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French Pages [1243] Year 2003
ESSAIS SUR LE BOUDDHISME ZEN
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Spiritualités vivantes N
DU MÊME AUTEUR Les Chemins du Zen, éditions du Rocher, 1990, rééd. Albin Michel, 1995.
DAISETZ TEITARO SUZUKI
ESSAIS SUR LE BOUDDHISME ZEN Traduits sous la direction de Jean Herbert Préface de Jean Herbert
Albin Michel
Albin Michel spiritualités
Collection N Spiritualités vivantes 8 dirigée p a r Jean Mouttapa et Marc de Smedt
Première édition (en trois séries): @ 1940 et 1943 by Jean Herbert @ Editions Albin Michel, 1972 Edition en un uolurne : @ Éditions Aibin Michel, S.A., 2003 22, rue Huyghens 75014 Paris
www.albin-michel.fr ISBN : 2-226-13866-8 ISSN : 0755-1835
Préface
Lorsqu’en 1990 nous avons publié la traduction française de ces Essais, qui sont I‘œuvre maîtresse de D. T. Suzuki (I), il existait déjà d‘abondantes traductions de textes sacrés bouddhiques et un grand nombre d’études sur le Bouddhisme en général, mais le Bouddhisme Zen était encore pratiquement inconnu en Occident. L a publication de ces a Essais n suscita immédiatement un v i f intérêt, et depuis lors les ouvrages sur le Z e n se sont multipliés dans les langues occidentales, et de nombreux groupes se sont consfitués un peu partout pour s’exercer à l’ascèse du Zen. Une des principales raisons pour lesquelles cef aspect extrême-oriental d u Bouddhisme connut un tel succès en Occident est sans doute qu’il refuse d’accorder à l’intellect le rôle d’arbitre suprême, et même la qualité de moyen suprême d’investigation que ROUS lui avons longtemps reconnus sans réserve. Il va plus loin, refusant même de laisser tout concept intellectuel s’interposer entre le sujet et 1’0bjet. Les désenchanfements que nous ont réservés les appli-
I*)A la traduction du présent volume ont collaboré hl. Fernand Divoire, M. René Daumal, M m e Mady Humbert-Sauvageot et M. Pierre Sauvageot. La transposition en caractères latins des termes chinois, japonais, pâlis et sanskrits a été faite par M. W. Baruch.
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Préface
calions pratiques de celte science occidenfale moderne dont
nous alfendions qu'elle nous apporte le bonheur ont en effet amené nombre #Occidenfaux à chercher ailleurs que dans une ufilisafion aveugle de nofre infellecf tanf une métaphysique de la vie que les moyens de trouver enfin la paix inférieure et le bonheur. Or beaucoup de ces Occidentaux n'onf pas j u g é satisfaisantes les solufions offerfes par les religions qui nous sonf familières. L e Bouddhisme Zen, qui n e s'appuie ni sur l'intellect et la science, ni sur la religion felle que nous la comprenons, a ouvert une autre possibilifé, que beaucoup ont voulu Lzplorer, surfouf sous sa forme abrupfe D, celle à laquelle s'esf rattaché D. T. Suzuki (I). C'est d'ailleurs cefte école n abrupfe D que représente celui que I'on considère unanimement comme le plus grand maître de Z e n de fous les temps, le sixième Pafriarche, Houeï-nêng, dont nous avons publié par ailleurs les n Discours et Sermons D (a). Si les diverses secfes Z e n sont loin de grouper la majorifé des bouddhisfes dans les pays oii elles sont répandues, c'est-à-dire en Chine, a u J a p o n ef en Corée, elles y jouent cependant un rôle fort important. Au Japon, par exemple, il n'est pas rare qu'une grande organisafion indusfrielle, commerciale ou autre, envoie périodiquement des membres de ses cadres faire de brefs séjours dans des monasfères zen pour s'y tremper le caractère dans des exercices d'ailleurs infiniment plus ardus que ceux décrifs par Suzuki dans ses E( Essais D. Comme le Zen, sous sa forme abrupte fout au moins, n e comporfe aucune adoration, ces exercices peuvent êfre pratiqués sans problème par des gens apparfenanf à n'im(1) M: Suzpki qui a.l?n emps enseigné une autre forme de Bouddhisme a l'ùmversite $Kyoto, est venu au Bouddhisme Zen assez tardivement. Les u Essais B dont nous donnons ici la traduction ont été publiés pour la remière fois dans la langue onginale, c'est-à-dire en anglais, en &30-1934. Albi? Miqhel,.l963 ; reed. 1984, ~011.Sp@itu$jtés vivan2) t e h . uzuki ecnt lui-meme de Houei-nen qu'il a ete a le véritab e fondateur du Zen x et que grâce à fui le Zen a acquit sa puissance, non seulement en volume, mais encore en contenu x .
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Prélace
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porte quelle religion. E l cela s'applique évidemmenf aussi aux groupes qui en Occident veulent se soumettre a u x disciplines d u Z e n pour chercher à atteindre la bouddhéité », le plan de conscience auquel était parvenu le Bouddha Gautama, et auquel, dit-on dans toutes les sectes bouddhiques, tout être humain devrait pouvoir parvenir, dans cette vie-ci ou dans une vie future. La seule exception serait peut-être les membres des autres sectes bouddhiques, pour lesquels le Zen s'est considérablement écarté de l'enseignement authentique du Bouddha. En effet, si les adeptes du Zen sont intimement persuadés de ((posséderla tradition issue de l'esprit d u Bouddha après son Illumination n (I), de détenir le fail central du Bouddhisme 1) (=),(( l'essence du Bouddhisme 1) (a), ils définissent celui-ci comme (( la force vitale qui pousse dans son évolufion un mouvement spirituel appelé Bouddhisme n ils admettent donc facilement que u dans sa phraséologie et ses procédés de démonstration le Zen apparaît comme s'il n'avait rien à voir avec le Bouddhisme n ("), d ils reconnaissent que certains d'entre eux ont avancé des théories assez incompatibles avec l'opinion que leur maître (le Bouddha) avait dû formuler N D u n poinf de vue purement objectif, il serait foutefois téméraire de soutenir que telle ou telle secte bouddhique est plus - ou moins - orthodoxe que telle autre. Autant et peut-être plus que l'enseignement de Jésus-Christ, celui d u Bouddha a fait l'objet de multiples interprétafions de bonne foi, en lesquelies on ne peut voir qu'une preuve de sa richesse et de sa profondeur. Entre le Zen et le Bouddhisme fibétain ('), la distance est aussi grande qu'entre le ((
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P. 76 ci-dessous. P. 141 ci-dessous. P. 69 ci-dessous. P. 67 ci-dessous. P. 141 ci-dessous. P. 147 ci-dessous.
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Voir les deux livres du Lama Anagarika Govinda : Les fon emetzts.de la mysti ue tibétaine et Le chemin des nuages blancs (Paris, Albm Michel, 7960 et 1969, réédités en coll. Spiritualités vivantes).
Préface
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Vaudou et le Calvinisme. Les Bouddhismes chinois des diuerses écoles, japonais ( I ) , ceylanais (2), birman (3), etc. ont chacun leur conception et en fond une utilisation fort eficace. Je demandais récemment au grand chef de l'une des principales secfes bouddhiques du Japon ce que foufesles écoles bouddhiques ont en commun. Il me répondit: O( La bouddhéifé. Rien d'autre? Rien d'aufre. D Dans un sens, c'est peu, mais après tout c'est l'essentiel.
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Vandauvres, juillet i97I.
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JEAN HERBERT.
(l) Voir Hônen, Shinran, Dôgen, Nichiren : Tedes fondamentaux du Bouddhisme japonais (Paris, Albin Michel, 1965). (*) Voir Nyanaponika Mahathera et alii : Initiation au Bouddhisme (Paris, Aibin Michel, 1968). ( 3 Voir L'Enseignement de Lêdi Sayadaw (Paris, Albin Michel, 1961).
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Le bouddhisme Zen, purijcateur et libérateur de la vie
Le Zen est, dans son essence, l’art de voir dans la nature de son être ; il indique la voie qui mène de l’esclavage à la liberté. En nous faisant boire directement à la source de vie, il nous libère de tous les jougs sous Iesquels, créatures limitées, nous souffrons constamment. Nous pouvons dire que le Zen libère toutes les énergies accumulées normalement e t naturellement en chacun de nous, et qui, dans les circonstances ordinaires, sont contractées et déformées au point de ne pouvoir trouver une voie qui leur permette d’agir. Notre corps peut être comparé à une pile électrique où réside, à l’état latent, un mystérieux pouvoir. Lorsque ce pouvoir n’est pas mis en œuvre comme il convient, ou bien la moisissure l’envahit e t il se flétrit, ou bien il se pervertit et s’exprime d’une manière anormale. L‘objectif du Zen est donc de nous sauver de la folie et de la paralysie. C‘est ce que je veux exprimer par cette liberté qui donne libre jeu à toutes les impulsions créatrices et bienfaisantes innées en nos cœurs. Généralement nous restons aveugles à ce fait que nous sommes en possession de toutes les facultés necessaires qui nous rendront heureux e t pleins d’amour les uns pour les autres. Tous les combats que nous voyons autour de nous proviennent de cette ignorance. Par conséquent le Zen désire que nous ouvrions un u troisième ceil D, selon l’expression boud-
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Le Zen libéraieur
dhiste, sur cet espace que nous n’avons jamais imaginé e t que nous a fermé notre propre ignorance. Lorsque le nuage de l’ignorance disparaît, l’infini des cieux se manifeste, et pour la premiere fois notre regard pénètre alors dans la nature de notre être. Dès lors, nous connaissons la signification de la vie, nous savons qu’elle n’est pas un effort aveugle, qu’elle n’est pas non plus le simple déploiement de forces brutales, mais que, malgré notre ignorance de son but intime exact, il existe en elle quelque chose qui nous fait éprouver une infinie béatitude à la vivre, et que le contentement subsiste à travers toute son évolution, sans nous laisser soulever des questions ou nourrir des doutes pessimistes. Lorsque nous sommes chargés de vitalité et pas encore éveillés à la connaissance de la vie, nous ne pouvons saisir la gravité de tous les conflits enfermés en elle, qui semblent endormis, pour le moment, dans un état de quiétude. Mais tôt ou tard le temps viendra où il nous faudra regarder la vie bien en face et résoudre ses énigmes les plus pressantes et angoissantes. A l’âge de quinze ans, dit Confucius, mon esprit était tourné vers l’étude, et à trente ans je savais où j’en étais. )) Cette phrase est l’une des plus riches de sens qu’ait prononcées le grand sage chinois. Tous les psychologues adhéreront à cette déclaration, car c’est généralement aux environs de la quinzième année que les adolescents commencent à examiner sérieusement ce qui les entoure et à faire des recherches sur le sens de la vie. Tous les pouvoirs spirituels, jusqu’alors dissimulés dans les profondeurs subconscientes du mental, jaillissent presque simultanément, Et quand cette éruption est trop brusque et violente, l’esprit peut perdre son équilibre d’une façon plus ou moins durable ;en fait, bien des cas de prostration nerveuse signalés au cours de l’adolescence proviennent principalement de cette rupture d’équilibre mental. Dans la plupart des cas, les effets n’en sont pas très graves et la crise peut passer sans laisser des traces profondes ; mais il n’en est pas de même pour certains
L’âge de l‘étude
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caractères : soit en raison de tendances inhérentes, soit sous l’influence exercée par le milieu ambiant sur leur nature ductile, l’éveil spirituel les mène jusqu’au plus profond de leur personnalité. C’est à ce moment qu’il leur faudra choisir entre n l’éternel Non n et le n Oui éternel n. C’est ce choix que Confucius entend sous le terme d’ N étude n ; il ne s’agit nullement par là d’étudier les classiques, mais de plonger profondément dans les mystères de la vie. NormaIement i’issue du combat est le 6 Oui éternel D ou a Que t a volonté soit faite D, car, en dernière analyse, la vie est une forme d’affirmation, quelle que soit la forme négative sous laquelle la conçoivent les pessimistes. Mais nous ne pouvons nier le fait qu’il existe en ce monde bien des choses qui détourneront nos esprits trop impressionnables dans l’autre direction, et nous feront dire avec Andreyeff dans La vie de l‘homme : a J e maudis chaque chose que t u m’as donnée. J e maudis le jour oh je suis né. J e maudis le jour où je mourrai. J e maudis la somme de ma vie. J e repousse chaque chose pour la relancer à ton cruel visage, Destin dénué de sens! Sois maudit, sois maudit à jamais! Par mes malédictions, je triomphe de toi. Que pourrais-tu me faire encore?... A ma dernière pensée je crierai dans tes oreilles d’âne : Sois maudit! Sois maudit1 n Voilà une terrible mise en accusation, une absolue négation de la vie, un tableau hautement sinistre de la destinée de l’homme sur la terre. n Sans laisser la moindre trace n, voilà qui est absolument vrai, car nous ne connaissons rien de notre avenir sinon que nous disparaîtrons tous, y compris la terre même d’oh nous sommes sortis. Certes il y a là de quoi justifier une attitude pessimiste. La vie, telle que la vivent la plupart d’entre nous, consiste à souffrir. On ne saurait nier ce fait. Aussi longtemps que la vie est une forme de combat, elle ne peut être autre chose que de la douleur. Un combat n’est-il pas l’impact de deux forces antagonistes, dont chacune
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Le Zen libéraïeur
essaie de triompher de l’autre? Si la bataille est perdue, l’issue en est la mort, e t la mort est ce qu’il y a de plus redoutable au monde :même lorsqu’on a triomphé de la mort, on est abandonné, tout seul, e t la solitude est parfois plus dure à supporter que le combat lui-même, On peut ne pas être conscient de tout cela e t continuer à se laisser aller à ces plaisirs momentanés que nous apportent les sens. Mais une telle attitude, dans son inconscience, ne change en rien les faits réels de la vie. Quelle que puisse être l’insistance des aveugles à nier l’existence du soleil, ils ne peuvent l’annihiler. La chaleur tropicale les brûlera sans merci, e t s’ils ne se mettent pas à l’abri, ils seront tous balayés de la surface de la terre. Le Bouddha avait parfaitement raison lorsqu’ii a promulgué la a Quadruple noble vérité »,dont la première est que cette vie est souffrance. Chacun de nous n’est-il pas entré en ce monde en criant, en protestant en quelque sorte? Le moins qu’on puisse dire, c’est que le fait de sortir de la douce e t chaude matrice maternelle pour entrer dans un monde glacial et hostile est un incident douloureux. La croissance s’accompagne toujours de souffrance. La formation des dents est plus ou moins douloureuse ; la puberté s’accompagne généralement de perturbations aussi bien mentales que physiques. La croissance de l’organisme appelé société est également marquée par de cruels cataclysmes, e t nous assistons en ce moment à l’une de ses douleurs d’enfantement (1). Nous pouvons raisonner avec calme e t dire que tout cela est inévitable, que dans la mesure où chaque reconstruction signifie la destruction du régime ancien, nous ne pouvons pas éviter de subir une opération douloureuse. Mais cette froide analyse intellectuelle n’allège pas le moindre des tourments qu’il nous faut endurer. La souffrance impitoyablement infligée à nos nerfs est impossible à arracher. E n définitive, une fois toute discussion épuisée, la vie reste un cruel combat. (l) Ces essais sont datés de 1926, peu de temps après le terrible tremblement de terre du Japon. (N.d. t.)
Le combat de réveil spirituel
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Eh bien! c’est providentiel, car plus vous souffrez, plus votre caractère cro3 en profondeur, e t à mesure que votre caractère devient plus profond, vous déchiffrez d’une façon plus pénétrante les secrets de la vie. C’est bien souvent en larmes e t le cœur saignant que tous les grands artistes, tous les grands chefs religieux, tous les grands réformateurs de la société sont sortis des luttes les plus intenses qu’ils avaient courageusement menées. Tant qu’on n’aura pas mangé le pain de la tristesse, on ne pourra connaître la saveur de la vie réelle. Mencius a raison de dire que le Ciel, lorsqu’il veut réaliser un grand homme, éprouve celui-ci de toutes les façons possibles j usqu’à ce qu’il émerge, triomphant, de toutes ces douloureuses expériences. Oscar Wilde me fait l’impression de toujours poser pour la galerie e t de toujours rechercher un effet; il se peut qu’il soit un grand artiste, mais il y a en lui quelque chose qui m’inspire de l’éloignement. Voici pourtant le cri qu’il pousse dans son De Profundis : u Pendant ces derniers mois, au prix de difficultés e t de luttes terribles, je suis devenu capable de comprendre quelques-unes des leçons cachées au cœur de la souffrance. Les prêtres et les gens qui emploient des phrases sans sagesse parlent parfois de la souffrance comme d’un mystère. C’est en réalité une révélation. On y discerne des choses qu’on n’avait jamais discernées auparavant. On aborde toute son histoire d’un point de vue tout à fait différent. R Ce passage nous montre quel effet sanctifiant de longues années d’emprisonnement produisirent sur le caractère d’Oscar Wilde. S’il lui avait fallu passer par une semblable &preuve au début de sa carrière, peut-être aurait-il été capable de produire des œuvres beaucoup plus bePles que celles qu’il nous a laissées. Nous sommes trop centrés sur nous-même. La coquille de l’ego dans laquelle nous vivons est la chose la plus difficile à perdre dans notre croissance. I1 semble que nous ne cessons pas de la porter depuis l‘enfance jusqu’au moment où nous disparaissons. Et cependant on nous
Le Zen libérateur
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donne bien des occasions de faire éclater cette coquille ; la première e t la plus grande s’offre à nous lorsque nous atteignons l‘adolescence. C‘est la première fois que l‘ego vient à reconnaître a l’autre ».J e veux parler de l’éveil de l’amour sexuel. Un ego, entier, indivis jusque-là, commence à ce moment à éprouver en soi-même comme une sorte de rupture. L’amour qui jusqu’alors dormait au plus profond de son cœur relève la tête e t déclenche une grande commotion. Car l’amour qui vient d’être suscité exige tout à la fois l’assertion de l’ego e t son annihilation. L’amour entraîne l’ego à se perdre luimême dans l’objet aimé, et cependant, en même temps, il revendique cet objet comme sien. I1 y a là une contradiction e t une grande tragédie de la vie. Ce sentiment essentiel doit être l’une des forces divines par lesquelles I’homme est poussé à progresser dans sa marche ascendante. Dieu donne des tragkdies à l’homme parfait. La plus grande partie de la littérature qu’ait jamais produite ce monde n’est que le rabâchage perpétuel, sur la même corde, du thème de l’amour, dont il semble que nous ne sommes jamais las. Mais ce n’est pas le sujet que nous traitons ici. Ce sur quoi je tiens à insister, à cet égard, c’est que par l’éveil de l’amour nous avons un bref aperçu de l’infini, et que cet aperçu pousse les jeunes gens vers le romantisme ou le rationalisme selon leur tempérament, leur milieu e t leur éducation. Une fois que nous avons brisé la coquille de l’ego e t transféré 1’ u autre n dans notre propre corps, nous pouvons dire que l’ego s’est renié lui-même, ou qu’il a fait ses premiers pas vers l’infini. Sur le plan religieux, il en résulte un intense combat entre le fini et l’infini, entre l’intellect et une puissance plus haute, ou plus simple ment entre la chair et l’esprit. C’est là le problème des problèmes qui a entraîné plus d’un être jeune dans les bras de Satan ».Lorsqu’un homme mûr jette un regard en arrière sur les jours de sa jeunesse, il ne peut s’empêcher d’éprouver un frisson qui parcourt tout son être. Le combat à mener loyalement peut durer jusqu’h l’âge de Q
Lim itutions de l’intellect
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trente ans, oii Confucius déclare qu’il sut alors où il en était. Dorériavant la conscience religieuse est pleinement éveillée, et tous les moyens possibles de sortir du combat ou d’y nietire un terme sont cherchés avec une ardeur intense dans chaque direciian. On lit des livres, on assiste à des conferences, on écoule avidement des semions, on essaie divers exercices religieux, diverses disciplines. Et, naturellement, il advient aussi qu’on recherche ce qu’est le Zen. Comment le Zen résout-il le problème des problèmes? E n preniier lieu, il propose sa solution en faisant directement appel à des faits d’expérience personnelle et non pas à la connaissance livresque. Il faut qu’une faculté plus haute que l’intellect saisisse la nature de cet être intérieur où manifestement le combat se déroule, acharné, entre le fini et l’infini. Le Zen déclare en effet que c’est l’intellect qui, le premier, nous a incités à poser la question à laquelle il ne pouvait répondre par luimême, et que par conséquent, on doit le laisser de côté pour recourir à quelque chose de plus liaut et de plus lumineux. Car l’intellect porte en lui une qualité particulièrement inquiétante : bien qu’il soulève assez de questions pour troubler la sérénité du mental, il est trop fréquemment incapable de trouver des réponses satisfaisantes. I1 bouleverse la bienheureuse paix de l’ignorance, et cependant il ne rétablit pas l’état antérieur en offrant autre chose. Du fait qu’il révèle l’ignorance, on le considère souvent comme revêtu de puissance illuminatrice, alors qu’en réalité il crée le trouble sans projekr toujours nécessairement la lumière sur son chemin. 11 ne donne pas un verdict ; il attend d’un facteur plus élevé que lui-même la solution de toutes les questions qu’il posera sans se préoccuper des conséquences. S’il était capable d’introduire un ordre nouveau dans ce bouleversement et de régler définitivement la question, il n’y aurait plus besoin de philosophie, une fois un premier système élaboré par un grand penseur, un Aristote ou un Hegel. Mais l’histoire de la pensée
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Le Zen libérateur
prouve que chaque nouvel édifice élevé par un homme doué d’un intellect exceptionnel est destiné inexorablement à être abattu par ceux qui succèdent à ce penseur. Cette perpétuelle alternance de démolition et reconstruction est conforme à l’ordre normal tant qu’il s’agit de la philosophie elle-même ; car la nature constante de l’intellect, tel que je le conçois, l’exige, et nous ne pouvons pas plus mettre un terme à la progression des recherches qu’à notre respiration. Mais quand il est question de la vie même, nous ne pouvons attendre que la solution ultime nous soit offerte par l’intellect, si même il en était capable. Nous ne pouvons suspendre, même un seul instant, notre activité vitale pour que la philosophie nous en dévoile les mystères. Or, mystères ou non, nous devons vivre. L‘affamé ne peut pas attendre qu’on ait réalisépne analyse complète de la nourriture e t déterminé la valeur nutritive de chaque élément. Pour un mort, cette connaissance scientifique de la nourriture n’aura pas la plus minime utilité. Le Zen ne se fie donc pas à l’intellect pour la solution de ses problèmes les plus profonds. Lorsqu’il parle d’expérience personnelle, cela veut dire aborder le fait de première main e t non pas par un intermédiaire, quel qu’il puisse être. Sa comparaison favorite, à cet égard, est la suivante : pour désigner la lune un doigt est nécessaire, mais malheur à ceux qui prennent le doigt pour la lune ; un panier est le bienvenu pour rapporter notre poisson à la maison, mais une fois le poisson posé sur notre table, pourquoi nous encombrer éternellement du panier? C’est là que réside le fait ; saisissons-le dans nos mains nues, de peur qu’a glisse et qu’il s’enfuie. Voilà ce que le Zen propose de faire. De même que la Nature a horreur du vide, de même le Zen a horreur de tout ce qui peut se présenter entre le fait e t nous-même. D’après le Zen, il n’y a point, dans le fait lui-même, combat entre le fini et l’infini, la chair e t l’esprit. I1 y a là des distinctions oiseuses, fictivement tracées par l’intellect pour son propre intérêt.
Les infermédiaires
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Ceux qui les prennent trop sérieusement à cœur ou ceux qui essaient de les faire entrer de force dans le fait meme de la vie sont ceux qui confondent la Iune avec le doigt qui la désigne. Quand nous avons faim, nous mangeons ; quand nous avons sommeil, nous nous étendons ; où intervient dans tout cela le fini ou bien l’infini? Ne sommes-nous pas complet en nous-même e t chacun ne l’est-il pas en soi? La vie telle qu’elle est vécue sunit. C’est seulement quand l’intellect, fertile en inquiétude, entre en scène et s’essaie à l’assassinat que nous cessons de vivre et que nous nous imaginons manquer de quelque chose. Laissons l’intellect tranquille ;il a son utilité dans sa propre sphère, mais ne lui permettons pas de s’opposer au cours du fleuve de la vie.
Si vous voulez faire de la vie l’objet de quelque étude, n’allez pas pour cela en entraver le flot. Vous ne devez en aucun cas en arrêter ou en troubler le cours ; car dès que vous y plongez les mains, sa transparence en est ternie, la vie cesse de refléter l’image que vous en avez eue primitivement et que vous continuerez d’en avoir jusqu’à la fin des temps. E n correspondance presque exacte avec les (( Quatre Maximes )) de la secte Nichiren (1) le Zen a ses quatre principes qui lui sont propres : a Une transmission spéciale en dehors des Écritures, a Aucune dépendance à l’égard des mots et des lettres, u Se diriger directement vers l’âme de l’homme, N Contempler sa propre nature et réaliser l’état d’un Bouddha. n Voilà le résumé de tout ce que revendique le Zen en tant que religion. Naturellement nous ne devons pas oublier qu’il y a, derrière cette intrépide déclaration, tout un arrière-plan historique. Au moment où l’on a introduit le Zen en Chine, la plupart des bouddhistes (l) Voir Nôiien, Shinran, Dôgen, Nicliiren. Textes fondamentaux du Bouddhisme japoiiais (Paris, Albin Michel, 1963).
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Le Zen libérateur
se livraient à la discussion de questions hautement métaphysiques, ou se contentaient simplement d’observer les préceptes éthiques formulés par le Bouddha ou de mener une vie léthargique entièrement absorbée dans la contemplation de l’évanescence des choses temporelles. I1 leur manquait, à tous, la préhension du grand fait de la vie elle-même qui s’écoule tout à fait en dehors de ces vains exercices de l’intellect ou de l’imagination. Bodhi-dharma (1) e t ses successeurs constatèrent cette lamentable situation. De là leur proclamation de ces (( quatre grands principes 1) du Zen. En un mot, fis signifient que le Zen a ses propres voies de pénétration dans la nature de l’être intérieur et qu’une fois cela réalisé, on parvient à l’état bouddhique, la bouddhéité, où toutes les contradictions, tous les troubles causés par l’intellect sont entièrement harmonisés en une unité d’un ordre plus élevé. Pour cette raison le Zen n’explique jamais, mais indique seulement ; il ne fait pas appel à la circonlocution et ne généralise pas. Considéré logiquement, le Zen peut être plein de contradictions et de répétitions. Mais comme il se tient au-dessus de toutes choses, il poursuit son propre chemin, avec sérénité. Ainsi que l’exprime si bien un maître du Zen, (( portant sur l’épaule la canne qu’il a faite lui-même, il continue tout droit sa voie, parmi les montagnes qui s’élèvent l’une au-dessus de l’autre n. I1 ne provoque pas la logique à des discussions, il continue simplement à fouler sa voie de faits concrets, laissant toutes les autres choses à leurs destins respectifs. Mais lorsque la logique, négligeant ses fonctions propres, essaie de fouler le sentier du Zen, alors celui-ci proclame à haute voix ses principes e t expulse l’intruse par la force. Le Zen n’est d’ailleurs pas l’ennemi de quoi que ce soit. I1 n’y a nulle raison pour qu’il se campe en antagoniste de l’intellect, qui peut (I) En chinois P’ou-ti Ta-ino ; en japonais Boddi-Duouma, le fondateur du Zen.
Les qriafre principes
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quelquefois être utilisé pour la cause du Zen lui-même. Voici quelques anecdotes choisies pour montrer ia façon dont il aborde directement les faits îondaiiientaux de l’existence : Lin-tsi (1) fit un jour un sermon, où il dit :((Au-dessus d’une masse de chair rougeâire siège un homme véritable qui n’a aucun titre :il ne cesse d’entrer dans vos organes des sens e t d’en sortir. Si vous n’avez pas encore porté témoignage de ce fait, regardez1 regardez! n Un moine s’avança et demanda : u o u i est cet homme véritable qui ne porte aucun titre? II Lin-tsi descendit d’un bond de sa chaise de paille et, empoignant le moine, s’écria : a Parle! Parle! n Celui-ci resta interdit sans savoir que dire : sur quoi le maître le lâcha en disant : De quelle misérable matière est cet homme sans aucun titre! n Puis il se retira immédiatement dans sa chambre. Lin-tsi était connu pour la façon rude et directe dont il traitait ses disciples. I1 n’apprécia jamais ces façons détournkes qui caractérisaient les méthodes des maîtres sans ardeur. I1 devait avoir hbrité cette façon directe de procédcr de son inaiire I-louang-nili (z), par qui il fut frappé à trois reprises pour avoir demandé quel était le principe fondamental du Bouddhisme. I1 va sans dire que le Zcn n’a rien à voir avec cetle façon de happer ou de secouer brusquement celui qui pose une question. Si l’on prenait cette façon de procéder comme constituant l’essentiel dii Zen, on commettrait la même erreur grossière que celle qui consiste à prendre pour la lune le doigt qui la dbsigne. Comme en toute autre doctrine, mais pius particulièrement. dans le Zen, on ne doit jamais considérer les maniFestations ou démonstrations extérieures comme ayant une finalité en soi ; elles ne font qu’indiquer où l’on doit chercher les faits. Ces signes indicateurs ont donc leur importance ; nous ne ((
( 1 ) 1% japonais Rinzaï. Foiidaleur de l’écolc Rinzaï du Bouùdhismc Zen, mort en 867. (3 En japonais Obakoii. Mort cri 850.
Le Zen libérateur
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pouvons guère nous en passer, mais si nous nous laissons prendre par eux, qui sont comme un filet aux mailles enchevêtrées, nous sommes perdus, car nous ne pourrons plus jamais comprendre le Zen. Certains peuvent penser que le Zen essaie toujours de nous saisir dans le filet de la logique ou le piége des mots. Si vous faites un seul faux pas, vous voilà promis à la damnation éternelle, e t dans l’impossibilité d’atteindre jamais cette liberté pour laquelle vos cœurs sont embrasés. C’est pourquoi Lin-tsi saisit de ses mains nues ce qui se présente directement à chacun de nous. Si notre troisième œil (1) s’ouvre distinctement, nous saurons sans la moindre possibilité d’erreur ou Lin-tsi nous conduit. Avant tout il nous faut pénétrer dans l’esprit même du maître et y interroger directement l’homme intérieur. Nulle explication par des mots, si prolixe soit-elle, ne nous fera jamais pénétrer dans la nature de notre propre Moi. Plus on l’explique e t plus loin il s’échappe. C’est comme si l’on essayait de s’emparer de son ombre. On court après elle e t elle court en même temps, exactement à la même vitesse. Dès que vous comprenez cela, vous pouvez lire profondément dans l’esprit de Lin-tsi ou de Houang-nih, e t vous commencez à sentir leur véritable générosité de cœur. Iun-mên (2) fut un autre grand maître du Zen à la fin de la dynastie Tang. I1 lui fallut perdre unede ses jambes pour pouvoir percevoir le principe de vie dont surgit l’univers entier, y compris l’humble existence de Iunmên. I1 dut frapper trois fois à la porte de son maître Mou-tcheou ( 8 ) qui était l’un des plus éminents disciples de Lin-tsi, lui-même disciple de Houang-nih, avant qu’il f û t admis à voir ce maître. (( Qui es-tu? demanda celui-ci. - Je suis Ouên-iên (“) »,répondit le moine. (l)
Voir p. 36.
(*) En japonais Oummon. Fondateur de l’école Oummon du
Bouddhisme Zen, mort en 9913. (9 En japonais Bokoujou. (’) En japonais Boun-Yên.
L’inifiation de Iun-Alcn
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(Ouên-iên était son nom, Iun-mCin était le nom du mon,astère où il se réfugia plus tard.) Lorsque ce moine altéré de vérité fut autorisé à franchir la porte, le maître le prit par l’épaule e t lui dit : Parlei Parle! )) Iun-mên hésita ;sur ce le maître le précipita dehors, en lui criant : a Malheureux propre à rien ( 1 ) ! )) La porte se referma brutalement, une des jambes de Iun-mên resta prise dans le battant et fut brisée. I1 semble que la douleur intense qu’il éprouva éveilla le pauvre moine à la compréhension du fait le plus essentiel de la vie. I1 ne restait plus rien du moine éperdu de désir e t quêtant la pitié ; la réalisation qu’il venait de conquérir le payait bien au-delà de la perte de sa jambe. Le cas n’est d‘ailleurs pas unique ; on trouve dans l’histoire du Zen bien d’autres êtres disposés à sacrifier une partie de leur corps pour conquérir la vérité. Ainsi que le dit Confucius : Si un homme parvient dans la matinée à la compréhension du Tao, tout est bien pour lui, même s’il meurt dans la soirée. 1) E t certains êtres estimeront certainement que la vérité a plus de valeur que la simple existence, végétative ou animale. Mais hélas! il est dans ce monde tant de cadavres vivants qui se vautrent dans la boue de l’ignorance e t de la sensualité! C’est en cela que le Zen est le plus difficile à comprendre. Pourquoi ces injures sarcastiques ? Pourquoi cet apparent manque de cœur? Quelle faute avait commise Iun-mên pour mériter de perdre sa jambe? C’était un pauvre moine qui cherchait la vérité, inspiré par un ardent désir d’obtenir de son maître 1’Illumination. Était-il vraiment nécessaire que celui-ci fermât par trois fois l’accès de la compréhension du Zen, et, au moment oii la porte était à demi ouverte, la refermât si violemment, si inhumainement? Était-ce là cette vérité du Bouddhisme qu’Iun-mên était si impatient de recevoir? Mais ce qu’il y a de surprenant, c’est que l’issue ((
(l) Littéralement :vieille vrille giossièrement façonnée, à i’époque des Tsin.
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Le ZCR libérateur
de tout cela f u t ce que l’un e t l’autre désiraient. Lemaître f u t satisfait de voir le disciple parvenir à la vision int,érieure des secrets de son être ; e t de son cOté le disciple f u t profondément reconnaissant de tout ce qu’il avait dû subir. Évidemmeiit le Zen est ce qu’il peut y avoir au monde de plus irrationnel e t de plus inconcevable. E t c’est pourquoi j’ai dit précédemment que le Zen ne relève pas de l’analyse logique ou de l’intellect. I1 faut qu’il soit directement et personnellement expérimenté par chacun de nous au plus profond de son esprit. De même que deux miroirs sans tache se réfléchissent l’un l’autre, de même le fait concret e t notre esprit doivent être en face l’un de l’autre sans qu’aucun agent extérieur intervienne entre eux. Une fois cette condition réalisée, nous sommes capable de saisir le fait dans la pulsation même de la vie. Mais jusque-là, la liberté n’est qu’un mot vide de sens. Le premier objectif était d’échapper à la servitude oh se trouvent tous les Ctres finis, mais si nous ne brisons pas la chaîne même de l’ignorance qui nous lie les mains et les pieds, oii pourrons-nous chercher la délivrance? Et cette chaîne de l’ignorance n’est pas forgée avec autre chose que l’infatuation de l’intellect e t des sens, qui s’accrochent étroitement à chacune de nos pensées, à chacune de nos sensations. I1 est dur de s’en libérer ;ainsi que l’ont si justement exprimé les maîtres du Zen, elle est comme un vêtement mouillé. (( Nous sommes nés libres e t égaux. D Quel que puisse être le sens de cette affirmation aux points de vue social ou politique, le Zen soutient qu’elle est absolument vraie dans le domaine spirituel, et que toutes les chaînes e t les menottes que nous avons l’impression de porter n’ont été amenées que plus tard par l’ignorance de la véritable condition de l’existence. Tous les procédés, parfois littéraires e t parfois physiques, dispensés par les maîtres avec tant de libéralité e t d’amour aux âmes altérées, ont pour but de restituer ces âmes à leur état de liberté originelle. Et nous ne comprenons jamais réellement cet
L’affifudede Mou-Tcheou
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état avant de l’avoir personnellement expérimenté par nos propres efforts, indépendamment de toute représentation idéologique. Par conséquent l’ultime point de vue du Zen est que nous avons été égarés par I’ignorance, qui nous a fait voir une scission en nous, alors que depuis le début il n’était nullement besoin d’une lutte entre le fini et l’infini, e t que la paix recherchée avec une telle ardeur était là de tout temps. Sou Toung-p’o ( I ) , le fameux poète et homme d‘État chinois, exprime cette idée dans les vers suivants : Pluie brumeuse sur le mont Lou, inondations en Tcheukiang, Ne pas y être allé - mille fois regretté. (Hâte-toi) avant qu’elles disparaissent I Puis, le but atteint, rentre pour toujours : D’autres actions seraient vaines alors. Pluie brumeuse sur le mont Lou, inondations en Tcheu-kiang. D C’est également ce qu’affirme Ts’ing-iuan Oueihsin ( 8 ) : «-Avant qu’un homme étudie leZen, pour lui les montagnes sont des montagnes e t les eaux sont des eaux; lorsque, grâce aux enseignements d’un bon maître, il a réalisé une vision intérieure de la vérité du Zen, pour lui les montagnes ne sont plus des montagnes et les eaux ne sont plus des eaux ;mais après cela, lorsqu’il parvient réellement à l’asile du repos, de nouveau les montagnes sont des montagnes et les eaux sont des eaux (“) ». Mou-tcheou, qui vécut dans la seconde moitié du I X ~ siècle, se vit. un jour poser cette question : (( I1 nous faut nous vêtir et manger chaque jour. Comment pouvons-nous nous libérer de tout cela? )) Le maître réponil)En iaDonais Sotoba. (3 En iaponais Seïgen Ishin. (8) On trouvera un développement de cet aphorisme dans le roman de Mrs Adams Beck, Zen, publié dans la collection a Orient D (Attinger, Paris et Neuchâtel.) (N. d. t.)
Le Zen libérateur
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dit : u Nous noits habillons, nous mangeons. - J e ne vous comprends pas, répondit le questionneur. - Si vous ne comprenez pas, mettez votre vêtement et mangez votre nourriture. u Le Zen traite toujours des faits concrets et ne s’attarde pas dans des généralisations. Je ne désire pas u ajouter sans nécessité des pattes au serpent peint sur un tableau n, mais si j’essaie de gaspiller des commentaires philosophiques sur l’attitude de Mou-tcheou, je peux dire ceci : u Nous sommes tous finis, nous ne pouvons donc vivre hors du temps et de l’espace ; dans la mesure où nous sommes des créatures terrestres, il n’y a pour nous aucun moyen d’étreindre l’infini. Comment pourrions-nous donc nous libérer des limitations de l’existence? 1) C’est 18 peut-être ridée qui inspirait la premiére question du moine, à laquelle le maître répond : u Le salut doit être cherché dans le fini lui-même, il n’y a rien d’infini en dehors des choses finies ; si vous cherchez quelque chose de transcendantal, cela vous séparera de ce monde de relativité, ce qui équivaut à l’annihilation de vous-même. Vous ne désirez pas le salut au prix de votre propre existence. Par conséquent, buvez et mangez, et trouvez votre voie de libération dans ce genre de vie. B Cette explication dépassait l’entendement du questionneur, qui confessa qu’il n’en comprenait pas le sens. Le Maître continua donc en ces termes : u Que vous le compreniez ou non, continuez de la même façon à vivre dans le fini, avec le fini, car vous mourrez si, en raison de votre aspiration vers l’infini, vous cessez de manger et de vous préserver du froid. )) Vous aurez beau lutter, le Nirvâna doit être cherché au milieu du Samsâra (I). Qu’il s’agisse d‘un maître du Zen qui a reçu l’Illumination ou d’un être au premier degré de l’ignorance, ni l’un ni l’autre ne peuvent échapper à ce qu’on nomme les lois de la nature. Lorsqu’ils ont l’estomac vide, l’un et l’autre ont faim ; lorsqu’il (I)
La ronde des naissances et des morts.
Paf-ichang Nieii-P’an
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neige, l’un et i’autre doivent revêtir un lainage supplémentaire. J e ne veux pas cependant dire par là que l’un e t l’autre se réduisent à des existences matérielles mais ils sont ce qu’ils sont, indépendamment de leurs degrés respectifs de développement spirituel. Ainsi que le disent les Écritures bouddhiques, l’obscurité même de la caverne se transforme en illumination lorsqu’il y brûle une torche de vision intérieure spirituelle. Ce n’est pas qu’on doive enlever d‘abord une chose appelée obscurité e t apporter ensuite à sa place une autre chose appelée illumination ; cette illumination et cette obscurité sont subtantiellement une seule e t même chose dès le commencement ;le changement d’un état à l’autre ne se produit qu’intérieurement ou subjectivement. Par conséquent le fini est l’infini, e t vice versa. Ce ne sont pas deux notions distinctes, bien que nous soyons forcés de les concevoir ainsi, intellectuellement. Telle est, logiquement interprétee, l’idée que contient peut-être la réponse donnée au moine par Mou-tcheou. La faute réside en ce fait que nous séparons en deux choses distinctes ce qui, du point de vue réel et absolu, est un. La vie que nous vivons n’est-elle pas une, cette vie que nous taillons en pièces en lui appliquant avec insouciance le scalpel meurtrier de la chirurgie intellectuelle? prié par ses moines de faire Pai-tchang Nieh-p’an un sermon, leur dit de travailler à la ferme, après quoi il leur ferait une causerie sur le grand sujet duBouddhisme. Ils firent ainsi qu’on le leur avait enjoint, e t vinrent vers le maître pour entendre son sermon ;celui-ci, sans dire un seul mot, se contenta de tendre vers les moines ses bras tout grands ouverts. Peut-être, après tout, n’y a-t-il rien de mystérieux dans le Zen. Tout y est largement exposé à vos yeux. Si vous mangez votre nourriture, si vous entretenez vos vêtements en parfait état de propreté, si vous travaillez à la ferme pour faire pousser votre riz e t vos légumes, vous faites tout ce
e),
(1)
En japonais Hyalroujo Nehan.
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Le Zen iibérafeur
qu’on demande de vous sur cette terre, et l’infini est réalisé en vous. Comment est-il réalise ? Lorsqu’on demanda à Mou-tcheou ce qu’était le Zen, il récita une phrase sanskrite d’un Sûtra, appelé Mahâprajnâpâramitâ (I). Celui qui l’avait questionné s’avoua incapable de comprendre la portée de cette étrange phrase ; sur ce, le maître la commenta ainsi : a Ma robe est complètement usée depuis tant d’années que je la porte. Et des parties de son tissu, lambeaux déchiquetés, flottants, ont été transportées par le vent dans les nuages. )) L’infini n’est-il donc, en dernière analyse, qu’un mendiant dénué de tout? Quoi qu’il en soit, il est, à cet égard, une chose que nous ne pouvons jamais nous permettre de perdre de vue, c’est que la paix ou pauvreté (car la paix n’est possible que dans la pauvreté) n’est obtenue qu’après une bataille acharnée livrée avec toute la force de notre personnalité. Une satisfaction glanée dans l’oisiveté ou dans une attitude mentale de laisser-aller, voilàce qu’on doit abhorrer par-dessus tout. I1 n’y a dans un tel comportement pas le moindre élément de Zen, mais de la plus pure indolence e t un simple état végétatif. La bataille doit faire rage dans sa vigueur et sa virilité totales. Sinon, quelle que soit la paix qui règne, elle n’est qu’un simulacre, sans fondations profondes, et que la première tempête abattra. Le Zen est tout à fait formel et plein d’insistance sur ce point. Certainement, la virilité morale qu’on y trouve, en dehors de son envol mystique, vient de ce qu’il livre avec un courage indomptable la bataille de la vie. Par conséquent, du point de vue de l’éthique, le Zen peut être considéré comme une discipline qui vise à la reconstruction du caractère. Notre vie ordinaire ne touche que la frange de la personnalité, elle ne cause pas de commotion dans les parties les plus profondes de (l)
Eiij apoiiais Makahaiinyaharamii.
Conditions morales
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l’âme. Même une fois la conscience religieuse éveillée, la plupart d’entre nous la franchissent légèrement de manière à ne laisser sur l’âme nulle trace d’un âpre combat. C’est ainsi que nous sommes amenés à vivre à la surface des choses. Nous pouvons être intelligents, brillants, etc., mais ce que nous produisons manque de profondeur, de sincérité, e t ne fait pas appel aux sentiments profonds. Certains d‘entre nous sont radicalement incapables de créer quoi que ce soit en dehors de quelques vagues expédients ou imitations qui trahissent leur caractère superficiel e t leur absence d’expérience spirituelle. Le Zen, tout en étant, au premier chef, religieux, façonne aussi notre caractère moral. Pour mieux dire, une profonde expérience spirituelle doit forcément effectuer une transformation dans la structure morale de la personnalité. Comment cela ? La vérité du Zen est de telle nature que, si nous désirons la saisir dans sa profondeur, il nous faut progresser au prix d’un combat, parfois très long, et faire preuve d‘une vigilance constante e t épuisante. Acquérir la discipline du Zen n’est pas une tâche facile. Un maître du Zen fit un jour cette remarque que la vie d‘un moine ne peut être menée que par un être d’une grande force morale, e t que même un Ministre d’État ne peut avoir l’espoir de faire un bon moine. (Faisons remarquer à ce propos qu’en Chine le fait de devenir un Ministre d’État représentait le plus grand succès qu’un homme pût jamais espérer en ce monde.) Ce n’est pas qu’une vie monacale exige l’austère pratique de l’ascétisme, mais elle implique l’élévation à leur point sublime des pouvoirs spirituels de l’être. Tous les préceptes, toutes les activités des grands maîtres du Zen sont venus de cette élévation. Ces préceptes ne sont pas destinés à poser des énigmes ou à nous entraîner dans de la confusion. C’est le débordement du trop-plein d’une âme comblée d’expériences profondes. Par conséquent, à moins que nous ne soyons élevé nous-même à la même hauteur
Le Zen libératem
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que les maîtres, nous ne pouvons obtenir sur la vie la même vue d’ensemble magistrale. Comme le dit Ruskin: a Soyez aussi bien certain que si l’auteur a quelque valeur, vous ne saisirez pas d’emblée ce qu’il veut dire, et même il vous faudra longtemps pour le comprendre entièrement. Non pas qu’il ne formule point son message, et même avec force, mais il ne peut pas le dire entièrement, et, ce qui est plus étrange encore, il ne le veut pas ; il l’exprime, au contraire, d’une façon voilée et en paraholes, afin de s’assurer que vous en avez besoin. J e ne peux pas voir tout A fait la raison de cette attitude, ni analyser cette cruelle réticence qui existe dans le cœur des hommes sages e t leur fait toujours cacher leur pensée la plus profonde. Ils ne vous la donnent pas pour vous aider, mais pour vous récompenser, et ils s’assurerout que vous la méritez avant de vous autoriser à l’atteindre. Cette clé du trésor royal dc sagesse ne vous est accordée qu’après un combat moral patient et douloureux. Le mental est ordinairement plein à déborder de toutes sortes d’inepties intellectuelles et de niaiseries passionnelles. Certes, elles sont utiles à leur façon dans notre vie quotidienne. C’est indéniable. Mais c’est avant tout en raison de ces accumulations que nous devenons misérables et que nous maugréons contre le sentiment de notre esclavage. Chaque fois que nous désirons faire un mouvement, elles nous entravent, nous étouffent, et projettent un voile épais sur notre horizon spirituel. Nous avons l’impression de vivre constamment sous la contrainte. Nous soupirons vers la nature et la liberté, e t cependant il ne semblepas que nous puissions les atteindre. Les maîtres du Zen le savent, car ils sont passés autrefois par les mêmes expériences. Ils désirent nous libérer de tous ces fardeaux accablants qu’il nons faut véritablement cesser de porter pour vivre une vie de vérité e t d’Illumination. C’est pour cela qu’ils prononcent quelques paroles et qu’ils démûntrent par leurs actions que, lorsque nous les comprendrons exactement, ces quelques ))
L’ûprefë de la luife
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mots nous libéreront de l’oppression et de la tyrannie de tout ce fztras intellectuel. Mais cet te compréhension n’arrive pas en nous si aiséinent. Depuis si longtemps que nous sommes accoutumés à l’oppression, il nous est bien difficile de faire disparaître notre inertie mentale. Elle a profondément pénétré dans les racines de notre être, e t il nous faut retourner de fond en comble toute la structure de notre personnalité. Processus de reconstruction taché de larmes et de sang! Mais il n’est pas d’autre voie d’accès aux sublimes hauteurs que les grands maîtres ont gravies ;on ne peut jamais alteindre la vérité du Zen tant qu’on ne s’y est pas attaqué avec la force totale de la personnalité. Le passage est jonché de chardons et de ronces, e t la montée est glissante à l’extrême. I1 ne s’agit pas d’un passe-temps, mais de la tâche la plus grave d’une vie, qu’aucun oisif n’aura jamais le courage d’aborder. C’est une enclume morale sur laquelle notre caractère est martelé, et martelé encore, sans relâche. A la question n Qu’esl-ce que le Zen? n un maître fit cette réponse : n C’est faire bouillir de l’huile sur un grand feu flambant. 1) C’est à travers cette cruelle expérience qu’il nous faut passer avant que le Zen nous sourie et nous dise : R Voici t a demeure. n Voici l’un des préceptes des maîtres du Zen qui suscitera une révolution dans notre esprit : P’ang-iun ( l ) , qui avait été autrefois confucianiste, demanda à Matsou (z), en 788: (( Quelle sorte d’être est celui qui ne s’attache à aucune chose ? -J e vous le dirai, lui répondit le maître, lorsque vous aurez avalé d’un seul trait toute l’eau (1) En japonais Hôkoji. I1 était le célkbre disciple coiifucianiste de Ma-tsou ; sa femme et sa fùle étaient aussi de ferventes zélatrices du Zen. Lorsqu’il estima que le moment de mourir était venu pour lui, il dit à sa fille de surveiller le cours du soleil et de lui faire savoir quand il serait midi. Sa fille revint en hâte et lui dit que le soleil avait déja passé le méridien et était sur le point de subir une éclipse. I1 sortit, et tandis qu’il observait cette éclipse, la jeune fille rentra, s’assit sur le siège de son père, et, plongée dans sa méditation, quitta i’existence. Lorsque le ptre vit sa fille déjà entrée dans le nirvâno, il dit : a Comme cette fille avait l’esprit vif! J I1 mourut lui-meme quelques jours plus tard. (*) En japonais Bas0 (mort en 788).
Le Zen libérateur
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de la Rivière de l’ouest. n Quelle réponse étrange et sans rapport avec le plus grave problème qu’on puisse jamais formuler dans l’histoire de la pensée! Elle rend un son presque sacrilège lorsqu’on pense au nombre prodigieux d’âmes qui déclinent, accablées sous le poids de cette question. Et cependant l’ardeur spirituelle de Ma-tsou ne peut faire l’objet du moindre doute, ainsi que le savent parfaitement tous les étudiants du Zen. E n effet, la grande ascension du Zen, après le sixième patriarche, Houeïnêng (I), fut due à la brillante carrière de Ma-tsou, sous la direction duquel surgirent plus de quatre-vingts maîtres pleinement qualifiés, e t P’ang-iun, qui était i’un des plus éminents disciples laïques du Zen, s’acquit la réputation bien méritée d’être le Vimalakîrti (*) du bouddhisme chinois. Une conversation entre deux maîtres si éminents du Zen ne pouvait pas être un divertissement d’oisifs. Quelle que soit son apparence de facilité, de nonchalance même, elle porte caché en elle un joyau extrêmement précieux dans la littérature du Zen. On ne saurait imaginer combien d’étudiants du Zen ont eu des sueurs froides et ont fondu en larmes devant l’impossibilité de comprendre cette déclaration de Ma-tsou. Voici un autre exemple encore : un moine demanda au maître Tchang-cha King-tch’ên : a Où est allé après sa mort? n Le maître répondit : Nan-k’iuan a Lorsque Chih-teou (“) était encore dans l’ordre des jeunes novices, il vit le sixième patriarche. - J e ne vous questionne pas sur le jeune novice. Ce que je désire savoir, c’est où Nan-k‘iuan est allé après sa mort. Quant à cela, répondit alors le maître, cela donne beaucoup à penser. ))
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e)
-
(1) En japonais Ycno (637-713).Voir Houcï-nCng. Discoizrs et sermons (Paris,Albin Michel, 1961). (*) Cf. p. 89 ci-dessous. (a) Er] japonais Chin de Tchasa. (‘) En japonais Nansen (748-834). (s) En japonais Sokito (700-590).
Le Zen et la logique
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L‘immortalité de l’âme est une autre grande question. On pourrait presque dire que l’histoire de la religion est édifiée sur cette seule question. Chacun désire savoir ce que sera la vie après la mort. Oh allons-nous quand nous disparaissons de cette terre ? Existe-t-il réellement une autre vie? Ou bien la fin de celle-ci est-elle la fin du tout? Alors qu’il peut y avoir bien des êtres humains qui ne se tracassent pas sur l’ultime signification du peut-être n’en Un solitaire e t a. sans compagnon n est-il aucun qui ne se soit demandé, au moins une fois dans sa vie, quelle serait sa destinée après sa mort. Que Chih-teou, dans sa jeunesse, ait vu ou non le sixième patriarche, voilà qui semble n’avoir aucun lien avec le départ de Nan-k’iuan. Celui-ci était le maître de Tchangcha, e t c’est tout naturellement que le moine demanda à ce dernier où finalement était passé le maître. La réponse de Tchang-cha n’en est pas une, si on la juge d’après les règles ordinaires de la logique. C’est pourquoi le disciple posa la seconde question, mais de nouveau le maître lui donna une réponse équivoque. Qu’explique en effet cette réponse : (( Cela donne à penser »? I1 est donc manifeste que le Zen est une chose e t la logique une autre. Lorsque nous n’arrivons pas à faire cette distinction e t que nous attendons du Zen qu’il nous donne quelque chose qui soit logiquement cohérent e t qui illumine l’intellect, nous commettons une erreur d’interprétation totale. N’ai-je pas déclaré dès le début que le Zen traite des faits et non pas des généralisations? E t c’est le point même où le Zen pénètre directement dans la fondation de la personnalité. Ordinairement l’intellect ne nous y conduit pas, car nous ne vivons pas dans l’intellect, mais dans la volition. Le Frère Laurence énonce une vérité lorsqu’il dit : u Nous devons faire une grande différence entre les actes de la compréhension et ceux de la volonté : ceux-là ont relativement
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(1)
La conception de l’Absolu, i’un qui n’a pas de second D.
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Le Zen libérateur
peu de valeur, ceux-ci ont une valeur absolue (?. n Toute la littérature Zen est pleine à déborder de telles assertions, qui semblent avoir été formulées bien fortuitement, bien innocemment, mais ceux qui savent ce qu’est en réalité le Zen attesteront que toutes ces phrases, qui tombèrent si naturellement des lèvres des maîtres, sont comme autant de poisons mortels, dont l’absorption cause une violente douleur, au point de faire, selon i’expression chinoise, a tordre les intestins neuf fois et plus encore n. Mais c’est seulement après qu’on a éprouvé une telle douleur et un trouble si profond qu’on se trouve libéré de toutes les impuretés intérieures et qu’on renaît avec une conception de la vie entièrement nouvelle. Fait étrange, le Zen devient intelligible une fois qu’on est passé par ces combats dans le mental, mais c’est un fait certain que le Zen est une expérience réelle e t personnelle, et non pas une connaissance qu’on acquiert par l’analyse ou la comparaison. a Ne parlez pas poésie, sauf à un poète ; seul le malade sait comment sympathiser avec le malade. n Cela explique toute la position du problème. Nos esprits doivent être mûris de cette façon afin d’être accordés avec ceux des maîtres. Agissons ainsi, et dès qu’une corde sera frappée, l’autre vibrera inévitablement. Les beaux accords harmonieux résultent toujours de la résonance en harmonie de deux ou plusieurs cordes. Et ce que le Zen accomplit pour nous, c’est la préparation de notre esprit, pour qu’il devienne un réceptacle bien disposé et plein de respect envers la science des anciens maîtres. En d’autres termes, sur le plan psychologique, le Zen libère toutes les énergies que nous pouvons avoir en réserve ou dont nous ne sommes pas conscients dans les circonstances ordinaires. Certains prétendent que le Zen n’est que I’autosuggestion. Mais cela n’explique rien. Lorsqu’on prononce (1) Dans la Pratique de la présence de Dieu. Le frère Laurence est l’un des mystiques chrétiens les plus appréciés par les nonchrétiens en Asie (N. d. t.).
Le
Su bconscienf
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devant les Japonais le nom de Yamato-damachi, il semble éveiller en la plupart d‘entre eux une fervente passion patriotique. On apprend aux enfants à respecter le drapeau du Soleil levant, et lorsque les soldats passent devant l’étendard de leur régiment, ils saluent automatiquement. Lorsqu’on reproche à un enfant de ne pas agir comme un petit samouraï e t de déshonorer le nom de ses ancêtres, il rassemble aussitôt tout son courage et résiste à toutes les tentations. Toutes ces idées sont, pour les Japonais, génératrices d’énergie, et, d‘après certains psychologues, cette émission d‘énergie est de l’autosuggestion. Les conventions sociales et les instincts d’imitation peuvent aussi être considérés comme des autosuggestions. I1 en est de même de la discipline morale. On donne aux étudiants un exemple pour qu’ils le suivent ou l’imitent. L‘idée prend gradueliement racine en eux par la force de la suggestion, et finalement ils en viennent à agir comme si cette idée était venue d’eux-mêmes. Cette théorie de l’autosuggestion est une théorie stérile qui n’explique rien. Lorsqu’on a dit que le Zen est de l‘autosuggestion, en a-t-on pour cela une idée plus claire? Certains êtres croient qu’il est scientifique de donner à certains phénomènes un terme qui vient d‘être mis à la mode, et se tiennent pour satisfaits comme s’ils s’en servaient d’une façon qui illumine leur entendement. L’étude du Zen doit être abordée par des psychologues plus profonds. Certains de ces psychologues considérent qu’il existe aussi dans notre conscience une région inconnue qui n’a pas encore été explorée à fond et systématiquement. On l’appelle parfois l’Inconscient ou le Subconscient. C’est un territoire empli d’images sombres, et tout naturellement la plupart des hommes de science ont peur de s’y aventurer. Mais cela ne prouve en rien la réalité de son existence. De même que notre champ de conscience ordinaire est plein de toutes sortes d’images, bénéfiques (I) Cf. Jean Herbert. Les diew nuiionaux du Japon (Paris, Albin Michel, 1965).
Le Zen libéraieur e t nocives, systématiques et confuses, claires e t obscures, s’affirmant avec violence et s’afïaiblissant jusqu’à disparaître, de même le subconscient est un endroit oh sont emmagasinées toutes les formes de l’occultisme ou du mysticisme, ce terme u toutes les formes )) comprenant tout ce qu’on connaît comme forces latentes, anormales, psychiques ou spiritualistes. Le pouvoir de pénétrer dans la nature de son être intérieur peut également résider là, et ce que le Zen éveille dans notre conscience est peut-être cela. En tout cas les maîtres parlent au figuré de l’ouverture du troisième œil. Satori est le nom que l’on donne communément à cette ouverture ou à ce réveil. Comment doit-on l’effectuer? En méditant sur ces préceptes ou ces actions qui jaillissent directement de la région intérieure que l’intellect ou l’imagination n’ont pas obscurcie, e t qui sont calculés de manière à exterminer avec succès tous les tourbillons suscités par l’ignorance e t la confusion (I). A ce propos il peut être intéressant pour les lecteurs de se mettre au courant de certaines des méthodes (3 employées par les maîtres afin d’ouvrir l’œil spirituel du disciple. I1 est tout naturel qu’ils emploient fréquemment les divers insignes religieux qu’ils portent lorsqu’ils se rendent à la salle de Dharma. Généralement ce sont le hossou le shippe le nyoi ou choujyo (“)
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e),
(I) Le Zen a ses méthodes propres pour la pratique de ce qu’on appelle méditation, car les méthodes du Zen doivent être distinguées de ce qu’on entend par ce terme dans l’acception populaire OU hînayâniste. Le Zen n’a pas le moindre point commun avec le simple quiétisme ni avec cette attitude qui consiste à se perdre dans des transes. J’aurai très probablement l‘occasion de traiter ce sujet dans une autre partie. (’) Voir également l’essai VI ci-après. A l’origine fouet à moustiques aux Indes, mais maintenant symbole d’autorité religieuse. ï i a un manche court, d’un peu plus d’un pied, et une toun’e de crins plus longue, faite généralement d‘une queue de cheval ou de yak. (9 Bâton de bambou long de quelques pieds. (6) il s’agit également d’une baguette qui revêt les formes les plus diverses et qui est taillée dans des bois d’essences variées. Ce terme signifie littéralement a Comme on le désire ou comme on le pense D (chinto, en sanskrit).
Le bâion de commandement
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(ou bâton de commandement). C’est ce dernier objet qui semble avoir été l’instrument le plus souvent employé dans la démonstration de la vérité du Zen. J e citerai quelques exemples de son emploi : D’après Houei-lêng (I), de Tchang-Wing (a), (( lorsque i’on sait ce qu’est ce bâton, toute une vie d’étude consacrée au Zen se termine n. Cela nous rappelle la fleur de Tennyson dans la lézarde du mur. Car dès que nous comprenons la raison du bâton, nous savons a ce qu’est Dieu et ce qu’est l’homme », c’est-à-dire que notre regard pénètre dans la nature de notre être véritable, e t que cette vision met définitivement terme à tous les doutes e t toutes les avidités qui avaient bouleversé la tranquillité de notre mental. On peut donc aisément comprendre la signification du bâton dans le Zen. qui vivait probableHouei-k’ing (a), de Pa-kiao ment au xe siècle, fit une fois la déclaration suivante : a Lorsque vous aurez un bâton, je vous en donnerai un, et lorsque vous n’en aurez pas, je vous le retirerai. n C’est là une des déclarations les plus caractéristiques du Zen, mais plus tard Mou-tchêh de Ta-oueï fut assez hardi pour contester cette déclaration, en disant ceci, qui la contredit directement : Quant à moi, je suis d’un avis différent. Lorsque vous aurez un bâton, je vous le retirerai ;e t lorsque vous n’en aurez pas, je vous en donnerai un. Voici mon point de vue : Pouvez-vous vous servir du bâton? ou bien ne le pouvez-vous pas? Si oui, Tê-chan (‘) sera votre avant-garde e t Lin-tsi votre arrière-garde. Mais si vous ne pouvez pas vous servir de ce bâton, qu’on le rende à son premier maître! )) Un moine s’approcha de Mou-tcheou e t lui dit : (( Quelle est la déclaration qui surpasse la sagesse de tous
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e),
En japonais Y&-ryo. En japonais Tchôkei (mort en 932). *) En japonais Yê-sei. ’) En japonais Basho Yeseï. 6, En japonais Bokitsou. (O) En japonais Waïyi. (’) En japonais Tokousan (779-865). (l)
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L.e Zen Zibéraieur
les Bouddhas e t Patriarches? n Le maître brandit instantanément son bâton devant la Congrégation, en disant : a J’appelle cela un bâton, et vous, comment l’appelez-vous ? n Le moine qui avait formulé la question ne répondit pas un mot. Le maître, brandissant à nouveau son bâton, dit alors : a Une déclaration qui surpasse en sagesse tous les Bouddhas e t les Patriarches, n’était-ce pas votre question, ô moine? n Ceux qui laissent négligemment passer des remarques comme celles de Mou-tcheou peuvent les considérer comme absolument vides de sens. Que cette baguette soit ou non appelke un bâton, il ne semble pas que cela ait beaucoup d’importance, dans la mesure où il s’agit de la divine sagesse surpassant les limites de notre connaissance. Mais la remarque suivante de Iiin-mên, un autre grand maître du Zen, est peut-être plus accessible. Lui aussi brandit une fois son bâton devant la Congrégation e t fit observer : a Dans les Écritures nous lisons que les ignorants prennent cela pour une chose réelle, les hînayânistes le résolvent en une non-entité, les Pratyeka-bouddhas le considèrent comme une hallucination, tandis que les Bodhisattvas admettent son apparente réalité, qui, cependant, est essentiellement du vide. Mais vous, moines, continua le maître, appelez cela tout simplenient un bâton lorsque vous en voyez un. Marchez ou restez assis, à votre gré, mais ne restez pas irrésolus. n Voici, toujours sur ce simple bâton, quelques déclarations plus mystiques également formulées par Iunmên. Un jour il annonça : u Mon bâton s’est transformé en dragon, et il a avalé l’univers tout entier ; où sera la vaste terre, avec ses montagnes et ses rivières? n En une autre occasion, citant un ancien philosophe bouddhiste qui disait : u Frappez sur le vide de l’espace et vous entendez une voix ;frappez un morceau de bois, et nul son ne résonne », Iun-mên prit son biiton, et, portant un coup dans l’espace, cria : u 0,comme cela blesseln Puis, frappant sur un panneau, il demanda :u Cela fait-il
Hsiuh-tcheu
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du bruit ? - Oui, répondit un moine, il y a du bruit p). n Sur quoi le maître s'écria : a Pauvre être plein d'ignorance1 D Mais si je continue dans cette voie, je n'en finirai jamais. J e m'arrêterai donc ; cependant je prévois que certains d'entre vous me demanderont :a Ces déclarations ont-elles un rapport quelconque avec le fait de voir dans la nature de son être intérieur? Peut-il exister un r a p port entre ces conversations apparemment vides de sens au sujet de ce bâton et le problème d'une importance primordiale que pose la réalité de la vie? D En réponse je citerai deux passages, i'un de Ts'euming (") et l'autre de Iuan-ou (").Dans l'un de ses sermons Ts'eu-ming dit : a Dès qu'on prend une seule particule de poussière, la terre immense s'y manifeste intégralement. E n un seul lion se révèlent des millions de lions ; en des millions de lions un seul lion se révèle. Certes il en existe des milliers et des milliers. Mais connaissez-en un, seulement un. D Ce disant, il leva son bâton, et continua: a Ceci est mon bâton, et oh se trouve ce seul lion? P Puis, s'écriant : a. KwatsI )) (hô), il jeta son bâton et quitta son pupitre. Yuan-ou exprime la même idée Dans le Pi-ien-lori dans son introduction au Traité a Le seul doigt du Zen H, de Hsiuh-tcheu i tcheu t'eou tch'an (") :
e),
(l)Cela rappelle une des remarques du maître Tchan (Ten) de Pao-fou (Hofoukou) qui, voyant approcher un moine, prit son bâton et frappa d'abord un pilier, puis le moine. Celui-ci, naturellement, poussa un cri de douleur. a Comment se fait-& demanda alors le maître, que cela n'est pas blessé? n (a) En japonais Jimyo (986-1040). (*) E n japonais Yengo (1063-1135). (3 Le Pi-ien-lou (en japonais Hekiganshou) est une collection de cent a cas s, avec le commentaire poétique de Hsiuèh-teou Seccho et les annotations en partie explicatives et en partie critiques de han-ou. Ce livre fut introduit au Japon pendant l'ère de Kamakoura, et depuis lors il est resté l'un des textes les plus importants du Zen, spécialement pour ceux qui suivent l'école de Lin-tsi. (3 Hsiuh-tcheu (en japonais Gouteï) était un disciple de T'ienioung (en japonais Tenryou), probablement vers la fin de la dynastie Tang. Au début, lorsqu'il rhidait dans un petit temple, il
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Le Zen libérateur
N On prend une particule de poussière e t la vaste terre tout entière y réside ; une fleur ouvre ses pétales, et 1’Universfleurit avec elle. Mais où vos yeux doivent-ils se fixer lorsque la poussi6re n’est pas encore soulevée e t la fleur pas encore éclose ? Par conséquent, on dit que lorsqu’on donne un coup de ciseaux dans une pelote de fil, d’un seul coup tout se trouve coupé ; de même lorsqu’on plonge une pelote de fil dans la teinture, en une seule fois tout est teint de la même couleur. I1 vous appartient maintenant de vous évader de tout cet enche vêtrement de rapports e t de mettre en piéces tout ce
reçut la visite d’une nonne errante qui pénétra directement dans le temple sans retirer sa coiffure. Son baton à la main, elle fit trois fois le tour du siège de méditation sur lequel était assis Hsiuhtcheu. Elle lui dit alors : a Dites un mot qui soit du Zen, et je me découvrirai. D Elle répéta cette phrase par trois fois, mais Hsiuhtcheu ne savait que due. Lorsque la nonne fut sur le point de partir, Hsiuh-tcheu lui suggéra : a Il se fait tard. Pourquoi ne restez-vous pas ici cette nuit? D Cheu-tsi (en japonais Jissaï) ainsi s’appelait la nonne - répondit : a Si vous dites un mot qui soit du Zen, je resterai. D Et, comme il restait encore incapable de dire un mot, elle partit. Ce fut un terrible coup pour le pauvre Hsiuh-tcheu, qui soupira tristement : a Bien que j’aie la forme d’un homme, il ne semble pas que j’aie la moindre puissance virile. D il prit alors la décision d‘étudier e t de maîtriser le Zen. Lorsqu’il était sur le point de partir dans ses voyages de Zen, il eut la vision du dieu de la montagne qui lui dit de ne pas quitter son temple, car un Bodhisattva en chair et en os y viendrait avant longtemps et lui donnerait l’illumination dans la vérité du Zen. Et précisément un maître du Zen nommé T’ien-loung (en japonais Tenryou) apparut le lendemain. Hsiuh-tcheu lui raconta sans rien omettrel’humiliante expérience de la veille et sa ferme résolution d’atteindre les secrets du Zen. T’ien-loung se contenta de lever un de ses doigts sans mot dire. Mais ce fut sufilsant pour ouvrir instantanément l‘esprit de Hsiuh-tcheu sur le sens ultime du Zen, et l‘on dit que depuis lors Hsiuh-tcheu ne fit ou dit jamais rien d‘autre que de lever un doigt, en réponse à toutes les questions qu’on pouvait lui poser s u r le Zen. I1 y avait dans son temple un jeune garçon i, voyant la façon dont procédait son maître, l’imita lorsqu’on x i demandait quel genre de sermon pratiquait généralement celui-ci. Lorsque l’enfant dit A son maître qu’il montrait en guise de réponse son petit doigt levé, le maître lui coupa ce doigt d‘un seul coup de couteau. L’enfant s’enfuit en criant de douleur, mais Hsiuh-tcheu le rappela. L’enfant se retourna, le maître leva le doigt, et l’enfant comprit instantanément le sens de a ce seul doigt du Zen D de T’ien-loung aussi bien que de Hsiuh-tcheu.
-
,
Plan de l‘ouvrage
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rêseau, mais ne perdez pas la trace de votre trésor intérieur, car c’est par lui que, le haut dans l’Univers répondant comme le bas, l’avancé et l’arriéré ne correspondant à aucune distinction, chacun se manifeste dans sa perfection absolue. I> J’espère que cette esquisse du Zen donnera au lecteur une idée générale, encore que nécessairement vague, du Zen tel qu’il est enseigné en Extrême-Orient depuis plus de mille ans. Dans la suite de ces essais je m’efforcerai de chercher l’origine du Zen dans l’Illumination spirituelle du Bouddha lui-même. Car on a fréquemment reproché au Zen de trop s’écarter de ce que l’on considère généralement comme l’enseignement du Bouddha, tel qu’il est exposé particulièrement dans les Agamas ou Nikâyas. Alors que le Zen, tel qu’il existe actuellement, est, sans aucun doute, le produit de l’esprit chinois, on doit remonter le cours de son développement jusqu’à l’expérience personnelle de son fondateur hindou lui-même. A moins qu’on ne le comprenne en rapport avec les caractéristiques de la psychologie du peuple chinois, sa croissance parmi les bouddhistes de ce pays serait inintelligible. Tout compte fait, le Zen est une des écoles mahâyânistes du Bouddhisme, dépouillée de son costume hindou. J’ai essayé également d’écrire une histoire du Zen en Chine à partir de Bodhi-dharma, qui est le véritable auteur de cette école. LeZen f u t lentement mûri et transmis par ceux qu’on appelle les cinq patriarches successifs après la mort de celui qui était venu des Indes propager la doctrine. Lorsque Houei-nêng, le sixième patriarche, commença à enseigner l’évangile du Bouddhisme Zen, cet évangile avait cessé d’être hindou pour devenir profondément chinois, e t c’est de lui que date ce que nous nommons aujourd’hui le Zen, sous sa forme actuelle. Ainsi ce développement du Zen en Chine, auquel le sixième patriarche avait donné si nettement forme, acquit sa puissance, non seulement en volume, mais encore en contenu, par la maîtrise avec laquelle
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Le Zen libérateru
le traitèrent les descendants spirituels de Houei-nêng. La première partie de l’histoire chinoise du Zen se termine donc naturellement avec lui. Comme le fait centrd du Zen réside dans l’obtention du satori, ou l’ouverture de l’œil spirituel, j’ai traité ce sujet dans mon cinquième asai. J’ai exposé cette question d’une façon assez simple, car l’idée essentielle est de mettre en lumière ce fait qu’il existe une compréhension intuitive (satori) de la vérité du Zen, et aussi d’illustrer le caractère unique du satori, tel que l’éprouvent ceux qui sont voués au Zen. Lorsque nous comprenons la signification du satori dans le Zen, il est logique que nous désirions comprendre quelque chose des méthodes par lesquelles les maîtres s’efforcent de susciter une expérience révolutionnaire, plus ou moins noétique, dans le mental des étudiants. Certaines des méthodes pratiques du Zen auxquelles recourent les maîtres sont classées en un certain nombre de catégories, mais dans la classification que je viens de donner je n’ai pas essayé d’épuiser entièrement le sujet. La Salle de Méditation est une institution tout à fait particulière du Bouddhisme Zen, e t ceux qui désirent savoir quelque chose sur le Zen et son système d‘enseignement ne peuvent se permettre de passer ce sujet sous silence. Cependant cet organe, unique en son genre, du Bouddhisme Zen n’a jamais été décrit auparavant. J’espère que le lecteur y trouvera un sujet sufisamment intéressant pour mériter une étude approfondie Alors que le Zen prétend être l’aile a ultra-abrupte n du Bouddhisme, il suit une graduation très bien marquée dans sa marche vers le but ultime. De là le chapitre (8) sur les dix tableaux représentant a le domptage de la vache n. I1 y a bien d’autres points encore dont on devrait être instruit dans l’étude du Bouddhisme Zen, et cer-
c),
1 121
Essai VI1 p. 371 Essai VIII, p. 429.
P l m de I'ouvrage
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-tains d'entre eux, que l'auteur considére comme particuIii.rement imporlanis, seront traités daiis les séries ultérieures
e).
(1)
Séries II et III.
II Le Zen, interprétation chinoise de la doctrine de l’illumination
AVANT-PROPOS
Avant d‘entreprendre la discussion de l’idée principale de cet essai, qui est de considérer le Zen comme la façon chinoise d‘appliquer la doctrine de l’Illumination à notre vie pratique, je voudrais présenter quelques remarques préliminaires sur l’attitude de certains critiques du Zen et définir ainsi la position du Zen dans l’ensemble duBouddhisme. D’après eux, le Bouddhisme Zen n’est pas du Bouddhisme, mais quelque chose d’étranger à l’esprit du Bouddhisme, l’une de ces aberrations que nous voyons si souvent croître dans l’histoire de chaque religion. Le Zen est donc, à leur avis, quelque chose d’anormal qui s’est développé chez un peuple dont la poésie et la sensibilité suivent un cours différent du courant principal de la pensée bouddhique. Nous ne pourrons savoir si cette allégation est vraie ou non que lorsque nous connaîtrons, d’une part, ce qu’est réellement l’essence ou l’esprit réel du Bouddhisme, et, d’autre part, le stat u t exact de la doctrine Zen en face des idées maîtresses du Bouddhisme, telles qu’elles sont acceptées en Extrême-Orient. I1 pourra aussi nous être utile de parler un peu du développement de l’expérience religieuse en général. Lorsque nous ne sommes pas préparés à comprendre à fond ces questions à la lumière de l’histoire et de la philosophie de la religion, nous pouvons en venir à affirmer dogmatiquement que le Zen n’est pas
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L‘illumination chinoise
du Bouddhisme, pour cette seule raison qu’il semble, à la surface, si difïérent de la conception du Bouddhisme
que se font certains êtres, sur la base d’un certain nombre d’idées préconçues. C’est pourquoi l’exposé de mon point de vue sur ces divers problèmes facilitera le d é v e loppement ultérieur de la thèse principale. En effet, lorsqu’on l’aborde superficiellement, il y a dans le Zen quelque chose de si bizarre, d’irrationnel même, que cela peut effrayer les personnes pieuses qui étudient dans les livres le Bouddhisme prétendûment primitif, et les amener à déclarer que le Zen n’est pas du Bouddhisme, mais une anomalie chinoise de celui-ci. Que feraient-elles, par exemple, d’une assertion de ce genre :dans les a Paroles de Nan-k’iu )) nous lisons que Ts’ouei, gouverneur du district de Tch’eu, demandait au cinquième patriarche de la secte Zen, Houng-jên comment il se faisait que sur cinq cents disciples, ce fût Houei-nêng qu’il eût choisi, de préférence à tous les autres, pour recevoir la robe orthodoxe de sixième patriarche ; le cinquième patriarche répondit :a Quatre cent-quatre-vingt-dix-neuf de mes disciples comprennent bien ce qu’est le Bouddhisme ; Houei-nêng est la seule exception. C’est un homme qu’on ne peut pas mesurer avec les mêmes instruments que les autres. C‘est pourquoi la robe de la foi lui a été transmise. D Voici de quelle façon Nan-tch’uan commente cette réponse : a Dans l’ère du Vide il n’y a pas le plus petit soume de mots. Dès que le Bouddha apparaît sur la terre, les mots viennent à l’existence. C’est pourquoi nous nous accrochons à des signes... Et ainsi, puisque nous nous emparons maintenant si fermement des mots, nous nous limitons de diverses façons, alors que dans la Voie Royale il n’existe absolument rien de tel qu’ignoranceou sainteté. Tout ce qui a un nom se limite par cela même. C’est pourquoi le vieux maître de Chiang-hsi déclara que a cela n’est ni l’esprit ni Bouddha, ni une
e),
(I)
En japonais Gounin (601-675).
Compréhension et illumination
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chose ».C’est de cette façon qu’il souhaitait guider ses disciples, alors que de nos jours ils essaient vainement d’aborder la Grande Voie en faisant une hypostase d’une entité telle que le mental. Si la Voie pouvait être parcourue de cette façon, il serait bien qu’ils attendissent l’apparition du Bouddha Maitreya (dont le peuple dit qu’il viendra à la fin de ce monde) et qu’ils éveillassent alors la pensée illuminatrice. Comment de tels êtres pourraient-ils jamais avoir i’espoir de la liberté spirituelle? Sous le cinquième patriarche, tous les cinq cents disciples, à la seule exception de Houeï-nêng, comprenaient bien le Bouddhisme. Ce disciple laïc était tout à fait unique à cet egard, car il ne comprenait pas du tout le Bouddhisme I1 ne comprenait que la Voie e t rien d’autre. I> Ce ne sont pas des assertions très extraordinaires sur le Zen, mais pour la plupart des critiques elles doivent constituer de véritables abominations. u Eh quoil le Bouddhisme est froidement renié, e t sa connaissance considérée comme non indispensable à la maîtrise du Zen, la Grande Voie, qui, par contre, est plus oumoinsidentifiée avec la négation du Bouddhisme ; comment peutil en être ainsi? n Dans les pages qui vont suivre j’essaierai de répondre à cette question.
c).
y) Comparez cette dédaration avec ceile que A t le sixième patnarche lui-même lorsqu’on lui demanda comment il se faisait u’il lui eût échu de succéder au cinquième patriarche : C‘es$ lit-il, parce que je ne comprends pas le Bouddhisme. 3 J e voudrais également citer un passage de la Kena-Upanishad *, où l‘on pourra découvrir une singulière similitude entre le prophète brahmane e t ces maîtres du Zen, non seulement dans la pensée, mais encore dans la façon dont ils s’expriment : a Cela est conçu par celui par qui Cela n’est pas conçu, Celui par qui Cela est conçu ne le sait pas. Cela n’est pas compris par ceux qui Le comprennent. Cela est compris par ceux qui ne Le comprennent pas. B Lao-tseu, fondateur du mysticisme Tao, respire le même esprit Iorsqu’iI dit : Celui qui le connaît n’en parle pas ; celui qui en parle ne le connaît pas. D (L
* Voir les commentaires de Shri Aurobindo sur la Kena Upanishad dans IIais Upmishads (Paris, Aibin Michel, éd. de poche, 1971).
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L'illumination chinoise LA VIE
ET L'ESPRIT
DU BOUDDHISME
Pour élucider ce point e t justifier le Zen lorsqu'il prétend transmettre l'essence du Bouddhisme, et non pas ses articles de foi tels qu'ils sont enregistrés par écrit, il est nécessaire de dépouiller l'esprit du Bouddhisme de tous ses revêtements e t surcharges qui, masquant le fonctionnement de sa force vitale originelle, sont susceptibles de nous faire prendre l'accessoire pour l'essentiel. Nous savons que le gland est tout à fait différent du chêne, mais aussi longtemps que la croissance se poursuit, leur identité est une conclusion logique. Voir réellement dans la nature du gland, c'est en tracer le développement ininterrompu à travers ses diverses étapes historiques. Lorsque la graine reste une graine, et ne signifie rien de plus, il n'y a pas de vie en elle, ce n'est qu'une œuvre terminée et, en dehors d'une curiosité historique, elle n'a pas la moindre valeur dans notre expérience religieuse. De la même façon, pour déterminer la nature du Bouddhisme, nous devons remonter toute sa ligne de développement e t voir quels sont en lui les germes les plus sains et les plus chargés de vitalité qui l'ont conduit à son état de maturité. Lorsque nous aurons procédé à cette tâche, nous verrons de quelle façon le Zen doit être reconnu comme l'une des différentes phases du Bouddhisme, et, en fait, comme son facteur le plus essentiel. Par cons6quent, pour comprendre pleinement les éléments constituants de toute religion existant e t possédant une longue histoire, il est opportun de discriminer entre son fondateur et son enseignement, car la personnalité constitue un facteur extrêmement puissant qui détermine le développement de l'enseignement. Je veux dire par là, en premier lieu, que celui qu'on nomme fondateur n'avait, au début de son enseignement, pas la moindre idée de créer un système religieux quelconque qui croîtrait plus tard en son nom ; en deuxième lieu
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que, pendant qu’il était encore vivant, sa Personnalité n’était pas considérée par ses disciples comme indépendante de son enseignement, tout au moins dans la mesure où ils étaient conscients de ce fait; en troisième lieu que ce qui s’élaborait dans leur inconscient sur la nature de la personnalité de leur maître passa ai; premier plan après la mort de celui-ci, avec toute l’intensité qui, latente au début, avait gagné en eux de la puissance, e t enfin que la personnalité du fondateur grandit avec une telle vigueur dans l’esprit des disciples qu’elle devint le noyau même de son enseignement ;en d‘autres termes, ils firent en sorte que cette personnalité servît à expliquer le sens de cet enseignement. Ce serait une grande faute de penser que l’un quelconque des systèmes religieux existants ait été transmis à la postérité par son fondateur comme le produit mûrement réfléchi de son mental, e t que, par conséquent, ce que les disciples avaient à faire ait été d’adopter à la fois e t le fondateur et son enseignement comme un liéritage sacré, un trésor que le contenu de leur expérience individuelle devait s’abstenir de profaner. Car cette façon de voir oublie de prendre en considération ce qu’est notre vie spirituelle e t pétrifie la religion jusqu’au plus profond de son âme. Cependant ce conservatisme statique rencontre toujours l’opposition d’un parti animé d’un esprit de progrès, qui considère un système religieux d’un point de vue dynamique. Et ces deux forces, dont on observe le conflit dans chaque domaine de l’activité humaine, tissent l’histoire de la religion comme celle des autres disciplines. En fait, partout, l’histoire ne fait qu’enregistrer de telles luttes. Mais le fait même que de tels combats existent dans le domaine de la religion montre qu’ils sont là pour un objet déterminé et que la religion est une force vivante, car ils amènent graduellement à la lumière ce qui se trouvait implicite et caché dans la foi originelle, et ils l’enrichissent comme on n’aurait jamais pu l’imaginer au début. Et cela se produit non seulement à l’égard de
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L’illwn inat ion chinoise
la personnalité du fondateur, mais aussi à l‘égard de son enseignement ;il en résulte une complexité stupéfiante ou plutôt une confusion qui nous empêche quelquefois de nous faire une vision juste d’un syst.ènie religieux vivant. Alors que le fondateur était encore parmi ses élèves e t ses disciples, ces derniers ne faisaient aucune distinction entre la personne de leur maître et son enseignement ;car l’enseignement était réalisé dans la personne, et la personne était intensément expliquée dans l’enseignement. Le fait d’embrasser cet enseignement revenait à suivre les pas du maître, c’est-à-dire à croire en lui. Sa présence parmi les disciples sufisait à les inspirer et à les convaincre de la vérité de son enseignement. 11s auraient pu ne pas comprendre à fond cet enseignement, mais l’autorité avec laquelle son fondateur le présentait ne laissait pas dans leur cœur la plus légère ombre de doute sur sa vérité et sa valeur éternelle. Aussi longtemps qu’il vécut au milieu d’eux et leur parla, son enseignement et sa personne s’imposèrent à eux comme un seul e t même élément. Lors même qu’ils se retiraient dans la solitude pour méditer sur la vérité de cette doctrine, à titre de discipline spirituelle, l’image de sa personne était toujours devant leur mental. Mais il en alla tout différemment lorsque sa personnalité imposante et inspiratrice cessa d’être vue. Son enseignement était encore là, ses disciples pouvaient le réciter parfaitement par mur, mais le lien personnel avec son auteur était perdu, la chaîne vivante qui l’unissait solidement à sa doctrine était à jamais brisée. Lorsqu’ils réfléchissaient sur la vérité de la doctrine, ils ne pouvaient s’empêcher de penser à leur maître comme à une âme infiniment plus profonde et plus noble que la leur. Les ressemblances diverses, reconnues consciemment ou non, entre maître et disciples, s’évanouirent graduellement, et à mesure qu’elles disparaissaient, l’autre aspect, c’est-à-dire ce qui rendait ce maître si différent de ses disciples, vint s’affirmer avec d‘autant
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plus d’insistance et de force irrésistible. I1 en résulta cette conviction que le maître devait provenir d‘une source spirituelle tout à fait unique. C’est ainsi que le processus de déification ne cessa de se dérouler jusqu’à ce que le maître fût devenu, quelques siècles a p r h sa mort, une manifestation directe de l’etre Suprême Lui-même ; il était dorénavant le plus Haut dans la chair, en Lui était une humanité divine dans sa parfaite réalisation. I1 était Fils de Dieu, il était le Bouddha et le Rédempteur du monde. I1 sera donc, à partir de ce moment, considéré en soi, indépendamment de son enseignement; il occupera le centre de l’intérêt aux yeux de ceux qui le suivent. Il va de soi que son enseignement conserve son importance, mais cette importance vient principalement de ce que cet enseignement est sorti de la bouche d‘un esprit aussi sublime, et non pas nécessairement du fait qu’il contient la vérité de l’amour ou de l’Illumination. En effet, l’enseignement doit être interprété à la lumière divine de la personnalité de l’instructeur. C’est lui qui dorénavant prédomine sur tout le système spirituel, il en est le centre d’oh irradient les rayons de l’Illumination, et l’on ne peut atteindre le salut qu’en croyant en lui comme sauveur Autour de cette personnalité ou de cette nature divine vont croître maintenant divers systèmes de philosophie essentiellement fondés sur ses propres enseignements, mais plus ou moins modifiés d’après les expériences spirituelles des disciples. Cela ne se produirait
e).
(1) La conception du Dharma-kâya en dehors de la forme physique (rapa-kdya) du Bouddha était logiquement inévitable, ainsi que l’exprime I‘Ekoftara-Agama,XLIV :a La vie du Bouddha Shâkyamuni est extrêmement longue, pour cette raison que lorsque son corps physique entre en Nirvha, son Corps de la Loi existe. m Mais on ne pouvait faire agir directement le Dharmakâya sur les âmes souffrantes, car il était trop abstrait et transcendantal ; elles désiraient quelque chose de plus concret e t tanble avec quoi elles pussent se sentir personnellement intimes. g e là la conception d’un autre corps de Bouddha, c’est-à-dire le Bouddha comme Sambhoga-kâya-Bouddha ou comme VipâkajaBouddha, complétant le dogme du triple corps (tri-kûga).
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L’illumination chinoise
peut-être jamais si la personnalité du fondateur n’avait été susceptible de faire jaillir les plus profonds sentiments religieux dans le cœur de ses disciples. Ce qui revient à dire que ce qui les a le plus attirés vers l’enseignement, ce n’était pas, avant tout, l’enseignement lui-même, mais ce qui lui donnait vie, e t sans quoi il n’aurait jamais été ce qu’il était. Nous ne sommes pas toujours convaincus de la vérité d’un exposé par la logique avec laquelle il est formulé, mais ce qui nous détermine essentiellement, c’est qu’il y a une impulsion vitale pleine d’inspiration qui circule à travers ce message. En premier lieu nous sommes frappés par lui, et plus tard nous essayons d’en vérifier la vérité. La compréhension est indispensable, mais à elle seule elle ne nous entraînera jamais à risquer la destinée de notre âme. L‘une des plus grandes âmes religieuses du Japon (1) confessa une fois : c Peu m’importe d’aller plus tard aux enfers ou ailleurs, mais puisque mon vieux maître m’enseigna à invoquer le nom de Bouddha, je pratique son enseignement. D I1 n’y avait pas là une acceptation aveugle de la doctrine énoncée par le maître, mais il émanait de celui-ci une force qui attirait profondément l’âme du disciple, qui s’en saisit de toute la force de son être. La simple logique ne nous exalte jamais ;il faut, pour cela, quelque chose qui transcende l’intellect. Lorsque Paul proclame avec insistance : u Si le Christ ne s’éveille en vous, votre foi est vaine ; vous êtes encore dans vos péchés D, il n’adresse pas un appel à notre conception (1) La foi absolue qu’éprouvait Shinran dans l’enseignement de Hônen, telle qu’elle se manifeste dans cette citation, prouve que la secte Shin est le résultat de l’expérience intérieure de Shinrau et non pas le produit raisoiin6 de sa philosophie. Son expérience vint en premier lieu, et pour se l’expliquer à soi-même ainsi que pour la communiquer aux autres, il eut recours à la vérification au moyen de divers Sûtras. C‘est ainsi qu’il écrivit L’enseignement, la pratique, la foi el la réalisation, où il donna les bases intcllectuelles écrites de la foi Chin-chou (en japonais Shhiran). Dans la religion comme dans les autres activités de la vie humaine, la foi précede le raisonnement. Il est important de ne pas oublier ce fait lorsqu’oii étudie le développement des idbcs.
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logique des choses, mais à nos aspirations spirituelleg. Peu importe que la doctrine existe ou non comme fait ou comme histoire chronologique. Ce qui est pour nous préoccupation vitale, c’est d’accomplir nos aspirations les plus profondes ; il n’est pas jusqu’aux faits qu’on appelle objectifs qu’on ne puisse façonner pour les faire répondre intégralement aux besoins de notre vie spirituelle. Si la personnalité du fondateur d’un système religieux a survécu à travers des siècles de croissance de ce système, elle doit avoir eu toutes les qualités qui comblent pleinement de tels besoins spirituels. Aussitôt qu’après sa mort, sa personnalité et son enseignement seront séparés dans la conscience religieuse de ses disciples, il occupera immédiatement, s’il est SUEsamment grand, le centre de Lur intérêt spirituel, et tous ses enseignements serviront de diverses façons à justifier ce fait. Pour nous expliquer d‘une façon plus concrète, dans quelie mesure le Christianisme, par exemple, tel qu’il existe aujourd’hui, est-il l’enseignement du Christ luimême? Quelle proportion est due à la contribution de Paul, Jean, Pierre, Augustin et même Aristote? La magnifique structure des dogmatiques chrétiens est l’œuvre de la foi chrétienne, teile qu’elle fut expénmentée successivement par ses chefs, et non par i’œuvre d’un seul être, fût-il le Christ lui-même. Car la dogmatique n’est pas toujours nécessairement en rapport avec les faits historiques, dont l’importance est plutôt secondaire, comparée avec la vérité religieuse du Christianisme. Cette vérité religieuse représente ce qui devrait être, plutôt que ce qui est ou ce qui fut. Elle vise à établir ce dont la valeur est universellement reconnue, ce que la réalité ou l‘absence d’éléments historiques n’affecte pas, ainsi que le soutiennent de nos jours certains théologiens qui exposent les dogmes chrétiens. Le Christ prétendait-il ou non être le Messie? C’est là une grande discussion historique qui n’est pas encore résolue parmi les théologiens chrétiens. Certains d’entre eux sou-
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tiennent que la solution ne‘fait aucune différcnce dans le domaine de la foi chrétienne. Et, en dépit de tous ces problèmes théologiques, le Christ est le centre du Christianisme. L’édifice chrétien est bâti autour de la personnalité de Jésus. Les bouddhistes peuvent en accepter certains enseignements et sympathiser avec la somme de son expérience religieuse, mais tant qu’ils n’éprouvent aucune foi en Jésus comme a Christ 1) ou a Seigneur n, ils ne sont pas chrétiens. Le Christianisme est donc constitué noli seulement par l’enseignement de Jésus lui-même, mais encore par toutes les interprétations dogmatiques et spéculatives accumulées depuis sa mort. autour de la personnalité de Jésus et de sa doctrine. En d’autres termes, le Christ n’a pas fondé le système religieux qui porte son nom, mais ceux qui le suivirent firent de lui le fondateur de ce système. S’il était encore au milieu d’eux, il est tout à fait improbable qu’il sanctionnerait toutes les théories, croyances et pratiques imposées de nos jours à ceux qui se sont nommés eux-mêmes chrétiens. Au cas oii on lui demanderait si leurs dogmes savants étaient sa religion, il pourrait bien ne pas savoir que répondre. Selon toutes probabilités il professait une ignorance complète sur toutes les subtilités philosophiques de la théologie chrétienne de nos jours. Mais au point de vue chrétien moderne, ces théologiens donneront l’assurance la plus formelle qu’on doit considérer cette religion a comme ayant un point de départ unitaire et un caractère de base original D, qui est Jésus comme Christ, et que, quelles que soient les multiples interprétations et transformations éprouvées par cette religion, leur foi spécifique en Christ n’en a pas été touchée; ils sont - nous diront-ils - chrétiens tout autant que l’étaient leurs frères des communautés primitives; car il y a, tout le long de sa croissance et de son développement, une continuation historique de la même foi, qui est une nécessité intérieure. Considérer la forme de culture d’une époque donnée comme quelque chose de sacré, A
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transmettre à jamais, sans modifications, serait supprimer nos aspirations spirituelles à l’éternelle perfection. Telle est bien, je crois, l’attitude adoptée par les chrétiens progressistes de notre époque. Que dire de l’attitude des bouddhistes modernes, partisans du progrès à l’égard de la foi qui constitue l’essence du Bouddhisme? Comment ses disciples conçoivent-ils le Bouddha? Quelles sont la nature et la valeur de ce qui constitue un Bouddha? Lorsqu’on restreint la définition du Bouddhisme à l’enseignement du Bouddha, cette définition explique-t-elle la vie du Bouddhisme, telle qu’elle évolue à travers le cours de l’histoire? Cette vie n’est-elle pas le déroulement de la vie spirituelle intérieure du Bouddha lui-même, plus encore que l’exposé qu’il en donne, et qui est conservé sous le nom de Dharma dans la littérature bouddhiste? N’y a-t-il pas, dans l’enseignement oral du Bouddha, quelque chose qui lui donne vie e t qui persiste comme substratum de tous les arguments e t de toutes les controverses caractérisant l’histoire du Bouddhisme à travers l’Asie ? C’est cette vie même que les bouddhistes progressistes essaient de saisir. Par consCquent le fait de ne voir dans le Bouddhisme qu’un système de doctrines e t pratiques religieuses fondées par le Bouddha lui-même est une conception qui n’est pas tout à fait compatible avec la vie et l’enseignement du Bouddha, car cet enseignement est plus que cela, et comprend panni ses éléments constituants les plus importants toutes les expériences et spéculations des disciples du Bouddha, en particulier sur la personnalité de leur maître et ses rapports avec sa propre doctrine. Le Bouddhisme n’est pas sorti tout armé du cerveau du Bouddha, comme Pallas Athénê du cerveau de Zeus. La théorie d’un Bouddhisme parfait dès le début est une vue statique, qui sépare la doctrine de sa croissance continuelle e t incessante. Notre expérience religieuse transcende les limitations du temps e t son contenu en expansion perpétuelle exige une forme plus
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vitale, qui croîtra sans se faire violence à elle-même. Dans la mesure oh le Bouddhisme est une religion vivante et non pas une momie historique bourrée de matériaux morts et dénués d‘utilité, il doit être capable d’absorber et d‘assimiler tout ce qui vient en aide à sa croissance. C‘est ce qu’il y a de plus naturel pour n’importe quel organisme doué de vie. Et cette vie peut être discernée sous des formes et des interprétations divergentes. D’après les étudiants du Bouddhisme pdIi et de la littérature Agama, tout ce qu’expose le Bouddhisme, en fait d’enseignement systématique, semble Ctre résumé par la Quadruple Noble Vérité, les Douze origines interdépendantes, la Voie de la vie juste aux huits embranchements, enfin la doctrine du Non-ego (an-âtman) et du Nirvâna. S’il en est ainsi, ce que nous appelonsBouddhisme primitif était quelque chose de tout à fait simple, lorsqu’on tient compte de son seul aspect doctrinal. 11n’y avait dans cette doctrine rien qui pût annoncer qu’elle élaborerait plus tard cette structure magnifique connue sous le nom de Bouddhisme et comprenant le Hînayâna et le Mahâyâna. Lorsque nous désirons comprendre à fond le Bouddhisme, nous devons plonger jusqu’aux profondeurs oh repose son esprit vivant. Ceux qui se contentent d’une vue superficielle de son aspect dogmatique risquent de laisser s’échapper l’esprit qui expliquera dans sa vérité la vie intérieure du Bouddhisme. Pour certains des disciples immédiats du Bouddha, ce qu’il y avait de plus profond dans son enseignement ne sut pas susciter leur intérêt, ou bien ils ne furent pas conscients des véritables forces spirituelles qui les portaient vers leur Maître. Nous devons regarder plus profondément si nous désirons entrer en contact avec l’élan vital en perpb tuelle croissance du Bouddhisme. Quelque grand que fût le Bouddha, il ne pouvait transformer un chacal en lion, pas plus qu’un chacal ne pouvait s’élever audessus de sa nature bestiale pour comprendre le Bouddha. Ainsi que le dirent plus tard les bouddhistes, seul
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un Bouddha comprend un autre Bouddha; lorsque notre vie subjective n’est pas élevée au même niveau que celle du Bouddha, bien des choses qui contribuent à la vie intérieure de cet Être de perfection nous échappent : nous ne pouvons pas vivre dans un autre monde que le nôtre (1). Par conséquent si les bouddhistes primitifs ont seulement lu dans la vie même de leur Maître ce qu’ils en ont relaté dans leurs écrits, e t ne sont pas aiiés au-delà, cela ne prouve pas que tout ce qui appartient au Bouddha ait été ainsi épuisé. I1 y eut probablement d’autres bouddhistes qui pénétrèrent plus profondément dans sa vie, parce que leur conscience intérieure était plus riche. L‘histoire de la religion devient donc l‘his( 1 ) Cela fut parfaitement compris par le Bouddha lui-même lorsqu’il atteignit pour la première fois l’Illumination ; il savait ue ce qu’il réalisait dans son état d‘Illumination ne pouvait (&tre imparti aux autres, et que si cela leur était imparti ils ne pourraient pas le comprendre. C’est pour cette raison qu’au début i1 exprima le désir d’entrer en Nirvâna sans essayer de mettre en mouvement la Roue du Dharma. Dans l’un des Sûtras de l’école Agama de littérature bouddhique, le Sntra sur la Cause et 1’Eflet dans le passé et le présent, nous lisons ceci : Les vœux que je formulai à l’origine sont exaucés, le Dharma (ou la Vérité) que j’ai atteint est trop profond pour qu’on le comprenne. Un Bouddha seul est capable de comprendre ce qui est dans l’esprit d‘un autre Bouddha. Dans cet âge des Cinq souillures (pancha-kashâyds), tous les êtres sont enveloppés dans l’avidité, la colère, la folie, la fausseté, l’arro ance et la flatterie ;ils ont peu de vertus, ils sont enfoncés dans ?a stupidité et n’ont aucune compréhension pour saisir le Dharma que j’ai atteint. Même si je fais tourner la Roue du Dharma, leurs esprits seront certainement induits en confusion et incapables de l’accepter. Au contraire ils se laisseront peut-être aller à la diffamation, et, tombant ainsi dans les sentiers du mal, ils souffriront toutes sortes de maux. I1 est donc preferable que e reste muet et que j’entre dans le Nirvâna. n Dans le SCitra sur l’histoire de la discipline, qui est considéré comme une traduction antérieure du texte précédciit et fut traduit en chinois par un étudiant bouddhiste, Ta-li, et un Tibétain, hiang-Siang (en 197 après J.-C.), on ne parle pas encore de la résolution prise par le Bouddha de garder le silence sur son Illumination, sinon pour indiquer que ce qu’il atteignit fut la connaissance absolue, au-delà de l’entendement, inexplicable, car sa hauteur ne pouvait être gravie, sa profondeur ne pouvait être sondée, une doctrine qui contenait en elle l’univers entier tout en pénétrant dans I’impbnétraùle. (Cf. le Aiahâpndânn Suffunta [Dfgha-Xikdya XIV] et I’tlriyapuriyesana Suttam [illajjhiina X X V l ] ) . (I
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toire de notre propre évolution spirituelle. Le Bouddhisme doit, pour ainsi dire, être considéré biologique ment et non pas mécaniquement. Lorsque nous prenons cette attitude, il n’est pas jusqu’à la doctrine des Quatre Nobles Vérités qui ne devienne pleine de vérités plus profondes encore. Le Bouddha n’était pas un métaphysicien et il évita tout naturellement de discuter de sujets strictement théoriques e t sans répercussion pratique sur la réalisation du Nirvâna. I1 aurait pu avoir ses conceptions particulières sur les problèmes philosophiques qui absorbaient à cette époque l’esprit des hindous. Mais pour lui aomme pour les autres chefs religieux, l’intérêt primordial était dans le résultat pratique de la spéculation e t non dans la spéculation en soi. I1 était trop occupé,à essayer de libérer la chair de la flèche empoisonnée qui l’avait transpercée pour avoir le moindre désir de rechercher l’histoire, l’objet e t la constitution de la flèche ; la vie était trop courte pour cela. I1 prit donc le monde tel qu’il était, c’est-à-dire qu’il l’interpréta tel qu’il apparaissait à sa vision religieuse intérieure, et d’après sa propre évaluation. I1 n’avait nulle intention d‘aller plus loin. I1 donna à sa façon d‘étudier le monde e t la vie le nom de Dharma, terme très général e t flexible, que d‘ailleurs le Bouddha n’était pas le premier à avoir employé, car il avait été utilisé quelque temps avant son message, principalement au sens de rituel e t de loi, mais c’est le Bouddha qui lui donna une plus profonde signification spirituelle. Que le Bouddha eût l’esprit pratique e t non métaphysique, c’est ce que l’on peut voir dans la critique que ses adversaires lancèrent contre lui : a On trouve toujours Gautama assis, seul, dans une pièce vide ;aussi a-t-il perdu toute sagesse Shâriputra lui-même, son plus sage et son meilleur disciple, est comme un bébb, stupide et dépourvu de la moindre éloquence (1). 1) C’est
...
(l)
Voir Sarnycikta Agama (chinois), fax. XXXII.
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là que réside cependant la semence d‘un développement ultérieur. Si le Bouddha s’était adonné aux théories, on n’aurait jamais pu compter sur une croissance de son enseignement. La spéculation peut être profonde et subtile, mais si elle ne contient aucune vie spirituelle, ses possibilités sont bien vite épuisées. Le Dharma arrivait à une maturité toujours plus parfaite, car ii était mystérieusement créateur. Le Bouddha avait évidemment une conception tout h fait pra-matique de l’intellect ;il laissa sans les résoudre de nombreux problèmes philosophiques, considérant qu’ils n’étaient pas nécessaires pour atteindre le but final de la vie. Ce fut pour lui tout à fait naturel. Tant qu’il vécut parmi ses disciples, ii fut la vivante illustration de tout ce qu’impliquait sa doctrine. Le Dharma fut manifeste en lui dans tous ses aspects vitaux, et point ne fut besoin de s’attarder à-de vaines spéculations sur le sens ultime de concepts tels que Dharma, Nirvâna, Atman, Karma, Bodhi (Illumination), etc. La personnalité du Bouddha était la clef qUi donnait accès à la solution de tous ces concepts. Les disciples ne se rendirent pas complètement compte de Ia signification de ce fait. Lorsqu’iis pensaient comprendre le Dharma, ils ignoraient qu’en fait cette compréhension consistait à prendre refuge dans le Bouddha. Sa présence avait comme un effet pacifiant et efficace sur n’importe quelle angoisse spirituelle qu’ils pussent éprouver; ils avaient comme le sentiment d’être en sécurité dans les bras d’une mère pleine d’amour et de consolation : c’est ce qu’était réellement le Bouddha pour eux (1). Par conséquent ils n’éprouvaient nul be(*) Que la personnalité du Bouddha fût un objet d’amiration et de dévotion autant, ou peut-être plus, que ses prodigieux attnbuts intellectuels, c’est ce que Yon peut perce.voir dans toute la littérature Agama. En voici un 011 deux exemples : a Lorsque Subha-DlânavatTodeyyaputta vit 1’Étre de Bénédiction assis dans le bois, le brahmane fut frappé de la magnifique sérénité de sa personne, qui brillait d’un incomparable éclat comme la lune parmi les étoiles ; ses traits étaient parfaits, radieux comme une montagne d‘or ;sa dignité était majestueuse, avec tous les sens
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soin d'insister énormément auprès du Bouddha pour qu'il les éclairât sur beaucoup de problèmes philosophiques dont ils auraient pris conscience. A cet égard ils se résignaient facilement au refus que leur opposait le Bouddha de les introduire au cceur de la métaphysique. Mais en même temps cet état de fait laissa plus tard aux bouddhistes toute latitude pour développer leurs propres théories, non seulement sur l'enseignement du Bouddha, mais en particulier sur le rapport entre cet enseignement e t sa personnalité. L'entrée du Bouddha dans le Nirvâna signifia pour ses disciples la perte de la LiiniiCre du Monde (l), par parfaitement maîtrisés, si tranquille, si libérée de tous les nuages de la passioii, dans un calme si absolu, avec son esprit soiiniis et calmement discipliné. D (L'Againa du niilieii, fasc. X S S V I I I ) . Cette admiration de la personnalité du Bouddha évolua plus tard en une déification de son être, et l'on supposa qu'on serait A l'abri de tous les maux physiques e t inoraux si l'on pensait à lui e t A ses vertus. a Lorsque ceux qui ont pratiqué de mauvaises actions avec leur corps, leur bouche ou leur esprit, penseront aux mérites du Tatlitîgata au moment de leur iiiort, ils seront préservés des trois voies mauvaises et renaftroiit daiis les cieux ; les plus vils eux-mêmes renaltront dans les cieux (Elcoffara-Agama, fasc. XXXII). a Oii que le Shraniana Gautama apparaisse, auciin esprit du mal, aucun démon ne peuvent l'approcher ; invitons-le donc ici et tous ces dieux du mal (qui nous ont harcelés) s'enfuiront I) (loc. cif.). Il était tout à fait iiaturel pour les bouddhistes d'avoir fait plus tard du Bouddha le premier objet de concentration des pensées (srnriti), qui, selon eux, empecherait leur esprit de s'égarer et les aiderait à atteindre le but finai de la vie bouddhique. Ces citations démontrent nettement que si d'une part l'eiiseignement du Bouddha était accepté par ses disciples comme le Dharma, parfait au début, parfait au miliru et parfait à la fin, d'autre part sa personne était considérée comme emplie de pouvoirs niiraciileux et de vertus diviiies, si bien que sa seule priseiice suffisait à créer i'atmosphère la plus favorable, non seulement spirituellement, mais même niatPrieilement. ( I ) Lorsque le Bouddha entra dans le Nirvana, les nioines cri6rcnt : a Le Tathâgata a disparu trop tût, trop tût Celui qui est honoré par le Monde a disparu, trop tôt la grande Loi est morte ; tous les êtres sont à jamais abandonnes à la misère ; car YCEil du Monde a disparu. B Leurs lamentations dipassaient toute description, üs restaient étendus sur le soi tels des arbres dont les racines, les troncs, les braiiches sont arrachés et brisés en morceaux, ils se roulaient et se tordaient sur le sol comme un serpent blessé à mort. De telles ex ressions excessives de désespoir étaient bieii iiaturellcs pour ces iouddhistes dont le cccur &ait
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laquelle ils avaient obtenu une vision si lumineuse. Le Dharma leur restait, ils essayèrent d’y voir le Bouddhisme, ainsi que leur Maître le leur avait enjoint, mais le Dharma n’exerçait plus sur eux comme auparavant cet effet vitalisant. La Fraternité observa régulièrement les préceptes moraux codifiés dans un certain nombre de régles, mais le prestige qui émanait de ces rhglements pour les imposer aux disciples leur échappait un peu. Ils se retirèrent dans une sorte de quiétisme e t méditèrent sur l’enseignement du Maître, mais la méditation n’était plus aussi vitalisante et efficace, car ils étaient toujours assaillis par des doutes, e t tout naturellement ils revenaient à leur activité intellectuelle. Dorénavant il fallait donc tout expliquer jusqu’à l’extrême limite des facultés de raisonnement. Le métaphysicien commença à s’affirmer en face de la dévotion du disciple simple de cœur. Ce qui avait été accepté du Bouddha comme une injonction revêtue d’autorité devait dorénavant être étudié comme un sujet de discussion philosophique. Deux factions étaient prêtes à s’affronter ; le radicalisme était opposé à l’esprit conservateur. Entre ces deux ailes extrêmes évoluaient des écoles de diverses tendances. Les sthaviras étaient aux prises avec les mahâsanghikas, tandis que vingt écoles différentes e t plus encore représentaient les diverses nuances Nous ne pouvons pas, cependant, exclure du corpus bouddhique toutes les vues divergentes sur le Bouddha et son enseignement, comme s’il s’agissait d’un apport étranger qui n’appartiendrait pas aux éléments constituants du Bouddhisme. Ces diverses vues en effet sont exactement ce qui sert de support au cadre du Boud-
e).
tourné plus vers la personnalité de leur maître que vers ses enseignements sages et rationnels. Cf. le Parinibbbnd-S[illanfa pAli. (l) Pour un compte rendu plus ou moins détaillé des diverses écoles bouddhiques qui surgirent dans les quelques siècles qui suivirent le Bouddha, voyez le Samayabhedô-parachana-chakra de Vasuinitra. Le Professeiir Souisaï Founahaslii a publé réceminent un exellent commentaire sur cc livre.
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dhisme, et sans elles le cadre lui-même serait une nonentité absolue. L’erreur où tombent la plupart des critiques de n’importe quelle religion dont l’existence a connu un long développement historique consiste à la concevoir comme un système complet qu’il faut accepter comme tel, alors qu’en réalité n’importe quel fait organique et spirituel et nous considérons la religion comme telle - n’a pas de forme géométrique qu’on puisse dessiner sur le papier avec la règle ou le compas. La religion se refuse à être définie objectivement, car ce serait fixer une limite à la croissance de son esprit. Par conséquent apprendre ce qu’est le Bouddhisme,’ c’est pénétrer dans la vie du Bouddhisme et la comprendre de l’intérieur, car elle se déroule objectivement dans l’histoire. La définition du Bouddhisme doit donc être a la force vitale qui pousse dans son évolution un mouvement spirituel appelé Bouddhisme ». Toutes ces doctrines, controverses, gloses, interprétations, qui furent exposées après la mort du Bouddha sur sa personne, sa vie et son enseignement représentent ce qui constituait essentiellement la vie du Bouddhisme hindou. Sans elles il ne saurait y avoir une activité spirituelle connue mus le nom de Bouddhisme. En un mot, ce qui constitua la vie et l’esprit du Bouddhisme n’est pas autre chose que la vie intérieure et l’esprit du Bouddha lui-même ; le Bouddhisme est la structure érigée autour de la conscience profonde de son fondateur. Le style et les matériaux de la structure extérieure peuvent varier à mesure que l’histoire évolue, mais le sens intérieur de la a nature de Bouddha n, qui soutient tout l’édifice, reste à jamais le même, et à jamais vivant. Alors qu’il était sur terre, le Bouddha essaya de rendre ce sens intérieur intelligible selon les capacités de compréhension de ses disciples immédiats, c’est-à-dire que ceux-ci firent de leur mieux pour comprendre le sens profond des divers discours oh leur maître montrait la voie vers la libération finale. Ainsi qu’on nous le dit, le Bouddha discourut a avec une
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seule voix )) (I), mais son message fut in€erprété e t compris par ceux qui le suivirent de toutes sortes de façons aussi nombreuses que possible. C’était inévitable, car chacun de nous posséde sa propre expérience intérieure, qu’il lui faut expliquer dans des termes créés par lui-même, e t qui varient naturellement en profondeur et en étendue. Pourtant, dans la plupart des cas, 3 se peut que ces prétendues expériences intérieures de chacun ne soient pas assez profondes et puissantes pour exiger une phraséologie absolument originale, et puissent se contenter de nouvelles interprétations des anciens termes, autrefois mis en circulation par un maître spirituel créateur d’une doctrine. C‘est ainsi que toute grande religion historique s’enrichit dans son contenu ou ses idées au cours de son évolution. Dans certains cas, cet enrichissement peut aller jusqu’à submerger les superstructures, ce qui aboutit à l’ensevelissement complet de l’esprit qui vivait à l’origine. C’est là qu’on a besoin d’un jugement critique, mais par ailleurs nous ne devons pas oublier de reconnaître le principe vivifiant encore actif à l’intérieur. Dans le cas du Bouddhisme, nous ne devons pas négliger de lire la vie intérieure du Bouddha lui-même, qui s’impose à l’attention dans l’histoire du système religieux désigné d‘après son nom. Lorsque ceux qui suivent le Zen prétendent qu’ils transmettent l’essence du Bouddhisme, ils se fondent sur leur conviction que Ie Zen détient l’esprit vitalisant du Bouddha, une fois dépouillé de tous ses rev& tements historiques et doctrinaux.
(I)
Voir le Sukhffuafi-uyGha(édité par Max Mtiller et B. Nanjio)
OUnous lisons (p. 7) : E Buddha-svaro ananta-glioshah a, c’est-à-dire
a la voix du Bouddha a des sons infinis a. Voir dgalement dans le Saddharma-pundarîka-sGfra (p. 128) : a Suarena chaikena UQddmi dharmam D, u Je prêche la loi avec une seule voix D. De même les mahâyânistes connaissent bien la parabole de l’eau qui n’a qu’un seul goût (eka-rasam uffri)et qui produit des herbes, des arbrisseaux et d‘autres végétaux.
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PROBLOMES
VITAUX DU BOUDDHISME
Pour les premiers bouddhistes, le problème ne se présentait pas sous cet angle ; c’est-à-dire qu’ils ne se rendaient pas compte de ce fait que le point central de toutes leurs discussions dogmatiques et de leurs controverses était d’évaluer exactement la vie intérieure réelle du Bouddha, qui constituait leur foi active dans le Bouddha e t son enseignement. Sans savoir exactement pourquoi, ils éprouvèrent tout d’abord, après la disparition du Bouddha, un puissant désir d’échafauder des théories sur la nature de sa personnalité. I1 leur était impossible de réprimer le cri constant, plein d’insistance, de ce désir qui débordait du secret de leur cœur. Qu’est-ce qui constituait 1’ a état de Bouddha a ? Quelle en était l’essence? De telles questions les assaillaient l’une après l’autre, e t parmi elles certaines se détachèrent avec un relief spécialement accusé, car elles présentaient un intérêt plus particulièrement vital : c’étaient celles qui se rapportaient à l’Illumination du Bouddha, à son entrée dans le Nirvana, à sa vie précédente comme Bodhisattva (être humain capable d’atteindre l’Illumination) et à son enseignement envisagé d’après la façon dont ils comprenaient le Bouddha. C’est ainsi que cet enseignement cessa d‘être considéré indépendamment de son auteur e t que la vérité f u t organiquement liée à la personnalité du Bouddha ; il fallait croire au Dharma parce qu’il était l’incorporation même de 1’ état de Bouddha )I, e t non pas nécessairement parce qu’il était logiquement cohérent ou philosophiquement soutenable. Le Bouddha était la clé qui ouvrait l’accès à la vérité du Bouddhisme. Lorsque l’attention se centre ainsi sur la personne du Bouddha comme auteur du Dharma, la question de son expérience intérieure connue sous le nom d’Illumination devient la plus vitale de toutes. Sans cette expérience le Bouddha ne pourrait être appelé un Bouddha ;
Quelques problèmes uifarix
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en fait ce terme de Bouddha », l’Illuminé, f u t créé par lui. Si un homme comprend ce qu’est l’Illumination ou en fait réellement l’expérience en soi, il connaît intégralement le secret de la nature surhumaine du Bouddha, et, par là, il résout aussi l’énigme de la vie et du monde. L’essence du Bouddhisme doit donc résider dans la doctrine de l’Illumination parfaite. Dans l’esprit illuminé du Bouddha étaient bien des choses qu’il ne divulgua, ni ne pouvait divulguer à ses disciples. Lorsqu’il refusait de répondre à des questions métaphysiques, ce n’est pas que l’esprit des questionneurs fût insufisamment développé pour comprendre pleinement ce qu’elles impliquaient, mais si les bouddhistes désiraient réellement connaître leur maître et son enseignement, il leur fallait étudier les secrets de l’Illumination. Lorsqu’ils n’eurent plus de maître vivant, il leur fallut résoudre les problèmes par eux-mêmes s’ils le pouvaient, et ils n’étaient jamais las d’exercer leur ingéniosité intellectuelle sur ces problèmes. C’est alors qu’on avança diverses théories, et que le Bouddhisme s’enrichit dans son contenu ; il en vint à refléter quelque chose qui possédait une valeur éternelle en dehors du simple enseignement personne1 d’un être. I1 cessa d’être quelque chose de simplement historique pour devenir un système à jamais vivant, en pleine croissance, et générateur d’énergie. Divers Sûtras et Shâstras mahâyânistes furent créés pour développer divers aspects du contenu de l’Illumination, telle que le Bouddha l’avait réalisée. Certains étaient d’ordre spéculatif, d’autres étaient mystiques, d’autres encore éthiques et pratiques. Dans l’idée de l’Illumination se trouvait donc concentrée toute la Densée bouddhique. Le Nirvâna comme idéal de la vie bouddhique attira ensuite 1% profonde attention des philosophes bouddhistes. Etait-ce une annihilation de l’existence, ou bien des passions ou des désirs, ou bien l’extinction de l’ignorance, ou bien enfin un état sans ego? Le Boud-
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dha en ha-t-il réellement dans un état d’extinction absolue, laissant à leur destin tous les êtres animés? L’amour qu’il témoigna à ses disciples s’était-il évanoui avec sa disparition ? N’allait-il pas revenir au milieu d’eux, pour les guider, les éclairer, prêter l’orcille à leur angoisse spirituelle? La valeur d’une personnalité si puissante que le Bouddha ne pouvait périr avec son existence physique ; elle devait, pensaient les philosophes, rester avec nous comme éternellement valable. Comment pouvait-on concilier cette notion avec la théorie du Nirvâna conçu comme annihilation, si répandue parmi les disciples directs du Bouddha? Lorsque l’histoire vient à contredire notre concept des valeurs, ne peut-elle être interprétée à la satisfaction de nos aspirations spirituelles ? Qu’est-ce que l’autorité objective des (( faits )) si elle n’est pas appuyée par une autorité fondée sur des vérités intérieures? C’est alors que les textes mahâyânistes exposèrent diverses interprétations sur ce qu’on pouvait faire entrer dans la notion du Nirvâna et d’autres conceptions parentes de celle-là, qu’on trouve dans l’enseignement (( originel D du Bouddha (l). Quel est le rapport entre l’Illumination e t le Nirvâna? Comment les bouddhistes en sont-ils venus à réaliser l’état d’Arhat? Qu’est-ce qui leur donna la preuve qu’ils avaient atteint cet état? L’Illumination d’un Arhat est-elle la même que celle d’un Bouddha? Répondre à ces questions e t à mainte autre étroitement liée avec elles, telle fut la tâche imposée à diverses écoles de Bouddhisme hînayâniste e t mahâyâniste. (l) LB nous trouvons la justification d’une interprétation a mystique B des livres sacrés de toute religion. La doctrine swedenborgienne de la Correspondance devient ainsi lumineuse. La hilosophie du mysticisme Shingon reflkte aussi en quelque sorte idée de correspondance, encore qu’elle soit naturellement fondée sur une catégorie toute différente d’idées philosophiques. Des diversités d‘iuterprétation sont toujours possibles partout, non seulement en raison de la présence de l’élément subjectif dans chaque jugement, mais à cause des complications infinies des rapports objectifs.
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Quelqiies problèmes vifaux
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Tout en argumentant avec vigueur, elles n’oublièrent jamais cependant qu’elles étaient toutes bouddhistes, et, quelles que fussent les interprétations qu’elles donnérent à ces problèmes, elles restèrent fidèles à leur expérience bouddhique. Fermement attachées au fondateur de leur religion, elles souhaitèrent seulement d‘entrer en intimité. profonde avec la foi e t l’enseignement qui furent promulgués par le Bouddha. Certaines d’entre elles, de nature plus conservatrice, désiraient se plier à la façon orthodoxe e t traditionnelle de comprendre le Dharma ; mais, comme dans tout domaine de la vie humaine, il en était d’autres pour qui l’expérience intérieure avait une plus grande importance, et pour l’harmoniser avec l’autorité traditioiinelle, elles recoururent à la métaphysique jusqu’à ses ultimes limites. Leurs efforts étaient sans le moindre doute, honnêtes et sincères, e t lorsqu’elles pensaient résoudre ainsi les difficultés ou les contradictions, elles en avaient la conviction tant intérieure qu’intellectuelle. En fait elles n’avaient pas d’autres moyens de sortir de l’impasse spirituelle où elles se trouvaient engagées par la croissance naturelle e t inévitable de leur vie profonde. C’était la voie que le boudhisme devait suivre dans son développement, s’il n’avait jamais eu en lui un principe de vie. Alors que l’Illumination e t le Nirvâna étaient en rapport étroit avec la conception même de 1’ u état de Bouddha »,il y avait une autre idée de grande importance pour le développement du Bouddhisme, et qui bien cependant n’avait aucun lien direct apparent qu’il n’en f û t pas de même dans sa signification ultime avec la personnalité du Bouddha. Cette idée se révéla tout naturellement comme la plus fructueuse dans l’histoire des dogmes bouddhiques, parallèlement aux doctrines de l’Illumination e t du Nirvâna. I1 s’agit de la doctrine du non-Atman, qui nie l’existence d’un ego réel dans notre vie psychique. Alors que la notion de l’Atman était prépondérante clans le mental des hindous, c’était une grande hardiesse de la part du Bouddha que
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de considérer cet Atman comme la source de l’ignorance
et de la transmigration. La théorie de l’origine de l’ausion (pratifya-samutpâda), qui semble constituer la fondation même de l’enseignement du Bouddhisme, trouve ainsi finalement sa solution dans la découverte d’un u intrigant 1) malicieux qui travaille derrière toute notre incessante inquiétude spirituelle. Quelle que fût l’interprétation qu’on donnait à la doctrine du nonAtman dans les premiers temps du Bouddhisme, cette idée en vint à s’étendre également aux objets inanimés. Non seulement il n’y avait aucune ego-substance derrière notre vie mentale, mais il n’y avait pas d’ego dans le monde physique, ce qui signifiait qu’en réalité nous ne pouvons séparer l’action de l’acteur, la force de la masse, ou la vie de ses manifestations. Dans le domaine de la pensée, nous pouvons considérer ces deux paires de conceptions comme se limitant l’une l’autre, mais dans la réalité des faits elles doivent toutes être une seule et même chose, car nous ne pouvons imposer notre façon logique de penser à la réalité dans son état concret. Lorsque nous transférons cette séparation du domaine de la pensée dans celui de la réalité, nous rencontrons maintes difficultés non seulement intellectuelles, mais morales et spirituelles, qui nous feront souffrir plus tard d’indicibles angoisses. C’est ce que sentit le Bouddha et il nomma tout cela Ignorance (auidyâ). La doctrine mahâyâniste de la shûnyatâ en fut la conclusion naturelle. Nul besoin de faire remarquer ici que cette théorie n’est pas nihiliste ou u acosmique n, mais qu’elle a son arrière-plan positif qui la soutient e t lui donne vie. I1 était dans l’ordre naturel de la pensée que les bouddhistes essayassent de trouver une explication philosophique de l’Illumination et du Nirvâna dans la théorie du non-Atman ou shûnyatâ, en déployant toute leur puissance intellectuelle et à la lumière de leur expérience spirituelle. Ils découvrirent finalement que l’ Illumination n’est pas quelque chose qui appartient exclusivement au Bouddha, mais que chacun de nous peut l’at-
Quetques problèmes vitaux
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teindre s’il se libère de l’ignorance en abandonnant la conception dualiste sur la vie e t le monde ;ils conclurent en outre que le Nirvâna ne se fonde pas sur un état de non-existence absolue, qui est une impossibilité, aussi longtemps que nous avons à tenir compte des faits positifs de la vie, e t que ce Nirvâiia, dans sa signification ultime, est une afirmation au-delà des opposés de tous genres. Cette compréhension métaphysique du problème fondamental du Bouddhisme marque les traits essentiels de la philosophie mahâyâniste. Quant à son aspect pratique, où la théorie de la shûnyatâ e t celle de l’Illumination sont harmonieusement unies e t réalisées dans la vie, où les bouddhistes tâchent de pénétrer dans la conscience intérieure du Bouddha telle qu’elle lui fut révélée sous l’arbre de la Bodhi, nous y reviendrons dans l’essai suivant. Presque tous ceux qui, au Japon, ont approfondi le Bouddhisme sont d’accord sur ce point que toutes ces idées caractéristiques du Mahâyâna peuvent être suivies systématiquement dans la littérature hînayâniste e t que toutes les nouvelles interprétations e t transformations que les niahâyânistes sont supposés avoir introduites dans le Bouddhisme originel ne sont en réalité qu’une continuation ininterrompue d’un esprit et d’une vie bouddhiques des premiers temps ; ils reconnaissent également que même le Bouddhisme soi-disant primitif, tel qu’il est exposé dans les canons pâlis e t les textes Agama du Tripitaka chinois, résulte aussi d’un travail d’élaboration accompli par les premiers disciples du Bouddha. Si le Mahâyâna n’est pas IeBouddhisme exact, il en est de même du Hînayâna, pour cette raison historique que ni l’une ni l’autre de ces branches ne représente l’enseignement du Bouddha tel que le Maître lui-même le precha. A moins qu’on ne limite très étroitement l’emploi du terme de Bouddhisme en le restreignant uniquement à une certaine forme de cette doctrine, nul ne peut vrai-
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ment refuser de faire entrer sous la même dénomination, aussi bien le Mahâyâna que le Hinayha. Et, à mon avis, si l’on tient compte du rapport organique entre le système e t l’expérience, et du fait que l’esprit du Bouddha lui-même est présent dans tous ces systèmes, il convient que le terme de Bouddhisme soit employé dans un sens large, générai et profond. Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail des r a p ports organiques entre le Hinayâna et le Mahâyâna, car le but de cet essai est de tracer le cours du dévelop pement suivi par le Bouddhisme Zen avant qu’il ait atteint sa forme actuelle. J’ai simplement esquissé mon attitude à l’égard de la définition du Bouddhisme e t du Mahâyâna en général comme manifestation de la vie e t de la pensée bouddhiques, ou pliitdt del’expérience intérieure du Bouddha lui-même ; la nouvelle étape consistera à savoir où réside la source du Zen e t comment il est l’un des successeurs et transmetteurs légitimes de l’esprit du Bouddha. LE Z E N ET L’ILLUMINATION
L‘origine du Zen, ainsi que toutes les autres formes du Bouddhisme, doit être recherchée dans la Suprême Illumination Parfaite (anu~tara-samyak-sambodh~ atteinte par le Bouddha alors qu’il était assis sous l’arbre de la Bodhi, près de la cité de Gayâ. Si cette Illumination est dénuée de valeur e t de signification pour le développement du Bouddhisme, le Zen n’a rien à voir avec le Bouddhisme, et constitue une doctrine entièrement différente, créée par le génie de Bodhidharma, qui visita la Chine au début du VI^ siècle. Mais si l’Illumination est la raison d’être du Bouddhisme, en d’autres termes, si le Bouddhisme est un édifice construit sur la solide base de l’Illumination que réalisa le Bouddha e t qui transforma son être, le Zen est le pilier central sur quoi repose toute la structure, il cons-
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titue la ligne directe de la tradition issue de l'esprit du Bouddha après son Illumination. Traditionnellement, on considere que le Zen a été transmis par le Bouddha à son disciple le plus avancé, Maliâkâshyapa, lorsque le Bouddha présenta un bouquet de fleurs à sa congré gation, geste dont le sens f u t immédiatement saisi par Mahâkâshyapa, qui répondit à son maître par un sourire calme. (1). L'historicité de cet incident a été mise en doute à juste titre, mais connaissant la valeur de l'Illumination, nous ne pouvons faire remonter uniquement à un tel épisode l'autorité du Zen. En fait le Zen ne f u t pas seulenient transmis à hlahâkâshyapa,mais à tous les êtres qui suivront les pas du Bouddha parvenu à i'Illumination. En véritable hindou, le Bouddha s'était donné comme but de méditation ascétique d'atteindre virnoksha (ou simplement rnoksha, la délivrance), par-delà les limitations de la naissance et de la mort. Plusieurs voies lui étaient ouvertes pour parvenir à ce but. D'après les philosophes brahmanes de l'époque, on pouvait faire mûrir le grand fruit de la délivrance en embrassant la vérité religieuse ou en pratiquant l'ascétisme ou la chasteté, ou en apprenant, ou bien enfin en se libérant des passions. Chacun de ces moyens était, dans son genre, excellent, e t si l'on savait les pratiquer séparément ou tous ensemble, il pouvait en résulter un certain degré d'émancipation. Mais les philosophes dissertaient sur les méthodes sans jamais donner un simple renseignement digne de foi sur leur véritable expérience spirituelle, et ce que le Bouddha voulait, c'était cette réalisation du soi, une expérience personnelle, une réelle vue intérieure de la vérité, e t non pas des ratiocinations sur les méthodes ou des jeux sur les concepts ("). Il détestait tous
('! Celte scène, d'une sobritté spirituelle si imposante, a été décrite par I'un des disciples d'un grand maître contemporain du Zen dans le roman Zenn (voir p. 25, note 1) (N. d. t.). Voir des Sûtras comme le Teuijja, Brahmajâla, etc. dans le Digha-Nikâya. Voir aussi le Sutta Nipâta, en particulier l'At-
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les raisonnements philosophiques, qu’il appelait ou darshana, car ils ne pouvaient le conduire nulle part ni lui apporter des résultats pratiques pour sa vie spirituelle. I1 ne fut jamais satisfait jusqu’à ce qu’il eût intérieurement réalisé la Bodlii comme la vérité immédiatement présente à sa conscience transcendantale, e t dont la nature absolue était si profondément intérieure, si convaincante par elle-même, qu’il ne pouvait éprouver le plus léger doute sur sa validité universelle. Le contenu de cette Illumination f u t expliqué par le Bouddha comme le Dharma qui devait être directement perçu (sanditthika) au-delà des limites du temps (a-kdlika), pour faire l’objet d’une expérience personnelle (ehi-passika), entièrement persuasive (opanayika) e t que les sages devaient comprendre en faisant chacun son expérience propre (paccatiam veditabbo viilfiuhi). Cela signifiait que le Dharma devait être saisi par l’intuition e t non pas obtenu analytiquement par la voie des concepts. La raison pour laquelle le Bouddha refusa si fréquemment de répondre à des problèmes métaphysiques était due en partie à cette conviction qu’on doit réaliser la vérité ultime en soi-même, par ses propres efforts (I), car tout ce qui peut être atteint par une compréhension discursive, c’est la surface des choses e t non pas les choses elles-mêmes, e t la connaissance par voie de concept ne donne jamais pleinement satisfacthakauagga, qui est l’un des plus anciens textes bouddhiques actuellement en notre possessioii. On nous y parie d‘ e ajjhoffashânfi n (paix intérieure) qu’on ne peut atteindre ni par la philosophie, ni ar la tradition, ni par les bonnes actions. (1) Que ye Bouddha n’ait jamais négligé d‘imprimer ses disciples cette idée que l’ultime vtrit6 devait être réalisée par soimême et en soi-même, c’est ce qu’on peut voir clairement dans tous les Agamas. Nous rencontrons partout des phrases de ce genre : u Sans dépendre $aucun autre, il crut, ou pensa, ou dissipa ses doutes, ou atteignit sa confiance en la Loi. D De cette détermination centrée sur soi découlait la conscience que les résultats des mauvaises action (âsrava) étaient interrompus ou épuisés, e t l’aboutissement suprême de cette ascése était l’état d‘Arhat, qui est le but de la vie bouddhique.
Le Zen et l‘illuminalion 73 tion à l’aspiration religieuse. L‘acquisition de la Bodhi ne peut provenir de l’accumulation de subtilités dialectiques. Telle est l’attitude adoptée par le Bouddhisme Zen à l’égard de ce qu’il considère comme la réalité définitive. Sur ce point le Zen suit fidèlement l’injonction du Maître. Que le Bouddha ait obtenu sur la nature des choses une vue intérieure d’un ordre bien plus élevé que celle qu’il aurait pu obtenir par raisonnement logique ordinaire, c’est ce dont on trouve partout la preuve, jusque dans la littérature dite hînayâniste. Nous n’en citerons qu’un exemple, emprunté au Brahmajâla-Sulfa, où le Bouddha traite de toutes les écoles hérétiques existant à son époque : invariablement, après les avoir réfutées, il renvoie ses disciples à la compréhension plus profonde qui, a se faufilant comme une anguille », dépasse les spéculations de ces écoles. Ce qu’elles discutent, juste pour l’amour de la discussion et pour montrer l’acuité de leur faculté analytique sur l’âme, la vie future, l’éternité, et autres sujets spirituels importants, ne produit pas le moindre bénéfice réel pour notre bien-être intérieur. Le Bouddha savait parfaitement où mèneraient en dernière analyse tous ces raisonnements, à et quel point ils étaient, tout compte fait, futiles e t malsains. Aussi lisons-nous dans le Brahmajâla-Sulla : Sur cela, Moines, le Tatliâgata sait que ces spéculations auxquelles on est ainsi parvenu, sur lesquelles on a ainsi insisté, auront tel ou tel résultat, tel et tel effet sur la condition future de ceux qui ont confiance en elles. Cela en vérité il le sait, et il sait aussi d’autres choses qui vont bien loin au-delà (des choses bien préférables à de telles spéculations) ;ayant cette connaissance il n’en tire nul orgueil, et ainsi, exempt de cette souillure, il a dans son propre cœur réalisé le moyen de s’en échapper, il a compris, dans leur réalité, la façon dont les sensations s’élèvent et disparsissent, leur goût savoureux, leur danger, e t commeqt on ne peut leur accorder confiance; et ne cherchant à saisir aucune de ces choses [dont les hommes ((
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sont avides], lui, le Tathâgata, est entièrement libéré (1). B L'idéal de l'état d'Arhat était sans aucun doute l'entrée dans le Nirvâna qui ne laisse rien derrière soi (unupâdhisheshu). Quel que puisse être le sens de cette expression, elle ne négligeait pas la signification de l'Illumination ; bien plus, elle ne pouvait la laisser de c8té sans mettre en danger sa propre raison d'existence. Car en son essence le Nirvâna n'est rien d'autre que l'Illumination ; le contenu de l'un et l'autre est identique. L'Illumination est le Nirvâna réalisé dans le cours même de la vie terrestre, et nul Nirvâna n'est jamais possible sans l'obtention préalable de l'Illumination. Celle-ci peut avoir en elle un aspect plus intellectuel que le Nirvâna- état psychique réalisé par le moyen de l'Illumination. Dans ce qu'on nomme le Bouddhisme primitif, on parle de la Bodhi tout autant que du Nirvâna. Aussi longtemps que les passions (kleshu) n'étaient pas domptées, et que le mental restait encore enseveli dans l'ignorance, nui bouddhiste ne pouvait entretenir l'espoir de jamais obtenir une rnolcsha (libération) qui est le Nirvâna, et cette libération de l'ignorance et des passions était l'œuvre de l'Illumination. On comprend généralement le Nirvâna sous son aspect négatif comme l'extinction totale de tout, corps e t âme, mais dans la réalité de la vie nulle conception négative de ce genre ne peut subsister, et le Bouddha n'avait jamais eu l'intention que le Nirvâna fût interprété ainsi. S'il n'y avait eu dans le Nirvâna aucun élément d'affirmation, les mahâyânistes n'auraient jamais pu en tirer ultérieurement une conception positive. Encore que les disciples immédiats de Bouddha n'en fussent pas conscients, la pensée du Nirvâna se trouvait toujours implicitement enfermée dans son enseignement. L'Illumination obtenue par le Bouddha, après une méditation d'une semaine SOUS l'arbre de la Bodhi, ne pouvait pas être un fait (I)
Les dialogues du Bouddha. Livres Sacrés des Bouddhistes,
vol. II, p. 29.
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75 vide de conséquences pour les k h a t s ses disciples, quene que fût la forme négative sous laquelle ceux-ci avaient tendance à appliquer ce principe à l’atteinte du but de leur vie. La véritable signification de l’Illumination f u t effectivement dégagée par les mahâyânistes, non seulement dans ses conséquences intellectuelles, mais encore dans ses répercussions morales et religieuses. I1 en résulta la conception de l’état de Bodhisattva, par opposition avec l’état d’Arhat, idéal de l’école rivale. En fait, 1’Arhat e t le Bodhisattva sont identiques en leur essence. Mais les mahâyânistes, percevant un sens plus profond dans l’Illumination, en tant qu’élément constituant le plus important dans l’atteinte du but final du Bouddhisme, qui est liberté spirituelle (chefo-uimutti), selon l’expression des Nikâyas, ne souhaitaient pas que cette Illumination opérât uniquement en eux-mêmes ; ils désiraient la voir réalisée en chaque être sensible e t même insensible. Non seulement c’était leur aspiration subjective, mais encore il y avait une base objective sur laquelle cette aspiration pouvait se justifier et trouver sa réalisation ;c’est la présence dans chaque individu d’une faculté désignée par les mahâyânistes sous le nom de prujnâ (1). C’est le principe qui rend l’Illumination possible en chacun de nous aussi bien que dans le Bouddha. Sans prajnâ il ne peut y avoir l’Illumination, qui est le plus haut pouvoir spirituel que nous puissions posséder. L’intellect, ou ce que d’ordinaire les étudiants du Bouddhisme connaissent sous le nom de uijnûna, est relatif dans son activité, et ne peut comprendre la vérité ultime, qui est l’Illumination. Et c’est grâce à (l) En fait le terme de prajnd, ou en pâli pannd, n’est pas une possession exclusive des mahâyânistes, car l’autre école bouddhiste rivale l’emploie égaiement. Cependant celle-ci n’a pas mis un accent spécial sur l’idée de l’Illumination et sa signification suprême dans le Bouddhisme ; en conséquence prajcd fut relativement négligée par les hînayânistes. Par contre le Mahâyânisme peut être désigné comme la religion de prajnâ par excellence. Cette faculté s’y trouve même déifiée et honorée avec un extrême respect.
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cette ultime vérité que l’on peut s’élever au-dessus du dualisme de la matière et de l’esprit, de l’ignorance et de la sagesse, de la passion et du non-attachement. L‘Illumination consiste en une réalisation. En ce sens nous sommes tous dès maintenant, sinon en fait, du moins en potentiel, des Bodhisattvas, des etres d’ Illumination. Les Bodhisattvas sont aussi prajnû-saifvas, car nous sommes universellement doués de prajnâ, qui, lorsqu’il œuvrera pleinement et vraiment, réalisera en nous l’Illumination, et intellectuellement (dans son sens le plus haut) nous soulèvera au-dessus des apparences, état désigné par les bouddhistes des cinq Nikâyas comme (( émancipation du mental ou de la raison (pannâ-uimutti ou sammad-annâ-uimuffi). Si, par la vertu de I’Illumination, Gautama f u t transformé en Bouddha, si donc tous les êtres sont doués de prajnâ et capables d’Illumination, c’est-à-dire s’ils sont aussi des Bodhisattvas, la conclusion logique en sera que les Bodhisattvas sont tous des Bouddhas ou destinés à devenir des Bouddhas, sitôt que les conditions suffisantes sont réalisées. De là cette doctrine du Mahâyâna que tous les êtres, sensibles ou insensibles, sont doués de la u nature de Bouddha », que notre esprit est l’esprit de Bouddha, notre corps le corps deBouddha. Le Bouddha, avant son Illumination, était un mortel ordinaire et, nous, mortels ordinaires, nous serons des Bouddhas au moment où notre œil mental (1) s’ouvrira dans l’Illumination. En cela ne voyons-nous pas clairement le développement le plus naturel et le plus logique qui mène à l’enseignement principal du Zen, tel qu’il s’est développé plus tard en Chine et au Japon? Combien vaste et intensive fut l’influence du concept de l’Illumination sur le développement du Bouddhisme du Maliâyâna, c’est ce que l’on peut voir dans la compo))
(1) Ce n’est pas autre chose que a l’ouverture de l’acil pur d u Dharma u (l’ail sur le Dharma s’est révélé sans poussières, delaché de souillures) dont parlerit frbquemmeiit les textes Agarnas lorsqu’uii être parvient à l’état d‘Arhat.
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sition du Saddharma-Pundarîka-Siifra,qui est réellement l’une des protestations mahâyânistes les plus profondes contre la conception hînayâniste de l’Illumination du Bouddha. D’après cette dernière, le Bouddha atteignit cette Illumination à Gayâ en méditant sous l’arbre de la Bodhi, car les membres de cette école considèrent le Bouddha comme un mortel semblable à eux, soumis comme eux aux conditions historiques et psychologiques. Mais les mahâyânistes ne purent se contenter d’une interprétation si réaliste et si conforme au sens commun, de la personnalité du Bouddha ; ils y virent quelque chose qui pénétra profondément dans leur cœur e t avec quoi ils désirèrent entrer immédiatement en contact. Ce qu’ils cherchaient leur fut finalement donné : ils trouvèrent que cette conception du Bouddha comme une âme ordinaire était une erreur, que le Tathâgata parvint à sa Suprême Parfaite Illumination a il y a plusieurs centaines de milliers de kotis d’aeons n, e t que tous ces N faits D historiques de sa vie que relèvent les littératures Agama ou Nikâya sont ses a habiles stratagèmes n (upâya-kaushalya) pour amener les créatures à leur pleine maturité, et les faire marcher sur la voie de Bouddha (l). En d’autres termes, cela signifie que l’Illumination est la raison absolue de l’Univers e t i’essence de 1’ (( état de Bouddha )), et que par conséquent obtenir 1’Illumination, c’est réaliser dans sa conscience intime l’ultime vérité du monde qui existe à jamais. Alors que le Pundurîku insiste sur l’aspect-Bouddha de l’Illumination, le Zen dirige essentiellement son attention sur l’aspect-Illumination de 1’ (( état de Bouddha n. Lorsqu’on en vient à considérer intellectuellement ce dernier aspect, on aboutit à la philosophie des bouddhistes dogmatiques qui est étudiée par les maîtres des écoles Tendai (f‘ien-fui), Kegon (auatarnsaka), Hosso (dharma-Iaksha) e t d’autres écoles (l) Voir par exemple le chap. xv intitulé u Durée de la vie du Tathâgata n.
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encore. Le Zen aborde cette question du côté pratique de la vie, c’est-à-dire qu’il vise à l’élaboration de 1’111~mination dans la vie elle-même. Étant donné que l’idée de l’Illumination a joué un rôle d’une telle importance dans le développement du Bouddhisme du Mahâyâna, quel en est le contenu? Pouvons-nous la décrire d’une manière intelligible, de façon que notre intellect analytique puisse la saisir et en faire un objet de pensée? Les Quatre Nobles Vérités n’étaient pas le contenu de I’Illumination, pas plus que la Chaîne des douze origines interdépendantes ou la Voie Juste aux huit embranchements. La vérité qui jaillit comme un éclair dans la conscience du Bouddha n’était pas une pensée susceptible de développements discursifs. Voici l’exclamation du Bouddha à cet instant suprême : u A travers la ronde sans fin des naissances et renaissances, Cherchant en vain, je me suis hâté Pour trouver celui qui a conçu l’édifice. Quelle misère! naître sans cesse! a O constructeur! J e t’ai découvert! Cette œuvre, t u ne la reconstruiras jamais! Toutes les poutres sont maintenant brisées Et le toit pointu gît sur le sol, démoli! Cet esprit a atteint la démolition Et vu la fin de tout désir ! n
e)
Le Bouddha dut, à ce moment-là, atteindre quelque chose de plus profond que la simple dialectique. I1 doit y avoir eu quelque chose d’intégralement fondamental et ultime qui calma instantanément ses doutes, e t non seulement ses doutes intellectuels, mais encore son angoisse spirituelle. E n effet les quarante-neuf années de sa vie active après I’ Illurnination furent des commentaires sur cette Illumination, e t cependant elles n’en épuisèrent pas le contenu ; pas p1.w q w les spéculations (l)
Dhammapadam, p. 153,154.
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ultérieures de Nâgârjuna, Ashvaghosha, Vasiibandhu et Asanga ne purent en donner une explication définitive. C’est pourquoi dans le Lankâvalâra l’auteur fait confesser au Bouddha que depuis son Illumination jusqu’a son passage dans le Nirvâna il n’a pas pronoricd un seul mot Par conséquent, malgré tous ses souvenirs et sa science, Ananda ne put sonder l’abîme de la sagesse du Bouddha, tandis que ce dernier était encore vivant. D’après la tradition, la réalisation de l’état d’Arhat par Ananda eut lieu au moment de la Première Réunion, à laquelle il ne fut pas autorisé à participer, bien qu’il eût consacré vingt-cinq ans à servir le Bouddha. Afiligé par cette exclusion il passa la nuit entiére à marcher delong en large dans un jardin et lorsque, à bout de forces, il était sur le point de s’étendre sur sa couche, soudain il réalisa en l’espace d’un éclair la vérité du Bouddhisme, qui lui avait échappé pendant tant d’années, malgré sa connaissance et sa compréhension. Qu’est-ce que cela signifie? Ce n’est évidemment point par l’érudition que l’on devient Arhat ; c’est après une application longue et ardue qu’on y parvient en un clin d’œil. La période préparatoire peut s’étendre sur une longue suite d’années, mais à un certain moment la crise éclate, instantanément, et l’on est un Arhat, ou un Bodhisattva, ou même un Bouddha. Le contenu de l’Illumination doit être tout à fait simple dans sa nature, et pourtant terrible dans ses effets. Ce qui revient à dire qu’intellectuellement il doit transcender toutes les complications qui résulteraient d’un exposé épistémologique ;et, psychologiquement, il doit être la reconstruction intégrale de toute la personnalité. Un fait fondamental tel que celui-là échappe naturellement à la des-
e).
(I) Lankd~nldru, chap. III, p. 144. Voir aussi chap. VII, p. 240. [Pour cette raison, ô Nahâmati, je vous dis : pendant le temps qui s’écoula entre la nuit de l’illumination du Tathâgata et la nuit de son entrée daris IC Nirrâna, pas un seul mot, pas une seule dkclaration ne furent doiiiiCs par lui.]
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cription ;il ne peut être saisi que par un acte d’intuition, au moyen de l’expérience personnelle. C’est réellement le Dharma dans son sens le plus haut. Si par le mouvement d’une seule pensée l‘Ignorance est entrée dans notre vie, l’éveil d’une autre idée doit mettre un terme à l’Ignorance et déterminer l’Illumination (l). Et dans cet état il n’existe plus d’idée qui serve d’objet à la conscience logique ou au raisonnement empirique ; car dans l’Illumination le penseur, ce à quoi l’on pense et la pensée sont fondus dans l’acte unique de voir en l’essence même du Soi. Nulle explication complémentaire du Dharma n’est possible ; de là l’appel à la voie négative. Et cette voie a atteint son apogée dans la philosophie de la Shûnyatâ de Nâgârjuna, qui est fondée sur l’enseignement de la littérature bouddhique de la Prajnâpâramitci. Aussi voyons-nous que l’Illumination n’est pas l’issue d’un processus intellectuel, où une idée suit l’autre dans un ordre logique aboutissant à une conclusion ou à un jugement. I1 n’y a dans l’Illumination ni processus ni jugement ; c’est quelque chose de plus fondamental, quelque chose qui crée une possibilité de jugement et sans quoi nulle forme de jugement ne peut se produire. Dans un jugement il y a un sujet et un prédicat ; dans l’Illumination le sujet est le prédicat, et le prédicat est le sujet ; ils sont fondus en un, non pas en un sur quoi l’on peut formuler quelque chose, mais en un dont naît le jugement. Nous ne pouvons aller plus loin que cet un absolu ; toutes les opérations intellectuelles s’arrêtent là ; lorsqu’elles essaient d’aller plus loin, elles tracent un cercle à l’intérieur duquel elles se répètent à l’infini. C’est le mur contre lequel toutes les philosophies se ((
))
(l) D’apr6s L’éveil de la Foi d’khvaghosha, 1’Ianorance signifie l’éveil soudain d’une pensée (chifto)dans la consc*lence. Cela peut être diversement interprété ; cependant aussi longtemps que l’Ignorance est conque, non comme un processus exigeant une certaine durée, mais comme un événement qui se produit instantanoment, sa disparition, qui est l’illumination, doit également être un événenient instantané.
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sont heurtées en vain. C’est une terra incognita intellectuelle, où prévaut le principe u Credo quia absurdum ». Pourtant cette région d’obscurité livre ses secrets lorsqu’elle est attaquée par la volonté, par la force de la personnalité tout entière d’un être. L’Illiimination consiste à éclairer cette sombre région ; toute la question se trouve alors embrassée d’un seul regard, et tous les problémes intellectuels y trouvent leur explication rationnelle. Jusqu’alors quelqu’un peut avoir été intellectuellement convaincu de la vérité d’une certaine proposition, mais cette vérité n’est pas encore entrée dans sa vie, en réalité elle n’a pas encore son ultime confirmation, et il ne peut s’empêcher d’éprouver un vague sentiment d’indétermination et de malaise. Puis 1’Illuinination tombe sur lui, d’une façon mystérieuse, sans avertissement préalable, et tout est résolu ; le voilà un Ahrat ou même un Bouddha. Les points ont été mis sur les yeux du dragon, ce n’est plus dorénavant une image sans vie, peinte sur une toile, mais les vents et les pluies sont ses serviteurs obéissants. I1 est tout à fait évident que l’Illumination n’est pas une conscience de l’acuité logique ou de la plénitude analytique, c’est quelque chose de plus qu’un sens intellectuel de la certitude décisive ; il y a en elle quelque chose qui absorbe tout le domaine de la conscience, non seulement en projetant une lumière sur toute la série des maillons soudes pour résoudre les problèmes de la vie, mais en donnant un sentiment de finalité à toute l’angoisse spirituelle qui fut toujours si troublante pour l’âme. L’enchaînement logique, quel que soit le soin avec lequel en furent ajustés les maillons et la perfection avec laquelle ceux-ci furent forgés en une seule chaîne, ne parvient point par lui-même à pacifier à fond notre âme. Nous avons besoin pour cela de quelque chose de plus fondamental ou de plus immédiat, et je soutiens que le seul fait de passer en revue les Quatre Nobles Vérités ou les Douze origines interdépendantes
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n’aboutit point à la réalisation de l’anidfara-samyakLe Bouddha doit avoir expérimenté quelsambodhi que chose qui pénétra beaucoup plus profondément dans sa conscience intérieure qu’une simple perception intellectuelle de vérités empiriques. I1 doit avoir dépassé la sphère du raisonnement analytique. I1 doit être entré en rapport avec ce qui rend nos opérations intellectuelles possibles, en fait avec ce qui conditionne l’existence même de notre vie consciente. Lorsque Shâriputra vit Ashvajit, il observa combien celui-ci était calme e t maître de lui, doué du parfait contrôle de ses sens, e t combien la couleur de sa peau était claire et brillante. Shâriputra ne put s’empêcher de lui demander : N Qui est votre maître et quelle doctrine enseigne-t-il? n Ashvajit répondit : Le grand Shâkyamuni, l’Étre de BénCdiction, est inon maître, et sa doctrine, en substance, est ceci :
c).
((
Le Bouddha a dit la cause De toutes choses issues d’une cause, Et aussi comment les choses cessent d’être. C’est cela que le Puissant Moine proclame. )) On dit qu’à cet exposé, surgit dans l’esprit de Shâriputra cette claire e t distincte perception de ce Dharma que tout ce qui est soumis à l’origine l’est également à la cessation. Shâriputra atteignit ainsi à l’état sans mort, sans tristesse, perdu de vue e t négligé depuis bien des myriades de kalpas
e).
Voici quel est le point sur lequel je désire ici attirer l’attention : y a-t-il quelque chose d’intellectuellement remarquable, d’extraordinaire e t d’absolument original dans la stance qui éveilla si miraculeusement Shâriputra du mode de pensée qu’il aimait? Dans la mesure (I)
Voir p. 70.
(*) Une des périodes dans l’une des existences du
(N. d. t.).
monde
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oh le Dharma du Bouddha (sa Doctrine) était en jeu, ces quatre lignes ne contenaient pas beaucoup des éléments de ce Dharma, On dit qu’elles sont la substance du Dharma ;si tel est le cas, on peut dire que le Dharma est plut& dépourvu de substance ; comment Shâriputra put-il jamais y trouver une vérité suffisamment concrète et efficace pour le détourner de l’ancienne ornière? La stance connue pour avoir accompli la conversion, non seulement de Sliâriputra mais encore de Maudgalyâyana, ne possède vraiment rien qui soit suffisamment caractéristique de la pensée bouddhique et suffisamment fort pour produire un si grand résultat. Par conséquent la raison doit en être cherchée quelque part ailleurs, c’est-à-dire non dans la vérité formelle contenue dans cette strophe, mais dans l’état subjectif de celui à qui elle parvint et qu’elle éveilla à une vision d’un autre monde. Ce f u t le mental même de Shâriputra qui s’ouvrit à une claire e t distincte compréhension du Dharma ; en d’autres termes, le Dharma fut révélé en lui comme quelque chose qui prenait sa croissance en lui-même et non comme une vérité extérieure déversée en son esprit. En un sens, le Dharma s’était de toute éternité trouvé dans l’esprit de Shâriputra, mais celui-ci n’eut pas conscience de cette présence jusqu’à ce que cette strophe eût été prononcée devant lui par Ashvajit. il n’était pas simplement un être réceptif et passif en qui l’on répandait une notion qui n’avait pas son origine dans son moi. Le fait d’entendre cette strophe lui donna l’occasion de connaître le moment suprême. Si la compréhension de Shâriputra avait été intellectuelle et discursive, son dialogue ultérieur avec Ananda n’aurait pas pu se dérouler comme il le fit. Voici comment le Samyuiia-Nikâya (l) nous raconte ce dialogue : Ananda vit de loin venir Shâriputra et lui dit : Serein, pur et radieux est votre visage, Frère Shâriputra! ((
(l)
III 235 F.
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Dans quel état d’esprit Shâriputra s’est-il trouvé aujourd’hui ? - J’ai été seul dans le dhyâna et la pensée ne m’est jamais venue : Je l’atteins! Je l’ai obtenu! J’en suis sorti! D Nous observons ici la distinction entre une compré. hension intellectuelle e t une compréhension spirituelle, laquelle est l’Illumination. Lorsque Shâriputra indiqua pour quelle cause il était si plein de sérénité, pur et radieux, il ne l’expliqua pas logiquement, mais exposa tout simplement le fait tel qu’il l’interprétait subjectivement. Que son interprétation ait été correcte ou non, c’est au psychologue à le décider. Ce que je désire montrer ici, c’est que la compréhension par Shâriputra de la doctrine u de l’origine et de la cessation P ne fut pas le résultat de son analyse intellectuelle, mais une compréhension intuitive de son processus vital intérieur. Entre l’Illumination du Bouddha, qui est chantée dans l’Hymne de la Victoire, e t la vision intérieure par Shâriputra du Dharma comme doctrine des causes interdépendantes, il y a un lien étroit dans la façon dont leurs esprits fonctionnèrent. Dans l’un d‘eux l’Illumination vint la première e t son expression vint ensuite, dans l’autre un exposé précis fut tout d’abord prononcé, puis la vision intérieure lui succéda : c’est donc le processus inverse. Mais la disproportion entre l’antécédent e t la conséquence reste la même. L’un n’explique pas suffisamment l’autre lorsqu’on ne prend en considération que la compréhension logique et intellectuelle. L’explication doit être recherchée non dans la vérité objective que contient la doctrine des causes interdépendantes, mais dans l’état de conscience luimême du sujet qui réalise l’Illumination. Sinon, comment pourrions-nous justifier l’établissement d’une foi aussi ferme dans la réalisation de soi ou la libération de soi que celle qui s’exprime ainsi : (( I1 a détruit toutes
e),
(l)
Voir p. 94.
Le Zen ct I‘illrirnination
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les passions mauvaises (âsnvn), il a atteint l’émancipation du cœur (cheto-vimufli) et du mental (pannâvirnutti) (1) ; ici, dans ce monde visible, il a par lui-même compris, réalisé, maîtrisé le Dharma ; il a plongé profondément dans le Dharma, il est passé au-delà du doute, il a rejeté la perplexité, il a gagné la pleine confiance, il l’appliqiie dans sa vie, il a fait ce qu’il fallait faire, il a détruit l’entrave de la renaissance, il a compris le Dharma tel qu’il est réellement en soi (2). )) C’est pourquoi le Lankâvatâra-Sûtra s’efforce avec tant d’insistance de nous dire que le langage est absolument insufisant comme moyen d’exprimer et de communiquer l’état intérieur d’Illumination. Alors que sans le langage nous pourrions nous trouver dans une situation pire, pour notre vie pratique tout au moins, nous devons nous mettre en garde de la façon la plus formelle contre la tentation de trop nous fier au langage, au-delà de ses offices légitimes. Le Sûtra nous en donne la raison principale, à savoir que le langage est le produit de la dépendance causale, sujet au changement, sans fermeté, mutuellement conditionné, et fondé sur une fausse évaluation de la véritable nature de la conscience. Pour cette raison le langage ne peut nous révéler (( i’ullime signification (parmn-ârtha) des choses. L‘analogie connue du doigt et de la lune est celle qui est la plus appropriée pour illustrer la relation entre le langage et le sens, le symbole et la réalité Si I’Illiimination du Bouddha avait réellement un si riche contenu que lui-même ne pût sufisamment le démontrer ou l’illustrer avec sa langue longue et mince (prabhîIfn-tanu-jihva), au cours de sa longue et paisible vie consacrée à la méditation et à l’enseignement, comment ceux qui lui étaient inférieurs pourraient-ils jamais ))
e).
((
))
(I) Formules pâli : en sanskrit chifla-uimukti et prnjiiûuimirkfi. (z) C’est la formule usuelle pour désigner un Arliat ; on la retrouve partout dans les Nikâyas. ($) Voir p. 18.
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C8lcrminafion chinoise
espérer saisir ce contenu e t atteindre l’émancipation spirituelle 1 Voici l’attitude adoptée par le Zen : pour comprendre la vérité de l’Illumination, nous devons donc exercer quelque pouvoir mental autre que l’intellect, si t a n t est que nous puissions posséder un tei pouvoir. L’expression au moyen des mots ne peut pas atteindre le but, et pourtant nous avons une insatiable aspiration vers ce qui est hors de notre atteinte. Sommes-nous donc destinés il vivre e t mourir ainsi tourmentés à jamais? Si oui, la situation où nous nous trouvons est Ia plus lamentable qui soit sur terre. Les bouddhistes se sont ardemment appliqués à la solution du problème et, finaIement, en sont arrivés à voir qu’après tout nous avons en nous tout ce dont nous avons besoin. C’est le pouvoir de l’intuition possédé par l’esprit e t capabIe de comprendre la vérité spirituelle qui nous montrera tous les secrets de la vie, nous procurant ainsi comme une sorte d’équivalent de ce que fut l’Illumination pour le Bouddha. I1 ne s’agit pas d’un processus intelIectue1 ordinaire de raisonnement, mais d’un pouvoir qui saisira instantanément e t par la voie la plus directe ce qu’il y a de plus fondamental. Prajnâ est le nom que donnent les bouddhistes à ce pouvoir, ainsi que je l’ai dit plus haut, e t le but du Bouddhisme Zen dans son rapport avec la doctrine de l’Illumination est d’éveiller prajnâ par l’exercice de la méditation. Nous lisons ceci dans le Saddharma-pundarîka-Sû€ra: a O Shâriputra, la véritable Loi conprise par le Tathâgata ne peut être raisonnée, elle est hors de portée du raisonnement. Pourquoi 7 Parce que le Tathâgata apparaît dans le monde pour exécuter un grand objet, qui est de faire accepter, voir, pénétrer e t comprendre par tous les êtres la connaissance e t la vision intérieure acquises par le Tathâgata e t aussi de les faire entrer sur la voie de la connaissance e t de la vision intérieure atteintes par le Tathâgata. Ceux qui l’apprennent du Tathâgata parviennent également à la Suprême Iiiu-
ïlliimiritrfion et liberié spiritirelle
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mination Parfaite {l). n Si tel était le grand objeclif de l'apparition du Bouddha sur terre, comment entrerionsnous sur la voie de la vision intérieure et réaliserionsnous la Suprême illumination Parfaite? Si ce Dharma de l'Illumination est au-delà des limites de la comprb hension, aucun raisonnement philosophique ne suffira jamais à nous rapprocher du but. Comment l'apprendrons-nous donc du Tathâgata ? Incontestablement ce n'est pas de sa bouche, ni du recueil de ses sermons, ni de ln pratique de l'ascétisme, mais de notre profonde conscience intérieure au moyen de l'exercice de dhyâna. Telle est la doctrine du Zen. ILLUMINATION
ET LIEERTÉ SPIRITUELLE
Lorsque la doctrine de l'Illumination s'impose à l'expérience intérieure du bouddhiste e t qu'il doit en saisir immédiatement le contenu sans l'intermédiaire d'aucun concept, il lui faut trouver en soi-même la seule autorité de sa vie spirituelle ; les traditions ou les institutions consacrées perdent naturellement toute leur force de contrainte. Dorénavant, selon lui, les propositions seront vraies, c'est-à-dire vivantes, d u fait qu'elles seront conformes à sa vision spirituelie intérieure e t ses actions ne se prêteront à aucune évaluation de jugement extérieur ; aussi longtemps qu'elles seront le trop-plein naturel de sa vie intérieure, elles seront bonnes, et même saintes. Le résultat direct de cette interprétation de l'Illumination sera l'encouragement de la liberté spirituelle absolue dans toutes les directions, liberté qui conduira à l'expansion illimitée des perspectives de son mental, au-delà des étroites lisières du Bouddhisme monastique e t scolastique. Ce qui n'est point cependant, du point de vue mahâyâniste, contraire à l'esprit du Bouddha. (l)
Chap.
II,
(I
Sur l'ingéniosité d'esprit .m
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L’illurn in aiion ch inOise
La constitution de la Fraternité devra donc désormais changer. Au début du Bouddhisme, c’était une congrégation de moines errants qui se soumettaient à un certain ensemble de règles ascétiques de vie. Le Bouddhisme y était possession exclusive de l’élite, et ceux qui faisaient partie du groupe d’upâsakas e t qui acceptaient la formule Trois Refuges constituaient une sorte de dépendance de la Fraternité régulière ou professionnelle. Lorsque le Bouddhisme était encore à sa première étape de développement, les nonnes elles-mêmes (bhibhunts) n’étaient pas autorisées à entrer dans la Communauté ; le Bouddha ne les y reçut qu’à regret, en prophétisant que dorénavant la communauté ne vivrait que la moitié de sa vie normale. Nous pouvons aisément en conclure que i’enseignement du Bouddha et la doctrine de l’Illumination étaient destinés à n’être pratiqués e t réalisés que dans des catégories restreintes de disciples. Tant que le Bouddha considérait les divers éléments de sa congrégation avec une parfaite impartialité, e t qu’il était libre de tout préjugé à l’égard de toute distinction sociale, raciale, etc., le plein bénéfice de son enseignement ne pouvait s’étendre au-delà des frontières monastiques. S’il n’y avait dans cet enseignement rien dont pût profiter l’humanité en général, il fallait tout naturellement s’attendre à cette attitude exclusive. Mais la doctrine de l’Illumination était une force qu’on ne pouvait garder ainsi emprisonnée, elle avait en elle bien des éléments qui devaient déborder toutes les limites qu’on lui assignerait. Lorsqu’on en vint à établir avec éclat la conception de l’état de Bodhisattva, une communauté monastique jalousement fermée ne pouvait plus se justifier, une religion de moines et de nonnes devait forcément devenir une religion de laïcs, hommes et femmes. Une discipline ascétique conduisant à l’dn-upâdhisheshanirvâna devait céder le pas à un système d’enseignement qui permettrait à n’importe qui d’atteindre 1’Illumination et de démontrer le Nirvâiia dans sa vie quotidienne.
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Dans tous les Sûtras mahâyânistes, cette tendance générale dans l’évolution du Bouddhisme est revendiquée avec une véhémence qui montre à quel point ia lutte était intense entre l’esprit conservateur et l’esprit progressiste. Cet esprit de liberté, qui est ce qui pousse le Bouddhisme à briser sa coquille monastique, à toujours exalter vigoureusement devant les masses l’idée de l’Illumination, est l’impulsion vitale de l’univers, c’est l’activité d’esprit que rien ne peut entraver, et tout ce qui s’y oppose est voué à l’échec. C’est ainsi que l’histoire du Bouddhisme est aussi une histoire de liberté dans la vie spirituelle, intellectuelle et morale de l’être. L’aristocratie morale et le formalisme disciplinaire du Bouddhisme primitif ne pouvaient pas lier notre esprit pendant très longtemps. A mesure que la doctrine de l‘Illumination évolua vers une interprétation de plus en plus intérieure, l’esprit s’éleva au-dessus du formalisme de la discipline bouddhique. I1 ne fut plus absolument nécessaire de quitter la vie de son foyer et de suivre les pas des moines errants pour obtenir le fruit suprême de l’Illumination. La pureté intérieure, et noli pas la piété extérieure, voilà ce qui était nécessaire dans la vie bouddhique. A cet égard les iipâsakas valaient les bhikshus. C’est ce qu’illustre avec une éloquence toute particulière le Vimalakîrti-Sûtra. Le principal personnage en est Vimalakîrti, philosophe laïc vivant en dehors de la Communauté des Moines. Aucun des disciples du Bouddha ne pouvait rivaliser avec lui en profondeur, étendue et sublilité de pensées, et lorsque le Bouddha leur enjoignit d’aller rendre visite à ce philosophe dans sa chambre de malade, chacun d’eux s’excusa pour une raison ou une autre, hormis blanjushri, qui, dans le Bouddhisme mahâyâniste, est l’incarnation de prajnâ. Que les disciples laïcs aient pu s’imposer ainsi, même au-dessus des Arhats, c’est ce qu’on peut découvrir également ailleurs que dans le Vimalakîrti-Sûtra, et spécialement dans des Sûtras tels que Shrîmcîlâ, Gandha-
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vyûha, Vajra-samâdhi, Chandrôffara-dârikâ, etc. Ce qui est le plus remarquable à cet égard, c’est l’importance du rôle que joue la femme en diverses occasions. Non seulement elle est douée de talents philosophiques, mais elle est sur un pied d’égalité absolue avec l’homme. Parmi les cinquante-trois philosophes ou chefs de la pensée visités par Sudhana dans son pèlerinage religieux, il interrogea plusieurs femmes de diverses conditions ; certaines d’entre elles étaient même des courtisanes. Toutes menèrent une discussion pleine de sagesse avec l’insatiable chercheur de la vérité. Quelle situation nouvelle, lorsqu’on la compare avec cette admission de femmes dans le Sangha, prononcée à contrecœur dans les premiers jours du Bouddhisme! Ce Bouddhisme ultérieur a peut-être perdu quelque chose en austérité, en réserve exclusive, et même en sainteté, mais il a gagné en esprit démocratique, en pittoresque, et, à un degré considérable, en humanité. Le libre esprit qui erre dorénavant en dehors des murs monastiques de la Fraternité va suivre ses conséquences naturelles et essayer de transcender les règles disciplinaires e t le formalisme ascétique des hînayânistes. Les règles morales que le Bouddhisme donnait A ses disciples, commandées par les contingences de la vie, se préoccupaient plus ou moins des contingences extérieures. Tant que le Bouddha resta au milieu d‘eux comme l’esprit de la Fraternité, ces règles furent l’expression directe de la vie subjective ; mais lorsque le Bouddha disparut, elles acquirent de la rigidité e t ne purent plus remonter aux sources de l’esprit intérieur de celui qui les avait données ;c’est alors que ceux qui suivaient la voie de 1’Illumination se révoltèrent contre elles, revendiquant R l’esprit qui donne vie ».Ils réclamèrent la parfaite liberté d’esprit, fût-ce sur le mode de la conception antinomiste. Si l’esprit était pur, aucun acte du corps ne pouvait le souiller; il pouvait errer partout où il lui plaisait d’aller, avec une immunité absolue. I1 pouvait même descendre aux
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enfers (l), s’il était nécessaire ou pratique d’agir ainsi, pour le salut des dépravés. L’entrée dans le Nirvâna serait indéfiniment retardée s’il restait encore des âmes à sauver et des esprits à éclairer. Conformément à n la lettre qui tue n, nul bouddhiste n’était autorisé à entrer dans un débit de boissons, ou à fréquenter les pensionnaires des maisons mal famées, bref il n’aurait pu être question pour lui de penser, fût-ce un seul instant, à violer aucun des préceptes moraux. Mais pour les mahâyânistes on accorda toutes sortes de a commodités II ou d‘ a expédients n lorsque leur esprit était pleinement illuminé et complètement purifié. Ils vivaient dans un royaume au-delà du bien et du mal, et aussi longtemps qu’ils y restaient, aucun de leurs actes ne pouvait être classifié et jugé d’après les évaluations courantes en matière d’éthique ; ces actes n’étaient ni moraux ni immoraux. Ces termes relatifs n’avaient aucune application dans un royaume gouverné par des esprits libres qui planaient au-dessus du monde relatif des différences et des oppositions. C’était là un terrain extrêmement glissant pour les mahâyânistes. Lorsqu’ils étaient réellement illuminés et qu’ils avaient sondé les abîmes de la spiritualité, chacune de leurs actions était un acte créateur de Divinité, mais dans cette force extrême d’idéalisme il n’y avait aucune place pour l’objectivité ;qui donc par conséquent aurait jamais pu discerner le libertinage de la spiritualité? En dépit de ce piège, les mahâyânistes étaient dans la juste voie en suivant avec constance tout ce qu’impliquait la doctrine de l’Illumination. 11 était inévitable qu’ils se séparassent des hînayânistes. La doctrine de l’Illumination conduit à l’essence de la vie spirituelle de chacun, qu’on ne peut analyser intellectuellement sans que cela entraîne en quelque sorte une contradiction logique. Elle cherche en effet (1) il va de soi que les termes a Dieu II, E Paradis D, a Enfer I), employés dans le cours de ces essais ne sont que des images destinées à mettre à la portée du public occidental, par de très larges approximations, certaines notions bouddhistes très subtiies. Voir à ce propos p. 129-133et 179. (N.d. t.)
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à forcer chaque barrière que l’intelligence peut dresser contre elle, elle aspire à l’émancipation sous toutes ses
formes, non seulement dans la compréhension, mais dans la vie elle-même. C’est ainsi que les êtres dénués de scrupules qui suivent la voie de l’Illumination sont susceptibles de dégénérer en adeptes du libertinage. Si les mahâyânistes en étaient restés là et n’avaient pas plongé plus profondément dans la nature réelle de prajnâ, ils auraient certainement suivi le destin des Amis de l’Esprit Libre »,mais ils savaient comment I’lllumination réalise sa véritable signification dans l’amour pour tous les êtres et comment la liberté d’esprit a son propre principe à suivre, encore que rien d’extérieur ne h i soit imposé. Car liberté ne signifie pas absence de lois - qui est destruction et annihilation de soi - mais création, par sa force intérieure de vie, de tout ce qui est bon et beau. Cet acte de création est appelé par les mahâyânistes le plan habile D (upâya-kaushalya), où l’Illumination est harmonieusement unie à l’amour. L’Illumination, conçue intellectuellement, n’est pas dynamique et se borne à illuminer le sentier que va suivre l’amour. Mais prajnâ est plus qu’un principe seulement intellectuel, il produit karunâ (amour ou compassion), et avec sa coopération il atteint le grand but de la vie, l’évasion de tous les êtres hors de 1’Ignorance, des passions et de la misère. I1 ne connaît plus de fin, dorénavant, dans l’élaboration de toutes sortes de moyens pour accomplir ses fonctions téléologiques. Le Saddharina-Pundarîka-Siilra considère l’apparition du Bouddha sur cette terre et sa vie dans l’histoire comme le plan habile 1) conçu pour le salut du monde par l’Être Suprême de l’Éternelle Illumination. Cependant cette création cesse d’être une création dans son sens parfait lorsque le créateur devient conscient des fins téléologiques qu’elle renferme (I), car il se produit ((
((
((
(I) A ce sujet il n’est peut-être pas hors de propos de dire un mot sur ce qu’on nomme en Bouddhisme II acte de non-effort n ou u de non-dessein XI (an-âbhoga-cfinryâ) ou a les vœux originels
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alors dans la conscience comme une séparation qui empêchera l’écoulement spontané de l’esprit, e t la liberté se trouvera ainsi perdue à sa source même. Des plans qui sont devenus conscients de leurs buts cessent d’être des c plans habiles », et, d’après les bouddhistes, ils ne réfléchissent plus l’état parfait de 1’Illumination. C’est ainsi que la doctrine de l’Illumination doit être complétée par la doctrine de l’expédient (upâya) ; ou bien encore on peut dire que cet expédient sort tout naturellement de l’Illumination, Iorsqu’ii est conçu dynamiquement et non pas simplement comme un état de conscience contemplative. Les bouddhistes du début avaient tendance à considérer l’Illumination comme un état dont l’essentiel était de refléter le calme absolu. Ils en faisaient une chose privée de vie et entièrement dépourvue d’impulsion créatrice. Cependant cet état ne donnait pas tout ce qui se trouvait contenu dans l’Illumination. L’élément affectif ou volontaire qui poussait le Bouddha à sortir de son sâgura-mud& samâdhi - un samâdhi où l’univers entier était réfléchi de non-dessein D (an-dbhoga-pranidhffna). Cela correspond, si je ne me trompe, A l’idée chrétienne de ne pas laisser la main droite savoir ce que fait la main gauche. Lorsque l’esprit parvient à la réalité de l’illumination et qu’en conséquence il est intégralement purifié de toutes souillures, intellectuelles et affectives, il parvient à une telle perfection ue toute action, queiie qu’elle soit, accomplie par lui, est pure, dhTnuée d’égoïsme, e t conduit au bien-être du monde. Aussi longtemps que nous sommes conscients des efforts que nous faisons en essayant de surmonter nos impulsions et passions égoïstes, il existe une tache qui consiste dans la contrainte e t le caractère artificiel de ce processus ;elle nuit à l’innocence et à la liberté spirituelles, e t l’amour, qui est la vertu naturelle d’un esprit illuminé, ne peut élaborer tout ce qu’il contient en soi, puisqu’on a l’intention de l’exercer pour sa propre préservation. Les a vœux originels D sont précisément ce que l’amour contient en soi et ne commencent à opérer, à être an-dbhoga (sans-dessein) qu’une fois que l’Illumination est réellement créatrice. C‘est là que la vie religieuse diffère de la simple moralité, c’est là que le simple fait de formuler la Loi des origines interdépendantes (pratftya-samutpâda) ne constitue pas la vie bouddhiste, et c’est la que le Bouddhisme Zen maintient sa raison d’existence en face du prétendu ositivisme du Hînayâna et du prétendu nihilisme de récole Prajfii-ptiramitil.
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dans sa conscience comme la lune reflète son image sur l'Océan - a maintenant évolué dans la doctrine de l'expédient. Car la volonté est plus fondamentale que l'intellect et constitue l'ultime principe de la vie. Sans 1' a expédient )) et la volonté qui se régit elle-même, la vie deviendra la manifestation insensée d'une simple force aveugle. C'est ainsi que le dérèglement d'un (( esprit libre n est dorénavant discipliné pour que cet esprit puisse œuvrer dans la grande tâche du salut universel. Son activité créatrice concevra tous les moyens possibles inspirés par l'amour en faveur de tous les êtres, animés aussi bien qu'inanimés. Dhyâna est l'un de ces moyens, qui maintiendra notre esprit en équilibre et parfaitement soumis au pouvoir de la volonté. Le Zen est le résultat de la discipline du dhydna appliqué à la réalisation de 1'Illumination. ZEN ET DHYANA
Le terme u Zen )) (fch'an en chinois) est une forme abrégée de Zenna ou Tch'an-na, qui est la traduction chinoise de K dhyâna u CU a jhâna P ; il résulte manifestement de ce seui fait que le Zen a de grands rapports avec cette pratique, qui a été introduite dés les premiers jours du message du Bouddha, en fait dès le début de la culture hindoue. Dhyâna est traduit habituellement par le terme de a méditation n, et d'une manière générale, l'idée essentielle est de méditer sur une vérité, religieuse ou philosophique, de façon qu'elle puisss être comprise à fond et profondément gravée dans la conscience intérieure. On le pratique dans un lieu calme, loin du bruit et de la confusion du monde. Les allusions à ce dhgâna abondent dans la littérature hindoue. u S'asseoir seul dans un endroit calme e t se consacrer exclusivement à la méditation )) est une phrase qu'on rencontre à chaque pas dans les textes Agamas. La conversation suivante entre le bouddhiste San-
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dhana e t i’ascète Nigrodlia, qui est enregistrée dans Z’Udumbarika-Sfhanâda-Suftanta projettera beaucoup de clarté sur la façon de vivre du Bouddha. Sandhana s’exprime ainsi : Mais l’Exalté hante les retraites solitaires e t lointaines de la forêt, où il n’y a presque aucun bruit, aucun son, où les brises soument des pâturages, e t qui cependant sont cachées aux yeux des hommes, et faites pour la communion avec soi-même. i ) A cela i’ascète voyageur répond : (( Regarde maintenant, chef de famille, sais-tu avec qui parie le Shramana Gautama? avec qui il tient des conversations? avec qui il s’entretient pour atteindre la lucidité dans la sagesse? La vision intérieure du Shramana Gautama est anéantie par son habitude de réclusion. 11 n’est pas à son aise pour diriger une assemblée. I1 n’est pas préparé à soutenir une conversation. Aussi reste-t-il loin des autres dans des endroits solitaires. Ainsi qu’une vache borgne qui, progressant en cercle, ne suit que la lisière extérieure du pâturage, ainsi est le Shramana Gautama. D
e)
((
De même nous lisons dans le Sârnanna-phala-Sufta du Dtgha-Nikâya (“) : (( Alors le maître de cet ensemble de préceptes moraux si excellents, doué d’une maîtrise de soi si excellente pour la domination des sens, possédant cette plénitude d‘esprit et cette possession de soimême si excellentes, plein d’un contenu d’une telle excellence, choisit quelque emplacement solitaire pour y séjourner dans les bois, au pied d’un arbre, sur le flanc d’une colline, dans une gorge montagneuse, dans une caverne creusée en plein roc, dans un ossuaire ou sur un tas de paille en plein air. Et, retournant à cet endroit après qu’il a fait sa tournée d’aumônes e t pris son repas, il s’assied, les jambes croisées, gardant son corps droit, son intelligence alerte e t attentive. i ) (I) Dialogues du Bouddha. Partie III, p. 35. (1) Dialogues du Bouddha. Partie I, p. 82 ; l e Siltra des fruits d’une vie de réclusion.
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Plus tard, toujours au temps où vivait le Bouddha, l’accomplissement de miracles e t les discussions sophistiques semblent avoir été l’occupation principale des ascètes voyageurs e t des brahmanes métaphysiciens. Le Bouddha se trouvait donc fréquemment invité à participer aux débats sur des questions philosophiques, e t aussi à faire des miracles, pour amener les gens à embrasser son enseignement. Le commentaire de Nigrodha sur le Bouddha prouve d’une façon péremptoire que le Bouddha désapprouvait vivement le raisonnement vide, car il se consacrait à des choses pratiques et productrices de résultats, e t montre également qu’il était toujours intérieurement plongé dans la méditation, loin du monde. Lorsque Tsien-kou, fils d‘un riche marchand de Nalanda, demanda au Bouddha d‘investir ses disciples de son autorité e t de la leur faire exercer en faveur des habitants de la ville, le Bouddha refusa catégoriquement, en disant : u Mes disciples ont pour instruction de rester assis calmement dans la solitude e t d‘y méditer intensément sur la Voie. S’ils ont commis quelque chose de méritoire, qu’ils le cachent, mais s’ils ont commis des fautes, qu’ils les confessent (l). )) Un appel à la compréhension analytique n’est jamais suffisant pour faire saisir à fond l’essence intérieure d’une vérité, en particulier lorsqu’il s’agit d’une vérité religieuse, pas plus que la simple compulsion d‘une force extérieure ne peut suffire à déterminer en nous une transformation spirituelle. Nous devons vivre au plus profond de notre conscience tout ce qui est contenu dans une doctrine, dès que nous sommes capable non seule(l) Le texte pâli qui correspond & ce Sûtra chinois du DfrghaAgamn est le Keuaddha-Sutta, mais le passage ne s’y trouve pas. Voir également le Lohicca (Leou-fcheu) et le Sûrnafina-phaia dans les Agarnas chinois, oh le Bouddha dit & quel point la vie de réclusion est essentielle pour la réalisation de l’lliumination et la destruction des passions mauvaises. L’application constante, la coriccntration intense et l’esprit toujours en éveil, telles sont les trois qualités sans lesquelles aucun bouddhiste ne peut espérer atteindre le terme de ses existences.
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ment de la comprendre, mais de la mettre en pratique. I1 n’y aura alors aucune divergence entre la connaissance et la vie. Le Bouddha savait parfaitement cela, et il essaya de produire la connaissance par la méditation, c’est-à-dire de faire croître la sagesse par l’expérience spirituelle personnelle. C’est pourquoi la voie bauddhiquc vers la délivrance consistait en une triple discipline : règles morales (slzila), calme (samâdlii) et sagesse (prnjnâ). Par shila on règle extérieurement sa conduite, par samâdhi on atteint à la quiétude, et par prajnd se produit la compréhension réelle. De là l’importance de la méditation dans le Bouddhisme. Que cette triple discipline ait été l’un des traits les plus caractéristiques du Bouddhisme depuis ses prepiers temps, c’est ce qui est parfaitement attesté par le fait que dans le Mahâ-parinibbâna-Sutta, on cite perpétuellement la formule suivante, comme si elle était un sujet très fréquemment discuté par le Bouddha pour l’édification de ses disciples : (c Voici ce qu’est la conduite droite (shila) ; voici ce qu’est la conteniplation intense (samâdhi) ; voici ce qu’est l’intelligence (prajnâ). Grand devieat le fruit, grand l’avantage de l’intellect quand il est associé à la contemplation intense. L’esprit associé à l’intelligence est tout à fait libéré des intoxications (âsrava), c’est-à-dire de l’intoxication de la sensualité (kâma), du devenir (bhâua), du mirage des mots (drishti), et de l’ignorance (auidyk) (1). )) Samâdhi et dhyâna sont dans une grande mesure synonymes et interchangeables, mais au sens strict samâdhi (‘) La traduction aiiglaisc de ce passage est due B Rhys Davids qui dit, dans unc note : a Le terme que j’ai rendu par ‘‘ coiiteinplation inteiise ” est samûdhi, qui occupe dans les Cinq Nikâyas tout A fait In nikme position que la Foi dans le Nouveau lestanient ; cette partie montre que l’importance relative de samûdhi, pa5Câ et shiia, joua, dans le Bouddhisme du début, le même rôle que joua, plus tard, dans la théologie occidentale, la discipline entre la foi, la raison et les ocuvres. I1 serait diNicile de trouver un passage où l’opinion du Bouddha sur la relation entre ces idCes opposées soit exposée avec une plus grande beauté de pensée, ou une égale concision de forme. 1) hlais pourquoi a opposCcs D ?
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est un état psychologique réalisé par l’exercice du dhyâna. Dhyânu est le processus, samâdhi est le but. Les Écritures bouddhiques contiennent des références à un nombre considérable de samâdhis, et avant de faire un sermon le Bouddha entre généralement en un sainùdlii (I), mais jamais, je crois, dans un dhyâna. On pratique le dhyâna e t on s’y exerce. Mais fréquemment, en Chine, dhyâna e t samûdhi sont combinés pour faire un seul mot (( tch‘anfing », qui désigne un état de quiétude atteint par i’exercice de la méditation ou dhyâna. I1 y a quelques autres termes analogues qu’on rencontre dans la Iittérature bouddhique aussi bien que dans d’autres systémes religieux de 1’Inde. Ce sont samâpatfi (se recueillir), samâhifa (réunir ses pensées), shamafha (tranquillisation), chittaîkâgratâ (concentration), drishta-dharmasukha-uihâra (demeurer dans la joie de la Loi perçue), àhârani ou dhârana (abstraction), etc. Toils ces termes sont en rapport avec l’idée centrale de dhyâna, gui consiste à calmer la turbulence des passions impérieuses et à créer un état d’identité absolue où la vérité est réalisée dans son état intérieur, c’est-à-dire un état d’Illumination. La tendance analytique des philosophes est également évidente dans le fait qu’ils distinguent quatre ou huit espèces de dhyânas
e).
(1) La Mahâ-vyutpaffiénumère cent huit samâdhis. Nous trouvons dans d‘autres traités d’innombrables samâdhis. Les hindous ont été de grands adeptes de cet exercice, et de magnifiques réalisations spirituelles sont souvent signalées dans 1’Inde. p) Cette série de dyhânas a été égaiement adoptée par les bouddhistes, spécialement par les hînayânistes. Sans aucun doute, la conception mahâyâniste du dhyâna en dbrive, ou plutôt a pris là le point de départ de son développement ;nous verrons puls loin au cours de cet exposé, combien elle diffère des dhyânas hînayânistes. Les Agamas donnent la description détaillée de ces dhydnas ; voir par exemple le SâmaCCa-phala-Sutta où l’on discute sur les fruits de la vie de réclusion. Ces exercices mentaux n’étaient pas strictement bouddhiques ; ils furent enseignés et pratiqub plus ou moins par tous les philosophes et moines mendiants de l’Inde. Mais le Bouddha ne s’en contenta pas, car ils ne pouvaient donner le rdsultat qu’il désirait si vivement obtenir ; en d’autres termes, ils ne pouvaient mener à l’nlumination. C’est pour cette raison qu’il quitta ses deux vieux maîtres, Arâda et Udraka, s o w la direction desquels il avait commencé sa vie errante.
Zen et Dhyûna
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Le premier dhgdtia est un exercice oit l’on fait se concentrer l’esprit sur un seul sujet juscp’à ce que tous les éléments affectifs grossiers s’évanouissent de la conscience, à l’exception des sentiments sereins de joie et de paix. Mais l’intellect est encore actif, le jugement et la réflexion opèrent sur l’objet de la contemplation. Lorsque ces opérations intellectuelles sont également calmées e t l’esprit simplement concentré sur un point, on dit qu’il a atteint le second dhyâna, mais les sentiments de joie et de paix s’y trouvent encore. Au troisiérne stade du dhycina, la parfaite sérénité se réalise au fur et à mesure que la concentration devient plus profonde, mais les activités mentales les plus subtiles ne sont pas évanouies, et en même temps un sentiment joyeux subsiste. Lorsqu’on atteint le quatrième et dernier stade, même ce sentiment de joie disparaît, e t ce qui domine dorénavant dans la conscience est la sérénité parfaite de la contemplation. Tous les facteurs intellectuels et émotifs susceptibles de troubler la tranquillité spirituelle sont successivement maîtrisés, e t l’esprit, dans une parfaite possession de soi, reste absorbé dans la contemplation. 11 se produit là un équilibre parfait entre shamafha et uipashayanâ, c’est-à-dire entre la tranquillisation ou cessation et la contemplation. Dans toute discipline bouddhique cette harmonie est toujours recherchée. Car lorsque l’esprit penche d’un c6té ou de l’autre, il devient soit trop lourd (sfyânam) soit trop léger (auddhafyam),c’est-à-dire que son activité mentale se laisse trop envahir par la torpeur ou trop absorber dans la contemplation. L’exercice spirituel doit progresser sans que l’une ou l’autre tendance vienne l’entraver ; on doit adopter la voie du milieu. I1 y a quatre nouveaux stades de dhyâna, nommés u a-rûpa-vimoksha », pratiqués par ceux qui ont dépassé le dernier stade mentionné ci-dessus. Le premier consiste à contempler l’infini de l’espace, non troublé par la multiplicité de la matière ; le second porte sur l’infini de la conscience, en face de l’infini de l’espace ;
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le troisième doit aller bien au-delà de la distinction entre l’espace et la pensée ; e t le quatrième doit éliminer jusqu’à cette conscience de non-distinction, pour être entièrement libre de toute trace d‘analyse intellectuelle. Outre ces huit exercices de samâpafti (rassemblement, convergence) - tel est le nom technique - le Bouddha parle parfois d’une autre forme de meditation qui est considérée comme distimtemen t bouddhique. Elle accuse un contraste plus ou moins défini avec les précédentes, en ce sens qu’elle n’est pas aussi exclusivement intellectuelle, mais partiellement affective, car elle a pour but d’arrêter entièrement l’opération de samjnâ (pensée) e t uediiâ (sensation), c’est-à-dire des éléments essentiels de la conscience. C’est presque un état de mort, d’extinction totale, à cette seule différence qu’une personne absorbée dans le dyâna conserve la vie, la chaleur corporelle et les organes du corps en parfait état. Mais en fait il est difficile de distinguer cette uimoksha (délivrance par cessation) de la dernière étape de cette méditation a-ruppa (ou a-rûpa), car dans l’une e t l’autre la connaissance cesse de fonctionner même dans ses actes les plus simples et les plus fondamentaux. Quoi qu’il en soit, il est évident que le Bouddha, comme les autres chefs de la pensée hindoue, tenta de faire en sorte que ses disciples réalisassent en eux-mêmes le contenu de 1’Illumination au moyen de dhyâna OU concentration. Ils furent ainsi guidés dans une progression graduelle d’un exercice relativement simple jusqu’au stade le plus élevé de la concentration, oh le dualisme de l’Un et du Rlultiple s’évanouit jusqu’à parvenir à la parfaite cessation de toute activité mentale. En dehors de ces exercices spirituels généraux, le Bouddha enjoignit à plusieurs reprises à ses disciples de méditer sur des sujets pr6cis (l), ce qui leur ferait (1) Par exemple, les dix sujets de méditation sont : le Bouddha, le Dharma, le Sangha, la Moralité, la Charité, le Ciel, la Sérénité,la Respiration, I’Impermanence et la Mort. Les cinq sujets de tranquillisation sont : PIinpureté, la Compassion, la Respiration, la
Zen ef Dhyûna
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maîtriser le trouble de leurs passions et fa complexité de leur intellect. Nous pouvons niaintenant voir comment le Zen développa ce systéme d’exercices spirituels. I1 adopta la forme extérieure du dhyûna comme la méthode la plus pratique pour atteindre le but qu’il avait en vue, mais quant à l’esprit intérieur, le Zen avait sa façon particuliere d’interpréter l’esprit du Bouddha. Le dhyâna pratiqué par les bouddhistes primitifs n’était pas pleinement d’accord avec l’objet du Bouddhisme, qui n’est pas autre chose que la rbalisation de 1’1llumination et sa démonstration dans la vie de chaque jour. Anéantir la conscience de telle sorte que rien ne vînt troubler la sérbnité spirituelle, il y avait là un état trop négatif pour être recherché par ceux qui aspiraient à développer le contenu positif de l’esprit du Bouddha éclairé par l’Illumination. L’état de calme n’était pas le but rbel du dhyâna, et l’absorption de l’être dans le sarnâdhi n’était pas le but de la vie bouddhique. L‘Illumination devait être trouvee dans la vie elle-mtme, dans ses expressions plus pleines et plus libres, et non pas dans sa cessation. Pour quel but le Bouddha passa-t-il toute sa vie en pérégrinations religieuses? Quel fut le but qui l‘amena à sacrifier son bien-être, en fait sa vie tout entiere, pour l’amour des autres créatures? Si le dhyâna ne visait aucun but positif hormis la pacification et la jouissance de l’absorption dans l’inconscient, pourquoi le Bouddha quitta-t-il sa place sous l’arbre de la Bodhi pour rentrer dans le monde? Si l’Illumination était tout simplement un état négatif de cessation, le Bouddha n’aurait pu trouver en soi nulle impulsion. Les critiques oublient parfois ce fait lorsqu’ils essaient de comprendre le Bouddhisme comme un simple système d’enseignement, tel que l’expose la littérature Chsînc des origines et le Bouddha. Les quatre sujets de rappel B la mfmoire sont : l’Impureté du corps, les Fautes dcs sens, le Changement constant de la pensée et le Caractère transitoire de l’existence.
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L'illum inaiion cliiiioise
bouddhique des Agamas e t des textes pâlis. Ainsi que je l'ai expliqué précédemment, le Bouddhisme est aussi un système construit par les discipies du Bouddha sur la personnalité du Bouddha lui-même, système oh i'esprit du Maître est affirmé plus nettement encore. Et c'est ce que le Zen a essayé de faire selon sa méthode particulière : développer l'idée de l'I1Iuminaticlri plus profondément, d'une façon plus positive e t vaste, par la pratique du dhyâna e t conformément à l'esprit du Bouddhisme en général, où la vie s'aflirmera purgée de ses impulsions aveugles e t sanctifiée par la vision intérieure de ses véritables valeurs. LE ZEN ET LE LANKÂVATÂRA
Des divers Sûtras introduits en Chine depuis le siècle de l'ère chrétienne, celui où les principes du Zen sont exposes plus expressément e t directement que dans les autres, tout au moins ceux qui existaient au temps de Bodhi-darma, est le Lankâuafâra Sûira. Le Zen, ainsi que le prétendent à juste titre ceux qui le pratiquent, ne fonde son autorité sur aucun document écrit, mais s'adresse directement à l'esprit illuminé du Bouddha. I1 refuse d'avoir un rapport quelconque avec le formalisme dans toute la diversité de ses expressions ; les Sûtras eux-mêmes e t tous les autres textes considérés d'ordinaire comme sacrés, parce que provenant directement de la bouche du Bouddha, sont relégués au second plan, ainsi que nous l'avons déjà constaté, parce qu'ils ne touchent pas aux faits intérieurs du Zen. C'est pourquoi il se référe aussi au dialogue mystique sur un bouquet de fleurs qui se déroule entre l'Être Illuminé e t Mahâkâshyapa (1). Mais Bodhi-dharma, le foiidateur du Zen en Chine, transmit le Lankâvaiâra à son premier disciple chinois, Houei-Ko (*), comme le stul xer
(1)
Voir p. 76.
(3 En japonais Yeko (486-593).
Le Zen ci le Lankâuafûrn
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texte, existant en Chine à cette époque, où les principes du Zen fussent enseignés. Lorsque le Zen insiste d’une manii‘re absolue sur le fait qu’il est fondé sur l’expérience immédiate de chacun, il peut parfaitement négliger toutes les sources écrites comme absolument inutiles à sa vérité ; et c’est en s’appuyant sur ce principe que ceux qui pratiquent le Zen ont entièrement négligé l’étude du Lankâoatâra. Mais, afin de justifier cette attitude du Zen pour ceux qui ne l’ont pas encore comprise et qui sont pourtant désireux d’apprendre quelque chose a son sujet, on peut citer une autorité extérieure et recourir à des concepts e t des arguments qui soient en parfaite harmonie avec sa vérité. C’est pourquoi Bodhi-dharma choisit ce Sûtra parmi les divers autres qui existaient en Chine de son temps. C’est dans cet état d’esprit que nous devons aborder l’étude de ce Lank6i~aiûra. I1 subsiste trois traductions chinoises du Sûtra. I1 y en avait une quatrième, mais elle a été perdue. La premii‘re, en quatre volumes, f u t donnée sous la dynastie Lou-Soung (443 ap. J.-C.) par Gunabhadra ; la seconde, en dix volumes, sort de la plume de Bodhiruchi, sous la dynastie Iuan-ouei (513 ap. J.-C.), et la troisième, en sept volumes, est de Shikshânanda, sous la dynastie T’ang (700 ap. J.-C.). C’est cette dernière qui est la plus facile à comprendre ; la première est la plus difficile, e t c’est celle-là qui fut transmise par Bodhi-dharma A son disciple Houei-Ko comme contenant 1’ (( essence de l’esprit ». Dans sa forme e t son contenu, cette traduction reflète le texte primitif du Sûtra, et c’est sur elle que sont écrits tous les commentaires que nous avons actuellement au Japon. Les traits spéciaux à ce Sûtra, qui le distinguent des autres écrits mahâyânistes, sont les suivants, pour ne citer que les plus caractéristiques :en premier lieu le sujet n’y est pas systématiquement développé comme dans la plupart des autres Sûtras, mais tout le livre est une série de notes de diverses longueurs ; en second lieu
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le Sûtra est exempt de tout phénomène surnaturel, mais plein de profondes idées philosophiques et religieuses concernant l’enseignement central du Sûtra, qui est extrêmement difficile à comprendre, en raison de la concision de l’expression et de la nature abstruse du sujet ;en troisième lieu il est sous forme de dialogues se déroulant exclusivement entre le Bouddha et le Bodhisattva Mahâmati, alors que dans les autres Sûtras mahâyânistes les principaux personnages sont généralement plus nombreux, en dehors du Bouddha lui-même qui s’adresse successivement à chacun d’eux; et en dernier lieu, il ne contient ni dhûranb ni mantras, ces signes et formules mystiques qui sont supposés détenir un pouvoir miraculeux. Ces caractères distinctifs sufisent à faire occuper par le Lankâuafâra une place unique dans toute la littérature de l’école mahâyâniste. Dans cette énumération des caractères du Lankâvafûra-Sûtra, je me réfère au premier texte chinois de Gunabhadra. Les deux traductions ultérieures contiennent en outre trois nouveaux chapitres ; l’un d’eux, qui constitue le premier chapitre, est une sorte d’introduction à l’ensemble du Sûtra et expose l’idée principale qui sera discutée dans le cours du texte ;les deux autres chapitres supplémentaires sont annexés à la fin. L‘un est un bref recueil de dhâranîs, et l’autre, qui sert de conclusion, est connu sous le nom de chapitre GÛfhÛ (l), écrit entièrement en vers et résumant l’ensemble du Sûtra. I1 ne contient pourtant aucun alinéa qui constitue la u fin rituelle n, où toute la congrégation s’unit dans la louange du Bouddha et l’assurance qu’elle observera ses instructions. Sans aucun doute, ces trois nouveaux chapitres sont une addition ultérieure. Le sujet principal du Lankâuatâra-Sûfra est le contenu de l’Illumination (c’est-à-dire l’expérience intérieure, pratyâfma-gati) du Bouddha sur la grande (1)
Voir p. 225.
Le Zen el le Lankâvatâra
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vérité religieuse du Bouddhisme du Mahâyâna. C’est ce qui a étrangement échappé à la plupart des lecteurs de ce Sûtra, qui prétendent qu’il explique principalement les Cinq Dharmas, les Trois Caractéristiques de la Réalité (sua-bhâua), les Huit Espèces de Conscience (uijnâna) et les Deux formes de Non-ego (nairâfrnya). I1 est vrai que le Sûtra reflète l’école psychologique de Bouddhisme préconisée par Asanga e t Vasubandhu, par exemple lorsqu’il désigne l’Maya-uijnâna comme la réserve de toutes les graines karmiques ; mais de telles références e t quelques autres ne constituent pas en fait la pensée centrale du Sûtra ; elles ne sont employées que pour expliquer la n noble compréhension de l’expérience intérieure [du Bouddha] 1) (praiyâtrn-ârya-jnâna). Par conséquent lorsque Mahâmati termine sa louange des vertus du Bouddha devant toute l’Assemblée des moines, sur le sommet du Mont Lankâ, le Bouddha est formel dans sa déclaration, qui constitue le thème essentiel du Sûtra. Cependant nous allons exposer tout d’abord le chant du Bodhisattva Mahâmati, car il résume d’une manière nette et concise tous les points essentiels du Bouddhisme mahâyâniste e t il illustre en même temps ce que j’ai exposé sur l’union de l’Illumination et de l’Amour. L‘hymne se déroule ainsi : (( Lorsque t u examines le monde avec t a sagesse e t t a compassion, il est pour toi comme la fleur de l’éther, dont nous ne pouvons dire si elle est créée ou évanescente, car les catégories de l’être et du non-être lui sont inapplicables. (( Lorsque tu examines toutes les choses avec ta sagesse et t a compassion, elles sont comme des visions, elles sont au-delà de la portée du mental et de la conscience, car les catégories de l’être et du non-être leur sont inapplicables. (( Lorsque t u examines le monde avec t a sagesse et ta compassion, il est éternellement comme un rêve, dont nous ne pouvons dire s’il est permanent ou sujet à la
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destruction, car les catégories de l’être et du non-être lui sont inapplicables. a Pour le Dharma-kâya dont la nature est une vision et un rêve, qu’y a-t-il à louer l à ? L’existence réelle est là oh ne s’élève niille pensée de nature et de non-nature. u Celui dont l’apparence est au-delà des sens et des objets des sens et qui ne peut être vu par eux ou en eux, comment l’éloge ou le blâme pourraient-ils être attribués à lui, ô Muni? u Avec ta sagesse et t a compassion, qui défient réellement toute qualification, t u embrasses la nature sans ego des choses et des personnes et t u es éternellement libre de toute passion mauvaise et des entraves du savoir. u Tu ne t’évanouis pas dans le Nirvâna, pas plus que le Nirvâna ne réside en toi, car cela transcende le dualisme de l’Illuminé et de l’Illumination, aussi bien que l’alternance de l’être ou du non-être. u Ceux qui voient le Muni si plein de sérénité, e t au-delà de la naissance, sont détachés des dhirs insatiables et demeurent sans taches dans cette vie et-audelà. n Après quoi le Bouddha s’exprime ainsi : a O vous, fils de J î a , questionnez-moi sur tout ce que vous avez envie de demander. Je vais vous parler de l’état de ma réalisation intérieure @ratyâtmu-guti-gocharam). n Voilà qui est concluant ; aucune discussion possible ne subsiste sur le thème du Lankûuufâru. Ce n’est qu’incidemment, au cours de i’exposé du Bouddha sur la question principale, qu’une allusion est faite aux Cinq Dharmas, aux Trois Caractéristiques, etc. Les deux traductions ultérieures qui, je l’ai signalé, contiennent quelques chapitres supplémentaires, sont divisées régulièrement, la première en dix et la seconde en dix-huit chapitres, alors que la traduction la plus ancienne, celle de Gunabhadra, n’a qu’un chapitre, dont le titre, qui embrasse tout le volume, est a Le summum de toutes les paroles du Bouddha ».Le premier chapitre supplémentaire, qui ne se trouve pas dans
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le texte de Gunabhadra, est remarquable en ceci qu’il donne les grands traits de l’ensemble du Sûtra sous forme d’un dialogue entre le Bouddha e t Râvana, Seigneur des Yakshas, dans l’île de Lankâ. Lorsque le Bouddha, sortant du palais du roi des Nâgas, aperçoit le château de Lankâ, il sourit e t remarque que c’est dans ce palais que tous les Bouddhas du passé ont prêché sur l’excellente compréhension de l’Illumination réalisée dans leur conscience profonde, Illumination qui dépasse l’analyse de la logique et n’est pas l’état d’esprit que peuvent faire atteindre le tîrthya, le shrâvaka ou le Pratyeka-bouddha. I1 ajoute alors que pour cette raison le même Dharma va être exposé pour Râvana, Seigneur des Yakshas. En réponse, celui-ci, présentant au Bouddha toutes sortes de coûteuses offrandes, chante à la louange de la vision intérieure et des vertus du Bienheureux : u O Seigneur, instruis-moi dans ton système de doctrine qui est fondé sur la nature même de l’esprit, instruis-moi dans la doctrine du non-ego, exempt de préjugés e t de souillures, cette doctrine qui est révélée au plus profond de t a conscience. D Dans la conclusion de ce chapitre, le Bouddha réaffirme sa doctrine de réalisation intérieure, qui est 1’111~mination. (( C’est comme lorsqu’on voit sa propre image en un miroir ou dans l’eau, c’est comme lorsqu’on voit sa propre ombre au clair de lune ou à la clarté de la lampe, c’est comme lorsqu’on entend sa propre voix renvoyée par l’écho dans la vallée ; lorsqu’un homme se cramponne à ses fausses présomptions, il fait une discrimination erronée entre la vérité et la fausseté ; en raison de cette fausse discrimination il ne peut aller au-delà du dualisme des opposés ; en fait il chérit la fausseté e t ne peut atteindre la tranquillité. Par tranquillité, l’on entend unité de but (ou unité des choses), et par unité de but on entend l’entrée dans le hautement excellent samâdhi, par quoi est produit l’état de noble compréhension de la réalisation de soi-même, qui est le réceptacle de ‘‘ l’état de Tathâgata ” (tathûgata-garbha). ))
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Par ces citations, nous pouvons facilement voir pourquoi Bodhi-dharma recommande tout spécialement ce Sûtra à la pratique de ses disciples en Zen. Afin d’impressionner plus encore le lecteur sur la grande importance du L«nkâvafÛra-SL(fra dans l’étude historique du Zen aux Indcs e t en Chine, je citerai quelques autres passages qui montrent comment l’enseignement de la réalisation de soi-même est développi! dans le Sûtra. D’après i’auteur, on peut réaliser l’anuftara-samgaksarnbodhi (l) atteint par le Muni des Shâkyas, el; par lequel il devint le Bouddha, en transcendant les notions d’être e t de non-être (nâsty-asti-uikulpa). L’erreur fondamentale étant là - dans l’attachement au dualisme la premiCre mesure indispensable consiste à s’en libérer, afin d’atteindre l’état de réalisation de soi-même. L‘erreur vient de ce qu’on n’aperçoit pas cette vérité que toutes les choses sont vides (shûnya), incréées (an-ufpdda), non-dualistes (a-dvaya) e t n’ont aucun caractère individuel immuable (nih-suabhâua-lakshana). Par vide des choses, on veut dire principalement que leur existence étant si cssentiellement soumise à une dépendance mutuelle n’a abouti nulle part à la fausse notion d’individualité distincte, e t que lorsque l’analyse est poussée à sa conséquence logique, il n’existe rien qui puisse distinguer un objet d’un autre d’une façon définitive ; c’est pourquoi le Sûtra déclare : Sua-parôbhuy-âbhâuâf N (I1 n’existe ni l’un ni l’autre, ni les deux). E n deuxième lieu, lcç choses sont incréées, parce qu’elles ne sont ni autocréées, ni créées par un agent extérieur. En troisième lieu, comme leur existence est réciproquement conditionnée, une conception dualiste du monde n’est pas la conception ultime ; c’est donc une îaute, due à cette fausse discrimination (vilcalpu), que de chercher le Xirvâna en dehors du samsûra (naissance e t mort) e t le samsûra en dehors du Nirvâna. E n quatriéme lieu, ce principe de conditionnement ((
(I)
Voir p. 75,
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mutuel signifie la négation de l’individualité comme réalité absolue, car il n’y a rien dans l’existence qui puisse maintenir d’une façon absolue son individualité érigée au-dessus de toutes les conditions de relativité ou de devenir mutuel; en fait, exister c’est devenir. Pour ces raisons nous ne pouvons réaliser la vérité de l’Illumination qu’en transcendant le premier état des opérations de l’intellect, qui est, d’après le Lankâvafâra, parikalpd ou vikalpa (discrimination). La mise en garde contre ce vikalpa, qui est la tendance analysante de l’esprit, ou, pourrions-nous dire, la disposition fondamentalement dualiste de la conscience, est le refrain constant du Sûtra, qui, par contre, n’oublie jamais d’insister sur l’importance de la soi-réalisation à laquelle on parvient en surmontant cette tendance fondamentale. En transcendant ainsi cet état intellectuel, on réalise paramâriha-saiya, qui est l’ultime vérité, et qui, subjectivement, constitue pratyâfma-jnâna ; c’est aussi la loi universelle qui persiste éternellement (paurâna-sfhifidharmaiâ). Cette vérité intérieurement réalisée a de multiples noms, car elle est envisagée dans ses divers rapports avec les activités humaines, morales, spirituelles, intellectuelles, pratiques e t psychologiques. Bodhi est l’Illumination, e t généralement on emploie ce terme, dans la littérature tant mahâyâniste que hînayâniste, pour désigner le mental d’où 1’Ignorance est complètement bannie; lafhaiâ (le fait d’être (( cela D) ou bhûfafâ (la réalité) sont d’ordre métaphysique. Le Nirvâna est conçu comme un état spirituel où tout le tourbillon passionnel est calmé ; fafhâgafa-garbha est plus psychologique qu’ontologique ; on emploie chiffa en tant qu’appartenant à la série des termes du mental tels que manas, mano-vijnâna, e t autres vijnânas; il n’est pas toujours synonyme de Bodhi ou pratyâimajnâna, à moins qu’il n’ait pour qualificatifs des adjectifs de pureté; shûnyatâ est un terme négatif, nettement épistémologique, e t les étudiants bouddhistes, notamment de l’école de la Prajnâ-pâramitâ, ont été très épris
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de ce terme; nous voyons que le LanliÛvaiÛra s’est également plu à l’einployer. Cependant il va sans dire que tous ces synonymes ne servent que comme poteaux indicateurs indiquant la voie vers la possession de la Soi-réalisation. En outre, nous avons deux ou trois phrases très fréquemment répétées pour caractériser l’idée centrale du texte mahâyâniste. En effet, lorsqu’on saisit le sens de ces phrases en même temps que la dissertation psychologique sur le chifta et ugnâna, toute la philosophie du Zen, telle que l‘expose le Sûtra, devient transparente, et avec elle la tendance générale de la pensée mahâyâniste. Les expressions caractéristiques sont : a vâgoikalpa-ahiia B ou u vag-alrshara-praiivikalpanam vinihaia n ou encore a shâshvaia-uccheda-sad-asad-drishiiuiuarjita ».Ce sont ces formules-là qui accueillent le plus fréquemment le lecteur dans le Sûtra. La premiére e t la seconde signifient que le contentement intérieur de la noble compréhension est au-delà de la portée des mots et du raisonnement analytique ; la troisième expression signifie que la vérité ne peut être trouvée dans 1’ a éternalisme B ou le nihilisme, le réalisme ou le nonréalisme. Le Sûtra continue quelquefois en ces termes : a O Mahâmati, c’est parce que les Sûtras sont prêchés à toutes les créatures selon les modes respectifs de pensée de ces créatures, et n’atteignent pas le but de leur sens véritable ; les mots ne peuvent recréer la vérité telle qu’elle est. C‘est comme le mirage : abusés par lui, les animaux font un jugement erroné sur la présence de l’eau, là où en fait il n’y en a point ;mais bien plus, toutes les doctrines exposées dans les Sûtras sont destinées à satisfaire l’imagination des masses, elles ne révèlent pas la vérité qui est l’objet de la noble compréhension. Par conséquent, 6 Mahâmati, conformez-vous au sens profond et ne vous laissez pas captiver par les mots et les doctrines 8
e).
(1)
LankûoatBra-dira, édit. Nanjo, p. 77.
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Le sens de ces adjectifs et de ces expressions est qu’aucune interprétation de l’Illumination ou de la Soi-réalisation n’est possible par voie de concept, et que la réalisation doit sortir des profondeurs de la conscience de chacun, indépendamment de l’enseignement des Écritures ou de l’aide de quelqu’un d’autre. Car tout ce dont on a besoin pour être conduit à la réalisation de praiyâimârga-jnâna se trouve en soi-même, mais dans un état de confusion qui tient à des jugements faux (vikalpa) accueillis avec tendresse e t incorporés par l’esprit (vâsanâ) depuis des temps immémoriaux. Cette réalisation exige une confirmation ou transmission directe e t personnelle des Bouddhas, mais les Bouddhas eux-mêmes sont incapables de nous éveiller à l’état exalté d’Illumination à moins que nous ne concentrions nous-mêmes nos efforts spirituels sur la tâche d’émancipation de soi. Par conséquent, la méditation (dhyâna) est recommandée dans le Sûtra comme le moyen de parvenir à la vérité de la conscience profonde. L’idée de dhyâna, telle que l’explique le Lankâvatâra, est cependant différente de ce que nous connaissons généralement par la littérature hînayâniste, c’est-à-dire (I) de ce genre de dhgûna exposé au début de cet essai. ( 1 ) Cependant il y a dans le Samyukta-Agama, fasc. XXXIII, p. 93 bis, un Sûtra (Anguttara-Nikâya X I lo), qui traite du véritable dhyffna (âjffniga-jnânu)qui doit être distingué du d h g h a réalisé sans entraînement. Ce dernier est comparé à un cheval mai discipliné qu’on laisse à l’étable et qui ne pense nullement à son devoir, mais seulement au fourrage dont il se délectera. De même, le dhyâna ne peut jamais être pratiqué avec succès par ceux qui i’entreprennent uniquement pour la satisfaction de leurs désirs 6goïstes ; car de tels êtres ne parviendront jamais à comprendre la vérité telle qu’elle est. Si l’on désire l’émancipation et la vraie Connaissance, il faut se libérer de la colère, de la nonchalance, des soucis et du doute, et l’on peut alors atteindre le dhyâna qui ne dépend d’aucun des éléments, ni de l’espace, de la conscience, du néant, de l’impensable - le dliyffna qui ne dépend pas de ce monde ou du monde des corps célestes, ni de ce qu’on entend OU voit, ni de ce’qu’on rappelle à sa mémoire ou de ce qu’on reconnaft -le dhyâna qui n’est as soumis à la connaissance, ou à la contemplation. Ce u vrai dhy!nn n, tel que le décrit ce Sûtra des Nikâyas, appartient plus au MahAyâna qu’à ce qu’on nomme Hfiiayâna.
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Le Sûtra distingue quatre dhyânas : le premier est pratiqué par ceux qui n’ont pas été instruits (bâla-upachârika), tels que les shrâvalias, Pratyeka-bouddhas, et ceux qui pratiquent le Yoga. On leur a enseigné la doctrine du non-âtman, et, regardant le monde comme impermanent, impur et producteur dc souffrance, ils suivent ces idées avec persistance jusqu’à ce qu’ils réalisent le samâdhi de l’extinction de la pensée. Le second dhyûna est designé sous le nom d’examen des afirmations 1) (artha-prauichaya) ; on entend par là un examen intellectuel des déclarations ou propositions, bouddhiques ou non bouddhiques, telles que u chaque objet a ses marques individuelles », il n’y a point d’Atman personnel », les choses sont créées par un agent extérieur », ou les choses sont mutuellement déterminées N.Après l’examen de ces thèmes, celui qui pratique ce dhyâna tourne sa pensée sur le non-âtmanisme 1) des choses (dliarma-nairûtmya) et les traits caractéristiques des diverses étapes (bliûmi) que traverse un Bodhisattva ; enfin, conformément au sens enfermé dans ces sujets d’étude, il poursuit son examen contemplatif. Le troisième dhyûna est appelé s’attacher à la qualité de Cela D (Tafhat-âlambana), par quoi l’on come prend que le fait de discriminer entre les deux forme: de non-âtmanisme est encore dû à une spéculation analytique e t que lorsque les choses sont perçues dans leur vérité 1) (yafhâ-bhûfam), aucune analyse de cet ordre n’est possible, car là règne seulement l’unité absolue. Le quatrième e t dernier est le fafhûgafa-dhy&za». Avec ce dernier, on entre dans l’état de Bouddha », où l’on jouit d’une triple béatitude appartenant à la noble compréhension de la soi-rkalisation e t où l’on accomplit de merveilleuses actions pour l’amour de tous les êtres animes. Ces dhyûnas nous permettent d’observer une perfection graduelle de la vie bouddhique, qui trouve son point culminant en l’absolue liberté spirituelle de c l’état de Bouddha »,lequel est au-dessus de toutes les conditions intellectuelles et en dehors de la portée de ((
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la conscience relative. Ces actions merveilleuses, (( impossibles à concevoir )) (a-chinfya), qui procèdent de la liberté spirituelle, sont appelées u actions accomplies (an-âbhogaen dehors de tout sentiment d’utilité charyâ), ou u actions sans dessein », ainsi qu’on les nomme dans d’autres passages, e t expriment la perfection de la vie bouddhique. Le Lankâuafâra fut donc transmis par Bodhi-dharma à son premier disciple Houeï-k’o, comme le document le plus illuminant sur la doctrine du Zen. Mais, comme il était naturel, le développement du Zen en Chine ne suivit pas la ligne telle que l’indiquait le Sûtra, c’est-àdire conforme à la conception hindoue; le sol où le dhyâna du Lankâuafâra fut transplanté ne favorisa pas sa croissance de la même façon que dans son climat d’origine. Le Zen fut inspiré par la vie e t l’esprit du dhgâna du Tathâgata, mais il créa son propre mode de manifestation. E n fait, c’est là qu’il montre son merveilleux pouvoir de vitalit6 ct d’adaptation.
LA DOC:TRINE DE L’ILLUMINATION DANS LE ZEN
EN CHINE
Pour comprendre comment la doctrine de 1’1lliimination ou de la Soi-réalisation prit en Chine la forme de Bouddhisme Zen, nous devons voir tout d’abord sur q tiel point, d’une manière générale, l’esprit chinois diflére de l’esprit hindou. Le Zen apparaîtra ensuite comme un produit essentiellement naturel du sol chinois, oil le Bouddhisme fut transplanté avec succès malgré bien des conditions adverses. Si l’on veut situer les différences dans leurs grandes lignes, les Chinois sont, avant tout, des gens extrêmement pratiques, tandis que les hindous sont visionnaires et hautement spéculatifs. Peut-être ne pouvons-nous pas considérer les Chinois
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L’il1 urnination chinoise
comme des êtres dépourvus d’imagination e t de sens dramatique, mais comparés aux habitants de la terre natale du Bouddha, ils paraissent bien ternes et sombres! Les traits géographiques de chaque pays sont singulièrement reflétés dans sa population. La luxuriance tropicale de l‘imagination contraste d’une façon si frappante avec la sécheresse hivernale du sens commun pratique! Les hindous sont subtils dans l‘analyse e t éclatants dans l’envolée poétique ; les Chinois sont des enfants de la vie terrestre, ils cheminent lourdement sans jamais planer dans les airs. Leur vie quotidienne consiste à cultiver la terre, à ramasser les feuilles mortes, à tirer de l’eau, à acheter e t vendre, à pratiquer les vertus familiales, à observer les devoirs sociaux, et à développer le code d’étiquette le plus complexe qui soit. Être pratique signifie, dans un certain sens, avoir l’esprit historique, observer le progrès du temps e t enregistrer les traces qu’il laisse derrière soi. Les Chinois peuvent à juste titre se targuer d’être de grands enregistreurs de faits. Quel contraste avec cette absence de sentiment du temps chez les hindous! Ne se contentant pas de livres imprimés et de manuscrits, les Chinois gravent profondément leurs hauts faits dans la pierre ; ils ont, à cet effet, perfectionné un a r t spécial d’incision. Cette habitude d’enregistrer les événements a développé leur littérature ; ils sont avant tout des intellectuels livresques ; sans aucun penchant pour la guerre, ils ont l’amour d’une vie pacifique consacrée à la culture intellectuelle. Leur faiblesse tient en ceci qu’ils acceptent volon.tiers de sacrifier la vérité des faits aux effets littéraires, car ils n’ont pas l’esprit d’exactitude et de rigueur scientifique. L‘amour de la belle rhétorique et des belles expressions a fréquemment noyé leur sens pratique, mais c’est également là qu’on peut évaluer leur amour de l’art. Cependant, même dans ce domaine, leur sobriété strictement disciplinée n’atteint jamais cette forme de fantaisie que nous rencontrons dans la plupart des textes mahâyânistes.
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Dans diverses disciplines les Chinois ont de la grandeur ; leur architecture est majestueuse, leurs œuvres littéraires méritent la reconnaissance du monde entier ; mais la logique n’est pas leur qualité essentielle, pas plus que leur philosophie et leur imagination. Quand le Bouddhisme, avec toutes ses dialectiques et ses images si caractéristiquement indiennes, f u t introduit pour la première fois en Chine, il doit avoir déconcerté l’esprit chinois. Qu’on pense seulement à ses dieux aux multiples têtes, aux bras innombrables1 I1 y a là une conception qui n’est jamais entrée dans l’esprit des Chinois et, en fait, d‘aucune nation en dehors de l’Inde. Qu’on pense à la richesse du symbolisme dont tout être semble revêtu dans la littérature bouddhique! La conception mathématique des infinis, le plan élaboré par le Bodhisattva pour le salut du monde, la merveilleuse mise en scène qui se déroule avant que le Bouddha commence ses sermons, et qui préside non seulement à leurs grandes iignes, mais encore à tous leurs détails ces sermons audacieux mais qui restent exacts, d’une si grande envolée mais où chaque pas reste bien assuré - tous ces traits et bien d’autres doivent avoir été des sujets d’émerveillement pour les Chinois à l’esprit pratique et tourné vers la culture de leur sol. Une citation d‘un Sûtra mahâyâniste convaincra les lecteurs de la différence entre l’esprit hindou et l’esprit chinois, dans le domaine de la puissance d’imagination. Dans le Saddharma-pundarîka-gûfra, le Bouddha souhaite faire sentir à ses disciples la durée du temps qui s’est écoulé depuis qu’il a atteint l’Illumination suprême; il ne se contente pas de déclarer que c’est une erreur de penser que son Illumination eut lieu quelques années auparavant, faciles à compter, sous l’arbre de la Bodhi, près de la ville de Gayâ ; il ne dit pas non plus en termes plus vagues qu’elle se produisit depuis des âges immémoriaux, ce qui serait très vraisemblablement la façon dont il faudrait s’exprimer avec les Chinois, mais il expose de la manière la plus
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détaillée à quelle époque éloignée il advint qu’il entra dans l’Illumination : e Mais, jeunes gens de bonne famille, la vérité est qu’il y a plusieurs centaines de mille myriades de kotis d’aeons que je suis arrivé à la Supreme Parfaite Illumination. Pour prendre un exemple, jeunes gens de bonne famille, imaginons les atomes de la terre de cinq mille milliers de myriades de IdEs de mondes, supposons un homme qui prend l’un de ces atomes de poussière et qui part dans la direction de l’orient, à une distance de cinq mille milliers de myriades de kofls de mondes, afin d’y déposer cet atome de poussière; supposons que cet homme emporte ainsi toute la masse de terre de tous ces mondes, et de la même façon, par le même acte que celui que nous avons supposé, dépose tous ces atomes dans la direction de l’Orient. Croyez-vous, jeunes gens de bonne famille, qu’un être quelconque puisse être capable de peser, imaginer, compter ou déterminer le nombre de ces mondes? Le Seigneur ayant ainsi parlé, le Bodhisattva Mahâsattva Maitreya et toute l’assemblée des Bodhisattvas répondirent : Ils sont incalculables, ô Seigneur, ces mondes, innombrables, en dehors de la portée de la pensée. Tous les shrâvakas et Pratyeka-bouddhas eux-mêmes, 6 Seigneur, avec leur Arya-connaissance, ne seront même pas capables de les imaginer, de les compter ni de les déterminer. Pour nous aussi, ô Seigneur, qui sommes des Bodhisattvas situés au point d‘où l’on ne revient plus sur ses pas, ce point s’étend au delà de la sphère de notre compréhension, tant, 6 Seigneur, ces mondes sont innombrables. (( Cela dit, le Bouddha parla ainsi aux Bodhisattvas Mahâsattvas : J e vous annonce, 8 jeunes gens de bonne famille, je vous déclare ceci : Si nombreux que soient ces mondes où cet homme dépose ou ne dépose pas ces atomes de poussière, il n’y a pas, jeunes gens de bonne famille, dans tous ces cent mille myriades de kolis de mondes autant d’atomes de poussière qu’il n’y a de
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centaines de inille de myriades de kofîs d‘aeons depuis le temps oh je suis parvenu à la Suprême Parfaite Illumination (I). )) Une telle conception du nombre et une telle méthode de description ne seraient jamais entrées dans un esprit chinois. Les Chinois sont naturellement capables de concevoir une longue durée et de réaliser de grandes actions, e t dans ce domaine ils ne sont distancés par aucune autre nation ;mais exprimer cette idée d‘étendue sans limite à la façon des philosophes hindous dépasserait leur compréhension. Lorsque les choses ne tombent pas sous la portée de la description par voie de concept e t qu’elles doivent pourtant être communiquées à autrui, les façons de procéder accessibles à la plupart des êtres consisteront soit B garder le silence, soit à déclarer sim lement que ces choses sont en dehors du domaine es mots, soit à recourir à la négation, en disant : u Ce n’est pas ceci, e t pas non plus cela 1) ; ou bien encore, si l’on est un philosophe, à écrire un traité pour expliquer à quel point il est logiquement impossible de discourir sur de tels sujets. Mais les hindous trouvèrent une façon tout à fait nouvelle d’illustrer les vérités philosophiques qui ne peuvent s’imposer par le raisonnement analytique ; ils eurent recours aux miracles (ou phénomènes supranormaux), pour illustrer leur exposé. C’est ainsi qu’ils firent du Bouddha un grand magicien ; et non seulement le Bouddha, mais presque tous les rincipaux personnages qui apparaissaient dans les I? critures mahâyânistes devinrent les magiciens. E t c’est à mon avis l’un des traits les plus charmants des textes mahâyânistes, que cette description des phénomènes supranaturels dans l’enseignement d’une doctrine abstruse. Certains pourront considérer que cette façon de procéder, complètement enfantine, est une insulte à la dignité du Bouddha en tant qu’instructeur de solennelles vérités religieuses.
B
(I) Voir Sacred Books of the East, traduction Kern, vol: XXI, p. 299-300.
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Mais c’est là interpréter superficiellement la question. Les idéalistes hindous avaient une connaissance qui allait beaucoup plus loin ; ils avaient une imagination plus pénétrante qu’ils employaient toujours efficacement, chaque fois que l’intellect était soumis à une tâche dépassant ses capacités. Nous devons comprendre que le motif des mahâyânistes qui firent accomplir au Bouddha tous ces actes magiques f u t d’illustrer par des images ce qui, dans la véritable nature des choses, ne pouvait être expliqué par une méthode ordinaire ouverte à l’intellect humain. Lorsque leur intellect était impuissant à analyser l’essence de u l’état de Bouddha », leur riche imagination venait à leur aide en le visualisant. Lorsque nous essayons d’expliquer logiquement 1’111~mination, nous nous trouvons toujours entraînés dans des contradictions. Mais lorsque nous faisons appel à notre imagination symbolique, en particulier si nous en sommes libéralement doués, la question est plus facilement comprise. I1 semble tout au moins que ce fut la façon dont les hindous conçurent la signification du supra-naturalisme. Lorsque Shâriputra demanda à Vimalaltîrti comment une si petite salle que la sienne, meublée d’un seul siège pour lui, pouvait accueillir toutes les cohortes de Bodhisattvas, Arhats e t Devas qui étaient au nombre de plusieurs milliers, e t qui venaient avec Manjushrî visiter le philosophe immobilisé par la maladie, Vimalakîrti répondit : u Étes-vous ici pour chercher des sièges ou pour chercher le Dharma? Celui qui cherche le Dharma le trouve en ne le chcrchant dans rien. D Puis, apprenant par Manjushrî où l’on pouvait obtenir des sièges, il demanda à un Bouddha nommé Sumeru-diparâja de lui fournir 32 O00 sièges ornés de têtes de lions, majestueusement décorés e t hauts de 84 O00 yojanas. Lorsqu’ils furent apportés, sa chambre, jusqu’alors juste assez grande pour contenir un seul siège, put recevoir miraculeusement toute la suite de Manjushrî, dont chaque personnage était confortablement assis dans un siège
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céleste, et cependant la ville de Vaishâlî et le reste du monde ne semblèrent pas pour cela bondés à déborder. Shâriputra fut surpris au-delà de toute mesure d’assister à cet événement surnaturel, mais Vimalakîrti expliqua que pour ceux qui comprennent la doctrine de l’émancipation spiri tuelle, le mont Sumeru lui-même pourrait être scellé dans un grain de moutarde, et l’on pourrait faire couler les vagues des quatre grands océans en un seul (( pore de la peau )) (rornakûpa), sans même donner la moindre impression de gêne à un seul des poissons, crocodiles, tortues et autres créatures vivant au sein de ces océans ; le royaume spirituel n’était pas lié à l’espace ni au temps. Nous citerons un autre exemple tiré du premier chapitre du Lankâvatâra-Sûtra, qui n’apparaît pas dans la plus ancienne traduction chinoise. Lorsque le roi Râvana demanda au Bouddha, par l’intermédiaire du Bodhisattva Mahâmati, de manifester le contenu de son expérience intérieure, le roi vit brusquement sa résidence montagneuse transformée en innombrables montagnes de pierres précieuses et décorées d’ornements d’une splendeur céleste, et sur chacune de ces montagnes ii vit le Bouddha manifesté. Et devant chaque Bouddha se tenait le roi Râvana lui-même avec toute sa cour, ainsi que tous les pays des dix quartiers du globe, et dans chacun de ces pays apparut le Taihâgata, devant qui de nouveau était le roi Râvana, ses familles, ses palais, ses jardins, tous exactement décorés dans le même style que celui de son propre pays. I1 y avait également, dans chacune de ces innombrables assemblées, le Bodhisattva Mahâmati demandant au Bouddha d’exposer le corrtenu de son expérience spirituelle intérieure, et lorsque le Bouddha eut fini son discours sur le sujet avec des centaiiies de milliers de voix exquises, toute la scène s’évanouit soudainement, et le Bouddha avait disparu avec tous ses Bodhisattvas et ses disciples. Le roi Râvana se retrouva seul dans son vieux palais. I1 réfléchit alors : (( Qui est-ce qui posa la question? Qui est-ce qui écouta?
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Qu’étaient ces objets qui apparurent devant moi? Était-ce un rêve? Ou un phénomène magique? P I1 réfléchit encore : a Les choses sont toutes comme cela, elles sont toutes des créations de notre propre esprit. Lorsque l’esprit opère une discrimination, il y a la multiplicité des choses ; mais quand il n’opère pas de discrimination il aperçoit le véritable état des choses. B Lorsqu’il eut ainsi réfféchi, il entendit dans son palais des voix qui résonnaient dans les airs, disant : (( Tu as bien réfléchi, ô roil Tu dois te conduire conformément ti cette conclusion. n La littérature mahâyâniste n’est pas la seule à enregistrer le pouvoir miraculeux du Bouddha, qui transcende toutes les conditions relatives d’espace et de temps ainsi que les activités humaines d‘ordre mental et physique. Les Écritures en pâli ne restent nuiiement en arrière à cet égard. Sans parler de sa triple connaissance, qui consiste dans la connaissance du passé, de l’avenir, et de sa propre libération, le Bouddha peut aussi pratiquer ce qui est connu sous le nom des trois miracles, qui sont le miracle mystique, le miracle de l’enseignement et le miracle de la manifestation. Mais lorsque nous examinons avec soin les miracles décrits dans les Nikâyas, nous voyons qu’ils n’ont pas d’autre but que la déification de la personnalité du Bouddha. Ceux qui ont enregistré ces miracles doivent s’être imaginé qu’ils pourraient ainsi rendre leur maître plus grand et très au-dessus des mortels ordinaires dans l’estimation de leurs rivaux. De notre point de vue moderne, il &ait. tout à fait enfantin de leur part de s’imaginer qu’une action quelconque sortant des lois habituelles attirerait, ainsi que nous le lisons dans le Keuuddhu-Suttu, l’attention des foules vers le Bouddhisme, dont elles remnnaîtraient pour cette raison même la supériorité ; mais à cette époque éloignée, la masse hindoue, et même les érudits, tenaient le surnaturel en haute estime, et tout naturellement les bouddhistes tirèrent le meilleur parti possible de cette croyance. Lorsque nous en venons aux
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Sûtras mahâyânistes, nous nous apercevons iininédiatement que les miracles qu’ils décrivent, sur une bien phis grande échelle, n’ont rien à voir avec le surnaturel, ni avec aucun des motifs ultérieurs tels que la propagande ou l’exaltation de soi-même, mais qu’ils sont essentiellement et intimement liés à la doctrine même qui se trouve exposée dans les textes. Par exemple, dans le Prajnâpâramifâ-SÛira, chaque partie du corps du Bouddha émet simultanément des rayons illuminant instantanément les extrémités les plus éloignées des mondes, alors que dans l’dvafamsaka-Sûfra,les différentes parties de son corps émettent des rayons de lumière en différentes occasions. Dans le Saddharma-pundartka-~ûtra, un rayon de lumière jaillit du cercle qui se trouve entre les sourcils du Bouddha, et illumine à l’est plus de dix-huit cent mille pays de Bouddha, révélant chacun des prêtres qui s7ytrouvent, e t même les habitants du plus profond enfer appelé Avtchi. I1 est évident que les auteurs mahâyânistes de ces Siîtras avaient dans l’esprit quelque chose de tout à fait différent de ce qui animait les récits des écrivains hînayânistes sur le pouvoir miraculeux du Bouddha. Ce qu’était ce quelque chose, c’est ce que j’ai montré ici d’une façon tout à fait générale. Une étude systématique et détaillée du surnaturalisme mahâyâniste serait sans aucun doute intéressante. En tout cas, ces exemples suffiront, je pense, pour soutenir ma thèse que l’introduction du surnaturel dans la littérature mahâyâniste du Bouddhisme visait à démontrer l’impossibilité de comprendre intellectuellement les faits spirituels; alors que la philosophie épuisait ses ressources pour les expliquer logiquement, Vimalakîrti, de même que Bâhva, un mystique védique, restèrent silencieux. Loin de s’en contenter, les écrivains hindous mahâyânistes introduisirent en outre un symbolisme surnaturaliste, mais il était réservé aux bouddhistes chinois du Zen d’inventer, conformément à leurs besoins et à leur vision intérieure particulière, leur propre m 4 thode pour communiquer la plus haute e t la plus pro-
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€onde expérience connue dans le Bouddhisme sous le nom d’Illumination, e t cela en dépit de toutes les dificultés. Les Chinois n’ont pas, comme les hindous, la moindre aptitude à se cacher dans les nuages du mystère e t du surnaturel. Tchouang-tseu e t Lièh-tseu furent dans i’ancienne Chine ceux qui se rapprochèrent le plus du genre d’esprit hindou, mais leur mysticisme est bien loin d’approcher de celui des mahâyânistes hindous en magnificence, en perfection, en hauteur de vertigineuse imagination. Tchouang-tseu fit de son mieux lorsqu’ii monta dans les airs sur le dos de l’oiseau tai-p’êng dont les ailes planaient comme des nuages suspendus au milieu du ciel, et Lièh-tseu lorsqu’il put faire des vents et des nuages les conducteurs de son char. Plus tard, les taoïstes rêvèrent de monter aux cieux après de longues années de discipline ascétique e t en prenant un élixir de vie, quintessence d’herbes rares et variées. C‘est ainsi qu’en Chine on trouve tant d’ermites taoïstes vivant dans les montagnes, loin des habitations des hommes. Mais on n’a jamais parlé dans l’histoire d’un seul saint ou philosophe chinois qui ait été capable d’égaler Vimalakîrti ou Manjushrî ou même l’un des Arhats. Le verdict confucianiste que l’homme supérieur ne parle jamais de miracles, ni de faits merveilleux et surnaturels est l’expression véritable de la psychologie chinoise. Les Chinois sont profondément pratiques. Ils doivent avoir leur façon propre d’interpréter la doctrine de 1’Illumination appliquée à leur vie quotidienne, et ils ne pouvaient faire autrement que de créer le Zen comme expression de leur expérience spirituelle intérieure. Si l’imagerie du surnaturel n’attirait pas le sobre caractère chinois, comment les Chinois qui wivirent la voie de l’Illumination s’y prirent-ils pour s’exprimer ? Adoptèrent-ils la méthode intellectuelle de la philosophie de la Shûnyaiâ? Non, car celle-ci n’était pas non plus conforme à leur goût, ni tout à fait à portée de leur mental. Le Prajnâ-Pâramitâ-Sûtra était une création hindoue
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e t non pas chinoise. Les Chinois pouvaient produire un Tchouang-tseu ou ces rêveurs taoïstes des Six Dynasties, mais pas un Nâgârjuna ni un Shankara. Le génie chinois devait se démontrer de quelque autre façon. Lorsqu’ils se mirent à assimiler intérieurement le Bouddhisme comme doctrine de l’Illumination, la seule voie qui s’ouvrit à leur esprit concret e t pratique f u t de produire le Zen. Lorsque nous abordons le Len, après avoir vu les étonnants miracles déployés par les écrivains hindous du Mahâyâna, e t après les spéculatioiis si hautement abstraites des penseurs mâdhyamikas, quel changement de décor s’offre à nous! Aucun rayon ne jaillit plus du front du Bouddha, nulle suite de Bodhisattvas ne se manifeste devant nous ; en fait vous ne découvrez rien qui puisse frapper particulièrement vos sens par son caractère curieux ou extraordinaire, transcendant l’intelligence ou inaccessible à l’intelligence logiq-ue. Ceux avec qui vous vous associez sont des mortels ordinaires comme vous-même ; nulle idée abstraite, nulle subtilité dialectique ne se dressent devant vous. Les montagnes s’élèvent haut dans les cieux, toutes les rivieres se jettent dans l’océan. La plante fait éclater ses bourgeons au printemps e t ses fleurs s’épanouissent en rouge. Lorsque la lune brille, sereine, les poètes, en proie à une douce ivresse, chantent un chant d’éternelle paix. Combien prosaïque e t ordinaire, pourrions-nous dire I mais c’est là qu’était l’âme chinoise, et le Bouddhisme est venu s’y épanouir. Lorsqu’un moine demande qui est le Bouddha, le maître désigne son image dans la salle du Bouddha; nulle explication n’est donnée, nul argument n’est suggéré. Lorsque l’esprit forme le sujet de la lecon, un moine demande : (( Mais en somme, qu’est-ce que l’esprit? - C’est l’esprit, répond le maître. - Seigneur, je ne comprends pas. 1) La réponse du maître est immédiate : (( Moi non plus. 1) Une autre fois, un moine se tourmente sur la question de l’immortalité : (( Comment puis-je échapper aux chaînes de la naissance e t de la mort?
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- Où êtes-vous? u répond le maître.
E n règle absolue, les adeptes du Zen ne perdent jamais leur temps à répondre aux questions e t ils ne s’étendent nullement dans l’argumentation. Leurs réponses sont toujours abruptes e t définitives, succédant aux questions avec la rapidité de l’éclair. Quelqu’un demanda : a Quel est renseignement fondamental du Bouddha? n Le maître répondit :a Il y a dans cet éventail assez de brise pour me donner de la fraîcheur. n Quelle réponse éminemment terre à terre1 Cette formule inévitable dans le Bouddhisme, la Quadruple Noble Vérité, ne semble pas avoir sa place dans le plan d’enseignement du Zen, pas plus que nous n’y sommes menacés par cette déclaration énigmatique qu’on trouve constamment dans la Prajnâ-Pâramitâ .-(( Tach-chitam yach-chiftam a-chilfam. n Iun-mên (I) monta un jour en chaire e t dit : a Dans cette école de Zen, aucun mot n’est utile. Quelle est donc alors l’ultime essence de l’enseignement Zen? n Posant alors ainsi luimême la question, il tendit les deux bras, e t sans ajouter un seul mot, descendit de la chaire. Telle f u t la façon dont les bouddhistes chinois interprétèrent la doctrine de l’Illumination, telle fut la façon dont ils exposèrent le Pratyâfma-jnâna-gochara du Lankâvatâra-Sûfra. Et pour les bouddhistes chinois, ce fut la seule voie pour démontrer l’expérience intérieure du Bouddha, non pas intellectuellement ou analytiquement, ni par des moyens surnaturels, mais directement dans notre vie pratique. Car la vie, dans la mesure où elle est vécue sur le plan concret, est au-dessus des concepts aussi bien que des images. Pour la comprendre, il faut nous y plonger e t entrer personnellement en contact ;le fait d’en prendre ou d’en découper une partie pour l’inspecter la tue; lorsqu’on croit en avoir pénétré l’essence, elle n’est plus, car elle a cessé de vivre, elle gît immobile, entièrement desséchée. Pour cette raison, les esprits chinois, même depuis l’arrivée de Bodhi-dharma, travaillèrent sur le (I)
En japonais ûummon.
La docfrine
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problème de savoir comment présenter la doctrine de l’Illumination dans les vêtements de leur pays, coupés conformément à leur mode de sentiments e t de pensée ; ce ne fut qu’après Houei-nêng qu’ils résolurent le problème d‘une façon satisfaisante et que fut réalisée la grande tâche de construction d’une école qui devait dorénavant être connue sous le nom de Zen. Que le Zen fût exactement ce que les esprits chinois désiraient avoir lorsqu’ils comprirent à fond l’enseignement du Bouddhisme, c’est ce que prouvent deux faits historiques incontestables : en premier lieu, après la création du Zen, ce f u t cet enseignement qui exerça son autorité sur la Chine, où aucune autre école de Bouddhisme, excepté la secte du Pays Pur, ne réussit à survivre; en second lieu, avant que le Bouddhisme f û t traduit en Zen, il n’entra jamais en rapport intime avec la pensée originelle de la Chine, à savoir le Confucianisme. Voyons d’abord comment le Zen en vint à diriger la vie spirituelle de la Chine. Le sens profond de 1’IIlumination n’y fut pas compris, sinon intellectuellement, dans les premiers jours du Bouddhisme. Rien de plus naturel, étant donné que c’est sur ce plan que l’esprit chinois était dépassé par l’esprit hindou. Ainsi que je l’ai déjà déclaré, les hardiesses et la subtilité de la philosophie mahâyâniste doivent avoir considérablement étonné les Chinois qui, avant l’introduction du Bouddhisme, n’avaient pratiquement aucun système de pensée digne de ce nom, en dehors de la science morale. Dans cette discipline, ils étaient conscients de leur propre force ; des bouddhistes fervents tels qu? I-Tsing (l) e t Hsiuan-tsang (*)le reconnaissaient eux-mêmes, si grande que f Q t leur ardeur pour la psychologie des Yogâchâras et la métaphysique des Avatamsakas ; ils pensaient que leur pays, dans le domaine de la culture morale, était en avance sur le pays d’origine de leur foi, ou tout au En japonais Gijô. (*) En japonais Gengô. (I)
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moins n’avait rien à en apprendre. A mesure que les Sûtras et ShAstras mahâyânistes furent traduits successivement, en un bref espace de temps, par des savants qualifiés, érudits et fervents, tant chinois qu’hindous, l’esprit chinois fut amené à explorer une région oh il ne s’était pas aventuré jusqu’alors. Dans les premières histoires biographiques chinoises du Bouddhisme, nous relevons des commentateurs, des interprètes, des philosophes, en bien plus grand nombre que des traducteurs et des adeptes du dhyâna proprement dits. Tout d‘abord, les savants bouddhistes furent entièrement occupés à assimiler intellectuellement les diverses doctrines expos&.~ dans la littérature du Mahâyâna. Non seulement ces doctrines étaient profondes et complexes, mais elles se contredisaient également l’une l’autre, à la surface tout au moins. Si les savants devaient entrer dans les profondeurs de la pensée bouddhique, il leur fallait, d’une façon ou d‘une autre, résoudre des complications. Mais s’ils avaient un esprit sufisamment critique, ils pouvaient le faire avec une facilité relative, inattendue pourtant chez ces bouddhistes des premiers temps ; car même à notre époque les savants bouddhistes qui manifestent avant tout un esprit critique sont considérés dans certains cercles comme insuffisamment dévots et orthodoxes. Ils n’avaient pas l’ombre d’un doute sur l’authenticité des textes mahâyânistes et la fidélité littérale avec laquelle ces textes avaient enregistré les paroles mêmes du Bouddha ;il leur fallait donc élaborer des systèmes de conciliation entre les diverses doctrines qu’enseignaient les Écritures. Cette recherche avait pour objet de découvrir quel était le but primordial de l’apparition du Bouddha dans ce monde ignorant, corrompu, et soumis au Karma de l’éternelle transmigration. Ce sont ces efforts des philosophes bouddhistes qui firent évoluer le systéme spécifiquement désigné sous le nom de Bouddhisme chinois. En même temps que se poursuivait cette assimilation intellectuelle, on étudiait assidûment l’aspect pratique
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La doctrine
du Bouddhisme. Certains suivaient les testes dü Vinaya, d’autres se consacraient à la maîtrise du dhuâna. Mais ce qu’on connaissait sous ce nom n’était pas le dhyâna du Bouddhisme Zen. C’était une méditation où l’on concentrait ses pensées sur certaines idées telles que l’impermanence des choses, leur absence d’ego, la chaîne des causes interdépendantes, ou les attributs du Bouddhisme. Bodhi-dharma lui-même, le fondateur du Bouddhisme Zen, fut considéré par les historiens comme appartenant à cette catégorie d’adeptes du dlyâna ; ses mérites particuliers comme créateur d’une école de Bouddhisme entièrement nouvelle ne furent pas pleinement appréciés. C’était inévitable, les esprits en Chine n’étant pas encore tout à fait prêts à accepter cette forme nouvelle, faute d’avoir sufisamment saisi la doctrine de l’Illumination dans toutes ses conséquences. L’importance de l’Illumination sous ses aspects pratiques ne fut cependant pas complètement perdue de vue dans le labyrinthe des complexités doctrinales. Tchih-I (E), l’un des fondateurs de l’école T i e n taï (z) et le plus grand philosophe bouddhiste de Chine, était pleinement conscient de la signification du dhyâna comme moyen d’atteindre l’Illumination. Quelle que fût la puissance de son esprit d’analyse, sa spéculation laissait suesamment de place à la pratique du dhyâna. Son travail sur (( Tranquillisation et Contemplation est explicite sur ce point. Son idée était de mener de front, dans une parfaite harmonie, les exercices intellectuels e t spirituels, sans la moindre insistance partiale sur l’un des deux éléments, samâdhi ou prajnâ, aux dépens de l’autre. Malheureusement ses adeptes prirent de plus en plus position d’un seul côté, jusqu’à ce qu’ils arrivassent à négliger la pratique du dhgdna pour I’intellcct. De là, plus tard, leur attitude d’antagonisme envers ceux qui préconisaient IC Bouddhisme Zen, antagonisme dont ))
En japonais Tchigi (522-597). (z) En japonaiar Tendaï. (1)
L’ illiirninafion chinoise
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celui-ci était d’ailleurs également responsable dans une certaine mesure. C‘est grâce à Bodhi-dharma, mort en 528 (I), que le Zen devint le Bouddhisme de la Chine. C’est lui qui inaugura ce mouvement qui se révéla si fructueux au milieu d‘un peuple adonné aux affaires pratiques de la vie. Lorsqu’il donna son message, celui-ci était encore teinté de couleurs hindoues; celui qui le prononçait n’était pas encore entièrement dégagé de la métaphysique bouddhique traditionnelle à son époque. I1 était naturel qu’il f î t allusion au Vajra-samâdhi et au Lankâvafâra, mais les graines du Zen furent semées de ses mains. I1 appartenait ensuite à ses disciples chinois de veiller à ce que les graines crussent en harmonie avec le sol et le climat. I1 fallut environ deux cents années aux graines du Zen pour porter des fruits vigoureux, riches de vie e t pleinement adaptés au climat, tout en conservant intacte l’essence de ce qui constitue le Bouddhisme. Houei-nêng, qui fut le sixième patriarche après Bodhidharma, fut le véritable fondateur du Zen chinois, car c’est par lui et ses successeurs directs que le Zen put rejeter le vètement emprunté aux Indes e t commença d’en revêtir un autre, coupé e t cousu par des mains chinoises. L’esprit du Zen fut naturellement le même que celui qui vint en Chine, transmis sans interruption depuis le Bouddha, mais l’expression en fut profondément chinoise, car elle fut la création propre du génie chinois. Après cela la progression du Zen fut stupéfiante. L’énergie latente qui avait été emmagasinée pendant la période de naturalisation éclata soudainement dans une œuvre active, e t le Zen suivit une progression presque triomphale à travers tout le territoire de Cathay. Pendant la où la culture chinoise atteignit son dynastie T’ang point culminant, de grands maîtres du Zen se succédèrent, construisant des monastères e t instruisant moines
e),
(l)
Pour cette partie, voir chapitre IV :a Histoire du Bouddhisme
Z e n de Bodhi-dharma h Houei-nhg (*) 618-906.
D.
La doctrine
129
e t disciples laïcs auxquels on enseignait non seulement les classiques confucianistes mais aussi la doctrine du Bouddhisme mahâyâniste. Les empereurs n'étaient pas non plus les derniers à entourer de leur respect ces voyants du Zen, qui étaient invités à venir à la Cour adresser des sermons à ces augustes personnages. Lorsque, pour des raisons politiques, le Bouddhisme fut persécuté, ce qui causa la perte de nombreux documents de valeur et d'œuvres d'art et le déclin de certaines écoles, le Zen fut toujours le premier à retrouver sa vigueur e t à renouer ses activités avec une énergie e t un enthousiasme redoublés. Pendant toute la durée des Cinq Dynasties (1) lorsque la Chine fut déchirée de nouveau en de nombreux petits royaumes, e t que la situation politique générale semblait défavorable à l'épanouissement des sentiments religieux, le Zen prospéra comme auparavant et les maîtres conservèrent leurs centres monastiques à l'abri de la tourmente. Avec la dynastie Soung (*)le Zen atteignit le sommet de son développement e t de son influence, tandis que les autres sectes du Bouddhisme montraient des signes de rapide déclin. Lorsque l'histoire s'ouvre sur les dynasties Iuan (a) et Ming (4) on trouve le Bouddhisme identifié au Zen. Les sectes d'Avatamsaka T'ien-taï San-loun ('), Abhidharmakosha Yogâchâra (") e t Mantra p),si elles ne furent pas complètement anéanties par la persécution, souffrirent terriblement du manque de sang nouveau. Peut-être devaient-elles mourir de toute façon du fait qu'elles n'avaient pas été complètement assimilées
e),
(l)
906-960.
(') 960-1279. (') 1280-1367. (') (6)
(a)
1368-1661. IU TRAVAIL
Pour avoir un aperçu de l’aspect pratique et de la discipline du Zen, nous devons étudier l’institution connue sous le nom de Salle de méditation. I1 s’agit d’un système éducatif tout à fait particulier à la secte Zen. La plupart des principaux iiionastères appartenant ti cette secte sont pourvus de Salles de méditation, et la vie du moine Zen, plus que toute autre vie monastique, rappelle celle de la Fraternité bouddhique (sangha), telle qu’elle existait dans l’Inde. Ce système f u t fondé par le maître chinois Paï-tchang il y a plus de mille ans. Jusqu’alors les moines vivaient dans des monastères appartenant à la secte Vinaya, ob rQnait un esprit qui n’était pas tout à fait conforme aux principes du Zen. Comme celui-ci devenait de plus en plus florissant et que ses adeptes ne cessaient de croître en nombre et en influence, il éprouva le besoin d’avoir sa propre organisation, exclusivement consacrée au développement de ses priiicipes particuliers. Selon Pnï-tchang, les monastères Zen ne devaient être ni liînayânistes, ni maliâyânistes, mais devaient unir les méthodes de discipline des deux brandies du Boiiddliisme d’une manière nouvelle et originale, qui f û t la mieux appropriée à la rialisalion des idéals du Zen, tels que les conçiireiit les maîtres des premiers temps. On a perdu l’original du livre où Pnï-tcliang don-
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La salle de médifafion
nait le règlement détaillé du monastère Zen. La compilation que nous avons maintenant fut faite sous la dynastie h a n d’après la vie des monastères de l’époque ; on les regardait alors comme une fidèle continuation de l’ancienne institution, compte tenu, naturellement, de quelques modifications et transformations dues à des nécessités historiques. Ce livre fut compilé sous les auspices de l’empereur Shouou, e t on le connaît sous le titre d’Édition Impériale des règles en vigueur dans le monastère Zen. Au Japon, ces monastères ne furent jamais établis sur une aussi vaste échelle qu’en Chine, si bien que les règlements énumérés en détail dans cette Édition impériale n’y furent pas tous mis en pratique. Mais on en adopta l’esprit et tout ce qui pouvait s’appliquer à la vie et aux conditions spéciales du Japon. Nulle part les idéals de la vie du Zen ne furent perdus de vue. Et, avant de poursuivre, je désirerais parler brièvement de l’un de ces idéals proposés à tous les étudiants du Zen, car il s’agit réellement du trait le plus important e t le plus digne d’être noté dans leur vie monastique. E n fait, c’est cela qui distingue le Zen des autres écoles bouddhiques originaires de Chine ; c’est cela qui doit être considéré comme son élément le plus caractéristique, et comme celui qui anime sa longue histoire. I1 s’agit de la notion de travail ou de service. Pai-tchang laissa une célèbre maxime, qui fut le principe directeur de sa vie et qui est éminemment l’esprit même de la Salle de méditation : a Qui ne travaille ne mange. n Quand ses disciples dévoués estimèrent qu’il était trop vieux pour travailler au jardin, ce qui était son occupation quotidienne, à côté des conférences e t de l’enseignement du Zen aux moines, ils cachèrent tous ses outils de jardinage, car le maître ne voulait pas se rendre à leurs remontrances. I1 refusa alors de manger, disant : n Qui ne travaille ne mange (I). )) Dans toutes les Salles ( 1 ) Littdrnlcment a Un jour [de] non-travail [est] un jour [de] non-nourriture D . Cf. II Thessaloiiiciens, III, 10 : a Si quelqu’un
L’évangile du travail
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de méditation, le travail est donc considéré comme un élément vital dans la vie d’un moine. C’est toujours un travail entièrement pratique, e t principalement manuel, tel que balayer, nettoyer, cuisiner, ramasser du bois, cultiver la ferme, ou aller mendier dans les villages, lointains ou proches. Aucun travail n’est considéré par les moines comme au-dessous de leur dignité, e t un sentiment parfait de fraternité e t de démocratie règne parmi eux. Si pénible ou mesquine que puisse être une tâche, du point de vue ordinaire, ils ne se déroberont pas. Ils croient en la sainteté du travail manuel. Ils se tiennent constamment en activité, de toutes les façons possibles; ce ne sont pas des oisifs, comme sont, physiquement au moins, certains soi-disant moines mendiants, dans l’Inde par exemple. Cette sanctification du travail reflète trés bien l’attitude pratique de l’esprit chinois. Lorsque j’ai dit que le Zen était l’interprétation chinoise de la doctrine de 1’Illumination, cette conception du travail n’entrait pas, essentiellement ou théoriquement, dans ma conclusion. Mais, du point de vue pratique, le travail fait maintenant à tel point partie intégrante de la vie du Zen, que l’une ne peut être conçue indépendamment de l’autre. Dans l’Inde, les moines sont des mendiants ; lorsqu’ils méditent, ils se retirent dans un coin tranquille, loin des soucis du monde. Et dans la mesure où les fidèles laïques pourvoient à leurs besoins, ils n’éprouvent pas la nécessité de se livrer à quelque humble travail, comme font les moines Zen de Chine et du Japon (l). Ce qui a préservé le Zen de tomber dans le quiétisme ou la simple gymnastique intellectuelle - alors que c’était plus ou moins le destin des autres écoles bouddhiques - ce fut ne veut pas travailler, il ne doit pas non plus manger. n Il est à sfgiialer que saint Fraiiyois d’Assise fit de ce principe la première regie de sa comniunauté. (1) Ceci n’est plus exact de tous Ics ordres monastiques actuels dans l’Inde. L’ordre de Râmakrisliiia, pour ne citer qu’uii cxernple parmi d’autres, repose essciilicllcinciit sur une base de u service du prochain D. (N. d. t.)
374
La salle de m6diiaiion
Certainement cet évangile du travail. En dehors de sa valeur psychologique, il se révéla comme un moyen efiicace de préserver la vigueur et la santé du Zen pendant toute la longue histoire de sa croissance. Quelle que puisse être l’importance historique du travail, Paï-tchang doit avoir possédé une connaissance profonde de la psychologiehumaine lorsqu’il fit du travail l’esprit directeur de la vie monastique. Cette idée : u Qui ne travaille ne mange n n’est pas nécessairement sortie d’une conception économique ou éthique des valeurs de la vie. Le motif de cette régle n’était pas seulement que nul ne méritait son pain quotidien s’il ne l’avait gagné à la sueur de son front. Il y a vertu, certainement, à ne pas manger le pain de l’oisiveté, et il y eut depuis les premiers jours du Bouddhisme de nombreux bouddhistes qui tenaient pour déshonorant de vivre des gains e t des économies d’autrui ; mais le but de Paï-tchang, bien qu’il ait pu ne pas l’avoir conçu explicitement, était plus psychologique, en dépit de sa déclaration ouverte : Q Qui ne travaille ne mange. D C’était pour sauver ses nioines d’une inactivité mentale ou de ce développement non équilibré de l’esprit qui résulte trop souvent de l’habitude de la méditation dans la vie monacale. Quand les musclcs ne sont pas exercés pour l’exécution des vérités spirituelles, ou quand l’esprit et le corps ne sont pas mis à l’épreuve des faits, la dissociation aboutit généralement à des résultats discordants. Comme la philosophie du Zen a pour objet de dépasser la conception dualiste de la chair et de l’esprit, son application pratique sera naturellement, en langage dualiste, de faire des nerfs et des muscles les serviteurs toujours prêts et absolument obéissants de l’esprit, et non pas de nous faire dire que l’esprit est, lui, véritablement prêt, mais que la chair est faible. Quelle que soit la vérité religieuse de ce dernier adage, il provient, psycliologiquement, de l’absence d’un canal ouvert entre l’esprit et les muscles. Si les mains ne sont pas exercées d’une façon habituelle à exécuter le travail du cerveau, le
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sang cesse de circuler d‘une façon égale par tout le corps, il détermine une congestion en quelque endroit, et spécialement dans le cerveau. Il en résulte non seulement un état morbide du corps en général, mais aussi un état de torpeur ou de somnolence mentale, où les idées se présentent comme des nuages flottants. On est bien éveillé, et cependant l’esprit est rempli des visions et des rêves les plus fous, sans aucun rapport avec les réalités de la vie. Les fantaisies sont fatales pour le Zen, e t ceux qui le pratiquent en le considérant comme une forme de méditation ne sont que trop susceptibles d’être attaqués par ces insidieux ennemis. L’insistance de Paï-tchang sur le travail manuel a préservé le Zen de tomber dans les pièges de l’amoralisme (‘1, aussi bien que dans un mode d’esprit hallucinatoire. E n dehors de ces considérations psychologiques, il y a une raison morale qui ne doit pas échapper à notre attention lorsque nous apprécions la sagesse de Paitchang faisant du travail une partie vitale de l’existence Zen. Car la validité des idées doit subir l’épreuve finale de leur application pratique. Lorsqu’elles y échouent, c’est-àdire lorsqu’elles ne peuvent être appliquées dans la vie quotidienne en y produisant une harmonie e t une satisfaction durables, e t en procurant un réel bénéfice à tous les individus en jeu -à soi-même aussi bien qu’aux autres - on ne peut dire d’aucune idée qu’elle est valide et pratique. S’il est vrai que la force physique n’est pas une mesure de la valeur des idées, celles-ci, par contre, si cohérentes qu’elles soient logiquement, n’ont aucune réalité quand elles ne sont pas associées à la vie. Dans le Zen en particulier, les idées abstraites qui n’entraînent pas conviction dans le domaine de la vie pratique n’ont pas la moindre valeur. La conviction doit s’acquérir par l’expérience et non par l’abstraction, ce qiu signifie que la conviction n’a pas de bases réellement solides si (-1)
Littéralement : ailtinomianisme. Voir
s h e II 1.
u
Essai XII1 de la
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La salle de méditation
elle ne peut être confirmée par l’efficacité des actions de la vie. L‘affirmation morale ou u le fait de porter témoignage doivent être au-dessus e t au-delà d’un jugement intellectuel, c’est-à-dire que la vérité doit être le produit des expériences de la vie de chacun. (( Une rêverie oisive n’est pas notre affaire », affirment avec insistance les adeptes du Zen. Certes, ils restent tranquillement assis quand ils pratiquent le fso-tch’an (1) ; car ils ont besoin de réfléchir sur les leçons de tous ordres qu’ils ont reçues en travaillant. Mais comme ils sont opposés à la rumination perpétuelle, ils mettent en action toutes les réflexions qu’ils ont faites pendant les heures de tranquille méditation, et ils en éprouvent la validité dans le domaine essentiel de la vie pratique. J e suis fermement convaincu que si le Zen n’avait pas placé cette confiance dans la mise en action de ses idées, le mouvement aurait depuis longtemps sombré dans un système d’assoupissement e t d’état de transe, si bien que tous les trésors accumulés par les constantes pensées des maîtres de la Chine et du Japon auraient été dispersés à tous les vents comme des monceaux de détritus. C’est peut-être pour les diverses raisons énumérées que la valeur du travail ou du service en vint à être considérée par tous les disciples du Zen comme l’un de leurs idéals religieux. Sans nul doute, cette idée fut grandement renforcée par l’esprit industrieux et pratique du peuple chinois, par qui le Zen f u t principalement développé. Un fait certain, c’est que, s’il est un ( l ) En japonais zazen, est un de ces termes bouddhiques composites faits de sanskrit et de chinois. Tso est chinois et signifie nêtre assis II, et tch’an traduit dhgâna (pâli jhâna). La transcription complète de ce terme est tch’an-na mais, pour la brièveté, on a seulement employé le premier caractère. La combinaison tsotch’an vient de ce qu’on pratique toujours le dhyâna en restant assis les jambes croisées. Les hindous considèrent depuis longtemps cette osture comme le meilleur moyen de rester assis longtemps en mgitation. Dans cette posture, au dire de certains médecins aponais, le centre de gravité demeure fermement dans les régions nférieures du corps ;la tête ainsi libér6e du risque de congcstion, tout le système fonctionne dans un ordre parfait et l’esprit est mis dans un état favorable à la réception des véritCs du Zen.
i
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L’évangile du travail
point que les maîtres du Zen aient jamais souligné avec la plus grande insistance comme étant l’expression pratique de leur foi, c’est bien le fait de servir autrui, de travailler pour autrui, sans ostentation, mais secrètement, sans le faire savoir aux autres. Eckhart a dit : u Ce qu’un homme prend par la contemplation, il doit le répandre dans l’amour. 1) Le Zen dirait (( le répandre dans le travail », travail signifiant pour lui la réalisation active et concrète de l’amour. Tauler éleva le tissage, le travail de cordonnier et d’autres tâches domestiques au rang de dons du Saint-Esprit ; le Frère Laurent fit de la cuisine une œuvre sacramentelle; George Herbert écrivit : (( Celui qui balaie, soumis à Tes lois, Nettoie la chambre, et embellit i’action.
))
Tout cela exprime l’esprit du Zen, dans ce qui touche A son aspect pratique. Les mystiques sont donc des hommes parfaitement pratiques, et sont très loin d’être des visionnaires dont les âmes sont trop absorbées dans les choses non terrestres ou de l’autre monde pour s’intéresser à leur vie quotidienne. On doit réviser cette croyance commune que les mystiques sont des rêveurs et des bayeurs aux étoiles, car elle n’a aucun fondement dans la réalité. C’est même un fait psychologique qu’il existe une relation très intime et profonde entre une tournure d’esprit pratique et un certain type de mysticisme ;cette relation n’est pas seulement d’ordre conceptuel ou métaphysique. Si le mysticisme est vrai, sa vérité doit être pratique et doit pouvoir se vérifier dans chacun de nos actes ; et, très certainement, elle ne doit pas être une vérité logique qui ne serait vraie que dans notre pensée dialectique. Un poète Zen connu sous le nom de P’ang-iun a écrit : Quelle surnaturelle merveille, Et quel miracle voici1 J e tire de l’eau, et je porte du bois!
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La salle de méditaiion
SIMPLICITBET PAUVRETI? La salle de méditation (tch’an-rang en chinois, e t zendo en japonais), telle qu’on la construit au .Japon, est généralement un bâtiment rectangulaire dont les dimensions varient selon le nombre de moines qui doivent y prendre place. L‘une d’elles, au monastère d’Engakouji (1) à Kamakura, avait environ trente-six pieds sur soixante-cinq. Deux planchers d’environ huit pieds de large e t surélevés de trois pieds sont établis le long des deux plus grands côtés ; un espace vide est réservé dans le milieu sur toute la longueur de la salle. C’est là qu’on pratique un exercice connu sous le nom de king-sing (z), qui signifie littéralement (( la marche du Sûtra D. L‘espace attribué à chaque moine sur le plancher ne dépasse pas la surface d’une natte (tatami) de trois pieds sur six, sur laquelle il s’assied, médite, e t dort la nuit. Pour chacun, le matériel de couchage ne dépasse jamais une grande courte-pointe rembourrée, hiver comme été. I1 n’a pas d’oreiller en 6ehors de ce qu’il se confectionne lui-même pour la nuit avec les quelques objets qui lui appartiennent. Ceux-ci se réduisent d’ailleurs à presque rien ; ce sont le kesa le koromo (robe sacerdotale), quelques livres, un rasoir et quelques bols, le tout rangé dans une boîte d’environ trois pouces de haut sur dix de long et trois et demi de large. En voyage, il transporte cette boîte suspendue devant lui par une courroie qui passe autour du cou. De cette façon, tout l’avoir se déplace avec son propriétaire. Une robe e t un bol, sous un arbre et sur une pierre », c’est ainsi qu’on a décrit la vie monacale dans i’Inde. Comparé à cela, le moine Zen modcriie est, il
e),
E(
(l) Ce temple historique fut malheureusement détruit, niiisi que de nombreux autres bâtiments, par le tremblement de tcrre de 1923, mais il fut reconstruit. (*) En japonais kinhin. (3) En sanskrit kashâya, robe moiiacaie.
Simplicifé et pauvreié
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est vrai, abondamment pourvu. Et cependant, ses besoins sont réduits à un minimum, et nul ne peut faire autrement que de mener une vie simple, peut-être la plus simple, s’il construit la sienne sur le modèle du moine Zen. Le désir de possession est considéré par le Bouddhisme comme l’une des pires passions qui puissent assiéger les mortels. De fait, ce qui cause tant de misère dans le monde provient de la puissante impulsion du désir d’acquérir. Comme la puissance est désirée, le fort tyrannise toujours le faible ; comme la richesse est convoitée, le riche e t le pauvre ne cessent de croiser le fer en violente hostilité. Les guerres internationales font rage, l’agitation sociale ne cesse pas, tant que le désir d’avoir e t de conserver n’est pas complètement déraciné. Une société ne peut-elle donc être réorganisée sur une base entièrement difrérente de ce que nous avons l’habitude de voir depuis les débuts des temps historiques? Ne pourronsnous jamais espérer mettre un terme à cette accumulation de richesses et à cet exercice du pouvoir uniquement inspirés par le désir d’agrandissement individuel ou national ‘2 Désespérant de l’irrationalisme absolu des affaires humaines, les moines bouddhistes sont allés jusqu’à l’autre extrême e t ont retranché de leur vie jusqu’aux joies raisonnables et parfaitement innocentes. En tout cas l’idéal Zen de faire entrer tout ce qui appartient au moine dans une petite boîte un peu plus grande qu’un pied carr6 e t haute de trois pouces constitue leur protestation muette, inefficace jusqu’à présent, contre l’ordre actuel de la société. A ce propos il sera iiitéressant de lire l’admonition laissée à ses disciples par le Maître National Daïto (1). Fondateiir du Daïtokouji à Kyôto en 1326, il passa, dit-on, environ le tiers de sa vie, qui ne fut pas très (l)
1285-1337.
380
La salle de médifafion
longue, parmi les plus basses couches de la société, sous le pont de Gojo, mendiant sa nourriture, accomplissant t o u t s sortes de basses besognes, e t méprisé par les personnes soi-disant respectables de ce monde. I1 ne se souciait nullement de la nîagnificence, de la prospérité et des hauts honneurs de la vie que menaient dans les temples la plupart des prétres bouddhistes de l’époque ; e t il ne tenait pas non plus en grande estime leurs actes de piété ostentatoire, qui ne faisaient qu’attester le caract6re superficiel de leur vie religieuse. 11 préconisait la vie la plus simple e t la pensée la plus élevée. Son admonition est ainsi conque : (( O vous, moines, qui Ctes ici dans ce monastère de montagne, rappelez-vous que vous êtes réunis pour l’amour de la religion, e t non pour l’amour des vêtements e t de la nourriture. Aussi longtemps que nous avons des épaules (c’est-à-dire un corps), il nous faut porter des vêtements ; aussi longtemps que nous avons une bouche, il nous faut manger ; mais ayez toujours à l’esprit, tout le long des douze heures du jour, de vous appliquer à l’étude de l’Impensable. Le temps passe comme une flèche ; ne laissez jamais troubler vos esprits par des soucis mondains. Toujours, toujours, soyez sur le qui-vive. Après que je serai parti, certains d’entre vous pourront avoir de beaux temples prospères, avec des tours, des salles, des livres sacrés tout décorés d’or e t d’argent, e t des foules de dévots qui se réuniront bruyamment ; certains pourront passer des heures à lire les Sûtras e t à réciter les dhârants (I), et, restant longuement assis en contemplation, cesser de s’adonner au sommeil; ils pourront, en mangeant une fois par (l) Dhâranî est un terine sanskrit venant de la racine dhar qui signific it porter, tenir u. Daiis la terminologie bouddhique, c’est un recueil, tantôt bref, tantôt pl1.i~long, d‘exclamations qui ne sont pas tracliiites en d’autrcs langues. Un tel ouvrage est donc iniiiteliigibie lorsque les moines le lisent comme ils le font dans les monastéres cliiiiois et japonais. niais on suppose qu’il 4 porte en lui, de quclque mystérieuse façon, quelque chose qui est hautement mcritoirc et qui a le pouvoir de tciiir au loin les Etres néfastes. Plus tard dliâruii is et rnanlras ci1 sont venus à se confondre.
Simplicité et pauvreté
38 1
jour et en observant les jours de jeûne, pratiquer tout au long des six périodes dii jour toutes les actions religieuses. Blême lorsqu’ils sont ainsi dévoués, si leurs pensées ne sont pas réellement fixées sur la mystérieuse e t intransmissible Voie du Bouddha e t des Péres, ils peuvent encore rester ignorants de la loi de causation morale, et aboutir à un écroulement complet de la vraie religion. Tous les gens de cette sorte appartiennent à la famille des esprits du mal ; si longue que puisse être mon absence de ce monde, ils ne devront pas être appelés mes descendants. Par contre, s’il se trouve un seul individu, vivant peut-être au milieu des solitudes sauvages, dans une hutte couverte d’une seule gerbe de paille où il passera ses jours en mangeant des racines cuites dans un pot aux pieds brisés, et si, ne pensant à rien d’autre, il s’applique à l’étude de ses propres affaires [spirituelles], celui-là, c’est lui le seul qui ait un entretien quotidien avec moi et qui sache être reconnaissant de la vie. Qui donc pourrait jamais inépriser un tel homme? O moines, soyez diligents, soyez diligents (I)! N Dans l’Inde, les moines bouddhistes ne mangeaient jamais l’après-midi. Ils ne mangeaient à leur faim qu’une fois par jour, car leur petit déjeuner du matin n’en était pas un au sens qu’on peut donner à ce repas en Angleterre ou en Amérique. De même, les moines Zen sont censés ne prendre aucun repas le soir. Mais comme on ne pouvait ne pas tenir compte des nécessités du climat en Chine et au Japon, ils y prennent le soir une sorte de collation; pour être en pais avec leur conscience ils nourriture médicinale (iueh-cliilz). Le l’appellent petit déjeuner, qu’ils prennent de très bonne heure le matin, alors qu’il fait encore nuit, consiste en gruau de riz e t légumes marinés (Isotrkcmono). Le principal repas, à dix heures du matin, se compose ((
(l) Dans les monastères qui s’apparentent plus ou moins ii l’auteur de cctte admonition, on donne lecture d e celle-ci, ou plutôt on la chante, avant une coiiffrence ou teisho.
La salle de méditation
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de riz (ou de riz mélangé à de l’orge), d’une soupe aux légumes et de légumes marinés. Dans l’après-midi, à quatre heures, ils n’ont que les restes du déjeuner; on ne fait pas de cuisine spéciale. Sauf quand les moines sont invités en dehors ou ont reçu quelque supplément d’un généreux protecteur, leurs repas sont tels que j e les ai décrits. Pauvreté et simplicité, telle est leur devise. Oii ne devrait cependant pas considérer l’ascétisme comme l’idéal de vie du Zen. L’ultime signification du Zen n’est en effet iii l’ascétisme, ni aucun autre système d’éthique. S’il semble préconiser la doctrine de la suppression ou celle du détachement, ce n’est qu’en surface, car le Zen, en tant qu’école du Bouddhisme, a hérité plus ou moins de l’aversion de celui-ci pour la discipline hindoue. Cependant l’idée centrale de la vie monacale est de ne rien gaspiller, mais de faire le meilleur usage possible des choses telles qu’elles nous sont données, ce que est aussi l’esprit du Bouddhisme en général. En vérité l’intellect, l’imagination et toutes les autres facultés mentales, ainsi que les objets physiques qui nous entourent, sans excepter notre propre corps, nous sont donnés pour développer et rehausser les plus hauts pouvoirs qui sont en nous, comme entités spirituelles, et non pas simplenient pour la satisfaction de nos fantaisies et désirs individuels, qui ne peuvent manquer de heurter et léser les intérêts e t les droits d’autrui. Telles sont quelques-unes des idées qui se cachent derrière la simplicité et la pauvreté de la vie monastique. LES REPAS
Les usages de la table, dans le monastère, présentent ccrtains trails qui doivent Etre considérés coinme particulièrement Zen et qui demandent donc quelque description. A l’heure du repas, un gong retentit ; les moines sortent en procession de la Salle de méditation ct, portant
Les repas
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chacun son bol, se rendent au réfectoire. Les tables basses y sont rangées, toutes nues. Ils s’asseyent lorsque le chef fait sonner la cloche. Les bols sont mis en piles - je signale en passant qu’ils sont en bois ou en papier et recouverts de laque. Une pile se compose de quatre ou cinq bols, emboîtés l’un dans l’autre. Tandis qu’on dispose les bols et que les moines chargés du service font le tour pour servir la soupe et le riz, on récite le Prajnâ-pâramifû-hridaga-sûfra(*), auquel succèdent les a Cinq Méditations )) sur la nourriture, qui sont : a Premierement qu’est-ce que je vaux? D’où vient cette offrande? Ensuite, acceptant cette offrande, je dois réfléchir sur l’insumsance de ma vertu. Troisièmement, veiller sur mon propre cœur, me tenir éloigné des fautes telles que la convoitise, etc., - c’est la chose essentielle. En quatrième lieu, cette nourriture est prise comme un bon médicament pour maintenir le corps en bon état de santé. E n cinqiiiéme lieu, pour assurer la réalisation spirituelle cette nourriture est acceptée. Après ces Méditations ils continuent à réfléchir sur l’essence du Bouddhisme : (( La premiere bouchée est pour traiicher tout mal ; la deuxième pour pratiquer tout bien ; la troisième pour sauver tous les êtres doués de sentiment afin que chacun atteigne finalement à l’état de Bouddha. Ils sont maintenant prêts à prendre leurs baguettes, mais avant de participer au somptueux )) repas, ils ))
))
((
))
((
(I) Jc ne dois pas oublier de signalcr qu’après la lecture du Hridaga-Sitfra, Yon invoque les lionis suivanis de Bouddhas et d’autres objets de vénération : l o Le Bouddha Vairocliana dans son Corps-de-la-loi-iminaculé. 20 Le Bouddha Vairocliana dais son Corps-de-Bénédictioiiparfait. - 30 Le Bouddha ShBkyainuiii dans ses manifestations infinies coniine C.or~>s-de-TraiisCorni~ tion, - 40 Le Bouddha Maitreya, qui :loit venir & ilne époque future. - 50 Tous les Bouddhas passés, prisents et futurs, dans les dix quartiers du monde. 60 Le grand et saint Bodhisattva Maiijushrî. - 70 Le grand Bodlii$ 0 Le grand Bosattva moralement parfait Sainantabhadra. dhisattva de compassion Avaloliitcshvara. - 90 Tous les vénérables Uodhisattvas-11Zahâsattvas. - 100 La Mahâprajnâpâra-
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évoquent le souvenir des démons ou esprits qui vivent dans le triple monde ; et chaque moine, prenant environ sept grains de riz dans son bol, les offre à ces êtres invisibles, en disant : O vous, démons et autres êtres spirituels, je vous offre maintcnant ceci, et puisse cette nourriture remplir les dix quartiers du monde, et tous les démons et autres êtres spirituels en être nourris. D Tandis qu’ils mangent, le silence règne. Les plats sont tendus sans aucun bruit, pas un mot n’est prononcé, il n’y a aucune conversation. Manger est pour eux une chose sérieuse. Lorsqu’un moine désire un second bol de riz, il joint les mains devant lui. Le moine chargé du service s’en aperçoit, transporte le récipient de riz nommé ocliatchi et s’assied devant celui qui a encore faim. Celui-ci prend son bol, sur la base duquel il passe légèrement la main avant de le tendre. I1 indique, par ce geste, qu’il enlève toute saleté qui aurait pu s’attacher au récipient et qui eût risqué de souiller la main du moine servant. Pendant qu’on remplit son bol, le moine garde les mains croisées. S’il ne désire pas un plein bol, il frotte doucement les mains l’une contre l’autre, ce qui signifie : (c Assez, merci. N Rien ne doit rester lorsque le repas est terminé. Les moines mangent tout ce qu’on leur sert, c( ramassant les miettes qui restent ».Telle est leur attitude religieuse. Après une quatrième portion de riz, le repas se termine généralement. Le chef fait claquer deux planchettes de bois et les moines chargés du service apportent de l’eau chaude. Chaque convive en remplit le plus grand bol, dans lequel il lave proprement les bols plus petits, les essuyant ensuite avec un linge que porte chacun d’eux. Ensuite un seau de bois circule pour recueillir l’eau de vaisselle (1). Chaque moine ramasse ses bols et les enve((
( 1 ) Lorsque ce récipient circule, on évoque de nouveau les etres spirituels : N Cette eau dans laquclle mes bols ont été lavés a le goût du nectar du ciel. J’ofïre maintenant ceci aux innombrables esprits du monde ; puissent-ils Ptre tous comblés et satisfaits1 Om-ma-koura-saï (en pékinois mo-siou-io-si) Suâhâ! n
Travail manuel et enseignement
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loppe de nouveau, en disant : (( J’ai maintenant fini de manger, et mon corps physique est bien nourri ; je sens comme si le pouvoir de ma volonté pouvait ébranler les dix quartiers du monde et dominer le passé, le présent et l’avenir ; tournant et la cause et l’effet vers le bienêtre général de tous les êtres, puissions-nous tous, infailliblement, progresser en pouvoirs miraculeux! )) Les tables sont maintenant redevenues vides, à l’exception des grains de riz offerts aux êtres spirituels au début du repas. Un nouveau claquement des tablettes de bois, puis, les formules de remerciements prononcées, les moines quittent la salle, en procession régulière, comme ils y étaient entrés. TRAVAIL MANUEL ET ENSEIGNEMENT
Leur activité est proverbiale. Lorsque la journée n’est
pas affectée à l’étude à l’intérieur du monastère, on les voit généralement, de bonne heure après le petit déjeuner du matin, vers cinq heures et demie en été et six heures et demie en hiver, occupés à travailler sur les terres du monastère, ou à mendier dans les villages des environs, ou à cultiver la ferme attachée au zendo. Ils tiennent le monastère, à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur, dans un ordre parfait. Quand nous disons : u C’est comme au monastère Zen )), cela signifie que l’endroit dont nous parlons est tenu dans l’ordre le plus parfait possible. Ils partent pour mendier à des milles de distance. A chaque zendo sont souvent attachés quelques protecteurs dont les moines visitent régulièrement la maison pour obtenir un supplément de riz ou de légumes. On voit souvent les moines le long des chemins de campagne, tirant une charrette chargée de potirons ou de pommes de terre. Ils travaillent aussi durement que des cultivateurs ordinaires. Ils vont parfois dans les bois chercher des fagots ou du bois à brûler. Ils ont également des connaissances en agriculture. Comme il leur faut subvenir à leurs
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besoins par le travail de la terre, ils sont. en même temps fermiers, ouvriers e t habiles artisans. Car il arrive souvent qu’ils construisent eux-mêmes leur Salle de méditation sous la direction d’un architecte. La communauté a un gouvernement autonome. Elle a ses cuisiniers, ses censeurs, économes, sacris tains, maîtres des cérémonies, etc. A l’époque de Paï-tchang, il semble qu’il y ait eu dix de ces charges, mais nous n’en connaissons plus le détail puisque ses Règles ont été perdues. Bien que le maître ou instructeur soit l’âme du zendo, il ne s’intéresse pas directement à son gouvernement. Le soin en est laissé aux membres les plus âgés de la communauté, dont le caractfire a été éprouvé à travers de nombreuses années de discipline. Lorsqu’on discute sur les principes du Zen, on peut s’émerveiller de leur profondeur et de leurs subtilités métaphysiques - s’il en existe - et imaginer tous ces moines comme des penseurs graves, pâles, la tête courbée, oublieux du monde. En fait, dans leur vie réelle, ce sont de simples mortels occupés de besognes domestiques, mais pleins de bonne humeur, lançant des plaisanteries, toujours prêts à s’aider mutuellement, et ne méprisant aucune des tâches que l’on regarde ordinairement comme basses e t indignes d’une personne instruite. L’esprit de Païtchang est toujours reconnaissable en eux. Les moines n’étaient pas seuls à travailler ; le maître lui-même participait à leurs travaux. Et cela, d’aprés Paï-tchang, afin qu’il y eût entre eux une collaboration, e t que la tâche fîit équitablement répartie entre tous sans distinction de rang. Par conséquent, le maître, en même temps que ses disciples, labourait, plantait des arbres, arrachait les mauvaises herbes, cueillait les feuilles de thé e t se livrait à tous les autres travaux manuels du meme ordre. I1 se servait de toutes ces diverses occasions pour leur donner des leçons pratiques dans l’étude du Zen, et, de leur côté, les disciples ne manquaient pas de reconnaître la valeur de ces enseignements. Tandis que Tchao-tcheou était en train de balayer la ((
))
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Travail manuel et enseignement
cour, un moine lui demanda :(( Comment se fait-il qu’un En grain de poussière pénètre sur ce terrain sacré? voici un autre qui vient n, répondit Tchao-tcheou. En une autre circonstance, OU le maître était encore en train de balayer, Liu, ministre d’Êtat, qui visitait le temple, dit au maître jardinier : a Comment se fait-il qu’un grand sage comme vous ait à balayer ainsi la poussière? - Elle vient de l’extérieur n, répondit Tchaotclieou Un jour que Nan-k’iuan travaillait au-dehors avec ses moines, Tchao-tcheou, qui avait été chargé de surveiller un feu, se mit tout à coup à crier : n Au feu1 Au feu1 D Ce cri d’alarme fit accourir les moines dans le dortoir. Ce que voyant, Tchao-tcheou ferma la porte et déclara : a Si vous pouviez dire un mot, les portes s’ouvriraient. B Les moines ne savaient que dire. Mais Nan-k’iuan, le maître, lança la clef dans la salle par une fenêtre, e t Tchao-tclieou ouvrit la porte avec violence. I1 arriva qu’un moine, en travaillant à la ferme, coupa un ver de terre d’un coup de bêche ;il posa alors cette question à son maître Tchang-cha Tch’ên : a Le ver de terre est coupé en deux e t les deux parties se tortillent encore; dans laquelle des deux la nature deBouddha est-elle présente? n Le maître répondit : B N’aie aucune illusion I n Mais le moine insista :u J e ne peux pas, dit-il, les empêcher de se tordre ainsi. - Ne vois-tu pas, dit le maître, que les éléments du feu et de l’air n’ont pas encore été dispersés? n Alors que Tseu-hou (2) e t Chêngkouang étaient en train de jardiner, le même incident se produisit et Chêng posa une question au maître sur la vie véritable du ver de terre. Sans répondre, le maître prit le râteau, frappa d’abord un des morceaux du ver, puis l’autre, et enfin l’espace entre les deux, puis il jeta le râteau e t partit.
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e).
(I) Cette histoire de poussière rappelle la remarque de Berkeley : Nous vciions de faire leyer un nuage de poussibre, et nous nous plaignons de ne plus y vow, D (3 En japonais Shiko. I
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Un jour Houang-po désherbait avec un sarcloir; voyant que Lin-tsi ne portait pas d‘instrument, il lui demanda : a Comment se fait-il que vous n’ayez pas de sarcloir? - Quelqu’un l’a emporté, maître n, répondit Lin-tsi. Houang-po lui dit alors de venir près de lui, car il voulait discuter de l’affaire avec lui. Lin-tsi s’avança. Houang-po dit, en soulevant son sarcloir : (( Ce n’est que cela, mais le monde entier est incapable de le soulever. )) Lin-tsi prit alors l’instrument que brandissait le maître, et le souleva, en disant : a Comment se fait-il qu’il soit maintenant dans mes mains? Voici, dit Houang-po, un homme qui accomplit aujourd‘hui une grande tâche. n Puis il rentra dans sa chambre. Un autre jour, observant Lin-tsi qui se reposait appuyé sur son sarcloir, Houang-po lui dit :N etes-vous fatigué? - J e n’ai même pas soulevé mon sarcloir, répondit Lin-tsi, comment serais-je fatigué? n HouangPO lui donna un coup de bâton, mais Lin-tsi, lui arrachant brusquement le bâton des mains, le fit tomber sur le sol. Houang-po appela le yin0 (karmadâna) pour l’aider à se relever. Celui-ci, répondant à l’appel, vint au secours du maître et lui dit : a Comment permettezvous de telles grossièretés à ce sot? n Dès qu’il fut debout, le maître frappa le yino. Lin-tsi se mit alors à bêcher la terre, en déclarant : (( Dans d’autres endroits, on pratique la crémation, mais ici vous serez tous enterrés vivants. )) J’ai raconté, dans l’essai précédent, l’histoire de Oueïchan et Iang-Chang, tandis qu’ils récoltaient des feuilles de thé. L‘histoire du Zen abonde en incidents de cet ordre, qui montrent comment les maîtres essaient de donner des leçons à leurs élèves en toute occasion possible. Les événements de la vie quotidienne les plus triviaux en surface deviennent pleins de signification quand les maîtres s’en servent de cette manière. A tout le moins ces mondos (anecdotes) illustrent très éloquemment la direction générale de la vie monacale dans les anciens temps, où l’esprit de travail et de service
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était si étroitement e t harmonieusement combiné avec la méditation approfondie des questions spirituelles les plus hautes. HUBIILITÉ
Les moines développent ainsi leurs facultés dans toutes les directions. Ils ne recoivent aucun enseignement littéraire, je veux dire didactique, tiré des livres e t fondé sur le savoir abstrait. Mais leur discipline e t leur connaissance sont pratiques e t efficaces ; car le principe fondamental de la vie du zendo est d’apprendre en faisant n. Ils méprisent ce qu’on appelle la manière douce », qui ressemble à ces aliments prédigérés qu’on donne aux convalescents. Quand une lionne donne naissance à ses petits, la croyance populaire veut qu’à leur troisième jour, elle les fasse tomber dans un profond précipice pour voir s’ils peuvent revenir auprès d‘elle. Elle abandonne à leur sort ceux qui n’arrivent pas à surmonter l’épreuve. Que ce soit vrai ou non, c’est un peu ce que cherche à faire le maître du Zen, lorsqu’il traite les moines de toutes sortes de façons qui semblent dénuées de toute bonté. Les moines n’ont pas assez de vêtements à se mettre, pas assez de nourriture, pas assez de temps pour le sommeil, et, pour comble, ils ont un gros travail à faire, aussi bien manuel que spiritiiel. Les besoins extérieurs e t les aspirations intérieures, s’ils continuent à travailler dans l’harmonie e t avec leur idéal, produiront finalement de nobles caractères, aussi bien entraînés à la discipline du Zen qu’à la vie pratique. Ce système unique d’éducation, qui fonctionne encore dans chaque zendo, n’est pas trèsbien connu des laïques, même au Japon. L’impitoyable marée de commercialisme moderne ne laisse pas un seul coin h l’abri de son invasion, e t il se peut qu’avant longteinps l’ilc solitaire du Zen se trouve submergée, comme tout le reste, par les vagues du sordide matérialisme. Les moines eux-mêmes coiil:iiencerit à ne plus comprendre ((
((
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le grand esprit des maîtres successifs. Bien qu’il y ait certains éléments de la vie monastique qui puissent être améliorés, son sentiment éminemment religieux e t fervent doit être sauvegardé, si l’on veut que le Zen survive encore pendant de nombreuses années. Théoriquemeiit, la philosophie du Zen dépasse la portée de la conipréhension discursive et n’est pas liée par les régles des oppositions logiques. Mais c’est là un terrain bien glissant, et nombreux sont ceux qui ne peuvent y marcher droit. Quand ils trébuchent, le résultat est parfois désastreux. Tout comme certains mystiques médiévaux, les étudiants du Zen peuvent devenir des libertins, e t perdre tout contrôle d’eux-memes. C’est un fait qu’atteste l’histoire, e t la psychologie peut aisément expliquer le processus d’une telle dégénérescence. C’est pourquoi un maître du Zen a dit : a Que l’idéal de chacun s’élève aussi haut que la couronne de Vairochana (la plus haute divinité) e t qu’en même temps sa vie soit si pleine d’humilité qu’elle le fasse se prosterner devant les pieds d’un petit enfant. )) Ce qui revient à dire : u Si un homme désire être le premier, il devra être le dernier de tous et le serviteur de tous. n La vie monastique est donc minutieusement réglée et tous ses détails sont exécutés dans une stricte obéissance à l’esprit qui vient d’être défini. L’humilité, la pauvreté e t la sanctification intérieure, tels sont les idéals du Len, qui l’empêchent de sombrer dans les erreurs des Antinomiens médiévaux. Mous pouvons voir ainsi quel rGle important la discipline du zendo joue dans les enseignements du Len e t dans leur application pratique à la vie de chaque jour. de la dynastie T’ang, Lorsque Tan-sia T’ien-jan s’arrêta à Yerinji de la Capitale, le froid était si cruel qu’il finit par prendre l‘une des statues de bois représentant le Bouddha et en fit un feu pour se réchauffer. Le gardien du temple en f u t vivement ému.
c),
(l)
Eii japonais Tanka (738-824).
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Humilité
Comment, lui dit-il, osez-vous brûler mon Bouddha de bois? 1) Tan-sia, faisant comme s’il cherchait quelque chose dans les cendres avec son bâton, répondit : B J e cherche dans les cendres les shariras (l) sacrés. - Comment, répliqua le gardien, pourriez-vous obtenir des shariras en brûlant un Bouddha de bois? - Si l’on ne peut y trouver des shariras, puis-je avoir les deux autres statues deBouddha pour mon feu?u lui dit alors Tan-sia. Le gardien perdit plus tard ses sourcils (2) pour avoir reproché à Tan-sia cette impiété apparente, et la malédiction du Bouddha ne tomba jamais sur ce dernier. Bien qu’on puisse mettre en doute sa réalité historique, il s’agit là d’une histoire bien connue, et tous lea maîtres du Zen sont d’accord sur l’insigne réalisation spirituelle atteinte par ceTan-sia ProfanateurduBouddha. Lorsque, plus tard, un moine interrogea un maître sur l’idée qui avait pu pousser Tan-sia à brûler la statue, le maître répondit : (( Quand il fait froid, nous nous asseyons autour des flammes du foyer. Mais a-t-il ou non commis une faute? - Quand il fait chaud, nous allons dans le bosquet de bambous près du ruisseau », répondit le maître. J e ne peux pas m’empêcher de citer un autre commentaire sur cette histoire, car c’est là un des sujets les plus riches de sens dans l’étude du Zen. Comme Ts’oueï-oueï Ou-siao (s), disciple de Tan-sia, était en train de présenter des offrandes aux Arliats, probablement représentés par des statues de bois, survint un moine qui lui posa cette question :a Tan-sia brûla un Bouddha de bois ;comment se fait-il que vous présentiez des offrandes aux Arhats? Même une fois brûlé, répondit le maître, il ne pouvait ((
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-
( 1 ) Chinois chbli (sanskrit sharfra, a corps D ), substance indestructible ayant généraleinent l’apparence d‘un caillou qu’on trouve dans les cendres d‘un saint honiiiie, aprh la créination. (*) Voir p. 346. (3) En japonais Souibi Bloiigaiiou.
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pas être entièrement consumé ; quant à mes offrandes, laissez-moi faire comme il me plaît. - Mais lorsque ces offrandes sont faites aux Arhats, vont-ils venir pour les recevoir, ou non 7 -Mangez-vous chaque jour, ou non 7 )) répliqua le maître. Et comme le moine gardait le silence, il déclara : (( I1 est bien dificile de rencontrer des gens intelligents! )) Quel que soit le mérite de Tan-sia au point de vue purement Zen, il est hors de doute que de tels actes doivent être considérés comme hautement sacrilèges et que tous les pieux bouddhistes doivent les éviter. Ceux qui n’ont pas encore acquis une profonde compréhension du Zen risqueraient d’aller jusqu’à toutes sortes de crimes e t d’excès, au nom même du Zen. Pour cette raison les règles du monastère veillent avec une extrême rigueur A ce que l’orgueil s’éloigne du cœur e t que la coupe d’humilité soit bue jusqu’à la lie. Alors que Tchou-houng (l), sous la dynastie des Ming, était en train d’écrire un livre sur les dix actions louables d’un religieux, un des moines, homme plein de fougue e t d’assurance, vint lui dire : A quoi sert d’écrire un tel livre quand, dans le Zen, il n’y a même pas un atome de quelque chose qu’on puisse appeler louable ou non louable? n L’écrivain répondit : (( Les cinq agrégats (skandiza) tendent leurs pièges et les quatre éléments (mahâbhûfa) se dressent menaçants ; comment peux-tu dire qu’il n’y a pas de maux? )) Le moine insista encore : (( Les quatre éléments sont, en dernière analyse, tous vides, et les cinq agrégats n’ont pas la moindre réalité. )) Tchou-houng le frappa au visage en disant : Tant de gens ne sont que des érudits ; t u n’es pas encore devenu la réalité ; donne-moi une autre réponse. 1) Mais le moine garda le silence et s’éloigna plein de ressentiment. Allons lui dit le maître en souriant, pourquoi ne t‘essuies-tu pas le visage? )) Dans l’ktude du Zen, le pouvoir d’une vision intérieure illuminant tout doit aller de pair avec ((
((
((
(l)
En japonais Sliouliô (1535-1015).
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un sens profond de l’humilité et de la soumission de cœur. Je citerai, comme exemple d’enseignement de l’liumilité, l’expérience par laquelle un novice doit tout d’abord passer lorsqu’il vient pour la première fois à la Salle de méditation. Le candidat a beau venir dûment pourvu de certificats exposant ses titres, et avec tous ses accessoires de moine, qui se composent des quelques articles que j’ai déjà énumérés, les autorités du zendo ne l’admettront pas d’emblée dans leur communauté. Généralement, on trouvera une excuse de pure forme : c’est ainsi qu’on pourra lui dire que l’établissement n’est pas assez riche pour recevoir un nouveau moine, ou que la Salle de méditation est déjà trop pleine. Si le candidat se satisfait de cette réponse et se retire tranquillement, il n’y aura plus nulle part de place pour lui, non seulement dans ce zendo qu’il avait tout d’abord choisi, mais dans n’importe quel autre zendo; car il se heurtera partout au même refus. Mais s’il a le moindre désir d’étudier le Zen, il ne doit pas se laisser décourager par de telles excuses. Le candidat qui persiste s’assiéra alors devant le porche d’entrée, et, inclinant la tête sur la boîte qu’il porte devant lui, calmement, il attendra. Parfois un vif soleil du matin ou de l’après-midi darde ses rayons sur le moine incliné, mais il reste sans bouger dans cette attitude. Lorsque vient l’heure du repas, il demande à être admis et nourri. On le lui accorde, car nul monastère bouddhique ne refuse la nourriture et le logement à un moine errant. Mais, après le repas, le novice retourne au porche, et continue à demander son admission. On ne lui accordera aucune attention jusqu’à ce que, le soir venu, il demande un logement. Lorsqu’on a, comme précédemment, fait droit à sa requête, il retire ses sandales de voyage, se lave les pieds, et on l’introduit dans une salle réservée pour les cas de ce genre. Mais la plupart du temps il n’y trouve aucun matériel de couchage, car on suppose qu’un moine qui pratique le Zen
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passe la nuit dans une profonde méditation. I1 reste assis, le torse droit, toute la nuit, évidemment absorbé dans la contemplation d’un kô-an (I). Au matin, il sort de nouveau, comme la veille, et reprend la même posture, à l’entrée du monastère, pour exprimer son intense désir d’être admis. Cela peut continuer trois, cinq, ou parfois sept jours. La patience et l’humilité du postulant sont ainsi soumises à une dure épreuve, jusqu’à ce qu’il soit finalement admis par les chefs du monastère, qui, apparemment émus par son zéle ardent et sa persévérance, essaieront de trouver le moyen de le loger. Cette procédure d’admission est en passe de devenir une simple formalité, mais dans les temps anciens où tout cela ne s’était pas encore figé en simple routine, le candidat passait un moment très dur, car on l’expulsait bel et bien de force. Nous trouvons dans les biographies des anciens maîtres le récit de traitements encore plus violents qui leur furent infligés sans merci. Les règles, dans la Salle de méditation, sont d’une sévérité et d’une précision militaires, propres à développer les vertus d’humilité, d’obéissance, de simplicité et de zèle dans le cœur des moines, qui sont toujours enclins à suivre sans discrimination les exemples extraordinaires des anciens maîtres, ou susceptibles de mettre en pratique sans les avoir comprises et assimilées les hautes doctrines de la philosophie de la Shûnyatâ telles que l’exposent, dans la littérature mahâyâniste, les traités de la Prajnâ-pâramità. Nous avons déjà vu un aspect particulier de cette vie dans la description donnee plus haut des règles du réfectoire. (1) Le kô-an (en chinois kouang-an) est une question ou thème qu’on donne à résoudre aux étudiants. I1 signifie littdralement e document public D, et, d’aprSs un érudit en Zen, on l’appelle ainsi parce qu’il sert à éprouver l’authenticité de l’Illumination qu’un étudiant prétend avoir atteinte. Le terme était en usage dès les premiers temps du Bouddhisme Zen, sous la dynastie ‘Pang. Les u cas D ou a dialogues 3 appelés mondos sont gbn6ralement employés comme kô-ans. Voir Deuxihme Série, Essai IX.
La semaine de tche-sin LA SEMAINE DE TCHE-SIN
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II y a dans la vie monacale une période exclusivement réservée à la discipline mentale e t que ne vient interrompre aucun travail manuel, sauf s’il est absolment indispensable. Cette période, connue sous le nom de grand tche-sin, diire une semaine, chaque mois, pendant les saisons appelées a séjour d’été n e t ((.séjour d’hiver n. Le séjour d‘été va d’avril à août, le séjour d’hiver d’octobre à février. Tche-sin signifie a rassembler ou concentrer l’esprit n. Tant que dure cette période, les moines sont confinés au zendo, se lèvent plus t ô t que de coutume, et prolongent leur méditation plus tard dans la nuit. Chaque jour, on leur fait une sorte de conférence ou de lecture. On emploie des recueils de textes, dont les plus courants sont le Helciganshou e t le Rinzai-rokou, qui sont considérés comme les livres fondamentaux de l’école Rinzaî. Le Rinzal-rokou est un.recuei1 de sermons et de paroles du fondateur de la secte Rinzaî du Zen. Le Hekiganshou, comme nous l’avons déjà signalé (*), est un recueil d’une centaine de Q cas )) ou de a thèmes n, avec des annotations critiques e t des commentaires poétiques. I1 va sans dire qu’on emploie encore, en l’occurrence, beaucoup d’autres livres. Pour un lecteur ordinaire, de tels livres sont généralement une sorte à‘obscurrim per obscurius. Après lui avoir fait une série de lectures, on le (r laisse en plan 1). Ce n’est pas que ces textes soient toujours trop abstrus, mais l’auditeur manque encore de la vision iiitéileure de la vérité du Zen. f ) En japonais sesshin. J c ne puis dire quelle est la tonte prcmiere origine de ce Iche-sin dans l’histoire du zendo. On ne le trouve pas dans les Règles de Pa?-tchang ;il n’a pas commencé en Chine, mais au Japon, probablement après Hakouin. La période de séjour étant généralement une saison où l’on reste chez soi, les moines ne voyagent pas, mais pratiquent le fche-sin e t se consacrent B l’étude du Zen ; mais au cours de la semaine spécialement ass‘ gnée, cette étude est poursuivie de la façon la plus intense. (3 Voir p. 41 ci-dessus et Deuxième série, Essai XII.
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La cérémonie se déroule avec solennité. Elle est annoncée par une cloche, qui cesse de sonner dès que le maître apparaît dans la salle, où commence alors la cérémonie du fi-tch’ang (l). Tandis que le maître offre de l‘encens au Bouddha et à son ancien maître, les moines récitent un bref Sûtra de dhûranîs appelé Daihijou, ce qui signifie (( la dhûranî de grande compassion 1). Comme il s’agit d’une transcription chinoise de l’original sanskrit, sa récitation ne donne aucun sens intelligible. Probablement, le sens n’est pas essentiel en ce cas ;il sufft d’avoir l’assurance qu’il a une valeur propitiatoire e t qu’il conduit au bien spirituel. Ce qui est plus significatif est la façon dont ce Sûtra est dit. Sa récitation monotone, ponctuée par une horloge de bois nommée mokougyo, N poisson de bois )), prépare l’esprit de l’auditoire à ce qui va suivre. Après la dhâranî, qui est récitée par trois fois, les moines lisent généralement en c h a w le sermon d’exhortation transmis par le fondateur du monastère. De nos jours, en certains endroits, on chante fréquemment le (( chant du Zazen )) de Hakouin. Voici des traductions de Hakouin et de Mousô Kokouslii p), dont le dernier sermon d’exhortation est l’un des plus populaires.
Sermon d’exhortation de Mousô Kokoushi N J’ai trois sortes de disciples : ceux qui rejettent avec vigueur tous les rets des circonstances et qui, d’une pensée unique, s’appliquent à l’étude de leurs propres affaires spirituelles, sont de la première classe. Ceux qui n’apportent pas à leur étude la même unilé de pensée,
( 1 ) En japoiiais feislio. Ti signifie u tenir en main n, Q brandir n ou manifester n, et tch’ang, n réciter D. C‘est dire que le ti-tch’ang fait plus ou moins revivre devant l’assemblée le vieux maître et ses paroles. I1 ne s’agit pas siinplemeiit d’une explication ou d‘un commentaire de texte. p) Le fondateur du Tenryouji A Kyôto. Connu sous Ie nom de a XIaltre des scpt empereurs 8 (1374-1361).
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mais qui, éparpillant leur attention, sont épris d’instruction livresque, appartiennent à la deuxième. Ceux qui, voilant leur propre éclat spirituel, ne s’occupent que de ramasser les miettes des Bouddhas et des Pères, sont dits de la plus basse. Quant à ces esprits qui sont intoxiqués de littérature profane et qui s’appliquent à se faire un nom comme hommes de lettres, ce sont simplement des laïcs à la tête rasée qui n’appartiennent même pas à la plus basse classe. Enfin, ceux qui ne pensent qu’à s’adonner à la bonne nourriture et au sommeil e t qui s’abandonnent à l’indolence - peut-on appeler ceux-là des membres de la Robe Noire? Ils sont vraiment, comme les appelle un vieux maître, des portemanteaux et des sacs à riz. Pour autant qu’ils ne sont pas des moines, on ne devrait leur permettre ni de s’appeler mes disciples ni d’entrer dans le monastère ou les dépendances du temple ; même un séjour temporaire devrait leur être interdit, pour ne pas parler de leur demande d’admission comme moines étudiants. Quand un vieillard comme moi parle ainsi, vous pouvez penser qu’il manque de cet amour qui tout embrasse, mais le principal est de leur faire connaître leurs propres fautes, afin qu’ils se réforment et deviennent des plantes qui croîtront dans les jardins patriarcaux. ))
Chant de méditation de Iiakouin Tous les êtres doués de sentiment sont, depuis le tout commencement, des Bouddhas ; C’est comme la glace et l’eau : E n dehors de l’eau, nulle glace ne peut exister. En dehors des êtres doués de sentiment, où chercherionsnous les Bouddhas ? Ne sachant pas combien proche est la Vérité, Les gens la cherchent au loin ... quel dommage! Ils sont comme celui qui, au milieu de l’eau, Crie et se lamente de soif ; Ils sont comme le fils d’un homme riche Qui est parti à l’aventure parmi les pauvres. u
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La raison pour laquelle nous transmigrons à travers les six mondes, C’est que nous sommes perdus dans l’obscurité de l’ignorance ; Nous égarant de plus en plus dans l’obscurite, Quand sommes-nous capables de nous évader de la naissance-et-mort 3 Quant à la méditation pratiquée dans le Mahâyâna, Nous n’avons pas de mots pour la louer pleinement, Les Vertus de perfection telles que charité et moralité, L’invocation du nom du Bouddha, la confession, la discipline ascétique, Et beaucoup d’autres bonnes actions de mérite Tout cela naît de la pratique de la Méditation. Même ceux qui n’y sont parvenus que dans une seule séance Verront tout leur mauvais karma effacé ; Nulle part ils ne trouveront les voies du mal, Mais le ‘‘ Pur Terrain ” sera tout près, à leur portée, D’un cœur respectueux, que cette Vérité-là Ils l’écoutent, ne serait-ce qu’une fois, Et qu’ils la louent e t qu’ils l’embrassent avec joie, Et ils recevront sûrement d’infinies bénédictions. Car ceux qui, réfléchissant au-dedans d’eus-mêmes, Attestent la vérité de la Nature-de-soi, La vérité que la Nature-de-soi est non-nature, Ils ont réellement franchi les horizons de la sophistique. Pour eux s’ouvre la porte de l’unité de la cause e t de l’effet. E t toute droite s’étend la voie de non-dualité et de nontrinité, Résidant avec le non-particulier au milieu des particularités, Qu’ils partent ou qu’ils reviennent, ils restent A jamais immuables. S’emparant de la non-pensée dans les pensées, Dans chacun de leurs actes ils entendent la vois de la Vérité. Qu’il e.st sans bornes, le ciel sans entraves du Samâdhil
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Qu’il est transparent, le parfait clair de lune de la Quadruple Sagessel A ce moment, que leur manque-t-il? Lorsque la Vérité éternellement calme se révéle à eux, Cette terre même est la Terre de Lotus de la Pureté, Et ce corps est le corps du Bouddha. ))
La conference dure environ une heure. Elle diffère tout à fait d’une conférence ordinaire sur un sujet religieux. Rien n’y est expliqué, nul argument n’y est exposé, nulle apologétique, nul raisonnement. Le maître est simplement censé reproduire en paroles ce qui est traité dans le recueil de textes placé devant lui. Quand la conférence prend fin, les K Quatre grands vœux n sont répétés trois fois, puis les moines se retirent. Voici le texte dc ces vœux : a Si innombrables que soient les êtres doués de sentiment, j e fais vœu de les sauver tous ;
Si inépuisables que soient nos mauvaises passions, i c fais vœu de les exterminer ; Si incommensurables que soient les saintes doctrines, je fais vœu de les étudier ; Si inaccessible que soit la voie des Bouddhas, je fais vœu de l’atteindre. )) LE SAN-TCEI’AN
Pendant le fche-sin, a lieu, outre les conférences, ce que l’on nomme le sun-fch‘an (l). Faire un sun-fch’an consiste à aller trouver le maître et soumettre ses propres vues sur un kô-an pour qu’il les critique. Quand il n’y a pas de tche-sin spécial, le sun-fch‘an a généralement lieu deux fois par jour, mais pendant la période de rassemblement de la pensée )) - puisque tel est le sens du ((
(l) En japonais sanzen littéralement : a assister au Zen ou l’étudier D. Dans l’emploi courant qu’ü a aujourd’hui au Japon, le terme a, outre ce scns général, le sens spécial indiqud dans le texte.
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La salle de méditafion
iche-sin - le moine doit voir son maître quatre ou cinq fois par jour. Cet entretien n’a pas lieu en public (I), chaque moine est tenu de se présenter seul dans la chambre du maître, où l’entrevue se déroule selon les formes solennelles. Lorsque le moine est sur le point de franchir le seuil de la chambre, il se prosterne par trois fois. Puis il entre, gardant les mains jointes devant sa poitrine, paume contre paume ; arrivé près de son maître, il s’assied et fait une autre révérence. A partir de ce moment, toute convention extérieure est abandonnée. Si c’est absolument nécessaire du point de vue du Zen, on pourra même échanger des coups. Manifester la vérité du Zen avec toute la sincérité de son cœur est ici la seule chose qui compte, et à tout le reste on ne porte qu’une attention secondaire. De là ce formalisme raffiné. La présentation terminée, le moine se retire comme il est entré. Un San-ich’an pour une trentaine de moines prendra plus d’une heure et demie, et c’est, pour le maître aussi, une période de tension extrême. Ce doit être pour lui une véritable épreuve que d’avoir à diriger de tels entretiens quatre ou cinq fois par jour, s’il n’est pas de santé robuste. Dans tout ce qui touche à la compréhension du Zen, on fait confiance absolue au maître. Mais si le moine a des raisons suffisantes pour mettre en doute les capacités du maître, il peut régler cette question personnellement avec celui-ci, au moment du san-lch’an. Cette présentation de vues n’est donc u n jeu d’oisif ni pour l’un ni pour l’autre des interlocuteurs. I1 s’agit bien en fait d’une affaire des plus sérieuses et, pour cette raison, la discipline du Zen possède, outre sa philosophie, une grande valeur morale. A quel point la chose est sérieuse, on pourra s’en faire une idée d’après le récit de la fameuse (l) Autrefois, il avait lieu publiqueinent et, comme l’exposent les Règles (le Paï-tchaiig, tous les moiidos (questions et réponses) s’écliaiigeaient devant toute la congrégation. biais, plus tard, cette façon de procéder donna des résultats regrettables : formalisme, imitation et autres non-sens. Aussi, dans le Zen moderne, tout sumfcii’uri se €ait eii privit sauf à l’occasion de certaiiies cérémonies.
Le sun-tch‘an
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entrevue entre le vénérable Sh6jou et Hakouin, père du Zen moderne au Japon. Un soir d’été, Hakouin présenta sa manière de voir au vieux maître qui prenait le frais sur sa véranda. Balivernes! )) s’écria celui-ci. Hakouin fit alors écho à voix haute et sur un ton plutôt satirique, en criant à son tour : ((BalivernesI D Là-dessus, le maître l’empoigna, le cogna à plusieurs reprises, et finalement le poussa hors de la véranda. La pluie venait de se mettre à tomber, et le pauvre Hakouin roula dans la boue et les flaques d’eau. Ayant repris ses esprits au bout d’un moment, il revint s’incliner révérencieusement devant son maître, qui l’apostropha une seconde fois : (( Espèce d’habitant de la caverne sombre! 1) Un autre jour, Hakouin se dit que le maître ignorait à quel point sa connaissance du Zen était profonde et résolut de régler à tout prix ce malentendu. Dès que le moment fut venu, il entra dans la chambre du maître et épuisa toute son ingéniosité à disputer avec lui, résolu cette fois à ne pas céder un pouce de terrain. Le maître se mit en colère, et à la fin, saisissant Hakouin, il lui administra quelques gifles et le jeta de nouveau hors de la véranda. Hakouin tomba d’une hauteur de plusieurs pieds au bas du mur de pierre, et resta un instant presque inanimé. Le maître se pencha pour regarder le pauvre moine et se mit à rire de grand cœur. Cela rappela Hakouin à la conscience, et il remonta tout en sueur. Mais le maître ne l’en tint pas quitte e t le stigmatisa des mêmes paroles : Espèce d’habitant de la caverne sombre1 Hakouin tomba dans le désespoir et pensa à quitter tout à fait le vieux maître. Mais un jour qu’il faisait sa tournée de mendiant dans le village, certain accident (1) ((
((
))
(1) Au cours de sa tournée, il vint dans une maison où une vieille femme refusa de lui donner du riz ; il resta cependant sur le pas de la porte, comme si on ne lui avait rien dit, tant son esprit était intendment concentré sur le sujet qui le préoccupait le plus à cette époque. La vieille fernine se fâcha, s’imaginant qu’il ne tenait
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La salle de méditafion
Iiii fit soiidairi ouvrir son œil mental à la vérité du Zen, qui lui etail restée jusqu’alors complètement fermée. Sa joie ne connut plus de bornes et il revint dans un élat d’intense exaltation. Avant qu’il eût franchi la porte du zendo, le maître le reconnut et lui fit signe en disant : (( Quelle bonne nouvelle rapportes-tu aujourd’hui 7 Vite, Vile, entre! )) Hakouin lui raconta tout ce qui était arrivé ce jour-là. Le maître lui caressa amicalement l’épaule, et lui dit : n Tu y es maintenant, t u y es1 Dès lors, Hakouin ne s’entendit plus traiter de tous les noms. C’est par un tel entrainement que dut passer le père du Zen moderne au Japon. Qu’il était terrible, le vieux Shajoii, lorsqu’il précipita Hakouin en bas du mur de pierre! Mais combien maternel, lorsque de tant de mauvais traitements le disciple sortit enfin triomphant l Il n’y a aucune tiédeur dans le Zen. S’ily a de la tiédeur, ce n’est pas du Zen. Le Zen veut que l’on pénètre dans les profondeurs mêmes de la vérité, et la vérité ne peut jamais être saisie tant qu’on n’est pas revenu à sa nudité originelle, dépouillée de toutes les tromperies, intellectuelles ou autres. Chaque gifle administrée par Shajou dépouillait Hakoiiin de ce qui n’était pas sincère en lui. Nous vivons tous sous tant de revêtements, qui n’ont aucun rapport réel avec notre moi le plus intérieur! Aussi, pour faire atteindre ce dernier et conquérir la connaissance réelle de nous-même, les maîtres du Zen recourent-ils à des méthodes qui semblent inhumaines. Cependant, en pareil cas, il doit y avoir une foi absolue dans la vérité du Zen et dans la parfaite compréhension qu’en a le maître. L‘absence de cette foi signifiera aussi que l’on manque de foi en ses propres possibilités spirituelles. C’est pour cela que Lin-tsi s’écria : (( O vous, ))
aucun compte de SPS parolcs et qu’il cssayait d’obtenir à sa faron ce qu’il voulait. Elle le frappa avec un gros balai qu’elle avait la main, et lui dit de partir sur-le-champ. Le lourd balai écrasa le grand chapeau du moine et fit rouler celui-ci sur le sol. il resta étendu un instant et quand il reeoiivra ses sens, tout était devenu pour lui clair et limpide.
La maiiiration de la matrice sacrée
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hommes de peu de foii Comment pouvez-vous prétendre sonder les profondeurs de l’océan du Zen1 D L A MATURATION DE LA MATRICE SACRÉE
Dans la vie du zendo, il n’y a pas, comme dans l’enseignement scolaire, une période déterminée pour l’obtention de grades. I1 peut arriver que certains moines ne parviennent pas à conquérir leurs titres après vingt années de séjour au monastère. Mais avec des aptitudes ordinaires e t une grande somme de persévérance e t d’obstination, on est généralement capable de se tirer d’affaire dans tous les détours de l’enseignement du Zen au bout de dix ans. Mais c’est tout autre chose de pratiquer les principes du Zen à tout instant de la vie, c’est-A-dire de devenir entièrement saturé de son esprit. Une seule vie peut être trop courte pour cela, car on dit que Shâkyamouni e t Maitreya eux-mêmes scyt encore au milieu de leur formation spirituelle. Pour être un maître parfaitement qualifié, la simple compréhension de la vérité du Zen n’est pas sufisante. On doit passer par un stage connu sous le nom de a la longue maturation de la matrice sacrée R. Ce terme doit être venu, à l’origine, du Taoïsme ; dans le Zen actuel, il signifie, en gros, vivre une vie qui soit en harmonie avec la compréhension. Sous la direction d’un maître, un moine peut finalement parvenir à une profonde connaissance de tous les mystères du Zen; mais cette compréhension est plus ou moins intellectuelle, encore qu’il faille entendre ce terme dans son acception la plus haute. La vie du moine, intérieure e t extérieure, doit évoluer en parfaite harmonie avec cette réalisation. Pour cela, un entraînement supplémentaire est nécessaire, car ce qu’il a conquis au zendo n’est, après tout, que l’indication de la direction oii ses plus grands efforts doivent s’exercer. Mais dorénavant, il n’est plus du tout
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obligatoire pour lui de vivre dans le zendo. Au contraire, il doit soumettre ses acquisitions intellectuelles à ‘une nouvelle épreuve en entrant en contact réel avec le monde. I1 n’y a pas de règles prescrites pour cette u maturation n. Chacun agit à sa propre discrétion, dans les circonstances accidentelles où il pourra se trouver. I1 peut se retirer dans les montagnes et y vivre en ermite solitaire, ou descendre sur a la place publique )) e t participer activement à toutes les affaires du monde. On dit que le sixième Patriarche vécut pendant quinze ans parmi les montagnards après qu’il eut quitté le cinquième Patriarche. I1 resta tout à fait inconnu du monde jusqu’au jour où il alla assister à une conférence d’In-tsoung. Houei-tchoung (I), Maître National du Nan-iang, passa 40 ans dans cette province sans jamais se montrer dans la capitale. Mais la renommée de sa vie de sainteté gagna de proche en proche et, sur la demande pressante de l’Empereur, il quitta finalement sa hutte. Oueï-chan passa plusieurs années dans les solitudes sauvages, vivant de noix, faisant amitié avec les singes et les daims. On le trouva pourtant, De grands monastères furent construits autour de son ermitage et il devint le maître de quinze cents moines. Kwanzan, le fondateur du MyBshinji, à Kyôto, se retira dans la province de Mino, e t travailla comme ouvrier à la journée chez les villageois. Nul ne le reconnut jusqu’à ce qu’un jour un accident révélât son identité; la Cour insista alors pour qu’il fondât un monastère dans la capitale. Hakouin devint le gardien d’un temple abandonné à Sourouga, qui était son seul héritage au monde. Nous pouvons nous figurer l’état de délabrement de sa retraite quand nous lisons ceci : «. I1 n’y avait pas de toit e t les étoiles y brillaient la nuit. Pas de plancher non plus. I1 était nécessaire de porter un chapeau de pluie et de mettre une haute paire de getas lorsqu’une cérémonie avait lieu par temps plu(l)
En japonais Tchou,
La veriu secrèfe
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vieux dans la partie principale du temple. Tous les biens dépendant du temple étaient entre les mains des créanciers et les biens des prêtres étaient détenus en gage par Tel fut le début de la carrière de les marchands. Hakouin. I1 y a bien d’autres cas notoires de cet ordre. L‘histoire du Zen en abonde. Mais l’idée qui inspire tout cela n’est pas de pratiquer l’asc6tisme ; il s’agit, comme on l’a très bien nommée, de la maturation D du caractère moral. De nombreux serpents e t vipères attendent à la porte ; si l’on ne parvient pas à les écraser sous les pieds, ils relèvent la tête e t tout l’édifice de culture morale édifié dans une vision peut s’écrouler en un jour. Le scepticisme moral est aussi iin piège pour les adeptes du Zen, e t contre lui une vigilance constante est indispensable. D’où la nécessité de cette (( maturation ». ))
((
LA VERTU
SECRETE
A certains égards, sans doute, le mode d’enseignement qui règne dans le zendo est d’un autre temps. Mais ses principes directeurs, tels que la simplification de la vie, l’interdiction de perdre un instant dans l’oisiveté, i’indépendance et ce qui est nommé (( la vertu secrète 1) sont valables pour toutes les époques. En particulier, ce dernier principe est un des traits les plus caractéristiques de la discipline Zen. Vertu secrète signifie pratique de la bonté sans la moindre pensée de reconnaissance, ni des autres ni de soi-même. C’est ce que les chrétiens peuvent appeler : accomplir Ta volonté 1). Un enfant se noie ;je me jette à l’eau, il est sauvé. Ce qu’il y avait à faire est fait. On n’accorde plus à cela la moindre pensée. J e m’éloigne sans me retourner. Un nuage passe, e t le ciel est aussi bleu et vaste que jamais. Le Zen appelle cela une action sans mérite e t la compare au travail ((
((
))
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La salle de méditation
d’un homme q u i essaie d’emplir un puils avec de Ia neige. C’est là l’aspect psychologique de la u vertu secrète ». Lorsqu’elle est considérée sous l’angle religieux, il s’agit d’observer l’univers et d’en user dans un esprit de révérence et de gratitude, avec le sentiment de porter sur ses épaules tous les péchés du monde. Une vieille femme demanda à Tchao-tcheou : u J’appartiens au sexe qui est empêché de cinq manières d’atteindre l’état deBouddha; comment pourrai-je jamais être délivrée de ces entraves? n Le maître répondit : u Oh1 que tous les autres naissent dans les cieux, et moi, cet humble moi, puissé-je continuer seul à souffrir dans cet océan de douleur1 ’u Tel est l’esprit du véritable étudiant du Zen. Voici une autre histoire qui illustre ce même esprit de patience ». Le district de Tchao-tcheou, où était situé le monastère du maître qui de là reçut son nom populaire, était célèbre par un beau pont de pierre. Un jour un moine vint voir le maître e t lui demanda : u Nous entendons beaucoup parler du splendide pont de pierre de Tchaotcheoii, mais je ne vois ici rien qu’un vieux pont de bois rustique et misérable. )) Tchao-tcheou lui répondit : B( Tu ne vois que le rustique pont de bois sans arriver à voir le pont de pierre de Tchao-tcheou. - Quel est donc ce pont de pierre? - Les chevaux y passent, les ânes y passent n, répondit Tchao-tcheou. I1 semble qu’il n’y ait là qu’une conversation triviale sur un pont, mais considérée du point de vue intérieur où il faut se placer en pareil cas, elle contient une grande somme de vérité touchant le centre de notre vie spirituelle. Nous pouvons nous demander quelle sorte de pont est représentée ici. Tchao-tcheou ne parlait-il que d’un pont de pierre situé sur les terrains du monastère et assez fort pour que les passants de toutes sortes puissent y marcher? Que chacun de nous réfléchisse au-dedans de soi, et voie s’il est en possession d‘un pont sur lequel passent non seulement les chevaux e t les ânes, les hommes et les femmes, les voitures lourdes et légères, mais le monde entier ((
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avec ses insanités et morbidités (I), pont sur lequel non seulement on passe, mais que bien souvent on foule aux pieds durement e t que même on maudit ; un pont qui endure tous ces traitements, les bons et les mauvais, avec patience et sans se plaindre. Était-ce à cette sorte de pont que Tchao-tcheou faisait allusion? De toute façon, nous pouvons discerner quelque chose de cette sorte dans les cas cités plus haut. Mais cet esprit Zen d’acceptation de la souffrance ne doit pas êixe compris dans le sens chrétien qu’un homme doit consacrer tout son temps à la prière e t à la mortification pour l’absolution de ses péchés. Car un moine Zen n’a aucun désir d’être absous du péché; c’est là une idée trop égoïste, et le Zen est exempt d’égoïsme. Le moine Zen désire sauver le monde de la misère du péché; quant à son propre péché, il le laisse se tirer d’affaire seul, car il sait que ce n’est pas un élément inhérent à sa propre nature. Pour cette raison, il lui est possible d’être l’un de ceux qui, dit-on, a pleurent comme s’ils ne pleuraient pas ; se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas ; achètent comme s’ils ne possédaient pas ; et usent de ce monde sans en abuser n. Le Christ dit : Lorsque tu fais l’aumône, que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche ; que tes a u m b nes soient faites en secret. n C’est là une secrète vertu B du Bouddhisme. Mais lorsqu’il continue en ces termes : (( Le Père qui voit dans le secret t e récompensera » , nous voyons une profonde fissure entre le Bouddhisme et le Christianisme. Aussi longtemps qu’il existe la moindre pensée de quelqu’un, Dieu ou Diable, qui connaît vos actions, le Zen dira : u Vous n’êtes pas encore Sun de nous. n Les actions qui sont accompagnées de telles pensées ne sont pas des actes sans mérite », elles sont pleines d’ornières et d’ombres. Si un Esprit vous suit pas à pas, il vous attrapera à chaque instant et vous fera rendre compte de ce que vous avez fait. Le vête((
((
((
(1) Voir dans le roman Zenn, de Mrs Adams Bcck, le rôle symbolique donné, dans l’esprit zen, au pont du jardin d‘Arima (N. d. t.).
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ment parfait ne montre aucune couture, au-dedans, ni au-dehors ; il est d’une seule pièce et nul ne peut dire où le travail a commencé et comment l’étoffe a été, tissée. Aussi dans le Zen, aucune trace de connaissance ne devrait demeurer après qu’on a fait une aumône, bien moins encore la pensée d’une récompense, dût-elle venir de Dieu. L’idéal du Zen est d’être le vent qui soume où il veut et le son que nous entendons mais dont nous ne pouvons dire d’où il vient ni où il va D. Lieh-tseu, le philosophe chinois (I), décrit cet état d’esprit d’une façon très imagée : J e laissais mon esprit penser, sans aucune contrainte, à tout ce .qui lui plaisait ; j’oubliais alors si “ ceci et non cela ” appartenait à moi ou à un autre, si le gain ou la perte était à moi ou à un autre ; e t je ne savais non plus si Lao-changchin était mon maître et Pa-kao mon ami. Au-dedans e t au-dehors, j’étais complètement transformé ; et il arriva que l’œil devint comme l’oreille, l’oreille comme le nez, le nez comme la bouche ; il n’était rien qui ne fût devenu identique. Le mental était concentré et la forme dissoute ; os et chair, tout fondait ; je ne savais plus où mon corps s’appuyait, où mes pieds se posaient; je me mouvais au gré du vent, vers l’Est, vers l’Ouest, comme une feuille d’arbre détachée du rameau (”, et je n’avais pas conscience si c’était moi qui chevauchais le vent ou si le vent me chevauchait (9. 1) ((
(I)
Voir p. 197 sq.
(*) Cette image de la
N feuille morte n est souvent employée par les mystiques hindous modernes. Shrî Râinakrishna disNt : n N’ayant plus ni égoïsme, ni volonté propre, les < < libérés peuvent 6tre comparés A des feuilles sèches poussées de-ci, de la, par un grand vent u (L’enseignernenfde Rârnakrishna, op. cit., paragr. ‘776). C‘est par excellence la méthode employée par Swâmi Ràmdàs. (Carnet de Pèlerinage, Paris, Albin hlichel, 1953) (N. d. t.). (3) Le vent est probablement l’une des meilleures images pour nous introduire dans l’idée du non-attachement de la philosophie de la Shûnyatâ. Le Nouveau Testament y fait au moins une allusion quand il dit : a Le vent souffle où il veut n, et nous venons de voir les mystiques chinois employer l’image du vent pour dépeiiidre la conscicnce intérieure de l’identité absolue, ce qui est également la notion bouddhique du \,ide. On peut comparer a cela ce
La conscience de Dieu
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LA CONSCIENCE DE DIEU
Comme je l’ai déjà dit, les disciples du Zen n’approuvent pas l’attitude des chrétiens - même mystiques - trop conscients d’un Dieu créaleur e t protecteur de toute vie e t de toute existence. Leur attitude à l’égard du Bouddha et du Zen est celle de Lieh-tseu chevauchant le vent : ce que visent les disciples de Tchao-tcheou, Iun-mên et autres chefs du Zen, c’est une complete identification du Moi avec l’objet de la pensée. C’est pour cette raison qu’ils détestent tous entendre figurer dans leurs discours les mots Bouddha ou Zen ; non pas qu’ils soient anti-bouddhistes, bien sûr, mais parce qu’ils ont intégralement assimilé le Bouddhisme dans leur être. Témoin cette douce remontrance adressée par Fa-ièn d’Ou-tsou-chan à son disciple Iuan-ou : Ou-tsou disait : C’est très bien, mais t u commets une faute vénielle. Iuan-ou demanda deux ou trois fois en quoi consistait cette faute. Le maître lui dit à la fin : i( I1 y a vraiment trop de Zen dans ce que t u dis. - Comment, protesta le disciple, dés l’instant qu’on étudie le Zen, ne pensez-vous pas qu’en parler soit la chose la plus naturelle du monde ? Pourquoi n’aimez-vous pas qu’on le fasse? Ou-tsou répondit : (c Quand c’est comme une conversation quotidienne ordinaire, c’est un peu mieux. Un moine qui se trouvait là demanda : (i Pourquoi détestez-vous spécialement qu’on parle du Zen ? - Parce que cela donne mal au cœur D, répondit cat& goriquemeat le maître. ((
))
))
))
passage d‘Eckhart : C’est pourquoi la fiancée [du cantique] s’écrie aussi : ‘‘ Écarte-toi de moi, mon bien-aimé, écarte-toi de moi. - Tout ce qui est susceptihle d’etre exposé de quelque manière, je ne le tiens pas pour Dieu. E t ainsi je fuis devant Dieu, à cause de Dieu1 Eh1 où est alors la dcmeure de l’âme? - Sur les ailes des vents1 ” u (Sermons-trailés, op. cif., p. 148). (1 E t ainsi, je fuis Dieu à cause de Dieu mèrne. u - Cela nous rappelle un maître du Zen qui disait : J e dbtcste même entendre le nom du Bouddha. n Du point de vue Zen il csl préférable de supprimer a à cause de Dieu rriême Y.
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La salle de méditation
La façon dont Lin-tsi s’exprime sur ce point est tout à fait violente et révolutionnaire. E t si nous n’étions pas
familiarisés avec les méthodes d’enseignement Zen, des passages comme ceux que nous allons citer nous feraient certainement grincer des dents e t nous hérisser. Le lecteur pourra avoir le sentiment de se trouver devant un homme abominable, mais nous savons tous avec quelle ardeur il s’élève contre les faussetés de ce monde, marcharit inflexiblement à travers son horrible confusion. On peut comparer ses mains à celles de Jehovah lorsqu’il essaie de détruire les idoles e t d’anéantir le culte des images. Qu’on lise, par exemple, le passage suivant où Lin-tsi tâche d’arracher de l’esprit ses derniers voiles de fausseté : u O vous, disciples de la Vérité, si vous désirez obtenir une compréhension orthodoxe [du Zen], ne soyez pas induits en erreur par les autres. Intérieurement et extérieurement, si vous rencontrez des obstacles, abattez-les sur-le-champ. Si vous rencontrez le Bouddha, tuez-le ;si vous rencontrez le Patriarche, tuez-le ; si vous rencontrez l’Arhat ou l’ancêtre ou le parent, tuez-les tous sans hésitation : car c’est l’unique voie vers la délivrance (1). Ne vous laissez jamais entraver par le moindre objet, mais dominez-le, passez e t soyez libres. Quand je vois les soi-disant disciples de la Vérité, tous autant qu’ils sont dans ce pays, il n’en est aucun qui vienne à moi libre et indépendant des objets. Quand j’ai affaire à eux, je les assomme de coups, n’importe comment ils viennent à moi. S’ils se fient à la force de leurs bras, je les leur coupe net ; s’ils se fient à leur éloquence, je leur ferme la bouche ; s’ils se fient à l’acuité de leur œil, je les aveugle. En fait, il n’en est jusqu’ici pas un seul ( 1 ) Cette nécessité de a tuer r , toute conception dualiste, et en particulier celle qui représente notre idéal le plus haut, avant de ouvoir entrer dans la conscience de l’Absolu, a été décrite par âmakrishna lorsqu’ii faisait le récit de ses propres expériences : a Dès que la forme gracieuse de la Mére se dressa devant moi, j’employai moil discernement comme une épée, et la fendis en deux. B ( O p . cit., paragr. 1490.) (N. d. t . )
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qui se soit présenté devant moi tout seul, libre et indépendant. Invariablement, on s’aperçoit qu’ils se sont laissés prendre aux trucs enfanlins des anciens maîtres. Réellemcnt, je n’ai rien à vous donner ; tout ce que je puis faire est de vous guérir des maladies e t de vous délivrer de l’esclavage. Q O vous, disciples de la Vérité, montrez-vous ici indépendants de tous objets, je veux peser la question avec vous. Pendant ces cinq ou dix dernières années j’ai attendu en vain l’arrivée de tels hommes, et il n’y en a pas encore. Ce sont tous des existences fantomatiques, ignobles gnômes hantant les bois ou les bosquets de bambous, elfes des solitudes sauvages. Ils mordent comme des fous dans tous les tas d’ordures. Hommes aux yeux de taupe, pourquoi gaspillez-vous les pieuses donations des dévots ? Estimez-vous mériter le nom de moines, quand vous vous faites une idée si fausse [du Zen]? J e vous le dis, pas de Bouddhas, pas de saints enseignements, pas de discipline, pas de témoignagel Que cherchez-vous dans la maison du voisin? Hommes aux yeux de taupel Vous vous mettez une autre tête par-dessus la vôtre! Que vous manque-t-il donc en vous-mêmes? O vous, disciples de la Vérité, ce dont vous faites usage en ce moment même, ce n’est pas autre chose que ce qui fait un Patriarche ou un Bouddha. Mais vous ne me croyez pas e t vous cherchez tout cela à i’extérieur. Ne vous abandonnez pas à une erreur. I1 n’y a pas de réalités à l’extérieur, et rien non plus à l’intérieur, sur quoi vous puissiez mettre la main. Vous vous accrochez au sens littéral de ce que je vous dis, mais comme ce serait mieux d’arrêter toutes vos convoitises et de ne rien faire du tout ... )) C’est ainsi que Lin-tsi désirait effacer toute trace de conscience de Dieu dans l’esprit d’un chercheur de vérité. Avec quelle puissance il brandissait, tel le Dieu Thor, les foudres de sa parole!
L a salle de méditation
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L’ETAT DE
NON-OBTENTION
L’ktat d’esprit où toutes traces de conscience conceptuelle sont effacécs est appelé par les mystiques chrétiens pauvreté 1). Tauler la définit ainsi : L’absolue pauvreté est en toi quand t u ne peux pas t e rappeler si quelqu’un t’a jamais dû quelque chose ou a été endetté de quelque chose envers t o i ; de même, exactement, que toutes les choses seront oubliées par toi dans le dernier voyage de la mort. Les maîtres du Zen ont une façon plus poétique e t plus positive d’exprimer le sentiment de la pauvreté ; ils ne font pas directement allusion aux choses terrestres. Ou-men (1) chante ainsi : ((
(
Facteurs déterminants
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attendant debout dans la neige (I), si grand était son désir d’apprendre la vérité du Zen. Les biographes de Houeï-nêng mettent l’accent sur son manque d‘érudition, font grand cas de son poème sur la u Vacuité », et négligent de décrire ce que fut sa vie intérieure pendant les mois où il était employé à moudre le riz. Son long et périlleux voyage depuis le Sud jusqu’au monastère où résidait Houng-jên devait être une grande entreprise en ce temps-là, surtout quand nous savons qu’il n’était qu’un pauvre garçon de ferme (a). La lecture qu’il avait faite -ou avait entendu faire, d‘après sa biographie - de la Vajracchedikâ avait dû éveiller en lui un désir très grand de savoir réellement ce que tout cela signifiait. Autrement, il n’aurait pas osé entreprendre un voyage aussi aventureux. Et, tandis qu’il travaillait au grenier, son esprit devait être dans un état de vive excitation spirituelle, intensément engagé qu’il était dans la quête de la vérité. Quant à Lin-tsi, il ne savait même pas quoi demander au maître (”. S’il l’avait su, les choses se seraient sans doute passées plus aisément pour lui. I1 savait qu’il y avait quelque chose en lui qui n’allait pas, car il se sentait mécontent de lui-même ; il était à la recherche de quelque réalité inconnue, il ne savait pas laquelle. S’il avait pu la définir, cela eût voulu dire qu’il avait déjà la solution. Son esprit n’était qu’un grand point d’interrogation sans objet défini, et, tel était son esprit, tel était pour lui l’univers : un point d’interrogation qu’il ne savait même au bout de quelle question placer, car il n’y avait encore nulle part rien de défini. Ce tâtonnement dans l‘obscurité dut certainement durer pendant un temps assez long, d’une manière désespérante. Et de fait, c’est à cause de cet état d’esprit qu’il ne savait pas quelle question définie il pouvait apporter devant son maître. I1 n’était pas, à cet égard, comme Houeï-nêng, qui avait déjà un problème bien déterminé à résoudre, Voir ci-dessus, p. 471. Voir ci-dessus, p. 475 sqq. Voir ci-dessus, p. 484 sqq.
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avant même de venir auprès de Houng-jên; car son problème, c’était la compréhension de la Vajracchedikâ. C‘est peut-être Houeï-nêng qui avait l’esprit le plus simple et le plus ouvert, tandis que Lin-tsi, comme Houeï-Yo, était, pour ainsi dire, déjà entaché de trop d’intellectualité ; et tout ce qu’ils ressentaient, l’un et l’autre, c’était un malaise général de l’esprit, du fait qu’ils ne savaient pas comment trancher tous ces nœuds que leur savoir même rendait encore plus inextricables. Quand le chef d’études conseilla à Lin-tsi d‘interroger le maître sur a le principe fondamental du Bouddhisme », ce fut certes pour lui un grand secours, car maintenant il avait quelque chose de précis à quoi s’accrocher. Le malaise de son esprit fut (( particularisé )) et atteignit un degré aigu, surtout quand il fut renvoyé avec ((trente coups ».Le fruit de sa recherche mentale mûrissait et était prêt à se détacher. La secousse finale - une rude secousse, il faut l’admettre - fut donnée par HouangPO. Entre cette secousse et la chute du fruit auprès de Taï-iu, le point d‘interrogation de Lin-tsi s’appliquait à un seul fait concret, vers lequel se concentraient ses trois années d’efforts accumulés. Sans cette intense concentration, il n’aurait pas pu s’écrier : (( I1 n’y a pas grand-chose, après tout, dans le Bouddhisme de HouangPO! )) I1 n’est peut-être pas inopportun de dire quelques mots de 1’ autosuggestion »,avec laquelle l’expérience Zen est souvent confondue. Dans l’autosuggestion, il n’y a pas d’antécédent intellectuel, ni d’intense recherche accompagnée d’un sentiment aigu de malaise. Dans l’autosuggestion, quelque chose de précis est proposé au sujet, qui l’accepte sans discussion et de bon gré. Le sujet a en vue un certain résultat pratique, qu’il désire produire en lui en acceptant la proposition. Dès le début, tout est ici déterminé, prescrit et suggéré. Dans le Zen, il y a une quête intellectuelle de la vérité dernière, que l’intellect n’arrive pas à mener à bien ; le sujet doit plonger plus profondément sous les vagues de la conscience empirique. Cette plongée est des plus ((
Facfeiirs déterminanis
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dificiles, car il ne sait ni comment ni où plonger. I1 ne sait pas du tout comment aller plus loin, jusqu’à ce que soudain, d’une manière ou d‘une autre, il frappe juste à l’endroit où s’ouvre alors pour lui un nouveau champ de vision. Cet état d’ impasse )) mentale, où l’on frappe continuellement, inlassablement et de tontes ses forces, est un stage tout à fait nécessaire pour aboutir à l’expérience Zen. I1 peut y avoir là quelque chose de l’autosuggestion, en tant que processus mécanique, mais l’ensemble du processus où s’insère ce mécanisme psychologique est totalement différent de ce qu’on entend d’ordinaire par ce terme. La quête métaphysique que nous avons décrite comme étant un antécédent intellectuel de la conscience Zen ouvre une nouvelle étape dans la vie du disciple. Cette quête est accompagnée d’un intense sentiment de malaise, ou peut-être est-ce ce sentiment qui est interprété intellectuellement comme une quête. Que la quête soit traduite éinotivement comme inquiétude, ou que l’inquiétude soit traduite intellectuellement. comme la recherche de quelque chose de défini - dans les deux cas l’être entier de l’individu est tendu vers la poursuite de quelque chose sur quoi il puisse se reposer en paix. L’esprit qui cherche se sent irrité à l’extrême en voyant ses efforts continus rester sans fruits, mais, arrivé à un point critique, il se rompt ou il explose et toute la structure de la conscience prend un aspect entièrement différent. Telle est l’expérience Zen. Quête, recherche ardente, maturation et explosion, - tel est le processus de l’expérience. Cette recherche prend généralement la forme de la méditation, qui est moins un exercice intellectuel (uipashyanâ) qu’une concentration (dhyâna). Elle est pratiquée les jambes croisées, à la manière indienne, selon les instructions de l’opuscule intitulé Tso-tch’an I ou D e la méditaiion assise. Dans cette position, qu’hindous et bouddhistes considèrent en général comme la meilleure posture corporelle pour les yogins, le chercheur concentre toule son éner((
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gie mentale dans l’effort pour sortir de cette impasse où son esprit a été conduit. Comme l’intellect s’est montré incapable d‘accomplir cette tâche, le chercheur doit faire appel à un autre pouvoir, s’il peut en trouver un. L‘intellect a bien su le conduire à ce cul-de-sac, mais il est étrangement impuissant à l’en faire sortir. Tout d‘abord, le chercheur ne voit pas d’issue, mais il faut qu’il sorte par n’importe quel moyen, bon ou mauvais. I1 a atteint l’extrémité du passage, et devant lui s’ouvre béant un sombre abîme. I1 n’y a aucune lumière pour lui montrer une manière de le franchir, et il ne voit non plus aucun moyen de revenir en arrière. Il est forcé d‘aller de l’avant. La seule chose qu’il puisse faire à ce moment critique, c’est de sauter, dans la vie ou dans la mort. Peut-être est-ce la mort certaine, mais vivre ne lui paraît plus possible. Il est désespéré, et pourtant quelque chose le retient encore ;il ne peut pas se donner entièrement à l’inconnu. Quand il atteint ce stade du dhyâna, tout raisonnement abstrait cesse ;car penseur e t pensée ne s’opposent plus l’un à l’autre. Son être entier, peut-on dire, est pensée. Ou peut-être est-il mieux de dire que son être entier est (( non-pensée n (a-chifta).Dès lors, on ne peut plus décrire cet état de conscience en termes de logique ou de psychologie. Ici commence un nouveau mode d‘expériences personnelles, que nous pouvons appeler le (( bond »,ou le (( saut dans le précipice ».La période d‘incubation est à son terme. I1 faut bien comprendre que cette période d’incubation, qui se place entre la quête métaphysique et l’expérience Zen proprement dite, n’est pas une phase de tranquillité passive, mais d’intense effort, pendant lequel la conscience est tout entière concentrée en un seul point. Tant que la conscience tout entière n’a pas réellement saisi ce point, elle doit soutenir une lutte ardue contre les idées qui l’assaillent. I1 se peut qu’elle n’en ait pas conscience comme d‘une bataille, mais c’en est bien une que cette recherche intense, ce regard fermement tourné vers l’obscurité abyssale. La K concen-
Facteurs déterminants
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tration sur un point (ekâgra) est réalisée quand le mécanisme intérieur est mûr pour la catastrophe finale. Celle-ci a lieu, pour une observation superficielle, par accident, c’est-à-dire quand un bruit vient frapper le tympan, ou que certains mots sont prononcés, ou qu’un événement inattendu se produit, en d‘autres termes, à l‘occasion d‘une perception d’une sorte ou d‘une autre. On peut dire qu’alors la perception se produit sous sa forme la plus pure et la plus simple, car elle n’est entachée d’aucune analyse intellectuelle ou réflexion conceptuelle. Mais une interprétation épistémologique de l’expérience n’intéresse pas le yogin zen, car son effort est toujours dirigé vers la juste compréhension des enseignements bouddhiques, tels que la doctrine du Vide ou celle de la pureté originelle du Dharma-kâya, compréhension qui doit lui procurer la paix de l’esprit. ))
30 Quand la conscience Zen s’intensifie, la direction du maître devient très utile pour amener l’explosion finale. Comme dans le cas de Lin-tsi, qui ne savait même pas quelle question poser à Houang-po, l’adepte du Zen est fréquemment dans l’incertitude complète sur ce qu’il doit faire. Si on le laisse aller ainsi, la distraction mentale peut l’entraîner à une issue désastreuse. Ou bien son expérience n’arrivera pas au but final, car elle peut très bien s’arrêter net avant d‘avoir atteint la pleine maturité. Comme il arrive fréquemment, le yogin reste alors satisfait d’un stade intermédiaire, que dans son ignorance il prend pour définitif. Le maître est nécessaire non seulement pour encourager l’élève à aller encore plus haut, mais pour lui indiquer où est son but. Cette indication n’en est pas une, à vrai dire, si l‘on en considère seulement l’intelligibilité. Houang-po donna à Lin-tsi trente coups »,Loung-t’an souffla la chandelle, et Houeï-nêng réclama de Ming sa (( figure originelle, qu’il avait avant même de naître ».Logiquement, ces indications n’ont aucun sens, elles sont au-delà de toute opération rationnelle. On peut dire qu’elles n’ont pas d’utilité au sens terrestre, car elles ne nous donnent ((
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aucun fil conducteur qui puisse guider notre déduction. Mais, pour autant que le Zen n’a rien à faire avec la ratiocination, il n’est pas nécessaire que l’indication en soit une au sens ordinaire. Une gifle, une bourrade, une exclamation font assurément ,leur office d’indications lorsque la conscience Zen a atteint un certain stade de maturité. La maturation, donc, et l‘indication doivent venir toutes deux au bon moment ; si l’élève n’est pas tout à fait mûr, ou si le maître ne donne pas l’indication, le but désiré ne sera peut-être jamais atteint. Quand le poussin est prêt à sortir de l’œuf, la mère poule le sait et frappe la coquille à coups de bec, et alors surgit une nouvelle génération dans la basse-cour. On peut sans doute affirmer à ce sujet que cette indication, cette direction donnée, s’ajoutant à l’équipement mental préliminaire, plus ou moins philosophique, du yogin zen, détermine le contenu de sa conscience Zen, et que, lorsque ce contenu a atteint l’état de pleine maturité, il fait inévitablement explosion sous la forme de l‘expérience Zen. S’il en est ainsi, l‘expérience elle-même - en admettant que nous puissions la connaître sous sa forme la plus pure et la plus originale - est, peut-on dire, entièrement dépouillée de toute coloration, bouddhique ou chrétienne, taoïste ou védantiste. Elle doit donc être traitée, dans son ensemble, comme un événement psychologique qui n’a rien à faire avec aucune philosophie, théologie, ou enseignement religieux particulier. Mais la question est de savoir si, au cas où il n’y aurait aucun antécédent philosophique, aucune aspiration religieuse ou inquiétude spirituelle, l’expérience pourrait avoir lieu simplement comme un fait de conscience. Sinon, la psychologie de l’expérience ne peut être traitée indépendamment d’une philosophie ou d‘un corps particulier de doctrines religieuses. Que l’expérience Zen, en fait, se produise ainsi et se formule finalement comme un système d’intuitions Zen, cela est dû principalement à la direction du maître, aussi énigmatique qu’elle puisse paraître ;car, sans cette direction, l’expérience elle-même est impossible.
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Cela explique pourquoi la confirmation du maître est nécessaire pour attester l’orthodoxie de l’expérience Zen, et aussi pourquoi l’histoire du Zen met tellement l’accent sur l’orthodoxie de sa transmission. Aussi lisons-nous dans le Sûfra de l’estrade de Houeï-nêng (1) : (( Hsiuan-kiao (z) était particulièrement versé dans l’enseignement de l’école T’ien-taï sur la tranquillisation (shamafû) et la contemplation (vipashyanâ). Tandis qu’il lisait le Vimalakîrti-sûtra, il eut une vision du fondement de la conscience. Hsiuan-t’seu, un disciple du patriarche, vint un jour le voir. Ils s’absorbèrent dans une conversation sur le Bouddhisme, et Hsiuant’seu trouva que les paroles de Hsiuan-kiao étaient en complet accord avec celles des Pères du Zen, bien que Kiao lui-même ne le sût pas. T’seu demanda : (( Qui est votre instructeur dans le Dharma? )) Kiao répondit : Pour ce qui est de ma connaissance des sûtras de la classe Vaipulya, j’ai eu pour chacun d‘eux un professeur dûment autorisé. Plus tard, quand j’ai étudié le Vimalakîrfi, j’ai acquis par moi-même une vision de l’enseignement de l’esprit de Bouddha, mais je n’ai encore trouvé personne pour la confirmer. )) T’seu dit : Aucune confirmation n’est nécessaire avant bhîshmasvara-rûja (s), mais, après lui, ceux qui obtiennent le satori par eux-mêmes, sans aucun maître, appartiennent à l’école naturaliste et hétérodoxe. )) Kiao demanda : u J e vous en prie, confirmez-moi. )) T’seu dit : K Mes paroles n’ont pas grand poids. A Ts’ao-ts’i réside en ce moment le sixième Patriarche, et les gens viennent en foule autour de lui de toutes les directions pour recevoir l’instruction dans le Dharma. Allons le trouver (“)... )) ((
((
(1) (2)
264.
Voir I r e série, p. 256 sqq. Mort en 713, disciple de Houeï-nêng. Voir
Ire
série, p. 263-
(a) En chinois : ouei-in-ouang. L’expression peut signifier : avant l’aube de la conscience N ou a avant tout enseignement systématique ou religion ». (4) Tout ce passage manque dans le manuscrit Toun-houang. I1 a probablement Cté ajouté à une date très postérieure. Mais cela n’affecte pas la force de l’argument de Hsiuan-t’seu. ((
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40 Si la conscience Zen intensifiée n’explose pas dans l’état de satori, c’est que l’intensification n’a pas encore atteint son plus haut point ; car, lorsqu’elle l’a atteint, il ne lui reste plus d’autre possibilité que d’arriver au dénouement final connu sous le,nom de satori. Ce fait, nous l’avons vu, a été spécialement noté par Taï-houeï comme caractérisant l’expérience Zen. Car, selon lui, il n’y a pas de Zen s’il n’y a pas de satori. Le satori finit donc par être reconnu comme l’expérience Zen par excellence à l’époque de Taï-houeï et même avant. Si Taï-houeï et son école durent en affirmer énergiquement l’importance contre certaines tendances qui se manifestaient alors parmi les adeptes du Zen, et qui menaçaient de saper la vie même du Zen (I), cela prouve que le développement de l’exercice du kô-an était inévitable dans l’histoire du Zen, tellement inévitable, en fait, que s’il ne s’était pas produit, le Zen lui-même aurait cessé d’exister. L’ANTECÉDENT PSYCHOLOGIQUE ET LE CONTENU DE L’EXPÉRIENCEZEN
Dès les premiers jours de l’histoire du Zen, certains ont considéré à tort sa pratique comme celle d’un simple quiétisme ou comme une sorte de technique de tranquillisation mentale. D’où les remontrances de Houeï-nêng à ce sujet et l’avertissement de Nan-iueh à Ma-tseu (*).La posture de méditation, jambes croisées, est la forme extérieure du Zen, pendant la période où la conscience Zen doit être nourrie, jusqu’à sa maturité. Quand elle est mûre à point, elle éclate nécessairement en satori, qui est une vision de l’Inconscient. I1 y a quelque chose de noétique dans l’expérience du Zen, et c’est cela qui détermine tout le cours de la discipline Zen. Taï-houeï était pleinement conscient de ce fait et ne se lassait jamais de l’affirmer contre l’école adverse. ci-dessus, p. 454 sqq. 11 Voir Voir 1‘“série, p. 277. 1
2
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Que le satori ou expérience Zen ne soit pas l’aboutissement d’exercices de calme poursuivis dans la posture assise, ou d’une simple passivité, avec laquelle la discipline Zen a souvent été confondue même par ses propres adeptes, cela peut se déduire des paroles ou des gestes qui suivent l’événement final. Comment interpréteronsnous l’exclamation de Lin-tsi : (( I1 n’y a pas grand-chose dans le Bouddhisme de Houang-po ? D Et ses coups de poing dans les côtes de Taï-iu? Ces faits montrent d’une façon évidente qu’il y avait dans son expérience quelque chose d’actif et de noétique. I1 avait réellement saisi quelque chose qui rencontrait son approbation. I1 n’est pas douteux qu’il avait trouvé ce qu’il n’avait cessé de chercher jusque-là, bien qu’au moment où il commença sa recherche il n’eût eu aucune idée de ce qu’elle signifiait - comment l’aurait-il p u ? S’il était demeuré entièrement passif, il n’aurait jamais pu émettre une assertion aussi positive. Quant à son geste, quelle assurance il avait, née de sa conviction absolue! I1 n’y a là aucune passivité (I). La situation est bien décrite par Daï-o Kokoushi lorsqu’il dit : Quand on parle d’une transmission spé((
((
(l) Un jour, [saint François] était assis avec ses compagnons, lorsqu’il se mit à gémir et à dire : N 11 y a à peine un religieux sur toute la terre qui obéisse parfaitement à son supérieur. n Ses compagnons, très étonnés, lui dirent : u Expliquez-nous donc, Père, quelle est la parfaite et souveraine obéissance. D Alors, comparant celui qui obéit à un cadavre, il répondit : (1 Prenez un corps mort et posez-le où vous voulez, il ne fera aucune résistance ;quand il sera à une place, il ne murmurera pas ;quand VOUS l’enlèverez il ne réclamera pas ; mettez-le sur une chaire, il ne regardera pas au-dessus mais au-dessous de lui ; enveloppez-le de pourpre, il en pâlira .doublement. 11 (Paul SABATIER, Vie de suint François, p. 364-365.) I1 est difiicile dc dire quel est le sens réelde ces paroles. 11 peut sembler que saint Francois voulait que ses moines fussent littéralement comme des cadavres ; mais il y a quelque ironie dans la remarque : (1 mettez-le en chaire... Un bouddhiste Zen interpréterait cela comme signifiant qu’il faut tenir son esprit dans ce parfait état de clarté qui perçoit n la fleur rouge et le bouleau vert sans rien ymêler desasubjectivité confuse. C’est un état de passivité, en effet, et pourtant il renferme aussi une plénitude d’activité. Nous pourrions l’appeler (1 une sorte d‘activité passive D. Voir chap. XIII. (I
))
)>
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ciale en dehors de l’enseignement des sûtras (I), on veut dire ; pénétrez le sens d’une unique formule en brisant à la fois le miroir e t l’image, en outrepassant toutes les formes d’idéation, en ne faisant aucune sorte de distinction entre la confusion et l’illumination, en ne prêtant aucune attention à la présence ou à l’absence d’une pensée, en n’acceptant ni évitant la dualité du bon et du mauvais. L’unique formule que l’adepte du Zen est invité à méditer )) (koung-fou) et dont il doit trouver la solution finale est ; (( Votre visage originel, que vous aviez avant même de naître de vos parents. En cherchant la réponse à cette formule, on ne doit ni réfléchir sur le sens de la phrase, ni essayer de lui échapper ; ne raisonnez pas là-dessus, et n’abandonnez pas non plus tout raisonnement ; répondez exactement comme vous êtes interrogé e t sans délibérer, comme une cloche résonne quand on la frappe, comme un homme se présente quand on l’appelle par son nom. S’il n’y avait pas de recherche, de méditation, d’efforts pour parvenir au sens de la formule, il n’y aurait pas de réponse e t donc pas d’éveil. Bien qu’il soit difficile de déterminer le contenu de l’expérience Zen par le seul moyen de ces paroles e t gestes qui suivent involontairement l’expérience - c’est là, en fait, toute une étude particulière -j’en donne, en appendice à cet essai, quelques exemples cueillis indistinctement tout au long de l’histoire du Zen (2). D’après les paroles citées, on peut voir que tous les auteurs ont eu une perception interne, qui mit un terme à toute espèce de doutes e t d’anxiétés mentales dont ils pouvaient souffrir ; et, de plus, que la nature de cette perception interne ne se laisse pas traiter en syllogismes, car elle n’a aucune connexion logique avec ce qui l’a précédée. Le satori, en règle générale, s’exprime par des ))
((
))
))
(,I) Cest le premier oint du message de Hodhi-dharma. Voir 1 série p. 19 et 20!. (2) Voir ci-dessus p. 641 sqq., Quelques-uns de ces exemples ont déjà été donnés dans les precedents volumes, avec d’autres de ces paroles telles qu’elles se trouvent dans les textes originaux.
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mots qui sont inintelligibles pour la pensée ordinaire ; parfois, l’expression est simplement. descriptive du sentiment de l’expérience, lequel, bien entendu, ne signifie rien pour ceux qui n’ont jamais eu en eux de tels sentiments. Du point de vue intellectuel, il y a un abîme infranchissable entre le problème antécédent et la solution conséquente ; les deux restent sans connexion logique. Quand Lin-tsi demanda quel était le principe fondamental du Bouddhisme, il reçut trente coups de son maître Houang-po. Après qu’il eut atteint le satori et compris le sens de son expérience, il dit simplement : (( I1 n’y a pas grand-chose dans le Bouddhisme de Houang-po. Nous demeurons dans l’ignorance de ce qu’est réellement ce (( pas grand-chose ».Quand Taï-iu le lui demanda, Lin-tsi lui donna simplement des coups de poing dans les côtes. Ces gestes et ces paroles ne donnent à l’observateur du dehors aucun indice sur le contenu de l’expérience elle-même. Leurs auteurs semblent s’exprimer par signes convenus. Cette discontinuité ou discrétion logique est caractéristique de tout l’enseignement Zen. K’ing-ping (l), interrogé sur ce qu’est le Mahâyâna, répondit : la corde du seau )) ; et, sur le Hînayâna :(( la ficelle à sous N ;sur les impuretés morales (âsraua) :u le panier de bambou )) ;sur les puretés morales (anâsraua) : la bouche de bois ».Ces réponses sont en apparence dénuées de sens, mais, du point de vue du Zen, elles s’assimilent aisément, car, de ce point de vue, un pont est jeté par-dessus la discontinuité logique. L’expérience Zen ouvre évidemment une porte, révélant tous les trésors qui sont derrière. Elle fait un bond SOUdain par-delà la logique et commence une dialectique qui lui est propre. Psychologiquement, cela s’accomplit lorsque a lieu ce qu’on appelle 1’«abandon )) ou le saut dans le précipice ».Cet (( abandon signifie le courage moral de courir les risques ; c’est un plongeon dans l’inconnu qui s’étend au-delà des terres familières de la connaissance relative. Ce royaume inconnu de la discontinuité ))
))
((
((
((
((
(2) King-ping Ling-tsoun (845-919). Sur son entrevue avec T’soueï-Ouei, voir plus loin.
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logique doit être exploré personnellement ; e t c’est ici que la logique devient psychologie,, que la pensée conceptuelle doit céder le pas à l’expërience vivante. Nous ne pouvons cependant pas N nous abandonner D du seul fait que nous le désirons. Cela peut sembler facile, mais en fait c’est la derniére chose qu’un être puisse faire, car on ne le fait que lorsqu’on est définitivement convaincu qu’il n’y a pas d’autremoyen d’affronter la situation. Nous avons toujours plus ou moins conscience d’un lien qui nous attache, assez mince, sans doute, mais fort résistant lorsque nous essayons de le couper! I1 nous retient toujours quand nous désirons nous jeter aux pieds d’un Seigneur miséricordieux, ou lorsque nous sommes poussés à nous identifier à une noble cause ou à quoi que ce soit qui surpasse le simple égoïsme. Avant de pouvoir y arriver, il faut longtemps méditer N (1). C’est seua rechercher », s’efforcer », lement quand ce processus est arrivé à maturité que 1’ u abandon D peut avoir lieu. On peut dire que cette recherche, ces efforts sont une sorte de purgation. Quand on est purgé de toute trace d‘égotisme (z), quand le vouloir-vivre est effectivement abattu, quand l’intellect renonce à maintenir la distinction entre sujet et objet, alors tous les efforts cessent, la purgation est achevée, et 1’ c abandon )) peut avoir lieu Tous les maîtres Zen insistent donc beaucoup sur la nécessité de parachever le processus des efforts )) e t de la cc recherche N.Pour qu’un abandon soit total, il faut ((
e).
((
(I) Dans la terminologie chrétienne, a chercher n,R demander D, frapper N. (a) Le contexte éclairera le sens qui est donné à ce mot, nécessaire pour maintenir la distinction que fait l’auteur entre selfishness (égoïsme) e t egotism (N. d. T.). J3) William James, dans L’expérience religieuse, rapporte I’histoire d’Antoinette Bourignon, qui, trouvant que son obstacle spirituel était la possession d’un sou, le jeta et commença son long voyage spirituel, absolument libre des soucis terrestres. Un sou 8 , c’est le symbole du dernier fil de l’égotisme qui nous lie si efficacement à un monde de relativité. Si mince que soit le fil, il est assez fort pour chacun de nous. L’outil pour le trancher est donné au disciple du Zen sous la forme d‘un kô-an, comme nous le verrons plus loin. a
((
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que le processus préliminaire ait été aussi total. Les maîtres enseignent tous qu’il est nécessaire de poursuivre cette recherche comme si on luttait contre un ennemi mortel, ou comme si une flèche empoisonnée était enfoncée dans une partie vitale dd corps, ou comme si l’on était entouré de tous côtés de flammes dévorantes ou comme si l’on avait perdu père et mère, ou comme si l’on était déshonoré pour n’avoir pas pu payer une dette de mille pièces d‘or n. Shôichi Kokoushi, le fondateur du monastère de Tôfoukouji, donne ces conseils : Pensez que vous êtes tombé dans un vieux puits profond ; la seule pensée que vous avez alors est d‘en sortir, et vous vous mettez désespérément à chercher un moyen d‘échapper ;du matin au soir cette seule pensée occupera le champ de votre conscience. B Quand l’esprit est si totalement occupé d‘une seule pensée, alors, fait étrange ou miraculeux, un éveil soudain se produit à l’intérieur de I’être. Toute la recherche et tous les efforts cessent, et en même temps on a le sentiment que ce qu’on désirait est ici, que tout est bien dans le monde et en soi-même, et que Je problème est maintenant, et pour la première fois, résolu d’une façon correcte et satisfaisante. Les Chinois ont ce proverbe : Quand on est dans une impasse, il y a une issue. D Les chrétiens enseignent : (( Où il n’est plus d’espoir, c’est l’occasion de Dieu. La principale chose a faire, lorsqu’on se trouve dans cette extrémité mentale, est d’épuiser tous les pouvoirs que l’on possède de a chercher 1) et (( s’efforcer », c’està-dire de concentrer toute son énergie sur un seul point et d’attaquer de front en se proposant de mener l’assaut aussi loin qu’on pourra. Qu’il soit occupé à résoudre un problème compliqué de philosophie ou de mathématique, ou qu’il elabore un moyen d’échapper à des conditions intenables, ou qu’il cherche une voie pour se libérer d’une situation en apparence sans espoir, son esprit empirique, pour parler psychologiquement, est mis à contribution jusqu’à la limite de son énergie ;mais quand cette limite est dépassée, une nouvelle source d’énergie jaillit, sous ((
((
((
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une forme ou sous une autre. Physiquement une vigueur ou une endurance extraordinaires se révèlent, à la surprise de l’homme lui-même ; moralement, ‘on voit souvent alors un soldat, sur le champ de bataille, manifester un grand courage et accomplir des actes d’audace ;iiitellectuellement, un philosophe - si c’est vraiment un grand philosophe - révèle une nouvelle manière de regarder la Réalité ; religieusement, ce sont les phénomènes spirituels tels que conversion, soumission, réformation, salut, pour les chrétiens, et satori, illumination, intuition, parâvritti, etc., pour les bouddhistes. Tous ces divers ordres de phénomènes sont explicables, dans les limites de la psychologie, par la même loi : accumulation, saturation et explosion. Ce qui est particulier à l’expérience religieuse, c’est qu’elle enveloppe l’être entier de l’individu, qu’elle affecte les fondations mêmes de son caractère. E n outre, le contenu de cette expérience peut être décrit dans les termes de la foi chrétienne ou de la philosophie bouddhique, selon la nature de ses antécédents, ou selon l’entourage et l’éducation de l’individu en question. C’est-à-dire que celui-ci interprète l’expérience conformément à ses propres ressources intellectuelles, et pour lui cette interprétation est la meilleure, et la seule possible, qui puisse être donnée des faits constatés. I1 ne peut accepter ces faits sous aucune autre lumière, car ce serait les rejeter comme illusoires et vides de sens. Comme le Bouddhisme n’a pas de dogmes comparables à ceux des chrétiens, qui sont chrétiens parce qu’intellectuellement ils se conforment à la théologie et à la tradition de leurs ancêtres, les bouddhistes donnent à leur expérience religieuse une coloration tout a fait différente. Pour les adeptes du Zen, surtout, des termes tels que grâce divine, révélation, union mystique, etc., sont étrangers et ne rendent pas un son familier. Aussi étroitement apparentées que puissent être, psychologiquement, les deux expériences -bouddhique et chrétienne - elles prennent des aspects très différents dès qu’on les fait entrer dans les catégories idéologiques des deux religions. Comme nous l’avons dit, les antécé-
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dents de l’expérience, tels qu’ils sont décrits par les maîtres Zen, sont tout à fait différents de ce qu’ils sont chez les mystiques chrétiens. Stigmates, ligatures, purification, chemin de la Croix, angoisses d’amour, etc., tous ces termes sont sans aucun sens dans l’expérience Zen. Les antécédents qu’exige celle-ci sont concentration, accumulation, oubli de soi, saut dans le précipice, passage sur l’autre rive du fleuve de naissance-et-mort, bond, abandon, coupure de ce qui précède et de ce qui suit, etc. Il n’y a là absolument rien qui puisse être appelé religieux )) par ceux qui ne se sont familiarisés qu’avec l’autre terminologie. Pour rendre plus clair ce processus psychologique d’ oubli de soi e t de coupure du passé et du futur », qu’on me permette de citer quelques-uns des exemples classiques. Le moine Ting vint trouver Lin-tsi et lui demanda : (( Quelle est l’essence du Bouddhisme ? 1) Lin-tsi descendit de sa chaise de paille, empoigna le moine, lui donna une gifle e t le laissa là. Ting restait immobile. Un autre moine, qui était à côté de lui, lui dit : Ting, pourquoi ne faites-vous pas une révérence? Ting était sur le point de s’incliner devant le maître, quand soudain il (( réalisa )) quelque chose (l). Tel est le bref récit qui nous est donné de l’événement. Si bref soit-il, nous pouvons y trouver tout ce qui est nécessaire pour comprendre ce qui fut pour Ting l’expérience du Zen. Tout d’abord, il n’était pas venu trouver Lin-tsi par hasard. Sa question était sans aucun doute l’aboutissement d’une longue réflexion e t d’une recherche anxieuse de la vérité. Avant que le système du kô-an ne fût en vogue, les adeptes du Zen savaient difficilement comment poser une question, comme nous l’avons vu dans le cas de Lin-tsi. Les énigmes intellectuelles ne manquent pas, mais ce qui est dificile, c’est de tirer de soi une question vitale, dont dépende la destinée du questionneur lui-même. Quand une telle question arrive ((
((
((
))
(l)
D’après le Lin-fsi-lou.
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à se formuler, la poser, c’est déjà plus qu’à moitié y répondre. Un petit mouvement de la part du maître peut suffire à ouvrir une nouvelle vie en.ce1ui qui interroge. La réponse n’est pas dans le geste ou les paroles du maître ;elle est dans le propre esprit, maintenant éveillé, du questionneur. Lorsque Ting interrogea le maître sur l’essence du Bouddhisme, sa question n’était pas posée à la légère ;elle sortait de son être intime, et ce n’est pas une réponse intellectuelle qu’il attendait. Quand il fut empoigné e t frappé par le maître, il ne fut probablement pas du tout (( surpris )) - au sens de décontenancé, de ne savoir que faire ; mais il fut surpris en ce sens qu’il fut entièrement jeté hors des sentiers battus de la logique ordinaire, le long desquels, sans doute, il s’était jusque-là attardé sans s’en rendre compte. I1 était enlevé de la terre où il avait été accoutumé de se tenir et à laquelle il semblait lié pour toujours ;il était emporté., il ne savait pas où, mais il se sentait maintenant perdu au monde et à lui-même. C’est ce que signifie le fait qu’il restait immobile ».Tous ses efforts antérieurs pour trouver une réponse à sa question étaient réduits à zéro. I1 était au bord du précipice, il s’y cramponnait de toute la force qui lui restait, mais le maître l’y poussa sans pitié. Même lorsqu’il entendit la voix du moine qui l’interpellait, il n’était pas entièrement réveillé de sa stupéfaction. C’est seulement au moment où il allait faire les révérences habituelles qu’il retrouva le sens, - le sens qui lui permit alors de jeter un pont sur la discontinuité logique, et qui lui fit éprouver au-dedans de lui-même la réponse à sa question, -le sens qui lui fit lire la signification ultime de toute vie, après quoi il n’avait plus rien d’autre à chercher. Ce dénouement n’aurait sans doute pas pu se produire s’il n’avait été précédé par le processus habituel de concentration, accumulation, abandon. Si la question posée par Ting avait été abstraite e t conceptuelle, si elle n’avait pas eu de racine au cœur même de son être, Ting n’aurait pu percevoir ni la vérité profonde ni le caractère définitif de la réponse. ((
Antécédenis ef confenu
507
Voici un autre exemple (*), qu’on trouvera très significatif en le rapprochant du précédent. Iun-mên est le fondateur de l’école qui porte son nom. Son premier maître fut Mou-tcheou - celui-là même qui avait poussé Lin-tsi à interroger Houang-po sur l’essence du Bouddhisme. Mên n’était pas satisfait de la connaissance du Bouddhisme qu’il avait puisée dans les livres. I1 vint trouver Mou-tcheou afin d’établir définitivement, avec lui, son bilan intellectuel. Voyant Mên approcher de la porte, Mou-tcheou la lui ferma au visage. Mên ne comprenait pas ce que cela signifiait ; il frappa, et une voix vint de l’intérieur : Qui êtes-vous ? - J e m’appelle Iun-mên, je viens de Tchih-hsing. - Que voulez-vous? J e n’arrive pas à voir dans les fondements de mon être, et je désire très ardemment être éclairé. )) Mou-tcheou ouvrit la porte, regarda Mên, et la referma. Ne sachant que faire, Mên s’en alla. C’était là, certes, une grande énigme ; aussi revint-il un peu plus tard. 11 fut traité de la même façon. Quand il revint pour la troisième fois à la porte de Mou-tcheou, il était fermement résolu à avoir, par n’importe quel moyen, un entretien avec le maître. Cette fois, aussitôt que la porte fut ouverte, il se glissa prestement par l’ouverture. L‘intrus fut aussitôt empoigné par le torse, et le maître cria : (( Parlez! parlez! )) Mên fut confondu et hésita. Mou-tcheou, sans perdre un instant, le poussa de nouveau au-dehors en disant : (( Allez, propre à rien! La lourde porte, claquée, se rabattit sur une des jambes de Mên qui s’écria : Oh I Oh ! )) Mais cela ouvrit ses yeux à la signification de tout ce qui venait de se passer. On peut facilement inférer de ce récit que l’expérience du Zen, chez Iun-mên, eut de longs et ardus préliminaires, bien qu’il n’y ait dans l’histoire aucune allusion à son attitude psychologique dans l’affaire. Sa recherche et ses efforts n, bien entendu, ne commencèrent pas
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D’après le ïun-rnh [ou.
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L’exercice du kô-an
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avec cette expérience ;ils aboutirent au contraire à leur terme quand il vint trouver Mou4cheou. I1 ne savait aucun moyen d’échapper au dilemme $ans lequel il se trouvait pris ; son seul espoir était Mou-tcheou. Mais quelle réponse reçut-il du maîtft-? &re dévisagé, puis jeté dehors - quel rapport cela pouvait-il avoir avec son ardente question sur son moi intérieur? E n retournant chez lui, il devait certainement réfléchir à la nouvelle situation avec toutes les ressources de son esprit. Cette réflexion, cette intense recherche a dû être encore intensifiée par sa deuxième visite au maître ; à la troisième visite, elle approchait rapidement de son point culminant, et, naturellement, elle se termina d’une façon dramatique. Quand Mou-tcheou lui enjoignit de parler s’il avait quelque chose à dire, de prononcer un mot s’il y avait si peu que ce fût qui dût être exprimé, sa conscience Zen parvint à pleine maturité, et il ne fallait plus qu’une touche légère pour la changer en un éveil. Cette touche nécessaire vint sous la forme d’une douleur physique intense. Son cri : a Oh! Oh! 1) était en même temps le cri du satori. I1 avait une perception intime de son être propre, dont pour la première fois il venait de sonder personnellement la profondeur, en sorte qu’il pouvait réellement dire : (( J e sais, car c’est moi, cela! )) . Le processus psychologique, ainsi décrit, est peut-être encore quelque peu conjectural. Mais on le trouvera de plus en plus vraisemblable à mesure que nous décrirons la psychologie de l’exercice du kô-an selon les divers documents laissés par les maîtres et les instructions qu’ils ont données à leurs disciples. LA
TECHNIQUE DE LA DISCIPLINE ZEN AU DÉBUT DE SON HISTOIRE
Comme on peut aisément le concevoir d’après la précédente esquisse de la psychologie du satori, ce n’est pas une tâche facile que de développer la conscience Zen
Débuis de la fechnigue
509
jusqu’à ce point culminant. Dans les premiers temps du Bouddhisme Zen en Chine, il y avait assez d’esprits originaux cherchant une expériencé &e première main et qui n’abandonnèrent jamais leur aventure hasardeuse dans les terres inconnues du mysticisme Zen. Les maîtres, à cette époque, n’avaient pas de système spécial pour les conduire à l’expérience finale ; ils leur donnaient seulement quelques indications, par des gestes ou des paroles qui, étant tout à fait insaisissables, rebutaient plutôt qu’ils n’attiraient les chercheurs de vérité. La voie était semée de chardons et de ronces et non de fleurs, et ils couraient de grands risques en s’y aventurant. I1 était donc naturel qu’entre les nombreux disciples qui s’assemblaient autour d’un maître, il n’y en eût que quelques-uns qui atteignissent le satori. Sur cinq cents ou mille élèves qui, dit-on, vinrent dans un monastère des montagnes dirigé par un maître pleinement qualifié, il n’y en eut pas dix dont les yeux s’ouvrirent aux mystères du Zen. Le Zen était une forme aristocratique du Bouddhisme. Son idéal était de produire un seul grand esprit magistral, dominant de haut l’ordinaire, plutôt que de nombreuses médiocrités. Les maîtres faisaient donc la voie aussi abrupte et aussi orageuse que possible, de sorte que seuls les cœurs à toute épreuve pouvaient la gravir jusqu’au sommet. Cela, bien entendu, n’était pas intentionnel de leur part ; ils n’avaient pas l’intention maligne ou égoïste de garder le trésor pour eux; ils désiraient naturellement voir leur enseignement embrassé par le plus grand nombre possible de leurs semblables, ils ne semblaient jamais lassés de le propager, mais ils voulaient être fidèles à leur vision, ils ne pouvaient pas s’abaisser pour plaire au goût populaire, renoncer à leur vocation pour le simple renom et une approbation vulgaire. King-t’sên de Tchang-cha avait coutume de dire : Si j’allais démontrer la vérité du Zen sous son aspect absolu, on verrait les mauvaises herbes envahir la cour d’entrée de mon monastère. )> D’autre part, le monde est généralement rempli d’imitateurs, de contrefacteurs, de revendeurs d’occa((
510
L’exercice du kô-an
sions, non seulement le monde commercial, mais aussi le monde religieux. Peut-être plus encore ce dernier, parce qu’il y est moins. facile de distinguer l’authentique du faux. Quand d’autres circonstances extérieures s’ajoutaient encore aux difficultés inhérentes au Zen, qui tendent à l’isoler du monde et à l’en faire graduellement disparaître, on comprend combien les maîtres devaient souffrir de la situation dans laquelle ils se trouvaient souvent en fait. Ils ne pouvaient rester tranquillement assis dans leurs retraites des montagnes et regarder décliner l’esprit du Zen. I1 ne manquait pas d’imitateurs qui avalaient la littérature et laissaient l’esprit. De plus, depuis Houeï-nêng, le sixième patriarche, la littérature Zen n’avait cessé de croître, et la manière dont le Zen s’exprimait était devenue plus délicate, subtile et variée. Peu à peu, la seule école de Houeï-nêng se divisa en plusieurs branches, de sorte qu’au début de la dynastie Soung, c’est-à-dire au XI^ siècle, il y en avait cinq qui florissaient. Le temps approchait rapidement oii les maîtres Zen ne pourraient plus se contenter d’attendre en laissant la conscience Zen se développer d’elle-même. Ils reconnurent le besoin d’un système propre à accélérer son développement, et à en assurer une saine propagation et une prospérité continue. Ils pensèrent que c’était leur devoir de veiller à ce que l’expérience Zen fût efficacement traiismise de maître à disciple sans interruption. Mais avant de parler du développement de ce système, voyons d’abord comment le Zen était enseigné dans les premiers temps de son histoire. Comme nous l’avons déjà vu par les exemples de Lin-tsi, de Iun-mên, du moine Ting et de Tê-chan, le maître n’avait pas de procédés spéciaux ni de méthodes propres à amener l’esprit de l’élève à la maturité nécessaire à l’expérience. Chacun, certes, donnait, à l’occasion, des sermons et des discours sur le Zen dans sa (( Salle du Dharma », et démontrait aussi le Zen à ses disciples par des moyens des plus pratiques. Le Zen n’était pas pour eux un amusement intellectuel, mais un fait vital
Débuts de I« trchniqrie
511
qui concernait la vie - même s’il s’agissait de lever u n doigt, de boire une tasse de thé, d’échanger des salutations, et ainsi de suite. Et, pour éveiller la conscience des disciples à la vérité du Zen, il était t‘out à fait naturel que les maîtres fissent usage de toutes les occasions de la vie quotidienne. Les récits suivants (I) d‘entrevues avec les anciens maîtres illustreroiit pleinement ce que je veux dire. Lorsque Houeï-nêng vit s’approcher Nan-iueh, il lui demanda : (( D’où viens-tu ? - J e viens de ïoung-chan. - Qu’est-ce que c’est qui vient ainsi (2) ? I1 fallut six ans à Nan-iueh pour comprendre cette leçon directe et dire : Même quand on dit que c’est quelque chose, la cible est déjà manquéel ))
((
))
Un moine vint trouver K’i-an de Ien-kouan et demanda : Qui est le Bouddha Vairochana ? Le maître dit : Veuillez me passer cette cruche. Le moine tendit la cruche au maître, qui demanda alors au moine de la remettre où il l’avait prise. Ainsi fit le moine, et il posa de nouveau sa question sur le Bouddha. Le mâître répondit : I1 y a longtemps qu’il est parti! ))
((
((
))
((
))
Ou-ieh de Fêng-tcheou était un moine de stature athlétique. Quand il vint auprès de Ma-tseu, celui-ci fit cette remarque : Quelle magnifique structure, sans aucun Bouddha dedans ! 1) Ou-ieh fit une révérence e t dit : Pour ce qui est de la littérature du Triple Véhicule, j’en ai une connaisSance générale, mais je n’arrive pas encore à comprendre ((
((
D,’après le Tchouan-fêng-Zorz. A la même méthode qu’a souvent recours, de nos Jours, Râmana Maharshi. Voir Études sur Râmana Maliwshi, vol. II, p. 83 sqq. (G. M. S., 1949) (N.d. T.). (l)
(*) Cest
L’exercice du kô-an
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l’enseignement du Zen selon lequel l’esprit est le Bouddha. Le maître répliqua : (( L’esprit qyi ne comprend pas est le Bouddha ; il n’y en a pas d’autre. 1) Ieh demanda de nouveau : ~ 0 , $it n que le premier patriarche avait apporté de l’Inde un message secret. Quel est-il ? - Moine, dit Ma-tseu, je suis trés occupé en ce moment, revenez une autre fois. )) Ieh allait quitter la chambre quand le maître cria ; (( Hé1 moine! )) Ieh se retourna. Qu’est-ce que c’est? )) demanda le maître. Cela éveilla l’esprit de Ou-ieh à la pleine compréhension du Zen, et il fit les révérences d’usage. (( Oh1 quel garçon stupidel Quelle utilité y a-t-il à faire vos révérences? )) Tels furent les derniers mots du maître. ((
Têng Iu-fêng (l) était debout aux côtés de Cliih-t’eou, qui sarclait les mauvaises herbes. Comme Chih-t’eou venait d’enlever une touffe d‘herbe devant Fêng, celui-ci dit : (( Vous savez seulement couper celle-là, mais pas l’autre. n Chih-t’eou brandit le sarcloir. Fêng le lui arracha et prit la posture d’un faucheur. T’eou fit la remarque : (l) Lorsque ce Fêng était snr le point de mourir, dans la grotte du Vajra, à Ou-taï Chan, il dit : 8 J’ai vu moi-même les maîtres mourir couchés ou assis, mais non debout. Connaissez-vous des maîtres qui aient trépassé debout? D Les moines dirent : Oui, des cas en sont rapportés. Et en connaissez-vous un qui ait trépassé debout sur la tête? - Non, jamais jusqu’à présent D fut-il répondu. Là-dessus, Fêng semit debout sur la tête et trépassa. Sa robe resta attachée à son corps. Quand on porta le corps au lieu de crémation, il garda sa position extraordinaire. C‘était un objet d‘étonnement et d’admiration. Le maître avait une sœur qui était religieuse et qui se trouvait parmi la foule. Elle s’approcha du cadavre de son frère et se mit à lui faire des reproches, disant : H O frère1 Pendant t a vie, t u n’observais pas les lois, et après t a mort t u veux encore jouer un tour aux gensl D Elle frappa alors de la main le cadavre, qui tomba sur le sol avec un bruit sourd.
-
(I
Débuts de la technique
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Vous coupez bien l’autre, mais vous ne savez pas couper celle-ci. )) Fêng ne répondit rien. ((
Un jour que Oueï-chan servait s o n maître Païtcliang (I), celui-ci demanda : Qui êtes-vous? - Ling-iou, maître. - Fouillez dans les cendres pour voir s’il y a du feu dans l’âtre. )) Chan fouilla dans l’btre et dit : I1 n’y a pas de feu, maître. Paï-tchang se leva de son siège, fouilla plus profondément dans les cendres et, trouvant un petit morceau de braise ardente, il la saisit et la montra à Chan en disant : Et celle-ci, est-ce qu’elle ne brûle pas? 1) Cela ouvrit l’œil de Oueï-chan. ((
((
))
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Taï-an avait étudié les textes du Vinaya à I-iouang-po Chan, mais n’y avait pas trouvé satisfaction, car il n’avait pu encore approcher de la signification ultime de la vérité bouddhique. Poursuivant son pèlerinage de chercheur, il vint chez Paï-tchang et lui dit : J’ai cherché le Bouddha, mais je ne sais pas comment continuer ma recherche. - C’est tout à fait comme de chercher un bœuf alors qu’on en chevauche un, dit le maître. - Que doit faire un homme une fois qu’il l’a connu ? - C’est comme de retourner chez soi sur le dos d‘un bœuf. - Pourrais-je être éclairé davantage sur ce à quoi je dois veiller, dans tout cela? n Paï-tchang dit : C’est comme un pâtre qui surveille son bétail, et qui, à l’aide de son bâton, l’empêche de divaguer dans le pâturage d’autrui. )) ((
((
Kao, alors qu’il était encore novice et n’avait pas reçu 1’) 720-814.
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la pleine ordination, vint auprès de Iao-chan. Celui-ci lui demanda : (( D’où venez-vous? - De Nan-iueh, maître. - De quel côté allez-vous? - A Kiang-ling, pour recevoir l’ordination. - Quelle idée avez-vous de vous faire ordonner?( - J e désire être libéré de la naissance et de la mort. - Savez-vous, dit le maître, qu’il y en a un qui, sans être ordonné, est libre de la naissance et de la mort? )) Chan-tao marchait un jour avec son maître dans les montagnes. Le maître, Chih-t’eou, vit les branches d’un arbre qui obstruaient le sentier, et il demanda à Chantao de les couper. Le disciple dit : (( J e n’ai pas apporté de couteau. )) Chih-t’eou sortit son propre cou-teau et le tendit à son disciple en lui présentant la lame nue. (( Veuillez, dit Chan-tao, me donner l’autre bout. - Que voulez-vous faire de l’autre bout ? demanda le maître. Cela éveilla Chan-tao à la vérité du Zen. ))
D’aprés ces exemples, pris un peu au hasard dans la
Transmission de la lampe (l), qui est la première histoire écrite du Zen, nous pouvons voir que la méthode du maître Zen était parfaitement pratique, mais ne suivait pas de plan préétabli. Si l’élève n’avait pas une question à poser, le maître essayait de le provoquer, non pas abstraitement, mais en partant de la vie même telle qu’ils la vivaient ensemble. I1 y avait déjà en circulation, parmi les adeptes du Zen, quelques questions classiques avec lesquelles ceux-ci abordaient le maître, et il y avait (1) Les Annales de la fransmission de lu Zumikre de Za Zampe, Hsiu fchouan têng lou, titre abrégé ensuite en Hsiu-tchouan (voir aussi I r e série, p. 199 sqq.) consistent en trente-six volumes contenant les chroniques des maftres Zen depuis la dernière partie du x e siècle jusqu’au X I V ~ Cet . ouvrage est la continuation du Tchouanf&ngZou. L’histoire de Houeï-iuan se trouve dans le volume XX, et celle de Hsioung-ioung dans le volume XIV.
Débuts de la technique
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aussi quelques questions favorites que posaient régulièrement les maîtres. Mais il n’y avait rien de systématique, ni de la part du maître ni de celle de l’élève, dans la manière de poursuivre l’étude du Z@. Une des questions le plus fréquemment posées par les‘hovices concernait la raison de la venue de Budhi-dharma en Chine. C’était tout à fait naturel, puisque le Zenavait commencé en Chine avec l’arrivée du Patriarche venu de l’Inde, et ceux qui voulaient suivre ses pas ne pouvaient pas ne pas brûler de connaître le grand message de Bodhidharma. D’autre part, la question le plus en faveur que posaient les maîtres était : d’où venait et où allait chaque nouvel arrivant au monastère? ((D’oùviens-tu ? )) n’était pas une question de simple curiosité ; car si l’on connaît réellement d’où l’on vient et où l’on va, on est déjà maître du Zen. A côté de ces adeptes de bonne foi, il y avait beaucoup de philosophes bouddhiques, surtout dans les premiers jours du Zen sous les T’ang, qui, partiaux envers leurs propres systèmes philosophiques, étaient souvent en controverse avec les maîtres Zen. Ces entrevues nous fournissent un intéressant spectacle - toujours aux dépens des philosophes. Un moine vint chez Houeï-tchoung, qui lui demanda : Quelles sont vos occupations? - J e fais des causeries sur le Vajracchedikâ-sûtra. - Dites-moi quels sont les deux premiers caractères du sûtra. - Jou chih (I). N Le maître demanda : Qu’est-ce que cela signifie? )) I1 n’y eut pas de réponse. Un philosophe bouddhique se présenta chez Ma-tseu et lui dit : Puis-je vous demander a quel enseignement adhère un maître Zen? )) Ma-tseu, au lieu de lui répondre, hi retourna la question : ((
((
((
(I) 11 Ainsi I(en sanskrit euam). C‘est le mot d’ouverture de tous les sûtras.
L’exercice du kô-an
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A quel enseignement adhérez-vous ? l’honneur de discourir sur plus de vingt sûtras et shâstras. Vous êtes vraiment un lionceau, n’est-ce pas? J’en suis très flatté, maître. N Ma-tseu poussa un long et dqux soupir. Le philosophe fit alors cette remarque : (( C’est vraiment cela. Que voulez-vous dire? C’est ainsi que le lion sort de sa tanière. Le maître resta silencieux. (( Cela aussi, c’est vraiment cela, dit le philosuphe. Que voulez-vous dire ? - C’est ainsi que le lion reste couché dans sa tanière. - E t quand il n’est question ni de sortir ni d’entrer, qu’advient-il ? )) Le philosophe ne répondit pas. Quand, un peu plus tard, il quitta le maître et qu’il allait franchir la porte d’entrée, le maître appela : Hé! philosophe! 1) I1 se retourna. Le maître dit Qu’est-ce que c’est que cela ? )) I1 n’y eut pas de réponse, e t Ma-tseu s’écria : (( Oh! Quel stupide professeur de sûtras! ((
- J’ai
-
I
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))
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))
Un professeur qui enseignait l’Avafamsaka4fra vint voir Houeî-haï et lui demanda : a Maître, croyez-vous que les êtres inanimés soient des Bouddhas ? Non, dit le maître, je ne le pense pas. Si les êtres inanimés sont des Bouddhas, les êtres vivants sont bien pires que les morts ; des ânes morts, des chiens morts seraient bien meilleurs que des êtres humains vivants, Nous lisons dans le sûtra que le Corps-du-Bouddha n’est autre que le. Corps-de-Dharma, qui est né de la moralité (shîla), de la méditation (dhyâna) et de la connaissance (prajnâ), né des trois sciences (vidyâ) et des six pouvoirs surnaturels (abhijnâ), né de toutes les actions méritoires. Si les êtres inanimés sont des Bouddhas, vous, honoré maître, vous feriez mieux de trépasser tout de suite et d’atteindre l’état de Bouddha. ))
-
Dtbut de la technique
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Un autre professeur de l’Aoatamsaka, nommé Tchih, vint trouver Houei-haï e t demanda : Pourquoi n’admettez-vous pas que les bambous toujours verts sont toujours le Dharma-kâya e t qu’il n’est-pas,de grosses fleurs jaunes qui ne soient Prajnâ? )) Le maître dit : Le Dharmaikâya [en lui-même] n’a pas de forme, mais par le moyen des bambous verts il assume une forme ; Prajnâ [en elle-même] est dépourvue de sensibilité, mais en présence des fleurs jaunes elle fonctionne. Qu’il y ait Prajnâ et Dharma-kâya n’est pas dû aux verts bambous et aux fleurs jaunes. Aussi est-il affirmé dans le sûtra que le vrai Dharma-kâya du Bouddha est comme la vacuité de l’espace, e t que, comme la lune réfléchie dans l’eau, il y a des formes qui répondent aux objets individuels. Si la fleur jaune est Prajnâ, Prajnâ est dépourvue de sensibilité ; si le bambou vert est le Dharma-kâya, le bambou peut savoir fonctionner en diverses relations. O professeur ! Comprenez-vous ? - Non, maître, je n’arrive pas à vous suivre. - Si un homme a une vision de la nature de son être, dit le maître, il comprend la vérité de quelque façon qu’elle soit présentée, affirmativement ou négativement. I1 sait ne pas être attaché à un côté ou à l’autre, puisqu’il a saisi le principe des choses dans leur mouvement continuel. Mais un homme qui n’a pas une telle vision spirituelle reste attaché au bambou vert ou à la fleur jaune quand on fait allusion à l’un ou à l’autre. I1 s’amuse avec le Dharma-kâya quand il en discourt, il ne sait pas ce qu’est Prajnâ même quand il en parle. C’est pourquoi il y a de continuelles chamailleries parmi vous autres professeurs. C’est ainsi que l’enseignement du Zen se pratiqua jusque vers le x e siècle. Pour faciliter la compréhension de l’état de choses qui régna pendant ces années-là, je citerai l’ouvrage connu sous le titre de Dix-huit sortes de questions, composé par Chan-tchao de Fên-iang ((
((
))
e).
(1) D’après le Jên t’ien ien mou, ti Les yeux des hommes et des dieux >I, f a x . II.
L’exercice du kô-an
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Celui-ci enseignait vers la fin du x e siècle e t était un disciple de Chên-nien de Chou-chan ( I ) . La classification n’est pas scientifique, mais les u Questions D donnent de nombreuses clartés sur la manière dont le Zen était étudié en ce temps-là. 10 La question demandant un enseignement. C’est celle que pose généralement au maître un novice, désireux d’être éclairé sur un sujet tel que le Bouddha, la signification du voyage de Bodhi-dharma en Chine, l’essence de l’enseignement bouddique, le Dharmakâya, etc. 20 La question que l’on pose au maître pour lui décrire la condition mentale où l’on se trouve et demander son jugement. Le moine qui demanda à Tchaotcheou : Que dites-vous à quelqu’un qui n’a rien à porter? 1) analysait ainsi son propre état d‘esprit. A cela Tchao-tcheou répondit : r Continuez à le porter (“. 1) 30 La question par laquelle on essaie de voir où en est le maître. Un moine vint trouver Toung-fêng, qui habitait une hutte dans la montagne, e t lui demanda : c( Si un tigre apparaissait soudain ici, que feriez-vous? )) L’habitant de la hutte rugit à la manière d’un tigre; le moine fit comme s’il était terrifié ; sur quoi le maître éclata de rire. 40 La question où celui qui interroge montre qu’il a encore un doute sur sa réalisation intérieure e t exprime le désir d’en avoir confirmation. Un moine demanda à Tao-ou de T’ien-houang : R Que dois-je faire alors qu’il y a encore une ombre de doute? n Tao-ou répondit : B Même l’unité, quand on s’en saisit, manque encore de loin la cible. 1) 50 La question de celui qui est anxieux de découvrir quelle est l’attitude du maître. Un moine demanda Tchao-tcheou : r Toutes choses sont réductibles à l’Un ; mais à quoi l’Un est-il réductihle? n Le maître dit : ((
(l) (8)
926-993. Voir i r e série, p. 322-324.
Débui de la technique
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(( Quand j’étais dans le district de King, je me suis fait faire une robe qui pesait sept kin (l). D 60 La question de celui qui ne sait ‘phs comment continuer son étude du Zen. Un moine demanda à Hsing-houa : u J e suis incapable1 de distinguer le noir du blanc. Je vous en prie, éclairez-moi d’une façon ou d’une autre. n Ll avait à peine fini sa question, que le maître le fustigea violemment. 70 La question posée avec l’intention d’éprouver le degré de réalisation du maître. Cette sorte de question a dû être en vogue au temps où des monastères Zen étaient établis un peu partout et OU les moines voyageaient d’un maître à un autre. Un moine demanda à Fêng-hsiueh : (( Comment se fait-il que celui qui ne comprend pas n’a jamais un doute? )) Le maître répliqua : u Quand une tortue marche sur le sol, elle ne peut s’empêcher de Iaisser des traces dans la boue. n 80 La question d’ignorance. Cette sorte ne semble pas différer de la sixième. Un moine demanda à Hsiuan-cha : u J e suis un nouveau venu au monastère ; veuillez me dire comment je dois poursuivre mon étude. - Entendez-vous le murmure du torrent? - Oui, maître. Si c’est ainsi, voilà l’entrée. D 90 La question posée par quelqu’un qui a ses vues personnelles sur le Zen et veut voir comment le maître les considère : Pour ce qui est du savoir mondain et de l’habileté dialectique, je n’ai rien à faire avec cela ; je vous en prie, proposez-moi un thème de méditation Zen. n A cette question d’un moine, le maître répondit en lui donnant un bon coup. 100 La question où l’on fait allusion à une parole d’un ancien maître. Un moine dit à Iun-mên : u Que faire lorsqu’on ne voit aucune limite, si grands qu’on ouvre les yeux? D Mên répondit : Regardez! 110 La question citant des paroles d’un sûtra. (( Selon le sûtra, tous les êtres sont doués de la nature de Boud-
-
((
))
(l)
Mesure de poids mal déterminée
(N.d. T.).
L‘exercice du kô-an
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dha ; comment se fait-il donc qu’ils ne le sachent pas? )) répondit Chou-chan. 120 La question contenant une Péférence à un fait connu. u L’océan, dit-on, recèle la pr6cieuse gemme ; comment un homme peut-il mettre la main dessus? )) A cela Fêng-hsiueh répondit : u Quand Ouang-hsiang vient, son éclat est éblouissant; quand Li-leou va, les vagues roulent aussi haut que le ciel. Plus on essaie de la saisir, plus elle s’évanouit au loin ; plus on s’efforce de la voir, plus elle devient obscure. )) 130 La question qui surgit d’un fait d’observation immédiate. J e vois que vous appartenez à la Confrérie ; qu’est-ce que le Bouddha? Qu’est-ce que le Dharma? )) San-chêng répondit : Ceci est le Bouddha, ceci est le Dharma, sais-tu? 140 La question contenant un cas hypothétique. (( Ce Bouddha est assis dans la Salle ; qu’est-ce que l’autre Bouddha ? La réponse de Tching-chan fut : Ce Bouddha est assis dans la Salle. )) 150 La question exprimant un doute réel. Toutes choses sont telles qu’elles sont depuis le commencement ; qu’est-ce que cela qui est au-delà de l’existence? D Un maître résolut ainsi la question : (( Votre affirmation est toute claire ; à quoi bon m’interroger? D 160 La question ayant une intention agressive : (( Le Patriarche est venu de l’Inde ; qu’est-ce qu’il avait en vue de faire ici? )) Mou-tcheou répliqua : (( Vous, ditesmoi : qu‘est-ce qu’il avait en vue de faire? )) Le moine ne sachant rien répondre, Mou-tcheou le frappa. 170 La question formulée clairement et directement. Un philosophe non bouddhique demanda au Bouddha : (( Mots ou non-mots, je ne demande ni l’un ni l’autre. )) Le Bouddha resta silencieux. Le philosophe dit : (( Le Bienheureux est vraiment plein de merci et de compassion. I1 a dissipé pour moi les nuages de la confusion, en me montrant comment entrer dans la voie. )) 180 La question non exprimée en mots. Un philosophe non bouddhique vint vers le Bouddha et se tint debout devant lui sans prononcer un mot. Le Bouddha
- Ils le savent
((
))
))
((
Début de la technique
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dit alors : Abondamment, certes, ô philosophe! N Le philosophe lui rendit hommage, en disant ; C’est grâce entièrement à la miséricorde du Bienheùreyx que j’entre maintenant dans la voie. D ((
((
D’après cette classification quelque peu confuse, on peut voir combien variées étaient les questions et leurs réponses parmi les disciples du Zen, pendant les cinq premiers siècles de son développement incessant après Bodhi-dharma. Cela est surtout vrai pendant les trois siècles après Houeï-nêng, reconnu généralement aujourd’hui comme le sixième patriarche. LE DÉVELOPPEMENT D U SYSTÈME DU KO-AN ET SA SIGNIFICATION
Sans aucun doute, il y eut pendant cette longue période un authentique développement de la conscience Zen parmi les disciples mais en même temps, ici comme ailleurs, certaine tendance se manifestait à abstraire l’expérience Zen en conceptualisme. Si cette tendance avait pu se développer librement, l’expérience authentique aurait pu disparaître complètement et toute la littérature du Zen, consistant surtout en paroles des maîtres, serait devenue soit inintelligible, soit matière à discussion philosophique. Cette dégénérescence, cette séparation d’avec la vie et l’expérience, est un phénomène observable partout dans l’histoire des religions. Il y a toujours à l’origine un génie créateur, et un système naît de ses expériences. Des gens de moindres capacités s’assemblent autour de lui : il s’efforce de les faire passer par les mêmes expériences que lui ; il réussit dans quelques cas, mais en général il y a plus d’échecs que de succès. Parce que, pour la plupart, nous ne sommes pas assez originaux et créateurs, nous nous contentons de suivre les pas d’un guide qui nous paraît très grand et très au-dessus de nous. Ainsi, graduellement, le système s’ossifie et,
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L’exercice du kô-an
à moins que ne vienne une période de renaissance, les expériences originelles disparaissent rapidement. Dans l’histoire chinoise du Zen, cette pfxqde de déclin, peuton dire, vint avec l’invention de l’ekercice du kô-an, bien qu’en vérité cette invention fût quelque chose d‘inévitable dans l’histoire de la conscience Zen. Le système du kô-an se propose de développer artificiellement, ou systématiquement, dans la conscience des disciples du Zen, ce que les anciens maîtres produisaient spontanément en eux-mêmes. I1 aspire aussi à développer cette expérience dans un plus grand nombre d’esprits que n’aurait pu espérer faire le maître sans son secours. Ainsi, le kô-an tendit en fait à populariser le Zen, et en même temps il devint le moyen de conserver l’expérience Zen dans toute son authenticité. Le Zen, d’aristocratique, devenait démocratique, systématisé, et, dans une certaine mesure, mécanisé. Sans aucun doute, c’était, dans cette mesure, un avilissement ; mais sans cette innovation le Zen serait peut-être mort depuis longtemps. A mon avis, ce fut la technique du kô-an qui sauva le Zen en tant qu’héritage irremplaçable de la culture extrême-orientale. Afin de comprendre un peu mieux les circonstances qui rendirent nécessaire l’avènement du kô-an, qu’on me permette de citer un ou deux des maîtres du XI^ siècle. Nous verrons ainsi qu’au moins deux tendances étaient à l’œuvre, minant les fondements du Zen. C’étaient d‘abord la doctrine e t la pratique de la quiétude absolue, puis les habitudes intellectualistes qui, du dehors, venaient mettre leur empreinte sur tout le Zen. Le quiétisme absolu, que les maîtres ne se lassaient jamais de combattre, était considéré, depuis le début de l’histoire du Zen, comme l’essence de son enseignement ; e t cette tendance, qui accompagnait inévitablement la pratique du Zen, était toujours prête à s’affirmer de nouveau. Quant à la compréhension intellectuelle du Zen, les profanes e t même certains adeptes l’ont toujours pratiquée, contre l’expérience Zen elle-même. I1 n’est pas douteux que là se tapit le plus mortel ennemi
Développemeni el significafiori
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du Zen. S’il n’est pas réellement abattu, on peut être sûr qu’il relèvera toujours la tête, surtout lorsque le Zen montrera quelque symptôme de déclin. Tchên-tching K’ê-ouen ( l ) dit dans un de ses sermons : R E n ce qui concerne le Zen, l’expérience est tout. Tout ce qui n’est pas basé sur l’expérience est extérieur au Zen. L’étude du Zen doit donc sortir de la vie même; et le satori doit pénétrer jusqu’au fond. Si quelque chose reste inépuisé, c’est une porte ouverte au monde des démons. Un ancien maître n’a-t-il pas dit que des cadavres sans nombre sont couchés sur le sol plat et uni, et aussi que les êtres authentiques sont réellement passés à travers les fourrés d’épines et de ronces ? De nos jours, la plupart des gens sont enclins à s’imaginer que le Zen a atteint son but final lorsque toutes les fonctions du corps et de l’esprit sont suspendues, et que la concentration se produit en un moment unique du présent où se réalise un état d’éternité - en-un-instant - un état de cessation absolue, un état comparable à un encensoir dans une chapelle au bord de la route, un état de froid retranchement. I1 est très malheureux qu’ils soient incapables de comprendre que cet état de concentration, si désirable qu’il puisse être, devient, lorsqu’on s’y attache, un obstacle à l’acquisition d’une vraie perception intérieure et à la manifestation de la lumière qui est au-delà des sens. Taï-houeï (2) dit dans une lettre à Tchên-jou Tao-jen, un moine qui était de ses disciples : a I1 y a deux sortes d’erreur qui prévalent maintenant parmi les disciples du Zen, laïques aussi bien que moines. Les uns pensent qu’il y a des choses merveilleuses cachées dans les mots et les formules, et ceux qui soutiennent cette opinion s’efforcent d’apprendre beaucoup de mots et de phrases. Les autres vont à l’autre extrême, oubliant que les mots sont le doigt indicateur, par IequeI on montre à quelqu’un où est située la lune. Suivant aveuglément l’instruction des sûtras, où l’on dit que les mots font obstacle (I) (2)
1024-1102. Voir ci-dessus, p. 455
L’exercice du kô-an
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à la compréhension correcte de la vérité du Zen et du Bouddhisme, ils rejettent tous les enseignements verbaux et s’assoient simplement les yeux fermés, abaissant leurs sourcils comme s’ils étaient complètement morts. Ils appellent cela méditation tranquille, contemplation intérieure et réflexion silencieuse. Non contents de leurs propres pratiques solitaires, ils essaient d’amener aussi les autres à adopter et à pratiquer cette vue erronée du Zen. A des disciples ignorants et simples d’esprit, ils diront : (( Un jour assis à méditer, c’est un jour d’efforts en avant. D Quelle misère! Ils ne se rendent pas du tout compte qu’ils se préparent une vie de fantômes. C’est seulement quand on a fini avec ces deux vues erronées qu’il y a une chance de progresser réellement vers la maîtrise du Zen. Car nous lisons dans le sûtra que, s’il est vrai qu’on ne doit pas s’attacher à ce qu’il y a d’artificiel et d’irréel dans ce qu’exprime n’importe qui à travers ses mots et son langage, il ne faut pas non plus adopter la position opposée qui rejette tous les mots indistinctement - oubliant que la vérité est transmise par eux lorsqu’ils sont compris comme il convient, et, en outre, qu’entre les mots e t leur sens il n’y a ni différence ni non-différence, mais qu’ils sont dans une relation mutuelle telle que les uns sont inintelligibles sans les autres B I1 y a de nombreux autres passages exprimant des vues semblables dans les paroles et les discours des maîtres Zen du temps de Taï-houeï, outre ses propres déclarations, et nous pouvons conclure de leur lecture que si le Zen avait été laissé à lui-même, il aurait sûrement dégénéré soit en pratiques de tranquillisation et de contemplation silencieuse, soit en simple mémorisation des nombreux dits et dialogues des maîtres et disciples. Pour rétablir la situation et préparer pour l’avenir un sain développement du Zen, les maîtres n’auraient pu faire mieux que d’introduire les exercices du kd-an.
...
Qu’est-ce qu’un kô-an ? Un Id-an, d’après une autorité, signifie c un document
Déuelo p p ement et signification
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public établissant une mesure de jugement », par laquelle on peut éprouver à quel degré est correcte la compréhension du Zen par un individu. Un kô-an est généralement quelque affirmation %un ancien maître, ou quelque réponse donnée par lui à un questionneur. E n voici quelques-uns, qui sont cbmmtinément proposés aux non-initiés :
10 Un moine deinanda à Toung-chan : a Qui est le Bouddha ? Le maître répondit : a Trois kin de lin. ’) 20 On demanda un jour à Iun-mên : Quand aucune pensée ne remue dans l’esprit, y a-t-il là de l’erreur? - Autant que le mont Sumeru. 1) 30 Tchao-tcheou répondit (( Ou! )) (mou en japonais) à cette question d’un moine : Y a-t-il de la nature-deBouddha dans un chien? 1) Ou signifie littéralement ti non )) ou aucunement »,mais lorsque ce mot est proposé comme kô-an, il ne se réfère pas à son sens littéral, c’est Ou pur et simple. 40 Lorsque le moine Ming rattrapa Houeï-nêng en fuite (I), il lui demanda de lui donner le secret du Zen. Houeï-nêng répondit : Quel est votre visage originel, que vous aviez avant même votre naissance ? 50 Un moine demanda à Tchao-tcheou : Quel est le sens de la venue du premier Patriarche en Chine? - Le cyprès dans la cour d’entrée. 60 Quand Tchao-tcheou vint étudier le Zen auprès de Nan-ts’uan, il demanda : Qu’est-ce que le Tao (ou la Voie) ? Nan-ts’uan répondit : Votre esprit de tous les jours, c’est cela le Tao. )) 70 Un moine demanda : (( Toutes choses, dit-on, sont réductibles à l’Un, mais à quoi l’Un est-il réductible? Tchao-tcheou répondit : Quand j’étais dans le district de Tching, je me suis fait faire une robe qui pesait sept kin. N 80 Lorsque P’ang, le vieil adepte du Zen, vint voir Ma-tseu pour la première fois afin d’acquérir la maîtrise ))
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Voir 1‘“ série, p. 247-248.
L’exercice du kô-an
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du Zen, il demanda : Qui est-ce qui n’a pas de compagnon parmi les dix mille choses du monde? n Ma-tseu répliqua : (( Quand vous aurez bu d’un trait toute l’eau de la rivière Hsi, je vous le dirai. n ((
Quel est l’objet du maître quand il donne au noninitié de tels problèmes à résoudre? L’idée est de faire épanouir la psychologie Zen dans l‘esprit du non-initié, et de reproduire chez lui l’état de conscience dont ces paroles sont l’expression. Autrement dit, quand on comprend les kô-ans, on comprend l’état d’esprit du maître, et cela c’est le satori sans lequel le Zen est un livre scellé. Au commencement de l’histoire du Zen, l’élève soumettait une question au maître, qui par elle jugeait de l’état mental du questionneur et savait ce qu’il fallait faire pour l’aider. L‘aide ainsi donnée était parfois suffisante pour l’éveiller à la (( réalisation », mais, le plus souvent, elle le mettait dans un embarras et une perplexité passant toute description, e t le résultat était, chez l’élève, une tension mentale toujours croissante et une intensification de ces (( recherches e t efforts D dont nous avons parlé dans les pages précédentes. Dans certains cas, en fait, le maître devait attendre longtemps la première question de l’élève - si celle-ci devait venir. Poser la première question, c’est plus qu’à moitié la résoudre, car c’est l’aboutissement d’un effort mental des plus intenses, chez celui qui interroge, pour amener son esprit jusqu’à un point critique. La question indique que ce point critique est atteint et que l’esprit est prêt à le dépasser. Un maître expérimenté sait souvent conduire l’élève jusqu’à la crise et la lui faire franchir avec succès. Tel était effectivement le cas avant la vogue du kô-an, comme les exemples de Lin-tsi, de Nan-iueh e t d’autres l’ont déjà illustré. Avec le temps se multiplièrent les (( questions et réponses )) (mondô en japonais) échangées entre maîtres et élèves. Et, avec l’accroissement de la littérature Zen, il était naturel que les disciples en vinssent à en chercher une solution ou interprétation intellectuelle. Les (( clues-
Développement et sign ificulion
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tions et réponses )) cessèrent d’être des expériences et des intuitions de la conscience Zen et devinrent des sujets d’investigation logique. C’était désastreux, mais inévitable. Aussi, le maître qui souhaitai“ ie .développement normal de la conscience Zen et la croissance vigoureuse de la tradition Zen ne pouvait manquer de reconnaître cet état de choses dans sa réalité, et de chercher à établir une méthode qui pût conduire à l’atteinte définitive de la vérité du Zen. La méthode qui, en la circonstance, se suggérait d’elle-même, était de choisir un certain nombre de déclarations faites par les anciens maîtres e t de les utiliser comme indicateurs. Ces indicateurs devaient avoir une double fonction : l o Faire échec au travail de l’intellect, ou plutôt laisser l’intellect voir par lui-même jusqu’où il peut aller, et qu’il y a un domaine où, tel qu’il est, il ne peut jamais pénétrer ; 20 Mûrir la conscience Zen jusqu’à son explosion finale dans i’état de satori. Lorsque le kô-an remplit la première de ces fonctions, alors prennent place ce qu’on a appelé (( recherches et efforts ».Ce n’est plus l’intellect seul, qui, pris en luimême, ne forme qu’une partie de notre être, c’est la personne entière, esprit et corps, qui est lancée à la solution du kô-an. Quand cet état extraordinaire de tension spirituelle, sous la direction d’un maître expérimenté, arrive à maturité, le kô-an se transmue de luimême en ce qu’on a désigné du nom d’expérience Zen. Une intuition de la vérité du Zen est désormais acquise, car le mur contre lequel le yogin se cognait jusqu’alors sans résultat s’effondre e t une perspective entièrement neuve s’ouvre devant lui. Sans le kô-an, la conscience Zen perd son aiguille indicatrice, et l’état de satori ne peut jamais se produire. Une impasse psychologique est l’antécédent nécessaire du satori. Autrefois, c’està-dire avant l’époque des kô-ans, cet état préliminaire et directeur était créé dans la conscience du yogin par l’intensité de sa propre vie spirituelle. Mais quand le Zen, sa littérature s’accumulant, se systématisa sous la forme des (( questions et réponses »,la nécessité du kô-an
L’exercice du kô-an
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dut être universellement reconnue par les maîtres. Le pire ennemi de l’expérience Zen, au moins au début, est l’intellect qui persiste à vouloir distinguer entre le sujet et l’objet. I1 faut donc couper court à son activité discriminante si l’on veut que la conscience Zen se déploie, et le kô-an est spécifiquement construit pour servir à cette fin. Dès le premier examen, on remarque qu’il n’y a pas place dans le kô-an pour une interprétation intellectuelle. La lame de l’intellect n’est pas assez effilée pour ouvrir le kô-an afin de voir ce qu‘il contient. Un kô-an en effet n’est pas une proposition logique, mais l’expression d‘un certain état mental résultant de la discipline Zen. Par exemple, quel lien logique peut-il y avoir entre le Bouddha et trois kin de lin » ? ou entre la nature-deBouddha et Ou )I? ou entre le message secret de Bodhidharma et un (( cyprès »? Dans un célèbre recueil de textes Zen connu sous le titre de Hekiganchou (I), han-ou donne les notes suivantes sur les trois kin de lin I), montrant comment ce kô-an était interprété par les pseudo-adeptes incapables de saisir le Zen : (( Il y a certaines gens, de nos jours, qui ne comprennent pas vraiment ce kô-an ; c’est parce qu’il ne présente aucune fissure où elles puissent planter les dents de leur intellect. J e veux dire par là qu’il est trop simple et trop insipide pour elles. Diverses réponses ont été données par différents maîtres à la question : (( Qu’est-ce que le Bouddha? 1) L’un a dit : (( I1 est assis dans la Salle du Bouddha. 1) Un autre : (( Celui qui est pourvu des trente-deux signes d’excellence, N Un autre encore : (( Un fouet en racines de bambou. )) Aucun, cependant, ne peut surpasser les (( trois kin de lin de Toung-chan pour l’irrationalité de la réponse, qui ferme tout passage à la spéculation. Certains expliquent que Toung-chan, à ce moment-là, était occupé à peser du lin, d’où sa réponse. D’autres disent que Toung-chan jouait sur une ambiguïté de mots ; et d’autres encore pensent que, le ((
((
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(1) En chinois Pi-ièn-tsi. C’est un des uade-mecum favoris des bouddhistes Zen.
Développement et signification
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questionneur n’étant pas conscient du fait qu’il était lui-même le Bouddha, Toung-chan lui répondit de cette manière indirecte. De tels [commentateurs] sont comme des cadavres, car ils sont tout à fait incapables de saisir la vérité vivante. Certains autres, cependant, prennent les ((troiskin de lin N eux-mêmes comme étant le Bouddha [donnant ainsi une interprétation panthéiste]. Quelles remarques incongrues et fantaisistes ne font-ils pas! Tant qu’ils se laissent berner par les mots, ils ne peuvent espérer pénétrer dans le cœur de Toung-chan, même s’ils vivent jusqu’au temps du Bouddha Maitreya. Pourquoi? Parce que les mots sont simplement un véhicule par lequel la vérité est transportée. Ne comprenant pas ce qu’a voulu dire le vieux maître, ils s’évertuent à le découvrir dans ses mots seulement, mais ils n’y trouveront rien sur quoi ils puissent mettre la main. La vérité elle-même est par-delà toute description, comme l’affirme un ancien sage, mais c’est par les mots que la vérité est manifestée. Oublions donc les mots quand nous avons acquis la vérité elle-même. Et cela s’accomplit seulement lorsque, par l’expérience, nous avons une vision de cela qui est indiqué par les mots. Le trois kin de lin )) est comme la voie royale qui mène à la capitale : une fois que vous y êtes, chaque pas que vous faites vous fait avancer dans la bonne direction. Un jour qu’on demandait à Iun-mên quel enseignement allait au-delà du Bouddha et des patriarches, il répondit : (( Poudingue. )) Iun-mên et Toung-chan marchent sur la même route, la main dans la main. Quand on est parfaitement purifié de toutes les impuretés de l’esprit de discrimination, sans plus se mettre en peine on comprendra la vérité. Plus tard, le moine qui voulait savoir ce qu’est le Bouddha alla trouver Tchih-mên et lui demanda ce que Toung-chan entendait par (( trois kin de lin ». Tchih-mên dit : Une masse de fleurs, une masse de brocard. N I1 ajouta : (( Comprenez-vous? 1) Le moine répondit : (( Non. - Bambous dans le Sud, arbres dans le Nord »,fut la conclusion de Mên. D E n termes techniques, le kô-an donné à un non-initié ((
L’exercice du kô-an
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est destiné à (( détruire la racine de vie », à faire mourir l’esprit calculateur n, à (( déraciner entièrement l’esprit qui est à l’œuvre depuis l’éternité », etc. Ces expressions peuvent avoir une allure meurtrière, mais l’intention dernière est d’aller par-delà les limites de l’intellection, e t ces limites ne peuvent être franchies que si l’on s’épuise soi-même une fois pour toutes en employant toutes les ressources psychiques dont on dispose. La logique fait place alors à la psychologie, l’intellection à la volition et à l’intuition. Ce qui ne pouvait être résolu sur le plan de la conscience empirique est maintenant transféré dans les plus profondes retraites de l’esprit. Aussi, dit un maître Zen, tant que la sueur ne vous a pas ruisselé dans le dos, vous ne pouvez voir le bateau naviguant contre le vent ».Et : (( Tant que vous n’avez pas été complétement trempé de sueur, vous ne pouvez espérer voir apparaître un palais de perles sur un simple brin d‘herbe. )) Dans des conditions plus commodes, le kÔ-an ne se laisse pas résoudre. Mais, une fois résolu, il est comparable à un morceau de brique dont on s’est servi pour frapper à une porte ; quand la porte est ouverte, on jette la brique. Le kô-an est utile tant que les portes mentales sont fermées, mais quand elles sont ouvertes il peut être oublié. Ce que l’on voit après l’ouverture, c’est quelque chose de tout à fait inattendu, quelque chose qui n’avait jamais jusqu’alors pénétré dans l’imagination. Mais lorsque le kô-an est réexaminé de ce nouveau point de vue, il apparaît d‘une puissance de suggestion merveilleuse e t d’un agencement parfait, bien qu’il n’y ait rien en lui d’artificiel. ((
((
INSTRUCTIONS PRATIQUES CONCERNANT L’EXERCICE DU KO-AN
Nous allons maintenant citer quelques-unes des suggestions pratiques données par les maîtres Zen de diverses époques, visant l’exercice du kô-an. Nous y verrons ce qu’on attend du kô-an dans le développement
Instructions pruiiques
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de la conscience Zen, et aussi quelle tendance s’est manifestée avec le temps dans la pratique du kô-an. Comme nous l’indiquerons plus tard, l’extension de l’exercice du kô-an a provoqué un nouveau mouvement parmi les maîtres de la dynastie Ming, tendant à l’allier au nemboutsou, c’est-à-dire à la récitation du nom de Bouddha. Ce fait était dû à la présence d’un dénominateur commun entre le mécanisme psychologique de l’exercice du kô-un et la récitation du nom du Bouddha (I). Un maître de Houang-po Chan, probablement sous les premiers Soung, donne les instructions suivantes pour l’étude du Zen : (( O mes frères! Peut-être parlez-vous à votre aise et même intelligemment du Zen, du Tao, e t tournez en dérision les Bouddhas et les Patriarches, mais quand viendra le jour de faire tous vos comptes, votre Zen du bout des lèvres ne vous vaudra rien. Jusqu’à présent vous avez berné les autres, mais aujourd‘hui vous allez vous apercevoir que vous vous êtes bernés vousmêmes. O mes frères! Tant que vous êtes encore vigoureux et sains de corps, essayez d‘avoir une compréhension réelle de ce qu’est le Zen. Après tout, ce n’est pas si difficile de mettre la main sur la serrure; mais simplement parce que vous n’avez pas préparé vos esprits à mourir dans le dernier fossé, si vous ne trouvez pas une voie vers la réalisation vous dites : (( C’est trop difficile ; c’est au-dessus de mes forces. )) C’est absurde! Si vous êtes vraiment des hommes de vouloir, vous trouverez ce que signifie votre kô-un. Un moine demanda un jour à Tchao-tcheou : (( Un chien posséde-t-il la nature-de-Bouddha? )) A quoi le maître répondit : Ou !)) Maintenant, consacrez-vous à ce kô-an et essayez d‘en trouver le sens. Consacrez-vous-y jour et nuit, assis ou couchés, marchant ou restant sur place ; consacrez-vous à sa solution pendant tout le cours desdouze périodes. Même en vous habillant ou en ((
(I)
Ce sujet sera traité plus loin, p. 581 sqq.
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L’exercice du kô-an
prenant vos repas, ou en faisant vos besoins naturels, ayez chacune de vos pensées fixées sur le kô-an, Faites des efforts résolus pour le tenir toujours devant votre esprit. Les jours passent, les années s’écoulent, mais, quand le temps sera accompli, quand votre esprit sera bien accordé et rappelé à lui-même, alors il y aura un éveil soudain au-dedans de vous, un éveil à la mentalité des Bouddhas et des Patriarches. Et, dès ce moment seulement, où que vous alliez, vous ne serez plus jamais bernés par un maître Zen (l). I’an Tchên, du monastére de Fo-tsi, donne ces conseils : (( Une vieille maxime dit : Quand il y a assez de foi, il y a assez de doute, qui est un grand esprit d’investigation, et quand il y a un grand esprit d’investigation, il y a illumination. )) Videz à fond votre esprit de tout ce qui y est accumulé : ce que vous avez appris, entendu, fausses opinions, paroles habiles ou spirituelles, la prétendue vérité du Zen, les enseignements du Bouddha, la vanité, l’arrogance, etc. Concentrez-vous sur le kô-an, dont vous n’avez pas encore eu une compréhension pénétrante. C’est-à-dire croisez vos jambes fermement, tenez votre colonne vertébrale bien droite, et, sans faire attention aux heures du jour, maintenez votre concentration jusqu’à ce que vous ne vous rendiez plus compte de l’endroit où vous êtes, ni de l’Est, de l’Ouest, du Sud ou du Nord, comme si vous étiez un cadavre vivant. L’esprit se met en mouvement en réponse au monde extérieur, et quand il est touché il connaît. Le moment viendra où toutes pensées cesseront de se lever, et il n’y aura plus de travail de la conscience. C’est alors que tout à coup vous briserez votre cerveau en morceaux et pour la première fois comprendrez que la vérité est en votre possession depuis le premier commencement. Cela ne sera-t-il pas une grande satisfaction pour vous dans votre vie quotidienne? )) Taï-houeï fut, au X I P siècle, un grand défenseur du (I) Tch’an-kouun fs’ê-kin (jap. Zen-kman Sakou-chin), ment forcer l’entrée de l’enclos du Zen. 11
G
Com-
Insfructions pratiques
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kô-an. Un de ses kô-ans favoris était le Ou! )) de Tchaotcheou, mais il en avait aussi un de son cru. I1 portait habituellement un court bambou qu’il brandissait devant une réunion de moines en disant : Si vous appelez cela un bâton, vous afirmez ; si vous dites que ce n’est pas un bâton, vous niez. Par-delà l’affirmation et la négation, comment l’appelleriez-vous ? )) Dans l’extrait qui suit du recueil de ses sermons intitulé Taï-houeï Poushouo, compilé par T’sou-king en 1190, on trouvera encore un autre kô-an qu’il donna au moine jardinier de son monastère, Tching-kouang. u La vérité (dharma) ne peut être conquise simplement par le vu, l’entendu, le pensé (I). Si elle pouvait l’être, elle ne serait rien de plus que voir, entendre et penser ;ce ne serait pas du tout chercher la vérité elle-même. Car la vérité n’est pas dans ce que vous entendez dire par d’autres ou que vous apprenez pas l’intellection. Tenezvous maintenant à l’écart de ce que vous avez vu, entendu et pensé, et regardez ce qu’il y a à l’intérieur de vous. Seulement le vide, le rien, qui échappe à votre prise et sur quoi vous ne pouvez fixer votre pensée. Pourquoi? Parce que c’est là le séjour où les sens (a) ne peuvent jamais atteindre. Si ce séjour était à portée de vos sens, ce serait quelque chose sur quoi vous pourriez réfléchir, quelque chose dont vous pourriez avoir un aperçu ; ce serait alors quelque chose de sujet à la loi de naissance et mort. Le principal, c’est de fermer tous vos organes sensoriels et de faire que votre conscience soit comme un bloc de bois. Quand ce bloc de bois soudainement se met en mouvement et fait du bruit, c’est le moment où vous vous sentez comme un lion qui rugit en liberté sans que personne ne le dérange, ou comme un éléphant qui traverse une rivière sans se soucier du courant rapide. A ce ((
((
(l) Par abréviation pour R le vu, l’entendu, le pensé et le connu II (~rishta-shruta-mata-jnâtaen sanskrit). (a). La psycliologie bouddhiste compte l’esprit (manas) comme un sixième sens (N. d. T.).
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L’exercice du kô-an
moment, il n’y a pas d’agitation, pas d’occupation, il y a cela et rien de plus. P’ing-t’ien l’Aîné dit : La céleste splendeur non voilée, La norme qui dure pour toujours ; Pour qui a franchi cette porte, Plus de raisonnement, plus d’étude. Vous devriez savoir que c’est par le vu, l’entendu, le pensé que vous entrez dans le sentier, e t c’est aussi par le vu, l’entendu, le pensé que vous êtes empêchés d‘y entrer. Pourquoi? Munissez-vous de l’épée à deux tranchants qui détruit e t qui ressuscite la vie la OUse trouve ce que vous avez vu, entendu e t pensé, et vous pourrez faire bon usage du vu, entendu et pensé. Mais si l’épée à double tranchant, qui détruit e t qui ressuscite, vous manque, tout ce vu, entendu et pensé sera une grande pierre d’achoppement, qui vous jettera à terre encore e t encore. Votre œil de vérité sera complètement aveuglé ; vous marcherez dans des ténèbres totales, sans savoir comment être libre et indépendant. Si cependant vous voulez être le libre maître de vous-même en vous débarrassant de tout le vu, entendu et pensé, empêchez votre esprit avide et simiesque de commettre de nouveaux méfaits ; maîtrisez-le et tenez-le tranquille ;tenez votre esprit fermement recueilli sans égard à ce que vous êtes en train de faire - assis ou couché, debout sur place ou marchant, silencieux ou parlant ; tenez votre esprit comme une ligne bien tendue ; ne le laissez pas vous glisser des mains. Dès qu’il vous échappe, vous voyez qu’il se met au service du vu, entendu e t pensé. En pareil cas, y a-t-il un remède? Et quel remède est applicable ici? Un moine demanda à Iun-mên : u Qui est le Bouddha? )) Iun-mên répondit : N Le nettoyeur desséché. Voilà le remède ;que vous marchiez ou soyez assis ou couché, ayez votre esprit perpétuellement fixé sur ce (( nettoyeur D. Le temps viendra où votre esprit sera soudainement arrêté comme un vieux rat pris dans un
Instructions pratiques
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cul-de-sac. Alors il y aura un plongeon dans l’inconnu avec le cri : (( Ah! c’est celai D Quand ce cri est poussé, vous vous êtes découvert vous-même. Vous voyez en même temps que tous les enseignements des anciennes autorités exposés dans le Tripitaka bouddhiste, les Écritures taoïstes e t les Classiques confucianistes ne sont rien de plus que des commentaires sur votre cri soudain :Ah i c’est cela ! D Tzî-houeï ne se lassait jamais d’inculquer à ses disciples l’importance du satori, qui va au-delà du langage et de la raison e t qui explose dans la conscience en en violant les limites. Ses lettres e t sermons sont remplis de conseils e t d’instructions à cette fin. Yen citerai un ou Son insistance sur ce point prouve que deux extraits le Zen, à son époque, dégénérait en une sorte de simple quiétisme d’une part et, de l’autre, en analyse intellectuelle des kô-ans laissés par les anciens maîtres. u L‘étude du Zen doit finir en satori (ou-jou). C’est comme un bateau de course pour les vacances, qu’on laisse dans quelque coin tranquille, mais qui a été construit pour gagner des régates. Tel a été le cas pour tous les anciens maîtres du Zen, car nous savons que le Zen n’est réellement gagné que lorsqu’on a le satori. I1 vous faut le satori d’une manière ou d’une autre, mais vous n’obtiendrez jamais ce que vous voulez en essayant simplement d’être tranquilles en vous-mêmes, en restant assis comme des hommes morts. Pourquoi? Un des patriarches ne dit-il pas que lorsqu’on essaie d’obtenir la quiétude en supprimant l’activité, cette quiétude en est d’autant plus susceptible d’être troublée ? Quelle que soit l’ardeur de vos tentatives pour tranquilliser votre esprit confus, le résultat sera tout à fait contraire à ce que vous espériez réaliser, aussi longtemps que votre habitude de raisonner continuera ; abandonnez donc cette habitude, faites-vous peindre sur le front les deux caractères a naissance et mort », et fixez votre attention exclu-
e).
))
(1)
((
Voir aussi ci-dessus, p. 581 sqq. et 528 sqq.
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sivement sur le kô-an suivant, comme si vous étiez pressé par l’obligation de payer une dette très lourde. Pensez au kô-an sans égard à ce que vous êtes en train de faire, sans égard à l’heure qu’il est, jour ou nuit. Un moine demanda à Tchao-tcheou : Un chien a-t-il la nature-du-Bouddha, ou non? )) Tcheou dit Ou! )) Rassemblez vos pensées sur ce Ou! )) et voyez ce qui y est contenu. A mesure que votre concentration progressera, le kô-an vous apparaîtra tout à fait dépourvu de goût, c’est-à-dire sans aucun indice intellectuel qui permette d‘en sonder le contenu. Pourtant, en même temps, un sentiment de joie envahira peut-être votre cœur, bientôt suivi, il est vrai, par un autre sentiment, cette fois d’inquiétude. Sans faire attention à cet entremêlement d’émotion, efforcez-vous d’aller de l’avant avec le kô-an, jusqu’à ce que vous vous aperceviez que vous vous êtes engagés, comme le vieux rat, dans une impasse. Une volte-face sera alors nécessaire, mais cela ne peut jamais être accompli par les esprits faibles, qui toujours vacillent et hésitent. )) En un autre endroit, Taï-houeï dit : (( Continuez simplement à vous tenir ferme à votre kô-an à tout instant de votre vie. Si une pensée se lève, n’essayez pas de la supprimer par un effort conscient ; renouvelez seulement votre tentative pour garder le kô-an présent à votre esprit. Que vous marchiez ou soyez assis, ayez votre attention fixée sur lui sans interruption. Quand vous commencez à le trouver tout à fait dépourvu d’arôme, le moment final approche : ne le laissez pas glisser de votre étreinte. Quand tout à coup une lueur jaillira dans votre esprit, son éclat illuminera tout l’univers, et vous verrez la terre spirituelle des Illuminés révélée tout entière à la pointe d’un cheveu, et la grande roue du Dharma tournant dans un simple grain de poussière (1). n ((
((
(l) Ces passages de Taï-houeï sont extraits d‘un recueil de ses lettres, sermons, discours et propos connu sous les noms de Pouchao, lu-Zou et Chou. Taï-lioueï était très familiarisé avec 1’Aun-
Insfrucfions prafiques
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K’oung-kou Tchiiig-homg (I) donne aux moines des avis semblables. I1 dit : (( Le (( Ou! )) de Tchao-tcheou, avant qu’on n’ait pénétré son sens, est comme une montagne d‘argent ou un mur de fer devant lequel on se sent désemparé. Mais si vous continuez avec ce Ou !)) jour après jour, en essayant d’atteindre son contenu et sans vous accorder un moment de répit, le moment suprême viendra inévitablement pour vous, comme une inondation se creuse son propre lit ; et alors vous verrez que le mur de fer, et la montagne d’argent, après tout, n’étaient pas si formidables. L’important, c’est de n’accorder aucune confiance à ce qu’on a appris, mais de faire cesser toute vaine avidité d’esprit et de s’évertuer jusqu’à la limite de ses forces à résoudre le grand problème de la naissance et de la mort. Ne perdez pas votre temps à penser seulement à Ou! comme si vous n’étiez pas plus qu’un simple d’esprit, n’essayez pas de lui donner une fausse solution par les moyens de la spéculation et de l’imagination. Mettez-vous résolument, cmur et âme, à la tâche de démêler le problème du Ou !».E t tout à coup, au moment où vous lâcherez prise, il y aura un vaste renversement de tout le système de conscience, e t pour la première fois vous verrez de la manière la plus lumineuse à quoi finalement tout cela aboutit. )) L’auteur du Miroir pour les éfudiants du Zen (2) confirme tout ce que nous venons de citer, et décrit complètement la psychologie de l’exercice du kô-an : (( Ce qu’on demande aux disciples du Zen, c’est de voir en la formule (3) vivante et non en la formule ((
((
))
((
turnsaka (ou Gandavyûha), et il y a dans ses paroles et écrits de nombreuses allusions aux enseignements de ce sûtra, comme on peut le voir par la dernière phrase de la citation précédente. (1) Vivait encore en 1466. (2) Compilé par T’oueï-in, un maître coréen de l’ère Ming. Le livré parut en i579. (3) C‘est-à-dire fchu. Les maîtres Zen distinguent généralement deux sortes de fchu : le vivant et le mort. Le (1 fchu vivant )I désigne une propositioii ne contenant aucun indice qui puisse conduire à son interprétation rationnelle, et mettant fin au fonctionnement de la conscience empirique ; tandis que le fchu ((
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morte. Essayez de découvrir le sens de votre kô-an, en mettant toute votre énergie mentale à la tâche, comme une mère poule couvant ses œufs, comme un chat à l’affût d‘un rat, comme l’affamé cherchant avidement partout de la nourriture, comme l’assoiffé cherchant de l’eau, comme un enfant qui pense à sa mère. Si vous vous évertuez aussi sérieusement et aussi désespérément que cela, le moment viendra sûrement où le sens du kô-an s’illuminera pour vous Trois facteurs contribuent au succès dans l’étude du Zen : grande foi, grande résolution et grand esprit d’investigation. Si l’un ou l’autre manque, c’est comme un chaudron qui a un pied brisé : il boite. A tous les instants de votre vie, sans égard à ce que vous êtes en train de faire, évertuez-vous à voir en la signification du N Ou! B de Tchao-tcheou. Tenez le kô-an toujours présent à votre pensée e t ne relâchez jamais votre esprit d’investigation. A mesure que l’investigation se poursuivra, soutenue e t ininterrompue, vous serez amenés à voir qu’il n’y a pas de clef intellectuelle au kô-an, qu’il est entièrement dénué de signification, au sens où vous entendez ordinairement ce mot, qu’il est tout à fait plat, insipide, qu’il n’a rien d’appétissant, et que vous commencez à ressentir un certain sentiment de malaise et d’impatience. Quand vous êtes dans cet état, c’est le moment pour vous de tirer l’épée du fourreau, de vous précipiter dans l’abîme, et, ce faisant, de poser les fondations de l’état de Bouddha. Ne pensez pas que le sens du kô-an réside dans le moment où vous le saisissez pour le résoudre ; ne raisonnez pas à son sujet, n’exercez pas sur lui votre imagination ;n’attendez pas que le satori vous vienne parce que vous aurez nettoyé votre esprit de ses idées confuses ; concentrez-vous seulement sur l’inintelligibilité du kô-
e).
mort D est celui qui se laisse traiter d’une manière logique ou philosophique et qui, par conséquent, peut être appris d‘un autre et confi6 à la mémoire. Cela d‘après T’oueï-in. (l) Cf. L’enseignement de Râmakrishna, 5 916-945 (N. d. T .).
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an, sur lequel l’esprit n’a évidemment aucun contrôle (1). Vous vous trouverez finalement comme un vieux rat qui s’est engagé dans le coin le plus reculé de la grange et qui tout à coup, en tournant sur lui-même, voit le moyen de s’échapper. Mesurer le kô-an à des normes intellectuelles, comme on le fait ordinairement avec les autres choses, vivre votre vie en montant et descendant le courant de la naissance et de la mort, être toujours assaillis par des sentiments de peur, de souci et d’incertitude, tout cela est dû à votre imagination et à votre esprit calculateur. Vous devriez savoir vous élever au-dessus des trivialités de la vie, dans lesquelles on voit la plupart des gens se noyer. Ne perdez pas de temps à demander comment faire, mettez simplement toute votre âme à la tâche. C’est comme un moustique ( I ) Dans les appendices, j’ai cité, concernant l’attitude du yogin Zen envers le kô-an,d’autres instructions qui fournissent des matériaux intéressants pour l’étude psychologique de la conscience Zen. Voir aussi p. 545 sqq. T’oueï-in met ses étudiants de ko-an en garde sur les dix points suivants : 10 Ne calculez pas selon votre imagination ; 2 O Ne laissez pas distraire votre attention lorsque le maître lève ses sourcils ou cligne de l’œil ; 30 N’essayez pas de tirer un sens de la façon dont le kô-an est formulé ; 40 N’essayez pas de faire une démonstration sur les mots ;50 Ne pensez pas que le sens du kô-an doit être saisi ià où il est proposé comme objet de pensée ; 6 O Ne prenez pas le Zen pour un état de simple passivité ; 70 Ne jugez pas le kô-an selon la loi dualiste de iou [sanskrit asti, n il est II] et ou [sanskrit nûsti, a il n’est pas .] ; 80 Ne prenez pas le kô-an comme désignant le vide absolu; 90 Ne ratiocinez pas sur le kô-an ; 100 Ne laissez pas votre esprit dans l’attitude d‘attendre que le satori apparaisse. L’exercice du kô-an est souvent confondu avec ce qu’on appelle la méditation, mais d’après tous ces avertissements donnés par un ancien maître, il est évident que le Zen n’est pas en ce sens un exercice de méditation ou de passivité. Pour que le Zen soit compris correctement par ceux qui l’étudient, Orientaux et Occidentaux, cet aspect caractéristique qu’il preseiite doit être pleinement saisi. Le Zen a son objet ùéflni, qui est d‘ri ouvrir nos esprits au satori I), comme nous disons, et, pour amener cet état de conscience, un kÔ-an est proposé au regard mental, non pour que l’on médite dessus, non pour maintenir l’esprit dans un état de réceptivité, mais pour être utilisé comme une sorte de perche avec laquelle on pourra sauter par-dessus le fleuve de la relativité jusque sur l’autre rive, celle de l’Absolu. E t le trait original du Bouddhisme Zen est que tout cela s’accomplit sans recours à aucune conception religieuse telle que péché, foi, Dieu, grâce, salut, vie future, etc.
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qui pique un taureau de fer : sur le moment même, le fer repousse rigoureusement votre fragile suçoir ; mais oubliez-vous vous-même une bonne fois ; vous pénétrerez e t le travail sera fait. Nous avons maintenant cité assez d’autorités pour montrer en quoi consiste la fonction du kô-an dans l’avènement du satori, et pour montrer aussi ce que le maître Zen avait dans l’esprit quand il commença pour la première fois à exercer les esprits de ses disciples vers la maturation de leur conscience Zen. Pour résumer, je conclurai cette section par un extrait des écrits de Hakouin, qui est le père de l’école moderne Rinzaï du Zen japonais. Nous y verrons comment la psychologie du Zen s’est maintenue sans grand changement pendant plus d’un millier d’années, depuis le temps de Houeï-nêng et de ses disciples chinois. (( Si vous voulez arriver à la vérité non adultérée du non-égotisme, vous devez une fois pour toutes lâcher prise et tomber dans le précipice, d’où vous vous relèverez nouvellement éveillé et en pleine possession de vos quatre vertus d’éternité, de félicité, de liberté et de pureté qui appartiennent au moi réel. Que signifie lâcher prise et tomber dans le précipice? Supposez qu’un homme se soit aventuré parmi des montagnes éloignées, où jamais personne d’autre ne s’est risqué. I1 parvient au bord d’un précipice insondable ; les blocs de rocher, couverts de mousse, sont extrêmement glissants et n’offrent aucun appui solide à son pied ; il ne peut ni avancer ni reculer, la mort le regarde en face. Son seul espoir est dails la plante grimpante à laquelle ses mains se cramponnent ; sa vie même y est accrochée. Si par inattention il lâche prise, son corps sera précipité dans l’abîme et broyé en morceaux, les os et le reste. I1 en est de même pour l’adepte du Zen. Quand il s’est agrippé par ses propres forces à un kô-an, il finit par se trouver à la limite de sa tension mentale, et il arrive à un point mort. Comme l’homme suspendu au-dessus du précipice, il ne sait pas du tout ce qu’il doit faire. Mis à part certains sentiments occasionnels ))
Instructions praliques
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de malaise et de désespoir, c’est comme la mort ellemême. Tout à coup il trouve son esprit e t son corps balayés de l’existence en même temps que le kô-an. C’est ce qu’on appelle K lâcher prise ». Lorsqu’on se réveille de la stupeur et qu’on retrouve le soufile, c’est comme lorsqu’on boit de l’eau et que l’on sait par soimême qu’elle est fraîche. C’est une joie inexprimable. )) QUELQUES GÉNÉRALITÉS SUR L’L.YERCICE DU KO-AN
Pour récapituler : L’innovation que fut l’exercice du kô-an était inévitable à cause des circonstances suivantes :
10 Si l’étude du Zen avait suivi son cours naturel, elle aurait bientôt abouti à sa propre extinction, à cause de la nature aristocratique de sa discipline e t de son expérience. 20 Dans les deux ou trois siecles qui suivirent l’époque de Houeï-nêng, le sixième patriarche, le Zen avait perdu graduellement son originalité créatrice, de sorte que pour qu’il survécût il fallait qu’une nouvelle vie fût éveillée en lui par quelque méthode radicale capable de secouer vigoureusement la conscience Zen endormie. 30 L’âge de l’activité créatrice étant passé, il s’était fait une accumulation de documents connus sous les noms d‘ (( histoires (houa-t’eou),u conditions )) (fsi-iuan) ou (( questions e t réponses N (mên-fa),qui constituaient les matériaux de base de l’histoire du Zen; et cette littérature invitait à l’interprétation intellectuelle, funeste à la maturation de l’expérience Zen. 40 Le développement insidieux du quiétisme dans le Zen depuis le commencement de son histoire menaçait dangereusement l’expérience vivante du Zen. Ces deux tendances - le quiétisme ou école de 1’ (( illumination silencieuse )) et l’intuitionnisme ou école de l’expérience noétique - furent dès le début, sourdement sinon ouvertement, en guerre l’une contre l’autre. ))
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Étant donné ces conditions, l’exercice du kô-an adopté par les maîtres des xe et XI^ siècles était destiné à remplir les fonctions suivantes : 10 Populariser le Zen afin de contrecarrer l’aristocratisme originel qui tendait à son extinction. 20 Donner une nouvelle impulsion au développement de la conscience Zen, et ainsi accélérer la maturation de l’expérience Zen. 30 Faire échec au développement de l’intellectualisme dans le Zen. 40 Sauver le Zen du danger d’être enterré vivant dans les ténèbres du quiétisme.
De l’étude des diverses citations que nous avons faites concernant l’exercice du kô-an, on peut relever les faits psychologiques suivants :
10 Le kô-an est donné au disciple avant tout pour l’amener à un état de conscience d’une intensité extrême. 20 La faculté raisonnante est suspendue, c’est-à-dire que l’activité la plus superficielle de l’esprit est mise au repos, en sorte que ses parties centrales et profondes, qui sont en général profondément enfouies, puissent venir au jour et exercer leurs fonctions originelles. 30 Les centres de l’affectivité e t de la volition, qui sont réellement les fondations du caractère individuel, sont chargés d‘appliquer le maximum de leurs forces à la solution du kô-an. C’est ce qu’entend le maître Zen lorsqu’il parle de (( grande foi D et de grand esprit d’investigation n comme des deux pouvoirs essentiels qui doivent caractériser un disciple du Zen capable de réussir. Le fait que tous les grands maîtres aient accepté de se donner corps e t âme à la maîtrise du Zen prouve la grandeur de leur foi en l’ultime réalité, et aussi la puissance, chez eux, de l’esprit d’investigation - appelé aussi (( recherches et efforts D - qui ne suspend jamais son activité tant qu’il n’a pas atteint son but, c’est-à((
Généralités
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dire tant qu’il n’est pas parvenu en présence de la buddhatâ (nature-de-Bouddha) elle-même. 40 Quand l’intégration mentale atteint ainsi son plus haut degré, il règne un état de conscience neutre qui est appelé à tort c extase )) par les psychologues qui étudient la conscience religieuse. Cet état de conscience du Zen diffère essentiellement de l’extase en ceci : l’extase est la suspension des facultés mentales pendant que l’esprit est passivement engagé dans la contemplation; l’état de conscience du Zen, par contre, a été amené par l‘exercice le plus intensément actif de toutes les facultés fondamentales constituant l’individu. Toutes sont positivement concentrées sur un unique objet de pensée. C‘est ce qu’on appeile un état à‘ u unicité 1) (ekâgru). On rappelle aussi, en japonais, un état de daigi ou c fixation )) (1). C’est le moment où la conscience empirique, avec tout ce qu’elle contient de conscient ou d’inconscient, est sur le point de déborder et d‘entrer noétiquement en relation avec l’Inconnu, l’Au-delà, l’Inconscient. Dans l’extase, il n’y a pas semblable épanchement ou franchissement, car elle est une fin en soi, statique, ne permettant pas de développement ultérieur. I1 n’y a rien dans l’extase qui corresponde au (( saut dans le précipice )) ou au N lâcher prise ». 50 Enfin, ce qui était apparu d’abord comme une suspension temporaire de toutes les facultés psychiques, se trouve tout à coup chargé de nouvelles énergies dont on n’avait jamais rêvé jusqu’alors. Cette transformation brusque se produit fréquemment avec l’intrusion d’un son, d‘une image, ou d‘une forme d‘activité motrice. Une vision pénétrante est née des profondeurs intimes de la conscience, la source d‘une nouvelle vie a jailli, e t avec elle le kô-an livre ses secrets. Les bouddhistes Zen présentent une explication philosophique de ces faits psychiques, de la manière suivante. I1 va sans dire que le Zen n’est ni une psychologie ni une (l)
Taz-i en chinois. Voir
Ire
série, p. 298 et 304.
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philosophie, mais que c’est une expérience chargée d’une profonde signification et pleine d’un contenu vivant et exaltant. L‘expérience est définitive et elle est à elle-même sa propre autorité. C’est la vérité ultime, qui n’est pas née de la connaissance relative, e t qui donne pleine satisfaction à tous les besoins humains. Chacun doit la réaliser directement en lui-même; on ne doit s’en remettre à aucune autorité extérieure. Même les enseignements du Bouddha et les discours du maître, aussi profonds et vrais qu’ils soient, ne vous appartiennent pas tant que votre être ne les a pas assimilés, ce qui signifie qu’ils doivent sortir directement de vos propres expériences vivantes. Cette réalisation est appelée satori. Tous les kô-ans sont les expressions directes du satori, sans intermédiaires intellectuels ; d‘où leur caractère bizarre et incompréhensible. Le maître Zen n’a pas le plan délibéré de rendre ses expressions de satori étranges et logiquement rebutantes ; elles surgissent de son être intérieur, comme les fleurs s’épanouissent au printemps, ou comme le soleil répand ses rayons. Aussi, pour les comprendre, devons-nous être comme les fleurs ou comme le soleil ; nous devons entrer dans leur être intime. Si nous reproduisons les mêmes conditions psychiques qui, chez les maîtres Zen, ont fait naître ces kô-ans, alors nous les connaîtrons. Les maîtres évitent donc toute explication verbale, qui ne servirait qu’à engendrer dans les esprits de leurs disciples la curiosité intellectuelle d’un mystère a explorer. L’intellect étant un des plus grands obstacles, ou plutôt un ennemi mortel, au moins au commencement de l’étude du Zen, il doit être banni de l’esprit pour quelque temps ; et le kô-an est, de fait, un moyen très efficace de bafouer le raisonnement. Pour cette raison, le Zen est toujours enclin à donner plus de valeur aux faits psychiques qu’à la pensée conceptuelle. Comme les faits sont directement expérimentés et que leur apparition donne une satisfaction complète, ils attirent irrésistiblement l’esprit, (( de recherches et d’efforts », du disciple du Zen.
Généralitès
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C’est à cause de la valeur accordée, dans le Zen, aux faits d’expérience personnelle que nous avons des kô-ans tels que le nettoyeur desséché de Iun-mên, le cyprès )) de Tchao-tcheou, les trois kin de lin 1) de T’oung-chan, etc., qui se rapportent à des incidents familiers de la vie de chacun. Comparées avec des expressions indiennes comme : Tout est vide, non-né et au-delà de la causalité »,ou : (( L’univers entier est contenu dans un grain de poussière », combien semblent terre à terre celles des Chinois! De ce fait, le Zen est mieux désigné pour exclure l’intellect et ramener la conscience empirique à ses sources profondes. Si une expérience noétique d’un ordre radicalement différent doit se présenter, qui mette fin à tous nos efforts et recherches, il faut imaginer quelque chose qui n’appartienne aucunement aux catégories intellectuelles. Pour parler plus précisément, le trait particulier du Zen doit être quelque chose d’illogique, d’irrationnel, quelque chose qui ne se prête pas à un traitement intellectuel. L’exercice du kô-an fut donc le développement naturel de la conscience Zen dans l’histoire des efforts humains vers la réalité dernière. Par le kô-an, le système entier de notre appareil psychique est mis au service de la maturation de l’état de conscience du satori. ((
))
((
((
((
T ~ ~ M O I G N A G E SPERSONNELS D’EXPÉRIENCE ZEN
J e citerai ici quelques témoignages illustrant le rôle que joue le kô-an dans la maturation de la conscience Zen. J’en ai déjà donné trois (1). Ils sont en eux-mêmes des études psychologiques, mais mon dessein est de montrer le rôle du kô-an dans la pratique du Zen et la sagesse de ce système tel que l’innovèrent les maîtres de l’époque des Soung.
(1)
Ire
série, p. 295 Sqq.
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Té-i de Mêiig-chan (l), qui était le huitième descendant de Fa-ien de Ou-tsou Chan et mourut en 1104, raconte ainsi ses expériences du Zen : (( Alors que j’avais vingt am, je fis la connaissance du Zen, et, avant trente-deux ans, j’avais rendu visite à dix-sept ou dix-huit maîtres Zen, les interrogeant sur leur méthode de discipline, mais aucun d’eux n’avait été capable de m’éclairer sur le point le plus important. Quand plus tard je vins auprès du maître Houan-chan, il me dit d‘examiner la signification du (( Ou! N et ajouta : u Veillez sur votre Ou! à toute heure du jour, avec une vigilance aussi constante que celle d‘un chat qui essaie d‘attraper un rat, ou que celle d‘une poule qui couve ses œufs. Tant que vous n’avez pas encore de vision intérieure, soyez comme un rat qui ronge le bois du cercueil et ne flanchez jamais dans votre effort. Si vous continuez à travailler ainsi, le temps viendra sûrement où votre esprit sera illuminé. )) Suivant ces instructions, je m’appliquai assidûment à la tâche, jour e t nuit. Dix-huit jours passèrent ainsi. Comme je prenais le thé, tout à coup je découvris Ia signification du sourire que fit Kâshyapa lorsque le Bouddha montra une fleur devant une réunion de ses disciples (2). J’étais comblé de joie. J e désirais savoir si ma compréhension était correcte, et j’allai trouver plusieurs maîtres Zen. Mais aucun ne me donna de réponse précise ; quelques-uns me dirent de frapper l’univers entier du sceau du Sâgaramudrâ-samâdhi, et de ne faire attention à rien d’autre. J e me fiai à ce conseil pendant deux ans. Le sixième mois de la cinquième année de King-ting (1265), j’étais à Tchoung-k’ing, dans le Sseu-tch’ouan, souffrant gravement de dysenterie et dans une situation très critique. Il ne me restait aucune énergie, et la Sâgaramudrâ ne m’était plus (*) .Toutes les citations qui suivent sont tirées du Tch’an-kouan fs’ê-kin, déjà cité, et dont on parlera plus longuement plus loin. Les biographies des maîtres cités se trouvent dans une histoire du Zen intitulée Houeï-iuan hsiu-liao, par Fo-tsi Ian Tchên. (a) Voir l * c série, p. 198.
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d’aucun secours à cette heure. Tout ce que j’avais pu comprendre du Zen était incapable de me soutenir. La langue refusait de parler, le corps de se mouvoir ; tout ce qui me restait était l’espoir de la mort. Le passé se déroulait devant moi, tout ce que j’avais fait e t les situations où je m’étais trouvé. J’étais donc dans un horrible état de prostration, et ne voyais aucun moyen d’échapper à cette torture. A la fin, je résolus de reprendre possession de moi-même, e t de faire mon testament. J e me levai doucement, allumai un peu d’encens, arrangeai les vieux coussins. Je m’inclinai devant le Triple trésor e t aussi devant les dieux Nâgas, e t devant eux confessai en silence mes péchés passés. Je priai que si je devais trépasser à cette heure, je pusse renaître, par le pouvoir de Prajnâ, dans une bonne famille et devenir moine dès ma jeunesse. Mais si je devais guérir de cette maladie, je voulais devenir moine aussitôt e t consacrer entièrement le reste de ma vie à l’étude du Zen. Si une illumination me venait, j’aiderais les autres comme moi-même à être illuminés. Après avoir fait cette prière, je plaçai le N Ou! D devant mon esprit e t dirigeai la lumière à l’intérieur de moi. Peu après, je sentis mes entrailles se tordre plusieurs fois, mais je n’y fis pas attention : c’est après quelque temps que mes paupières devinrent rigides et refusèrent de cligner, et un peu plus tard je devins inconscient de mon corps ; le Ou! )) seul occupait ma conscience. Dans la soirée, je me levai de mon siège et m’aperçus que j’étais a demi guéri de ma maladie ;j e me rassis jusqu’au petit matin, où le désordre physique disparut complètement. J’étais de nouveau moi-même, bien portant et de bonne humeur. Dans le huitième mois de la même année, j’allai à Kiang-lin et me fis raser la tête [c’est-à-dire me fis moine]. Avant la fin de l’année, je partis pour un pèlerinage. Tout en cuisant du riz, je découvris que l’exercice du kô-an devait être poursuivi sans interruption et par un effort continu. J e m’établis alors à Houangloung. La première fois que j’eus sommeil, j’exercai ((
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ma volonté à résister et demeurai assis, et le besoin de dormir fut aisément vaincu. La deuxième fois, je chassai encore le sommeil d‘une manière semblable. Une troisième attaque fut trop forte ; je descendis de mon siège et m’inclinai devant le Bouddha, ce qui me ranima. J e repris mon siège, et le même processus dut se répéter. Mais lorsqu’à la fin il me fallut dormir je pris un oreiller et dormis un peu ; plus tard, je substituai mon coude à l’oreiller, et finalement je me passai complètement de m’allonger. Deux nuits s’écoulèrent ainsi ; la troisième nuit, j’étais si fatigué qu’il me semblait que mes pieds ne toachaient pas terre. Soudain, un nuage sombre qui, semblait-il, obstruait ma vue se dissipa, et je me sentis comme au sortir d’un bain et complètement rajeuni. Quant au kô-an, un état de fixation mentale prédominait, et le kô-an occupait le centre d’attention sans que je fisse aucun effort conscient pour cela. Les sensations externes, les cinq passions et les huit obstacles ne me dérangeaient plus ;j’étais aussi pur et limpide qu’un bol d’argent empli de neige ou que le ciel d’automne débarrassé de tout nuage assombrissant. L’exercice continua ainsi avec succès, mais sans que je parvinsse encore à un tournant. Plus tard, je quittai ce monastère et me mis en route pour Tchê. E n chemin, j’eus de nombreuses difficultés, et mon exercice dans le Zen en souffrit en conséquence. J’arrivai au monastère de Tch’êng-t’ien, qui était dirigé par le maître Kou-tch’an, et j’y établis ma demeure temporaire. J e me fis vœu à moi-même que je ne quitterais pas cet endroit avant d’avoir réalisé la vérité du Zen. E n un peu plus d’un mois je regagnai, dans mon exercice, ce que j’avais perdu. C’est alors que tout mon corps se couvrit de boutons ; mais j’étais résolu à suivre la discipline, dût-il m’en coûter la vie. Cela aida beaucoup à renforcer mes pouvoirs spirituels, et je sus comment maintenir mes (( recherches et efforts )) (koung-fou) même dans la maladie. Étant invité à dîner au-dehors par un fidèle, je marchai jusqu’à sa demeure avec mon kô-an, mais j’étais si absorbé dans mon exer-
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cice que je dépassai la maison sans même reconnaître où j’étais. Cela me fit comprendre ce que signifie poursuivre l’exercice même lorsqu’on est engagé dans une activité extérieure. La condition de mon esprit était alors comme le reflet de la lune pénétrant les profondeurs d’un cours d’eau dont la surface est agitée tandis que la lune elle-même conserve sa forme parfaite et sa sérénité en dépit de la turbulence de l’eau. Le six du troisième mois, je tenais le (( Ou! dans mon esprit comme à l’ordinaire, assis sur mon coussin, lorsque le moine en chef entra dans la salle de méditation. Accidentellement, il laissa tomber la boîte à encens sur le sol. Le bruit ouvrit aussitôt mon esprit à une nouvelle perspective spirituelle, et, avec un cri, j’eus un soudain aperçu de mon être intérieur, je m’emparai du vieux Tchao-tcheou [l’auteur du Ou! n] et je prononçai cette stance improvisée : ))
((
Inattendue, voici la fin du sentier ; Quand on y enfonce le pied, les vagues sont l’eau même. On dit que le vieux Tchao-tcheou domine suprêmement [tout le reste, Mais je ne trouve rien d’extraordinaire dans ses traits. Pendant l’automne, j’eus des entrevues avec des maîtres de haute réputation : Hsueh-ien, T’oueï-kêng, Chih-fan et Hsu-tcheou. Ce dernier me conseilla d‘aller voir Houan-chan. Quand je le vis, il me demanda : La lumière sereine et illuminante emplit tout l’univers jusqu’à ses extrêmes limites - ne sont-ce pas là les paroles des lettrés de Tchang-tcho ? N J’allais ouvrir la bouche quand il poussa un Ho !)) et me renvoya sans cérémonie. Cela me bouleversa, et depuis lors mes pensées furent concentrées sur cette attitude du maître. Marchant ou assis, mangeant ou buvant, j’en avais l’esprit occupé. Six mois passèrent. Un jour de printemps de l’année suivante, je revenais d‘une tournée hors de la ville et je me disposais à gravir une série de marches de pierre, quand la glace épaisse qui depuis si longtemps ((
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obstruait mon cerveau fondit d‘une manière inattendue, et j’oubliai que je marchais sur la route. J’allai immédiatement trouver le maître, et quand il répéta la même question que la première fois, je renversai mon siège. J e comprends maintenant à fond le kô-an, dont les nœuds avaient été si dificiles à défaire. O frères! Allez jusqu’au bout dans votre exercice du Zen. Si je n’étais pas tombé malade quand j’étais à Tchoung-k‘ing, ma vie aurait pu être à peu près gâchée. Le principal, c’est d‘être introduit auprés d‘un maître ayant une véritable vision spirituelle. Considérez avec quelle ardeur et quelle constance les anciens maîtres se sont voués jour et nuit à l’étude du Zen pour en saisir la vérité dernière. )) han-tcheou Hsiueh-ien Tsou-k‘in (l); qui était un disciple de Ou-tcheou Chili-fan raconte ceci de ses expériences : u J e quittai ma maison à l‘âge de cinq ans et, étudiant auprès de mon maître, en écoutant ce qu’il disait à ses visiteurs, je commençai à savoir qu’il existait quelque chose qu’on appelait Zen ; peu à peu je fus amené à y croire et finalement je résolus de l’étudier. A seize ans je fus ordonné moine et à dix-huit ans je partis pour un pèlerinage Zen. Je séjournai auprès du maître h a n de Chouang-chan ; occupé du matin au soir des affaires du monastbre, je ne sortais jamais de ses dépendances. Même quand j’étais dans le dortoir commun ou occupé de mes propres affaires, je gardais mes mains croisées sur ma poitrine et mes yeux fixés au sol sans regarder à plus de trois pas. Mon premier kô-an fut N Oui ».Chaque fois qu’une pensée se levait dans mon esprit, je la repoussais sans délai, et ma conscience était comme un morceau de glace compacte, pure et lisse, sereine et non troublée. Une journée passait avec la rapidité d’un claquement de doigts. Le son de la cloche ou du tambour ne m’atteignait jamais.
e),
(l)
Mort en 1287.
(*) Mort en 1249.
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A dix-neuf ans, j’étais au mona5tère de Ling-in, où je fis la connaissance de l’historiographe Lai de Tch’outcheou. I1 me donna cet avis : u Votre méthode est sans vie et ne mènera à rien. I1 y a un dualisme en elle ;vous prenez le mouvement e t la tranquillité comme deux pôles distincts de pensée. Pour vous exercer correctement dans le Zen, vous devez nourrir un esprit d‘investigation (i-k’ing); car de la force de votre esprit d’investigation dépendra la profondeur de votre illumination. n Sur ce conseil, je reçus comme nouveau kô-an celui du (( nettoyeur desséché n. J e me mis à en explorer (i) le sens de toute manière possible e t de tout point de vue possible. Mais, assailli tanti3t par l’inertie et tantat par l’agitation, je ne pouvais pas trouver un seul instant de sereine contemplation. J e partis pour le monastère de Tchingtseu, où je me joignis à un groupe de sept ardents disciples du Zen. Nous empaquetâmes notre litière et prîmes la résolution de ne pas nous allonger sur le sol. I1 y avait un moine nommé Hsiou qui ne se joignit pas à nous, mais qui restait assis sur son coussin comme une barre de fer ; j’aurais voulu avoir un entretien avec lui, mais son attitude était peu encourageante. Cette pratique de ne jamais s’étendre ayant duré deux ans, je me trouvai complètement épuisé et d’esprit et de corps. A la fin, je m’abandonnai à la manière ordinaire de se reposer. En deux mois ma santé fut restaurée e t mon esprit revigoré par cette concession à la nature. De fait, l’étude du Zen ne doit pas nécessairement se poursuivre par la simple pratique de l’abstention de sommeil. I1 vaut beaucoup mieux avoir quelques heures de profond sommeil au milieu de la nuit ;l’esprit y rassemble alors une énergie nouvelle. Un jour, je rencontrai Hsiou dans le corridor et, pour la première fois, je pus avoir un entretien avec lui. J e lui demandai : Pourquoi donc m’évitiez-vous tellement, l’an dernier, quand je désirais vous parler? n I1 dit : Un ardent disciple du Zen économise même le temps de se couper les ongles :à plus forte raison le temps gaspillé en conversation avec autrui! )) J e lui dis : (( Deux ((
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choses me troublent, l’inertie et l’agitation ; comment puis-je les surmonter? )) I1 répondit : C’est parce que, dans votre exercice, vous n’êtes pas pleinement résolu. Asseyez-vous sur un coussin suffisamment épais, tenez votre colonne vertébrale bien droite, et lancez toute l’énergie spirituelle que vous possédez dans le kô-an lui-même. A quoi bon parler d’inertie et d’agitation? )) Ce conseil donna une nouvelle tournure à mon exercice, car en trois jours et trois nuits je parvins à réaliser un état où la dualité du corps et de l’esprit cessait d’exister. J e me sentais si transparent et plein de vie que mes paupières restaient ouvertes tout le temps. Le troisième jour, je marchais près de la porte d’entrée du monastère, toujours avec le même sentiment que j’avais lorsque j’étais assis les jambes croisées sur les coussins. J e rencontrai Hsiou, qui me demanda : Que faites-vous ici? n J e répondis :(( J’essaie de réaliser la vérité (tao).Qu’entendez-vous par la vérité ? demanda-t-il. J e ne pus lui donner de réponse, ce qui ne fit qu’accroître mon tourment mental. Désirant retourner à la salle de méditation, je dirigeai par là mes pas et je rencontrai le moine-chef. I1 me dit : (( Tenez vos yeux grands ouverts et voyez ce que tout cela signifie. n Cela m’encouragea. J e revins à la Salle et j’allais reprendre mon siège quand toute la perspective changea. I1 se fit une vaste expansion, et le sol apparut comme tout creusé. L’expérience passait toute description et était tout à fait incommunicable, car il n’y avait rien au monde à quoi elle pût être comparée. Descendant de mon siège, je me mis à la recherche de Hsiou. I1 en f u t très content et ne cessa de répéter : Comme je suis heureux! Comme je suis heureux! Nous nous prîmes les mains et nous mîmes à marcher le long de la rangée de bouleaux devant la porte du monastère. J e regardais autour de moi, en haut, en bas, et l’univers entier avec ses innombrables objets sensibles m’apparaissait maintenant tout à fait indifférent ; ce qui auparavant était répugnant, y compris l’ignorance et les passions, apparaissait maintenant comme n’étant ((
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rien d’autre que le déversement de ma nature la plus intérieure, qui en elle-même demeurait lumineuse, vraie et transparente. Cet état de conscience dura plus d’un demi-mois. Malheureusement, comme je n’eus pas à cette époque l’occasion de parler avec un grand maître doué d’une vision spirituelle plus profonde, je fus laissé pour quelque temps à ce stade d’illumination. C’était encore un stade imparfait qui, si je m’y étais attaché comme à un état définitif, aurait fait obstacle à la croissance d’une vision intérieure réellement pénétrante ; les heures de sommeil e t de veille ne s’étaient pas encore fondues en une unité. Les kô-ans qui admettaient quelque possibilité de raisonnement m’étaient assez intelligibles, mais ceux qui, pareils à des murs construits avec des blocs de fer, défiaient le raisonnement, restaient absolument hors de ma portée. J e passai de nombreuses années sous le maître Ou-tchoun, écoutant ses sermons et demandant ses conseils, mais je ne reçus aucun mot qui donnât une solution définitive à mon inquiétude intérieure, et il n’y avait rien non plus dans les sûfras ni dans les paroles des maîtres que je pouvais lire, qui pût guérir ce mal de mon cœur. Dix ans passèrent ainsi sans que je fusse capable d’ôter ce pénible obstacle intérieur. Un jour, je marchais dans la Salle du Bouddha à T’ien-mou, lorsque mes yeux tombèrent sur un vieux cyprès planté devant la porte de la Salle. La seule vue de ce vieil arbre m’ouvrit une nouvelle perspective spirituelle et la masse qui m’obstruait fut soudain dissoute. C’était comme si j’arrivais en plein soleil aprés avoir été enfermé dans l’obscurité. Après cela, je n’eus plus aucun doute concernant la vie, la mort, le Bouddha ou les Patriarches. J e compris pour la première fois ce qui constituait la vie intérieure de mon maître Ou-tchoun, et qui méritait bien de recevoir trente bons coups. D T’ien-chan Kioung, qui était disciple de Tê-i de hlêngchan, rapporte ceci : (( A l’âge de treize ans, j’avais
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entendu parler du Bouddhisme, à dix-huit ans je quittai la maison, et à vingt-deux je fus ordonne moine. J’allai d’abord à Chih-tchouang où j’appris que le moine Hsiang passait tout son temps à regarder le bout de son nez et que cela maintenait son esprit transparent. Plus tard, un moine apporta de chez Hsiueh-ien ces Conseils sur la pratique de la méditation (l). Par cet ouvrage, j’appris que mes exercices suivaient une mauvaise voie. J’aliai donc auprès de Hsiueh-ien et, suivant ses instructions, je m’exerçais exclusivement sur le Ou! ».La quatrième nuit, je me trouvai en sueur, mais mon esprit était clair et lucide. Quand j’étais dans la Salle, je ne conversais jamais avec les autres, me consacrant entièrement au zazen. Par la suite, j’allai chez le maître Mia0 de Kao-fêng, qui me dit ceci : Qu’il n’y ait aucune interruption dans votre exercice pendant les douze périodes du jour. Levezvous au petit matin, cherchez aussitôt votre kô-an et tenez-le tout le temps devant vous. Quand vous sentirez la fatigue et le besoin de dormir, levez-vous de votre siège et marchez de long en large, mais même en marchant ne laissez pas votre kô-an vous glisser de l’esprit. Que vous soyez en train de manger ou de travailler, ou occupé des affaires du monastère, ne manquez jamais de tenir votre kô-an devant vous. Si l’on fait cela jour et nuit, un état d’unification s’instaurera, et plus tard votre esprit s’ouvrira siirement à l’illumination. n J e poursuivis donc mon exercice selon ce conseil, et en effet, je parvins finalement à un état d’unité. Le vingt mars, Hsiueh-ien me fit entendre un sermon ainsi conçu : Frères, quand vous vous sentez trop somnolents après une longue séance sur les coussins, descendez de votre siège, courez autour de la salle, rincez-vous la bouche, lavez-vous le visage et les yeux à l’eau froide ; puis reprenez votre siège sur les coussins. Tenant votre colonne vertébrale droite comme la paroi d’un précipice, ((
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Méditation n Bquivaut ici au japonais zazen.
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lancez toute votre énergie mentale sur le kô-an. Si vous continuez ainsi pendant sept jours, je puis VOUS assurer que vous arriverez à l’illumination, car c’est ce qui m’est arrivé il y a quarante ans. n J e suivis cet avis e t trouvai que mon exercice en acquérait plus de lumière e t de force que d’habitude. Le deuxième jour, je ne pouvais fermer mes paupières, même si je le désirais ; le troisième jour, il me semblait que je marchais dans les airs ; et le quatrième jour, toutes les affaires de ce monde cessèrent de me troubler. Cette nuit-là, je m’étais appuyé à la planche pour un moment, et, quand je m’examinai, je vis que le champ de ma conscience semblait entièrement vide, excepté la présence du kô-an lui-même. J e me retournai et me rassis sur le coussin, quand soudain j’eus la sensation que tout mon corps, de la tête aux pieds, était fendu comme un crâne; il me semblait que j’avais été tiré d’une profondeur abyssale e t projeté en l’air. Ma joie ne connaissait pas de bornes. Mon expérience fut rapportée à Hsiueh-ien, mais elIe n’eut pas sa pleine approbation. I1 me conseilla de continuer mon exercice comme auparavant. Quand je lui demandai un supplément d’instructions, entre autres choses il me dit ceci : N Si vous désirez réellement atteindre la plus haute vérité du Bouddhisme, il y a encore quelque chose qui manque à votre compréhension ; il doit y avoir un coup vraiment définitif. Dites-vous à vous-même : En quoi me manque cette chose définitive? )) J e ne pouvais croire ses paroles, et pourtant une ombre de doute s’insinuait dans mon esprit. Aussi continuai-je obstinément mon zazen chaque jour comme auparavant, pendant environ six autres mois. Un jour, j’avais mal à la tête et je me préparais un médicament, lorsqu’un moine qu’on appelait Kiao-lenez-rouge me demanda comment je comprenais l’histoire du prince Nata (1). (l) a Le prince Nata, se déchirant lui-même en morceaux, rendit sa chair à sa mère et ses os à son père, et alors, manifestant son propre corps originel, et par ses pouvoirs miraculeux, prêcha le
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J e me souvins alors qu’un jour le doyen des moines, Ou, m’avait posé la même question sur cette histoire, mais que je n’avais pu lui donner de réponse. Ce souvenir me conduisit aussitôt à la solution. Un peu plus tard, après le décès de Hsiueh-ien, j’allai auprès de Mêng-chan, qui me demanda : Dans l’étude du Zen, sur quel point vous considérez-vous comme en ayant atteint l’accomplissement I’ )) J e ne sus que dire. Chan me dit alors de m’exercer à la tranquillisation en sorte que toute poussière de mondanité pût être totalement 6tée. Mais chaque fois que j’entrais dans sa chambre et essayais de dire un mot, il observait aussitôt : Quelque chose qui manque. )) Un jour, j e commençai mon zazen à quatre heures de l’après-midi et continuai jusqu’à quatre heures du matin, et, par pur pouvoir de concentration, j’atteignis un état d’extase extrême. Lorsque j’en sortis, je vis mon maître et lui en parlai. I1 me demanda alors : a Quel est votre moi originel? 1) E t j’allais répondre lorsqu’il me ferma la porte au nez. Après cela, je m’appliquai de plus en plus au zazen et j’eus l’occasion de passer par des états mentaux délicieux. Ainsi, bien que j’eusse vu mourir mon ancien maître avant d’avoir pénétré moi-même dans les détails du Zen, maintenant j’avais, par bonheur, grâce à la direction de mon maître actuel, été amené à de plus profondes réalisations. En vérité, lorsqu’on est suffisamment ardent et résolu, les réalisations viennent fréquemment et un nouveau dépouillement se fait à chaque pas en avant. Un jour que je parcourais les Inscriptions (l) du troisième Patriarche, j’y lus ceci : Lorsqu’on retourne à la racine, le sens est compris, mais lorsqu’on suit seulement l’apparence, la substance est perdue )) ; alors eut ((
((
Dharma pour le bien de ses parents. D C‘est un des kô-ans les plus connus. L’idée est d’inciter le disciple A examiner ce u corps originel n dépouillé de tout son harnachement physique, mental et spirituel. (l) Ou Znscrif sur Z’esprif croyant, voir I r * série, p. 231 sq.
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lieu un nouveau dépouillement. Le maître Chan me dit : (( L’étude du Zen est pareille au polissage d’une pierre précieuse ; plus la gemme est polie, plus elle brille, e t quand elle devient ainsi plus brillante, qu’on la polisse encore ! Quand progresse le dépouillement des vêtements extérieurs, votre vie prend plus de valeur qu’une gemme. )) Mais chaque fois que je tentais de prononcer un mot, le maître déclarait aussitôt : Quelque chose qui manque. D Un jour que j’étais profondément absorbé dans la méditation, je m’arrêtai devant ce quelque chose qui manque ».Tous les liens qui avaient jusque-là emprisonné mon esprit et mon corps se trouvèrent tout à coup dissous, en même temps que chaque parcelle de mes os e t de leur moelle. C’était comme si je voyais le soleil surgissant soudain à travers les nuages chargés de neige, et brillant avec éclat. Ne pouvant me contenir, je sautai de mon siège, et, courant à mon maître, je le saisis de mes mains en criant : Et maintenant, de quoi est-ce que je manque? I1 me donna trois tapes e t je m’inclinai profondément devant lui. I1 me dit alors : O T’ien-chan, pendant bien des années vous vous êtes évertué pour obtenir cette chose-lli. Aujourd’hui, enfin, vous l’avez. n ((
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Ou-ouên T’soung de Hsiang-chan succéda au maître K’ing ; voici quelle fut son expérience du Zen : (( Tou-ouêng fut le premier maître que je rencontrai dans mon étude du Zen ; il me donna à explorer le sens de Ni esprit, ni Bouddha, ni une chose, ceci D. Plus tard, nous formâmes un groupe de six, comprenant Iunfeng et Iueh-chan, de manière à nous stimuler l’un l’autre dans l’exercice du Zen. J e rencontrai ensuite le maître Kiao Ou-nêng, qui me donna le (( Ou! D.Puis j’allai à Tchang-Iou où je me joignis encore à des amis afin de nous encourager mutuellement. 11m’arriva de rencontrer le frère King de Houaï-chan, qui me demanda : (( Quelle est votre compréhension du Zen, après plusieurs années d’étude? B J e répondis : Pas une pensée ne se lève de tout le jour. I1 demanda encore : D’où vient cette ((
((
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notion que vous avez? )) J’avais l’impression que je le savais, mais je n’étais pas tout à fait sûr de ce que je devais répondre. Voyant que je n’avais pas pénétré dans le cœur de la question, King me dit que c’était très bien en fait de tranquillisation, mais que je n’avais nullement saisi la chose dans son activité. Cela me surprit, et je le priai de m’indiquer comment je devais continuer mon exercice de manière à pénétrer vraiment la question. I1 me dit : u Ne savez-vous pas ce que dit Tch’ouan-lao? I1 dit : Si l’on veut avoir une compréhension en la matière, qu’on regarde l’étoile du Nord en se tournant vers le Sud. E t sans rien ajouter il s’en alla. A cette question, je ne savais que dire. Que je fusse en marche ou assis, mon esprit refusait de se fixer sur quoi que ce f û t d’autre ; pendant plusieurs jours le Ou I u fut laissé de côté et cette Étoile du Nord vue au Sud )) occupa exclusivement mon attention. Un jour, je me trouvais dans la salle de tonsure, assis avec d’autres sur un bloc de bois ; le (( doute I> (i) s’empara fermement de moi, le temps passa à mon insu, e t ce f u t vers l’heure du repas que, sans que rien l’eût fait prévoir, je sentis mon esprit s’élargir, devenir clair, léger, serein. I1 semblait que tout mon système mental eût été démoli et dépouillé de tous ses revêtements ; le monde entier avec tous ses objets, doués ou non de sensibilité, s’évanouit devant moi ; e t il y avait une vaste vacuité. Après un moment, je me trouvai éveillé, sentant la sueur ruisseler sur tout mon corps, e t je sus ce que signifiait (( voir l’étoile du Nord dans le Sud ».J e rencontrai King, e t il me demanda : Qui est-ce qui vient ainsi ? 1) J e répondis : Ni le même, ni l’autre. 1) I1 dit : Si ce n’est ni le même ni l’autre, qu’est-ce que c’est, à la fin? - Quelqu’un qui mange quand il a faim et qui dort quand il est fatigué )), répondis-je. King me demanda alors d’exprimer en vers mon expérience, ce que je fis, et tout alla sans encombre. Mais ce n’était pas le terme final, et j’étais profondément affecté de ne pas l’avoir encore atteint. Par la suite, j’allai dans les montagnes de Hsiang-ien où je passai l’été. Les moustiques étaient insupportables; ))
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je ne pouvais tenir mes mains en place. J e pensai alors aux anciens maîtres qui pour le Dharma avaient sacrifié jusqu’a leur vie ; pourquoi donc me laisserais-je troubler par les moustiques? J e résolus de ne plus être dérangé par leurs piqûres. Joignant fermement les dents, serrant les poings, je mis le Ou! D devant moi et engageai un combat désespéré contre les insectes. Tandis que je me soumettais à cette épreuve d’endurance, il arriva que mon corps e t mon esprit atteignirent finalement un état de quiétude. I1 me semblait que le bâtiment où j’étais, avec tous ses murs, s’était écroulé en me laissant dans un vaste vide - expérience que rien de terrestre ne peut décrire. J e restai ainsi depuis environ sept heures du matin jusqu’à deux heures de l’après-midi. J e compris alors que le Bouddhisme contient la vérité entière et que c’est seulement parce que nous ne sommes pas assez persévérants dans nos efforts pour la saisir que nous nous imaginons parfois que le Bouddhisme nous induit en erreur. Mais, si ma compréhension du Zen était claire et complète, il y avait pourtant encore quelque chose qui n’était pas tout à fait épuisé dans les retraits cachés et presque inabordables de ma conscience; aussi, je me retirai de nouveau dans les montagnes, six ans à Kouangtcheou, six autres années à Li-an, e t finalement trois ans encore à Kouang-tcheou, où je fus délivré au sens le plus complet du terme. )I ((
IMPORTANCE
ET FONCTION
DE L’ESPRIT D’INVESTIGATION
Comme nous l’avons dit précédemment, la préparation que doit avoir le disciple du Zen avant d’entreprendre l’exercice du kô-an consiste en ceci : l o Avoir éveillé en soi un désir très sincère d’être délivré de la servitude du karma, de la douleur, de la naissance et de la mort.
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Eexercice du kô-an
20 Reconnaître que le but de la vie bouddhique est d’atteindre l’illumination, en faisant mûrir l’état de conscience appelé satori. 30 Voir la futilité de toutes les [tentatives intellectuelles pour atteindre ce but, c’est-à-dire pour résoudre de la manière la plus vivante le problème ultime de l’existence. 40 Croire que la réalisation du satori signifie l’éveil de la buddhatâ (nature de Bouddha), qui réside, profondément enfouie, dans tous les esprits. 50 Être en possession d’un esprit d’investigation très fort, qui donne sans cesse envie d’éprouver en soi-même la présence de la buddhafâ.
Sans ces cinq conditions préalables, il ne peut espérer mener à bonne fin l’exercice du kô-an. Même quand il est ainsi mentalement qualifié, il peut ne pas croire que le kô-an soit le moyen le plus efficace d’atteindre le but. I1 se peut qu’il soit davantage attiré par la discipline Shin-gon, ou T’ien-taï, ou par la récitation du nom du Bouddha pratiquée dans les sectes du (( Pays pur »,ou par la répétition du Daïmokou comme dans la secte Nichiren. C’est là qu’intervient comme facteur déterminant, ce qu’on peut appeler son idiosyncrasie religieuse, qui est due à son karma antérieur. En tels cas, il ne peut pas suivre le Zen avecsuccès, etson émancipation devra s’effectuer de quelque autre manière. Même parmi les adeptes du Zen, il y en a qui ne croient pas au kô-an, et qui le considèrent comme une invention artificielle ; ils vont même plus loin et déclarent que le satori lui-même est une sorte d’excroissance qui n’appartient pas en propre au système originel du Zen. Beaucoup des adhérents japonais à l’école Sôtô du Zen appartiennent à cette classe d’adversaires du kô-an. Cette divergence de vue quant à l’efficacité de l’exercice du kô-an et à l’expérience du satori vient sans doute des différences d’interprétations philosophiques données au Zen par les adeptes des écoles Sôtô et Rinzaï. En ce qui
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concerne la pratique du Zen, Sôtô et Rinzaï sont tous deux les descendants de Bodhi-dharma et de Houeï-nêng. Quoi qu’il en soit, on doit croire au kô-an si l’on veut y trouver une discipline et être par lui éveillé au satori. Maintenant, la question est celle-ci : Comment un kô-an - au moins le premier kô-an - doit-il être amené dans le champ de la conscience de manière à en occuper le centre, lorsqu’on entreprend d’en résoudre le sens? Le kô-an n’a évidemment pas de signification logique, car son but déclaré est de couper tout passage à la spéculation et à l’imagination. Par exemple, quand le (( Oui n est donné à un yogin Zen, comment celui-ci est-il censé devoir le prendre ? I1 est hors de doute qu’il ne doit pas y réfléchir, car aucune réflexion logique n’est ici possible. Ou! N ne livre aucun sens, puisqu’il ne doit pas être pensé en connexion avec le chien, non plus qu’avec la nature-de-Bouddha ; c’est Ou! )) pur et simple. Le kô-an ne nie ni n’affirme la présence de la nature-deBouddha dans le chien, bien que Tchao-tcheou ait employé ce Ou! en réponse à la question sur la nature-de-Bouddha. Quand le (( Ou! 1) est donné comme kô-an à un non-initié, il vaut par lui-même ; et c’est exactement ce qu’ont soutenu, dès le commencement, les maîtres Zen qui l’ont utilisé comme une sorte de révélation. De même pour le cyprès ».C’est simplement N le cyprès n, sans connexion logique avec la question : (( Quel est le sens de la venue en Chine du premier Patriarche? D Il ne se réfère pas davantage à une vue panthéiste de l’existence, qu’on pense parfois être la conception bouddhique du monde. Cela étant, quelle attitude mentale devons-nous prendre devant le kô-an lorsqu’il nous est donné pour clef des secrets du Zen ? Généralement, les caractères chinois employés pour décrire l’attitude mentale à adopter envers un kô-an sont : fi-fs’i, fi-sseu, t’i-io fchozz, signifiant (( soulever », u tenir haut », élever 1) ; k’an, (( voir »,(( considérer », (( tenir devant les yeux )) ; sun, (( avoir affaire à »,(( être engagé dans »,(( consulter D,(( se référer à )) ; San-kiou ou ((
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faire investigation »,(I s’enquérir de ; koungK chercher une solution », (( exercer son esprit sur un sujet 1) ; iaï, u examiner ». Tous ces termes entendent signifier u tenir un kô-an continuellement devant l’œil mental de maniére à susciter la recherche d‘une piste menant à ses secrets ». Ces deux processus, tenir devant soi et chercher activement, peuvent être considérés comme un seul ; car l’unique raison de tenir un kô-an devant l’esprit est d’arriver à en pénétrer le sens. Par ce processus, le sens objectivement cherché dans le Ou! »,le (( cyprés OU le trois k i n de lin s’épanouit, surgissant non pas certes du kô-an, mais de l’intérieur de l’esprit du yogin. C’est à ce moment que le kô-an s’identifie parfaitement avec l’esprit qui cherche et s’efforce, et par cette identification il. livre son sens. I1 ne serait donc pas correct de dire que le kô-an est compris, car au moment où se fait la compréhension, il n’existe plus de kô-an séparé de l‘esprit. I1 ne serait pas non plus correct de dire que c’est l’esprit qui se comprend lui-même, car la compréhension est une réflexion, une répercussion ; un esprit ebt la reconstruction de la compréhension. I1 n’y a enc6re là aucun jugement, aucun sujet, aucun prédicat ; il y a simplement l’exclamation : Ah! N Les termes chinois employés en l’occurrence sont tout à fait typiques :hê ti i hsia ou p’ên fi i fa, c’est-à-dire : c un cri qui éclate ».Le moment même est appelé : l’éclatement du sac D, u la rupture de la boîte à goudron », un claquement soudain »,u un éclatement soudain n, l’éclatement bruyant du bambou », u la rupture du vide n, etc. Le mot u concentration n a été beaucoup employé à propos de l’exercice du kô-an ; mais, en fait, la concentration n’est pas le point principal, bien qu’elle soit une conséquence inévitable. La chose la plus essentielle dans l’exercice est la volonté de pénétrer le sens - nous employons ce mot faute de terme approprié - du kô-an. Quand la volonté (ou l’esprit d’investigation) est forte et constamment agissante, le kô-an se trouve nécessai-
t‘i-kiou,
))
((
fou, u chercher une piste
)),
((
((
))
((
((
((
((
))
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rement maintenu sans interruption devant l’œil, et toutes les autres pensées, qui n’ont aucune force pour s’imposer, sont. naturellement balayées du champ de conscience. Cette exclusion et élimination est un effet accessoire, plus ou moins accidentel. C’est en cela que l’exercice du kô-an est distinct de la simple concentration et aussi de la forme indienne du dhyâna, c’est-àdire de la méditation, abstraction ou cessation de pensée. On peut distinguer deux sortes de concentration : l’une est produite pour ainsi dire mécaniquement, et l’autre résulte inévitablement (quoique accidentellement dans son essence) d’une recherche intensifiée de l’esprit. Quand la concentration, suivie d’identification, est atteinte, par l’une ou l’autre voie, elle se termine nécessairement dans l’éruption finale du satori. Mais le véritable Zen exige toujours la présence d‘un esprit d’investigation, comme on le verra par les citations qui suivent. Taï-houii, qui fut un des premiers défenseurs du kô-an, insistait toujours sur ce point; car nous y trouvons partout des allusions dans ses discours, réunis sous le titre de Sermons de Taï-houeï (1). Témoin des déclarations comme celles-ci : (( Isolez le point sur lequel vous avez été en doute toute votre vie, et mettez-le sur votre front. D u Est-ce que1,que chose de saint, ou quelque chose de vulgaire? Est-ce une entité, ou une non-entité ? Pressez la question jusqu’au bout. N’ayez pas peur de vous plonger dans un vide ; trouvez ce qui nourrit ce sentiment de peur. Est-ce ou non un vide‘? II Taï-houeï ne nous conseille jamais de tenir simplement un kô-an devant l’esprit ;il nous dit, au contraire, de lui faire occuper le centre de l’attention par la seule force d’un esprit d’investigation. Quand un kô-an est soutenu par un tel esprit, il est comme un grand feu dévorant qui consume tous les insectes de vaine spéculation qui l’approchent I). Sans la stimulation de cet esprit d’investigation à teinte philosophique, on ne peut ((
(1)
Taï-houeï p’ou-chouo.
L’exercice d u kô-an
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maintenir en position devant la conscience aucun kô-an. Aussi est-ce presque un lieu commun parmi les maîtres Zen que de déclarer : (c Dans la maîtrise du Zen la chose la plus importante est de garder un esprit d’investigation; plus cet esprit sera fort, plus grand sera le satori qui suivra ; en fait il n’y a pas de satori quand il n’y a pas d’esprit d’investigation ; donc, commencez en explorant la signification d’un kô-an. )) Voici ce que dit Kao-fêng Iuan-miao (l) : Le kô-an que je donne ordinairement à mes élèves est : (( Toutes choses retournent à l’Un ; où retourne l’Un? J e les fais chercher là-dessus. Chercher, cela signifie éveiller en soi un grand esprit d’investigation à l’égard du sens ultime du kô-an. La multitude des choses est réductible à l’Un, mais à quoi cet Un retournet-il finalement? Je leur dis : Faites cette investigation avec toute la force qui est en vous, sans jamais aucun relâchement. Dans quelque position corporelle que vous soyez, et à quelque affaire que vous soyez occupés, ne passez jamais votre temps d’une façon oisive. Où l’Un retourne-t-il finalement? Essayez de trouver une réponse précise à cette demande. Ne vous abandonnez pas à un état d’inactivité. N’exercez pas votre imagination fantaisiste, mais essayez d’amener en vous un état de parfaite identité en poussant en avant votre esprit d’investigation, avec persévérance et sans interruption. Vous serez alors comme un malade dans une phase critique, n’ayant aucun appétit pour ce que vous mangez ou buvez. Vous serez aussi comme un idiot, ne sachant plus rien de rien. Quand votre esprit de recherche atteint ce stade, le moment est venu, pour la fleur de votre esprit, de s’épanouir. Kou-in King-k’in, vers la fin du X V ~siècle, parle ainsi de l’exercice du kô-an : a Recherches-et-efforts (koung-fou) se pratiquent le mieux là où n’atteignent le bruit ni la confusion; ((
))
))
(l)
1238-1295.
Esprit d‘investigation
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retranchez-vous de tout ce qui peut vous déranger; faites cesser la spéculation et l’imagination et appliquezvous de tout cœur à la tâche de vous tenir à votre kô-an, sans jamais le laisser s’échapper du centre de conscience, que vous soyez assis ou couchés, en marche ou debout sans bouger. Ne vous souciez pas de la situation où vous êtes, agréable ou désagréable, mais essayez tout le temps de tenir le kô-an à l‘esprit, e t réfléchissez audedans de vous, vous demandant qui est-ce qui poursuit le kô-an aussi infatigablement, e t qui vous pose cette question sans aucun répit. Si vous continuez ainsi, en vous appliquant intensément, interrogeant sur I’interrogateur lui-même, le temps viendra très certainement où il vous sera absolument impossible de poursuivre votre investigation, comme si vous étiez parvenus à la source même d’un ruisseau e t que vous vous trouviez bloqués par les montagnes tout à l’entour. C’est le moment où l’arbre, avec la glycine qui s’y enroule, s’abat (l), c’est-à-dire où la distinction entre sujet e t objet est complètement effacée, où l’interrogateur et l’interrogé sont fondus dans une parfaite identité. Quand on se réveille de cette identification, alors a lieu un grand satori qui apporte la paix à toutes investigations et recherches. ))
T’ien-ts’i Choueï (2) donne ces conseils aux disciples du Zen : Nettoyez à fond vos esprits de toute ruse et de tout calcul retors, rompez avec la convoitise et la colère qui naissent de l’égotisme, et ne laissez plus aucune pensée dualiste vous troubler, en sorte que votre conscience soit parfaitement nette. Quand cette purgation est effectuée, posez votre kâ-an devant votre esprit : Toutes choses sont résolubles à l’Un, mais quand l’Un est-il résolu? En quoi se résout-il réellement à la fin? 1) Explorez ce problème du commencement à la fin, soit ((
1
121
Voir ci-dessus, . 460. D’après Tchpu-goun (1531-1616),Biographies des maîtres
Zen fameux de l’epoque &ng.
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question par question, séparément, soit indivisiblement comme une seule pièce de pensée, ou simplement cherchez le lieu de l’Un. Quoi qu’il en soit, que toute la série des questions s’imprime distinctement sur votre conscience, en sorte qu’elle devienne l’objet exclusif de votre attention. Si vous permettez à une seule pensée inutile de s’insinuer dans la chaîne massive e t ininterrompue des questions, le résultat sera la ruine de tout votre exercice. Si vous n’avez pas de kô-an à tenir devant vos esprits, vous ne rencontrerez aucune occasion de réaliser un état de satori. Chercher le satori sans kô-an est comme faire bouillir du sable, qui ne se changera jamais en riz nourrissant. La première chose essentielle est d’éveiller en vous un grand esprit d’investigation et de vous efforcer de voir en quoi finalement l’Un se résout. Si cet esprit est maintenu constamment actif en sorte que la lassitude, l’accablement ou le désœuvrement n’aient aucune occasion de se montrer, le moment viendra, sans que vous le cherchiez spécialement, où vous arriverez à un état de parfaite concentration. C’est-à-dire que si vous êtes assis, vous n’êtes pas conscients de ce fait ; de même si vous marchez, si vous êtes couchés, ou debout, vous n’êtes pas du tout conscients de ce que vous faites ; et vous ne vous rendez pas non plus compte des lieux où vous êtes, ni de l’Est ou de l’ouest, ni du Sud ou du Nord ; vous oubliez que vous êtes en possession des six sens ; le jour est pour vous comme la nuit, et inversement. Mais cela n’est encore qu’à mi-chemin du satori ; ce n’est certainement pas le satori lui-même. I1 vous faudra encore faire un effort final et résolu pour passer à travers cela, un état d’extase où la vacuité de l’espace sera brisée en morceaux et où toutes choses seront réduites à une parfaite égalité. C’est encore comme le soleil apparaissant de derrière les nuages; alors les choses mondaines et supramondaines se présentent dans une parfaite objectivité. ))
Esprit d’investi gat ion
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Tch’ou-chan Chao-ts’i (l) s’exprime ainsi : I1 est nécessaire au non-initié d’avoir une sorte d’outil avec quoi il puisse saisir le Zen ; et c’est pour cette raison que l’on recommande de pratiqcer le nemboufsou, c’est-à-dire la pensée du Bouddha. Le Bouddha n’est rien autre que l’Esprit, ou plutôt que ce qui désire voir cet Esprit. D’ou naît ce désir, cette pensée? De l’Esprit, disons-nous tous. Et cet Esprit n’est ni un esprit, ni un Bouddha, ni quelque chose. Qu’est-ce donc? Pour le trouver, qu’on abandonne tout ce qu’on a accumulé comme savoir, intellection e t connaissance ; e t qu’on se voue exclusivement à cette seule question : Qui est-ce qui pratique le nemboutsou ?’ D Que cet esprit d’investigation s’affirme au plus haut degré. N’essayez pas de résoudre la question en raisonnant; n’adoptez pas une attitude de simple passivité en attendant que le satori vienne de lui-même ; ne vous permettez pas d’entretenir de fausses pensées et imaginations ; ne laissez pas s’affirmer des pensées de discrimination. Si votre effort et votre recherche sont constants, si vous ne leur permettez ni ruptures ni interruptions, votre dhyâna arrivera naturellement à ma turité, e t votre esprit d’investigation (i-f’ouan) sera amené a la crise inévitable. Vous verrez alors que le niruâna et le samsâra, la terre de pureté et la terre de souillure, ne sont que des propos futiles, qu’il n’y a, depuis le commencement, rien qui réclame une explication ou un commentaire, et en outre que l’Esprit n’est pas quelque chose qui appartient au royaume de la conscience empirique (z), et n’est donc pas un objet de compréhension mentale. ((
((
))
Tou-foung Tsi-chan (9, qui enseignait dans la seconde moitié du X V ~siècle, recommandait fortement l’éveil 140-1-1473. D’après les Biographies de Tchou-hounj. Pou-k‘i-tê (an-upalabdha en sanskrit). La stance où il résuma son expérience du Zen est citée par Tchou-houng dans ses Biographies : c Ici règne une quiétude parfaite, toutes actions s’évanouissent ; Juste une touche encore, et voici qu’éclate le fracas du tonnerre1 Le crâne est brisé en morceaux et j e suis éveillé du rêve! n (I)
(2) (3)
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d’un esprit d’investigation, comme on le verra dans le passage suivant (1) : (( Si vous êtes résolu à échapper à la naissance et à la mort, il faut avant tout que s’éveille en votre cœur une grande foi et que vous fassiez de grands vœux. Que ceci soit votre prière : (( Tant que le kô-an que je prends en ce moment ne sera pas résolu, tant que je n’aurai pas vu mon propre visage que j’avais avant même de naître, tant que les actes subtils de transmigration n’auront pas été détruits, je prends la ferme détermination de ne pas abandonner le kô-an qui m’a été donné à résoudre, de ne pas me tenir à l’écart des instructeurs réellement sages, et de ne pas devenir un avide pourchasseur de renommée et de richesse ; et si je viole délibérément ces résolutions, que je tombe dans les sentiers du mall )) Ayant prononcé ce vœu, gardez votre cœur sous une vigilance constante, afin que vous soyez un digne réceptacle pour le kô-an. Quand on vous dit de chercher à voir le sens de u Ou! », la chose essentielle A faire en ce cas est de laisser votre pensée se concentrer sur le (( pourquoi? de l’absence de la nature-de-Bouddha dans le chien. Si le kô-an concerne i’unité de toutes choses, que votre pensée soit fixée sur le (( où? )) de cette unité. Quand on vous dit de chercher le sens du nemboutsou, que votre attention soit principalement portée sur le (( qui? )) du nemboufsou. Ainsi, tournant vers l’intérieur la lumière de la réflexion, évertuez-vous à entrer profondément en un esprit d’investigation. Si vous sentez que vous n’avez gagné aucune force à cet exercice, reprenez le kô-an tout entier comme une expression complète et d’une seule pièce, depuis le commencement jusqu’à la fin. Cette poursuite ordonnée du kô-an vous aidera à élever votre esprit d‘investigation vers l’issue finale. Si vous gardez cet esprit sans interruption et avec une sincérité parfaite, le moment viendra où vous exécuterez, sans même vous en apercevoir, un saut périlleux ))
(l)
Cité dans le Tch’an-kouan fs’ê-kin.
Esprit d’investigation
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dans l’espace. Après cette expérience, vous pourrez revenir me trouver et voir comment je distribue mes coups. ))
K’oung-kou Loung (I) semble être un partisan du nemboutsou aussi bien que du kô-an, mais lorsqu’il conseille à ses élèves de s’exercer sur un kô-an, il proclame lui aussi que l’esprit d’investigation est la force qui soutient dans cet exercice. I1 dit en effet que le kô-an doit être l’objet d’une K silencieuse investigation (mo-mo f’san kiou), qu’il faut rendre le Oui )) c limpide (ming) en s’y appliquant K avec furie (fên-fênjan) ; que les disciples du Zen doivent se fixer sur cette pensée : Cet esprit est maintenu en activité tant que le corps continue son existence de Mâyâ, mais où doitil résider quand le cadavre a été incinéré’? Pour découvrir où l’unité des choses a son séjour ultime, le disciple doit réfléchir en lui-même et examiner le problème de manière à en déterminer le lieu avec précision (”. Tous ces maîtres, vivant à la fin de l’époque Iuan et au début de l’époque Ming, au temps où le système du kô-an devint une méthode bien établie de maîtrise du Zen, s’accordent sur la nécessité d’un vigoureux esprit d’investigation, portant sur la signification du kô-an ou sur l’esprit même qui mène cette investigation. Le kô-an ne doit pas être simplement tenu devant l’esprit comme quelque chose qui rassemble sur lui, à la manière d’un aimant, toutes les énergies mentales ; cette action doit être soutenue et entretenue par un puissant courant d’énergie spirituelle, sans l’appui duquel le ma intien du kô-an devant l’esprit devient mécanique, le ))
((
))
))
((
))
D’après les Biographies de Tchou-houng. (z)Voici, d’après Tchou-houng, quelques remarques concernant l’opinion de Loung sur le nernboutsou : Quandil s’agit du nernboutsou, Loung n’insiste pas tellement sur la nécessité de nourrir un esprit d‘investigation, comme on le faisait généralement de son temps. Dans une de ses lettres il déclare en effet que s’il est recommandé, selon le maître Iou-t’an, de rechercher le 11 qui II du nernboutsou, cette forme investigatrice du nernboutsou n’est pas absolument nécessaire, car il suffit qu’on le pratique avec son état d’esprit ordinaire. (Sur ce sujet voir plus loin, chap. x.) (1)
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Zen perdant du même coup sa vitalité créatrice. On peut se demander : Pourquoi la méthode mécanique ne serait-elle pas aussi bien en complet accord avec l’esprit du Zen? Pourquoi la méthode investigatrice est-elle préférable? Pourquoi est-il nécessaire de maintenir cet esprit d’investigation pendant tout l’exercice du kô-an ? A-t-il quelque rapport avec la nature du satori lui-même, qui doit être l’issue de cet exercice? La raison pour laquelle les maîtres ont tous insisté sur l’importance de l’esprit d’investigation est, selon moi, que l’exercice du kô-an est à l’origine une tentative pour reproduire la conscience Zen, qui s’était développée naturellement dans les esprits des anciens disciples. Ceux-ci, avant de se mettre à la pratique du Zen, avaient tous approfondi la philosophie bouddhique ; ils y étaient, de fait, tellement versés qu’à la fin ils ne pouvaient plus s’en satisfaire, car ils étaient arrivés à voir qu’il y avait, derrière ses enseignements, quelque chose de plus profond que la simple analyse e t que la compréhension intellectuelle. Le désir de pénétrer derrière le rideau était très fort en eux. Qu’est-ce que l’Esprit, ou la buddhafâ, ou l’Inconscient, que l’on suppose toujours derrière la multiplicité des choses, et que nous sentons être en nous-même? Ils désiraient saisir cela directement, intuitivement, comme avaient fait tous les Bouddhas du passé. Poussés par ce désir de connaître, qui est l’esprit d’investigation, ils réfléchirent en eux-mêmes si intensément, si constamment, que la porte s’ouvrit finalement pour eux, e t ils comprirent. Cette persévérance à frapper à la porte est la condition préalable qui semble avoir toujours été présente chez eux, et qui avait pour résultat la maturation de leur conscience Zen. L‘objet de l’exercice Zen est de provoquer cet intense état de conscience, dans un certain sens artificiellement ; car les maîtres ne pouvaient attendre que le génie du et par conséquent d’une Zen surgît spontanément
e),
(1) D’après K’oung-kou Loung : a Anciennement, il y eut probablement quelques hommes qui eurent ie satori sans avoir eu
Esprit d’investigation
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façon sporadique, chez leurs frères moins bien équipés spirituellement. Si le caractère aristocratique du Zen n’avait pas été quelque peu atténué en sorte que des hommes de capacités ordinaires pussent ainsi vivre la vie d’un maître Zen, le Zen lui-même aurait pu disparaître rapidement de la terre où Bodhi-dharma et ses successeurs avaient pris tant de peines pour l’enraciner profondément. Le Zen devait être, en quelque sorte, démocratisé, c’est-à-dire systématisé. Pao-nêng Jên-iang (l) dit dans un de ses sermons : a Sac à l’épaule, bol à la main, j’ai pérégriné pendant plus de vingt ans par tout le pays e t fait visite à plus d’une douzaine de maîtres du Zen. Mais à présent je n’ai rien atteint de spécial et qui m’appartienne en propre. Si oui, je puis vous le dire, je ne vaux pas beaucoup mieux qu’un bloc de rocher dépourvu d’intelligence. E t ces vénérables maîtres du Zen que j’ai visit& n’ont, eux non plus, rien atteint de spécial qui puisse profiter aux autres. J e suis resté depuis un parfait ignorant, sans connaissance de rien, sans l’intelligence de quoi que ce soit. J e suis, pourtant, satisfait de moimême. Poussé sans que j’y prenne garde par le vent du karma, je me trouve maintenant dans le pays de Kiang-nêng; j’ai été amené à y diriger cet humble recours à l’exercice du kô-an, mais il n’y en a pas de nos jours qui puissent jamais atteindre le satori sans s’appliquer énergiquement à cet exercice. D ( I ) Disciple de Iang-ts’i Fang-houeï (mort en 1046). Avant de devenir un adepte du Zen, il était un grand érudit en philosophie T’ien-taï. Quand il vint auprès de Hsiueh-teou - une des grandes figures de l’école Iun-mên du Zen - celui-ci reconnut aussitôt en lui un futur maître du Zen. Pour le stimuler, il lui lança sarcastiquement : c O grand professeur d’université! Y Cette appellation piqua Jên-iang au vif, et il résolut de surpasser en Zen ce grand maître lui-même. Devenu finalement un maître en effet, comme Hsiueh-teou l’avait prévu, il apparut un jour en chaire et dit : a Voyez, je suis maintenant dans l’enfer où l’on arrache la langue! n Ce disant, il fit le geste de s’arracher la langue avec la main et s’écria : ci Oh! Oh! n Cet enfer est celui des menteurs. Une autre fois, voyant le moine qui l’assistait offrir de l’encens au Bouddha, comme préliminaire à un sermon officiel que devait prononcer le maître, il dit : R Moines, mon assistant vous a déjà fait un sermon I), et sans autres paroles il descendit de chaire.
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monastère et à conduire les autres, me mêlant moimême avec les gens. Ici, comme un hôte, je sers tous les pèlerins venant des diverses parties du pays. I1 y a assez de sel, de sauce, de gruau et de riz pour les nourrir en sufisance. Mon temps, ainsi occupé, passe rapidement, mais pour ce qui est de la vérité du Bouddhisme, il n’y en a même pas une ombre à quoi songer. Si tous les maîtres Zen adhéraient à cette conception exaltée du Bouddhisme Zen, qui pourrait jamais leur succéder et transmettre sans interruption à la postérité leur expérience et leur enseignement ? Chih-t’ien Fa-hsiun dit (l) : Bien peu, en vérité, sont ceux qui peuvent suivre le [sentier de nos pères! I1 est plus profond et vertigineux qu’un gouffre inson[dable ; Vainement je tends la main pour aider les passants ; Que la mousse dans ma cour d’entrée verdisse comme [bon lui semble! Cette manière de considérer le Zen est, bien entendu, celle que nous pouvons attendre d’un véritable maître, mais si la mousse de la cour d’entrée n’est jamais foulée par les pas d’un être humain, qu’adviendra-t-il du Zen? Le sentier doit être rendu praticable, au moins dans une certaine mesure ; certains moyens artificiels doivent être inventés pour attirer des esprits qui peuvent un jour devenir de véritables transmetteurs du Zen L‘apparition de l’exercice du kô-an fut un tournant tout à fait naturel dans le développement historique du Zen. La fonction du premier kô-an donné à l’élève doit être de reproduire pour ainsi dire artificiellement un état de conscience identique à celui qu’ont éprouvé d‘une manière plus spontanée les maîtres du passé. (l)
1170-1244. D’après le recueil de ses Pardes, I r e série.
(*) Que le Zen ait eu, dès son apparition en Chine, ce caractère
inabordable, cela ressort clairement de la légende selon laquelle Bodhi-dharma demeura pendant neuf ans dans sa méditation solitaire et silencieuse.
Esprit d’insesfigafion
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Cela signifie amener l’esprit d’investigation jusqu’à un point de concentration ou de (( fixation ».Le kô-an ne présente aucun indice logique qui puisse permettre de le saisir d’une manière intellectuelle et discursive, et, par conséquent, un yogin non initié doit abandonner la logique pour la psychologie, l‘idéation pour l’expérience personnelle, ce qui n’est à lui qu’en surface pour son être intime. Le kô-an, à vrai dire, ne méprise pas le raisonnement, il n’essaie pas de l’enrayer par la force ; mais comme il se dresse, pareil à (( un mur de fer et une montagne d’argent »,contre toute tentative d’approche de la spéculation ou de l’imagination, le yogin n’a d’autre choix que d’abandonner le raisonnement. I1 doit trouver quelque autre moyen d’approche. I1 ne peut renoncer à son esprit d’investigation, car c’est cela qui le rend plus fort et plus déterminé que jamais à passer à travers le mur de fer. Quand le kô-an est correctement présenté, il n’abat jamais cet esprit, mais lui donne une plus grande ardeur. C’est à cause de cette pensée investigatrice que les anciens adeptes du Zen se trouvaient insatisfaits de toutes les explications intellectuelles des choses, qu’ils allaient finalement vers un maître et savaient ce qu’ils voulaient de lui. Sans ce perpétuel besoin qui les poussait de l’intérieur, ils auraient pu demeurer satisfaits de n’importe lequel des enseignements philosophiques donnés dans les sûtras et les shâstras. Ce besoin intérieur ne devait donc jamais être négligé, même lorsque l’exercice du kô-an vint remplacer le mode d’apparition plus spontané de la conscience Zen. Le san-k’ing ou i-k’ing, qui n’est autre que ce besoin ou cet esprit investigateur, reste donc toujours à la base de l’étude du Zen. D’où les conseils des maîtres : Voyez où vous devez résider après la mort, après la crémation 1) ; ou : (( Mettant en œuvre toutes les énergies mentales, cherchez quel est le séjour final où retourne l’unité des choses )) ; ou : Éveillez en vous un grand esprit d’investigation, voyez où retourne l’Un, ne laissez pas cet esprit vaciller ou trébucher )) ; ou : Voyez quelle sorte ((
((
((
L’exercice du k
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h
d’attitude mentale c’est là, voyez quel sens y est révélé, soyez décidés à découvrir enfin tout ce qui est contenu là n; ou : (( Interrogez-vous sur vous-même, cherchez en vous-même, poursuivez-vous vous-même, explorezvous vous-même, ne laissez jamais les autres vous dire ce que c’est, et ne le laissez jamais expliquer en mots. D Quand un yogin lutte ainsi corps à corps avec le kô-an, il est toujours éveillé à l’esprit du Zen, e t le kô-an aussi. Comme le problème est alors un problème vivant et nullement un problème mort, le satori qui suivra doit être aussi une expérience réellement vivante. Métaphysiquement parlant, nous pouvons dire que cet appel constant à l’esprit d’investigation est basé sur une foi solidement établie en l’activité de la buddhatâ (nature-de-Bouddha) dans chaque être individuel. C’est, en fait, cette buddhatâ elle-même qui nous conduit à chercher le séjour de l’Un. Le maintien d’un esprit d’investigation, chez les disciples du Zen, ne signifie rien moins que la buddhatâ s’affirmant elle-même. D’où cette proposition que (( plus la foi est grande, plus l’esprit d’investigation est fort, et plus profonde est la réalisation du satori 1) Foi e t esprit d’invesgation ne sont pas des termes contradictoires, mais sont complémentaires e t se conditionnent mutuellement. La raison pour laquelle les anciens maîtres insistaient tellement sur la nécessité de garder un grand esprit d’investigation dans l’exercice du kô-an devient maintenant intelligible. Ils n’étaient probablement pas conscients de la logique qui opérait derriére leurs instructions. C’est seulement en frappant sans arrêt à la porte qu’on pouvait reconnaître la présence de la buddhafâ. Or, cette insistance à frapper à la porte n’est-elle pas un acte d‘investigation ? Le caractère chinois que j’ai rendu par (( esprit d‘investigation n signifie littéralement (( douter n ou u soupçonner n, mais dans le cas présent (( investiguer n serait plus approprié. Ainsi fai-i signifie a une forte
e).
(I)
Cité dans Houel-iuan hsiu-liao. Voir ci-dessus, p. 546.
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fixation mentale résullant de l’intensification extrême d’un esprit investigateur ». Hakouin, dans une de ses lettres oh il traite des mérites comparés du nembouisou e t du kô-an, écrit : Dans l’étude [du Zen], ce qui est le plus important, c’est l’intensification extrême d‘un esprit investigateur. Aussi est-il dit que plus l’esprit investigateur est fort, plus grand est le satori qui en résulte, et qu’un esprit d’investigation sufisamment puissant doit sûrement aboutir à un puissant satori. En outre, selon Fo-kouo, le plus grand défaut [pour les adeptes du Zen] est le manque d’esprit d’investigation dirigé sur le kô-an. Mais, pour ceux chez qui l’esprit d’investigation atteint son plus haut degré de fixation, il y a un moment d’éclatement. De tels disciples seraient-ils cent, disons même mille, chacun d’eux, je vous assure, atteindra le stade final. Quand le moment de la plus grande fixation se présente, ils ont l‘impression d’être assis dans un espace vide, ouvert de tous côtés e t s’étendant sans limites ; ils ne savent pas s’ils sont vivants ou morts ; ils se sentent extraordinairement transparents et débarrassés de toute impureté, comme s’ils étaient dans un grand bassin de cristal, ou enfermés dans un bloc immense de glace compacte ; ou encore, ils sont comme un homme privé de tout sens ; s’ils sont assis, ils oublient de se lever, e t s’ils sont debout, ils oublient de s’asseoir. Pas une pensée, pas une émotion ne se lève dans l’esprit, qui est maintenant occupé entièrement et exclusivement du kô-an lui-même. A ce moment, on leur conseille de ne nourrir aucun sentiment de peur, de n’entretenir aucune pensée de distinction, mais d’aller résolument de l’avant avec leur kô-an, jusqu’à ce que tout à coup ils éprouvent quelque chose de semblable à une explosion, comme si un bassin de glace était mis en pièces, ou comme si une tour de jade s’écroulait, e t l’kvénement s’accompagne d’un sentiment de joie immense telle qu’ils n’en ont jamais auparavant éprouvé dans leur vie... C’est pourquoi l’on vous dit d’examiner le kô-an « M o u ! D (Ou!), e t de voir quel sens il renferme. Si votre ((
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esprit investigateur ne se relâche jamais, toujours appliqué au (( Mou! 1) et libre de toutes idées, émotions et imaginations, vous atteindrez très certainement le stade de grande fixation ... Tout cela est dû à la présence en vous d’un esprit d’investigation ; cas sans lui le point critique ne serait jamais atteint et, je vous assure, un esprit d’investigation, c’est les ailes qui vous portent au but (l). )) Une des raisons pratiques pour lesquelles les maîtres rejettent la méthode mécanique pour tenir le kô-an sans le secours d’un esprit d’investigation est qu’alors l’esprit du disciple se concentre simplement sur des mots ou des sons. Cela n’est d’ailleurs pas nécessairement tout à fait un mal, comme nous le verrons plus loin ; seulement, comme le soutiennent Haltouin et d’autres, on ne peut en ce cas être certain d‘atteindre le stade de fixation maximum qui précède l’éclatement du satori. La présence d‘un esprit investigateur prépare plus facilement et plus sûrement la voie au satori, parce que le satori est ce qui donne satisfaction à l’esprit investigateur et surtout parce que celui-ci éveille la foi qui est à la base de notre être. Les maîtres Zen disent : Où il y a foi (hsin),il y a doute (i) »,c’est-à-dire que là où il y a foi, il y a un ‘esprit investigateur, car douter, c’est croire. Observons que doute ou investigation, dans le Zen, ne signifie pas négation ou scepticisme, mais désir de voir, d’arriver en contact direct avec l’objet lui-même, en mettant de côté tout ce qui se dresse entre celui qui voit et l’objet perçu. Le disciple, pour le moment, n’a aucune idée de ce qu’est l’objet qu’il désire voir, mais il croit à son existence ou à sa présence en lui-même. Une simple description ou une explication logique ne le satisfait pas, car sa foi n’en est pas confirmée. Le désir de cette confirmation, de voir sa foi solidement ou absolument établie, comme dans le cas de la perception sensorielle, signifie l’éveil en soi d’un esprit investigateur, dont l’importance est inlassablement aermée par les maîtres Zen. S’il en est ainsi, ((
(l) De l’ouvrage de Hakouin intitulé Orate-gama, que nous citons fréquemment dans ce livre.
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il faut bien dire que la répétition mécanique du kô-an n’est pas en accord avec l’esprit du Zen. Dans un livre intitulé Averlissemenfs de Po-chan concernant l’élude du Zen (l), écrit vers la fin de l’époque Ming, la question de l’esprit d’investigation (i-Ping) est traitée en détail. E n voici un résumé : Dans la lutte (koung-fou) pour posséder le Zen, la chose exigée est de nourrir un puissant désir de détruire un esprit sujet à Ia naissance et à Ia mort. Quand ce désir est éveillé, le yogin se sent comme enveloppé d’un brasier ardent. I1 veut y échapper. I1 ne peut y marcher à l’aise, il ne peut y rester tranquille, il ne peut accueillir de pensées futiles, il ne peut attendre d‘aide d‘autrui. Comme il n’y a pas un moment à perdre, tout ce qu’il a à faire est d’employer le meilleur de ses forces à en sortir vite, sans se laisser troubler par la pensée des conséquences. Une fois que ce désir est installé, le pas suivant est plus technique, en ce sens qu’un esprit d’investigation doit être éveillé et maintenu, jusqu’au moment final de la solution. L’investigation porte sur le (( d‘où? )) de la naissance et le (( vers où? )) de la mort, et doit être constamment nourrie par le désir de s’élever au-dessus de l’une et de l’autre. Cela n’est possible que si l’esprit d’investigation parvient à maturité et explose en un état de satori. La méthode de maturation consiste principalement dans les points suivants : l o Ne pas se soucier des choses de ce monde. 20 Ne pas s’attacher à un état de quiétude. 30 Ne pas être troublé par la pluralité des objets. 40 Être constamment vigilant envers soi-même, comme un chat guettant une souris. 50 Concentrer toute son énergie spirituelle sur le kô-an. 60 Ne pas essayer de le résoudre intellectuellement, (I) Po-chan sun tch‘an king-iu composé par Ou4 Iuan-laï (1575-1630).
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L’exercice du kô-an
alors que rien en lui ne peut guider une interprétation logique. 70 Ne pas chercher à exercer simplement sur lui son ingéniosité. 80 Ne pas adopter une attitude d’inactivité. 90 Ne pas prendre un état temporaire de transparence pour quelque chose de définitif. 100 Ne pas réciter le kô-an comme si c’était le nemboufsou ou une sorte de dhâranî. Si ces avis sont correctement suivis, le yogin est certain d’amener l’esprit d’investigation à un état de maturité. Sinon, non seulement cet esprit refuse d‘être éveillé, mais le yogin est exposé à se fourvoyer sur de fausses pistes et à ne plus jamais pouvoir s’élever au-dessus de la servitude de la naissance et de la mort, c’est-à-dire réaliser la vérité du Zen. ’
Les fausses pistes où peut s’égarer le yogin sont : 10 L‘intellectualisme, qui veut forcer le kô-an à livrer son contenu logique. 20 Une tournure d’esprit pessimiste, par laquelle le yogin est porté à éviter les conditions défavorables à une contemplation tranquille. 30 Le quiétisme, par quoi il essaie de supprimer les idées et les sentiments afin de réaliser un état de tranquillisation ou de parfaite vacuité. 40 Les tentatives pour classer ou critiquer, selon sa propre interprétation intellectualiste, tous les kô-uns laissés par les anciens maîtres. 50 L’opinion qu’il y a quelque chose, à l’intérieur de ce corps fait de combinaisons variées, dont l’intelligence luirait à travers les divers organes des sens. 60 Et qui, par le moyen du corps, aurait pour fonction d‘accomplir les actions bonnes ou mauvaises. 70 L’ascétisme qui soumet inutilement le corps à toutes sortes de mortifications. 80 L’idée de mérite, par l’accumulation duquel le yogin désire atteindre l’état de Bouddha ou la délivrance finale.
Esprit d’invesfigalion
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90 Le libertinage, dans lequel il n’y a aucune régle de conduite morale ou autre. i00 L’esprit de grandeur et la vanité. Telles sont, brièvement, les voies de ceux dont l’esprit d‘investigation n’est pas sincère ni, par conséquent, en accord avec l’esprit de l’exercice du kô-an. C’est par le moyen de cet i-k’ing, cet (( esprit d‘investigation D, que l’on atteint finalement ce que Hakouin appelle daigi (fax-i),((grandefixation )I, ou «état d’unité)), dans lequel on ne voit plus une montagne comme telle, ni une nappe d’eau comme telle, pour la raison que les pluralités perdent leur sens et apparaissent au yogin sous leur aspect d’identité. Mais cela aussi n’est qu’un stade dans son progrès vers la réalisation finale, où une montagne est une montagne et une nappe d’eau une nappe d’eau. Si cet état de grande fixation est tenu pour définitif, il n’y aura aucun renversement, aucun éclatement de satori, aucune pénétration, aucune vision de la Réalité, aucune libération des liens de la naissance et de la mort (l).
(l) Voir ce que Shrf Râmakrislina dit de l’état de vijnbna, qui vient seulement après le sam&dhi (L’enseignement de Rûmalcrishna. o p . cit., 4 1373 à 1392),ce que Shrf Aurobindo dit du Supramental (La vie divine, passim) et ce que Râmana Maharshi appelle alma-vichdra, la recherche du Soi (L‘enseignement de Râmana Maiiarshi, Paris, Albin Michel, 1972) (N. d. T.).
X L e kô-an et le nemboutsou
L’EXERCICE DU
KO-AN ET LE NEMBOUTSOU
Nous sommes maintenant en mesure de voir quels sont les rapports entre l’exercice du kô-an et la pratique du nemboufsou. Le Bouddhisme chinois s’est développé selon les deux lignes du Zen e t du nemboufsoue t l’étude de leurs relations nous fera mieux connaître quelques-uns des faits psychologiques fondamentaux de la vie bouddhique e t aussi, je tiens à l’affirmer, de toute vie relig‘ieuse. Parmi les circonstances qui ont conduit au traitement mécanique du kô-an, on peut mentionner la vogue du nemboutsou sous les h a n e t les Ming. Nemboutsou (en chinois nien-fo) signifie littéralement penser au Bouddha »,et sa pratique consiste particulièrement en la récitation du nom du Bouddha Amitâbha (0-mi-fo-foen chinois, amida-boufsouen japonais)., Historiquement, nous pouvons retracer l’origine de l’enseignement du nemboufsou jusqu’aux tout premiers jours du Bouddhisme dans l’Inde. En Chine, le premier groupe connu de fidèles du nemboufsou fut la Société du Lotus Blanc, dirigée par Houeï-iuan (l). La démocratisation graduelle de la foi bouddhique tout au long des dynasties successives favorisa la diffusion du nemboufsoupar toute la Chine, à côté du Zen, plus aristocratique. Considéré superficielle((
(l)
Mort en 416.
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K 6 a n et nemboutsou
ment, le nemboutsou est l’exact opposé du Zen, car, tandis que dans le Zen on ne dépend de personne en dehors de soi-même, avec le nemboutsou on s’en remet exclusivement au Bouddha. Mais quand on analyse la psychologie du nemboutsou, on trouve, dans la récitation du nom du Bouddha telle qu’elle est pratiquée par les fidèles du Pays pur, quelque chose qui correspond à la a tenue )) du kô-an dans le Zen. C’est ce terrain psychologique commun qui permit au Zen et au nernboutsou de se rapprocher l’un de l’autre. Au commencement, le nern boutsou n’était nullement mécanique. Penser au Bouddha vint d’abord, et l’invoquer par son nom suivit. Mais, comme en toute autre chose, le contenu, qui détermina d’abord la forme, est plus tard déterminé par elle, c’est-à-dire que l’ordre est inversé. Un fidèle peut invoquer le nom du Bouddha sans nécessairement penser au Bouddha, à ses vertus excellentes, à ses vœux salvateurs ; mais, à mesure qu’il répète le nom, il fait monter en lui tous les souvenirs et images concernant le Bouddha et, sans qu’il en soit conscient, il s’absorbe de plus en plus dans la contemplation de l’Adoré (1). L’invocation commencée mécaniquement est maintenant tournée dans une direction qui n’avait pas été prévue. La nouvelle psychologie ainsi introduite commença d’influencer les adhérents du kô-an vers la fin de la dynastie Iuan, et il y eut quelques maîtres Zen qui prirent résolument position contre elle. Ils virent le danger pour le kô-an de devenir une sorte de récitation du nemboutsou, car en pareil cas Sesprit du Zen e t la raison d‘être de l’exercice du kô-an auraient été détruits tous deux. Même lorsque la pratique du nemboutsou devint à peu près générale, au X V ~siècle, envahissant jusqu’aux monastères Zen, les maîtres lui résistèrent, conseillant à (1) Le lecteur aura intérêt à se reporter au témoignage minutieusement détaillé que donne Swami Râmdâs sur l’efficacité de cette technique dans le cadre de l’Hindouisme (Carnet de pèlerinage). Voir également Jean Herbert, Spiritualité hindoue, édition de poche, p. 447 à 454. Paris, Albin Michel, 1972.
L’exercice du kô-an et la praiique du nemboutsou
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leurs élèves de voir qui est-ce qui fait appel au Bouddha ou récite son nom. Par exemple, Tou-foung Tsi-chan (l) qui mourut probablement vers la fin du X V siècle, ~ dit : (( La principale chose est de comprendre la signification dernière de la vie ;efforcez-vous donc, e t n’épargnez aucun effort pour voir qui fait l’invocation du nom. Le mot qui est très important ; concentrez-vous sur ce seul mot. )) Tch’ou-chan Chao-ts’i écrit à l’un de ses disciples : ci L‘idée de l’invocation est d’arriver à connaître que le Bouddha n’est pas autre que votre propre esprit ; mais qu’est-ce que cet esprit ? Examinez d’où vient votre pensée qui vous fait prononcer le nom du Bouddha ; quelle est son origine? Mais vous devez aller encore plus loin que cela, et chercher à découvrir qui est cette personne qui veut voir l‘origine d’une pensée. Est-ce esprit, ou Bouddha, ou matière? Non, ce n’est rien de tout cela, disent les maîtres. Qu’est-ce donc (2)? n C’est ainsi que les maîtres traitaient le nembouisou en relation avec l’exercice du kô-an, pour ceux qui voulaient arriver à la maîtrise du Zen. I1 n’était nullement question de perdre de vue l‘esprit d’investigation. Les citations suivantes d’instructeurs Zen sous les dynasties Iuan et Ming montreront quelle était la tendance dans le monde de la pensée aux X I V ~et X V ~siècles. T’ienjou Oueï-tsê, qui enseignait au début du X I V ~siècle, fut un grand personnage sous la dynastie h a n , et il n’est pas douteux que le mouvement nemboutsou progressait alors avec vigueur, empiétant sur le domaine du Zen. Oueï-tsê ne pouvait négliger ce fait e t il désirait définir clairement en quoi le Zen différait du nemboutsou et jusqu’à quel point l’un s’accordait avec l’autre. Dans le deuxième volume du recueil de ses Paroles (iu-Zou), il est écrit : (( I1 y a certaines personnes, actuellement, tant parmi les laïques que dans la confrérie, qui désirent, par le (1) Dans les Maîtres Zen fumeux de l’époque Ming, ouvrage compilé par Tchou-houng. (*) Ouvrage cité plus haut.
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Kô-an et nemboufsou
moyen du nemboutsou, renaître dans la Terre de pureté et qui se demandent si le nernboutsou ne doit pas être distingué du Zen. De mon point de vue, ils ne savent pas reconnaître que Zen et nemboufsou ne sont pas la même chose et sont pourtant la même chose ; car l’objet du Zen est de comprendre le sens de la vie, et c’est aussi l’objet du nemboutsou. Le Zen vise directement l’esprit en chacun de nous, déclarant que voir dans la nature de chaque être, c’est atteindre l’état de Bouddha, tandis que le nernboutsou se propose d’atteindre la Terre de pureté, qui n’est pas autre chose que le propre esprit de chacun, et de voir dans la nature originelle de chaque être, laquelle est Amitâbha luimême. S’il en est ainsi, comment peut-on différencier le nemboufsou du Zen?Nous lisons dans un sûtra que c’est comme si l’on entrait dans une grande cité pourvue de portes des quatre côtés ; les gens venant des différentes directions trouveront tousleur entrée, car il y a plus d’une porte. Mais, une fois entrés, ils sont tous dans la même cité ; Zen et nemboutsou s’adressent chacun à un type spécial de caractère et c’est tout. Dans le nemboufsou, on peut distinguer entre ce qui est efficace et ce qui ne l’est pas. Pourquoi? Si l’invocation du fidèle ne va pas plus loin que ses lèvres, tandis que son esprit n’est aucunement occupé à penser au Bouddha, cette sorte d’invocation n’est pas efficace. Mais si ses lèvres et son esprit travaillent conjointement, dirigés vers le Bouddha pendant qu’il récite son nom, en sorte que son esprit fonctionne toujours en union avec le Bouddha, alors son nemboutsou apportera sûrement son résultat. Supposez un homme, un rosaire à la main et récitant le nom du Bouddha avec les lèvres ;si en même temps ses pensées sont dans un état de confusion, courant à leur guise dans toutes les directions, il est de ceux chez qui l’invocation n’est que sur les lèvres et non dans l’esprit. I1 se fatigue inutilement, toute sa peine se réduit à néant. I1 vaut beaucoup mieux penser en esprit au Bouddha même si les lèvres ne remuent pas, car c’est
L’exercice du kô-an ef la pratique du nemboutsou
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ainsi que fait le véritable fidèle du nemboutsou (1). Ne lisons-nous pas dans un sûtra que tous les Tathâgatas, dans les dix régions de l’espace (z), pensent avec amour à tous les êtres exactement comme une mère pense à ses enfants? Car les êtres qui se noient dans l’océan de la naissance e t de la mort sont comme des enfants errant à l’aventure dans des pays étrangers e t inconnus. Le Bouddha, comme une mère aimante, pense à eux, et, même s’il ne parle pas de son sentiment de compassion, son cceur ne cesse jamais de penser à ses enfants perdus. Si les enfants pensent à leur mère de la même manière, mère e t enfants ne se trouveront-ils pas un jour face à face ? Le sûtra dit donc que si les cœurs de tous les êtres aspirent vers le Bouddha et pensent à lui, ils le verront sûrement, soit dans le présent, soit dans le futur. Le présent signifie cette vie, le futur la vie à venir. S’il en est ainsi, celui qui aspire intensément au Bouddha et pense à lui parviendra très certainement jusqu’en sa présence. Quelle est donc la différence entre parvenir en la présence du Bouddha et atteindre le satori par l’étude du Zen ? Le maître Houan-tchou dit : ((L’étude du Zen vise à élucider le sens de la naissance et de la mort, tandis que le nemboutsou propose à l’homme de régler ses comptes avec la question de naissance et mort; choisissez une voie ou l’autre, car il n’y a entre elles aucun motif de dispute. C’est très vrai, il n’y a entre elles aucun motif de dispute, mais vous ne pouvez vous permettre de les garder toutes les deux. Que le disciple du Zen s’en tienne exclusivement au Zen, et que celui qui récite le nemboutsou s’en tienne exclusivement au nem boutsou. Si l’esprit est divisé entre les deux, on n’atteindra ni l’un ni l’autre. Un ancien maître compare un esprit ainsi divisé à un homme qui essaie d’être dans deux barques à la fois, et qui n’est ni dans l’une ni dans l’autre. Jusque-là, il n’y a (l) Cf. L’enseignement de Râmakrishna, op. eit., f 512. (*) Les quatre points cardinaux, les quatre points intermédiaires, le zénith et le nadir (N. d. T.).
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peut-être pas de mal, mais il peut lui arriver pire à tout moment, car s’il ne prend pas garde il peut tomber entre les deux bateaux. Quant à moi-même, je ne sais pas grand-chose, mais je puis dire ceci, que dans le nemboufsou, ces quatre syllabes seulement sont proposées : O-mi-to-fo, qui n’indiqueot d‘aucune manière, au moins aux commençants en Zen, comment il faut procéder avec elles. Lesdits commençants sont, naturellement, en grand embarras, et ne savent que faire. Dans l’étude du kô-an,au contraire, on vous dit que vous êtes chacun en possession du (( visage originel D qui est le même qui est en tous les Bouddhas, sauf qu’en nous il n’est pas reconnu. Essayez de le percevoir par vous-mêmes, sans dépendre pour cela de personne d’autre. On peut dire que vous avez là une sorte de fil conducteur qui vous permettra d‘avancer dans votre Zen. D Un des premiers maîtres Zen qui introduisirent l’idée du nemboutsou dans leur secte fut Iang-ming Ien-cheou I1 attachait une grande importance à ce que les yogins Zen se consacrassent à la pratique du nemboutsou, à ce point qu’il déclarait que de ceux qui suivent le Zen sans nemboufsou, neuf sur dix manqueront le but final, tandis que ceux qui pratiquent le nemboutsou parviendront tous sans exception à la réalisation ; mais les meilleurs sont ceux, disait-il, qui pratiquent le Zen et le nemlioulsou, car ils seront pareils à un tigre avec des cornes. I1 n’est pas facile de comprendre ce que Iang-ming voulait dire exactement par là, car il ne nous dit rien du c6té pratique de son idée, c’est-àdire sur la manière d‘appliquer Zen et nemboufsou en même temps. Voulait-il dire appliquer le nemboutsou après avoir atteint le Zen ou inversement? Tant que cette question pratique ne sera pas résolue, nous ne nous aventurerons pas à réfuter ou à approuver Iangming. Ce que l’on peut dire. c’est que le nernboutsou
e).
(l)
Mort en 975.
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faisait, dès le x e siècle, de constants progrès même parmi les adhérents du Zen ; Iang-ming, un des plus grands syncrétistes que la Chine ait produits, essayait d’inclure dans son système de philosophie Zen toutes les écoles du Bouddhisme, et le nemboutsou vint naturellement s’y fondre avec les autres. En outre, il y avait une autre raison importante pour que le Zen entendît l’appel du nemboutsou, e t la voici. Le Zen, étant trop philosophique (non pas, il est vrai, au sens ordinaire du terme), risquait de négliger totalement le côté émotionnel de la vie. Le Zen, pour ainsi dire, se complaît dans un satori excessif e t le résultat en est que, souvent, il dessèche ses yeux qui devraient pleurer sur l’ignorance, sur les misères de la vie, sur ce monde rempli d’iniquité. I1 n’entretient aucunement l’espoir d’une terre de félicité et de pureté que ressentent si vivement les fidèles du nem boutsou. Est-ce cela que Iang-ming entendait lorsqu’il disait que le Zen doit être accompagné de nemboutsou ? Les remarques suivantes faites par K’oungkou King-loung, qui enseignait au début du X V siècle, ~ semblent au moins partiellement suggérer cette interprétation. I1 dit : (( Ceux qui pratiquent le Zen s’y vouent exclusivement, pensant ainsi qu’ils s’évertuent à atteindre la quiétude et rien d’autre ; quant à invoquer le nom du Bouddha afin de renaître dans la Terre de pureté, à lui rendre un culte et à réciter les sûtras matin et soir, ils ne pratiquent rien de tel. De ces fidèles, on peut dire qu’ils ont le Zen mais n’ont pas le nemboutsou. Pourtant, en réalite, ces disciples du Zen ne sont pas de la bonne espèce ; ils ne sont bons qu’à prôner l’exercice du kô-an, ils sont tout à fait comme des bâtons, des pierres ou des briques. Quand ils sont atteints de cette sorte de maladie mentale, ils ne peuvent être sauvés, excepté peut-être un sur dix. Le Zen est un esprit vivant, il est comme une gourde flottant sur l’eau, quand on la touche elle danse de plus belle. Aussi est-il dit qu’il faut rendre hommage à l’esprit vivant des maîtres et non à leurs paroles mortes. Mais il y en a d’autres qui,
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pratiquant le Zen, ne font pas f i des enseignements de l’école du nemboutsou e t assistent régulièrement aux services du matin e t du soir. E n réalité, la vérité du Zen peut se rencontrer n’importe où l’on va, si seulement on la cherche. Hsieh-foung travailla dur comme cuisinier partout ou il alla, et Iang-tsi s’employait comme intendant du monastère; ils ne prirent jamais à la légère leur vie quotidienne, tandis qu’intérieurement ils se consacraient au Zen. Iang-ming se rendit maître du Zen que lui enseignait Tê-Chao, e t pourtant il restait tout disposé à propager la doctrine de l’école du Pays pur. N’est-il pas un de ceux qui étaient intérieurement ronds et extérieurement carrés ? Intérieurement, il était tout ce qu’on peut demander d’un Bodhisattva e t extérieurement il agissait comme s’il eût appartenu aux shrâvakas. En voilà un qui possédait à la fois le Zen e t le nemboufsou (1). N I1 y a quelque chose de boiteux dans cetle interprétation, mais on ne peut nier le fait que le nemboutsou, en ce temps-là, était en train de saper rapidement les places fortes du Zen, et nous allons voir que dans la psychologie du nemboufsou il y a un facteur qui peut aisément s’allier avec l’exercice du kô-an dans sa phase mécanique. Car en dépit de son attitude envers le nemboufsou, qu’il considère comme une sorte de pratique de shrâvaka, K’oung-ltou continue en le préconisant comme aussi efficace que l’exercice du kô-an dans la réalisation de la véritable vie bouddhique. Dans une lettre à un autre de ses disciples, écrite évidemment en réponse à une question concernant la pratique du nemboufsou, K’oung-kou lui conseille de dire simplement le nem boutsou, sans adopter nécessairement une attitude d’esprit philosophique, c’est-àdire sans esprit d’investigation. Le point principal, dans le nemboutsou, c’est d’avoir un cœur croyant et de réciter tranquillement sans se laisser troubler par les choses de ce monde. On lit dans cette lettre : (l) Extrait d’une lettre de K’oung-kou King-loung i un de ses disciples, citée dans les Maîtres de l’époque Ming de Tchou-houng.
L’exercice du kô-an et la prafique du nemboufsou
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La doctrine du nemboutsou est la voie la plus courte vers la réalisation de la vie bouddhique. Soyez convaincu de l’irréalité de cette existence corporelle, car l’attachement aux vanités de cette vie mondaine est la cause de la transmigration. Ce qui est le plus désirable, c’est la Terre de pureté, et la voie la plus sûre est le nemboufsou. De quelque manière que vous pensiez au Bouddha, intensément ou non, de quelque manière que vous invoquiez son nom, à haute voix ou tout bas, ne vous laissez contraindre par aucune règIe, mais gardez votre esprit ordonné, tranquille et en contemplation silencieuse. Lorsqu’il aura atteint un état d’unité que l’entourage ne trouble pas, un jour un incident quelconque provoquera en vous, d’une manière inattendue, une sorte de révolution mentale, et par là vous verrez que la Terre pure de la Sereine lumière n’est rien d’autre que cette terre-ci et que le Bouddha Amitâbha est votre propre esprit. Mais vous devez prendre soin de ne pas laisser votre esprit dans la simple expectative d’un tel moment décisif, car cela deviendrait un obstacle à la réalisation elle-méme. La nature-de-Bouddha est une croissance spontanée en ce sens qu’elle n’est pas un produit de l’intellection, ni de l’imagination. Quand je dis cela, cependant, vous pourriez croire qu’elle est un état d’inconscience, nouvelle grande erreur à éviter. La seule chose essentielle à cet égard, c’est d’avoir un cœur croyant e t de ne laisser s’y mêler aucune pensée non nécessaire et causant le trouble. En continuant ainsi dans la pratique du nemboutsou, si même vous n’avez aucune chance d’atteindre le satori dans cette vie, vous renaîtrez sûrement, après votre mort, dans la Terre pure, où, en gravissant les étapes successives, vous parviendrez finalement à l’état sans retour. Le maître Iu-t’an demande que l’on s’attache à ceci : (( Qui est-ce qui pratique le nemboufsou? Qu’est-ce que c’est que ma propre nature, laquelle est Amitâbha ? )) On peut appeler cela le nemboufsou dit dans un état de tension mentale, ou le nemboutsou accompagné d‘esprit d’investigation. I1 n’est pas nécessaire pour vous de suivre cette méthode; ((
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dites simplement votre nembouisou dans un état d'esprit normal (1). B Cette opinion de K'oung-kou, que le nemboufsou ne doit pas nécessairement être soutenu par l'intensification d'un esprit investigateur, ouvre la voie à la méthode mécanique d'invocation. C'est ce qui souleva les furieuses attaques de Hakouin et de son école contre certains des maîtres chinois du xme siècle et des époques suivantes. Tchou-houng, l'auteur des Maîtres de l'époque Ming, de l'Entrée de Z'encios du Zen et de maints autres ouvrages, qui fut aussi âprement combattu par Hakouin, commente ainsi i'opinion de Koung-hou King-loung : (t La plupart des instructeurs Zen engagent les gens à voir qui invoque le nom du Bouddha, mais King-loung affirme que cela n'est pas absolument nécessaire. Comme on prescrit un remède selon la maladie, ainsi la Vérité doit être enseignée selon la capacité de chacun. Chacune des deux méthodes peut se justifier, et il n'y a pas à décider quelle est la meilleure (2). B Cette méthode d'invocation à laquelle des maîtres tels que King-loung et Tchou-houng donnent leur approbation est basée sur des faits psychologiques, et nous pouvons maintenant commencer l'examen de ce sujet du point de vue du nemboufsouplutôt que! de celui du Zen. Voyons donc ce que signifie, en réalité, le nemboufsou. NEMBOUTÇOU ET GHOMYO
Nemboutsou, ou buddhûnu-smrifi en sanskrit, signifie littéralement K penser au Bouddha B ou a méditer sur le Bouddha P, et c'est un des six sujets de méditation énumérés dans la Mahâuyuipatti. Ces six sujets de méditation sont : l o BuddhQnu-smriti ; 20 Dharmbnu-smriti (penser au Dharma) ;30 Smghûnu-smrits' (à la Communauté) ;40 Shîlânu-smriti (à la moralité) ; 50 Tyaqânu(l) Ouvrage cité. (=)Biographies des maîtres Zen fameux de I'époque Ming.
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smriti (au renoncement) ;60 Devatânu-smriti (aux dieux). C‘est aussi l’un des cinq sujets de discipline mentale appelés ou f’inghsin, c’est-à-dire les objets par la pensée desqmels l’esprit est tenu zi l’écart des vues erronées. Ces cinq objets sont : l o L‘impureté du corps? dont la pensée combat la convoitise et la sensualit.6; 20 La compassion, contre la colère; 30 La causalité, contre l’infatuation ou la sottise ;49 Les six éléments, contre la notion d’un ego-substance ;50L’exercice de respiration, contre la perturbation mentale. Bien que je ne puisse trouver exactement comment cette substitution s’est faite, le quatrième sujet (les six éléments :terre, eau, feu, air, vide, et conscience) est remplacé par ia (c méditation sur le Bouddha B (nemboufsou) dans le commentaire de Tchih-tchê au Saddharma-pundarîka. Selon un ouvrage appartenant h l’école T’ien-taï de Tchih-tehê, cette méditation est considérée comme propre & combattre la Iourdeur d’esprit, les mauvaises pensées et les calamités physiques. C‘est une chose hien naturelle pour les bouddhistes de méditer sur leur instructeur, dont la grande personnalité fit sur eux, en une certaine mesure, plus d‘impression que son enseignement. Quand ils se sentaient manquer d‘énergie dans leur recherche de la vérité, ou quand leurs esprits étaient troublés par toutes sortes de tentations mondaines, le meilleur moyen de renforcer leur courage moral était, sans aucun doute, de penser à leur instructeur. Au commencement, le nemboutsou était une pratique purement morale, mais à mesure que le mystérieux pouvoir d‘un nom s’emparait davantage de l’imagination religieuse des bouddhistes indiens, le fait de penser au Bouddha comme à une personne douée de grandes vertus disparut et fit place à la répétition de son nom. Comme dit un philosophe :Nec nomen De0 quaeras; Deus nomen esf. Le nom vaut la substance p) ; en certains cas, il est beaucoup plus efficace que ce qu’iI désigne, car lorsqu’on sait le nom d’un dieu, on peut (*) Shrî Râmakrishna disait : I, Dieu e t Son Nom sont identiques 11 (op. eit., 8 505)(N. d. T.).
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mettre ce dieu à son service. I1 en a été ainsi depuis les temps les plus reculés de toute histoire religieuse dans le monde entier. Quand le Bouddha Amitâblia obtint son illumination, il voulut que son nom (nâma-dheya) résonnât à travers tous les grands chiliocosmes, afin de sauver tout être qui l’entendrait. Mais le sûtra qui rapporte cela (1) ne parle pas encore de la seule prononciation de son nom. Les expressions employées sont : dashabhish chiffofpâda-parivarfaih,dixneuvième vœu du texte sanskrit, signifiant : En répétant dix fois la pensée [de la Terre pure ] ; prasannachîftâ m u m anusmareyuh, dix-huitième vœu, qu’ils se souviennent de moi avec des pensées pures ; ou aniasha elcachiftotpâdam api adhyâshayena prasâda-sahagatena chiftam ufpâda-yanti, x [Tous les êtres] élèvent leur pensée, ne serait-ce que pour une fois, avec dévotion et sérénité n (”. Chiftofpâda ou anusmriti, penser [au Bouddha] »,n’est pas la même chose que c prononcer le nom ».Le Praiyutpanna-samûdhi-sûfra,qui fut traduit en chinois dès le I I siècle ~ par Lokaraksha, oii il est fait aussi mention du Bouddha Amitâbha de l’occident, e t qui est par conséquent considéré comme une des premières autorités de l’école du Pays pur, parle du nom du Bouddha dans cette phrase : Le Bodhisattva, qui, en entendant le nom du Bouddha Amitâbha, désire le voir, peut le voir en pensant constamment à la région où il est. )) Le terme employé ici est penser 1) (nien en chinois), et non prononcer ». Chaque fois que le Bouddha devient un objet de méditation, quelle que soit l’école à laquelle appartienne le fidèle, Hînayâna ou Maliâyâna, ((
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( l ) Le Sukhavati-vyûha-sûtra. C’est un des trois principaux sûtras de l’école du Pays pur, qui sont : l o Suichavati-uyûha, qui traite de la Terre de félicité habitée par le Bouddha Amitâbha, et des 48 veux (43 dans le texte sanskrit) d‘Amitâbha ; 2 O Sûfra des méditations sur le Bouddha Amitâyus, où Shâkya-muni enseigne à la reine Vaidehî à pratiquer seize formes de méditation sur la Terre de félicité et son Seigneur ; 30 Sûfra d‘dmitâbha, généralement connu sous le titre de Petit Sukhavati-vyûha, parce qu’il décrit aussi la Terre de félicité (Sukhavatî). Amitâyus («Vie infinie D)et Amitâbha ((1 Luinière infinie >I) désignent un seul et même Bouddha. (z) Pour les citations, voir Max Müller, p. 14,15 et 17.
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Zen ou Chin, -on a toujours pensé à lui comme à une personnalité, non seulement physique, mais inspiratrice de vie spirituelle. Dans le Sûtra de la méditation sur le Bouddha de Vie infinie, cependant, on enseigne aux fidèles à dire : Adoration au Bouddha Amitâbha. Car s’ils prononcent ce nom du Bouddha ils seront libérés des péchés commis dans toutes leurs vies, pour cinquante millions de kalpas. E t si un homme à l’agonie ne peut penser au Bouddha à cause d’une douleur intense, il est dit qu’il lui suffit de prononcer le nom du Bouddha de Vie infinie (Amitâyus). Dans le Petit Sukhavatî-vyûha, l’auteur recommande aux fidèles de tenir présent à l’esprit 1) (manasi-kara) le nom du bienheureux Amitâyus le Tathâgata, qui leur fera quitter cette vie avec un esprit tranquille quand le moment viendra. En accord avec ces instructions des sûtras, Nâgârjuna écrit dans son Commentaire sur le Dasha-bhûmika (chapitre V, De la pratique facile )I) que si l’on veut atteindre rapidement le stade sans retour, il faut tenir le nom du Bouddha dans un esprit rempli d’une pensée de vénération. On peut trouver quelque différence dans les termes entre tenir dans l’esprit et prononcer ou invoquer »,mais pratiquement, tenir à l’esprit le nom du Bouddha, c’est le prononcer avec les lèvres, silencieusement ou d’une façon audible. Le glissement du centre de l’attention dévotionnelle du (( penser D au prononcer »,du souvenir à l’invocation est un processus naturel. Tao-tch’o (l), dans son ouvrage intitulé An-lê-tsi (2), qui est une des principales sources de la doctrine du Pays pur, dit, citant un sûtra : Tous les Bouddhas sauvent les êtres de quatre manières : 10 Par l’enseignement oral du Bouddhisme, tel qu’il est rapporté dans les douze catégories d’Écritures bouddhiques ; 20 Par leurs traits physiques de beauté surnaturelle ; 30 Par leurs pouvoirs ((
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(1) 562-645, un des plus grands adeptes de l’enseignement du Pays pur. (a) L e livre de la paix et du bonheur.
594
Kô-an et nembouisou
merveiueux, leurs vertus et leurs transformations ; 40 Par leurs noms, qui, lorsqu’üs sont prononcés par les êtres, ôtent tous les obstacles et assurent la renaissance dans la présence du Bouddha. n Et Tao-tch’o ajoute : réel: existant; 11. 453 J - kôtis. I. 219 ; - III,
1101: 1102, 1114. 1115, 1118. 1119: bhûtatâ, bhûtatathâtâ. I. 109. 170 ; v. réalité, tathâtâ; v. éléments : - nâna. I. 170. bien et mal, I, 248. Biographies des grands prêtres, J, 209, 211 sq., 218.
223, 228. Biographies des maîtres Zen fameux de l'époque Ming. II, 565?567 sq., 590.
331. 335. 422. 429. 431 :
-II, 455 sq.. 463,470.474. 486. 500, 515, 518, 521.
528. 561, 571 sq.? 632; 652, 667 ~ q . . 672-675. 679, 683. 690-693. 696, 706 sq. J - III: 809. 812. 815. 816, 822. 475, 838; son départ de Chine, I.
355 : massage de -* thème de kôan, I. 208, 246, 331. 335 ;Emits de -. I j 20. 273. Rodhiruchi, I. 103. bodhisattva (s.). I, 38, 40. 75 sq.. 79,88,112,115 sq.. 118 sq.. 123, 142 sq.. 145. 148, 218, 232? 257, 275? 343, 414. 437: - II, 449, 452. 456, 588. 599, 621 sq.? 715. 760 sq., 774, 783-789. 791. 793 sq. (- et arhat) B. -shîla-sûtra. I. 245 ; v. Dasha-bhûmika.
1185
Index général Bodhisnie, I, 194. Boehme. Jacob, I. 150. Bokitsoii. v. Mou-Tchêh. Bokoujou. v. Mou-tcheou. Ronar, Horatius. II. 713. Bosntsou Nemboutsou Sammailyo, II. 617. Bossuet. II. 739 sq. Roiiddha. v. Gautama, Shâkyairiiini ; v11 par ses disciples : - Amidâbha. II; 581. 603. 607, 632; comme objet de méditation : corps du -> II, 516: - III. 1068; enseignement du -, II. 544.
611. 628. 709. 757, 798 ; 111. 1059. 1107 : ses poii-
-
voirs miraculeux : Bouddhas dii passi.. I. 142. R. futur ; &tatde -. I. 19.77. 117. 195, 208. 243. 278. 383? 422, 429; - II. 538. 578, 584. 727. 746 sq..
768 : - Ill. 837. 843. 930. 961. 975. 984. 1102 sq.. 1120. 1128: graiid -petit -. II. 615; - KâsIiyapa. II. 645 ; langue dii -. II, 642 ; - Maitrep. 11; 529: nature d e -, II. 519 sq., 525. 528. 531, 536. 543; 501, 568, 589. 600 sq.. 613, 620. 626. 639. 680. 682, 748. 766; - III, 1098. 1137? 1138. 1177, v. buddl-iatâ ; v. illumination. 1. 75. 238, 243. 251. 259 sq.. 387; nom de II. 531, 582 sq.. 587, 590. 593 sq.. 596 sq., 602 sq.. 606 sq.. 612. 614, 626. 618, 622, 625. 635; - III. 1031 : œuvres di1 -, -I
TIT, 1106 : présence du -, II7 585; puissance de -> III, 890 J - de la Quiddité. III, 849: II, 691 ; ierres de -. TIT. 879, 883, 908, 939. 1092 : - Univers. III, 868 ; - Vairochana, TI. 514. TIT. 1143 J vertus de 111; 893 ; v. buddha. Bouddha-bhadra, 111, 863. Boiiddha-rriitra. 1, 201. Bouddha-nandi. I, 201. Bouddhisme. en général et place di1 %. dans le 1.45 : - chinois. 1. 113. 193 : - et taoïsme. I. 133 ; - et confucianisme, 1- 134 : essence du -. Li. 505 sq. : - hînâyâniste. II, 778 ; - mahâyâniste. TI. 476. 722. 773. 778 ; principe fondamental du -* II. 492 : - Shin, IT. 728, 731. 737, 743, 747. 749 sq.- 756. 771 sq., 789, v. christianisme. islam, uiahâyâna. etc.: v. métaphysique : - et jaïnisme. I. 143. Roiikkô. v. Fa-kouang. Rouriki. v. Ouên-si. Boun-yên, (ch.). Ouên-ien J v. Iiin-mên. Bourignon, Antoinette. II; 502. Brahmâ, I. 145. 161. 163, 288. 303 : - IT. 716. 786 : - TIT. 927. 928. 933; -?
-1
1186
Index général
- exhortant le Bouddha, I,
145; 212.
brahma-charya, I, 169. Brahmâdeva, I, 195. Brahma-jâla-sutta (p.)" I, 171 sq., 160 ; (- sûtras, S . ) ;
I, 160. Brahman, IT,
771.
Buddha-charita
(S.)-
I, 142,
155, 188. Buddha-chitta ( S . ) ? (ch.) Fosin, I, 312. buddhânusmriti. v. nemboutsou. Ruddhatâ
(S.)?
I, 62, 67, 76,
78,81, 112: 128. 194,252, 260, 262, 271, 275 : - 11, 543, 560. 564, 726-730, 743 ; 1'. ou. Buddha-vamsa ( S . ) > I, 142.
C
Chandrôttara-dârikû-siitra.
1. 90.
Chang-tsh'uan Kou. IT. 693. Chan-sing (ch.). (j.) Zensho.
I. 275.
II, 514, 605. 608, 614, 618.
Chan-tao,
Chan-tchao de Fên-iang. II.
517. Chao-lin (Ch.). II. 473 sq. - seu, Shôrinji. I.
(i.)
- IT. 471.
Chao-ting. II. 709. chars, parabole des trois
456. 219 : -?
1,
437. Charyâ. III, 1035. chatush-kotika ( S . ) ? I, 324. Chêng, IIT. 810. Chêng-kouang (ch.), (j.)
Shôko; I, 225 sq.; 387. Chêng-tcheou Tsi, I, 202. Chêng-t'san. I,21. Chên-houeï, 11: 463 ; - 111. 810; 827; 829, 830, 833.
cakkhu, Candrottara ... etc., I. 144: v. chakkhu. Chandrottara .... etc. Calderon, II, 726.
Chên-hsiou, II. 474: 479. Chên-kouang. II. 471. Chên-nieri de Chou-chan7 II;
Carnet de Pèlerinage, I, 408 ;
Chên-siou (ch.), (j.) Jinshou,
I
- TT, 482. Cathay, I, 128. cause, sûtra sur la - et l'effet. I, 57.142 ; v. origines interdépendantes, I, 143. caverne. - obscure. - des démons. I. 273, 347. 401. chaityu, II, 687. - III, 984. chakkhu (p.). chakshus, I, 143 : v. œil. Chakravada, III. 980. chandra-garbha. v. Taï-tsi
iueh- tsang-King.
518.
I. 241 sq., 245 sq., 252, 255, 273. Cheou-an, (j.) Schouan, I, 412. Cheou-hsiun, II. 664. Cheou-touan. de Paï-ium, (j.) Shoutan, de Hakoii-oun, 1;
292: - JT, 651 sq. chetana. (ch.) sseu. Il, 718. chetayitvâ, TI. 718. cheto-vimutti (p.)?(s.) chittavimukti, 1. 75: 85; 168. Cheu-tsi (ch.), (j.) Jissaï. I,
40.
1187
Index général Chiang-hsi. 1. 46. Chien (j. Kan) de Pa-ling, ( j . )
Haryo, I. 139. Chih-chouang? (j.) Sekiso. T. 358. - 11,700,704 sq.. 707. Chih-chouang K‘ing-tchou.
TI. 681. Chih-chouang
Sing-k’oung.
II; 077. Chih-fan, II, 549. Chih-koiing, II. 665 sq. Chih-men Tsoung. JI? 677. Chih-ou K’ing-houng. II. 644. Chih-tchouang. TI. 554. Chih-t’eou, II. 512. 514. 748 : - 810. 81 1 : - Si K’ien (j.) Sekito Kisen. 1. 32 sq. 209, 241. 252, 330. - II, 672. Chih-t’ien Fa-hsiuri. II, 572. chî-li. v. sharîra. Chiliocosnir, Il,468. Chin, Chin-chou. Chinran. I. 5 2 ; - TI. 593, 595. 618. 623. 625, 628; - 111. 949. 1028 : v. Shin, etc. Chin, de Tchôsa. v. Tchangcha K’ing-tch‘ên. Chine, écoles du Z. en - contemporaine. I. 268,
363. 45, 193. 204, 266. 307 sq., 353. 376. 419: langue chinoise et Z..1, 417. 419.
chinois, esprit - et Z.. 1.
113.
chintâ (s.). pensée >). au sens du choiijyo. I.36. ((
chintamûni, III. 981. chitta (S.). I, 80. 110 : - TIT,
846. 906, 977. 989. 993. 997, 1003. 1006, 1008: >-
chittaîkâgrata. I.98. Chittamâtra. III, 1083. chittani-nopalabhyate. I, 415 . Chittotpâda, III. 966. Choix de poésies T’ang, TIL
911. chôm.yô. (ch. ) (tch’eng-ming, 11- 598,604,607.633.637, Chou. II. 482. 652. 698. Chouan-king, (j.) Sôkei. I.
297. Chou-chan. (j.) Shouzan (Xes.). 1. 319. 325. 335. 351 : - II. 520. Chou de Taï-houeï. Choueï-liao. II, 673. Choûji-chô. 11. 624. Choujyo. T. 36. Choun. I. 143. Chouo-chan Chih-kieh, TI.
634.
181, 183: 407. 420; - II; 598, 738. 741. 748, 790 : v. Jésus.
(:twist, I, 52 sq.-
Christiaiiisrrie. comparé au bouddhisme et au Z.. I. 53 sq.. 182 sq.. 272. 309. 316, 321 sq.. 408 sq..
415 sq.. 434 : 753. 769.
-
TI. 751.
cinq dynasties. les - dynasties : Z.sous les -. I.129.
Cinquante premiers discours de Gautama le Bouddha. I.
437. Colossiens. II. 741. Commentaires sur le Bashahhzîmika. II. 593. communauté. ou fraternité bouddhiste, I. 88, 197. 231 : v. sangha. cornplications (kô-t’eng = kôan). I. 299.
Index général
1188 compréhension intuitive, I, 146, 261 ; v. prajnâ. concentration, v. dhyâna, taï-i, fixation, I, 298. conduite, entrée dans la Voie par la -, I, 214 ; v. éthique, shila ; Sûtra de la - morale
Daishi, III, 1168. Daitâ Kokushi, III, 1143. Daïto, I, 379. Daïzo-Hossou, I, 437. Damas, II, 480. Damboin, 1. 277.
du Boddhisattua, I, 260. Confiicius, I, 12 sq., 17, 23, 134 sq., 142, 289; confucianisme, I, 125, 134 sq.,
darshana (s.) (= drishti, vue philosophique), I, 71 ; (connaissance intuitive)? I,
225,316 ;confucianistes, I, 131,252 ;-et bouddhisme. I, 134 ; - et Z., I, 289, 377. Conseils sur la pratique de la méditation, II, 554. contemplation, I, 97, 99. contradiction, procédé des maîtres Z., I, 330 sq. contre-question. procédé des maîtres Z., I, 351. Corée, écoles du Z. en -, I,
363 ; - III, 1165.
corps, triple - du Bouddha, I, 51,418 ;v. trikâya ;- de la loi, I, 51 ; - dharmakâya, - de bénédiction, v. sambhoga-k., - de transformation, v. nirmâna-K. Au sens de substance, v. bhâva. Cosmos, II, 726, 730. Cowell, I, 188. Croix, chemin de la, II. 505. cyprès, kôan du -, I, 331.
D daigi, (ch.) taï-i, II, 543, 579. Daihijou, I, 396. Daïmokou, II7 560. Daï-o Kokoushi, II, 499.
dûna, II, 750.
317. III, 863, 864, 972, 914, 975, 976, 1010 ;- sûtra, II, 783,789. dassana. I. 148. 150. Davids, %YS, 1,'97,142, 160, 184. déisme, étrangcr au Z.,v. reli-
Dasha-bhûmika.
gion, christianisme.
De la méditation assise, IT,
493. De la pacification de l'âme (Méditation sur les Quatre Actions) ; (Bodhi-Dharma) ;
I, 211, 214. délivrance, v. moksha, 1,
71,
100. 231. Dengyô, III, 1168. De Profundis, I, 15. Dermenghem, Emile, 1: 434. désir, v. k â m a ; - de possession, v. pauvreté, I, 379. desseins, actions sans -, pauvreté en -, I. 112, 272. Deva, I, 118. Devatâ, I, 303.
Devatânu-smriti, II, 591. Dhamma-pada (p.)? I, 78, 169,174 sq., -11; 714.717,
724 ; - III. 1030. dhâranî, I, 98,356,380 ; - II,
578, 612, 616, 639 ; III, 1019, 1021,1022.
1189
Index général 55, 57-61, 64. 67, 72, 80. 83 sq . 87. 100, 105 sq.. 141.144 s q . 163. 165, 174. 177. 179, 184. 202 s q , 214. 216 sq.. 230 sq.. 233. 245, 247, 249. 332. 341. 348. 418, 438: - II. 497. 520. 533, 536, 556. 559. 603, 654. 656. 658. 669. 676, 689. 692, 727, 765. 776, 782, 785. 793, 798. - TIT. 875, 909. 915. 923. 930 corps de -_II. 516, 766. lampe de -> II. 711 œil du -_II. 622 ; roue dii -* I. 57 ; - II, 649. Salle du -_II. 510, 674. 688. 701, 704
Estrade (Sûtrude l'-). I,
dharma. I.
245. dharmatâ, II, 727, 767.
768. dhâtu. II. 472 Dhritaka. I. 201. 203. dhyâna (5.)- (p.) @na. (ch.) tch'an. (j.) zen. I. 84, 87.
94. 126 174 251. 273. 487. 732. 916.
~
Dharma, v Rodhi-Dharma. 1. 208. 211. 21.3" 218 s q .
221. 223-227. 308. 353.422 dharmu-dhûtu, IT. 452. 620. 782. 861, - III. 891, 913. 920, 942. 957, 970. 976, 981. 991 994. 996. 1 136. Dharmakara. III. 1119
352. 601. 870. 948.
990.
~
dliarma-krîycl ( 5 ). I. 51. 106.
302. 345, - TI. 495, 517. 600, 666, 820. 886: - III. 600. 666, 820, 886. 1123. 1124. 1132 Dharma-laksha ( 5 )" école - : v Hosso. I. 77 dharma-nairâtrrij a. I. 112.
Dharmânusmriti. TI. .590 Dharma-pudu. 111. 813. 821. Dharma-raja. 1. 293. Dharrriaraksha. 1. 275 Dharma-rutnakûta-sî (j .) Yegou (Nayin -). I, 323. Houeï-iuan hsiu-liao, 11: 546:
574. Houeï-iuan, II, 514: 581,638. Houeï-k’aï, II, ’708. Houeï-k’ê. III: 809, 812; 813,
814. Houeï-kiao? (j.) Yekakou, I,
339. Houeï-k’in Fo-kien de Taïping, II; 637. 660, 663. Houeï-k’ing, ( j . ) Yê-sei, I? 37. Houeï-k’o (ou Houei-k‘ê, Chênkouang). (j.) Yeko, 1,
102 sq., 113, 213, 220 sq.? 225-231: 241, 431; II, 463, 470, 474, 490, 492, 692. Houeï-lang, II, 748. Houeï-lêng, (j.) Yêryo, I. 37.
Houeï-nan de Houang-po. II,
642, 647, 655. Houeï-nêng, ( j . ) Yeno: sermons de - (v. Estrade, Sûtru de /’-). I, 32. 41 sq.,
46 sq., 125, 128. 193, 205, 209. 222, 240, 259, 262, 264, 268, 273: 27’7, 308, 313; - II. 468, 474, 480, 486. 491, 495. 498, 510, 521. 525, 540, 561, 635, 659. 669, 755 J - III; 808, 809, 812; 822. 827: 833, 856. Houeï-seu, I> 185; 241. Houeï-t’ang l’sou-sin, (j.) Kwaïdo, I. 289 : - II, 642. Houeï-tchao de Chou-chan, II, 748. Houeï-tchoung. (j.) Tchou, I. 404 : - IT, 515. Houeï-tsi, (j.) Yekajou, 1; 353 ; v. lang-chan. Houng-jên, (j.) Gounin, I, 46.
22, 238-242, 245 sq.. 249 sq.? 255, 27’7, 330; - II, 475, 491. ’755; - III? 809. Houng-tchilh. IT. 779. Hôyen. de Gosozan, v. Fa-ièn. de Ou-tseii-chan.
Hsil TI. 526. 632. Hsiang, I,
229 : - II7554.
hsiang-djou7 III; 946. Hsiang-ièn. Hsieh-saung. etc.. v. Siang-ièn. Siehsoung, etc., I, 267; - II.
558; 664. Hsiang-tcheou, II.
653.
hsiung-tchi, TIT, 846. Hsieh-foung, TI. 588. Hsi-kêng, II7 637. Hsien-cheou, I. 16.
Index général Hsieh-soung, I,226. Hsien-tsouiig, empereur.
1195 1 1.
267. hsin. I, 232 : - II, 576 ; - Ill.
806. hsing. 1. 238. Hsing-houa. II. 519. Hsing-iuan Fou. TI. 657. Hsing-szou. III. 810. Hsing-ts(eu de Tsïng-iuan. I.
268. Hsin-hsin-ming, 1- 232. Hsin-tcheou. 1. 242; - II.
475. h i o u . II. 551. Hsioung-ioung. TI. 514. Hsiuan-cha. II. 519, 663. Hsiuari-kiao. I, 263 sq.. IT.
i (ch.). v Taï-i. doute: II. 551. 558, 576. Iang. district. I,02. Iang-chan Houei-tsi, (j.) Kiôzan Yekajou. I. 267. 327.
350. 353. 361, 364, 388.
Tang-chan, II. 644, 661, 670. 677 ; - Ioung. II. 684. Iane-iuan. II. 473. Tang-k'i. (j.) Yôgi, I. 294. 368,
413. 425.
lang-ming Ien-cheou. II, 586. Iang-taï-nien. ( j .) Yodaïnen,
I, 294; 305.
Hsiuan-ts'eu, I.
Iang-tseu-kiang. II. 690. lang-ts'i Fang-houeï, II, 571. Tang-tsi. II; 588. 637. 650. I-an Tchêri. IT, 532. ho-chan, II, 490. Ibn al Fâridh, I, 434. Idzumi. III. 808, 861. 862.
Hsiuh-tcheu i tcheu t'eou tch'an, (j.). Gouteï? I.
Ien-cheou. III, 811. Ten-kiao Ta-chih. II, 681. lèn- Kouan. (j.) Yenkwanan,
497. Hsiiian-tsang. (j.) Gengô. 1:
125. 135. 343 J - Il. 601. 264 sq. ; - II. 497. Hsiueh-ien. II, 549. 554. 39 sq.
571. H S ~ U - ~ C ~ II, O Z514, L U ~642. . 646. 650. 657?660. 663. Hsuan-tchiao, III. 846. Hsu-tcheou. II. 549. Huang, empereiir, I. 143. Hsieuh-teou. II;
Huang-mei-chan. (j.) Wobai, I,239, 330. Hubbard. H. L., II. 738, 770. humilité dans le Z.,I, 392.
394.
Hu-Shih, Ill,828. Hyakoujo, v. Paï-tchang.
Ièn, 11, 459.
J. 357. Ièn-t'eou. (j.) Ganto. I, 299. I-fêng; période de la dynastie T a n g , I. 249. ignorance. selon le bouddhisme. I. 24, 26, 68, 80. 97 J illumination et -" I, 141. 230. 306. v. avidyâ. I-haï, II, 643. I-houaï de Tien-i, II, 647.
i-hsing. II. 601. i - k h g , err. pour i-ts'ing. I.
111. 137. 139. îkshana. 1. 149. illumination, (s.) bodhi, sam-
Index général
1196 26, 59; Zen et -, I, 45, 64 sq.?68, 216,312 ; Maître de la Parfaite II. 658 ;v. ignorance ;- et nirvâna, I, 13 ; - et liberté, I, 81: aspects pratiques de Y-, I, 127 ; - du Bouddha, I, 65, 14, 76, 85, 104, 116, 137, 141 sq., 151, 210: v. bodhi, I,
-?
Pratyâtma. Imitation de Jésus- Christ, II,
769. In-chêng, I, 432, 434. Inconcevables, actions -, (s.) achintya, I, 113. inconscient, v. âlaya, I, 35; - II, 466, 468, 498. 543,
Investigation, Esprit, d’
-?
II,
5’73, 511, 519, 583, 588, 781. Iong-kiao l‘instructeur ; v. Tuan hsien e Kou-chan. Ioung-ming Ien-cheou, (j.) Yenjou de Yôrneiji, I. 293. Iou-t’an, II, 569. Ippen Shônin, II, 625, 621, ’749, 800 ; - III, 1172. irrationalité du Z., I. 46, 322, 334 ; v. intellect, logique. Isan. v. Ouei-chan. Ishin Seigen. v. Ts’ing-iuan. Ishvara, I, 424.
Islam et Z.. I. 282. 434.
466. 471, 515, 520, 581, 611, 637, 674, 693, 704, 709, 168. Indra, III, 928,934,981,984. 1006.
Itchiren-in, Il. 145, 741. i-t’ouan, II, 561 ; - III, 847. Ztivuttaka (p.), I. 171, 113. I-tsing, (j.) Gijô, I, 125. ittihâd, I, 435. h a n , dynastie. Z., sous les I, 129, 300, 3’72 ; - II, 569,
Inscriptions ou Inscrits sur l’esprit croyant. I, 232 ;-II,
Juan de Chouang-chan, II,
570. Inde, II,
556. Inshore, v. In-tsoung. instantanéité de I’illumination, I, 114, 254 ; école instantanée du Z., I, 253; v. abrupte. intellect, ses limitations et dangers, I, 16. 79, 108 sq., 233 : compréhension intellectuelle et c. spirituelle, I, 84,146 çq., 190,312,332 ; caractère intellectuel du Z .,
I, 58 sq. In-tsoung, (j.) Inshou,
I. 249,
258. 404. intuition dans le bouddhisme, I, 72 ; - dans le Z., I, 311.
346.
-?
581, 583, 595, 637, 114.
550. han-Fo-kouo, II. 664. Iuang-t’oung, II, 643. han-ho, II, 190. han-hsien de Kou-chan, II,
638. I u ~ - o u II, , 461, 528. 698. Iuan-ou Tch‘an-chih (k’o-k’in, Fo-kouo), (j.) Yango, I, 39, 293, 305,
338, 409.
han-ouei, dynastie, I. 103. han-tcheou Hsieuh-ien Tsouk’in, II, 550. han-tchih, (j.) Yentchi, I,
258. han-tsoung, II, 115. Iu de Tou-ling. 11, 650.
1197
Index général lueh-chan. 11.
Tueh-chan
Jambûnada. 111.
557.
Ouei-ièn, (j.) Yakousan. 1- 131.241.309.
330. 358 sq., 426. iueh-chih (ch.). 1. 381. Iueh-houa. II. 692.
897.
832. 891,
James.. Williams, 11. 463. 502. Japon. 11. 466. 479, 605.
607. 612. 638. 697. 754. 174. Jarâ-niaranani, I.154. Iueh-ting Tao-loun, 11, 682. lu-Lou (ch.), (j.) Goroukou, Jâtaka (p.), 1. 142: -TJ. 715. Jâti, I. 154. Dits ou Paroles des rnaîtres Z..I.132. 357 : - de Rao- Jayata. I. 201. fêng ; - de Tchao-tcheou. I, Jehova, I.410. Jên, 1. 261. 297. Iun-feng, II. 557. J6n t’ien ien mou (Les y e u x Tun-fêng Ouên-iueh. (j.)? Oumpô Moriyetsoii. 1, 281. Iun-foung Ouên-iueh. II, 649. luri-ièn
Tan-chêng.
(j.)
Ougan Donjo. I. 231. 359. lun-kaï Tchih-ioung. Il.689. Tiin-kiii Si, (j.) Oiingo Shakoii. I,359. Juri-kiu Tao-irig, (j.). Oiingo
Dôvo. I, 360.
un-riiên, (j.)-
Ounirrion, I,
22 srir 38. 1.24. 139 : - II, 458. 307. 510, 519. 525, 529. 534. 545. 571. 678, (397. 706 : - IOU. II. 507. Iun-niêri. rnoriastère. I, 23. lun-mên, Ouêii-iên. (1.) Oummon, I. 281 5 q . 325 5 q ,
329, 348. 409, 414. 417, 423, 425 sq Iun-mên T’an-sin. II. 681 Iu-t’an. II, 589 lu-tchoiing. TI. 698
887, 899. jhâna (p.). I.175 sq.. 180 :v . dhyâna.
Ji. secte. II. 625. Jirriyo- v. Ts’eu-ming. Jîna.I.106. 19î. Jinçhoii. v. Chên-sioii. Jiriki, IT, 731 770. Ji-shnii. II. 800. Jissaï. v. Cheii-tsi.
Jizô, III. 1177. jrzâna. II. 799. Jriânagupta. II. 620. jrianin. I. 150. jneya. I. 150. Jô. v. Ting. Job, II.744. Jôdô, bcole. II. 598, 607, 613. 616, 619. 622? 626: 628.
630. 633, 637. 772. 783. 800 ; - Shin. II. 742. Joshou, I, 138. 260, 296 ; v.
J jaïnisme, I, 143. jam. I, 435. Jarnbûdvîpa. III. 986,
des hommes et des dieux).
11; 517. Jésus. I. 54 -11.738.752 ; v. C tiri st. Jetavana. III, 868. 870. 874.
Tchao-tcheou. Jou,
990.
I. 335.
j o u chih. (s.) evam. 11,
5î5.
1198 Jôyemon,
Index général
II, 747.
Juste transmission de la loi, I,
226.
K Kaboul, I, 202. K'ai-huail, I, 231. Kaï-ou (ch.), I, 270 ; v. satori. Kaïsan, v. K'i-chan. kakemono, I, 324. Kakouan, peintre Z.. I, 436. kalâpat, III, 980. kalavinka. TIT, 995. ( S . ) ? I, 142, 190, 202, 319 ; - II. 450. 724, 788. Kâma, v. souillures, I, 97, 167, 169. Kamakoura, I, 39, 300, 378 ; - III, 807, 1153. 1157, 1171, 1173.
kalpa
Kan, de Haryo, v. Chien, de Pa-ling. Kânadeva. I, 201. Kannier, Conrad, II. 733. Kanokou, TI, 698.
Kanzan Kokushi, III, 1143. Kao-fêng han-miao, (j.) Kôho, I,
295, 298; - II.
564. karma, I. 59, 126, 131, 133,
145, 168, 173, 176. 214 sq., 336, 418: - II. 559, 714, 717, 721, 724, 728, 730, 743, 767, 778, 782, 797 ; V. 341, 345 : - II. 537. 724, 759. 779. 789: - 111- 863. 1007. 1039 sq.. 1087 sq.. 1092 sq.. 1099. 1104 sq.. 1125.1132?1177.
547. 599. 606, 774. 777, 781 sq. Prajnâ-pâramitâ ( S . ) , I. 80, 93. 109, 124, 135. 139. 142. 161. 177. 184, 205, 217, 223. 226. 260, 394 : - II. 448. 450, 454. 456, 476 sq.. 480. 487. 489, ,599 sq.. 602, 759, 761764, 766-769, 783. 791: 794 : - III. 807. 813. 829, 863. 908. 909, 914. 965. 969. 1027 sq.. 1033 sq., 1040 sq.. 1044 sq.. 1048, 1099 sq.. 1108 sq.?
Prajnâ, II,
1 116 sq. ; groiipe de textes rriahâyânistes : p . - p . -
sûtra, J. 120. 122. 177. 184. 186. 332 : - III. 860,
908. 912, 965. 1036, 1042 ; p . - p . - hrida,yasûtra, 1. 383 : - 111, 1015 sq. ; doctrine. école de la -. prajriâ-sattva (s.). v. bodhisat-tva, I.75.
prujricî-samâdhi. III. 826. Prajiiâtara. 1: 201 : - 11; 652. prajno-pâ,ya, IT, 784. prakriti. III. 1052. pmnidhâna, v. vœu. I, 189; - II. 724 : - Ill,953, 954. pratique. esprit - du bouddhisme. I. 58, 96, 126> 172 :-des Chinois et du Z..
I, 113, 194, 353. 377.
Pratiqiie de la prksence de Dieu; I, 34. pratîtya-samutpâdâ. 1; 67, 93 J v. origines interdépendantes. pratyâtma-gati. (gochara) (S.).
I, 104. 106.
1211
Index général pratj âtma-+na.
pratyâtniâ-
rya-jriâna ( s ) - I. 105. 109. 195. - gochara. I. 124 pratyeka-bouddha, I. 38. 107, 112. 116. - II, 785, 787 - III. 843. 871. 888. ~
917, 928. 929, 932. 934. 961. 980. 983. 986, 987. 990. 992. 994, 995, 997 b q . 1038, 1084. 1085. 1095. 1097. 1104
Pra I?. Piindurîka I. 77: - TI. 652. 654 . - sûtra. 111. 859 1 î 16, 117 3 . v Saddharrria Piiriparriitra. I. 201 Puni a-yashas. 1. 201 Pûrna. I. 339 Pûrnarriaitrâ! anîpiitra, III.
1O98 Piir Terrain. Tcrrr de puret;. v Pays pur. 1. t317
parva-karma-ilpâka, II. 707 pûrva-praniddhâna. I. 183
Q Quadruple
Liao-chien.
813. Quatre Maxirnrs. 1, 19.
111.
questions. diffrreiites sortes
de -~ 1. 123. 207, 279. 319. 345, 400. 417 sq.: (Di.rhuit sortes de -). rôle des - : - et réporises (j. irioridô). Quiétisme. II. 541. 578: Z. et -. I.273.218 :v. dhyâna. trariqtiillisatiori.
R radcaii. comparaisoii du -_1. 177 sq. rahita ( s . ) ~ 1. 329. raison. entrée dans l a voie par la -. I. 214. raisonnement. v. intellect. tarka. Kakoiihû. V. I,o-~-ou. Kaksliasas. 111. 928. tichaIrishria. I. 939. 350.
+08. 410. 422 : - II. 579. 593. 771 : Ordrc de 1. .‘I Kâriiaria hlaliarshi. I. 345 : - II. a l 1. Kânidâs. Swami. 1. 408 ; - II. 582. 739. -I
Rasan Dokari. v. 1,o-chari Tao-sieii. Ratilarri1)hya. TIT. 986.
IlutrinkGin. Ill. 819. tinvaria. I. 107. 119. rcfiiges. les trois - du boiiddliistc. 1. 88. Rrgles de la S a l k de M6ditalion. II. 774. règles monastiqi1c:s. v. nionas(&res.1.262. ,371 : R+gles de Pai-tcllnrlg. 1. :00. Reïoun, v. 1,ing-iiiri.
1212
Index général
Relevé de la succession dans la 1,oi. 1, 202.
S
religion conscience et expérience religieuses, 1, 1 6 ; fondateurs de I. 4 8 ; évolution des - s, I, 4 8 ; développement du bouddhisme en -> I, 88 ; Z. et -, I, 316 ; v. christianisme? Islam. Religions et Sociétés7 II. 733. renaissance. libération de la -_ I, 1 6 7 : - du Pays Pur (4. v.)?v. naissance et mort. repas, - dans les monastères I, 381 -385. répétition. procédé des maîtres Z., I. 338. Rkponses à quelques p e s tions concernant le Puys -?
z..
pur. II, 595. retour, (c - chez soi », I, 181. 288, 438. Rirrirriei, III; 1165. Ririzaï. école, v. Lin-tsi, I? 268. 278? 436 ; - rokoul I. 395. Risan. v. Li-chan. Rishi. - s. J. 164. robe patriarcale (ou nianteau): 1. 232, 243 sq.>246. Rolle, Richard, II, 738, 744. Ronia-kûpa: 1, 119. rÛpu ( s . ) ~ III. 1057. 1071, 1075, 1079 : - kûyu, 1; 51 1 8 0 ; - Il, 766; v. riâma-
rûpa. Ruskin. I. 30. Ruysbroeck. II. 733 sq. Ryônin. 111, 1171. Ryozoiii?v. Tiang-Souei.
Sabatier, Paul. JI, 499. sabba-dukkha, I? 175.
sâbhoga-karma, IT, 788. sabi. III; 1152, 1162. sacchi-kato, 1. 144.
Sacred Rooks of the East? I. 117 ; - TI. 760. Sadâprarudita, II, 759-766, 768 sq.
Sad-dharma-pundarîka (S.). TI. 465. 591. 594 ; - III. 821, 813, 814, 867; - sûtra, 1, 63. 77. 86, 92, 115, 121. 181, 2 4 5 ; samâdhi. Sâgaramegha, III: 973. sâgara-rnudrâ-samâdhi (s.), I, 93 : - II, 546. sahaloka, I. 185. sahwu'l-jam, I. 435. Saigyâ. III. 1153. saint Augustin, Ij 53; - JI, 752. saint Bernard, II; 756. saint Bonaventure, 11, 752. saint Esprit. 1. 377 ; - II7 467. saint François. II. 499, 741 ; II, 741. Vie de saint François d'Assise. 1,373. saint Jean. T1 53. saint Mathieu, II. 752. 769. saint Paul. I>5 2 sq. ;- II; 480, 741. saint Pierre, I,S 3 . saint Victor. Hiigiies de; 1; 434. sainte Thérèse d a v i l a . I.434. Sainte Voie. TI. 751. 755. sal-âyatana, sad-âyatana. I, 154. -
-.
1213
Index général salle de niéditation. (ch.) tch'an t'ang. (j.) zendo, I, 315. 371. salut dans le bouddhisme. v. Pays pur. Amida. çaniâdhi (s.). I. 93. 97. 101, 112, 127, 174, 185. 220. 264 5 9 . : - 11; 579. 602, 607, 617 sq.. 622: 762, 785 : - 111, 868. 873. 874. 888, 921, 923, 922; 928. 929. 932, 939. 971, 979 : v. dhyâna. Swmâdhi
~ L Miroir L
Sacrk,
III.
810. samâhita, 1. 98. Sâmanna. I, 169 sq. Sâmanna-phala-Sutta. 95 sq.?98. 167 sq.
I.
sarriarita. I, 144.
Samantabhadra. III, 874 sq.. 880, 883. 888. 890. 903. 904. 965. 1008. samâpatti. (s.). 1. 100 ; - TIT. 916. 917. T37. Samayehhedô - paracharia chakra. 1. 61. sambhâra. II. 784. sambhoga-kâya (S.)* I,51. sambodlzi? I. 141. 149. 171. 194. 306. 312: - 111. 1041 sq.. 1081. 1089. 1094 : v. bodii, anuttarasarriyak -_ illurnination. Sarngha. III. 965. Samghânusmriti, 11, 590. Sanigha-pâla. 11. 600. sarnjiiâ ( s . ) . (p.) saAAââ. I. 100: - 111. 1057. 1071.
1079, 1209.
sarrirriüd-aAAâ-viiriiitti (p.) I _I
76. sarnrnâpanriâ. 1; 180.
I
samouraï, 111. 1146. (S.)IT, ,567. 63.5 637:-1T1.1117.1119:-~t nirvâna. 1, 26. 108. sarnskâra ( s . ) ~(p.) sankhâra. TIT, 1057. 1071. 1079, 1109. Samyukta-Agama (s.). I. 58. samsâra
111.
Samyutta, I. 184. Samyutta-Nikâ.ya (p.). i. 83. 142. 180 : - IT, 715. San-chêrig Houei-jaii. ( j .) Sansho Yerien. I. 267. 353 : - IT7 520. 679. Sandhana. 1. 95. sanditthika. 1. 72. sangha ( S . ) - I. 90, 100. 197. 231. t371 ; II. 798: V.
moriastère : sanghâniismriti :- nandî. I. 201 : - yaslias. I. 201. sarijâriariairi. 1. 148. sankhâra. v. sarnskâra. I.154. 180. San-k'ing 011 i-k'ing. II. 57.3. corrirniiriautb.
Sari-Toiin (ch.).. (j.)- Sariroii.
secte, I. 129 : v. shiinyatâ. m âd ti yami k a. saAli& v. sarrijhâ- I. 180. Sari-pirig, TI. 666. Saiirou (scctc), v. San-louri.
santâna. III.986. sari-tch'an (ch.). (j.) sarixen. I.
399 SC].
Sap ta - sha tikâ - I'rajriâ -para /nitC-s&t/-a.II, 601 sq. Sarilrcc~~icrïrnânâin .shlîty&. IT. 488. srrrimjriC/îl. 111. 969. 1007.
10:H 1040. 1041. 1042. 1044. 1059. 1091 sq.-
1214 1102, 1104 sq.: 1114, 1117. sat et asat ( s . ) , I. 179. 327 : v. être et non-êtrej dualisme. satori (j.). (ch.) ou. ou-jou ( s . ) parâvritti. I,36, 42, 269-
275: 280-283, 286 sq., 289-292, 294 59.. 300, 302-306. 308-312: 431 ; - 11.448.454 sq.. 457?459, 461-470 sq.. 497 sq., 500, 504. 508 sq.. 523, 527, 535. 544 sq.. 560 sq., 563. Fi65 sq., 570. 574 sq., 585, 597. 633, 635? 641. 643, 648, 651 sq., 634 sq., 661. satya (S.)? (p.) saclicha; vérité. Schopenhauer. I. 186. O (Hsiuèh-teoii), 1. 39. O, v. Ts.ing-kiii7 I. 436. Seisiisou Seki, abbé de Tenryouji, I. 438. Seïzei. v. Ts'ing-chi. séjour d'été. d'hiver. I. 395. Sekiso. v. Chih-chouang. Sekito. v. Chili-teou.
Sky-ts-an. I. 230, 232. Senjakoci-chou, TI, 615, 617.
Seniyakou - nemboutsou houginan-chou. v. Passages relatijs au Nemboutsou et aux h u x originels. serinons de maîtres Z.. recueils de -: citatioris, I. 22. 40. 328. 337 sq.. 370. 380. 396, 410 sq. : v. rnondo. Sermons de Taï-houeï- 11.
Index général Setsougan, v. Siueh-ien.
Shabda-brahman, 11. 639. Sahkra, III, 928, 930. 933. 988?998. Shakra-devendra. IT, 763, 765. 768. Shakrenda, II. 456 ;-III. 890. Shakti, II, 771. Shâkya? I. 221 : - III, 868, 893. Shâkya-muni (s.) : I,51. 82. 108. 198, 201 sq.. 383. 403. 424: - II. 456, 715. 727. 754. 771 800 : - TIT. 841. 1165. 1173. 1174. Shamatâ, shamatha ( s . ) . I, 99 ; - IT. 497. Shanavâsa, I . 201. Sankara. le fondateur de I'Advaîta-vedânta hindou,
1. 123. shânti (s.). I. 177. Shâriputra, I. 81 sq.. 84. 86. 118; - II,793; - III. 888.
1016. 1017. 1097, 1098. sharîra
(S.).
(ch.) chê-li, 1:
391. shâstra (s.), J7 126, 200, 229; 275. 308. 426 : - 11: 477 : -s
et
rnahâyânistes : v. sîitras
-. 1; 65.
Shatasâhashrikâ, TIT, 1118. Shifoukou, V. Tseu-fou. Shiko. v. Tçeu-hou. Shikshânarida. I. 103 ; - III.
SPrmori.s-tr(~il~.~s7 Eckhart. I. 409.
863. shîla ( s . ) . I, 97, 152? 176. 255 : - II. 516. 759. L!hîlânusmriti,II, 590. Shilpâbhijnâ, II, 451.
sesshiri. session (d'été. d'hiver). v. tche-sin.
Shin, v. Bouddhisme. Shirigon (j.). 1. 66; - Il7 560 ;
533.
Index général III. 1016. 1022. 1040. 1167. 1169, 1174.
1055. 1001. 1065. 1069. 1080. 1081. 1085.
Shiriran. Shôriiii. foiidateirr de la secte Shin. 1. 5 2 : - IT. 742 sq.. 747 sq.. 754 : - TIT.
1089 sq. : école de la (j.) Sharirori. I. 205: v. Mâdhyaliika. viclc. Slzlîrangarria. II. 777 : - TIT. 908 : - sûtra (s.). I.339. Siarig-ièii. (j.) kyôgeri. 1. 283 sq.. 323. 328. 413 sq. Siarig-lin Tiiaii. ( j . ) Kôrin. I.
-
1172. Shin. S h i - s h o u (j.)- I. 52. Shinto, III. 1176. sliippe. 1. 36. Shôgun. 111. 1 1 58. Shôichi Kokoiislii. TI. 503.
-%
335. Siarig-Liii
Sliôkô. v. Çliêrig-kouang. Shôriiiji. rrioriast$re. v. ( h o lin-tseii. Shoshitsoii. v. Bodhidliarrria : Si.r rssais de - 1.
21 1 273. Shôtoku. III. 1127. 1 165. ~
stioujo, v. t781, 812; 812. 8 1 3 ~ Ten, de Hofoiikou, v. l‘chan.
de Pao-fou. 1, 39.
817. 819.
Têrig In-foiiiig. (j.) Tô Irnpo. I, 363 sAq. Têng Iu-lerig. II. 512. Têng-Koiian. 111. 809. 810.
945. Tennyson. I, 37. Teiiryou. v. T’ien-loirrig : Tenryoiiji, monastère. 1;
396.
679. T’icn-ning. 11. 459. tien-sin. II. 480. t-icri-taï ch.)^ (j.) Tendai. é5:1: -Mari, TI.
-
622, 629 sq.. 743:
744. 770. Theologiw germinnicn. TI. 757, 790 sa. Thessalonicieris. I. 372. Tesshi-Kakoii. v. T’ieh-tsoui Ki ao .
Teiiiju-sutta (p.). 1. 71. textes; recueils de - Z.. 1.395 : v. littérature. Thor, I j 411. T”ieh-tsoui Kiao, (j.) Tesshi Kakoii, 1, 331. Tïen-chan, II. 557. T’ieri-chan K’ioung. IT, 553. T’ien-i Houei-t’oung. II, 684.
kourrn. II. 777. T’ien-tchoii ‘r(.Ii’oiirig-houaï,
II, 684. T’ieri - t’oiing Hou ai’-k.ing II, 689. T~ieri-ts‘iChoiieï, IT. 565. Ting. (j.) Jô. I. 304. 36%sq. : - I T , 505 sq.. 510. Tirthya. I. 107. Tissot. R. P. Joseph. II. 770. Titan. II. 333. ti-tch’arig (ch.).teisho, I. 396.
Lôh.yukou. IT. 738. Tôfoukouji. II. 503. Tô Inipo. V. T h g Iri-bung. tôki-no-ge. teou-ki-kia. I L
641. Tokiwa. I. 213. Tokoiisari. v. Tê-chan. Tokousho. v. l’ê-chao. Tokiigawa. Ill. 1152, 1158 : - Shôgiinatc. 111, 1175. Toreï. IT. 779. Tôçou Daido. v. T’eou-tseu Taï-t’oiing.
Toii-choii1i. III. 811, 813. T’ouei-in. TI. 538. T‘oueï-kêrig. JI. 549.
Index général
1222 Tou-foung Tsi-chan. II.
583. Tou-ling lu. Toryô.
(j.)
Ikou
567. de
toun, toun-kiao (ch.); I. 430 ; - II: 468: v. abrupte (école). Toung (fleuve). Il. 676. Tourig-chan. (j.) Dosan. I, 131 : - IT. 458. 469, 511:
525, 529, 545. 676. 748 : III. 810. Toiing-fêrig, II. 518. -
Toung-ping de Chao-tcheou.
I. 327. Tourig-po, V. Sotôba (SOU). Toung-houang, II. 476; 497 ; - III. 808. 820. Toun-kiao. II. 479.
Jou-tao Iao-nên 111, 832. Tou-ouêng. II3 557. Toun-ou LOUlZ.
tranquillisation? 1. 273 ; les cinq sujets de -, I, 100 :-et contemplation, par Tchih.
1. 1. 127. - du Z., I. 70, 198, 312, 421 ; v. Lampe ; Annales de la véritable -, I. 202: Orthodoxe - du Dharma. I, 199 ; Juste - de la Loi. I, 226 ;juste - de la doctrine de Shâkya, I, 221 ;
Transmission,
Traité sur la - de la foi, (j.) Ketchymia-kourou. I. 274. travaii dans les monastères Z..
I? 372 sq., 386. trésor? triple -> v. refuges (trois -) . trikâya ( S . ) * 1; 51, 131, 418.
Tripitaka: III: 812; 824, 973, 1085. 1086: - chinois, I,
69. 232. 437: - II, 454.
535. 620. 668. 798: Buddhist -. II, 599. Triple Trésor. 11, 547. Triple véhicule, II. 511. trishnâ ( S . ) > (p.) tanhâ. I. 146. 154 _ _ .. Ts"ao-chan. (j.) Sozan, J,
323.
351. Ts'ao-toung (ch.) (j.) Soto. I. 219. 268. 278. 3h3 : - II.
459. 706. 250, 263, 268. 344 : - II. 659. Tseu-fou, ( j . ) Shifoiikoii. I, 350. Tseu-hou. (j.) Shiko, I. 387. Tseu-ming, (j.) Jiniyo, I. 39. 352: 368 sq. : - II, 638. Ts'ian, I. 207. Ts'i de Tun-kiou, II. 643. tsien, tsien-kiao (ch.).I. 430 : Ts'ao-ts'i. (j.) So, 1.
v. gradation. tsien-koii, I, 96. Tsien Tsi-i. 11. 456. Ts'i-hsien de Lou-chan.
TI;
643. tsi-iuan, TI. 541. Ts'in. dynastie, bouddhisme en Chine avant les -, I, 23,
133. Tsing, province. I, 335. Ts'ing-chi. (j.) Seizei, I: 323. Ts'ing-iuan Ouei-hsin, ( j . ) Seigen, Ishin. I, 25: 323. T'sing-ping Ling-tsoun. II. 686 sq. Ts'ing-tcheou. (j.) Seijou. I,
296. tso-kun, tso-tchou (ch.).tapis ou natte (q. v.). I, 267 :- II.
642. Tso-Ling-iu. (j.) Toiyô, I, 294.
Ikou
de
Index général Tso-tch’an (cti.). v. zazeri ;
Tso-tch’an, I, 3 7 6 : - II. 493, (De la Me‘ditation
assise). tso-tchoii. I. 267. Ts’oiiei. goiiverneiir de l’ch’eu. I. 46. Ts’ouei-ièn. 11. 209: - K‘otchhri. (j.) Soiieigan Kashiri. I. 348, 368. Ts’ouei-oueï. II. 674. 687 ; - Ou-siao. (j.) Soui-bi Moiigakoii. I. t391 : - I I . 686. Tsoii-in Kiu-iiî.. II. 052 sq. Tsoii -i uari . v . Fo - kou an g . tsoukerriono (j.). I. 381. T’sou-king. II. 533.
7hungchitig-tou (Antiales du .&fit-oit-S)irituel). TIT.
1223 L-draka. 1. 262. 1 :[~iLmbarika-sîliunûdu-suttania (p.). I.95. 1111. kôan de I ’ « L n » . I. 296 5 q [Tiidcdiill. I.437 iipâdâria (p ) ” I. 146. 154,
172 ~
[Tpagupia I. 201 Lpâka. 1. 131 iipâsaka ( s ). 1. 88 sq /ipâ,yz~111. 897. 9rJ3. 1037. 1038. 1091 5q 1098. 1106. 1107. 1 1 1 9 . - k n u s halya ( 5 ) 1. 77. 92 5‘1 . 2IA :307 330 - II. 678. 768 ITptiarri. Thomas C: , II, 739
811. Tsourig-Tin. Il. 693. Tsoiing-nii. II. 463 : - de Koiieï-fî.rig. 111. 810. 81 1. 815. Tsoiing-iiian. (j.) Sogen. I. 283 sq. Tsourig-kieii. I. 208. Tsoiing-tch’iti. (j.) Sôji. I. 226. X I , Tsoii-siri. v. Houei-t‘arig Tushfirci-sûlra. III. 863. Tiishita. III, 928. 929. 954.
955. ~yîgâniistnr-iti.Il.390 sq.
V > ~I. 429.
vache.
))-
vaciiitb. T I . 487. 491 : v. shîinya-tâ : - d^irit&rêt.I. 272 : v. ariâbhoga-rharya. Vaidehî. 11. 620. Vaipulya. Il. 497. Vairochana. I. 208.357, 383. 390 : - IT. 51 1 : - III, 876. 913. 925. 920. 929. 934. 9% 950. 951. 952. 955. 969, 1005. 1008. 1143.
1166. 1173. ccd I . 177. 221 sq., 240.
242. 245. 281 ; - I T 1 475. 482. 487 sq.?491 sq." 515; 791 : - 111. 834 : - PrajnÛpczrwmifâ. TI, 747. Vajragarbha, TI. 784. Vajrârâja. 1. 349. Vajrasamâdhi. I. 90. 128, 223 : - TI. 465 : - sûtra, I, 181 sa.. 217. 219. 221. uâsanâ ( S . ) . I, 111 : - 111. 1139. Vashasita. I, 201, Vashavartin, II, 448: - 111, 927. Vasubandhu, I. 79. 105; 201. Vasudeva. I, 423. Vasiiniitra, 1. 61. Vaux. Thorrias>lord, II. 794. Veda. - et bouddhisme, I, 163 sq. uedunâ (s.), 1. 154. 180 ; -111;
1056. 1057. 1071, 1075. 1079. 1109. 1111. Vedânta, - composé au Z.,I, 353 ; v. tat tvam asi. veditâ (s.), 1: 100 : v. vedanâ. vérité, -suprême. I. 175 intuition de la I. 346 ; quadru-"
-.
ple noble quatre nobles -s (s. ârya-satya, p. âriya-saccha). les véiritls fondarrientales exprimées par le Bouddha dans son premier sermon, T1 14.56.58,78,83 ~
123. 167 sq.. 182. vertu secrète, I, 405. Vide, doctrine du, I7 46, 222, 264 sq.; - TI, 476: 489, 495 ; - III, 908, 913; 916, 1021, 1048, 1100. 1102. 1103, 1104 ; v. shûnyatâ.
I, 317 : -II. 516 : - III. 1019, 1020, 1027.
v;&Û.
Vie des Pieuz adpptes de l'école du Pc~y.spur-~ II; 617. Itigutma, III: 981 985. vijjâ. 1; 148. uijnûna (S.)? (p.) uihhûnw. I: ~
75. 105; 109, 143, 154. 176. 180. 442; - TT7 579: - III. 1049. 2052. 1053, 1055, 1056. 1057. 1071. 1075. 1079. 1111: v. âlaya-vijnâna. Vijnâpti. TI. 718 :- rriâtra, III.
2083.
vikalpa ( S . ) . I, 108. 111.307 : - grahanam, I, 179. uikuruital III, 886, 954. Vimwlwkîrti, 1, 32. 89, 119, 121, 205. 322, 350: - II, 456, 497. 793 : - III. 813,
829, 825, 855; 908. 1166 ; sûtrw. 1, 89, 231, 245. 261, 263; - nirdeshasûtra, II. 791. vimoksha, v. moksha, I. 71. -
99 sq. Vinaya (s. et p.). II 126: 210,
371 ; - IT1 513?654. vinnâna, v. vijriâna, I.
154, 176; 180.
143,
violence des maîtres Z., I. 353 (v. 38: 296. 350. 425) : v. bâtori. Vipâkaja (s.). bouddha, 1: 51. vipashayanâ, (s.) I. 99; - II.
493, 497.
virâgatâ, II,
765.
vîrya? 11: 759. visage
originel,
thème
de
kôari, I, 248, 350. uishaya. III,
904.
Visuddhi-magga,IT, 71S7757.
Index général
1225
Vivekânanda. IT, 604. vmu, (s.) pranidhâna. - du Roiiddha d‘atteindre l~illiirnination. 1. 189 sq. : -x origiriels (s. pûrva-pranidhâna) de la coriscience, I. 93. 183: quatre grands - monastiques, I. 399. voie: v. T a o : - bouddhiste. -aux huit enibranchements,
Yakousan. v. Tuèh-chan. Yakshas. I. 107: - 111. 928.
1, 56. 78. 96, 1?6. 232 sq. :
Yathrî-hhîrlnrn, yathâ-tatharn (s.). I. 112; 150. 152. Ih7.
entrée dans la -. I. 214. volonté, - de vivre et bouddhisrne. I. 187 : - et illumination. - e t Z., I. 150. 156, 182 sq.. 290; 354. l:yûhas.
111. 948. 951.
iyûhrwikurida. III. 954.
W wabi. III. 1152. Waïyi. v. Ta-ouei. Walleser (Max Dr,). 111. 1035. Waiitier d’Aygalliers; A.. TI.
733. Wei, IT, 668. Weltanschaiirig, 1. 172. Wilde, Oscar, I. 15. Wither. I, 333. Wobaï. v. Floiiang-mei.
W&jô-.yôchiûiL.Il, 607. Woolrnan. John. Il. 747. Wordsworth. II. 729.
933. Yania. III. 928. Yarnato-darnachi, 1. 35. Yang-tchan Floueï-tchi. II I.
847. Yao. I. 143. Yao-tchaii Oiieï-yen, III,
169, 171. 173. 175. 179: 783 : - III. 876. 1027. 1031, 1043, 1064 sq.. 1071, 1082. 1088. 1109. yathâvattâ, II, 765. Yegan. monastère. I. 298. - I I . 749.
Yegou. v. Houei-iu. Yejo. v. Nan-iueh (Houaijang). Yeka. v. Houei-k’o. Yekajou. (ch.) Houei-tsi. v. Tang-chan. Yekakoii. v. Houei-kiao. Yeneri. (ch.) Houei-jân, v. San-chrng. Yeiigo. v. Iiiari-ou. 1; 39. Yengou. II. 634. Yenjo. IT, 634. Yenjou, de Yonieiji, v. Ioungmirig len-cheoii. Yeiikwan An. v. Ièri-kouan. Yeno, v. Hoiiei-riêng. I, 273 : -
Y Yagyû Tajirria-no-kami. III.
1160. Yakichi Ataka, 111. 808
849.
850. 851.
III. 1142.
Yentchi. v. Tiiari-tchih. Yerinji. temple. I, 390. Yêryo, v. Houei-Têrig. Yêsei. v. Houei-k’ing. yino. v. karmâdâna, I. 388. Yôdaïneri. v. Iang Taï-nien. Yog6ch6r-a (s.). (j.) Yoiiichiki
1226
Index général
ou Hosso. I. 125, 129, 136,
205, 343 : - II. 482 : - III, 1135, 1168. yojana (S.)? I, 118. Youichiki. v. Yogâchâra.
Youï-chin Chô Mon-i, II, 624. Yuan. TIT. 1027. Yuan-chiao-ching.III. 81 0. Yuan-ou, I. 39. Yuèh-chan, I, 209. yuga-pad (s.). I. 253. Yuishiki. III. 1141.
258, 2747, 354, 373; ses quatre principes, I, 19 ; place dans le bouddhisnie, I, 45 ; le mot -, - et dhyâna (q. v.) ; histoire du -, I, 72, 127; 193 J - et satori, I, 270; méthodes du -* I, 315 : - et religion, I, 316 J v. christianisme, etc. ; v. chinois (esprit -) littérature. etc. Zen (Adams Beck), 1; 25, 70, 407; 436.
z zazen (j.). (ch.) tso-tch'an. I, 376 ; chant du -, I, 396 sq. Zen. définitions, objet et caractéristiques, 1. î 1 , 138,
zendo, v. salle de méditation, monastère: I. 385> 389393, 395? 402-405. 416,
427. Zenna, I, 94 ; v. clhyâna. Zensho, v. Chan-sing.
Zeus, I. 55.
Table des matières
Préface de Jeun Herbert ......................................
7
I. Le Bouddhisme Zen, purificateur et libérateur de la vie ........................................
11
II. Le Zen, interprétation chinoise de la doctrine de 1’Illiimination Avant-propos .............. La vie et l’esprit di1 Quelques problèmes vitaux di1 Boiiddhisme ............................................. Le Zen et l’Illumination ....................... Illumination et liberté spirituelle .......... Zen et dhyâna ..................................... Le Zen et le Lankâuatâra .................... La doctrine de l’Illumination dans le Zen en Chine III. Illumination et ignorance ........................
IV. Histoire du Bouddhisme Zen de Bodhidharma à Houeï-nêng (Yeno) (520-713) Introdiiction ......................................... Avant Bodhi-dharma ........................... Bodhi-dharma ...................................... De Houei-k’o à Houne-iên ................... De Houng-jên à Houeï-nêng ... ... ... ..... .. “ I
45 45 48 64 70 87 94 102
113 141 193
193 198 208 227 242
Table des matières
1230
École du Sud et École du Nord ........... L’enseignement de Houeï-nêng ............ Mort de Houei-nêng .............................
V. Satori. La révélation d’une nouvelle vérité dans le Bouddhisme Zen Le satori, essence du Zen .................... Satori et dhyûna ..................................
249 256 267 269
269 273 Mondos ............ ................... 280 Maturité et décle ................... 286 Totalité de la tr 289 292 Mécanisme psychologique ,................... 295 Le grand doute e explosion .............. 303 Récapitulation ... .............................. 305
VI. Méthodes pratiques d’enseignement Zen
315 Généralités ........................................... 316 321 324 329 333 338 345 Autres stratagèmes ...........,................... 350 cte ................................... 353 .............................. 364
VII. La salle de méditation et la discipline
..................................... 371
Le sun-tch’an ..
..........................
371 378 382 385 389 395 399
Table des matières
1231
La maturation de la matrice sacrée ..... La vertu secrète ................................... La conscience de Dieu ......................... L’état de non-obtention ...... ..... ..... ....... Le langage du Zen ............................... Sermons ...............................................
403 405 409 412 417 421
VIII. Les dix tableaux dii dressage de la vache ..
429
Deuxième série
IX. L7exercice du kô-an .................................
447 447 Une expérience au-delà du savoir 454 La signification du satori dans le Principales caractéristiques du satori ... 462 Antécédents psychologiques du satori avant le système du kô-an. Quelques 469 exemples pratiques ............... 486 Facteurs déterminant l’expérien L’antécédent psychologique et le contenu de l’expérience Zen ............. 498 La technique de la discipline Zen au 508 début de son histoire ........................ Le développement du système di1 kô-an 521 et sa signification ............................. Instriictions pratiques concernant l’exer530 cice du kô-an ........ Quelques généralités kô-an .. ............................................. 541 s personnels d’expérience 545 ........................................... et fonction de l’esprit ........................... 559
X. Le kô-an et le nemboutsou ...................... L’exercice du kô-an et le nemboutsou Nemboutsou et chômyô ........................
581 581 590
Table des matières
1232
La valeur du chômyô (prononciation du nom) dans l’école Jôdô ..................... La psychologie du chômyô et ses rapports avec l’exercice du kô-an .......... L’objet de l’exercice du nemboutsou .... Le mysticisme du nemboutsou et la prononciation du nom ........................... Expérience et théorie ........................... Opinion de Hakouin sur le kô-an et le nemboutsou ......................................
Appendice : Tôki-no-ge .......................................
XI . Le message secret de Bodhi-Dharma ou le contenu de l’expérience Zen .................... XII . Deux recueils de textes Zen : Le Pi-ien-tsi et le Ou-mên-kouan ................................ Le Pi-ien-tsi ......................................... Le cas 55. Tao-ou et Kien-iuan rendent visite à la famille #un mort ............. Le Ou-mên kouan ................................ Le cas 1. Le