sens de la hauteur. Le plomb présente des portions endommagées, aux endroits où il a dû être enroulé. On observe quatre traces du pliage de la lamelle : la première pliure correspond à la cassure et à la perte du segment qui se trouvait le plus en haut ; la deuxième est visible entre les deux premières lignes conservées ; ces deux premières traces, très rapprochées, correspondent sans doute au dernier pliage, preuve que la lettre a été enroulée du bas vers le haut. La troisième pliure est visible au milieu de la lamelle, et affecte la 6e ligne conservée (l. 7 de l’édition) et en partie le début de la ligne précédente. Enfin, la quatrième pliure correspond à la cassure d’en bas, d’où un autre segment de la lamelle s’est détaché ; elle affecte la 11e ligne conservée (l. 12 de cette édition). On peut raisonnablement estimer que la partie conservée correspond, au moins, à la moitié du texte. On ignore si une adresse externe était présente au dos d’un segment perdu. Une ligne verticale est visible sur la moitié supérieure du bord gauche, étant sans doute tracée avant que la lamelle de plomb ne soit découpée d’une plaque plus grande. Onze lignes de texte sont conservées. La coupe en fin de ligne est aléatoire et non syllabique (sauf aux ll. 6 et 7). Le rédacteur s’est corrigé à deux reprises : au début de la l. 9, après καί, il a d’abord gravé un kappa, avant de le corriger en gamma ; l. 10, il a écrit ΚΕ, avant d’écrire par-dessus ΚΑΙ. Deux autres erreurs, non corrigées, se trouvent aux ll. 2 (oubli d’un delta dans 〈Δ〉ικαιάρχō) et 10, où il a gravé un iota après un tau (Α|ΝΤΙΟΔΩΡΟΝ), sans doute par collusion avec ἀντί. Toutes ces erreurs mineures, habituelles dans la correspondance privée, ne sont pas signalées par les autres éditeurs. Dialecte : attique. O long fermé noté par omikron ; la fausse diphtongue ei résultée d’une contraction notée par epsilon. Paléographie : alphabet réformé (ionien). Lettres assez irrégulières, parfois tracées de manière cursive (ht. des lettres : 0,3– 0,7 cm). Lettres remarquables : epsilon avec la haste verticale parfois dépassante en haut ; thêta avec un point ; omikron parfois petit, et souvent à caractère cursif ; pi avec la deuxième haste tantôt plus courte, tantôt égale, et souvent à tendance cursive ; sigma à quatre branches ; ômega « chapeau de gendarme ». Date : premier quart du IVe s. (avant 370/369). Conservation : probablement dans une collection privée (Athènes ?). Éditions : Jordan 2003 (avec trad. angl.) (= SEG LIII 256 ; cf. Ph. Gauthier, BÉ, 2004, 140) ; Jordan 2007, p. 1359–1360, n° VIII (avec trad. angl.) ; Sosin 2008 (avec trad. angl.) (cf. Chr. Feyel, BÉ, 2009, 179) ; Ceccarelli 2013, p. 353–354, n° 42 (avec trad. angl.) ; Bravo/Wolicki 2015–2016 (avec trad. fr.) [cf. A. Chaniotis, EBGR 2016, 23 (Kernos, 32, 2019, p. 308)] ; Bravo 2017. Bibliographie : Jordan 1980, p. 226–227 n. 9 ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (A.iv) ; Millett 1991, p. 267 n. 9 (cf. SEG XLII 1750) ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 18) ; Decourt 1999, p. 95 ; Henry 2001, p. 766 (A.4) ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (A4) ; Dana 2007a, p. 68 (A4) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 51 (A4) ; Ceccarelli 2013, p. 46, 57–58 ; Decourt 2014, p. 36, 39, 47 et 55, n° 19 (avec trad. fr.) ; Sarri 2018, p. 90. Illustrations : Jordan 2003, p. 22, fig. 1 (ph.) ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 215, fig. 1 (ph.) ; Bravo 2017, p. 661 (ph.). Note sur l’édition : édition très soignée de Jordan (2003 et 2007), à partir d’une photo transmise par Marie-Thérèse Le Dinahet-Couilloud. Nouvelle interprétation de Sosin (2008), avant une réédition par Bravo et Wolicki (2015–2016), à partir de la même photo, avec des différences de lecture et notamment d’interprétation, car ils prennent ce document pour une defixio. J’ai pu utiliser un scan (École Française d’Athènes, cliché 47913) de l’original de la photo retrouvée en 2017 par M.-Th. Le Dinahet-Couilloud, découverte qui m’a généreusement été signalée par Benedetto Bravo, qui m’a par ailleurs fait part per litteras, en mai et décembre 2017, de ses observations (cf. Bravo 2017). Tous les éditeurs partent du principe que la première ligne conservée correspond à la première ligne du document ; B. Bravo considère même que le texte est complet et que la dernière ligne conservée était la dernière ligne du texte. En réalité, les bords supérieur et inférieur, crantés, ainsi que les traces de pliage, indiquent la perte d’au moins deux segments.
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Fig. 27. Photo de la lamelle.
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Fig. 28. Fac-similé de la lamelle.
[--------------------------?] [------------------------ Π]ασίων 〈Δ〉ικαιάρχō. Ἐπιστέλλω Σατυρίωνα τιμωρήσασθαι καὶ μετελθν καὶ Νικόστρατον τὸν Δείνωνος ἀδελφὸν καὶ Ἀρεθσιον, ὡς παρ᾿ ἐμὲ ἀδικσι καὶ ἐπιβōλεύōσι, καὶ Γλαυκέτην καὶ Αἰαντ{ι}όδωρον καὶ ἐπιβōλεύōσι· καὶ μὴ πρότερον [πρ]οστελεσθῆναι τὴ[ν --------- ca. 17--------] -------------------------
1–2 [ ]|ΑΣΙΩΝΙΚΑΙΑΡΧΟ plumbum : [Π]ασίων 〈Δ〉ικαιάρχο Jordan, Ceccarelli, Decourt : [Π]ασίων 〈Δ〉ικαιάρχ〈ωι〉 vel [Π]ασίωνι ΚΑΙΑΡΧΟ sive [Π]ασίωνι Κ〈λ〉ίαρχο(ς) Sosin : ασίων ικαιάρχō Bravo/Wolicki : [Π]|ασίων 〈Δ〉ικαιάρχō Dana || 5–6 Δείν|ων[ο]ς edd. : Δείν|ωνος Br. 2017 || 6–7 Ἀρε|θ[ό]σιον Jord., edd. : Ἀρε|θ[]σιον Br./Wol. : Ἀρε|θ{ε}όσιον Br. 2017 || 7 ὡς παρ᾿ ἐμὲ Jord., edd. : ὡς γὰρ ἐμὲ Br./Wol. (et Br. 2017, ex ΠΑΡ) || 8 ἐπιβολεύοσι Jord., edd. : ἐπιβōλεύōσι Br./Wol. || ΚΑΙ ex ΚΕ plumb. || 9 ΚΑΙΓ ex ΚΑΙΚ plumb. || 10 ΝΤΙΟΔΩΡΟΝ plumb. || 10–11 ἐπιβολ|εύοσι Jord., edd. : ἐπιβōλ|εύōσι Br./Wol. || 12–13 [πρ]οστελεσθῆναι τὴ[ν] Jord., edd. : ]ΟΕ[ Br./Wol. : (vacat) ἐ[ᾶν τ]ελεσθῆναί τι Br. 2017
[À Untel? ---] Pasiôn fils de Dikaiarchos. J’envoie par lettre qu’ils soient punis et qu’on engage des poursuites à l’encontre de Satyriôn, ainsi que de Nikostratos, frère de Deinôn, et d’Aréthosios, puisqu’ils me font du tort et complotent contre moi, ainsi qu’à l’encontre de Glaukétès et d’Aiantodôros, qui eux aussi complotent contre moi ; et qu’il ne soit pas payé davantage avant [---]. L. 1–2 : trois alternatives de restitution ont été proposées pour les noms attestés à la première ligne conservée. L’éditeur princeps David R. Jordan restitue [Π]ασίων 〈Δ〉ικαιάρχο, avec un patronyme banal, sans exclure
*8. Possible lettre sur plomb du banquier Pasiôn (Athènes)
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[Π]ασίω〈ν〉 Νικαιάρχο, avec un patronyme hapax. Joshua D. Sosin propose [Π]ασίωνι ΚΑΙΑΡΧΟ (peut-être Κ〈λ〉ίαρχο(ς))135 ou bien [Π]ασίων 〈Δ〉ικαιάρχ〈ωι〉 et préfère y voir les noms de l’expéditeur et du destinataire, quelle que soit l’ordre, plutôt que le nom de l’expéditeur et son patronyme136. Enfin, Benedetto Bravo pense que le rédacteur a délibérément omis la première lettre du nom et du patronyme (cf. comm.)137. *Νικαίαρχος n’étant jamais attesté et par ailleurs impossible comme formation, car on ne connaît que le nom Νίκαρχος, on peut éliminer cette proposition et conserver Δικαίαρχος138. Pour tous les commentateurs, la présence du patronyme est problématique139, car elle n’est pas attendue dans une lettre – le destinataire était censé savoir qui s’adressait à lui pour des affaires connues de tous les deux. Cependant, il me semble que c’est cette solution qu’il faut adopter dans le cas présent : il ne peut s’agir que du génitif du nom Δικαίαρχος, à savoir le patronyme, comme le proposait Jordan, pour lequel il ne reste à restituer que le delta initial, oublié par le rédacteur (cf. les trois autres fautes aux ll. 9–10). Selon Sosin, entre ΩΝ et ΚΑΙ il y a un espace assez réduit, alors que sur les autres lignes où le iota apparaît il y a de l’espace comme pour une lettre normale140. Supposons, continue Sosin, que le graveur ait oublié d’écrire le iota et soit revenu après avoir terminé la ligne pour l’insérer dans le petit espace qui restait ; mais alors pourquoi a-t-il corrigé en ΙΚΑΙΑΡΧΟ et non en ΔΙΚΑΙΑΡΧΟ ? À mon sens, tout simplement par manque d’espace, car il est plus difficile de caser un delta. Si l’on considère que le début de la lettre est perdu, le nom du destinataire et éventuellement la formule de salut devaient se trouver dans le praescriptum qui occupait le segment détaché. || Le verbe ἐπιστέλλειν, qui signifie « envoyer » ou « mander » par lettre141, apparaît de manière surprenante à la Ière pers. sg., alors qu’on l’attendait à la IIIe s. pers., s’il s’agissait réellement du début de la lettre. Selon Jordan, la convention de l’emploi de la IIIe pers. vient du fait que l’auteur était, ou était considéré, comme différent de l’expéditeur142, alors que dans le cas présent ce serait Pasiôn qui avait écrit et expédié la lettre143. Même sans autre témoignage, on peut supposer qu’un riche banquier athénien savait lire et écrire. Or, le praescriptum étant déjà énoncé dans le segment perdu, ce verbe à la Ière pers. marque le début de la partie contenant les instructions, selon le formulaire habituel. Il convient donc de séparer le praescriptum qui finit par le nom et le patronyme de l’expéditeur du contenu à proprement parler. Si c’est réellement Pasiôn le banquier qui est l’auteur de la lettre, ce serait pour la première fois qu’on dispose du témoignage « autographe » d’un personnage connu par les sources littéraires. L. 2–7 : Jordan propose une construction du verbe ἐπιστέλλω avec accusatif et infinitif, du type ἐπιστέλλειν τινὰ ποιεῖν τι, mais le parallèle qu’il offre en suivant le LSJ (Xénophon, Cyr. 5.5.1) est en réalité une construction avec le datif, αὐτῷ ; par ailleurs, plusieurs autres lettres offrent des constructions avec le datif et aucune avec l’infinitif. || Jordan considère que Σατυρίων est le sujet des infinitifs τιμωρήσασθαι καὶ μετελθν, alors que Νικόστρατον et Ἀρεθσιον sont les objets144. Il convient plutôt de voir dans la série des trois accusatifs les comSosin 2008, p. 106 et n. 7, invoque la variante Kliarchos pour Klearchos (en Béotie) et le fait que l’absence du sigma final au nominatif est attestée à Athènes (sauf que dans ce cas précis, le billet attique 4, le sigma final du nom Σōσίνεōς a été omis par le graveur faute de place). 136 Trad. de Sosin 2008, p. 107 : « I, Pasion, write with instructions to Dikaiarchos to punish and pursue Satyrion and Nikostratos, the brother of Deinon, and Arethousios, since they are wronging and plotting against me and (against) Glauketes and Aiantodoros, and are plotting also that the … not be paid in addition before… ». Dans son recueil récent, Decourt 2014, p. 55, n° 19, suit l’édition de Sosin : « Moi, Pasiôn, j’écris à Dikaiarchos de punir et poursuivre Satyriôn, Nikostratos, le frère de Deinôn, et Aréthousios, parce qu’ils m’ont causé du tort et ont comploté contre moi, et (de poursuivre aussi) Glaukétès et Aiantodôros, ils complotent et de n’avoir pas payé auparavant (?)… ». 137 B. Bravo, dans Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 224–225. 138 Attesté cinq fois à Athènes (cf. LGPN II 115). 139 Voir aussi Sosin 2008, p. 105. 140 Seules exceptions, quand la haste de la lettre qui suit l’iota n’est pas verticale : ll. 2 (τιμωρήσ-) et 8 (καὶ Αἰα-). 141 J. et L. Robert, BÉ, 1977, 122. 142 Jordan 2003, p. 25 et n. 4 (Aristophane, Nu. 607–610 ; Euripide, IT 770–771 : le fait que la lettre d’Iphigénie à Oreste est à la IIIe pers. serait un signe que quelqu’un d’autre l’aurait écrite pour elle). 143 Voir Apollodôros dans Ps.-Démosthène, In Steph. 1.72 : « Mais il fut acquis par notre père qui était banquier, qui lui a appris à lire [à Phormiôn] (γράμματ᾿ ἐπαίδευσεν), qui l’initia à son commerce, qui mit de grandes sommes à sa disposition ». 144 Voir sa trad., Jordan 2007, p. 1360 (améliorée par rapport à celle de l’édition de 2003, mais allant dans le même sens que celle-ci) : « Pasion, son of Dikaiarchos, send (a letter) for Satyrion to punish and to prosecute both Nikostratos the brother of Deinon and Arethousios, because they are doing wrong and plotting against me, and Glauketes and Aiantodoros – and they are plotting – and not to make the preliminary payment before … ». 135
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pléments d’objet directs des deux verbes, avec Satyriôn en position emphatique en raison sans doute de son rôle proéminent dans l’affaire qui l’opposait à Pasiôn. L. 7–8 : la conjonction ὡς (l. 7) introduit la cause (« parce que », « sous prétexte que »). || παρ᾿ ἐμέ est corrigé par Bravo en γὰρ ἐμέ, mais l’examen de la photo confirme la bonne lecture de Jordan. || On s’attendait à un datif (ἐμοί) après les verbes ἀδικσι καὶ ἐπιβōλεύōσι, mais l’accusatif peut être emphatique ou peut être traduit, comme le suggère Sosin, « concernant les miens » ou « concernant ma maison ». Dans les deux infinitifs, la fausse diphtongue ου résultée d’un allongement compensatoire est notée par le simple omikron. L. 9–11 : selon Jordan, Γλαυκέτην καὶ Αἰαντόδωρον seraient les deux autres objets, avec Νικόστρατον et Ἀρεθσιον, des infinitifs τιμωρήσασθαι καὶ μετελθν, et sujets du verbe ἐπιβōλεύōσι (l. 8). Pour lui, la question est si ce dernier verbe, répété aux ll. 10–11, doit être compris comme une expression elliptique pour une autre cause, ou si l’auteur a omis quelque chose par inattention. Il faudrait donc comprendre 〈ὡς〉 καὶ ἐπιβōλεύōσι, ou, mieux, 〈ὡς ἀδικσι〉 καὶ ἐπιβōλεύōσι, voire 〈ὡς παρ᾿ ἐμὲ ἀδικσι〉 καὶ ἐπιβōλεύōσι. En revanche, pour Sosin, l’hyperbate qui consiste à placer les noms de Glaukétès et d’Aiantodôros (ll. 9–10), objets des verbes τιμωρήσασθαι καὶ μετελθν (ll. 3–4), après la cause qui commence avec ὡς (ll. 7–8), n’est pas acceptable. Il propose donc de voir dans ces deux accusatifs les objets des verbes ἀδικσι καὶ ἐπιβōλεύōσι, sur le même plan que l’accusatif emphatique παρ᾿ ἐμέ, et de traduire par conséquent : « since they are doing wrong against me and plotting also against Glauketes and Aiantodoros ». Ce ne seraient pas Pasiôn et Satyriôn contre les quatre autres, comme le propose Jordan, mais Pasiôn, Dikaiarchos, Glaukétès et Aiantodôros contre Satyriôn, Nikostratos et Arétho(u)sios. Étant donné la tendance à la répétition des lettres mais de façon souvent elliptique – ici il manque ὡς avant le verbe ἐπιβōλεύōσι (l. 10) – je préfère adopter, pour Glaukétès et Aiantodôros, la solution proposée par Jordan, et les considérer objets des deux infinitifs, τιμωρήσασθαι καὶ μετελθν. L. 11–12 : l’infinitif moyen [πρ]οστελεσθῆναι (selon la bonne restitution de Jordan)145, du verbe προστελέω, peut être traduit par « payer en plus, en dehors de » (cf. LSJ). Jordan était tenté de penser qu’il dépendait du verbe personnel le plus proche, ἐπιβōλεύōσι : « and (or also ?) for the X not to be paid before… ». Dans une lettre envoyée à Jordan, Adele Scafuro lui avait suggéré la possibilité que cet infinitif soit gouverné par le verbe ἐπιστέλλω (ll. 2–3), qui gouverne les infinitifs τιμωρήσασθαι καὶ μετελθν : « and (I order) the X not to be paid before… », solution que j’ai partiellement adoptée dans ma traduction. Commentaire : Ce document a été présenté par son éditeur, David R. Jordan, comme étant une lettre de Pasiôn, le célèbre esclave qui, une fois affranchi, devint un riche banquier (Traill, PAA XIV 768150)146. L’indice le plus important serait la mention de certaines personnes avec qui son fils Apollodôros a eu affaire, comme il ressort du discours Contre Nikostratos147, écrit en 365, afin d’être prononcé par Apollodôros. Comme la mort de Pasiôn se situe en 370/369, la lettre doit donc être datée, si l’on suit cette hypothèse, avant cette date. La forme des lettres, ainsi que les traits de langue (ου noté par omikron, la fausse diphtongue ei résultée d’une contraction notée par epsilon) suggèrent également une date dans la première moitié du IVe s. L’histoire de ce document est singulière. Avant la Seconde Guerre mondiale, un archéologue français qui a souhaité rester anonyme avait trouvé et photographié dans une boutique d’Athènes quatre tablettes de plomb, photographies qu’il a envoyées par la suite à Marie-Thérèse Le Dinahet-Couilloud. Celle-ci a publié deux de ces tablettes, qui se sont avérées des defixiones148, et a envoyé les photos des deux autres à D. R. Jordan. Selon ce dernier, l’une des tablettes était également une defixio, fragmentaire et difficile à déchiffrer, l’autre étant notre
À cet endroit, Bravo et Wolicki reconnaissent seulement deux traces de lettres ; ils pensent qu’il s’agissait de la dernière ligne du texte. Cette hypothèse n’est pas appuyée par l’examen du cliché, qui montre clairement une cassure et la perte du dernier segment du texte. 146 Jordan 2003, p. 30–35, offre la liste des douze autres lettres sur plomb qu’il connaissait en ce moment (texte grec, apparat critique, traduction). 147 Ps.-Démosthène, Or. 53. 148 Couilloud 1967. Dans l’introduction de son article (p. 513), elle précise que les photos lui ont été envoyées par Pierre Amandry, dévoilant ainsi l’identité de l’archéologue français qui a pris les photos. Selon Ph. Gauthier (BÉ, 2004, 140), la tablette serait parvenue dans le commerce d’antiquités d’Athènes vers 1960 ; l’information est complétée par Millett 1991, p. 267 n. 7 (« it is at present held in a private collection in Athens »). 145
*8. Possible lettre sur plomb du banquier Pasiôn (Athènes)
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document149. Concernant l’authenticité de cette tablette de plomb, Paul Millett, à qui Jordan avait montré le document pendant qu’il préparait une thèse sur l’activité bancaire à Athènes, écrivait : « For the sake of completeness, I note a possible, though as yet unconfirmed control of reliability of Apollodorus’ narrative. Mr. David Jordan has kindly provided me with an advance copy of his text and commentary on an unpublished letter, the author of which he identifies as Pasion, father of Apollodorus (…). The letter therefore serves to strengthen the sceptical reader’s suspicion that Apollodorus’ underlining of his youth and inexperience is so much rhetorical posturing to gain the sympathy of the jury. Further comment of the letter and its contents must await publication of text and commentary by Jordan. One’s immediate reaction is that the whole thing is almost too good to be true »150. Jordan a pris cette dernière phrase pour une plaisanterie, mais il a déploré le fait que les éditeurs du SEG ont reproduit la dernière partie151 et que le lecteur pourrait rester avec l’impression d’un faux : « Indeed, at this point I probably could fake such a letter myself ! »152. Dans le corpus des lettres sur plomb qu’il a réalisé quelques années plus tard, il réaffirma sa conviction : « I see no reason to doubt the genuineness of the tablet or of its inscription »153. Néanmoins, Millett a touché à un point sensible, car la présence de tous ces personnages historiques est de nature à nous rendre susceptibles, étant donné la rareté de ce type de découverte. Il faut avouer que cette coïncidence, même si elle fait partie des bonnes surprises de l’antiquisant, est pour le moins troublante. Cependant, le fait que le nom Πασίων154 ne soit pas attesté à Athènes avant le banquier réduit la possibilité d’y voir une simple coïncidence. Pasiôn avait été esclave des banquiers Antimachos et Antisthénès155, dont les affaires étaient basées au Pirée. Il était né avant 430, mais l’on ne sait pas où156. Affranchi avant 394, il mit la main sur la banque et fit prospérer les affaires. Après plusieurs (grandes) libéralités envers la cité d’Athènes – cinq triérarchies volontaires, un don de 100 boucliers – il reçut la citoyenneté par décret et fut inscrit dans le dème d’Acharnes (l’un des plus étendus), soit avant 386 soit après 377157. Nous sommes assez bien renseignés sur lui et sa famille, notamment en ce qui concerne son mariage avec Archippé en 395, son enrichissement et sa banque, laissée à Phormiôn, son affranchi, et non à son fils aîné Apollodôros. Phormiôn, ancien esclave lui-aussi, était entré en 373 comme caissier à la banque. Apollodôros lui avait intenté plusieurs procès, entre autres parce que Phormiôn avait hérité non seulement des propriétés de Pasiôn (la banque et un atelier de boucliers), mais aussi de sa femme, qu’il épouse en 368, sans parler du fait que Pasiôn lui avait également confié la cotutelle de son fils cadet, Pasiklès158 ; ce dernier, né en 381/380, n’avait à la mort de son père que 11 ans, alors qu’Apollodôros, né en 395/394159, était âgé de 25 ans, donc majeur. Les propriétés reviennent aux enfants de Pasiôn durant l’été de l’an 362.
Jordan 2003, p. 23 n. 1. Millett 1991, p. 267 n. 7. 151 Cf. SEG XLII 1750. 152 Jordan 2003, p. 23 n. 1. 153 Jordan 2007, p. 1359. 154 Sur ce nom, voir Jordan 2003, p. 36–37 (Appendix B) ; attesté un peu plus d’une dizaine de fois à Athènes (LGPN II 362 et II.A 151). 155 Sur la famille du banquier Antimachos, voir Bourriot 1987. 156 Jordan 2003, p. 26 n. 8, cite l’opinion de Diller 1937, p. 107 (le titre est suggestif pour l’époque), selon lequel Pasiôn aurait été Phénicien. On connaît deux Phéniciens membres proéminents des cercles financiers athéniens au IVe s. : Antipatros, Κιτιεὺς τὸ γένος (Isocrate, Or. 17.4.31 ; Démosthène, Or. 35.32–33), et Théodôros, τοῦ Φοίνικος (Démosthène, Or. 34.6) ; un ami de Pasiôn, Pythodôros, aurait été lui-aussi Phénicien, τοῦ Φοίνικος (Isocrate, Or. 17.4.33). Selon Diller, Pasiôn aurait appelé son fils Apollodôros d’après un ami phénicien, la composante -dôros du grec étant l’équivalent du sémitique abd-, « serviteur ». Cela reste purement spéculatif. Jordan remarque par ailleurs que Pasiôn avait un autre ami du nom de Pythodôros, qui était Athénien ; il aurait pu nommer son fils d’après son bienfaiteur athénien, en jouant sur l’équation Apollo-/Pytho-. 157 Kirchner, PA II 11672 ; Davies 1971, p. 427–442 (et stemma familial, repris par Jordan 2003, p. 26) ; Osborne, Naturalization, III–IV, 1983, p. 48–49 (T 30) ; Traill, PAA XIV 768150. 158 Kirchner, PA II 11654 ; Traill, PAA XIV 767695. Son fils Pasiôn allait porter le nom de son grand-père (Kirchner, PA II 11673 ; Traill, PAA XIV 768170). L’autre tuteur était un certain Nikoklès (Démosthène, Or. 36, 8–9 ; Ps.-Démosthène, Or. 45.3 et 37 ; Or. 53.9). 159 Kirchner, PA I 1411 ; Traill, PAA II 142545 ; nom très fréquent, à Athènes (LGPN II 42–44 et II.A 18) comme ailleurs dans le monde grec. Voir aussi Trevett 1992, en partic. p. 1–49 (l’histoire de la famille de Pasiôn) et la démonstration fort convaincante de Mari 2014. 149 150
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Concernant les opposants de Pasiôn qui apparaissent dans la lettre, Satyriôn est inconnu par ailleurs160 ; le nom est assez tardif, étant attesté dans les sources à partir du IIIe s. ; à Athènes, à l’exception de cette attestation, il apparaît notamment aux IIe et au Ier s. Glaukétès161 et Aiantodôros162 sont eux-aussi de parfaits anonymes, mais pas Nikostratos163 et ses frères Deinôn164 et Aréthousios165. En effet, sur ses trois derniers nous sommes renseignés par le discours prononcé par Apollodôros contre Nikostratos166. L’affaire est la suivante : Aréthousios avait fait une fausse assignation contre Apollodôros, à laquelle ce dernier avait répliqué par un procès du type γραφὴ ψευδοκλητείας. Apollodôros gagne le procès et Aréthousios est condamné à une amende d’un talent, qu’il ne peut pas payer. Il est alors condamné à la confiscation de ses biens, parmi lesquels Apollodôros avait inscrit deux esclaves ; le frère d’Aréthousios, Nikostratos, prétendait que ces deux esclaves lui appartenaient. Le discours Contre Nikostratos représente donc le plaidoyer censé montrer que ces esclaves appartenaient bien à Aréthousios et que l’État athénien avait le droit de les confisquer. En réalité, ce procès servait à Apollodôros à se venger de ses adversaires, avec lesquels il avait un différend de longue date ; ce sont les origines de ce différend qui nous intéressent pour le commentaire de la lettre. Apollodôros était voisin à la campagne de Nikostratos, avec lequel il avait entretenu des relations amicales avant et après la mort de son père. Quand Nikostratos tomba dans les mains des pirates et fut vendu à Égine, Deinôn, le frère de celui-ci, était venu demander à Apollodôros un prêt pour qu’il puisse aller chercher son frère. Non seulement Apollodôros lui donna les 300 drachmes de viatique, mais accepta également de participer au rachat de Nikostratos (la somme conséquente de 26 mines) en souscrivant à un eranos, à savoir un prêt d’amitié sans intérêts, à la hauteur de 1000 drachmes. Il aida par la suite la famille de Nikostratos en leur permettant d’hypothéquer des biens qui lui appartenaient, afin de payer la dette ; une fois la dette payée, la famille devrait réunir l’argent pour couvrir l’hypothèque167. Or, profitant de sa jeunesse et de son manque d’expérience – ce sont les arguments d’Apollodôros, qu’il faut prendre avec précaution – Nikostratos se brouilla avec lui en pensant qu’Apollodôros n’allait pas intenter une action de recouvrement de la somme pour laquelle ses biens avaient été engagés. Avec son autre frère, Aréthousios, Nikostratos fait passer Apollodôros pour un débiteur de l’État athénien et l’assigne en justice, d’où le procès pour fausse assignation (ἀπογραφή)168 qui a mené à la confiscation des biens d’Aréthousios. Notre document, qui montre que les relations et les démêlés avec Nikostratos (« frère de Deinôn », ll. 5–6) et Aréthousios dataient déjà du vivant de Pasiôn, incite à donner davantage de crédit aux allégations de Nikostratos. Quoiqu’attirantes, ces hypothèses restent douteuses pour Philippe Gauthier : si le nom Pasiôn est rare, il est cependant attesté dans la prosopographie attique dès le IVe s. ; puis, se demande-t-il, « si le banquier, d’abord esclave puis affranchi, était né d’un père grec (ce que nous ignorons), ce dernier n’aurait-il pas porté, selon l’usage, l’un des deux noms que le banquier choisit plus tard pour ces deux fils, Apollodoros et Pasiklès ? »169. À vrai dire, le nom Pasiôn, comme nous l’avons déjà montré, n’apparaît pas de sitôt à Athènes, les seules attestations avant l’époque hellénistique étant précisément celle du nom du banquier même et celle du nom de son petit-fils, le fils de Pasiklès. D’autre part, la règle de la dénomination générationnelle, qui avait, semble-
Traill, PAA XV 812765 ; nom connu par une dizaine d’occurrences à Athènes (LGPN II 394). Traill, PAA XIX 274637 ; nom assez fréquent à Athènes (LGPN II 93 et II.A 37). 162 Traill, PAA XIX 112301. Sur ce nom hérophore, « don d’Ajax » (héros vénéré à Salamine), attesté encore quatre fois à Athènes (LGPN II 13 ; et notre exemple, LGPN II.A 6), cf. Parker 2000, p. 56. Pour cette catégorie de noms, voir Robert 1979, p. 40 (= OMS, VI, p. 694 = Choix d’écrits, p. 154). 163 Kirchner, PA II 11007 ; Traill, PAA XIII 717855 ; par ailleurs, nom très fréquent à Athènes (LGPN II 338–340 et II.A 139). 164 Kirchner, PA I 3198 ; Traill, PAA V 302670 ; nom connu par une dizaine d’occurrences à Athènes (LGPN II 101 et II.A 41). 165 Kirchner, PA I 1587 ; Traill, PAA III 160750 ; avec notre exemple, seulement deux occurrences à Athènes (LGPN II 49 et II.A 20). 166 Ps.-Démosthène, Or. 53. 167 Sur le conflit et l’arrangement financier entre Apollodôros et Nikostratos, voir Cohen 1992, p. 210–213 ; Trevett 1992, p. 9–10 (et 32–33 n. 16) et p. 126–127. 168 Voir Todd 1993, p. 118–119. 169 Ph. Gauthier, BÉ, 2004, 140 (le même scepticisme est rapporté dans SEG LIII 256). Cf. aussi Chr. Feyel, BÉ, 2009, 179 : « Quoi qu’il en soit, aucun indice supplémentaire ne permet d’identifier ce Pasiôn avec le célèbre banquier athénien porteur du même nom, comme le faisait D. Jordan ». 160 161
*8. Possible lettre sur plomb du banquier Pasiôn (Athènes)
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t-il, fonctionné pour le petit-fils du banquier, n’est pas immuable. Ses garçons portaient les noms de ses amis athéniens, comme on a déjà vu, et pas celui du grand-père, si l’on admet que Dikaiarchos est le patronyme du Pasiôn. Les doutes de Gauthier sont partagés par Sosin, mais pas pour les mêmes raisons. Sosin estime que le banquier, qui était, dit-il, d’origine grecque, ne pouvait pas commettre de faute de syntaxe aussi importantes que celle qui consistait à employer la conjonction καί à la place de la conjonction de cause (l. 10). Si Phormiôn était connu comme un faible orateur – « à ses fautes de langage, vous avez sans doute reconnu en lui un barbare méprisable »170 –, « on aurait cru Pasiôn capable de mieux », affirme Sosin171. En réalité on ne sait pas comment Phormiôn parlait devant un tribunal, car les allégations concernant son langage venaient de ses détracteurs qui l’attaquaient sur son origine ethnique ; on ne sait pas non plus comment Pasiôn, expert en finances, écrivait, surtout dans des documents du quotidien tels les lettres. Aucun doute n’est exprimé sur l’identité de Pasiôn et d’autres acteurs de cette affaire par B. Bravo et A. Wolicki, qui proposent d’expliquer le patronyme de Pasiôn, d’origine servile, par le fait qu’il a pu l’obtenir après son affranchissement. Il peut être un patronyme réel, fictif ou emprunté à un ancien prostatès172. Afin d’éclaircir l’identité des acteurs et la nature même du document, il convient de procéder maintenant à l’analyse des circonstances dans lesquelles il a été rédigé, ainsi que de son contenu. La lettre, si elle a été écrite par Pasiôn, date d’une époque où le conflit entre son fils Apollodôros et Nikostratos n’avait pas encore éclaté : en revanche, ils se connaissaient et étaient même amis, selon les dires d’Apollodôros dans son plaidoyer, bien que leur amitié soit devenue plus étroite au moment où Apollodôros avait déménagé à la campagne, mécontent du testament de son père. Il était jeune à l’époque, mais sans doute pas aussi naïf qu’il souhaite le laisser entendre aux juges : il essaie en effet de convaincre ces derniers qu’il s’est laissé abuser par manque d’expérience173. Ses prétentions à la tutelle de son petit frère et à l’héritage sans conditions et sans tutelle de la fortune de son père montrent qu’il se considérait parfaitement capable d’administrer ses affaires. On peut donc déduire qu’il a dû s’impliquer dans les affaires familiales assez tôt. Dans ces conditions, la lettre pourrait rendre compte d’un conflit antérieur entre les deux familles, aplané peu avant et surtout après la mort de Pasiôn ; ou bien d’un conflit d’affaires de Pasiôn en dehors et antérieur au différend qui allait éclater plus tard entre son fils, Nikostratos et Aréthousios. Nikostratos était aussi son voisin, bien que de la génération de son fils plutôt que de la sienne, et ils auraient pu tout simplement s’opposer dans une querelle de voisinage ; il convient aussi de remarquer que le premier visé n’est pas Nikostratos, mais Satyriôn, Nikostratos et son frère Aréthousios n’apparaissant qu’en second plan. On sait que les relations entre le père et le fils n’étaient pas toujours très simples – pour preuve, le banquier confia la gestion de fortune à son affranchi Phormiôn, à qui Apollodôros voua une aversion profonde. Phormiôn et Apollodôros se sont même affrontés en justice, et le dernier ne laissa échapper aucune occasion pour charger l’ancien protégé de son père. Étant donné la relation complexe qu’Apollodôros entretenait avec son père, le fait que Pasiôn ait eu un conflit avec Nikostratos ne devait pas empêcher Apollodôros de fréquenter ce dernier et de se lier d’amitié avec lui, avant de se brouiller à son tour avec lui pour les raisons que l’on a exposées ci-dessus. Concernant le contenu, on peut commencer par accepter que l’auteur est un certain Pasiôn, fils de Dikaiarchos, qui écrit à la Ière pers. pour donner des instructions par lettre à un subordonné ou associé. Des deux verbes utilisés aux ll. 3–4, τιμωρήσασθαι καὶ μετελθν, le dernier aurait un sens technique, selon Jordan, celui de « poursuivre en justice »174. Pasiôn avait la réputation d’employer plusieurs agents175, dont Pythodôros, son ami. La formule semble étrange à Sosin, car dans un procès on aurait attendu « poursuivre, gagner et punir » ; il propose d’y voir plutôt une punition en parallèle avec la loi, sous la forme d’une procédure « musclée », dans Ps.-Démosthène, Or. 45.30 ; voir aussi Démosthène, Or. 36.1. Sosin 2008, p. 106 n. 4. 172 Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 211–236. 173 Comme le remarque Millett 1991, p. 267 n. 7, la lettre, si elle est réellement écrite par Pasiôn, sert à renforcer le scepticisme du lecteur quant au fait que l’invocation par Apollodôros de sa jeunesse et de son inexpérience n’est qu’un artifice rhétorique pour gagner la sympathie du jury. Sur le procès intenté par Apollodôros à Nikostratos, voir en général p. 53–59. 174 Jordan 2003, p. 28. 175 Isocrate, Or. 17.33 : ὁ ὑπὲρ Πασίωνος ἅπαντα καὶ λέγει καὶ πράττει. 170 171
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un milieu assez dur176. Un autre argument en défaveur de l’action concrète engagée contre Nikostratos et ses acolytes serait, de l’avis de Bravo, l’emploi de l’aoriste du verbe μετέρχομαι : si au présent il pourrait être traduit comme « poursuivre »177, l’aoriste μετελθν devrait être traduit par « atteindre (au bout d’une poursuite punitive) », donc « frapper de punition »178, ce qui ferait doublon avec le premier verbe. Parmi les exemples donnés par Bravo, trois vont dans son sens179, mais le passage des Chœphores et celui d’Oreste180 expriment précisément le fait de poursuivre afin de se venger (chez Euripide, « qu’à ta poursuite ont été promptes des déesses »). Bravo insiste sur l’absence de valeur juridique du verbe pour montrer qu’en réalité on n’a pas affaire à une lettre, mais à une defixio. Il ne lui semble pas vraisemblable que l’auteur demande à des collègues d’utiliser des méthodes musclées contre Satyriôn, Nikostratos et Aréthousios, sans précision concernant les griefs, et qu’en même temps il s’adresse comme si le destinataire n’était pas au courant. À mon avis, si Pasiôn donne des ordres qui peuvent nous paraître vagues (bien que le sens technique ne soit pas à exclure), c’est précisément parce qu’ils étaient au courant des sous-entendus de l’affaire. Il me semble difficile d’établir une chronologie entre les deux procédures, même si on leur accorde une valeur légale. L’ordre des verbes n’est pas significatif : le fait même de poursuivre pourrait être entendu comme une forme de punition. Dans ce cas, la formule est redondante, faisant allusion au fait de se venger de ses ennemis. Les deux autres verbes, ἀδικσι καὶ ἐπιβōλεύōσι (ll. 7–8), sont eux aussi assez vagues, surtout que le premier, ἀδικέομαι, apparaît dans les defixiones. Or, il apparaît également dans la lettre d’Achillodôros de Berezan’, pour décrire une situation objective, à savoir la saisie des biens et de la personne même de l’expéditeur par Matasys (25), sans compter sa présence naturelle dans les pétitions sur papyrus. En effet, l’insistance sur la punition et sur le complot, de même que l’accumulation des noms des adversaires, semblent évoquer une defixio, du type « judicial prayers » or « prayers for justice »181. Toutefois, il convient de remarquer la pratique dominante dans les katadesmoi, où le defigens n’indique pas son nom, et d’autant moins son patronyme182. Selon Bravo, l’emploi de la Ière pers. et du verbe τιμωρέω trouvent un parallèle dans une defixio inédite du sanctuaire de Palaimon d’Athènes, datée elle-aussi au IVe s.183. Le plus troublant est, selon la thèse du même savant184, l’emploi du mot ἐπιστολή dans deux defixiones attiques d’époque classique : un texte de Kotana185 et une autre « prière juridique », du Pirée, qui invoque la justice186. En revanche, chaque fois ce mot est construit avec le verbe πέμπω ou avec son composé ἀποπέμπω, le verbe ἐπιστέλλω n’étant pas employé. Pour les deux, le nom de l’expéditeur n’est pas mentionné, alors que les cibles sont clairement désignées, avec des détails. Le premier texte n’est pas tant une lettre qu’un récit de l’envoi de la lettre ; les dieux ne sont pas invoqués directement et, à la place d’un praescriptum à la IIIe pers., nous avons un récit épistolaire à la Ière pers. ; le second est élaboré à peu près de la même façon. Il existe certes un sous-texte épistolaire, mais ces deux formules ne reflètent pas celles des lettres connues187.
Sosin 2008, p. 107–108. Ceccarelli 2013, p. 46 n. 88, remarque que le vocabulaire du texte n’est pas typique de la procédure légale, mais indique plutôt une pression extra-judiciaire. 177 Chez Antiphon, In noverc. 10, le verbe apparaît en effet sous la forme μετέρχομαι, mais parce qu’il s’agit d’un discours en cours de déroulement devant le jury. L’orateur est en train de prononcer le discours et utilise donc le présent. 178 Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 220. 179 Lycurgue, In Leocr. 116 (les ancêtres « ont infligé la punition extrême », dans une série d’exemples de la sévérité extrême athénienne contre les personnages publics ; ici la forme d’aoriste est attendue pour l’évocation du passé) ; voir aussi Euripide, IT 13–14 ; Euripide, Cycl. 280 (« châtier »). 180 Eschyle, Ch. 988–999 ; Euripide, Or. 423. 181 Voir Versnel 1991 ; Versnel 2010. Dans le cas de ces defixiones caractérisées par des formules spécialisées, le « plaignant » fait mention expresse d’une offense : l’expéditeur pense qu’il a été victime d’un tort et demande réparation aux divinités infernales. 182 Dans le cas de « judicial prayers », le principal demandeur peut, très rarement, indiquer son nom (Versnel 1991, p. 279). 183 Versnel 2010, p. 311–312. 184 B. Bravo, dans Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 216–218. 185 DTA 102, A, ll. 1–8 = Gager 1992, p. 201–202, n° 104 : ἐπιστο{σ}λὴν | πέμπων | [δ]αίμο〈σιν〉 (ΑΙΜΟΝΙΣ plumbum) | καὶ Φρεσσεφών〈ῃ〉{ς} | κομίσας | Τιβιτίδα | τὴν Χοιρίνης | τὴν ἐμ〈ὲ〉 ἀδικσαν κτλ. 186 DTA 103 : Ἑρμ[ῇ] καὶ Φερσεφ[ό]ν[ῃ] τήνδε ἐπιστο[λ]|ὴν ἀπο|πέμ[πω· κτλ]. 187 Ceccarelli 2013, p. 49–50 ; sa trad. (p. 354) : « I, Pasion, son of ikaiarchos, am sending by letter, to punish and prosecute Satyrion and Nikostratos, Deinon’s brother, and Arethousios because they are wronging me and plotting against me and Glauketes and Aiantodoros and they are plotting and that X not be paid before…». Voir aussi les defixiones où les dieux infernaux 176
*8. Possible lettre sur plomb du banquier Pasiôn (Athènes)
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L’absence du verbe ἐπιστέλλω à proprement parler dans les deux defixiones citées n’est pas un obstacle pour Bravo, selon lequel le message est adressé soit à un mort, une sorte de νεκυδαίμων conçu comme une puissance chthonienne, soit à une divinité infernale. Pourtant, dans les véritables κατάδεσμοι, ces « destinataires » sont ordinairement indiqués, sinon comment la prière pouvait-elle être exaucée, et par qui ? Du fait de l’absence de la première lettre du mot δαίμοισιν dans DTA 102, qui selon Bravo aurait été délibérément omise afin de se protéger du contact trop proche avec la puissance infernale – en réalité, ce mot est mal orthographié dans son ensemble, non nécessairement pour des raisons magiques mais plus trivialement par ignorance ou mégarde –, le savant italo-polonais insiste longuement sur le fait que dans notre document les deux premiers noms ont été estropiés de manière intentionnelle. Selon lui, l’alpha de la première ligne conservée ne semble pas avoir été précédé d’un pi, comme dans l’édition de Jordan ; même si le coin supérieur gauche est endommagé, poursuit-il, il n’y avait pas d’espace entre le bord de la tablette et l’alpha pour inciser un pi, qui est une lettre large. Les deux initiales des noms Pasiôn et Dikaiarchos auraient dont été omises intentionnellement188. En réalité, nous avons vu que la première ligne conservée n’était pas la première ligne du texte : le pi manquant se trouvait à la fin de la ligne perdue ; nul besoin donc de supposer une quelconque opération magique. Qui plus est, la syntaxe n’est pas absurde et les phrases ne sont pas inachevées, comme l’affirme Bravo : au contraire, le texte semble assez cohérent en dépit des ellipses qui caractérisent le style épistolaire189. Un dernier argument pour le fait qu’il ne s’agit pas d’une lettre mais d’une defixio serait, pour Bravo, d’ordre socio-économique : un homme riche comme le banquier, vivant dans une ville comme Athènes, ne devait pas utiliser le plomb pour écrire mais un feuillet de papyrus ou une tablette190. Or, il me semble qu’il faut renoncer à ce préjugé et penser à la diffusion de la pratique qui n’est que partiellement en rapport avec le coût du matériau. On connaît en effet trois autres lettres sur plomb à Athènes, toutes d’époque classique, qui émanent de milieux sociaux assez divers (5, 6, 7). De l’avis de Bravo et Wolicki, ce document ne serait pas une lettre olographe du banquier, mais une defixio écrite par un professionnel, comme il y en avait d’autres aux services des gens riches191. Cette defixio aurait pu servir à Pasiôn dans son action magique contre Nikostratos et ses associés, mais la reconstruction proposée est par ensemble très spéculative et on ne saurait la retenir : Pasiôn, irrité par l’amitié de son fils avec les proches de Nikostratos, ne voulait pas que son fils les fréquente ; il les soupçonnait de chercher à être amis avec Apollodôros pour lui nuire à lui-même ; étant donné que Pasiôn voulait punir ces gens sans gâcher définitivement les relations avec son fils, il recourt à des moyens non pas juridiques mais magiques. Un problème important est soulevé par la porosité entre les lettres privées et les defixiones, en raison de la similitude des formules employées, renvoyant à la fois au vocabulaire juridique et magique. Face aux sérieuses réserves qu’émet Bravo quant au caractère épistolaire de certains de ces documents, notamment de celui-ci, on a dû procéder à une analyse plus neutre, où la comparaison a été opérée non seulement avec les textes d’imprécation mais aussi avec les documents dont la qualité de lettres ne soulève aucune question. Le raisonnement va dans les deux sens : si les defixiones peuvent emprunter des formules aux lettres (ἐπιστολή), les lettres ne pou-
apparaissent dans l’adresse à l’extérieur de la tablette de plomb, surtout un katadesmos attique (IVe s.), avec les noms des dieux en nominatif : Ἑρμῆς χθόνιος καὶ Ἑκάτη χθόνια (DTA 107 = Gager 1992, p. 126–127, n° 40). 188 B. Bravo, dans Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 224–225. 189 La trad. de Bravo, dans Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 224, met en évidence l’interprétation différente proposée par les deux auteurs : « Moi, Asion fils de Ikaiarchos, j’envoie la demande de punir et de frapper de punition Satyrion – et Nikostratos frère de Deinôn, et Arethousios, car de même qu’à moi, ils m’ont fait tort et font des machinations … (sous-entendu : de même il est juste qu’ils soient punis) – et Glauketès et Aiantodôros …(sous-entendu : car de même qu’à moi, ils m’ont fait tort) et font des machinations … (sous-entendu : de même il est juste qu’ils soient punis). Et de ne pas [---] avant [que ---] » ; nouvelle trad. de Bravo en 2017 : « Moi, asiôn [sic] fils de ikaiarchos [sic], j’envoie la demande de punir et de frapper de punition Satyriôn – et Nikostratos frère de Deinôn, et Arethousios, car de même qu’à moi, ils me font tort et font des machinations… [sous-entendu : de même il est juste qu’ils soient punis] – et Glauketès et Aiantodôros… [sous-entendu : car de même qu’à moi, ils me font tort] et font des machinations… [sous-entendu : de même il est juste qu’ils soient punis], et de ne pas [laisser] que quelque chose soit réalisé auparavant ». 190 B. Bravo, dans Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 226–228. 191 A. Wolicki, dans Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 233, cite le texte de Platon, Resp. 364 BC, sur les charlatans professionnels qui pratiquaient la magie sur le compte des riches. Sa démonstration est en réalité circulaire parce qu’il utilise ce texte pour montrer qu’il s’agit d’une defixio, pour conclure sur le fait que l’étude des inscriptions magiques conservées apporte une confirmation des paroles du philosophe.
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vaient-elles pas emprunter des formules aux defixiones ? On connaît à présent une defixio sous une forme clairement épistolaire d’Apollonia du Pont, et probablement un autre exemple d’Anchialos (voir p. 354). Pour conclure, si ce document ne semble pas avoir été rédigé comme une lettre à proprement parler (mais n’oublions pas qu’il manque le début du texte), il ne peut que très difficilement être considéré une defixio. Le mot ἐπιστολή est utilisé, en effet, dans les defixiones (seulement deux connues), mais il est associé au verbe πέμπω. Le verbe utilisé à la Ière pers. est habituel pour la partie contenant les instructions. Si Bravo trouve étrange le fait que Pasiôn ne donne aucun renseignement concret et s’exprime comme si le destinataire ignorait tout de l’affaire, en ce qui me concerne, s’il ne donne pas de détails, c’est précisément parce que le destinataire était censé être au courant. Il s’agit de toute évidence du banquier Pasiôn, étant donné la connexion qui s’établit presque de manière automatique entre l’auteur de la lettre et ses adversaires, lorsqu’on connaît l’histoire socio-juridique de la cité. Si leur adversité directe n’est pas attestée, on ne serait cependant pas très surpris de les voir s’opposer, dans un milieu réputé comme étant dur et concurrentiel. La structure probable de ce document, qui est selon toute vraisemblance une lettre comportant une série d’instructions émanant du banquier Pasiôn, est la suivante : I II
[III] [IV]
(segment perdu + ll. 1–2) prescrit
[τῷ δεῖνι (χαίρν καὶ ὑγιαίνν?) Π]|ασίων 〈Δ〉ικαιάρχō (ll. 2 sqq.) contenu (deux affaires) Ἐπιστέλλ|ω κτλ. A. (ll. 2–11) premier set d’instructions contre trois groupes (τιμωρήσ|ασθαι καὶ μετελθν) d’adversaires et justification des poursuites : (ὡς παρ᾿ ἐμὲ ἀδι|κσι καὶ ἐπιβōλεύōσι) (1) Satyriôn ; (καὶ ἐπιβōλ|εύōσι) (2) Nikostratos (frère de Deinôn) et Arétho(u)sios ; (3) Glaukétès et Aiantodôros. B. (ll. 11 sqq.) second set d’instructions, de nature καὶ μὴ πρότερον |[πρ]οστελεσθῆναι κτλ. financière (segment perdu) formule finale ? ? (verso du premier segment perdu) adresse externe/résumé ? ?
*9. Message (?) sur tesson concernant Corinthe et un Corinthien (Athènes)
*9. Message (?) sur tesson concernant Corinthe et un Corinthien (Athènes) Découverte, contexte : deux tessons de la paroi d’un large pithos, découverts en mai 1939 dans une citerne, utilisée comme dépotoir rempli de céramique du deuxième quart du IVe s. (Agora d’Athènes, secteur F 19:2). Support, mise en page : graffite gravé sur la face externe du tesson, qui était au moment de la gravure assez grand, dont il ne subsiste que deux fragments non jointifs. Dimensions : diam. max. fr. A : 13,1 cm ; diam. max. fr. B : 10,1 cm. Sur le fr. A sont conservées au moins 12 lignes de texte (si d’autres lignes se trouvaient encore dans la partie inférieure, elles sont à présent très effacées), avec une interligne plus grande entre les ll. 6 et 7 ; sur le fr. B, 7 lignes de texte sont encore visibles. On ignore si les mots étaient coupés en fin de ligne, du fait de la perte des segments à gauche et à droite. Au moins un signe d’interponction (fr. B, l. 1), constitué de deux points superposés (:). Dialecte : sans doute attique ou transition vers la koinè. Paléographie : les lettres, assez peu profondément gravées, sont par endroits à peine visibles, et parfois complètement effacées. Ht. des lettres : 0,3–0,6 cm. Alphabet réformé (ionien). Lettres remarquables : thêta avec un point ; sigma à quatre branches ; upsilon sans haste verticale (). Date : ca. 350. Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (inv. P 16391). Éditions : Agora XXI, p. 9, n° B10 (M. Lang, 1976) ; Oikonomides 1986, p. 57–58, n° 17 (avec trad. angl.) (= SEG XXXVI 132). Bibliographie : Decourt 2014, p. 54, n° 16 (B10).
*9. Message (?) sur tesson concernant Corinthe et un Corinthien (Athènes)
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Illustrations : Lang 1976, Pl. 2 (dessin, fr. A) ; Oikonomides 1986, p. 57 (dessin, fr. A) ; Decourt 2014, p. 73, fig. 12 (dessin, fr. A). Note sur l’édition : ce texte fragmentaire a été publié pour la première fois par Lang (1976), avant d’être réédité par Oikonomides (1986), avec des restitutions trop généreuses. Lang n’a donné dans sa transcription que la première ligne du fr. B. Dans la plupart des cas, les lectures de Lang sont confirmées. Photos et fiche du Musée de l’Agora.
Fig. 29. Photo du tesson A.
Fig. 30. Fac-similé du tesson A.
Fig. 31. Photo du tesson B.
Fr. A [ [ [ [ 4 [
]+[1–2]Ο[ Κόρι?]νθον πονηρὸς κα[ ] ταύτην ἐλύσατο [ ]ιμάτων· ἐὰν ἐπι[
Fig. 32. Fac-similé du tesson B.
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12
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Fr. B [ [ [ [ 4 [ [ [ [ [
] Κορινθίωι συγγε[ πά]ντα δ’ ἐγενήθη να[ vac. ]σμενος πολὺ κεν+[ ]ΟΣΤΟΣ [ca. 5]ΟΦ[ ] εἰκὸς ΟΝ+ΕΑΣ+[ ]+ιρας νῦν ἑρμ[ ]ΣΩΤ[ ]Σ[ca. 4]ΑΕ[
]+ς : Ε[ ]ΟΡΠΙ+[ ]+[ ]+[ ]Ε+[ ]++[ ]Π+[ ]ΕΣΤΙΑ[ ]+[-]+[-]+ΑΣ[ ]+[-]Π+[
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Fr. A ‒ 2 ]νθον πονηρὸς κα[ Lang : [εἰς Κόριν]θον κ[αι]ν[ὰ] πρὸς κα[ινὰ] Oikonomides || 3 ] ταύτην ἐλύσατο [ Lang : [λέγεται --- ὅτι] ταύτην ἐλύσατο [καὶ] Oik. || 4 ]ιμάτων· ἐὰν ἐπι[ Lang : [τῶν ἐμῶν χρ]ημάτων ἐᾷ. [τ]ὰ ἐπίχ[ειρα] Oik. || 5 ] Κορινθ.. συγγε[ Lang : [ἐν] Κορίνθ[ωι]. συγγε[νεῖς ἐμοὶ] Oik. || 6 ]ντα δ’ ἐγενήθη να[ Lang : [οὐκ ἐπ]ὶ ταδὶ ἐγενήθην. α[ Oik. || 7 ]σμενος πολὺ κεν[ Lang : ]σμένος πολὺ κεν[ὸς] Oik. || 8 ]ΟΣΟΣ…..ΣΦ..[ Lang : ]ΗΣ.ΟΣ….ΣΦ…[ Oik. || 9 οἶκος ὀνάρια σπ[ Lang : ] οἶκος, ὃ[ς] ἀρχὰς π[ Oik. : || 10 ]λιρας νῦν ἑρμ[ Lang : ]μίρας νῦν Ἐρι[ Oik. || 11 ]ΣΩΤ….[ Lang : [ἀ]σωτ[ίας] Oik. || 12 ]Σ…Α[ Lang : ].Σ---Α--[ Oik. Fr. B ‒ 1 ]ς : Ε[ Lang
L’état très fragmentaire du texte empêche toute tentative de traduction. A 2 : mention très probable de la cité de Corinthe (cf. un Corinthien mentionné à la l. 5) et d’un adjectif à valeur dépréciative192. A 3 : l’une des rares séquences cohérentes (voir commentaire), avec un pronom démonstratif (acc. sg. fém.) et un ind. aor. moyen, IIIe pers. sg. A 4 : fin d’un gén. pl., avant une conjonction conditionnelle suivie d’une forme verbale. A 5 : mention d’un Corinthien (cf. le nom de la cité, l. 2) et d’une quelconque relation de parenté. A 6 : on peut reconnaître l’ind. aor. passif, IIIe pers. sg., du verbe γίγνομαι. A 7 : peut-être la fin d’un participe. A 9 : Lang lit οἶκος, mais sur le tesson on voit εἰκός (« probable, vraisemblable »). A 10 : on reconnaît l’adverbe νῦν. B 1 : seule ligne où l’on rencontre un signe d’interponction. B 2–7 : lignes trop effacées, à l’exception de deux brèves séquences aux ll. 2 et 5. Commentaire : Ce texte assez long, dont il ne subsiste que deux morceaux non-jointifs, était peut-être celui d’une lettre privée. À partir de la mention de la cité de Corinthe et intriguée par des mots comme ἐλύσατο, Mabel Lang proposait d’y voir une copie approximative d’un contrat ou d’un traité193. En revanche, A. N. Oiko-
192 193
Pour les Corinthiens attestés à Athènes, voir FRA 2941–3008 (p. 127–130). M. Lang, dans Agora XXI, 1976, p. 9. Voir aussi le texte athénien sur tesson qui a le formulaire d’un contrat (voir p. 4 n. 12).
*10. Message sur l’amphore envoyée par Marôn à Philippos, frère de Phillippè (Athènes)
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nomides restituait – de manière très spéculative, selon ses habitudes – une lettre, sous le titre « A lady writes to her relatives about her unfaithful husband… », et donnait même une traduction anglaise194. Pour ma part, je préfère ne pas spéculer davantage sur le contenu d’un texte tantôt fragmentaire, tantôt effacé, qu’aucune formule n’aide à interpréter indubitablement comme message, mais tout aussi difficilement assignable à un document d’une autre nature.
*10. Message sur l’amphore envoyée par Marôn à Philippos, frère de Phillippè (Athènes) *10. Message sur l’amphore envoyée par Marôn à Philippos, frère de Phillippè (Athènes)
Découverte, contexte : paroi d’une amphore tournée, à la pâte graveleuse, découverte en avril 1937 dans un puits d’un bâtiment de la partie sud de l’Agora d’Athènes (secteur M 17:1), dans un contexte céramique de la seconde moitié du IIe s. ap. J.-C. (niveau III). Support, mise en page : restaurée presqu’entièrement (ht. 32 cm, diam. 16,5 cm), l’amphore présente un corps quasi-cylindrique et une bouche large avec bord vertical, ainsi que deux petites anses verticales ; ce type d’amphore (Augst 46/47) serait produit au nord de la Palestine ou au sud de la Phénicie195. Sur la paroi se trouvent deux dipinti à l’encre noire : le premier en haut, au niveau des anses, sur deux lignes, très peu lisible au moment de la découverte, qui n’est connu que grâce à la transcription de la fiche du Musée de l’Agora ; le second en bas, au centre de la paroi, sur trois lignes, qui a été relu par M. Lang. Ht. des lettres : env. 0,6 cm. À présent, le premier dipinto est presque entièrement effacé, tandis que le second est mieux lisible dans sa moitié droite. Dialecte : koinè. Datifs sans iota adscrit, comme attendu à cette époque (A, l. 1 ; B, ll. 2–3) ; simplification des géminées (A, l. 1 ; B, l. 2). Paléographie : écriture caractéristique de l’époque impériale, avec des traits cursifs, par exemple alpha, delta et ômega (avec un exemple très élégant : B, l. 3) ; epsilon et sigma lunaires. Possible ligature ΣΤ (B, l. 1). Date : seconde moitié du IIe s. ap. J.-C. Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (inv. P 9922). Éditions : Dipinto A : inédit (cf. Agora card). || Dipinto B : Robinson 1959, p. 94, n° M 104 ; Agora XXI, p. 10, n° B17 (M. Lang, 1976, avec trad. angl.) ; Oikonomides 1988, p. 50–51, n° 33 (avec trad. angl.) (cf. SEG XXXVIII 49 m). Bibliographie : Lang 1988, p. 26 (avec trad. angl.) ; Keegan 2014, p. 33, n° G2.8 (avec trad. angl.). Illustrations : Robinson 1959, Pl. 22 (ph. de l’amphore) et 59 (dessin du dipinto B) ; Lang 1976, Pl. 3 (dessin du dipinto B) ; Lang 1988, p. 26, fig. 72 (dessin du dipinto B) ; Oikonomides 1988, p. 50 (dessin du dipinto B). Note sur l’édition : Le dipinto B a été publié par Robinson (1959, avec la lecture et le dessin fournis par M. Lang) et repris par Lang (1976, même dessin) et Oikonomides (1988, avec des variantes de lecture). En revanche, le dipinto A est resté inédit, seule une transcription et une proposition de restitution figurent dans la fiche du Musée de l’Agora. Photos et fiche du Musée de l’Agora.
194 Oikonomides 1986, p. 57 : « --- and now in Corinth, news upon news arrive that he set her free and on top he lets her use my own personal things. This was the reward which…….. in Corinth. Now you my relatives know that I was not born to face such things. ---- very empty ------- the house of (----) which got its principles from --- is now (down from the level?) that (---)miras allows to Eri(---) to ------ wastefulness ------------- ». 195 Pour ce type (Agora M 104), voir Reynolds 2010, p. 90. Je remercie Andrei Opaiţ pour des renseignements sur la typologie.
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Fig. 33. Photo de l’amphore.
Fig. 34. Fac-similé du dipinto A (Agora card).
Fig. 35. Photo du dipinto B.
Fig. 36. Fac-similé du dipinto B.
*11. Message sur l’amphore envoyée à Hiérônymos (Athènes)
A
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Φιλίπῳ παρὰ Μα[-2–3-]νος v
v
B
Στάμνον ἀπόδος Φιλίπῳ Φιλίπης v ἀδελφῷ v
A ‒ 1 ΦΙ˙\˙ΙΝ𝈌 ΑΤ Agora card (et ΦΙΛΙΠ ΠΑΡΑ transcr.) || 2 ΜΔ ΝΟϹ Agora card B ‒ 1 ΚΤ////////ΟΛΠΙΔΟC Robinson (forma) : στ[ά]μνον Lang : κρ[ί]μνον Oikonomides || 2 ΦΙΛΗΤΦΙΛΗΤΗC Rob. (forma) : Φιλίπῳ· Φιλίπης Oik. || 3 ////////Φ Rob. (forma)
A. À Philipos (sic), de la part de Ma[–]ôn. B. Retourne la jarre à Philipos (sic), frère de Philipè (sic). A 1 : simplification de la géminée dans Φιλίπῳ (cf. aussi B, l. 2). A 2 : deux, plutôt que trois lettres, sont à restituer dans le nom au génitif Μα[-2–3-]νος, le meilleur candidat étant Μάρων, préférable à Μάκρων. B 1 : il convient de lire στάμνον (cf. le message suivant sur amphore, *11). Partant du dessin publié dans le corpus des graffites, A. N. Oikonomides préfère lire κρ[ί]μνον et traduit « coarse barley meal ». S’il est vrai que la lecture de la première lettre est difficile, la seconde lettre est certainement un tau et non un rhô (sans doute en ligature avec sigma), ce qui confirme la lecture de Lang. B 2 : simplification de la géminée à deux reprises (cf. aussi A, l. 1). Commentaire : Les deux dipinti furent inscrits sur le corps de l’objet – et du sujet – du message, qui devait être remis à un certain Philippos (Traill, PAA XVII 929410), frère de Philippè (Traill, PAA XVII 928680)196, de la part de Ma[rô?]n. Si l’on pouvait avoir des doutes quant à la relation concrète de parenté entre ces deux personnes, à une époque ou l’appelatif « frère » ou « sœur » pouvait désigner des amis ou des proches, la présence d’un nom sous ses variantes masculine et féminine nous conforte dans l’hypothèse qu’il s’agit véritablement d’une fratrie. On retrouve la même construction – à savoir, nom du destinataire au datif suivi de la conjonction παρά avec le nom de l’expéditeur au génitif – dans le message suivant du corpus, à son tour sur la paroi d’une amphore (*11). L’impératif ἀπόδος est naturellement très fréquent dans les papyrus, en particulier dans les indications concernant la distribution du courrier et des instructions.
*11. Message sur l’amphore envoyée à Hiérônymos (Athènes)
*11. Message sur l’amphore envoyée à Hiérônymos (Athènes) Découverte, contexte : deux fragments jointifs d’amphore à pâte grise graveleuse, découverts au printemps 1936 dans le puits attenant à un bâtiment situé dans l’Agora d’Athènes (secteur C 12:1), au sud de l’Héphaïstion, dans un contexte datant du milieu du IIe–début du IIIe s. ap. J.-C. (niveaux I–III). Support, mise en page : dimensions max. du tesson : 10,5 × 9,5 cm. Sur la partie externe, en-dessous du bord de l’amphore, un dipinto à l’encre noire sur quatre lignes, à présent presqu’illisible. Le texte était sans doute centré (cf. l’indication sur amphore *10). Dialecte : koinè. Datifs sans iota adscrit, comme attendu à cette époque (ll. 1–2). Paléographie : lettres peintes (ht. des lettres : 0,5–1 cm) ; écriture caractéristique de l’époque impériale, avec des traits cursifs (alpha, delta, my, ômega) ; epsilon et sigma lunaires ; phi à petite boucle. Date : milieu du IIe–début du IIIe s. ap. J.-C. 196
Noms banals à Athènes (LGPN II 450–451 et II.A 189) comme dans le reste du monde grec.
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Conservation : Musée de l’Agora, Athènes (inv. P 8341). Éditions : Robinson 1959, p. 56, n° J 52 ; Agora XXI, p. 10–11, n° B18 (M. Lang, 1976, avec trad. angl.) (cf. Jajlenko 1984, p. 198, avec trad. russe) ; Oikonomides 1988, p. 51–52, n° 34 (avec trad. angl.) (cf. SEG XXXVIII 49 n) ; Steinhart/Wirbelauer 2000, p. 263 (et n. 33–34) et 280–281, n° 10 (avec trad. all.). Bibliographie : Lang 1988, p. 28 (avec trad. angl.) ; Keegan 2014, p. 33, n° G2.9 (avec trad. angl.). Illustrations : Robinson 1959, Pl. 59 (dessin) ; Lang 1976, Pl. 3 (dessin) ; Lang 1988, p. 28, fig. 77 (dessin) ; Oikonomides 1988, p. 51 (dessin). Note sur l’édition : le texte a été publié par Robinson (1959, qui reproduit la lecture de G. A. Stamiris), avant d’être repris par Lang (1976) et Oikonomides (1988, avec d’autres restitutions téméraires). Fiche et photos du Musée de l’Agora (en particulier une photo sur laquelle le dipinto est bien visible), qui m’ont permis de confirmer et légèrement améliorer le texte donné par Mabel Lang ; à présent le tesson est pratiquement illisible.
Fig. 37. Photo des deux tessons (Agora card).
Fig. 38. Photo des deux tessons (de nos jours).
4
[v] Ἱερων[ύ]μῳ v [χ]ρηστῷ ἀδελφ[ῷ] [πα]ρὰ ἀδελφῶ[ν] [vac. στ]άμνος. vac.
1 [Ἱ]ερων[ύ]μῳ Stamiris, Lang : [Ἀπόδος Ἱ]ερων[ύ]μω Oikonomides || 2–3 [χρ]ηστῷ ἀδελφ[ῷ] Stam., Lang : ] ῆς τῷ ἀδελφ|[ῷ] Oik. || 3–4 [πα]ρὰ [ἀ]δελφ[ῶν | στά]μνος Lang : [πα]ρ᾿ ἀδελφ|[ῆς καὶ ---]ᾶνος Oik. : [πα]ρὰ [ἀ]δελφ[οῦ] Hallof (apud Steinhart/Wirbelauer) || 4 ]ΛΝΟC Stam.
Fig. 39. Fac-simile du dipinto.
12. Lettre sur plomb concernant une affaire d’argent (Mégare)
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Une jarre pour notre estimable frère, Hiérônymos, de la part de ses frères. L. 1 : nom du destinataire au datif. L. 2 : [χ]ρηστῷ ἀδελφ[ῷ], un adjectif d’estime. L. 2–3 : apparemment, un envoi entre frères (cf. la même relation de parenté dans le message sur amphore *10). Il peut toutefois s’agir d’une façon familière de s’adresser à des amis, banalisée à l’époque impériale, comme nous renseignent les papyrus d’Égypte ou les usages latins (frater et fratres) ; cette explication est à privilégier. L. 4 : l’objet envoyé est une jarre (cf. le message précédent sur amphore, *10), car il convient de lire [στ]άμνος. Commentaire : Très peu de lettres manquent au début et à la fin des ll. 2–4 ; la seule incertitude subsiste à la fin de la l. 3. Tout comme les deux dipinti du numéro précédent (*10), sur un vase qui a pu être reconstitué presqu’entièrement, dans ce cas on est en présence d’un message qui accompagnait l’amphore. Il doit s’agir d’un objet envoyé (en guise de cadeau ?) à Hiérônymos (Traill, PAA IX 533965)197 par ses frères198 ou plutôt par des amis199. On reconnaît la formule présente également dans le message antérieur (*10), Φιλίπῳ παρὰ | Μα[-2–3-]νος : nom du destinataire au datif suivi de la conjonction παρά avec le nom de l’expéditeur au génitif. Alors que dans la plupart des cas les instructions de livraison étaient orales, ces deux exemples montrent que parfois les expéditeurs prenaient le temps de noter un bref message accompagnant l’envoi.
12. Lettre sur plomb concernant une affaire d’argent (Mégare)
12. Lettre sur plomb concernant une affaire d’argent (Mégare) Découverte, contexte : fragments d’une lamelle de plomb, découverts à Mégare par l’archéologue allemand Arthur Milchhöfer (1852–1903), ensemble avec une defixio opisthographe200 sur plomb ; ces trouvailles ont été vendues à l’Antikensammlung de Berlin. Support, mise en page : lamelle de plomb, brisée en de nombreux morceaux (une vingtaine selon R. Wünsch). La lamelle est opisthographe : sur la face B est gravée une defixio, publiée par Richard Wünsch en 1897 (DTA, p. XIV, face b) et reprise par Auguste Audollent en 1904 (Defixiones 42, face B) ; sur la face A, sans aucun doute la première à avoir été gravée, on reconnaît une lettre privée. R. Wünsch a pu combiner six fragments et transcrire trois fragments lisibles non jointifs. Les morceaux des deux defixiones mégariennes furent conservées dans trois boîtes de la collection berlinoise et sous deux numéros d’inventaire (en raison de leur transfert en Russie après la Seconde Guerre mondiale), ce qui a entrainé des confusions et des mélanges201. Pour le document qui nous intéresse, la collection conserve actuellement 15 fragments, dont 9 sont jointifs. À l’origine, il devait s’agir d’une lamelle rectangulaire (seule la largeur peut être estimée à env. 10 cm), écrite dans le sens de la hauteur. L’état fragmentaire du document, les oxydations, des rayures verticales et divers autres accidents empêchent la lecture de certains endroits. Coupe syllabique très probable en fin de lignes. Vacat entre deux mots à deux reprises (ll. 2, 6). Au moins à partir de la partie conservée, le graveur semble avoir gravé les lignes montantes, vers la droite. Dialecte : koinè. Graphie -ει- pour -ι- (fr. 1, l. 7 ; fr. 2, l. 2). Paléographie : lettres cursives assez élégantes, similaires aux écritures sur papyrus des trois premiers siècles de notre ère (ht. des lettres : 0,4 cm), en particulier alpha (ⲁ), êta (𝈥) et l’ômega () ; delta élégant (ⲇ) ; epsilon et sigma lunaires ; ny dont la haste médiane est presque horizontale (différent pourtant de l’êta) ; pi élégant, à barre supérieure dépassante. Des ligatures, en raison de la rapidité de l’écriture, concernent de manière systématique la séquence ΕΙ (ll. 3, 4, 5, 6, 7 et peut-être 11), et une seule fois ΓΟ (l. 9). La forme des lettres indique l’époque impériale (Ier–IIe s. pour R. Wünsch, IIe–IIIe s. pour J. Curbera). Nom banal à Athènes (LGPN II 234 et II.A 93). L’interprétation chrétienne du message par Jajlenko 1984, p. 198 est pour le moins curieuse. 199 Notons aussi la suggestion de K. Hallof de comprendre [πα]ρὰ [ἀ]δελφ[οῦ], rapportée par Steinhart/Wirbelauer 2000, p. 263 (et n. 33–34) et 280–281, n° 10. 200 Staatliche Museen zu Berlin, Antikensammlung [Misc. 7462 (W. XIII)], publiée par R. Wünsch, DTA, p. XIII. 201 « It is worth noting that the analysis of nos. 39–41 confirms the suspicion of Peltz and Curbera that objects 40 and 41, originally kept in different boxes under different inventory numbers, are actually fragments of the same tablet. It is clear that during or after World War II, the contents of some boxes were mixed up. A direct examination has allowed to piece together the fragments of one single tablet » (Vogl et alii 2018, p. 1124). 197 198
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Date : époque impériale (Ier–IIIe s. ap. J.-C.). Conservation : Staatliche Museen zu Berlin, Antikensammlung [Misc. 7462 (W. XIV)]. Éditions : DTA, p. XIV (face a) (R. Wünsch, 1897) ; Audollent, Defixiones, 1904, p. 77–78, n° 42, face A ; Versnel 1987, p. 8 (face A). Bibliographie : Versnel 1991, p. 64 ; Versnel 1998, p. 223–224, 232–233 ; Vogl et alii 2018, p. 1112, 1117 (nos 40–41), 1123– 1124, 1126. Illustrations : Vogl et alii 2018, p. 1113, fig. 3b (ph. et dessin). Note sur l’édition : les lectures de Wünsch (1897), suivi par Audollent (1904), sont dans la plupart des cas correctes, avec des différences de détail. Jaime Curbera m’a généreusement fait part de sa relecture de la defixio ainsi que de la lettre (pour laquelle il suit généralement Wünsch).
Fig. 40. Photo de la face A de la lamelle (lettre privée) (Pl. IV).
12. Lettre sur plomb concernant une affaire d’argent (Mégare)
Fig. 41. Fac-similé de la face A de la lamelle (lettre privée).
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Fig. 42. Photo de la face B de la lamelle (defixio).
12. Lettre sur plomb concernant une affaire d’argent (Mégare)
Fig. 43. Fac-similé de la face B de la lamelle (defixio) (J. Curbera).
Fr. 1 (7 × 9,5 cm)
4
-----------------------------------------[------------------------------------- λα][βό]ντα vac. τὰ χαλκία [καὶ εἰς τοὺς] [πρ]υτάνεις ἐνεχυράσαν[τα καὶ λα]βόντα τὰ εἴκοσι δηνάρια [καὶ] [εἰ]πόντα ὅτι εἰ ὁ κοκ[--------]. [Κα?]ὶ ἔλαβον vac. καὶ εἶπον ὅτ[ι εἰς] Ὠρωπὸν εἰς τὴν εἰχθύω[ν ἀγοράν?]
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ἀπέδωκά σοι εἰς τὸν πρ[αγ]μάτων λόγον δηνάρι[α ἑκατὸν?] π[ε]ντήκ[οντα· τὸ?]ν κάδον [---] [--------------------- ‒]ακεῖν ++[---] ------------------------------------------
1–4 [λαβό]|ντα τὰ χαλκ[ία καὶ εἰς τοὺς πρ]|(υ)τάνεις ἐνεχυρά[σαντα ὅτι ἔλα]|βον τὰ εἴκοσι δηνά[ρια καί] Wünsch : [πρ|υ]τάνεις Audollent : [ἔλα]|βον τὰ 〈τὰ〉 εἴκοσι vel [λα]|βόντα τὰ εἴκοσι Aud. || 5 [εἰ]πόντα ἐπεὶ ὁ Κο[ Wü. || 6–7 .. ἔλαβον καὶ εἶπον [ὅτι εἰς] | (Ὠ)ρωπὸν εἰς τὴν εἰχθύω[ν] Wü. ([Ὠ]ρωπὸν Aud.) || 8–9 .ΟΝ ἔδωκα οἱ εἰς τὸν π[ραγμ]|άτων λόγον δηνάρι[α] Wü. || 8 ἀπέδωκά σοι Dana || 10–11 ..ΝΤΗ…..Ν κάδον …|……… χα]λκὸν ΠΟ.. Wü. : δηνάρι[α ἑκατὸν?] | π[ε]ντήκ[οντα· τὸ?]ν κάδον Dana || 11 [‒]ακεῖν ++[ Dana.
Fr. 2 (2 × 2,3 cm) [---]Ω+Ο+[---] [--- Π]ΩΛΙΝ [---] [---] χαλκῷ +[---] ..ΝΙΟ|. [π]ῶλιν |. [χ]αλκῶ |..Ε Wü. Aud.
Fr. 3 (2 × 2 cm) [---]+ ὅτι [---] [---]++[---] Fr. 4 (1,7 × 1,9 cm) [---]+ΔΟ[---] [---]+ΙΝ+[---] .Ι..|..Ν..|..Η.. Wü.
Fr. 5 (2,4 × 1,2 cm) [---]+Ω++[---] [---]ΟΑ[---] [---]Α+[---] [---]+[---] Fr. 6 (1,3 × 1,3 cm) [---]ΛΤΑ[---] vel [---]ΛΤΑ|[---]
Fr. 7 (dim. inconnues) [---]Α[---] [---]ΑΛ[---] [---] prenant les vases de cuivre afin de les mettre en gage auprès des prytanes en échange de 20 deniers et affirmant que si [---] ; (et?) je pris et je dis qu’à Oropos, au marché aux poissons, je t’ai donné 150 (?) deniers pour solder nos affaires. Une cruche [---].
12. Lettre sur plomb concernant une affaire d’argent (Mégare)
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Fr. 1 : neuf fragments jointifs avec dix lignes conservées, ce qui constitue le corps principal de la lettre, alors que le début et la fin sont irrémédiablement perdus ; à gauche, on observe les bords crantés de la lamelle ; à droite, la fin des lignes est perdue, mais les restitutions sont relativement faciles. L. 1–3 : il est question de vases de cuivre laissés en gage auprès des prytanes, en échange d’une somme de 20 deniers (denarii). On ignore quelle est la cité où se trouvaient les prytanes en question (voir comm.)202. L. 5 : lecture différente par rapport à R. Wünsch, qui supposait le début d’un anthroponyme masculin ; il s’agit plutôt d’un substantif commun. L. 6–7 : εἰς τὴν εἰχθύω[ν ἀγοράν?], mention d’une place à Oropos, sans doute l’agora des poissons203 ; il convient de restituer un substantif féminin à l’acc. après εἰχθύω[ν], en raison de la présence de l’article. || Graphie banale à l’époque impériale dans εἰχθ-. L. 8–10 : il est question d’une autre somme d’argent, exprimée toujours en deniers, sans doute en valeur de 150 unités, e.g. δηνάρι[α ἑκατὸν] | π[ε]ντήκ[οντα]. Une fois cette somme rendue, les affaires entre les deux protagonistes devraient être réglées (εἰς τὸν πρ[αγ]|μάτων λόγον). On retrouve cette expression, cette fois avec le sens de finances de l’État, dans un papyrus de 251 du nome arsinoïte, ὡς εἰς πραγμάτων λόγον ἠδικηκόσιν (P. Köln VI 258, l. 87). L. 9 : κάδος, mention d’un autre récipient. L. 10 : [---]ακεῖν (si la lecture est correcte), fin d’un verbe à l’infinitif. Fr. 2 (= fr. II Wünsch) : L. 2 : soit l’infinitif du verbe « vendre », avec iotacisme (pour πωλεῖν), soit la mention d’une boutique en -πωλις, à l’accusatif. L. 3 : χαλκός, mention d’un vase de cuivre (?), au datif, cf. d’autres vases mentionnés dans le fr. 1, l. 2 (τὰ χαλκία), plutôt que le terme générique pour monnaie de bronze (cf. lat. aes) ; il est également possible de restituer le pluriel χαλκώμ[ατα], toujours dans la série des objets/vases en bronze. Fr. 3 : la conjonction ὅτι, particulièrement fréquente dans cette lettre (cf. fr. 1, ll. 5 et 6). Fr. 4 (sans doute le fr. III Wünsch) : deux lignes, mais aucune séquence cohérente ne se dégage. Fr. 5 : quatre lignes avec des lettres disparates (s’il appartient vraiment à cette face du document). Fr. 6 : une ligne avec trois lettres, avec un ou deux bords conservés, peut-être le seul fragment de l’extrémité droite. Fr. 7 : morceau perdu, transcrit par Wünsch. Commentaire : Deux lamelles opisthographes de plomb d’époque impériale de Mégare sont entrées avec d’autres defixiones dans la collection du musée de Berlin et ont été publiées pour la première fois par Richard Wünsch, dans son corpus DTA (p. XIII–XIV). D’après la forme des lettres, Wünsch204 pensait que les deux defixiones ont été écrites par la même personne. Néanmoins, pour le document qui nous intéresse, force est de constater que la paléographie des faces A (la lettre privée) et B (la defixio) est différente. La lamelle, inscrite d’abord sur la face A, a été reprise pour y noter, sur la face B, le texte d’une defixio qui maudit les différentes parties du corps
Pour ce qui est de Mégare, Pausanias 1.43.2 mentionne les tombes de deux héros, Euhippos fils de Mégareus et Ischépolis fils d’Alkathoos, dans le Prytanée de cette cité ; voir Robu 2014, p. 385. 203 Des marchés aux poissons sont attestés à Cos et Athènes (Karvonis 2007, p. 38). Cf. le terme ὀψόπωλις (« marché aux poissons et de délicatesses saumurées ») dans la dédicace d’un agoranome de Chersonèse Taurique, d’époque impériale, et dans quelques sources littéraires (voir la discussion chez A. Avram, BÉ, 2008, 412). 204 La plupart des 220 défixions attiques publiées par R. Wünsch dans son corpus DTA avaient été achetées à Athènes au collectionneur Athanasios S. Rhousopoulos ; sur la collection du savant allemand, voir Curbera 2012. 202
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
de l’adversaire205, avant d’être enroulée et déposée vraisemblablement dans une tombe. Les déchirures ne sont parallèles ni aux lignes de la face B, ni aux lignes de la face A. Le rédacteur de la defixio n’est certainement pas la même personne, car, si la paléographie est naturellement similaire étant donné l’époque, au moins trois lettres ont des formes très différentes : êta, ny et pi. Il s’ensuit que la defixio (face B) a été écrite par le destinataire de la lettre ou une autre personne de son entourage, qui a utilisé le verso d’une lamelle déjà inscrite. Pour Hendrik S. Versnel, sur les traces de Richard Wünsch, il s’agit d’une defixio opisthographe : ainsi, la face B comporte « une énumération très caractéristique des parties du corps de l’adversaire qui doivent être endommagées et, pour le cas où une partie aurait été oubliée, cette énumération est suivie de la formule stéréotypée, elle aussi, ‹et s’il existe encore une autre partie du corps›. Cela est typique pour la defixio. Sur l’autre face par contre nous pouvons, malgré la mutilation du texte, lire un exposé presque juridique des causes de cette exécration. La personne exécrée semble avoir refusé de rendre une somme d’argent, action exécrable qui, déjà en ce temps-là, met en fureur le créditeur. Voici donc de nouveau une justification pour l’exécration »206. En réalité, le second texte, qui est celui d’une malédiction, n’a aucun rapport avec le premier texte, qui est un message privé à caractère économique. Cette distinction a été faite pour la première fois par Jaime Curbera (« une lettre d’affaires »), qui m’a signalé l’existence de ce document jamais étudié pour la correspondance privée grecque. Le sujet de la lettre tourne autour des questions d’argent (fr. 1, ll. 3–4, 8–10) et de vases divers (fr. 1, ll. 1–3, 10 ; fr. 2, l. 3), en particulier de bronze, avec une opération de gage auprès des prytanes (fr. 1, ll. 1–3), une opération de vente (fr. 2, l. 2) et la mention d’une place à Oropos, sans doute le marché aux poissons (fr. 1, ll. 6–7). La perte du début de la lettre nous empêche de connaître les noms des protagonistes de l’affaire. Le destinataire se trouvait certainement à Mégare207, la grande cité dans l’Isthme du Corinthe, à l’est d’Éleusis dans le Golfe Saronique, voisine et ancienne rivale d’Athènes. L’expéditeur devait résider dans un endroit que nous ignorons : à Mégare, dans la Mégaride, ou bien à Oropos ou dans son voisinage, car cette dernière cité est mentionnée dans le texte (fr. 1, l. 7). Pour une fois, l’analyse isotopique du plomb apporte dans ce sens un témoignage décisif : en effet, la provenance du plomb pointe vers l’Eubée (en excluant les mines attiques du Laurion), peut-être mélangé avec d’autres plombs recyclés208. La mention de la cité d’Oropos (auj. Skala Oropou)209, au sud du Golfe Eubéen, en face d’Érétrie (dont elle serait par ailleurs une colonie), situerait plutôt le lieu de l’envoi dans le Golfe Eubéen. Fameuse pour son sanctuaire d’Amphiaraos et située entre la Béotie et l’Attique, Oropos a été pour certaines périodes sous domination athénienne (ca. 500–411 et par deux fois au IVe s.)210 ; elle était redevenue athénienne vers l’époque impériale, date de notre texte.
Voici le texte du fragment central de la defixio, d’après DTA, p. XIV (R. Wünsch, 1897), face b ; Audollent, Defixiones, 1904, p. 77–78, n° 42, face A ; Versnel 1987, p. 8–9, face A (« supplication juridique ») ; Jordan 2001, p. 155, n° 5 (cf. SEG LI 569) ; et lectures de J. Curbera (per litteras), que je remercie : 205
[κ]ατα[δῶ? --------------------------] ΤΑ[-----------------------------------] [---------------------------------------] [----------------------]ιθος μασθόν, [--- πνεύμ]ονας, καρδίαν, ἦπαρ, [---] ΡΑ[---], ἰσχία, ῥάχιν, κοιλίαν, Π[---] αἰδοῖον, μηρούς, πρωκτόν, Τ[---], κνήμας, πτέρνα[ς, ---] [---]ους, ἄκρα πόδων, δακτύλους, ΛΙ [---]ς καὶ εἴ τι λ[οιπὸν] τῶν μερ[ῶ]ν [ἔσ]ται τοῦ σώματος ὅλ[ο]υ τοὺς [---]ΕΠΙΑΥΤΗ[------------------------] [---]ΟΠΙ[--------------------------------]. 206 DTA, p. XIV (R. Wünsch, 1897) ; Versnel 1987, p. 8 ; Versnel 1991, p. 64 ; Versnel 1998, p. 232–233. Photo et dessin dans Vogl et alii 2018, p. 1113, fig. 3b. 207 Legon 2004, p. 463–465, n° 225. 208 Vogl et alii 2018, p. 1123–1124. 209 Hansen 2004, p. 448–449, n° 214. 210 Voir Knoepfler 2010.
*13. Possible lettre sur plomb (Mendè)
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La lettre est rédigée par une personne qui écrivait couramment, comme le montrent le tracé des caractères et les ligatures, assez aisée, mais qui ne fait pas preuve d’un style très soigné. Il s’agit certainement d’un homme d’affaires qui avait comme priorité l’exactitude des chiffres et la clarté des opérations, d’où les répétitions211, et non pas la qualité de l’expression écrite. Enfin, l’apport le plus important de ce document incomplet et réutilisé comme support pour une malédiction est qu’il s’agit de la lettre sur plomb la plus tardive du corpus. Il confirme le fait que l’usage du plomb comme support de la correspondance privée continue, du moins dans certaines régions, jusqu’en pleine époque impériale. Faute de papyrus, et même dans les milieux assez aisées comme nous l’indiquent les sommes importantes dont il est question dans ce texte, le recours aux lamelles de plomb était encore en cours. Quant à l’emploi secondaire de notre document, on peut citer pour l’épigraphie sur plomb trois autres cas qui indiquent la réutilisation des supports devenus caduques, à l’instar des actes sur papyrus en Égypte gréco-romaine : (1) une lamelle inscrite en étrusque (lettre privée ?) fut utilisée dans le deuxième tiers du Ve s. pour graver sur l’autre face le fameux mémorandum commercial de Pech Maho (IG France 135 ; voir p. 368–369) ; (2) le plomb commercial grec de Roccagloriosa, en Lucanie, « deux médimnoi sont vendus [à prix X] » (Lu 45/ Buxentum 3) ; cette lamelle de plomb fut réutilisée au IVe s. pour graver, sur la même face et dans l’espace disponible, une defixio en osque. (3) enfin, une tablette usagée réutilisée par la même personne : sur une lamelle de plomb opisthographe de Géla, colonie rhodienne en Sicile (I. dial. Sicile I 134, début du Ve s.), la face A porte le texte d’une transaction commerciale qui mentionne un garant du nom d’Apellis, tandis que la face B comporte une imprécation érotique en faveur du même Apellis.
*13. Possible lettre sur plomb (Mendè)
*13. Possible lettre sur plomb (Mendè) Découverte, contexte : lors des fouilles, à Mendè (Chalcidique). Support, mise en page : lamelle de plomb (dimensions inconnues). Date : IVe s. (?). Conservation : sans doute au Musée Archéologique de Salonique. Inédite. Bibliographie : Trakosopoulou-Salakidou 1997, p. 165 n. 1 ; Jordan 2000a, p. 95 n. 5 ; Jordan 2003, p. 32, n° V ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (B2) ; Henry 2004, p. 74 ; Dana 2007a, p. 68 (B2) ; Jordan 2007, p. 1358, n° V ; Eidinow/Taylor 2010, p. 52 (B2) ; Ceccarelli 2013, p. 351, n° 34 ; Decourt 2014, p. 55, n° 20.
Ce document, toujours inédit, est signalé à plusieurs reprises par David R. Jordan comme étant une lettre sur plomb, selon un renseignement fourni par Anastasios-Fivos Christidis212. Il aurait été découvert lors des fouilles à Mendè213, colonie d’Érétrie (peut-être du VIIIe s.)214. Située dans la partie méridionale de la presqu’île de Pallenè (auj. Kassandra), en Chalcidique, Mendè a par ailleurs livré très peu de documents épigraphiques215.
211 Ainsi, l’abus de la conjonction ὅτι, ou des expressions comme [καὶ λα]|βόντα τὰ εἴκοσι δηνάρια [καὶ | εἰ]πόντα ὅτι (ll. 3–5) et [κα]ὶ ἔλαβον καὶ εἶπον ὅτ[ι] (l. 6). 212 Jordan 2003, p. 32, n° V. 213 Trakosopoulou-Salakidou 1997, p. 165 n. 1 mentionne une defixio ou une lettre d’époque classique, trouvée lors des fouilles à Mendè. Sur les fouilles de Mendè, voir Moschonissioti 1998. 214 Thucydide 4.123.1 ; Harpocration, s. v. Μένδη. Membre de la première Confédération Athénienne, révoltée contre Athènes en 423, quand Brasidas transporta les femmes et les enfants à Olynthe, puis reprise par Athènes, Mendè redevient indépendante vers 360, mais cultive des relations hostiles avec Olynthe et ses alliés, avant d’être conquise par Philippe II et d’entrer par la suite dans le territoire de Cassandrée. 215 Voir en général Panayotou 1990, p. 196–197 ; Knoepfler 2007, p. 114–115 ; Flensted-Jensen 2004, p. 831–833, n° 584. Pour la prosopographie externe des Mendéens, voir Tataki 1998, p. 120–122.
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
Mes efforts répétés auprès d’épigraphistes et d’archéologues grecs n’ont pas abouti à identifier le document, s’il est conservé au musée de Salonique, ou à obtenir d’autres détails sur sa découverte.
14. Lettre sur plomb de [---]itos à Tégéas (Toronè)
14. Lettre sur plomb de [---]itos à Tégéas (Toronè) Découverte, contexte : lamelle de plomb trouvée lors des fouilles australiennes à Toronè en Chalcidique, le 17 août 1976, sur le promontoire 1, dont le nom ancien était sans doute Lekythos216 (secteur Isthmus TR 2 tr 1 [3]), où se trouvait l’ancien port de la cité. Le contexte est celui d’un dépotoir mixte où prédominent les trouvailles d’époque classique tardive, mais aussi quelques fragments d’époque romaine tardive et même de la période ottomane. Le matériel d’époque classique ne dépasse pas la fin du IVe s., avec très peu d’artéfacts postérieurs à 325. Support, mise en page : lamelle rectangulaire : 5,2 x 12,7 (en haut)/15,1 cm (en bas) ; ép. 0,1 cm. Les bords originaux, sans déchirures indiquant une perte du matériau, ont été conservés en haut (avec une petit morceau détaché) et en bas, mais les deux marges latérales sont crantées : entre 2 et 4 lettres semblent avoir été perdues à gauche, et au moins 5 lettres à droite. Selon le premier éditeur, Alan S. Henry, la feuille a été probablement pliée une fois au milieu, dans le sens de la hauteur, perpendiculairement sur l’écriture ; ce pliage est visible sur la photo, où l’on voit un creux. En réalité, on peut raisonnablement penser que la lamelle a été pliée six fois, de gauche vers la droite ‒ ce qui donne en tout 7 segments. Les deux segments qui se trouvaient aux extrémités sont presqu’intégralement perdus ; la lamelle devait alors avoir une largeur totale d’environ 20 cm. La partie inscrite, très abîmée et corrodée au moment de la découverte, a nécessité plusieurs traitements chimiques pour enlever les dépôts. Lettres inscrites sur une seule face de la feuille de plomb et assez lisibles, à quelques exceptions près ; pas de trace d’adresse ou d’un nom sur la face externe. Néanmoins, étant donné que les segments latéraux sont perdus, on ignore si l’adresse, qui ne devait pas comporter plus d’une ou deux lignes, n’était pas inscrite perpendiculairement aux lignes, tout au bord des marges (par exemple, au verso du segment VII). Le rédacteur est revenu pour tracer une nouvelle fois la haste oblique gauche de l’alpha dans πριάμενος et le sigma dans ἐστιν (l. 3) ; dans οἷα (l. 4), l’omikron est surélevé. D’après les éditeurs, le texte comporte sept lignes, apparemment sans coupe des mots en fin de ligne : on peut supposer que chaque ligne commençait et finissait par un mot complet. Deux lettres d’une 8e ligne sont néanmoins visibles. Le contenu de la lettre s’arrêtait à la fin de la l. 6, puisqu’on observe un vacat. Aux lignes suivantes, dans le coin gauche, on observe une sorte de souscription, à moitié perdue avec le premier segment détaché. Dialecte : koinè. Assimilation des nasales (l. 1 : ἐμ Μ[ένδηι?]) ; simplification de la géminée (l. 4 : ἐλάσω) ; ποεῖ pour ποιεῖ (l. 2). Paléographie : lettres assez profondément gravées (ht. des lettres : 0,3–0,5 cm) et indices de la rapidité de la gravure, preuve que le rédacteur écrivait couramment. Lettres remarquables : my gravé en quatre temps ; pi avec la seconde haste plus courte ; sigma à quatre branches ; phi à boucle aplatie. La lettre la plus caractéristique est l’omikron, plus petit que les autres caractères, qui est souvent tracé en deux temps (formé de deux traits, l’un en bas à gauche, l’autre en haut à droite, alors que le thêta est inscrit d’un seul trait circulaire.
Date : ca. 350–325. Conservation : Musée de Polygyros (Chalcidique) (inv. M76.798). Éditions : Henry 1991 (avec trad. angl.) (= SEG XLIII 488 ; cf. M. B. Hatzopoulos, BÉ, 1994, 429) ; Henry 2001, n° 19.1 (avec trad. angl.) (cf. SEG LII 646) ; Jordan 2003, p. 32, n° IV (avec trad. angl.) ; Henry 2004, p. 72–74, T 91 (avec trad. angl.) ; Jordan 2007, p. 1357–1358, n° IV (avec trad. angl.) ; Ceccarelli 2013, p. 350–351, n° 33 (avec trad. angl.). Bibliographie : Treister 1996, p. 221 ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 19) ; Jordan 2000a, p. 92, n° 3 ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (B1) ; Harris 2004, p. 121 (avec trad. angl.) ; Dana 2007a, p. 68 (B1) ; Knoepfler 2007, p. 111 ; Beness/Hillard 2009–2010, p. 90 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 51 (B1) ; Ceccarelli 2013, p. 43–44 ; Harris 2013, p. 121–122 (avec trad. angl.) ; Decourt 2014, p. 55, n° 21 ; Archibald 2015, p. 386 ; Dana 2015a, p. 121–122 ; Dana 2016, p. 102–103 ; Archibald 2019 (avec trad. angl.). Illustrations : Henry 1991, p. 67, fig. 1 (ph. et deux dessins) ; Henry 2001, Pl. 100 a (ph.) et b-c (deux dessins) ; Henry 2004, p. 73, fig. 3 (ph.) ; Decourt 2014, p. 74, fig. 14 (dessin). Note sur l’édition : le premier éditeur, Alan S. Henry, qui donne à deux reprises une édition soignée (1991, 2001), suivie
216
2010.
Ce microtoponyme est mentionné par Thucydide 4.113.2. Pour l’état de la région dans l’Antiquité, voir Beness et alii 2009–
14. Lettre sur plomb de [---]itos à Tégéas (Toronè)
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par Jordan (2003, 2007), précise que les dessins qu’il reproduit ont été réalisés par Craig Bassam en 1990 ; ce dernier avait utilisé en partie un dessin fait en août 1979 par Christopher Pfaff, en partie l’autopsie du plomb faite par Henry. Le premier éditeur ajoute que sa lecture a été améliorée en 1990 et modifiée par rapport au dessin initial de Bassam, après plusieurs nettoyages successifs et à l’aide d’un microscope performant. Une transcription préliminaire du texte avait été faite par David R. Jordan (lettre envoyée au professeur Alexander Cambitoglou, le 22 oct. 1981), qu’Henry a pu utiliser avant sa visite à Toronè217. Grâce aux photos de qualité des archives de l’Éphorie des Antiquités de la Chalcidique et du Mont Athos et de l’Institut Australien d’Athènes, j’ai pu refaire le fac-similé et confirmer la plupart des lectures d’Henry, tout en améliorant par endroits la compréhension du texte.
Fig. 44. Photo de la lamelle (Pl. IV).
Fig. 45. Fac-similé de la lamelle.
[ca. 3]ιτος Τεγέαι χαίρειν. Ξύλα οὐκ ἔχω ἐμ Μ[ένδηι?] [ὠνε?]ῖσθαι. Σὺ δὴ ἀπόστειλον ἡμῖν εἴ τι ποεῖ πλο[---] [ἑπτ?]ὰ πριάμενος, εἰ ἐν δυνατῶι ἐστιν, τάλαντα [---]. [Μὴ] δὴ ἐλάσω μηδέν σοι οἷα φερέτω μάλιστα μὲν [---] [ἁπ?]άντων, εἰ δὲ μὴ [ca. 2–3]++[ca. 5]. Καὶ ταῦτα ποιῶν χαρι[εῖ ἡμῖν?]. [ca. 2–3]ραμον δ᾿ ὠνήματα ἑπτὰ Ν[ca. 4]Α ἢ κατακωλῦσαι. vac. [Ἐδίδ?]οτο vac. [ca. 3]Δ+ vac.
4
8
217
Henry 2001, p. 768.
74
Corpus épigraphique – L’ espace égéen
1 ]τος Henry, edd. || [ξύ]λα Hen., edd. || ΕΜΜ[ plumbum : ἐμ Μ[ένδηι?] vel ἔμμ[ετρα] Hen. || 2 εὐ[θέως] εἰ πλο[ῖον ἔχεις] Hen. (εἰ πλο[ῦς ἐστιν] Craik apud Hen.) : εἴ τι ποεῖ πλο[ Dana || 3 [ἑπτ]ὰ πριάμενος Hen., edd. || 4 [μὴ] δὴ ἐλάσ〈σ〉ω μηδέν σο[ι παρ]ε[χ]έτω Hen., edd. : [μὴ] δὴ ἐλάσω μηδέν σοι οἷα φερέτω Dana || ΕΛΑΣΩ plumb. : ἐλάσ〈σ〉ω Hen., edd. || 5 [ἁπ?]άντων, εἰ δὲ μ[ὴ ca. 8] Hen., edd. || χαρι[εῖ ἡμῖν] vel χαρι[εῖ μοι] Hen. : χάρι[ν λήψει] Craik apud Hen. || 6 [πέ]ρανον δ᾿ ὠν[ή]μ[ατα ἑ]πτὰ [ἡμερῶν] ἢ κατακωλ[ύ]σω. vac. Hen., edd. : [ca. 2–3]ραμον δ᾿ ὠνήματα ἑπτὰ Ν[ca. 4]Α ἢ κατακωλῦσαι. vac. Dana || 7 [Ἔρρ] ω?[σο] Hen., edd. : [Ἔρρ]ω[σο] Jordan : [Ἐδίδ?]οτο Dana || 8 [ca. 3]Δ+ Dana.
[---]itos à Tégéas, salut. Je ne peux pas acheter du bois à M[endè ?]. Donc envoie-moi, s’il est possible de le faire par mer (?), en achetant sept (?) talents, si cela est dans ton pouvoir. Et qu’il ne transporte non moins (de sept ?) talents ni ce qui t’appartient, plutôt que [---] de tous (les produits), et sinon [---]. Et si tu fais ça je le prends comme une faveur. [---] l’achat des sept [---] ou qu’on laisse tomber l’affaire. (Le message) a été remis (?) [---]. Verso (possible adresse dans la partie perdue). L. 1 : on reconnaît le prescrit habituel ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν. || La restitution de la l. 2 et des lignes suivantes (voir infra) permet d’estimer le nombre de lettres manquantes à gauche. Au tout début de la première ligne il faut restituer le nom de l’expéditeur ; le premier éditeur pensait à des noms courts, e.g. Ἄδμητος, Κλεῖτος218. Il est très tentant en effet de restituer [Κλε]ῖτος (cf. LGPN IV 193), qui transmet ses salutations à Tégéas et l’informe qu’il ne lui est pas possible d’acheter du bois. Le nom Τεγέας semble une sorte d’ethnique secondaire de la cité de Tégée en Arcadie, attesté autrement comme nom oxyton féminin Τεγεάς219. Denis Knoepfler remarque que l’ethnique usuel de Tégée, Τεγεάτης, apparaît sous la forme ionienne Τεγεήτης comme anthroponyme seulement en Érétrie220 ; or, Mendè, où se trouve apparemment celui qui écrit à Tégéas, est une colonie d’Érétrie. || Seule la moitié gauche du my qui précède la brisure de droite est conservée : la fin de la ligne suggère très probablement le lieu où devait avoir lieu la transaction, e.g. ἐμ Μ[ένδηι]. Une autre possibilité serait un adjectif décrivant les objets, e.g. ἔμμ[ετρα], « convenable, adéquat ». Dans le deux cas, il s’agit d’une assimilation des nasales. L. 2 : la séquence [---]ΙΣΘΑΙ doit être la partie finale d’un infinitif en -εῖσθαι ; étant donné que le texte concerne une transaction commerciale, on peut raisonnablement penser au verbe [ὠνε]ῖσθαι – « virtually irresistible », comme écrit Henry. || ἡμῖν (« pour nous », « à nous ») renverrait, de l’avis de l’éditeur, non pas à un individu, mais à un groupe ou un partenariat221. Je crois que cette interprétation n’est pas nécessaire, d’une part parce que cette référence à soi à la Ière pers. est fréquente dans les sources littéraires, d’autre part, parce que l’auteur peut faire allusion à son entreprise ou à ses affaires. Par ailleurs, ce pluralis modestiae est couramment employé dans les papyrus, en particulier au IIIe s., par exemple dans les archives de Zénon. || Après ἡμῖν, on peut lire davantage que le premier éditeur et écarter ses restitutions222 ; je vois en effet εἴ τι ποεῖ πλο[---] (cf. ποει[.], 5, l. 7 ; ποεῖς et ποεῖν, 59, ll. 1 et 5). La fin de la ligne laisse ainsi entendre que la marchandise devait être transportée par voie de mer. L. 3 : après la brisure, au début de la ligne, il reste seulement l’apex d’un alpha ; on peut restituer, comme l’a proposé Henry, [ἑπτ]ά, à savoir un numéral qui détermine le substantif τάλαντα ; la ligne ne pose pas de problème de syntaxe, car on peut supposer la fin d’une période conditionnelle. || L’incise conditionnelle εἰ ἐν δυνατῶι ἐστιν (cf. l. 2, εἴ τι ποεῖ) est une expression de politesse. L. 4 : je propose une lecture différente du milieu de cette ligne. On peut lire une forme d’impératif IIIe pers. sg. du verbe φέρω ; il est possible qu’il ne soit pas question d’une personne en particulier, mais d’une formulation impersonnelle. || ἐλάσω [= ἐλάσ(σ)ω, avec simplification de la géminée] doit être, comme le propose Henry 1991, p. 68 n. 6. Étienne de Byzance, s. v. Τεγέα = TrGrFr IV 1100 (fragment de Sophocle). 220 LGPN I 430 (une ou deux occurrences, IVe–IIIe s.). Pour la discussion sur le nom Τεγέας, voir Knoepfler 2007, p. 111 ; cf. aussi Fraser 2009, p. 221 n. 18. 221 Même avis chez Ceccarelli 2013, p. 43–44. 222 Henry 2001, p. 768, s’avère très prudent et précise que les lettres indiquées dans le dessin peuvent être des fissures ou des plis dans le métal. 218
219
14. Lettre sur plomb de [---]itos à Tégéas (Toronè)
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Henry, une forme de neutre pl. de l’adj. ἐλάσσων (qui sert de comparatif à μικρός), et non la Ière pers. sg. aor. subj. ou futur du verbe ἐλαύνω. En revanche, on ne doit pas être surpris par cette forme ionienne car le texte, contrairement à ce que pense l’éditeur, ne présente aucun trait dialectal attique (où l’on attendait ἐλάττω) ; les formes signalées par Henry comme attiques – Τεγέαι, ποιῶν – n’ont rien de spécifique, devant être attribuées à la koinè ionienne-attique, qui s’impose tôt dans la région223. L. 5 : on retrouve la séquence εἰ δὲ μή, fréquente dans les instructions épistolaires, dans deux lettres olbiennes sur plomb (29, l. 5 ; 30, B, l. 1). || Pour la séquence restituée par l’éditeur A. S. Henry comme χαρι[εῖ μοι ou ἡμῖν], E. M. Craik lui avait suggéré χάρι[ν λήψει], « tu recevras nos remerciements ». L. 6 : le premier mot reste difficile à restituer, ma lecture étant différente par rapport à celle donnée par Henry. Après le numéral ἑπτά, il est impossible de lire ἡμερῶν, comme avait restitué Henry, la première et la dernière lettres du mot étant un ny et un alpha. || À la fin, il faut lire non pas l’indicatif futur κατακωλ[ύ]σω, mais bien l’infinitif κατακωλῦσαι ; il est suivi d’un vacat, ce mot marque donc la fin du message. L. 7–8 : au début de la l. 7, Henry et Jordan avaient supposé la présence de la formula valedicendi [ἔρρ]ω[σο] ; sur les deux photos de qualité que j’ai pu consulter, on observe des traces de lettres d’une 8e ligne, [---]Δ+. En réalité, les traces des trois lettres conservées sur la l. 7, [---]οτο – la dernière lettre visible est sans aucun doute un omikron –, suggèrent comme restitution plausible une souscription, [ἐδίδ?]οτο, verbe suivi d’une notation trop abîmée. Commentaire : La lettre présente un praescriptum du type ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν. Une partie du nom de l’expéditeur est perdue, sans doute [Kle]itos, alors qu’on connaît le destinataire, un certain Tégéas : si l’expéditeur se trouvait à Mendè (en supposant que la restitution est correcte), et si la lettre a été retrouvée à Toronè, il ressort qu’elle est arrivée à destination et que Tégéas était un Toronien ou, du moins, établi à Toronè. La distance par mer entre les deux cités est réduite : Mendè est située au sud-ouest du premier doigt de la Chalcidique (Pallénè), alors que Toroné se trouvait au sud du deuxième doigt (Sithonie). On ignore l’origine des colons qui ont fondé Toronè, importante cite de la Chalcidique qui possédait le port le plus important de la Sithonie224 ; elle a été fondée au début du VIIIe s., comme le montrent les fouilles menées par l’Australian Archaeological Institute d’Athènes225. L’épigraphie de la cité n’est pas riche, raison pour laquelle on connaît seulement quelques noms de Toroniens, y compris les ressortissants établis à Athènes226. Les trois documents les plus connus sont deux actes de vente227 et notre lettre. L’histoire de la cité est assez mouvementée228 : membre de la première Confédération Athénienne, prise en 424/423 par Brasidas, puis reprise par Cléon, qui a réduit en esclavage les femmes et les enfants, alors que les hommes ont été conduits comme captifs en Attique229 ; ces derniers sont échangés contre des Athéniens, suite à la paix de Nicias. Membre de la Confédération Chalcidienne au IVe s., elle fut contrôlée par les Lacédémoniens en 381230, par les Athéniens vers 364–363231, avant de tomber sous la domination de Philippe II en 349, sans qu’elle soit détruite. Mendè est, quant à elle, une colonie d’Érétrie232. La lettre ne parcourt pas une longue distance et les biens demandés non plus. Ce commerce régional concerne un produit dont la région abondait. Il s’agit du bois, qui pouvait être, comme le suppose A. S. Henry, du bois de chauffage car vendu au poids233 – les talents sollicités – mais la possibilité qu’il soit question du bois de char-
223 Cf. Hatzopoulos 1998, p. 42. Pour la situation dialectale en Chalcidique, voir Panayotou 1990 (p. 206, épitaphes en ionien des Toronéens morts à Athènes) ; Panayotou 1996 ; Panayotou 1994. M. B. Hatzopoulos, BÉ, 1994, 429, note que « la présence d’une forme non-attique (ἐλάσω = ἐλάσσω) dans un texte rédigé par ailleurs en attique ne devrait pas étonner », et renvoie à l’article d’Anna Panayotou de 1990, qui montre que la koinè était déjà en train de s’imposer en Chalcidique au milieu du IVe s. 224 Voir Beness/Hillard 2009–2010, p. 85–97. 225 Voir les trois tomes publiés par Cambitoglou/Papadopoulos/Jones 2001. 226 Pour la prosopographie externe des Toroniens, voir Tataki 1998, p. 190–192 (la plupart à Athènes). 227 Le premier : SEG XXIV 574 ; Game 2008, p. 87–88, n° 38. Le second : Asouchidou/Nigdelis 2011 (= SEG LXII 479). 228 Pour l’histoire de la cité, voir Panayotou 1990, p. 205–206, n° 4.2 ; Flensted-Jensen 2004, p. 847–848, n° 620 ; Knoepfler 2007, p. 111–113. 229 Thucydide 4.110–116 et 5.2–3. 230 Xénophon, Hell. 5.3.18. 231 Diodore 15.81.6. 232 Thucydide 4.123.1. 233 Henry 1991, p. 68 ; voir Reger 2003, p. 169 et n. 12.
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pente ne doit pas être exclue non plus. La difficulté vient du fait qu’à la différence du latin, où l’on distinguait entre materia (bois de chauffage) et lignum (bois de construction), en grec le même mot est utilisé pour les deux : ξύλον234. Le bois avait de multiples usages : pour la cuisine, y compris pour les grands sacrifices235, pour le chauffage (ξύλα καύσιμα)236, mais aussi pour faire fondre des métaux. Démosthène accuse ainsi Meidias qui, en tant que triérarque, aurait utilisé son bateau dans son propre intérêt, en apportant de Styra divers matériaux, y compris du bois pour ses mines d’argent237. Le bois le plus cher était cependant le bois de construction238, importé très largement de la Macédoine239 et de la Chalcidique, d’où le doute sur la qualité du bois demandé par l’expéditeur de la lettre. Il est vrai qu’on s’attendait plutôt à des mesures décrites par Didyme d’Alexandrie, notamment la coudée240, mais l’on ne peut pas savoir si le poids n’est pas une référence générale dans un contexte connu seulement des deux protagonistes. Les quelques passages perdus à la fin de la l. 4 et au milieu de la l. 5 aurait pu contenir quelques indications supplémentaires. Les cités grecques avaient de grands besoins en bois de construction, que ce soit pour des temples, des maisons ou, notamment dans le cas d’Athènes, pour la construction des navires241. Les Athéniens avaient par ailleurs fondé Amphipolis, en 437/436, pour contrôler la vallée du Strymon et aussi parce que cette cité leur était utile pour la fourniture du bois pour les navires et pour les mines d’argent242. Olynthe était elle-aussi réputée pour le bois de construction qu’elle possédait sur son propre territoire : ξύλα ναυπηγήσιμα ἐν αὐτῇ τῇ χώρᾳ ἐστί243. Dans la plupart des cas, le bois devait être transporté par voie d’eau, qui présente l’avantage qu’on pouvait tout simplement le faire flotter, notamment sur les rivières – par exemple, les deux fleuves de Macédoine, l’Haliacmon et l’Axios. On ne connaît pas de port pour l’Axios, mais à 10 km sud de la bouche de
Meiggs 1982, p. 361. Henry 1991, p. 70 (et Henry 2001, p. 770), mentionne le bois utilisé dans les sacrifices des grands sanctuaires. À Délos, la quantité exigée dépassait 100 talents par an : ξύλων τάλαντα εἰς Πύθιον ΗΔΔ (I. Délos 144, l. 29 = IG XI.2 144, vers 301) ; cf. Meiggs 1982, p. 352–353 (et p. 441–457 pour les comptes des commissaires de Délos) ; Reger 1994, p. 141–145 (sur le prix du bois de chauffage à Délos, de 270 à 170). 236 Voir Olson 1991, en partic. p. 418–419 sur un marché spécialisé à Athènes pour τὰ ξύλα, sans doute aussi pour le charbon (ἄνθραξ). 237 Démosthène, In Midiam (Or. 21), 167 : « alors que les autres triérarques à qui vous avez donné des trières faisaient escorte à vos troupes à votre retour de Styra, il a été le seul à ne pas le faire sans plus se soucier de vous, il a chargé des pieux, du bétail, du bois d’huisserie pour son compte personnel, et du bois de galerie pour les mines d’argent ». 238 Voir l’étude très générale de Rackham 2001. 239 Théophraste vante la qualité du bois de Macédoine : « Ce sont des régions de peu d’étendue qui fournissent aussi, généralement parlant, le bois de constructions navales : en Europe, semble-t-il, les montagnes de Macédoine, celles de Thrace et d’Italie » (Hist. plant. 4.5.5) ; « De fait certains pratiquent un classement par régions et affirment que le meilleur bois de charpente importé en Grèce est celui de Macédoine, qui est lisse, ne se gauchit pas et contient des substances balsamiques. Le second est, d’après eux, celui de la région pontique, le troisième celui de Rhyndacos, le quatrième celui de chez les Énianes ; les plus mauvais sont les bois du Parnasse et de l’Eubée, noueux, raboteux et vite pourris. Pour celui d’Arcadie, la question reste à examiner » (Hist. plant. 5.2.1). 240 Voir Tannery 1881. 241 Meiggs 1982, p. 188–217 (ch. 7, « Athenian Timber Supplies ») ; et p. 123–126, sur les bonnes relations avec les rois macédoniens qui contrôlaient l’exportation du bois de construction pour les navires ; voir aussi Davies 2013, p. 50 et 53 n. 51. De nombreuses sources anciennes évoquent le commerce avec la Macédoine : Xénophon, Hell. 6.1.11 : « c’est qu’avec la possession de la Macédoine, d’où précisément les Athéniens font venir leur bois (ἔνθεν καὶ Ἀθηναῖοι τὰ ξύλα ἄγονται), nous serons en mesure de construire beaucoup plus de vaisseaux qu’eux » ; Démosthène, C. Timoth. (Or. 49), 26 : « Quand ce Philondas qui lui présentait reviendrait de Macédoine, amenant les bois dont Amyntas lui avait fait don » (τῶν ξύλων – τῶν δοθέντων τούτῳ ὑπὸ Ἀμύντου) ; Démosthène, De falsa leg. (Or. 19), 265 : « quand Lasthénès eut couvert sa maison de bois importés de Macédoine » (καὶ Λασθένης μὲν ἤρειψεν τὴν οἰκίαν τοῖς Μακεδονίας ξύλοις) ; Théophraste, Charact. 33.4, où le Vantard affirme « qu’on lui a proposé d’exporter des bois en franchises mais qu’il a refusé par crainte de se voir dénoncé comme étant trop bien avec les Macédoniens » ; IG II² 1672, l. 304 : [ξ]ύλα τετράγωνα τῶν Μακεδονικῶν ; Syll.3 248 N : ξύλων [Μ]ακεδον[ικῶν]. Voir aussi Henry 2004, p. 73–74. 242 Thucydide 4.108.1. 243 Xénophon, Hell. 5.2.16, qui rajoute : « des sources de revenus qui proviennent de ses nombreux ports et de ses nombreux marchés » (dans le contexte du conflit avec Sparte, en 383). La Chalcidique était célèbre pour ses forêts, qui subsistent encore de nos jours. Dans la symmachia conclue entre la Confédération Chalcidienne et le roi macédonien Amyntas, vers 393–389, était prévue l’exportation du bois de navires (Syll.3 135, ll. 9–11 : ἐξαγωγὴ δ᾿ ἔστω καὶ πίσσης καὶ ξύλων,| [ο]ἰκοδομιστηρίωμ πάντων, ναυπηγη|[σ]ίμων δὲ πλὴν ἐλατίνων). 234 235
15. Lettre sur plaque de terre cuite d’Euarchos à Échiôn, fils d’Artymoklès (Thasos)
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l’Haliacmon se trouve Méthone, alliée d’Athènes au Ve s.244. D. Mulliez note que les voies d’eau sont préférées aux voies de terres, bien qu’il soit difficile de voir dans les documents la différence dans le prix du transport. Il est certain que, si un site se trouvait trop loin d’une voie maritime, le transport par voie terrestre s’avérait parfois tellement incommode que l’on renonçât à exploiter les bois. On pouvait faire rouler les troncs sur les pentes mais le plus souvent le transport se faisait avec des attelages, si les chemins étaient praticables245. En revanche, sur fleuves et sur mer, en plus du flottage « à bûches perdues », on pratiquait le halage des troncs ou le flottage « en radeaux ». Le plus difficile était de transporter des grandes pièces de charpente, destinées à la construction navale246. Dans notre cas, le bois devait être certainement transporté sur des embarcations spécifiques, qui avaient besoin de moins d’un jour pour arriver de Toronè à Mendè, par voie de mer. Quoi qu’il en soit, Tégéas devait savoir quels ξύλα il devait envoyer. Le bois aurait pu par la suite être acheminé ailleurs, car l’on n’est pas sûr que Kleitos habitait Mendè : de la lettre il ressort seulement qu’il avait été là pour acheter du bois et qu’il n’en a pas trouvé. On retient l’urgence de l’opération qui exige l’envoi de la lettre, car si Tégéas ne s’empressait pas d’obtenir la quantité de bois demandé, son associé aurait dû renoncer à l’affaire. On entend par là que lui-même devait vendre la marchandise à quelqu’un d’autre, et que s’il n’arrivait pas à obtenir le bois il ne pouvait pas conclure l’affaire. La lettre ne donne aucune information sur la relation entre les deux correspondants : Tégéas pouvait être un ami, un parent ou un simple partenaire d’affaires247. Il est exclu que Tégéas ait été un subordonné, voire un esclave : il ne peut être question d’une relation hiérarchique étant donné que l’expéditeur dit clairement à Tégéas qu’il lui saurait grâce de son aide (l. 5 : χαρι[εῖ ἡμῖν]), sans compter la formule de politesse (l. 3, εἰ ἐν δυνατῶι ἐστιν). Bien que l’expéditeur ne promette pas un paiement, il n’y a pas de raison de croire que Tégéas n’aurait pas demandé d’être payé en échange : eux seuls connaissaient leurs arrangements mais les relations sont apparemment cordiales et leurs intérêts semblent coïncider. Ces marchands de bois devaient fonctionner en réseau. Des quantités importantes de marchandises « en gros » étaient d’abord stockées, puis mises sur le marché – parfois il arrivait d’en manquer – pour être finalement revendues. Transporté ailleurs par voie de mer, le bois pouvait être redistribué sur les marchés athéniens ou ailleurs, à des grosses entreprises comme les chantiers navals ou à des particuliers. On peut invoquer un témoignage encore inédit : il s’agit d’un graffite commercial d’époque hellénistique, comportant 4 lignes peintes à l’encre sur un tesson d’amphore, provenant d’Archangelos, sur la côte orientale de l’île de Rhodes, qui est un compte en dialecte dorien (l. 1 : ξύλων ἁ πράτα φορά) concernant le transport du bois et le nombre d’hommes impliqués dans cette opération248.
15. Lettre sur plaque de terre cuite d’Euarchos à Échiôn, fils d’Artymoklès (Thasos) 15. Lettre sur plaque de terre cuite d’Euarchos à Échiôn, fils d’Artymoklès (Thasos)
Découverte, contexte : fragment de plaque de terre cuite après séchage, découvert en 1969 par Olivier Picard, lors des fouilles de l’École Française d’Athènes à Thasos, au point « terrain Apostolidis », dans le secteur C (sondage dans le champ Sp. Divanakis). Il s’agit des restes d’un quartier résidentiel remontant à l’époque archaïque, situé près de la porte du Silène, à env. 100 m au sud/sud-est de l’Héracleion. La plaque fut trouvée dans une fosse entre le mur d’un large édifice d’époque archaïque et la paroi nord du sondage ; cette fosse fut remplie de sable de gneiss jaune sombre à la fin de l’époque classique ou au début de l’époque hellénistique, d’après l’inventaire, qui contenait aussi de nombreux tessons. Support, mise en page : la plaque de terre cuite (5,8 × 9,5 cm ; ép. 1,8 cm) est brisée à gauche et dans sa partie inférieure ; si le bord droit est intact sur une large portion, du bord gauche, plus irrégulier, ne subsiste dans sa partie supérieure que 2,1 cm. La face arrière de la plaque est lisse. 9 lignes de texte sont encore visibles. Mise en page soignée, les deux premières lignes étant en léger retrait à gauche (cf. comm.). Dans la partie conservée, jusqu’à la l. 7, les mots ne sont pas coupés en fin de ligne. À la l. 3, un signe d’interponction sous forme de trois points superposés (⁝) sépare le nom de l’expéditeur du message proprement dit.
Meiggs 1982, p. 335–339, 356–357. De bons ports se trouvaient également sur la côte nord de l’Égée, à Aïnos et Maronée, qui pouvaient recevoir et exporter le bois apporté par les fleuves de la Thrace. 245 Mulliez 1982, en partic. p. 108–111 (voies terrestres), ainsi que Meiggs 1982, p. 339–341. 246 Mulliez 1982, p. 111–117. 247 Harris 2013, p. 121–122. Voir aussi Eidinow/Taylor 2010, p. 51 ; voir en dernier lieu le comm. d’Archibald 2019. 248 Cf. SEG LXII 537 (il sera publié par Nikos Litinas). 244
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
Dialecte : thasien. O long fermé noté par omikron. Paléographie : la lecture est souvent difficile à cause de la gravure des lettres dans l’argile crue, l’enfoncement du stylet ayant laissé des débords, ainsi que de l’état fragmentaire de la partie inférieure de la tablette, avec des lettres effacées et des confusions possibles (ainsi, entre omikron et ômega ; entre epsilon et alpha)249 ; par endroits, les lignes montent vers le haut. Ht. des lettres : 0,4–0,8 cm. L’alphabet est thasien, comme attendu pour le dialecte paro-thasien, appartenant à l’ionien des Cyclades : lambda de deux types, conforme aux alphabets cycladiques, le premier composé d’une haste verticale et d’une haste oblique plus petite (), le second comme un petit gamma suspendu ( et Ⲅ) ; ω = ο (tracé comme un omikron dont le cercle n’est pas fermé en bas, mais très facile à confondre avec un omikron, car il n’a pas la forme habituelle, à savoir un cercle plus ouvert en bas, qui apparaît dans les inscriptions sur pierre de Thasos, ) ; ο = ω (tracé comme un omikron fermé ou partiellement ouvert dans la moitié gauche)250. Lettres caractéristiques : alpha constitué d’une haste verticale et de deux hastes obliques, dont la dernière ne touche pas la première ()251 ; epsilon avec les trois hastes obliques () ; kappa de deux types, dont le premier avec les bras déconnectés, en forme de demi-cercle tangent252 (𐌂 et ) ; my avec les hastes latérales légèrement obliques () ; ny avec la seconde haste surélevée et légèrement penchée vers la droite () ; rhô effectué en un seul tracé, de sorte que la boucle forme un ovale descendant s’achevant par un petit appendice () ; sigma à trois branches ()253 ; tau avec la haste horizontale penchée () ; upsilon constitué de deux hastes obliques () ; chi en forme de croix, droite254 ou avec une haste oblique ( à la l. 1 ; à la l. 3). L’emploi de l’alphabet parien, la paléographie255, l’usage de l’interponction et le dialecte indiquent, avec toute la réserve requise car il s’agit d’un document à caractère privé, une datation autour de 500, voire vers la fin du VIe s.256. Date : ca. 500. Conservation : Musée Archéologique de Thasos (inv. Π 5196). Édition : Trippé 2015–2016 (avec trad. fr.) (cf. P. Fröhlich, BÉ, 2017, 422). Bibliographie : Fournier/Hamon/Parissaki 2015, p. 77. Illustrations : Trippé 2015–2016, p. 50, fig. 4 (ph.) et 5 (dessin). Note sur l’édition : la lecture et l’interprétation données par la première éditrice257 sont dans l’ensemble correctes. Cependant, certains points de détail doivent être repris, en particulier en raison de la difficulté de reconnaître les lettres similaires (omikron et ômega, dont la valeur est inversée dans l’alphabet parien/thasien). Je considère nécessaire de donner à mon
L’alphabet paro-thasien est caractérisé par l’inversion des valeurs phonologiques de l’omikron et de l’ômega, le premier notant un o long ouvert, le second notant indifféremment le o bref et le o long fermé récent. Voir Dubois 2013, p. 40 ; del Barrio Vega 2018a, p. 477–479. 250 N. Trippé estime que ce document témoigne d’un usage concomitant de l’alphabet thasien et de l’alphabet milésien, à une époque de transition, et que cet emploi serait manifeste à partir de la l. 4. Son fac-similé n’est pas toujours fidèle au ductus de la plaque d’argile ; les tracés des lettres sont parfois « normalisés » sur le dessin (ll. 4–5). En réalité, à l’exception notable d’une seule lettre à la fin de la l. 4 (méprise du scribe ?), les signes sont partout ceux de l’alphabet thasien, le rédacteur étant cohérent dans ses notations pour le reste du document. Sur les inscriptions archaïques de Thasos, la plupart illustrées, voir Duchêne 1992, p. 110–129. 251 Sur pierre, on trouve cet alpha dans la signature de Parmenôn, vers 510–490 (« Porte de Parmenôn ») (IG XII.8 390 ; Recherches Thasos I, p. 36, n° 5, ph. Pl. V.1 ; LSAG², p. 307, n° 69b ; Grandjean/Salviat 2000², p. 119, fig. 72 ; Cent ans de fouilles françaises à Thasos. 1911–2011. Εκατό χρόνια γαλλικές ανασκαφές στη Θάσο, Athènes, 2012 [Patrimoine photographique 1], ph. p. 70). 252 On trouve ce kappa sur l’épitaphe de Thrasyklès de la fin du VIe s., avec d’autres lettres similaires à notre texte épistolaire : , , , (IG XII.8 395 = Hansen, CEG I 157 ; LSAG², p. 307, n° 65 ; ph. dans Recherches Thasos I, Pl. V.4). 253 On rencontre ce sigma à trois branches dans une épitaphe fragmentaire, vers 500–480 (Recherches Thasos I, p. 36, n° 5, ph. Pl. IV.3) et dans la célèbre épigramme du Thrace Tokès tombé à Eion, honoré par les Pariens à Amphipolis, en alphabet parien [SEG XXVII 249 = Hansen, CEG I 155 ; LSAG², p. 489, n° C (Pl. 80.2)]. 254 On trouve ce chi en forme de croix droite dans la même inscription fragmentaire, vers 500–480 (Recherches Thasos I, p. 36, n° 5, ph. Pl. IV.3) ; dans une dédicace à Athéna Πολιοῦχος sur un vase chiote fragmentaire de la fin du VIIe s. (BCH, 93, 1959, p. 783, fig. 14) (avec le même lambda parien, comme un petit gamma suspendu) ; dans un graffite fragmentaire sur un tesson de base de skyphos attique (Ve s.), cf. Ghali-Kahil 1960, p. 122, n° 18 (Pl. H.18 et LI.18). 255 Voir les considérations de Trippé 2015–2016, p. 52–55, qui renvoie à son étude en cours de parution (Écriture et alphabet dans les inscriptions archaïques thasiennes. Étude préliminaire). Pour d’autres exemples de ces caractères, voir les marques de carrier, chez Grandjean 2011, p. 595–605, dont 𐌕. 256 En revanche, N. Trippé, qui suppose un alphabet de transition mélangeant des graphies pariennes et ioniennes orientales – ce qui n’est pas assuré –, suggère le deuxième quart du Ve s. 257 N. Trippé précise avoir également utilisé une lettre de Jean Pouilloux à Olivier Picard, avec des restitutions (lettre conservée aux archives de l’EFA, avec les carnets de la fouille). 249
15. Lettre sur plaque de terre cuite d’Euarchos à Échiôn, fils d’Artymoklès (Thasos)
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tour une édition diplomatique et un fac-similé plus fidèle, d’après le cliché de l’École Française d’Athènes. Le texte critique est en accord avec le caractère psilotique du parler thasien.
vac. 𐌂 vac. ⁝Ⲅ vac. [ca. 3–4] [---ca. 6–7---]+ [---------------] [----------------] vac. [-----------------]+[.] [-------------------]++[1–2] -----------------------------v v
4
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Fig. 46. Photo de la tablette d’argile (Pl. IV).
1 ΕΧΙΟΝ vel ΕΧΙΟΙ Trippé || 4 ]ΤΟΔΙΟΣΤΟΠΑΤΡΩΙΟ Trip. || 5 [.Ε?.]ΕΟΡΑΣΑΙ Trip. || 6 ] ΥΕΣΕΟΤΙΟ Trip. || 8 ]ΩΙΑΝ[ΔΕ?] Trip. || 9 ]++[1–2] Dana
Ἐχίονι vac. Ἀρτυμοκλέος vac. Εὔαρχος ⁝ σὲ κελεύει vac. [πρὸς?] τ Διὸς τ Πατρώι〈ō〉 [---ca. 6–7----]+ εἰ ἐώρασαι [------- ἐκέλε?]υέ σε ὄτι ὀ [----------------]Ι vac. [-----------------]ΟΙΑΝ+[.] [--------------------]Ν++[1–2] -------------------------------v v
4
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Fig. 47. Fac-similé de la tablette d’argile.
1 Ἐχίōν vel Ἐχίōι Trippé || 4 [.3–4.]τ Διὸς τ Πατρωίō Trip. (vel [πρὸς]) || ΠΑΤΡΟΙΟ tabella (= ion. ΠΑΤΡΩΙΩ) || 5 ]ΕΤ ἑώρας ΦΑΙ Pouilloux : [.ε?.]εορασαι Trip. (vel ἐώρασαι) || 6 ]υε σε ὅτι ὁ Trip. (vel [ἐκέλε?]υέ σε ὅτι ὁτιο|ῦν?) || 8 ]ωι ἀν [δέ?] Trip. || 9 ]Ν++[1–2] Dana
À Échiôn, fils d’Artymoklès, Euarchos : (il) ordonne, au nom de Zeus Patrôios, que tu [---] si tu as été vu [---] il t’ordonnait de [---]. L. 1 : il convient de lire Ἐχίονι, nom du destinataire au datif, plutôt que le nominatif Ἐχίōν (= Ἐχίων), avec une valeur de vocatif, comme suppose la première éditrice. Ἐχίων, connu pour plusieurs personnages mythologiques dont un Argonaute258, est rare comme anthroponyme : tous ses porteurs sont attestés à l’époque impériale, dans des inscriptions latines (Echio), où il s’agit d’un nom héroïque259. La lettre circulaire est certes difficile à interpréter : elle est toutefois similaire au premier ômega (= omikron parien) de la l. 2, avec un ductus cursif ;
Waser 1905. LGPN III.A 184 (trois occurrences en Italie) ; OPEL II 113 (deux occurrences) ; Solin, Namenbuch, I, p. 520–521 (huit occurrences à Rome). 258 259
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le ny est en partie effacé, de même que le iota final. Cela interdit donc de reconnaître un anthroponyme Ἐχίος, encore plus rare260. L. 2 : Ἀρτυμοκλέος, patronyme du destinataire, au génitif (forme ionienne en -έος). Il s’agit d’un nom nouveau, Ἀρτυμοκλῆς, qui doit être épichorique à Thasos. Dans cette cité on connaît une famille de noms en Ἀρτυσι- (une fois Ἀρτυσίλας et trois fois Ἀρτυσίλεως), y compris dans le catalogue des théores (LGPN I 83)261. Deux gloses transmises par Hésychios d’Alexandrie (Α 7539 et 7544) expliquent ἀρτύς comme φιλία καὶ σύμβασις ἢ κρίσις, respectivement comme σύνταξις. Le substantif ἀρτύς est formé sur la racine du verbe ἀραρίσκω, « adapter, construire » ou « être adapté, convenir ». Il est remarquable qu’on retrouve un anthroponyme de la même famille sémantique, Ἀρτικῶν, dans une lettre olbienne du IVe s. (30). L’ancrage local de ce nom nouveau est indubitable : en effet, le mot ἀρτύς est présent comme synonyme de νόμος dans un décret thasien du milieu ou de la seconde moitié du IIIe s. pour trois juges de Cos, où il est question de « la somme prévue par la loi », τὸ ἐκ τῆς ἀρτύος (SEG XLIX 1108 = IG XII.4 136, l. 15)262. La formation de Ἀρτυμοκλῆς n’est pas transparente : la meilleure solution est de l’expliquer comme un composé qui comporte comme premier membre un dérivé – non attesté par ailleurs – du verbe dénominatif ἀρτύω, avec l’élargissement au moyen du suffixe -μ(ο)-263, et au second membre -κλῆς, « gloire, renommée ». Enfin, depuis peu, on connaît le nom composé Ἀρτυκλῆς à Épidaure264. L. 3 : le nom de l’expéditeur, Εὔαρχος, est en revanche assez fréquent, sans qu’il soit encore attesté à Thasos. || La même marque d’interponction (trois points superposés) se rencontre à Thasos encore au milieu du IVe s., dont la fameuse « Stèle des Braves » (l. 11). || Après l’adresse, le message commence par une injonction, σὲ κελεύει, selon un formulaire ou plutôt une constante épistolaire d’époque archaïque et classique pour lequel ce document de Thasos fournit un quatrième exemple. On retrouve en effet le verbe κελεύω avec une nuance d’exhortation dans les lettres sur plomb du domaine phocéen occidental, même à plusieurs reprises dans le même document : à Agathè (63, A, l. 2 : οὐ κελεύει), à Ruscino (65, A, ll. 1–2 : [κ]ελε[ύει] | σε πρ[ῶτον] ; A, l. 6 : κελεύε[ι] σε ; B, l. 1 : κ]ελεύει σ[ε] ; B, l. 4 : [σε] κελεύει) et à Emporion (67, l. 7 : καὶ κελεύ σε Βασπεδ[‒] ; l. 14 : [κεκ]έλευκα). Il convient de rappeler l’anneau du roi Skylès trouvé près d’Istros, avec un ordre gravé sur le jonc, κελεό Αργοταν παρ|ναι (I. dial. Olbia Pont 4, milieu du Ve s.). Comme expliqué dans la Synthèse historique (p. 348–350), ce terme est l’équivalent du verbe ἐπιστέλλω, « envoyer, ordonner par lettre ». L. 4 : La troisième lettre sur cette ligne ressemble à un gamma parien, mais il doit s’agir d’un delta, sa haste inférieure étant perdue ou effacée. Selon la restitution de N. Trippé, il convient de reconnaître une référence soit à Zeus Patrôios, soit à son sanctuaire (τὸ ἱερόν étant sous-entendu), précédée dans la partie perdue d’une préposition (ἀπό/ἐπί/πρός). Elle préfère à juste titre comprendre [πρὸς?] τ Διὸς τ Πατρώι〈ō〉, « au nom de Zeus Patrôiôs », les instructions d’Euarchos étant donc placées sous la protection d’une divinité. On retrouvera en effet une double invocation à Zeus dans la lettre 60 (A, ll. 1 et 5 : Ὦ Ζήν) ; on a déjà commenté l’invocation banale Θεοί dans la lettre 5 (l. 1), et une autre plus développée sera présente dans la lettre 46 (A, l. 1 : Θεός· Τύχη). Ce type d’invocation apparaît dans les formules de supplication ou de serment265, étant très fréquent dans les sources littéraires. La première éditrice a voulu reconnaître, sur toute la l. 4, l’emploi des caractères milé-
260 Suggestion de Sophie Minon à la première éditrice, qui interprète Ἔχιος (avec cette accentuation) comme un hypocoristique formé sur un premier élément de composé en -i-. Ce nom n’est pas nouveau, puisqu’il est attesté dans l’Iliade pour un Achéen père de Mèkisteus (8.333, 13.422, 15.339) ainsi que pour un Troyen (16.416). Voir Brügger 2016, comm. v. 416 (« Historisch nicht belegt »). Le nom mycénien e-ki-wo comporte un digamma et doit s’expliquer autrement (cf. DMic, s. v.). 261 Pour ces noms, voir Masson, OGS, III, p. 11. Il faut signaler à Paros, métropole de Thasos, une Ἄρτ[υ]λλα (IG XII.5 189, IIIe s.), forme féminine d’Ἄρτυλλο[ς] (Akraiphia, IG VII 2741). 262 Chantraine, DELG, s. v. ἀραρίσκω, p. 102. On peut alors citer le nom rarissime Νομοκλῆς à Épidamnos-Dyrrachion (LGPN III.A 330) et à Démétrias de Thessalie (LGPN III.B 312). 263 Cf. Hésychios d’Alexandrie, s. v. ἄρτυμα (Α 7537)· διαθήκη. Sophie Minon avait suggéré à N. Trippé de supposer une formation secondaire à partir d’un hypocoristique *Ἀρτυ-μ-ος pour Ἀρτύ-μαχος. Il est peut-être préférable de penser à un dérivé non attesté, *ἄρτυμος ; ce dernier aurait pu mener au composé onomastique qui nous intéresse, sur le modèle du nom rare Ἐτυμοκλῆς, dont le premier membre est ἔτυμος « vrai, véritable ». 264 Prignitz, Bauurkunden, 2014, p. 135, n° 3. 265 Pour ce type de formule, cf. IG II² 1237, ll. 16–17 : ὑποσχομένος πρὸς τ Δ|ιὸς τ Φρατρίō (début du IVe s.).
15. Lettre sur plaque de terre cuite d’Euarchos à Échiôn, fils d’Artymoklès (Thasos)
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siens pour omikron et ômega, ce qui est inexact266. En revanche, ma lecture de l’épiclèse au génitif, Πατρώι〈ō〉, prend en compte les mêmes caractères thasiens que dans le reste du document. La première lettre circulaire ne présente pas le ductus des autres omikron pariens, et il faut donc l’interpréter comme un ômega parien ; la dernière lettre circulaire, qui est un ômega parien, doit être lue comme un omikron, supposant ainsi que le scribe s’est mépris. Les dieux patrôoi sont bien attestés à Thasos par toute une série d’inscriptions trouvées au Thesmophorion, datées entre 470 et le début du IVe s. : des bornes des groupes civiques et familiaux (Zeus Alastoros Patrôios, Zeus Ktèsios Patrôios, Zeus Patrôios, Athéna Patrôiè, etc.), des autels et des règlements religieux. Dans l’agora, une autre borne (IG XII Suppl. 407) marquait quant à elle le temenos de Zeus Ktèsios Patrôios, tandis qu’une stèle (SEG XXIX 766) mentionne Déméter [Ele]usiniè Pa[tr]ôiè 267. Enfin, à Galepsos, fondation thasienne dans la Pérée, a été découverte une borne Διὸς Ἑρκε|ίō Πατρώι|ō καὶ Διὸς Κτησίō (Syll.3 991). L. 5 : je lis en toute confiance ]+ εἰ ἐώρασαι, conjonction conditionnelle suivie d’un parfait moyen passif IIe pers. sg. (on peut même songer à [ἐ]πεὶ ἐώρασαι). L. 6–7 : [ἐκέλε?]υέ σε ὄτι ὀ | [---]268, séquence où il faut sans doute restituer, comme le propose N. Trippé, le même verbe qu’à la l. 3, ici à l’ind. imparf. IIIe pers. sg. ; il était donc question d’une autre instruction, introduite par la conjonction ὅτι. L. 7 : l’espace laissé libre à la fin de cette ligne suggère que le rédacteur devait aborder un autre sujet à partir de la l. 8. L. 8 : ]+ΟΙΑΝ+[.], séquence pour laquelle les possibilités de restitution sont trop nombreuses. L. 9 : traces de quelques lettres (et plusieurs possibilités de lecture), sans qu’aucun sens ne se dégage. Commentaire : Cet étonnant document fut découvert dans un dépotoir d’un quartier d’habitation de l’importante cité de Thasos, sur l’île homonyme de l’Égée du Nord, ancienne colonie de Paros fondée vers 710–680269. Le support choisi est inhabituel, du moins dans la documentation dont nous disposons : une tablette d’argile crue, sur laquelle ont été tracées, par endroits de manière rapide, les lignes parfois montantes de ce texte de longueur inconnue ; la tablette a été cuite après séchage. On peut toutefois supposer que la plaque d’argile, dont la longueur est de 9,5 cm, a été conçue à dessein pour qu’elle puisse tenir dans la main du destinataire. Un seul autre exemple est connu dans le monde grec, une tablette d’argile apparemment découverte à Emporion, dont l’authenticité est toutefois douteuse (*70, en boustrophèdon). La diversité des supports d’écriture des anciens Grecs, y compris pour la correspondance privée, se voit ainsi confirmée. On peut ajouter plusieurs autres exemples dans l’espace mésopotamien, qui s’expliquent par l’usage intensif de ce support d’écriture dans le contexte régional : (1) une inscription « économique » sur une tablette d’argile cuite gravée en grec vers 500 et trouvée en Médie, parmi les « Persepolis Fortification Tablets », avec le déboursement d’une quantité de vin à une certaine date (signalée par le nom d’un mois akkadien) ainsi que deux empreintes de sceaux270 ; (2) une tablette d’argile de Babylone, avec une liste d’éphèbes et de neoi vainqueurs271 ; (3) une plaque de terre cuite de Suse, avec un poème incomplet en hexamètres dactyliques272 ; (4) une tablette d’argile de Suse avec une inscription « économique »273.
266 Trippé 2015–2016, p. 55 : « la graphie parienne, locale, est privilégiée dans les anthroponymes, peut-être plus sujets à une volonté de conservatisme, tandis que la graphie ionienne qui va se généraliser est quant à elle utilisée dans le lexique. Demeure toutefois rétif à l’interprétation le mot de la l. 5 ». Et pourtant, dans la séquence Διὸς τ on observe nettement deux omikron pariens ; de même, à la ligne suivante, la lettre circulaire est un ômega parien. 267 Rolley 1965 ; Grandjean/Salviat 2000², p. 102–105 et 232 ; Trippé 2015–2016, p. 61–62. Sur cette catégorie de divinités, voir en général Parker 2008, en partic. 200–201 et 211. 268 Transcription en accord avec le caractère psilotique du parler thasien. 269 Recherches Thasos I (1954) (Études Thasiennes 3) ; Thasiaca, Athènes, 1979 (BCH 5) ; Grandjean/Salviat 2000² ; Reger 2004, p. 778–782, n° 526. 270 Οἶνο|ς δύο | II | μάρις | Τέβητ [« Vin, deux maris ; (mois de) Tebet »]. Voir Lewis 1977, p. 12–13 ; I. Estremo Oriente 230 (et dessin) ; IG Iran Asie centr. 54 (dessin Pl. 30, fig. 54) ; Johnston 2013, p. 205 (ph. p. 206, fig. 20ab) (sigma à quatre branches écartées dans οἶνος et présence précoce du sigma lunaire dans μάρις). 271 I. Estremo Oriente 107 (en 110). 272 I. Estremo Oriente 187 = IG Iran Asie centr. 32 (époque hellénistique). 273 I. Estremo Oriente 188 = IG Iran Asie centr. 34 (époque hellénistique).
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Le texte de Thasos est sans aucun doute de nature épistolaire, comme nous renseignent les noms du destinataire (au datif) et de l’expéditeur. Afin de donner des instructions, l’expéditeur utilise la IIIe pers., comme il arrive souvent dans les messages d’époque archaïque et de la première partie de l’époque classique (voir p. 348), alors qu’il s’adresse au destinataire à la IIe pers. : σέ κελεύει (l. 3), [ἐκέλε?]υέ σε (l. 6). L’emploi du patronyme pour mieux identifier le destinataire (ou parce que le père était une personne très connue) est inhabituel ; d’autres patronymes apparaissent dans la lettre athénienne sur plomb de [Π]ασίων 〈Δ〉ικαιάρχō (*8, ll. 1–2) et dans le message sur tesson de Κοφανας Ἀδράστου dans le territoire d’Olbia du Pont (36, l. 1). La mise en page, soignée, confirme le caractère épistolaire de notre texte : sur la première ligne, le rédacteur n’a gravé que le nom du destinataire, décalé d’une lettre par rapport à la l. 3 ; la ligne suivante, qui comporte le patronyme du destinataire, toujours décalé d’une lettre, présente le même espace libre ; la troisième ligne comporte, enfin, le nom de l’expéditeur et le verbe précisant des instructions, séparés par trois points superposés. Qui plus est, les caractères sont légèrement plus grands à la l. 1 et dans la première partie de la l. 2. Si le nom de l’expéditeur est banal (Εὔαρχος), le nom et le patronyme du destinataire sont remarquables et reflètent respectivement une création onomastique épichorique (Ἀρτυμοκλῆς) et un emprunt au répertoire mythologique (Ἐχίων). Bien que fragmentaire, ce document exceptionnel à ce jour apporte des renseignements essentiels dans chacune de ses séquences : l’emploi attendu de l’alphabet parien, avec quelques lettres remarquables qui se retrouvent sur plusieurs inscriptions lapidaires et céramiques d’époque archaïque et du début du Ve s. ; le caractère cursif, accentué par la nature même du support274 ; la présence par deux fois du verbe κελεύω précédé ou suivi du pronom personnel à la IIe pers. ; une invocation par l’expéditeur du dieu de sa patrè (voire de l’ensemble de la communauté thasienne) ou de son groupement familial. Enfin, le message comportait sans doute deux volets, comme l’indique l’espace libre à la fin de la l. 7. Cependant, la perte d’au moins la moitié du texte fait qu’on ignore finalement la nature précise des instructions transmises par Euarchos à Échiôn sur un support certes inhabituel, mais tout aussi malléable et durable que le plomb. Voici donc la structure de cette lettre sur plaque d’argile de Thasos : I
II III
[IV]
Ἐχίονι | Ἀρτυμοκλέος | Εὔαρχος ⁝ σέ κελεύει
(ll. 1–3) prescrit : nom du destinataire (dat.) avec son patronyme, précédé du nom de l’expéditeur (nom.) et du verbe κελεύω (l. 4) invocation (ll. 5 sqq.) contenu – deux parties du message a) une première instruction (ll. 5–7) b) affaire inconnue (ll. 8 sqq.)
[---]ΟΙΑΝ+[.] κτλ.
?
?
[πρὸς?] τ Διὸς τ Πατρωί〈ō〉 [ca. 6–7]+ εἰ ἐώρασαι | [--- ἐκέλε?]υέ σε ὄτι ὀ | [---]Ι
16. Lettres commerciales sur tesson (Rhodes)
16. Lettres commerciales sur tesson (Rhodes) Parmi les nombreux tessons inscrits découverts dans une tombe du secteur central de la nécropole hellénistique de Rhodes, lors des fouilles systématiques d’Anastasia Dreliossi-Herakleidou (1979)275, certains seraient des « lettres commerciales ». Selon la traduction de Vincent Gabrielsen, ils commencent par la phrase « Greetings
Pour l’alphabet des inscriptions thasiennes, voir LSAG², p. 300–303, et catalogue p. 307–308, nos 61–76 (Pl. 58) (et Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 466 et Pl. 78). Pour les graffites sur céramique de Thasos, voir, entre autres : Ghali-Kahil 1960, p. 119–122 (Pl. H, L et LI) ; Maffre/Tichit 2011. Sur l’épigraphie thasienne, voir Fournier/Hamon/Trippé 2011, en partic. 215– 216 ; ils font état d’une centaine d’inscriptions dialectales, dont seulement une trentaine utilisent l’alphabet parien (époque archaïque et Ve s.). 275 Au nord du lot Papachristodoulou, dans une aire affectée par la construction d’un bâtiment et marquée par des traces de brûlures, des restes de squelettes et de cranes, des urnes funéraires et d’autres inventaires céramiques, des timbres amphoriques ainsi que des monnaies de bronze (fin du IIe–début du Ier s.). Voir I. Papachristodoulou, dans AD, 34, 1979, Chron., p. 435 ; Catling 1987–1988, p. 81–83 ; Papachristodoulou 1988, p. 201–209 ; Papachristodoulou 1993, p. 61–63 ; Faraguna 2002, p. 246 ; Litinas 2008, p. 5 et 25 ; Dana 2016, p. 96–97 ; Dreliossi-Herakleidou/Betina 2019, p. 199. 274
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to the kyrioi (masters or owners ?) », voire, dans un cas, « The kyrios has decided »276. Dans la plupart de ces messages, il est question de produits agricoles : olives de différents types, huile d’olive, charbon, concombres. On ignore pour l’instant s’il s’agit d’une ou de plusieurs archives. D’après la brève présentation de Gabrielsen277, ces lettres semblent constituer un témoignage de la communication écrite entre les propriétaires d’une ou plusieurs fermes et des agents qui agissaient à leurs ordres (synergoi, koinônoi). L’ensemble du dossier est préparé pour la publication par Nikos Litinas et Anastasia Dreliossi-Herakleidou. La photo d’un ostrakon278 appartenant à ce lot, publiée il y a plusieurs décennies279, permet d’avoir une idée plus précise d’une des lettres du dossier. Puisqu’elle sera prochainement publiée, avec les autres documents, par Nikos Litinas et Anastasia Dreliossi-Herakleidou, je ne donnerai pas ici son texte. Je relève seulement la présence de la formule épistolaire Α( ) τοῖς κυρίοις χαίρειν (l. 1), « A( ) à ses maîtres, salut ! »280, un envoi de plusieurs types de figues (d’un verger ?)281 avec les quantités précisées et le terme ἀπολογία (l. 5), pour le compte rendu financier282. On devine que ce genre de rapport détaillé qui accompagnait un envoi de produits était fréquent, d’après l’abréviation du nom de l’expéditeur (un quelconque agent, de statut servile ou non) et la structure même du message, avec les produits en premier, par catégories, et la situation comptable en dernier. Le tesson faisait partie d’une archive économique privée, conservée à Rhodes, qui a été déposée (ou jetée) dans la nécropole, sans doute à l’occasion des funérailles de l’un des « maîtres ». On attend avec impatience la publication de l’ensemble du dossier, qui apportera un éclairage nouveau sur l’exploitation agricole et l’administration des fermes à l’époque hellénistique hors l’Égypte, au même titre que l’archive économique de Chersonèse de Crète, à l’époque impériale (IIe ou IIIe s.), qui comporte pourtant des comptes d’interprétation plus difficile283. Les quantités envoyées – les figues étaient sans doute enfermées dans des jarres lors du transport – sont conséquentes et laissent penser que la production de cette ferme rhodienne était non négligeable, d’autant plus que plusieurs espèces de figues y étaient cultivées – sur l’île de Rhodes ou bien dans sa Pérée sur le continent ? Des figues sèches de Rhodes et de Kaunos étaient importées en Égypte, comme nous renseignent au IIIe s. plusieurs papyrus de l’archive de Zénon (P. Cair. Zen. I 59110, IV 59548 et 59680) : ἰσχάδων Ῥοδιακῶν/Ῥοδίων/Καυνίων. D’autres produits de saison en rapport avec le passage d’un jardinier sont mentionnés dans un message sur tesson de Gorgippia (54), dans le contexte d’une exploitation agricole. Un autre texte de la même archive rhodienne déposée dans la tombe est de nature littéraire : il s’agit d’une épigramme érotique en dialecte ionien, peinte sur ostrakon (fin du IIIe–première moitié du IIe s.), sur une Samienne du nom de Glykéra ; elle constitue peut-être la copie d’un poème non transmis dans la tradition littéraire284. Enfin, notons un graffite commercial inédit sur un tesson d’amphore, d’époque hellénistique, prove-
276 Pour ce type d’adresse au vocatif κύριε (« maître, seigneur ») dans les sources littéraires (ou δέσποτα), voir Dickey 1996, p. 100–101 et 95–98. 277 Gabrielsen 1997, p. 107 (et n. 128, p. 197) ; Gabrielsen 2013, p. 79. Vincent Gabrielsen, qui m’a généreusement fourni des renseignements supplémentaires, remercie pour ces détails Anastasia Dreliossi-Herakleidou et Ioannis Ch. Papachristodoulou. 278 Cet ostrakon devait avoir une forme rectangulaire, vaguement trapézoïdale (le coin inférieur droit s’est détaché). 7 lignes de texte sont conservées, peintes à l’encre (noire ?) ; des espaces sont laissés entre les mots, en particulier avant et après les chiffres (indiqués par des lettres). Les premières lettres de chaque mot sont plus grandes, de même que les lettres qui indiquent des chiffres, et qui sont en outre bien espacées. On distingue très bien les endroits où le rédacteur a trempé son calame dans l’encre (deux ou trois fois par ligne). Cette pratique suggère, de même que les formes plutôt soignées de la plupart des caractères (notamment les apices), pour la plupart cursives, et l’emploi des ligatures, qu’il a certes passé un certain temps pour noter son message mais qu’il écrivait couramment. 279 I. Papachristodoulou, dans AD, 34, 1979, Chron., p. 435 (ph. Pl. 232.4) ; Catling 1987–1988, p. 81–83 (ph. p. 83, fig. 125). 280 Dans le prescrit habituel avec χαίρειν, le nom de l’expéditeur est réduit à sa première lettre, Α( ), alors que les destinataires sont collectifs. 281 Des figues sauvages (σῦκα ἐρινε|ά, ll. 2–3) et des figues communes (l. 4, χυδα, avec une faute d’orthographe pour χυδαῖα). C’est un témoignage sur la prononciation ; pour le changement αι > ε, voir Gignac, Grammar, I, 1976, p. 191–193. 282 Comme la reddition des comptes effectuée au terme de l’exercice d’une magistrature dans les inscriptions civiques (ἀπολογία et ἀπολογισμός) ; voir en général Fröhlich 2004. 283 À Chersonèse de Crète a été découvert en 1995 un dossier de 90 ostraka écrits à l’encre ; voir l’édition exemplaire de Litinas 2008 ; Gallimore 2014. 284 Dreliosi-Herakleidou/Litinas 2009–2011 (ph. p. 155) : ll. 1–10, deux distiques élégiaques ; ll. 11–14, un pentamètre et un hexamètre incomplet.
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nant d’Archangelos, sur la côte orientale de l’île de Rhodes : ce dipinto de 4 lignes, en dialecte dorien, qui sera publié toujours par Nikos Litinas, est un compte au sujet du transport du bois (l. 1 : ξύλων ἁ πράτα φορά) et du nombre d’hommes impliqués dans cette opération285.
17. Lettre peinte sur plaque de marbre de Stratonikos à Martyrios (Smyrne) 17. Lettre peinte sur plaque de pierre de Stratonikos à Martyrios (Smyrne) Découverte, contexte : petite plaque de marbre découverte lors des fouilles systématiques récentes dans l’agora de Smyrne. Support, mise en page : plaque de marbre de forme trapézoïdale. Cinq lignes de texte ; le rédacteur n’a utilisé que la partie supérieure du support, le message est donc complet. Les mots sont complets en fin de ligne, à l’exception de la l. 2 (coupe syllabique). Dialecte : koinè. Iotacisme (l. 1 : Στρατόνεικος). Plusieurs corrections du rédacteur, indice des problèmes d’orthographe et de composition du rédacteur, principalement déterminées par la prononciation de l’époque : τρηφή et τρηφῆς, pour τρυφή/τρυφῆς (l. 2, 5) ; ἐσκάρεκεν pour ἐσκάρικεν (l. 2–3) ; σφού〈δα〉ζε pour σπούδαζε (l. 4), avec en plus l’inversion d’un groupe de deux lettres à l’intérieur du mot. Correction au début de la l. 5 : νῦν recouvert par τρ. Paléographie : lettres peintes à l’encre, élégamment tracées, d’une main sûre. Lettres remarquables : alpha et ômega cursifs ; epsilon et sigma lunaires ; omikron tracé dans un seul temps (l. 1) ou dans deux temps (l. 2), non fermé. Date : IVe–Ve s. ap. J.-C. Inédite. Bibliographie : Bagnall 2011, p. 128. Illustration : Bagnall 2011, p. 130, fig. 46 (ph.). Note sur le document : Roger S. Bagnall, qui avait signalé ce document avec une photo (2011), m’a aimablement envoyé l’image, en me faisant part de sa transcription et de ses suggestions dans son cahier de notes. Bien qu’il ait demandé des renseignements complémentaires à Cumhur Tanrıver, l’épigraphiste de l’équipe travaillant à Smyrne, et en dépit de ses recherches, ce dernier n’a pas pu retrouver la pièce. Il m’a en revanche accordé les droits de publication afin de pouvoir inclure ce texte dans le corpus. Seulement la première ligne et quelques séquences des lignes suivantes sont déchiffrables, puisque la plaque n’était pas nettoyée au moment où la photographie a été prise ; par endroits, les lettres sont effacées et l’encre s’est diluée. On peut deviner les dimensions du support, choisi à dessein parce qu’il se prêtait facilement à la rédaction, tenu dans la main gauche.
Στρατόνεικος Μαρτυρίῳ χαίρει[ν]· οἶδες ὅτι ἡ τρηφή μου ἐσκάρεκεν καὶ δὲ ἐπιβῆναι θέλω· 4 σφού〈δα〉ζε οὖν ++++++++++[.]ξ τῆ[ς] τρηφῆς ++++++++[ ] vac. 2 l. τρυφή || 2–3 l. ἐσκά|ρικεν || 4 ΣΦΟΥΑΔΖΕ ostr. || 5 τρ ex corr. : νῦν?
Fig. 48. Photo de l’ostrakon (Pl. V). 285
M. Chalkiti, dans AD, 64, 2009, Chron., B.2, p. 976 (et ph. p. 977) ; SEG LXII 537.
18. Message sur tesson de Pélagi(o)s à Oxycholios (Éphèse)
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Stratoneikos à Martyrios, salut ! Tu sais que mon orgueil (?) a bondi (?) et [---] je veux entrer (?). Active-toi donc [---] de l’orgueil (?) [---]. L. 1 : formule épistolaire banale, qui occupe la première ligne. L. 2 : le corps de la lettre est introduit par οἶδες ὅτι. || τρηφή pour τρυφή (cf. l. 5), en raison de la prononciation identique à cette époque de l’upsilon et de l’êta, à savoir i 286. L. 2–3 : ἐσκά|ρεκεν pour ἐσκά|ρικεν, ind. parfait actif récent IIIe pers. sg. du verbe σκαρίζω, avec ouverture sporadique de e en i, avant le suffixe. Cette séquence est difficile à traduire, mais on peut penser à un mouvement de colère qui a poussé l’expéditeur à envoyer la lettre. L. 3 : dans son cahier, Bagnall avait suggéré καὶ δὲ ἐπιβῆναι. L. 4 : le rédacteur avait écrit ΣΦΟΥΑΔΖΕ pour σφού〈δα〉ζε (= σπούδαζε), avec aspiration de la consonne labiale287 et simple inattention qui l’a fait inverser deux lettres à l’intérieur de cette forme d’impératif présent IIe pers. sg. || Dans son cahier, Bagnall avait suggéré ἰδεῖν ο..ελτης (ὅτι ex ὅπος? ; à lire ἐλθῇς?). L. 5 : le rédacteur avait écrit sans doute νῦν, avant de tracer le début τρ du mot τρηφῆς (= τρυφῆς, cf. l. 2). || Bagnall avait transcrit dans son cahier ..ηφηπ.., à la suite du premier mot, τρηφῆς. Commentaire : Bagnall note la présence de quelques mots rares288 dans ce bref texte de Smyrne289 sur une plaque de marbre utilisée comme un ostrakon pour noter à l’encre le texte d’une lettre privée, d’après le prescrit. La tournure οἶδες ὅτι (« tu sais que ») est fréquente dans les papyrus d’Égypte, d’époque plutôt tardive – les premières occurrences ne remontent en effet qu’au Ier s. de notre ère. Le nom de l’expéditeur, Στρατόν(ε)ικος, est très fréquent en Asie Mineure, étant attesté à Smyrne (LGPN V.A 412–413). En revanche, celui du destinataire, Μαρτύριος, est plus rare. Même s’il semble parfois attesté à l’époque impériale, dans la quasi-majorité des cas il n’est prisé qu’à une époque tardive puisqu’il est chargé d’une connotation chrétienne, en rapport manifeste avec le culte des martyrs290. Dans le voisinage, ce nom est attesté en Lydie à Hypaipa et Philadelphia (LGPN V.A 284), et plus loin à Milet et en particulier en Cilicie (LGPN V.B 274).
18. Message sur tesson de Pélagi(o)s à Oxycholios (Éphèse)
18. Message sur tesson de Pélagi(o)s à Oxycholios (Éphèse) Découverte, contexte : tesson découvert en 2011, lors des fouilles à Éphèse de l’Institut Archéologique Autrichien. Support, mise en page : deux tessons jointifs, légèrement abîmés en haut et en bas. Trois lignes de texte ; coupe syllabique en fin de ligne. Abréviation pour δηνάρ(ιον/ια). Dialecte : koinè. Syncope Πελάγις (l. 1). Paléographie : lettres rapidement incisées, de forme cursive (alpha, delta, ômega) ; epsilon et sigma lunaires. Date : Ve s. ap. J.-C. Conservation : Grabungshaus de l’Institut Archéologique Autrichien, Selçuk (inv. EVH 11 1062/1268). Inédite. Bibliographie : Biagetti/Sänger 2019, p. 76 (avec trad. it.). Illustration : Biagetti/Sänger 2019, p. 76, fig. 4 (photo).
Pour l’échange upsilon/êta, voir Gignac, Grammar, I, 1976, p. 262–264. Pour l’échange pi/phi, voir Gignac, Grammar, I, 1976, p. 87–88. 288 Bagnall 2011, p. 128, qui remercie pour l’accès à l’ostrakon Thomas Drew-Bear et Mehmet Taşlıalan (n. 20 à la p. 159). 289 Ancienne cité ionienne (Rubinstein 2004, p. 1099–1101, n° 867), qui conserve son importance à l’époque impériale en tant que centre florissant de la Seconde Sophistique, ainsi que dans l’Antiquité tardive. Les graffites et les sgraffiti de la basilique romaine de l’Agora de Smyrne [Bagnall 2011, p. 7–26 (« Informal Writing in a Public Place : The Graffiti of Smyrna »)] sont à présent publiés, voir Bagnall et alii 2016. 290 À Rome, voir Solin, Namenbuch, II, p. 1079 ; en Égypte, voir Preisigke, NB 208 et Foraboschi, Onomasticon 191. 286 287
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Corpus épigraphique – L’ espace égéen
Note sur le document : je ne donne ici que la description du tesson et la traduction ; Patrick Sänger et Claudio Biagetti préparent sa publication avec le lot entier de graffites similaires.
Pélagi(o)s à Oxycholios. Donne à Épagathos x denarius/-i [---]. Commentaire : Ce tesson a été signalé et publié à l’occasion de la présentation d’un projet en cours, dirigé par Patrick Sänger (Vienne, puis Münster). Lors des fouilles autrichiennes à Éphèse291, entre 2011 et 2015, ont été trouvés 60 graffites sur ostraka, d’époque tardive (Ve–VIIe s. ap. J.-C.), dans deux secteurs : devant l’entrée de l’église bâtie sur les fondations du Serapeion (IVe–Ve s.) et dans le quartier qui se trouve au sud de l’Église de Marie. La moitié des graffites sont de brèves lettres commerciales, des instructions et des listes ; d’autres sont des marques de propriété ou sont gravés sur des instrumenta domestica. Ce dossier exceptionnel, aussi bien par son ampleur que par la connaissance du contexte archéologique, sera publiée par Patrick Sänger et Claudio Biagetti, que je remercie pour des renseignements complémentaires292. Il convient d’ajouter que des ostraka similaires avaient déjà été trouvés à Éphèse, à l’est de l’Agora Haute (« Lukasgrab »), datant des IVe–Ve s. ; on reconnaît des instructions de paiement (cf. le verbe δός, suivi de noms au datif), appartenant à une archive économique d’une maison privée ou d’une église, selon l’intuition juste de Hans Taeuber293. Ce bref message comporte une formule épistolaire abrégée, l’expéditeur étant Pélagi(o)s et le destinataire Oxycholios ; une brève instruction est notée, concernant une somme d’argent à donner à un certain Épagathos. Si Ἐπάγαθος est un nom assez banal, étant bien attesté à Éphèse (LGPN V.A 156), Πελάγιος et Ὀξυχόλιος sont des noms typiquement tardifs294 et utilisés par les Chrétiens. Le premier, dérivé « maritime » en usage à l’époque pré-chrétienne, est assez prisé dans l’Antiquité tardive, puisqu’il est porté par des martyrs et des saints295 ainsi que par l’hérésiarque occidental Pélage ; il est également fréquent dans les papyrus, après l’an 300 de notre ère. Dans Πελάγις (pour Πελάγιος), notons une syncope banale des noms en -ιος296. Quant au dernier nom, assez rare, puisqu’on connaît à peine une dizaine d’occurrences, il est dérivé de l’adj. ὀξύχολος, et doit avoir le sens de « vif, énergique ». Ὀξυχόλιος est attesté en milieu juif297, dans une épitaphe de la fin du IIIe ou du début du IVe s. de Philippes de Macédoine298, et trois ou quatre fois à Aphrodisias de Carie (IJO III 14, Ve–VIe s.)299. Il était également porté par des Chrétiens, tel un diacre à Phalanna, en Thessalie (Ὀξυχόλιος διάκονος)300 ; Ὀξυχ〈ό〉λιος ναύκληρος Ἀσιανὸς Πηλαείτης, décédé au Ve s. à Odessos, sur la côte ouest-pontique, mais originaire de la petite île de Pèlè (auj. Hekim Adası), dans le golfe de Smyrne301 ; deux fois à Rome, ICUR n. s. V 13062 (Ὀξυχόλ[ιος]) et VIII 22842 (voc. Ὀξυχόλει)302.
Ancienne cité ionienne (Rubinstein 2004, p. 1070–1073, n° 844), plus tard capitale de la province d’Asie, puis siège de l’évêque métropolitain d’Asie, à partir du IVe s. 292 Voir brièvement Biagetti/Sänger 2019, p. 67–86. 293 Taeuber 2010 (Pl. 203–206), en partic. 351–352. 294 On peut les identifier comme tels également en raison du suffixe tardif -ius, pour lequel voir Solin 2005, p. 279 et 290. 295 Trois noms « maritimes » en Πελαγ- sont pourtant attestés à Éphèse aux époques antérieures (LGPN V.A 363). À Rome, voir Solin, Namenbuch, II, p. 1065 ; en Égypte, voir Preisigke, NB 302 et Foraboschi, Onomasticon 246. 296 Gignac, Grammar, II, 1976, p. 25–26. Sur l’aphérèse fréquente de l’Ο dans les masculins en -ιος et les neutres en -ιον, voir Feissel 1983, index, p. 275. 297 Ilan 2008, p. 349. 298 AÉ, 1998, 1229 = SEG XLVIII 837 = I. Philippi² 387a = I. Jud. Orientis I Mac12. 299 LGPN V.B 328 ; voir Williams 2007, p. 197. 300 Avraméa/Feissel 1987, p. 393, n° 82. 301 I. Chr. Bulg. 96 ; son premier-né s’appelle Ὀξυχώλιος (sic). 302 Solin, Namenbuch, II, p. 42 ; voir D. Feissel, BÉ, 1987, 541. Sur la christianisation de l’onomastique en Asie Mineure, voir Destephen 2019. 291
Le nord de la mer Noire
Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Fig. 49. Carte du nord de la mer Noire.
Le nord de la mer Noire 19. Lettre fragmentaire sur plomb (Tyras)
19. Lettre fragmentaire sur plomb (Tyras) Découverte, contexte : trouvée dans les environs de Tyras, dans des circonstances inconnues. Support, mise en page : morceau d’une lamelle de plomb, avec les bords supérieur et inférieur conservés. Ht. : plus de 7 cm (les deux photos sont malheureusement incomplètes en bas) ; lg. : 4,5 cm ; ép. : inconnue. 6 lignes de texte sont conservées, mais une 7e pourrait figurer à gauche, au début de la partie perdue. Bien que le graveur ait pu écrire davantage (deux ou trois lignes supplémentaires), l’espace laissé libre dans la partie inférieure montre que le message s’arrêtait à cet endroit. Interponction sous forme de deux points superposés (:) (ll. 1, 3, 5). En l’absence de photos du verso, on ignore si cette lettre privée comportait une adresse externe, par exemple au dos de l’un des segments perdus. Dialecte : ionien oriental. La fausse diphtongue ei, résultat de la contraction, notée par epsilon ; o long fermé noté par omikron ; pronom ionien μιν (l. 1) ; élision κ᾿ ἔτι (l. 3) ; crase ἠδελφή (l. 5) ; dissimilation de l’aspirée dans [Ἀγα]θάρκ (l. 4). Paléographie : lettres soigneusement, voire élégamment incisées, de dimensions variables, parfois avec des traits cursifs (ht. des lettres : 0,4–0,6 cm). Lettres remarquables : epsilon avec les hastes horizontales droites ; êta avec la haste verticale droite légèrement arrondie (l. 5) ; thêta avec point et le cercle non fermé (ll. 4, 6) ; kappa avec la haste oblique inférieure raccourcie, et même avec les hastes déconnectées (l. 4) ; ny très asymétrique () ; omikron de taille normale, tracé en deux temps ; xi très large, à barre verticale centrale () ; pi avec la haste verticale droite plus courte ; sigma à quatre branches, très cursif (l. 6). Date : ca. 450–400. Conservation : collection privée (Ukraine). Inédite. Note sur l’édition : j’ai eu accès à ce document grâce à l’amabilité de Jessica Lamont, qui, ayant reçu deux photos de la part d’un chercheur d’antiquités d’Ukraine, me les a envoyées en avril 2019. Tous nos essais d’avoir des renseignements complémentaires concernant les circonstances de découverte, le lieu de conservation et les dimensions exactes de cet objet ont échoué. Étant donné la présence de plusieurs traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Fig. 50. Photo de la lamelle de plomb (recto) (Pl. V).
Fig. 51. Photo de la lamelle de plomb (recto).
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
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[ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρ?]ν : ὀ δέ μιν [ [ ]+ΑΜΕΝ Ἀναξ[ [ ]+Ν : τὰ κ᾿ ἔτι πα[ρὰ? [ παρ᾿ Ἀγα]θάρκ παρνα[ι [ ]ΝΙ : ἠδελφὴ ΤΟ[ [ ἐ]πιθναι τίσι Τ[ [ ?] vac.
] ] ] ] ] ]
Fig. 52. Fac-similé de la lamelle de plomb (recto).
L. 1 : sur cette première ligne, avant l’interponction, il convient le plus vraisemblablement de restituer l’infinitif dialectal du verbe χαίρειν qui clôt la formule épistolaire introductive classique. Il s’ensuit que les noms de l’expéditeur et du destinataire, qu’on attend par ailleurs sur la première ligne, se trouvaient dans la partie perdue. || μιν, pronom ionien (acc. anaphorique, IIIe pers. sg.) ; on retrouve la séquence ὁ δέ μιν en début d’une phrase chez Hérodote 1.129 et 3.130. L. 2 : [---]+ΑΜΕΝ, vraisemblablement la fin d’un infinitif dialectal, donc [---]+άμν. || Nom composé en Ἀναξ[---] (cf. LGPN IV 23–24). L. 3 : étant donné le caractère dialectal du texte, la séquence τὰ κ᾿ ἔτι πα[ρὰ? ---] pourrait comporter le pronom neutre pl. τά (pour ταῦτα) suivi de l’élision κ᾿ ἔτι (= καὶ ἔτι) ; mais quel sens donner à cette expression ? L. 4 : [παρ᾿ Ἀγα]θάρκ : pour l’affaiblissement de l’occlusive aspirée χ en κ1, cf. deux autres occurrences d’Ἀγάθαρκος à Olbia du Pont, dans le même espace ionien pontique : la première dans la lettre d’Artikôn (30) ; la seconde dans une defixio sur une coupe attique du IVe s.2. Dans une autre lettre sur plomb d’Olbia du Pont (27, B, l. 3), on rencontre δέκεσθ᾿ (= δέκεσθε), forme ionienne d’impératif IIe pers. pl. du verbe δέχομαι, avec l’occlusive sourde κ au lieu de l’aspirée χ. Le nom banal Ἀγάθαρχος est bien attesté dans le Pont-Euxin (LGPN IV 2). || παρνα[ι], graphie ionienne de παρεῖναι ; cf. κελεό Αργοταν παρναι sur l’anneau du roi Skylès (I. dial. Olbia Pont 4 ; pour le comm., voir p. 349–350), et κελεύε[ι] σε παρεῖνα[ι] dans la lettre sur plomb de Ruscino (65, A l. 6). L. 5 : [---]ΝΙ, sans doute la désinence de datif d’un nom, peut-être un anthroponyme. || Crase ἠδελφή (pour ἡ ἀδελφή) ; puisque cette séquence commence après une interponction, on peut restituer soit ἠδελφὴ τ [nom de personne], soit ἠδελφὴ το[ύτ], s’il est question de la personne évoquée avant l’interponction. L. 6 : [ἐ]πιθναι, graphie dialectale de ἐπιθεῖναι ; pour l’emploi du verbe ἐπιτίθημι, indiquant l’envoi d’une lettre ou d’une réponse, voir p. 352. Commentaire : Tyras (auj. Bilhorod-Dnestrovskyj, Ukraine) est une ancienne fondation milésienne, sans doute du VIe s.3, située à l’embouchure du fleuve homonyme (Dniestr/Nistru). En plus des inscriptions lapidaires de cette cité ionienne, peu nombreuses par ailleurs avant l’époque impériale, des graffites sur céramique ont été Bechtel, GD, III, p. 255, § 306 ; Lejeune 1972, p. 59–60, § 47–48. Dans son commentaire à la lettre d’Artikôn, L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, p. 65, estime qu’il s’agit d’une dissimilation de l’aspirée, avis partagé par Tohtas’ev 1999, p. 179 n. 45 ; voir en dernier lieu A. V. Belousov, DefOlb, 2020, p. 142. 2 Rusjaeva/Ivčenko 2014, en partic. p. 156–157 (SEG LXIV 685 = DefOlb 6). 3 Karyshkovskij/Klejman 1994 (trad. de leur monographie en russe de 1985) ; Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 941, n° 694 ; Samoylova 2007. 1
20. Lettre sur plomb d’Artémidôros au forgeron Dionysios (Nikonion)
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publiés à plusieurs reprises, comportant des noms, des exercices scolaires ou diverses abréviations4. Toutefois, l’information sur les pratiques économiques, culturelles et épigraphiques de cette petite cité reste très lacunaire. Même si des fouilles ont été menées dans le passé, la situation actuelle est critique comme pour la majorité des sites archéologiques de la région. Ce premier texte sur plomb découvert dans les alentours de Tyras représente donc une contribution importante apportée à la connaissance du site et de la vie de ses habitants, dont il serait extrêmement dommage de se passer. Ce texte à caractère dialectal prononcé, malheureusement fragmentaire – car seul l’un de ses volets a été retrouvé –, est sans aucun doute une lettre privée. Un faisceau d’indices convergents confirment le caractère épistolaire : la présence systématique de l’interponction ; l’emploi de verbes épistolaires comme ἐπιτίθημι (l. 6), qui se rapporte à un groupe de personnes, et qui constitue par ailleurs la dernière séquence du message ; l’absence de toute formule suggérant une défixion ; la mention de plusieurs personnes en rapport avec une ou plusieurs affaires, dont Anax[---], Agatharchos et sans doute [---]ôn, ainsi que de la sœur de l’un de ces individus ; et notamment la présence très probable, au début de la lettre, de la formule épistolaire classique, qui peut être restituée à partir des deux dernières lettres de l’infinif χαίρειν en graphie dialectale. Enfin, il convient de noter la mention d’une femme, sœur de quelqu’un, en position d’agir et non pas de subir une action (l. 5), puisqu’elle est évoquée en début d’une phrase.
20. Lettre sur plomb d’Artémidôros au forgeron Dionysios (Nikonion)
20. Lettre sur plomb d’Artémidôros au forgeron Dionysios (Nikonion) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte à Nikonion, lors des fouilles illégales, il y a une dizaine d’années. Support, mise en page : lamelle complète, rectangulaire (4,4 × 11,7 cm), pliée de droite à gauche : après avoir plié la lamelle plusieurs fois, le rédacteur a gravé l’adresse externe sur le dernier segment, avant de plier en deux la plaquette ainsi obtenue (légèrement de manière oblique), de façon à ce que l’adresse qu’il allait inscrire reste visible ; ép. non précisée. Les bords supérieur et inférieur sont légèrement crantés ; on observe de légères cassures le long des pliures. 6 lignes sont gravées sur la face interne, sans coupe des mots en fin de ligne, à l’exception de la l. 5 (coupe syllabique). Comme pour d’autres lettres sur plomb, un espace d’environ 1 cm a été laissé à gauche, entre le bord de la tablette et le début des lignes. Un vacat laissé à la fin de la l. 3 (et un autre, au verso, à la fin de la l. 2). Un rhô superfétatoire dans ΚΑΛΥΒΡΙΟΝ (l. 2) ; le sigma à la fin du dernier mot de la l. 4 a été gravé au-dessus de l’alpha. Le prescrit occupe la première ligne. Une adresse externe a été gravée sur deux lignes, perpendiculairement aux lignes du texte. Dialecte : ionien oriental (avec des traits de koinè) : o long fermé noté par omikron (l. 4, Καλλιστράτ), ouverture du second élément de la diphtongue αυ (l. 6, αὀτῆι) ; graphies ioniennes ὅκως (l. 3), Ποσίδηος et τέσσερας (l. 4), mais des graphies post-dialectales dans χαίρειν (l. 1), ἐπίστειλον (l. 2), ἔχουσι (l. 2). Assimilation de la nasale finale avant une labiale dans ἐπίστειλόμ μοι (l. 2). Paléographie : lettres soigneusement gravées bien qu’assez irrégulières (ht. des lettres : 0,2–0,5 cm). Lettres remarquables : ny avec la deuxième haste dissymétrique ; omikron habituellement plus petit, parfois tracé en deux temps ; pi avec la deuxième haste dissymétrique et la première prolongée parfois au-delà de la barre horizontale ; sigma à quatre branches écartées ; upsilon tantôt à barre verticale, tantôt sans barre () ; ômega de deux types. Date : ca. 400–350. Conservation : collection privée. Édition : Dana/Brujako/Sekerskaja 2018 (avec trad. fr.) [cf. Belousov, EpPont, 2018, n° 8 (Aristeas, 20, 2019, p. 160–161) ; cf. A. Avram, BÉ, 2019, 328] ; Dana/Brujako/Sekerskaja 2019 (avec trad. russe). Illustrations : Dana/Brujako/Sekerskaja 2018, p. 114–115, fig. 1–4 (ph. et dessins) ; Belousov 2019, p. 160 (dessin) ; Dana/ Brujako/Sekerskaja 2019, fig. 1 et 2.A (ph. et dessins). Note sur l’édition : les matériaux concernant ce document inédit sur plomb m’ont été généreusement communiqués par Igor Brujako, le directeur du Musée Archéologique d’Odessa, pour une publication commune. Le plomb semble avoir été 4 À titre d’exemple : Jajlenko 1995 (cf. SEG XLV 1026) ; Cojocaru 2002 ; Stanko 2003 ; Dana 2009, p. 75–80 (cf. A. Avram, BÉ, 2010, 457 ; cf. SEG LIX 863–864) ; Jajlenko 2011 (cf. SEG LXIV 695 bis ; cf. A. Avram, BÉ, 2014, 342).
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
nettoyé par les inventeurs pour que la superficie écrite puisse être lue. Au verso, ceux-ci ont commencé le nettoyage par les deux bouts et se sont arrêtés quand ils se sont rendus compte qu’il n’y avait que l’adresse disposée sur deux lignes ; ainsi, les deux volets centraux et le petit volet de gauche n’ont pas été nettoyés. La forme des lettres correspond à celle des caractères attestés sur d’autres documents similaires contemporains, lettres privées ou defixiones ; la grammaire est dans l’ensemble correcte, avec pourtant certains traits propres à l’oralité qui caractérisent la correspondance privée. Le lieu actuel de conservation de la lettre ainsi que le nom du propriétaire sont inconnus. Des photos sont arrivées en possession des collègues d’Odessa.
Fig. 53. Photo de la lamelle de plomb (recto) (Pl. V).
Fig. 54. Fac-similé de la lamelle de plomb (contenu).
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Ἀρτεμίδωρος Διονυσίωι χαίρειν· ἐπίστειλόμ μοι ὅ τι ἔχουσι καλύβ{ρ}ιον καὶ ὅκως ἔχει τὰ ἐν τοῖς οἰκίοις. vac. Καλλιστράτ παῖς Ποσίδηος ἄγει τέσσερας στατῆρας λαβών· ἀνακῶς σχὲς μηδὲν ἐπιτρέψῃς αὀτῆι. Προσδόκιμός εἰμι· ὑγίαινε.
2 ὅτι ZPE || ΚΑΛΥΒΡΙΟΝ plumbum
Verso (adresse externe) : Διονυσίωι χαλκεῖ. vac.
20. Lettre sur plomb d’Artémidôros au forgeron Dionysios (Nikonion)
Fig. 55. Photo de la lamelle de plomb (verso) (Pl. V).
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Fig. 56. Fac-similé de la lamelle de plomb (adresse externe).
Artémidôros à Dionysios, salut ! Communique-moi par lettre quel cabanon ils ont et où en sont les choses à la maison. Posidèos, esclave (?) de Kallistratos, prend et apporte quatre statères. Prends soin à ne rien remettre à celle-là. Je suis attendu (sc. j’arrive sous peu). Sois en bonne santé ! (Adresse :) À Dionysios le forgeron. L. 1 : présence du prescrit « classique » du type ὁ δεῖνα τῶι δεῖνι χαίρειν, ce qui permet d’établir le terminus ante quem au début du IVe s. En contexte nord-pontique, cette formule épistolaire apparaît dans les documents 19 (?), 31, 32, 35, 41, 46 et 51 (et sans doute *33 et 45) ainsi que, toujours avec χαίρειν mais avec des variations concernant le(s) destinataire(s), dans les lettres 30, 34 et 39. || Les anthroponymes de l’expéditeur et du destinataire sont très banals (LGPN IV 49–50 et 101–105). || On retrouve un ou plutôt deux autres porteurs du même nom, avec la graphie Ἀρτιμίδωρος (sic), dans une defixio opisthographe de la première moitié du IIIe s. découverte par des chasseurs de trésors à Nikonion5. || L’expéditeur d’une autre lettre de Nikonion, sur tesson et plus tardive, s’appelle lui-aussi Dionysios (21). 5
Belousov 2018.
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L. 2 : le verbe ἐπιστέλλω, attesté à plusieurs reprises dans notre corpus, apparaît ici à l’impératif aor. IIe pers. sg., ce qui n’est pas surprenant pour une lettre. || ὅ τι, adj. relatif qui détermine καλύβιον, plutôt que la conjonction ὅτι, qui est inhabituelle après le verbe ἐπιστέλλω ; cf. la séquence ὄ τι σὸν : ἔχσιν dans la lettre d’Apatorios à Léanax (26, l. 7). || Le seul mot qui soulève des questions dans ce texte par ailleurs bien lisible est καλύβ{ρ}ιον, avec un rhô superfétatoire, car il ne peut s’agir que du diminutif καλύβιον, tiré de καλύβη. L. 3 : ὅκως, forme ionienne de l’adverbe ὅπως. || τὰ ἐν τοῖς οἰκίοις, avec un autre diminutif employé au pluriel, avec le sens de « demeure, habitation » ; l’expéditeur s’enquiert, comme pour d’autres documents similaires, de la situation à la maison. L. 4 : Ποσίδηος représente la graphie plus ancienne et dialectale6 du nom ionien qui sera noté plus tard Ποσ(ε)ίδεος ; il est assez fréquent dans le milieu ionien du Pont-Euxin, en particulier à Olbia du Pont (cf. LGPN IV 286). || Son maître (plutôt que son père) porte un nom plus commun, Kallistratos (LGPN IV 184). Le terme παῖς est habituellement employé pour désigner les esclaves (2, billet sur tesson d’Attique ; 23, l. 5, pour une esclave à Berezan’ ; 46, lettre sur plomb de Myrmékion ; 49, billet sur plomb de Phanagoria) ; une autre éventualité serait que Posidèos soit l’un des fils de Kallistratos, qui dans ce cas devait sans doute en avoir au moins deux : « le fils de Kallistratos, celui qui s’appelle Posidèos ». On le retrouve avec le sens de fils dans l’adresse externe de la lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25) : παρὰ τὸμ παῖδα. Ce terme est également employé avec le sens de « fils » dans d’autres documents épigraphiques d’Olbia du Pont, dans un contexte poétique ou bien dans les defixiones : l’épigramme funéraire d’Epikratès, παῖς Ἰσοκράτεος (I. dial. Olbia Pont 45, première moitié du IVe s.) ; une épigramme mentionnant le palmarès d’un concours d’arc, Φιλτέω δὲ παῖδα (I. dial. Olbia Pont 47, fin du IVe s.) ; une dédicace sur vase, Γλαῦκος … παῖ{ε}ς Ποσιδή (I. dial. Olbia Pont 48 b, début du Ve s.) ; une defixio sur céramique, παίδων Τελεσικράτεος (I. dial. Olbia Pont 105 = DefOlb 18, première moitié du IVe s.) ; enfin, δύο παῖδες dans une defixio sur plomb (I. dial. Olbia Pont 106 = DefOlb 15, milieu du IVe s.)7. || Le numéral est noté avec la graphie ionienne τέσσερας; faute de place, le sigma final a été gravé en-dessus de la ligne. L. 5 : mention des statères ; il y a de fortes raisons de penser que les unités monétaires mentionnées dans ce document soient des Cyzicènes (voir le comm. à la lettre sur tesson de Dionysios, toujours de Nikonion, 21). || Dans la séquence ἀνακῶς σχές on reconnaît un aor. impératif IIe pers. sg. : « prends soin/fais attention à ne pas remettre ». L’adverbe ἀνακῶς accompagne une instruction dans la lettre sur tesson de Kernikitis (38, l. 6). L. 6 : αὀτῆι, forme pronominale féminine en graphie ionienne qui renvoie à une personne dont seuls les correspondants connaissaient l’identité. || Προσδόκιμός εἰμι pourrait justifier la fin un peu abrupte du message, s’il ne s’agit pas d’une expression qui servait à annoncer l’arrivée imminente d’Artemidôros sur les lieux. || La clausule ὑγίαινε (impératif actif IIe pers. sg.) est remarquable, étant attestée pour la première fois en fin de message dans ce corpus ; en contexte funéraire, elle accompagne parfois le plus banal χαῖρε, comme un salut aux passants8. On retrouve toutefois ὑγίαινε en position finale dans quelques lettres privées sur papyrus9 : UPZ I 62, l. 36 (en 161/160) ; BGU VIII 1874, l. 14 (milieu du Ier s.). Dans la formule épistolaire classique, elle peut succéder, à l’infinitif, au salut χαίρειν, comme dans les lettres sur plomb de la Pnyx (5), de Mnèsiergos (6) et d’Agathè (63). Adresse externe L. 1–2 : Διονυσίωι | χαλκεῖ. L’adresse externe ne mentionne que le nom du destinataire, mieux identifié par son métier, aussi bien pour le distinguer de ses nombreux homonymes que parce qu’il était connu dans la région sous cette désignation (« Dionysios le forgeron »). Cette activité incontournable est évoquée dans le corpus dans la lettre attique de Lèsis (7, l. 2 : ἐν τῶι χαλκείωι), ainsi que dans le territoire d’Olbia du Pont, où elle donna
Cette graphie est attestée sur l’île de Leukè, donc à Olbia du Pont, dans une dédicace à Achille du début du Ve s. (I. dial. Olbia Pont 48b), et à Odessos, pour un prêtre éponyme de la seconde moitié du Ier s. (IGBulg I² 46, l. 20). Sur cette forme, voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 100 et 188 (Appendice grammatical § 9c). 7 Le terme παῖς n’est pas utilisé dans les documents officiels afin de marquer la filiation, pour laquelle est utilisé le terme υἱός (Strubbe 2005, p. 100). 8 Voir Decourt 1993. 9 Voir Buzón 1984, p. 26. 6
20. Lettre sur plomb d’Artémidôros au forgeron Dionysios (Nikonion)
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même naissance à un microtoponyme Χαλκήνη, « Les forges » (28, l. 5). Un autre nom de métier, σκυτεύς, apparaît dans la lettre d’Agathè (62, B, l. 3). Commentaire : Ce plomb complet qui a en outre l’intérêt de présenter une adresse externe provient de Nikonion. Le nom de cette cité ionienne, fondée vers la fin du VIe s. et située sur la rive gauche de l’estuaire du fleuve Tyras (auj. Dniestr/Nistru), est mentionné à la fois sous la forme Νικώνιον et ἡ Νικωνία10. Après avoir été un protectorat encore débattu du roi scythe Skylès (milieu du Ve s.), elle connaît son apogée du début du Ve s. jusqu’à la fin du IVe s.11. La cité apparaît en tant que tributaire de la Ligue de Délos en 425/424 ; détruite en 331 par Zopyrion, elle est refondée plus tard par Tyras et Istros12. Nikonion, localisée à Roksolani (raïon d’Ovidiopol’, région d’Odessa) par des recherches archéologiques systématiques menées depuis la fin des années 1950 par des chercheurs soviétiques puis ukrainiens – auxquels se sont joints, depuis 1995, des chercheurs polonais de l’université Nicolaus Copernicus de Toruń (voir le document suivant, 21)13 –, a livré peu d’inscriptions sur pierre. En revanche, de nombreux fragments céramiques, y compris des graffites, datant notamment de la fin du VIe et du Ve s., ont été retrouvés lors des fouilles14. Avec ce nouveau document sur plomb on se situe à une période de transition, à la fois pour ce qui est de la paléographie, la coexistence des traits dialectaux ioniens et des formes de koinè, et la mise en place des conventions épistolaires. L’auteur n’est certainement pas une personne très instruite, comme il ressort des tournures orales des phrases et de l’emploi des conjonctions, sans qu’il soit un βραδέως γράφων non plus : il connaissait ses lettres, bien que son texte ne soit pas exempt d’erreurs (l. 2). Qui plus est, le tracé des lettres trahit une main exercée (peut-être aussi sur du papyrus ou des tessons), de même que les formules prouvent qu’il maîtrisait la pratique épistolaire. Outre le prescrit classique du type « Untel à Untel, salut », en début de la lettre, on retrouve la clausule contenant les vœux de bonne santé (ὑγίαινε), précédée d’une expression inédite (προσδόκιμός εἰμι) qui signale vraisemblablement l’arrivée prochaine de l’expéditeur. Comme pour d’autres lettres, si nous connaissons les noms des protagonistes, Artémidôros et Dionysios, et d’un tiers, Posidèos, qui est censé les aider pour une transaction avec une somme d’argent, nous ignorons quels liens unissaient ces trois personnes. On sait seulement que Dionysios était forgeron et connu sous cette désignation dans la communauté de Nikonion ou du voisinage. On peut raisonnablement supposer qu’il s’agit de proches – amis, parents ou partenaires de travail – alors qu’on ignore l’identité et le rôle de la femme désignée par le seul pronom démonstratif αὀτῆι, à laquelle apparemment il ne fallait rien confier – peut-être précisément la somme de quatre statères que Posidèos était chargé d’apporter. Cette somme est relativement importante, si l’on pense à une liste de débiteurs notée dans une lettre sur plomb de Patrasys, qui devaient au rédacteur de la lettre des sommes plus modestes (48). Il est en revanche certain que la façon familière dont Artémidôros évoque cette femme, sans prendre la peine de la nommer, montre que les deux correspondants savaient très bien de qui il s’agissait. La femme devait vraisemblablement être une proche d’Artémidôros : mère, sœur, fille, voisine. La présence de cette femme rappelle d’autres mentions des membres féminins de la famille impliqués dans des affaires (25, 26) ou chargés d’assurer la bonne marche de l’économie domestique en l’absence des maris ou des fils (21, 29), ou bien la mention de la sœur d’un anonyme (19). Une femme est elle-même auteur d’une lettre sur tesson, dans laquelle elle donne des instructions concernant des terres (51, Vyšesteblievskaja 3). Quant aux personnes sous-entendues dans le verbe ἔχουσι, il devait s’agir également d’un groupe des proches car le rédacteur s’enquiert de leur sort. On ne sait pas ce qu’ils étaient censés faire du « cabanon », noté avec une faute d’orthographe : ce dernier pouvait être soit un établissement saisonnier situé sur une propriété dans le territoire, soit un toit de fortune qui leur servait d’abri s’il leur arrivait quelque chose. Une situation similaire apparaît dans la lettre sur plomb d’Artikôn d’Olbia : l’expéditeur recommande à sa famille de chercher à récuΝικώνιον (Ps.-Scylax 68 ; Periplus Ponti Euxini 61 Diller) ; Νικωνία chez Strabon 7.3.16 (C. 306) et chez Étienne de Byzance, s. v. Νικωνία, qui la place de façon erronée aux embouchures de l’Istros. 11 Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 935–936, n° 688. Fondée par Milet dans la seconde moitié du VIe s., ou plus probablement par Istros ; les monnaies montrent en tout cas le rôle d’Istros dans sa (re)fondation. 12 Voir Vinogradov 1999b. 13 Mielczarek/Ohotnikov/Sekunda 1997 ; Ohotnikov 1997. Voir, en général, Alekseev/Loboda 2011. 14 Pour l’archéologie du site, voir Sekerskaya 2001 ; Sekerskaya 2007 ; Ţurcanu 2015, p. 46–52. 10
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pérer une annexe d’habitation si jamais elle était expulsée de la maison (30). Quoi qu’il en soit, on a affaire à un milieu relativement modeste, d’artisans ou petits commerçants, mais qui savaient lire et écrire et pratiquaient la correspondance. Il convient de signaler un petit fragment triangulaire de plomb (dimensions inconnues), opisthographe, découvert par des chasseurs de trésors sur le même site de Nikonion, et photographié au début des années 1990 ; seule une mauvaise photo subsiste. Sur les deux faces, on reconnaît plusieurs lettres bien gravées, sur au moins trois lignes : [---]ΟΗΚ[---] [---]ΕΟ[---] [---]ΟΥ[---]
[---]ΜΙΥ[---] [---]+Τ+[---] [---]+[---]
Fig. 57. Photos du petit fragment opisthographe.
Il pourrait s’agir d’une autre lettre privée, plutôt que d’une defixio.
*20a. Annexe : Possible lettre sur plomb (Nikonion)
*20a. Annexe : Possible lettre sur plomb (Nikonion) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte à Nikonion, sans mention du contexte. Support, mise en page : lamelle fragmentaire, vaguement rectangulaire (2,2 × 2,5 cm), qui a sans doute été pliée en deux ou plusieurs segments ; l’extrémité gauche de la face A correspond plutôt à une déchirure, car pour le bord de la lamelle on aurait laissé un espace libre avant chaque ligne ; en revanche, le bord supérieur semble avoir été conservé, alors que la cassure est bien visible aux extrémités droite et inférieure. La plaque de plomb est opisthographe : 4 lignes sont conservées sur la face A ; apparemment une seule sur la face B (le rédacteur a retourné la lamelle sur elle-même dans le sens de la largeur). Dialecte : sans doute ionien oriental ; o long fermé noté par omikron. Paléographie : d’après le dessin, lettres régulières, soigneusement gravées (ht. des lettres : 0,15–0,35 cm), disposées en stoichèdon (du moins à partir de la l. 2, et en partie à la l. 1). Lettres remarquables : zêta à barre médiane (ou xi à barre verticale) ; ny avec la deuxième haste penchée vers la droite ; omikron plus petit ; sigma à quatre branches écartées. Date : Ve–IVe s. Conservation : collection privée. Éditions : Alekseev 2002, p. 64, n° 9 (= SEG LIII 777) ; Alekseev 2007, p. 22, n° 9 (cf. SEG LVIII 757 ; cf. A. Avram, BÉ, 2008, 393). Bibliographie : Avram/Chiriac/Matei 2007, p. 420 ; Decourt 2014, p. 39–40 et 60, n° 34 [cf. Belousov, EpPont, 2015, n° 10 (Aristeas, 12, 2015, p. 197 n. 7)] ; Ţurcanu 2014, p. 574. Illustrations : Alekseev 2002, p. 62, Pl. II.9ab (dessin) ; Alekseev 2007, Pl. II.9ab (dessin) ; Ţurcanu 2014, p. 574, fig. 190 (dessin). Note sur l’édition : ce document sur plomb, signalé avec un dessin, a été présenté par Alekseev (2002, 2007) comme étant une lettre ou une defixio ; cette hypothèse a été reprise par Chaniotis dans le SEG, alors qu’Avram (2008) et Decourt (2014) penchent pour une defixio. En l’absence de photos, malgré mes efforts d’obtenir des renseignements supplémentaires, je donne ici une édition diplomatique et une proposition de lecture, tout en signalant le caractère hypothétique des restitutions, car le dessin publié prête parfois à la confusion (omikron/thêta, iota/xi, xi/zêta).
[A]
Fig. 58. Dessin de V. P. Alekseev.
4 [B]
?]ΙΑΝΘΟ̣[ ?]ΩΙΕΛΘΟΝ[ ]ΣΔΕΟΜΕ[ ]ΙΚΡ[ ]ΛΑΤ[?
21. Lettre sur tesson de Dionysios à sa famille (Nikonion)
[A]
4 [B]
[ [ [ [ [ [
?] Ξάνθ Ζ[ τ]ῶι ἐλθόν[τι? ]ς δεομε[ ]ικρ[ ]ΛΑΤ[?
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] ] ] ] ?] ]
1 vel Ξ[
L’état très fragmentaire du texte ne permet pas de donner une traduction. Face A A 1 : très probablement un nom au génitif, Ξάνθ ; comme à la ligne suivante, la succession de deux omikron est exclue ; par conséquent, l’un des deux caractères est sans aucun doute un thêta. Il faut supposer que la première lettre est un xi ; la dernière lettre conservée est un xi ou un zêta. Le nom banal Xanthos est bien attesté au nord de la mer Noire (LGPN IV 259). A 2 : sans doute [τ]ῶι ἐλθόν[τι? ---], car la première lettre conservée est un ômega ; d’après la position de ce caractère, l’extrêmité gauche de la face A ne semble pas être le bord de la lamelle, mais bien une déchirure verticale. Comme à la l. 1, la succession de deux omikron est exclue, l’un des deux caractères étant sans aucun doute un thêta. A 3 : très probablement le participe δεόμε[νος], du verbe δέω ayant le sens de « avoir besoin, demander, prier », ce qui indiquerait une lettre privée, plutôt qu’une forme verbale de δέω signifiant « lier, attacher », dans le registre sématique des defixiones. A 4 : sans doute un anthroponyme, e.g. [Ἐπ?]ικρ[άτ?–] ou [Ἰφ?]ικρ[άτ?–] ou un autre mot, e.g. μικρός. Face B B 1 : seulement trois lettres sont notées sur le dessin d’Alekseev. Commentaire : J’ai décidé d’ajouter en annexe ce plomb fragmentaire découvert à Nikonion, et qui a l’intérêt d’être opisthographe. Selon A. Chaniotis, il s’agirait d’une lettre privée ou d’une défixion, d’après l’emploi du support, une lamelle de plomb, et le participe moyen-passif du verbe δέω (A, l. 3). Le document est signalé comme defixio par A. Avram, d’après l’observation de Chaniotis, et par J.-Cl. Decourt. En l’absence de photos, il est difficile de se prononcer sur le caractère de ce texte par ailleurs très fragmentaire ; néanmoins, l’hypothèse d’une defixio me semble moins vraisemblable15. En effet, les multiples sens du verbe à la l. 3 de la face A, la présence d’un anthroponyme au génitif (A, l. 1) et l’allusion à une personne en déplacement suggèrent plutôt une lettre privée, hypothèse appuyée par l’apparence soignée des lignes.
21. Lettre sur tesson de Dionysios à sa famille (Nikonion)
21. Lettre sur tesson de Dionysios à sa famille (Nikonion) Découverte, contexte : tesson brisé en deux morceaux, découvert à trois ans d’intervalle à Nikonion, près de Roksolany sur Tyras/Dniestr (raïon d’Ovidiopol’, région d’Odessa, Ukraine), lors des fouilles ukraino-polonaises du Musée Archéologique d’Odessa et de l’Institut d’Archéologie de l’Université Nicolaus Copernicus de Toruń. Dans un premier temps, un tesson inscrit a été découvert en juillet 2007 ; il s’est avéré être la moitié droite d’une lettre à caractère commercial (fr. B : 9,8 × 10,5 cm). L’ostrakon a été trouvé ensemble avec des tessons du IVe s., à 30 cm de profondeur, dans une couche couvrant le mur en pierre d’une maison au centre du site, mais à proximité de la terre jetée d’une fouille illégale16. Puis, en juillet 2010, dans le cadre de la même mission archéologique ukraino-polonaise, l’autre moitié de l’ostrakon a été trouvée sur En revanche, un autre texte sur plomb de Nikonion est certainement une defixio ; il a été publié par Belousov 2018. Pour des détails concernant le contexte de la découverte, voir Awianowicz/Rakoczy 2011, p. 1 ; Głuszek 2016, p. 20–21 (p. 20, fig. 1, plan avec le lieu de découverte). 15 16
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le pavement en pierre de la cour d’une maison, ensemble avec des timbres amphoriques et des vases à vernis noir (IVe s. et tournant du IIIe s.). Il s’agissait de la partie gauche manquante de la lettre (fr. A : 11,5 × 7,5 cm), parfaitement jointive à la partie droite. Support, mise en page : les deux moitiés réunies d’un grand fragment d’une épaule d’amphore d’Héraclée du Pont forment ainsi l’une des plus longues des lettres privées sur tesson, car les dimensions du tesson initial, de forme trapézoïdale, sont de 11,2 × 18 cm. Le texte est quasiment complet, car seulement quelques lettres sont perdues, à l’endroit de la jointure, en haut et en bas. Il manque un petit morceau central de la partie inférieure du tesson, qui ne devait cependant pas être inscrit, car nous possédons la fin du texte de la lettre ; après le dernier mot à la l. 10, il restait de l’espace pour au moins deux autres lignes, si le rédacteur avait voulu continuer. L’écriture suit la forme de la face interne du tesson, qui a été choisi à dessein après la cassure du vase, et les lignes sont légèrement courbées. Le morceau manquant à gauche, en bas, ne s’est pas détaché, car il s’agit de la forme initiale du tesson : les lignes sont intentionnellement décalées vers la droite, afin d’éviter la cassure. 10 lignes de texte ; les mots sont parfois coupés en fin de ligne, respectant généralement la coupe syllabique (l. 9, pour éviter la coupe, le scribe a noté la fin du mot en-dessous). Les lettres sont soigneusement gravées avec un outil pointu, l’écriture trahit une main expérimentée, bien que l’orthographe ne soit pas toujours maîtrisée : la séquence ΡΩ oubliée à la l. 1 (selon le premier éditeur, où plutôt une sorte de ligature ΡΩΤ) ; un ny oublié et rajouté au-dessus (l. 4), il est vrai, dans un mot long coupé à la fin de la ligne précédente, alors qu’un iota fut gravé par erreur au début de la même ligne et peutêtre au milieu de la l. 8 ; une sorte de ligature ΕΜ dans δὲ μαλακίαι (l. 2), et sans doute ΡΩΤ dans ἔρρωται (l. 1). Dialecte : koinè. Graphie εἱμάτι[ον] (l. 10) ; ὑός pour υἱός (l. 2), comme il arrive parfois dans les papyrus et les inscriptions d’époque hellénistique. Datif avec iota tantôt adscrit (ll. 2, 7), tantôt souscrit (l. 3). Paléographie : lettres profondément gravées, avec des formes assez élégantes ; ht. des lettres : entre 0,2 (pour omikron) et 0,6 cm. La paléographie indique clairement une date vers au plus tôt le début de l’époque hellénistique, avec des traits cursifs (omikron, ômega) : epsilon avec les hastes horizontales parallèles ; êta large ; thêta avec point ; ny droit mais asymétrique ; xi avec barre verticale ; omikron très petit ; pi avec la haste verticale droite visiblement plus courte que la gauche ; sigma lunaire ; upsilon avec les deux barres obliques jointes très haut formant un angle très atténué (même caractéristique pour le psi) ; ômega de petite taille aussi, presque serpentin (et de forme cursive, l. 2). Date : IIIe s. Conservation : Musée Archéologique, Odessa (inv. 96572). Éditions : Awianowicz 2009 (cf. A. Avram, BÉ, 2009, 360) ; Awianowicz 2011 (avec trad. angl.) [= SEG LIX 834 ; cf. A. Avram, BÉ, 2012, 308 ; cf. Belousov, EpPont, 2011, 6 (Aristeas, 6, 2012, p. 210–211) (avec trad. russe)] ; Awianowicz/ Rakoczy 2011 (avec trad. angl.) (cf. SEG LXI 619) ; Ceccarelli 2013, p. 345, n° 20 (avec trad. angl.) ; Oller Guzmán 2014 (avec trad. esp.) (cf. A. Avram, BÉ, 2015, 517 ; cf. SEG LXIV 678) ; Głuszek 2016 (avec trad. angl.). Bibliographie : Ceccarelli 2013, p. 41 ; Dubois 2013, p. 41 ; Oller Guzmán 2013a, p. 85 ; Decourt 2014, p. 60, n° 35 ; Mielczarek 2014, p. 27 ; Ţurcanu 2014, p. 494–495, 546–549, 574–575 (avec trad. roum.) ; Oller Guzmán 2015, p. 62 ; Ţurcanu 2015, p. 49 ; Dana 2016, p. 103–104. Illustrations : Awianowicz 2009, p. 196, fig. 1 (ph. avant nettoyage) et 2 (ph. après nettoyage) ; Awianowicz 2011, p. 238, fig. 1 (ph.), et 239, fig. 2 (dessin) ; Awianowicz/Rakoczy 2011, p. 2, fig. 1 (ph. avant nettoyage), et p. 3, fig. 2 (ph. après nettoyage) ; Drevnie kultury Severo-Zapadnogo Pričernomor’ja (k 95-letiju Nacional’noj Akademii Nauk Ukrainy), Odessa, 2013, Pl. 17, fig. 8 (ph.) ; Decourt 2014, p. 78, fig. 21 (dessin) ; Ţurcanu 2014, p. 495, fig. 149 (ph.) et 546, fig. 174 (dessin) ; Dana 2015a, p. 326, fig. 7 (ph.) ; Głuszek 2016, p. 24 (ph. et dessin d’A. Dzwonek). Note sur l’édition : ce document a été soigneusement publié en deux reprises, après la découverte des deux fragments qui se complètent, par Awianowicz (2009, 2011, suivi par Ceccarelli 2013), et commenté par Oller Guzmán (2014) et Głuszek (2016). J’ai pu refaire le fac-similé et vérifier les lectures d’après des photos de qualité de l’équipe ukraino-polonaise.
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Διονύσιος τοῖς ἐν οἴκω[ι] χαίρειν. Ἕως τούτου ἔρρωται καὶ ὁ ὑός. Ὑμεῖς δὲ μαλακίαι μηθὲν ἐνδῶτε, ἀλλὰ ἀπόστειλόν τινα καὶ ἔντειλαι Μαρακατῃ· τὸ μονόξ{ι}υλον ἄμμου ἐνέπλησα. Ἐξεράσας μετέωρον αὐτὸ ἀνασπασάτω, ὡς πλὴν ἐκείνου ἐλπὶς οὐδεμία ἐστίν. Καὶ κριθῶν εἰσιν παρὰ Ποσσικρ[ά]τηι μέδιμνοι ἐννέα· ἔρρωται δὲ καὶ
21. Lettre sur tesson de Dionysios à sa famille (Nikonion)
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Ποσσικράτης. {ι} Κ[ό]μισαι δὲ καὶ παρὰ τῶν Θοαψων ἡμ[ισ]τάτηρον ἀποδοῦσα τὸ εἱμάτι[ον]. vac.
1 ΕΡ//ΑΙ ostr. : ἔρ〈ρω〉μαι Awianowicz, edd. ||| 2 μαλακία[ι] Aw., edd. || 3–4 μονόξ|{.}υλον Aw., edd. || 8 {ι} Κ[ό]μισαι Aw., edd. || 9 Θοαψων Aw., edd. || ἡμ[ιστ]άτηρον Aw., edd. || 10 εἱμάτ[ιον] Aw., edd.
Fig. 59. Photo du tesson (Pl. VI).
Fig. 60. Fac-similé du tesson.
Dionysios aux gens de la maison, salut ! Jusque-là, le fils se porte également bien. En aucun cas ne vous laissez en proie à la faiblesse, mais dépêche quelqu’un pour donner des instructions à Marakatès (pour lui dire que) j’ai rempli de sable le bateau en bois. Une fois qu’il l’aurait déchargé, qu’il le tire de l’eau en le soulevant, car s’il ne le fait pas il n’y a aucun espoir. Et chez Possikratès il y a neuf médimnes d’orge ; Possikratès se porte lui aussi bien. Et rapporte aussi des Thoapsoi (?) un demi-statère, une fois que tu as rendu l’himation.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
L. 1 : le nom de l’expéditeur, Dionysios, est des plus banals (LGPN IV 101–105) ; il est en outre le nom du forgeron destinataire de la lettre complète sur plomb également trouvée à Nikonion (20). || Il s’adresse aux membres de son oikos, utilisant la même formule qu’Artikôn d’Olbia (30, ll. 1–2 : Ἀρτικῶν : τοῖς ἐν οἴκωι | χαίρειν) ou, avec le locatif, Mnèsiergos d’Athènes (6, ll. 1–3 : Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν). || Dans le commentaire du fr. droit, le premier éditeur Bartosz Awianowicz avait pensé au nom propre Ἑρμᾶς (cf. LGPN IV 124) au datif, comme s’il désignait le destinataire de la lettre, mais après la découverte du second fragment il corrige le texte pour restituer la Ière pers. du verbe ῥώννυμι, par lequel l’expéditeur indique qu’il est en bonne santé. Sur le tesson, on observe un gribouillage dans la graphie du verbe : le premier éditeur suppose l’oubli de la séquence ΡΩ dans ἔρ〈ρω〉μαι ; pourtant, le gribouillage mentionné n’a pas la forme des autres my du tesson, et il est possible de reconnaître une ligature maladroite, ΡΩΤ (cf. une autre ligature à la l. 2), ce qui donne le même verbe à la IIIe pers. sg. (cf. l. 7–8, ἔρρωται δὲ καὶ Ποσσικράτης). Dans les deux cas – ἕως τούτου ἔρρωται καὶ ὁ ὑός ou bien ἕως τούτου ἔρ〈ρω〉μαι καὶ ὁ ὑός –, on comprend qu’aussi bien l’expéditeur que son fils, qui devait l’accompagner, étaient en bonne santé. La présence de ce verbe au début de la lettre est en quelque peu surprenante puisqu’on s’y attendait plutôt au verbe ὑγιαίνω, alors que la clausule ἔρρωσο est plutôt employée pour clore un message, en tant que formula valedicendi17. Une tournure proche de cette expression apparaît cependant dans les lettres sur papyrus : ainsi, dans une lettre de 252, ἔρρωμαι δὲ καὶ ἐγὼ καὶ Ἀπολλώνιος ὑγίαινεν καὶ | τἆλλα ἦν18 ; une autre du Ier s. : (…) χαίρειν καὶ | ἐρρῶσθαι. ἔρρωμαι δὲ | καὐτὸς καὶ τὰ παιδία | καὶ οἱ ἐν οἴκωι πάντες19. L. 2 : la graphie ὑός pour υἱός n’est pas inhabituelle à l’époque hellénistique ; c’est ainsi que ce mot est écrit dans plusieurs inscriptions du Royaume du Bosphore20. || μηθέν au lieu de μηδέν n’est pas surprenant dans les inscriptions d’époque hellénistique, si l’on se fie au parallèle μηθείς/μηδείς21. || Le mot suivant, ἐνδῶτε, est une forme de subjonctif de prohibition22. || Il convient de remarquer le passage du pluriel (l. 2 : ὑμεῖς --- ἐνδῶτε), au singulier (ll. 2–3 : ἀπόσ|τειλον). Le destinataire de la lettre était une femme (cf. l. 9 et comm.). L. 3 : dans l’édition du premier fragment, B. Awianowicz avait lu παρακατη, en pensant soit à un nom de personne hapax, au datif (Παρακάτῃ), soit à la préposition παρά suivie d’un nom (e.g. παρὰ Κατη ou παρ᾿ Ἀκατη). Il revient par la suite sur cette lecture et propose Μαρακατης, un nom nouveau, non grec. Après ce nom hapax, très probablement de facture iranienne23, il faut sous-entendre ὅτι. L. 3–4 : τὸ μονόξ|{ι}υλον devait être, d’un point de vue étymologique, un objet fait d’une seule pièce en bois, un tronc. Il s’agit sans doute d’une embarcation comme celles qui sont évoquées par Xénophon24, parlant des Mossynèques, population habitant près de Kérasous, colonie de Sinope dans le pays des Colques : « trois cents pirogues, faites d’un tronc d’arbre, montées chacune par trois hommes » (τριακόσια πλοῖα μονόξυλα καὶ ἐν ἑκάστῳ τρεῖς ἄνδρας)25. Notre document apporte la première attestation épigraphique de ce type de bateau. Un témoignage archéologique de la région de Pesčanoe en Ukraine, qui se trouve sur un affluent mineur du Borysthène/Dniepr, s’ajoute aux textes littéraires : la découverte d’une embarcation fabriquée d’un tronc de chêne, avec le squelette d’un homme et une trousse de 15 pièces de vaisselle en bronze doré26.
Ceccarelli 2013, p. 345. P. Cair. Zen. II 59251, ll. 1–2. 19 P. Lips. I 104, ll. 9–12. 20 CIRB 225, 226, 390, 695, 700, 760, 1027, 1028, 1034, 1104 ; une fois à Olbia du Pont, à l’époque impériale : IOSPE I² 206. Pour ce phénomène, voir Threatte, Grammar, I, 1980, p. 340–342. 21 Cf. Threatte, Grammar, I, 1980, p. 472–476. 22 Cf. Oller Guzmán 2014, p. 170 et n. 7. 23 Pour un éventuel parallèle, cf. Οσμαρακος Αμαιακου à Tanaïs (CIRB 1279, l. 19, époque impériale). 24 Xénophon, An. 5.4.11. Pour la mer Noire, voir aussi le stratagème employé par un certain Tynnichos pour enlever le siège de Théodosia (Polyen 5.23), en avançant avec des embarcations du type monoxyle avec un seul homme ; Hippocrate, Aër. 15, pour les monoxyles utilisés par les habitants de Phasis ; Arrien (An. 1.3.6) qui décrit, dans le cadre de l’expédition d’Alexandre le Grand contre les Gètes, la façon dont ces derniers traversaient le Danube à l’aide de monoxyles (τῆς κάρφης πληρώσας καὶ ὅσα μονόξυλα πλοῖα ἐκ τῆς χώρας ξυναγαγών). 25 Voir Casson 1971, p. 7–8 ; pour les types de navires, voir Vélissaropoulos 1980, p. 57–61. Sur le même sujet et l’exemple de Nikonion, cf. Santiago Álvarez 2013a, p. 214–215. 26 Tsetskhladze 1998b, p. 65 ; Oller Guzmán 2014, p. 170–172. 17 18
21. Lettre sur tesson de Dionysios à sa famille (Nikonion)
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L. 4 : ἄμμος peut désigner une marchandise, le sable, sans que l’on sache s’il s’agissait du sable ordinaire utilisé en tant que matériau de construction ou d’un sable plus fin qui servait à fabriquer du verre. Néanmoins, dans ce contexte, il s’agit vraisemblablement du sable qui servait à lester le bateau, et qui devait être enlevé avant de tirer l’embarcation de l’eau pour éviter qu’elle se casse. || Le verbe ἐξεράω, avec le sens de « sortir, décharger », est relevé par le premier éditeur dans un papyrus du IIIe s., dans un contexte comparable : τοῖς μετεξεράσασιν τὰ σκόρδα ἐκ τοῦ πρότερον εἰς τὴν | ἀγγαρευθέντος πλοίου θαλαμηγὸν ἐργάταις27. Le participe aor. s’accorde ici avec Marakatès, c’est bien lui qui doit s’occuper de décharger le petit bateau – on pense à la barge (τὸ ἀκάτιον) évoquée dans le plomb commercial de Pech Maho (IG France 135, ll. 1 et 7) – et de le tirer au sec. L. 4–5 : la construction ἀνασπάω μετέωρον signifie que l’embarcation, par ailleurs légère car en bois, devait être tirée de l’eau en la soulevant et non pas en la traînant, peut-être pour ne pas abîmer son fond sur le gravier. Le bateau devait sans doute être ancré par la suite au bord du Tyras/Dniestr, fleuve à l’embouchure duquel se situe Nikonion. On peut citer une expression similaire dans un papyrus du IIIe s. : ἕως ὅτου | καὶ τὸ πλοῖον μετέωρον ὥρμει28. Ce dernier verbe renvoie, une fois de plus, au document sur plomb de Pech Maho où, à la l. 7, on trouve une expression similaire : ὅκ τἀκάτια ὁρμίζεται, « là où mouillent les barges ». On peut également penser que l’embarcation pouvait être mise à l’abri dans un hangar ou un endroit sec, pour passer l’hiver et ne pas être détériorée par les intempéries (cf. Hésiode, Op. 624–626). L. 5–6 : l’expression ὡς πλὴν ἐκείνου ἐλπὶς οὐδεμία ἐστίν fait allusion aux conséquences sur le bateau si les instructions de Dionysios ne sont pas respectées, à savoir, s’il est laissé à l’eau ou s’il n’est pas amarré convenablement. L. 6–7 : la mention de l’orge n’est pas pour nous surprendre quand on pense qu’il s’agissait de l’un des produits les plus consommés dans la région29. || Lors de l’édition du premier fragment, l’éditeur avait vu juste en restituant le nom propre Ποσσικράτης. La découverte de la moitié gauche avait seulement montré qu’il s’agissait non pas d’un génitif, comme l’avait cru le premier éditeur, mais d’un datif – les deux cas acceptant la préposition παρά. Composé similaire à Χερσικράτης, Ποσσικράτης, « aux jambes fortes », n’était pas encore attesté dans le Pont, étant rarissime : il apparaît une fois dans le Péloponnèse30, une fois à Éphèse31 et deux fois en Égypte32. L. 7–8 : ἔρρωται δὲ καί (cf. déjà l. 1, à propos de Dionysios et de son fils), formule rencontrée dans les papyrus, à la fin des lettres privées33. Dans le cas présent, elle fonctionne comme une sorte d’incise : en parlant de Possikratès, un proche que sa famille connaissait aussi, Dionysios pense à transmettre également les amitiés de celui-ci, avant de continuer à égrener ses instructions. Cette pratique, qui consiste à donner des nouvelles d’un tiers ou à envoyer des salutations à un tiers, doit être notée aussi pour la lettre d’Agathè, où le salut [---] Χαιρέαι χαίρειν καὶ ὑ|[γιαίνειν], pour une autre personne que le premier destinataire, se trouve au milieu de la face B de la lettre (63, B, ll. 5–6). L. 9 : les Θοαψοι, si c’est de cette façon qu’il faut lire ce mot (la lecture du psi est probable), devaient être l’une des populations des alentours, à l’instar des Αρβιναται évoqués dans la lettre d’Achillodôros (25, l. 12). || Mention d’une somme en argent (cf. comm.). || Le participe aor. fém. ἀποδοῦσα (l. 9), où les deux dernières lettres ont été gravées en-dessous de la fin de la l. 9, indique clairement que le correspondant de Dionysios était une femme, sans aucun doute son épouse. L. 8–10 : εἱμάτι[ον] pour ἱμάτιον34. Il s’agit peut-être de récupérer une somme pour laquelle le vêtement en question a servi de garantie (cf. comm.). PSI IV 332, ll. 9–10. P. Lond. VII 1979, ll. 10–11. 29 Voir Müller 2010, p. 169–172. 30 Une personne de Parrhasie, cité alliée des Arcadiens de Mégalopolis dans la guerre contre Sparte au IVe s. (Pausanias 8.27.2) ; cf. LGPN III.A 373. 31 Cf. LGPN V.A 377 (fin du Ve s.). 32 Ποσσικράτης Ποσσικράτου, vers 125 (SB I 599 = I. Hermoupolis Magna 4, l. 64). 33 E.g. : P. Cair. Zen. II 59181, ll. 3–4 (milieu du IIIe s.) : ἔρρωται δὲ καὶ Ἐφάρμοστος.| ἔρρωσο. 34 Pour l’iotacisme, voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 186. 27 28
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Commentaire : Un très heureux hasard – ce qui arrive rarement aux épigraphistes35 – a fait que, trois ans après la découverte d’un premier tesson inscrit portant la moitié d’une lettre privée, l’autre moitié du tesson soit découverte, offrant ainsi la possibilité d’une lecture intégrale du message. Il s’agit d’une lettre privée d’époque hellénistique, sans doute du IIIe s., comme l’indiquent à la fois la paléographie36 et les formules épistolaires plus développées (mais sans aucune formula valedicendi). Ce document a été découvert à Nikonion (Roksolany)37, petite cité ionienne située sur la rive est de l’estuaire de Tyras/Dniestr, en face d’une autre fondation ionienne, Tyras. Il s’agit d’une correspondance entre les membres de la même famille au sens grec du terme, la maisonnée (oikos). Dionysios devait se trouver avec « le fils », sans doute son aîné, quelque part dans le territoire ou dans une autre ville. La lettre a été envoyée dans un but précis : informer qu’un monoxyle a été chargé de sable par les soins de Dionysios, donner des instructions à Marakatès pour décharger la cargaison, avant que le monoxyle soit hâlé à terre, préciser qu’une quantité de neuf médimnes d’orge se trouve chez Possikratès, et recommander le règlement d’une dette. Même si l’expression employée à la l. 2 (μαλακία) suggère un événement malheureux qui a affecté la famille, Dionysios prend le temps de donner des nouvelles, non seulement en ce qui le concernait lui et son fils, mais aussi un proche de la famille, Possikratès : les contraintes épistolaires sont déjà à l’œuvre. De la présence du fils à ses côtés, on conclut sur l’association de celui-ci dans les affaires de son père, comme l’était aussi Prôtagorès, le fils d’Achillodôros, auquel son père s’adresse par lettre (25). La première partie de la lettre, et la plus importante, traite de la situation d’une petite embarcation que Marakatès, peut-être un employé de Dionysios, devait se charger de mettre à l’abri. Le soin évident que Dionysios prend du monoxyle peut suggérer que celui-ci représentait un gain-pain pour la famille : il n’était peut-être pas le seul, mais il devait servir à transporter des marchandises sur le fleuve Tyras38. S’il ne s’agit pas d’une marchandise, on doit comprendre que Dionysios l’avait lesté du sable afin d’assurer sa stabilité : il fallait donc d’abord vider le bateau, puis le hâler à terre. Toutes ces mesures prouvent que la lettre a été envoyée avant l’hiver, pour que le monoxyle n’ait pas à pâtir des intempéries ou de la glace qui pouvait emprisonner les bateaux39. Par la suite il est question d’une quantité significative d’orge, 9 médimnes (env. 270 kilos), qui était disponible chez Possikratès. Celui-ci était à son tour un associé ou dans tous les cas un homme de confiance, à qui la famille pouvait faire appel. On songe plutôt à des céréales destinées à la vente, mais il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’une réserve en cas de besoin. Cela fait équivaloir le message de Dionysios, qui n’est pas très clair pour nous sur ce point, à la phrase suivante : « Si nécessaire, il y a de l’orge chez Possikratès ». Enfin, Dionysios demande à ce qu’un manteau40 soit rendu, en échange duquel la personne à qui il écrit doit récupérer un demi-statère. On peut en effet imaginer deux scénarios : dans le premier, le manteau a constitué un gage ou une garantie pour une somme d’argent que la famille de Dionysios a prêtée aux Thoapsoi/Thoapsai ; les Thoapsoi ayant trouvé le moyen de rembourser la dette, il faut leur rendre leur manteau en récupérant l’argent ; ainsi, ils sont quittes. Dans le second scénario, en fonction du sens qu’on donne au verbe ἀποδίδωμι, la situation est inversée : si l’on considère que le participe implique le fait de « payer une dette », n’ayant pas de l’argent liquide, Dionysios conseille qu’on porte en recouvrement le manteau, dont la valeur est supérieure à la dette. Dans ce cas, le demi-statère représenterait le trop perçu, qu’il faut rapporter à la maison. Bien que la lettre soit complète et le contenu du message beaucoup plus clair que pour d’autres lettres où l’objet même du message est obscur, il reste encore quelques aspects à éclaircir. On ne sait pas quels sont les rapports exacts, de parenté ou autres, avec les personnages mentionnés – Marakatès, Possikratès – alors que le nom de la destinataire n’est pas mentionné. Marakatès, dont le nom n’est pas grec, doit être un homme, comme le montre le participe aor. masc. ἐξεράσας ; il est censé par ailleurs faire un travail physique, car mettre le bateau Voir l’enthousiasme de Dubois 2013, p. 41. Sur la base des parallèles offerts par la lettre olbienne sur tesson destinée aux nauclères (34), mais aussi un ostracon d’Olbia du Pont avec une liste de noms (Stolba 2005b, p. 91 = SEG LV 857). 37 Sur le site de Nikonion, voir la bibliographie citée dans le commentaire de la lettre 20. 38 Voir aussi Oller Guzmán 2014, p. 172. 39 Pour le froid qui pouvait glacer les eaux du Bosphore Cimmérien, voir Hérodote 4.28 ; Strabon 2.1.16 (C. 74) apporte un témoignage sur la dédicace dans le temple d’Asclépios de Panticapée d’un vase d’airain brisé par le froid. 40 Voir, pour les textiles, la lettre de l’agora olbienne (27) et la lettre d’Artikôn (30). 35 36
22. Lettre sur plomb à Prôtagorès (Mont Živahov, Golfe d’Odessa)
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à l’abri exige une certaine force. Il ne se trouvait pas au même endroit que la famille de Dionysios, puisque quelqu’un doit aller lui enjoindre de s’occuper du bateau. Sans doute était-il au bord de la rivière ou pas très loin. Possikratès est en revanche un ami, impliqué peut-être dans le commerce de céréales, s’il pouvait en stocker chez lui, dans un silo. La mention du demi-statère pose le problème de la monnaie utilisée. Depuis 1957, 400 monnaies ont été trouvées à Nikonion lors des campagnes archéologiques, puisqu’environ 40% de la cité a été fouillée41. La plupart, soit plus de 80%, sont des monnaies de bronze d’Istros, suivies par les monnaies de bronze d’Olbia du Pont et de Nikonion42. Selon M. Mielczarek, le demi-statère de la lettre de Dionysios doit être une monnaie d’électrum de Cyzique, puisque les monnaies locales sont en bronze, alors que les monnaies d’argent d’Istros, qui commencent à être frappées dans la seconde moitié du Ve s., sont rares43. Il reste la question du destinataire du message. De la forme du participe qui apparaît à la l. 9 (ἀποδοῦσα), on déduit qu’il s’agit d’une femme, le plus vraisemblablement l’épouse de l’expéditeur. L’alternance entre le pluriel, au tout début de la lettre, et le singulier dans le reste du message, s’explique de la façon suivante : comme une mésaventure pour leurs affaires a dû arriver aux proches de Dionysios, celui-ci les encourage collectivement ; en revanche, il s’adresse à sa femme pour qu’elle règle les questions concrètes. L’épouse assume la gestion des affaires et la sauvegarde des biens familiaux, étant ainsi la gardienne de l’oikos, telle qu’elle est envisagée par Ischomaque44. Cependant, l’image de l’homme qui déroule son activité à l’extérieur, tandis que la femme reste à la maison pour veiller au grain, subit quelques modifications : c’est sans doute elle qui doit transmettre les instructions à Marakatès, en plus de s’occuper personnellement de l’affaire du manteau. Les Thoapsoi, inconnus par ailleurs, devaient habiter dans le territoire de la cité, ce qui implique des relations familières et des aller-retours. Ce qu’il faut notamment remarquer est que Dionysios fait entièrement confiance à sa femme et qu’il s’adresse à elle comme à quelqu’un qui était parfaitement au courant des affaires familiales. En son absence, c’était donc son épouse qui assumait le rôle de chef de famille, puisque le fils (aîné ?), susceptible d’assumer ce rôle, accompagnait le père. Le rôle des femmes dans l’économie domestique du monde grec est ainsi éclairé par de nouveaux témoignages.
22. Lettre sur plomb à Prôtagorès (Mont Živahov, Golfe d’Odessa)
22. Lettre sur plomb à Prôtagorès (Mont Živahov, Golfe d’Odessa) Découverte, contexte : lamelle de plomb, découverte en 1977 par une équipe d’archéologues du Musée d’Odessa (Ė. I. Diamant), lors des fouilles à Ževahovo/Ževahova Hora (Gora), un petit établissement rural du Mont Živahov, situé dans le Golfe d’Odessa, au nord de l’actuelle ville d’Odessa. Le plomb a été trouvé dans la première des deux pièces d’une habitation à demi enterrée, datant de la seconde moitié du Ve s. et abandonnée au début du IVe s.45. Support, mise en page : lamelle rectangulaire (3,4 × 6,7 cm ; ép. 0,2 cm) presqu’intacte (bien qu’ayant subi les effets de l’oxydation), à l’exception d’un petit morceau détaché en haut à gauche, d’un autre qui s’est détaché du bord supérieur droit, et d’un troisième qui manque au milieu. Le texte comporte sept lignes ; le bord inférieur est légèrement cranté et de la dernière ligne on n’aperçoit que deux lettres, très mutilées, après un vacat (peut-être le nom du destinataire, selon une suggestion de Vinogradov). Les mots sont d’habitude coupés en fin de ligne (coupe syllabique). L’écriture n’est pas particulièrement soignée et les lignes pas toujours droites, avec quelques erreurs (un ny superflu, l. 4 ; une séquence difficile dans la seconde moitié de la l. 5) ; divers accidents ont pu être pris pour des traces de lettres par les éditeurs. Au verso, l’examen n’indique aucune adresse externe. Une fois le texte gravé, la tablette a été dans un premier temps pliée suivant l’axe horizontal, puis l’axe vertical, de façon que le texte inscrit restât à l’extérieur. On peut envisager deux possibilités : soit le document a été plié par l’expéditeur d’abord en largeur, puis en longueur, de façon à ce que la première ligne, avec le nom du destinataire, puisse figurer comme adresse ; soit le destinataire, après avoir lu le message, l’avait replié dans l’autre sens46. La première possibilité implique un geste très proche de la manière moderne de plier un papier, avec certes le texte à l’intérieur. 41 42 43 44 45 46
Et plus de 800 lors des fouilles illégales. Mielczarek 2005. Mielczarek 2014, p. 27–28 (deux Cyzicènes ont été récemment découverts par hasard près de Nikonion). Xénophon, Oec. 9. Voir Oller Guzmán 2015, p. 62. Ė. I. Diamant, V. I. Kuz’menko, dans AO 1977, 1978, p. 321. Ceccarelli 2013, p. 340.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Dialecte : ionien oriental ; e long ouvert noté par êta, o long ouvert noté par ômega ; ei résultat de la contraction noté par epsilon ; ouverture des diphtongues ευ et αυ (ε, σπεόσῃ{ν}, αὀτόν) ; apocope dans παρά (l. 5) ; désinence εω non-contractée dans ἀμελέω (l. 2) ; élisions (ll. 1–2, ἀντιμη[χα]|νᾶτ᾿ ἐμοι ; l. 3, ἀνεσκέακ᾿ ε). Paléographie : lettres profondément gravées, mais de taille inégale ; ht. des lettres : 0,3–0,5 cm (0,2–0,3 cm pour les plus petites ; omikron et ômega, 0,3 cm). En raison de nombreux traits ioniens, mais aussi pour des critères paléographiques, Vinogradov avait daté le document vers le milieu du Ve s. ou au troisième tiers du Ve s.47. Néanmoins, des hésitations et des formes de lettres plus récentes semblent indiquer la fin du Ve s., voire le début du IVe s. : alpha avec la barre horizontale tantôt droite, tantôt oblique ; kappa avec les hastes obliques longues ; my pas trop large, bien qu’avec les hastes légèrement écartées ; ny pas toujours asymétrique, par ex. à la l. 1 (ἄν) où il est droit, avec la haste oblique accrochée plus bas à la haste verticale gauche ; rhô à boucle ronde ; ômega à boucle étroite. Date : ca. 400. Conservation : Musée Archéologique, Odessa (inv. 87510). Éditions : Vinogradov 1998, p. 164–166, n° 4 (avec trad. angl.) (= SEG XLVIII 1029) ; Dana 2007a, p. 76–78, n° 4 (avec trad. fr.) ; Ceccarelli 2013, p. 340, n° 7 (avec trad. angl.) ; Bravo 2013, p. 68–73, n° II (avec trad. it.) (= SEG LXIII 590) [cf. Belousov, EpPont, 2013, n° 7 (Aristeas, 10, 2014, p. 324–325) ; cf. A. Avram, BÉ, 2015, 543]. Bibliographie : Ceccarelli 2005, p. 39 ; Redina 2007, p. 514 ; Decourt 2014, p. 62, n° 42 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 227 n. 29 ; Dana 2016, p. 105. Illustrations : Vinogradov 1998, p. 177 (deux ph.) et 178, fig. 4 (dessin) ; Dana 2007a, p. 77 (dessin) ; Decourt 2014, p. 79, fig. 23 (dessin). Note sur l’édition : texte de Vinogradov (1998) repris dans le SEG et par Ceccarelli (2013), avec quelques émendations par Dana (2007) ; lectures et restitutions fautives de Bravo (2013), à partir de la photo de l’édition de l’épigraphiste russe. Fac-similé et lectures d’après les clichés originaux provenant des archives de Vinogradov (fournis par Askold Ivantchik) et d’autres photos du musée d’Odessa. Étant donné la présence de nombreux traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Πρωταγόρης· ἂν ἀντιμη[χα]νᾶτ᾿ ἐμοί, ἀμελέω, ἔχω περὶ σο[ῦ] + ὂ ἂν πάρεστι καὶ ἀνεσκέακ᾿ ε· ἐὰν ἦ σπεόσῃ{ν} ὄτι τάχους, τ[ά]χιον ν[ῦ]ν πὰρ τοῦτον χάρι[ν] δὲ ἄγν αὀτὸν ΗΜ+[1–2]Ν vac. [-----------?]ΕΙ[------------------?].
4
Fig. 61. Photo de la lamelle (Pl. VI).
Fig. 62. Fac-similé de la lamelle. 47
Selon L. Dubois, le document n’est pas antérieur à 400, à cause du o long fermé noté par le digraphe ου.
22. Lettre sur plomb à Prôtagorès (Mont Živahov, Golfe d’Odessa)
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1–2 ἂν ἀντιμη[χα]|νᾷ τ᾿ ἐμοί Vinogradov : ἂν ἀντιμη[χα]|νᾶτ᾿ ἐμοί Dana 2007a, Ceccarelli : ἄν {αν} τι ἔχη[ι] | κατ᾿ ἐμέο Bravo || 2–3 σο|ὺς Vin. : ἔχω περισὸ[ν] | λόγ[ο]ν Br. || 3 ΑΝΕΣΚΕΑΚΕΟ plumbum : ἀνεσκε(ό)ακ᾿ ε Vin. : ἀνεσκε〈ό〉ακ᾿ ε SEG || 4 ἐὰν ἦ σπεόσῃν Vin., Cecc. : ἐὰν {η} σπεόσῃ{ν} Dana 2007a || 3–4 πάρεστι καὶ ἂν ἐσκεάκ ὧ|[δ]ε ἀντιπρή[σ]σειν Br. || 4 ΝΤΙ corr. in ΟΤΙ plumb. || 4–5 ὅτι τάχους, τ[ά]|χιο(ν) οἰχέτω Vin. : ὅτι τάχος τά|χιο〈ν〉 οἰχέ[σθ]ω Br. || 5 ΤΟΥΤΟΝ plumb. : το〈ύ〉το〈υ〉 Vin., Dana 2007a, Cecc. || 5–6 παρ〈ὰ〉 τοῦτον. χάρι|ζε ἄγν αὀτὸν 〈σ〉ήμερον Br. || 6 αὑτόν Vin. (sed αὁτόν comm.) : αὁτόν Dana 2007a, Cecc. || ἥμερον Vin., Dana 2007a, Cecc.
Prôtagorès ! S’il continue [= si tu continues] de manigancer contre moi, je ne m’inquiète pas, car je détiens en ce qui te concerne (quelque chose) qui est à ma disposition et je peux bien retourner la situation. Si vraiment il se dépêchait [= tu te dépêchais] le plus vite possible, qu’il s’empresse [= que tu t’empresses] de le [= me] remercier à présent que lui-même [= que toi-même] [---]. L. 1 : Πρωταγόρης – Vinogradov a considéré qu’il s’agissait du nom du destinataire au vocatif, sous la forme d’une adresse abrégée. Cette manière de s’adresser apparaît dans d’autres lettres du Pont Nord (25, 48 et 52), bien que chaque fois avec la particule caractéristique ὦ. En l’absence de cette particule, le nominatif me semble plus probable, employé toutefois avec la valeur d’un vocatif. Bien que les formes verbales qui ne concernent pas l’expéditeur soient à la IIIe pers. sg., il apparaît clairement que Prôtagorès était le véritable destinataire de la lettre, comme le prouve le passage à la IIe pers. sg. aux ll. 2–3. On pourrait donc comprendre : « si toi, Prôtagorès, continues de manigancer, etc. » ; pour faciliter la compréhension du texte, j’ai donc délibérément choisi de restituer la IIe pers. sg. entre parenthèses. L’anthroponyme présente la forme spécifique ionienne du nom bien connu Πρωταγόρας, avec le phonétisme attendu en ionien, η à la place d’α long. Ce nom, naturellement présent dans le Pont-Euxin (LGPN IV 292), est attesté deux fois à Olbia du Pont, dont le destinataire de la fameuse lettre de Berezan’, le fils d’Achillodôros (25). L. 1–2 : le premier éditeur préférait lire ἀντιμη[χα]|νᾷ τ᾿ ἐμοί. La forme verbale la plus vraisemblable pour ce verbe contracte employé à la voix moyenne-passive est un subj. moyen à la IIIe pers. sg., ἀντιμη[χα]νᾶται. L. 2 : ἀμελέω, forme non-contracte du verbe, caractéristique du vieil ionien. L. 2–3 : Vinogradov avait lu σο|ύς ; la première lettre de la l. 3 est difficile à identifier, étant suivie par une séquence peu claire. L. 3 : dans ἀνεσκέακ᾿ ε, il convient de comprendre le verbe ἀνεσκέακα, forme locale qui procède d’une érosion du parfait ἀνεσκεύακα du verbe ἀνασκευάζω48. Vinogradov préfère y voir l’omission de la voyelle ο (= υ), et non pas cette variante parlée. La traduction du verbe par « réfuter », proposée par Vinogradov, est problématique, puisqu’on trouve ce terme plutôt dans le vocabulaire des rhéteurs d’époque hellénistique. À cette difficulté s’ajoute la forme de parfait, auquel il est assez difficile de donner la nuance de possibilité. || ε est une forme ionienne avec l’ouverture du second élément de la diphtongue. On remarque le même phénomène dans le cas du verbe σπεόσῃ{ν} (l. 4) et du pronom αὀτόν (l. 6). L. 4 : dans σπεόσῃ{ν} (pour σπεύσῃ), forme ionienne de subj. aor. IIIe pers. sg., Vinogradov suppose que la dernière lettre est un ny ephelkystikon parasite. || ὄτι τάχους : le génitif à la place de l’accusatif attendu, sans doute sur le modèle de ὡς τάχους (ἔχειν), où ὡς a été remplacé par ὅτι. L. 4–5 : τ[ά]|χιον, dont la lecture est assez problématique car il faut supposer la notation fautive d’un iota à la place du ny, ou bien un ny tracé partiellement, est un comparatif récent par rapport à θᾶσσον. L. 5 : ν[ῦ]ν, seule lecture possible. || apocope dans παρά avant une consonne49. L. 6. ἄγν : graphie archaïque de la voyelle longue fermée d’infinitif résultant d’une contraction, utilisée comme impératif. || Dans αὀτόν on reconnait un ionisme notoire, avec l’ouverture du second élément de la diphtongue αυ.
Cf. I. dial. Sicile I 177, l. 4, avec le comm. de L. Dubois, p. 202–203 et n. 63 : la forme σκέα pour σκεύα représente peut-être une vulgarisation. 49 Pour l’apocope, voir Thumb/Scherer 19592, II, p. 282, § 313.3. 48
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Commentaire : Ce texte sur plomb, retrouvé dans l’établissement du Mont Živahov50, un plateau entre deux estuaires dans le Golfe d’Odessa, à mi-chemin entre Tyras et l’actuelle île de Berezan’, a dû être envoyé d’une cité ionienne, comme le prouvent les nombreux traits dialectaux. L’expéditeur anonyme pouvait résider soit à Olbia du Pont, soit à Tyras ou Nikonion, sans exclure un établissement secondaire de la région. Concernant l’endroit où devait résider Prôtagorès, à savoir le site du Mont Živahov, il s’agit vraisemblablement d’un établissement secondaire d’Olbia. Le message est une véritable « lettre de menace » destinée à Prôtagorès, contre lequel l’expéditeur peut exercer un chantage grâce sans doute à certaines informations censées nuire au premier. Prôtagorès est donc invité, plus ou moins poliment, à quitter les lieux, et sur-le-champ si possible. L’expéditeur parle de lui à la Ière pers. (ἀμελέω, ἔχω, ἀνεσκέακα) ; en revanche, concernant son correspondant, on constate une hésitation entre les verbes, qui sont à la IIIe pers. sg., et le pronom σοῦ, à la IIe pers. sg.51. Il s’agit d’une marque d’oralité qui n’est pas pour nous surprendre, attestée entre autres dans la bien connue lettre d’Achillodôros (25). La menace manifeste dans ce message a conduit Benedetto Bravo à interpréter le texte comme un katadesmos52. Ses restitutions, basées sur des lectures fautives à partir de la photo publiée par Ju. Vinogradov et non d’après le cliché original, n’emportent pas la conviction. Sa démonstration est basée sur la lecture du mot λόγ[ο]ν au début de la l. 3, ce qui est exclu. Ce texte sur plomb d’une gravure assez négligée a été découvert par ailleurs dans une hutte et non dans un contexte funéraire53. Il constitue un écho très concret de la vie quotidienne des Grecs pontiques.
23. Lettre sur plomb mentionnant Mélas (Berezan’)
23. Lettre sur plomb mentionnant Mélas (Berezan’) Découverte, contexte : deux fragments non jointifs d’une fine lamelle de plomb, chacun plié plusieurs fois, découverts sur l’île de Berezan’ en 1982, lors des fouilles de l’Institut d’Archéologie de Kiev (sous la direction de Svetlana N. Mazarati), dans une fosse située dans la partie nord-ouest du secteur « O-Ouest », lui-même situé dans la partie nord-est de l’île ; la distance entre cette fosse (n° III) et la fosse n° 266, où a été trouvée l’autre lettre en boustrophèdon (24) est de seulement 48 m. Pour Vinogradov, le matériel céramique décoré de la fosse où le plomb a été trouvé ne va pas au-delà du troisième quart du VIe s. Les trouvailles céramiques en provenance de la Grèce de l’Est (le bord d’une coupe aux yeux de l’Ionie du Nord, un fragment d’amphore de la même région et des bords d’amphores de stockage lesbiennes à pâte rouge) indiquent plutôt une date autour du second quart du VIe s. Support, mise en page : initialement, la lamelle devait comporter plusieurs volets, dont il ne reste que deux à gauche avec le début des lignes, et trois ou quatre à droite avec la fin des lignes ; les plis verticaux, au long desquels la feuille de plomb s’est abîmée, allant jusqu’à la perte de la partie centrale, sont bien visibles. Un espace a été laissé aussi bien à droite qu’à gauche, entre le bord et le début ou la fin des lignes. Bien que des morceaux se soient détachés des deux bords, supérieur et inférieur, qui sont généralement crantés (à l’exception du bord inférieur du fr. B qui est légèrement arrondi), aucune ligne ne semble avoir été inscrite au-dessus ou en-dessous de celles que l’on voit sur la tablette. Par ailleurs, après le dernier mot, sur le fr. B, un vacat montre que le message prenait fin à cet endroit. Dimensions : fr. A, 4,5 × 5,5 cm ; fr. B, 4,8 × 8,7 cm ; ép. 0,05 cm. Le texte comporte six lignes, écrites en boustrophèdon. Quand les mots sont coupés en fin de ligne (ll. 1, 2 et 4), la coupe syllabique est respectée ; signes d’interponction (:) à la l. 3, à deux reprises. Correction du rédacteur à la l. 5 (ΠΑΙΔΠ en ΠΑΙΔΑ). Dialecte : ionien oriental ; ei résultat de la contraction noté par epsilon ; o long fermé (ou) noté par omikron. Présence du sampi (cf. comm.). Paléographie : écriture profonde et assez soignée ; ht. des lettres : 0,5 cm. La lettre la plus remarquable est le sampi (l. 4), typique de l’alphabet ionien archaïque. La forme archaïque des lettres permet de proposer une date assez avancée, le troi-
Sur ce site, voir Redina 2007, p. 513–514. Voir aussi Ceccarelli 2013, p. 340. 52 Bravo 2013, p. 68–73 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 227 n. 29. 53 Cf. Belousov, EpPont, 2013, n° 7 (Aristeas, 10, 2014, p. 324–325), qui exprime lui aussi de sérieuses réserves quant à cette interprétation. 50 51
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sième quart du VIe s. (selon Vinogradov), ou, plus largement, la seconde moitié du siècle54 : alpha à la barre horizontale également oblique (il est remarquable que même dans les lignes sinistroverses l’alpha est penché vers la droite et sa barre est elle-aussi tracée de gauche en haut vers la droite en bas, comme dans l’écriture dextroverse : ) ; gamma ouvert avec la barre horizontale écartée () ; epsilon avec les hastes horizontales obliques () ; thêta avec croix (tantôt droite, tantôt oblique : , ) ; lambda à hastes inégales, celle de droite plus courte ( ; ce qui, dans l’écriture sinistroverse, l. 4, donne l’inverse : ) ; pi tantôt avec des barres égales, tantôt asymétrique ; rhô archaïque () ; sigma à trois branches (l. 2 : ). Date : ca. 550. Conservation : Musée de l’Institut d’Archéologie de l’Académie Nationale des Sciences d’Ukraine, Kiev (?) (inv. de fouille AБ-82/146)55. Éditions : Vinogradov 1998, p. 154–157, n° 1 (avec trad. angl.) (= SEG XLVIII 988) ; Dana 2007a, p. 70–72, n° 1 (avec trad. fr.) ; Bravo 2007, p. 58–66, n° 1 (avec trad. it.) (cf. SEG LVIII 742) ; Ceccarelli p. 336, n° 2 (avec trad. angl.). Bibliographie : S. I. Mazarati, dans AO 1982, 1984, p. 290 ; Rusjaeva 1987, p. 152 ; Hind 1992–1993, p. 94 ; Solovyov 2001a, p. 132 n. 12 ; Avram 2007, p. 239–240 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 54 (E3) ; Bravo 2013, p. 61–62 ; Trzcionkowski 2013, p. 87–90, 376–378 ; Ceccarelli 2013, p. 39 ; Decourt 2014, p. 57, n° 26 ; Dubois 2014a, p. 606 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 227 n. 29 ; Dubois 2017a, p. 217–218 ; Chistov/Pavlichenko 2019, p. 267–268 ; Parmenter 2020, p. 84. Illustrations : Vinogradov 1998, p. 172 (ph.) et 173, fig. 1 (dessin) ; Dana 2007a, p. 70 (dessin) ; Bravo 2007, p. 60, fig. 1 (ph. et dessin) ; Decourt 2014, p. 76, fig. 17 (dessin). Note sur l’édition : édition soignée de Vinogradov (1998), reproduite par le SEG et Decourt (2014), et reprise avec quelques émendations par Dana (2007) et Ceccarelli (2013) ; lectures et restitutions problématiques de Bravo (2007). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé des clichés de bonne qualité provenant des archives de Jurij G. Vinogradov, fournis par Askold Ivantchik ; j’ai pu également disposer d’un fac-similé ainsi que d’une transcription avec des restitutions, envoyés par Vinogradov à Walter Burkert (1987). Étant donné la présence de nombreux traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Fig. 63. Photo de la lamelle fragmentaire.
Fig. 64. Fac-similé de la lamelle fragmentaire. Selon B. Bravo, vers 550–510. Le plomb a été désoxydé et traité dans le laboratoire du Musée de l’Ermitage (cf. Ju. G. Vinogradov). Le musée de Kiev, où la lettre est vraisemblablement conservée, n’a pas été en mesure de confirmer sa présence dans ses fonds. 54 55
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Παρὰ [τοῦ δεῖνος? ]Α++[.(.)]ίδει· Παῖ· θέλοιμι [ ὠς τά]χιστα ναι : Δ[ ἀπό?]δοτε : τῶν γὰρ ἐνθένδε ἄα β[λομαι? ἀποσ?]τέλλν ᾽Υπάν ΤΑ+[ ] παῖδα τήν τοι ἄγει παρὰ Μέλανο[ς ἀπο?]δναι. vac.
4
→ ← → ← → ←
1–6 suppl. Vinogradov 1998 || 1 ]ΑΙΙ..+τ[ί?] Vin., Dana : ΑΙΙ[..]τ[-] Ceccarelli : ]Α++[..]ίδει Dana || vel [τὸν δεῖνα] || 1–2 εἶ|παι Vin., edd. : παῖ Dana || παρ᾿ α[ὐτὴν τὴν τελευτὴν τοῖσι κάτω δ]αίμ[οσ]ι[ν] εἶ|παι· « θέλοιμι [ Bravo || 3 δ[ότε ---] δότε Br. : [ἀπό]δοτε sive δότε || 4 sampi in ἄα recogn. Vin. 1998 || 4–6 ἐνθένδε ἅα β[αρύνειν με --- ἔμ]ελλεν ὑ|πανταί [μοι] Br. || 4–5 ἄα Β[ορυσθένεος? ἀπέσ]τέλλαν (sic) ᾽Υ|πάν ταΙ Vin. 1987 : ὐ|πανται Vin. 1998 : ᾽Υ|πάν ΤΑΙ[ Dana : ὐ|πανεται Cecc. || 5 ΠΑΙΔΠ corr. in ΠΑΙΔΑ plumbum || τήν Vin. 1987, Dubois (Dana 2007), Cecc. : τ᾿ ἤν Vin. 1998 : [Γῆς καὶ ’ρανō] παῖδα τὴν τοι ἄγει Br. || 6 [παρα]δναι » Br.
De la part [d’Untel] à [---]idès. Garçon, je voudrais que [---] se passe le plus rapidement possible. [---] renvoyez. De ces choses que je voudrais (?) envoyer d’ici-même (vers le fleuve) Hypanis (?) [---] la jeune esclave qu’il est en train de t’apporter de la part de Mélas [---] à rendre/donner (?). L. 1 : présence de l’adresse, même si le nom du destinataire est mutilé et celui de l’expéditeur est perdu. Il convient de remarquer le même type de formule épistolaire dans la lettre attique sur plomb découverte sur la Pnyx : Γναθίωι παρ[ὰ τοῦ δεῖνος] (5, l. 3). Dans notre cas, il est permis d’y voir une inversion : le nom de l’expéditeur (au génitif, construit avec παρά) précédait celui du destinataire, au datif (d’après les deux dernières lettres conservées) ; ce dernier portait un nom en –ίδης. L’adresse occupaît ainsi la première ligne en entier. L. 1–2 : Ju. G. Vinogradov avait proposé la forme verbale sur deux lignes εἶ|παι, que j’avais adoptée dans mon édition antérieure, en supposant un impératif récent en ionien. P. Ceccarelli propose d’y voir un aoriste infinitif, peut-être à la place d’un aor. second impératif εἶπε56. La présence de ce verbe εἶπαι pourrait faire penser aux premières lettres mentionnées par les sources littéraires, par exemple celle envoyée par Amasis au tyran Polycrate, qui commence par Ἄμασις Πολυκράτεϊ ὧδε λέγει, « Amasis à Polycrate dit ceci » (Hérodote 3.40)57. Il est néanmoins plus judicieux de découper cette séquence de la façon suivante : fin du nom du destinataire (au datif), puis le vocatif παῖ (cf. le message attique 2), suivi sans surprise du verbe θέλοιμι (un optatif avec une forte nuance impérative), exprimant la volonté de l’expéditeur. Concernant le statut de ce παῖς, qu’il soit esclave, sens qu’il revêt dans la plupart des lettres, ou le fils de l’expéditeur (comme dans la lettre d’Achillodôros, 25), il est certainement une jeune personne à laquelle le destinataire envoie ses instructions. L. 2–3 : |ναι, notation archaïque attendue du e long fermé récent. Le verbe est noté de la même façon dans la lettre d’Achillodôros (25, ll. 7–8). || [ὠς τά]χιστα, « le plus promptement possible ». Beaucoup de lettres contiennent des appels à la diligence : on trouve des expressions similaires dans une lettre sur plomb d’Emporion (67, l. 13, ὠς ἂν δύνηται τάχιστα), dans le billet attique sur tesson adressé à Eumèlis (3, l. 2 : ς τάχος)58, et dans la lettre sur plomb menaçant Prôtagorès (22, l. 4 : ὄτι τάχους). Une restitution sous la forme [ὅτι τά]χιστα est également possible. L. 3 : [ἀπό?]δοτε (ou δότε), aor. impératif, soit du verbe simple, soit du composé ἀποδίδωμι. L. 4–5 : usage du sampi dans ἄα, forme archaïque du pronom relatif ion. ἅσσα/att. ἅττα59 ; ce signe est caractéristique de l’alphabet ionien60. Dans le Pont-Euxin, on retrouve le sampi, marque du conservatisme coloCf. aussi Bravo 2007, p. 64. Voir Ceccarelli 2013, p. 113–115 et 118, pour les messages introduits par la formule cataphorique ἔλεγε τάδε. 58 Cf. aussi un graffite du milieu du Ve s. de Nikonion, où Ju. G. Vinogradov et S. R. Tohtas’ev suggèrent de lire [---] ἔκπιν ̓ (impératif) ὡς τάχο[ς] (SEG XLVIII 1008 ; V. P. Jajlenko avait lu ἐκπῖν ὡς τάχος). 59 Le relatif ἄσσα n’est attesté en pays ionien qu’à Éphèse (Dial. graec. ex. 709, IIIe s.). 60 Voir Brixhe 1982. Dans le système numéral dit « milésien », le sampi compte pour 900. En tant que lettre, le sampi est rare, n’étant attesté entre 550–450 qu’à Éphèse, Érythrées, Téos, Samos, Halicarnasse et dans la colonie phocéenne de Massalia, sur les légendes monétaires du Ve s. (Brenot 1992, p. 249), comme un « vestige fossilisé et résiduel » (cf. Dubois 2011, p. 72). Curieusement, le sampi n’est pas encore attesté à Milet, à l’exception d’une dédicace à l’Athéna d’Assèsos (I. Milet VI.3 1278). Il est en 56 57
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nial selon l’observation judicieuse de L. Dubois, à Olbia du Pont même, dans un alphabet complet du VIe s., encore inédit61 ; dans un alphabet sur tesson d’Istros d’époque classique62 ; et dans un graffite commercial provenant de la partie européenne du Bosphore Cimmérien (SEG XL 643 ; voir lettre 48, comm.). || β[λομαι] pour βούλομαι, avec la graphie archaïque du o long fermé noté par omikron, si la restitution de Vinogradov est correcte ; de même, e long fermé est noté par un simple epsilon dans l’infinitif [ἀποσ]τέλλν (= ἀποστελλεῖν). || Selon Vinogradov, ὐ|πανται (= ὑπανεῖται) est une forme de médio-passif parfait de ὑπανίημι. Comme ce type de parfait avec la réduplication du suffixe n’est attesté qu’à la basse époque hellénistique, il me semble préférable de lire ici ᾽Υ|πάν, le nom du fleuve Hypanis, connu de nos jours sous le nom de Bug63. Dans ce cas, la vraie diphtongue héritée -ει du locatif sg. est notée par un epsilon, comme il est également attesté pour ἀσυλ < ἀσυλεί64. L. 5 : Vinogradov avait cru reconnaître la psilose dans la séquence τ᾿ ἤν (= τε ἥν). Dans le contexte donné, il me semble préférable de lire le relatif ionien τήν. || τοι pour σοι, forme ionienne de datif. L. 6 : graphie archaïque [ἀπο]δναι pour ἀποδοῦναι (cf. δναι dans la lettre sur plomb de Myrmékion, A, l. 7). || Le nom banal Mélas n’est pas attesté ailleurs dans la mer Noire65. Commentaire : Les débris de la lamelle proviennent d’un dépotoir du fameux site de Berezan’66, une petite île qui mesure aujourd’hui 850 × 480 m. À l’époque archaïque, Berezan’ était une presqu’île barrant la grande embouchure de l’estuaire du Bug (Hypanis) et du Dniepr (Borysthène). Situé à 38 km sud-ouest de Parutino (= Olbia du Pont), au sud de Viktorovka/Viktorivka et près d’Očakov/Očakiv, le site abrita la première apoikia milésienne fondée dans la région, à partir du troisième quart du VIIe s., orientée vers le commerce et l’artisanat. Une première phase (fin du VIIe-milieu du VIe s.) est caractérisée par des structures d’habitation du type « cabanes semi-enterrées » et des fosses domestiques. Vers 540, le site connut un essor urbanistique (réseau de rues et de quartiers, des maisons « en surface » faites de pierre et de brique crue), vraisemblablement grâce à l’arrivée de nouveaux colons. Il fut intégré à l’État olbien, avant d’être abandonné vers la fin du premier quart du Ve s. Son statut est très débattu dans l’historiographie : comptoir commercial milésien, puis établissement de la chôra olbienne, polis autonome, ou encore une structure politique qui intégra par la suite Olbia du Pont, fondée après 600 par des colons milésiens arrivés de la métropole ou bien de Berezan’67. Notons que déjà au premier siècle de notre ère Berezan’ était devenue une île68. Le document reste obscur, d’une part en raison de la perte de la partie centrale de la lamelle, d’autre part en raison du langage laconique, faisant allusion à des situations et produits connus exclusivement des correspondants. Sa qualité de lettre privée est prouvée à la fois par l’adresse épistolaire, par les verbes à la Ière pers. et par les instructions données à un groupe de personnes qui apparaissent à la IIe pers. pl. L’oscillation entre le singulier et le pluriel n’est pas surprenante, car, comme le remarque P. Ceccarelli, une personne peut être représentative d’un groupe. Il faut donc comprendre comme un message impératif (l. 2 : θέλοιμι) envoyé à un certain [---]idès (repris par le voc. παῖ de la l. 2 et le τοι de la l. 5), qui doit se faire le relai vers un groupe (l. 3 : -δοτε) pour une action en toute urgence (l. 2 : [ὠς τά]χιστα). Les objets mentionnés comme étant à envoyer (l. 4 :
revanche connu dans les colonies milésiennes, comme Cyzique, et il est même transmis à Mésambria, pourtant colonie dorienne, dans les légendes monétaires ΜΕ qui ont précédé MΕΣΣ. Voir Brixhe 1996, p. 59–60 ; Dubois 2014a (sur le terme ναυός dans une inscription de Cyzique du VIe s.), en partic. p. 606 ; Dubois 2017a, p. 213–229 (p. 218 et 227 pour cette lettre de Berezan’). 61 Vinogradov 1998, p. 155 n. 6 ; je remercie Aleksej V. Belousov pour des renseignements supplémentaires. 62 Dana 2009, p. 74–75, n° 2, dessin p. 81, fig. 2 ; Dana 2011, p. 24. 63 On connaît à Olbia du Pont une dédicace vers 400 (I. dial. Olbia Pont 82) aux dieux-fleuves Borysthène et Hypanis. À noter deux anthroponymes théophores formés sur le nom du dernier fleuve : Ὕπανις (IOSPE I² 134, l. 8, époque impériale) et Ὑπάνιχος (I. dial. Olbia Pont 101 = DefOlb 14, Ve s.). 64 I. dial. Olbia Pont 15 ; cf. L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 184–185. 65 LGPN IV 227 (notre attestation). 66 Sur ce site voir, entre autres, L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 1–2 ; Vinogradov/Domanskij 1996 ; Solovyov 1999 ; Kryzhytskyy et alii 2003 ; Kryjitski 2009 ; Krapivina 2009, p. 67–80 ; Müller 2010, p. 53–54 ; Čistov 2012. 67 Müller 2010, p. 48 et 53. 68 Νῆσος dans l’hymne à Achille Pontarque (SEG XL 610 ; L. Dubois, BÉ, 1991, 419), puisqu’elle devient le centre religieux du culte d’Achille Pontarque.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
ἄα = ἄσσα) ne sont pas précisés : les protagonistes savaient certainement de quoi il s’agissait, tout comme ils sont les seuls à savoir qui était Mélas, sans doute l’un de leurs partenaires d’affaires, qui avait fait apporter une petite esclave69. Les restitutions proposées par Benedetto Bravo70, afin d’étayer son hypothèse selon laquelle nous sommes en présence d’un texte destiné à une dame appartenant à une association orphique, n’emportent pas la conviction. Il est en effet impossible d’identifier dans ce texte une phraséologie comparable à celle des lamelles orphiques, dans les conditions où les passages significatifs pour sa démonstration se trouvent dans les restitutions71. On ne s’attend pas, pour l’époque où ce message a été rédigé, à avoir à la l. 1 la formule épistolaire consacrée. Dans la bien connue lettre de Berezan’, la construction παρά avec accusatif (25, verso : Ἀχιλλοδώρō τὸ μολίβδιον· παρὰ τὸμ παῖδα κἀναξαγόρην) représente l’adresse externe. Dans notre cas, bien qu’une construction similaire ne puisse pas être écartée, il est préférable de s’en tenir à la formule plus répandue παρά avec génitif. 24. Lettre sur plomb au sujet d’un phortos (Berezan’)
24. Lettre sur plomb au sujet d’un phortos (Berezan’) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte à Berezan’ par Dmitrij E. Čistov, lors de la campagne de fouilles systématiques de l’été 2017 du Musée de l’Ermitage, dans la fosse n° 266 ; la fosse est située dans la partie septentrionale du secteur « O-Ouest », lui-même situé dans la partie nord-est de l’île, celle qui a été le mieux fouillée par les archéologues, à partir des années 1960. 464 fragments céramiques ont été trouvés dans cette fosse, la plupart appartenant à des amphores de transport (amphores du type Clazomènes, milésiennes, samiennes, lesbiennes à pâte rouge et grise, datables de la première moitié du VIe s. voire, pour un fragment, du début du VIe s.) ; parmi les autres fragments (64), 40 proviennent de la vaisselle de table ionienne et peuvent être datés de la fin du VIIe ou du premier quart du VIe s. ; le fragment le plus tardif appartient à une amphore du type Fikellura, datable du deuxième ou troisième quart du VIe s. Les trouvailles de cette fosse, située dans un quartier d’habitation, confirment leur appartenance à la 1ère phase du site de Berezan’, avant sa rapide urbanisation dans le troisième quart du VIe s. Cette fosse se trouve à seulement 48 m de la fosse où ont été trouvés les fragments de la lettre 23. Support, mise en page : la lamelle de plomb, initialement rectangulaire, avait dû être pliée plusieurs fois, de droite à gauche, mais seulement la partie droite a été retrouvée (4,1 × 5,8 cm ; ép. 0,15–0,2 cm) ; la partie perdue constituait probablement la moitié de la lamelle, qui aurait alors dépassé 10 cm de longueur. De cette manière, la lamelle devait comporter plusieurs volets, dont quatre ont été conservés ; les plis verticaux sont bien visibles. Huit lignes de texte, en boustrophèdon. De la partie conservée de la lamelle se sont détachés un petit fragment (angle supérieur gauche) et un autre plus grand, à droite, avec la fin des ll. 1–6 ; en bas est fort heureusement conservé le bord droit de la lamelle. Absence d’interponction. Coupe non syllabique (ll. 7–8). Vacat après les dernières lettres conservées (l. 8), marquant la fin du message. Ny et delta collés (l. 4) ; barre verticale du pi tracée deux fois (l. 7). La perte d’une partie de la lamelle nous empêche de savoir si une adresse externe a été gravée ; les quelques traces visibles au dos de la lamelle correspondent aux caractères du recto, en négatif. Dialecte : ionien oriental. La fausse diphtongue ei notée par epsilon (ll. 2, 7) ; crase τωὐτῶι (l. 6) ; possible forme contracte de la conjonction ἤν (< ἐάν) (l. 5) ; verbe ionien χρηΐζω (l. 4). Paléographie : écriture profonde et assez soignée, similaire à celle de l’autre lettre en boustrophèdon de Berezan’ (23), ce qui suggère une date similaire, vers le milieu du VIe s. Lettres remarquables (ht. des lettres : 0,2–0,3 cm) : alpha à la barre horizontale oblique ( ; sinistroverse , différent du ductus de la lettre 23) ; epsilon avec les hastes horizontales obliques Cf. Eidinow/Taylor 2010, p. 54 (document concernant le retour d’une esclave). Cf. Calame 2008, p. 310, qui précise pourtant que ce rapprochement avec les lamelles funéraires d’or comportant une déclaration d’identité n’a été fait qu’« au prix d’une importante restitution », à savoir [Γῆς καὶ ’ ρανō] παῖδα. 71 Bravo 2007, p. 61–62 : « si trattasse di un testo di carattere esoterico » ; cf. aussi p. 65 : « Poiché παῖδα è qui femminile, penso che l’anima della persona iniziata che deve pronunciare il discorso sia l’anima di una donna ». Dans un article plus récent (Bravo 2013, p. 62), le savant italo-polonais prend lui-même la mesure des risques engendrés par ses restitutions : « Riconosco che la mia ricostruzione-interpretazione di quei due testi [cette tablette et la lettre 27] è molto ipotetica, e non mi stupisce che gli editori del SEG [LVIII 767] abbiano classificato sia l’uno, sia l’altro come ‹incertum› », sans qu’il abandonne toutefois sa théorie : « due sequenze di parole che si leggono bene, εἶπαι θέλοιμι e (un po’ più avanti) ]δότε : τῶν γὰρ ἐνθένδε ἅͲα [, mi sembrano avere più probabilità di appartenere a un testo iniziatico che a una banale missiva ». Or, il s’agit d’un vocabulaire que l’on retrouve dans d’autres documents commerciaux (par exemple, le verbe θέλομεν construit avec un infinitif dans le billet sur plomb de Phanagoria, 49, l. 5), est, précisément, assez banal. 69 70
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() ; thêta avec croix droite () ; ny asymétrique et penché () ; pi tantôt avec des barres égales (l. 3), tantôt asymétrique (l. 7) ; rhô archaïque () ; sigma à trois branches () ; phi à grand cercle (). Date : ca. 550. Conservation : inv. de terrain БЭ 2017.57/364 ; au Musée de la Construction Navale et de la Flotte de Mykolaïv/Nikolaev (Ukraine). Édition : Chistov/Pavlichenko 2019 (avec trad. angl.) (cf. A. Avram, BÉ, 2020, 281). Bibliographie : Chistov 2019, p. 104. Illustrations : Chistov/Pavlichenko 2019, p. 267, fig. 5 (ph.), 269, fig. 6 (ph.) et 7 (dessin). Note sur l’édition : édition soignée de Natalija Pavličenko (2019), d’après les photos ; je remercie la collègue russe, qui a présenté cette lettre pour la première fois en décembre 2018, dans le séminaire « Dialectologie et linguistique du grec ancien » de Sophie Minon (EPHE, Paris), pour les photos envoyées. Le texte est généralement bien lisible, à l’exception du secteur supérieur gauche du fragment, très corrodé. Ma lecture présente peu de divergences par rapport à l’editio princeps. Étant donné la présence de plusieurs traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Fig. 65. Photos de la lamelle fragmentaire (Pl. VII).
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Fig. 66. Montages de photos de la lamelle fragmentaire (Pl. VII).
Fig. 67. Fac-similé de la lamelle fragmentaire.
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[ ] φόρτος Ω[-ca. 3-] ca. 3 ] [- -]+Η νμαι ΚΑ++[ [ ]+ΕΣ ἔαρ καταπ[-ca. 2–3-] ] [-ca. 2-]+ τῶν δὲ χρηισο[ [ ἢ?]ν τις ἐνθάδε +[-ca. 2-] ] [-ca. 2-]ΑΤΙ μὴ τωὐτῶι σχ[ [ ]Η· χρῆμα δ’ ἐπίστλον ὄ τι ἀνάγοιεν vac.
→ ← → ← → ← → ←
1–2 ] φόρτος ὠ[νη|θε]ίη ΝΕΜΑΙΚΑ[ Pavlichenko || 3–4 [πρ]ὸ[ς] ἔαρ καταπ[λέο|μεν e.g.]. τῶν δὲ χρηισ[ Pavl. (e.g. [μεν/τε] τῶν δὲ χρηίσ[ουσι] sugg. Pavl.) || 5 ]ν τις Pavl. || 6 σχ[ήματι?] Pavl. || 7–8 ἐπίστ[λο]ν Pavl.
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[----] la cargaison [---] partager/distribuer (?) [---] au printemps [---] désireront obtenir [---] si quelqu’un ici même [---] ne pas [---] à celui-ci [---]. Communique-moi par lettre (quelle que soit) la somme qu’il apporterait72. L. 1 : le début de la ligne, perdu, devait comporter le nom de l’expéditeur et du destinataire, ou au moins l’identité de l’un des deux correspondants. || La partie conservée, où devait commencer le contenu, débute par un terme essentiel : φόρτος, « charge, cargaison ». Un dérivé de ce mot, φορτηγέσιον, bâti sur *φορτηγέτης (cf. φορτηγός, « transporteur »), apparaît par ailleurs dans une autre lettre découverte à Berezan’ (25, l. 3, avec un comm. développé) et désigne la cargaison du navire marchand d’Achillodôros. L. 2 : la seule séquence relativement compréhensible comporte ce qui semble être l’inf. aor. νμαι du verbe νέμω (possibilité notée par la première éditrice), dans lequel ε note le e long fermé, résultat de l’allongement compensatoire. L. 3 : après la séquence ]+ΕΣ, ΕΑΡ désigne sans doute la saison (ἔαρ) ; la forme verbale qui suit, καταπ[---], pourrait être en rapport avec la navigation, comme suppose la première éditrice. L. 4 : forme verbale ionienne de futur, χρηισο[---], de χρηΐζω. L. 5 : sans doute [ἢ?]ν τις ἐνθάδε +[---]. L. 6 : fin d’un nom au datif, e.g. [χρήμ]ατι. || Crase τωὐτῶι (= τῶι αὐτῶι) ; le nom de cette personne était sans doute mentionné dans la partie perdue. L. 7–8 : trois termes importants apparaissent dans la dernière instruction donnée par l’expéditeur. Le premier est χρῆμα, qui au singulier désigne généralement une somme d’argent73, mais qui au pluriel, par exemple dans deux lettres sur plomb d’Olbia du Pont, d’Apatorios (26, à plusieurs reprises) et « de la caisse de la mère » (29, l. 2), signifie « biens » ou « marchandises ». Le second terme notable est le verbe ἐπιστέλλω (très bonne restitution de N. Pavličenko), qui définit l’envoi ou l’ordre. Le troisième est le verbe ἀνάγω, « apporter, amener ». Pour ce type d’instructions, cf. κἀπιστλάτω ὀκόσ ἂν [---] dans la plus célèbre lettre sur plomb d’Emporion (67, l. 12). Le message découvert à Berezan’ se termine soudainement, sans aucune formule épistolaire, ce qui est habituel à cette date. Commentaire : La restitution de N. Pavličenko part de l’hypothèse qu’un nombre limité de caractères manquait à gauche (ainsi, deux lettres au début de la l. 1). Du fait que la lettre ne pouvait pas omettre les noms des correspondants ou, du moins, du destinataire, il me semble plus judicieux de supposer la perte de la moitié gauche de la lamelle, comportant plusieurs volets ; il est donc impossible de restituer les parties perdues, de longueur inconnue. La disposition boustrophèdon complique davantage la situation ; néanmoins, si nous n’avons que des bribes du message initial, les termes conservés sont tous significatifs pour le caractère du texte. Cette nouvelle lettre sur plomb de Berezan’, malheureusement fragmentaire, est importante aussi bien pour son ancienneté, puisqu’elle figure désormais, avec l’autre message en boustrophèdon du même site (23), parmi les premières lettres privées conservées, que pour son contenu. Plusieurs termes significatifs s’accordent pour indiquer une lettre d’affaires, qui concerne le transport d’une cargaison (φόρτος), une temporalité (sans doute le printemps et la reprise de la navigation), des marchandises à obtenir ainsi que des sommes d’argent (χρῆμα), impliquant au moins une troisième personne et une injonction négative. Les restes conservés de cette succession d’instructions évoquent fortement le même milieu marchand révélé par les lettres d’Achillodôros (25) et d’Apatorios (26) dans l’espace nord-pontique ou, à Emporion, la lettre au sujet de Basped[–] (67). Le fait que l’expéditeur demande des informations par voie épistolaire pointe une fois de plus vers l’usage régulier de l’écriture dans ce milieu marchand74.
Trad. Pavlichenko : « … the cargo was bought … with the coming of the spring we (e.g.) shall sail. Thе things that they will need … someone here … not in the same manner/in order that not in the same manner… in the case they would bring money (whatever money they would bring), inform me ». 73 Dans la transaction commerciale de Pech Maho, τὸ χρῆμα a le sens de « somme due » (IG France 135, l. 11). 74 Deux longs graffites sur des coupes ioniennes ont été récemment découverts lors des fouilles à Berezan’ (voir Chistov 2019, p. 103, fig. 6, photos et dessins). 72
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25. Lettre sur plomb d’Achillodôros à Prôtagorès ou « lettre de Berezan’ » (Berezan’) 25. Lettre sur plomb d’Achillodôros à Prôtagorès ou « lettre de Berezan’ » (Berezan’)
Découverte, contexte : lamelle de plomb, sous la forme d’un rouleau de 6,5 cm de long et un diamètre de 1,7 cm, découvert par Jurij Germanovič Vinogradov durant l’été 1970, à l’occasion des fouilles de Ksenija Sergeevna Gorbunova, sur l’île de Berezan’. Le contexte est celui d’une fosse hors du terrain de fouilles, près du rivage sud-est. La fosse, qui semble avoir été un dépotoir vers la fin du VIe s. (à l’instar de deux autres fosses plus petites, qui ont livré des tessons et des dauphins de bronze à usage monétaire), n’a fourni qu’un fragment du col d’une amphore soi-disant rhodienne avec un décor à tresse (VIe s.)75 ; l’objet de plomb se trouvait dans la partie supérieure de cette fosse (diam. 1,6 m, profondeur 0,5 m). Support, mise en page : après le déroulement du rouleau dans le laboratoire du musée de l’Ermitage, la plaque de plomb, d’une forme rectangulaire arrondie, mesure 6,5 × 15,3 cm (ép. 0,1 cm). Le texte est complet et parfaitement lisible, la lamelle n’ayant souffert que de petits accidents ; les seules difficultés de lecture sont posées par les erreurs du rédacteur, assez nombreuses. Au verso de la lamelle sont inscrites trois lignes, dans le sens perpendiculaire aux treize lignes visibles après le déroulement de l’intérieur de la lamelle ; cette dernière a été enroulée à partir du bord gauche (dans le sens de l’écriture), avant que le rédacteur n’ait gravé l’adresse externe sur la partie aplatie du rouleau. On remarque la trace d’une ligne verticale à gauche, indice d’un cadre afin de délimiter l’espace à graver d’une feuille de plomb plus grande ; la feuille a été découpée en suivant à peu près cette ligne mais pas exactement sur la ligne, étant donné qu’on aperçoit sa trace. Les lignes sont gravées de gauche à droite, à l’exception de la l. 3 où les trois dernières lettres ont été gravées en-dessous, en boustrophèdon76. Les mots ne sont jamais coupés en fin de ligne, à l’exception de la l. 3 qui vient d’être mentionnée, et de la première ligne de l’adresse externe (μολί|βδιον) ; de nombreux espaces libres sont laissés à l’extrémité gauche (par ex., ll. 2, 4–7, 10–11, 13). Sur les deux dernières lignes, les lettres sont plus petites, faute de place ; à la fin des ll. 1 et 12, les lettres suivent le contour de la lamelle. Aucune interponction. On observe des fautes de gravure qui ont été corrigées (ll. 4, 12 ; verso, l. 3) ou laissées par le rédacteur (ll. 5, 7, 8, 9, 12, 13) ; d’une part, l’oubli de deux lettres (l. 5), de l’autre, une dittographie (l. 9) ; à la fin de la l. 10, après un vacat, on aperçoit deux lettres à l’extrémité de la lamelle (ΣΕ), peut-être traces d’un palimpseste. Dialecte : ionien oriental. Nombreux traits dialectaux : la vraie diphtongue ei, ainsi que le résultat de l’allongement ou de la contraction, est notée par epsilon ; ouverture du second élément de la diphtongue médiane (l. 8, ἐλεόθερος). La psilose, en cours à cette époque dans le parler ionien77, est confirmée par ἀπήγησαι (l. 4, cf. att. ἀφήγησαι) et, si la lecture est correcte, par γ᾿ ὀ νερός (l. 13). Nombreuses élisions : παρ᾿ Ἀναξαγό(←)ρην (l. 3), τἄμ᾿ Ἀνα〈ξα〉γόρης (l. 5), (l. 6), ταῦτ᾿ Ἀναξαγόρῃ (l. 10), γ᾿ ὀ νερός (l. 13) ; crases : τἄμ᾿ (l. 5), κοἰκίας (l. 6), κἀναξαγόρῃ (l. 9), κἀναξαγόρην (verso, l. 3). On constate un datif simplifié, quand iota n’est pas noté à deux (l. 9, κἀναξαγόρῃ ; l. 11, τῇ γυναικί)78, voire trois reprises (l. 9, Ματα{τα}συ). Un trait récurrent est le traitement du ny final avant gutturale (kappa) ou labiale (my, pi), qui aboutit à une assimilation : μιγ καί (l. 2), ἐλθὼμ παρ᾿ (l. 3), τὴμ μητέρα (l. 11), τὴμ πόλιν (l. 12), ἐλθὼμ παρά (l. 13), τὸμ παῖδα (verso, l. 2). Paléographie : lettres gravées de façon profonde et régulière ; ht. des lettres : 0,2–0,4 cm. Lettres remarquables : thêta avec point () ; kappa parfois avec les hastes déconnectées ; omikron assez grand ; xi avec une haste médiane () ; pi asymétrique à la haste droite plus courte ; sigma à quatre branches ; upsilon à deux branches, sans haste verticale () ; phi à cercle similaire à celui de l’omikron ; ômega de dimensions égales avec les autres lettres et parfois penché à gauche. D’après la forme des lettres, qui a été largement discutée dans les éditions antérieures, le contexte de découverte (zone de dépotoirs datée vers la fin du VIe s.), la brève séquence écrite en boustrophèdon et le caractère fortement dialectal du texte, on peut proposer une datation de ce document au plus tard au dernier quart du VIe s.79. Date : ca. 550–500. Cet aspect a été traité dans un article paru après la mort de Vinogradov, qui donne des détails sur les autres fosses qui ont été fouillées en 1973 ; voir Vinogradov 2011 (plan de la fouille et objets : p. 102–103, fig. 1–4). 76 Cf. le message sur le jonc d’un anneau envoyé par Skylès à Argotas, κελεό Αργοταν παρ|ναι← ; les quatre dernières lettres, qui ne tenaient pas sur le cercle, figurent sur la partie externe de l’anneau, près du chaton ; leur ductus est dextroverse, mais la lecture se fait en boustrophèdon (I. dial. Olbia Pont 4). 77 L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 1, p. 181–182. 78 Pour l’amuïssement du second élément de la diphtongue à premier élément long -ηι, voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 7, p. 186. Il est important de noter qu’on retrouve ce phénomène dans la « lettre du prêtre », qui plus est à trois reprises (28, l. 1, [---]νοθέτῃ ; l. 5, τῇ Χαλκήνῃ), ainsi que dans la lettre sur tesson de Phanagoria, vers 400 (50, ll. 2–3, Ἡγησαγόρῃ). 79 La date de la « lettre de Berezan’ » a été débattue : seconde moitié du VIe s. (Vinogradov, Dubois) ; autour de 500 (Bravo 1999, Gorbunova, Jajlenko, Jeffery, Tohtas’ev), premier quart du Ve s. (Bravo 1974, 1977, 2011), dernière décennie du VIe s.–premières décennies du Ve s. (Bravo 2007). La section Bibliographie n’est certainement pas exhaustive, étant donné la célébrité du document. 75
25. Lettre sur plomb d’Achillodôros à Prôtagorès ou « lettre de Berezan’ » (Berezan’)
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Conservation : Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg (inv. Б 70.322). Éditions : Vinogradov 1971 (avec trad. russe) (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1973, 306 ; cf. Vinogradov 1980, p. 313, n° 180 ; cf. une transcription dans les archives de L. H. Jeffery, Poinikastas n° 1557) ; Chadwick 1973 (avec trad. angl.) (= SEG XXVI 845 ; cf. J. et L. Robert, BÉ, 1974, 377) ; Bravo 1974 (avec trad. fr.) ; Jajlenko 1974 (avec trad. russe) ; Jajlenko 1975 (avec trad. russe) ; Merkelbach 1975 ; Miller 1975 (avec trad. angl.) ; Bravo 1980, p. 879–885 (avec trad. fr.) (cf. SEG XXX 960 ; cf. Brulé 1982) ; Gallavotti 1987, p. 4–9, n° 14 (« La lettera per Protagora a Berezan », avec trad. it.) (cf. SEG XXXVII 634) ; Gallavotti 1990, p. 155–159, n° 35 (« Ancora sull’epistola arcaica di Berezan », avec trad. it.) (cf. SEG XL 609) ; van Effenterre – Ruzé, Nomima, II, 1995, p. 260–263, n° 72 (avec trad. fr.) ; I. dial. Olbia Pont 23 (L. Dubois, 1996, p. 50–55, avec trad. fr.) (avec les obs. de Tohtas’ev 1999, p. 174–176, et de Vinogradov 2000a, p. 327, 329) ; B. Bravo, dans Bravo/Chankowski 1999, p. 293–295 (avec trad. fr.) (cf. SEG XLIX 1027 bis) ; Tohtas’ev 2005 (avec trad. russe) ; Jordan 2003, p. 30–31, n° I (avec trad. angl.) ; Colvin 2007, p. 115–118, n° 21 (avec trad. angl.) ; Jordan 2007, p. 1355–1357, n° I (avec trad. angl.) ; Bravo 2011a, p. 39–66, n° I (avec trad. it.) (cf. A. Avram, BÉ, 2012, 306 ; cf. SEG LXI 598) ; Ceccarelli 2013, p. 335–336, n° 1 (avec trad. angl.) ; Jajlenko 2016, p. 197–232 (avec trad. russe) ; Boffa 2017 (avec trad. ital.) ; Boffa 2018 (avec trad. ital.). Bibliographie : Ks. S. Gorbunova, dans AO, 1970, p. 273 ; Gorbunova 1971–1972, p. 49–50 ; Gorbounova 1974, p. 440 ; Pippidi 1974, p. 253–255, n° 48 (= Pippidi 1988, p. 114–116) (avec trad. roum.) ; Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 317–318 (cf. Guarducci, Epigrafia greca², 2005, p. 376) ; Lejeune 1974 ; Bravo 1977, p. 1, 3, 31, 52–53 (n. 6) ; Will 1977, p. 415 ; Martin/Vidal-Naquet 1977, p. 220–223, n° 41 (avec trad. angl.) ; Kupiszewski 1979 (avec trad. it. ; interventions de D. Behrend, D. Gofas, E. Karabelias, A. Kränzlen, J. Modrzejewski, M. Talamanca, G. Thür, H.-J. Wolff ; cf. Germain 1979, p. 663) [= Kupiszewski 2000, p. 323–333] (cf. SEG XXX 960) ; Vinogradov 1979, p. 302 n. 62 et 304–305 (= Vinogradov 1997a, p. 82 n. 62 et 84–85) ; Jordan 1980, p. 226 n. 9 ; Vélissaropoulos 1980, p. 38–39, 82 ; Gauthier 1982, p. 566–567 (= Gauthier 2011, p. 98–100) ; Vinogradov 1983, p. 387–388, 392–393 ; Hind 1983–1984, p. 80 (avec trad. angl.) ; Bravo 1984, p. 100 ; K. K. Marčenko, dans AGSP, 1984, p. 33 ; Rusjaeva 1987, p. 152–153 ; Vinogradov 1989, p. 29–30, 75–76 ; Johnston, Suppl– LSAG², 1990, p. 420 (translittération), 478 (n° 60c) et 480 ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (B.i) ; Millett 1991, p. 260, n° vi ; Blanck 1992, p. 43 ; Brodersen/Gunther/Schmitt 1992, p. 15, n° 27 (avec trad. all.) ; Lombardo 1992², p. 175–176 ; van Nijf/Meijer 1992, p. 32, n° 45 (avec trad. angl.) ; Murray 1993, p. 226–227 (avec trad. angl.) ; Y. I. Ilina, dans Suslov 1994, p. 270, n° 255 ; Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 129–130 ; Dover 1997, p. 57 (n. 1) et 59 ; Vinogradov 1997a, p. 82 (n. 62), 84–85, 141, 153– 154 ; Wilson 1997–1998, p. 34–38 (avec trad. angl.) (cf. SEG XLVIII 987) ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 4) ; Solovyov 1999, p. 84 ; Vinogradov 1999, p. 137 ; Jordan 2000a, p. 91, n° 1 ; Skržinskaja 2000, p. 127, 145 ; Heinen 2001, p. 490–492 (texte gr. et trad. fr. de Dubois) (= Heinen 2006a, p. 523–525) (cf. SEG LI 953) ; Henry 2001, p. 766 (B.1) ; Rosenmeyer 2001, p. 29–30 (avec trad. angl.) ; Trapp 2003, p. 6, 37, 50–51 (avec trad. angl.) et comm. p. 195–198 (n° 1) ; Dana 2004, p. 11–13 ; Lintott 2004, p. 342 ; Ceccarelli 2005, p. 39 ; Cordano 2005, p. 42–45 (avec trad. it.) ; Solov’ev 2005a, p. 20 ; Avram 2007, p. 239 ; Bravo 2007, p. 67–68 ; Dana 2007a, p. 69 (E1) et 92 ; Marginesu 2007 (avec trad. it.) (cf. SEG LVII 693) ; S. Solovyov, dans Trofimova 2007, p. 88, n° 13 (avec trad. angl.) ; Povalahev 2008, p. 142–144 ; Muir 2009, p. 14 ; Thomas 2009a, p. 25 ; Thomas 2009b, p. 351 ; Dillon/Garland 20103, p. 39, n° 1.64 (avec trad. angl.) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 38–40 (avec trad. angl.) et 53 (E1) ; Horrocks 2010², p. 27–28 (avec trad. angl.) ; Vinogradov 2011 (cf. A. Avram, BÉ, 2014, 344) ; Ceccarelli 2013, p. 38–39, 41–42 ; Harris 2013, p. 112–116 (avec trad. angl.) et 123, Appendix I (cf. SEG LXIV 670) ; Oller Guzmán 2013a, p. 84–85 ; Santiago Álvarez 2013b, p. 234–238, n° 1.1 (avec trad. esp.) ; Decourt 2014, p. 56–57, n° 24 (avec trad. fr.) ; Maffi 2014, p. 198–199 (cf. SEG LXIV 670) ; Verbij 2014 ; Dana 2015a, p. 116, 119–120, 127–128, 130–131 ; Dana 2016, p. 98–99, 103 ; Fischer 2016, p. 54 et n. 11 ; GEI 20 ; Sarri 2018, p. 123 ; Parmenter 2020, p. 75–76 (avec trad. angl.), 83–84. Illustrations : Vinogradov 1971, fig. 1 (ph. texte), 2 (adresse de la lamelle enroulée) et 3 (rouleau), p. 76, fig. 4 (dessin texte), p. 77 fig. 5 (dessin adresse) ; Gorbunova 1971–1972, p. 50, fig. 5 (ph.) ; Gorbounova 1974, p. 440, fig. 1 ab (ph. texte et adresse) ; Bravo 1974, p. 110 (ph. texte) ; Jajlenko 1974, p. 138 (dessin texte et adresse) ; Miller 1975, p. 160 (dessin) ; Vinogradov 1983, p. 375 (ph.) ; K. K. Marčenko, dans AGSP, 1984, p. 104, Pl. VIII.4 (ph.) ; Lejeune/Pouilloux/Solier 1988, p. 47, fig. 17 (ph.) ; LSAG2, 1990, Pl. 80.1 (ph.) ; Blanck 1992, p. 43, fig. 21 (ph.) ; Y. I. Ilina, dans Suslov 1994, p. 270 (ph.) ; I. dial. Olbia Pont (L. Dubois, 1996), p. 50 (dessin) ; Skržinskaja 2000, fig. 60 (dessin) ; Heinen 2001, p. 490 fig. 1 (dessin) (= Heinen 2006a, p. 523, fig. 1) ; Solov’ev 2005, p. 20–21 (ph.) ; Tohtas’ev 2005, p. 142–143 (ph. texte) ; S. Solovyov, dans Trofimova 2007, p. 89 (ph.) ; Bravo 2011a, p. 43, fig. 1 (ph. texte) ; Fornasier 2016, p. 44, fig. 26 (ph. texte) ; Jajlenko 2016, fig. 24 (ph. texte) et p. 199, fig. 25 (dessin). Note sur l’édition : l’editio princeps de Vinogradov (1971) a été aussitôt suivie d’émendations et de lectures alternatives, le plus souvent de manière indépendante, publiées dans un très court laps de temps par Chadwick80 (en 1973, suivi par la plu80 Chadwick remercie W. S. Allen, L. H. Jeffery, J. T. Killen, M. Lejeune et A. G. Woodhead, preuve de l’énorme intérêt suscité par le nouveau document.
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part des commentateurs), Bravo (1974)81, Jajlenko (1974, 1975, 2016), Merkelbach (1975) et Miller (1975). Les lectures de Gallavotti (1987, 1990), qui donne une transcription normalisée, non dialectale, du texte, sont pour le moins téméraires. Bravo a révisé à plusieurs reprises sa première édition (1980, 1999) ; le savant italo-polonais, qui avait reçu une photo de l’Ermitage et qui avait vu l’original au début des années 199082, a donné en 2011 une autre édition sur la base d’une nouvelle photographie, mais certaines de ses propositions sont problématiques. D’autres éditions à retenir sont celles de Dubois (1996)83, Jordan (2003, 2007) et Tohtas’ev (2005) ; versions conformes aux éditions de Chadwick et/ou Dubois chez Colvin (2007), Marginesu (2007), Ceccarelli (2013) et Decourt (2014). Pour l’établissement du texte et du fac-similé, en plus de l’examen personnel au Musée de l’Ermitage, grâce à l’amabilité de Marija Ahmadeeva, j’ai pu utiliser une photo de très grande qualité fournie par le musée. Ma transcription fait état de la psilose en cours à cette époque (cf. un indice l. 4 ; et un autre à la l. 13, si la lecture γ᾿ ὀ νερός est correcte).
Fig. 68. Photo du rouleau, détail de l’adresse externe. Fig. 69. Photo du rouleau, détail frontal.
Fig. 70. Photo de la lamelle (face interne) (Pl. VIII).
Fig. 71. Fac-similé de la lamelle (face interne). Bravo remercie S. Pembroke, M. Treu, J. Trynkowski, D. van Berchem, P. Vidal-Naquet et A. Wąsowicz. Benedetto Bravo avait annoncé (dans BCH, 123, 1999, p. 293) une nouvelle édition commentée de cette lettre dans son livre à paraître, Pontica varia. 83 Je remercie Laurent Dubois de m’avoir transmis son dossier documentaire, dont sa correspondance avec B. Bravo. 81 82
25. Lettre sur plomb d’Achillodôros à Prôtagorès ou « lettre de Berezan’ » (Berezan’)
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Verso (adresse externe) : Ἀχιλλοδώρ τὸ μολίβδιον· παρὰ τὸμ παῖδα κἀναξαγόρην. vac.
Fig. 72. Photo de la lamelle (face externe) (Pl. IX).
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Fig. 73. Fac-similé de la lamelle (face externe).
Ὦ Πρωταγόρη, ὀ πατήρ τοι ἐπιστέλλ. Ἀδικται ὐπὸ Ματασυος· δλται γάρ μιγ καὶ τ vac. φορτηγεσί ἀπεστέρεσεν. Ἐλθὼμ παρ᾿ Ἀναξαγό(←)ρην ἀπήγησαι· φησι γὰρ αὐτὸν Ἀναξαγόρεω vac. δλον ναι μυθεόμενος· « Τἄμ᾿ Ἀνα〈ξα〉γόρης ἔχ vac. καὶ δλς καὶ δλας κοἰκίας »· ὀ δὲ ἀναβῶι τε vac. καὶ οὔ φησιν ναι οὐδὲν ἐωυτῶι τε καὶ Ματασ〈υι〉 vac. καί φησιν ναι ἐλεόθερος καὶ οὐδὲν ναι ἐωυτ〈ῶ〉ι καὶ Ματα{τα}συ〈ι〉· δέ τι αὐτῶι τε κἀναξαγόρῃ, αὐτοὶ vac. οἴδασι κατά σφας αὐτς. Ταῦτ᾿ Ἀναξαγόρῃ λέγν vac. καὶ τῇ γυναικί. Ἔτερα δέ τοι ἐπιστέλλ· τὴμ μητέρα vac. καὶ τς ἀδε〈λ〉φε〈〉ς, 〈ο〉ἴ ἐσσιν ἐν Αρβινατηισιν, ἄγν ἐς τὴμ πόλιν· αὐτὸς δέ γ᾿ ὀ νερὸς ἐλθὼμ παρά 〈μ〉ιν 〈ἰ〉θύωρα καταβήσεται. vac.
1 Ἀδικται ἤ Jordan 2007 || 2 δολται Vinogradov, Jajlenko, Merkelbach, Gallavotti : δλται Chadwick, Bravo 1974, edd. || μιν Br. 1980 || 3 ἀπεστέρεσεν Vin., edd. : ἀπεστέρσεν Chadw., Jajl. 1975, Miller : ἀποστέρεσεν Jord. || 4 ΑΠΗ- ex ΑΠΑ- plumbum : ἀπ⟦α⟧ηγησαι Br. 2011 || ΑΝΑΞΑΓΟ|Η plumb., ultimis tribus litteris bustrophedon subscriptis || 5 ΑΝΑΓΟΡΗΣ plumb. : Τἀμ᾿ Ἀνα(ξα)γόρης Vin., Jajl. : Τἄμ᾿ Ἀνα(ξα)γόρης Chadw., Dubois : Τἄμ᾿ Ἀνα〈ξα〉γόρης Mill., Br. 1999, Jord., Tohtas’ev, Ceccarelli, Decourt : τὰ ᾿μὰ ᾿ να(ξα)γόρης Br. 1974 : τἀμὰ ᾿να〈ξα〉γόρης Br. 2011 || μυθεόμενος (ὅτι) Gall. || 7 ΜΑΤΑΣΙΝ plumb. : Ματασιν Merk., Br. 1974 et 1999 (pro Ματασυι), Gall., Jord. : Ματασ(υι) Vin., Chadw., Dub., Toht., Dec. : Ματασ〈υι〉 Mill., Cecc. : Ματασ{ιν}〈υ〉 Br. 2011 || 8 ἐλεύθερος Jord. 2007 || ΕΩΥΤΑΙ plumb. : ἐωυτ(ῶ)ι Vin., Br. 1974, Jajl., Chadw., Dub. :
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ἐωυτ〈ῶ〉ι Mill., Toht., Cecc. : ἐωυταῖ〈ς?〉 Gall. : ἐωυτᾶι pro ἐωυτῶι Jord. || 9 ΜΑΤΑΤΑΣΥΕΔΕΤΙ plumb. : Ματα〈τα〉συ(ι). τί δὲ Vin. : Ματά(συι.Μα)τάσυ(ι) δὲ τί Chadw. : Ματατασυ, ε(ἰ) δέ τί Br. 1974 : Ματα〈τα〉συ(ι) δὲ τί Jajl. (et Ματα〈τα〉συ 2017) : Ματά{συι.Μα}τάσυ〈ι〉 δὲ τί Mill. : Ματ{ατ}ασυ· δέ τι Merk. : Ματα{τα}συ, ε〈ἰ〉 δέ τι Br. 1980 : Ματα{τα}συ. εἰ δέ τι Gall. 1990 : Ματα{τα}συ(ι)· δέ τι Dub. : Ματα{τα}συ〈ι〉 ἐ δέ Jord. 2003 (ἐ δέ τι 2007) Cecc. : Ματα{τα}συ, δέ τι Toht., Br. 1999 et 2011 : Ματατασυ. δέ τι Gall. 1987 : Ματα(τα)συ(ι) Dec. || 10 σφᾶς Vin., Chadw., Br. 1974, Mill., Merk., Jord., Toht., Cecc. : σφας Br. 1980, 1999 et 2011 : σφεας Dub. || 11 τὴν Br. 1980, Dub. || 12 ΑΔΕΦΕΥΣ plumb. : ἀδε(λ)φεῦς Vin. : ἀδεφεῦς Jajl. (et ἀδε(λ)φεὺς 2017) : ἀδε(λ)φευς Br. 1974 : ἀδε(λ)φεὺς Chadw. : ἀδε〈λ〉φεὺς Mill., Merk., Jord. : ἀδε〈λ〉φες Br. 1980 et 1999 : ἀδεφες Gall. 1987 : ἀδε(λ)φεός Dub. : ἀδε〈λ〉φεός Toht., Cecc. : ἀδελφε⟦υ⟧ς Br. 2011 || ΙΕΣΣΙΝΕΝΑΡΒΙΝΑΤΗΙΣΙΝ plumb. (-ΤΗΙΣΙΝ ex -ΤΑΙΣΙΝ) : ἴεσσιν ἐν ἄρ(τ)᾿ ἴνα τῆισιν Vin. : (ο)ἴ σ〈σ〉ιν ἐν Ἀρβινάτηισιν Chadw. : ἴεσσιν ἐν Ἀρβινατηισιν Jajl. : 〈ο〉ἴ σ{σ}ιν ἐν Ἀρβινάτηισιν Mill. : (ε)ἴ ἐσσιν Br. 1974 : ἴ σ{σ}ιν Merk. : ιεσσινεν αρβινατηισιν Gall. 1987 (non Graecis verbis) : ἴ ἐσσιν Jord. : 〈ε〉ἴ ἐσσιν Br. 1980 ( 1999) : ἱς δινν (vel σινν) αρβινατηισιν Gall. 1990 : 〈ο〉ἴ ἐσ{σ}ιν Toht. : 〈ο〉ἴ ἐσσιν Cecc. : (ο)ἵ ἐσσιν Dub., Dec. : σ{σ}ιν ἐν Ἀρβινάτ⟦α⟧ηισιν Br. 2011 || τὴν Dub. || 13 ΓΟΝΕΟΡΟΣ plumb. : Εὄνεορος Vin., Chadw., Mill. : Γονεόρς Jajl. (et γ᾿ ὁ νερὸς 2017): ἐς Νεορς Merk. : γ᾿ ὁ νερὸς Br. 1974, Dub. : γ᾿ ὁ νερὸς Br. 1980 et 1999, Jord. : ς Νεορς Gall. 1990 : †εονεορος Colvin : Γ(?) ΟΝΕΟΡΟΣ Toht. : γ᾿ ὁ νεωρὸς Br. 2011 : γ᾿ ὁ νερὸς Cecc. || ΠΙΝΘΥΩΡΑ plumb. : μιν θυωρὰ Vin., Jajl., Gall. 1987 : μιν (ἰ)θύωρα Chadw. : μιν Θυωρα Br. 1974 : Μινθυωρα Merk. : μιν 〈ἰ〉 θύωρα Mill., Br. 1980, 1999 et 2011, Jord., Toht., Cecc., Dec. : μινθύωρα Gall. 1990 (vel Μινθύωρα sive παρ᾿ Ἀμινθύωρα) : μιν (ἰ)θύωρα Dub. : †μιν θυωρα Colv. Inscriptio – 3 ΚΑΝ ex ΚΑΙ plumb.
Ô, Prôtagorès, c’est ton père t’envoie cette lettre. Il est victime d’un tort de la part de Matasys. Car celui-ci est en train d’en faire son esclave et l’a privé de sa cargaison. Rends-toi chez Anaxagorès et raconte-lui ça. Car il (= Matasys) dit que celui-ci (= ton père) est l’esclave d’Anaxagorès, en disant : « Anaxagorès détient ce qui m’appartient, des esclaves mâles et femelles et des maisons ». Mais il (= ton père) pousse les hauts cris et dit qu’il n’y a rien entre lui et Matasys et dit qu’il est un homme libre et qu’il n’y a rien entre lui et Matasys. S’il y a quelque chose entre celui-ci (= Matasys) et Anaxagorès, ceux-ci le connaissent quant à eux-mêmes. Dis cela à Anaxagorès et à sa femme. Mais ton père a une seconde chose à te transmettre par lettre : ta mère et tes frères, qui se trouvent chez les Arbinatai, conduis-les dans la ville ; quant au capitaine du bateau, qu’il se rende chez lui et qu’il descende immédiatement. (Adresse :) La lamelle de plomb d’Achillodôros pour son fils et pour Anaxagorès. Texte L. 1 : le vocatif Ὦ Πρωταγόρη est une forme d’ouverture épistolaire qu’on retrouve dans d’autres lettres du nord de la mer Noire, au Mont Živahov (22, nominatif employé à la place du vocatif), à Patrasys (48 : Ὦρεστώνυμε) et à Hermonassa (52 : Ὠριστόκρατες). || Le nom Πρωταγόρης, bien attesté dans le Pont Nord (LGPN IV 292), était connu à Olbia du Pont par un graffite céramique du Ve s.84 ; il réapparaît dans une autre lettre sur plomb du territoire olbien, du Mont Živahov, autour de 400 (22). || Dans le verbe ἐπιστέλλ, comme dans la forme verbale ἔχ (l. 5) et la conjonction (= εἰ) (l. 9), la vraie diphtongue ei n’est pas notée différemment de la fausse et indique une propension à la monophtongaison85. L’expression ἐπιστέλλ τοι revient dans les lettres 48 (Patrasys) et 52 (Hermonassa) ; elle est construite avec τοι, datif enclitique de σύ (voir ch. I.3.2). Le même verbe apparaît dans deux lettres attiques, sur plomb (6, l. 2 : ἐπέστλε) et sur tesson (4, l. 2 : ἐπέστλε). || Le verbe ἀδικέω est naturellement fréquent à l’époque hellénistique dans les pétitions sur papyrus86. L. 2 : Ματασυος, génitif du nom indigène Ματασυς (hapax, LGPN IV 224) ; les autres occurrences du même nom dans cette lettre ont été affectées par l’hésitation du graveur : l. 7, Ματασιν pour le dat. Ματασ〈υι〉 ; l. 9, dat. Ματα{τα}συ à la place de Ματασυ〈ι〉, avec dittographie. Un nom de la même famille, Ματαττης, est attesté dans une épitaphe du Ve s. de Koronkodamè, établissement situé dans la partie asiatique du Bosphore Cim-
Cf. J. et L. Robert, BÉ, 1960, 281 ; GraffOlbiaPont, p. 140, n° IV.161 (dessin Pl. 50.11). Chadwick 1973, p. 35 ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 4, p. 184–185. À Milet, ce trait n’avait subsisté que dans πε dans les réponses oraculaires de Didymes (Bechtel, GD, III, p. 34). 86 Par ex., P. Cair. Zen. II 59236, ll. 1–2 : ἀδικῖταί μου ὁ πατὴρ Στρά|τιππος ὑπὸ Θεοκλέους τοῦ οἰκονομήσαντος τὸν Ἀφροδιτοπολίτην νομὸν καὶ Πετοσίριος τοῦ βασιλικοῦ γραμματέως (en 254/253) ; P. Enteux. 50, l. 1 : ἀδικοῦμαι ὑπὸ Ὥρου τοῦ Ὥρου (en 221). 84 85
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mérien87. Comme le remarque L. Dubois, Matasys, vraisemblablement un Scythe comme l’indique son nom iranien, devait être au courant des pratiques de rétorsion en matière de droit commercial grec et de saisie, du fait de son commerce avec les Grecs (cf. comm.). || δλται : certains éditeurs ont envisagé ici la présence du verbe δολόω, « tromper », mais il doit s’agir, étant donné le sujet principal de la lettre, de la forme ionienne de δουλεύω, « être esclave » ; représente la forme contracte du sécond élément ouvert de la diphtongue médiane εο, cf. ἐλεόθερος (l. 9) et κελεό (I. dial. Olbia Pont 4). || Μιγ, assimilation avec la vélaire qui suit, à partir de μιν, pronom ionien (acc. anaphorique, IIIe pers. sg.). L. 3 : Ju. G. Vinogradov considérait φορτηγεσί un masculin et l’entendait comme une sorte d’« agent commercial ». En réalité, comme suggère J. Chadwick, il s’agit du génitif du neutre φορτηγέσιον, terme nouveau, bâti sur un mot non-attesté, *φορτηγέτης88 (cf. φορτηγός, « transporteur »), de la même façon que κυνηγέσιον (« équipement de chasse, chasse ») est construit sur κυνηγός/κυνηγέτης, « chasseur ». Ce terme désignerait ainsi la cargaison du navire marchand d’Achillodôros. Pour B. Bravo, ce mot désignerait plus précisément, en accord avec son interprétation générale du texte, la partie du φόρτος (« charge, cargaison ») dont Achilodôros était responsable : soit les marchandises qui étaient transportées pour être vendues, distinctes des autres marchandises dont s’occupaient les autres marchands qui voyageaient sur le même navire ; soit le fruit de son voyage commercial, à savoir l’argent ou des marchandises obtenues en échange de celles qu’il a lui-même vendues89. Un heureux hasard a fait que ce terme φόρτος soit attesté tel quel dans une autre lettre archaïque retrouvée à Berezan’ (24, l. 1). || ἀπεστέρεσεν : il est possible, comme l’observe L. Dubois, que le vocalisme -στέρεσ- de l’aoriste soit un trait ionien90, similaire à l’hésitation αἰνεσ-/αἰνησ-. On trouve le verbe στερέω (« dépouiller de »), dont ἀποστέρεω est le composé, dans un graffite olbien du Ve s. publié par A. S. Rusjaeva91, avec le texte sur deux lignes « ΜΟΛΠΟ » et « ΑΛΕΩΣΤΕΡΗΣΕ ». Il a été correctement lu par A. Avram (BÉ, 2011, 454) : Μολπόθ[εμις ---]|λεω στερήσετ[αι ---], donc « Molpoth[émis fils de ---]léôs sera dépouillé de --- » (mauvaise blague ?)92. || Ἀναξαγόρης, un autre nom en -αγόρης (série fréquente dans le domaine ionien de la mer Noire), est porté par trois autres personnes à Olbia du Pont (LGPN IV 23). Un autre nom en Ἀναξ[---] apparaît dans la lettre sur plomb de Tyras (19, l. 2). L. 4 : ἀπήγησαι, initialement écrit ΑΠΑΓΗΣΑΙ, puis corrigé, est l’impératif aor. d’un verbe ionien, sans aspiration (car att. ἀφήγησαι, de ἀφηγέομαι), cf. ἀπήγησιν à Téos (Syll.3 578, l. 54), ce qui témoigne de la psilose. || Le sujet du verbe φησί est Matasys, alors que le pronom αὐτόν désigne Achillodôros lui-même. || Ἀναξαγόρεω, génitif ionien. L. 5 : ναι, forme ionienne du verbe εἶναι, où e note la fausse diphtongue ei, en réalité le e long fermé, résultat de l’allongement compensatoire ; récurrente dans cette lettre (ll. 7, 8 – à deux reprises), cette graphie apparaît également dans une autre lettre de Berezan’ (23, ll. 2–3) et dans la lettre d’Apatorios à Léanax (26, l. 3). || μυθεόμενος : belle expression homérique et ionienne équivalente du plus banal λέγων93. || Dans la crase τἄμ᾿ on reconnait la séquence τὰ ἐμά, « mes biens ». || ΑΝΑΓΟΡΗΣ, faute d’inattention pour ΑΝΑΞΑΓΟΡΗΣ. L. 6 : ἀναβῶι est la forme verbale contracte d’ἀναβοᾶι, avec la même absence d’apocope et d’assimilation que chez Hérodote. Il doit être question des cris rituels de protestation et d’appel à l’aide au moment où une per-
87 CIRB 1104 : Χαρσενα|κεω τ ὑ | Ματαττ|ς (cf. photo dans CIRB-Album). Les premières lectures du patronyme – Ματατ〈τ〉|ος chez V. Škorpil, dans le CIRB et chez Ju. G. Vinogradov (= Ματατ{τ}ος), comme s’il s’agissait d’un génitif de *Ματας ; Ματατιος chez Bravo 1974, p. 154–156, et nom. Ματατις – ont été opportunément corrigées par Tohtas’ev 1994, p. 158–159 (cf. SEG XLIV 650) et Tohtas’ev 2007, p. 191, n° 28 (ses connexions avec les noms micrasiatiques ne sont pas convaincantes). Sur ce nom, voir Vinogradov 1997a, p. 153–154, n° 2 ; Tohtas’ev 1999, p. 175 ; Cojocaru 2004a, p. 131, n° 38. Matasys a été interprété comme nom iranien (Vinogradov, Bravo), gréco-carien (Jajlenko), indo-aryen (Trubačev, *mata-su, « qui a de bonnes intentions » ; cf. Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1990, 528), ou en rapport avec des noms micrasiatiques (Tohtas’ev). Pour Bravo, Matasys est probablement un Grec, malgré son nom indigène, car il possède des biens (hypothèse trop spéculative pour être prise en considération). 88 Voir Chadwick 1973, p. 37. Cf. chez Hérodote 2.96 le verbe φορτ-ηγέω, « transporter une charge ». 89 Bravo 2011a, p. 56. 90 Voir Od. 13.262 (στέρεσαι) ; IG XII.8 600, l. 15 (Thasos : ἐστέρεσεν). 91 GraffOlbiaPont, p. 113–114, n° IV.34 (ph. Pl. 41.5 et dessin Pl. 42.9). 92 [---]άλεω Avram (qui pense à une defixio). 93 Voir aussi Dover 1997, p. 94.
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sonne subit un tort et doit affirmer sa bonne foi94. Voir, à titre d’exemple, Hérodote 1.8, « Gygès se récria fort » (ὁ δὲ μέγα ἀμβώσας) et 1.10, « elle ne poussa pas des cris de honte » (οὔτε ἀνέβωσε αἰσχυνθεῖσα). Le même verbe est très probablement présent dans une lettre sur plomb d’Emporion (67, l. 5). L. 7 : on reconnaît le datif du pronom typiquement ionien ἐωυτῶι, qui est analogique du génitif ἑωυτοῦ < ἑο αὐτοῦ95 (cf. la lettre olbienne 26, l. 4 : ἐωυτῶι ; cf. aussi la lettre 49, l. 5 : ἐωυτό). L. 7–8 : le chiasme ναι οὐδὲν … οὐδὲν ναι est une répétition emphatique96. L. 8 : dans la forme ἐλεόθερος on remarque l’ouverture du second élément de la diphtongue médiane97. L. 9 : dittographie dans ΜΑΤΑΤΑΣΥ et oubli du iota pour le datif. || Après ΑΥΤΩΙ il y a un vacat puis les traces d’un sigma et sans doute d’un epsilon. On ne saurait affirmer qu’il s’agit d’un palimpseste. L. 10 : οἴδασι est un ionisme (IIIe pers. pl.), présent aussi chez Hérodote 2.4398. || On note l’acc. enclitique σφας (la forme ionienne non enclitique est σφέας). L. 11 : Ἔτερα δέ τοι ἐπιστέλλ, début d’une autre partie du message, introduit par la même formule τοι ἐπιστέλλ (cf. l. 1). L. 12 : la séquence ΑΔΕΦΕΥΣΙΕΣΣΙΝΕΝΑΡΒΙΝΑΤΗΙΣΙΝ a été diversement interprétée par les éditeurs. L. Dubois adopte la proposition de B. Bravo qui croit voir, à la fin d’ἀδε(λ)φεός, un upsilon gravé d’abord par le graveur, qui s’est corrigé par la suite et a fermé l’angle aigu. Or, à une lecture attentive, l’upsilon est bel et bien gravé sur le plomb, sans fermeture. Il convient alors de laisser τς ἀδε〈λ〉φε〈〉ς99. Notons dans ce dernier mot la forme ionienne attendue, non-contracte. L’absence du lambda a suscité nombre de suppositions : faute du rédacteur ou manière particulière de prononcer ce mot. || Plus loin, J. Chadwick proposa de lire (ο)ἵ ἐσσιν, alors que B. Bravo préfère y voir dans une première lecture (ε)ἵ ἐσσιν, avant de revenir récemment pour lire σ{σ} ιν. En réalité, le iota est bien lisible et il n’est pas nécessaire de corriger le texte. L’une ou l’autre des deux premières lectures ne change pas le sens de la phrase, mais il faut suivre L. Dubois dans son raisonnement selon lequel la conjonction hypothétique εἰ (l. 9) est notée par le seul epsilon et non par un iota. Pour la double sifflante intérieure de la IIIe pers. pl. (ἐντι > *ἐνσι > σι = εἰσι), il s’agit d’un phénomène sporadique plutôt que d’une dittographie fautive100, donc il n’est pas nécessaire de supprimer le sigma, comme le font Chadwick et d’autres éditeurs. || Le mot Αρβινατηισιν, un dat. pl. en -ηισιν, a été d’abord écrit ΑΡΒΙΝΑΤΑΙΣΙΝ101, puis l’alpha a été corrigé en êta, en accord avec le dialecte ionien. J. Chadwick a été le premier à supposer un toponyme (inconnu), qui a été correctement identifié par B. Bravo comme nom d’une peuplade nord-pontique102. En effet, une notice de l’épitomé d’Étienne de Byzance précise, s. v. Ἀβρινάται (Α 13) : Ποντικὸν ἔθνος. ὁ δὲ τεχνικός (sc. Hérodien) φησι καὶ μετὰ τοῦ ρ̄ καὶ χωρὶς τοῦ ρ̄ λέγεσθαι103. Cette hésitation orthographique est due sans doute à deux traditions anciennes, la forme authentique du nom de ce peuplade indigène, avec un rhô (Ἀρβι-),
Cf. Kupiszewski 1979, p. 194 ; van Effenterre – Ruzé, Nomima, II, p. 262. Bechtel, GD, III, p. 166. 96 Cf. Dover 1997, p. 59, qui offre comme parallèle le plaidoyer d’Euphilètos chez Lysias, Or. 1.17 : ἐγὼ δ’ εὐθέως ἐταραττόμην, καὶ πάντα μου εἰς τὴν γνώμην εἰσῄει, καὶ μεστὸς ἦν ὑποψίας, ἐνθυμούμενος μὲν ὡς ἀπεκλῄσθην ἐν τῷ δωματίῳ, ἀναμιμνῃσκόμενος δὲ ὅτι ἐν ἐκείνῃ τῇ νυκτὶ ἐψόφει ἡ μέταυλος θύρα καὶ ἡ αὔλειος, ὃ οὐδέποτε ἐγένετο, ἔδοξέ τέ μοι ἡ γυνὴ ἐψιμυθιῶσθαι. ταῦτά μου πάντα εἰς τὴν γνώμην εἰσῄει, καὶ μεστὸς ἦν ὑποψίας (« Tout de suite, je fus bouleversé ; toutes sortes de détails me revenaient à l’esprit, et j’étais plein de soupçon : je songeais qu’on m’avait enfermé dans ma chambre ; je me rappelais que les portes de la rue et de la cour avaient fait du bruit cette nuit-là, ce qui ne s’était jamais produit, et que ma femme m’avait paru fardée. Oui, tout cela me revenait à l’esprit, et j’étais plein de soupçon »). 97 Cf. L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 3, p. 183. 98 Bechtel, GD, III, p. 211. 99 Pour l’absence du lambda, on peut penser soit à une faute, soit à l’omission de cette liquide (cf., dans les papyrus, Gignac, Grammar, I, 1976, p. 107. 100 Voir θεοκολέοσσα en éléen (cf. L. Dubois, BÉ, 1992, 263, IIe s.), πάσσας à Géla en Sicile (I. dial. Sicile I 160, l. 29, IIIe s.), ou ἐπινε[β]εύσασσα à Atrax en Thessalie (Hatzopoulos 1994, p. 29, n° 58, IIIe s.). 101 Cf. dans une lettre d’Emporion le dat. pl. Ἐμππορίταισιν (67, l. 2). 102 Bravo 1974, p. 160–161. 103 Cf. Hérodien, De orth. 465,27–28 Lentz : Ἀβρινάται Ποντικὸν ἔθνος. καὶ μετὰ τοῦ ρ καὶ χωρὶς τοῦ ρ λέγεται. (cf. aussi De pros. cath. 72,22–23 Lentz : Ἀβρινάτης ; cependant, cette compilation de l’éditeur moderne ne dispose d’aucune tradition manuscrite). Il est étonnant que la dernière éditrice d’Étienne de Byzance, M. Billerbeck (2006), ne commente aucunement l’ethnonyme, ignorant qu’il est désormais confirmé par cette lettre sur plomb de Berezan’. 94 95
25. Lettre sur plomb d’Achillodôros à Prôtagorès ou « lettre de Berezan’ » (Berezan’)
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étant celle donnée par notre document, alors que la forme enregistrée par Étienne de Byzance (et par Hérodien) fut corrompue dans la tradition manuscrite (Ἀβρι- et Ἀβι-)104. Il doit s’agir d’une population scythe de langue iranienne105 ; l’on reconnaît la terminaison -άται qui indique un pluriel, cf. chez Hérodote 4.6 les Αὐχάται et les Παραλάται et, plus tard, les Θισαμάται, les Σαυδαράται (IOSPE I² 32, B l. 10) ou encore les Σαυρομάται/ Σαρμάται. || La polis est bien évidemment Olbia du Pont, d’autres interprétations étant trop spéculatives106. L. 13 : pour la séquence lue d’abord ΕΟΝΕΟΡΟΣ et ensuite ΓΟΝΕΟΡΟΣ, plusieurs lectures ont été proposées, à commencer par le monstre onomastique *Εὀνέορος (Vinogradov, admis par Chadwick)107, avant la correction de Bravo en νερός (1974), d’où la lecture que je privilégie ici, δέ γ᾿ ὀ νερός. Même si Bravo revient en 2011 sur sa lecture, en lisant ὁ νεωρός,108 sur le plomb on lit sans aucun doute possible l’omikron et non pas l’ômega. Il s’agit de la forme ionienne de l’att. νεωρός, « patron du navire marchand », en raison d’un abrégement en hiatus interne (*νᾱϝορός > *νηορός > νερός). || L. Dubois remarque que le couple de particules δέ γε est rare dans les textes épigraphiques109, ce qui peut s’expliquer par l’apparition dans le discours d’un autre personnage, le capitaine du bateau. || On retrouve le pronom ionien μιν (cf. l. 2), employé de la même façon par Hérodote110. || Le plomb porte ΠΑΡΑΠΙΝΘΥΩΡΑ, séquence diversement interprétée, entre autres un toponyme *Θυωρα ou *Μινθυωρα ; je privilégie la leçon communément acceptée παρά 〈μ〉ιν 〈ἰ〉θύωρα. L’adverbe (ἰ)θύωρα est une forme de neutre pl. identifiée par J. Chadwick, et commentée par M. Lejeune111 ; il s’agit de la variante ionienne du neutre sg. εὐθύωρον, « directement » (cf. Xénophon An. 2.2.16). Adresse externe L. 1 : le nom de l’expéditeur, père de Prôtagorès, n’est mentionné que dans l’adresse externe. Ἀχιλλόδωρος, « don d’Achille », est un nom hérophore112 en rapport avec le culte d’Achille, si populaire au nord du Pont-Euxin et notamment à Olbia du Pont, cité qui contrôlait l’île Blanche (Leukè, de nos jours l’« île des Serpents »), associée par toute la tradition ancienne au héros homérique, ainsi que la Course d’Achille (Ἀχιλλήιος δρόμος, auj. Tendrovskaja kosa)113. Ce nom est attesté une autre fois à Olbia, où il était épichorique, dans une defixio B. Bravo propose récemment une hypothèse qu’il considère lui-même comme étant « estremamente incerta » : une équivalence entre Ἀρβινάται = Ἀβρινάται = Ἀβινάται et la région connue sous le nom de Ὑλαία (Ὑλαίη) (voir le comm. à la « lettre du prêtre », 28). Selon Alexandre Polyhistor (cité par Étienne de Byzance, s. v. Ὑλαία), cette forêt aurait porté le nom d’Ἀβική, qui serait d’après Bravo une déformation de *Αβινη due à la tradition manuscrite (Bravo 2011a, p. 58). Je ne crois pas qu’il faille aller si loin dans le jeu des hypothèses ; il est préférable de rester prudent quant à la localisation de cette peuplade. A. S. Rusjaeva estime avoir trouvé un écho de cet ethnonyme dans un graffite fragmentaire d’Olbia, d’époque classique, avec la séquence [---]ΡΒΙΝΗΣ (GraffOlbiaPont, p. 160, n° IV.305, dessin Pl. 56.10). 105 Pour Jajlenko, ce nom serait d’origine carienne (thèse critiquée à juste titre par Tohtas’ev), alors que Trubačev l’expliquait par le vieux-indien (*arbhi-nātha, « le protecteur des petits ») (cf. Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1990, 528). En réalité, le nom du dynaste lycien Αρβινας (lyc. Erbbina, aux Ve–IVe s.) n’est pas micrasiatique [Zgusta, Personennamen, p. 88–89, § 85–4 (Αρβιννας)], mais iranien (Arb-ina, de l’iran. arba-, v.-indo-ar. arbha- « petit, jeune »), comme l’a montré Schmitt 1978, p. 47–51 (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1979, 478) ; voir aussi Zgusta, Ortsnamen, p. 89–90, § 88 ; R. Schmitt, c.r. de LGPN V.B (2013), BN, NS 51, 2016, p. 238 et 240. 106 La métropole Milet pour A. P. Miller, le site de Berezan’ pour B. Bravo. 107 Merkelbach 1975, p. 161–162, avait pensé à la tribu scythe des Neures (Hérodote 4.17 et 4.105 : Νευροί), située plus au nord, après les Callipides, les Alazons et les Scythes laboureurs. 108 Bravo 2011a, p. 59–61, selon lequel ce terme correspondrait à ναύφυλαξ ou δίοπος. 109 Denniston 1954, p. 152–156. 110 Cf. Bechtel, GD, III, p. 162. 111 Chadwick 1973, p. 36 ; cf. Lejeune 1974, p. 7–9, qui note la forme ionienne en -ωρο- (à la place de la forme attendue, -ουρο-), attestée par le mot ἰθυωρίη dans le corpus hippocratique. 112 Pour cet anthroponyme, voir Robert 1979, p. 40 (= OMS, VI, p. 694) ; Parker 2000, p. 56 ; Dana/Dana 2009, p. 238–239. 113 Voir, entre autres, Hedreen 1991 ; Rusjaeva 1992, p. 70–83 ; Ju. G. Vinogradov, dans Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 117– 118 ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 95–106 et nos 48–53 ; Rusyaeva 2003 ; Hupe 2006 ; Tokhtasev 2010, p. 103–104. Sur l’importance de ce culte pour l’identité locale des Grecs du Pont, voir Dana 2007b, p. 177–180 ; Dana 2011, p. 106–109, 354–355. Achille, déjà « maître de la Scythie » chez Alcée (F 354 Lobel-Page : Ἀχίλλευς ὁ τᾶς Σκυθίκας μέδεις ; voir Ferrari Piney 1983), apparaît en contexte olbien comme « maître de Leuké », Λευκῆς μεδέων (I. dial. Olbia Pont 48, début du Ve s. ; IOSPE I² 326 = I. dial. Olbia Pont 49, première moitié du IVe s.) ; au Ier s. de notre ère, il est « maître de l’île » dans une dédicace trouvée à Néapolis de Scythie (IOSPE I² 672 : νήσου [μεδέοντι]). Dans le discours borysthénitique, Dion Chrysostome n’oublie pas de mentionner la vénération des Olbiopolites pour Achille et Homère, le premier étant, pour un habitant de la cité, « notre dieu » (θεὸς ἡμῶν) (Or. 36.14). 104
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sur céramique de la première moitié du IVe s. (Tolstoj, Graff. 63 = I. dial. Olbia Pont 105 = DefOlb 18), et, aux environs de l’ère chrétienne, à Istros (I. Histria 191, col. II, l. 10), certainement par irradiation où en raison de la proximité avec Leukè114. L. 1–2 : τὸ μολί|βδιον : la métonymie qui consiste à désigner l’objet par la matière est remarquable (voir p. 327– 328 et 359). Le mot μολίβδιον (forme parallèle de μολύβδιον, avec alternance vocalique médiane) désigne ici pour la première fois le nom de la « lettre » d’après le support d’écriture, qui est une lamelle de plomb (cf. βυβλίον tiré de βύβλος). Il fait une nouvelle apparition sur une tablette de plomb opisthographe du sanctuaire de Némésis de Rhamnonte, vers 500–480115. Dans le jargon médical, il désigne un poids de plomb, une sonde ou un tube de plomb116. || Ἀχιλλοδώρ τὸ μολί|βδιον : génitif d’appartenance, avec τό utilisé de manière démonstrative. L. 2 : pas d’assimilation entre μολί|βδιον et παρά, ce qui indique une pause (alors que l’assimilation du ny final est récurrente, à l’exception de la fin de la l. 10 : λέγν | καί). L. 2–3 : l’adresse comporte les noms du destinataire et de l’autre personne concernée (le fils de l’expéditeur et Anaxagorès) : παρὰ τὸμ παῖδα | κἀναξαγόρην. || Dans κἀναξαγόρην, le rédacteur de la lettre a écrit d’abord ΚΑΙ, avant de remplacer le iota par un ny. Commentaire : « Pour passionnante que soit cette ‹histoire archéologique› du monde colonial, sa grande lacune est que nous n’y saisissons jamais les hommes qui maniaient les objets et peuplaient les ruines sur lesquelles on raisonne. Or, voici qu’un document exceptionnel en fait surgir un groupe à nos yeux, à l’autre bout du monde grec, sous la forme d’une lettre (fin VIe ? – début Ve siècle ?) gravée sur une lamelle de plomb, trouvée à Berezan’, en face d’Olbia Pontique, et qui nous conte les mésaventures (assez mystérieuses) d’un certain Achillodôros, victime d’une saisie et appelant au secours »117. Ce « très curieux document » (J. et L. Robert, BÉ, 1973, 306), la plus connue de toutes les lettres sur plomb et citée d’habitude sous le nom consacré de « lettre de Berezan’ », a bénéficié de nombreux commentaires, notamment à la lumière des documents similaires découverts dans le Pont Nord, à Athènes ou dans la Méditerranée occidentale. Puisqu’elle sera amplement utilisée pour le ch. III de la Synthèse historique, consacré aux statuts personnels et aux pratiques juridiques, je me contenterai ici d’une brève présentation de son intérêt historique. Il s’agit d’un document de la fin de l’époque archaïque que l’on peut difficilement dater « tra l’ultimo decennio del VI e i primi decenni del V secolo », comme le suggère B. Bravo sur la base entre autres de l’analogie avec l’écriture qui apparaît sur un document olbien qu’il considère une lamelle de plomb orphique, mais qui est en réalité un document à caractère commercial (lettre de l’agora olbienne, 27)118. Outre le fait que cette dernière lamelle n’a rien d’un texte ophique, son écriture présente des traits plus récents que la lettre d’Achillodôros. La lettre d’Achillodôros à Prôtagorès évoque des mésaventures dans le territoire d’Olbia du Pont, la célèbre fondation milésienne archaïque119, qui avait été précédée d’une installation sur l’île de Berezan’120, où la lettre a été par ailleurs découverte. Berezan’, dont le nom ancien reste inconnu121, a été souvent identifié à l’ἐμπόριον Βορυσθενειτῶν dont parle Hérodote 4.17, mais qui est plus probablement Olbia elle-même. Presqu’île barrant la grande embouchure de l’estuaire de l’Hypanis et du Borysthène, Berezan’ était déjà devenue une île au premier siècle de notre ère122. Pour la famille du nom, voir LGPN IV 63 ; à Olbia du Pont et Tyras, on connaît Ἀχιλλαῖος, Ἀχιλλεύς et Ἀχίλλητος. SEG XXXVIII 13. Voir aussi BCH, 109 (2), 1985, p. 769 ; M. Sève, BÉ, 1988, 138 bis ; SEG XXXV 13. Sur la face A elle porte ἐπιστατν, et sur la face B un compte des hiéropes du sanctuaire, qui débute par τὸ χρμα | ἀνέλοται | τς hιεροποις | τὸ ἐν τι μολυβδίι | hιγραμμένο κτλ. (suivent les noms des hiéropes et les sommes reçues par chacun). 116 Chantraine, DELG, s. v. μόλυβδος. 117 Will 1977, p. 415. 118 Bravo 2007, p. 67–68. 119 La littérature sur la grande cité pontique Ὀλβίη/Ὀλβία, également connue sous le nom de Βορυσθένης (plutôt un exonyme) est énorme. Quelques titres : Wąsowicz 1975 ; Vinogradov 1981a ; Vinogradov/Kryžickij 1995 ; Križic’kij et alii 1999 ; Avram/ Hind/Tsetskhladze 2004, p. 936–940, n° 690 ; Braund/Kryzhitskij 2007. 120 Sur le site, voir la présentation dans le comm. de la lettre 23. 121 Plusieurs hypothèses ont été exprimées : Borysthène, Thyôra (par Bravo, la polis mentionnée à la l. 12), etc. Voir Müller 2010, p. 48–49. 122 À l’époque, centre religieux du culte d’Achille Pontarque (voir le comm. de la lettre 23). 114 115
25. Lettre sur plomb d’Achillodôros à Prôtagorès ou « lettre de Berezan’ » (Berezan’)
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Cette longue lettre de 526 caractères, fort heureusement complète, appartient à la seconde période de Berezan’, celle du site urbanisé (seconde moitié du VIe s.–premier quart du Ve s.). Trois scénarios ont été envisagés : a) soit la lettre, retrouvée enroulée, n’a jamais été expédiée, comme le pense le premier éditeur123, ce qui implique que l’expéditeur, Achillodôros, se trouvait sur l’île de Berezan’ quand il a écrit la lettre ; b) soit, dans l’éventualité que la lettre n’est jamais arrivée à destination, la personne qui était chargée de la livrer s’était trouvée à un moment donné à Berezan’ et c’est là que la lettre a été égarée ; c) soit, ce qui me semble plus probable, la lettre a été envoyée depuis un autre site ; c’est le destinataire, Prôtagorès, le fils d’Achillodôros, qui se trouvait vraisemblablement à Berezan’ plutôt qu’à Olbia, la polis mentionnée dans le document, où il devait accompagner par ailleurs sa mère et ses frères. Le fait que la lettre a été retrouvée enroulée ne signifie pas automatiquement qu’elle n’a pas été lue : le destinataire a très bien pu la dérouler, la lire et l’enrouler de nouveau (dans le même sens que la première fois, puisque l’adresse était bien visible) afin de la garder dans ses archives, d’où elle a été finalement jetée dans un dépotoir. Les répétitions sont très nombreuses, qu’il s’agisse de séquences réitérées (ll. 6–9 : τε | καὶ οὔ φησιν ναι οὐδὲν ἐωυτῶι τε καὶ Ματασ〈υι〉 | καί φησιν ναι ἐλεόθερος καὶ οὐδὲν ναι ἐωυτ〈ῶ〉ι | καὶ Ματα{τα}συ(ι)), de la conjonction καί (l. 6 : καὶ δλς καὶ δλας κοἰκίας) ou de la double conjonction τε καί (ll. 7, 7–8 et 9). En plus du style répétitif, caractérisé par des marques d’oralité évidentes, on remarque un « discours dans le discours », au moment où Achillodôros rapporte les paroles de Matasys aux ll. 5–6124. Les protagonistes de l’affaire sont aussi bien Achillodôros et son adversaire Matasys, qui a saisi sa marchandise et essaie de s’emparer de la personne même de l’expéditeur, que les destinataires de la lettre, Prôtagorès, le propre fils d’Achillodôros, et Anaxagorès, qui est sollicité par Achillodôros, sans oublier la famille de ce dernier (femme et d’autres enfants), qui se trouvait quelque part dans le territoire d’Olbia. Achillodôros devait être un commerçant, comme on peut en déduire de la mention de la cargaison, qui voyageait pour ses affaires et qui avait une relation bien établie avec Anaxagorès, étant donné que Matasys prétendait qu’il était esclave de ce dernier. L’emploi de la IIIe pers. ne signifie pas que la lettre avait été écrite pour Achillodôros par une tierce personne, comme le suppose J. Chadwick, mais bien par l’intéressé lui-même125. Il s’agit d’une pratique épistolaire ancienne attestée par les sources littéraires, sur laquelle je reviendrai à la p. 348. Concernant Matasys, Bravo avait soutenu initialement qu’en dépit de son nom à résonance « barbare » il était un Grec citoyen d’Olbia vivant au moment de l’envoi de la lettre dans une autre cité ; il avait été autrefois le propriétaire des maisons qui maintenant se trouvaient (injustement) aux mains d’Anaxagorès126. Plus tard, Bravo revint sur son hypothèse : ce serait dans un emporion que Matasys, barbare hellénisé, avait été autrefois propriétaire de ces biens, et c’est dans un autre emporion qu’il vivait quand il essayait de faire d’Achillodôros son esclave127. On ignore en réalité où se trouvaient Matasys et par conséquent Achillodôros au moment des déboires de ce dernier. On peut seulement affirmer qu’ils n’étaient pas à Olbia, la polis où la famille d’Achillodôros devait être ramenée. Pour Bravo, qui a consacré plusieurs études à ce document, la raison pour laquelle sa femme et ses autres enfants, à l’exception de Prôtagorès, se trouvaient chez les Arbinatai, s’explique par le fait que la femme d’Achillodôros était une Grecque originaire d’un emporion qui était situé dans ce pays ; « pendant l’absence de son mari, elle a pu aller, avec ses fils mineurs, chez ses parents »128. Il me semble plus probable qu’Achillodôros avait une propriété là-bas, où la famille séjournait une partie de l’année ou à des périodes précises. Par ailleurs, J. Chadwick estime qu’en demandant à Prôtagorès de parler de ses difficultés à Anaxagorès et « à sa femme », Achillodôros faisait allusion non pas à la femme d’Anaxagorès mais bien à sa femme à lui (l. 11 : « tell this to
123 Vinogradov pense que la lettre aurait dû être envoyée de Berezan’ à Olbia ; il a été suivi, entre autres, par Kupiszewski et van Effenterre – Ruzé (Nomina, II, p. 262) ; Bravo critique à juste titre ce scénario. 124 Ceccarelli 2005, p. 39. 125 Chadwick 1973, p. 35. 126 Bravo 1974, p. 156. 127 Bravo 1999, p. 295 (voir, en général, p. 290–295 pour les emporia en territoire scythe en tant que points de relais pour le commerce). 128 Bravo 1999, p. 295. Pourtant, si l’on suit cette interprétation, « il y a un pas en direction de la pure fiction que l’on ne saurait franchir. Rien, dans ce texte, n’évoque un emporion, et les Arbinatai ne renvoient qu’à eux-mêmes » (Müller 2010, p. 202).
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Anaxagoras and his [Akhillodoros’] wife »)129. Cette hypothèse doit être écartée, pour deux raisons : la mention de l’épouse tout de suite après Anaxagorès, ce qui les englobe dans une même référence, et le fait que si la mère de Prôtagorès et donc l’épouse d’Achillodôros se trouvait avec les petits au pays des Arbinatai130, elle ne pouvait de toute évidence pas le secourir – on se demande par ailleurs comment elle l’aurait fait. En revanche, si Anaxagorès était un riche propriétaire de maisons et d’esclaves (ceux-là même dont il aurait spolié Matasys), sa femme devait elle-aussi avoir un certain rôle et peut-être une certaine influence dans le sauvetage d’Achillodôros. Quels sont les différends qui opposaient Achillodôros et Matasys, la raison même pour laquelle le premier a écrit sa lettre d’appel à l’aide ? Il faut écarter d’emblée l’interprétation de Chadwick, que l’on a du mal à suivre, selon laquelle Matasys tente de réclamer Achillodôros comme étant un esclave d’Anaxagorès sous prétexte qu’auparavant il avait été esclave de Matasys ; comme Anaxagorès s’était injustement emparé des anciennes propriétés de Matasys, maisons et esclaves, Matasys ne fait que réclamer son dû, à savoir son ancien esclave Achillodôros devenu maintenant esclave et donc propriété d’Anaxagorès. Il s’agit en réalité d’une affaire de saisie et de représailles : Matasys a « profité de la présence dans sa région d’un employé de l’un de ses débiteurs pour s’emparer de sa personne et de ses biens, afin d’obtenir ainsi tout ou une partie de la créance qu’il pensait avoir auprès ; nous ne connaissons pas la nature de cette créance, ni son bien-fondé »131. Ph. Gauthier résume très bien la situation juridique de ces personnages : ayant un grief contre Anaxagorès, Matasys saisit un concitoyen, voisin ou ami, de celui-ci, espérant ainsi faire pression sur son adversaire et l’obliger à lui rendre ce qu’il pense lui appartenir. En droit, le droit de saisie s’exerce contre l’offenseur lui-même mais en fait il peut aussi s’exercer contre un concitoyen de l’offenseur, selon la théorie de Rodolphe Dareste que Gauthier a réhabilitée à la lumière de la « lettre de Berezan’ »132. Après avoir consacré une étude exhaustive au συλᾶν133, B. Bravo résume récemment l’affaire de la façon suivante : Achillodôros, un Olbiopolite qui avait une maison à Borysthène et une autre dans un emporion chez les Arbinatai, entreprend un voyage d’affaires pour le compte de son concitoyen Anaxagorès. Ce dernier avait auparavant confisqué, à tort ou à raison, des biens appartenant à Matasys, peut-être un Scythe ; Matasys réagit en saisissant, à titre de dédommagement, aussi bien les marchandises d’Anaxagorès qu’Achillodôros lui-même, qu’il considère comme esclave d’Anaxagorès – ce dont Achillodôros se défend à grands cris. On a affaire à un cas typique de συλᾶν : selon Bravo, Achillodôros s’attend à ce qu’Anaxagorès, un homme riche et influent à Olbia, se mette en contact avec un proxène ou avec une personne qu’il connaissait, membre de la communauté où se trouve Matasys (cité ou emporion), afin d’intervenir auprès des autorités attestant qu’Achillodôros n’est pas l’esclave d’Anaxagorès, mais bien un homme libre134. On ne connaît malheureusement pas le dénouement de l’affaire dont nous n’avons qu’une vision partielle, qualifiée de « tantalizing obscurity »135. Comme l’avait posé à l’époque un grand spécialiste du droit, « la difficulté majeure de ce texte, c’est que tout y est dit indistinctement à la troisième personne du singulier alors qu’en fait il s’agit de plusieurs individus : nous ne savons pas de qui on parle. L’intérêt majeur de cette lettre vient du début de la ligne deux : il s’agit de quelqu’un qui est sur le point d’être asservi par un tiers. Il y a, semble-t-il, une exécution personnelle avec la menace pour l’intéressé de tomber en état de servitude et ceci est ressenti comme un acte d’adikia. Si nous reprenons ce témoignage à la lumière des travaux de M. [Hans Julius] Wolff sur les origines de la procédure, il y aurait là un acte de ‹Selbsthilfe› tendant à asservir un débiteur insolvable »136. Chadwick 1973, p. 37. Chadwick 1973, p. 37, sur la base de la lecture initiale, depuis corrigée, de l’anthroponyme non-attesté Euneuros, suppose que celui-ci était un autre fils d’Achillodôros, qui n’était pas avec les autres frères chez les Arbinatai mais ailleurs, à qui Achillodôros enjoint de venir le retrouver. 131 van Effenterre – Ruzé, Nomima, II, p. 262. 132 Gauthier 1982, p. 566–567 (= Gauthier 2011, p. 98–100) ; Dareste 1889 (= Dareste 1902, p. 38–47). Si, pour Bravo et Kupiszewski, Achillodôros était l’agent d’Anaxagorès, pour Gauthier il n’était qu’un concitoyen d’Anaxagorès. 133 Bravo 1980, p. 675–987, en partic. 879–885 pour notre document. Pour ces pratiques, voir des mentions répétées dans l’accord d’asylie entre Oianthéia et Chaléion en Locride, vers 475–450, où il est question de représailles (μδὲ χρματα αἴ τι(ς) συλοῖ, συλν, ἄσυλον) (IG IX.I² 717 ; van Effenterre - Ruzé, Nomima, I, p. 216–221, n° 53, avec trad. fr.). 134 Bravo 2011a, p. 66. 135 Martin/Vidal-Naquet 1977, p. 220. 136 J. (Mélèze-)Modrzejewski, dans Kupiszewski 1979, p. 196. 129 130
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26. Lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax (Olbia du Pont)
26. Lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax (Olbia du Pont) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte en 1971 lors des fouilles archéologiques dans l’agora d’Olbia du Pont. Support, mise en page : tablette rectangulaire (env. 8,5 × 15,8 cm)137, incomplète (il manque le coin inférieur gauche), formée de plusieurs morceaux jointifs (dont deux de grandes dimensions), abîmée dans sa partie centrale qui est peu lisible. La lamelle de plomb a été vraisemblablement pliée en trois segments de dimensions inégales, les trois fragments qui se sont détachés étant jointifs (le plus grand mesure env. 10 cm.) ; on ne peut toutefois pas exclure qu’elle ait pu être enroulée. Sur la face interne, 10 lignes ont été soigneusement écrites ; les mots sont presque toujours coupés en fin de ligne (sauf à la fin, ll. 8–10), sans toujours respecter la coupe syllabique (cf. ll. 1, 3, 6). Les dix lignes n’occupent qu’environ deux tiers de la lamelle, sur une hauteur de 5,5 cm, alors que la superficie restante est vierge. Sur la face externe, l’adresse de deux lignes a été inscrite perpendiculairement par rapport aux lignes du texte de la partie intérieure, sur le segment droit, après pliage. La lamelle comportait au recto un bord horizontal délimitant apparemment deux parties du message (d’abord la question de la saisie des biens, puis l’affaire des esclaves), en dessous des ll. 8 et 9 ; ce bord a été donc tracé par le scribe au moment de la rédaction. Des signes d’interponction sont présents 19 fois, généralement deux points superposés (:) (ll. 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9), et au moins deux fois trois points superposés (⁝) (ll. 4, 6) ; on note une ponctuation qui coupe un mot (l. 8, εἴκοσ:ιν) (cf. aussi la lettre d’Artikôn, 30, A, l. 3 : ὑ:μᾶς). La première partie de la l. 9, qui marque la fin du message sur la saisie des biens, comportant le plus probablement une demande d’instructions, est visiblement écrite avec des caractères plus grands que le reste du texte (0,5–0,6 cm). On remarque également quelques fautes du rédacteur (l. 4, ΤΑΑΛΑ ; l. 5, ΣΕΝΟΙ, l. 10, ΕΓΕΝΗΤΑΙ) et des corrections, l’une ponctuelle au début de la l. 6, deux autres sur des séquences assez longues dans la seconde partie des ll. 6 et 8. On observe d’autres caractères isolés et des grattages dans la seconde partie de la face interne (interlignes 8–9, 9–10), ainsi que d’autres signes sporadiques en-dessous du texte, dans le coin inférieur gauche : traces possibles d’un palimpseste ? Dialecte : ionien oriental. La vraie diphtongue ei, ainsi que le résultat de l’allongement ou de la contraction, sont notés par epsilon ; o long fermé (ou) noté par omikron. On remarque la psilose dans l’élision de la l. 1 (ὐπ᾿ Ἠρακ|λείδεω), raison pour laquelle elle sera marquée dans le reste du texte. Crase banale : τἄ〈λ〉λα (l. 4). Ouverture du second élément de la diphtongue médiane (l. 2, Εὀθήριος ; l. 10, ε) ; fermeture sporadique de e en i (l. 1, σισύλημαι ; l. 5, ἰάν) ; contractions Λήνακτι (l. 1, mais Λεάνακτι dans l’adresse externe) et ἤν (l. 10, mais ἰάν à la l. 5) ; psilose (l. 1, ὐπ᾿ Ἠρακ|λείδεω) ; de nombreuses formes ioniennes, e.g. ἐωυτῶι (l. 4), σεωυτ (ll. 6–7), κνοι (l. 7), οἰκιητέων (l. 9). Paléographie : lettres assez profondément et soigneusement gravées ; ht. des lettres : 0,3–0,5 cm. (0,5–0,6 cm à la l. 10). Les lettres du début et de la fin des lignes sont soigneusement alignées ; à noter, aux ll. 1–2, une disposition stoichèdon pour deux séquences [ΡΙΟΣ:]. Lettres remarquables : thêta avec point () ; omikron généralement grand ; pi asymétrique à la haste droite plus courte ; sigma à quatre branches ; upsilon à deux branches, sans haste verticale () ; phi à cercle similaire à celui de l’omikron () ; ômega de dimensions égales avec les autres lettres et parfois penché à gauche. La paléographie, similaire à celle de la « lettre de Berezan’ » (25), ainsi que les traits dialectaux, permettent de dater de document, à l’instar de Ju. Vinogradov, à la fin du VIe s. ou peu après138. Date : fin du VIe s. Conservation : lieu de conservation inconnu (Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg ; puis Kiev). Éditions : Dana 2004 (avec trad. fr.) (= SEG LIV 694 ; cf. L. Dubois, BÉ, 2005, 366) ; Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2006 (avec trad. esp.) (cf. SEG LIV 694) ; Dana 2007a, p. 75–76, n° 3 (avec trad. fr.) ; Bravo 2011a, p. 67–85, n° II (avec trad. it.) (cf. A. Avram, BÉ, 2012, 306 ; cf. SEG LXI 636) ; Ceccarelli 2013, p. 338, n° 5 (avec trad. angl.) ; Jajlenko 2016, p. 232– 236 (avec trad. russe). Bibliographie : Vinogradov 1975 (cf. Bravo 1977, p. 58 n. 62) ; Vinogradov 1976, p. 182 ; Vinogradov 1979, p. 304–305 (= Vinogradov 1997a, p. 84–85) ; Vinogradov 1981a, p. 19 (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1982, 234) ; Vinogradov 1983, p. 392– 393 ; Hind 1983–1984, p. 82 ; Vinogradov 1989, p. 75–76 ; Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 430, 479 (n° N) et 480 ; Millett 1991, p. 260 (n° VII) ; Burkert 1992, p. 31 ; Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 129–130 ; Vinogradov 1997, p. 236 n. 10 ; VinoLargeur similaire à la lettre d’Achillodôros (25). Les dimensions ont été calculées en fonction du fac-similé envoyé à W. Burkert par Ju. G. Vinogradov en 1987 (voir Note sur l’édition). L’envoi de Vinogradov comportait trois fac-similés de lettres sur plomb : la nôtre, et deux autres qui furent publiées en 1998 (une lettre de Berezan’, 23, et une lettre de l’agora d’Olbia, 27). Étant donné que les fac-similés des deux lettres publiées sont à l’échelle naturelle, rigoureusement identiques aux dimensions données par Vinogradov, on peut raisonnablement supposer que le fac-similé de la lettre d’Apatorios est, lui aussi, à l’échelle 1 : 1. 138 Pour B. Bravo, premier quart du Ve s. 137
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gradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 5), 156, 157 et 169 n. 50–51 ; Wilson 1997–1998, p. 38–40 (avec trad. angl.) (cf. SEG XLVIII 1012) ; Vinogradov 1999a, p. 137 et 140 ; Tohtas’ev 2000a, p. 302 ; Faraguna 2002, p. 246–247 ; Gavriljuk 2003, p. 80 ; Jordan 2003, p. 31–32, n° III ; Ceccarelli 2005, p. 39 et n. 60 ; Avram 2007, p. 239 ; Marginesu 2007, p. 143 ; Fox 2008, p. 75 (avec trad. angl.) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 56 (E5) ; Müller 2010, p. 195, 229 ; Santiago 2010, p. 626–627 (avec trad. esp.) ; Bravo 2011b, p. 107 n. 32 ; Tohtas’ev 2011, p. 676 ; Vinogradov 2011, p. 100 n. 6 ; Ceccarelli 2013, p. 39, 41–42 ; M. Faraguna, dans Yiftach-Firanko 2013, p. 18 ; Harris 2013, p. 116–118 (avec trad. angl.) et 124, Appendix II (cf. SEG LXIV 680) ; Johnston 2013, p. 200 ; Oller Guzmán 2013a, p. 85 ; Gardeñes Santiago 2013, p. 279–281 ; Santiago Álvarez 2013, p. 238– 242, n° 1.2 (avec trad. esp.) ; Decourt 2014, p. 59, n° 30 (avec trad. fr.) ; Maffi 2014, p. 199–202 (cf. SEG LXIV 680) ; Dana 2015a, p. 116–118, 122–123 et 128 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 228 ; Dana 2016, p. 95 ; GEI 18 ; Sarri 2018, p. 40, 123 ; Parmenter 2020, p. 76–77 (avec trad. angl.), 84. Illustrations : Dana 2004, p. 5 (dessin) ; Dana 2007a, p. 75 (dessin) ; Bravo 2011a, p. 71, fig. 2 (dessin) ; Johnston 2013, p. 201, fig. 12 (dessin) ; Decourt 2014, p. 77, fig. 20 (dessin) ; Dana 2015a, p. 323, fig. 2 (dessin) ; Jajlenko 2016, p. 233, fig. 26 (dessin). Note sur l’édition : cette lettre sur plomb a été découverte en 1971 dans un mauvais état, de l’aveu même de Jurij G. Vinogradov. Avant que je n’en donne une édition en 2004, Vinogradov en avait fait état à de très nombreuses reprises, à propos des protagonistes (Apatorios comme intendant économique de l’usurier Léanax), de la présence des esclaves au nord du Pont-Euxin, en citant parfois des termes grecs (διφθέρια, στατῆρες, χρήματα) et même des séquences plus longues afin d’appuyer ses arguments lors de l’édition d’autres lettres sur plomb139. L’épigraphiste russe, qui envisageait une publication exhaustive et réservée uniquement à cette lettre, jugée comme particulièrement importante, quitta malheureusement ce monde en mai 2000. L’article que j’avais consacré à cette lettre en 2004, qui a été le point de départ de mon intérêt pour la correspondance grecque privée antique, était dédié à celui qui a été l’infatigable spécialiste de l’épigraphie et de l’histoire ancienne du nord du Pont-Euxin (1946–2000). Vers la fin des années 1990, John-Paul Wilson avait donné un commentaire et une traduction anglaise140, en utilisant une copie du texte grec fournie par Alan W. Johnston ; cette traduction a été reproduite par Jordan (2003) et mentionnée par d’autres savants. Johnston connaissait le texte grec grâce à une première copie (dont la source est toujours Vinogradov), faite par Burkert ; c’est bien Alan W. Johnston qui m’a recommandé de m’adresser à Walter Burkert. La copie utilisée par Johnston et Wilson était par ailleurs incomplète sur certains points. Plus tard, lors de la préparation de l’édition de deux lettres de Berezan’ et d’Olbia (23 et 27), Vinogradov était revenu sur ce sujet car il envisageait certainement de publier la lettre d’Apatorios en même temps que les deux autres textes (parus en 1998). Le savant russe avait envoyé des matériaux alors inédits à Walter Burkert (qu’il avait rencontré lors de ses séjours à l’université de Konstanz dans les années 1980), dans un courrier datant du 15 janvier 1987 : une feuille comportant les fac-similés de trois lettres sur plomb, et d’autres feuilles avec leurs transcriptions. Cette deuxième copie est manifestement plus complète que la copie consultée par Wilson. Burkert a eu l’extrême amabilité de m’envoyer les photocopies de ces documents (fac-similés et transcriptions des lettres 23, 26, 27). C’est ainsi que j’ai pu réaliser une première édition de ce document, avec la permission et la recommandation de W. Burkert141, après avoir auparavant reconstitué quelques lignes du texte grec à l’aide des références du savant russe, parsemées dans un bon nombre d’articles142, et en bénéficiant des conseils avisés d’Alexandru Avram et Laurent Dubois. Début octobre 2016, j’ai eu l’agréable surprise de recevoir, dans un courriel d’Askold Ivantchik, responsable des archives de Ju. G. Vinogradov (conservées à l’Académie des Sciences de Russie, Saint-Pétersbourg), plusieurs photos des lettres sur plomb publiées par ce dernier, dont deux jeux de photos de la lettre d’Apatorios, avant et après restauration. Ces photos m’ont permis de confirmer et, sur des points mineurs, d’améliorer les lectures initiales de Vinogradov ainsi que mes propres restitutions de 2004, voire d’observer d’autres signes d’interponction, des corrections ou des palimpsestes. L’aide successive des trois savants cités, A. W. Johnston, W. Burkert (entre temps disparu) et A. Ivantchik, a été décisive pour mener à bien le travail d’édition de ce document. Qu’ils en soient, encore une fois, vivement remerciés. J’ai repris mon texte de 2004 en 2007 ; il a été reproduit par Ceccarelli (2013) et Decourt (2014) et a été légèrement émendé par Santiago Álvarez et Gardeñes Santiago (2006, texte repris par Santiago Álvarez en 2013), ainsi que par Bravo (2011) et Jajlenko (2016). Étant donné la présence de nombreux traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose (cf. l. 1, ὐπ᾿ Ἠρακ|λείδεω). 139 Vinogradov 1975, p. 89–90 ; Vinogradov 1976, p. 182 ; Vinogradov 1979, p. 304–305 (= Vinogradov 1997a, p. 84–85) ; Vinogradov 1981a, p. 19 ; Vinogradov 1983, p. 392–393 ; Vinogradov 1989, p. 75–76 ; Vinogradov 1997a, p. 15 n. 56 ; Vinogradov 1997b, p. 236 n. 10 ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 5), 156, 157 et 169 n. 50–51 ; Vinogradov 1999a, p. 140. J’ai pu utiliser une lettre datée du 28 juillet 1995, envoyée par Ju. G. Vinogradov à B. Bravo, que je remercie de m’avoir envoyé une copie. 140 Wilson 1997–1998, p. 38–40. 141 « I thought the letters should be published somewhere in the meantime, and I am surprised to learn that it now appears I am privileged with an unpublished text (…) I always insisted that the superior right belongs to scholarship, to know about important finds » (lettre de W. Burkert du 15 janvier 2004). 142 Voir supra, Bibliographie.
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Abréviations utilisées dans l’apparat critique : a) Première copie de Vinogradov (avant 1987), envoyée par Burkert à Johnston, et utilisée par Wilson 1997–1998, p. 38–40 [= Burk.] ; b) Fac-similé de Vinogradov (1987), envoyé à Burkert [= VinFS] ; c) Transcription et restitutions de Vinogradov (1987), également envoyées à Burkert [= VinTr] ; d) Lectures données par Vinogradov dans Vinogradov 1998 [= Vin1998], conformes à VinTr.
Fig. 74. Photo de la lamelle (recto), avant restauration.
Fig. 75. Photo de la lamelle (recto).
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Fig. 76. Fac-similé de la lamelle (recto).
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Λήνακτι Ἀπατριος· : τὰ χρήματα σισύλημαι : ὐπ᾿ Ἠρακλείδεω τ Εὀθήριος : κατὰ δύναμιν τὴν σὴν : μὴ ἀπολέσω τὰ χρήματα : τὰ γὰρ χρήματα σὰ ἐφάμην ναι : καὶ Μένων : ἔφατό ⁝ σε ἐπιθναι ἐωυτῶι : καὶ τἄ〈λ〉λα ὄσα σὺ αὐτῶι ἐπέθηκας : καὶ π[ρὸ]ς ἔφατο· {σ᾿} ἐ〈μ〉οὶ σὰ τὰ χρήματα ἐνῆν : ἰὰν ἐπιθείης διφθέρια πρ[ὸς] Ἠρακλείδην καὶ Θαθαίην ⁝ τὰ χρήματα σεωυτ ΠΟ[ca. 2–3 ἀποδ?]οσ· κνοι γάρ φασιν : ὄ τι σὸν : ἔχσιν ἀποδώ[σν] τὸ : συλη[θὲν? ὄλ?]ον ἐπτὰ καὶ εἴκοσ:ιν στατῆρες : vac. [Τὶ? θε]λήσς; Περὶ τῶν οἰκιητέων : Θυμώλεω [-ca. 6–7- Εὀ?]θυμίωι : αὐτῶι μοι οὐκ οἶδα ἢν {ε} γένηται ε. vac.
1 ΣΙΣΥΛΗΜΑΙ plumbum, VinFS : σ〈ε〉σύλημαι Burk., VinTr : σισύλημαι Dana 2004, edd. || 2 E[.]θήριος Burk. : Ε[ὀ]θήριος VinTr, Dana 2004, Bravo, Ceccarelli : Ε[ὀ/ὐ]θήριος Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago || 3 τὰ γὰρ χρ[ήμ]ατα VinTr, Dana 2004, Br., Cecc. : χ⌈ρ⌉[ήμ]ατα Sant. Álv./Gard. Sant. || 4 ἔφατό : σε ἐπ[ι]θναι ἐωυτῶι VinTr, Dana 2004, edd. || ΤΑΑΛΑ plumb. : Τ[.]ΑΛΑ VinFS : τ[ἄ](λ)λα Burk., Jajlenko : τ[ἄ]〈λ〉λα VinTr, Dana 2004, Cecc. : τἄλα Sant. Álv./Gard. Sant. : τ[ὰ] ἄλ〈λ〉α Br. || 5 καὶ Η[ ] τὰ χρήματα ἐνῆν Burk. : καὶ π[ρὸ]ς ἔφατο {σ᾿} ἐμοὶ σὰ τὰ χρήματα ἐνῆν VinTr, Dana 2004, Cecc. : γ᾿ ⌈ἐμοὶ τὰ σὰ⌉ Sant. Álv./Gard. Sant. : καὶ « π[ῶ]ς ‒ ἔφατο {σ᾿} ἐμοί; σὰ τὰ χρήματα 〈ὅσα〉 ἐνῆν » Br. : καὶ π[ρὸ]ς βλ[ῆς δόγμα (?) τὰ] χρήματα ἐνῆν Jajl. || ΣΕΝΟΙ plumb. || ἰὰν VinTr, Dana 2004, edd. : 〈ε〉ἰ ἂν Br. (et (ε)ἰ ὦν Br. 2011b, p. 107 n. 32) || 5–6 ἰὰν ἐπιθε|ίης διφθέρια π[ρὸς] Ἠρακλείδην καὶ Θαθαίην VinTr, Vin1998 (p. 169 n. 51) Dana 2004, Cecc. : π[αρ᾿] Br. || π[ρὸς] ⌈Ἠ⌉ρακλ⌈είδη⌉ν καὶ Ὀαθαίην Sant. Álv./Gard. Sant. || 6–7 σ|ΕΟΥΣΟΠΟ[ ]ΟΣ Burk. : σ|εο ΥΣ (= σὺ?) ὀπό[σα ---]ος· ἐκνοι VinTr : σ|έο ΥΣ ὀπό[σα? -ca. 4-]ος· ἐκνοι Dana 2004 : ἀφ᾿/δι᾿ ὁπόσ᾿ prop. Avram (SEG LIV 694) : σ|έο ὠς ὀπό[σ, ἀποδ]όσ⌈· κνοι⌉ Sant. Álv./Gard. Sant. : σ|έο ΥΣ ὀπό[σ, ἀποδ]σ· κνοι Cecc. : σ|εωυτ, πό[σος τῖμ]ος, ἐκνοι Br. : σ᾿| εὀ(θ)ὺς ὅπ [e.g. θέλεις δῶσιν, οἵ] γάρ φασιν Jajl. || 7–8 ἐκνοι γάρ φασιν, ὄ τι σὸν ἔχσιν ἀποδώ|[σσιν ---] ἐπτὰ καὶ εἴκοσιν στατῆρες Burk et Vin. 1997a, p. 15 n. 56 : ἔκοσιν) : ἐκνοι γάρ φασιν : ὄ τι σὸν ἔχσιν ἀποδώ|[σν] τὸ συλη[θὲν. ὄλ]ον ἐπτὰ καὶ εἴκοσιν στατῆρες VinTr [et ἀποδώ[σν] Vin1998 (p. 156)], Dana 2004, Cecc., Sant. Álv./Gard. Sant. (τὸ συλη[θέν, ὄλ]⌈ον⌉ Sant. Álv./ Gard. Sant.) : ἀποδώ|[σν] τοι vacat συλη[θὲν δ᾿ ὅσ]ον Br. : ἀπόδω|[σιν] τὸ : συλη[θέν σοι] Jajl. || 8–9 delineatio lamella || 9 ] ΛΗΣΕΣ plumb. magnis litteris Burk., VinFS : [ἂν? ἐπιτε]λήσς; περὶ VinTr : [Τὶ? θε]λήσς; Dana 2004, Cecc. : [τὶ θε]λήσς; Sant. Álv./Gard. Sant. : [ἆρ᾿ οὐ θε]λήσς; Br. (vel [οὐκ ἐθε]λήσς;) : [? ὡς θε]λ[ή]σς; Jajl. || Θυμώλεων Decourt || 9–10 περὶ τῶν οἰκιητέων Θυμώλεω | [ ] αὐτῶι μοι οὐκ οἶδα ἦν ἐ γένηται ἐ οὐ Burk : περὶ τῶν οἰκιητέων Θυμώλεω | [ὄντων? Εὀ]θυμίωι :
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αὐτῶι μοι οὐκ οἶδα ἢ 〈ἐν〉γένηται ε Vin1998 (p. 157) : περὶ τῶν οἰκιητέων Θυμώλεω | [--- Εὀ]θυμίωι (?) : αὐτῶι μοι οὐκ οἶδα ἦν γένηται ο[ὐ] VinTr : περὶ τῶν οἰκιητέων Θυμώλεω | [Εὀ]θυμίωι (?) : αὐτῶι μοι οὐκ οἶδα ἢν {ε} γένηται ε Dana 2004, Cecc. ([Εὀ/ὐ]⌈θυμίωι⌉ Sant. Álv./Gard. Sant.) || 10 [ἔγραψα Εὀ]θυμίωι Br. (ἐπέθηκα) || ΗΝΕΓΕΝΗΤΑΙΕΟ plumb., VinFS : ἢν {ε} γένηται ε Dana 2004, Sant. Álv./Gard. Sant., Br., Cecc. : ἢν ἓ γένηται ε Jajl. Inscriptio Ἀπατριος Λεάνακτι et praescriptum Λήνακτι Ἀπατριος Vin. 1997b (p. 236 n. 10), Vin1998 (p. 169 n. 50).
Fig. 77. Photo de la lamelle (verso).
Verso (adresse externe) : Ἀπατριος Λεάνακτι.
Fig. 78. Photo de l’adresse externe.
Fig. 79. Fac-similé de l’adresse externe.
À Lènax, de la part d’Apatorios. Je me suis fait saisir les biens par Hèrakleidès, fils d’Eothèris. Il est en ton pouvoir que je ne perde pas les biens. Car j’ai dit que les biens sont à toi et Ménôn a dit que tu lui as confié un message ainsi que les autres choses que tu lui as confiées ; et il a rajouté que les biens qui sont dans ma possession sont les tiens. Si tu fais parvenir les registres à Hèrakleidès et à Thathaiè, tes propres biens [seront recouvrés ? ---]. Car ces gens-là affirment qu’ils rendront ce qui est à toi, qui est en leur possession, (à savoir) les biens saisis, en tout vingt-sept statères. Qu’est-ce que tu voudras (faire) ? En ce qui concerne les esclaves domestiques de Thymôléôs [--- à Eo?]thymios : pour moi-même, je ne sais pas si cela se passera bien. (Adresse :) Apatorios à Léanax.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
L. 1 : adresse interne de la lettre, avec inversion : le nom du destinataire, puis celui de l’expéditeur. Les deux noms sont remarquables : Ἀπατριος (variante ionienne attendue), « nom massivement ionien » selon L. Robert143, et le beau nom Λεάναξ (Bechtel, Personennamen 279), de facture aristocratique144. || Il s’agit de la plus ancienne attestation du nom Ἀπατριος/Ἀπατούριος à Olbia, assez populaire dans cette cité, où il est connu par une dizaine d’occurrences : (1) SEG XLVIII 1012 (Ve s., -τ-) ; (2) defixio du Ve s. (I. dial. Olbia Pont 101 = DefOlb 14, l. 3, -τ-) ; (3) IOSPE I² 208 (Ve-IVe s., -τ-) ; (4) Vinogradov/Kryžickij 1995, Pl. 91.2 (IVe s.) ; (5) Notice anonyme, Zapiski Odesskogo obščestva istorii i drevnostej, 23, 1900, p. 19, n° 3 (IVe s., -τ-) ; (6) graffite du IIIe s. (SEG XXX 882) ; (7) defixio de la fin du IVe s.145 ; (8) SEG XXX 943 (IIIe s.) ; (9) IOSPE I² 76 = I. dial. Olbia Pont 88, l. 7 (ca. 230)146. Il convient aussi d’ajouter, la forme féminine Ἀπατρης (gén.), qu’il s’agisse d’une épiclèse d’Aphrodite ou d’un nom théophore féminin (graffite olbien de la seconde moitié du Ve s.)147. || Dans la métropole d’Olbia, Milet, est attesté un Λεάναξ Μολπαγόρεω, stéphanéphore en 492/491 (I. Milet III 122 col. I, l. 35). Dans le datif Λήνακτι, on note la contraction vocalique (η < εα) entre les deux radicaux, cf. le nom écrit Λῆναξ à Délos (IG XI.2 226 A, l. 15)148. Cette prononciation semble plus archaïque que celle qui est non-contracte. Pour la même contraction, notons le beau nom de femme Ἡγήνασσα, dans une dédicace du début du Ve s. à Artémis d’Éphèse sur un candélabre en bronze, provenant d’une cité pontique (Olbia, Nikonion ou Tyras)149. Dans la même famille, on connaît, toujours à Olbia, le beau nom [Ἀρ]χῆναξ (I. Olbia 103, dédicace sur une base de statue du VIe s.), présentant une contraction, et Ἀντιάναξ (defixio, seconde moitié du IVe s.)150. Le nom Léanax apparaît dans une autre lettre sur plomb d’Olbia, retrouvée dans l’agora (27, A, l. 7) ; la datation des deux lettres pourrait laisser entendre qu’il s’agit du même individu. || La mention des biens (τὰ χρήματα) est récurrente dans toute la lettre (ll. 1, 3 [deux fois], 5, 6). On retrouve ce terme générique dans la lettre sur « la caisse de la mère » d’Olbia (29, l. 2 : χρήμα[τα?]), tandis que le plomb commercial de Pech Maho (ca. 450–440, IG France 135, l. 11) utilise τὸ χρῆμα avec les sens d’argent, pour une opération commerciale assez compliquée ; cf. le sing. χρῆμα dans la nouvelle lettre sur plomb de Berezan’ (24, l. 7). R.-A. Santiago Álvarez et M. Gardeñes Santiago traduisent, de façon plus concrète, par « marchandise », sur la base d’un parallèle avec la cargaison mentionnée dans la lettre d’Achillodôros (25, l. 3). || σισύλημαι : Ju. Vinogradov a corrigé en σ〈ε〉σύλημαι, avec la réduplication attendue pour le parfait, mais il est préférable de ne pas émender le texte. Il s’agit peut-être d’une fermeture sporadique de e en i, comme il arrive pour la conjonction ἰάν dans le même texte (l. 5)151. Importante mention de la saisie, qui est dans cette lettre, comme dans la plus fameuse « lettre de Berezan’ » (25), la raison même du message écrit. Notons les premières occurrences dans le corpus du verbe συλάω (une autre l. 8 : τὸ συλη[θέν]), de la famille de συλᾶν, terme très productif dans le lexique juridique152. L. 1–2 : la psilose est évidente dans la séquence ὐπ᾿ Ἠρακ|λείδεω ; on note le génitif ionien attendu du thème masculin en -ης. Ce nom, des plus banals, est très bien attesté à Olbia (LGPN IV 154–155). Il apparaît dans ce corpus dans la lettre sur tesson *40 (l. 1, en graphie dorienne : Ἡρακλείδας), de Chersonèse Taurique plu143 Bechtel, Personennamen 523 ; Robert, OMS, V, p. 263 n. 3 ; cf. aussi Masson, OGS, II, p. 526 (« nom ionien typique »). Ἀπατούριος, qui est aussi le nom de l’expéditeur d’une lettre sur tesson, en dialecte ionien, découverte à Kerkinitis (38, l. 1 : -τ-), est bien attesté au nord de la mer Noire (LGPN IV 33) et en général en milieu ionien (LGPN V.A 40 et V.B 36). 144 Cf. Vinogradov 1983, p. 393 ; Vinogradov 1989, p. 75–76. 145 Tohtas’ev 2000a, p. 299–308, n° 2, ll. 1 et 5 (= SEG L 702, II = Jordan 2000b, n° 119 = DefOlb 16). 146 Tohtas’ev 2000a, p. 302–303 ; LGPN IV 33. 147 Tolstoj, Graff. 78 = I. dial. Olbia Pont 75 ; en dernier lieu, le comm. de Tokhtasev 2010, p. 104–105, n° 3 (photo p. 104, fig. 1). 148 Masson, OGS, III, p. 16 ; pour les composés en Λᾱο-, voir Masson, OGS, III, p. 74–75. Le nom est accentué Λεᾶναξ dans le LGPN I 284 (Samos, Thasos). Sur ce nom et ses occurrences, voir L. Dubois, I. dial. Grande Grèce, I, 1995, p. 160, qui note les contractions Λᾶναξ en Crète et Λεῶναξ à Chios (et aussi à Milet et à Rhodes) ; Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2006, p. 61 ; Bravo 2011a, p. 74–75 ; Ginestí Rosell 2012, p. 254. 149 Voir Tokhtasev 2010, p. 105–106 (ph. et dessin p. 106, fig. 5–6). Le candélabre fut trouvé dans un trésor enfoui dans la seconde moitié du IVe s. à Olăneşti (République de Moldavie), à une vingtaine de km de l’embouchure du Tyras et de la cité pontique homonyme. Ce nom apparaît sous la forme contracte Ἡγήνασα dans une defixio du IVe s. d’Apollonia du Pont (Sharankov 2016, p. 299 ; N. Sharankov, dans Baralis/Panayotova/Nedev 2019, p. 298–299, cat. 346). 150 Tohtas’ev 2000a, p. 299–308, n° 2, l. 3 (= SEG L 702, II = Jordan 2000b, n° 119 = DefOlb 16). 151 Pour ce phénomène, voir Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 5, p. 185 ; dans notre corpus, voir aussi le document 29, l. 5 (ἰ pour εἰ). 152 Sur la saisie, voir la lettre 25 et, dans la Synthèse historique, p. 388–391.
26. Lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax (Olbia du Pont)
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tôt que de Nikonion, et dans la lettre sur plomb de Patrasys (48, l. 4 : κἀρακλείδην). || Dans le patronyme τ Εὀθήριος, il faut signaler d’autres ionismes : ο pour noter le o long fermé ου dans la désinence ; l’ouverture du deuxième élément de la diphtongue ευ en εο, comme pour l’adverbe ε (l. 10) ; le génitif en -ιος d’un nom en -ις (cf. Πόσιος, I. dial. Olbia Pont 33)153. Le nom nouveau Εὄθηρις (cf. le nom connu Εὔθηρος, Bechtel, Personennamen 171) doit être ajouté aux noms en Εὐ- et en -θηρος (Bechtel, Personennamen 209–210)154. || L’expression κατὰ δύναμιν τὴν σήν doit être prise à la lettre : il est effectivement dans le pouvoir de Léanax d’arranger les choses. Ce terme indique dans le cas présent le pouvoir efficace et ferme, et non une formule de courtoisie155. L. 2–3 : dans la construction μὴ ἀπολέ|σω τὰ χρήματα, l’utilisation de la conjonction μή n’est pas habituelle avec le futur, la conjonction attendue étant οὐκ. On y lit plutôt un subj. aor., à caractère volontaire, de dissuasion ou d’avertissement à Léanax, qui a la possibilité d’empêcher la perte des biens. Cela nous permet alors de comprendre l’expression κατὰ δύναμιν τὴν σήν comme une manière d’exhorter Léanax de s’impliquer activement dans la récupération des biens, et de traduire la proposition introduite par μή comme une finale156. L. 3 : ναι, forme ionienne du verbe εἶναι, où e note la fausse diphtongue ei, en réalité le e long fermé, résultat de l’allongement compensatoire ; on la retrouve à plusieurs reprises dans la « lettre de Berezan’ » (25, ll. 5, 7, 8) et dans une autre lettre de Berezan’, plus ancienne (23, l. 2–3). L. 3–4 : Μένων, nom fréquent, même s’il n’était attesté que deux fois à Olbia du Pont (LGPN IV 231–232). L. 4 : on remarque la notation ionienne dans le verbe ἐπιθναι de la fausse diphtongue ei, en réalité la voyelle longue résultat d’une contraction. || Dans ἐωυτῶι on reconnaît la forme typiquement ionienne, ici au datif sg., du pronom ἐωυτοῦ (< ἕο αὐτοῦ)157, rencontrée deux fois dans la lettre d’Achillodôros (25, ll. 7 et 8)158 et dans le billet sur plomb de Phanagoria concernant l’esclave Phaullès (49, l. 4). || crase τἄ〈λ〉λα : la confusion est fréquente entre alpha et lambda (ΤΑΑΛΑ), qu’il convient de corriger ; on peut voir que le rédacteur a rajouté par erreur une barre horizontale à un lambda. || B. Bravo avait restitué, sur la base du fac-similé, « π[ῶ]ς ‒ ἔφατο {σ᾿} ἐμοί; σὰ τὰ χρήματα 〈ὅσα〉 ἐνῆν ». Or, en regardant les photos, dans la lacune du premier mot il y a de la place pour deux lettres ; il convient donc de garder la restitution π[ρός] de Vinogradov, que j’émende en π[ρό]ς. La séquence καὶ πρός, où le dernier est un adverbe, est à traduire par « et en outre » (cf. Hérodote 7.154 et 184), d’où le sens « rajouter ». L. 4–5 : R.-A. Santiago Álvarez et M. Gardeñes Santiago ont donné au verbe ἐπιτίθημι (qui apparaît trois fois aux ll. 4–6, sous diverses formes), construit avec le préfixe ἐπι- (« mettre sur », « mettre à la charge de quelqu’un »), le sens concret de « confier à quelqu’un des objets ». Selon leur interprétation, Ménôn est la personne à laquelle le propriétaire des marchandises, Léanax, a délégué le contrôle des divers agents commerciaux, une sorte de superviseur qui distribue les marchandises aux agents ; c’est la raison pour laquelle Apatorios fait appel à lui. Par conséquent, Ménôn affirme que Léanax lui a confié à la fois des biens lui appartenant qui ont fait l’objet de la saisie et d’autres marchandises qui vraisemblablement n’ont pas fait l’objet de la saisie car mentionnées à part (τἄ〈λ〉λα ὄσα). Les biens saisis, confiés initialement par Léanax à Ménôn mais destinés sans doute à la redistribution par Apatorios (ce qui explique pourquoi c’est Apatorios qui écrit), appartiennent donc à Léanax. B. Bravo donne en revanche au verbe ἐπιτίθημι le sens qui apparaît chez Hérodote et Thucydide, celui d’envoyer un message (dans le cas d’Alcée, sous la forme d’un poème) ou donner une réponse (ἀντεπιτίθημι)159. C’est cette seconde hypothèse que je retiens, en me demandant comment Léanax a pu faire Thumb/Scherer 1959², vol. II, p. 272, § 312.5 ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 12, p. 189. Le grammairien Choiroboskos (VIIIe-IXe s. ap. J.-C.), en commentant les canons flexionnels de Théodose d’Alexandrie (Ve s. ap. J.-C.), donne, pour le septième canon (Κανὼν ζʹ. ̔Ο Πάρις τοῦ Πάριδος), plusieurs règles, y compris selon le dialecte ionien : Ἔστιν οὖν εἰπεῖν, ὅτι ἐπειδὴ ταῦτα τὰ εἰς ις κατὰ κοινὴν διάλεκτον κλίνονται, ὡς ἐπὶ τοῦ Πάρις Πάριδος, ἢ κατὰ Ἴωνας, ὡς ἐπὶ τοῦ Πάρις Πάριος (p. 197 Hilgard). 154 En revanche, le dérivé Εὐθήριος/Eutherius est tardif. 155 Les usages plus tardifs essaient d’atténuer la rudesse de l’impératif ; voir Steen 1938, p. 126 (ἐὰν δύνῃ, εἰ δύνατόν ἐστιν, εἰ ἐκποιεῖ). Ce n’est que dans la lettre sur plomb de Toronè qu’apparaît l’expression εἰ ἐν δυνατῶι ἐστιν (14, l. 3). 156 Je remercie vivement pour cette suggestion Igor Makarov (Moscou). 157 La contraction s’est produite premièrement au datif sg. : ἑο(ι) αὐτωι > ion. ἐωυτῶι, cf. Bondesson 1936, p. 68. 158 Thumb/Scherer 1959², vol. II, p. 277, § 312.13. 159 Hérodote 3.42.4 ; Hérodote 5.95.2 (poème envoyé par Alcée à Mytilène afin d’informer de ses mésaventures son ami Mélanippos) ; Thucydide 1.129.1 (« Xerxès confia pour Pausanias une réponse ») ; cf. aussi Flavius Josèphe, AJ 17.83. Voir Bravo 2011a, 153
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
parvenir un message à Ménôn. Il est possible en effet que Léanax ait déjà envoyé une lettre, ou ait fait communiquer par quelqu’un, ami ou associé, au sujet des marchandises en question dont Apatorios n’était pas propriétaire. On peut conclure que, par la formule καὶ π[ρὸ]ς ἔφατο, Ménôn renforçait le témoignage d’Apatorios : « j’ai dit … puis il a dit également ». L. 5 : j’ai corrigé en ἐ〈μ〉οί la séquence qui sur le plomb apparaît comme ΕΝΟΙ, car il est évident qu’il s’agit d’une erreur dans la gravure du pronom personnel Ière pers. sg. || ἰάν, à la place de ἐάν : dans ma première édition, j’avais remarqué que la forme ἰάν de la conjonction hypothétique (att. ἐάν) est une particule authentique de l’ionien occidental et de l’eubéen colonial d’Occident160 ; cependant, dans ce texte d’Olbia du Pont, il ne pouvait être question que d’une fermeture sporadique de e en i (cf. I. dial. Olbia Pont 87, Ve s. : Κλεαίνιτός μι ἀνέθηκεν)161. On retrouve ce phénomène dans une « reconnaissance de dette » inscrite sur la lèvre d’une coupe attique à vernis noir, à Panticapée (ca. 550–475) : Ἰπικράτης : ἀναιρῖται : στατῆ|ρας : πεντήκοντα (SEG LXI 655)162. Il est, en effet, extrêmement improbable que l’on rencontre ce phonétisme eubéen dans une colonie milésienne163. Pour B. Bravo, qui lit à cet endroit 〈ε〉ἰ ἄν, la graphie ι pour la conjonction εἰ serait l’indice d’une façon particulière de prononcer la diphtongue, qu’on remarque selon sa relecture dans la graphie αἰί pour αἰ〈ε〉>ί, sur une tablette d’os olbienne datant du milieu du VIe s. (lecture qui est très problématique, voire improbable)164. Si l’utilisation de ἐάν avec l’optatif est surprenante (ll. 5–6, ἰὰν ἐπιθε|ίης), comme je l’avais noté lors de ma première édition, la proposition de B. Bravo d’y voir une interrogative indirecte dépendante d’une supposée formule de politesse employée par Apatorios dans son message à Léanax, « je souhaite te demander si », reste toute aussi incertaine. En effet, dans l’exemple donné par B. Bravo à titre de parallèle, ἠρώτων εἰ δοῖεν ἂν τούτων τὰ πιστά (Xénophon, Anab. 4.8.7), la particule ἄν est placée après le verbe pour marquer le style indirect (« ils demandaient s’il avait donné des gages ») ; dans la période conditionnelle, à la préposition εἰ dans la protase fait pendant la particule ἄν dans l’apodose. Cette interprétation permet à B. Bravo d’avancer l’hypothèse, comme on le verra plus loin, que la requête d’Apatorios cache en réalité l’intention de celui-ci de récupérer ses biens grâce au faux témoignage de Léanax. L. 6 : au début de la ligne, le scribe a commencé par tracer un epsilon, dont on aperçoit mieux la haste horizontale médiane, alors que la haste supérieure est faiblement tracée et la haste inférieure très courte. Puis, en se rendant compte qu’il fallait en réalité noter un iota, il a abandonné l’epsilon en appuyant seulement sur la haste verticale afin de bien attirer l’attention sur celle-ci, qui faisait office de iota. Du fait notamment du départ erroné dans la gravure de la terminaison, on peut éventuellement penser qu’il a hésité entre un optatif et un subjonctif. || Attestation particulièrement importante des διφθέρια, pluriel du neutre διφθέριον, diminutif dérivé de διφθέρα, « peau ». Si dans la lettre de Mnèsiergos, le mot διφθέρα signifie « peau de chèvre » (6, l. 6)165, dans le cas présent il s’agit d’un usage métonymique pour un support d’écriture, expliqué par Hérodote (5.58)166 (voir p. 359–361). Notre lettre apporte la première attestation de ce mot. B. Bravo estime qu’il s’agit d’une lettre, le mot étant analogue à βυβλίον qui peut désigner une lettre sur papyrus. Le pluriel est pourtant problématique, car il est difficile d’imaginer à cette époque une lettre qui aurait nécessité plusieurs « piccoli fogli incollati insieme ». Pour justifier son emploi, Bravo avance l’hypothèse qu’il s’agit d’une influence du mot γράμματα avec le sens de « lettre »167. Or, si la collection des signes formant les mots puis la lettre se justifie, pour l’écrire une seule feuille aurait suffi. Dans le contexte de notre lettre, le terme διφθέρια ne peut signifier que « collection de feuillets », d’où « registres ». Je reste en outre persuadée que si Apatorios avait souhaité que
p. 76–77. Johnston, Suppl–LSAG², p. 429–430, remarque la présence dans les lettres sur plomb des verbes pour « envoyer » : ἐπιστέλλω, ἐπιτίθημι, ἱάλλω. 160 Voir la discussion chez L. Dubois, I. dial. Sicile, I, 1989, p. 16–17, n° 15. 161 Voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 5, p. 185. 162 Voir Tohtas’ev 2011, p. 675–676. Pour la bibliographie, voir le comm. à la fin de la lettre 48. 163 Dans deux autres lettres de la même région, la conjonction est normalement écrite, ἐάν : lettre de l’agora olbienne (27, face A, l. 7) ; et la lettre trouvée au Mont Živahov (22, l. 4). 164 Bravo 2011b, p. 106–107. Cf. aussi Bravo 2011a, p. 78. 165 Pour les différents emplois de διφθέρα et ses dérivés, voir LSJ (et LSJ Suppl.). 166 Voir le comm. de Nenci 1994, p. 242–243. 167 Bravo 2011a, p. 78.
26. Lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax (Olbia du Pont)
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Léanax envoyât une lettre, il l’aurait appelé μολύβδιον168, s’il s’agissait d’un plomb, ou il aurait employé le verbe ἐπιστέλλω, plus courant pour évoquer la correspondance (cf. la lettre d’Achillodôros, 25, ll. 1 et 11). Selon B. Bravo, qui propose une interprétation sociologique, il aurait été exclu que Léanax, un homme vraisemblablement riche, ait pu utiliser un matériau aussi humble comme le plomb169. En ce qui me concerne, il me semble qu’il faut voir dans l’emploi du plomb l’indice d’une pratique répandue dans le milieu marchand (entre autres) et non pas d’un élément de classification sociale, tout comme l’écriture n’est pas l’apanage des seuls riches. Le sens d’« archives » est accepté et adopté dans leur commentaire par Santiago Álvarez et Gardeñes Santiago, qui suggèrent que dans le registre devait être inscrit le lot distribué à chaque agent, dont Apatorios170. Je conclue qu’Apatorios demande à Léanax de montrer une relation écrite entre la marchandise et son propriétaire, peutêtre une attestation de la façon dont la marchandise était entrée en possession de Léanax. Par conséquent, ces registres devaient correspondre à des registres d’achat/vente ou à des registres de dettes ou, plus généralement, de comptes. || Le nom à l’accusatif Θαθαίην doit être un nom féminin, *Θαθαίη171, en graphie ionienne, et non un nom masculin *Θαθαίης172. En dépit de son apparence barbare, il s’agit vraisemblablement d’un nom grec, construit sur le Lallname *Thatha : il faut prendre en compte un nom féminin similaire attesté à Cumes, dans un graffite sinistroverse vers 650, Ταταίη173. L’aspiration peut être expressive. Si le nom est bien à comprendre comme Thathaiè, cette dame doit être selon toute vraisemblance la femme d’Hèrakleidès174. R.-A. Santiago Álvarez et M. Gardeñes Santiago sont d’accord avec cette dernière hypothèse, mais lisent *Οαθαιη, et supposent qu’il s’agit d’un nom non grec, peut-être iranien, apparenté au nom Οαριζας175. Pour ces deux auteurs, qui y voient l’expression d’un mariage mixte, la femme d’Hèrakleidès devait appartenir à une importante famille locale de marchands, raison pour laquelle elle participe au trafic de son mari ; c’était peut-être déjà le cas de la femme d’Anaxagorès, patron d’Achillodôros, et même de la femme d’Achillodôros qui se trouvait avec ses enfants dans la région des Arbinatai, communauté indigène non loin de la « cité »176. Concernant les femmes d’Anaxagorès et d’Achillodôros, rien ne permet d’avancer une telle hypothèse, leurs époux portant tous les deux des noms grecs. Pour ce qui est de la femme d’Hèrakleidès, entre le nom supposé *Οαθαιη et Οαριζας le parallèle est tout sauf évident. La nouvelle lecture sur les photos permet d’écarter le doute et met fin à la spéculation, car l’on y aperçoit, en dépit du fait que la partie centrale n’est pas bien conservée, le point du premier thêta. || Traces d’une écriture antérieure qui ressemble à un palimpseste (ou correction ?) à la fin de la l. 6 : on aperçoit ΟΟΕΣ+[.]+, en-dessous de la séquence AΧΡΗΜΑ. L. 6–7 : dans ma première édition, où je donne à cet endroit τὰ χρήματα σ|έο ΥΣ ὀπό[σα? -ca. 4-]ος, je supposais dans la lacune la présence d’un verbe. À présent, grâce aux photos, on voit que le sigma à la fin de la l. 6, que j’avais supposé comme étant le début du pronom de la IIe pers. sg. au génitif σέο, sous une forme ionienne, est en réalité la première lettre du pronom similaire σ|εωυτ. Quant à la lacune, Santiago Álvarez et Gardeñes Santiago proposent la restitution σ|έο ὠς ὀπό[σ, ἀποδ]όσ⌈· κνοι⌉, y voyant un génitif de prix (« e a cuánto asciende su valor estimado »), sur la base d’un parallèle avec la lettre d’Emporion mentionnant Basped[–] (67, l. 12 : ὀκόσ). Le verbe pourrait être la IIIe pers. sg. du futur indicatif d’ἀποδίδωμι, avec la graphie ionienne Sur ce terme, « petit plomb », utilisé en raison de l’absence d’un terme spécifique pour la lettre (dans la « lettre de Berezan’ » [25], adresse externe, et chez Pausanias 9.31.4 (μόλυβδον, pour les Travaux d’Hésiode), mais aussi pour les comptes du temple de Némésis à Rhamnonte (SEG XXXVIII 13, l. 4), voir Ceccarelli 2013, p. 16. 169 Bravo 2011a, p. 79 ; cf. aussi Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 228. 170 Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2006, p. 65. 171 Accepté comme nom féminin et sous la graphie Thathaiè par Eidinow/Taylor 2010, p. 37 n. 34 ; Bravo 2011a, p. 75–76. 172 C’est ainsi qu’il a été compris par Wilson 1997–1998, p. 38–40, et par A. Chaniotis (SEG XLVII 694, comm.), suivis par Ceccarelli 2013, p. 338 (un associé). 173 IG XIV 865 = I. dial. Grande Grèce I 12 = Arena, Iscrizioni III 16 : Ταταίς μὶ λϙυθος (LSAG², p. 238, n° 3). Comme le remarque L. Dubois (I. dial. Grande Grèce, I, 1995, p. 41–42), Ταταίη est la forme ionienne du nom fém. Ταταία que l’on rencontre à Dyrrhachion en Illyrie (I. Epidamne 396 : Ταταία Γρανία), mais il s’agit peut-être d’un nom illyrien, cf., dans le même corpus, I. Epidamne 391–395 (Τατα) et 398 (Τατώ) ; cf. aussi, en Attique, un graffite vers 650–625 (Agora XXI, F 4 : α Ταταίας), et un nom masc. au gén. sur une marque de propriété étrusque à Suessula : numes tataiies mi (TLE 332). Voir aussi Tohtas’ev 1993, p. 566 n. 3. 174 Selon l’avis de Vinogradov 1998, p. 169 n. 51. 175 Voir Masson, OGS, III, p. 361 (graffite sur une monnaie lagide), cf. le patronyme d’un Perse chez Hérodote 7.71 (gén. Ὀαρίζου). 176 Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2006, p. 61 et 65 ; Oller Guzmán 2013a, p. 85 ; Oller Guzmán 2015, p. 62. 168
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
attendue, auquel il faut attribuer l’epsilon noté après le sigma et lire par conséquent κνοι à la place d’ἐκνοι. B. Bravo lit lui-aussi, au début de la ligne 7, le pronom ionien au génitif (la bonne solution), mais préfère restituer σ|εωυτ, πό[σος τῖμ]ος. En ce qui me concerne, il me semble en effet qu’il faut attendre dans la lacune un verbe au futur, peut-être ἀποδόσ si l’on prend en considération la présence de ce même verbe à la ligne suivante, et qu’après il convient par conséquent de lire κνοι. Le sujet du verbe ἀποδόσ est sans doute Hèrakleidès, qui, si Léanax lui fait parvenir les registres, sera disposé à restituer les biens à Apatorios. L. 7 : on note les graphies anciennes κνοι pour κεῖνοι (ei contracte noté par e) et ἔχσιν (où o note le o long fermé, résultat d’un allongement compensatoire) ; κεῖνος est la forme ionienne du pronom démonstratif ἐκεῖνος177. L. 7–8 : la seule restitution conforme aux trois lettres qui manquent au début de la l. 8 est ἀποδώ|[σν], qui correspond à l’infinitif futur de ἀποδίδωμι. L. 8 : τὸ συλη[θέν], restitué par Vinogradov, est une forme de participe aor. passif du verbe συλᾶν qui apparaît à la l. 1. || On note la fixation du ny final pour le numéral εἴκοσιν, qui n’est pas un ny ephelkystikon (puisqu’il n’est pas suivi d’une voyelle), mais bien une forme ionienne archaïque, attestée aussi à Didymes (I. Didyma 16, l. 8, époque archaïque), ainsi qu’à Athènes, à l’époque classique178. || Mention importante d’une somme exacte, de 27 statères, cf. une autre mention monétaire, sans doute des « Cyzicènes »179, dans la lettre olbienne sur la « caisse de la mère » (29, ll. 4–5 : πέντε [στατῆρες? (καὶ) –] | ἕκτας) ; dans la lettre de Patrasys (48), la mention d’un demi-statère et d’autres sous-divisions ; les statères sont également mentionnés à Nikonion (20, ll. 4–5) et à Lattara (60, A, ll. 4 et 8) ; un demi-statère, à une époque plus tardive, apparaît dans la lettre sur tesson de Nikonion (21, l. 9). || À la fin de la l. 8, traces d’un palimpseste : en-dessous de la séquence ΝΣΤΑ de στατῆρες, on aperçoit +ΕΤΑ. Il ne s’agit pas d’erreurs que le scribe a essayé de corriger, mais sans doute d’un remploi d’une lamelle où le texte antérieur n’a pas été complètement effacé. Par ailleurs, entre les l. 9 et 10, avant les derniers mots (l. 9 : avant Θυμώλεω), on voit bien les traces d’un grattage. Un sigma isolé à moitié effacé apparaît également en-dessous du gamma du mot γένηται. L. 9 : la séquence [---]λήσς indique un verbe au futur, à la IIe pers. sg. La vraie diphtongue ei de la désinence, notée par le simple epsilon, montre la tendance à la monophtongaison. Vinogradov avait restitué [ἂν? ἐπιτε]λήσς, forme dialectale du futur. Plusieurs verbes au futur peuvent être restitués, ainsi ἐθελήσς ou θελήσς. Pour ma part, pour des raisons d’espace, j’estime pouvoir compléter [τὶ? θε]λήσς; (« qu’est-ce que tu voudras (faire) ? »), à savoir une question finale adressée à Léanax. Le fait qu’elle soit écrite avec des lettres visiblement plus grandes que le reste du message rend compte de l’angoisse d’Apatorios. Ce même verbe apparaît dans deux autres documents sur plomb du nord du Pont-Euxin : θέλοιμι dans une lettre de Berezan’ (23, l. 2) et θέλομεν dans le billet de Phanagoria (49, l. 5). || Dans περὶ τῶν οἰκιητέων : Θυμώλεω, il convient de noter la forme ionienne οἰκιήτης pour οἰκέτης, cf. πολιήτης pour πολίτης (I. dial. Olbia Pont 5, l. 6, vers 440 ; forme attestée dans l’Iliade 2.806 et chez Hérodote180), ainsi que la non-contraction vocalique au gén. pl., trace d’archaïsme. Dans le message plus tardif sur tesson d’Olbia de Provence (58, IIe s.), l’expéditeur signale une Voir Bechtel, GD, III, p. 168. Ce pronom apparaît dans les lettres sur plomb de Ruscino (65, A, l. 7) et d’Emporion (68, l. 9, mais il existe deux possibilités de lecture). 178 Threatte, Grammar, II, p. 423–424. 179 Pour les statères à cette époque, voir l’important recueil de van Effenterre – Ruzé, Nomina, I-II ; IG I3 (index, p. 1036) ; Stumpf 1999. Il s’agit, très vraisemblablement, de statères de Cyzique, la monnaie toute-puissante dans le Pont-Euxin, aux VIe– IVe s. Pour la répartition des Cyzicènes, où le Pont détient une place importante, voir Touratsoglou 1999, p. 353. L’article de Schönert-Geiss 1971 faisait état de 82 Cyzicènes, dont 73 découverts à Orlovka (région d’Odessa), le plus ancien électrostatère datant de la seconde moitié du VIe s. ; cf. aussi Vinogradov 1997a, p. 83–84, qui signale le plus ancien trésor monétaire de cette région, à Berezan’, datant du dernier tiers du VIIe s. ou du début du VIe s. Un graffite commercial olbien de la première moitié du VIe s. (I. dial. Olbia Pont 6) comporte la mention des unités monétaires typiquement lydo-ioniennes, comme hektè et hèmihekton (soit des mesures de capacité, soit des sommes d’argent versées). 180 Voir Bechtel, GD, III, p. 122. Mention chez Eustathe de Thessalonique, Comm. Hom. Il. 4.248 (I, p. 742) : καὶ γὰρ καὶ Ὅμηρος τὸν πολίτην πολιήτην φησίν, ὅπερ Ἰωνικὸν εἶναι δοκεῖ κατὰ τὸ Μασσαλιήτης, Ἀπολλωνιήτης, οἰκιήτης, ἃ κεῖνται παρὰ τῷ Ἡρωδιανῷ. Δύναται δὲ ἐκεῖνο καὶ ἀπὸ τοῦ πολιὰ γενέσθαι τροπῇ τοῦ α εἰς η ; cf. aussi Hésychios d’Alexandrie, s. v. οἰκιήτης (O 252)· ὠνητὸς δοῦλος. Sur les monnaies, cf. des formes dialectales à Massalia (Chevillon/Lillamand 2017, p. 141–149 : MAΣΣAΛIHΩTEΩN, une forme « savante ») et Apollonia du Pont (SGDI 5541, ΑΠΟΛΛΩΝΙΗΤΕΩΝ ΕΝ ΠΟΝΤΩ, à l’époque impériale, comme tradition recherchée, signe d’un hommage au passé ionien) ; et, pour une autre Apollonia, le gén. pl. non 177
26. Lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax (Olbia du Pont)
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lettre qu’il enverra au sujet des esclaves, ἀποστελῶ σοι | ἐπιστολὴν | περὶ τῶν | σωματίων. || Θυμώλεω : génitif ionien du nom nouveau Θυμώλεως, beau composé héroïque que l’on pourrait traduire comme « Celui qui a un peuple plein d’ardeur »181. Il doit être ajouté aux noms en Θυμο- (de θυμός, tels Θυμο-κλῆς, Θυμο-κράτης, Θυμο-τέλης, Θυμο-χάρης, etc.)182 et en -λεως183. Un autre nom hapax d’Olbia, Θυσίλεως, présente ce second membre184. Le premier élément de Θυμώλεως a curieusement été écrit avec un ômega, faute d’orthographe ou allongement inexpliqué de la voyelle finale du premier membre, car on attendrait *Θυμόλεως. || La restitution la plus vraisemblable semble [Εὀ?]θυμίωι, avec l’ouverture du second élément de la diphtongue ευ comme on le voit à la l. 10 ; un autre candidat serait [Προ]θυμίωι, l’un ou l’autre des deux noms étant attestés pour la première fois au nord de la mer Noire. Notons que le féminin Εὐθυμίη apparaît sur un graffite de Nymphaion du début du Ve s.185. Dans les deux cas il s’agit d’un anthroponyme comportant l’élément onomastique θυμός, le même que pour le nom précédent, Θυμώλεως, sans que l’on puisse établir un quelconque degré de parenté entre ces deux personnes. L. 10 : la restitution de Vinogradov, [ὄντων? Εὀ]θυμίωι est possible mais non assurée. || On peut comprendre αὐτῶι μοι comme un datif d’intérêt, indiquant le point de vue de la personne intéressée à l’action. || ἤν < ἐάν, cf. aussi la lettre de la Pnyx (5, l. 4), la lettre d’Artikôn (30, A, l. 2 ; B, l. 1) et la lettre d’Emporion mentionnant Atielar (68, l. 5 : ἤν τις). Si l’on se demande pourquoi le même texte présente une forme contracte (ἤν) et une autre non-contracte (ἰάν), la réponse peut être fournie par le même flottement que pour les deux formes du nom du destinataire : Λεάνακτι, respectivement Λήνακτι. || Pour l’intelligence du texte, il convient de supprimer l’epsilon devant γένηται. Une explication serait que l’auteur avait l’intention d’écrire ε γένηται, comme d’ordinaire186, puis, après avoir tracé l’epsilon, il a changé d’avis et a inversé l’ordre, sans doute pour insister sur l’adverbe. On peut comprendre de la même façon la séquence {σ᾿} ἐ〈μ〉οὶ σά (l. 5). || ε représente la graphie ionienne de l’adverbe, avec l’ouverture du second élément de la diphtongue eu ; on retrouve la même graphie dans la lettre pontique concernant un certain Prôtagorès (22, l. 3 : ἀνεσκεάκ᾿ ε). La lettre s’achève apparemment sans aucune formula valedicendi, à l’instar de la plupart des lettres d’époque archaïque et classique. Adresse externe La lettre comporte une adresse externe, avec la différence, par rapport à l’adresse interne, que le nom de l’expéditeur, au nominatif, est inscrit en premier, suivi de celui du destinataire, au datif. || Une autre différence est la forme non-contracte du datif, Λεάνακτι. Commentaire : Cette lettre privée, à caractère commercial, concerne les difficultés éprouvées par Apatorios, vraisemblablement une sorte de représentant commercial de Léanax dans le territoire (selon la thèse convaincante de J.-P. Wilson), qui s’est vu dépouiller de sa marchandise (χρήματα) par un certain Hèrakleidès, fils d’Eothèris. Cependant, Apatorios reste confiant et espère que Léanax pourrait l’aider à les récupérer. Un autre personnage, du nom de Ménôn, devait être lui-aussi un représentant de Léanax (voire le responsable des agents,
contracte Ἀπολλωνιητέων dans le fameux règlement de Vetren, au milieu du IVe s. (IGBulg V 5557 ter = SEG XLIII 486 = XLVII 1101 = XLIX 911, l. 32). 181 Bravo 2011a, p. 80–81, réfute la signification du nom sous le prétexte qu’un tel nom héroïque ne pouvait pas être porté par un membre de l’élite d’Olbia ou d’une toute autre cité d’époque archaïque. Il y voit un nom composé hybride, dont le premier élément vient d’un nom et le second d’un autre nom ; ou bien une forme abrégée (?) de θυμολέων (« cœur de lion »). L’ômega pourrait être dû, si ce n’est pas une erreur du scribe, à l’influence des mots terminés en -ώλεης. J’avoue ne pas être convaincue par ces arguments, qui n’ont aucune base onomastique. Contre l’interprétation en clé sociologique des noms, il est toujours nécessaire de rappeler les réserves de la bonne école (L. Robert, O. Masson, L. Dubois), car on peut trouver des noms « aristocratiques » dans toutes les couches sociales, et au contraire, parmi les élites, des noms banals, voire des sobriquets dérisoires. 182 Bechtel, Personennamen 213. Pour l’usage anthroponymique du terme polysémique θυμός (« souffle, vie, volonté, cœur, ardeur, courage, colère »), voir Kanavou 2013, p. 173–174. 183 Bechtel, Personennamen 279. 184 Bechtel, Personennamen 282. 185 Bechtel 1887, p. 82, n° 125 (= Tolstoj, Graff. 108). 186 Cf. Xénophon, Anab. 1.7.5 (ἂν δὲ εὖ γένηταί τι) et 1.7.7 (ἂν εὖ γένηται), impliquant l’idée de réussite.
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selon R.-A. Santiago Álvarez et M. Gardeñes Santiago), car il répète à Hèrakleidès les instructions données par Léanax et confirme que les biens appartenaient réellement à ce dernier. On peut comprendre l’affaire de la manière suivante : Apatorios ayant des affaires à régler avec Hèrakleidès, ce dernier a saisi les biens qu’il considérait comme étant la propriété d’Apatorios, alors que ceux-ci appartenaient en réalité à Léanax. Selon E. Harris, Apatorios ne serait pas l’agent de Léanax, mais seulement le transporteur des biens que Léanax avait confiés à Ménôn. Toutefois, s’il n’est nulle part indiqué qu’Apatorios avait le pouvoir d’entrer dans une relation légale avec une tierce partie ‒ ce qui crée des droits et des obligations pour Léanax et ce qui aurait fait d’Apatorios son agent ‒ on doit prendre en compte que nous sommes devant un document privé, envoyé il est vrai dans le cadre d’une affaire commerciale et juridique mais sans valeur de contrat. La mention de la relation précise qui unissait les deux hommes n’est ni attendue ni nécessaire, alors que la relation en soi est prouvée par le fait même qu’Apatorios sollicite les registres commerciaux attestant de la propriété des biens187 (voir p. 391). Il s’agit, par conséquent, d’un nouveau cas de confiscation de biens, συλᾶν (cf. le verbe utilisé à la première ligne, σισύλημαι), comme c’est le cas pour la lettre d’Achillodôros à son fils et à Anaxagorès (25). La situation d’Achillodôros était certes plus difficile car non seulement ses biens ont été confisqués, mais aussi la personne même d’Achillodôros, que Matasys considérait, à tort ou à juste titre, comme étant esclave d’Anaxagorès (25). C’est la raison pour laquelle la tonalité de la lettre d’Apatorios est moins désespérée que celle d’Achillodôros, tout en montrant une certaine urgence qui se lit dans la question adressée à Léanax, gravée avec des lettres plus grandes que le reste du texte (l. 9). Qui plus est, cet aspect de la justice privée n’est pas si brutal comme pour Achillodôros et Matasys, puisque l’affaire semble pouvoir être réglée par l’envoi des comptes écrits (διφθέρια). En effet, après qu’Apatorios et Menôn (qui avait reçu des instructions de la part de Léanax), avaient affirmé en vain que les biens appartenaient à Léanax, Apatorios estime que, si Léanax fournissait à Hèrakleidès et à Thathaiè (vraisemblablement l’épouse de ce dernier) les registres attestant qu’il en était le propriétaire, ses biens seraient sauvés. Les biens saisis pouvaient être du poisson salé, du bois, des bêtes, divers produits agricoles, tissus et fourrures, vases, outils, esclaves, souvent mentionnés dans les autres lettres privées. Le montant des biens saisis (τὸ συλη[θέν?] à Léanax par Hèrakleidès et Thathaiè s’élève à 27 statères. Plutôt que d’unités de mesure pondérale188, il s’agit de valeurs monétaires, comme c’est le cas des lettres de Nikonion (20), de « la caisse de la mère » (29), de Patrasys (48) et d’un des documents sur plomb de Lattara (60). Dans notre cas il ne peut être question que des célèbres statères d’électrum de Cyzique, qui aux VIe–IVe s. étaient les monnaies les plus courantes dans le Pont-Euxin ; en effet, Olbia n’aura ses propres statères (en argent) qu’à partir du milieu du Ve s.189 (voir p. 205 et 207–208). Selon B. Bravo, Apatorios serait le vrai propriétaire des marchandises séquestrées par Hèrakleidès et il aurait menti à ce sujet. Pour pouvoir les récupérer, il écrit à Léanax afin de lui faire déclarer que c’était lui le véritable propriétaire des biens. L’argument de Bravo serait qu’Apatorios lui dévoile la valeur de la marchandise, à savoir 27 statères, que Léanax était censé connaître s’il était réellement leur propriétaire. Or, comme je le montrerai dans la section consacrée aux statuts personnels et aux pratiques juridiques (p. 381–392), la raison pour laquelle Apatorios communique le montant n’est pas nécessairement liée à de mauvaises intentions. Les affirmations mensongères d’Apatorios, continue Bravo, auraient été soutenues par Ménôn, que le même savant considère comme étant le proxène d’Olbia dans la cité où la sasie avait eu lieu, ou bien un Olbiopolite résidant dans un emporion qui se trouvait en terre barbare190.
Harris 2013, p. 116–118. Dans une brève notice concernant les références de Ju. G. Vinogradov relatives à cette lettre (mention des χρήματα et des στατῆρες comme témoignant de la vie monétaire olbienne dans la seconde moitié du VIe s.), Bravo 1977, p. 58 n. 62, écrivait : « Si la datation qu’il propose est juste, ne serait-il plus raisonnable de voir dans khrèmata des ‹marchandises›, des ‹biens›, et dans statères l’unité de mensure pondérale ? Évidemment, pour discuter sérieusement, il faut attendre la publication de cette nouvelle lettre sur plomb ». 189 On connaît à Olbia un décret sur le monnayage, vers 375–350 (Syll.3 218 = IOSPE I² 24 = I. dial. Olbia Pont 14 = Müller 2010, DE 19). À cette époque, le Cyzicène valait 8,5 statères en argent olbiens, et à Athènes 25 drachmes attiques (cf. Bogaert 1977). Sur l’utilisation des Cyzicènes dans le Pont, voir Démosthène, C. Lacr. 36 (dans le discours apocryphe C. Phorm. 23, un Cyzicène valait à Panticapée 28 drachmes attiques). 190 Bravo 2011a, p. 82. 187 188
26. Lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax (Olbia du Pont)
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Après ce premier message sur la saisie des biens, Apatorios a soigneusement tracé un bord en délimitant la superficie écrite des deux dernières lignes (9 et 8). Lors de mon édition de 2004, je supposais que le scribe envisageait de couper la partie vierge, pour épargner le plomb, sur lequel il aurait pu écrire une autre lettre ; puis, constatant qu’il avait oublié d’écrire sur un autre sujet, et disposant encore d’espace libre, il s’était attaqué, en-dessous de cette ligne, au problème des domestiques de Thymôleôs, destinés peut-être à un certain [Eo?]thymios ‒ le rapport entre ces deux personnages étant obscur du fait du caractère lacunaire du texte dans la première partie de la l. 10. Il est néanmoins plus probable, comme le suggèrent R.-A. Santiago Álvarez et M. Gardeñes Santiago, ainsi que B. Bravo, que l’auteur ait souhaité distinguer visuellement les deux affaires, et donc les deux messages. On observe la même procédure sur une défixion sur plomb de Sélinonte, de la première moitié du Ve s. : la première partie du texte, plus longue (ll. 1–16), est séparée par une ligne qui court jusqu’au milieu de la l. 16 d’une seconde partie de la malédiction, à savoir la liste reprise des deficti (ll. 16–19)191. La première question, celle de la saisie des biens, occupait la plupart de la lamelle, car elle était la plus importante et la plus urgente. Le second message, plus bref, concerne des esclaves ; Apatorios reste sceptique quant à l’issue favorable de cette affaire. Les esclaves, désignés par différents termes au nord de la mer Noire, sont une marchandise mentionnée fréquemment dans les lettres (p. 378–379). On observe une structure similaire à celle de la lettre d’Achillodôros (25) :
I II III IV
V VI
Structure Adresse interne La raison du message (ex abrupto) Contenu (détails sur l’affaire) Solutions proposées
D’autres questions Adresse externe avec indication du/des destinataire(s)
Lettre d’Apatorios à Léanax Λήνακτι Ἀπατριος τὰ χρήματα σισύλημαι : ὐπ᾿ Ἠρακ|λείδεω τ Εὀθήριος ll. 2–5
Lettre d’Achillodôros Ὦ Πρωταγόρη, ὀ πατήρ τοι ἐπιστέλλ Ἀδικται | ὐπὸ Ματασυος· δλται γάρ μιγ κτλ. ll. 3–10
ἰὰν ἐπιθε|ίης διφθέρια πρ[ὸς] Ταῦτ᾿ Ἀναξαγόρῃ λέγν | καὶ τῇ γυναικί Ἠρακλείδην καὶ Θαθαίην ⁝ τὰ χρήματα κτλ. Περὶ τῶν οἰκιητέων : Θυμώλεω κτλ. Ἔτερα δέ τοι ἐπιστέλλ· κτλ. Ἀπατριος | Λεάνακτι Ἀχιλλοδώρ τὸ μολί|βδιον· παρὰ τὸμ παῖδα | κἀναξαγόρην
Le rapprochement le plus frappant est offert par la manière d’exposer la raison de l’expédition de la lettre : le verbe est un passif (σισύλημαι/ἀδικται) suivi d’un génitif d’agent construit avec ὑπό. Mais, si la lettre d’Apatorios est écrite à la Ière pers., celle d’Achillodôros est rédigée à la IIIe pers. Quelques remarques sur la syntaxe s’imposent. L’intelligence du texte est facilitée par la présence d’une interponction utilisée à bon escient : on a des segments de phrase parfaitement séparés. On remarque une construction archaïque de la phrase, dont la modalité la plus utilisée de faire le passage entre deux propositions est la coordination par καί ; le rapport adversatif est marqué par γάρ ; les subordonnées sont des propositions à l’infinitif, après le verbe φημί, une proposition conditionnelle (introduite par ἰάν), deux interrogatives indirectes (une introduite par ὄ τι, et l’autre par ἤν). En dépit de la relative abondance de subordonnées, le style reste simple, impression renforcée par la parataxe au début même de la lettre (entre les deux premières phrases) et la répétition insistante, à peu près dans les mêmes termes, de l’appartenance des biens à Léanax (ll. 3–5). Mais cette répétition n’est peut-être pas différente, dans son intention, de celle dont fait usage Achillodôros, lequel affirme et réaffirme sa condition d’homme libre, ainsi que le fait qu’il n’a aucun différend avec Matasys (25, ll. 6–10) : elle vise à renforcer la justesse de ses propos. Somme toute, la compréhension est beaucoup plus facile que celle de la lettre d’Achillodôros. Certes, on ne s’attendait pas à des compositions élégantes dans un tel milieu marchand, car l’intérêt immédiat de nos personnages était tout simplement de communiquer et de
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I. dial. Sicile I 38 = Arena, Iscrizioni I 63 ; Bettarini 2005, p. 112–124, n° 23 (photos et dessin p. 122–124, Pl. 23 a-c).
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transmettre des instructions. On remarque le ton personnalisé de la lettre : σισύλημαι (l. 1), l’interrogation directe à la l. 9, et le datif de la personne concernée à la fin du texte (αὐτῶι μοι). En outre, le passage d’une personne à l’autre ne pose pas de problème, et l’on saisit immédiatement qui parle. La lettre a été découverte dans l’agora olbienne. Si l’on suppose qu’elle a été envoyée depuis un emporion ou autre point de commerce dans le territoire, il résulte qu’elle a été délivrée au destinataire qui devait résider en ville. La présence à la fois d’Apatorios, d’Hèrakleidès et de sa femme, ainsi que de Ménôn, au même endroit, suggère l’existence d’un établissement marchand en relation avec Olbia. Les renseignements tirés de cette lettre sont notables à plus d’un titre : les traces d’une opération de saisie, l’usage des comptes écrits qui valent davantage que les témoignages oraux pour le dénouement de cette opération, le rôle et la place de l’écrit dans la communication et dans les pratiques commerciales et juridiques archaïques192 (voir p. 391).
27. Lettre opisthographe sur plomb de l’agora olbienne (Olbia du Pont)
27. Lettre opisthographe sur plomb de l’agora olbienne (Olbia du Pont) Découverte, contexte : fragment de lamelle de plomb, découvert en 1978 lors des fouilles de l’Institut d’Archéologie de Kiev, dans la partie sud-ouest de l’agora d’Olbia du Pont, dans un niveau d’argile grise, sans aucun élément de datation. Support, mise en page : le morceau de plomb (3,8 × 3,8 cm ; ép. 0,05 cm) est opisthographe, soigneusement gravé. Il avait dû être enroulé plusieurs fois, mais seulement deux volets ont été retrouvés et un petit fragment du troisième, avec les bords crantés. Des signes d’interponction (:) apparaissent seulement au recto (ll. 2, 4, 5, 6), ce qui pourrait indiquer, de l’avis du premier éditeur (Ju. G. Vinogradov), qu’il s’agit de deux mains différentes ; il s’appuie également sur la forme du kappa et du ny. À partir de cette hypothèse, E. Eidinow et C. Taylor estiment que l’on a affaire à deux lettres distinctes écrites sur la même tablette, ce qui prouverait sa réutilisation par une autre personne. P. Ceccarelli pense qu’on peut y avoir en effet deux lettres mais une seule main, ce qui indiquerait la réutilisation par le même scribe. L’avis de Vinogradov est contradictoire, étant donné qu’il propose également d’identifier un recto, où le texte va jusqu’en bas, sans aucun espace libre (face A), et un verso, avec un vacat après le iota de la dernière ligne (face B), ce qui indique clairement la fin du message. La bonne solution est de reconnaître un message unique, commencé sur l’une des faces et continué sur l’autre. Il existe deux autres arguments en faveur de cette hypothèse : s’il est vrai que l’interponction sous forme de deux points superposés (:) apparaît seulement au recto, elle n’est toutefois pas systématique. Les bords supérieurs et inférieurs sont conservés, car un espace est laissé libre au-dessus de la première ligne de la face A ; par ailleurs, le bord supérieur – qui correspond au bord inférieur de la face B – n’est pas cranté, ce qui laisse entendre qu’aucun morceau de plomb ne s’est détaché à cet endroit. Les textes des deux faces sont tête-bêche : une fois que le scribe a épuisé l’espace offert par le recto, il a retourné la tablette non pas de droite à gauche, comme les modernes ont l’habitude de le faire, mais du bas vers le haut, de façon qu’à la première ligne du verso corresponde, sur l’autre face, la dernière ligne du recto. On compte sept lignes au recto et huit lignes au verso. Le fait que le fragment de la lamelle soit brisé à droite comme à gauche ne permet pas de savoir si les mots étaient coupés en fin de ligne ou s’il y avait une coupe syllabique. On remarque un petit signe gravé par erreur sur la face A, l. 1, collé au kappa ; selon Vinogradov, une double correction de tau en kappa (B, l. 2), ce qui est plausible. Dialecte : ionien oriental. La fausse diphtongue ei, résultat de la contraction, notée par epsilon ; o long fermé noté par omikron ; graphie ionienne [ἀ?]ξίην (A, l. 6) ; absence de contraction dans la forme de participe ἐόντων (B, l. 6) ; élision et gémination du sigma (B, l. 4 : καὶ ᾿σσαί[ς]) ; élision (B, l. 2 : κ᾿ ὀκτώ) ; datif υἰεῖ (B, l. 1). Paléographie : lettres profondément et soigneusement gravées ; ht. des lettres : 0,3–0,5 cm. Concernant la forme des lettres ny et kappa, il n’y a pas de différence discriminatoire entre les deux faces, surtout qu’au recto le ny est presque chaque fois tracé de manière différente. Par ailleurs, le sigma, qui présente des traits particuliers, est similaire sur les deux faces, de même que l’alpha (par ex. : recto, au début de la l. 5 ; verso, au début de la l. 1). Le kappa a le même ductus (recto, l. 4 ; verso, ll. 2 et 4). Ju. G. Vinogradov propose de dater le document du dernier quart du VIe s., d’après la paléographie : alpha à barre médiane légèrement inclinée ; epsilon avec parfois les hastes horizontales légèrement obliques ; kappa avec les hastes raccourcies ; my avec les hastes assez écartées ; ny asymétrique toujours penché vers la droite ; xi sans barre verticale ; ômega avec le cercle assez petit et des fioritures. La forme de l’ômega, avec les pieds latéraux inégaux, celui de gauche plutôt oblique, partant du bas, celui de droite horizontal, laisse bien voir la façon dont la lettre a été tracée, d’un seul mouvement.
Sur la question du commerce et du droit, voir les remarques de Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2006, p. 57–69, sur la structure élaborée de négociants professionnels et sur la façon dont les lettres montrent le modus operandi de ce commerce, notamment pour la saisie des biens. 192
27. Lettre opisthographe sur plomb de l’agora olbienne (Olbia du Pont)
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Cette écriture doit être rabaissée, de l’avis de L. Dubois, au début du Ve s. B. Bravo penche vers une rédaction entre 510 et 460, mais pas après le milieu du Ve s., en raison de la forme de l’omêga dont le pied gauche, oblique, descend assez bas, du sigma avec la branche supérieure très longue, presque verticale, et du rhô dont la boucle s’attache un peu plus bas que le milieu de la haste verticale. Sur la base des analogies avec d’autres documents, et notamment avec une autre lettre d’Olbia du Pont (26), une datation au début du Ve s. me semble envisageable. Date : début du Ve s. Conservation : Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, puis Institut Archéologique de Kiev193. Éditions : Vinogradov 1998, p. 157–160, n° 2 (= SEG XLVIII 1011) ; Dana 2007a, p. 72–75, n° 2 ; Bravo 2007, p. 66–74, n° 2 (cf. SEG LVIII 767) ; Ceccarelli 2013, p. 336–337, n° 3 (avec trad. angl.). Bibliographie : Eidinow/Taylor 2010, p. 55 (E4a et E4b) ; Bravo 2011a, p. 38 n. 1 ; Skinner 2012, p. 157 ; Bravo 2013, p. 62–63 et n. 8–9 ; Decourt 2014, p. 58, n° 27 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 227 n. 29 ; Dana 2016, p. 100. Illustrations : Vinogradov 1998, p. 174, fig. 2 (ph.), p. 175, fig. 2 (dessin) ; Dana 2007a, p. 73 (dessin) ; Bravo 2007, p. 67, fig. 2 (ph. et dessin) ; Decourt 2014, p. 76, fig. 18 (dessin). Note sur l’édition : l’édition soignée de Vinogradov (1998) a été reproduite dans le SEG et suivie par Ceccarelli (2013) et Decourt (2014). Pour mon édition de 2007, avec des divergences mineures (dont certaines ne sont pas notées), j’ai pu utiliser un fac-similé ainsi qu’une transcription avec des restitutions, envoyés par Jurij G. Vinogradov à Walter Burkert (1987). Lectures douteuses et restitutions invraisemblables de Bravo (2007). Fac-similé et lectures d’après les clichés originaux provenant des archives de Vinogradov (fournis par Askold Ivantchik). Étant donné la présence de plusieurs traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Fig. 80. Photos des deux faces de la lamelle.
Fig. 81. Fac-similé des deux faces de la lamelle.
193 Bravo 2013, p. 62 : « Nel caso della seconda laminetta [notre tablette] mi pare anzitutto significativo che essa sia insolitamente sottile e accuratamente lavorata, come posso testimoniare avendola avuta in mano per cinque minuti parecchi anni fa nel Museo dell’Ermitage (più tardi fu spedita a Kiev e da allora sembra essersi smarrita) », et n. 8 : « Tale era la situazione due anni fa. Non so se dopo di allora la laminetta sia stata ritrovata » (cf. Bravo 2007, p. 57 n. 5).
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[A]
4
[B]
4
8
Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
[ [ [ [ [ [ [ [ ]μαι υἰεῖ +[ [ ] κ᾿ ὀκτὼ ἰσαί[ς [ ἀπο]διδῶ, δέκεσθ᾿ +++[ [ σι]δήρς καὶ ᾿σσαί[ς [ ἀπ]οδώσν μη[ [ ] ἐόντων Κ[ [ ] καὶ σ[ι]σύρν[ας? [ ]ι. vac.
] μέγας καὶ [ ]ες ἰσάτιν : [ π]ρότερον δ[ὲ? ]ς καὶ : κάνδολ[ον? ] καιρὸν : ταῦτα +[ ἀ?]ξίην : ἀνα[ Λ?]εάνακτ[–
] ] ] ] ] ] ] ] ] ] ] ] ] ]
A 2 ]ες ἰσάτιν : +[ Vinogradov : ]ες ἴσα τίν〈ν〉 : .[ Bravo || 3 [π]ρότερον Ε vel Δ[ Vin. : [π]ρότερον δ[ Br. || 4 κάνδλ[ον?] Vin. : ]ς : {και} κἂν δολ[ Br. || 5 ] καιρὸν : ταῦτα +[ Vin. : [κ]αιρόν : ταῦτα .[ Br. || 6 [ἀ]ξίην : ἀνα[ Vin. : [κατ᾿ ἀ]ξίην : ἀνα[ Br. || 7 ] ἐὰν αὐτ[ Vin. : [Λ?]εάνακτ[–] Dubois B 1 ]μαι υἰεῖ [Vin. || 2 ⟦Τ⟧ΚΟ⟦Τ⟧Κ plumbum || ] κ᾿ ὀκτὼ ἰσαί[ς] Vin. : [ἔστι γὰρ] οὕτως αἶ[σα] Br. || 3 [ἢν ἀπο]διδῶ, δέκεσθ᾿ ΙΙ+[Vin.: [δίκην τε] δίδω δέκεσο πρὸ [τελευτῆς] Br. || 4 [σί]δηρος καὶ ᾿ςς αἰῶ[να] Br. || καἰσσαί[ς] Vin., edd. || 5 μη[δέν?] Vin. || 6 ] ἐόντων μ[ὴ e.g. πλείων] Vin. || 7 ] καὶ σ[ί]συρν[αν] Vin. : ] καὶ σ[ῦ]ς 〈σ〉ύρμ[ασι] Br.
L’état très fragmentaire du document interdit d’en donner une traduction. Face A A 1 : on remarque une ligne verticale légèrement penchée vers la droite, collée à la haste verticale du kappa. A 3 : restitution sans doute correcte de Vinogradov, puisque la présence d’un adjectif au comparatif est exclue (dans l’alphabet ionien, la distinction entre omikron, à savoir o bref ou long fermé, et ômega, à savoir o long ouvert, est toujours notée). A 5 : Vinogradov voit les restes d’une ligne oblique avant alpha, qu’il suppose être celle d’un kappa, d’où la restitution καιρόν. Cette restitution est vraisemblable pour ce type de document commercial, où l’on peut voir une recommandation de l’expéditeur d’attendre le moment opportun. Vinogradov pensait aussi à la possibilité d’une séquence psilotique, pas étonnante pour un milieu ionien, κ᾿ αἰρν (participe indicatif actif masculin du verbe αἵρω), « prendre », « saisir ». A 6 : [ἀ?]ξίην, forme dialectale ionienne. En considérant qu’il s’agit d’un adjectif, Vinogradov suggère qu’il peut tout aussi bien être question de son opposé, [ἀνα]ξίην « inappropriée », « sans valeur ». Si l’on garde la version positive, il pourrait y avoir un jeu d’antithèse avec le mot suivant, dont on ne lit de manière certaine que les deux premières lettres : [ἀ]ξίην : ἀνα[ξίην κτλ.]. Or, il me semble qu’il faut reconnaître à cet endroit le substantif féminin désignant le prix, la valeur (d’une marchandise). A 7 : Vinogradov avait lu ] ἐὰν αὐτ[---]. Pourtant, à la place de l’upsilon on observe un kappa, ce qui invite à lire [Λ?]εάνακτ[–], un anthroponyme à l’accusatif, au datif ou au génitif194 ; on peut tout aussi bien restituer un autre nom de la même famille ([Ἀρχ]εάνακτ-, [Ἡγ]εάνακτ-, [Κλ]εάνακτ-). On retrouve le même nom dans la lettre d’Apatorios à Léanax (26) ; il est très tentant de les identifier comme étant une seule personne, étant donné que les deux lettres d’Olbia du Pont sont grosso modo contemporaines et que le contexte, commercial, est similaire.
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Je remercie pour cette suggestion Laurent Dubois.
27. Lettre opisthographe sur plomb de l’agora olbienne (Olbia du Pont)
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Face B B 1 : dans [---]μαι, on pourrait reconnaître aussi bien une désinence médio-passive d’un verbe à la Ière pers. sg., qui indiquerait le fait que l’expéditeur s’adresse directement à son correspondant, qu’un infinitif aoriste, cf. νμαι dans la lettre 24 (l. 2). || Dans υἰεῖ, on reconnaît une forme archaïque athématique par rapport au datif thématique υἱῷ. B 2 : Vinogradov avait noté « originally in both cases tau was engraved instead of kappa : the missing iota was inserted at a later date ». Dans κ᾿ ὀκτώ, élision très probable de καὶ ὀκτώ. Pour la suite, cf. infra (B, l. 4). B 3 : δέκεσθ᾿ (= δέκεσθε) : forme ionienne d’impératif IIe pers. pl. du verbe δέχομαι, avec l’occlusive sourde κ au lieu de l’aspirée χ ; on note également l’antonymie de deux verbes, ἀποδίδωμι – δέχομαι. Pour le même affaiblissement de l’occlusive aspirée χ en κ, voir les occurrences d’Ἀγάθαρκος à Tyras (19, et comm.) et Olbia du Pont (30). B 4 : o long fermé noté par omikron dans les deux mots à l’acc. pl., ainsi qu’une élision suivie de la gémination du sigma : καὶ ᾿σσαί[ς] = καὶ ἰσαίους. La lecture est pourtant compliquée car entre les deux sigma (dont le premier est de lecture difficile, en raison aussi bien d’un accident de la lamelle à cet endroit que de sa forme étrange), une autre lettre semble avoir été tracée. B 5 : [ἀπ]οδώσν : notation archaïque par -σν de la finale de l’infinitif futur actif (att. -σειν). Ce verbe est présent vers la même époque dans la lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax (26, ll. 7–8). B 6 : après ἐόντων on n’aperçoit qu’une haste horizontale, qui ne peut être celle d’un my, dont les hastes sont assez écartées. Il est plus probable qu’il s’agisse d’un kappa, mais sans certitude absolue. B 8 : après le iota, l’espace laissé libre indique, comme pour d’autres documents, la fin du message, et prouve que cette face constitue le verso de la lettre. Commentaire : Nous sommes sans aucun doute devant un document commercial, vraisemblablement une lettre, même si, étant donné son état très fragmentaire, la formule épistolaire manque. On peut néanmoins supposer que le début de la première ligne (face A) comportait un ou deux noms de personne, et peut-être un verbe épistolaire, ce qui indique la perte à gauche d’un segment assez considérable, d’où ma reconstitution du texte. La présence d’un verbe à la Ière pers. aussi bien à la première qu’à la troisième ligne de la face B montre clairement que l’expéditeur parle lui-même, pour donner des instructions concernant une liste des produits195. Le nom d’un certain Léanax (?) est mentionné, sans que l’on connaisse son rapport précis avec l’expéditeur et le destinataire de la lettre – mais on est tenté de l’identifier au destinataire de la lettre 26 ; si cette identification est correcte, on détiendrait le premier exemple dans la correspondance privée sur plomb où la même personne est attestée par deux textes différents196. Malheureusement mutilée, la lettre fait état de plusieurs consignes données peut-être par un père à son fils (υἰεῖ, B 1), pour recevoir ou restituer, à différents moments (πρότερον, A 3 ; καιρόν, A 5), diverses fournitures : – ἰσάτις (A 2) : plante colorante, tinctoriale, connue sous le nom de Isatis tinctoria, qui fournit une teinture bleue, correspondant à la guède ou au pastel. À Samos, dans une inscription qui inventorie des vêtements offerts à la déesse poliade, Héra (κόσμος τῆς θεοῦ), le premier article mentionné est un κι[θὼ]ν Λύδιος ἔξαστιν ἔχων ἰσάτιδος, « tunique lydienne qui possède une frange de pastel »197. – κάνδολ[ος?] (A 4) : selon Vinogradov, une forme ionienne pour κάνδαυλος/κάνδυλος, « plat lydien ». Cependant, cette évolution phonétique de la diphtongue αυ en ο est extrêmement improbable. Il s’agit plutôt d’un vêtement, si l’on suit Hésychios (Κ 644), qui glose κανδοφόρους· μελανειμονοῦντας, « ceux qui portent un vêtement noir »198. Cette glose nous conduit à restituer le mot *κάνδος, « vêtement noir », dont *κάνδολος pourrait être un dérivé199. C’est aussi l’avis de Ceccarelli 2013, p. 336–337. Voir également le cas de Mylliôn (30, A, l. 3, et comm.), porteur d’un nom rarissime, qui est sans doute identique avec l’un des individus maudits dans une defixio de la même époque et de la même région (Olbia du Pont). 197 IG XII.6 261, ll. 12–13 (vers 346/345). 198 Le célèbre décret olbien en honneur de Prôtogénès mentionne le verbe μελανειμονῆσαι (IOSPE I² 34, l. 24). 199 Il pourrait s’agir également d’une forme du terme κανδύλαι (variante de κανδυτάναι, « porte-manteau », dérivé à son tour de κάνδυς, « manteau perse » chez Hésychios), cf. aussi κανδύτανες, « armoires ou valises où se rangent des vêtements précieux » 195 196
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
– ὀκτὼ ἰσαί[ς ---] (B 2) : si l’on accepte l’hypothèse de Vinogradov, selon lequel l’adjectif ἰσαῖος serait une variante de ἴσος200, il s’agit de huit objets de dimensions égales. On pense aux σφήκ(ια) ἶσα mentionnés dans une lettre sur tesson de Kerkinitis (38, l. 3), qui désignent les perches ou les chevrons du même calibre. – [--- σι]δήρς καὶ ᾿σσαί[ς ---] (B 4) : des outils de fer et d’autres objets en même nombre (?) ou de la même dimension, qui renforcent la possibilité qu’il peut être question de matériaux de construction. – σ[ι]σύρν[ας? ---] (B 7) : des manteaux de fourrure201. Cet article renvoie à un passage d’Hérodote (4.109) qui, décrivant le pays des Boudins, population scythe du nord de la mer Noire, fait mention de peaux de loutres et de castors cousues en bordure de manteaux de fourrure (τῶν τὰ δέρματα παρὰ τὰς σισύρνας παραρράπτεται). En s’appuyant sur les photographies publiées par Ju. G. Vinogradov et non sur les clichés originaux, Benedetto Bravo donne une interprétation complètement différente. Selon Bravo, il s’agit de deux textes distincts mais en rapport l’un avec l’autre. Le premier serait notre face B, sous la forme d’un poème initiatique, en hexamètres de surcroît, à travers lequel un père donne à son fils des instructions pour la sauvegarde de l’âme. Ce texte appartiendrait ainsi au genre littéraire des ὑποθῆκαι, une convention littéraire similaire à celle que l’on peut trouver dans les Travaux et les jours d’Hésiode. L’autre texte, inscrit sur notre face A, serait dans ce cas un commentaire en prose du texte poétique, traitant de la peine de l’âme obligée de suivre le cycle des réincarnations et donc d’une doctrine initiatique202. Cette interprétation, basée sur des lectures fautives, avec des restitutions trop généreuses à partir de quelques lettres et qui suppose en outre des oublis et des inattentions du graveur, fait écho aux préoccupations de prédilection du savant italo-polonais. Elle ne saurait néanmoins être acceptée pour expliquer ce texte certes difficile, en raison des parties manquantes, mais s’inscrivant aisément dans une série bien attestée. Le vocabulaire ne laisse pas de doute quant à la portée exacte de ce document – retrouvé de surcroît dans l’agora olbienne – qui est effectivement de nature commerciale.
28. Lettre sur tesson dite « lettre du prêtre » (Olbia du Pont)
28. Lettre sur tesson dite « lettre du prêtre » (Olbia du Pont) Découverte, contexte : tesson provenant d’une amphore ou d’une oenochoé milésienne du style de Fikellura (avec un quadrillage en losanges sur la panse), découvert en 1969 lors des fouilles de Riva I. Vetštejn, dans la partie sud de la citadelle d’Olbia du Pont (secteur L). Support, mise en page : le tesson vaguement trapézoïdal (6,7 × 9,5 cm) est brisé à gauche et à droite et parcouru par des rayures postérieures, horizontales et verticales, qui ne constituent pas un cadrage pour les lignes. 12 lignes sont gravées (Chantraine, DELG, p. 491, et le Suppl. de Ch. de Lamberterie, p. 1406). Ce mot appartenant au domaine vestimentaire ne détonne pas au milieu des autres articles mentionnés dans la lettre (isatis, sisyrna). De toute façon, qu’il désigne un vase ou un vêtement, le mot est d’origine orientale. Voir aussi Linders 1984 (sur la κάνδυς, veste féminine à manches, présente dans les inventaires de Brauron). 200 L’adjectif figure chez Nicandre, Ther. 360 ; cf. aussi Callimaque, In Iovem 63. Dans la célèbre inscription des Molpes de Milet (SGDI 5495 = I. Delphinion 133 = Syll.3 57 = Dial. graec. ex. 726 = LSAM 50 = I. Milet I.3 133), Wilamowitz a voulu interpréter τὰ ἰσα (l. 10) comme une graphie pour l’adj. ἰσαῖος, mais il est plus probable, du fait de la date de l’inscription (ca. 100), qu’il s’agisse d’une corruption de τὰ 〈ἡμ〉ίσεα (« la moitié des offrandes »), d’après Danielsson 1914, p. 9–10 ; P. Herrmann, Milet, VI.1, 1997, p. 168. 201 Dans la lettre attique de Mnèsiergos, celui-ci demande, entre autres, des peaux de mouton et de chèvre, bon marché et non travaillées (6, ll. 10–11, ἀποπέμψαι ἢ ὤας ἢ διφθέρας | ὡς εὐτελεστά〈τα〉ς καὶ μὴ σισυρωτάς). 202 Bravo 2007, p. 66–74, n° 2 (et d’autres mentions dans ses articles). Sur la face A, Bravo suppose à gauche entre 20 et 24 lettres, et à droite entre 8 et 16 lettres. Je reproduis le poème en hexamètres de Bravo, tout en précisant que ses propositions de lecture par rapport au texte de Vinogradov ne sont pas plausibles : v. 1 [–⏔–⏔–⏔–⏔–⏑]μαι υἱεῖ v. 2 [–⏔–⏔–⏔–⏔–⏖–⏒] v. 3 [ἔστι γὰρ] οὕτως αἶ[σα ⏑–⏔–⏖–⏒] v. 4 [–⏔–⏑ δίκην τε] δίδω δέκεσο πρὸ [τελευτῆς] v. 5 [–⏔–⏔–⏔–⏔–⏑ σί]δηρος v. 6 καὶ ᾿ςς αἰω[να ⏑–⏔–⏔– ἀπ]οδώσν v. 7 μη[–⏔–⏔–⏔–⏔–⏑] ἐόντων v. 8 μ[–⏔–⏔–⏔–⏔–⏖] καὶ σ[ῦ]ς v. 9 〈σ〉ύρμ[ασι –⏔–⏔–⏔–⏖–]ι.
28. Lettre sur tesson dite « lettre du prêtre » (Olbia du Pont)
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sur la partie concave du tesson (ce qui indique que la cassure n’était pas très importante, étant donné l’espace exigu d’une superficie concave), remplies parfois d’ocre rouge. Du fait de la cassure du vase à droite et à gauche, on ignore si les mots étaient coupés en fin de ligne. Le vase, daté entre 550 et 530/520203, serait, selon les premiers éditeurs, antérieur de peu de temps au texte inscrit ; ils datent ainsi le texte de la seconde moitié du VIe s. Cette datation est suivie par les éditeurs du SEG (XLII 710 : ca. 550–525) et par d’autres spécialistes204, bien qu’elle ne soit pas évidente. Entre le moment de la fabrication du vase, si l’on prend la limite basse, son importation dans le Pont et le graffite, il fallait qu’un certain laps de temps s’écoule. D’autre part, les arguments linguistiques invoqués par L. Dubois suggèrent une date de rédaction du message plus tardive. Il invoque le fait que le graffite présente une notation inconstante du o long fermé par omikron aux ll. 4 et 10 (ἱρ, ἱρς), mais aussi le digraphe ΟΥ aux ll. 3 et 9 (τόπους θεοποιήτους, δοῦλοι), qui suggère des hésitations caractéristiques d’un alphabet de transition impossible à situer avant 400. Pourtant, la paléographie s’oppose fermement à cette datation (voir infra). Abréviation Βορυσθέ(νεος) (l. 8). Dialecte : ionien oriental. Notation non systématique du o long fermé (voir supra) ; graphies ioniennes Χαλκήνῃ (l. 5), ἐνθεῦθεν (l. 6), αὖτις (l. 7), ἱρουργίηι (l. 10) et διηκόσι[α] (l. 11). On constate un datif simplifié, où le iota n’est pas noté à trois reprises (l. 1: [---]νοθέτῃ ; l. 5, deux fois : τῇ Χαλκήνῃ), phénomène qui n’est pourtant pas isolé205. Paléographie : lettres profondément et assez soigneusement gravées ; ht. des lettres : 0,3–0,6 cm. Pour la datation du document, il n’est pas aisé de trancher dans les conditions où les fluctuations graphiques contrastent de manière flagrante avec la paléographie, étonnamment archaïque : alpha avec la barre horizontale oblique () ; epsilon penché à droite, avec les hastes horizontale très obliques et parfois avec la barre verticale dépassante en bas (, ) ; thêta avec croix () ; ny asymétrique et penché vers la droite ; rhô avec la boucle accrochée très bas () ; phi à grande boucle ; upsilon sans haste verticale (). Néanmoins, les hésitations sont visibles également dans la paléographie : bêta avec les boucles arrondies ; kappa avec les hastes obliques longues et parfois cursives ; pi avec la haste verticale droite plus courte ; sigma à quatre branches (bien qu’écartées). Par conséquent, une datation du Ve s., plutôt de la première moitié, me semble plus probable que la date haute206. Date : ca. 500–450. Conservation : Musée de l’Institut d’Archéologie de l’Académie Nationale des Sciences d’Ukraine, Kiev (inv. АМ/2495– 7296). Éditions : Rusjaeva/Vinogradov 1991a (avec trad. all.) (= Rusjaeva/Vinogradov 1991b, avec trad. ukr.) (cf. SEG XLII 710) ; I. dial. Olbia Pont 24 (L. Dubois, 1996, p. 55–63) (avec les obs. de Tohtas’ev 1999, p. 176–179, et de Vinogradov 2000a, p. 327) ; Bravo 2001, p. 254–264 (avec trad. it.) [cf. SEG LI 970 ; cf. A. Chaniotis, EBGR 2002, n° 14 (Kernos, 18, 2005, p. 436)] ; Ceccarelli 2013, p. 338–340, n° 6 (avec trad. angl.) ; Jajlenko 2015 (avec trad. russe) (cf. SEG LXV 611) [cf. A. Avram, BÉ, 2016, 347 ; cf. Belousov, EpPont, 2015, n° 16 (Aristeas, 14, 2016, p. 258–259)] ; Jajlenko 2016, p. 252–260 (avec trad. russe) ; Jajlenko 2019, p. 156–190, n° II (avec trad. russe). Bibliographie : Vinogradov 1981a, p. 14–18 (avec trad. partielle en all.) (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1982, 234) ; Rusjaeva 1987, p. 146–147 ; CCCA VI 515 (M. J. Vermaseren, 1989, p. 151–152) ; Vinogradov 1989, p. 65–66 (et n. 156) ; Johnston, Suppl– LSAG2, 1990, p. 479 (n° N) ; Rusjaeva 1992, p. 124, 136, 145–146 ; Rusjaeva 1994 ; Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 129–130 ; Vinogradov 1997b, p. 235 n. 7 (n° 1) ; Vinogradov 1998, p. 156 ; Dettori 1999, p. 283–285 (cf. SEG XLIX 1040) ; Solovyov 1999, p. 117 ; Vinogradov 1999a, p. 137 ; Bravo 2000–2001, p. 162–164, n° III [cf. A. Chaniotis, EBGR 2001, n° 26 (Kernos, 17, 2004, p. 202)] ; Ivantchik 2001, p. 208 ; Solovyov 2001b, p. 115 n. 9, 117 ; Bujskikh 2005, p. 185–186 ; Cordano 2005, p. 42–43 ; Ivantchik 2005, p. 102–103 ; Rusjaeva 2005, p. 41, 94, 453 ; Andreau/Descat 2006, p. 45 ; Bujskich 2006a, p. 116 ; Avram 2007, p. 239 ; Braund 2007, p. 46–51 (avec trad. angl.) ; Dana 2007a, p. 92 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 60 (E12) ; Müller 2010, p. 195, 212 ; Bäbler 2011, p. 114–116 (avec trad. all. d’après Braund) ; Bøgh 2012, p. 45–46 ; Decourt 2014, p. 48–49 et 57, n° 25 ; Dana 2016, p. 104 ; Ivantchik 2016, p. 310–314 ; Kozlovskaya 2017, p. 31 ; Parmenter 2020, p. 65 (avec trad. angl.), 84.
Je remercie Iulian Bîrzescu pour la typologie et la chronologie du vase. Braund 2007, p. 46 n. 31 : « I am advised by the excavation team that the sherd was found in an archaic level (…) A. V. Buyskikh pers. comm. ». 205 Pour l’amuïssement du second élément de la diphtongue à premier élément long -ηι, voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 7, p. 186. On retrouve ce phénomène dans la lettre d’Achillodôros de Berezan’, à deux reprises (25, l. 9 : κἀναξαγόρῃ ; l. 11 : τῇ γυναικί), ainsi que dans la lettre sur tesson de Phanagoria, vers 400 (50, ll. 2–3, Ἡγησαγόρῃ). 206 La date proposée par L. Dubois (ca. 400) sur des critères de la langue a été critiquée par Vinogradov, qui soutient une datation du 3e quart du VIe s. (Vinogradov 1999a, p. 137 ; Vinogradov 2000a, p. 327 ; Tohtas’ev 1999, p. 177–178), par Dettori 1999, p. 283 n. 15 (suggestion de Maria Letizia Lazzarini, avant 500), par Bravo (ca. 550–510) et par Ceccarelli (ca. 500). 203 204
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Illustrations : Rusjaeva/Vinogradov 1991, p. 201, fig. 1 a, b (ph. des deux faces) et d (dessin) ; I. dial. Olbia Pont (L. Dubois, 1996), p. 56 (dessin) ; Rusjaeva 2005, p. 94 (dessin) ; Braund 2007, p. 47, fig. 8 (dessin) ; Bäbler 2011, p. 140 fig. 1 (dessin) ; Jajlenko 2015, p. 88 (dessin) ; Fornasier 2016, p. 43, fig. 25 (ph.) ; Ivantchik 2016, p. 324, fig. 9 (ph.) ; Jajlenko 2016, p. 254, fig. 30 (ph. et dessin) ; Jajlenko 2019, p. 207, fig. 4 (ph. et dessin). Note sur l’édition : le tesson fut retrouvé 10 ans après sa découverte à l’Institut Archéologique de Kiev (inv. O-69/232) et, après quelques mentions par A. S. Rusjaeva (1983, 1987) et Ju. G. Vinogradov (1981, 1989), fit l’objet d’une publication préliminaire de ces deux savants dans un catalogue d’exposition à Schleswig (1991) ; l’édition définitive et commentée préparée par Vinogradov n’a jamais vu le jour. Ce texte a été repris dans le SEG (qui prend en compte un texte de Vinogradov, jamais parvenu au BÉ), et, avec de petites modifications, par Dubois (1996) ; lectures fautives et restitutions audacieuses par Bravo en 2001 (suivi par Ceccarelli, 2013), qui suppose qu’à gauche on a perdu entre 10 et 15 lettres, et que la fin du texte est conservée dans le coin inférieur droit ; d’autres restitutions téméraires ont été données par Jajlenko (2015, 2016, 2019). J’ai pu vérifier la lecture et refaire le fac-similé à partir d’une photo de qualité du musée d’Odessa ; dans mon édition, j’ai essayé de reproduire la forme conservée du tesson. J’ai eu également accès à la correspondance entre B. Bravo et L. Dubois au sujet de ce document.
Fig. 82. Photo de la face externe du tesson.
Fig. 83. Photo de la face inscrite du tesson (Pl. X).
28. Lettre sur tesson dite « lettre du prêtre » (Olbia du Pont)
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Fig. 84. Fac-similé de la face inscrite du tesson.
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[------------]νοθέτῃ μέλι καὶ κρίο[ν ---] [-----------]ΥΝ ὡς ἐπιτέλλεις πέμπ[ων ---] [----------] ἐς τόπους θεοποιήτους περι+[---] [-----------]ΡΑΚΡΗΝΑΙΗΚΑΜΕ ἱρ φῶς νήσ[ου? ---] [----------] δικαίως ἐν τῇ Χαλκήνῃ αἱ γυν[αῖκες, ---] [---- ἐκπ?]λῆι ἐνθεῦθεν ἐς τὴν Ὑλαί[ην ---] [--------] αὖτις οἱ βωμοὶ βεβλαμμένο[ι εἰσί·? ---] [----- Μ]ητρὸς Θεῶν καὶ Βορυσθέ(νεος) καὶ Ἡρακλ[έος ---] [------ μ]ετὰ τὸ ναυάγιον οἱ δοῦλοι καταδρα[μόντες? ---] [---- τ]ε ἱρουργίηι Μητροφάνεος ἱρς ἔλιπε Τ[---] [----] τῶν πιτύων κακαί, τῶν δένδρων διηκόσι[α ---] [--- ο]ἱ θηρευταὶ τῶν ἵππων ηὑρήκασι μετὰ κινδύνων Τυρα[---].
1 [τῶι ἀγω]νοθέτῃ Bravo, Ceccarelli || [e.g. Μῆτερ, ὑμ]νοθέτῃ μέλι καὶ κριθ[ὰς ὀπάζεις μὲν] Jajlenko || 2 [καὶ να]ῦν? Rusjaeva/ Vinogradov || πέμπ[ειν] Rus./Vin. : πέμπ[ων] Dubois || [ν]ῦν ὡς ἐπιτέλλεις πέμπ[ω] Br., Cecc. : [? ἀντ᾿ ᾠδῆς ο]ὖν ὡς ἐπιτέλλεις πέμ[πων] Jajl. || 3 [ὅπ]ως Rus./Vin. || [ἐ]ς Dub. || [παντ]ὸς (lege πάντας) Br., Cecc. : τόπους θεοποιήτους Br. || περιδ[ραμῆται] Rus./Vin. : περι[ Dub. (περὶ δ[έ]) : περιε[πόλησα (vel -πλωσα) αὐτός] Br. : περι[-- ροὴ --] Jajl. || 4 [καὶ πὰ]ρ ἄκρην αῒ ᾖ κἀμὲ Rus./Vin. : [καὶ πὰ]ρ᾿ ἄκρην ἄγῃ κἀμὲ SEG : ]ΡΑΚΡΗΝΑΙΗΚΑΜΕ ἱρ φὼς ΝΗΣ[ Dub. (νήσ[ου]) : [πὰ]ρ᾿ ἄκρην ἄγῃ κἀμὲ ἱρ φῶς, νῆσ[ος δὲ?] Tohtas’ev : ]ρα κρηναίη· κάμε ἱρ φὼς νησ[ιδί τε] Jajl. : [διὰ γὰ]ρ ἄκρην λίη〈ν ἔ〉καμε Ἱρόφως (fort. legendum Ἱρόφων) νησ[τείην καὶ] Br. (Ἱρόφω{Σ}ν Avram?) Cecc. || φὼς Rus./Vin. : φῶς SEG : φὼς Dub. (sed vertit φῶς) || 4–5 νησ[--- καὶ | θύωσιν?] Rus./Vin. || 5 [πλεῖν οὐκ ἤθελε vel ἀπώκνησε] δικαίως Br. || αἱ γυν[αῖκες, –] Rus./Vin. : ] ἔντη χαλκῆ νηλῆ ΥΙ[ Jajl. || 5–6 ἐν τῇ Χαλκηηη (lege Χαλκηίῃ) αἱ γυν[αῖκές εἰσι (vel ἦσαν) | ἐν ταραχῆι πολ]λῆι Br., Cecc. || 6 [ὁ δὲ? ἐκπ]λῆι Rus./Vin. || Ὑλαίη[ν διέβην] Br., Cecc. || 7 [ἐν τῷ τεμένει] αὖτις vel [ἐν τῶι ἐξ]αῦτις Br. || 8 καὶ Βορυσθέ(νεω) vel (-νιος) καὶ Ἡρακλ[ῆος] Rus./Vin. || Βορυσθέ〈νεος〉 Dub., Br., Cecc., Jajl. : Ἡρακλ[έος] Vin./Toht. 1998 (p. 35 n. 37, cf. SEG XLVIII 1010) : Ἡρακλ[έους] Br. || 9 [ἐοίκασι vel φαίνονται vel λέγονται vel ἐλέγοντο δὲ μ]ετὰ Br. || καταδρα[μεῖν] Rus./ Vin. (καταδρα[μν] Vin. 1998) : καταδρα[μόντες] Dub., Cecc. : καταδρῆ[ναι] Br. || ]έτατον, αὖ ἄπονοι δοῦλοι κατάδρ[εψαν?] monstruose urget Jajl. (recte κατέδρεψαν) || 10 [χ]ειρουργίηι Rus./Vin. : [τ]ε ἱρουργίηι Dub. || ἐλίπετ[ο] Rus./Vin. : ἔλιπε τ[ Dub. || [μοῦνος δ᾿ ἐν vel μοῦνος δ᾿ ἐπὶ τ]ῇ ἱρουργίηι Μητροφάνεος ἱρὸς ἐλίπετ[ο· ἐν] Br. || μ᾿ [Ἰ]ητρ ᾿φανεός ἱρς ἔλιπεν Jajl. || 11 [τ]ῶν πιτύων {κα} καὶ τῶν 〈ἄλλων〉 δένδρων διηκόσια Br. || 12 Τυρα[ Rus./Vin. || [κατακεκομμένα (vel κατακεκαυμένα) ο]ἱ θηρευταί Br. || πολ[λῶν] Br., Cecc. || τύρ[βα?] Jajl. 2015 : μετὰ κινδύνῳ᾿ ντυρε[υμένῳ?] Jajl. 2016
[---] à l’agonothète (?) [---] du miel et un bélier [---] comme tu m’ordonnes au moment où tu m’envoies [---] vers les lieux sacrés [---] la torche du sanctuaire (de l’île?) [---] de façon juste les femmes à Chalkènè [---] afin qu’il
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parte en bateau d’ici jusqu’à l’Hylaiè [---] les autels sont de nouveau endommagés [---] de la Mère des Dieux, de Borysthène et d’Héraclès [---] les esclaves qui se sont enfuis après le naufrage [---] (lors de ?/pour ?) la cérémonie de Mètrophanès a laissé les objets sacrés [---] parmi les pins (un certain nombre) ont été endommagés, et parmi les (autres) arbres deux cents [---] les chasseurs de chevaux avaient trouvé avec de grands dangers [---] Tyras (?) [---]. L. 1 : [---]ΝΟΘΕΤΗ pourrait être un nom d’agent au datif, sans iota adscrit, car l’iota du dat. sg. n’est pas constamment noté (cf. l. 5 : τῇ Χαλκήνῃ). L. Dubois propose trois possibilités : ἀγωνοθέτης, οἰωνοθέτης, ὑμνοθέτης. Le premier207 est attesté déjà chez Hérodote (6.127), avec le sens « organisateur de concours », dont on aurait ici la première attestation à Olbia ; οἰωνοθέτης, au sens d’augure, qui est un hapax chez Sophocle (O. R. 484), est improbable dans notre cas, comme le remarque à juste titre Dubois ; quant à ὑμνοθέτης, il est attesté depuis Théocrite (AP 7.661), avec le sens de « poète lyrique ». Cette dernière interprétation me semble assez improbable208. || La séquence μέλι καὶ κρίο[ν] fait penser à des instructions pour un sacrifice ; selon Dubois, elle évoque le formulaire d’une loi sacrée. L. 2 : ὡς ἐπιτέλλεις, iunctura d’un adverbe instrumental et d’un verbe ; la IIe pers. sg. montre qu’il s’agit d’une lettre. Chez Homère, ce verbe est à deux reprises étroitement lié à πέμπω (Il. 11.765–766 et 24.780). Sur le tesson olbien, le sujet des deux verbes est identique. Comme le prouve Dubois, le syntagme ἐπιτέλλω πέμπων signifie « donner des instructions de telle ou telle nature au moment où l’on envoie quelqu’un en mission ». || Selon Dubois, la restitution [να]ῦν proposée par les premiers éditeurs n’est pas envisageable en pays ionien, où l’on pouvait attendre νῆα ou νέα209 ; B. Bravo avait restitué l’adverbe [ν]ῦν. Il est plus judicieux de suivre la proposition de Dubois, qui pense à l’acc. sg. du nom du cochon, ὗν (qui plus est, sur le même plan que les deux accusatifs de la ligne précédente), qui aurait pu être utilisé pour un sacrifice. L. 3 : la nouvelle lecture sur la photographie confirme la proposition de Dubois, [ἐ]ς τόπους, avec la préposition ἐς (comme à la l. 6). || θεοποιήτους : cet adjectif est attesté dans l’Aréopagitique d’Isocrate (Or. 7.62), selon lequel la perfection de la constitution d’Athènes serait l’« œuvre des dieux »210. Dubois propose de traduire les ll. 1–3 de la façon suivante : « Au Poète j’offrirai en sacrifice du miel, un bélier et un porc comme tu me l’ordonnes au moment où tu m’envoies vers les lieux qui sont l’œuvre des Dieux ». || À la place de la restitution περιδ[ραμῆται], qui lui semble « un barbarisme, du moins avec cet accent », Dubois propose de couper περὶ δ[ὲ ---]. L. 4 : le début de la ligne a été lu par les premiers éditeurs [καὶ πὰ]ρ ἄκρην, afin de retrouver le cap Stanislav, situé au confluent des deux fleuves, Hypanis et Borysthène. Son nom ancien était « le promontoire d’Hippoléôs », selon Hérodote 4.53 (Ἱππόλεω Ἄκρη) : « l’entre-deux de ces fleuves, qui est comme un éperon projeté par le pays, s’appelle le promontoire d’Hippoléôs ; sur ce territoire est établi un sanctuaire de la Mère (des Dieux) (ἱρὸν Μητρός)211 ; et, au-delà du sanctuaire, sur l’Hypanis, habitent les Borysthénites ». Le reste de la ligne reste d’interprétation très difficile (voir les différentes lectures dans l’app. crit.) jusqu’à la séquence ΙΡΟΦΩΣ. || Je suis l’interprétation de Dubois, pour lequel le groupe ἱρ φῶς ne peut pas être traduit comme « l’homme du sanctuaire » (ἱρ φώς chez Rusjaeva et Vinogradov), mais comme la « torche du sanctuaire », emploi métonymique banal212. || Pour la fin de la ligne, Dubois suggère de restituer νήσ[ου], alors que les preProposé aussi par B. Bravo, suivi par P. Ceccarelli. Selon L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 57, sa présence n’est admissible que si l’on voit ici l’épiclèse locale d’un poète divinisé honoré par des sacrifices, tel Archiloque qui reçoit un culte à Paros dans l’Ἀρχιλόχειον (LSCG 180, ll. 17–18 ; IIIe s.). Il pense éventuellement à un sacrifice à Homère, en raison de l’engouement des Olbiopolites pour le poète mentionné par Dion Chrysostome (Or. 36.9). Ce témoignage littéraire, du surcroit tardif, ne saurait être pris en considération pour l’époque de rédaction du message. Pour l’interprétation du texte de Dion, voir Dana 2011, p. 353–355. 209 Bechtel, GD, III, p. 150. 210 Pour ce composé, voir Dover 1997, p. 103. 211 Plutôt que Déméter, dont le culte est naturellement bien attesté à Olbia (Ju. G. Vinogradov, dans Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 114–115 ; cf. aussi Rusjaeva 2004). Les éditeurs d’Hérodote ont choisi ἱρὸν Δήμητρος (PMDRSV), mais d’autres mss. et H. B. Rosén donnent la leçon ἱρὸν Μητρός ; Bravo 2001, p. 249, à raison de préférer la dernière variante. Pour un commentaire du passage, voir Asheri/Lloyd/Corcella 2007, p. 622. 212 L’interprétation de B. Bravo, qui lit à cet endroit Ἱρόφως (= Hi(e)rophon), me semble insoutenable en raison de la conjecture trop brutale pour arriver à un anthroponyme attesté. 207 208
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mières traductions mettaient ce mot incomplet en rapport avec la racine du « jeûne » (νηστεία, νηστεύω). Cette île pourrait être soit Berezan’, soit, plus vraisemblablement à mon sens, la presqu’île de Kinburn, à savoir la corne nord-ouest de l’Hylaiè et l’extrémité de la rive gauche du Borysthène213. L. 5 : L. Dubois préfère ne pas suivre la lecture de B. Bravo (communiquée par lettre, avant la publication de 2001), Χαλκηίηι, et lit, comme les premiers éditeurs, Χαλκήνη. Ce toponyme bâti avec le suffixe -νᾱ > -ήνη (cf. Μεσσήνη, Πυρήνη, Ἀνθήνη, Πριήνη, Πυλήνη) signifie « Les forges » et a été mis par A. S. Rusjaeva en relation avec un établissement artisanal de Jagorlyckoe, dans du golfe de Jagorlyk, qui produisait du fer et du verre aux VIe–Ve s.214. Un forgeron du nom de Dionysios est le destinataire de la lettre sur plomb de Nikonion (20). L. 6 : [ἐκπ?]λῆι, IIIe pers. du subj. prés. du verbe ἐκπλέω, « partir en bateau » (cf. Hérodote 6.22 : ἀποικίην ἐκπλέειν), ce qui donne à la phrase un sens final. || ἐνθεῦθεν est un adverbe nouveau, avec deux aspirées, sans doute le vieil étymon ionien attendu, comme l’explique Dubois215. || La Hylaiè (avec phonétisme ionien), très boisée, comme l’indique par ailleurs son nom, est mentionnée à plusieurs reprises par Hérodote216 et apparaît même dans une inscription olbienne217. Elle se trouvait dans la zone d’influence d’Olbia, sur la rive gauche du Borysthène, dans l’actuelle presqu’île de Kinburn et vers le nord-ouest de la Crimée. L. 7 : les βωμοὶ βεβλαμμένο[ι] avaient été victimes des sacrilèges des populations locales ou peut-être des esclaves qui les avaient attaqués après le naufrage mentionné à la l. 9. || αὖτις : cet adverbe (« à nouveau ») est attendu dans un texte ionien, bien qu’il soit présent également dans les dialectes attique et arcadien218. L. 8 : mention notable du culte de la Mère des Dieux, qu’un graffite d’Olbia de la première moitié du Ve s. qualifie de μεδεση Ὑλαίης (I. dial. Olbia Pont 81) ; cette vaste contrée boisée était donc son domaine privilégié dans le territoire olbien. Selon un épisode célèbre de la vie légendaire d’Anacharsis, le culte de cette déesse aurait été institué dans l’Hylaiè, sur la rive gauche du Borysthène, par le sage scythe à son retour de Grèce, après avoir assisté à sa célébration à Cyzique (Hérodote 4.76)219. On remarque par ailleurs la présence dans notre document du nom théophore Μητροφάνης (infra, l. 10) ; un autre anthroponyme de la même série, qui apparaît dans une marque de propriété de Berezan’ (Μητροδώρ εἰμί, seconde moitié du VIe s.), témoigne à
213 L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 59 n. 11, cite une étude géomorphologique d’après laquelle le Borysthène/Dniepr aurait eu dans l’Antiquité un bras qui passait à travers l’actuel golfe de Jagorlyk et se jetait à la hauteur de la pointe ouest de Tendra (Agbunov 1981, p. 126–127). 214 Rusjaeva 1987, p. 147 ; Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 77 et 83. 215 On connaissait deux dissimilations différentes : ἐντεῦθεν (Homère, Od. 19.568 ; Hippocrate ; dialecte attique) et ἐνθεῦτεν (dans la tradition manuscrite d’Hérodote) ; voir Lejeune 1939, p. 381–382. 216 Hérodote 4.9 (mythe d’Héraclès), 4.18 (« le Borysthène franchi, il y a d’abord, en partant de la mer, l’Hylaiè ») ; 4.19 (« toute cette contrée [celle des Scythes nomades] est sans arbres, à l’exception de l’Hylaiè ») ; 4.55 (« l’espace entre [le fleuve Pantikapès] et le Borysthène est habité par les Scythes cultivateurs ; il donne dans l’Hylaiè et, après l’avoir côtoyée, mêle ses eaux au Borysthène. Un sixième fleuve est l’Hypakyris ; il vient d’un lac, coule par le milieu des Scythes nomades, et débouche près de la ville de Karkinitis, fermant à droite l’Hylaiè et ce qu’on appelle la Course d’Achille ») ; enfin, 4.76, sur l’histoire malheureuse d’Anacharsis, qui célébra la fête en l’honneur de la Mère des Dieux, telle qu’il avait vue à Cyzique, dans « ce qu’on appelle l’Hylaiè (c’est une région qui s’étend parallèlement à la Course d’Achille et qui est toute couverte d’arbres de toute espèce) ». D’autres mentions littéraires : Ps.-Scymnos, F 15a Marcotte (citant Éphore, FGrHist 70 F 158) ; Alexandre Polyhistor, FGrHist 273 F 16 (chez Étienne de Byzance, s. v. Ὑλαία· χώρα Ποντικὴ Ἀβικὴ λεγομένη, τουτέστιν ὑλαία) ; Pomponius Mela 2.1.5 (silvae … maximas) ; Pline l’Ancien, NH 4.83 (silvestris regio Hylaeum mare) ; Anon. Per. Pont. Eux. 49 Müller ; cf. aussi Valerius Flaccus 6.74 (Hylaea) ; voir Kiessling 1916. C’est toujours dans l’Hylaiè qu’était placé un sanctuaire d’Hécate : Ptolémée, Geogr. 3.5.7 (Ἄλσος Ἑκάτης ἄκρον) ; Anon. Per. Pont. Eux. 58 (ἱερὸν ἄλσος τῆς Ἑκάτης). 217 Au Ier s. av. ou ap. J.-C., selon les dates concédées par les divers savants, le décret IOSPE I² 34 (= Syll.3 730) mentionne le repli à l’Hylaiè des citoyens d’Olbia (l. 13 : εἰς τὴν Ὑλαίαν). 218 Cf. Bechtel, GD, III, p. 232–233 ; Dubois, Dialecte arcadien, I, p. 125. 219 Voir Borgeaud 1996, p. 29–30, avec l’observation importante que dans le récit d’Hérodote « la mémoire de la piété métrôaque (…) situe le rite, adressé à une divinité reconnue comme grecque, dans un contexte familier, celui d’une veillée rituelle, une pannuchis ». Sur le culte de la Mère des Dieux à Olbia, voir Ju. G. Vinogradov, dans Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 115–116 ; de nombreux graffites du temenos ouest dans le recueil GraffOlbiaPont (cf. A. Avram, BÉ, 2011, 454). Sur ce culte dans les cités milésiennes du Pont (Apollonia, Istros, Olbia, Myrmékion), voir Alexandrescu-Vianu 1980 ; Chiekova 2008, p. 128–149, 291 ; Bøgh 2012 (dans la mer Noire à l’époque archaïque). Une Mère des Dieux Pontique (Μήτηρ Θεῶν Ποντία) est depuis peu connue grâce à la découverte exceptionnelle de son sanctuaire, à Dionysopolis (auj. Balčik), sur la côte occidentale ; voir Cholakov/Chukalev 2010, p. 737–739 ; Lazarenko et alii 2010 ; Lazarenko et alii 2013.
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son tour de la popularité du culte de la Mère des Dieux220. Que le culte soit arrivé de la « sœur » ionienne d’Olbia, Cyzique, ou autrement, il faut noter son origine de l’arrière-pays ionien221. Un sanctuaire de la Mère (plutôt que de Déméter) est mentionné par Hérodote 4.53 au promontoire d’Hippoléôs (ἱρὸν Μητρός), sur la rive droite du Borysthène (voir supra, comm. de la L. 4). || Βορυσθέ(νεος) : abréviation du nom de Borysthène, à considérer dans le cas présent comme le dieu-fleuve222. Deux graffites olbiens font état du culte dont il jouissait dans cette cité : une amulette en os de Berezan’ qui lui est consacrée (I. dial. Olbia Pont 90, vers 550–525) et une dédicace à la fois à Borysthène et à l’autre fleuve majeur de la région, Hypanis/Bug (I. dial. Olbia Pont 82, ca. 400 : Ὑπάνῑ Βορυσθένει). La figure barbue et cornue de l’un de ces dieux apparaît sur les monnaies en bronze olbiennes du début du IIIe s.223. Ces documents se font sans doute écho du rôle qu’il jouait dans la mythologie locale. Hérodote 4.5 rapporte la légende – peu crédible à son esprit – selon laquelle Zeus eut avec la fille de Borysthène le premier homme de la Scythie, appelé Targitaos. || Héraclès est ici en compagnie de la Mère des Dieux et du dieu-fleve Borysthène, comme divinité locale. Les commentateurs ont à juste titre évoqué les récits des Grecs du Pont rapportés par Hérodote 4.8–10, dans lesquels Héraclès apparaît comme ancêtre des rois scythes : « Héraclès, poussant devant lui les vaches de Gérion, serait arrivé sur cette terre, déserte alors, que les Scythes habitent aujourd’hui ». Il arrive précisément dans la région de l’Hylaiè (4.9), où lui naquirent trois fils, dont l’ancêtre éponyme des Scythes, Skythès224. D’autre part, il peut s’agir d’un culte très ancien importé de la métropole225, non seulement bien reçu par les Scythes de la région mais aussi intégré dans le système religieux local, caractéristique du Middle Ground : des statères olbiens d’argent furent émis entre 460–430 avec au droit la légende ΕΜΙΝΑΚΟ et l’image d’Héraclès portant la peau du lion de Némée, bandant son arc, le genou à terre226. L. 9 : ναυάγιον, forme surprenante, comme le remarque Dubois, par rapport au radical ναυηγ-, hyperionisme constant chez Hérodote. Il est pourtant peu probable qu’il s’agisse d’une influence attique, comme le suppose Dubois, qui fait observer qu’on trouve par ailleurs à la l. 11 δένδρων à la place de la forme attendue δενδρέων227. || Les esclaves sont attestés à plusieurs reprises dans les lettres du Nord de la mer Noire (voir p. 378–379), mais cette mention est plus énigmatique : si ces esclaves enfuis après naufrage faisaient partie de la cargaison, on aurait le témoignage le plus ancien sur le trafic d’esclaves par mer228. || Le verbe κατατρέχω apparaît chez Xénophon (Hell. 5.1.12) avec le sens de « débarquer en hâte », alors que chez Thucydide (2.94 et 8.92) il revêt le sens plus précis d’« attaquer par mer pour piller ». Il peut effectivement s’agir d’une attaque perpétrée contre les autels par les esclaves fugitifs. L. 10 : Dubois écarte la restitution des premiers éditeurs, [χ]ειρουργίηι (« travail manuel, art »), difficile à expliquer dans le contexte de notre texte, et préfère lire ἱρουργίηι, « cérémonie », ici avec le sens d’« acte cultuel » ; Mètrophanès serait alors un prêtre. Cette forme ionienne confirme, par son vocalisme initial (cf. ll. 4 et 10 : ἱρ, ἱρς)229 et médian, la variante ἱροργίαι (= ἱρργίαι) des mss. ABC d’Hérodote 5.83, choisie par H. B. Rosén (d’autres mss. : ἱερουργίαι). || ἱρς : cet adjectif à l’acc. pl. est l’attribut d’un substantif introduit par l’article τ[ς ---] ; la désinence est notée par la simple voyelle pour le o long fermé.
LGPN IV 236 (une attestation à Nymphaion, deux autres à Tanaïs) ; pour d’autres noms théophores de la même série, voir LGPN IV 235–236. 221 L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 130. 222 Voir son éloge chez Hérodote 4.53 (le plus important fleuve de Scythie après l’Istros), qui le compare avec le Nil pour les bienfaits qu’il apporte aux habitants du pays. 223 Anohin 1989, p. 39–40 ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 131. 224 Ju. G. Vinogradov, dans Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 119 ; cf. aussi Braund 2007, p. 50. Sur cette légende, voir Ivantchik 2001, p. 207–220. 225 Pour son culte à Milet, voir Ehrhardt 1988², I, p. 181 ; à Olbia, voir Rusjaeva/Vinogradov 1991a, p. 202 ; Ju. G. Vinogradov, dans Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 119. 226 I. dial. Olbia Pont 3 (et comm. de L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 10–11) ; selon l’hypothèse audacieuse de Vinogradov, Εμινακος pourrait être un dynaste scythe, représentant local du roi Oktamasadès, meurtrier et successeur de son frère Skylès (cf. Hérodote 4.80), mais voir les réserves justifiées de Müller 2010, p. 51. 227 Bechtel, GD, III, p. 110–111. Contre l’explication par une influence attique sur ce tesson d’Olbia, voir Dettori 1999, p. 284– 285. 228 C’est l’hypothèse de Andreau/Descat 2006, p. 45. 229 Cf. le nom du magistrat monétaire Ἱρομνήμων à Abdère (Masson, OGS, II, p. 431). 220
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L. 11 : les pins devaient avoir un autre statut que les autres arbres, étant donné qu’ils sont mentionnés à part, d’autant plus que l’adj. κακαί est précédé du gén. partitif πιτύων. On peut comprendre que, s’ils sont « mauvais », il s’agit sans doute des conséquences du saccage que l’endroit a subi, plutôt que du passage en revue de certaines marchandises, comme s’il était question du commerce du bois. Cette mention d’arbres rappelle les deux passages d’Hérodote qui parle de l’Hylaiè comme boisée (4.19 et en partic. 4.76 : τυγχάνει δὲ πᾶσα ἐοῦσα δενδρέων παντοίων πλέη), alors que le pays des Scythes est en général « terriblement pauvre en bois » (4.61 : αἰνῶς ἀξύλου). L. 12 : θηρευταὶ τῶν ἵππων – on ignore si ces « chasseurs des chevaux » sont scythes ou grecs. Hérodote (4.52) mentionne les chevaux sauvages de couleur blanche (ἵπποι ἄγριοι λευκοί) qui paissent le long des rives de l’Hypanis, capturés par les Scythes qui les sacrifiaient (4.61) et trairaient les juments (4.2). || Τυρα[---], séquence d’interprétation difficile. Dubois se demande s’il peut s’agir des habitants de la cité voisine d’Olbia, Tyras, dont l’ethnique apparaît tantôt sous la forme Τυρανοί (sur les monnaies), tantôt sous celle de Τυρῖται (Hérodote 4.51)230. Cette possibilité n’est pas à exclure, bien que l’on puisse douter que des événements concernant la rive gauche du Borysthène puissent être localisés très à l’ouest d’Olbia. D’autre part, étant donné le caractère fragmentaire du texte, on ne sait pas s’il ne s’agit d’une autre affaire qui est évoquée à la suite de celle des sanctuaires. Commentaire : Ce document étonnant, parsemé de nombreux ionismes et connu sous le nom de « lettre du prêtre » (première édition en all. « Brief des Priesters », cf. russe pis’mo žreca), a suscité beaucoup de commentaires. Il est considéré en général comme une lettre privée, depuis ses premiers éditeurs Anna S. Rusjaeva et Jurij G. Vinogradov, qui la datent vers 550–525. Son apparence est curieuse : le tesson comporte une sorte de grille231 superposée aux douze lignes de texte où les lettres ont été repassées à l’ocre. Certains commentateurs estiment qu’il ne s’agit en réalité pas d’une lettre232 ; d’autres, comme Benedetto Bravo, croient en revanche qu’à l’origine le document était une lettre officielle, envoyée par un magistrat olbien à un autre magistrat de la même cité, vers 550–510233. Par la suite, selon Bravo, l’ostrakon aurait été employé dans un but magique par un ennemi personnel de l’auteur de la lettre (qui a gravé la grille, puis a couvert les lettres d’une couche de couleur rouge) ; il serait donc un des plus anciens témoignages de κατάδεσμος, dans le sens que la lettre a été utilisée par le defigens comme un « objet-substitut » de l’adversaire cible de la malédiction234. Comme pour nombre d’autres lettres privées, essentiellement sur plomb, considérées à tort par B. Bravo comme des defixiones [*8 (la seule qui est réellement problématique), 22, 29, 32, 60] ou des textes initiatiques (23, 27), j’écarte avec vigueur cette hypothèse. En effet, les deux arguments concernant l’apparence du tesson, qui d’après B. Bravo, permettraient de ranger ce document parmi les textes magiques, sont tout aussi problématiques. En premier lieu, la présence des lignes qui encadrent le texte sur un fragment de vase à vernis noir d’Olbia (I. dial. Olbia Pont 97, Ve s.), n’est pas associée à un hypothétique caractère magique du texte. Ce dernier se révèle être, comme l’a montré de manière convaincante L. Dubois, une tessère mentionnant les responsables du clergé du culte d’Hermès et d’Athéna. Quant au second document (I. dial. Olbia Pont 98, vers 400), il n’a pas non plus de contenu magique. S’il présente, certes, un dessin et un texte d’exécration, dus à une jalousie mal maîtrisée de l’auteur envers un certain Pharnabazos, il s’agit plutôt d’une plaisanterie dans un cercle d’Hermaïstes olbiens. Récemment, V. P. Jajlenko interprète ce texte fragmentaire comme un hymne, dont il essaie d’identifier, sans beaucoup de succès, la structure en hexamètres. Je suis A. Avram pour conclure que l’auteur estropie le texte,
230 Voir Ehrhardt 1988², II, p. 350 n. 560 ; Avram, PPEE, 2013, p. 365–367, qui remarque qu’on trouve dans les inscriptions une seule fois Τυρίτης [n° 3179 ; graffite d’Istros (?) vers la fin du VIe s., Τυρίτημ μόνος (Johnston 1995–1996 = SEG XLVI 889)] et dans tous les autres cas Τυρανός. Les deux formes sont attestées chez Étienne de Byzance (s. v. Τύρας). 231 Différent est le cas du tesson attique sur lequel on a d’abord tracé une grille, avant d’écrire une liste de noms suivis de καλός (deux lettres par carreau) ; voir Agora XXI, p. 14, n° C11 (dessin Pl. 5 ; second quart du Ve s.). 232 Cordano 2005, p. 42–43. 233 Hirophôs/Hi(é)rophôn, prêtre à Berezan’, qui aurait écrit à un magistrat d’Olbia. Non seulement la lecture de Bravo est difficilement acceptable, mais ses suppositions s’apparentent à un roman. 234 Bravo 2000–2001, p. 162–164, n° III ; Bravo 2001, p. 254–264 ; Ceccarelli 2013, p. 339–340.
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afin de privilégier son propre « poème », qu’il met en relation avec le meurtre d’Anacharsis dans la forêt de l’Hylaiè235. Si l’on examine le contenu du texte, il n’est pas facilement accessible, en raison notamment de son caractère fragmentaire, d’autant plus qu’on ignore la longueur des parties perdues à gauche et à droite. On peut toutefois conclure qu’il s’agit d’une affaire concernant des sanctuaires qui ont été affectés par des événements qui eurent lieu dans la région d’Hylaiè, connue grâce à Hérodote. Sont mentionnés certains cultes (la Mère des Dieux, le dieu-fleuve Borysthène, Héraclès) que l’on connaissait grâce au texte hérodotéen ou aux témoignages olbiens (inscriptions, graffites, monnaies, trouvailles archéologiques), ainsi que plusieurs microtoponymes locaux (Hylaiè, peut-être le promontoire d’Hippoléôs, le toponyme nouveau Chalkènè), et le nom de Mètrophanès, sans doute un prêtre. Certains détails concordent avec le récit de l’historien d’Halicarnasse, mais il ne faut pas pour autant lire ce texte en clé exclusivement hérodotéenne. Un autre écueil à éviter est celui de proposer un scénario, avec des repères d’antériorité et de postériorité. La seule certitude, en raison de la présence d’un verbe à la IIe pers. sg. dans une séquence explicitée par L. Dubois (l. 2 : ὡς ἐπιτέλλεις πέμπ[ων]), est que l’auteur s’adresse à une autre personne, qui lui avait selon toute vraisemblance confié une mission ; c’est donc la réponse par lettre à une autre missive. L’expéditeur semble donc établir un rapport sur les différents faits et états de lieux qu’il a pu constater lors de sa mission. Le texte avait certainement une cohérence, mais celle-ci nous échappe partiellement. Un dernier point concerne les pratiques de culte que ce texte semble attester. On a mis en évidence des rites accomplis par les femmes dans Hylaiè236, alors que le texte, fragmentaire à cet endroit, ne permet pas d’avancer une telle interprétation. Quand bien même cette hypothèse est valable, il me semble nécessaire de revenir sur la restitution proposée par B. Bravo aux ll. 5–6 : γυν[αῖκές εἰσι | ἐν ταραχῆι πολ]λῆι. Cette interprétation plus qu’arbitraire, en plus des problèmes de méthodologie qu’elle soulève, rend compte d’une pensée misogyne certainement pas intentionnelle, mais néanmoins significative de la manière dont on traite parfois les textes anciens. Il est symptomatique de constater que s’il est question de femmes, on suppose qu’elles sont prises de panique et sèment à leur tour le trouble. Il est plus prudent de ne pas restituer un texte que nous avons du mal à appréhender : il ne deviendra pas pour autant plus familier. Ce tesson offre donc des renseignements d’une richesse inattendue sur la topographie, en particulier sacrée, de la grande cité d’Olbia du Pont, avec ses sanctuaires extra-urbains237, sur les divinités et les rites dans un milieu colonial de tradition milésienne238, enfin, sur les activités économiques et commerciales. C’est un témoignage précieux qui s’ajoute aux descriptions d’Hérodote sur Olbia et sa vaste région239.
29. Lettre sur plomb mentionnant « la caisse de la mère » (Olbia du Pont)
29. Lettre sur plomb mentionnant « la caisse de la mère » (Olbia du Pont) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte par Vladimir V. Nazarčuk240 en 2010, lors des fouilles d’un quartier d’habitation d’Olbia du Pont (secteur T-3, dans la partie en terrasses de la cité, en bas du temenos d’est), dans une maison bâtie dans la seconde moitié du IVe s. et détruite au IIe s. Support, mise en page : de la lamelle rectangulaire ne subsistent que trois fragments jointifs (4,1 × 8,2 cm ; ép. 0,1 cm). Le fr. de gauche (A) est mieux conservé que celui de droite (B), dont plus de la moitié a été perdue, ainsi que le bord supérieur des deux fragments ; s’ajoute un petit fr. (C), à droite du fr. B. Le bord gauche a été conservé, un espace ayant été laissé 235 A. Avram, BÉ, 2016, 347. Belousov, EpPont, 2015, n° 16 (Aristeas, 14, 2016, p. 259), montre que les schémas métriques sont erronés. Ivantchik 2016, p. 312–314, interprète à son tour les données du tesson à la lumière de la légende sur l’origine des Scythes chez Hérodote. 236 Braund 2007, p. 48 ; Bravo 2001, p. 262, en fait des prêtresses. 237 Voir, entre autres, Bravo 2001, p. 221–266 ; Bujskikh 2005 ; Bujskih 2006b. Sur le vaste territoire olbien, voir Wąsowicz 1975 ; Bujskich 2006c. 238 Voir Rusjaeva 2010a. 239 West 2007. 240 Je remercie vivement Vladimir V. Nazarčuk de m’avoir aimablement communiqué des photos de cette lettre avec la permission de la publier, au moment où elle était encore inédite, ainsi qu’Anna S. Rusjaeva d’avoir assuré la communication avec l’inventeur.
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avant le début de chaque ligne ; la partie supérieure du plomb s’est détachée. On ne peut pas juger avec certitude d’après le texte conservé, mais il est possible que la partie perdue comprenait beaucoup plus d’un tiers de la lettre. Quelques lignes devaient avoir été inscrites également sur le morceau qui s’est détaché du haut de la tablette : on voit les traces de deux lettres sur la première ligne conservée (fr. B) ; en revanche, on détient la fin de la lettre, car après la fin du dernier mot il reste assez de place sur la tablette pour tracer encore une ou deux lignes, si le rédacteur l’avait souhaité. La lamelle a été enroulée plusieurs fois, de gauche vers la droite si l’on se fie à la dimension des cinq volets restants (délimités par quatre plis), de plus en plus larges au fur et à mesure qu’on avance vers la droite ; les cassures verticales correspondent, comme souvent, à deux des volets. Le scribe a tracé un cadre que l’on voit clairement à gauche (à 0,2 cm du bord) et en bas du fr. A (à 0,4 cm du bord), ainsi que sur une petite portion de la partie inférieure du fr. B ; le même cadre devait se trouver dans l’extrémité droite, perdue, et peut-être même en haut de la lamelle. Les lettres ont été tracées avec une pointe aiguisée, assez profondément. Sur les trois fragments conservés on distingue sept lignes. On ignore si une adresse externe était présente au verso, par exemple sur l’un des segments perdus. En dépit de la perte du bord droit de la lamelle, le fait que le bord gauche soit conservé montre que les mots étaient souvent coupés en fin de ligne, sans toujours respecter la coupe syllabique. Interponction sous la forme de deux points superposés (:) (l. 5). Dialecte : ionien oriental. Ξυν- pour συν- (l. 6) ; ἰ pour εἰ (l. 5). Paléographie : lettres bien gravées, élégantes ; ht. des lettres : 0,35–0,4 cm. La forme des caractères (kappa avec les hastes obliques plus courtes et légèrement recourbées vers l’intérieur ; ny asymétrique ; xi avec une barre verticale mais plus grand que dans la lettre d’Achillodôros (25) ; omikron petit ; pi avec la haste verticale droite plus courte mais étroit ; rhô et tau à la haste verticale plus longue ; sigma à quatre branches, dont la première oblique), l’interponction ainsi que les traits dialectaux nous invitent à dater la lettre de la première moitié du Ve s. Date : ca. 500–450. Conservation : Musée de l’Institut d’Archéologie de l’Académie Nationale des Sciences d’Ukraine, Kiev. Éditions : Nazarčuk 2011 [= SEG LXI 637 ; cf. A. Avram, BÉ, 2012, 310 ; cf. Belousov, EpPont, 2011, 10 (Aristeas, 6, 2012, p. 214)] ; Ceccarelli 2013, p. 343, n° 14 ; Mitina 2017a (avec trad. russe) [cf. A. V. Belousov, L. G. Eliseeva, EpPont, 2017, 19 (Aristeas, 18, 2018, p. 215)] ; Mitina 2017b, p. 244–265 (avec trad. russe) (cf. A. Avram, BÉ, 2019, 329). Bibliographie : Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 227 n. 29. Illustrations : Nazarčuk 2011, p. 472, fig. 1.1–2 (ph. et dessin) ; Mitina 2017a, p. 163, fig. 1 (dessin) ; Mitina 2017b, p. 245, fig. 1–2 (ph. et dessin). Note sur l’édition : Nazarčuk (2011) donne une transcription diplomatique241, reprise par Belousov (2012), Ceccarelli (2013) et le SEG (avec quelques propositions de lecture) ; Avram (2012) a reconnu une brève séquence. Le document est identifié comme lettre privée par tous ces auteurs, alors que Bravo et Wolicki (2015–2016) le considèrent une defixio (d’après la photo peu claire de la première publication). Fac-similé et lecture d’après les photos de qualité envoyées par l’inventeur. Valerija Vjačeslavovna Mitina a étudié en parallèle cette lettre, à partir de la même photo de V. V. Nazarčuk, pour un mémoire de fin d’études, en lettres classiques, à l’Université d’État de Saint-Pétersbourg : Svincovoe pis’mo, najdennoe v Ol’vii v 2010 godu, i ol’vijskie denežnye edinicy VI–IV vekov do našej ėry [Lettre sur plomb trouvée à Olbia en 2010 et unités monétaires des VIe–IVe s. av. n. è.], Mémoire, Saint-Pétersbourg, 2017 (et deux publications en 2017) ; j’ai pris connaissance de l’existence de ce mémoire, puis des deux articles, après l’établissement de mon édition dans mon mémoire inédit d’habilitation (rendu début janvier 2018). Étant donné la présence de traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
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Voici cette transcription, telle qu’elle a été reprise dans les publications mentionnées : …ΝΡΔ Α(?)ΡΗΜ(?)… ΥΙ ΠΞΟΥΙ ΚΑΙΤΟ… ΑΙΤΗΣΜΗΤΡΟ ΗΙ ΗΝΠΕΝ…. ΕΚΤΑΣΙΔΕΜΗ ΑΥΤ ΠΟΗΜ(?)….. 5 ΕΣΣΙΤΟΝΟΙΚΟΝΞΥΝ……. ΤΑ.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Fig. 85. Photo de la lamelle.
Fig. 86. Fac-similé de la lamelle.
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[-------------------------------------------------?] [------------ca. 14–15------]Ε++[-------------------] [χλ]ανίδε[ς κα]ὶ χρήμα[τα? --------------------] ΥΣ+ΕΙ τούτων [δ]ὲ καὶ τὸ πο[-----------------] αι τῆς μητρὸς θήκην πέντε [στατῆρες? (καὶ) –] ἔκτας : ἰ δὲ μή, ταῦτα ποιήσε[ι(ς)? ------------] εσσι τὸν οἶκον ΞΥΝ+[.]+ΝΤ[------------------] τα. vac.
2 [χλ]ανίδ[α? ---] χρήμα[τα] Mit. 2017b || 3 ΥΣΩΙ (?) τούτωι Mit. || vel τούτωι || 4 [κ]αὶ τῆς μητρὸ[ς?] Sverkos (SEG) || vel πεντε[και–] || 5 ἐκ τᾶς? Kantor (SEG) || ἰδὲ μή Mit. : ἔκτας : ἰ δὲ μή ego || ποιήσ[ηις e.g.] Mit. || 6 εσσι τὸν οἶκον ξὺν [ Avram || vel ΞΥΝ+[.]+ΙΤ[
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[---] manteaux de laine fine [---] les biens [---] de ceux-ci ainsi que [--- prendre/restituer] de la caisse de la mère cinq [statères ? et –] hektai ; et sinon, il fera/tu feras cela [---] la maison [---]. L. 2 : sans doute [χλ]ανίδε[ς], des manteaux féminins élégants, en étoffe précieuse. || La restitution du mot χρήμα[τα], ou d’un verbe de la même famille, semble très probable si l’on prend en considération les parallèles qu’offrent les autres lettres. Dans la lettre olbienne d’Apatorios à Léanax (26), la mention des biens (τὰ χρήματα) est récurrente : le mot apparaît ainsi aux ll. 1, 3 (deux fois), 5 et 6. Dans la lettre d’Agathè (63), la séquence [---]ήματα (B, fr. 5) est sans doute un substantif au neutre pl., e.g. χρήματα, κτήματα, οἰκήματα. Enfin, ce terme est également présent dans une lettre de Berezan’ (24, l. 7 : χρῆμα) et sur le plomb commercial de Pech Maho (IG France 135, ll. 11–12) : ἀπέδωκα τὸ χρῆμα τρίτον | [ἡμ]ιοκτάνι[ο]ν, « je lui ai remis en main (le reste de) la somme due, jusqu’(au total) de deux huitains et demi ». Si dans ce dernier cas le mot, au singulier, signifie « somme d’argent », au pluriel il est employé au sens de « marchandises », objets d’une transaction. L. 3 : τούτων (plutôt que τούτωι), pronom démonstratif masc. au gén. pl. L. 3–6 : [---]|αι τῆς μητρὸς θήκην πέντε [στατῆρες? (καὶ) – ] | ἔκτας. La fin du premier mot doit correspondre à la désinence d’une forme d’infinitif (e.g. ἀποδοῦναι, ἀποδιδόναι, ἀποδόσθαι). La seule lecture possible est celle d’un terme désignant la « caisse », θήκη ; un objet également destiné à conserver/transporter l’argent est la bourse mentionnée dans la lettre sur tesson de Chersonèse Taurique (39, ll. 3 et 6). Il s’agit d’une nouvelle mention de femmes dans la correspondance privée. Dans notre document, il est question de la mère de l’un des deux acteurs de la correspondance – dans un rapport familial fils/père ou entre frères – plutôt que de celle d’un partenaire d’affaires. Sa mention comme gestionnaire de la maison rappelle les mots de Socrate dans l’Économique de Xénophon : « Pour moi je considère qu’une femme qui est une bonne associée pour le ménage a tout autant d’importance que l’homme pour l’avantage commun. C’est l’activité du mari qui fait généralement entrer les biens dans la maison, mais c’est la gestion de la femme qui en règle le plus souvent la dépense » (Oec. 3.15). || Le dernier mot semble être le numéral πέντε, qui, étant donné la mention de la subdivision en hektai qui suit, s’accorde mieux qu’un composé avec πεντεκαι-. J’ai préféré restituer une somme d’argent, par exemple 5 statères et un nombre inconnu d’hektai ; pour cette subdivision monétaire bien connue en pays ionien242, voir le comm. de la lettre de Patrasys (48). L. 5 : on remarque le signe d’interponction (:), avant le début de la dernière phrase ou de la dernière instruction du message sur plomb. || La graphie ἰ de la conjonction conditionnelle εἰ trouve un parallèle dans la lettre d’Apatorios à Léanax (26, l. 5), où l’on a ἰάν pour ἐάν. Si la forme ἰάν de la conjonction hypothétique (att. ἐάν) est une particule authentique de l’ionien occidental et de l’eubéen colonial d’Occident243, dans la lettre d’Apatorios, tout comme dans le document présent, il ne peut être question que d’une fermeture sporadique du e en i244. || Pour le dernier mot, ποιησε[---], il faut penser à une forme d’optatif aor. à valeur potentielle, qui se construit habituellement avec la particule μή : soit à la IIIe pers. sg. (cf. εἰ δὲ μὴ ταῦτα ποιήσειε, Isocrate, Trap. 19), soit à la IIe pers. sg. : ποιήσειας. On traduirait dans ce cas « s’il ne faisait pas cela »/« si tu ne faisais pas cela ». Une forme de futur indicatif est également possible (ποιήσει, ou ποιήσεις) si l’on place la virgule après ἰ δὲ μή (cf. εἰ δὲ μή, ταῦτα ποιήσει ἅπερ πρὸς τὸ ὅλον, Platon, Parm. 150 B) ; cette solution est à privilégier. On entendrait alors « et sinon, il fera/tu feras cela ». On a déjà rencontré cette séquence εἰ δὲ μή, fréquente dans les instructions épistolaires, dans la lettre sur plomb destinée à Tégéas de Toronè (14, l. 5) ; elle revient dans la lettre olbienne (?) d’Artikôn (30, B, l. 1). L. 6 : le début de la ligne pourrait être, si l’on se trouvait en pays éolien, ou du moins dans les colonies phocéennes où cette influence s’est fait sentir, la fin d’un datif en -εσσι245. Étant donné le contexte ionien, on pense 242 Voir la découverte récente d’une hektè d’or de Cyzique à Olbia (secteur P-25, aire de culte d’Aphrodite, première moitié du VIe s.) (Krutilov/Bujskih 2016). 243 Voir L. Dubois, I. dial. Sicile, I, 1989, p. 16–17, n° 15. 244 Cf. I. dial. Olbia Pont 87 (Ve s.) : Κλεαίνιτός μι ἀνέθηκεν. Pour cette fermeture sporadique de e en i, voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 185. On trouve, en revanche, et encore à deux reprises, ἰ pour εἰ dans les inscriptions de Cumes du Ve s. (voir L. Dubois, I. dial. Sicile, I, 1989, p. 17). Dans la lettre d’Apatorios à Léanax, voir également la notation σισύλημαι (26, l. 1) pour la forme de parfait avec redoublement σεσύλημαι. 245 Cf. Schwyzer 1939, p. 564.
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au parallèle que l’on trouve dans la lettre d’Achillodôros (25, l. 12) : 〈ο〉ἴ ἐσσιν ἐν Αρβινατηισιν. Dans les deux cas, nous avons affaire à un phénomène sporadique dans la notation de la double sifflante intérieure de la IIIe pers. pl. ἐντι > *ἐνσι > σι = εἰσι. Il est toutefois difficile de traduire avec οἶκον à l’accusatif qui se lit bien. || Après τὸν οἶκον, on peut reconnaître la forme ionienne ξύν, qui peut être soit la préposition σύν soit le préfixe d’un verbe. L. 7 : -τα doit être la fin d’un neutre pluriel, dernier mot du message, qui se clôt sans aucune formule épistolaire, normalement absente à cette époque. Commentaire : Bien que fragmentaire, cette lettre découverte dans un quartier d’habitation d’Olbia du Pont246 vient non seulement enrichir la « moisson toujours croissante d’épîtres pontiques » (A. Avram, BÉ, 2012, 310), mais elle livre également un nouveau renseignement sur les pratiques d’écriture sur plomb. Si dans le cas de la lettre de Klédikos d’Hermonassa (52) son auteur a divisé en deux la superficie de la lettre, et si dans la lettre olbienne d’Apatorios a Léanax on retrouve une démarcation des deux parties du message par une ligne horizontale (26), dans le cas présent le rédacteur a tracé un cadre qui ressemble à une véritable mise en page. Cette délimitation de l’espace est unique dans ce corpus, montrant ainsi une longue pratique et une similitude avec les supports d’écriture contemporains ou postérieurs. Qui plus est, les lettres élégantes, un peu allongées, tracées sans hésitation, dénotent une main habituée à cet exercice. On est loin de ce que B. Bravo et A. Wolicki affirment être « un texte de defixio écrit délibérément d’une manière chaotique »247. Nous sommes clairement devant une lettre privée à caractère commercial, dans un contexte familial (οἶκος, μήτηρ), contenant des instructions au sujet des [χλ]ανίδε[ς] (l. 2), d’autres marchandises (χρήμα[τα?], l. 2) ainsi que d’une somme d’argent à payer ou à récupérer dans « la caisse de la mère »248 (ll. 3–5 : transaction ? dette ?). Cette nouvelle mention des unités monétaires s’inscrit dans une série qui s’accroît dans la correspondance privée sur plomb et sur tesson. L’expéditeur et le destinataire appartenaient sans aucun doute à la même famille ou étaient dans tous les cas proches, comme le montre la mention de la mère et d’une maison. Comme souvent dans le cas de lettres incomplètes, le vrai sens de l’affaire nous échappe. Cela peut arriver même pour les lettres plus longues ou complètes, du fait des références compréhensibles pour les seuls acteurs de la correspondance.
30. Lettre opisthographe sur plomb d’Artikôn à sa famille (Olbia du Pont ?) 30. Lettre opisthographe sur plomb d’Artikôn à sa famille (Olbia du Pont ?) Découverte, contexte : lamelle de plomb achetée en 1902 par la Commission Archéologique Impériale pour le musée de l’Institut Historico-Philologique de Saint-Pétersbourg ; elle avait appartenu à Nikolaj L’vovič Levickij, prêtre de la cathédrale d’Očakov, dont la collection d’antiquités était constituée principalement d’objets de Berezan’ et d’Olbia du Pont. Le doute persiste donc quant à l’origine du document : pour le premier éditeur, Vasilij V. Latyšev, une provenance d’Olbia était plus vraisemblable, alors que Ju. G. Vinogradov penchait pour Berezan’, dans son édition de la fameuse lettre d’Achillodôros (25)249. Support, mise en page : lamelle rectangulaire, complète (3 × 13 cm), pliée en son milieu. Le fait que les deux moitiés se soient détachées au long de la pliure empêche de mieux distinguer les lettres qui se trouvaient au milieu de la lamelle ; l’oxydation et des parties plus effacées, en particulier sur la face B, posent d’autres problèmes de lecture. La lamelle est opisthographe : quatre lignes sont inscrites assez profondément sur chaque face, sans coupe des mots en fin de ligne ; des signes d’interponction sous forme de deux points superposés (:) sont présents de manière aléatoire (A, ll. 1–3 ; B, l. 1), une fois même au milieu d’un mot, sans doute par erreur (face A, l. 3 : ὑ:μᾶς) ; d’autres signes d’interponction ont sans doute disparu dans la cassure au milieu de la lamelle, et peut-être sur d’autres lignes de la face B, plus effacée. Dialecte : ionien oriental. Graphies ioniennes ἤν (A, l. 2 et B, l. 1) et οἰκίης (A, l. 3) ; mais graphie post-dialectale dans χαίρειν (A, l. 2). Dissimilation de l’aspirée dans Ἀγάθαρκον (B, l. 2).
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Pour les fouilles récentes dans ce secteur (T-3), voir Krapivina 2012, p. 269–270. Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 227 n. 29. Sur le transport et la conservation des monnaies, voir de Callataÿ 2006. Latyšev 1904, p. 11 ; Vinogradov 1971, p. 78.
30. Lettre opisthographe sur plomb d’Artikôn à sa famille (Olbia du Pont ?)
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Paléographie : lettres négligemment gravées, de dimensions très variables (ht. des lettres : 0,3–0,8 cm ; alpha : 0,7 cm ; epsilon : 0,8 cm), y compris pour les mêmes caractères (alpha, omikron, sigma) ; elles sont visiblement plus grandes sur les deux premières lignes de la face A et sur la première ligne de la face B. La paléographie (alpha à barre horizontale droite ; epsilon avec les hastes horizontales droites ; ny asymétrique ; pi avec la haste verticale droite plus courte ; sigma à quatre branches ; ômega présentant deux formes), la notation différenciée des voyelles longues récentes ainsi que la présence de la formule épistolaire indiquent une date de rédaction du milieu du IVe s.250. Date : ca. 350. Conservation : Collection d’antiquités d’Olbia et de Berezan’ de N. L. Levickij, puis au Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg ; aujourd’hui introuvable251. Éditions : Latyšev 1904, p. 10–13, n° 7 (avec trad. russe) ; Wilhelm 1909 (avec trad. all.) (= Wilhelm 1984, p. 338–346) (cf. P. Kretschmer, Glotta, 3, 1912, p. 300 ; cf. A. J. Reinach, BÉ, dans REG, 23, 1910, p. 312–313, avec trad. fr.) ; Crönert 1910, p. 158–160 (n° II) et 308 n. 1 (avec trad. all.) ; SGDI IV 39 (O. Hoffmann, 1914, p. 865–866, avec trad. all.) [cf. W. Larfeld, Philologische Wochenschrift, 35 (13), 1915 (27 mars), col. 402–403, avec trad. all.] ; Syll.3 1260 (W. Dittenberger, III, 1920, p. 386, avec trad. lat. partielle) ; Dial. graec. ex., p. 359, n° 736 (E. Schwyzer, 1923) ; I. dial. Olbia Pont 25 (L. Dubois, 1996, p. 63–66, avec trad. fr.) (avec les obs. de Tohtas’ev 1999, p. 179, et de Vinogradov 2000a, p. 327) ; Jordan 2003, p. 31, n° II (avec trad. angl.) ; Jordan 2007, p. 1357, n° II (avec trad. angl.) ; Ceccarelli 2013, p. 342, n° 12 (avec trad. angl.) ; Jajlenko 2016, p. 237–242 (avec trad. russe). Bibliographie : Schmidt 1904 (= IIAK, 14, 1905, p. 138–139, avec trad. all.) ; Witkowski 1911², Appendix A.1, p. 136 ; Minns 1913, p. 466 (avec trad. angl.) ; Ebert 1921, p. 304 (avec trad. all.) ; Mayser 1934, p. 5 ; Kocewalow 1935, p. 111, § 105 ; J. et L. Robert, BÉ, 1944, 90 ; Knipovič 1956, p. 122 ; Vinogradov 1971, p. 78–79 (avec trad. russe) ; Bravo 1974, p. 113–114, n° 2 ; Ju. G. Vinogradov 1979, p. 302 n. 62 (= Vinogradov 1997a, p. 82 n. 62) ; Jordan 1980, p. 226 n. 9 ; Vinogradov 1983, p. 392 ; Vinogradov 1989, p. 75–76 ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (B.iii) ; Millett 1991, p. 260, n° 2 ; Vinogradov 1997a, p. 156, n° 6 ; Jajlenko 1998, p. 110–111, 114 ; Vinogradov 1998, p. 153 n. 4 (n° 1) ; Vinogradov 1999a, p. 137 ; Jordan 2000a, p. 91–92, n° II ; Skržinskaja 2000, p. 41 ; Henry 2001, p. 766 (B.2) ; Ceccarelli 2005, p. 40 ; Cordano 2005, p. 45 (avec trad. it.) ; Dana 2007a, p. 69 (n° 2) et 92 ; Muir 2009, p. 2 (avec trad. angl.) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 54 (E2) ; Ceccarelli 2013, p. 41 ; Decourt 2014, p. 56, n° 22 (avec trad. fr.) ; Rusjaeva/Ivčenko 2014, p. 156–157. Illustrations : Latyšev 1904, p. 10 (dessin) ; Wilhelm 1909, p. 119, fig. 64 (ph.) [= 1984, p. 339] ; Minns 1913, p. 466, fig. 332 (dessin) ; Arheolohija Ukraïns’koï RSR, II (Skifo-sarmats’ka ta antična arheolohija), Kiev, 1971, p. 459, fig. 136 (dessin) ; I. dial. Olbia Pont (L. Dubois, 1996), p. 63 (dessin) ; Skržinskaja 2000, fig. 60 (dessin) ; Decourt 2014, p. 75, fig. 15 (dessin) ; Jajlenko 2016, p. 237, fig. 27 (dessin). Note sur l’édition : une première publication de Latyšev (1904) a été suivie d’une édition améliorée de Wilhelm (1909). Les interventions de Reinach (1910) et Crönert (1910, suivi par Jajlenko 2016) sont à signaler, ainsi que les éditions de Jordan (2003, 2007) et Dubois (1996), dont le texte est suivi par Ceccarelli (2013) et Decourt (2014). Pour l’établissement du texte de l’édition-standard, Adolf Wilhelm remercie le premier éditeur Latyšev, ainsi qu’Eugen Pridik, Mikhaïl Rostovtzeff et Georg Schmidt pour leur aide dans la documentation, dont un moulage de plâtre et une photo (la seule a avoir été publiée). Pour l’établissement du fac-similé et du texte, étant donné que le document est aujourd’hui introuvable, et en l’absence de la documentation photographique de l’époque, j’ai pu exploiter uniquement les photos des deux faces publiées par Wilhelm, peu claires par endroits.
Dates : première moitié du Ve s. (Jajlenko) ; Ve s. (Vinogradov, critiqué par Bravo) ; pas après le milieu du IVe s. (Latyšev) ; IVe s. (Wilhelm) ; ca. 350 (Dubois). Vinogradov 2000a, p. 327, conteste la datation vers 350 de L. Dubois, en raison de la présence de l’interponction à Olbia et en Ionie jusque vers 400 (cf. déjà Vinogradov 1971, p. 78). 251 Une enquête menée avec l’aide des responsables de la collection des antiquités du musée de l’Ermitage en février 2017, que je remercie de leur dévouement, est restée sans résultat. Thomas Corsten m’a aimablement communiqué qu’aucune trace de la photo de ce document n’a été retrouvée dans les archives du JÖAI de Vienne. 250
156
Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Fig. 87. Photos des deux faces de la lamelle.
Fig. 88. Fac-similé des deux faces de la lamelle.
[A]
4 [B]
4
Ἀρτικῶν : τοῖς ἐν οἴκωι χαίρειν : ἢν ἐγβάλει : ἐκ τῆς οἰκίης ὑ:μᾶς Μυλλίων : παρὰ Ατακους [ε]ἰς τὸ οἴκημα. ἢν : γὰρ διδῶι : εἰ δὲ μή, παρὰ Ἀγάθαρκον. Εἰς τὰ παρὰ Κέρδωνος ἐρίων τὸ μέρος κομισάσθω.
(A) 1 τ[ο]ῖς Latyšev, Hoffmann || οἴκω[ι] Lat. : οἴκωι Wilhelm, Crönert, Hoff. : οἴκω(ι) Dubois : οἴκω Jordan : οἴκω〈ι〉 Ceccarelli, Jajlenko || 3 ὑμ[ᾶς] Lat. : ὑ:μ[ᾶς] Wilh., Dub., Cecc., Jajl. : υ:μ.. Hoff. : ὑμᾶς Crön., Ditt. : ὑ:μᾶ[ς] Jord. || Μυλαίων Schmidt || 4 Ἀτακοῦς? Hoff. : παρὰ Συ:τάκους Jord. || [ἐ]ς Lat. : εἰς Rein., Crön., Ditt. : [εἰ]ς Wilh., Hoff., Dub., Cecc., Jajl. : [ε]ἰς Jord. (B) 1 [π]αρδιδῶι Lat. : γὰρ διδῶι Wilh. : παρδιδῶι? Jord. 2003 || 2 Ἀγάθαρ(χ)ον Crön. : Ἀγαθάρκην Jord. || 3 Κέρδω[ν]ος Lat., Wilh., Hoff., Jord., Dub., Cecc., Jajl. : Κέρδωνος Crön., Ditt. || 4 κομι[σ]άσθω Lat.
Artikôn à ceux de la maison, salut ! Si Mylliôn vous chasse de la maison, allez chez Atakès, dans le local attenant si du moins il vous le cède, sinon chez Agatharkos. Pour ce qui est des choses qui touchent à Kerdôn, qu’il emporte sa part de laine.
30. Lettre opisthographe sur plomb d’Artikôn à sa famille (Olbia du Pont ?)
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Face A A 1–2 : le nom Ἀρτικῶν, attesté uniquement par ce document (LGPN IV 51), prouve que les noms en -κόων ne sont pas cantonnés dans l’œuvre épique ; il a été expliqué par L. Dubois comme « celui qui accorde une attention adaptée »252. Dans la même famille253, on peut relever deux noms féminins dans le Pont-Euxin : Ἀρτίς, attesté deux fois à Istros (I. Histria 237 ; IGBulg II 877), et Ἀρτινοίη à Panticapée (CIRB 169)254. Concernant le second membre -κῶν < κοέων, « qui écoute »255, L. Dubois attire opportunément l’attention sur la confusion à éviter avec les hypocoristiques des noms en -ικέτης, à savoir les noms en -ίκων256. || Il convient de remarquer, à la place du nom du destinataire, la forme de datif-locatif τοῖς ἐν οἴκωι qui apparaît également dans la lettre plus tardive de Dionysios de Nikonion (21, l. 1), où la formule épistolaire est identique : Διονύσιος τοῖς ἐν οἴκω[ι] χαίρειν. Une forme plus ancienne de locatif apparaît dans la lettre attique sur plomb de Mnèsiergos (6, l. 2) : τοῖς οἴκοι. A 2 : conjonction conditionnelle ἤν (contraction de ἐάν). || ἐγβάλει : forme de subj. IIIe pers. sg. à voyelle brève, bien attesté en ionien257. A 3 : οἰκίης, forme ionienne258. || ὑ:μᾶς : les deux points superposés ont été tracés par erreur par le scribe à l’intérieur du mot ; cf. un autre exemple dans la lettre d’Apatorios à Léanax (26, l. 8, εἴκοσ:ιν). || L’anthroponyme Μυλλίων est un sobriquet bâti sur le radical de μύλλα, « lèvres » (cf. Μύλλος, Μυλλέας, Μυλλίς, Μύλλαρον)259. Jusque-là hapax (LGPN IV 244), ce nom apparaît pour la deuxième fois sur une defixio du territoire d’Olbia du Pont, datant de la seconde moitié du IVe s.260. Étant donné la rareté du nom et la chronologie similaire, on a peut-être affaire à la même personne, évoquée dans cette lettre et dans la malédiction. De la même façon, le destinataire de la lettre olbienne sur plomb d’Apatorios (26), Léanax, est vraisemblablement identique à [L]éanax, mentionné dans la lettre opisthographe sur plomb de l’agora olbienne (27, A, l. 7). A 4 : il faut comprendre, avec L. Dubois, la forme contracte d’un gén. Ατακους261 d’un nom indigène de facture iranienne Ατακης (LGPN IV 57)262, attesté par un génitif plus régulier à Nymphaion (CIRB 914, Ve s. : Ασαρος Ατακεος)263. || On peut traduire οἴκημα par « local d’exploitation » ou « boutique »264, sans doute un bâtiment secondaire, attenant à l’habitation principale.
Bechtel, Personennamen 77 et 272 ; voir à présent Dubois 2003a. Cf. Bechtel, Personennamen 77 : Ἀρτι- (de Ἀρτιο-), avec Ἀρτι-κῶν et Ἀρτί-πους. 254 Cf. Tohtas’ev 1999, p. 179. Sur le nom Ἀρτίς (LGPN IV 51), voir Dana/Dana 2009, p. 236–237. 255 Cf. aussi le nom Δημοκῶν attesté plusieurs fois à Olbia (LGPN IV 94), avec son sens ancien « qui écoute avec justesse », et Λεωκῶν à Chios (Forrest 1966, p. 198–200, n° 3, l. 4 – si la lecture est correcte). Pour cette famille de noms au second membre -κῶν dans le domaine ionien, voir Rousset 2014, p. 89. 256 Voir, à Olbia du Pont, les noms Βατίκων (Dana 2007a, p. 82, n. 27 et 28 ; comm. à la lettre 32), Ἡφαιστίκων (I. dial. Olbia Pont 84) et Ἱστίκων (I. dial. Olbia Pont 88, l. 8). 257 Cf. L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 15, p. 190–191. 258 Pour ce terme général (maison, immeuble, propriété bâtie), voir Hellmann 1992, p. 291–294. 259 Robert, Noms indigènes, p. 155–156 ; Masson, OGS, I, p. 280 ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 64. 260 Belousov/Dana 2017, l. 2 (DefOlb 11) ; ce document a été signalé et publié indépendamment par Alekseev/Loboda 2016, p. 9–10, n° 5 (ph. et dessin p. 32, fig. 5 et 5a), avec une lecture erronée de cet anthroponyme. 261 Pour ce type de génitif (en grec, type Διογένους), cf. le gén. Τηρους du nom thrace banal Τηρης, attesté en Égypte, ainsi que sur des monnaies et chez Xénophon, Anab. 7.5.1 (cf. OnomThrac 355–361). 262 Pour Zgusta 1955, p. 297, § 596, il serait un Lallname dérivé de la base atta. Cf. plusieurs occurrences d’un nom sans doute de la même famille, Ατακουας, à Gorgippia, dans le Bosphore Cimmérien (LGPN IV 57) ; et Αταης sur une defixio olbienne (I. dial. Olbia Pont 106 = DefOlb 15, IVe s.). 263 Voir Vinogradov 1997a, p. 156, n° 6 ; cf. Tohtas’ev 1999, p. 192 et n. 92 (qui cite le nom v.-iran. *Hātaka-) ; Cojocaru 2004a, p. 128, n° 11. D’autres hypothèses sont à écarter : A. J. Reinach voyait dans Ατακους un acc. pl. d’un nom de famille passé à la propriété Ἀτακοι ; O. Hoffmann pensait à un gén. Ἀτακοῦς du nom féminin Ἀτακώ (SGDI, IV, 1914, p. 866) ; D. R. Jordan lisait un hapax Συτακοι, qui serait le nom d’une peuplade (?). Cf. la trad. de Reinach 1910, p. 312–313 : « Artikon à ceux de la maison salut. Si Myllion vous expulse de la maison, retirez-vous dans le bâtiment voisin d’Atakoi (peut-être : des Atakoi, ‒ ce serait un nom de famille passé à la propriété), si on vous le concède ; si non, chez Agatharchos. Qu’une partie des laines y soient apportée de chez Kerdon ». 264 L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 65 ; cf. Hellmann 1992, p. 288–290. Dans les papyrus, οἴκημα désigne aussi bien un bâtiment indépendant et une pièce (habitation, entrepôt), cf. en général Husson 1983. 252
253
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Face B B 1 : L. Dubois, que je suis, donne à la particule γάρ une valeur d’anticipation265. || La séquence εἰ δὲ μή apparaît fréquemment dans les instructions des missives, ainsi dans la lettre destinée à Tégéas de Toronè (14, l. 5) et dans la lettre de « la caisse de la mère » d’Olbia (29, l. 5 : ἰ δὲ μή, ταῦτα ποιήσε[ι(ς)?])266. B 2 : παρὰ Ἀγάθαρκον : pour l’affaiblissement de l’occlusive aspirée χ en κ267, cf. une autre occurrence d’Ἀγάθαρκος dans la lettre sur plomb de Tyras (19) et dans une defixio olbienne sur une coupe attique du IVe s.268, ainsi que les graphies δέκεσθ᾿ (= δέκεσθε) dans la lettre commerciale de l’agora olbienne (27, B, l. 3), et Βρότακος (< Βρόταχος, forme ionienne du mot et de l’anthroponyme Βάτραχος), dans une defixio olbienne sur plomb de la fin du IVe ou du début du IIIe s.269. Le nom banal Ἀγάθαρχος, bien attesté dans le Pont-Euxin (LGPN IV 2), apparaît encore à Olbia sur un timbre amphorique local (gén. Ἀγαθάρχ)270 et sur deux defixiones du IVe s. (DefOlb 6 et 9). B 3–4 : Κέρδων, nom fréquent, y compris dans le Pont Nord (LGPN IV 190) ; une autre occurrence de ce nom apparaît à Olbia sur un vase (SEG XXX 958, Ve–IIIe s.). || Pour le syntagme τὰ παρὰ Κέρδωνος, plusieurs possibilités ont été avancées. A. Wilhelm suggère de faire de εἰς τὸ οἴκημα le complément de destination. W. Crönert, sur la base de parallèles littéraires271, interprète l’expression τὰ παρά τινος au sens de τὰ παρά τινος ἐπεσταλμένα ou κελευσθέντα : « Für das von Kerdon Aufgetragene soll er den nötigen Anteil Wolle erhalten » (« pour ce qui a été ordonné par Kerdon, il est censé obtenir la part de laine nécessaire »). A. Reinach traduit « qu’une partie des laines y soient apportée de chez Kerdon », en sous-entendant οἰκήματα après εἰς τά (il précise : « il suffirait d’ailleurs d’écrire εἰς ταῦτα »). Il me semble qu’il faut simplifier en accord avec la traduction de F. Cordano : « Per quanto riguarda le cose di Kerdon, gli si porti la sua parte delle lane ». En effet, il est courant dans les lettres qu’après avoir évoqué une question – la possible expulsion de la famille par Mylliôn – l’expéditeur passe à une autre affaire qui concerne un certain Kerdôn, qui doit récupérer sa part de laine. Commentaire : La lettre, rédigée sans aucun doute au IVe s. comme nous laisse entendre la formule épistolaire (présence du verbe χαίρειν sous sa forme post-dialectale, nom de l’expéditeur au nominatif et destinataires au datif), fait partie des documents attestant le quotidien des Grecs. Artikôn écrit à sa famille, vraisemblablement menacée d’expulsion de la part de Mylliôn. Ce dernier pouvait être soit un propriétaire désireux de récupérer son bien immobilier loué à la famille (qui lui devait éventuellement le loyer), soit un créancier à qui l’on avait donné ce bien en gage et qui souhaitait par conséquent recouvrir sa dette. En ce qui concerne la nature du bien, étant donné la référence à la laine, L. Dubois pense qu’il s’agit d’un atelier de tissage. On ne peut pas exclure cette possibilité, mais l’objet du litige peut très bien être la maison où la famille habitait, et les « locaux » où elle était censée se réfugier une dépendance de la maison d’Atakès, pourvue que celle-ci ait été disponible. Ce dernier porte un nom indigène, ce qui n’est pas pour nous surprendre dans le monde mélangé et multiculturel des marchands de la région (cf. Matasys dans la lettre d’Achillodôros de Berezan’, 25 ; Sapasis dans la lettre sur plomb de Patrasys, 48). Atakès était vraisemblablement un associé d’affaires de la famille de l’expéditeur, auprès duquel la femme et les enfants d’Artikôn pouvaient trouver un toit en cas de besoin. Le produit évoqué, la laine, renvoie au commerce de textiles attesté dans la lettre commerciale sur plomb retrouvée dans l’agora olbienne (27).
Denniston 1954², p. 70. Pour des exemples attestés dans les sources littéraires, voir Crönert 1910, p. 159. 267 Lejeune 1972, p. 59–60, § 47–48. L. Dubois estime qu’il s’agit d’une dissimilation de l’aspirée, avis partagé par Tohtas’ev 1999, p. 179 n. 45. 268 Rusjaeva/Ivčenko 2014, p. 152–170, en partic. 156–157 (SEG LXIV 685 = DefOlb 6). 269 Belousov/Dana/Nikolaev 2016, p. 170–171 et 176 (pour cette forme à aspirée dissimilée) (SEG LXV 609 = DefOlb 19). 270 Ruban 1982, p. 35, fig. 4.1. 271 Xénophon, An. 2.3.4 ; Polybe 3.33.1 et 5.23.4. 265 266
31. Lettre opisthographe sur plomb de Sôsibios à Mikiôn (Olbia du Pont)
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31. Lettre opisthographe sur plomb de Sôsibios à Mikiôn (Olbia du Pont)
31. Lettre opisthographe sur plomb de Sôsibios à Mikiôn (Olbia du Pont) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte à Olbia du Pont. Support, mise en page : la lamelle est opisthographe. Dialecte : ionien oriental. Date : IVe s. (?). Conservation : collection privée à Mykolaïv/Nikolaev. Inédite. Bibliographie : A. V. Belousov, c.r. de Ceccarelli 2013, dans JHS, 135, 2015, p. 201. Note sur le document : la lettre sera publiée par Askold Ivantchik. Je mentionne l’existence de ce document inédit afin que le corpus soit complet.
[A]
Σωσίβιος Μικίωνι χαίρειν· κτλ.
Le début de la lettre est cité par Aleksej V. Belousov272. Les deux noms, Σωσίβιος et le diminutif Μικίων, sont attestés au nord de la mer Noire (LGPN IV 323 et 237), et connaissent quatre, respectivement trois occurrences à Olbia du Pont. On remarque la présence de la formule épistolaire standard ὁ δεῖνα τῶι δεῖνι χαίρειν ; en contexte nord-pontique, on la rencontre dans les documents 19 (?), 20, 32, 35, 41, 46 et 51 (et sans doute *33 et 45) et, toujours avec χαίρειν, mais avec des variations concernant le(s) destinataire(s), dans les lettres 30, 34 et 39.
32. Lettre sur plomb de Batis à Diphilos (Olbia du Pont)
32. Lettre sur plomb de Batis à Diphilos (Olbia du Pont) Découverte, contexte : lamelle de plomb trouvée en 1962 dans une tombe ravagée de la nécropole d’Olbia du Pont (IVe– IIIe s.), par Julija I. Kozub. Support, mise en page : la tablette, vaguement rectangulaire, est complète ; un espace a été laissé entre le bord gauche et la première lettre de chaque ligne, ainsi qu’entre le dernier mot de chaque ligne et le bord droit. 7 lignes de texte, de gauche à droite, sans coupe en fin de ligne. Au moins une faute d’orthographe, omikron à la place de l’ômega d’un datif (l. 1 : Διφίλοι). Dialecte : ionien oriental. Pronom ionien (et homérique) μευ (l. 2) ; forme dialectale du participe ἐών (l. 2). Faute ou possible marque de prononciation à la l. 1 (χαίριν à la place de χαίρειν). Paléographie : l’écriture n’est pas très soignée et les lettres ne semblent pas gravées profondément. La forme des lettres, régularisée (epsilon avec les hastes horizontales parallèles ; kappa avec les deux hastes obliques de taille normale ; omikron de la taille des autres lettres) et la présence de la formule épistolaire standard permettent de dater la lettre de la seconde moitié du IVe s., voire du début du IIIe s. Date : seconde moitié du IVe–début du IIIe s. Conservation : jadis à l’Institut d’Archéologie de l’Académie des Sciences de Kiev (inv. O-62/2, 1568) ; volée dans les années 1990, la lamelle se trouve à présent dans une collection privée à Mykolaïv/Nikolaev273. Inédite. Bibliographie : Vinogradov 1971, p. 79 ; Bravo 1974, p. 115 ; Bravo 1987, p. 206 ; Vinogradov 1989, p. 130 ; Dettori 1996, p. 308 n. 61 ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 3) ; Skržinskaja 2000, p. 145 ; Tohtas’ev 2000a, p. 299–300 n. 3 ; Dana 2004, p. 1 n. 2 ; Dana 2007a, p. 81–82, n° 6 [cf. A. Avram, BÉ, 2008, 387 (6)] ; Eidinow/Taylor 2010, p. 56 (E6) ; Nikolaev 2011, p. 136 [cf. Belousov, EpPont, 2011, n° 13 (Aristeas, 6, 2012, p. 215) ; cf. A. Avram, BÉ, 2012, 311 ; cf. SEG LXI 638] ; Cec272 273
Cf. Belousov 2015, p. 201–202. Je remercie pour d’autres renseignements Askold Ivantchik et Aleksej V. Belousov. Cf. Belousov 2015, p. 201–202.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
carelli 2013, p. 343–344, n° 16 (cf. A. V. Belousov, c.r., JHS, 135, 2015, p. 201) ; Decourt 2014, p. 59, n° 31 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 235–236, Appendice II (« Un message de Batis à Diphilos trouvé dans une tombe à Olbia du Pont : une lettre ou un texte magique ? ») [cf. A. Avram, BÉ, 2017, 388 ; cf. Belousov, EpPont, 2016, n° 12 (Aristeas, 17, 2018, p. 105–106) ; cf. A. Chaniotis, EBGR 2016, n° 23 (Kernos, 32, 2019, p. 308–309)]. Note sur le document : la lettre sera publiée par Askold Ivantchik.
Commentaire : Cette lettre, bien qu’inédite, a fait l’objet de plusieurs mentions et a acquis une certaine notoriété. Le premier à en avoir parlé fut Jurij G. Vinogradov lui-même, lors de la publication en 1971 de la fameuse lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25). Selon l’épigraphiste russe, il s’agit d’une lettre sur plomb, envoyée par un certain Βατίκων (?) à Diphilos. Selon les informations fournies par N. V. Šebalin et Ju. G. Vinogradov, reprises par B. Bravo274, l’expéditeur, dont le nom a été lu Βατίκων, écrit à un certain Diphilos au sujet d’un échec que Batikôn et sa famille auraient essuyé dans un procès. Le nom du destinataire apparaît, au datif, avec un omikron à la place de l’ômega : Διφίλοι275. C’est un nom banal (LGPN IV 109), alors que celui du destinataire a été lu de manières diverses et exige un commentaire. À présent, comme j’ai pu vérifier sur une photographie qui m’a aimablement été communiquée, il est évident que le nom de l’expéditeur n’est pas Βατ〈ί〉κ〈ων〉, comme l’avait restitué Ju. Vinogradov, pourtant étonné par la succession des lettres ΒΑΤΚ, mais Βάτις. Vinogradov avait été sans doute trompé par le premier bras du sigma, écarté, qui peut en effet passer pour la haste oblique supérieure d’un kappa. Grâce à une photographie et à un fac-similé envoyés par Vinogradov, S. R. Tohtas’ev pensait déjà qu’il faudrait lire Βάτις276, dont Βατίκων ne serait par ailleurs qu’une forme élargie277. Nom ionien porté par des magistrats monétaires à Chios, Samos et Phocée278, Βάτις entre dans une série de noms masculins et féminins en Βατ- (tirés de βάτον ou βάτινον, « mûre sauvage ») récemment commentée par Jaime Curbera279. Dans ses publications antérieures comme dans une autre plus récente280, B. Bravo avance l’hypothèse d’un texte magique. Son argumentation est basée sur le fait que la tablette a été retrouvée dans une tombe, ce qui ferait d’elle automatiquement une defixio adressée à un défunt nommément désigné. Le procédé est inhabituel : s’il arrive d’envoyer ce type de messages, ils sont adressés aux divinités infernales281, avec prière d’intervenir pour punir un ennemi, et c’est cet ennemi qui est nommé. Pourtant, l’adresse est typique des lettres, avec un formulaire régularisé à partir du IVe s., qui occupe la première ligne sans être toutefois centrée ; après le verbe χαίριν (l’epsilon a été omis), un espace est laissé libre, bien qu’il y eût de la place – la ligne suivante comporte deux lettres de plus. On retrouve ainsi le nom de l’expéditeur au nominatif, celui du destinataire au datif, et le salut habituel282.
Informations fournies à Tohtas’ev 2000a, p. 300, n. 3 (qui remercie également Ju. I. Kozub). La lecture était rendue difficile pour Ju. Vinogradov par la dégradation de la tablette, depuis nettoyée et restaurée. 275 Vinogradov 1989, p. 130, qui la date du IVe s., suppose une influence attique dans la graphie Διφίλι, ce qui me paraît difficile à admettre. Il est plutôt question d’une simple erreur, cf. sur la même ligne χαίριν pour χαίρειν ; Belousov, EpPont, 2011, 13 (Aristeas, 6, 2012, p. 215) transcrit χαίρῑν. 276 Tohtas’ev 2000a, p. 300, n. 3. En 2007, au moment de la publication du petit corpus des lettres pontiques dans mon article de la REA (Dana 2007a), je ne disposais que d’informations incomplètes, qui m’ont déterminée à faire un commentaire exhaustif de cet anthroponyme nouveau, bâti avec le suffixe -ίκων. 277 Le nom Βατίκων semble épichorique à Olbia, car on le rencontre, cette fois en toutes lettres : (1) dans une defixio découverte dans la nécropole, datant de la fin du IVe s. (Tohtas’ev 2000a, p. 299–308, n° 2 ; Jordan 2000b, p. 30, n° 119 ; SEG L 702 n° II ; LGPN IV 67 ; DefOlb 16), écrit deux fois, au nom. Βατίκων, puis à l’acc. Βατίκωνα ; (2) dans une liste de noms sur un ostrakon encore inédit (fin du IVe-début du IIIe s.) découvert dans le dikastèrion d’Olbia (Tohtas’ev 2000a, p. 299 n. 3). Pour l’accentuation (paroxyton), voir mon comm. (Dana 2007a, p. 82 n. 27–28). D’autres noms de la même famille sont connus à Olbia – Βατᾶς (Belousov/Dana/Nikolaev 2016, p. 167–172, col. III, l. 30 = SEG LXV 609, où ce nom a été oublié ; DefOlb 19), Βάτις, Βάτακος, Βάτων – et à Panticapée (Βατίσκος), cf. Zgusta 1955, p. 367, § 929. 278 Leschhorn, Lexikon, II, p. 405 (époques classique et hellénistique). 279 Curbera 2013, p. 121–122. 280 Bravo 1974, p. 115 ; Bravo 1987, p. 206 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 235–236, Appendice II. 281 Voir, par exemple, DTA 107 b, avec les noms des dieux au nominatif : Ἑρμῆς χθόνιος καὶ Ἑκάτη χθονία. 282 Voir l’adresse citée par Nikolaev 2011, p. 136 : Βατίς Διφίλοι χαιρ(έ)ιν (sic). 274
*33. Possible message sur tesson (Olbia du Pont)
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Pour Vinogradov, il s’agit d’une lettre adressée à un certain Diphilos, un juge, au sujet d’un procès283. Dans un échange épistolaire daté du 28 juillet 1995, adressé à Benedetto Bravo qui me l’a aimablement transmis, l’épigraphiste russe explique à ce dernier que le texte est bien une lettre, mais que la tablette de plomb avait été employée plus tard pour une defixio, raison pour laquelle elle a été retrouvée dans une tombe. On ne saurait préjuger de la validité de cette hypothèse. En revanche, la lettre de Vinogradov fournit la lecture des trois premières lignes du document, qui, à l’exception du nom de l’expéditeur, correspond bien au texte lisible sur la photo284 : Βάτις Διφίλοι (sic) χαίριν (sic)· vac. ὅτι ἀβοήθητος ἐών, μευ δὲ γίνεται δίκη πρὸς καλὸν κτλ.285. La seule certitude, en attendant la publication de ce document qui a fait couler beaucoup d’encre, est que nous sommes en présence d’une lettre privée, comme le montre l’adresse « classique », lue par Vinogradov lui-même. Il est possible qu’il soit question d’une affaire judiciaire, mais pour ces éventuelles démêlées Batis semble solliciter davantage les représentants de ce monde-ci que de celui d’au-delà.
*33. Possible message sur tesson (Olbia du Pont)
*33. Possible message sur tesson (Olbia du Pont) Découverte, contexte : fragment de bol à vernis noir de la première moitié du IVe s. (?), découvert en 1974 dans un contexte archéologique des Ve–IIIe s., dans la ville haute (quartier résidentiel d’Olbia du Pont, secteur sud-ouest de l’agora ; carré 14, 15), à une profondeur de 0,5–0,9 m. Support, mise en page : initialement de forme rectangulaire, le tesson est brisé à droite et à gauche, alors que les bords supérieur et inférieur (?) sont conservés (dimensions non indiquées). Trois lignes de texte sont conservées ; la première ligne représente vraisemblablement le début du message (cf. comm.) ; dans la partie inférieure il ne semble pas y avoir de lettres après la l. 3, car un espace est laissé libre, d’après le dessin. Il est impossible d’apprécier s’il y avait un signe d’interponction à la l. 3 (:). Dialecte : ionien oriental. Sans doute la fausse diphtongue ei notée par epsilon (l. 2, [ὑγια?]ίνν). Paléographie : la forme des lettres (êta étroit ; ny asymétrique légèrement penché vers la droite ; sigma à quatre branches dont la première oblique ; ômega large avec les bras alignés), le contexte et le type du vase, ainsi que la présence vraisemblable de la formule de salut (avec des traits dialectaux ?), permettent d’avancer une date dans le courant du IVe s. Date : ca. 400–350. Conservation : Institut Archéologique de Kiev ou Musée Archéologique d’Olbia, inv. (des fouilles) О-1974/310. Édition : GraffOlbiaPont (A. S. Rusjaeva, 2010), p. 115–116, n° IV.44 (cf. A. Avram, BÉ, 2011, 454). Illustration : GraffOlbiaPont (A. S. Rusjaeva, 2010), p. 258, Pl. 42.19 (dessin). Note sur l’édition : dessin, transcription diplomatique et commentaire de Rusjaeva (2010). Puisque le tesson est perdu ou égaré, seul le dessin publié peut servir de base pour des propositions de lecture.
Vinogradov 1998, p. 153–154 n. 4. Texte donné par Vinogradov : Βατ(ι)κ(ὼν?) Διφίλοι (sic) χαίρειν. 285 Selon ses habitudes, B. Bravo corrige la lecture en [κατ᾿ ἐ]μεῦ δὲ γίνεται δίκη, προσκαλοῦ[μαι], « un procès se fait contre moi, je suis convoqué en justice » (Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 236). Il nous est impossible de suivre la reconstitution des faits proposée par Bravo : Batis a adressé un message à un défunt, Diphilos, dont il a pu probablement lire le nom sur une stèle funéraire ; il a donc placé son plomb dans la tombe de Diphilos, afin d’obtenir son aide dans un procès pour lequel il n’avait pas d’autre soutien (cf. ἀβοήθητος ἐών), dans le sens qu’il n’a peut-être pas réussi à se procurer des témoins ou des συνήγοροι. 283 284
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Fig. 89. Fac-similé du tesson (A. S. Rusjaeva).
[--ca. 6–7--]ίδης Βάτω[νι χαίρν?] [καὶ ὑγια?]ίνν· ἐπισ[τέλλω? -----] [--------------]++ΔΑΤ+[----------] [-----------------------------------?]
1 [Ἅ]ιδης βάτω Rusjaeva : ]ίδης Βάτω[νι χαίρν?] vel ]ίδης Βάτω[νος] Dana || 2 [καὶ ὑγια?]ίνν· ἐπισ[τέλλω?] vel [χαίρε?]ιν· ἐν ἐπι+[ Dana || 3 ]++ΔΑΤ+[ vel ]+ :̣ ΔΑΤ+[ Dana
Ce tesson découvert en 1974 à Olbia du Pont est aujourd’hui introuvable286, ce qui fait que la seule image dont nous disposons est le dessin de l’inventrice, Anna S. Rusjaeva. Cette dernière, qui donne une transcription diplomatique, se pose la question de l’interprétation de ce texte fragmentaire, notamment de la première ligne : en effet, [Ἅ]ιδης βάτω ne peut pas être une solution287. Elle propose donc d’y voir deux anthroponymes, l’un de la très riche série de noms en -ίδης, l’autre certainement Βάτων. Si l’on opte pour un message épistolaire, on peut restituer [---]ίδης Βάτω[νι], ce qui semble s’accorder avec la possible fin d’une formule épistolaire, [χαίρν | καὶ ὑγια?]ίνν ; la séquence ΕΠΙ, suivi d’une trace de lettre, pourrait être le verbe d’envoi, plutôt au présent, ἐπιστέλλω. On retrouve en effet ce verbe, à l’aoriste, dans le message attique de Sôsinéôs à Glaukos (4, l. 2 : ἐπέστλε). Le même verbe apparaît peut-être dans un possible message sur tesson de Bessan, au sud de la Gaule : [ἐ]πισ[τελ–?] (*64, au Ve s.). Avec toute la prudence requise, étant donné le caractère fragmentaire du tesson, il est possible de restituer aux deux premières lignes la formule de salut épistolaire, ὁ δεῖνα τῶι δεῖνι χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν, qui plus est sous une forme dialectale. Quant à l’éventuel expéditeur, si l’on prend en compte la restitution de la l. 2, un nom tel Ἀριστείδης ou Ἡρακλείδης (e.g.) serait un meilleur candidat que des noms plus longs, e.g. Διοσκουρίδης ou Στρατωνίδης. Βάτων est attesté dans le Pont à Hermonassa (IVe s.) et sans doute par trois fois à Olbia du Pont288.
34. Lettre sur tesson adressée aux nauclères (Olbia du Pont)
34. Lettre sur tesson adressée aux nauclères (Olbia du Pont) Découverte, contexte : fragment céramique découvert en 1963, dans la partie ouest de l’agora d’Olbia du Pont (secteur E-3), plus précisément dans la zone du dikastèrion, lors des fouilles de E. I. Levi et A. N. Karasev. Support, mise en page : tesson (ca. 7 × 7 cm) de la paroi d’une amphore à pâte rouge, qui devait à l’origine avoir une forme rectangulaire ; seule la partie droite a été retrouvée, sans que l’on puisse estimer plus précisément les dimensions de la partie manquante à gauche, où la cassure est très irrégulière. Le vacat après la dernière lettre lisible à la l. 5 et l’espace laissé libre en-dessous de la ligne suivante, à peine visible, montrent que nous détenons la fin du texte ; ces détails suggèrent que le tesson choisi pour graver un message n’avait plus ce coin inférieur droit. Six lignes de texte ; la l. 5 et en particulier la l. 6 sont malheureusement très effacées. Les mots sont coupés en fin de ligne, sans toujours respecter la coupe syllabique (ainsi, ll. 1 et 2). Dialecte : ionien oriental. Ouverture du second élément de la diphtongue αυ (l. 1 : ναοκλήρ-). Paléographie : lettres incisées de manière régulière ; ht. des lettres : 0,3–0,7 cm. Parmi les premières lettres lisibles, iota et sigma semblent avoir été tracés avec un instrument émoussé (de même que le rhô à la l. 2), alors que par la suite le tracé est plus net. La lettre la plus notable est le sigma lunaire. La paléographie indique la fin de l’époque classique ou le début de l’époque hellénistique : alpha à la barre horizontale droite ; epsilon avec les hastes horizontales droites ; ny droit bien que légèrement asymétrique ; omikron petit ; pi à hastes inégales ; rhô à boucle ronde attachée très haut ; ômega à boucle étroite et pointue. Une datation de la fin du IVe s. (Ju. G. Vinogradov) ou du IIIe s., comme proposé par le premier éditeur N. V. Šebalin et par L. Dubois, s’impose289. 286 Cette information m’a été communiquée per litteras par Mme Larisa Kulakovska, de l’Institut d’Archéologie de Kiev, le 6 avril 2016. 287 GraffOlbiaPont, p. 115 (voir aussi les réserves de A. Avram, BÉ, 2011, 454 : « irrecevable : il s’agit soit du patronyme accompagnant le nom précédent, soit d’une succession de noms au nominatif »). 288 Cf. LGPN IV 67 (Ve–IVe s.) ; une defixio (Belousov/Dana/Nikolaev 2016, p. 167–172, col. III, l. 19 = SEG LXV 609 = DefOlb 19) ; et un magistrat monétaire olbien, ΒΑΤΩ( ) (Leschhorn, Lexikon, II, p. 406). 289 Sur la base de la paléographie et de l’ionisme notoire (l. 1), Vinogradov propose une datation de la fin du IVe s.
34. Lettre sur tesson adressée aux nauclères (Olbia du Pont)
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Date : début du IIIe s. (?). Conservation : Institut pour l’Histoire de la Culture Matérielle de l’Académie Russe des Sciences, Saint-Pétersbourg (inv. O/63–2235), en cours de transfert au Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. Éditions : Šebalin 1968 (cf. Vinogradov 1980, p. 311, n° 132 ) ; I. dial. Olbia Pont 26 (L. Dubois, 1996, p. 66–67, avec trad. fr. ; avec les obs. de Vinogradov 2000a, p. 326) (cf. SEG XLVI 943) ; Ceccarelli 2013, p. 343, n° 15 (avec trad. angl.). Bibliographie : Vinogradov 1984, p. 71 et n. 70 ; Vinogradov 1997a, p. 329 ; Vinogradov 1997b, p. 235 n. 7 (n° 2) ; Skržinskaja 2000, p. 111 ; Dana 2007a, p. 69 et 93 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 61 (E15) ; Decourt 2014, p. 56, n° 23. Illustrations : Šebalin 1968, p. 297 (ph.) ; I. dial. Olbia Pont (L. Dubois, 1996), p. 66 (dessin) ; Decourt 2014, p. 75, fig. 16 (dessin). Note sur l’édition : les propositions du premier éditeur Šebalin (1968) sont acceptées en 1996 par Dubois (avec une modification, l. 3), dont le texte fut repris dans le SEG, ainsi que par Ceccarelli et Decourt. La suggestion de Vinogradov (ll. 4–5), datant de 1980, est restée inconnue. Jusqu’à maintenant, la seule photo de cette lettre figurait dans l’article de Šebalin. Un examen personnel du tesson à l’atelier de restauration du musée de l’Ermitage et les photos prises par l’équipe du musée m’ont permis d’établir le fac-similé et d’améliorer les lectures.
Fig. 90. Photo du tesson (N. V. Šebalin).
Fig. 91. Photo du tesson (état actuel) (Pl. X).
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Fig. 92. Fac-similé du tesson.
[ὁ δεῖνα τ]οῖς ναοκλήρ[οις καὶ τ]οῖς πρὸ ἡμῶν ν[--- χαίρει?]ν· μὴ ἀποδῶτε [τὰ τοῦ? Μ]ενάνδρου ἐχό[μενα? -----]+++Σ πραγμα[-------------]ΑΠ+ vac.(?) vac.
1–2 ναοκλήρ|[οις καὶ τ]οῖς Dana || 2 ἡμῶν {ν} Šebalin || 3 [ἐὰ]ν μὴ ἀποδῶτε Šeb. : [ἢ]ν μὴ ἀποδῶτε Dubois : [χαίρει?]ν· μὴ ἀποδῶτε Dana || 4–5 [τὰ τοῦ Μ]ενάνδρου ἐχό|[μενα] Šeb., Dub. (vel ὑπὸ Dub.) : [τὰ Μ]ενάνδρου ἐχό|[μενα ἄρμ]ενα (?) Vinogradov 1984 et 2000 || 5 ]+++ΣΠΡΑΓ++ ostracon : ]α[ Šeb., Dub. || 6 ]ΑΠ+ Dana
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
[Untel] aux nauclères [et] à ceux [---] qui ont précédé (?), [salut !]. Ne rendez pas (les biens ?) appartenant à Ménandros [---] affaires (?) [---]. L. 1–2 : dans ναοκλήρ-, l’ouverture du second élément de la diphtongue médiane (-αο- pour -αυ-), typiquement ionienne, est notable à cette époque, si le texte date vraiment du IIIe s.290. || Le datif [τ]οῖς ναοκλήρ|[οις], qui désigne les destinataires collectifs, devait être précédé d’un nominatif désignant l’expéditeur de la lettre. Si la restitution proposée au début de la l. 2 est correcte, le nom de l’expéditeur était bref (env. 7 lettres). L. 2–3 : L. Dubois estime qu’après ἡμῶν il pourrait y avoir le nom de certains magistrats, comme l’avait suggéré dans son commentaire N. V. Šebalin ([τ]οῖς πρὸ ἡμῶν ν|[εωτάτοις]) ; ce dernier avait fini par rejeter cette conjecture, trop longue, et a supposé une dittographie à la fin de la l. 2. On ne saurait proposer une restitution convenable à cet endroit. Si toutefois notre proposition de restitution à la l. 3 est correcte (on peut également restituer la forme dialectale [χαίρ]ν), il s’agissait d’un mot bref : il devait désigner un deuxième groupe de destinataires collectifs, dans un rapport d’antériorité chronologique (πρὸ ἡμῶν). L. 3–5 : Dubois suit le premier éditeur, qui propose une reconstitution du type [ἐὰ]ν μὴ ἀποδῶτε | [τὰ τοῦ Μ]ενάνδρου ἐχό|[μενα] ; il préfère pourtant la forme contracte ἤν (cf. la lettre d’Artikôn, 30, B, l. 1) à la place de ἐάν291 et rajoute une seconde possibilité pour la suite, [τὰ ὑπὸ Μ]ενάνδρου. Dubois traduisait ainsi : « si vous ne restituez pas ce qui jouxte la propriété de Ménandros » ou « qui est détenu par Ménandros »292. Je préfère une autre possibilité : après les destinataires, qui sont, dans cette missive, collectifs, on attend la formule χαίρειν, qui se généralise vers la fin de l’époque classique. De cette formule il ne subsiste que la dernière lettre (l. 3), avant une phrase qui débute par une injonction négative, comme il arrive parfois dans notre corpus épistolaire : [fin des destinataires collectifs χαίρει?]ν· μὴ ἀποδῶτε | [κτλ.]. Cette formulation avec injonction négative est récemment attestée dans la lettre sur tesson de la seconde moitié du IVe s. de Vyšesteblievskaja-3, dans la chôra de Phanagoria (49) ; elle y revient à deux reprises : [---]τη Ἀπολλᾶι χαί[ρε|ιν· ἄρ?]ουραι ὅρωι μὴ ἀποπερά|[σηι· -]ς μὴ ἀποπεράσηι κτλ. || Vinogradov a proposé par deux fois de compléter, aux ll. 4–5, [τὰ Μ]ενάνδρου ἐχό|[μενα ἄρμ]ενα (?). Il citait comme parallèles d’abord le décret olbien en l’honneur de Prôtogénès qui évoque le manque de gréement (IOSPE I² 32 = Syll.3 495, B, l. 52, vers 200 : τῶν ἀρμένων)293, puis la lettre attique sur plomb trouvée sur la Pnyx (5) ; dans ce dernier document, il suggère de lire aux ll. 5–7 κατέθετο δι᾿| ἀρμένει|α ἐκει[ν‒], comme s’il s’agissait d’un texte continu – ce qui n’est pourtant pas le cas, car au moins un volet de la lamelle est perdu294. Qui plus est, il est impossible de lire ]ΕΝΑ, à la fin de la l. 5. L. 5–6 : à la l. 5, Šebalin note seulement un alpha. Pourtant, on aperçoit au moins deux autres lignes de texte : [---]+++Σ πραγμα|[---]ΑΠ+. Le seul mot identifiable appartient au domaine des affaires. Commentaire : Ce texte fragmentaire publié en russe en 1968, sans qu’il soit signalé dans le SEG, n’avait été que brièvement mentionné par Vinogradov295, avant la republication de L. Dubois. Nous sommes certainement devant une lettre, comme l’indiquent les deux datifs (ll. 1–3), le pronom à la Ière pers. pl. ἡμῶν, de même que l’injonction négative aux ll. 3–5. Malheureusement, on ne connaît pas l’étendue réelle de la lettre, ni ses tenants et aboutissants. Comme dans d’autres documents similaires, quelqu’un transmet des ordres, peut-être au sujet de certains biens qui ne devaient pas être restitués ou distribués.
Cf. L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 3, p. 183. Dans les papyrus, on trouve très fréquemment la formule ἐὰν δὲ μὴ ἀποδῶι dans les contrats. 292 Nom banal, naturellement bien attesté au nord de la mer Noire (cf. LGPN IV 228), mais seulement trois fois à Olbia du Pont, dont notre ostrakon. 293 Vinogradov 1984, p. 71 et n. 70. 294 Vinogradov 2000a, p. 326 ; il propose d’insérer ce texte dans la section « documents politiques ». Pour l’état fragmentaire du texte attique, voir mon comm. (5). 295 Vinogradov 1980, p. 311, n° 132 (« ein Ostrakonbrief des Naukleroi-Kollegiums ») ; Vinogradov 1984, p. 71 et n. 70 (une restitution aux ll. 4–5 ; fin du IVe s.) ; Vinogradov 1997a, p. 329 (fin du IVe s.) ; Vinogradov 1997b, p. 235 n. 7 (n° 2) (IVe s.). 290 291
35. Avis de réception sur tesson, envoyé par Rhodôn à Hèrakas (Olbia du Pont ou nord de la mer Noire ?)
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Il convient de noter la présence d’une association de nauclères, patrons de navires de transport ou armateurs (un collège, selon Vinogradov) ; le second groupe de destinataires reste malheureusement inconnu. Ce type d’associations est bien attesté dans le monde grec ainsi que dans le Pont à l’époque impériale296, alors que pour l’époque hellénistique on ne connaît que deux mentions, plus récentes que notre tesson. La première se trouve dans un décret mutilé de Callatis, du Ier s. (I. Callatis 39), où A. Avram propose de lire [τῶν ν]αυκλάρ[ων] (l. 6), dans le contexte d’une affaire maritime (cf. l. 12 : τὰ φορτία τῶν ἐμπόρ[ων]) dont la cause aura été introduite en justice par les εἰσαγωγεῖς (l. 7). La seconde apparaît dans le célèbre décret olbien en l’honneur du bienfaiteur Prôtogénès, où il est dit qu’en raison du mauvais état des bateaux publics et du manque de gréement, la cité avait versé des indemnités de transport aux particuliers qui avaient apporté par mer des pierres de construction : ἔτι δὲ τῆς πόλεως | ναῦλον τελούσης τοῖς ἄγουσι τοὺς λίθους ἰδιώ|ταις διὰ τὸ τὰ πλοῖα τὰ δημόσια κακῶς διακεῖσ|θαι καὶ μηθὲν ἔχειν τῶν ἀρμένων297. On peut raisonnablement penser à des « entreprises privées » qui avaient participé aux efforts publics en mettant à la disposition des épimélètes des murailles leurs embarcations de transport. Le fait que le destinataire est collectif (un groupe ou une association) ainsi que la découverte du tesson dans le secteur du dikastèrion suggèrent une correspondance dans un contexte plus large que celui strictement privé.
35. Avis de réception sur tesson, envoyé par Rhodôn à Hèrakas (Olbia du Pont ou nord de la mer Noire ?) 35. Avis de réception sur tesson, envoyé par Rhodôn à Hèrakas (Olbia du Pont ou nord de la mer Noire ?)
Découverte, contexte : fragment à vernis noir du couvercle d’une pyxide ou lekanis à figures rouges (fin du Ve–début du IVe s.), dont le lieu de découverte reste inconnu. Publié en 2002 avec d’autres objets du sud de la Russie, provenant de la collection de l’archéologue Platon O. Buračkov (1815–1894) ; cette précieuse collection a été vendue en 1883 au Musée Historique Impérial, l’actuel Gosudarstvennyj Istoričeskij Muzej/Musée Historique d’État (Moscou). Support, mise en page : tesson de forme trapézoïdale, complet (5 × 8 cm), choisi à dessein après la cassure. Trois lignes inscrites, sans coupe des mots en fin de ligne. On remarque un souci manifeste de mise en page : la dernière lettre à la l. 1 (iota) se prolonge en bas ; les deux autres lignes, chacune avec un seul mot, sont justifiées à gauche (voir comm.). Dialecte : koinè, d’après le texte très bref (cf. la forme post-dialectale χαίρειν). Paléographie : lettres soigneusement gravées, de taille inégale, les ll. 2 et surtout 3 comportant des caractères plus grands ; ht. des lettres : 0,5–1 cm, voire 1,5 cm. La paléographie semble indiquer une date au cours du IVe s. : epsilon à hastes horizontales inégales mais parallèles, voire avec la barre verticale dépassante ; ny à la haste oblique tracée jusqu’au milieu de la haste verticale de droite ; rhô à la haste verticale longue et à boucle légèrement arrondie ; ômega plus petit et aplati, à la boucle presque carrée. Date : ca. 400–350. Conservation : Musée Historique d’État (Moscou), collection de P. O. Buračkov (inv. 11439). Éditions : P. D. Diatroptov, dans Na kraju ojkumeny, 2002, p. 36, n° 74 (avec trad. russe) ; Kashaev/Pavlichenko 2015, p. 72 (avec trad. angl.). Illustration : P. D. Diatroptov, dans Na kraju ojkumeny, 2002, p. 37, fig. 74 (ph.). Note sur l’édition : ce document est signalé pour la première fois en 2002, avec une photo, une transcription diplomatique et une traduction russe par Diatroptov, avant qu’il ne soit cité et retranscrit par Kašaev et Pavličenko (2015). Pour l’établissement du fac-similé, j’ai pu utiliser une photo du musée de Moscou.
296 297
Voir, en général, Vélissaropoulos 1980 ; Reed 2003. Pour la mer Noire, voir Bounegru 2006 ; Dana 2012a, p. 253–255. IOSPE I² 32 = Syll.3 495, B, ll. 49–52. Pour ce document, voir en dernier lieu Müller 2010, p. 391–399, DE 21.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Fig. 93. Photo du tesson (Pl. X).
Fig. 94. Fac-similé du tesson.
Ῥόδων Ἡρακᾶι χαίρειν· vac. ἔλαβε. vac. Rhodôn à Hèrakas, salut ! A reçu. L. 1 : le destinataire porte un nom très rare, Ἡρακᾶς, qui n’était attesté auparavant que deux fois : à Métaponte, en Grande Grèce, un potier sur un timbre sur tuile avec inscription rétrograde d’époque hellénistique, Ηηρακᾶς298 ; à Hermonassa, dans le Bosphore Cimmérien, dans une dédicace de l’an 208 ap. J.-C. érigée par le traducteur en chef des Alains, δι’ ἐπιμελείας Ἡρακᾶ Ποντικοῦ ἀρχερμηνέως Ἀλανῶν299. Ce nom suffixé en -ᾶς fait partie de la série des noms Ἥρακος et Ἡράκων, étudiés par Olivier Masson (OGS, III, p. 17 et 209). Ἡράκων est par ailleurs bien attesté dans le Pont, et Ἥρακος apparaît une fois à Képoi, dans le Royaume du Bosphore, ainsi que dans quelques proxénies de Chersonèse Taurique (LGPN IV 156). || Le nom de l’expéditeur, plus banal, est attesté notamment dans le Royaume du Bosphore (Panticapée, Gorgippia, Tanaïs), entre le Ier et le IIIe s. de notre ère (LGPN IV 300). Commentaire : Il s’agit d’un billet portant un message bref mais néanmoins important pour les pratiques épigraphiques et l’usage de l’écriture. Bien que l’expéditeur ne fasse rien d’autre que de confirmer la réception d’un objet ou peut-être d’une lettre plus longue qu’Hèrakas lui avait expédiée auparavant, on remarque la présence de l’adresse sous sa forme régularisée, « Untel à Untel, salut » ; dans le verbe χαίρειν, notons la graphie post-dialectale, qui suggère une datation du IVe s. ou plus tard. Les lettres sont nettement gravées, sans hésitation, les trois lignes sont alignées l’une en-dessous de l’autre, le texte est complet car bien qu’il y eût de la place, plus rien n’est inscrit après le dernier verbe ou en-dessous. Le tesson a été à toute évidence choisi ad hoc : l’écriture suit la forme légèrement arrondie du bord supérieur, alors qu’à gauche la première ligne est relativement en retrait et la haste verticale de l’epsilon au début de la l. 3 est tracée un peu obliquement de façon à ne pas dépasser le bord inférieur ; la taille des lettres grandit progressivement aux ll. 2–3 ; à la fin de la l. 1, l’iota est prolongé vers la bas, dans un souci de mise en page. Une autre raison pour le choix du tesson aurait pu être le fait que le vernis noir du vase devait faciliter à la fois l’incision des lettres, qui étaient ainsi bien visibles, et la lecture. Ce bref texte rappelle le message attique sur tesson envoyé par Sôsinéôs à Glaukos ἐς ἄστυ, inscrit sur la paroi d’un skyphos à vernis noir, avec l’anse conservée, et accompagnant un paquet, ἔνδεσμος (4, ca. 425–400). Le bref message de Rhodôn à Hèrakas sert donc d’« accusé de réception », précédé de la formule épistolaire en cours de généralisation. 298 ←ͰΗΡΚϹ. Voir Lo Porto 1966, p. 152, n° 11 ; Landi 1979, p. 286, n° 153 (NSA 1977, Suppl. p. 454, n° 21) ; I. dial. Grande Grèce II 65 (avec le comm. de L. Dubois, p. 119). Cf. LGPN III.A 193. 299 CIRB 1053 ; cf. LGPN IV 153. Voir Zgusta 1955, p. 96–97, § 110 ; Stolba 1996, p. 449. Ce personnage est mentionné dans une inscription récemment publiée par Pavlichenko/Fedoseev 2018.
36. Message sur tesson de Kophanas, fils d’Adrastos (Kozyrka 2, chôra d’Olbia du Pont)
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36. Message sur tesson de Kophanas, fils d’Adrastos (Kozyrka 2, chôra d’Olbia du Pont) 36. Message sur tesson de Kophanas, fils d’Adrastos (Kozyrka 2, chôra d’Olbia du Pont)
Découverte, contexte : fragment céramique découvert en 1985 à Kozyrka 2, site de la chôra d’Olbia du Pont. Il se trouvait à 0,90 m de profondeur dans un monticule de décombres, avec des restes céramiques (y compris des graffites), principalement du troisième quart du IVe s. Support, mise en page : tesson d’amphore thasienne de forme triangulaire (2,5 × 6 cm), généralement bien conservé, partiellement endommagé à gauche, au début de la l. 7. Il a été choisi à dessein après la cassure du vase, car l’écriture suit la forme du tesson et s’adapte à l’espace disponible, comme il est évident aux deux dernières lignes du recto. Sept lignes de texte sur le recto (face externe du tesson), une seule au verso ; les mots sont parfois coupés en fin de ligne, sans toujours respecter la coupe syllabique (cf. l. 2). Dialecte : koinè ; iota adscrit (l. 7). Paléographie : lettres soigneusement gravées, en dépit de quelques gribouillages (recto, ll. 2, 4, 6 ; verso, l. 1), mais de taille très variable (0,3–1,2 cm) ; la plupart des lettres ont une ht. de 0,5–1/1,2 cm (omikron et ômega : ht. 0,3–0,5 cm). Les traits paléographiques indiquent clairement la haute époque hellénistique : zêta à barre verticale () ; ny à hastes verticales droites et égales ; omikron de taille plus réduite que les autres lettres (l’exemple le plus frappant est celui vers la fin de la l. 1) ; pi avec la haste verticale droite de la même taille que la haste gauche ; rhô à boucle arrondie ; sigma lunaire ; ômega petit mais à branches horizontales et alignées. Date : ca. 300–250. Conservation : Institut pour l’Histoire de la Culture Matérielle de l’Académie Russe des Sciences, Saint-Pétersbourg (inv. p. o. K-[II/3]/5–85). Éditions : Vinogradov/Golovačeva 1990 (avec trad. russe) [= Vinogradov 1997a, p. 323–335 (« Eine neue Quelle zum Zopyrion-Zug », avec trad. all.) (cf. Gauthier 1998, p. 1187)] (= SEG XLII 711) ; Dana 2007a, p. 79–81, n° 5 (avec trad. fr.) ; Ceccarelli 2013, p. 342, n° 11 (avec trad. angl.). Bibliographie : Vinogradov 1989, p. 163 n. 187 (texte grec) ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 49 n. 1 ; Vinogradov 1997b, p. 235 n. 7 (n° 3) ; Dobroljubskij 1999, p. 257 ; Jajlenko 2001, p. 227 (cf. SEG LI 972) ; Kryzhytskyy/Krapivina 2003, p. 535 ; Müller 2010, p. 55 ; Ceccarelli 2013, p. 40 ; Decourt 2014, p. 35–36 et 58 (n° 29) (avec trad. fr.) ; Dana 2016, p. 99. Illustrations : Vinogradov/Golovačeva 1990, p. 18 (dessin ; ph. du recto) ; Vinogradov 1997a, Pl. 9.1–2 (ph. des deux faces) ; Dobroljubskij 1999, p. 257, fig. 7 (dessins) ; Dana 2007a, p. 79 (ph. des deux faces). Note sur l’édition : document publié avec un commentaire historique par Vinogradov et Golovačeva (1990), repris par Dana (2007) et Ceccarelli (2013). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé les photos de bonne qualité de Vinogradov (1997a).
Fig. 95. Photos des deux faces du tesson.
Fig. 96. Fac-similé des deux faces du tesson.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
recto
4
verso
8
Κοφανας Ἀδράστου Ζωπυρίωνι ἵππον ἔδωκεν· ἀποστειλάτω εἰς πόλιν καὶ δότω μοι [αὐ?]τῶι τὰ γράμμα(τα). vac. vac.
1 [Νι]κοφάνας Vinogradov, edd. : Κοφανας Dana || 3–4 ἀπο|σστειλάτω μοι Vin. || 7–9 [αὐ]τῶι τὰ γρά(μ)||μα(τα) Vin. : [αὐ]τῶι τὰ γράμ||ματα Dana 2007a.
Kophanas, fils d’Adrastos, a donné un cheval à Zôpyriôn. Qu’on l’envoie (le cheval) dans la ville et qu’on me remette la confirmation écrite. Recto L. 1 : en s’appuyant sur l’index inversé de Dornseiff-Hansen, Ju. G. Vinogradov restitue *[Νι]κοφάνας, qui serait pourtant une graphie hapax (LGPN IV 255) ; un autre candidat aurait été *[Λευ]κοφάνας. L’épigraphiste russe suppose une graphie dorienne, en -ας, d’un nom en -φάνης. Trois arguments s’opposent pourtant à cette restitution, acceptée par l’ensemble des commentateurs. Tout d’abord, on ne s’attendait pas à Olbia du Pont, colonie milésienne, à une graphie dorienne. En deuxième lieu, aucune attestation « dorienne » en -ας des noms en -φάνης, pourtant si fréquents, n’est connue. Enfin, même si le coin supérieur gauche est légèrement abîmé, il est difficile de supposer la présence de deux lettres dans la petite partie perdue ; par ailleurs, la forme initiale du tesson comportait déjà des extrémités légèrement arrondies. Il convient donc d’envisager une autre possibilité. Il est plus vraisemblable de penser à un nom complet, ΚΟΦΑΝΑΣ : ce nom, manifestement non grec, serait de facture iranienne. Un nom indigène similaire, Κοφαρνος, est connu au nord de la mer Noire à l’époque impériale (LGPN IV 201). Le meilleur parallèle est fourni par le nom iranien Παιριφανας, porté par un potier d’Héraclée du Pont300. || Le patronyme grec, Ἄδραστος, était déjà connu à Olbia (IOSPE I² 201 I, l. 6, IIIe s.) ; il présente la graphie post-dialectale, alors que la graphie ionienne est attestée pour un magistrat monétaire à Apollonia du Pont (Ἄδρηστος). L. 3–4 : le verbe ἀποστειλάτω, à l’impératif aor. IIIe pers. sg., présenterait selon Vinogradov la graphie ἀποσστειλάτω, où le groupe -στ- serait rendu par la double sifflante -σστ-. Il avait cru identifier un premier sigma angulaire, suivi d’un un sigma lunaire, comme dans le reste du texte301. En réalité, il s’agit d’un accident (antérieur ?) et d’une haste descendante du delta de la ligne précédente ; la partie inférieure de l’éventuel sigma angulaire ne se voit pas sur le tesson. || Le datif μοι, dont la direction de gravure et en particulier la première lettre (my) sont décalées par rapport au verbe ἀποστειλάτω, ne détermine en réalité pas ce verbe, mais bien le verbe δότω (l. 6), à la suite duquel il a été gravé suivant le bord montant du tesson. L. 5 : dans la séquence εἰς πόλιν on remarque l’absence de l’article ; c’est également le cas à la l. 2 (ἵππον ἔδωκεν). On peut établir un parallèle avec le message sur tesson envoyé par Sôsinéôs à Glaukos ἐς ἄστυ, à Athènes (4, ca. 425–400). Cette absence s’explique par le fait qu’il n’y avait sans doute pas d’ambiguïté en ce qui concernait la ville, vraisemblablement la plus proche et la plus importante de la région – Olbia du Pont. L. 6–7 : les premiers éditeurs restituent [αὐ]τῶι à la l. 7, mais dans la cassure au début de cette ligne il n’y a de la place que pour une seule lettre, dont on voit l’extrémité droite. Il est effectivement possible de voir dans cette lettre un petit tau et de lire [αὐ]τῶι, à condition de supposer que les deux premières lettres aient été graTimbre amphorique inédit (cf. LGPN V.A 353), entre temps publié par Fedoseev 2016, p. 196, n° 1828. Cette réduplication apparaît en effet dans la graphie du nom de la ville, [εἰς Βο]ρυσσθένη, dans le décret sur le monnayage du début du IVe s. (IOSPE I² 24, l. 1 = I. dial. Olbia Pont 14), et dans l’anthroponyme Μενέσστρατος dans une defixio en provenance vraisemblablement d’Olbia (Jordan 1985, n° 176 = SEG XXXVII 681 = DefOlb 23). 300 301
36. Message sur tesson de Kophanas, fils d’Adrastos (Kozyrka 2, chôra d’Olbia du Pont)
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vées à la l. 6, après μοι, suivant le bord montant ; ces deux lettres auraient disparu ultérieurement dans la cassure. Cette hypothèse est confortée par la gravure de la ligne suivante, suivant également le bord du tesson, montrant l’intention du graveur d’utiliser tout l’espace disponible pour finir son message, ce qui ne lui a pas réussi (cf. comm.). L. 7 : contraint par l’absence d’espace, le graveur a écrit en caractères aplatis, suivant la marge montante du tesson, ΤΑΓΡΑ. En se rendant finalement compte qu’après les cinq lettres il n’y avait plus d’espace, il a décidé de retourner le tesson et de graver le reste du mot sur la paroi intérieure ; celle-ci était plus difficile à graver, ce qui explique la fin négligée de la lettre, notée d’une façon hâtive et grossière. Verso L. 8 : on lit un my, puis un gribouillage qui pourrait être un autre my, enfin un alpha. On peut donc raisonnablement restituer la séquence ΜΜΑ(τα) qui représente la fin attendue du dernier mot, incomplet, du recto. Commentaire : Situé à environ 13,5 km au nord d’Olbia du Pont, le site rural Kozyrka 2302, constitué d’une grande zone économique avec des greniers, connut son apogée à partir de la seconde moitié du IVe s. jusqu’au premier tiers du IIIe s.303. Le même site a livré un graffite sur tesson de la première moitié du IVe s. avec la marque de propriété au génitif Πρασιλ|ᾶτός | εἰμι304. Dans son commentaire, Ju. Vinogradov a essayé de montrer, à l’instar d’autres de ses contributions, que ce document apporte des informations à caractère historique. Ainsi, il suppose qu’un certain Épikouros, qui apparaît comme fils d’Adrastos dans un catalogue olbien305, serait le frère de Nikophanas. D’autre part, selon le savant russe, le nom Zôpyriôn n’appartient pas à l’onomastique olbienne : ce personnage serait ni plus ni moins le général d’Alexandre et stratège de Thrace, qui avait mené une campagne malheureuse au nord de la mer Noire. Au cours de son expédition, il avait assiégé en vain la cité d’Olbia, vers 331, avant de se retirer à travers la Dobroudja, où il allait être tué par les Gètes306. Par conséquent, Vinogradov voit en Nikophanas un membre de la « cinquième colonne » d’Olbia, prête à aider Zôpyriôn dans ses desseins. Comme le remarquaient à tour de rôle L. Dubois, Ph. Gauthier et Chr. Müller, cette interprétation « trop ingénieuse » et à la limite du romanesque ne saurait être retenue307, tout comme la datation précise de Vinogradov, qui repose en réalité sur ses préjugés historiques. Bien qu’il soit difficile de trancher308, la paléographie indique plutôt une date de rédaction dans la première moitié du IIIe s. En réalité, il s’agit plutôt d’une banale affaire privée309, que l’on peut reconstituer de la manière suivante : Kophanas, fils d’Adrastos, a bel et bien donné/remis un cheval à un certain Zôpyriôn. Il a noté la conclusion de l’affaire sur un tesson et l’a envoyé à sa propriété, qui se trouvait vraisemblablement à la campagne, dans le territoire d’Olbia, alors que lui-même devait se trouver dans la ville. C’est par ailleurs à Olbia, « dans la ville », qu’il exige qu’on envoie le cheval donné (vendu ?) à Zôpyriôn. En bon homme d’affaires, Kophanas
Du nom du village Kozyrka (anc. Malaja Dereklaja) ; voir Wąsowicz 1975, p. 144. Domanskij/Marčenko 1980 ; Kryžickij/Bujskih/Otreško 1990, p. 31, n° 68 ; Müller 2010, p. 124. 304 Tohtas’ev 2000b, p. 124–131 (SEG LI 980). 305 IOSPE I² 201, col. I, l. 6 (IIIe s.). 306 Trogue-Pompée, Prol. 12 ; Justin 12.1.4–5 et 12.2.16–3.1 ; Macrobe, Sat. 1.11.33 ; Quinte-Curce 10.1.43–45. Sur cette expédition, voir en dernier lieu Avram/Chiriac/Matei 2013. 307 L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 49 n. 1 ; Gauthier 1998, p. 1187 (« interprétation romanesque ») ; Heinen 2001, p. 500 n. 39 (réserves) ; Müller 2010, p. 55. Le nom Zôpyriôn est présent au nord de la mer Noire (Gorgippia, première moitié du IIIe s., CIRB 1137 B, col. I, l. 5 : [Ζ]ωπυρ[ίων] Ζωπυρίωνος), ainsi que dans les colonies ioniennes de la côte occidentale, Odessos et Apollonia du Pont, cf. LGPN IV 147 (Ζώπυρος et l’hypocoristique Ζωπυρίων). 308 D’après la paléographie, Jajlenko 2001, p. 227 date le message du IIIe s., ce qui exclue donc le général d’Alexandre. 309 Comme le pose Gauthier 1998, p. 1187, « J. G. Vinogradov tire argument du fait que le nom Zôpyriôn n’est pas attesté jusqu’à présent dans l’onomastique d’Olbia (et donc que le personnage mentionné devrait avoir été un étranger). Mais il aurait dû noter que c’est un nom banal, très répandu dans les cités ioniennes, à Athènes comme à Chios, à Samos, à Éphèse ou à Priène, et surtout à Milet, qui est précisément la métropole d’Olbia. Le nom se rencontre aussi à Gorgippia, autre colonie pontique de Milet. Il y a donc les plus grandes chances pour que le graffito publié par J. G. Vinogradov ait concerné des personnes et une affaire privées – et non le général malheureux d’Alexandre ». 302 303
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
exige également une confirmation écrite (τὰ γράμματα) pour lui-même, qui devait être une lettre de réception/expédition310. Le formulaire est inhabituel mais compréhensible : si le nom de l’expéditeur (avec son patronyme) est contenu dans la phrase qui atteste le don/la vente du cheval, le nom du destinataire, qu’on aurait attendu au datif, manque. Kophanas ne s’adresse à personne en particulier, sans doute parce que la lettre devait être remise à quelqu’un de la maison qui se trouvait là au moment de l’arrivée du courrier : soit l’un des membres de sa famille, soit quelqu’un qui travaillait pour lui à la ferme. La lettre a par ailleurs été trouvée à Kozyrka 2, dans la chôra olbienne, non loin de la ville, ce qui confirme le fait que les messages sur tesson ne parcouraient pas une distance trop grande. On peut donc supposer que c’est là que se trouvait la propriété rurale de Kophanas et que le message a été porté à destination. Ce document, que l’on peut considérer à la fois lettre et procès-verbal, avait aussi une certaine valeur juridique, comme le prouve la déclinaison complète de l’identité, avec nom suivi du patronyme, de l’auteur, et la formule ἔδωκεν ; le parfait est employé pour montrer que la transaction a été actée. Kophanas s’était ainsi assuré que la personne de confiance qui allait recevoir le message allait obéir et confier le cheval peut-être au porteur même de la lettre, rassurée quant à la légalité de la transaction.
37. Message sur tesson concernant Kotytiôn (Panskoe 1, chôra lointaine de Chersonèse Taurique) 37. Message sur tesson concernant Kotytiôn (Panskoe 1, chôra lointaine de Chersonèse Taurique)
Découverte, contexte : tesson trouvé en 1987 à Panskoe 1, lors des fouilles de la Mission archéologique de Tarhankut, dans le secteur U7, à l’extérieur d’une maison extra muros (ca. 360–340), au nord-est de la tour III311. Support, mise en page : fragment épais d’amphore de type méditerranéen du milieu du IVe s., de couleur brun clair. Le tesson est de forme presque rectangulaire mais brisé à gauche (6,5 × 8,5 cm) ; il est possible que toute la moitié gauche soit perdue. Les bords supérieur et inférieur sont intacts et, à l’exception de deux petits morceaux qui se sont détachés en bas, assez lisses : on ne voit pas de traces de lettres en haut, et en bas, après la dernière lettre, un petit espace a été laissé libre. Cinq lignes de texte, avec coupe syllabique en fin de ligne (ll. 1, 2, 4). Dans le premier mot de la l. 4, un iota a été rajouté. Dialecte : l’état fragmentaire du texte ne permet pas de tirer des conclusions sur le dialecte (dorien selon le premier éditeur, V. Stolba) ; toutefois, l’alphabet est ionien ; o long fermé noté par omikron (ll. 1 et 2). Paléographie : lettres gravées de manière inégale ; si les deux premières lignes sont tracées d’une main ferme, les trois autres sont moins profondément gravées, après le changement ou le raffûtage du calame (voir comm.). Plusieurs lettres ont été tracées en deux temps (ainsi, l’omikron) ; ht. des lettres : 0,7–0,9 cm (0,5–0,7 pour l’omikron). La paléographie illustre les transitions du IVe s. : alpha à barre médiane parfaitement droite ; epsilon avec les hastes horizontales parallèles ; kappa avec des bras longs ; ny droit et régularisé (une seule fois asymétrique, à la fin de la l. 5, mais sans doute pour une question d’espace disponible) ; omikron une fois plus petit que les autres lettres (peut-être par manque d’espace à la fin de la l. 3, car le scribe a préféré ne pas couper le nom propre au génitif), mais en général de la même taille ; pi avec la haste verticale droite plus courte que la gauche ; sigma angulaire à longues branches légèrement écartées. Une sorte de ligature ΝΟ (l. 3). Ces traits semblent indiquer une date vers la fin du IVe s. (le premier éditeur propose une date entre 360 et 330). Date : ca. 325–300. Conservation : Institut pour l’Histoire de la Culture Matérielle de l’Académie Russe des Sciences, Saint-Pétersbourg (inv. TE-87, PI U7/A-15, op. 172/155). Éditions : Stolba 2005a (avec trad. russe) (= SEG LV 859 ; cf. A. Avram, BÉ, 2006, 295) ; Ceccarelli 2013, p. 344, n° 17. Bibliographie : Tohtas’ev 1992, p. 194 n. 68 ; Stolba 1993, p. 109 (cf. Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1996, 391 ; cf. SEG XLII 691) ; Stolba 1996, p. 451–452 ; Stolba 2005b, p. 93 ; Dana 2007a, p. 82–83, n° 7 [cf. A. Avram, BÉ, 2008, 387 (7)] ; V. Stolba, AR 2007–2008 (54, 2008), p. 134 ; Stolba 2012, p. 348–349 ; Decourt 2014, p. 47–48 et 61, n° 37. Illustrations : Stolba 2005a, p. 77, fig. 1 a-b (ph. et dessin) ; Stolba 2012, p. 349, fig. 10.4 (ph.).
310 311
Cf. le billet nord-pontique de Rhodôn à Hèrakas, avec l’« avis de réception » d’un envoi inconnu (35). Voir Stolba 1991.
37. Message sur tesson concernant Kotytiôn (Panskoe 1, chôra lointaine de Chersonèse Taurique)
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Note sur l’édition : le texte de Stolba (2005) est repris par le SEG et Decourt (2014) et, avec une transcription plus prudente, par Ceccarelli (2013). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé une photo du tesson aimablement fournie par le premier éditeur.
Fig. 97. Photo du tesson.
Fig. 98. Fac-similé du tesson.
[----------]ΑΣ κ ἐπε[----------]+Ν κ ἐδιδο[--- ὑπὲ?]ρ Κοτυτίωνος [----------]ραις ἐπιθε[----- Γλ?]υκάριον. vac.
4
1–2 [acc. pl. fem.]ας ὀκ ἔπε|[μψα] Stolba (e.g. [περὶ ὧν ἔγραψ]ας Sto.) : ]ΑΣΟΚΕΠΕ Ceccarelli || 2–3 [πρ]ὶν ὃκ᾿ ἐδίδο|[υν] Sto. : ]ΙΝΟΚΕΔΙΔΟ Cecc. || 3–5 [ὑπὲ]ρ Κοτυτίωνος | [ταῖς? Μοί]ραις ἐπίθε|[ς ἐπὶ ψε]υδάριον Sto. : ]Ρ Κοτυτίωνος | [ ]ραις ἐπιθε|[ ]υδάριον Cecc. || 5 [τὸ πα]ιδάριον? Avram : [Γλ?]υκάριον Dana
L’état fragmentaire du document ne permet pas de proposer une traduction. L. 1 : ΟΚ (cf. un autre exemple à la ligne suivante) doit sans doute noter la négation οὐκ312, avec le kappa épenthétique habituel avant la voyelle. V. Stolba avait également pensé à une forme dorienne (ὅκ᾿ < dor. ὅκα = ὅτε), mais avant ces deux verbes il convient plutôt d’envisager une négation. || Le premier mot conservé, finissant en -ας, peut noter selon Stolba un acc. pl. fém., un participe aor. présent ou un ind. aor. IIe pers. sg. e.g. [ἔγραψ]ας. Il est plus tentant de supposer la fin d’un nom masculin suffixé (e.g. Ἀπολλᾶς) ou composé (e.g. Ἀρισταγόρας) – qui serait en effet le nom de l’expéditeur. || Le premier éditeur se demandait en outre si la séquence ΕΠΕ ne peut être l’ind. aor. du verbe « dire », εἶπε. Il est vrai qu’en milieu ionien l’epsilon notait également la vraie diphtongue313, mais l’on se demande si c’est également le cas dans la chôra de Chersonèse, qui est une cité dorienne ; qui plus est, ce phénomène est archaïque. On peut également s’attendre à une forme verbale de passé d’un verbe composé en ἐπι- (voir ἐπιθε[---] à la l. 5). L. 2 : avant ny, peut-être traces d’une lettre. || Même séquence ΟΚ, suivie d’un verbe, comme à la première ligne. || Pour ἐδιδο-, V. Stolba pense à une forme verbale d’ind. imparf. actif à la IIIe pers. sg. ἐδίδουν. On peut effectivement restituer un imparfait du verbe δίδομι mais du fait de la lacune toute autre personne peut être envisagée, e.g. ἐδίδου, ἐδίδοσαν, ἐδίδοτο.
312 313
Cf., pour les textes attiques, Threatte, Grammar, I, 1980, p. 352. L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 184.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
L. 3 : le premier éditeur avait restitué, à partir de la présence certaine de la lettre rhô avant le nom propre, [ὑπὲ]ρ Κοτυτίωνος ; cette restitution est très probable. Le seul mot qui ne pose pas de problème de lecture est l’anthroponyme Κοτυτίων, ici au génitif. Ce nom caractéristique est attesté à présent sept fois dans l’épigraphique pontique314 : (1–2) deux fois à Chersonèse Taurique : un graffite obscène du IVe s., en dialecte dorien, Κοτυτί|ωμ πόρνας | ἔραται τᾶς | νεάς (« Kotytiôn est amoureux d’une prostituée, d’une jeune »), qui a été pris à tort pour une lettre par son éditrice315 ; Κοτυτίων Ἀρίστωνος, sur un timbre amphorique du groupe chronologique 2 A (vers 285–272)316 ; (3) à Panskoe 1, dernier quart du IVe s. (notre exemple) ; (4) à Olbia du Pont, [---]όδωρος Κοτυτίωνο[ς], dans un graffite de la seconde moitié du IVe s. (liste de noms)317 ; (5) à Nymphaion, dans une épitaphe du début du IIIe s., avec la graphie Κοτοτίων (résultant d’une assimilation)318 ; (6) à Gorgippia, dans une liste de noms doriens (émigrants de Chersonèse Taurique ou de Callatis ? ; inscription du IIIe s.)319 ; (7) à Callatis, un patronyme sur une stèle funéraire des IIIe–IIe s. (I. Callatis 168) ; dans la même colonie d’Héraclée du Pont, on connaît l’anthroponyme féminin Κοτυτίς (I. Callatis 172, Ier s.), qui entre dans la même série théophore. Κοτυτίων n’est pas un anthroponyme d’origine thrace320, en dépit du consensus de la plupart des commentateurs321, qui suivent l’association commode entre un nom thrace très répandu, Κοτυς (OnomThrac 91–96) et la déesse Κοτυτώ, considérée à tort d’origine thrace. En réalité, les sources littéraires322 et la fameuse loi sacrée de Sélinonte du milieu du Ve s.323, qui évoque τν hιαρν hα θυσία πρὸ Ϙοτυτίν (= Κοτυτίων) (col. A, l. 7), nous apprennent que cette déesse était honorée à Corinthe et à Sélinonte, y compris par des fêtes, les Κοτύτια324. La présence de cette série de noms théophores dans la mer Noire n’est point surprenante : elle concerne principalement des colonies d’Héraclée du Pont, cité mégarienne (Chersonèse Taurique et son territoire, comme Panskoe ; Callatis ; un possible groupe d’émigrants callatiens à Gorgippia325) et, par irradiation ou émigration, d’autres cités dans leur voisinage dans le Pont Nord (Olbia du Pont, Nymphaion). Κοτυτίων est donc un nom grec théophore, typique du domaine dorien du Pont-Euxin.
Cf. LGPN IV 200, avec six occurrences. Graffite sur tesson découvert en 1979 derrière le théâtre de Chersonèse. Voir Solomonik 1987, p. 125–130 (SEG XXXVII 661 ; cf. L. Dubois, BÉ, 1989, 478) ; Vinogradov/Zolotarev 1999, p. 117–118 (et Pl. IV.9) ; Giugni 2004, p. 59–61, n° 33 (ph. et dessin p. 59, fig. 41–42) ; Decourt 2014, p. 60, n° 36 (« Panskoyé », sic). 316 Kac 1994, p. 101, n° 67. 317 Stolba 2005b, p. 91–94 (SEG LV 857). 318 Tohtas’ev 1997, p. 376–377 ; Zinko 2001, p. 314, fig. 7.3 ; Zin’ko/Tohtas’ev 2004. 319 CIRB 1137 A, col. I, l. 29, et col. II, ll. 26 et 30 ; B, col. I, l. 48, (patronyme de Blastos et de Kratinos). 320 Tohtas’ev 1992, p. 181–182 (n° 1). 321 Voir, entre autres, Zgusta 1955, p. 282–283, § 565 ; Detschew 1957, p. 258–259 et 262 ; Stolba 1993, p. 109–110 (cf. aussi Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1996, 291) ; Stolba 1996, p. 451–452, n° 20 ; Tohtas’ev 1997, p. 380–382 ; Vinogradov 1997a, p. 162 ; A. Avram, ISM, III, 1999, p. 495 ; Cojocaru 2004b, p. 114 ; Zin’ko/Tohtas’ev 2004, p. 114–117 (cf. aussi A. Avram, BÉ, 2009, 291) ; Stolba 2005a, p. 82–83 ; Stolba 2005b, p. 92–93 ; Robu 2010–2011, p. 287–288. 322 Les scholies à Théocrite 6.40 pour le nom d’une vieille Sicilienne Κοτυταρίς font précisément allusion à cette déesse à Corinthe, à l’honneur chez les Doriens ; divinité corinthienne chez Eupolis, Baptai, F 93 K.-A., cité par Hésychios d’Alexandrie, s. v. Κοτυτώ (Κ 3820) ; voix corrompue dans la Souda, s. v. Κότυς (Κ 2171)· δαίμων, παρὰ Κορινθίοις τιμώμενος ; un autre passage corrompu chez Strabon 10.3.16 (C. 470), après la mention des Κοτύτεια καὶ τὰ Βενδίδεια, citant pour cette déesse un fragment d’Eschyle (Edones, F 57 Radt). 323 Jameson/Jordan/Kotansky 1993 (= SEG XLIII 630), comm. p. 23–26 (s’ils critiquent la thèse thrace, ils lui substituent une improbable origine orientale). Voir, à titre d’ex., L. Dubois, BÉ, 1995, 692 (origine thrace) ; Dubois 1995a, p. 131–132 ; Dubois 2003b, p. 111–112 ; Robertson 2010, p. 53–68 (avec l’ensemble des sources et une vision critique de la thèse thrace) ; Lupu, Greek Sacred Law 27 (et comm., p. 369). 324 Fête sicéliote dans les sources parémiographiques : Κοτύττια ἑορτή τις ἐστὶ Σικελική (Plutarque, Prov. Alex. 78 ; CPG I 333). Dans les sources littéraires et chez les Modernes, on trouve la graphie Κοτύττια. Voir Gordon 1999. 325 Après le siège et la conquête de Callatis par Lysimaque, 1000 Callatiens se réfugièrent dans le Bosphore Cimmérien, étant accueillis par le roi Eumèlos et établis à Psoa (Diodore de Sicile 20.25.1) ; voir A. Avram, ISM, III, 1999, p. 11 et 23. 314 315
37. Message sur tesson concernant Kotytiôn (Panskoe 1, chôra lointaine de Chersonèse Taurique)
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L. 4–5 : en accord avec sa restitution (cf. comm.), Stolba, qui pense à un sacrifice, restitue à la l. 4 [ταῖς? Μοί]ραις326. D’autres restitutions sont néanmoins possibles à la l. 4 après la cassure, e.g. θύραις, χώραις, ἐσχάραις, ἀμφοτέραις, ἀραῖς. Concernant le verbe, il me semble, à l’instar de V. Stolba, qu’il s’agit d’une forme du ἐπιτίθημι ; je pense soit au participe aor. ἐπιθείς ou ἐπιθεῖσα, soit à l’impératif aor. ἐπίθες ou ἐπιθέτω. Pour le sens d’envoyer un message, cf. le comm. à la lettre d’Apatorios à Léanax (26). || Le premier éditeur met en rapport ce verbe avec le mot qui apparaît à la ligne suivante, qu’il restitue [ψε]υδάριον, avec la graphie dorienne327. Ce terme apparaît seulement chez Lycophron (Alex. 1048, 1181), dans un contexte qui implique des sacrifices accomplis auprès d’un tombeau symbolique, un cénotaphe. La confirmation sur le terrain semble être offerte à Stolba par le cénotaphe K32, seul tombeau de ce type fouillé dans la nécropole locale328. Cependant, la rareté du mot et notamment son emploi par Lycophron qui utilise des mots obscurs que nous avons peu de chances de retrouver dans les autres œuvres littéraires et encore moins dans l’épigraphie privée, nous invitent à la prudence329. En réalité, la lecture d’un delta n’est pas assurée ; on peut reconnaître à la place de cette lettre un kappa très similaire à celui des ll. 2 et 3, dont la haste verticale serait très effacée. Dans cette éventualité, il est tentant de restituer un diminutif neutre [Γλ?]υκάριον330, qui serait plutôt un anthroponyme féminin331 que masculin. Commentaire : À 10 km au nord-est de Černomorskoe (l’antique Kalos Limen ?), dans la presqu’île de Tarhankut (au nord-ouest de la Crimée), Panskoe 1 est un établissement rural situé sur le littoral de la baie de Jarygač, sur une presqu’île séparant les lacs salés Maloe Soljonoe et Džarylgač du lac Panskoe (jadis Sasyk). Apparu au dernier quart du Ve s. comme un avant-poste fortifié – selon l’opinion commune, de la cité d’Olbia du Pont, mais on peut également penser à Kerkinitis –, il connaît deux phases : la première, entre 400 et 360 ; la seconde, chersonésite, entre 360 et 270. Le déclin du site se situe en même temps que l’abandon des exploitations rurales de Chersonèse Taurique, pour lequel plusieurs explications ont été avancées (changements climatiques ? ; pression des populations indigènes ?). Le site de Panskoe 1, fouillé ces dernières années par une équipe d’archéologues russes et danois, a offert de nombreux renseignements sur l’organisation de la chôra lointaine de Chersonèse Taurique, à savoir des productions locales grâce à la mise en valeur des sols fertiles332, mais aussi des échanges, indiqués notamment par les amphores de vin et d’huile333. Le secteur central U7, le plus ancien noyau de l’établissement, était à l’origine une forteresse construite vers 400, avec des vestiges bien conservés du fort quadrangulaire de la première phase, ceint à ses angles de quatre tours rondes. Détruite vers 350, au début de la phase chersonésite, U7 perd son caractère défensif et accueille vers 340–330 de nouveaux bâtiments (de petites maisons)334. Plus de 200 graffites sur céramique ont été retrouvés sur le site de Panskoe 1335, parfois en dialecte dorien, qui ont fourni essentiellement des noms propres, spécifiques pour la région ou étrangers. Le plus intéressant, 326 Il propose : [περὶ ὧν ἔγραψ]ας ὀκ ἔπε|[μψα --- ?πρ]ὶν ὃκ᾿ ἐδίδο|[υν --- ὑπὲ]ρ Κοτυτίωνος | [ταῖς? Μοί]ραις ἐπίθε|[ς ἐπὶ ψε]υδάριον (Stolba 2005a, p. 84, avec trad. russe). On pourrait traduire, en suivant le texte grec : « Les choses dont je t’ai écrit, je ne les ai pas envoyées, ni celles que je donnais avant. Dépose (sc. une offrande) en faveur de Kotytiôn sur le cénotaphe, pour les Moires ». 327 Il a un homonyme dans le LSJ, traduit par « mensonge » (voir les Ψευδάρια, titre d’une œuvre d’Euclide). 328 Voir Stolba/Rogov 2012, p. 36 (Stolba remarque, p. 51 n. 114, que la lecture [τὸ πα]ιδάριον proposée par A. Avram est exclue ; en effet, l’upsilon se lit clairement sur le tesson) ; Stolba 2012, p. 348–349. 329 Le seul autre mot qui aurait pu être restitué à cet endroit est σουδάριον (lat. sudarium), qui signifie « suaire », « linceul », « drap mortuaire ». Sa chronologie est pourtant tardive, étant par ailleurs rarement attesté dans les sources littéraires et une seule fois dans une inscription du IIIe s. ap. J.-C., à Doura-Europos (SEG VII 417). 330 Cf. LGPN IV 81, sur les occurrences de Γλυκάριον et Γλυκαρίων ; cet hypocoristique masculin a été refait sur le précédent, cf. Ψυχάριον et Ψυχαρίων, noms très fréquents au nord de la mer Noire (LGPN IV 360); voir Masson, OGS, II, p. 443). Sur cette famille de noms féminins évoquant la douceur, voir L. Robert, dans I. Byzance funéraires, 1964, p. 146. 331 Γλυκάριον épouse d’Érôs (Panticapée, CIRB 305) ; Γλυκάριν épouse de Théoneikos (Panticapée, CIRB 594). 332 On a pu identifier des parcelles rectangulaires, de 20–21 ha, des fragments de cadastres antiques avec un système de bornage orthogonal dont certaines traces matérielles ont été identifiées par les murets de bornage qui sont en terre et non en pierre. 333 Ščeglov 1987 ; Hannestad/Stolba/Ščeglov 2002 ; Müller 2010, p. 57 (avec des réserves sur la domination olbienne), 62, 69 et 197–201 ; Stolba 2012, p. 311–366 (présentation générale du site). 334 Müller 2010, p. 199. 335 Pour les témoignages écrits du secteur U6, voir Stolba 2002 (Pl. 150–159).
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à part notre tesson, est un vase trouvé dans le même secteur U7, portant une dédicace fragmentaire à Héraclès Sôtèr336. Notre texte est malheureusement trop fragmentaire pour pouvoir avancer une interprétation sûre337, et la perte de sa moitié gauche nous met dans le même embarras que si seule la moitié droite de la lettre sur tesson de Nikonion avait été retrouvée (21). Il est certainement question d’un message privé. Selon le premier éditeur, il a été envoyé afin d’exiger de la part du destinataire un sacrifice aux Moires sur un tombeau, dans l’intérêt d’un certain Kotytiôn. S’il est vrai que le culte des Moires est attesté sur la côte occidentale du Pont338, on ne peut pas affirmer avec certitude que c’est ce mot qui figurait à la l. 4. Deux séquences parallèles (formes verbales au passé sans doute précédées d’une négation) se succédent aux premières lignes. On pourraît ajouter la présence, à la fin du message, d’un autre anthroponyme, sans doute féminin, Glykarion. Ce message sur céramique offre une nouvelle attestation d’un nom typique du domaine mégarien du Pont-Euxin, dans un environnement assez mixte, comme le montrent certaines graphies ioniennes. Il s’agit, une fois de plus, de l’héritage de la métropole, transmis et perpétué dans les fondations aussi bien milésiennes que mégariennes de la mer Noire. Le tesson est aussi une source précieuse pour les pratiques lettrées de la région et des Grecs en général. L’expéditeur écrivait comme il parlait et il lui arrivait même d’oublier une lettre (le iota à la l. 4 est évidemment rajouté entre alpha et sigma, après que ce dernier ait été tracé), mais il connaissait aussi bien les supports et les instruments que la façon d’écrire sur des fragments céramiques. On peut ainsi voir que l’auteur du message a utilisé pour les cinq premières lettres (l. 1) un instrument pointu qui avait besoin d’être aiguisé – des éraflures sont visibles dans le tracé des lettres. Après la cinquième lettre, qu’il a eu du mal à écrire, il s’est révisé et a taillé son calame, car le pi est nettement plus clair et le tracé bien profond. Il me semble pourtant que, peutêtre mécontent ou obligé d’abandonner son premier calame après la deuxième ligne, il a changé d’outil : les trois dernières lignes sont écrites avec un instrument plus fin, qui laisse des traces moins profondes. Les lettres rondes (omikron, ômega) – par ailleurs les plus difficiles à inciser – sont notées en deux temps, apparaissant ainsi comme deux demi-cercles qui se rejoignent en haut et en bas ; à la fin de la l. 3, l’omikron est non seulement plus petit, mais de forme presque rhomboïdale. L’upsilon est également tracé en deux temps : un premier mouvement pour la haste droite, qui se prolonge par la haste verticale ; un second pour la haste gauche, qui vient rejoindre l’autre au milieu. Ces traits trahissent une main habituée à écrire, sans doute aussi sur des supports périssables.
38. Lettre sur tesson d’Apatorios à Néomènios (Kerkinitis, chôra lointaine de Chersonèse Taurique)
38. Lettre sur tesson d’Apatorios à Néomènios (Kerkinitis) Découverte, contexte : fragment d’amphore thasienne (ca. 450–425) découvert en 1984 lors des fouilles des quartiers d’habitation de Kerkinitis, par une mission de l’Institut Archéologique d’Ukraine. Le contexte céramique est daté du Ve s.339. Support, mise en page : tesson de forme pentagonale (7 × 9,5 cm) ; seul un petit morceau, sur lequel il n’y avait pas de texte, s’est détaché du bord supérieur. Les marges sont lisses, le texte a été inscrit à la pointe fine après la cassure du vase, l’expéditeur l’ayant choisi à dessein. Un petit espace est laissé entre le début de chaque ligne et le bord gauche du tesson ; à droite, on observe des vacat à la fin des ll. 5, 7, 8. Le texte comporte huit lignes gravées à la pointe fine (la partie droite du tesson est plus effacée) ; les mots ne sont jamais coupés en fin de ligne. Oubli ou non notation d’un sigma (l. 8). Dialecte : ionien oriental. Les fausses diphtongues sont notées par la simple voyelle epsilon ou omikron. Crase σφήκ(ια) ἶσα (l. 3) ; aphérèse ᾿σάγη (l. 4) ; formes ioniennes ἐμέο (l. 5) et γίνωσκε (l. 7) ; forme non-contacte Νεομηνίωι (l. 1). Paléographie : lettres bien gravées ; ht. des lettres : 0,4–0,6 cm. La paléographie (kappa avec les hastes obliques plus courtes ; ny à la haste droite plus courte et asymétrique ; pi à la haste verticale gauche plus courte que la droite ; ômega plus petit que
Stolba 1989 (SEG XXXIX 703). Le texte de Stolba fut repris par le SEG (mais A. Chaniotis note : « the restorations are far from certain ») et par J.-Cl. Decourt, alors que P. Ceccarelli préfère une transcription plus prudente. 338 IGBulg I² 305 ; I. Histria 114. 339 Kutajsov 1992, p. 172–174. 336 337
38. Lettre sur tesson d’Apatorios à Néomènios (Kerkinitis, chôra lointaine de Chersonèse Taurique)
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les autres lettres et avec les hastes horizontales alignées) indique une date vers la fin du Ve s. ou le début du IVe s., ce qui semble en accord avec le contexte céramique. Date : ca. 400. Conservation : Musée Régional d’Evpatorija (Evpatorijskij Kraevedčeskij Muzej). Éditions : Solomonik 1987, p. 114–125 (avec trad. russe) (= SEG XXXVII 665 ; cf. L. Dubois, BÉ, 1989, 478 et I. dial. Olbia Pont, 1996, 49 n. 3, avec trad. fr. ; Ph. Gauthier, rapportant des obs. de Ju. Vinogradov, BÉ, 1990, 566 ; cf. SEG XL 625) ; Anohin 1998 (avec trad. russe) (cf. SEG XLVIII 1004) ; Dana 2007a, p. 83–85, n° 8 (avec trad. fr.) ; Müller 2010, p. 384–385, DE 17 (avec trad. fr.) ; Bravo 2011a, p. 86–91, n° III (avec trad. it.) (cf. A. Avram, BÉ, 2012, 306 ; cf. SEG LXI 615) ; Ceccarelli 2013, p. 340–341, n° 8 (avec trad. angl.) ; Bravo 2014–2015, p. 14–17 (avec trad. it.) [cf. Belousov, EpPont, 2015, 27 (Aristeas, 14, 2016, p. 268)] ; Kutajsov 2016, p. 178–187 (avec trad. russe). Bibliographie : Kutajsov 1990, p. 148 ; Kutajsov 1992, p. 167 ; Hind 1992–1993, p. 96–97 ; Ampolo 1994, p. 245–246 ; Vinogradov 1994a, p. 66, n° 3 ; I. dial. Olbia Pont (L. Dubois, 1996), p. 49 ; Vinogradov 1997a, p. 20–21, 161–162, 522 ; Vinogradov 1997b, p. 235 n. 7 (n° 4) ; Vinogradov 1998, p. 160 n. 17 (avec trad. angl.) ; Faraguna 2002, p. 240 ; Kutajsov 2003, p. 568 ; V. A. Kutajsov, dans Antičnye pamjatniki Kryma. Ancient Greek Sites in the Crimea, Kiev, 2004, p. 232 ; Zubar’ 2004, p. 23–24 ; E. Ja. Rogov, dans Greki i varvary Severnogo Pričernomor’ja v skifskuju ėpohu [Grecs et barbares au nord de la mer Noire à l’époque scythique], Saint-Pétersbourg, 2005, p. 175–176 ; V. Stolba, AR 2007–2008 (54, 2008), p. 136 ; Cojocaru 2009, p. 6 et n. 32 ; Müller 2009, p. 103 et 109 (avec trad. fr.) ; Müller 2010, p. 56, 214 ; Ceccarelli 2013, p. 40 ; Harris 2013, p. 122 ; Kutajsov 2013, p. 84, 86, 131, 182 ; Oller Guzmán 2013a, p. 86 ; Decourt 2014, p. 60, n° 33 (avec trad. fr.) ; Dana 2016, p. 104. Illustrations : Solomonik 1987, fig. 1 (ph.) et 2 (dessin) ; Kutajsov 1992, p. 170 (ph.) ; Saprykin 1997, fig. 22 (ph.) ; Anohin 1998, p. 137, fig. 1 (dessin) ; Kutajsov 2003, p. 602, fig. 7 (dessin) ; V. A. Kutajsov, dans Antičnye pamjatniki Kryma. Ancient Greek Sites in the Crimea, Kiev, 2004, p. 226 (ph.) ; E. Ja. Rogov, dans Greki i varvary Severnogo Pričernomor’ja v skifskuju ėpohu [Grecs et barbares au nord de la mer Noire à l’époque scythique], Saint-Pétersbourg, 2005, p. 176, fig. 11.1 (dessin) ; Dana 2007a, p. 83 (dessin) ; Bravo 2011a, p. 87, fig. 3 (ph.) ; Kutajsov 2013, couverture (ph.) et p. 396, fig. 116 (dessin et ph.) ; Fornasier 2016, p. 91, fig. 63 (dessin) ; Kutajsov 2016, p. 179, fig. 92 (ph. et dessin). Note sur l’édition : la première édition de Solomonik (1987) a été émendée par Vinogradov (1990), Dubois (1989, 1996), Anohin (1998), Dana (2007), Müller (2010) et Bravo (2011, 2014–2015), avec des différences de lecture et d’interprétation. Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai pu utiliser plusieurs photos de qualité. Étant donné la présence de nombreux traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Fig. 99. Photo du tesson (Pl. X).
Fig. 100. Fac-similé du tesson.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Ἀπατριος Νεομηνίωι· τς ταρίχς ἐς οἶκον συνκόμισον καὶ σφήκ(ια) ἶσα· καὶ ᾿σάγῃ μηδς ἄτερ ἐμέο· καὶ τῶν βοῶν vac. ἀνακῶς ἔχε· καὶ ὄτις τελῇ γίνωσκε vac. ἐς τ(ς) Σκύθας. vac.
4
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2 τς ταρίχς Solomonik : τς τ᾿ αρίχς Anohin || 3 ΣΦΗΚΙΣΑ ostracon, Müller, Decourt : σφήκ᾿ ἶσα Sol. : σφήκισα Anoh. : σφήκ᾿ ἴσα Vinogradov, SEG : σφήκ(ια) ἶσα Dubois [σφήκι{σ}α I. dial. Olbia Pont, p. 48 n. 3] : σφ〈ρ〉ήκισα〈ι〉 Bravo (σφ〈ρ〉 ήγισα〈ι〉 Br. 2011) || 4 καὶ σ᾿ ἄγῃ Sol., Anoh. : καὶ ᾿σάγῃ Dub. (καἰσάγῃ Vin., Müll., Dec.), Br. || 5 γῶν Sol., Anoh. : τῶν Vin., Pleket (SEG) : τῶν Br. || 6 ο… Sol. (= ὅτις?) Anoh., SEG : ὅτις Dub., Br. : ο[α] Vin. (= ὅσσ[α], qui sampi recogn.) Müll. : ὄσσα Dec. || 7 τελῇ Sol. (vel τέλη) : τελῆ Anoh., Dec. : τέλη Vin., Müll. : 〈σ〉τέλ〈λ〉ῃ Br.
Apatorios à Néomènios. Convoie les poissons salés à la maison et les perches de même dimension (?) et que personne d’autre que moi n’en importe. Prends soin des bœufs et tâche de savoir qui paie (la taxe) aux Scythes. L. 1 : l’adresse, qui comporte seulement le nom de l’expéditeur au nominatif et celui du destinataire au datif, sans le verbe χαίρειν, est antérieure au IVe s., quand cette formule du salut épistolaire commence à se diffuser. On retrouve ce type d’adresse dans la lettre sur tesson de Phanagoria (50, ll. 1–3 : Πολέμαρ|χος Ἡγησα|γόρῃ, ca. 400). || Les deux noms présentent des traits dialectaux. Si Ἀπατριος est un nom typiquement ionien, bien attesté en contexte nord-pontique (cf. l’expéditeur de la lettre olbienne sur plomb 26, et comm.), Νεομήνιος, « celui de la nouvelle lune »340, est bien connu au nord de la mer Noire (LGPN IV 247 et 257)341. Il s’agit ici de la forme non-contracte Νεομήνιος, car par la suite la forme du nom est Νουμήνιος. L. 2 : l’article et le substantif à l’acc. pl. (τς ταρίχς) présentent la graphie archaïque ο pour ου. L. 3 : la fin de la ligne a suscité beaucoup de difficultés pour les commentateurs. Plusieurs variantes ont été proposées : Ė. I. Solomonik transcrit σφήκ᾿ ἶσα (« et la même chose pour le bois du toit »), bien que dans le commentaire elle propose σφηκίσ(κ)α, comme variante supposée pour σφηκίσκος (= « barre de toit »). L. Dubois (BÉ, 1989, 478) avait adopté la variante σφήκ(ια) ἶσα, pour laquelle il avait proposé le sens de « chevrons de même calibre », considérant qu’il ait pu exister une variante attendue *σφήκιον de σφηκισμός (cf. le mot ἡμισφήκιον à Délos)342 ; plus récemment, il propose de traduire seulement par « chevrons »343. On peut aussi songer à des perches de bois où sèche le poisson. Ju. G. Vinogradov, en revanche, comprend globalement cette ligne comme désignant des « paquets de poisson salé » (BÉ, 1990, 566), sans pourtant expliquer le sens du mot ἴσα. B. Bravo, qui suppose plusieurs erreurs répétées alors que le texte est écrit dans une langue ionienne généralement correcte, pense qu’il s’agit de l’inf. aor. avec fonction d’impératif du verbe σφρηγίζω (graphie ionienne). Il faudrait ainsi accepter, selon Bravo, que non seulement l’auteur de la lettre a omis le rhô et noté un kappa au lieu d’un gamma (voir pour ce dernier type d’erreur la lettre 52), mais qu’en plus il a préféré ne pas noter le iota final (ou l’écrire au début de la ligne suivante), en commençant ainsi la ligne suivante par un autre mot344. Cette accumulation d’erreurs est toutefois invraisemblable. L. 4 : Solomonik avait lu σ᾿ ἄγη (σά, forme du neutre pl. de l’adj. possessif σός, et le subj. IIIe pers. sg. du verbe ἄγειν) et compris καὶ σ᾿ ἄγη μηδς ἄτερ ἐμέο (« que personne d’autre ne s’occupe de tes affaires sauf moi »).
Bechtel, Personennamen 522 ; Masson 1994 (= OGS, III, p. 172–178). Y compris sur un ostracon du Ve s. de Chersonèse Taurique (Ἰασικλῆς Νεομηνί) ; voir Vinogradov 1997a, p. 414, n° 3 (Pl. 24) ; Vinogradov/Zolotarev 1999, p. 112 (Pl. II.4). 342 I. Délos 403, l. 17. Pour la famille de σφήξ (« guêpe »), où un bon nombre de dérivés signifient « chevron d’un toit, morceau de bois pointu, linteau », voir Chantraine, DELG, p. 1077. 343 I. dial. Olbia Pont 3 (p. 49). 344 Bravo 2011a, p. 89. 340 341
38. Lettre sur tesson d’Apatorios à Néomènios (Kerkinitis, chôra lointaine de Chersonèse Taurique)
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En revanche, Dubois, que je suis, restitue καὶ ᾿σάγῃ (= καὶ ἐσάγῃ), à savoir une aphérèse ou élision inverse fréquente en ionien, du verbe ἐσάγειν, « importer », avec la graphie ionienne pour le préfixe. Bravo est d’accord avec l’aphérèse, mais préfère traduire ce verbe comme un intransitif : « que personne n’entre à part moi ». Pourtant, un seul exemple du sens intransitif est donné dans le LSJ, alors que le sens transitif « importer » est beaucoup mieux attesté, cf. Hérodote 3.6 : εἰσαγόμενα καὶ ἐξαγόμενα, « importations et exportations »345. || μηδς est une graphie archaïque, cf. la formule interdisant le vol μηδς με κλέψει (I. dial. Olbia Pont 38, graffite vasculaire, ca. 550–525). L. 5 : ἐμέο pour ἐμοῦ, forme typiquement ionienne, qu’on rencontre aussi dans les lettres sur plomb de Nymphaion (42, l. 5) et Panticapée (44, l. 3). || Solomonik lisait l’adverbe γῶν pour γοῦν (selon le parallèle ὦν = οὖν) ; il faut en réalité lire τῶν. L. 6 : ἀνακῶς, adverbe déjà rencontré dans la lettre sur plomb de Nikonion (20, l. 5), accompagnant une instruction. || Le mot final est presque effacé sur le tesson, ce qui a suscité deux lectures : ὅτις (la majorité des commentateurs) et ὅ[α] (= ὅσσ[α]), par Vinogradov (BÉ, 1990, 566), qui croit reconnaître ici un sampi346 et traduit « apprends de quelle importance sont les impôts versés aux Scythes ». Après un examen plus approfondi, la lecture ὅτις (avec psilose dans le texte) se confirme. L. 7 : ΤΕΛΗ, mot diversement compris par les éditeurs. Je préfère lire τελῇ, une forme de subj. IIIe pers. sg. du verbe τελέω, « s’acquitter de », « payer ». Vinogradov, suivi par Chr. Müller, y ont vu le neutre pl. « taxes », envisageable seulement si à la ligne antérieure il y avait le pronom ὅσσ[α]. Bravo voit de nouveau une série de marques d’oralité dans la soi-disant notation erronée du verbe 〈σ〉τέλ〈λ〉ῃ : le sigma initial ne serait pas noté en raison de la présence dans le mot antérieur d’un autre sigma ; puis, le lambda serait omis comme cela arrive pour les géminées347, à moins qu’il ne faille lire ici un subj. aor., donc 〈σ〉τλῃ. Or, un argument qui a par ailleurs servi à Bravo pour expliquer l’omission du iota à la fin de la l. 3, vient contredire son explication348. Bravo avance en effet l’idée que les deux mots ὅτις et 〈σ〉τέλ〈λ〉ῃ se succédant, l’un des deux sigma est tombé. Il apporte comme argument le phénomène que l’on remarque à la l. 8, τ(ς) Σκύθας, mais dans ce cas le sigma qui tombe est celui qui se trouve à la fin du premier mot, devant le sigma par lequel commence le mot suivant. Selon cette logique, le sigma qui aurait dû tomber n’est pas celui de 〈σ〉τέλ〈λ〉ῃ, mais bien celui de ὅτις. Or, non seulement on lit ce sigma à la fin de la l. 6, mais en plus il n’aurait de toute façon pas figuré en début de cette ligne si l’auteur respectait, ce qui semble être le cas, la règle de ne pas couper les mots en fin de ligne : il commence donc la l. 7 avec un mot distinct, qui est τελῇ. || γίνωσκε pour γίγνωσκε, forme dialectale ionienne (comme dans le cas du verbe γίγνομαι, en ionien γίνομαι)349. L. 8 : τ(ς), notation abrégée pour τς (= τούς). Il s’agit d’un phénomène banal devant un autre sigma350. Commentaire : Kerkinitis, localisée à Evpatorija, est une cité fondée par des colons ioniens au troisième quart du VIe s. dans le nord-ouest de la Crimée. Au début elle frappa sa propre monnaie, puis elle entra, au cours du IVe s., sous la domination de la cité dorienne de Chersonèse Taurique351. Ce document, daté d’après le contexte et la paléographie des environs de 400, est un témoignage du dialecte parlé à Kerkinitis à cette époque, qui est ionien. La lettre représente une suite de recommandations faites par Apatorios (Ἀπατούριος en koinè) à un certain Néomènios, coordonnées par une succession de καί. Si l’expression n’est certes pas très élégante, elle est efficace.
Traduction du passage par Holford Strevens : « let no-one lead you » (cf. Ceccarelli 2013, p. 241). Cf. Vinogradov 1998, p. 155 n. 6 (n° 2). 347 Mais l’exemple de la l. 4 de la lettre d’Apatorios à Léanax (26) n’est pas pertinent, puisque la bonne lecture est τἄ〈λ〉λα (sur la lamelle on voit ΤΑΑΛΑ) (voir le comm. de la ligne). 348 A. Avram, BÉ, 2012, 306, émettait de fortes réserves pour cette transformation du texte par B. Bravo. 349 Confirmant ainsi la supposition de Thumb/Scherer 1959², vol. II, p. 262, § 311.17. 350 Cf. Threatte, Grammar, I, 1980, p. 639 : att. εἰστήλας. 351 Kutajsov 2003, p. 563–602 ; Stolba 2004 ; Kutajsov 2013 ; Kutajsov 2016. 345 346
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Tout d’abord, Néomènios doit envoyer des poissons salés352. L’hypothèse du numismate V. O. Anohin, selon lequel il s’agissait d’une production aussi bien de monnaies locales que d’autres émissions monétaires353, dans laquelle les deux personnes étaient impliquées, est vraiment romanesque354. Le second produit, qui a occasionné de multiples conjectures, a été traduit différemment en fonction de la façon dont les mots ont été coupés355. Cependant, le sens ne diffère pas radicalement d’un traducteur à l’autre, à l’exception de l’interprétation de Vinogradov. Müller propose prudemment de renoncer à interpréter cette séquence, même si elle pense à son tour qu’il s’agit du bois356, produit qui semble approprié dans ce contexte357. Apatorios se montre très soucieux pour ce qui est de son exclusivité dans les transactions avec ces produits. Par la suite, il est question du bétail, plus précisément de bœufs, une autre ressource dont Néomènios doit prendre soin. Enfin, une question épineuse reste l’interprétation, à partir de la lecture de la séquence ΤΕΛΗ, des deux dernières lignes. On a déjà expliqué pourquoi les restitutions et par conséquent la traduction de Bravo (« cerca di capire chi si appresti a partire verso gli Sciti ») ne peuvent pas être retenues358. Un sens similaire avait été donné par Solomonik (« qui part pour le pays des Scythes »), alors que Dubois traduit « tâche de savoir qui paie tribut aux Scythes ». Je reprends la traduction que j’avais proposée dans mon article de 2007. C’est de cette façon que préfère également traduire P. Ceccarelli : « learn who pays (a tax?) to the Scythians ». Ce qui importe en réalité est le sens que l’on donne au mot ΤΕΛΗ, qui doit être une taxe due sur place, mais aussi des droits de passage à payer à l’intérieur du pays. Compte tenu du contexte de la lettre, Müller a proposé de traduire τέλη par « taxes » plutôt que par « tribut » : le « tribut », tel que l’envisage Vinogradov, renverrait à une dépendance politique de Kerkinitis à l’égard des Scythes (le fameux « protectorat scythe »), tandis que les « taxes » peuvent être celles que les « Scythes », placés sur les routes commerciales, fluviales ou terrestres, prélevaient sur les importations/ exportations de divers produits depuis ou vers l’hinterland. Il s’ensuit que la préoccupation du marchand est manifestement de nature économique, même si la taxation implique en soi contrôle et sujétion. On retrouve un terme apparenté dans le fameux règlement de Vetren au sujet de l’emporion de Pistiros (ca. 359–352)359, pour désigner précisément les taxes ordinairement levées par les dynastes locaux sur les routes commerciales de Thrace : τέλεα κατὰ τὰς ὁδοὺς | μὴ πρήσσειν (ll. 20–21). Si l’on considère que l’auteur de notre lettre souhaite l’exclusivité sur l’importation du tarichos, il doit s’agir de taxes sur les marchandises360. Il faut donc suivre Müller dans l’interprétation commerciale des taxes et ne pas y voir un protectorat exercé par les Scythes, qui auraient prélevé un tribut361. 352 Hérodote 4.58.3 mentionne la salaison (ταρίχευσις) des poissons pêchés dans le Borysthène ; cf. aussi Strabon 7.4.6 (C. 310–311). Pour ce produit souvent cité pour le Pont, voir Müller 2010, p. 214–215 ; Bravo 2014–2015, p. 15–17. En général, voir Baladié 1994. 353 D’Olbia du Pont (légendes ΑΡΙΧΟ et ΑΡΙΧ:Ο, voir I. dial. Olbia Pont 3) et de Cyzique. 354 Voir la conclusion de Pleket (SEG XLVIII 1004) : « an interpretation as ingenious as fanciful ». Contre cette interprétation fantaisiste, cf. aussi Stolba 2008, p. 136. 355 B. Bravo propose, en accord avec la restitution du verbe σφρηγίζω, la traduction suivante : « Raccogli e porta dentro in casa i pesci seccati, e metti il sigillo, e che nessuno entri senza me ». 356 Müller 2010, p. 385. 357 On connaît près d’Olbia une région boisée, la Ὑλαίη, de l’autre côté du fleuve Borysthène (cf. Hérodote 4.18–19 et 55, I. dial. Olbia Pont 24 et IOSPE I² 34) (cf. le comm. de la lettre 28). 358 Bravo estime que ceux qui partaient vers les Scythes étaient des trafiquants qui allaient de Kerkinitis vers un emporion situé à l’intérieur de la Crimée. A. Avram est à juste titre sceptique quant à cette interprétation : « Ces deux interventions dans le texte de la lettre ne me semblent pourtant pas pleinement convaincantes, car elles supposent trop d’erreurs de la part du scribe » (BÉ, 2012, 306). 359 IGBulg V 5557 ter = SEG XLIII 486 = XLVII 1101 = XLIX 911. Ce document malheureusement incomplet mentionne différents privilèges et garanties accordés à des marchands grecs nord-égéens actifs en Thrace, confirmés par un roi odryse, dont l’exemption des taxes pour le transport routier des marchandises. Ce roi était l’un des successeurs de Kotys Ier, auteur de la première convention, dans la première moitié du IVe s. La bibliographie sur cette inscription est énorme ; à titre d’ex., voir Velkov/ Domaradzka 1994 ; Chankowski/Domaradzka 1999 ; Domaradzka 2002a ; Loukopoulou 2005 ; Graninger 2012 ; Hatzopoulos 2013 ; ces deux dernières études sont commentées par A. Avram, BÉ, 2014, 307–308. 360 Müller 2009, p. 103 pour cette question (en général p. 93–112, pour les interactions avec les Scythes). 361 La théorie du « système tributaire » qu’avance Zubar’ 2004, p. 23–24, n’emporte pas la conviction et a été critiquée par Chr. Müller.
39. Lettre sur tesson à Timosthénès (Chersonèse Taurique)
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Le sens général du message d’Apatorios, comme l’a récemment montré Christel Müller362, est donné par quelques termes-clés : τάριχος, ἐσάγῃ, τέλη (ou plutôt le verbe τελῇ, cf. mon comm.). Il est question de marchandises variées, dont le commerce du poisson salé, la grande spécialité pontique, mais aussi de bois façonné et de bétail, indices précieux des déclinaisons économiques d’individus entreprenants363. Du même horizon stratigraphique que la lettre d’Apatorios provient un message amoureux sur ostracon des Ve–IVe s., pris à tort pour une lettre. Il s’agit d’un fragment d’amphore thasienne découvert en 1986, figurant, sous les deux lignes incomplètes, un sgraffito avec un navire : Γυκεῖα κα[λὴ? ---] | γράψαντι [---]364.
39. Lettre sur tesson à Timosthénès (Chersonèse Taurique)
39. Lettre sur tesson à Timosthénès (Chersonèse Taurique) Découverte, contexte : fragment d’amphore sinopéenne découvert en 2000 lors des fouilles de Stanislav G. Ryžov dans la partie nord de Chersonèse Taurique (carré IX, emplacement 2). Support, mise en page : tesson de forme rectangulaire (6 × 5,5 cm), intact en haut, à droite et à gauche, mais brisé en bas ; à l’origine, il devait être plus grand, étant choisi à dessein pour graver un texte dans le sens de la hauteur, ce qui est moins courant. Au moins huit lignes de texte, dont les deux dernières très abîmées ; les mots ne sont pas coupés en fin de ligne, à l’exception d’une coupe syllabique (l. 4). Mot abrégé : ἀργύρι(ον) (l. 5). Dialecte : dorien (?) avec des traits archaïques que l’on retrouve également dans le dialecte ionien : les fausses diphtongues sont notées par epsilon et omikron. Graphies σθύνλακον (l. 3) et θυλάκ (l. 6). Paléographie : lettres profondément gravées mais irrégulières et de taille différente ; ht. des lettres : 0,4–0,6 cm. Alphabet ionien. La paléographie (epsilon avec les trois hastes horizontales parallèles et égales ; thêta pointé ; ny légèrement asymétrique ; omikron de forme ovale ; sigma avec les quatre branches écartées) indique le IVe s. Date : ca. 375–325. Conservation : Réserve Nationale Chersonèse Taurique, Sébastopol (inv. 4/37349)365. Éditions : Makarov 2009 (avec trad. russe) (= SEG LIX 814) (cf. A. Avram, BÉ, 2010, 462, avec trad. fr.) ; Ceccarelli 2013, p. 346, n° 21 (avec trad. angl.). Bibliographie : Rusjaeva 2010b, p. 205 ; Die Krim. Goldene Insel im Schwarzen Meer. Griechen – Skythen – Goten, Darmstadt, 2013, p. 248, Kat. II.14 (avec trad. all.) ; Makarov 2014, p. 20–21 (avec trad. angl.). Illustrations : Makarov 2009, p. 50 (ph.) ; Die Krim. Goldene Insel im Schwarzen Meer. Griechen – Skythen – Goten, Darmstadt, 2013, p. 248 (ph.) ; Makarov 2014, p. 21, fig. 2 (ph). Note sur l’édition : édition soignée de Makarov (2009), reprise par Ceccarelli (2013). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé plusieurs clichés.
Müller 2010, p. 56 et 385. Sur l’économie de la région, voir Smekalova/Kutaisov 2018. 364 Saprykin 2015, p. 138–139 ; Saprykin 2016, p. 300–302, n° 4 et ph. p. 301, fig. 5 (qui pense à une lettre ; voir A. Avram, BÉ, 2017, 392, qui rejette cette hypothèse) ; Kutajsov 2016, p. 187–189 (ph. p. 188, fig. 93) ; cf. Belousov, EpPont, 2015, n° 19 [5] (Aristeas, 14, 2016, p. 263–264). Comme parallèle, on peut citer un graffite du Ve s. commémorant un présent, découvert à Berezan’ (I. dial. Olbia Pont 40, avec psilose), incisé en spirale sous le pied d’une coupe à vernis noir : κ᾿ ὀ γράψας τῶι διδόντι {Θε..} || δῶρον Εὐδίκῃ || καὶ ἐταίρωι φείλωι, « et le graveur (de cette inscription) pour celui qui fait un cadeau à Eudikè et à son cher ami ». 365 Le tesson fait partie des objets qui ont été exposés début février 2014 au musée Allard Pierson (Amsterdam). Depuis, les trésors de cette exposition, intitulée « Crimée : or et secrets de la mer Noire », bloqués à Amsterdam en raison du rattachement de la Crimée à la Fédération Russe en mars 2014, ont fait l’objet d’un jugement de la Cour d’Amsterdam, rendu en décembre 2016. Il stipule la restitution des trésors à l’Ukraine, pays où ils se trouvaient au moment du prêt au Musée Pierson par les autorités ukrainiennes. La suite des événements décidera du lieu de conservation du tesson. 362 363
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Fig. 101. Photo du tesson (Pl. XI).
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Fig. 102. Fac-similé du tesson.
Τιμοσθένηι χαίρν· τὸν σθύνλακον λῦσον καὶ λαβὲ τὸ ἀργύρι(ον) ἐκ τ θυλάκ σοι ΑΤΗΙ++ΙΝ++Ο ΝΓΥ+Π[.]+[--------]
3 σθύνλακον (= θύλακον) Makarov 2009 : {σ}θύ{ν}λακον Mak. 2014 || 4–5 λ[α]|βέ Mak. || 5 ἐαργύρι vel ἀργύρι[ον] Mak. 2009 : ἀργύρι(ον) Mak. 2014 || 7 ++Α+Η+ Mak. : σοι ΑΤΗΙ++ΙΝ++Ο Dana || 8 ΝΓΥ+Π[.]+[ Dana
À Timosthénès, salut ! Délie la bourse et prend l’argent de la bourse pour toi (?) [---]. L. 1–2 : on reconnaît la formule épistolaire, bien qu’incomplète, de type ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν. Il manque étonnamment le nom de l’expéditeur, qui devait être rapporté par le porteur du message sur tesson. Τιμοσθένης est un nom par ailleurs banal, bien qu’il ne soit attesté au nord de la mer Noire qu’une seule fois, à Gorgippia (LGPN IV 332). || Dans χαίρν, la fausse diphtongue est notée par la simple voyelle, à une époque où la koinè commence à s’imposer ; cf. infra τ, à la l. 6 (ο pour ου). L. 3 : le premier éditeur signale à juste titre la présence d’un sigma mobile avant le mot θύλακος, qui n’est pas noté à l. 6 alors qu’il s’agit de toute évidence du même mot366. Une autre question porte sur la présence de la nasale, qui dans les composés est en général assimilée à une sifflante, à une liquide ou à un waw qui suivent367. Le mot « bourse » rappelle la mention d’une caisse pour conserver l’argent dans une lettre olbienne sur plomb (29, l. 4). L. 5 : le tesson étant complet à droite, il faut supposer une graphie abrégée et noter τὸ ἀργύρι(ον). L. 6 : le terme θύλακος désigne un « sac en cuir », selon la glose d’Hésychios d’Alexandrie pour son diminutif neutre θυλάκιον (s. v. θυλάκια· ἀσκοὶ δερμάτινοι)368. Les synonymes proposés par le même lexicographe cor-
366 Pour ce sigma mobile, voir Schwyzer 1939, p. 333–334 ; sur le passage de θ à σθ dans les inscriptions dialectales doriennes, voir Buck 1955, p. 59. 367 Lejeune 1972, p. 313, § 358. 368 Voir aussi des composés : Hésychios d’Alexandrie, s.vv. θυλακοθρώξ (Θ 850)· μῦς. οἱ δὲ ἀρκίς et θυλακοφόροι (Θ 851)· οἱ μεταλλεῖς, θυλάκοις περιφέροντες τὰ βρώματα καὶ πήραις· ὅθεν ἐκαλοῦντο καὶ πηροφόροι.
39. Lettre sur tesson à Timosthénès (Chersonèse Taurique)
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roborent cette signification. Ainsi, la glose σάκτας· ὁ θύλακος trouve un écho dans un passage d’Aristophane (Plut. 681) : ἔπειτα ταῦθ᾿ ἥγιζεν εἰς σάκτα τινά, « il les consacrait en les fourrant dans un sac »369. L. 7 : après le pronom au datif σοι, le reste de la ligne est trop abîmé. L. 8 : aucune séquence précise ne se dégage. Commentaire : Chersonèse Taurique, importante cité au nord du Pont-Euxin, est une fondation d’Héraclée du Pont, à son tour fondation mégarienne370. L’usage de l’alphabet ionien et des graphies ioniennes peut paraître surprenant, cependant il n’est pas exclu que cette lettre trouvée à Chersonèse soit l’œuvre d’un voisin ionien, établi à proximité de la ville. Le message est bref mais assez clair, si l’on laisse de côté la fin, malheureusement trop abîmée pour être déchiffrée. Quelqu’un ordonne à Timosthénès de sortir de l’argent de la bourse, sans doute dans un but qui devait s’éclaircir dans les lignes perdues. Étant donné la forme des tessons, soit carrés et rectangulaires, comme dans notre cas, soit triangulaires, soit trapézoïdales, on ne devait pas avoir plus de deux ou trois lignes dans la partie perdue. On pourrait également comprendre ce message comme une invitation ou une permission : « ouvre la bourse et prend l’argent qu’il te faut ». Le mot θύλακος qui apparaît, comme nous l’avons vu, chez Hésychios, n’était pas attesté dans l’épigraphie. Une autre glose de ce mot chez Hésychios, s. v. σακτῆρος (Σ 83)· θυλάκου. ἔλεγον δὲ καὶ σάκταν, a été rapprochée par Igor A. Makarov du terme controversé σαστήρ qui apparaît dans le serment de Chersonèse Taurique au IIIe s. : τὸν σαστῆρα τῶι δάμωι διαφυλάξω371. L’auteur suggère donc d’interpréter ce mot énigmatique comme σακτήρ et de traduire, dans ce contexte, par « trésor public »372. Pour le transfert sémantique, il donne l’exemple, en grec, du κιβωτός (ἱερὰ κιβωτός et δημοσία κιβωτός)373 et en latin du fiscus. Outre le fait que le transfert sémantique entre « sac en cuir » ou « bourse » et « trésor public » semble moins aisé que celui entre la caisse domestique et les caisses publiques, il reste le problème de la distinction graphique entre σαστήρ et σακτήρ. À moins de supposer une erreur, il reste difficile d’expliquer cette différence dans la notation des deux mots. Parmi les nombreux graffites de Chersonèse374, un ostrakon fragmentaire de trois lignes375 est, plutôt qu’un bref message, une liste (de magistrats ?) ou un texte à caractère inconnu, en dialecte dorien :
[---]Ω Βασιλ[---] [---] γράμ(μ)ατ[α ---] [---]ν πεντακατ[ι‒ ---?]376.
ou [---]ς βασιλ[---] ou γραμ(μ)ατ[εύς]
Fig. 103. Photo du tesson.
Voir aussi Hésychios d’Alexandrie, s. v. σακτός (Σ 84)· ὁ τεθησαυρισμένος, ὁ πολυχρόνιος, καὶ ἤδη ἀποκείμενος (Eupolis F 476 K.-A.). καὶ χιτῶνος εἶδος. καὶ θύλακος. 370 Voir Saprykin 1997. Pour l’histoire de la cité, voir Zolotarev 2003 ; Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 941–944, n° 695. Sur le site, voir Mark/Carter 2003. 371 IOSPE I² 402, ll. 24–25. Voir aussi Makarov 2014, p. 16–28. 372 Cf. aussi A. Avram, BÉ, 2010, 462 : « une interprétation que je trouve séduisante sinon décisive ». 373 I. Délos 442 A 2, ll. 37, 38, 75 ; 455 A b, l. 20 ; 460 b, l. 51. 374 La plupart en alphabet milésien. Voir Vinogradov/Zolotarev 1990 ; Vinogradov/Zolotarev 1999. 375 Koscjuško-Valjužinič 1901, p. 52, n° 3 (et ph. p. 52, fig. 49) ; I. Chersonesos graffiti 1675 (dessin Pl. XXVIII). 376 Dor. πεντακάτιοι = πεντακόσιοι. 369
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
*40. Possible message sur tesson d’Hèrakleidas (Chersonèse Taurique ?)
*40. Possible message sur tesson d’Hèrakleidas (Chersonèse Taurique ?) Découverte, contexte : tesson trouvé à Nikonion (?), ce qui est toutefois douteux ; le contexte de découverte n’est pas indiqué, car il s’agit d’une collection privée de Vladimir P. Alekseev, qui publie le tesson ensemble avec d’autres textes de Nikonion : des graffites, des fragments d’inscriptions sur pierre, une lamelle de plomb (defixio ou lettre privée). Support, mise en page : fragment de vase à vernis noir de forme rectangulaire, brisé à droite et partiellement en bas (?). Dimensions inconnues. Le tesson a été choisi à dessein pour un texte dont trois lignes sont conservées. Signe d’interponction, formé de trois points superposés, à la l. 1 (⁝). Les mots ne semblent pas avoir été coupés en fin de ligne. La taille des lignes diminue progressivement. Dialecte : dorien. Le a long ouvert noté par alpha (l. 1), le o long ouvert noté par omikron (l. 2) ; adverbe ou préposition ποτί (= πρός) ; conjonction αἴπερ (= εἴπερ). Paléographie : lettres assez profondément gravées, de dimensions inégales (ht. des lettres inconue) : petit omikron ; pi à la deuxième haste plus courte (l. 2), mais égale à la première haste (l. 3) ; rhô tantôt régulier (ll. 1–2), tantôt à boucle triangulaire (ll. 2–3), plus archaïque ; sigma à quatre branches. Ces traits ainsi que l’usage de d’interponction suggèrent une datation vers la fin du Ve s. ou la première moitié du IVe s. Date : fin du Ve–première moitié du IVe s. Conservation : collection privée (V. P. Alekseev). Éditions : Alekseev 2004, p. 70–72, n° XIII (avec trad. russe) [= SEG LIV 691 (4)] ; Alekseev 2007, p. 87–88, n° XII.3 (avec trad. russe) (cf. A. Avram, BÉ, 2008, 397) ; Saprykin 2007, p. 68–69 (avec trad. russe) (cf. A. Avram, BÉ, 2008, 397 bis, repris dans SEG LVII 717) ; Ceccarelli 2013, p. 355, n° B.2. Bibliographie : Ţurcanu 2014, p. 174. Illustrations : Alekseev 2004, p. 71, fig. 7.3.a (ph.) ; Alekseev 2007, Pl. 7, fig. 1.3 (ph.) ; Saprykin 2007, p. 383, fig. 2 (ph.) ; Ţurcanu 2014, p. 568, fig. 174 (ph.). Note sur l’édition : ce tesson inscrit a été publié, avec des lectures et restitutions différentes, par Alekseev (2004, 2007) et Saprykin (2007), avant d’être discuté par Avram (2008). Pour l’établissement du fac-similé, je n’ai pu utiliser que la photo d’une publication.
Fig. 104. Photo du tesson.
Fig. 105. Fac-similé du tesson.
Ἡρακλείδας ⁝ Τ[---·] περὶ χρ ποτ[ὶ -----] αἴπερ τινὶ καλ[------] [---------------------?] 1 ΗΡΑΚΛΕΙΔΑΣ ⁝ Alekseev : Ἡρακλείδας ⁝ Τ[ Avram || 2 ΠΕΡΙΧΟΡΟΠΟΤ[ Aleks. : περὶ χρ ποτ[ Avr. || 3 ΑΙΠΕΡΠΝΙΚΑΔ( vel Λ?) Aleks. : αἴπερ τινὶ κἄλ[λωι] Avr. || 1–3 Ἡρακλείδας ⁝ Τ[ύρας? --- καὶ] | περιχόρ ποτ[ὶ --- κ]|αὶ προτὶ Νικών[ιον] Saprykin
Hèrakleidas (à ?) T[---] : concernant la terre (située ?) vers [---], si toutefois à/pour quelqu’un [---]. L. 1 : on lit facilement le nom banal Ἡρακλείδας (dans le Pont-Euxin, voir LGPN IV 153–155), ici avec la graphie dorienne (le ā long originel), qui serait étonnante à Nikonion, colonie ionienne (cf. comm.). || Le voisinage
41. Lettre sur plomb de Botrys à Théopompos (Akra)
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de Tyras, sur la rive opposé de l’estuaire du fleuve homonyme, a déterminé S. Saprykin à restituer après le signe d’interponction le nom de cette cité, mais rien ne peut conforter cette restitution. S’il s’agit d’un message, on attendrait ici le nom du destinataire, au datif. L. 2 : plusieurs solutions ont été proposées pour ce passage, qu’on lise περιχρ ou περὶ χρ. Dans le premier cas, on doit comprendre qu’il s’agit du pays alentour, de quelque chose de voisin ou de limitrophe377. Dans le second cas, que je privilégie, qu’il est question d’un lopin de terre (χῶρος) au sujet duquel Hèrakleidas écrit à son correspondant. || À la fin de la ligne, on reconnaît un dorisme notoire, ποτί (= πρός). L. 3 : avant ΑΙΠΕΡ, il s’agit plutôt d’un accident que d’une autre lettre (on note aussi l’extrémité du pi de la l. 2), car l’espace est insuffisant. Cette ligne a été lue de façon très différente : S. Saprykin propose de voir à la fin de la ligne les cinq premières lettres du nom de la cité même de Nikonion, là où le tesson a été trouvé, mais cette lecture n’emporte pas la conviction ; A. Avram préfère lire une séquence conditionnelle, sur la base d’un parallèle avec un vers d’Aristophane (Nu. 356) : εἴπερ τινὶ κἄλλῳ, « si pour quelqu’un d’autre »378. || On remarque un autre dorisme, αἴπερ (= εἴπερ), qui est vraisemblablement la conjonction conditionnelle et non le nominatif fém. pl. αἵπερ de ὅσπερ. Commentaire : Le texte, transcrit en majuscules par V. P. Alekseev et commenté avec des restitutions généreuses par S. Ju. Saprykin, a été mieux déchiffré par A. Avram. Il convient en effet de remarquer les trois dorismes, inattendus dans une région colonisée selon la tradition par les Milésiens. L’anthroponyme Ἡρακλείδας renvoie aux cités de fondation mégarienne de la mer Noire (Chersonèse Taurique, Callatis, Mésambria, Byzance, Héraclée du Pont). Si le tesson provient réellement de Nikonion, s’-agit-il d’un tesson qui a voyagé ? Ou bien, provenant selon toute vraisemblance de Chersonèse Taurique, seule cité dorienne du nord de la mer Noire, il a été mélangé aux autres objets de la collection en provenance de Nikonion ? En raison de son état lacunaire, le contenu du texte reste assez obscur. La seule certitude est le nom d’Hèrakleidas, qui désignait sans doute l’expéditeur. Les éditeurs et commentateurs ont hésité entre une lettre privée – plus précisément un message, dirais-je, vu sa brièveté et son état fragmentaire – et un document d’une autre nature. S. Saprykin379 se demande si l’on n’a pas affaire à un graffite symposiaque. A. Avram avance prudemment l’hypothèse d’une question posée à un oracle (selon une suggestion de L. Dubois), ce qui permettrait de restituer πότ[ερον], à la l. 2, et τινὶ κἄλ[λωι θεῶι], à la l. 3 ; cette hypothèse ne permet pas en revanche d’expliquer αἴπερ. S’il était question d’un oracle, le meilleur candidat aurait été celui d’Achille, qui se trouvait dans le voisinage sur l’île Leukè380, alors que le terme χῶρος pourrait désigner une terre sacrée. Il me semble néanmoins que cette dernière interprétation nous éloigne trop de la forme et du sens du message inscrit sur cet ostrakon, aussi fragmentaire qu’il soit. Tout aussi hypothétique me semble l’interprétation de S. Ju. Saprykin, qui y voit des notes personnelles sur la région d’un capitaine de navire ou d’un marchand originaire d’une cité dorienne. Il doit être question d’un banal échange, entre les gens qui n’habitaient pas très loin l’un de l’autre – comme c’est le cas pour des documents similaires – concernant une affaire de voisinage.
41. Lettre sur plomb de Botrys à Théopompos (Akra)
41. Lettre sur plomb de Botrys à Théopompos (Akra) Découverte, contexte : plaquette de plomb trouvée par hasard en 1998 à Zavetnoe (Akra), dans les eaux de la mer d’Azov, à 3–4 m de la rive, à 1,5 m de profondeur, pliée en quatre. Support, mise en page : la plaque est froissée et endommagée à plusieurs endroits. Plus de la moitié des lettres sont effacées, mais la tablette est complète, malgré sa forme inhabituelle de carré arrondi (6,5 × 7,5 cm) ; aucun morceau de plomb ne Voir la discussion chez Saprykin 2007, p. 69 (il pense à la chôra de Tyras). Pour ce terme, voir la loi sacrée de Tégée, vers 390, où τὸ περίχωρον ou ὁ περίχωρος désigne la partie enclose du sanctuaire ou le pourtour du sanctuaire (IG V.2 3, l. 10 : deux fois ἰν τοῖ περιχροι) ; cf. aussi περίχωρος avec le sens de « territoire », par ex. à Termessos (TAM III.1 6, l. 1, au IIe s. ap. J.-C.) ; chez Démosthène, De falsa leg. 266, l’adj. οἱ περίχωροι désigne les populations limitrophes. Voir Dubois, Dialecte arcadien, II, p. 25–26. 378 Il renvoie aussi à Démosthène, C. Timocr. 4 : εἴπερ τινὶ τοῦτο καὶ ἄλλῳ προσηκόντως εἴρηται. 379 Saprykin avait déjà signalé ses restitutions à V. P. Alekseev (cf. VDI, 250, 2004, p. 70 n. 57). 380 Voir à titre d’ex. la dédicace et la réponse oraculaire I. dial. Olbia Pont 48, du début du Ve s. (et L. Dubois, BÉ, 1997, 424). 377
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semble s’être détaché, les bords sont lisses à l’exception d’une petite portion à gauche. On possède certainement le début et la fin du texte : aucune ligne ne semble avoir été inscrite au-dessus de celle où l’on lit le nom de l’expéditeur ; après le dernier mot, un petit espace indique que rien ne suivait. Un espace est également laissé entre le bord gauche de la lettre et le début des lignes. Les lettres sont assez grandes et espacées sur les quatre premières lignes mais plus serrées sur les trois dernières : le rédacteur a commencé par écrire en grands caractères, puis, en se rendant compte qu’il n’avait pas assez de place pour finir son message, il s’est révisé et a écrit en de plus petites lettres (l. 6, on a même l’impression de ligatures). Il faut remarquer qu’il a préféré ne pas retourner la tablette pour écrire au verso ; on ignore si une adresse externe était présente au verso, car la photo de l’autre face n’a pas été fournie aux éditeurs. On aperçoit trois plis, qui délimitent quatre volets ; le plomb est fissuré au long du premier pli. La tablette a été nettoyée mais le troisième volet à partir de la gauche porte encore des traces plus marquées d’oxydation du fait de son séjour dans l’eau ; sa moitié inférieure reste pourtant lisible. 7 lignes de texte conservées, avec coupe syllabique (du moins pour la l. 1). Dialecte : koinè ; la présence d’éventuels traits dialectaux ioniens n’est pas saisissable en raison du déchiffrement incomplet du texte. Paléographie : lettres gravées assez profondément ; ht. des lettres : 0,3–0,8 cm. La forme des lettres, régularisée, indique certainement l’époque hellénistique : alpha à barre horizontale droite ; thêta à point et de la même taille que les autres lettres, de même que l’ômega ; ny droit ; bêta et rhô à boucles rondes ; le my et le sigma présentent des branches légèrement écartées. Les premiers éditeurs proposent une fourchette chronologique allant de la seconde moitié du IIIe s. au IIe s., avec une préférence pour le Ier s. av. J.-C.–le Ier s. ap. J.-C. La paléographie indique toutefois l’époque hellénistique. Date : IIIe–IIe s. Conservation : collection privée (Sébastopol). Éditions : Saprykin/Fedoseev 2008, p. 72–79 (avec trad. russe) (cf. A. Avram, BÉ 2009, 384) ; Saprykin/Fedoseev 2010a, p. 427–434, n° II (avec trad. angl.) (= SEG LVIII 775) ; Ceccarelli 2013, p. 355–356, Appendix 1.C. Bibliographie : Kulikov 2007, p. 1036 ; Decourt 2014, p. 29, 48 et 62 (n° 43) ; Sarri 2018, p. 70 (« Pantikapaion », sic). Illustrations : Kulikov 2007, p. 1052, fig. 5C (ph.) ; Saprykin/Fedoseev 2008, fig. 3 (ph.) et p. 73, fig. 4 (dessin) ; Saprykin/ Fedoseev 2010a, p. 428, fig. 2 a (ph.) et b (dessin) ; Decourt 2014, p. 79, fig. 24 (dessin). Note sur l’édition : le texte largement restitué proposé par les éditeurs Saprykin et Fedossev (2008, 2010), repris dans le SEG, a été reproduit par Ceccarelli (2013) et Decourt (2014). Il a été émendé, avec d’autres restitutions, par Avram (2009). Les clichés généreusement envoyés par Sergej Ju. Saprykin ont permis l’établissement du fac-similé et du texte critique.
Fig. 106. Photo de la lamelle (Pl. XI).
Fig. 107. Fac-similé de la lamelle.
41. Lettre sur plomb de Botrys à Théopompos (Akra)
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Βότρυς Θεοπόμπωι χαίρειν· πάνυ σοι μὲν [.]++[..]ΑΡ+[.] Σ[.]++[.]++[..]+[.]+++ Π[.]ΣΙΝ παρά τε τοῦ [.]+++[.]ΚΙΑΙΙΣΕΟ[.?] [---]ΤΙ ἰέναι.
1–2 Βότρυς ὁ ἐπὶ πόλε[ως τεταγμένος/καθεσταμένος? ---]|πωι χαίρειν· ἱερὰ πάνυγ[ρα] Saprykin/Fedoseev || 3 σοῦ μὲν ὡ〈ς〉 σωτηρία ὑπ[οκεῖσθαι?] Sapr./Fed. || 4 στοὰ ὑπὸ ὑδρο[ποιοῦ?] Sapr./Fed. || 2–4 ἱερὰ πανυπ[ερτάτωι ἐσ]|σουμένῳ Σωτῆρι αὐτ[οκράτορι] | στοά Avr. || 5 [ἅ]πασιν ἐπ᾿ ἁτέρου [ Sapr./Fed. : ἑ〈κ〉ατέρου Avr. || 6 ] ἀρὴ καὶ ἴσε ὀβρ[ίμῳ?] Sapr./Fed. || 7 ]αὐτὴ ἐν ὕ[δατι?] Sapr./Fed. || 8 [---] Sapr./Fed.
Botrys à Theopompos, salut ! Très fort à toi [---] de la part de [---] aller. L. 1–2 : en accord avec les restitutions des premiers éditeurs381, Botrys serait une sorte de préfet de la cité, ὁ ἐπὶ (τῆς) πόλεως, envoyé par le roi du Bosphore à Akra. Des inscriptions locales d’époque impériale mentionnent des préposés, tels ὁ ἐπὶ τῆς Γοργιππείας ou ὁ ἐπὶ τῆς Θεοδοσίας382. D’après leur reconstitution, Botrys aurait occupé une charge royale établie sous la domination de Mithridate VI Eupator ; il aurait demandé à un officiel local (un édile ?), dont le nom finissait en -ιππος, de prendre des mesures contre la crue des eaux menaçant des bâtiments publics, certains sanctuaires et le portique. Étant donné que l’ancienne Akra est aujourd’hui submergée, A. Avram remarque que l’on aurait grâce à cette inscription un témoignage du commencement de la transgression marine383. En effet, la cité, située sur le promontoire, avait été déjà affectée par les vagues dans l’Antiquité384. On comprend ainsi pourquoi les éditeurs ont procédé à certaines restitutions. Néanmoins, un examen attentif des deux photographies, aimablement fournies par Sergej Saprykin, a donné des résultats différents385. En effet, après le nom Botrys, au nominatif, on voit clairement celui de son correspondant, Theopompos, au datif (avec coupe syllabique en fin de ligne) ; cette séquence, complétée par le verbe χαίρειν, représente la formule épistolaire habituelle. || Le nom Βότρυς (« grappe de raisin »), moins fréquent386, n’était pas attesté au nord de la mer Noire ; en revanche, il apparaît à Byzance et à Mésambria387. || Θεόπομπος, beaucoup plus répandu (LGPN IV 166), n’était attesté dans le Royaume du Bosphore qu’une seule fois, à Képoi388. L. 2–3 : πάνυ σοι μέν semble une construction adverbiale, ici au sens affirmatif, « très fort », « très certainement », « sans aucun doute » (cf. πάνυ μὲν οὖν), peut-être comme réponse à une demande faite par son correspondant, comme l’indique le datif du pronom à la IIe pers. sg. Il peut également s’agir d’un retour de politesse, avec une formula valetudinis. L. 5 : le texte, bien que très fragmentaire, semble ici se laisser partiellement déchiffrer : on peut donc penser que quelque chose ou quelqu’un devait venir ou être apporté de la part d’une personne. L. 7 : le dernier mot me semble être une forme d’infinitif présent de εἶμι (plutôt que de ἵημι). Du mot précédent on ne distingue que les deux dernières lettres. 381 Les éditeurs ont le mérite d’avoir publié ce document, avec l’aide d’A. V. Kulikov (Musée de Kertch), avant qu’il ne disparaisse, comme beaucoup d’autres, dans une collection privée. 382 Saprykin/Fedoseev 2010a, p. 429–432. 383 A. Avram, BÉ, 2009, 384. Aux ll. 2–4, A. Avram avait envisagé une autre solution : ἱερὰ πανυπ[ερτάτωι ἐσ]|σουμένῳ Σωτῆρι αὐτ[oκράτορι] | στοά, proposant ainsi le datif au lieu du génitif, à moins que la continuation de la phrase ne justifie ce cas : « Il s’agirait, pour peu que cela soit recevable, d’un sanctuaire du culte impérial, ce qui serait extrêmement important ». 384 Cf. Pline l’Ancien, NH 2.94 : « Pyrrha et Antissa, sur les bords du Palus-Méotide, ont été emportés par le Pont » (Pyrrham et Antissam circa Maeotim Pontus abstulit). 385 A. Avram écrivait déjà : « À l’exception des considérations sur ὁ ἐπὶ τῆς πόλεως, qui sont à retenir, tout le reste demeure largement hypothétique, et les lectures, les coupes et les restitutions suggérées par les éditeurs sont difficilement compréhensibles (…). Des deux dernières lignes je ne comprends rien » (BÉ, 2009, 384). 386 Voir Robert, Villes², 1962, p. 249, sur Βότρης (nom macédonien) ; Idem, dans I. Byzance funéraires, 1964, p. 145. 387 I. Byzantion 82 (IIe–Ier s.) ; IGBulg I² 337 bis (IIIe s.) ; cf. LGPN IV 73. 388 CIRB 188 (fin du IVe s.).
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Commentaire : Le document provient de Zavetnoe, l’antique Akra, petite cité sur la côte sud du Détroit de Kertch, dans la partie européenne du Bosphore Cimmérien. Le site est aujourd’hui presque complètement submergé par les eaux389. Le texte de cette lettre a été publié avec des restitutions généreuses par les éditeurs Sergej Ju. Saprykin et Nikolaj F. Fedoseev et repris tel quel dans les recueils ; des réserves ont été exprimées sur certains points par Alexandru Avram, qui a proposé diverses émendations (BÉ, 2009, 394). D’après les lectures et les restitutions successives, la lettre, qui aurait été incomplète à droite, fournissait des renseignements de nature historique : un préposé royal ὁ ἐπὶ (τῆς) πόλε[ως], des sanctuaires, une stoa, voire des problèmes d’humidité et d’inondation affectant la petite cité d’Akra390. La datation proposée pour ce document était également tardive, après le règne de Mithridate, ce qui aurait fait d’elle la plus tardive lettre sur plomb connue dans le monde grec391. En réalité, la lettre est manifestement complète. La paléographie, et notamment le sigma, semblent orienter vers la haute époque hellénistique. Cependant, à l’exception de deux noms propres, ce document peu lisible livre bien peu d’informations. Du fait qu’il a été retrouvé dans l’eau, les premiers éditeurs tirent la conclusion que le message ne serait probablement jamais arrivé à destination. Or, cela ne veut pas nécessairement signifier que le porteur de la lettre l’ait jetée ou qu’elle se soit égarée : il est très possible qu’une fois lue et déposée quelque part dans la maison, elle fût jetée plus tard avec d’autres détritus ou bien employée comme poids pour les filets de pêche. Il s’agit par conséquent, malgré le débat que ce document a pu susciter en tant qu’unique « lettre officielle » sur plomb, d’une banale lettre privée entre amis, membres de la famille ou associés : la présence de la formule épistolaire habituelle ne laisse pas de doute quant à sa qualité. Il ne subsiste malheureusement aucun mot significatif du contenu de la lettre, qui nous aurait permis d’avancer une quelconque hypothèse sur sa nature, à l’exception peut-être du dernier verbe. On peut imaginer que l’expéditeur enjoignait au destinataire d’aller dans un endroit nommé dans la partie non déchiffrée. De toute manière, ce message ne devait pas être trop long, car même s’il disposait d’assez de place, l’auteur a préféré écrire, du moins au début, en grands caractères assez espacés.
42. Lettre fragmentaire sur plomb (Nymphaion)
42. Lettre fragmentaire sur plomb (Nymphaion) Découverte, contexte : morceaux d’une lamelle de plomb découverts par hasard en 1984 par un habitant de Geroevskoe (ensemble avec un morceau opisthographe d’une autre lamelle de plomb, 43)392, près de l’antique Nymphaion ; ils ont été donnés à Nonna L. Grač, directrice des fouilles archéologiques du Musée de l’Ermitage. Support, mise en page : en plus de deux fragments anépigraphes, de la lamelle ne subsistent que deux fragments jointifs (1,8 × 2,9 cm), inscrits sur 6 lignes. Les bords supérieur et inférieur sont conservés ; à droite, on observe une ligne qui marquait sans doute le cadre, ou bien qui a été tracée afin de découper la lamelle (cf. le billet sur plomb de Phanagoria, 49). Si cette explication est correcte, les mots étaient coupés en fin de ligne, mais sans coupe syllabique. Un signe d’interponction, formé de deux points superposés (:) (l. 4). Correction d’un omikron (par anticipation ?) en epsilon, beaucoup plus prononcé (l. 5). Dialecte : sans doute ionien oriental, bien que le texte soit trop fragmentaire (cf. toutefois le pronom ionien ἐμέο, l. 5). Paléographie : lettres profondément gravées (ht. des lettres : 0,2–0,35 cm), disposées à la manière du stoichèdon. Lettres remarquables : thêta rond pointé ; sigma à quatre branches divergentes ; upsilon sans haste verticale (). Certaines lettres ont été gravées de manière rapide (omikron, l. 1 ; thêta, l. 2 ; my, l. 5).
Voir, à titre d’ex., Vahoneev/Solov’jov 2011. Saprykin 1995 ; Kulikov 2007, p. 1023–1056. 391 Nous savons à présent que la lettre sur plomb la plus tardive est celle réutilisée à Mégare, à l’époque impériale, afin de graver au verso une defixio (12). 392 Jurij G. Vinogradov signale pour la première fois comme inédite ce qu’il pensait être une seule lettre sur plomb de Nymphaion, car les morceaux étaient conservés ensemble. Les deux éditrices (Pavlichenko/Sokolova 2016) montrent avec raison qu’il s’agit de deux lettres différentes (42 et 43). 389 390
42. Lettre fragmentaire sur plomb (Nymphaion)
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Date : ca. 500–475. Conservation : Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg (inv. НФ.84.430). Édition : Pavlichenko/Sokolova 2016, p. 192–197 [cf. Belousov, EpPont, 2016, 35.1 (Aristeas, 17, 2018, p. 130–131) ; cf. A. Avram, BÉ, 2018, 314]. Bibliographie : Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 9) ; Dana 2007a, p. 85, n° 9 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 56 (E8) ; Ceccarelli 2013, p. 346, n° 22 ; Decourt 2014, p. 62, n° 45. Illustrations : Pavlichenko/Sokolova 2016, fig. 1 (ph.) et 2 (ph., dessin). Note sur l’édition : signalée pour la première fois par Vinogradov (1998), cette lettre fragmentaire a été publiée par Natalija Pavličenko et Olga Sokolova (2016), avec toute la prudence requise. Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé des photos du musée de l’Ermitage.
Fig. 109. Fac-similé de la lamelle.
Fig. 108. Photo de la lamelle.
[ [μφαι–? [ [ [ [
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]ΩΣΙΟ ΝυΙ] θαλαμ]τω στεγ]ΤΑΙ : +[1–2]Ι ἐ]μέο [ca. 3] ]σθα[ι vac.?].
1 ]ΣΤΟΝΥ- Pavlichenko/Sokolova || 3 ] ὥστ[ε] γ- Pavl./Sok. || 4 ]ΑΤ[ Pavl./Sok. || 5 ]Μ{Ο}ΕΟ plumbum || 6 ]Α[ Pavl./Sok.
L’état très fragmentaire du document ne permet pas d’en proposer une traduction. L. 1–2 : selon les éditrices, cette séquence pourrait être soit une partie d’un nom de personne, e.g. [Ἀρι]στονυ|[μ–], soit un nom, adjectif ou numéral au génitif, [---]στ, suivi de νῦ[ν] ou le nom de la cité de Nymphaion, voire de ses habitants393. On voit pourtant au début de la ligne la trace d’une lettre qui ne peut être qu’un ômega ; le sigma est suivi d’un iota plutôt que d’un tau. || Après cette séquence d’interprétation difficile, Νυ- représente sans doute le nom de la cité ou son ethnique, en rapport donc avec des réalités locales, indice que l’expéditeur se trouvait à ce moment-là ailleurs. L. 2–3 : selon les éditrices, θαλαμ|[–] serait, plutôt qu’un anthroponyme, un mot en rapport avec la mer ou, ce qui est beaucoup plus vraisemblable, le terme qui désigne la chambre (voir en outre ma lecture à la ligne suivante). Avant ce mot, l’espace laissé libre et la disposition stoichèdon suggèrent la présence d’un iota. L. 3 : les éditrices ont lu la conjonction ὥστε ; toutefois, la première lettre conservée, avant l’ômega, est sans doute un tau. On peut avoir ici la désinence d’un impératif présent actif IIIe pers. sg. || La séquence suivante,
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Pour l’ethnique, voir Avram, PPEE, 2013, s. v.
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ΣΤΕΓ-, est certainement une forme grammaticale de στέγη (« toit, maison, chambre »), en rapport évident avec la chambre (θάλαμος) évoquée sans doute aux ll. 2–3 ; on retrouve la mention d’une pièce qui devait être sigillée dans la lettre de Klédikos d’Hermonassa (52, col. II, l. 8 : ἐς μίαν στέγην). L. 4 : un signe d’interponction, qui suit sans doute la désinence d’un verbe à la IIIe pers. sg., moyen-passif. || La dernière lettre de la ligne est probablement un iota. L. 5 : [ἐ]μέο, pronom personnel (Ière pers. sg.), sous sa forme ionienne non contracte ; il est également présent dans la lettre sur tesson de Kerkinitis (38, l. 5) et la première lettre sur plomb de Panticapée (44, l. 3). Le rédacteur a gravé d’abord [Ε]ΜΟ (par anticipation ?), avant de corriger l’omikron et de graver par dessus un epsilon très profond. L. 6 : sans doute une désinence verbale d’inf. moyen-passif ; cette dernière instruction marque la fin de la lettre. Commentaire : Ce texte fragmentaire provient de Nymphaion, fondation ionienne (vers 580–570 ou 560) sur le promontoire rocheux de Kara-Burun ou Kamyš-Burun, dans la partie européenne du Bosphore Cimmérien394, à 17 km au sud de Panticapée. Vers la fin du Ve s., alors qu’elle était contrôlée par une garnison athénienne dans le cadre de la Ligue de Délos, la cité passa définitivement sous le contrôle du Royaume du Bosphore395. En plus de quelques inscriptions et de plusieurs graffites céramiques396, le même site a livré les fameux graffiti pariétaux de Nymphaion397. Ces notations à fonction diverse – y compris des textes obscènes – ont été gravées vers 250–240 sur l’enduit des murs d’un des bâtiments du sanctuaire d’Aphrodite, découvert en 1982. Si plusieurs graffites évoquent le formulaire épistolaire398, un texte plus long emprunte précisément la forme d’une lettre. Il s’agit de la « lettre érotique de Theodôra » (ou d’une plaisanterie recherchée), en lettres cursives399 : Θεοδώρα Πίτθωνι χαίρειν· καλῶς ποήσεις με, ἀγρυπνίσεις με.
4
(ou Πόθωνι, cf. archives de Ju. G. Vinogradov)
« Théodôra à Pitthôn, salut ! Tu me feras du bien, tu perdras le sommeil à cause de moi ». Pour revenir à notre texte sur plomb, il semble évoquer une affaire familiale qui se déroule à Nymphaion (ll. 1–2), qui reste pour nous trop vague en raison de l’état fragmentaire de la lamelle – seule l’extrémité droite étant partiellement conservée. Cette affaire tourne autour de pièces ou propriétés immobilières (ll. 2–4), au sujet desquelles l’expéditeur donne une ou plusieurs instructions (ll. 4 et 6).
43. Lettre opisthographe sur plomb de [---]dôros (Nymphaion)
43. Lettre opisthographe sur plomb de [---]dôros (Nymphaion) Découverte, contexte : morceau d’une lamelle sur plomb découvert par hasard en 1984 par un habitant de Geroevskoe (ensemble avec des morceaux d’une autre lamelle de plomb, 42)400, près de l’antique Nymphaion ; il a été donné à Nonna L. Grač, directrice des fouilles archéologiques du Musée de l’Ermitage.
Voir en général Vinogradov (Y. A.) 2009. Sur le site, voir Grač 1984 ; Borisovskaja et alii 1999 ; Žižina 1999 (catalogue des objets conservés à l’Ermitage) ; Sokolova 2003 ; Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 948, n° 704 ; Müller 2010, p. 23–25, 111–115. 396 À titre d’ex., cf. Sokolova/Pavličenko/Kasparov 1999 ; Namojlik 2004 ; Namojlik 2010 ; Namojlik 2017. 397 Voir, entre autres, Grač 1987 ; Vinogradov 1999c ; Höckmann 1999. 398 Et d’autres formules épistolaires (citées dans la première publication de S. R. Tohtas’ev, note suivante, p. 302) : Ἀπολ[λ]ώνιος | Σατύρῳ καὶ | Παιρισάδου | χαίρειν ; Θέρσιππος | Σατύρῳ καὶ | Παιρισάτου | χαίρειν. 399 Tohtas’ev 2006a, p. 295 ; Tohtas’ev 2006b, p. 426 (avec trad. russe) (cf. aussi A. Avram, BÉ, 2009, 380) ; Tokhtasiev 2009, p. 36, n° 7. 400 Jurij G. Vinogradov signale pour la première fois comme inédite ce qu’il pensait être une seule lettre sur plomb de Nymphaion, car les morceaux étaient conservés ensemble. Les deux éditrices (Pavlichenko/Sokolova 2016) montrent avec raison qu’il s’agit de deux lettres différentes (42 et 43). 394 395
43. Lettre opisthographe sur plomb de [---]dôros (Nymphaion)
189
Support, mise en page : fragment brisé des deux côtés (1,8 × 1,8 cm). La lamelle est opisthographe : on compte 6 lignes sur la face A et 5 lignes sur la face B. Les bords supérieur et inférieur sont soigneusement découpés, avec des indices qui montrent que la lamelle avait été enroulée. Un signe d’interponction, formé de deux points superposés (:) (B, l. 3). Sur la face B, quasiment pas d’interligne entre les ll. 4 et 5. Dialecte : en raison de la datation, sans doute ionien oriental, bien que le texte soit trop fragmentaire. Paléographie : lettres profondément gravées, disposées à la manière du stoichèdon ; ht. des lettres : 0,2–0,4 cm (face A) ; 0,2–0,3 cm (face B). Lettres remarquables : alpha à barre horizontale droite ; thêta rond pointé ; sigma à quatre branches divergentes ; ômega en demi-cercle. Certaines lettres ont été gravées de manière rapide (my, B, l. 1), ou sont plus larges (ny, B, ll. 4–5), voire ont des prolongements (delta, B, l. 6). Date : ca. 500–475. Conservation : Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg (inv. НФ.84.430). Édition : Pavlichenko/Sokolova 2016, p. 192–194, 197–199 [cf. Belousov, EpPont, 2016, 35.2 (Aristeas, 17, 2018, p. 131) ; cf. A. Avram, BÉ, 2018, 314]. Bibliographie : Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 9) ; Dana 2007a, p. 85, n° 9 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 56 (E8) ; Ceccarelli 2013, p. 346, n° 22 ; Decourt 2014, p. 62, n° 45. Illustration : Pavlichenko/Sokolova, 2016, fig. 3 (ph., dessin). Note sur l’édition : signalée pour la première fois par Vinogradov (1998), cette lettre fragmentaire a été publiée par Natalija Pavličenko et Olga Sokolova (2016), avec toute la prudence requise. Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé des photos du musée de l’Ermitage.
Fig. 110. Photos des deux faces de la lamelle.
[A]
4
[B]
4
[ [ [ [ [ [ [ [ [ [ [
]δωρος [ ]ις τινα [ ]ος σπ[ ]νοντ[ ]ΤΑ+[ ]+ΜΗ+[
Fig. 111. Fac-similés des deux faces de la lamelle.
] ] ] ] ] ] ]ΟΜΟ[ ] ]ΕΝΘ[ ] ]ΩΙ : ΙΟΝ[ ] ]ΙΘΕΝ[ ] ]ΜΑΝΔ[ρ ]
(A) 2 ] στινα[ς] Pavlichenko/Sokolova : ]ις τινα [ (vel τινα[ς]) Dana || 5 ]Α[ Pavl./Sok. || 6 ]ΜΗ[ Pavl./Sok. (B) 3 ]ΙΟ[ Pavl./Sok. || 5 ]μαλια[ Pavl./Sok.
190
Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
L’état très fragmentaire du document ne permet pas d’en proposer une traduction. Face A A 1 : sans doute un anthroponyme composé, banal, pour lequel les possibilités de restitution sont infinies, en particulier de nombreux noms théophores. Le fait qu’il soit au nominatif, sur la première ligne du texte, suggère qu’on détient le début de la lettre. Ce nom de l’expéditeur se trouvait soit au début de la première ligne, soit à la fin de cette ligne, avant ou après le nom du destinataire au vocatif ou au datif (cf. e.g. la disposition de la lettre de Patrasys, 48). A 2 : les deux éditrices transcrivent στινα[ς], comme s’il s’agissait d’un acc. pl. de ὅστις, avec un o long fermé noté par omikron. Cependant, le début de la ligne étant affecté par la corrosion, seule la trace d’un iota est visible ; je préfère donc lire [---]ις τινα [---] ou bien [---]ις τινα[ς]. A 3 : seule coupe possible, mais les possibilités de restitution sont de nouveau infinies. A 4 : à la fin de la ligne on voit la trace d’un tau ; je lis [---]νοντ[---], une forme de participe présent. A 5 : selon les éditrices, on n’aurait pas à cet endroit une ligne à proprement parler, mais seulement un petit alpha qui aurait été rajouté par le rédacteur. La présence des traces de deux autres lettres avant et après cet alpha montre qu’il s’agit d’une ligne qui respecte toujours le stoichèdon ; la dernière lettre (deux hastes verticales) est toutefois difficile à identifier. A 6 : le graveur a abandonné la disposition stoichèdon, afin d’utiliser tout l’espace disponible, même si le message continue au verso. Face B B 1–2 : à chaque fois, trois lettres conservées. B 3 : on remarque un signe d’interponction. || Avant ce signe, les traces d’un ômega (?) et d’un iota, sans doute une désinence de datif sg. B 4 : quatre lettres conservées, avec des possibilités de restitution infinies. B 5 : les éditrices lisent ]μαλια[. À mon avis, la troisième lettre conservée est un ny très large, similaire à celui gravé à la fin de la ligne précédente ; la dernière lettre n’est certainement pas un alpha, mais bien un delta, avec un prolongement vers le bas de la haste oblique droite. Il doit s’agir d’un anthroponyme potamophore en Μανδρο-/-μανδρος, bâti sur le nom du fleuve Méandre401 (cf. le nom nouveau Μανδρόχαρις dans la lettre sur plomb de Klédikos, 52, col. I, l. 3). Commentaire : Le caractère très fragmentaire de la lamelle empêche de saisir la portée de l’affaire évoquée par la lettre. Le nom qui apparaît au nominatif sur la face A, à la première ligne, est sans aucun doute celui de l’expéditeur, [---]δωρος. Un autre anthroponyme apparaît sur la face B, à la dernière ligne ; il est par ailleurs typique de l’espace colonial ionien (B, l. 5). Ce nouvel exemple de lettre sur plomb est également précieux pour les pratiques d’écriture : la lamelle est opisthographe et au moins un signe d’interponction est présent ; la disposition du type stoichèdon est respectée partout, à l’exception de la dernière ligne du recto.
44. Lettre fragmentaire sur plomb (Panticapée)
44. Lettre fragmentaire sur plomb (Panticapée) Découverte, contexte : plaquette fragmentaire de plomb trouvée par hasard sur le « Mont Mithridate » (Gora Mitridat), l’ancienne acropole de Panticapée. Support, mise en page : la lamelle, de forme vaguement carrée (5,9 × 5,8 cm), est brisée de tous les côtés sauf à gauche, où est conservé ce qui semble avoir été le bord de la lettre ; les coins supérieur et inférieur gauche ont disparu, ainsi qu’un morceau irrégulier au milieu du bord droit. L’état avancé de corrosion qui affecte environ trois quarts du fragment ne permet pas une lecture concluante, car seules quelques lettres sont lisibles, notamment sur la superficie équivalente du quart supérieur gauche qui est plus lisse. La lettre semble avoir comporté au moins seize lignes. Puisqu’à gauche on dispose du bord de 401
Cf. Thonemann 2006.
44. Lettre fragmentaire sur plomb (Panticapée)
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la lamelle, on constate que les mots étaient coupés en fin de ligne, sans doute avec coupe syllabique. Un petit vacat semble avoir été laissé par le graveur au début de la l. 4. On ignore si une adresse externe était inscrite au verso. Dialecte : en raison de la datation, sans doute ionien oriental, bien que le texte soit trop fragmentaire (cf. le pronom ionien ἐμέο, l. 3). Paléographie : la forme des lettres (alpha à barre légèrement oblique ; thêta pointé légèrement plus petit que les autres lettres ; sigma à quatre branches inégales et légèrement écartées ; upsilon à la haste droite légèrement courbée) indique une date vers la seconde moitié du Ve s., sans exclure le début du siècle suivant. Date : ca. 450–400. Conservation : collection privée (Kertch). Éditions : Saprykin/Fedoseev 2010b (avec trad. russe) (= SEG LX 853 ; cf. A. Avram, BÉ, 2011, 462) ; Ceccarelli 2013, p. 341, n° 9 (avec trad. angl.). Bibliographie : Ceccarelli 2013, p. 43 ; Decourt 2014, p. 61, n° 40. Illustrations : Saprykin/Fedoseev 2010b, p. 51, fig. 1 (ph.) et 52, fig. 2 (dessin). Note sur l’édition : l’édition de Saprykin et Fedoseev (2010) comporte des lectures et des restitutions trop généreuses, suivies dans le SEG ainsi que par Ceccarelli (2013) et Decourt (2014). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai pu utiliser des clichés de qualité.
Fig. 112. Photo de la lamelle.
4
8
[ [-ca. 4–5-]+Σ[ [-ca. 4-]ΗΙΣ[.]+[ ΟΣ ἐμέο [ v αὐτὸς +[ ΣΤΕΑΣΘΕ+[ ΤΕ τόδε Σ[--ca. 7--]Ω[ ΑΣ[---ca. 8–9---]Α[-ca. 2-]ΕΣ[ +ΛΛΑ[ Α+[.]+[
Fig. 113. Fac-similé de la lamelle.
] ] ] ] ] ] ] ] ] ]
192
12
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Α[---ca. 6–7---]Ω[ Α[-ca. 2-]Α[--ca. 5--]+[ [--ca. 8--]Κ[ [-ca. 3-]+ΕΝΕΣ[ [---ca. 7–8---]+[--ca. 5--]+[ [-----ca. 10----]+ΑΤΑΤ+[ [------ca. 13------]+[.]+[ [
] ] ] ] ] ] ] ?].
1 ]ς ἔσχημα[ι Saprykin/Fedoseev || 2–3 ]τῆι σορῶι ὑοῦ [--- παρ᾿ αὐ|τ]οῦ ἑμένα[ς] δραχμ[άς] Sapr./Fed. || 4 αὐτὸς ὑπάγω ἐς δ[ουλείαν? (vel δ[ίκην?) Sapr./Fed. || 5–6 ]ας τε ἅς θεραπεύμα[τα --- προσ]|τέξο (= τέξω) δέσμόν, ὕλας [ Sapr./Fed. || 8–9 [τ]αλάν[τω]ν, δούλ[ους --- ταλ]|άντων· ἐθ[έ]μ[ην] Sapr./Fed. || 10 [τ]αλάντων [ Sapr./Fed. || 11 [τ]αλάν[των] Sapr./Fed. || 13 ]μεν ἔσχημ[αι] Δ[ Sapr./Fed. || 15 τ]αλάν[των] Sapr./Fed.
L’état très fragmentaire du document ne permet pas d’en donner une traduction cohérente. L. 1–2 : traces de lettres. L. 3 : ἐμέο, pronom personnel (Ière pers. sg.), sous sa forme ionienne non contracte ; il est également présent dans la lettre sur tesson de Kerkinitis (38, l. 5) et la première lettre sur plomb de Nymphaion (42, l. 3). L. 4 : forme pronominale au nom. sg. (αὐτός) ou bien à l’acc. pl. (αὐτς). L. 4–5 : [---]|ΣΤΕΑΣΘΕ+[, séquence qui peut être coupée de plusieurs manières. L. 6 : sans doute le pronom démonstratif τόδε. L. 7–11 : d’après les premiers éditeurs, des sommes ou des quantités exprimées en talents. Néanmoins, la lecture n’est pas assurée : certaines lettres ont été très affectées et parfois déformées par la corrosion du plomb. Je préfère ne pas aller plus loin dans la reconnaissance des caractères. L. 12–16 : traces de lettres. Commentaire : Les lettres que l’on peut encore clairement apercevoir sont soigneusement gravées, combinant ainsi des traits plus archaïques (sigma à branches écartées, thêta plus petit que les autres lettres, upsilon à deux hastes dont celle de droite légèrement courbée) et des traits plus récents (epsilon à bras horizontales parallèles) qui nous déterminent à la dater dans la seconde moitié du Ve s., sans toutefois exclure le début du IVe s. ; c’était la solution choisie par les éditeurs (fin du Ve-début du IVe s.). La tablette semble avoir été pliée, la trace de ce pli étant encore visible. Les premiers éditeurs ont reconnu 12 lignes, mais un examen plus attentif de la partie inférieure fait ressortir 16 lignes. Dans les endroits très corrodés, les lignes sont particulièrement affectées, et certaines lettres (ainsi, ômega) ont des dimensions légèrement plus grandes, à cause de la corrosion. Le plomb est dans un trop mauvais état pour permettre de restituer autre chose que des mots isolés, ce qui empêche toute proposition de traduction, voire d’interprétation du contenu402. La seule conjecture qu’on puisse faire à propos de ce long document sur plomb est qu’il s’agit d’une lettre privée, comme le laissent entrendre les formes pronominales (ll. 3, 4 et 6)403 ; en revanche, la mention des talents, d’après la lecture et les restitutions des premiers éditeurs, est très problématique.
402 Si P. Ceccarelli et J.-Cl. Decourt suivent le texte des premiers éditeurs, la première émet quelques réserves de restitution. S. Ju. Saprykin et N. F. Fedoseev proposent le scénario suivant : l’expéditeur, qui serait un agent ou un fournisseur du destinataire, écrit à ce dernier pour l’informer qu’il allait réparer ou construire quelque chose ; il dit aussi qu’il se chargerait d’ériger la tombe (du fils du destinataire ?). Puis il explique qu’il est entré en contact et avait signé un contrat avec un groupe de personnes (des fermiers ?) pour obtenir ou apporter différents matériaux mesurés en talents (bois de charpente, cordes, esclaves) pour des sommes d’argent indiquées en talents. Enfin, l’affaire échouant, il s’engage à retourner les marchandises. La plupart de ces considérations reposent en réalité sur des lectures qui ne sont point assurées. Comme l’écrit A. Avram (BÉ, 2011, 462), « J’avoue que je ne trouve rien de ce qui puisse nous autoriser la dernière partie de ce scénario. Quoi qu’il en soit, le texte qui nous est parvenu est trop fragmentaire pour reconstituer l’ensemble de l’affaire » (la première partie du scénario est à son tour largement suspecte). 403 Selon les restitutions des premiers éditeurs, on aurait, dans le contexte d’une transaction commerciale, une forme de parfait médio-passif Ière pers. sg. (l. 13) et la mention de drachmes (l. 3) ; ce sont toutefois des séquences de lecture très difficile. Sur la l. 3,
45. Lettre sur plomb d’Hermaios (Panticapée)
193
Panticapée (Παντικάπαιον) (auj. Kertch) est une fondation milésienne vers 575, située dans la partie européenne du Bosphore Cimmérien. Vers 480, elle devient la capitale du Royaume du Bosphore, dirigé d’abord par les Archéanactides, puis par les Spartocides, depuis 438/437404, et s’érige en pôle du pouvoir politique et économique de ce royaume septentrional. Quant à l’épigraphie sur plomb, en plus d’une lettre plus tardive que notre texte (45), Panticapée a livré un nombre plus important de defixiones405 et un possible plomb commercial avec la mention par deux fois de ΤΙΜΗ et l’indication d’un prix (fin du IVe–début du IIIe s.)406. Il convient d’ajouter la découverte récente, en provenance du même « Mont Mithridate », d’une lamelle fragmentaire de plomb, de la première moitié du IIIe s. ; considérée une defixio407, elle reste d’interprétation énigmatique.
45. Lettre sur plomb d’Hermaios (Panticapée)
45. Lettre sur plomb d’Hermaios (Panticapée) Découverte, contexte : plaquette de plomb découverte en 1996, dans la partie nord-est du « Mont Mithridate » (Gora Mitridat), l’ancienne acropole de Panticapée, lors des travaux de construction, à une profondeur de 0,80–1 m. Le contexte archéologique est constituéé d’amphores de Sinope, d’Héraclée du Pont et de Thasos (IVe–IIIe s.), ainsi que de monnaies de Panticapée (IVe s.). Support, mise en page : alors que la partie inférieure de la lamelle, à savoir celle où il n’y avait pas de texte, est conservée (4,5 × 6,5 cm), il manque la moitié supérieure droite, précisément celle sur laquelle a été écrite la moitié du texte. Il manque également des fragments des coins supérieur et inférieur gauche ; en revanche, la partie gauche du message est préservée. On remarque ainsi que les lettres ne commencent pas tout près du bord gauche, un petit espace étant laissé entre le bord et le début de chaque ligne ; qui plus est, la première ligne, qui comporte la formule épistolaire, est décalée à droite d’une lettre, dans un évident souci de mise en page. En revanche, la formula valedicendi (l. 7) suit la fin du texte, sans aucune mise en page. Plusieurs morceaux se sont détachés de façon irrégulière, comme le montrent les marges crantées, sans rapport évident avec le pliage de la lamelle. Sept lignes de texte ont été conservées ; on constate une seule coupe syllabique (ll. 6–7), alors que dans le reste de la lettre les mots finissaient en fin de ligne. On ignore si une adresse externe était présente au verso. Dialecte : koinè ; la perte d’une grande partie du texte empêche l’identification d’éventuels traits dialectaux ioniens. Paléographie : lettres soigneusement gravées avec un instrument pointu, sans erreur de gravure, rangées assez attentivement les unes en dessous des autres ; ht. des lettres : 0,2–0,4 cm. La lettre la plus notable est le sigma lunaire, qui apparaît déjà dans plusieurs textes sur plomb datables du IVe s. ; my avec les hastes légèrement écartées ; ny avec la haste oblique courte et tracée jusqu’au milieu de la haste verticale droite ; upsilon tracé en deux temps ; ômega plus petit avec les bras parallèles. Date : ca. 350–300. Conservation : collection privée. Éditions : Saprykin/Kulikov 1999, p. 201–206, n° I (avec trad. russe) (= SEG L 704) ; Dana 2007a, p. 86, n° 10 ; Ceccarelli 2013, p. 341–342, n° 10 (avec trad. angl.). Bibliographie : Eidinow/Taylor 2010, p. 57 (E9) ; Ceccarelli 2013, p. 40–41 ; Decourt 2014, p. 61, n° 39 ; Sarri 2018, p. 42. Illustrations : Saprykin/Kulikov 1999, p. 202, fig. 1 (ph.). Note sur l’édition : édition prudente de Saprykin et Kulikov (2010), suivis par le SEG, Dana (2007a) et Ceccarelli (2013). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai pu utiliser un cliché de qualité.
avant la mention des drachmes, Saprykin et Fedoseev ont lu ἑμένα[ς], à savoir un participe aor. pl. fém. à l’acc. du verbe ἵημι avec le sens « envoyées », mais leur lecture reste sujette à caution (voir ma propre lecture). 404 Tolstikov 2003 ; Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 949–950, n° 705 ; le catalogue Pantikapej i Fanagorija (2017). 405 Jajlenko 2005. 406 Saprykin/Belousov/Fedoseev 2013, p. 269–273, n° 1 (ph. illisible et dessin p. 270–271, fig. 1–2) (SEG LXIII 614). 407 Saprykin/Fedoseev 2008, p. 64–72 (avec trad. russe) (cf. A. Avram, BÉ, 2009, 384, pas forcement une defixio) ; Saprykin/ Fedoseev 2010a, p. 422–427, n° I (avec trad. angl.) (= SEG LVIII 774).
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Fig. 114. Photo de la lamelle.
Fig. 115. Fac-similé de la lamelle.
Ἑρμαῖο[ς τῷ δεῖνι χαίρειν·? v] πεντήκον[τα ] ἐπιμελη[‒ ] ἔστιν γὰρ [ ] ἀπέστειλα +[ ] ἔδωκα ἐφ᾿ αἷς τ[ὴ]ν ἐπιμέ[λειαν --- κο]μίσαι παρ᾿ αὐτοῦ· ἔρρω[σο. vac.] vac. v
4
3 ἐπιμελή[θησαν] Saprykin/Kulikov || 6 ἐφ᾿ αἱς Sapr./Kul. : ἐφ᾿ αἷς recte Pleket || 6–7 [κο]|μίσαι sive [κό]|μισαι
Hermaios [à Untel, salut !] [---] cinquante [---] prendre soin [---] car il est [---] j’ai expédié [---] j’ai donné [---] le soin [---] qu’on emporte [ou emporte (toi)] de lui. Porte-toi bien ! L. 1 : la présence d’un nom propre au nominatif laisse entendre qu’il s’agit ici de l’adresse de la lettre, avec le nom de l’expéditeur, en occurrence Hermaios, suivi du nom du destinataire au datif et du verbe de salut habituel à partir de l’époque classique. L’anthroponyme Ἑρμαῖος est banal, même s’il s’agit de sa première occurrence au nord de la mer Noire (cf. LGPN IV 124). Un petit trou dans le coin supérieur gauche a fait dire aux éditeurs que la lettre avait été fixée sur un support en bois. En réalité, il s’agit d’une « mise en page » évidente, car la première ligne, comportant l’adresse, est légèrement décalée à droite par rapport au contenu. On retrouve cette disposition dans la lettre attique sur plomb de la Pnyx (5), où les deux premières lignes avec l’invocation et le prescrit sont légèrement décalées ; en revanche, dans la lettre attique sur plomb de Mnèsiergos (6), le nom de l’expéditeur est écrit en caractères de taille plus grande. L. 2 : πεντήκον[τα], sans doute une somme d’argent. L. 3 : ἐπιμελη[‒], sans doute une forme de subjonctif, cf. plus loin τ[ὴ]ν ἐπιμέ[λειαν] (l. 6). L. 5 : le verbe ἀποστέλλω, ici à l’ind. aor. Ière pers. sg., représente une variation par rapport au verbe utilisé fréquemment dans les lettres, ἐπιστέλλω, au sens d’« envoyer par lettre ». On pourrait traduire soit tout simplement par ce dernier sens, soit, en rapport avec certains produits, « j’ai expédié ». L’emploi de la Ière pers., répétée à la ligne suivante pour l’aor. ἔδωκα, nous conforte dans l’idée qu’il s’agit véritablement d’une lettre. L. 6 : on note l’absence de la psilose dans ἐφ᾿ αἷς. || τ[ὴ]ν ἐπιμέ[λειαν], cf. ἐπιμελη[‒] à la l. 3, où il s’agit sans doute d’une forme de subjonctif. L. 6–7 : deux possibilités s’ouvrent : soit l’infinitif aor. actif [κο]|μίσαι, soit l’impératif aor. moyen IIe pers. sg. [κό]|μισαι. Dans les deux cas, il est question de la nécessité d’emporter des biens.
46. Lettre opisthographe sur plomb d’Oréos à Pythoklès, suivie d’une lettre d’Oréos à Kerkiôn (Myrmékion)
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L. 7 : ἔρρω[σο], attestation claire dans le Pont-Euxin, en fin de message, de cette formula valedicendi qui apparaît abondamment dans les papyrus408, indice de l’uniformisation des pratiques dans l’ensemble du monde grec. Une autre occurrence est connue depuis peu dans la lettre opisthographe sur plomb d’Oréos à Pythoklès (Myrmékion, 46, B, l. 2). Commentaire : Du fait même de l’état lacunaire du plomb, il est difficile de se faire une opinion raisonnée du contenu409 . Si l’on se fie aux quelques mots lisibles, il est question d’une lettre d’affaires : plutôt que d’une quantité de marchandises (50 articles de certains objets ?) il doit être s’agir d’unités monétaires au nombre de 50 (des statères plutôt que des drachmes), dont quelqu’un, sans doute le destinataire, devait s’occuper. Hermaios a dû expédier certains objets, qui doivent être transportés par quelqu’un d’autre. La datation dans la seconde moitié du IVe s., sur des critères paléographiques, semble confirmée à la fois par l’absence des traits dialectaux dans la partie conservée, y compris l’absence de la psilose (cf. l. 6 : ἐφ᾿ αἷς, avec aspiration) et par la présence des formules épistolaires d’introduction et de salut qui se généralisent au IVe s. : le prescrit standardisé (restitué, mais très probable) et l’une des formulae valedicendi habituelles, ἔρρω[σο].
46. Lettre opisthographe sur plomb d’Oréos à Pythoklès, suivie d’une lettre d’Oréos à Kerkiôn 46. et d’une salutation à une femme (Myrmékion) 46. Lettre opisthographe sur plomb d’Oréos à Pythoklès, suivie d’une lettre d’Oréos à Kerkiôn (Myrmékion)
Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte à Myrmékion par Alexander M. Butjagin, lors de la campagne de fouilles systématiques de l’été 2017, dans un contexte céramique de la fin de l’époque classique, pendant le nettoyage d’une superficie sous le mur n° 69A de la maison n° 4 (d’époque impériale) sur l’acropole. Le contexte est celui d’un dépotoir, avec la lamelle et des fragments céramiques, dont un pied d’amphore de Thasos (qui assure une datation dans les années ’30–’20 du IVe s.) et un lot de 17 artefacts d’os travaillés, provenant sans doute d’un atelier voisin. La plaque de plomb a été retrouvée déroulée ; d’après la trace du pli au milieu de la face A, il ressort qu’elle avait été pliée en deux, avec la face A à l’intérieur. Support, mise en page : lamelle vaguement rectangulaire, avec les angles arrondis (ca. 2,8/3,8 × 10,8 cm), assez épaisse (l’ép. n’est pas indiquée mais elle est plus grande que d’habitude) ; elle semble être le résultat d’une compression de plusieurs morceaux de plomb, ce qui est suggéré par l’aspect du verso. La lamelle est opisthographe : sur la face A, 7 lignes assez serrées ; sur la face B, 5 lignes de texte, plus espacées, de même que les caractères. Sur la face A, un espace a été laissé à gauche, avant le début de chaque ligne ; sur la face B, l’écriture suit la forme du plomb. Un seul signe d’interponction sous la forme de deux points superposés (:) (A, l. 6). Coupe syllabique en fin de ligne. La face A est facilement lisible (à l’exception de l’extrême fin des ll. 1–2), alors que sur la face B plusieurs endroits sont très endommagés ou effacés. On remarque quelques corrections du graveur : A, l. 3 : regravure du my dans ἱμάτιον ainsi que du dernier omikron et du dernier ny dans ἀπόπενψον ; A, l. 4, le rédacteur a gravé ΠΑΝΤΩΙ, avant de corriger le iota en sigma, suivi de la trace d’une autre lettre ; A, l. 6 : la première lettre, un alpha, a été gravée par mégarde, parce que le rédacteur avait déjà écrit un alpha à la fin de la ligne précédente, puis a été corrigée en bêta ; après la milieu de la ligne, regravure d’un omikron ; face B, l. 3, le rédacteur a gravé d’abord la forme dialectale ΧΑΙΡΕΝ, avant de se corriger et de graver un iota par-dessus le ny. Dialecte : ionien oriental. Graphie ionienne πρῆσιν (A, l. 5). Aussi bien la fausse que la vraie diphtongue ei sont notées par le simple epsilon (à trois reprises Ὄρος, A, l. 1 et B, ll. 3 et 5 ; A, l. 1 : Πυθοκλ ; A, ll. 5–6 : λα|βν ; A, l. 7 : ἀπόστλον), y compris dans la correction ΧΑΙΡΕΝ en χαίρειν (B, l. 3) ; le o long fermé est noté par le simple omikron (A, l. 7 : δναι). Possible élision (A, ll. 1–2 : ἔνθ᾿| ἐγένετο). Marques de prononciation : par deux fois la nasale ny à la place de la labiale my, dans ἀπόπενψον (A, ll. 3–4) ; la dentale sourde tau à la place de la dentale sonore delta, dans ἀνδράποτον (A, l. 5). Paléographie : lettres irrégulières, avec des traits qui indiquent la rapidité de la gravure, qui n’est toutefois pas dénouée d’une certaine élégance ; l’écriture est plus négligée au verso. Ht. des lettres : 0,2–0,4 cm (face A) ; 0,2–0,45 cm (face B). Lettres remarquables : alpha et lambda aux hastes écartées et à première haste dépassante ; epsilon à haste verticale dépassante et aux hastes horizontales inégales, parfois non-jointives ; petit thêta, à point ; kappa parfois avec les bras non-jointifs ; 408 Cf. pourtant l’emploi de ce verbe à l’intérieur d’une formula valetudinis plus élaborée dans la lettre sur tesson de Dionysios de Nikonion (21, ll. 1–2). 409 P. Ceccarelli traduit : « Hermaios (to such and such, greetings). Fifty … take care … for it is … I have sent … I have given, over which the care … recover them from him. Farewell ».
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
my à traits cursifs ; ny à la seconde haste parfois inégale ; petit omikron, parfois cursif, tracé en deux temps (par ex., A, ll. 3 et 7) ; pi à haste gauche dépassante et à haste droite plus petite ; rhô avec la haste légèrement courbée et dépassante ; sigma à quatre branches, parfois avec des traits cursifs ; upsilon de deux types ; ômega avec les pieds écartés. Date : ca. 325–300. Conservation : Musée-Réserve d’Histoire Culturelle de la Crimée Orientale (Kertch) (KM 191604, inv. 8706). Éditions : Behter/Butjagin/Dana 2018 (avec trad. russe) [cf. Belousov, EpPont, 2018, n° 23 (Aristeas, 20, 2019, p. 178–182) ; cf. A. Avram, BÉ, 2019, 342] ; Bekhter/Dana/Butyagin 2019 (avec trad. angl.) (cf. A. Avram, BÉ, 2020, 291). Bibliographie : Butyagin 2019, p. 166. Illustrations : Behter/Butjagin/Dana 2018, p. 935, fig. 3–4 (ph. et dessins) ; Bekhter/Dana/Butyagin 2019, p. 164, fig. 3ab (ph.) et 4ab (dessin) ; Belousov 2019, p. 178 (dessins) et 181 (ph.) ; Butyagin 2019, p. 167, fig. 5 (ph.). Note sur l’édition : cette édition a été établie d’après plusieurs jeux de photos envoyées par A. P. Behter, A. V. Belousov et A. M. Butjagin.
Fig. 116. Photo de la lamelle (face A) (Pl. XI).
Fig. 117. Fac-similé de la lamelle (face A).
[A]
4
Θεός· Τύχη· Ὄρος Πυθοκλ χαίρειν· ΤΟΕΝΘ ἐγένετό μοι ἐν τῶι τραχήλωι, ἀλλὰ ΧΑΙΝΩ ἤδη. Ἱμάτιόν μοι ἀπόπενψόν μοι, vac. πάντως ἱμάτια ἀπόπενψον δύο ἰώνια ἐς πρῆσιν· ἔστιν γὰρ καὶ ἀνδράποτον λαβν : παῖδα Χαρίοντα· καὶ ΟΠΟΝΤΙΝ καὶ φοινίκεα δύο ἢ τρία ἀπόστλον καὶ δναι vac.
46. Lettre opisthographe sur plomb d’Oréos à Pythoklès, suivie d’une lettre d’Oréos à Kerkiôn (Myrmékion)
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Fig. 118. Photo de la lamelle (face B) (Pl. XI).
Fig. 119. Fac-similé de la lamelle (face B).
[B]
4
Διοδώρωι τῶι κυβερνήτηι. vac. Ἔρρωσο· +ΣΑ(+) ἐπιστολὴν ἐπίθες μοι. Ὄρος Κερκίωνι χαίρειν· ἐπὶ τῆι ν〈ηΐ{ι}〉 (?) [-ca. 1–2-]+Ι παρέσται σο[ι] ταρίχοις vac. Ὄρος ΣΑΙΧΟ+ΙΝΗ χαίρειν. vac.
A – 3 ΑΠΟΠΕΝΨ{Ι+}ΟΝ plumbum || 4 ΠΑΝΤΩ{Ι(+)}ΣΙΜΑΤΙΑ plumb. || 6 {Α}BEN plumb. || ΟΠΟΝΤΙΝ plumb. : Ὀπντι〈ο〉ν Makarov || παιδα Χαρίοντα καὶ Ὀπντιν Belousov B – 3 ΧΑΙΡΕ{Ν}ΙΝ plumb. || ΕΠΙΤΗΙΝΗΙΙ plumb.
(I)
Dieu ! Fortune ! Oréos à Pythoklès, salut ! J’ai eu ici un problème au cou, mais je peux déjà [---]. Envoie-moi un manteau pour mon usage personnel, et surtout envoie-moi deux manteaux ioniens destinés à la vente. Il y a aussi un esclave à emporter, à savoir le jeune Chariôn ; et envoie OPONTIN ainsi que deux-trois vêtements en pourpre, en les confiant à Diodôros le pilote. Porte-toi bien ! [---] transmet (cette) lettre de ma part. (II) Oréos à Kerkiôn, salut ! Sur le bateau (?) [---], tu auras à ta disposition (de la place) pour les poissons salés. (III) Oréos à Unetelle, salut ! Face A A 1 : Θεός· Τύχη, invocation banale qu’on trouve dans l’épigraphie civique (décrets), dans les actes de vente (de Chalcidique) ou dans d’autres types des textes (lamelles oraculaires de Dodone), souvent sous la forme
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Ἀγαθὴ Τύχη. À l’instar des lettres sur plomb de la Pnyx (5, l. 1 : Θεοί) et des instructions commerciales de Lattara (60, A, ll. 1 et 5 : Ὦ Ζήν), cette invocation a un rôle de bon augure pour le message ; dans la lettre sur argile de Thasos, l’expéditeur invoque une divinité identifiée par son épiclèse, [πρὸς?] τ Διὸς τ Πατρωί〈ō〉 (15, l. 4). || Présence du prescrit classique, du type ὁ δεῖνα τῶι δεῖνι χαίρειν. || Le nom de l’expéditeur, Ὄρος410, à savoir Ὄρειος en graphie normalisée, est rare ; il est tiré de l’adjectif ὄρειος « de montagne, montagnard »411. Ce nom était connu par plusieurs occurrences en Lycie, où il s’agit peut-être d’une collusion avec un nom indigène (LGPN V.B 330 : Ορειος) ; on peut également signaler l’estampille de potier Ὀρήου (nom. Ὄρηος) en Ionie, au Ier s. av. J.-C.–Ier s. ap. J.-C., graphie qui a été normalisée en Ὄρειος dans LGPN V.A 348. Enfin, on pourrait ajouter le patronyme de Κράτειρος Ὀρείου dans une inscription agonistique de Thessalie (SEG LIV 566, ll. 24–25, 31)412. || Le nom du destinataire, théophore, apparaît pour la première fois dans le Pont Nord, où d’autres noms en Πυθο- sont connus (LGPN IV 295–296) : Πυθαγόρης, Πυθίων, Πυθογείτων, Πυθόδοτος, Πυθόδωρος, Πυθόνικος, Πύθων. Dans les deux anthroponymes, comme ailleurs dans ce document, la diphtongue -ει- est notée par le simple epsilon413. A 1–2 : Après le prescrit, quelques lettres assez effacées, peut-être τὸ ἔνθ᾿ | ἐγένετό μοι. A 2–3 : passage très difficile, à lire sans doute χαί|νω. Dans la phrase ἐγένετό μοι ἐν τῶι τραχήλωι il s’agit d’une allusion à des problèmes de santé, alors que le destinataire semble aller mieux au moment de l’envoi de sa lettre (ἤδη) ; il est moins vraisemblable de comprendre Τράχηλος comme un toponyme (cf., e.g., Κεφαλή, Τραχεῖα). On dispose d’une information qui fait office de formula valetudinis. A 3 : répétition emphatique du pronom μοι. || Une autre mention d’un ἱμάτιον apparaît dans la lettre 21 (l. 10) ; à la ligne suivante, deux autres ἱμάτια sont destinés à la vente. || ἀπόπενψον (et infra, l. 4), noté avec la nasale ny à la place de la labiale my. A 4 : ἰώνια, sans doute un adjectif qui détermine les ἱμάτια : donc, deux tuniques ioniennes. A 4–5 : ἐς | πρῆσιν, graphie ionienne. A 5 : mention d’un esclave, ἀνδράποτον (cf. un autre dans la lettre 48, l. 3) ; cette notation avec tau marque l’assourdissement de la dentale delta. Cf. déjà au milieu du IIIe s. les graphies κιναίτου, Δειοσκορίτης et Παιρισάτου dans les graffites pariétaux du sanctuaire d’Aphrodite de Nymphaion ; d’autres exemples connus dans le Bosphore Cimmérien sont d’époque impériale414. A 6 : signe d’interponction, suivi du nom de l’esclave à l’accusatif, παῖδα Χαρίοντα. || Χαρίων, nom attesté415, dans la série des noms en Χαρι- (LGPN IV 354–355), ne se trouve pas ici à l’acc. attendu (Χαρίωνα), mais sous une forme hétéroclite, Χαρίοντα, en raison de la confusion avec les noms en -ων et -οντ-, même si dans le Bosphore Cimmérien on ne connaît qu’un seul exemple, Ἡρακλέωντος à la place de Ἡρακλέωνος (CIRB 504, Panticapée, Ier s. ap. J.-C.). En revanche, Χάριος est un nom rarissime, avec une seule occurrence (LGPN I 482). || Séquence ΟΠΟΝΤΙΝ difficile à interpréter. On pourrait penser à Ὀπντι〈ο〉ν = Ὀπούντιον416 (cf. A, l. 7 : δναι), avec un exemple précoce de la contraction banale (à l’époque impériale) -ιο- > -ι- ; ce serait alors le nom d’un autre esclave. Pourtant, cette hypothèse implique un enchaînement de suppositions. A 6–7 : deux ou trois tuniques en pourpre. A 7 : Les deux impératifs ἀπόπενψον (ll. 3 et 4) et ἀπόστλον (l. 7) et l’infinitif δναι417 ne doivent pas être considérés sur le même plan, bien qu’ils soient coordonnés par καί : en effet, l’infinitif précise comment l’envoi devait se faire. Cf. le nom de l’expéditeur d’une lettre sur plomb d’Hermonassa, Κλδικος (52). On pourrait aussi expliquer cet anthroponyme comme un nom théophore, cf. l’épithète de Μήτηρ Ὀρεία (voir Petzl 2009, p. 92–94). 412 Les editeurs suggèrent le nominatif Ὀρείας. 413 Voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 4, p. 184 (propension à la monophtongaison de la vraie diphtongue), qui donne l’exemple du datif Ἀχιλλ (I. dial. Olbia Pont 52, Ve s.). 414 Tokhtasiev 2009, p. 36–37 (n° 8), 37 (n° 11) et 40–41. 415 Seulement huit exemples dans LGPN I-V.C. 416 I. A. Makarov propose de lire ce mot comme un ethnique. Le nom Ὀπόντιος est attesté chez Aristophane (Av. 152 et 1294) et sur un ostracon du Kérameikos, cf. O. Masson, OGS, III, p. 136 : « Je ne trouve pas ce nom ailleurs, mais il est particulièrement clair, comme tiré de l’ethnique d’Oponte, en Locride ». 417 Cf. [ἀπο?]δναι à la fin de l’une des lettres sur plomb de Berezan’ (23, l. 6). 410 411
46. Lettre opisthographe sur plomb d’Oréos à Pythoklès, suivie d’une lettre d’Oréos à Kerkiôn (Myrmékion)
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Face B B 1 : mention d’un pilote de navire, du nom de Diodôros, auquel Pythoklès devait confier les vêtements. La mention de ce métier en rapport avec la navigation n’est pas pour nous surprendre au nord de la mer Noire. Une dédicace trouvée sur l’Achilleios Dromos, près d’Olbia du Pont, a été érigée par un κυβερνήτη〈ς〉 (IOSPE I² 331), alors qu’un décret de la même cité honore, au temps de Mithridate VI Eupator, un Amisénien fils de Philokratès, κυβερ[νήτης] (IOSPE I² 35) ; une longue defixio du IVe s. de Panticapée mentionne, entre autres, Νευμήνιον τὸν κυβερνήτην418 ; une dédicace de Kara Tobe, au nord-ouest de la Crimée, dans la chôra de Chersonèse Taurique, émane des οἱ περὶ Θεότιμον κυβερνήτην (début du Ier s. ap. J.-C.)419. B 2 : ἔρρωσο, formule de salutation qui devait marquer la fin de la lettre. Elle est suivie de la demande de transmettre un message au nom de l’expéditeur (ἐπιστολὴν ἐπίθες μοι), où μοι est un datif d’intérêt, introduisant ainsi la deuxième lettre de Pythoklès, destinée à Kerkiôn. Cette formula valedicendi est également attestée dans le Pont Nord dans la lettre sur plomb d’Hermaios, à Panticapée (45, l. 7). B 3 : début d’un deuxième message, avec un prescrit classique, envoyé à un destinataire du nom de Kerkiôn, nom attesté sur la côte ouest-pontique (cf. LGPN IV 190, et la famille)420. Oréos a écrit d’abord le verbe en graphie dialectale (χαίρν), avant de se corriger en conformité avec les nouvelles normes. Ce message court sur seulement deux lignes. B 3–4 : une possibilité de lecture de ce passage très difficile serait ἐπὶ τῆι ν〈ηΐ{ι}〉. B 4 : mention du poisson séché, cf. la lettre sur tesson d’Apatorios à Neomènios, trouvée à Kerkinitis (38, l. 2 : τς ταρίχς). B 5 : un salut envoyé à une troisième personne, qui présente un prescrit classique. Le nom de la destinataire (?), d’après la terminaison féminine au datif, est difficile à déchiffrer. Commentaire : Myrmékion est une petite cité sur la côte nord du golfe de Kertch (Cap Karantinnyj), dans la partie européenne du Bosphore Cimmérien. Cette fondation ionienne (vers 580–560 ?), qui dispose d’une acropole protégée d’une muraille vers la fin de l’époque archaïque, est intégrée dès le Ve s. au Royaume du Bosphore421. Le site fait l’objet des fouilles systématiques du Musée de l’Ermitage422. Bien que la moisson épigraphique soit réduite à quelques inscriptions et graffites423, Myrmékion a récemment livré un texte de 5 lignes sur un grand tesson424 et des graffites votifs sur céramique425. La paléographie ainsi que le contexte archéologique permettent de dater cette lettre opisthographe sur plomb de la fin de l’époque classique ou plutôt du début de l’époque hellénistique. Cette datation semble confirmée par la langue du document, dont les traits correspondent à une période de transition entre le parler ionien et des formes de koinè ; la preuve manifeste est la correction du scribe à la l. 3 de la face B (χαίρν corrigé en χαίρειν). On doit comprendre qu’il avait appris à écrire selon les normes ioniennes (cf. les autres graphies dialectales de son texte), mais qu’il savait désormais que, du moins pour le formulaire épistolaire, la graphie ΧΑΙΡΕΙΝ était devenue la norme. Le message est étonnamment bien conservé sur la face A et malheureusement plus affecté par la corrosion au verso. Les lettres sont nettement gravées, avec de nombreux traits cursifs, suggérant que le rédacteur écrivait couramment sur ce type de support. La présence du prescrit classique, comportant le verbe χαίρειν (au verso, deux autres messages emploient le même verbe épistolaire) ainsi que l’emploi de la formula valedicendi Cf. Jordan 1985, p. 195, n° 170. SEG LXV 597 ; cf. A. Avram, BÉ, 2016, 354. 420 Pour les noms en Κερκ-, voir Robert, Noms indigènes, 1963, p. 187–191. 421 Vinogradov (Y. A.)/Butyagin/Vakhtina 2003 ; Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 947–948, n° 703. La forme du toponyme est Μυρμήκειον (Ps.-Scylax 68) et Μυρμήκιον [Strabon 7.4.5 (C. 310) et 11.2.6 (C. 494) ; Étienne de Byzance, s. v. Μυρμήκιον· πολίχνιον τῆς Ταυρικῆς. Στράβων ζ. Ἡρωδιανὸς διὰ διφθόγγου γράφει καὶ προπερισπᾷ. τὸ ἐθνικόν, ἐὰν μὲν διὰ διφθόγγου, Μυρμηκειεύς, εἰ δὲ διὰ τοῦ ι γράφεται, Μυρμήκιος. Ἀρτεμίδωρος δὲ Μυρμηκίαν αὐτήν φησι. 422 Voir Butyagin 2007 ; Chistov 2007 ; Butyagin 2015 ; Butyagin 2019. 423 Vinogradov (J. A.)/Tohtas’ev 1998. 424 Butyagin 2015, p. 129 (dessin p. 130) ; découvert en 2013, ce tesson (paroi d’une amphore de forme pentagonale) comporte 5 lignes de texte, à finalité inconnue (son caractère épistolaire est exclu). 425 Butyagin 2015, 129–130 et ph. p. 136, fig. 3–4. 418 419
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Ἔρρωσο, la demande à un premier correspondant de transférer une lettre (B, l. 2), ainsi que le contenu concernant une affaire liée à des manteaux (himatia)426, un esclave (ou deux ?) et des poissons salés (dans la deuxième lettre), enlèvent le moindre doute quant à la nature du document. On peut noter que l’expéditeur sollicite un manteau pour son usage personnel et deux autres vêtements destinés à la vente. Oréos exige également l’envoi de deux ou trois tuniques de pourpre par l’intermédiaire du pilote Diodôros, qui devrait distribuer, très vraisemblablement, la lettre envoyée à Pythoklès. Ce document sur plomb comporte trois lettres, la troisième étant réduite à la formule épistolaire. Les destinataires Pythoklès et Kerkiôn sont peut-être parents ou associés en affaires, qui résidaient sans doute au même endroit, à Myrmékion427. Oréos profite du support opisthographe pour envoyer trois messages, l’un relayé par Pythoklès à Kerkiôn, et un troisième à une femme qui devait appartenir au même cercle de correspondants. Voici la structure de la première lettre d’Oréos, destinée à Pythoklès : I II III IV V VI
(A, l. 1) invocation (A, l. 1) prescrit (A, ll. 1–3) formula valetudinis (A, ll. 3–7 et B, l. 1) contenu (instructions) (B, l. 2) formula valedicendi (B, l. 2) demande à Pythoklès de transmettre une deuxième lettre
Θεός· Τύχη Ὄρος Πυθοκλ χαίρειν ΤΟΕΝΘ| ἐγένετό μοι ἐν τῶι τραχήλωι, ἀλλὰ ΧΑΙ|ΝΩ ἤδη Ἱμάτιόν μοι ἀπόπενψόν μοι κτλ. Ἔρρωσο +ΣΑ(+) ἐπιστολὴν ἐπίθες μοι
47. Message sur tesson d’Ak-Kaja (royaume scythe de Tauride)
47. Message sur tesson d’Ak-Kaja (royaume scythe de Tauride) Découverte, contexte : tesson découvert lors des fouilles de Ju. P. Zajcev (2007–2008) à Ak-Kaja, secteur 6D, sur le pavement en argile d’un bâtiment en pierre, près du mur de défense. Les deux morceaux du tesson ont été retrouvés à quelques mètres l’un de l’autre, dans une couche avec des traces de brûlure (charbon, revêtement d’argile brûlée), ensemble avec des fragments de deux encensoirs moulés, trois autels en céramique, un grand vase moulé poli, ainsi qu’un vase à boire attique, timbré, à vernis noir. En raison des découvertes, ce bâtiment qui a cessé d’être utilisé vers 125 a été identifié comme étant un sanctuaire. Support, mise en page : deux tessons jointifs (6 × 9,5 cm ; ép. inconnue) d’une paroi d’amphore rhodienne. Avant la cassure en plusieurs morceaux, le tesson choisi pour graver le message devait avoir une forme pentagonale ; si la partie inférieure est conservée avec les trois bords, il manque la partie supérieure, en particulier à droite. 7 lignes de texte sont conservées ; le message s’arrêtait peu avant la fin de la 7e ligne, laissant un espace libre d’environ deux lignes, signe que le rédacteur avait fini ce qu’il avait à écrire. Dialecte : koinè. Le graveur a noté par erreur un êta à la place d’un epsilon dans ἀπολ〈έ〉σθαι (l. 7). Paléographie : lettres soigneusement incisées bien qu’assez irrégulières (ht. des lettres : 0,3–1 cm), souvent en plusieurs temps (cf. ll. 3 et 7) ; ainsi, aux ll. 2–4, les lettres sont plus petites, avant de s’agrandir vers la fin du message, en partic. au début des ll. 5 et 6. Lettres remarquables : alpha légèrement cursif (tantôt , tantôt ) ; epsilon et sigma lunaires ; thêta à barre horizontale () ; my droit, avec les hastes intérieures plus courtes ; pi asymétrique, à la haste horizontale dépassante ; phi à petite boucle. Date : milieu du IIe s.? Conservation : Musée-Réserve Archéologico-Historique de Néapolis Scythica (sans n° d’inv.). Édition : Saprykin 2018 (avec trad. russe) (SEG LXV 583) [cf. Belousov, EpPont, 2018, n° 16 (Aristeas, 20, 2019, p. 164– 165) ; cf. A. Avram, BÉ, 2019, 337] ; Šelov-Kovedjaev 2019, p. 81–82, n° II (cf. A. Avram, BÉ, 2020, 277). Un manteau ayant servi de gage pour un prêt est mentionné dans la lettre sur tesson de Dionysios de Nikonion (21, l. 10). Sur les lettres multiples écrites sur une seule feuille de papyrus, voir Bagnall/Cribiore/Ahtaridis 2006, p. 36–37. Voir quelques exemples de deux ou plusieurs lettres notées sur le même support : sur papyrus, P. Tebt. II 416 (IIIe s.) et SB III 6263 (ca. 150–200 ap. J.-C.) ; sur ostracon, O. Did. 383 et 417 (début du IIe s. ap. J.-C.) ; sur tablette de bois, T. Vind. III 643 (ca. 100 ap. J.-C.). 426 427
47. Message sur tesson d’Ak-Kaja (royaume scythe de Tauride)
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Bibliographie : Zajcev 2015, p. 138 [cf. Belousov, EpPont, 2015, n° 31 (Aristeas, 14, 2016, p. 269)] ; Zajcev 2017, p. 124. Illustrations : Zajcev 2015, p. 145, fig. 3.5 (ph.) ; Zajcev 2017, p. 299, fig. 14.1 (ph.) ; Saprykin 2018, p. 199, fig. 1 (ph.) ; Belousov 2019, p. 165 (ph.) ; Šelov-Kovedjaev 2019, p. 82, fig. 2 (ph.). Note sur l’édition : l’inventeur du tesson, Jurij P. Zajcev, m’a aimablement fourni plusieurs photos ainsi que les renseignements archéologiques nécessaires à l’établissement de l’édition, qui diffère sur plusieurs points de l’editio princeps (voir aussi les réserves d’A. V. Belousov et A. Avram). Nouvelle lecture par Fjodor V. Šelov-Kovedjaev (2019), qui n’emporte pas la conviction.
Fig. 120. Photo du tesson (Pl. XI).
Fig. 121. Fac-similé du tesson.
[ ] Α[ ] ϹΕ[ ] ΛΕ+[ ] ΙϹ τεχν[ ] Α μὴ τῆς καὶ Χ++(+)+ ΛΑΤΗϹ. Μὴ μὴ ἀφῇς ἀπολ〈έ〉σθαι. vac. vac.
4
3 Λεο[ Saprykin || 4–7 ις τεχν[ίτης?] | ἀμητὴς καὶ χωρίτ[αι?..] | Λάτης, Μήμη, Ἄφης […] | Ἀπολῆς Θ(ε)ᾶι Sapr. : ΙΣ, Τέχν[ων, ὁ δεῖνα, Γ]|αμ〈έ〉τη, Θεαγᾶς, Πυ|λάτης, Μ〈έ〉μη, Ἄφης | ἀπόλ〈ε〉σθαι Šelov-Kovedjaev || 6–7 μή με ἄφες | ἀπολέσθαι prop. Belousov || 7 ΑΠΟΛΗϹΘΑΙ ostr.
L’état très fragmentaire du document, à l’exception de la dernière phrase, interdit de donner une traduction cohérente. L. 1–3 : traces de lettres. L. 3–4 : peut-être [το]ῖς τεχν[ίταις]. L. 6–7 : double négation pour marquer l’insistance (cf. Aristophane, Vesp. 1418 : μὴ μὴ καλέσῃς), qui renforce l’idée de ne pas laisser arriver quelque chose à quelqu’un (« Non, ne pas laisser périr ! »), suivie de deux verbes, ἀφῇς, aor. subj. actif IIe pers. sg., et ἀπολ〈έ〉σθαι, infinitif aor. moyen (avec epsilon à la place de l’êta). Une defixio sur tesson d’Olbia du Pont (troisième quart du IVe s.) porte un texte avec une double négation : Ἐργασίωνος | ἕτερον χαῖρε,| ἕτερον Πρωτέας μὴ | μὴ χαῖρε428. Commentaire : Ce tesson a été retrouvé dans un bâtiment interprété comme étant un sanctuaire429 adossé au mur est d’un établissement fortifié d’époque hellénistique en Crimée centrale. Il s’agit d’Ak-Kaja, nom tatare (Aq 428 429
Vinogradov/Rusjaeva 1998, p. 159 (ph. Pl. IX.3a) (SEG XLVIII 1016). Zajcev 2015, p. 135–145.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Qaya) du site dominé par le « Rocher Blanc » (Belaja Skala/Bila Skelja, traduction du nom tatare), aujourd’hui Višennoe/Višenne, à 6 km au nord de la ville de Belogorsk/Bilohirsk. Ce site qui couvre 10 ha est placé dans la vallée de la rivière Bijuk/Karasu, sur sa rive droite, à la limite entre la région des collines et celle des steppes. Les fouilles semblent montrer qu’ici se trouvait un centre fortifié, selon les normes grecques, du royaume scythe de Tauride (IIIe s.-première moitié du IIe s.), avant l’émergence de la capitale située à Néapolis de Scythie (Kermenčik)430. Le site a connu plusieurs phases, marquées par des destructions et des incendies, suivies de reconstructions et de nouvelles fortifications431. Le premier éditeur, Sergej Saprykin, voit dans ce graffite une dédicace de la fin du IIIe ou du début du IIe s. à une déesse de la fertilité, dont le nom n’est pas précisé, émanant de plusieurs groupes et habitants du site, dont les métiers et les noms apparaîtraient aux ll. 4–7 ; Fjodor V. Šelov-Kovedjaev, qui propose une nouvelle lecture, pense à une defixio. Il s’agit en réalité d’un message privé, comme le remarque également A. V. Belousov. En revanche, si Belousov lit (en graphie normalisée) μή με ἄφες | ἀπολέσθαι, il me semble plus prudent d’éviter de corriger par trois fois cette dernière phrase. En réalité, il s’agit d’un simple message privé, qui, d’après la fin conservée, comporte des instructions concernant une troisième personne, comme le montre le verbe au subjonctif. La découverte de ce message rédigé en grec dans un centre de pouvoir « barbare » illustre la pénétration des pratiques helléniques autres que des simples produits ou techniques, et encore à un autre niveau que l’épigraphie lapidaire qui caractérise plus tard la capitale Néapolis de Tauride432. Nous ignorons malheureusement l’onomastique et le statut de l’expéditeur et du destinataire de ce tesson inscrit.
48. Lettre sur plomb de Pistos à Arestônymos (Patrasys)
48. Lettre sur plomb de Pistos à Arestônymos (Patrasys) Découverte, contexte : lamelle de plomb enroulée, découverte par hasard en 2012 à Garkuši, sur le site de l’ancienne Patrasys (presqu’île de Taman), par un habitant (sans contexte archéologique). Support, mise en page : la lamelle (4,1 × 14,05 cm ; ép. 0,1 cm) est endommagée dans la partie droite, d’où un fragment s’était détaché et présente un trou ; de petits morceaux, non inscrits, ont été perdus en bas lors de cette cassure ; poids : 47 g. Des craquelures sont apparues lors du déroulement, dans la partie droite. On distingue cinq lignes de texte sur la face interne, sans coupe des mots en fin de ligne, ce qui explique les espaces libres variables à la fin des ll. 1–3 et la dernière lettre juxtant le bord droit à la l. 4. En revanche, le rédacteur a laissé à gauche un espace d’env. 1 cm entre le bord et le début des lignes. Un tiers de la lamelle n’est pas inscrit, signe que le texte est complet ; le vacat à la fin de la l. 5 marque la fin du message. Interponction sous forme de deux points superposés (:), au moins 12 fois. Au verso, on remarque un trait horizontal au milieu de la lamelle, et deux traits perpendiculaires intersectant ce trait médian (d’une manière plus soignée que les lignes tracées au verso de la lettre sur plomb de la Pnyx, 5) ; un troisième trait pourrait se trouver dans le tiers gauche de la lamelle, extrêmement corrodé. C’est dans cette partie du verso que se trouvait l’adresse externe, dont une seule lettre identifiable subsiste, sans doute un sigma. On distingue 6 plis qui délimitent 7 volets : la lamelle a été pliée, le recto à l’intérieur, de gauche à droite, ce qui fait que les deux derniers volets, dont celui portant l’adresse externe, qui se trouvaient à l’extérieur, sont très affectés par la corrosion. Dialecte : ionien oriental. Les diphtongues résultant de l’allongement compensatoire et de la contraction sont notées par la simple voyelle ε (ἐπιστέλλ, ἀποτσασθαι, τρς) et ο (χρυσ, ἀργύρ). Crases Ὦρεστώνυμε et κἀρακλείδην (ll. 1, 4). Indice de la psilose à la l. 4 (κἀρακλείδην)433. Paléographie : lettres bien lisibles, tracées avec un objet pointu ; ht. des lettres 0,6–0,8 cm. La forme des lettres (alpha à barre horizontale droite ; thêta rond pointé ; ny penché vers la droite et à hastes inégales ; pi avec la haste verticale droite très courte ; sigma à quatre branches divergentes ; ômega en demi-cercle avec les pieds pliés obliquement) conforte une datation au courant du Ve s. L’absence de contexte empêche une datation plus précise, le seul critère étant celui paléographique et en particulier l’usage systématique de l’interponction. Si l’on prend également en considération les traits dialectaux, omnipré-
430 431 432 433
Zaytsev 2007. Voir, à titre d’ex., Zajcev 2016 ; Zajcev 2017a ; Zajcev 2017b. Sur ce petit royaume hellénistique situé entre Grecs et Scythes, voir Müller 2010, p. 81–95 et 261–264. L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, Appendice grammatical § 1, p. 181–182.
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sents dans ce texte, on peut sans doute abaisser cette date vers la première moitié, voire le début du Ve s. Date : début du Ve s. Conservation : collection privée (Russie), puis au Musée Archéologique auprès de l’Institut d’Archéologie et du Patrimoine Culturel de l’Université d’État de Saratov (inv. Б-70). Éditions : Zavojkina/Pavličenko 2016 (avec trad. russe) [cf. A. Avram, BÉ, 2017, 381 ; cf. SEG LXIII 625 ; cf. Belousov, EpPont, 2016, n° 29 (Aristeas, 17, 2018, p. 125–126)] ; Zavoykina/Pavlichenko 2018 (avec trad. angl.) [cf. Belousov, EpPont, 2018, n° 45 (Aristeas, 20, 2019, p. 192–193) ; cf. A. Avram, BÉ, 2019, 347]. Bibliographie : Zavojkina/Pavličenko 2013 [cf. A. Avram, BÉ, 2014, 361 ; cf. Belousov, EpPont, 2013, n° 27 (Aristeas, 10, 2014, p. 337)] ; Parmenter 2020, p. 84. Illustrations : Zavojkina/Pavličenko 2013, p. 112–113, fig. 1 (ph.) ; Zavojkina/Pavličenko 2016, p. 231, fig. 1 (ph. et dessin) ; Zavoykina/Pavlichenko 2018, p. 41, fig. 1 (ph. et dessin). Note sur l’édition : signalée avec des photos en 2013 (avec des lectures préliminaires d’Avram en 2014), uniquement du recto, cette lettre sur plomb a été publiée de manière exemplaire trois ans plus tard par Zavojkina et Pavličenko (2016), et reprise en 2018 pour une version en anglais. Elena Kuznecova (Saratov) m’a envoyé des clichés de très bonne qualité des deux faces de la lamelle, ce qui m’a permis la vérification de la lecture et l’établissement d’un fac-similé complet, y compris du verso. La transcription du texte est en accord avec la psilose (cf. l. 4).
Fig. 122. Photo de la lamelle, face recto (première publication).
Fig. 123. Photo de la lamelle, face recto (état actuel) (Pl. XII).
Fig. 124. Fac-similé de la lamelle (recto).
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4
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Ὦρεστώνυμε : ἐπιστέλλ τοι : Πίστος· τὰς ἀποτσασθαι : Σαπασιν : στατῆρα : χρυσ καὶ ἀνδράποδον : καὶ Σῖμον : ἠμιστάτηρον vac. χρυσ : κἀρακλείδην : τρς τετάρτας : ἀργύρ καὶ Δημώνακτα : τρίτην : ἀργύρ. vac. vac.
1 Ὦρ[ι]στώνυμε Zavojkina/Pavličenko || Πίστο[ς] Zav./Pavl. || 2 [τ]ὰς Zav./Pavl. || 4 τρς Zav./Pavl. || ἀρ[γ]υρ Zav./Pavl.
Fig. 125. Photo de la lamelle, face verso (état actuel) (Pl. XII).
Fig. 126. Fac-similé de la lamelle (verso).
Verso (adresse externe) : [.]++Σ++ [---------] [--------?] Ô Arestônymos, c’est Pistos qui t’envoie cette lettre. Qu’ils remboursent ce qui suit : Sapasis un statère d’or et un esclave ; et Simos un demi-statère d’or ; et Hèrakleidès trois quarts d’argent ; et Dèmônax une tierce d’argent. (Adresse externe :) [---]. L. 1 : le vocatif (avec crase, soit ὦ Ἀρεστώνυμε) représente le début de la formule épistolaire archaïque, qu’on trouve dans la lettre de Berezan’ envoyée par Achillodôros à son fils (25 : Ὦ Πρωταγόρη] et dans la lettre d’Hermonassa, envoyée à Aristokratès (52, Ὦριστόκρατες)434. Une épigramme funéraire d’Olbia du Pont, de la première moitié du IVe s., présente le vocatif et la crase Ὠπίκρατες (= ὦ Ἐπίκρατες) (I.dial. Olbia Pont 45). || L’expression ἐπιστέλλ (τοι) apparaît dans quatre autres lettres et semble constituer la première formule épistolaire, précédant le plus tardif χαίρειν : en Attique, les lettres 6 (Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ 434 Le vocatif est également employé dans les lettres sur plomb de Prôtagorès au Mont Živahov (22, nominatif employé comme vocatif) et de Berezan’ (23), ainsi que dans le message attique sur tesson destiné à Eumèlis (3).
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ὑγιαίνν) et 7 (Λῆσις {ις} ἐπιστέλλει Ξενοκλεῖ καὶ τῆι μητρί) ; dans le Pont Nord, les lettres 25 (Ὦ Πρωταγόρη, ὀ πατήρ τοι ἐπιστέλλ) et 52 (Ὠριστόκρατες : ἐπιστέλλ τοι | Κλδικος). || À la place de l’anthroponyme Ἀριστώνυμος435 lu par les premières éditrices, il convient de lire Ἀρεστώνυμος, car la troisième lettre, bien visible sur la photo, est un epsilon. Il doit s’agir, plutôt que d’un nom nouveau qui est pourtant possible (« au nom agréable »)436, d’une altération sporadique de i en e, cf. le phénomène inverse avec la double occurrence de la fermeture sporadique de e en i dans le graffite olbien Κλεαίνιτος μι ἀνέθηκεν (I. dial. Olbia Pont 87, Ve s.)437. || Quant au nom banal Πίστος, on connaissait une occurrence tardive, au Ier s. ap. J.-C., à Panticapée (LGPN IV 280) et, depuis peu, une autre du Ve s., sur un graffite olbien438. L. 2 : la construction accusatif + infinitif est exigée par le verbe ἐπιστέλλ ; ἀποτσασθαι est une forme d’inf. aor. moyen-passif du verbe ἀποτίνω, qui signifie « payer en retour », « recouvrir une dette », « récupérer l’argent ». La forme moyenne-passive n’est pas attestée dans les inscriptions, étant connue seulement des sources littéraires439. || Le nom Σαπασις, attesté pour la première fois, semble de facture iranienne, car il est difficile de voir un rapport avec l’ethnique Σάπαι d’une peuplade thrace de la lointaine Thrace Égéenne440. Pour le suffixe, on peut songer au nom du roi Σκώπασις (Hérodote 4.120 et 128, au VIe s.) et à celui d’Αυασις à Panticapée (CIRB 193, fin du IVe s.). || Le statère d’or441 mentionné devrait être celui en électrum de Cyzique, monnaie qui circulait dans le Pont-Euxin aux VIe–IVe s.442. Les mêmes statères sont mentionnés à Tyras (20, ll. 4–5 : 4 statères) et à Olbia du Pont (26, l. 8 : une belle somme de 27 statères443 ; vraisemblablement 29, ll. 4–5) ; nous allons rencontrer d’autres statères dans la première lettre de Lattara (60, A, ll. 4 et 8). D’après le discours apocryphe attribué à Démosthène, un Cyzicène valait à Panticapée 28 drachmes attiques (C. Phorm. 23). L. 3 : le terme ἀνδράποδον désigne une marchandise bien connue dans le Pont-Euxin444, qui apparaît sous d’autres dénominations dans plusieurs lettres sur plomb et sur tesson (δοῦλος, οἰκιήτης, παῖς, σῶμα, etc. ; cf. p. 378–379) ; le même terme apparaît dans la lettre de Myrmékion (46, A, l. 3 : ἀνδράποτον, sic). Si le sens primaire était celui de « prisonnier de guerre réduit en esclavage » (Homère, Il. 7.475.), comportant une certaine nuance de mépris, il s’est par la suite banalisé au point d’être interchangeable avec les autres termes. || Le nom Σῖμος est banal ; dans le Pont Nord, voir LGPN IV 311. L. 4 : on remarque la crase κἀρακλείδην, qui est également indice de la psilose (= καὶ Ἠρακλείδην), puisque cette non-aspiration des occlusives sourdes en contact témoigne de la débilité de l’aspiration initiale en ionien oriental archaïque445. Le nom banal d’Hèrakleidès (LGPN IV 154–155) apparaît également dans la lettre d’Apatorios à Léanax (26, ll. 1–2 et 6) et dans la possible lettre sur tesson de Chersonèse Taurique plutôt que de Nikonion (*40, l. 1). || On se demande quelle est la somme que devait payer Hèrakleidès, qui représente trois quarts d’une unité monétaire exprimée en argent, sans doute un statère446. L. 5 : le nom Δημῶναξ est bien attesté dans le Pont-Euxin de tradition ionienne (Apollonia du Pont, Tomis, Gorgippia), de même que le féminin Δημώνασσα (Olbia du Pont, Myrmékion)447. || Une tierce (τρίτη) est une unité monétaire connue en pays ionien, qui pouvait signifier le double de ἕκτη (« sixte », monnaie qui vaut un sixième de statère), donc le tiers d’un statère448, en l’occurrence en argent. Ces différentes subdivisions sont rasAttesté dans le Pont Nord dans l’épitaphe de Μάστωρ de Berezan’ (I. dial. Olbia Pont 43, ca. 550) ; LGPN IV 47. À ajouter aux entrées de Bechtel, Personennamen 65 et 225. 437 L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 185. 438 Rusjaeva 2006, p. 130, n° VII.2.7.5 et dessin p. 416, fig. 142.3. 439 Voir les références chez Zavojkina/Pavličenko 2016, p. 233–234 ; Zavoykina/Pavlichenko 2018, p. 42–43. 440 Étienne de Byzance, s. v. Σάπαι. Voir Detschew 1957, p. 421–422 (s. v. Σαπαῖοι). 441 La frappe de statères d’or bosporans ne commence que dans les années 380, sous Leukôn I (cf. Frolova 2004). 442 Mildenberg 1993–1994, 11–12 ; Bresson 2009, p. 78–79 ; Marchetti 2014. 443 Voir Touratsoglou 1999, p. 353. 444 Voir Gavriljuk 2003 ; Avram 2007. Pour les attestions et le sens du mot, voir Zavojkina/Pavličenko 2016, p. 235–243 ; Zavoykina/Pavlichenko 2018, p. 44–45. 445 Sur la psilose dans les inscriptions dialectales d’Olbia du Pont, voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 181–182. 446 Les cités de Panticapée et de Phanagoria frappèrent des monnaies d’argent dès le Ve s. 447 LGPN IV 95 ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 145 ; en Ionie, LGPN V.A 128. 448 Ce terme apparaît dans le texte commercial de Pech Maho (IG France 135, l. 5) et dans deux témoignages du IIIe s. (Hérondas 2.64 ; le décret olbien pour Prôtogénès, IOSPE I² 32 = Syll.3 495, A, ll. 60–61 et 63). Voir Lejeune/Pouilloux/Solier 1988, p. 44, 49–50 ; Lejeune 1991a, p. 327 ; cf. Pébarthe/Delrieux 1989, p. 159. 435 436
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semblées dans une notice d’Hésychios d’Alexandrie, s. v. ἕκτη, τρίτη, τετάρτη (Ε 1718)· νομίσματα ἀργυρίου καὶ χρυσίου καὶ χαλκοῦ. Adresse externe L. 1 : La partie supérieure d’un sigma est bien visible sur cette ligne, où l’on attend le début de l’adresse externe. Il faisait le plus probablement partie du nom du destinataire, au datif, sur deux lignes, suivi de celui de l’expéditeur, au nominatif (avec une inversion par rapport au prescrit, cf. la lettre sur plomb d’Hermonassa, 52). Commentaire : Le site de Garkuši, sur la rive nord du golfe de Taman (rive asiatique du Bosphore Cimmérien)449, a bénéficié de fouilles systématiques qui ont permis de dater sa fondation vers le second quart du VIe s. Cet établissement est ordinairement identifié à Patrasys, forme conventionnelle, alors que le nom ancien est corrompu dans la tradition littéraire (Πάτρασυς ou Πατραεύς ?)450. Il apparaît sous le terme générique de πόλις Ποντική chez Étienne de Byzance, citant Hécatée de Milet (FGrHist 1 F 214), alors qu’au passage vers notre ère Strabon 11.2.8 (C. 494) l’évoque comme étant une κώμη451. Il s’agit sans aucun doute d’une « lettre d’affaires » : Pistos charge Arestônymos de récupérer différents biens, dont un esclave, et diverses sommes d’argent de ses quatre créditeurs, Sapasis, Simos, Hèrakleidès et Dèmônax. Notons que l’ordre des sommes/biens est décroissante : Sapasis Simos Hèrakleidès Dèmônax
un statère d’or et un esclave un demi-statère d’or trois quarts d’argent une tierce d’argent
Si les trois derniers créditeurs, tout comme le commanditaire et le chargé de mission, portent des noms grecs, le premier créditeur porte un nom de facture iranienne, confirmant une fois de plus les échanges et interactions entre les populations habitant les côtes du Pont septentrional. Cette lettre illustre une situation courante, une affaire de comptabilité dont nous ne connaissons pas les détails452, à commencer par le lieu d’expédition : si le destinataire Arestônymos devait démeurer à Patrasys, où se trouvait alors Pistos, parmi les nombreux sites urbains et commerciaux des deux rives du Bosphore Cimmérien ? Nous ignorons la nature exacte des relations entre Pistos et Arestônymos (était-il son homme de confiance ou son agent ?), à qui le premier enjoint de récupérer sans doute des dettes, ni pourquoi les quatre personnes devaient s’acquitter des diverses sommes et biens, ni même si ces sommes étaient réellement dues. On ne connaît pas non plus la suite des événements. Ce type de précisions commerciales n’est pas isolé dans la documentation du nord de la mer Noire. L’hektè apparaît, avec une autre unité monétaire typiquement lydo-ionienne, l’hèmihekton, sur un graffite commercial de Berezan’ de la première moitié du VIe s.453, ainsi que dans la lettre olbienne « de la caisse de la mère » (29, l. 5). Dans le voisinage de Patrasys, à Phanagoria, un autre graffito commercial du Ve ou IVe s., sur l’anse d’une amphore, mentionne le prix du médimne (de blé ?), qui est celui d’un τριημίε[κτον]454. Enfin, un graffite de 9 lignes provenant d’un site de la partie européenne du Bosphore Cimmérien (Zènônos Chersonèsos ?, près
449 Pour cet espace, constitué dans l’antiquité d’une grande île et de trois ou quatre îlots associés, et concerné par une forte implantation rurale, voir Müller 2010, p. 106–108 et 151–155. 450 Cette forme est consacrée depuis la correction de Carl Müller en Πάτρασυς, bien qu’un papyrus de Strabon porte πατραευ[ et que ses mss. s’accordent pour πατραεύς (voir l’édition récente de St. Radt). 451 Abramov/Zavoykin 2003, p. 1103–1133 (A. P. Abramov) ; Zavojkin 2011, p. 70–71. 452 Pour d’autres témoignages épigraphiques fournis par ce site, certains en rapport avec le commerce, voir Zavojkina 2014. 453 I. dial. Olbia Pont 36, avec le comm. de L. Dubois (sommes d’argent versées ou des quantités mesurées ?). Voir aussi le terme ἡμιοκτάνιον, présent sur le plomb de Pech Maho (IG France 135, ll. 3–4, 12) et ὀκτάνον, mot nouveau dérivé d’ὀκτώ avec le suffixe -ανο-, dans les deux lettres sur plomb de Lattara (60 et 61). 454 Vinogradov 1997a, p. 503 n. 13 (SEG XLVII 1195) ; Müller 2010, p. 229 et 364–365, n° 6 ; A. Agafonov, dans Pantikapej i Fanagorija, 2017, p. 339–340, n° 258 (et photo).
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du Cap Zjuk), de la fin du Ve s., offre un parallèle saisissant pour notre lettre. Il s’agit d’une liste de personnes portant des noms grecs et iraniens – pour ces derniers, la lecture et la restitution ne sont cependant pas assurées455 – , avec les précisions suivantes456 :
Τιμησ[ιάναξ ---] Ναοκα[σης ---] Ταργ[ή]λιος ἡμιτέταρτον Αθης τρς ΤΕͲΟΣ Φιατας ἡμιτέταρτον [Νυ]μφαγόρης τρς ΤΕͲΟΣ [Σ]παροπαδης ἕκτην ΤΕͲΟΝ Ναοκασης ἥμισυ [ἡ]μίεκτον [Α]γγανθης τρς ΤΕͲΟΣ.
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Fig. 127. Graffite du Bosphore Cimmérien.
Selon l’analyse de Jurij G. Vinogradov, la mention de l’ἕκτη parmi les chiffres des totaux invite à reconnaître un récapitulatif des sommes d’argent que l’auteur du graffite avait prêtées à plusieurs personnes, en notant des unités et des fractions de statères (plutôt que de drachmes). Le terme le plus étonnant est noté à chaque fois avec un sampi : Vinogradov propose de comprendre les acc. τρς τεͲς et ἕκτην τεͲόν, et explique ce terme hapax comme étant vraisemblablement formé sur le verbe τίνω – futur et aor. τείσω, ἔτεισα –, « tout ce qui sera ou bien est déjà payé ». L’épigraphiste russe y voyait un témoignage précieux sur la circulation des monnaies de Cyzique (ou du Bosphore Cimmérien ?) parmi les populations du nord de la mer Noire457. Plus récemment, Laurent Dubois propose de voir dans τέͲος une variante dialectale de τόσσος, τόσος et comprend son emploi dans ce document comptable (bordereau privé ?) comme ayant le sens récapitulatif de « et c’est tout » ; l’adjectif τέͲος serait tantôt accordé à l’acc. pl. après la somme de trois statères (τρς τέͲς), tantôt employé au neutre après la mention de l’hektè (ἕκτην τέͲον)458. Dans cette comptabilité sur la paroi d’une amphore, nous retrouvons en effet les mêmes éléments que dans la lettre de Pistos : une liste de débiteurs, un mélange de noms grecs et indigènes, avec des notations d’unités et de fractions monétaires. Il nous est désormais permis d’affirmer que la lettre sur plomb de Patrasys témoigne d’une monétarisation évidente des échanges459. La monnaie-étalon est vraisemblablement celle qui circulait dans la région, le Cyzicène, qui apparaît ici avec des subdivisions connues pour un autre espace colonisé par les Ioniens, le sud de la Gaule et le nord-est de l’Espagne. En effet, les statères d’électrum de Cyzique et des fractions de statères sont régulièrement présents dans les trésors de la région nord-pontique, comme à Orlovka (au nord du Delta du Danube), Olbia du Pont et, plus récemment, Myrmékion460. Néanmoins, il ne faut pas oublier
Lectures divergentes chez les premiers éditeurs, Ju. G. Vinogradov (BÉ, 1990, 593) et S. R. Tohtas’jev (pour LGPN IV). Deux fragments inscrits de ce grand tesson sont perdus. 456 Quatre fragments d’amphore jointifs, publiés pour la première fois par Blavackaja/Rozov 1985, p. 117–137 (dessin p. 118) (SEG XL 643). Voir aussi Maslennikov 2007, p. 864 (photo p. 893, fig. 8) ; Saprykin/Maslennikov 2007, p. 132–135, n° 694 (dessin p. 284) ; Blavackaja 2011 (ph. p. 49, fig. 1). 457 Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1990, 593 ; Vinogradov 1997a, p. 15 n. 57. 458 Dubois 2017a, p. 218–219. 459 Pour les échanges monétaires dans le Pont Nord, voir les considérations récentes de Müller 2010, p. 216–217 et 226–233. 460 Šelov 1949 ; à titre d’exemple, voir Butyagin/Chistov 2006 (trésor du sanctuaire de Déméter, enfoui vers 375–350, avec une centaine de Cyzicènes, la plupart du Ve s.). 455
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les émissions locales d’argent, à partir du milieu du VIe s. (Panticapée), 440 (Nymphaion) et 400 (Théodosia et Phanagoria), avec une forte prédominance des petites fractions (dioboles, hémioboles, tetartèmoria), utiles pour les transactions quotidiennes461. Un exemple légèrement différent est connu depuis peu : un graffite incisé d’une manière assez élégante sur un grand tesson d’amphore (12,5 × 10,3 cm), de la première moitié du IVe s., qui a été découvert à Phanagoria462. Il comporte trois idionymes suivis d’un chiffre en notation acrophonique ionienne463 (mais certains chiffres sont trop abîmés pour avoir la certitude de la lecture) :
Ατοτης ΕΕΡΔΠ Νευμηνί ΕΕΡΔΔΔΔ Διονυστράτ ΕΕΡ[Δ?]ΔΔ.
4
Fig. 128. Fac-similé du graffite de Phanagoria.
« (D’)Atotès 265, de Neumènios 290, de Dionystratos 280 (?)464 ». Ce document comptable sur tesson donne ainsi les noms de trois individus, suivis de montants assez similaires. Enfin, un autre témoignage de ces pratiques qui devaient être courantes aussi bien sur plomb que sur des supports céramiques465 – bien qu’elles soient peu documentées jusqu’à présent –, est offert par un graffite de Panticapée, gravé sur la lèvre d’une coupe attique à vernis noir (ca. 550–475). Il s’agit d’une véritable « reconnaissance de dette » qui précise : Ἰπικράτης : ἀναιρῖται : στατῆ|ρας : πεντήκοντα. « Ipikratès (= Épikratès) a emporté/reçu cinquante statères »466.
Voir Frolova 2004 (avec le c.r. de Fr. de Callataÿ, RBN, 151, 2005, p. 261–263). N. V. Zavojkina, dans Pantikapej i Fanagorija, 2017, p. 340, n° 259 (et ph.) ; Zavojkina 2017 ; Zavojkina 2018 (ph. et dessin p. 255, fig. 1) (cf. aussi A. Avram, BÉ, 2019, 350). Selon l’éditrice, il s’agirait de débiteurs, leur nom étant suivi à chaque fois d’une abréviation εεο ‒ qu’elle développe dans la première publication ἑ(πτὰ) ἑ(κτέων) ὀ(ροβῶν), et dans la dernière en ε(ἷς), ε(ἷς) ὀ(βολός) ‒, et d’une somme en drachmes ou en oboloi. Le nom de la troisième personne est reconstitué Διονῦ Στρατό[νικου?]/ [Σ]τρατό[κλō?] par l’éditrice, comme s’il était suivi d’un patronyme. Pourtant, un tel génitif est impossible pour le nom Διονῦς, alors que les deux autres personnes ne sont identifiées que par leur idionyme. Le texte donné dans le dernier article est le suivant : Ἀτότης EEOΔΠ | vac. ΔΔΔΔ | Νευμήνιō EОП | Διονῦ [Σ]τρατό[κλō?] | EE[Ο Δ]ΔΔ ; et la trad. angl. : « Atotes – one, one o(bolos), 15 (oboloi) ; from Neumenios – one o(bolos), five (oboloi), forty (oboloi) ; from Dionys, the son of Strato(nikos?) – one, one (obolos), thirty (oboloi) ». 463 Cf. le comm. de L. Dubois pour I. dial. Olbia Pont 37 (tesson trouvé à Siversov Majak, dans le territoire d’Olbia du Pont, IV–IIIe s. ; cf. aussi SEG XLVIII 1015), un document comptable comportant quatre lignes de chiffres : ΕΕΕΕΡΔ𐅁ΙΙΙΙ Ⲻ = 469 ΕΔΔΔ𐅁 𐄁 = 135 ΡΔΔΔΔ𐅁 𐄁 ΡΔ Ⲻ = 95, 60 ΕΡΔΔΔΙΙΙ = 183. 464 Le chiffre noté à la fin de la l. 1 avant ΔΠ serait, plutôt qu’un omikron carré (très différent des autres) difficile à expliquer, une sorte de rhô plus archaique, symbole de « 50 ». Le graffite du territoire olbien présente pour ce chiffre un signe à la forme d’un rhô, qui n’est que la combinaison d’un pi et d’un delta. 465 Parmi les nombreux graffites grecs de Vetren, deux lignes bien gravées sur un tesson d’amphore panathénaïque à figures noires signalent un salaire journalier, en dialecte ionien : Ἀθηναγόρης | ἡμέρης μισθόν (fin du Ve s.). Voir Domaradzka 2002b, p. 214, n° 1 (dessin p. 211, fig. 9.1) (SEG LII 710.1 ; cf. L. Dubois, BÉ, 2005, 370). 466 A. V. Agafonov, dans Tolstikov/Žuravlev/Lomtadze 2004, p. 348–349 (ph. et dessin p. 365, fig. 1) (SEG LXI 655 ; cf. A. Avram, BÉ, 2009, 386) ; Tohtas’ev 2011, p. 675–676 ; Pavlichenko/Kashaev 2012, p. 238 n. 51 ; A. V. Agafonov, dans Pantikapej i 461
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49. Billet sur plomb concernant l’esclave Phaullès (Phanagoria)
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49. Billet sur plomb concernant l’esclave Phaullès (Phanagoria)
49. Billet sur plomb concernant l’esclave Phaullès (Phanagoria) Découverte, contexte : fine lamelle de plomb enroulée quatre fois, trouvée par hasard en 1992 par un habitant du village de Sennaja, sur l’acropole de Phanagoria. La plaquette a été acquise par la mission archéologique de Phanagoria (Institut d’Archéologie de l’Académie Russe des Sciences, Moscou), puis le plomb a été désoxydé dans les laboratoires du Musée de l’Ermitage. Support, mise en page : lamelle de forme rectangulaire (3,4 × 7 cm ; ép. 0,05 cm), qui présente quatre plis donc cinq volets ; la partie gauche est très affectée par la corrosion, ainsi que des parties des bords supérieur et inférieur. Selon Ju. G. Vinogradov, la lamelle aurait été enroulée de droite à gauche, l’écriture à l’extérieur. Le bord supérieur est lisse et on n’aperçoit pas de traces de lettres au-dessus de la première ligne, ce qui prouve qu’on détient le début de la lettre ; en revanche, le bord inférieur est cranté car le plomb a été déchiré et la dernière ligne est très fragmentaire, à l’exception de sa fin. À droite, une ligne verticale marque soit l’endroit où le plomb a été coupé d’un morceau plus long, soit le cadre de l’écriture, comme on peut le constater pour les lettres sur plomb d’Achillodôros de Berezan’ (25), de la « caisse de la mère » d’Olbia du Pont (29), de Nymphaion (42) ou celle de Klédikos d’Hermonassa (52). Non seulement le cadre a été respecté, mais un espace est laissé libre aussi bien à droite qu’à gauche, au début et à la fin de chaque ligne : ainsi, bien que l’extrémité gauche se soit partiellement détachée, la quasi-totalité du texte a été conservée. Les mots sont presque toujours séparés par un signe d’interponction, sous forme de deux points superposés (:) ; on en compte au moins six dans ce document. 6 lignes de texte ; les mots – en général deux par ligne – ne sont jamais coupés en fin de ligne ; lignes assez espacées, de 0,3 à 0,4 cm. Le cercle du premier omikron de la l. 3 et la barre d’un alpha (l. 4) ont été regravés. Dialecte : ionien oriental. Forme verbale ionienne ἐπρήθη (l. 3) ; pronom ionien ἐωυτό (l. 5). Paléographie : lettres profondément gravées ; ht. des lettres : 0,4–0,6 cm. En l’absence du contexte archéologique, seule la forme des lettres peut aider à dater le document : alpha toujours à barre oblique () ; bêta et pi à boucles angulaires ; epsilon avec les hastes horizontales inégales et penchées vers le bas à droite ; thêta pointé ; my avec des hastes écartées ; ny asymétrique avec la haste droite plus haute que la gauche et toujours penché à droite () ; omikron tracé en deux temps ; sigma irrégulier à branches écartées ; upsilon sans haste verticale () ; phi à grand cercle ; ômega écrit en deux mouvements avec des hastes ondulées. L’omikron est gravée en deux ou plusieurs temps (cf. l. 3). L’écriture semble indiquer la seconde moitié du VIe s. (ca. 530–510, selon Vinogradov ; première moitié du Ve s. ou premières décennies de ce siècle, selon Bravo). Date : ca. 550–500. Conservation : collection privée. Éditions : Vinogradov 1998, p. 160–163, n° 3 (avec trad. angl.) (= SEG XLVIII 1024) ; Vinogradov 1999a, p. 140–141 (avec trad. all.) ; Dana 2007a, p. 87–88, n° 12 (avec trad. fr.) ; Bravo 2013, p. 64–68, n° I (avec trad. it.) [cf. SEG LXIII 628 ; cf. Belousov, EpPont, 2013, n° 22 (Aristeas, 10, 2014, p. 334–335) ; cf. A. Avram, BÉ, 2015, 543] ; Ceccarelli 2013, p. 337–338, n° 4 (avec trad. angl.). Bibliographie : Vinogradov 1999a, p. 137–138 ; Heinen 2001, p. 492 (= Heinen 2006a, p. 525) ; Braund 2002, p. 83–84 ; Cojocaru 2004a, p. 365, n° 89 ; Avram 2007, p. 239–240 ; Tsetskhladze 2009, p. 342 (avec trad. angl.) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 38–39 et 57 (E11) ; Ivančik 2010, p. 370 ; Kuznecov 2010, p. 463 (avec trad. russe) ; Tokhtasev 2010, p. 103, n° 1 (avec trad. all.) ; Müller 2010, p. 195, 212 ; Braund 2011, p. 129 ; Kuznetsov 2011, p. 41 (avec trad. all.) ; Avram, PPEE, 2013, p. 229, n° 2602 ; Ceccarelli 2013, p. 39–40 ; Zavojkina 2013, p. 282–283, n° 127 ; Decourt 2014, p. 40 et 62, n° 41 (avec trad. fr.) ; Zavojkina 2015, p. 139 (avec trad. russe) [= Zavoikina 2016, p. 135 (avec trad. angl.)] ; Dana 2016, p. 104–105 ; Fischer 2016, p. 54 (avec trad. all.) ; Twardecki 2016, p. 31 et n. 2 (avec trad. angl.) ; Avram 2020, p. 40–41 ; Parmenter 2020, p. 57–58 (avec trad. angl.) et 84. Illustrations : Vinogradov 1998, p. 176, fig. 3 (ph. et dessin) ; Dana 2007a, p. 88 (dessin) ; Tsetskhladze 2009, p. 342, fig. 17.6 (dessin) ; Zavojkina 2013, p. 283, fig. 10 (ph.) ; Decourt 2014, p. 78, fig. 22 (dessin) ; Zavojkina 2015, p. 138 (ph.) ; Zavoikina 2016, p. 134 (ph.). Note sur l’édition : l’édition de Vinogradov (1998, 1999) a été reprise dans le SEG, par Dana (2007) et Ceccarelli (2013) ; lectures et restitutions fautives aux ll. 5–6 de Bravo (2013), d’après une photo envoyée par S. R. Tohtas’ev. J’ai eu accès à une photo de très bonne qualité, qui m’a permis d’établir le fac-similé et d’améliorer la lecture du document. Étant donné la présence de traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Fanagorija, 2017, p. 306, n° 185 (et ph.). Comme dans d’autres textes du nord de la mer Noire, y compris des lettres privées, on remarque ici la fermeture sporadique du e en i, par deux fois.
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4 Fig. 129. Photo de la lamelle (Pl. XII).
Ὀ παῖς : οὖτος vac. ἐ Βορυσθένεος ἐπρήθη : ὄνομα : αὐτῶι : Φαΰλλης ἐωυτὸ : θέλομεν : [.]+[.(.)]++Λ/Δ[.]σθαι. vac.
4 Φαΰλλης Vinogradov : Φαϋλλῆς Bravo || 5 ΕΩΥΤΟ plumbum : πάντα Vin. : π[ά]ντω[ς] Br. || 6 [χρῆ? ἀπο]δ[όσ]θαι Vin. : [5–6]δ?[..]θαι… Tohtas’ev : ἀπ[οδόσ]θαι Br.
Fig. 130. Fac-similé de la lamelle.
Cet esclave-ci a fait l’objet d’une vente dans la région de Borysthène ; son nom est Phaullès. Nous souhaitons que cela soit [---]. L. 1 : παῖς, terme qui désigne fréquemment les esclaves (voir lettres 2, 20 et 23, comm.). L. 2 : dans la séquence ἐ Βορυσθένεος, on ne saurait expliquer la chute du κ si l’on devait avoir ici ἐκ Βορυσθένεος, comme le supposait Ju. Vinogradov. La seule lettre susceptible de s’amenuiser et de ne plus être notée suite à l’assimilation est μ (ἐμ [= ἐν] Βορυσθένεος)467. On peut donc penser à un génitif-locatif468, qui désigne la région entourant l’embouchure du fleuve Borysthène (auj. Dniepr), y compris la cité d’Olbia ; le gén. sg. Βορυσθένεος est de type ionien. Borysthène était par ailleurs l’exonyme d’Olbia du Pont469. L. 3 : ἐπρήθη, aor. passif ionien. Vinogradov traduit « was exported for sale (from Borysthenes) ». Il faut plutôt lui donner le sens « être acheté (dans le but de la vente) dans la région de Borysthène ». L. 4 : Φαΰλλης, avec gémination expressive, est un nom nouveau (LGPN IV 341), à rattacher aux noms en Φαο-, -φάης, dérivés de φά(ϝ)ος, « lumière »470. Il représente un renouvellement de l’hypocoristique fréquent Φαΰλλος, avec la substitution plutôt rare de -ης à -ος. L. 5 : il faut lire sans l’ombre d’un doute ΕΩΥΤΟ à la place du mot πάντα proposé par Vinogradov ou de π[ά]ντω[ς] par B. Bravo. Il s’agit du pronom typiquement ionien, au gén. sg. ἐωυτοῦ < ἑο αὐτοῦ471. On peut comprendre soit une forme de génitif avec la graphie ionienne (ου noté par ο), cf. dans la loi cultuelle des Molpes de Milet καὶ οἴν φορὴ ἐς τὰ ψυκτήρια τέλεσι τοῖς ἐωυτ472, soit, ce qui semble plus approprié dans ce 467 L’hypothèse d’Albio Cesare Cassio, rapportée par Bravo 2013, p. 64, selon lequel nous avons ici la graphie simplifiée d’une séquence prononcée par le scribe ἐββορυσθένεος, s’explique mieux par l’assimilation des deux labiales μ et β que par l’agglutination entre l’occlusive κ et la labiale β. 468 Cf. Dubois, Dialecte arcadien, I, p. 216 : le génitif-partitif à sens locatif peut être précédé de ἐν dans des expressions comme ἐν Αἵδος/-ου ; ἐν + démotique au gén. pl. à Athènes (ἐν Μυρρινούντων) ; ἐν Γαιαϝόχ en Laconie (IG V.1 213 et passim). 469 Pour le rapport entre Borysthène et Olbia, voir Müller 2010, p. 48–49 ; Bravo 2011b, p. 110–112 (sur le débat concernant Ὀλβίη πόλις et Βορυσθένης). 470 Cf. Bechtel, Personennamen 435. Pour ces noms, voir Masson, OGS, III, p. 243–248, en partic. 247 ; cf. aussi Masson, OGS, II, p. 434. Je ne suis pas Bravo 2013, p. 64–65), qui propose de l’accentuer comme un périspomène avec le thème en -η (< -ᾱ), donc Φαϋλλῆς, par analogie avec l’ion. Θαλῆς, acc. Θαλῆν. 471 Bechtel, GD, III, p. 166, § 154. 472 I. Milet I.3 133, l. 44.
50. Lettre sur tesson de Polémarchos à Hègèsagorès (Phanagoria)
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contexte, le neutre acc. sg. ἐωυτό : le verbe θέλω exige en effet une construction du type accusativus cum infinitivo. Ce neutre s’expliquerait par la présence chez Hérodote (3.155) des pronoms masc. sg. construits sur le modèle du génitif ἑμέο αὐτοῦ : ἑμεωυτόν, σεωυτόν. L. 6 : [---]σθαι, une forme d’inf. moyen-passif, fréquente dans les instructions épistolaires. Commentaire : Ce texte sur plomb fut trouvé à Phanagoria, cité fondée dans la partie asiatique du Bosphore Cimmérien, vers 545–540, par des colons de la cité ionienne de Téos ; selon Arrien, FGrHist 156 F 71, elle aurait porté le nom de son œciste, Phanagoras473. Le message, très bref, débute par une indication deictique474 et concerne l’acquisition d’un esclave du nom de Phaullès dans la région de Borysthène, donc à Olbia du Pont. Ce nom dérivé du mot « lumière » semble inapproprié pour un esclave, estime B. Bravo ; il se demandait même s’il n’était pas né homme libre475. Remarquons simplement que l’onomastique n’est pas toujours significative des origines serviles ou aristocratiques des Anciens476. Le billet qui fait office d’étiquette accompagnée d’une instruction finale précise uniquement qu’il s’agit d’un esclave ayant fait l’objet d’une transaction, et dont le statut antérieur reste inconnu. Le sens de la dernière phrase reste obscur, avec une instruction, car nous ne connaissons pas tous les détails de l’affaire. Le destinataire de l’envoi, comprenant à la fois l’esclave et le message qui l’accompagnait, n’est pas mentionné, bien qu’il dût être connu par le porteur du message. On ne saurait se prononcer ni sur le statut du celui qui portait le message, ni sur celui du destinataire477. Ce dernier se trouvait sans doute à Phanagoria, où la lettre a été trouvée et où l’esclave devait être remis. L’esclave a donc voyagé depuis la cité fondée par les Milésiens aux bouches du fleuve Borysthène jusqu’à Phanagoria, placée sur la rive est du Bosphore Cimmérien, sur le marché de laquelle Phaullès était censé être vendu. Ce document sur plomb est un témoignage précieux de la redistribution des esclaves dans le monde grec, que ce soit à une échelle régionale, comme ici en contexte nord-pontique, ou sur des espaces plus étendus478.
50. Lettre sur tesson de Polémarchos à Hègèsagorès (Phanagoria)
50. Lettre sur tesson de Polémarchos à Hègèsagorès (Phanagoria) Découverte, contexte : découverte en 1962, lors des fouilles de M. M. Kobylina d’un pavement du IVe s. à Phanagoria. Support, mise en page : tesson de la partie inférieure d’une amphore à fine pâte rouge micacée (10 × 12 cm ; ép. non indiquée) ; originairement rectangulaire, il est cassé dans la partie inférieure et légèrement au coin supérieur gauche ainsi qu’au bord droit. Au moins 6 lignes de texte, dont la dernière est très abîmée. Coupe syllabique, à l’exception des ll. 3 et 5. Petit espace entre les noms de l’expéditeur et du destinataire. On remarque une correction du graveur, à la l. 3 : pi corrigé en lambda. Dialecte : ionien oriental, d’après la graphie du nom du destinataire (ll. 2–3 : Ἡγησαγόρῃ) et l’acc. pl. τς (l. 5). Paléographie : lettres incisées de manière irrégulière, avec quelques gribouillages, parfois trop légèrement et à peine visibles (ainsi à la l. 5) ; en outre, la moitié inférieure du tesson est plus effacée et présente des accidents ; les caractères sont de dimensions variables (ht. des lettres : 0,5–1,1 cm) et leur taille diminue aux dernières lignes. Lettres remarquables : epsi473 Sur cette cité, voir Kuznetsov 2003, p. 897–921 ; Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 950–951, n° 702 ; Müller 2010, p. 25–26 ; Kuznetsov 2011, p. 11–49 ; le catalogue Pantikapej i Fanagorija (2017). 474 Ceccarelli 2013, p. 39–40. 475 Bravo 2013, p. 65. 476 Pour d’autres réserves par rapport aux hypothèses de Bravo, voir le comm. à la lettre de Klédikos d’Hermonassa (51). Il suffit de citer une observation importante d’O. Masson (OGS, II, p. 542) : « Tous les noms composés ne sont pas nécessairement ‹aristocratiques› ; à l’inverse, des surnoms ou sobriquets, parfois très péjoratifs dans leur étymologie, ont été usuels depuis une haute époque ». 477 Bravo 2013, p. 67–68, établit une hiérarchie entre le porteur du message, qui devait être un subalterne et non pas un collaborateur de l’expéditeur – sinon ce dernier n’aurait pas écrit le billet mais lui aurait confié des instructions orales à transmettre de vive voix – et le destinataire, qui aurait eu des fonctions plus élevées (administrateur des affaires de l’expéditeur). En réalité, le texte ne donne aucun indice d’ordre social sur le porteur du billet, le destinataire et le propriétaire de l’esclave. 478 Cf. Avram 2020, p. 40–41. Un fameux passage de Strabon 11.2.3 (= C. 493) décrit Tanaïs, au nord de la Méotide (mer d’Azov), comme un important point d’échange entre les Grecs et les populations nord-pontiques (esclaves, peaux, etc.).
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lon avec les hastes horizontales droites ; thêta pointé ; ny asymétrique ; omikron de dimensions variables, dont une fois très petit (l. 4 : 0,3 cm) ; pi avec la haste verticale droite légèrement plus courte ; sigma à quatre branches ; ômega « chapeau de gendarme ». Date : ca. 400. Conservation : Musée-Réserve Historico-Archéologique d’État de Phanagoria (sans n° d’inv.). Éditions : Emec 2012, p. 194, n° 649 ; Zavoykina 2019 (avec trad. angl.) (cf. A. Avram, BÉ, 2020, 295). Bibliographie : Kobylina 1963, p. 16–17 (non vidi). Illustrations : Emec 2012, p. 391 (dessin) ; Zavoykina 2019, p. 429, fig. 1–2 (ph. et dessin). Note sur l’édition : ce document m’a été signalé par Victor Cojocaru, avant sa publication dans un recueil collectif, puis des photos et des renseignements m’ont été envoyés par Natalija V. Zavojkina, l’éditrice du tesson, qui m’a donné la permission d’en faire état dans mon corpus.
Fig. 131. Photo du tesson (Pl. XIII).
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Fig. 132. Fac-similé du tesson.
Πολέμαρχος v Ἡγησαγόρῃ· παραλαβὼν Ἀθηνόδωρον ἀγόρασον τς φακ[ς? ca. 1–2]++++ΥΣ vac. [----------------- ?].
1 Ἡγησαγόρη(ς) Emec || 3 ΠΑΡΑΛΑΒ ex ΠΑΡΑΠΑΒ ostracon : παράπαν Kobylina || 3–6 Παῖαλα|ων Ἀθην(ο)δώρου | Αγ[---]σοντος | [------------]ης Emec || 2–7 παραπλά[γ]|ων Ἀθηνόδωρον | Ἀγύας [ὄ]ντōς ια|[---]ς vac. Zavoykina (ἴα|[ψεν λόγοι?]ς prop.)
Polémarchos à Hègèsagorès : emmenant avec toi Athènodôros, achète des lentilles (?) [---]. L. 1–3 : On reconnaît une formule épistolaire réduite au nom de l’expéditeur au nominatif et du destinataire au datif, qu’on a déjà rencontré dans la lettre sur tesson de Kerkinitis, vers la même époque (38, l. 1 : Ἀπατριος Νεομηνίωι). || L’expéditeur Πολέμαρχος porte un nom banal dans le monde grec, même s’il n’était attesté qu’une seule fois au nord de la mer Noire, à Hermonassa (CIRB 1059, Ve–IVe s.). En revanche, le beau nom Ἡγησαγόρης, en graphie dialectale, est, avec sa famille, bien attesté sur la côte ouest de la mer Noire, à Apollonia du Pont (IGBulg I² 452) et en particulier à Istros (LGPN IV 149, 13 occurrences). Au nord de la mer Noire, il n’était pourtant attesté qu’une seule fois, dans une defixio du milieu du IVe s. (I. dial. Olbia Pont 106 = DefOlb
51. Lettre sur tesson d’une femme à Apollas (Vyšesteblievskaja 3, chôra de Phanagoria)
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15). Dans le datif Ἡγησαγόρῃ, on constate l’amuïssement du second élément de la diphtongue à premier élément long -ηι479. L. 3–4 : après avoir écrit ΠΑΡΑ, le graveur a tracé par erreur un autre pi, avant de se réviser et de noter par-dessus un lambda ; à la fin de la ligne, la lettre affectée par un éclat du tesson est sans doute un bêta. L. 4 : Ἀθηνόδωρος, nom théophore très répandu, y compris au nord du Pont-Euxin (LGPN IV 9–10). L. 5–6 : le complément d’objet direct du verbe à l’impératif aor. IIe pers. sg. ἀγόρασον pourrait être, si on lit en dernière position un iota, soit un seul objet (acc. sg. neutre), τὸ σφαι|[---], soit plusieurs objets (acc. pl. masc.), en graphie dialectale, τς φαι|[---]. Cependant, étant donné la rareté des termes en σφαιρ-, et si l’on considère que la dernière lettre est un kappa affecté par la cassure, on peut restituer un mot désignant des denrées alimentaires, τς φακ|[ς?] (cf. les produits mentionnés dans la lettre sur tesson de Gorgippia, 54). Il convient de noter ici la mention d’une soupe de lentilles (φακῆ) dans une recette sur tesson provenant de Panticapée (du IVe s.), appartennant à un certain Prôtiôn, avec quelques produits au génitif : τρωγαλίων (fruits secs), φακῆς (soupe de lentilles), κρεῶν (viandes), ζωμοῦ (bouillon), πτισάνης (tisane d’orge)480. || On ignore si le texte continuait après la l. 6, très abîmée. Commentaire : Ce texte, considéré une defixio par M. M. Kobylina, ou encore le début d’une liste de noms à caractère inconnu par I. A. Emec, a été correctement identifié comme une lettre privée par N. V. Zavojkina. La formule épistolaire est réduite aux seuls noms de l’expéditeur et du destinataire, en raison du peu d’espace offert par le support céramique481, choisi à dessein pour l’envoi d’un bref message. Il s’agit d’une lettre d’instructions concernant un achat de lentilles (?) qui devait être effectué par le destinataire Hègèsagorès en association avec un certain Athènodôros, dont nous ignorons le statut. L’état très abîmé de la partie inférieure du tesson empêche de connaître la suite des instructions en rapport avec la transaction conseillée.
51. Lettre sur tesson d’une femme à Apollas (Vyšesteblievskaja 3, chôra de Phanagoria) 51. Lettre sur tesson d’une femme à Apollas (Vyšesteblievskaja 3, chôra de Phanagoria)
Découverte, contexte : tesson découvert pendant l’été 2013 lors de fouilles préventives de l’Institut d’Histoire de la Culture Matérielle de Saint-Pétersbourg, à l’occasion de la construction de la station de voie ferrée Vyšesteblievskaja, dans le territoire rural de l’antique Phanagoria. Les trouvailles céramiques du site, à savoir des fragments d’amphores de différents centres de productions (Thasos, Héraclée du Pont, Sinope, Chersonèse Taurique, Rhodes, Chios, Lesbos) et de petits fragments de céramiques attiques, s’échelonnent entre la fin du VIe s. et le Ier s. Le tesson inscrit fut trouvé dans une couche du gazon d’un fossé avec des restes céramiques, datables entre la seconde moitié du Ve s. et le milieu du IIIe s. Support, mise en page : ce fragment atypique d’amphore, sans doute du cercle thasien (8 × 7,5 cm ; ép. non indiquée), n’est pas complet : il manque la partie supérieure gauche et un petit morceau en haut à droite ; il devait avoir à l’origine une forme triangulaire ou bien pentagonale. L’espace près du bord gauche du tesson semble avoir été gratté de manière intentionnelle avec un instrument à bout plat afin de l’uniformiser. L’écriture devait aller jusqu’au bord de cette superficie, avant que le tesson ne soit brisé à cet endroit. Seul le quart supérieur de la superficie du tesson, qui semble avoir été taillé ad hoc, a été utilisé pour y inscrire quatre lignes, dont la dernière ne comportait que quelques lettres, à peine lisibles en raison du mauvais état du tesson à cet endroit. Coupe syllabique des mots en fin de ligne (ll. 1–3). L’écriture suit le bord légèrement incurvé du tesson. Dialecte : la brièveté du texte, de surcroît fragmentaire, ne permet pas de conclure sur son éventuel caractère dialectal (ionien oriental), qui est toutefois suggéré par la désinence du nom de l’expéditrice, [---]τη (l. 1). Paléographie : lettres bien gravées, de taille inégale ; ht. des lettres : 0,2–0,5 cm. La lettre la plus notable est le sigma lunaire « cassé » au milieu, qui ne présente pas la forme arrondie habituelle ; l’ômega est petit, avec les hastes horizontales parfaitement alignées, similaire à celui qui apparaît sur l’ostrakon de Gorgippia (54, ca. 350–325) ; le pi a la haste verticale droite 479 L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, Appendice grammatical, p. 186, § 7 ; cf. κἀναξαγόρῃ et τῇ γυναικί dans la « lettre d’Achillodôros » de Berezan’ (25, ll. 10 et 11), ainsi que [---]νοθέτῃ et τῇ Χαλκήνῃ dans la « lettre du prêtre » d’Olbia du Pont (28, ll. 1 et 5). 480 Voir Jordan 1978b (SEG XXVIII 663 ; cf. J. et L. Robert, BÉ, 1978, 343). 481 Pour un aperçu des graffites sur céramique de Phanagoria (abécédaires, marques de propriété, notations commerciales), voir Zavojkina 2015 (= Zavoikina 2016) ; plusieurs exemples sont repris dans le catalogue Pantikapej i Fanagorija (2017).
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nettement plus courte que la gauche à la l. 1, alors que la différence est moins marquée aux lignes suivantes ; les hastes des lettres triangulaires (alpha, lambda) sont légèrement recourbées vers l’extérieur ; l’epsilon présente des hastes parallèles mais de dimensions variables. Tous ces éléments, ainsi que la formule épistolaire, portent à croire que l’écriture ne peut pas être antérieure au IVe s. Date : ca. 350–300. Conservation : Complexe muséal de Taman. Éditions : Kashaev/Pavlichenko 2015 (avec trad. angl.) (SEG LXV 631) [cf. Belousov, EpPont, 2015, n° 32 (Aristeas, 14, 2016, p. 270) ; cf. A. Avram, BÉ, 2016, 365] ; Kašaev/Pavličenko 2016 (avec trad. russe) [cf. Belousov, EpPont, 2016, n° 30 (Aristeas, 17, 2018, p. 126)]. Bibliographie : Kašaev/Pavličenko 2014. Illustrations : Kashaev/Pavlichenko 2015, fig. 5 (ph. recto et verso) et 6 (dessin) ; Kašaev/Pavličenko 2016, p. 31, fig. 7 (ph. recto et verso) et p. 32, fig. 8 (dessin). Note sur l’édition : édition soignée de Kašaev et Pavličenko (2015, 2016), avec les suggestions d’Avram (2016). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé un cliché de bonne qualité.
Fig. 134. Fac-similé du tesson.
4
[---ca. 6–7---]τη Ἀπολλᾶι χαί[ρε][ιν· ἄρ?]ουραι ὅρωι μὴ ἀποπερά[σηι· -]ς μὴ ἀποπεράσηι vac. [-ca. 3–4-]εσι. vac. vac.
1 [Δημητρ?]ίη Kashaev/Pavlichenko : ]τη Dana || 1–2 χαί|[ρειν] Kash./Pavl. || 2–3 ]ΟΥΡΑΙ ὅρωι μὴ ἀποπερά|[σηι· Ὡ]ς Kash./Pavl. || 2–4 [ἄρ]ουραι· ὅρωι· μὴ ἀποπερά|[σαι γέα?]ς Avram || 4 [γέας vel χωρίον?] Kash./Pavl. : ]εσι Dana
Fig. 133. Photo du tesson (Pl. XIII).
51. Lettre sur tesson d’une femme à Apollas (Vyšesteblievskaja 3, chôra de Phanagoria)
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[---]tè à Apollas, salut ! Les terres (délimitées) d’une borne, qu’il ne les vende pas ! Qu’il ne vende pas [---] ! [---]. L. 1–2 : formule épistolaire habituelle, avec le nom de l’expéditeur au nominatif et celui du destinataire au datif. || On lit d’abord la fin du nom de l’expéditeur, qui semble être ici une femme. Étant donné qu’avant l’êta une seule haste verticale est visible, les éditeurs ont cru pouvoir lire un iota et restituer ainsi un nom fém. finissant en -ιη, avec la désinence ionienne, d’où leur restitution e.g. [Δημητρ?]ίη482. Or, il me semble qu’il y a trop d’espace entre cette haste verticale et l’êta, ce qui peut signifier qu’il fallait plus de place, afin de tracer en haut une haste horizontale, comme on pourrait le faire pour un tau. Il n’y a pas d’autre tau dans le texte, mais à en juger d’après le pi ou l’êta, les lettres qui comportaient des hastes horizontales sont assez larges. Cela expliquerait pourquoi celle qui a tracé les lettres avait besoin de laisser de la place avant d’inscrire la lettre suivante (êta). Si cette lecture est correcte, on pourrait avoir ici un nom féminin assez long finissant en -τη, e.g. Θεοδότη ou Καλλίστη (les possibilités sont en effet nombreuses), avec la graphie ionienne attendue en -η. || Le nom du destinataire, Ἀπολλᾶς, un hypocoristique théophore très fréquent dans le domaine ionien483, était déjà connu dans la région à Nymphaion (IIIe s.), Hermonassa (IVe s.) et Gorgippia (première moitié du IIIe s.)484, donc à peu près à la même époque que notre inscription. En fin de ligne, le verbe χαίρειν peut être coupé comme j’ai préféré le faire, puisqu’il y avait théoriquement de la place, à en juger d’après la fin de la l. 2, avant qu’un petit morceau ne se détache à cet endroit et que la fin de la ligne ne soit perdue ; ou bien, comme le proposent les éditeurs, on peut reporter la séquence ΡΕ à la l. 2, étant donné que le début de cette ligne est également perdu. Cette formule de salut est typique des lettres à partir du IVe s., y compris dans le Pont, où elle apparaît dans les messages sur tesson de Dionysios de Nikonion (21) et de Rhodôn à Hèrakas (35), et dans plusieurs lettres sur plomb, de Nikonion (d’Artémidôros, 20) et d’Olbia du Pont (d’Artikôn 30, de Sôsibios à Mikiôn 31, de Batis à Diphilos 32). L. 2 : si j’ai préféré laisser ici seulement les deux dernières lettres du verbe χαίρειν, c’est pour des raisons de place disponible, d’autant plus si l’on considère qu’il faut restituer au moins deux lettres avant la séquence ΟΥΡΑΙ lisible après la cassure. Les éditeurs avaient pensé à un infinitif employé comme impératif, comme c’est le cas pour d’autres lettres (par exemple, la lettre de Mnèsiergos en Attique, 6), avec le sens de « poser une marque ». Il est pourtant difficile de savoir quel mot peut être restitué ici. En ce qui me concerne, les seules possibilités seraient ἄρουραι (plutôt que le dat. sg. ἀρούραι)485, κοῦραι ou φρουραί. Le premier terme, qui désigne en Égypte une unité de mesure agraire spécifique (une aroure mesurait 100 coudées royales, soit env. 285 m²), peut aussi désigner de façon générale les terres cultivables, ici peut-être les terres pourvues d’une borne de propriété (ὁ ὅρος) au datif. Qui plus est, en supposant qu’il manque à gauche un morceau plus important, qui donnait au tesson une forme triangulaire plus régulière, on disposerait de suffisamment de place pour y restituer également un numéral. || Le verbe ἀποπεράσηι est sans doute un subj. aor. IIIe pers. sg. du verbe ἀποπέρνημι, à son tour composé du πέρνημι, qui signifie « transporter pour vendre », « exporter »486, sens qu’il revêt, sous la forme d’aor. passif ionien ἐπρήθη, dans le billet sur plomb de Phanagoria concernant l’esclave Phaullès (49, l. 3). Les deux exemples invoqués par les éditeurs montrent que la forme composée apporte davantage de précision en reliant ce verbe à la vente de propriétés immobilières487. Il pourrait ainsi s’agir d’une anacoluthe – marque d’oralité qui n’est pas pour nous surprendre dans ces lettres privées – où l’objet antéposé au verbe apparaît au nominatif : « les terres (pourvues) d’une borne, qu’il ne les vende pas ». Dans la même famille, on peut signaler le verbe ὠνέομαι, « acheter », employé pour désigner une transaction commerciale dans la plus longue des trois lettres sur plomb d’Emporion (67, l. 4). De manière générale, il convient de remarquer l’abondance dans les lettres des impératifs, des infinitifs employés en tant qu’impératifs ou des subjonctifs, souvent avec les particules négatives. Ainsi, dans la lettre sur tesson d’Olbia du Pont, adressée par un anonyme aux nauCf. Kashaev/Pavlichenko 2015, p. 71–72. Masson, OGS, II, p. 429, 501 et 526 ; Rousset 2014, p. 85. Pour le suffixe, voir Dubois 2017b. 484 LGPN IV 34 (CIRB 912, l. 8 ; CIRB 1056, col. I, l. 20, et col. II, l. 2 ; CIRB 1137 B, l. 6). 485 Comme le propose A. Avram, BÉ, 2016, 365. 486 Mais cette forme peut aussi dériver du verbe ἀποπεράω (« traverser »), qui fait à son tour sens en association avec les bornes de démarcation. 487 Un exemple à Halicarnasse (Syll.3 45, l. 32, en 454/453) et un autre à Zéléia (Mysie), τὰς γέας τῶμ φυγάδων ἀποπέρασαι (SGDI III.2 654, ll. 1–2, dernier tiers du IVe s.). 482 483
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clères (34, ll. 3–4), la formule épistolaire est immédiatement suivie d’une injonction négative : [χαίρει?]ν· μὴ ἀποδῶτε | [κτλ.]. L. 3 : s’il faut restituer au début de cette ligne la fin du verbe ἀποπερά|[σηι], ce qui est vraisemblablement le cas, il ne reste pas beaucoup de place pour un ômega (supposé par les premiers éditeurs, [ὡ]ς) – sauf si l’on pense que non seulement la partie abîmée s’est détachée du tesson mais tout un morceau qui constituait le coin supérieur gauche. Dans ce dernier cas, on aurait disposé de plus de place pour écrire488. Le verbe est répété non tant pour plus d’expressivité, comme dans le cas de Lèsis d’Athènes (7, l. 4 : μᾶλλον, μᾶλλον), mais pour bien faire comprendre l’urgence de la situation et la nécessité à ce que tel ou tel acte soit, ou ne soit pas, accompli. L. 4 : on aperçoit quelques caractères mais rien ne peut être lu avec certitude : peut-être un epsilon, puis sans doute un sigma plus grand, enfin un iota. Aucun sens précis ne se dégage. Commentaire : Le tesson utilisé pour envoyer ce message avec des instructions a été trouvé dans une couche faisant office de dépotoir d’un établissement du territoire rural de Phanagoria, « Vyšesteblievskaja 3 », dans la presqu’île de Taman (raïon de Temrjuk, région de Krasnodar, Russie). Pour cette raison, mais aussi parce que pour les distances plus longues on préférait utiliser le plomb (et sans doute des supports périssables comme le papyrus), on peut penser à une circulation locale489. La date proposée par les éditeurs semble être en accord avec la paléographie des inscriptions non-lapidaires de la seconde moitié du IVe s. et notamment avec la présence du sigma lunaire sur ce type de documents : par exemple, sur un plat à vernis noir avec la marque de sanctuaire ΙΕΡΟΣ ΔΗΜΗΤΡΟΣ, ΙΕΡΟΣ, en provenance du sanctuaire de Déméter de Nymphaion, vers 325490. C’est à peu près à cette période que le sigma lunaire apparaît dans des defixiones d’autres cités du Pont-Euxin491. Les mots conservés ne permettent pas d’identifier des formes dialectales ioniennes492, à l’exception de la désinence du nom féminin de l’expéditrice (en -τη), qui coïncide par ailleurs avec celle de la koinè. L’interprétation est biaisée en raison de la disparition du début des lignes493. On peut toutefois affirmer qu’il s’agit d’un ordre transmis par une dame – l’expéditrice de la lettre résidant à Phanagoria ou dans son territoire – à un certain Apollas, qui consiste à interdire soit à Apollas lui-même, soit à une tierce personne, de vendre des terres labourables (?) pourvues d’une borne, ou de franchir ces terres, si c’est le verbe ἀποπεράω qu’on restitue. L’emploi de la IIIe pers. ne doit pas nous surprendre, bien qu’on s’attende à avoir un impératif à la IIe pers. sg. : dans ces documents où l’expéditeur parle de lui à la IIIe pers. (voir p. 348), il peut très bien s’adresser à quelqu’un de la même façon. Ainsi, le verbe ἀποπεράσηι peut concerner Apollas lui-même. La dame enjoint de ne pas franchir ou vendre des terres qui avaient été marquées d’une borne dans le but de signaler, peut-être, qu’elles avaient été hypothéquées. Dans ce scénario, elle serait le créditeur, et Apollas – où un troisième personnage auquel elle s’adresse par l’intermédiaire d’Apollas – serait le débiteur, auquel on interdit d’agir en rapport avec des terres délimitées par des bornes d’hypothèque. Comme ailleurs dans le monde grec, il est possible que le nom du créditeur apparaisse sur la borne alors que la terre, en attendant que la dette soit épongée, reste dans la propriété du débiteur494. Enfin, notons que des traces de démarcation des terres, avec des parcellaires, ont été également identifiées dans la partie asiatique du Bosphore Cimmérien : près du Cap Tuzla, dans la presqu’île Fontalovskij, dans la région de la crête centrale de la presqu’île de Taman et, ce qui nous intéresse plus particulièrement, près du site de Vyšesteblievskaja 3495. 488 A. Avram, BÉ, 2016, 365, propose de restituer [ἄρ]ουραι· ὅρωι· μὴ ἀποπερά|[σαι γέα?]ς, « terres labourables ; (pourvues d’une) borne ; que ne soient pas vendues [(ces) terres ?] ». 489 Kashaev/Pavlichenko 2015, p. 71. Voir déjà Dana 2015b pour une discussion plus détaillée. 490 Musée de l’Ermitage, inv. НФ. 39.345, en cours de publication. N. A. Pavličenko prépare actuellement une étude sur l’usage combiné dans les inscriptions privées de la seconde moitié du IVe s. du sigma angulaire et du sigma lunaire. 491 Cf. Kashaev/Pavlichenko 2015, p. 70. 492 Voir en général Tohtas’ev 2011. 493 Trad. des premiers éditeurs : « (Demetria?) wishes Apollas well. [---]ΟΥΡΑΙ (scil. the plot) with a safeguard stone so that he cannot sell it! So that he cannot sell it [---?]! ». 494 Pour la fonction des horoi, voir Finley 1973, p. 10–27. 495 Kashaev/Pavlichenko 2015, p. 76–77. Sur les parcellaires dans le Bosphore asiatique et les problèmes posés par leur chronologie, voir les considérations de Müller 2010, p. 151–155.
52. Lettre sur plomb de Klédikos à Aristokratès (Hermonassa)
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52. Lettre sur plomb de Klédikos à Aristokratès (Hermonassa)
52. Lettre sur plomb de Klédikos à Aristokratès (Hermonassa) Découverte, contexte : lamelle de plomb retrouvée enroulée, découverte de manière fortuite durant l’été 2011 dans les eaux du Golfe de Taman, près de l’ancienne cité grecque d’Hermonassa. Ses inventeurs, qui n’étaient pas archéologues, l’ont prise pour un poids de filet de pêche. Support, mise en page : lamelle rectangulaire complète (3,1/3,2 × 20,2/20,4 cm ; ép. 0,15 cm), qui présente neuf plis et dix volets dont le premier très étroit. Le plomb est étonnamment bien conservé, à l’exception de la dernière ligne de la première colonne où les lettres ont été effacées pendant le nettoyage ; la partie gauche, correspondant à la moitié de la première colonne, est plus corrodée par le séjour dans l’eau de mer. 8 lignes de texte, disposées sur deux colonnes, séparées par un trait vertical : 6 lignes sur la col. I, dont les trois premières sont plus longues que le reste ; 2 lignes sur la col. II. Le texte semble complet car rien n’est inscrit après la l. 8. Au verso se trouve l’adresse externe, sur deux lignes, perpendiculairement par rapport aux lignes du texte de l’intérieur. Les mots ne sont pas coupés en fin de ligne, à l’exception de la fin de la l. 3 (avec élision), avant une correction superflue du graveur. Interponction systématique, sous forme de deux points superposés (:) ; on en compte 8, au moins une fois par ligne. Petit vacat à l’intérieur du mot (verso, l. 2). Des traces de lettres subsistent au recto, avec des marques encore visibles de nettoyage, indiquant plusieurs corrections (voir comm.). Lettre alpha oubliée et rajoutée (col. I, l. 1) ; lettres oubliées par le rédacteur : un iota (col. I, l. 2), un alpha (col. II, l. 8), un rhô (verso, l. 2). Dialecte : ionien oriental. Les diphtongues ei et ou sont notées respectivement par epsilon et omikron. Crase Ὠριστόκρατες (l. 1) ; élision τὰ ἐνθαῦτ᾿ ἔ|χοντα (ll. 3–4, avant correction) ; pronom IIe pers. sg. τοι (l. 1) ; adverbe ionien ἐνθαῦτα (l. 3, avec élision, avant correction en ἐνθ᾿ αὐτ) ; forme non contracte Σωκράτεα (l. 5) ; graphie ionienne λελιθμένα (l. 7). Paléographie : lettres régulières profondément gravées ; ht. des lettres : 0,3–0,4 cm (adresse externe), 0,3–0,5 (texte principal). Lettres remarquables : alternance d’upsilon archaïque (à deux hastes, ) et à trois hastes, ainsi que de ny penché vers la droite à hastes légèrement inégales et de ny aux hastes de la même dimension et parallèles ; thêta pointé ; forme plus récente du my ; ômega de la même dimension que les autres lettres, avec les pieds arrondis. Ces données paléographiques et la présence de traits dialectaux ioniens rendent la datation hésitante, entre le milieu du Ve s. et le début du siècle suivant. Date : ca. 450–400. Conservation : collection privée (Russie). Éditions : Pavličenko/Kašaev 2012a (avec trad. russe) ; Saprykin/Belousov 2012 (avec trad. russe) [cf. Belousov, EpPont, 2011, n° 25 (Aristeas, 6, 2012, p. 219) ; cf. Belousov, EpPont, 2012, n° 21 (Aristeas, 8, 2013, p. 166–169), avec trad. russe] (= SEG LXI 614) ; Pavlichenko/Kashaev 2012b (avec trad. angl.) (cf. A. Avram, BÉ, 2014, 358) ; Belousov/Saprykin 2013 (avec trad. angl.) (cf. A. Avram, BÉ, 2014, 358) ; Ceccarelli 2013, p. 344–345, n° 18 (avec trad. angl.) ; Bravo 2014–2015 (avec trad. it.) [cf. SEG LXV 602 ; cf. Belousov, EpPont, 2015, n° 27 (Aristeas, 14, 2016, p. 267–268) ; cf. A. Avram, BÉ, 2017, 382]. Bibliographie : Kašaev/Pavličenko 2011 ; Decourt 2014, p. 62, n° 44 ; Dana 2015a, p. 119–120, 129–130 ; Dubois 2015, p. 57 ; Sarri 2018, p. 40, 89–90 ; Cassio, à paraître. Illustrations : Kašaev/Pavličenko 2011, p. 344, fig. 1 (ph. recto) ; Pavličenko/Kašaev 2012a, p. 290, fig. 1 (ph. et dessin, recto), et 292, fig. 2.1–2 (ph. des col. I et II) ; Pavlichenko/Kashaev 2012b, fig. 1 (ph. recto), 2 (dessin recto) et 3 (ph. et dessin verso) ; Saprykin/Belousov 2012, p. 352, fig. 1 a–b (ph. recto), et 353, fig. 2 (dessin recto) ; Belousov/Saprykin 2013, p. 153 (ph. recto) et 154 (ph. recto col. I et II) ; Dana 2015a, p. 322, fig. 1a–b (ph. des deux faces) ; Simón Cornago 2019, p. 102, fig. 1 (dessins). Note sur l’édition : les inventeurs de la lamelle ont fait appel à la fois aux épigraphistes de Saint-Pétersbourg et de Moscou. Cette situation inédite, due exclusivement aux circonstances, a fait que le document a été examiné et publié indépendamment en 2012, dans la même revue (Drevnosti Bospora), par Sergej V. Kašaev et Natalija A. Pavličenko, respectivement par Sergej Ju. Saprykin et Aleksej V. Belousov. Après une première édition en russe, chaque paire de chercheurs a publié une version en anglais (2012 et 2013). S. V. Kašaev et N. A. Pavličenko ont en outre eu l’occasion d’examiner la lamelle à plusieurs reprises (automne 2011, été 2012 et été 2013), quand un nettoyage plus attentif du verso de la tablette a permis de lire l’adresse externe. Le texte a attiré l’attention des spécialistes, avec d’autres propositions de lecture ou restitutions : Avram (2014), Ceccarelli (2013) et en particulier Bravo (2014–2015). J’ai pu établir un autre fac-similé et améliorer la lecture grâce à plusieurs clichés de qualité.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
Fig. 135. Photo de la lamelle (recto) (Pl. XIII).
Fig. 136. Fac-similé de la lamelle (recto).
Fig. 137. Photo de l’adresse externe (verso).
Fig. 138. Fac-similé de l’adresse externe (verso).
Fig. 139. Fac-similé de l’adresse externe (verso).
52. Lettre sur plomb de Klédikos à Aristokratès (Hermonassa)
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col. I Ὠριστόκρατες : ἐπιστέλλ τοι Κλδικος : πυνθάνομα〈ι〉 γὰρ Μανδρόχαριν : τὰ ἐνθ᾿ αὐτ 4 ἔοντα : δίαιταν : κακῶν vac. ἐλθὼν : παρὰ Σωκράτεα {Ι} vac. ἐς τὰ οἰκ[-------------------?] col. II συνλέξαντες : τὰ λελιθμένα 8 ἐς μίαν στέγην : κατασφρ〈α〉κίσατε. vac. Verso (adresse externe) : Κλδικος vac. Ἀριστvοκ〈ρ〉άτ. 1 ΩΡΙΣΤΟΚΡΤΕΣ plumbum, Α suprascr. || 2 πυνθάνομᾱ Belousov, Ceccarelli || 3 Μανδρόχαριν Pavličenko/Kašaev, Cecc., Bravo : Μάνδρ χάριν Saprykin/Belousov || 3 τὰ ἐνθ᾿ αὐτ Pavl./Kaš., Br. : τὰ ἐνθαυτ Sapr./Bel., Cecc. || 4 διαιτᾶν Pavl./Kaš., Cecc., Br. : δίαιταν Sapr./Bel. : δι᾿ αἰτ〈ί〉αν κακῶν Avram || κακῶν edd. : κακῶ〈ς〉 Cecc., Br. || 3–4 ΤΑ⟦Υ⟧ΕΝΘΑΥΤ⟦Ε⟧Ο|⟦Χ⟧ΕΟΝΤΑ : ΔΙΑΙΤΑ⟦.⟧Ν : ΚΑΚΩΝ plumb. || 5 ΣΩΚ⟦Α⟧ΡΑΤΕΑΙ plumb. || 6 ἐς τὰ οἰκ[ία λαβέ e.g. --καί] Pavl./Kaš. : ἐς τὰ οἰκάμητ᾿ ἀπολωλότα Sapr. : ἐς τ〈ὸ〉 οἴκ〈η〉μ〈α〉· τ᾿ ἀπολωλότα Avr. : ⟦ἐς τὰ οἰκ⟧ vel {ἐς τὰ οἰκ} Br. || 7 τὰ λελιθμένα (= λελειμμένα) Pavl./Kaš., edd. : τὰ λελιθ(ω)μένα Sapr./Bel. || 8 ⟦ΣΘ⟧ΕΣ plumb. || ⟦ΣΦ⟧ΚΑΤΑΣΦΡΚΙΣΑΤΕ plumb. : κατασφρ(α)〈γ〉ίσατε Pavl./Kaš. : κατασφρ(α)κίσατε cet. edd. : κατασφρ〈η〉κίσατε Br. Inscriptio – 2 ΑΡΙΣΤΟΚΑΤΕ plumb.
Ô, Aristokratès, c’est Klédikos qui t’envoie cette lettre. Puisque j’ai appris que Mandrocharis mène une telle vie de misère là même, va près de chez Sôkratès, aux maisons (?) [---] après avoir ramassé ce qui reste dans une seule pièce, scellez-là. (Adresse :) Klédikos à Aristokratès. Colonne I L. 1 : le nom du destinataire, Ἀριστοκράτης, très répandu, est bien attesté dans le domaine ionien de la mer Noire (LGPN IV 44). On note la crase Ὠριστόκρατες (= Ὠ Ἀριστόκρατες). || Pour cette formule épistolaire ancienne, cf. la lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25 : ὦ Πρωταγόρη, ὀ πατήρ τοι ἐπιστέλλ), et la lettre de Pistos de Patrasys (48 : Ὦρεστώνυμε : ἐπιστέλλ τοι : Πίστος). L’alpha rajouté au-dessus de la ligne a dû être oublié496. || Des traits ioniens sont visibles dans la graphie du verbe ἐπιστέλλ, où la diphtongue ei est notée par le simple epsilon, et dans l’emploi du datif de la forme pronominale de IIe pers. sg. τοι pour σοι, comme dans les lettres d’Achillodôros (25) et de Pistos (48).
Fig. 140. Détail (col. I, l. 1).
L. 2 : le nom de l’expéditeur, Κλείδικος, associant jugement et gloire, est noté ici avec une graphie ionienne (la vraie diphtongue ei notée par le simple epsilon)497. Il n’était attesté sous la forme Κλδικος qu’en Attique, très
496 Certains éditeurs y ont vu une syncope de l’alpha non-accentué (cf. Threatte, Grammar, I, 1980, p. 395–396, dans les inscriptions attiques). 497 Voir deux ostraka de Chersonèse Taurique, de la fin du Ve s., avec les noms [Ἡ]ρακλδας et Πσίσ[τρατος] (SEG XL 612) ; cf. L. Dubois, BÉ, 1991, 420).
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tôt, dès le VIIIe s. (LGPN II 263)498. Dans une defixio d’Olbia du Pont, on trouve la même graphie par le seul epsilon de la diphtongue radicale du nom Δνων (I. dial. Olbia Pont 102 = DefOlb 3, début du IVe s.)499. Cf. aussi le nom de l’expéditeur de la lettre de Myrmékion, Ὄρος (46). || L’expéditeur semble avoir oublié de noter le iota du verbe πυνθάνομαι. L’emploi de ce verbe dans une construction qui exige accusativus cum infinitivo devrait être typiquement ionien500. Pour ne donner qu’un exemple, on peut citer un passage connu d’Hérodote (4.95), où l’historien explique comment il a recueilli des informations sur la divinité gète Salmoxis auprès des Grecs du Pont, dans un récit typique du « folklore colonial » : Ὡς δὲ ἐγὼ πυνθάνομαι τῶν τὸν Ἑλλήσποντον καὶ Πόντον οἰκεόντων Ἑλλήνων, τὸν Σάλμοξιν τοῦτον ἐόντα ἄνθρωπον δουλεῦσαι ἐν Σάμῳ. Qui plus est, la particule γάρ, qui apparaît au début de la phrase (πυνθάνομα〈ι〉 γάρ), a chez Hérodote une valeur anticipative, dans le sens qu’elle justifie la séquence qui suit501.
Fig. 141. Détail (col. I, l. 3).
L. 3 : cette séquence qui comporte un anthroponyme a été lue par A. Belousov et S. Saprykin, sur la base des parallèles Μάνδρις et Μάνδρων, comme le génitif d’un nom nouveau *Μάνδρος suivi de la postposition χάριν. Cette dernière accompagne en réalité des substantifs abstraits et très rarement des noms propres502. Il faut donc penser à un nom composé nouveau, mais de formation claire, *Μανδρόχαρις ; il s’agit d’un nom potamophore503 en Μανδρο-/-μανδρος, qui s’insère dans une très riche série bâtie sur le nom du fleuve Méandre/ Maiandrios (contraction en Μανδρο- de Μαίανδρος)504. Sa présence témoigne fortement de la mémoire de l’espace ionien cultivée dans les nouvelles fondations par les descendants des colons, plusieurs générations après. Dans le domaine ionien du Pont-Euxin505, on connaît des noms appartenant à cette famille à Apollonia du Pont (Ἀναξίμανδρος, Ἀριστόμανδρος, Διόμανδρος, Διονυσόμανδρος, Μανδρόστρατος)506 et, sur la côte septentrionale, Ἀθηνόμανδρος à Olbia du Pont (I. dial. Olbia Pont 74)507 et Μαιάνδριος à Panticapée (CIRB 26). Un autre exemple de cette famille est sans doute présent dans la lettre opisthographe sur plomb de Nymphaion (43, B, l. 5).
Fig. 142. Détail (col. I, l. 4).
Pour ce type de noms, voir Arnaoutoglou 2010 (pour les occurrences, p. 594, n° 106). Même orthographe Δνων sur un dipinto inédit du IVe s. sur un ostrakon du tribunal d’Olbia (cf. Vinogradov 1994b, p. 111). Pour ce phénomène, voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 184 (une propension à la monophtongaison). 500 Cf. πυνθάνομαι σε dans la lettre controversée de Gadatas (Syll.3 22, l. 5 = I. Magnesia 115). 501 Cf. Powell 1938, p. 64 (« anticipatory »). 502 Pavlichenko/Kashaev 2012b, p. 233, proposent eux-aussi de ne pas couper cet anthroponyme. 503 Pour ces noms, voir Robert, OMS, VI, p. 688 et 694. Des études de cas dans quelques régions du monde grec : Curbera 1998 ; Knoepfler 2000 ; Parker 2016. 504 Il ne s’agit pas de l’hypothétique dieu anatolien Mandros, jamais attesté. Pour ce type de potamonymes, voir l’étude remarquable de Thonemann 2006 ; et L. Dubois, BÉ, 2007, 125. 505 Pour les noms de cette famille sur les côtes ouest-pontique et nord-égéenne, voir Dana (D.) 2019, p. 180–181 ; ainsi, à Thasos, Amphipolis, Abdère, Strymè et Zônè, on connaît les noms Ἀναξίμανδρος, Κλεόμανδρος, Μαιανδρία, Μαιάνδριος, Μανδρόβουλος, Μανδρογένης, Μάνδρων, Μανδρῶναξ et Νεόμανδρος. 506 Voir des nouveautés dans les publications de Giuzelev 2002 ; Gyuzelev 2007–2009 ; Avram 2010. 507 À Olbia du Pont, le nom rare Διονύσερμος, attesté deux fois (IOSPE I² 216 ; A. Avram, BÉ, 2015, 523), est un dvanda théophore associant un dieu important et le dieu-fleuve Hermos d’Asie Mineure (Masson, OGS, II, p. 478–479). 498 499
52. Lettre sur plomb de Klédikos à Aristokratès (Hermonassa)
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L. 3–4 : il s’agit du passage le plus problématique de la lettre, en raison des difficultés que posent les séquences ENΘΑΥΤΟ, ΔΙΑΙΤΑΝ et ΚΑΚΩΝ. A. V. Belousov et S. Ju. Saprykin traduisent : « yes, I find out for Mandros’ sake (about) the circumstances taking place there : the way of life of the evil (people?) ». Alexandru Avram propose de corriger à cet endroit ΔΙΑΙΤΑΝ en ΔΙΑΙΤ〈Ι〉ΑΝ, en remarquant qu’il ne s’agirait pas de la seule erreur dans un texte mal écrit. Il suggère donc de comprendre δι᾿ αἰτ〈ί〉αν κακῶν, « à cause des malheurs »508. N. A. Pavličenko et S. V. Kašaev pensent qu’il s’agit d’une construction de type accusativus cum infinitivo exigée par le verbe de la l. 2, où Mandrocharis serait le sujet, διαιτᾶν (l’infinitif du verbe διαιτάω) serait le prédicat et τὰ ἐνθ᾿ αὐτ ἐόντα le complément d’objet direct de διαιτᾶν. Concernant la construction τὰ ἐνθ᾿ αὐτ, il s’agirait, selon ces deux derniers éditeurs, d’un adverbe formé par la contraction de deux adverbes ayant des sens très proches : ἔνθα, avec élision de la voyelle finale en contact avec une autre voyelle, et αὐτ (ο pour ου, graphie ionienne de la fausse diphtongue)509. || Le dernier mot de cette ligne est d’interprétation encore plus difficile : il a l’apparence soit d’un gén. pl. (soit de l’adj. masc. κακός, soit du substantif τὸ κακόν), soit d’un participe présent du verbe κακόω. P. Ceccarelli et B. Bravo proposent de corriger κακῶν en κακῶς, forme adverbiale qui aurait paru plus appropriée dans ce contexte. Selon Bravo, il s’agit d’un lapsus par anticipation car l’expéditeur avait à l’esprit le mot suivant qu’il devait graver et qui finissait par un ny, à savoir ἐλθών510. || Toutefois, à un regard plus attentif, on observe que la dernière lettre de la l. 3, un omikron, a été regravée par-dessus une autre lettre, sans doute un epsilon ; de même, au début de la ligne suivante, la première lettre, peut-être un epsilon, a été regravée par-dessus une autre lettre, qui, d’après la trace d’une haste oblique, ne peut être qu’un chi. Pour une raison inconnue, après avoir écrit τὰ ἐνθαῦτ᾿ ἔ|χοντα (avec élision)511 : δίαιταν : κακῶν, le rédacteur s’est corrigé : τὰ ἐνθ᾿ αὐτ | ἔοντα. Il n’est plus nécessaire de corriger κακῶν en κακῶ〈ς〉, car il faut comprendre κακῶν comme un génitif subjectif (« le mode de vie des gens misérables »). Puisqu’il faut comprendre Μανδρόχαρις, l’interprétation de Belousov et Saprykin doit être abandonnée. À la lumière de la nouvelle lecture, il convient également d’écarter l’hypothèse de Pavličenko et Kašaev qui donnent au verbe διαιτάω un aspect technique, faisant ainsi de Mandrocharis un diaitètès au sens juridique512. Pour une meilleure compréhension de cette séquence, il convient de prendre de nouveau en considération le contexte ionien, à savoir l’emploi du substantif δίαιτα chez Hérodote513 et plus précisément dans un passage du livre IV, où il est question du mode de vie raffiné qu’un personnage gète du folklore colonial pontique avait adoptée au contact des Ioniens : « ce Salmoxis, qui, pour avoir fréquenté des Grecs (ὁμιλήσαντα καὶ Ἑλλήνων) et l’homme qui, parmi les Grecs, n’était pas le moindre en sagesse – Pythagore –, s’était initié à la vie ionienne (ἐπιστάμενον δίαιτάν τε Ἰάδα) et à plus de profondeur qu’on n’en trouvait chez les Thraces », qui, eux, « vivaient misérablement et étaient plutôt simples d’esprit » (ἅτε δὲ κακοβίων τε ἐόντων τῶν Θρηίκων καὶ ὑπαφρονεστέρων) (4.95). Il faut remarquer, dans ce texte, la proximité immédiate entre deux notions qui caractérisent les deux peuples : d’une part la « vie ionienne », d’autre part le caractère κακόβιος des « Barbares » thraces. La même expression, avec un participe présent, apparaît au milieu du IIIe s. dans un graffite sur la paroi du sanctuaire d’Aphrodite de Nymphaion, κακοβίων μετὰ Νυμφαίου ΕΓΔ514, que l’on peut traduire « vivant misérablement à Nymphaion » (une plaisanterie de plus).
A. Avram, BÉ, 2013, 358. Pour les exemples et l’argumentation contre la proposition d’A. V. Belousov et S. Ju. Saprykin, qui y voient une forme adverbiale attique ἐνταυθοῖ (avec monophtongaison de la diphtongue οι), voir Pavlichenko/Kashaev 2012b, p. 235–236. 510 Bravo 2014–2015, p. 13. A. Avram rapporte dans BÉ, 2014, 358 deux autres opinions : (a) Christopher Jones, « Very tentatively, I wonder if the sense could be: ‹I learn in the matter of Mandros (LSJ, s. v. χάρις VI 1) that things there (i. e. the situation there) are a place (LSJ, s. v. δίαιτα 2) of evil people› (or ‹evil [things]›). But I do not know if this would fit the context » ; (b) Eric Lhôte voit dans δίαιταν κακῶν une apposition avec le sens de « arbitrage de gredins » (cf. aussi Dubois 2015, p. 57). 511 L’adverbe utilisé dans cette première rédaction est le très banal ἐνθαῦτα, sous sa forme ionienne, avec métathèse de l’aspiration, bien attestée chez Hérodote. 512 Pavlichenko/Kashaev 2012b, p. 234 et n. 36. Leur traduction est par conséquent en accord avec l’existence d’une institution de ce type à Hermonassa : « I (i. e. Kledikos) know that Mandrocharis, as diaitetes, is arbitrating for those evils that are taking place right here » (p. 236). 513 Voir Powell 1938, p. 87 : « séjour » (δίαιταν ἔχειν), « mode de vie », une ou deux fois « diète », « régime ». 514 Tokhtasiev 2009, p. 34, n° 1 [= SEG LXI 625 (4) (= SEG XLV 997 (10)] (ca. 275–250) ; voir aussi A. Avram, BÉ, 2009, 380/381. 508 509
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
L. 5 : le nom fréquent Σωκράτης est bien attesté dans le Pont-Euxin (LGPN IV 322) ; on remarque ici la forme non contracte, avec -εα.
Fig. 143. Détail (col. I, l. 5).
L. 6 : comme le soulignent Pavličenko et Kašaev, il est impossible de déchiffrer d’autres lettres après la séquence ΕΣΤΑΟΙΚ. En lisant ἐς τὰ οἰκάμητ᾿ ἀπολωλότα, Belousov et Saprykin avaient cru à une erreur de graphie, οἰκάμητα pour οἰκήματα, ce qui aurait offert un parfait parallèle avec la lettre d’Artikôn, παρὰ Ατακους [ε]ἰς τὸ οἴκημα (30, A, l. 4). A. Avram préfère lire et ponctuer ἐς τ〈ὸ〉 οἴκ〈η〉μ〈α〉· τ᾿ ἀπολωλότα | συνλάξαντες et traduire « j’arrivai près de chez Sôkratès, dans (sa) maison (ou dans son local, sa boutique) ». Bien que rien ne soit visible sur la lamelle, aussi bien τὰ οἰκήματα que τὰ οἰκία sont envisageables pour la restitution du texte. Quant à B. Bravo, il pense que l’expéditeur a effacé lui-même cette séquence, après avoir changé d’avis et commencé une nouvelle colonne ; pendant sa rédaction, il se serait rendu compte que « dans la maison » était trop vague et aurait voulu apporter davantage de précisions, en écrivant « dans une seule pièce ». Cependant, il n’y pas pas de traces de ratturage, comme on le voit au début de la l. 8 (voir comm.). Des lettres semblent avoir été gravées sur cette dernière ligne bien qu’elles se soient effacées, peut-être lors du processus de restauration. Colonne II L. 7 : on remarque l’anacoluthe qui consiste dans le passage de la IIe pers. sg., ἐλθών, à la IIe pers. pl. συνλέξαντες (sans assimilation de la nasale), peut-être parce que Klédikos inclut d’emblée dans ses recommandations le personnage appelé Sôkratès, vraisemblablement l’une des connaissances ou partenaires d’Aristokratès et de luimême. || La forme λελιθμένα a été correctement identifiée par Pavličenko et Kašaev comme étant le participe parfait moyen (neutre pl.) de λείπω, équivalent du plus régulier λελειμμένα. Il s’agit d’une forme ionienne qu’on retrouve dans une inscription de Milet, ἐστεθμένοι (du verbe στέφω)515.
Fig. 144. Détail (col. II, début de la l. 8).
Fig. 145. Détail (col. II, fin de la l. 8).
L. 8 : l’absence de l’alpha dans l’impératif κατασφρ〈α〉κίσατε s’explique davantage par l’oubli de cette lettre que par la syncope d’un alpha non-accentué après une consonne liquide. Ce mot comporte en outre un kappa au I. Milet I.3 31 a, ll. 2–3. Pour un autre exemple ainsi que pour la notation de ει par ι, voir Pavlichenko/Kashaev 2012b, p. 236– 238 et n. 50–51. Les autres éditeurs avaient pensé à un participe parfait passif de λιθόω, avec élision de l’ômega : λελιθ(ω) μένα. Pour une étude exhaustive de cette forme, voir Cassio, à paraître. 515
52. Lettre sur plomb de Klédikos à Aristokratès (Hermonassa)
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lieu du gamma516, puisque la forme « correcte » du verbe est κατασφραγίσατε517 ; on peut cependant constater que la graphie σφρακ- est assez fréquente dans les papyrus, pourtant d’époque impériale518. Adresse externe L. 2 : Dans le nom du destinataire, la lettre rhô a été oubliée (ΑΡΙΣΤΟΚΑΤΕ), peut-être dans la précipitation, alors qu’un petit vacat coupe ce mot en son milieu. Commentaire : Cette lettre sur plomb, découverte il n’y a pas longtemps, en 2011, a suscité déjà un grand intérêt. Une autre lettre sur plomb d’Hermonassa, datant de la première moitié du Ve s., est malheureusement encore inédite (53). Notre lettre semble plus récente, étant datée par N. A. Pavličenko et S. V. Kašaev des années 450– 440 (B. Bravo penche à son tour vers le milieu du Ve s.), alors que les deux autres éditeurs, S. Ju. Saprykin et A. V. Belousov, descendent vers la seconde moitié du Ve s., voire le tournant du siècle suivant. La nouvelle lettre a été trouvée de manière fortuite dans le village cosaque de Taman, près de l’ancienne cité grecque d’Hermonassa, par des non-spécialistes, qui ont fait appel à la fois aux épigraphistes de Saint-Pétersbourg et de Moscou (voir Note sur l’édition). Bien que le plomb ait été trouvée enroulé, on peut envisager le fait que le destinataire, une fois la lettre lue, l’avait remise dans son état initial dans des fins d’archivages. L’adresse externe, heureusement conservée, est un indice précieux des pratiques épistolaires. Elle correspond à la partie droite du texte principal, perpendiculaire sur ce texte qui se trouvait de l’autre côté de la tablette : cela implique, pour que l’adresse soit visible, que la lettre ait été enroulée en commençant par la première colonne, de gauche vers la droite. Cela est confirmé par le fait que, si l’on regarde la lamelle déroulée, les dix volets sont plus étroits au début du texte et plus larges au fur et à mesure que l’on avance vers la fin. Le trait qui sépare les deux colonnes n’a pas été respecté, car il se trouve au milieu du sixième volet. Ce partage en deux de la tablette de plomb est inédit, comme s’il s’agissait de deux colonnes : on ne saurait dire si Klédikos avait prévu dès le départ d’écrire sur deux colonnes, ou s’il a voulu écrire sur une seule colonne en pensant couper et réutiliser le morceau restant. D’autres lettres du corpus conservent une ligne à droite (lettre de Pasiôn, à gauche, *8 ; lettre d’Achillodôros, à gauche, 25 ; lettre de la « caisse de la mère », sans doute avec un cadre complet, 29 ; première lettre de Nymphaion, à droite, 42 ; billet de Phanagoria, 49 ; l’une des lettres d’Emporion, sans doute avec un cadre complet, 69), ce qui semble indiquer qu’elles ont été gravées sur une tablette plus grande, avant d’être découpées. S’étant rendu compte qu’il n’avait plus de place pour finir son message, le rédacteur de cette lettre sur plomb d’Hermonassa a entamé la partie qu’il pensait laisser libre pour un usage ultérieur. Les lettres sont tracées avec un instrument pointu et ne présentent pas d’éraflures ou de variations d’épaisseur du trait, comme c’est le cas pour la lettre sur plomb de Lèsis (7) ou le message sur tesson mentionnant Kotytiôn (37). Pour le texte de l’intérieur les lignes sont droites et les lettres assez uniformes, en revanche les lettres de l’adresse externe sont moins régulières. Si la syntaxe est correcte et le ductus sûr, ce qui montre une familiarité certaine avec la pratique d’écrire, sur plomb ou sur un autre support, l’auteur de la lettre commet cependant beaucoup d’erreurs. Il a oublié des lettres, par exemple un alpha dans le nom du destinataire (l. 1 ; il l’a rajouté par la suite) et le rhô dans le même nom estropié pour la deuxième fois (adresse externe, l. 2), un iota à la fin du verbe πυνθάνομα〈ι〉 (col. I, l. 2) et un rhô dans le verbe de la dernière ligne du contenu (col. II, l. 8). Aurait-il eu des problèmes avec les mots longs ? Un examen attentif de la lamelle montre que le graveur a dû se tromper à plusieurs reprises, s’en était rendu compte et a été obligé d’effacer ses fautes à plusieurs endroits, en grattant avec l’autre bout de l’instrument, puis en écrivant par-dessus519 : – col. I, ll. 3–4, dans la séquence τὰ ἐνθ᾿ αὐτ | ἔοντα, la troisième lettre gravée avait été d’abord un upsilon (pour ταῦτα ? ; ou bien par anticipation ?) ; à la fin de la ligne, après avoir tracé un epsilon (avec élision de
Pour la notation des occlusives sonores par les sourdes correspondantes, notamment celles qui se trouvent à côté du rhô, voir Meyer 1896, p. 271–274 ; Gignac, Grammar, I, 1976, p. 77–79. 517 Prenant en considération le caractère ionien du texte, B. Bravo suppose la forme κατασφρηγίσατε. 518 Par ex. P. Tebt. II 283, l. 56 (46 ap. J.-C.) et SB VIII 9642.6, ll. 27 et 29 (133 ap. J.-C.). 519 Dans la première lettre publiée de Lattara (60), nous remarquons une sorte de palimpseste (traces de lettres), qui montre que la tablette a été réutilisée après lissage. 516
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
l’alpha), le rédacteur l’a remplacé par un omikron ; au début de la l. 4, il a remplacé un chi par un epsilon (?) ; il résulte qu’il a d’abord écrit τὰ ἐνθαῦτ᾿ ἔ|χοντα, avant de corriger cette séquence en τὰ ἐνθ᾿ αὐτ | ἔοντα. – col. I, l. 4 : dans la séquence ΔΙΑΙΤΑΝ, le ny a remplacé une lettre difficile à reconnaître ; – col. I, l. 5, dans la séquence ΣΩΚΡΑΤΕΑΙ, qui comporte par ailleurs un iota superflu, la quatrième lettre, initialement un alpha, a été corrigée en rhô ; – col. II, l. 2, dans la séquence ἐς μίαν στέγην, les deux premières lettres (initialement un sigma ; sans doute un thêta) ont été effacées et remplacées par un epsilon et un sigma ; – col. II, l. 2, dans la dernière séquence κατασφρ〈α〉κίσατε, les deux premières lettres gravées furent un sigma et sans doute un phi, comme si Klédikos avait voulu écrire le verbe sans le préverbe, avant de les corriger en kappa et alpha. On note la présence systématique des signes d’interponction qui séparent ici des séquences composées de substantifs et des prépositions qui les accompagnent (l. 3 : ΤΑΕΝΘΑΥΤΟ ; l. 5 : ΠΑΡΑΣΩΚΡΑΤΕΑ{Ι} ; l. 7 : ΤΑΛΕΛΙΘΜΕΝΑ). Le dialecte est résolument ionien, toutes les fausses diphtongues étant notées par la brève correspondante, et cela malgré certaines traditions qui font d’Hermonassa une fondation éolienne, d’après le nom de la femme de Sèmandros de Mytilène (Arrien, Bithynica, F 55 Roos = FGrHist 156 F 71). Cependant, Étienne de Byzance (s. v. Ἑρμώνασσα) en fait une colonie ionienne, citant Dionysios le Périégète et Ps.-Scymnos. Selon Eustathe de Thessalonique (ad Dion. Per. 549 [GGM II 324–325]), Phanagoria et Hermonassa furent colonisées par des Ioniens, l’œciste de la dernière étant Hermôn. D’après les découvertes archéologiques, la date de fondation d’Hermonassa, qui occupait dans l’Antiquité une petite île dans la partie asiatique du Bosphore Cimmérien, se situe vers 580–570. À partir du Ve s., la cité fait partie du Royaume du Bosphore et dépend de Panticapée520. Il est notable que, sans avoir affaire à un homme cultivé, on trouve dans cette lettre d’affaires des tournures et des termes qui rappellent incontestablement le récit d’Hérodote. Ces traits témoignent de deux réalités : d’une part, le fait que l’héritage ionien est bien présent dans l’aire nord-pontique, d’autre part, le fait que le langage d’Hérodote est ancrée dans la même langue ionienne qu’employaient les descendants des colons. L’onomastique se fait elle-aussi porteuse du même message, à commencer par Mandrocharis, dont la restitution du nom a posé un certain nombre de problèmes car il est attesté pour la première fois. Il s’agit pourtant bel est bien d’un anthroponyme ionien remarquable, construit sur le nom du dieu-fleuve micrasiatique. Quant aux trois autres anthroponymes, tous masculins, Aristokratès et Sôkratès sont attestés dans le Pont et à Milet (Sôkratès une seule fois à Milet, Aristokratès dans la liste des Molpes). Klé(i)dikos n’est pas attesté par ailleurs dans le Pont, mais il apparaît comme patronyme dans la liste des Molpes (I. Milet I.3 122, col. I, l. 21, en 506/505). Il serait hasardeux de tirer des conclusions sur le statut social des personnages mentionnés en se basant sur la seule onomastique, comme l’a fait B. Bravo. Concernant Aristokratès et Klé(i)dikos, il affirme ainsi qu’il s’agit de noms aristocratiques mais qu’il y a une certaine hiérarchie : Mandrocharis s’occupe de l’administration des biens de Klédikos, Aristokratès étant lui-aussi en relation avec Klédikos, qui « faceva parte dell’elite politica della sua polis ». Or, rien dans le texte ne permet d’avancer une telle hypothèse521. Il n’est pas aisé de résumer le fond de l’affaire. Klédikos écrit à Aristokratès pour lui dire qu’il est au courant du fait que Mandrocharis a eu quelques difficultés à mener à bien une action. Il lui demande par la suite qu’avec peut-être Sôkratès ils aillent mettre à l’abri certains objets dans une pièce d’une maison522 en mettant un sceau : soit le sceau de Klédikos lui-même pour marquer que ses biens lui appartenaient, soit tout simplement sceller pour que personne ne puisse entrer – c’est cette dernière éventualité que je privilégie. L’inconnue, dans la dernière partie de la lettre, concerne le sens du mot λελιθμένα, que nous avons du mal à identifier afin de pouvoir bien traduire : ce qui reste d’une maison, si l’on prend en considération le mot, incomplet, qui précède
Finogenova 2003 ; Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 945, n° 697 ; Müller 2010, p. 25–26 ; Finogenova/Il’ina 2019. On ne saurait non plus affirmer, à partir de ce témoignage d’une affaire sans doute locale, que nous détenons « una testimonianza su come la ricchezza di un membro aristocratico di una polis situata all’estremità nord-orientale del mondo greco potesse basarsi in parte su una produzione legata al grande commercio che collegava le città di questa regione a quelle dell’Egeo » (Bravo 2014–2015, p. 18 pour les deux citations). 522 Une autre mention d’une στέγη apparaît dans la première lettre sur plomb de Nymphaion (42, l. 3). 520 521
53. Lettre sur plomb mentionnant une cité du Bosphore Cimmérien (Hermonassa)
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la recommandation de ramasser quelque chose ? Certains biens qui ont fait l’objet d’une transaction, déposés dans cette maison, que les associés ou employés de Klédikos devaient récupérer et préserver ? Il est sûr, comme l’affirment aussi Pavličenko et Kašaev, que pour mettre un sceau et pouvoir garder les λελιθμένα, il fallait au moins une pièce solide, avec une porte vraisemblablement tout aussi solide523. Quels que soient ces objets, il me semble très peu probable, pour ne pas dire exclu, qu’on puisse adopter l’interprétation de Bravo, selon lequel « le cose che sono rimasti » seraient des poissons qui avaient séché au vent et qui, par la faute de Mandrocharis, se trouvaient encore à l’extérieur et qu’il fallait donc les mettre à l’abri dans une pièce en mettant un sceau524. C’est la présence du verbe κατασφραγίζω525 qui lui a inspiré le scénario, car il fait le parallèle avec le même verbe qui serait présent, toujours d’après Bravo, dans la lettre sur tesson d’Apatorios à Néomènios de Kerkinitis (38, l. 3). Le problème est que, pour cette dernière lettre, Bravo part de la restitution très improbable de ce verbe dans la séquence τς ταρίχōς ἐς οἶκον | συνκόμισον καὶ σφ〈ρ〉ηκίσα〈ι〉526, alors qu’il est selon toute vraisemblance question de perches ou de chevrons en bois527. Quand bien même ce verbe aurait-il été écrit en toutes lettres sur l’ostrakon de Kerkinitis, les poissons ne sont certainement pas les seules choses ou produits qu’on puisse mettre dans une pièce qu’on scèle.
53. Lettre sur plomb mentionnant une cité du Bosphore Cimmérien (Hermonassa) 53. Lettre sur plomb mentionnant une cité du Bosphore Cimmérien (Hermonassa)
Découverte, contexte : lamelle de plomb pliée trois fois, découverte en 2001 par Svetlana I. Finogenova, lors des fouilles archéologiques dans la partie nord-est d’Hermonassa, dans la muraille d’une maison du Ier s. ap. J.-C.528. Support, mise en page : sur la partie extérieure de la lamelle, l’inventrice a compté 12 lignes de texte, gravées à la fine pointe, en stoichèdon quasi-intégral. Interponction sous forme de trois points superposés (⁝). Dialecte : ionien oriental. Paléographie : d’après les photos publiées, lettres bien gravées. Date : ca. 500–450. Conservation : Saint-Pétersbourg. Inédite. Bibliographie : Finogenova 2003, p. 1019 ; Dana 2004, p. 1 n. 2 ; Finogenova 2005, p. 428 (cf. A. Avram, BÉ, 2010, 467) ; Dana 2007a, p. 86–87, n° 11 [cf. A. Avram, BÉ, 2008, 387 (11)] ; Eidinow/Taylor 2010, p. 57 (E10) ; Finogenova 2010, p. 523 ; Tokhtasev 2010, p. 107 n. 19 ; Pavlichenko/Kashaev 2012, p. 227–228 et n. 15 ; Saprykin/Belousov 2012, p. 356 ; Belousov/Saprykin 2013, p. 160 ; Ceccarelli 2013, p. 345, n° 19 ; Pavlichenko/Sokolova 2016, p. 195 n. 15 ; Finogenova/ Il’ina 2019, p. 302. Illustrations : Finogenova 2003, p. 1044, fig. 9 (ph.) ; Finogenova 2005, p. 439, Pl. 3.4 (ph.) ; Finogenova/Il’ina 2019, p. 302, fig. 10 (ph.). Note sur le document : ce document a été signalé dans des publications générales, avec des photos avant que le plomb soit déroulé ou, plus récemment, avec une photo de la lamelle déroulée. Son édition, préparée par Sergej R. Tohtas’ev (entre temps disparu), sera donnée par un épigraphiste russe.
Cette longue lettre privée, signalée avec quelques photos des faces du rouleau aplati, sur lesquelles on aperçoit plusieurs lettres soigneusement gravées, et avec une photo complète de la face inscrite (sur laquelle la disposition en stoichèdon quasi-intégral est manifeste), est encore inédite. Sergej R. Tohtas’ev, qui devait publier le Voir Pavlichenko/Kashaev 2012b, p. 240, pour les traces archéologiques de constructions à Hermonassa, aux VIe–Ve s. Bravo 2014–2015, p. 15. 525 Le verbe κατασφραγίζω est attesté dans les papyrus, par exemple P. Bad. IV 48 (pétition du 28 octobre 127 d’une femme du nome héracléopolite). 526 Bravo 2011a, p. 86–91, n° III. 527 Voir ma lecture σφήκ(ια) ἶσα dans ce corpus (cf. déjà Dana 2007a, p. 83–85, n° 8). 528 Cf. Saprykin/Belousov 2012, p. 356 ; Belousov/Saprykin 2013, p. 160. 523
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document, proposait de la dater de la première moitié du Ve s.529. Un document similaire sur plomb, toujours d’Hermonassa, a été récemment découvert et publié : il s’agit de la lettre de compète de Klédikos à Aristokratès (52). On peut noter quelques détails mentionnés dans les publications des antiquisants russes qui attisent notre curiosité sur ce document encore inédit et qui sont confirmés par les photos : l’usage du même signe d’interponction (:) que dans la lettre de Klédikos (52)530 et de l’upsilon sans haste verticale ()531. Pour certains de ces savants, cette lettre, qui mentionnait le toponyme Nymphaion532, devait être envoyée dans la cité voisine de Théodosia533.
54. Lettre sur tesson à Apollône[i–] (Gorgippia)
54. Lettre sur tesson à Apollône[i–] (Gorgippia) Découverte, contexte : tesson de couleur brun clair, provenant vraisemblablement d’une amphore thasienne, trouvé en 1991 lors des fouilles à Gorgippia (auj. Anapa), dans l’excavation « Océan » (inv. 203). Support, mise en page : initialement de forme triangulaire, le tesson est brisé à droite (6,6 × 6,2 cm) ; ép. non précisée, ce qui fait que la fin des cinq premières lignes soit perdue, en raison de la cassure d’un petit morceau triangulaire. Le texte comporte 7 lignes ; la partie inférieure du tesson n’est pas gravée, signe que le message s’arrêtait à la fin de la l. 7. Les mots ne sont pas coupés en fin de ligne. Oubli d’un iota (l. 3) ; correction d’un pi en kappa (l. 4), indice d’un trait dialectal ; ayant oublié le lambda du mot ἦλθεν (l. 5), le graveur s’en est rendu compte par la suite et l’a rajouté au-dessus, bien à sa place entre l’êta et le thêta. Pour graver le mot σταφυλή (l. 6), le rédacteur a suivi le bord du tesson. Dialecte : ionien oriental. Le o long fermé noté par omikron ; forme ionienne de l’adverbe (l. 4). Oubli ou simplification de la géminée dans πέλεκος (l. 2). Iotacisme Ἀπολλώνε[ι–] (l. 1). Élision ὁκ[ότ᾿?] | οἴκωι (ll. 4–5). Paléographie : lettres profondément gravées ; ht. 0,3–0,6 cm. La forme des lettres semble indiquer le IVe s. : alpha à barre horizontale droite, classique ; thêta avec point et de la même taille que les autres lettres (c’est également le cas de l’omikron) ; kappa presque cursif à deux reprises (ll. 2 et 7) ; ny aux hastes parallèles mais asymétriques ; sigma tantôt classique, tantôt cursif (ll. 2 et 3) ; phi de forme classique et de la même taille que les autres lettres à la l. 2 mais plus petit à la l. 6 ; ômega est lui-aussi tantôt classique (ll. 1 et 5), tantôt cursif (l. 3). Date : ca. 350–325. Conservation : Musée d’Anapa (inv. KM 11488). Éditions : Vinogradov 1997b (avec trad. angl.) [= Vinogradov 1997c, p. 543–556 (avec trad. russe)] (= SEG XLVII 1175) ; Dana 2007a, p. 89–90, n° 13 (avec trad. fr.) ; Müller 2010, p. 364, DE 5 (avec trad. fr.) ; Ceccarelli 2013, p. 343, n° 13 (avec trad. angl.). Bibliographie : Vinogradov 1998, p. 157 ; Avram 2007, p. 239 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 61 (E14) ; Müller 2010, p. 195 ; Pavlichenko/Kashaev 2012, p. 232 n. 30 ; Decourt 2014, p. 59, n° 32 ; Dana 2016, p. 99. Illustrations : Vinogradov 1997b, p. 233 (ph.) ; Vinogradov 1997c, p. 544, fig. 1 (ph.) ; Dana 2007a, p. 89 (ph.). Note sur l’édition : édition soignée de Vinogradov (1997), qui intervient à plusieurs reprises pour corriger et proposer des restitutions534 ; il a été suivi, avec certaines réserves, par Dana (2007a), Müller (2010) et Ceccarelli (2013). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé un cliché de qualité.
Tokhtasev 2010, p. 107 n. 19. Cf. Pavlichenko/Kashaev 2012, p. 227–228. 531 Pavlichenko/Kashaev 2012, p. 228 n. 15 (renseignement de S. R. Tohtas’ev). 532 Pavlichenko/Sokolova 2016, p. 195 n. 15 ; Finogenova/Il’ina 2019, p. 302. N. Pavličenko a pu examiner la lettre à l’occasion de l’exposition Novye nahodki Germonasskoj arheologičeskoj ėkspedicii [Nouvelles découvertes de la campagne archéologique d’Hermonassa] au Musée Pouchkine (Moscou, octobre-novembre 2012). 533 Cf. Finogenova 2010, p. 523 ; Saprykin/Belousov 2012, p. 356 ; Belousov/Saprykin 2013, p. 160. 534 Cf. Müller 2010, p. 364 : « Restitutions de V[inogradov] sans doute aventureuses (trois lettres rectifiées) ». 529 530
54. Lettre sur tesson à Apollône[i–] (Gorgippia)
Fig. 146. Photo du tesson (Pl. XIII).
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Fig. 147. Fac-similé du tesson.
Ἀπολλώνε[ιε·? vac.] πέλεκος φυγ[---] δὸς τῶι πα〈ι〉δίω[ι]· ὁ κηπρός, ὁκ[ότ᾿?] οἴκωι ἦ`λ´θεν, ΑΙ+[–] τοῖα· σταφυλὴ καὶ λάχανα. vac.
1 ΑΠΟΛΛΩΝΕ[ ostracon, Dana 2007a, Müller : Ἀπολλων(ί)δ[ης ὑῶι?]· Vinogradov : Ἀπολλώνε[ιε·? vac.] vel Ἀπολλωνε[ίδη·?] Dana || 2 ΦΥΓ[ ostr. : φυ〈τ〉[ργ?] Vin., edd. : φυ.[ Dana 2007a || 3 ΠΑΔΙ+[ ostr. : πα(ι)δί[ωι] vel πα(ι)δί[σκωι] Vin. || 4 κηπρός Vin. || ex orig. ΟΠ corr. in ΟΚ ostracon || 4–5 ὁκ[οτ᾿]| οἴκωι Vin., edd. || 5 Λ suprascr. in ΗΛΘΕΝ ostr. || 5–6 ἀν[εῖ]|τ᾿ οἷα Vin., edd.
Apollône[ios/idès ! (?)]. Donne la hache [---] à l’esclave. Le jardinier, lorsqu’il est venu à la maison, [a apporté ?] de telles choses : du raisin et des légumes. L. 1 : la restitution de Vinogradov ne rend pas compte de ce qu’on lit sur la photographie. Il apparaît en effet que la dernière lettre conservée n’est pas un delta, qui présente, au début de la l. 3, un angle bien clair à gauche, mais un epsilon, dont on voit le début de la haste horizontale d’en bas. Il faudrait en outre admettre que l’auteur de la lettre avait oublié de noter le iota, ce qui ne serait en fin de compte pas le seul oubli ; mais la photographie est formelle en ce sens. Le nom Ἀπολλωνίδης n’est toutefois pas à exclure à condition qu’il ait été écrit sous la forme Ἀπολλωνείδης, sous laquelle il apparaît par ailleurs dans la région de la mer Noire. Une autre possibilité, que je privilégie, serait de reconnaître le nom Ἀπολλώνειος, avec la même graphie iotacisante. Le nom théophore est vraisemblablement au vocatif, sans que le nom de l’expéditeur soit précisé, à l’instar de la lettre sur plomb destinée à Prôtagorès (22). Le vocatif est en effet en accord avec l’impératif δός de la l. 3. Il est exclu de supposer, comme l’avait fait Vinogradov, qu’Apollône[–] était l’expéditeur et que le nom du destinataire au datif se trouvait dans la partie perdue, à la fin de la ligne ; pour des questions d’espace, seul un mot très bref est envisageable, e.g. υἱός, suggéré par Vinogradov (dat. ὑῶι), mais cette éventualité me semble peu probable. Après le nom du destinataire au vocatif on peut supposer un petit vacat dans la partie perdue (le petit morceau triangulaire), le message à proprement parler débutant à la ligne suivante.
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Corpus épigraphique – Le nord de la mer Noire
L. 2 : πέλεκος, hapax par rapport à πέλεκυς, « hache », utilisé notamment dans des contextes guerriers ou religieux ; peut-être est-ce tout simplement une notation particulière de πέλεκκος535, avec oubli ou simplification de la géminée. Il pouvait s’agir soit d’un acc. sg. d’un substantif neutre de la IIIe décl., du type γένος, soit d’un acc. pl. d’un substantif thématique, où la désinence -ους est notée par -ς. Comme le remarque Vinogradov, la seconde variante semble moins probable en l’absence du numéral. || φυ+[---] : sur la photographie, après ΦΥ, on n’aperçoit qu’une haste verticale et une autre horizontale, plutôt un gamma. Vinogradov avait lu à son tour un gamma, tout en supposant qu’il avait été gravé par erreur à la place du tau. On ne saurait proposer une solution ferme, bien que l’hypothèse du premier éditeur, qui corrige et restitue φυ〈τ〉[ργ?], semble appuyée par le contexte (hache de jardinage ?). L. 3 : le graveur a omis le iota dans πα〈ι〉δίω[ι]. On peut raisonnablement penser que le porteur du message est précisément cet esclave envoyé afin de récupérer une hache. L. 4 : κηπρός présente la graphie ancienne (ou noté par o)536. || En fin de ligne, le scribe avait d’abord écrit ΟΠ, pour noter la forme de koinè ὁπότε, avant de la corriger en ὁκ[ότ᾿], ce qui prouve sa familiarité avec la forme ionienne de l’adverbe relatif ou de la conjonction. L. 5–6 : l’expéditeur, se rendant compte de l’omission du lambda dans l’aoriste ἦλθεν, l’avait ajouté au-dessus de la ligne, entre êta et thêta. || Selon la restitution de Vinogradov, ἀν[εῖ]|τ᾿ οἷα, on aurait ici une forme de plus-que-parfait passif IIIe pers. sg. du verbe ἀνίημι537. Ma lecture de la fin de la ligne est différente, mais suppose toujours un verbe, dont on ne distingue que les premières lettres, ΑΙ+[–]. || La l. 6 comporte en revanche le pronom démonstratif neutre pl. τοῖα, logiquement suivi d’une énumération. Commentaire : La cité localisée à l’endroit où se trouve aujourd’hui Anapa, fondée par les Ioniens sur la rive asiatique du Bosphore Cimmérien, a été rebaptisée Gorgippia d’après le nom de Gorgippos, fils de Satyros Ier, roi du Bosphore, au moment où elle fut rattachée au royaume nord-pontique538. Ju. G. Vinogradov constate la présence de traits de koinè dans le texte, mélangés avec des graphies ioniennes, ce qui est en accord avec la date du document, car on est à une époque de transition (cf. pour le mélange de graphies ioniennes et de traits de koinè les lettres 20, 46 et 65). La lettre comporte des instructions données à un certain Apollôn(e)ios ou Apollôn(e)idès, au sujet d’une hache qui doit être remise à un esclave. Elle informe également du passage à la maison d’un jardinier, qui avait apporté des produits frais de saison : on peut donc conclure avec Vinogradov que la lettre a été rédigée à la fin de l’été ou au début de l’automne. Il convient de noter que l’auteur du message de Gorgippia n’a pas utilisé tout l’espace disponible du tesson. On trouve une autre occurrence des λάχανα dans un graffite de Chersonèse Taurique539, alors qu’un achat de lentilles (?) est mentionné dans la lettre sur tesson de Phanagoria (50). L’auteur de la lettre semble avoir quelques difficultés avec l’orthographe, même si parfois il se rattrape, en ajoutant par exemple une lettre qu’il avait omise (l. 5). Il a pourtant l’habitude d’écrire, sans doute sur plusieurs supports, comme le montre la tendance à tracer les lettres de façon cursive.
535 Voir Hésychios d’Alexandrie, s. v. πέλεκκος (Π 1311)· στελέος, ὅ ἐστι ξύλον εἰς τὴν ὀπὴν τῶν πελέκεων βαλλόμενον ; Pollux 10.146 : πέλεκυς καὶ καθ᾿ Ὅμηρον (N 612) πέλεκκος. 536 Voir Bader 1972, p. 235–236. La koinè a des formes en -ουρός, du type ionien, et des formes en -ωρός, du type attique. 537 Ce verbe est attesté avec le sens de « faire pousser » : Hymn. Hom. Cer. 333 ; Xénophon, Cyn. 6.25 ; Théophraste, De causis plant. 5.1.5. 538 Voir Alekseeva 2003 ; Avram/Hind/Tsetskhladze 2004, p. 944, n° 696 ; Müller 2010, p. 35–36. 539 Tolstoj, Graff. 91 (dessin p. 63) = I. Chersonesos graffiti 1130 (dessin Pl. XVIII) (IVe–IIIe s.) ; les deux éditeurs I. I. Tolstoj et Ė. I. Solomonik lisent pourtant Λυσαν(ί)ας.
L’Occident méditerranéen
Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Fig. 148. Carte de l’Occident méditerranéen.
L’Occident méditerranéen *55. Possible message militaire de Daitis, au sujet d’Euôpidas et du lochagos Dieuchès (Himère) *55. Possible message militaire de Daitis, au sujet d’Euôpidas et du lochagos Dieuchès (Himère)
Découverte, contexte : lamelle découverte en 1968, lors des fouilles de l’Institut d’Archéologie de l’Université de Palerme (sous la direction de Nicola Bonacasa), dans le quartier des habitations d’Himère, au pied du mur périmétrique interne d’une maison (îlot I, pièce 34a, angle sud-est), dont l’inventaire date du milieu du Ve s., à une profondeur réduite (0,17– 0,35 m). Support, mise en page : plaquette rectangulaire de plomb (5 × 8,5 cm ; poids : 45,11 gr.), trouvée repliée en deux dans le sens de la longueur. La lamelle est opisthographe ; elle n’a été dépliée qu’après les publications préliminaires de Maria Teresa Manni Piraino, par l’Istituto Centrale del Restauro, ce qui permit à la première éditrice de lire en 1972 des bribes du texte sur l’un des versants de la face interne, très corrodée et effacée par ailleurs. Peu de lettres sont visibles sur cette face, où l’on aperçoit au moins 5 lignes dans la partie supérieure ; sa partie inférieure (l’autre versant après le pliage), apparemment anépigraphe selon la première éditrice, comporterait néanmoins quelques lettres visibles. Comme souvent, l’un des deux versants de la plaquette repliée est plus effacé ou plus corrodé que l’autre. En revanche, sur la face externe, sur l’un de ses deux versants (ht. 2,5 cm), le texte de 3 lignes est parfaitement lisible, avec une certaine mise en page (ll. 1 et 3). En bas, ce versant inscrit présente un encadrement ondulé, en gravure légère. Signe d’interponction sous forme de deux points superposés (:) (face B, l. 2). Les mots étaient coupés en fin de ligne, sans toujours respecter la coupe syllabique (A, l. 1). Dialecte : dorien. Le a long ouvert noté par alpha (face B, l. 1 : Εὐπίδας). Alphabet « bleu » (ainsi, le chi et le xi), sans distinction des voyelles longues, avec toutefois certaines lettres communes aux alphabets ioniens (gamma à angle droit). Signe d’aspiration (face B, l. 1 : Η). Simplification de géminée (face B, l. 1 : hιάλ). Paléographie : lettres profondément gravées ; ht. des lettres : 0,3–0,6 cm (face externe), 0,3–0,5 cm (face interne). Lettres remarquables : alpha avec la haste médiane oblique () ; delta en triangle isocèle ; epsilon avec une légère obliquité des traits transversaux ; thêta avec croix () ; omikron de grande dimension ; sigma à quatre branches ; upsilon sans haste verticale () ; chi en forme de croix orthogonale (). Date : ca. 475–450. Conservation : Imera, Antiquarium (inv. H68.439). Éditions : Manni Piraino 1969 (face B) ; Manni Piraino 1970 (face B) ; Manni Piraino 1972 (faces A et B) ; Manni Piraino 1976, p. 681, n° 45 (faces A et B) ; I. dial. Sicile I 11 (L. Dubois, 1989, p. 13–14, avec trad. fr.) (face B) ; Arena, Iscrizioni III 51 (1994, p. 59–60) (face B) ; Arena 1994, p. 157–158, n° 2 (face B) (cf. SEG XLIV 753) ; Grotta 2008, p. 259–264, n° 3 (faces A et B) (cf. SEG LVIII 1040) ; Ceccarelli 2013, p. 350–351, n° 32 (faces A et B). Bibliographie : Brugnone 1980–1981, p. 441 ; Jordan 1985, p. 177–178 ; Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 455 (nº K) et 456 ; López Jimeno 1991, p. 202, n° 39 (avec trad. esp.) ; Brugnone 1993–1994, p. 497 ; Brugnone 1995, p. 1305–1306 ; Arena 1996, p. 191 (avec trad. it./fr./angl.) ; Brugnone 1997, p. 274 n. 27 ; Curbera 1999, p. 181, n° 51 ; López Jimeno 2001, p. 164, n° 357 (avec trad. esp.) ; Knoepfler 2007, p. 97 ; Danile 2008, p. 70, n° 1010 ; De Angelis 2016, p. 195. Illustrations : Manni Piraino 1969, Pl. III (ph. de la face B) ; Manni Piraino 1972, Pl. LIV–LV (ph. et dessins des faces A et B) ; Manni Piraino 1976, Pl. CXVI.1 (ph. de la face B) ; Dubois 1989, p. 13 (dessin de la face B) ; Arena, Iscrizioni, Pl. XV.2 (ph. de la face B) ; Arena 1994, Pl. XIV.c (ph. de la face B). Note sur l’édition : plusieurs éditions successives de Manni Piraino (1969, 1970, 1972, 1976) ; en 1972, elle donne un dessin des lettres visibles de la face interne, alors que la photo est peu claire. D’autres éditions et variantes interprétatives ont été données par Dubois (1989) et Arena (1994) ; dernière édition et commentaire par Grotta (2008), qui suit pour la face interne Manni Piraino. J’ai décidé d’intervertir les noms des deux faces (pour tous les autres éditeurs, la face externe étant la face A), car il est évident, à la lumière de la pratique courante, que le contenu se trouvait à l’intérieur (donc, face A), alors que l’adresse ou le résumé (comme c’est le cas ici), se trouvaient à l’extérieur (face B), étant gravés après le pliage de la lamelle. J’ai pu utiliser les photos de l’Antiquarium d’Imera, notamment pour la partie inférieure de la face A. Pour le fac-similé, le dessin de Manni Piraino (1972) a été utile pour la reconnaissance de certains caractères effacés ou problématiques. Pour les autres traces de lettres, très effacées ou trop corrodées, il est impossible de trancher.
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Fig. 149. Photo de la face A, versant supérieur.
Fig. 150. Fac-similé de la face A (versant supérieur).
Fig. 151. Photo de la face A, versant inférieur (traces de lettres).
Fig. 152. Fac-similé de la face A (versant inférieur).
*55. Possible message militaire de Daitis, au sujet d’Euôpidas et du lochagos Dieuchès (Himère)
[A]
4
[ ]αι ἵνα μ[?] ἐξν[α]ι Ε[--ca. 5---]+++κοις [---] [-ca. 2-]ιδιος νοσ[----- ca. 6-----]νεσθαι [ ]Χ[-----] [ ]Ο [ ] (plusieurs lignes avec des traces de lettres)
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vestigia litterarum
vestigia litterarum vestigia litterarum
A – 1–2 [εὔχομ]αι ἴνα μ|[ ---] ἐάοις Manni Piraino, Grotta || 3 ]ξέν[--- εὖ ἄ]νεσθαι Manni Pir., Gr. || 4 ]ιδιος νοσ[ Manni Pir., Gr.
Fig. 153. Photo de la face B, versant inscrit (Pl. XIII).
Fig. 154. Fac-similé de la face B, versant inscrit.
Fig. 155. Photo de la face B, versant anépigraphe.
[B]
vac. Εὐπίδας hιάλ vac. Διεύχς : λοχᾱγὸς vac. Δαῖτις. vac.
B – 1 hιάλ Manni Pir., Dubois, Gr. : hίᾱλε Arena, Ceccarelli : hίαλ(λ)ε Arena 1996 || 2 Διεύχς vel δι᾿ εὐχς (= δι᾿ εὐχῆς) Manni Pir. 1969 (δι᾿ εὐχῆς Manni Pir. 1972 et 1976) : Διεύχς Dub., edd. || Λοχᾱγὸς vel λοχᾱγὸς Manni Pir., Dub. : λοχᾱγὸς Gr.
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Contenu (face A) : le texte est trop fragmentaire pour pouvoir proposer une traduction. Résumé (face B) : A été envoyé Euôpidas ; Dieuchès (est) chef d’escadron. (Signé) Daitis. Face A A 1–2 : sans doute une séquence [---]αι ἵνα μ|[?], d’après la proposition de Maria Teresa Manni Piraino ; au début de la ligne, elle restitue [εὔχομ]αι, ce qui est loin d’être assuré. On compte plus d’une vingtaine de caractères par ligne. A 2 : fin d’un dat. pl. [---]+++κοις (lecture différente de celle de M. T. Manni Piraino). A 3 : fin d’un infinitif passif [---]νεσθαι, pour lequel les possibilités de restitution sont trop nombreuses. A 4–5 : traces de lettres. Face B B 1 : Εὐπίδας a été différemment interprété. Pour M. T. Manni Piraino, il serait soit un anthroponyme, soit un gentilice, soit des divinités féminines ; pour Renato Arena, il serait le gentilice de Διεύχς (cf. comm.). Il s’agit de toute évidence d’un anthroponyme, connu à Camarina (Ζευξίας Εὐ|πίδα, milieu du Ve s.)1, Tarente (Arena, Iscrizioni V 10 : Εὐ〈〉πίδας ἐποί, début du Ve s. ), Cyrène (SEG XVI 868 : gén. Εὐπίδα, IVe–IIIe s.), Héraclée du Pont (LGPN V.A 188, ca. 420–400)2, Athènes (IG II² 1951 : Εὐωπίδης, début du IVe s.) et Chios (SGDI III.2 5674 : Εὐω[πί]δης, Ve s.). || Déjà en 1969, M. T. Manni Piraino reconnaît dans hΙΑΛΕ une forme du verbe ἰάλλω, « envoyer », dont Hérodien (I, 539) avait précisé la forme attique ἱάλλω ; elle y voit soit l’imparfait ἵαλλε, soit plutôt l’aoriste ἵᾱλε (sous sa forme dorienne), dont le sens serait « Εὐωπίδης ἔπεμψε ». Le verbe hιάλ avec une valeur passive était connu dans le formulaire initial d’un décret lacédémonien de Délos (I. Délos I 87, ca. 403–399 : Θιός.| hιάλ τὰ τ|έλ τν Λα|κεδαιμον|ίον ἐς Δᾶλ|ον κτλ.)3, mentionné en 1970 par M. T. Manni Piraino. Elle interprète par ailleurs cette séquence comme Εὐωπίδᾱς (sujet) ἱάλη (verbe passif)4. B 2 : l’anthroponyme Διεύχς5 entre dans la série des composés du type Διονυσεύχης (Érétrie) ou Πολυεύχης6. || M. T. Manni Piraino et C. Grotta suggèrent que l’interponction marque une articulation du texte. Je crois qu’il s’agit simplement de délimiter deux mots : on peut donc comprendre que c’est Dieuchès qui est le lochage, sans exclure pourtant, comme l’ont fait d’autres éditeurs, que le lochage soit le dernier nommé, Daitis. || λοχᾱγός est un grade militaire, désignant le chef d’un λόχος, subdivision militaire et parfois civique7 ; on peut écarter ici la possibilité d’avoir un sobriquet utilisé comme anthroponyme (cf. Bechtel, Personennamen 287 et 515 : Λοχαγός). B 3 : Δαῖτις est connu comme toponyme éphésien8 ou comme épithète d’Artémis et d’Aphrodite9. Cependant, dans notre cas il doit s’agir d’un nom de personne, attesté pour la première fois. On connaît en effet des noms en Δαιτι-, Δαιτο- (Bechtel, Personennamen 113–114), avec une suffixation masculine bien attestée en Sicile10. Cordano 1992, n° 50 (cf. SEG XLII 846). Nom d’un fabricant d’amphores, cf. Balabanov/Garlan/Avram 2016, p. 89. 3 Guarducci, Epigrafia greca, I, 1967, p. 284–285, n° 6 (photo p. 285, fig. 133). 4 R. Arena entend en revanche un aoriste avec une valeur active (hίᾱλε), comme chez Homère, et l’explique comme un verbe employé pour une action militaire. Selon lui, cette lamelle de plomb, destinée à recevoir une defixio, a été réutilisée comme un projectile (glans) ; en appui, il cite l’emploi du gentilice au nom. pl. sur deux boules d’argile du Ve s. de Naxos (en Sicile), qui seraient des projectiles d’après F. Cordano, mais qui sont plutôt des identificateurs d’individus (cf. L. Dubois, I. dial. Sicile II 4ab : Πολλίδαι et Ἑρμῶνδαι). 5 Cf. Bechtel, Personennamen 156. On en connaît plusieurs occurrences à Athènes (dont Διεύχης père d’un Ἐπεύχης), à Égine, en Arcadie, en Élide et à Cos ; voir aussi le dérivé Διευχίδας à Mégare. 6 Moins vraisemblable était l’éventualité évoquée par M. T. Manni Piraino, d’un syntagme prépositionnel δι᾿ εὐχς (= δι᾿ εὐχῆς, qui plus est, en graphie ionienne). 7 Grotta 2008, p. 262–264. 8 Etym. M., Etym. Sym. et Ps.-Zonaras, Lex., s. v. Δαιτίς. 9 Etym. M., s. v. Δαιτίς ; I. Ephesos IV 1202 (IIIe s., épiclèse d’Aphrodite à Éphèse). 10 Manni Piraino 1964–1965. Parmi ces composés, cf. Δαιτόφρων Εὐδαιτίδ (IG II² 7946, Athènes) et Χαριδαιτίς (IG VII 2579, Thèbes de Béotie). 1 2
*55. Possible message militaire de Daitis, au sujet d’Euôpidas et du lochagos Dieuchès (Himère)
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M. T. Manni Piraino se demandait si ΔΑΙΤΙΣ n’était pas une épithète jointe à λοχᾱγός, pour indiquer une fraction de la population (tribu ?) sur laquelle Dieuchès avait juridiction en tant que lochage. L’anthroponyme a été expliqué par L. Dubois soit comme un nouvel hypocoristique en -ις des noms en Δαιτο- (Bechtel, Personennamen 114), soit comme un nom d’agent fossile en -τι correspondant à δαίτης, -δαίτας, Δαίτωρ11. Un mot identique, qui apparaît sur une bande de plomb sicéliote de provenance et de date inconnues (conservée dans une collection privée), à son tour opisthographe12, a été compris différemment. Sur une face se trouve une formule sans parallèle, quoique rappelant les formules des questionnaires oraculaires, Φιδίας ἐφίεται εὐτυχεῖν, « Phidias aspire à réussir » ; sur l’autre, un texte plus long : [---]? Σσις καὶ Ἐπ[ί]δαμος καὶ Φερσέφασσα Πασικ[ρ]άτεος δαιτὶς [---]ΙΑΙ[---|---]ρον ἔξος πάντα τᾶς τάφρου αὐτοὺς κὰτ τὰν δίκαν τὰν ἐπὶ φέροντι τὰν θεόν. Selon G. Manganaro, Phersephassa serait un anthroponyme féminin, celui d’une victimaria, δαιτίς. En revanche, selon l’interprétation plus convaincante de L. Dubois, on aurait affaire à un nom d’agent féminin nouveau δαιτίς, le texte étant celui d’une defixio ; en effet, il convient de reconnaître la déesse des Enfers sous une désignation gamonymique, Φερσέφασσα Πασικ[ρ]άτεος δαιτίς, à savoir Perséphone « commensale de Pasikratès »13. Commentaire : La découverte de la lamelle inscrite a occasionné une publication préliminaire par M. T. Manni Piraino en 1969, en raison de l’intérêt du document pour l’alphabet de la cité d’Himère14. En effet, entre 475 et 450, Himère passe d’un alphabet de type chalcidien avec des signes complémentaires « rouges » à un alphabet « bleu », mutation déjà connue par ses légendes monétaires. On rencontre le même phénomène, à la même époque, à Géla et dans son territoire. Dans les deux cas, ce passage s’opère vraisemblablement sous l’influence de Sélinonte. Himère (Ἱμέρη/Ἱμέρα), célèbre comme patrie de Stésichore, fut fondée en 648 par des œcistes venus de Zancle (colonie chalcidienne) ainsi que des fugitifs de Syracuse (οἱ Μυλητίδαι), au nord de la Sicile, au centre d’un golfe situé entre les promontoires de Cefalù et de Termini Imerese, à l’embouchure du fleuve Imera Settentrionale (ou Fiume Grande). Avec Mylai, Himère reste le seul site grec sur la côte nord de la Sicile. En 480, après la défaite de ses alliés carthaginois, elle passe sous la domination de Théron d’Agrigente, qui en 476 fait massacrer les citoyens par son fils Thrasydaios. Repeuplée avec des émigrants d’origines diverses, d’où l’imbrication, dans les inscriptions, d’éléments ioniens (alphabet archaïque et dialecte eubéens) et d’éléments doriens (maintien du ā)15, Himère sera rasée en 409 par les Carthaginois16. Selon le commentaire avisé de D. Knoepfler, les trois noms de notre document sont une belle illustration de la krasis linguistique à Himère dont parle Thucydide17. Euôpidas et Dieuchès pointent vers un milieu péloponnésien, donc dorien, étant donné que le dernier nom est attesté à Égine, en Élide et plusieurs fois en Arcadie18 ; Daitis pourrait appartenir, en revanche, au vieux fond chalcidien de la colonie, puisque des anthroponymes en δαίς/δαιτός (« banquet ») sont typiques de la région béoto-eubéenne des deux côtés de l’Euripe19.
L. Dubois, I. dial. Sicile, I, 1989, p. 14. Manganaro 1997, p. 323–330, n° 12 (ph. p. 342), qui pense à un contrat d’affermage ; L. Dubois, BÉ, 1999, 642 (defixio) ; SEG XLVII 1469 ; Jordan 2000, n° 80 ; I. dial. Sicile II 116. 13 Il s’agit d’Hadès, son époux, désigné par l’épithète fonctionnelle « maître de tous ». Cf. une liste comprenant des mortels (νεκυδαίμονες ?) et une immortelle, la divinité Πασικράτεια, grâce à laquelle la victoire a été obtenue, dans une inscription de Sélinonte (I. dial. Sicile I 78, ll. 5–6, Ve s.). 14 Pour la documentation épigraphique d’Himère, voir Manni Piraino 1976 ; Grotta 2008. 15 Les nomima chalcidiens y dominent (Thucydide 6.5.1) ; en dernier lieu, voir Brugnone 2003. 16 Sur l’histoire de la cité, voir L. Dubois, I. dial. Sicile, I, 1989, p. 9–10 ; Arena, Iscrizioni, III, 1994, p. 55 ; Fischer-Hansen/ Nielsen/Ampolo 2004, p. 198–201, n° 24. 17 Thucydide 6.5.1 mentionne la langue bigarrée d’Himère, en raison de la fondation conjointe par les Chalcidiens de Zancle et les Mylétides (bannis de Syracuse, fondation corinthienne). 18 Voir supra, commentaire de la ligne B 1. 19 Knoepfler 2007, p. 97. Il cite ainsi Δαίτων (Chalcis), Δαιτώνδας (Thèbes), Δαίτιχος (Érétrie, Thespies), Δαιτάδας (Béotie), Δαῖτος (Locride) et Δαιτόλαος. Sur le caractère béotien du nom Δαιτώνδας (et des noms en Δαιτ-), voir J. et L. Robert, BÉ, 1959, 184 (comm. n° 163). 11 12
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Le caractère de ce document sur plomb a été très débattu : lettre de recommandation (« lettera commendatizia ») ou demande d’hospitalité pour un ami, selon M. T. Manni Piraino, qui donna une nouvelle lecture après l’ouverture de la plaquette de plomb ; possible defixio pour D. R. Jordan, qui signale ce plomb d’Himère dans son Survey de 198520 ; « a letter with the name of the sender and addressee seemingly written on the ‹cover› », selon A. W. Johnston21 ; possible message militaire, pour L. Dubois, en raison de la mention d’un lochage, chef d’un escadron (« On a envoyé Euôpidas, Dieuchès ; chef d’escadron : Daitis ») ; pour R. Arena (1996), il serait question d’une lamelle remployée par un frondeur (comme defixio), qui indique son nom, son gentilice et le nom du commandant : « Euôpidas Dieuchès s’est précipité ; Daitis (était) commandant », ce qui est toutefois trop spéculatif. La dernière édition et le commentaire de Cristoforo Grotta, qui s’inscrit à juste titre contre l’usage de cette lamelle comme projectile, met en rapport le terme de lochage avec une subdivision d’Himère, à la fois civique et militaire (des λόχοι)22. Pour parler avec D. Knoepfler, on a affaire à « evidently a meaningful (though to us enigmatic) sequence ». À la lumière d’autres textes sur des lamelles de plomb, même si la face interne est trop abîmée pour qu’elle puisse livrer des séquences cohérentes, nous pouvons raisonnablement supposer qu’il s’agit d’un message, sans doute à caractère militaire. Sur la face interne de la lamelle, la première qui fut gravée, ont été inscrites plusieurs instructions, comme le suggèrent les bribes encore visibles : [---]αι ἵνα μ|[?] ἐξν[α]ι (ll. 1–2) et [---]νεσθαι (l. 3). Ce texte occupait, paraît-il, l’ensemble de la superficie interne de la plaque de plomb. Une fois le texte gravé, la lamelle a été pliée en deux et une sorte de résumé a été inscrit sur l’une des faces externes (le versant correspondant au versant inférieur de la partie interne, plus effacé). Ce dernier texte est noté en caractères plus grands, sur trois lignes, avec une certaine mise en page. L’expéditeur, qui résume et signe le message, semble avoir été Daitis23.
56. Lettre sur ostrakon au sujet d’une ferme d’oliviers (Lepcis Magna)
56. Lettre sur ostrakon au sujet d’une ferme d’oliviers (Lepcis Magna) Découverte, contexte : tesson découvert à Lepcis Magna (Tripolitaine). Date : Antiquité tardive. Inédite. Bibliographie : Várhelyi/Bagnall 2009, p. 344.
À l’occasion de l’édition d’ostraka en grec et en latin trouvés à Meninx (île de Girba/Djerba), datant de la fin du IVe et du début du Ve s. de notre ère, Zs. Várhelyi et R. S. Bagnall donnent un aperçu de la literacy à usage commercial dans d’autres sites tardo-antiques de l’Afrique du Nord24. Parmi des documents divers tels des ordres et des comptes, ils citent une lettre inédite en grec, sur ostrakon, provenant de Lepcis Magna. Selon les renseignements fournis par Joyce Maire Reynolds per litteras, ce document serait la lettre d’un agent donnant le rapport sur une ferme d’oliviers : « from a domestic site at Lepcis Magna, with a letter of an agent reporting on an olive farm ». En dépit de mon enquête, il n’a pas été possible d’obtenir de plus amples informations sur la pièce.
20 Jordan, Survey, 1985, p. 178 ; López Jimeno 1991, p. 202, n° 39 ; Curbera 1999, p. 181, n° 51 (avec des réserves : « ma l’uso della seconda persona ‒ ἐάοις ‒ sarebbe strano in defixiones di quest’epoca ») ; López Jimeno 2001, p. 164, n° 357. 21 Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 456. 22 Des φρατρίαι sont connues à Himère, dans une loi sur table de bronze, ca. 500 (I. dial. Sicile II 15, l. 4). Cf. le texte d’Aristote : κατὰ φρατρίας καὶ λόχους καὶ φυλάς (Pol. V 1309a 10–15). Cf. déjà Brugnone 1993–1994, p. 497. 23 En 1976, M. T. Manni Piraino se demandait à propos d’Euôpidas et Daitis : « destinatario e mittente ? ». 24 Várhelyi/Bagnall 2009, p. 334–344 ; voir aussi Bagnall 2011, p. 125. Un ostrakon grec fragmentaire des IIIe–Ve s., provenant d’Afrique du Nord et conservé au Louvre, comporte peut-être la séquence [κατ]ὰ κοινων[ίαν] ; voir Ast 2016, p. 26–28, n° 16.
Fig. 156. Carte de l’espace phocéen occidental.
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
*57. Possible lettre opisthographe sur plomb (ou defixio ?) mentionnant Hermophanès (Antipolis) *57. Possible lettre opisthographe sur plomb (ou defixio ?) mentionnant Hermophanès (Antipolis)
Découverte, contexte : fragment de lamelle de plomb, découvert entre 1955 et 1961, sous un mur de pierres sèches, lors des fouilles de J. Clergues, R. Garreau et J. Marguier, déterminées par des travaux de terrassement à Antibes (Alpes-Maritimes) ; il a été trouvé dans un dépotoir au pied du mur nord du château Grimaldi, sous le chemin en direction de la cathédrale. Ce dépotoir a également livré, entre 2 et 2,50 m, de nombreux tessons attiques à figures rouges (Ve–IVe s.), de menus fragments à figures noires, un fond d’aryballe en pâte de verre bleu à filaments jaunes égyptien, un gisement de céramique phocéenne, etc. Support, mise en page : morceau de forme trapézoïdale d’une lamelle qui à l’origine devait être rectangulaire. Dimensions : ht. 6,2 cm ; lg. 4,2 cm (en haut), 2,8 cm (à la base). La lamelle est opisthographe : au recto, environ 12 lignes de texte ; au verso, où le texte est beaucoup moins lisible, environ 9 lignes de texte25. Traces de regravure ou correction (face A, l. 2). Dialecte : inconnu, car le déchiffement est partiel. Paléographie : écriture assez soignée ; ht. des lettres : 0,3–0,6 cm (recto) ; 0,3–0,5 cm (verso). Lettres remarquables : ny avec la seconde haste surélevée () ; sigma à quatre branches écartées. Date : Ve–IVe s. Conservation : Musée d’histoire et d’archéologie du Bastion Saint-André, Antibes. Édition : L. Mercuri, dans CAG, 06 (Les Alpes Maritimes), 2010, p. 171, n° 004/77* (édition diplomatique partielle). Bibliographie : Clergues 1957–1959, p. 56 ; F. Benoît, dans Gallia, 18, 1960, p. 319–320 (cf. SEG XIX 635) ; Clergues 1966, p. 35 ; [A. Oikonomides], Nice-Matin, 2 sept. 1972 (avec trad. fr.) ; Aris 1981, p. 52 ; Pollino 1983, p. 17 ; Schoder 1983, p. 92 ; Jordan 1985, p. 183 ; Bats 1988a, p. 134 (= Bats 2013, p. 124) ; Morena/Counord 1994, p. 16 ; Bailliot 2010, p. 139 ; Martin 2012, n° 1 ; Mullen 2013, Appendix 2, n° 27. Illustrations : F. Benoît, dans Gallia, 18, 1960, p. 320, fig. 48 (ph. de la face A) ; Clergues 1966, fig. 30 (ph. de la face A) ; Morena/Counord 1994, p. 16 (ph. de la face A) ; CAG, 06 (2010), p. 171, fig. 73 (ph. de la face A). Note sur le document : la même photo est publiée par Benoît (1960), Clergues (1966, qui déchiffre l’anthroponyme) et la CAG, 06 (2010). Lectures fantaisistes d’Oikonomides (1972), qui a vu le document au musée d’Antibes ; deux mots lus sur la photo par Jordan (1985) ; édition diplomatique très partielle dans la CAG, 06 (2010)26. J’ai fait l’autopsie du document au musée d’Antibes ; son édition est préparée par Michel Bats et Clément Sarrazanas.
Ce document d’Antipolis, fondation fortifiée massaliète27, fut présenté comme une defixio par Jacques-Henri Clergues (avec deux dates différentes : Ve–IVe s. en 1957–1959, IIIe s. en 1966) et par Fernand Benoît, suivis par de nombreux échos : le SEG (tablette de malédiction d’époque hellénistique)28, Alkiviadis Oikonomides (avec des lectures et des restitutions fantaisistes)29, Raymond V. Schoder, Michel Bats, Magali Bailliot, la notice de Laurence Mercuri dans la CAG (IVe s.?) et Alex Mullen ; la dernière remarque son absence du corpus IG France. En 1985, David R. Jordan lit, sur la photo, τὰ ὀνόματα et [Δ]αμοφάνες30. Seule une édition diplomatique partielle fut donnée en 2010, dans la CAG. Le caractère du document reste obscur. De prime abord, le contexte de la découverte (certainement un dépotoir) penche vers un tout autre type de document qu’une tablette de malédiction. La séquence déchiffrée par
25 Selon la description rapide de F. Benoît, « tabella defixionis de plomb opisthographe (fig. 48) (revers effacé) à caractères grecs (dialecte ligure ?), analogue à celles d’Eyguières et d’Elne (communiquée à M. Lejeune) ». Dans les archives de M. Lejeune (EPHE, Paris), je n’ai pourtant rien trouvé sur ce document. 26 --ΧΙΕΙ--|--Ε.ΦΝΕ.Α--|--ΟΙΤΕΠΑ--|--ΕΜΟ.ΑΝΕΣ--|--Π…ΙΤΟΕ--|--Ε.ΟΝΟ--|--Ο.Ο.Ε--|--ΝΤ--|--Α.Ι--. 27 Voir Domínguez 2004, p. 159. 28 Cf. SEG XIX 635 « tabellam plumbeam opisthographam, cum defixione Graecis lingua tamen fortasse Ligustica expressa ». 29 Cf. Nice-Matin, 2 sept. 1972 (« Le Professeur Oikonomides (Chicago) réussit à déchiffrer en partie une tabella du IIIe siècle avant J.-C. ») : « Invocation à Déméter et à tous les dieux de l’enfer . . . toutes les . . . choses que Damophanès fera . . . cette année . . . récolte détruite . . . pas de fécondation . . . les démons . . . pêche . . . chasse . . . pas d’enfants . . . Qu’il soit seul pour toujours ». 30 Jordan 1985, p. 183.
58. Billet sur tesson à Eutychès (Olbia de Provence)
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Jordan est peu plausible (τὰ ὀνόματα), car la ligne a été visiblement corrigée par le graveur : dans la séquence ΤΑΟΤΟΣ, les trois lettres ΟΤΟ furent remplacées par ΙΝΕ. Quant à l’anthroponyme, donné partout comme Damophanès, sa présence au vocatif serait étonnante au milieu d’une defixio. À vrai dire, sur la tablette on n’aperçoit que [-]+ΜΟΦΑΝΕΣ. Plutôt que [Δ]αμοφάνες, forme dorienne inattendue en milieu phocéen, je préfère lire le vocatif [Ἑ]ρμόφανες. Le seul mot reconnaissable dans ce document opisthographe est donc l’anthroponyme Hermophanès31. En plus de graffites d’époque hellénistique sur céramique campanienne, qui attendent toujours d’être publiés, et de quelques inscriptions généralement tardives, Antipolis a livré un document épigraphique exceptionnel. Il s’agit du « galet de Terpôn », de la fin du Ve ou du début du IVe s., qui est une étonnante dédicace à Aphrodite (IG XIV 2424 = IG France 84).
58. Billet sur tesson à Eutychès (Olbia de Provence)
58. Billet sur tesson à Eutychès (Olbia de Provence) Découverte, contexte : petit fragment céramique découvert peu avant 1967, lors des fouilles d’un îlot d’habitation d’Olbia de Provence, lieudit l’Almanarre (Hyères, Var). Support, mise en page : le graffite a été gravé sur le fond interne, vernissé, d’un tesson de bol de céramique campanienne A, Lamboglia 31 (CAMP-A 31a) (2,8 × 5,6 cm). Le tesson de forme ovoïdale a été choisi à dessein ; l’écriture suit la forme du tesson (cf. ll. 1, 6). Le texte occupe la quasi-totalité de la superficie disponible et comporte cinq lignes, sans coupe des mots en fin de ligne. Les lignes ne sont pas alignées à gauche, car le graveur a pris le soin d’évaluer l’espace disponible à droite (ainsi, ll. 3 et 6). Le premier mot (l. 1), sans doute celui du destinataire, est centré. Dialecte : koinè. Paléographie : lettres irrégulières, rapidement gravées, de dimensions variables, entre 0,3 (omikron) et 1,1 cm (le pi à la l. 4). Lettres remarquables : epsilon et sigma lunaires ; omikron petit ; pi à hastes inégales et à barre horizontale dépassante à gauche ; tau tantôt en forme de , à savoir une forme cursive, comme dans les papyrus (ll. 1–3, 5), tantôt de forme habituelle (l. 4) ; ômega cursif. Date : IIe s. Conservation : Centre de conservation et d’étude d’Olbia, Hyères (inv. i 451). Éditions : Coupry 1968, p. 244 ; Coupry 1971, p. 145, n° 11 (avec trad. fr.) (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1971, 728) ; Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 320 (avec trad. it.) ; Koumanoudis 1986, p. 158–159, n° II (cf. SEG XXXVI 949) ; Bats 1990, p. 212, n° 11 (avec trad. fr.) ; IG France 71 (J.-Cl. Decourt, 2004, p. 87, avec trad. fr.) (avec les obs. de A. Martin, AC, 76, 2007, p. 463) ; Santiago Álvarez 2006, p. 594–596 ; Ceccarelli 2013, p. 350, n° 31 (avec trad. angl.) ; Sarrazanas/Bats, à paraître, n° 7. Bibliographie : J. Coupry, Annales de la Société des Sciences Naturelles et d’Archéologie de Toulon et du Var, 1971, p. 31 (avec trad. fr.) ; Jordan 1978a, p. 93 (avec trad. angl.) ; Bats 1988a, p. 134 (= Bats 2013, p. 124) ; J. Coupry, M. Bats, dans Archéologie de la France : 30 ans de découvertes, Paris, 1989, p. 258, n° 146.1 (avec trad. fr.) ; Santiago 1993, p. 290 ; J.-P. Brun, M. Borréani, dans CAG, 83/1 (Le Var), 1999, n° 069.8, p. 445 ; Bats 2004, p. 19 ; Jordan 2007, p. 1365 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 60 (E13) ; Decourt 2014, p. 50, n° 2 (avec trad. fr.) ; Sarrazanas 2015, p. 553 et 561 ; Dana 2016, p. 98. Illustrations : Coupry 1971, Pl. 15 (ph.) ; Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 320, fig. 105 (ph.) ; Bats 1988a, p. 132, fig. 10 (ph.) [= Bats 2013, p. 124, fig. 10 (ph.)] ; IG France (2004), Pl. XVI, fig. 79 (ph.). Note sur l’édition : ce texte fort instructif fut signalé à plusieurs reprises par Coupry (1968, 1971), étant republié et discuté par Guarducci (1974), Koumanoudis (1986), Bats (1990), Decourt (2004), Santiago Álvarez (2006) et Ceccarelli (2013), notamment pour le sens de la première ligne. Une photo de qualité a permis la réalisation du fac-similé.
31 Les noms en Ἑρμο- sont fréquents en Ionie (LGNP V.A 166–171 et V.B. 151–154) et dans le domaine phocéen occidental, cf. Hermary/Tréziny 2000, p. 155.
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Fig. 157. Photo du tesson (Pl. XIII).
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Fig. 158. Fac-similé du tesson.
Εὐτύχη· ἀποστελῶ σοι ἐπιστολὴν περὶ τῶν σωματίων.
1 εὐτύχη (= εὐτύχει) Coupry, Bats 1990, Santiago : εὐτύχη vel Εὐτύχῃ Guarducci (Εὐτύχῃ Jordan) : Εὐτύχη Koumanoudis, Decourt, Ceccarelli
Eutychès ! Je t’enverrai une lettre au sujet des esclaves. L. 1 : le mot ΕΥΤΥΧΗ a été considéré par le premier éditeur, Jacques Coupry, comme une formule de vœux ou de politesse – et traduite « salut » ; il supposait en outre une graphie erronée pour l’impératif εὐτύχει32. Si l’on considère que les formules n’étaient pas figées, notamment sur les ostraka33 qui sont plus expéditifs et moins respectueux des règles épistolaires, on pourrait en effet envisager une formule de salut. Toutefois, Margherita Guarducci, intriguée par l’erreur et par la position inattendue de cette formule au début du message34, avait déjà proposé de lire alternativement un nom propre au datif, Εὐτύχῃ, comme nom du destinataire (« à Eutychès »)35. Enfin, une troisième possibilité, celle d’un vocatif, fut proposée par Stephanos N. Koumanoudis36, étant adoptée par J.-Cl. Decourt et les autres éditeurs. C’est manifestement la bonne solution37 : l’expéditeur anonyme – certainement connu par le destinataire qui recevait le message grâce à un intermédiaire – s’adresse directement à Eutychès38. Nom de bon augure, Εὐτύχης est banal dans l’ensemble du monde grec ; la forme apparentée Εὔτυχος est attesté au sanctuaire de l’Acapte39. L’expéditeur anonyme écrit donc rapidement à Eutychès, résidant d’Olbia de Provence. L. 2–3 : ἀποστελῶ σοι | ἐπιστολήν, mention précieuse d’un futur envoi d’une véritable lettre. L. 4 : le terme utilisé pour les personnes de statut servile mérité d’être commenté : σωμάτιον (l. 4), diminutif de σῶμα, sert à désigner un esclave, comme c’est le cas dans les papyrus d’Égypte40. Deux exemples suffiront : à 32 Coupry 1968, p. 244 ; Coupry 1971, p. 145. Or, J.-Cl. Decourt (IG France, 2004, p. 87), citant Collomp 1926, p. 60–70, note qu’il s’agit d’une clausule, et non d’une formule d’introduction ; cette clausule pourrait remplacer, seulement dans la partie finale, ἔρρωσο, répondant à l’ouverture χαῖρε. 33 Dans un billet attique sur tesson (3), le nom de l’expéditeur n’apparaît pas au début du message, mais bien en guise de signature à la fin (« Eumèlis, viens aussi vite que possible ! Arkésimos »), alors que le nom de la destinataire est au vocatif. 34 Dans ce corpus, on trouve la clausule εὐτύχει dans les lettres sur plomb de Massalia (59, l. 5) et Rhodè (66, l. 8), ainsi que dans le message sur vase de Nida en Germanie Supérieure (72, l. 4). 35 Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 320. 36 Koumanoudis 1986, p. 159. 37 Sans pouvoir exclure un vocatif Εὐτύχῃ, cf. le prescrit simplifié de la lettre sur tesson de Chersonèse Taurique, Τιμοσθένηι | χαίρν (39, ll. 1–2). 38 Plutôt le masculin Εὐτύχης que le féminin Εὐτύχη. 39 Cf. Coupry/Giffault 1982, p. 364. 40 Scholl 1983, p. 13–15 (σῶμα) ; Straus 1976, p. 337 ; Straus 1981, p. 387 ; Straus 1988, p. 848 (σῶμα et σωμάτιον).
58a. Annexe : La fausse lettre de la « chère Mnèsinoè » (Olbia de Provence)
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l’époque hellénistique, une lettre de Philôtas dans les archives de Zénon, ἠξ[ί]ωσεν ἡμᾶς Κρότος γράψαι πρὸς σὲ περὶ τῶν σωματίων τῶν ἀποχωρησάντων ἐκ το[ῦ Γα]ζαίων λιμένος, « Krotos m’a prié de t’écrire au sujet des esclaves qui s’étaient enfuis du port des Gazéens » (P. Cair. Zen. V 59804, ll. 1–2, du 6 septembre 258, trad. Cl. Orrieux) ; au IIIe s. ap. J.-C., dans une lettre du nome hermopolite de Dioskoros avertissant sa sœur Eus qu’il ne va pas acheter des esclaves, car ils sont trop chers là où il se trouve, τὰ δὲ σωμάτια πολλοῦ ἐστιν ἐνθά[δ]ε καὶ οὐ συμφέρει ἀγοράσαι (P. Ryl. II 244, ll. 10–12). Commentaire : Ce bref billet sur tesson, trouvé à Olbia de Provence, établissement militaire massaliète fondé vers 32541, est en réalité une note faisant référence à une lettre qui devait être envoyée, au sujet des esclaves (vente ? achat ? autre affaire ?). On a rencontré ce type de sujet dans la lettre d’Apatorios à Léanax, d’Olbia du Pont, à la fin du VIe s. (26, l. 9 : περὶ τῶν οἰκιητέων : Θυμώλεω), où il constitue un deuxième message séparé par une ligne du sujet principal de la lettre. Comme le remarque M. Guarducci42, ce message qui annonce une lettre est en réalité une lettre lui-même. La formule la plus inspirée pour définir ce type d’envoi est sans doute celle proposée par J. Coupry : « Lettre suit »43. Cette dernière missive, qui ne nous est pas parvenue, est désignée comme ἐπιστολή. Elle devait être plus longue, contenant peut-être des détails que seuls les yeux du destinataire étaient censés lire, alors que le message inscrit sur l’ostrakon pouvait être lu par tout le monde, à commencer par son porteur. Pour ces raisons de confidentialité, le support de la lettre annoncée pouvait être le papyrus, sinon des tablettes cirées ou bien une lamelle de plomb.
58a. Annexe : La fausse lettre de la « chère Mnèsinoè » (Olbia de Provence)
58a. Annexe : La fausse lettre de la « chère Mnèsinoè » (Olbia de Provence) Découverte, contexte : deux tessons jointifs, provenant du même fragment de coupe campanienne Lamboglia 8 Bc (CAMP-A tard), retrouvés lors des campagnes de fouilles débutées en 1956 (1956–1963), sur le site d’Almanarre à Olbia de Provence (Hyères, Var). Support, mise en page : le tesson (5/6 × 11 cm)44, ou plutôt un fragment plus grand, fut ultérieurement brisé en deux ; des parties des bords sont perdus. Sur la face extérieure du tesson (et très certainement du vase) on aperçoit plusieurs groupes de lettres, certainement gravés à plusieurs reprises, dont une ligne qui est regravée sur un texte antérieur (voir commentaire). Dialecte : exercices d’écriture (koinè). Paléographie : lettres assez profondément gravées ; trois textes écrites à des moments différents, de taille inégale. Ht. des lettres : 0,5–0,8 cm (texte I), 0,7–1 cm (texte II ; et 1,5 cm pour phi), 0,4–0,6 cm (texte III). Lettres remarquables : epsilon et sigma lunaires ; my avec les hastes élargies ; phi à petite boucle triangulaire. Date : fin du IIe s. Conservation : Centre de conservation et d’étude d’Olbia, Hyères (inv. i 115). Éditions : Coupry 1964, p. 319 (avec trad. fr. ; cf. J. et L. Robert, BÉ, 1966, 503) ; Coupry 1971, p. 145, n° 10 (avec trad. fr.) (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1971, 728) ; Bats 1990, p. 212, n° 10 (avec trad. fr.) ; IG France 72 (J.-Cl. Decourt, 2004, p. 88–89). Bibliographie : J. Coupry, Annales de la Société des Sciences Naturelles et d’Archéologie de Toulon et du Var, 1971, p. 31 (avec trad. fr.) ; Bats 1988a, p. 134 (= Bats 2013, p. 124) ; J.-P. Brun, M. Borréani, dans CAG, 83/1 (Le Var), 1999, n° 069.8*, p. 445 (cf. J.-Cl. Decourt, BÉ, 2001, 575) ; Decourt 2014, p. 49, n° 1 (avec trad. fr. de J. Coupry) ; Dana 2015a, p. 123–124 ; Sarrazanas 2015, p. 554 et 562.
Dans les sources anciennes, polis fondée par Massalia (Ps.-Scymnos 216), alors que pour Strabon 4.1.5 (C. 180) il s’agit d’un ἐπιτείχισμα des Massaliotes contre les barbares. Sur le site, voir Coupry 1964 ; Coupry 1974 ; Bats 1990, p. 207–210 ; J.-P. Brun, M. Borréani, dans CAG, 83/1 (Le Var), 1999 ; Domínguez 2004, p. 160 ; sur les graffites, voir Sarrazanas 2015. 42 Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 320 : « Sta sano. Ti manderò une lettera intorno agli schiavi ». 43 Coupry 1971, p. 145 (« Salut. Je t’enverrai une lettre concernant les esclaves »). 44 Je remercie pour ces détails Clément Sarrazanas. 41
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Illustrations : Coupry 1971, Pl. 18 (ph.) ; Bats 1990, p. 212 (ph.) ; IG France (2004), Pl. XVI, fig. 80 (ph.) ; Dana 2015, p. 327, fig. 8 (ph.). Note sur l’édition : ce texte curieux fut signalé et publié comme une lettre privée par Coupry (1964, 1971), puis republié et discuté par Bats (1990) et Decourt (2004). Des photos de qualité ont permis la réalisation du fac-similé et d’avancer une autre interprétation du caractère du texte.
Fig. 159. Photo du tesson.
Fig. 160. Fac-similé du tesson.
[Texte I] a) [Τ?] ΟΙ C
b) Τ ΟΙ C
a) Ε|Α(?)Ι(?)C Decourt || b) οἰ(κ)ε(ῖα)? Coupry/Burguière 1964 : οι|σε Coup. 1971
[Texte II] [----?] ΜΝΗ ΝΟΗ ΦΙΛΗ 1–2 Μνησι|νόης ΟΙ [= οἰ(κ)ε(ῖα)?] Coup./Burg. 1964 : Μνησι|νόης οἶ(σ)ε Coup. 1971 : ΜΝΗ . C|ΝΟΗC ΟΙΕ Dec. || 3 φίλης τάδε Coup. : ΦΙΛΗCCΤΑΔΕ Dec.
[Texte III] CΤΑΔ[---] 1 φίλης τάδε Coup. : ΦΙΛΗCCΤΑΔΕ Dec.
Texte I Deux groupes de lettres, disposées en croix, très probablement identiques, ont été inscrites dans un premier temps sur un seul tesson – ou plutôt sur le vase avant qu’il ne soit brisé. Ces groupes de lettres étaient disposés alors de manière symétrique, autour du vase ou sur un tesson de grandes dimensions. Dans le groupe b, la lecture d’un tau est possible mais non assurée (un gamma est également envisageable). Cette relecture diffère nettement des propositions antérieures (J. Coupry, J.-Cl. Decourt). Texte II L. 1–2 : avec l’aide de P. Burguière, J. Coupry avait lu et transcrit en 1964 Μνησινόης, alors qu’en 1971, plus prudemment, il pointe le iota : Μνησινόης. J.-Cl. Decourt voit ΜΝΗ, puis, « après un espace plus grand qu’entre
58a. Annexe : La fausse lettre de la « chère Mnèsinoè » (Olbia de Provence)
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les trois premières lettres, une très courte trace de bas de lettre, qui pourrait n’être qu’une éraflure (…) puis un tracé qui évoquerait le sigma de la l. 2 et le premier de la l. 3 ». Il pense que la ligne n’est pas terminée, mais « qu’on pourrait apercevoir sur l’objet les traces tenues de bas de lettres »45. En réalité, grâce à une meilleure photographie que j’ai sollicitée auprès du Musée d’Hyères46, je peux affirmer qu’il s’agit de minuscules accidents du tesson et pas de lettres qui se seraient effacées. L. 2–3 : dans son édition des IG France, J.-Cl. Decourt lit ΝΟΗC, en pointant le ny car sa haste verticale gauche se trouve dans la cassure ; il pense que le sigma surcharge légèrement l’êta, et que le mot suivant, ΟΙ, est un peu décalé. En réalité, il n’y a point de sigma après ΝΟΗ, car partout les lettres sont bien espacées et il faudrait supposer deux lettres collées ; la photo permet de remarquer qu’il s’agit d’un simple accident du tesson. Concernant la dernière séquence, plusieurs hypothèses ont été émises. Dans la première édition du tesson, J. Coupry considère le mot ΟΙ énigmatique, mais propose toutefois de lire, selon une suggestion de P. Burguière, οἰ(κ)ε(ῖα), et donc Μνησι|νόης ΟΙ [= οἰ(κ)ε(ῖα)?] | φίλης τάδε, avec la traduction « Ceci est la propriété de la chère Mnèsinoè ». P. Burguière lui avait en effet suggéré de voir dans le groupe des lettres isolées ΟΙ les vestiges d’une répétition possible de la même formule47. Dans sa reprise du tesson, quelques années plus tard, Coupry proposait une autre restitution, οἶ(σ)ε, en supposant que le sigma, plus grand et d’une autre forme, lui semblait-il, que ceux qu’on lit avant lui, avait été ajouté « au-dessous de l’iota de la 1. 2, mais de telle manière que cette lettre se rencontra avec le Τ de la troisième ligne ». Il prenait appui, encore une fois, sur le groupe de lettres qui se trouvaient à gauche, où il faudrait lire, à la hauteur même des ll. 2–3, non point οι|κε, mais plutôt οι|σε (le futur du verbe φέρω, IIIe pers. sg., employé comme impératif)48. Il arrive ainsi au texte restitué Μνησι|νόης οἶ(σ)ε | φίλης τάδε, traduit : « Porte ceci à la chère Mnèsinoè »49. En effet, cette interprétation a donné naissance à la thèse d’une lettre envoyée à une certaine Mnèsinoè, porteuse d’un joli nom. En réalité, si l’on regarde la façon dont les lettres ont été tracées, il est certain que nous sommes devant deux inscriptions gravées à des moments différents. D’abord, le grand tesson (ou bien le vase) fut choisi pour graver (au moins) deux groupes de lettres disposées en croix, de signification énigmatique, et s’apparentant plutôt à un exercice d’écolier. Dans un second temps, le même tesson fut utilisé pour graver trois lignes – voire plus, car la première ligne conservée est abîmée par une cassure ultérieure – en caractères visiblement plus grands dans la partie centrale, entre les groupes a et b, plus près en réalité du groupe b. Texte III Enfin, dans un troisième temps, une autre ligne, en caractères plus petits par rapport au texte II, a été gravée à la suite de ΦΙΛΗ, ce qui a entraîné la gravure du tau de CΤΑΔ[---] sur le sigma du texte I. Commentaire : Les difficultés liées à l’établissement du texte ont empêché la compréhension globale de ce bref document. Dans sa seconde édition, où il prend en compte, comme dans la première, le groupe gravé à gauche (mon texte I), J. Coupry suggère qu’il s’agit de la fin du texte. Pour ce savant, la structure, qui semble respecter un mètre choriambique, ainsi que la construction alternée, indiqueraient un caractère « littéraire », peut-être une copie d’écolier. Pour J.-Cl. Decourt, on est en présence des deux parties d’un seul et même document. La lecture devrait commencer par ce qu’il appelle le texte A (ΜΝΗ . C|ΝΟΗC ΟΙΕ | ΦΙΛΗCCΤΑΔΕ), après lequel on aurait une lacune importante en raison de la perte d’une partie du vase, et s’achever par ce qu’il appelle le texte B [Ε|Α(?)Ι(?)C]. Dans ce cas, conclut Decourt, chaque ligne du texte A est amputée à droite. Il n’y aurait
J.-Cl. Decourt, IG France, 2004, p. 88. J.-Cl. Decourt « n’a pu voir le document original et (…) propose une lecture moins assurée » (cf. Sarrazanas 2015, p. 554 n. 13). 47 Coupry 1964, p. 319. 48 Coupry 1971, p. 145. 49 J. et L. Robert n’acceptent ni la première hypothèse/traduction de J. Coupry (BÉ, 1966, 503 : « Cela n’a aucune vraisemblance. Nous attendrions une inscription du type Μνησθῇ, mais on ne peut rien conjecturer dans l’état de la publication »), ni la seconde, « qui nous semble aussi énigmatique dans sa nouvelle version que dans la précédente » (BÉ, 1971, 728). 45 46
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pas de continuité pour les trois lignes50 et, par conséquent, le nom féminin Μνησινόη, attesté seulement chez Plutarque comme un nom ancien de Léda51, disparaîtrait. Comme nous l’avons vu, la dernière séquence de la l. 3, CΤΑΔ[–], est écrite en caractères visiblement plus petits et en ligne légèrement ascendante vers la droite, de façon à suivre la forme du tesson ; ce détail montre que le grand tesson était déjà brisé quand ce troisième texte a été incisé ; il continuait peut-être sur le morceau à droite, aujourd’hui perdu. Nous pouvons à présent éclaircir la signification des séquences gravées sur ce fragment céramique. Le grand tesson, comportant un exercice d’écriture avec deux groupes de lettres disposées en croix (peut-être sur un vase avant sa cassure), fut utilisé comme un palimpseste pour un deuxième exercice. Ce dernier comporte trois lignes (ou plusieurs, avant la cassure ?) parfaitement alignées à gauche : – l. 1, la syllabe ΜΝΗ, qui renvoie à une notion évoquant la mémoire (μνήμη, etc.) : – l. 2, deux syllabes, ΝΟΗ, évoquant une autre notion abstraite, la réflexion (νόημα, etc.) ; – l. 3, deux syllabes, ΦΙΛΗ, qui est soit un adj. fém., φίλη, soit un terme appartenant à la même famille sémantique. Le troisième texte, gravé à la suite de la l. 3 du texte II, reste énigmatique : CΤΑΔ[–]. À Olbia de Provence, outre le message sur tesson au sujet des esclaves (58), la moisson épigraphique compte une defixio (IG France 70, IIe–Ier s.), le dossier toujours inédit des dédicaces du sanctuaire d’Aristée de l’Acapte (cf. IG France 68) et plusieurs exercices d’écriture, la plupart inédits52. Plus à l’ouest dans le domaine massaliète, le site de Lattara (auj. Lattes) est connu pour avoir livré deux exemples d’exercices d’écolier sur tesson53 : (1) un abécédaire complet et correct jusqu’à la lettre lambda ; (2) un exercice exceptionnel dans la documentation hors Égypte. Sur un tesson de Campanienne A furent inscrites, vers 200 avant notre ère, trois lignes : – l. 1, le début d’un abécédaire grec : Α Β Γ Δ [---] ; – l. 2, le mot monosyllabique κνάξ, « lait blanc ». Ce terme, cité par Hésychios d’Alexandrie, s. v. κνάξ (Κ 3086)· γάλα †λευκόν, est déjà présent dans le soi-disant « livre d’écolier » du Fayoum (en réalité, un livre du maître d’école) de la fin du IIIe s.54, dans une série de mots monosyllabiques difficiles à prononcer qui se terminent en ξ. Il est en outre cité par Clément d’Alexandrie dans une formule enfantine, κνὰξ ζβὶχ θύπτης φλεγμὼ δρόψ55. – l. 3, la lettre tau et un autre signe. D’après les parallèles papyrologiques, Jean-Luc Fournet reconstitue cet exercice sur tesson de Lattara comme étant le plus ancien exemple connu de chalinos (« frein ») scolaire56 ; en même temps, il constitue un pangramme, ce qui est prouvé par l’association avec l’alphabet57 : αβγδ[εηζθικλμνξοπρστυφχψω] κναξ[ζβιχθυπτησφλεγμοδρωψ] τω[ ]. Tout bien considéré, ce graffite sur tesson d’Olbia de Provence ne peut guère être interprété comme un bref message comportant des instructions, en rapport avec une certaine Mnèsinoè, dont le nom ne se lit certaine-
J.-Cl. Decourt, IG France, 2004, p. 88–89. Plutarque, De Pyth. orac. 14 (Mor. 401 b). 52 Cf. Sarrazanas 2015, p. 559 n. 31. 53 Voir Bats 1988a, p. 127–128 (= Bats 2013, p. 117–118) ; Bats 1988b, p. 148 (n° 9) et 151 (n° 37) ; Bats 2003, p. 375–376 (ph. à la p. 375, fig. 9–10) ; Bats 2004, p. 9–10 ; Bats 2011a, p. 215–216 (ph. p. 215, fig. 22). 54 Guéraud/Jouguet 1938. Voir Cribiore 1996, p. 39–40 (sur les exercices du type χαλινοί dans les papyrus, e.g. κναξζβιχ) et 269, n° 379 (« le livre d’écolier ») ; Merkelbach 1985. 55 Clément d’Alexandrie, Strom. 5.8.48 ; il cite un fragment de Thespis, ainsi qu’Apollodore de Corcyre, qui donne à ce mot le sens de « maladie de peau ». 56 Fournet 2000. 57 L’exemple de Lattara figure chez Lougovaya 2017b, p. 164 (n° 6), 165, 167 (ph. p. 166, fig. 1). 50 51
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ment pas. En réalité, il s’agit d’une série d’exercices d’écolier, qui représente un témoignage supplémentaire de l’apprentissage de l’écriture dans cette région touchée par l’expansion grecque.
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59. Lettre sur plomb de Mégistès à Leukôn (Massalia) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte enroulée en 1997 par Antoinette Hesnard, lors des fouilles de sauvetage de la place Villeneuve-Bargemon à Marseille, dans un contexte archéologique de la seconde moitié du IIIe s. ; elle fut déroulée et nettoyée durant l’été 1999. Support, mise en page : lamelle rectangulaire (2,5/2,9 × 18/18,2 cm). Déroulée avec soin, la lamelle est bien conservée ; l’écriture est en général lisible à l’exception de la fin de la l. 4 et de la plupart de la dernière ligne où elle a subi des altérations ; par endroits, la lecture est difficile, à cause de la légèreté du trait, des pliures de la lamelle et de la corrosion du plomb. Neuf plis sont visibles sur la lamelle et indiquent qu’elle a été enroulée de gauche à droite. La lamelle est opisthographe : une seule ligne contenant l’adresse externe a été inscrite en lettres beaucoup plus grandes, au verso, au sens des lignes, dans l’angle supérieur droit de la lamelle ; elle a été sans doute gravée après l’enroulement, autour du rouleau, et n’était lisible en entier que si l’on tournait le rouleau. Cela explique sans doute pourquoi l’adresse, très brève, ne comporte que le nom du destinataire. Cinq lignes ont été gravées sur la face interne : chaque ligne commence et se termine par un mot entier, à l’exception de la l. 4 (coupe non syllabique). À la l. 1, à droite, on observe un vacat après la dernière lettre (sigma), alors que les ll. 2–4 vont jusqu’au bord droit de la lamelle ; à la fin de la l. 5 on remarque aussi un vacat, plus important, qui confirme que le texte est complet. Dialecte : koinè avec un seul trait dialectal (l. 3, ἀνκύρης, avec graphie alternative -νκ- pour -γν-) ; graphies ποεῖς et ποεῖν (ll. 1, 5). Paléographie : lettres finement gravées, de dimensions inégales (êta, my, ny et pi de grandes dimensions) ; ht. des lettres : 0,15–0,3 cm (0,5–1 cm pour l’adresse externe). Lettres remarquables : sigma lunaire, assez largement ouvert, parfois de forme angulaire ; les lettres triangulaires (alpha, lambda) sont largement ouvertes et équilatérales ; zêta à barre verticale () ; my aux hastes divergentes, et de formes différentes ; ny aux hastes parallèles ; omikron petit et suspendu (ainsi que l’ômega) ; pi aux hastes légèrement courbées ; phi à haste débordante, presqu’en arbalète. Date : IIIe s. Conservation : Musée d’Histoire de Marseille (inv. MHM99.5.4). Éditions : IG France 4 (J.-Cl. Decourt, 2004, p. 8–11, avec trad. fr.) (= SEG LIV 983 ; avec les obs. d’A. Martin, c.r. dans AC, 76, 2007, p. 463–464 ; et de A. Avram, c.r. dans Ancient West and East, 8, 2009, p. 349–350) ; Ceccarelli 2013, p. 349, n° 29 (avec trad. angl.). Bibliographie : Hesnard 1999 (cf. J.-Cl. Decourt, BÉ, 2000, 751) ; Morel 2000a, p. 44 n. 45 ; Morel 2000b, p. 338 ; Salviat 2000, p. 25–26 ; J.-Cl. Decourt, dans CAG, 13/3 (Marseille et ses alentours), 2005, p. 178, n° 4 (avec trad. fr.) ; CAG, 13/3, 2005, p. 377 ; Morel 2005, p. 41–42 ; Morel 2006, p. 1779 ; B. Bizot, dans Bizot et alii 2007, p. 97–98 ; Dana 2007a, p. 68 (C3) ; del Barrio Vega 2007a, p. 16, n° 5.2.2 ; Ceccarelli 2013, p. 43 ; Mullen 2013, p. 141 (et texte grec) ; Decourt 2014, p. 27, 33–34, 44, 46 et 50, n° 3 (avec trad. fr.) ; Sachs 2014, p. 82 ; Dana 2015a, p. 119, 124 ; Dana 2016, p. 102 ; Sarri 2018, p. 44 (avec trad. angl.) et 70. Illustrations : Hesnard 1999, p. 44 (ph. lettre enroulée et recto) ; IG France (2004), Pl. III, fig. 5 (ph. recto) ; CAG, 13/3, 2005, p. 178, fig. 42 (ph., détail du recto) ; B. Bizot, dans Bizot et alii 2007, p. 98 (ph. lettre enroulée et recto) ; Decourt 2014, p. 70, fig. 2 (ph. recto). Note sur l’édition : le texte fut présenté pour la première fois par A. Hesnard, J.-Cl. Decourt et Fr. Salviat dans un séminaire au Centre Camille Jullian à Aix-en-Provence, le 1er décembre 1999. L’édition soignée de Decourt (2004) a été reprise dans le SEG et par Ceccarelli (2013) et Decourt (2014). L’autopsie et des photos de qualité m’ont permis d’établir le fac-similé et de proposer une lecture complète du document, en particulier de la fin de la l. 4 et de l’ensemble de la l. 5.
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Fig. 161. Photo du rouleau au moment de la découverte et lettres de l’adresse externe.
Fig. 162. Photo de la lamelle (contenu) (Pl. XIV).
Fig. 163. Fac-similé de la lamelle (contenu).
Fig. 164. Photo de la lamelle (adresse externe) (Pl. XIV).
Fig. 165. Fac-similé de la lamelle (adresse externe)
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Μεγιστῆς Λεύκωνι χαίρειν. Εἰ ὑγιαίνεις, καλῶς ποεῖς· vac. ὑγιαίνομεν δὲ καὶ ἡμεῖς. Οὖλις μοι ἐνέτυχεν ὑπὲρ τῆς ἀνκύρης ἀξιῶν ζητεῖν ἐκ παντὸς τρόπου ὅπως ἂν λυθείη· ὁ χρόνος· ἔστω ὁ Ἀπατουριών· καὶ αὐτὸς ἔφη προστήσεσθαι ὄμμα. Τί δεῖ ποεῖν· γράμματα ἀποστεῖλαι. Εὐτύχει. vac.
Verso (adresse externe) : Λεύκωνι.
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1 Λευκώνι Decourt : Λεύκωνι Avram, Martin || χαῖρειν Dec. 2004 : χαίρειν Mart., Dec. 2014 || 2 κ[αὶ] Dec., edd. || 4 ἔσ(τ)ω Rougemont apud Dec. : ἔσ〈τ〉ω SEG || Ἀπατουρίων Dec. : Ἀπατουριών SEG Ceccarelli || προσ Τ[1]ΙCΕ[1–2]CΛ Dec. 2004 et 2014 : προσΤ[.]ΙCΕ[.1–2]CΛ SEG, Cecc. || 5 ΑΤΙΛ(?)ΕΙΓΕΙΝΓΡ(?)[3]Τ[1]-Τ[1–2]Ι Dec. 2004 et 2014 (λείπειν πρ[ὸς] Salviat apud Dec. vel γρ[άμμ]ατα? Dec. 2004) : ΑΤΙΛ(?)ΕΙΓΕΙΝ ΓΡ(?) […]ΑΤΑΛΓ[.]Τ[.1–2]Ι[ SEG, Cecc.
Mégistès à Leukôn, salut ! Si tu es en bonne santé, c’est bien ; nous sommes en bonne santé, nous aussi. Oulis est venu me voir avec la demande, au sujet de l’ancre, de chercher à la libérer de quelque façon que ce soit ; le moment, qu’il soit le mois d’Apatouriôn ; et il a dit qu’il préférerait de jour (?). Qu’est-ce qu’il faut faire ? Réponds par lettre ! Sois heureux ! (Adresse :) À Leukôn. L. 1–2 : Μεγιστῆς est un nom ionien rarissime, attesté dans les sources littéraires par trois fois (chez les poètes)58 et deux fois dans l’épigraphie : dans une épitaphe d’époque classique d’Apollonia du Pont, colonie milésienne59 ; comme patronyme d’un théore à Thasos, vers la fin du Ve s. (gén. Με[γ]ίστεω)60. On reconnaît la forme ionienne du suffixe, -ῆς (< -έης < -έας)61. Le nom est attesté en Ionie, à la fois sous cette forme et avec les formes non contractes (LGPN V.A 286) : Μεγιστῆς à Téos (milieu du VIe s., chez Anacréon) ; Μεγιστέας à Priène (au tournant de notre ère) ; Μεγιστείας à Priène (vers 130). La même forme dialectale apparaît à Massalia dans le nom de Λυκῆς, fils de Πυθόκριτος, dans la dédicace bien connue pour Zeus Patrôos62. || Le nom du destinataire, Λεύκων, est un nom courant, y compris en milieu ionien ; il est attesté à Massalia dans l’épitaphe d’époque impériale de Leukôn fils de Paramonos (IG France 20) et plusieurs fois dans le sanctuaire d’Aristée près d’Olbia de Provence63 (cf. comm.). || La formule choisie pour le souhait de bonne santé, εἰ ὑγιαίνεις, καλῶς ποεῖς· ὑγιαίνομεν δὲ καὶ ἡμεῖς, trouve, comme le précise Alain Martin64, les meilleurs parallèles dans les papyrus du IIIe s., par exemple dans une lettre de Philônidès à Zénon, datée de 257 : [καλ]ῶς ποιεῖς εἰ ὑγιαίνεις· ὑ[γιαί]νομεν δὲ καὶ ἡμεῖς65. Dans le papyrus, on remarque la forme habituelle du verbe ποιέω, à la IIe pers. sg., ποιεῖς. On retrouve la même graphie alternative, marque de prononciation, à la l. 4 (ποεῖν)66. || Le nom Οὖλις n’est pas surprenant dans un milieu ionien et surtout phocéen. Une étude brillante d’Olivier Masson avait reconstitué, à partir de l’anthroponymie théophore, l’histoire d’un culte ionien d’Apollon Οὔλιος (rarement accompagné d’Artémis Οὐλία), qui a des compétences de guérisseur67. D’Ionie68, son culte se répand aussi dans le milieu colonial, en particulier dans les deux colonies phocéennes, Élée/ Velia (nom ionien ᾽Υελῆ) et Massalia. Des noms théophores sont formés sur cette épiclèse d’Apollon : Οὔλιος, qui correspond à l’épithète divine sans modification morphologique, mais aussi notre Οὖλις, Οὐλίας et le dérivé Οὐλιάδης, beaucoup plus fréquent. Ce dernier, avec le même sens que les « Asclépiades », a fait l’objet de spéculations excessives69. Ces noms semblent avoir été particulièrement affectionnés dans les familles de
Voir J.-Cl. Decourt, IG France, 2004, p. 9 n. 55. IGBulg I² 435 : Μεγιστῆς Ἀλκάνδρ ; avec le comm. de L. Robert, OMS, V, p. 263 et n. 6. 60 IG XII.8 277 B, l. 19 ; l’accentuation du nom est commentée par Daux 1967, p. 21. 61 Voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 182. 62 IG France 5 : Ζηνὸς Πατρῴου | Κασινήτων [τῶν] περὶ Λυκῆν | τὸν Πυθοκρίτου (Λυκήν Decourt, et Λυκής comm. et index). J.-Cl. Decourt explique ce nom par la famille de λύκος ; en réalité, Λυκῆς est plutôt un dérivé théophore, bâti sur l’épiclèse d’Apollon Λύκειος. 63 Coupry/Giffault 1982, p. 366 (au moins 7 exemples). 64 A. Martin, c.r. d’IG France dans AC, 76, 2007, p. 464. 65 P. L. Bat. XX 42, ll. 1–2 = P. Zen. Pestm. 42. Cf. aussi P. Petrie I 30, ll. 1–2 (IIIe s.) : Φιλωνίδης τῶι πατρὶ χαίρειν· καλῶς ποεῖς, εἰ ὑγιάνεις (sic), ὑγι[αίνω δὲ | καὶ] αὐτός. 66 Cf. ποει[.] dans 5, l. 7 ; et εἴ τι ποεῖ dans 14, l. 2. 67 Masson 1988 (= OGS, III, p. 23–31) ; voir aussi Morel 2000a, p. 43–44. Le sens de l’épithète est ambigu : Οὔλιος signifie soit « funeste, destructeur », soit « être en bonne santé » (dérivé d’οὔλειν), selon Strabon 14.1.6 (C. 635) ; il s’agit sans doute d’une explication tardive des grammairiens. Voir aussi Macrobe, Sat. 1.17.21 (eundem deum praestantem salubribus causis Οὔλιον appellant id est sanitatis auctorem) et Souda, s. v. οὔλιος (Ο 905)· ὁ Ἀπόλλων ἰατρὸς γὰρ ἦν. 68 À Athènes, il est attesté avec la graphie attique ῎λιος. 69 Occurrences d’Οὐλιάδης dans le domaine ionien en Asie Mineure : LGPN V.A 351 et V.B 335–336 (très fréquent en Carie). 58 59
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médecins, tel Ouliadès fils d’Ouliadès de Samos, honoré par les Samiens à Minoa d’Amorgos aux IIe–Ier s.70. L’exemple le plus commenté est l’ensemble de statues et hermès inscrits, datant du règne de Claude, découvert lors des fouilles à Velia entre 1958 et 1960. Sur un hermès acéphale, Parménide d’Élée, le célèbre philosophe de la première moitié du Ve s., apparaît comme Παρμενείδης Πύρητος Οὐλιάδης φυσικός (IG Velia 21). Sur deux hermès acéphales et une statue, trois personnages homonymes d’époque hellénistique (IG Velia 22–24) portent le nom Οὖλις (fils respectivement d’Aristôn, d’Euxinos et d’Hiérônymos) ; qualifiés de ἰατροὶ φώλαρχοι, ils ont été mis en rapport avec une association médicale de culte (φωλεός)71. Un autre Oulis d’Élée, attesté à l’étranger par une épitaphe de la lointaine Olbia du Pont, à une époque assez haute (ca. 450–425), pourrait avoir été médecin72. Cependant, rien n’empêche, comme le montre J.-P. Morel, que le nom soit porté par des non-médecins dans le domaine phocéen occidental73. Ainsi, A. Hermary et H. Tréziny ont attribué avec raison à la ville de Massalia une épitaphe censée être originaire d’Ostie, d’après l’onomastique caractéristique qui émane d’un milieu phocéen (Ποσ(ε)ιδῶναξ, Οὖλις)74. Aux deux occurrences de Massalia s’ajoutent de très nombreuses attestations dans les dédicaces gravées sur des vases à vernis noir retrouvées dans le sanctuaire rupestre du héros Aristée à l’Acapte (ou La Capte), sur la presqu’île de Giens, près d’Olbia de Provence. Cet ensemble ne bénéficie pas encore d’une publication intégrale, mais le nom Οὖλις apparaît une dizaine de fois comme idionyme ou patronyme des dédicants (fin du IIe et Ier s.)75. Comme l’écrit à juste titre Jean-Paul Morel, « si rare qu’il fût dans la grécité en général, [le nom Οὖλις] était néanmoins porté avec une relative fréquence dans un milieu phocéen de la Gaule, dans des circonstances très différentes de celles qu’on soupçonne à Velia »76. Enfin, il faut verser au dossier deux noms féminins de la même famille, qui sont pour l’instant attestés uniquement dans le domaine massaliète : Οὔλα dans le même sanctuaire d’Aristée77 ; *Οὐλιάς à Massalia78. Deux des trois noms mentionnés dans la lettre, Μεγιστῆς et Οὖλις, sont donc typiques du domaine ionien79, ce qui s’ajoute au trait dialectal relevé à la l. 3 (cf. comm.). L. 3 : ἀνκύρης, forme dialectale ionienne80 (avec la graphie alternative -νκ- pour -γκ-), dans un texte qui est par ailleurs rédigé en koinè81. || La forme λυθείη est l’optatif aor. moyen-passif, IIIe pers. sg., du verbe λύω. La traduction doit être légèrement modifiée par rapport à celle proposée par l’éditeur (« Oulis m’a contacté, me demandant de te prier de lever l’ancre en tout état de cause »)82, afin de respecter la spécificité du texte : comme Samama, Médecins, 2003, p. 275–277, n° 161. Voir Musitelli 1980 ; Fabri/Trotta 1989, p. 69–77 ; L. Dubois, I. dial. Grande Grèce, I, 1995, p. 156–158 ; Samama, Médecins, 2003, p. 544–545, n° 507 ; L. Vecchio, dans IG Velia, 2003, p. 76–96. On connaît également un Οὖλις [---] ἰατρόμ[αντις?] (IG Velia 20, au tournant de l’ère chrétienne) et un autre possible porteur du même nom dans l’épitaphe IG Velia 35. 72 [Ο]ὔλιος | [Θ]εοδότ | [ἐ]ξ Ἐλέ[ης] ; voir Vinogradov 1999a, p. 142–143 (= SEG XLIX 1042) ; Vinogradov 2000b ; Dana 2011, p. 191–192. 73 Sur le nom Οὖλις, voir Morel 2000a, p. 44 ; Morel 2000b ; Morel 2005 ; Morel 2006, p. 1776–1780 (« ‹Oulis›, de Velia à Marseille ») ; del Barrio Vega 2007a, p. 23 ; Mullen 2013, p. 139 ; Decourt 2014, p. 44 ; Sarrazanas 2015, p. 55. Le nom Οὖλις apparaît aussi à Astypalaia et à Lipara (LGPN I 355 ; III.A 346), dans cette dernière étant attestés par ailleurs deux Éléates avant 252 (cf. Bernabò-Brea 1982). 74 Hermary/Tréziny 2000, p. 153–154 ; Morel 2005, p. 42 (IG XIV 936 = SEG L 1077) ; del Barrio Vega 2007a, p. 16–17, n° 5.2.3 ; del Barrio Vega 2007b, p. 17–23 (p. 20–21 sur le nom Οὖλις). 75 Voir Coupry/Giffault 1982, en partic. p. 367 pour Οὖλις, qui est le quatrième anthroponyme par ordre de fréquence d’un corpus de ca. 230 noms ; quelques mentions de ses occurrences dans IG France 68 (nos 5, 10, 11, 16, 26). Sur l’anthroponymie massaliète enrichie par ce dossier exceptionnel, voir Hermary/Hesnard/Tréziny 1999, p. 93 ; sur le dossier du sanctuaire d’Acapte, voir en dernier lieu Mullen 2013, p. 243–262. 76 Morel 2000b, p. 338. 77 Coupry/Giffault 1982, p. 367. 78 Épitaphe latine d’époque impériale [J.-Cl. Decourt, J. Gascou, J. Guyon, dans CAG, 13/3 (Marseille et ses alentours), 2005, p. 206, n° 144 = AÉ, 2005, 981] : D(is) M(anibus).| Flaviae Vli|adis T(itus) Fl(avius) | Lucilianus | matri | pientissim(a)e. Les éditeurs, J.-P. Morel et l’index de l’AÉ restituent à tort un nominatif Vliades ; en réalité, on reconnaît ici la flexion d’un nom féminin grec en -άς, -άδος, suffixe féminin souvent ajouté à un radical de nom divin (cf. l’index de Masson, OMS, II, p. 632). 79 Sur l’onomastique de Massalia qui « présente un caractère ionien et conservateur », voir l’étude classique de Robert 1968 (= OMS, VII, p. 141–157 = Choix d’écrits, p. 131–144) ; Masson 1985 (= OGS, II, p. 475–481). 80 del Barrio Vega 2007a, p. 16, qui cite à ce propos les graffites sur plusieurs skyphoi de Massalia, IG France 46 A.1, τῆς ὑγίης (ca. 110–80). 81 Dans son commentaire, Mullen 2013, p. 141, tend à surévaluer l’influence atticisante. 82 Decourt 2014, p. 50, n° 3 (j’indique la dernière traduction, identique à celle proposée dans IG France, 2004, p. 9) ; voir la 70 71
59. Lettre sur plomb de Mégistès à Leukôn (Massalia)
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les autres lettres, celle-ci comporte des incises parfois maladroites, ainsi que des références connues par seuls les correspondants. On a affaire à un raccourci entre les deux expressions utilisées pour dire « appareiller », à savoir lever l’ancre (ἀνελέσθαι τὰς ἀγκύρας), et larguer les amarres (λῦσαι τὰ ἀπόγυα). L. 4 : Decourt restitue ἔσ(τ)ω, en supposant l’omission d’une lettre, à la suggestion de Georges Rougemont. On voit toutefois un petit tau, dans la pliure, entre le sigma et le petit ômega suspendu. || Ἀπατουριών est un mois ionien83, attendu dans le domaine phocéen. Bien qu’il ne soit attesté ni à Massalia, ni à Phocée, ce ménonyme était documenté dans la « cité-sœur » de Marseille, Lampsaque, située dans la Propontide84. Comme le remarquait François Salviat avant la découverte de la lettre, ce mois s’accorde avec le culte familial de Zeus Patrôos, le dieu des Apatouries, récemment attesté à Massalia, célébré en ce mois85. « La fête de ceux qui ont les mêmes pères » était donc célébrée également à Massalia, en octobre/novembre, au début de la nouvelle année, car, selon C. Trümpy, Apatouriôn était le premier ou le deuxième mois du calendrier phocéen ; la fête marquait également le début de la période mare clausum, où la navigation devait s’arrêter, du moins en principe86. || Le premier éditeur remarque que la fin de la ligne se lit mal. Il propose de voir, après le tau qui est certain, une autre lettre, puis un iota avec une sorte de crête parasite ; j’y vois une seule lettre, qui ne peut être que l’êta. Par la suite, Decourt lit un sigma lunaire et un epsilon qu’il considère comme sûrs, puis un vacat d’une ou deux lettres, suivi d’un haut de lettre triangulaire, alpha ou lambda. Après l’autopsie du document et grâce aux clichés de qualité fournis par le musée, je lis après καὶ αὐτὸς ἔφη le verbe προστήσεσθαι, qui est l’inf. futur moyen du verbe προΐστημι. || La fin de la ligne est très abîmée, mais l’une des possibilités est de lire ὄμμ|α, une précision (temporelle) supplémentaire d’Oulis. L. 5 : à l’exception de la salutation finale, l’ensemble de la ligne est de lecture difficile. Suivant la suggestion de François Salviat, le premier éditeur a proposé de lire la fin d’un verbe en -ειν et une préposition : λείπειν πρ[ός], puis un gamma au début du mot γρ[άμμ]ατα, ce qui pourrait aller dans la lacune. Néanmoins, avant la clausule, je parviens à lire la question-réponse Τί δεῖ ποεῖν· γράμματα ἀποστεῖλαι. || ποεῖν, cf. une graphie similaire à la l. 1 (ποεῖς). || Γράμματα ἀποστεῖλαι : après avoir rapporté les demandes d’Oulis, Mégistès exhorte son correspondant à lui répondre par lettre. Le sens du texte découvert à Massalia devient ainsi plus limpide. || La salutation finale εὐτύχει est, avec ἔρρωσο, l’une des formules qui se banalisent à l’époque hellénistique, comme nous renseignent les papyrus87. Dans ce corpus, elle apparaît dans la lettre fragmentaire sur plomb d’époque hellénistique de Rhodè (66, l. 8 : [Εὐτύ]χει) et dans la lettre sur vase de Nida, en Germanie Supérieure (72, l. 4), à l’époque impériale. Verso (adresse externe) : Seul le nom du destinataire est noté, situation unique à ce jour dans le corpus88, mais qui trouve des parallèles dans la documentation papyrologique. Commentaire : Le caractère épistolaire du document ne saurait être mis en doute. La lettre s’ouvre et se ferme par des formules que l’on retrouve dans les papyrus : χαίρειν … εὐτύχει. La formula valetudinis comporte deux
traduction plus adaptée de Ceccarelli 2013, p. 349, n° 29 : « Oulis has contacted me, asking, concerning the anchor, to try in any way to leave ». 83 Ἀπατουριών à Milet et à Olbia du Pont (I. dial. Olbia Pont 99, vers 450 ; mais -εών, IOSPE I² 46, époque impériale). 84 SEG XIII 458 = I. Lampsakos 7, l. 29 (décret de proxénie du Ier s., trouvé à Thasos) ; voir Trümpy 1997, p. 107–109, qui fait de ce mois le pendant du mois athénien Πυανοψιών (octobre/novembre). 85 Salviat 1992, p. 143, avec un tableau des mois à Phocée et dans deux de ses fondations, Massalia et Lampsaque ; Salviat 2000, p. 25–26 ; de Hoz 2006, p. 441–442. Hérodote 1.147 parle des fêtes Ἀπατούρια communes aux Ioniens. Pour le culte de Zeus Patrôos à Massalia, voir l’autel avec l’inscription dont le texte grec est donné dans une note précédente : « (Autel de) Zeus Patrôos des Kasinètes (« frères » ?) présidés par Lykès, fils de Pythokritos » (IG France 5 ; Mullen 2013, p. 141–142). 86 J.-Cl. Decourt, IG France, 2004, p. 10. L’exception la plus connue est Rhodes, où la saison ne connaissait pas d’interruption ; voir Gabrielsen 2013, p. 77. 87 Cf., à titre d’ex., une lettre des archives de Zénon, l’intendant du diocète Apollonios, qui lui avait été adressée par Drômon : Δρόμων Ζήνωνι χαίρειν (…) εὐτύχει (P. Cair. Zen. III 59426 = SB III 6804). 88 Un rouleau de plomb de Lattara comporte vraisemblablement une adresse externe, avec le seul nom du destinataire au datif (*62).
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volets : on exprime d’abord des vœux de santé pour le destinataire, on donne par la suite des nouvelles de l’expéditeur. Les meilleurs parallèles du formulaire ne doivent pas être cherchés dans les sources littéraires, mais dans les papyrus. Un seul exemple suffira : une lettre de 245, P. Tebt. III 745, qui commence par [Ἀγ]άθων Πάτρωνι χαίρειν· ἐνέτυχέν μοι Ἀπολλώνιος κτλ. (cf. dans notre lettre l’inversion Οὖλις μοι ἐνέτυχεν), est close par la formule [ἔ]ρρωσο et présente au verso l’adresse Πάτρωνι. Enfin, l’expéditeur de la région massaliète rapporte des questionnements d’un tiers (Τί δεῖ ποεῖν) et sollicite une réponse par lettre (γράμματα ἀποστεῖλαι), indice aussi bien de l’importance de l’affaire que de la fréquence des échanges épistolaires. L’onomastique de ce document, comme le remarquait déjà Jean-Claude Decourt, s’accorde bien avec la région où la lettre a été trouvée : Μεγιστῆς et encore plus Οὖλις, avec ses affinités interphocéennes, sont des exemples éclatants d’un conservatisme onomastique qui caractérise le domaine massaliète89. Selon Decourt, l’objet de la lettre consiste dans la nécessité de mettre le navire à l’abri avant la mauvaise saison (« lever l’ancre »). Cette expression condense en une seule formule les deux moments successifs d’une seule action : « détacher l’amarre qui retient l’ancre attachée au navire, puis remonter l’ancre à bord »90. En ce qui concerne les trois personnages, ils pouvaient être des Massaliètes ou des Phocéens de la Méditerranée occidentale, qui portent des noms attestés à Massalia ou généralement ioniens. Les deux scénarios proposés par le premier éditeur sont les suivants : – l’expéditeur, Mégistès, pourrait être l’armateur ; ou bien, si Oulis est l’armateur, Mégistès joue le rôle d’un intermédiaire, d’un metabolos91, voire d’un employé d’Oulis. Pourtant, remarque Decourt, le verbe ἐντυγχάνω, construit avec le datif, implique l’idée de « solliciter quelqu’un pour quelque chose » : dans ce cas, le demandeur, Oulis, se place en position d’infériorité hiérarchique. – le destinataire, Leukôn, semble être le capitaine, et Oulis, peut-être, le propriétaire de la cargaison, partenaire d’affaire de Mégistès. Oulis pourrait souhaiter récupérer la marchandise avant qu’elle ne soit bloquée pour des longs mois ou exposée aux dangers de l’hiver. Il semble dans tous les cas avoir un certain poids, car il sollicite Mégistès et indique des préférences (καὶ αὐτὸς ἔφη), comme il arrive pour les instructions des lettres d’Apatorios à Léanax (26), d’Agathè (63) et d’Emporion (67). S’il n’est pas facile de trancher, l’on peut toutefois renoncer à établir une hiérarchie entre ces trois hommes et proposer les rapports suivants : Oulis serait un marchand, partenaire d’affaires de Leukôn, inquiet, sans doute, du sort du navire sur lequel il aurait pu entreposer des marchandises. Il convient toutefois de remarquer que la référence au mois d’Apatouriôn semble une échéance plutôt éloignée. Ainsi, bien que la lettre exige une réponse ferme, elle n’a pas été envoyée en situation d’urgence. On ignore où se trouvait le bateau et pourquoi il devait être déplacé, mais le fait que la levée de l’ancre devait avoir lieu au début de la mauvaise saison semble suggérer que ce n’était pas pour prendre le large, mais plutôt pour être mis à l’abri. Mégistès, qui semble en mesure d’opérer les manœuvres demandées, serait le capitaine du bateau ; par conséquent, Leukôn, duquel Mégistès attend des instructions, devrait être l’armateur. Il est certain que les relations entre Mégistès et Leukôn sont cordiales, voire familières, le « nous » faisant sans doute allusion à la famille ou aux collègues de Mégistès : il prend le temps de demander à Leukôn de ses nouvelles et d’en prendre, selon l’usage épistolaire qui devient plus formaté. Ils évoquent des affaires les concernant tous les trois (cf. ll. 4–5), qui pourraient ne pas aboutir. Étant donné que la lettre a été retrouvée à Massalia, importante colonie phocéenne92, on peut penser que le destinataire, Leukôn, résidait dans cette cité portuaire. En revanche, son correspondant, Mégistès, ainsi qu’Oulis, devaient se trouver dans un autre port, où l’action requise – à savoir, la mise à l’abri du navire – était censée se passer. Le fait que la lamelle ne présente pas de déchirures ou pliures résultant d’un dépliage-pliage, à la dif89 Parmi ces noms : Ἀριστοκρίτη, Ἀρχῆναξ, Ἀστυάναξ, Ἀστυδίκη, Διονύσερμος, Ἑρμόθεμις, Ἑρμόχαρις, Ζηνόθεμις, Ἡρῶναξ, Κάϊκος, Ποσείδερμος, Ποσειδῶναξ, Πρῆξις, Πυθῶναξ. 90 J.-Cl. Decourt, IG France, 2004, p. 10. 91 Voir Pouilloux 1988 ; Bats 1991, p. 232–242. Contre la théorie de l’existence d’« agents commerciaux » dans l’Antiquité grecque, voir Harris 2013. 92 Domínguez 2004, p. 165–167, n° 3. Le nom de cette colonie phocéenne apparaît sous la forme mataliai (locatif en -i) à la l. 5 du texte étrusque du célèbre plomb de Pech Maho (ET Na 0.1), dans la première moitié du Ve s. Voir Lejeune/Pouilloux/Solier 1988, p. 35 ; Cristofani 1993 ; Chr. Landes, dans Les Étrusques en France, Lattes, 2003, p. 400, n° L.S. 1 ; Massarelli 2014, p. 221– 228, n° V.1 ; Belfiore 2015.
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férence d’autres lamelles que nous possédons93, encouragea le premier éditeur à supposer que soit la lettre n’a jamais été envoyée, soit elle n’a jamais été lue94. Cela impliquerait une perte avant son envoi ou avant le retour inopiné du navire : dans ce cas, Massalia serait le port d’attache du navire, sans que l’on sache où ce dernier était à l’ancre, ni quelle était sa destination95. Or, il ne faut pas oublier que le plomb est un matériau malléable, qui se pliait et se dépliait facilement : la lettre aurait pu être lue et repliée suivant les traces initiales sans que le repliage soit visible pour notre œil, puis déposée quelque part dans les archives ou dans la maison du destinataire, avant d’être finalement jetée. Si l’on suppose qu’elle était arrivée à destination, ce qui est vraisemblablement le cas, l’expéditeur pouvait se trouver soit dans un autre établissement massaliète de la région soit, pourquoi pas, à Marseille même mais dans un autre quartier. Ce dernier cas de figure est cependant moins probable car l’envoi d’une lettre suppose une difficulté de communication orale à cause d’une certaine distance. Cette distance n’excède pas en général le cadre régional, mais des exceptions sont possibles96. Ainsi, s’il est probable que Mégistès écrit depuis Lattara ou Emporion, il n’est pas complètement exclu qu’il se trouvât encore plus loin, par exemple à Athènes ou dans un autre port où les marchands massaliètes sont attestés97. Le destinataire, Leukôn, et l’expéditeur, Mégistès, pourraient être dans ce cas tous deux des Massaliètes, dont un se trouvait en raison des affaires à l’extérieur de la ville, alors qu’Oulis serait lui aussi Massaliète ou bien un ressortissant d’un établissement du domaine d’influence massaliète. Il existe aussi la possibilité qu’aucun ne soit Massaliète, et que la lettre soit arrivée seulement au moment où Leukôn était de passage à Massalia ‒ où il s’y était finalement établi. Un détail important est fourni par l’endroit même de la découverte du plomb, dans une zone où les chantiers navals de Massalia sont remplacés, au début du IIIe s., par des hangars (neôria). Quoi qu’il en soit, il s’agit d’acteurs d’un milieu marchand phocéen occidental ‒ l’indice décisif est la mention du ménonyme phocéen Apatouriôn ‒, qui entretenaient des relations commerciales avec des hommes d’affaires de Massalia ou étaient très probablement eux-mêmes Massaliètes. Qu’un navire soit évoqué dans une lettre en provenance de cette grande cité commerçante ne saurait pas nous surprendre.
60. Instructions commerciales sur plomb (Lattara)
60. Instructions commerciales sur plomb (Lattara) Découverte, contexte : plaque de plomb trouvée repliée en deux, d’env. 3 cm de large sur 5,6 cm de ht. Le plomb a été retrouvé en 2005 dans l’îlot 27, dans la partie sud du site de Lattara (Lattes, Hérault), le long du rempart, à proximité d’une porte menant à la zone portuaire. Il provient d’une recharge de sol d’un édifice construit vers 430 et détruit par un incendie vers 415 (phase 27G1, US27825)98. Support, mise en page : plaquette de plomb légèrement déformée par le pliage et le dépliage, presque carrée (5,6 × 5,5 cm) ; ép. : moins d’un millimètre. La lamelle est opisthographe. La face B, à savoir la partie interne de la plaquette repliée, a été mieux protégée et donc mieux conservée. Sur la face A, la première sur laquelle on a écrit, on note un espace vide entre le bord gauche et le début des lignes, sur une largeur de 0,8 cm ; dans cet espace laissé vide, l’on aperçoit des restes de lettres (ll. 4, 5, 8), appartenant sans doute à une inscription précédente ; d’autres caractères sporadiques
Voir l’état très similaire de conservation de la lettre de Klédikos (Hermonassa, 52). Cf. aussi Decourt 2014, p. 27 (et 34) : lettre « qui n’a, semble-t-il, jamais été envoyée, si l’on se fie à son contenu et à son état de conservation : elle était peut-être tout simplement tombée dans l’eau du port ». 95 J.-Cl. Decourt, IG France, 2004, p. 11. 96 Voir Dana 2015b. 97 Sur les marchands et navigateurs marseillais en Méditerranée, voir Hermary/Hesnard/Tréziny 1999, p. 91–92 ; Arnaud 2014. Entre autres, un marchand marseillais, Hègèstratos, propriétaire de son navire, et son second, Zènothemis, sont accusés dans une affaire de fraude concernant une cargaison de blé qu’ils devaient transporter de Syracuse à Athènes au IVe s. (discours de Démosthène) ; au IIe s. (?), deux Massaliètes sont impliqués, avec d’autres navigateurs méditerranéens (de Carthage, Italie, Élée, Péloponnèse et Thessalonique), dans des opérations commerciales sur la Côte des Aromates, au sud de la mer Rouge (SB III 7169 ; Vélissaropoulos 1980, p. 356–357, n° 21). 98 Pour cette phase, voir Lebeaupin/Séjalon 2010, en partic. 158 : dans ce remblai (secteur 11, US 27849) a été retrouvé le plomb inscrit, perdu ou jeté au plus tard au début de cette phase (ca. 435/425) ; pour un plan du premier état de la phase 27G1, voir p. 157, fig. 35. 93 94
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sont visibles au-dessus de la l. 1 et sur la l. 5. Le trait vertical à l’endroit des ll. 3–4 aurait pu servir de cadre pour l’alignement des lignes, si ce n’est pas lui-aussi, comme le pense l’éditeur, un reste du texte qui avait été inscrit antérieurement. On remarque sur cette face la présence de deux traits horizontaux (paragraphoi), au-dessus des ll. 1 et 5, chaque fois qu’on commence une nouvelle section du texte ; les deux sections sont par ailleurs séparées par une interligne plus large que dans le reste du texte. Le bord gauche du document est conservé ; en revanche, il manque une partie à droite, détachée à la suite du pliage secondaire de la lamelle. L’usure de la tranche observée en laboratoire montre qu’il s’agit d’une rupture ancienne, la perte étant de 3 à 6 cm. Si l’on considère que le plomb a été initialement plié en trois, et que la partie droite s’était détachée en raison peut-être de la pression plus importante exercée à cet endroit, on peut supposer la perte de 4 à 5 lettres, sur 2,5–3 cm de plomb. L’inscription de la face B, gravée après avoir retourné le plomb, perpendiculairement par rapport aux lignes de la face A, est complète. Le rédacteur n’a pas utilisé toute la superficie offerte par le verso, mais seulement la partie nécessaire pour finir le message. Sur la face A (recto), l’éditeur M. Bats a remarqué une écriture presque stoichèdon, sur 9 lignes et 7 colonnes ; en réalité, on observe deux groupes/dispositions de stoichèdon intégral : message a, avec 4 lignes sur 7 colonnes conservées ; message b, avec 5 lignes sur 9 colonnes conservées. On peut rajouter que la pliure de la plaquette est perpendiculaire sur le sens de l’écriture. Sur la face B, l’inscription est elle aussi en stoichèdon intégral, sur 4 lignes et 9 colonnes. Les deux faces ont été inscrites par la même main, car la forme des lettres et le ductus sont identiques, ainsi que la dimension des lettres et la profondeur de la gravure. Coupe des mots en fin de ligne, sans toujours respecter la coupe syllabique (en raison du stoichèdon). Face A, l. 5, un iota apparemment gravé par erreur après Ζήν. Face B, l. 1 : un autre iota gravé par erreur entre l’alpha et le pi, ou reste d’un palimpseste ; une lettre gravée par erreur après ΑΠ, en haut. Dialecte : ionien oriental. O long fermé noté par omikron (A, l. 9, ἐλαίō) ; adverbe ionien κεῖθι (B, l. 2) ; graphie ionienne ἐλάην (B, ll. 2–3). Crase et élision τὠπ᾿ ἐλαίō (A, l. 9). Paléographie : gravure fine et régulière ; la surface présente une faible usure ; ht. des lettres : 0,3–0,4 cm (espacées de 0,3–0,5 cm). Selon le premier éditeur, la forme des lettres est en accord avec la paléographie des cités ioniennes micrasiatiques à la fin de la période archaïque, avec des traits du début de l’époque classique : alpha à barre droite ; epsilon à trois barres égales et horizontales ; zêta à barre verticale () ; thêta avec croix centrale () ; ny aux hastes en déséquilibre () ; pi à la haste droite plus courte ; sigma à quatre branches obliques inégales () ; upsilon sans haste verticale () ; ômega en arche de pont. Étant donné la paléographie et le contexte archéologique, la lettre ne peut pas être postérieure à 43099. Date : ca. 450. Conservation : Musée Henri Prades, Lattes (inv. US 27825). Éditions : Bats 2010a (avec trad. fr.) (= SEG LX 1055 ; cf. J.-Cl. Decourt, BÉ, 2012, 512) ; Bats 2011a, p. 202–204 ; Ceccarelli 2013, p. 348–349, n° 28 (avec trad. angl.) ; Bravo 2016 (avec trad. it.). Bibliographie : Lebeaupin/Séjalon 2008, p. 63 ; Py 2008, p. 129 ; Py 2009, p. 303–304, 314, 335 ; Bats 2010b, p. 27–28 (et 84) ; Gailledrat 2010, p. 62 ; Bats 2010c, p. 29–30 ; Garcia/Sourisseau 2010, p. 243 ; Bats 2011b, p. 103–105 ; Bats 2012a, p. 11 ; Mullen 2013, Appendix 2, n° 73 ; Decourt 2014, p. 50, n° 5 ; Dubois 2014b, p. 76 ; Bravo 2014–2015, p. 18 ; Boffa 2015, p. 190 ; Dana 2015a, p. 122–123 ; Ruiz Darasse 2015, p. 417 ; Ruiz Darasse 2016, p. 112–113 ; Garcia/Sourisseau 2017, p. 87. Illustrations : Py 2009, p. 304 (ph. des deux faces) ; Bats 2010a, p. 750, fig. 1–2 (ph., face A gauche et droite de la lettre pliée), 751, fig. 3 (ph. de la face A), 753, fig. 4 (ph., face A), 754, fig. 5 (ph., face B), 755, fig. 6 (ph., face B) ; Bats 2010b, p. 29 (ph. de la face principale) (et p. 63, 84, ph.) ; Bats 2010c, p. 30 (ph. des deux faces) ; Garcia/Sourisseau 2010, p. 243, fig. 4 (ph.) ; Bats 2011a, p. 202, fig. 6–7 (ph.) ; Bats 2011b, p. 105, fig. 10–11 (ph.) ; Decourt 2014, p. 71, fig. 4–5 (ph.) ; Dana 2015a, p. 324, fig. 3abc (ph.). Note sur l’édition : édition soignée de Bats (2010, texte repris en 2011), suivie dans le SEG et par Ceccarelli (2013) et Decourt (2014) ; Bravo propose une reconstitution complète du texte (2016), qui ne correspond pas toujours aux traces des lettres encore visibles sur le plomb. L’autopsie du document et des photos de très bonne qualité ont permis l’établissement du fac-similé et du texte critique.
99 Le premier éditeur, M. Bats, propose comme date le troisième quart du Ve s. ; Bravo 2016, p. 55, soutient une datation dans la première moitié du Ve s.
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Fig. 166. Photo de la lamelle pliée.
Fig. 167. Photo de la lamelle (face A) (Pl. XV).
Fig. 168. Photo de la lamelle (face B) (Pl. XV).
Fig. 169. Fac-similé de la lamelle (face A).
Fig. 170. Fac-similé de la lamelle (face B).
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[A] ― vestigia litterarum (a) Ὦ Ζήν· ΕΓ[– --------] σις πλεο[– ------- Κλ]εοσθένη[ν -------- –σ]4 σον στατ[ῆρ– -------.] ― (b) Ὦ Ζήν· {Ι} πλε[ο– ] ἕξ καὶ ὀγδο[– --------] Κλεάνακτα [---------]8 σσον στατῆ[ρ– -----.] (c) Τὠπ᾿ ἐλαίō Ν[– -----], [B] ἀπαιτῆσαι κεῖθι γὰρ ἐλάην δύο ὀκ4 τάνα vac. A ‒ 1 εγ[ vel επ[ Bats : vel ΕΠ[ : ΕΓΙ[ Decourt 2014 || 1–4 ὦ Ζήν, ἑπ[τὰ καὶ εἴκο]|σι{σ} πλέο[ν πρῆξαι Κλ]|εοσθένη[ν ὡς περισ]|σὸν στατ[ῆρα] Bravo || 5 ΗΝΙ plumbum || πλεα[ Bats || 6 ἕξ [κ]αὶ ὀγδ[ Bats || 9 τὦπελαιον [ Bats, Dec. : ΤΩΠΕΛΑΙΟΝ[ Ceccarelli || 5–9 ὦ Ζήν, πλέ[ον πρῆξαι] | ἓξ [κ]αὶ ὀγδ[ώκοντα] | Κλεάνακτα [ὡς περι]|σσὸν στατ⟦ε⟧⸌ῆ⸍[ρα. παρὰ] | τὠπ᾿ ἐλαίō [χρέος] Br. B ‒ 1 ΑΙΠΛΑΙΤΗΣΑΙ plumb. : ἀπαιτῆσαι vel ἀπαιτήσαι Bats || 2–3 γαρε|λάην Bats, edd. : γαρέ|λαιον Br. : γὰρ ἐ|λάην Dana
Ô Zeus ! [---] Kléosthénès [---] statère(s). Ô Zeus ! [---] six et [---] Kléanax [---] statère(s). Ce qui provient de l’huile d’olive [---], réclame là-même des olives (qu’on me doit), en valeur de deux octains. Face A A 1 : Ὦ Ζήν, invocation de Zeus, avec un emploi rare du théonyme100. La suite et notamment la répétition de la même séquence à la l. 5 ne permettent pas de restituer un anthroponyme théophore, du type Ζῆνις ou Ζηνόθεμις101. Une invocation générique, Θεοί, empruntée à l’épigraphie civique athénienne, précède la lettre attique sur plomb de la Pnyx (5) ; une autre plus développée apparaît dans la lettre opisthographe sur plomb de Myrmékion (46, A, l. 1 : Θεός· Τύχη). En revanche, une invocation plus précise apparaît dans la lettre sur une tablette de terre cuite de Thasos (15, l. 4), adressée à une divinité de la patrè : [πρὸς?] τ Διὸς τ Πατρωί〈ō〉. || Il est très tentant, compte tenu également de l’invocation de Zeus, garant des serments et des engagements, de restituer à la fin de la ligne un terme appartenant à la famille lexicale de ἐγγυάω et ἐγγύη ; il s’agirait ainsi d’un gage ou d’une garantie de nature commerciale (cf. le dérivé ἐγγυητήριον, IG France 135, l. 5). A 2 : πλεο[---], séquence reprise dans le message b, l. 5 (πλε[ο---]) ; il doit s’agir d’un terme commercial en rapport avec le surplus, le gain. A 2–3 : le nom Κλεοσθένης doit être restitué à l’accusatif, cf. l’acc. Κλεάνακτα (l. 7), dans une structure similaire. A 4 (et 8) : mention des statères, unité monétaire en usage en Ionie et à Phocée, métropole de Massalia102. On peut restituer ce mot à tous les cas, sauf au nom. sg. Cette mention est à chaque fois précédée (cf. ll. 7–8) du même mot [---]σσον. D’après le premier éditeur, ce terme peut être considéré comme un accusatif de type δισσόν ou τρισσόν, « double/triple statère », sans exclure une forme d’impératif aor. IIe pers. sg. en -σον (verbe possible : ἀποτίνειν, donc ἀποτεῖσον)103. Il faut toutefois privilégier un mot finissant en -σσον, peut-être le pronom relatif-interrogatif ὅσσον. Voir Chantraine, DELG, s. v. Ζεύς ; Bravo 2016, p. 61. Cf. le vocatif Ὦ Πρωταγόρη dans la lettre d’Achillodôros (25, l. 1). 102 Bravo 2016, p. 57 et 62–66, l’interprète dans le sens de « débiteur », invoquant un fragment d’Épicharme transmis par un lexique byzantin. 103 Même suggestion chez Ceccarelli 2013, p. 349. 100 101
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A 5 : la même invocation Ὦ Ζήν qu’à la l. 1, qui marque le début d’une autre séquence de texte de 4 lignes, après un paragraphos et respectant une autre disposition du stoichèdon. || Un iota apparemment gravé par erreur entre Ὦ Ζήν et πλε[ο---]. || Bats lit πλεα[, mais aucune trace de l’alpha n’est visible. Il convient de restituer πλε[ο---], comme à la l. 2. A 6 : Bats suggère de lire ἕξ [κ]αὶ ὀγδ[ο---], « six et un huitième de », comme sous-multiple d’une unité de mesure. Si l’on suit les démonstrations de Michel Lejeune sur « un huitième » dans le lexique métrologique grec, on pourrait restituer ici ἕξ καὶ ὀγδό[η], « six et une octave », qui renvoie à une unité pondérale-monétaire104. A 7 : acc. de Κλεάναξ, ce qui permet de restituer au même cas le nom de Kléosthénès (ll. 2–3). A 9 : Selon M. Bats, τὦπελαιον est une crase pour τῷ ἐπὶ ἔλαιον, « pour ce qui concerne l’huile », alors que pour B. Bravo, la crase serait pour τὸ ἀπ᾿ ἐλαίō105. Il s’agit donc d’une crase suivie d’une élision, phénomène qui réduit la préposition ἀπό à un simple pi (cf. les dédicaces d’époque archaïque τὠπόλλωνι). Face B B 1 : lire soit ἀπαιτῆσαι, un inf. aor. actif à valeur d’impératif106, soit ἀπαιτήσαι, impératif aor. moyen d’ἀπαιτέω, « réclamer (une chose à laquelle on a droit), demander en retour ». B 2 : l’adverbe κεῖθι, équivalent de ἐκεῖ ou ἐκεῖθι, « là, à cet endroit », est utilisé dans la poésie épique (Homère, Hésiode) et lyrique (Archiloque, Bacchylide, Pindare), mais aussi chez Hérodote 2.122 (à côté de ἐκεῖθι, 1.182) ; sans doute s’agit-il d’un usage de la langue ionienne. B 2–3 : M. Bats avait lu γαρε|λάην, accusatif d’un mot hapax, masc. *γαρελάης (plutôt que du fém. *γαρελάη)107. Dans son commentaire, il le décrit comme un composé de γάρος et ἐλάη, forme ionienne de l’att. ἐλάα, « olive », citant la glose γαρέλαιον· γάρος καὶ ἔλαιον (Hésychios d’Alexandrie, Γ 76), mélange de garos et d’huile ; ce terme est attesté chez des auteurs tardifs de traités de médecine, ainsi que dans les papyrus108. Plutôt que de faire appel à un mot nouveau, il est plus aisé de couper autrement, κεῖθι γὰρ ἐ|λάην ; κεῖθι γάρ est attesté par les textes littéraires, alors que dans les papyrus on retrouve ἐκεῖ γάρ109. Les produits concernés sont alors tout simplement des olives (cf. l’huile d’olive déjà évoquée à la l. 9 de la face A), le singulier étant employé pour désigner la matière (au sens de « masse ») qui allait être utilisée pour la fabrication de l’huile. Les olives et les produits dérivés devaient faire l’objet d’une grande partie du commerce massaliète. Michel Bats avait signalé l’inscription ΗΛΑΑΗ sur une cruche massaliète de Saint-Blaise (VIe ou Ve s.), pour indiquer un contenu d’olives ou d’huile110. B 3–4 : δύο ὀκτάνα – ὀκτάνον est un mot nouveau111 dérivé d’ὀκτώ avec le suffixe -ανο-, à l’instar du mot *ὀκτάνιον, à suffixe -αν-ιο- ; ce dernier terme, inféré par Michel Lejeune à partir du terme ἡμιοκτάνιον, présent sur le plomb commercial de Pech Maho (IG France 135, ll. 3–4, 12), est un élément d’une série métrologique112. Comme l’explique Lejeune pour *ὀκτάνιον, l’élément radical étant un cardinal, il s’agit de multiples
Lejeune 1991b. Bravo 2016, p. 58–59. 106 Cette forme verbale est courante dans les papyrus, notamment pour les sommes à payer. Quelques ex. : [ἀρ]γύριον ἀπαιτῆσ[α]ι (P. Bodl. I 166, l. 22, vers 285 ap. J.-C.) ; εἰ μὲν δύναται ἐκεῖσε ἀπαιτῆσαι αὐτὸν τὰ ἑκατὸν νομίσματα (CPR XXV 21, l. 5, seconde moitié du VIe s. ap. J.-C.). 107 Bats 2010a, p. 751. L. Dubois lui préfère un fém. *γαρελάη (BÉ, 2012, 93 ; Dubois 2014b, p. 76), et B. Bravo γαρέλαιον, même s’il reconnaît que ce mot est tardivement attesté (Bravo 2016, p. 59–60). 108 P. Bas. 16, l. 11 (première moitié du IIIe s. ap. J.-C.), τὸ γαρέλεον (= -αιον) ; P. Sorb. II 26, 110, A, 17 (début du VIIe s. ap. J.-C.), γαρελαίου. À l’époque romaine, le garum produit à (ou produit « à la façon de ») Antipolis (Antibes), ancienne fondation massaliète, était célèbre ; on a retrouvé des amphores Dressel 16 des ateliers de Fréjus, Cannes et de la région lyonnaise, avec le qualificatif Antipolitanum. Cet ingrédient, associé à trois produits différents (liquamen excellens, garum, muria), était exporté vers Ostie, Rome, Augusta Raurica et Londinium ; voir Sternberg 2007. 109 SB III 6785 = P. Cair. Zen. I 59033 (en 257) ; BGU IV 1030 (milieu du IIIe s. ap. J.-C.). 110 Bats 2011a, p. 200 et fig. 5. 111 Ce même terme revient dans l’autre lettre sur plomb de Lattara (61), encore inédite. 112 M. Lejeune, dans Lejeune/Pouilloux/Solier 1988, p. 51, s.vv. ἡμιεκτάνιον (probable lapsus pour *ἡμιεξάνιον pour le terme ἡμιοκτάνιον gravé par le scripteur), ἡμιοκτάνιον, *ὀκτάνιον ; Lejeune 1991a, p. 325–327. Il convient d’insister sur le tour bra104 105
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
(« huitaine ») d’une unité de référence. On ne saurait affirmer que les deux termes étaient identiques. Sur le plomb de Pech Maho, l’ὀκτάνιον désigne une valeur arithmétique d’unités de compte, sans correspondant connu dans le monnayage, l’unité de référence pouvant être le statère. M. Bats propose de reconnaître dans notre document un nouvel élément d’une série métrologique, qui pourrait être une mesure de volume et non pas de monnaie, selon la suggestion de Javier de Hoz. Cette indication métrologique nouvelle a été commentée par L. Dubois (BÉ, 2012, 104 bis et 512)113, qui préfère y voir une unité monétaire plutôt qu’une indication de volume ; pour Dubois, on peut établir entre ce terme et l’ἡμιοκτάνιον de Pech Maho le même rapport qu’entre ὀδελός et ἡμιωδέλιον. Tout fonctionne comme si les Phocéens d’Occident (cf. notre document et le mémorandum commercial de Pech Maho) et les Ioniens du Pont Nord (cf. la lettre sur plomb de Patrasys et le long graffite cité dans son comm., 48) évoluaient dans des ensembles qui se sont créés des systèmes propres à usage commercial, réglés par des statères phocéens d’un côté, par des Cyzicènes de l’autre. Commentaire : Le site de Lattara (auj. Lattes, Hérault)114, au bord de l’étang littoral (auj. l’Étang de Méjean), sur une presqu’île formée par les apports alluviaux, entre deux bras du delta du fleuve Lez (anc. Ledus), est un relais indigène du commerce massaliète où se côtoient Gaulois, Grecs et Étrusques115. Il ne s’agit pas seulement d’un point d’échanges au profit des communautés indigènes ou au service d’un oppidum dominant, mais – comme le révèlent les fouilles systématiques – d’une agglomération vaste et dynamique, avec un territoire exploité, capable de fournir des ressources qui ont fait l’objet des échanges. Lattara fait office d’interface entre le commerce maritime et les populations de l’intérieur, notamment par la diffusion des amphores et des céramiques méditerranéennes. Des marchands massaliètes sont présents à Lattara depuis 475, comme le prouvent les importations de vin et de céramiques116. En plus de graffites (marques de propriété, signes commerciaux) et même de deux abécédaires grecs sur tessons, témoignant de la diffusion de l’écriture (voir supra, 58a)117, Lattes a livré deux ou trois textes grecs sur plomb : le document présent ; un document inédit (61), qui comporte la mention d’ὀκταν[–] et d’au moins un produit, le blé ; un troisième (*62) est d’interprétation plus difficile. La date de notre document, vers le milieu du Ve s., explique la présence de formes dialectales ou simplement archaïques : ἐλάη (B, ll. 2–3), Ζήν (A, ll. 1, 5), κεῖθι (B, l. 2), ainsi que la crase (A, l. 9) ; la perte d’une partie du texte ne permet pas de se faire une idée plus précise de la syntaxe, à l’exception de la face B. Michel Bats propose de reconnaître118 une passation d’ordre pour un paiement ou pour la récupération d’une dette (exprimée en statères, cf. face A), auprès de deux protagonistes porteurs de noms grecs, opération pour laquelle on invoque Zeus ; la deuxième personne mentionnée, Kléanax, serait impliquée dans une affaire d’huile (A, ll. 7–9). La question du lieu de l’opération reste ouverte : elle aurait pu avoir lieu à Lattara, s’il s’agit d’une livraison ou d’une commande de partenaires résidant ailleurs (Massalia ? Emporion ?), ou bien ailleurs, si cette plaquette a été perdue ou abandonnée à Lattara le temps d’une escale. À mon avis, le scénario pourrait être le suivant : l’auteur du document se trouvant à l’extérieur de Lattara, il charge son associé ou agent de régler des affaires distinctes sur place ; ce dernier avait donc gardé et archivé le plomb, qui fut par la suite jeté avec d’autres détritus. Les deux porteurs de noms grecs cités devaient se trouver dans ce cas à Lattara. Les noms des deux protagonistes sont composés sur la même notion de « gloire », si fréquente dans l’anthroponymie grecque. Pourtant, si Κλεοσθένης est un nom assez courant dans l’ensemble du monde grec, Κλεάναξ est beaucoup moins fréquent et surtout répandu sur la façade égéenne de l’Asie Mineure, notamment chylogique, comme l’explique M. Lejeune, dans lequel τρίτον ἡμιοκτανίον signifie « [deux huitains et] le troisième [réduit] à un demi-huitain) » = deux huitains et demi. 113 Dubois 2014b, p. 76. 114 Barruol 1988. Le site antique a été identifié au lieu-dit « Saint-Sauveur », où des fouilles ont été menées depuis 1963 (à commencer avec Henri Prades). 115 Cf. Bats 2011a, p. 215. 116 Voir J. Vial, dans CAG, 34/3 (Le Montpelliérais), 2003, p. 194–230 ; Py 2009, p. 303 ; Gailledrat 2014, p. 151–156. 117 Bats 1988b ; Bats 2010b, p. 26–29. 118 Bats 2010a, p. 752–755.
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en Ionie119 ; on peut raisonnablement penser à un héritage phocéen. On rencontre par ailleurs un Κλεόθεμις dans la lettre sur plomb d’Agathè (63, A, l. 6). L’invocation de Zeus ouvre à chaque fois une séquence similaire (A, ll. 1, 5). M. Bats l’explique comme une formule obligatoire fournie par le modèle des contrats120, des testaments ou d’autres dispositions, qui commencent parfois avec l’invocation θεός/θεοί/Τύχη ἀγαθή ; sa répétition, poursuit Bats, fonctionne comme un élément d’une prière, à savoir, une exclamation ou une invocation introduisant une requête pour laquelle on demande l’aide à la divinité suprême121. En ce qui me concerne, il s’agit plutôt de prendre la divinité comme témoin de la bonne foi de l’exécuteur ou de l’auteur anonyme des instructions. Si je suis M. Bats pour distinguer entre deux affaires différentes, il me semble néanmoins qu’il faut les disposer autrement : a + b : une opération identique, exprimée de la même façon, clairement signalée et introduite par deux paragraphoi sous la forme de traits horizontaux au début des ll. 1 et 5 (avec une interligne plus grande entre les deux parties et une disposition différente du stoichèdon), qui concerne deux débiteurs/fournisseurs/créditeurs, Kléosthénès (A, ll. 1–4) et Kléanax (A, ll. 5–8) : Séquences Invocation à Zeus Instruction Indication numérique précédée d’un verbe ou d’un adverbe Identité de la personne concernée (acc.) et somme en statères
Opération concernant Kléosthénès (a)
Opération concernant Kléanax (b)
Ὦ Ζήν· ΕΓ[---]|σις πλεο[‒ chiffre]
Ὦ Ζήν· {Ι} [–] πλε[ο‒] | ἕξ καὶ ὀγδο[‒]
[Κλ]|εοσθένη[ν ‒σ]|σον στατ[ῆρα –]
Κλεάνακτα [‒]|σσον στατ[ῆρα –]
c : une autre transaction/affaire, qui concerne l’huile d’olive et les olives. Cette opération commence sur la face A, à la dernière ligne (l. 9), et continue sur la face B (verso) ; les deux parties sont manifestement en rapport direct, la face B représentant la fin du message inscrit sur la partie A : « (sc. voilà pour cette affaire). Concernant l’huile [---], réclame là-même des olives (qu’on me doit), en valeur de deux octains ». Deux produits sont donc mentionnés, l’huile d’olive122 (face A, l. 9) et les olives (face B, ll. 2–3)123 ; si les deux octains désignent, comme il est vraisemblable, seize fois l’unité de référence, alors il s’agit de quantités importantes. La monnaie de référence pouvait être le statère, monnaie de compte de l’Égée orientale, avec ses subdivisions, tritai (1/3) et hektai (1/6, les ἕκται Φωκαΐδες). Dans le document de Lattara, il doit s’agir de l’étalon phocaïque, selon lequel les ateliers de Cyzique, Mytilène et Phocée frappent des statères d’électrum de 16,1 gr. et surtout des hektai124. Une question demeure toutefois : quel est le caractère de ce document sur plomb ? Plusieurs positions assez différentes ont été exprimées : – pour M. Bats, plutôt que d’une lettre formellement commerciale (comme celle d’Emporion, 67)125, il serait question d’une lettre de sollicitation concernant une tentative pour mener à son terme une transaction inachevée pour laquelle on invoque l’aide de Zeus ; Kléosthénès et Kléanax sont les débiteurs ou les créditeurs de l’ex-
119 LGPN V.A 247 et V.B 235 ; voir Rousset 2014, p. 89. L’interprétation aristocratique des deux noms (« ovviamente dei nomi aristocratici »), faite par Bravo 2016, p. 69, est spéculative. 120 Cf. de Hoz 1994, p. 331–332. 121 Bats 2010a, p. 754, citant Aratos, Phaen. 1.1, selon lequel toute prière « doit commencer par Zeus ». Mais J.-Cl. Decourt (BÉ, 2012, 512) doute de l’interprétation de cette expression du document de Lattara comme prière. 122 Voir en général Garcia 1992. 123 Il convient d’écarter la lecture hapax *γαρελάην, faisant état d’un mélange de garum et d’huile d’olive. Les olives sont attestées en fouille à Lattara dès le Ve s. (cf. Bats 2010a, p. 753). 124 Bats 2010a, p. 752, 753–754. 125 Le plomb de Pech Maho est qualifié par M. Bats de « memorandum ou (…) compte-rendu d’une transaction » (Bats 2011a, p. 201–202 ; approuvé par J.-Cl. Decourt, BÉ, 2012, 514).
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péditeur anonyme. Dans un second temps, fut ajoutée la réclamation de deux octains d’un produit. Après avoir noté l’usage de l’impératif aor., qui suggère un lien formel de la face B avec la face A, M. Bats envisage même la possibilité de séparer les deux faces, A et B, la dernière étant une sorte de pense-bête ajouté au premier message. D’après son scénario, « le scripteur X a confié au porteur Y, marchand (emporos) ou capitaine de navire (nauklèros), une lettre qui lui donne mission de récupérer auprès de Kléosthénès et Kléanax le montant d’une transaction passée (ou de payer à ces mêmes personnes le prix d’une livraison précédente ‒ d’huile en ce qui concerne Kléanax) et, si les deux faces sont liées, de réclamer la livraison (due ou nouvelle), au même endroit (endroit peut-être nommé sur la face A !), d’une certaine quantité de garos à olives, vraisemblablement, d’ailleurs, auprès des mêmes partenaires »126. – pour J.-Cl. Decourt (BÉ, 2012, 512), il ne s’agirait pas d’une lettre : à l’instar du document grec de Pech Maho, ce texte ne présente aucune formule type (ouverture, clausule, formula valetudinis), ni verbe d’envoi, ni nom de destinataire au datif, alors que le statut des deux personnages, Kléosthénès et Kléanax, reste incertain. – pour B. Bravo, le document serait une defixio, hypothèse par ailleurs totalement invraisemblable127. Pour ma part, bien que ce document ne soit pas une lettre à proprement parler, il est toutefois question d’un message écrit comportant des instructions, émanant d’un milieu marchand. Il s’agit de toute évidence d’une succession d’ordres ou de recommandations pour un partenaire/subordonné : « concernant Kléosthénès, fais ceci, concernant Kléanax, fais cela ; concernant l’huile d’olive, réclame telle quantité d’olives ». Le texte de la face B, qui continue celui de la face A (cf. B, l. 2 : γάρ), n’est donc pas un pense-bête, mais la suite d’une affaire évoquée sur la face A. Ce procédé était courant dans les lettres, par exemple celle d’Apatorios à Léanax (26), où deux affaires distinctes sont traitées, séparées par une ligne horizontale. Je propose donc d’appeler ce document de Lattara « instructions commerciales sur plomb », au sens d’un message écrit qui fait office de lettre. Comme conclut avec justesse M. Bats, après le fameux plomb de Pech Maho qui a changé le regard porté sur le commerce grec, ce document sur plomb de Lattara fournit un nouvel élément pour la connaissance de l’organisation technique et de la participation des relais indigènes dans le commerce archaïque en Méditerranée nord-occidentale. Il atteste des pratiques flexibles impliquant un paiement différé, où le statère phocéen était sans doute la monnaie de compte. L’importance de l’établissement de Lattara dans ce réseau phocéen d’Occident ressort du fait que la même zone d’habitat où l’on a découvert ce document a livré un autre texte grec sur plomb, encore inédit (61), mais qui devrait avoir le même caractère128. Si le plomb étrusco-ionien de Pech Maho (IG France 135), dont on a souligné « le haut degré de précision que le langage commercial ou contractuel avait atteint dans cette région à cette époque »129, a été naturellement invoqué pour éclaircir ce texte de Lattara, un autre exemple d’usage commercial du plomb reste méconnu. Sur le site indigène de Roccagloriosa de la côte lucanienne, au sud de Hyélé/Velia, une lamelle de plomb fut réutilisée au IVe s. pour graver, dans l’espace disponible, une defixio en osque130. Or, la lamelle comportait à gauche le début inachevé de l’enregistrement d’une opération commerciale en grec, gravée à une époque antérieure : δύϝο [με]δίμν πλντα[ι] « deux medimnoi sont vendus [à prix X] ».
Bats 2010a, p. 754–755. Bravo 2014–2015, p. 18 ; Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 227 n. 29 ; Bravo 2016, p. 41–69 (et excursus sur Zeus χθόνιος et καταχθόνιος, p. 69–76). Ni lettre ni document commercial, ce texte sur plomb serait selon Bravo un κατάδεσμος destiné à « lier » deux débiteurs, Kléosthénès et Kléanax, et les contraindre à payer. 128 Bats 2010a, p. 755–756. 129 J. Pouilloux, dans Lejeune/Pouilloux/Solier 1988, p. 50. 130 Poccetti 1990 ; Poccetti 2010, p. 676 ; Rix 2002, Lu 45 ; Crawford 2011, p. 1333–1335 (Buxentum 3) ; Murano 2013, p. 155– 159, n° 7 (ph. et dessin p. 254, Pl. XVIII) ; Mullen 2013, p. 214 ; Poccetti 2015, p. 386 ; McDonald 2016, p. 139–140 (« le verbe est peut-être corrigé, avec l’addition de 〈n〉, du singulier (πωλῆται) au pluriel (πωλῆνται, en place de πωλοῦνται). La correction de [με]διμνο en [με]διμνο(ι) [Crawford] n’est pas nécessaire, parce que le nom peut être duel plutôt que pluriel »). 126 127
61. Lettre fragmentaire sur plomb (Lattara)
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Il était donc question d’une mesure de céréales accompagnée d’un chiffre et du verbe « vendre ». Ce plomb éclaire la réutilisation des lamelles de plomb, de la même manière que l’exemple fameux de Pech Maho. Il s’agit dans ce dernier cas d’une plaque de plomb (5,2 × 11,5 cm), inscrite sur une face d’abord en étrusque (6 lignes), réutilisée pour noter quelque temps après un mémorandum commercial grec (12 lignes). Seules les découvertes occasionnelles et les fouilles systématiques peuvent enrichir notre connaissance des pratiques commerciales et d’écriture aux époques archaïque et classique, qui sortent peu à peu de l’oubli.
61. Lettre fragmentaire sur plomb (Lattara)
61. Lettre fragmentaire sur plomb (Lattara) Découverte, contexte : lamelle de plomb découverte en 2006, dans la même zone que le document 60 (phase 27G1, US27849), dans un remblai séparant deux sols (datation stratigraphique : ca. 430). Support, mise en page : la lamelle, en mauvais état de conservation, est repliée en trois (ht. 4 cm) et percée de trous à la base, comme si elle avait été clouée. Une seule face est inscrite. Dialecte : sans doute ionien oriental. Paléographie : d’après les photos publiées, disposition quasi-stoichèdon ; la forme des lettres est similaire à celle de la première lettre sur plomb de Lattara (60) : ny à hastes en déséquilibre () ; sigma à quatre branches obliques inégales () ; upsilon sans haste verticale (). Date : ca. 450 (?). Conservation : Musée Henri Prades, Lattes (inv. US 27849). Inédite. Bibliographie : Lebeaupin/Séjalon 2008, p. 63 ; Py 2008, p. 129 ; Py 2009, p. 304–305 ; Bats 2010a, p. 755–756 ; Bats 2010b, p. 27 ; Bats 2010c, p. 29 ; Garcia/Sourisseau 2010, p. 243 ; Bats 2011a, p. 202, 204 ; Bats 2011b, p. 103 ; Bats 2012a, p. 11 ; Ceccarelli 2013, p. 355, n° B.4 ; Mullen 2013, Appendix 2, n° 74 ; Decourt 2014, p. 51, n° 6 ; Bravo 2016, p. 50–52. Illustrations : Lebeaupin/Séjalon 2008, p. 203 (ph.) ; Py 2009, p. 305 (ph.). Note sur le document : j’ai eu l’occasion d’examiner brièvement ce document au musée de Lattes. Son édition est préparée par Michel Bats.
Dans ce deuxième document sur plomb de Lattara, une somme ou une quantité est également en jeu, ὀκταν[–]131, comme dans le document précédent (60, B, ll. 3–4), par ailleurs contemporain. Il est également question d’un produit, cette fois le blé (ΣΙΤΟΣ)132.
*62. Possible lettre sur plomb envoyée à Lètoklès (Lattara)
*62. Possible lettre sur plomb envoyée à Lètoklès (Lattara) Découverte, contexte : rouleau de plomb découvert en 1965 dans le port de Lattes, par le Groupe Archéologique Painlevé. Il a été utilisé comme poids (filet de pêche), comme il devait arriver souvent avec des plombs inscrits. Support, mise en page : le plomb n’est pas encore déplié (dimensions du rouleau : 7,4 × 1,2/1,8 cm). Sur la longueur du rouleau, à son extrémité, on peut lire une succession de lettres, sans doute l’adresse externe, avec le nom du destinataire au datif ; la seconde partie de cette ligne est très affectée par la corrosion. Dialecte : koinè (?). Paléographie : les lettres ont été assez hâtivement gravées, certaines de manière cursive, comme l’omikron, le tau et notamment l’êta, dont la forme est identique à celle des papyrus.
Bats 2010a, p. 755–756. Bats 2010b, p. 27. Ce document, bien que toujours inédit, est interprété à partir de sa photo partielle comme un katadesmos par Bravo 2016, p. 50–52, ce qui est très spéculatif. 131 132
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Date : IIIe–IIe s. (?). Conservation : Musée Henri Prades, Lattes [inv. (Musées de France) 987.89.1]. Éditions : MLH II B.2.3 (= MLH III G.18.1) (J. Untermann, 1980, p. 309) ; BDHesp HER.01.03. Bibliographie : Anderson 1988, p. 48 ; Pernet/Py 2010, p. 40 et 85 ; de Hoz (J.) 2011, p. 346–347 ; Moncunill i Martí 2016, p. 46 n. 4. Illustrations : MLH II B.2.3 (J. Untermann, 1980), p. 309 (ph. et dessin) ; Pernet/Py 2010, p. 40 et 85 (ph.). Note sur l’édition (préliminaire) : le plomb n’est pas déroulé. L’inscription a été interprétée par Untermann (1980) comme étant un texte ibérique, en écriture ibérique sud-orientale133, d’après une photo d’Henri Prades ; le dessin d’Untermann n’est pas fidèle aux caractères gravés sur le plomb. Ce texte, signalé à plusieurs reprises (« plomb de pêche » avec une « inscription non déchiffrée » dans le catalogue de 2010), a été également interprété comme un document ibérique dans la base de données BDHesp, avec une variante de lecture (J. de Hoz 2011). Après une autopsie au Musée Henri Prades de Lattes, Noemi Moncunill i Martí, que je remercie pour ses éclaircissements, émet des réserves sur le caractère ibérique et choisit de l’exclure du corpus des inscriptions ibériques (Moncunill i Martí 2016). L’explication par le grec est en effet plus aisée. J’ai brièvement examiné le plomb au musée de Lattes. Son édition est annoncée par Michel Bats.
Fig. 171. Photo du rouleau.
Fig. 172. Fac-similé du rouleau (J. Untermann).
Fig. 173. Fac-similé personnel du rouleau.
[Recto (contenu) : inconnu.] Verso (adresse externe ?) : Λητοκλεῖ. Inscriptio – ← kilutaŕu[ Untermann : ← kilutakíu[ de Hoz
À Lètoklès (?). Il doit s’agir du nom du destinataire, au datif134. Si les quatre premières lettres sont bien lisibles (la deuxième lettre semble être un êta cursif), le reste est sujet à caution ; j’aperçois un kappa, suivi peut-être d’un lambda et de deux traces de lettres qui évoquent un epsilon et un iota. Par conséquent, il est tentant de lire Λητοκλεῖ, datif d’un nom théophore nouveau, *Λητοκλῆς. On connaissait auparavant seulement Λητόδωρος (avec plus d’une dizaine d’occurrences) et son correspondant féminin Λητοδώρα (une seule occurrence)135. Le culte de la mère d’Apollon et d’Artémis, si populaires dans le domaine massaliète136, n’est pas surprenant.
Pour la forme et le ductus, l’auteur renvoie au plomb de Mogente/Moixent (provence de Valence) (MLH III G.7.1). L’adresse externe de la lettre sur plomb de Massalia (59, IIIe s.) ne comporte que le nom du destinataire, au datif : Λεύκωνι. 135 Pour ce nom théophore, voir Avram 2010, p. 377. Notons d’autres occurrences de ce nom à Olbia du Pont, sur une defixio sur céramique du IVe s., cf. Rusjaeva/Ivčenko 2014 (DefOlb 6) ; et à Myrmékion, dans un catalogue aux environs de notre ère (cf. A. Avram, BÉ, 2017, 394). 136 Hermary/Tréziny 2000, p. 147–148, 153–154. 133 134
63. Lettre opisthographe sur plomb dite « lettre d’Agde » (Agathè)
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63. Lettre opisthographe sur plomb dite « lettre d’Agde » (Agathè) Découverte, contexte : lamelle de plomb fragmentaire découverte le 11 janvier 1939 par Raymond Aris137, dans les sondages menés sur la butte du Vieil-Agde, en bordure du square de l’ancienne mairie, à l’angle des rues Louis Bages (ancienne rue des Accoules) et Perben, près de la Cathédrale. Selon R. Aris, la tablette a été retrouvée dans une habitation construite en matériaux périssables (des traces de clayonnages, de pisé et de bois carbonisé), qui présentait un reste de mur circulaire (Ve–IVe s. ?). Le niveau grec, entre -1,80 m et -2,40 m, contenait des céramiques attiques à vernis noir (coupe, skyphos à guirlande de feuilles blanches surpeintes, pied de cratère), des céramiques grises monochromes de tradition ionienne, ainsi que des fonds d’amphores et des débris de toute sorte (entre autres, écailles et arêtes de poissons). Dans la « couche de fond » du sondage (entre -2,20 et -2,40 m), dont la terre était vert clair, R. Aris trouva des fragments de céramique cuite en atmosphère oxydante, ou bien à bandes peintes, et de la céramique « gris bleuté » à décor de lignes ondées incisées avant cuisson ; au fond de cette fouille, des fragments de pisé indiquaient que le niveau d’habitation primitive avait été atteint. C’est dans cette fouille et dans cette habitation qu’ont été découverts les restes de la lamelle de plomb, « sur les déblais et non en place »138. Le contexte archéologique se place donc entre le IVe et la fin du IIe s., plutôt vers la fin de cette fourchette chronologique. Dans une lettre envoyée à Georges Claustres le lendemain de la découverte de la lamelle, R. Aris en fait une description lapidaire : « Comme monnaies une seule lisible que me détermine l’abbé Brun139 à qui je viens d’envoyer aussi une feuille de plomb (8 cm × 3 cm) portant des caractères grecs trouvée hier par hasard sur les déblais tellement elle est abîmée et qui pourrait constituer une découverte intéressante »140. Il accompagne cette mention d’un petit dessin de la feuille de plomb dépliée. Le 29 janvier 1939, R. Aris écrit de nouveau à G. Claustres et lui envoie un décalque approximatif de la lamelle, en lui promettant un décalque exact dès qu’il aurait eu une réponse des savants auxquels il s’était empressé d’envoyer le document (cf. comm.)141. Peu après, Albert Grenier suggère que la feuille de plomb n’a pas été enroulée mais que les cassures proviennent peut-être d’un pliage (Grenier 1942, p. 288) (cf. comm.). Support, mise en page : de la lamelle ne subsistent que 7 fragments inégaux, qui se sont brisés par la suite en 14 morceaux ; des 7 fragments, 3 pouvaient être parfaitement raccordés et 2 autres avec beaucoup de vraisemblance. À l’origine, la lamelle devait mesurer au moins 12 cm de long ; le morceau le plus consistant mesure ca. 4,5 × 6 cm, ce qui constituait environ un tiers de la lettre ; des deux autres tiers, déchiquetés, il ne reste que des morceaux. La plaquette de plomb étant opisthographe, son état fragmentaire rend difficile la reconnaissance du recto et du verso. Néanmoins, l’absence de lettres inscrites au début des lignes du fr. 1 sur ce que je désigne comme la face A (mais qui dans les publications antérieures apparaît, de façon toute aussi conventionnelle, comme étant la face B), sur une portion inférieure à 1 cm, suggère que l’on est en présence de l’une des extrémités de la feuille. Le nombre de caractères varie selon les publications, entre une centaine de lettres pour chaque face, réparties sur au moins 8 lignes (M. Lejeune) et 250–300 lettres (pour d’autres savants) ; personnellement, j’en ai compté environ 360. Le texte était reparti sur au moins une dizaine de lignes sur chaque côté, dont 9 sont conservées sur chacune des faces. Si les fr. 1 et 7 conservent les extrémités de la lettre, les mots semblent avoir été séparés et respecté la coupe syllabique en fin de ligne ; ou bien, après un mot complet, un petit espace a été laissé vide à la fin de la ligne (B, fr. 7, ll. 1, 2, 4). Mise en page des deux premières lignes de la face A. Dialecte : koinè avec des traits dialectaux de l’ionien oriental : πρήξω (A, fr. 1, l. 4) ; dat. ionien ἐμ π[ί]στῑ (B, fr. 7, l. 7, avec dissimilation de la nasale). Paléographie : lettres profondément gravées. La taille des lettres est légèrement plus grande sur la face A (0,3–0,4 cm, à l’exception de la l. 1 : 0,2–03 cm) et plus petite sur la face B, dans la moitié supérieure (ll. 1–4 : 0,2–0,3 cm), avant de s’agrandir de nouveau à partir de la l. 4 (0,3–0,4 cm). La paléographie semble indiquer la fin de l’époque classique et le début de la haute époque hellénistique : alpha à barre droite, souvent avec la haste droite plus haute ; epsilon à trois barres égales et horizontales (en quelques rares cas, la barre médiane n’est pas collée) ; thêta pointé ; kappa de forme déséquilibrée ; my
137 Le Musée agathois a été créé en 1935 par la société félibréenne Escolo dau Sarret (le « sarret » étant la coiffe traditionnelle des Agathoises) dont tous les membres étaient bénévoles. Raymond Aris, pharmacien de profession et archéologue autodidacte, intègre l’Escolo et est nommé conservateur adjoint du Musée agathois en charge de l’archéologie terrestre (titre honorifique car il ne possède pas de diplôme en archéologie) à la suite de ses découvertes sur la fondation grecque d’Agde. 138 Cf. le carnet de fouilles de R. Aris de janvier 1939, dont une copie m’a aimablement été transmise par Jean Grimal. Dans le même carnet, R. Aris notait « voir au sujet de cette inscription A. Audollent sur les Tabellae defixionum, 1904 » ; la découverte du plomb inscrit l’avait spontanément fait penser à une defixio. 139 Voir Richard/Aris 1979. 140 Selon l’information transmise par Jean Grimal, qui m’a également fourni la copie de ce courrier, l’abbé Brun était un prêtre de Béziers. 141 Archives du Centre Archéologique Rémy Marichal de Château Roussillon (Ruscino), n° 161.
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largement ouvert et une fois cursif (B, fr. 7, l. 7) ; ny aux hastes en déséquilibre, la dernière étant souvent plus courte ; xi de forme « classique » (sans la haste verticale centrale, archaïque) ; pi à pied droit plus court ; rhô parfois avec la boucle fermée près de la base du pied et de forme anguleuse ; sigma présentant des formes fluctuantes ‒ dans la plupart des cas, il est lunaire (plus ou moins largement ouvert), à l’exception de quelques endroits où il présente quatre branches de taille réduite, à ductus brisé (A, fr. 1, ll. 5, 7), et une fois même une forme vaguement rectangulaire (B, fr. 5, l. 1) ; tau souvent plus petit ; ômega de forme classique, plus petit que les autres lettres. L’écriture est généralement soignée, avec quelques traits cursifs (alpha, kappa, my, sigma) qui nous orientent vers l’époque hellénistique. Date : fin du IVe– début du IIIe s. Conservation : jadis au Musée du Vieil-Agde, aujourd’hui disparu (inv. photo n° 493–79). Éditions : J. Pouilloux, dans Lejeune/Pouilloux/Solier 1988, p. 39–40, 46 ; IG France 130 (J.-Cl. Decourt, 2004, p. 173–174) ; Ceccarelli 2013, p. 349–350, n° 30 ; Dana 2017 (cf. J.-Cl. Decourt, BÉ, 2017, 644). Bibliographie : Aris/Claustres 1939, p. 98–99 ; Lantier 1939, p. 198 ; Grenier 1942, p. 288 (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1944, 90) ; Bonnet 1946, p. 25, n° 79 ; J. et L. Robert, BÉ, 1956, 357 et 1955, 282 ; La lettre et ses supports à travers les âges (Exposition organisée par le Musée Postal, mars-avril 1960), Paris, 1960, p. 12, n° 34 ; Lejeune 1960, p. 62 (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1961, 844) ; Benoît 1965, p. 23 n. 49, 122 ; Gallet de Santerre 1965, p. 634 ; Clavel 1970, p. 110 et n. 3–4 ; Aris 1970, p. 4 ; Bravo 1974, p. 114, n° 3 ; Pericay 1974, p. 228, 232 ; Jully et alii 1978, p. 18–19, 22 (n. 112) et 53, fig. 39 (plan de la fouille) ; de Hoz (J.) 1979, p. 234 ; Jordan 1980, p. 226–227 n. 9 ; Aris 1981 ; Jully 1983, p. 1233–1234 ; Bats 1988a, p. 134 (= Bats 2013, p. 124) ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (C) ; Millett 1991, p. 260, n° III (cf. SEG XLII 1750) ; Solier 1992, p. 107– 108, n° I.1 ; Decourt 1993, p. 241, n° 13 ; Vinogradov 1998, p. 154 n. 4 (n° 11) ; Jordan 2000a, p. 92, n° VI ; Henry 2001, p. 766 (C) ; D. Ugolini et alii, dans CAG, 34/2 (Agde et le Bassin de Thau), 2001, p. 127–128 (cf. J.-Cl. Decourt, BÉ, 2004, 464 ; cf. SEG LII 994) ; Jordan 2003, p. 34, n° X ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (C1) ; Cordano 2005, p. 45, n° 1 ; Dana 2007a, p. 68 (C1) ; Jordan 2007, p. 1361, n° X ; Ugolini 2008, p. 202 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 52 (C1) ; Ugolini 2012, p. 167–168 ; Decourt 2014, p. 50, n° 4. Illustrations : Revue des Postes, Télégraphes et Téléphones de France, 15 (2), 1960, p. 30 (ph. de la face B) ; Gallet de Santerre 1965, Pl. 154, fig. 1 (ph. de la face A) ; Aris 1981, p. 53 (ph. des deux faces ; dessin II des deux faces) ; Pouilloux 1988, p. 47, fig. 18 (ph. de la face B) ; CAG, 34/2 (2001), p. 128, fig. 11 (dessin I de R. Aris, faces A et B) ; IG France (2004), Pl. XXVII, fig. 133 (dessin II de R. Aris, faces A et B) et 134 (ph. des faces A et B) ; Ugolini 2008, p. 201, fig. 20 (dessin I de R. Aris) ; Decourt 2014, p. 70, fig. 3 (dessin II de R. Aris, faces A et B) ; Dana 2017, p. 127 (fig. 1–2, dessins I et II de R. Aris), 128–129 (fig. 3ab et 4ab, ph. des deux faces) et 130 (dessins des deux faces). Note sur l’édition : cette lettre, publiée par mes soins en 2017, a exigé une enquête approfondie, qui est exposée dans les premières sections.
Historique de la découverte et enquête Le document, qui jouissait d’une véritable notoriété locale142, est aujourd’hui perdu, victime sans doute de sa célébrité. Selon Albert Grenier (1942), le plomb, qui « reste entre les mains de M. Aris, a été remis par lui à un laboratoire de la Faculté de pharmacie pour un meilleur décapage », avant de préciser – en pleine période de guerre : « lorsque les communications seront devenues plus faciles, il sera communiqué au spécialiste de l’épigraphie grecque, M. L. Robert, qui en a déjà reçu, m’a-t-on dit, des photographies. Les quelques indications ci-dessus ne porteront assurément aucun préjudice à son étude future »143. D’après R. Aris144, les fragments 142 Voir, dans L’Agathois du 26 août 1983, la réédition par Fr. Mourarat de la série d’articles de R. Gaches, déjà publiés en 1947, intitulée « Les origines d’Agde ». La lettre y est mentionnée (XII) comme une « inscription grecque sur plaque de plomb, qui constitue aujourd’hui le joyau de [l]a collection privée » de R. Aris. Il était déjà connu que la lettre avait été découverte en 7 morceaux, qui comportaient ca. 250 lettres. 143 Grenier 1942, p. 288. 144 Aris/Claustres 1939, p. 99. Cette information a été communiquée par R. Aris pour la première fois dans le post-scriptum d’une lettre du 19 mai 1939, envoyée à G. Claustres et conservée dans les Archives du Centre Archéologique Rémy Marichal : « L’inscription grecque nous a été retournée par M. Bon. Des photos et un décalque sont actuellement entre les mains de M. Grenier au Collège de France. Le déchiffrement me paraît un peu long ». Une allusion est également faite dans une seconde lettre, datée du 22 novembre 1939 (n° 161 du même fonds), au moment où R. Aris évoque ses bons espoirs de disposer d’une salle d’archéologie convenable au musée d’Agde : « Nous ne pouvons la meubler que d’un matériel pas très riche mais en tout cas très intéressant. La plus belle pièce ‒ l’inscription grecque ‒ n’est pas encore interprétée et traduite ‒ c’est dommage ». Je remercie
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furent confiés au professeur Antoine Bon, professeur honoraire à l’Université de Montpellier et Directeur des Antiquités Historiques de 1942 à 1945, qui les donna pour déchiffrement au professeur Albert Grenier, au Collège de France (photos et frottis). Selon A. Grenier, l’écriture, « une assez belle capitale du IIIe plutôt que du IVe siècle, est bien lisible, quoique le trait soit léger et qu’un certain nombre de caractères demeurent douteux ou effacés ». Il précise : « Je l’ai eue entre les mains, grâce à l’amabilité de l’inventeur, M. Aris, pharmacien, archéologue zélé ». En effet, dans sa lettre du 29 février 1939, R. Aris écrivait à G. Claustres : « Je n’ai toujours pas de nouvelles de la fameuse inscription. Elle est encore entre les mains de M. Bon Professeur d’Archéologie à Montpellier qui en a envoyé des photographies à un de ses amis, Professeur d’épigraphie grecque au Collège de France. Nous ne pourrons pas cette fois aller plus haut et si nous n’avons pas bientôt une lecture complète c’est à désespérer de la science. M. Bon avait émis l’hypothèse que ce pourrait être un acte d’affranchissement d’esclave. Dès que j’aurai une réponse je vous tiendrai au courant (…) J’ai fait déblayer une cave près de l’endroit où j’ai trouvé la plaque. Il y a par-dessus une couche intacte qui doit être la suite de la partie exploitée. J’espère avoir lundi une très belle récolte ». Dans sa notice de 1942, A. Grenier précise que « mon étudiant de l’École des Hautes-Études, M. Pflaum, retrouvé à Montpellier, a essayé de la déchiffrer. Il a lu la plupart des fragments de lignes ; il y a pu reconnaître quelques mots, mais l’assemblage des morceaux reste incertain et aucun sens, même général, ne se dégage ». Cet élève n’est nul autre que le futur savant Hans-Georg Pflaum, juif berlinois réfugié depuis 1933 en France, recruté au CNRS mais suspendu pendant la guerre en raison de la législation antisémite du régime de Vichy, moment où il se cache à Montpellier et à Lyon145. Au moment où Michel Lejeune écrivait son article sur le plomb d’Elne, au début des années 1960, les restes de la lamelle se trouvaient encore au Musée d’Agde ; des copies et des photographies de l’objet lui auraient été communiquées par Antoine Bon et Hubert Gallet de Santerre, professeur à l’Université de Montpellier. En 1988, lors de la publication du plomb de Pech Maho, Jean Pouilloux notait : « par l’entremise de MM. H. Gallet de Santerre et Y. Solier, A. Nickels a pu nous fournir la photographie d’une lettre très fragmentaire, elle aussi inscrite sur plomb » ; « A[ndré] Nickels, directeur des Antiquités et responsable du musée d’Agde, a retrouvé la photographie de la ‹lettre d’Agde› et me l’a aimablement fait parvenir par l’intermédiaire de Monsieur le Recteur H. Gallet de Santerre »146 ; enfin, puisque « ce document demeure introuvable », « on n’en regrette que davantage la disparition, momentanée il faut l’espérer, du document »147. En 2004, Jean-Claude Decourt essaie de faire le point sur les variantes divergentes, sans toutefois trancher : selon certaines publications, l’objet avait été déposé au Musée du Vieil-Agde ; selon d’autres, il est resté propriété de l’inventeur et il se serait peu à peu détruit (selon le sort du plomb non protégé ni traité) ; enfin, selon d’autres, il aurait été volé148. Il restait des photos découpées conservées au Musée du Vieil-Agde (cf. comm.), que J.-Cl. Decourt a obtenues de la part du conservateur du Musée, Michel Adgé149, ainsi qu’un fac-similé, dont une copie lui a été transmise par le fils de l’inventeur R. Aris. Isabelle Rébé d’avoir bien voulu me transmettre les deux lettres appartenant à ce fonds qui font expressément référence à l’inscription sur plomb. Cf. aussi Compte Rendu des Travaux de la Société Archéologique de Montpellier pendant les années 1932–1950, 2e série, 11, 1958, p. 93 (séance du 11 février 1939) : « M. Aris, pharmacien en Agde, a communiqué à M. [Émile] Bonnet une lame de plomb trouvée au cours de fouilles opérées dans cette ville ; l’inscription grecque qui est visible sur les deux faces des six fragments a été soumise à M. [Antoine] Bon qui donne les résultats de sa première étude : le document paraît postérieur au IIe siècle av. J.C. en raison de la forme des ‹sigma› ; deux mots ont pu être déchiffrés : AGATH [sic] et DESPOTOU. Le travail de lecture va être poursuivi ». 145 Dans la version manuscrite de sa « Chronique gallo-romaine » (Fonds Albert Grenier), A. Grenier avait rajouté « M. H. G. Pflaum » ; je remercie pour cette information Elisabeth Bellon, responsable du service des archives, Maison Archéologie & Ethnologie René-Ginouvès (Nanterre). Vers la même époque, d’autres fouilles ont été menées à Agde par un groupe de réfugiés espagnols dont le camp se trouvait dans le voisinage, sous la direction de Franscisco Prat Puig (cf. Grenier 1942, p. 291). 146 Pouilloux 1988, p. 39 et n. 3. Il est certain que H. Gallet de Santerre avait été en possession des photos du document, car il reproduit la photo de la face A dans une publication personnelle (Gallet de Santerre 1965, p. 634, Pl. 154, fig. 1). 147 Pouilloux 1988, p. 39 (et n. 4) et 40. 148 Sa disparition est officiellement signalée dans Jully et alii 1978, p. 22 n. 112. Cf. J.-Cl. Decourt, BÉ, 1998, 588, qui précise : « Ce document est aujourd’hui détruit, ainsi que j’ai pu m’en assurer ». 149 J’exprime ma plus vive reconnaissance à Michel Adgé, qui a bien voulu m’envoyer des images scannées de ces photos et me fournir de précieuses informations sur les circonstances du vol.
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Or, en faisant appel au dévouement à toute épreuve de plusieurs collègues (archéologues, historiens ou responsables d’archives), auxquels j’adresse mes plus vifs remerciements150, je suis maintenant en mesure de montrer que la lettre voyagea une seconde fois (après son envoi initial) et de reconstituer son itinéraire, entre Agde, Paris et Nancy, avant sa disparition du musée où elle était revenue après ce circuit. À la recommandation de Céline Pardies, du Service Archéologique de la Communauté d’Agglomération Hérault Méditerranée, j’ai contacté Jean-Claude Mothes, responsable des archives de l’association qui siège au Musée Agathois, Escolo dau Sarret. Il me fit ainsi parvenir un échange de lettres concernant le prêt de l’objet par le Musée agathois au Musée de la Poste, pour une exposition qui eut lieu à Paris en mars-avril 1960. Le 22 janvier 1960, Jean Le Mouël, le conservateur du Musée de la Poste, écrivait à R. Aris : « Je prépare actuellement une exposition sur ‹la lettre et ses supports à travers les âges›, qui doit se tenir au Musée Postal, Hôtel Choiseul Praslin, 4 rue St Romain du 25 ou 26 environ à fin mai environ. Ayant eu l’occasion de l’entretenir de mes projets, Madame TIFFY, Conservateur au Musée d’Adge (sic) et assistante des Arts décoratifs à Paris, m’a signalé l’existence au Musée de votre ville d’un message sur feuille de plomb, en écriture grecque, traitant d’une commande de bottes à un cordonnier local. Il m’a semblé que c’était là une pièce de qualité, rentrant exactement dans le cadre des présentations que j’envisage et qui aurait tout à fait sa place à côté des supports se rapportant aux civilisations anciennes, tels que les briques d’argile, papyrus, tabella (sic) gréco-romaines, parchemins, etc… À la demande que je lui ai faite, Madame TIFFY a bien voulu me donner son accord de principe pour le prêt de la pièce dont il s’agit en me laissant le soin de régler les questions de détail avec vous. Je me permets donc de vous demander s’il vous serait possible de me faire parvenir dès maintenant les indications utiles pour la confection du catalogue et des étiquettes, à savoir : nature du support, date ou époque, écriture, objet du message et traduction complète, de même que les dimensions destinées à établir le plan de présentation dans la vitrine ainsi que le montant de l’assurance éventuellement. Sauf contre-indication de votre part, je me propose le moment venu c’est-à-dire vers le 8 ou 10 février, de demander au Receveur des Postes d’Agde de se charger lui-même de l’expédition au Musée Postal »151. Un mois plus tard, le 19 février 1960, le Conservateur remercie le Musée d’Agde et R. Aris de l’envoi de l’objet, qu’il qualifie de « très belle pièce qui rentre tout à fait dans le cadre des présentations que je me propose de réaliser. Je ne doute pas qu’elle retiendra l’attention des visiteurs ». La lettre sur plomb fut effectivement exposée à Paris, le document étant signalé à la fois dans la brochure de l’exposition152 et dans l’un des deux articles consacrés à l’exposition dans le périodique de la Poste, avec la photographie d’une seule face153. Après l’exposition, l’objet sur plomb arrive, en juillet 1960, au Centre de Recherches de l’Histoire de la Sidérurgie de Nancy. On connaît les circonstances de ce nouveau voyage grâce à un autre échange de lettres, cette fois plus complexe car impliquant un nombre plus important d’acteurs. Cette correspondance, qui a été mise à ma disposition par Christine Gueib du Musée de l’Histoire du Fer de Nancy, montre que l’initiative de la restauration appartient à Paule Tiffy, Conservateur du Musée d’Agde et Conservateur adjoint du Musée des Arts Décoratifs à Paris. C’est elle qui avait par ailleurs averti le Conservateur du Musée Postal de l’existence de cette lettre, la plus ancienne découverte en France, et lui avait suggéré de la solliciter pour l’exposition du printemps 1960. Elle écrit d’abord à Albert France-Lanord, conservateur du Musée Historique Lorrain « Palais Ducal », pour lui demander la collaboration de son laboratoire (lettre datée du 2 juin 1960, Paris) : « Cher Monsieur, Lors de votre magnifique congrès de Lorraine, je vous avais parlé d’une plaque de plomb gravée de caractères grecs, qui est une lettre d’un particulier faisant une commande à son bottier, trouvée à Agde. Cette
Ils sont tous mentionnés dans l’Avant-propos. Dans une deuxième lettre, datée du 9 février 1960, J. Le Mouël remercie R. Aris du prêt que le Musée d’Agde lui avait consenti. On remarque que la lettre devait parvenir à Paris, naturellement, par les services postaux ! 152 La lettre et ses supports à travers les âges (Exposition organisée par le Musée Postal, mars-avril 1960), Paris, 1960, p. 12, n° 34. 153 Revue des Postes, Télégraphes et Téléphones de France, 15 (2), 1960, p. 30. 150 151
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plaque vient de figurer à l’exposition ‹La lettre à travers les âges› du Musée Postal 4 rue Saint Romain à Paris VIe. J’ai demandé au Directeur Monsieur le Mouël, de vous adresser cet objet, la semaine prochaine. Voulez-vous avoir l’amabilité de donner à cet objet une présentation conforme à son intérêt, avec du plastique, comme certaines pièces que vous nous avez montrées. Je m’en rapporte entièrement à vous, pour la décision à prendre. Le métal a peut-être besoin de soins particuliers. Vous jugerez vous-même de ce qu’il convient de faire. Je sais que vos adjoints sont très occupés, mais vous me ferez plaisir en leur demandant s’ils peuvent hâter ce travail. Lorsque cette plaque sera prête vous voudrez bien l’adresser en recommandé par poste à l’archéologue local : Monsieur ARIS, pharmacien, place de l’Évêché à AGDE, Hérault, qui la remettra aussitôt dans nos collections au Musée d’Agde. Nous aimerions tant qu’elle puisse y figurer pendant cette période d’été qui est celle de nombreux visiteurs ». On remarque donc que la plaquette de plomb arriva à Nancy directement de Paris, à la fin de l’exposition, et qu’elle devait être restaurée et enchâssée entre deux plaques de plastique. Une lettre envoyée ultérieurement par le Conservateur du Musée Postal (4 juin 1960), à A. France-Lanord, montre que le premier a bien respecté la demande de P. Tiffy : « J’ai l’honneur de vous informer que l’expédition en est faite par ce même courrier, sous la forme d’un paquet sous chargement d’office ». S’ensuit une correspondance entre le Vice-Président du Centre de Recherches sur l’Histoire de la Sidérurgie de Nancy, à qui incomba la charge de veiller sur la restauration, P. Tiffy et R. Aris. Le Vice-président sollicitant par une lettre du 6 juillet 1960 des renseignements supplémentaires (« nous sommes conduits à faire appel aux soins d’un helléniste qualifié en matière d’épigraphie (…) pourriez-vous nous donner la référence des travaux antérieurs effectués sur cette plaquette ? »), P. Tiffy le dirige vers R. Aris (lettre du 7 juillet), qui lui répond ainsi, le 9 juillet 1960 : « Monsieur, Mme Tiffy me prie de vous communiquer tous les renseignements que je possède sur la tablette de plomb d’Agde, ce que je fais bien volontiers, regrettant seulement de ne vous fournir que de bien modestes indications (…). Elle fut d’abord confiée à M. Louis Robert au Collège de France, qui ne put faire qu’une lecture bien incomplète. Tout dernièrement M. Michel Lejeune du C. N. R. Scientifique l’a examinée et comparée à une tablette trouvée à Elne (Pyr[énées] Or[ientales]). Je ne connais pas encore le résultat de son travail. M. Louis Robert pense qu’il s’agit d’une lettre privée où il est question de cuirs et de cordonnier. Voici à peu près tous les renseignements que je puis vous donner »154. Ne pouvant se contenter de ces maigres informations, le Vice-président du Centre de Nancy demanda à Jacques Tréheux, Professeur à la Faculté de Lettres de Nancy, de se pencher à son tour sur le document (lettre du 13 juillet 1960) : « Comme convenu je me suis préoccupé de savoir ce qui a été fait antérieurement à propos de la fameuse lettre grecque du Musée d’Agde. Vous trouverez au Musée Lorrain avec les restes de cette lettre la correspondance que j’ai reçue ; si vous désirez que j’intervienne auprès de mon confrère Robert je le ferai volontiers ». Nous ne savons pas si J. Tréheux donna suite à cette invitation ou s’il se mit en relation avec Louis Robert pour ce qu’il en était de la fameuse inscription sur plomb. En revanche, la restauration a bien été exécutée car la lettre que le Vice-Président du Centre de recherche de Nancy envoie à P. Tiffy au 1er décembre 1960 est accompagnée de la facture de restauration en valeur de 35 francs nouveaux : « Nous vous avons retourné récemment, remontée de notre mieux, la précieuse plaquette de plomb d’Agde. Veuillez bien trouver ci-joint la facture correspondante ». Cette dernière s’empresse d’envoyer un chèque, le 2 décembre 1960, « en règlement du nettoyage et remontage des éléments d’une plaquette de plomb portant une inscription grecque »155. En 1981, R. Aris confirme que « le laboratoire du Musée de Nancy fut chargé de la restauration de la pièce et en fit un montage avec inclusion sous plastique comme une belle orfèvrerie, assurant une parfaite protection. Mais si sa conservation est bien assurée dans le temps, elle a malheureusement disparu au Musée d’Agde depuis une
154 Le Vice-Président le remercie par une lettre du 13 juillet 1960, conservée à la fois dans les archives du Musée de l’Histoire du Fer de Nancy et dans celles de l’association Escolo dau Sarret. 155 Pour l’an 1960 est signalée « la remise en état », par le musée archéologique de l’Université de Lorraine, « de la plaquette de plomb portant une inscription grecque, appartenant au Musée d’Agde » (Salin, 1961, p. 60).
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dizaine d’années sans laisser de traces (…). Si un épigraphiste se chargeait, aujourd’hui, après quelques décennies, d’étudier à nouveau notre inscription, le travail devrait se faire sur des photographies dont les négatifs ont disparu du Musée de Nancy »156. Il semble pourtant que l’objet ait disparu du Musée plus vite que ne le laisse entendre R. Aris. Dans le compte-rendu de la séance du 24 novembre 1962 de l’association Escolo dau Sarret d’Agde, on trouve la précision suivante : « À l’ordre du jour question importante : Vols au Musée et remplacement éventuel de la concierge (…). La grosse question est celle des vols. Depuis quelques mois ont disparu : La belle inscription grecque sur feuille de plomb qui revenait d’une exposition à Paris. Elle avait été superbement enchâssée entre deux plaques de plastique à l’institut de Nancy. C’est une très grosse perte pour le Musée d’Agde ». Quant à la seconde affirmation de R. Aris, en l’absence des négatifs du Musée de Nancy, l’épigraphiste qui se penche à nouveau sur cette lettre peut trouver une aide inattendue dans le Fonds Louis Robert conservé à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres157. Le savant, qui a reçu des photographies très vite après la découverte du plomb, a heureusement gardé la trace de la lettre opisthographe sur deux plaques de verre. C’est grâce à ces plaques, soigneusement scannées, que j’ai pu procéder à un déchiffrement presque complet du texte. Malgré la qualité généralement bonne des photos, la tâche s’avère néanmoins ardue en raison de la fragmentation de la plaquette. Édition En dépit de nombreuses mentions, il n’existait pas d’édition à proprement parler de ce document sur plomb avant celle que j’ai donnée en 2017. Bien que plusieurs savants en aient reçu des photos, ils ne les ont utilisées que de manière indirecte, pour appuyer des explications concernant d’autres documents. Ainsi, Jeanne et Louis Robert confirment qu’il s’agit d’une lettre et en donnent quelques mots, au moment où ils signalent dans BÉ, 1944, 90 un document sur plomb de la Pnyx (5), qu’ils considèrent avec raison une lettre, étant donné la présence de la formule χαίρν καὶ ὑ[γιαίνν]. Un peu plus tard, Michel Lejeune évoque la lettre d’Agde et cite plusieurs mots à l’occasion de son édition du « plomb d’Elne » (= Illiberis) (Pyrénées Orientales), sans doute une lettre en langue gauloise158. Enfin, Jean Pouilloux l’évoque à son tour, en donnant une photo de la face B, à l’occasion de l’édition qui fera date du plomb commercial de Pech Maho159. Pour l’édition de la lettre sur plomb d’Agathè, seul le recours à la documentation indirecte est possible : j’ai utilisé des fac-similés et des photos d’époque. Les dimensions des fragments sont heureusement connues d’après les lettres et un dessin de R. Aris (fig. 175). Au moins deux fac-similés ont été réalisés par R. Aris : (I) le premier, réalisé peu après la découverte, a été envoyé à G. Claustres et fait état de 7 fragments (fig. 174) ; ce dessin est reproduit dans CAG, 34/2 (2001) et par Ugolini 2008. Entre temps, certains fragments se sont brisés, de sorte que 14 morceaux apparaissent sur les photos, disposés de manière différente par rapport au premier fac-similé. (II) le second, ultérieur (avec un total de 9 fragments), comporte une disposition différente des morceaux (fig. 175), qui est identique à celle du premier jeu de photos (cf. comm.) ; ce dessin est reproduit par Aris 1981 et Decourt (2004, 2014). Si, sur ces fac-similés, la plupart des lettres ont été bien identifiées ‒ le premier fac-similé conservant quelques détails précieux ‒ certaines transcriptions sont approximatives, voire erronées. J’ai pu utiliser trois jeux différents de photos160 : (I) Des photos réalisées à une époque inconnue (peut-être au début des années 1940), avec les fragments de la lamelle posés entre deux plaques de verre (?), seule explication possible pour les bulles de liquide, sans doute de Aris 1981, p. 52. Je remercie sincèrement Béatrice Meyer et Jean-Louis Ferrary de m’avoir permis et facilité l’accès à ces précieuses collections. Je ne peux qu’adresser mes plus vifs remerciements également à Marion Stanislas et à Hervé Danesi, secrétaire général de l’AIBL, pour l’excellente qualité des scans qui m’ont été fournis. 158 Lejeune 1960, p. 62. 159 Pouilloux 1988, p. 39–40, 46. 160 Après vérification, je n’ai rien trouvé sur ce document dans les archives de Hans-Georg Pflaum (AÉ, Paris), Michel Lejeune (EPHE, Paris) et Hubert Gallet de Santerre (Univ. de Montpellier). 156 157
63. Lettre opisthographe sur plomb dite « lettre d’Agde » (Agathè)
Fig. 174. Fac-similé de R. Aris (1939).
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Fig. 175. Fac-similé de R. Aris (1981).
la colle, que l’on aperçoit. Ces photos ont été envoyées par R. Aris à ses correspondants, dont L. Robert, H. Gallet de Santerre, M. Lejeune. J’ai pu retrouver deux originaux de ces photos, sur plaques de verre, dans le Fonds Louis Robert (FLR, AIBL) (fig. 176–177). La même image d’une ou des deux faces de la lamelle est publiée, le résultat étant pourtant d’une moindre qualité, dans Revue des Postes, Télégraphes et Téléphones de France 1960 et par Gallet de Santerre (1965), Aris (1981) et Pouilloux (1988) ; des photocopies de ces photos se trouvent au Musée d’Agde. (II) À l’occasion de l’exposition de 1960 du Musée de la Poste de Paris, ont été réalisées deux photos pour chacune des faces de la lettre. On remarque la même disposition des fragments et les mêmes bulles de liquide, ainsi qu’un détail précieux : le cadre de bois qui renfermait les plaques, qui n’apparaît pas sur les clichés de R. Aris (fig. 178–179). (III) Par la suite, R. Aris a découpé au ciseau les photos en suivant le contour de la feuille de plomb, avant de procéder à de nouvelles photos, avec une disposition différente de deux fragments. J’ai obtenu diverses images de ces photos découpées, puis photocopiées, conservées au Musée d’Agde, qui sont celles publiées dans Decourt 2004. Le fac-similé réalisé d’après les différents jeux de photos161 donne une idée des caractères visibles (fig. 180). Sur les différentes photos, la plupart des lettres, notamment dans les parties centrales des morceaux, sont bien visibles. En revanche, la lecture des marges des fragments, abîmées et effacées, est très difficile, puisque les traces des lettres sont différentes d’une photo à l’autre ; dans plusieurs cas, des ombres et des lumières empêchent de reconnaître le tracé des caractères. Les rides causées par l’enroulement, les fissures et les cassures, les diverses concrétions, des bandes adhésives et enfin les bulles de liquide, rendent parfois le déchiffrement incertain. Seuls 161 Même si la qualité des photos du Fonds Louis Robert est meilleure, certains détails des photos du Musée de la Poste sont plus instructifs pour la reconnaissance de plusieurs caractères, en dépit des ombres, des lumières et des corrosions.
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Fig. 176. Cliché conservé dans le Fonds Louis Robert (face A).
Fig. 177. Cliché conservé dans le Fonds Louis Robert (face B).
63. Lettre opisthographe sur plomb dite « lettre d’Agde » (Agathè)
Fig. 178. Cliché du Musée de la Poste (Paris) (face A).
Fig. 179. Cliché du Musée de la Poste (Paris) (face B).
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Fig. 180. Fac-similé des faces A et B.
les fragments les plus consistants sont traduits (face A, fr. 1 + 2 + 3 = face B, fr. 5 + 6 + 7), même s’il s’agit dans tous les cas de bribes du texte initial et pas d’un texte en continu. Les fragments numérotés seront indiqués de manière conventionnelle comme appartenant à la « face A » ou à la « face B », en fonction de ce que j’ai estimé être le recto et le verso de la lamelle. La disposition des fragments sur les trois jeux de photos auxquels j’ai eu accès appartient à R. Aris et ne reflète pas nécessairement l’état initial du document ; ainsi, sur le premier fac-similé de R. Aris (1939), la disposition des fragments, y compris pour le recto et le verso, est différente. À l’exception du grand fragment formé par les trois morceaux jointifs (fr. 1/7), l’emplacement des autres fragments sur la face A ou B reste incertain. Il est sûr qu’au moins deux fragments [A, fr. 2 (extrémité gauche) et 4, respectivement B, fr. 6 (extrémité droite) et 8], collés par R. Aris à l’aide d’une bande adhésive transparente, ne sont pas jointifs, car la taille des caractères et l’orientation des lignes diffèrent visiblement. Les trois morceaux jointifs du fragment principal (A, fr. 1 = B, fr. 7) ne sont pas, sur les photos, parfaitement alignés ; en outre, leur déchirure peut donner une fausse idée de la disposition réelle des caractères. Les deux brisures verticales qui affectent le grand fr. 1/7 correspondent au pliage et séparent trois segments de la lamelle ; si les trois fragments sont presque jointifs, la cassure ne correspond presque jamais à une lettre entière (sauf B, fr. 7, l. 7). En effet, les lignes horizontales ne sont pas toujours bien suivies et la taille des caractères diffère d’une ligne à l’autre ‒ ainsi, sur la face B, les dernières lignes présentent des caractères plus grands et plus espacés. D’après le premier fac-similé de R. Aris (fig. 174), l’un des morceaux s’est brisé en deux à une date ultérieure ; ces deux fragments ont été séparés et disposés différemment dans le montage ultérieur (fig. 175), qui correspond au montage visible sur les deux jeux de photos (fig. 176–177, 178–179). Dans le fac-similé que je propose (fig. 180), il s’agit, sur la face A, de l’extrémité gauche du fr. 2, et, sur la face B, de l’extrémité droite du fr. 6.
63. Lettre opisthographe sur plomb dite « lettre d’Agde » (Agathè)
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Rien ne semble avoir subsisté de l’extrémité inférieure de la lamelle, bien que la lettre n’ait pas dû dépasser une dizaine de lignes ; cette partie semble s’être détachée très tôt de l’ensemble enroulé. Après avoir été inscrite sur les deux faces, la lamelle a été pliée à partir de l’extrémité gauche vers la droite, la face A étant disposée à l’intérieur. La lamelle comportait le plus vraisemblablement 5 segments, dont les trois premiers, qui étaient à l’intérieur, sont mieux conservés, alors que les segments qui se trouvaient à l’extérieur présentent des pertes considérables. L’extrémité droite de la face A (correspondant à l’extrémité gauche de la face B) est perdue. Face A Fr. 1 (4,5 × 6 cm) + Fr. 2 (2,3 × 2,5 cm) + Fr. 3 (1,2 × 2 cm) vac. [–?]+++Ο+Κ[---ca. 6–7---] χα[ί]ρειν. vac. vac. (?) Οὐ κελεύει [---ca. 5---] ἐδεδοίκε[– ------]+ περὶ τ[ τοῦ δεσπότου Ο++[---ca. 3–4---]+ΙΑΤΑΡΤΟΥ+[---]+ΟΥΟ++[ 4 +++ΡΑ πρήξω οὐδε+[---ca. 5---]+[---]Δ+[ +++Α. Χαρίεσσα μὲν ΕΝ[---ca. 8–9---]+Ο+[ ++ρεῖεν μοι Κλεόθε[μις ---ca. 8–9---]+[ +++[---]ΥΓΕΙΣ+Ε τρεῖς Τ[ 8 ΕΞ[---]ΟΥΤΗ ἐν τοῖς Ν[ [-----------]+Ο[------]++[ [
] ] ] ] ] ] ] ] ?]
Untel [à Untel], salut ! (Untel) n’ordonne pas [---] (il) avait craint [---] au sujet des [---] du maître [---]. Et je ne traiterai pas de [---] car Chariessa [---] Kléothémis [---] trois [---] aux [---]. Le grand fr. 1 est brisé, en raison du pliage, en trois morceaux. Un petit morceau anépigraphe s’est détaché ultérieurement de l’angle supérieur gauche, et un autre, avec des traces de lettres, s’est décollé de la partie inférieure du morceau central. À gauche, on a vraisemblablement la marge de la lettre car, en dépit de l’état du fragment (plusieurs lettres sont complètement effacées, en raison du pliage), on observe un espace dépourvu de lettres. De même, en haut, nous détenons la marge supérieure de la lamelle, plus abîmée dans la partie centrale et naturellement dans les pliures. Le fr. 2 se trouvait un peu plus loin, sans doute à cheval sur les segments III et IV. Quant au fr. 3, il occupait sans doute la marge supérieure du segment V ; un espace libre supérieur à l’interligne et la forme lisse de la marge indiquent qu’il s’agit du bord supérieur de la lamelle. L. 1 : après un espace vide, on aperçoit des traces très visibles de plusieurs lettres (au moins 6) ; pour les trois dernières, on aperçoit une lettre ronde (Ο ou Θ), puis, peut-être, un upsilon, et sans doute un kappa. Cependant, aucune séquence cohérente ne se laisse reconstituer. Cette disposition suggère une adresse centrée, qu’on retrouve, bien que de manière différente, dans la lettre sur plomb de Mnèsiergos (6)162. Dans ces traces des lettres, on s’attend avec toute vraisemblance à reconnaître le nom de l’expéditeur. Rien ne semble en revanche subsister du nom du destinataire. Sur le fr. 2, conservant le bord supérieur de la lamelle, était inscrite la fin de l’adresse (praescriptum), χαίρειν, qui était manifestement bien centrée. L. 2 : on peut également restituer [‒]ου κελεύει [---] ou bien [‒]ου/[---] οὐ κελεύει[ς] ou encore [‒]ου/[---] οὐ κελεύει[ν]163. La présence de lettres avant οὐ est en réalité très incertaine, on est vraisemblablement en début de la première phrase de la lettre. Quelqu’un n’enjoint pas à faire quelque chose, ce qui est typique des envois épistolaires, puisqu’on rencontre ce verbe à deux reprises sur l’une des lettres sur plomb d’Emporion (67) : καὶ κελεύ σὲ Βασπεδ[‒] (l. 7) ; [κεκ]έλευκα (l. 14). Il est même tentant de penser qu’après la formule épistolaire « Untel à Untel χαίρειν » présente à la première ligne, la phrase commençait par οὐ κελεύει, verbe qui pour-
162 Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν. La première ligne n’est occupée que par le nom de l’expéditeur, Mnèsiergos, en lettres plus grandes ; aux ll. 2–3 fut gravée une sorte de formula valetudinis, en deux séquences. Les lignes suivantes, comportant le texte de la lettre, sont en revanche plus longues. 163 Dans une lettre de R. Aris à G. Claustres datant du 29 février 1939 (Archives du Centre Archéologique Rémy Marichal), Aris avait marqué : « Κ (lettre griffonée) ΛΕΥΕΙ ».
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rait en effet concerner l’expéditeur de la lettre. Dans son commentaire à la lettre d’Emporion qui vient d’être citée, R. A. Santiago propose à juste titre de considérer la forme verbale κελεύ (l. 7) comme la IIIe pers. sg. de l’indicatif, et non pas comme κέλευε, impératif à la IIe pers. sg. Il n’est pas étonnant que l’expéditeur de la lettre d’Emporion se réfère à lui-même à la IIIe pers., puisque la lettre citée n’est rien d’autre qu’une série de κελεύματα, à savoir des instructions données par l’expéditeur à son homme d’affaires164. On trouve en effet ce verbe employé deux fois dans la lettre sur tablette d’argile de Thasos (15, ll. 3 et 6 : σε κελεύει et [ἐκέλε?]υέ σε), et à quatre reprises dans la lettre sur plomb de Ruscino (65, [κ]ελε[ύει] σε πρ[ῶτον] (A, ll. 1–2), qui fait suite à la formule épistolaire ; κελεύε[ι] σε παρεῖνα[ι] (A, l. 6) ; [κ]ελεύει σ[ε ---] (B, l. 1) ; [σε] κελεύει βάλλεσθαι (B, l. 4). De la même façon, la lettre découverte à Agathè est une longue succession d’instructions et de précisions (voir comm.). || Sur la même ligne, on reconnaît une forme verbale au plus que parfait, ἐδεδοίκε[–], du verbe δείδω (« craindre, avoir peur »)165, suivi d’une spécification περὶ τ[---]. L. 3 : séquence ΔΕΣΠΟΤΟΥ identifiée par A. Bon, avant J. et L. Robert (BÉ, 1944, 90), alors que J.-Cl. Decourt lit deux fragments (του, οὐκ). Le même mot apparaît sur la face B, fr. 5, l. 2, à l’acc. pl., alors qu’ici il s’agit d’un gén. sg. Avant, on aperçoit ΤΟΥ ou Κ++. L. 4 : le verbe πρήξω (Ière pers. sg. du futur) a été identifié en 1962 par M. Lejeune, qui souligne son caractère dialectal166 ; en effet, on reconnaît la forme ionienne πρήσσω du verbe πράσσω (att. πράττω), « achever, accomplir, travailler à, traiter une affaire, pratiquer ». À ce maintien d’un trait ionien on peut ajouter, dans le même domaine massaliète, l’anthroponyme dialectal Πρῆξις. Ce nom propre apparaît deux fois dans les dédicaces, toujours inédites, du sanctuaire rupestre du héros Aristée à l’Acapte (ou La Capte), sur la presqu’île de Giens, près d’Olbia de Provence (fin du IIe–Ier s.)167. || Le verbe πρήξω est suivi d’une négation, οὐδε+[---], qui pourrait également représenter le début de la phrase suivante. L. 5 : séquence χαρίεσσα identifiée en 1962 par M. Lejeune. Il s’agit soit de l’adjectif « gracieuse, agréable, élégante, de bon goût »168, soit d’un nom de femme, « Gracieuse », qui est pourtant très rare169. Le même mot est très probablement présent encore deux fois dans notre lettre : cf. infra B, fr. 5, l. 1 et fr. 8, l. 3. L. 6 : rhô certain, mais la lecture des autres lettres est difficile : ++ΡΕΙΕΝ plutôt que ++ΡΗΕΝ. Sans doute une forme verbale d’optatif présent IIIe pers. sg. (du type παρεῖεν), construite avec un datif, qui est suivi du nom d’une personne ; cf. la tournure Οὖλις μοι ἐνέτυχεν dans la lettre sur plomb de Massalia (59, l. 2). || L’anthroponyme Κλεόθεμις (Bechtel, Personennamen 239) est très rare, avec seulement deux autres occurrences connues sous cette graphie, à Amorgos et à Ténos, à la haute époque hellénistique (LGPN I 261)170. Dans le domaine massaliète, on rencontre d’autres noms bâtis sur la même notion de « gloire », si fréquente dans l’anthroponymie grecque : ainsi, deux dans les instructions commerciales sur plomb de Lattara (60, troisième quart du Ve s.), le fréquent Κλεοσθένης et le plus rare Κλεάναξ. Des composés similaires pour le second membre ne manquent pas dans le domaine massaliète : cf. Ἑρμόθεμις et Ζηνόθεμις171. Santiago 2003, p. 169. Les meilleurs candidats à cet endroit sont les formes verbales ἐδεδοίκε[ι], ἐδεδοίκε[ιν] ou ἐδεδοίκε[ις]. 166 Lejeune 1960, p. 62 : « de nombreux termes grecs sont reconnaissables (αὐτὸν πρῶτον, σκυτεύς, χαίρειν, χαρίεσσα, etc.) ; et rien de ce qui subsiste n’exclut que la rédaction du texte soit entièrement grecque ; plus précisément, à en juger par πρήξω, qui doit être la 1re sg. du futur de πράττω, le texte est rédigé en dialecte ionien (ce qui ne surprend pas, sur le site d’une colonie massaliote) » ; les mêmes mots sont cités par Solier 1992, p. 107. 167 Voir Coupry/Giffault 1982, p. 367. 168 Chantraine, DELG, s. v. χάρις, p. 1247 ; ce féminin remplace un plus ancien *-ϝασσα ; voir García Alonso 1996, p. 109 (sur χαρίεις). Cf. le nom masc. Τιμάεις (fém. Τιμάεσσα et Τιμᾶσσα), dont Rousset 2014, p. 93, remarque : « poétique, l’adjectif employé comme anthroponyme est empreint de noblesse ». Ce sont des poétismes, des adjectifs poétiques passés dans l’anthroponymie (avec son caractère conservateur). Pour l’adjectif, voir une inscription sur un pied de coupe attique à vernis noir trouvé à Phanagoria (Vinogradov 2000–2001 = SEG LI 991, ca. 500–480) ; N. Zavojkina, dans Pantikapej i Fanagorija, 2017, p. 378, n° 326 (et ph.) : : Σῖμον, χαρίεσσα : εἰμὶ κάλλος, ἀγαθ καὶ μετρί (« Ô Simon, je suis pleine de charme par ma beauté, bonne et mesurée », trad. L. Dubois, BÉ, 2003, 394). Sur ce suffixe, voir en dernier lieu Le Feuvre 2017, en partic. 496–497. 169 LGPN I 481, II 474 et V.B 437 ; Masson, OGS, II, p. 355. 170 Sous la forme Κλεύθεμις, cet anthroponyme est rependu à Rhodes (LGPN I 264, 11 occurrences) et à Cyrène (SEG XX 735). 171 Pour des composés en -θεμις, voir Hermary/Tréziny 2000, p. 156 ; Parissaki 2007, p. 164 (« mainly from Asia Minor and the larger islands of the eastern Aegean ») ; Avram 2010, p. 369–373. Sur l’onomastique de Massalia qui « présente un caractère ionien et conservateur » (L. Robert), voir les études citées dans le comm. de la lettre de Mégistès à Leukôn (59). 164 165
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L. 7 : [---]υγεις δὲ τρεῖς τ[---] ? Le même numéral apparaît sans doute infra (B, fr. 7, l. 6). L. 9 : τοῖς (dat. pl. masc. ou neutre). Fr. 4 (1,4 × 1,1 cm) [---]++[---] [---]++ΗΡΕ[---] [---]ΟΜΕΝ[---] 4 [---]+ΝΚ+[---] [---]++[---] Ce fragment est composé de deux morceaux jointifs. À gauche du fragment, on observe nettement l’extrémité gauche d’un segment (IV ou V). Face B Fr. 5 (1,2 × 2 cm) + Fr. 6 (2,3 × 2,5 cm) + Fr. 7 (4,5 × 6 cm) [–? Χα]ρίεσσα τη+[---------]ΙΩΝ++++ΡΕ[---ca. 5–6---]Ν καὶ ταῖς παιδίσ[καις? --- δ]εσπότας +[--- εἰς?] Ἀγάθην Π+Ω[---ca. 5–6--- τ?]ὸν πρῶτον ἔχων + [--------------]Π+[.]+[---]ήματα +(.)Υ+Α+[--- ca. 4–5---] γὰρ κατήνυε ὁ σκυτεὺς 4 [--------------------------]ΑΘΟ[-------------------------- τὴ]ν αὐτὴν τρέφω ὡς ἐκ [-----------------------------]++[-----------------------. ---] Χαιρέαι χαίρειν καὶ ὑ[γιαίνειν· ]+Α. Τοιγάρτοι μὴ τρεῖς [ ]+Α ἐμ π[ί]στι Ε+[ca. 3–4]ΥΕ++ 8 [ ]+ειν Μ(.)+ΗΚ[-]+[ca. 3]++ [ ](.)++[ ] [ ?] Chariessa [---] et aux petites esclaves (?) [---] et les maîtres [---] à Agathè [---] le premier ayant (?). [---] car le cordonnier n’avait pas achevé/si le cordonnier avait achevé [---]. [---] je l’élève comme si [---]. [Untel] à Chairéas (?) salut et vœux de bonne santé [---]. Ainsi donc, pas trois [---] en confiance [---] de vivre (?) [---]. L’espace libre supérieur à l’interligne et la forme lisse de la marge indiquent qu’il s’agit du bord supérieur de la lamelle (fr. 5, 6 et 7), qui comporte notamment un morceau consistant de la partie droite de la face B ; il correspondait aux segments III, IV et V de la face B. Si le fr. 5 occupait probablement le segment I, le fr. 6 se trouvait sans doute à cheval sur les segments II et III. La restitution des lignes reste toutefois très hypothétique dans la partie gauche. L. 1 : ou [χα]ρίεσσα. Adjectif ou anthroponyme féminin, cf. supra A, fr. 1, l. 5 et infra B, fr. 8, l. 3. || La fin de la première ligne est peu lisible : en 1988, J. Pouilloux lit ΚΑΙΙΑΟΙΑΙΔ ; J.-Cl. Decourt lit καί. Dans cette séquence, grâce à la présence de l’article, on reconnaît un dat. pl. fém., peut-être παιδίσ|[καις], si l’extrémité du morceau correspond à la marge droite de la lettre. L. 2 : [δ]εσπότας, acc. pl., plutôt que [‒]+Ϲ+ ὅταν +[---]. Il a déjà été fait mention d’un « maître » (gén. sg., supra A, fr. 1, l. 3). || La séquence ΑΓΑΘΗ, identifiée par A. Bon, A. Grenier172, M. Lejeune, R. Aris, J. Pouilloux et J.-Cl. Decourt, offrait plusieurs possibilités de lecture : nom de la cité (Ἀγάθη), l’adj. fém. ἀγαθή ou bien un anthroponyme (e.g. Ἀγάθη, Ἀγαθήμερος, Ἀγαθήνωρ). Il est néanmoins très tentant de privilégier le nom de la cité où a été trouvée cette lettre sur plomb, précisément Agathè (auj. Agde). Si les morceaux de fr. 6 sont jointifs, comme il semble bien être le cas, on reconnaît le nom de la ville à l’accusatif. Vraisemblablement, il s’agit d’un accusatif de direction, [εἰς] Ἀγάθην. || Après une portion perdue, on lit bien [---]ον πρῶτον. En 1962, M. Lejeune avait lu αὐτὸν πρῶτον ; en 1988, J. Pouilloux lit ον πρῶτον ελ. La lecture du troisième mot est très
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Grenier 1942, p. 288 : « On y reconnaît nettement le mot ‹agathé›, mais est-ce le nom propre de la ville ou un simple adjectif ? ».
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difficile et l’état de la lamelle empêche d’en lire davantage, la première possibilité étant ἔχων (lectures alternatives : ΕΛ+Ν+ ou ΕΛ+Π+). L. 3 : sans doute un substantif au neutre pl., e.g. χρήματα, κτήματα, οἰκήματα. || Après la cassure, il faut supposer une séquence du type [οὐ] γάρ ou [εἰ] γάρ ; en fonction de la possibilité adoptée, le sens est bien entendu différent. || Après le verbe, de lecture difficile dans sa partie centrale (κατήνυε, plutôt que κατήκουε, si la lecture est correcte, est la forme d’imparf. IIIe sg.) et l’article masculin ὁ, suit le mot σκυτεύς, identifié par J. et L. Robert (BÉ, 1944, 90), M. Lejeune, R. Aris (ϹΚΥΤΕΥ) et J.-Cl. Decourt ; en 1988, J. Pouilloux lit καὶ…. ταυτεύς (sic : faute d’impression ?). On possède ainsi un témoignage précieux d’un métier (cordonnier, peaussier) à Agathè173. L. 4 : il est question d’une personne féminine (une esclave ou une enfant libre) que l’auteur de la lettre nourrissait et élevait, peut-être – vu l’adverbe comparatif ὡς – comme quelqu’un de sa propre maison/ famille (?). L. 5 : avant la formule typique d’une lettre se trouve un nom au datif, de lecture très difficile ; le meilleur candidat est Χαιρέας, anthroponyme assez fréquent (plutôt qu’un autre nom banal, Κινέας, dat. Κινέαι). La formule χαίρειν καὶ ὑ|[γιαίνειν], identifiée depuis longtemps par J. et L. Robert, prouve qu’il s’agit d’une lettre privée (BÉ, 1944, 90) ; ils furent suivis par J. Pouilloux, M. Lejeune (χαίρειν) et J.-Cl. Decourt ; en 1981, R. Aris lit ΔΙΧΑΙΡΕΙ. On retrouve la formule χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν, bien attestée dans les papyrus, dans deux lettres attiques sur plomb, celle de Mnèsiergos (6, l. 3, fin du Ve–début du IVe s. : χαίρν καὶ ὑγιαίνν), et celle de la Pnyx (5, l. 2, ca. 425–400 : χαίρν καὶ ὑ[γιαίνν])174. L. 6 : après τοιγάρτοι (mot identifié par J. et L. Robert, BÉ, 1944, 90 ; en 1988, J. Pouilloux lit α τοιγάρτοι Μ ; en 2004, J.-Cl. Decourt lit α τοιγαρτο-), la lecture ΜΗΤΡΕΙׅϹ est certaine. Deux séquences sont néanmoins possibles : plutôt que l’anthroponyme féminin très rare Μητρεΐς (attesté cinq fois en Ionie, cf. LGPN V.A 310), je privilégie une conjonction négative suivie d’un numéral, μὴ τρεῖς. Le même numéral apparaît supra (A, fr. 1, l. 7). La particule tonique τοιγάρτοι, toujours employée en tête de phrase, exprime avec vigueur la conséquence des phrases précédentes175. L. 7 : ἐμ π[ί]στι, avec l’assimilation de la nasale (= ἐν πίστει) et datif ionien en -ῑ176 (plutôt qu’une simplification graphique). Cette expression qui désigne la confiance, la foi et l’assurance, n’est pas pour nous surprendre dans un milieu d’artisans et de marchands, et peut indiquer une transaction 177. L. 8 : [---]+ειν, sans doute un verbe à l’infinitif présent. À la place des lettres ΟΝ dessinées sur le fac-similé de R. Aris en 1939 (fig. 174), sur un fragment détaché à une date ultérieure, on lit +ΗΚ (plutôt que +ΗΡ). Fr. 8 (1,4 × 1,1 cm) [---](+)++[---] [---]+ΑΙΝΗ[---] [---] Χαρίε[σσα? ---] 4 [---]++[---] Ce fragment est composé de deux morceaux jointifs. Sa partie droite représente l’extrémité d’un segment (I ou II de la face B). L. 3 : ou χαρίε[σσα?]. Adjectif ou anthroponyme féminin (cf. supra A, fr. 1, l. 5 et B, fr. 5, l. 1).
173 Pour cette mention, voir Jully 1983, p. 1233–1234 (transaction commerciale, commerce de cuir) ; Garcia 1995, p. 157 et n. 3, qui mentionne l’exploitation des étangs de la région d’Agde au débouché de l’Hérault, pour l’approvisionnement en sel, y compris pour les conserves de viande et de poisson ainsi que pour le tannage des peaux. 174 Dans la lettre sur plomb de Massalia (59, IIIe s.), la formule est plus élaborée (ll. 1–2) : Μεγιστῆς Λεύκωνι χαίρειν. Εἰ ὑγιαίνεις, καλῶς ποεῖς·| ὑγιαίνομεν δὲ καὶ ἡμεῖς. 175 Chantraine, DELG, s. v. τοί, p. 1123 ; Denniston 19542, p. 567. 176 Voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 189. On retrouve cette forme de datif ionien πίστῑ chez Hérodote (3.74 et 9.106). 177 Voir, en général, Faraguna 2012 ; Alonso 2012.
63. Lettre opisthographe sur plomb dite « lettre d’Agde » (Agathè)
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Commentaire : Celle qui porte aujourd’hui le nom d’Agde, l’ancienne Agathè (Ἀγάθη), « La Bonne », « La Favorable », est une fondation massaliète178 datant d’avant la mise en place de la plupart d’autres comptoirs massaliètes de Gaule, dans un territoire occupé auparavant par une population concentrée entre les rives de l’Aude et celles de l’Hérault. Le site répondait au départ aux besoins de défendre une zone d’implantation récente et active économiquement contre les menaces des indigènes sur le delta du Rhône179. Par la suite, afin d’assurer des trafics réguliers, un véritable port a été aménagé, occupant une position clé dans le Golfe du Lion. L’emplacement à mi-chemin entre Marseille et Emporion était important pour le calcul des distances et l’organisation des voyages (fig. 156). Agathè fut successivement habitat indigène, comptoir phocéen, colonie massaliète et agglomération secondaire gallo-romaine. Le cœur de la ville grecque a été identifié sous le centre-ville actuel en 1938–1939, quand furent installées les conduites de gaz, grâce à la passion pour l’archéologie de Raymond Aris ; il a poursuivi ses sondages en ville et à la périphérie jusqu’au début des années 1970. D’autres sondages furent entrepris par André Nickels, directeur du Service Régional de l’Archéologie, jusqu’à la fin des années 1980 ; une nécropole du VIIe s. fut découverte au Peyrou par Michel Adgé. La colonie massaliète, fondée vers la fin du Ve s., s’implanta sur une colline basse suivant un plan octogonal dans un rempart, sur la rive gauche de l’Arauris (auj. Hérault), donc en bordure d’un fleuve navigable et à proximité d’espaces lagunaires ainsi qu’à l’embouchure d’un arrière-pays riche en ressources naturelles. Cependant, l’emplacement exact du port grec n’est toujours pas connu180. La moisson épigraphique d’Agde est très réduite181. Seulement deux inscriptions grecques sur pierre sont connues : la dédicace (perdue) aux Mères et aux Dioscures, d’époque inconnue (IG XIV 2514 = IG France 128, Μητράσι καὶ Διοσκόροι[ς]) ; le cippe funéraire de Θεύχα[ρις], du IIIe s. (IG France 129), où l’on note la forme dialectale de l’anthroponyme. On connaît quelques graffites sur tesson : des lettres grecques isolées – par exemple, ΑΠ (sur un fragment de petit bol, dernier quart du Ve s.) et Ρ (alpha à barre brisée, sur un fragment à vernis noir non attique de paterette, IIIe–IIe s.), ainsi que des signes (croix, barres) sur des vases importés attiques et campaniens des Ve–Ier s. On peut ajouter récemment un peson de tisserand de forme circulaire, portant le nom féminin celte Βιτουνα (basse époque hellénistique)182. Le contexte de découverte de la lettre sur plomb est stratigraphiquement incertain, par conséquent la date reste, elle aussi, difficile à établir183. Dans les notices du BÉ (1944, 90 ; 1956, 357) où ils mentionnent ce document, J. et L. Robert proposent de dater le plomb, d’après la forme des lettres, du IVe et non du IIIe s., comme l’avaient suggéré A. Grenier (d’après la paléographie) et J. Jannoray ou, plus invraisemblable encore, du Ve s., comme É. Bonnet, sur la foi du contexte archéologique184. Plus tard, J. Pouilloux le compare, d’après une photographie, avec le plomb de Pech Maho (IG France 135) ou la lettre d’Emporion découverte en 1985 (67), pour conclure sur le fait que, même si la lettre d’Agde est écrite « selon une bonne facture classique », elle est postérieure aux deux autres. Cela lui permet de la considérer comme datant peut-être du IVe s. ou du début du IIIe s.185. La date de rédaction du document peut être suggérée par la paléographie (cf. supra) mais aussi par l’éventuelle présence de traits dialectaux, en plus de la pratique même d’envoyer des messages sur des lamelles de
178 Ἀγάθη κτίσμα Μασσαλιωτῶν chez Strabon 4.1.6 (C. 182) ; chez Ps.-Scymnos 202–210, Agathè est citée parmi les πόλεις Ἑλληνίδες fondées par les Μασσαλιῶται Φωκαεῖς ; Agatha, quondam Massaliensium (Pline l’Ancien, HN 3.5). Pour les sources littéraires, voir D. Ugolini, dans CAG, 34/2 (Agde et le Bassin de Thau), 2001, p. 119–123. Plusieurs auteurs sont cités par Étienne de Byzance, s. v. Ἀγάθη (cf. aussi Fraser 2009, p. 223). 179 Strabon 4.1.5 (C. 180) mentionne les bastions (ἐπιτειχίσματα) massaliètes Rhodanousia et Agathè, fondés « contre les barbares qui habitent le long du Rhône ». 180 Sur l’histoire et l’archéologie d’Agathè, voir Grenier 1942, p. 288–293 ; Clavel 1970, p. 105–114 ; Bérard/Nickels/Schwaller 1990, p. 183–185 ; Garcia 1995, p. 137–167 ; Roman/Roman 1997, p. 280–282 ; Ugolini/Olive/Grimal 2002 ; Domínguez 2004, p. 159 ; Ugolini 2008, p. 194–199 ; Ugolini 2012, p. 165–173 ; Gailledrat 2014, p. 156–159. Si D. Ugolini soutient une fondation précoce, vers 525, selon Janin/Py 2013, p. 149, les fouilles récentes pointent vers une fondation autour de 425. 181 CAG, 34/2 (Agde et le Bassin de Thau), p. 127–128. 182 Pardies/Ugolini/Dana 2016. 183 Comme le remarque à juste titre Ugolini 2008, p. 202 (« le document peut appartenir au IVe, IIIe ou IIe s. av. J.-C. »). 184 Grenier 1942, p. 288 ; Jannoray 1955, p. 355 n. 1 ; Bonnet 1946, p. 25, n° 79. 185 Pouilloux 1988, p. 40.
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plomb pliées ou enroulées. Force est de constater que la perte de la plupart de cette longue lettre opisthographe interdit de connaître l’ampleur des traits dialectaux186. Cependant, à l’instar de la paléographie, on est certainement à une époque de transition. Deux traits sont néanmoins conservés, d’autant plus précieux : – une forme verbale ionienne, πρήξω (A, fr. 1, l. 4), qui présente un êta à la place du ā du grec commun ; – le datif ionien ἐμ π[ί]στῑ (B, fr. 7, l. 7). Une fois de plus, grâce à la documentation épigraphique des apoikiai, tel le célèbre document commercial sur plomb de Pech Maho (IG France 135), nous sommes renseignés sur la langue et l’écriture de la métropole, Phocée, si peu connue par des attestations directes187. La convergence des deux critères suggère une date vers la fin du IVe s. ou dans le courant du IIIe s. La lettre d’Agathè est par conséquent antérieure à la lettre sur plomb découverte en 1997 à Marseille (59, IIIe s.), rédigée en koinè ; sur cette dernière missive, le seul trait dialectal est le gén. ἀνκύρης (l. 3), qui s’ajoute à une onomastique caractéristique : Μεγιστῆς (forme ionienne) et le nom théophore Οὖλις. En revanche, le document d’Agde est plus récent que le premier document sur plomb de Lattara (60, troisième quart du Ve s.), dont la moitié est perdue, mais qui présente la crase τὠπ᾿ ἐλαίō (A, l. 9), l’adverbe κεῖθι (B, l. 2) et la graphie ἐλάη (B, ll. 2–3). Dans notre lettre d’Agathè, les noms rares Κλεόθεμις et Χαρίεσσα témoignent, si besoin il en était, du caractère conservateur de l’onomastique phocéenne en Occident. Au moins 360 lettres sont visibles en entier ou partiellement sur les deux faces de la lamelle de plomb : ca. 170 sur la face A, ca. 190 sur la face B. Avec env. 360 lettres conservées, mais sans aucun doute plusieurs centaines d’autres caractères dans les parties perdues, cette lettre opisthographe apparaît comme la lettre sur plomb la plus longue connue à ce jour188. Nul doute que l’on est en présence d’une lettre privée189, d’après ses deux formules épistolaires et les indices des affaires évoquées. Si, dans le prescrit centré sur la première ligne de la face A, on parvient à lire la simple salutation χα[ί]ρειν (A, fr. 1, l. 1), au milieu de la seconde partie du long message on lit clairement la formule consacrée χαίρειν καὶ ὑ|[γιαίνειν] (B, fr. 7, ll. 5–6). Cette dernière formule ne semble pas remplir la fonction d’un véritable praescriptum, qui, comme son nom l’indique, introduit le message, mais celle d’un envoi de politesses à un ami ou parent, Chairéas, différent du destinataire. S’agit-il d’une deuxième lettre (cf. les lettres envoyées par Oréos à Myrmékion, sur le même support, 46), d’une simple salutation ou d’une « lettre dans une lettre » ? La perte des autres morceaux empêche toute certitude. On se demande aussi où se trouvaient les deux protagonistes de l’échange épistolaire. Étant donné que la lettre a été trouvée à Agathè, on peut supposer qu’au moins le destinataire y résidait, bien que d’autres possibilités ne soient pas à exclure : les deux pouvaient habiter Agathè, ou bien les deux habitaient en dehors de la cité et la lettre s’y est retrouvée par hasard. L’apport documentaire de cette lettre, en dépit de son caractère lacunaire, est loin d’être négligeable. On reconnaît ainsi des instructions (A, fr. 1, l. 2) et des précisions (A, fr. 1, l. 4 ; B, fr. 7, ll. 3–4 ; peut-être B, fr. 7, l. 6), certaines au négatif. La lettre concerne plusieurs personnes qui se trouvent à Agathè (B, fr. 6, l. 2), traitant sans doute de biens (cf. B, fr. 6, l. 3) et d’affaires domestiques, d’une quelconque transaction (B, fr. 7, l. 7), mais aussi d’un cordonnier et de son travail (B, fr. 7, l. 3), de maîtres (au sg., A, fr. 1, l. 3 ; au pl., B, fr. 5, l. 2), et sans doute d’esclaves (B, fr. 7, l. 1 ; cf. aussi B, fr. 7, l. 4), comme souvent dans d’autres documents similaires. Dans la région, il suffit de mentionner le message sur tesson d’Olbia de Provence (58, fin du IIe s.), qui annonce l’envoi d’une lettre plus consistante au sujet des esclaves. De nombreuses personnes étaient mentionnées dans ce document sur plomb : l’expéditeur (dont le nom est partiellement conservé) et le destinataire de la lettre, qui restent malheureusement anonymes ; un cordonnier anonyme, exerçant sans doute à Agathè ; des esclaves de sexe féminin ; des maîtres ; une fille ou une esclave ; Kléothemis ; Chairéas ; une femme, Chariessa, citée sans doute trois fois de suite. Pour une mise en garde contre l’exagération du parler dialectal dans cette région, voir Mullen 2013, p. 141. Pour le dialecte de la métropole des cités grecques du domaine massaliète, voir del Barrio Vega 2007a. 188 À titre de comparaison, la lettre complète d’Achillodôros de Berezan’ (25, seconde moitié du VIe s.), compte 13 lignes avec ca. 545 caractères. La lettre opisthographe d’Agathè devait comporter au moins 40 caractères par ligne et, avec une dizaine de lignes sur chaque face, dépasser 800 caractères. 189 Avant même que J. et L. Robert ne tranchent dans leur notice du BÉ, A. Grenier exprimait encore ses doutes en 1942 : « je ne saurais dire s’il s’agit d’une tablette d’envoûtement ou d’autre chose ». 186 187
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*64. Possible message sur tesson (Bessan)
Grâce à l’exploration des archives, ce document retourne de l’oubli dans un état plus fragmentaire que lors de sa découverte il y a près de huit décennies, mais son interprétation est plus aisée grâce aux découvertes des dernières décennies qui ont considérablement enrichi notre connaissance de la correspondance grecque privée.
*64. Possible message sur tesson (Bessan)
*64. Possible message sur tesson (Bessan) Découverte, contexte : tesson de céramique attique, peint en noir sur les deux faces, provenant sans doute d’une vasque de coupe, trouvé à La Monédière (Mouneydeiro en langue d’oc), Bessan (Hérault). Il est entré avec presque 800 autres tessons dans la collection du docteur en pharmacie Joseph Coulouma (1890–1962) ; cette collection, constituée entre 1928–1940, fut léguée à l’Institut d’Archéologie de la Faculté de Lettres et Sciences Humaines de Montpellier. Support, mise en page : le tesson, de dimensions inconnues, présente un graffite sur au moins trois lignes, incomplètes à gauche et à droite ; le texte continuait sans doute sur une ou plusieurs lignes. Les deux premières lignes donnent l’impression d’une disposition en quasi-stoichédon. Dialecte : sans doute ionien oriental. Paléographie : lettres soigneusement gravées (ht. inconnue) ; ny et pi à la haste droite plus courte ; sigma à quatre branches. Date : Ve s. Conservation : Institut d’Archéologie de la Faculté de Lettres et Sciences Humaines de Montpellier, dans la collection du dr. Joseph Coulouma (non retrouvé). Édition : Jully 1973, p. 203–204 (et n. 55 à la p. 204) (fr. n° 19), 206–207, 209 ; Jully 1976, p. 60, n° 67. Bibliographie : Jully 1971, p. 34 ; Jully 1980, p. 46 ; Bats 1988a, p. 127 (= Bats 2013, p. 118) ; Hermary/Tréziny 2000, p. 154 ; Bats 2011a, p. 206 ; Mullen 2013, Appendix 2, n° 56. Illustrations : Jully 1971, p. 29, fig. 2.1 (dessin) ; Jully 1973, Pl. VIII, fig. 17 (ph.) et Pl. 24, fig. 1 (dessin) ; Jully 1976, fig. C, n° 67 (dessin) ; Jully 1980, p. 46 (dessin) ; Bats 2003, p. 372, fig. 1 (= Bats 2013, p. 140, fig. 1) (ph.) ; Bats 2011a, p. 207, fig. 11.2. Note sur l’édition : ce tesson inscrit fut signalé à plusieurs reprises par Jully, avec dessin et parfois une photo (1971, 1973, 1976, 1980) ; il fait état de certaines propositions de lecture de Beazley. Le graffite a été cité par Bats (2011) comme possible message. En dépit de mes recherches auprès des collègues responsables des collections de l’Université de Montpellier, ce tesson reste introuvable.
4 Fig. 181. Photo du tesson.
[Ἱ]ερογ[ένης?] [ἐ]πισ[τελ?–] [Ἀ]θηνα[---] [------------?]
Fig. 182. Fac-similé du tesson.
1 vel ]+ΡΟΠ[ || 2 πισ[τός?] Jully 1976 (apud Beazley) : [ἐ]πισ[τέλλω] vel sim. Dana || 3 [Α]ΘΗΝΑ (?) Jul. 1976 (apud Beazl.) : [Ἀ]θηνα[ίωι] vel [Ἀ]θηνα[γόρηι] vel sim. Dana
[Hi]érog[énès] (?) envoie par lettre (?) à Athèna[--- ---]. L. 1 : J.-J. Jully voit « rhô omicron gamma »190 ; avant le rhô on aperçoit une autre lettre, en forme de L, qui peut être la partie inférieure d’un epsilon. La proposition la plus vraisemblable de restitution est celle d’un nom au nominatif, celui de l’expéditeur ; il s’agit sans doute d’un nom en -γένης, tel Ἡρογένης191 ou plutôt Ἱερογένης. Jully 1976, p. 60. Bats 2011a, p. 206, le cite avec un autre ostrakon, sans donner la transcription : « deux ostraka, incomplets, avec une inscription sur plusieurs lignes ». 191 Nom rare, voir Rousset 2014, p. 88. 190
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L. 2 : Jully signale, à la suggestion de J. D. Beazley, un mot de la famille de πιστεύω, peut-être πιστός192. À mon avis, à partir de ces trois lettres, on peut raisonnablement penser au substantif « lettre », ἐπιστολή, ou plutôt au verbe signifiant « mander par lettre », ἐπιστέλλω (ind. présent) ou ἐπιστελῶ (ind. futur), soit à la Ière pers. sg., soit à la IIIe pers. sg. ; à la lumière des lettres connues, un aoriste (ἐπέστλε) (4, l. 2 ; 6, l. 2) ou un présent (ἐπιστέλλ) (7, l. 1 ; 25, l. 1 ; 48, l. 1 ; 52, l. 1 ; peut-être *33, l. 2) sont également envisageables. L. 3 : selon Jully, toujours d’après une suggestion de J. D. Beazley, « pour la ligne inférieure la restitution Athéna semble être possible »193. Si l’on admet les restitutions de la l. 2, on attend ici plutôt le datif du nom du destinataire. Ce dernier portait un nom théophore construit sur le nom de la déesse ; je propose, e.g., Ἀθηναγόρης, en graphie ionienne, ou Ἀθήναιος, ou encore Ἀθηνάδης, attesté à Massalia (IG France 21)194. Commentaire : Il s’agit peut-être d’un message sur tesson, en provenance du lieu dit la Monédière. Cet oppidum situé à 6 km au nord d’Agathè (Agde), sur la rive droite de l’Hérault, a livré des témoignages sur une présence phocéenne avant la fondation d’Agathè, puisque c’est le débarcadère fluvial de la Monédière qui semble avoir fonctionné pour acheminer au VIe s. les marchandises depuis la mer vers Betarra (auj. Béziers), qui se trouvait à 20 km à l’ouest195. Ce site-relai proche de l’emporion d’Agathè se trouve en bordure du fleuve, au niveau d’un point de limite de rupture de charge et donc au carrefour de voies de communication nord-sud et est-ouest. Dominique Garcia imagine un fonctionnement par paire : Agathè, emporion puis polis portuaire grecque, avec un espace urbain fortifié non loin de la côte, alors que Bessan assure le rôle d’interface, d’échange et de contact entre Grecs et indigènes196. Selon la suggestion avisée de M. Bats, ce tesson et un autre provenant du même site197 « témoignent sans doute d’une activité d’intercommunication entre plusieurs familles »198. Le tesson est manifestement brisé et une partie du texte est perdue. Selon Jully, il s’agirait d’un graffite d’origine attique199, ce qui est douteux – car on peut raisonnablement penser à l’emploi d’un tesson trouvé –, voire exclu à cette date, en raison de l’emploi de la lettre êta. Aux ll. 1 et 3 devaient figurer les noms respectivement de l’expéditeur et du destinataire. Si l’on restitue une forme de futur à la l. 2 (ou de présent, voire d’aoriste), on peut penser à un bref billet sur tesson qui accompagnait l’envoi d’un objet (cf. le billet attique de Sôsineôs, 4), du type « [Hi]érog[énès] envoie à Athèna[---] (tel objet) », ou bien, à l’instar du message retrouvé à Olbia de Provence (58), qui annonçait l’envoi d’une lettre plus longue. Dans ses nombreuses publications, Jully a rassemblé pour ce site une vingtaine de graffites (marques de propriété, signes à valeur numérale). Le site a depuis livré d’autres marques de propriété sur des fonds de vases attiques ; ces graffites inédits200 présentent une ou deux lettres (en monogramme) et proviennent d’un ensemble à caractère votif, daté du dernier quart du Ve s.
192 193
Jully 1973, p. 204 n. 55. Jully 1973, p. 204 et n. 55 (ΑΘΗΝΑΙΟΣ ?), ainsi que p. 206–207 (citoyen athénien ou invocation cultuelle ?) ; Jully 1976,
p. 60. Pour ces noms théophores dans l’espace massaliète, voir Hermary/Tréziny 2000, p. 154. Ugolini 2008, p. 195 ; voir en général Ugolini 2012, p. 186–189. Sur le site, voir Ch. Olive, dans CAG, 34/2 (Agde et le Bassin de Thau), 2001, p. 214–216. 196 Garcia 1995, p. 143. 197 Fragment de fond de bol ou petite coupe (fin du Ve s.) ; voir Jully 1973, p. 203–204 (ph. Pl. VIII, fig. 17 ; dessin Pl. 24, fig. 1) ; Jully 1976, p. 60, n° 68 (dessin fig. C) Jully 1982, p. 693, n° 1 a (et ph. tome II.2, Pl. B.86) ; Bats 2011a, p. 207, fig. 11.3. Transcription des deux lignes fragmentaires : [---]ΑΔΙΕ[---|---]ΥΜΗ[---]. 198 Bats 2011a, p. 206. 199 Jully 1973, p. 207. 200 Je remercie pour ces renseignements Éric Gailledrat (Montpellier). 194 195
65. Lettre opisthographe sur plomb d’Hèro[---] (Ruscino)
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65. Lettre opisthographe sur plomb d’Hèro[---] (Ruscino)
65. Lettre opisthographe sur plomb d’Hèro[---] (Ruscino) Découverte, contexte : fine lamelle de plomb découverte enroulée en novembre 2004, à l’occasion d’une prospection systématique au détecteur à métaux dirigée par Rémy Marichal, lors d’une campagne autorisée par le Service Régional de l’Archéologie, dans le but de prévenir le pillage du site par les clandestins ; la campagne a été limitée à une profondeur maximale de 15 cm afin d’éviter la perforation des niveaux archéologiques en place. En plus de cette feuille de plomb repliée, inscrite en caractères grecs, on a retrouvé, parmi un abondant mobilier métallique de toutes périodes, plusieurs documents épigraphiques dont deux textes ibériques sur plomb201. La lamelle a été découverte à la périphérie du plateau et à proximité du forum d’époque augustéenne (parcelle défoncée en 1909), dans un secteur qui a servi d’épandage des déblais des fouilles de F.-P. Thiers lors du dégagement du forum (1909–1913) et dans une zone explorée par G. Claustres dans les années 1960. Par conséquent, le contexte archéologique manque et empêche toute tentative de datation par ce biais. Support, mise en page : la feuille de plomb a été dépliée au Centre Archéologique de Ruscino, avant d’être envoyée au laboratoire Materia viva de Toulouse, où elle a été nettoyée, radiographiée et soumise à un traitement par réduction électrolytique. Dimensions de la lamelle après dépliage : 3,35 × 9,5 cm ; ép. 0,8 cm. Le pliage initial, en six volets, et peut-être les dépliages ultérieurs, ont dégradé et disjoint les zones de pli. La plaquette a été trouvée brisée en trois fragments : (1) du fr. a il manque un morceau triangulaire dans la partie supérieure droite et un autre beaucoup plus petit dans la partie inférieure droite, les deux coins gauches étant également brisés ; en revanche, le bord gauche, lisse, est presqu’entièrement conservé ; (2) les coins du fr. b sont brisés, en particulier dans la partie supérieure ; (3) le fr. c, dont les quatre coins sont brisés, a perdu proportionnellement moins de texte et présente une forme à peu près carrée ‒ pourtant, c’est lui qui est le moins lisible, étant très effacé (le verso du fr. a est complètement corrodé sur la partie gauche). En fonction de l’espace affecté par l’usure dans la pliure, les éditeurs ont estimé le nombre de lettres manquantes à ces endroits entre 2 et 6 caractères. La lamelle est opisthographe : 7 lignes au recto (face A), 6 lignes au verso (face B), en quasi-stoichèdon, sans coupe des mots en fin de ligne. Afin de procéder à la lecture du verso il faut retourner la feuille verticalement. La face B semble écrite dans un second temps car il reste de l’espace libre après la ligne 6, qui ne va pas jusqu’au bout à droite, et en bas de cette ligne ; nous avons donc bien affaire à la fin de la lettre. Le bord supérieur de la lamelle est partiellement conservé sur les trois fragments : nous avons donc le début de la lettre, avec trois passages de la formule introductive. Il est assez probable que la dernière ligne conservée sur la face A soit la dernière du texte inscrit sur cette face, car sur le fr. a aucune trace de lettres n’apparaît en dessous de la l. 7. La lamelle semble avoir été pliée en deux, la face A à l’intérieur, et chaque moitié a été par la suite repliée en trois volets. Sur la face A, aucun espace n’est laissé entre le bord gauche et le début de chaque ligne, alors que sur la face B un petit espace est laissé dans la partie inférieure. Un ny rajouté en-dessous dans le mot ἀργύριον (A, l. 4). Trace de gribouillage de l’êta (A, l. 1). Dialecte : ionien oriental, avec des traits de la koinè. Nombreux traits dialectaux ioniens : notation des fausses diphtongues ou et ei résultant de la contraction par omikron et epsilon ; pronom ionien σ〈ε〉ωυτόν (B, l. 3) ; formes de futur ionien ἀναλέξεαι (A, l. 5) et α[ἰ]τιήσεαι (B, l. 3). Aphérèse μὴ ’ναλέξεαι (A, l. 5) ; conjonction ἠέ (B, l. 3). Paléographie : lettres soigneusement gravées (ht. des lettres : 0,2–0,5 cm). La forme des lettres pointe vers le IVe s. : thêta à barre horizontale ; omikron avec un point intérieur (face A, l. 3 ; face B, ll. 1, 4 et 5) ; xi avec un trait horizontal au milieu ; pi à la seconde haste verticale plus courte ; sigma à quatre branches écartées ; upsilon parfois sans haste verticale () ; ômega avec des pieds parallèles. Il convient de noter le ductus de l’omikron, en deux temps, comme dans les papyrus, à la différence que sur le plomb le scribe avait plus de difficulté à le refermer (A, ll. 3 et 4 ; B, l. 3). Les éditeurs datent la lettre du IVe s. (plutôt dans sa seconde moitié), sans exclure la fin du Ve s. ou la première moitié du IIIe s. En raison de la présence de nombreux traits dialectaux, bien que non systématiques, je propose de remonter la date dans la première moitié du IVe s. Date : ca. 400–350. Conservation : Centre Archéologique Rémy Marichal, Mairie de Perpignan (inv. RUS 2004.249). Édition : Rébé/de Hoz (M. P.)/de Hoz (J.) 2017 (avec trad. esp.). Bibliographie : R. Marichal, M. Provost, dans CAG, 66 (Les Pyrénées-Orientales), 2007, p. 451 ; Bats 2010a, p. 756 ; Bats 2011a, p. 204 ; Bats 2012a, p. 11 ; Mullen 2013, p. 164–165 et Appendix 2, n° 75 ; J.-Cl. Decourt, BÉ, 2014, 544 ; Decourt 2014, p. 51, n° 7.
201
Rébé/de Hoz (J.)/Orduña 2012 (8 × 5,6 cm ; 13,2 × 4,7 cm).
280
Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Illustrations : Rébé/de Hoz (M. P.)/de Hoz (J.) 2017, p. 218–219, fig. 2 (dessin) et 3–4 (ph. des faces A et B). Note sur l’édition : édition soignée de I. Rébé, M. P. de Hoz et J. de Hoz (2017). Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique j’ai pu utiliser des clichés de qualité du centre de Perpignan. Étant donné la présence de nombreux traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Fig. 183. Photo de la face A (Pl. XV).
Fig. 184. Fac-similé de la face A.
[A]
4
᾽Ηρο[--- ---]ωι χα[ίρν· κ]ελε[ύει] σε πρ[ῶτον ἀ]νειπν ΗΡ [ἀνεν?]εχθὲν ἠγμε[νος ἀ]ποστεῖλ[αι] +ΕBΟ[1–2] ϙα΄ (?) ἀργύριον εἰ κα[ὶ] τόδε [---ca. 7---] ἄλληι μὴ ’ναλέξεαι +[---ca. 8---] κελεύε[ι] σε παρεῖνα[ι ---ca. 8---] αὐτὸς ἐκε[ίν]ωι EΣΤI+[---]Ο+Ρ[---]
vestigia litterarum vestigia litterarum vestigia litterarum vestigia litterarum
A – 1 ᾽Ηρό[φιλος? Νε]αίχ[μωι? ἀπ]έδε[ιξέ]/[ἀπ]έδ[ξέ] (vel ἔλε[ξεν]) edd. pr. || 2 [ἀ]πειπν ἠρ [ἀνεν]εχθὲν edd. pr. || 3 ἠγμ[ενος] edd. pr. || +ΕBΟ[1–2] ϙα΄ edd. pr. || 7 [α]ὐτὸς edd. pr.
65. Lettre opisthographe sur plomb d’Hèro[---] (Ruscino)
281
Fig. 185. Photo de la face B (Pl. XV).
Fig. 186. Fac-similé de la face B.
[B]
4
[.]++(+)[--ca. 6-- κ]ελεύει σ[ε ..]+Ο++++ λην[ς? ἀπ?]αλλάσσεσθα[ι]· ἄλλαγον ἔχν [αὐτὸ]ν ἠὲ σ〈ε〉ωυτὸν α[ἰ]τιήσεαι σοδ[όν σε] κελεύει βάλλεσθαι ὄτι ποιεῖ [ca. 4]+?ικὸς ΤΟΙ[---]+ ὄτι vac. πρι[---]. vac. vac.
vestigia litterarum
B – 2 ληνο[ὺς] edd. pr. || ἤε edd. pr. || 3 ΣΩΥΤΟΝ plumbum || 4 σο[δόν] edd. pr. || 5 ποι[εῖ] edd. pr. || ποι[εῖ κατὰ τὸ ε]ἰκός? edd. pr. || τοῖ[---]+oτι [ edd. pr.
A : Hèro[--- à ---]os, salut ! (Hèro[---]) ordonne que d’abord tu annonces [---] ce qui a été produit/acquitté, en considérant (qu’il faut) envoyer 91 (?) [---] argent ; et si ce [---] ne pas le ramasser ailleurs/autrement (sc. dans un autre but) ; il t’ordonne d’être présent [---] ; à celui-là [---] avant que (?) [---]. B : Il ordonne que tu laisses de côté [tant ?] de pressoirs (?) ; (et) qu’il ait ce qui a été laissé de côté (sc. un certain nombre de pressoirs) ou tu le réclameras toi-même; il ordonne que tu paies le (droit de) passage pour faire (?) [---] que [---].
282
Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Face A A 1 : les éditeurs avaient proposé de restituer le nominatif e.g. ᾽Ηρό[φιλος] et le datif [Νε]αίχ[μωι?], tout en précisant que la lecture ]ΑΙΧ[ est incertaine ; à la fin de la ligne, ils restituent le verbe [ἀπ]έδε[ιξε] (ou sa forme ion. [ἀπ]έδ[ξε]), même s’ils n’excluent pas une lecture ]ΕΛΕ[, avec la suggestion ἔλε[ξεν]. Pourtant, il y a assez d’espace pour faire entrer la formule de salut ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν ; plutôt que la graphie uniformisée, ce dernier verbe pouvait présenter la graphie dialectale, avec la fausse diphtongue ei notée par epsilon, comme le verbe ἔχν (B, l. 3). Dans la partie centrale, on aperçoit la fin d’un ômega et un iota, correspondant à la fin du nom du destinataire au datif, avant un chi et un alpha, sans doute le début du verbe à l’infinitif, χα[ίρν]. Nous avons donc la formule épistolaire complète, l’expéditeur portant un nom théophore composé et le destinataire un nom assez bref finissant en -ος. || À la fin de la ligne, à la place du delta il faut lire lambda, d’où la lecture que je propose en restituant un verbe qui apparaît encore trois fois dans le texte (A, l. 6 ; B, ll. 1 et 4), [κ]ελε[ύει]. Cette restitution s’accorde mieux avec la suite : [κ]ελε[ύει] | σε πρ[ῶτον κτλ.]. Il s’agit donc de la première d’une longue liste d’instructions. Le sens devient ainsi beaucoup plus limpide. A 2 : la boucle du rhô qui apparaît juste avant la cassure est tracée de manière inhabituelle, vers le haut, mais c’est bien un rhô, ce qui rend vraisemblable la restitution du mot πρ[ῶτον]. || Après ce mot, il reste de la place pour environ une lettre, avant le premier caractère conservé sur le fr. b. Le pi de ce mot est tracé lui-aussi de façon différente par rapport aux autres pi (la différence est flagrante par rapport à la lettre similaire de la l. 3) : les deux hastes verticales sont trop rapprochées, mais celle de gauche est plus courte que celle de droite, comme c’est le cas aussi pour les autres pi du texte. Avant la séquence bien lisible ΕΙΠΕΝ, on aperçoit la partie inférieure d’un ny, avec les deux hastes verticales décalées (celle de droite plus basse que celle de gauche), à l’instar des autres ny qui apparaissent dans le texte, ce qui nous détermine à lire la forme composée [ἀ]νειπν (écartée pour des raisons sémantiques par les éditeurs). La forme restituée σ[ε] de l’acc. du pronom de la IIe pers. sg. fonctionne comme sujet de la subordonnée infinitive construite avec l’inf. aor. du verbe [ἀ]νειπν (le e long résulté de l’allongement compensatoire est noté, en accord avec le caractère dialectal du texte, par le simple epsilon). Après la forme verbale, l’êta, avec la première haste qui semble avoir été gravée deux fois, est vraisemblablement suivie d’un rhô. Les éditeurs avaient pensé, avec beaucoup de précautions, à la forme contracte ἦρ (< ἔαρ), terme poétique pour le « sang », d’où le sens du « vin » qu’on pouvait lui donner dans ce texte. A 3 : dans le participe ἠγμε[νος] on note la notation de la fausse diphtongue ou par le simple omikron, en accord avec les autres traits dialectaux ioniens du texte. || La lecture de la fin du fr. c est très problématique : les éditeurs lisent la séquence ϘΑ et lui donnent une valeur numérale, 91 (numéral milésien), ce qui n’est pas pour nous surprendre dans un texte commercial, surtout que le mot qui suit, au début de la l. 4, désigne l’argent. Avant cette séquence, les éditeurs avaient lu avec hésitation +ΕBΟ[1–2], en essayant de trouver le produit dont la quantité pouvait être rendue par le numéral (une espèce de poisson ?). Étant donné l’impossibilité de déchiffrer correctement cette séquence, je préfère ne rien restituer à cet endroit. A 4 : dans ἀργύριον, la lettre ny a été insérée en-dessous de l’omikron. || Sur le fr. c, des traces de lettres. A 5 : μὴ ’ναλέξεαι, forme verbale, ici avec une aphérèse202, pourrait être soit la IIe pers. sg. du futur moyen sans contraction du verbe ἀναλέγω, soit, moins probablement, un subj. aor. archaïque à voyelle brève. || Sur le fr. c, des traces de lettres (Ν, Ο/Θ ?). A 6 : κελεύε[ι] σε παρεῖνα[ι], nouvelle instruction (voir commentaire) ; on trouve cette construction à l’identique sur l’anneau du roi Skylès (I. dial. Olbia Pont 4, milieu du Ve s., près d’Istros) : κελεό Αργοταν παρ|ναι. (voir p. 349–350). || Sur le fr. c, des traces de lettres (deux fois Κ, Ε ?). A 7 : après αὐτὸς ἐκε[ίν]ωι, sans doute ἐστί(ν). || Sur le fr. c, des traces de lettres (Ο, Ρ ?). Face B B 1 : après des traces de lettres, on reconnaît, pour la troisième fois, la construction [κ]ελέυει σ[ε]. B 2 : le substantif au pluriel restitué en début de ligne, ἡ ληνός, désigne habituellement un objet en forme de tube ; il pourrait s’agir de cuves à vin ou pressoirs (cf. l’épithète Ληναῖος de Dionysos), comme le supposent les 202 Voir dans une inscription de Téos (ca. 480–450), SEG XXXI 985 D, ll. 14–16 : μὴ ’ναλέξεε|ν : τὰ γεγραθ|μένα (avec le comm. de Herrmann 1981, p. 11).
65. Lettre opisthographe sur plomb d’Hèro[---] (Ruscino)
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éditeurs à l’aide des parallèles offerts par les papyrus et les sources littéraires203. || *ἄλλαγον, un hapax, est tiré sans doute de la même racine que le composé du verbe ἀλλάσσω qui le précède. B 3 : l’infinitif ἔχν présente la diphtongue résultant de la contraction notée par le simple epsilon. || On est surpris par la forme archaïque de la conjonction ἠέ. || La forme ΣΩΥΤΟΝ semble être une notation erronée de la graphie ionienne σεωυτόν204. || La forme α[ἰ]τιήσεαι représente la IIe pers. sg. du futur moyen de la forme ionienne αἰτίημαι, sans la contraction finale attendue de -σεαι en -σῃ (cf. ’ναλέξεαι, A, l. 5). B 4 : il convient de noter la forme ionienne σοδος pour εἴσοδος, qui apparaît également à Théra (IG XII.3 330, l. 214, ca. 210–195) et à Taormine (IG XIV 422, ll. 93, 102)205. B 5 : les éditeurs avaient suggéré ποι[εῖ κατὰ τὸ ε]ἰκός, restitution qui est trop longue pour l’espace disponible. B 6 : il n’y a vraisemblablement pas de lettre entre rhô et iota, même si l’espace entre ces deux lettres est étonnement assez grand. Si le contenu de cette ligne dépend de la ligne antérieure, les éditeurs supposent une formule du type πρὶ[ν ἔλεγε/ἔλεξε/εἶπον]. Commentaire : À mi-distance entre l’Agadès et l’Ampurdan et à 6 km de la mer, le site de Ῥουσκίνων/Ruscino206 se trouvait sur la rive droite de la rivière homonyme (également appelée Tetis/Tetum, auj. Têt) ‒ petit fleuve qui est une voie pénétrante à travers les Pyrénées Orientales207. Cet oppidum est au second Âge du Fer le chef-lieu des Sordes/Sordones208, peuplade de la plaine du Roussillon. Comme le montrent les recherches plus anciennes209 et l’étude des silos répartis sur environ 13 ha, cette agglomération qui appartient à l’aire culturelle ibérique – dont témoignent également les deux lettres sur plomb et plus d’une trentaine d’autres textes ibériques sur céramique et sur plomb210 –, ouverte aux échanges avec le monde méditerranéen (ibériques, grecs et étrusques), est clairement située dans l’orbite commerciale d’Emporion, cité située à 55 km211. On connaissait plusieurs graffites en grec, par exemple ]ΛHΦOΡO[, sur le bord externe d’une coupe à tige attique (ca. 470–460)212. Des stylets plus tardifs en os et en bronze, avec des traces d’usage (usure de biffure, réaffûtage de la pointe), trouvés à Ruscino, sont d’autres indices de la pénétration de l’écriture213. À présent, cette lettre sur plomb atteste de manière éclatante l’activité de marchands grecs et l’usage de l’écriture pour leurs transactions. Le texte présente des caractéristiques clairement ioniennes, aussi bien pour ce qui est de l’alphabet et du dialecte. Cependant, les traits dialectaux coexistent avec des formes régularisées de la koinè naissante : [ἀ]ποστεῖλ[αι], παρεῖνα[ι] et ἐκε[ίν]ωι (A, ll. 3, 6, 7). On pourrait identifier un archaïsme dans la formule μὴ ’ναλέξεαι (A, l. 5), si l’on considère qu’il s’agit d’un subj. aor. à voyelle brève ; en réalité, il s’agit plutôt d’une forme de futur moyen sans contraction. Le numéral koppa qui pourrait figurer à la l. 3 de la face A est milésien. Les termes employés renvoient sans l’ombre d’un doute à un document à caractère commercial : il s’agit d’une lettre d’instructions envoyée par un expéditeur du nom grec d’Hèro[---]214 à un certain [---]os, comme il 203 P. Cair. Zen. III 59300, l. 15 (en 250) ; Théocrite 7.25 et 25.28 ; Diodore de Sicile 3.63.4. Dans les papyrus, voir Ruffing 1999, p. 116 et suiv. 204 Forme analogique de l’ionien σεωυτοῦ (< *σέο αὐτοῦ, cf. Lejeune 1972, p. 324, § 367). 205 Pour le verbe βάλλω au sens de « payer », voir DGE, s. v. βάλλω II.1.3. 206 Entre autres, Ῥουσκίνων chez Strabon 4.1.6 (C. 182) et Ptolémée (Geogr. 2.10.9), Ῥόσκινος chez Polybe 34.10.2, Ruscino chez Tite-Live 21.24.5, Rhoscynos chez Avienus 568. Voir Barruol 1980b ; pour l’étymologie (incertaine), voir Untermann 1980a, p. 99–101. 207 Garcia 2000, p. 72. 208 Barruol 1980a. 209 En particulier un sondage stratigraphique profond, effectué par R. Marichal en 1980 ; voir Marichal/Rébé 2003, p. 59–121. 210 Untermann 1980b, p. 103–106 ; Rébé/de Hoz (J.)/Orduña 2012, p. 233–238 ; Moncunill i Martí 2016. Dans ces documents économiques à caractère privé sont présents des termes comme śalir (« monnaie, argent ») et iunstir (formule de salutation). 211 Marichal 2002, p. 97–112 ; É. Gailledrat, R. Marichal, dans Marichal/Rébé 2003, p. 118–121 ; Marichal/Provost 2007, p. 440–455 ; Rébé/de Hoz (J.)/Orduña 2012, p. 212–214 ; Rébé 2016a ; Rébé/de Hoz (M. P.)/de Hoz (J.) 2017, p. 200. 212 Jully 1976, p. 58, n° 54 ; Bats 2011a, p. 204 (ph. p. 205, fig. 10) ; de Hoz (J.) 2013, p. 49. 213 Rébé 2016b. 214 Les noms théophores appartenant à cette série sont nombreux, e.g. -γένης, -δοτος, -δωρος, -κράτης, -στρατος, -φάνης, -φιλος. Un graffite sur un fragment de coupe attique d’Emporion, de la seconde moitié du Ve s., porte ΗΡΟ (IG España Portugal 33).
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
ressort du prescrit, qui comportait vraisemblablement le verbe χα[ίρν] (A, l. 1). La présence répétée du verbe κελεύω (A, ll. 1 et 6 ; B, ll. 1 et 4), qui apparaît également dans les lettres de Thasos (15, ll. 3 et 6), d’Agathè (63, A, l. 2) et d’Emporion (67, ll. 7 et 14) montre qu’il s’agit d’ordres envoyés par quelqu’un à un employé ou bien à un proche. L’expéditeur parle de lui à la IIIe pers., ce qui n’est pas pour nous surprendre si l’on pense à la célèbre lettre de Berezan’ (25), où Achillodôros emploie également la IIIe pers. sg. pour donner ses instructions à son fils. La mention des objets tels les pressoirs (B, l. 2), de l’argent (A, ll. 3–4) ou du prix du passage à payer (B, l. 4), ainsi que la présence du verbe ἀποστέλλω, qui apparaît dans de nombreux autres documents similaires, sont autant d’indices d’une lettre d’ordre commercial.
66. Lettre fragmentaire sur plomb (Rhodè)
66. Lettre fragmentaire sur plomb (Rhodè) Découverte, contexte : fragment de lamelle de plomb trouvé à Rosas, en 1938, dans le niveau hellénistique (couche V), lors du troisième sondage réalisé dans les ruines de l’église Santa Maria (site de l’ancienne Rhodè), dans la moitié sud de l’abside latérale droite ; le contexte a livré de la céramique grecque (skyphos attique à figures rouges) et sud-italique pré-campanienne215. La lamelle était enroulée sous la forme d’un cylindre et est restée ainsi jusqu’à son déroulement en 1944. Le fragment a disparu en 1957, lors d’un incendie qui a dévasté l’atelier de restauration provisoire autorisé près du chœur de l’église216. Support, mise en page : les dimensions du morceau restant sont différemment indiquées : 5,2 × 2 cm217 ou 9,1 × 3,3 cm218. 8 lignes de texte, la dernière étant vraisemblablement la fin de la lettre, si l’on se fie à la restitution de la clausule [εὐτύ]χει et à l’espace vide laissé jusqu’au bord inférieur de la tablette. La première ligne conservée représente le début de la lettre, en raison de l’espace laissé entre le bord supérieur de la lamelle et les trois lettres qui subsistent de cette ligne de texte. On constate ainsi une certaine mise en page. Les bords supérieur et inférieur ne présentent pas des traces de déchirure. La lamelle de plomb avait été pliée à plusieurs reprises, seul le dernier volet étant conservé. Coupe syllabique vraisemblable en fin de ligne. Dialecte : sans doute koinè. Paléographie : lettres irrégulières, tracées négligemment, souvent cursives ; ht. des lettres : 0,4–0,5 cm (selon R. A. Santiago). La forme des lettres suggère une date vers la fin du IIe s. Alpha et lamba avec des hastes très écartées ; epsilon carré, avec la haste médiane plus courte que les deux autres ; kappa aux hastes médianes plus courtes et rapprochées ; sigma lunaire (une fois brisé, l. 3) ; tau cursif (cf. le message sur tesson d’Olbia de Provence, 58). Date : IIe s. Conservation : jadis dans l’église Santa Maria (Rosas) ; document détruit dans un incendie. Éditions : Oikonomides 1983 (cf. SEG XXXIII 841) ; Pericay 1974, p. 229, 238–240 ; Canós i Villena 1996–1997, p. 642– 643 (cf. HispEpigr, 7, 1997, n° 338a ; cf. SEG XLVII 1536) ; de Hoz (M. P.) 1997, p. 32–33, n° 1.1 (cf. SEG XLVII 1533 ; cf. HispEpigr, 7, 1997, n° 338b) ; Canós i Villena 2002, p. 44–46, n° 9 ; Santiago Álvarez 2006 (avec trad. esp.) ; Ceccarelli 2013, p. 348, n° 27 ; IG España Portugal 165 (M. P. de Hoz, 2014, p. 159–161). Bibliographie : Riuró/Cufí 1961–1962, p. 216, 218 et n. 10 (sans transcription) ; Riuró 1965, p. 52 ; Oliva Prat 1972, p. 37 (= Oliva Prat 1973, p. 12) ; Meyer 1992, p. 219 ; Santiago 1993, p. 282–284, 290 ; de Hoz (J.) 1995, p. 169 n. 89 ; de Hoz (J.) 2013, p. 56 ; Decourt 2014, p. 40 et 53, n° 13. Illustrations : Riuró/Cufí 1961–1962, Pl. III.1 (ph.) ; Riuró 1965, p. 46 (ph.) ; Oliva Prat 1972, p. 41 (= Oliva Prat 1973, p. 12) (ph.) ; Oikonomides 1983, p. 109 (ph.) ; Canós i Villena 1996–1997, p. 650, fig. 7 (ph.) ; Canós i Villena 2002, Pl. VII.9 (ph.) ; Santiago Álvarez 2006, p. 594, fig. 16.1 (ph.) ; IG España Portugal (2014), p. 160 (ph.).
Cf. aussi A. M. Puig, dans Puig/Martín 2006, p. 59. de Hoz (M. P.) 1997, p. 32 ; Canós i Villena 2002, p. 44 (ou en 1955, selon M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 159). Pour cet incendie et la perte du « fragment de planxa de plom amb epigrafia grega procedent de la Ciutadella de Roses (treballs de l’any 1938) », voir Riuró 1995, p. 103. Oikonomides 1983, p. 107 place sa perte pendant la guerre civile espagnole, ce qui est improbable. 217 Pericay 1974, p. 239. 218 Santiago Álvarez 2006, p. 593, en se basant sur la photo donnée par Oliva Prat, qui indique qu’elle est à taille réelle. 215 216
66. Lettre fragmentaire sur plomb (Rhodè)
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Note sur l’édition : après l’édition téméraire d’Oikonomides (1983), ce texte attira l’attention de Pericay (1974), Canós i Villena (1996–1997, 2002), M. P. de Hoz (1997, 2014) et en particulier de Santiago Álvarez (2006) ; Ceccarelli (2013) et Decourt (2014) suivent de texte de M. P. de Hoz (1997). Seul le négatif d’une photo a été conservé au musée de Gérone219, ce qui a permis l’établissement du fac-similé et du texte critique.
Fig. 187. Photo de la lamelle.
Fig. 188. Fac-similé de la lamelle.
[vac. ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν. Εἰ ὑγιαί?]νις vac. [ ]ΙΜΙΑ [ –]ο ὡς [ –]λετε [ ν]ῦν δὲ [ –]ας καὶ τὸ [ ἀπ?]ογενν+ [ Εὐτύ]χει. vac. vac.
4
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1 -νις edd. : [πρύτα]νις Pericay : [Χαῖρε ---]νίς Oikonomides, Canós i Villena 1996–1997 || 2 hανρο[μάχη]? vel hανρο[βολος]? Per. (sive ἃν Ῥο[διοι/δη]) : [ἡ] μαῖα Oik. : ] ΚΑΛΙΑ Can. i Vill. 1996–1997 et 2002 : ].ΑΝΥΔ- de Hoz 1997 : [κα]ὶ . ἄλλα Santiago (Álvarez) : ] hΑΛΙΑ de Hoz 2014 || 3 ]ΟN Can. i Vill. 1996–1997 : ]ΟΛΚ Can. i Vill. 2002 : ].ΛΚ? de Hoz 1997 : [παρεκελεύετ]ο ὡς .. Sant. : ]ΟΛΚΟ de Hoz 2014 || 3–4 [πρὸς ἐ]μὲ τ|[άδε --- ἔ]λεξε Oik. || 4 ]ΛΕΞΕ Can. i Vill. 1996–1997 : ]ΛΕTΕ Can. i Vill. 2002 : ]ΑΕΤΕ? de Hoz 1997 : [ἐπιστέλ]λετε Sant. : ]ΑΕΤΕ (vel ΛΕΤΕ) de Hoz 2014 || 5 [σ]υνδε- Oik. : ]ΥΝΔΕ de Hoz 1997, Can. i Vill. 1996–1997 et 2002 : [ν]ῦν δε Sant. : [ν]ὺν δὲ de Hoz 2014 || 6 ]ν καπ- Oik. : ]Ν ΚΑΠΟ Can. i Vill. 1996–1997 et 2002 : ]ας κἀπὸ Sant. : ].ΚΑΠΟ? de Hoz 1997 : ]Ν κ’ ἀπὸ (vel Υ κ’ ἀπὸ sive ΑΣ κ’ ἀπὸ) de Hoz 2014 || 7 ]Η ΓΕΝΕ- Can. i Vill. 1996–1997 : ]Υ ΓΕΝΙ Can. i Vill. 2002 : ].ΓΕ(?)ΝΝ(?) de Hoz 1997 : ]ο γιννο Sant. : ]Χ(?)ΓΕΝΥ (ΓΕΝΝ) de Hoz 2014 || 8 [Εὐτύ]χε Per. : [ΕΥΤΥ]ΧΕΙ Can. i Vill. 1996–1997 : [καταψύ]χει Can. i Vill. 2002 : [εὐτύ]χει Sant., de Hoz 2014 || 7–8 [ἄχρις ο]ὗ γενέ|[θλη ἥκει. Εὐτύ]χει Oik.
[Untel à Untel, salut ! Si tu es en bonne santé ?, ---] comme [---] et maintenant [---] et [---]. Sois heureux ! L. 1 : pour le mot finissant en -νις, les éditeurs ont supposé la présence d’un anthroponyme masculin (Pericay)220 ou féminin (au voc., selon Oikonomides : [---]νίς), ce qui est très douteux ; les possibilités de restitution, Je remercie Aurora Martín (ancienne directrice du Service Archéologique de Gérone) et Ramon Buxo (directeur du Service Archéologique de Gérone) de m’avoir envoyé un scan de cette photo. 220 Voir le terme [πρύτα]νις, par le même historien. 219
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d’un anthroponyme ou d’un mot commun, sont très nombreuses. Récemment, R. A. Santiago Álvarez penchait pour un nom masculin, à l’instar des hypocoristiques en -ις (type Ζεῦξις), et suppose pour cette ligne le nom du destinataire au datif, suivi par celui de l’expéditeur, au nominatif221. Toutefois, cette tournure paraît exclue à l’époque de notre texte. Il est très tentant, en revanche, de restituer ici une formule épistolaire, plus précisément la formula valetudinis, telle qu’elle apparaît, sous diverses variantes, dans les papyrus et, sur plomb, dans une lettre du IIIe s. de Massalia (59, ll. 1–2) : Μεγιστῆς Λεύκωνι χαίρειν. Εἰ ὑγιαίνεις, vac. | καλῶς ποεῖς· ὑγιαίνομεν δὲ καὶ ἡμεῖς. En effet, sur ce plomb de Rhodè on observe un petit espace vide à la fin de la l. 1 ; quant à la graphie [ὑγιαί]νις, plutôt qu’une faute d’orthographe, il convient de reconnaître une prononciation pour laquelle les exemples ne manquent pas222, ainsi une lettre sur papyrus : ἰ δὲ καὶ σὺ ὑγιγαίνις (sic) καὶ τἆλλα σοι κατὰ λόγον ἐστίν (UPZ I 110, ll. 4–5, en 164). L. 2 : plusieurs lectures ont été proposées pour les lettres visibles. Certains éditeurs ont pris la première lettre pour un kappa dont l’une des hastes n’est pas notée ou n’est plus visible (à la différence de la l. 6). Ils ont suggéré ainsi la présence d’un anthroponyme au gén., Καλίας, ou bien d’un substantif commun καλιά (« cabane » ou « grenier ») ; I. Canós i Villena avait songé à la partie finale d’un nom d’une femme, -καλία. Selon M. P. de Hoz, ces possibilités semblent plus vraisemblables, étant donné le caractère pratique du document, que des mots comme διδασκαλία ou φιλοκαλία. D’autres savants, comme P. Pericay et M. P. de Hoz, ont même supposé que la première lettre est un signe d’aspiration, d’où les lectures hανρο[μάχη]? vel hανρο[βολος]? ; Pericay avance l’hypothèse d’une séquence ἃν Ῥο[διοι/δη]223, tandis que M. P. de Hoz suggère avec prudence le terme rhodien pour l’« assemblée », hαλία. Cette éventualité me semble néanmoins peu probable224, car elle est influencée par l’allusion à une origine rhodienne de Rhodè dans la tradition littéraire antique, certainement une invention locale ou livresque225. Je préfère voir dans la première lettre conservée un iota (et pas un kappa, car il s’agit d’un accident), suivi peut-être d’un my, d’où ma proposition [---]ΙΜΙΑ. L. 3 : M. P. de Hoz lit ici le génitif du substantif ὁλκός, où la fausse diphtongue ou, résultant d’un l’allongement compensatoire, serait notée par un simple omikron226. Ce trait dialectal ionien ne serait pourtant pas en accord avec l’époque de rédaction du texte, caractérisée par la koinè ; qui plus est, la présence systématique de la coupe (syllabique) en fin de ligne rend plus vraisemblable la lecture de R. A. Santiago Álvarez, [---]ο ὡς, sans doute la fin d’un verbe suivi d’une conjonction. L. 4 : si la lecture correcte est ]ΛΕΤΕ, il peut s’agir de la terminaison de la IIe pers. pl. d’un verbe. M. P. de Hoz suggère plusieurs formes verbales connues par ailleurs dans les lettres privées, e.g. ἐπαγγέλλετε, ἐπιστέλλετε. La présence du verbe ἐπιστέλλετε, restitué déjà par R. A. Santiago Álvarez, s’accorderait bien avec le contexte ; il convient toutefois de rester prudent. Dans les papyrus, on trouve, à titre d’exemple, les verbes ἐπιστέλλετε, ἀποστέλλετε, mais aussi, entre autres, θέλετε et ὀφείλετε. L. 5 : il est très tentant de restituer [ν]ῦν δέ, séquence appropriée dans une lettre privée. L. 6 : plusieurs lectures ont été données pour cette fin de ligne, dont la crase κἀπό (Santiago Álvarez et de Hoz) ; dans le même sens, I. Canós i Villena envisage pour cette crase la préposition seule ou le préfixe du verbe ἀπολύω, qui apparaît souvent dans les defixiones. J’estime pourtant que la présence d’une crase à une époque si avancée est peu probable. Le déchiffrement de cette ligne en caractères cursifs est en effet ardu : je préfère lire [---]ας καὶ τὸ | [---]. L. 7 : lecture très incertaine de cette ligne, avec plusieurs propositions. Santiago Álvarez lit ]ογιννο, et pense à un mulet (γίννος). M. P. de Hoz pense, quant à elle, à une forme du verbe γίγνομαι, fréquent dans les lettres.
Santiago Álvarez 2006, p. 597. Sur l’interchangeabilité entre ει et ι, voir Gignac, Grammar, I, 1976, p. 189–191 (par ex., ἰς pour εἰς et ὑμῖς pour ὑμεῖς). 223 Il préfère la première hypothèse, qui suppose en outre une simplification du groupe -νρ- de -νδρ-, et une crase, pour ἡ Ἀνδρομάχη/ὁ Ἀνδρόβολος. 224 La présence de ce signe d’aspiration est également écartée par de Hoz (J.) 1979, p. 234. 225 Voir les considérations de Rouillard 1991, p. 289. 226 Le mot signifie « digue » ou « barrage », ou bien une machine pour transporter les navires à terre ou les sortir de l’eau ; il aurait pu évoquer des détails du plomb commercial de Pech Maho (IG France 135) ou de l’une des trois lettres sur plomb d’Emporion (67). 221 222
66. Lettre fragmentaire sur plomb (Rhodè)
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L’une des lectures possibles est, à mon avis, [---]ΟΓΕΝΝ+|[---], ce qui pourrait nous orienter vers une forme verbale [ἀπ]ογενν[‒], tirée de ἀπογεννάω, « produire, engendrer ». L. 8 : nous sommes sans doute en présence de la formule finale d’adieu, l’impératif εὐτύχει, identifiée pour la première fois par Oikonomides. Elle est par ailleurs marquée par un espace vide, puisque le texte prenait fin. On retrouve cette clausule épistolaire, banale dans les papyrus, dans la lettre sur plomb de Massalia, du IIIe s. (59, l. 5) et dans la lettre sur vase de Nida en Germanie Supérieure, d’époque impériale (72, l. 4). Commentaire : Ce texte très fragmentaire représente vraisemblablement l’extrémité droite d’une lettre privée. Trois autres lettres sur plomb, plus anciennes, sont connues dans la région, pour le site voisin d’Emporion (67, 68, 69). Rhodè (auj. Rosas), à l’origine un comptoir qui servait de jalon entre Emporion et Massalia, comme Agathè, fut établi au nord du Golfe de Rosas, à ca. 15 km au nord d’Emporion, vers la fin du Ve ou au début du IVe s., dans une région marquée par l’influence massaliète-emporitaine depuis les VIe–Ve s. La ville s’est développée sur une colline au sommet plat qui domine une zone lagunaire située à l’ouest/sud-ouest ; ses niveaux les plus anciens (Ve–IVe s.) se trouvent sous l’église Santa Maria, d’où provient par ailleurs ce morceau de plomb. Rhodè, qui frappa aux IVe–IIIe s. des monnaies avec l’ethnique ΡΟΔΗΤΩΝ (cf. IG España Portugal 166), est qualifiée de bourgade emporitaine par Strabon 3.4.8 (C. 160 : πολίχνιον Ἐμποριτῶν), sans doute en raison de son intégration dans le territoire d’Emporion227. Le site a livré quelques graffites du IVe s. avec des indications commerciales et de propriété (IG España Portugal 155–159). Ce plomb de Rhodè a connu un destin malheureux, à l’instar de la lettre d’Agathè (63), découverte un an plus tard. Signalé pour la première fois au début des années 1960, soit plus de deux décennies après sa découverte, par F. Riuró et F. Cufí, ce document a été reconnu comme étant une lettre sur plomb par A. N. Oikonomides en 1983, alors que les premières lectures et suggestions de restitution sont données par P. Pericay en 1974. À partir de lectures incertaines et de restitutions téméraires, Oikonomides affirme qu’il s’agit d’une lettre privée destinée à une dame, comme pourrait l’indiquer la terminaison de la l. 1 ; il lisait μαῖα à la fin de la l. 2, à mettre en rapport avec cette femme qui aurait eu besoin des services d’une sage-femme. Cette dernière aurait rencontré l’auteur de la lettre (cf. la restitution [πρὸς ἐ]μέ à la l. 3) et lui avait dit quelque chose d’important (cf. la restitution τ[άδε --- ἔ]λεξε, ll. 3–4) : pourtant, Oikonomides reconnaît lui-même ne pas pouvoir comprendre ou restituer le contenu du message livré par la sage-femme. Il propose toutefois un scénario selon lequel la destinataire aurait été enceinte, raison pour laquelle elle aurait fait appel à une sage-femme au sujet des choses à faire ou à ne pas faire « jusqu’à ce que le bébé soit né » : d’où la restitution des deux dernières lignes sous la forme [ἄχρις ο]ὗ γενέ|[θλη ἥκει. Εὐτύ]χει228. On reconnaît ici un parfait raisonnement circulaire, qui fait que l’on restitue ce qui confirme l’hypothèse ayant mené à la reconstitution. I. Canós i Villena propose de restituer [καταψύ]χει à la dernière ligne, comme s’il s’agissait d’une defixio, en accord avec la possibilité qu’elle suggère de restituer à la l. 6 le verbe ἀπολύω. Cependant, comme le remarque également M. P. de Hoz, dans le texte conservé, bien que très mutilé, il n’y a aucun terme spécifique à la catégorie des katadesmoi229. S’il est difficile de trancher quand on pense que les deux types de documents étaient enroulés et gravés sur le même support, la restitution de la clausule εὐτύχει, sur la base de nombreux parallèles, renvoie clairement à une lettre. Beaucoup plus prudemment, R. A. Santiago Álvarez estime qu’il s’agit d’une lettre privée, en rapport avec le trafic commercial de la région ; sa reconstruction du texte s’appuie sur la lettre sur tesson d’Olbia de Provence (57) et part de la supposition qu’on détient moins d’un tiers de la lamelle. En réalité, la lamelle aurait dû comporter plusieurs segments et devrait être plus large. 227 Ps.-Scymnos 201–201 ; Strabon 3.4.8 (C. 160) et 14.2.10 (C. 654). Voir Rouillard 1991, p. 288–292 ; Domínguez 2004, p. 167–168 ; Domínguez 2006a, p. 481–482 ; Puig/Martín 2006 ; M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 153 ; Gailledrat 2014, p. 166–168. 228 Le rédacteur de la notice SEG XXXIII 841 met en garde contre ses « extremely fanciful ‹restorations› » ; R. A. Santiago Álvarez critique son imagination excessive. Par ailleurs, le même Oikonomides republia un tesson d’Emporion, avec 5 lignes (fragmentaires), comme s’il s’agissait d’une lettre privée (Oikonomides 1983, p. 110) (suivi par Decourt 2014, p. 52, n° 12, avec une transcription en majuscules)] ; le sens du texte est pourtant difficile à saisir (IG España Portugal 127, Ve–IVe s.). Un autre tesson inscrit d’Emporion (du IIe s.?) est sans aucun doute un exercice d’écriture (IG España Portugal 128). 229 Elle émet même l’hypothèse selon laquelle certains signes pourraient avoir une valeur numérique.
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Étant donné le caractère très mutilé du texte, qui ne permet pas d’identifier d’éventuels traits dialectaux, la datation du document est incertaine230. Néanmoins, l’écriture négligée et la tendance vers la cursive nous orientent clairement vers l’époque hellénistique, sans doute le IIe s. On retrouve la même tendance aux cursives dans une defixio sur plomb du IIIe s. d’Emporion, par exemple le sigma lunaire brisé (IG España Portugal 133)231. En dépit de son état fragmentaire, notre document de Rhodè illustre la diffusion des formules épistolaires : la probable formula valetudinis (ll. 1–2), qui suivait le prescrit perdu, et la formula valedicendi [εὐτύ]χει. Le verbe à la IIe pers. pl. (l. 4) et la séquence [ν]ῦν δέ (l. 5) confirment qu’il s’agissait d’un message.
67. Lettre sur plomb au sujet de Basped[–] (Emporion)
67. Lettre sur plomb au sujet de Basped[–] (Emporion) Découverte, contexte : rouleau de plomb découvert en juillet 1985 à Neapolis, sur un sol d’habitat à l’intérieur de la chambre D, à son angle nord-est, sous un tas de briques crues tombées du haut de la paroi de la chambre (secteur 19, grille 22), à 1,30 m de profondeur par rapport au point zéro de la fouille, qui est situé à 9,82 au-dessus du niveau de la mer. Le contexte céramique est constitué de 2585 fragments, la fourchette chronologique allant de la seconde moitié du VIe s. (céramique attique à figures noires) à la seconde moitié du Ve s. ; le terminus ante quem de cet ensemble est le dernier quart du Ve s. Support, mise en page : dimensions de la lamelle déroulée, fragmentaire mais quasi-rectangulaire : 9,5 × 14 cm ; ép. 0,1 cm ; poids 90,2 gr. Bien que la partie extérieure, qui a été en contact avec le sol et a été plus exposée à l’humidité, ait été abîmée, les parties les plus affectées par la corrosion sont les deux extrémités de la tablette. La couleur de la partie bien conservée est marron foncé, alors que pour les zones abîmées elle est gris-verdâtre. Des travaux de restauration ont été réalisés très rapidement après la découverte au laboratoire de restauration du Musée Archéologique de Barcelone ; depuis, un tissu a été collé sur la face anépigraphe de la lamelle. Si sa partie centrale est bien conservée, les bords et les côtés sont abîmés, notamment le côté droit. La clausule χαῖρε de la dernière ligne et l’absence d’autres caractères après ce mot montrent que le texte est complet en bas. Qui plus est, il est évident que le bord inférieur rectiligne et bien net ne résulte pas d’une cassure. Le bord supérieur, bien que cranté, conserve la première ligne du document. On compte 14 lignes inscrites dans la longueur de la lamelle ; étant donné que le texte est incomplet à droite comme à gauche, on ignore s’il y avait une coupe de mots ou syllabique en fin de ligne. Les caractères s’agrandissent vers la fin du texte. La lamelle a été enroulée, d’après les photos prises au moment du déroulement (fig. 190), de droite à gauche. La perte de l’extrémité gauche de la lamelle empêche de savoir si une adresse externe figurait au verso. Un iota parasite rajouté l. 5 ; un ny rajouté l. 9. Dialecte : ionien oriental. Traits dialectaux notables : notation des fausses diphtongues ou et ei résultant de la contraction par omikron et epsilon ; le pronom ὀκόσ (l. 12). Deux formes éoliennes : le subj. ωἶσι (l. 9) et la désinence de dat. pl. Ière décl. -αισιν (l. 2, Ἐμππορίταισιν ; avec gémination du pi). Crases κἄν (ll. 1, 9, 10, 11 [et dissimilation de la nasale]), κοἶνος (l. 3), κἄς (l. 5), κἀπιστλάτω (l. 12). Paléographie : lettres tracées avec une pointe très fine sans que l’incision soit profonde ; ht. des lettres : 0,2–0,4 cm (interligne : 0,2–0,3 cm). La forme des lettres est caractéristique du milieu ou de la fin du VIe s., sans exclure une date légèrement plus tardive : thêta avec croix centrale () ; ny avec la haste droite plus haute () ; xi barré () ; pi avec la haste verticale droite plus courte ; sigma avec plusieurs graphies, la plupart de forme cursive (), y compris lunaire () ; upsilon presque sans haste verticale () ; chi avec une haste presque verticale () ; ômega penché vers la gauche. Les datations des commentateurs sont divergentes : milieu du VIe s. (van Effenterre/Ruzé) ; dernier tiers du VIe s. (Santiago/Sanmartí 1988) ; dernier quart du VIe s. (Sanmartí-Grego/Santiago 1988)232 ; ca. 500 (Johnston 1990) ; début du Ve s. (Santiago 1996) ; première moitié, voire premier quart du Ve s. (Santiago/Sanmartí 1987) ; entre 500 et 400 (Slings 1994, plutôt vers 400) ; vers la fin du Ve s. (de Hoz [J.] 1999)233. Date : fin du VIe s. Conservation : Museu d’Arqueologia de Catalunya, Empúries (inv. 2616). Éditions : Sanmartí/Santiago 1987 (avec trad. fr.) (= SEG XXXVII 838 ; cf. L. Dubois, BÉ, 1988, 1029 ; cf. HispEpigr, 3, 1993, nº 176) ; Santiago/Sanmartí 1987 (avec trad. cat.) ; Santiago/Sanmartí 1988 (avec trad. fr.) ; Sanmartí-Grego/Santiago 1988,
230 La date proposée, sur la base des critères paléographiques, oscille entre les IVe–IIIe s. (Canós i Villena), le IVe s. (Pericay), le IIIe s. (Oikonomides, M. P. de Hoz 1997) et les IIIe–IIe s. av. J.-C. (Santiago, M. P. de Hoz 2014). 231 Voir Curbera 1997, p. 91, fig. 2 (dessin) ; IG España Portugal, 2014, p. 129 (ph.). 232 Santiago Álvarez 2013a, p. 219, date ce document avant le plomb de Pech Maho, car il comporte plus d’archaïsmes. 233 Voir aussi de Hoz (J.) 2010, p. 647.
67. Lettre sur plomb au sujet de Basped[–] (Emporion)
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p. 3–17 (avec trad. fr.) (cf. SEG XXXVIII 1039) ; Santiago 1989 ; Musso 1986–1989 (cf. SEG XLII 972) ; Santiago 1990a (avec trad. fr.) ; Santiago 1990b, p. 14 (cf. SEG XL 915) ; Santiago Álvarez 1991a, p. 218–221 (avec trad. esp.) ; Santiago 1992a (avec trad. cat.) ; Sanmartí-Grego 1992, p. 42–43 ; Santiago 1993, p. 290–293 ; Slings 1994 (cf. SEG XLIV 852) ; van Effenterre – Ruzé, Nomima, II, 1995, p. 268–271, nº 74 (avec trad. fr.) ; de Hoz (M. P.) 1997, p. 39–41, n° 2.14 ; IGAI 1 (H. Rodríguez-Somolinos, 1998, p. 336–339, avec trad. esp.) ; Canós i Villena 2002, p. 31–38, n° 4 (avec trad. cat.) ; Jordan 2003, p. 34–35, n° XI ; Santiago 2003, p. 167–171, n° I (avec trad. esp.) (cf. SEG LIII 1153) ; Jordan 2007, p. 1361–1362, n° XI ; Ceccarelli 2013, p. 346–347, n° 23 (avec trad. angl.) ; de Hoz (J.) 2013, p. 55–56 ; Santiago Álvarez 2013a, p. 215–221 (avec trad. esp.) (cf. SEG LXIV 889) ; IG España Portugal 129 (M. P. de Hoz, 2014, p. 117–122, avec trad. esp.). Bibliographie : Salviat 1988 ; Lejeune/Pouilloux/Solier 1988, p. 37–38 ; Lejeune/Pouilloux 1988, p. 532 ; Santiago 1988, p. 116–119, 121 (texte gr. et trad. esp.) ; Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 419 (translittération) et 464 (nº B)-456 ; Santiago 1990c ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (D.i) ; Millett 1991, p. 260 ; Sanmartí i Grego 1991 (avec trad. esp.) ; Santiago Álvarez 1991b, p. 67–76 (avec trad. esp.) ; Velaza 1992 (cf. SEG XLII 972) ; Johnston 1993–1994, p. 157 ; Plana Mallart 1994, p. 33 ; Santiago Álvarez 1994, p. 51–56 ; López García 1995 ; Pérez Vilatela 1995 ; Domínguez Monedero 1996, p. 64 (avec trad. esp.) ; Pérez Vilatela 1996–1997 ; Nieto 1997, p. 147 ; Wilson 1997–1998, p. 46–47 (avec trad. angl.) ; de Hoz (J.) 1999, p. 67 ; Gangutia Elícegui 1999, p. 12 (avec trad. esp.) ; Santiago Álvarez 1999, p. 245–246, 262–267 ; Garcia 2000, p. 74 ; Jordan 2000a, p. 92, n° 7 ; J. Tremoleda, dans Cabrera Bonet/Sánchez Fernández 2000, p. 402, nº 197 (avec trad. cat.) ; Henry 2001, p. 767 (D.1) ; Prescott 2002, p. 255–256 ; Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2002, p. 15–16 (avec trad. esp.) ; Braun 2004, p. 312–313 (avec trad. angl.) ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (D2) ; Cordano 2005, p. 46 (avec trad. it.) ; Ceccarelli 2005, p. 40 ; Domínguez 2006a, p. 462–466 ; Dana 2007a, p. 68 (D2) ; Domínguez Monedero 2008, p. 56–57 ; Santos Retolaza 2008, p. 61–62 ; Sanmartí 2009 ; Thomas 2009a, p. 26 ; Domínguez 2010, p. 35–36 ; Eidinow/Taylor 2010, p. 52 (D2) ; Gorgues 2010, p. 77–79 (avec trad. fr.) ; Alvar Ezquerra 2011, p. 41–42 (avec trad. esp.) ; Demetriou 2012, p. 35–36 et 41–43 (texte gr. et trad. angl.) ; Ceccarelli 2013, p. 42–43 ; Harris 2013, p. 122 ; Oller Guzmán 2013, p. 86 ; Decourt 2014, p. 51–52, n° 9 ; Pena 2014 ; Sachs 2014, p. 128 ; Boffa 2015, p. 185–186 ; Dana 2016, p. 100–101 ; Ruiz Darasse 2016, p. 111–112 ; Sarri 2018, p. 42. Illustrations : Sanmartí/Santiago 1987, p. 122 (dessin) et Pl. III a (ph. du rouleau) et b (ph. de la lamelle déroulée) ; Santiago/ Sanmartí 1987 (ph. et dessin) ; Sanmartí-Grego/Santiago 1988, p. 10, fig. 6 (ph. du rouleau) et 7 (ph. de la lamelle déroulée) et p. 11, fig. 8 (dessin) ; Santiago 1989, p. 309 (ph.) et 311 (dessin) ; Marcet/Sanmartí 1989, p. 23 (ph.) ; LSAG², 1990, Pl. 78.3 (dessin) ; Sanmartí i Grego 1991, p. 17 (ph.) ; Santiago Álvarez 1991b, p. 68 (dessin), 73 (ph. du rouleau) et 74 (ph.) ; Sanmartí-Grego 1992, p. 34–35, 42 (ph.) ; Slings 1994, p. 111 (dessin) ; Les Ibères, Barcelone, 1997, p. 47 (ph.) ; Nieto 1997, p. 146 (dessin) ; J. Tremoleda, dans Cabrera Bonet/Sánchez Fernández 2000, p. 402, nº 197 (ph.) ; Canós i Villena 2002, Pl. IV.4 (ph.) ; Domínguez 2006a, p. 465, fig. 22.1 (dessin) ; Santos Retolaza 2008, p. 62 (ph.) ; Gorgues 2010, p. 79 (dessin) ; Demetriou 2012, p. 42, fig. 2 (ph.) ; Santiago Álvarez 2013a, p. 217, fig. 1 (ph.), 220, fig. 2 (ph. du rouleau) et 3 (ph. du rouleau en train d’être déroulé) ; Decourt 2014, p. 72, fig. 6 (dessin) ; Gailledrat 2014, p. 163, fig. 128 (dessin) ; IG España Portugal (2014), p. 118–119 (ph.) ; Boffa 2015, p. 352, fig. 16 (dessin). Note sur l’édition : depuis sa publication en 1987, dans la revue ZPE, par Sanmartí et Santiago, ce document a connu de très nombreuses rééditions et notes additionnelles, en commençant par les deux éditeurs (1987, deux fois en 1988) et notamment par Santiago (Álvarez) (1989, deux fois en 1990, 1991, 1992, 1993, 2003, 2013). D’autres interventions notables sont celles de Musso (1986–1989), Slings (1994), López García (1995), van Effenterre – Ruzé (1995), M. P. de Hoz (1997, 2014), Rodríguez-Somolinos (1998), Canós i Villena (2002, en maj.), Jordan (2003, 2007), Ceccarelli (2013) et J. de Hoz (2013). Pour cette raison, dans mon commentaire à la ligne je ne fais état que des lectures et des interprétations les plus plausibles. L’autopsie du document au musée d’Empúries, à présent en moins bon état qu’au moment de la découverte, et notamment des clichés de qualité, au moment où l’état de conservation de la lamelle était bien meilleur, ont permis l’établissement du fac-similé et du texte critique. Étant donné la présence de très nombreux traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Fig. 189. Photo du rouleau au moment de la découverte.
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Fig. 190. Photo au moment du déroulement.
67. Lettre sur plomb au sujet de Basped[–] (Emporion)
Fig. 191. Photo ancienne de la lamelle.
Fig. 192. Photo de la lamelle (après restauration) (Pl. XV).
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Fig. 193. Fac-similé de la lamelle.
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[ [ [ [ [ [ [ [ [ [ [ [ [ [
] ὠς ἐν Σαιγάνθηι ἔσηι, κἂν [---] ] Ἐμππορίταισιν οὐδ’ ἐπιβα[---] ]νες ἢ κοσι κοἶνος οὐκ Ε++[1–2]++Δ+[---] ἐν Σαιγ]άνθηι ὀνωνῆσθαι Βασπεδ[2]ΟΠΟ[---] ]+ ἀναβοᾶ{ι}ν· παρακομίσν κἂς [2–3]Ε+[---] ]+++εωνι τί τούτων ποητέον [1–2]+[---] ]τα καὶ κελεύ σε Βασπεδ[2] ἔλκ[ν ---] ]σθαι εἴ τις ἔστιν ὂς ἔλξει ἐς Δ[1–2]ΟΣΤ[1–2]+[---] ἠ]μέτερον⸍· κἂν δύο ωἶσι, δύο προ[έσ]θω [---] ]++ΠΟΣ δ’ ἔστω· κἂν αὐτὸς θέλη[ι ---] τὤ]μυσυ μετεχέτω· κἂμ μὴ ὀμ++[---] ]ατω κἀπιστλάτω ὀκόσ ἂν [---] ]ν ὠς ἂν δύνηται τάχιστα μ[---] κεκ]έλευκα. Χαῖρε. vac.
0 ]νο[ς ---- χαίρ]ν [ Santiago/Sanmartí 1987 : ]ο[ς ---- χαίρ]ν [ Sant./Sanm. 1988 : [‒]ν[‒] Sant. 2003 et 2013 || 1 ὄ[κ]ως Sanm./Sant. 1987 : [e.g. ἐπιμελήθετι ---] ὄ[κ]ως Sant./Sanm. 1988 : [‒]ο[κ]ως Sant. 2003 : ]ως ‒ καν[ Slings : [δεῖ σε ἐπιμελσθαι] ὄ[κ]ως Sant. 1992, van Effenterre/Ruzé : [κελεύ] ὄ[κ]ως Sant. 2013 || 〈Ζ〉α〈κ〉άνθηι Musso || 2 [ἐ]ππορίτασιν vel [ἀ]ππορίτασιν Mus. || ἐπιβα[ίνν] Sant./Sanm. 1988 : ἐπιβα[ίνηις] Sant. 1990, de Hoz : ἐπιβα[ Sl., Sant. 2003 : ἐπιβά[ταισιν] van Eff./Ruzé : οὐδ’ ἐπὶ Βα[σπεδ‒] Wilson || 3 [γ]νώσηι [ἔ]κοσι Sant./Sanm. 1987 : ]νος ἢ κοσι κοινς οὐκ ἐς σ[ ]εδ[ Sanm./ Sant. 1987 : [πλέο]νες ἢ κοσι κοἶνος οὐκ ἐς θ….δ[ Sant./Sanm. 1988 : [οὐκ ἐλάσσο]νες ἢ ἔκοσι κοἶνος οὐκ ἐλά[σσων ἠ] δ[έκα]? Sant. 1990 : ἐ.σ[…]δ[ Sl. : [‒]νες ἢ ἔκοσι κοἶνος οὐκ ελσω[….]δ[‒]? Sant. 2003 et 2013 : [πλέο]νες ἢ ε[κοσι κοινς, οὐκ ἐς θα..δ[ van Eff./Ruzé : ΕΣΣ[.].ΕΔ.[ Jordan 2003 et 2007 : ]νεσηι [ἔ]κοσι Wils. || 4 ]άνθηι ὂν ὠνῆσθαι Βασπεδ[ ]οποδ[ Sanm./ Sant. 1987 : [Σαιγ]ανθηῖον ὠνῆσθαι Sant. 1990 (ethnicum) : ]αν θήϊον ὠνῆσθαι βὰς πέδ[ον Καρ]π[ητανῶν] Mus. : [Σαιγ]άνθηι ὀνωνῆσθαι Sl. : [φορτίον τὸ ἐν Σαιγ]άνθηι ὄν Sant. 1992, van Eff./Ruzé : [ἐν Σαιγ]άνθηι ὀνωνῆσθαι Βασπεδ […] π[λοῖον] Sant. 2003 et 2013 || ΒΑΣΠΕΔ[.]ΟΠΟΔ.[ Jord. 2003 et 2007 || 5 ] ἄναρσαν Sant./Sanm. 1987 : ]αναρσαν Sanm./Sant. 1987,
67. Lettre sur plomb au sujet de Basped[–] (Emporion)
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Sant. 2013 : ]αν ἄρσαν Sant./Sanm. 1988 (sugg. Chadwick), Sant. 1990, de Hoz : ]αν ἄρσαν παρακομί〈ζ〉ν κα[σσίτ]ερ[ον] Mus. : ]αναρσαν ‒ κασ[..]εν[ Sl. : κἂς [..]ε[……]ο[‒] Sant. 2003 et 2013 (κἀς) : [ἐς ---]αν Ἄρσαν παρακομίσν κασ[ ]εν[ López García : ]ΑΝΑΡΣΑ{Ι⸍} ‒ ΚΑΣ[2–3]ΕΝ[ Jord. 2003 et 2007 : ]+ ἀναβοᾶ{ι}ν· παρακομίσν κἂς [2–3]Ε+[ Dana || 6 ]Δ[ ]ωνι Sant./ Sanm. 1987, Sanm./Sant. 1997 : ]α.εωνι τί τούτων ποητέον [ἠμῖ]ν Sant./Sanm. 1988, Sant. 1992, van Eff./Ruzé : ]λ..εωνι Sant. 2013 || 7 ]. ὄσα καὶ κέλευ σὲ Βασπεδ[ ]ελι[ Sanm./Sant. 1987 || [ἐρώ]τα Sant./Sanm. 1988 || καὶ κελεύε〈ι〉 σε (vel κελεύ〈σει〉) βὰς πέδ[ον] Ἐλι[βυργίων] Mus. : ].σα καὶ κελεύ σε Βασπεδ[..]ελ.[ Sl. : Βασπεδ[..]εδει[‒] Sant. 2003 et 2013 || 8 ]σθαι [εἰ] τις ἔστιν Sanm./Sant. 1987 : [ἐρέ]σθαι Sant./Sanm. 1988, Sant. 1992 : εἴ vel [εἴ] Sant. 1990 : ]σθαι· τίς (vel [οὔ]τις) ἔστιν ὃς ἕλξει Lóp. Garc. : [ἔρε]σθαι ε τις ἐστιν ὂς ἔλξει ἐς δ[.]οστ. α[ Sant. 2013 || 9 πρ[οτι]θ[έτω] Sanm./Sant. 1987 : προ[έσ]θ[ω] Sant./ Sanm. 1988 : προ[έσ]θ[ω] Sant. 2013, de Hoz : ]μέτερον⸍· κἂν δύο ὦισι, δύο προ[..]θ[…]χ[ Sl. || 10 δί[ο]πος δ’ ἔστω· κἂν αὐτὸς θέλη[ι ]θαι Sanm./Sant. 1987 : δί[ο]πος Sant./Sanm. 1987 : ]μηγος δ’ ἔστω· Sant./Sanm. 1988, Sant. 1992 : ]…ος δ’ ἔστω κἂν αὐτὸς θέλη[ι ..]θαι[ Sl. : ]μ.πος δ’ ἔστω van Eff./Ruzé : ]ΔΙ[.]ΠΟΣ Jord. 2003 et 2007 : ἀ[ρ]χὸς δ’ ἔστω Sant. 2003 et 2013 (ἀρ[χ]ός) || 11 [ἤ]μισυ μετεχέτω· κἂμ μὴ ὀμ[ ]ν Sanm./Sant. 1987 (ὀμ[ο]ν[οῆι?]) : [ἤ]μυσυ sugg. Chad. : ὀμ[ο]ν[οῆι] Sant./ Sanm. 1988 : ὀ[μο]λ[όγηι]? Sant. 1990 : κἂμ μὴ ο.[.]μ[ Sl. : μὴ ὀ[μο]λ[όγηι] van Eff./Ruzé : [τὤ]μ[υ]συ μετεχέτω· κἂμ μὴ ὀ[μο]ν[οηι] Sant. 2003 et 2013 || 12 ]άτω κἀπιστλάτω ὀκόσ ἀν [ Sanm./Sant. 1987 : [μεν]άτω Sant./Sanm. 1988, Sant. 1992 : κἀπιστε〈ι〉λάτω ὁκόσο〈ν〉 ἂν [δοκῇ] Mus. : [μενά]τω van Eff./Ruzé : ]ΗΤΩ Jord. 2003 et 2007 || 13 ] ὤς ἂν δύνηται τάχιστα μ[οι] Sant./Sanm. 1987 || 14 ]έλευκα Sanm./Sant. 1987 : [κεκ]έλευκα Sant./Sanm. 1988 (sugg. López Eire)
[---] que tu sois à Saiganthè, et si [---] aux Emporitains et si tu (?) n’embarques pas [---] ou vingt, et du vin pas [---] que Basped[‒] achète à Saiganthè [---] pousser des cris pour protester ; afin de transporter les marchandises et vers [---] (et qu’il dise) qu’est-ce qu’il faut faire de toutes ces choses [---] et il ordonne que tu remorques Basped[–] [---] et s’il y a quelqu’un qui peut remorquer jusqu’à [---] le nôtre. Et, s’il y en avait deux, qu’il envoie les deux [---] mais qu’il soit [---]. Et s’il voulait lui-même [---] qu’il fasse moitié-moitié. Sinon, qu’il ne [---] et qu’il m’envoie une lettre en me disant combien [---] le plus vite possible [---]. Voilà mes ordres. Salut ! L. 1 : en 2003, R. A. Santiago avait proposé de restituer ὄ[κ]ως ἐν Σαιγάνθηι ἔσηι, où la conjonction ὅπως ‒ ici sous sa forme dialectale ionienne restituée en accord avec la forme ὀκόσ présente à la l. 12 ‒ introduit une proposition subordonnée construite avec le futur de la IIe pers. sg. Cette subordonnée dépendait sans doute d’un verbe de recommandation qui apparaissait au tout début de la lettre : Santiago suggère, parmi les verbes qui l’auraient exigé, παρακελεύω, sous la forme παρεκελεύ (IIIe pers. ind. prés.), par analogie avec la forme simple κελεύ (l. 7). || Σαιγάνθηι est probablement le datif-locatif d’une adaptation phonétique grecque d’un nom ibérique, qui allait donner en latin Saguntum (Sagonte), au Levant hispanique, au sud de l’Ebre234 ; ce toponyme apparaît chez Strabon 3.4.6 (C. 159) sous la forme Σάγοντον. || Certains commentateurs ont supposé l’existence d’une autre ligne au-dessus, qui aurait comporté le prescrit : [---]ο[ς ---- χαίρ]ν [---]235. Non seulement il n’y aucune trace de lettres à cet endroit, où le bord de la lamelle est cranté, mais l’emploi de cette formule « classique » est improbable à cette époque. L. 2 : selon les premiers éditeurs, Ἐμππορίταισιν est la forme de dat. éolien (alors qu’en ionien on aurait attendu Ἐμπορίτηισιν)236 de l’ethnique désignant les habitants d’Emporion ; ceux-ci sont désignés chez Strabon 3.4.8 (C. 160) en tant que Ἐμπορῖται. Selon S. R. Slings, dans un dialecte qui emploie les désinences en -οι, οισι à la IIe décl., on peut avoir par analogie un datif à la Ière décl. sous la forme -αι, -αισι ; une influence éolienne est néanmoins possible. On se souvient que dans la lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25, l. 12), l’ethnonyme au dat. pl. Ἀρβινάτηισιν a été d’abord écrit ΑΡΒΙΝΑΤΑΙΣΙΝ, puis l’alpha a été corrigé en êta, en accord avec le dialecte ionien. La gémination du pi, très rare en grec, pourrait être selon Slings une influence des langues anatoliennes et la marque d’une hypercorrection qui rend compte d’une fluctuation dans la notation des géminées à l’époque archaïque et au début de l’époque classique237. Il s’agit de la deuxième attestation épigraphique de
Santiago/Sanmartí 1988, p. 100 ; Santiago 1990a, p. 80. Selon Musso 1986–1989, il s’agit d’une erreur du scribe qui aurait mal écrit Σαιγάνθηι à la place de 〈Ζ〉α〈κ〉άνθηι. Selon R. A. Santiago, la forme Ζάκανθα qui apparaît chez Polybe et Appien est une variante artificielle dans le but de créer une parenté avec Ζάκυνθος et faire de la ville ibérique une colonie grecque (Santiago 1988, p. 116–118 ; Santiago 1990c ; Santiago Álvarez 1994, p. 51). Sur ces deux formes, voir aussi Domínguez 1991, p. 283. 235 Santiago/Sanmartí 1988, p. 100–101. 236 Voir Santiago Álvarez 1999 (en partic. p. 245–246 et 268). 237 Slings 1994, p. 113–114. Cf. Dial. graec. ex. 707 (Éphèse, VIe s.) : ἐκ ττῶν ἠνείχτθησαν ὀκττώ. 234
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
l’ethnique des habitants de la colonie phocéenne d’Emporion, après celle de Pech Maho238 où il est attesté au gén. pl. attendu Ἐμποριτέων (avec la métathèse de quantité de l’ionien)239. || Le dernier mot a été d’abord restitué comme un dat. pl. d’ἐπιβάτης (signifiant « marchand à bord d’un vaisseau », cf. Démosthène, Or. 34.56), à savoir ἐπιβά[ταισιν], coordonné par la conjonction copulative négative au datif Ἐμππορίταισιν. Ultérieurement l’un des éditeurs est revenu sur cette restitution en proposant d’y voir le subjonctif du verbe ἐπιβαίνω240, à la IIe pers. sg., ἐπιβα[ίνηις]. Un verbe similaire, καταβαίνω, apparaît dans la lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25, l. 13), avec le sens de « descendre la rivière ». L. 3 : Si la lecture κοσι est correcte, nous sommes devant l’utilisation de l’epsilon pour noter la vraie diphtongue ei, héritée (*εϝικοσι) et non résultat d’une contraction241. || Dans la séquence ΚΟΙΝΟΣ, il est plus probable qu’il s’agisse de la crase καὶ + οἶνος (κοἶνος) que d’un acc. pl. (κοινς), où omikron note la fausse diphtongue ou résultat de l’allongement compensatoire. La mention du vin n’est pas étonnante dans le contexte d’une lettre échangée sans aucun doute entre marchands ou hommes d’affaires (cf. la lettre sur plomb de Ruscino, 65, B, ll. 1–2). L. 4 : la séquence ΑΝΘΗΙΟΝΩΝΗΣΘΑΙ a été découpée de plusieurs façons. Les premiers éditeurs on lu [ἐν Σαιγ]άνθηι ὂν ὠνῆσθαι, où ὄν serait le participe neutre d’εἰμί et ὠνῆσθαι l’inf. ionien parfait du verbe ὠνέομαι, « acheter » (att. ὠνέομαι et ἐωνῆσθαι). Santiago avait par la suite (1990) proposé de lire [Σαιγ]ανθηῖον ὠνῆσθαι ; cependant, comme attire l’attention Slings242, le suffixe -ήϊος se retrouve d’abord dans des adjectifs dérivés des substantifs en -εύς (βασιλήϊος), puis dans des noms d’occupations (μαντήϊος) et dans des catégories d’êtres humains (ἀνδρήϊος, παρθενήϊος), alors qu’il n’y a pas de parallèle pour la formation en -ήϊος/-ῆιος dérivée d’un toponyme. Santiago revient sur sa lecture à deux reprises et s’allie à l’avis de Slings qui y lit ὀνωνῆσθαι, forme d’inf. parfait avec réduplication243 ; c’est cette dernière forme qu’il convient vraisemblablement d’adopter. Slings considère qu’il s’agit d’un éolisme, formé à partir du présent éol. *ὄννημαι (cf. ὄννα = ὠνή)244. Sur la base de cette lecture, Slings et Santiago245 lisent ὀνονῆσ[θαι] à la l. 4 d’un autre plomb d’Emporion (68), où il convient toutefois de lire la même forme que dans notre document, à savoir ὀνωνῆσ[θαι]. || Βασπεδ- est très probablement un anthroponyme ibère246, composé de deux éléments, bas- (cf. baś)247 et ped- ; ce dernier est sans doute une transcription grecque de l’élément ibérique bet. L. 5 : pour la première séquence, les éditeurs Santiago et Sanmartí avaient pensé à *ἄναρσαν, qui serait une forme neutre du participe aor. du verbe *ἀναναρίσκω, « réadapter » ; ils reconstituent cet hapax à partir du verbe ἀραρίσκω (« s’adapter », « être adéquat »), avec le préfixe ἀνα- ; ce participe aurait pu s’accorder avec un supposé πλοῖον. Santiago revient plus tard sur cette hypothèse, pour proposer ἄρσαν248, participe aor. du verbe ἀραρίσκω ; cette forme de participe accordé ferait en revanche penser davantage à un ἀκάτιον, « gabarre, embarcation légère »249 qu’à πλοῖον, « grand navire »250. Enfin, dans son article de synthèse sur les lettres d’Em-
238
IG France 135, l. 2. On trouve aussi l’ethnique sur les monnaies (ΕΝΠΟΡΙΤΩΝ et ΕΜΠΟΡΙΤΩΝ, IG España Portugal 153 a
et c). 239 Il convient d’écarter les lectures alternatives de Musso, qui propose de restituer soit [ἐ]ππορίταισιν, soit [ἀ]ππορίταισιν ; ou bien d’y voir le dat. pl. d’ἀμφορίτης = ἀμφορεύς, probablement en rapport avec le κοἶνος (= καὶ οἶνος, l. 4). Le my est bien visible sur le plomb, il n’y a pas de raison de l’éliminer. Tout aussi improbable semble l’interprétation ἐμπορῖται = μέτοικοι (cf. Hésychios s. v.), suggérée par le même Musso. 240 Santiago 1990b (une forme verbale, mais à l’infinitif, avait déjà été suggérée par le même auteur dans Santiago 1990a). 241 Voir Buck 1955, p. 31 ; L. Dubois, BÉ, 1988, 1029. 242 Slings 1994, p. 114. 243 Cf. SEG XII 391, l. 14 : ὀνονημένα (Samos, ca. 525). 244 Slings 1994, p. 115. 245 Cf. Santiago Álvarez 1999, p. 262–267 et 271 ; Santiago 2003, p. 168. 246 de Hoz (J.) 1993, p. 658 et n. 64 ; Gangutia Elícegui 1999, p. 8 n. 26. Les restitutions de Musso ([---]αν θήϊον ὠνῆσθαι βὰς πέδ[ον Καρ]π[ητανῶν]) et son interprétation (la mention d’une la mine de sulfe de Hellín près d’Albacete, au nord de la rivière Ségura, mine qui tenait du territoire des Karpètanoi) sont fantaisistes. 247 Velaza 1992, p. 264–267 (qui penche pour baś-betar) ; Ruiz Darasse 2016, p. 111–112 ; BDHesp. Onom. 5887. 248 López García 1995, p. 102, penche vers un toponyme Ἄρσα, qui serait un établissement situé au sud de la péninsule ibérique. 249 Mentionné dans le plomb de Pech Maho (IG France 135, l. 1). 250 Santiago 1990a ; Santiago 1990b.
67. Lettre sur plomb au sujet de Basped[–] (Emporion)
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porion (2003), Santiago émet l’hypothèse d’une particule modale ἄν suivie d’un participe aor. neutre du verbe ἀραρίσκω : soit le participe parfait ἀρηρός, soit le participe moyen ἄρμενον251. Ma propre lecture est l’inf. présent ἀναβοᾶ{ι}ν, avec une sorte d’iota parasite collé au dernier alpha ; ce même verbe apparaît dans la lettre d’Achillodôros de Berezan’, employé avec le sens juridique « pousser des cris pour montrer sa bonne foi » (25, l. 6 : ἀναβῶι). || La forme παρακομίσν, avec la fausse diphtongue ei notée par epsilon252, a été identifiée par l’ensemble des éditeurs comme un inf. futur dialectal du verbe παρακομίζω, dont le sens de « transporter des marchandises » est bien attesté253. On peut traduire plus exactement « faire du cabotage, naviguer au long des côtes », sens qui ressort d’un passage du Ps.-Démosthène (Or. 35.32) : « Quant au vin de Cos – 80 amphores de vin passé – et aux salaisons, ils naviguaient de Panticapée à Théodosie pour le compte d’un cultivateur (ἀνθρώπῳ τινὶ γεωργῷ παρεκομίζετο ἐν τῷ πλοίῳ) qui les destinaient à la nourriture des ouvriers agricoles ». On peut voir dans cette forme sigmatique du futur soit une variante graphique simplifiée du futur éolien en -ίσσω, soit une attestation précoce de ce type de futur qui est du reste tardif en dehors de l’éolien254. Selon Santiago, la forme attendue en ionien aurait été παρακομιῶν255. || La fin de la ligne est incertaine. Il est possible de voir dans κἄς la crase de καί et ἐς256. L. 6 : ποητέον est un adj. verbal qui ne surprend pas dans le contexte de la lettre, où l’on attend et on donne des instructions sur les mesures à prendre. A. Christol remarque qu’il s’agit du seul exemple non-littéraire d’un adj. verbal d’obligation avant les papyrus égyptiens et estime que la similitude entre son emploi et l’usage chez Hérodote peut renvoyer à une koinè ionienne257. Le début de la ligne est trop fragmentaire pour procéder à des restitutions. Pour Santiago (2003), qui lit [–]λ..εωνι, il peut s’agir soit d’un toponyme en locatif, soit, plutôt, d’un anthroponyme au datif (e.g. Πολέμων, Ἀλέξων, Τελέσων) qui fonctionnerait comme complément d’agent de la forme périphrastique ποητέον. L. 7 : la forme verbale κελεύ doit être comprise comme un ind. présent à la IIIe pers. sg., avec la graphie epsilon pour la vraie diphtongue ei, plutôt qu’une forme d’impératif, bien que cette dernière possibilité ne soit pas complètement à exclure. Il n’est pas étonnant que l’expéditeur de la lettre se réfère à lui-même à la IIIe pers., comme on le voit dans les lettres d’Achillodôros (25), de Mnèsiergos (6) et dans celle trouvée à Agathè (62). Comme le remarque à juste titre Santiago (2003), cette lettre n’est rien d’autre qu’une série de κελεύματα, à savoir des instructions données par l’expéditeur à son homme d’affaires d’Emporion. On peut même remarquer l’emploi d’une construction-type κελεύ σε, qui est présente deux fois dans la lettre sur tablette d’argile de Thasos (15, ca. 500, ll. 3 et 6 : σέ κελεύει et [ἐκέλε?]υέ σε) et quatre fois dans la lettre sur plomb de Ruscino (65, première moitié du IVe s.) : [κ]ελε[ύει] σε πρ[ῶτον] (A, ll. 1–2), qui fait suite à la formule épistolaire ; κελεύε[ι] σε παρεῖνα[ι] (A, l. 6) ; [κ]ελεύει σ[ε ---] (B, l. 1) ; [σε] κελεύει βάλλεσθαι (B, l. 4). || Avant ce verbe, il est difficile de lire la séquence qui finit en -τα258. || Après le nom propre Basped[‒], il faut restituer une forme d’inf. ἔλκν (cf. le même verbe à la l. 8), avec la fausse diphtongue notée par epsilon, sur l’exemple des autres infinitifs présents dans le texte. Ce verbe, qui signifie « traîner », peut être compris ici dans le sens de « remorquer », à savoir ‒ si l’on tient compte de la configuration géomorphologique de la région d’Emporion – « traîner » les embarcations ou les marchan-
Santiago 2003, p. 167–171. Pour son explication dialectale, voir Santiago Álvarez 1999, p. 262 et 270. Musso préfère y voir une erreur et restituer un inf. παρακομί〈ζ〉ν. 253 Hérodote 7.147.3 : οὗτοι ἡμῖν σιτία παρακομίζοντες. 254 M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 120. 255 Santiago Álvarez 1999, p. 262, 270. 256 Il est en revanche aventureux de restituer κασ[σίτ]ερ[ον], selon l’hypothèse de Musso, qui pense à l’étain de Tartessos, cf. Strabon 3.2.9 (C. 147) : « les mines qui le produisent se trouveraient chez les peuples barbares qui font suite aux Lusitaniens vers l’intérieur des terres, ainsi que dans les îles Cassitérides. On en acheminerait aussi des îles Britanniques sur Massalia ». 257 Intervention de A. Christol, mentionnée dans E. Crespo, J. L. García Ramón, A. Striano (éds.), Dialectologica Graeca. Actas del II Coloquio internacional de dialectología griega, Miraflores de la Sierra (Madrid), 17–21 de Junio de 1991, Madrid, 1993, p. 294. 258 Voir toutefois les propositions de Santiago/Sanmartí 1988, p. 100 (ἐρώτα, « demande ») et de Santiago 1990b (peut-être la fin du mot ἀκάτια). Musso suppose de nouveau une série d’erreurs, en lisant soit κελεύε〈ι〉 σε, soit κελεύ〈σει〉. Il découpe les séquences suivantes, ce qui est difficilement soutenable : βὰς πέδ[ον] Ἐλι[βυργίων] (cf. Étienne de Byzance, s. v. Ἐλιβύργη – qui avoisinait Tartessos). 251 252
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dises259. L’évocation des akatia (gabarres ou barges de petit calibre, à fond plat), dans le document de Pech Maho (IG France 135, ll. 1 et 7), nous fait penser à la nécessité dans ces régions marécageuses de transporter les marchandises par des bateaux de faible calibre alors que le grand navire mouillait au large. L. 8 : [---]σθαι, la désinence d’un verbe à l’inf. moyen-passif, suivi de la conjonction εἰ260 et d’un article indéfini261. || Le verbe ἔλξει qui apparaît ici est soit à la IIIe pers. sg. de l’ind. futur (avec la graphie ei pour la vraie diphtongue), soit un subj. aor. à voyelle brève, ce qui, selon Slings262, ne serait pas un archaïsme étant donné que les subjonctifs à voyelle brève sont plutôt la règle en ionien oriental. Cependant, contrairement aux premiers éditeurs qui y voient un subjonctif263, Slings penche vers un futur, en raison à la fois de la rareté de la forme ἕλξει (le subjonctif employé est en général celui du verbe concurrent ἑλκύω, donc ἑλκύσει), et de l’absence de la particule modale ἄν qui peut être omise dans les textes poétiques mais rarement dans d’autres types de textes. Il me semble en effet qu’il faut privilégier le futur. L. 9 : pour les premiers éditeurs, le possessif ἠμέτερον ne serait pas en rapport avec un supposé πλοῖον, mais, en invoquant la « lettre de Berezan’ » (25), avec un terme comme φορτίον ou φορτηγέσιον, signifiant, selon Bravo264, « lot de marchandises qu’un marchand transporte dans un navire »265. || Concernant le numéral, les éditeurs remarquent la rareté de la forme δύο, qui est écrit normalement δύω en dialecte ionien 266 ‒ avec pourtant des exceptions, par exemple à Milet267, ainsi que dans le premier document sur plomb de Lattara (60, B, l. 3) ; Slings remarque, au contraire, que dans les inscriptions on trouve une seule fois δυώδεκα, mais toujours δύο268. || La forme ὦισι (IIIe pers. pl. du subj. présent du verbe εἰμί) est un éolisme pour la forme habituelle en ἔωσι ; on trouve la forme ὦσι dans la langue homérique. Il s’agit, selon les premiers éditeurs que je rejoins, du traitement éolien du groupe -νσ- secondaire, provenant de la désinence -ντι269, survivance de l’éolien dans la région de Phocée270. Pour Slings, qui considère que l’évolution en -ois du groupe -ns est tardive, il s’agit non pas de vestiges d’une population pré-ionienne mais d’un morphème emprunté. || Le verbe, restitué πρ[οτι]θ[έτω] par les premiers éditeurs, a été par la suite restitué πρ[οέσ]θ[ω], qui est un impératif aor. moyen IIIe pers. sg. de προίημι, « envoyer en avant ». L. 10 : la lecture du premier mot, incomplet, soulève des difficultés : les premiers éditeurs avaient lu δί[ο]πος271, lecture qu’ils ont abandonnée par la suite272. Santigo propose, avec précaution, [–] ἀ[ρ]χός273. Le dernier éditeur, M. P. de Hoz, identifie la lettre triangulaire à un alpha et ne lit rien avant le sigma final. || Crase κἄν (< καί + ἐάν), attestée dans d’autres inscription ioniennes du Ve s.274. Pour l’utilisation des embarcations grecques, voir Vélissaropoulos 1980, p. 57–60. Après avoir soutenu qu’au moment du déroulement on voyait un epsilon et peut-être la partie supérieure d’un iota, Santiago 1990b renonce à lire cette séquence en expliquant qu’elle était lisible seulement en raison d’un mauvais recollement de la plaquette lors de la restauration (cf. aussi Santiago 2003, p. 169 n. 18). 261 López García 1995, p. 102, propose οὔτις ἔστιν ὅς. 262 Slings 1994, p. 116. 263 Sanmartí-Grego/Santiago 1988, p. 14 ; Santiago/Sanmartí 1988, p. 100 ; mais un futur dans l’editio princeps (Sanmartí/Santiago 1987, p. 124). 264 Bravo 1974, p. 131. 265 Santiago/Sanmartí 1988, p. 100 ; Sanmartí-Grego/Santiago 1988, p. 15 ; Santiago 2003, p. 169 n. 20. 266 Sanmartí/Santiago 1987, p. 124. 267 Peu avant 500 (cf. Dial. graec. ex. 725). 268 Slings 1994, p. 116. 269 Voir deux autres formes grammaticales du même type (Chios, Ve s.) : πρήξοισι et λάβωισι (Dial. graec. ex. 688, a16 et 20 ; b15). 270 Sanmartí/Santiago 1987, p. 124. 271 Sanmartí/Santiago 1987, p. 125. Avec le sens de « chef » ou « gardien du navire », en s’appuyant sur des parallèles offerts par Bravo 1977, p. 1–59. 272 Sanmartí-Grego/Santiago 1988, p. 15. 273 R. A. Santiago prend un exemple dans l’Od. 8.162 (ἀρχὸς ναυτάων) et cite également Bravo 1977, p. 33–42, pour lequel l’archos est un professionnel, esclave ou libre mais dépendant du propriétaire du navire et employé par celui-ci pour diriger le bateau, ayant la responsabilité des marins, des marchandises transportées. Dans la lettre, en occurrence, si l’on accepte la restitution, cet archos serait l’employé de l’Ibère Basped[‒], propriétaire d’un bateau marchand adéquat pour transporter la marchandise dans un endroit établi auparavant, qui doit remorquer la cargaison jusqu’à sa destination. 274 Dial. graec. ex. 688 (Chios) et 708 (Éphèse). 259 260
67. Lettre sur plomb au sujet de Basped[–] (Emporion)
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L. 11 : la construction [τὤ]μυσυ μετεχέτω, avec la psilose attendue, renvoie presqu’automatiquement à l’expression similaire qui apparaît dans la transaction sur plomb de Pech Maho (IG France 135, l. 3) : ἐμοὶ μετέδωκε τὤμυσυ τ[ρίτ] ἡ[μι]οκτανί275. || Crase κἂμ μή pour καὶ ἐὰν μή. L. 12 : dans la forme κἀπιστλάτω on reconnaît la crase entre la conjonction καί et l’impératif de la IIIe pers. sg. du verbe ἐπιστέλλω. On remarque de nouveau l’epsilon qui note le e long secondaire résultat de l’allongement compensatoire après la réduction du groupe -λσ- (ἐπιστελσάτω > ἐπιστειλάτο) de l’aor. de ce verbe qui signifie « envoyer par lettre, ordonner » (voir p. 348). || Le pronom ὀκόσ, dérivé du thème de l’interrogatif indéfini, conserve la vélaire k < kw ; ce phénomène est attesté aussi bien dans l’ionien littéraire (chez Hérodote) que dans les inscriptions276, y compris dans la région de colonisation phocéenne en Occident : ὄκ dans le plomb de Pech-Maho (IG France 135, l. 7). Ce pronom démonstratif quantitatif a la valeur syntactique de « génitif de prix » (avec le o long fermé noté par omikron), indice d’une économie monétaire277. || La particule ἄν à la fin de la ligne permet d’attendre une forme verbale, soit un optatif de possibilité soit un subjonctif d’éventualité. L. 13 : la proposition adverbiale ὠς ἂν δύνηται τάχιστα, « le plus vite possible », est attendue dans un texte qui contient des ordres278 et est attestée dans d’autres lettres : le billet attique sur tesson adressé à Eumèlis (3, l. 2 : ς τάχος) ; la lettre pontique trouvée au Mont Živahov (22, l. 4 : ὄτι τάχους) ; une lettre archaïque de Berezan’ (23, l. 2 : [ὠς τά]χιστα). L. 14 : la restitution du participe parfait neutre pl. [κεκ]έλευκα est parfaitement appropriée pour la fin de cette longue liste d’instructions (cf. l. 7 : κελεύ). || Le verbe χαῖρε (impératif IIe pers. sg.) qui sera utilisé à l’infinitif dans le prescrit des lettres à partir du IVe s., est suivi d’un vacat. Cette formule banale de salut, généralisée dans les épitaphes, marque la fin logique du message279. Commentaire : Ce texte très important a fait sensation lors de sa publication (à l’instar de la « lettre de Berezan’ », 25, qui a contribué à désenclaver le domaine pontique), d’où les nombreuses rééditions, relectures, notes additionnelles et commentaires, notamment dans les premières années après sa découverte280. Le plomb a été trouvé dans un contexte d’habitat du Ve s. d’Emporion, cité phocéenne d’Occident281 ouverte aux influences méditerranéennes282. Sa fondation par les Massaliètes dans l’Ampurdán, dans la large baie de Rosas, se serait déroulée, selon Strabon 3.4.8–9 (C. 159–160), en deux étapes, processus qui rappelle celui de la fondation d’Olbia du Pont. Après un premier établissement archaïque à la Palaiopolis, la « Vieille-Ville » (l’îlot de San Martí d’Empúries), vers 590–580, la colonie fut transférée sur le continent à la Neapolis, la « Nouvelle-Ville » (Turó d’Empúries), dans la troisième décennie du VIe s. Il ne s’agit pas seulement d’un emporion, d’un point d’échange avec les populations locales et avec les marchands carthaginois, mais aussi d’une zone de peuplement plus importante, caractérisée par des noyaux d’habitation indigènes, comme le prouvent les fouilles récentes de la nécropole de Vilanera. À l’origine il s’agissait de deux communautés distinctes, les Grecs et les indigènes (un habitat des Indicètes)283 ; à partir de ca. 375 et avec la seconde muraille de la cité, on peut parler d’une seule communauté. La présence d’une élite indigène naissante fait de cette zone une aire propice au développement des échanges à la fois avec les Phéniciens et avec les colons phocéens de Massalia ou d’autres Pour τὤμυσυ voir Dial. graec. ex. 701 (I. Erythrai Klazomenai 17, ll. 12–13 ; Ve s.). Pour tous ces exemples (κῶς pour πῶς, κότερος/πότερος, κόθεν/πόθεν, ὄκως/ὄπως), voir Sanmartí/Santiago 1987, p. 125– 126 et M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 121. 277 Santiago 1988, p. 119. 278 Voir, pour des exemples, M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 122. 279 Chez Hérodote, certains récits rapportés se terminent par l’impératif actif IIIe pers. sg. χαιρέτω, qui signale le passage à une autre section narrative (Dorati 2000, p. 95). 280 Présenté d’abord par R. A. Santiago sous le titre « Une inscription ionienne du VIème siècle » au IXe Congrès International d’Épigraphie Grecque et Latine (Sofia, 30 août-7 septembre 1987). 281 Le Ps.-Scymnos 203–204 évoque Emporion, fondée par des Phocéens de Marseille. 282 Pour les documents sur plomb, voir Salviat 1988 (deux en grec, à Emporion et Pech Maho ; quatre en ibère, à Emporion, Pech Maho, Ensérune et Gruissan). Depuis, le nombre des plombs en grec et en ibère a considérablement augmenté dans la région. 283 Peuplade dont le chef-lieu se trouvait sans doute dans l’étonnante ville fortifiée d’Ullastret, à environ 15 km au sud d’Emporion. 275 276
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fondations phocéennes284. Ville ouverte vers la mer, plus commerçante qu’artisanale, Emporion se caractérise par sa proximité avec les indigènes285. Elle occupe une place de choix parmi les implantations commerciales des Phocéens d’Occident, dans le cadre du réseau massaliète dans le Languedoc et dans l’Ampurdan, ainsi que dans les échanges avec les populations locales, notamment les Ibères286. On attendait, au début de la lettre, le nom de l’expéditeur au nominatif et, au datif, celui du destinataire, dans la formulation simple qui caractérise la fin de l’époque archaïque, avant une forme verbale. Les premiers éditeurs pensaient ainsi à une phrase préalable : « Occupe-toi – e.g. ἐπιμελήθητι - … ὄ[κ]ως … ἔσηι » ; ils croyaient même apercevoir sur la tablette, en dessous de la première ligne, des vestiges d’une autre écriture, signe d’une réutilisation du plomb287, ce qui est improbable. Tout aussi improbable est l’existence d’une autre ligne inscrite en dessus, avec le prescrit, dont il resterait des traces. La première ligne conservée est bel et bien la première ligne de la lettre. Avant la partie conservée de la première ligne, il ne reste de la place que pour le nom de l’expéditeur, suivi peut-être de celui de son correspondant, qui reçoit la première instruction en rapport avec Saiganthè – qui se trouve à une distance non négligeable d’Emporion. Le contenu n’est pas toujours facile à saisir, en raison de l’état fragmentaire du plomb. On comprend toutefois que l’auteur donne à son correspondant, à la IIe pers. sg. (l. 1, ἔσηι ; l. 7, σε) des directives pour une série d’actes qui doivent être accomplis soit par lui-même, soit par un tiers, comme le prouvent les impératifs à la IIIe pers. (l. 10, ἔστω ; l. 11, μετεχέτω ; l. 12, κἀπιστλάτω). Aucun nom, à part le mystérieux Basped[–] (ll. 4, 7), n’est mentionné dans la partie conservée. Il est cependant évident qu’il s’agit d’une lettre d’affaires : on reconnaît des ordres pour acheter la moitié de quelque chose ou partager à deux, ou encore des détails pour un remorquage. Le caractère commercial de la lettre est en outre assuré par des termes comme ὀνωνῆσθαι, « acheter » (l. 4), παρακομίσν (l. 5), « transporter (des marchandises) » et le génitif de prix ὀκόσ (l. 12)288. Somme toute, on peut parler du transport, du chargement/déchargement de la marchandise, de sa distribution et de sa commercialisation sur la côte emporitaine ou à une échelle plus étendue. En ce qui concerne la relation entre l’expéditeur et le destinataire, elle reste assez obscure : l’expéditeur serait le patron, et le destinataire l’employé, chargé des actes commerciaux. Il ne faut pas voir dans cette fonction une illustration avant la lettre de l’emploi actuel des agents commerciaux, contre laquelle s’insurge E. M. Harris289. Comme le montre un passage du Contre Phormion (Ps.-Démosthène, Or. 34.6–7), il est possible que cette lettre et d’autres qui donnent des instructions aient été adressées à des esclaves ou à des partenaires d’affaires. Cependant, selon Harris, il n’y a pas de raison de croire qu’il est question d’une relation employeur-employé ou que le destinataire était un agent. Dans aucun des cas, insiste Harris, l’expéditeur ne demande au destinataire de conclure un contrat de sa part avec un tiers. L’état fragmentaire de la lettre ne permet ni d’affirmer l’existence d’un tel contrat, ni de l’infirmer, seulement le fait que celui qui donne les ordres est très impliqué et donne des instructions très précises. Quel qu’il ait été son statut social, il était un homme d’affaires averti des réalités du terrain, employant également des Ibères, tel l’énigmatique Basped[–]. Les rapports des marchands grecs avec les populations locales sont également attestés par la fameuse transaction sur plomb de Pech Maho (IG France 135) – un autre document étonnant publié à la fin des années 1980. Dans ce mémorandum commercial, les témoins portent tous des noms indigènes : soit ibériques, comme Βασιγερρος (cf. Basikeŕe), Γολο[.]βιυρ, Ναλβε[.]ν et peut-être Σεδεγων ; soit non ibériques, comme Βλερυας et [.]αυαρυας290. Almagro 1956 ; Rouillard 1991, p. 244–281 ; Pena 1992 ; Plana Mallart 1994 (en partic. p. 33–34, sur Pech Maho) ; Domínguez 2004, p. 164–165, n° 2 ; Domínguez 2006a, p. 476–481 ; Aquilué et alii 2010 ; Demetriou 2012, p. 24–63 ; Oller Guzmán 2013b ; M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 39–40 ; Gailledrat 2014, p. 162–166. 285 Strabon 3.4.8 (C. 160) ; Tite-Live 34.9–10 ; Pline l’Ancien, NH 3.22. 286 Miró/Santos 2014. En général, voir de Hoz (M. P.)/Mora 2013. 287 Santiago/Sanmartí 1988, p. 100. 288 Voir le comm. de Wilson 1997–1998, p. 47. En contexte régional, voir de Hoz (J.) 2013. 289 Harris 2013, p. 122. 290 Cf. Ruiz Darasse 2010. Pour la présence des Ibères dans ce milieu commercial et les rapports avec les Grecs, voir Sanmartí et alii 1991 (des graffites) ; Santiago Álvarez 1991a ; de Hoz (J.) 1991 (qui critique l’image des rapports passifs avec les Grecs). Cf. aussi de Hoz (J.) 1993, p. 658 et n. 64 ; Sanmartí-Grego 1993 ; de Hoz (J.) 1999 (en partic. p. 72–73 et 82) ; Ampolo/Caruso 1990– 1991 ; Domínguez 2010, p. 33–36 ; Rouillard/Plana-Mallart/Moret 2015, en partic. 202 (plombs commerciaux de Pech Maho et d’Emporion). 284
68. Lettre sur plomb mentionnant Atielar[‒] (Emporion)
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L’expéditeur ordonne à son destinataire de charger Basped[–] d’acheter des produits à Saiganthè (du vin ?) et lui ordonne également de le remorquer, sans doute avec la marchandise. En raison de la présence du verbe ἀναβοᾶν (l. 5), on peut se demander s’il n’est pas également question d’un litige qui implique Basped[–] ou le destinataire. Le sens des affaires de l’expéditeur ressort non seulement de sa capacité d’organiser ces opérations complexes, impliquant des quantités assez importantes de marchandises, mais aussi de son habilité de négociation : il propose ainsi un pourcentage des bénéfices ou des produits. L’auteur de la lettre, qui attend une réponse rapide, doit habiter dans le réseau phocéen entre Emporion et Massalia ; cette dernière serait une bonne candidate, de l’avis des premiers éditeurs291. Du contenu de la lettre, qui évoque le commerce par voie maritime ou fluviale, on peut déduire qu’Emporion possédait une infrastructure et des établissements publics et privés adaptés au négoce. Si l’on s’intéresse à l’expression écrite du message, nous sommes devant un exemple de style spontané, dans un dialecte, l’ionien292, qui, jusqu’à la publication de plusieurs lettres privées, était connu plutôt par des expressions élaborées des œuvres littéraires ou par le langage officiel des inscriptions. Cette lettre privée, à l’instar de celle d’Achillodôros de Berezan’ (25), est rédigée par une personne qui adapte sa manière d’écrire à sa façon de parler. Le sujet nous introduit dans la vie quotidienne, loin de tout formalisme. Découverte en 1985, cette missive est la plus ancienne ‒ et la plus longue ‒ des trois lettres fragmentaires sur plomb d’Emporion, les deux autres étant trouvées en 1950 (69) et en 1987 (68, opisthographe). Concernant les pratiques de l’écriture en grec (l’écriture ibérique y occupe une place importante)293, Emporion a également livré des graffites sur céramique (IG España Portugal 1–83), dont un ostrakon avec 5 lignes fragmentaires (IG España Portugal 127) et un exercice d’écriture (IG España Portugal 128), et, sur plomb, deux defixiones (IG España Portugal 132–133)294. Ce dernier matériau était particulièrement répandu dans la Péninsule Ibérique, ce qui explique également son emploi privilégié comme support graphique aussi bien par les Grecs que par les populations locales. Le nom rapporté par Hécatée d’une cité des Mastiens, sur la côte méridionale de la péninsule, Μολυβδίνη295, illustre bien l’abondance du plomb (μόλυβδος) dans cette région minière296.
68. Lettre sur plomb mentionnant Atielar[‒] (Emporion)
68. Lettre sur plomb mentionnant Atielar[‒] (Emporion) Découverte, contexte : fragment de tablette de plomb découverte le 15 mai 1987, lors des fouilles réalisées à l’intérieur de la muraille grecque de la ville d’Emporion, dans le carreau 5023 (fouille 87 MN 5000) ; le contexte céramique indique la première moitié du IVe s. Support, mise en page : fragment vaguement rectangulaire (6,3 × 4 cm ; ép. 0,1 cm ; poids 12 gr.), brisé de tous les côtés, à l’exception du bord inférieur du recto (qui correspond au bord supérieur du verso), qui est bien conservé et net. On observe des déchirures et des parties très corrodées. Le fragment comporte 10 lignes au recto et 3 lignes au verso. Les éditeurs ont supposé que seule la partie centrale de la lettre a été conservée ; en réalité, on observe aisément la disposition stoichèdon des lettres, qui est, comme d’habitude, plus fidèle à gauche qu’à droite (la même disposition stoichèdon se retrouve au verso). Aux ll. 3 et 6, on aperçoit un espace vide avant le début des lignes ; il doit correspondre au bord gauche de la lamelle, conservé uniquement à l’endroit de la l. 6 ; il résulte qu’au verso toute la partie gauche des trois lignes de texte est conservée. Malgré la disposition du type stoichèdon intégral, sur les deux faces, la coupe syllabique semble avoir été respectée. La plaquette a été pliée (plutôt qu’enroulée), gardant le contenu de la lettre à l’intérieur, de façon que l’adresse externe, inscrite au verso, soit visible ; pour y inscrire l’adresse, la lamelle, une fois pliée, a été retournée dans le sens de la hauteur. Au recto, l. 7, le graveur a corrigé un êta en kappa, s’étant rendu compte que le mot qui suivait la négation οὐ(κ) commençait par une voyelle.
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Sanmartí-Grego/Santiago 1988, p. 16. Sur les traits dialectaux à Emporion, voir Santiago 1993. Pour la diffusion de l’écriture, voir Boffa 2015. Curbera 1997. Hécatée, FGrHist 1 F 44, cité par Étienne de Byzance, s. v. Μολυβδάνη, πόλις Μαστιηνῶν. Ἑκαταῖος Εὐρώπῃ (Μολυβδίνα
ms.). 296
Rouillard 1991, p. 282.
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Dialecte : ionien oriental. Possible notation de la diphtongue ei par epsilon (A, l. 3). Conjonction ionienne ἤν (A, l. 5) ; pronom ionien κεῖνο, si la lecture est correcte (A, l. 9). Psilose οὐκ ἠδύ (A, l. 7). Paléographie : lettres bien gravées mais irrégulières ; ht. des lettres : 0,3–0,4 cm (ny, rho et alpha du verso), 0,7 cm (certains ny, alpha et rho du verso), voire moins de 0,3 cm (l’ômega très ouvert et aplati) ; interligne variable, les lignes n’étant pas droites. Lettres remarquables : petit thêta à croix (A, l. 3) ; my avec les deux moitiés déconnectées (A, l. 10) ; ny avec la haste droite plus haute ; possible xi non barré (A, l. 9) ; upsilon sans haste verticale (A, l. 7) ; petit ômega écarté et aplati (A, ll. 3, 4, 6). Date : ca. 500–450. Conservation : Museu d’Arqueologia de Catalunya, Empúries (inv. 8381). Édition : Santiago/Sanmartí 1989 (avec trad. fr.) (cf. L. Dubois, BÉ, 1990, 848) ; Santiago 1990d (avec trad. fr.) (= SEG XXXIX 1088) ; Santiago Álvarez 1991a (avec trad. esp.) ; de Hoz (M. P.) 1997, p. 41–42, n° 2.15 (cf. HispEpigr, 7, 1997, n° 332) ; IGAI 8 (H. Rodríguez-Somolinos, 1998, p. 354–355, avec trad. esp.) ; Gangutia Elícegui 1999, p. 13 (avec trad. esp.) ; Canós i Villena 2002, p. 40–41, n° 6 (en maj.) ; Jordan 2003, p. 35, n° XII (en maj.) ; Jordan 2007, p. 1362, n° XII (en maj.) ; Ceccarelli 2013, p. 347, n° 24 (avec trad. angl.) ; de Hoz (J.) 2013, p. 56 ; Santiago Álvarez 2013a, p. 222–224 (avec trad. esp.) (cf. SEG LXIV 890) ; IG España Portugal 130 (M. P. de Hoz, 2014, p. 122–124). Bibliographie : Santiago 1988, p. 120 ; Henry 1991, p. 65 n. 2 (D.ii) ; Santiago 1993, p. 284–285 (n. 21), 291, 293 ; Slings 1994, p. 112, 114–115 (cf. SEG XLIV 852) ; de Hoz (J.) 1995, p. 170 ; Decourt 1999, p. 94–95 ; Santiago Álvarez 1999, p. 262–267 ; Jordan 2000a, p. 92, n° 8 ; Henry 2001, p. 767 (D.2) ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (D3) ; Cordano 2005, p. 45 ; Dana 2007a, p. 68 (D3) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 52 (D1) ; Demetriou 2012, p. 41 (et texte gr.) ; Decourt 2014, p. 52, n° 10. Illustrations : Santiago/Sanmartí 1989, p. 37 (dessin, recto et verso) et Pl. I.ab (ph., recto et verso) ; Canós i Villena 2002, Pl. V.6 (ph., recto et verso) ; Santiago Álvarez 2013a, p. 223, fig. 4–5 (ph., recto et verso) ; IG España Portugal (2014), p. 123 (ph., recto) et 124 (ph., verso) ; Dana 2015a, p. 325, fig. 5 (ph. du verso). Note sur l’édition : édition soignée de Santiago et Sanmartí (1989). D’autres éditions : Santiago (1990 ; suivie par M. P. de Hoz 1997 et Rodríguez-Somolinos 1998) ; M. P. de Hoz (1997 ; suivie par Ceccarelli 2013, J. de Hoz 2013 et Decourt 2014) ; Jordan (2003, 2007) ; Santiago (2013) ; M. P. de Hoz (2014). L’autopsie du document au musée d’Empúries, à présent en moins bon état qu’au moment de la découverte, et notamment des clichés de qualité, dont certains d’avant la dégradation de la lamelle, ont permis l’établissement du fac-similé et du texte critique. Ma transcription fait état de la psilose (cf. A, l. 7).
Fig. 194. Cliché ancien de la lamelle (recto).
Fig. 195. Cliché plus récent de la lamelle (recto) (Pl. XVI).
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68. Lettre sur plomb mentionnant Atielar[‒] (Emporion)
4
8
[ [.]Λ+[ ΔΙΣΟ++[ ὠνσθα[ι ὀνωνῆσ[θαι? ἤν τις Σ[ αὐτῶι +[ οὐκ ἠδὺ [ νος ἐς Α[ ξε κεινο[ μοι καὶ Ο[ vac.
] ] ] ] ] ] ] ] ] ] ]
1 ]ΛΙ[ edd. || 2 ]δις [.]ο[ Santiago/Sanmartí, de Hoz 2014 : δὶς [τ]ό[σσον] Santiago 1990 et 2013 : ]ΔΙΣ[---]Ο[ Canós i Villena : ]ΔΙΣ[.]Ο[ Jordan || 3 ]ων[ca. 2]θ[ Sant./Sanm., de Hoz 2014 : ὤν[ησ]θ[ε] Sant. 1990 : ]ΩΝ[---]Ν Can. i Vill. : ]ΩΝ[ca. 3]Ν[ Jord. : ὠν[ήσομαι] Sant. 2013 : ὠνσθα[ι] Dana || 4 ]ονησ[ Sant./Sanm. (cf. ὀνήσ[ιμος]) : ]ον ὀνῆσ[αι] Sant. 1990 : ὀνονῆσ[θαι?] Slings, Sant. 2013 : ]ΟΝ ΟΝΗ[ Can. i Vill. : ]ΟΝ[?]ΟΝΗ[ Jord. : ὀνονῆσ[αι] de Hoz 2014 : ὀνωνῆσ[θαι?] Fig. 196. Fac-similé de la lamelle (recto). Dana || 5 Sant./Sanm., de Hoz 2014 : ]ΗΝ ΤΙΣ [ Can. i Vill. : ἤν τις [θέληι] Sant. 1990 : ]ΗΝΤΙΣ[ Jord. (Σ/Ε) : ἤν τις Ceccarelli, Sant. 2013 || 6 αὐτῶι δ[ὲ] Sant./Sanm., Sant. 1990 et 2013 : ] ΑΥΤΩΙ [ Can. i Vill. : ]ΑΝΤΩΙΣ[ Jord. (Ν/Υ, Σ/Δ) : αὐτῶι δ[ de Hoz 2014 || 7 ΟΥ⟦Η⟧Κ plumbum || οὐ⟦η⟧κ ἠδυ[νάμην?] vel οὐ⟦η⟧κ ἠδύ Sant./Sanm. : οὐ⟦η⟧κ ἠδύ Sant. 1990, de Hoz 2014 : ]ΟΥ Κ ΗΔ[ Can. i Vill. : ]ΟΥ⟦Η⟧ΚΗΑ[ Jord. : οὐ⟦η⟧κ ἠδυ[ Cecc. || 8 [οἶ]νος ἐς Ἀ[ Sant./Sanm., Sant. 2013 : ]νος ἐς Ἀ[… ἦλθε] Sant. 1990 : ]ΝΟΣ ΕΣ Α[ Can. i Vill. : ]ΝΟΥΕΣΑ[ Jord. (Υ/Σ) : ]νος ἐς Ἀ[ Cecc., de Hoz 2014 || 9 [ἔπρη]ξε κεῖνο[ς] vel [ἐν]εγκεῖν ο[ Sant./Sanm. : [ἔπρη]ξε κεῖνο Sant. 1990 : ]ΕΙ ΚΕΙΝ[ Can. i Vill. : ]ΕΓΚΕΙΝ[ Jord. (Ε/Ξ) : [ἔλ]ξε κεῖνο Sant. 2013 : ]ει κεῖνο de Hoz 2014 || 10 [ἄ]λλοι καὶ Ο[ Sant./Sanm., Sant. 1990, de Hoz 2014 : ]λλοι καὶ ὀ[ Sant. 2013 : μοι καὶ Ο[ Dana
Fig. 197. Cliché ancien de la lamelle (verso).
Fig. 198. Cliché récent de la lamelle (verso) (Pl. XVI).
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Verso (adresse externe) Ατιελαρ[– ] +ΣΗΣΑΣΑ[ ] ἄνδρα NΑ[ ] vac.
Inscriptio – 1 ]AΤΙΕΛΑΡ[ de Hoz 1997, Jord., Cecc., Decourt : [παρ]ὰ Τιελαρ[ Sant./Sanm., Sant. 1990 et 2013 : ]A ΤΙΕΛΑΡ[ Can. i Vill. || 2 ]ασασα[ Sant./Sanm. : ]ασ.ασλ[ Sant. 1990 (]ΑΣ[.]ΑΣΛ[ Cecc.) : ]Α[Σ] ΑΣΛ[ Can. i Vill. : ]Ι[.]ΥΑΣΑ[ Jord. (Ι/Μ) : ]α[..]λ[ Sant. 2013 : ]ασ.ασλ Dec. : ]++ασα[ de Hoz 2014 || 3 Sant./Sanm. : ἄνδρα να[ύκληρον] Sant. 1990 : ]ΑΝΔΡΑ Ν[ Can. i Vill. : ]ΑΝΔΡΑΝ[ Jord. : ἄνδρα να[ Sant. 2013 : ἄνδρα N[ de Hoz 2014
Fig. 199. Fac-similé de la lamelle (verso, adresse externe).
L’état très fragmentaire de la lamelle ne permet pas de donner une traduction cohérente. Dans l’adresse externe, le nom d’Atielar[–] désigne soit l’expéditeur soit le destinataire. Recto L. 2 : la restitution δὶς [τ]ό[σσον] proposée par R. A. Santiago est suivie par la plupart des éditeurs, alors que M. P. de Hoz préfère garder la transcription des premiers éditeurs. Cette dernière position me paraît en effet plus prudente, car je lis ΔΙΣΟ et deux traces de lettres. L. 3 : pour cette ligne, très affectée par la corrosion, les propositions des éditeurs sont largement le fruit de restitutions : ainsi, Santiago proposa ὤν[ησ]θ[ε] en 1990 et ὠν[ήσομαι] en 2013. Sur les photos, je parviens à lire ΩΝΕΣΘΑ[, ce qui donne ὠνσθα[ι], graphie ionienne de ὠνεῖσθαι, attestée dans le décret sur le monnayage d’Olbia du Pont297 et à Thasos (IG XII.Suppl. 347). On retrouve [ὠνε]ῖσθαι, avec le même sens d’« acheter », dans la lettre sur plomb de Toronè (14, l. 2). L. 4 : La lecture [---]ον ὀνῆσ[αι ---], proposée par Santiago en 1990, a inspiré les autres éditeurs et commentateurs ; elle permettait de restituer la fin d’un nom ou d’un pronom à l’acc. masc. sg. régi par l’inf. du verbe ὀνίνημι (« être profitable à », « être avantageux pour »), qui se construit précisément avec l’accusatif. En fonction de la restitution adoptée, on aurait pu lire soit l’inf. aor. actif ὀνῆσ[αι], soit l’inf. aor. moyen-passif ὀνῆσ[θαι]. À partir de la forme ὀνωνῆσθαι présente dans une autre lettre sur plomb d’Emporion (67, l. 4), qui est un inf. parfait avec réduplication du verbe ὠνέομαι (« acheter »), S. R. Slings propose avec prudence la lecture alternative ὀνονῆσ[θαι] ; il explique la seconde syllabe brève par le participe ὀνονημένα dans une dédicace à Héra des ressortissants périnthiens à Samos, au VIe s. (IG XII.6.2 577, l. 14)298. Cependant, sur les photos, je parviens à lire ὀνωνῆσ[θαι], exactement la même forme que dans la lettre déjà mentionnée d’Emporion, ce qui évite les spéculations de Slings. L. 5 : la restitution proposée par Santiago, ἤν τις [θέληι], est basée sur le parallèle avec une autre lettre sur plomb d’Emporion (67, l. 10 : κἂν αὐτὸς θέλη[ι]). Cependant, la perte de la partie droite de la tablette ne per297 298
Syll.3 218, l. 7 = IOSPE I² 24 = I. Kalchedon 16 = I. dial. Olbia Pont 14 = Müller 2010, DE 19. Slings 1994, p. 112, 114–115 ; Santiago Álvarez 1999, p. 262–267, 271.
68. Lettre sur plomb mentionnant Atielar[‒] (Emporion)
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met pas de lire le mot qui suivait le pronom indéfini, mot qui commençait sans doute par un sigma. La forme contracte ἤν de la conjonction conditionnelle εἰ et de la particule modale ἄν est caractéristique de l’ionien (voir aussi la lettre sur plomb d’Emporion, 67, ll. 1, 9, 10, 11), par rapport aux formes attiques ἐάν ou ἄν. Ce début de conditionnelle ἤν τις garantit un texte rédigé en dialecte phocéen colonial. L. 6 : l’espace vide avant αὐτῶι, sans aucune trace de lettre, indique le bord gauche de la lamelle. L. 7 : on remarque un kappa gravé par-dessus un êta, sans aucun doute une correction faite par le graveur même : il aurait écrit de manière automatique la négation οὐ, suivie de la première lettre du mot suivant, êta ; puis, se rendant compte que ce mot commençait par une voyelle, il aurait corrigé l’erreur. Les premiers éditeurs avaient proposé de restituer οὐ⟦η⟧κ ἠδυ[νάμην?], bien que dans leur commentaire ils avancent également la lecture οὐ⟦η⟧κ ἠδύ, adoptée par la suite par la grande majorité des éditeurs. Dans sa reprise du document, Santiago299 préfère explicitement la lecture οὐ⟦η⟧κ ἠδύ à οὐ⟦η⟧κ ἠδυ[νάμην], en raison d’un argument linguistique : en dialecte ionien la forme habituelle est ἐδυνάμην (cf. Hérodote 7.134, 9.45 : οὐκ ἐδύνατο), alors que la forme ἠδυνάμην n’est utilisée que pour des raisons métriques et dans les inscriptions attiques après 300. La séquence οὐκ ἠδύ rend compte de la psilose, courante en ionien. L. 8 : la terminaison -ος peut être celle d’un nom ou d’un pronom au nominatif ; les premiers éditeurs ont pensé à la restitution [οἶ]νος ἐς Ἀ[---], « du vin ? destiné à ». L. 9 : les premiers éditeurs ont restitué la forme d’aor. ionien [ἔπρη]ξε (cf. le futur πρήξω dans la lettre d’Agathè, 63, A, l. 4), suivie du pronom ionien κεῖνος, plutôt que la forme attique [ἔπρα]ξ᾿ ἐκεῖνος, sans écarter la lecture alternative [ἐν]εγκεῖν ο[---]. La difficulté vient à la fois du détachement d’un petit fragment du bord gauche de la lamelle, qui affecte la première lettre (xi ou epsilon), et d’un accident qui affecte la lettre suivante (epsilon ou gamma). Il me semble plus judicieux de reconnaître un xi non barré ; en outre, les hastes sont parfaitement horizontales, alors que les hastes des epsilon sur notre plomb sont légèrement penchées vers la droite. La lettre suivante pourrait être un epsilon (plutôt qu’un gamma). || Pour la suite, Santiago (1990) propose de lire le neutre du pronom démonstratif ionien κεῖνο, et non le masculin κεῖνος. En effet, le neutre apparaît sur le plomb commercial de Pech Maho (IG France 135, ll. 5–6). On peut également penser à une forme de génitif ionien du pronom (κείν). Enfin, Santiago proposa en 2013 [ἔλ]ξ κεῖνο, forme de futur IIIe pers. sg. actif (avec la graphie -- pour -ει), du verbe ἕλκω, » remorquer », présent dans l’autre lettre d’Emporion (67, l. 8) ; sur la base de cette nouvelle lecture, elle suppose une référence à un navire (πλοῖον). L. 10 : les autres éditeurs ont explique cette ligne par un changement de disposition du rédacteur, qui, réalisant qu’il devait finir son message, avait renoncé au stoichèdon et gravé des caractères plus petits, avec deux lambda très rapprochés. La plupart des éditeurs restituent ainsi [ἄ]λλοι καὶ Ο[---] ; on peut également penser à [πο]λλοὶ καὶ Ο[---]. Si toutefois on regarde avec attention l’ensemble de la ligne, on remarque que le stoichèdon est respecté pour tous les autres caractères. La seule solution est de supposer que la première lettre est en réalité un my avec les deux moitiés déconnectées. On lit ainsi μοι, un dat. Ière pers. sg., troisième forme pronominale dans ce texte fragmentaire – qui concerne ici, à la dernière ligne du contenu, précisément l’expéditeur de la lettre. Verso (adresse externe) L. 1 : la séquence restituée par les premiers éditeurs [παρ]ὰ Τιελαρ[–] s’inspire de l’adresse extérieure de la fameuse « lettre de Berezan’ » (25) : Ἀχιλλοδώρ τὸ μολί|βδιον· παρὰ τὸμ παῖδα | κἀναξαγόρην. Étant donné la difficulté de restituer la préposition παρά à partir d’une seule lettre, M. P. de Hoz préfère quant à elle de rester plus prudente. Mon examen de la tablette me conduit à reconnaître le bord gauche (cf. la conservation du bord gauche sur la face A, au niveau de la l. 6), ce qui ne laisse pas de place pour la préposition. Même si l’on écarte la restitution de la préposition, nous sommes certainement en présence d’une adresse externe, gravée en stoichèdon intégral. Ατιελαρ[–] était par conséquent soit l’expéditeur (au nominatif), soit le destinataire (au datif)300. Le caractère non grec du nom est manifeste, comme dans le cas du nom ibérique Βασπεδ[‒], présent deux fois sur une autre lettre sur plomb d’Emporion (66, ll. 4 et 7). Les premiers éditeurs ont supposé 299 300
Santiago 1990, p. 176. Les deux possibilités de lecture de ce nom indigène sont mentionnées par Santiago Álvarez 2013a, p. 223 (n. 88) et 224.
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
que *Τιελαρ[‒] était un nom étrusque, en accord avec leur hypothèse de l’envoi de la lettre depuis une colonie phocéenne occidentale, telle Massalia ou Velia301. Pourtant, il est plus vraisemblable de voir en Ατιελαρ[–] un nom ibérique302, avec le suffixe -ar. Comme parallèles, on peut citer atilar, attesté deux fois à Osséja (Pyrénées-Orientales)303, dans des inscriptions rupestres304, et enatilar (plutôt qu’enatil), attesté à Emporion même, sur le plomb MLH III C.1.5 (cf. BDHesp. Onom. 5895)305. L. 2 : ligne très abîmée, avec les traces de sept lettres. Je lis +ΣΗΣΑΣΑ[---] ; on pourrait avoir, e.g., [–]|+σήσασα, un participe aor. actif fém. sg. d’un verbe contracte en -σέω. L. 3 : on lit ἄνδρα NΑ[---]. Selon Santiago et Sanmartí, le mot ἄνδρα ferait partie d’une apposition explicative du nom *Tielar[–], dans le but d’indiquer son métier ou son origine. La suite de cette apposition, à l’accusatif, est restitué par Santiago comme να[ύκληρον]. Bien qu’il soit assez tentant d’y reconnaître un armateur306, cette formule reste sans parallèles. Qui plus est, entre le nom propre de la l. 1 et cette séquence une ligne et demie a été gravée, sans doute avec des indications de livraison ou un résumé du contenu, à l’instar des lettres de Mnèsiergos (6) ou d’Achillodôros (25). Commentaire : Il est bien difficile de proposer un commentaire d’ensemble pour ce document fragmentaire, où seulement quelques séquences ou mots isolés ont pu être identifiés. Ces mots peuvent toutefois être inclus dans le vocabulaire habituel des lettres échangées entre les partenaires d’affaires de la région : par deux fois « acheter » (A, ll. 3 et 4), des incertitudes (« si quelqu’un », A, l. 5), des allusions à des marchandises (A, ll. 7–8) ou à leur qualité (A, l. 7), voire à des personnes (A, ll. 6, 9 et 10 ; B, ll. 1 et 3). Non seulement l’alphabet est ionien, comme attendu, mais le texte, malgré son caractère fragmentaire, est rédigé en dialecte ionien, avec le démonstratif ionien κεῖνο (A, l. 9), la forme contracte ἤν (A, l. 5) et une psilose qui est garantie par la bévue du graveur (A, l. 7). La paléographie et ces traits dialectaux nous orientent vers la première moitié du Ve s. Enfin, la présence d’un nom propre, qui plus est indigène (B, l. 1), soit celui du destinataire soit celui de l’expéditeur de la missive, ainsi qu’un détail énigmatique (pour nous) dans la même adresse externe (B, l. 3 : ἄνδρα NΑ[---]), renforcent la conviction que l’on a affaire à une lettre privée et non pas à un autre type de document sur plomb, par exemple un contrat commercial. Ce plomb grec d’Emporion représente une autre lettre commerciale fragmentaire, selon l’intuition juste des premiers éditeurs307.
69. Message sur plomb au sujet de Pythagorès et d’Agathoklès (Emporion)
69. Message sur plomb au sujet de Pythagorès et d’Agathoklès (Emporion) Découverte, contexte : lamelle de plomb retrouvée enroulée de façon très serrée en 1950 dans un contexte hellénistique tardif (journal de fouilles d’Emili Gandía), lors des fouilles dans le vestibule de la basilique paléochrétienne, dont la paroi du sud est le mur de fond de la stoa d’époque hellénistique, à Neapolis. Support, mise en page : lamelle très fine de plomb, fragmentaire, de forme presque rectangulaire (4,5 × 7,3 cm). Retrouvée dans un état avancé d’oxydation, elle est incomplète (brisée à droite, à gauche, en haut et partiellement en bas). Depuis le moment de la découverte et la photo donnée par Martín Almagro, quelques morceaux ont été différemment disposés et un tissu a été collé sur la partie anépigraphe de la lamelle ; un morceau dans la partie droite s’est égaré après le moment de la découverte. 8 lignes de texte sont conservées ; la neuvième (et dernière) devait occuper la partie gauche de la lamelle, dans le segment perdu. Le bord inférieur, bien que partiellement endommagé à gauche, est bien net ; qui plus est, l’espace laissé vide entre l’écriture et le bord inférieur de la tablette représente la preuve qu’il s’agit de l’avant-dernière ligne de la lettre. En bas, à droite, le bord inférieur est conservé, avec une ligne qui a été tracée avant
301 Sur les rapports commerciaux avec les Étrusques, voir Sanmartí/Martí 1974 ; Gli Etruschi da Genova ad Ampurias. Atti del XXIV convegno di studi etruschi ed italici. Marseille-Lattes, 26 settembre-1 ottobre 2002, I-II, Pise-Rome, 2006. 302 Déjà Santiago Álvarez 1991a, p. 221–222 (un autre nom indigène hellénisé). 303 MLH II B.23.14Sup. et B.23.21Sup. ; BDHesp, PYO.07.13 et PYO.07.21 et Onom. 5318, 5324. 304 Même si pour J. Untermann il était l’adaptation du nom gallo-romain Attila, ce qui est douteux. 305 Selon Noemi Moncunill i Martí, que je remercie, l’attribution ibérique n’est pas assurée. 306 Pour ce terme, voir Vélissaropoulos 1980, en partic. p. 48–56. 307 De même, Slings 1994, p. 112.
69. Message sur plomb au sujet de Pythagorès et d’Agathoklès (Emporion)
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de découper le morceau pour la lettre ; de même, à droite en bas, on observe nettement le même cadre tracé pour le découpage, ce qui nous montre qu’on est en présence du bord droit de la lamelle308. En raison de la disposition du type stoichèdon intégral, du moins pour les premières lignes conservées, la coupe syllabique en fin de ligne devait être aléatoire ; elle n’est pas respectée après l’abandon du stoichèdon (ainsi, l. 8). Il est néanmoins difficile d’estimer les dimensions réelles de la lamelle initiale. Les cinq traces de pliage encore visibles laissent entendre que la tablette comportait plus de six volets, certainement davantage étant donné qu’elle a été enroulée serrée ; seules les parties centrale et droite sont conservées. Puisque les volets s’agrandissent progressivement de droite vers la gauche, on peut conclure que c’est dans ce sens que la lettre a été enroulée. On ignore combien de lignes manquent dans la partie supérieure ; les bords, crantés, indiquent la perte de morceaux de la lamelle. Dialecte : ionien oriental. A long noté par êta. Des formes non contractes : le verbe [---]έει (l. 2), les pronoms ὐμέων et ὐμέας (ll. 2, 7). Paléographie : écriture régulière, en quasi-stoichèdon, pour les cinq premières lignes ; lettres bien incisées ; ht. des lettres : 0,3–0,4 cm. La forme des lettres (alpha à la haste verticale légèrement oblique ; thêta pointé ; ny à seconde haste verticale plus haute que la première ; pi à seconde haste verticale plus courte ; sigma à quatre branches légèrement écartées ; upsilon sans haste verticale), ainsi que les traits dialectaux indiquent une datation dans le courant du Ve s.309 – selon R. A. Santiago, autour de 450310. Date : ca. 450. Conservation : Museu d’Arqueologia de Catalunya, Empúries (inv. 2669). Éditions : Almagro 1952, p. 34–36, n° 21 (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1955, 282 et 1956, 357 ; cf. une transcription dans les archives de L. H. Jeffery, Poinikastas n° 1029) ; Jordan 1985, p. 183–184, nº 134 (cf. SEG XXXV 1071 ; cf. Henry 1991, p. 65 n. 2) ; Santiago 1993, p. 288–289 ; de Hoz (M. P.) 1997, p. 42–43, n° 2.16 (cf. SEG XLVII 1533 ; cf. HispEpigr, 7, 1997, nº 333) ; IGAI 5 (H. Rodríguez-Somolinos, 1998, p. 346–347, avec trad. esp.) ; Gangutia Elícegui 1999, p. 13 (avec trad. esp.) ; Canós i Villena 2002, p. 39–40, n° 5 (en maj.) ; Jordan 2003, p. 35, n° XIII (en maj.) ; Jordan 2007, p. 1362–1363, n° XIII (en maj.) ; Ramírez Sádaba 2009, p. 61, n° 6.1.6 ; Ceccarelli 2013, p. 348, n° 26 ; IG España Portugal 131 (M. P. de Hoz, 2014, p. 125–126). Bibliographie : Bravo 1974, p. 114, n° 5 ; Pericay 1974, p. 242 ; Prescott Piera 1977, p. 829–830 (avec la lecture de L. H. Jeffery, l. 5) ; Jordan 1980, p. 227 n. 9 ; Santiago 1988, p. 120 ; LSAG², 1990, p. 287–288, n° 5 (L. H. Jeffery) ; Millett 1991, p. 260 ; Pena 1992, p. 140–141 (cf. SEG XLII 973) ; Santiago 1993, p. 282, 288 n. 35 ; Plana Mallart 1994, p. 37 ; de Hoz (J.) 1995, p. 169 ; Gangutia Elícegui 1999, p. 5 ; Jordan 2000a, p. 92, n° 9 ; Prescott 2002, p. 255–256 ; Dana 2004, p. 1 n. 2 (D1) ; Domínguez 2004, p. 164–165 ; Cordano 2005, p. 45 ; Dana 2007a, p. 68 (D1) ; Eidinow/Taylor 2010, p. 53 (D3) ; Demetriou 2012, p. 35 et n. 69 ; Decourt 2014, p. 52, n° 11. Illustrations : Almagro 1952, p. 35 (ph. et dessin) ; L. H. Jeffery (Poinikastas, dessin) ; Canós i Villena 2002, Pl. IV.5 (ph.) ; Prescott 2002, p. 257, fig. 2 (dessin) ; Ramírez Sádaba 2009, p. 74, fig. 3 (ph. et dessin) ; IG España Portugal (2014), p. 125 (ph.). Note sur l’édition : l’édition d’Almagro (1952) a été améliorée par Jordan (2003, 2007) et a bénéficié des observations de Santiago (1993) et de M. P. Hoz (1997, 2014) ; Rodríguez-Somolinos (1998) suit Santiago (1993) ; Ceccarelli (2013) suit Santiago (1993) ; Decourt (2014) suit en grande partie de Hoz (1997) ; Elizabeth Prescott, qui a étudié le plomb au Musée d’Emporion, avait envoyé une photo à John Chadwick et entretenu une correspondance avec ce dernier311. Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, en plus de l’autopsie au musée d’Empúries, j’ai utilisé la photo publiée en 1952 par Martín Almagro ; sur ce cliché d’autres détails sont bien visibles, y compris un petit fragment qui manque à présent ; depuis, l’état de la lamelle s’est dégradé et certaines lettres sont plus effacées. Étant donné la présence de très nombreux traits dialectaux ioniens, ma transcription fait état de la psilose.
Même suggestion chez Jordan 2003, p. 35 et Jordan 2007, p. 1363, d’après la transcription en majuscules. On ne peut en aucun cas la dater au Ier s., comme le pensait le premier éditeur (M. Almagro), en se basant sur le contexte archéologique qui peut à l’évidence être de beaucoup postérieur aux objets retrouvés. 310 Santiago 1993, p. 288 n. 35. Autres dates proposées : VIe–Ve s. (Canós i Villena) ; Ve–IVe s. (Pericay, M. P. de Hoz) ; pas plus tard que le Ve s. (Jeffery) ; fin du Ve ou IVe s. (Jordan) ; Ier s. (Almagro). 311 J. Chadwick, d’après le dialecte, et A. G. Woodhead, d’après la paléographie, datent le document de la fin du VIe ou du début du Ve s. Le premier avait montré ce matériel à L. H. Jeffery. J’ai également utilisé les dessins et la transcription de Jeffery (fiches disponibles sur le site Poinikastas, n° 1029). 308 309
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Fig. 200. Photo ancienne de la lamelle.
Fig. 201. Photo de la lamelle, après restauration (Pl. XVI).
4
8
[ [ [ [ [ [ [ [ [ [αφῆς? ---?
] ]ΚΑ+[2]MΗ[-]++[.] ]έει ὐμέων ΤΗ[.] κ]αὶ Πυθαγόρης Ε] Ἀγαθοκλῆι ΜΕ]ενος Νυμφίτην ]κοες κατοικίσαι ] νόμος ὐμέας τοῦ ]μεθα καὶ τῆς γρ] vac.
Fig. 202. Fac-similé de la lamelle.
1 Καὶ …αυ Almagro : ]ου[ Jeffery : ]και [---]μη[ Santiago : ] καὶ [..]αυ[ de Hoz 1997 : ]ΚΑΙ [---] Α[Υ–] Canós i Villena : ]ΚΑ.[2–3]ΑΟ[2–3].Ν[ Jordan 2003 et 2007 : κα+[..]αυ[ de Hoz 2014 || 2 …έει ὑμέων τη Alm. : ]εει ὐμέων (.)τε Jeff. : ]ξει ὐμέων τη[ Sant. : ]έει ὐμέων τη[ de Hoz 1997 : ]ΕΕΙ ΥΜΕΩΝ ΤΗ[ Can. i Vill. : ]ΕΕΙΥΜΕΩΝΤΗ Jord. 2003 et 2007 : ]έει ὐμέω[ν] τη[ de Hoz 2014 || 3 ι Πυθαγορ…σε Alm. : [?κα]ὶ Πυθαγόρ[η]ς ε Jeff. : [κα]ὶ Πυθαγόρ[η]ς ἐ[ Sant. : ]ι Πυθαγορ[..]σετ[ de Hoz 1997 : ]Ι ΠΥΘΑΓΟΡ[Α] ΣΕ[ Can. i Vill. : ]ΙΠΥΘΑΓΟΡΗΣΕ Jord. 2003 et 2007 (Πυθαγόρης) : ]ι Πυθαγόρ[η]ς ἐ[ de Hoz 2014 || 4 Ἀγαθοκλῃ…με Alm. : Ἀγαθοκλῆ[ς] με [ Jeff., Sant., de Hoz 2014 : Ἀγαθοκληι[.]με [ de Hoz 1997 : ΑΓΑΘΟΚΛ[ΗΙ] ΜΕ Can. i Vill. : ]ΑΓΑΘΟΚΛΗΝΜΕ Jord. 2003 et 2007 (Ἀγαθοκλῆν vel Ἀγαθοκλῆι) : Ἀγαθοκλῆι Pena || 5 …ενος Νυμ( )ρίτην Alm., Decourt (Νυμ[..]ρίτην) : Νυμφίτην Jeff. (et Νυμ[φ]αίτην in marg.) : Νυμ[φ]ηιτην Prescott Piera (apud Jeffery) (et [ΠΑΡΘ]ΕΝΟΣ ΝΥΜΦΙΤΗΝ Prescott 2002) : [οὐδ]ενός νυ μοι τὴν [ Sant. : ]ενος Νυμ[..]ιτην de Hoz 1997 : ]ΕΝΟΣ ΝΥΜ[---]Ι[---]ΤΗΝ Can. i Vill. : ]ΕΝΟΣΝΥΜΦΙΤΗΝ Jord. 2003 et 2007 (Νυμφίτην) : ]ενος νυν μοι [.]την[ de Hoz 2014 || 6 …κο ἐσκατοικίσαι Alm. : [οἴ]κοες (= -κους?) κατοικίσαι Jord. 1985 : ]κοες (= [ἐπή]κοες?) κατοικίσαι Jeff. : [ὄ]κ ἐσκατοικίσαι [ Sant. : [οἴ]κοες κατοικίσαι de Hoz 1997, Dec. : ]ΚΟ ΕΣΚΑΤΟΙΚ[Ι]Σ[ Can. i Vill. : ]ΚΟΕΣΚΑΤΟΙΚΙΣΑΙ Jord. 2003 et 2007 (κατοικίσαι) : ]κο ἐσχατο? vac. 2?[.]σα[?] de Hoz 2014 || 7 νόμος ὑμέας τοῦ Alm., de Hoz 1997 (ὐμέας) : ]ΝΟΜΟΣ ΥΜΕΑΣ ΤΟΥ Can. i Vill. : [διδάσκει ὁ] νόμος Chadwick (apud Presc. 2002) : ]νομος ὑμέας τοῦ Jord. 1985 : ]ΝΟΜΟΣΥΜΕΑΣΤΟΥ Jord. 2003 et 2007 (ὑμέας) : ] νόμος ὐμέας του[ Sant. : ]ι ὄμος ὐμέ[α]ς τοῦ [ de Hoz 2014 || 8–9 …μεθα καὶ τῆς γρ… Alm. : ]μεθα καὶ τῆς γρ(αφῆς?) Jord. 1985 : ]μεθα καὶ τῆς γρ[αφῆς] Jeff., Sant., de Hoz 1997 et 2014 : ]ΜΕΘΑ ΚΑΙ ΤΗΣ ΓΡ Can. i Vill.] : [δεό]μεθα καὶ τῆς γρ|[αφῆς] Presc. 2002 : ΜΕΘΑΚΑΙΤΗΣΓΡ Jord. 2003 et 2007 (‒]μεθα καὶ τῆς γρ-)
L’état fragmentaire du document ne permet pas de proposer une traduction cohérente. L. 2 : on reconnaît la fin d’une forme verbale non contracte (-έει pour -εῖ), suivie du pronom personnel au gén. IIe pers. pl., également non contracte, ὐμέων, un ionisme notoire (cf. l. 7, acc. ὐμέας).
69. Message sur plomb au sujet de Pythagorès et d’Agathoklès (Emporion)
307
L. 3 : un nom au nominatif, Πυθαγόρης, qui présente la graphie ionienne attendue. Cet anthroponyme théophore en rapport avec le culte d’Apollon est très fréquent dans le domaine ionien312, étant bien attesté dans le monde phocéen313. On peut ainsi citer, vers 200, l’épigramme métrique du Massaliète Poseidermos fils de Πυθαγόρης à Lilybée, en Sicile314. À Emporion même, le nom Πυθογένης est attesté dans une defixio du IVe s. (IG España Portugal 132, l. 9). L. 4 : Ἀγαθοκλῆι, un nom banal, au datif, si ma lecture est correcte. L. 5 : A. E. Prescott Piera mentionne la lecture de Lilian Hamilton Jeffery (1915–1986) sur une photo de la lamelle, que la savante avait reçue315 ; Jeffery proposait d’y voir un ethnique à l’accusatif, Νυμ[φ]ηίτην. Sur la photo publiée par Almagro, on lit pourtant Νυμφίτην. Il s’agit selon toute vraisemblance d’un ethnique *Νυμφίτης, inconnu par ailleurs, qui renvoie à un toponyme *Νύμφις, *Νύμφη ou plutôt *Νύμφαιον316. L. 6 : [---]κοες, séquence très difficile, suivie de l’inf. aor. κατοικίσαι. M. J. Pena avait proposé de lire *ἐσκατοικίσαι, comme inf. aor. (non attesté) de *ἐσκατοικίζω, ce qui est toutefois téméraire. R. A. Santiago préfère restituer la forme adverbiale [ὄ]κ (cf. ὀκόσ dans une autre lettre sur plomb d’Emporion [67, l. 12], et ὄκ dans le plomb commercial de Pech Maho, IG France 135, l. 7) ; elle serait suivie d’un inf. ionien, *ἐσκατοικίσαι, du verbe avec un double préfixe *εἰσκατοικίζω, avec le sens de κατοικίσαι πόλιν εἰς τόπον, « placer, établir une cité en un endroit »317. Pour ma part, il est préférable de couper autrement, et de lire κατοικίσαι. L. 7 : νόμος, terme précieux, suivi de la forme pronominale non contracte ionienne ὐμέας (cf. l. 2 : ὐμέων). L. 8–9 : [---]μεθα, désinence verbale (Ière pers. pl. moyen-passif). || Jordan restitue καὶ τῆς γρ|[αφῆς?], avant la fin du texte. S’il s’agit d’un document écrit, on ignore si l’allusion est faite à la loi (νόμος) mentionnée à la l. 7 ou à un autre texte. Commentaire : Le texte est malheureusement très fragmentaire et aucun sens précis ne se dégage. Seuls le bord droit et la partie inférieure du texte sont conservés. Néanmoins, deux anthroponymes (Ἀγαθοκλῆς et Πυθαγόρης) ainsi qu’un ethnique (Νυμφίτης) sont lisibles en entier ; s’ajoutent quelques formes verbales et pronominales, ainsi que des termes notables (κατοικίσαι, νόμος, γρ[αφή?]). L’intérêt du texte consiste également dans son caractère dialectal prononcé. Le caractère du document a été débattu. D. Jordan318, à l’instar de L. H. Jeffery, le considère comme étant une defixio comportant une liste de personnes suivie d’au moins trois lignes319, sans toutefois exclure qu’il puisse s’agir d’une lettre privée. Cette dernière hypothèse avait été avancée dès la publication du document par J. et L. Robert (BÉ, 1955, 282) : « Nous y chercherions un document très différent d’une imprécation, quelque chose comme une lettre publique ou privée (comparable aux inscriptions sur plomb d’Agde, de la Pnyx d’Athènes, d’Olbia ; cf. Bull. 1944, 90, p. 208) ». C’est sans doute cette dernière piste qu’il faut privilégier, en l’absence de toute formule spécifique aux malédictions. Les autres restitutions sont sujettes à caution et ont donné naissance à des interprétations diverses. En lisant κατοικίσαι (l. 6) et νόμος (l. 7), à la suite de D. R. Jordan, M. J. Pena interprète le document comme un fragment de la rédaction d’une loi concernant une cité récemment fondée, confirmant ainsi un passage de Strabon (3.4.8, C. 160) sur l’existence d’un régime politique gréco-indigène à Emporion ; cette hypothèse ne saurait être retenue. En raison des formes pronominales et verbales (Ière et IIe pers.), A. E. Prescott Piera, R. A. Santiago et
Rousset 2014, p. 93. De nombreux exemples à Marseille et au sanctuaire de l’Acapte : Πύθα, Πῦθις, Πυθέας, Πυθίας, Πυθαγόρης, Πυθόκριτος, Πυθῶναξ. Voir Coupry/Giffault 1982, p. 368 ; Curbera 1997, p. 92–93 et n. 8 ; Hermary/Tréziny 2000, p. 153 ; de Hoz (M. P.) 2013, p. 212. À Phocée sont attestés Πυθαγόρας, Πυθάρατος, Πυθέας, Πύθερμος et Πῦθις (LGPN V.A 385–386). 314 SEG XXXIV 954 ; voir Robert 1968, p. 206 (= OMS, VII, p. 150 = Choix d’écrits, p. 138). 315 Prescott Piera 1977, p. 829–830. 316 Pour les ethniques en -ίτης/-ίτας, voir Fraser 2009, p. 65. Une dédicace fragmentaire d’Emporion du Ier s. concerne les Nymphes ou une personne portant un nom théophore en Νυμφ- (IG España Portugal 138). 317 Santiago 1993, p. 289. 318 Jordan 1985, p. 184. 319 Tout en l’insérant dans le catalogue de lettres privées, Decourt 2014, p. 52, n° 11, la qualifie de « défixion ». Selon Pericay, ce texte à caractère inconnu est un plomb privé, mais pas une defixio. 312 313
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
M. P. de Hoz pensent avec plus de vraisemblance à une lettre, probablement commerciale. Si le caractère commercial me paraît peu probable, en l’absence de termes probants, le document est indéniablement un message, qui a tout de l’apparence graphique d’une lettre privée ; il s’inscrit également dans un contexte plus officiel, à l’instar de la lettre sur tesson d’Olbia du Pont adressée aux nauclères (34).
*70. Lettre sur tablette d’argile d’Énergos (Emporion)
*70. Lettre sur tablette d’argile d’Énergos (Emporion) Découverte, contexte : en 1967, un certain E. De Preter, d’origine belge, aurait trouvé dans la baie de Rosas, entre Emporion et L’Escala, une tablette céramique. Il aurait par la suite envoyé des photos et un fac-similé à Günter Dunst, qui a publié le document deux années plus tard sur la base de cette documentation, à présent introuvable. Support, mise en page : tablette rectangulaire d’argile brisée en cinq fragments, dont quatre plus grands, de dimensions à peu près égales, et un cinquième petit, au milieu de la pièce. Plusieurs lignes écrites en boustrophèdon, sans que les caractères respectent systématiquement l’orientation. On observe de petits espaces laissés entre les mots et parfois à l’intérieur du même mot. Le texte semble continuer après la l. 17, peut-être sur l’autre face (sans photo). Présence de l’interponction, sous forme d’un point () (ll. 2, 10, 11). Dialecte : attique, selon G. Dunst (l. 9, πέττειν ; l. 11, Τυρρηνούς) ; cette identification est toutefois problématique. Lettre alpha rajoutée en fin de la l. 5, en dessous. Paléographie : d’après le fac-similé, dont la confrontation avec la photo n’est pas aisée, l’écriture, en boustrophédon, semble très irrégulière. Formes très particulières des lettres : alpha (, ) ; bêta () ; gamma [ (l. 4), (ll. 1, 6), (l. 16)] ; delta () ; epsilon (𐅡) ; êta (cf. epsilon) ; thêta (cf. tau) ; iota (𐌉) ; kappa () ; lambda [, (l. 6), (ll. 12, 17)] ; my () ; ny () ; omikron (𐌏) ; pi ( et , l. 12) ; rhô () ; sigma () ; tau (𐌣) ; upsilon () ; phi (cf. pi) ; chi (cf. kappa) ; ômega (). On constate ainsi l’emploi du même signe pour epsilon et êta, thêta et tau, kappa et chi, pi et phi : pas de distinction de quantité entre les voyelles longues ouvertes et brèves ; les occlusives sourdes seraient notées par les aspirées. Date : ca. 500 (?). Conservation : lieu de conservation inconnu. Éditions : Dunst 1969 (avec trad. all.) (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1971, 727) ; de Hoz (M. P.) 1997, p. 55–56, n° 2.56 (cf. L. Dubois, BÉ, 1998, 569) ; IGAI 4 (H. Rodríguez-Somolinos, 1998, p. 344–345, avec trad. esp.) ; Gangutia Elícegui 1999, p. 12–13 (avec trad. esp.) ; Canós i Villena 2002, p. 100, n° 113 (en maj.) ; Ceccarelli 2013, p. 347–348, n° 25 (avec trad. angl.) ; IG España Portugal 126 (M. P. de Hoz, 2014, p. 112–115, avec trad. esp.). Bibliographie : Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 464 (n° A)-465 ; Santiago 1993, p. 282, 284, 290 ; Gangutia Elícegui 1999, p. 5 (n. 12), 6, 7, 11–12 ; Tremoleda Trilla 2000, p. 27 ; Ceccarelli 2013, p. 43 ; Decourt 2014, p. 32, 39 et 53, n° 14 ; Trippé 2015–2016, p. 63–64 ; Dana 2016, p. 97 et 100. Illustrations : Dunst 1969, p. 147, fig. 1 (dessin de E. De Peter) et Pl. 17.ab (ph. de la tablette et d’un fragment) ; IG España Portugal (2014), p. 113 (ph.). Note sur l’édition : la transcription de Dunst (1969) reste généralement obscure, avec de nombreuses restitutions et corrections d’un texte qui semble mal rédigé en grec. Je reproduis ci-dessous le texte repris dans le corpus des inscriptions grecques de la péninsule ibérique par María Paz de Hoz (2014), qui, en dépit de toutes les difficultés soulevées par ce texte et de ses propres doutes sur l’authenticité du document, a cependant tenté de reprendre avec prudence l’édition de Dunst. La photo reproduite par Dunst dans sa publication de 1969 est presqu’inexploitable, à l’exception du fragment supérieur gauche, repris en détail sans que toutes les lettres soient lisibles ; le fac-similé est à son tour sujet à caution et très peu clair sur des points de détail. En raison de toutes ces questions insolubles, je ne suis en mesure de proposer ni un commentaire à la ligne, ni une traduction.
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*70. Lettre sur tablette d’argile d’Énergos (Emporion)
Fig. 203. Photo de la tablette d’argile.
Fig. 204. Photo d’un fragment de la tablette d’argile.
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16 Fig. 205. Fac-similé de la tablette d’argile (E. De Preter).
Χαῖρε· Ἔνεργος ἀδελφὸς ἐν Ἐμπυλίῳ οὐκ ἰδίου πηλοῦ δεῖ εἴτε ἀ〈σ〉βόλου· ἀλλὰ γὰρ χρη〈σ〉τὰ κέκαυκα ΑΛΕΙΕΙΝ, 〈ὤ〉στεΑ καὶ τῷ χαλκῷ ἀργυρο ΛΠ[ca. 5]ΥΟΙ τῶν κεράμων μέτρου ΜΙ ἀκνύναι τὸ πέττειν ἐν τῷ νόμῳ Π ΕΡΙΕΙ διὰ τοὺς Τυρρηνοὺς ἰπνούς ὁ τοῦ κυβερνήτου φίλος, Τιβεκος, φέρων τὴν ἐπιστολὴν ΕΡΕΙΙΤΕΝ τὴν ἀρχὴν ἐν τῇ{ν} ἀποικίᾳ· οἱ διάφοροι γλαυκοὶ κρατεροὶ καὶ αἱ μέλαιναι ΚΑΛ[?---------------------------]
← → ← → ← → ← → ← → ← → ← → ← → ←
1–2 χαῖρε, (sc. λέγει) Ἔνεργος, ἀδελφὸς ἐν Ἐμπυλίῳ/Ἐμφυλίῳ Dunst || 2 ἐν Ἐμπυλίῳ (Ἀμφυλίῳ?) de Hoz 2014 || 3–4 ἀ(σ)β|όλου Du., de Hoz 2014 : ἀ〈σ〉β|όλου Ceccarelli || 4 χρη〈σ〉τὰ Cecc. || 5 ἀλεί〈φ〉ειν Cecc. || ΟΣΤΕΑΑ tabella : 〈ὥ〉στεΑ Du. : 〈ὤ〉στεΑ Cecc., de Hoz 2014 || vel -ρῳ Du. || 11 ὁ om. de Hoz 2014 || 15 τῇ{ν} Du., de Hoz 2014 : τῆι{ν} Cecc.
Cette tablette d’authenticité douteuse, qui comporte 17 lignes de texte, est considérée par son premier éditeur une lettre privée, envoyé par un certain Énergos à son frère, au sujet de certaines matières, telles l’argile et la suie (ll. 3–4), nécessaires à la fabrication des vases qu’on cuit dans des fours de potier. Le texte semble incomplet et devait continuer au verso ou sur une autre tablette.
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Le support utilisé, une tablette d’argile, était unique au moment de la publication. Depuis, on connaît un exemple dont l’authenticité ne fait pas de doute : une lettre gravée autour de 500 en alphabet parien sur une tablette d’argile, avant cuisson, à Thasos (15), découverte à la fin des années 1960320. Ce qui surprend de prime abord dans le document d’Emporion est son alphabet « unusual », selon A. W. Johnston, qui l’explique comme « a possibly ancient text known only from a bad copy »321. R. A. Santiago, tout en signalant quelques caractéristiques de l’attique, s’étonne du caractère étrange de l’alphabet, ni ionien, ni attique, et estime qu’il est problématique d’utiliser ce texte pour l’épigraphie dialectale emporitaine322. L. Dubois doute fortement à la fois de l’authenticité de la tablette et de la fiabilité de la transcription (BÉ, 1998, 569) : « il faut insister sur le fait qu’il s’agit d’un document apparu dans des conditions très suspectes avec un alphabet comportant des lettres surprenantes dont certaines rappellent plus ou moins des ductus ibériques ; il faut donc être très prudent quant à la transcription qui est ici reprise ». Si l’on examine de plus près le système de transcriptions des signes présents sur la tablette par des caractères grecs323, on reste perplexe devant ce véritable code qui suppose que l’ômega soit rendu par un , les occlusives et les labiales aspirées par les sourdes correspondantes (φ par π, χ par κ, θ par τ), gamma par , tau par 𐌣, et epsilon et êta par 𐅡. Certains de ces caractères évoquent des signes ibériques ou sont même identiques à ce type d’écriture (décliné en plusieurs systèmes), en particulier 𐌣 et 𐅡. Il ressort une nette impression que l’éditeur recrée le texte, pour ne pas dire qu’il l’invente. On est non moins perplexe devant le résultat, car si à la fin le premier éditeur peut proposer des mots grecs, le texte manque souvent de sens. De nombreuses omissions et raccourcis sont supposés, rendant son contenu encore plus obscur. Tout d’abord, on remarque que la praescriptum est inhabituel : la formule de salut χαῖρε précède le nom de l’expéditeur au nominatif, alors que celui de son destinataire (son frère ?) est omis. On peut toutefois penser, si le document est authentique, qu’à cette époque il n’y avait pas de formules épistolaires figées. Une autre difficulté vient du nom même de l’expéditeur, qui est hapax. Bien que le nom Ἔνεργος ne soit pas attesté par ailleurs, il aurait pu avoir été formé sur l’adjectif ἐνεργός, avec un retrait de l’accent sur la première syllabe typique des anthroponymes. Des noms composés avec l’élément ἔργον existent dans le monde grec, par exemple le nom de l’expéditeur d’une lettre sur plomb d’Athènes, Μνησίεργος (6) ; parmi les plus fréquents d’après le LGPN, on peut citer Ἐργοκλῆς, Ἐργοτέλης, Ἐργόφιλος et Ἐργοχάρης. Le nom du toponyme étonne à son tour, car deux lectures sont possibles, d’après le code graphique du document, dat. Ἐμπυλίῳ ou Ἐμφυλίῳ, qui peuvent également évoquer celui d’Emporion324. En outre, le premier éditeur apporte de nombreuses modifications au texte qu’il corrige presque à chaque ligne. Un nom apparemment indigène, Tibékos, bien évidemment hapax, un capitaine et des fours étrusques, enfin, une mention de l’apoikia s’accumulent dans le reste du texte et ouvrent la porte à toutes sortes de spéculations. Le texte demeure donc incompréhensible sur de nombreux points de détail et apparaît, du moins dans la transcription proposée, truffé d’erreurs : or, si les marchands et les artisans auteurs de ces lettres ne sont certainement pas des vertueux de la langue littéraire, ils écrivent pourtant un grec correct ; ils le connaissaient et le parlaient, avec parfois des fautes d’orthographe, mais sans solécismes. Qui plus est, bien que les formules puissent être elliptiques du fait que leurs auteurs évoquaient des affaires connues par seuls les correspondants, le contenu des lettres de ce corpus est toujours logique, étant porteur d’un sens. J’exprime une fois de plus des doutes sur l’authenticité de ce document, ou, du moins, sur la fiabilité du fac-similé de son inventeur. 320 Sur ce support d’écriture et son caractère rarissime en contexte grec, voir Trippé 2015–2016, p. 62–64, qui note à propos du document d’Emporion : « Il convient de se demander si dans ce cas précis le choix de la tablette d’argile n’a pas été dicté par le métier de l’auteur du message : étant potier, c’est tout naturellement qu’il a pu se tourner vers ce type de matériau dont il disposait en abondance et qu’il pouvait cuire lui-même au milieu de ses vases » ; et plus loin : « Les exemples de Thasos et d’Emporion nous montrent cependant que ce type de support n’est pas à négliger et qu’il a très bien pu être privilégié à l’occasion, notamment s’il constituait le matériau le plus commode pour l’auteur en raison de sa facilité d’utilisation (comme c’est le cas pour Energos) ou de sa pérennité ». 321 Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 465. Il date le document vers 500. 322 Santiago 1993, p. 284 et 290. 323 Dunst 1969, p. 147–148. 324 Gangutia Elícegui 1999, p. 11 n. 48 pense qu’Ἐμπύλιον est une graphie spécifique pour rendre la prononciation locale du nom d’Ἐμπόριον.
*71. Jeu de messages sur tesson (Valentia)
311
*71. Jeu de messages sur tesson (Valentia)
*71. Jeu de messages sur tesson (Valentia) Découverte, contexte : tesson découvert à Valentia (auj. Valence), lors de la campagne de fouilles de 1987 sur la Plaza de l’Almoina, secteur B (US 2401). Il est apparu dans une grande fosse de remplissage dans le coin nord-ouest du site, dont les trouvailles les plus récentes datent du VIe s. ap. J.-C. mais qui contient aussi du matériel du IIe s., sans doute utilisé en remploi pour la construction. La Plaza de l’Almoina, qui abritait le forum à l’époque romaine, était depuis le Ve s. le siège de l’évêché et le centre religieux et administratif de la ville. Support, mise en page : tesson de forme triangulaire d’une amphore italienne d’époque républicaine (Lamboglia 2 ?) ; ht. max. : 9 cm ; lg. max. : 17 cm ; ép. 1–1,5 cm. L’ostrakon est opisthographe, le texte étant complet, même si certaines lettres sont moins lisibles, notamment sur la face B. On compte 6 lignes de texte sur la face A et 5 sur la face B. Pour graver la face B, le rédacteur a retourné le tesson dans le sens de la largeur. Coupe syllabique en fin de ligne ; un vacat en fin de la l. 2 (face B). Un ny noté par le graveur au-dessous du dernier mot (A, l. 3) ; un omikron corrigé (à tort !) en ômega (B, l. 4). Face B, l. 5 : ligne gravée tête-bêche. Selon M. P. de Hoz, les traits obliques à la fin des ll. 1 et 4 de la face B seraient des signes d’abréviation, ce qui n’est pas assuré. Dialecte : koinè. Crase banale κἀγώ (A, l. 4) ; élisions τ’ ἀπόγονα et τ’ ἀπώγωνα (A, ll. 5–6 ; B, ll. 3–4). Paléographie : lettres irrégulières, en général bien gravées, parfois serrées ou collées (ht. des lettres : 0,5–1 cm). Forme tardive des caractères : alpha cursif () ; pi à barre horizontale dépassante ; forme carrée avec des apices du sigma (𐅝) et de l’ômega (, avec la haste médiane dépassante en bas) et parfois de l’omikron (A, l. 4 ; B, ll. 1, 2, 3 : ). En rapport avec leur compréhension du texte, les éditeurs pensent que l’écriture de la face B est différente de celle de la face A, indice de deux mains distinctes. Il est difficile de trancher, car le ductus est très similaire (ce qui est compréhensible pour des écritures presque simultanées, même si les mains sont différentes) ; un indice supplémentaire en faveur de deux mains distinctes serait que le graveur de la face B maîtrise moins bien l’orthographe que celui de la face A : il écrit systématiquement ômega à la place de l’omikron attendu, allant jusqu’à se corriger lui-même, à tort (B, l. 4). Date : Ve–VIe s. ap. J.-C. Conservation : Servei d’Investigació Arqueològica Municipal (SIAM), València (inv. 0106). Éditions : Melero Bellido 2001 (cf. HispEpigr, 11, 2001, nº 586, et comm. J. Curbera) ; IGPV 12 (J. Corell, X. Gómez Font, 2009, p. 36–39) (cf. M. Sève, BÉ, 2010, 4, avec trad. fr.) ; IRPV V 136 (J. Corell, 2009², p. 208–211, avec trad. cat.) (cf. HispEpigr, 18, 2012, nº 477, et comm. J. Curbera) ; de Hoz (M. P.) 2010 (avec trad. esp.) (cf. HispEpigr, 19, 2013, nº 395, et comm. J. Curbera) ; IG España Portugal 250 (M. P. de Hoz, 2014, p. 249–253, avec trad. esp.) (= SEG LX 1061). Bibliographie : Cruz Monteiro Fernandes/Grandão Valério 2013, p. 79. Illustrations : Mellero Bellido 2001, p. 156 (dessin et ph. du recto) et 157 (dessin et ph. du verso) ; IGPV (2009), p. 54, fig. 12.A (ph. du recto) et 12.B (ph. du verso) ; IRPV V, p. 209 (ph. et dessin des deux faces) ; IG España Portugal (2014), p. 250 (ph. des deux faces). Note sur l’édition : édition de Melero (2001), d’après une transcription d’Enrique Llobregat et une vérification sur le tesson, avec un calque réalisé par Xavier Gómez Font ; elle a été suivie des rééditions de Corell et Gómez Font (2009 ; cf. Corell 2009) et notamment de l’étude spéciale de M. P. de Hoz (2010 ; cf. son corpus de 2014), qui ont entraîné des interventions de Curbera et Sève. Pour l’établissement du fac-similé et du texte critique, j’ai utilisé plusieurs clichés de qualité.
Fig. 206. Photo du tesson (recto) (Pl. XVI).
Fig. 207. Photo du tesson (verso) (Pl. XVI).
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
[A]
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Fig. 208. Fac-similé du tesson (recto).
A – 2 ’ς Ἀμβάτῃ Melero (Bellido) : Σαμβάτῃ Curbera 2001 : Σαμβατί (pour Σαμβατίδι) Corell/Gómez (Font), de Hoz 2010 || 4 κάγὼ Mel., Cor./Góm. : κα’ γὼ de Hoz 2010 || 4–6 ἀ|ποδῶ τα τ|〈ῶ〉ν .[ Mel. : ἀ|ποδῶ τὰ π|ίονα Cor./Góm. : ἀ|ποδῶ τ’ ἀπό|γονα de Hoz 2010
[B]
4
Fig. 209. Fac-similé du tesson (verso).
Καπίτων ἐγὼ λέγω· Σαμβατί, ἀπόδος μοι τὰ τῶν γάμων κἀγὼ σοι ἀποδῶ τ’ ἀπόγονα.
vac. ΝΩΚΟΥΡΙΑ σοι πρώτως ἀ- vac. πώδως μοι τ’ ἀπώγωνα. ↓ΚΟΥΡΙ
(sic) (sic)
B – 1 νιω σουω[ Mel. : Νίως ὀγώ Cor./Góm. (= νέος ἐγώ) : Νίῳ κουρι(δίῳ/δία) de Hoz 2010 : ΝΚΟΥΡΙΑ ostracon || 2 σοι π〈ο〉ιῶ τόσα Mel. : σοι πιῶ τώς Cor./ Góm., de Hoz 2010 || 3 π〈ο〉δ〈ο〉ς μοι τα[ Mel. : σοι πρώτως Dana || 2–3 ὥτως (οὕτος) ἀ|ποδώς (= ἀποδός) μοι τὰ Curb. 2001 || 2–5 ἀ|ποδώς μοι τὰ | τωσώ(τα) ἃ (?) | λόγες Cor./Góm. (= τὰ τοσαῦ(τα) ἃ λέγεις) : ἀ|πώδως μοι τ’ ἀ|πώγω(να) de Hoz 2010 || 4 Π⟦Ο⟧Δ𐅝 ostr. : πωγω.. Mel. (πωλῶ?) || 5 ΚΟΥΡΙ ostr. : ]λιλολ Mel. (ἀλλήλοις?) : Κουρι (vel Κουρη) de Hoz 2010
Face A : Moi, Kapitôn, je dis : « Sambatis, donne-moi le(s joies du) mariage et je te donnerai des enfants ». Face B : ΝΩΚΟΥΡΙΑ (?). « À toi, donne-moi d’abord des enfants ». ↓ΚΟΥΡΙ. Face A A 1 : Καπίτων est la transcription grecque attendue du nom latin Capito, très fréquent dans l’Empire romain (OPEL II 33)325. A 2 : après une première lecture peu probable de l’édition princeps326, Corell et Gómez Font ont correctement lu Σαμβατί (à la place de Σαμβατίδι)327, en s’inspirant d’une correction de J. Curbera328 et en le prenant pour un datif. Σαμβατί est plus probablement le voc. de l’anthroponyme fém. Σαμβατίς329. Étant donné la mention du mariage et de la descendance (cf. A, ll. 3, 5–6), on s’attend logiquement à un nom de femme. La pos-
Pour ses occurrences en Hispania, voir Abascal Palazón 1994, p. 316–317. La lecture du premier éditeur, Melero Bellido, ’ς Ἀμβάτη, est invraisemblable : selon lui, il s’agirait de l’acc. du nom Ἀμβάτης, forme hellénisée d’un celtique Ambatus, précédé de la préposition εἰς, qui avait subi une aphérèse. 327 Pour ce nom, une déclinaison propre des masculins en -α est attestée, ainsi qu’un thème en dentale sourde. 328 J. Curbera, HispEpigr, 11, 2001, nº 586, comm., voit dans cette forme le datif du nom Σαμβάτη, qu’il met à juste titre en rapport avec la série des noms sémitiques. Mais cette forme de l’anthroponyme n’est pas attestée, tout en supposant une graphie au datif en -ι par iotacisme final. 329 J. Curbera, HispEpigr, 18, 2012, n° 477, comm. La forme la plus fréquente est le masc. Σανβάτιος, attesté notamment en Asie Mineure. En Espagne, on peut citer deux épitaphes chrétiennes du VIe s. : IG España Portugal 405, à Emerita Augusta (Mérida, Badajoz), où le nom a été partiellement conservé : Σανβ[άτιος] διάκον[ος Λι]βισινδε[ύς] ; IG España Portugal 315, à Baria (Villaricos, Almería), Εὐτύχης Γρίκος ὑεὸς Σαμβατίου. *Libisinda serait une cité inconnue en Anatolie méridionale. 325 326
*71. Jeu de messages sur tesson (Valentia)
313
sibilité d’avoir ici le dat. Σαμβᾶτι du nom masc. Σαμβᾶς, plus fréquent dans l’épigraphie et notamment dans les papyrus, semble donc exclue. Le nom féminin Σαμβατίς/Σανβατίς est attesté à l’époque impériale dans des milieux non juifs, et à une époque plus tardive dans des milieux juifs et chrétiens330. || L’impératif présent à la IIe pers. sg. du verbe ἀποδίδωμι a été pris par M. P. de Hoz dans un sens technique, relatif à la remise de dot ou d’autres biens par la femme au mari, dans la perspective du mariage, ou, à l’inverse, s’il s’agit de la dissolution du mariage, par le mari à la femme. A 3 : l’expression τὰ τῶν γάμων331 reste assez vague. Elle n’apparaît pas dans les inscriptions et les papyrus, alors que dans les textes littéraires il faut l’entendre au sens général de « mariage » ou « ce qui concerne le mariage », « qui a trait au mariage », selon M. P. de Hoz. Pour elle, cette expression pourrait désigner la totalité ou une partie des biens dont a été convenu par contrat qu’il fallait retourner en cas de dissolution du mariage, ou bien le contrat de mariage que la femme remettait à son mari, suite au jugement de divorce. A 4–5 : la forme ἀποδῶ est un subj. aor. employé à la place du futur332. A 5–6 : Corell et Gómez avaient lu τὰ π|ίονα, un acc. pl. neutre de πίων (« abondant », « gras »). La lecture de M. P. de Hoz est correcte : il convient alors de lire τ’ ἀπό|γονα. Ce dernier terme est employé dans des inscriptions et papyrus pour désigner les descendants des empereurs, philosophes, consuls, asiarques ou d’autres personnalités ; M. P. de Hoz suggère de le comprendre dans ce document comme désignant les « enfants », sens qui apparaît chez Hésychios d’Alexandrie et en grec moderne. Une autre possibilité, poursuit M. P. de Hoz, serait que le terme fasse référence à l’argent ou aux biens produits pendant le mariage333. Face B B 1 : cette ligne est de lecture difficile et a suscité nombre d’hypothèses. M. P. de Hoz pense à un nom hapax *Νίος au datif. Une autre possibilité évoquée par la dernière éditrice serait de voir dans νιω la continuation de Κουρι, écrit à l’envers à la dernière ligne de la face B, ce qui aurait pu donner le dat. du nom Κουρίνιος (= Κουρήνιος) attesté par les papyrus. À la suite de Νίῳ, M. P. de Hoz lit un autre mot, soit le substantif κουρι(δίῳ), au datif, qui détermine le nom propre, soit le substantif κουριδίη ou κουρίδι, deux termes attestés pour désigner l’épouse. J. Curbera juge peu vraisemblables le nom propre *Νίος ou l’emploi du terme poétique κουρίδιος, et leur préfère la lecture Κουρι|νίῳ, dat. du gentilice Quirinius ; ce datif s’accorderait avec le pronom au datif σοι de la ligne suivante334. Je ne saurais proposer d’interprétation pour ma propre lecture de cette séquence, ΝΩΚΟΥΡΙΑ, mais elle est en rapport manifeste avec la séquence ΚΟΥΡΙ de la dernière ligne, écrite tête-bêche. B 2 : les lectures antérieures sont problématiques et les explications confuses335. Il faut tout simplement lire l’adverbe πρώτως, indiquant une antériorité en contrepartie. Étant donné la confusion répétée sur cette face entre l’omikron et l’ômega, on ne peut pas exclure l’alternative que l’intention du graveur était d’écrire ici l’adj. masc. πρῶτος. B 3–5 : lectures divergentes des éditeurs336. La bonne lecture est pourtant celle de M. P. de Hoz, avec une légère différence à la fin : ἀ|πώδως μοι τ’ ἀ|πώγωνα. Il s’agit d’une répétition de la formule qui apparaît sur la face A (ll. 4–6), avec toutefois la confusion entre les voyelles longues et brèves337, car on attendait ἀπόδος μοι τ’ ἀπόγονα. B 5 : une autre ligne d’interprétation difficile, gravée, qui plus est, en tête-bêche. M. P. de Hoz passe en revue plusieurs possibilités, en fonction du choix de lecture Κουρι ou Κουρη. Cette séquence est à mettre en rapport avec l’énigmatique ΝΩΚΟΥΡΙΑ de la l. 1. Pour les noms égyptiens Σαμβᾶς (masc.) et Σαμβοῦς (fém.) et les noms tirés de l’appellation juive du Sabbat, voir Masson, OGS, I, p. 230 et III, p. 258 ; Nagel 1974 (SB XIV 11354). Pour les noms juifs, voir Williams 2007, p. 178–180. 331 Le ny final a été ajouté par le graveur en-dessous du my et de l’ômega. 332 Voir Mandilaras 1973, p. 246, § 541. 333 Pour le sens de « produit » ou « résultat », voir DGE, s. v. ἀπόγονα. 334 J. Curbera, HispEpigr, 19, 2013, n° 395, comm. 335 Ainsi, Corell et Gómez Font, suivis par M. P. de Hoz, lisent πιῶ τώς, séquence étonnante où ils voient dans la forme πιῶ l’ind. présent avec iotacisme du verbe contracté ποιῶ et la forme adverbiale τώς, avant tout poétique (cf. le comm. de M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 252). 336 Ainsi, τωσώ(τα) ἃ λόγες pour τωσαῦ(τα) ἃ λέγεις chez Corell et Gómez Font. 337 Voir M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 17–18. 330
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Commentaire : Nous sommes sans doute en présence du message le plus tardif de notre corpus, daté par la plupart des éditeurs et commentateurs des IVe–VIe s. de notre ère, d’après des critères paléographiques et linguistiques338. En dépit de sa brièveté, le texte pose de nombreux problèmes de lecture (cf. l’app. crit.) et de compréhension, aussi bien en raison de sa gravure particulière, des fautes d’orthographe (cf. B, ll. 3–4) que de son caractère opisthographe. La nature du message change d’une édition à l’autre : le premier éditeur, Antonio Melero Bellido, pense à un accord commercial ; Josep Corell et Xavier Gómez Font le considèrent un graffite amoureux entre un garçon et une jeune fille (demande en mariage ?), voire un graffite de bordel ; María Paz de Hoz, qui reprend une suggestion de Jaime Curbera, l’interprète comme une demande de divorce. Elle lui consacre un commentaire approfondi, selon lequel il s’agirait d’un échange de messages entre deux correspondants, autour d’une affaire matrimoniale, chacun des deux messages étant écrit par une main différente. Le second correspondant avait probablement répondu par retour du courrier, par le même messager qui lui avait remis la note, ce qui expliquerait le fait inhabituel que les deux messages soient gravés sur le même support céramique339. M. P. de Hoz fait appel aux sources papyrologiques réglementant le divorce, notamment sur les aspects matériels de la séparation, et s’intéresse à la question du divorce dans l’Espagne tardo-antique, d’après les interventions de l’Église et la Lex Visigothorum antiqua. Elle pense par conséquent à une sorte d’un arrangement privé entre époux, plutôt qu’entre le mari et le père de l’épouse : selon ce scénario, τὰ τῶν γάμων désigné « toutes les dispositions du contrat de mariage » (les cadeaux du mari ou bien le contrat de mariage) ; en échange, la femme réclame τ’ ἀπόγονα, les biens matériels communs acquis pendant le mariage ou les intérêts de la dot, ou bien les enfants issus de leur union340. On pourrait interpréter le texte inscrit au recto comme un engagement de mariage de la part de Kapitôn : il déclare qu’en échange de l’acceptation de Sambatis (car ce nom est très probablement féminin) il lui offre un foyer et des enfants. Quant au texte inscrit au verso, il pourrait consigner l’accord de la femme, dans des termes qui reprennent la formule déjà employée par Kapitôn. Il est toutefois très difficile de trancher, en raison précisément des formules qui sans être techniques dans le sens restreint du terme, pourraient relever d’un vocabulaire juridique. Une autre possibilité reste toutefois ouverte, même si l’on n’accepte pas la lecture assez problématique de Corell et Gómez Font, suivie par M. Sève qui propose cette traduction : « Donne-moi les joies du mariage et moi je te donnerai l’opulence ‒ Jeune homme, moi je fais ainsi : donne-moi ce que tu dis »341. On assisterait dans ce cas à un échange un peu badin, entre une femme (de petite vertu ? s’interroge M. Sève) et un homme qui sollicite ses services. En effet, plutôt qu’un échange épistolaire ou un échange d’engagements, il est plus tentant d’interpréter ce texte (ou ces deux textes) comme un jeu, combinant écriture, jeux de mots et allusions amoureuses entre Kapitôn et Sambatis. En effet, on peut relever plusieurs détails en ce sens : – sur les deux faces on trouve les binômes μοι/σοι ; – sur les deux faces, on retrouve la même séquence ἀπόδος μοι τ’ ἀπόγονα (au verso, avec des fautes d’orthographe et une correction fautive : ἀπώδως μοι τ’ ἀπώγωνα) ; par ailleurs, au recto, deux formes verbales d’ἀποδίδωμι se côtoient ; – sur la face A, l’euphonie ἐγὼ λέγω ;
Les éditeurs ne s’accordent pas sur la date du texte : IIe–IIIe s. (Corell et Gómez Font ; Corell) ; IVe s. ou avant (Curbera, HispEpigr, 19, 2013, n° 395, comm.) ; Ve–VIe s. (Melero Bellido) ; IVe–VIe s. (M. P. de Hoz). 339 M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 252. 340 de Hoz (M. P.) 2010, p. 329–336. Apparemment, Kapitôn propose par écrit à Sambatis un échange, ce qui peut renvoyer à un divorce : Sambatis rend le contrat de mariage qui libère Kapitôn de ses obligations, alors que ce dernier s’engage de lui rendre soit les enfants issus du mariage, soit des biens en guise de compensation financière. Le troisième nom, sur la face B, celui du destinataire de la lettre de réponse de Sambatis, est peut-être le surnom de Kapitôn, car on peut imaginer que Sambatis répond à son message. Les deux époux en instance de divorce seraient des Orientaux, d’après l’usage du grec et l’onomastique. 341 M. Sève, BÉ, 2010, 4. 338
72. Lettre sur vase de Drakôn à Achilleus (Nida, Germanie Supérieure)
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– sur la face B, la première et la dernière ligne comportent grosso modo la même séquence, énigmatique pour nous ; la dernière est notée tête-bêche, ce qui implique le fait que le rédacteur ait retourné deux fois le tesson. Bien que le texte ne soit pas exempts d’erreurs au verso, il constitue une preuve de la literacy en grec dans une région latinophone et il est plus approprié de le placer dans le genre des exercices ludiques et de l’instrumentum inscriptum. Pour le même site, on connaît par ailleurs une double notation latine sur une tuile, gravée ante cocturam, comportant un message et la réponse342. Valentia, fondée en 138 av. J.-C. par le consul Decimus Iunius Brutus Callaicus, et bientôt érigée au rang de colonie, était située dans une zone stratégique et commerciale à l’embouchure de Turia, passage de la Via Heraclea, plus tard la Via Augusta343. Notre ostrakon constitue un témoignage écrit de la présence d’une communauté hellénophone à Valentia344 pendant l’Antiquité tardive345.
72. Lettre sur vase de Drakôn à Achilleus (Nida, Germanie Supérieure)
72. Lettre sur vase de Drakôn à Achilleus (Nida, Germanie Supérieure) Découverte, contexte : vase trouvé brisé en plusieurs morceaux en octobre 1970, lors d’une fouille privée de sauvetage (percement d’une route « in der Römerstadt »), dans une citerne romaine de Heddernheim (quartier de Francfort sur Main, Hessen), secteur « An der Ringmauer 1 », à l’ouest du cimetière chrétien ; acquis en juin 1980 par le Verein für das Historische Museum und das Archäologische Museum de Francfort sur Main. Support, mise en page : mortier en céramique de type rhétique, à bord rouge, presqu’entièrement conservé. Le vase est complet (ht. : 9,5 cm ; diam. : 24,5 cm ; diam. du fond : 8 cm). Un long graffite post cocturam a été incisé au stylet, sur le vase déjà usé, à deux endroits, avec une mise en page soignée : [A] deux lignes sur la paroi externe du vase, la première étant centrée et la seconde plus longue ; [B] deux autres « lignes » en cercles concentriques sur le fond du mortier, le dernier mot étant inscrit de manière symétrique. Interponction épisodique, sous forme d’un un seul point (•) (ll. 1, 2, 3) ; c’est manifestement un emprunt à l’épigraphie latine. À la l. 2, des espaces vides à l’intérieur du même mot ou entre les mots. Les mots ne sont pas coupés en fin de ligne. Le premier graffite est légèrement affecté par quelques accidents ; en revanche, la disparition d’un morceau du fond du mortier a causé la perte d’un tiers du graffite B. Dialecte : koinè. Graphie τειμιώτατε (l. 2) ; atticisme (l. 1, πράττειν). Paléographie : lettres bien gravées ; ht. des lettres : 0,7–0,9 cm (sur la paroi), 0,6–1 cm (sur le fond du vase). Le ductus élégant des lettres est caractéristique de l’époque impériale : plusieurs caractères cursifs (alpha, my, ômega) ; epsilon et sigma lunaires ; delta avec la haste oblique droite plus grande ; pi avec la haste médiane plus longue. Date : après le milieu du IIe s. ap. J.-C. Conservation : Historisch-Archäologische Gesellschaft Frankfurt am Main e. V. (inv. α 24494). Éditions : Spickermann 1994 (avec trad. all.) [= AÉ, 1994, 1319 (avec trad. fr.) = SEG XLIV 853 ; cf. A. Chaniotis, EBGR 1994/1995, n° 332 (Kernos, 11, 1998, p. 357) ; cf. A. Chaniotis, SEG XLV 1497] ; Scholz 1999, p. 133–135, n° 40 (avec trad. all.). Bibliographie : Fundberichte aus Hessen, 21, 1981, p. 162 (avec trad. all. de W. Gawantka) ; Huld-Zetsche 1994, p. 29, 149– 150 (avec trad. all.) ; Kakoschke 2002, n° 8.8 (avec trad. all.) et p. 566 ; Kakoschke 2005, p. 151 ; Pfahl 2012, p. 120 (avec trad. all.). Illustrations : Huld-Zetsche 1994, p. 87, fig. 31 ab (ph.) ; Spickermann 1994, p. 597 (fig. 1, ph. du mortier), 598 (fig. 2, dessins d’E. Menking), 599 (fig. 3, ph. de la paroi) et 605 (fig. 4, ph. du fond du vase) ; Scholz 1999, p. 235, Pl. 7, fig. 40 ab (dessins) ; Pfahl 2012, p. 117, fig. 11–12 (dessins). Note sur l’édition : édition soignée de Spickermann (1994), reprise dans les recueils AÉ et SEG (avec une émendation de Chaniotis) et par Scholz (1999). Pour l’établissement du fac-similé et la vérification du texte, j’ai pu exploiter des photographies de qualité. CIL II² 14,35 ; en dernier lieu, IRPV V 135: a) [I]ulius a ratiọ|ne tegularia An|thinus cum cen|sum pariavit | LXXXIII | ago gratias | domine ; b) Solve quod mi|nus fec(i)sti et | sic gratias a|ge [ca. 3] et duas | amplius quia min|us numerasti. 343 M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 237. 344 À l’époque impériale comme à cette époque tardive, la plupart des hellénophones en Espagne sont originaires de l’Orient grec ; voir Beltrán Fortes 2013 ; Díaz 2013 ; M. P. de Hoz, IG España Portugal, 2014, p. 252–253. 345 Le site avait livré des graffites grecs sur céramique du IIe s. av. J.-C. (IG España Portugal 214–243). 342
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Fig. 210. Photo du mortier.
Fig. 211. Photo du mortier (détail).
Fig. 212. Photo du mortier (détail).
72. Lettre sur vase de Drakôn à Achilleus (Nida, Germanie Supérieure)
Fig. 213. Photo du mortier (détail).
Fig. 215. Photo du mortier (détail).
Fig. 214. Photo du mortier (détail).
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Fig. 216. Photo du fond mortier.
Fig. 217. Fac-similé du graffite (sur le fond du mortier).
Fig. 218. Fac-similé du graffite (sur la paroi du mortier).
[A] [B] 4
Δράκων • Ἀχιλλεῖ • εὖ πράττειν. Παρακαλῶ σε, ἄδελφ[ε τ]ειμιvώτατέ • μοι •, ἵνα, ὅvταν πεινῇς, • μν[ημονεύῃς •] μου • Εὐτύχει.
3 μν[ημονεύσης vel -ήσης] Spickermann (-ῃς SEG AÉ) : μν[ημονεύῃς] Chaniotis || 4 εὐτύχει Spick.
Drakôn souhaite à Achilleus de bien se porter ! Je te prie, mon très estimé frère, chaque fois que tu as faim, de te souvenir de moi. Sois heureux ! L. 1 : les deux noms, fréquents dans le monde grec, apparaissent respectivement pour la première (Drakôn) et la deuxième fois (Achilleus) dans les provinces germaniques346. || Ce prescrit est très littéraire, car la formule εὖ πράττειν était devenue célèbre après son emploi par Platon et plus tard par Épicure dans leurs lettres347 ; le verbe πράσσω est ici employé sous sa forme attique.
346 Kakoschke 2007, p. 59 (CN 19) et 311 (CN 1130). Pour les occurrences dans les provinces européennes, voir OPEL I² 19 (Achilleus) et II 109 (Draco) ; à Rome, Solin, Namenbuch, I, p. 504 (Achilleus) et II, p. 1128 (Draco). 347 Cf. Diogène Laërce 3.61 et 10.14, et ses échos dans la Souda, s.vv. Χαίρειν (Χ 165 [εὖ πράττειν, πολλὰ φρονεῖν. προσρήματα. οἱ δὲ Χαίρειν, οἰμώζειν, στενάζειν] et 166 [οὕτως ἐπέγραφε Κλέων, ὁ δὲ Πλάτων εὖ πράττειν, ὁ δὲ Ἐπίκουρος εὖ διάγειν]. Sur cette formule, voir Koskenniemi 1956, p. 163 ; Fournet 2009, p. 39 n. 51.
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L. 2 : combinaison de trois « passages obligés » dans la correspondance privée : une formule de politesse (παρακαλῶ σε), le terme « frère », ici au vocatif348, et un superlatif d’affection et d’estime ([τ]ειμιώτατέ μοι, ici avec iotacisme). La tournure ἀδελφὸς τιμιώτατος est très fréquente dans les papyrus d’Égypte349. L. 2–3 : le motif de la μνεία est également courant dans les papyrus350. Les parallèles épistolaires dans les papyrus d’Égypte sont néanmoins d’époque tardive (IVe s.) et émanent d’un milieu chrétien : παρακαλῶ [ο]ὖν,| δέσποτα, ἵνα μνημον[ε]ύῃς | μοι εἰς τὰς ἁγίας σου εὐχάς (SB I 2266 = P. Heid. I 16, ll. 14–16) ; καὶ | νῦν παρακαλῶ ὅπως | μνημονεύσῃς μου ἐν τς | ἁγίαις εὐχς σου (P. Lond. VI 1923, ll. 10–13) ; παρα|καλῶν ὅπως μνημονεύῃς καὶ καμοῦ (= ἐμοῦ) (P. Herm. 8, ll. 9–10) ; ὅθεν παρακα|λῶ, ἵνα μου μνημονεύσῃς | ἐν ταῖς εὐχαῖς (P. Neph. 4, ll. 10–12). L. 3 : si le premier éditeur avait traduit ὅταν πεινῇς comme « wenn Du Hunger hast », A. Chaniotis préfère traduire « when you drink » (cf. SEG XLV 1497), en supposant un iotacisme, πείνῃς pour πίνῃς. Cependant, ce type de vase ne servait pas à boire, mais bien à broyer des ingrédients pour des sauces qui étaient versées par la suite à l’aide du bec. L. 4 : Εὐτύχει, clausule habituelle. Dans ce corpus, on la rencontre dans la lettre sur plomb de Massalia (59, l. 5) et sans doute dans la lettre sur plomb, très fragmentaire, de Rhodè (66, l. 8). Commentaire : Ce vase a été trouvé à Heddernheim (auj. quartier de Francfort sur Main), où se trouvait Nida, centre de la civitas (Vlpia ?) Taunensium, en Germanie Supérieure351. La ville romaine se développa surtout après le départ des troupes vers 110 ap. J.-C., car Nida fut également un site militaire, avec 11 camps (dont un de cavalerie). Sur le site sont attestées des détachements appartenant à des unités auxiliaires (d’après les épitaphes : ala I Flavia Gemina, coh. XXXII Voluntariorum c. R., coh. IV Vindelicorum) et une vexillation de la legio XIV Gemina Martia Victrix. Le premier éditeur écarte avec raison les soupçons d’un faux, comme pourraient le laisser penser le support (d’autant plus que dans cette province ce type de mortier dit « rhétique » est peu fréquent), ainsi que l’onomastique des correspondants avec un référent mythologico-historique. Or, une analyse microscopique des lettres a prouvé leur incision sur le vase alors qu’il était encore intact. Ce bref texte, qui entre dans la catégorie des « objets-lettres », fournit des renseignements précieux. Tout d’abord, ce message fut inscrit sur un vase déjà usé, envoyé en présent rempli de nourriture. Ce type de mortier était en usage dans la cuisine, pour la préparation des sauces mais aussi du plat moretum. En plus du choix du support, l’usage du grec dans une province latinophone est remarquable. Très peu d’inscriptions grecques sont connues en effet dans les provinces germaniques ; à Nida, il s’agit toutefois du troisième graffite grec sur céramique, après ΧΟΡΟΛΟΥ (IG XIV 2577,11) et [---]ΛΟΠΟϹ (palme) ΤΑΝΗ[---]352. Le choix de la langue pose la question du statut des deux personnes, Drakôn et Achilleus. Plutôt que vers un milieu servile, suggestion retenue par la plupart des commentateurs353, il faudrait s’orienter vers les militaires hellénophones. À Nida on connaît des militaires d’origines diverses : des recrues locales (CIL XIII 7331 et 11947), mais aussi des soldats originaires de l’Orient, tels Piladelpus Pilandri, Ca[p]padox, [m]i[l(es) c]o[h(ortis)] XXXII Vol(untariorum) (CIL XIII 7382) et Biribam Absei, dec(urio) a[l]ae Firmae Cataract(ariae), oriundus ex provincia Moesopo[ta]miae, domo Rac[---] (CIL XIII 7323). Un autel fut dédié à Iupiter Olbius (= Zeus Olbios), patron de la cité d’Olba (en Cilicie), par Seleucus, fils d’Hermocrates, et par Diogenes, originaires donc du sud de l’Asie Mineure (CIL XIII 7346). On connaît deux porteurs de cognomina grecs, Aelius Aeliodorus (CIL XIII 7333) et Aelius Cresimus (CIL XIII 7347)354. Pour ce type d’adresse au vocatif ἄδελφε dans les sources littéraires, voir Dickey 1996, p. 88–89. Koskenniemi 1956, p. 100–103. Pour les expressions d’urbanité impérative (δέομαι, ἀξιόω, παρακαλέω, ἐρωτάω), voir Steen 1938, p. 131. 350 Koskenniemi 1956, p. 145–148. 351 Huld-Zetsche 1994 ; Raepsaet-Charlier 1999, p. 300–302. 352 Scholz 1999, p. 135, n° 41 (dessin p. 235, Pl. 7, fig. 41). 353 Spickermann 1994, p. 604. Il pense que la plupart des porteurs de noms grecs étaient des esclaves et des affranchis ; en raison du niveau relativement élevé de notre texte, Drakôn et Achilleus seraient des esclaves lettrés d’origine orientale. 354 Pour ce milieu, voir l’enquête très riche de Spickermann 1994, p. 601–603. 348 349
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Corpus épigraphique – L’Occident méditerranéen
Le même site de Nida a livré par ailleurs deux lettres latines sur un support céramique : (1) un bref message qui court tout autour du col d’un vase offert en cadeau : Aquilo Martin(a)e coniugi salutem (CIL XIII 10017,24) ; (2) une lettre d’amour plus étendue, sur une tuile du type suspensura : [---] mittet Mattos(a)e salutem [co(n)]iugi caris(s)im(a)e et [o]ptat [--- aliquan?]|do usque ATTE (= at te? = ad te?)355. On peut enfin signaler, dans la province voisine de Rhétie, une assiette utilisée comme « Briefpapier », trouvée en état fragmentaire à Celeusum (auj. Pförring, Lkr. Eichstätt, Bavière) ; elle fut inscrite après cuisson sur les parois interne et externe et sur le fond par un certain Momacus, le 21 août d’une année inconnue (AÉ, 2011, 855)356 : Momacus caro fratre s(u)o an[te die]m XII K(alendas) Se(p)tem[b(res)] | salva[---] etc. Il convient de se poser la question du sens du terme ἀδελφός, dont l’usage en Égypte, par exemple, est banal ; en contexte latin, frater est le terme privilégié par les camarades d’armes (militari sensu), mais aussi dans la correspondance des civils. Notre type « rhétique » de mortier de cuisine est en usage à partir du milieu du IIe s. de notre ère, ce qui assure la datation du message357. Plutôt qu’une lettre à proprement parler, il s’agit d’une dédicace sous la forme d’une lettre, ou respectant le style d’une lettre recherchée. Ce cadeau amical358 utilisé comme support d’écriture témoigne de l’emploi du grec dans une province latinophone. Le texte est soigneusement gravé et rédigé dans une langue élégante et correcte, trahissant une main exercée à écrire sur d’autres supports, comme le papyrus. L’auteur étale sa connaissance non seulement des conventions épistolaires, mais aussi de leurs usages littéraires, chez des auteurs classiques cités sans doute dans les manuels d’épistolographie de l’époque : εὖ πράττειν en est un exemple éclatant. En plus d’être un « objet-lettre », ce vase nous renseigne sur la lettre sous la forme d’un jeu, le jeu en tant que lettre.
355 Dans le village Vilbel-Dortelweil : voir Reuter/Scholz 2004, p. 78 (ph. fig. 121a) ; Reuter/Scholz 2005, p. 92, n° 138 (ph. p. 93, fig. 138a) ; Scholz 2015, p. 81 (et dessin, fig. 8). 356 Thüry 1996, p. 175–184 ; Scholz 1999, p. 134 ; Cugusi 2001, p. 299–305 (corrigeant la lecture) ; Reuter/Scholz 2005, p. 67–69, n° 105 (ph. p. 68, fig. 105). 357 Cf. Spickermann 1994, p. 597. 358 Parmi les exemples antérieurs, cf. un amphoriskos attique du premier quart du VIe s. (AVI 1890), avec une inscription qui court tout autour, apposée donc sur l’objet offert en cadeau : Φερεκλείδς : ἔδκεν : Μελανθίδι : {με} μνμα φιλμοσύνς. Voir l’édition récente de Dettori 2017 (ph. aux p. 123–124, fig. 1–4).
SYNTHÈSE HISTORIQUE Synthèse historique
Introduction
Dans la bibliographie antérieure et jusqu’à il y a peu de temps, les lettres privées ont été considérées comme des trouvailles très rares, en comparaison avec les inscriptions sur pierre1. Dans son édition de la lettre d’Achillodôros (25), Jurij G. Vinogradov pense que leur rareté est due au fait que seules les lettres qui ne sont jamais arrivées à destination ont été découvertes, les autres étant fondues après lecture et le plomb réutilisé. S’il a certainement raison en ce qui concerne le remploi du plomb, son premier argument est contredit par les traces du déroulement puis d’un nouvel enroulement, qui n’est pas effectué sur les mêmes pliures, comme on le remarque pour la lettre sur plomb de Patrasys (48). Benedetto Bravo, qui s’insurge contre l’idée de Vinogradov2, pense que l’explication doit être cherchée dans le fait que le papyrus, devenu disponible après le IVe s., a supplanté le plomb pour les lettres privées ; il estime que même avant la diffusion du papyrus l’emploi du plomb n’était pas très fréquent3. Les savants ont en effet longtemps pensé qu’on utilisait le plomb pour y inscrire des malédictions ou pour consigner des transactions commerciales4, mais qu’il était très rarement employé pour la correspondance. Ces idées ont été mises à l’épreuve par les nouvelles découvertes, qui ne cessent d’enrichir notre connaissance de la correspondance antique, ouvrant ainsi une nouvelle perspective des pratiques épigraphiques et épistolographiques grecques. Si elles ne peuvent certainement pas être analysées comme des textes littéraires5, les lettres privées ne sont pas moins expressives en tant que témoins de la langue parlée6. Elles fournissent notamment des renseignements riches en détails que les textes littéraires offrent rarement. La correspondance privée qui fait l’objet de ce corpus fonctionne, à l’instar des papyrus d’Égypte, comme un révélateur des sociétés et de la culture des Anciens. Il existe un nombre considérable de travaux sur la correspondance antique et en particulier sur l’épistolographie grecque7, avec des intérêts et des tendances divergents. Il faut néamoins remarquer que, bien avant les Grecs et en parallèle avec eux, il existait une très abondante correspondance officielle et privée dans le ProcheOrient, sur plusieurs supports et dans plusieurs langues, qui a bénéficié de l’attention des spécialistes8. En ce qui concerne la correspondance grecque, l’historiographie s’est prioritairement intéressée aux témoignages litté-
1 Selon Lewis 1996, p. 142–152, les lettres privées n’étaient pas fréquentes ; Longo 1981, p. 59, avance l’hypothèse d’une correspondance limitée en raison de l’oralité qui prédominait dans la communication antique et de l’alphabétisation réduite. 2 Vinogradov 1971, p. 95–96 ; Vinogradov 1983, p. 392–393. 3 Bravo 1974, p. 169–170 ; cf. aussi Bravo 2011a, p. 47 (il pense que la lettre d’Achillodôros a été déroulée et lue par Prôtagorès, qui l’a par la suite enroulée de nouveau afin de la conserver). Pour Bravo, l’emploi du plomb comme support d’écriture est néanmoins difficilement envisageable en dehors des pratiques magiques ; dans l’article de 1974, il affirme que les lettres sur plomb sont extrêmement rares (Bravo 1974, p. 113). Les trouvailles ultérieures ont permis de réfuter ce préjugé. 4 Voir par ex. le fameux plomb commercial de Pech Maho (IG France 135, Ve s.), sans doute le compte-rendu d’une transaction ; les tablettes de Corcyre du Ve s. [IG IX.I².4 865–872 ; Vélissaropoulos 1982 (= van Effenterre – Ruzé, Nomima, II, n° 73)]. 5 Dover 1997, p. 58–59 : « Letters and messages are valuable for the linguistic data they sometimes happen to provide, but they can hardly be taken into account as models for prose literature, because of the severe constraints imposed by the dimensions of the objects on which they were written ». Selon Fournet 2009, p. 52, en raison de sa nature hybride de conversation écrite, la lettre a été longtemps conçue comme un genre intermédiaire, un art de la mesure, de l’équilibre entre la langue parlée et la langue de la prose artistique. Voir aussi Koskenniemi 1956 ; Thraede 1970, en partic. p. 77–81 (lettres sur papyrus). 6 Voir Martín González 2014. 7 Sur la correspondance grecque privée, voir Guarducci, Epigrafia greca, III, 1974, p. 317–321 ; Rhodes 2010, p. 54–55 (lettres sur plomb) ; Cribiore 2012 ; Trapp 2012 ; Sarri 2018. 8 Voir, à titre d’ex., Wente 1990 (Égypte) ; Michałowski 1993 (Mésopotamie) ; Lindenberger 2003² (lettres araméennes et hébraïques) ; Hoffner 2009 (lettres hittites) ; Doering 2012 (lettres juives et débuts de l’épistolographie chrétienne).
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Introduction
raires, transmis notamment par plusieurs recueils épistolaires9, aux lettres documentaires10 et tout particulièrement à la correspondance officielle, notamment royale11, à la très abondante documentation papyrologique, qui s’enrichit constamment12 ou, dans le contexte bien particulier de la recherche néo-testamentaire, à l’épistolographie paulinienne (les Épîtres)13. Comme le remarque Jean-Luc Fournet, « les lettres sur papyrus ont surtout été étudiées, d’un point de vue formel, dans une perspective comparatiste focalisée sur les épîtres néo-testamentaires et, au plan de la topique, comme illustration de l’émergence d’une sensibilité chrétienne et de modes d’expression qui lui seraient propres »14. À la conception utilitaire de la lettre s’oppose, durant l’Antiquité tardive, une forme travaillée, recherchée, investie d’une dimension littéraire, au point que la lettre devient un objet littéraire. Cette « littérarisation » de la lettre, qui commence en effet très tôt, dès l’époque classique, s’opère progressivement sous l’emprise de la rhétorique15. La riche documentation papyrologique d’Égypte donne la meilleure idée de la variété et de l’utilité de la correspondance antique, à la fois privée et officielle. Si pour notre corpus les meilleurs parallèles se trouvent dans la correspondance sur papyrus d’époque hellénistique, des exemples plus tardifs sont tout aussi pertinents, que ce soit pour le formulaire, les supports d’écriture ou les pratiques épistolaires16. Ainsi, on dispose depuis peu d’une documentation exceptionnelle d’époque impériale, en particulier du IIe s. ap. J.-C., découverte dans les dépotoirs des praesidia du désert Oriental d’Égypte. Elle comporte des milliers de lettres sur ostraka – majoritairement privées, plus rarement officielles, en grande majorité en grec –, émanant du milieu des soldats auxiliaires et des civils qui gravitent autour d’eux, dans cette région militaire et de carrières17. On peut ainsi parler, pour le désert Oriental d’Égypte, d’une véritable « culture de l’ostracon »18 livrée par les dépotoirs, ces véritables « poubelles de la contre-histoire »19, celle qui ne devait pas faire l’objet de l’attention des historiens. Négligées par les savants en raison de leur support humble et de leur lieu de découverte, ces sources sont, comme le remarque à juste titre Hélène Cuvigny, « également ardues : mal en point, fragmentaires, les textes tendent d’innombrables pièges à qui s’efforce de les rétablir et de les interpréter »20. Les pratiques épigraphiques, épistolaires et épistolographiques feront l’objet du premier chapitre de la synthèse historique. On s’interrogera par la suite sur la place de la correspondance privée dans la vie quotidienne des Grecs et dans leurs pratiques économiques, juridiques et culturelles, et sur la place de l’écrit à la fois dans les interactions entre Grecs appartenant à la même communauté, avec des Grecs d’une communauté voisine ou avec les non-Grecs. On peut ainsi se poser la question sur la lumière jetée par cette correspondance sur la literacy des populations en contact, où pratiques grecques et moyens d’intégration, voire de transferts culturels, se côtoient. Dans le ch. II, on examinera le rôle de la correspondance dans les échanges économiques, activité de prédilection de la plupart des auteurs des lettres répertoriées dans ce corpus. L’activité des marchands les menait dans des endroits où l’accès à des supports plus coûteux, comme le papyrus, était restreint, sans parler
Voir Hercher 1873. Études générales : Sykutris 1931 ; Schneider 1954 ; Scarpat 1972 ; Stowers 1986 ; White 1986 ; Cugusi 1988 ; Cugusi 1989 ; Stirewalt 1993 ; Reed 1997 ; Avezzù 1998 ; Costa 2001 ; Rosenmeyer 2001 ; Poster 2002 ; Trapp 2003 ; Rosenmeyer 2006 ; Morello/Morrison 2007 ; Hodkinson/Rosenmeyer/Bracke 2013 ; Yiftach-Firanko 2013, en partic. l’« Introduction » avec des sections sur la Mésopotamie (S. Démare-Lafont, p. 13–16), la Grèce classique et la Perse (M. Faraguna, p. 16–22), l’Égypte gréco-romaine et le monde romain (U. Yiftach-Firanko, p. 22–27) ; Schneider 2014. 10 White 1982b. 11 À l’intérieur de cette bibliographie abondante, voir Welles 1934 ; Hauken 1998 ; Virgilio 2011 ; Ceccarelli 2013 ; Radner 2014 ; Procházka/Reinfandt/Tost 2015 ; Ceccarelli et alii 2018. 12 La bibliographie est énorme. Voir, entre autres : Witkowski 1911² (= 1906) ; Calderini 1917 ; Mondini 1917 ; Ghedini 1923 ; Olsson 1925 ; Winter 1933 ; Döllstädt 1934 ; Zimmermann 1939 ; Daum 1959 ; Kim 1972 ; Tibiletti 1979 ; Kovel’man 1985 ; Depauw 2006 ; Bagnall/Cribiore/Ahtaridis 2006 ; Luiselli 2008 ; Fournet 2009 ; Kreuzsaler/Palme/Zdiarsky 2010 ; Reinard 2016. 13 Pour ce domaine à part et pour l’intérêt des biblistes, voir Klauck 2006. 14 Fournet 2009, p. 24–25. 15 Fournet 2009, p. 46–63. 16 Voir Dziatzko 1897. 17 Fournet 2006. 18 Cuvigny 2006b, en partic. 265–267 ; Bagnall 2011, p. 117–138 (« Writing on Ostraca : A Culture of Potsherds ? ») ; Sarri 2018, p. 77–79. 19 Cuvigny 2006c. 20 Cuvigny 2018, en partic. p. 217. 9
Introduction
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de la fragilité de ce dernier type de matériau, alors que le plomb et les fragments céramiques étaient plus résistants et plus aisés à transporter dans des conditions de voyage difficiles. Le maillage du territoire est essentiel pour comprendre le fonctionnement des rapports et des réseaux économiques, dans l’espace mais aussi dans le temps. Les acteurs de ces échanges pouvaient tout aussi bien collaborer que s’affronter en cas d’intérêts divergents ; or, les lettres révèlent une multitude de situations. Des conflits peuvent ainsi intervenir, ce qui nous amènera à réfléchir dans le ch. III sur les statuts personnels et sur les aspects juridiques que ces textes dévoilent, opposant différentes catégories. Toujours dans ce chapitre seront analysées les pratiques de sociabilité dans des cercles familiaux ou amicaux, régis par des associations ou des hiérarchies. Comme le remarque Roger Chartier pour une époque plus proche de nos jours, l’envoi des lettres fait partie des pratiques ordinaires, qui tissent les relations quotidiennes21 – or, de même que les papyrus, les lettres sur plomb et les tessons invitent fortement à changer la vision assez primitiviste – et en même temps élitiste – encore prédominante en ce qui concerne la diffusion de l’écrit et des pratiques épistolaires. Cette « épistolographie populaire », avec ses normes rédactionnelles et ses formules de politesse, a un rôle social essentiel : entretenir son réseau de relations en cultivant la bienveillance de ses membres22. On privilégiera une approche du type Middle Ground, qui représente le résultat d’emprunts et d’échanges conscients ou, dans la plupart des cas, inconscients23. Cette réalité complexe est illustrée par nos documents, qui font état de porteurs de noms indigènes (sans que l’on puisse préjuger de leur origine ethnique) intervenant dans des transactions avec les Grecs en tant que partenaires d’affaires, concurrents ou adversaires. Ils peuvent être mentionnés soit individuellement, soit en tant que peuplades identifiables bien que parfois difficiles à localiser, ou bien de manière générique, par ex. « les Scythes ». Au-delà des territoires des poleis grecques, le cadre juridique des transactions semble assuré par l’application locale du droit grec, concernant entre autres la procédure de saisie de biens si l’un des partenaires a été lésé dans ses intérêts. Par conséquent, outre le fait qu’elle illustre la diffusion et l’évolution des pratiques épistolaires dans l’ensemble du monde grec et à toutes les époques, cette synthèse historique qui accompagne le corpus épigraphique se propose de jeter une lumière nouvelle sur les milieux marchands et « coloniaux », à travers une histoire culturelle des contacts et des relations entre hommes qui partagent les mêmes territoires et les mêmes pratiques.
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Chartier 2001. Cuvigny 2018, p. 211. Malkin 2011, p. 45–48.
I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson Epistularum genera multa esse non ignoras, sed unum illum certissimum, cuius causa inventa res ipsa est, ut certiores faceremus absentis, si quid esset, quod eos scire aut nostra aut ipsorum interesset (Cicéron, Ad fam. 2.4.1)
1. Introduction L’étude anthropologique de l’écriture met en discussion les effets de l’écrit sur la société, soit en idéalisant sa contribution dans les changements sociaux et culturels, soit en relativisant sa part, pour montrer que dans les sociétés où l’écriture était connue, la communication orale a continué d’être utilisée pour la transmission de l’information. S’intéresser à l’interaction entre écriture et oralité permet de réfléchir au lien qui existe entre la literacy ‒ c’est-à-dire, la capacité de lire et d’écrire ‒ comme technique de communication, et le fonctionnement concret d’une société donnée. Cela revient à s’intéresser notamment aux groupes qui utilisent l’écriture, en d’autres termes, à l’usage social de l’écriture. À Athènes, comme le montre Christophe Pébarthe, espace et opinion publics sont façonnés par l’écriture, alors que les sources manifestent la banalité du recours à l’écriture dans la vie quotidienne24. Avec les omniprésents graffites, qui peuvent concerner les aspects les plus divers, la correspondance privée représente l’un des rares moyens dont nous disposons pour l’Antiquité afin d’évaluer la literacy en dehors des milieux aisés. Si l’on tente de replacer cette correspondance privée au sein des sources anciennes relevant du genre épistolaire, on soulignera le fait que les chercheurs se sont jusqu’à présent intéressés pour l’essentiel soit aux recueils proprement littéraires, pour des raisons philologiques et stylistiques, soit aux « documents historiques », comme la correspondance royale, connue surtout à travers les inscriptions, ou les lettres officielles des cités, mentionnées par les sources littéraires et épigraphiques25. Les sources papyrologiques ont permis, quant à elles, d’entrevoir avec moult détails des formes privées d’écriture, mais seulement pour l’Égypte, dont la correspondance impliquant des femmes26. Désormais, grâce à un type singulier de sources, qui, sans être complètement ignorées, ne sont pas toujours suffisamment exploitées, nous pouvons accéder à une meilleure connaissance de l’écriture privée, en particulier dans d’autres espaces du monde grec antique, communément considérés comme « périphériques » – tels l’espace nord-pontique, de tradition majoritairement ionienne, et le milieu phocéen occidental27. Notre documentation est constituée de brefs billets, annonçant parfois l’envoi d’une lettre plus détaillée28, de listes d’objets/marchandises, d’instructions, d’appels à l’aide, assez rarement à travers des rédactions étendues ou élaborées. Néanmoins, toutes ces lettres ont été rédigées dans le but de communiquer une information, un ordre, une demande, une menace ou un conseil, autrement dit, de transmettre un message par l’écrit. J’adopte ici la définition de la lettre proposée par Paola Ceccarelli : « a written process of communication between two or more specific individuals or groups (real or fictional) who find themselves in a situation of spatial distance, or more precisely, who are not in direct, face-to-face contact »29. La particularité de ces textes consiste dans le fait qu’il s’agit de documents olographes, à la fois rédigés et écrits par leur auteur, à la différence des messages reproduits de manière plus ou moins fidèle dans les sources Pébarthe 2006. Pour les lettres officielles envoyées par les cités ou les koina grecs, voir Ceccarelli 2013, Appendix 3 (p. 365–383). 26 Sur la correspondence émanant des femmes, voir Bagnall/Cribiore/Ahtaridis 2006. 27 Sur les lettres sur plomb et sur tesson (Emporion, Rhodè, Agathè, Olbia de Provence) en tant que documents privés, voir Bats 1988a, p. 134. 28 « Je t’enverrai une lettre au sujet des esclaves » (Olbia de Provence, 58). 29 Ceccarelli 2013, p. 8–10, en partic. 9 ; une définition similaire dans Gibson/Morrison 2007, p. 3. 24 25
2. Supports et pratiques d’écriture
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littéraires30. Envoyer une lettre plutôt qu’un message oral implique le fait que le message doit être confié à un porteur, réceptionné et lu par le destinataire, conservé et déposé dans des archives, d’où l’importance de ces documents : on voit ainsi qu’écrire et lire des lettres tenait une place significative dans la vie quotidienne des Anciens. Ces morceaux de textes, complets ou fragmentaires, se revèlent être de précieux échantillons des pratiques lettrées et de la diffusion de l’écriture dans le monde grec31.
2. Supports et pratiques d’écriture Avant de se pencher sur les pratiques d’écriture, il faut s’arrêter sur les choix individuels et sur les contraintes matérielles des supports épigraphiques de la correspondance. Les lettres transmises sur des supports non périssables pris en compte dans ce corpus (plomb, céramique) sont d’abord des objets archéologiques, dotés d’une matérialité propre. De nos jours, la matérialité est mieux prise en compte dans l’épigraphie32 et bénéficie de plus d’attention qu’à une époque où seul le texte transcrit retenait l’intérêt des savants. Si les lamelles de plomb, complètes ou fragmentaires, ou les tessons et autres supports céramiques (vases, tablettes d’argile) ont pu arriver jusqu’à nous, ce n’est pas le cas de la majorité de supports d’écriture utilisés par les Anciens, qui sont, dans leur majorité, périssables et par conséquent irrémédiablement perdus dans la plus grande partie du monde grec : il s’agit de papyrus, de parchemins ou de tablettes de bois33. Des comparaisons doivent être opérées avec les autres espaces méditerranéens, en raison des transferts plus ou moins connus favorisés par les contacts et les échanges avec la civilisation grecque. Dans l’Orient grec, et en particulier en Égypte, le papyrus – enroulé et scellé, afin de préserver la confidentialité du message – est le support normal de la lettre, le recours à l’ostrakon étant ressenti en Égypte comme un pis-aller34.
2.1. La matérialité du support En ce qui concerne les supports utilisés pour la correspondance privée, les matériaux durables (plomb, céramique) côtoient à toutes les époques des supports périssables : les papyrus (βυβλία et d’autres termes), les parchemins (διφθέρια et d’autres termes), les tablettes de bois (δέλτοι)35.
Les lamelles de plomb (μολύβδια) Parmi les supports métalliques utilisés dans l’Antiquité36, le plomb joue un rôle de choix, à une échelle plus importante que le bronze, qui est toutefois privilégié pour l’affichage public en contexte grec et plus tard en contexte romain37, ou les métaux précieux, utilisés pour graver des textes religieux, sans compter les vases dédi30
Dans la plupart des recueils épistolaires, par exemple, le prescrit (praescriptum) est omis ou réduit au seul nom du destina-
taire. Voir Dana 2015a. Voir le recueil de Piquette/Whitehouse 2013, notamment l’introduction des éditeurs (« Introduction : Developing an Approach to Writing as Material Practice », p. 1–13) et en partic. Johnston 2013. Pour les defixiones, voir le recueil de Boschung/ Bremmer 2015, en partic. Curbera 2015. 33 Dans le monde grec, en dehors de l’Égypte (et, en Italie, d’Herculanum) et du Proche-Orient (Cotton/Cockle/Millar 1995), des papyrus n’ont été trouvés qu’à quatre reprises, par un extraordinaire hasard : le fameux papyrus de Derveni ; des papyrus d’une tombe de Vergina (Janko 2018) ; le papyrus moins connu (et toujours inédit) de Callatis (même s’il est actuellement en cours d’étude), découvert dans une tombe ; enfin, les cinq tablettes de bois et un rouleau de papyrus livrés par deux tombes de Daphni (Athènes), vers 430–420 (Pöhlmann/West 2012). Au Ier s. de notre ère, Pline l’Ancien mentionne les exploratores (corps d’éclaireurs) qui envoient des lettres écrites sur l’écorce d’arbres (NH 16.14). 34 Fournet 2006, p. 471 ; Fournet 2009, p. 25 n. 11. 35 Voir le recueil de Lalou 1992. 36 Voir le dossier édité par Lazzarini 2004 ; et le recueil de Meier/Ott/Sauer 2015, en partic. le ch. « Blei ». 37 Parmi les exemples les plus tardifs, on peut citer un acte de vente sur plaque de bronze en Pamphylie (IIe ou IIIe s. ap. J.-C.) (BÉ, 2014, 487 ; cf. aussi BÉ, 2010, 5). 31 32
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
cacés et les divers bijoux inscrits38. En plus des très nombreuses defixiones39, et de la correspondance privée qui nous préoccupe, les lamelles de plomb (μολύβδια) ont été utilisées afin de graver des textes à caractère juridique, religieux ou privé : des contrats de vente (notamment en Sicile)40, des reconnaissances de dettes41, des transactions commerciales42, des tessères d’identité43 (par exemple, les centaines de tablettes de l’Agora d’Athènes avec des renseignements sur la cavalerie44), des questions et des réponses oraculaires45, des lois sacrées46, des décrets47, des notations lors des concours48, sans oublier, à un niveau plus concret, les banales étiquettes – dont l’usage est mieux attesté en contexte romain. L’envoi de messages sur plomb est mentionné, quoique rarement, par les sources littéraires : dans le contexte du conflit entre les Milésiens et les Naxiens, au début du Ve s., il est question d’un message écrit sur une tablette de plomb dissimulée dans un gâteau ou dans un pain, que Polykritè fit passer à son frère ; les auteurs qui citent cette ruse emploient des termes suggestifs : μολίβδινον γραμματίδιον (Plutarque), μολυβδίνη ἐπιστολή (Parthénios), μολιβοῦν γραμματεῖον (Polyen)49. Néanmoins, le plomb comme support pour graver des lettres ou d’autres documents a une très longue histoire, qui précède l’archaïsme grec. On trouve des lettres sur plomb dans le Proche-Orient et, en Anatolie, chez les Hittites, comme c’est le cas des sept lettres découvertes en 1905 à Assur, sous un bâtiment du VIIe s. : ce sont des lamelles opisthographes, tracées à la pointe, roulées en cylindre. On peut ajouter cinq lettres sur plomb en louvite hiéroglyphique (néo-hittite) en Anatolie50. En parallèle avec les Grecs, ou à la suite de contacts, d’autres populations de l’espace méditerranéen ont fait appel à ce support métallique. L’usage du plomb est bien attesté chez les Étrusques, y compris dans leur domaine d’influence51. Ainsi, en Languedoc, on peut citer l’une des faces du fameux plomb de Pech Maho (IG France 135), car la lamelle a été d’abord inscrite en étrusque, avant d’être réutilisée pour une transaction commerciale rédigée en grec, dont les témoins portent des noms ibériques. Chez les Ibères, il faut envisager un véritable transfert culturel du support comme de l’écriture et de ses usages, puisque de nombreux documents sur plomb en écriture paléohispanique levantine sont connus52. Paradoxalement, on dispose à présent pour l’espace ibéro-languedocien d’un nombre appréciable de lettres ibères sur plomb ou d’autres types de documents, tels les contrats53, qui contraste avec le nombre plus réduit de Voir Jiménez San Cristóbal 2014, en partic. p. 239–240. 1100 défixions étaient connues en 1985, et plus de 1300 au début des années 2000 – estimation qui est déjà dépassée. Il existe deux corpus : DTA de R. Wünsch (1897) et Defix. Tab. d’A. Audollent (1904 ; pour l’illustration, voir Németh 2013). En général, voir Preisendanz 1969 ; Gager 1992. La plupart des autres tablettes de malédiction publiées depuis ont été rassemblées par Jordan 1985 ; Jordan 2000b. Pour une présentation générale en rapport avec le grec conversationnel et une critique bienvenue de l’ancienne théorie selon laquelle ces textes seraient écrits par des esclaves, prostituées et étrangers, voir Curbera/Jordan 2007. 40 Sur les contrats de vente d’immeubles en Sicile (Camarine, Morgantine), voir de Hoz (M. P.) 1994 ; Souza 2016. 41 À Corcyre, vers 500 (van Effenterre – Ruzé, Nomima, II, 1995, p. 264–266, n° 73) ; voir aussi une tablette de plomb, dont seule la moitié supérieure est gravée (6 lignes), trouvée dans le sanctuaire d’Artémis Élaphèbolos d’Hyampolis, en Phocide (voir en dernier lieu Prignitz 2014, p. 138–139, n° 3, ph. p. 139). 42 Géla, en Sicile (I. dial. Sicile I 134, début du Ve s.) ; dans la même région, signalons une créance (I. dial. Sicile I 177, ca. 450– 400) ; le fameux plomb commercial de Pech Maho (IG France 135) ; le plomb commercial moins connu de Roccagloriosa, en Lucanie (Lu 45/Buxentum 3). Ces deux derniers documents sont par ailleurs cités à plusieurs reprises dans ce corpus. 43 Ainsi, près de 500 lamelles de plomb inscrites à Styra d’Eubée (vers 475) ; voir Masson 1992. 44 Braun 1970 ; Kroll 1977 (de très nombreuses lamelles de plomb enroulées, datant des IVe–IIIe s.). 45 Plus de 4000 lamelles de plomb découvertes dans le sanctuaire de Dodone ; voir Lhôte 2006 ; Dakaris/Vokotopoulou/Christidis 2013. 46 La fameuse loi sacrée de Sélinonte (NGSL 27, milieu du Ve s.), gravée sur une grande lamelle de plomb (23 × 59,7 cm). 47 Cf. une tablette opisthographe écrite en stoichèdon, fragmentaire, découverte dans l’agora d’Apollonia d’Illyrie (Ve s.) ; voir Shpuza et alii 2012, p. 405–406 (ph. p. 405, fig. 5ab). 48 Jordan 1994 (l’Isthme de Corinthe). 49 Plutarque, De mul. vir. 17 (Mor. 254 D) ; Parthénios 9.5, citant Andriskos de Naxos (FGrHist 500 F 1) et Théophraste ; Polyen 8.36. Cf. Blanck 1992, p. 43 ; Decourt 2014, p. 31. Pour un autre stratagème, voir Dion Cassius 46.36.5 ; Frontin, Strat. 3.13.7. 50 Steinheer/Bossert 1951 ; Faucounau 1988 (l’auteur est un roi hittite du temps de Salmanasar III, au IXe s.). Voir à présent de Hoz (J.) 2019, avec la nouvelle liste de lettres sur plomb néo-louvites et l’hypothèse très séduisante d’un emprunt grec de cet usage, par les marchands. 51 Voir Massarelli 2014. 52 Voir, à titre d’ex., Panosa Domingo 1993 ; de Hoz (J.) 2010. 53 de Hoz (J.) 1979 (sur les documents sur plomb grecs et ibères) ; de Hoz (J.) 1997. 38 39
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lettres grecques sur plomb (une douzaine) dans le Golfe du Lion, comme si l’emprunt avait dépassé le modèle54. Les textes sur plomb rédigés en ibérique55 comportent seulement quelques séquences identifiables : des signes métrologiques ou numériques, des noms propres, y compris le nom du destinataire écrit au verso ou transversalement (adresse externe)56, ou bien le terme salir, sans doute « monnaie » ou « valeur ». Une lettre ibérique d’Emporion montre qu’au IIIe s. la langue ibère était un moyen de communication écrit dans cette cité grecque, qui plus est pour un Celte du sud de la Gaule, si l’on prend en considération l’appartenance linguistique de son nom, Katulatien57. Il convient de mentionner que les textes sur plomb en ibère apparaissent après le IIIe s., précisément quand l’usage de ce support dans le monde grec a dû se raréfier. Pour le monde grec, des similitudes doivent être cherchées notamment dans une autre grande catégorie épigraphique qui utilisait comme support le plomb : les tablettes de malédiction. On connaît à présent plus de 1300 defixiones en grec, la plupart sur plomb58 (mais il existe aussi des exemples sur support céramique, et même sur des tablettes en bois)59, sous la forme de lamelles généralement rectangulaires, le plus souvent enroulées, parfois pliées, et très souvent percées de trous laissés par des clous. Contrairement à ce qu’on a pu affirmer, souvent par méconnaissance du dossier60, le plomb était bel et bien utilisé pour l’écriture des lettres privées. Les defixiones sont certes plus nombreuses, pour la simple raison qu’elles ont été délibérément déposées dans les nécropoles (qui ont, pour les archéologues, le grand avantage d’être des complexes clos) ou dans les sanctuaires. Que ce soient grâce aux fouilles archéologiques ou, de nos jours, aux chasseurs de trésors et à leurs détecteurs à métaux, ce type de textes est régulièrement découvert et publié61. Comme le remarque M. Faraguna, « ci si debba sempre più abituare all’idea che, accanto alle tavolette di legno e al papiro (…), anche il piombo o altri materiali ‹poveri› potesse venire comunemente utilizzati come supporto scrittorio per gli usi, pubblici o privati, dell’amministrazione, della corrispondenza e di altri aspetti della vita quotidiana »62. C’est par ailleurs de la même façon qu’on préparait les « feuilles » de plomb pour les deux types de documents, en les découpant dans des pièces de métal plus grandes. Sur les tablettes de plomb ayant servi à noter des lettres, on remarque parfois des lignes verticales ou horizontales qui servaient à délimiter le cadre de rédaction de message ; la feuille est découpée en suivant cette ligne mais pas toujours exactement sur la ligne, étant donné qu’on aperçoit ici et là sa trace. Ainsi, la lettre de Pasiôn (*8, à gauche) ; la lettre d’Achillodôros (25, à gauche) ; la lettre d’Olbia du Pont mentionnant « la caisse de la mère » (29), qui devait avoir un cadre complet ; la lettre fragmentaire de Nymphaion (42, à droite) ; le billet sur plomb concernant l’esclave Phaullès, à Phanagoria (49, à droite) ; la lettre de Klédikos (52), ou finalement le rédacteur a écrit sur deux colonnes ; la troisième lettre d’Emporion (69), qui devait avoir un cadre complet. D’autres lignes apparaissent au verso des lamelles, qu’elles soient irrégulières (lettre de la Pnyx, 5) ou bien cadrées (lettre de Patrasys, 48). Une fois découpées, les tablettes étaient par la suite aplaties avant d’être inscrites, aussi bien pour uniformiser la surface que pour l’agrandir. La tablette d’une defixio a conservé même la qualité de la personne chargée Voir en général de Hoz (J.) 1998. Voir Bats 1988a, p. 139 ; Untermann 2014 ; de Hoz (J.) 2015 ; Ruiz Darasse 2015 ; Ruiz Darasse 2016 ; en dernier lieu, voir Simón Cornago 2019. 56 Ainsi, une lettre d’Emporion (Sanmartí Grego 1988). 57 Ruiz Darasse 2015, p. 416. Sur les langues utilisées en Gaule du Sud, voir : Pericay 1974 ; Bats 2011c. 58 Curbera 2015 (en partic. sur la collection de Richard Wünsch, avec environ 200 defixiones attiques). 59 Voir les réflexions d’A. Chaniotis, EBGR 2001, n° 26 (Kernos, 17, 2004, p. 202) sur le support des defixiones : « The use of ostraka suggests that the preference for lead has nothing to do with the qualities of this metal (cf. F. Graf, Gottesnähe und Schadenzauber. Die Magie in der griechisch-römischen Antike, Munich, 1996, p. 119–120), but rather with its practical use: lead tablets, exactly as ostraka, were used for the writing of letters; the defixiones were letters to the powers of the underworld, and precisely as letters they were written on the material wich was normally used for this purpose. It should be noted that in addition to references to defixiones written on papyrus and wax (Ibid., p. 120), we now also have a defixio on stone ». 60 Muir 2009, p. 14, citait seulement cinq documents (« it seems that the lead sheets were an exceptional writing material »), en dépit des catalogues plus riches réalisés par Jordan 2000a, p. 91–92 ; Jordan 2003, p. 30–35 ; Jordan 2007 ; Dana 2004, p. 1 n. 2 ; Dana 2007a, p. 68–69 ; en dernier lieu, voir Sarri 2018, p. 53–56 et 72–74. Brèves mentions chez Stirewalt 1993, p. 6 et 12. 61 Voir aussi Decourt 2014, p. 27 (sans accepter toutefois sa remarque sur la lettre de Massalia 59, « qui n’a, semble-t-il, jamais été envoyée, si l’on se fie à son contenu et à son état de conservation : elle était peut-être tout simplement tombée dans l’eau du port »). 62 Faraguna 2002, p. 246. 54 55
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
de cette opération, le μολυβδοκόπος63, où l’on reconnaît, dans la seconde partie de ce nom d’agent, un dérivé du verbe κόπτω, « frapper »64. Il est certain que, pour les defixiones, les documents du quotidien que sont les lettres privées servaient de modèle : certaines tablettes sont de forme rectangulaire et le fait de les avoir trouvées enroulées renvoie aux lettres sur papyrus65 ou aux lettres sur lamelles de plomb. Les opérations d’enroulement et de déroulement sont décrites dans une defixio du milieu du IVe s. de Pella, en Macédoine : καὶ ὁπόκα ἐγὼ ταῦτα διελέξαιμι καὶ ἀναγνοίην πάλειν ἀνορόξασα,| [τόκα] γᾶμαι Διονυσοφῶντα, πρότερον δὲ μή66, « et quand moi j’aurai déterré cette tablette, que je l’aurai déroulée et qu’à nouveau je l’aurai lue, qu’alors seulement Dionysophôn prenne femme, mais pas avant » (trad. L. Dubois). Comme le montre L. Dubois, le verbe ἐπειλίσσω, « enrouler », se retrouve à l’époque impériale dans une anecdote rapportée par Dion Cassius 46.36.5, au sujet d’une lettre secrète sur plomb envoyée pendant la guerre civile à Décimus par César, pour le prévenir de sa présence : ἐς ἐλασμὸν μολύβδου λεπτὸν ἐγγράψαντές τινα ἐπείλιξαν αὐτὸν ὥσπερ τι χαρτίον, καὶ κολυμβητῇ νυκτὸς ὑφύδρῳ διενεγκεῖν ἔδωκαν (« après avoir inscrit quelques mots sur une fine lamelle de plomb, ils l’enroulèrent comme un rouleau de papyrus et la remirent à un plongeur sous-marin pour qu’il l’apporte à la nuit »)67. Le plomb, bon marché68, malléable et facile à travailler, rejoint le papyrus parmi les supports privilégiés pour la correspondance, et son emploi dans le monde grec doit être reconsidéré. Le papyrus offre un véritable confort d’écriture et de lecture, par rapport au tesson de céramique69. La feuille de papyrus présente l’avantage de pouvoir être enroulée et scellée70, ce qui assure la confidentialité du contenu et la rend aisée à transporter. Mais le contenu d’un rouleau de plomb pouvait lui aussi être rendu confidentiel, comme on le voit pour la lettre sur plomb ibérique trouvée à Emporion, qui présente un trou par lequel une corde avait pu être passée afin de le sceller71.
Les tessons (ὄστρακα) et les supports apparentés L’ostrakon, dont le texte s’offrait à la curiosité de tous les intermédiaires (le texte était normalement écrit sur la face convexe du tesson, pour des raisons pratiques), était ressenti comme un support grossier, utilisé faute de mieux72. Une anecdote célèbre rapporte qu’au début du IIIe s. le stoïcien Cléanthe d’Assos, disciple et successeur de Zénon de Kition, était obligé d’écrire sur des tessons et des omoplates de bœufs, faute d’argent pour s’acheter du papyrus (Diogène Laërce 7.174 : τοῦτόν φασιν εἰς ὄστρακα καὶ βοῶν ὠμοπλάτας γράφειν ἅπερ ἤκουε παρὰ τοῦ Ζήνωνος, ἀπορίᾳ κερμάτων ὥστε ὠνήσασθαι χαρτία). Sur ce support céramique, le scripteur est souvent piégé par le manque de place, devant ainsi interrompre la fin de la lettre ou adapter les lignes sur le bord du tesson, ce qui nous fait penser aux contraintes matérielles du support : « il ne faut donc jamais perdre de vue que le support conditionne le contenu textuel »73.
DTA 100, l. 13. Sur ce terme, formé sur le modèle de λιθοκόπος (le métier de « tailleur de pierre »), voir Dubois 1995b, p. 197 ; Voutiras 1998, p. 61–62 et n. 138. 65 Curbera 2015, p. 101. 66 SEG XLIII 434, ll. 3–4 = Jordan 2000, n° 31. 67 Dubois 1995b, p. 194 ; voir aussi Decourt 2014, p. 31–32. Un papyrus magique du IVe s. ap. J.-C. utilise pour une incantation gravée sur une tablette de plomb l’expression μολυβοῦν πέταλον [PGM I, 190 (V 303)]. Cf. aussi Suétone, Nero 20.1 (plumbea charta). 68 Il était plus ou moins disponible, selon les régions, mais il n’était pas cher, voir Kroll 1977, p. 94–95 et n. 29 : entre 2 et 7 drachmes par talent (ca. 25 kg) ; selon Kroll, les 650 tablettes du IIIe s. de l’Agora et du Céramique avaient coûté entre 1 et 2 drachmes. Sur les avantages du plomb, voir aussi van Effenterre – Ruzé, Nomima, II, 1995, p. 260. 69 Les tessons sont privilégiés à l’époque impériale dans les praesidia du désert Oriental d’Égypte, par exemple. 70 À l’époque lagide, les lettres grecques et démotiques sur papyrus sont souvent scellées avec des sceaux d’argile ; voir Vandorpe 1996, p. 231–291. 71 Dans sa publication, Sanmartí Grego 1988 ne remarque par ce détail, qui m’a aimablement été communiqué avec des photos du plomb déroulé par Ignacio Simón Cornago (Université du Pays Basque). 72 Fournet 2006, p. 470. 73 Fournet 2006, p. 472–473. 63 64
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Les messages les plus anciens, à partir du milieu du VIe s., apparaissent sur des tessons, également utilisés dans les exercices scolaires74, mais aussi, comme le montre Mabel Lang dans son corpus de référence, pour prendre des notes, dresser des inventaires de cuisine ou des listes de courses75. Si ces supports d’écriture sont mieux connus à Athènes depuis cette publication magistrale, ils étaient en réalités omniprésents dans l’ensemble du monde grec, comme on le voit à travers deux dossiers considérables, celui de Naucratis76 et celui d’Olbia du Pont77. Des archives économiques sont composées de tessons peints, comme le prouvent le dossier inédit de Rhodes, à la basse époque hellénistique (16, avec des textes à caractère épistolaire), et celui déjà publié de Chersonèse de Crète (90 ostraka d’époque impériale)78. On connaît également des contrats et même des defixiones79 sur tesson, preuve que les fragments céramiques, faciles à trouver et n’impliquant aucune dépense, sont un support parmi d’autres et, faute de mieux, le plus accessible. Comme le remarque Paola Ceccarelli, l’appellation de « notes » est plus appropriée que celle de « lettres » pour ces derniers : néanmoins, bien que ces brefs messages ne présentent généralement pas de formule d’introduction ou de salutation à la fin, leur fonction n’est pas radicalement différente de celle des lettres plus développées. De format différent, ces « billets » semblent concerner la communication quotidienne, à courte distance, entre les gens qui se connaissaient. Considérées comme insignifiantes et difficiles à classer par William V. Harris, dans son ouvrage consacré à la literacy, ces lettres sur tesson sont citées par Christophe Pébarthe dans le but de montrer que les pratiques épistolaires caractérisaient même les couches modestes de la population athénienne à l’époque classique, avis qui concerne également les lettres sur plomb. Paola Ceccarelli leur attribue un rôle encore plus modeste : selon elle, si ces textes montrent que la literacy était diffusée à tous les niveaux, et dans ce sens ils sont importants, ils ne témoignent pas d’un usage généralisé de l’écrit pour la correspondance80. Sans exagérer leur poids dans la vie quotidienne des Grecs, les messages comme les lettres représentent un moyen de communication plus diffusé qu’on ne l’a pensé, entre petits commerçants, artisans ou boutiquiers, dans les domaines ruraux, mais aussi à des niveaux socialement plus élevés. Vers l’époque hellénistique, des messages sur tesson se présentent en effet sous une forme épistolaire, comme le montrent les découvertes de Nikonion (21, avec la structure quasi-complète d’une lettre), d’Olbia du Pont (34, « lettre aux nauclères »), de Vyšesteblievskaja 3 (51), sans oublier le dossier inédit de Rhodes (16), tandis qu’à Olbia de Provence un tesson annonce l’envoi d’une vraie lettre (58). À une époque plus ancienne déjà, l’étonnante « lettre du prêtre » d’Olbia du Pont (28) montre que des messages longs et élaborés, soigneusement écrits, étaient également confiés à ce support commode. Outre les tessons, d’autres supports céramiques ont été utilisés pour graver des lettres ou des messages : des tablettes d’argile (15, *70), qui sont peu documentées dans le monde grec81 ; à
74 Pour l’Égypte, voir Cribiore 1996, p. 3–6 et en partic. 63–64 (34% des exercices d’écolier sont gravés sur ostraka) ; Cribiore 2001, p. 131; Lougovaya 2018. Pour un exemple régional, avec la bibliographie, voir Dana 2009. 75 Quelques exemples : un tesson d’époque romaine de l’Agora athénienne avec une liste d’aliments (Agora XXI, B 20) ; un inventaire de skyphoi dans le comptoir d’Adria (I. dial. Grande Grèce I 74, début du IVe s.) ; un graffite commercial avec des noms de vases à Vassallaggi en Sicile (I. dial. Sicile I 169, vers 420) ; une liste d’animaux (exercice scolaire ?) sur un carreau de terre cuite, à Morgantine (I. dial. Sicile II 105, IIIe–IIe s.) ; une liste « gastronomique » du IVe s. à Panticapée (Jordan 1978b ; SEG XXVIII 663) ; une liste d’herbes sur un ostrakon inédit du IVe s. d’Olbia du Pont, conservé au musée de l’Ermitage (cf. Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1990, 586) ; à Pergame, à l’époque impériale, un tesson incisé avec un bordereau de cuisson (Bounegru/Erdemgil 2000) et un tesson peint avec une liste de fournitures (Reiter 2010). 76 2800 pièces céramiques inscrites, la plupart en écriture et dialecte ioniens, étudiés par A. Johnston, « Inscriptions on Greek Vases » et « Ceramic Inscriptions », dans Naukratis : Greeks in Egypt (https://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20190801105436/ https://www.britishmuseum.org/research/online_research_catalogues/ng/naukratis_greeks_in_egypt.aspx). En général, pour le milieu commercial, qui sera amplement discuté, voir Johnston 1979 ; Johnston 2006. Voir aussi les témoignages du sanctuaire grec de Gravisca, en alphabet et dialecte ioniens : Johnston/Pandolfini 2000. 77 Voir les recueils I. dial. Olbia Pont (L. Dubois, 1996) et GraffOlbiaPont (A. S. Rusjaeva, 2010). 78 Litinas 2008. 79 Voir, à titre d’ex., I. dial. Olbia Pont 105. 80 Harris 1989, p. 89 ; Immerwahr 1990, p. 175 ; Pébarthe 2006, p. 82 ; Ceccarelli 2013, p. 44 et n. 80 (sur l’écriture dans la société grecque archaïque, voir p. 27–35). Sur la literacy, voir en général Thomas 1992 ; Thomas 1994 ; Johnson/Parker 2009 ; Missiou 2011. 81 Pour leur usage en contexte grec, voir comm. 15.
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
l’époque impériale, des tuiles82 et des briques83, voire des vases envoyés comme présent, comme des amphores à Athènes (*10, *11) et le mortier de Nida, en Germanie Supérieure (72). À Smyrne, à une époque plus tardive, une plaque de marbre brisée a été utilisée comme un tesson pour inscrire une lettre peinte (18), car par sa forme et sa dimension elle se prêtait à cette fonction : comme les autres tessons inscrits, elle pouvait tenir dans une seule main, pour qu’elle puisse être inscrite et, par la suite, lue. Le billet attique de Sôsinéôs (4) fut gravé sur un tesson comportant encore l’anse, qui a servi à l’attacher au « paquet » dont il est précisément question dans le bref texte.
Les lieux de découverte des lettres sur plomb et sur tesson Les supports métalliques et céramiques portant des lettres privées et des messages ont été le plus souvent retrouvés, lors des fouilles systématiques, dans des dépotoirs. Le sort d’autres feuilles de plomb a été parfois d’être réutilisées pour lester des filets de pêche. Ainsi, à Lattara, on a trouvé lors des fouilles, dans l’îlot 4-sud, 18 lests faits d’une feuille de plomb enroulée sur un cordage (époque hellénistique)84. Sur ce site, des lests en plomb, constitués d’une feuille de plomb enroulée autour de la corde bordant le bas du filet, ont été utilisés dès l’époque classique jusqu’au IIe s. de notre ère. C’est toujours à Lattes que fut découvert, en 1965, un « plomb de pêche » enroulé (7,4 × 1,3 cm) avec les restes d’une inscription en caractères vraisemblablement grecs, peutêtre l’adresse externe d’une lettre privée (*62)85. Deux lettres du Pont-Euxin ont été retrouvées dans l’eau bien que par des non-spécialistes : la lettre sur plomb de Botrys, à Akra (41), sortie des eaux du détroit de Kertch, et la lettre sur plomb de Klédikos, trouvée dans les eaux du Golfe de Taman, à Hermonassa (52). La plupart des lettres ont été néanmoins abandonnées dans des décharges familiales où l’objet, après avoir été lu et éventuellement conservé dans les archives – ce fut sans doute le cas du fameux plomb commercial de Pech Maho – avait été jeté. Ainsi, le message sur tesson de la « maison de Thamneus » (1), d’Athènes, a été trouvé dans un puits utilisé comme dépotoir, avec de la vaisselle de table, tout comme un autre message attique sur tesson avec des instructions (2), découvert dans un puits fouillé dans l’Agora, qui avait été utilisé comme dépotoir par les propriétaires des boutiques de céramique. Ce fut également le cas du message d’Arkésimos à Eumèlis (3), de celui de Sôsinéôs à Glaukos (4), des trois autres supports céramiques d’Athènes (*9, *10, *11), mais aussi de la lettre attique sur plomb de Lèsis (7), retrouvée dans l’Agora dans un puits avec de petites pièces en terre-cuite et des fragments de defixiones. Le lieu où ce plomb a été retrouvé a fait dire à une partie de commentateurs que la lettre n’était jamais arrivée à destination, alors qu’il doit s’agir d’une pratique courante. Aussi bien en Chalcidique (lettre sur plomb de Toronè, 14 ; lettre sur plaque de terre cuite de Thasos, 15) que dans le Pont-Euxin ou en Occident, la plupart de ces objets ont subi le même sort – quand on dispose de renseignements sur le contexte archéologique : la lettre sur plomb mentionnant Mélas de Berezan’ et la lettre récemment découverte toujours à Berezan’ (23 et 24) ont été abandonnées dans des fosses avec du matériel céramique ; la lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25), dans une fosse faisant office de dépotoir ; le message sur tesson de Kophanas de Kozyrka 2 (36, chôra d’Olbia du Pont), dans un monticule de décombres avec des restes céramiques ; la lettre sur tesson de Vyšesteblievskaja 3 (51, chôra de Phanagoria), dans une fosse avec des restes céramiques ; la possible lettre sur plomb d’Antipolis (*57), dans un dépotoir avec des tessons ; le tesson de Valentia (*71), dans une fosse de remplissage ; la lettre sur vase de Nida (72), dans une citerne. Certaines lettres ont néanmoins été retrouvées dans des habitations, sans doute le lieu de vie des destinataires et de leurs familles, ou dans des secteurs de la vie économique (agora, port) : la lettre sur tesson de Nikonion (21, sur le pavage de la cour), la lettre sur plomb de 82 Dans la seconde moitié du IIe s. ap. J.-C., un anonyme copia en écriture cursive, sur une tuile découverte à Romula (Dacie Inférieure), l’en-tête d’une correspondance officielle (ou plutôt un exercice d’imitation), traduite en grec (I. Dacia Rom. II 391) : Ἄρριος Ἀντωνῖνος | ὑπατικὸς Δακῶν | καὶ ὑπατικὸς Δαλμα|τῶν | Ἑλουίῳ Περτένακι τῷ τιμ(ιωτάτῳ χαίρειν· κτλ). Voir en dernier lieu Mitthof 2015 (avec la meilleure édition et comm.) (AÉ, 2015, 1195). 83 Comme l’illustrent des lettres privées latines, ainsi que des exercices d’écriture sur ces supports, notamment en milieu militaire. 84 Feugère 1992, p. 147–148 et fig. 8 et 10 ; Py/Garcia 1993, p. 58 (et fig. 41) et 59 (fig. 42.9–32). 85 Piquès 2010, p. 40 (et photo d’un « plomb de pêche » avec les restes d’une inscription grecque) et 85 (avec la même photo).
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Prôtagorès du Mont Živahov (22), la lettre sur plomb d’Apatorios à Léanax et une lettre opisthographe d’Olbia du Pont (26, dans l’agora olbienne), la lettre sur plomb mentionnant la « caisse de la mère » d’Olbia du Pont (29), le message sur tesson de Panskoe 1 (37), la lettre sur tesson d’Apatorios de Kerkinitis (38, dans un quartier d’habitation), le possible message sur plomb de Daitis d’Himère (*55), le message sur tesson d’Olbia de Provence (58), la lettre sur plomb d’Agathè (63), la lettre sur plomb de Massalia (59, dans la zone portuaire), les deux lettres sur plomb de Lattara (60 et 61, dans la recharge de sol d’une habitation près du port), la lettre sur plomb d’Emporion mentionnant Basped[–] (67). Quelques exceptions doivent être notées : le message sur tesson d’Ak-Kaja (47) a été retrouvé dans un possible sanctuaire, alors que la lettre de Batis (32) a été découverte dans une tombe dévastée de la nécropole d’Olbia du Pont. D’autres lettres sur plomb ont connu un destin différent, car le plomb pouvait être fondu et réutilisé, ou bien nettoyé ; des traces d’un palimpseste sont peut-être visibles sur les lamelles d’Achillodôros de Berezan’ (25), d’Apatorios d’Olbia du Pont, 26) et sans doute sur l’une des plaquettes de Lattara (60). Enfin, à l’instar des papyrus qui portaient sur une face un acte ou une lettre et sur l’autre face un texte d’un autre genre, certaines lamelles sur lesquelles on avait écrit une lettre ont pu être gravées sur la face non inscrite, sans que le rédacteur se donne la peine d’effacer le premier texte. Une tablette de plomb d’époque impériale ayant servi pour noter une lettre (dans la région d’Oropos ?) fut par la suite réutilisée pour graver, sur l’autre face, une defixio à Mégare, toujours à l’époque impériale (12)86. En effet, on imagine facilement qu’une fois leur fonction primaire remplie, ces objets étaient vite abandonnés, notamment les ostraka.
2.2. Formes et apparence des lamelles et des tessons En fonction de leurs traits caractéristiques, on doit s’interroger sur la fonctionnalité de chaque support87. La forme des tessons et des tablettes de plomb montre une variété étonnante de pratiques, bien que, en ce qui concerne les feuilles de plomb, une fois déroulées elles se présentent presque toutes comme des plaquettes rectangulaires (fig. 219–220). Les tessons choisis comme support d’écriture, pouvant être tenus dans une seule main, présentent le plus souvent une forme triangulaire, rectangulaire ou trapézoïdale, avec cependant des variations (cf. fig. 221), et parfois ils ont été retaillés par le graveur (par ex., 51), qui a donc adapté le support à ses besoins. Ils ont été généralement choisis à dessein, après la cassure du vase, pour envoyer un billet en urgence ou en faire des étiquettes qui accompagnaient les produits : c’est le cas du message sur tesson de Sôsinéôs d’Athènes, dont le correspondant, Glaukos, recevait le colis et le message comportant l’anse grâce à laquelle il pouvait être attaché au paquet (4)88. Parfois, l’expéditeur choisissait d’écrire directement sur le vase envoyé au destinataire. Les trois exemples datent d’époque impériale : les deux dipinti d’Athènes, sur des amphores (*10, *11), et le graffite très soigné sur le mortier envoyé en cadeau par Drakôn à Achilleus, à Nida en Germanie Supérieure (72). La quasi-totalité des inscriptions portées par les tessons sont des graffites incisés, à quelques exceptions près : des dipinti pour les époques plus tardives (les deux déjà cités, d’Athènes : *10 et *11), les lettres peintes sur les ostraka de Rhodes (16, dossier inédit), ainsi que sur une petite plaque de marbre de Smyrne, utilisée comme tesson (17) – où l’on constate les mêmes pratiques d’écriture qu’en Égypte. Si en Égypte les ostraka étaient peints quelle que soit l’époque, pour la correspondance privée en dehors d’Égypte – cf. les exemples d’Éphèse (18) et de Valentia (*71) –, les lettres privées sont, à l’instar d’autres graffites, toujours incisées. Un changement du support céramique peut être remarqué entre les époques archaïque et classique (où l’on utilisait des fragments de vases à vernis noir, un support foncé sur lequel les lettres ressortaient facilement par contraste), et l’époque hellénistique et impériale, où l’emploi des parois d’amphores parfois assez épaisses ou d’autres céramiques devient la règle. Si des
86 Pour un remploi similaire, cf. une tablette de plomb opisthographe de Sicile : elle comporte sur la face A la vente d’un bœuf (écriture de Sélinonte ? ; ca. 480), et sur la face B une defixio contre des opposants agonistiques (ca. 450) ; voir Miller 1983, p. 65–109. 87 Voir, en général, Piquette/Whitehouse 2013. 88 Cf. le billet sur plomb concernant l’esclave Phaullès, qui devait accompagner la « marchandise » (49, Phanagoria).
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exemples sont naturellement connus dans l’espace mésopotamien, des textes en grec ont été curieusement gravés dans l’argile crue avant cuisson sur une tablette rectangulaire de terre cuite de Thasos (15 ; cf. un cas ambigu à Emporion, *70). La forme des tessons pouvait aller des fonds de vase ronds (tesson de la « maison de Thamneus », 1) ou des tessons ovoïdes (billet à Eutychès d’Olbia de Provence, 58), à des formes plus anguleuses : – plus ou moins rectangulaires : le message de Sôsinéôs d’Athènes (4) ; le tesson attique concernant un Corinthien (*9), rectangulaire avant la brisure ; la « lettre du prêtre » d’Olbia du Pont (28), fragmentaire, sans doute de forme rectangulaire ; le possible message sur tesson d’Olbia du Pont (*33), qui avant la cassure devait présenter une forme rectangulaire ; la lettre de Chersonèse Taurique (39) ; le possible message d’Hèrakleidas sans doute de Chersonèse Taurique (*40). – triangulaires : le message avec des instructions d’Athènes, qui avant la cassure devait présenter une forme triangulaire (2) ; le message de Kophanas, de Kozyrka 2 (36) ; le tesson de Vyšesteblievskaja 3, envoyé par une femme à Apollas, brisé à gauche (51) ; le tesson comportant la lettre adressée à Apollon(e)[i–], brisé à droite (54, Gorgippia) ; l’échange de messages de Valentia (*71) ; et la petite plaque de marbre de Smyrne, utilisée comme un tesson (17). – trapézoïdales : la lettre de Nikonion, retrouvée en deux morceaux (21) ; l’accusé de réception envoyé par Rhodôn (35) ; le message de Panskoe 1 concernant Kotytiôn (37). – pentagonales : le message d’Arkésimos d’Athènes (3) ; le tesson d’Olbia du Pont portant une lettre adressée aux nauclères, brisé à gauche (34) ; la lettre d’Apatorios de Kerkinitis (38) ; le message d’Ak-Kaja (47) ; la lettre de Polémarchos, à Phanagoria (50). Concernant les lettres sur plomb, à l’exception de quelques lamelles qui ne présentent pas de plis mais seulement un trait vertical au milieu (ainsi 30), les tablettes de plomb, souvent de forme rectangulaire, ont été pliées plusieurs fois de façon à former des rouleaux aplatis, notamment les plaquettes longues et étroites. Ainsi, est-ce le cas des lettres retrouvées enroulées, sous la forme d’un cylindre : la lettre de Lèsis d’Athènes, enroulée de gauche vers la droite (7) ; la lettre d’Achillodôros de Berezan’ enroulée à partir du bord gauche, donc dans le sens de l’écriture (25) ; une autre lettre de Berezan’, mentionnant une cargaison (24) ; la lettre de Mégistès de Massalia, enroulée de gauche vers la droite, avec neuf petits volets visibles (59) ; la lettre d’Emporion au sujet de Basped[–], enroulée de droite à gauche, le rouleau de plomb ayant été déroulé par les archéologues à l’aide d’un clou en métal (67) ; le message sur plomb d’Emporion au sujet de Pythagorès et d’Agathoklès, pour lequel l’inventeur insiste sur le fait que la lamelle de plomb a été retrouvée enroulée de façon très serrée (69). Les lettres qui ont subi un pliage net sont plus nombreuses : la lettre sur plomb de la Pnyx, dont seulement la moitié gauche a été retrouvée (5) ; la lettre de Mnèsiergos d’Attique, pliée sur elle-même, au milieu, l’adresse inscrite sur l’autre face, dans le sens de la largeur, transversalement par rapport à la direction du texte de la face interne (6) ; la lettre d’Artémidôros de Nikonion, sur laquelle, après avoir enroulé à plat la lamelle plusieurs fois de droite à gauche, le rédacteur a gravé l’adresse externe sur le dernier segment, avant de plier apparemment en deux la plaquette ainsi obtenue ‒ légèrement de manière oblique ‒ de manière à ce que l’adresse reste visible pour le porteur et le destinataire (20) ; la lettre de Prôtagorès du Mont Živahov, pliée dans l’axe horizontal puis vertical, de façon à ce que le texte reste à l’intérieur, s’il ne s’agit pas d’un repliage par le destinataire après lecture (22) ; la lettre d’Apatorios d’Olbia du Pont, pliée en trois segments de dimensions inégales (26) ; la lettre d’Artikôn d’Olbia du Pont, pliée en deux, ce qui a fait que les volets se soient nettement détachés (30) ; la lettre d’Oréos de Myrmékion, pliée en deux, la face A à l’intérieur, puis l’extrémité droite rabattue vers la gauche (46) ; le possible message de Daitis d’Himère, replié en deux dans le sens de la longueur (*55) ; la lettre avec des instructions commerciales sur plomb de Lattara, pliée deux fois (deux volets seulement ont été conservés), presque carrée après le dépliage (60) ; les deux autres lettres de Lattara (61 et *62), sont la première pliée en trois, la seconde en deux ; la lettre de Ruscino, pliée en deux, la face A à l’intérieur, puis chaque moitié repliée en trois volets, ce qui donne six volets en tout (65). Pour la plupart des lettres enroulées à plat, on peut déterminer la direction d’enroulement, en général de gauche vers la droite : les volets sont de plus en plus larges au fur et à mésure que l’on avance vers la droite, par exemple la lettre d’Olbia du Pont mentionnant la « caisse de la mère » (29), alors que le billet sur plomb de Phanagoria concernant l’esclave Phaullès a été enroulé à plat de
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Fig. 219. Formats des lettres sur plomb (I).
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
Fig. 220. Formats des lettres sur plomb (II).
2. Supports et pratiques d’écriture
Fig. 221. Formats des lettres sur tesson.
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
droite à gauche, avec l’écriture à l’extérieur (49). Pour ce dernier exemple, on peut penser soit à une erreur de pliage, soit, plus vraisemblablement, à l’intention de l’expéditeur de rendre visible le contenu qui faisait office d’étiquette accompagnant la « marchandise ». Le pliage ou l’enroulement des lettres facilitait certainement leur transport, en plus de servir à cacher le message porté par des personnes de confiance. Selon la pratique épistolaire, mais aussi pour s’assurer que le porteur saurait à qui il fallait délivrer la lettre – dans l’éventualité, par exemple, où il était chargé de plusieurs commissions – l’adresse était notée à l’extérieur, une fois la lettre enroulée ou pliée, en général à l’extrémité du rouleau ou de la plaquette, de manière à ce qu’elle reste toujours visible89. L’aspect visuel peut fournir aussi des informations sur l’aboutissement de la démarche. Ainsi, on a pensé que la lettre retrouvée à Marseille, envoyée par un certain Mégistès à un partenaire d’affaire du nom de Leukôn (59), n’a jamais été envoyée ou n’a jamais été lue. En effet, mise à part la corrosion du plomb, il n’y aurait pas de trace de pliure résultant d’un dépliage-repliage90, à la différence des autres lamelles que nous connaissons ; la même hypothèse a été émise pour la lettre d’Achillôdoros de Berezan’ (25). Cette impression peut être cependant trompeuse, car les lamelles, une fois déroulées, auraient pu être soigneusement repliées, voire de manière automatique, suivant les traces du premier repliage.
2.3. Pratiques d’écriture Si certaines lamelles présentent une adresse externe, d’autres lettres privées sur plomb sont opisthographes. Le rédacteur, ne disposant pas de suffisamment de place sur la première face qu’il a choisie comme support de son message, a décidé de continuer son texte au verso de la tablette de plomb ou, parfois, du tesson. Ainsi, on compte à ce jour sept lettres sur plomb et deux sur tesson de ce type : sur plomb, la lettre de l’agora d’Olbia du Pont (27), la lettre d’Artikôn d’Olbia du Pont (30), la deuxième lettre de Nymphaion (43), la lettre de Myrmékion (46), la première lettre de Lattara (60), la lettre d’Agathè (63) et la lettre de Ruscino (65) ; sur tesson, le message de Kophanas de Kozyrka 2 (36, une seule ligne au verso, avec la fin du message) et le jeu de mots de Valentia (*71). Pour la majorité de ces documents, on peut observer qu’après avoir gravé la première face, le scribe a retourné la tablette verticalement, dans le sens de la hauteur, à deux exceptions. Il s’agit d’abord de la lettre d’Agathè (63), où la lamelle a été retournée dans le sens de la largeur. Dans le cas de la lettre de Lattara (60), le plomb a été retourné perpendiculairement aux lignes de la face A (la pliure de la plaquette est perpendiculaire au sens de l’écriture ; les deux faces ont été inscrites par la même main, car la forme des lettres et le ductus sont identiques, ainsi que la dimension des lettres et la profondeur de la gravure) ; se rendant compte que la fin du message était assez brève, le rédacteur est passé du format « horizontal » (face A) au format « vertical » (face B). Quant au jeu de messages de Valentia (*71), le tesson a été retourné de la gauche vers la droite, ce qui trahit une pratique plus récente, peut-être sous l’influence du codex, le graffite datant de l’Antiquité tardive, ou tout simplement pour profiter de plus d’espace. Concernant les lettres sur plomb qui portent une adresse externe, cette dernière a été inscrite après l’enroulement ou le pliage de la lettre, perpendiculairement aux lignes du texte de l’intérieur, avec deux exceptions : la lettre sur plomb de Mégistès de Massalia (59), sur laquelle l’adresse externe a été gravée dans le sens des lignes, autour du rouleau une fois la plaquette de plomb enroulée, mais en lettres très grandes ‒ le rédacteur disposait de peu d’espace sur le bord, la lamelle étant étroite, entre 2,5 et 2,9 cm ; et la lettre sur plomb d’Emporion mentionnant Atielar[–] (68), où, pour y inscrire l’adresse, la lamelle, une fois pliée, a été retournée dans le sens de la hauteur. De cette façon, le texte de l’adresse externe est parallèle et non perpendiculaire à celui de l’intérieur. L’espace est utilisé de façon judicieuse, l’écriture occupant généralement toute la superficie disponible. Cependant, il arrivait que le rédacteur envoie un tesson ou un plomb qui n’était pas entièrement couvert d’écriture, bien que le message fût complet. Ainsi, nous avons plusieurs exemples de tessons choisis à dessein, après la cassure du vase, puisque l’écriture suit la forme du tesson : le message de Sôsinéôs d’Athènes (4), la lettre 89 90
Voir aussi infra p. 357–359, à propos du formulaire des adresses externes. J.-Cl. Decourt, IG France, 2004, p. 11.
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de Dionysios de Nikonion (21), l’avis de réception envoyé par Rhodôn (35), la lettre d’Apatorios de Kerkinitis (38), le possible message d’Hèrakleidas, sans doute de Chersonèse Taurique (*40), le billet à Eutychès d’Olbia de Provence, où le texte occupe la quasi-totalité de la surface disponible, les lignes n’étant pas alignées à gauche car le graveur a pris le soin d’évaluer l’espace disponible à droite (58). La situation contraire, où tout l’espace disponible n’a pas été exploité, est également attestée : le message sur tesson d’Athènes avec instructions, où la moitié de l’espace n’a pas été utilisée (2) ; le message attique sur tesson d’Arkésimos, où deux tiers de l’espace ne sont pas utilisés (3) ; la lettre sur plomb de Lèsis d’Athènes, où seule la moitié de l’espace disponible est utilisée, puisqu’il avait fini le message, qui était urgent (7) ; les lettres sur plomb de Tyras (19) et de Patrasys (48), où environ un tiers de la lamelle n’est pas inscrit ; la lettre sur plomb d’Apatorios d’Olbia du Pont, où les dix lignes occupent seulement deux tiers de la tablette (26) ; la lettre sur tesson d’Olbia du Pont adressée aux nauclères, où le texte ne couvre que deux tiers du support (34) ; la lettre sur plomb d’Hermaios de Panticapée, où seulement deux tiers de l’espace ont été utilisés – il manque la moitié du texte, alors que la partie inférieure, sans écriture, est conservée (45) ; la lettre sur tesson d’une femme à Apollas de Vyšesteblievskaja 3, où seul le quart supérieur de la surface du tesson qui semble avoir été taillé ad hoc, a été utilisé pour y inscrire quatre lignes (51) (la surface près du bord gauche du tesson paraît avoir été grattée de manière intentionnelle avec un instrument à bout plat afin de l’uniformiser) ; la lettre sur plomb de Klédikos d’Hermonassa, ou la plupart de la seconde colonne n’est pas gravée (52) ; la lettre sur tesson adressée à Apollon(e)[i–] de Gorgippia, qui présente dans la partie inférieure un petit espace laissé libre (54) ; les instructions commerciales sur plomb de Lattara, où, sur la face B, le rédacteur n’a pas utilisé toute la superficie offerte par le verso, mais seulement la partie nécessaire pour finir le message (60). Les textes sont gravés en règle générale de gauche à droite, à l’exception des plus anciens, sur plomb, qui présentent une écriture boustrophèdon : deux lettres de Berezan’ (23 ; 24) et, pour la fin de la seule l. 3, la lettre d’Achillodôros, du même site (25) ; ainsi que le curieux texte sur tablette d’argile d’Emporion (*70). Sur le tesson de la « maison de Thamneus » d’Athènes (1), qui est un fond de skyphos, le texte est disposé de façon circulaire, sur deux lignes ; de la même façon, la lettre sur vase de Drakôn à Achilleus, à Nida (72), consiste en un long graffite incisé au stylet, sur le vase déjà usé, à deux endroits (sur la paroi et le fond). Une autre disposition qui a connu une certaine faveur, aux époques plus anciennes, est celle du type stoichèdon91. On connaît à présent plusieurs lettres sur plomb en : a) stoichèdon intégral : Nymphaion (42 ; 43, sur les deux faces, sauf à la dernière ligne de la face B) ; Hermonassa (53, inédite) ; Lattara (60, deux sections avec une disposition différente du stoichèdon au recto ; au verso, une autre disposition du stoichèdon intégral) ; Emporion (68, aussi bien au recto qu’au verso, pour l’adresse externe)92. b) quasi stoichèdon ou stoichèdon intégral aux premières lignes, avant d’être adapté ou abandonné : Lattara (61, inédite) ; Ruscino (65) ; Emporion (69, sans doute intégral pour la moitié supérieure). Les lettres sur plomb sont en général soigneusement gravées, même si parfois avec des traits plus cursifs –, à quelques exceptions près, par exemple les lettres de Myrmékion (46, face B) et en particulier du Mont Živahov (22) ; dans ce dernier cas, l’écriture très irrégulière a fait dire à B. Bravo qu’il s’agissait d’une defixio. Certains rédacteurs se sont trompés à plusieurs reprises, faisant des erreurs qu’ils ont pu corriger ou ignorer (e.g. 5, *8, 23, 25, 26, 27, 42, 46, 68 ; 50 et 54, sur tesson), avec le record de la lettre de Klédikos, fourmillant de diverses erreurs (52) ; la correction implique soit l’effacement d’une lettre ou d’une séquence, suivi d’une regravure (e.g. 5, 8), soit l’ajout dans l’interligne de la lettre oubliée (52 ; 37 et 54, sur tesson) ; parfois, pour des raisons d’économie, le rédacteur à gravé la fin d’un mot en-dessous de la ligne (25 ; et 21, sur tesson). La plupart des lettres montrent également une réelle préoccupation de mise en page, en accord sans doute avec les normes de rédaction d’autres documents ou sur d’autres types de support. On a déjà remarqué les lignes verticales ou horizontales qui servaient à délimiter le cadre de rédaction de message (et au découpage ultérieur dans une feuille plus grande, voir supra, p. 329–330). Le souci de précision est encore plus évident pour la lettre sur plomb comportant des instructions commerciales de Lattara (60). Sur la face gravée en pre91 92
Voir l’ouvrage classique de Austin 1938. Une disposition quasi stoichèdon concerne également le mémorandum commercial de Pech Maho (IG France 135).
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
mier, un trait vertical a été tracé à l’endroit qui aurait pu servir de cadre pour l’alignement des lignes et deux traits horizontaux (paragraphoi) ont été tracés chaque fois que l’on commençait une nouvelle section du texte ; les deux sections sont par ailleurs séparées par un interligne plus large que dans le reste du texte. Sur la lamelle de Klédikos d’Hermonassa (52), le texte est disposé sur deux colonnes, séparées par un trait vertical, alors que sur la tablette d’Apatorios d’Olbia du Pont (26) le trait horizontal que l’on voit dans la partie inférieure de la lettre servait à délimiter les deux affaires qui préoccupaient l’expéditeur. En revanche, les rayures horizontales et verticales que l’on aperçoit sur le tesson portant la « lettre du prêtre » d’Olbia du Pont (28) semblent avoir été tracées de manière fortuite et certainement après que le message eut été gravé et lu, car elles ne constituent pas un cadrage pour les lignes. Le message était en général noté avec un espace laissé libre entre le bord gauche et le début des lignes, parfois même entre le bord droit et la fin de lignes (lettres sur plomb 6, 23, 32, 38 (tesson), 41, 45, 48, 60). Le scribe faisait également attention à centrer la formule épistolaire (en général à la première ligne) ou à la décaler légèrement à droite. Ainsi, sur la tablette de la Pnyx (5), les deux premières lignes, comportant l’invocation et la formule épistolaire, sont légèrement décalées vers la droite ; la lettre de Mnèsiergos présente une mise en page très élégante du prescrit, sur les trois premières lignes (6) ; la lettre sur plomb de Toronè présente une souscription dans le coin inférieur gauche, fragmentaire en raison de la perte du volet gauche (14) ; sur la plaque en terre cuite de Thasos, les deux premières lignes sont en léger retrait à gauche (15) ; sur la lettres sur plomb de Nikonion, Berezan’ et Patrasys, le prescrit occupe en entier la première ligne (20, 23, 48) ; sur le tesson avec avis de réception envoyé par Rhodôn, les deux dernières lignes sur trois sont justifiées à gauche (35) ; sur la lettre sur tesson de Kerkinitis, le prescrit simplifié occupe la première ligne (38) ; sur la tablette de plomb d’Hermaios de Panticapée, la première ligne, avec la formule épistolaire commençant par le nom de l’expéditeur, est décalée vers la droite, étant très probablement centrée (45) ; le prescrit est également centré sur la face A de la « lettre d’Agde » (63). La « mise en page » la plus sophistiquée est la gravure de la lettre sur vase de Drakôn à Achilleus, à Nida (72) : la première partie du message couvre deux lignes sur la paroi extérieure du vase, la première étant centrée et la seconde plus longue ; le message continue en cercles concentriques sur le fond du mortier, le dernier mot étant inscrit de manière symétrique au centre du vase (la clausule εὐτύχει). Des signes d’interponction, en général pour les documents plus anciens mais aussi pour certaines lettres du IVe s., séparent non seulement des mots mais parfois des séquences, sans doute pour une meilleure articulation du texte, mais il existe des cas où leur usage est aléatoire93. Il reste toutefois à déterminer la raison pour laquelle ils ne sont pas systématiques, comme dans les lettres d’Hermonassa (52) et de Patrasys (48). Dans la majorité des cas, il s’agit de deux points superposés (1, 5, 6, *9, 19, 23, 26, 27, 29, 30, 42, 43, 46, 48, 49, 52, *55), avec toutefois quelques exemples de trois points superposés (15, 26,*40, 53), voire les deux (26). Dans un seul cas, pour la lettre tardive sur tesson de Nida (72), l’interponction est épisodique, sous forme d’un seul point (•)94 ; il s’agit manifestement d’un emprunt à l’épigraphie latine. Dans les lettres les plus anciennes, les mots ne sont pas coupés en fin de ligne – aussi bien en raison de la disposition en stoichèdon de certains documents ; à partir du IVe s., la coupe syllabique devient plus fréquente, sans être systématiquement respectée. Enfin, soit en raison d’une mauvaise estimation de l’espace disponible, soit pour faire ressortir leur identité soit enfin pour faire comprendre l’importance d’une question, les rédacteurs pouvaient écrire avec des lettres visuellement plus grandes. Ainsi, sur certains documents on peut observer que le scribe, qui avait commencé par écrire en grandes lettres, a réduit la taille des caractères, se rendant compte qu’il allait manquer d’espace : sur la tablette de plomb d’Artikôn d’Olbia du Pont (30), les lettres sont visiblement plus grandes aux deux premières lignes de la face A et à la première ligne de la face B ; sur la plaquette de plomb de Botrys d’Akra (41) les lettres sont grandes et espacées aux quatre premières lignes, mais plus petites et serrées aux trois dernières lignes. Sur la lamelle de plomb de Mnèsiergos d’Attique (6), le nom de l’expéditeur est écrit sur la face interne dans des caractères plus grands et un vacat est visible après le prescrit, qui occupe les deux lignes suivantes. C’est sur la lettre sur plomb d’Apatorios d’Olbia du Pont (26, l. 9) que l’on remarque des lettres plus grandes 93 94
Voir l’étude récente de Lougovaya-Ast 2017a (en partic. sur la présence parfois d’une ponctuation à la fin de la ligne). Le cas du document sur argile d’Emporion (*70) est très problématique.
3. Pratiques épistolaires et literacy
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quand ce dernier demande des instructions, trahissant ainsi son inquiétude. Des post-scripta apparaissent souvent dans les lettres, phénomène qui met en évidence les aléas de la mémoire et leurs conséquences sur la trace écrite du processus cognitif, parfois hésitant. Non seulement la pratique d’enrouler le plomb, afin de protéger le contenu des regards indiscrets et des dommages matériels, mais aussi la manière de graver les lettres renvoient à l’usage du papyrus. Les deux matériaux, souples, se prêtaient facilement à cette opération, tout comme ils supportaient la trace du calame : trempé dans de l’encre, dans le cas des papyrus, ou bien taillé, afin de laisser des traces sur le plomb malléable. Le plus souvent, les supports en plomb exigeaient des stylets en os, bois ou métal95, dont le nom antique était γραφεῖον/ graphium (et stilus), et qui étaient dotés à l’autre extrémité de spatules pour effacer et corriger le texte. La lettre sur plomb de Lèsis, en provenance de l’Agora d’Athènes (7), apporte un témoignage singulier de la proximité des deux types d’écritures. Les marges sont crantées, avec des traces de perforage, ce qui montre qu’on a utilisé des ciseaux plutôt qu’un couteau pour couper le morceau de plomb. La face A ‒ le texte proprement dit ‒ présente quatre lignes. Sur les trois premières lignes, les lettres sont tracées avec des éraflures qui suggèrent l’usage d’un calame en roseau. Il était possible de l’utiliser pour écrire sur le plomb, mais en général les stries servaient pour régler l’afflux d’encre, ce qui montre que le scribe avait l’habitude d’écrire sur du papyrus ou tout autre matériau qui accepte l’encre. Il semble qu’il le taillait de temps en temps : à partir de la seconde moitié de la l. 3 (la désinence ΩΙ dans le datif ΑΝΘΡΩΠΩΙ), les lettres ne présentent plus de stries verticales. Un cas similiare de calame qui a été taillé, cette fois pour graver sur un tesson, est visible sur le document de Kerkinitis (38, cf. comm.). Selon la typologie de Jean-Luc Fournet, les lettres sur papyrus passent d’un format « vertical », privilégié à la fin de l’époque hellénistique et à l’époque romaine jusqu’au IVe s. ap. J.-C., à un format « horizontal », caractéristique de l’Antiquité tardive ; les deux formats ont pourtant coexisté durant la première époque ptolémaïque96. Les lettres sur plomb connues à ce jour privilégient le format « horizontal », sur des lamelles plus ou moins longues, avec toutefois deux exceptions dans la documentation connue : la lettre de Pasiôn, écrite dans le sens de la hauteur (*8, avant 370), et la lettre de Mégare (12, époque impériale), qui est la lettre sur plomb la plus tardive. Sur les tessons on écrivait également dans le sens de la largeur, à l’exception de la lettre incomplète sur tesson de Chersonèse Taurique (39, milieu du IVe s.), qui est inscrite dans le sens de la hauteur.
3. Pratiques épistolaires et literacy 3.1. L’épistolographie grecque Les Anciens ont réfléchi eux-mêmes sur l’ἐπιστολικὸς χαρακτήρ, en soulignant que la lettre est une part de dialogue97, mais en se contentant bien souvent d’offrir des modèles de circonstance. En réalité, les lettres que nous pouvons identifier dans la documentation ancienne se partagent entre lettres documentaires et privées conservées sur le papyrus et les ostraka peints (en particulier en Égypte) ou sur d’autres supports non-périssables (les lamelles de plomb et les tessons du corpus), lettres-fictions ou bien lettres réelles intégrées dans une œuvre littéraire, enfin lettres officielles. Il est certain que le contexte socio-politique et culturel exerçait une influence sur la lettre elle-même, par la modification ou la mise en forme de son message. Selon l’opinion la plus répendue, il n’existait pas de formule épistolaire stable jusqu’au IVe s., les lettres n’étant que la transcription des messages 95 Voir, en partic. pour l’Empire Romain et la Gaule, Božič/Feugère 2004, p. 21–41, dans le dossier « L’écriture dans la société gallo-romaine. Éléments d’une réflexion collective » (coord. M. Feugère, P.-Y. Lambert), en partic. p. 25–28 (pour les supports en plomb). 96 Fournet 2009, p. 26–32 ; Fournet 2007. Pour le format et la disposition des lettres privées sur papyrus, voir Morelli 2010 ; Reinard 2016, I, p. 85–91 ; en général, Sarri 2018. 97 Ps.-Libanios, Char. epist. 2 : Ἐπιστολὴ μὲν οὖν ἐστιν ὁμιλία τις ἐγγράμματος ἀπόντος πρὸς ἀπόντα γινομένη καὶ χρειώδη σκοπὸν ἐκπληροῦσα, ἐρεῖ δέ τις ἐν αὐτῇ ὥσπερ παρών τις πρὸς παρόντα (« La lettre est une sorte d’entretien par écrit tenu par un absent et remplissant une fonction utilitaire ; on s’y exprime comme quelqu’un de présent face à quelqu’un de présent », trad. P.-L. Malosse).
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oraux98 : ce n’est qu’à partir de ce moment que l’habitude d’écrire des lettres s’est répandue dans la société et a acquis un statut littéraire. On peut notamment se demander si l’on peut mettre en rapport direct les pratiques épistolaires épigraphiques avec les usages épistolaires révélés par les sources littéraires, qui relèvent d’un processus continuel de sélection et de remaniement. La difficulté vient du fait que ces derniers sont mis en scène dans des fictions ou passent par la sensibilité des auteurs anciens. Importée d’ailleurs ou créée par un héros ou un dieu, la lettre se charge souvent à ses origines de connotations négatives, comme, par exemple, quand son invention est attribuée à la reine perse Atossa, femme et « barbare » à la fois. Chez les historiens, comme le montre Paola Ceccarelli, la lettre est empreinte de secret, car scellée : il convient donc de s’en méfier99. En effet, dans une société de face à face, ce type de document qui caractérise l’échange entre individus, destiné en outre à la lecture privée – ou, pire encore, silencieuse – éveille tous les soupçons. Il doit y avoir une certaine signification, explique judicieusement l’auteur cité, dans le fait que chez les premiers historiens la plupart des lettres sont échangées avec des rois orientaux ou avec des tyrans. Les plus anciennes lettres grecques sont citées chez Hérodote et chez Thucydide100, l’historien d’Halicarnasse évoquant la première correspondance historique, vers 530–525, entre Amasis et Polycrate (Hérodote 3.40–43). Ce n’est qu’à partir du IVe s. que l’habitude d’écrire s’est répandue dans la société, y compris par des exercices scolaires ou d’autres types de graffites101. Popularisée par les recueils épistolaires des rhéteurs et des philosophes, entre autres, et bientôt par les recueils apocryphes, la lettre devient un genre littéraire en soi, au point que des traités furent consacrés par les anciens au genre épistolaire. On peut citer quatre manuels d’épistolographie, plutôt tardifs, dont les deux derniers sont conservés sur papyrus : (1) Pseudo-Démétrios, Formae epistolicae (Τύποι ἐπιστολικοί), d’époque hellénistique ou impériale ; (2) Pseudo-Libanios (ou Proklos), Characteres epistolares (Ἐπιστολιμαῖοι χαρακτῆρες), aux IVe–VIe s., avec des exemples de genres épistolaires (συστατική, εὐχαριστική, φιλική, etc.)102 ; (3) P. Bon. 5, découvert à Oxyrhynchos (IIIe–IVe s.), avec des modèles de lettres en latin et en grec classés selon les types épistolaires103 ; (4) un codex d’Hermopolis (VIe s. ap. J.-C.), avec de brèves notices classées par types de destinataires comprenant des instructions accompagnées de formules-modèles (πρὸς φίλον, πρός τινα σκρινιάριον)104. L’épistolographie antique a ainsi établi plusieurs types de correspondance, alors que les historiens modernes préfèrent utiliser d’autres notions, fondées sur la riche documentation papyrologique. Dans notre corpus, deux de ces types sont bien représentés : le genre de la lettre familiale (« Familienbrief », « Family letter »)105 (e.g., 6, 20, 21), mais aussi celui de la lettre commerciale ou de la lettre d’affaires (« Geschäftsbrief », « Business letter »)106 (e.g. 24, 26, 27, 67). On peut ajouter un troisième type, qui est la lettre de menaces adressée à Prôtagorès de Berezan’ (22). Le mot-clé qui permet, à partir de l’époque classique, d’identifier un document comme appartenant au genre épistolaire est sans aucun doute le verbe χαίρειν éventuellement associé à une clausule : comme l’écrit à l’époque impériale Artémidore d’Éphèse, « dire ‹χαίρειν› et ‹ἔρρωσο› est le propre de toute lettre » (ἴδιον γὰρ πάσης ἐπιστολῆς τὸ « χαίρειν » καὶ « ἔρρωσο » λέγειν)107. Une fois fixée au IVe s., la structure d’une lettre est dans ses grandes lignes assez stable, avec quelques variations, y compris pour les clichés épistolaires108. La mise en circulation de grands recueils épistolaires après le Ceccarelli 2005. Ceccarelli 2013, p. 59–99. 100 Par ex. Hérodote 1.124, 3.40 et 8.22 ; Thucydide 1.128, 1.129, 1.137 et 7.8–15. 101 Voir les graffites pariétaux de Nymphaion, dans lesquels les visiteurs d’un sanctuaire se sont adonnés à des exercices de lettres envoyées aux rois du Bosphore Cimmérien ou bien à des lettres érotiques (voir comm. 42), sans oublier des textes grivois. 102 Weichert 1910 ; Foerster 1927, p. 27–247 ; Malherbe 1988, p. 30–41 et 66–81 (avec trad. angl.) ; Malosse 2004 (avec trad. fr.). 103 Mertens-Pack3 2117 (http://web.philo.ulg.ac.be/cedopal/base-de-donnees-mp3/) ; C. Pap. Lat. 279 ; Kramer 1983, p. 109– 123, n° 16 ; C. Epist. Lat., I, p. 79–84, n° 1 (et II, p. 3–7, comm.). 104 Luiselli 1997 ; transcription par Ioannidou 1996, p. 125–126, n° 94. Pour ces deux ouvrages, voir Fournet 2009, p. 57–58. 105 Voir, entre autres, Koskenniemi 1956, p. 104–114. 106 Faraguna 2005, p. 66–67. 107 Artémidore d’Éphèse, Oneir. 3.44 (et comm. chez Fournet 2009, p. 44) ; voir aussi Ps.-Libanios, Char. epist. 51 : οὕτω γὰρ ἀπάρχεσθαι· ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν, « commencer ainsi ‹Untel à Untel, salut !› » (trad. P.-L. Malosse). 108 Voir Steen 1938 ; White 1978. Pour des aspects variés, voir Evans/Obbink 2010. Sur la variation du langage épistolaire à l’in98 99
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IVe s. ap. J.-C. entraîne néanmoins des changements dans la correspondance privée. La documentation papyrologique d’Égypte a permis à Jean-Luc Fournet de reconstituer l’évolution de ces correspondances entre le IVe et le VIIe s.109, visible dans la modification de l’adresse (prescrit), l’ablation de certaines formules conventionnelles, la suppression parfois de détails concrets ou de faits personnels au profit des parties les plus littéraires.
3.2. Formulaire et structure des messages et des lettres du corpus Il existe un rapport étroit entre les pratiques épistolaires du Proche-Orient110, en particulier néo-assyriennes et achéménides (en araméen)111, et les pratiques grecques112, y compris en ce qui concerne leur structuration et les formules employées. Il suffit de citer le dossier exceptionnel connu sous le nom d’« Aršama Letters », conservé à la Bodleian Library d’Oxford ; il s’agit de treize lettres presque complètes sur parchemin, scellées113, rédigées en araméen. Datant de la fin du Ve s., elles font partie de la correspondance du satrape d’Égypte Aršama, en rapport avec l’administration de ses domaines en Égypte et en Babylonie114. Les lettres couvrent les deux faces du parchemin115, avec une adresse externe ou un résumé116 et à l’intérieur le prescrit qui comporte le nom de l’expéditeur et du destinataire, la salutation, le corps de la lettre et la souscription. Le présent corpus permet désormais de retracer l’histoire des pratiques épistolaires grecques117 à partir de l’époque archaïque, avec la mise en forme progressive de formules épistolaires et l’avènement d’une structuration des messages écrits. Si les meilleurs parallèles se trouvent dans la correspondance sur papyrus, des textes littéraires peuvent nous renseigner sur les premiers siècles de l’épistolographie grecque, beaucoup moins connus. Dans cette section, je vais présenter plus en détail les éléments des lettres et des messages sur plomb et sur tesson118 : l’invocation, le prescrit (ou adresse interne), le contenu, encadré parfois par deux formules facultatives (valetudinis et valedicendi, cette dernière faisant office de clausule), l’éventuelle adresse externe (parfois avec une sorte de résumé). À l’occasion, plusieurs verbes seront analysés, ainsi que le vocabulaire relatif à la « lettre », sans oublier la question importante de la porosité des pratiques entre lettres privées et defixiones.
INVOCATIO La grande nouveauté qui ressort du corpus est l’usage – certes sporadique – de différentes invocations aux divinités, dont l’intercession est sollicitée soit par des termes génériques (Θεοί ; Θεός· Τύχη), soit nommément ([πρὸς?] τ Διὸς τ Πατρωί〈ō〉 ; Ὦ Ζήν). Aux premiers siècles des pratiques épistolaires – et donc avant la documentation papyrologique –, ces invocations ont dû jouer le rôle de la future formula valedicendi119 : térieur d’une archive du début du IIe s. ap. J.-C. (et des statistiques à partir d’un corpus de 4000 lettres privées sur papyrus), voir Nachtergaele 2016. 109 Fournet 2009, p. 23–24. 110 Voir un aperçu très utile dans Grob/Kaplony 2008. 111 Fitzmyer 1982 (la structure d’une lettre, y compris l’adresse externe) ; Fales 1987. 112 Dion 1979 ; Dion 1982a ; Dion 1982b ; Gauger 2000 ; Doering 2012. Sur les lettres grecques, voir l’introduction de Ceccarelli 2013, p. 1–19 ; et la synthèse récente de Sarri 2018, p. 5–52. 113 Tuplin/Ma 2013. 114 Allen 2013. 115 Sur le parchemin, dont l’usage documentaire était caractéristique des régions proche et moyen-orientales, voir Reed 1972 ; Fournet 2013, p. 289–290 et 297 ; Jördens/Kiyanrad/Friedrich 2015 ; Sarri 2018, p. 84–86. 116 À l’extérieur, on retrouve, en plus de l’adresse habituelle, des indices sur le contenu de la lettre : « Concernant les Ciliciens » (Pell. Aram. IV : ‘l Ηylky’), un résumé de l’instruction principale (Pell. Aram. I), ou bien « Au sujet de Psamšek qui m’envoie une plainte » (Pell. Aram. II : qbylh šlh ly). 117 Sur les parties et la structure d’une lettre grecque, voir à titre d’ex. Ziemann 1910 ; Exler 1923 ; Koskenniemi 1956, en partic. 128–154 ; Buzón 1984 ; Malherbe 1988 ; Fournet 2006 ; Jordan 2007, p. 1363–1366 ; Luiselli 2008 ; Ceccarelli 2013, p. 35–47 ; Müller/Retsch/Schenk 2020. 118 Les références aux documents se limitent au numéro du corpus, à leur lieu de découverte et à leur date (approximative). Abréviations utilisées : A (expéditeur), B (destinataire) ; d(ébut), f(in), m(ilieu) d’un siècle ; p (ap. J.-C.). 119 Cf. la future clausule εὐτύχει. Voir aussi, dans les lettres privées d’Égypte d’époque impériale, la prière faite aux dieux, προσκύνημα (formules de proscynème ou proscynème épistolaire), d’habitude placée immédiatement après la formula valetudinis.
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
• au début de la lettre – Θεοί : (5, Athènes, 425–400) – Θεός· Τύχη (46, Myrmékion, 325–300) – par deux fois (deux paragraphes distincts), Ὦ Ζήν (60, Lattara, 450) • après le prescrit – [πρὸς?] τ Διὸς τ Πατρωί〈ō〉 (15, Thasos, 500) Trois de ces quatre documents120 ont été récemment publiés et confirment la bonne interprétation de la lettre sur plomb de la Pnyx (5). Les quatre lettres présentent des invocations qui s’inspirent naturellement des usages contemporains, copiant les serments et, pour ce qui est des usages épigraphiques, les formules d’invocation du préambule des décrets civiques (e.g. Θεοί et Θεός· Τύχη) ou d’autres documents à caractère légal ou religieux121. Quelques defixiones présentent à leur tour des intitulés tirés des décrets122 : Jordan 1985, nº 18 (θεοί· ἀγαθῇ τύχῃ, IVe s.) ; DTA 158 ([---]ος τύχη ἀγαθή, sans doute à restituer : [θε]ός· τύχη ἀγαθή) ; une malédiction de Géla et deux de Sélinonte, avec la forme dorienne τύχα123. La banalité de ces invocations est bien illustrée par une hydrie attique à figures rouges (ARV² 1060), réalisée vers 440–430 par un peintre du groupe de Polygnotos. Le personnage féminin identifié comme étant Sappho y est figurée assise, en train de lire un rouleau de papyrus déroulé, sur lequel on distingue plusieurs lignes ; la première porte l’invocation usuelle Θεοί124.
PRAESCRIPTUM Il convient maintenant de se tourner vers les types changeants du prescrit (πρόγραμμα ou ἐπιγραφή, praescriptum)125 – également désigné sous le nom d’adresse interne126. Grâce aux lettres sur plomb et sur tesson, la « préhistoire » de l’épistolographie grecque est éclairée d’une manière inattendue. Dans ce qui suit, j’ai choisi de donner les séries de toutes les formules utilisées dans le prescrit, suivant leur évolution chronologique – qui est généralement en adéquation avec les séries qui se dessinent. Je propose ici de reconnaître plusieurs types de prescrit, dont les premiers ne sont mieux connus que grâce aux lettres sur plomb et sur argile les plus anciennes. Il me paraît légitime de mettre en évidence une for mu le épistol aire archaïque, qui semble avoir été en usage jusqu’à la fin du Ve s. Elle comporte le nom du destinataire au vocatif (précédé de la particule Ὦ) ou au datif, et le nom de l’expéditeur au nominatif – voire au génitif, avec παρά –, avec un verbe épistolaire intercalé ou relégué en dernière position. Ce verbe, toujours à la IIIe pers. sg., a sa propre temporalité, car il peut être au présent ou bien à l’« aoriste épistolaire » (ἐπιστέλλει/ἐπέστειλε, κελεύει, λέγει). Parfois, les deux premiers verbes (ἐπιστέλλει, κελεύει) sont construits avec des pronoms personnels au datif (τοι) ou à l’accusatif (σε), dans des formules figées, indices de leur ancienneté. Les trois verbes ont le même sens, celui de transmettre des instructions par voie épistolaire (voir infra, p. 348–350). Il en existe plusieurs variantes, avec l’inversion possible du destinataire et de l’expéditeur, y compris par rapport à l’adresse externe : • B (voc.) + A (nom.) + pronom (τοι) + verbe (ἐπιστέλλω) – Ὦ Πρωταγόρη, ὀ πατήρ τοι ἐπιστέλλ (25, Berezan’, 550–500) • B (voc.) + verbe (ἐπιστέλλω) + pronom (τοι) + A (nom.) – Ὦρεστώνυμε : ἐπιστέλλ τοι : Πίστος (48, Patrasys, d. V) (peut-être avec l’inversion des noms dans l’adresse externe, très abîmée, à l’instar de la lettre 52) – Ὠριστόκρατες : ἐπιστέλλ τοι | Κλδικος (52, Hermonassa, 450–400) (on note l’inversion des noms dans l’adresse externe : A + B) 120 121 122 123 124 125 126
Trois documents sur plomb et un sur une tablette d’argile. Pour un type particulier de documents, voir Eidinow 2019. Pour des détails, voir le comm. du document 5. Cf. aussi Ceccarelli 2013, p. 48. I. dial. Sicile I 134 ; Rocca 2009, p. 23–30 (nos 6–7). Voir en dernier lieu Tsantsanoglou 2017, et ph. p. 1, fig. 1 (Sappho et légende ΣΑΠΠΩΣ, sic), et p. 6, fig. 1 (papyrus). Pour des questionnements sur le prescrit, voir Llewelyn 1998 ; Tite 2010, en partic. p. 60–66. Voir la monographie de Dickey 1996.
3. Pratiques épistolaires et literacy
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• B (dat.) + A (nom.) + pronom (σε) + verbe (κελεύω) – Ἐχίονι | Ἀρτυμοκλέος | Εὔαρχος ⁝ σε κελεύει (15, Thasos, 500) • B (dat.) + A (gén. avec παρά) – Γναθίωι παρ[ὰ τοῦ δεῖνος] (5, Athènes, 425–400) • A (gén. avec παρά) + B (dat.) – Παρὰ [τοῦ δεῖνος? –?]Α++[..]ίδει (23, Berezan’, m. VI) • A (nom.) + verbe (ἐπιστέλλω) + B (dat.) – Σσίνε(ς) | ἐπέστλε | Γλαύκι (4, Athènes, 425–400) – Λῆσις {ις} ἐπιστέλλει Ξενοκλεῖ καὶ τῆι μητρί (7, Athènes, d. IV), formule suivie d’une phrase infinitive • A (nom.) + verbe (ἐπιστέλλω) + B (dat.) + couple χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν – Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν (6, Athènes, f. V-d. IV) Ces premières formules, déclinées déjà en nombre de variantes, grâce aux nouvelles découvertes, seront remplacées dans la seconde moitié du Ve s. par une séquence qui fait intervenir deux autres verbes épistolaires (χαίρω et ὑγιαίνω), cette fois à l’infinitif. Il est tentant de penser que ces verbes jouent en réalité le rôle de l’invocation ainsi que des futures formules valetudinis et valedicendi, en mettant le message écrit et le destinataire qui le reçoit sous les meilleurs auspices. Ce que j’appelle la for mu l e é pi s tol ai re d e t r ans it i on, avec ce couple χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν, connaît son âge de gloire entre la « formule archaïque » (dont elle peut hériter par ailleurs le verbe ἐπιστέλλω)127 et la « formule classique », cette dernière n’étant en fin de compte que sa simplification. Ce couple de verbes128 peut se trouver disposé, à son tour, de plusieurs façons : • A (nom.) + verbe (ἐπιστέλλω) + B (dat.) + couple χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν – Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν (6, Athènes, f. V-d. IV) • couple χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν + B (dat.) + A (gén. avec παρά) – χαίρν καὶ ὑ[γιαίνν] | Γναθίωι παρ[ὰ τοῦ δεῖνος] (5, Athènes, 425–400) • A (nom.) + B (dat.) + couple χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν – [---]ίδης Βάτω[νι χαίρν? | καὶ ὑγια?]ίνν (*33, Olbia du Pont, 400–350) (restitution possible, mais non assurée, de même que la suite : ἐπισ[τέλλω?]) – [---] Χαιρέαι χαίρειν καὶ ὑ|[γιαίνειν] (63, Agathè, f. IV-d. III) (cette séquence se trouve pourtant au milieu de la face B, s’agissant peut-être d’un autre message) • B (dat.) (+ couple χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν) + A (nom.) + verbe (ἐπιστέλλω) – [τῷ δεῖνι (χαίρν καὶ ὑγιαίνν?) Π]|ασίων 〈Δ〉ικαιάρχ ἐπιστέλλ|ω (*8, Athènes, avant 370/369) (le verbe est à la Ière pers. sg.), formule suivie d’une phrase infinitive La for mule épistolaire cl assique ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν est en réalité une forme simplifiée de la formule de transition, avec le seul emploi de l’infinitif χαίρειν (« salut/réjouis-toi »), au point qu’elle est citée dans les sources littéraires comme le propre de toute lettre, la formule canonique ou l’« ancienne règle »129. On la retrouve en latin sous la forme aliquis alicui salutem (superscriptio + adscriptio + salutatio). L’infinitif est désormais figé après les noms de l’expéditeur et du destinataire. Apollonios Dyscole (grammairien ayant vécu sous Hadrien et Antonin le Pieux) l’appelle par ailleurs « syntaxe épistolaire », οὕτως γὰρ ἔχει καὶ ἡ ἐπισταλτικὴ σύνταξις, du type « Τρύφων Θέωνι χαίρειν »130. 127 Dans les papyrus, on constate la résurgence de cette formule au Ier s. avant notre ère et son emploi sporadique aux premiers siècles de l’ère chrétienne, naturellement avec des variantes. Voici seulement quelques exemples : χαίρε[ιν] κα[ὶ ὑ]γιαίνειν διὰ παντός (BGU IV 1204, l. 2) et χαίρειν | καὶ ὑγιαίνειν [δι]ὰ παντ[ός] en 28 (BGU IV 1207, ll. 3–4) ; χαίρειν | καὶ ὑγιαίνειν en 23 (BGU IV 1209, ll. 1–2) ; πλεῖστα χ(αίρειν) καὶ ὑγ(ιαίνειν) en 75 ap. J.-C. (BGU II 597, l. 2). 128 Pour une invocation en contexte funéraire, voir Decourt 1993. 129 Voir une première étude de Gerhard 1905. Au début du VIe s. ap. J.-C., Procope de Gaza (Ep. 91) parle de cette formule comme d’un ἀρχαῖος νόμος ; à cette époque, par ailleurs, le prescrit tend à disparaître (exemple commenté par Fournet 2009, p. 37–42). 130 GG, III.2, p. 329.
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
Cette formule ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρειν se généralise dans l’ensemble du monde grec à partir de la première moitié du IVe s., étant attestée dans ce corpus par au moins une vingtaine occurrences. Je l’appelle « classique » dans les deux sens, non seulement parce qu’elle se diffuse à l’époque classique, mais aussi parce qu’elle se généralise au point de devenir la formule épistolaire standard : – – – – – – – – – – –
– – – – – – –
[ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρ?]ν (19, Tyras, 450–400) Ἀρτεμίδωρος Διονυσίωι χαίρειν (20, Nikonion, 400–350) Ἠρο[--- ---]ωι χα[ίρν] (65, Ruscino, 400–350) Ῥόδων Ἡρακᾶι | χαίρειν (35, Olbia du Pont ou nord de la mer Noire, 400–350) [---]τη Ἀπολλᾶι χαί[ρε|ιν] (51, Vyšesteblievskaja 3, 400–350) Ἀρτικῶν : τοῖς ἐν οἴκωι | χαίρειν (30, Olbia du Pont, 350) Σωσίβιος Μικίωνι | χαίρειν (31, Olbia du Pont, IV) Ἑρμαῖο[ς τῷ δεῖνι χαίρειν?] (45, Panticapée, 350–300) [---]ιτος Τεγέαι χαίρειν (14, Toronè, 350–325) Βάτις Διφίλοι (sic) χαίριν (sic) (32, Olbia du Pont, 350–d. III) Ὄρος Πυθοκλ χαίρειν (46, Myrmékion, ca. 325–300) (et au milieu de la face B, un autre message : Ὄρος Κερκίωνι χαίρειν ; sur la dernière ligne de la face B, un troisième message, Ὄρος ΣΑΙΧΟ+ΙΝΗ χαίρειν) [–?]+++Ο+Κ[---ca. 6–7---] χα[ί]ρειν (63, Agathè, f. IV-d. III) [ὁ δεῖνα τ]οῖς ναοκλήρ|[οις καὶ τ]οῖς πρὸ ἡμῶν ν|[--- χαίρει?]ν (34, Olbia du Pont, d. III ; l’adresse est collective) Διονύσιος τοῖς ἐν οἴκω[ι] χαίρειν (21, Nikonion, III) Μεγιστῆς Λεύκωνι χαίρειν (59, Massalia, III) Βότρυς Θεοπόμ|πωι χαίρειν (41, Akra, III–II) Α( ) τοῖς κυρίοις χαίρειν (16, Rhodes, f. II) Στρατόνεικος Μαρτυρίῳ χαίρει[ν] (17, Smyrne, IV–Vp)
La généralisation de cette formule standardisée a des conséquences sur l’aspect même des lettres. Comme l’observe Jean-Luc Fournet pour le dossier papyrologique, elle tend, par un jeu d’indentations (eistheseis), de blancs internes, de rejets décalés du χαίρειν, à s’aérer et à se dilater, en tant qu’unité introductive qui se distingue très fortement du bloc qui suit131. On retrouve dans ce corpus des mises en page du prescrit, dont les plus anciennes sont celles des lettres sur plomb de la Pnyx (5) et de Mnèsiergos (6). La formule « classique » occupe dans nombre de cas la première ligne en entier (16, 17, 20, 32, 45, 51 (?), 63], parfois avec un rejet décalé (32, 45, 63). Des simplifications ont pourtant toujours coexisté avec ces formules consacrées, dès l’époque archaïque et jusqu’à la fin de l’Antiquité tardive. C’est de cette manière qu’on doit comprendre les for mu les épistolaires ré duites aux seuls noms de l’expéditeur et du destinataire, sans aucun verbe (« Untel à Untel »), ou au seul nom du destinataire suivi de l’infinitif χαίρειν (« À Untel, salut ! ») : • B (dat.) + A (nom.) – Λήνακτι Ἀπατριος (26, Olbia du Pont, f. VI) (l’on constate pourtant l’inversion des noms dans l’adresse externe : A + B) • A (nom.) + B (dat.) – Ἀπατριος Νεομηνίωι (38, Kerkinitis, 400) – Πολέμαρ|χος Ἡγησα|γόρῃ (50, Phanagoria, 400) – « Pélagi(o)s à Oxycholios » (18, Éphèse, Vp) • B (dat.) + χαίρειν – Τιμοσθένηι | χαίρν (39, Chersonèse Taurique, 375–325)
131
Fournet 2009, p. 30 (avec des exemples).
3. Pratiques épistolaires et literacy
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Une seule for mu le épistol aire littéraire apparaît dans ce corpus, dans un message élaboré comme un exercice assumé qui court autour d’un vase offert en cadeau : – Δράκων Ἀχιλλεῖ εὖ πράττειν (72, Nida, après m. IIp) Dans les messages et les billets sur tesson (et une seule fois sur plomb), il arrive souvent que seul le nom du destinataire soit noté, au v o c a t i f, au tout début du texte132. Le vocatif est employé par économie, pour la rapidité de la communication : – Παῖ (2, Athènes, 500) ; le même vocatif apparaît après l’adresse dans la lettre archaïque de Berezan’ (23, l. 2) – Εὐμλίς (3, Athènes, 475–450) (dans ce bref message, le nom de l’expéditeur se trouve à la fin, au nominatif : Ἀρκέσιμος) – Πρωταγόρης (nom. pour voc.) (22, Mont Živahov, 400) – Ἀπολλώνε[ιε?] (54, Gorgippia, 350–325) – Εὐτύχη (58, Olbia de Provence, II) (message qui ne fait qu’annoncer l’envoi d’une lettre plus longue) Dans le cas des livraisons de produits (amphores), de brèves notations peintes précisent le nom du destinataire (dat.) suivi de celui de l’expéditeur (gén. avec παρά) : – Φιλίπῳ παρὰ | Μα[-2–3-]νος (*10, Athènes, sec. m. IIp) – Ἱερων[ύ]μῳ | [χ]ρηστῷ ἀδελφ[ῷ | πα]ρὰ ἀδελφῶ[ν | στ]άμνος (*11, Athènes, m. II–d. IIIp) Une formule qui a dû être fréquente avant le milieu du Ve s., construite avec le verbe ἐπιστέλλω, commence par le nom du destinataire au vocatif, avec la particule caractéristique ὦ133, pour s’adresser directement au destinataire : – Ὦ Πρωταγόρη, ὀ πατήρ τοι ἐπιστέλλ (25, Berezan’, 550–500) – Ὦρεστώνυμε : ἐπιστέλλ τοι : Πίστος (48, Patrasys, d. V) – Ὠριστόκρατες : ἐπιστέλλ τοι | Κλδικος (52, Hermonassa, 450–400) Le vocatif est par ailleurs récurrent dans les adresses des lettres citées par Hérodote 1.124 (Ὦ παῖ Καμβύσεω) et 8.22 (Ἄνδρες Ἴωνες) ou par Thucydide 7.8–15 (ὦ Ἀθηναῖοι). Dans les « lettres familiales », on constate entre le Ve et le IIIe s. l’usage d’une expression consacrée (la formu l e ave c ο ἶκο ς) qui, dans sa forme la plus ancienne, emploie le locatif134 : – Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν (6, Athènes, f. V-d. IV) – Ἀρτικῶν : τοῖς ἐν οἴκωι | χαίρειν (30, Olbia du Pont, 350) – Διονύσιος τοῖς ἐν οἴκω[ι] χαίρειν (21, Nikonion, III)
132 Cette forme d’adresse est absente dans le cas des missives très courtes. Plusieurs de nos documents, que ce soit des billets ou des lettres plus longues, n’ont pas d’adresse : soit parce qu’elle figurait dans la partie perdue pour les lettres fragmentaires (e.g. *9, 12, 24, 27, 28, 29, 37, 42, 44, 67, 68, 69), soit en raison de la forme moins conventionnelle du message : le message sur tesson de Kophanas, vraisemblablement adressé à quelqu’un de la maison mais sans précision, afin qu’un cheval lui soit envoyé en ville (36) ; le billet sur plomb qui accompagnait l’esclave Phaullès originaire d’Olbia/Borysthène qui devait être vendu à Phanagoria (49), et qui fonctionne comme une étiquette de « produit » ; les instructions commerciales sur plomb de Lattara (60). 133 Pour l’emploi du vocatif construit avec ὦ dans les sources littéraires, voir Dickey 1996, p. 199–206. 134 De cette formule ne subsistent que des échos dans les papyrus (voir le comm. au document 6).
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
Excursus I. Les « verbes épistolaires » Les nouvelles découvertes permettent désormais de reconnaître plusieurs « verbes épistolaires »135, qui sont employés avec des fréquences différentes en fonction de l’époque et même de la région. Je donne ici la liste de leurs occurrences avec quelques commentaires. 1. ἐπι σ τέ λ λω – χρῆμα δ’ ἐπίστλον ὄ τι ἀνάγοιεν (24, Berezan’, 550) – Ὦ Πρωταγόρη, ὀ πατήρ τοι ἐπιστέλλ (25, Berezan’, 550–500) (dans la même lettre, à la l. 11, un autre ensemble d’instructions est signalé par l’incise Ἔτερα δέ τοι ἐπιστέλλ) – κἀπιστλάτω ὀκόσ ἂν [---] (67, Emporion, f. VI) (vers la fin du message, l. 12) – Ὦρεστώνυμε : ἐπιστέλλ τοι : Πίστος (48, Patrasys, d. V) – Ὠριστόκρατες : ἐπιστέλλ τοι | Κλδικος (52, Hermonassa, 450–400) – Σσίνε(ς) | ἐπέστλε | Γλαύκι (4, Athènes, 425–400) – [Ἱ]ερογ[ένης? | ἐ]πισ[τελ?–] (*64, Bessan, V) (restitution possible, mais non assurée) – Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν (6, Athènes, f. V-d. IV) – Λῆσις {ις} ἐπιστέλλει Ξενοκλεῖ καὶ τῆι μητρί (7, Athènes, d. IV) – [τῷ δεῖνι (χαίρν καὶ ὑγιαίνν?) Π]|ασίων 〈Δ〉ικαιάρχ ἐπιστέλλ|ω (*8, Athènes, avant 370/369) – ἐπίστειλόμ μοι ὅ τι ἔχουσι καλύβ{ρ}ιον (20, Nikonion, 400–350) – [---]ίδης Βάτω[νι χαίρν? | καὶ ὑγια?]ίνν ἐπισ[τέλλω?] (*33, Olbia du Pont, 400–350) (restitution possible, mais non assurée) Ce verbe136 est très fréquent aux époques archaïque et classique (onze ou treize occurrences dans dix ou douze documents, en fonction de restitutions), étant donc le « verbe épistolaire » par excellence, duquel dérive par ailleurs le nom même de la « lettre » en grec (ἐπιστολή). Il devait couvrir l’ensemble du monde grec, car on le rencontre aussi bien en Attique que dans le domaine ionien de la mer Noire ou celui phocéen de l’Occident. On le connaissait certes par les sources littéraires, avec le sens d’envoyer des instructions par lettre, avec lequel le verbe ἐπιστέλλω apparaît chez les deux premiers historiens intégralement conservés137. Les textes sur plomb révèlent qu’il est, du moins à ses débuts, employé à la IIIe pers. du sg., aussi bien au présent (ἐπιστέλλει) qu’au fameux « aoriste épistolaire » (ἐπέστειλε). Comme l’a montré P. Ceccarelli, dans ce dernier cas il s’agit d’une forme de passé qui pointe vers un récit. Ce passé signale que la lettre a été écrite du point de vue du destinataire, qui devrait donc la recevoir postérieurement au moment où elle a été rédigée138. 2. κ ε λ ε ύ ω – κελεύ σε (67, Emporion, f. VI) (à l’intérieur du document ; dans la même lettre, ce verbe revient vers la fin, sous la forme [κεκ]έλευκα) – Ἐχίονι | Ἀρτυμοκλέος | Εὔαρχος ⁝ σέ κελεύει (15, Thasos, 500) (dans la même lettre, ce verbe semble revenir encore une fois, [ἐκέλε?]υέ σε) – [κ]ελε[ύει] | σε πρ[ῶτον] – κελεύε[ι] σε παρεῖνα[ι] – [κ]ελεύει σ[ε] – [σε] κελεύει (65, Ruscino, 400–350) – après le prescrit, οὐ κελεύει (63, Agathè, f. IV-d. III) Deuxième « verbe épistolaire » le plus fréquent aux commencements de l’épistolographie grecque (neuf occurrences dans quatre documents), κελεύω a dû connaître un usage en tout point semblable au verbe ἐπιστέλλω.
Dans son supplément, A. W. Johnston remarque la présence, dans les nouvelles lettres sur plomb, de verbes pour « envoyer » : ἐπιστέλλω, ἐπιτίθημι, ἱάλλω (Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 429–430) ; Decourt 2014, p. 37–38, parle de « verbes d’envoi » et range ensemble les deux composés sur στέλλω, ἐπιστέλλω et ἀποστέλλω, dont les usages sont pourtant différents. 136 Brèves remarques chez Jordan 2007, p. 1364. 137 Hérodote 3.40.1 ; Thucydide 7.14.4 et 8.38.4. 138 Ceccarelli 2013, p. 45. Pour des détails, voir le comm. du document 4. 135
3. Pratiques épistolaires et literacy
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On le connaissait par ailleurs dans les sources littéraires, avec le même sens d’envoyer des instructions, y compris par lettre139, ce qui, grâce aux occurrences de ce corpus, prouve l’existence d’une formule figée, κελεύει σε. Dans le domaine religieux et de l’épigraphie civique, il renvoie à la formule consacrée ὁ νόμος κελεύει. Pour l’instant, ce verbe est attesté dans le corpus à Thasos (15) et avec une fréquence tout à fait remarquable dans le domaine phocéen occidental, dont un usage systématique dans la lettre sur plomb de Ruscino (65). À l’instar d’ἐπιστέλλω, ce verbe ouvre une porte d’accès vers la « préhistoire » de l’épistolographie grecque. Il convient d’invoquer à cette occasion l’étonnante inscription sur « l’anneau du roi Skylès »140, du milieu du Ve s. Cet anneau d’or de facture olbienne (diam. 2,4–2,8 cm ; poids : 28,5 gr.), découvert dans les années 1930 à ca. 10 km au sud de la cité grecque d’Istros141, présente une iconographie remarquable et une légende diversement interprétée. Sur le chaton ovale (1,5 × 2 cm), en guise de sceau, figure une femme assise sur un trône, tenant dans sa main droite un miroir et dans la main gauche une fleur de lys. Deux inscriptions en grec ornent l’anneau : A. sur le chaton, le nom du roi, au génitif : Σκυλεω. B. sur le jonc de l’anneau, une inscription profondément gravée, dont les quatre dernières lettres figurent sur la partie externe du cercle, près du chaton142 : κελεό Αργοταν παρ|ναι←. Ce roi est bien connu grâce au récit d’Hérodote (4.78–80), son nom figurant en outre sur des monnaies frappées autour de Nikonion (ΣΚΥΛ et ΣΚΥΛΕ). Fils d’Ariapeithès, Skylès avait pour mère une Grecque d’Istros, qui lui avait appris la langue et les lettres grecques (ἐξ Ἰστριηνῆς γυναικὸς οὗτος γίνεται καὶ οὐδαμῶς ἐπιχωρίης, τὸν ἡ μήτηρ αὐτὴ γλῶσσάν τε Ἑλλάδα καὶ γράμματα ἐδίδαξε), raison pour laquelle il manifestait sa préférence pour les mœurs grecques ; selon le récit d’Hérodote, quand il résidait à Olbia, ville où il avait un palais et une épouse olbienne, Skylès prenait des vêtements grecs et sacrifiait aux dieux κατὰ νόμους τοὺς Ἑλλήνων. Renversé par les siens et remplacé par son frère Oktamasadès, né de la fille du roi odryse Térès, Skylès s’était réfugié au sud de l’Istros, chez les Odryses. Il finit par être livré par le roi Sitalkès, fils de Térès, en échange du frère du roi thrace, réfugié chez les Scythes, et est tué sur l’ordre d’Oktamasadès. Il s’agit d’un objet-message143, comportant le sceau royal et un bref message en dialecte ionien : en effet, κελεό est la forme attendue de κελεύει (IIIe pers. du sg. de l’indicatif présent)144 avec l’ouverture du second élément de la diphtongue médiane -eu- et la graphie de la vraie diphtongue -ei- par un simple epsilon. En accord avec la syntaxe, κελεύω est suivi du sujet de l’infinitif : « (le roi) ordonne qu’Argotas soit présent (sc. agisse en
Voir le message d’Astyage transmis par Harpagos à un bouvier : « Κελεύει σε Ἀστυάγης τὸ παιδίον τοῦτο λαβόντα κτλ. » (Hérodote 1.110) ; Xerxès s’adressant à Artémise : « Κελεύει με Μαρδόνιος » (Hérodote 8.101) ; Plutarque, Mor. 149 C (Conv. sept. sap.) : Ἐκ τούτου περιελθὼν ὑπηρέτης « κελεύει σε Περίανδρος », ἔφη, « καὶ Θαλῆν παραλαβόντα κτλ. ». 140 SEG XXX 800 = I. dial. Olbia Pont 4. Ce document a été commenté, entre autres, par Vinogradov 1981b (ph. p. 10, fig. 1 ab ; dessins p. 14, fig. 2 abc) (cf. J. et L. Robert, BÉ, 1982, 233) (= Vinogradov 1997a, p. 613–633, Pl. 39.1–2 et abc) ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 11–13 (dessins p. 12). Voir aussi Vinogradov/Kryžickij 1995, p. 103–105 (ph. Pl. 99) ; Tohtas’ev 1999, p. 169– 173 ; Vinogradov 2000a, p. 329. Voir en dernier lieu Dana/Dana 2021. 141 Il a été découvert par des paysans du village de Caraharman (l’actuel Vadu). L’anneau est conservé au Musée National d’Histoire de la Roumanie (Bucarest), inv. 10616. 142 Sur le cercle de l’anneau, les lettres sont gravées de manière dextroverse ; en revanche, pour les quatre dernières lettres de l’inscription, gravées sur la partie externe du jonc, le ductus est sinistroverse alors que la graphie des lettres est dextroverse, permettant une lecture de droite à gauche. 143 Cf. Burzachechi 1962–1963. 144 En revanche, Ju. G. Vinogradov avait pensé à un impératif, κέλεοε Ἀργοταν πὰρ | ναι, « Ordonne-moi, (déesse), d’être auprès d’Argotas ! », hypothèse rejetée à juste titre par L. Dubois, dont la trad. est : « (Le roi) ordonne qu’Argotas se rende auprès (de lui) ». 139
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
son nom) ». Skylès avait donc envoyé un anneau qui était dans sa propriété et qu’il avait fait inscrire nommément à l’intention d’Argotas, un subordonné scythe, lui conférant une mission dans le lointain territoire d’Istros (et de la Dobroudja ?). Ce message destiné à un Scythe est non seulement rédigé en grec, mais il emploie un verbe de la correspondance épistolaire ; cette injonction montre clairement la maîtrise par le roi – et par ses subordonnés directes – de l’expression écrite grecque. 3. λ έ γ ω Ce verbe a été lu dans le prescrit de la lettre en boustrophèdon de Berezan’, datant du milieu du VIe s., à l’aoriste infinitif : Παρὰ [τοῦ δεῖνος ? ---]Α++[..]+[.] εἶ|παι (23, m. VI). Il faisait penser à certaines des premières lettres mentionnées par les sources littéraires : le prescrit Ἄμασις Πολυκράτεϊ ὧδε λέγει, « Amasis à Polycrate dit ceci »145 ; la réponse de Xerxès à Pausanias (ὧδε λέγει βασιλεὺς Ξέρξης Παυσανίᾳ)146 ; enfin, la fameuse « lettre de Darius à Gadatas »147, dont le prescrit est Βασιλεὺς [βα]σιλέ|ων Δαρεῖος ὁ Ὑσ|τάσπεω Γαδάται | δούλωι τάδε λέγε[ι]. Λέγω a dû donc servir de « verbe épistolaire » à l’époque archaïque, son emploi étant vraisemblablement plus ancien que celui des deux autres verbes. En proposant une lecture différente de cette séquence, à savoir l’adresse Παρὰ [τοῦ δεῖνος? –?]Α++[.(.)]ίδει suivie d’un vocatif (παῖ), je prive le corpus de la présence d’un verbe épistolaire important mais à un mode verbal difficile à justifier dans ce contexte. 4. ἱ ά λ λω – Εὐπίδας hιάλ | Διεύχς : λοχᾱγὸς | Δαῖτις (*55, Himère, 475–450) L’emploi comme « verbe épistolaire » de ἱάλλω, cité dans une liste par A. W. Johnston148, est incertain, car sur la face externe du plomb d’Himère l’on a affaire à une sorte de résumé (voir comm. *55). 5. χα ίρ ω κα ὶ ὑγ ι αίν ω – χαίρν καὶ ὑ[γιαίνν·]| Γναθίωι παρ[ὰ τοῦ δεῖνος] (5, Athènes, 425–400) – Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν (6, Athènes, f. V-d. IV) – [---]ίδης Βάτω[νι χαίρν? | καὶ ὑγια?]ίνν (*33, Olbia du Pont, 400–350) (restitution possible mais non assurée, de même que la suite : ἐπισ[τέλλω?]) – [---] Χαιρέαι χαίρειν καὶ ὑ|[γιαίνειν] (63, Agathè, f. IV–d. III) (au milieu de la face B, peut-être comme début d’un autre message) Ce couple de verbes, analysé ci-dessus, marque la transition entre la formule archaïque et la formule « classique ». 6. ὑγ ι αίν ω Dans les sources littéraires, on trouve parfois seul le verbe ὑγιαίνειν, apparemment préféré par Pythagore et par Épicure149. S’il apparaît parfois dans ce corpus dans le prescrit (mais toujours en couple avec χαίρειν), ce verbe apparaît aussi dans les formules valetudinis et valedicendi (voir infra, p. 355–356 et 357).
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Hérodote 3.40. Voir Ceccarelli 2013, p. 113–115 et 118, pour les messages introduits par la formule cataphorique ἔλεγε
τάδε. Thucydide 1.129. Syll.3 22 = I. Magnesia 115. Son authenticité est contestée : cette inscription sur pierre découverte dans le sanctuaire d’Apollon de Magnésie du Méandre serait la traduction grecque d’une lettre de Darius Ier (à partir d’un original araméen), confirmant les privilèges du sanctuaire et son ancienneté. Voir, entre autres : Meiggs – Lewis, GHI 12 ; Briant 2003 ; Tuplin 2009. 148 Johnston, Suppl–LSAG², 1990, p. 429–430 (ἐπιστέλλω, ἐπιτίθημι, ἱάλλω). 149 Cf. Lucien, Pro lapsu 6 ; voir aussi Decourt 1993, p. 241–242. 146 147
3. Pratiques épistolaires et literacy
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7. χαίρ ω – Χαῖρε, à la fin du message (67, Emporion, f. VI) (avec un rôle de salutation finale) – Χαῖρε, en début du message (*70, Emporion, 500)150 – [ὁ δεῖνα τῷ δεῖνι χαίρ?]ν (19, Tyras, 450–400) – Ἀρτεμίδωρος Διονυσίωι χαίρειν (20, Nikonion, 400–350) – Ἠρο[--- ---]ωι χα[ίρν] (65, Ruscino, 400–350) – Ῥόδων Ἡρακᾶι | χαίρειν (35, Olbia du Pont ou nord de la mer Noire, 400–350) – [---]τη Ἀπολλᾶι χαί[ρε|ιν] (51, Vyšesteblievskaja 3, 400–350) – Τιμοσθένηι | χαίρν (39, Chersonèse Taurique, 375–325) – Ἀρτικῶν : τοῖς ἐν οἴκωι | χαίρειν (30, Olbia du Pont, 350) – Σωσίβιος Μικίωνι | χαίρειν (31, Olbia du Pont, IV) – [ca. 3]ιτος Τεγέαι χαίρειν (14, Toronè, 350–325) – Ἑρμαῖο[ς τῷ δεῖνι χαίρειν?] (45, Panticapée, 350–300) – Βάτις Διφίλοι (sic) χαίριν (sic) (32, Olbia du Pont, 350-d. III) – Ὄρος Πυθοκλ χαίρειν (et au milieu de la face B, un autre message : Ὄρος Κερκίωνι χαίρειν ; sur la dernière ligne de la face B, un troisième message, Ὄρος ΣΑΙΧΟ+ΙΝΗ χαίρειν) (46, Myrmékion, 325–300) – [–?]+++Ο+Κ[---ca. 6–7---] χα[ί]ρειν (63, Agathè, f. IV-d. III) – [ὁ δεῖνα τ]οῖς ναοκλήρ|[οις καὶ τ]οῖς πρὸ ἡμῶν ν|[--- χαίρει?]ν (34, Olbia du Pont, d. III) – Διονύσιος τοῖς ἐν οἴκω[ι] χαίρειν (21, Nikonion, III) – Μεγιστῆς Λεύκωνι χαίρειν (59, Massalia, III) – Βότρυς Θεοπόμ|πωι χαίρειν (41, Akra, III–II) – Α( ) τοῖς κυρίοις χαίρειν (16, Rhodes, f. II) – Στρατόνεικος Μαρτυρίῳ χαίρει[ν] (17, Smyrne, IV–Vp) Ce verbe151 est également utilisé pour des souhaits banals152 ou bien, sous une autre forme standardisée, en contexte funéraire153. Pour ce qui nous intéresse ici, une scholie nous apprend qu’un certain Dionysios avait écrit un traité (perdu) sur χαίρειν comme salutation et comme formule épistolaire154. Dans son opuscule Pro lapsu in salutando/Ὑπὲρ τοῦ ἐν τῇ προσαγορεύσει πταίσματος (« Sur une faute commise en saluant »), Lucien de Samosate discute trois formules épistolaires : χαίρειν, εὖ πράττειν et ὑγιαίνειν. Il mettait en rapport la salutation χαίρειν avec Philippidès, le coureur de Marathon (Χαίρετε, νικῶμεν)155, tandis qu’il attribuait la formule χαίρειν156 et le début de la pratique épistolaire à Athènes à Cléon annonçant la victoire de Sphactérie en 424157,
La presence de cette formule en début d’une lettre est très rare dans les papyrus, cf. Exler 1923, p. 35–36, 67–68. Brèves remarques chez Jordan 2007, p. 1364–1365. 152 Cf. dans les papyrus « salut (χαῖρε, χαίροις), Untel ! », et en latin ave suivi du nom du destinataire au vocatif. Un graffite d’Olbia du Pont sur un tesson d’un vase à vernis noir (vers 350–325) présente un jeu de mots : Ἐργασίωνος | ἕτερον χαῖρε,| ἕτερον Πρωτέας μὴ | μὴ χαῖρε. Voir Vinogradov/Rusjaeva 1998, p. 157 (ph. Pl. IX.3a) (= SEG XLVIII 1016). 153 Cf. Decourt 1993, en partic. p. 241–242. 154 Schol. Ar. Plut. 322 c. 155 Lucien, Pro lapsu 3 : Πρῶτος δ’ αὐτὸ Φιλιππίδης ὁ ἡμεροδρομήσας λέγεται ἀπὸ Μαραθῶνος ἀγγέλλων τὴν νίκην εἰπεῖν πρὸς τοὺς ἄρχοντας καθημένους καὶ πεφροντικότας ὑπὲρ τοῦ τέλους τῆς μάχης, « Χαίρετε, νικῶμεν », καὶ τοῦτο εἰπὼν συναποθανεῖν τῇ ἀγγελίᾳ καὶ τῷ χαίρειν συνεκπνεῦσαι. Chez Hérodote 6.105–106, il est pourtant question d’un hèmerodromos du nom de Pheidippidès, qui court d’Athènes à Sparte pour annoncer aux Lacédémoniens le débarquement des Perses à Marathon et leur demander l’aide ; notons que son message commence par le vocatif ὦ Λακεδαιμόνιοι. 156 Ce type d’association est cité plus tard par des sources lexicographiques. Voir Moeris, Lex., s. v. χαίρειν (p. 213 Bekker) : χαίρειν ἐν ἐπιστολῇ πρῶτος λέγεται γράψαι Κλέων Ἀθηναίοις μετὰ τὸ λαβεῖν τὴν Πύλον. ἔνθεν καὶ τὸν κωμικὸν (Eupolis F 331 K.-A.) ἐπισκώπτοντα εἰπεῖν « πρώτως γὰρ ἡμᾶς, ὦ Κλέων, χαίρειν προσεῖπας πολλὰ λυπῶν τὴν πόλιν » ; sept entrées dans le lexique Souda, s.vv. Χαίρειν (Χ 162–168) ; Schol. Aristoph. Nub. 609 ab : πρῶτα μὲν χαίρειν· τὸν Κλέωνά φασιν ἀπὸ τῆς Πύλου καὶ Σφακτηρίας τοῖς Ἀθηναίοις ἐπιστέλλοντα « χαίρειν » προθεῖναι (…) ἀρχαῖον ἦν ἔθος προτάσσειν ἐν ταῖς ἐπιστολαῖς τὸ χαίρειν. οὐ γάρ, ὥς τινες, Κλέων πρῶτος οὕτως ἐπέστειλεν Ἀθηναίοις ἐκ Σφακτηρίας (et variante ἀρχαῖον ἔθος τὸ ταῖς ἐπιστολαῖς προτιθέναι τὸ χαίρειν, καὶ οὐκ ἔστι Κλέων ὁ πρῶτος οὕτως ἐπιστείλας, ὥς τινες). 157 Lucien, Pro lapsu 3 : ἐν ἐπιστολῆς δὲ ἀρχῇ Κλέων ὁ Ἀθηναῖος δημαγωγὸς ἀπὸ Σφακτηρίας πρῶτον χαίρειν προὔθηκεν εὐαγγελιζόμενος τὴν νίκην τὴν ἐκεῖθεν καὶ τὴν τῶν Σπαρτιατῶν ἅλωσιν. καὶ ὅμως γε μετ’ ἐκεῖνον ὁ Νικίας ἀπὸ Σικελίας 150 151
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
ce qui est peut-être une invention tardive ou plutôt une méprise pour un premier usage dans un contexte officiel158. On trouve en effet un écho certain du message de Cléon – comme l’atteste la mention des « alliés » – dans la comédie Les Nuées d’Aristophane, représentée l’année suivante, en 423 : « Au moment où pour venir ici nous étions prêtes à partir, la Lune, nous ayant rencontrées, nous chargea tout d’abord de dire le bonjour aux Athéniens et aux alliés, puis elle nous a dit qu’elle est courroucée (ἡ Σελήνη συντυχοῦσ᾿ ἡμῖν ἐπέστειλεν φρ άσ αι,| πρῶτα μὲν χαίρ ε ιν Ἀθ ην α ί ο ι σ ι κ α ὶ το ῖ ς ξυ μ μ άχο ι ς ·| εἶτα θυμαίνειν ἔ φ α σ κ ε ) que vous la traitiez indignement, etc. »159. Il est intéressant de noter que Lucien ajoute aussitôt que Nicias, depuis la Sicile, écrit aux Athéniens à l’ancienne, commençant son message in medias res : ἐπιστέλλων ἐν τῷ ἀρχαίῳ τῶν ἐπιστολῶν διέμεινεν ἀπ’ αὐτῶν ἀρξάμενος τῶν πραγμάτων160. 8. ἐπιτί θ ημι – σε ἐπιθναι – ἐπέθηκας – ἰὰν ἐπιθείης (26, Olbia du Pont, f. VI) – [ἐ]πιθναι τίσι (19, Tyras, 450–400) – ἐπιθε[---] (37, Panskoe 1, 325–300) – ἐπιστολὴν ἐπίθες μοι (46, Myrmékion, 325–300) Ce verbe est présent à trois reprises dans la lettre d’Apatorios à Léanax, qui plus est à des temps chaque fois différents, dans le message fragmentaire sur tesson de Panskoe 1 et en particulier dans les lettres sur plomb de Tyras et de Myrmékion, dans deux séquences qui ne laissent pas de doute sur son usage dans le contexte de la correspondance. Il a été bien commenté par B. Bravo (voir 26, comm.). En effet, chez Hérodote et Thucydide, ἐπιτίθημι a le sens d’envoyer un message ou donner une réponse (ἀντεπιτίθημι). 9. ἐπιτέ λ λω – ὡς ἐπιτέλλεις πέμπ[ων ---] (28, Olbia du Pont, 500–450) Selon L. Dubois (voir comm. 28), le syntagme ἐπιτέλλω πέμπων signifie « donner des instructions de telle ou telle nature au moment où l’on envoie quelqu’un en mission » ; l’emploi de la IIe pers. du sg. montre qu’il s’agit d’une lettre. 10. πρ άττω – Δράκων Ἀχιλλεῖ εὖ πράττειν (72, Nida, après le m. IIp) Il s’agit d’un usage popularisé dans les écrits littéraires, à partir de Platon (voir 72, comm.) ; le verbe πράσσω est employé sous sa forme attique. Excursus II. Autres verbes fréquents dans les lettres privées La correspondance privée fait fréquemment appel à d’autres verbes, dont certains sont même employés à plusieurs reprises dans le même document. Ils concernent l’envoi et le transport, la transmission de biens et d’instructions : • verbes d’envoi comme – ἀνάγω (24) – ἀποστέλλω (14, 21, 23?, 36, 45, 46, 58, 59, 65)
ἐπιστέλλων ἐν τῷ ἀρχαίῳ τῶν ἐπιστολῶν διέμεινεν ἀπ’ αὐτῶν ἀρξάμενος τῶν πραγμάτων. La lettre supposée de Cyrus à Kyaxarès, comportant des formules (prescrit Κῦρος Κυαξάρῃ χαίρειν et clausule ἔρρωσο), est recréée de manière rétrospective (Xénophon, Cyrop. 4.5.27–33). 158 Voir l’analyse détaillée de Ceccarelli 2013, p. 89–98 (« A Greek Narrative of a Beginning of a Genre »). 159 Aristophane, Nu. 607–610. 160 Lucien, Pro lapsu 3.
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– πέμπω (28) – ἀποπέμπω (6, 46) – φέρω (2, 6, 14, *70) • verbes de transmission comme – δίδωμι (14?, 18, 30, 36, 37, 45, 46, 54) – ἀποδίδωμι (6, *10, 12, 23?, 26, 27, 34, 46, *71) – κομίζω (16, 21, 30, 45 ; παρακ- 67, συνκ- 38) • verbes de transmission des instructions (en plus de ἐπιστέλλω et κελεύω), comme – ἐντέλλω (21) – ἐπιτέλλω (28) • verbes de maltraitance comme ἀδικέω (*8, 25). Dans les lettres les plus anciennes, quand il s’agit de donner des instructions, il convient de remarquer la fréquence de deux types d’infinitifs : a) infinitif moyen-passif en -σθαι : ἐνευρέσθαι (7), τιμωρήσθαι (*8), [ὠνε?]ῖσθαι (14), [---]σθα[ι] (42), ἀπολ〈έ〉σθαι (47), ἀποτσασθαι (48), [---]σθαι (49), [---]νεσθαι (54), προστήσεσθαι (59), [ἀπ]αλλάσεσθαι et βάλλεσθαι (65), ὀνωνῆσθαι et [---]σθαι (67), ὠνσθα[ι] et ὀνωνῆσ[θαι] (68) b) infinitif aoriste actif, pour des opérations fréquentes : ἀπαιτῆσαι (60), ἀποδναι (6, 23?, 46), ἀποπέμψαι (6), ἀποστεῖλαι (59). Il convient également de remarquer l’usage de l’impératif aor. actif, ainsi ἀπόστειλον (21), ἀγόρασον (50), ἔντειλαι (21) et ἐπίστλον (24), et de l’infinitif aor. passif, tel [πρ]οστελεσθῆναι (*8). Excursus III. Defixiones et emploi de formules épistolaires Dans l’épigraphie sur pierre, en plus de la correspondance officielle (civique, royale, impériale), on connaît d’autres lettres gravées, à valeur testamentaire161. De même, quelques actes d’affranchissement d’époque impériale, en Macédoine, peuvent se présenter sous la forme de lettres adressées aux divinités : ainsi, I. Leukopetra 69 (χαρίζομαί σοι διὰ ταύτης μου τῆς ἐπιστολῆς) et 78 (Τῇ κυρ[ί]ᾳ Μ[η]τρὶ Θεῶν Αὐ[τό]χθονι Κοδ[ρ]ᾶτος οἰκον[όμ]ος τῆς Βεροιαίων πόλεως χαίριν), sur le modèle de la « lettre » à caractère légal (I. Beroia 49 : ὑπέταξεν δὲ καὶ τὴν ἐπιστολὴν τὴν δεδομένην αὐτῇ ὑπὸ τῶν ἀδελφῶν). La porosité entre correspondance privée et defixiones, évoquée à plusieurs reprises dans ce corpus, est remarquable aussi bien pour le support (le plomb) que pour les formules employées dans les deux types de documents. Concernant le support, si certains commentateurs, en particulier B. Bravo, ont eu tendance à considérer que l’usage du plomb était plutôt réservé aux tablettes de malédiction, et de manière plutôt exceptionnelle à la correspondance privée, il me semble qu’il faut inverser la perspective. Le fait d’écrire des lettres sur plomb était en réalité un phénomène plus répandu qu’on ne le pensait auparavant, et certainement plus fréquent que la rédaction des defixiones (phénomène déjà considérable). D’une part, les lettres privées ont subi des sorts des plus divers : soit le remploi du plomb pour d’autres messages privés (la lamelle étant fondue ou le texte étant effacé pour une regravure) ou d’un autre genre (dont les defixiones, cf. 12), voire pour les filets de pêche ; soit leur abandon dans des dépotoirs, assez rarement ou incomplètement fouillés par les archéologues – sans oublier que ces plomb informes et oxydés doivent être déroulés et soigneusement nettoyés, procédés appliqués à une minorité des trouvailles. D’autre part, les defixiones ont été déposées dans la plupart des cas dans des
161
Robert, OMS, III, p. 1608. Dans un autre registre, voir Vandorpe 2013, p. 171–185.
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
tombes – or, les nécropoles sont des complexes clos – et parfois dans des sanctuaires. Avec les fouilles archéologiques dans les ensembles funéraires, par exemple à Athènes et à Apollonia du Pont, ou dans les sanctuaires, le résultat s’est avéré le même : les defixiones sont des pièces qui sont systématiquement récoltées et, en accord avec le renouvellement de l’intérêt pour ce type de textes, rapidement publiées. L’activité des chasseurs de trésors, aidés de nos jours par les détecteurs à métaux, a amplifié le phénomène. Si l’on compare les chiffres concernant les découvertes de tablettes de malédiction et de lettres sur plomb, on est frappé par la nette disproportion, d’une parte, entre les deux catégories, et, d’autre part, entre l’ensemble du monde grec et le nord de la mer Noire162 :
Defixiones Lettres privées sur plomb
Ensemble du monde grec
Dont au nord de la mer Noire
plus de 1300 36–42
près de 70 (dont près de 50 à Olbia du Pont) 22–23 (dont 9 à Olbia et Berezan’)
Si le rapport approximatif entre lettres privées et defixiones est dans l’ensemble du monde grec de 1:32,5, ce qui est considérable, il tombe à 1:3,2 au nord de la mer Noire. L’écart est donc 10 fois plus réduit au nord de la mer Noire, en particulier à Olbia du Pont (avec Berezan’) ; la situation de ce dernier site paraît mieux rendre compte de la réalité. En effet, la grande cité pontique ainsi que certains sites majeurs et mineurs du pourtour septentrional de la mer Noire ont bénéficié de fouilles systématiques et sont également affectés ces dernières années par l’activité des « collectionneurs » privés, ce qui explique les découvertes régulières de documents sur plomb, à la fois lettres privées et defixiones. J’estime que l’emploi des formules épistolaires par les défixions163, en particulier le prescrit, est un argument supplémentaire sur le caractère courant de la pratique et des formulaires épistolaires, qui ont été adoptées et adaptées pour les envois dans l’au-delà. Voici une liste des prescrits épistolaires et des adresses externes présents dans les textes de malédiction, aussi bien sur plomb, sur céramique et sur papyrus : – ἐπιστο{σ}λὴν | πέμπων | [δ]αίμο〈σιν〉 (ΑΙΜΟΝΙΣ plumbum) | καὶ Φρεσσεφών〈ῃ〉{ς} | κομίσας | Τιβιτίδα | τὴν Χοιρίνης | τὴν ἐμ〈ὲ〉 ἀδικσαν κτλ. (DTA 102, Athènes, II-I, plomb) – Ἑρμ[ῇ] καὶ Φερσεφ[ό]ν[ῃ] τήνδε ἐπιστο[λ]|ὴν ἀπο|πέμ[πω] (DTA 103, Athènes, IV, plomb) – une defixio d’Apollonia du Pont, en dialecte ionien, se présente sous une forme épistolaire : Ἀριστοκράτη Λειμωνίῳ χαίρειν (milieu du IVe s., céramique)164 – une defixio inédite du site voisin d’Anchialos comporte une forme épistolaire et même une adresse externe (époque hellénistique, plomb)165 – dans les papyrus magiques d’époque impériale, sous la même forme épistolaire : Πιούθιος Κήρυκι σεβαζομένῳ τὸν θεὸν χαίρειν (PGM I P I) ; Νεφώτης Ψαμμητίκῳ βασιλεῖ Αἰγύπτου αἰωνοβίῳ χαίρειν (PGM I P IV) – l’adresse externe est présente sur trois défixions (deux attiques, une eubéenne)166, comportant les noms des dieux souterrains, par ex. Ἑρμῆς χθόνιος καὶ Ἑκάτη χθονία (DTA 107, Athènes, IVe s.) Dans trois défixions attiques et une autre sicéliote est précisé, par des expressions communes, l’envoi d’un don (e.g. πέμπω δῶρον) aux divinités infernales167. Cet usage d’envoyer des messages/lettres dans l’au-delà168 se rencontre également dans les defixiones latines sur plomb : une « supplication juridique » de Kempraten (Germa-
162 163 164 165 166 167 168
Belousov 2016; Aleksej V. Belousov vient de publier le corpus des defixiones d’Olbia du Pont (DefOlb, 2020). Voir une analyse similaire chez Ceccarelli 2013, p. 47–56 (« Curses, Letter-Curses, Letters to Gods »). Sharankov 2016, p. 299 ; Idem, dans Baralis/Panayotova/Nedev 2019, p. 298–299, cat. 346. Renseignement de Nikolaj Šarankov (Sofia), que je remercie vivement. Ceccarelli 2013, p. 50. Ceccarelli 2013, p. 51. Solin 2016.
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nie Supérieure) comporte l’expression haec epistula169 ; sur la tablette Aq-2 d’Aquincum (Pannonie Inférieure) l’opération d’envoi est détaillée, avec les répétitions habituelles, at Tartara tradas comodo epistularius qui tibi epistulas tradet [---] epistula tradet (…) qui tibi epistulas tradet170 ; on trouve même le terme antepistula (cf. en grec ἀντεπιστολή) pour une contre-defixio, dans la tablette de malédiction Aq-3 du même site171 ; quelques defixiones latines se désignent par le terme emprunté au grec charta/carta, qui renvoie à la feuille de papyrus172 – mais également à une plumbea charta, feuille de plomb (cf. Suétone, Nero 20.1). Enfin, il convient d’ajouter que des prescrits épistolaires sont également présents sur des lamelles en or trouvées dans les tombes de Macédoine ou de Crète173, adressées donc aux divinités infernales174 : – avec l’infinitif χαίρειν : Φιλίστη Φερσεφόνηι χαίρειν (SEG LII 649, Vergina, époque hellénistique) ; Φιλωτήρα | τῶι Δεσπό|τει χέρε(ιν) (SEG LII 607, Héraclée sur l’Axios, date inconnue) ; [Πλού]τωνι καὶ Φ|[ερσ]οπόνει χαίρεν (I. Cret. II XII.31 bis, Éleutherna, II-I) ; – sans le verbe, mais comportant un prescrit simplifié : Φερσεφόνηι | Ποσείδιππος μύστης | εὐσεβής (SEG XLII 619 b, Pella, f. IV) ; Πλούτωνι,| Φερσεφόνῃ (SEG XLVIII 1227, Sfakaki près de Rethymnon, ca. 25 av. J.-C.–40 ap. J.-C.). FORMULA VALETUDINIS La pre m i è re for mu l e d e s a lut at i on ou la for mu l e d e s anté (formula valetudinis), facultative, est une formule par laquelle l’expéditeur souhaite la bonne santé au destinataire et (éventuellement) donne de ses nouvelles175. À l’époque lagide, elle est présente dans la moitié des lettres176. Plusieurs formules sont en usage, e.g. εἰ ἔρρωσαι/ὑγιαίνεις, εὖ ἂν ἔχοι, καὶ αὐτὸς δ᾿ ὑγίαινον177. On a vu qu’une formule parallèle, χαίρειν καὶ ὑγιαίνειν, liée du point de vue syntactique au prescrit, refait son apparition dans les papyrus vers la fin du Ier s.178, alors que dans notre corpus elle figure dans le prescrit comme formule épistolaire de transition (5, 6, 33?, 63). Les formulae valetudinis les plus développées, avec salut, vœux de bonne santé et des nouvelles concernant les proches, datent, comme on s’y attendait, de l’époque hellénistique : voir les lettres 21, 41 (un souhait de santé/bonheur envoyé au destinataire), 59 et 66 (formule mutilée). Ce type de formule, si fréquent dans les papyrus d’époque hellénistique et impériale179, apparaît de manière sporadique dans le corpus : – καὶ αὐτὸς οὕτως ἔφασ[κ]ε [ἔχν] – « Il leur disait qu’il en est de même pour lui » (6, Athènes, f. V–d. IV) (cette séquence fait toutefois pendant à la formule épistolaire Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν) – Διονύσιος τοῖς ἐν οἴκω[ι] χαίρειν. Ἕως τούτου ἔρρωται καὶ | ὁ ὑός (…) ἔρρωται δὲ καὶ | Ποσσικράτης – « Dionysios aux gens de la maison, salut ! Jusque-là, le fils se porte également bien (…) Possikratès se porte lui-aussi bien » (21, Nikonion, III)
Frei-Stolba et alii 2015 (AÉ, 2015, 984). Barta 2017 (= ad Tartara tradas quomodo epistularius). 171 Barta 2015. 172 Bevilacqua 2010a, p. 34 ; Vallarino 2010, p. 88–89 ; Rocca 2019 (carta avec le sens de lettre, message). 173 L’interprétation de ces lamelles est controversée. Voir, entre autres, Pugliese Carratelli 2003. 174 Voir Ceccarelli 2013, p. 54. 175 Koskenniemi 1956, p. 130–139. Voir déjà le début d’une lettre citée par Thucydide 1.128 : Παυσανίας ὁ ἡγεμὼν τῆς Σπάρτης τούσδε τέ σοι χαρίζεσθαι βουλόμενος. 176 Voir, dans une lettre privée d’Égypte, BGU VI 1296, ll. 1–2 (ca. 210) : ὁ πατὴρ Ἀμμωνίωι καὶ τοῖς | ἐν οἴκῳ πᾶσι χαίρειν (et la suite, ll. 2–4 : εἰ ἔρ|ρωσθε, τὸ δέον ἂν εἴη, καὶ αὐ|[τὸς] ὑγίαινον κτλ.). Pour ces formules à l’époque hellénistique et en particulier à l’époque impériale, voir Nachtergaele 2014. 177 Cf. Épicure, F 176 Usener et, en latin, si vales, bene est, ego valeo. 178 Koskenniemi 1956, p. 133. 179 Les formules de Nikonion et de Massalia sont similaires aux usages contemporains dans les papyrus (voir comm. 21 et 59). 169 170
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
– Εἰ ὑγιαίνεις, καλῶς ποεῖς·| ὑγιαίνομεν δὲ καὶ ἡμεῖς – « Si tu es en bonne santé, c’est bien ; nous sommes en bonne santé, nous aussi » (59, Massalia, III) – [Εἰ ὑγιαί?]νις | [---] (66, Rhodè, II) – πάνυ | σοι μὲν [---] (41, Akra, III–II) – le même rôle est peut-être joué par Χαῖρε, en début du message180 (*70, Emporion, 500) – il faut inclure dans cette catégorie la première phrase qui suit après le prescrit de la lettre sur plomb de Myrmékion, où l’expéditeur Oréos donne de ses nouvelles : ΤΟΕΝΘ | ἐγένετό μοι ἐν τῶι τραχήλωι, ἀλλὰ ΧΑΙ|ΝΩ ἤδη (46, 325–300) CONTENU Il s’agit de la partie la plus importante et la plus longue de la lettre181. Si aux époques archaïque et classique la structure des lettres ne comporte en général que le prescrit et le contenu (dans lequel peuvent s’accumuler des instructions et des renseignements très divers), ce dernier ne sera que plus tard séparé du reste de la lettre, soit par une mise en page, parfois soignée, soit par des formules simples ou plus élaborées qui le précèdent et lui succèdent (valetudinis et valedicendi). Dans certains cas, le corps de la lettre peut faire l’objet de messages différents, voire de lettres différentes (« lettre dans la lettre ») : – deux messages séparés par un vacat à la fin d’un premier groupe d’instructions, sur une tablette d’argile (15, Thasos, 500) – l’incise Ἔτερα δέ τοι ἐπιστέλλ, qui signale une transition vers un autre sujet (25, Berezan’, 550–500) – deux sujets, dont le second est séparé du premier par une ligne ; il est introduit par l’intitulé Περὶ τῶν οἰκιητέων (26, Olbia du Pont, f. VI) – une incise à valeur de complément d’une formula valetudinis, à propos d’une personne dont il est question, ἔρρωται δὲ καὶ | Ποσσικράτης (21, Nikonion, III) – une deuxième lettre, qui commence après le milieu de la face B d’une lettre opisthographe sur plomb (46, Myrmékion, 325–300) ; une salutation apparaît à la fin de la lettre, sous la forme d’un prescrit : Ὄρος ΣΑΙΧΟ+ΙΝΗ χαίρειν. – une salutation, insérée après le milieu de la face B d’une lettre opisthographe sur plomb (63, Agathè, f. IV–d. III) Une sorte d’indication postérieure est notée sur une lettre sur plomb ayant transité vraisemblablement de Mendè vers Toronè, dans la Chalcidique : – [Ἐδίδ?]οτο | [ca. 3]Δ+ (14, Toronè, 350–325) Enfin, dans la lettre de Massalia, Mégistès sollicite une réponse par lettre, alors que dans la lettre de Myrmékion Oréos enjoint à Pythoklès de transmettre un message à une autre personne, en utilisant un autre terme pour « lettre » : – γράμματα ἀποστεῖλαι (59, Massalia, III). – +ΣΑ(+) ἐπιστολὴν ἐπίθες μοι (46, Myrmékion, 325–300).
180 À Adria, emporion étrusque et grec dans le Delta du Pô, notons une formule particulière de marchand, peinte sur un fragment de céramique attique à figures noires (AVI 18, ca. 540–530) : [χα]ῖρε καὶ πρί μ[ε], « salut et achète-moi ! ». Voir Baldassarra 2013, p. 39–40, n° Adria FN 1 ; Baldassarra 2014, p. 563. 181 Voir Martin 2010.
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FORMULA VALEDICENDI L a for mu l e d e s a lut at i on f i n a l e (formula valedicendi) est la formule conclusive (ὑπογραφή/ἀσπασμός, subscriptio/clausula)182. Les lettres d’époque archaïque et la plupart des lettres d’époque classique se terminent de manière brusque, sans aucune formule ou clausule – comme l’attestent la plupart des documents sur plomb du nord de la mer Noire. Dans le corpus, la formula valedicendi est sporadique : – – – –
χαῖρε (67, Emporion, f. VI) [cf. aussi χαῖρε au début du message *70, Emporion, 500 (?)] ὑγίαινε (20, Nikonion, 400–350) ἔρρω[σο] (45, Panticapée, 350–300) ἔρρωσο (46, Myrmékion, 325–300), avant la phrase finale qui demande de transmettre une deuxième lettre – εὐτύχει (59, Massalia, III) – [εὐτύ]χει (66, Rhodè, II) – εὐτύχει (72, Nida, après m. IIp)
Les deux clausules les plus anciennement attestées, χαῖρε (67) et ὑγίαινε (20), sont par ailleurs des éléments qui se retrouvent dans la formule épistolaire de transition. Par la suite, ces éléments seront assignés au prescrit classique (le premier), respectivement à la formula valetudinis (le second). La clausule ὑγίαινε (impératif actif IIe pers. sg.) connaît un emploi particulier qui apparaît dans la lettre 20, en tant que première attestation en fin de message dans le corpus des lettres sur plomb. En contexte funéraire, elle peut accompagner parfois le plus banal χαῖρε, comme un salut adressé aux passants183. La formule ὑγίαινε apparaît en position finale dans les lettres sur papyrus d’époque hellénistique, bien que rarement184: UPZ I 62, l. 34 (en 161/160) ; BGU VIII 1874, l. 14 (milieu du Ier s.). Dans la formule épistolaire de transition, ce verbe peut succéder, à l’infinitif comme on l’a vu, au salut χαίρειν, comme dans les lettres sur plomb de la Pnyx (5), de Mnèsiergos (6) et d’Agathè (63). Vers la fin de l’époque classique et au début de l’époque hellénistique on constate la diffusion des deux clausules typiques de la correspondance privée, ἔρρωσο/ἔρρωσθε185, avec deux occurrences dans le corpus, et εὐτύχει, attestée par trois fois186. Cette formule ne cesse d’être amplifiée au cours des siècles, avec des sophistications variables à l’infini pendant l’Antiquité tardive. INSCRIPTIO L’adress e d’e x p é d it i on (inscriptio)187 ou l’adress e exter ne, est très fréquente au verso des papyrus, par convention mais aussi pour des raisons concrètes, afin d’éviter au transporteur de plusieurs lettres des erreurs de distribution ; dans les papyrus tardifs, on voit apparaître des formules de type ἀπόδος/ἐπίδος/δὸς τῷ δεῖνι ὁ δεῖνα/παρὰ τοῦ δεῖνος. Sur les lettres sur plomb, comme sur les lettres sur papyrus – qui reprennent en réalité le même format et le même principe – on constate la présence assez fréquente d’une adresse externe188, qui connaît plusieurs formes189 :
Voir Koskenniemi 1956, p. 151–154 ; Luiselli 2008, p. 705–707. Voir Decourt 1993. 184 Voir Buzón 1984, p. 26. 185 Cf. en latin vale/valete. 186 Dans les papyrus on peut rencontrer, quoique rarement, ce verbe à l’infinitif (εὐτυχεῖν) dans la formula valetudinis (Nachtergaele 2016, p. 149) ; en revanche, (δι-)εὐτύχει est typique pour les pétitions d’époque lagide, voir Di Bitonto 1967, p. 55 ; Di Bitonto 1968, p. 105 ; Mascellari 2018. 187 Luiselli 2008, p. 709–710 ; Sarri 2018, p. 123–124. 188 L’adresse externe de la lettre sur plomb de Patrasys (48, début du Ve s.) est très abîmée ; la première ligne comporte les vestiges du nom du destinataire (au datif) plutôt que de l’expéditeur (au nominatif). 189 Ziemann 1910, p. 278–281, établit quatre types principaux d’adresses externes : (I) τῷ δεῖνι ; (II) παρὰ τοῦ δεῖνος τῷ δεῖνι ou τῷ δεῖνι παρὰ τοῦ δεῖνος ; (III) ἀπόδος τῷ δεῖνι ; (IV) ἀπόδος παρὰ τοῦ δεῖνος τῷ δεῖνι ou ἀπόδος τῷ δεῖνι παρὰ τοῦ δεῖνος. 182 183
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• A (nom de la lettre + gén.) + B (acc. avec παρά) – Ἀχιλλοδώρ τὸ μολί|βδιον· παρὰ τὸμ παῖδα | κἀναξαγόρην (25, Berezan’, 550–500) • indication du lieu de livraison et des destinataires – Φέρν ἰς τὸν κέραμ|ον τὸγ χυτρικόν·| ἀποδναι δὲ Ναυσίαι | ἢ Θρασυκλῆι ἢ θυἰῶι (6, Athènes, f. V-d. IV) – Ατιελαρ[–190 ---]|+ΣΗΣΑΣΑ[---] | ἄνδρα NΑ[---] (68, Emporion, 500–450) • A (nom.) +B (dat.) – Ἀπατριος | Λεάνακτι (26, Olbia du Pont, f. VI) (inversion par rapport au prescrit, qui a la forme B + A) – Κλδικος | Ἀριστοκ(ρ)άτ (52, Hermonassa, 450–400) (inversion par rapport au prescrit, qui a la forme B + A) – peut-être Λησ[ι– ---|---?] (7, Athènes, d. IV) • B (dat.) – Διονυσίωι | χαλκεῖ (20, Nikonion, 400–350), avec l’indication du métier – Λεύκωνι (59, Massalia, III) – peut-être Λητοκλεῖ (*62, Lattara, hell.) • une sorte de résumé (?) – Εὐπίδας hιάλ | Διεύχς : λοχᾱγὸς | Δαῖτις (*55, Himère, 475–450) Une variante de la formule Ziemann I (τῷ δεῖνι) est représentée par la lettre sur plomb de Nikonion adressée à Dionysios le forgeron (20) : l’expéditeur Artémidôros, dont le nom se trouve dans le prescrit (adresse interne), a pris le soin de mieux préciser l’identité de son correspondant afin qu’il n’y ait pas d’erreur sur la livraison et certainement parce que c’était par son métier que Dionysios – porteur d’un nom extrêmement banal – était connu à la fois dans la communauté et par le porteur de la lettre. Une variante ancienne de la troisième catégorie de Ziemann (ἀπόδος τῷ δεῖνι) est celle de la lettre de Mnèsiergos d’Athènes (6), qui abonde en précisions : Φέρν ἰς τὸν κέραμ|ον τὸγ χυτρικόν·| ἀποδναι δὲ Ναυσίαι | ἢ Θρασυκλῆι ἢ θυἰῶι. Je suppose que d’autres lamelles de plomb du corpus ont dû comporter une adresse externe : elle figurait peut-être dans l’un des fragments perdus (par ex., la lettre de Torone, 14) ; pour certaines lettres, les collectionneurs n’ont fourni que la photo du recto. Dans ce dernier cas, il convient de noter que les premières éditions de la lettre sur plomb de Klédikos, d’Hermonassa (52), en 2012, n’avaient utilisé que des photos du recto, or les éditions ultérieures ont montré qu’une adresse externe figurait au verso, sur deux lignes ; j’ai pu faire le même constat pour les lettres de Lèsis (7, Athènes) et de Pistos (48, Patrasys), où l’adresse externe est malheureusement très affectée par corrosion. Si le nom du porteur de la lettre est parfois indiqué dans les papyrus, ce n’est malheureusement pas le cas pour les lettres sur plomb et sur tesson. B. Bravo suppose, par exemple, que la lettre d’Achillodôros devait être remise à Prôtagorès par le capitaine du bateau, à qui il avait également confié le message oral correspondant au contenu de la lettre191. C’est effectivement le cas de la lamelle opisthographe d’Oréos, destinée à trois personnes de Myrmékion, car un kybernètès du nom de Diodôros est mentionnée ; le premier destinataire, Pythoklès, doit transmettre un deuxième message écrit pour Kerkiôn (46). En réalité, on ne peut pas savoir à qui Achillodôros avait confié la lettre, car il est possible, étant donné la facilité avec laquelle les auteurs des lettres passaient d’un sujet à l’autre, que le neôros mentionné à la fin de la lettre soit lié à une autre affaire, connue du père et du fils. Les adresses externes des lamelles de plomb servaient à la distribution des lettres, mais aussi, après la consultation du texte, à un éventuel archivage, à l’instar d’autres documents, comme le mémorandum commercial de Pech Maho (IG France 135), qui comporte au verso la séquence ΗΡΩΝΟΙΙΟΣ, sur une marge laissée libre par le texte étrusque. Enfin, une autre catégorie est constituée par les deux amphores d’époque impériale sur lesquelles sont indiqués les destinataires et les expéditeurs de l’envoi : Pour des formules particulières dans les papyrus, voir Llewelyn 1994 [εἰς (τὴν) οἰκίαν] et en partic. Daris 2011 (avec des instructions très détaillées, voire des itinéraires, pour la distribution des lettres, cf. le terme grec σημασία). 190 Ce nom ibère pourrait être soit celui du destinataire soit celui de l’expéditeur. 191 Bravo 2011a, p. 48.
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– Φιλίπῳ παρὰ | Μα[-2–3-]νος et Στάμνον ἀπόδος | Φιλίπῳ Φιλίπης | ἀδελφῷ (*10, Athènes, seconde m. IIp) – Ἱερων[ύ]μῳ | [χ]ρηστῷ ἀδελφ[ῷ | πα]ρὰ ἀδελφῶ[ν | στ]άμνος (*11, Athènes, m. II-d. IIIp) Excursus IV. Les termes pour « lettre » Ce corpus épistolaire renferme naturellement plusieurs termes pour « lettre »192, dont le premier, et le plus ancien, est très rare : μ ολίβ δι ον : l’adresse externe de la lettre d’Achillodôros (25) nous dévoile le nom métonymique de la lettre sur plomb, désignée à partir du matériau qui avait servi à sa fabrication : τὸ μολίβδιον (var. μολύβδιον)193, nom de la lamelle de plomb, est un diminutif de μόλυβδος/μόλιβδος (« plomb ») ; pour d’autres attestations, voir comm. 25. De la même façon, deux autres termes pour « lettre » renvoient au support/matériau (papyrus et tablettes de bois)194, s’agissant à chaque fois de diminutifs : βυβλίον/βιβλίον et δελτίον sont tirés de βύβλος/ βίβλος et δέλτος195. ἐ π ι σ τολή : le nom par excellence de la lettre ; ἐπιστολή et le verbe dont elle est dérivée, ἐπιστέλλω, sont toujours associés à l’envoi d’une lettre196. Le substantif ἐπιστολή apparaît sur la face B de la lettre sur plomb de Myrmékion, sous la forme d’une recommandation (46 : ἐπιστολὴν ἐπίθες μοι) ; dans le bref message sur tesson d’Olbia de Provence, annonçant l’envoi d’une lettre au sujet des esclaves (58) ; et sur la tablette d’argile d’Emporion – si le document est authentique –, dans la séquence φέρων τὴν ἐπιστο|λήν (*70). En revanche, le verbe est employé dans plusieurs lettres sur plomb et sur tesson, avec le sens d’envoyer des instructions par écrit (voir supra, p. 348). Il est intéressant de noter que le terme ἐπιστολή signifie encore chez Eschyle et Sophocle « ordre oral, injonction »197, d’où la précision d’une source lexicographique : ἐπιστολὴν καὶ τὴν ἐντολὴν λέγουσιν. Κρατῖνος (F 316 K.-A.)· « ἄκουε νῦν καὶ τήνδε τὴν ἐπιστολήν ». Dans la lettre sur tesson de Nikonion, on trouve par ailleurs un verbe fréquent pour donner des instructions, ἐντέλλω (21, l. 3 : ἔντειλαι). γρ άμματα : avec ἐπιστολή, le nom des « lettres/caractères » (γράμματα) est le terme le plus employé pour désigner la lettre198. Ce terme peut désigner, au pluriel, toute forme de document écrit, par exemple un reçu, dans le message sur tesson de Kophanas de Kozyrka 2 (36). Il apparaît avec le sens de « lettre », dans la dernière instruction de Mégistès de Massalia, qui sollicite une réponse écrite (59, l. 5 : γράμματα ἀποστεῖλαι). γρ αφή (?) : dans l’une des lettres sur plomb d’Emporion (69), ce terme polysémique peut renvoyer à un document, à une loi ou bien à une lettre. Excursus V. Les διφθέρια La peau de mouton ou de chèvre, en usage chez les Ioniens avant la diffusion du papyrus dans leurs contrées, donna le nom à un type particulier de documents, qui apparaissent dans la lettre dialectale d’Apatorios à Léanax, d’Olbia du Pont (26, ll. 5–6) : ἰὰν ἐπιθε|ίης διφθέρια πρ[ὸς] Ἠρακλείδην καὶ Θαθαίην. Dans le contexte de la lettre olbienne le diminutif neutre pl. διφθέρια a certainement une autre signification que les διφθέραι (« peaux de chèvre ») dans la lettre de Mnèsiergos (6, l. 6). Hérodote, parlant de l’introduction de l’écriture (φοινικήια, les lettres phéniciennes) en Grèce, précise : « C’est de même d’après l’ancien usage que les Ioniens Sur les termes grecs pour « lettre », voir Ceccarelli 2013, p. 13–19 ; Sarri 2018, p. 16–24. Avec une alternance vocalique médiane -i/-u, voir Hippocrate, Art. 14, et un plomb opisthographe de Rhamnonte, au Ve s. (SEG XXXVIII 13, l. 4 : ἐν τι μολυβδίι). 194 Cf. aussi πίναξ (tablette) et πινάκιον. Pour les termes désignant un morceau tiré d’un tout conçu comme une masse homogène, voir Bravo 1974, p. 175. 195 Trois termes sont déjà attestés chez Hérodote : βυβλίον (par ex. 1.123, 3.40, 3.127–128, 6.4), γράμματα (5.14, 8.22) et δελτίον (7.239). Le porteur de lettres s’appelle βυβλιαφόρος chez Polybe 4.22.2, Diodore de Sicile 2.26 et dans les papyrus (SB V 7638 = P. Ryl. IV 555, l. 2, en 257 ; P. Hib. I 146 = SB XIV 11308, l. 11, en 251 ; P. Hal. VII, l. 6, en 232 ; P. Tebt. III 951, l. 2, IIIe s. ; BGU VI 1232 I, ll. 2 et 8, IIIe-IIe s. ; P. Oxy. IV 710, l. 2, en 111). 196 Les messages écrits sont désignés comme ἐπιστολή (ou pl. -αί) chez Thucydide (par ex. 1.128–129, 1.132–133) et de manière systématique depuis Xénophon et le IVe s. 197 Voir Ceccarelli 2013, p. 17, qui cite Oros, Vocum Atticarum collectio 42. 198 Lawn 1982. 192 193
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appellent les livres de byblos diphthères (τὰς βύβλους διφθέρας καλέουσι ἀπὸ τοῦ παλαιοῦ οἱ Ἴωνες), parce que jadis, vu la rareté des livres de byblos, ils employaient des peaux (διφθέραι), peaux de chèvre ou de mouton ; encore de mon temps, beaucoup de Barbares écrivent sur cette sorte de peaux »199. Διφθέριον, comme diminutif de διφθέρα, s’inscrit parfaitement dans une série d’autres diminutifs concernant les supports d’écriture : βυβλίον/βιβλίον, δελτίον, μολίβδιον/μολύβδιον et πινάκιον, tous des termes désignant un morceau tiré d’un tout conçu comme une masse homogène200. Suivant ce raisonnement, B. Bravo conclut que le mot διφθέρια désignait une lettre écrite sur des feuillets de papyrus, en arguant que si Apatorios écrit sur une lamelle de plomb, il s’attend à ce que Léanax, qui socialement devait se situer à un niveau plus élevé, écrive sur des feuillets de papyrus201. Rien ne nous indique pourtant une telle distinction, à part les préjugés modernes sur le plomb comme matériau « pauvre » par rapport au papyrus plus « noble »202. Bien que la différence de prix soit significative, à cet argument il convient d’opposer celui de la pratique en usage et du rapport direct entre matérialité et écriture. Qui plus est, une lettre est en principe brève : un feuillet aurait suffi203. Le pluriel sous-entend par conséquent un ensemble de feuillets, d’où le sens de « registres » que je préfère donner au pluriel διφθέρια. Quant au support, il aurait pu être le papyrus, mais, vu l’époque et l’espace, cela est moins probable : en effet, l’usage du papyrus ne se répandit qu’après l’ouverture de l’Égypte aux étrangers par le roi Psammétique II, à savoir au début du VIe s. Hérodote (5.58) faisait référence à une situation du milieu du Ve s. à Milet, alors que notre lettre a été écrite à la fin du VIe s., dans le Pont-Euxin. Il me semble plus probable que la pratique ait été importée de la métropole à une époque plus ancienne, peutêtre même au moment de la dispersion ionienne en mer Noire, et perpétuée par les Ioniens établis dans le Pont. Le papyrus n’étant sans doute pas à portée de main des habitants du Pont à cette époque, il est probable que les διφθέρια soient encore rédigés sur des peaux et que ce mot soit utilisé lui-aussi dans le sens métonymique. Plutôt que des feuilles de papyrus avec le sens de « lettre » (selon B. Bravo), il doit s’agir de « registres » sur parchemin. Dans la famille lexicale de διφθέρα, à côté des notions relatives aux peaux et aux vêtements, on remarque une assez riche palette de termes liés à la pratique de l’écriture ou de l’enregistrement, au sens large d’« écrits », mais jamais au sens de « lettre » : – διφθέρα : sorte de parchemin pour écrire, chez les Ioniens, terme utilisé par la suite pour les papyrus (Hérodote 5.58, voir supra) ; au pluriel, avec le sens d’écrits, chez Euripide F 627 Kannicht (διφθέραι μελεγγραφεῖς) ; Plutarque, Mor. 242 C ; Cicéron, Att. 13.24.1204 ; Ctésias, Περσικά, FGrHist 688 F 5 (chez Diodore 2.32.4) parle de διφθέραι βασιλικαί, « annales royales » ; il y avait même un proverbe, ἀρχαιότερα τῆς διφθέρας λέγεις, « plus ancien que les écrits sur des peaux »205 ; – διφθεραλοιφός : composé fort intéressant, signifiant « maître d’école » à Chypre (Hésychius, s. v. [Δ 1992] : γραμματοδιδάσκαλος παρὰ Κυπρίοις), et ICS 143 (gén. sg. ti-pe-te-ra-lo-i-po-ne)206 ; – διφθεροποιός : pelletier ou parcheminier (MAMA VI 44, à Kolossai en Phrygie) ; – διφθεράριος, parcheminier, dans l’édicte de Dioclétien (Edict. Diocl. Asin. 7.38), avec un suffixe pris au latin207 ; – διφθέρωμα : parchemin.
Hérodote 5.58. Voir LSAG², 1990, p. 57–58, 327 ; Burkert 1992, p. 30–31 ; Nenci 1994, p. 242–243. Voir Bravo 1974, p. 175. Dans un passage très endommagé de Dion Cassius (78.37.1), on peut lire le mot διφθέριον, avec le sens de parchemin. 201 Bravo 2011a, p. 78–79. 202 Cet argument est récemment utilisé par B. Bravo contre l’hypothèse que le banquier Pasiôn aurait pu entretenir une correspondance sur plomb : « Il est évident qu’à Athènes et dans l’ensemble de l’Attique, les gens fortunés n’écrivaient pas leurs lettres sur des tablettes de plomb, mais sur des feuillets de papyrus ou des tablettes cirées » (Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 226). 203 Bravo 2011a, 78, définit la lettre comme étant « piccoli fogli incollati insieme ». 204 Cf. Shackleton Bailey 1962, p. 161. Voir aussi Etym. Magnum, s. v. διφθέρα· … τὸ γραμματεῖον, ἢ βυβλίον, ἢ δέλτον. 205 Souda, s. v. ; Diogénien 3.2 ; Apostolios 4.47 ; cf. Zénobios 4.11. 206 Sur ce mot, voir Egetmeyer 2010, I, p. 27 (§ 18) et 170 (§ 184) ; II, p. 703, n° 54 (Marion, épitaphe d’Onasagoras fils de Stasagoras, VIe s.). 207 Pour d’autres dérivés construits avec cette racine, voir Chantraine, DELG, s. v. διφθέρα ; pour la famille du mot, voir aussi LSJ (et le supplément de 1996, p. 95) et notamment DGE, V, p. 1127. Sur ces termes et la distinction entre cuir et parchemin, voir Jördens 2021. 199 200
3. Pratiques épistolaires et literacy
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Dans les papyrus tardifs, διφθέραι désignent le parchemin comme support d’écriture opposé au papyrus, alors que διφθέρια (ou sa forme abrégée) indiquent des registres208. La lettre d’Apatorios à Léanax apporte donc la première attestation de ce mot209. * Cet aperçu des structures des lettres et des messages sur plomb et sur tesson fait apparaître des périodes de tâtonnements, des héritages, des évolutions diverses et des variations, des parallélismes ainsi que des divergences avec la documentation papyrologique, enfin des préférences régionales. On a insisté sur la porosité avec les defixiones (même support, influence dans le formulaire)210, mais il convient également de remarquer le rapport avec l’esprit ludique des Anciens associant jeux de mots, cadeaux, familiarité et allusions littéraires, qui a été mis en évidence dans le commentaire des textes d’Arkésimos d’Athènes (3), de Valentia (*71) et de Nida (72). Chaque nouveau document qui s’ajoute au dossier apporte une touche de couleur et de complexité : loin de l’opinion commune sur la rareté de la correspondance grecque privée, il convient désormais d’insister sur la richesse et la diversité des pratiques épistolaires dès l’époque archaïque, pour laquelle les sources littéraires sont pauvres ou sélectives, et bien avant la foisonnante documentation papyrologique, limitée quant à elle à une seule région.
3.3. Style Le formulaire complet, canonique d’une lettre, du type « Untel à Untel, salut », comportant une formula valetudinis et close par « porte-toi bien »211, apparaît rarement dans nos documents (46, 59, 66?, 72), ou bien ne comporte qu’une partie de ces éléments (e.g. 20, 21, 41, 45). Si, d’un point de vue pratique, la majorité des lettres présente en tête les noms de l’expéditeur au nominatif et celui du destinataire au datif, les formules plus élaborées sont plutôt rares. Cependant, la structure d’une lettre sur plomb peut s’avérer complexe et cela à une époque très reculée, comme on le voit dans deux lettres plus élaborées du nord de la mer Noire, toutes deux d’époque archaïque. Dans la lettre d’Achillodôros (25), comme dans celle d’Apatorios (26), le prescrit est doublé par l’adresse externe (avec des précisions supplémentaires ou l’inversion des noms) ; la raison du message, souvent ex abrupto, est suivie des détails sur l’affaire, des solutions suggérées et d’autres questions connues des seuls correspondants. Le rapprochement le plus frappant est offert par la formulation du motif de l’expédition de la lettre : le verbe est un passif (σισύλημαι/ἀδικται) suivi d’un génitif d’agent construit avec ὑπό. L’intelligence du texte de la lettre 26 est facilitée par la présence d’une ponctuation utilisée à bon escient : on est en présence de segments de phrase parfaitement séparés. On remarque la construction simple de la phrase, où la façon la plus courante pour passer d’une proposition à l’autre est la coordination par καί212. En dépit de la relative abondance des subordonnées, le style n’est pas très élaboré. Par ailleurs, au IIe s. ap. J.-C., Démétrios recommandait dans son ouvrage Περὶ ἑρμηνείας (§ 223–235), qui concernait la composition des lettres, de ne pas écrire en périodes, de parler de choses simples, en des mots simples213. Étant donné le contexte de rédaction, on ne s’attendait pas à des compositions sophistiquées, car l’intérêt immédiat de nos acteurs était tout simplement de communiquer : on peut aussi mentionner le style spontané de la plus ancienne lettre d’Emporion, datant du dernier tiers du VIe s. (67) ou celui similaire, maintes fois analysé, de la « lettre de Berezan’ » 208 P. Oxy. XVI 1877 (l. 15), LV 3804 (col. 10, l. 239), LVI 3869 (l. 9) ; PSI VIII 953 col. V, l. 49 (voir BL IX 318) ; P. Berl. Sarisch. 18, l. 7. Pour ces termes, voir Sarischouli 1995, p. 145–146 ; le mot passe en arabe : daftar (« Notizblock »). 209 Par ailleurs, ce terme est cité précisément par Théognostos (Can. p. 125,25) comme exemple de diminutif en -έριον. 210 Mais l’influence s’exerce plutôt des lettres privées vers les tablettes de malédiction. 211 Trapp 2003, p. 34–38. 212 Pour le style paratactique (usage des connecteurs – τε καί, δέ – pour structurer les phrases), voir Colvin 2007, p. 116, qui remarque les répétitions qui caractérisent les lettres privées. Pour d’autres variations, voir Clarysse 2017 (émotions). 213 Ps.-Démétrios, De eloc. (Περὶ ἑρμηνείας) 235 : le style doit être, pour les lettres « un mélange de deux types : le gracieux et le simple » (Καθόλου δὲ μεμίχθω ἡ ἐπιστολὴ κατὰ τὴν ἑρμηνείαν ἐκ δυοῖν χαρακτήροιν τούτοιν, τοῦ τε χαρίεντος καὶ τοῦ ἰσχνοῦ).
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I. Pratiques lettrées et correspondance privée sur plomb et sur tesson
(25) ; cf. aussi les comm. aux lettres de Mnèsiergos (6), de Lèsis (7), d’Apatorios à Léanax (26) et de Klédikos à Aristokratès (52). L’écriture est elle-aussi le reflet d’une pratique sans doute quotidienne mais qui n’est pas le fait des professionnels de l’écrit214. Les circonstances dans lesquelles les lettres étaient rédigées ainsi que le ton personnel, parfois intime215, en direction des proches, vont à l’encontre de l’idée que leurs expéditeurs auraient confié cette tâche à un scribe216. Les marchands et autres administrateurs écrivaient, souvent correctement et même abondamment, la documentation à notre disposition n’étant sans aucun doute qu’une partie infime de la correspondance privée grecque. Même si la lettre épigraphique n’est au début que la transcription d’un message oral, sa forme est suffisamment élaborée pour lui donner un statut et un genre. Bien entendu, le style est maladroit, spontané, souvent en dialecte à l’instar de l’alphabet : attique pour les messages sur tesson (3, 4) et pour les lettres sur plomb (5, 6, 7, *8), mégarien pour le message sur tesson de la « maison de Thamneus » (1), parien/thasien pour la lettre d’Euarchos (15), dorien colonial pour les possibles messages d’Hèrakleidas de Chersonèse Taurique (*40) et de Daitis d’Himère (*55), ionien oriental pour la majorité des lettres du nord du Pont-Euxin (espace de colonisation ionienne et en particulier milésienne) et de l’espace phocéen d’Occident217. Pour ce dernier dialecte, connu plutôt par le language soigné des œuvres littéraires ou par le langage officiel des inscriptions, l’on remarque la notation des fausses et parfois des vraies diphtongues par les voyelles ε et ο, la psilose et l’ouverture du second élément de la diphtongue ευ en εο et αυ en αο218. Pour les lettres plus récentes, on peut surprendre l’adoption progressive de la koinè, avec la persistance de traits dialectaux (cf. 20, 46 et 63, comm.). Rédigées par des personnes qui adaptent leur manière d’écrire à leur manière de parler, les lettres sont lapidaires, parfois assez obscures, avec des allusions difficiles à comprendre, comme dans une lettre sur tesson du IVe s., trouvée à Chersonèse Taurique, envoyée à un certain Timosthenès : τὸν | σθύνλακον | λῦσον καὶ λα|βὲ τὸ ἀργύρι(ον) | ἐκ τ θυλάκ (« délie la bourse et prend l’argent de la bourse ») (39, ll. 2–6). Cette ambiguïté a déterminé son éditeur à se demander s’il ne s’agit pas d’un message obscène ou d’un échange entre deux partenaires sexuels219. Parfois, la tonalité est dramatique, les auteurs des lettres exprimant toute la gamme de sentiments : indignation, colère, désespoir ou, au contraire, espoir de bon accomplissement, impatience. Bien que certaines lettres aient pu être envoyées en situation de détresse220, la plupart servent à la communication banale, notamment commerciale. Cette literacy n’est pas mise au service des créations littéraires : comme le montre Rosalind Thomas, il s’agit là d’une « functional literacy », « enough literacy to get by »221.
214 L’écriture des lettres privées sur papyrus s’est différenciée de celle des documents émanant des administrations ou rédigés par des professionnels de l’écrit (où abondent des ligatures, des abréviations, des contractions, dans une écriture très cursive) et cherche à être lisible par des personnes qui ne font pas profession d’écrire (Fournet 2009, p. 32–37). Comme le montre Fournet 2006, p. 448, la paléographie, reflet immédiat de la literacy, varie selon plusieurs paramètres, le premier étant le degré d’alphabétisation du scripteur. 215 Martín González 2014. 216 Voir aussi Bravo 2011a, p. 48, qui pense qu’Achillodôros a rédigé lui-même sa lettre, l’emploi de la IIIe pers. étant à toute évidence le reflet d’une convention épistolaire. 217 Sur le dialecte ionien, voir, entre autres, Bechtel 1887 ; Bechtel 1924 ; Scherer 1934 ; Bondesson 1936 ; Buck 1955, p. 142–143 (§ 182–183) ; Thumb/Scherer 1959², vol. II, p. 198–284 ; LSAG², 1990, p. 325–345 ; Schmitt 1977, p. 96–103 ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 180–191 ; Stüber 1996 ; López Eire 2001 ; del Barrio Vega 2018b. Laurent Dubois prépare actuellement une monographie sur l’ionien. 218 Voir Iglesias Zoido 1993. 219 Makarov 2009, p. 53. 220 Cf. Eidinow/Taylor 2010, p. 36, 39–40, 46 ; pour une critique de leur insistance sur une situation de crise, voir Decourt 2014, p. 41 n. 45 ; Sarri 2018, p. 73. Dans un livre sur les oracles et les defixiones, Eidinow 2007 choisit de les interpréter de manière similaire, en rapport avec le risque. À plus forte raison dans le cas des lettres privées, l’actuel corpus illustre une diversité de situations, où le banal et l’habituel l’emportent sur l’exceptionnel. 221 Thomas 2009a, p. 16.
II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
« La lettre antique tardive, reflet des options culturelles d’une société, finit par nous dire plus que son contenu même » (Fournet 2009, p. 63)
1. Introduction Les lettres privées, souvent échangées entre divers acteurs économiques222, donnent à réfléchir à la literacy et à l’usage social de l’écriture223. La distinction entre le marchand, qui fait de ce savoir-faire un instrument pratique, et l’aristocrate, qui l’emploie à des buts plus nobles comme les créations poétiques symposiaques, a été dénoncée comme artificielle, notamment par J.-P. Wilson et P. Ceccarelli224. Par ailleurs, l’écriture n’est pas seulement l’apanage des grands emporoi, souvent les mêmes qui participaient aux banquets ; elle est aussi le propre des petits négociants, qui s’en emparent pour rédiger leurs contrats ou pour envoyer précisément des lettres, sur des supports qui leur sont très accessibles, dont le plomb et le tesson. Le commerçant spécialisé, qui voyageait avec sa cargaison sur des navires qui ne lui appartenaient pas, avait besoin d’établir des listes de marchandises constituant son phortos225. M. Faraguna attire à son tour l’attention sur le rôle important de l’écrit dans les procédures commerciales à l’époque classique, rejoignant ainsi l’avis d’A. Bresson226. Nous aurons à nous interroger sur le rôle de la correspondance dans le commerce antique, mais aussi à souligner ce que cette correspondance dévoile des pratiques commerciales antiques, des territoires concernés par les trafics commerciaux et des produits qui faisaient l’objet des transactions. La méthode privilégiée sera l’analyse du mode d’action, à savoir la gestion des biens, le voyage, le transport, la distribution – occasion de mettre à l’épreuve, par le biais de la correspondance privée, diverses théories concernant le commerce antique, construites à partir des sources littéraires et des projections modernes, avant d’être transposées à des réalités parfois bien différentes. L’angle spécifique de l’analyse est celui de la circulation, la lettre étant considérée comme un médium. Mon but n’est pas de procéder à une réflexion générale sur le commerce antique, mais de montrer comment l’identification des micro-configurations régionales permet une approche beaucoup plus concrète des pratiques, des acteurs et des territoires des échanges. Il convient notamment de dépasser le débat sur le commerce archaïque, dominé, depuis la découverte et la publication de la lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25), par la polémique entre Benedetto Bravo et Alfonso Mele227. Cette polémique, sur laquelle je reviendrai plus largement dans la deuxième partie de ce chapitre, part de la distinction de Mele entre deux pratiques, πρῆξις et ἐμπορίη : la première, plus ancienne, aristocratique, en lien avec la production agricole, s’opposerait à l’activité lucrative, dirigée vers le gain, pratiquée par les négociants professionnels. Cette distinction, qui
222 Très peu de ces documents étaient connus et cités avant l’article de Vinogradov 1998. Ainsi, Lombardo 1988 utilise pour son analyse seulement 6 lettres sur plomb ; Faraguna 2002, p. 245–246, mentionne les 19 lettres répertoriées par Vinogradov, et ajoute la lettre de Pasiôn d’Athènes (*8) ; cf. aussi Bresson 2003, p. 145. À présent, leur nombre a doublé, puisqu’on connaît entre 35 et 40 lettres sur plomb. 223 Sur la commercial literacy illustrée par les lettres sur plomb, voir Thomas 2009a, p. 25–28 ; Faraguna 2005, p. 66–67. Voir aussi Poster 2002 (attention au contexte et à l’utilité économique). 224 Wilson 1997–1998 ; Ceccarelli 2013, p. 30. 225 Lombardo 1988, p. 173. Voir aussi van Berchem 1991, qui évoque les lettres d’Achillôdoros et de Basped[–] (p. 138–139) ainsi que la transaction de Pech Maho (p. 139) ; et Faraguna 2002, avec des remarques sur Bresson 2000, Pébarthe 2000 et Wilson 1997–1998. Pour le cas égyptien, voir la monographie récente de Reinard 2016. 226 Faraguna 2002, p. 239–240 ; Bresson 2000, p. 305. 227 Voir infra, p. 372–374.
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
n’existe pas dans les textes antiques, a été rejetée à juste titre par R. Descat et plus récemment par J. Zurbach, dans leurs travaux dédiés à l’économie archaïque228.
2. Réseaux épistolaires et mobilités territoriales229 L’envoi de lettres du chef-lieu de la cité vers sa chôra, son territoire, de la chôra vers une autre chôra ou vers des régions situées à l’intérieur du pays, ressort comme une pratique privilégiée des marchands circulant dans un territoire plus ou moins étendu. Si l’envoi des lettres implique donc en soi une forme de mobilité – celle des personnes qui les portaient et celle du voyage de la lettre dans un coffre, avec d’autres marchandises et l’argent dont il est souvent question dans les lettres – ces documents sont aussi des sources précieuses pour la mobilité des gens à qui elles étaient destinées : non seulement le nom du destinataire, mais aussi l’endroit où il devait se trouver sont parfois mentionnés. Leur texte enferme également des informations sur la situation géographique de ceux qui les envoyaient, qui peuvent préciser ou suggérer par des allusions, qu’il nous revient de déchiffrer, l’endroit d’où la lettre était envoyée. Enfin, les lieux mentionnés dans les lettres constituent le troisième niveau, certes lacunaire, de cette carte mentale de la circulation des biens, de l’information et des personnes. Néanmoins, aussi complexe qu’elle puisse paraître, cette géographie de la correspondance doit être complétée par l’analyse des réseaux humains qu’elle permet de dresser. Dans son livre récent, P. Ceccarelli s’interroge à juste titre non seulement sur le genre épistolaire, son développement et son rôle, mais aussi sur son impact sur les sociétés qui le pratiquaient230. Envoyer des lettres était une pratique courante dans le milieu des négociants illustré par les discours des orateurs attiques. C’est d’abord à cette pratique que nous aurons à nous intéresser, afin de saisir l’emploi de la lettre dans les réseaux commerciaux à longue distance. Dans un second temps, on verra quelle est l’aire géographique où circulaient concrètement les lettres sur plomb et sur tesson, cartes à l’appui : si l’on peut suivre la mobilité des gens, l’objet le plus mobile reste pourtant la lettre. On examinera enfin la manière dont les lettres mettaient en contact les gens et permettaient d’entretenir un réseau.
2.1. Lettres et réseaux commerciaux Dans un article consacré aux relations étroites entre Rhodes, centre commercial réputé, et le royaume lagide, V. Gabrielsen insiste sur la position géographique privilégiée de cette île par rapport à Alexandrie. Elle attire en effet de nombreux marchands étrangers, qui étaient basés sur place et qui étaient actifs sur la route Rhodes-Alexandrie231. La prospérité de certains négociants en blé était liée à la création d’un réseau qui dépendait d’un système de communication ingénieux, assuré par la correspondance marchande. Ainsi, le discours Contre Dionysodoros (Ps.-Démosthène) nous renseigne à travers un exemple précis sur les pratiques, à la limite de la malhonnêteté, des acolytes de Cléomène, un Grec de Naucratis nommé par Alexandre gouverneur d’Égypte232. Cléomène avait stocké et monopolisé le blé d’Égypte : certains de ses associés expédiaient le blé d’Égypte ; d’autres l’acheminaient vers quelques destinations choisies, dont Rhodes ; d’autres encore, établis dans ces endroits, recevaient les cargaisons et les redistribuaient vers différentes destinations ; enfin, un autre groupe d’associés, dispersés à l’étranger, envoyaient des lettres avec des informations sur le prix du blé. Ils savaient ainsi dans quels emporia Descat 1986, p. 279–293, en partic. p. 284–286 ; Zurbach 2017, II, p. 718–720. Ce sous-chapitre représente la synthèse de deux études préliminaires, qui m’ont permis d’entrevoir l’utilité d’une telle recherche pour la documentation épistolaire (Dana 2015b ; Dana 2016). 230 Ceccarelli 2013. 231 Gabrielsen 2013. Non seulement Alexandrie était à trois jours et demi de Rhodes, mais en plus la route semblait être ouverte à la navigation toute l’année (Ps.-Démosthène, C. Dionysod. [Or. 56], 30). Les marchands offraient des crédits à taux plus bas que celui, par ex., qui prévalait pour la route Le Pirée-Égypte (Ps.-Démosthène, C. Dionysod. [Or. 56] 12–13), plus risquée, ce qui permettait de faire des profits plus importants. 232 Voir aussi Aristote, Oec. 2.33a, 1352 a 16–23. 228 229
2. Réseaux épistolaires et mobilités territoriales
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le blé était à bas ou à haut prix, et envoyaient leur cargaison en conséquence. Le rôle de la lettre était donc d’assurer la connexion, à longue distance, entre les différents groupes de synègoroi : « D’après les cours du moment, ceux qui étaient sur place envoyaient des instructions à ceux qui étaient en voyage (ἔπεμπον γράμματα οἱ ἐπιδημοῦντες τοῖς ἀποδημοῦσιν) : de la sorte, le blé était-il cher chez vous, on en faisait venir ; son prix baissait-il, on le dirigeait vers un autre port. Une des causes les plus importantes, juges, de la cherté, ce furent ces correspondances et ces collusions (τῶν τοιούτων ἐπιστολῶν καὶ συνεργιῶν) (…). Le résultat fut que Parméniskos son associé, ayant reçu la lettre de Dionysodôros (ὁ τουτουὶ κοινωνὸς τὰ γράμματα τὰ παρὰ τούτου ἀποσταλέντα) et appris le cours du blé à Athènes, décharge sa cargaison à Rhodes et l’y vend »233. Dans un autre litige bien connu, toujours au IVe s., Chrysippos accuse Phormiôn de ne pas avoir livré des lettres qu’il lui avait confiées pour ses associés dans le Bosphore Cimmérien : « Phormiôn arrive au Bosphore avec des lettres de moi que je lui avais confiées (ἔχων ἐπιστολὰς παρ᾿ ἐμοῦ) pour les remettre à un de mes esclaves qui passait l’hiver dans le pays et à un de mes associés (τῷ παιδὶ τῷ ἐμῷ παραχειμάζοντι ἐκεῖ καὶ κοινωνῷ τινι). J’y faisais mention du prêt que je lui avais fait et de l’hypothèque, et je donnais ordre qu’aussitôt les marchandises débarquées, on les contrôlât et on en suivît la vente. Ces lettres qu’il avait reçues de moi, il ne les remet pas (τὰς μὲν ἐπιστολὰς οὐκ ἀποδίδωσιν οὗτος ἃς ἔλαβεν παρ᾿ ἐμοῦ) : c’était pour qu’on ne sût rien de ses manœuvres »234. Ici, la lettre a comme but d’informer les partenaires d’affaires de l’expéditeur des termes du contrat ; on pourrait même la considérer comme un substitut de ce dernier, ayant ainsi quasiment une valeur juridique. À l’instar des contrats, ces lettres devaient être écrites sur du papyrus ou sur une tablette, selon l’affirmation de Dareios qui accuse Dionysodôros d’avoir vite signé un engagement qu’il ne pensait pas tenir : « Il reçoit en bon argent ce qui a été convenu ; et puis il laisse, sur une tablette qui a coûté deux calques ou sur un bout de papyrus (ἐν γραμματειδίῳ δυοῖν χαλκοῖν ἐωνημένῳ καὶ βυβλιδίῳ μικρῷ), la promesse de s’acquitter »235. Ainsi, grâce aux orateurs attiques, nous savons que la correspondance était répandue dans la procédure juridique concernant les négociants impliqués dans le commerce maritime. À quelques exceptions près, il ne s’agissait pas de transmettre des messages ou des instructions, mais des documents utilisés pour les archives, qui permettaient de dater avec précision un événement ou une transaction. Ces documents pouvaient être également utilisés par les marchands, comme l’atteste la transaction de Pech Maho (IG France 135), destinée sans aucun doute à l’archivage. Il est donc indéniable, du moins pour le réseau de Cléomène, que les lettres jouaient un rôle dans le commerce égéen : un marchand pouvait utiliser la communication par lettre afin, entre autres, de gagner un avantage commercial sur les rivaux qui n’avaient pas accès à cette information236. Le réseau des marchands incriminé par Dareios est éclairé de manière inattendue par un nombre assez important d’ostraka inédits, retrouvés dans une seule tombe au sud-ouest de la nécropole de Rhodes, datés à titre provisoire de la fin du IIe s. (16). Ces ostraka semblent être des lettres adressées à un maître (κύριος) ou à des maîtres des établissements ruraux à but agricole. Pour des conclusions précises il faut attendre la publication du matériel237, mais il semble probable que les lettres soient des bons de commande envoyés aux marchands ou producteurs à Rhodes par leurs associés d’affaires d’outre-mer238. On trouve ainsi, sur le plan commercial, différents types de correspondances : des lettres concernant la fluctuation des prix sur les marchés, des lettres-contrats ou équivalant à des reconnaissances de dettes, des bons de commandes. Cette correspondance montre que l’information circulait, relayée sur un territoire étendu avec un maillage de divers agents économiques, à différentes échelles. Il convient donc de s’interroger, à partir des lettres de ce corpus, à quelle distance on envoyait une lettre, quel type de lettre et sur quel support. Par la même occasion, il faut reconsidérer les centres et les périphéries, car dans la vision traditionnelle les « Barbares » sont placés à la périphérie de la cité grecque, que celle-ci soit géoPs.-Démosthène, C. Dionysod. (Or. 56) 8 et 10. Démosthène, C. Phorm. (Or. 34) 8. 235 Ps.-Démosthène, C. Dionysod. (Or. 56) 1. 236 Voir aussi Harris 2013, p. 122–123. 237 Gabrielsen 2013, p. 79 et n. 41, qui remercie Anastasia Dreliossi-Herakleidou et I. Chr. Papachristodoulou pour la permission de mentionner ce matériel inédit ; il sera bientôt publié avec un commentaire historique par Nikos Litinas et Anastasia Dreliossi-Herakleidou. 238 Gabrielsen 1997, p. 107 (et n. 128 à la p. 197) ; Faraguna 2002, p. 246 ; Gabrielsen 2013, p. 79–81. 233 234
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
graphique ou symbolique239. La distance se mesure en fonction d’un centre régional, cité ou lieu de référence pour les échanges. Si l’on ne peut pas nier l’existence du commerce à grande distance, il ne faut pas négliger le commerce régional240.
2.2. Cartographier le territoire À la lumière des réseaux dévoilés par les sources littéraires, V. Gabrielsen suggère, comme on l’a vu, de voir dans les ostraka rhodiens l’illustration des réseaux formés par les divers intermédiaires dans les échanges commerciaux. Étant donné le support, il me semble qu’il faut penser davantage à une communication régionale entre producteurs et négociants locaux, même si ces derniers pouvaient acheminer les biens vendus en vue d’une exportation à longue distance. Ce n’est pas la route ultérieure des marchandises qui nous intéresse, mais bien le territoire concerné par la correspondance. Un autre aspect important concerne la transmission des lettres, en fonction de la distance. Pour la correspondance officielle, les messages, oraux ou écrits, étaient confiés à des courriers, appelés hèmerodromoi ou dromokèrykes, en fonction du temps qu’ils mettaient pour les délivrer241. Étant donné l’absence d’un service postal régulier, pour la correspondance privée on devait s’en remettre à la bonne volonté des voyageurs individuels (xenoi, marchands, théores), sans garantie que le message arrive à destination. Dans une lettre sur plaque d’argile, dont l’authenticité est douteuse (*70), le porteur de la lettre est indiqué dans le texte : un certain Tibékos, ami du pilote (ce dernier, connu par les seuls correspondants), dans tous les cas quelqu’un qui appartenait au cercle d’amis ou de partenaires d’affaires. L’expéditeur mettait ainsi dans la lettre, comme une forme de garantie pour le destinataire, le nom de la personne à laquelle le message avait été confié. Tibékos n’est pas un nom grec, la lecture étant par ailleurs très problématique. Dans la lettre de Myrmékion (46), il est question de donner certaines marchandises à un pilote du nom de Diodôros, qui est vraisemblablement celui qui porte le message sur la lamelle de plomb. À courte distance, on se servait de domestiques ou d’esclaves, de passants ou de voisins, en fonction aussi du type de message qu’on avait à délivrer, lequel dépendait à son tour du support : les ostraka délivraient des messages brefs, qui pouvaient être facilement lus car ils n’étaient pas couverts ni scellés, mais restaient « ouverts » : cela permettait de communiquer rapidement avec une esclave ou un domestique, de donner un ordre urgent ou de faire une recommandation, ou même d’annoncer l’envoi d’une lettre en bonne et due forme. Ce dernier cas est illustré par le billet sur tesson d’Olbia de Provence (58) : « Eutychès ! Je t’enverrai une lettre au sujet des esclaves » (Εὐτύχη·| ἀποστελῶ σοι | ἐπιστολὴν | περὶ τῶν | σωματίων). Pour des affaires plus complexes, on avait besoin de place pour expliquer les détails, sans parler du fait que cette pratique permettait une certaine confidentialité242 quand on ne souhaitait pas que tout le monde soit au courant du contenu. On peut imaginer que Lèsis, le jeune apprenti athénien, ne souhaitait pas que sa plainte arrive aux oreilles (ou plutôt sous les yeux) de son maître : « Car je suis livré à un homme très méchant » (7, l. 3 : ἀνθρώπωι γὰρ παραδέδομαι πάνυ πονηρῶι). Quels sont, concrètement, les territoires concernés par l’envoi des lettres ? Dans le cas des tessons, notamment, ils ne devaient pas être portés à longue distance étant donné que les affaires traitées concernent le voisinage ou tout au plus la distance séparant la chôra de la cité. Quand l’auteur du billet attique sur tesson retrouvé dans « la maison de Thamneus » (1), lui dit « pose une scie sous le seuil de la porte, celle du jardin » –
Dana 2012b. Voir pour cette perspective Müller 2010, p. 191–217 (ch. VII). 241 Ceccarelli 2013, p. 11–12 ; Sarri 2018, p. 7–8 et 11–12. Un service officiel de relais fut mis en place par les rois hellénistiques qui ont adapté le système achéménide antérieur (voir, pour la description du service perse, Hérodote 8.8.1–2 ; Xénophon, Cyr. 8.6.17–18). Selon Diodore 19.57, Antigone le Borgne avait créé un réseau de βιβλιαφόροι, « porteurs de lettres » ; les Ptolémées avaient développé le système, avec un système postal régulier pour la communication officielle, et des relais pour des cavaliers partout dans le royaume, et même avec des chameaux pour les marchandises lourdes. À partir de l’époque hellénistique est attesté le mot γραμματοφόρος, « porteur de lettres » (Phylarque, FGrHist 81 F 55 ; Polybe 2.61.1–5) ; Strabon 5.4.13 (C. 251) parle d’hèmerodromoi et de grammatophoroi. Pour l’époque impériale en Égypte, voir Kovarik 2010 ; Reinard 2016, I, p. 79–84. 242 Voir Eidinow/Taylor 2010, p. 35. 239 240
2. Réseaux épistolaires et mobilités territoriales
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[ca. 1–2]+ : κάθες : hυπὸ τι hδι : τᾶς θύρα[ς : τᾶ?]|ς τ κάπ : πρίον(α) –, il est évident que ce jardin se trouvait très près de là où habitait l’expéditeur, de façon qu’il puisse aller chercher la scie facilement ; en revanche, le dialecte mégarien employé ainsi que le nom du propriétaire de la maison, vraisemblablement le destinataire, indiquent que les deux correspondants n’étaient pas Athéniens, ou en tout cas pas d’origine attique car ils communiquent dans le dialecte de leur cité d’origine. Une hache de jardinage est invoquée aussi dans une lettre sur tesson de Gorgippia : un esclave devait se déplacer pour la chercher, pas très loin sans doute (54). C’est le cas aussi de l’ordre donné par un expéditeur attique anonyme à un esclave d’apporter certains objets nouveaux (2), sans parler du message qu’Arkésimos, toujours d’Athènes (3), envoya à une dame qui porte le beau nom d’Eumèlis : « viens aussi vite que possible. Arkésimos » (Εὐμλίς, ἧκ[ε]·| ς τάχος· | Ἀρκέσιμος). Ce billet est particulier parce que l’expéditeur l’a signé ; il implique un déplacement rapide, dans la même ville sinon dans le même quartier. En revanche, le billet de Sôsinéôs à Glaukos a dû être envoyé de quelque part dans l’Attique : « Sôsinéôs a envoyé un paquet à Glaukos, dans la ville » (4 : ἐς ἄστυ). Dans la lettre sur tesson retrouvée à Kozyrka 2, dans la chôra olbienne, l’expéditeur, Kophanas, demande à un proche ou à un domestique d’envoyer un cheval « dans la ville » (36, l. 5 : εἰς πόλιν). Même dans une longue lettre sur plomb, la plus connue, celle d’Achillodôros, envoyée de l’hinterland olbien, la référence se faisait toujours à la « ville » : « ta mère et tes frères, qui se trouvent chez les Arbinatai, conduis-les dans la ville » (25, ἐς τὴμ πόλιν)243. Nul besoin de préciser le nom de la ville, car il est évidemment question de la ville la plus proche et la plus importante : Athènes, dans le premier cas, Olbia du Pont, dans les deux autres. Ces exemples montrent que la correspondance assurée par les tessons n’est pas une correspondance à grande distance et présente, au contraire, un caractère local. Une exception notable est néanmoins la véritable lettre sur tesson, et non un billet, envoyée par Dionysios de Nikonion à sa famille (21). L’expéditeur a utilisé comme support une paroi épaisse d’amphore, afin d’inscrire des instructions variées, comme on en trouve sur des lamelles de plomb ou sur le papyrus. Deux aspects doivent être pris en considération : d’une part, le fait que l’emploi des tessons pour des messages brefs et à courte distance et celui du plomb pour les distances longues ne sont pas systématiques, les auteurs des lettres écrivant sur les supports qu’ils avaient à leur disposition dans des conditions que nous ne connaissons pas et que nous supposons être un éloignement par rapport à leur cadre de vie habituel ; d’autre part, le plomb est de moins en moins utilisé comme support pour la correspondance privée à partir de l’époque hellénistique, car il est destiné généralement aux defixiones. Les localités concernées par les échanges sont souvent celles où la lettre a été envoyée, mais pas toujours : dans la plus ancienne lettre d’Emporion (67), est mentionnée une autre localité, Saiganthè, où le destinataire devait se rendre. Pour désigner le toponyme, on emploie l’ethnique, ici au datif, Ἐμππορίταισιν (l. 2), avec la gémination du pi qui est un trait de la langue parlée244. C’est sous ce même nom que les habitants de la cité sont désignés chez Strabon245. Quant à Σαιγάνθη, on considère qu’il s’agit d’un toponyme ibère – le nom Basped[–], mentionné aux ll. 4 et 7, semble ibère lui-aussi. Deux solutions ont été proposées : il pourrait être question soit d’une graphie du toponyme que les Romains ont appelé plus tard Saguntum246, soit d’une forme hellénisée d’un toponyme ibérique désignant un endroit plus proche d’Emporion, tel le site ibérique appelé aujourd’hui Ullastret, à une quinzaine de km247, site qui aurait servi aux Emporitains de point de pénétration vers l’intérieur du pays. Comme il s’agit de l’unique attestation de ce toponyme, il est difficile de trancher. Bien qu’il soit très tentant d’y voir la première attestation de Saguntum, il est plus prudent de supposer qu’il s’agit d’une enclave avec accès maritime
Pour ce type de tournure, voir Schuler 1998, p. 19–21. Sanmartí/Santiago 1987, p. 123. 245 Strabon 3.4.8 (C. 160). Sur Emporion, voir en dernier lieu Demetriou 2011 ; Demetriou 2012, p. 24–63. Le même nom pourrait apparaître dans une lettre sur une plaque d’argile, d’authenticité douteuse (*70), qui aurait été trouvée à Emporion. On a suggéré que le toponyme au datif ἐν Ἐμπυλίῳ qui apparaît à la l. 2 pourrait représenter une variante graphique pour Emporion, mais, hormis les difficultés de lecture que présente la seule photographie de l’objet, les phénomènes phonétiques restent difficiles à expliquer (Gangutia Elícegui 1999, p. 11 n. 48). 246 Santiago 1990c ; Santiago Álvarez 1994, p. 51. 247 Sanmartí/Santiago 1988, p. 100. Voir aussi Santiago 1990a ; Musso 1986–1989 ; Domínguez 2010, p. 36. 243 244
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
ou fluvial, dans l’aire d’influence d’Emporion248, qu’il faut laisser sous le nom précisé dans la lettre, Saiganthè. Le verbe παρακομίσν (l. 5), une forme d’infinitif futur de παρακομίζω249, doit être traduit plus exactement par « conduire en accompagnant quelqu’un ». Du contenu de la lettre, qui évoque le commerce par voie maritime ou fluviale, on peut déduire que cette cité grecque possédait une infrastructure et des établissements publics et privés adaptés au commerce maritime. Quant à Basped[–], il semble avoir des connaissances amples du territoire, car l’on peut voir l’intérêt qu’a l’expéditeur à bénéficier de sa collaboration. Des Emporitains apparaissent comme partenaires dans l’affaire conclue à Pech Maho, un petit établissement indigène situé au sud de Narbonne, dans le territoire de Sigean, à une quarantaine de km au nord d’Emporion. Son procès-verbal, sans doute, a été conservé par un document sur plomb qui n’est pas une lettre mais présente plusieurs points communs avec les lettres, à commencer par le support, le plomb, et la disposition quasi stoichèdon ; le texte cité d’Emporion (67) semble légèrement plus ancien que celui de Pech Maho (IG France 135). Je suis ici pour l’essentiel le texte critique établi par les éditeurs en 1988 :
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ἀκάτι[ον] ἐπρίατο [2]πρι[--- παρὰ τῶν] vac. Ἐμποριτέων· ἐπρίατο τε+[---] vac. ἐμοὶ μετέδωκε τὤμυσυ τ[ρίτ] ἡ[μι]οκτανί· τρίτον ἡμιεκτάνιον ἔδωκα ἀριθμῶι καὶ ἐγγυητήριον τρίτην αὐτός· καὶ κεῖν’ ἔλαβεν ἐν τῶι ποταμῶι· τὸν ἀρραβῶν’ ἀνέδωκα ὄκ τἀκάτια ὁρμίζεται. Μάρτυρ(ες)· Βασιγερρος καὶ Βλερυας καὶ Γολο[.]βιυρ καὶ Σεδεγων· ο[ὖ]τοι μάρτvac. υρες εὔτε τὸν ἀρραβῶν’ ἀνέδωκα, vac. [ε]ὔτε δὲ ἀπέδωκα τὸ χρῆμα τρίτον vac. [ἡμ]ιοκτάνι[ο]ν, [.]αυαρυας, Ναλβε[.]ν. Verso : ΗΡΩΝΟΙΙΟΣ.
[Ky]pri[os] (?) a acheté une barge chez les Emporitains, et aussi le canot afférent (?). Il m’en a cédé la moitié au prix de deux huitains et demi. Deux sizains et demi, en argent comptant, ainsi qu’une garantie en valeur d’un tiers [scil. de la somme finale, à savoir 6,6 statères, ou plutôt des arrhes, à savoir 5 statères], je les lui ai donnés en personne. La garantie il l’a reçue sur le fleuve, les arrhes je lui ai remises en main propre là où mouillent les barges, en présence des témoins suivants : Basigerros et Bléryas et Golo[.]biur et Sédégôn. Ceux-là étaient les témoins au moment où je lui ai remis en main les arrhes, mais, au moment où je lui ai remis en main (le reste de) la somme due, jusqu’(au total) de deux huitains et demi, (témoins étaient) [.]auaryas, Nalbé[.]n. ΗΡΩΝΟΙΙΟΣ (?) (trad. personnelle). Il s’agit d’une transaction compliquée, effectuée en plusieurs étapes, deux voire trois selon les diverses interprétations250, qui implique la remise d’arrhes et de garanties, ainsi que la présence des témoins, qui portent des noms non grecs. L’objet de la vente est un ou plusieurs akatia, petite embarcation à fond plat destinée à assurer
Oller Guzmán 2013b. Ce verbe est attesté avec le sens de « transporter des marchandises » chez Hérodote 7.147.3 : οὗτοι ἡμῖν σιτία παρακομίζοντες. 250 Première édition par Lejeune/Pouilloux/Solier 1988 (cf. L. Dubois, BÉ, 1990, 849 ; SEG XXXVIII 1036). Quelques titres : Lejeune/Pouilloux 1988 ; Chadwick 1990 ; García-Bellido 1990 ; Ampolo/Caruso 1990–1991 ; Bats 1991 ; Lejeune 1991a ; van Effenterre/Vélissaropoulos-Karakostas 1991 ; Cristofani 1993 ; de Hoz (J.) 1995, p. 165–167 ; van Effenterre – Ruzé, Nomima, II, 1995, p. 272–275, n° 75 ; Rodríguez Somolinos 1996 ; Vinogradov 1998, p. 166–170 ; Decourt 1999 ; de Hoz (J.) 1999 ; Pébarthe/Delrieux 1999 ; Faraguna 2002, p. 247–252 ; Lombardo 2002 ; Santiago 2003, p. 171–172 ; Castellanos i Arolas 2007 ; Thomas 2009a, p. 26–27 ; de Hoz (J.) 2013, p. 52–55 ; Santiago Álvarez 2013a, p. 224–227 ; Pena 2014. Depuis, la bibliographie s’est considérablement enrichie ; voir IG France 135 et J.-Cl. Decourt, BÉ, 2005, 633 ; 2008, 625 ; 2012, 513 et 514 ; Ruiz Darasse 2016, p. 108–110 et 118–124. 248 249
2. Réseaux épistolaires et mobilités territoriales
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le lamanage et le va-et-vient des cargaisons entre quais et gros cargos ancrés au large ; l’acheteur est le personnage mentionné à la l. 1, dont le nom est problématique (Kyprios ?), tandis que les vendeurs sont les Emporitains. Les lieux d’action sont, comme le propose Michel Lejeune, Emporion et Pech Maho, où le document sur plomb a été trouvé251. Les endroits mentionnés dans le texte, « sur le fleuve », « là où mouillent les barges », pouvaient en effet se trouver près de l’un ou l’autre des deux sites. Le plomb commercial de Pech Maho livre une autre information significative. Il ne s’agit pas du texte grec, mieux conservé car incisé sur la face intérieure, mais du texte gravé au recto de la tablette, à savoir à l’extérieur, qui a été identifié comme un texte étrusque252. On peut y lire un anthroponyme étrusque écrit venelus (l. 1) et veneluz (l. 3), et, à la l. 5, mataliai253, donc le nom de la cité la plus importante de la région, Massalia, qui régissait en grande partie les réseaux de commerces régionaux254. Le site de Pech Maho a en effet livré, dès le début du VIe s., de la céramique importée et mélangée (grecque, phénicienne, étrusque), ce qui implique des contacts avec des marchands de diverses origines255, bien que le rôle de Massalia dans la région soit indéniable256. Une lettre sur plomb découverte il y a vingt ans à Massalia, dans les fouilles du quartier de la Bourse, plus récente (59), met en avant, à travers l’onomastique, la forte identité phocéenne de la région : Μεγιστῆς, l’expéditeur, porte un nom ionien rarissime ; Leukôn, le destinataire, a un nom banal, mais le troisième personnage mentionné, Oulis, porte un nom phocéen caractéristique, qui n’apparaît qu’à Velia et à Massalia257. Par ailleurs, X. Nieto suppose que la lettre d’Emporion mentionnant Basped[–] (67) a été envoyée depuis Massalia, et insiste sur « l’ampleur de l’aire géographique au sein de laquelle se déroule l’opération commerciale. Entre Marseille, à l’embouchure du Rhône, jusqu’à Sagonte (près de Valence), se déploie l’arc occidental de la Méditerranée, or l’opération peut se faire avec aisance », en raison de la présence des représentants de commerce dans les ports et par conséquent d’un réseau de consignataires par nécessité d’accords commerciaux garantis258. Il me semble toutefois que la distance doit être relativisée. Tout d’abord, on ne sait pas avec certitude d’où la lettre a été envoyée, Massalia étant une bonne candidate mais pas la seule, étant donné le grand nombre d’établissements phocéens dans la région. En second lieu, le fait que Saiganthè soit mentionnée dans la lettre n’implique pas nécessairement un commerce étalé entre Massalia (si la lettre a réellement été envoyée depuis la ville) et Saiganthè, mais plutôt d’un système d’échanges entre cette dernière et Emporion, où la lettre a été trouvée. On peut en revanche conclure que c’était à l’intérieur des repères phocéens que les lettres circulaient. La même circulation régionale semble apparaître dans la lettre sur plomb la plus tardive, retrouvée à Mégare (12, époque impériale), et dans la lettre de Chalcidique, retrouvée à Toronè (14, ca. 350–325). Dans la première, une place à Oropos est mentionnée, peut-être le marché aux poissons. Le destinataire devait se trouver à Mégare, alors que l’expéditeur résidait soit à Mégare, soit dans la Mégaride, soit vraisemblablement à Oropos – selon les analyses isotopiques, le plomb proviendrait en effet de l’Eubée (voir comm. 12). Concernant la lettre de Toronè, elle mentionne vraisemblablement la possibilité d’un achat à Mendè, bien que le texte ait dû être restitué, cité qui devait être aussi le lieu de l’envoi de la lettre. La distance par mer entre les deux cités est minime : Mendè est située dans la partie inférieure du premier doigt de la Chalcidique (Sithônia), alors que Toronè se trouvait au sud du deuxième doigt (Pallénè). Les deux cités avaient été fondées par les Eubéens, Toronè par une cité eubéenne inconnue, Mendè par Érétrie259. La lettre ne parcourt pas une longue distance et les biens demandés non plus. Il doit s’agir d’un commerce régional, qui concerne un produit dont la région abondait, le bois260. Dans la plupart des cas, le bois devait être transporté par voie d’eau, qui présente l’avantage qu’on pouvait tout simplement le faire flotter, notamment sur les rivières – par exemple, les deux fleuves de Macédoine,
251 252 253 254 255 256 257 258 259 260
Lejeune 1991a, p. 316. Colonna 1988. Lejeune/Pouilloux/Solier 1988, p. 35. Domínguez 2006b ; Bats 2012b. Wilson 1997–1998, p. 40. Voir Bats 2009. Pour ces noms, voir comm. 59. Nieto 1997, p. 147. Voir Knoepfler 2007, p. 111–113 (Toronè) et 114–115 (Mendè). Voir, en général, Meiggs 1982, p. 188–217 (ch. 7, « Athenian Timber Supplies »).
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
l’Haliacmon et l’Axios. D. Mulliez note que les voies d’eau sont préférées aux voies de terre, mais qu’il est difficile de voir dans les documents la différence dans le prix du transport261. Dans notre cas, le bois devait être certainement transporté sur des embarcations spécifiques, qui avaient besoin de moins d’un jour pour arriver de Mendè à Toronè, par voie de mer. La mention de la cargaison (φορτηγέσιον) dans la lettre d’Achillodôros, retrouvée à Berezan’, renvoie aussi à un commerce par voie d’eau, dans la région nord-pontique (25) ; une autre lettre du même site a comme objet un φόρτος (24). Le nom scythe porté par Matasys, avec lequel Achillodôros a ses démêlés juridiques, suggère que le marchand grec devait se trouver quelque part dans l’hinterland et sans doute pas très loin d’Olbia du Pont, où les Grecs pouvaient pénétrer par les deux grands fleuves, l’Hypanis (le Bug actuel) et le Borysthène (Dniepr). Dans les recommandations adressées à son fils, il parle du territoire d’une population où il devait vraisemblablement posséder une propriété, les Arbinatai (ἐν Αρβινατηισιν), une peuplade locale en rapport avec les marchands olbiens, dont le territoire précis n’a pas été localisé262. On retrouve cette « géographie relative » – car connue par les acteurs à la fois des échanges et de la correspondance – dans la lettre sur tesson de Nikonion (21). Ainsi, les Θοαψαι (?) mentionnés dans la lettre de Dionysios devaient être une autre population locale de la région nord-pontique, que l’on ne saurait localiser avec précision. Les Scythes, de manière générale, apparaissent dans la lettre sur tesson d’Apatorios à Néomènios, de Kerkinitis, en tant qu’acteurs de l’économie locale : « tâche de savoir qui paie (la taxe) aux Scythes » (38, ll. 6–8 : καὶ ὄτις | τελῇ γίνωσκε | ἐς τ(ς) Σκύθας)263. Dans ce contexte, il doit s’agir des populations indigènes de la Tauride. Ce territoire parcouru par les marchands, qui n’était pas toujours sûr pour les emporoi grecs de la région, comme on l’a vu dans le cas d’Achillodôros, était cependant régi par certaines conventions. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un véritable système de taxation, puisque les telè payables aux Scythes s’apparentaient plus à des « taxes de protection » des transactions qu’à une règlementation fiscale, l’existence même de ces prélèvements montre que les Grecs pouvaient se mouvoir dans un territoire relativement encadré et favorable aux échanges – si bien sûr ils s’aquittaient de leurs « obligations »264. Parmi les lieux difficiles à placer sur une carte, certains bénéficient d’une certaine notoriété. Ainsi, une lettre sur tesson d’Olbia du Pont (28) mentionne une « île » (l. 4), qui peut être Berezan’, ou la presqu’île de Kinburn265, ainsi qu’un promontoire (l. 4 : [πὰ]ρ᾿ ἄκρην), qui pour les premiers éditeurs aurait été le cap Stanislav, situé au confluent de l’Hypanis et du Borysthène266. Un autre toponyme, Χαλκήνη (« Les forges »), a été mis en rapport par A. Rusjaeva avec un établissement du golfe de Jagorlyk qui produisait du fer et du verre aux VIe–Ve s.267. Enfin, la Hylaiè mentionnée dans la lettre est le célèbre lieu boisé mentionné par Hérodote268, situé dans la zone d’influence d’Olbia, à savoir au nord-ouest de la Crimée, au sud de Borysthène et au nord de Kerkinitis. Une inscription du Ier s. av. ou ap. J.-C. (selon les diverses datations proposées) atteste le repli de certains citoyens d’Olbia en Hylaiè269. À la dernière ligne, on pourrait peut-être restituer l’ethnique Τυρανοί, à savoir les habitants de Tyras, cité située entre Istros et Olbia (voir 28, comm.). Enfin, la cité d’Olbia elle-même est nommée une fois, par son exonyme (Borysthène), dans un billet sur plomb retrouvé à Phanagoria, dans le Bosphore Cimmérien, qui témoigne du commerce interrégional d’esclaves : « Cet esclave-ci a fait l’objet d’une vente dans la région de Borysthène ; son nom est Phaullès » (49). Le vendeur avait envoyé l’esclave avec un messager également porteur d’un billet mentionnant la provenance de l’esclave. Le destinataire devait par la suite le vendre sur le marché de Phanagoria. Mulliez 1982. Pour les références sur ce peuple, voir le comm. 25. 263 Voir Müller 2009, p. 101. 264 Les décrets de la région n’emploient jamais ce terme, ou celui de phoros, pour nommer les sommes souvent faramineuses qu’elles devaient verser aux dynastes de la région, mais des euphémismes tels dôra (« cadeaux ») ou therapeia (« faveur ») (cf. le décret pour Prôtogénès d’Olbia, ca. 200 : IOSPE I² 32 ; Müller 2010, p. 391–399, DE 21). 265 Située entre la corne nord-ouest de l’Hylaiè et l’extrémité de la rive gauche du Borysthène : voir L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 59. 266 Hérodote 4.53 : « promontoire d’Hippoléôs » (Ἱππόλεω Ἄκρη). 267 Rusjaeva 1987, p. 147. 268 Hérodote 4.19. 269 IOSPE I² 34, l. 13. 261 262
2. Réseaux épistolaires et mobilités territoriales
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Le tableau peut être complété en fonction des lieux où les lettres ont été envoyées ou bien retrouvées. Parfois, les indices sont contenus dans les lettres elles-mêmes, comme dans la lettre de Toronè où l’expéditeur affirme se trouver à Mendè (?) pour acheter du bois (14). Mais dans la plupart des cas il revient à l’historien de chercher à l’identifier. Ainsi, pour la lettre de Massalia (59), aucun indice géographique n’a été trouvé : l’expéditeur pouvait se trouver quelque part dans le territoire, dans un autre établissement massaliète de la région, comme nous l’indique l’onomastique, ou, pourquoi pas, à Massalia même mais dans une autre partie de la ville. Ce dernier cas de figure est cependant moins probable, car l’envoi d’une lettre suppose une difficulté de communication orale en raison d’une certaine distance. Apatorios, comme Achillodôros, était quelque part sur le territoire, peut-être sur le fleuve Borysthène, car la lettre qu’il envoie à Léanax a été retrouvée à Olbia du Pont (26). Une lettre envoyée à un certain Prôtagorès a été retrouvée dans ce qui était probablement un petit établissement secondaire d’Olbia, au Mont Živahov (22). L’expéditeur devait résider vraisemblablement à Olbia, ou bien à Tyras ou Nikonion, car l’établissement du Mont Živahov se trouve en effet à mi-chemin entre l’estuaire du Tyras et l’île de Berezan’ (voir la carte de la région, fig. 49). Un cas à part est représenté par la lettre de Mnèsiergos, retrouvée à Chaïdari (ancien dème d’Hermos), près de Daphni, à ca. 7 km d’Athènes (6). C’est son adresse qui retient notre attention : « À porter à l’atelier de pots en céramique. Remettre à Nausias, à Thrasyklès ou au fils » (Φέρν ἰς τὸν κέραμ|ον τὸγ χυτρικόν·| ἀποδναι δὲ Ναυσίαι | ἢ Θρασυκλῆι ἢ θυἰῶι)270. La question est certes de savoir où se trouvait cet endroit, atelier ou marché, car il pourrait s’agir de la pratique athénienne courante d’utiliser le nom des biens ou des produits pour parler des différentes sections du marché où ces derniers étaient vendus : dans ce cas, il faudrait donc comprendre « marché aux pots »271, soit le « le secteur des potiers » au marché d’Athènes, soit un atelier ou un marché d’un dème. On se demande si au moment de l’envoi de la lettre Mnèsiergos se trouvait à Athènes et sa famille dans un dème, ou bien lui à la campagne et la famille dans la ville272, ou enfin dans des dèmes différents. Étant donné que la lettre a été retrouvée à Chaïdari, on peut supposer que la famille y habitait, si l’on admet également que la lettre est arrivée à destination. Quoi qu’il en soit, on peut remarquer une fois de plus que les lettres circulaient dans un périmètre plus ou moins restreint : l’atelier de pots en céramique était un repère assez connu pour ne pas nécessiter de précision supplémentaire. * Pour conclure, il convient de noter que l’aire des affaires mentionnées dans le contenu des lettres – à savoir, les réseaux commerciaux – semble concerner le même territoire révélé par les connexions entre personnages – c’est-à-dire, les réseaux de correspondance. Les personnes constituent des nœuds de réseaux, unis par des liens invisibles tissés par les lettres273, même s’ils restent trop clairsemés pour qu’on puisse établir des schémas plus complexes. De ces contacts naissent des structures économiques réticulaires, qui cartographient le territoire. Si certaines lettres mentionnées par le discours du Pseudo-Démosthène illustrent le rôle joué par la correspondance dans le commerce à distance, les lettres sur tesson et sur plomb circulaient sur un territoire relativement restreint274.
270 Ce type de précisions supplémentaires dans l’adresse est courant dans les papyrus, voir l’adresse de P. Oxy. II 300 verso (Ier s. ap. J.-C.), εἰς τὸ γυμνάσι(ον) Θέωνι Νικοβούλ(ου) ἐλεοχρείστηι (sic). 271 Cf. Aristophane, Lys. 557 : ταῖσι χύτραις καὶ τοῖς λαχάνοισιν, « le marché aux marmites et aux légumes » ; Pollux 7.163 : χύτρας δὲ καὶ χυτροπωλεῖα ἐκάλουν. 272 Voir Eidinow/Taylor 2010, p. 50 (A1). 273 Pour la théorie des réseaux en histoire ancienne, voir Malkin/Constantakopoulou/Panagopoulou 2009. 274 Il convient ainsi de relativiser l’image du « distant merchant » (Eidinow/Taylor 2010, p. 32) ; cf. aussi Decourt 2014, p. 36 et 41 (n. 45).
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
3. Les acteurs du commerce 3.1. Autour de deux notions : emporion et emporiè Dans la partie précédente, j’ai préféré ne pas m’avancer sur la nature des établissements situés dans les territoires désignés par le nom des populations qui les habitaient, et en général des endroits d’où les lettres ont été envoyées. Ainsi, dans son analyse de la lettre sur plomb du Pont Nord la plus connue (25), B. Bravo avance l’hypothèse selon laquelle, si la femme d’Achillodôros se trouvait chez les Arbinatai avec les enfants c’est parce qu’elle était originaire d’un emporion situé dans le pays des Arbinatai ; pendant l’absence de son mari elle avait donc pu aller avec ses fils mineurs chez ses parents275. Non seulement l’origine de l’épouse reste sujette à caution, car il peut s’agir tout simplement d’une propriété qu’Achillodôros possédait dans cette région, mais l’existence-même d’un emporion est elle aussi spéculative. Comme le remarque Chr. Müller, « rien, dans ce texte, n’évoque l’existence d’un emporion et les Arbinatai ne renvoient qu’à eux-mêmes »276. Dans un article récent277, Bravo revient sur son hypothèse de 1974, selon laquelle Matasys avait été autrefois un citoyen d’Olbia du Pont qui, au moment de l’affaire avec Anaxagorès, vivait dans une autre polis. Selon Bravo, on peut envisager que Matasys, « ce barbare hellénisé », vivait, au moment où il essaie de faire d’Achillodôros son esclave, dans un emporion278. Il convient d’écarter la tentation d’employer à leur égard le terme emporion, ou en tout cas de manière indifférenciée, alors que cette notion même, pour laquelle on ne connaît aucune occurrence archaïque, reste problématique279. À la théorie de M. H. Hansen, selon laquelle ce terme est utilisé seulement à partir d’Hérodote280, théorie adoptée par Chr. Müller281, A. Bresson oppose l’idée selon laquelle le concept d’emporion ne serait pas une création du Ve s. mais bien de l’époque archaïque, où le terme désignait déjà le port marchand dans le cadre d’une cité282. Au-delà de ce débat, les savants s’accordent sur deux points : le mot désigne, à l’époque classique, le port destiné au commerce extérieur, où se déroulent des activités commerciales283, plutôt qu’un établissement ; s’il désigne un établissement, c’est une polis où le commerce est l’activité principale, comme on le lit chez Strabon. Enfin, si pour A. Bresson on peut désigner comme emporion tout établissement dont la vocation principale était le commerce, Chr. Müller attire opportunément l’attention sur le fait que les attestations d’emporia comme établissements distincts des cités sont essentiellement d’époque hellénistique et romaine, en invoquant comme exemple l’inscription bien connue de Vetren, en Thrace284. « Aussi, lorsque Hérodote évoque des emporia dans le Pont nord, s’agit-il assurément des cités côtières »285. Hormis cette difficulté, l’historien est confronté à la polarisation entre deux usages du terme qui recouvrent deux notions différentes : celle utilisée dans la littérature archéologique pour désigner les sites tournés vers des contacts286, souvent soumis à l’autorité d’une cité ou d’un roi, et la seconde, celle de port of trade imposée dans l’historio-
Bravo/Chankowski 1999, p. 295. Müller 2010, p. 202. 277 Bravo/Chankowski 1999, p. 295. 278 Dans un article ultérieur, après avoir affirmé « in quale luogo (fuori del territorio olbiopolita) la lettera sia stata scritta, è impossibile stabilirlo », Bravo 2011a, p. 49 avance l’hypothèse qu’il s’agit d’un emporion. 279 Voir la perspective historiographique dépassée de Vélissaropoulos 1977, p. 61–63. 280 Hansen 1997. 281 Müller 2010, p. 202 : « le terme emporion (…) ne saurait donc être employé comme le font les historiens modernes à tort et à travers à propos de l’époque archaïque ». 282 Bresson 2000, p. 79–84 ; Bresson 2008, p. 98–110. 283 Il s’agit d’un espace juridique délimité, où les marchandises importées sont débarquées, mais aussi celui où l’on prélève les taxes sur les importations ; l’emporion le mieux connu de cette catégorie est Le Pirée, voir Garland 1987, p. 83–95. 284 Voir en dernier lieu Hatzopoulos 2013. 285 Müller 2010, p. 202 ; en général, pour les systèmes emporiques au nord de la mer Noire, p. 201–217. Voir brièvement Oller Guzman 2013a. 286 Cette perspective de l’emporion comme avant-poste d’échange qui a stimulé le commerce local et régional entre les diverses communautés autour de la Méditerranée a été adoptée par Demetriou 2012. 275 276
3. Les acteurs du commerce
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graphie par K. Polanyi287. Il est par ailleurs difficile de savoir, pour nos établissements, dans quelle mesure il est possible de parler d’un commerce administré, selon les propres termes de Polanyi288. Après l’emporion, il convient de s’attarder sur l’emporiè. Il faut d’abord dénoncer la distinction, souvent artificielle, qui a été opérée entre le statut social, le rôle des acteurs du commerce et le but de leur action. Tout commence avec la théorie de Johannes Hasebroeck, qui propose un modèle d’organisation commerciale grecque archaïque reposant sur la différence entre le capital et la pratique. Il propose de considérer, d’une part, les classes riches, celles des propriétaires fonciers, qui participent indirectement au commerce maritime en fournissant le capital nécessaire, d’autre part les propriétaires de navires, ναύκληροι, et les propriétaires des cargaisons, ἔμποροι, qui emploient et fructifient le capital. On est devant un bel exemple de la spécialisation du rôle économique de type weberien289. Ce schéma a été appliqué par B. Bravo à la société archaïque : comme le résume R. Descat, pour Bravo « ceux qui dirigent ne sont pas ceux qui naviguent »290. Bravo développe sa théorie à partir précisément de la lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25), établissant une hiérarchie sociale nette entre l’expéditeur de la lettre et le destinataire, Anaxagorès. Selon cette théorie, dès le VIIIe s., le commerce maritime est, chez les Grecs, une activité « spécialisée et vile », par conséquent les hommes riches ne voyagent pas pour commercer. Ils envoient outre-mer des hommes libres ou esclaves, avec des lots de marchandises, afin qu’ils fassent du commerce pour eux ; certains envoient aussi des navires de commerce, à la tête desquels se trouve un homme dépendant du propriétaire (archos, diopos, nauphylax, neôros) – ce serait précisément le cas des rapports entre Anaxagorès et Achillodôros et, comme Bravo l’avance plus tard, après ma publication de la lettre d’Apatorios d’Olbia (26), entre Léanax et Apatorios291. Il existe également une forme de commerce exercé par les nobles « pauvres », mais qui ne se considèrent pas comme des marchands professionnels (ils sont agathoi ou esthloi)292. À cette théorie, Alfonso Mele en oppose une autre, plus nuancée mais qui est elle aussi fondée sur une distinction entre prèxis ou ergon, et emporiè. Selon Mele, la première forme correspond au commerce homérique prolongé dans le commerce aristocratique de l’époque archaïque. Ainsi, toujours selon Mele, cette prèxis est une activité parmi d’autres, un commerce non spécialisé, non-professionnel, exercé personnellement par les nobles qui voyageaient eux-mêmes, qui vendaient des esclaves ou des produits de leur terre non pas pour s’enrichir mais en échange des biens qu’ils n’avaient pas (métaux et produits artisanaux de luxe) ; en liant des relations de xenia avec d’autres nobles, ils échappaient à la condition de l’étranger, à savoir à l’absence de protection juridique. Ce commerce était étroitement lié à la piraterie, prenant donc la forme tantôt du commerce, tantôt des razzias. Il est un ergon parmi d’autres. L’évolution de cette forme de commerce implique une articulation verticale – le noble, au lieu de voyager lui-même, envoie des hommes dépendant de lui avec des marchandises lui appartenant, qu’ils doivent écouler pour le compte du noble – et horizontale – plusieurs nobles s’associent pour former l’équipage d’un navire. C’est cette dernière manière qui a pu être prise comme modèle par les kakoi, à un moment où le commerce associé était devenu une activité professionnelle, l’emporiè ; ce moment n’est pas clairement identifié sur le plan chronologique par Mele mais il est postérieur au VIIIe s. dont la situation se reflète dans l’œuvre d’Hésiode. Cette dernière activité, considérée comme un commerce roturier et professionnel, consiste à vendre pour acheter et acheter pour vendre ‒ autrement dit, commerce d’intermédiaires ‒ ayant comme but la maximalisation du gain293. Or, en accord avec R. Descat, si emporos a comme sens primaire, chez Homère (Od. 2.318–320) et Hésiode, celui de « passager sur le bateau d’autrui », il doit être vite compris comme celui qui embarque avec un but précis. La prèxis est une action organisée et efficace, le prèktèr est celui qui fait bien ce qu’il a à faire294. Les deux théories finissent par se confondre, car l’on se demande, avec J. Zurbach, quelle différence existe entre Mele, qui admet que les nobles voyageaient mais pouvaient parfois Pour un regard critique, voir Graslin/Maucourant 2005. Pour la mer Noire, voir Hind 1995–1996. Voir à ce propos les remarques judicieuses de J. Zurbach, « L’emporion et la terre, ou : Hésiode entre terres et mer », à paraître. 289 Hasebroeck 1928. 290 Descat 1986, p. 279. 291 Bravo 2011a, p. 67–85, n° II. 292 Bravo 1974 (voir aussi Bravo 2011a, p. 39–66, n° I) ; Bravo 1977. 293 Mele 1979 ; s’ensuivent la réplique de Bravo 1984 et la réponse de Mele 1986. 294 Descat 1986, p. 279–293, en partic. p. 284–286. 287 288
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déléguer les tâches dans le cadre de l’articulation qu’il a appelée « verticale »295, et Bravo qui est d’accord que certains aristocrates pouvaient embarquer eux-mêmes, par manque de moyens296. Finalement, les conceptions de Mele sont passées dans la vulgate, de façon qu’on utilise couramment la notion de prèxis pour tous les trafics aristocratiques du VIIe s. et celle d’emporiè pour le commerce spécialisé du VIe s.297. Cette distinction, qui vient du préjugé bien installé dans l’historiographie selon lequel les « nobles » ne pouvaient pas s’adonner à une activité aussi « vile » que le commerce, me paraît artificielle, notamment dans les conditions où le statut des acteurs impliqués dans les transactions illustrées par les lettres ne ressort pas de façon explicite. Le critère onomastique non seulement ne suffit pas à lui seul, comme je le montrerai plus loin, à identifier les aristocrates, mais il peut se montrer trompeur.
3.2. Le personnel : termes grecs et acceptions modernes L’évolution ne signifie pas nécessairement un passage d’un commerce aristocratique au commerce professionnel298. Le commerce continue à être pratiqué par des catégories sociales diverses, à différentes échelles, avec en revanche une certaine spécialisation technique du personnel et une organisation hiérarchique à l’intérieur de ce même personnel299. On assiste ainsi à l’apparition des termes nouveaux, pour les différentes fonctions des préposés à l’écoulement de la marchandise, de l’entretien du navire, du contrôle de la cargaison et de l’intendance : le ναύκληρος300, qui semble être l’armateur qui n’embarquait pas toujours (une allusion aux nauclères est faite dans une lettre sur tesson d’Olbia du Pont, d’époque hellénistique, 34), confiant cette fonction au pilote, le κυβερνήτης (terme qui apparaît dans la lettre d’Oréos de Myrmékion, 46, B, l. 1, et dans le message sur tablette d’argile d’Emporion, *70, l. 13). Les membres de l’équipage, quant à eux, sont le πρῳρεύς (tient la prore et observe les conditions climatiques et géographiques et donc le chemin à suivre), le νεωρός, attesté par la lettre d’Achillodôros (25, l. 13), le ναυφύλαξ (fonction de vigilance ou gardien) et le δίοπος, « surveillant »301. Il convient également de remarquer les termes qui servaient à désigner l’ensemble des marchandises, notamment φόρτος (24, lettre de Berezan’), avec son diminutif φορτίον utilisé au pluriel avec le sens de marchandises transportées sur mer, et notamment φορτηγός302, d’où dérive très vraisemblablement le terme φορτηγέσιον (« cargaison »), attesté par la lettre d’Achillodôros (25). Selon B. Bravo, Achillodôros désignait par ce mot cette partie de phortos dont il était responsable, à savoir la marchandise qu’il transportait pour faire du commerce, distincte de celles dont s’occupaient d’autres marchands qui voyageaient sur le même navire. Ce mot pouvait également servir pour désigner le fruit de son voyage commercial, à savoir argent et/ou marchandises obtenues en échange d’autres marchandises303. La spécialisation du personnel, inévitable dans les conditions de transformations technologiques des navires et d’extension des réseaux commerciaux, n’implique pas le fait que certaines activités sont délaissées par les représentants de certaines classes sociales. Il convient dans tous les cas de dépasser l’idée d’une classe d’arisMele 1979, ch. 9. Bravo 1977, § 2. 297 Zurbach 2017, II, p. 718–720. 298 Santiago Álvarez 2013a, p. 209. Coulié 2003, p. 75–78, reprend la distinction ultérieure entre l’emporos, qui voyage et jouit d’un statut socialement élevé (dans les conditions où pour l’époque archaïque l’emporiè s’opposait à la prèxis, la véritable activité des aristocrates), et le kapèlos, lié à l’agora, chargé de la distribution en détail. 299 Pour un regard d’ensemble, voir Reed 2003. 300 Pour l’évolution sémantique, voir Vélissaropoulos 1980, p. 48–56. 301 Voir Démosthène, C. Lacr. (Or. 35) 20 et 33 ; une glose d’Hésychius d’Alexandrie l’explique par ναύαρχος. Pour ces termes, voir Bravo 1974, p. 163–169 ; Bravo 2011a, p. 60–61. Le diopos avait comme charge de conserver les registres de la cargaison et des marchandises transportées du moment de l’embarquement et au moment de l’arrivée au port de destination ; cela implique le contrôle des aspects matériels (conditions de transport et de décharge), mais aussi la charge de garder en mémoire ou mettre par écrit des listes concernant les différents lots de marchandises et qui est leur propriétaire. Ce dernier cas de figure intervenait si le navire était affrété par plusieurs marchands qui mettaient en commun leurs marchandises ; un responsable de la cargaison devait donc veiller sur les lots. Voir Santiago Álvarez 2013a, p. 213. 302 Vélissaropoulos 1977, p. 66–68, avec le sens de « marchand qui exerce le commerce maritime » ; pour emporos, voir p. 65–66. 303 Bravo 2011a, p. 53–56. 295 296
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tocrates peu mobile, qui délèguent les activités commerciales, lucratives et donc indignes des nobles aux professionnels qui sillonnent les territoires et les ports maritimes et fluviaux. Ainsi, pour nos documents, il ne faut pas voir en chaque correspondant qui envoie une lettre depuis des endroits situés en dehors de la cité un dépendant d’un aristocrate, sans préjudice de l’appartenance du destinataire à la classe aristocratique. Anaxagorès et Léanax, qu’Achillodôros respectivement Apatorios sollicitent par écrit afin de les aider à sortir d’une situation difficile, sont bien liés aux activités de commerce. La relation hiérarchique qui semble effectivement exister entre les destinataires et les expéditeurs peut très bien être envisagée dans le cadre d’une relation professionnelle. Achillodôros pouvait, comme Apatorios, transporter les biens d’un autre, mais cela ne signifiait pas qu’Anaxagorès et Léanax étaient des aristocrates qui ne voyageaient pas eux-mêmes. Un partenariat entre Anaxagorès et Achillodôros, d’une part, et Léanax et Apatorios, d’autre part, est envisageable. L’argument utilisé par B. Bravo, à savoir l’onomastique, non seulement est loin de constituer un instrument sociologique fiable304, mais il peut être facilement contredit par d’autres arguments d’ordre sociologique également. Dans le cas de la lettre de Klédikos d’Hermonassa (52), à laquelle il consacre une longue étude, Bravo conclut sur « una testimonianza su come la ricchezza di un membro aristocratico di una polis situata all’estremità nord-orientale del mondo greco potesse basarsi in parte su una produzione legata al grande commercio che collegava le città di questa regione a quelle dell’Egeo ». Outre le fait que cette conclusion exagère l’ampleur de l’affaire, qui n’a en réalité rien à voir avec le commerce, égéen ou non, Bravo part de l’idée que Klédikos est un nom aristocratique, composé de κλέος et de δίκη : « probabilmente questo Kleidikos faceva parte dell’élite politica della sua polis »305. Il remarque cependant que son correspondant, celui qui reçoit les ordres, porte lui aussi un « nom aristocratique », Ἀριστοκράτης, ce qui contredit en quelque sorte sa théorie des nobles qui délèguent aux moins nobles306. Or, aussi aristocrate qu’il soit, Klédikos a de sérieux problèmes d’orthographe et une difficulté manifeste à écrire correctement le nom de son destinataire, qu’il écorche aussi bien dans l’adresse externe qu’interne. L’argument onomastique ne fonctionne pas toujours, si l’on pense au nom Φαΰλλης, dérivé du mot signifiant « lumière », porté pourtant par un esclave (49).
3.3. Une visibilité nouvelle : les indigènes et les femmes Concernant les personnes qui assurent la distribution des marchandises et la gestion courante des affaires, leur statut n’est pas suffisamment clair. M. Bats, analysant le document sur plomb de Pech Maho (IG France 135) et notamment l’identité du mystérieux personnage dont le nom apparaît au verso, sur une marge laissée libre par le texte étrusque, lit Ἡρωνοίιος. Bats l’identifie à un μετάβολος/μεταβολεύς, terme générique couvrant le champ de la revente, auquel il donne non pas le sens d’intermédiaire ou de courtier entre marchands étrangers et marchands du lieu, comme J. Pouilloux307, mais de mandataire effectuant à Emporion une opération pour le compte d’un marchand résidant à Pech Maho308. La principale difficulté vient de la lecture de la séquence ΗΡΩΝΟΙΙΟΣ, qui ne laisse pas entrevoir s’il s’agit effectivement d’un anthroponyme ou d’une séquence à découper. Ainsi, la question des « intermédiaires » non-grecs dans des affaires dont les commanditaires portent en général des noms grecs reste toujours sujette à débat309. On peut tout au plus constater qu’il s’agit de noms banals (e.g. Ἀρτεμίδωρος, Διόδωρος, Διονύσιος, Δίφιλος, Ἡρακλείδης, Ἑρμαῖος, Θεόπομπος, Πίστος), mais aussi de quelques noms caractéristiques, voire épichoriques (Ἀρτικῶν, Ἀρτυμοκλῆς, Δαῖτις, Διεύχης, Μνησίεργος, Μυλλίων, Τεγέας), notamment les noms théophores (Αἰαντόδωρος, Ἀχιλλόδωρος, Κοτυτίων, Οὖλις) et des noms typiquement ioniens (Ἀπατριος, Ἀπολλᾶς, Βάτις, Ἡγησαγόρης, Μανδρόχαρις, Μεγιστῆς, Νεομήνιος, Ποσίδηος). En vérité, il est plus utile d’interpréter les noms conformément aux usages et modes onomastiques. Ainsi, pour les documents plus tardifs du corpus, on n’est point étonné de trouver des noms bâtis avec le suffixe tardif (et latin) -ius/-ιος (Μαρτύριος, Ὀξυχόλιος, Πελάγιος) ou des noms théophores chrétiens (Μαρτύριος, Σαμβατίς). 305 Bravo 2014–2015, p. 18. 306 Ce nom mérite d’être qualifié de banal. Pour une critique de ces approximations onomastiques, voir la citation d’Olivier Masson (comm. 52). 307 Pouilloux 1988. 308 Bats 1994. 309 Santiago 1991c ; Bats 2012a. 304
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
Pour ce qui est des relations d’affaires entre ces différents acteurs, on ne sait toujours pas, pour la « lettre de Berezan’ » (25), quels étaient les rapports entre Matasys et Anaxagorès, ni la raison du grief que Matasys avait contre le dernier. Il s’agit d’un conflit autour des esclaves et des maisons qui avaient constitué la propriété de Matasys et dont Anaxagorès se serait injustement emparé, dans des circonstances que nous ignorons. Il est possible que Matasys ait mis en gage ses propriétés pour une somme d’argent prêtée par Anaxagorès, qui, une fois son argent récupéré, refuse de restituer les propriétés qui ont servi de gage. Une autre possibilité serait que Matasys ait vendu certaines de ses propriétés à Anaxagorès et que ce dernier refuse de payer ou bien, inversement, que Matasys ait acheté des biens à Anaxagorès, qui a reçu l’argent mais refuse de remettre les biens à Matasys. Enfin, il reste également l’éventualité qu’ils aient été impliqués ensemble dans des transactions où Anaxagorès ne s’est pas acquitté de ses obligations envers son partenaire Matasys. D’autres porteurs de noms indigènes sont attestés dans les lettres sur le même plan que des Grecs, tel Marakatès, employé pour des travaux physiques, qui sur l’ordre de Dionysios devait mettre à l’abri le monoxyle une fois vidé de sable, dans les environs de Nikonion (21) ; Kophanas, dont le message sur tesson a été retrouvé sur le territoire d’Olbia du Pont, à Kozyrka 2 (36), sans doute dans sa résidence, porte lui-aussi un nom qui n’est pas grec, bien que son patronyme soit grec (Adrastos) ; le nom de Sapasis, l’un des débiteurs de Pistos, auteur de la lettre sur plomb de Patrasys (48), semble être de facture iranienne ; à Emporion, deux lettres sur plomb mentionnent des porteurs de noms ibériques, Basped[–] (67) et Atielar[–] (68), ce dernier étant par ailleurs le destinataire ou l’expéditeur de la dernière lettre. Dans notre effort pour reconsidérer la place des individus dans le commerce, nous observons que les lettres permettent également de remettre les femmes dans des circuits dont elles sont habituellement absentes. Une seule, dont la fin du nom est conservée, semble avoir été l’auteur d’une lettre. Il s’agit de la femme qui donne des instructions à Apollas, dans une lettre sur tesson de la chôra de Phanagoria (51), en lui enjoignant fermement de ne pas procéder, lui ou un tiers, à une vente de propriétés foncières (ou à ne pas dépasser des bornes). Deux autres femmes sont les destinataires de lettres. La première est la mère de Lèsis d’Athènes, qui n’est pas nommée mais qui avait vraisemblablement la possibilité d’intervenir, avec Xénoklès, pour améliorer les conditions de vie de son fils (7). Le fait que ce dernier s’adresse à elle et non pas à son père montre clairement qu’elle était le seul parent en vie du jeune garçon (veuve ?). Elle savait sans doute lire et probablement écrire. La seconde est l’épouse de Dionysios de Nikonion, qui reçoit une longue lettre sur tesson (21). Parfois, des femmes sont simplement mentionnées, comme dans la lettre sur plomb de Tyras (19, « sœur » d’un inconnu), dans la lettre dite « du prêtre » d’Olbia (28) et dans la lettre sur plomb d’Agathè (63, une certaine Chariessa, par trois fois). Mais en général, quand elles apparaissent dans les lettres, elles ont un rôle actif, soit dans les transactions, soit dans la gestion de la maison. Ainsi, Achillodôros, dans sa lettre adressée à son fils et à Anaxagorès (25), recommande à Prôtagorès d’aller présenter l’affaire non seulement devant Anaxagorès mais aussi devant sa femme310. Cette demande devait venir du fait qu’Achillodôros avait connaissance de l’implication de la femme d’Anaxagorès dans les affaires de son mari, ou éventuellement d’une relation de parenté ou d’amitié qui unissait les deux familles, et non du fait qu’elle aurait appartenu à une grande famille indigène susceptible d’intervenir auprès de Matasys311. La même implication peut être notée pour Thathaiè, la femme d’Hèrakleidès, celui qui avait saisi les marchandises d’Apatorios (26), puisque ce dernier demande à Léanax d’envoyer les registres (diphtheria) aux deux époux312. Thathaiè devait donc contrôler les registres et était impliquée de manière active dans la gestion des comptes familiaux313. Enfin, les femmes peuvent se faire dépositaires de la confiance de leur époux, en leur absence : c’est vraisemblablement à son épouse qu’écrit Dionysios de Nikonion pour lui demander de récupérer un demi-statère en rapportant un manteau mis en gage (21). Dans cette dernière lettre, bien qu’on s’adresse de manière
Il convient de corriger sur ce point la traduction de Jordan 2003, p. 30–31, n° I, et Jordan 2007, p. 1356–1357, n° I, suivi par Eidinow/Taylor 2010, p. 38, qui pense que la femme en question est celle d’Achillodôros même. 311 Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2006, p. 61–62, suivis par Oller Guzmán 2013a, p. 84–85 312 Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2006, p. 61 et 65, avaient lu à cet endroit le nom indigène *Οαθαιη (voir ma critique, comm. 26). 313 Ce dernier nom est sans aucun doute un anthroponyme féminin, contrairement à ce que pensait Wilson 1997–1998, p. 38. 310
4. Les objets de l’échange
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générale à « ceux de la maison », le participe aoriste féminin ἀποδοῦσα à l’avant-dernière ligne indique que les instructions sont en réalité adressées à la femme de l’expéditeur314. C’est également une femme qui semble garder la bourse familiale dans une lettre d’Olbia du Pont, mentionnant « la caisse de la mère » (29, l. 4 : τῆς μητρὸς θήκην). Cette expression et la fonction de gardienne des richesses de la famille rappellent, avec toute la prudence requise, les longs passages de l’Économique de Xénophon insistant sur le rôle domestique des femmes : « Pour moi je considère qu’une femme qui est une bonne associée pour le ménage a tout autant d’importance que l’homme pour l’avantage commun. C’est l’activité du mari qui fait généralement entrer les biens dans la maison, mais c’est la gestion de la femme qui en règle le plus souvent la dépense »315. Les époux qui apparaissent dans les lettres semblent agir en accord avec les recommandations de Socrate : « Je peux encore te montrer des maris qui traitent leurs femmes légitimes de façon à s’en faire des auxiliaires pour accroître ensemble leurs maisons »316. Les échanges épistolaires entre les membres des familles pontiques étaient ainsi dictés par le pragmatisme de ces hommes d’affaires.
4. Les objets de l’échange Les lettres sur plomb, généralement plus complexes que celles sur tesson, non seulement mentionnent le nom des localités, mais couvrent également un territoire plus vaste. Malgré la modestie des données réunies, cela permet à la fois de cartographier les lettres et de proposer une géographie des échanges commerciaux. Le transport des lettres était normalement lié au transport des marchandises, et ce à double titre : d’une part, les lettres circulaient avec les marchandises, le transporteur faisant office de facteur ; d’autre part, certaines lettres accompagnaient des envois de marchandises, la lettre jouant le rôle d’un bordereau de livraison, précisant de qui venait la marchandise, à qui elle a été remise pour le transport, et ce que l’expéditeur espérait en échange317. Des « biens » sont souvent mentionnés dans les lettres, parfois avec beaucoup de détails. Cela n’est pas pour nous surprendre quand l’on pense que l’essentiel de cette correspondance était constitué de « lettres d’affaires » et que le but même de l’envoi de la lettre était de communiquer autour de la distribution ou de la gestion des biens. Des verbes signifiant « acheter » et des allusions à des transactions commerciales apparaissent ainsi dans la lettre de Toronè (14 : [ὠνε?]ῖσθαι, πριάμενος, ὠνήματα) et dans deux lettres d’Emporion [67 (ὀνωνῆσθαι), 68 (ὠνσθα[ι] et ὀνωνῆσ[θαι?)], un autre signifiant « vendre » dans la lettre de Mégare (12 : [π]ωλῖν?) et dans la lettre sur tesson d’une femme à Apollas (51 : par deux fois μὴ ἀποπεράσηι) ; l’instruction ἀγόρασον sur un ostracon de Phanagoria (50) illustre également le but dans lequel des messages, même très brefs, étaient envoyés. On trouve même le très spécialisé ἐπρήθη, qui signifie « être acheté pour la vente » dans le billet sur plomb concernant l’esclave Phaullès, à Phanagoria (49), sans oublier l’expression ἐς πρῆσιν dans la lettre sur plomb de Myrmékion (46). Dans la lettre d’Achillodôros, il est question de la saisie de sa cargaison (25), dont l’équivalent est constitué par les biens (χρήματα) mentionnés dans la lettre d’Apatorios d’Olbia du Pont, euxaussi saisis (26) ; d’autres χρήματα apparaissent dans la lettre d’Olbia du Pont mentionnant « la caisse de la mère » (29) et sans doute dans la lettre d’Agathè (63) ; le mot apparaît au singulier (χρήμα) dans la lettre de Berezan’ qui mentionne un phortos (24) et désigne donc une somme d’argent. Dans les autres lettres, sur plomb ou sur tesson, la diversité des chrèmata qui font l’objet de la transaction est spécifiée. La variété des biens mentionnés dans les lettres peut surprendre. Tout d’abord, des objets : dans la lettre de Mnèsiergos d’Athènes (6), la mention d’un atelier et d’une boutique de poterie suggère que l’auteur de la lettre et ses correspondants étaient impliqués dans des affaires liées à la céramique, mais aussi à des objets en rapport avec le travail de la peau et du cuir. On note aussi des objets céramiques envoyés en cadeaux, portant le message eux-mêmes, à l’époque impériale : d’Athènes, les amphores envoyées par Marôn à Philippos (*10) et à Hié-
Oller Guzmán 2014, p. 172–173 et n. 22 pour la bibliographie. Xénophon, Oec. 3.15 ; voir aussi 9.15 : « J’invitais donc ma femme, dit-il, à se considérer elle aussi, comme une gardienne des lois pour les affaires de la maison » ; et 9.10, qui présente une femme capable de rédiger une liste d’objets. 316 Xénophon, Oec. 3.10. 317 Fournet 2006, p. 474. 314 315
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
rônymos par ses « frères » (*11) ; à Nida, en Germanie Supérieure, le mortier envoyé par Drakôn à Achilleus (72) ; on ignore quel était le paquet envoyé, avec une anse porteuse d’un message de Sôsinéôs, à Glaukos « dans la ville », à savoir à Athènes (4). On peut également citer du bois de chauffage ou de charpente dans la lettre de Toronè (14), des arbres, et tout particulièrement des pins, mentionnés dans la « lettre du prêtre » d’Olbia du Pont comme ayant été endommagés (28), des perches de la même dimension dans la lettre d’Apatorios à Néomènios de Kerkinitis (38). Dans la lettre sur tesson de Dionysios à sa famille (Nikonion, 21), il est question du transport de sable, à l’aide d’un monoxyle, mais aussi d’un himation ayant servi comme gage pour un demi-statère d’argent ou pour recouvrer une dette. Cette mention rappelle celle des plusieurs himatia et des vêtements en pourpre de la lettre d’Oréos de Myrmékion (46). Des vêtements également (kandoloi, sorte de manteaux lydiens, ainsi que des manteaux de fourrures) apparaissent dans la longue liste de produits de la lettre sur plomb retrouvée sur l’agora d’Olbia du Pont (27). Ils sont associés à une plante colorante, isatis, et à des outils de fer. En rapport avec la fabrication des vêtements, sans doute destinés à la vente, doit être mise la mention de la laine dans la lettre d’Artikôn d’Olbia du Pont (30). On ne sait pas en revanche ce que représentaient les « biens » ou « possessions » ([τὰ] ἐχό[μενα?]) d’un certain Ménandros, dans la lettre sur tesson d’Olbia du Pont (34), ni ce que Rhodôn avait reçu de la part d’Hèrakas, auquel il envoie un message qui confirme la réception d’un ou plusieurs objets, ou bien d’une lettre plus longue envoyée auparavant (35). Dans un deuxième groupe, on rencontre des biens immobiliers : des habitations, sous le nom générique οἶκος au sens de « maisonnée » (6, 21, 25, 29, 30) ou οἰκίον (20) ; dans la lettre 30 il est fait mention d’un οἴκημα, que l’on peut traduire comme annexe – peut-être s’agit-il d’une boutique ou d’un local attenant à une maison ; la lettre 52 mentionne la pièce d’une maison où il fallait ramasser les débris (d’une autre habitation) et la sceller ; le même terme (στέγη), ainsi que θάλαμος (?), apparaissent dans la lettre 42. On peut aussi noter le cabanon (καλύβιον) mentionné dans la lettre sur plomb de Nikonion (20). Des terres apparaissent dans deux documents : « la terre située vers [---] » (*40) et les terres « délimitées d’une borne » (51). Un troisième groupe important est représenté par des produits agricoles (cf. les papyrus), des viandes et des poissons, parfois des animaux vivants. Ainsi, des figues sauvages et des figues communes envoyées par l’un des fermiers à ses maîtres (οἱ κύριοι), dans l’archive d’ostraka de Rhodes (16), ou les oliviers au sujet desquels un fermier de Lepcis Magna envoyait une lettre sur tesson (56) ; vraisemblablement des lentilles dans le message sur tesson 50 ; des produits de jardin, raisins et légumes, apportés par le jardinier, dans la lettre sur tesson 54. De l’huile d’olive et des olives sont mentionnées dans la première lettre sur plomb de Lattara (60), des pressoirs (à vin ?) à Ruscino (65) et du vin (?) dans une lettre sur plomb d’Emporion (67). Enfin des céréales, en l’occurrence de l’orge (neuf médimnes), dans la lettre sur tesson de Nikonion (21), et du blé, dans une autre lettre sur plomb de Lattara (61). Des offrandes pour un sacrifice (du miel et un bélier, des objets sacrés) apparaissent dans la lettre dite « du prêtre » d’Olbia du Pont (28). Des poissons salés, οἱ τάριχοι, doivent faire l’objet d’une transaction dans la lettre de Kerkinitis (38) et dans la lettre sur plomb de Myrmékion (46, face B)318. L’objet de la transaction mentionnée dans le message sur tesson de Kozyrka 2 (36) est un cheval, au sujet duquel Kophanas écrit à quelqu’un de la maison avec demande de confirmation écrite (τὰ γράμματα) ; des chevaux sauvages sont évoqués dans la lettre « du prêtre » d’Olbia du Pont (28). Quant au destinataire de la lettre d’Apatorios à Néomènios de Kerkinitis (38), il doit prendre soin des bœufs (peut-être en vue de la vente). Le quatrième type de produits bien connu est, comme on s’y attend, les esclaves, bien attestés dans la mer Noire319, mais pas seulement, sous des noms très variés320, qu’il s’agisse d’esclaves-marchandise ou d’esclaves employés à la maison ou dans les affaires. Ainsi, une esclave, ἡ παῖς, mentionnée dans la lettre sur plomb de Berezan’ concernant Mélas (23) ; le même terme, au masculin, ὁ παῖς, se retrouve sur un tesson attique (2), dans 318 Sur la fabrication, prouvée par les traces archéologiques, et la commercialisation du tarichos au nord de la mer Noire, voir Müller 2010, p. 214–215. 319 Une bibliographie très riche existe à ce sujet. En voici les titres les plus importants et les plus récents : Nadel 1976 ; Vinogradov 1999a, p. 137–141 ; Heinen 2001 (= Heinen 2006a, p. 520–537) ; Braund 2002, p. 83–84 ; Heinen 2006b, p. 66–76 ; Avram 2007, critiquant la thèse de Vinogradov 1998 (qui critiquait à son tour D. M. Pippidi), qui a tendance à confondre le commerce d’esclaves avec l’emploi effectif de la main d’œuvre servile dans les cités grecques pontiques ; Fischer 2016 ; Odrin 2017 ; Avram 2020. Sur le rôle des esclaves dans le commerce régional, voir Müller 2010, p. 212–213 ; Parmenter 2020. 320 Voir Gschnitzer 1964–1976 ; Cartledge 2001, p. 159, sur la richesse du vocabulaire grec pour désigner les esclaves.
4. Les objets de l’échange
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la lettre sur plomb de Nikonion (20, si le sens est celui d’esclave plutôt que de « fils »), dans le billet concernant l’esclave Phaullès, acheté dans la région de Borysthène pour être vendu sur le marché de Phanagoria (49) et dans la lettre sur plomb de Myrmékion (46). Ce terme connaît des variations : τὸ παιδίον dans la lettre sur tesson de Gorgippia (54), et παιδίσκαι, dans la lettre sur plomb d’Agathè (63) où sont également mentionnés les maîtres (δεσπόται, comme dans la lettre de Lèsis, 7) ; δλος, δλη et le verbe δουλεύω pour désigner la tentative de Matasys de faire d’Achillodôros son esclave, dans la lettre de Berezan’ (25), et le même terme, δοῦλοι, dans la lettre « du prêtre » (23) ; la forme dialectale ionienne οἱ οἰκιῆται, dans la lettre d’Apatorios d’Olbia du Pont (26) ; ἀνδράποτον (sic, pour ἀνδράποδον), dans la lettre de Myrmékion (46), alors que dans la lettre de Patrasys le mot est correctement orthographié ἀνδράποδον (48). Dans le billet sur tesson d’Olbia de Provence (58) est attesté le terme τὰ σωμάτια, un pluriel du diminutif de σῶμα. Les lettres font également état d’activités d’artisanat et de banque, et par conséquent de transactions monétaires. La lettre de Mnèsiergos (6) évoque un atelier de poterie (κέραμος χυτρικός)321, celle de Lèsis (7), également d’Athènes, un atelier de bronzier (χαλκεῖον), où Lèsis était employé ; la même allusion au travail du forgeron apparaît dans la lettre de Nikonion d’Artemidôros à Dionysios, appelé ainsi dans l’adresse externe (20 : χαλκεύς). La lettre de Lèsis montre clairement les conditions de travail difficiles, car de très jeunes garçons y étaient employés sous les ordres de patrons peu amènes. La lettre d’Artikôn (30), mentionnant la laine (μέρος), pourrait faire allusion à un atelier de tissage ; un cordonnier est mentionné dans la lettre d’Agathè (63 : σκυτεύς). L’activité bancaire est évoquée par la lettre de Pasiôn, si l’on admet cette identification (*8), mais aussi dans des documents moins connus concernant des affaires de dettes et de remboursement : la lettre de Patrasys (48) ; la lettre sur tesson de Nikonion, mentionnant le gage pour un demi-statère (21) ; la première lettre sur plomb de Lattara, qui concerne deux débiteurs/fournisseurs/créditeurs (60). Les taxes devaient représenter, pour les marchands, un problème important : la lettre de Kerkinitis (38) mentionne des taxes à payer aux Scythes, alors que dans la lettre sur plomb de Ruscino il est question du paiement d’un droit de passage (65). En rapport avec ces affaires, l’argent monnayé est souvent mentionné dans les lettres, soit comme monnaie de compte, par exemple dans la lettre 26 (27 statères, sans doute des Cyzicènes), soit comme argent susceptible de passer d’une main à l’autre, par exemple dans la lettre de Patrasys, où il est question de récouvrement de plusieurs dettes (48)322 ; des statères sont également mentionnés dans la première lettre sur plomb de Lattara (60). Ainsi, la lettre de Mégare (12), fait était d’une mise en gage des vases de cuivre pour 20 deniers, puis de 150 (?) autres deniers ; des deniers apparaissent également dans un message sur tesson inédit d’Éphèse, d’époque encore plus tardive (18). Dans la lettre sur tesson de Nikonion (21), il est fait mention d’un demi-statère, somme pour laquelle un vêtement a servi de garantie. Des statères apparaissent dans la lettre d’Olbia mentionnant « la caisse de la mère » (29 : 5 statères et [x] hektai), dans la lettre sur plomb de Nikonion (20 : 4 statères), dans les deux cas sans doute des Cyzicènes323. L’expéditeur fait mention d’argent, sans préciser la nature de la monnaie, dans la lettre sur tesson de Chersonèse Taurique (39) et dans les lettres sur plomb de Berezan’ (24) et Ruscino (65). En revanche, la lettre sur plomb de Patrasys (48) est précise : il est question d’un statère d’or, un demi-statère d’or, trois quarts et une tierce d’argent, encore une fois des Cyzicènes sans aucun doute. La lettre sur plomb d’Hermaios de Panticapée mentionne « cinquante (statères ?) » (45). En Occident, l’étalon était naturellement le statère phocéen : dans la première lettre sur plomb de Lattara (60), l’expéditeur parle de statères et d’octains, multiples d’une unité de référence, sans doute le statère phocéen ; les mêmes octains apparaissent dans une autre lettre sur plomb de Lattara, encore inédite (61). Il est certain que les préoccupations des auteurs et des destinataires des lettres sont en rapport avec le travail : le transport des matières premières, en l’occurrence du sable, comme il est précisé dans la lettre de Dionysios de Nikonion (21), ou le transport de marchandises, comme dans la lettre d’Achillodôros de Berezan’ (25), où ce dernier s’inquiète du sort de sa cargaison (cf. le terme technique φόρτος, dans la lettre 24, du même site). Les métiers liés à la navigation apparaissent dans plusieurs de nos documents : le capitaine de bateau, dans la lettre d’Achillodôros (25), les nauclères dans la lettre sur tesson d’Olbia (34), le kybernètès dans la lettre sur plomb 321 322 323
Concernant les ateliers familiaux à Athènes, voir Harris 2001. Sur les échanges monétarisés au nord de la mer Noire, voir Müller 2010, p. 216–217. Pour les statères à cette époque, voir le comm. à la lettre d’Apatorios à Léanax (26).
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II. Circulations, échanges et réseaux commerciaux
de Myrmékion (46) et dans le possible message sur tablette d’argile d’Emporion (*70). Des activités en rapport avec la navigation sont mentionnées dans les lettres de Toronè (14, transport du bois) et de Nikonion (21, un monoxyle), dans la lettre de Massalia (59), où il est question de lever l’ancre, ainsi que dans la lettre d’Emporion mentionnant Basped[–] (67), où l’expéditeur donne des ordres pour une action de remorquage. On remarque également une importante activité d’importation et d’exportation, exprimée par des verbes caractéristiques tels κομίζω (45), παρακομίζω (67), ἀποστέλλω, avec le sens « expédier » (14, 45 et 65).
5. Conclusion Cette analyse s’est proposée de prêter attention aux thématiques à la mode susceptibles de biaiser l’analyse. Ainsi, il convient d’envisager avec davantage de prudence la question des risques324, en revenant sur les distances que les lettres parcourraient, même si, il faut le concéder, tout déplacement et toute activité commerciale dans des territoires situés en dehors des chôrai civiques supposaient un certain degré de risque. La géographie des échanges doit être limitée aux lieux évoqués dans les lettres, aux endroits d’où les lettres ont été envoyées (si précisés dans les lettres elles-mêmes) et à ceux où elles ont été trouvées. Il convient également d’éviter d’assigner aux différentes places de commerce un statut qu’elles n’ont peut-être jamais eu, tout comme il faut abandonner la distinction artificielle et surtout difficile à prouver par les sources anciennes, dont les lettres, entre acteurs et types de commerce. Concernant la question des réseaux, les lettres ne fournissent pas assez d’éléments permettant d’appliquer des théories véritablement élaborées ou d’établir des graphes, car elles restent trop éparpillées dans le temps. En l’absence d’éléments de datation précis, il convient ainsi d’éviter le piège de l’écrasement chronologique. En revanche, pour ce qui est du maillage du territoire, on peut parler de relais et de systèmes d’échanges qui s’inscrivent dans des structures de commerce bien établies, afin d’assurer le trafic des marchandises elles-mêmes connues par d’autres sources. Quant aux transferts culturels, si l’on peut parler de milieux socialement homogènes, il est difficile de s’avancer sur le terrain de l’ethnicité. Seule l’onomastique semble indiquer une origine « barbare » pour certains de nos protagonistes, tels Matasys, l’oppresseur d’Achillodôros de Berezan’, qui porte un nom scythe (25), de même que Marakatès à Nikonion (21), Kophanas dans le territoire d’Olbia du Pont (36) et Sapasis à Patrasys (48), ou les porteurs de noms ibériques impliqués dans les opérations d’Emporion (67, 68). Dans les deux régions, nous avons affaire à des trafics et à des réseaux commerciaux grecs, à l’exception des taxes qu’il fallait verser aux Scythes ou aux droits de passage évoqués à Ruscino (65). Dans l’opération commerciale évoquée dans le document de Pech Maho, par exemple, les témoins portent certes des noms non-grecs, en particulier ibériques, mais leur action relève des pratiques juridiques et commerciales grecques. Si l’on n’a aucune trace dans nos documents de réseaux de marchands indigènes qui auraient adopté et transformé des pratiques grecques – ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas en réalité – la participation des indigènes aux réseaux commerciaux grecs est indéniable, sans qu’on puisse établir une spécificité de leur rôle économique par rapport à celui des Grecs.
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Eidinow/Taylor 2010.
III. Statuts personnels et pratiques juridiques
« Pour passionnante que soit cette ‹histoire archéologique› du monde colonial, sa grande lacune est que nous n’y saisissons jamais les hommes qui maniaient les objets et peuplaient les ruines sur lesquelles on raisonne. Or, voici qu’un document exceptionnel en fait surgir un groupe à nos yeux, à l’autre bout du monde grec, sous la forme d’une lettre (fin VIe ? – début Ve siècle ?) gravée sur une lamelle de plomb, trouvée à Berezan’, en face d’Olbia Pontique, et qui nous conte les mésaventures (assez mystérieuses) d’un certain Achillodôros, victime d’une saisie et appelant au secours » (Will 1977, p. 415).
1. Introduction Ce chapitre propose une réflexion sur le statut social, professionnel et juridique des personnes mentionnées dans la correspondance grecque sur plomb et sur tesson. Il s’agit de grands et de petits marchands, maîtres et esclaves, patrons et employés, Grecs et non-Grecs. Ils vivent soit au cœur des cités, soit dans le territoire, voyagent souvent ou résident temporairement dans les points d’échange de l’hinterland, dans des communautés civiques ou indigènes. Dans une première partie, je souhaite m’interroger sur les divers liens, qu’il s’agisse de relations familiales, amicales ou professionnelles, qui unissaient ces personnages. Bien que lacunaire, la documentation nous laisse entrevoir certaines hiérarchies, du moins dans le cas des acteurs économiques à l’œuvre sur le territoire ou dans les cités. Ce deuxième point fera une part de choix à la question des « agents », vivement débattue récemment et remise en question pour l’époque antique. En dernier lieu, mon attention portera sur les conventions et les lois qui pouvaient les protéger ou non, à l’intérieur et à l’extérieur du territoire civique. La position « périphérique » des réseaux constitués par les biens et les commerçants du Pont-Euxin ou du Golfe du Lion ne signifie pas que l’on se trouve dans un no man’s land juridique, qui contrasterait avec la situation mieux connue et mieux étudiée des cités égéennes.
2. Familles, amis ou adversaires Aborder la question des statuts pousse à s’interroger d’abord sur la place qu’occupe chaque acteur de la correspondance dans le cadre de l’échange épistolaire325. Autrement dit, peut-on déduire une certaine familiarité, hiérarchie ou relation de partenariat dans la manière de s’adresser ou dans la façon de poser une question ? La tonalité de la lettre ‒ question, ordre, sollicitation, voire demande urgente ‒ est-elle un indice fiable de statuts sociaux et professionnels différenciés ? Si le but principal de la lettre était de transmettre l’information, de donner des instructions ou demander un service, la forme particulière du document épistolaire, avec une adresse à l’extérieur, des formules de politesse au début du texte et des vœux de bonne santé à la fin, rappelle qu’une lettre est également censée maintenir le lien familial et amical. Cicéron écrit ainsi à Curion : « Il y a, tu ne l’ignores pas, plus d’un genre de lettre ; mais entre tous le plus authentique, c’est celui auquel on doit l’invention même des lettres, celui qui est né du désir d’informer des absents, quand il était intéressant pour eux ou pour nous qu’ils fussent instruits de quelque chose »326. Comme il ressort de la lettre attique de Mnèsiergos (6), l’endroit où la lettre devait être 325 Dans la plupart du corpus, il s’agit soit de questions familiales et amicales (7, *10, *11, *71, 72), soit de transactions commerciales réalisées ou à venir, qui sont fortement majoritaires (4, 5, 8, 12, 13, 15, 16, 23, 24, 26, 28, 34, 35, 38, 39, *40, 41, 44, 45, 46, 48, 49, 50, 51, 52, 58, 59, 60, 61, 63, 65, 66, 67, 68). 326 Cicéron, Ad fam. 2.4.1.
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III. Statuts personnels et pratiques juridiques
portée pouvait constituer une référence supplémentaire au(x) nom(s) du/des destinataire(s). En effet, si des lettres pouvaient être envoyées en situation de détresse327, la plupart servaient aussi à la communication banale, même si elles avaient un but précis. On s’enquiert de la santé des proches et on donne des nouvelles, suivant les codes épistolaires, même s’il y a des affaires plus urgentes à traiter. Ainsi, dans la lettre sur tesson de Nikonion (21), on trouve la formule : « Dionysios aux gens de la maison, salut ! Jusque-là, le fils se porte également bien » (Διονύσιος τοῖς ἐν οἴκω[ι] χαίρειν. Ἕως τούτου ἔρρωται καὶ | ὁ ὑός) ; dans celle de Chaïdari (6), « Mnèsiergos a envoyé par lettre aux gens de la maison salut et voeux de bonne santé. Il leur disait qu’il en est de même pour lui » (Μνησίεργος | ἐπέστλε τοῖς οἴκοι | χαίρν καὶ ὑγιαίνν·| καὶ αὐτὸς οὕτως ἔφασ[κ]ε [ἔχν]) ; la lettre de Massalia (59) présente non seulement un prescrit très développé, mais aussi le salut final : « Mégistès à Leukôn, salut ! Si tu es en bonne santé, c’est bien ; nous sommes en bonne santé, nous aussi (…). Sois heureux » [Μεγιστῆς Λεύκωνι χαίρειν. Εἰ ὑγιαίνεις, καλῶς ποεῖς·| ὑγιαίνομεν δὲ καὶ ἡμεῖς (…) Εὐτύχει]. Pour la plupart des lettres, il est question d’échange de renseignements ou de requêtes banales. C’est le cas de la majorité des billets sur tesson et de plusieurs lettres sur plomb. On s’adresse à une personne en l’appelant par son nom (en général, sans patronyme), soit à l’infinitif, soit en écrivant à la IIIe pers. : le destinataire du billet sur tesson retrouvé dans la « maison de Thamneus » est prié de poser une scie sous le seuil de la porte (1) et un esclave anonyme d’apporter des fournitures (2), alors qu’Eumèlis se voit invitée en urgence à se présenter auprès d’Arkésimos (3). Quant à Sôsinéôs, il accompagne son colis d’un billet précisant tout simplement qui sont l’expéditeur et le destinataire du paquet (4). On écrit à une personne en particulier, mais l’on s’adresse dans la même mesure à la famille et aux proches, d’où la formule « à ceux de la maison » (τοῖς οἴκοι/τοῖς ἐν οἴκωι) dans les lettres de Mnèsiergos (6), de Dionysios de Nikonion (21) et d’Artikôn d’Olbia du Pont (30). On écrit donc à un petit groupe : à ce titre, la lettre n’est pas un objet personnel, destiné à être lu seulement par le destinataire328. La famille est l’un des destinataires privilégiés aussi bien parce que la communication concerne le bien commun et parce que les associés d’affaires les plus proches sont les fils, les frères et les épouses. Ainsi, dans la lettre opisthographe de l’agora olbienne (27), sur la face B il est question d’un fils, peut-être celui de l’expéditeur ; Achillodôros, dont les biens avaient été saisis par Matasys qui voulait en plus le réduire en esclavage (25), écrit à son fils Prôtagorès afin que celui porte l’affaire à la connaissance d’Anaxagorès ; quand Dionysios de Nikonion (21) écrit « à la maison », il donne des nouvelles de bonne santé pour lui et pour son fils ; Mnèsiergos recommande, dans l’adresse de la lettre qu’il envoie à la maison, que celle-ci soit remise « à Nausias, à Thrasyklès ou au fils » (6). Le « fils » pouvait être, le plus probablement, le fils de Thrasyklès, qui est cité avant lui, mais on devrait aussi envisager la possibilité qu’il s’agisse du propre fils de Mnèsiergos. Si l’on croit en cette dernière éventualité, le fils devait travailler avec les associés en affaires de Mnèsiergos, à qui il semble logique qu’il confie la mission de porter le contenu de la lettre à la connaissance de sa famille, « ceux de la maison », d’autant plus s’il s’agit de son propre fils. Ces trois personnes semblent assez proches de Mnèsiergos, voire intimes, pour qu’il leur fasse entièrement confiance : il se peut qu’ils soient précisément « ceux de la maison », soit les parents de Mnèsiergos. Ils devaient appartenir au même milieu social, somme toute assez modeste, celui des artisans et des boutiquiers athéniens. Le ton de la lettre reste poli et n’implique pas d’obligation pour ces trois personnes d’obéir à la demande de Mnèsiergos. C’est aux proches toujours qu’on s’adressait quand on demandait de l’aide : le jeune Lèsis, maltraité par son maître dans la fonderie, écrit à un certain Xénoklès et à sa mère pour le sortir de là et lui trouver une place meilleure (7). Xénoklès n’est pas le père de Lèsis, sinon il l’aurait appelé comme tel329 et n’aurait pas besoin d’écrire à sa mère, vraisemblablement veuve. Cette dernière semble être la plus proche parente du jeune garçon, auprès de laquelle il cherche un appui alors qu’il est lié par contrat à ses employeurs. Achillodôros, comme on l’a vu, écrit à son fils Prôtagorès, qui devait être adulte car chargé de s’occuper de sa mère et de ses (petits) frères (25). Ce n’est pourtant pas du fils que devait venir la solution à ces problèmes, mais bien d’Anaxagorès, le fils n’étant que l’intermédiaire vers ce dernier.
327 328 329
Eidinow/Taylor 2010, en partic. p. 36, 39–40, 46. Eidinow/Taylor 2010, p. 34 ; Decourt 2014, p. 35. Jordan 2000, p. 97 ; Harris 2006, p. 276 ; Harvey 2007, p. 50.
3. « Chargés d’ affaires » ou « business agents »
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En général, les relations sont cordiales, le ton est aimable. Dans la lettre de Chaïdari, Mnèsiergos respecte les règles de la politesse, qui sont en accord avec les pratiques épistolaires : « si vous voulez » (εἴ τι βλεστε). Une impression de relation horizontale se dégage de la lettre de Toronè (14) : il y a urgence, mais l’expéditeur se trouve en position de demandeur vis-à-vis de quelqu’un qui est probablement un partenaire d’affaires : « si tu fais ça je le prends comme une faveur (l. 5, καὶ ταῦτα ποιῶν χαρι[εῖ ἡμῖν?]) » ; dans la même lettre, l’expéditeur utilise une autre phrase de courtoisie, εἰ ἐν δυνατῶι ἐστιν (l. 3, « si cela est dans ton pouvoir »). Les formules épistolaires aidant, on assiste à un échange de politesses entre Mégistès, vraisemblablement l’armateur, et Leukôn, le capitaine de bateau, dans la lettre de Massalia (59). Mégistès présente la situation et explique ce qu’il doit faire. Le troisième personnage, dont Mégistès transmet la requête, Oulis, semble être un marchand, partenaire d’affaires de Mégistès. Oulis pourrait souhaiter récupérer la marchandise avant qu’elle ne soit bloquée pour des longs mois ou exposée aux dangers de l’hiver. Il semble dans tous les cas avoir un certain poids, car il sollicite Mégistès et donne des instructions (καὶ αὐτὸς ἔφη). Cependant, le ton peut aussi se faire impératif, indiquant un ordre transmis à un domestique ou à un intendant des biens, comme par exemple, dans la lettre sur tesson de Kophanas de Kozyrka 2, où un cheval est demandé dans la ville (36). Dans les lettres d’Apatorios à Néomènios de Kerkinitis (38), de Pistos à Arestônymos de Patrasys (48) et de Klédikos à Aristokratès d’Hermonassa (52), il semble évident qu’un patron s’adresse à son employé, ou du moins à un partenaire qui se trouve hiérarchiquement en dessous. La volonté que certains ordres soient accomplis ressort des deux lettres où le verbe θέλω est employé, la lettre de Berezan’ mentionnant Mélas (23) et le billet trouvé à Phanagoria qui accompagnait l’esclave Phaullès (49). La présence du verbe κελεύω implique aussi une hiérarchie (certes relative) entre l’expéditeur, qui ordonne l’exécution de certaines opérations, et le destinataire qui doit les accomplir : ainsi, le verbe est utilisé une fois dans la lettre d’Agathè (63), mais deux fois dans les lettres de Thasos (15) et d’Emporion concernant Basped[–] (67), et quatre fois dans la lettre de Ruscino (65)330. La tonalité extrême qu’on peut remarquer dans deux documents sur plomb, la lettre de Pasiôn (*8) et la lettre adressée à Prôtagorès au Mont Živahov (22), rend compte de la menace exprimée envers les adversaires, qui appartiennent toutefois au même milieu social. Dans la lettre de Pasiôn ‒ s’il s’agit véritablement d’une lettre et qu’il est question du célèbre banquier ‒ ses adversaires ont été identifiés comme étant des personnages avec lesquels son fils Apollodôros a eu affaire. Nikostratos et ses frères Deinôn et Aréthousios sont des hommes d’affaires athéniens, initialement amis et partenaires d’affaires d’Apollodôros, dont ils étaient les voisins à la campagne, devenus par la suite ses pires ennemis331. Dans ce cas, ce n’est pas la lettre qui est envoyée à un opposant – Pasiôn devait écrire à un proche ou à quelqu’un de son « bureau » – mais le contenu qui fait allusion à un conflit. En revanche, la lettre envoyée à Prôtagorès dans le territoire olbien est un message de menace directe à l’adresse du destinataire332.
3. « Chargés d’ affaires » ou « business agents » 3. « Chargés d,affaires » ou « business agents » 3. « Chargés d’ affaires » ou « business agents » Certains destinataires, bien qu’appartenant sans aucun doute au cercle des proches de l’expéditeur, semblent remplir une fonction plus précise, ou en tout cas plus spécialisée, dans le cadre de ces transactions commerciales. Qui sont-ils, quel rôle jouent-ils dans le bon déroulement des affaires ? C’est ce statut que je me propose de démêler dans la troisième partie de ce chapitre. Il est évident que, si des lettres étaient envoyées en situation de détresse, elles devaient constituer par ailleurs la base de la communication entre ceux qui sillonnaient le territoire et ceux qui coordonnaient les opérations dans les nœuds de commerce. Pour ces acteurs du commerce, nous devons revoir systématiquement leur rôle, qu’ils soient propriétaires des divers biens, employés ou esclaves, ou bien propriétaires des navires utilisés pour le transport de marchandises. Nous devons notamment reconsidérer le débat concernant les « agents », quand 330 331 332
Sur ce « verbe épistolaire », voir supra (p. 348–350). Ps.-Démosthène, Contre Nikostratos (Or. 53), écrit en 365 afin d’être prononcé par Apollodôros. Pour un avis différent, voir Bravo 2013, p. 68–73 (interprétation comme katadesmos).
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III. Statuts personnels et pratiques juridiques
bien même il est difficile de leur appliquer cette dénomination, qui ne permet pas d’identifier avec précision leur fonction : étaient-ils chargés de la livraison des marchandises, de la vente ou de la récupération en cas de confiscation ? Selon E. M. Harris333, qui s’inscrit en faux contre J.-P. Wilson et B. Bravo, le concept de trading agents ne peut pas être appliqué à l’Antiquité. Pour le monde romain, le fait que beaucoup de fonctions exercées par les agents d’affaires dans les économies modernes pouvaient être menées par d’autres moyens enlève dans une certaine mesure la nécessité de la notion juridique d’agent : les maîtres pouvaient mener des affaires à longue distance et obtenir des profits par l’intermédiaire de leurs esclaves ou de leurs enfants sans être obligés de s’impliquer directement334. La situation est plus complexe pour le monde grec. Du point de vue d’E. M. Harris, l’agency, telle que celle définie par E. E. Cohen335, n’est pas envisageable. Pour Cohen, il s’agit d’un mécanisme légal dans la loi athénienne, capable de donner un effet légal à une action accomplie par le biais de représentants. Selon Harris, pour que la fonction d’agent existe, il faut que la personne qui assure le lien soit clairement investie de pouvoirs légaux pour le faire. Pour lui, puisque la loi athénienne permettait à un esclave de conclure des contrats dans l’intérêt de son maître, ce cas de figure suffisait pour que l’on puisse se passer d’agents336. Qui plus est, soutient Harris, « even though Cohen believes that ‹the legal acceptability of acting trough agents facilitated the operation of trapezai by non-Athenians›, he does not identify the specific Greek word that is the precise equivalent of the modern term ‹business agents› ». Cependant, ce n’est pas parce que nous ne disposons pas d’un terme spécifique en grec que l’action n’était pas accomplie ou la fonction n’était pas remplie. Le véritable problème est le fait que la définition de Cohen est trop large, celle de Harris trop étroite : Cohen concède une personnalité juridique à quelqu’un qui pouvait intervenir dans les litiges, non pas comme partie légale, mais comme associé ou ami de l’une des parties impliquées ; Harris nie la fonction d’agent à celui qui exerce une fonction légale dans des conditions différentes des tribunaux athéniens. Pour Harris, l’une des raisons principales pour lesquelles les agents n’étaient pas nécessaires est le faible niveau de développement économique, qui n’exige pas de telles pratiques. Selon lui, les agents deviennent nécessaires seulement quand le niveau de concentration industrielle est assez avancé, comme on le voit dans l’économie moderne, à travers la coopération des centaines, voire des milliers de travailleurs, dans le cadre des entreprises qui les emploient. Harris soutient ainsi que l’agency nécessitait un tel niveau de développement de la production et de sophistication que les sociétés antiques n’avaient pas. Bien qu’il y ait des attestations considérables de spécialisation horizontale dans l’économie de certaines cités grecques, continue Harris, il y avait peu de spécialisation verticale. Pour la plupart, la production était réalisée par la famille ou les personnes qui travaillaient avec quelques associés ou par le travail servile : « this type of economy did not require numerous business agents. The arrangements found in the passages examined in this section (partnership, joint-ownership, lease/hire) and other informal relationships were sufficient to enable individuals to carry on trade »337. Le problème intervient quand on est en dehors de ces cas de figures, où le statut et les rapports entre les différents individus intervenant dans le schéma de production et de distribution ne sont pas explicites. Il convient donc de se demander dans quelle catégorie il faut ranger des individus comme Achillôdoros et Apatorios, qui ne semblent être ni parents d’Anaxagorès ou de Léanax respectivement (ou du moins cette parenté n’est nulle part mentionnée), ni leurs associés directs, ni leurs esclaves ‒ étant donné qu’Achillodôros s’insurge même violemment contre la tentative de Matasys de le réduire en esclavage. Ils se trouvent pourtant en possession des biens qui leur étaient confiés et dont ils ne sont certainement pas les propriétaires, du moins si l’on se fie à leurs déclarations fermes. S’il est vrai qu’un petit groupe pouvait souvent suffire à distribuer la production, la perspective restrictive de Harris rend compte d’un débat entre primitivistes et modernistes qu’il convient Harris 2013. Harris 2013, p. 106. 335 Cohen 1992, p. 98–101. Il est critiqué par Harris 2013 parce qu’il ne fournit pas de preuve du fait que les Athéniens auraient formulé une régulation légale concernant l’agency, ni que la loi athénienne aurait reconnu les accords contractés entre agents et les tiers-parts comme obligatoires pour les patrons. Dans les dix exemples de Cohen, remarque Harris, aucun de ces individus, agents et patrons, ne sont liés par la relation légale entre agent et patron. Bien que tous ces hommes coopèrent d’une manière ou d’une autre, en aucun cas, selon Harris, il n’existe de droits et de devoirs pour l’agent en l’absence du patron. 336 Harris 2013, p. 112. 337 Harris 2013, p. 112. 333 334
3. « Chargés d’ affaires » ou « business agents »
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aujourd’hui de dépasser. Il s’agit avant tout d’échelle et de terminologie : l’économie antique avait besoin de la catégorie de l’agent, quitte à ce qu’on l’appelle autrement et toutes proportions gardées. Les « agents » de l’Antiquité ne sont bien entendu pas les salesmen de nos jours. Le terme d’« agent » recouvre une catégorie moins bien définie, à laquelle pouvaient appartenir aussi bien des membres de la famille ou des proches que des esclaves, sans que l’on connaisse les conditions légales du contrat – pour autant qu’il en existât un – qui les liaient à ceux qui leur envoyaient des instructions. Si l’on exclut la documentation papyrologique, on ne possède pas de contrats de travail entre particuliers pour le monde grec338 : cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas d’employés. Le nier serait faire preuve d’anachronisme. Quand une action ne pouvait pas être accomplie par son initiateur ou bénéficiaire direct, ce dernier pouvait désigner (comment ? la question posée par Harris est légitime) quelqu’un pour le remplacer dans l’acquisition et la distribution des marchandises, sur le territoire, par exemple, alors que l’entreprise était basée dans une cité ; sinon, comment appeler les individus qui se trouvaient de manière évidente en dehors de la cité en possession de biens qui ne leur appartenaient pas ? Quoi qu’il en soit, on peut s’accorder sur le fait que, si une personne ne pouvait pas être présente, elle confiait la tâche à quelqu’un d’autre. Deux lettres sur plomb en particulier, celles d’Achillodôros à son fils Prôtagorès (25) et celle d’Apatorios à Léanax (26), laissent entrevoir la présence sur le territoire d’Olbia du Pont – par ailleurs considérable339 – de « chargés d’affaires » qui, sans être les business agents mentionnés par Harris, mènent une activité commerciale sur ce territoire qui, pour diverses raisons, n’était pas déployée par le propriétaire des biens qu’ils transportaient. Je ne chercherai pas à leur donner un nom, pour autant que celui-ci ne soit pas signalé dans ces documents, et me contenterai de réfléchir à leurs fonction et statut. Les registres (διφθέρια) mentionnés dans la lettre d’Apatorios à Léanax pouvaient attester non seulement le fait que Léanax était le propriétaire des biens, mais aussi de la nature des relations entre ce dernier et Apatorios : il est évident que si Apatorios se trouvait en possession des biens de Léanax, il avait des instructions précises de la part de celui-ci ainsi que l’accord de ce dernier pour prendre des décisions et pour faire la distribution en son nom. Dans la « lettre de Berezan’ » (25), on voit qu’Anaxagorès était concerné par les actes d’Achillodôros. Selon Harris, étant donné qu’Achillodôros est envoyé ailleurs pour vendre la marchandise d’Anaxagorês, il agit de la même manière que les esclaves athéniens340. Son argument est que Matasys, au courant de cette pratique consistant à employer des esclaves, l’avait saisi en toute connaissance de cause, ce qui revient à dire que seuls les esclaves faisaient des transactions au nom de leurs maîtres. Or, Achillodôros affirme et crie (je reviendrai sur ce procédé) qu’il n’est pas l’esclave d’Anaxagorès et par ailleurs, qu’il n’est esclave de personne (φησιν ναι ἐλεόθερος, « ton père dit qu’il est un homme libre »). Finalement, l’interprétation dépend de qui l’on croit dans l’affaire, et j’essaierai de montrer plus loin qu’on peut raisonnablement faire confiance à l’expéditeur de la lettre. Par conséquent, si l’on admet qu’Achillodôros n’est pas l’esclave d’Anaxagorès, il ne peut être que son employé, raison pour laquelle il s’adresse à lui. La raison même pour laquelle Matasys s’était emparé de la personne d’Achillodôros était qu’il savait qu’Achillodôros travaillait pour Anaxagorès et transportait les biens de ce dernier. Si, en plus de la saisie des biens ‒ peutêtre justifiée car Achillodôros ne les réclame pas au nom de son patron –, Matasys peut recouvrer davantage ses pertes en opérant aussi une saisie sur la personne d’Achillôdoros, il n’hésite pas à déclarer ce dernier son esclave. La manœuvre pouvait s’avérer d’autant plus crédible devant un tribunal si beaucoup d’agents employés pour transporter les marchandises et garantir les transactions étaient des esclaves. On verra plus loin les procédures juridiques qui permettaient à Matasys d’affirmer son droit de propriété sur les biens d’Anaxagorès. Concernant l’affaire d’Apatorios (26), si l’on croit l’expéditeur de la lettre, il était en possession des biens qui appartenaient à Léanax : « Je me suis fait saisir les biens par Hèrakleidès, fils d’Eothèris. Il est en ton pouvoir que je ne perde pas les biens. Car j’ai dit que les biens sont à toi et Ménôn a dit que tu lui as confié un message ainsi que les autres choses que tu lui as confiées ; et il a rajouté que les biens qui sont dans ma possession sont les tiens. Si tu fais parvenir les registres à Hèrakleidès et à Thathaiè, tes propres biens [seront recouvrés ? ---].
338 On connaît en revanche celui passé entre un scribe et une cité de Crète ; voir van Effenterre 1973 (van Effenterre – Ruzé, Nomima, I, n° 22). 339 Voir la monographie de Wąsowicz 1975 ; Bujskich 2006c. 340 Pour des esclaves opérant des activités économiques, voir Cohen 2017.
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III. Statuts personnels et pratiques juridiques
Car ces gens-là affirment qu’ils rendront ce qui est à toi, qui est en leur possession, (à savoir) les biens saisis, en tout vingt-sept statères ». Ces biens avaient été saisis par Hèrakleidès, sans doute en raison des différends avec des gens de l’entourage d’Apatorios, dont Ménôn, mentionné comme témoin. Quelle relation existe alors entre Léanax, Apatorios et Ménôn ? Selon J.-P. Wilson, Apatorios pourrait être un agent d’affaires, responsable de la vente et de l’achat des biens de Léanax, ce qui expliquerait pourquoi il est en possession des biens dont il admet lui-même qu’ils appartiennent à Léanax. Or, pour Harris, comme il n’est nulle part indiqué qu’Apatorios aurait le pouvoir d’entrer dans une relation légale avec une tierce partie, ce qui crée des droits et des obligations pour Léanax, Apatorios ne peut être l’agent de Léanax. La seule chose indiquée dans la lettre est qu’Apatorios transportait des biens qui appartenaient à Léanax. Pourtant, le fait que la lettre, qui porte le message d’Apatorios à Léanax, ne mentionne pas expressis verbis le pouvoir donné par Léanax, ne veut pas dire que ce pouvoir n’existait pas : l’argument ex silentio ne saurait être décisif. Le fait qu’Apatorios sollicite les registres commerciaux (diphtheria) attestant la propriété des biens montre en soi qu’il le fait dans le cadre d’un contrat qui l’unissait à son patron mais sans que le contrat ait besoin d’être mentionné : eux-mêmes le savaient entre eux, pour paraphraser Achillodôros (25, ll. 9–10 : δέ τι αὐτῶι τε κἀναξαγόρῃ, αὐτοὶ | οἴδασι κατά σφας αὐτς). Selon moi, Ménôn, en sa qualité de témoin venu renforcer les affirmations d’Apatorios, était vraisemblablement un autre employé de Léanax ou bien un partenaire d’affaires de ce dernier. Cette hypothèse n’est pas admise par Harris, qui propose un scénario pour le moins surprenant, sur la base d’un parallèle qui n’est pas exempt d’erreurs et d’inexactitudes, le Ps.-Démosthène, Contre Timothéos (Or. 49) 60–61. Philôndas est un métèque mégarien qui se charge d’un transport de bois pour le compte de Timothéos, depuis la Macédoine à Athènes, pour le fret duquel il prend de l’argent à la banque de Pasiôn. Tout comme Philôndas avait placé le bois sur le bateau d’un armateur, Ménôn aurait pu placer les biens qui lui avaient été confiés par Léanax sur le bateau d’Apatorios. Quand le bateau d’Apatorios était en mer avec Ménôn à son bord, ou bien après son arrivée dans un port, la cargaison aurait été saisie par Hèrakleidès ; à ce moment, Ménôn aurait déclaré que les biens ne lui appartenaient pas et donc ne pouvaient être saisis. C’est pour cette raison qu’Apatorios aurait écrit à Léanax, pour que ce dernier envoie la preuve que les biens étaient à lui. Je me demande dans ce cas pourquoi Apatorios se ferait-t-il porte-parole de Ménôn. Pour Harris, ce scénario permet d’expliquer pourquoi les biens se trouvaient en possession d’Apatorios même si ceux-ci ne lui avaient pas été confiés directement par Léanax ; par conséquent, Ménôn est pour Harris le personnage pivot qui fait le lien entre Apatorios le transporteur et Léanax le propriétaire, et qui confie au premier les biens du second. Harris estime, de surcroît, que Léanax n’avait pas besoin de faire transporter ses biens loin pour le commerce, car il aurait pu les envoyer à un ami ou parent : Ménôn serait dans ce cas le dépositaire des biens, censé les porter à cet ami ou parent sans aucune contrepartie. Or, si Apatorios est seulement le transporteur, il fallait bien que quelqu’un ait la responsabilité légale des fameux biens, valant 27 statères (sans doute des Cyzicènes), qui faisaient l’objet de la saisie. On ne peut donc pas sortir de la question de l’agency : le lien juridique qui faisait que la marchandise était confiée par un propriétaire à un transporteur ou à un distributeur, avec le pouvoir d’acheter ou vendre en son nom, existait bel et bien. Même en admettant que Léanax avait confié ses biens à Ménôn afin que celui-ci les fasse transporter sur un navire chez quelqu’un d’autre, ami de Léanax, il ressort que Ménôn en était responsable pendant le transport. Par conséquent, ce scénario, qui non seulement complique inutilement les choses mais n’explique pas pourquoi c’est Apatorios qui écrit à Léanax, n’emporte pas la conviction. « The letter does not serve to create a legal relationship between the sender and the addressee, but only to convey information about goods owned by the addressee »341. En réalité, si la lettre ne crée pas la relation légale, il est évident qu’elle l’illustre, non pas entre Ménôn et Léanax, mais bien entre Apatorios et Léanax. En dépit de la complexité des documents, les acteurs évoluent sous nos yeux de façon assez logique. B. Bravo, quant à lui, accepte une relation collégiale entre Apatorios et Ménôn, mais estime qu’Apatorios ne dit pas la vérité et demande à Léanax de mentir à son tour pour qu’il puisse recouvrer ses biens342. Selon le scé341 342
Harris 2013, p. 118. Bravo 2011a, p. 81–84.
3. « Chargés d’ affaires » ou « business agents »
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nario proposé par Bravo, Apatorios, probablement un citoyen d’Olbia du Pont, voyageait pour faire du commerce. Il avait une dette, qu’il n’avait pas réussi à payer, envers Hèrakleidès, citoyen d’une autre cité. Arrivé dans l’emporion de la cité à laquelle appartenait Hèrakleidès ou dans un autre type de lieu d’échange, où Hèrakleidès résidait, il y est soumis par son créancier à une action de « justice privée », exprimée par sylan : Hèrakleidès a saisi la marchandise qui appartenait au débiteur insolvable, Apatorios, pour une valeur de 27 statères. Il l’a fait probablement en présence de témoins et d’un représentant des autorités, responsable du marché. La marchandise avait dû passer dans la propriété d’Hèrakleidès, mais Apatorios espérait la récupérer. Toujours selon Bravo, pour s’opposer à l’action de son créancier, Apatorios avait déclaré ‒ en mentant ‒ que la marchandise appartenait à Léanax et qu’il ne faisait que voyager avec ces biens pour le compte de Léanax. Ménôn, qui se trouvait dans les parages et qui était connu par Léanax, avait voulu aider Apatorios et avait déclaré ‒ en mentant à son tour ‒ que Léanax lui avait écrit pour l’informer qu’il avait confié ses biens à Apatorios pour les transporter et les vendre. Ménôn était un proxène d’Olbia dans la cité où se passaient les faits, ou un Olbiopolite qui résidait dans un emporion (la seconde variante me semble plus prudente, à condition que l’on ne s’avance pas sur le statut de l’endroit où résidait Ménôn). Apatorios fait appel à lui et en plus écrit à Léanax pour lui demander d’envoyer une lettre (c’est la traduction que Bravo donne au mot diphtheria, différente de la mienne qui est celle de « registres ») à Hèrakleidès et à Thathaiè, que je considère comme étant sa femme : une fois la lettre envoyée par Léanax, Hèrakleidès s’engage à restituer les biens saisis. La preuve pour Bravo qu’Apatorios mentait est fournie par la précision que ce dernier donne sur la valeur des biens. Pour Bravo, si Léanax ne connaissait pas le montant de la somme saisie, il ne pouvait pas en être le propriétaire. Il existe néanmoins d’autres explications pour le fait qu’Apatorios communique le montant. Il se peut que ce dernier ait déjà vendu une partie de la marchandise, d’un montant supérieur à celui précisé dans la lettre, et que les biens saisis aient été en réalité destinés à la dernière étape de l’écroulement de la marchandise. Dans ces conditions, il se devait de préciser la valeur des biens perdus, car en tant que chargé d’affaires de son patron, il lui fallait rendre compte de ses actions. Ou bien il n’avait encore rien vendu, mais, pour des raisons de comptabilité, il était obligé d’indiquer à son patron le montant saisi. Par la suite, Bravo se contredit lui-même quand il affirme que « la menzogna a cui Apatourios è ricorso per difendersi dal sequestro delle sue merci, è per noi storici una testimonianza da cui risulta che negli insediamenti greci del Mar Nero settentrionale, all’inizio del V secolo, era normale che un uomo ricco, membro dell’élite della sua πόλις, affidasse a un uomo libero, meno ricco, il compito di commerciare per lui »343. Si Apatorios était le véritable propriétaire des biens saisis, comme Bravo l’affirme plus haut, et qu’à ce titre, il demandait à Léanax de mentir, comment serait-il alors l’agent de ce dernier ? Pour aller plus loin : si les biens n’appartenaient pas à Léanax et que, par conséquent, Apatorios n’était pas son agent, alors pourquoi ce dernier fait-il appel à Léanax ? Dans tous les cas il faut trancher : soit Apatorios est bel et bien l’agent de Léanax, auquel titre il transporte des marchandises appartenant à son patron et par conséquent il dit la vérité ; soit il n’est pas l’agent de Léanax, il transporte ses propres biens et la raison pour laquelle il fait appel à Léanax est qu’ils se trouvaient tous les deux en affaires. La théorie du mensonge et celle de l’agent ne sont pas compatibles. Le maillon faible de la démonstration de Bravo est son interprétation du mot diphtheria comme « lettre » – collection de petits feuillets – et non pas comme « registres ». Si Apatorios demande à ce que Léanax envoie une lettre, cela suggère qu’il exige de Léanax soit une contre-vérité de la part d’un partenaire, soit un témoignage de son patron disant que les biens lui appartenaient et qu’Apatorios n’était que son chargé d’affaires. En revanche, si l’on voit dans cet assemblage de petits feuillets non pas une lettre (un seul feuillet aurait suffi), mais bien des registres attestant la possession des marchandises, il n’y a plus de doute : Léanax prouvait ainsi qu’il était le véritable propriétaire, et dans ce cas Apatorios était bien l’honnête agent de Léanax et non pas le débiteur véreux qui essaie d’échapper au paiement de sa dette.
343
Bravo 2011a, p. 83.
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III. Statuts personnels et pratiques juridiques
4. Le sylan revisité Le second aspect en rapport avec le statut juridique qui mérite d’être revisité, est la question de la saisie (συλᾶν), plus de trente ans après le travail érudit de B. Bravo344. Nous devons ainsi examiner les mesures à prendre en cas de conflit, après avoir identifié les témoins, les arguments et finalement les conditions juridiques nécessaires pour résoudre ce type de conflit. Comme le fait remarquer E. M. Harris, bien que l’économie antique ne soit pas aussi spécialisée que l’économie moderne, les Grecs ont également créé des codes juridiques qui régissaient le commerce et permettaient aux marchands de résoudre les conflits liés aux relations d’affaires. À Athènes, notamment, il existe plusieurs types de contrats : vente (prasis, ônè), location ou bail (misthôsis), caution (parakatathèkè), partenariat (koinônia), prêt (daneion). Deux autres formes de contrat, accessoires, sont prévues par la loi athénienne : l’engagement réel (apotimèma) et l’engagement personnel (engyè). Cependant, les Athéniens n’ont pas développé les notions modernes de personnalité juridique, ni inventé les concepts de société privée et de la responsabilité des entreprises345. Selon R.-A. Santiago Álvarez et M. Gardeñes Santiago346, qui ne mettent pas en cause le degré de sophistication de l’économie athénienne, il s’agit d’une question de chronologie : le commerce à la fin de l’époque archaïque est basé sur des conventions privées entre les marchands, sur les pratiques quotidiennes et, étant donné l’absence d’une structure légale institutionnalisée pour ce que nous appelons aujourd’hui « commerce international », sur les ressources personnelles de ceux qui participent au commerce.
4.1. La saisie à caractère privé La procédure de sylan représente une modalité pour recouvrer ce à quoi on a droit sans recourir à un procès, en confisquant les propriétés de son adversaire347. Selon la communis opinio (R. Dareste, Ph. Gauthier348), si quelqu’un est redevable envers un citoyen d’une autre cité, ce dernier a le droit de saisir non seulement le débiteur mais n’importe quel autre compatriote du débiteur pour se dédommager de sa perte. Cet avis est combattu par B. Bravo, qui ne croit pas à la responsabilité collective349 : si quelqu’un a un grief contre un étranger, il ne peut pas aller dans la cité de celui-ci (sauf situation particulière), car chaque cité protège ses membres, citoyens ou métèques, contre les saisies de la part des étrangers sur son territoire. En revanche, il doit attendre que cet étranger ou son fils ou son/ses esclave(s) se rendent dans sa cité, le rencontrer en pleine mer ou dans une tierce cité afin de récupérer ses pertes en saisisant sa marchandise. Dans les deux cas, il s’agit de saisies à caractère privé (σῦλον κατ’ ἰδιώτου), justifiées donc par des griefs privés ; leur bien-fondé pouvait être contesté devant un tribunal350. Les arguments invoqués dans les lettres du corpus pour trancher au sujet du statut d’une personne sont clairement des arguments juridiques. Dans les deux lettres que nous avons examinées, les expéditeurs se sont vu appliquer le droit de sylan, Apatorios seulement pour ses biens (26 : « Je me suis fait saisir les biens par Hèrakleidès, fils d’Eothèris »), Achillodôros également pour sa personne (25 : « car celui-ci [Matasys] est en train d’en faire son esclave et l’a privé de sa cargaison »). Dans ce dernier cas, le sylan rend compte de la diffi-
344 Bravo 1980, avec la réponse de Gauthier 1982, et le c.r. de Brulé 1982. Pour l’acception de ce terme, voir aussi Gauthier 1972, p. 210–219 ; Lintott 2004 ; Santiago Álvarez 2010. Pour un regard de synthèse sur le droit grec, voir Gagarin 2005. 345 Harris 2013, p. 105. 346 Santiago Álvarez/Gardeñes Santiago 2006, p. 68–69. Voir aussi Gardeñes Santiago 2013. 347 Wilson 1997–1998, p. 38. 348 Dareste 1889 (= Dareste 1902, p. 38–47) ; Gauthier 1982 (= Gauthier 2011, p. 81–112). 349 Bravo 1980, p. 874–875. 350 Voir la situation de la cité de Chalcédoine qui avait besoin d’argent pour se débarrasser des mercenaires et permet aux citoyens de saisir des biens privés des personnes qui leur étaient redevables – ici, des navires qui entraient dans le Pont (Ps.-Aristote, Oec. 2, 1347 b 20–30) ; en cas de saisie injustifiée, il y avait un procès (diadikasia, cf. Thür 1982) et la cité restituait l’argent en puisant dans les revenus publics.
4. Le sylan revisité
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culté qu’il y a de prouver son statut, en raison des procédures juridiques complexes qui caractérisaient la cohabitation, dans le territoire, des différentes catégories d’agents économiques. Il s’agit notamment de la façon dont ces catégories distinctes créent un terrain d’entente ou non, en respectant le principe de saisie. La situation décrite par Achillodôros ne montre pas un vide de procédure, mais la difficulté de faire entrer sa situation particulière dans ce mécanisme.
4.2. Les ennuis d’Achillodôros 1) Il convient d’abord de s’arrêter sur les rapports entre les acteurs : Matasys, celui qui effectue la saisie, et Anaxagorès, contre lequel la saisie est effectuée. En dépit des affirmations de B. Bravo, on ne peut pas savoir si Matasys vivait autrefois dans la même cité qu’Anaxagorès, et s’il y possédait esclaves et maisons. Il est en revanche certain qu’il vit dans un autre endroit, une autre cité grecque ou bien dans l’hinterland351. Son grief est dirigé contre Anaxagorès, et quand l’occasion se présente d’effectuer une saisie à titre de compensation contre ce dernier, il n’hésite pas à passer à l’acte. Achillodôros communique à Anaxagorès que Matasys « l’a privé du lot de marchandises » (τ φορτηγεσί ἀπεστέρεσεν) : il ne songe pas à les récupérer, laissant ainsi leur sort entre les mains des deux adversaires, Matasys et Anaxagorès. Néanmoins, Matasys ne se contente pas de saisir le lot de marchandises qu’Achillodôros transportait et qui appartenait à Anaxagorès, mais il veut également faire d’Achillodôros son esclave, en soutenant qu’il était un esclave d’Anaxagorès, donc un bien de ce dernier. Or, Achillodôros pousse les hauts cris en disant qu’il est un homme libre et que Matasys n’a donc aucun droit sur lui, quels qu’aient été les rapports entre Matasys et Anaxagorès352. 2) En deuxième lieu, il convient d’aborder le statut juridique d’Achillodôros, qui faisait (peut-être à tort) l’objet de la saisie. Celui-ci ne se reconnait pas comme esclave, condition juridiquement précise, mais au contraire essaie par tous les moyens de s’en sortir. Le temps verbal est significatif : il écrit non pas que Matasys « a fait de lui son esclave », mais que « Matasys est en train/essaie de faire de lui son esclave » (l. 2 : δλται γάρ μιγ). Achillodôros doit à tout prix affirmer sa condition d’homme libre, qui empêche toute forme de saisie. En effet, comme le remarque Bravo, le verbe συλᾶν, qui n’apparaît pas tel quel dans cette lettre (alors qu’il est employé dans la lettre d’Apatorios, 26, l. 1 : σισύλημαι), signifie « dépouiller quelqu’un d’un bien qu’il possède » (marchandises, bêtes, esclaves, argent), mais il n’est jamais employé pour désigner l’action d’enlever des personnes libres. « Pousser les hauts cris » (25, l. 6 : ὀ δὲ ἀναβῶι) peut représenter une procédure juridique pour signaler qu’on subit un tort353 ; le même verbe est employé dans la lettre d’Emporion concernant Basped[–] (67, l. 5 : ἀναβοᾶ{ι}ν), avec le même sens, « pousser des cris pour protester ». Il est évident qu’Achillodôros s’attend à ce qu’Anaxagorès et sa femme interviennent, non pas pour le faire libérer, car il nie être esclave, mais bien pour se porter témoins de sa condition d’homme libre. L’on se demande donc comment Anaxagorès pouvait intervenir, y compris pour récupérer sa marchandise. Restituer les biens à Matasys était sans doute une solution, mais l’on ne dispose d’aucun témoignage que juridiquement la situation pouvait se régler de cette façon. Il pouvait éventuellement prouver à l’aide des témoins qu’Achillodôros n’était pas son esclave, mettant alors Matasys dans la situation de retenir à tort un homme libre. Cependant, dans le cas où, en dépit de ses grands cris, Achillodôros était réellement l’esclave d’Anaxagorès, son maître avait-il intérêt à le reconnaître ? Non, car dans ce cas il aurait perdu son esclave donc son bien. D’autre part, si Anaxagorès affirmait à tort qu’Achillodôros n’était pas son esclave, pour éviter la saisie, Achillodôros ne se serait-il pas considéré par la suite comme libre en invoquant le fait que la déclaration valait libération ? 3) Venons maintenant à l’application du droit de saisie. La saisie des biens à titre de compensation, ainsi que la proclamation de la condition juridique, sont des conventions que les deux parties semblent respecter. Le fait que, d’une part, Matasys attendait à ce qu’Anaxagorès réagisse à son action et que, d’autre part, Achillodôros s’attendait, du moins en théorie, à ce que ses droits soient respectés, montre qu’Achillodôros se trouvait dans 351 352 353
Sur les possibles lieux où l’affaire se déroulait, voir Bravo 2011a, p. 49. Voir aussi Bravo 2011a, p. 65. Hérodote 1.8.3 et 1.10.2. Voir Bravo 1980, p. 883 ; L. Dubois, I. dial. Olbia Pont, 1996, p. 52.
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III. Statuts personnels et pratiques juridiques
une zone de droit commun354. Il pouvait s’agir d’une cité ou comptoir grecs, ou d’un espace d’échange partagé avec des populations non grecques, comme le laisse entendre le nom scythe de l’oppresseur d’Achillodôros. Concernant la procédure, nous sommes dans le premier cas de figure où le droit de saisie devait s’exercer contre l’offenseur directement, à savoir contre Anaxagorès. Matasys espérait faire pression sur son adversaire en soutenant qu’il ne voulait qu’exercer son droit de saisie sur la marchandise et l’esclave, donc la propriété, de l’autre partie en présence. C’est la raison pour laquelle il avait intérêt à déclarer qu’Achillodôros était l’esclave d’Anaxagorès. Bravo pousse le raisonnement encore plus loin. Selon lui, le propos d’Achillodôros « si ta mère et tes frères sont chez les Arbinatai, emmène-les à la ville », fait clairement comprendre que la femme et les enfants d’Achillodôros risquent d’être emmenés comme esclaves par Matasys s’ils démeurent chez les Arbinatai355. Cette interprétation me semble néanmoins peu probable, car juridiquement Matasys avait le droit de se dédommager seulement sur des biens de son adversaire qui se trouvaient sur le territoire ou dans la cité où il habitait. Si Matasys habitait lui-même chez les Arbinatai, Achillodôros n’aurait pas omis ce « détail » dans la lettre envoyée à son fils. Il est possible que Matasys fût de bonne foi en affirmant qu’Achillodôros était un esclave, puisque saisir un homme libre l’aurait exposé à l’illégalité ; qui plus est, si Achillodôros était un homme libre, son adversaire Anaxagorès ne se serait pas senti obligé de réagir puisqu’Achillodôros ne lui appartenait pas et par conséquent il n’aurait subi aucune perte (alors que la saisie de la marchandise en était une). Dans ce cas, Matasys, qui n’avait pas une connaissance intime du patrimoine de son adversaire, pouvait donc retenir Achillodôros en pensant qu’il était un esclave de celui-ci et donc un bien à saisir en même temps que la marchandise. Il est également possible qu’Achillodôros ait été par le passé l’esclave d’Anaxagorès, désormais affranchi, qui clame à juste titre sa liberté, et que Matasys ne soit pas au courant de ce changement de statut. Dans tous les cas, les deux parties peuvent être de bonne foi, Matasys en raison de la méconnaissance du statut d’Achillodôros, ce dernier en défendant son statut de libre. L’affirmation de la condition d’homme libre par l’intéressé lui-même, subjective en soi356, peut être confortée, en premier lieu, par la procédure qui consiste à pousser les hauts cris pour signifier une saisie illégale. Achillodôros n’aurait pas fait usage de ce qui semble une procédure juridique s’il ne se sentait pas en droit de le faire, au risque de se mettre en situation d’illégalité. Ce même risque existait s’il avait nié sa condition d’esclave357. Son maître ne peut pas envoyer une lettre, comme le soutient Harris358, pour l’« emmener à la liberté », selon l’expression consacrée359. Si l’on regarde le corpus réuni par R. Zelnick-Abramovitz, aucun exemple ne correspond à notre cas de figure, à savoir qu’un esclave fasse appel à son maître pour le libérer, la loi pour ἀφαίρεσις εἰς ἐλευθερίαν étant (à Athènes) la suivante : lorsqu’une personne réputée libre était réclamée comme esclave par quelqu’un qui prétendait posséder sur elle des droits, tout citoyen pouvait intervenir et soutenir que la personne en question était de condition libre et ne devait pas être réduite en esclavage. En clamant à haute voix sa condition d’homme libre, Achillodôros attend que quelqu’un l’entende et le défende précisément de cette façon. L’individu menacé de saisie se rendait devant le magistrat avec son adversaire, qui devait démontrer le bien-fondé de ses prétentions, alors que la personne qui était objet du litige était considérée provisoirement comme libre. Achillodôros ne demande pas à Anaxagorès de le libérer, mais de régler le différend avec Matasys en confirmant à ce dernier qu’Achillodôros n’était pas son esclave. Au contraire, si Anaxagorès tentait de l’affranchir, il n’aurait fait que confirmer, implicitement, qu’Achillodôros était son esclave et par conséquent en mesure d’être saisi par Matasys à titre de compensation. Or, cela n’ayant définitivement pas arrangé les affaires d’Anaxagorès, il n’avait eu donc aucun intérêt à faire cette démarche. Le problème réside bien ici dans le statut d’Achillodôros avant la saisie et non pas pendant et après, sinon tout esclave saisi à titre de compensation aurait pu être libéré par son maître.
354 Bravo 1980, p. 885 : « dans une société où le droit est fondamentalement le même que dans sa cité – dans une société où il peut concevoir sa situation d’après les notions juridiques qui lui sont familières, et où il peut espérer que quelqu’un interviendra pour l’‹arracher› de manière institutionnellement correcte ». 355 Bravo/Chankowski 1999, p. 294–295. 356 À l’instar de B. Bravo, Harris 2013, p. 114, croit plutôt à la malhonnêteté d’Achillodôros. 357 Faraguna 2014. 358 Harris 2013, p. 115. 359 Voir Zelnick-Abramovitz 2005, p. 292–300.
5. Conclusion
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On peut donc conclure sur plusieurs points : il ne s’agit pas d’une responsabilité collective, mais des recours sur la propriété directe de l’autre partie en litige ; nous sommes en présence d’un agent de commerce qui n’est pas un esclave, même si la réponse en forme de saisie sur la personne semble indiquer qu’il y avait des intermédiaires esclaves ; la saisie semble illégale puisque son objet est vraisemblablement un homme libre ; enfin, la réponse attendue n’est pas une libération à distance mais la confirmation de statut d’homme libre.
4.3. Apatorios et le rôle des registres Un dernier point à éclaircir est le rôle de l’écrit en cas de conflit ou, le cas échéant, d’action juridique. Selon Alberto Maffi, les sylai interviennent là où il n’est pas prévu le recours à une instance judiciaire en cas de controverse opposant citoyens et étrangers, de type dikè emporikè. Dans sa démonstration fondée sur la lettre d’Apatorios, l’auteur justifie la présence de Ménôn par l’éventualité d’un procès entre Hèrakleidès et Léanax, où Apatorios et Ménôn auraient pu représenter Léanax. Or, il s’agit d’un conflit entre Apatorios et Hèrakleidès, non pas entre Léanax et Hèrakleidès, ce dernier étant d’accord pour libérer les biens si l’on prouvait qu’ils appartenaient à Léanax. Selon Maffi, les diphtheria pourraient être invoqués dans un futur procès, bien improbable. En réalité, pour éviter ce procès, il suffisait d’envoyer les fameux diphtheria, non pas à ceux qui pouvaient s’en prévaloir dans l’éventuel procès, à savoir Apatorios et Ménôn, mais directement à Hèrakleidès. En possession de cette preuve, Hèrakleidès aurait libéré les biens et le procès n’aurait plus été nécessaire. Le malentendu vient du fait que, à l’instar de B. Bravo, A. Maffi ne traduit pas diphtheria par « registres », mais pense qu’ils contenaient une invitation, sinon un ordre, intimé à Herakleidès, de libérer les biens qui faisaient l’objet de la sylè. Comme Bravo et Harris, Maffi met en doute la bonne foi de l’expéditeur de la lettre : selon lui, Apatorios essaie de faire passer sa cargaison comme appartenant à Léanax, en comptant sur le fait que grâce à l’intervention du représentant de Léanax sur place (Ménôn) et à l’ordre de Léanax par écrit (diphtheria), les biens lui seraient restitués360. Il me paraît néanmoins plus logique de voir ces faits comme une action juridique simple, tenant de la justice privée : Apatorios devant de l’argent à Hèrakleidès, celui-ci souhaite entrer en possession des biens que transportait Apatorios ; Apatorios ne nie pas le fait qu’il soit débiteur d’Hèrakleidès, mais affirme seulement que les biens qu’Hèrakleidès voulait saisir dans le cadre de la procédure de sylan – dédommagement sur la propriété de son débiteur – ne lui appartenaient pas. Il ne nie pas non plus la légalité de la saisie : il affirme seulement que la saisie ne s’est pas opérée sur ses biens à lui, en tant que débiteur, mais sur les biens d’une tierce personne qu’il ne fait que transporter. C’est de cette manière qu’il convient de comprendre le fait qu’il se trouve en possession des biens de cette tierce personne : il a été chargé de vendre la marchandise de Léanax. Ni le témoignage d’Apatorios ni celui de Ménôn, un autre acteur de l’action économique dans ce territoire, sans doute lui-aussi au service de Léanax, n’ont été suffisants aux yeux du créancier, Hèrakleidès. Il n’y a pas de raison qu’il obéisse à une simple injonction de Léanax (traduction que Maffi donne aux diphtheria) affirmant que les biens lui appartenaient, et qu’il n’exige des garanties plus solides. Ces garanties pouvaient bien être les comptes de Léanax attestant l’acquisition et la possession des marchandises, autrement dit, les registres. Le neutre pluriel montre qu’une lettre, pour laquelle on aurait utilisé diphthera ou diphtherion, n’était pas suffisante. Dans cette forme de justice privée, les écrits jouent un rôle important.
5. Conclusion Pour les deux situations illustrées par ces lettres, la grande inconnue reste la position des destinataires, car ce qui manque est bien évidemment la réponse et éventuellement la trace écrite de l’action d’Anaxagorès et de Léanax. Il aurait été important de savoir, afin de saisir la totalité de la procédure dans le cas d’Achillodorôs, si les deux parties, Matasys et Anaxagorès, se soumettaient aux mêmes principes juridiques, et, si c’était le cas,
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Maffi 2014, p. 199–202.
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III. Statuts personnels et pratiques juridiques
soit parce qu’ils appartenaient tous les deux à la même communauté, soit parce qu’ils faisaient partie de communautés distinctes où s’appliquait le droit de saisie entre particuliers. Je me pose également la question pour Hérakleidès et Léanax, qui se trouvent, juridiquement, dans la même situation. Dans leur cas, la réponse est suggérée par la lettre même : si Léanax atteste que les biens lui appartiennent, Hèrakleidès est prêt à lui restituer les biens. Autrement dit, le droit de saisie s’appliquait (sur des biens considérés comme appartenant à Apatorios), mais, s’il était appliqué à tort, à savoir sur les biens de quelqu’un qui n’était pas concerné par l’affaire (Léanax), il y avait moyen de régler la situation par simple restitution de la marchandise saisie. Pour résumer, il semble que dès la fin de l’époque archaïque le droit de saisie et la justice privée s’appliquent si l’on peut d’abord apporter la preuve que la personne à laquelle appartient la marchandise à saisir est redevable envers celui qui exerce le droit de saisie, puis, que cette marchandise appartient au débiteur. Il ne s’agit pas d’établir qui dit la vérité et qui la cache, mais d’examiner dans quelles conditions le droit de sylan pouvait être appliqué. Étant donné l’ampleur des échanges révélés par les découvertes archéologiques, il semble évident qu’il y avait des lois ou du moins un cadre légal régissant ces échanges non seulement dans le chef-lieu de cité mais aussi dans le territoire, à la fois entre Grecs et entre Grecs et non-Grecs. Dès lors, la saisie n’apparaît pas comme arbitraire – ce qui n’exclut pas des débordements – mais comme une mesure légale qui sanctionne le non-respect d’un contrat ou le non-paiement des dettes.
IV. Conclusion
Pourquoi les Antiques écrivaient-ils, alors que, étant donné les distances parfois dérisoires, ils pouvaient confier les brefs messages à un proche qui les aurait communiqués oralement ? On minimise l’impact de cette pratique sur les sociétés pour lesquelles le fait d’envoyer une lettre plutôt qu’un message oral avait une signification. Dans certains cas la méconnaissance ou plutôt l’absence de la forme épistolaire telle que nous l’envisageons est évidente, notamment pendant des périodes de structuration et de mise en forme progressive, et des erreurs d’orthographe existent361, tantôt corrigées, tantôt oubliées – précisément comme dans les papyrus. Cependant, écrire n’était pas un acte anodin et la diffusion de la literacy est en rapport direct avec la rédaction des lettres362. Par ailleurs, les mains sont formées, l’orthographe est généralement maîtrisée et le trait est précis363. Qui plus est, la tendance à la cursive, déjà à l’œuvre dans les lettres les plus anciennes, témoigne du fait qu’écrire sur plomb, sur tesson ou sur des supports périssables, que ce soit pour les lettres privées, les contrats, les registres, etc., était une pratique courante, beaucoup plus répandue qu’on ne le pensait auparavant. Comme l’illustre à présent ce corpus, dès l’époque archaïque le fait d’écrire et de recevoir des lettres relève d’une forme de communication ordinaire et non exceptionnelle, comme on l’a parfois supposé. À l’encontre de certaines hypothèses devenues l’opinion commune, les documents que j’ai eu l’occasion d’étudier apportent d’autres réponses : les lettres sur plomb retrouvées ne sont pas celles jamais livrées et perdues ou abandonnées en route, car là où le contexte archéologique est connu il indique dans la plupart des cas leur abandon dans les dépotoirs (à l’instar des lettres sur tessons et d’autres supports céramiques), après avoir donc rempli leur rôle ; en règle générale, les lettres enfermées dans ce corpus semblent avoir été rédigées par les expéditeurs eux-mêmes (hommes, femmes et même un enfant ou adolescent), et non pas par un scribe « professionnel » ; la diversité des expressions et l’évolution du formulaire, sur plus d’un millénaire, permet désormais d’entrevoir la mise en place progressive des formulaires épistolaires, bien avant la documentation papyrologique (au IIIe s. avant notre ère) et en parallèle avec la sélection opérée par les sources littéraires conservées. On a ainsi l’impression que, paradoxalement, l’écriture ne met pas fin à la transmission orale mais l’accompagne et la consigne par écrit. Ce n’est pas le seul paradoxe dans le cas de ces documents dont le but était de donner des instructions précises, qui restaient vagues dans la forme, parce que le référent n’était connu que par les acteurs de l’acte énonciatif, l’émetteur et le récepteur. On peut voir ainsi comment, au-delà des variations narratologiques et du changement de temps et de personne, le message est cohérent par rapport aux attentes et atteint finalement son but. Ce qui frappe également est la fréquence de la pratique épistolaire et le degré de literacy du milieu marchand qui nous a particulièrement intéressé, dans ces régions si longtemps considérées comme « périphériques », où les témoignages s’accumulent, sous la forme d’exercices scolaires364, de graffites symposiaques, de dédicaces, de marques de propriété, de defixiones. Sur le plan géographique, le fait que les lettres sur plomb aient été retrouvées majoritairement, mais non exclusivement, dans ces régions – le Pont-Euxin, le Golfe du Lion, la Chalcidique – peut revêtir une certaine signification365. Il s’agit des régions touchées par l’essaimage des Grecs dans l’espace méditerranéen, liées au commerce et, curieusement, en rapport avec la présence ionienne, qu’elle soit milésienne (la mer Noire), phocéenne (le sud de la Gaule) ou eubéenne (la Chalcidique) ; quant à Athènes,
Voir Thomas 2009a. Pébarthe 2006, p. 82–83. 363 Dana 2015a. 364 Dana 2009. 365 Les fouilles ultérieures et les nouvelles découvertes peuvent toutefois changer cette image. Des lettres sur tessons ou supports apparentés sont à présent connus à Smyrne et à Éphèse, quoiqu’elles datent de l’Antiquité tardive. 361 362
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IV. Conclusion
la présence des lettres sur plomb peut s’expliquer par le partage des pratiques mais aussi par l’usage fréquent du plomb, que les mines du Laurion fournissaient abondamment, dans l’écriture publique et privée366. Si les mondes ioniens sont bien représentés, on ne dispose pas d’attestation pour l’Ionie elle-même, du moins pour l’instant : la pratique, née sans doute dans les cités ioniennes d’Asie Mineure et dans les milieux commerciaux des gens qui voyageaient, s’était rapidement répandue dans les fondations et les régions en contact avec des Ioniens. Faute de témoignages, on ne peut pas savoir si elle a persisté en Ionie après l’apparition et la diffusion du papyrus, mais il est vrai que le plomb, facile à manier, résistant – y compris à l’eau, ce qui a son importance quand on pense que les lettres pouvaient voyager sur des bateaux – et occupant peu de place, pouvait représenter un matériau privilégié pour les marchands ; qui plus est, il était beaucoup moins cher que le papyrus, recyclable, contrairement au tesson367, et ne nécessitait pas d’encre368. Le plomb, en plus d’être bon marché, présentait l’avantage qu’on pouvait le rouler, le plier, voire y apposer un sceau ; il pouvait également être réutilisé. La pratique de l’écriture sur plomb ne semble pas avoir été le seul transfert culturel depuis la cité-mère vers ses établissements. Dans une lettre sur plomb d’Olbia du Pont (26), l’expéditeur, Apatorios, demande au destinataire, Léanax, d’envoyer des diphtheria, qui auraient pu désigner, selon l’usage ionien expliqué par Hérodote, des feuillets de papyrus369, mais dont le sens doit être celui de « registres ». L’écriture est ainsi utilisée par les négociants, pour régler, enregistrer et établir leurs affaires par contrat. Le cas grec est loin d’être singulier : dans le Proche Orient, au deuxième millénaire av. J.-C., les lettres privées des régions mésopotamiennes, anatoliennes et syro-phéniciennes émanent en grande partie des milieux marchands, motivées par des besoins pratiques370. Au tournant de l’ère, le genre même de l’« épître » est dû à Paul, qui appartenait au milieu marchand d’étoffes et de tissus, avec des connexions dans toute la partie orientale de l’Empire romain. Entre le XIe et le XVe s., les milieux marchands de Novgorod (« Ville Nouvelle ») et d’autres villes de Russie utilisaient couramment des lettres privées et d’autres documents commerciaux, gravés sur des écorces de bouleau ; quelques centaines d’écorces inscrites ont été retrouvées lors des fouilles sur la rive du fleuve Volhov371. Le marchand grec serait-il, dans ces conditions, illiterate, selon l’expression de J.-P. Wilson372, qui s’insurge précisément contre ce présupposé ? La lettre archaïque est-elle seulement l’ébauche maladroite d’un genre qui n’aboutira que deux siècles plus tard ? On est bien entendu loin d’une telle situation. Il suffit de considérer certaines expressions qui ressemblent étrangement à celles employées par Hérodote, qui avait adopté pour son enquête, comme l’on sait, le dialecte ionien. En effet, qu’est-ce que l’expression rencontrée dans la lettre de Klédikos d’Hermonassa (52), sinon un écho involontaire d’un passage hérodotéen où il raconte l’histoire de Zalmoxis373, pour lequel ses informateurs sont précisément les Grecs du Pont ? Envoyer une lettre plutôt qu’un message oral implique le fait que le message doit être conservé et déposé aux archives, d’où l’importance des lettres : écrire et lire des lettres tenait une place non négligeable dans la vie quotidienne des Anciens. Les lettres donnent la possibilité d’envisager le double rôle de l’écriture, en tant que 366 Curbera 2015, p. 98–99, explique qu’il s’agit d’un sous-produit résultant de la fonte de l’argent extrait des fameuses mines situées à 60 km au sud-est d’Athènes. 367 Voir Ceccarelli 2013, p. 37 n. 62. 368 Decourt 2014, p. 27 et 42 ; voir aussi Bravo/Wolicki 2015–2016, p. 226–228. 369 Hérodote 5.58. 370 Michel 2008. 371 Vodoff 1966 ; Vodoff 1981. On a même créé une nouvelle discipline, berestologija (en russe, de beresta, « écorce de bouleau » ; en angl., Birchbark Science), concernant ces documents rédigés en alphabet cyrillique et en vieux russe. Les rédacteurs de ces écrits utilisent pour les nommer le nom du support (beresta) ou celui de gramota (dérivé du gr. γράμματα). Voir à présent Dekker 2018. 372 Wilson 1997–1998. 373 Klédikos écrit ainsi à Aristokratès : πυνθάνομα〈ι〉 γὰρ Μανδρόχαριν : τὰ ἐνθ᾿ αὐτ | ἔοντα : δίαιταν : κακῶν (« Puisque j’ai appris que Mandrocharis mène une telle vie de misère là même »), cf. Hérodote 4.95 : « Autant que je me suis informé auprès des Grecs habitant l’Hellespont et le Pont (ὡς δὲ ἐγὼ πυνθάνομαι τῶν τὸν Ἑλλήσποντον καὶ Πόντον οἰκεόντων Ἑλλήνων), ce Salmoxis serait un homme qui aurait été esclave à Samos, esclave de Pythagore fils de Mnésarque (…). Comme les Thraces vivaient misérablement (κακοβίων τε ἐόντων τῶν Θρηίκων) et qu’ils étaient plutôt simples d’esprit, ce Salmoxis, qui, pour avoir fréquenté des Grecs et Pythagore, qui n’était pas le moins sage parmi les Grecs, s’était initié à la vie ionienne (δίαιτάν τε Ἰάδα) et à plus de profondeur qu’on n’en trouvait chez les Thraces ».
IV. Conclusion
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savoir-faire partagé entre les acteurs économiques : Hèrakleidès était censé consulter les diphtheria si Léanax les avait envoyés, Achillodôros, dont on ignore la condition sociale, même si elle est loin d’être modeste, savait écrire, tout comme son fils Prôtagorès savait lire. L’écriture représente donc un référent commun pour des couches sociales séparées par ailleurs, mais aussi un point de contact entre catégories ethniques : on se demande ainsi par quel moyen Anaxagorès pouvait faire comprendre à Matasys qu’Achillodôros était un homme libre. Pour résoudre la situation, il est possible qu’Anaxagorès fût amené à écrire une lettre ou envoyer des documents écrits à Matasys, ce qui impliquerait le fait que ce dernier non seulement comprenait le grec mais était également capable de le lire. Dans le cas d’un autre document connu, le compte-rendu sur plomb d’une transaction, trouvé à Pech Maho (IG France 135), on se demande comment les témoins pouvaient être convoqués pour témoigner, au cas où l’affaire aurait tourné mal, s’ils n’avaient pas au moins des rudiments de grec. Ils portent tous des noms non-grecs, la plupart ibériques374 : Basigerros et Bléryas et Golo[.]biur et Sédégôn, pour une première phase de la transaction, [.]auaryas et Nalbé[.]n pour la conclusion de l’affaire. Comme on le constate avec intérêt, l’identité ethnique n’entre pas en ligne de compte, alors que certaines hiérarchies sociales ressortent de la correspondance. On savait que les Grecs savaient écrire, mais l’on voit qu’ils écrivaient plus souvent qu’on ne le pensait. Il est notable que la communication par écrit soit non seulement pragmatique – servant à donner une information, ou à transmettre un ordre ou une recommandation – mais rende également compte d’une certaine conception de l’écriture, qui fixe et pérennise. La correspondance permet de revoir l’organisation du commerce local et régional, mais aussi de la famille et du rôle des femmes, qui gèrent les affaires familiales pour l’intérêt commun et qui savent elles aussi écrire et lire. Cependant, toutes les connaissances livrées ne sont pas sur le même plan, car si à travers les lettres l’on peut approcher de biais l’économie antique, il ne faut cependant pas surévaluer le dossier. Les spéculations sur le commerce archaïque et les élites marchandes sont souvent fondées sur l’onomastique, avec une distinction opérée entre « noms aristocratiques » ou non, noms serviles ou non. Selon ce raisonnement qui s’appuie sur des clichés qu’il convient de dépasser, les porteurs de certains noms considérés comme aristocratiques seraient de grands marchands, alors que ceux qui portent des noms plus banals seraient leurs employés ou des négociants de moindre envergure375. Ce raisonnement atteint vite ses limites quand on pense, par exemple, au nom nullement servile porté par l’esclave destiné à la vente dans la région de Phanagoria, Phaullès (49), ou aux noms courants de quelques expéditeurs, comme Pistos dans la lettre de Patrasys (48). Ces documents permettent également d’approcher le statut des agents du territoire, le droit et la justice privés (ainsi pour la saisie des biens comme des personnes), mais seulement pour les documents plus longs et relativement complets. Enfin, concernant la mobilité au sein du territoire, nous avons eu l’occasion d’examiner l’aire concernée par l’envoi des lettres, en mettant en évidence les réseaux locaux et régionaux, tels qu’ils sont attestés par les documents. Confiée à des proches ou tout simplement à des gens de passage, qui à leur tour peuvent la remettre à d’autres personnes de leur connaissance376, la lettre parcourt une distance que ses porteurs ou son destinataire n’ont sans doute jamais entièrement sillonnée : elle est, en quelque sorte, le voyageur le plus chevronné. De la sorte, la lettre est un instrument de communication privilégiée : elle permet d’entrevoir les réseaux humains et elle les entretient, le tissu de la correspondance se superposant au tissu social.
Voir, en general, Bats 2011a ; Bats 2012a. Bravo 2014–2015, p. 18. 376 L’envoi des diphtheria (26) implique une autre forme de mobilité, celle du messager mandé par Léanax – si celui-ci a répondu à la demande d’Apatorios – censé les porter à la connaissance d’Hèrakleidès et de Thathaiè. 374 375
Bibliographie
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Concordances
Ces concordances concernent les corpora principaux et régionaux, les instruments de référence, ainsi que le corpus récent de P. Ceccarelli (2013). Dans le cas des publications très récentes, en principe à partir de 2010, et en particulier celles qui ne sont pas encore signalées dans les instruments de référence, la revue ou la publication de l’editio princeps ou bien une republication sont indiquées.
AÉ 1994, 1319 Agora XXI p. 8, n° B1 p. 8, n° B2 p. 9, n° B7 p. 9, n° B9 p. 9, n° B10 p. 10, n° B17 p. 10–11, n° B18 Arena, Iscrizioni III 51 AVI 272 496 540 BCH 139–140, 2015–2016, p. 43–65 139–140, 2015–2016, p. 211–236 141, 2017, p. 659–667
72
1 2 3 4 *9 *10 *11
*55
4 3 1
15 *8 *8
BospIssled 31, 2015, p. 88–99 32, 2016, p. 12–32
28 51
CAG 06 (2010) p. 171, n° 004/77*
*57
Ceccarelli 2013 p. 335–336, n° 1 p. 336, n° 2
25 23
p. 336–337, n° 3 p. 337–338, n° 4 p. 338, n° 5 p. 338–340, n° 6 p. 340, n° 7 p. 340–341, n° 8 p. 341, n° 9 p. 341–342, n° 10 p. 342, n° 11 p. 342, n° 12 p. 343, n° 13 p. 343, n° 14 p. 343, n° 15 p. 343–344, n° 16 p. 344, n° 17 p. 344–345, n° 18 p. 345, n° 19 p. 345, n° 20 p. 346, n° 21 p. 346, n° 22 p. 346–347, n° 23 p. 347, n° 24 p. 347–348, n° 25 p. 348, n° 26 p. 348, n° 27 p. 348–349, n° 28 p. 349, n° 29 p. 349–350, n° 30 p. 350, n° 31 p. 350–351, n° 32 p. 350–351, n° 33 p. 351, n° 34 p. 351, n° 35 p. 351, n° 36 p. 351, n° 37 p. 352, n° 38 p. 352, n° 39
27 49 26 28 22 38 44 45 36 30 54 29 34 32 37 52 53 21 39 42/43 67 68 70 69 66 60 59 63 58 *55 14 *13 1 2 3 4 6
p. 352–353, n° 40 p. 353, n° 41 p. 353–354, n° 42 p. 355, n° B.2 p. 355–356, Appendix 1.C
5 7 *8 *40 41
DB 16, 2012, p. 288–298 16, 2012, p. 348–359 22, 2018, p. 194–203
52 52 47
DTA p. II-III p. XIV
6 12
Emerita 85, 2017, p. 199–221
65
GraffOlbiaPont p. 115–116, n° IV.44
*33
Hyperboreus 18, 2012, p. 225–242 21, 2015, p. 61–79 22, 2016, p. 192–197 22, 2016, p. 192–194, 197–199 23, 2017, p. 244–265 24, 2018, p. 40–51 25, 2019, p. 259–277 I. dial. Olbia Pont 23 24 25 26
52 51 42 43 29 48 24
25 28 30 34
446
I. dial. Sicile I 11 IG III.3. Appendix, p. II–III III.3. Appendix, p. XIV
Concordances
*55
6 12
IG España Portugal 126 129 130 131 165 250
70 67 68 69 66 *71
IG France 4 71 72 130
59 58 58a 63
MLH II B.2.3 Müller 2010 DE 5 DE 17
*62
54 38
Na kraju ojkumeny (2002) p. 36, n° 74 35 Palamedes 2, 2007, p. 58–66
25
2, 2007, p. 66–74 6, 2011, p. 39–66 6, 2011, p. 67–85 6, 2011, p. 86–91 8, 2013, p. 64–68 8, 2013, p. 68–73 9–10, 2014–2015, p. 8–19 11, 2016, p. 41–69 SEG XXVI 845 XXXVII 665 XXXVII 838 XXXIX 1088 XLII 710 XLII 711 XLIII 488 XLIV 853 XLVII 1175 XLVIII 988 XLVIII 1011 XLVIII 1024 XLVIII 1029 L 276 L 704 LIII 256 LIV 694 LIV 983 LV 859 LVII 717 LVIII 775 LIX 814 LIX 834
27 25 26 38 49 22 52 60
25 38 67 68 28 36 14 72 54 23 27 49 22 7 45 *8 26 59 37 *40 41 39 21
LX 853 LX 1055 LX 1061 LXI 614 LXI 637 LXV 583 LXV 611 LXV 631
44 60 *71 52 29 47 28 51
SGDI IV 39
30
Syll.3 1259 1260
6 30
VDI 78 (4), 2018, p. 931–948
46
Zavoykina 2019 p. 419–429
50
Zavojkina/Pavličenko 2016 p. 230–249 48 ZPE 185, 2013, p. 153–160 192, 2014, p. 169–175 201, 2017, p. 123–138 206, 2018, p. 113–120 212, 2019, p. 161–171
52 21 63 20 46
Inscriptions inédites : *10 A, *13 (non vidi), 16 (un exemple), 17, 18 (traduction), 19, *20a (petit fragment), 31 (texte partiel), 32 (texte partiel), 53 (renseignements), 56 (non vidi), *57 (texte partiel), 61 (renseignements), *62 (texte partiel).
Index
Les mots sont écrits en graphie normalisée (sans psilose). Abréviations : abrév. = abréviation ; att. = attique ; dat. = datif ; dor. = dorien ; inscr = inscriptio (adresse externe) ; ion. = ionien ; lat. = latin ; loc. = locatif ; rest. = restitution ; voc. = vocatif. Les renvois internes sont signalés par → (ionismes, dorismes, etc.).
1. Noms de personnes Ἀγάθαρκος Ἀγαθοκλῆς Ἄδραστος [Ἀ]θηνα[---] Ἀθηνόδωρος Αἰαντόδωρος Ἀναξαγόρης Ἀναξ[---] Ἀπατριος Ἀπατούριος Ἀπολλᾶς Ἀπολλώνε[–] Ἀρεθσιος Ἀρεστώνυμος Ἀρίγνωτος Ἀριστοκράτης Ἀρκέσιμος Ἀρτεμίδωρος Ἀρτικῶν Ἀρτυμοκλῆς Ατακης Ατιελαρ[–] Ἀχιλλεύς Ἀχιλλόδωρος Α( )
194 (sic) ; 30 B2 (sic) 694 361 (père de Κοφανας) *643 504 *89–10 253, 4, 5, 9, 10, inscr3 (ion.) 192 261, inscr1 ; 381 (ion.) → Ἀπατριος 511 541 (Ἀπολλώνειος ou Ἀπολλωνίδης) *86–7 (att.) (frère de Νικόστρατος et de Δείνων) 481 [inscr] 54 52 col. I1, inscr2 33 201 30 A1 152 (père de Ἐχίων) 30 A4 68 inscr1 72 A1 25 inscr1 (père de Πρωταγόρης) 161
Βασπεδ[–] Βάτις Βάτω[ν] Βότρυς
674, 7 321 *331 411
Γλαυκέτης Γλαῦκος [Γλ?]υκάριον
*89 43 375
Γνάθιος
53
Δαῖτις Δείνων Δημῶναξ Διεύχς Διεύχης 〈Δ〉ικαίαρχος Διόδωρος Διονύσιος Δίφιλος Δράκων
*55 B3 *85–6 (frère d’Ἀρεθσιος et de Νικόστρατος) 485 *55 B2 → Διεύχς *82 (père de Πασίων) 46 B1 201, inscr1 ; 211 321 72 A1
Ἔνεργος Εὄθηρις [Εὀ?]θύμιος Ἐπάγαθος Ἑρμαῖο[ς] [Ἑ]ρμοφάνης Εὔαρχος Εὐμλίς Εὐτύχης Εὐπίδας Εὐωπίδας Ἐχίων
*701 262 (ion.) 2610 (ion.) 182–3 451 *57 recto 153 31 (att.) 581 *55 B1 (dor.). → Εὐωπίδας → Εὐπίδας 151 (fils d’Ἀρτυμοκλῆς)
Ζωπυρίων
362
Ἡγησαγόρης Ἡρακᾶς Ἡρακλείδας Ἡρακλείδης
502–3 (ion.) 351 *401 (dor.). → Ἡρακλείδης 261–2, 6 (époux de Θαθαίη) ; *401 (-δας) (dor.) ; 484 65 A1
Ἡρο[---]
448
Θαθαίη Θεόπομπος Θρασυκλῆς Θυμώλεως
Index
266 (épouse d’Ἡρακλείδης) 411–2 6 inscr4 269
[ Ἱ]ερογ[ένης?] Ἱερών[υ]μος
*641 *111
Καλλίστρατος Καπίτων Κέρδων Κερκίων Κλεάναξ Κλδικος Κλείδικος Κλεόθε[μις] [Κλ]εοσθένη[ς] Κοτυτίων Κοφανας
204 (maître? de Ποσίδηος) *71 A1 (= lat. Capito) 30 B3 31 B5 (inéd.) ; 46 B3 60 A7 52 col. I2, inscr1 (ion.). → Κλείδικος → Κλδικος 63 A6 60 A3 373 361 (fils d’Ἄδραστος)
Λεάναξ Λῆναξ Λῆσις Λεύκων Λητοκλῆς (?)
261 (dat. Λήνακτι), inscr2 ; 27 A7 (ion.). → Λεάναξ 71, inscr1 591, inscr1 *62 inscr1
Μανδρόχαρις Μανδ[ρ---] Μαρακατης Μαρτύριος Μά[ρω?]ν Ματασυς Μεγιστῆς Μέλας [Μ]ένανδρος Μένων Μητροφάνης Μικίων Μνησίεργος Μυλλίων
52 col. I3 43 B5 (ou [---]μανδ[ρος]) 213 171 *10 A2 252, 7, 9 591 (ion.) 236 344 263 2810 31 A1 61 30 A3
Ναυσίας Νεομήνιος Νικόστρατος
6 inscr3 381 *85 (frère d’Ἀρεθσιος et de Δείνων)
Ξάνθος (?) Ξενοκλῆς
*20a A1 71
Ὀξυχόλιος Ὄρος Οὖλις
181–2 46 A1, B3, 5 (ion.) 592
Πασίων Πελάγις Πίστος Ποσίδηος Πολέμαρχος Ποσσικράτης Πρωταγόρης Πυθαγόρης Πυθοκλῆς
*81–2 (fils de Δικαίαρχος) 181 (= -ιος) 481, [inscr] 204 (ion.) (esclave? de Καλλίστρατος) 501–2 216–7, 8 221 ; 251 (fils d’Ἀχιλλόδωρος) 693 46 A1
Ῥόδων
351
ΣΑΙΧΟ+ΙΝΗ Σαμβατίς Σαπασις Σατυρίων Σῖμος Στρατόνεικος Σωκράτης Σωσίβιος Σσίνε(ς) Σωσίνεως
46 B5 *71 A2 482 *83 483 171 (pour -νικος) 52 col. I5 31 A1 41 → Σσίνε(ς)
Τεγέας Τιβεκος Τιμοσθένης
141 *7013 391
Φαΰλλης Φιλίπ(π)η Φίλιπ(π)ος
494 *10 B2 (sœur de Φίλιππος) *10 A1, B2 (frère de Φιλίππη)
Χαιρέας Χαρίεσσα Χαρίων
63 B5 63 A5, B1, fr. 83 46 A6
[---]δωρος [---]έων [---]ίδης [---]ιτος [---]μανδ[ρος] [---]ος [---]τη
43 A1 676 (anthroponyme?) 231 ; *331 141 ([Κλε]ῖτος?) 43 B5 (ou Μανδ[ρ---]) 65 A1 511
449
2. Noms géographiques, ethniques
2. Noms géographiques, ethniques Ἀγάθη Αρβιναται
63 B2 2512
Βορυσθένης
288 (dieu-fleuve) ; 492 (cité)
Νυ[μφαι–] (?) Νύμφαιον Νυμφίτης
421–2 53 (?) 695
Ὠρωπός
12 fr. 17
Ἐμπορῖται Ἐμππορῖται Ἐμπυλίῳ (dat.)
→ Ἐμππορῖται 672 (sic) *702 (ou Ἐμφυλίῳ)
Σαιγάνθη Σκύθαι
671, 4 388
Θοαψοι (?)
219
Τυρα[---] Τυρρηνοί
2812 *7011
Κορίνθιος [Κόρι?]νθος
*9 fr. A5 *9 fr. A2
Ὑλαί[η] Ὕπανις
286 234–5
Μ[ένδη?]
141
Χαλκήνη
285
3. Res sacrae A. Divinités (avec leurs épithètes) et héros
B. Sanctuaires et choses religieuses
Βορυσθέ(νης)
288
βωμός
287
Ζεύς
154 (Ζ. Πατρῶιος) ; 60 A1, 5 (voc. Ὦ Ζήν)
ἱροί ἱρόν ἱρουργίη
2810 284 2810
θεοί θεός
51 ; 288 (Μήτηρ Θεῶν) 46 A1
Ἡρακλ[ῆς]
288
τόποι θεοποίητοι 283
C. Mois du calendrier phocéen Μήτηρ Θεῶν
288
Πατρῶιος
154 (Ζεύς Π.)
Τύχη
46 A1
Ἀπατουριών
594
4. Topographie, fonctions et titres, métiers ἀποικία ἄστυ
*7015 44
δεσπότης
72 ; 63 A3, B2
θηρευτής
2812
ἰχθύω[ν ἀγορά?] 12 fr. 17 (εἰ-) (Oropos) κέραμος χυτρικός 6 inscr1–2 (Athènes) κηπρός 544 (ion.) κυβερνήτης 46 B1 ; *7012
450
Index
κύριος
161
[πρ]υτάνις
12 fr. 13
λοχᾱγός
*55 B2
σκυτεύς
63 B3
ναόκληρος νερός
341–2 (ion.) 2513 (ion.)
χαλκεῖον χαλκεύς χυτρικός
72 20 inscr2 6 inscr1–2 (κέραμος χ.) (Athènes)
πόλις
2512 ; 365
5. Unités de mesure et monnaies ἀργύριον ἄργυρος
δηνάρια
395 (abrév.) ; 65 A4 (ϙαʹ (?) ἀργύριον) 484 (τρς τετάρτας ἀργύρ), 5 (τρίτην ἀργύρ) ; *706–7 (τῷ χαλκῷ ἀργυρο) 12 fr. 14 (εἴκοσι δ.), 9–10 ([ἑκατὸν? π[ε]ντήκ[οντα]) ; 183 (abrév.)
ἡμιστάτηρον ἥμυσυς
219 ; 483–4 (ἠμιστάτηρον χρυσ) 6711
μέδιμνος μέτρον
217 (μέδιμνοι ἐννέα) *708
ὀκτάνον
60 B3–4 (δύο ὀκτάνα) ; 61
στατήρ
204–5 (τέσσερας στατῆρας) ; 268 (ἐπτὰ καὶ εἴκοσιν στατῆρες) ; 294–5 (πέντε [στατῆρες? (καὶ) –] ἔκτας) ; 482 (στατῆρα χρυσ) ; 60 A4 ([–σ]σον στατ[ῆρ–], 8 [–]σσον στατῆ[ρ–])
τάλαντον τετάρτη τρίτη
143 (τάλαντα [–]) 484 (τρς τετάρτας ἀργύρ) 485 (τρίτην ἀργύρ)
χρυσός
482 (στατῆρα χρυσ), 4 (ἠμιστάτηρον χρυσ)
[---]
452 (πεντήκον[τα –]) ; 60 A6 (ἕξ καὶ ὀγδο[–])
6. Index des mots grecs ἀβοήθητος ἄγνυμι [ἀγορά?] ἀγοράζω ἄγω ἀδελφή ἀδελφός ἀδικέω αἴπερ αἰτιάομαι αἰτίημαι ἄκνυμι ἀλλά ἄλληι ἄλος ἀμελέω
322 → ἄκνυμι 12 fr. 17 505 204 ; 226 ; 235 ; 2512 195 *86 ; *10 B3 ; *112, 3 ; 2512 ; *701 ; 72 A2 *87–8 ; 251 403 (dor.) → αἰτίημαι 65 B3 (ion.) *709 (sic) 72 ; 212 ; 264 ; 46 A2 ; *704 65 A5 22 (= ἄλλος) 222
ἄμμος ἄν ἀνάγω ἀναβοάω ἀνακῶς ἀναλέγω ἀνασκευάζω ἀνασπάω ἀναφέρω ἀνα[---] ἀνδράποδον ἀνδράποτον ἀνήρ ἄνθρωπος ἀνκύρη ἀντιμηχανάομαι [ἀ?]ξίη
214 221, 3 ; 593 ; 671, 9, 10, 11, 12, 13 248 256 ; 675 205 ; 386 65 A2, 5 223 215 65 A2 (rest.) 27 A6 46 A5 (-τ- pour -δ-) ; 483 → ἀνδράποδον 68 inscr3 73 593 (ion.) 221–2 27 A6 (ion.)
451
6. Index des mots grecs
ἀξιόω αὀτός
ἀφηγέομαι ἀφίημι ἄα
593 206 (αὀτῆι) ; 226 (αὀτόν). → αὐτός 60 B1 65 B2 145 254 (ion.) 60 A9 (τὠπ᾿ ἐλαίō) 667 *71 A5–6, B3–4 (?) 6 verso3 ; *10 B1 ; 12 fr. 18 ; 219 ; 233, 6 ; 267 (rest.), 7–8 ; 27 B3, 5 ; 343 ; *71 A2, 4–5, B2–3 *7015 72, 4 ; 262–3 ; 477 165 66 ; 46 A3, 4 512–3, 3 (ou ἀποπέρνημι) 512–3, 3 (ou ἀποπεράω) 142 ; 212–3 ; 234 (rest.) ; 363–4 ; 455 ; 46 A7 ; 582 ; 595 ; 65 A3 253 482 395 (abrév.) ; 65 A4 484, 5 ; *706–7 512 *7014 *703–4 → ἄα 44 384 287 (ion.) 64 ; 72 (2), 3 ; 206 (ion. αὀτῆι) ; 215 ; 226 (ion. αὀτόν) ; 246 ; 254, 9 (2), 10, 13 ; 264, 10 ; 27 A6 (αὐτ[–]) ; 366–7 ([αὐ]τῶι) ; 444 ; 457 ; 494 ; 594 ; 63 B4 ; 65 A7, B3 (rest.) ; 6710 ; 686. → αὀτός → ἀπηγέομαι 476 234 (= ion. ἅσσα)
βάλλω βέλτιον βλάπτω βούλομαι βοῦς βωμός
65 B4 73 287 65 ; 234 (rest.) 385 287
γάμος
*71 A3
ἀπαιτέω [ἀπ?]αλλάσσω [ἅπ?]ας ἀπηγέομαι ἀπό [ἀπ?]ογενν[–] ἀπόγονος ἀποδίδωμι
ἀποικία ἀπόλλυμι ἀπολογία ἀποπέμπω ἀποπεράω ἀποπέρνημι ἀποστέλλω ἀποστερέω ἀποτίνω ἀργύριον ἄργυρος [ἄρ?]ουρα ἀρχή ἄσβολος ἅσσα ἄστυ ἄτερ αὖτις αὐτός
γάρ
γίγνομαι γιγνώσκω γίνομαι γινώσκω γλαυκός γράμματα γρ[αφή?] γυνή δέ δείδω δένδρον δεσπότης δέχομαι δέω (1) δέω (2) δή δηνάρια δία δίαιτα διάφορος δια[---] δίδωμι
55–6 ; 73 ; 233 ; 252, 4 ; 263, 7 ; 30 B1 ; 454 ; 46 A5 ; 52 col. I2 ; 60 B2 ; 63 B3 ; *704 *9 fr. A6. → γίνομαι → γινώσκω 2610 ; 322 ; 46 A2 (ion.). → γίγνομαι 387 (ion.). → γιγνώσκω *7016 367–8 ; 595 698–9 2511 ; 285
δύναμαι δύναμις δυνατός δύο
passim 63 A2 2811 72 ; 63 A3, B2 27 B3 74 *20a A3 ; 595 ; *703 passim 12 fr. 14, 9 ; 183 (abrév.) *7010 52 col. I4 *7015–16 55 147 (rest.) ; 182 ; 30 B1 ; 363, 6 ; 372–3 ; 456 ; 46 A7 ; 543 2811 (ion.) 285 323 66 266 252 (ion.). → δουλεύω 256 (ion.). → δούλη 255, 6 (ion.). → δοῦλος → δλεύω 256 (ion. δλας) 255 (ion. δλον), 6 (ion. δλς) ; 289 6713 262 143 46 A4, 7 ; 60 B3 ; 679 (2)
ἐ ἐάν ἔαρ ἑαυτοῦ
492 259 (ion.). → εἰ *9 fr. A4 ; 224 ; 265 (ἰάν). Cf. ἤν. 243 → ἑωυτοῦ
διηκόσι[α] δικαίως δίκη διφθέρα διφθέριον δλεύω δλη δλος δουλεύω δούλη δοῦλος
452
ἐγώ
εἰ
εἴδω εἴκοσι εἴκοσιν εἱμάτιον εἰμί
εἶμι εἰς εἷς εἰσάγω εἴσοδος εἴτε εἰχθυώ[πωλις?] ἐκ [ἑκατόν] ἐκβάλλω ἐκεῖθι ἐκεῖνος κοσι [ἐκπ?]λέω ἕκτη ἐλάα ἐλάη ἔλαιον ἐλάσ(σ)ων ἐλεόθερος ἐλεύθερος ἕλκω ἐλπίς ἐμπίπλημι ἐν ἔνδεσμος ἐνδίδωμι
Index
*87 (ἐμέ) ; 142 (ἡμῖν), 5 (ἡμῖν, rest.) ; 172 (μου) ; 202 (μοι) ; 222 (ἐμοί) ; 255 (ἐμά) ; 265 (ἐ〈μ〉οί), 10 (μοι) ; 322 (μευ) ; 342 (ἡμῶν) ; 366 (μοι) ; 385 (ἐμέο) ; 424 ([ἐ]μέο) ; 443 (ἐμέο) ; 46 A2 (μοι), 3 (μοι), B2 (μοι) ; 592 (2) (ἡμεῖς ; μοι) ; 63 A6 (μοι) ; 6810 (μοι) ; *71 A1 (ἐγώ), 3 (μοι), 4 (κἀγώ), B3 (μοι) ; 72 A2 (μοι), B1 (μου) 65 ; 12 fr. 15 ; 142, 3, 5 ; 155 ; 259 (ion. ) ; 295 (ion. ἰ) ; 30 B1 ; 591 ; 65 A4 ; [661] ; 678. → et ἰ 172 ; 2510 12 fr. 14 ; 268 (εἴκοσιν) ; 673 (κοσι). → κοσι 268. → κοσι → ἱμάτιον 143 ; 206 ; 216 (2) ; 232–3, 5, 7, 8 (2), 12 ; 263 ; 27 B6 ; [287] ; 322 ; 454 ; 46 A5 ; 52 col. I4 ; 594 ; 65 A7 (?) ; 671, 8, 9, 10 417 12 fr. 12 (rest.), 6 (rest.), 7, 8 ; 30 A4, B2 ; 365 ; 63 B2 (rest.). → ἐς et ἰς 52 col. II8 384 → σοδος *703 → ἰχθυώ[πωλις?] passim 12 fr. 19 (rest.) 30 A2 → κεῖθι 215 ; 65 A7. → κνος et κεῖνος 673 (ion.). → εἴκοσι 286 295 → ἐλάη 60 B2–3 (ion.) 60 A9 (τὠπ᾿ ἐλαίō) 144 258 (ion.) → ἐλεόθερος 677, 8 215 214 passim 45 212
ἔνειμι ἐνευρίσκω ἐνεχυράζω ἔνθα ἐνθάδε ἐνθ᾿ αὐτ ἐνθένδε ἐνθεῦθεν ἐννέα ἐντέλλω ἐντυγχάνω ἕξ ἐξεράω ἐξίημι ε ἔοικα ἐπε[---] ἐπί ἐπιβαίνω ἐπιβα[---] ἐπιβούλομαι ἐπιμέλεια ἐπιμέλομαι ἐπιστέλλω
ἐπιστολή ἐπιτέλλω ἐπιτίθημι ἐπιτρέπω ἐπι[---] ἑπτά ἐρινεός ἔριον ἑρμ[---] ἔρχομαι ἐς σοδος ἕτερος ἔτι εὖ εὑρίσκω εὐτελής εὐτυχέω ἔχω ἕως ἑωυτοῦ ζητέω
265 73 12 fr. 13 46 A1 (?) 245 52 col. I3 (ion.) 234 286 (ion.) 217 213 592 60 A6 214 *55 A2 (rest.) 223 ; 2610 (ion.). → εὖ *9 fr. A9 371 456 173 672 *88, 10–11 456 453 42 ; 62 ; 71 ; *82–3 ; 202 ; 247–8 ; 251, 11 ; *332 (rest.) ; 481 ; 52 col. I1 ; *642 ; 6712 46 B2 ; 583 ; *7013–14 282 196 ; 264, 4–5, 5–6 ; 374–5 ; 46 B2 205–6 *9 fr. A4 143 (rest.), 6 ; 268 162–3 30 B3 *9 fr. A10 72 ; *20a A2 ; 253, 13 ; 52 col. I5 ; 545 44 ; 2512 ; 282, 6 ; 382, 8 ; 46 A4 ; 52 col. I6, col. II8 ; 675 (?) ; 678 ; 688 65 B4 (ion.) 2511 193 72 A1. → ε 2812 67 595 ; 668 ; 72 B2 64 ; 141 ; 203, 5 ; 222 ; 255 ; 267 ; 344–5 (rest.) ; 63 B2 ; 65 B3 211 257, 8 ; 264 ; 495 (ion.) 593
453
6. Index des mots grecs
ἤ ἦ ἡγέομαι ἤδη ἡδύς ἠέ ἥκω ἡμέτερος ἡμιστάτηρον ἥμισυς ἥμυσυς ἤν
66, inscr4 (2) ; 146 ; 46 A7 ; 673 224 65 A3 46 A3 687 65 B3 31 679 219 ; 483 → ἥμυσυς 6711 (ion.) 54 ; 2610 ; 30 A2, B1 ; 685. → ἐάν
θάλαμος θέλω θεοποίητος θεός θήκη θηρευτής θύλακος θύρα
422–3 173 ; 232 ; 269 ; 495 ; 6710 283 51 ; 288 ; 46 A1 294 2812 393 (σθύνλακος), 6 11
ἰ hιάλλω ἱάλλω ἰάν ἴδιος ἱερόν ἱερός ἱερουργία 〈ἰ〉θύωρος ἱμάτιον ἵνα ἰπνός ἵππος ἱρόν ἱρός ἱρουργίη ἰς ἰσαῖος (?) ἰσάτις ἴσος ἰσσαῖος (?) ἰχθύς ἰώνιος
295 (ion.). → εἰ *55 B2 (dor.). → hιάλλω 265 (= ἐάν) *702–3 → ἱρόν → ἱρός → ἱρουργίη 2513 (ion.) 2010 (εἱμάτι[ον]) ; 46 A3, 4 *55 A1 ; 72 A2 *7010 2812 ; 362–3 284 (ion.) 2810 (ion.) 2810 (ion.) 6 inscr1 (= εἰς) 27 B2, 4 (-σσ-). → ἰσσαῖος (?) 27 A2 383 27 B4. → ἰσαῖος (?) 12 fr. 17 (εἰ-) 46 A4
κάδος καθίημι καί κα(ι)νός
12 fr. 110 11 passim 22
καιρός καίω κακός καλός καλύβιον καλῶς καλ[---] κάνδολ[ον?] κᾶπος κατά καταβαίνω κατακωλύω κατανύω καταπ[---] κατασφραγίζω κατασφρακίζω κατατίθημι κατατρέχω κατοικίζω κάτυμα κεῖθι κεῖνος κελεύω κνος κεν+[---] κέραμος κηπρός κηπουρός κῆπος κίνδυνος κοκ[---] κομίζω κρατερός κριθή κριό[ς] κυβερνήτης κύριος λαμβάνω λάχανον λέγω λείπω ληνό[ς] λόγος λοχᾱγός λύω
27 A5 *705 2811 ; 52 col. I4 323 202 (-β{ρ}-) 591 *403 ; *7017–18 27 A4 12 (dor.) 2510 ; 261 2513 146 63 B3 243 → κατασφρακίζω 52 col. II8 (sic) 55 289 696 68 (att. κάττυμα) 60 B2 (ion.) 689 (ion.). → κνος et ἐκεῖνος 153, 6 (rest.) ; 63 A2 ; 65 A1, 6, B1, 4 ; 677, 13 267 (ion.). → κεῖνος et ἐκεῖνος *9 fr. A7 6 inscr1–2 ; *707–8 544 (ion.) → κηπρός → κᾶπος 2812 12 fr. 15 (ὁ κ.) 218 ; 30 B4 ; 456–7 *7016–17 216 281 46 B1 ; *7012 161 12 fr. 11–2, 3–4, 6 ; 205 ; 353 ; 395–6 ; 46 A5–6 547 12 fr. 15, 6 ; 2510 ; *71 A1 2810 ; 52 col. II7 65 B2 12 fr. 19 *55 B2 *9 fr. A3 ; 394 ; 594
454
μάλα
Index
μηδαμῶς μηδέν μηθέν μήτηρ μη[---] μιν μν[ημονεύω] μολίβδιον μονόξυλον μυθέομαι
74 (μᾶλλον μᾶ[λ]λον) ; 144 (μάλιστα) 212 → μάλα 74 27 A1 → μηδς 384 (ion.). → μηδείς 217 *7017 281 144 ; 413 ; 63 A5 56 30 B4 289, 12 214 *84 6711 *708 67 ; *811 ; 142 (rest.), 5 ; 246 ; 262 ; 295 ; 30 B1 ; 343 ; 475, 6 ; 512, 3 ; *55 A1–2 (μ[?]) ; 63 B6 ; 65 A5 ; 6711 71 144 ; 205 212 71 ; 2511 ; 294 27 B5 252, 13 ; 191 72 B1 25 inscr1–2 214 235
ναόκληρος ναυάγιον ναύκληρος να[---] νερός νεωρός ναῦς νέμω (?) νῆσος νόμος νοσ[---] νῦν
341–2 (ion.). → ναύκληρος 289 → ναόκληρος 68 inscr3 2513 (ion.) → νερός 46 B3 (rest.) 242 284 697 ; *7010 *55 A3 *9 fr. A10 ; 225 ; 665
ξύλον ΞΥΝ+[---]
141 296
μαλακία μᾶλλον μαστιγόω μέγας μηδείς μηδς μέδιμνος μέλας μέλι μέν μένω μέρος μετά μετέωρος μετέρχομαι μετέχω μέτρον μή
ὀγδο[–] οἰκέτης οἴκημα οἰκία οἰκίη οἰκιήτης οἰκίον οἶκος
οὕτω
60 A6 → οἰκιήτης 30 A4 256 ; 30 A2 (ion. οἰκίη). → οἰκίη 30 A2 (ion.). → οἰκία 269 (ion.) 203 62 (loc. τοῖς οἴκοι) ; 211 ; 296 ; 30 A1 ; 382 ; 545 52 col. I6 673 144 544 (ion., correction de ὁπ.) 60 B3–4 ; 61 27 B2 203 (ion., = ὅπως) 268 (rest.) 594–5 6711 493 46 A5 6712 (ion.) → ὁκόσος 544 (corrigé en ὁκ.) 593. → ὅκως 155 512 456 ; 678 264 202 (ὅ τι) ; 248 (ὅ τι) ; 386 72 A2 12 fr. 15, 6, fr. 31 ; 156 ; 172 ; 224 ; 322 ; 65 B4, 5 141 ; 257 ; 371 (κ), 2 (κ) ; 63 A2 ; 673 ; 687 ; *702 672 257, 8 216 63 A4 → οὐ 174 *9 fr. A3 (ταύτην) ; 145 (ταῦτα) ; 211 (τούτου) ; 225 (τοῦτον) ; 2510 (ταῦτ(α)) ; 27 A5 (ταῦτα) ; 293 (τούτων), 5 (ταῦτα) ; 491 (οὖτος) ; 676 (τούτων) 64
πα〈ι〉δίον παιδίσκη
543 63 B1
οἰκ[---] οἶνος οἷος ὁκ[ότ(ε)] ὀκτάνον ὀκτώ ὅκως ὅλος ὄμμα ὀμ[---] ὄνομα ΟΠΟΝΤΙΝ (?) ὁκόσος ὁπόσος ὁπ[ότ(ε)] ὅπως ὁράω ὅρος ὅς ὅσος ὅστις ὅταν ὅτι οὐ οὐδέ οὐδείς οὐδεμία οὐδε[–] οὐκ οὖν οὗτος
455
6. Index des mots grecs
παῖς πάντως πάνυ παρά
παραδίδωμι παρακαλέω παρακομίζω παραλαμβάνω πάρειμι πᾶς πατήρ πεινάω πέλεκκος πέλεκος πέμπω πέντε πεντήκοντα περί περιοράω περι+[---] πέσσω πέττω πηλός πιπράσκω πιπρήσκω πίστις πίτυς πλεο[---] πλήν πλο[---] ποητέος ποιέω ποιητέος πόλις πολύς πονηρός ποτ[ί] πρᾶγμα πρᾶσις πράσσω πράττω πρήσσω πρῆσις πρίαμαι πρίν πρι[---]
21 ; 204 ; 232, 5 (ἡ) ; 25 inscr2 ; 46 A5 ; 491 46 A4 73 ; 412 53 ; *87 ; *10 A1 ; *113 ; 193, [4] ; 216, 8 ; 225 ; 231 ; 236 ; 253, 13, inscr2 ; 30 A4, B2, 3 ; 415 ; 457 ; 52 col. I5 73 72 A2 675 503–4 194 ; 223 ; 46 B4 ; 65 A6 *9 A6 ; 593 251 72 B1 → πέλεκος 542 (sic) 282 294 452 222 ; 269 ; *402 ; 584 ; 63 A2 71 283 → πέττω *709 (att.) *703 → πιπρήσκω 493 (ion.) 63 B7 2811 60 A2, 5 215 142 676 (ion.) 57 (-οε-) ; 142 (-οε-), 5 ; 295 ; 591 (-οε-), 5 (-οε-) ; 65 B5 → ποητέος 2512 ; 365 *9 fr. A7 *9 fr. A2 *402 (dor.) 12 fr. 18–9 ; 345–6 (πραγμα[) → πρῆσις → πρήσσω 72 A1 (att.). → πράσσω 63 A4 (ion.) 46 A5 (ion.) 143 12 65 B6
πρό προίημι προΐστημι προπηλακίζω πρός προσδόκιμος προστελέω πρότερον [πρ]ύτανις πρ[ῶτον] πρῶτος πρώτως πυνθάνομαι [π]ωλέω
342 679 594 74 72 ; 153 (rest.) ; 265, 6 ; 323 206 *811–12 *811 ; 27 A3 12 fr. 13 65 A2 63 B2 ; *71 B2 (?) *71 B2 (ou faute pour πρῶτος) 52 col. I2 12 fr. 22
ῥώννυμι
211, 7 ; 457 ; 46 B2
σεαυτοῦ σεωυτοῦ σθύνλακος [σί]δηρος σ[ί]συρν[ον] σισυρωτός σῖτος σκαρίζω σκυτεύς σπεύδω σπουδάζω στάμνος στατήρ σταφυλή στέγασμα στέγη σύ
→ σεωυτοῦ 266–7 ; 65 B3 (ΣΩΥΤΟΝ) (ion.) 393 (sic). → θύλακος 27 B4 27 B7 67 61 172–3 63 B3 224 → σφουδάζω *10 B1 ; *114 205 ; 268 ; [294] ; 482 ; 60 A4, 8 546 65 423 ; 52 col. II8 12 fr. 18 (σοι) ; 142 (σύ), 4 (σοι) ; 143 (σε) ; 156 (σε) ; 212 (ὑμεῖς) ; 222 (σο[ῦ]) ; 235 (τοι) ; 251 (τοι), 11 (τοι) ; 262 (σήν), 3 (σά), 4 (2) (σε, σύ), 5 (σά), 7 (σόν) ; 30 A3 (ὑμᾶς) ; 397 (σοι) ; 413 (σοι) ; 46 B4 (σο[ι]) ; 481 (τοι) ; 52 col. I1 (τοι) ; 582 (σοι) ; 65 A2 (σε), 6 (σε), B1 (σε), [4] (σε) ; 677 (σε) ; 692 (ὐμέων), 7 (ὐμέας) ; *71 A4 (σοι), B2 (σοι) ; 72 A1 (σε) *9 fr. A5 162 261, 8 52 col. II7 383 2510 (σφας)
συγγε[---] σῦκον συλάω συλλέγω συνκομίζω σφεῖς
456
Index
σφήκιον σφουδάζω σωμάτιον
383 174 (= σπουδάζω) 585
τάλαντον τάριχος τάχος ταχύς
143 382 ; 46 B4 32 ; 224 224–5 (τ[ά]χιον) ; 232 ([τά]χιστα) ; 6713 (τάχιστα) passim 387 204 (ion.) → τέσσερας 484 474 72 A2 ([τ]ειμ-) *83–4 65 ; 73 ; 142 ; 196 ; 213 ; 245 ; 259 ; 267, [9] ; *403 ; 43 A2 ; 595 ; 676, 8 ; 685 446 ; 65 A4 63 B6 546 283 46 A2 46 A7 ; 484 (ion. τρς) ; 63 A7, B6. → τρς 484 (ion.). → τρεῖς 63 B4 172, 5 (= τρυφή) 485 593 → τρηφή
τε τελέω τέσσερας τέσσερες τετάρτη τεχν[---] τίμιος τιμωρέω τις
τόδε τοιγάρτοι τοῖος τόπος τράχηλος τρεῖς τρς τρέφω τρηφή τρίτη τρόπος τρυφή ὑγιαίνω
ὑός ὑπέρ hυπό ὑπό
52 ; 63 ; 206 ; *332 (rest.) ; 591, 2 ; 63 B5–6 ; 661 (rest.) 6 inscr4 ; 212 (ὑός) ; 27 B1 (υἰεῖ). → ὑός → υἱός 373 (rest.) ; 592 → ὑπό 12 (dor. hυπό) ; 252 ; 261
φακ[ός?] φαλα+[---] φάσκω φέρω φημί φίλος φοινίκεος
505–6 21 64 6 inscr1 ; 144 ; *7013 254, 7, 8 ; 263, 4, 5, 7 ; 594 *7012 46 A6–7
υἱός
φορέω φορτηγέσιον φόρτος φυγ[---] φῶς
23 253 241 542 284
χαίρω
52 ; 63 ; 141 ; 161 ; 171 ; 191 (?) ; 201 ; 211 ; 30 A2 ; 312 ; 321 ; [*331] ; 343 (rest.) ; 352 ; 392 ; 412 ; [451] ; 46 A1, B3, 6 ; 511–2 ; 591 ; 63 A1, B5 ; 65 A1 ; [661] ; 6713 ; *701 72 20 inscr2 12 fr. 12 12 fr. 23 ; *706 1415 225 292 *402 (dor.) 244 247 ; 261, 3 (2), 5, 6 ; 292 *112 ; *704 594 482, 4 164 (χυδα) 6 inscr2 → χρος
χαλκεῖον χαλκεύς χαλκίον χαλκός χαρίζω χάρις [χλ]ανί[ς?] χρος χρηΐζω χρῆμα χρηστός χρόνος χρυσός χυδαῖος χυτρικός χῶρος ὦ
ὥστε
251 ; 481 ( Ὦρεστώνυμε) ; 52 col. I1 ( Ὠριστόκρατες) ; 60 A1, 5 66 11 (dor.) 142 ; 674 ; 683 146 32 (att. ς) ; 67 ; *87 ; 215 ; [232] ; 282 ; 63 B4 ; 663 ; 671, 13 *705
ΑΛΕΙΕΙΝ ΕΡΕΙΙΤΕΝ ΚΟΥΡΙ ΝΩΚΟΥΡΙΑ [---]ακεῖν [---]+άμν [---]ατω [---]έει [---]ειν [---]ενος [---]εσι [---]εσσι
*705 *7014 *71 B5 *71 B1 12 fr. 111 192 6712 692 62 B8 695 514 296
ὤα hδός ὠνέομαι ὤνημα ὡς
457
7. Index thématique
[---]ήματα [---]ιδιος [---]ικός [---]κοες [---]κοις [---]λετε [---]μεθα [---]νες [---]νεσθαι
63 B3 *55 A3 65 B5 696 *55 A2 664 698 673 *55 A3
[---]νοθέτης [---]πος [---]ραις [---]ραμον [---]ρεῖεν [---]σθαι [---]σήσασα [---]σμενος [---]σσος
281 6710 374 146 63 A6 426 ; 496 ; 678 68 inscr1–2 *9 fr. A7 60 A3–4, 7–8
7. Index thématique abréviation 16, 18, 28, 39 adresse externe 6, 7 (?), 20, 25, 26, 48 (?), 52, *55, 59, *62 (?), 68 ajout de lettres 20, 21, 25, 37, 52, 65, 67, *70, *71 alphabet – attique : 3 – « bleu » : *55 – inhabituel : *70 – ionien : passim – mégarien : 1 – parien/thasien : 15 aphérèse 38, 65 apocope 22 argent 12, 14, 18, 20, 21, 24, 26, 29, 39, 45 (?), 48, 60, 65 argile (tablette) 15, *70 aspiration (signe) 1, *55 assimilation 14, 20, 25 avis de réception 35 billet sur plomb 49 billet sur tesson v. message sur tesson boustrophèdon 23, 24, 25 (l. 3), *70 cadre v. lignes circulaire (texte) 1, 72 colonnes 52 corrections 5, *8, 14, 17, 23, 25, 26, 27, 46, 50, 52, 54, *57, 67, 68, *71 crase 6, 19, 24, 25, 26, 38, 48, 52, 60, 67, *71 defixio 12 (remploi d’une lamelle de plomb comportant une lettre privée) defixio possible *8, *20a (opisthographe) dépotoir 14, 36, 46, 53, *57 – citerne : *9, 72 – égout : 4
– habitation : 22, 29, 63, 67 – fosse : 15, 23, 24, 25, 51, *71 – muraille d’une maison : 53 – pavement : 21, 50 – port (filet de pêche) : *62 – puits : 1, 2, 3, 7, *10, *11 – remblai : 5, 60, 61 – sanctuaire? : 47 – tombe : 16, 32 dialecte – attique : 2, 3, 4, 5, 6, 7, *8, *9, *70? – dorien : 39?, *40, *55 – ionien oriental : 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, *33, 34, 37 (?), 38, 42, 43, 44, 46, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 60, 61, 63, *64 (?), 65, 67, 68, 69 – koinè : passim – mégarien : 1 – parien/thasien : 15 dipinto *10, *11, 16, 17 dissimilation 6, 19, 25, 30, 67 dittographie 25 élision 19, 22, 25, 27, 46, 52, 54, 60, *71 embarcation(s) 14, 21, 25, 28, 34, 46, 59, 67, *70 envoi – d’une amphore : *10, *11 – d’une lettre : 19?, 24, 26, 28?, 46, 58, 59, *70 – d’un paquet : 4 – d’un vase : 72 erreur non corrigée 25, 26, 47, 52 esclave(s) 2, 20 (?), 23, 25, 26, 28, 46, 48, 49, 54, 58, 63 exercices/jeux 58a, *71, 72 formula valedicendi 20, 45, 46, 59, 66, 67, 72 formula valetudinis 6, 21, 41 (?), 46 (?), 59, 66 (?)
458
Index
gémination 27, 67 interponction – un point : *70, 72 – deux points sur plomb : 5, 6, 19, 23, 26, 27, 29, 30, 42, 43, 46, 48, 49, 52, *55 sur tesson : 1, *9 – trois points sur plomb : 26, 53 sur tesson : *40 sur argile : 15 – interponction à l’intérieur du même mot : 26, 30 inédits *10 A, *13, 16, 17, 18, 19, *20a, 31, 32, 53, 56, *57, 61, *62 invocation 5, 15, 46, 60 iotacisme 12, 17, 21, 54, 72 lettre – sur argile : 15, *70 – sur plaque de marbre : 17 – sur plomb : 5, 6 , 7, *8, 12, 14, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 29, 30, 31, 32, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 48, 52, 53, *55, 59, 60, 61, 63, 65, 66, 67, 68, 69 – sur tesson : 16, 21, 28, 34, 38, 39, 50, 51, 54, 56 – sur vase : 72 – multiples : 46, 63? lettre possible *13, *20a (opisthographe), *57, *62 lettres omises 1, 4, 38 lettres oubliées 6, 25, 52, 54 lettres en plus 20, 21, 22, 25, 60, 67 ligatures *10, 12, 16, 21 (?), 37, 41? lignes/cadres *8, 25, 26, 28 (rayures postérieures), 29, 42, 48 (au verso), 49, 52, *55, 60, 69 marchandises 6, 14, 16, 21, 24, 25, 26, 27, 29, 30, 36, 38, 45 (?), 46, 50, 54, 56, 60, 61, 65, 67, 68, *70 message – sur amphore : *10, *11
– sur fonds de vase : 1 – sur tesson : 2, 3, 4 (avec l’anse complète), *9, 18, *33, 35, 36, 37, *40, 47, 58, *64, *71 mise en page 5, 6, 15, 44, 45, 60, 63, 72 objets 1, 2, *10, *11, 12, 27, 28, 54 opisthographe – plomb : *20a (?), 27, 30, 31, 43, 46, *57, 60, 63, 65 – tesson : 36, *71 (?) palimpseste 25, 26, 60 paragraphoi 60 patronyme *8, 15, 20 (?), 26, 36 plaque de terre cuite (argile) 15, *70 plaque de marbre 17 pliage 5, 6, *8, 19, 20, 22, 23, 24, 26, 27, 29, 30, 41, 42, 43, 46, *55, 60, 61, *62, 63, 65, 68 psilose 25, 26, 48, 68 raffutage du stylus/calame 7, 37 registres 26 remploi 12 (comme defixio), 28 (rayures), *62 (comme filet de pêche) rouleau 7, 14, 25, 48, 49, 52, 53, 59, 66, 67, 69 saisie 25, 26 simplification des géminées 2, *10, 14, 54, *55 stoichèdon 42, 43, 53, 60, 61, *64, 65, 68, 69 souscription 14 syncope 18 taille différente des lettres 6, 26 tête-bêche *71 texte rajouté 3 traits horizontaux 60 (paragraphoi)
PLANCHES Planches
461
Planches
Pl. I
1
2 3
4
5
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Planches
Pl. II
6
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Planches
Pl. III
7
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Planches
Pl. IV
12
14
15
465
Planches
Pl. V
17
19
20
466
Planches
Pl. VI
21
22
467
Planches
Pl. VII
24
468
Planches
Pl. VIII
25
469
Planches
Pl. IX
25
470
Planches
Pl. X
28
34
35
38
471
Planches
Pl. XI
39
41
46
47
472
Planches
Pl. XII
48
49
473
Planches
Pl. XIII
50
51
54
55
52
58
474
Planches
Pl. XIV
59
475
Planches
Pl. XV
60
65
67
476
Planches
Pl. XVI
68
69
71