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French Pages 370 [376] Year 1963
ALBERT CARACO
A L A BACONNIÈRE
ALBERT CARACO
HUIT ESSAIS SUR LE MAL If La source de tout mal est en l’incohérence, il n’est de bien sans la révision perpétuelle ni la réforme permanente : c’est avouer que le souci prélude à nos démarches, et qu’en un temps où les repères se déplacent, ceux qui ne veillent sont coupables et ceux qui les If incitent à dormir, les instruments If Il du mal sous la figure du bien même. If Qu’est-ce que l’homme libre? Un orphelin. Il n’est de Père au If Ciel, et dans le monde où nous vivons il n’est plus de refuge. Aussi faut-il que les yeux s’ouvrent désormais et que l’espèce parvenue à sa majorité réponde. Il ne s’agit pas de tout abolir, il nous importe de tout repenser et de reconquérir un ordre. Plus que jamais la lettre tue et If nous ne voulons pas mourir pour ce que nous savons bien mort. Nos tf moyens nous assignent un devoir qui parut sacrilège : celui de prendre sur l’autel et de fonder ce It qui nous porte. Le mal commence à partir du moment où nous nous dérobons à cette double audace, à quoi l’histoire ne fournit de précé dent. La démesure et l’ignorance sont mères de l’incohérence, nous n’avons plus le droit de professer que là folie est sainte et que le refus des lumières est une preuve de sagesse. Les hommes méri taient d’être les rois de la création et semblent les valets de sa ruine, If le mal n’est fort que parce qu’ils se jugent faibles.
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HUIT ESSAIS SUR LE MAL
DU MÊME AUTEUR PHILOSOPHIE L’ÉCOLE DES INTRANSIGEANTS Ed. Nagel, Paris, 1952
LE DÉSIRABLE ET LE SUBLIME La Baconnière, Neuchâtel, 1953
FOI, VALEUR ET BESOIN Ed. E. de Boccard, Paris, 1957 APOLOGIE D’ISRAËL I. — Le Plaidoyer pour les Indéfendables II. — La Marche a travers les Ruines Librairie Fischbacher, Paris, 1957
LITTÉRATURE INÈS DE CASTRO — LES MARTYRS DE CORDOUE Ed. BeLAir, Rio de Janeiro, 1941
LE CYCLE DE JEANNE D’ARC Ed. Aristide Quillet, Buenos-Aires, 1942 LE MYSTÈRE D’EUSÈBE Ed. Aristide Quillet, Buenos-Aires, 1942
CONTES — RETOUR DE XERXÈS Ed. Aristide Quillet, Buenos-Aires, 1943 LE LIVRE DES COMBATS DE L’AME (Prix Edgar Poe) Ed. E. de Boccard, Paris, 1949
ALBERT CARACO
Huitessais SUR LE MAL
A LA BACONNIÈRE
© 1963 by Editions de la Baconnière, Neuchâtel (Suisse)
Assigner une place au mal est le dernier effort dont le bien soit capable.
PROLOGUE DANS LES LIMBES
Sur une pensée de saint Augustin
11 Texte : un homme qui, ne méconnaissant pas le bien, cesse de Tobserver, perd le pouvoir de discerner le bien ; un homme qui, pouvant faire le bien, résiste au bien, perd le pouvoir de faire ce qu’il veut.
H L Ange : — Cette pensée est admirable et l’on ne fait pas mieux II au Ciel. 11 Le Démon : — L’on aime au Ciel les demi-vérités et les pro n phètes les annoncent aux humains, mais elles ont la sanction de Dieu, les nôtres volant de leurs propres ailes. L’Ange : — C’est dire qu’elles volent bas. Le Démon : — Et qu’elles réfléchissent l’évidence. L’Ange : — Une évidence fille du péché. Le Démon : — Nous n’avons pas choisi d’en être, elle nous enveloppe et nous la pénétrons, vos pareils ne la changent guère et n n H mes pareils la définissent, nous y voyons Dieu même dans Ses œuvres, trônant parfait dans l’imparfait. Cet Augustin, quel homme ! Il avait pour le moins l’étoffe de trois diables. L’Ange : — Les grands saints — n’est-ce pas ? — sont des h diables manqués. Le Démon : — Et les démons, des anges sans collier ni maître, libres à leur manière et fût-ce dans le mal. A propos, qu’est-ce que n n n le mal ? Ni vous ni moi ni l’homme ne le savent, mais l’on en dis pute. Que vaut après cela la pensée que vous jugez admirable ? n n Elle suppose l’existence d’un mal absolu, toujours un et le même, n et d’un bien connaissable, universel et permanent... deux postulats en somme.
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L’Ange : — Otez les postulats et le chaos devient l’unique certitude. Les postulats sont des repères et moyennant lesquels nous passons aux coordonnées, alors nous obtenons une figure stable et qui se nomme l’ordre. Le Démon : — Vous répondez mieux que jadis et je ne m’atten dais à tant de pertinence. Il faut le croire : à force de vous frotter H aux démons, l’Esprit vous serait-il venu ? J’admets vos postulats, vous me battez sur mon terrain et vos prestiges ont je ne sais quoi de satanique, vous m’empruntez mes propres armes et la II philosophie aidant, c’est ma cervelle qu’on renverse. Des anges philosophes ! Que reste-t-il aux diables ? II II L’Ange : — Nous sommes d’accord sur le premier point, les postulats suffisent, la foi roule sur eux et la raison ne les bat en ruine. Nous renonçons, moi, l’Ange, à l’absolu, vous, le Démon, aux vaines controverses. Nous ne nous fendons plus la tête pour ce détail qu’est une vision sub specie aeternitatis, nous oublions das Ding an sich, nous nous rabattons sur das Ding fur uns et ne nous dérobons, nous, immortels, à vicissitudo spatiorum temporalium. Le Démon : — Quelle leçon d’humilité ! Vous voilà plus bas que l’Enfer et je vous perds de vue sous moi dans les abîmes de votre abdication où j’ai peine à vous suivre ! Suspendez votre II chute et revenez à moi ! J’aime à confronter mes idées avec celles II d’un ange et mes pareils sont pour les vôtres le sel de leur éternité. L’Ange : — Ouvrons ce débat, je vous prie : Un homme qui, NE MÉCONNAISSANT PAS LE BIEN, CESSE DE L’OBSERVER, PERD LE
pouvoir de discerner le bien — il est donc frappé de sottise — ; UN HOMME QUI, POUVANT FAIRE LE BIEN, RÉSISTE AU BIEN, PERD
le pouvoir de faire ce qu’il veut
— il est donc frappé d’impuis
sance. Le Démon : — A moins qu’il ne professe la double vérité. II L’Ange : — La double vérité mène au chaos. Le Démon : — Ceux qui méritent de s’y rendre... les faibles, les petits, les sots et nous ne les honorerons de nos scrupules, leur II lllll foule n’emplit qu’un désert et si chaque homme là-dedans porte II son chaos dans la tête, le malheureux va-t-il changer de place ? Il tombe en ce qu’il est, il rentre en soi, le voilà pareil à soi-même, il fut chaos et ne s’en doutait guère, il l’est et se contemple en un miroir fidèle. Non quod sentiunt^ sed quod necesse est dicunt, les 10
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prudents et les sages observent la maxime et la maxime réfléchit II n. ii la double vérité, la vérité dont les élus tirent la confirmation de ri leur état. L’Ange : — Le privilège de mentir appartiendrait à ceux que H le Ciel aime ? 11 Le Démon : — Le bien commun a de cruelles exigences, mais O 7 il a de sublimes charités, il dupe ceux qu’il entend réformer, il II II est le médecin des âmes, la purge qu’il leur administre il l’envelop pera de miel. Certain prophète a parlé de serpents et de colombes. II L’Ange : — Vous m’embarrassez fort, vous démontez là les rouages de notre Empyrée et dans le chant harmonieux des sphères, mon cousin, vous cherchez une fausse note. Vous savez trop comment un grand empire s’administre et si le Ciel n’était II qu’à la perfection, le dialogue serait impossible. Pardonnons-nous un peu les uns les autres et laissons l’imbécile saint Michel terrasser •lîi qui le brave. J’admire une vaillance malheureuse et quand je Il ’en acquitterais, devrais, moi, vous pendre et vous brûler, je m Monsieur, en respectant votre courage. Le Démon : — Vous oubliez que je suis immortel et que vous perdez votre peine. J’affirme que nous discernons toujours le II bien que nous ne pratiquons jamais et que nous faisons ce que nous II II voulons, malgré notre refus de bien agir, la liberté du mal ne nous aveuglant guère et ne nous énervant pas davantage. L’Ange : — Vous raisonnez selon le Désirable et j’argumente II selon le Sublime ; vous défendez la Pesanteur et moi, la Grâce ; ri vous recevez le monde et moi, je le parfais ; vous n’êtes pas aussi n rebelle que moi-même, l’Ange, vous ne vous insurgez contre la gravitation et vous applaudissez à l’entropie, vous vous mouvez la tête en bas et nul abîme ne vous paraît assez creux ; vous vous insinuez parfois entre mes volontés et l’évidence, alors vous tordez n dans mes mains le glaive et je ne sais où mes coups portent. n Le Démon : — On baigne dans le mal, mieux vaut en convenir, ri n le mal et l’indéterminé s’allient, le mal paraît où notre jugement II ri balance, il n’est pas loin du refus qu’on oppose à tout engagement, mais sentons-nous quel engagement nous l’évite ? II L’Ange : — Il n’a jamais suffi de mourir pour une querelle pour être assuré de mourir au nom du bien, c’est la querelle et non pas le martyre qui nous innocente, la bonne mort ne prouve pas toujours la bonne cause. La cause est ce qu’elle est, sans préjudice
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de ce qu’elle emporte, sa valeur absolue ne change pas à raison du iï n concours — fût-ce le plus tumultueux —, nulle faveur n’ajoute il il II un point à ce qu’elle renferme. Qu’un milliard d’humains s’em pressent d’appuyer l’erreur, l’erreur ne varie pas, mais que la il vérité se fasse jour — et fût-ce après mille ans —, l’erreur n’en devient pas plus estimable : elle s’évanouit, le KAIROS de la vérité ne lui fera pas grâce, elle entraînera dans le gouffre ses défenseurs et leurs vertus, vertus rendues abominables. Le Démon : — C’est la victoire qu’on estime et non la vérité, II c’est la défaite qu’on méprise et non l’erreur, et si — par acci dent — une aberration prenait la succession de l’erreur, on lui rendrait l’hommage dû — selon vous — à la vérité... puis qu’est-ce H qu’une vérité sans fanatiques ni martyrs ? et qu’est-ce qu’un mensonge en état de les susciter de pays en pays et d’âge en âge ? Le monde encense Fortuna, lui donnerez-vous tort? et que mettez-vous à sa place? Le bien nous le discernerons toujours, fût-ce en ne l’observant jamais et nous l’honorerons des lèvres, sans perdre le pouvoir de faire ce que nous voulons, dans la mesure où ce que nous voulons est raisonnable. Quoi de plus raisonnable 11 que le mal? Vous vous taxez vous-même de rébellion et je n’ai 11 II ’importe garde, moi, de l’être, il ne m de braver le monde et il comme il va, je vous proteste que je l’aime ! L’Ange : — Vous ne l’aimez que trop, il ne vous abominera il jamais assez. Le Démon : — Je le conserve et si je pouvais le laisser tel quely il j’y donnerais les mains. Je souhaiterais l’affermir en l’immobile et l’ancrer dans sa chute, le perpétuer dans sa complaisance et l’éterniser dans l’abjection où je discerne, moi, la fin de ses démarches. L’Ange : — Et moi, le soulever et le précipiter dans l’altitude, l’enflammer et l’illuminer, comme une roue ardente volant de sphère en sphère. Il en possède les moyens, il lutte — ou peu s’en faut — de puissance à puissance avec ceux de mon bord, mais il ne fait pas ce qu’il veut, il est puni de résister au bien et de se refuser aux sanctions du privilège, il perd sa liberté, ses moyens le dominent et ce nouvel ange est leur esclave, en butte désormais aux foudres H qu’il ne va brandir. Que je le plains ! Le Démon : — Il me retrace l’une de ces plantes qui poussent au long des années et ne fleurissent qu’un seul jour, et meurent ü
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et pourrissent. Vous lui composerez une oraison funèbre de votre II plus belle eau, vous méditerez demain IT sur une ombre et vous retomberez dans vos sublimités inéluctables, la joie au Ciel effacera le deuil sur terre... car enfin vous l’aurez tué. L’Ange : — J’admire votre audace. Nous ? •T Le Démon : — Vous lui soufflez la démesure et vous lui pro testez qu’il a sur le Sublime un droit héréditaire, qu’il est le légataire universel — ou peu s’en faut — de Dieu, que Dieu vous n obligea dans les commencements à révérer son prototype et que nous nous y refusâmes, nous, les diables (il paraît que nous eûmes tort !). Au fond, que sommes-nous à souhaiter, nous autres? que demandons-nous, à tout prendre ? Le privilège de ne révérer per H 11 sonne et de ne fléchir devant rien. Que l’homme nous imite, il sera libre au lieu de s’immoler à l’œuvre et dites-moi quelle œuvre éclipse-t-elle son auteur ? Que suis-je ? Qu’êtes-vous ? Qu’est Dieu ? L’œuvre de l’homme. L’Ange : — Silence ! audacieux ! Vous passez du côté de II rt l’adversaire. Dieu, vous et moi, nous nous devons quelque ménage ment, nous traiterons de puissance à puissance, l’homme est notre ennemi commun, nous l’écrasons entre deux postulats, il en oublie h de vivre et nous vivons de ce combat douteux. Imaginez-le soufflant sur nous tous ensemble et se guidant par les lois solen nelles de l’intelligence, observant la mesure, instaurant l’hu manisme et devenant une personne, la terre sous les pieds, le ii front dans les étoiles, osant déterminer la part qui lui revient et nous réduire à celle que nous méritons ? Le Démon : — Pourvu de cesser d’être ce que je lui semble, pourvu de cesser d’être le mai à ses yeux, j’approuve ce qu’il osera. L’Enfer? L’Enfer n’a rien à perdre, au Ciel de trembler à n n. son tour. Le mal ? le bien ? fracas de mots, simplicité barbare et faux mystère : on passera de l’un à l’autre selon la mesure et la ri tt' convenance, selon les temps, les lieux, les idees, les moyens, le iî but et les lauriers que l’on moissonne, le dernier point décide il quelquefois du reste et nous l’apprîmes, nous, à notre préjudice. Votre Augustin fonda la politique du Bras Séculier, cela met sa h pensée dans un lustre admirable, les flammes du bûcher tirent un h aliment de sa philosophie et son amour annonce les pleurs que ii versait un Torquémade. On nous reproche de n’avoir le don des larmes ! L’erreur consiste à déclarer les hommes égaux devant n 13
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l’Eternel. Après cela comment leur refuser l’égalité sur terre ? Il est absurde de leur prêcher que « nous naissons nus et mourrons nus ». Qu’est-ce que cela prouve ? Qu’il faille vivre nus ? Belle logique ! L’égalité post mortem, une impertinence : il faut de la prédestination, de la métempsychose, n n des Cieux en nombre égal à celui des espèces d’hommes ou de classes, afin que l’inégalité n se perpétue in vivo. Vous avez tout mêlé, le despotisme répondant à l’idée fausse. Ecarter le grand nombre de la table évitera de lui II II couper les mains, s’il les allonge après les mets que vous lui refusez toujours. H L’Ange : — La foi chrétienne est ensemble le torrent et la digue. Le Démon : — Mais à ce jeu le torrent aura l’avantage et mieux vaut détourner la source, il ne faut plus de torrents en ce monde, les moyens ne plaisantent avec les idées, l’énormité des II uns appelle dans les autres la mesure. Point de mesure sans la II réforme des idées et l’égalité paraît l’une des plus contestables, 11 elle nous met en face de problèmes insolubles, elle aigrit tous les II hommes sans les amender et précipite les diverses classes dans une lutte sans issue, les combats ayant leurs vainqueurs, les vainqueurs obtenant leurs privilèges, les privilèges infirmant ce qu’on se pro posait d’abord et n’atteindra pas même en anéantissant les trois II quarts de l’espèce. Et puis le mal est la rançon de toute liberté, la part du mal augmente où nos domaines s’élargissent, plus nous avons de latitude et plus nous inclinons à l’abus général, nos pri vilèges peuvent concourir à nous faire inhumains, nos voluptés à nous rendre insensibles et le bonheur peut en un mot nous pré II cipiter dans l’abjection. Un monde d’hommes affranchis ne serait pas l’Olympe, il tiendrait du Parnasse et du Tartare. L’Ange : — Que faire ? Il n’est de règle, il n’est que des ajuste II' ments, louches les uns, les autres provisoires, l’on n’a jamais légiféré pour trois et quatre générations de suite. De là le besoin de jurisprudence et l’impossible d’observer les grandes règles à la II lettre. Les hommes sont donc appelés à devenir auteurs, nulle inspiration ne descend plus du Ciel, le Ciel réside où nous les savons investis des attributs que l’on jugea divins : la pluie, le vent, la foudre et l’art de réformer les apparences de la terre, de mouvoir les montagnes et de fertiliser les sables, les travaux des géants et l’ordre des poètes, la masse et l’harmonie, le calcul et la gloire,
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leurs fastes les voilà, dont l’avenir est gros ! Le procès des traditions it a depuis longtemps commencé, tout ce qui fut ne sera pas et tout ce qui sera déborde nos prévisions, nous pouvons entrevoir II les lignes générales et, par accident, les formes, le contenu jamais, jamais le contenu, la liberté de l'homme engage l’ineffable et son il mystère perpétue un choix que rien n’épuise et dont nous répon n dons avec les hommes, eux qui sont libres malgré nous de forfaire II à la précellence et de se jeter du plus haut dans un égarement plus sombre. Non ! leur morale n’est pas celle de leur avenir et cette n impression menace l’ordre, un changement universel éclatera par d’infaillibles conséquences, l’orage se ramasse nous ne savons où, nul peuple n’en éludera l’impératif et tous obéiront aux lois soudaines, jaillies comme l’éclair, de la nécessité que les moyens imposent. Le Démon : — Les guerres abolies, les hommes réglant désor mais if le train de leurs naissances et reculant la mort jusqu’aux limites du possible, les maladies éteintes, les loisirs ranimés, il faudra bien leur restituer ce qui leur revient depuis que la foi les dépouille et que les moralistes les obèrent. Comme ils s’étonneront alors de la servilité de leurs ancêtres et soupesant leurs chaînes, comme ils s’irriteront de leur faiblesse ! comme ces fers leur paraî n tront légers ! comme ils les briseront d’un mouvement pour les fouler avec mépris ! Seront-ils anges ou démons ? h L’Ange : — L’homme est un mystère insondable. Que savonsnous de lui, purs esprits que nous sommes ?
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DE L’HOMME
If 1. Qu’est-il? Une enfilade de moments cernant une promesse d’absolu qu’ils renouvellent, innombrables, II et qu’ils trahissent, inlassables. Nous la prenons légèrement pour accordée et quand nous raisonnons sur l’homme, nous lui faisons II crédit et ne rentrons jamais dans nos avances, nous posons l’irréel et nous partons de là, nous refluons sur l’évidence et tous nos II fl jugements portent la marque de ce postulat, de cet homme idéal, un avec soi dans l’absolu, plus proche des dieux que de nous, sujet pensant le monde et s’opposant à l’univers. Combien de rois, combien de saints, de héros et de philosophes en approchent-ils et combien nous le rendent-ils ? Mais nous ne sortons de cette hypothèse, l’homme idéal est légion et peuple en rangs serrés nos II n n manuels, nos traités et nos codes, il nous dérobe même à nous, il a n n pris souvent notre place, il a multiplié les équivoques, le mal est n entré dans ces vides, le mal fera la différence et de cet homme à nous et de nous à cet homme. 2. L’on ne raisonnerait, si l’on ne se trompait d’abord, l’homme II II idéal me semble une erreur méthodique et l’on n’arriverait à rien II de regarder à l’évidence, notre évidence n’est pas mesurable, à n moins que l’on n’en sorte. Les erreurs méthodiques sont les échelles n de l’Esprit, les ports où le raisonnement aborde et nos moyens se II II massent, là s’armeront les flottes destinées à conquérir les mers, les îles inconnues et les rivages ignorés des terres vierges : l’homme II idéal me paraît à la fois la plus heureuse et la plus onéreuse, on a II beau m’objecter qu’il nous dévore, l’informe nous dévorerait tou jours, la consolation n’est pas si vaine que l’on pense, il n’est pas II tellement indifférent de s’abîmer en ce qui nous élève et de mourir par ce qui nous embrase : l’homme idéal prend la figure de l’autel
Approches
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n où nous courons nous immoler, cette raison de vivre est honorable il n et légitime pleinement notre présence, le cercle où nous nous trouvons mis s’élargira pour que tout l’univers y plane. il il 3. Le mal grandit avec le bien, la démesure est la rançon de ir nos requêtes, ces vues énormes blessent la nature et ces problèmes ri font le malheur des petits, nous avançons entre deux monceaux n de victimes et nous ne pouvons reculer, le salut n’est pas en arrière n n et nos fins nous attirent sans clémence, l’œuvre de l’ho mme oblige son auteur et les repères le situent dorénavant, telle une constel lation dont la figure nous emporte. Le peu que nous savons de nous, les dehors nous l’enseignent, la voie que nous ne manquerons de suivre éclaire l’une après l’autre nos multiples faces, les moments de la vérité se succédant le long de ce périple, l’homme idéal n’est n pas un monstre froid et s’il parut une mesure fixe, elle répond de notre humanité. L’erreur se change en vérité, le modèle en ami, la menace en soutien, le terme en ouverture et sur un nouvel ordre où nous nous retrouvons, humanisant une objectivité qui nous doit l’existence et moyennant laquelle nous assumons sur nous un fondement toujours en marche.
I. Sujet, objet, on ne sait plus et l’ordre ne tient n pas à le savoir, l’ordre aime trop ce qu’il ignore et définit les attributs de servitude, laissant les autres dans le vague : à l’homme de les en tirer, mais cela qui le peut et qui, le pouvant, l’ose? Les attributs de liberté, nous ne les devons pas n à l’ordre, mais nous ne les trouvons jamais sans lui ni même hors n de lui, l’homme n’existe qu’à partir des hommes, les hommes peinent pour que l’homme soit. IL Définir l’homme, la grande affaire la voilà, les autres en n n dépendent et l’on remet cette partie au lendemain de ces victoires n que l’on ne remporte, on a d’ailleurs trop de problèmes sur les bras et qui ne veulent point languir, des brèches s’ouvrent en tout n lieu, la définition de l’homme peut attendre... et puis les équivoques ne sont-elles là pour se charger de l’intermède ? III. Déterminer les absolus est une déraison très nécessaire et h faute de laquelle il n’est pas de mesure fixe. On ne débrouille le chaos qu’à force d’arbitraires de ce genre, les hommes n’ont d’autres appuis que ces trop rares postulats qu’il leur sera loisible Déterminations
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enfin de rejeter, quand l’univers reposera sur de nouvelles évi dences. IV. Il est des erreurs généreuses, il est des vérités atroces et sordides. Les ri aîtres savent tout, mais les tyrans, eux, n’oublient rien, cela fait quelque différence. Aimons dans les erreurs la géné rosité qui les inspire et sans laquelle l’homme tomberait au rang de l’automate, l’homme a besoin d’être assisté contre soi-même n et de se juger libre, ce crédit l’humanise et l’art de gouverner se ri fonde sur le tempérament de la nécessité que l’on mesure et de la liberté qu’on ne mesure pas. ri V. Connaître l’homme et croire en l’homme, l’un sans le rendre esclave et l’autre sans prendre le change ou payer l’erreur de sa tête... cela suppose des lumières infinies, cela veut des principes immuables, cela pose l’accord du changeant et du persistant, cela requiert une mesure fixe et de la générosité. L’on sent que ni la force ni la ruse ne suffisent, ni même la raison, ces trois conditions n’étant que nécessaires et la nécessité ne fondant pas la légitimité, simple détail que les tyrans ignorent. VI. L’homme est la raison de l’Etat et c’est pourquoi la défi nition de l’homme emporte lois, mœurs et mobiles. L’idée de l’homme passe comme l’onde de bassins en bassins et choit insinuée au profond de la terre, il n’est de lieu qu’elle n’atteigne pour le sanctifier ou l’infecter à l’égal d’un charisme ou d’un poison. Trois douzaines de mots, le sens qu’on leur attache et l’esprit dans lequel on les applique, et voilà tout le mouvement donné, la pente des cendue et l’évidence perdue ou reconquise.
1. Qu’est-ce que l’homme? Un instrument, disent les politiques, et le malheur est que ce point de vue leur donne l’avantage, la mésestime n’est pas onéreuse, il ne leur coûte rien de persévérer dans l’erreur, si c’en est une. L’ami de l’homme a toujours le dessous, l’estime qu’il fait des humains et l’amour qu’il leur porte semblent très ridicules à l’intéressé, l’on subodore en de tels mouvements l’astuce la plus remarquable ou la démence à l’état pur. L’homme est à plaindre, parce qu’il goûte ceux qui le méprisent et qu’il méprise ceux qui l’aiment, cela le rend deux fois coupable, on ii n’a jamais le temps de le désabuser ni les moyens de le guérir. ri
Paradoxes et commentaires
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II II 2. Les Philosophes des Lumières prônaient le despotisme, à charge qu’il fût éclairé. Nous avouons, à notre honte, qu’il n’est possible d’aller au-delà, nous professâmes longtemps le contraire, mais nous avons tâté de la plus étonnante barbarie. La barbarie, II nul peuple ne la hait et s’il est libre d’en jouir, il ne se prive de s’y rendre. L’homme est souvent lassé de l’ordre et cherche pour en sortir quelque beau prétexte. Le génie de la servitude aura le dernier mot, il répond à la barbarie, les deux concourent à nous II enfermer, II le despotisme éducateur rompant le cercle. On me II reprochera d’en appeler à des miracles, c’est à se demander si nous avons d’autre ressource. 3. Connaître l’homme et savoir le détail de tous ses faibles, ne n se payer de mots et ne le mépriser pourtant, l’assister et ne lui II II n manquer à raison même de notre assistance, ne jamais s’affermir à ses dépens, ne jamais s’appuyer de ses bassesses, l’élever douce II II ment et l’armer contre ses rechutes, l’humaniser et l’éclairer, le polir et le rassurer, employer les ressorts de l’automate à lui donner de bonnes habitudes... voilà ce que la liberté ne peut et ce que peut If le despotisme à ses moments choisis, moments dont la succession II forme les heures étoilées sur le front sombre de l’histoire. 4. Car l’homme est à la fois ce qu’il nous semble et ce qu’il II mériterait d’être, s’il en avait les moyens, le loisir et l’espérance, II il n’a pas même toujours la dernière. Quand on le définit, on oublie généralement qu’il est une ruine, l’état d’adulte moyen n’est pas autre chose, la division du travail peuple le monde d'avortons, II nous vivons au milieu du chaos d’Empédocle et nous ne sortirons II de là, la plupart des humains ne s’épanouiront jamais et telle est la rançon de nos Lumières. L’ordre est coupable devant ceux n qu’il incrimine et s’il n’a le pouvoir de les sauver, il a le devoir et ÏT de mesurer tout le bien qu’il leur ôte et de veiller à leur en resti tuer l’apparence. 5. L’homme n’est pas à définir, il est à soutenir, les moralistes qui l’accablent volontiers font toujours preuve de mauvaise foi, leurs foudres tombent sur l’individu, mais ils n’atteignent l’ordre. L’homme est ce qu’il peut être, il subit l’évidence, il ne se connaît point, on ne le détermine que pour l’enchaîner et c’est pour l’abandonner qu’on le laisse libre, il passe sous les roues du char, on l’offre en holocauste, ses droits sont de fumée ÎT et ses espoirs de II balle. Que reste-t-il à définir ? Un ramas de semblances fugitives,
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L’HOMME
n i une irréalité fondamentale, une ombre de vivant au sein d’un n crépuscule, un entrechoquement de haines et de peurs, un remous d’idées fausses et d’espoirs avortés.
La personne et l’individu
Lui : — Il me II paraît que nous les confondons, nous faisons à l’individu n ri l’honneur du titre, mais il est rarement une personne, il en approche ri à de certains moments, ce n’est qu’un feu de paille, au premier coup de vent cela n’existe plus. Le moyen de le définir ? Moi : — Aux yeux des simples la divinité ne saurait qu’être n personnelle, elle ramasse tous les traits qu’ils n’ont en propre, ils n semblent adorer en elle l’humanité qu’ils ne possèdent. n Lui : — Ils rendent, ce faisant, hommage à la personne, c’est un aveu de leur misère. Moi : — Que sont les dieux ? Les hommes véritables, entiers, beaux, cohérents, bons, puissants et rapides. Et qu’est-ce que la foi ? L’encens de l’avorton sur l’autel de la plénitude. n ’avoue en ii ’accuse et plus j’en ai, plus je m Lui : — Ma foi m deçà de moi-même ? Alors les saints ne valent pas les sages. n Moi : — Ils peuvent plus et valent moins, ils tiennent quelque peu des monstres, nous sommes convenus de les priser outre mesure, la mode passera. iiiii Lui : — Les hommes personnels portent en eux leur centre et se disposent à l’entour, à l’égal d’une constellation ? n iiiii Moi : — Apparemment et c’est pourquoi nous les déterminons, ils sont réels, leur évidence les habite, nous savons où les trouver et les prendre. Lui : — Et quel vous semble mon prochain ? ri Moi : — L’un de ceux-là, jamais un autre. La foule reste dans ri les Limbes et les individus y roulent pêle-mêle, ils se croient libres et parlent de leur volonté, c’est une double illusion qu’ils payent de leur servitude, il faudrait qu’ils mourussent à l’idée qui les n égare, ils ne le feront pas et vivront à demi. Tel est le lot du nombre. n Lui : — Résumons-nous : nous sommes individuels, si j’ose dire, par droit de naissance, et personnels à force d’appuyer sur ce que nous avons en propre et de nous condenser à l’entour d’une vision que nous prenons de notre essence. 23
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ir n Moi : — Nous devenons un peu notre œuvre, l’homme accompli travaille à former cette image qu’il laisse à la postérité, l’on jurerait II qu’il est le sculpteur de son être et que sa mort achève la statue. Lui : — Si je vous entends bien, le monde est une mêlée If d’ombres où nous heurtons de temps en temps un corps. Moi : — Longueur et largeur sont données, la profondeur conquise. Lui : — Après cela, ne nous rendons-nous pas athées ? Moi : — Nous passerons pour tels, puisque nous ressemblons aux dieux qu’adorent à l’envi les faibles : nous n’avons, nous, plus de personne à révérer, nous nous restituâmes à nos veilles et nous nous reposons sur nos démarches, de nous à nous s’étend un pays de lumière. Alors commence un prélude éternel et nos 11 études n’auront plus de sens, nous touchons au sublime et voilà le climat de l’homme et dont il rêvera toujours en se trompant d’objet, de voie et de mesure. Lui : — La fin me plaît et je craignais de votre part un mépris offensant. Moi : — Que voulez-vous que l’on dédaigne ? Ne le sentonsII nous pas ? L’on aime trop l’indignité de ceux que l’on abaisse et le néant de ceux que l’on dépouille. Le Prince de ce monde est légion, il réside en chacun de nous, il nous emplit de haines impuis santes et de fausses peurs. Qui l’oserait abattre et subsister, exempt de sa tutelle ? De nous à nous, quel mur sans porte ! Lui : — De quoi nous servent les messies et les réformateurs ? 11 Moi : — De peu de chose. Humaniser les hommes, nul ne l’a pu jusqu’à ce jour, un homme ne s’humanisant qu’à partir de II 11 soi-même, nul ne le rachetant, s’il n’a la force de se rédimer, un 11 avec soi dans le salut comme un avec soi dans la perte. Les sau veurs peuvent inspirer une conduite et non pas changer un destin. La personne est le destin de l’individu.
Définir l’homme est un abus, avant que l’homme soit. L’homme n’est qu’en promesse ou ne paraît que son avortement, il montre sa If misère dans un jour évident, il ne l’avait pas méritée, elle n’a pas à le flétrir, de l’une à l’autre le rapport n’atteste rien et la religion II qui bâtirait sur le rapport, cimenterait la servitude en motivant
Le paradoxe insurmontable
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It la déchéance. L’homme est ensemble ce qu’il refuse d’être et ce qu’il n’ose devenir, sans parler de ce qu’il n’est pas et qu’il s’oblige à supposer réel, à force de l’entendre dire : l’homme est aliéné IT pour des raisons que l’on voudrait morales, mais que nous jugeons politiques. La politique inspire la morale et feint de l’appuyer, la II 11 morale est l’enclume, la politique le marteau, l’homme le fer que l’on travaille. Après cela, que demander à l’objet misérable? et n comment plusieurs milliards d’humains se peuvent-ils humaniser ? n n L’imaginer confine à la légende, le nombre tue, la foule étouffe, n n il la démesure engendre les automatismes, la division du travail peuple le monde d’avortons et l’inhumanité n’est qu’une forme légitime de défense. La restauration de l’homme appelle l’abon IT dance au sein de la mesure et l’harmonie au sein de l’abondance, aucun mystère ne doit subsister, nulle légende prévaloir et tous les dogmes devront tomber d’une pièce. Il faut que l’homme sache qu’il est maître et que son règne arrive, qu’il a le choix de régner ou de s’abîmer, 11' qu’il vit et que son œuvre passe, qu’il légifère et que ses lois le servent.
II Demande : — Si l’homme est l’auteur 11 de son œuvre, l’œuvre de l’homme n’agit-elle sur l’auteur et ne devient-elle la cause des variations qu’il jugera fatales ? Réponse : — Nos œuvres nous enchaînent, les lettres et les arts témoignent du rapport, les lettres et les arts tracent un parallèle II avec l’enchaînement des faits dont la succession forme l’histoire. Demande : — Créons-nous librement pour être deux fois asservis ? Réponse : — Plus souvent qu’on ne pense et l’ironie est que nos œuvres doublent le poids de la nécessité, quand elles sont parfaites. Demande : — Alors la convenance dégénère en servitude et l’homme est puni de trouver ce qu’il s’était flatté de découvrir ? Réponse : — Il n’est victoire sans rançon, l’homme l’atteste : II il souffre au milieu de ses œuvres et tellement qu’il paraît insol vable, il voudrait faire un pas et ne le peut, il voudrait allonger la main, mais il ne l’ose. Demande : — A la fatalité des premiers temps se substitue une fatalité nouvelle ?
L’homme et son œuvre
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Réponse : — L’œuvre de l’homme est sa fatalité, l’homme a n vaincu le monde et c’est pour tomber à genoux devant les armes n qu'il forgea naguère. Admiiez son aveuglement et plaignez sa constance. Ah ! que n’est-il ingrat, léger, perfide et raisonnable ! Il s’oblige à servir, ses peines et ses veilles le soulagent, plus il est n n malheureux et plus il s’en estime. Demande : — L’Etat, l’œuvre de l’homme, ne pend-il sur l’auteur? ne met-il n l’auteur au supplice et ne l’engage-t-il dans une servitude sans exemple ? Réponse : — L’homme a trop besoin de l’Etat pour que l’Etat n’abuse de son avantage et d’instrument ne s’érige en dominateur. n Sans l’Etat, l’homme cesse d’être un homme, l’homme élevé parmi les animaux ne s’en distingue en rien, mais l’homme que l’Etat n déprave est plus atroce que les fauves mêmes, il touche le fond de n l’horreur et nous nous demandons alors s’il ne faut accorder la préférence aux brutes. Demande : — Cela ne prouve-t-il qu’il suffit d’exagérer un H principe raisonnable pour que la déraison s’augmente et que le pire naisse du bien que nous opposons au mal ? Réponse : — Oui, car la bonne volonté n’est pas la volonté du bien, la volonté du bien regarde à la mesure et ne s’enivre de ces lois qu’elle professe, elle les subordonne aux lois de l’heure, elle consulte leur justesse vis-à-vis des lieux et leur propriété dans le rapport des moyens et des circonstances. La bonne volonté ne s’embarrasse, elle, de rien, elle se plaît à son délire, elle jouit d’un zèle qui l’anime aux abus éclatants, sa force étant de communiquer son ivresse. Demande : — L’œuvre de l’homme prévalant sur l’homme nfillustre-t-elle abondamment cette folie ? La chose n’a-t-elle épuisé la raison de l’auteur et la servante triomphé de la maîtresse ? Réponse : — Triomphe déplorable, car l’homme est plus grand n paraît un océan, les œuvres montent de ses que son œuvre, il me profondeurs et crèvent, bulles, à la surface. Bulles, les mœurs ! Bulles, les lois et les dieux, bulles ! Bulles de quoi nous sommes ii la réalité pérenne, pérenne et toujours menacée. Qui nous rendra nos privilèges ? qui nous enseignera ce que nous méritâmes n d’être ? Je cherche le restaurateur de l’homme et j’ai beau sonder l’étendue ii des pays et des âges, mon doux ami, je ne le trouve pas !
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Qui me promet la restauration de l’homme ici-bas et jamais ailleurs ; Il n maintenant et jamais après; en l’ordre et, s’il le faut, malgré cet ordre ; à la lumière des moyens présents et, s’il le faut, malgré les traditions les plus vénérables ; qui pense à l’homme en repensant le monde et qui ramène tout à sa mesure, englobant l’infini dans il une forme cohérente et l’offrant à la créature devenue pareille au créateur... celui-là je l’appelle le Messie. La restauration de l’homme est le grand œuvre, le temps d’y songer est aux portes, face au chaos il n’est d'autre ressource et plus nous tardons, plus nous nous rendons impardonnables, car l’homme nous le savons 11 désormais, nous n’avons point l’excuse du mystère, le sujet tombe n sous nos instruments et nos raisonnements, nous le rangeons sous des lois infaillibles, nous disposons de ses limites et nous articulons ses vœux, nous donnons consistance aux nuées qui l’emplissent et nous acheminons ses rêves à des fins que nous déterminons d’avance. L’homme n’est plus à soi : nous le restituons, étranger, à sa patrie véritable, nous le voulons universel et personnel, car il n’est plus humain, s’il n’est les deux ensemble. Arrière, les consolateurs et les prêcheurs de pénitence, les faiseurs de miracle et les joueurs de gobelets, les funambules et les rédempteurs ! Qu’ont-ils changé d’essentiel à nos rapports et quel remède leur exemple nous a-t-il fourni ? Leur œuvre se ramasse en un fracas n sonore, c’est une vague battant la falaise et mille ne l’entament n que d’un pouce. Mille sauveurs ne valent un accroissement de nos moyens, ces moyens nous obligent à la longue à faire ce que H tous les sermons réunis nous somment d’entreprendre en pure perte : la restauration de l’homme élevé sur les œuvres, la recon quête de l’auteur sur les enfants de son génie qui l’avaient enchaîné dans les abîmes.
La restauration de l’homme
La conscience et l’évidence
I. Nous pensons comme nous vivons, nous pouvons — certes — avoir l’esprit délié, mais il ne dépend guère de nos volontés de former les nœuds que nous rompons à mesure, les nœuds sont préalables : il en est plus ou moins selon l’état de notre vie, il en II est de plus gros et de plus fermes, de plus subtils et de plus em brouillés, nous sommes pris de court si nous considérons l’ensemble 2'7
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et le mieux en l’affaire est de ne tout vouloir entendre. Que s’il est bon de se connaître, il ne le paraît guère moins de n’abuser de ces u lumières : on finirait Narcisse au lieu de Prométhée. II. Ce que les hommes savent d’eux, ils veulent l’appliquer au monde, mais ils ne savent rien des autres, leurs vérités ne réflé chissent que leurs glandes, leurs viscères et les impressions qu'ils n ont reçues, lesquelles varient incroyablement selon l’état de leur fortune. Cela fait des Monades closes et qui se touchent sans se pénétrer. Par là nous entendons que l’inégalité passe de loin les n apparences mêmes et que le bonheur des petits est de n’en mesurer l’enflure monstrueuse, laquelle les mettrait au désespoir en leur ôtant jusques à l’espérance du remède. III. Pascal ne savait rien des pauvres et Montesquieu n’avait ri jamais souffert, ils ont pourtant bien parlé de la vie. Que faut-il en conclure ? La vérité n’est pas hors de nos mille vérités, c’est chose déplorable et chacun plaide pour la sienne, les très grands hommes vont à bout de voie — n’importe la voie prise — et touchent à ce carrefour où mille chemins se confondent. Ces hommes n’ont pas raison, parce qu’ils sont gueux ou princes, mais parce qu’ils excellent à penser, leurs réflexions les menant au terme de la course. IV. Un homme étouffant dans la crasse, un homme consumé par l’indigence, un homme ruiné par des ancêtres tous indignes et malades, ouvre les yeux sur l’univers et s’épouvante, s’il pousse la réflexion jusqu’à déterminer l’état abominable de sa vie et, toutefois, à qui va-t-il s’en prendre ? Et c’est pourtant la raison n principale qui met les moralistes en campagne, voilà cinquante siècles qu’ils la battent et malgré Dieu, le péché dit originel ou H la métempsychose, ils ne lui servent que des bulles, heureux s’il les avale et glorieux s’il se professe consolé ! V. Les dispositions que l’on arrache à l’évidence nous les devons à l’objectivité qui nous met au-dessus de nos m oy en s et la gran If deur de l’homme s’y mesure, mais à partir de quand nous élevonsnous par-dessus ce que nous possédons pour aboutir à tout ce que nous sommes ? n VI. S’imaginer que le malheur est une école suppléant à tout, n voilà la présomption de nos misérables et l’un des adoucissements de leur état, mais par une injustice doublement cruelle, les pauvres savent moins le monde que les riches et de son évidence à nous le
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chemin le plus court est souvent le plus agréable. Ainsi l’école du malheur ajoute aux vanités et renchérit sur les illusions, sans qu’on l’avoue de part et d’autre, les riches ayant à gagner à cet aveugle H ment, les pauvres refusant d’en convenir et préférant un surcroît de misère à des amorces de clarté. L’on ne saura jamais n: à quel point les derniers l’emportent en folie sur les heureux, jamais n de quelle démesure le néant est souvent capable ! VII. Nos yeux ne nous enseignent pas autant que nos façons de juger ce qu’ils nous rapportent et ces façons échappent trop de fois à nos lumières. De là ce manque d’objectivité pour ainsi dire naturel et tellement que la présence de cette vertu rend inhumain H celui qui la possède. Pour rassurer le gros des hommes, il faut se tromper et se plaindre. VIII. Nous sommes d’abord ce que nous pouvons. Savoir au juste ce qu’on peut annonce déjà plus d’esprit que l’ordinaire, aller au bout de ses moyens promet plus de fortune et ces deux n privilèges amorcent le succès, fût-il modeste. Le malheur de trop n n d’hommes est de se réveiller un beau matin, mis à la chaîne et s’approuvant de l’être, ayant langui, peiné, joui, déraisonné pour languir, peiner et jouir sans même profiter de la raison qui leur arrive sur le tard et qu’ils s’efforceront de réduire au silence. if IX. Je le demande à tous : qui vous empêche d’être raison il nables ? L’un invoquera sa misère, l’autre son opulence, un tel ses maladies, un tel un excès de vigueur, un tel son ignorance, n n un tel ses passions, mais nul sa complaisance ou sa présomption et jamais aucun la folie ni la sottise. Or, c’est par là qu’il fallait n préluder et nul apparemment n’a garde. Se juger dépourvu d’esprit est une façon d’en avoir et qui n’est rien doit commencer par un aveu, cet aveu coûte et ne ruine point : il jette même un fondement dont la vertu n’aurait pas à rougir.
I. Nous sommes dans le monde et nous n’en sortons que par des efforts dont rien n’égale l’inclémence il et la fragilité, le monde nous pénètre, le monde s’insinue en ce que nous avons de n plus intime et que nous jugeons nôtre, mais nôtre tellement que n l’idée que nos idées ne soient pas à nous suscite l’indignation de tous les hommes. Or, nous le savons maintenant, l’idée est assez
Touchant le pourquoi de nos sentiments
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H fi véritable et nombre de nos sentiments ne viennent pas d’ailleurs, le monde H nous les souffle et nous croyons les tirer du fin fond de nos personnes ou bien les recevoir par une espèce d inspiration, cela nous flatte et nous rassure, nous ne voulons de la réalité qui nous abaisse au rang d’objets n’ayant le plus souvent l’intelli gence de leur servitude, mais c’est par elle qu’il faut préluder, elle nous humilie, elle nous désabuse et nous instruit à traverser ce II qu’elle nous impose. 2. Nos idées réfléchissent l’état de ce monde, car l’état de ce monde est sujet à des variations à quoi nous préludons sans le savoir et que nous subissons sans le vouloir entendre, nous sommes parfois les auteurs et parfois les objets de l’évidence, l’un d’ailleurs n’excluant pas l’autre. On dirait un impur mélange assez pareil II au chaos d’Empédocle et c’est pourquoi l’image nous indigne, nous ne pouvons nous reconnaître en ces confusions où nous nous retrouvons mis en morceaux, associés à ce que nous ne sommes, II multipliés comme en détail, ici, là, quand ce n’est partout. Quoi de plus naturel que ce refus ? quoi de plus légitime ? et, nonobstant, II il faut marcher et surmonter l’horreur ou le dégoût, nous conseil lant à tout ce qui nous désassemble et disputant nos fins à ce chaos recommencé, dans un arrachement qui nous découvre à nos lumières. H 3. L’homme le plus abstrait demeure encore dans ce monde et quoi qu’il veuille, il reste l’homme de son temps, il réfléchit l’état qu’il s’évertue éloquemment à surmonter, il a beau s’élever à quelque vision de ce qu’il nomme les essences, il n’est jamais II intemporel, ses pieds touchent le sol et quand sa tête percerait les nues, il tomberait de tout son long, s’il ne se fondait en ce qu’il n’avoue et prenait mine d’adhérer à ce qu’il se propose. Les saints H II mentent de bonne foi, nous admirons peut-être leur personne* H II mais leur mensonge ne nous persuade plus à l’avenir, nous savons trop et leur illusion n’a plus d’excuse : on n’abandonne jamais II n ce qu’on a, l’on gagne rarement ce qu’on ne possédait, tous les renoncements II sont des chimères n éclatantes, ces fuites hors du monde ne prouvent rien contre le monde et servent à le confirmer. 4. La volonté se meut dans le sens de la marche II et quelle que soit l’altitude à quoi les hommes les mieux nés atteignent. Ailleurs la volonté se change à la folie et n’aboutit à rien : qui n’est pas de
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H son temps ne sera jamais dans le temps, et qui n’est dans le temps a cessé d’être un homme. L’appellerons-nous dieu? Je ne crois guère à son apothéose et lui refuse mon estime II en plaignant ceux que son modèle égare. Un homme entier méprisera le siècle, si tant est qu’il le juge méprisable, il ne voudra pas le nier, car l’évidence s’y rattache et nier l’évidence prélude à la démence. On peut et l’on doit s’opposer à ce que l’on improuve, on ne le fuira point, qu’on se le persuade, à moins de pousser la logique à bout en se coupant la gorge. Un homme entier choisit ou d’approuver ou de combattre ou, s’il en est besoin, de se détruire. II 5. Nous sommes avertis de nous mettre en défense, mais c’est à charge de garder les yeux ouverts et de nous savoir asservis d’abord. Qui se tient libre ne le sera point, et le premier II devoir consiste à soupeser nos fers, notre désir nous pipant sur nos volontés, lesquelles naissent où le désir se réprime et la raison commande. Un homme entier se déclare automate et, se prenant pour tel, achèvera par nous le sembler moins que ceux que l’idée II II même offense, il se regardera plus froidement que l’objet le plus vil et, mourant à la complaisance, il naîtra de ses œuvres. Il se verra du coup engagé dans le siècle et mesurera, toutefois, les bornes de cet esclavage, il les déplacera par des manœuvres insen H sibles, il déterminera ce qui l’assiège ou l’enveloppe, il ne sera le II II maître de s’y dérober, il le dominera pourtant, puisqu’il le définit. II 6. Cet exercice veut beaucoup d’humilité, le mépris de soin n iême est le commencement de cette véritable estime où la pré II somption n’a part, le quant a moi fausse le jugement et nous n’en devons rien attendre. Quel serait le mérite ici de faire corps avec soi-même, en proie aux motions les plus irréfléchies (et qui ne passeraient pour telles) ? Je ne suis rien ou je suis irréel ou JE NE m’appartiens jamais, voilà le fondement où l’on pourra bâtir en assurance. Ce que l’on nomme à tort le pur esprit n’est que ii l’illusion entée sur un amas de privilèges temporels dont la mémoire n suit les princes de ce monde au fond de l’ermitage qu’il leur plaira n d’honorer de leur présence, c’est le fumet délicieux d’une faveur à quoi l’on ne renonce et que l’on perpétue, fût-ce en la dépouil lant. Un homme est de son temps comme il est de sa classe, et rompît-il avec les deux.
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La conscience est donc un épiphé nomène, un mouvement à la re cherche d’un support et qui le trouve en l’homme, ailleurs elle prélude et ne se fixe, mais c’est en nous qu’elle prend consistance et c’est par nous qu’elle se réfléchit, ainsi nous la rendons à son prétexte. Et de la conscience à l’évidence est-il des chemins n assurés ? Il est des chemins solennels et fermes, des chemins triomphants, des voies royales, des voies que Dieu s’honorerait de suivre et qui seraient autant de preuves de Son existence. Que reste-t-il à Dieu, si l’homme embrasse toute chose ? A se louer II d’avoir trouvé parmi Ses créatures ni plus ni moins qu’un sénat de monarques. Dieu n’est plus seul, nous Lui faisons réponse et nous Le disputons à ce silence même où la Divinité se plaît et que nous peuplerons de nos requêtes, Dieu se déclare à travers nous, nous bâtissons un œcumène à l’entour de nos veilles, la conscience est une histoire et dont nous sommes les acteurs, sa marche entière prend un sens de l’équivoque à l’ordre, de l’ordre à l’harmonie, de n l’harmonie à la magnificence, concours perpétuel de tous les moyens à la fois qui, de nos jours, se heurtent et nous déconcertent. Nous sommes les esclaves des moyens et nous en deviendrons les maîtres, nous devons pour ce croire à l’évidence et l’évidence est que nous sommes accordés, accordés pleinement et raisonnable ment avec le monde, que l’univers est notre objet, qu’il faut se pénétrer de cette vue et professer que c’est un problème à résoudre et non plus un mystère à révérer. Et tout serait-il connais sable ? Ce qui ne l’est ne nous mérite pas et ce qui l’est nous ne marchanderons plus à l’atteindre.
Retour sur notre conscience
Ceux qui s'en prennent à la sponta néité versent dans l’utopie et se refusent à juger les hommes tels qu'ils sont, c’est leur point faible et le remède qu’ils proposent ne vaut rien, s’ils en appellent au n miracle. Or, le miracle est l’argument dont ils abusent le plus volontiers, ils se prétendent raisonneurs et tablent sur les actes de H la foi la moins sujette à la critique, il ne leur vient pas à l’idée qu’ils rêvent et renouvellent les erreurs de ce qu’ils abolissent : ils voient très bien les intérêts de classe après la théologie de leurs adversaires, ils ne discernent pas celle que leur doctrine enferme,
Les hommes et les choses
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ils dogmatisent et l’ignorent. Passe pour l’abondance inépuisable, nous l’admettons avec les Communistes, nous l’espérons, c’est malgré tout une espérance et non pas une certitude, mais autre est II II de poser l’homme idéal, corps glorieux mis à la mode et dont les vertus ne se nombrent, homme sensible et raisonnable, juste par inclination et travaillant comme il respire, heureux de faire son devoir et tellement qu’il n’a plus besoin d’être gouverné, moins n homme qu’ange et régnant sur le Paradis marxiste, libéré de tout n mal, aimant ses frères et multipliant les œuvres, conquérant les étoiles et gardant la mesure, n plus philosophe que Socrate ou Spinosa. Voilà des millénaires que de semblables visions nous tiennent en éveil, changeant de forme et non de contenu, revêtant tour à tour les apparences, émouvant les générations qui se suc cèdent et prenant la teinture de leurs préjugés ou le vernis de leur science. Simplifier et généraliser, le double tort de nos systèmes et n le moyen de les accréditer : les mêmes théories hantent l’imagina n tion, les mêmes aberrations flattent la complaisance, on ne remue les hommes qu’en les abusant, ceux qui les leurrent achèveront par se tromper, la foule n’entend qu’un langage, elle est mani chéenne et l’évidence ne l’est pas.
t Intermède sur la pensée .1 des simples
Lui : — C’est à nous, Communistes, que vous en voulez, notre psychologie vous paraît illusoire ou dans l’enfance. Les simples, nous les savons mieux que vous, le propre de ces gens est de s’imaginer que ce qu’ils voient n’a point d’histoire, de comni de terme, les variations leur semblent irréelles ou n n encement fatales, leur petit monde est plein de fixes, il faut les rassurer en n leur mentant sur la matière, leur confort a besoin d’une simplicité n n que jamais l’évidence n’a fournie, leur petitesse se répand de mille côtés à la fois. Deux vérités les épouvantent, la leur ne leur est n plus d’aucun usage s’ils ne méprisent l’autre, leur rêve est de tout niveler et de tout ramener aux lignes générales qu’ils n embrassent. Moi : — Vous oubliez qu’ils servent et qu’ils éprouvent dou loureusement le moindre choc, les variations portent sur eux d’abord, ils manquent de réserves et de latitude, l’histoire les n écrase les premiers et les honore les derniers, ils semblent n’avoir 33
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rien à perdre et n’ont rien à gagner, nul trouble ne les enrichit malgré les apparences. Vous les jugez mutins et vous vous abusez : le peuple est le conservateur par excellence et ses rébellions — plus rares qu’on ne le suppose — on les lui souffle, on embesogne son effervescence et le ruant sur les obstacles, on lui fait emporter les citadelles d’un pouvoir que jamais il n’exercera. Nous pensons comme nous vivons, nous vivons selon nos moyens plus que selon nos volontés, nos volontés se brisent devant les moyens de ceux qui peuvent plus que nous et nous brisons celles des gens dont les ressources n’approchent des nôtres. Les simples n’ont à qui s’en n prendre, leur petit univers retrace la caverne, ils n’osent le désem n parer, ils seraient abîmés dehors, leur pensée est folle ou timide. H Est-ce merveille qu’ils souhaitent le miracle et que la loi les déses père ? Lui : — Aux yeux des simples toute force est malfaisante et n toute malfaisance est une force, les faibles veulent que le bien prenne leur ressemblance, quitte à se plaindre de son impuissance. Si tous les hommes préféraient au mal la mort, le monde serait n n rédimé, mais parce qu’ils ont trop communément la rage de ii' survivre — les faibles les premiers — et de survivre en se multi pliant à perdre haleine — les faibles aimant à se sentir innombrables — il est inévitable qu’ils le payent et que le monde soit un ergasn tule plein d’agonisants, de frénétiques et de machines sans pou voir. On a fait même de la mort — quand elle est volontaire — un n péché flétrissant et l’on a merveilleusement persuadé ceux qui s’effrayent à la vue du sang, mais épiloguent sur la couardise des n il noyés, des pendus et des empoisonnés. Au mal nous ne savons que n deux remèdes, lorsqu’on a le dessous, et nous les nommons pour H émoire : ce sont le double refus de pâtir et d'engendrer, le mal n est fort de cette force que les humains mettent à vivre et fût-ce n en végétant pour l’amour de la vie, aimer la vie d'abord est donc n un mal, aimer les raisons seulement de vivre et par-dessus la vie qu’on leur immole, un bien. Telle est la ligne de partage entre les valeureux et les ignobles. Moi : — Alors sont-ce des hommes? Nous leur faisons crédit de leur humanité, l’humanité tardant à leur venir et nous nous rendons insolvables. Ah ! rebroussons chemin et restaurons les il formes abolies en avouant l'échec de nos méthodes, et souffrons que nos illusions se dissipent, et rangeons-nous aux vues de ceux
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ni ri qui nomment les humains des automates ! La définition de l’homme ? Une gageure. L’humanité ? Le privilège de certains et non le droit du plus grand nombre. Lui : — Ce nombre qui vous embarrasse tant, oubliez-vous qu’il est aussi notre œuvre ? Moi: — Et vous, oubliez-vous que nous nous défendons'et II que notre œuvre n’a pas à nous dominer ? Nous sommes tous des innocents, nous marchons dans les pas de nos prédécesseurs, peu trouvent le loisir de méditer et moins encore d’innover. Si l’on m’interrogeait sur l’homme, je répondrais en théologien. Qu’est-ce que la théologie ? Lui : — Une peinture de l’abjection réservée à la foule et dont la foule ne s’évade qu’en cessant d’être la foule, l’histoire démentie en tant qu’histoire et projetée en l’au-delà, le réel devenu légende II et le mystère social escaladant l’Olympe et trônant où les yeux n’atteignent, l’ordre se voulant dogme, afin d’entasser sur l’abus l’abus. Or, le remède n’est que dans les choses, l’Esprit arrive aux simples par les choses : de plus de moyens ils disposeront, de plus de sensations il leur sera permis de jouir, à plus d’idées ils seront II accessibles, mieux ils s’affermiront dans leur humanité. Moi : — Vraiment ? Qu’est-ce que l’homme défini par tant de IIIII philosophes ? Le philosophe, non pas l’homme. L’homme paraît moins cohérent, moins riche, moins délié, moins difficile et souvent 11 moins déterminable. Enfermez-le dans ses besoins, ses préjugés, ses haines et ses peurs, vous en viendrez à bout et ses ressorts ne manqueront de vous céder à chaque pression. •f Lui : — Les simples furent immolés au progrès de l’espèce, II H leur agonie a pavé nos chemins, nous nous servîmes d’eux comme des briques, l’heure est venue de réparer et d’autant plus que II désormais leur sacrifice est inutile, les choses remplaçant les êtres et libérant les hommes. IIIII Moi : — J’aime dans l’homme l’homme et non pas sa promesse H mal tenue, ce qu’il est en puissance ne me touche, de la puissance II à l’acte les pays surabondent et les éternités s’écoulent. Lui : — Vous raisonnez en politique et nous devons agir en rédempteurs. Notre Evangile, le voilà ! Nous restaurons l’honneur II et la splendeur des maîtres, nous sommes tous les maîtres de cet II œcumène et nous ne voulons qu’on avance de nos frères ce que les II Gracques disaient des Romains.
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n Moi : — Et vous proposez de les régénérer, de ramener la paix n H et l’abondance, de mettre il plusieurs milliards d’humains dans ii l’état où vivraient cent millions sans les exterminer à raison de vingt-neuf sur trente ? Laissez-moi rire, doux ami, le théologien c’est vous ! Fort bien, je vous attendais là. Qu’est-ce que l’homme ? et l’homme du commun de préférence ? l’homme marchant en foule et pareil à la goutte d’eau perdue en l’océan? Voilà ce qu’il il importe de se demander. Qu’est-il ? Nous le savons et vos pareils II méditent, à ce qu’ils prétendent, de l’arracher à son néant, nous savons l’homme et nous le prenons comme il est : un éternel enfant 11 que le choix désespère et qu’abat l’évidence. Vous le mettez et vous le remettez 11 au choix, vous croyez l’honorer et vous l’épou n vantez ou le lassez, votre logique ne l’émeut et sans l’émotion, il ne croit plus à sa personne. Lui : — Et si nous la changeons, cette évidence ? Nos moyens II l’autorisent et l’évidence entraînera les hommes qui la peuplent, elle se meut H déjà, le siècle en mouvement frémit et les limites du II possible se déplacent. Quand même l’homme ne serait qu"un automate, il subira l’effet des variations prochaines, elles le poussent à sortir de la caverne qu’il habite, il s’humanisera, ne fût-ce que par intervalles. Moi : — Il ne suffit pas d’être raisonnable et nous le déplorons, II II on ne meurt jamais pour les idées claires ou c’est par équivoque, II aux yeux des foules elles manqueront de charme, le peuple les II estime, mais est-il assuré qu’elles l’enlèvent ? Que pouvons-nous, nous, avocats des idées claires, en face d’hommes allant droit aux ii penchants qu’ils émeuvent et dont ils finiront par se jouer, com n plices des abîmes et maîtres de nous submerger, nous et les idées II claires, les miennes et les vôtres, les beaux principes bien liés, la cohérence, la mesure et la logique ? Le môle où nous nous appuyons s’appelle l’objectivité, mais que vaut cette digue et ne voyons-nous pas les profondeurs l’ébranler, l’engloutir et se répandre, exerçant n leurs ravages ? Ne fûmes-nous témoins de cette épreuve et qu’oppo il sons-nous à la barbarie jamais éteinte, toujours renaissante? On II a parlé de rompre cet enchaînement et l’on s’en accommode, et II tellement que l’on fait masse avec l’abîme. Lui : — La force des ténèbres nous savons qu’elle existe et, néanmoins, nous prévaudrons sur elle, elle surprit notre innocence et nous songeons à le lui rendre, nous l’attelons au char qui nous
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emporte au lieu de la nier ou de la conjurer, nous lui donnons par fois carrière et parfois nous la retenons. Oui, nous nous déclarons esclaves de nos lois, quitte à modifier leur énoncé, quand l’évidence nous l’impose. La raison ne convainc les faibles ? Les maîtres y défèrent et c’est à quoi nous mesurons la légitimité de ceux qui les gouvernent. Apollon conduisait le char selon les règles et Phaéton, II qui ne les suivit pas, alluma mille embrasements et fut mené par les puissances que son père subjugua, fort de leur force et non pas 11 la victime de leur démesure. Notre modèle, le voilà ! Nous conve nons de l’impuissance de la raison seule et nous n’imiterons ceux qui se réclamaient de la logique et redoutaient ou méprisaient le II demeurant, nous nous armons de cette barbarie et nous l’enchaîne rons à la rigueur des normes. Tout, nous le proclamons, n’est pas II et ne sera jamais permis, nous témoignons, nous les premiers, II de II la défense, et tout, en vérité, n’est nullement possible à tout moment, car Tordre règne et la vengeance se tient prête, prête à sévir, afin que rien ne se dévie. Ceux qui voudraient que l’univers sombrât et le condamnent à ne plus changer pour l’estimer digne de vivre, les adversaires éternels de l’homme et de l’histoire, qui II remuaient les foules et se jouaient des mots, prendront sur eux le II n mal et nous enseigneront à les frapper avec le mal qu’ils rendent manifeste. Ils seront fous et les jouets de leurs moyens, et nous n serons de leurs moyens les maîtres à l’égal des nôtres, leurs armes n IT iront les frapper, leurs pièges se refermeront sur leur personne et II ces penchants qu’ils préféraient à la lumière les feront rouler dans les gouffres et ne se lasseront pas de les engloutir.
A. Nous sommes trop nombreux pour avoir et pour être, je dis à haute voix n n n qu’entre nous-mêmes et la liberté la foule est le premier obstacle. n De là le pathétisme des besoins, l’ombre d’un avenir atroce pesant déjà sur nous, d’un avenir de faim, de haine et de misère, où l’on demandera la solution des problèmes insolubles au carnage. Il est des lois mathématiques et nous leur opposons des espérances chimériques ; il est des règles éternelles et nous leur préférons n quelques systèmes où la foi n’ose avouer son nom en nous poussant à croire au lieu de réfléchir ; il est des précédents irréfutables et n ri nous nous émancipons in à les infirmer, nous professons une manière L’Enfer et les besoins
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de miracle et l’attendons ici-bas pour demain, ce demain, toute ri ii fois, donne à penser et laisse entendre que nous rejouons la même ir pièce sous de nouveaux masques. B. La vie est une chaîne de besoins, la source des besoins est en la finitude, les besoins nous renvoient au provisoire qu’ils sur montent, ils nous libèrent du moment pour un moment, nous n sommes malheureux de les multiplier il et misérables de les ignorer, ils nous situent entre deux précipices et nous nous consumons à ne nous y jeter. Quoi de plus ridicule ? On a pour mourir cent raisons, on les oublie et l’on s’attache à survivre aux raisons tou jours plus rares qui fondaient notre existence. Il n’est que deux réponses au dilemme : ou 1’ascétisme ou I’hédonisme, mais le premier n est le plus sûr, plus de cinquante siècles en témoignent, l’art de tuer la vie et d’amortir ce qui nous y rattache paraît ii encore le moins chimérique, l’autre confine à l’utopie et malgré les n promesses, les faits semblent le démentir. Le paradis sur terre n’est qu’un rêve et tous ne pouvant être quelques-uns, ces quelquesn uns achèveront par rétablir ce qui leur permet de régner sur tous, n P aliénation est une loi du nombre, le nombre est la fatalité par excellence. C. A tous ceux qui se plaignent de la vie, l’histoire et la sagesse ont un seul conseil à donner : « Renoncez à l’amour, l’amour ne sied aux pauvres, soyez des morts-vivants et persuadez-vous que tout ce que vous ferez pour vous cacher à vos maux rendra ces ii maux insurmontables, appliquez-vous à vous anéantir, devenez insensibles, soyez comme des pierres, afin que les calamités glissent ri sur vous et que les deuils ne vous entament pas. » Le cœur, la source des besoins par excellence et l’origine des afflictions. Le monde a trop de cœur et jamais assez de cervelle, il sent plus qu’il n ne pense et se prodigue en mille engagements qu’il remplit, insol vable, courant toujours, se rengageant sans cesse, multipliant les n fers qu’il porte et jouissant des ombres qu’il possède. ri D. Ou le travail ou la stérilité, mais la seconde nous rend quel n quefois à nous et le premier, malgré tous les éloges, est une mort lia il recommencée engloutissant l’une après l’autre nos raisons de vivre n n et se substituant par un enchaînement de minuties et de tracas au refus de s’abandonner. Les vieux mystiques haïssaient la femme, il nous devons profiter de leurs leçons, le premier pas nous dévoue à l’irréparable, la femme tente comme elle respire, après la femme 38
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est le malheur, elle se meut parmi les besoins qu’elle appelle, elle est la plaie et les besoins y grouillent à l’égal des vers. Tout raison neur qui se marie et qui fait des enfants cesse de raisonner, sa pensée prend une teinture fausse, elle peut devenir un instrument de domination, cela n'empêche sa faiblesse, car elle roule sur le vouloir-vivre au lieu de s’enraciner dans la volonté de mort. Le vouloir-vivre n’a rien bâti d’éternel, les grandes œuvres naissent de la volonté de mort et l’homme y reviendra toujours, quand il se lassera d’être l’esclave de la vie et refusera d’en emplir le gouffre. E. Nous sommes les martyrs de nos besoins, tous nos besoins H nous mettent au supplice et notre vie est un enfer où nous nous consumons à ne pas vivre, le mal et l’évidence se répondent, nous ne pouvons nous dérober à l’engrenage, à moins II n de nous mentir et de tomber au-dessous de nous-mêmes. La voie royale passe désormais à travers nos besoins, elle en revêt le caractère, elle en répand l’opacité, l’on dirait qu’elle en éternise les instances, nos illusions se dissipent toutes et le réel se montre à découvert, le ciel est noir et les ténèbres roulent sur nos têtes, la foi s’évanouit et la morale éclate, les faux ri Ainsi problèmes ne sont plus, seuls les besoins demeurent, notre agonie a commencé, ii nous nous savons esclaves et nous nous raillons des sauveurs, l’on nous fourba, nous nous désabusons et, proclamant notre innocence, nous refusons notre n malheur, nous voulons être rédimés non du péché que nous n’avons commis, mais de la servitude, nous ne croyons à rien, nous entrons en rébellion et l’Esprit descendant sur nous, nous ouvre les yeux sur l’abîme où nous nous remuons plongés. Nous savons maintenant ce qui nous manque, cette lumière-là ne ri s’éteindra jamais. n ri F. Ne s’éteindra jamais... en êtes-vous bien sûr? Imaginez l’embrasement et la famine au milieu de l’horreur, le désespoir n sans nom et l’abjection sans limites : du coup, les superstitions reviennent, la folie a le dernier mot et les sauveurs, la disposition de l’évidence. Pour les Eglises quel triomphe ! Elles préfèrent d’ailleurs toutes l’abaissement n au désabusement et les calamités aux voluptés, les humains n’ont de pires ennemies et s’ils ouvraient les yeux, ils s’emporteraient à des violences incroyables. Telle ri paraît l’alternative : le meurtre du passé qui ne veut pas mourir 39
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ou l’assassinat du futur que l’on renfoncerait dans la matrice de l’histoire, faisant crever la mère en l’obligeant à porter un cadavre. Plus d’avenir et plus d’histoire, mais les ténèbres à jamais ! C’est là ce que nos rédempteurs appellent le salut du monde, leurs u instruments nous en donnèrent l’avant-goût, nous les vîmes à ri l’œuvre et nous n’en crûmes pas nos yeux, l’Europe se rendit barbare sous l’ombre des valeurs à maintenir, elle osa nier l’évi dence et rêva de plonger l’espèce dans les nuées, la vésanie et la ri il sottise militante, les formes se rompirent là soudain, le contenu se déversa, la révélation ne tarda plus et l’indicible parut un moment à découvert. Partie remise ? Il semble qu’un manège sourd nous enveloppe et nous retomberons dans les erreurs que l’on déteste, les hommes sont en place, leurs idées n’ont pas varié, l’on nous abasourdit et l’on ressasse les sublimités de balle, l’on court après les vieilles lunes, l’on juche des momies sur les autels, une fadeur horrible traîne et nous promet un lendemain capable de ressusciter la veille, le chemin que nous battons se recourbe et nos II spirituels méditent de nous rengager dans une voie ensemble II atroce et familière. G. La négation des besoins sous le manteau des valeurs qu’on agite! Le croyez-vous possible désormais? Vous m’allez objecter H IT de la manière la plus ferme que toute génération naît fille, vous n parlerez de cire vierge où les idées s’impriment avec les mots et les modèles, vous prouverez que les petits enfants en âge de s'instruire ressemblent à ce que parurent les marmots du temps de Zoroastre n et que les préjugés l’emportent infailliblement sur l’évidence, que l’on fait jeter à l’absurde un mille de racines et qu’elles sont pro fondes, que les Eglises ont un estomac d’autruche et que les nou il veautés ne les effrayent, mais si le mouvement où nous nous engageons est à la fois irréversible et continu, s’il échappe à ses promoteurs et s’il entraîne ceux qui lui résistent, si les inventions n’arrêtent de multiplier et si la chaîne des effets ne cesse, rompant les moules, ébranlant les seuils, abattant les obstacles et posant n des problèmes sans clémence, imprévus tous et fondant sur nos têtes, alors de quoi sert-il de biaiser et quelles dispositions de pré n voyance n’éclatent-elles à mesure et ne s’évanouissent-elles à n l’envi? Nos besoins, eux, demeurent et s’accroissent, plus lourds et plus intolérables, nous nous fondons sur eux et nous nous il retrouvons en leur instance, ils forment avec nous l’humanité
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nouvelle que l’on ne dépayse à l’avenir et qu’on n’abusera long temps. Nous refusons de croire à ce qu’on nous enseigne et nous II croyons à ce qu’on nous refuse, ce changement s’opère et les cala H mités n’en viendront pas à bout, sa fermentation de résistance amorce un nouvel âge. H. Tout est possible désormais et même ce que je redoute, la vésanie de l’homme abonde en subterfuges, auprès de sa folie la raison me paraît une innocente et c’est pourquoi les ténébreux ignorent ses démarches. Tout est possible et même la théocratie, les tenants du passé reviennent toujours de plus loin sous les Il figures les plus rassurantes, mis à la mode et rêvant de boucler IT ’objecterez que nos besoins veillent, vous vous l’histoire. Vous m II reposerez sur leur acrimonie et je ne réponds de leur efficace, les hommes sont d’étranges animaux, les aventures de l’Esprit éludent nos prévisions et l’évidence se recourbe, au mouvement perpétuel s’oppose un éternel refus de se mouvoir. Hé quoi ? le monde peut-il n subsister encore sous deux maîtres ? Il ne le semble pas, l’empire n universel est désormais à bout de voie et quel que soit le chemin n que l’on suive. Un ordre cohérent à la dimension de l’œcumène a ses lois propres, le trône et l’autel fondent ses appuis, sa volonté première roule sur un accord du changeant et du persistant. Que ri serons-nous demain? Nous goûtons le repos et souhaitons la n jouissance, mais le premier emporte l’esclavage et la seconde veut les incommodités, le repos nous abat, la jouissance nous exerce, la paix du cœur est en la persuasion d’abord et parût-elle délirante, nos besoins assouvis ne valent pas toujours une idée fixe. En it attendant, nos besoins crient et leur clameur emplit le monde ; en attendant, les autels penchent et les trônes croulent ; en attendant, la paix du cœur laisse les pauvres assez froids et nous ne voyons pour la désirer qu’une poignée de riches mal à l’aise... L’histoire a-t-elle un sens ? en a-t-elle plusieurs ? A cela quoi répondre ? I. Entre le changeant et le persistant, quelle limite et quel rapport ? Les uns jurent que tous les peuples seraient aptes à tout faire, les différences leur semblent accidentelles et par voie de conséquence, provisoires. Les autres, que nous estimons plus raisonnables, professent que tout peuple imprime son cachet à l’œuvre et quelle que soit l’œuvre, et les derniers voudront les peuples différents de point en point, enfermés chacun dans son 41
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caractère propre et le creusant de plus en plus, auteur immémorant de la fatalité qu’il subit sans remède, ayant formé le choix dont il mesure mal 11 les conséquences et plié sa nature à des raisons qu’il juge naturelles (raisons qui finiront par l’être, s’il consent à mourir il pour elles). Entre les hommes et l’humain, l’histoire s’enfle désormais. J. Comme la gravitation s’oppose à l’inertie, l’universel lutte ri avec nos histoires, nous nous en écartons au prix de maux et de martyres, il aspire à nous attirer avec l’intention de nous confondre, ii il renouvelle des instances toujours plus pressantes et plus tyran niques, et nous nous rendons monstrueux pour échapper à ce qui nous fascine, nous sommes criminels de résister et malheureux de nous abandonner à l’évidence, nul n’entend renoncer et chacun veut que tous abdiquent. Nous cherchons l’homme et nous trou vons des Nègres, des Chinois et des Européens, toujours plus Nègres, plus Chinois et plus Européens, leur intérêt et leurs tradi n tions ne marchant pas sur une même ligne, le premier leur com mande la mesure et les secondes les enivrent, l’Homme Idéal attend de naître, les religions qu’on nous vante parurent ses avortements. Plus nous nous enfonçons dans l’avenir, moins nous en discernons les lignes générales, l’énormité nous frappe, l’énor n mité de nos moyens et la faiblesse des idées que nous nous épuisons n à maintenir, le ridicule et la bizarrerie de nos systèmes de morale, l’ignoble de nos cultes dont la bassesse est au-dessous de ce qu’on n imagine, les fous et les malades que nous révérons et que nous n n imitons en désespérant de les égaler. L’élément d’ordre le moins contestable est aussi le plus humble et reste seul debout au milieu des valeurs, de ces valeurs qui ne nous sauvent du chaos et pour lesquelles nous nous égorgeons : nos besoins semblent désormais ii des phares et leur clarté perce, perce au travers de l’ombre, de ri l’ombre engloutissant les lois divines et les paroles inspirées, il œuvres de misérables hommes que l’on eût enfermés vivants et que nous adorons, à cause qu’ils sont morts. Les nations et les ii besoins demeurent et s’opposent, les nations déchirent l’univers et les besoins le pacifient, la pureté que nous rêvons nos besoins la renferment et les valeurs à quoi nous adhérons devront y faire n désormais leurs preuves. K. Nous voulons être et nous voulons avoir, mais l’avoir donne l’être et qui n’a rien n’est rien. L’humanité jusqu’à ce jour a H
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II vécu de mensonges, elle se désabuse, ce désabusement paraît n irréversible, un nouvel homme naît parmi les Nègres, les Chinois et les Européens, un homme universel qui rénovera toute chose, n un homme ramassant les traits épars communs à soixante-dix peuples et réfléchissant F unité que l’avenir impose à l’évidence, un homme à peine concevable et plus réel que ceux qui doute ri raient de lui. De nous à lui, ne nous le dissimulons pas, la voie est semée de traverses, l’agonie veille en permanence et l’horreur grossit à mesure, le dernier effort du passé conspire à rendre le n néant inévitable : de nous à lui le Pont du Jugement se dresse et n nous entrevoyons quelles épreuves nous attendent, mais nous ne savons pas quels sacrifices il nous faudra consentir. La terreur revenue du fond des siècles nous gouverne et nous nous y jetons à ii seule fin de l’éviter, il se prépare un formidable enfantement que nous payons de morts renouvelées, l’âge est le creuset des valeurs, nous entrons dans les flammes et nous dépouillons l’histoire, le n règne de l’universel immole sans clémence les fondements qui le n contestent et les chemins qui le préparent. Nous voulons être et ai nous voulons avoir, le néant méthodique nous aspire, nous avons n moins, nous sommes moins, nos prétentions s’affermissent et n ru redoublent, car les lumières nous arrivent plus froides que jamais, plus désolantes et plus absolues, la voie du retour est coupée et nous brusquons le mouvement qui nous entraîne, nous ajoutons à sa vitesse, un tourbillon nous enveloppe, nous sommes les galets n qu’il roule avec fracas, les mêlant et les polissant dans une course nécessaire. Nous l’appellerons l’épopée des hommes et des choses et la conquête — par l’avoir — de l’être qui nous fut ôté.
A. Le travail parmi nous est la religion par excellence, il ne suffit pas qu’on besogne à perdre haleine, il faut encore l’afficher, cela prend la tournure d’un fléau, nous parlons certes de loisir et nous nous étendons sur force nul allégement ne nous arrive et, II découvertes admirables, mais sous bien des rapports, nous sommes toujours plus esclaves. L’on trouve maintenant de ces idéologues à la mode aux yeux desquels le labeur serait un « besoin » et qui méditent sans rougir d’en faire un « besoin naturel » à l’égal de la respiration ou de la marche ! On ose leur insinuer qu’ils rêvent et que les hommes rendus a leur L’Enfer et le travail
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inclination préféreront l’amour, la chasse, la danse et la pêche, c’est là le paradis perdu, nos villes ne nous en consolent. Nous sommes trop nombreux, déjà l’espace se refuse, il ne nous reste plus d’îles à découvrir ni de montagnes à gravir, nous nous entre choquons, l’air vient à nous manquer et l’eau s’enfonce sous nos pas dans les entrailles de la terre, nous lorgnons déjà les étoiles, les hommes s’enflent comme un océan et les efforts que l’on déploie rappellent les convulsions de la noyade, enfin nous nous tuons à besogner et nous nous épuisons à subsister, nous finirons par mar cher sur les têtes ou par servir nous-mêmes de tapis à ceux qui f nous écraseront, la corvée et la mort alternent désormais, l’une prélude à l’autre et nos forcènements conspirent à nous précipiter dans la déchéance. Ce tableau paraît sombre, mais le travail ne n nous fera pas fibres, c’est une illusion nouvelle, c’est un mensonge atroce. n B. Ces pauvres hommes qu’on promène d’espérance en espé rance et qui refusent de désespérer ! Au fond les Grecs n’étaient n pas tellement malavisés, ils taxaient l’espoir de folie et nous avons n besoin de leur sagesse, un peu de pessimisme et beaucoup de raison ri opéreraient de vrais miracles, alors que nous les attendons en il vertu de quel droit ? et qu’est-ce que le lendemain, si ce n’est le reflet du jour ? qu’est-ce que l’avenir, si le présent ne remédie n aux erreurs qu’il savoure et se complaît dans une maladie qu’il estime honorable ? Nous ne sortons de la métaphysique et tel a beau cracher au plat, il ne prend d’autre nourriture : le « besoin naturel » de travailler est un échantillon de ce délire, c’est un élancement n de notre foi sous les dehors du Matérialisme, nous y croyons et nous n’en fournissons jamais la preuve, nous posons solennelleil ent que l’homme changera par le miracle de l’hérédité marxiste, n qu’ilbrisera la vulve maternelle (ou sortira de son bocal) pour u entrer dans un monde rénové, pourvu lui-même de penchants II nouveaux. L’Eglise parlait de «corps glorieux», nous professons des lois plus surprenantes et nous y répandons un vernis de science. I: n aginez cela ! Nous allons naître vertueux, Lamarck aidant. C. Autant jurer que l’homme ne sera plus un homme. Le seul n problème est de savoir qui peuplera les terres glacées ou brûlantes ? et qui se chargera de toutes les besognes les moins honorables ? L’on nous promet le labeur « attrayant », mais va-t-on supprimer n n 44
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la division du travail, qui nous empêche d’accéder à l’état du sau vage plus entier que nous et jouissant d’un confort intellectuel dont nous prive à jamais un travail parcellaire ? Et nos mystiques 11 à la mode annoncent l’heureux temps où chacun recevra selon ses besoins véritables et le labeur, au lieu d’être corvée, sera — tenezvous bien ! — l’épanouissement de l’homme fi ! Les bureaux seront à la joie et les égouts déborderont d’une liesse sainte, on lavera les plats l’œil en extase et les manufactures seront remplies d’anges» Quelle Jérusalem céleste ! Quel paradis sur terre ! Ah ! nous enI prenons le chemin, nous redoutons de n’être pas assez nombreux II et nous multiplions, la table appelle les convives, nous souperons de Béhémoth et de Léviathan ! Qui nous affranchira de la méta physique ? Nous en redemandons, l’on nous en fournira, le Paradis est bel et bien perdu, nous l’eûmes avant plus de dix mille ans, à II l’aube de l’histoire, l’histoire fut le commencement du malheur, nous serons engloutis par elle et nos labeurs en précipiteront le terme. La course au néant, la voilà ! Quelles montagnes d’efforts inutiles et les montagnes marchent, elles bondissent, elles volent, II elles emportent l’œuvre de plusieurs milliards d’hommes, il se prépare un holocauste à la dimension de l’œcumène. Et l’on prétend que nous n’avons de foi ! Nous nous jouâmes peu de temps ïï à l’incrédulité, la foi que nous bannîmes aura mis le siège devant n la maison et s’insinue présentement à travers mille fentes, à peine démêlons-nous le sacré dont le profane parmi nous regorge, la foi déteint sur la morale et sur la politique, notre science a de la peine n à s’en défendre. Nous nous offrons toujours, nous ne savons à qui, nous ne sentons pourquoi, c’est le trait permanent de la nature et mieux vaut désigner un objet à l’élan dont nous ne sommes maîtres, il nous emporterait à des extrémités irréparables. n h D. L’on a perfectionné l’esclavage et l’on fera de mieux en mieux sous le rapport, ce mouvement est désormais irréversible, ii l’homme n’a plus de lieu de sûreté, nulle forêt ne le dérobe au pouvoir de l’Etat, il n’a plus d’île à découvrir et ceux qui le régentent ]e connaissent : il ne les fuit pas même en son mystère propre, car son mystère est éventé. Le labeur n’est plus un moyen, il est notre raison de vivre, nous besognons pour besogner et l’on dispose tout en vue de perpétuer l’engrenage, on ne fait rien pour que la corvée cesse, on s’épouvante à l’idée que les hommes parussent désœuvrés, on craint le pire de leur latitude... il faut que leur oisiveté soit 45
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méthodique II et leur sommeil dans l’ordre, on leur enseigne un repos II de système il et les renvoie à des travaux recommencés. E. Le « plein emploi », ce terme marque le mépris que nous faisons de l’homme et nous voulons qu’il nous rassure en nous prouvant qu’il est embesogné, ce n’est plus qu’une roue, il faut que la roue tourne de préférence à perdre haleine. A quel dessein ? n ’en vais vous le dire : afin d’accumuler les choses et les ayant Je m n accumulées, de les anéantir, là, d’un seul coup, la guerre étant la seule jouissance à la portée de cet esclave. Ainsi nous touchons au ii moment où l’ordre n’est plus que démence et le devoir, l’école du ir malheur. F. On travailla d’abord pour n’avoir pas à travailler ensuite et II maintenant l’on organise le repos, à seule fin de pouvoir besogner II toujours. Ce délassement est assez horrible et tire le surcroît de l’homme. La Bible avait raison d’appeler le travail un châtiment et la dernière folie à la mode est de nous imaginer qu’il rend libre : II il nous libère de la mort en mettant obstacle à la vie même. Qu’est-ce qu’un homme qui ne s’appartient deux ou trois heures la journée? Un misérable et dont le premier crime fut de naître. G. Que le travail ne résout rien, nous l’apprendrons un jour au II milieu des ruines ; qu’il faut moins d’hommes, moins de berceaux et moins de tombes, et moins de haine et moins de peur, nous le saurons, derniers vivants en l’océan des morts ; que la mesure est n le suprême effort de la sagesse et les humains, le fondement de ce que l’on révère, nous l’éprouverons abîmés et le proclamerons désabusés. Nous nous fuyons et nous allons nous retrouver sous le débris fumant des œuvres, cette leçon devra s’inscrire dans nos fastes, nous persévérons dans l’erreur qui nous possède et nous nous refusons à la clarté, notre ennemie commune, nous ne pou h vons que nous mentir et nous nous perdons sous l’amas des contre sens, la plupart des valeurs seraient à reviser et nombre de nos lois à réformer, nous ne pouvons suffire à l’énormité de ces tâches, le provisoire nous arrête et nous nous livrons malgré nous à ses n impératifs. Le fleuve de l’histoire est devenu torrent, ce torrent n nous le déchaînâmes et maintenant il nous emporte, de nous à lui c’est un accord plus effroyable qu’un divorce, nous voulons ce que nous nous empêchons d’entendre, une seconde volonté s’attache à nos puissances, nous ne répondons plus de nous, mais ii nous nous complaisons en l’étourdissement, nous multiplions et n 46
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nous travaillons comme des enragés. Un vaste ébranlement secoue les nations l’une après l’autre et les attire, subjuguées, l’une après l’autre elles s’engagent, leur temps n’est plus leur temps, un temps nouveau s’impose à leur requête et les anime aux fermentations que tour à tour elles désirent et subissent, leur volonté n’obéit à leur liberté, l’ordre et la frénésie les articulant et les désolant. H. Au fond de nos travaux perce un désir de fuite, nous fuyons — que nous soyons forts ou faibles — et nous nous astreignons à des corvées où nous nous abîmons, nous aveuglant systématiques, If nous épousons chacun l’ombre de son délire et nous perpétuons chacun l’émoi qui nous dévore. Où le trouver, le frein, qui suspen dra la course ? Il est inconcevable, elle est irréversible, nous man quons à nos seuils, nos arrêts nous vomissent, le flot des hommes s’enfle et la rumeur de leurs travaux monte comme autant de colonnes, c’est une forêt d’œuvres désormais que nous laissons après nos marches. Ces œuvres qui les nombrera ? qui les fera servir à nos plaisances ? qui nous en rendra possesseurs paisibles et maîtres légitimes ? qui nous révélera le sens de notre histoire et nous accordera le repos du Septième Jour? Nous n’avons plus de II milieu cohérent, nous nous mouvons dans une nébuleuse et qui débouche dans un labyrinthe, immémorants de nos repères infi dèles et ne sachant à quoi nous référer, nous qui perdîmes et gagnâmes, perdant ce que nous maintenons en apparence et gagnant ce que nous ne discernons, investis d’opulences inconnues, éternisant des rêves impossibles. 11 I. Le dernier effort de l’esprit humain est de nous remettre en l’état où furent nos aïeux, mais pourvus des moyens gagnés dans l’intervalle, de ressusciter à la fois les Florentins de Laurent et les Grecs de Périclès, outre les vieux chasseurs qui se mouvaient au large en une Europe plantureuse et giboyeuse. C’est là ce que nous demandons et si nous cherchons d’autres mondes à travers l’espace, c’est que nous rêvons tous de renouer avec un Age d’Or, non de persévérer en un labeur sans trêve et des carnages sans merci. II J. En attendant, je les proclame nécessaires, les biens de for tune, et je les déclare estimables : on ne doit pas rougir de posséder II quoi que ce soit et le travail n’est jamais une fin, mais toujours une servitude. Un homme libre a des loisirs et ceux qui ne disposent de leurs jours sont libres en peinture et se consoleront d’une 47
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fumée. Le seul devoir est ici-bas de besogner le moins possible et n d’approuver en souriant ceux qui nous prêchent le labeur, c’est leur métier que de persuader les autres et nous les soupçonnons de n if s’exempter parfois de ce qu’ils préconisent. Dieu même pour maudire notre espèce ne trouva rien de plus abominable, le juge ment de Dieu paraît déterminant en la matière, appeler des enfants à vivre annonce moins d’amour que de malice, la plupart naissent bonnement esclaves et l’ordre les y laissera très volontiers, jus ii qu’à ce qu’ils en meurent. L’éloge du travail s’enfle depuis des générations et retentit sur l’univers entier, c’est mauvais signe et ne nous promet que des heures sombres, jamais l’on n’a tant besogné pour mieux détruire ensuite ce qu’on édifie, c’est un enchaînement qui — vu de loin — semble majestueux. On aurait préféré des âges moins sublimes, il est assez incommodant de subsister entre une épopée qui finit et les fins — paraît-il — der nières qui commencent, le seul bonheur est de pouvoir languir à l’aise et de se remuer par intervalles. 11
A. La douleur nous fait faire des gri n maces et de très ridicules mouvements, IT peu d’hommes savent corriger les unes et moins encore réprimer n ri les autres, nous y redevenons de misérables automates et la morale bâtira sur notre déchéance. Il faut par tous les moyens à la fois combattre la douleur et la chasser du monde, nous sommes sur la bonne voie et nos petits-neveux la réduiront au rôle subalterne de prêter du relief à nos plaisirs, elle est propre à cela, nous en conserverons les faibles restes. Les religions qui la divinisent, je les appelle autant de monuments élevés par l’erreur à la faiblesse if humaine et rendant la faiblesse incomparablement plus forte que la vérité, la Croix flatte la complaisance au lieu de remédier à la pestilence : il s’agit de guérir plus que de consoler, de prévenir plus que de soulager et d’enseigner à vivre en homme et de mou rir en philosophe. Nos prétendus sauveurs ne nous apprennent qu’à les révérer, leurs leçons n’auront pas changé le monde, la n somme des iniquités ne varie pas outre mesure et le plus bel n allégement qu’on puisse recevoir nous le devons moins ri à nos n rédempteurs qu’aux médecins, nos euphoriques valent i plus que nos métaphysiques. L’Enfer et la souffrance
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B. La douleur, ça n’est qu’une maladie, lui chercher des raisons n 11 métaphysiques est une preuve de démence. La foi chrétienne ni aboucha la folie et la souffrance, la liaison a trop duré, nous sommes las d attendre et 1 heure du remède approche. Tout est physique II en 1 homme, 1 homme est une machine, une machine se répare, un II homme se guérit, plus l’homme a de santé, moins il penche à souffrir. Cela peut nous humilier, mais 11 que vaut un orgueil fondé II sur l’aberration la plus impertinente ? L’ame qui souffre est quelquefois un boyau plein de vent, un organe opilé, plus souvent un cœur las de battre, un phallus amorti, tout ce qu’on veut à la reserve de ce qu’on voudrait pour se donner de belles apparences. Humilité d’abord, remède ensuite et guérison dans la mesure du possible ou mort sans phrases, telle est ma devise. C. Toute douleur morale cède à nos pilules et c’est pourquoi les « belles âmes » refuseront d’en prendre : Laissez-moi, laissezMOI, JE SOUFFRE ET JE NE VEUX GUERIR. Vous guérirez OU VOUS mourrez, nous n’avons besoin de malades ici-bas, le Ciel en est déjà rempli, nos rédempteurs et nos divinités l’attestent, voilà sur qui nous nous réglons et nous nous étonnons après cela de n manquer d’ordre et de blesser la cohérence ! Au fond de tout mar tyre perce la rage de paraître. Il ne sera de postulants, quand on saura déshonorer ces prétendus fous-là doublés de calculateurs insolents et de manœuvriers cyniques. Tel veut souffrir, mourir et témoigner? Acharnez-vous sur ses parties honteuses et je vous promets qu’il n’aura d’émules ici-bas ni de fidèles après coup ! Nous n’attacherons plus un sens à la douleur, la douleur est mau n vaise et ridicule, ceux qui la cherchent sont des vicieux et nous ne leur devons que le mépris. On verra soudain qu’il est très peu d’amateurs, quand la souffrance ne sera plus à la mode et que porter sa croix n’émeuve plus la galerie. D. Je ne suis pas trop éloigné de croire à l’inutilité de la souf france et je me persuade même qu’elle endurcit plus qu’elle n’attendrit les hommes. Les malheureux en général voudraient que les malheurs multipliassent, leur consolation n’est pas autant n n dans le remède que dans la marche soutenue de la calamité, ces n bonnes âmes nous souhaitent une agonie perpétuelle embrassant ii l’univers, chacun formant les vœux que son épreuve inspire : les n n marmiteux nous offrent leur misère et les malades, leur infirmité, les sots, leur ignorance et les humiliés, leur avanie. Cela fait une
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somme et si l’on prêtait l’oreille aux rumeurs, il ne faudrait plus IIIII vivre, mais se sentir coupable, à raison de l’adversité frappant un nombre immense de machines. Le rapport entre la souffrance et ni n le péché me semble des plus vagues, les théologiens eux-mêmes se tirent difficilement du paradoxe... en fait, peu d’hommes sont If pécheurs, parce que peu sont libres et peu sont innocents, parce qu’ils joignent à leur impuissance un lot d’idées soufflant la déme 11 sure. On se demande H par où commencer, les uns proposant la réforme des esprits, les autres avec plus de modestie l’amendement universel des choses et s’ils nous flattent moins, nous ne pouvons nous empêcher de leur trouver bien plus de compétence. Les II hommes, dans leur masse, ressemblent à des automates, c’est une duperie que de nier ce point, en ne laissant que de rouler sur ce qu’on dément en paroles, les prétendus spirituels le savent à II merveille et nul ne porta plus loin qu’eux l’art de seriner la jeu nesse. Les Matérialistes nous rendent une raison convaincante des H ’assure toutefois que nous la n affaires, elle nous humilie et je m recevrons, le portrait qu’ils nous tracent de l’humain est — malgré ses omissions — fidèle et nous n’en pouvons avancer autant de ceux que nous prônons et qui nous flattent. Il est à prévoir que nous souffrirons bien moins, lorsque nous n’aspirerons plus à l’impossible et ne nous emplirons la tête de fumées. Nos douleurs II semblent pour une moitié les avortons de nos chimères et nous nous refuserons quelque jour à subsister dans un état qui, les n perpétuant, y cherche une raison de s’imposer à nous. n E. On prétend que la douleur humanise, on en voudrait faire II une règle, mais cette règle a plus d’exceptions que d’applications n suivies. La douleur rend les hommes durs, aigres, méchants et II n faux, et s’il en est qu’elle humanise, ils forment la minorité. Les moralistes oublient que les gens qui souffrent désirent avant tout répandre leur souffrance et la communiquer à l’univers, ce trait n n n’a rien d’aimable et change en bourreaux les victimes gémis n n santes. Les malheureux seraient méchants, s’ils ne manquaient de force ; les heureux sont indifférents dans la majorité des cas et u ne souhaitent de mal à personne : le monde gagnerait infiniment n à se peupler d’heureux, la somme des iniquités et des atrocités serait bien moindre, l’indifférence est préférable au tempérament n de l’amour et de la haine, de la misère et de la charité, de l’Enfer et du Ciel, de I’hybris en un mot et de la nêmésis. Les amoureux 50
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de la souffrance sont des malades ou des insensibles qui veulent attraper une sensation ou jouir d’une épreuve, ils me rappellent IT les vieux libertins que la douleur pousse à la volupté. La foi chré tienne a faussé les idées et n’a pas changé l’évidence, nous raison nons la tête en bas et marchons sur les pieds à l’égal des païens, H nous vivons sur deux plans et le mensonge y gagne plus que la morale, nous professons des règles sans portée réelle, dont l’obser vance nous abîmerait et dont l’infraction perpétuelle nous déchire. Il est temps d’enrayer et plus que temps de nous désabuser : la II douleur est un mal et c’est le mal par excellence, nous nous appli querons à la bannir du monde, elle n’enseigne pas à vivre, elle II hunlanise un homme, mais elle en barbarise une douzaine, les siècles les plus éprouvés abondent en horreurs, les âges les plus II doux respirent la mollesse et l’humanité n’y perd rien. Les mora listes sont de plaisants fous et les spirituels, des tourmenteurs, II n âge qu’ils se font de l’homme leur ressemble et nous n’avons 11 pas à leur ressembler. Quand nous ne sommes corrompus n par leurs n maximes, nous aimons le plaisir et fuyons la douleur, ce double ii n mouvement est très conforme à l’ordre naturel, nous taxer de bassesse respire un abus de langage et ne peut qu’entraîner un abus de conduite. n F. Si la douleur nous rend plus méritants ? C’est une imperti n nence de le croire. Il a beaucoup souffert... belle merveille n ! n c’est estimer un homme aux marques de ses plaies. Il a beaucoup n n lutté... la grande affaire ! Sommes-nous parmi des sauvages ? Demandez-vous s’il est aimable, civil, enjoué, discret et plein de sel, s’il a des qualités et des parties, s’il a des vertus, s’il a des idées et quant au reste, moquez-vous du reste. Un homme est ce qu’il est, le pourquoi de son être ne m’importe et je le prends ainsi que n ’impose un jugement n je le trouve, mon objectivité m fondé sur la n mesure et regardant à l’évidence, je me refuse à placer des sousentendus à tel ou tel endroit et de bâtir sur quelque préjugé né de n n mes troubles personnels et servant à légitimer mon impuissance. n Quoi de plus malaisé ? Mon bonheur me préserve quelquefois de tout ressentiment, mais si je souffre, comment pardonner à ceux qui ne pâtissent ? et comment ne fausser l’échelle des valeurs ? Il a beaucoup souffert... la douleur serait-elle un passeport? ii Mon objectivité me dit que l’évidence n’est pas simple, que le n mérite roule sur un naturel donné plus un ensemble de vertus
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acquises. La douleur prouve-t-elle la bonté de l’un ? Il est à naître II qu’on le certifie, c’est une démonstration de complaisance, la vie ignore tout de cette liaison qu’on voudrait infaillible et qui ne passe le degré de l’hypothèse. Le paradoxe du mérite est qu’il se loge très souvent où l’on n’avait besoin de lui, mais qu’il fera défaut II à l’endroit même où l’on souhaiterait qu’il figurât. Les moralistes ne l’imaginaient ainsi, le mérite a des latitudes étonnantes et des II caprices scandaleux, il double l’inégalité. Nous sommes inondés de préjugés insoutenables, la source en est impure, la foi chrétienne accrédita les idées les plus hasardeuses, nous en réprimerons l’effervescence, ces idées ont peuplé le monde de faux méritants H il par légions entières, de mille sots présumant des vertus qu’ils ne possèdent et se parant du titre de leur infortune, le mal en paraît H augmenté, l’aigreur y trouve un aliment inépuisable, l’envie et la il bassesse fermentent à loisir en ce palude. Ni complaisance ni il II ressentiment, tel est le premier d’entre les devoirs et le plus diffi II cile. Quel malheureux vous semble-t-il en état d’y répondre ? S il n’est qu’un honnête homme, il y succombera toujours, la sainteté seule nous en préserve et depuis quand serait-elle un devoir ? G. Le croirait-on ? Un nombre immense de personnes tirent de il leur douleur ne fût-ce qu’un semblant de vanité, ces malheureux s’estiment de souffrir et la mémoire de leurs peines leur est chère, cette folie a l’approbation de bien des moralistes, la foi chrétienne pousse à cette complaisance et des poètes s’y roulèrent. On a parlé H de « majesté », ni plus ni moins, notre douleur serait « majestueuse », mais cette vision ne persuade que les subalternes, les grands esprits n’y donnent que par lassitude ou par égarement, les hautes il âmes sont en général mélancoliques, mais elles ont des pudeurs admirables, la complaisance ne mordant sur elles. Mépriser sa il douleur est le devoir de l’honnête homme et quand une religion lui persuade que ses peines ont un sens, il la méprisera comme une source d’idées fausses et de sales consolations, il ne voudra tâter de ses promesses et leur préférera, s’il en était besoin, son désespoir. n Le désespoir a des beautés mâles et fortes qui jamais ne nous déshonorent, la mort a des apaisements lesquels du moins ne nous U II flétrissent, mourir désespéré me paraît à la rigueur enviable, et végéter en amorti ne saurait l’être, de quelques lieux théologiques IT ou moraux que l’on rempare sa faiblesse. L’Enfer est à mon senti II ment l’abîme où l’on remâche ses épreuves, contemple ses chagrins 52
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passés et s’aime en l’abjection que Ton renouvelle, le monde a quelques points de ressemblance avec ce gouffre et l’on achèvera de supposer que les humains jouissent de leurs maux. Douleur et volupté se correspondent, on fait silence sur leur liaison, elle dérange la morale, elle rassure l’ordre et l’ordre met à profit un abouchement inavouable : il pèse sur les hommes, il les déchire Il savamment, il les confond, les abaisse et les humilie, les hommes le supportent néanmoins et, la morale aidant, ils en jouissent, accoutumés à subir un viol et femmes devant l’ordre qui les perce, s’offrant à l’appareil des lois et gémissant sous les abus. La com plaisance opère des miracles et l’ordre ne hait pas de jouer parmi II nous le rôle de la Providence, les attributs de la divinité lui semblent revenir de droit, il a beau s’en défendre, il les empoigne volontiers et les brandit avec emphase, cette opération se renou velle et nous rassure touchant l’imperfection de notre espèce. H. J’aime la majesté des souffrances humaines. Qu’ontelles de majestueux? La complaisance énorme dont vos pareils les enveloppent? Vous vous prenez chacun pour un roi sans couronne et quelque dieu tombé, vous me semblez de plaisants automates. — Vous pensez, nous sentons, vous souriez et nous pleurons, vous vous gaussez de tout et nous souffrons de toute chose, cela fait deux natures. — La vôtre ennuie. — La vôtre n n blesse. — Nous ne nous accorderons pas, mais je saurai vous ména ger et même en ne vous estimant, vous ne pouvez que me haïr et ri il ’accabler de vos ressentiments m injustes. L’homme sensible ne tolérera jamais ceux qui n’éprouvent comme lui ce qui le blesse, il faut subir son accolade ou périr sous ses traits, il est barbare et ne s’en doute pas. — Ou mû par des ressorts dont seule la froideur iiiii préserve. S’il est barbare, il a des flammes et de la ressource. Vous raisonnez en mort et votre tolérance confine à l’absolue indiffé n rence. — Je laisse vivre et vous demande en grâce s’il est permis d’aller plus loin ? Vous soufflez la bataille et vos sollicitudes dévo n rantes qu’ont-elles d’humain et de généreux? Vous déchargez un désir d’assistance et vous cédez à l’inclination qui vous possède en vous précipitant parmi les autres. Nous suivons nos penchants et ces penchants s’opposent, les vôtres ne vous laissent de recul, les miens n’empêchent celui qu’ils affectent de porter à la fois un juge ri n ment sur eux, sur moi comme sur vous. La douleur est fâcheuse n et la souffrance ne mérite n pas d’apologistes, moins nous souffrons
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ri et moins nous souhaitons que l’on gémisse dans le monde, vos n pareils dorent les pilules et nous formons des vœux pour que l’on cesse de les avaler ! I. Cela peut désespérer trop de gens qui souffrent — et dans n l’état présent du monde ils restent légion — mais la douleur est n bel et bien absurde, il faut le proclamer et ne plus recourir à de n n nouveaux mensonges : le moule en est rompu, la matière épuisée II et les dieux morts, l’humanité lasse de redondances, le chaos sus II pendu plus que jamais sur l’ordre, l’ordre infidèle à ses promesses. II Nous ne voulons d’une métaphysique appuyant la souffrance et la perpétuant à force de la motiver, la raison n’a plus à fournir des n armes à ce qui blesse la raison et, ce faisant, ruine l’homme, il l’homme vaut mieux que l’œuvre, il en sera toujours le maître et nous lui rappelons ses droits, nous restaurons son éminence. La h II faim, la douleur et la honte, la maladie et l’esclavage n’ont pas à II n rentrer dans le plan divin, malgré le zèle de nos moralistes et les n conclusions de nos spirituels, ce ramas de fléaux ne prouve que notre impuissance et non pas une volonté nous obligeant à ramper devant le désordre. II J. Que si Dieu n’est pas un vain mot, Ses avocats Le servent n n II mal et leurs sophismes Le dépriment, le Ciel paraît aussi bien J II n gouverné que l’œcumène, on se demande quel est le miroir et quel, II l’objet dont ce miroir nous rend l’image déplorable? Si le modèle de notre évidence nous échappe et si le monde réfléchit un parangon n n céleste, nous pouvons mépriser l’arrangement et récuser l’Auteur, h mais si nous sommes le patron de l’évidence, alors nous nous ren n dons infiniment coupables. Le plus haut point du ridicule est d’allier la souffrance et la gloire, c’est le moyen d’éterniser l’ab jection et l’art d’étoffer le néant, sollicitant la complaisance où nous donnons toujours, la gloire n’étant presque jamais if à portée de ceux qui souffrent. Il n’est pas aussi charitable que l’on pense de cajoler ceux qu’on refuse de guérir et sans le désabusement, la ri guérison reste improbable. n K. En quoi l’humanité se trouve-t-elle plus heureuse, parce que Dieu mourut pour elle ? Cette hypothèse vaut ce qu’elle vaut, ceux qu’elle persuade ne sont pas très difficiles, l’humanité n devient plus exigeante et le triomphe de leurs fables paraît compromis. La douleur, l’agonie, la mort et l’ascension de Jésus ne forment qu’un II n événement dans une chaîne immense, il est permis II de méditer
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sur elles, il ne 1 est plus autant d’en abuser et de jurer aux mise11 II râbles que le Ciel les aime et que leur gloire est assurée, de telles rêveries n’ajoutent qu’à la stupeur de la foule. Nous disons haute ment que la souffrance n’a de raison d’être, nous renvoyons tous II les sophismes dos à dos, nous déclarons la guerre à ce qui nous entame, nous consulterons nos moyens et nous mettrons en ligne H n nos lumières, nous arpenterons l’évidence et présiderons à la n destinée. Il nous faut désormais une religion à la mesure ri de nos n forces, car celles dont nous héritâmes ne sauraient guider notre n marche, elles nous peignent l’impuissance où nous vécûmes, elles n n nous font même un devoir d’y subsister, elles se réjouissent de nos maux et prennent le parti de la calamité, sous l’ombre de nous n ramener au joug des lois divines. L. La souffrance est absurde, elle ne sert de rien, elle n’atteste rien, elle n’avance à rien, elle ravale l’homme aux bêtes les plus viles, nul juge ne l’inscrit ailleurs sur des tablettes ineffables, nul ii tribunal ne nous en tiendra jamais compte et la couronne du n martyre est de papier mâché, la robe d’immortalité pleine de trous, la palme vermoulue et l’espérance, un songe délirant. Oui, tout cela forme une masse de manœuvre aux mains des Princes de la terre, voilà des siècles qu’ils en usent et nous nous demandons n n parfois si les spirituels n’ont parmi nous d’autre métier que de justifier l’état du monde en ce qu’il a de plus inique et d’élever sur n nous un édifice imaginaire où le désordre trouve ses raisons de crédibilité ? Que s’il en est ainsi, nous les plaignons et nous leur conseillons de changer de registre. M. A nouveaux moyens nouveaux procédés, à nouveaux pro cédés nouvel esprit, la mode n’est pas un vain mot et les suprêmes lois n’ont d’autre truchement, l’éternel plie devant l’actuel et qui ne sait répondre à la dernière instance a beau s’autoriser d’un mille de réponses infaillibles, il est pris en défaut, il sera débouté. Nous n proclamons l’échec de tout système roulant sur la démesure et ii n l’indécence, nous méprisons la Croix et nous donnons les mains au renouvellement de l’ordre, nous approuvons la restauration du Paganisme et nous fermons la parenthèse. On a parlé de vérités chrétiennes rendues folles, mais folles elles l’étaient dans leur essence et dès le temps de leur genèse, leur vésanie n’a fait que se développer, les digues élevées par ceux qui les avaient trahies n s’effondrent et le torrent passe, nous courons vainement de brèche 55
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en brèche et nous ne savons plus à quel désastre entendre, nos fon dements conspirent à nous renverser, l’heure est venue d’en cher iî cher d’autres. Les vérités sont provisoires et s’il en est de ruineuses, il le besoin de mourir pour elles ? Ce qui fut juste parmi quelques hommes et pendant quelques générations n’est pas universel et ne sera jamais intemporel, hors de très rares lois touchant le meurtre et prohibant l’inceste, il faut reconquérir sur l’indéter miné l’ordre déterminant ses lignes générales. Nous n’en voulons qu’à ce système horrible enraciné dans la métaphysique et déra ri cinant la mesure, à ce tempérament d’humilité, de frénésie, de haine, d’amour et de complaisance où la raison s’égare et la démence n se retrouve, appuyée des plus hauts exemples et mettant l’absolu dans un jeu tellement pipé que nul langage ne saurait en définir les règles. Nous refusons à la douleur un sens, la douleur est absurde et nous renverserons l’autel qui l’associe à ce que Ton ii adore, un dieu souffrant menace toujours l’ordre et blesse toujours la mesure, de telles superstitions ne devraient sortir des cavernes n où l’on tolère les égarements de ceux que l’ordre écrase. Nous ne les prétendons sceller, les antres où les idées fausses se déchargent, n nous ne leur refusons qu’un droit sur nous, sur la mesure, l’huma ii il nisme et les lumières. n N. Que proposons-nous désormais et que mettons-nous à la n place de la foi chrétienne ? Un art de prévenir les maux qu’on ne n guérit et de guérir les maux qu’on ne prévient. Cela n’est pas inconcevable et nous en approchons, bon nombre de nos procédés nous y conduisent, nos volontés y font encore résistance et par un reste de pudeur, nous trouvons à la maladie un charme, à la n folie un sens, à la misère une raison, à la mauvaise foi des agré ments, à l’état de ce monde l’excuse de la Providence. Un ordre sans douleur, nous objectera-t-on, est une nouveauté bizarre et l’on ne voit comment fonder un édifice ne portant ni sur la terreur ni sur la fourberie, il le faudrait asseoir sur le consentement de tous et mériter au jour le jour son unanime renouvellement, opérant au jour la journée un éternel miracle. Cela nous met plus n n haut que l’Utopie et remémore l’ordinaire de la Messe, c’est une Messe politique... à quoi nous répondons qu’on sauve les humains ü en les trompant et même en les violentant : la vérité les abat tous 11 et le raisonnement ne les convainc jamais, ils aiment assez recevoir des ordres, former un choix les épouvante, ils suivent qui les en
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décharge et les menât-il au chaos. Le temps de réfléchir où le prendraient-ils et les moyens de comparer sur quel fonds les prélè veraient-ils ? Ils manquent de loisir et de recul, ils manquent partant de lumières, ils naissent corvéables et taillables, leurs n droits demeurent irréels et nulle constitution n’y remédie, les révolutions n’y changent rien, les automates resteront des auto mates, le seul génie des peuples étant celui de la servitude. Qu’on les abuse et qu’on les brutalise, cela vaut mieux que de les engager en d’illusoires éclaircissements et de leur ouvrir des chemins leur donnant le vertige. Nous déclamons contre la foi chrétienne et nos n méthodes n’en dissemblent, elle a prôné la sainte piperie, elle a préconisé la sainte violence et l’une et l’autre en vue de racheter n les hommes. Nous passerons par là, les avenues n’ont varié, mais ceux qui les battaient n’avaient rien de commun avec ceux qui les suivent, nous pouvons désormais ce qu’on n’imaginait alors, voilà nos doutes résolus, nous nous affermissons en nos démarches, un monde sans douleur n’est plus une espérance vide, un ordre n fait de cohérence et de mesure prévient les coups de la fatalité, l’humain s’y substituant à la Providence. Tel est notre devoir, c’est un devoir impératif, nos moyens nous y forcent et si nous ii nous y dérobons, ils retomberont sur nous-mêmes, la place de nos dieux étant à prendre, il ne faut plus la laisser vide.
Quand l’homme deviendra pareil à sa figure en l’Eternel, l’homme et la pensée de son Dieu ne feront qu’un, Dieu s’aimera plus véritablement en l’homme et n l’homme sera tout le sacrement dont la présence infirme sa pré sence, il n’aura point d’autel et sera l’autel et le prêtre, nul n’inter cédera pour lui, car il lui suffira de vouloir pour s’atteindre et de céder au comble de ses vœux à l’absolu qui l’enveloppe émané de H sa veille. Le Christ est l’homme et l’homme un Christ, si l’homme ne L’imite il ne L’honore pas et, si par aventure il L’adorait, il n n n’en ferait plus qu’une idole et se perdrait au nom de Jésus même, Jésus perdant mille n et dix mille qui L’invoquent à seule fin de n’avoir à se prendre en charge et de persévérer en leur néant de brutes. Jésus nous fraye le chemin et c’est en Le suivant que nous n aboutissons à nous, nous nous trouvons à la lumière de l’Esprit et ce que nous trouvons s’empare librement de notre volonté, le Adam n Cadmon
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Christ et nous, nous ne formons plus qu’un, nous sommes Fils de il l’Eternel, le monde est plein de Fils et chacun Dieu dans celui qu’il appellera son frère. Tel fut le sens de l’Evangile et nous le restaurons, restaurant notre plénitude et respirant la liberté que les perfides nous ôtèrent. La foi de l’avenir est l’avenir de notre H foi, le présent parmi nous est la raison de l’espérance et l’espérance 11 est au milieu de ceux qui vivent et témoignent, et nous n’avons besoin de charité, parce que l’ordre et la justice se répondent, que l’Esprit règne et que nous nous levons entiers du tombeau de nos jours. Nous ressusciterons en vérité d’entre les morts, car nous n ne fûmes que des morts depuis vingt siècles ; nous ressusciterons n et le mystère tombera de nous comme une peau rongée par la ver II mine, car il n’est de mystères ici-bas, il est des hommes qui s’aveuglent et cherchent en l’illusion ce que l’abus leur ôte et que H la fourbe leur promet ; nous ressusciterons, nous-mêmes promis à n n nous-mêmes et couronnés. Je vous le dis : osez et vos couronnes vous attendent, marchez et les promesses elles s’avanceront à la rencontre de vos fins, prenez et le salut vous est acquis ici-bas H 11 .maintenant, maintenant et toujours.
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I. Les hommes sont coupables de naissance H et peuvent être incriminés à tout moment, il ne leur appartient pas de savoir pourquoi, l’autorité ne leur doit II rien et plus ils tremblent, plus ils se soumettent. Il ne faut pas entrer en éclaircissements avec des automates et l’ordre appellera toujours les formes destinées à promouvoir la cohérence, mais H cette cohérence veut une soumission profonde et des alarmes éternelles. II. Ceux qui ne craignent ne défèrent et ceux qui n’obéissent n ne jouissent. Les peuples aiment à trembler et leur consentement il n part de leur volupté, qui les émeut les ploie et qui les foule les enivre : la seule indifférence les irrite et le seul flottement éveille n leur mépris, ils nous pardonnent de persévérer et même dans le ri mal, tant qu’ils nous jugent infaillibles et que notre gouverne leur procure l’illusion d’être assistés. III. Un ordre que l’on justifie et, de plus, raisonnable ri n ment, sur quoi repose-t-il ? Sur quelque sophisme à la mode et non sur un impératif en état de fonder la cohérence. Où ii l’on néglige de porter l’alarme, quel amour va-t-on espérer et quels exemples promouvoir ? Et si les hommes venaient à se juger innocents, comment les gouvernerait-on sans plaider en faveur de ce que l’on propose au heu de l’imposer, de l’imposer et de se taire ? IV. L’autorité qui fait silence en décrétant inspire l’adoration ii et pour un peu les hommes la mettraient sur les autels. Ce grand n n silence réfléchit l’abîme où flotteront les misérables et qu’ils n emplissent de leur épouvantement et de leurs vœux : il ne leur reste plus d’asile où se cacher à l’ordre et c’est en l’ordre qu’ils se Les lois de l’ordre
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11 H jettent, pour fléchir la menace en adhérant éperdument à ce qui n les menace. V. Les deux ressorts fondamentaux : le plaisir et la crainte et jamais h l’un sans l’autre, l’un doublant toujours l’autre, perpétuant II son efficace et renouvelant son crédit, l’un allant jusqu’à ramasser tout ce que l’autre englobe, afin que l’homme éprouve un tremble ment délicieux ou des secousses tenant à la fois de l’agonie et de n l’extase, pour qu’il s’attache à l’ordre comme à la pire de ses habi tudes. n VI. Il ne faut pas sortir des règles ordinaires, mais prendre toutes dispositions d’avance pour que l’autorité s’y trouve au n large et qu’elle puisse sans abus mettre les sujets à l’étroit. Nous n devons obéir à ce que nous nous imposâmes, mais ne nous imposer ii n que des lois imprécises et majestueuses, avoir la superstition des formes n et porter nos sujets à révérer ce que nous révérons, afin n n qu’ils nous révèrent et même en croyant nous braver. H n VII. Les dieux sont maîtres et les maîtres, dieux. Cela, les dieux l’ignorent, parce qu’ils n’existent et les sujets n’ont pas à n n le savoir, mais c’est aux maîtres de veiller sur une foi qui double n leur puissance et fermera le Ciel à qui refuse de les honorer sur n n terre. L’école des soumissions veut des consentements illustres et l’on y doit payer d’exemple : au moins y goûte-t-on la volupté de II s’adorer soi-même sous le masque. n VIII. La légitimité commence dans le Ciel et qui négligerait cette ressource n’aurait de trop, s’il possédait les hommes et la ii terre : il faut permettre à l’un de dîmer sur les autres et se charger n modestement de prélever la somme, on se fera le percepteur de l’invisible, c’est une place à prendre et ceux qui n’en démordent achèvent par régner, la lassitude aidant. La convenance est infail ÏT lible et nulle règle ne l’infirme. IX. On parle de l’accord du trône et de l’autel, l’autel en fait II répond du trône, le trône sans l’autel s’abat au premier choc, l’autel fonde le trône, le trône fonde l’ordre et l’ordre sans le trône balance entre l’abus qu’il ne réprime et la faiblesse à quoi l’abus II ne remédie : il va trop loin, dès qu’il s’arrache à la stupeur pour retomber en la stupeur et ce dès le moment qu’il se refrène, l’his toire l’a cent fois prouvé. II X. Le vague donne un prix à ce qu’il met en œuvre et nul gouvernement ne s’émancipe de ses règles. Le propre de la foi
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consiste à le produire et sans la foi, l’on est réduit à l’évidence, laquelle a toujours des limites et ne pardonne jamais à ceux-là qui les enfreignent. Nous revenons de toutes parts au vague, le vague Il est la ressource à ménager et dont l’usage fortifie ces lois qui s’emploient à nier sa permanence. IT XL La légitimité se sert du vague et n’en mourra, quoi qu’il arrive : il est pour elle une fontaine de jouvence et nous y revien drons, nous épuisons déjà ce qui nous en sépare, nous nous y II mesurons à ce qui nous épuise et nous restaurerons le trône avec 1 autel, mais il faut parcourir le cercle de l’erreur pour que la II vérité veuille de nous et que les fondements nous portent au lieu de nous engloutir. XII. L’ordre est le but de la subversion, et quand la subversion devient l’ordre, les lois qu’elle sapait elle les rétablit et sur un II II fondement plus ferme, allant jusqu’à les proclamer perpétuelles n et partant inviolables. Alors et seulement alors tout ce que l’ordre n avait de défenseurs marche avec elle désormais sur une ligne, le temps se renouvelle, les mots retrouvent leur acception et l’absolu, sa plénitude.
Ainsi nous prétendons tous à la n n même chose et c’est pourquoi nous nous heurtons et nous nous excluons, enflés du bien que nous nous flattons d’avancer et reprochant à l’adversaire une vertu que nous jugeons indésirable, parce qu’elle nous force à l’honorer. Nous voulons l’ordre et nous nous assom n mons pour l’ordre, chacun se proclamant seul défenseur de ce qu’il envahit, seul rédempteur de ce qu’il s’acharne à garder et seul libérateur de ce qu’il rêve d’asservir. Le plus étrange est que nous semblons tous de bonne foi, cela nous rend impitoyables et nous n ne pouvons transiger, sauf à douter de nous, mais n’est-ce pas nous résigner à l’avanie qu’un trop de tolérance nous mérite ? On souffre apparemment à convenir de la nécessité du fanatisme, on ira pourtant se jeter dans le parti qu’il fonde, sa rage portera ceux que sa rage étonne et la subversion que se propose-t-elle ? Le réta n blissement de l’ordre et sous des formes analogues, de préférence les plus traditionnelles, que l’on restaure pièce à pièce en jurant qu’on les abomine, on finira par relever l’autel en n’oubliant le
D’un commentaire touchant ces fameuses lois
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II trône, on revient à la source du pouvoir en multipliant les chemins couverts, les ébranleurs raniment l’appareil que leurs ancêtres avaient mis II à bas et nous nous refusons à les nommer, puisqu’ils II seront les maîtres et comme tels, les partisans de leur mystère. il Oui, l’on déchaîne le chaos et le désordre venant à son comble, on offre ses services et renouvelle les engagements qui présidaient à l’absolu, l’humanité retrouve ses idoles, le calme se répand, les lois se perpétuent et, malgré la fureur de quelques-uns, la paix règne sur les abîmes. Ainsi le vague et l’absolu ne s’excluent II mutuellement et c’est la légitimité qui les accorde, on ne peut II subsister en définissant toute chose, c’est un malheur que d’avoir à peser les idées que l’on prône, c’en est un pire que d’en faire l’exégèse et de les rendre à ceux qu’elles effraient, offensent et II ravalent. La légitimité seule a le don de multiplier les ressources et de les tirer au besoin de la magie des mots, les mots n’épuisent jamais leur pouvoir, tant qu’elle prévaut contre l’évidence et II l’ordre les emploie, ces mots, heureux de les trouver en place et de légiférer sous leur dépouille formidable. L’ordre aura toujours ses victimes et l’inégalité refleurira sur les chemins que la subver II sion se promit de frayer à la justice. L’ordre est mystère ou rien II et le mystère, un abus permanent que l’on déplace au lieu de l’éviter et qu’on réprime quelquefois sans parvenir à le déraciner. On ne peut subsister en définissant toute chose et la lumière tombant sur les misérables, quels misérables endureraient-ils II l’abaissement où l’ordre les confine ? Les hommes se ressemblent, 11 malgré les changements que l’on opère, et leurs besoins ne varient pas autant que les prétextes que les âges leur fournissent, les caractères permanents du genre appellent de nécessité quelques Il solutions brutales, les formes servant à les adoucir et les traditions II II à les juger aimables. Ce fameux péché dit originel, où le commun ri voit assez ridiculement la réprobation des voluptés, il marque l’impuissance de nos lois, ces lois faites pour l’ordre et non pour les II humains que l’ordre sauvera d’eux-mêmes en ne leur permettant n II jamais de rompre les fers dont il les accable. On parle de l’avène II ment de la justice et nous prononcera d’un ton d’oracle un lot de II normes rédimant l’espèce, on rêve de fixer un nouveau dogme et nous impose une adoration perpétuelle et des mystères infaillibles, on ne surmonte ce qu’on abolit et le dernier effort des novateurs consiste à remplacer ce qu’ils suppriment.
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Jusqu’à ce jour, nul ordre sans victimes inno centes. Le bien de l’ordre, les hommes l’auront chèrement payé, telle est la vérité, malgré II les démentis et les proÏT■ esses, l’ordre est Moloch et Moloch est de bronze. Le pis me II II semble que Moloch a trouvé parmi nous un nombre immense de fidèles et d’adorateurs, qu’ils aiment en lui cette force même qu’ils n’auront jamais, que l’abus les console de leur impuissance et qu’ils éprouvent de la joie à se sentir esclaves d’un tel maître, ÏT heureux de porter sa livrée et de participer imaginairement de sa nature. 11 Les marques de la servitude paraissent à leurs yeux légitimer ce qu’ils n endurent sans les marques, ces marques tiennent un peu de nos sacrements. H L’aliénation commence où l’on défend à l’homme de juger en ii suivant la logique et remet à ses lendemains ce qu’on lui promettait n la veille, de l’avenir au Ciel le chemin n’est pas long, mais du pré II sent à l’avenir le chemin semble immense, les générations se battent expirant l une après l’autre, et le chemin ne finit pas. Les hommes savent désormais ce qu’ils souhaitent, il paraît difficile de leur en ôter l’intelligence, même il arrive qu’ils devinent ce qu’ils peuvent et — la science aidant — leur espoir s’enfle et leurs prétentions grandissent, ils veulent le bonheur et la douleur ils la II. refusent ou ne l’endurent qu’avec un frémissement marqué. Les maîtres Il avertis s’épuisent en nouveaux mensonges. II L’ordre toujours respire les exclusions que l’on affecte d’improuver et quand il les abolirait en tel endroit, il les restaurerait ailleurs, c’est un balancement d’iniquités dont il s’agit de répartir II la masse et d’éluder le choc. Le meurtre est la première assise de tout ce qu’on révère et l’ordre roulera sur elle, un ordre qui ne tue est méprisé, n nous châtions les assassins à l’égal des faux-monnayeurs et pour des motifs analogues : le droit du glaive engage n l’appareil des droits et les résume, l’ordre est aux mains de ceux qui frappent, ailleurs l’aliénation commence et si la forme de l’Etat h rappelle celle de la pyramide, moins nous nous élevons dans des degrés, plus notre humanité s’abîme en l’équivoque, pour s’éva nouir à la base. Il n’est qu’une morale et l’on présume assez laquelle : échap n per à l’enfer du nombre et devenir, à force de mentir et d’abuser, un homme en état de paraître, capable de se ramasser à l’entour de soi-même, d’être à soi-même ce qu’il est et d’avoir assez de n
L'aliénation
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recul pour n’adhérer jamais en son entier à ce que le pouvoir commande. L’engagement total ne réfléchit que la totale servitude il ou l’absolue désespérance, un homme digne de ce nom refusera ce qui le rend irremplaçable et qui ne se retrouve point, nul pays et nul peuple ne le mériteront n jamais, ce rien qui ne leur est pas dû, ce rien-là qui nous porte et sur lequel le meilleur prend appui, ce rien qui légitime ri à lui seul l’existence d’un pays et la raison de maintenir n d’un peuple.
I. Le mal est inhérent à l’ordre, nul ordre cependant ne veut le mal et tous voudront le n bien qu’ils ne font pas, en ne voulant le mal qu’ils nous infligent. Et, toutefois, le bien ne s’obtient que par l’ordre, nous n’avons d’espérance ailleurs et nul ébranlement ne nous affranchira du paradoxe : l’ordre est trop nécessaire pour que ses abus mêmes ne soient légitimes. II. On dit que l’ordre est fait pour l’homme, mais si les hommes le savaient, ils ne l’estimeraient en rien, parce qu’ils se méprisent. Est-il avantageux de les tirer de là? Non, certes, il les y faut n maintenir, le dédain qu’ils se portent les rend gouvernables. Telle est la chaîne et nul ne s’avisera de la rompre, les hommes resteront ir soumis et méprisés, l’ordre — leur serviteur selon les philosophes — sera leur maître selon l’évidence. III. L’ordre embesogne tout et ne fait pas de différence, le n n mal est un moyen comme les autres et le mal en impose à l’homme. n Si l’ordre ne voulait du mal, le mal l’emporterait sur l’ordre, l’ordre a besoin du mal pour résister au mal et nous reprocherons n aux scrupuleux de désarmer le bien au lieu de le servir. IV. Si l’ordre ne faisait la part du mal, que serait l’ordre ? que ne serait le mal ? Le mal sous l’ordre avance quelquefois le bien, il le mal sans l’ordre, non, et l’ordre sans le mal, jamais. V. L’homme a le choix du chaos ou de l’ordre, avec le mal toujours des deux côtés et l’espoir d’aboutir parfois au bien, s’il n n choisit l’ordre, ses maux, ses incommodités et ses martyres. Voilà de n faibles consolations, mais l’évidence n’en eut jamais de plus fortes. VI. Nous sommes dans le monde et nous ne nous sauvons du n monde, lequel ne peut être sauvé, mais gouverné (ce qui n’est pas n la même chose !). De la gouverne à la rédemption le chemin paraît
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l’ordre
Il infini, mais tout chemin passe par l’une, on meurt sans l’ordre et II l’ordre ne meurt pas où le salut nous manque.
Dialogue des philosophes sur Tordre, le mal et les hommes
Pierre : — Le monde où nous vivons Il II est proprement atroce, mais cela les heureux seuls le professent et seuls les philosophes le connaissent : ils H voient l’abîme de très haut, cela leur donne le vertige, où ceux qui vivent sur les bords du gouffre s’en détournent, de peur d’y choir II s’ils le contemplent. Les heureux et les philosophes ont raison, ils tremblent et méditent, ce qu'ils mesurent ils l’évitent, ils s’arment fl et de froideur et de politesse, ils semblent quelquefois méchants : il c’est que le parti des bourreaux est le mieux assuré, que l’Etat n’est qu’un ergastule immense, que tous les siècles sont de fer et fl II toutes les idées, le masque de la force à la recherche de victimes rituelles. H Paul : — L’état du monde, un compromis toujours instable II il où l’un des rares éléments qui jamais ne varient est la faiblesse et H l’imbécillité du nombre taillable et corvéable, promené de men H songes en mensonges, égaré de promesses en promesses, pipé, II n foulé, mais consolé par un système de lubies métaphysiques et de II n nuées morales que l’on est infailliblement puni de croire et mal heureux outre mesure de ne croire pas. De là que devons-nous tirer ? La résolution de n’être peuple, quoi qu’il nous arrive, et n d’être avec les morts plutôt qu’avec les misérables. Pierre : — L’ordre est coupable de nécessité, les faibles entraînés à l’être, les forts exempts de le paraître et commis à punir au nom de l’ordre ceux qu’il rend tels et qu’il leur livre. Tel est le pacte scélérat des forts, de l’ordre et de l’iniquité, le sang des faibles répondant de l’alliance et cet arrangement est d’autant plus solide qu’il est plus atroce. Morale ? Persévérez dans l’abus et l’abus ii durera vingt siècles, mais si vous reculez un jour, les lendemains ne vous feront pas grâce. n Paul : — Quoi qu’il en soit, pouvons-nous désormais sauver le ii tout ? Il vaut mieux se réduire à la partie et sauver quelques-uns, II II en oubliant le nombre. On ne fit jamais autrement et nous ne II semblons à portée de rédimer plusieurs milliards d’hommes à la II fois, le bien s’abîmerait dans cette mer immense. Où prenez-vous 67
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qu’il faille qu’on naufrage ensemble, messieurs les utopistes ? Tï Est-ce amour ? est-ce orgueil ou n’est-ce pas folie ? L’humanité mérite-t-elle un sacrifice absurde et devons-nous souffrir, agoniser et disparaître à seule fin de nous légitimer nous-mêmes ? Quelle est cette délicatesse ? A quoi répond ce curieux désir nous rendant solidaires, malgré l’apparence? Je n’y vois point de mal, je n’y n vois que de l’impossible et l’impossible n’est pas un programme. il Pierre : — Les faibles et les malheureux ii me semblent les déchets de l’ordre, le plus bel ordre a ses égouts et la santé de l’ordre est au prix de l’horreur et de l’infection. Cela ne reçoit aucun changement, if mais il est triste que des hommes souffrent, parce que le devoir les tente. Jean: — Juger les faibles, à quoi bon? D’autres Font fait, leurs sentiments emplissent bien des tomes, la vanité de l’entre g n n prise éclate à chaque génération. C’est l’ordre qu’il faut mettre r en jugement au lieu de censurer les pauvres hommes, mais l’ordre i il se défend et qui le blâme encourt les châtiments que l’on devine. Alors on se rabat sur qui ne nous résiste, on prêche et l’on pourfend, on tonne en chaire, on grêle abondamment sur le persil et l’on achève d’écraser ceux qui l’étaient déjà. Nous, moralistes, nous ni nous en rendons coupables, nous revenons toujours à cette manielà, nous nous y consumons et l’ordre nous approuve, c’est moins un combat qu’une chasse et nous y donnons de la voix, nous aboyons, si j’ose dire. Pierre : — Aucun sauveur n’a pu sauver les faibles de leur impuissance. Entre les mains des forts et des habiles, les armes in destinées à la faiblesse ajouteront à son abattement et la confir meront ü dans son malheur. La légitimité repose sur la force, la force peut sauver le monde, les faibles sont imperfectibles, les forts sont prévenus et touchés par la Grâce, leur intérêt bien entendu les achemine à la mesure et semble leur ouvrir les yeux sur les impératifs que leur puissance réfléchit, quand ils réparent les torts ir attachés au pouvoir même. n il Paul : — Le mal commence où l’ordre cesse, le mal commence où l’ordre abuse, entre les deux le pays n’est pas large, mais si le bien n’a d’autre lieu sur terre, ne sommes-nous heureux de savoir où le bien se trouve ? Jean : — Quand il sera loisible d’être faible sans devenir 11 tt l’esclave du premier venu, quand nous pourrons marcher dans une 68
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voie tracee par l’ordre et nous abandonner à ses impératifs sans ■T baisser dans l’estime de nos juges, quand nous n’aurons pas à trembler devant nos défenseurs, quand nous n’aurons plus à nous repentir de notre obéissance, quand nous ne serons trompés en paroles et fût-ce en étant sourds, quand nous pourrons fermer les yeux et les rouvrir sur un pays qui n’aura pas changé dans l’in tervalle, quand les mots garderont une valeur qu’il sera permis à IT chacun de pénétrer et de peser, quand les lois serviront les hommes et les éclaireront sur leurs droits éternels malgré leur ignorance et II leur servilité, nous aurons FAge d’Or et nous ne l’obtiendrons jamais à moins. Paul : — Les faibles sont imperfectibles, il faut les préserver H d’eux-mêmes et des forts, cela demande tant de force et tant de II sainteté que cela passe la mesure de l’humain et confine au miracle. Et ron promet aux gens de l’opérer, cette merveille, IT et trouve à chaque génération des philosophes qui la prendront valablement II pour accordée et des habiles assez vains pour se jurer de l’établir. Ce me paraît une religion, ni plus ni moins, et comme II telle on lui doit révérence, mais l’on sera puni d’y croire. Pierre : — Réformes, bruit de mots, mais puisque l’huma II nité ne s’en lasse et qu’elle est neuve à chaque génération, les erre II II ments se renouvellent et l’innocence, invariablement surprise, rend vierge ce qui tombait de vieillesse. Paul : — La source de l’Etat n’a guère besoin d’être pure, II l’oubli remédiant à la malice et présidant à ce qu’on nomme légitimité pour fonder l’ordre et forcer le consentement, fût-ce des n n pires. Telle est la marche de l’histoire, une et la même et si nous n prenons nos mesures là-dessus, nous serons infaillibles, la part du ii II bien sera malgré tout la plus ample. On me dira qu’en face de II maux infinis, l’égalité plus un semble une consolation de balle et II que l’on donnerait une série pour l’autre. Ce jugement ne peut pas II être récusé, le devoir de l’Etat est de s’en souvenir avec humilité jusqu’à la consommation des siècles. II II Jean : — Les faibles servent de mesure à toute chose, la déme n sure en vérité commence où nous les abusons, le mal où nous nous approuvons de les piper et quand nous jouissons de leur égare ment, n nous devenons des monstres, alors le fond de l’abîme est ii touché, nous nous y rendons même inébranlables et cet arrange ment dure parfois des siècles. Il faut un absolu pour déplacer un n 69
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absolu, nous persévérons dans le nôtre et s’il est une Providence, elle reçoit l’objection la plus terrible, c’est une pierre de scandale où l’Eternel achoppe. iî Pierre : — On se propose d’élever le genre humain, de l’éclai rer, de l’amender et de l’humaniser, et l’on ne songe pas à ce qu’on ferait de ces hommes restitués à leur plénitude, et l’on oublie que l’état général de nos affaires veut aussi des brutes, des sots et des n fous, des malheureux, n des subalternes et des automates, car enfin tous les métiers n ne sont pas aimables et l’ordre roule sur un nombre immense de victimes nécessaires. ai Paul : — J’en viens à croire que le mal tire son eau de la u faiblesse, le mal est le torrent, or, quelle en est la source ? S’il h: n’était point de faibles en ce monde et point de sots ni d’ignorants, à peine y verrait-on de mal et c’est pourquoi le mal a tant de ii force. A la faiblesse des humains, à la sottise, à l’ignorance et nous ne parlerons de leur folie, quels semblent les remèdes ? Sans l’ordre, le moyen de les chercher ? et l’ordre, toutefois, ne veut pas qu’on les cherche. Voilà posé le grand problème : n l’ordre corrompt-il l’homme ? et l’homme verse-t-il dans l’ani n malité, sans l’ordre ? qu’est-ce que l’ordre doit à l’homme ? qu’est-ce que l’homme doit à l’ordre ? Les vertus de l’humain sont-elles concevables dans la solitude ou nos relations présidentelles à l’arrangement qu’on vante ? Nous rendons-nous plus faibles d’obéir aux lois, quand ces lois nous dépravent, et par quelle rébellion nous établissons-nous leurs juges ? Nous laissons le n problème ouvert. n Jean : — Et malgré tout, les forts seront les plus coupables, u coupables de séduire leurs victimes, de les envelopper et de les enchaîner, de les corrompre et de les achever, les menant à la mort et foulant aux pieds leurs cadavres. Les faibles pouvaient-ils, eux, cesser d’être faibles ? Mais les forts pouvaient être justes, cela fait quelque différence et si nous l’oublions, nous approuvons n n le mal. Et qu’est-ce que la légitimité ? L’art de n’aller au bout de n ses moyens et d’aimer la justice en gardant la mesure, cela les forts le peuvent et quand les tyrans s’y refuseraient, les maîtres y consentiront, parce qu’ils sont des maîtres, les maîtres ii ne jouent pas avec l’impéritie de leurs sujets, car ils ménageront n leur inno cence, pasteurs des peuples, non leurs loups. Que si mes réflexions n prêtent à sourire, alors nous sommes bien à plaindre, de nouveaux 70
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n malheurs nous attendent, car nous avons perdu le fil de la morale, nous errons dans le labyrinthe des faits accomplis, menaçant, n n menacés, dévorant, dévorés.
1. Terreur, mensonge, avouons-le d’abord, la légitimité les a pour acolytes et l’ordre il illégitime les a pour piliers. Où règne le consentement, la légiti n il mité prévaut, les mots gardent leur force et les symboles — qu’ils soient réprimants ou consolants — suffisent à régler le train, la terreur veille dans les antres et ne se montre pas, et le mensonge oublie un peu de sa nature. Cela demande, toutefois, un peuple filial,une gouverne paternelle, une habitude enracinée et plus de bonheur que d’épreuves, avec le moins de nouveautés possible. n Nous sommes loin d’y tendre et nous nous en lassâmes, nous pré n férons l’illégitimité, nous nous accommodons de la terreur et le n mensonge est notre pain de chaque jour, nous ne nous figurons un ordre exempt de l’une et se passant de l’autre. Voilà ce qu’il faut rappeler d’abord en le gardant présent à la mémoire. 2. De l’ordre ou des humains, lequel méritera plus de repro ÏT ches ? L’ordre humanisera les bêtes que nous sommes, mais il n’est n pas moins évident qu’il peut nous animaliser, nous rendant pires que les fauves les plus sanguinaires. Les faibles seront les jouets de l’ordre et devenus atroces, ils se supposeront irrésistibles, forts n en un mot, joyeux de l’être, complices imbéciles, et face au Tribu nal, coupables subalternes qui déshonorent la justice et qu’il faut écraser, de peur même d’avoir à les punir. 3. L’ordre est coupable de trahir les hommes, les hommes abandonnés à sa garde et qui se reposaient sur lui de leurs arrange ments n à prendre, il le fait trop souvent et trop souvent il ne fait que cela, pipant les faibles et les punissant d’ouvrir les yeux, tirant encore plus de force de l’abus et plus de crédit de sa ban n queroute. L’ordre se raille de la confiance, il fera jouir ses victimes, elles lui reviendront toujours, moquées, battues, foulées, ravies et consentantes. n 4. L’excès de patience travaille pour le mal et plus la résigna tion grandit, plus le mal prend de libertés, plus il est de moutons et mieux les loups prospèrent, c’est le péché des faibles que de lui n n prêter le flanc, les victimaires ne sont là que parce qu’il est des
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victimes. Nous pouvons soutenir sans tomber dans le paradoxe 11 désormais que la faiblesse engendre les abus et que le mal est fort à raison de l’abattement que la faiblesse perpétue, le voulant nécessaire, insurmontable et providentiel. Les nations les plus obéissantes souffrent au-delà de l’imaginable, tout conspire à les accabler, leurs défenseurs les mettent au supplice et se prévalent II sans rougir de leur consentement. Un peuple filial est mangé par II ses maîtres, un peuple trop soumis rend monstrueux ceux qu’il refuse de juger et qu’il estime à tort les lieutenants du Ciel, quand ce ne sont que les organes de la loi : les abandons attirent les calamités, l’humilité, la foudre, les princes les plus doux méprisent et maltraitent II à la longue ceux-là qui ne leur donnent plus à craindre. 5. Une soumission rampante est le dernier effort de la faiblesse et pour le mal peu de moyens semblent plus assurés de se com 11 muniquer à l’ordre, de changer l’ordre en tyrannie, le droit en II abus permanent, le privilège en pestilence et l’évidence en cauche mar. Ainsi l’esclave abîmera son maître à lui céder inexorable II II ment, n’importe le chapitre : ils formeront un couple uni par une n dépravation commune où le plus faible entraînera le mieux pourvu dans un enfer mesquin et des péchés énormes. La victime avilit le victimaire en ce qu’elle le tente et s’offre, le victimaire n’a pas la n ressource de mépriser son avantage, il goûte le plaisir de s’enfoncer dans les abus et devient leur suppôt, il se croit homme et cesse d’être un homme, il est comme l’esclave un instrument, mais à la il différence du premier, il ne le saura même plus. L’abjection finit par tout envelopper, la force et la faiblesse, rendant la force impure et la faiblesse virulente, peuplant le monde de fantasmes, il les uns barbares et les autres ridicules. L’on se demandera n toujours: à qui la faute? et véritablement on n’y fera réponse, la faiblesse est coupable, la force ne l’étant pas moins, sans que les deux puissent remédier à l’état les associant dans une chute solidaire. 6. En tout ce qui l’accable, le faible est de moitié. Ce que n j’avance là paraît une gageure, mais ne va point contre la vrai semblance, le faible jouit de l’abus qu’on fait de sa personne, c’est une volupté honteuse, le ressort en est éprouvé, l’inavouable de ce procédé n’empêche par malheur qu’il ne soit infaillible. Les tyrans savent chatouiller ceux qu’ils dédaignent, la complaisance des 72
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petits n’est que trop vaste, leur néant semble avide de fumée et leur génie appelle la secousse. Four sauver l’impuissant de sa II misère, on le doit violer encore. Est-ce merveille que l’abus tourne à son détriment et que les rédempteurs se lassent ? Tout peuple est un abîme et qui se penche sur la foule y gagne parfois le vertige. La faiblesse est mauvaise conseillère, elle ruine la plupart des gou vernants en ce qu’elle les force à devenir injustes, le vide appellera n l’iniquité : les marmiteux ont beau ne rien pouvoir, ils peuvent au moins nous corrompre. 7. Ne jurerait-on pas que tous les hommes sont coupables et complices ? Mais cette vérité profonde laisse ouvert un débat à quoi les âges n’auront mis de terme. n On voudrait parvenir à le ri régler, à le fermer, à le sceller et jeter la clef dans un autre abîme, ii on y renonce... il faudrait changer l’homme, extirpant la racine de son être, éteignant à la fois génie de servitude et libido dominandi pour rompre ce hideux accord fait d’invisibles convenances, ii où les plus malheureux trouvent des raisons de survivre à ce qui ne leur laisse de raisons de vivre. Les faibles dureront toujours et n nous n’empêcherons les forts de les manger, fût-ce sous le couvert des lois, les lois sont filles de l’événement, l’événement sert de prétexte à l’inégalité. L’ami du genre humain déplore l’évidence et ne redresse les erreurs que pour susciter des erreurs nouvelles, h la somme des biens et des maux ne varie pas autant qu’on l’imagine ix et si nous marquons une différence plus sensible, nous la devons à nos moyens. Proclamerons-nous en dernier ressort que nos moyens décident ? Alors tout ne serait perdu, nous avons quelque droit sur l’espérance. 8. En attendant, l’esclave est parmi nous et semble réclamer un maître. Si l’on ne voulait par décence outrer le paradoxe, on jurerait que la plus basse servitude est inhérente à l’ordre le plus n naturel, que nous ne découvrîmes rien, mais retrouvâmes l’évidence ri en développant son économie. Cela présage un retour permanent ii de ce qu’on rêve d’abolir, cela motive les alarmes des meilleurs et n’est pas sans justifier l’alacrité des monstres. Faut-il conclure et dans le même n sens? Voilà cinq ou six mille années que l’on perd rarement à masser sur l’indignité de l’homme, l’histoire fournit n là-dessus des preuves concluantes. n 9. Les faibles sont la peste de l’humanité, mais voilà : pouvonsnous nous passer d’être malades ? Nous requérons tous la santé,
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mais autre me paraît d’y vivre, autre d’y maintenir la somme des ri n traditions qui nous sont chères et que nous préférons à tout remède li qui nous en dispense. Imaginer un monde sans faiblesse, peuplé d’hommes entiers et sages, nous ferait douter de la Providence et ne nous fournirait pas les moyens de croire en nous. Ce paradoxe est le défi que nous ne relevons, la pierre à quoi nous achoppons et n ce qui, malgré nos pouvoirs divins, met de la différence entre les dieux et nous. 10. Mépriser la faiblesse ? et pourquoi pas l’humanité ? Cela n revient au même, les hommes dans l’ensemble échappent-ils à la soumission dont nous leur faisons un devoir et qui les voue à ce qui les ravale ? Et que leur enseignons-nous dès l’enfance ? A il n’être jamais forts et jamais libres, toujours serviles et toujours et l’on voubrutaux, déraisonnables, prévenus, imprévoyants drait qu’ils fussent autres ? On ne le veut pas tant, on les rend punissables d’obéir et de désobéir, on les effraye et les étonne, on pourra leur laisser ensuite le champ libre, ils n’oseront les secouer, leurs chaînes, on leur a créé le besoin de les porter et d’y trouver ri if n leur jouissance. Réformez nos arrangements et vous vous mêlerez ensuite de parfaire notre espèce, vous commencez où l’on devrait finir. Est-ce pour refuser les premiers pas dans le bon sens et les préludes que vous improuvez toujours, vous, les apologistes de leurs corollaires ? 11. Et quels seraient les droits d’un homme qui ne pense ? fi Ceux d’un objet que l’on emploie et rien de plus, jamais d’un être digne de ce nom, la pensée faisant l’homme et non pas la figure. Et quel est l’intérêt de l’ordre ? De multiplier il les objets ayant une apparence humaine et de les affecter à n des travaux utiles, sans jamais consulter leurs goûts ni leurs n n besoins, mais en leur imposant des façons de juger et de sentir n conformes en tout point aux vues de ceux qui pensent à leur place. n 12. Le but de l’Etat qu’est-ce ? Embesogner le mal en avan n çant le bien, le maître de la force et le féal du droit. Il est vrai, ri n n cependant, qu’il reste à mi-chemin dans la majorité des cas n en oubliant sa raison d’être, heureux de remuer sur place et de n se conserver en un repos où le mal gagne des faveurs, le bien, des consolations, la force, des accroissements et le droit, mille subterfuges. Alors l’Etat devient ce qu’il nous semble et dont 74
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il nous nous plaignons toujours : un embarras surnuméraire, plus une source de nouveaux désordres.
il L’ordre protège mal les faibles et n dès l’école on permet aux forts d’abuser des garçons les plus doux, on observe en riant ces jeux n barbares et l’on affirme gravement que ces horreurs servent à les former. On dirait que nous vivons dans un bois et que l’autorité s’approuve de nos luttes, n’intervenant que lorsqu’elles la blessent ri ii à son tour, les petits hommes déjà sont à plaindre, mis en tutelle n sous l’iniquité, la faisant, l’éprouvant et ne manquant d’appuyer n un système où le malheur de l’univers prend source. Les jeux façonnent les brigands, ces beaux exemples ne leur sortent de ii mémoire, l’école et la vie se répondent, et la malice des adultes ira-t-elle plus loin ? Préliminaires dignes de la thèse et qui ren ferment en puissance un brigandage sans limites (et fût-ce dans le sens de la légalité, complice des brigands, tels les pédants de nos collèges). Les habitudes que l’on prend alors ne changeront plus tellement, les mœurs de nos préaux ne laissent que de se perpétuer, n les forts ont tous les droits et les méchants, tous les bonheurs, les faibles les admirent au lieu de s’allier et de les rosser d’impor tance, enfin les maîtres les tolèrent, quand il serait plus juste de n n sévir, il n’est pas même loisible aux victimes d’en appeler à l’ordre, ir II elles se verraient dès l’abord mises au ban. Quel arrangement est-ce là? quel enfer? quelle saleté? Voulons-nous ce que nous voulons ou sommes-nous d’intelligence avec ce que nous abhor 11 rons ? Répandons-nous un vernis de paroles sur une malfaçon entretenue avec le plus grand soin et jouons-nous la comedie devant un parterre d’aveugles, crevant les yeux aux rares témoins en n état de nous confondre ? On sent là des mystères effroyables, on n touche aux fondements, ces fondements se perdent dans la nuit, il' quelques milliers d’années chavirent d’un seul coup et l’appareil II II des lois cède la place au cauchemar, on est dans un marais de II puanteur et de ténèbres, l’on y subsiste encore, notre évidence y plonge et c’est de là que nos religions tirent leur force. Nous le sous-entendons et nous lui portons révérence, le Dieu caché n’est pas un autre, le saint des saints nous 1 avons situe dans les entrailles de l’inavouable et nos enfants l’apprennent de la sorte, 1 horreur
Ordre, plaisir et brigandage
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leur est communiquée et ce dès le collège, la vie leur apparaît II H soudain, la chaîne du malheur passe de siècle en siècle et semble u unir les vivants et les morts dans une abjection recommencée. On n dira que je pousse loin ma remontrance et que je dramatise avec H un trop d’emphase, les mœurs II des petits hommes me semblent, toutefois, un sujet digne de remarque, ce sont les premiers pas dans un mauvais chemin que peu rebrousseront ensuite. Quel est Fauteur qui nous en rende une raison ? A peu de chose près, c’est le marquis de Sade, il suffit d’en ôter les développements et les II lubricités, ces applications forcées vont au-delà de nos moyens et l’ordre freine la dépense, mais le principe dominant ne varie guère, la volupté s’y mêle avec la violence.
L’on donne à choisir entre la mort et la honte et l’on punit incessam ment ceux qui ne meurent, tel est le fond du procédé, ce procédé-là n ne varie et sa vigueur ne se dément, on y revient et l’on y reviendra toujours, les belles résolutions n’y changent presque rien. Pour n tenir l’homme dans une crainte salutaire, il faut le remettre à ce ii choix et veiller à ce que la mort ajoute à ses alarmes, un peuple ne l’appréhendant serait ingouvernable, une terreur qui ne s’avoue est de ressource et quoi que l’on prétende, un peuple obéissant est avili par de certains endroits. En ce qu’on nommera l’esprit civique il est plus de timidité que l’on ne pense et souvent pas mal de bassesse, plus on demande au citoyen et mieux on l’expose au n ressentiment par où ses haines se soulagent et ses frayeurs res pirent. La différence entre les citoyens et les sujets, les sujets et les serfs, les serfs et les esclaves repose sur un emploi grandissant de la terreur, c’est un problème purement quantitatif, cela rappelle l’eau qu’on laisse entrer dans une vanne. Aussi les rages de l’esclave répondent-elles à son avilissement et l’on ne devrait pas s’en indigner, chaque homme voulant retrouver son équilibre et les plus abîmés ne pouvant qu’ils n’abusent de ce qu’ils attrapent. ii L’ordre est un accommodement d’horreurs permises, de barbarie autorisée et d’équivoques plus ou moins savantes, à cela nul n remède et le chaos est pire, nous y perdons beaucoup de nos fiertés, mais le chaos ne nous les rendra guère et l’ordre souffre qu’on lui n mente, par là nous avons quelques libertés de reste. ii L’avilissement par système
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— Vous allez un peu fort et vous ne tranchez pas assez entre les citoyens et les esclaves. II Il Que faites-vous de l’amour du devoir qui rend les premiers libres au milieu de leurs chaînes apparentes ? Vous réduisez les libertés il à des manœuvres de Tartuffe. — Je veux ce que je dois me II paraît un sophisme et qu'on ait un gendarme à ses côtés ou bien au fond de la cervelle, la différence paraît-elle énorme? Vu du dehors, c’est une économie, mais retournez un peu l’affaire et II decendez en l’homme. Or, l’homme est-il persuadé? Je n’en crois If rien. La preuve ? C’est qu’il est d’autant plus méchant qu il est plus vertueux. — Où prenez-vous cela ? Mettons que ce soit une ¥ demi-vérité. — Cela suffit, le monde ne se règle pas sur d’autres. Nul homme ne veut ce qu’il doit, beaucoup ne veulent que ce qu’ils désirent et les plus décidés appètent ce qu’on leur refuse, enfin l’ordre est un pis-aller et la morale, un autre, nous ne sortons de là, c’est le péché mettons originel, l’imparfait règne et se succède en changeant au besoin de noms et de figures, les révolutions se II suivent, la servitude se ressemble et l’inégalité demeure.
D’un commentaire
if Le crime n’est pas d’être criminel, mais dépourvu de force, la force i if permet les abus que la faiblesse n’autorise, les crimes impunis fi ajoutent à la force et les droits violés ôtent à la faiblesse. Ainsi les II lois du monde n’ont guère varié, malgré prophètes ou législateurs, nous le savons à notre préjudice. Nous renvoyons tous les systèmes dos à dos, quand nous avons la force et quand nous en vivons destitués, aucun système ne nous est plus de ressource, 1 Esprit II même n’étant le plus souvent qu’un masque de la force, la force II ayant le dernier mot. Les faibles s’imaginent bien a tort que l’Esprit leur viendra, parce que le pouvoir leur manque, mais s ils Le recevaient, les forts Le leur prendraient et puniraient les faibles de L’avoir reçu. Mon paradoxe réfléchit les grandes leçons de l’histoire et celle de nos Juifs d’abord, nation faible et que l’Esprit visita comme pour abîmer ses restes, peuple très misérable n et qui sert de modèle à toutes les vicissitudes affligeant les hommes, n plus heureux s’il fût mort et dont le privilège appela l’humiliation permanente, nul fort ne consentant à lui devoir et tous s’acharnant 11 après lui pour mieux éteindre l’obligation la plus intolérable. Le
Réflexions sur un exemple
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péché d’Israël ? Son impuissance, laquelle sert de preuve à sa malignité, ce qui dans l’ordre des conseils prétendus éternels H II II autorise les manquements dans Tordre des conseils humains. Plus un faible a de droits et plus il est délicieux de l’abîmer sous les II outrages, au moins l’avanie porte sur quelque chose, le mal a le champ libre et les ténèbres ont leur tour et fût-ce en plein midi.
Nous sommes à genoux devant ceux qui triomphent, ils sont nos dieux et fussent-ils autant de diables, nous craignons de passer H pour envieux si nous tardons à leur marquer la vénération qu’ils nous inspirent, Virtus nous laisse indifférents et seule Fortuna semble échauffer nos cœurs. Ce trait paraît de presque tous les siècles, il est la rançon de nos libertés, les libertés consolidant les droits que prend la force et c’est la force que nous admirons. Nos pères étaient quelquefois plus difficiles, mais c’est qu’ils mépri II II saient les parvenus et vivaient enfermés dans une manière de cercle, nous nous renouvelons plus qu’eux et nous nous mouvons 11 davantage, il est sans doute parmi nous plus d’ouvertures comme il est pour le moins autant de précipices, nous avons centuplé le II nombre de nos avenues, la qualité perdant au change, ainsi qu*il est de règle en pareil cas. Le train qui nous emporte ne nous permet de réfléchir et suspend tous les jugements, nous manquons de repères, nous nous abandonnons à trop de fatalismes, nous nous laissons aller et nous nous prosternons devant qui nous rassure, II II II le mot honneur n’a plus de sens et le mot force les ramasse tous, nous ne cherchons de cause à rien, ni de motif ni de prétexte : nous sommes à genoux et nous qualifions d’aigris ou de profanateurs ceux qui ne nous imitent, Baal et Mammon sont nos dieux, nous consultons les astres et nous croyons à la fatalité. Des faits, des CHIFFRES, disons-nous, NI THÉORIES NI REVERIES, DES ARGUMENTS VALABLES ET DES PREUVES A LA FOIS TANGIBLES ET DÉMONSTRA TIVES, du réalisme et nous voilà précipités dans le chaos et les ténèbres, en proie à l’indéfinissable et les suppôts du mal, esclavesnés sous les dehors de la rébellion que l’on affiche et de la liberté que l’on professe, esclaves-nés des imposteurs, nos maîtres, II maîtres universels — hélas ! — faits à l’image de nos idéals corrompus dans la source. Ordre, morale et pragmatisme
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il — Hé quoi? Vous demandez que I on résiste à ceux que le Ciel aime ? Tout vient de Dieu, n’est-il pas vrai? Pourquoi voulez-vous il récuser le signe de la faveur la plus manifeste ? Les méchants semblent l’emporter ? Pourquoi Dieu ne serait-Il pas méchant ? Supposez-le, le tableau s’éclaircit, c’est l’évidence remise n en pein ture auprès de quoi vos explications forcées ajoutent l’ombre à l’ombre. Quelle folie que de fermer sa porte à la logique ? — Alors Dieu n’est plus nécessaire et nous allons Le rayer sur-le-champ de n n nos papiers. — Je ne vous désapprouve aucunement, mais je pré n n fère Le garder, Il me protège en menaçant les fous qui s’armeraient contre mes droits, Il veille sur l’enclos à l’instar de Priape et les n audacieux s’éloignent, la majesté divine les étonne. — Le parallèle ni est de la plus rare insolence. — Nous employons ce qui nous tombe sous la main, les grands principes et les petits intérêts. Résumonsn n nous : tout vient du mal, agir et mal agir font un, qui veut le bien n d’abord et n’avait pas la force se condamne à ne jamais sortir du néant et mourra dans la honte, on est ce que l’on a, l’on a ce que n l’on peut, pouvoir est la première grâce. — Le ver est dans le ir fruit. — Présomptueux ! il n’est de fruit sans ver et j’aime autant les deux ensemble. — Victoire de fumée et sur les cendres de l’abjection ! — Vous demandez trop à la vie. On part de ce que l’on acquiert et l’on acquiert, n’importe la méthode. — La fin s’ajuste aux moyens que l’on embesogne et les moyens inavouables ne manquent de nous enfermer dans les limites que leur perfidie assigne à nos démarches. — Ceux qui n’arrivent au commence ment ne partiront jamais et végéteront en deçà d’eux-mêmes, n n prendre est un devoir absolu, l’on bâtit sur le fondement et les victimes propitiatoires qu’on immole. En vérité, le seuil recouvre toujours un tombeau, toujours le conquérant engendre sur un cimetière, c’est une loi d’airain que la morale nie et que notre ri évidence atteste. Les preuves ? les preuves semblent légion, n l’histoire déroulant leurs fastes, les beaux égorgements honorent ceux qui les perpètrent et leur impunité répond des apparences. — Votre ordre, un Augustin s’appliqua jadis à le définir et je ne vous renvoie qu’à Civitas Dei. Vous ne sortez de Babylone et vous me conviez à partager les travaux de Caïn, son fondateur, son pre mier habitant et son modèle. — Quand nous disposerons de l’évi ii dence, les scrupuleux pourront venir et nous leur prêterons
Petit colloque en appendice
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n l’oreille en guise de délassement, ils prêcheront à l’ombre du pou voir, mais faut-il pour ce qu’on l’immole aux postulats des bate n leurs métaphysiques ? Dansez autant qu’il vous plaît sur la corde H et n’oubliez que nous tenons les bouts, amusez le tapis, vous n’avez d’autre charge et n’incriminez ceux qui payent vos mus cades !
L’ordre et les classes se répondent, le pouvoir est aux mains de telle ou telle classe et toute classe i accédant au pouvoir cherche à le conserver moyennant la terreur et le mensonge. La part de la terreur varie selon la force du men songe, il en est d’assez prévenants et que l’on aime à recevoir, parce qu’ils flattent la faiblesse et l’on rend légitime enfin ce que le peuple consent d’observer religieusement pour ainsi dire : la terreur passe dans les mots et s’allie à l’amour, emportant la convic tion, c’est le miracle de la légitimité, l’art d’obtenir le plus avec le moins et d’obliger ceux qu’on dépouille. Les classes ne seront pas abolies, les résolutions n’y changent rien ni les promesses, on tord les mots, la terreur se redouble, la légitimité s’éloigne, les lois fondamentales demeurent inchangées qui veulent que les maîtres soient heureux et les sujets coupables. L’ordre est la conspiration des forts contre les faibles, cela prend n cent figures, cela ne sort jamais de ce tempérament, on nous affirme que les classes vont tombant et se mêlant de telle sorte n qu’il n’est plus de maîtres, l’on nous demande en un mot de le n ir croire et c’est un acte de foi que ceux-là mêmes exigent, dont nous savons qu’ils entreprirent de nous libérer des servitudes que la foi bénit. Ainsi nous devons croire à leur discernement, malgré les fautes n qu’ils avouent après que mille et mille seront morts en pure perte ; n à leur vertu, malgré l’abus qu’ils introduisent et les plaisirs qu’ils semblent s’accorder ; à leur justice et malgré les dénis qu’ils ont n multipliés en prétextant de la raison d’Etat ; à leur personne en tant que telle et plus qu’à celle de nos anciens maîtres, qui s’effa çaient encore devant Dieu, ne fût-ce que par épouvante ; nous devons croire à tout et nous persuader que nous voulons ce que l’on veut pour nous, sans nous et parfois en dépit de nous.
Des classes
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Il Ainsi 1*on ment toujours et punit ceux qui cherchent à vous II démentir, plus nous allons, plus le mensonge se redouble et mieux II la terreur frappe : quoi que l’espèce veuille, elle ne sort pas de la il servitude, on l’émeut quelquefois, on la soulève, on l’embesogne et la rengage, et tous ne pouvant être les premiers, le fait de l’ordre est de multiplier les inégaux. Les hommes sont et resteront à plaindre, on finira par les abasourdir, les vieilles lunes seront de ressource et les religions attendent leur revanche, l’heure des Juifs paraît fort proche de sonner, on leur devra la restauration — et la 11 plus solennelle — de ce qu’eux-mêmes ébranlèrent.
Le mensonge à la mode
II On ment toujours, mais il n’est de valable qu’un mensonge à la mode et savoir mentir comme il faut répond de la faveur céleste. Depuis la Révolution française, le bon ton veut qu’on aille au peuple et le n cajole, on a d’ailleurs besoin de lui pour lever des milices, de la milice n on a passé tout doucement à la corvée et l’on n’arrête plus d’embrasser n tous les siècles à la fois, tant on avance en reculant. Les nouveautés se doublent de ces vieilleries que l’on retire du cercueil pour les dorer, les farder et les requinquer, les doreurs de beaucoup les plus habiles sont les nantis de fraîche date que l’on voyait marcher naguère au milieu des rebelles, voire à leur tête, ces gens-là soulevaient les trois quarts d’un pays pour se constituer des lettres de créance et forcer l’entrée des salons. Nous admirons les livres qu’ils débitent, nous croyons à leur art et les félicitons de leur astuce, leurs jugements démêlent toute chose, à la réserve de leurs procédés (c’est dire que ces MM. ne se jugent pas euxiï mêmes). L’histoire de la Moscovie depuis l’an 1917 n’a jamais été H ri rédigée en bonne forme et selon la méthode qu’ils emploient pour estimer la France sous l’Ancien Régime ou l’Allemagne de Bis marck, on apprendrait là des merveilles inconnues et des mystères surprenants. L’Esprit n’y gagne pas une once et le refus de ces n MM. me remémore la défense qu’opposaient les racistes allemands n à la recherche libre : il n’était permis d’enquêter sur l’origine des ri satrapes. Au fond, nous ne sortons plus du mystère et nous le ri devinons assez, il ne réside pas au Ciel et comme ce fameux Royaume, il est au milieu des vivants. Pourquoi tel nous gouvernen n t-il ? pourquoi tel souffre-t-il ? La prospérité des méchants et le
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malheur des justes, qu’est-ce à dire ? En se privant du Ciel, les h fourbes à la mode s’obligeront à des manœuvres ruineuses et nous sentons qu’ils reviendront à Dieu, les Juifs aidant, lesquels sont le rocher de l’ordre.
II roule sur le vouloir-vivre, il parle aux faibles, il leur promet la force qu’ils n’auront jamais, les droits qu’ils reperdront sans cesse et le miracle il d’une vie où l’homme serait vertueux par inclination et comblé par devoir. L’on n’a jamais tant fait, l’on situait le Paradis en l’autre monde, il l’aura naturalisé, l’on ne peut faire davantage et c’est en niant l’absolu que véritablement il le confisque. II. Nous n’avons pas encore défini les mots dont il abuse, ces H n mots ont gardé leur fraîcheur et lui procurent même un semblant n d’innocence, il y croit le premier, sa bonne foi n’est pas douteuse u u et le convaincre d’imposture est au-dessus de nos moyens : le mal ii qu’il fait n’est point le mal, l’histoire le lavant de tout reproche, il n est en mouvement et, ses repères le suivant, ses poids et ses mesures changent. Le déterminer est un paradoxe, le juger, une énigme et le confondre, l’illusion de beaucoup la moins soutenable et qui ruinerait ceux qui s’en flattent. III. Qu’opposer au Marxisme ? La barbarie, mais elle est à la fois plus onéreuse et plus hideuse. Il est le moindre mal, il a cause gagnée et s’il n’est pas le bien, nul bien ne se fera sans lui, n nous l’aiderons à vaincre pour qu’il meure de sa victoire. IV. Il remet tout en cause et refusant le jeu, le voilà troublant ii les arrangements de l’ordre et du chaos, de l’abus et du droit, des u vérités et des mensonges. Il rend ses adversaires vertueux ou monstrueux, selon les circonstances, il les oblige à des retours et leur extorque des aveux, il fait l’histoire et ses contraires la il subissent, mais il ignore ce qu’il est et refuserait au besoin d’en n prendre connaissance : j’y vois la source même de sa force et le pourquoi de sa victoire. V. Abolir tout, tout restaurer et convenant de l’un, n’avouer l’autre, le procédé n’est pas nouveau, mais il est infaillible et nous n en perdons la mémoire à deux ou trois générations d’intervalle, enfin le Marxisme aura le champ libre et pour dix hommes en état n de le confondre, il en est cent ou mille qu’il surprend. Il triomphera n
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tant qu’il surprendra, plus de la moitié de cet univers attend d’être surprise et tenue en haleine, sa marche laissera le désabuse IL II ment à vau de route, qu’il cesse de marcher et nous le déter minerons sans faute. L’ignore-t-il? Il est déjà, malgré ses 11 révolutions, un vrai mystère et ne combat cette évidence qu’en paroles. VI. Son dogme est de se refuser à convenir de son mystère n et 11 son mystère est d’ignorer ce qu’il pourrait savoir et de se renfermer n n en l’équivoque en dissipant celle des autres, il porte la lumière et ses rayons ne tomberont sur lui, sa légende est l’inconnaissance au fort de la clarté qu’il répand sur le monde. VII. Tous les problèmes en suspens, et quelquefois depuis des millénaires, travailleront en sa faveur, on négligea de les résoudre, n n on le voudrait présentement, mais il est tard, il fallait y songer, ce refus l’accrédite et cette volonté soudaine est l’un de ces pavés dont semblent faits les chemins de l’Enfer. L’Enfer attend, II l’histoire marche, on dira quelque jour que l’aboutissement parut fatal et les Marxistes vous appliqueront ce que vous appliquez aux n Juifs. Beau parallèle à méditer et qu’on ne prévient guère ! II n VIII. L’Esprit, un élément incoercible du Marxisme et la n raison de sa victoire, mais nombre de ses partisans l’ignorent et If pour ses ennemis, ils verraient tout en lui, moins l’Esprit qu’il II renferme. Et s’ils le voyaient, ils ne l’en abhorreraient que davantage. fl IX. Ce mensonge II à la mode, il a doublé pourtant la force de la vérité : la voilà hors du puits jusqu’à la fin des temps et nul ne l’y fera rentrer, la voilà plus que nue et le pouvoir des Princes de la II II terre ne la dérobera jamais, jamais plus aux regards des hommes. II C’est un événement terrible et qui ramasse un mille de promesses, II on dirait une mer où tous les fleuves courent se jeter et qui menace d’envahir le siècle. il X. La dignité de nos besoins, le sacrement de la théologie marxiste. Elle a déjà vaincu le monde, le monde — pour lui II résister — s’oblige à l’imiter et n’en peut convenir et n’en doit II convenir, sous peine de lui rendre hommage : il l’aura fait en le II niant, il le fera de plus en plus, le voilà divisé contre soi-même et de mauvaise foi, dès le moment qu’il n’est aveugle. Cela présage II II des convulsions, tous les ressorts de la mauvaise foi se développant à mesure et prenant tour à tour les apparences les plus opposées, II 83
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jusqu’à ce que soient épuisées toutes les ressources que l’on appelle 11 ta à l’aide et que l’on prostitue à qui mieux mieux sans démentir la nouvelle évidence.
Prétentions du Communiste
Lui : — Nous allons tout changer et les moyens présents concourent à notre assurance, un chacun recevra demain selon ses œuvres et n n quelque jour selon ses nécessités mêmes, nous instaurerons l’abon dance et nous n’aurons de motif de nous opprimer, l’homme et la Providence feront un, nous préludons à l’Age d’Or et professons le Paradis sur terre, ce qu’avant nous seuls rêvaient quelques il utopistes. Nous sommes l’Utopie armée et la Subversion pour n l’ordre, un ordre humain, il total, immanent et sublime. Moi : — Par la persuasion ou par la violence ? Lui : — Par la persuasion et par la violence, car il s’agit de tirer l’homme de son trou, beaucoup n’étant sortis de la caverne et respirant l’air confiné dans les ténèbres et la crasse. Les y lais serons-nous ? Au nom de quelle liberté ? La liberté de se complaire en son abjection? Moi : — Le salut ou la mort ! Vous prouverez en bonne forme que vos bourreaux ne sont pas des bourreaux, que vos prisons ne sont pas des prisons et que vos guerres de conquête ne seront jamais des conquêtes, vous chargerez le fardeau de tout bien, de tout honneur et de toute morale : gesta dei per francos, am deutschen Wesen soll die Welt genesen et j’oubliais THE WHITE man’s burden. Hélas ! Il n’est pas deux chemins et les victimes seront-elles consolées de périr sous les coups des rédempteurs du monde ? Lui : — Vous oubliez que nous ne déclarons la guerre aux H peuples, mais à l’esclavage, c’est une guerre civile à la dimension de notre œcumène, nos adversaires ne l’ont pas compris, les nations sont appelées à disparaître, l’humanité commence et les IT frontières tomberont, le monde fermé s’ouvrira demain, nous pré siderons à son ouverture, nous canaliserons ses forces, nous nous appliquerons à les distribuer et nous nous chargerons de fermer il une histoire roulant sur la guerre et perpétuant le désordre. En vérité, nous serons libres, parce que nous n’écraserons personne et l’Utopie débouche dans nos œuvres, nous sommes l’incarnation de 84
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n l’Utopie et sa Présence véritable, nous rendons l’homme à l’homme et ce qu’on a rêvé depuis des millénaires prendra consistance. Moi : — Et vous, vous prendrez le pouvoir. Lui : — Ce mot-là changera de sens. II II Moi : — C'est lui qui vous prendra, malgré vos gémissements ineffables et vous serez les serviteurs des serviteurs, vous taillerez, vous rognerez, vous régnerez, vous ferez un peu plus de bien que ceux que vous remplacerez, cela je vous l’accorde. Lui : — Cela nous justifie apparemment et notre dictature étant celle de la raison, les fous seront guéris, nous condamnerons l’univers à la santé, le bonheur et le devoir s’allieront, la liberté il voulant ce que devra l’obéissance, nul n’opprimant personne et disposant de ce qui lui revient, la force des moyens entraînant les ri rapports et les rapports modifiant les hommes. Nos ennemis commencent par la fin, ils ne voient qu’elle et désespérant de l’atteindre, ils se refusent au prélude, ils parlent des valeurs dont ils se moquent en niant les besoins qu’ils assouvissent, aliénés et n déchirant ce qu’ils gouvernent, malades et féroces, barbares et mielleux, invoquant l’humanisme et souillant l’univers, prêtres du n mot et blasphémateurs de l’idée, larmoyant et brûlant, brûlant les corps et bénissant la cendre. Auprès de nos antagonistes, avouezle, nous sommes infaillibles, nous ne nous acharnons d’ailleurs qu’après les fondements, nous tolérons le reste, le reste — privé de n sa base — paraît irréel et nous lui permettons de sécher, de flétrir et de s’éteindre. n Moi : — Je ne vous conçois pas toujours et me demande quel quefois si vous vous entendez vous-mêmes? Vous dépassez une moitié de vos principes et l’autre moitié vous dépasse, vous vous payez d’illusions que vous taxez d’astuces, vous niez une foule de problèmes insolubles, vous simplifiez l’évidence à coups de hache n et réduisez cent peuples au commun dénominateur, vous avez une clef et vous jurez qu’elle s’adapte à toutes les serrures, vous enfoncez la porte en la plupart des cas et vous pendez qui vous dénonce. Je vous estime, nonobstant, et ceux que vous battez ne n pouvaient l’être que par vous, libérez-nous de leur empire et que leur ombre cesse d’offusquer la terre ! Lui : — Nous contraignons cet univers au choix et pareil à ce n monstre sur le chemin de Thèbes, Marx interpelle les humains en avalant tous ceux qui ne répondent, il est le Sphinx et selon
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l’apparence, Œdipe n’est encore né. L’on devra passer devant lui, l’on devra passer devant nous, passer ou refuser l’histoire et renoncer d’aller à Thèbes.
u — Pourquoi tant de cynisme ? — Je lis Lukacs. — Il passe encore pour honnête. — fi 111’est, mettons à l’égal de Teilhard, du père Teilhard de Chardin, iiiii il n ils mentent plus ou moins, jamais assez aux yeux des Communistes n et des Catholiques. — Et nous, nous les plaignons, ils méritaient if sans doute mieux que de servir en gémissant les fourbes qui les embesognent. — Que voulez-vous que ces gens fassent ? La vérité n’a plus que des censeurs et si moi je bouffonne, c’est la prudence ai qui le veut, on n’ose foudroyer les matassins de mon espèce, je ii fi n danse en armes et mes sonnailles me préservent, j’ai là quelques n n douzaines de grelots et de clochettes, cela me permet de brandir H l’épée et de parer les coups avec une rondache. — Dansez, l’ami. — II n Je mens, tu mens et nous fourbons à qui mieux mieux, chacun n plaçant la marchandise qu’il blasonne. Que requérons-nous tous ? Les biens du monde, la, la, la, la. Tel les déprime et tel les nie, tel les promet inépuisablement aux hommes, nous sommes à la foire, les peuples courent d’étaux en boutiques, on songe à les plumer et if nous les engageons à miser leurs beaux restes à la loterie. Vous serez bienheureux, la, la, la, la, n’en doutez point, en l’autre monde et si vous n’y croyez, vous aurez l’absolu bonheur dès l’univers présent, sitôt que le présent aura cessé.
Intermède n comique
Le raisonneur à l’espagnole. Monologue métaphysique à prononcer dans la foire aux idées
Répara, Hermano Sancho, que Nadie es mas que otro si no hace mas que otro. Voilà ma thèse. Un homme vaut un homme et si tel vaut plus que tel autre, il n ne le devra, certes, qu’à ses œuvres. Je suis, mettons, Monsieur le Duc et vous, ma foi, le domestique portant sa livrée, pero yo puedo SER MAL duque, Y tu, buen criado. Nous sommes, frère, n ii égaux et malgré l’inégalité charnelle, mon essence est la vôtre, Dieu même répond de l’égalité que je vous prêche, enfin nous n sommes au théâtre, EL gran teatro del mundo, Dieu nous 86
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commet les rôles à tenir et, la pièce achevée, nous perdrons la vie et le rôle y no sabemos cual de los dos ha de ir al cielo. La vie est un passage, la vie est irréelle et la réalité commence où If finit l’évidence. Que el mayor bien es pequeno y toda la vida es sueno. Les voiles tomberont et nous nous désabuserons, nous aurons beau mourir : la lumière éternelle, je vous proteste que nous la verrons ensemble, nous tremblerons, nous gémirons et nous implorerons Marie. Sauvés, nous ne ferons plus qu’un et vous aurez peut-être F avantage, parce que vous souffrîtes et parce que II vous vous humiliâtes, vous intercéderez alors pour moi, Hermano Sancho. Aquella vida de arriba es la vida verdadera. La vie est un voyage et le Ciel, notre port, ce que l’on touche n’est qu’une figure, une promesse de la vérité que nous contemplerons ailleurs et que nous méritons en l’espérant sans cesse. Que ojos que vieron A Dios, que pueden sin Dios mirar ? En attendant, je suis Monsieur le Duc et vous, mon domestique sin arrimo y CON ARRIMO, SIN LUZ Y A OSCURAS VIVIENDO, TODO SE VA CONSU-
miendo.
II Demeurez où vous êtes et quand nous ferons pénitence, II à la procession des CUCURUCHOS, vous porterez ma croix de chêne et vous me passerez la vôtre de sapin, l’honneur sera pour vous n avec le poids en sus. De carne somos todos, los hijos de adan. Répara, Hermano Sancho, que el mundo es tuyo, chacun de n n n nous est roi, tu l’es sous ma livrée à l’égal de moi-même, nous portons des couronnes invisibles, Jésus mourut pour toi comme pour moi, ton maître, Il a versé deux gouttes de su sangre pren ciosa, Jésus pensait à nos personnes, tu fus présent à Sa mémoire, avant que de venir au monde, Il t’aime assurément, te voilà consolé, que demander après cela, toi qui possèdes tout ? QuÉ vas a pedir ii AHORA ? MEMENTO MORI, SANCHO. QuÉ ES DEL HOMBRE ? CENIZA, n Polvo, Humo, Nada. Les vers me mangeront, je suis leur proie future et mon cercueil sera-t-il plus grand que le tien ? Puis nous n n aurons la Gloire. Et maintenant jouons nos rôles, toi celui de valet, mas tuyo es el orbe, et moi celui que F Eternel m’assigne Y VERDAD ES QUE NO TENGO NADA, NADA QUE SEA MIO. Le palais ii ducal est un gage que Dieu m a confié, de puro viento, l’humilité me force à l’habiter, je ne murmure contre les décrets célestes et n n toi, mon frère, anda con paz, n’as-tu pas la mansarde, o Bienaventurado ? Le froid, l’hiver, le chaud, l’été ? Tu te rédimes en ce monde, son ejercicios espirituales. Tus arreos son las
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penas, Tu descanso el trabajar.
II Remémore-toi EL MAS GRANDE frances, San Bernardo ! Quelles austérités et quelles péni tences ! Prie pour moi, Sancho, moi, l’instrument de ton salut ! Nous n’avons pleinement ici que ce que nous n’avons en propre, et ce que nous croyons avoir n’est pas à nous, nôtre est l’illusion, Dieu seul possède ce qu’il nous octroie et nous le Lui rendons, n mon palais donc n’est pas à moi, ce palais est à Dieu, Dieu sanctifie adorons. Dios anda entre los l’apparence et nous, nous pucheros, Il est ici, ce palais Le renferme et tu révères Sa pré sence, ces pierres te L’enseignent, ces meubles, ces tapis, ces II lustres, ces tableaux et... moi-: moi-même, fait comme toi, mon frère, à II Son image. Respecte en moi le Dieu, le Dieu que ton humilité n ’enseigne, Il souffre en toi pour commander à travers moi. La m
VIDA ES SUENO, LO QUE SE TOCA SE DESHACE, LO QUE SE ESPERA SE
Cherche la vérité dans le refus du vraisemblable, les yeux nous trompent et les oreilles nous abusent, no te hagas semejante a los judios CARNALES, un Espagnol a pour devoir de nier l’évidence. El Espiritu ! Que lleno de alas y de ojos, sobre los cielos se eleva. D’ailleurs si tu n’es pas de cet avis, un autre te remplacera demain. ALCANZA, LO QUE NO ES IMPORTA Y LO QUE ES ENGANA.
II est l’école de la modestie et le remède à nos ii misères, mais il nous vend notre rédemption au prix de notre suffisance, il nous ramène à notre taille et nous avons par malheur désappris d’ajuster nos prétentions et nos ressources. En l’homme rien n’est infini, pas même la démence, il il II est comme enfermé dans ses limites, il les promène en quelque lieu qu’il s’établisse, elles l’entourent, il ne leur échappe. La vision de nos essences est une rêverie et nos machines voient plus loin que nous, notre science d’à présent a des moyens que notre esprit n’a guère et ne possédera jamais, nous n’entendons à ce que nous faisons, nous préludons à des mystères plus étonnants que nos legendes, nous créons dans la nuit un jour dont nous ne concevons pas la lumière, nos moyens ne nous font plus grâce. Il est temps de il se souvenir de l’homme, l’homme est le maître de ses fins dernières, pourvu qu’il sache ses limites, le Matérialisme l’y renvoie et le H désabusant, le met en face d’une liberté sobre au degré suprême Du Matérialisme
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II et ne tendant qu’à l’efficace. Le règne des mots cesse, la domination II de l’homme sur les choses informe l’équivoque et trace à la raison II des voies, la douleur se réduit à ce qu’elle mérite : elle est privée II de sens, elle est destituée de fondement, il faudra partant la guérir, elle n’est plus que ce qu elle est, il faudra qu elle cesse d’être.
La foule
La foule suit les chemins que l’on trace, elle les ouvre II rarement, son destin n’est pas de marcher, mais de II se remuer sur place, de tourner dans le cercle, de souffrir, de se II plaindre et de mourir, elle fut toujours malheureuse et le sera n toujours, tant qu’elle demeurera foule, on ne la tirera de sa misère qu’en l’articulant, qu’en la formant, II qu’en la désabusant et qu’eni la rendant autre, mais ce labeur passe nos forces, d’aucuns jurent de l’entreprendre, nous verrons ce qu’il en sera. Plus il est d’hommes, moins vaut l’homme, c’est une loi mathématique, la liberté s’évanouit où l’on est quelques milliards a la prétendre, le II despotisme alors n’est que trop légitime, la foule ne le hait pas tant II et les sophismes de nos raisonneurs ne changent pas ses dispositions fondamentales. La liberté, nous l’appelons un luxe, elle ne fut n jamais un droit et nous ne devons la promettre à ceux qui ne la n savent mériter, ils la font irréelle, ce qu’ils désirent presque tous est n l’assouvissement de leurs besoins, leurs besoins les aveuglent sur n le reste, le reste n’étant plus à leur portée. La foule est donc esclave, le terme a beau n’être à la mode, il réfléchit une evidence : elle n’a rien et ne peut rien, c’est affirmer qu’elle n’est rien et que l’on en dispose, elle nous semble le belier qu on met en branle pour n abattre une muraille, la muraille abattue, jamais la foule n entre dans la ville prise, elle n’aura fait que changer de maîtres. Le siècle où nous vivons abonde en leçons désolantes, la servitude y revêt mille masques, les moyens que l ’ on a trouvés ne tendent pas à ri n n l’affranchissement de l ’ homme, l ’ homme est de mieux en mieux n connu, sa liberté de plus en plus malaisée à défendre, on le retourne ii comme on veut, il est à la merci des gouvernants, ces gouvernants devraient être des saints pour n’abuser à tous les coups de sa faiblesse. Le Prince de ce monde nous régente, il envoie à la guerre ri ceux que l’on n’eût osé jadis tirer de leur maison, nos grands pays sont devenus des camps, leurs foules des milices, nous nous barbarisons par d’infaillibles conséquences et nous nous louons de nous
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juger libres. L’on a gagné sur un tableau ce que l’on a perdu sur l’autre, la somme de nos droits réels ne varie pas beaucoup, les sauveurs n’ont pas influé sur les relations profondes, le jeu des n ii forces dure comme avant et perpétue l’iniquité, les mouvements que l’on déchaîne avortent, ce que l’on abolit se rétablit, l’ordre n n a le dernier mot et nul arrangement ne le remplace, les maîtres vivent et les serviteurs végètent, les révolutions débouchent dans n la rhétorique et dans la sophistique, les changements que l’on voit n s’opérer résultent des moyens. Ainsi le mal est inhérent à nos n n esures, nous sommes incapables de l’en retrancher, heureux si nous l’amortissons, la volonté de tout parfaire ne l’exclut et le n refus d’agir ne nous l’évite, une minorité se sauve par moments de ses atteintes, fût-ce aux dépens du nombre, le nombre, lui, n n it comment se rédimerait-il en masse, en tant que masse ? On veut que ce soit un problème de moyens, peut-être avons-nous déjà les n moyens, ii l’esprit de ces moyens nous manque et pour le recevoir il n faudrait consentir à la révision des mœurs, des lois et des mobiles, n ce qui demande une subversion totale auprès de quoi celles qui nous alarment paraissent bien timides. La lassitude rend les n gouvernants conservateurs et force les systèmes à se recourber, les révolutions sont permanentes ou trahies, le premier n soin de l’ordre est d’immobiliser et de simplifier, l’ordre est l’écueil où les vaisseaux échouent l’un après l’autre, l’ordre et le provisoire se n ii répondent et le cheminement des jours a raison de l’éternité, l’Esprit se casse aux angles, la volonté du bien tombe et retombe en ses langueurs habituelles, car l’idéal est sujet à vieillir, l’accou n tumance règne dans les profondeurs, la loi du moindre effort est un abîme et que la foule emplit par destination, depuis qu’il est des foules et tant qu’il en subsiste.
Le laisser-faire n’est qu’un jeu sans règles, dès le moment qu’il en est qui s’en donnent, on ne peut jouer avec eux que l’on ne perde. La tolérance nous l’illustre et nous savons qu’elle est pos sible, quand nul n’a l’intention de se tailler un empire à force de n n menées, de tricheries et de violements de plus en plus barbares. Le laisser-faire est un désordre aimable où l’ordre est un abus, n ce climat de douceur ne dure qu’entre gens polis, nantis et
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raisonnables, c’est une pause de l’histoire, c’est une trêve où la vie reprenant ses droits éclate en jouissances. L’on est tout à l’étonne H II ment de voir se réunir les biens que l’on n’attend pas même H séparés, c’est un déluge de faveurs qui nous inondent à la fois et ne II nous lassent point, c’est une découverte que l’on se remémore durant les générations et que l’on taxe d’utopie en ne laissant d’y croire. Les moyens de perpétuer le laisser-faire on les aura cherchés et nous ne les savons encore, cette euphorie est un miracle et nous II y perdons la mémoire II de nos états habituels, le mal se paye des oublis et rentre en scène, le monde reprend sa figure et nous nous imaginerons sortir d’un rêve, c’est dire que nous retrouvons II II le cauchemar.
Objection du Communiste
II Lui : — Le laisser-faire ne manque d’ouvrir les entrées de la réaction la plus intolérable, les siècles de malheur viennent après et plusieurs générations la payent, la douceur de vivre. Quel bien peut-il se fonder sur le vague ? Moi : — Depuis cinq mille années nous vivons de la sorte, nos II rares moments de félicite ne furent jamais autre chose : un arrêt II désirable, un suspens menacé, le creux entre deux lames sur un océan et la lumière d’un rayon qui perce à travers les nuages. lï Lui : — Nous voulons les fixer, ces moments-là, les rendre habituels et les perpétuer, ne plus dépendre à l’avenir de la clé II mence où le hasard nous porte, nous voulons assumer sur nous les H charges de la Providence, tout faire et ne plus rien subir, être II comme les dieux et préluder à l’Age d’Or que nous ramènerons sur il terre, nous sommes l’espoir de l’humanité : qui ne nous aime pas II est l’adversaire de l’espèce. Moi : — Vous tranchez à la fois du désirable et du sublime, on il vous admire et s’en remet à vous du soin de rédimer les peuples. Taillez, rognez et rachetez, nous vous laissons pour quelques lustres le champ libre, le scepticisme n’est plus de saison, nous disons : place a l’utopie, car vous allez changer le monde et l’homme, le monde le premier et l’homme en conséquence, le n n n monde est votre objet, l’homme votre projet, vous-memes une passion subordonnée aux vues d’une logique irréfutable à sa
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if Lui : — Car nous avons une dimension de plus que nos rivaux, n ils parlent d’incarnation et restent là, dans l’air, mais nous forçons n les valeurs à descendre, à se mêler à nos besoins, à seconder la vie, n à réfléchir ses voies et ses conduites, à relever les fondements de n leur ruine habituelle au lieu de planer sur un gouffre de misères inutiles. Si Jésus revenait au monde, Il serait Communiste. ii Moi : — Cela se peut, le Matérialisme est juif et N. S. en avait ii l’étoffe, les premiers Chrétiens furent subversifs, l’entrée massive n des Païens altéra leur système, il fallut s’établir dans une trahison recommencée. Vous n’ignorez pas tellement ce qu’il en coûte et le prophète Marx serait au banc des accusés, s’il revenait de H même. Ces fondateurs prenaient des libertés que vous jugez into II lérables, vous simplifiez leur message et vous vous employez à tordre leurs principes, vous ôtez et vous rajoutez, vous brodez et vous offusquez, vous appuyez, vous systématisez et vous noyez II l’irréfutable démenti sous un déluge de sophismes, Jésus et Marx ayant démasqué leurs fidèles à plusieurs générations d’avance. Ah ! ces paroles ! comment les biffer ? elles demeurent, elles brûlent, elles trouent la page, nul n’a d’yeux pour les lire et nul, pour les entendre, n’a d’oreilles. Lui : — Vous oubliez ensemble la foule et l’histoire. La foule imprime aux œuvres de l’Esprit la pesanteur, nous tenons à la foule et force nous est d’adhérer à son piétinement, nous souffrons d’épouser tant d’impuissance et nous nous obligeons à ce martyre méthodique, nous descendons, nous nous perdons en la mêlée et nous nous épuisons à lui donner un sens, nous portons l’univers sur les épaules, nous renonçons au privilège et nous servons. Quant à l’histoire, il s’agit de lui résister et fût-ce en lui cédant, il est des heures où l’on plie, il est des heures où l’on tient, nous mentons et nous avouons, mais nous savons quand nous devons mentir et nous en convenons après, ce que l’histoire retranche à la vérité nous finissons par l’usurper sur elle et nous le rendons à la vérité. Moi : — Vous me remémorez les saints, les saints ne vous égalent pas, ils croyaient à leur salut personnel et vous ne vous souciez d’un mirage, vous êtes de bons spinosistes et la vertu vous sert apparemment de récompense, vous dominerez comme nul n’a dominé, vous avez laïcisé le spirituel et méthodisé n le sublime, cela vous autorise à des rigueurs incomparables. Un
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Moyen Age armé II de foudres plane sur nos têtes, c’est une théocratie n qui s’ignore et vous en préparez l’avènement, vous en creusez le n lit et d’autres que vous y reposeront. Vous menez, on vous tire, vous légiférez, on vous souffle, vous êtes dans un plan où vous n n’assumerez qu’un rôle, la scène vous appartiendra quelques années et vous y remplirez les vues de ce que vos pareils refuseront d’emblée de concevoir. Il me paraît que cet aveuglement est provi dentiel. n n n Lui : — Du laisser-faire au mysticisme le chemin n’est pas long n et nous les renvoyons, nous, dos à dos, le premier est un défi per manent n à la raison de l’homme et le second nous le taxons de n' maladie. Vous me remémorez ce fou qui s’imaginait que les trains partaient à son commandement et qui passait des heures à la gare, enflé de joie et de superbe. Oh ! nous ne doutons de cela, n nous en rions, vous nous donnez la comédie, vous êtes les bouffons de l’ordre, persévérez et fendez-vous la tête à nous ranger sous quelque plan divin arrêté depuis cinq mille ans, abîmez-vous dans Bossuet, ajoutez-lui force chapitres. A vous les nuées, à nous l’évidence ! Moi : — On a besoin des deux et nous vous attendons, sans n nous les embarras fourmillent et les problèmes restent insolubles, l’homme est un animal métaphysique n et n’avancera jamais dans n la guérison de ce que vous taxez de vesanie, il est malade de nature ou bien c’est vous qui niez l’évidence. Vous serez trop heureux un n jour de revêtir les attributs de la puissance, uns et les mêmes à travers les siècles, et nos pareils les tiennent en réserve, prêts à les accorder à vos petits-neveux. Le but de l’ordre n’est que de servir les hommes et de les prémunir contre ses aboutissements toujours n funestes, toujours inhumains et toujours misérables, le laissern faire est son chef-d’œuvre et le climat où nous nous épanouissons, le moindre mal et de beaucoup le premier bien. Vous-mêmes vous n en convenez, vous méditez de l’abolir, l’Etat, ce rêve touche de si n près au nôtre que nous nous rejoignons en notre commune espé rance et par-dessus les lois qui nous divisent et les intérêts qui n nous opposent. Vous êtes les adorateurs charnels de la Jérusalem céleste et vous voulez l’établir parmi nous, la Ville où 1 ordre garde les dehors, afin que l’homme se retrouve, libre de ce qui le enace, libre de ce qui le protège, un avec soi dans 1 ordre et n n maître d’un chaos ami. i