Du Createur Biblique Au Demiurge Gnostique: Trajectoire Et Reception Du Motif Du Blaspheme De L'archonte (Judaisme Ancien Et Origines Du Christianisme, 15) (French Edition) 9782503584966, 2503584969


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PROLOGUE
Chapitre I. FONDEMENT SCRIPTURAIRE DU BLASPHÈME DE L’ARCHONTE
Partie II. LES VERSIONS OPHITES DU BLASPHÈME DE L’ARCHONTE
Chapitre II. LE BLASPHÈME DE YALDABAÔTH DE LA NOTICE D’IRÉNÉE SUR LES OPHITES
Chapitre III. LE BLASPHÈME DU GRAND GÉNITEUR YALDABAÔTH DANS L’ÉCRIT SANS TITRE
Chapitre IV. LE BLASPHÈME DE SAMAËL-SAKLA‑YALDABAÔTH DANS L’HYPOSTASE DES ARCHONTES
Chapitre V. LE BLASPHÈME DU GRAND GÉNITEUR DANS LA SAGESSE DE JÉSUS‑CHRIST
Chapitre VI. LE BLASPHÈME DU COSMOCRATOR DANS LE DEUXIÈME TRAITÉ DU GRAND SETH
Partie III. LES VERSIONS BARBÉLO-SÉTHIENNES DU BLASPHÈME DE L’ARCHONTE
Chapitre VII. LE BLASPHÈME DU PROTARCHONTE DE LA NOTICE D’IRÉNÉE SUR LES BARBÉLIOTES
Chapitre VIII. LE BLASPHÈME DU PROTARCHONTE YALDABAÔTH DANS L’APOCRYPHON DE JEAN
Chapitre IX. LE BLASPHÈME DU GRAND DÉMON SAKLA DANS LA PRÔTENNOIA TRIMORPHE
Chapitre X. LE BLASPHÈME DE SAKLA DANS LE LIVRE SACRÉ DU GRAND ESPRIT INVISIBLE
Chapitre XI. LE BLASPHÈME DU DÉMIURGE DE LA GRANDE NOTICE D’IRÉNÉE ET LA RÉFUTATION DES LIVRES II ET IV
Chapitre XII. LE BLASPHÈME DU DÉMIURGE DANS L’ADVERSUS VALENTINIANOS DE TERTULLIEN
Chapitre XIII. LE BLASPHÈME DU DÉMIURGE DE LA NOTICE SUR VALENTIN DE L’ELENCHOS
Partie V. LES « AUTRES » VERSIONSDU BLASPHÈME DE L’ARCHONTE
Chapitre XIV. LE BLASPHÈME DE L’ARCHONTE DANS L’ADVERSUS MARCIONEM DE TERTULLIEN
Chapitre XV. LE BLASPHÈME DU COSMOCRATOR DE LA NOTICE CONTRE MARCION D’EZNIK DE KOŁB
Chapitre XVI. LE BLASPHÈME D’ÉLOHIM DE LA NOTICE SUR JUSTIN DE L’ELENCHOS
Chapitre XVII. LE BLASPHÈME DU GRAND ARCHONTE DE LA NOTICE DE L’ELENCHOS SUR BASILIDE
Chapitre XVIII. LE BLASPHÈME DE L’ARCHONTE DE LA NOTICE D’ÉPIPHANE CONTRE LES NICOLAÏTES
Chapitre XIX. LE BLASPHÈME DE L’ARCHONTE DANS LA SECONDE APOCALYPSE DE JACQUES
ÉPILOGUE : LA CLASSIFICATION DU MOTIF
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 9782503584966, 2503584969

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DU CRÉATEUR BIBLIQUE AU DÉMIURGE GNOSTIQUE

Judaïsme ancien et origines du christianisme Collection dirigée par Simon Claude Mimouni (EPHE, Paris) Équipe éditoriale: José Costa (Université de Paris-III) David Hamidović (Université de Lausanne) Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa)

DU CRÉATEUR BIBLIQUE AU DÉMIURGE GNOSTIQUE TRAJECTOIRE ET RÉCEPTION DU MOTIF DU BLASPHÈME DE L’ARCHONTE

Steve Johnston Préface de Paul-Hubert Poirier Membre de l’Institut

F 2021

Image de couverture: Photographie prise par l’auteur dans le Wadi El Natrum

© 2021, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-58496-6 E-ISBN 978-2-503-58497-3 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117632 ISSN 2565-8492 E-ISSN 2565-960X Printed in the EU on acid-free paper. D/2021/0095/172

P RÉFACE L’ouvrage que publie Steve Johnston et qui est issu d’une thèse de doctorat en sciences des religions soutenue en 2012 à l’Université Laval, porte sur un des thèmes majeurs de la mythologie gnostique, la prétention du Dieu inférieur, qui figure dans nombre de récits gnostiques, à se dire le seul et unique Dieu, à l’instar et à la place du Dieu des Écritures juives. Cet ouvrage constitue la première étude exhaustive de ce motif central et récurrent de la presque totalité des versions du « mythe » gnostique attestées par les sources directes ou par les témoignages hérésiologiques. Aucune étude d’ensemble n’avait encore été consacrée à ce sujet et le seul article à l’avoir traité d’une manière un tant soit peu exhaustive date de presque quarante ans. Or il s’agit d’un thème qui concerne tout aussi bien la représentation de l’archonte, acteur essentiel des mythes gnostiques, que l’herméneutique gnostique des Écritures. Considérant la centralité du motif du blasphème de l’archonte et l’absence quasi-totale d’études sur le sujet, il ne fait aucun doute que cette monographie constitue un apport neuf à la recherche sur le gnosticisme. Au-delà du gnosticisme, il faut y voir également une contribution à l’histoire de la réception des Écritures juives dans le christianisme des deux premiers siècles. Cet ouvrage se distingue par la précision et la profondeur de l’analyse à laquelle les sources gnostiques ou hérésiologiques ont été soumises. Ces sources ont été classées par Steve Johnston selon une typologie largement élaborée par Tuomas Rasimus dans son livre de 2009, dans lequel il soumet à un nouvel examen la catégorie du « séthianisme » élaborée par Hans-Martin Schenke pour la remplacer par celle, plus large, de « Classic Gnostic Mythology » ou « gnosticisme classique », au sein de laquelle il distingue trois ensembles : ophite, barbéliote et séthien. Quoi qu’il en soit de la valeur pérenne de l’étiquette proposée par T. Rasimus, les trois ensembles qu’il isole sont bien documentés par les sources. Steve Johnston reprend cette classification en la modifiant pour y intégrer les écrits valentiniens, et aboutir ainsi à la trilogie « ophite – barbéliote-séthienne – valentinienne ». C’est cette trilogie qui structure l’ouvrage. L’analyse de Steve Johnston se fonde sur une lecture des sources directes et indirectes dans leur langue originale, traduites à nouveaux frais, dans la perspective d’une étude comparative du « blasphème de l’archonte » pour laquelle les approches philologique, historico-critique, exégétique et rhétorique sont mises à profit. La critique des sources occupe une place centrale dans cette approche. La force de l’ouvrage réside dans le fait que son auteur ne se contente pas d’étudier les seules attestations du motif du blasphème

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de l’archonte, mais qu’il caractérise celles-ci en fonction des écrits qui les ont transmises en montrant les relations de dépendance que les œuvres et les attestations entretiennent les unes avec les autres. On aboutit ainsi non pas à un catalogue raisonné des apparitions du motif, mais à une véritable histoire de son développement qui est elle-même un reflet de l’histoire littéraire des écrits transmetteurs. Seule une telle perspective élargie permettait d’aboutir à des résultats autres que purement descriptifs. On peut affirmer sans exagérer que cet ouvrage représente une avancée majeure dans l’étude des mythes et des sources gnostiques, considérés du point de vue d’un motif central, celui du blasphème de l’archonte. Mais la portée de l’ouvrage dépasse largement l’étude de ce motif. Il débouche en effet sur une cartographie partiellement renouvelée des sources et de leurs relations littéraires et doctrinales. Dans sa conclusion, Steve Johnston élargit le débat et restitue au motif du blasphème de l’archonte sa visée et son intention : distinguer le Dieu des Écritures juives du Dieu véritable. Par ailleurs, la reconstitution du cadre chronologique et spatial dans lequel se situeraient l’apparition et le développement du motif du blasphème de l’archonte m’apparaît tout aussi convaincante, comme celle du contexte socio-culturel, à savoir la crise identitaire vécue par les chrétiens en raison de leur séparation d’avec le judaïsme et en raison, dès lors, du débat sur le statut à accorder aux Écritures juives et au Dieu révélateur ou auteur de celles-ci. Steve Johnston adopte sur ce point une position raisonnable, qui s’appuie sur la chronologie des témoignages écrits, en situant l’apparition du motif dès la première moitié du IIe siècle. Ce qui est sans aucun doute une invitation à jeter un regard critique sur les datations tardive du « parting of the ways » initial entre juifs et chrétiens, très en vogue à la suite des travaux de Daniel Boyarin, notamment. L’analyse de Steve Johnston montre en tout cas que cette crise, si elle fut certes sociale, fut non moins et peut-être davantage herméneutique et doctrinale, en tout cas fort diversifiée, comme le montre la déclinaison des variantes du mythe du blasphème de l’archonte. Il me semble également que Steve Johnston voit juste lorsqu’il souligne le rôle qu’a pu jouer, dans la construction du motif, un passage comme Jean 8, 12-58, qui oppose de façon nette le Père de Jésus, qui demeure inconnu aux juifs, et leur Père, qui est le diable. Bien évidemment, une telle entreprise ne pouvait être menée en quelques pages. Il fallait à chaque fois rendre compte non seulement de la complexité des sources, mais aussi de la recherche qui leur a été consacrée. Si la production de connaissances est découverte et innovation, elle est aussi et tout autant retour critique. Steve Johnston a parfaitement honoré ces deux temps de toute enquête scientifique qui se respecte. En choisissant de travailler non pas sur une œuvre gnostique spécifique mais sur un thème ou un motif, Steve Johnston s’est à coup sûr engagé sur une voie plus ardue car il s’agissait alors de suivre à la trace et de recons-

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truire, dans des textes et des témoignages qui ont chacun leur histoire et qui présentent des difficultés propres, le développement et la construction d’une figure mythique, celle de l’archonte et de son « blasphème ». Les différents écrits où cette figure apparaît en offrent autant d’instantanés plus ou moins partiels et dont il n’était pas facile d’ajointer les contours pour en dégager une image cohérente, au-delà de témoignages littéraires qui ont chacun leur personnalité, leur individualité, mais qui, à l’évidence, comme on l’a montré depuis longtemps, entretiennent les uns avec les autres des liens de dépendance, de reprise, de récriture, de révision doctrinale, bref tous ces phénomènes que l’on rassemble maintenant sous l’étiquette d’intertextualité. C’est dire que les quelque vingt écrits distincts ou témoignages patristiques, depuis Irénée de Lyon jusqu’à Eznik de Kołb, que Steve Johnston a patiemment examinés, constituaient chacun comme un dossier distinct dont il fallait rendre compte et prendre la mesure des difficultés qu’il posait avant de pouvoir l’exploiter de façon adéquate et fructueuse. Dans cet ouvrage, Steve Johnston témoigne à nouveau de la perspicacité et de l’acribie qu’il a manifestées dans son mémoire de maîtrise consacré à la correspondance apocryphe entre Paul et les Corinthiens, dont il a tiré cinq articles importants. Au moment de livrer au public cette nouvelle et importante contribution, je formule le souhait qu’elle trouve de nombreux lecteurs qui accepteront de suivre l’auteur dans les dédales d’une enquête complexe mais dont les résultats éclairent d’une lumière nouvelle la construction et la logique de la pensée gnostique. Paul-Hubert Poirier Membre de l’Institut Professeur émérite de l’Université Laval

AVANT-PROPOS Le blasphème de l’Archonte est un motif central de la mythologie gnostique, et pourtant, jusqu’à ce jour, il a été presque complètement ignoré dans la recherche. Vers la fin du IIe siècle, il constituait une des pierres d’achoppement entre Irénée et ses adversaires dans leurs discours sur Dieu. Ces différents touchaient en effet une question très importante dans la construction de l’identité chrétienne, à savoir qui possédait la véritable connaissance de Dieu. Le présent ouvrage est une version remaniée d’une thèse de doctorat déposée à la fin du trimestre d’automne 2012 à l’Université Laval (Québec), après neuf années d’exploration des méandres de la mythologie gnostique. La route fut longue et sinueuse en raison de l’énorme quantité de sources primaires et secondaires à explorer et à analyser, de la diversité des méthodes utilisées, et des aléas de la vie de tous les jours. Mais ces difficultés, bien loin de réduire mes ardeurs, ont au contraire confirmé mon amour pour la recherche dans le domaine fascinant de l’histoire du christianisme ancien et de l’un de ses développements, le gnosticisme. Ce parcours n’aurait cependant pas été possible sans les contributions de nombreuses personnes que je désire remercier aujourd’hui. Ma fréquentation hebdomadaire des membres actifs de l’équipe de la BCNH fut sans contredit l’apport le plus significatif à la réalisation de mes travaux. Je dois beaucoup à messieurs Paul‑Hubert Poirier et Louis Painchaud, qui ont largement contribué à la progression de mes recherches, non seulement par leurs commentaires sur l’un ou l’autre aspect de celleci, mais aussi par leur grande érudition dans le domaine de l’histoire du christianisme ancien. Qu’ils sachent que leur apport dépasse largement le cadre de cette recherche. Je tiens à remercier plus particulièrement M. Poirier qui a supervisé avec patience l’ensemble de mon travail, jusqu’à tout récemment, et qui m’a suggéré un bon nombre de corrections. Messieurs Bernard Barc, André Gagné, Wolf-Peter Funk, Michel Roberge, Jean‑Pierre Mahé, John D. Turner, Thomas Schmidt, Einar Thomassen et André Couture, ainsi que Mme Anne Pasquier ont aussi concouru de différentes manières à faire de ce projet ce qu’il est devenu. Les travaux de Tuomas Rasimus et les nombreuses discussions que nous avons eues au sujet des caractéristiques essentielles des différentes versions du mythe gnostique ont également contribué à enrichir mon exploration du blasphème de l’Archonte. Cette recherche n’aurait pas été possible sans l’appui financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH), du Fonds de recherche Société et Culture du Québec (FRQ-SC) et du Groupe de recherche sur le christianisme et l’antiquité tardive (GRECAT).

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AVANT-PROPOS

Messieurs Painchaud et Poirier méritent encore une fois toute ma gratitude à cet égard. Cet appui financier est avant toutes choses un acte de reconnaissance nécessaire à la réalisation d’un projet d’une telle envergure. Enfin, last but not least, je tiens à remercier très vivement le professeur Simon Claude Mimouni, directeur d’études émérite à l’École pratique des hautes études (Paris) et directeur de la collection « Judaïsme ancien et origines du christianisme », ainsi que les éditions Brepols d’avoir permis la publication de cet ouvrage dans des conditions aussi avantageuses. Cette recherche fut aussi l’occasion de rencontres et d’échanges des plus stimulants, autant au niveau professionnel que personnel. Un merci bien spécial aux membres du GRECAT et du Nordic Nag Hammadi and Gnosticism Network (NNGN), ainsi qu’aux professeurs et étudiants de l’Université Concordia. Je tiens à remercier plus spécialement les personnes suivantes dont la fréquentation m’a été, et m’est encore, particulièrement précieuse : Eric Crégheur, Julio Cesar Dias Chaves, Tuomas Rasimus, Alin Suciu, Steeve Bélanger, Serge Cazelais, Michael Kaler, Jennifer Wees, Victor Ghica. Je dois aussi souligner la contribution des membres de ma famille et de mes amis qui ont toujours constitué un soutien moral essentiel pour arriver au terme de mon parcours. Comme l’existence humaine est ponctuée de rencontres qui ont toutes une incidence plus ou moins mesurable sur la suite des choses, que tous ceux et celles que j’ai malencontreusement omis ci-dessus ou que je ne peux pas nommer ici prennent la part de remerciement qui leur revient. Je tiens finalement à remercier ma conjointe Marjorie, mon inspiration de tous les jours, pour sa patience et son support dans les moments de doute, ainsi que mon fils Samuel, qui donne maintenant un nouveau sens à mon existence ici-bas. Steve Johnston Québec, janvier 2019

TABLE DES MATIÈRES Première partie : I ntroduction . . . . . . . . . . . . . 31 Prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Chapitre I : Fondement scripturaire du blasphème de l’Archonte . . . 43   I.  Unicité, exclusivité et infériorité de YHWH . . . . . . . 43 • Le Dieu universel du livre d’Isaïe • L’universalité de YHWH et les livres des Rois • La souveraineté de YHWH dans le livre de Joël • Le Dieu unique du Siracide • Le Dieu unique et jaloux du Deutéronome • Le Dieu jaloux de l’Exode • L’exclusivité de YHWH dans le livre d’Osée   II. Passages bibliques à l’arrière-plan du blasphème de l’Archonte 59   III. Le motif de l’arrogance royale . . . . . . . . . . . . 59 • L’arrogance de Babylone et de son roi dans le livre d’Isaïe • L’orgueil du Prince de Tyr dans le livre d’Ézéchiel • Les ennemis du peuple de Dieu • La figure de l’Antéchrist • Le motif de l’arrogance royale et le Nouveau Testament   IV. Conclusion et bilan . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Partie II : Les versions ophites du blasphème de l’A rchonte . . 73 Chapitre II : Le blasphème de Yaldabaôth de la notice d’Irénée sur   les ophites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75   I. La composition de la notice sur les ophites . . . . . . . . 76 • Les sources et les matériaux de la notice • La dispositio de la notice   II. Le mythe de la notice sur les ophites . . . . . . . . . 84 • Théogonie et cosmogonie (I, 30, 1-5) • Anthropogonie (I, 30, 6-8) • Sotériologie (I, 30, 9-14)   III. Le blasphème de Yaldabaôth . . . . . . . . . . . . 89 • Texte et traduction • L’introduction commentée (90-91a) • Le blasphème de l’Archonte (91b-92a) • La rebuffade céleste (92b-95a) • La réplique de l’Archonte (95b-99a) • La création de l’homme (99b-111)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Chapitre III : Le blasphème du Grand Géniteur Yaldabaôth dans  l’Écrit sans titre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111   I. La composition de l’Écrit sans titre . . . . . . . . . . 112 • L’inventio et les rédactions du traité •  La dispositio et les problèmes rédactionnels de l’Écrit sans titre

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  II. Le mythe de l’Écrit sans titre . . . . . . . . . . . . 123 • Le monde céleste • La constitution du monde inférieur • Les récits du paradis • Domination des archontes sur le monde et rétribution finale   III. Le blasphème du Grand Géniteur . . . . . . . . . . 132 • Épisode I : le blasphème et la réponse céleste (II 103, 2b-32a) • Épisode II : le blasphème et la manifestation de l’Homme de lumière (II 107, 17b-108, 14a) • Épisode III : le blasphème et le complot des archontes (II 112, 25b-113, 10a)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 Chapitre IV : Le blasphème de Samaël-Sakla‑Yaldabaôth dans  l’Hypostase des archontes . . . . . . . . . . . . . . . . 171   I. La composition de l’Hypostase des archontes . . . . . . . 172 • L’inventio : les sources et les matériaux du traité • La dis‑ positio du traité   II. Le mythe de l’Hypostase des archontes . . . . . . . . . 178 • Le monde d’en haut • Le récit anthropogonique (87, 11-92, 18) • Le récit théogonique (92, 18-96, 15) • L’eschatologie (96, 15-97, 21)   III. Le blasphème de Samaël-Sakla‑Yaldabaôth . . . . . . . 183 • Épisode I : le résumé théogonique (86, 26-87, 11a) • Épisode II : le blasphème de Samaël (94, 19b-34a) • Épisode III : le blasphème de Sakla-Yaltabaôth (94, 34b-95, 13a)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 Chapitre V : Le blasphème du Grand Géniteur dans la Sagesse de  Jésus‑Christ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221   I. La composition de la Sagesse de Jésus-Christ . . . . . . . 222 • L’inventio : les sources et les matériaux du traité • La dispo‑ sitio, le but et la datation du traité   II. Le système de la Sagesse de Jésus-Christ . . . . . . . . . 233 • Le monde d’en haut • Les régions inférieures   III. Le blasphème du Grand Géniteur et de ses anges . . . . 239 • Texte et traduction • Le Dieu suprême (125, 10b-15a) • Le blasphème du Grand Géniteur et de ses anges (125, 15b-19a) • L’aveuglement du Grand Géniteur et de ses anges (125, 19b-126, 3a) • Le Dieu au-dessus du Tout (126, 3b-5a)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Chapitre VI : Le blasphème du Cosmocrator dans le Deuxième   traité du Grand Seth . . . . . . . . . . . . . . . . . 249   I. La composition du Deuxième traité du Grand Seth . . . . 250 • L’inventio : les sources et les matériaux de l’écrit • La dis‑ positio et le but du traité

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  II. Le système du Deuxième traité Grand Seth . . . . . . . 269 • Le monde céleste • Le monde inférieur   III. Le blasphème de l’Archonte . . . . . . . . . . . . 269 • Épisode I : le blasphème du Cosmocrator (53, 24b-54, 14a) • Épisode II : l’impuissance de l’Archonte (64, 17b-29a) IV. Conclusion et bilan de la partie II . . . . . . . . . . . 282 Partie III : Les versions barbélo-séthiennes du blasphème de   l’A rchonte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289 Chapitre VII : Le blasphème du Protarchonte de la notice d’Irénée   sur les barbéliotes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291   I. La composition de la notice sur les barbéliotes . . . . . . 293 • Les sources et les matériaux de la notice • La dispositio de la notice   II. Le mythe de la notice sur les barbéliotes . . . . . . . . 300   III. Le blasphème du Protarchonte . . . . . . . . . . . 305 • Texte et traduction • La naissance de Sophia (lignes 52-60a) • La naissance du Protarchonte (lignes 60b-68a) • Le blasphème du Protarchonte (lignes 68b-75) IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319 Chapitre VIII : Le blasphème du Protarchonte Yaldabaôth dans  l’Apocryphon de Jean . . . . . . . . . . . . . . . . . 323   I. La composition de l’Apocryphon de Jean . . . . . . . . . 324 • La recension courte et la recension longue • L’inventio : les sources et les matériaux de l’écrit • La dispositio, le but du traité et sa datation   II. Le mythe de l’Apocryphon de Jean . . . . . . . . . . . 332 • Le prologue (BG 19, 6-22, 16 et par.) • « Ce qui est » : le monde céleste (BG 22, 16-36, 15 et par.) • « Ce qui a été » : la création du monde et de l’homme (BG 36, 16-64, 13 et par.) • « Ce qui sera » : le salut (BG 64, 13-75, 13 et par.) • L’épilogue (BG 75, 14-77, 7 et par.)   III. Le portrait de l’Archonte . . . . . . . . . . . . . 346   IV. Le blasphème de l’Archonte . . . . . . . . . . . . . 351 • Le blasphème de l’Archonte dans la recension courte (BG 44, 9b-19a et par.) • Le blasphème de l’Archonte de la recension longue (II 11, 4b-22a)   V. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 376 Chapitre IX : Le blasphème du Grand Démon Sakla dans la Prô  tennoia trimorphe . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383   I. La composition de la Prôtennoia trimorphe . . . . . . . 384 • L’inventio : les sources et les matériaux du traité • La dispo‑ sitio, le but et la datation du traité

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  II. Le système de la Prôtennoia trimorphe . . . . . . . . . 386 • Le monde d’en haut • Le monde du Chaos et de l’Amenté   III. Le blasphème du Grand Géniteur . . . . . . . . . . 402 • Texte et traduction • La vantardise du Grand Géniteur (43, 31b-35a) • Le blasphème de l’Archonte (43, 35b-44, 2a) • Le son étranger (44, 2b-10a) • La fin des temps (44, 10b-19a) • L’ignorance des archontes (44, 19b-27a) • Fin de l’apostrophe des puissances envers le Grand Géniteur (44, 27b-29a)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413 Chapitre X : Le blasphème de Sakla dans le Livre sacré du Grand   Esprit invisible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417   I. La composition du Livre sacré du Grand Esprit invisible . . 418 • L’inventio : les sources et les matériaux du traité • La dispo‑ sitio, le but et la datation du traité   II. Le système du Livre sacré du Grand Esprit invisible . . . . 433 • Le Plérôme • Le monde inférieur   III. Le blasphème de Sakla . . . . . . . . . . . . . . 441 • Texte et traduction • Introduction narrative (58, 23-24a) • Le blasphème de l’Archonte (58, 24b-26a) • Commentaire (58, 26b-59, 1a) • La rebuffade céleste (59, 1­b‑4a) • La création du premier modelage (59, 4b-9a)   IV. Conclusion et bilan de la partie III . . . . . . . . . 447 Partie IV : Les versions valentiniennes du blasphème de l’A r  chonte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 455 Chapitre XI : Le blasphème du Démiurge de la Grande Notice   d’Irénée et la réfutation des livres II et IV . . . . . . . . . 457   I. La composition de la Grande Notice (I, 1-9) . . . . . . . 458 • L’inventio : les sources et les matériaux de la Grande Notice • La dispositio, le but et la datation de la Grande Notice   II. Le mythe de la Grande Notice (I, 1-9) . . . . . . . . . 468 • Le prologue (Pr. 1-3) • Les événements au-dedans du Plérôme (1, 1-3, 6) • Les événements extérieurs au Plérôme (4, 1-8, 5)   III. Le blasphème du Démiurge . . . . . . . . . . . . . 491 • Texte et traduction • La substance psychique (527-536a) • La substance pneumatique du mal (536b-549a) • Les éléments corporels du monde (549b-556)   IV. Le motif du blasphème de l’Archonte dans le livre II . . . 513   V. Le sens de la citation isaïenne selon Irénée . . . . . . . 518   VI. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522

TABLE DES MATIÈRES

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Chapitre XII : Le blasphème du Démiurge dans l’Adversus Valen tinianos de Tertullien . . . . . . . . . . . . . . . . . 529   I. La composition de l’Adversus Valentinianos . . . . . . . 529 • La Grande Notice d’Irénée et l’Adversus Valentinianos • Le genre littéraire, les méthodes et le but de l’Adversus Valentinianos   II. Le blasphème du Démiurge (21-23) . . . . . . . . . . 541 • Texte et traduction • L’ignorance du Démiurge (21, 1b-2) • L’origine du Diable (22, 1-2) • La géographie et la composition de l’univers (23, 1-3)   III. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 548 Chapitre XIII : Le blasphème du Démiurge de la notice sur Valen  tin de l’Elenchos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 551   I. La composition de l’Elenchos et de la notice sur Valentin . . 551 • Le genre littéraire, le but et les méthodes de l’Elenchos • L’inventio et la dispositio de la notice sur Valentin   II. Le mythe de la notice sur Valentin . . . . . . . . . . 567 • Remarques de l’auteur (VI, 29, 1) • Constitution du Plérôme (VI, 29, 2-32, 2a) • Création du monde inférieur et de l’homme (VI, 32, 2b-35, 2a) • Rôle du Sauveur et sotériologie (VI, 35, 2b-36, 4) • Conclusions (VI, 37, 1-9) • Le cantique de Valentin (37, 5b-9)   III. Le blasphème du Démiurge . . . . . . . . . . . . . 578 • Épisode I : ignorance et stupidité du Démiurge (VI, 33, 1-34, 1) • Épisode II : instruction du Démiurge et ignorance du monde (VI, 36, 2)   IV. Conclusion et bilan de la partie IV . . . . . . . . . . 590 Partie V : Les « autres » versions du blasphème de l’A rchonte . 599 Chapitre XIV : Le blasphème de l’Archonte dans l’Adversus Mar cionem de Tertullien . . . . . . . . . . . . . . . . . 601   I. La composition des livres II et IV de l’Adversus Marcionem . 601   II. Le Dieu bon et le Dieu juste de Marcion . . . . . . . . 607   III. Les serments, la jalousie et la sévérité du Dieu-créateur . . 610 • Le serment du Dieu-créateur • La jalousie et la sévérité du Dieu-créateur   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623 Chapitre XV : Le blasphème du Cosmocrator de la notice contre   Marcion d’Eznik de Kołb . . . . . . . . . . . . . . . 625   I. La composition du De Deo . . . . . . . . . . . . . . 626 • La date et la tradition manuscrite du traité • Le plan de l’ouvrage • Les sources d’Eznik • Le but et les procédés hérésiologiques du De Deo

18

TABLE DES MATIÈRES

  II. La notice contre Marcion et ses sources . . . . . . . . 632   III. Le blasphème du Cosmocrator . . . . . . . . . . . 638 • Épisode I : l’astuce du Cosmocrator (358) • Épisode II : l’injustice d’un Dieu juste (370)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645 Chapitre XVI : Le blasphème d’Élohim de la notice sur Justin de  l’Elenchos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 649   I. La composition de la notice sur Justin . . . . . . . . . 649 • Les sources et les matériaux de la notice • La dispositio de la notice   II. Le mythe de la notice sur Justin . . . . . . . . . . . 655   III. Le blasphème d’Élohim . . . . . . . . . . . . . . 659 • Texte et traduction • L’ascension d’Élohim et dialogue avec le Bon (V, 26, 14b-18) • La réaction d’Éden (V, 26, 19-21a) • La réaction d’Élohim et l’envoi de Baruch (V, 26, 21b)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 670 Chapitre XVII : Le blasphème du Grand Archonte de la notice de  l’Elenchos sur Basilide . . . . . . . . . . . . . . . . 673   I. La composition de la notice sur Basilide . . . . . . . . . 673 • Les sources et les matériaux de la notice • La dispositio de la notice   II. Le mythe basilidien . . . . . . . . . . . . . . . . 683   III. Le blasphème du Grand Archonte . . . . . . . . . . 692 • Texte et traduction • La révélation de la troisième Filialité et des fils de Dieu (VII, 25, 1-2a) • Le blasphème du Grand Archonte (VII, 25, 2b-3a) • Le mystère qui n’a pas été connu par les générations antérieures (VII, 25, 3b-5a)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 703 Chapitre XVIII : Le blasphème de l’Archonte de la notice d’Épi  phane contre les nicolaïtes . . . . . . . . . . . . . . . 707   I. La composition du Panarion . . . . . . . . . . . . . 707 • L’occasion et la date du traité • Le plan de l’ouvrage • Les sources d’Épiphane • Le but et les procédés hérésiologiques du Panarion   II. La composition de la notice contre les nicolaïtes . . . . . 714 • Introduction : Présentation de Nicolas (25, 1, 1-6) • Exposé et réfutation : Nicolas, l’ancêtre des gnostiques (25, 2, 1-6, 8) • Transition et conclusion (25, 7, 1-3)   III. Le blasphème de l’Archonte . . . . . . . . . . . . 722 • Texte et traduction • L’origine de Barbélô (25, 2, 2) • Le blasphème de l’Archonte (25, 2, 3) • La réaction de Barbélô (25, 2, 4)   IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 729

TABLE DES MATIÈRES

19

Chapitre XIX : Le blasphème de l’Archonte dans la Seconde Apo  calypse de Jacques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 731   I. La composition de la Seconde apocalypse de Jacques . . . . . 732 • Les matériaux gnostiques de l’écrit • La Seconde apocalypse de Jacques et la littérature juive et chrétienne • La dispositio, le but et la datation du traité   II. Le système de la Seconde apocalypse de Jacques . . . . . . 740   III. La reconstruction du blasphème de l’Archonte . . . . . 742 • Texte et traduction • Introduction narrative (56, 14b-16a) • Le discours du Sauveur : l’ignorance et la connaissance (56, 16b-57, 11) • Conclusion narrative (57, 12-19)   IV. Conclusion et bilan de la partie V . . . . . . . . . . 749 Partie VI : Conclusion  Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • La classification du motif • Plusieurs portraits et différentes fonctions • Vers une nouvelle solution : l’identité du Dieu des Écritures • Ouverture Annexe I. La source commune à l’Écrit sans titre et à l’Hypostase   des archontes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe II. Les matériaux communs à la Sagesse de Jésus-Christ et  à Eugnoste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Index des auteurs modernes . . . . . . . . . . . . . . . Index des sources anciennes . . . . . . . . . . . . . . .

755

779 789 793 839 843

A BRÉVIATIONS 1ApocJac

Première apocalypse de Jacques (NH V, 3 ; CT 2)

1 Hénoch

Livre d’Hénoch éthiopien

2ApocJac

Seconde apocalypse de Jacques (NH V, 4)

2 Hénoch

Livre des secrets d’Hénoch ou Hénoch slave

3 Co

Correspondance apocryphe entre Paul et les Corinthiens

3StSeth

Les Trois Stèles de Seth (NH VII, 5)

Adv. Haer. Irénée, Adversus Haereses Adv. Herm. Tertullien, Adversus Hermogenem Adv. Marc. Tertullien, Adversus Marcionem Adv. Omn. Haer. Pseudo-Tertullien, Adversus omnes haereses Adv. Val. Tertullien, Adversus Valentinianos Allog Allogène (NH XI, 3) An.

Tertullien, De anima

Ant.

Flavius Josèphe, Les Antiquités juives

ApocAd

Apocalypse d’Adam (NH V, 5)

ApocPaul

Apocalypse de Paul (NH V, 2)

ApocPi

Apocalypse de Pierre (NH VII, 3)

ApocrJac

Épître apocryphe de Jacques (NH I, 1)

ApocrJn

Apocryphon de Jean (BG 2 ; NH II, 1 ; III, 1 ; IV, 1)

Apol.

Tertullien, Apologeticum

Apol. adv. lib. Ruf.

Jérôme, Apologia adversus Rufinum

Asc. Is.

Ascension d’Isaïe

AuthLog

Enseignement d’autorité (NH VI, 3)

Ber. Rab.

Bereshit Rabba

BG

Berolinensis Gnosticus (8502)

Brontè

Le Tonnerre, Intellect parfait (NH VI, 2)

CCL

Corpus Christianorum. Series Latina (1953-)

CH

Corpus Hermeticum

CT

Codex Tchacos

Contr. Cels.

Origène, Contra Celsum

22

ABRÉVIATIONS

D

Édition deutéronomiste du texte biblique

De adult. lib. Orig.

Rufin d’Aquillée, De adulteratione librorum Origenis

De carn. Chr. Tertullien, De carne Christi Dial.

Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon

DialSauv

Dialogue du Sauveur (NH III, 5)

Div. Her. Lib.

Philastre de Brescia, Diversarum hereseon liber

Ecr sT Écrit sans titre (NH II, 5 ; XIII, 2 ; Brit. Lib. Or. 4926[1]) Epp. Extra coll.

Epistulae extra collectionem

Eug

Eugnoste (NH III, 3 ; V, 1)

EvJudas

Évangile de Judas (CT 3)

EvMar

Évangile selon Marie (BG 1)

EvPhil

Évangile selon Philippe (NH II, 3)

EvTh

Évangile selon Thomas (NH II, 2)

EvVer

Évangile de la vérité (NH I, 2 ; XII, 2)

ExAm

Exégèse de l ’ âme (NH II, 6)

Exc. Theod.

Clément d’Alexandrie, Excerpta ex Theodoto

ExpVal

Exposé valentinien (NH XI, 2)

GrEsp

Livre sacré du Grand Esprit invisible (NH III, 2 ; IV, 2)

GrPuis

Le Concept de notre Grande Puissance (NH VI, 4)

GrSeth

Deuxième traité du Grand Seth (NH VII, 2)

Haer. Fab. Comp. Théodoret de Cyr, Haereticarum Fabularum Compen dium Hb I

Recension courte du Siracide

Hb II

Recension longue du Siracide

Her.

Philon, Quis rerum divinarum heres sit

Hist. eccl. Eusèbe, Histoire ecclésiastique Hom. Ez. Origène, Homélie sur Ézéchiel Hom. in Hex.

Basile de Césarée, Homélies sur l ’Hexaéméron

HypArch

L’Hypostase des archontes (NH II, 4)

In Eph. Jérôme, Commentarii in Ephesiam In. Ioh. Origène, Commentarii in Iohannem In Isaiam Jérôme, Commentarii in Isaiam IntGn

Interprétation de la gnose (NH XI, 1)

Jub. Jubilés

ABRÉVIATIONS

L6

Dialecte copte subachmîmique

LivTh

Livre de Thomas (NH II, 7)

23

LXX Septante Magn.

Ignace d’Antioche, Lettre aux Magnésiens

Mar

Marsanèse (NH X, 1)

Melch Melchisédek (NH IX, 1) Midr. Rab.

Midrash Rabbah

NH

Nag Hammadi

OgdEnn

L’Ogdoade et l ’Ennéade (NH VI, 6)

Opif. Philon, De opificio mundi P

Édition sacerdotale du texte biblique

Pan.

Épiphane de Salamine, Panarion

ParaSem

Paraphrase de Sem (NH VII, 1)

Part. orat. Cicéron, Partitiones oratoriae PG Patrologiae cursus completus. Series graecae (1857 1866) P.Bodm.

Papyrus Bodmer

Philad.

Ignace d’Antioche, Lettre aux Philadelphiens

PiPhil

Lettre de Pierre à Philippe (NH VIII, 2 ; CT 1)

PL Patrologiae cursus completus. Series latina (1844 1864) Plat. Apulée, De Platone PlatoRep

Extrait de la République de Platon (NH VI, 5)

P. Morg.

Papyrus Morgan

PSoph

Pistis Sophia

Praes. Tertullien, De praescriptione haereticorum PRE

Pirqé de Rabbi Eliezer

PrôTri

Prôtennoia trimorphe (NH XIII, 1)

Quaest. ad Amphiloch. Photius, Quaestiones ad Amphilochius RC

Recension courte de l’Apocryphon de Jean (BG 2 ; III, 1)

RL

Recension longue de l’Apocryphon de Jean (NH II, 1 ; IV, 1)

SC

Sources chrétiennes (1941-)

Silv

Silvanos (NH VII, 4)

SJC

Sagesse de Jésus-Christ (NH III, 4 ; BG 3)

24

ABRÉVIATIONS

Som. Philon, De somniis SSext

Sentences de Sextus (NH XII, 1)

Strom.

Clément d’Alexandrie, Stromata

TDNT

Theological Dictionary of the New Testament

TLG

Thesaurus Linguae Graecae

Tg. Ps.-Jo.

Targum Pseudo-Jonathan

TemVer

Témoignage véritable (NH IX, 3)

TM

Texte massorétique

TOB

Traduction œcuménique de la Bible

TracTri

Traité tripartite (NH I, 4)

TrRes

Traité sur la résurrection (NH I, 3)

Zost

Zostrien (NH VIII, 1)

ÉDITIONS UTILISÉES 1 1 R (LXX)

Brenton 2003

Actes d’André et de Paul

Jacques 1969

Actes de Paul

Vouaux 1913

Allogène (NH XI, 3) Funk, Poirier, Scopello, Turner 2004 Apocalypse d’Adam (NH V, 5)

Morard 1985

Apocalypse de Paul (NH V, 2) Rosenstiehl, Kaler 2005 Apocalypse de Pierre (NH VII, 3)

Desjardins, Brashler 1996

Apocryphon de Jean (BG 2 ; III, 1)

Barc 2012

Apocryphon de Jean (NH II, 1 ; IV, 1) Waldstein, Wisse 1995 A pulée , De Platone

Beaujeu 1973

A ristote , Métaphysique

Tricot 1970



Dufour 1932

Rhétorique

Ascension d’Isaïe

Charles 1900

Basile

Giet 1950

de

Césarée , Homélies sur l ’Hexaéméron

Cicéron, De oratione

Courbaud 1956

Partitiones oratoriae

Bornecque 1960

Clément d’A lexandrie , Excerpta ex Theodoto

Sagnard 1948



Camelot, Mondésert 1954 ; Rodriguez 1998



Stromata

Correspondance apocryphe entre Paul et les Corinthiens

Testuz 1959

Deuxième traité du Grand Seth (NH VII, 2)

Painchaud 1982

Dialogue du Sauveur (NH III, 5)

Létourneau 2003

Dn (LXX)

Ziegler 1999

Dt (LXX)

Wevers 2006

1.  Voir la bibliographie pour les références complètes.

26

ÉDITIONS UTILISÉES

Écrit sans titre (NH II, 5 ; XIII, 2 ; Brit. Lib. Or. 4926[1]) Painchaud 1995a ; Funk 1995 Elenchos

Wendland 1916

Enseignement d’autorité (NH VI, 3)

Ménard 1977

Épiphane

Holl 1915

de

Salamine , Panarion

Épître apocryphe de Jacques (NH I, 1)

Rouleau 1987

Eugnoste (NH III, 3 ; V, 1)

Pasquier 2000

Eusèbe

Bardy 1952

de

Césarée , Histoire ecclésiastique

Évangile de Judas Kasser, Wurst 2007 Évangile de la vérité (NH I, 2 ; XII, 2)

Attridge, MacRae, Wisse 1985

Évangile selon Marie (BG 1)

Pasquier 1983

Évangile selon Philippe (NH II, 3) Layton, Isenberg 1989 Évangile selon Thomas (NH II, 2)

Koester, Layton, Lambdin, Attridge 1989

Ex (LXX) Dogniez, Harl 2001 Exégèse de l ’ âme (NH II, 6)

Sevrin 1983

Exposé valentinien

Funk 2016

Extrait de la République de Platon (NH VI, 5)

Painchaud 1983

Ez (LXX)

Ziegler 1977

Eznik de Kołb, De Deo Mariès, Mercier 1959 Gn (LXX) Dogniez, Harl 2001 Hérodote

Legrand 1955

H ésiode , Théogonie

Mazon 2008

Hippolyte

Nautin 1949

de

Rome , Contre Noët

Homère , Iliade

Mazon 1965

Odyssée

Bérard 1953

Ignace d’A ntioche , Aux Éphésiens

Camelot 1969

Lettre aux Magnésiens

Camelot 1969

Lettre aux Philadelphiens

Camelot 1969

Interprétation de la gnose (NH XI, 1)

Funk, Painchaud, Thomassen 2010

27

ÉDITIONS UTILISÉES

Interrogatio Iohannis

Bozoky 2009

I rénée de Lyon, Adversus Haereses Rousseau, Doutreleau et al. 1965 ; 1974 ; 1979 ; 1982 ; 2008 Is (copte)

Kasser 1965

Is (LXX)

Ziegler 1983

Jacques (CT 2) Kasser, Wurst 2007 Jérôme , Apologia adversus Rufinum Migne PL 23 1843 Commentarii in Ephesiam Migne PL 26 1845 Commentarii in Isaiam Migne PL 24 1845 Jl (LXX)

Ziegler 1984

Justin, Dialogue Archambault 1909 Le Concept de notre Grande Puissance (NH VI, 4) Wisse, Williams 1979 Les Trois Stèles de Seth (NH VII, 5)

Claude 1983

Les Vers d’or Van der Horst 1932 Lettre de Pierre à Philippe (CT 1)  Kasser, Wurst 2007 Lettre de Pierre à Philippe (NH VIII, 2)

Ménard 1977

Lettre de Ptolémée à Flora

Quispel 1949

L’Hypostase des archontes (NH II, 4)

Barc 1980

Livres de Iéou

Crégheur 2019

Livre de Thomas (NH II, 7)

Kuntzmann 1986

Livre sacré du Grand Esprit invisible Böhlig, Wisse 1975 ; Charron 1995 L’Ogdoade et l ’Ennéade (NH VI, 6)

Mahé 1978

Marsanèse (NH X, 1) Funk, Poirier, Turner 2000 Médaillon Brummer

Bonner 1950

M egethius, Dialogue

Van de Sande Bakhuyzen 1901

28

ÉDITIONS UTILISÉES

Melchisédek (NH IX, 1)

Funk, Mahé, Gianotto 2001

Noréa (NH IX, 2)

Roberge 1980

Nouveau Testament Nestle, Aland 1997 Origène , Commentarii in Iohannem

Blanc 1975

Contra Celsum Borret 1969 ; 2005 Homélie sur Ézéchiel Migne PG 13 1862

Peri archon

Crouzel, Simonetti 1978 ; 1980

Selecta in Exodum Fortier, De Lubac 1947 Os (LXX)

Ziegler 1984

P20915

Robinson 2000

Paraphrase de Sem (NH VII, 1)

Roberge 2000

Philastre

Marx 1898

de

Brescia, Diversarum hereseon liber

Philon d’A lexandrie , De Abrahamo

Gorez 1966

De Gigantibus

Mosès 1963

De opificio mundi

Arnaldez 1961

De somniis

Savinel 1962

De Vita Mosis

Arnaldez,



Mondésert,



Pouilloux, Savinel



1967 Quis rerum divinarum heres sit

Harl 1966

Photius, Quaestiones ad Amphilochius

Westerink 1983

Pistis Sophia

Schmidt, Macdermot 1978

Platon, Gorgias Croiset, Pradeau 1997

Timée

Rivaud 1956

Plotin, Ennéades

Bréhier 2003

Plutarque , De Exilio

Hani 1980

Première apocalypse de Jacques (NH V, 3)

Veilleux 1986

29

ÉDITIONS UTILISÉES

Prôtennoia trimorphe (NH XIII, 1)

Poirier 2006

Psaume manichéen Allberry, Ibscher 1938 Pseudo -Tertullien, Adversus omnes haereses

Kroymann 1954

Rufin d’Aquillée , De adulteratione librorum Origenis

Simonetti 1961

Sagesse de Jésus-Christ (NH III, 4 ; BG 3)

Barry 1993

Seconde apocalypse de Jacques (NH V, 4)

Veilleux 1986

Sentences de Sextus (NH XII, 1)

Poirier 1983

Si (hébreu)

M. H. Segal 1958

Si (LXX)

Ziegler 1980

Silvanos (NH VII, 4)

Janssens 1983

Targum Pseudo-Jonathan

Le Déaut 1978

Témoignage véritable (NH IX, 3)

Mahé 1996

Tertullien, Adversus Hermogenem

Chapot 1999

Adversus Marcionem

Braun 1990 ; 1991

Adversus Valentinianos

Fredouille 1980

Apologeticum Waltzing, Dauzat 1998



De anima

Waszink 1947

De carne Christi

Mahé 1975

De praescriptione haereticorum

Refoule, De Labriolle 1957

Texte massorétique de la Bible

Kittel et al. 1997

Théodore

Pognon 1898

bar

Kōnī, Livre des scholies

Théodoret de Cyr, Haereticarum Fabularum Compendium Rousseau, Doutreleau 1979 ; Migne PG 83 1859 Traité sur la résurrection (NH I, 3)

Ménard 1983

Traité tripartite (NH I, 4)

Thomassen, Painchaud 1989

Z acharie

Richard, Aubineau 1977

le scolastique ,

Contre les manichéens

Zostrien (NH VIII, 1) Barry, Funk, Poirier, Turner 2000

Première partie

Introduction

P ROLOGUE Le motif du « blasphème de l’Archonte » consiste en une dénonciation de la prétention de la divinité inférieure de la mythologie gnostique d’être le seul et unique Dieu, fondée principalement sur l’affirmation isaïenne « Je suis Dieu et il n’y a en pas d’autre en dehors de moi » 1. Les différents épisodes du blasphème de l’Archonte supposent toujours en effet une séparation plus ou moins marquée entre le monde intelligible et le monde sensible, à la faveur de laquelle s’opposent un Dieu supérieur et un dieu inférieur. Cette distinction est une caractéristique essentielle de tous les systèmes gnostiques 2 . En disant « Je suis Dieu et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi », cet Archonte, chef des puissances qui règnent sur le monde inférieur, est identifié au Dieu-créateur des Écritures 3, car cette for1. Comme la définition même du terme « gnosticisme » est très complexe, il importe ici d’en préciser notre usage. La catégorie de gnosticisme est une invention moderne destinée à classifier sous une même appellation une grande diversité de doctrines et de mouvements qui présentaient entre eux un certain nombre de similitudes. Les gnostiques n’ont jamais constitué un groupe unifié identifiable. Le christianisme naissant est plutôt multiforme, de sorte qu’il coexista, entre autres, des chrétiens de tendance proto-orthodoxes, c’est-à-dire des chrétiens dont les doctrines allaient graduellement s’imposer comme la norme de l’orthodoxie, et des chrétiens de tendance gnostiques, dont les doctrines étaient inspirées des différentes versions du mythe gnostique, telles que les versions ophite, barbéliote, séthienne et valentinienne. Le gnosticisme est une tendance revêtant des formes multiples ayant exercé une influence considérable dans le développement des communautés chrétiennes, peu importe l’épineuse question de ses origines, qu’il ne convient pas d’aborder ici. Cette désignation demeure jusqu’à ce jour la meilleure façon de nommer les groupes qui distinguaient le Dieu des Écritures d’un Dieu suprême. Sur le problème soulevé par l’emploi des termes « gnostique » et « gnosticisme », voir M. Smith 1981, p.  796-807 ; Tardieu et Dubois 1986, p. 21-37 ; M. A. Williams 1996 ; Painchaud 1998, p. 467-480 ; K ing 2003 ; M arjanen 2005 ; M ahé et Poirier 2007, p. XVXXIX. L’appellation proposée par M. A. Williams (« biblical demiurgical traditions ») ne s’est pas imposée, car elle est aussi problématique que le terme « gnosticisme » lui-même. 2. Voir M. A. William 1996, p. 51-52 ; Pétrement 1984, p. 50-56 ; Couliano 1990, p. 112-170 ; M arkschies 2003, p. 16-17 ; Daniélou 1967, p. 448-449. 3.  Nous employons l’expression « Dieu-créateur des Écritures » (ou simplement « Dieu des Écritures »), faute de mieux, pour distinguer le Dieu suprême de la divinité inférieure de la mythologie gnostique, l’Archonte. Cette distinction est importante, car pour la plupart des gnostiques, la révélation du Dieu véritable est aussi présente dans les Écritures. Seulement, certains passages de celles-ci sont à attribuer à la divinité inférieure, que nous appelons le Dieu-créateur des Écritures. Cette désignation ne renvoie pas nécessairement à sa fonction dans les textes analysés.

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PROLOGUE

mule est répétée sous diverses formes entre les chapitres 43 et 46 du livre d’Isaïe. Alors qu’elle y est utilisée comme la preuve de la supériorité et de l’unicité du Dieu des juifs sur les dieux des autres nations, elle est l’objet d’une réinterprétation radicale de la part de certains chrétiens gnostiques, car elle est employée pour démontrer non seulement l’existence d’une divinité inférieure, mais aussi et surtout, son arrogance et son ignorance du monde supérieur4 . Ce motif est très répandu. On en compte plus d’une vingtaine d’attestations dans les sources directes et indirectes. Il est attesté dans huit traités de Nag Hammadi : l’Apocryphon de Jean [ApocrJn] (NH II, 1 ; NH III, 1 ; NH IV, 1 ; BG, 2), l’Hypostase des archontes [HypArch] (NH II, 4), l’Écrit sans titre [Ecr sT] (NH II, 5), le Livre sacré du Grand Esprit invisible [GrEsp] (NH III, 2 ; IV, 2), la Sagesse de Jésus-Christ [SJC] (NH III, 4 ; BG, 1), le Deuxième traité du Grand Seth [GrSeth] (NH VII, 2), la Seconde apocalypse de Jacques [2ApocJac] (NH V, 4) et la Prôtennoia trimorphe [PrôTri] (NH XIII, 1). Il est aussi attesté dans la littérature hérésiologique : dans les notices sur Ptolémée, les barbéliotes et les ophites de l’Adversus Haereses [Adv. Haer.] d’Irénée de Lyon, l’Adversus Valentinianos [Adv. Val.] de Tertullien, les notices sur Justin, Valentin et Basilide de l’Elenchos, la notice sur les nicolaïtes du Panarion [Pan.] d’Épiphane et la notice contre Marcion du De Deo d’Eznik de Kołb. À  ce corpus déjà considérable, il faut ajouter un passage très abîmé du Psaume manichéen 248 et l’ouvrage cathare intitulé Interrogatio Iohannis, qui ne feront pas l’objet d’une analyse particulière dans cette recherche, en raison de l’incertitude reliée à la reconstruction du premier et de l’attestation plutôt tardive du second. Malgré son importance, ce motif fut presque ignoré dans la recherche. Un des apports essentiels de notre enquête est de combler cette lacune. La littérature qui y est consacrée se limite à quelques articles et aux commentaires accompagnant les éditions et les traductions des traités de Nag Hammadi. Les travaux de H.‑M. Schenke5, de G. W. MacRae 6 , d’A. H. B. 4.  Lorsque nous faisons référence au « blasphème de l’Archonte » ou au « motif du blasphème de l’Archonte », nous renvoyons à la seule affirmation inspirée du texte d’Isaïe. Quand nous parlons des épisodes du blasphème de l’Archonte, nous référons plutôt à des structures narratives plus élaborées dans lesquelles les auteurs mettent en scène le blasphème. Les bornes de ces épisodes seront précisées dans chacun des chapitres, à partir de notre analyse des différentes versions du mythe gnostique. Nous privilégions aussi le terme « Archonte » pour désigner d’une manière générale le Dieu inférieur de la mythologie gnostique, même s’il n’est pas utilisé dans tous les écrits que nous considérons. 5.  H.-M. Schenke 1962d, p. 87-93. Ce premier inventaire partiel des attestations du blasphème de l’Archonte constitue une partie d’un chapitre dans lequel l’auteur veut démontrer le processus qui conduit de l’allégorie au mythe dans la littérature gnostique, processus observable dans les différents épisodes du blasphème.

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Logan7 et de N. A. Dahl8 ont permis de dresser les premiers inventaires Selon lui, l’interprétation des passages d’Is 46, 9, d’Ex 20, 5 et de Dt 32, 39, comme les paroles d’un créateur inférieur révélant son ignorance à l’égard du monde qui existe au-dessus de lui, est de l’ordre de l’allégorie. Cependant, à partir du moment où ces passages scripturaires et leur interprétation sont joints à un développement sur l’origine du monde, on se trouve plutôt dans l’univers de la mythologie. Il illustre cette distinction entre l’allégorie et le mythe par la comparaison d’un extrait de la Grande Notice d’Irénée et de la notice de l’Elenchos sur Valentin. 6.  M acR ae 1970, p. 122-134. Il propose une analyse de l’utilisation de la formule ἐγώ εἰμι dans les sources gnostiques. La première partie de cet article traite de la locution « Je suis Dieu » dans les textes gnostiques et fait état de la problématique reliée au blasphème de l’Archonte. Selon l’auteur, la formule d’Isaïe a tant fasciné les gnostiques, qu’ils en ont fait le cœur de leur révélation qui consiste à démontrer que cette affirmation centrale du monothéisme juif est un mensonge. Il signale que cette interprétation est paradoxale dans le sens où cette formule qui était originellement dirigée contre le polythéisme fut ensuite utilisée par les gnostiques au service de leurs spéculations sur le dualisme cosmique. Le fait que l’expression « Je suis Dieu » soit tirée d’Isaïe (43, 10-11 ; 44, 6 ; 45, 5-6, 18, 21-22 ; 46, 9) plutôt que d’autres sources (par exemple Dt 4, 35 ; 32, 39 ; Os 13, 4 ; Jl 2, 27) semble corroboré par son incorporation dans le contexte du récit de la création de la Genèse. G. W. MacRae souligne ensuite un point important ignoré par ses prédécesseurs. Si les allusions à Is 45, 5 et 46, 9 dans les textes gnostiques ont été mises en évidence, jamais l’hypothèse de la prédominance du livre d’Isaïe dans les cercles gnostiques n’a été signalée. Selon lui, le Deutéro-Isaïe contient plusieurs points compatibles avec la mentalité gnostique : une théologie de la création, une insistance sur le monothéisme, des références au rôle de la sagesse et de la connaissance, et l’utilisation du mot « Sabaôth » comme un nom propre (LXX). G. W. MacRae mentionne aussi que la formule « Je suis Dieu » était un lieu commun dans les milieux juifs. Il existait même un usage péjoratif de celle-ci en dehors des cercles gnostiques. En effet, dans Is 47, 10, le Si 36, 12 et l’A sc. d ’Is., l’expression « Je suis Dieu » était perçue comme une marque d’arrogance et comme un blasphème. L’acquis majeur de cet article est d’avoir attiré l’attention sur l’importance d’Isaïe pour les gnostiques. 7.  L ogan 1978, p. 197-203. Cet article propose une analyse de l’emploi du thème de la jalousie de Dieu d’après Ex 20, 5 dans la théologie gnostique et rabbinique. Il signale en premier lieu qu’Ex 20, 5-6 posa des problèmes d’interprétation dès le IIIe siècle. En effet, dans ses Selecta in Exodum, Origène note que certains condamnent le Dieu de la Loi, alors que d’autres reportent les fautes sur leurs enfants. Un troisième groupe, celui des chrétiens orthodoxes, comprend le sens spirituel des Écritures et va ainsi au-delà de l’exégèse littérale des juifs et des inventions des hérétiques. Le problème soulevé par Origène constitue donc le point de départ de la réflexion de l’auteur. Ce dernier indique ensuite quatre textes gnostiques qui utilisent Ex 20, 5 et Is 46, 9 ou 45, 5 dans le but d’identifier explicitement le Dieu de la Loi et des prophètes avec un Démiurge ignorant et arrogant. Ainsi, le GrSeth combine Is 46, 9 (ou 45, 5) avec Ex 20, 5, tandis que le texte de la notice d’Irénée sur les barbéliotes (Adv. Haer. I, 29, 4), l’ApocrJn et le GrEsp inversent la construction en joignant plutôt Ex 20, 5 à Is 46, 9 (ou 45, 5). Selon A. H. B. Logan, ces passages sont une pièce délibérée d’antisémitisme gnostique. Si l’on fait exception de ces quatre écrits, les références à la jalousie de Dieu dans les littératures juive et chrétienne des trois premiers siècles sont plutôt rares. A. H. B. Logan s’attarde plus spécifiquement sur une mention de l’ApocrJn (BG 44, 15-19 et par.) dans laquelle il

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du blasphème de l’Archonte et d’en proposer une première classification. voit un parallèle avec un passage de la Mekhilta commentant Ex 20, 5, dans lequel un philosophe demande à Rabbi Gamaliel : « C’est écrit dans votre Torah, “Car c’est moi le Seigneur votre Dieu, un Dieu jaloux”. Mais y a-t-il une autre puissance dans l’idolâtrie pour qu’il en soit jaloux ? » A. H. B. Logan signale que ce genre de débat est attesté dans des sources grecques (cf. Ariston de Pella, Justin le Martyr et Origène), ce qui indiquerait que les spéculations gnostiques n’étaient pas seulement inspirées des LXX, mais aussi de ce type de discussion entre juifs et païens. Il souligne ensuite que la question du « report des fautes des pères sur les fils » qui constitue la seconde partie d’Ex 20, 5 est capitale dans la polémique marcionite contre le Dieu des juifs. Il suggère qu’Origène visait précisément les marcionites dans son commentaire sur Ex 20, 5, tout comme dans son Peri Archôn IV, 2, 1. La solution proposée par Origène est de ne pas interpréter les Écritures de façon littérale comme le font les hérétiques en supposant l’existence d’un autre Dieu sur la base de certains passages bibliques, comme Ex 20, 5. La littérature rabbinique montre également que les rabbis étaient aux prises avec des problèmes d’interprétation causés par Ex 20, 5. Les solutions envisagées rejoignent essentiellement celles d’Origène (et de Tertullien), à savoir qu’il faut se préserver d’un littéralisme trop strict. A. H. B. Logan conclut que la combinaison d’Ex 20, 5 sur la jalousie de Dieu et d’Is 46, 9 (ou 45, 5) sur l’unicité de Dieu est une réaction contre les juifs et les chrétiens qui se référaient à ces passages pour affirmer l’exclusivité de leur Dieu. Cet article attire donc l’attention sur la double construction du blasphème de l’Archonte dans le but d’élucider ce que pourrait être sa trajectoire historique. Voir aussi l’article de Boulnois 2010, p. 297-313. Nous y reviendrons dans les parties III et V. 8.  Dahl 1981, p. 689-712. Cette analyse du blasphème de l’Archonte demeure la plus complète à ce jour. Pour l’auteur, le gnosticisme s’explique selon une logique de révolte dont la cible est le Créateur du monde. Contrairement aux juifs orthodoxes et aux chrétiens, les gnostiques imputaient l’origine du mal au Créateur, identifié au Dieu biblique. D’après N. A. Dahl, les gnostiques ne pouvaient pas concevoir qu’on puisse attribuer des passions telles que la jalousie et la colère au Dieu suprême. Le problème de l’origine juive du gnosticisme pourrait être formulé par la question suivante : « Was the Gnostic identification of the inferior Demiurge with the God of “psychic”, orthodox Christians preceded by an earlier stage, at which some Gnostics revolted against the God of strictly monotheistic Jews ? » (p. 690). L’auteur y répond par l’affirmative puisqu’il croit que le gnosticisme radical provient d’un groupe juif marginal et syncrétiste en opposition au monothéisme strict du judaïsme normatif. Les gnostiques introduisirent donc l’affirmation de l’Archonte selon laquelle il était le seul Dieu dans le récit de la création de la Genèse afin de démontrer qu’ils possédaient une sagesse supérieure à celui-ci et qu’ainsi, ils n’étaient pas soumis à son autorité ni à celle des interprètes de sa loi. Pour N. A. Dahl, la controverse avec les représentants du monothéisme juif est un des facteurs de la révolte gnostique, théorie qu’il entend confirmer par son analyse des sources, et particulièrement du motif du blasphème de l’Archonte. Il postule que les destinataires visés par les ouvrages gnostiques étudiés sont des juifs et non des chrétiens, et ce, pour plusieurs raisons : la dénonciation du monothéisme illustrée par le blasphème est insérée dans le cadre du texte de la Genèse ; il n’y a pas de preuve évidente d’une influence chrétienne dans l’interprétation proposée du texte de la Genèse ; ces textes gnostiques contiennent des spéculations connues de l’exégèse philonienne, targoumique et rabbinique. Le concept du Démiurge trahit une

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Ces travaux mettent aussi en évidence le fait que la citation d’Isaïe est la plupart du temps insérée dans un cadre cosmogonique et anthropogonique inspiré des premiers chapitres de la Genèse et que cette affirmation est considérée comme le blasphème d’une divinité inférieure, constituant par conséquent une dénonciation du monothéisme juif. Les ressemblances entre le blasphème de l’Archonte et le thème biblique de l’arrogance royale ont aussi été relevées, de même que l’importance du livre d’Isaïe pour les gnostiques. Mis à part l’article d’A. H. B. Logan, les présentations du motif visent à étayer la thèse de l’origine juive du gnosticisme et de sa christianisation progressive. La division des épisodes du blasphème de l’Archonte en dix parties échafaudée par N. A. Dahl constitue un bon point de départ pour déterminer s’il existe une structure récurrente de ces différents épisodes et évaluer leur développement 9. Quant aux commeninfluence platonicienne (cf. Timée), ce qui lui fait croire que le type d’explication de la Genèse que suggèrent l’HypArch, l’Ecr sT, l’ApocrJn et les écrits apparentés proviendrait d’un groupe marginal du judaïsme hellénisé et que c’est la polémique menée par les tenants d’un monothéisme strict qui conduisit à la radicalisation des spéculations sur la Genèse, ce qui donna naissance au mythe gnostique. Le problème soulevé par la question de l’origine du motif du blasphème de l’Archonte est que la notion de la création du monde par des entités intermédiaires n’explique pas la polarisation de celles-ci en un être opposé à un Dieu suprême. L’auteur signale que le motif d’un dieu, d’un ange, d’un prince ou d’un homme désirant devenir Dieu ou disant être Dieu apparaît avec différentes variations dans les mythes anciens et dans les contes de fées. Les Écritures ont d’ailleurs conservé deux ou trois variantes de ce motif en Is 14, Ez 28, et peut-être en Gn 3, 5. Plus tard, il fut appliqué aux princes ennemis d’Israël comme Nabuchodonosor (cf. Jdt 3, 8 ; 6, 12), Antiochus Épiphane (cf. Dn 11, 36), Pompée (cf. Psaume de Salomon 2, 28), Caligula (cf. Philon, Legatio ad Gaium 22, 74-80, 93-97, 118, 162), Hérode Agrippa (cf. Ac 12, 21-23 ; Josèphe, Antiquités juives 19, 8, 2 § 344-350) et Néron (Oracles sibyllins 5, 33-35, 137-154, 214-221), tandis que dans l’A sc. Is. (4, 6-8), il est attribué à un prince de la fin des temps qui sera l’incarnation de Béliar. Le motif apparaît également en 2 Th 2, 4 dans un contexte apocalyptique où un « homme de l’impiété » se proclame Dieu (cf. aussi Ap 13, 1ss). L’Adversaire fut également dépeint sous les traits du prince d’Is 14 dans la Vie d ’Adam et Ève (15, 2), dans le Deuxième livre d ’Hénoch (29, 4), dans la Correspondance apocryphe entre Paul et les Corinthiens (IV, 11) et dans l’A sc. Is. (10, 13). L’innovation dont font preuve les gnostiques est d’affecter ce thème au Créateur du monde, c’est-à-dire au Dieu de leurs opposants. Quant aux chrétiens, ils l’ont assigné à la figure de l’Antéchrist. Selon N. A. Dahl, tout concorde pour affirmer que la révolte des gnostiques était originellement dirigée contre le monothéisme juif et ses représentants. Et cette polémique fut redirigée plus tard contre le Dieu des chrétiens et la hiérarchie ecclésiastique qui le représente. 9.  Dahl 1981, p. 692-698. À l’aide d’une synthèse de l’HypArch, de l’Ecr sT, de l’ApocrJn, du GrEsp et de l’Adv. Haer. I, 29-30 d’Irénée, N. A. Dahl partage l’épisode du blasphème de l’Archonte en dix éléments : (1) situation dans le récit de création, (2) introduction commentée, (3) blasphème de l’Archonte, (4) commentaire, (5) réponse céleste, (6) révélation, (7) réponse de l’Archonte, (8) apparition d’une image et/ou d’une lumière, (9) proposition de la création de l’homme et finalement, (10) modelage de l’homme. Il signale cependant que seul l’Ecr sT contient tous les

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taires, même s’ils ne tiennent pas compte de l’ensemble des attestations, ils mettent souvent en valeur la spécificité du développement du motif à l’intérieur d’une œuvre particulière 10. Notre recherche propose la comparaison critique de tous les emplois attestés de ce motif et l’étude de la transformation de la citation isaïenne dans les textes gnostiques dans le but de mieux comprendre une des caractéristiques centrales attribuées aux gnostiques, soit l’utilisation dite « contestataire » des Écritures, qu’il faut dépasser. S’il est vrai que les épisodes du blasphème de l’Archonte inversent l’interprétation reçue des Écritures, les écrits gnostiques où apparaît le motif semblent paradoxalement se réclamer de l’autorité scripturaire. La transformation de l’affirmation par excellence du monothéisme juif en un blasphème pose le problème de l’interprétation gnostique d’Isaïe et des Écritures. Pourquoi les auteurs des textes gnostiques ont-ils utilisé cette affirmation comme une des preuves essentielles de la distinction entre le Dieu-créateur et le Dieu véritable ? Quelle est la portée d’une telle utilisation ? Quelle valeur accordent ces auteurs aux Écritures 11 ? Ce déplacement herméneutique pointe en fait éléments et qu’il ne croit pas que les ressemblances entre ces écrits indiquent une dépendance littéraire directe, mais plutôt qu’ils dérivent d’une tradition commune. Il remarque également que l’endroit où apparaît le blasphème de l’Archonte à l’intérieur du récit de la création de la Genèse varie d’un texte à l’autre et que c’est l’Ecr sT qui en incorpore les portions les plus grandes. Par contre, plusieurs de ces textes gnostiques omettent de longs passages de Gn 1, ce qui démontre que leur intérêt n’est pas centré sur la création du monde, mais plutôt sur la question de l’origine de l’homme (Gn 1, 1-3, 26-27 ; 2, 7) dont l’illumination lui donne une connaissance supérieure à celle du Créateur. Quant aux différences entre les œuvres analysées, N. A. Dahl les explique comme des variations sur un thème commun à imputer à des désaccords entre différents exégètes appartenant à une même école théologique. 10. Il existe des commentaires des épisodes du blasphème de l’Archonte de l’Ecr sT (Painchaud 1995a), l’HypArch (Bullard 1970 ; K asser 1972, p. 22-35 ; L ayton 1976, p. 31-101 ; Barc 1980), la SJC (Tardieu 1984 et Barry 1993), du GrSeth (Gibbons  1972 et Painchaud 1982), l’ApocrJn (Giversen 1963 ; Tardieu 1984 ; K ing 2006 ; Barc 2012), la PrôTri (Janssens 1978 et Poirier 2006), le GrEsp (Doresse 1966/1968 ; Böhlig et Wisse 1975) et la 2ApocJac (Funk  1976 et Veilleux 1986). Quant aux éditions des traités hérésiologiques relatant le blasphème, elles sont parfois accompagnées de notes qui soulignent leurs différentes particularités. Il en est ainsi des éditions de l’Adv. Haer. d’Irénée (H arvey 1857 ; Rousseau et Doutreleau 1979a), de l’Adv Val. de Tertullien (Fredouille 1981), de l’Elenchos (Wendland 1916 et Siouville 1988), du De Deo d’Eznik de Kołb (M ariès 1924/1925 ; M ariès et M ercier 1959b) et du Pan.  d’Épiphane (Holl 1915 ; F.  Williams 1987 ; Pourkier 1992). 11.  Plusieurs travaux ont été consacrés à la question de l’herméneutique gnostique des Écritures. A. Orbe conclut que les principaux traits de l’Archonte, identifié au Dieu des Écritures, se trouvent dans celles-ci, particulièrement dans les premiers chapitres de la Genèse, qui renferment les thèmes de l’ignorance et de la jalousie de YHWH. Quant à l’affirmation « Je suis Dieu et il n’y en pas d’autre

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en direction d’une polémique portant sur l’identité du Dieu-créateur des Écritures et sur la validité de celles-ci. Certains chrétiens soutiennent que ce Dieu est le Dieu suprême, Père de Jésus-Christ. D’autres prétendent plutôt qu’il est une créature inférieure, un archonte, qui n’a rien de commun avec la divinité véritable. Le texte du Deutéro-Isaïe semble avoir joué un rôle central dans cette polémique qui ne concerne pas tant l’unicité de Dieu 12 , que l’identité du Dieu qui affirme être le seul et l’unique. Le motif du blasphème de l’Archonte ne constitue donc pas une dénonciation du monothéisme, puisque fondamentalement, les gnostiques prêchent un Dieu unique, qui n’est cependant pas le Dieu des Écritures 13. Notre analyse cherchera à expliquer le paradoxe de l’herméneutique gnostique et tentera de situer, autant que possible, les origines de ce conflit sur l’identité de Dieu, qui joua un rôle déterminant dans le processus de définition des identités juive et chrétienne 14 . La comparaison des attestations du blasphème de l’Archonte pose immédiatement le problème des variantes 15. Nous sommes en présence d’un motif mythologique dont les auteurs gnostiques ont donné des traitements différents. La représentation de l’Archonte est tout aussi variée. Il est désigné sous plusieurs noms et porte plusieurs titres ; il est tantôt bon, tantôt mauvais, ignorant ou encore arrogant. Le blasphème de l’Archonte constitue donc un élément classique de la mythologie gnostique, mais très variable. Une attention spéciale devra être accordée aux particularités de chacune de ses attestations. La confrontation des variantes montre que l’épisode du blasphème de l’Archonte a subi, d’un écrit à l’autre, de nomen dehors de moi » du second Isaïe, elle sert à démontrer l’infériorité du Dieu des Écritures. Voir Orbe 1968, p. 345-379. O. Wintermute postule que l’interprétation du texte d’Isaïe proposée par les gnostiques peut être comprise à la lumière de la tradition exégétique contenue en Dn 11, 36. Cette tradition se rencontre également en 2 Th 2, 3 et dans l’A sc. Is. 4, 2. Voir Wintermute 1972, p. 241-270. Comme le soulignent aussi L. Painchaud, plusieurs écrits gnostiques, dont l’Ecr sT, l’HypArch et l’ApocrJn, utilisent Gn 2-3 et Is 46, 18, ce qui indique leur importance aux yeux des destinataires. Voir Painchaud 1996, p. 129-146. Il est donc impératif de dépasser le cliché voulant que les gnostiques rejettent les Écritures. Il semble en effet que la question de l’herméneutique gnostique de ces Écritures doive être située dans le contexte plus large des discussions internes au christianisme sur la valeur à leur accorder, comme l’a démontré Luttikhuizen 2001, p. 171-185. 12.  Comme le suppose A. F. Segal 1977, p. 260-267 et Dahl 1981, p. 689-712. 13. Voir M ahé et Poirier 2007, p. XXVI-XXVII. 14.  À ce sujet, voir Pasquier 2008, p. 391. Il n’y a pas de frontières clairement définies entre les juifs, les chrétiens et les gnostiques avant plusieurs décennies. Nous sommes en présence de groupes concurrents qui précisent graduellement leur identité les uns par rapport aux autres. Ainsi, il y a des juifs palestiniens, des juifs de la diaspora, des judéo-chrétiens, des pagano-chrétiens, des chrétiens gnostiques, etc. Une diversité de pratiques et de doctrines les distingue. 15. Sur la variabilité des mythes, voir L évi-Strauss 1958 ; Vernant 1990, p. 237 ; 242 ; 1996, p. 277-282. Sur les fonctions du mythe, voir Eliade 1988.

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breuses transformations qu’il sera intéressant d’analyser pour en mieux comprendre le rôle et la fonction. Cette comparaison amène également à préciser les transformations du motif à l’intérieur des versions du mythe gnostique. En effet, malgré la spécificité de chacune des attestations, leurs nombreux points de contact permettent d’en proposer une classification. La typologie suggérée est principalement littéraire, mais possède néanmoins de nombreuses implications sur le plan socio-historique. Elle demeure cependant hypothétique, dans la mesure où elle s’appuie sur une analyse littéraire d’un ensemble de textes dont nous ne connaissons ni la date ni le milieu de production avec certitude. Par contre, la version ophite du blasphème de l’Archonte, s’il est difficile de déterminer si elle est la plus ancienne, fut sans contredit la plus influente. La majorité des autres versions du blasphème semblent en effet s’en inspirer pour l’adapter aux exigences particulières des versions concurrentes du mythe gnostique en circulation entre les IIe et Ve siècles de notre ère. Nous pouvons déjà noter que dans les textes valentiniens, le blasphème de l’Archonte joue un rôle secondaire et n’est pas attesté dans les sources directes. Ainsi, la spécificité des attestations du motif et l’analyse de ses transformations dans les différentes versions du mythe gnostique sont deux aspects mis en évidence dans cette recherche. Nous privilégions donc une approche qui évolue du particulier vers des théories plus générales. Cette recherche se situe dans le domaine des sciences des religions, mais avec une inclination pour l’histoire des idées et des représentations. Elle privilégie une approche littéraire et socio-anthropologique, dans la mesure où le contenu d’un texte véhicule un message relatif à un contexte socioculturel déterminé. Nous suggérons donc une étude comparative du motif du blasphème de l’Archonte dans laquelle les méthodes philologique, historico-critique, exégétique et rhétorique seront mises à profit. Sur le plan littéraire, nous proposons une analyse des matériaux, de la structure et de la forme littéraire des différents mythes gnostiques dans lesquels est attesté ce motif. Une attention spéciale sera accordée aux situations de communication propre à chacun de ces mythes, à savoir les rapports entre l’auteur et les destinataires d’une œuvre. Toute cette analyse s’appuie sur un principe selon lequel les mécanismes herméneutiques sont étroitement liés à des contextes socio-historiques particuliers et que les mythes sont les reflets de la culture et des relations sociales 16. Ainsi, les variantes sont autant 16.  Sur les applications sociologiques possibles des différentes représentations de l’Archonte, voir Pagels 1976, p. 322-324. Sur l’aspect sociologique des mythes, voir M eslin 1973. Selon lui, toutes transformations du monde exercent nécessairement une influence sur les mythes, puisque ceux-ci se présentent comme fondement du monde (ibid., p. 236-237). Au sujet de la dimension sociologique de la construction de la mythologie chrétienne, voir M ack 2001, p. 81-125. Sur les fonctions du conflit social dans le maintien de la cohésion du groupe, voir Coser 1982.

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d’indices du contexte socio-religieux spécifique à chaque version étudiée. La comparaison des épisodes du blasphème de l’Archonte et l’évaluation de sa réception et de sa transformation permettront d’élaborer une typologie basée en partie sur les travaux de T. Rasimus et de N. Dahl 17, et de déterminer une trajectoire possible du motif à l’intérieur de la mythologie gnostique. La critique des sources occupera une large portion de chacun des chapitres. Cette analyse est très importante comme étape préliminaire. Elle permet d’abord de préciser la provenance des matériaux qui ont servi à l’élaboration du discours, et parfois, de déterminer son affiliation doctrinale. Dans le cas des ouvrages hérésiologiques, la critique rédactionnelle permet de détailler la méthode d’un auteur et de départager les sources utilisées de son propos personnel. Dans certains cas, elle rend possible l’identification des différents niveaux rédactionnels d’un écrit. L’agencement de ces matériaux donne cependant un texte, qui possède sa propre cohérence et logique internes. Il sera ainsi possible de dégager le système, c’est‑à‑dire la représentation du monde véhiculée dans les différents mythes. Le blasphème de l’Archonte doit être compris à l’intérieur des systèmes où il est mis en scène. Nous porterons donc une attention particulière à chacun de ceux-ci. Nous serons ensuite en mesure de procéder à l’analyse du blasphème de l’Archonte de manière éclairée. Selon les besoins, nous accorderons plus d’importance à l’une ou l’autre méthode susdite, puisqu’elles sont des instruments de travail à adapter à l’objet d’étude et non le contraire. Nous avons divisé la présente recherche en six parties : (1) Introduction ; (2) Versions ophites du blasphème de l’Archonte ; (3) Versions barbélo-séthiennes ; (4) Versions valentiniennes ; (5) Autres attestations ; (6) Conclusion. La partie I, l’introduction, est constituée du présent prologue et du premier chapitre qui explorera les fondements scripturaires du motif. Une attention spéciale sera accordée aux affirmations monothéistes des chapitres 43 à 46 d’Isaïe et à toutes leurs déclinaisons dans les Écritures juives et chrétiennes, ainsi qu’au thème de l’arrogance royale, qui a été appliqué à l’Archonte dans les textes gnostiques. Les parties II à V, qui forment le cœur du travail, sont constituées de dix-huit chapitres concentrés sur une analyse comparative des attestations du motif. La partie II, qui porte sur les versions ophites du blasphème, est composée des chapitres II à VI. Ils présentent respectivement des analyses de la notice d’Irénée sur les ophites, de l’Ecr sT, de l’HypArch, de la SJC et du GrSeth. Nous serons en mesure de constater que ces œuvres sont étroitement liées les unes aux autres et laissent entrevoir la possibilité d’une dépendance littéraire directe ou indirecte entre certaines d’entre elles. Les chapitres VII à X composent la partie III, qui est consacrée aux 17.  Voir le livre de R asimus 2009 et l’article de Dahl 1981, p. 689-712.

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versions barbélo-séthiennes du blasphème. Ils s’intéressent successivement à la notice d’Irénée sur les barbéliotes, à l’ApocrJn, à la PrôTri et au GrEsp. Ces textes ont entre eux des liens très étroits, indices indéniables d’une parenté littéraire : l’ApocrJn est intimement apparenté à la notice d’Irénée sur les barbéliotes et la PrôTri à l’ApocrJn, de même qu’au GrEsp. La partie IV comprend les chapitres XI à XIII qui contiennent une analyse des versions du blasphème que les hérésiologues attribuent aux valentiniens, qui dépendent dans une large mesure de la Grande Notice d’Irénée. Ils proposent des analyses exhaustives de la Grande Notice, de l’adaptation africaine de cette notice par Tertullien et de la notice de l’auteur de l’Elenchos sur Valentin. La partie V regroupe quant à elle, les attestations du blasphème de l’Archonte qu’il est difficile de classer dans l’une ou l’autre des catégories que nous suggérons (chapitres XIV à XIX). Nous abordons d’abord le cas de l’Adversus Marcionem de Tertullien et de la notice d’Eznik de Kołb contre les marcionites tirée du De Deo aux chapitres XIV et XV, ensuite, la notice de l’Elenchos sur Justin le gnostique et sa version unique du blasphème de l’Archonte au chapitre XVI, la notice de l’Elenchos sur Basilide au chapitre XVII, la notice sur les nicolaïtes, qui est échafaudée par Épiphane de Salamine pour les impératifs de la confection de son catalogue d’hérésies, au chapitre XVIII, et finalement, la 2ApocJac dans le chapitre XIX. Par l’identification des matériaux qui composent ces ouvrages et la mise en lumière de l’articulation de ces matériaux et des procédés de composition mis en œuvre par leurs auteurs, il sera possible d’atteindre les objectifs suivants : (1) mieux situer ces écrits à l’intérieur de leur contexte socio-historique, (2) mettre en évidence leur cohérence interne et (3) y préciser la fonction du blasphème de l’Archonte. La partie VI, la conclusion, sera constituée de l’épilogue, des annexes et de la bibliographie. L’épilogue présentera un bilan des résultats obtenus et jettera un regard rapide sur les perspectives ouvertes aux recherches ultérieures, par exemple la question des origines du motif du blasphème de l’Archonte et celle de sa survivance dans l’Interrogatio Iohannis. Nous mettrons à profit le concept de l’innovation religieuse où nous tenterons de situer l’émergence du motif comme un volet de la crise identitaire du christianisme au IIe siècle qui s’est cristallisée, entre autres, autour de la question de l’identité du Dieu-créateur des Écritures. Sous ce point de vue, les diverses réponses apportées à cette question auraient largement contribué à façonner les différents portraits de l’Archonte dans les écrits gnostiques.

Chapitre I

FONDEMENT SCRIPTURAIRE DU BLASPHÈME DE L’A RCHONTE Comme nous l’avons mentionné, la formulation du blasphème de l’Archonte est empruntée aux chapitres 43 à 46 d’Isaïe. Même si l’expression « Je suis Dieu et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi », dont le but est d’affirmer l’unicité de Dieu, est attestée sous des formes semblables dans d’autres livres des Écritures, elle n’est toutefois pas très fréquente en dehors d’Isaïe. Notre tâche consistera d’abord à relever les attestations scripturaires de la formule. Nous constaterons qu’elle est réinterprétée comme un blasphème dans certains passages des Écritures elles-mêmes. Cette réinterprétation n’est donc pas spécifiquement gnostique 1. Nous donnerons aussi un relevé des attestations du motif de l’arrogance royale et des parallèles qu’il présente avec les portraits de l’Archonte. I. U n ici t é ,

e xclusi v i t é et i n fé r ior i t é de

YHWH

A. Le Dieu universel du livre d’Isaïe Le prophète Isaïe a prêché à Jérusalem lors de la période troublée de la fin du VIIIe siècle avant notre ère. Il présente l’histoire de la condamnation et de la réhabilitation du peuple d’Israël symbolisée par l’exil à Babylone et le retour à Jérusalem grâce à l’intervention de Cyrus, l’instrument de Dieu. Malgré tous ses péchés, le peuple d’Israël verra le triomphe final de Jérusalem, car son Dieu est maître de l’histoire 2 . Les chapitres 43 à 46 contiennent de nombreuses affirmations visant à établir l’unicité de YHWH, que les auteurs gnostiques interpréteront comme un blasphème contre le Dieu véritable. Cette partie du livre d’Isaïe propose une redéfinition de l’identité juive et de la représentation de son Dieu qui est alors perçu comme le seul et unique Dieu, le maître de l’histoire universelle. La phrase « Je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi » sert à démontrer l’unicité du Dieu d’Israël, ce qui s’oppose complètement à l’utilisation qu’en feront les auteurs gnostiques. La formule apparaît à plusieurs reprises dans le contexte littéraire plus large d’une polémique 1. Voir Painchaud 1995a, p. 292, note 106. 2.  Sur l’origine et la composition d’Isaïe, voir Vermeylen 2004, p. 329-333.

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CHAPITRE 1

contre les idoles et de l’avènement de Cyrus. Les affirmations répétées des chapitres 43 à 46 sont destinées à convaincre les destinataires qu’il n’existe pas d’autres dieux excepté YHWH 3. Texte des LXX 4 43,  11 : ἐγὼ ὁ θεός, καὶ οὐκ ἔστι πάρεξ ἐμοῦ σῴζων. Moi, (je suis) Dieu, et en dehors de moi, il n’y a pas de sauveur 6. 44,  6, 8b : οὕτως λέγει ὁ θεὸς ὁ βασιλεὺς ᾽Ισραὴλ ὁ ῥυσάμενος αὐτὸν θεὸς σαβαὼθ ἐγὼ πρῶτος καὶ ἐγὼ μετὰ ταῦτα, πλὴν ἐμοῦ οὐκ ἔστι θεός (…) μάτυρες ὑμεῖς ἐστε, εἰ ἔστι θεὸς πλὴν ἐμοῦ : Ainsi parle Dieu, le Roi d’Israël, celui qui le sauve, (le) Dieu des armées : « Moi, (je suis) le premier, et moi, (je suis) le dernier ; excepté moi, il n’y a pas de Dieu (…). Vous êtes témoins s’il y a un Dieu excepté moi » 7.

Texte massorétique 5 ‫ָאנ ֹ ִכ י ׇא נ ֹ ִכ י י ְה וָה וְ ֵא ין ִמ ַּב ְל ָע ַד י מוֹ ֹׄשִ י ַע ׃‬ Moi, moi-même, (je suis) YHWH, et excepté moi, il n’y a pas de sauveur. ‫ִש ָר ֵא ל וְג ֹ ֲא לוֹ י ְה וָה‬ ׂ ְ ‫ּכ ֹה־ָא ַמ ר י ְה וָה ֶמ ֶל ְך ־ י‬ ‫ְצ ָב אוֹת ֲא נִי ִר אׁשוֹן וַ ֲא נִי ַא ֲח רוֹן‬ )...( : ‫ּו ִמ ַּב ְל ָע ַד י ֵא ין ֱא ל ֹ ִה ים‬ ‫ֲה י ֵׁש ֱא לֹו ַּה ׅמ ַּב ְל ׇע ַד י‬ Voici ce que dit YHWH, le Roi d’Israël, et celui qui le sauve, YHWH Sabaoth : « Moi, (je suis) le premier, et moi, (je suis) le dernier, et excepté moi, il n’y a pas de Dieu (Élohim) (…). Y a-t-il un Dieu (Élohim) excepté moi ? »

45,  5-7 : ὅτι ἐγὼ κύριος ὁ θεός, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι πλὴν ἐμοῦ θεός, καὶ οὐκ ᾔδεις με, ἵνα γνῶσιν οἱ ἀπὸ ἀνατολῶν ἡλίου καὶ οἱ ἀπὸ δυσμῶν ὅτι οὐκ ἔστι πλὴν ἐμοῦ· ἐγὼ κύριος ὁ θεός, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι· ἐγὼ ὁ κατασκευάσας φῶς καὶ ποιήσας σκότος, ὁ ποιῶν εἰρήνην καὶ κτίζων κακά· ἐγὼ κύριος ὁ θεὸς ὁ ποιῶν ταῦτα πάντα.

‫ֲא נִי י ְה וָה וְ ֵא ין עוֹד זּו ָל ִת י ֵא ין ֱא ל ִה ים‬ ‫ֲא ַא ּזֶ ְר ָך וְלא‬ ‫ח־ש ֶמ שׁ וּ ִמ ַּמ ֲע ָר ָב ה‬ ֶ ׁ ‫י ְ ַד ְע ָּת נִי ְל ַמ ַע ן י ֵ ְד עוּ ִמ ִּמ זְ ַר‬ : ‫ִּכ י־ ֶא ֶפ ס‬ ‫ִּב ְל ָע ָד י ֲא נִי י ְה וָה וְ ֵא ין עוֹד ׃ יוֹ ֵצ ר אוֹר וּבוֹ ֵר א‬ ‫שה‬ ׂ ֶ ‫חש ְך ע ֹׂשֶ ה ׁ ָש לוֹם ּובוֹ ֵר א ָר ע ֲא נִי י ְה וָה ׂע‬ ֶׁ ‫ָכ ל־ ֵא ֶּל ה ׃‬

Parce que moi, (je suis) le Seigneur Dieu, et il n’y a pas d’autre Dieu excepté moi. Et tu ne m’avais pas connu, afin que ceux (qui sont) du lever du soleil et ceux (qui sont) de (son) coucher puissent savoir qu’il n’y en a pas excepté moi. Moi, (je suis), le Seigneur Dieu,

Moi, (je suis) YHWH, et il n’y en a pas d’autre ; en dehors de moi (il) n’y (a) pas de Dieu (Élohim). Je t’ai fortifié, sans que tu me connaisses, afin que, du lever du soleil au lieu de son coucher, on sache qu’(il) n’y (a) rien en dehors de moi. Moi, (je suis) YHWH, et il n’y en a pas

3. Voir M. S. Smith 2001, p. 149-166 ; 180. 4.  Selon l’édition de Ziegler 1983. Traduction personnelle. 5.  Notre retranscription du texte massorétique (TM) se fonde sur l’édition de K ittel 1997. La traduction reprend en partie celle de la TOB, mais surtout celle de Kohlenberger III 1987. 6.  Le texte des LXX traduit presque littéralement le TM : ‫וְ ֵא ין ִמ ַּב ְל ָע דַי מוֹשִ י ַע‬ ‫ָאנ ֹ ִכ י ָאנ ֹ ִכ י י ְה וָה‬. En réalité, il ne rend pas la répétition du terme ‫ ָאנ ֹ ִכ י‬du TM comme au verset 25 : ἐγώ εἰμι ἐγώ εἰμι (…). 7.  Voir aussi 41, 4b et 48, 12b.

FONDEMENT SCRIPTUR AIRE

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et il n’y en a pas d’autre. Moi, (je suis) celui qui a organisé la lumière et fait les ténèbres ; celui qui a fait la paix et créé les maux ; Moi, (je suis) le Seigneur Dieu, celui qui a fait toutes ces choses.

d’autre ; je forme la lumière et je crée les ténèbres, j’apporte la prospérité et je crée le malheur ; Moi, (je suis) YHWH, (celui qui) a fait toutes ces choses.

45,  18 : οὕτως λέγει κύριος ὁ ποιήσας τὸν οὐρανὸν, οὗτος ὁ θεὸς ὁ καταδείξας τὴν γῆν καὶ ποιήσας αὐτήν, αὐτὸς διώρισεν αὐτήν, οὐκ εἰς κενὸν ἐποίησεν αὐτὴν ἀλλὰ κατοικεῖσθαι ἐγώ εἰμι, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι.

‫ִּכ י ׂכ ה ָא ַמ ר־ י ְה וָה ּבוֹ ֵר א ַה ׁ ָּש ַמ י ִם הוּא ָה ֱא לׂ ִה ים‬ ‫ׂי ֵצ ר‬ ‫ ׂת הוּ ְב ָר ֶא ּה ָל ׁ ֶש ֶב ת‬-‫ש ּה הוּא כוֹ נְ נָּה לׂא‬ ׂ ָ ‫ָה ָא ֶר ץ וְ ׂע‬ :‫י ְ ָצ ָר ּה ְא נִי י ְה וָה וְ ֵא ין עוֹד‬

Ainsi parle le Seigneur qui a fait le ciel, ce Dieu qui a fait voir la terre et qui l’a faite, il l’a distinguée lui-même, il ne l’a pas faite en vain, mais pour être habitée : « Moi, je suis, et il n’y en a pas d’autre ».

Et voici ce que dit YHWH, qui créa les cieux, lui, le Dieu (Élohim) qui a façonné et fait la terre, lui, il la fonda ; il ne l’a pas créée vide, (mais) la modela pour être habitée : « Moi (je suis) YHWH, et il n’y en a pas d’autre ».

45,  21b-22 : ἐγὼ ὁ θεός, καὶ οὐκ ἔστιν ἄλλος πλὴν ἐμοῦ· δίκαιος καὶ σωτὴρ οὐκ ἔστι πάρεξ ἐμοῦ. ἐπιστράφητε πρός ἐμε καὶ σωθήσεσθε, οἱ ἀπ᾽ ἐσχάτου τῆς γῆς· ἐγώ εἰμι ὁ θεός, καὶ οὐκ ἔστιν ἄλλος.

‫ֲה לוֹא ֲא נִי י ְה וָה וְ ֵא ין־עוֹד ֱא לׂ ִה ים ִמ ַּב ְל ָע ַד י ֵא ל־‬ ‫ָש עּו‬ ְ ׁ ‫וּמוֹש י ַע ַא י ִן זוּ ָל ִת י ׃ ְּפ נוּ־ ֵא ַל י וְ ִה ּו‬ ִׁ ‫ַצ ִּד יק‬ ‫ָּכ ל־ַא ְפ ֵס י־ָא ֶר ץ ִּכ י‬ ‫ֲא נִי־ ֵא ל וְ ֵא ין עוֹד ׃‬

Moi, (je suis) Dieu, et il n’y en a pas d’autre, excepté moi ; un juste et un sauveur, il n’y en pas en dehors de moi. Tournez-vous vers moi, et vous serez sauvés, vous qui (êtes) de la fin de la terre ; Moi, je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autre 8 .

Moi, ne (suis-je) pas YHWH ? Et il n’y a pas d’autre Dieu (Élohim) excepté moi, un Dieu (El) juste et sauveur, il n’y en a pas en dehors de moi. Tournez-vous vers moi et soyez sauvé vous tous aux confins de la terre ; car Moi, (je suis) Dieu (El), et il n’y en a pas d’autre.

46,  9-10a : καὶ μνήσθητε τὰ πρότερα ἀπὸ τοῦ αἰῶνος, ὅτι ἐγώ εἰμι ὁ θεός, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι πλὴν ἐμοῦ (…) et souvenez-vous les premières choses (qui sont) depuis toujours, car Moi, je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autre excepté moi (…) 9.

‫ׁש נוֹת ֵמ עוֹ לָם ִּכ י ָא ׂנ ִכ י ֵא ל וְ ֵא ין עוֹד‬ ׂ ‫זִ ְכ רּו ִר א‬ ‫ֱא לׂ ִה ים וְ ֶא ֶפ ס ּכָמוֹ נִי ׃‬ Rappelez-vous les premiers événements, ceux d’autrefois, car Moi, (je suis) Dieu (El), et il n’y a pas d’autre Dieu (Élohim) et nul n’est comme moi.

8.  Il est intéressant de noter que la traduction des LXX occulte la présence des trois différents noms de Dieu que contient le TM : YHWH, Élohim et El. 9.  Voir aussi 41, 13, 17 ; 42, 6, 8 ; 43, 12, 15 ; 44, 24 ; 45, 3, 7-8, 19 ; 49, 23, 26 ; 51, 15. On trouve dans ces passages les formules ἐγὼ ὁ θεός, ἐγὼ κύριος, ἐγὼ εἰμι κύριος ou ἐγὼ κύριος ὁ θεός, qui correspondent à l’hébreu ‫ ֲא נִי י ְהוׇ ה‬, ‫ ָאנ ֹ ִכ י י ְהוׇ ה‬ou ‫ ֲא נִי ֵא ל‬.

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CHAPITRE 1

Malgré quelques variantes dans la formulation, toutes ces affirmations visent à persuader les destinataires de l’unicité de YHWH et de sa suprématie sur le monde et son histoire. Ce dernier est le créateur et le maître du monde, son choix s’est arrêté sur le peuple d’Israël qui doit le reconnaître comme son Dieu, puisque les autres dieux ne sont que de la matière inerte 10. Le caractère répétitif de la formule « Je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi » lui confère une fonction de persuasion. Ces nombreuses répétitions indiquent peut-être que l’auteur introduit une conception de YHWH encore inconnue des destinataires 11. Il veut les convaincre que seul YHWH a une existence réelle. Le contexte littéraire global du Deutéro-Isaïe développe aussi plusieurs thèmes concentrés autour d’une polémique contre le culte des idoles. Le Deutéro‑Isaïe clame l’exclusivité de YHWH et crée un contraste entre Israël, élu par YHWH, et les idolâtres 12 . L’auteur tente de démontrer que seul YHWH peut aider Israël (43, 10-11), que les idoles n’ont pas de pouvoir ni d’existence réelle (44, 6-8), que YHWH est le créateur du monde et de l’humanité (45, 5-21) et qu’aucun autre Dieu n’est comparable à lui, dans la mesure où il est impossible de le comparer aux idoles créées par les hommes (46, 9-10) 13. La formule « Je suis Dieu et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi » apparaît telle une litanie destinée à prouver que seul YHWH a le pouvoir d’agir sur l’histoire. Le second Isaïe affirme avec conviction que la domination des envahisseurs n’est qu’apparente, car le Dieu d’Israël règne sur le monde 14 . Contrairement à ce qu’en pense M. S. Smith, l’auteur du Deutéro-Isaïe ne s’adresse pas nécessairement à des auditeurs qui sont familiers avec le thème de la création du monde par YHWH 15. La création est sans doute un des thèmes les plus importants développés dans le texte. Le retour de l’exil à Babylone est considéré comme une nouvelle création. C’est aussi un second exode qui permettra l’avènement d’un nouvel Israël. YHWH a accompli les premières choses et il accomplira les dernières pour le peuple qu’il a choisi 16. Il est le seul et l’unique Dieu, le Seigneur qui a créé le ciel et la terre sans l’aide d’aucun autre dieu 17. Le titre YHWH 10. Voir M. S. Smith 2001, p. 181. 11. Voir M.  Smith 1963, p. 418. Il postule que la doctrine de la création du monde par YHWH est inconnue des destinataires de l’écrit. Nous croyons que cette thèse s’applique également à la doctrine de l’unicité de Dieu. 12. Voir Vermeylen 1987, p. 231 et Clifford 1980, p. 453-454. 13.  M. S. Smith 2001, p. 180-181. 14.  Pour une étude de la formule ‫ ֲא נִי הּוא‬dans les littératures juive et chrétienne, et plus particulièrement dans le Deutéro-Isaïe, voir C. H. Williams 2000, p. 23-41. 15.  M. S. Smith 2001, p. 188. 16.  Sur l’importance du thème de la création dans le Deutéro-Isaïe, voir Stuhlmueller 1970. 17.  Clifford 1980, p. 459.

FONDEMENT SCRIPTUR AIRE

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Sabaoth évoque d’ailleurs la puissance créatrice de YHWH et sa seigneurie sur les forces de la nature 18. Cette insistance sur la création du monde par YHWH laisse croire que les destinataires n’étaient pas familiers avec cette doctrine. Quoi qu’il en soit de cette question, il importe de retenir que le Deutéro-Isaïe tient à démontrer que YHWH est le créateur du monde. Comme nous le verrons plus loin, cette prédominance du thème de la création entre les chapitres 43 à 46 d’Isaïe explique peut-être pourquoi l’affirmation « Je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi » a été insérée dans le récit de création de la plupart des versions du mythe gnostique. Cependant, dans les textes gnostiques, la perspective est inversée, car la formule est utilisée pour établir que le Dieu‑créateur n’est pas le Dieu véritable. Dans les sources gnostiques, les différentes formes de la formule isaïenne ont été utilisées à l’appui de la thèse de l’ignorance, de la vantardise ou de l’arrogance du Dieu des Écritures, chef des puissances qui gouvernent le monde inférieur. Même si cette formulation du thème de l’unicité de YHWH se trouve ailleurs dans les Écritures, les auteurs gnostiques semblent l’emprunter au second Isaïe. Comme nous serons en mesure de le constater, plusieurs thèmes importants de ce texte se rencontrent dans les sources gnostiques et sont liés au blasphème de l’Archonte : les thèmes de la création, de la prédiction de l’avenir, de l’aveuglement, de la connaissance et de l’ignorance, du piétinement des archontes, de la lumière et des ténèbres, et de l’arrogance royale. Le fondement scripturaire de l’affirmation de l’Archonte nous paraît donc être Isaïe. B. L’universalité de YHWH et les livres des Rois Les livres des Rois tentent d’expliquer la catastrophe judéenne par une réflexion théologique sur la période de l’histoire d’Israël où le peuple était gouverné par des rois. Les rois qui ont vénéré d’autres dieux que YHWH sont les principaux responsables de ce malheur 19. L’idéologie des livres des Rois est « anti‑polythéiste, exclusiviste et anti‑samaritaine » 20. Une conception très nationaliste de YHWH s’exprime tout au long des deux livres. YHWH est plus puissant que les autres dieux (cf. l’épisode du prophète Élie contre les prophètes du Baal au Carmel en 1 R 18, 20-40) et le peuple d’Israël doit lui rendre un culte exclusif au Temple de Jérusalem, qui est le seul lieu de culte autorisé. À  la fin de la prière solennelle de Salomon lors de la consécration du Temple, nous trouvons une expression de la foi monothéiste sous une forme qui rejoint la représentation de Dieu d’Isaïe : 18.  Wambacq 1947, p. 198. 19. Voir K nauf 2004, p. 305-307. 20.  K nauf 2004, p. 309.

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CHAPITRE 1

Texte des LXX 21 1 R 8,  60 : ὅπως γνῶσι πάντες οἱ λαοὶ τῆς γῆς, ὅτι Κύριος ὁ θεὸς, αὐτὸς Θεὸς, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι. (…) de sorte que tous les peuples de la terre sachent que le Seigneur Dieu, luimême (est) Dieu, et qu’il n’y en a pas d’autre.

Texte massorétique ‫ְל ַמ ַע ן ַּד ַע ת ָּכ ל־ ַע ֵּמ י ָה ָא ֶר ץ ִּכ י י ְה וָה הּוא‬ : ‫ָה ֱא ל ֹ ִה ים ֵא ין עֹוד‬ (…) de sorte que tous les peuples de la terre sachent que YHWH est Dieu (Élohim), qu’il n’y en a pas d’autre.

La formule s’inspire probablement d’Is 45, 5-7, 18 ou peut‑être même de Dt 4, 35, 39. Elle exprime à tout le moins l’unicité de YHWH ainsi que sa prétention à l’universalité. À  notre connaissance, ce thème n’est pas développé davantage, sauf peut-être en 2 R 19, 15, 19. C’est plutôt le thème de la supériorité et de l’exclusivité de YHWH qui prend toute la place. Le Deutéro‑Isaïe et les livres des Rois sont des œuvres contemporaines qui présentent deux interprétations différentes et concurrentes de la catastrophe judéenne de 586 av. J.-C. Cette formulation de l’universalité de YHWH sous une forme indirecte trouve écho dans certains textes gnostiques où le blasphème de l’Archonte est rapporté sous la forme d’un discours indirect, comme dans l’Elenchos  VI, 36, 2 et VII, 25, 1-5. C. La souveraineté de YHWH dans le livre de Joël Le livre de Joël se caractérise par sa saveur apocalyptique, où jugement cosmique et promesse de salut se succèdent. L’auteur annonce avec insistance la venue du « Jour de YHWH » (cf. 1, 15 ; 2, 1, 11 ; 3, 4 ; 4, 14), ce qui lui permet de souligner la souveraineté totale de celui-ci sur les modalités de l’existence humaine 22. L’affirmation de son unicité en 2, 27 est donc à interpréter à la lumière de cette vision de la destinée humaine : Texte des LXX 23 2,  27 : καὶ ἐπιγνώσεσθε ὅτι ἐν μέσῳ τοῦ ᾽Ισραὴλ ἐγώ εἰμι, καὶ ἐγὼ κύριος ὁ θεὸς ὑμῶν, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι πλὴν ἐμοῦ, καὶ οὐ μὴ καταισχυνθῶσιν οὐκέτι πᾶς ὁ λαός μου εἰς τὸν αἰῶνα. Et vous saurez que moi, je suis au milieu d’Israël et que moi, (je suis) le Seigneur votre Dieu, et qu’il n’y en a pas d’autre excepté moi. Et tout mon peuple ne connaîtra plus jamais la honte.

Texte massorétique ‫וִי ַד ְע ֶּת ם ּכי ְב ֶק ֶר ב י ִׂשְ ָר ֵא ל ָא נִי וַ ֲא נִי י ְה וָה‬ ‫ֱא ל ֹ ֵה י ֶכ ם וְ ֵא ין עֹוד וְל ֹא־ י ֵב ֹׁשּו ַע ִּמ י ְל עֹו לָם ׃‬

Alors vous saurez que je suis au milieu d’Israël, moi, et que moi, (je suis) YHWH votre Dieu (Élohim), et qu’il n’y en a pas d’autre. Et mon peuple ne connaîtra plus jamais la honte.

21.  D’après l’édition de Brenton 2003, p. 458. Traduction personnelle. 22. Voir M acchi 2004a, p. 402-403. 23.  Selon l’édition de Ziegler 1984, p. 235. Traduction personnelle.

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Cette affirmation de l’unicité de YHWH survient dans un développement qui promet le salut à Israël (2, 18-27). Il s’agit d’un poème où se succèdent bénédiction (2, 18-19), malédiction (2, 20), cantique de louange (2, 21-24), discours de YHWH (2, 25) et oracle de YHWH (2, 26-27) 24 . L’oracle vise à démontrer le rétablissement de l’alliance en mentionnant que le peuple élu ne connaîtra plus la honte devant les nations et que YHWH est unique, qu’il n’y en a pas d’autre excepté lui. Le thème de l’unicité de Dieu est complémentaire à celui du « Jour de YHWH », qui assurera la victoire d’Israël sur toutes les nations. En fait, c’est la réalité de l’existence de ce jour que cherche à démontrer l’auteur. Pour ce faire, il utilise l’idée bien connue de l’unicité de YHWH, ce qui donne de la validité à sa thèse de la victoire finale d’Israël et de son Dieu. Dans sa formulation, ce passage est très proche de la plupart des attestations du blasphème de l’Archonte. D. Le Dieu unique du Siracide La jeunesse relative du Siracide se fait sentir dans la représentation de Dieu qu’il construit. Aux côtés des thèmes de la sagesse et de la crainte de Dieu qui représentent le fil conducteur de l’œuvre, celui de l’unicité de Dieu est important. Il n’est plus question du Dieu national, malgré la tendance de l’auteur à ne s’intéresser qu’au destin d’Israël. Dieu est éternel et unique (18, 1 ; 24, 24 ; 36, 4 ; 42, 21) ; il est l’auteur de la création (16, 26-27 ; 42, 15-25 ; 43, 33) ; il est universel (10, 4 ; 17, 1-10 ; 36, 1 ; 50, 15, 22) ; il est omniscient (42, 18-19) ; il est le tout (43, 27). L’affirmation de son unicité en des termes semblables à ceux utilisés dans le second Isaïe et le Deutéronome se rencontre à deux reprises. D’abord, dans la recension longue du texte grec (Grec II) des manuscrits 248, 493 et 637, elle est insérée dans un développement sur la Sagesse et la Loi : Recension lucanienne (ms. 248-493-637) 25

Traduction

24,  24 : μὴ ἐκλύεσθε ἰσχύειν ἐν κυρίῳ, κολλᾶσθε δὲ πρὸς αὐτόν, ἵνα κραταιώσῃ ὑμᾶς. κύριος παντοκράτωρ θεὸς μόνος ἐστίν, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι πλὴν αὐτοῦ σωτήρ.

Ne cessez pas de vous fortifier dans le Seigneur, attachez‑vous à lui afin qu’il vous soutienne. Le Seigneur tout‑puissant est le seul Dieu et, excepté lui, il n’y a pas d’autre sauveur.

Ce verset affirme très clairement l’idée de l’unicité de Dieu, ce qui est tout à fait cohérent avec la théologie de l’écrit. Ce passage semble être une juxtaposition d’Is 43, 11 et du Dt 4, 35 ou 39, mais il pousse encore plus loin la réflexion sur l’unicité de Dieu en utilisant le mot grec μόνος, qui 24. Voir Jacob , K eller et A msler 1982, p. 134-135. Ils mentionnent que ces thèmes conviendraient parfaitement à la fête du Nouvel‑An. 25.  Selon l’édition de Ziegler 1980, p. 240. Traduction personnelle.

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CHAPITRE 1

est précisément le qualificatif employé pour désigner l’unicité de quelqu’un ou de quelque chose. Ensuite, le thème se rencontre dans une prière, où Israël supplie YHWH de manifester sa puissance contre les nations étrangères : Texte des LXX 26 33,  5  (36,  5) : καὶ ἐπιγνώτωσάν σε, καθάπερ καὶ ἡμεῖς ἐπέγνωμεν ὅτι οὐκ ἔστιν θεὸς πλὴν σοῦ, κύριε. Et qu’elles te connaissent comme nous avons nous aussi reconnu qu’il n’y a pas de Dieu excepté toi, Seigneur.

Texte hébreu 27 ‫וְי ֵ ְד עּו ַּכ ֲא ׁשֶ ר י ָ ָד ְע נּו ִּכ י ֵא ין ֱא ל ֹ ִה ים זּו ָל ֶת ָך ׃‬

Et qu’elles te connaissent comme nous avons reconnu qu’il n’y a pas de Dieu (Élohim) en dehors de toi.

Ce verset fait partie d’un ensemble plus vaste (36, 1-22) caractérisé par sa dureté envers les nations étrangères, qui tranche sur le caractère plutôt serein de l’œuvre. Cette prière pour la délivrance et la restauration d’Israël contient possiblement une allusion directe à la persécution d’Antiochus Épiphane (175-164 av. J.-C.), qui poussa son arrogance jusqu’à s’exalter au‑dessus de tous les dieux selon l’auteur de Dn 11, 36-37 (cf. Si 36, 12) 28. La mention disant que les nations étrangères connaîtront – comme Israël a reconnu –, l’unicité de YHWH rappelle 1 R 8, 60. Cependant, le style « confession de foi » du passage évoque plutôt Dt 4, 35, 39. E. Le Dieu unique et jaloux du Deutéronome Comme en Isaïe, le thème de l’unicité de YHWH est développé dans le Deutéronome, ainsi que l’idée de son exclusivité (5, 6-9 ; 6, 14). L’unicité et l’universalité de YHWH s’expriment en des termes semblables à ceux qu’utilise le second Isaïe : Texte des LXX 29 4,  35 : (…)  ὥστε εἰδέναι σε ὅτι κύριος ὁ θεός σου, οὗτος θεός ἐστιν, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι πλὴν αὐτοῦ. (…) de telle sorte que tu sais que le Seigneur ton Dieu, c’est lui qui est Dieu, et il n’y en a pas d’autre excepté lui.

Texte massorétique ‫ַא ָּת ה ָה ְר ֵא ָת ָל ַד ַע ת ִּכ י י ְה וָה הּוא ָה ֱא ל ֹ ִה ים ֵא ין‬ ‫עוֹד ִמ ְל ַב ּדוֹ ׃‬ À toi, il a été donné de voir pour que tu saches que YHWH, (c’est) lui le Dieu  (Élohim) : il n’y en a pas d’autre en dehors de lui.

26.  Selon l’édition de Ziegler 1980, p. 290. Traduction personnelle. 27.  Notre retranscription du texte hébreu est tirée de l’édition de M. H. Segal 1958, p. 225. 28. Voir Skehan et Di L ella 1987, p. 421-422 et Crenshaw 1997, p. 800. Sur le motif de l’arrogance royale, voir infra. 29. Voir l’édition de Wevers 2006, p. 104-106 ; 357. Traduction modifiée de Dogniez et H arl 2001, p. 745 ; 849.

FONDEMENT SCRIPTUR AIRE

4,  39 : καὶ γνώσῃ σήμερον καὶ ἐπιστραφήσῃ τῇ διανοίᾳ ὅτι κύριος ὁ θεός σου, οὗτος θεὸς ἐν τῷ οὐρανῷ ἄνω καὶ ἐπὶ τῆς γῆς κάτω, καὶ οὐκ ἔστιν ἔτι πλὴν αὐτοῦ. Et tu sauras aujourd’hui et tu considéreras dans ton for intérieur que le Seigneur ton Dieu, c’est lui (qui est) Dieu dans le ciel en-haut et sur la terre en bas, et qu’il n’y en a pas d’autre excepté lui. 32,  39 : ἴδετε ἴδετε ὅτι ἐγώ εἰμι, καὶ οὐκ ἔστιν θεὸς πλὴν ἐμοῦ· ἐγὼ ἀποκτενῶ καὶ ζῆν ποιήσω, πατάξω κἀγὼ ἰάσομαι, καὶ οὐκ ἔστιν ὃς ἐξελεῖται ἐκ τῶν χειρῶν μου. Voyez, voyez que Moi, je suis, et il n’y a pas de Dieu excepté moi. Moi, je tuerai et je ferai vivre, je frapperai et moi, je guérirai, et il n’y a rien qui puisse se soustraire de mes mains.

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‫וְי ָ ַד ְע ָּת ַה ּיֹום וַ ֲה ׁשֵ ב ֹ ָת ֶא ל־ ְל ָב ֶב ָך ִּכ י י ְה וָה הּוא‬ ‫ַה ֱא ל ֹ ִה ים ַּב ָּׁש ַמ י ִם ִמ ַּמ ַע ל וְ ַע ל־ ָה ָא ֶר ץ ִמ ָּת ַח ת ֵא ין‬ ‫עֹוד ׃‬

Reconnais aujourd’hui, et médite dans ton cœur que YHWH, (c’est) lui le Dieu (Élohim) (qui est) en haut dans ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. ‫ְר אּו ַע ָּת ה ִּכ י ֲא נִי ֲא נִי הּוא וְ ֵא ין ֱא ל ֹ ִה ים ִע ָּמ ִד י‬ ‫ֲא נִי ָא ִמ ית וַ ֲא ַח ּי ֶה ָמ ַח ְצ ִּת י וַ ֲא נִי ֶא ְר ָּפ א וְ ֵא ין‬ ‫ִמ ּי ָ ִד י ַמ ִּצ יל ׃‬

Voyez maintenant que Moi, moi-même, (je) le (suis) et il n’y a pas de Dieu avec moi. Moi, je mets à mort et je ramène à la vie, j’ai blessé, et moi, je vais guérir, et personne ne délivre de ma main.

Les deux premières formules font partie d’un morceau qui développe les thèmes de l’observance de la Loi, de l’abstention de l’idolâtrie, de l’exil, de la repentance et de l’élection d’Israël. Selon M. Weinfeld, Dt 4, 1-40 est un sermon qui exprime les idées de la liturgie synagogale de la période du Second Temple à la lumière de l’exil à Babylone 30. Ce passage reflète en fait deux piliers de la foi juive, soit le respect de la Loi et l’unicité de YHWH, sous la forme d’une confession de foi 31. Ce sermon cherche à démontrer la particularité de YHWH, un Dieu qui se fait voir et entendre de son peuple, ce que les dieux des autres nations ne peuvent pas faire. C’est pourquoi il faut respecter la Loi qu’il a donnée et se garder de l’idolâtrie 32 . Les idoles sont l’ouvrage de la main de l’homme, elles sont faites en bois et en pierre, et ne peuvent ni voir ni entendre. La désobéissance à la Loi mènera Israël en exil, loin de la terre promise 33. Le Dieu d’Israël se fait voir et entendre pour que son peuple sache que YHWH est Dieu,

30.  Weinfeld 1991, p. 221-223. 31.  Selon M. Weinfeld, le passage de Dt 4, 32-40 ressemble à une déclaration de foi qui sert à affermir le concept de l’unicité de Dieu et à encourager l’observance de la Loi. Voir Weinfeld 1991, p. 210-211. 32.  Weinfeld 1991, p. 202. 33.  Le Dt 4, 23-31 décrit la situation des destinataires de l’écrit. Ce sont des gens qui ont vécu l’exil à Babylone et qui espèrent un retour en terre promise par le renouvellement de l’alliance avec YHWH. Voir Weinfeld 1991, p. 207. Voir aussi Clemens 1994, p. 319.

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dans le ciel et sur la terre, et qu’il n’y en a pas d’autre en dehors de lui. Voilà en condensé l’essentiel du sermon de Dt 4, 1-40. Les thèmes élaborés dans ce passage recoupent en bonne partie ceux d’Isaïe. D’abord, Dt 4, 35, 39 nient explicitement l’existence des autres dieux et affirment l’unicité de YHWH. Ces passages rappellent aussi 1 R 8, 60, qui développe les idées de son universalité et unicité en des termes presque identiques. Le Deutéronome condamne ensuite le culte des idoles et indique par ailleurs qu’elles n’ont pas d’existence réelle puisqu’elles sont l’ouvrage de la main de l’homme (4, 28). Ce type de sarcasme concernant les idoles est unique au Deutéronome dans le Pentateuque, mais typique de la littérature prophétique, en particulier en Isaïe comme nous l’avons constaté ci-dessus  3 4 . Le culte des idoles est d’ailleurs interprété comme la cause directe de l’exil à Babylone, qui est ici prophétisé par Moïse (4, 25-27). La polémique contre les idoles et la conscience de l’unicité de YHWH semblent constituer une élaboration du second commandement en réaction aux conditions difficiles auxquelles fut confronté le peuple juif lors de l’exil. Le Deutéronome cherche donc à persuader ses destinataires que la fidélité envers YHWH passe par le rejet du culte des idoles. La condamnation du culte des idoles est également l’occasion d’évoquer le thème de la jalousie de YHWH (4, 24). Cette notion renvoie plutôt à la question de son exclusivité. Le Dieu d’Israël est jaloux de l’alliance qu’il a faite avec son peuple. Cette dernière exige qu’Israël se garde de rendre un culte à des divinités autres que YHWH et de fabriquer des idoles. L’idée de la jalousie de YHWH est d’ailleurs développée en lien avec l’interdiction de fabriquer des idoles de la version du décalogue de Dt 5, 6-21, qu’on retrouve aussi en Ex 20, 2-17. Le thème de la jalousie est très important, car il est une partie intégrante du blasphème de l’Archonte dans les versions barbélo-séthiennes du mythe gnostique. Quant à l’affirmation de l’exclusivité de Dieu de Dt 32, 39, elle fait partie d’un ensemble plus vaste qu’on appelle généralement le Cantique de Moïse (Dt 31, 30-32, 52). Cette section renouvelle l’espoir que YHWH pardonnera à Israël malgré son infidélité et que ses ennemis seront punis. Elle annonce l’exclusivité de YHWH et non pas directement son unicité, puisqu’il y est affirmé la pluralité des puissances divines à l’œuvre dans le monde. En effet, lorsque YHWH dispersa les humains, il fixa le territoire des peuples selon le nombre des fils de Dieu (32, 8). En Dt 32, 39, c’est la supériorité de YHWH sur tous les autres dieux qui est déclarée. Il fait vivre et mourir, et par conséquent, les autres dieux n’ont aucun pouvoir en comparaison de lui. Les dieux des autres nations sont soumis au Dieu 34.  Sur cette question, voir Weinfeld 1991, p. 209.

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d’Israël qui est en réalité le véritable souverain universel 35. C’est là, nous semble‑t‑il, le message essentiel qui se cache derrière l’affirmation « Voyez maintenant que Moi, moi-même, (je) le (suis) et il n’y a pas de Dieu avec moi ». En contrepartie, le texte des LXX penche plutôt en direction du thème de l’unicité de Dieu, car la préposition ‫ ִע ָּמ דִי‬du TM est traduite par πλὴν, ce qui donne un tout autre sens à l’affirmation. Ainsi, le Deutéronome adopte une position ambivalente par la conception de YHWH qu’il construit, affirmant à la fois son exclusivité et son unicité, mais surtout la conviction que le destinataire doit se garder de rendre un culte aux idoles, car les autres dieux n’existent pas : « YHWH est UN » dit le Shema Israël (Dt 6, 4). Le thème de l’unicité de YHWH est somme toute assez rare dans l’ensemble des Écritures. Seuls Isaïe, Joël, les livres des Rois, le Siracide et le Deutéronome semblent développer cette thématique. Les auteurs gnostiques reprennent donc une notion bien connue des Écritures, mais spécifique, pour s’inscrire dans le plus large débat sur l’identité de YHWH. L’affirmation « Je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autres en dehors de moi » n’est pas perçue comme une preuve de la suprématie et de l’unicité de YHWH, mais comme un blasphème contre le Dieu véritable. Les attaques de YHWH contre les faux-dieux sont littéralement retournées contre lui. Le thème de la jalousie de YHWH envers le peuple élu est aussi retourné contre lui dans plusieurs textes gnostiques. Il est même parfois incorporé à la formule du blasphème de l’Archonte, en combinaison avec les affirmations tirées d’Isaïe. Alors que dans les Écritures le motif de la jalousie développe l’idée de l’exclusivité de YHWH, pour les auteurs gnostiques, il est le signe non seulement de sa méchanceté, mais de l’existence d’un Dieu supérieur à lui. Comme le dit si bien le rédacteur de l’ApocrJn : « car s’il n’en existait pas d’autre, de qui aurait-il été jaloux 36 ? » F. Le Dieu jaloux de l’Exode Le livre de l’Exode marque le passage de l’alliance de Dieu avec les patriarches à son alliance avec le peuple d’Israël par l’intermédiaire de Moïse. L’Exode fait partie d’un ensemble littéraire qui raconte les événements survenus lors de la sortie d’Égypte jusqu’à l’entrée en terre promise, ce qui représente près de la moitié du Pentateuque. L’Exode développe, entre autres choses, le thème de l’exclusivité de YHWH. Ce thème est au cœur des deux versions du décalogue que nous trouvons dans l’Ex 20, 2-17 et dans le Dt 5, 6-21, et entend dénoncer le culte des idoles.

35. Voir Clemens 1994, p. 529-530. 36.  ApocrJn BG 44, 17-18. Traduction personnelle.

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Texte des LXX 37 Ex 20,  1-5 : καὶ ἐλάλησε κύριος πάντας τοὺς λόγους τούτους λέγων ἐγώ εἰμι κύριος ὁ θεός σου, ὅστις ἐξήγαγόν σε ἐκ γῆς Αἰγύπτου ἐξ οἴκου δουλείας. οὐκ ἔσονταί σοι θεοὶ ἕτεροι πλὴν ἐμοῦ. – οὐ ποιήσεις σεαυτῷ εἴδωλον οὐδὲ παντὸς ὁμοίωμα, ὅσα ἐν τῷ οὐρανῷ ἄνω καὶ ὅσα ἐν τῇ γῇ κάτω καὶ ὅσα ἐν τοῖς ὕδασιν ὑποκάτω τῆς γῆς. οὐ προσκυνήσεις αὐτοῖς οὐδὲ μὴ λατρεύσῃς αὐτοῖς· ἐγὼ γάρ εἰμι κύριος ὁ θεός σου, θεὸς ζηλωτὴς ἀποδιδοὺς ἁμαρτίας πατέρων ἐπὶ τέκνα, ἕως τρίτης καὶ τετάρτης γενεᾶς τοῖς μισοῦσιν με (…).

Texte massorétique : ‫וַ י ְ ַד ֵּב ר ֱא ל ִה ים ֵא ת ָּכ ל־ ַה ְּד ָב ִר ים ָה ֵא ֶּל ה ֵל אמ ֹר‬ ‫ָאנ ֹ ִכ י י ְה וָה ֱא ל ֶה י ָך ֲא ׁשֶ ר הֹו ֵצ א ִת י ָך ֵמ ֶא ֶר ץ‬ ‫ִמ ְצ ַר י ִם ִמ ֵּב ית ֲע ָב ִד ים ׃ ל ֹא י ִ ְה י ֶה־ ְל ָך ֱא ל ִה ים‬ ‫ֲא ֵח ִר ים ַע ל־ ָּפ נָ י ַ לא ַת ֲע ׂשֶ ה־ ְל ָך ֶפ ֶס ל וְ ָכ ל־ ְּת מּו נָה‬ ‫ֲא ׁשֶ ר ַב ּׁשָ ַמ י ִם ִמ ַּמ ַע ל וַ ֲא ׁשֶ ר ָּב ָא ֶר ץ ִמ ַָּת ַח ת וַ ֲא ׁשֶ ר‬ ‫ַּב ַּמ י ִם ִמ ַּת ַח ת ָל ָא ֶר ץ ל ֹא־ ִת ׁשְ ַּת ְח וֶה ָל ֶה ם וְל ֹא‬ ‫ָת ָע ְב דֵם ִּכ י ָאנ ֹ ִכ י י ְה וָה ֱא ל ֶה י ָך ֵא ל ַק ּנָא ּפ ֵק ד‬ ‫ֲע ֹון ָאב ֹת ַע ל־ ָּב נִ י ִם ַע ל־ׁשִ ֵּל ׁשִ ים וְ ַע ל־ ִר ֵּב ִע ים‬ ‫ְל ׂש ֹנְָאי ׃‬

Et le Seigneur prononça toutes les paroles que voici en ces termes : « Moi, je suis le Seigneur ton Dieu, celui qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, hors de la maison de l’esclavage. Il n’y aura pas pour toi d’autres dieux excepté moi. Tu ne feras pas pour toi-même d’idole, ni d’image de rien de ce qui (est) dans le ciel, en haut, ni de ce qui (est) sur la terre, en bas, ni de ce qui (est) dans les eaux, au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant eux, ni ne les serviras ; car Moi, je suis le Seigneur ton Dieu, un Dieu jaloux qui reporte les péchés des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération, pour ceux qui me haïssent  (…) ».

Et Dieu (Élohim) prononça toutes ces paroles disant : « Moi, (je suis) YHWH ton Dieu (Élohim), qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de l’esclavage. Il n’y aura pas pour toi d’autres dieux devant ma face. Tu ne te feras pas une idole, ni aucune forme de ce qui (est) dans les cieux là-haut, de ce qui (est) sur la terre ici-bas ou de ce qui (est) dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les serviras pas, car Moi, (je suis) YHWH ton Dieu (Élohim), un Dieu (Élohim) jaloux, punissant les enfants pour le péché des pères jusqu’à la troisième et la quatrième (génération) de ceux qui me détestent ».

Dt 5,  6-8 : (…)  λέγων ἐγὼ κύριος ὁ θεός σου ὁ ἐξαγαγών σε ἐκ γῆς Αἰγύπτου, ἐξ οἴκου δουλείας. οὐκ ἔσονταί σοι θεοὶ ἕτεροι πρὸ προσώπου μου. οὐ ποιήσεις σεαυτῷ γλυπτὸν οὐδὲ παντὸς ὁμοίωμα, ὅσα ἐν τῷ οὐρανῷ ἄνω καὶ ὅσα ἐν τῇ γῇ κάτω καὶ ὅσα ἐν τοῖς ὕδασιν ὑποκάτω τῆς γῆς. οὐ πρόσκυνήσεις αὐτοῖς οὐδὲ μὴ λατρεύσῃς αὐτοῖς, ὅτι ἐγώ εἰμι κύριος ὁ θεός σου, θεὸς ζηλωτὴς ἀποδιδοὺς ἁμαρτίας πατέρων ἐπὶ τέκνα ἐπὶ τρίτην καὶ τετάρτην γενεὰν τοῖς μισοῦσίν με (…).

‫ֵל אמ ֹר ׃ ָאנ ֹ ִכ י י ְה וָה ֱא ל ֹ ֶה י ָך ֲא ׁשֶ ר הֹו ֵצ א ִת י ָך‬ ‫ֵמ ֶא ֶר ץ ִמ ְצ ַר י ִם ִמ ֵּב ית ֲע ָב ִד ים ׃ ל ֹא י ִ ְה י ֶה־ ְל ָך‬ ‫ֱא ל ִה ים ֲא ֵח ִר ים ַע ל־ ָּפ נָ י ַ ׃ ל ֹא ַת ֲע ׂשֶ ה־ ְל ָך ֶפ ֶס ל‬ ‫ָּכ ל־ ְּת מּו נָה ֲא ׁשֶ ר ַּב ּׁשָ ַמ י ִם ִמ ַּמ ַע ל וַ ֲא ׁשֶ ר ָּב ָא ֶר ץ‬ ‫ִמ ָּת ַח ת וַ ֲא ׁשֶ ר ַּב ַּמ י ִם ִמ ַּת ַח ת ָל ָא ֶר ץ ׃ ל ֹא־‬ ‫ִת ׁשְ ַּת ֲח וֶה‬ ‫ָל ֶה ם וְל ֹא ָת ָע ְב דֵם ִּכ י ָאנ ֹ ִכ י י ְה וָה ֱא ל ֹ ֶה י ָך ֵא ל‬ ‫ַק ּנָא ּפ ֵק ד ֲע ֹון‬ ‫ָאבֹות ַע ל־ ָּב נִ י ִם וְ ַע ל־ׁשִ ֵּל ׁשִ ים וְ ַע ל־ ִר ֵּב ִע ים‬ ‫ְל ׂש ֹנְָאי ׃‬

37. Pour l’édition et la traduction de l’Exode, voir Dogniez et H arl 2001, p. 382-383. La traduction a été légèrement modifiée. Pour l’édition du Deutéronome, voir Wevers 2006, p. 110-111. Traduction modifiée de Dogniez et H arl 2001, p. 746-747.

FONDEMENT SCRIPTUR AIRE

(…) disant : « Moi, je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, hors de la maison de l’esclavage. Il n’y aura pas pour toi d’autres dieux devant ma face. Tu ne feras pas pour toi-même d’image gravée, ni d’image de rien de ce qui (est) dans le ciel, en haut, ni de ce qui (est) sur la terre, en bas, ni de ce qui (est) dans les eaux, au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant eux, ni ne les serviras, parce que Moi, je suis le Seigneur ton Dieu, un Dieu jaloux, qui reporte les péchés des pères sur les enfants sur la troisième et la quatrième génération pour ceux qui me haïssent  (…) ».

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(…) disant : « Moi, (je suis) YHWH ton Dieu (Élohim), qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de l’esclavage. Il n’y aura pas pour toi d’autres dieux devant ma face. Tu ne te feras pas une idole, rien qui ait l’image de ce qui (est) dans les cieux là-haut, de ce qui (est) sur la terre ici-bas ou de ce qui (est) dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les serviras pas, car Moi, (je suis) YHWH ton Dieu (Élohim), un Dieu (Élohim) jaloux, punissant les enfants pour le péché des pères jusqu’à la troisième et la quatrième (génération) de ceux qui me détestent ».

Les versions du décalogue du texte des LXX divergent davantage l’une de l’autre que celles du TM, ce qui indique que c’est au moment de la traduction que ces variations sont survenues. Le TM du décalogue de l’Exode affirme clairement l’exclusivité de YHWH, alors que la traduction grecque des LXX se rapproche peut‑être plus du concept de son unicité en traduisant ַ ‫ ַע ל־ ָּפ נָי‬par πλὴν ἐμοῦ. Quoi qu’il en soit, la différence majeure entre ces versions du décalogue concerne la justification du sabbat. Dans Ex 20, 8-11, le sabbat sert à justifier le repos sacerdotal de YHWH après la création de Gn 2, 1-3, alors que dans Dt 5, 12-15, il constitue le souvenir de la servitude en Égypte 38. Ces deux versions ont donc une orientation théologique différente malgré leur ressemblance apparente. Dans le livre de l’Exode, le décalogue débute en réalité au verset 2. Ce dernier constitue un rappel de la sortie d’Égypte : « Moi, je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, hors de la maison de l’esclavage ». Il évoque le souvenir de l’intervention salvifique de YHWH pour son peuple captif en Égypte. Contrairement au Dieu d’Isaïe, celui de l’Exode n’est pas désigné comme un Dieu universel ni comme un Dieucréateur, mais plutôt comme un sauveur et libérateur 39. Voilà pourquoi Israël doit s’attacher exclusivement à son culte. C’est d’ailleurs le sens du verset 3, qui affirme explicitement que les destinataires, en l’occurrence Israël, ne doivent pas servir d’autres dieux. Ce commandement concerne donc le culte exclusif de YHWH. En fait dans l’Exode, YHWH révèle sa véritable identité. Il est le Dieu national du peuple juif, le Dieu de la Loi. L’Exode développe ainsi le thème de l’exclusivité de YHWH et non pas celui de son unicité 40. Il serait plus juste de parler de l’hénothéisme, ou 38.  M acchi 2004b, p. 176. 39. Voir M ichaeli 1974, p. 174. 40. Voir Vanhoomissen 2002, p. 167.

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encore de la monolâtrie du livre de l’Exode. Ces termes désignent en effet l’action de rendre un culte à un seul Dieu, en évitant d’en rendre un aux divinités des peuples voisins, sans en nier pour autant l’existence. Ainsi, la formule « tu n’auras pas d’autres dieux face à moi » (20, 3) assume l’existence des autres dieux, mais tente de valoriser YHWH en les excluant de son culte (cf. aussi 15, 11) 41. Le thème de la jalousie de YHWH est développé au verset 5, en complément à l’interdiction de sculpter des images et de rendre un culte aux autres dieux. Il pointe encore une fois en direction du concept de l’exclusivité de YHWH : le Dieu d’Israël a conclu une alliance avec son peuple exigeant qu’il renonce au culte des dieux des autres nations. Cette jalousie n’est pas envers les autres dieux mais envers son peuple. C’est le cadre de l’alliance qui justifie et explique cette notion 42 . La polémique contre le culte des idoles des premiers versets du décalogue vise donc à affirmer l’exclusivité de YHWH et à convaincre les destinataires de l’écrit de la nécessité de se soumettre à son culte, lui qui a délivré le peuple d’Israël de sa servitude en Égypte. Cette délivrance de la captivité en Égypte nécessite en effet le service de YHWH. En aucun cas, l’existence des autres dieux n’est remise en question. Cette insistance sur l’exclusivité de YHWH suppose au contraire un contexte polythéiste. Et l’idée de jalousie n’est qu’une façon différente de manifester l’exigence du culte exclusif de YHWH (cf. aussi Ex 34, 14 ; Dt 4, 24 ; 6, 15 ; Na 1, 2 ; Is 42, 13). La jalousie de YHWH en raison des infidélités de son peuple est aussi exprimée à de nombreuses reprises dans Ézéchiel (cf. 5, 13 ; 8, 3 ; 16, 38, 42 ; 23, 25 ; 39, 25) 43. L’exclusivité et la jalousie sont en fait deux thèmes complémentaires. Nous sommes donc très loin du concept de la jalousie de l’Archonte à l’égard du Dieu véritable des textes gnostiques d’inspiration barbéliotes, qui implique un déplacement du sens. Dans ces écrits, l’affirmation d’Ex 20, 5 sur la jalousie de YHWH est juxtaposée à la formule isaïenne sur son unicité : « Moi, je suis un Dieu jaloux, et excepté moi il n’y en a pas d’autre »  4 4 . G. L’exclusivité de YHWH dans le livre d’Osée Le livre d’Osée est caractérisé par sa critique virulente de l’idolâtrie. Israël et Éphraïm sont accusés d’avoir été infidèles à YHWH en se livrant au culte de fertilité de Baal. L’auteur d’Osée dénonce la pratique 41. Voir Penchansky 2005, p. 33 ; De Vaux, vol. I, 1971, p. 432. 42.  Vanhoomissen 2002, p. 169. Sur la question de la jalousie de YHWH, voir l’étude de B. R enaud 1963. 43. Pour un dossier plus complet des différentes utilisations du thème de la jalousie dans les Écritures, voir Stumpff 1966, p. 877-888. 44.  Voir le chapitre VII et la partie III.

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du culte de YHWH dans lequel il est représenté comme un taureau. L’auteur reproche en fait à ses auditeurs d’avoir confondu YHWH et Baal (2, 10-19 ; 11, 2 ; 13, 1) 45. La polémique contre les idoles est semblable à celle que l’on rencontre en Isaïe. Les idoles sont une fabrication d’or et d’argent qui est l’œuvre de l’artisan et qui ne doit pas être confondue avec Dieu (cf. 8, 4-6 ; 11, 2 ; 13, 1-3). Mais contrairement à Isaïe, Osée ne soutient pas directement que les idoles n’existent pas. En 13, 4, on affirme l’exclusivité de YHWH, comme dans le premier commandement du décalogue. Dans la traduction des LXX, une adjonction donne une saveur monothéiste au passage en mentionnant que la création du ciel, de la terre et des puissances célestes est l’œuvre de YHWH. Texte des LXX  4 6 13,  4 : ἐγὼ δὲ κύριος ὁ θεός σου στερεῶν οὐρανὸν καὶ κτίζων γῆν, οὗ αἱ χεῖρες ἔκτισαν πᾶσαν τὴν στρατιὰν τοῦ οὐρανοῦ, καὶ οὐ παρέδειξά σοι αὐτὰ τοῦ πορεύεσθαι ὀπίσω αὐτῶν· καὶ ἐγὼ ἀνήγαγόν σε ἐκ γῆς Αἰγύπτου, καὶ θεὸν πλὴν ἐμοῦ οὐ γνώσῃ, καὶ σῴζων οὐκ ἔστι πάρεξ ἐμοῦ. Or moi (je suis) le Seigneur ton Dieu, qui a affermi le ciel et fondé la terre, dont les mains ont fondé toute l’armée du ciel ; et je ne te les ai pas montrés pour que tu marches derrière eux ; et je t’ai fait sortir du pays d’Égypte ; et tu ne dois pas connaître un Dieu excepté moi, et il n’y a pas de sauveur en dehors de moi.

Texte massorétique ‫וְָאנ ֹ ִכ י י ְה וָה ֱא ל ֶה י ָך ֵמ ֶא ֶר ץ ִמ ְצ ָר י ִם וֵאל ִה ם‬ ‫זּו ָל ִת י ל ֹא ֵת ָד ע ּומֹוׁשִ י ַע ַא י ִו ִּב ְל ִּת י ׃‬

Et moi, (je suis) YHWH ton Dieu (Élohim), du pays d’Égypte – Et tu ne connaîtras pas de Dieu (Élohim) en dehors de moi, il n’y a pas de sauveur excepté moi – (…).

La polémique du verset 4 contre ce type d’idolâtrie de la version des LXX est unique dans Osée 47. Elle semble dénoncer le culte des astres, ce qui présuppose le contexte de l’exil à Babylone ou de l’Empire perse 48. Cette insertion vise en fait à actualiser le texte en présentant YHWH sous les traits du créateur universel. Le verset 4 combine la première affirmation du décalogue (cf. Ex 20, 2 et Dt 5, 6) à une juxtaposition des versets d’Is 43, 11 et 44, 6 (cf. aussi 45, 21b-22 et 46, 9-10a). La composition du verset 4 est donc à situer lors de la période exilique ou postexilique, où le souvenir de la sortie de l’Égypte et l’exigence de l’exclusivité du culte de YHWH sont devenus deux piliers de la foi. Le livre d’Osée défend l’idée 45. Voir Römer 2004, p. 387. 46.  Selon l’édition de Ziegler 1984, p. 176-177. Traduction personnelle. 47. Voir A ndersen et Freedman 1980, p. 634. 48.  Ce passage pourrait bien être une dénonciation du culte de la divinité solaire Ahura‑Mazda.

58

CHAPITRE 1

du Dieu national qui exige de ses fidèles un culte exclusif qui passe par le rejet du culte des idoles, sans développer cependant le thème de la jalousie de YHWH. Il est par ailleurs intéressant de noter que ce dernier est présenté comme un lion à deux reprises dans le livre d’Osée (cf. Os 5, 14 et 13, 7), ce qui rejoint certaines représentations du Dieu-créateur, l’Archonte Yaldabaôth, dans les versions du mythe gnostique influencées par la mythologie ophites. Les textes des Écritures qui attestent une affirmation de YHWH du type « Je suis Dieu et il n’y en a pas d’autres en dehors de moi » sont donc assez peu nombreux. Cette auto‑proclamation se rencontre environ huit fois dans le livre d’Isaïe (43, 11 ; 44, 6 ; 45, 5-7 ; 45, 18, 21b-22 ; 46, 9-10a), quatre fois dans le Deutéronome (4, 35, 39 ; 5, 6-8 ; 32, 39), deux fois dans le Siracide (24, 24 ; 33, 5 [36, 5]), une seule fois dans l’Exode (20, 1-5), les livres des Rois (1 R 8, 60), Osée (13, 4) et Joël (2, 27). La forme la plus complète de la formule dans le texte hébreu est ‫;  ֲא נִי י ְה וָה וְ ֵא ין עֹוד ֱא לׂ ִה ים‬ on la retrouve en Is 45, 21b. Elle apparaît le plus souvent sous une forme abrégée ‫ ֲא נִי י ְה וָה וְ ֵא ין עוֹד‬en Is 45, 5, 7, 18, 22 ; 46, 9-10. En dehors d’Isaïe, cette formule se trouve sous une forme analogue en Jl 2, 27 : ‫וַ ֲא נִי י ְה וָה‬ ‫ ֱא לׂ ֵה י כֶם וְ ֵא ין עוֹד‬. En fait, l’auteur de Joël s’inspire probablement de la formule isaïenne qu’il combine avec celle d’Ex 20, 2 en remplaçant le pronom possessif de la 2e personne du singulier par la 2e personne du pluriel 49. Quant à l’auteur du Dt 4, 35, 39, il préfère une construction un peu plus élaborée : ‫ּכִי ֵא ין עוֹד י ְה וָה הּוא ָה ֱא לׂ ִה ים‬. Cette dernière est identique à celle de 1 R 8, 60, ce qui permet de croire à une influence du Deutéronome sur ce passage. L’auteur d’Osée emploie la même formule qu’en Ex 20, 2 et y intègre quelques formulations semblables à celles utilisées en Isaïe. Quant aux extraits du Siracide, ils sont singuliers, puisque 24, 24 est seulement attesté dans les versions grecques du texte long (Grec II), alors que 33, 5 fait penser à la confession de foi de Dt 4, 35, 39, mais sans laisser présager de dépendance littéraire directe. Le dénominateur commun entre toutes ces formulations de la foi en YHWH paraît être relié à une polémique contre les idoles. Dans les textes gnostiques, la polémique est déplacée contre le Dieu des Écritures, identifié à une créature inférieure. Sa prétention d’être le seul et unique constitue un blasphème. Comme nous le constaterons, ce sont les passages d’Isaïe et celui de l’Exode (ou du Deutéronome) que semblent reprendre les écrivains gnostiques.

49.  Le texte des LXX dépend peut‑être d’un original hébreu différent du TM en Dt 4,  35,  39. Le texte grec de ces deux passages ajoute ὁ θεός σου. Il est aussi possible que cette variante soit attribuable à la traduction des LXX sous l’influence d’Ex 20, 2. En l’absence d’un texte hébreu qui atteste cette leçon, il est plus prudent de présumer de l’influence d’Ex 20, 2 sur Jl 2, 27, que de celle du Dt 4, 35, 39.

FONDEMENT SCRIPTUR AIRE

II. Pa s sage s

59

bi bl iqu e s à l’a r r i è r e - pl a n

du bl a sph è m e de l’A rchon t e

Afin de donner un avant-goût des résultats de cette recherche, le moment est venu de présenter un tableau des passages bibliques à l’arrière-plan des attestations du motif du blasphème de l’Archonte (voir la page suivante). Un X entre parenthèses (X) indique une citation incertaine. Nous pouvons d’ores et déjà faire les constatations suivantes : (1) un petit groupe de textes combine Ex 20, 5 avec l’une ou l’autre citation tirée d’Isaïe ; (2) les citations d’Is 45, 21-22 et 46, 9-10 sont les plus usuelles ; (3) la notice de l’Elenchos sur Justin le Gnostique juxtapose une citation du Ps 117 (118), 19 à une citation d’inspiration isaïenne ; (4) il existe une grande variété de formes au sein d’un même écrit. On observe donc certaines tendances, mais la forme en est variable. Cette variabilité sera un des aspects importants mis en évidence lors de nos analyses.

III. L e

mot i f de l’a r rog a nce roya l e

La réinterprétation de la formule isaïenne comme un blasphème n’est pas spécifiquement gnostique 50. Elle se retrouve en effet dans quelques passages des Écritures pour dénoncer la démesure des hommes qui prétendent être égaux à Dieu. C’est le motif de l’arrogance royale. À  notre connaissance, G. W. MacRae fut le premier à signaler que ce motif était à mettre en parallèle avec celui du blasphème de l’Archonte, sans croire cependant qu’il eut une influence directe sur les textes gnostiques 51. N. A. Dahl s’y intéressa de façon plus particulière et invita à investiguer jusqu’à quel point Is 14 et Ez 28 ont pu influencer le mythe du blasphème de l’Archonte 52. Nous proposons donc une analyse sommaire des principaux passages scripturaires et apocryphes qui développent le motif de l’arrogance royale pour tenter de déterminer s’ils ont exercé ou non une influence dans le développement du motif du blasphème de l’Archonte des différentes versions du mythe gnostique.

50. Voir Dahl 1981, p. 702-703 et Painchaud 1995a, p. 292, note 106. 51.  M acR ae 1970, p. 127-128. 52.  Dahl 1981, p. 701-706.

60

CHAPITRE 1

X

X

Irénée, Adv. Haer. I, 30, 6

X

Elenchos  V, 25, 15

(X)

X

Elenchos  VI, 33, 1-34, 1

X

Elenchos  VI, 36, 2

X

Elenchos  VII, 25, 1-5a

X

Épiphane, Pan. 25, 2, 3

X X

X

X

X

Eznik, De Deo 370

(X) X

ApocrJn II 11, 4-22 ApocrJn BG 44, 9-19 et par.

X X

X

HypArch II 86,  27-87,  11

X

(X)

HypArch  II 94,  19-34 

X

(X)

HypArch  II 94, 34-95, 13

X

Ecr sT II 103, 2-32 

X

(X)

Ecr sT II 107, 17-108, 14

X

(X)

Ecr sT II 112, 25-113, 10 GrEsp III 58, 23-59, 9

X X

X

SJC III 118, 15-25

X

2ApocJac V 56, 14-57, 19

(X)

GrSeth VII 53, 24-54, 14

X

GrSeth VII 64, 17-29 PrôTri XIII 43, 31-44, 29

Ps 117 (118), 19

X

Irénée, Adv. Haer. I, 29, 4

Eznik, De Deo 358

Citation libre d’Is

Is 47, 8, 10

Is 46, 9-10

Is 45, 21-22

Is 45, 18

Is 45, 5-7

Is 44, 6

Is 43, 10

Ex 20, 5

Ex 20, 3

Gn 2, 17

Irénée, Adv. Haer. I, 5, 4

X

X X

X

FONDEMENT SCRIPTUR AIRE

61

A. L’arrogance de Babylone et de son roi dans le livre d’Isaïe Le chapitre 47 d’Isaïe déclare la condamnation de Babylone, en raison de sa dureté et de son orgueil. Cette condamnation survient après la dénonciation des faux-dieux qui ne peuvent prédire l’avenir à la faveur de YHWH qui est le seul à annoncer les choses à venir, puisqu’il est le premier et le dernier (cf. 41, 4 ; 44, 6 ; 48, 12). Le malheur de Babylone consiste à se croire maîtresse de sa destinée. Ainsi, lorsqu’elle affirme être la seule et unique, reprenant les mots de YHWH lui-même, elle se méprend sur l’étendue de sa domination. Texte des LXX 53

Texte massorétique

Is 47,  8-10 : νῦν δὲ ἄκουσον ταῦτα, ἡ τρυφερὰ ἡ καθημένη πεποιθυῖα ἡ λέγουσα ἐν τῇ καρδίᾳ αὐτῆς ἐγώ εἰμι, καὶ οὐκ ἔστιν ἑτέρα· οὐ καθιῶ χήρα οὐδὲ γνώσομαι ὀρφανείαν. νῦν δὲ ἥξει ἐξαίφνης ἐπὶ σὲ τὰ δύο ταῦτα ἐν μιᾷ ἡμέρᾳ· χηρεία καὶ ἀτεκνία ἥξει ἐξαίφνης ἐπὶ σὲ ἐν τῇ φαρμακείᾳ σου ἐν τῇ ἰσχύι τῶν ἐπαοιδῶν σου σφόδρα τῇ ἐλπίδι τῆς πονηρίας σου. σὺ γὰρ εἶπας ἐγώ εἰμι, καὶ οὐκ ἔστιν ἑτέρα. γνῶθι ὅτι ἡ σύνεσις τούτων καὶ ἡ πονηρία σου ἔσται σοι αἰσχύνη. καὶ εἶπας τῇ καρδίᾳ σου ἐγώ εἰμι, καὶ οὐκ ἔστιν ἑτέρα.

‫וְ ַע ָּת ה ׁשִ ְמ ִע י־ז את ֲע ִד י נָה ַה ּיֹוׁשֶ ֶב ת ָל ֶב ַט ח‬ . ‫ָה א ֹ ְמ ָר ה ִּב ְל ָב ָב ּה ֲא נִי וְַא ְפ ִס י עֹוד לא ֵא ׁשֵ ב‬ . . ‫ַא ְל ָמ נׇ ה וְלא ֵא ַד ע ׁשְ כֹול ׃ וְ ָת בא נָה ָּל ְך‬ ‫ׁשְ ֵּת י־ ֵא ֶּל ה ֶר גַע ְּב יֹום ֶא ָח ד ׁשְ כֹול וְַא לְמן‬ ‫ְּכ ֻת ָּמ ם ָּב אּו ָע ַל י ִ ְך ְּב ר ֹב ְּכ ׁשָ ַפ י ִ ְך ְּב ָע ְצ ַמ ת ֲח ָב ַר י ִ ְך‬ ‫ְמ א ֹד ׃ וַ ִּת ְב ְט ִח י ְב ָר ָע ֵת ְך ָא ַמ ְר ְּת ֵא ין ר ָֹא נִי‬ ‫ָח ְכ ָמ ֵת ְך וְ ַד ְע ֵּת ְך ִה יא ׁשֹו ְב ָב ֶת ְך וַּת ֹא ְמ ִר י ְב ִל ֵּב ְך‬ ‫ֲא נִי וְַא ְפ ִס י עֹוד ׃‬

Mais maintenant écoute ces choses, délicate, siégeant avec confiance, qui a dit dans son cœur : « Moi, je suis, et il n’y en a pas d’autre ! Je ne siégerai pas veuve, ni ne connaîtrai le manque d’enfants ». Mais maintenant, ces deux choses arriveront soudainement sur toi en un jour : le veuvage et la privation d’enfants arriveront soudainement sur toi, par ton emploi de médicaments, par la force de tes enchantements, par l’espérance de ta méchanceté. En effet, toi, tu as dit : « Moi, je suis, et il n’y en a pas d’autre ! » Sache que ta compréhension de ces choses et que ta méchanceté seront ton déshonneur. Et tu as dit dans ton cœur : « Moi, je suis, et il n’y en a pas d’autre ! »

Mais maintenant, écoute ceci, voluptueuse, trônant avec assurance, toi qui dans ton cœur disait : « Moi, et il n’y en pas d’autre en dehors de moi ! Non, je ne resterai jamais veuve, j’ignorerai la perte de mes enfants ». Ces deux choses vont t’arriver, dans l’instant, en un jour : perte de tes enfants, veuvage aussi – le comble ! – arriveront sur toi, bien que s’entassent tes recettes magiques et que foisonnent tes enchantements, avec excès. Tu tirais assurance de ta malice, tu disais : « Personne ne me voit ». C’est ta « sagesse » et c’est ta « science », ce sont elles qui t’ont circonvenue. Et toi, dans ton cœur, tu disais : « Moi, et il n’y en pas d’autre en dehors de moi ! »

53.  D’après l’édition de Ziegler 1983, p. 299-300. Traduction personnelle.

62

CHAPITRE 1

Ce passage est aussi conservé en copte dans le P.Bodm. XXIII. Le copte semble plus proche du texte des LXX, mais certaines lectures se rapprochent plutôt du TM. Par exemple, en 47, 8, la formule copte [ⲁⲛ]ⲟ̣ⲕ ⲧⲉ ⲁⲩⲱ ⲙ̄̄̄︤ⲛ̄ ⲕⲉⲟⲩⲉⲓ̂ [ⲛⲃⲗⲗ]ⲁ̣ⲓ¨ – « M[oi], je suis, et il n’y en a pas d’autre [excepté] moi » – est plus proche de celle du TM que de celle des LXX. Par contre, en 47, 10, les formules ⲁⲛⲟⲕ ⲡⲉ [ⲁⲩ]ⲱ̣ ⲙⲛ̄ ⲕ̣[ⲉ]ⲟⲩⲉ et ⲁⲛⲟⲕ⳿ ⲡⲉ ⲁⲩⲱ ⲙ̄︤ⲛ̄ ⲕⲉⲟⲩⲉⲓ̂ – « Moi, je suis, et il n’y en a pas d’autre » – sont semblables au texte des LXX 54 . Le terme copte ⲕⲉⲟⲩⲁ traduit ici le grec ἕτερος (cf. l’hébreu ‫)דֹוע‬, ce qu’il sera important de considérer lors de notre analyse de certaines versions coptes du blasphème de l’Archonte (cf. l’Ecr sT, le GrSeth et la PrôTri). Par ailleurs, la formule ἐγώ εἰμι, καὶ οὐκ ἔστιν ἑτέρα est à mettre en parallèle avec celle du blasphème de l’Archonte attribuée aux nicolaïtes par Épiphane, qui semble être une combinaison d’Is 44, 6 et 47, 8, 10 : ἐγώ εἰμι, φησίν, ὁ πρῶτος καὶ ὁ μετὰ ταῦτα, καὶ πλὴν ἐμοῦ οὐκ ἔστιν ἕτερος θεός – « Moi, je suis, dit-il, le premier et celui qui vient après, et excepté moi, il n’y a pas d’autre Dieu » 55. Quoi qu’il en soit, l’affirmation de YHWH dans la bouche de Babylone constitue un blasphème : dans la logique d’Isaïe, seul YHWH peut prétendre être le seul et unique. Cet acte est considéré comme malicieux (‫ רַע‬et πονηρός). Ce qualificatif correspond tout à fait au portrait de l’Archonte qu’échafaudent les auteurs gnostiques. En Is 14, la démesure du roi de Babylone est dénoncée dans un poème qui démontre que sa prétention d’être l’égal de Dieu entraîne plutôt sa chute au plus profond de la Fosse, non sans ironie. Le thème de l’arrogance royale est ici développé sans l’utilisation de la formule « Je suis Dieu », mais les thématiques sont très semblables au passage sur la condamnation de Babylone d’Is 47 : la suprématie du roi de Babylone n’est qu’apparente, car il sera supprimé avec son peuple par le Seigneur, le tout-puissant. Texte des LXX 56

Texte massorétique

Is 14,  12-15 : πῶς ἐξέπεσεν ἐκ τοῦ οὐρανοῦ ὁ ἑωσφόρος ὁ πρωὶ ἀνατέλλων ; συνετρίβη εἰς τὴν γῆν ὁ ἀποστέλλων πρὸς πάντα τὰ ἔθνη. σὺ δὲ εἶπας ἐν τῇ διανοίᾳ σου εἰς τὸν οὐρανὸν ἀναβήσομαι, ἐπάνω τῶν ἄστρων τοῦ θεοῦ θήσω τὸν θρόνον μου, καθιῶ ἐν ὄρει ὑψηλῷ ἐπὶ τὰ ὄρη τὰ ὑψηλὰ τὰ πρὸς βορρᾶν, ἀναβήσομαι ἐπάνω τῶν νεφελῶν, ἔσομαι ὅμοιος τῷ ὑψίστῳ. νῦν δὲ εἰς ᾅδου καταβήσῃ καὶ εἰς τὰ θεμέλια τῆς γῆς.

‫ֵא י ִ ְך נָ ַפ ְל ָּת ִמ ּׁשָ ַמ י ִם ֵה י ֵל ל ֶּב ן־ׁשָ ַח ר נִ ְג ַּד ְע ָּת‬ ‫ָל ָא ֶר ץ חֹו ֵל ׁש ַע ל־ּגֹו י ִם ׃ וְַא ָּת ה ָא ַמ ְר ָּת ִב ְל ָב ְב ָך‬ ‫ַה ּׁשָ ַמ י ִם ֶא ֱע ֶל ה ִמ ַּמ ַע ל לְכֹו ְכ ֵב י־ ֵא ל ָא ִר ים ִּכ ְס ִא י‬ ‫וְ ֵא ׁשֵ ב ְּב ַה ר־מֹו ֵע ד ְּב י ַ ְר ְּכ ֵת י ָצ פֹון ׃ ֶא ֱע ֶל ה ַע ל־‬ ‫ָּב ֳמ ֵת י ָע ב ֶא ַּד ֶּמ ה ְל ֶע ְל יֹון ׃ ַא ְך ֶא ל־ׁשְ אֹול ּתּו ָר ד‬ ‫ֶא ל־ י ַ ְר ְּכ ֵת י־בֹור ׃‬

54.  Pour le texte copte de ce passage, voir l’édition de K asser 1965, p. 42-45. 55.  Épiphane , Pan. 25, 2, 3 (Éd. Holl , p. 269). Voir le chapitre XVIII. 56.  Traduction personnelle.

FONDEMENT SCRIPTUR AIRE

Comment l’étoile du matin (Lucifer), qui se lève le matin, est-elle tombée du ciel ? Celui qui envoie à toutes les nations fut broyé par terre. Mais tu as dit dans ton cœur : « Je monterai dans le ciel, je placerai mon trône au-dessus des astres de Dieu, je siègerai sur un mont élevé, sur les montagnes élevées vers le nord, je monterai au-dessus des nuages, je serai comme le Très-Haut ». Mais maintenant, tu descendras dans l’Hadès, vers les fondements de la terre.

63

Comment es-tu tombé des cieux, Astre brillant, Fils de l’Aurore ? Tu as été précipité à terre, toi qui réduisait les nations, et toi qui disais dans ton cœur : « Je monterai dans les cieux, je hausserai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu (El), je siégerai sur la montagne de l’assemblée divine à l’extrême nord, je monterai au sommet des nuages, je serai comme le Très-Haut ». Mais tu as dû descendre dans le séjour des morts (Schéol) au plus profond de la Fosse.

Alors qu’il aspire à égaler le Très-Haut, le roi de Babylone se retrouve au Schéol. Ce motif de la chute se rencontre dans la version du blasphème de l’Archonte de l’HypArch, dans un vocabulaire très semblable : après avoir affirmé être le Dieu du Tout, l’Archonte est précipité dans le Tartare, au fond de l’abîme 57. Il subit donc le même sort que le roi de Babylone. L’ensemble du chapitre 14 d’Isaïe développe par ailleurs des thématiques attestées dans certains épisodes du blasphème, et plus particulièrement dans l’HypArch et l’Ecr sT. En 14, 5, le texte des LXX mentionne que le Seigneur a brisé le joug des princes (archontes). Dans les écrits gnostiques, ce genre de thématique est parfois appliqué à la venue du Sauveur ou à l’intervention d’une puissance du monde céleste dans le monde inférieur. L’interrogatoire des rois qui se moquent de l’impuissance du roi de Babylone rappelle quant à lui les moqueries des puissances qui montent chez le Grand Géniteur pour remettre en question sa suprématie dans la PrôTri 58. Ensuite, en 14, 19, les versions du targum et de Symmaque indiquent que le roi de Babylone a été privé de sépulture, comme un « exécrable avorton » (Symmaque) ou un « avorton caché » (Targum d’Isaïe) 59. Cette mention rappelle la description de l’Archonte de l’HypArch, de l’Ecr sT et de l’ApocrJn, dans lesquels il est désigné comme un avorton 60. Dans l’ApocrJn, Sophia cache l’œuvre issue de son désir de créer seule (i. e. l’Archonte‑avorton) hors de la vue des Immortels, ce qui fait penser à la leçon du Targum 61. Finalement, le Lucifer (ὁ ἑωσφόρος) de la version des LXX a été identifié au diable dans la version latine de la Vie d’Adam et Ève (cf. 15, 2) 62 . 57.  HypArch II 95, 5-13. Voir le chapitre IV. 58.  PrôTri XIII 43, 31-44, 29. Voir le chapitre IX. 59. Voir Dahl 1981, p. 703. Voir la traduction du targum d’Is 14, 19 de Chilton 1986, p. 33. Pour la leçon de Symmaque, voir l’apparat critique de Z iegler 1983, p. 176. 60.  HypArch II 94, 14-15 ; Ecr sT II 99, 8-100, 10 ; ApocrJn BG 46, 8-14. Voir les chapitres III, IV et VIII. 61.  ApocrJn BG 38, 1-6 et par. 62.  Voir l’édition de Pettorelli 2012, p. 310.

64

CHAPITRE 1

Contrairement à ce qu’affirme N. A. Dahl 63, il ne serait pas surprenant de postuler qu’un auteur gnostique ait pu voir dans le chapitre 14 d’Isaïe une description de l’Archonte, d’autant plus que celui-ci est souvent présenté comme une figure démoniaque, particulièrement dans l’HypArch, l’Ecr sT et l’ApocrJn. Il est donc possible de considérer que ce passage d’Isaïe ait influencé la présentation de l’Archonte de certains écrits gnostiques. B. L’orgueil du Prince de Tyr dans le livre d’Ézéchiel La prophétie contre le prince de Tyr d’Ez 28, 1-19 est semblable à Is 14. YHWH annonce la ruine imminente du prince de Tyr en raison de son orgueil, lui qui a osé dire : « Je suis un Dieu ». Il descendra plutôt dans la fosse par la main de ses ennemis. Texte des LXX  6 4

Texte massorétique

Ez 28,  2, 5-6,  9 : καὶ σύ, υἱὲ ἀνθρώπου, εἰπὸν τῷ ἄρχοντι Τύρου τάδε λέγει κύριος ἀνθ᾽ ὧν ὑψώθη ἡ καρδία σου, καὶ εἶπας θεός εἰμι ἐγώ, κατοικίαν θεοῦ κατῴκηκα ἐν καρδίᾳ θαλάσσης, σὺ δὲ εἶ ἄνθρωπος καὶ οὐ θεὸς καὶ ἔδωκας τὴν καρδίαν σου ὡς καρδίαν θεοῦ (…).

‫ֶּב ן־ָא דָם ֱא מ ֹר ִל נְ גִיד צ ֹר ּכ ֹה־ָא ַמ ר ֲא ד ֹנָי י ְה ֹוִה‬ ‫י ַ ַע ן ָּג ַב ּה ִל ְּב ָך וַּת ֹא ֶמ ר ֵא ל ָא נִי מֹוׁשַ ב ֱא ל ֹ ִה ים‬ ‫ ֵא ל וַ ִּת ֵּת ן‬-‫י ָׁשַ ְב ִּת י ְּב לִב י ַ ִּמ ים וְַא ָּת ה ָא דָם וְל ֹא‬ ‫ִל ְּב ָך ְּכ לֵב ֱא ל ֹ ִה ים ׃‬

ἢ ἐν τῇ πολλῇ ἐπιστὴμῃ σου καὶ ἐμπορίᾳ σου ἐπλήθυνας δύναμίν σου, ὑψώθη ἡ καρδία σου ἐν τῇ δυνάμει σου ; διὰ τοῦτο τάδε λέγει κύριος ἐπειδὴ δέδωκας τὴν καρδίαν σου ὡς καρδίαν θεοῦ (…).

‫ְּב ר ֹב ָח ְכ ָמ ְת ָך ִּב ר ֻכ ָּל ְת ָך ִה ְר ִּב י ָת ֵח י ֶל ָך וַ ּי ִ ְג ַּב ּה‬ ‫ְל ָב ְב ָך ְּב ֵח י ֶל ָך ׃ ָל ֵכ ן ּכ ֹה ָא ַמ ר ֲא ד ֹנָי י ְה וִה י ַ ַע ן‬ ‫׃‬ ‫ִּת ְּת ָך ֶא ת־ ְל ָב ְב ָך ְּכ לֵב ֱא ל ֹ ִה ים‬

μὴ λέγων ἐρεῖς θεός εἰμι ἐγώ, ἐνώπιον τῶν ἀναιρούντων σε ; σὺ δὲ εἶ ἄνθρωπος καὶ οὐ θεός.

‫ֶה ָאמ ֹר ּת ֹא ַמ ר ֱא ל ֹ ִה ים ָא נִי ִל ְפ נֵי ה ֹ ְר ֶג ָך וְַא ָּת ה‬ ‫ָא דָם וְל ֹא־ ֵא ל ְּב י ַד ְמ ַח ְל ֶל י ָך ׃‬

Et toi, fils d’homme, dis au prince (archonte) de Tyr : ainsi parle le Seigneur : Parce que ton cœur se glorifia et que tu as dit : « Moi, je suis Dieu, j’ai habité l’habitation de Dieu au cœur de la mer », mais toi, tu es homme et non Dieu, et tu as présenté ton cœur comme le cœur de Dieu (…).

Fils d’homme, dis au prince de Tyr : Ainsi parle Adonai YHWH : Parce que tu t’es enorgueilli, que tu as dis : « Je suis un dieu (El), je siège sur le trône d’un dieu (Élohim) au cœur des mers » alors que tu es un homme et non Dieu (El), parce que tu t’es cru égal à Dieu (Élohim) (…)

Par ton abondante connaissance et ton commerce, tu as multiplié ta puissance ; ton cœur se glorifia en raison de ta

Par ton extrême sagesse, par ton commerce, tu as multiplié ta fortune. Tu t’es ainsi enorgueilli à force de richesse

63.  Dahl 1981, p. 705. 64.  Selon l’édition de Ziegler 1977, p. 221-222. Traduction personnelle.

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puissance. C’est pourquoi le Seigneur dit ceci : « Puisque tu présentes ton cœur comme le cœur de Dieu (…) ».

… C’est pourquoi, ainsi parle Adonai YHWH : « Parce que tu as mis ton cœur au rang du cœur de Dieu (Élohim) (…) ».

Ne demandes-tu pas, disant : « Moi, je suis Dieu, en face de ceux qui me font périr ? » Mais toi, tu es homme et non Dieu.

Devant celui qui va te tuer, oseras-tu dire : « Je suis un Dieu (Élohim) » alors que tu es homme et non Dieu (El) et que tu es au pouvoir de ceux qui vont te transpercer ?

Cette prophétie est construite sur le modèle de Gn 2-3 : la prétention à l’égalité avec Dieu (28, 2), le motif de l’autosuffisance (28, 3-4), la menace de mort (28, 8), le jardin d’Éden et la création (28, 13), le chérubin gardien (28, 14) et la dégradation par le péché d’orgueil et l’expulsion (28, 5-16). L’acte de se poser comme l’égal de YHWH est aussi dénoncé en Gn 3. En effet, par la manducation de l’arbre de la connaissance, Adam et Ève deviennent comme des dieux, connaissant le bien et le mal (cf. Gn 3,  5, 22). À  cause de cette action, ils sont expulsés du jardin d’Éden par YHWH. Mais ici, il ne s’agit pas d’un blasphème contre Dieu, mais d’un acte de désobéissance. Le texte de la Genèse fut central dans le développement de la mythologie gnostique et le comportement de YHWH envers Adam et Ève fut jugé comme malveillant par les auteurs gnostiques. Ce type de passage contribua sans doute grandement à la propagation des spéculations sur l’infériorité du Dieu des Écritures. Il est également intéressant de noter que dans l’Adv. Marc. de Tertullien, cette prophétie contre le prince de Tyr est appliquée au diable 65, comme chez Origène d’ailleurs 66. Il ne serait donc pas étonnant qu’elle vise l’Archonte aux yeux d’un lecteur gnostique. Nous pouvons observer quelques parallèles entre Ez 28 et les représentations de l’Archonte dans la littérature gnostique. Cet extrait contient le terme « archonte » (28, 2), de même que le thème de la descente dans la fosse (28, 8), que nous avons aussi relevé en Is 14. L’orgueil ou l’arrogance (‫ ) ָּג ַב ּה‬du prince de Tyr, que les LXX ont rendu par le thème de son autoglorification (ὑψόω), revient à trois reprises (28, 2, 5, 17) : dans son arrogance, il affirme être un Dieu, alors qu’il n’est qu’un homme. Dans les versions ophites du blasphème de l’Archonte, l’affirmation « Je suis Dieu, et il n’y en pas d’autre en dehors de moi » est interprétée comme un acte qui manifeste l’orgueil, l’arrogance et la vantardise de l’Archonte par une terminologie très semblable 67. L’impuissance (28, 9), les péchés (28, 16-18) et la condamnation par le feu (28, 18) de l’archonte de Tyr sont aussi des 65.  Tertullien, Adv. Marc. II, 10, 3. 66.  Origène , Peri Archôn I, 5, 4 ; III, 2, 1 ; III, 3, 2 (SC 252, p. 182-189 ; SC 268, p. 156-157 ; 186-187) ; Contr. Cels. 6, 44 (SC 147, p. 288-289) ; Hom. Ez. 13, 1 (Éd.  M igne , PG 13, p. 757-759). 67.  Voir la partie II.

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thèmes utilisés dans la construction de la représentation de l’Archonte de l’HypArch 68. Ainsi, l’influence possible d’Ez 28 sur le développement du motif du blasphème de l’Archonte n’est pas à écarter. C. Les ennemis du peuple de Dieu Le motif de l’arrogance royale a été appliqué à différents ennemis du peuple de Dieu dans les Écritures. Dans le livre de Daniel, Antiochus Épiphane est présenté comme l’adversaire de Dieu. Il régnera jusqu’à l’intervention de Michel, le grand Prince (ὁ ἄρχων ὁ μέγας), au moment de la délivrance finale (12, 1). Texte des LXX 69 Dn 11,  36-37 : εἰς ὥρας ποιήσει κατὰ τὸ θέλημα αὐτοῦ ὁ βασιλεὺς καὶ παροργισθήσεται καὶ ὑψωθήσεται ἐπὶ πάντα θεὸν καὶ ἐπὶ τὸν θεὸν τῶν θεῶν ἔξαλλα λαλήσει καὶ εὐοδωθήσεται, ἕως ἂν συντελεσθῇ ἡ ὀργή· εἰς αὐτὸν γὰρ συντέλεια γίνεται. καὶ ἐπὶ τοὺς θεοὺς τῶν πατέρων αὐτοῦ οὐ μὴ προνοηθῇ καὶ ἐν ἐπιθυμίᾳ γυναικὸς οὐ μὴ προνοηθῇ, ἐν παντὶ ὑψωθήσεται (…). Et le roi fera selon sa volonté, et il s’irritera et s’exaltera au-dessus de chaque dieu, et contre le Dieu des dieux, il dira des choses étranges et prospèrera, jusqu’à ce que la colère soit accomplie ; car il y aura un accomplissement. Et il n’a pas pris soin des dieux de ses pères, ni du désir de la femme, parce qu’il s’exaltera en tout (…).

Texte massorétique ‫וְ ָע ׂשָ ה ִכ ְר צֹונֹו ַה ֶּמ ֶל ְך וְי ִ ְת רֹו ֵמ ם וְי ִ ְת ַּג ּדֵל ַע ל־‬ ‫ָּכ ל־ ֵא ל וְ ַע ל ֵא ל ֵא ׅל ים י ְ ַד ֵּב ר נִ ְפ ָל אֹות וְ ִה ְצ ִל יח‬ ‫ַע ד־ ָּכ ָל ה זַ ַע ם ִּכ י נֶ ֱח ָר ָצ ה נֶ ֱע ׂשָ ָת ה ׃ וְ ַע ל־ ֱא ל ֹ ֵה י‬ ‫ֲא ב ֹ ָת יו ל ֹא י ָ ִב ין וְ ַע ל־ ֶח ְמ ּדַת נָׁשִ ים וְ ַע ל־ ָּכ ל־‬ ‫ֱא לֹוּה ל ֹא י ָ ִב ין ִּכ י ַע ל־ּכ ֹל י ִ ְת ַּג ּדָל ׃‬

Le roi agira à sa guise ; il s’exaltera et se grandira au-dessus de chaque dieu (El), et contre le Dieu (El) des dieux (Elim) il dira des choses étonnantes. Il réussira jusqu’à ce que soit consommée la colère, car ce qui est décrété sera exécuté. Et il n’aura pas égard aux dieux (Elohim) de ses pères ; il n’aura égard ni au Favori des femmes, ni à aucune divinité, car il se grandira au-dessus de tout.

Encore une fois, le thème de l’autoglorification est mis en évidence. Cette attitude est fortement réprouvée et constitue un acte de démesure envers le Dieu des dieux. Par ailleurs, dans le livre de Judith, Holopherne, le général de l’armée de Nabuchodonosor, tente d’exterminer tous les dieux de la terre, afin que toutes les nations honorent Nabuchodonosor et l’invoquent comme un dieu (cf. 3, 8). De même, dans les Actes des apôtres, le peuple acclame Hérode comme un Dieu, qui est soudain frappé par l’ange de Seigneur et expire, dévoré par les vers (cf. 12, 21-23). L’acclamation du peuple θεοῦ φωνὴ καὶ οὐκ ἀνθρώπου – « C’est la voix d’un dieu et non 68.  Voir le chapitre IV. 69.  Selon l’édition de Ziegler , Munnich et Fraenkel , 1999, p. 386. Traduction personnelle.

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d’un homme » 70 est une inversion du reproche de YHWH à l’égard du prince de Tyr d’Ez 28. Dans le Si 36, 12, on trouve également une dénonciation des chefs ennemis, les archontes, qui affirment être les seuls : Texte des LXX 71 Si 33,  12 (36,  9) : σύντριψον κεφαλὰς ἀρχόντων ἐχθρῶν λεγόντων οὐκ ἔστιν πλὴν ἡμῶν. Brise les têtes des chefs (archontes) des ennemis disant : « Il n’y a personne excepté nous ».

Texte massorétique 72 ‫ַה ׁשְ ֵּב ת ר ֹאׁש ַּפ ֲא ֵת י מֹוָאב ָה אֹו ֵמ ר ֵא ין זּו ָל ִת י‬

Brise les têtes des chefs de Moab qui disent : « Il n’y a personne comme nous ».

Cette affirmation à la première personne du pluriel rappelle la formule du blasphème de l’Archonte de la SJC. En effet, dans ce traité, le motif est appliqué non seulement au Grand Géniteur, mais aussi à ses anges 73. D. La figure de l’Antéchrist Le motif de l’arrogance royale a également été appliqué à l’Antéchrist de 2 Th 2, 3-4, en des termes semblables à ceux de Dn 11, 36. Le contexte est celui de l’annonce de la Parousie qui doit être précédée de la venue de l’Homme de l’impiété. La saveur apocalyptique du passage est très forte : apostasie, impiété, activité de Satan, miracles, prodiges trompeurs, injustice. L’Homme de l’impiété, qui proclamera être Dieu, sera détruit par le souffle de la bouche du Seigneur lors de sa venue. Texte grec 74 2 Th 2,  3-4 : μή τις ὑμας ἐξαπατήσῃ κατὰ μηδένα τρόπον. ὅτι ἐὰν μὴ ἔλθῃ ἡ ἀποστασία πρῶτον καὶ ἀποκαλυφθῇ ὁ ἄνθρωπος τῆς ἀνομίας, ὁ υἱὸς τῆς ἀπωλείας, ὁ ἀντικείμενος καὶ ὑπεραιρόμενος ἐπὶ πάντα λεγόμενον θεὸν ἢ σέβασμα, ὥστε αὐτὸν εἰς τὸν ναὸν τοῦ θεοῦ καθίσαι ἀποδεικνύντα ἑαυτὸν ὅτι ἐστὶν θεός.

Traduction 75 Que personne ne vous séduise d’aucune manière. Il faut que vienne d’abord l’apostasie et que se révèle l’Homme de l’impiété, le Fils de la perdition, celui qui se dresse et qui s’élève contre tout ce qu’on appelle dieu ou qu’on adore, au point de s’asseoir en personne dans le temple de Dieu et de proclamer qu’il est Dieu.

Cette figure de l’Antéchrist, à différencier de Satan, est aussi très importante dans l’Ascension d’Isaïe. Certes, ce texte ne figure pas dans les Écritures, mais il importe de le signaler puisqu’il applique le motif de l’ar70.  Selon l’édition de Nestle-A land 1997 et la traduction de la TOB. 71.  Selon l’édition de Ziegler 1980, p. 291. Traduction personnelle. 72.  M. H. Segal 1958, p. 225. 73.  SJC BG 125, 10-19. Voir le chapitre V. 74.  Selon l’édition de Nestle-A land 1997. 75.  Traduction de la TOB.

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rogance royale à l’Antéchrist en plaçant dans sa bouche une citation tirée du Deutéro-Isaïe. En 4, 1-14, on mentionne que Béliar, le grand prince, roi de ce monde, descendra de son firmament sous l’aspect d’un homme, un roi inique, et que toutes les puissances lui obéiront. Il agira comme le Bien-Aimé et dira : « Je suis le Seigneur, et avant moi personne ne fut ». Tous les hommes confesseront alors qu’il n’y en a pas d’autre en dehors de lui, se détournant ainsi du Bien‑Aimé. Mais Béliar sera entraîné dans la Géhenne avec ses armées lorsque le Seigneur viendra du septième ciel 76. Au-delà des thématiques que ce texte partage avec les écrits gnostiques, il est important de le mettre en parallèle avec ceux-ci, car Épiphane indique que les gnostiques qu’il dénonce utilisent un livre d’Isaïe à l’appui de leurs propos 77. Les traits de l’Antéchrist ont très bien pu être appliqués à l’Archonte. Dans le même ordre d’idée, l’auteur de la Correspondance apocryphe entre Paul et les Corinthiens, pour réfuter la doctrine gnostique qui attribue la création de l’homme aux puissances qui gouvernent le monde inférieur, mentionne que le Prince (l’Archonte), c’est-à-dire le diable, parce qu’il n’est pas juste et qu’il veut être Dieu, persécute les hommes (cf. IV, 11) 78. Dans cette œuvre, le blasphème contre Dieu est directement imputé au diable, ce qui n’est pas très éloigné des textes gnostiques dans lesquels l’Archonte est démonisé. E. Le motif de l’arrogance royale et le Nouveau Testament En dehors de 2 Th 2, 3-4, le motif de l’arrogance royale est attesté sous différentes formes dans le Nouveau Testament. Dans les synoptiques, deux passages présentent la formule ἐγώ εἰμι d’une manière négative. Premièrement, dans un passage à saveur apocalyptique, Jésus dit à ses disciples que beaucoup viendront en prenant son nom et diront : « C’est moi », égarant bien des gens (cf. Mt 24, 3-5 ; Mc 13, 5-6 ; Lc 21, 7-8). Ces gens tentent d’usurper l’identité de Jésus, qui invite à ne pas les suivre. Ce passage fait probablement allusion aux faux messies et aux faux prophètes des versets suivants (Mt 24, 23-25 ; Mc 13, 21-23). Le contexte rappelle d’ailleurs 2 Th 2 et l’Asc. Is. 4, 1-14. L’influence d’Isaïe sur ce passage n’est pas certaine, mais les nombreuses allusions et références au livre de Daniel, particulièrement dans le texte de l’Évangile selon Marc, permettent le rapprochement avec le motif de l’arrogance royale 79. Deuxièmement, lors du passage de Jésus devant le Sanhédrin, la formule ἐγώ εἰμι est mise dans sa 76.  Voir la traduction de Norelli 1997, p. 518-520. 77.  Épiphane , Pan. 40, 2, 2. 78. Voir Johnston 2007, p. 215-217. 79. Voir H artman 1966, p. 159-162. Pour une analyse des différentes interprétations possibles de ce passage dans l’Évangile selon Marc, voir C. H. Williams 2000, p. 229­‑241. Selon l’auteur, ce passage doit être interprété à la lumière de Mc

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bouche. Il répond en fait à une question du Grand Prêtre qui lui demande s’il est le Messie, le Fils du béni. Jésus ajoute qu’il siège à la droite du Tout-Puissant et qu’il viendra avec les nuées du ciel, ce qui constitue un blasphème aux yeux du Grand Prêtre et entraîne sa condamnation à mort (cf. Mt 26, 63-65 ; Mc 14, 61-64 ; Lc 22, 66-71). Le blasphème de Jésus ne porte pas tant sur les mots ἐγώ εἰμι que sur la seconde partie l’affirmation, dans laquelle il revendique un rang divin en disant siéger à la droite de Dieu. Il affirme donc non seulement être le Messie, mais aussi avoir un statut divin particulier. Le vocabulaire rappelle en partie Is 14, 12-15. Le motif de l’arrogance royale est ainsi appliqué à Jésus, mais aux yeux des destinataires, c’est la condamnation de Jésus par le Sanhédrin qui est le blasphème contre Dieu par excellence 80. Ces passages n’ont pas de liens concrets avec le blasphème de l’Archonte, sinon dans leur application du motif de l’arrogance royale à la formule ἐγώ εἰμι, caractéristique des autoproclamations de YHWH dans le second Isaïe. Le quatrième évangile contient les traces du thème de l’arrogance royale et l’applique à Jésus en décrivant le point de vue de ses adversaires. En effet, en 5, 18, les juifs reprochent à Jésus d’avoir guéri un paralytique pendant le sabbat et d’appeler Dieu son propre Père, se faisant ainsi son égal. Ils chercheront donc à le faire mourir. Le statut d’égalité avec Dieu que revendique Jésus tout au long de l’évangile johannique constitue aux yeux des juifs un véritable blasphème. La perspective de l’auteur est cependant le contraire, car il veut démontrer que le Père et le Fils sont un. Le quatrième évangile renferme également une série de trois passages au chapitre 8, dans lesquels Jésus dit les mots ἐγώ εἰμι, ce qui suscite une vive réaction chez les juifs à qui il s’adresse (cf. 8, 24, 28, 58). Il semble que ces passages renvoient aux autoproclamations de YHWH d’Isaïe (cf. plus particulièrement Is 43, 10 ; 41, 4 ; 46, 4 ; 48, 12) et à Dt 32, 39, ce qui signifierait que Jésus s’identifie à lui. Cette perspective correspond tout à fait à celle de l’auteur. Encore une fois, les juifs sont totalement exaspérés par ces propos et tenteront de le lapider à la fin de l’entretien 81. Finalement, en 10, 33, les juifs veulent lapider Jésus de nouveau après qu’il ait déclaré que lui-même et le Père étaient un (cf. 10, 30). Ils disent vouloir le lapider pour un blasphème, lui qui est un homme et qui se fait Dieu (σὺ ἄνθρωπος ὢν ποιεῖς σεαυτὸν θεός). La tournure de ce passage évoque sans doute Ez  28, où on mentionne que le prince de Tyr est simplement un homme et non un Dieu (σὺ δὲ εἶ ἄνθρωπος καὶ οὐ θεός). Aux yeux des juifs, Jésus se rend donc 6,  45-52, dans lequel la formule ἐγώ εἰμι sert à révéler l’identité véritable de Jésus à ses disciples. 80.  Pour une discussion de l’interprétation de la version marcosienne du passage, voir C. H. Williams 2000, p. 242-251. 81.  Pour une analyse détaillée de la signification de ce passage, voir C. H. Williams 2000, p. 266-283.

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coupable de blasphémer contre Dieu en se faisant son égal. Les gnostiques retournent plutôt cette accusation contre le Dieu des juifs et dans certains textes, seul Jésus détient l’autorité d’affirmer ἐγώ εἰμι (cf.  le GrSeth et la 2ApocJac) 82 . Par ailleurs, il semble que le chapitre 8 du quatrième évangile ait pu exercer une certaine influence sur la construction de la représentation de l’Archonte gnostique, par l’opposition construite entre le Père des juifs, le diable, et le Père de Jésus, le véritable Dieu 83. Quoi qu’il en soit, le motif de l’arrogance royale tel que développé dans l’évangile johannique ne paraît pas avoir eu une influence directe sur la construction du blasphème de l’Archonte. Le motif de l’arrogance royale dans les Écritures est très ancien et très répandu. Dans certains cas, il paraît même être le résultat d’une réinterprétation de la formule isaïenne sur l’unicité de YHWH comme un blasphème en l’appliquant aux rois ennemis d’Israël ou encore à un adversaire eschatologique, comme la figure de l’Antéchrist ou du diable. Selon la perspective des évangiles, Jésus revendique un statut divin en utilisant un vocabulaire qui n’est pas sans rappeler les formules isaïennes, ce que ses opposants considèrent comme un blasphème. Les auteurs gnostiques ont transposé ce motif au Dieu-créateur des Écritures, et ce faisant, l’ont transformé en une créature arrogante, inférieure au Dieu véritable. C’est là, nous semble‑t‑il, l’originalité et l’ingéniosité des auteurs gnostiques. Ils ont probablement emprunté plusieurs thèmes caractéristiques des différents textes scripturaires ou apocryphes qui développaient ce motif pour échafauder à leur tour le portrait de l’Archonte. Étant donné l’abondance et l’importance des allusions et des citations scripturaires rencontrées dans les textes gnostiques, il serait en effet surprenant que leurs auteurs aient ignoré le motif de l’arrogance royale, d’autant plus qu’il servait très bien leurs propos. IV. C onclusion

et bi l a n de l a pr e m i è r e pa rt i e

Ce chapitre proposait d’abord un relevé des sources scripturaires du blasphème de l’Archonte. La formule « Je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi » est attestée de nombreuse fois entre les chapitres 43 à 46 d’Isaïe pour convaincre les destinataires de l’unicité de YHWH. Cette formule se trouve aussi sous différentes formes et avec diverses nuances en 1 R 8, Si 24 et 33 (36), Dt 4 et 32, et Jl 2. Étant donné l’importance du thème de la jalousie dans les versions barbélo-séthiennes du blasphème de l’Archonte, ce relevé s’est étendu à Ex 20 (Dt 5) et Os 13, et nous a amené à considérer la question de l’exclusivité de YHWH et à traiter brièvement de l’épineuse question du monothéisme biblique. Nous avons 82.  Voir les chapitres VI et XIX. 83.  Voir l’épilogue.

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vu que la notion de l’unicité de YHWH dans les Écritures n’est pas très fréquente. Elles présentent au contraire une multitude de représentations concurrentes de YHWH qui présupposent toujours un contexte polythéiste. Le thème de l’exclusivité de YHWH fut probablement le point de départ de la réflexion théologique d’Israël sur celui de l’unicité de son Dieu. Le concept de monothéisme semble être en effet le résultat d’une longue évolution de la théologie juive. Ainsi, les affirmations du type « Je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi » s’inscrivent dans le large débat théologique de la représentation de YHWH, à savoir son unicité. Les gnostiques ont contribué à leur façon à ce débat en empruntant la formule par excellence du monothéisme biblique et en la transformant en un blasphème contre le Dieu véritable. Les auteurs bibliques ont aussi utilisé cette formule pour développer le motif de l’arrogance royale dont nous avons présenté quelques-unes des principales attestations : Is 14 et 47, Ez 28, Dn 11, Si 33 (36), 2 Th 2, Asc. Is. 4, 3 Co IV, 11, et certains passages des évangiles. L’interprétation de la formule isaïenne comme un blasphème n’est donc pas spécifiquement gnostique. Le motif du blasphème de l’Archonte apparaît ainsi comme le résultat de la transposition du motif de l’arrogance royale au Dieu des Écritures.

*  *  *  * Au terme de cette partie I, plusieurs constatations s’imposent. D’abord, l’histoire de la recherche sur le blasphème de l’Archonte n’est pas très développée. L’article de N. A. Dahl, les commentaires des sources gnostiques analysées et le livre de T. Rasimus seront les principales contributions sur lesquelles nous appuierons cette recherche. Ensuite, le fondement scripturaire du motif est double, dans la mesure où il est une combinaison de citations bibliques tirées d’Isaïe et d’Ex 20, 5 principalement, et du motif biblique (et apocryphe) de l’arrogance royale. Dans les spéculations gnostiques sur l’origine du monde, l’affirmation « Je suis Dieu, et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi » deviendra en effet une des expressions par excellence pour illustrer l’arrogance et l’ignorance du Dieu-créateur face au Dieu véritable qui se trouve au-dessus de lui. Cette exégèse du texte d’Isaïe sera fortement combattue par les Pères de l’Église qui ne peuvent concevoir que le créateur du ciel et de la terre soit un être inférieur. Ainsi selon nous, l’originalité des auteurs gnostiques n’est pas de spéculer sur l’existence de nombreuses puissances qui gouvernent le monde, puisque les multiples représentations de YHWH dans les Écritures donnent déjà un cadre à ce type de spéculations, mais plutôt de faire du Dieu-créateur une des puissances qui dirigent le monde d’en bas. Pour eux, le Dieu-créateur est tout simplement le chef de la cour céleste du monde inférieur. Par contre, la représentation gnostique de ce Dieu-créateur est très variable, de sorte qu’il existe plusieurs versions du blasphème de l’Archonte dont la plus influente semble avoir été la version dite « ophite ».

Partie II L ES VERSIONS OPHITES DU BLASPHÈME DE L’A RCHONTE Notre corpus des versions ophites du blasphème de l’Archonte a été établi à partir de la typologie proposée par T. Rasimus. Selon lui, la mythologie ophite se caractérise par (1) son évaluation positive de l’invitation du serpent à manger du fruit de l’arbre de la connaissance, (2) la présence de sept archontes thériomorphes, (3) l’importance et le rôle salvifique des figures de Sophia et d’Ève en tant que représentation de l’aspect féminin du Dieu véritable et (4) l’importance des figures de l’Homme céleste et d’Adam comme représentation de l’aspect masculin du Dieu véritable. D’après cette classification, l’Adv. Haer. I, 30, le Contr. Cels. 6, 24-38, l’Ecr sT, Eug et la SJC seraient des textes principalement influencés par la mythologie ophite, alors que l’HypArch, le Pan. 26, l’ApocrJn et le fragment gnostique du P 20915 auraient été influencés par cette mythologie, mais aussi par les mythologies barbéliote et séthienne 1. Cette hypothèse de travail est confirmée en bonne partie par notre analyse de l’Adv. Haer. I, 30, 6 (chapitre II), de l’Ecr sT (chapitre III), de l’HypArch (chapitre IV) et de la SJC (chapitre V). Les différents récits du blasphème de l’Archonte rencontrés dans ces écrits présentent en effet un certain nombre de caractéristiques de forme et de contenu qui permet de les distinguer et regrouper. Une de celles-ci est la citation exclusive de la formule isaïenne « Je suis Dieu et il n’y en a pas d’autre en dehors de moi ». Nous ajoutons à cet ensemble le GrSeth (chapitre VI) puisque les attestations du blasphème qu’il referme sont apparentées à la notice d’Irénée sur les ophites, à l’Ecr sT et à l’HypArch, même si ce traité est composé de matériaux gnostiques de provenances diverses. Cette dernière remarque est également valable pour l’Ecr sT, qui a fait l’objet d’une révision séthienne, et pour l’HypArch et la SJC, qui semblent proposer deux réécritures barbélo-séthiennes de versions ophites du mythe. Mise à part la notice d’Irénée, l’Ecr sT, l’HypArch, la SJC et le GrSeth paraissent tous appartenir à une étape secondaire de la rédaction de la mythologie gnostique, celle de la réécriture des mythes fondateurs en vue de les adapter à de nouveaux contextes socioreligieux 2 . On peut en effet établir avec certitude qu’ils dépendent de matériaux gnostiques préexistant à leur composition. 1.  R asimus 2009. 2. Au sujet du phénomène de la réécriture des textes de Nag Hammadi, voir Painchaud 1995c, p. 51-85.

Chapitre II

L E BLASPHÈME DE YALDABAÔTH DE LA NOTICE D’I RÉNÉE SUR LES OPHITES Beaucoup plus élaborée et reposant, comme l’indique Irénée en I, 30, 1, sur une autre source que la notice précédente (I, 29, 1-4), la notice consacrée aux ophites relate l’épisode du blasphème de l’Archonte le plus complet du livre I de l’Adversus haereses. Irénée ne nomme pas ses adversaires, mais mentionne que « d’autres font un récit prodigieux » (Alii autem rur‑ sus portentuosa loquuntur) au sujet d’une Lumière primordiale, le Père du Tout (cf. I, 30, 1). Leur désignation par le terme « ophite » fut attribuée au mythe de I, 30, 1-14 par les hérésiologues postérieurs à Irénée en raison du rôle important assigné au serpent 1. L’association entre ce mythe et cette dénomination semble très ancienne, car Origène l’utilise pour désigner le diagramme chrétien décrit par Celse, qui présente de nombreux points de contact avec la notice de l’évêque lyonnais 2 . Bien qu’attribué artificiellement et secondairement au mythe de la notice d’Irénée, le terme « ophite » permet néanmoins de le distinguer du mythe de I, 29, 1-4. En effet, malgré quelques ressemblances indéniables entre les deux versions, le mythe de I, 30, 1-14 diffère de celui qui est rapporté en I, 29, 1-4 et imputé aux barbéliotes. Ce dernier repose sur une triade composée du Père, du Fils de l’Homme et du Christ et non sur une triade formée du Père, de la Mère et du Fils 3. La déclaration de l’Archonte Yaldabaôth (cf. I, 30, 6) 4 diffère substantiellement de celle du Protarchonte de la notice sur les barbéliotes. Mais avant de procéder à l’analyse du blasphème de l’Archonte de la notice sur les ophites, il importe de considérer la composition de cette notice, ainsi que le mythe qui y est exposé, afin de bien situer cet épisode dans son contexte.

1. Voir Rousseau et Doutreleau 1979a, p. 297-300. Dans son résumé de la notice d’Irénée, Théodoret attribue ce mythe aux séthiens que certains nomment aussi ophiens ou ophites, dit-il. Voir l’Haer. Fab. Comp. I, 14, 1. Pour l’édition du texte grec, voir Rousseau et Doutreleau 1979a, p. 330. 2.  Sur cette question, voir R asimus 2009, p. 10. 3.  Pour la description de la version du mythe barbéliote rapportée par Irénée, voir le chapitre VII. 4.  Nous avons choisi d’adopter la graphie Yaldabaôth, sauf dans les cas précis où nous discutons des différentes transcriptions du nom de l’Archonte.

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CHAPITRE II

I.  L a

com posi t ion de l a not ice su r l e s oph i t e s

Avant d’aborder la question de la composition de la notice de manière plus spécifique, une remarque méthodologique s’impose. Comme nous l’avons déjà mentionné, le blasphème de l’Archonte est attesté dans plusieurs sources indirectes, dans des traités hérésiologiques dont le dessein est de combattre les doctrines et les groupes jugés suspects aux yeux de leurs auteurs. Ces œuvres furent rédigées dans un but avoué de réfutation et de polémique, ce qui eut une incidence sur la présentation des doctrines des adversaires. Ainsi, les auteurs comme Irénée, Tertullien, l’auteur de l’Elenchos, Épiphane et Eznik intégrèrent probablement leurs propres présupposés théologiques et doctrinaux au portrait de l’Archonte qu’ils tracèrent. Pourtant, leur témoignage est de première importance en raison des renseignements qu’ils nous donnent sur leurs opposants. Afin de mieux évaluer leur présentation du blasphème de l’Archonte, mais aussi sa réception dans cette littérature indirecte, nous proposerons d’abord une analyse des sources et des procédés hérésiologiques mis en œuvre par ces auteurs. Cette analyse permettra de faire la distinction entre les représentations polémiques des hérésiologues et les positions des adversaires euxmêmes. Il sera ensuite possible de présenter une analyse détaillée de chacune des péricopes retenues dans le but de préciser le rôle et la fonction du blasphème dans chacune des notices hérésiologiques. L’ensemble de cette analyse permettra de tracer un tableau préliminaire de la diffusion et de la réception du motif au sein des groupes dénoncés par les hérésiologues. La composition de la notice consacrée aux ophites est donc à aborder sous deux angles différents : du point de vue d’Irénée et de celui du mythe lui-même. Il faut d’abord considérer la question des sources d’Irénée et de sa méthode de rédaction. Il est ensuite nécessaire de s’interroger sur les matériaux qui ont servi à la composition du mythe lui-même, dans la mesure où il est possible de faire la différence entre la part d’Irénée et celle du mythe gnostique. Il est primordial de bien identifier ces deux niveaux de l’inven‑ tio. Les mêmes remarques s’appliquent aussi à la dispositio de la notice. Il faut en effet distinguer la place et la forme de celle-ci dans l’œuvre d’Irénée de la disposition du mythe, hors de son contexte hérésiologique. Nous aborderons toujours les notices hérésiologiques en différenciant ces deux niveaux de l’inventio et de la dispositio, afin de départager le propos hérésiologique du discours plus proprement gnostique. A. Les sources et les matériaux de la notice Nous aborderons brièvement en premier lieu la question des sources utilisées par Irénée pour composer sa notice sur les ophites. Elle semble homogène. Comme l’observe T. Rasimus, l’Adv. Haer. I, 30, 1-14 donne

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l’impression qu’Irénée résume une source écrite semblable à l’HypArch, à l’Ecr sT ou encore à la seconde moitié de l’ApocrJn 5 et ne juxtapose pas différentes sources comme dans la Grande Notice (I, 1-9) 6. Sa construction est beaucoup plus simple et ne renferme que quelques interventions personnelles d’Irénée réduites au alii autem rursus portentuosa loquuntur (cf. I, 30, 1), à la digression et haec esse quae saluantur dicunt (cf. I, 30, 6), à la fameuse phrase tales quidem secundum eos sententiae sunt : a quibus, uelut Lernaea hydra, multiplex capitibus fera [de] Valentini scola generata est, qui sert de transition entre la notice sur les ophites et les doctrines des groupes apparentés (cf. I, 30, 15), et à quelques mots isolés, tels que dicunt, vocant, nominant, posuerunt et subiciunt. Selon nous, cette notice dépend donc d’une source écrite (O1) qu’Irénée a recopiée dans sa quasi-totalité, ou à tout le moins, juste assez pour fournir un aperçu complet du mythe qu’elle contenait 7. Sa description est cohérente et ses interventions personnelles semblent réduites au minimum. Malgré ces observations, il y a lieu de croire qu’Irénée adapte le propos de ces « gnostiques » pour le faire correspondre aux valentiniens de la Grande Notice qui constituent la véritable cible de son traité. Il veut en effet démontrer que les « gnostiques » de I, 29-30 sont non seulement les ancêtres des valentiniens, mais aussi leurs pères. En II, 13, 10, il mentionne que les gnostiques sont les pères des valentiniens (cf. aussi I, 31, 3) et à deux reprises dans le livre I, il présente ceux-ci comme les descendants des gnostiques (cf. I, 11, 1 ; 30, 15) 8. Irénée échafaude à vrai dire une généalogie de l’erreur qui débute avec Simon le Magicien, père des hérésies (cf. I, 23, 2), et se poursuit avec les valentiniens, ses contemporains. Selon lui, cette généalogie de l’erreur s’oppose à la vérité unique transmise par l’Église et repose sur la théorie de la succession de la tradition apostolique formulée dans le livre III (cf. III, 3, 1-4, 2). Il s’applique à établir que toutes les hérésies ont une origine commune, mais qu’il existe un nombre sans fin de doctrines toutes aussi contradictoires les unes que les autres. Ainsi, en discréditant Simon le Magicien, il met en pièce toutes les hérésies. Irénée construit sans doute ses notices pour mettre en évidence les ressemblances entre les doctrines de ses adversaires en vue de promouvoir sa généalogie de l’erreur et d’exposer, paradoxalement, leurs différences afin de dévelop5.  R asimus 2009, p. 10. 6.  Pour une analyse des sources de la Grande Notice, voir le chapitre XI. 7.  Nous désignerons la source de la notice d’Irénée sous le sigle O1. Irénée utilisa probablement une source directe, mais peut-être aussi une source hérésiologique. Pour un tableau hypothétique plus complet de la transmission des versions ophites du mythe gnostique, voir le stemma du chapitre III. 8.  Sur l’emploi du terme γνωστικός dans le livre I et sur la généalogie des valentiniens construite par Irénée, voir Rousseau et Doutreleau 1979a, p. 296-300 ; 313-314.

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CHAPITRE II

per le thème de la diversité et de les confondre dans l’erreur 9. Il est d’ailleurs probable que sa systématisation du mythe valentinien dans la Grande Notice vise à le faire correspondre à ses notices consacrées aux barbéliotes et aux ophites, et vice-versa. De plus, le livre I, presque entièrement consacré à des exposés des doctrines de ses adversaires, constitue déjà aux yeux d’Irénée une réfutation : καὶ, καθὼς δύναμις ἡμῖν, τήν τε γνώμην αὐτῶν τῶν νῦν παραδιδασκόντων, λέγω δὴ τῶν περὶ Πτολεμαῖον, ἀπάνθισμα οὖσαν τῆς Οὐαλεντίνου σχολῆς, συντόμως καὶ σαφῶς ἀπαγγελοῦμεν, καὶ ἀφορμὰς δώσομεν κατὰ τὴν ἡμετέραν μετριότητα πρὸς τὸ ἀνατρέπειν αὐτήν, ἀλλόκοτα καὶ ἀσύστατα καὶ ἀνάρμοστα τῇ ἀληθείᾳ ἐπιδεικνύντες τὰ ὑπ᾽ αὐτῶν λεγόμενα Autant qu’il sera en notre pouvoir, nous rapporterons brièvement et clairement la doctrine de ceux qui enseignent l’erreur en ce moment même – nous voulons parler de Ptolémée et des gens de son entourage, dont la doctrine est la fleur de l’école de Valentin –, et nous fournirons, selon nos modestes possibilités, les moyens de les réfuter, en montrant que leurs dires sont absurdes, inconsistants et en désaccord avec la vérité 10.

Et dans la conclusion de ce livre, il ajoute : Detectio autem eorum haec est ; siue aduersus eos uitoria est sententiae eorum manifestatio – « Car les avoir démasqués, c’est bien cela : c’est les avoir déjà vaincus, que de les avoir fait connaître » 11. Il est donc nécessaire de garder à l’esprit que l’exposé du mythe des « gnostiques » de I, 30, 1-14 n’est pas neutre. Même si Irénée semble rapporter d’une manière fidèle la version du mythe de sa source, il l’adapte sans doute aux objectifs avoués de son œuvre, ne serait-ce que par les éléments qu’il a décidé de mettre en évidence ou d’omettre. La question des matériaux utilisés pour la composition du mythe luimême est plus complexe, car il est difficile de dater avec précision les différentes doctrines et mouvements gnostiques. Par conséquent, il n’est pas aisé de déterminer dans quel sens s’exercent les influences entre les versions du mythe gnostique. Celui de la notice d’Irénée se présente d’abord sous la forme d’une réécriture de la Genèse du même genre que celle de l’HypArch, de l’Ecr sT et de l’ApocrJn 12 . Les références et allusions aux premiers chapitres de la Genèse y sont nombreuses et forment la trame de fond sur laquelle s’articulent les principaux éléments du mythe. L’exposé 9.  Irénée le mentionne lui-même dans la préface de son livre II : etiam sententias exposuimus eorum qui priores exstiterunt, discrepantes eos sibimetipsis ostendentes, multo autem prius ipsi ueritati – « Nous t’avons exposé aussi les théories de ceux qui furent leurs chefs de file, montrant qu’ils sont en désaccord les uns avec les autres et bien auparavant déjà avec la vérité elle-même ». Voir I rénée , Adv. Haer. II, Pr. 1 (SC 294, p. 22-23). 10.  I rénée , Adv. Haer. I, Pr. 3 (SC 264, p. 22-25). 11.  I rénée , Adv. Haer. I, 31, 3 (SC 264, p. 388-389). 12.  Pour une analyse de ces trois traités, voir les chapitres III, IV et VIII.

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respecte généralement la séquence du récit biblique, sauf en I, 30, 2, où Irénée rapporte que ses adversaires appellent aussi la Première Femme, la Mère des vivants, ce qui constitue une allusion à Gn 3, 20 13. Certains passages se rapprochent par ailleurs d’exégèses juives du texte de la Genèse, comme en I, 30, 6, où les six puissances modèlent un homme d’une largeur et d’une longueur prodigieuse. Cette allusion à la taille d’Adam fait écho à une tradition selon laquelle Adam remplissait le monde entier, d’est en ouest, du nord au sud et du ciel à la terre 14 . D’autres passages reflètent aussi des spéculations judéo-hellénistiques, par exemple le récit de la chute et de la remontée de Sophia raconté en I, 30, 3, qui rappelle les propos de Philon lorsqu’il explique que certaines des âmes qui plongèrent dans des corps comme dans un fleuve résistèrent au courant et parvinrent à remonter : ce sont les philosophes. Les autres âmes ont simplement méprisé la sagesse et recherché les voluptés. Cette dernière remarque fait penser à I, 30, 5, où Yaldabaôth méprisa sa Mère (i. e. Sophia) en engendrant des fils sans sa permission 15. Comme nous le verrons, le récit de la création de l’homme (cf. I, 30, 6) évoque par ailleurs celui de la création du Timée de Platon. Le texte de la notice présente également une certaine familiarité avec les évangiles canoniques, en particulier l’Évangile lucanien. La notice partage également plusieurs matériaux avec les autres sources gnostiques connues à ce jour, dont la notice d’Irénée consacrée à Satornil (I, 24, 1-2). Voici une liste des principaux points de contact que nous avons relevés : 1. Les puissances à l’origine de la création du monde et de l’homme sont au nombre de sept (cf. I, 30, 5), à l’instar de la notice sur Satornil dans laquelle sept anges sont à l’origine de la création du monde (cf. I, 24, 1) ; 2. Le chef des sept puissances, Yaldabaôth, est le Dieu des juifs (cf. I, 30, 10), comme le Dieu des juifs est l’un des sept anges dans la notice sur Satornil (cf. I, 24, 2) ; 3. La création de l’homme survient suite à une citation plus ou moins littérale de Gn 1, 26 dans les deux notices : venite faciamus hominem ad imaginem nostram (cf. I, 30, 6) et faciamus hominem ad imagi‑ nem et similitudinem (cf. I, 24, 1) ;

13.  Les citations et allusions à la Genèse sont relevées dans les notes accompagnant notre résumé du mythe. Voir infra. 14. Voir Ber. Rab. 8, 1 et 12, 6 sur Gn 2, 4. Nous y reviendrons plus en détail ci-dessous. 15. Voir Philon, De Gigantibus 6-17 (Éd. Mosès , p. 24-31). B. Barc mentionne également ce passage en comparaison avec le mythe de Samaël de l’HypArch et de l’Ecr sT. Voir Barc 1981, p. 133-134.

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4. Cet homme ne pouvait que s’agiter jusqu’à que ce que Yaldabaôth lui insuffle sa puissance, la rosée de lumière (cf. I, 30, 6) ou jusqu’à ce que la Puissance d’en haut lui envoie une étincelle de vie (cf. I, 24, 1). Le terme employé pour décrire le mouvement de l’homme sur le sol est le même dans les deux notices : scarizo < σκαρίζω ; 5. Dans la notice sur les ophites, le diable, Michael-Samaël, est distingué de Yaldabaôth, le Dieu des juifs, puisqu’il est son fils (cf. I, 30, 5 ; 8-9). Dans celle sur Satornil, Satan est un ange opposé aux Auteurs du monde, en particulier au Dieu des juifs (cf. I, 24, 2). Ces points de contact ne semblent pas imputables à Irénée, car plusieurs de ces motifs et doctrines se rencontrent dans d’autres écrits gnostiques apparentés à la notice, comme l’Ecr sT et l’HypArch. La proximité des doctrines de ces deux notices permet-elle de croire qu’elles proviennent d’un même milieu ? Il est difficile de le déterminer avec certitude. Nous ne pouvons ensuite passer sous silence les nombreuses ressemblances entre la description du diagramme ophite d’Origène dans le Contra Celsum et la notice d’Irénée 16. La division du monde archontique entre deux listes de sept puissances est sans doute la plus frappante. Les noms des archontes sont presque identiques, tandis que ceux des démons cosmiques ne sont pas donnés dans la notice irénéenne, hormis celui de Michael-Samaël. Voici ces deux listes : Liste des archontes

Liste des démons cosmiques

Adv. Haer. I, 30, 5 Contr. Cels. 6, 31-32

Adv. Haer. I, 30, 8-9 Contr. Cels. 6, 30 18

Ialdabaoth

Ἰαλδαβαώθ

Michahel‑Samahel

Μιχαήλ

Iao

Ἰαω/Ἰά

?

Σουριήλ

Sabaoth

Σαβαώθ

?

Ραφαήλ

Adoneus

Ἀδωναῖος

?

Γαβριήλ

Eloeus

Ἀσταφαιός

?

Θαυθαβαώθ

Horeus

Αἰλωαιός/Ἐλωαιός

?

Ἐραθαώθ

Astaphaeus

ᾩοραῖος

?

᾽Ονοήλ Θαυφαβαώθ/ Θαρθαραώθ

 17

16. Voir Lipsius 1864, p. 49 ; Chadwick 1980, p. 349, note 2 ; Welburn 1981, p.  261 ; 265 ; 270-271 ; 275 ; 284-285 ; R asimus 2009, p. 15-20. 17.  Origène , Contr. Cels. 6, 31-32 (SC 147, p. 255-261). 18.  Origène , Contr. Cels. 6, 30 (SC 147, p. 252-255). Le nom du dernier démon cosmique, Tartaraôth, fait penser à l’ange du Tartare nommé Tartaroukhos dans le LivTh II 142, 41. Ce dernier nom est cependant assez répandu. Voir Rosenstiehl 1986, p. 29-56. Référence tirée de Poirier  2006, p. 280, note 645.

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De plus, selon la description d’Origène, le monde supérieur est composé du Père et du Fils, de Sophia et d’une Ogdoade (cf. 6, 31 ; 38), ce qui correspond en partie à la constitution du monde céleste de la notice d’Irénée (cf. I, 30, 1-2) 19. On y trouve même le nom de Prounikos (cf. 6, 34), comme chez Irénée (cf. I, 30, 3). Le rôle instrumental du serpent dans l’apport de la connaissance est souligné par Origène (cf. 6, 27-28) et par Irénée (cf. I, 30, 7) 20. Finalement, Origène reproche aux ophites de ne pas avoir compris que les noms hébraïques tirés des Écritures pour la constitution de leur panthéon sont ceux d’un seul et même Dieu (cf. 6, 32), ce qui concorde avec la logique du mythe ophite, où les sept archontes, appelés aussi les sept dieux, se choisissent des hérauts pour les servir et glorifier le Dieu des juifs (cf. I, 30, 10-11). Les nombreuses ressemblances entre la description des diagrammes ophites faite par Origène et la notice d’Irénée indiquent que celles-ci proviennent d’une version très semblable du mythe gnostique. Mais il existe un certain nombre de différences dans le détail, montrant que la notice d’Irénée et sa source (O1) ne sauraient être celles d’Origène, ni de Celse. La même remarque peut être formulée à l’endroit d’Irénée : il ne s’est pas inspiré du diagramme pour écrire sa notice. Nous sommes donc en présence de deux sources différentes qui émanent peut-être d’un même milieu. Mais il est difficile d’en être certain, car nous ne connaissons pas véritablement l’étendue de la diffusion de la mythologie ophite vers la fin du IIe siècle. La notice d’Irénée fut rédigée à Lyon vers 180, à l’instar de l’œuvre de Celse, le Discours véritable, probablement produite à Alexandrie 21. Origène, qui se procura une mouture du diagramme semblable à celui de Celse, composa sa réfutation du philosophe dans la première moitié du IIIe siècle 22 . Ces divers témoignages attestent cependant l’existence d’une version ophite du mythe gnostique vers la fin du IIe siècle dont les contours semblent assez bien définis. Il existe aussi plusieurs points de contact entre la notice d’Irénée, l’Ecr sT, l’HypArch et l’ApocrJn. Certains chercheurs croient même que cette notice joua un rôle dans l’histoire littéraire de l’ApocrJn 23. D’après nous, les ressemblances entre l’ApocrJn et le mythe ici rapporté ne s’expliquent pas 19. Voir infra le graphique de la représentation du monde de la notice d’Irénée. 20.  À ce sujet, voir R asimus 2009, p. 19-20 ; 68-69 ; 100. 21.  Chadwick 1980, p. xxvi-xxix. 22.  Sur la datation du traité, voir Borret 2005, p. 15-21. Pour une reproduction des reconstructions du diagramme ophite proposées par J. Matter (1843), F. Giraud (1884), J. Arendzen (1909), T. Hopfner (1930), H. Leisegang (1955), A. Welburn (1981), B. Witte (1993), A. Mastrocinque (2005) et A. H. B. Logan (2006), voir R asimus 2009, plates 1-9. 23. Voir L ogan 1996, p. 43-45 ; 55-56. J. D. Turner signale également de nombreux points de contact entre la notice irénéenne et l’ApocrJn. Voir Turner 2001, p. 69 ; 94 ; 257-258.

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par une dépendance littéraire directe, mais par l’utilisation de matériaux communs 24 . En effet, l’ApocrJn se présente comme l’œuvre d’un rédacteur séthien faite à partir de matériaux ophites et barbéliotes 25. Le mythe de la notice sur les ophites recoupe aussi certains éléments d’Eug, de la SJC et de la notice d’Épiphane sur les gnostiques (Pan. 26) 26. Sans présumer de contacts littéraires que seule une enquête approfondie pourrait confirmer, ces écrits utilisent tous des matériaux gnostiques communs. L’Ecr sT et l’HypArch semblent d’ailleurs reposer sur une source (O2) qui donne une version du mythe gnostique postérieure à celle de la notice irénéenne 27. Il existe un bon nombre de différences entre ces textes, ce qui laisse croire que la version du mythe qu’expose Irénée ne dépend d’aucun d’eux. Bien que cette analyse des matériaux du mythe de la notice sur les ophites paraisse s’éloigner de notre sujet, elle s’avérera très utile pour déterminer la diffusion et la réception du blasphème de l’Archonte dans la littérature gnostique. B. La dispositio de la notice Il faut d’abord considérer la question de la dispositio de la notice dans le livre I. Elle constitue la dernière notice développée de ce livre, en plus d’être complémentaire de celle sur les barbéliotes (I, 29), car l’évêque lyonnais mentionne qu’elles rapportent les principales doctrines des « gnostiques » (cf. I, 29, 1). Comme nous l’avons noté ci-dessus, il les présente à plusieurs reprises comme les ancêtres immédiats des valentiniens (cf. I, 11, 1 ; 30, 15 ; 31, 3 ; II, 13, 10). Ces « gnostiques » représentent donc le dernier maillon de la chaîne qui unit les valentiniens à Simon le Magicien, le père de toutes les hérésies. Dans la logique du livre I, qui fait office d’exposé des doctrines adverses, il n’est pas étonnant de retrouver les notices sur les gnostiques en dernier. Elles forment en réalité une inclusion avec la Grande Notice (I, 1-9), dans laquelle Irénée a consigné les enseignements valentiniens qu’il désire combattre et qui demeurent la cible prioritaire des livres I et II. Il est donc logique qu’il amorce le livre I par une exposition des doctrines valentiniennes et qu’il le termine par une description de ceux qu’il considère comme leurs ascendants immédiats.

24.  B. Barc considère que le schéma anthropogonique conservé dans l’ApocrJn, l’Ecr sT et l’HypArch est connu des ophites d’Irénée, ce qui indiquerait qu’il avait une valeur traditionnelle dès la première moitié du IIe siècle. Voir Barc 1980, p. 16-17. 25.  Sur la composition de l’ApocrJn et ses relations avec les autres textes de Nag Hammadi, voir R asimus 2009, p. 28-62. Voir aussi le chapitre VIII. 26.  R asimus 2009, p. 53-54 ; 62. 27.  Voir les chapitres III et IV.

NOTICE D’IRÉNÉE SUR LES OPHITES

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La dispositio de la notice correspond probablement à la structure du mythe de sa source (O1). Mais il n’est pas impossible qu’Irénée y ait inséré quelques modifications au niveau de sa structure dans le but de le faire coïncider avec le mythe valentinien exposé dans la Grande Notice. Le contraire pourrait tout aussi être vrai. Il est en effet possible de relever un certain nombre de similitudes dans la façon dont sont développés les deux mythes rapportés dans ces notices. Irénée opère peut-être une certaine systématisation de ses sources afin de mieux démontrer leur parenté. Comme nous le verrons, il opère à coup sûr une systématisation du mythe de la Grande Notice, qui est construit à partir de différentes sources 28. Mais comme la notice sur les ophites ne laisse pas entrevoir de problèmes rédactionnels évidents, les transformations qu’il a apportées à sa source doivent être considérées comme mineures. Quoi qu’il en soit, voici un aperçu du plan de la notice, dans lequel le motif du blasphème de l’Archonte constitue l’élément déclencheur de l’anthropogonie. I.  Théogonie et cosmogonie (30,  1-5) 1.  Constitution de l’Église céleste (30, 1-2) 2.  La chute et la remontée de Sophia (30, 3) 3.  La constitution du monde inférieur (30, 4-5) Naissance de Yaldabaôth et de ses fils (30, 4) Organisation du monde archontique (30, 5) II. A nthropogonie (30, 6-8) 4.  La création de l’homme (30, 6) 5.  Les récits du paradis (30, 7-8) La « désobéissance » d’Ève et Adam (30, 7) Adam, Ève et le serpent chassés du paradis (30, 8) III. Sotériologie (30, 9-14) 6.  Les tribulations de l’humanité hors du paradis (30, 9-11) Caïn, Abel, Seth et Noréa (30, 9) Le déluge, l’alliance, la Loi et les prophètes (30, 10-11) 7.  La venue du Christ (30, 12-13) La descente du Christ en Jésus (30, 12) La crucifixion, la mort et la résurrection de Jésus (30, 13) 8.  Eschatologie (30, 14)

28.  Pour une analyse de la composition de la Grande Notice, voir le chapitre XI.

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CHAPITRE II

Si notre analyse s’avère exacte, Irénée résume une source ophite (O1) en limitant ses propres interventions au minimum. Son apport personnel semble plutôt se réduire à la place de la notice à l’intérieur du livre I, puisqu’il présente les gnostiques comme les pères des valentiniens. Le mythe de la notice sur les ophites constitue une réécriture de la Genèse influencée par des spéculations judéo-hellénistiques et rabbiniques, et développe une christologie qui prend appui sur les récits évangéliques. Il comporte un certain nombre de liens avec les doctrines de Satornil, le diagramme ophite décrit par Origène, l’Ecr sT, l’HypArch, l’ApocrJn, la SJC, Eug et le Pan. 26. Ces points de contact prendront forme au cours de cette recherche. Pour l’instant, nous pouvons affirmer que le mythe ophite rapporté par Irénée fut rédigé avant 180, et qu’à la lumière des matériaux qui le composent et des rapprochements avec la littérature gnostique que nous pouvons observer, son milieu de production pourrait être l’Égypte grecque ou encore Antioche de Syrie. Il est difficile pour le moment de le préciser davantage. Afin de bien situer les éléments déterminants pour l’analyse du motif du blasphème de l’Archonte, attardons-nous maintenant au contenu de cette notice. II. L e

m y t h e de l a not ice su r l e s oph i t e s

L’analyse de la notice sera articulée selon les grandes divisions du plan proposé ci-dessus : (1) théogonie et cosmogonie, (2) anthropogonie et (3) sotériologie. L’annotation servira à souligner les points importants pour la suite de notre recherche et à identifier les citations et les allusions scripturaires qui parsèment l’ensemble du texte. Cette analyse permettra de fixer graphiquement la représentation du monde véhiculée dans la notice, malgré les limites qu’une telle démarche comporte. En effet, le discours mythique échappe parfois à la logique cartésienne que nécessite cet exercice. Il est à cet égard regrettable qu’Origène n’ait pas tenté de reproduire le diagramme ophite qu’il avait en sa possession. Il aurait pu s’avérer très utile à la reconstitution que nous suggérons. A. Théogonie et cosmogonie (I, 30, 1-5) Le Père du Tout, le Dieu suprême et Premier Homme, est une Lumière primordiale, bienheureuse (beatus