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Marie-Claire Planche De l’iconographie racinienne, dessiner et peindre les passions
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Les styles du savoir Défense et illustration de la pensée à l’âge classique S. Taussig, P. Lurbe (éd.) La question de l’athéisme au 17e siecle 172 p., 2004, ISBN 978-2-503-51606-6, S. Taussig Europe. Comédie héroique attribuée à Richelieu 301 p., 2006, ISBN 978-2-503-51634-9, P. Bailhache Pierre Gassendi, Initiation à la théorie ou partie spéculative de la musique 113 p., 2005, PB, ISBN 978-2-503-51885-5, S. Taussig Pierre Gassendi, Du principe efficient, c’est-à-dire des causes des choses. Syntagma philosophicum. Physique, Section I, Livre IV 243 p., 2006, PB, ISBN 978-2-503-52277-7, H. Bargy (éd.) Cyrano de Bergerac, Cyrano de Sannois 304 p., 2009, ISBN 978-2-503-52384-2, S. Taussig (éd.) Gassendi et la modernité 540 p., 2008, ISBN 978-2-503-52556-3, S. Taussig, A. Turner Mémoire de Gassendi. Vies et célébrations écrites avant 1700 613 p., 2009, ISBN 978-2-503-52385-9, S. Taussig Pierre Gassendi, De la liberté, de la fortune, du destin et de la divination. Syntagma Philosophicum, Éthique, Livre III 169 p., 2008, ISBN 978-2-503-52759-8 S. Taussig Pierre Gassendi, Le principe matériel, c’est-à-dire la matière première des choses. Syntagma philosophicum, Physique, Section I, Livre III 218 p., 2009, ISBN 978-2-503-52994-3
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Marie-Claire Planche
De l’iconographie racinienne, dessiner et peindre les passions
F
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Couverture de l’ouvrage : Noël Le Mire d’après Hubert-François Gravelot, La Thébaïde, 1768.
© 2010, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2010/0095/227 ISBN 978-2-503-53092-5 Printed in the E.U. on acid-free paper
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À Marsile
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Remerciements Qu’il me soit ici permis d’user de la première personne du singulier pour adresser mes remerciements sincères et chaleureux à tous ceux qui se reconnaîtront dans ces quelques lignes. Je tiens tout d’abord à exprimer ma gratitude à Sylvie Taussig, Pierre Caye et aux éditions Brepols pour l’enthousiasme avec lequel ils ont accueilli mon projet. Je garde également le souvenir de discussions fructueuses et stimulantes partagées avec les collègues chercheurs : réunis autour des textes ou des images, les propos que nous avons échangés m’ont souvent rappelé combien les pièces de Racine étaient encore vivantes. Ces conversations ont pu nourrir mes réflexions, et m’inciter à poursuivre une voie dans laquelle des maîtres bienveillants m’avaient confortée. Enfin, je ne voudrais pas oublier mes proches – famille et amis – qui ont joué un rôle actif par leur écoute attentive, leurs encouragements, leurs relectures aussi.
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Avertissement Toutes les œuvres mentionnées dans le texte n’ont pu être reproduites. Certaines d’entre elles le sont sur les sites Internet officiels des musées dans lesquels elles sont conservées. Leurs bases de données pourront donc être aisément interrogées avec profit. Nous voudrions ici indiquer quelques liens particulièrement utiles, qui permettent d’avoir accès à de nombreuses reproductions. – Pour les collections publiques françaises dont les peintures du musée Louvre, la base Joconde du ministère de la culture : http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm – Pour les dessins du département des arts graphiques du musée du Louvre : http://arts-graphiques.louvre.fr/fo/visite?srv=home – Pour l’illustration des pièces de théâtre aux XVIIe et XVIIIe siècles, la base Cesar reproduit nombre de vignettes : http://www.cesar.org.uk/cesar2/index.php
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SOMMAIRE
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Remerciements
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Avertissement
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Sommaire
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Prologue
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Acte I - Racine peintre Composition et disposition Figures et passions, la peinture des personnages et des corps Lumières et ombres De la narration
25 28 33 40 45
Acte II - Le corpus iconographique Le XVIIe siècle et les premières images raciniennes 1668, Charles Le Brun, Alexandre et Porus 1676-1691, de François Chauveau à Jean-Baptiste Corneille 1696, Antoine Coypel, Athalie chassée du temple Vers 1696, Antoine Coypel, L’Évanouissement d’Esther 1699-1700, Jacobus Harrewyn, un illustrateur maladroit ? Avant 1700 (?), Claude Gillot, Bajazet Le XVIIIe siècle, des grâces rocailles à la rigueur néoclassique 1723, Louis Chéron Vers 1732 (?), Charles-Antoine Coypel, Andromaque et Pyrrhus 1741, Charles-Antoine Coypel, Athalie interrogeant Joas 1743, Louis-Fabricius Du Bourg 1748, Charles-Antoine Coypel, L’Évanouissement d’Atalide Vers 1750 (?), Jean-Baptiste-Marie Pierre, Phèdre mourante 1750 et 1760, Jacques De Sève 1768, Hubert-François Gravelot
51 55 55 59 63 65 67 68 68 68 69 70 73 73 75 76 80
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sommaire
1793, Étienne-Barthélémy Garnier, Hippolyte saisi d’horreur après l’aveu de Phèdre 1793, Pierre-Paul Prud’hon, Andromaque et Pyrrhus 1796, Jean-Jacques-François Le Barbier 1798, Pierre-Paul Prud’hon, Andromaque et Astyanax Le XIXe siècle et ses tableaux L’école de David et Pierre Didot, une édition magistrale Les dessins conservés de l’édition Didot 1802, Pierre-Narcisse Guérin Phèdre et Hippolyte 1810, Pierre-Narcisse Guérin, Andromaque et Pyrrhus Vers 1815, Pierre-Narcisse Guérin (?), Oreste annonce à Hermione la mort de Pyrrhus
83 83 85 86 88 88 92 96 101 104
Acte III - Le choix de l’instant Propos et perspectives théoriques Illustrer le récit Des résumés et des allégories Vraisemblance, costumes et coutumes
109 113 121 128 134
Acte IV - Le lieu Aux portes du palais Espaces clos Ouvertures sur le jardin Hors les murs
149 151 154 158 162
Acte V - Expressions et attitudes Du regard voilé aux yeux exorbités Un mouchoir à la main, les pleurs Force et faiblesse, les mouvements contraires Un genou à terre, la supplique De la pâmoison à la mort
169 171 176 179 187 192
Épilogue
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Bibliographie sélective Sources et dictionnaires Bibliographie moderne
217 217 219
Liste des illustrations
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Copyright
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Prologue
L’effort d’un desplaisir, pour estre extreme, doit estonner toute l’ame, et lui empescher la liberté de ses actions : comme il nous advient à la chaude alarme d’une bien mauvaise nouvelle, de nous sentir saisis, transis, et comme perclus de tous mouvemens, de façon que l’ame se relaschant apres aux larmes et aux plaintes, semble se despendre, se demesler et se mettre plus au large, et à son aise 1.
La Bruyère qui, dans les Caractères, a commenté les principes des tragédies de Corneille et de Racine, a relevé leurs caractéristiques respectives. Après avoir souligné la manière dont Racine a respecté des sources anciennes, il insiste sur le sentiment et conclut ainsi : L’un élève, étonne, maîtrise, instruit [Corneille] ; l’autre plaît, remue, touche, pénètre [Racine]. Ce qu’il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raison, est manié par le premier ; et par l’autre ce qu’il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion 2.
1 Michel de Montaigne, Essais, 1580. Éd. Paris, Gallimard, 1946, établie par Albert Thibaudet, lib. I, ch. II, pp. 32-33. 2 Jean de La Bruyère, Les Caractères ou les mœurs de ce siècle, 1688. Éd. Paris, Gallimard, 1951, établie par Julien Benda, p. 84.
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Il ne célèbre pas ici les passions raciniennes, mais bien la passion qui se définit simplement comme une émotion. Il ne s’agit pas dans ces propos de s’intéresser aux multiples passions qui ordonnent les tragédies, mais de souligner l’importance du sentiment. Ce terme de passion auquel nous recourons dans notre titre, si présent dans la civilisation du XVIIe siècle, recouvrait différentes acceptions que le Dictionnaire universel de Furetière a circonscrites : Se dit des différentes agitations de l’âme selon les divers objets qui se présentent à ces gens. Les philosophes ne s’accordent pas sur le nombre des passions. Les passions de l’appétit concupiscible, sont la volupté et la douleur, la cupidité et la fuite, l’amour et la haine. Celles de l’appétit irascible sont la colère, l’audace, la crainte, l’espérance, et le désespoir. C’est ainsi qu’on les divise communément. […] [il renvoie aux différents traités contemporains] Les stoïciens en faisaient quatre genres, et se prétendaient être exempts de toutes passions. […] [il cite Descartes] Se dit aussi en rhétorique ou en poésie, en peinture et en musique, de l’art d’exciter, ou de représenter les passions. Un orateur véhément, un poète dramatique, tâchent d’exciter la passion de l’esprit de leurs auditeurs […] Ce peintre exprime bien les passions. Ce comédien entre bien dans les passions de ceux qu’il représente 3.
Les sens les plus communs au XVIIe siècle sont définis, montrant que la réflexion est assez unitaire. Cependant, la définition ne laisse pas paraître l’engouement intellectuel qui vit se réunir, autour de la question des passions, philosophes, scientifiques et artistes. Les recherches entreprises par les savants de ces différentes disciplines témoignent d’un intérêt commun : mieux comprendre l’homme. Les débats que les peintres ont engagés, notamment dans le cadre de l’Académie royale de peinture et de sculpture, rappellent que le vœu d’élever la peinture au rang d’art libéral se dessine de manière ferme. Le cadre théorique qu’ils ont souhaité proposer dès le Quattrocento a pris forme, et les discussions ont permis de définir des points essentiels, voire de fournir des modèles pour ce qui concerne les passions. Pour autant, en prenant d’autres formes, le débat s’est poursuivi aux XVIIIe et XIXe siècles. Enfin, Furetière souligne que la connaissance des passions n’est utile qu’en raison de 3 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690. Éd. Paris, Le Robert, 1978, établie par Pierre Bayle et Alain Rey. L’édition de 1694 du Dictionnaire de l’Académie française propose une définition assez proche qui, cependant, établit davantage de distinctions entre l’usage du singulier et du pluriel.
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leur représentation dans les différents arts. Les tragédies de Racine, si souvent définies comme un théâtre des passions, se sont inscrites dans une tradition littéraire antique. C’est parce que le poète les a placées au cœur de l’action, c’est parce que les personnages les ont dévoilées, parce qu’ils en ont décrit les manifestations physiques, qu’elles ont atteint une telle présence. Ces signes visibles se prêtaient dès lors à une transposition dans les arts visuels. Bien que les artistes se fussent emparés des personnages et des sujets raciniens, réunir cet ensemble iconographique n’est pas immédiat 4. Il fallait chercher les œuvres, retracer l’histoire des éditions illustrées et ensuite, agir de sorte qu’elles se livrassent à nous. Les rassembler ne suffisait pas, encore devaient-elles dévoiler leur éloquence pour instaurer un dialogue harmonieux avec les vers des tragédies. Ce que les peintures et les estampes révèlent de l’intime des personnages par les instants que les artistes ont choisi de représenter est primordial. Pourtant, nous le verrons, le poète n’a pas toujours été bien servi, et certaines compositions paraissent faibles au regard de la force qui se dégage des tragédies. Les peintures, beaucoup moins nombreuses que les estampes des éditions illustrées, témoignent des recherches des artistes. Elles sont d’un grand intérêt, non seulement par leur inscription dans le genre de la peinture d’histoire, mais aussi par rapport à la réception des sujets raciniens. Les éditions illustrées, quant à elles, s’inscrivent dans un contexte éditorial tout à fait favorable puisque la régularité et le nombre des parutions sont un indice de l’intérêt qu’il y avait à illustrer les pièces de Racine. Le corpus réunit des œuvres qui affirment matériellement leur autonomie par rapport au texte (les tableaux) et d’autres qui, parce qu’elles appartiennent au livre illustré, affirment leur proximité physique avec le texte des pièces. Cependant, les différents supports ne sauraient conduire à une analyse parcellaire et fragmentée : il s’agit bien d’étudier un ensemble. Même si nous souhaitons ne pas dissocier l’étude des œuvres en fonction de leur support, il apparaît cependant utile de livrer ici quelques éléments de vocabulaire concernant l’estampe. Nous avons choisi pour guide l’Avis aux marchands d’estampes de l’imprimeur-libraire L’essai que nous proposons prend appui sur notre thèse d’histoire de l’art, Passions raciniennes et arts visuels. Pictura loquens, XVIIe-XIXe siècles, soutenue en mars 2000 à l’Université de Bourgogne. Le corpus a bien entendu été mis à jour. La seule comédie de Racine, Les Plaideurs, se situe hors des limites de cette étude. Signalons malgré tout que son sujet ne semble pas avoir été retenu pour un tableau et qu’elle a, dans les éditions, bénéficié du même type d’illustration que l’ensemble des autres pièces. 4
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Charles-Antoine Jombert. Dans le Catalogue raisonné de l’œuvre de Sébastien Leclerc, il a rédigé ce texte afin que les confusions pussent être évitées entre les différentes formes d’estampes. Ces définitions, tout à fait précieuses, montrent l’importance que l’on accordait à l’illustration au XVIIIe siècle et certainement aussi la vitalité du commerce de l’estampe : Le frontispice est une estampe qui se place à la tête d’un livre, vis-à-vis le titre, et qui est au moins de la grandeur d’une des pages du volume. […] La vignette est une petite estampe, entourée d’une légère bordure d’ornement, ou d’un double trait, qui se tire sur le haut de la page, au commencement du discours d’un volume, ou d’une partie, à la tête d’une épître dédicatoire. […] Le fleuron diffère du cul-de-lampe en ce que le premier se met sur le titre d’un livre, dans l’espace qui reste entre le nom de l’auteur, et le nom et l’adresse du libraire : au lieu que le cul-de-lampe est proprement l’ornement qui termine un ouvrage, et qui se met à la fin d’un volume, d’une partie, d’un livre, d’un chapitre. […] Un fleuron n’est assujetti à aucune forme régulière, par conséquent il ne doit être renfermé par aucun cadre ni bordure. […] L’origine du cul-de-lampe dans les livres est aussi ancienne que celle de l’imprimerie. […] Il ne consistoit alors qu’en une certaine disposition des dernières lignes du livre, ou du chapitre, que l’on faisoit aller toujours en diminuant, depuis la ligne entière où cet arrangement commençoit, jusqu’à la dernière et la plus courte ligne […] On a abandonné ensuite cette disposition de lignes qui alloient en diminuant, pour leur substituer des ornemens en fonte, arrangés de la même manière. […] Enfin le goût s’étant épuré de plus en plus, on a eu recours à la gravure en cuivre pour exécuter les mêmes choses. […] Toutes les estampes que l’on voit dans les livres et qui ne peuvent se ranger dans les classes précédentes, se nomment simplement estampes 5.
En raison de l’évolution de la terminologie, nous souhaitons apporter quelques nuances quant au vocabulaire que nous employons dans les pages à venir. En effet, lorsque nous recourons aux termes de fleuron et de cul-de-lampe, nous désignons les gravures décrites ci-dessus. En revanche, pour les termes de frontispice et de vignette, les usages ont quelque peu modifié leurs sens. Le frontispice désigne toujours l’estampe sur laquelle ouvre le livre, en regard du titre, mais aussi celle sur laquelle ouvre une partie du volume. Ainsi, dans les éditions collectives, la planche illustrant chaque pièce peut-elle être qua Charles-Antoine Jombert, Catalogue raisonné de l’œuvre de Sébastien Leclerc. Paris, Jombert, 1774, pp. XXVII-XXXI. 5
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lifiée de frontispice. Le terme de vignette, quant à lui, désigne le plus souvent une estampe dont la taille correspond à celle de la page ; il s’agit donc de toute planche à l’exception du frontispice de titre. Pour mentionner l’estampe délimitée par une bordure et disposée en haut d’une page, le terme de bandeau est approprié. Ces quelques précisions nous semblent nécessaires, non seulement pour éviter toute confusion, mais aussi pour que le lien entre les sources modernes et les commentaires contemporains puisse être établi. Les œuvres que le dramaturge a inspirées présentent des singularités et partagent des points communs qui méritaient qu’on les étudiât. Si nous sommes amenée parfois à tisser des liens, à établir des parallèles avec la scène théâtrale, le propos de l’ouvrage n’est pas l’étude des représentations théâtrales et de leur iconographie. Il s’agit bien pour nous d’analyser les dessins, peintures et gravures qui ont pour sujet les pièces de Racine. Il serait vain de vouloir retrouver dans ces œuvres le souvenir de la scène ; elles ne proposent pas de restituer les informations qui font défaut sur ce sujet. Il faut plutôt admettre que, dans une société d’idées, le contexte de création et les particularités stylistiques ont été partagés par les arts visuels et les arts de la scène. Ils se sont mutuellement influencés, profitant de l’évolution de la perspective ou d’une meilleure science du costume, par exemple. Martine de Rougemont a encore rappelé tout récemment combien l’illustration des pièces dans le livre à figures s’était affranchie de la scène théâtrale 6. Les artistes ont utilisé les procédés narratifs dont ils disposaient pour exposer des faits, et non pas montrer des acteurs jouant. Ces compositions offrent non pas une, mais des lectures de Racine, dans un ensemble qui suggère les possibilités multiples de l’écriture du poète. Que partagent en effet Phèdre, Andromaque ou Britannicus ? Sans doute ce même destin que les passions dominent et que les héros peinent tant à maîtriser. Quand tout leur être fait œuvre d’éloquence, comment peuvent-ils retenir leurs émotions, maîtriser leurs pulsions et éviter que l’intime ne se répande au dehors ? Les plus habiles sont sans doute les personnages les plus sombres, ceux qui recueillent en leur sein les plus funestes desseins. Ils sont passés maîtres dans l’art de la dissimulation et parviennent davantage à contenir ce qui doit l’être. Ils n’ont pas, comme Antiochus et 6 Martine de Rougemont, « Images des théâtres au XVIIIe siècle », Revue d’histoire du théâtre, 2008, n° 1, pp. 67-76. Elle évoque l’intérêt des illustrateurs du XVIIe siècle pour les récits et la distance que l’illustration du siècle suivant prit avec la scène : « L’illustration raconte une histoire comme elle a pu arriver, et non comme les acteurs de théâtre la transposeraient sur scène », p. 68.
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beaucoup d’autres personnages, exposé leur désordre : « Prince, vous vous troublez et changez de visage ? 7 ». Il faut du temps avant que le projet de Néron ne soit révélé ou que les mensonges et manipulations d’Œnone ne fassent tout voler en éclat. Leur visage et leur corps ont fait silence jusqu’au moment ultime, et chacun s’est rendu « maistre de son visage 8 ». L’ensemble des signes visibles que nous venons d’évoquer ou l’écriture de Racine ne sont pas étrangers aux choix des artistes. Mais on peut aussi considérer que les pièces du dramaturge ont été retenues au même titre que d’autres histoires d’auteurs antiques ou modernes. Le dialogue des arts, l’ut pictura poesis dont il fut si souvent question, rappelle la proximité de la peinture et de la poésie. Les théoriciens ont en effet souvent exprimé leurs richesses respectives en les mettant en relation. En 1757, lorsque le fameux archéologue et antiquaire Philippe Thubières, comte de Caylus, entend célébrer les tableaux que Homère et Virgile pourraient inspirer, il explique dès les premières lignes que la citation des sources contribue à grandir la peinture : Ces recherches et ces réflexions ont pour objet l’avantage de la Peinture ; je les ai regardées comme un moyen de la rendre encore plus brillante en l’unissant avec plus d’intimité aux talens des Poëtes célèbres de l’antiquité. Le dépouillement des Poëmes qu’on est en possession d’admirer, présenté par rapport à la Peinture, m’a paru la voye la plus certaine pour produire cette union 9.
Son intention descriptive est affirmée, il souhaite ainsi rendre service aux artistes, trop occupés selon lui, pour lire les textes. Le didactisme de sa démarche n’est pas unique, mais son vœu de considérer ces récits comme des tableaux potentiels est en revanche plus inédit 10. Finalement, il propose aux peintres Bérénice, I, 4, v. 180. Madame de Lafayette, La princesse de Clèves. Romanciers du XVIIe siècle. Éd. Paris, Gallimard, 1958, établie par Antoine Adam : « M. de Nemours estoit encore plus embarrassé […] qu’il luy fut impossible d’estre maistre de son visage. […] Cependant M. de Nemours, revenant de son premier trouble, et voyant l’importance de sortir d’un pas si dangereux, se rendit maistre tout d’un coup de son esprit et de son visage », p. 1206. 9 Comte de Caylus, Tableaux tirés de l’Iliade, de l’Odyssée d’Homère et de l’Enéide de Virgile. Paris, Tilliard, 1757, p. I. Une partie de l’ouvrage est aussi consacrée au costume et à la description d’un certain nombre d’accessoires. 10 Le regard qu’il porte sur ces textes a pu être partagé par d’autres auteurs qui n’en ont cependant pas fait l’objet d’un ouvrage. Leurs remarques se retrouvent à travers différentes publications. 7 8
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les sujets que certaines scènes de ces grands poètes lui inspirent. Néanmoins, les propos de Caylus ne doivent pas faire oublier les connaissances des artistes qui étaient souvent de fins lettrés. Les portraits ou autoportraits conservent le souvenir d’hommes familiers des livres et travaillant dans une grande proximité avec les œuvres de l’Antiquité 11. Les théories artistiques et les questions débattues en témoignent également. Cependant, que connaissaient ces artistes des textes plus récents ; les peintres et dessinateurs de notre corpus ont-ils lu Racine avant d’en donner des représentations visuelles ? À défaut de le lire, peut-être ont-ils entendu quelque acteur déclamer ses vers ? Comment le savoir puisque les traces tangibles font défaut ? Lorsqu’on côtoie ces œuvres jusqu’à se les approprier, on ne peut imaginer qu’ils eussent été tout à fait étrangers aux pièces. Ce sentiment est renforcé par la disposition et l’expressivité de certaines compositions dont la sensibilité est une forme de transposition de la catharsis. Les artistes qui ont illustré les histoires des héros raciniens ne pouvaient négliger le rôle de la réception des œuvres et le nécessaire partage des émotions avec le spectateur. L’écriture de Racine, les compositions qu’il a proposées, nous sont apparues comme des tableaux. Cette particularité poétique offrait le moyen le plus naturel pour faire une entrée dans le sujet. Les différents points de vue selon lesquels nous avons étudié les œuvres visuelles en résultent. Présenter le corpus est une étape indispensable : c’est restituer les principes de création des artistes, c’est souligner les choix iconographiques qui manifestent la permanence, les partis pris ou les singularités. Parce que les œuvres réunies présentent toutes ces caractéristiques, elles forment un ensemble cohérent qui ne concède rien à la monotonie. Réunir cet ensemble a fait l’objet de réflexions de diverses natures. S’il fallait tout d’abord identifier les sources littéraires représentées, il nous a paru nécessaire de ne pas faire de choix qui relevassent du style ou de l’esthétique. Même si nous sommes amenée, à plusieurs reprises, à les prendre en considération, ces aspects n’ont pas constitué un critère de sélection. Les problématiques qui ont été débattues autour des sujets picturaux ont concerné non seulement la nature des textes dignes d’être transposés, mais 11
Les exemples sont nombreux, nous pouvons citer les deux célèbres autoportraits de Nicolas Poussin (Berlin, Staatliche Museen et Paris, musée du Louvre), le portrait de Le Brun par Nicolas de Largillière (Paris, musée du Louvre) ou l’autoportrait d’Antoine Coypel qui s’est représenté avec son fils devant une bibliothèque (Besançon, musée des Beaux-Arts). Ces représentations accueillent aussi certainement une part d’idéal concernant la formation de l’artiste.
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aussi la manière dont ils pouvaient l’être. Les questions relatives à la cohérence de l’action, du temps et du lieu ont été soulignées, mais dans des termes et un contexte différents du théâtre. L’espace circonscrit que propose la toile du tableau ou que définit le trait carré de l’estampe accueille une action qui, le plus souvent, ne représente qu’une partie d’une narration se déployant dans le temps. Les artistes ont réfléchi aux possibilités de figurer cette temporalité, sans nuire à l’expressivité des personnages. La notion de vraisemblance embrasse de ce fait les aspects multiples de la représentation visuelle. Le respect d’une civilisation, d’une période chronologique et de leurs particularités est l’un d’entre d’eux. Camper le lieu de l’action est aussi une nécessité qui autorise les artistes à proposer des décors d’une grande diversité. Plus ou moins en rapport avec les indications du dramaturge, leurs palais, leurs portiques, leurs paysages, peuvent être des tentatives de reconstitution historique ou des inventions dans lesquelles leur imaginaire fut premier. L’œil du spectateur pénètre ces espaces, des plus confinés aux plus ouverts, pour découvrir dans l’attitude des héros les sentiments qui les animent. La représentation des passions n’a pas d’autre objet que celui de montrer les signes extérieurs des troubles intérieurs. Les procédés rhétoriques que les artistes ont déployés ne sont pas étrangers aux personnages raciniens puisqu’il s’agit de l’éloquence du corps et du visage 12. Cette forme de langage s’inscrit dans une tradition héritée de l’Antiquité. L’évolution des arts visuels, depuis le Quattrocento, a contribué à insister sur la primauté de ce langage corporel. Partagé par les peintres et les poètes, il est apparu comme l’une des composantes fondamentales de ces arts. Il emplit les tragédies de Racine, traduisant les passions aussi bien que le verbe. La disposition des figures dans les œuvres, leurs postures, les rapports de force qui se livrent, sont autant de clés de lecture. Le mouvement des visages, la tension des corps, les personnages secondaires établissent les relations entre les personnages. Les artistes qui ont donné corps aux héros raciniens les ont parés de couleurs significatives qui ne sont pas de simples fards. Elles s’inscrivent dans une continuité par rapport au dramaturge qui les avait lui-même utilisées. Nous souhaiterions que chaque œuvre visuelle convoque la beauté et la rigueur des alexandrins ; nous les citons aussi souvent que possible, non pour créer artificiellement ce lien, mais bien pour rappeler combien ils sont indis Voir Marc Fumaroli, L’école du silence. Le sentiment des images au XVIIe siècle. Paris, Flammarion, 1994 et Héros et orateurs. Rhétorique et dramaturgie cornéliennes, 1990. Éd. Genève, Droz, 1995. 12
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pensables à notre étude. Racine avait brossé différents tableaux, tous expressifs ; les peintres et dessinateurs ont, avec les outils de leur art, transposé certaines de ces compositions et prolongé le verbe racinien. Ils ont montré que la proximité antique de la peinture et de la poésie n’était pas seulement un principe théorique. Elle s’exprime dans les moyens mis en œuvre par chacun des arts afin que leurs créations fussent expressives et persuasives. Puisse l’étude de ce corpus permettre un cheminement sensible qui laisse tout à la fois voir les œuvres des peintres et dessinateurs, et entendre les vers de Racine : leur musicalité et leur rythme accompagnent les histoires narrées et celle que chaque héros porte en lui.
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Acte I - Racine peintre Racine a écrit ses pièces comme un peintre compose son tableau, un tableau dans lequel se joue le drame, tout entier contenu sur une toile unique qui permet de disposer les personnages. Ainsi pour chaque pièce, le lieu de l’action est campé par des noms dont la puissance évocatrice laisse place à l’imaginaire. Puis les dialogues font surgir des personnages animés de fortes passions qui s’impriment sur leurs corps. Les agitations de l’âme, les passions qui modèlent les héros sont alors exposées. Ainsi façonnés, ils s’animent et disent quelques-unes de leurs postures ou de leurs déplacements. Enfin, pour achever sa composition, le dramaturge distribue ombre et lumière, révélant la noirceur ou l’éclat des cœurs. Parfois le récit, tableau dans le tableau, s’immisce dans l’histoire qui a été peinte. Le procédé est proche de celui que nous venons de décrire, laissant une place remarquable à la couleur et au mouvement. Après avoir pris soin d’indiquer le point de vue, celui du narrateurtémoin, Racine a brossé un tableau d’ensemble dans lequel il livre les tonalités, puis s’attache aux attitudes des personnages et aux éléments du décor, pour enfin laisser entendre le bruit et les cris. La métaphore artistique pour commenter l’écriture de Racine a été filée dès le XVIIIe siècle par Barnabé Durosoy qui, dans sa Dissertation , soulignait une influence possible de la peinture : « Achille, Oreste, Andromaque, et surtout Phèdre, n’offrent des traits si frappants, que parce que le poète français les a calqués d’après les tableaux des Le Brun et des Le Sueur, de la poésie grecque et latine 1 ». Les héros sont à ses yeux savamment composés, dans un mouvement qui relie les sources visuelles contemporaines et les sources textuelles antiques. On relève avec intérêt l’usage du mot trait, dont la poly-
Barnabé Durosoy, Dissertation sur Corneille et Racine. Paris, Lacombe, 1773, p. 23.
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sémie renvoie au dessin des contours, au visage ou au discours 2. Ce sont bien ces différentes acceptions qui signent les portraits psychologiques de Racine. À la fin du XIXe siècle, Émile Faguet a rappelé cette proximité avec les arts visuels, dans un texte aux accents lyriques : Racine ne donne pas seulement à ses personnages l’imagination de leur sensibilité, il leur donne, quand c’en est le lieu, l’imagination du peintre, et il trouve là une nouvelle occasion d’être poète par leur bouche. Phèdre fait ainsi un tableau élégiaque en deux vers. […] Bérénice fait, parce qu’elle est émue et parce que l’émotion rend poète, à la condition qu’on y ait quelque disposition naturelle, un tableau d’histoire, somptueux, fastueux, éclatant et empourpré, une sorte de fresque de la gloire impériale. Et combien adroitement composé, à quoi elle ne songe point, bien entendu ; mais Racine y songe pour elle : le fond du tableau ; les entours immédiats de l’empereur ; l’empereur lui-même faisant centre. […] Et enfin Racine se montre poète par sa façon de peindre discrètement, à grands traits, mais en traits qui ébranlent fortement l’imagination, la toile de fond. D’abord, il plonge ses personnages le plus souvent dans une atmosphère lointaine, mystérieuse, légendaire et par conséquent poétique. […] De plus il ne se contente pas de ce milieu poétique par lui-même à travers lequel il fait voir ses personnages aux spectateurs ; il indique par certains rappels, par quelques brefs coups de pinceau, le monde de mystère et de mirage, le monde fabuleux et étrange où ses personnages marchent et d’où ils viennent. Il y a ainsi derrière eux, dans toute tragédie de Racine, un lointain de songe que le poète ouvre par brusques échappées et où l’imagination du spectateur s’envole. Non plus autour seulement des personnages, mais derrière eux, en perspectives fuyantes, nous voyons un paysage lointain qui se dessine vaguement et qui donne à toute l’œuvre sa poésie en même temps que sa grandeur 3.
Son commentaire à l’analyse délicate laisse surgir la couleur, il dessine les contours et invite à contempler les tableaux raciniens. Enfin, au XXe siècle, Prosper Dorbec ou Jean Adhémar ont perçu dans la manière de regrouper les personnages des rapprochements possibles avec la sculpture et ils ont lu des Dictionnaire de l’Académie française. Paris, veuve Brunet, 1762, 4è édition, p. 864 : « Trait en peinture, signifie une ligne, au moyen de laquelle on imite la forme d’un objet. […] Trait se dit des linéamens du visage. […] Trait se dit des beaux endroits d’un discours, de ce qu’il y a de plus vif et de plus brillant. » 3 Émile Faguet, Dix-septième siècle : études littéraires. Paris, Boivin et Cie, 1890, pp. 337339. 2
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scènes à la lumière des toiles de Claude Gellée 4. Ces études posent les jalons d’une réflexion qui relève plus d’une sensibilité que d’une analyse sur les sources. En effet, si l’inventaire de la bibliothèque de Racine mentionne des livres à figures, nous ignorons tout de sa fréquentation des peintres, à l’exception de sa collaboration avec Le Brun pour la galerie des Glaces 5. Imaginer le regard du poète sur les peintures ou les gravures est une belle tentation à laquelle nous cédons volontiers ; Racine la légitime par la force visuelle de son écriture. La composition de ses pièces suit en quelque sorte les recommandations de Félibien qui s’adressait aux peintres en ces termes : Comme un tableau est l’image d’une action particulière, le peintre doit ordonner son sujet et distribuer ses figures selon la nature de l’action qu’il entreprend de représenter. Et parce que ce tableau est ou une invention nouvelle du peintre, ou une histoire, ou une fable déjà décrites par les historiens ou les poètes, il faudrait faire voir de quelle sorte il doit traiter tous ces différents sujets, et comment il y doit exprimer les mouvements du corps et de l’esprit. On parlerait même des passions de l’âme, étant une partie qui bien que dépendante du dessin, doit être tout entière dans l’idée du peintre, puisqu’elle ne se peut bien copier sur le naturel 6.
Les règles énoncées ici soulignent l’importance et le développement des théories artistiques. Le poète, comme le peintre, obéit à des contraintes, et Racine a suivi la règle des trois unités formulée au XVIIe siècle, qui posait des principes s’inscrivant dans la continuité d’Aristote. Jean Chapelain en a rédigé
4 Prosper Dorbec, « La sensibilité plastique et picturale dans la littérature du XVIIe siècle », Revue d’histoire littéraire de la France, 1919, pp. 374-395. Jean Adhémar, « Racine et l’image », Nouvelles de l’Estampe, 1967, n°8, pp. 267-269. 5 Paul Bonnefon, « La bibliothèque de Racine », Revue d’histoire littéraire de la France, 1898, V, pp. 169-219. L’auteur imagine la manière de travailler du poète, suivant en cela les remarques de Faguet : « Abondance des ouvrages historiques ornés de planches. Presque tous les ouvrages de cette nature parus en son temps, les plus beaux et les plus coûteux, sont sur ses rayons et le poète les consulte avec intérêt. C’est là qu’il va chercher la forme plastique de son rêve que sa qualité d’auteur dramatique l’oblige de rendre sensible à tous les yeux. Ces documents graphiques lui donneront l’aspect extérieur de ses personnages, comme la lecture des poètes anciens lui fournira, pour ainsi dire l’âme dont il les animera », p. 219. 6 André Félibien, Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres, 16661688. Éd. Paris, Belles Lettres, 1987, établie par René Démoris (Entretiens I et II), pp. 128129. Pour l’ensemble des Entretiens, voir éd. Genève, Minkoff Reprint, 1972.
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une doctrine dans une lettre du 29 novembre 1630 7. Puis c’est après la querelle du Cid, que Richelieu confia à La Mesnardière le soin de consigner ces règles. Il s’en est acquitté dans sa Poétique, parue en 1639, mais c’est l’abbé d’Aubignac qui, en 1657, offrit une doctrine complète : La Pratique du théâtre 8. En 1674, l’Art poétique de Boileau formulait différemment et en vers les règles du théâtre, les dictant presque sous la forme de sentences. Racine a respecté ces principes et composé ses pièces en les inscrivant dans ce cadre. Il a cependant utilisé tous les moyens à sa disposition pour donner aux unités de lieu et de temps davantage d’aisance. Même si l’action se déploie en un lieu unique, les espaces dans lesquels les personnages se déplacent, que les vers indiquent, permettent aussi de suggérer les alentours. Quant à la notion de temps, elle est pour une part diluée dans les réminiscences. Les personnages dont l’action s’inscrit dans le présent portent en eux le poids d’un passé qui fait de nombreuses incursions. Bien que les narrations soient soumises à une temporalité propre, elles remplissent ce même rôle puisque les événements relatés agissent sur l’action présente ; l’ouverture qu’ils proposent est d’une grande cohérence. Pour autant, le dramaturge n’a pas dérogé aux principes, il a juste donné le souffle nécessaire à la peinture des personnages et des plans de sa composition. Composition et disposition J’étais de ce palais sorti désespéré. Déjà, sur un vaisseau dans le port préparé, Chargeant de mon débris les reliques plus chères, Je méditais ma fuite aux terres étrangères. Dans ce triste dessein au palais rappelé, Plein de joie et d’espoir, j’ai couru, j’ai volé, La porte du sérail à ma voix s’est ouverte, Et d’abord une esclave à mes yeux s’est offerte, 7 Lettre en réponse à Antoine Godeau : Jean Chapelain, Démonstration de la règle des vingt-quatre heures et réfutation des objections, 1630, ms. Éd. Charles Arnaud, Les Théories dramatiques au XVIIe siècle… Paris, A. Picard, 1888, pp. 335-347. Chapelain développe ses idées sur la vraisemblance et justifie l’utilisation du récit dans les tragédies. 8 Hippolyte de la Mesnardière, La poétique. Paris, A. de Sommaville, 1639. François Hédelin d’Aubignac, La pratique du théâtre. Paris, A. de Sommaville, 1657. L’ouvrage mêle conseils pratiques et préceptes théoriques.
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Qui m’a conduit sans bruit dans un appartement Où Roxane attentive écoutait son amant. Tout gardait devant eux un auguste silence. Moi-même, résistant à mon impatience, Et respectant de loin leur secret entretien, J’ai longtemps, immobile, observé leur maintien 9.
Cheminons avec Acomat qui, en relatant la rencontre entre Roxane et Bajazet, nous entraîne dans le sérail. Le rythme des vers est celui de l’allure du grand vizir qui progresse dans les lieux. Il a quitté le palais d’un pas lourd, mais c’est d’un pas léger et preste qu’il revient, avec un allant que le silence des lieux modère. Enfin, il s’immobilise, écoute, est aperçu, puis disparaît 10. Le tableau brossé ici livre un grand nombre d’informations, faisant référence à des sites familiers ou étrangers. Les dialogues campent le cadre général de chaque tragédie et celui des différentes scènes : les port, palais, sérail, appartement, camp ou cabinet apparaissent, laissant à chacun le soin de se les figurer. Racine a disposé ses personnages dans des espaces qui ne sacrifient pas au principe de l’unité de lieu et permettent les nécessaires déplacements. Il a nommé au début des pièces le lieu de l’intrigue et livré les mouvements des héros, ouvrant ou fermant des portes, franchissant des seuils parfois interdits, épiant ou cherchant à se cacher. Quelques rares indications de mobilier surgissent, toujours en rapport avec l’action qui se déroule. Les espaces privés des appartements s’opposent à des lieux publics comme les temples. Enfin, Racine a ouvert la perspective en suggérant la mer ou en nommant d’autres contrées. Ces échappées sont nombreuses dans les récits dont l’action se situe dans des espaces parfois plus vastes et hors les murs. Jacques Morel a souligné l’importance de ces annonces qui placent les indications de lieu au même niveau que l’énonciation des mouvements ou des expressions des personnages : C’est le verbe qui suggère le geste, ses violences soudaines, ses ralentis trahissant l’hésitation, mimant la tendresse, dissimulant la ruse. C’est lui encore qui crée l’espace scénique et l’univers imaginaire dont cet espace participe : le cabinet de Bérénice, cœur secret du palais impérial, mais aussi de Rome et de l’univers conquis par les Romains : le sérail interdit de Bajazet, les routes maritimes et Bajazet, III, 2, v. 871-884. « Ils m’ont alors aperçu l’un et l’autre. […] / Et soudain à leurs yeux je me suis dérobé », Bajazet, id., v. 889 et 896. 9
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terrestres qui l’entourent, par où surgissent les envoyés d’Amurat, par où l’on voudrait s’échapper : le vestibule du temple dans Athalie, que le dialogue et les jeux de rideaux élargissent aux dimensions de la ville sainte et du sanctuaire 11.
Les didascalies jouent donc un rôle limité dans l’évocation des lieux, puisque ce sont davantage les vers qui mentionnent l’architecture ou le paysage. Franchir un seuil n’est jamais anodin : c’est un mouvement qui suscite souvent une réaction et révèle les passions ; ainsi les lieux contribuent-ils pleinement au drame. Cependant, que peut-on savoir des liens qui unissent ces indications et la scène théâtrale ? Le dramaturge s’en est-il soucié ? Il est bien difficile de l’affirmer en raison du manque de documentation concernant le décor scénique au XVIIe siècle. En effet, la principale source que constitue Le Mémoire de Mahelot ne laisse pas apparaître beaucoup de variété d’une tragédie à une autre, et le « palais à volonté » en est le cadre général 12. Il est en revanche certain que les peintres et les dessinateurs qui ont illustré les pièces possédaient un vocabulaire formel suffisant pour représenter les différents lieux et leur décor. Les indications de Racine concernant le mobilier ou le décor sont plutôt rares, mais il est une exception remarquable, le cabinet de Titus et de Bérénice. Il apparaît comme l’une des chambres les plus emblématiques puisque les ornements sont tout entiers dévolus aux personnages. Racine avait bien situé l’action : « La scène est à Rome, dans un cabinet qui est entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice ». Pièce intime dans laquelle peu de personnes pénètrent, il est aussi un lieu de passage, le lien entre les souverains. Ce cabinet abrite leurs amours et dès l’ouverture, Antiochus qui y entre accompagné d’Arsace, explique la signification des lieux :
Jacques Morel, « La poétique de Racine », Pierre Ronzeaud, dir., Racine. La Romaine, la Turque et la Juive. Marseille, Université de Provence, 1986, pp. 11-21. Rencontre du CMR17. 12 Le mémoire de Mahelot : mémoire pour la décoration des pièces qui se représentent par les comédiens du roi. Éd. Paris, Champion, 2005, établie par Pierre Pasquier d’après le manuscrit. Il fut rédigé entre 1633 et 1685 par Laurent Mahelot et ses continuateurs parmi lesquels Michel Laurent. Marc Bayard, « Les dessins du Mémoire de Laurent Mahelot : sur les traces d’un peintre du roi au service de Richelieu », Revue d’histoire du théâtre, 2006, n°232, pp. 313-324. 11
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Arrêtons un moment. La pompe de ces lieux, Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux. Souvent ce cabinet superbe et solitaire Des secrets de Titus est le dépositaire. C’est ici quelquefois qu’il se cache à sa cour, Lorsqu’il vient à la reine expliquer son amour. De son appartement cette porte est prochaine, Et cette autre conduit dans celui de la reine 13.
Le vocabulaire indique la beauté et la retraite, suggère les passions dans un espace dont le décor n’était pas anodin, à l’instar de celui des cabinets contemporains de Racine. Par la voix de Bérénice, sa décoration est évoquée. La reine exprime sa souffrance de quitter Titus en disant combien cette pièce lui rappelle leur bonheur : Je ne vois rien ici dont je ne sois blessée. Tout cet appartement préparé par vos soins, Ces lieux, de mon amour si longtemps les témoins, Qui semblaient pour jamais me répondre du vôtre, Ces festons, où nos noms enlacés l’un dans l’autre, À mes tristes regards viennent partout s’offrir, Sont autant d’imposteurs que je ne puis souffrir 14.
Ce cabinet est le réceptacle des passions qui s’y expriment vivement. La description de Bérénice vient compléter celle d’Antiochus, mais au cours de la tragédie, le beau lieu dédié aux amours est devenu odieux aux yeux de la reine. Alain Mérot a lu dans cet espace le modèle du cabinet, tel qu’il se trouvait dans les demeures aristocratiques du XVIIe siècle : Il suffisait au poète de quelques vers et d’adjectifs choisis avec soin pour évoquer, bien mieux que les toiles peintes, l’enveloppe amoureuse, oppressante, comme électrique dont il entourait ses personnages. À cette date, on commençait de décorer Versailles, les demeures parisiennes des princes ou des parvenus rivalisaient depuis quarante ans en luxe et en raffinement de toutes sortes. Aussi le « cabinet » de Bérénice devait-il réveiller bien des souvenirs auprès du public à la page. Cette évocation, sobre mais efficace, offre la quintessence Bérénice, I, 1, v. 1-8. Id., V, 5, v. 1320-1326.
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d’une tradition emblématique du décor, plus que jamais vivante au début du règne de Louis XIV. Des cabinets princiers de la Renaissance aux grandes fêtes de Versailles, des tournois aux « entrées » royales, les chiffres et les emblèmes composent des décors parlants. Ils disent le rang, la noblesse des sentiments, l’ardeur des passions 15.
Il s’agit du seul exemple chez Racine de description d’un décor. Comme pour les costumes, il n’accorde de l’importance à ces éléments que parce qu’ils jouent un rôle dans l’action. C’est par une ekphrasis qu’il nous convie à entrer et à sortir de la tragédie. Elle est celle du cadre le plus approprié au sujet et à la nature des personnages. On remarquera une fois encore les choix du poète, sa manière de tout disposer avec précision. Nous verrons que les artistes n’ont pas toujours puisé dans ce vocabulaire décoratif pour illustrer Bérénice, ne sentant semble-t-il pas la nécessité d’individualiser cet espace. Le changement d’appréciation de la reine peut être mis en parallèle avec la grande désillusion d’Iphigénie lorsqu’elle comprend que l’autel vers lequel on la conduit n’est pas celui de l’hymen. Les revirements de la tragédie sont en effet concentrés autour de cette table de pierre qui entraîne bien des confusions. Le jardin sert de décor au troisième acte d’Esther, comme l’indique une didascalie qui, de manière inhabituelle, fait référence à la scène théâtrale. Juste après, Zarès commente : « C’est donc ici d’Esther le superbe jardin, / Et ce salon pompeux est le lieu du festin 16 ». Le lieu se devine par quelques touches, et Racine l’a certainement pensé comme un giardino segreto particulièrement soigné. Cet extérieur qui est au plus près de la demeure et qui la prolonge est aussi une pièce, avec des murs de verdure sans doute proches de ceux des bosquets que le dramaturge connaissait. Parfois, Racine suggère des paysages à la perspective éloignée et laissant l’imaginaire vagabonder « sur le bord de l’Hydaspe », sur la mer désespérément calme d’Aulis, ou dans les flots en furie de Poséidon 17. Comme Poussin, il a figuré les eaux miroitantes et les tempêtes. Les cadres des actions s’inscrivent dans une permanence nécessaire, mais la perception qu’en ont les héros est, quant à elle, beaucoup plus mouvante ; elle suit l’évolution de leurs passions. La mise en place des Alain Mérot, Retraites mondaines. Paris, Le Promeneur, 1990, p. 118. « Le théâtre représente les jardins d’Esther, et un des côtés du salon où se fait le festin ». Esther, II, 1, v. 726-727. 17 Alexandre le Grand, Iphigénie et Phèdre. 15
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lieux étant faite, les personnages peuvent être disposés et se mouvoir dans ce qui leur paraîtra tour à tour accueillant ou hostile. Figures et passions, la peinture des personnages et des corps Chaque passion parle un différent langage : La colère est superbe et veut des mots altiers L’abattement s’exprime en des termes moins fiers 18
Boileau donne l’usage des mots selon la passion envisagée, rappelant bien ici le rôle du discours au théâtre qui livre l’essence des personnages. Ce vocabulaire choisi doit définir ou décrire les caractères des héros et leurs émotions ; la permanence et les changements. L’anthropologie tient une grande place dans la pensée du XVIIe siècle, dans une proximité remarquable avec la science des passions 19. Les traités de physiognomonie, de civilité, de rhétorique ont tous mis au premier plan l’expressivité du corps et du visage 20. Leurs propos partagent beaucoup avec les arts visuels et leurs théories puisque la peinture d’histoire, le portrait ou la gravure d’illustration font parler les corps pour révéler les cœurs et les âmes. Racine n’a pas écrit pour le jeu des acteurs : les passions dont il affecte ses héros doivent se faire entendre par les dialogues. Les échanges verbaux disent en effet les mouvements des corps, bien plus que ne le font les didascalies. Ces corps, le poète n’en a pas seulement dessiné les contours, mais il les a peints avec des couleurs qui constituent leur épaisseur psychologique. La physionomie des personnages, leur taille, leur âge n’importent pas plus que les activités du quotidien ; seules comptent les actions que les passions imposent. Le corps est alors tout entier un corps de signes marqué par les tourments de l’âme. Dans le temps de la pièce, il acquiert une densité remarquable que ses mouvements accompagnent. Toutes les expressions, toutes les altérations, tous les déplacements en sont les signes visibles qui exposent ce 18 Boileau, Art poétique, 1674. Œuvres. Éd. Paris, Garnier-Flammarion, 1969, établie par Sylvain Menant, chant III, v. 132-134, p. 101. 19 Voir Louis Van Delft, « Physionomie et peinture du caractère : G. Della Porta, Le Brun La Rochefoucauld », L’Esprit créateur, 1985, n°1, pp. 43-52 et Littérature et anthropologie. Nature humaine et caractère à l’âge classique. Paris, PUF, 1993. 20 Ronald William Tobin, dir., Le corps au XVIIe siècle. Paris, Seattle, Tübingen, Papers on French seventeenth Century Literature, 1995. Colloque du CIR-17, 1994.
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que la parole ou le silence expriment 21. Les dialogues font état de cette dynamique corporelle, de cette agitation due aux troubles, qui se traduisent par des gestes violents ou des départs précipités. Le héros racinien livre son cœur par l’intermédiaire de son corps qui dit parfois ce que la parole a tu. Par la voix d’Oreste, Racine a résumé en un vers ce pouvoir expressif : « Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux ». Ses paroles résonnent comme en écho à la maxime de La Rochefoucauld : « Il n’y a pas moins d’éloquence dans le ton de la voix, dans les yeux et dans l’air de la personne, que dans le choix des paroles 22 ». Les qualités expressives du corps sont aussi celles des regards qui peuvent accompagner ou se substituer au verbe. Ainsi les brusques changements de teint de Phèdre ou les jambes qui se dérobent sont-ils des manifestations primordiales à la compréhension du personnage. Lorsqu’elle rencontre, lorsqu’elle voit Hippolyte, le choc émotionnel est si fulgurant qu’il a des conséquences physiques et physiologiques. C’est contre son gré, parce que son corps a dit ce qu’elle taisait, qu’elle dut s’ouvrir à Œnone. Il lui fallut relater les conséquences immédiates du regard porté sur Hippolyte, la rougeur puis la pâleur, l’aveuglement, l’aphasie et la paralysie presque : Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler. Je sentis tout mon corps et transir et brûler 23.
C’est en laissant le soin à Œnone de nommer Hippolyte que Phèdre avoue aimer. Cependant, elle ne dit rien de l’objet de ses désirs, seul son trouble et son état importent. Le rythme des vers et l’usage du passé simple donnent à cette relation davantage de violence, celle dont Phèdre fut frappée. Les altérations du corps, les gestes, les regards revêtent une telle importance qu’ils Théâtre complet de Racine. Paris, Imprimerie Nationale, 1995. Philippe Sellier l’a sobrement résumé : « L’avidité, le désir, l’angoisse, la furie, la folie – dès lors – explosent silencieusement dans le regard, s’écrivent sur la peau ou s’écoulent en effusions », p. 21. 22 Andromaque, II, 3, v. 575. François de La Rochefoucauld, Maximes, 1659. Éd. Paris, Garnier-Flammarion, 1977, établie par Jacques Truchet, maxime n° 249, p. 67. 23 Phèdre, I, 3, v. 273-276. La description de ces manifestations peut être reliée avec l’article 114 des Passions de l’âme de Descartes. Dans Bérénice, Antiochus relate de manière lapidaire et rythmée l’amour qui unit Bérénice et Titus : « Titus, pour mon malheur, vint, vous vit, et vous plut », I, 4, v. 194. 21
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peuvent parfois surpasser le verbe. Cependant, si le drame naît du regard, il naît aussi de la parole : en avouant sa passion, Phèdre lie son sort à Œnone ; en s’ouvrant à Narcisse (complice de Néron), Britannicus se voue à la mort. Les passions dont Racine anime ses héros, les différents registres expressifs sont la manifestation d’une grande maîtrise. Le dramaturge manie les outils du peintre et connaît la science de l’orateur. Il a retenu les leçons de Cicéron et de Quintilien et participe de ce grand élan commun aux hommes du XVIIe siècle en faveur des passions. Chacun selon sa spécialité (philosophie, médecine, arts…) cherche quelque explication rationnelle aux mouvements de l’âme et à leurs conséquences physiologiques 24. Si les études sur la circulation sanguine ou le cerveau autorisent quelques hypothèses, elles n’éclairent pas tout. Le corps est donc bien le vecteur des passions, chacune de ses parties se fait éloquente, et le visage est au cœur de ce processus. Les yeux participent pleinement de l’action puisque chez Racine, les personnages s’aperçoivent, se voient, s’épient dans un espace circonscrit. Ainsi certains dialogues résultent-ils du regard porté sur l’autre ; et les yeux vont alors exprimer les sentiments. La haine d’Hermione se déploie dans la manière dont elle regarde Andromaque ; à l’opposé, l’amour de celle-ci pour Hector grandit à la vue d’Astyanax 25. Cicéron célébrait la force du regard « qui, tendre ou serein, asséné ou souriant, peut traduire tous les mouvements de l’âme dans un juste rapport avec le ton du discours 26 ». Lorsque Charles Le Brun présente sa Conférence sur l’expression des passions les 7 avril et 5 mai 1668, il décrit pour chaque passion la manière de dessiner les yeux 27. Il indique par 24 Mentionnons quelques-uns de ces ouvrages : Nicolas Coëffeteau, Tableau des passions, de leurs causes et de leurs effets. Paris, S. Cramoisy, 1620. Marin Cureau de la Chambre, Les charactères des passions. Paris, P. Rocolet et J. d’Allin, 1648-1662 et L’art de connoistre les hommes. Paris, P. Rocolet, 1659. Il défend l’expressivité des yeux. René Descartes, Les Passions de l’âme. Paris, H. Legras, 1649. Charles Lebrun, Conférence sur l’expression générale et particulière. Paris, E. Picart, 1668. 25 Le tableau de Guérin, Andromaque et Pyrrhus et les dessins de Prud’hon, Andromaque et Astyanax le montrent parfaitement. 26 Cicéron, De l’orateur. Éd. Paris, Belles Lettres, 1922, établie par Edmond Courbaud, lib. III, ch. LIX, 222. 27 Cinq feuilles d’études de mouvements d’yeux sont conservées au musée du Louvre. Voir exposition Paris, 1963, Charles Le Brun et Jennifer Montagu, The Expression of the Passions. The Origin and Influence of Charles Le Brun’s Conférence sur l’expression générale et particulière. New Haven, Yale University Press, 1994.
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exemple si la pupille est dilatée ou si le regard est baissé, insistant sur les sourcils dont le mouvement retentit sur toutes les parties du visage. Il suit en cela Quintilien pour qui « les sourcils aussi ont un rôle important car ils dessinent jusqu’à un certain point la forme des yeux et ils règnent sur le front 28 ». Au texte qui décrit méthodiquement les mouvements s’ajoute la représentation visuelle. L’image acquiert alors une valeur universelle qui permet aux modèles d’être reconnus de tous. Le Brun poursuit également la thèse de Descartes qui, en plaçant la glande pinéale (siège de l’âme) dans le cerveau, insiste sur la proximité avec les yeux 29. Les classifications qui ont été établies ne rejettent pas l’idée de proposer des modèles, voire de codifier, dans un élan que les traités de civilité avaient amorcé depuis Le Courtisan de Castiglione 30. L’ensemble des signes ainsi répertoriés et commentés expose la valeur des différents registres expressifs, rappelant que les mots ne sont pas les seuls vecteurs de l’éloquence. Tantôt sommés de prendre la parole, tantôt condamnés au silence ou frappés par l’aphasie, les héros ne peuvent échapper à ces contraintes. À l’instar de Néron, les voix se perdent, le mutisme est souligné et, alors, le silence « agit comme un tamis qui filtre la parole dramatique ; il la contraint à atteindre un degré d’épure extrême, une concentration absolue qui produit l’incandescence du verbe 31 ». Le silence verbal peut laisser place à un langage du visage que l’abbé Dinouart a défini dans ses deux traités. L’éloquence du corps montre combien le visage est hautement expressif : « Image de l’esprit et du cœur, le visage peint en grand toutes leurs passions : Voir exposition Paris, 2001-2002, Figures de la passion qui tisse des liens entre peinture et musique autour de la question des passions. Voir notamment l’article d’Emmanuel Coquery, « La peinture des passions : un défi académique ? », pp. 29-35. 28 Quintilien, Institution oratoire. Éd. Paris, Belles Lettres, 1975, établie par Jean Cousin, lib. XI, ch. III, 78. 29 René Descartes, Les passions de l’âme, 1649. Éd. Paris, Flammarion, 1996, établie par Pascale d’Arcy, article 31 : « Il me semble avoir évidemment reconnu que la partie du corps en laquelle l’âme exerce immédiatement ses fonctions n’est nullement le cœur ; ni aussi le cerveau mais seulement la plus intérieure de ses parties, qui est une certaine glande fort petite, située dans le milieu de sa substance ». 30 Baldassare Castiglione, Il libro del cortegiano. Venise, s.n., 1528. Nicolas Faret, L’honneste homme ou l’art de plaire à la cour. Paris, T. du Bray, 1630. Ces ouvrages s’intéressent à une éducation soignée, aristocratique et princière. 31 Arnaud Rykner, L’envers du théâtre. Dramaturgie du silence de l’âge classique à Mæterlinck. Paris, J. Corti, 1996, p. 119.
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il est comme une toile sur laquelle la nature exprime les sentiments de l’âme 32 ». L’abbé démontre à quel point il est aisé de lire sur un visage qui expose l’être le plus intime. Ses propos s’inscrivent dans la continuité des traités de rhétorique antique, et ses remarques sur la face ou le silence verbal correspondent aux personnages raciniens. Leur corps et leur visage sont des alliés lorsqu’ils leur permettent de dévoiler ce qu’ils sont incapables de formuler. Ils sont aussi leurs pires ennemis lorsqu’ils trahissent ce qu’ils auraient souhaité dissimuler. Dans l’Art de se taire, Dinouart légitime l’éloquence des arts visuels en énonçant une possible redondance entre l’expressivité du visage et la parole vive. Lorsque la figure est suffisamment éloquente, il convient de se taire : « On voit que la joie, l’amour, la colère, l’espérance, font plus d’impression par le silence qui les accompagne que par d’inutiles discours, qui ne servent qu’à les affaiblir 33 ». Les artistes qui ont représenté les passions se sont intéressés aux traités de rhétorique, ils ont proposé des modèles ; et, dans le débat de l’ut pictura poesis, ils savaient que seul le langage du silence leur était permis par leur art. Il n’est pas question de renforcer le sens d’une phrase par un geste, mais de donner au corps les attitudes et expressions qui conviennent. L’harmonie préside à la représentation, car seul l’accord des différentes parties permet l’éloquence. Accessoires du corps, les vêtements participent de l’expressivité non seulement parce qu’ils soulignent les mouvements, mais aussi en raison de leur propre langage. Cependant, la vêture des personnages n’est décrite que parce qu’elle a une incidence dans l’action ou parce qu’elle prolonge l’état du héros. En effet, les voiles de Bérénice ou de Phèdre sont les prolongements de leur corps et révèlent leur cœur ; l’agitation intérieure se lit dans la négligence des apparences. Déjà Homère le rappelait au moment de la mort d’Hector : Hécube accomplit les gestes du deuil et « jette bien loin son magnifique voile ». Quant à Andromaque, elle perd le sien lorsqu’elle aperçoit le corps
32 Joseph-Antoine Dinouart, L’éloquence du corps ou l’action du prédicateur. Paris, G. Desprez, 1761, p. 224. Un peu plus loin il s’intéresse aux mouvement du corps : « À quoi sert l’action du corps ? N’est-ce point à exprimer les sentiments et les passions qui occupent l’âme ? Le mouvement du corps est donc une peinture des mouvements de l’âme et cette peinture doit être ressemblante », p. 235. 33 Joseph-Antoine Dinouart, L’art de se taire, 1771. Éd. Grenoble, J. Millon, 1996, établie par Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche, p. 46. L’ouvrage est une réponse à l’Art de parler du père Lamy (1675) qui propose des métaphores picturales.
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d’« Hector traîné devant la ville 34 » ; son statut de veuve est aussitôt signifié. Les héroïnes ou leur entourage disent parfois la gêne que le vêtement peut occasionner ou le désordre de la parure. Ainsi Phénice ou Œnone tententelles de remettre de l’ordre comme pour contenir une trop visible violence intérieure, mais en vain. Bérénice souhaite que Titus voie l’état dans lequel elle se trouve, Phénice ne pourra rassembler les cheveux et fixer les voiles : Phénice Mais voulez-vous paraître en ce désordre extrême ? Remettez-vous, Madame, et rentrez en vous-même. Laissez-moi relever ces voiles détachés Et ces cheveux épars dont vos yeux sont cachés. Souffrez que de vos pleurs je répare l’outrage. Bérénice Laisse, laisse, Phénice, il verra son ouvrage. Et que m’importe, hélas ! de ces vains ornements ? Si ma foi, si mes pleurs, si mes gémissements, Mais que dis-je mes pleurs ? si ma perte certaine, Si ma mort toute prête enfin ne le ramène, Dis-moi, que produiront tes secours superflus, Et tout ce faible éclat qui ne le touche plus 35.
L’ordre de la coiffure est une préoccupation inutile pour la reine qui pense être si près de la mort. Mais Phénice ne peut soutenir cet indécent « désordre extrême » qui laisse se répandre les sentiments sans retenue aucune. Quant à Phèdre, en rejetant sa parure, elle la considère comme le prolongement importun de son corps, si dévasté par la douleur qu’il voudrait se débarrasser de tout ornement : Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent ! Quelle importune main, en formant tous ces nœuds, A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ? Tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire 36. Homère, Iliade. Éd. Paris, Gallimard, 1955, établie par Robert Flacelière : « Les ombres de la nuit enveloppent ses yeux ; elle croule en arrière et perd le sentiment. Loin de sa tête choit sa coiffure brillante : cordon tressé, résille et diadème et voile, dont Aphrodite d’or jadis lui fit cadeau », XXII, 386-498. 35 Bérénice, IV, 2, v. 967-978. 36 Phèdre, I, 3, v. 158-161. 34
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Abattue, elle a perdu tout goût pour la toilette, jusqu’à oublier qu’elle avait été coiffée. Pour renforcer les paroles prononcées dans les vers précédents, elle est soudain indisposée par le poids de sa coiffure. Sa tentation de détruire le bel agencement au moment de se mettre à nu devant Œnone est sensible 37. On imagine aussi qu’elle paraît cheveux défaits dans l’instant de se déclarer à Hippolyte. Mais c’est dans Esther que la volonté de détruire la parure est explicitement énoncée par une Israélite du chœur : Une Israélite Arrachons, déchirons tous ces vains ornements Qui parent notre tête Une autre Revêtons-nous d’habillements Conformes à l’horrible fête Que l’impie Aman nous apprête 38.
Les ornements prennent de l’importance parce qu’ils révèlent un trouble profond, parce qu’ils sont en intimité avec l’être intérieur. On perçoit aussi le parti que les artistes ont pu tirer de ces mentions, eux qui n’ignoraient pas le rôle du costume pour une parfaite expressivité des corps. Les théories de l’art ou les recueils de modèles ont rappelé avec constance combien les étoffes étaient d’indispensables compagnons du corps. Lorsque Athalie relate le songe qui la hante à Abner, sa narration souligne à quel point les parures de Jézabel et de Joas participent de ses craintes. Sa mère qui lui est en effet apparue « Comme au jour de sa mort pompeusement parée » (v. 492), perd toute apparence humaine en quelques vers, pour n’être plus « qu’un horrible mélange / D’os et de chairs meurtris ». Racine montre la vanité des apprêts et une fois encore la fulgurance des changements qui fait basculer les êtres humains d’un état à un autre. Mais le trouble d’Athalie se poursuit :
37 Alexia Duc, « Résistance d’une figure : le monstre au XVIIe siècle », XVIIe siècle, 1997, n° 196, pp. 549-566. Elle s’est interrogée sur l’ornement et les mouvements de l’héroïne : « Un double mouvement de dévoilement (accompagné des aveux successifs) et de dissimulation (l’obstination constante de Phèdre à se cacher) manifeste une altération du corps luimême, traversé de pulsions coupables qui le désintègrent », p. 561. 38 Esther, I, 5, v. 309-313. Les deux premiers vers sont ensuite repris par le chœur, v. 314315.
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Dans ce désordre à mes yeux se présente Un jeune enfant couvert d’une robe éclatante, Tels qu’on voit des Hébreux les prêtres revêtus 39.
Le vêtement de l’enfant, symbole de sa fonction à venir, appartient à une réalité qui lui permet de le reconnaître : « Je l’ai vu : son même air, son même habit de lin » (v. 537). Plus tard, alors qu’Athalie interroge Joas, elle l’enjoint à quitter sa robe et donc à abandonner sa religion et sa fonction : « Laissezlà cet habit, quittez ce vil métier 40 ». La tunique qu’Athalie a comparée au costume des prêtres révèle l’affection de Joas pour celui qui l’élève. Ce dernier exemple montre que Racine ne s’attache pas à décrire ou à commenter ce qui relève des usages et des coutumes. Seul le rôle actif du costume et sa signification importent. Boileau rappelait la nécessité du choix des mots, comme une tessiture dont les modes chantent les sentiments, des plus pacifiés aux plus violents. Pour peindre ses figures, Racine a utilisé une palette riche mettant en lumière des modulations et des registres, qui doivent parler harmonieusement une même langue, celle des passions. Peinture, musique et tragédie se trouvent réunies par la théorie des modes chère à Poussin. Lumières et ombres « Sombres nuits, aveugles ténèbres 41 ». La lumière qui répond à l’ombre est indispensable à la composition d’un tableau, qu’il soit littéraire ou pictural. Les personnages sont porteurs de ces contrastes. Ainsi Agrippine est-elle en pleine lumière, tandis que Néron se dissimule pour mieux agir dans l’ombre. Quant à Phèdre, elle est tout entière l’ombre et la lumière. Le courant caravagesque qui a proposé des clairsobscurs si violents et contribué à la représentation de nocturna voit ses principes prolongés dans le théâtre de Racine. Le poète a choisi de peindre la Athalie, II, 5, v. 507-509. Id., II, 7, v. 693. La fonction de la robe de lin avait déjà été expliquée par Zacharie, elle est associée aux fonctions d’assistant du grand prêtre : « Debout à ses côtés le jeune Éliacin / Comme moi le servait en long habit de lin », II, 2, v. 389-390. 41 Racine, Hymnes traduites du Bréviaire romain, le mercredi, à Laudes. Éd. Paris, Gallimard, 1950, établie par Raymond Picard, p. 987. 39 40
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lumière vive et l’obscurité la plus sombre, tant dans les âmes de ses personnages que dans la composition de certaines scènes. Il a joué des ténèbres pour intensifier les effets dramatiques : la nuit ajoute aux peurs, déverse son flot d’angoisses, exacerbe les bruits et fait résonner le métal. Comme les artistes de son temps ont représenté les torches, les foyers ou les lampes, Racine a indiqué les sources lumineuses, donnant une tonalité d’ensemble à ces scènes. Certains épisodes inscrits dans une temporalité se déroulent la nuit, tandis que d’autres, plus intemporels, acquièrent une valeur poétique en devenant des nocturnes. Georges Poulet a filé la métaphore de la lumière et de l’ombre par rapport à la connaissance de soi, dans un célèbre chapitre, « Racine, poète des clartés sombres 42 ». Les nocturnes raciniens ont usé de ces effets de contrastes ; pourtant, les artistes ont peu représenté les nuits du poète. Il a fallu attendre l’édition de 1801 pour que des épisodes soient figurés nuitamment, même si l’édition de 1760, qui dispose en divers endroits des lampes ou des torches, suggérait déjà l’obscurité des lieux. Pourquoi les artistes ontils si peu utilisé les contrastes que le dramaturge proposait ? Ce n’est pas une question de technique, on savait graver des nuits, mais une problématique liée au choix du sujet. Les deux éditions qui se sont intéressées aux épisodes nocturnes sont celles qui proposaient plusieurs illustrations par pièce. Bien que les tragédies ne mettent pas en valeur la réalité du temps qui s’écoule, le jour et la nuit sont parfois évoqués. Le jour n’est pas encore levé quand s’ouvre Iphigénie : Quel important besoin Vous a fait devancer l’aurore de si loin ? À peine un faible jour vous éclaire et me guide 43.
Georges Poulet, Études sur le temps humain. Paris, Plon, 1964. Chapitre III, pp. 55-67. Voir aussi Roland Barthes, Sur Racine. Paris, Seuil, 1963 : « Les grands tableaux raciniens présentent toujours ce grand combat mythique (et théâtral) de l’ombre et de la lumière : d’un côté, la nuit, les ombres, les cendres, les larmes, le sommeil, le silence, la douceur timide, la présence continue ; de l’autre, tous les objets de la stridence : les armes, les aigles, les faisceaux, les flambeaux, les étendards, les cris, les vêtements éclatants, le lin, la pourpre, l’or, l’acier, le bûcher, les flammes, le sang », pp. 32-33. 43 Iphigénie, I, 1, v. 3-5. 42
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Les tonalités du camp d’Agamemnon sont brossées en deux vers qui disposent l’éclairage et suggèrent les silhouettes. Le rôle et l’importance de la lumière dans Phèdre sont connus par les premières paroles de la fille de Minos : « Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi 44 ». Œnone rappelle qu’elle veut « voir le jour […] et revoir la lumière », elle souligne une réalité temporelle qui permet d’insister sur l’état de Phèdre : Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux Depuis que le sommeil n’est entré dans vos yeux Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure Depuis que votre corps languit sans nourriture 45.
Cette pièce est celle qui met le plus en évidence les contrastes entre l’ombre et la lumière intrinsèques à l’héroïne, que le soleil et les ténèbres habitent. Même Hippolyte, qui fuit Aricie cherche un refuge, mais les variations du ciel ne le protègent pas : Dans le fond des forêts votre image me suit ; La lumière du jour, les ombres de la nuit, Tout retrace à mes yeux les charmes que j’évite 46.
Les traits de la jeune femme ne sont pas absorbés par les ténèbres qui les restituent encore ; la nuit enveloppante ne permet ni le repos ni l’oubli. Ce sont ainsi deux spectres qui viennent hanter Athalie, deux apparitions qui surgissent « pendant l’horreur d’une nuit profonde 47 ». Tout d’abord Jézabel, sa mère, puis un enfant. Comment Athalie peut-elle redouter cette jeune silhouette ? Sans doute en raison de l’éclat de son vêtement qui lui confère un caractère surnaturel. Les artistes n’ont pas représenté ces visions oniriques, mais ils ont donné corps à l’enfant dans les scènes où il est interrogé par Athalie. Qui est celui qui paraît sous le nom d’Éliacin ? Est-ce lui qui a hanté ses nuits, le survivant qui pourrait monter sur le trône à sa place ou un jeune innocent ? Les noirceurs du passé sont comme des éclats dans la nuit qui ne
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Phèdre, I, 2, v. 155. Id., I, 3, v. 191-194. Id., II, 2, v. 543-545. Athalie, II, 5, v. 488.
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la laisse pas en paix 48. Songe et réalité se superposent quand elle voit l’enfant dans le temple où elle cherchait à se reposer de cette terrible nuit. Lorsque Andromaque relate à Céphise l’embrasement nocturne de Troie, le tableau s’anime au fur et à mesure, offrant à nos regards une composition aux tonalités rougeoyantes qui font oublier l’obscurité du ciel 49. La vigueur exprime le tragique et la violence, et le verbe “peindre” lie le texte aux arts visuels ; Céphise doit non seulement entendre, mais aussi voir cette « nuit éternelle » qu’elle n’a pas connue. Les yeux de Pyrrhus sont « étincelants », ils sont le feu, l’une des sources de lumière qui déchirent le noir. À l’opposé de ces instants tragiques, les couleurs dans la nuit peuvent aussi donner de l’éclat, magnifier un événement. Le triomphe de Vespasien auquel assiste Bérénice est ainsi resplendissant, tellement éclatant que la figure de Titus se confond avec celle de son père 50. Enfin, la pièce dans laquelle un épisode nocturne a le retentissement le plus remarquable sur l’action est Britannicus. « Le jour vient de nous révéler » que Néron a commis un acte odieux, il a « fait enlever Junie au milieu de la nuit », celle que l’amour unit à son demi-frère 51. L’entrée de la jeune femme que l’empereur relate à Narcisse est l’un des plus beaux tableaux raciniens. Il laisse voir la cruauté de Néron, « Excité d’un désir curieux » et l’abandon de Junie qui ne peut résister. Sans pudeur, l’empereur se livre au gouverneur de Britannicus, semblant n’omettre aucun détail afin que son ravissement soit intelligible. Ses mots, irrecevables pour Narcisse, disent aussi l’égarement, la fascination pour la souffrance de l’autre : Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux, Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes, Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes, Belle, sans ornements, dans le simple appareil D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil.
48 Dans sa traduction assez libre du Bréviaire romain, Racine a rappelé la présence de ces démons de la nuit. 49 Andromaque, III, 8, v. 997-1005. 50 Bérénice, I, 5, v. 301-307. 51 Britannicus, I, 1, v. 50 et 54. Voir la fine analyse d’Olivier Leplatre, « Britannicus ou l’aporie du regard », Jean-Pierre Landry, Olivier Leplatre dir., Présence de Racine. Lyon, CEDIC, 2000, pp. 79-94. Actes du colloque de Lyon, 1999.
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Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence, Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence, Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs, Relevaient de ses yeux les timides douceurs, Quoi qu’il en soit, ravi d’une si belle vue, J’ai voulu lui parler, et ma voix s’est perdue : Immobile, saisi d’un long étonnement, Je l’ai laissée passer dans son appartement. J’ai passé dans le mien. C’est là que, solitaire, De son image en vain j’ai voulu me distraire 52.
L’image que Néron décrit relève presque du spectacle, tout est composé de sorte que le drame grandisse en intensité. La beauté sans fard laisse deviner la pâleur d’une carnation accentuée par la peur. Junie qui se laisse conduire nuitamment est comme une apparition dans l’obscurité, la seule touche de couleur blanche de la composition. La distribution des ombres et de la lumière, les scintillements, les reflets du métal convoquent une célèbre missive de Racine. Alors qu’il séjournait à Uzès, le jeune homme vécut une expérience singulière dont il fit la relation dans une lettre du 24 novembre 1661, adressée à l’abbé Vasseur. Alors qu’il était parti pour Nîmes afin de « voir un feu de joie », son attention fut attirée par autre chose : « je n’y pris pas assez bien garde pour vous en faire le détail ; j’étais détourné par d’autres spectacles : il y avait tout autour de moi des visages qu’on voyait à la lueur des fusées, et dont vous auriez bien eu autant de peine à vous défendre que j’en avais 53 ». La lumière qui éclaire dans la nuit ces visages leur confère un pouvoir particulier et irrésistible. L’évocation, plus suggestive que descriptive, trouve ses prolongements dans les nocturnes des tragédies 54. Ces tableaux poétiques sont proches des tenebrosi qui montrent torche, chandelle, lampe et vacillement des flammes, et disposent des figures en pleine lumière tandis que d’autres sont retenues par l’obscurité. Britannicus, II, 2, v. 385-409. Œuvres complètes. Éd. Paris, Gallimard, 1966, établie par Raymond Picard, pp. 407-
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54 Joseph-Anna-Guillaume Tans, « Un thème clef racinien : la rencontre nocturne », Revue d’histoire littéraire de la France, 1965, n°4 : « L’expression cette nuit revient, introduisant un spectacle de flambeaux, de bûchers, et de gens armés, autant d’éléments qui sont dépeints avec une profusion de termes concrets, visuels et auditifs, vraiment exceptionnelle dans la poésie racinienne », p. 578.
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Le temps de l’action limité à vingt-quatre heures ne laisse que peu de possibilités au dramaturge pour évoquer les périodes diurnes ou nocturnes. Il a cependant joué avec la lumière et les ombres en les intégrant dans le discours pour en faire des valeurs poétiques en parfaite harmonie avec les drames. Racine a su transposer tout à la fois les splendeurs et les horreurs de la nuit ou les peurs que l’obscurité suscite. La nuit est ambivalente ; et la scène qui s’y joue, les lumières, exercent un pouvoir d’attraction des plus forts. Les nuits raciniennes résonnent de bruits divers et s’animent de l’éclat des sources lumineuses et des regards. De la narration Dans l’ensemble des pièces, deux types de récits peuvent être distingués. D’une part le récit narratif qui relate un songe, des événements appartenant au passé, et d’autre part le récit descriptif qui narre une péripétie plus récente dont l’action s’est jouée en coulisses. Cette seconde forme répond aux exigences de bienséances. Cependant, le type de narration importe moins que la manière dont sont conduites ces relations qui présentent de nombreuses similitudes. L’une des principales est de faire surgir une représentation visuelle, dans une proximité avec le genre de l’ekphrasis. Diderot reconnaissait à ces tableaux une valeur plastique dont il a souligné l’intérêt dans la Lettre sur les sourds et muets. Il entendait répondre à une critique de l’abbé de Bernis à propos du récit de Théramène : « La description de Racine est donc fondée dans la nature, elle est noble ; c’est un tableau poétique qu’un peintre imiterait avec succès. La poésie, la peinture, le bon goût et la vérité concourent donc à venger Racine 55 ». On relève avec intérêt la notion d’imitation qui appartient au processus créatif. Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ; Mais il est des objets que l’art judicieux Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux 56. 55 Lettre sur les sourds et muets, 1751. Éd. Genève, Droz, 1965, établie par Hugo Meyer, p. 79. L’abbé de Bernis a formulé cette critique lors de la réception de M. de Bissy à l’Académie française. 56 Boileau, Art poétique, Op. cit, chant III, v. 51-54.
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Le récit répond à une nécessité de l’action que Boileau, en s’inspirant d’Horace, a formulée dans une définition justifiant la nécessité de l’hypotypose, qui est « la représentation des faits proposée en termes si expressifs que l’on croit plutôt voir qu’entendre 57 ». Les récits raciniens usent de cette figure rhétorique avec une belle adresse qui contribue à la forte impression qu’ils suscitent. Cette figure stylistique est descriptive au théâtre ou en rhétorique, elle frappe les esprits et suggère une image 58. Les préceptes de Boileau s’inscrivent dans un contexte de réflexion sur l’art théâtral. En effet, à partir de 1640, la bienséance s’impose, interdisant la représentation sur scène de combats, de meurtres ou de lascivités. L’empoisonnement de Britannicus, les suicides d’Hermione ou d’Ériphile, la mort sanglante d’Hippolyte se déroulent donc en coulisses. La relation donne des indications sur les réactions des personnes présentes, tout en restituant l’animation de la scène. Ainsi Burrhus décrit-il les sentiments partagés de la foule, l’étonnement de Narcisse ou la compassion feinte de Néron après la fulgurance de la mort de Britannicus. Le narrateur suscite chez ceux qui l’écoutent une image mentale qui cristallise souvent l’un des épisodes les plus dramatiques. Le ton est parfois très vif, les vers incisifs et sans détour ; Osmin qui relate dans la même scène la mort de Roxane et celle de Bajazet ne ménage pas l’auditoire. À propos de Roxane il commence par ces mots : « Oui. J’ai vu l’assassin, / Retirer son poignard tout fumant de son sein 59 ». Quant au temps du récit, qui n’est pas celui de l’ensemble de la pièce, il acquiert une autonomie, non seulement parce que l’événement rapporté s’est déjà déroulé, mais aussi par le rythme donné à la 57 Quintilien, Institution oratoire. Éd. Paris, Belles Lettres, 1975, établie par Jean Cousin, IX, 2, 40. Pierre Fontanier, Les figures du discours. Paris, Flammarion, 1977 a repris et développé cette définition dans des termes qui conviennent bien à notre propos : « L’hypotypose peint les choses d’une manière si vive et si énergique qu’elle les met en quelque sorte sous les yeux, et fait d’un récit ou d’une description, une image, un tableau ou même une scène vivante », p. 390. 58 Marc Fumaroli, Héros et orateurs. Op. cit. : « Autres figures à la disposition de l’orateur pour graver dans l’imagination de l’auditoire : l’hypotypose, ou demonstratio, évocation hallucinatoire d’un lieu ou d’une scène reconstituée vraisemblablement, comme un tableau vivant enchâssé dans le discours […] Et toutes ces évocations, qui s’adressent aux sens intérieurs, frappés par la magie du verbe et du verbe seul, accompagné par l’actio, doivent être faites avec la plus grande force d’évidence, comme des apparitions magiques, luttant victorieusement avec les données immédiates des sens extérieurs », p. 297. 59 Bajazet, V, 11, v. 1676-1677. « Bajazet était mort. Nous l’avons rencontré / De morts et de mourants noblement entouré », V, 11, v. 1700-1701.
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relation. L’attention de l’auditoire est retenue par la succession des faits, elle l’est aussi par la force évocatrice des images que le narrateur fait surgir. Comme dans les arts visuels, il y a dans le même temps une volonté d’impliquer celui qui écoute jusqu’à faire de lui un spectateur, et une mise à distance par la forme inhérente au récit 60. Ces narrations sont comparables à des tableaux qui exposent avec cohérence et vie un événement, dans une unité de ton et de coloris particulièrement efficace. Félibien recommandait aux peintres cette harmonie dans des termes qui peuvent convenir à Racine : « Dans un tableau il n’y peut avoir qu’un seul sujet ; et bien qu’il soit rempli d’un grand nombre de figures, il faut que toutes aient rapport à la principale 61 ». Les récits sont animés, et la métaphore du coloris était déjà filée par le dramaturge dans la préface de Phèdre qui dit l’usage de la couleur : « les passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité ». Le vocabulaire visuel est omniprésent dans la pièce, et Théramène brosse son tableau avec une palette variée : les « écailles jaunissantes » du monstre, la fumée, le feu, le sang de la créature, puis celui de l’innocent qui marque le sol alors qu’il est traîné par ses coursiers 62. En revanche, lorsque la vie se retire, le coloris disparaît, jusqu’à rendre le sujet irreprésentable, « étendu, sans forme et sans couleur 63 ». Le fils de l’Amazone n’est plus « qu’un corps défiguré » dont Racine a estompé, voire dilué les contours 64. Théramène ou Ulysse ont introduit le monstrueux et le merveilleux, absents de la scène tragique : la créature de Poséidon, finement décrite, ou Diane surgissent tels des deus ex machina. La présence de la déesse, discrètement évoquée dans Iphigé60
Marc Bayard, « Intermédiaires et admoniteurs dans l’art théâtral et pictural », Marc Bayard, dir., L’histoire de l’art et le comparatisme. Paris, Somogy, 2007, pp. 53-69. 61 André Félibien, Préface aux Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, 1667. Éd. Paris, Énsba, 1996, établie par Alain Mérot, p. 52. 62 Amy Wygant, Towards a Cultural Philology. Phèdre and the Construction of Racine. Oxford, University of Oxford, 1999. L’auteur a analysé la pièce à la lumière des arts, proposant des synthèses novatrices. 63 Phèdre, V, 6, v. 1579. 64 Pourtant, les artistes qui ont illustré le récit de Théramène, ont représenté le jeune homme. Il a conservé une forme humaine et ses blessures ont été considérablement minimisées, selon un usage largement répandu. La planche d’Antoine Caron pour l’édition de 1614 des Images de Philostrate montre Hippolyte à terre sans blessure, tandis que l’ekphrasis rappelle combien il a été anéanti par le monstre.
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nie, a été figurée dans les vignettes, présidant à la scène sur une nue 65. Le merveilleux est, selon le père Rapin, « tout ce qui est contre le cours ordinaire de la nature 66 », tandis que le monstrueux, rejeté par l’Église, apparaît « au détour d’alexandrins impeccables 67 ». Les conventions des arts visuels permettaient leur représentation et les artistes ont donné une apparence à ce que l’onde « vomit à nos yeux, […] / Indomptable taureau, dragon impétueux 68 ». Il est aisé de mesurer combien les récits sont indispensables au déploiement de l’action des tragédies. Ils permettent, en créant des échappées, de s’affranchir quelque peu des contraintes de lieu et de temps. Les relations modifient également le rythme des dialogues qui se trouvent alors ponctués d’images faisant le plus souvent une vive impression. La place du témoinnarrateur n’est pas indifférente : il se tient dans la composition, non sur la bordure, ce qui contribue à l’animation et à la véracité du récit. Ces tableaux sont de grands morceaux dans lesquels Racine a fait montre d’un bel ordonnancement servi par la rigueur métrique. Le poète partage un vocabulaire et des figures communs à la rhétorique et aux arts visuels. La proximité qu’il entretient avec ces deux arts se lit également dans beaucoup d’autres textes du XVIIe siècle. Nombreux ont été les auteurs qui, suivant les règles de l’art de la conversation, ont entretenu une intimité entre le texte et l’image. La forme dialoguée et l’ekphrasis leur ont offert la possibilité de disserter savamment ou plaisamment et d’introduire de la nouveauté. Ainsi le Père Le Moyne, jésuite, a-t-il retenu pour ses Peintures morales, publiées de 1640 à 1643, une forme dans laquelle prose et vers créent une peinture qui répond à une estampe insérée dans l’ouvrage 69. Le portrait littéraire partage aussi beaucoup avec le portrait peint puisque le Iphigénie, V, dernière, v. 1781-1782 : « Le soldat étonné dit que dans une nue / Jusque sur le bûcher Diane est descendue ». L’usage du nuage mobile s’est répandu dans les pièces à machines au cours du XVIIe siècle. 66 René Rapin, Réflexions sur la poétique de ce temps et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes, 1675. Éd. Genève, Droz, 1970, p. 39. 67 Jean-Pierre Néraudau, L’Olympe du Roi-Soleil. Mythologie et idéologie royale au Grand Siècle. Paris, Belles Lettres, 1986, p. 212. 68 Phèdre, V, 6, v. 1515 et 1519. Jacques De Sève, dans l’édition de 1760 a représenté à plusieurs reprises l’animal, lui donnant diverses apparences, jusqu’à le montrer expirant et piteux dans un séduisant cul-de-lampe. 69 Pierre Le Moyne, Les peintures morales, ou les passions sont présentées par tableaux… Paris, S. Cramoisy, 1640-1643. 65
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verbe fut la plume et l’encre de ces auteurs 70. Leurs mots ont non seulement dessiné les traits, mais aussi livré la psychologie de ceux qu’ils portraituraient. La proximité entretenue entre les différents arts et modes d’expression a permis bien plus qu’une concurrence. Elle a créé une émulation dont la richesse et la diversité étaient dignes de la palette du peintre. La métaphore que nous venons de filer correspond à une réalité de la composition et de l’écriture raciniennes puisque son travail pictural magnifie les pièces et sert l’expressivité. Les touches de couleur qu’il a disposées, les différents plans, l’animation des figures, tout contribue à former des tableaux que les passions dominent. Les émotions dont sont dotés ses personnages paraissent sans artifice tant elles constituent leur être. Les interactions qui sont la source des mouvements et des déplacements participent au rythme de scènes à la dynamique sensible. Les vers de Racine ont peint des compositions variées et vibrantes que les artistes ont à leur tour transposées avec les outils et les moyens qui étaient les leurs. Quelles œuvres ont-ils livrées, comment sont-ils parvenus à donner forme à ce que le poète avait déjà si bien décrit, quels sujets les ont retenus ? Les passions que les vers portent si haut atteignent une telle densité, une telle force que leur transposition par les artistes est une gageure. Comment montrer les forces, les doutes, les faiblesses, les silences et tout ce que nous avons évoqué ? Le caractère visuel de l’écriture racinienne peut-il être une aide pour les artistes ou au contraire entre-t-il en concurrence avec leur art ? C’est certainement en établissant une passerelle qui permette d’aller d’une rive à l’autre, des mots à leurs représentations, que nous pourrons esquisser une réponse. Les liens à tisser ne doivent cependant jamais faire oublier les principes et les convenances propres à chacun 71. La peinture veut égaler les qualités narratives de la poésie qui elle, souhaite susciter des images. Ainsi l’hypotypose et l’ekphrasis répondent-elles aux intentions du poète. Pour éviter que l’un des deux arts ne l’emportât dans l’esprit ou dans le cœur des spectateurs, tous se sont employés à retenir l’attention, à plaire, à émouvoir, mais aussi à persuader.
70 Voir Jacqueline Plantié, La mode du portrait littéraire en France, 1641-1681. Paris, Champion, 1994. 71 La musique a tissé un autre lien avec Racine puisque le récit de Théramène a inspiré à Jean-Philippe Rameau son opéra Hippolyte et Aricie présenté le 1er octobre 1733.
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Acte II - Le corpus iconographique Nous présentons ici, selon une perspective chronologique, les éditions illustrées, les peintures et les dessins que nous avons recensés et retenus. Il nous a paru nécessaire de ne pas séparer les livres illustrés des tableaux afin d’offrir un ensemble suffisamment cohérent qui permît de percevoir les influences mutuelles. Le corpus se déploie du règne de Louis XIV au Premier Empire, de l’Alexandre et Porus de Charles Le Brun à l’Oreste et Hermione attribué à Pierre-Narcisse Guérin. Bien que ce dernier tableau nous conduise jusque dans les années 1815, nous avons choisi pour les éditions illustrées de ne pas aller au-delà de l’édition Didot de 1801. Cette limite s’imposait en raison de la rupture et de la nouveauté que cette édition a introduites ; les éditions postérieures sont revenues aux principes précédents. Par rapport à la fortune iconographique de Racine, s’arrêter aux volumes de Pierre Didot entre en harmonie avec Phèdre et Andromaque de Guérin. Les éditions illustrées parues de 1676 à 1801 sont toutes l’objet d’une analyse 1. Concernant les peintures et les dessins, il n’a pas toujours été aisé de démontrer la filiation avec Racine. Il en fut ainsi de chaque œuvre inspirée d’une source religieuse ou mythologique. L’histoire de la peinture ou de l’estampe compte en effet de nombreuses Mort d’Hippolyte, des Évanouissement d’Esther, des Sacrifice d’Iphigénie. Comment dénouer le fil des sources littéraires, quels indices permettent de rattacher une œuvre à sa source ancienne plutôt qu’à Racine ? Si les éléments de datation sont indiscutables, pour le reste, les sources peuvent subtilement se superposer. Nous avons écarté diverses Iphigénie, non pas seulement en raison de la présence de Diane (citée dans la pièce), mais plutôt de celle de la biche qui rattache formellement le sujet 1
Notre étude concerne les éditions en langue française. D’après les recherches que nous avons entreprises, les éditions en langue anglaise ou allemande n’ont pas été illustrées.
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aux sources antiques. Il faut de même reconnaître que les Adieux d’Hector et Andromaque, fréquemment représentés par les peintres, font plus référence à l’Iliade d’Homère qu’à l’Andromaque racinienne 2. Cependant, que doivent toutes ces toiles à Racine ? Les artistes n’ont-ils pu être influencés par ses tragédies ? Ces interrogations nous entraîneraient trop loin, aux frontières de la spéculation parfois. Enfin, les livrets des Salons de la fin du XVIIIe siècle ont montré un intérêt pour Mithridate 3 que le premier sujet du prix de Rome de 1807 a prolongé : « Monime prête à boire le poison que Mitridate [sic] mourant lui a envoyé Sujet tiré de la tragédie de Racine acte V. Scene 2ème [sic] 4 ». Le sujet retenu, éminemment tragique, précède la scène où Arbate arrête le geste de Monime qui avait été illustrée dans l’édition de 1760. Monime est fermement et prestement sauvée de la mort. Cette autorité se retrouve dans un beau petit tableau de Girodet inspiré par Corneille, Rodogune empêche Antiochus de boire la coupe de poison 5. La remarquable proximité des sujets rappelle l’intérêt porté aux tragédies classiques. Le travail des artistes pour les éditions illustrées amène quelques remarques puisqu’il est indissociable de l’histoire du livre et du livre à figures en particulier. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le livre connaît une crise majeure. Le coût élevé du papier, celui des estampes, impose souvent des publications de petits formats. Dans ce contexte, les éditions collectives sont plus volontiers illustrées que les éditions isolées ; ce principe perdure tout au long du siècle suivant 6. L’une des principales évolutions concerne la fabrique 2 Scène essentielle du chant VI de l’Iliade, dont Andromaque fait la relation à Céphise chez Racine (III, 8, v. 1020-1026). Sur la postérité d’Homère, voir Noémie Hepp, Homère au XVIIe siècle. Paris, Klincksieck, 1968. 3 Nous n’avons aujourd’hui pas de traces de ces œuvres. Salon de 1793, n° 611 : Jean Bonvoisin, Mort de Mithridate. Salon de 1796, n° 317, Guillaume Martin, Monime, femme de Mithridate, acceptant le poison qu’on lui envoie. Voir aussi, non daté, le dessin de François Boher, Mort de Mithridate, crayon noir et lavis, 67,5 x 99,5. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. 4 Le sujet a été donné le 16 mars par Lagrenée, le premier essai fut jugé le lendemain, le second le 28 mars. Le sujet définitif, Thésée vainqueur du Minotaure fut donné le 30 mars. Voir Philippe Grunchec, Le grand prix de peinture. Les concours des prix de Rome de 1797 à 1863. Paris, Énsba, 1983, p. 142. 5 1800-1805, huile sur bois, 31,7 x 40,8. Collection particulière. Dessin préparatoire en sens inverse, mine de plomb, 11,4 x 14,5. Yale, University Art Gallery. 6 Henri-Jean Martin, Roger Chartier dir., Histoire de l’édition française. Tome II, Le livre triomphant 1660-1830. Paris, 1982-1990. Roger Laufer commente cette situation : « Si la date de 1660 offre ici un intérêt, c’est de marquer d’une pierre noire la période la plus médio-
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du livre puisque la taille-douce nécessite de nouvelles presses pour l’impression des plaques de cuivre gravées à l’eau-forte ou au burin. L’impression des caractères et celle des planches est donc dissociée. Le XVIIIe siècle marque, comme tous les spécialistes le rappellent, l’avènement du livre à figures. L’écrit et l’image dialoguent intimement grâce aux peintres qui ont su modifier la condition du livre illustré. Le renouveau vient de la peinture puisque des artistes tels François Boucher ou Jean-Baptiste Oudry, ont proposé des compositions remarquées et fort appréciées. Une édition des Œuvres de Racine avec un frontispice de Boucher fut annoncée après le grand succès des vignettes du peintre pour les pièces de Molière publiées en 1734 7. Le livre s’est enrichi, et les figures ne sont plus seulement des frontispices ou des titresfrontispices. Elles se déploient et les pages de texte accueillent bandeaux ou culs-de-lampe gravés qui participent de l’agrément des ouvrages. Enfin, après les compositions des peintres, l’illustration eut ses maîtres dessinateurs (Cochin, Gravelot, Marillier…), servis par des graveurs dont le talent fut reconnu (Baquoy, Flippart, Eisen…). Les formes se renouvelèrent et bientôt les courbes rocailles cédèrent la place aux lignes néoclassiques. Si nous connaissons bien les règles qui régissaient la peinture et les contraintes qu’imposaient les contrats, nous avons moins d’informations pour l’illustration 8. Ainsi, qui cre quant à la qualité du livre en France, laquelle ne cesse de se dégrader depuis le début du XVIIe siècle. Passée l’effervescence qu’apporte la page de titre-frontispice durant les premières décennies, où le baroque est encore mouvement et finesse, la pompe seule subsiste dans les ouvrages qui tiennent à la monarchie. Le parallèle entre Corneille et Racine peut encore servir à montrer la dégradation de l’imprimerie. Dans les années trente à cinquante, les pièces de Corneille font généralement l’objet de deux éditions originales, dont l’une in-4. […] Dans les années soixante et soixante-dix, les pièces de Racine s’impriment en in-12 […] de La Thébaïde (1664) à Phèdre (1677), les pièces de Racine sortent exclusivement en in-12. Mais comme à la belle époque de Corneille, les deux tragédies tardives entreprises pour madame de Maintenon, Esther (1689) et Athalie (1691), seront d’abord publiées en quarto, avec la dignité et le soin requis par la qualité du commanditaire », pp. 157-158. Voir aussi Jeanne Duportal, Étude sur les livres à figures édités en France de 1601 à 1660. Paris, Champion, 1914. Pour tout ce qui concerne l’histoire du livre et de l’édition, on se reportera à l’autorité des ouvrages de Roger Chartier, d’Henri-Jean Martin ou de Frédéric Barbier. 7 Voir exposition New York, Detroit, Paris, 1986-1987, François Boucher : « 1735, mai. Annonce d’un projet d’édition in-12 des Œuvres de Racine par Jolly, avec pages de titre par Boucher, à paraître avant la fin de l’année [jamais réalisée] », p. 22. 8 Diane Canivet, L’illustration de la poésie et du roman français au XVIIe siècle. Paris, PUF, 1957. Elle souligne le manque de contrats. Un demi-siècle plus tard, les connaissances
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présidait au choix des illustrateurs, à l’iconographie ? Les rôles étaient-ils toujours bien définis ? Enfin, dans quelle mesure l’auteur pouvait-il intervenir ? Il faut reconnaître que le travail destiné au livre est tout à fait particulier : il requiert de la minutie et impose aux artistes diverses contraintes. Bien que l’illustration ait été considérée comme un genre mineur, elle nécessite de la part du dessinateur une grande application, en vue de la transposition de son sujet en gravure : Le tracé des contours doit être défini, les valeurs indiquées éventuellement par un lavis d’encre ou d’aquarelle doivent être simples et bien cernées, enfin, mais dans une moindre mesure, le format se montre très contraignant. Les techniques employées sont donc le plus souvent la mine de plomb, plus sèche et plus pointue que la pierre noire, ou l’encre passée à la plume et éventuellement lavée. On le voit la discipline est sévère et ne laisse guère à l’artiste cette liberté de la main qui est sensée faire la vraie valeur d’un dessin. La traduction en gravure de ces dessins pose des problèmes techniques très particuliers, mais il serait erroné de croire pour autant que si le dessinateur est un artiste, le graveur n’est que l’artisan d’un travail de reproduction 9.
Les dessins conservés ont des qualités plastiques indéniables qui montrent ce soin et cette attention. Des artistes comme Chauveau, qui dessinait et gravait ses compositions, pouvaient peut-être s’autoriser des dessins moins finis, mais la plupart des dessinateurs confiaient leurs feuilles au geste d’un ou de plusieurs graveurs. Les éditions illustrées de Racine ont été, dès le XIXe siècle, répertoriées et référencées dans différentes publications fort utiles 10. Les illustrations du livre ont un statut particulier dans leur relation avec l’écrit qu’elles côtoient, qu’elles accompagnent. Le texte et l’image réunis dans un volume sont indissociables et l’on sait pourtant que des planches ont pu être vendues seules. sur ce sujet n’ont guère avancé faute de sources, voir Christophe Martin, Dangereux suppléments. L’illustration du roman en France au XVIIIe siècle. Paris, Klincksieck, 2000. 9 José de Los Llanos, « Le dessin d’illustration au XVIIIe siècle », Fragonard et le dessin français au XVIIIe siècle, exposition Paris, 1992-1993, p. 117. 10 A.J. Pons, Les éditions illustrées de Racine. Paris, Quentin, 1878. Albert-Jean Guibert, Bibliographie des œuvres de Jean Racine publiées au XVIIe siècle et œuvres posthumes. Paris, CNRS, 1968. Noëlle Guibert, « L’iconographie de Racine à la bibliothèque de l’Arsenal », Cahiers raciniens, 1970, pp. 9-151. Il s’agit de l’étude la plus développée puisqu’elle présente l’iconographie de chacune des vignettes.
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Le frontispice ouvre la pièce, donne corps à quelques héros et accueille parfois quelques vers dans les limites de la cuvette, sous le trait carré. Cependant, la lettre varie selon les tirages d’une même édition, montrant différents états des planches 11. Dans les volumes, les états avant toute lettre sont rares puisque les noms des artistes figurent le plus souvent. En revanche, les épreuves avant la lettre ignorent les vers. Quant au titre de la pièce, souvent gravé, son rôle est avant tout utilitaire : il participe des étapes de fabrication du livre. Les estampes, les dessins et les peintures constituent un ensemble qui n’exprime pas une, mais plusieurs manières de représenter les sujets raciniens. Ces œuvres suivent les évolutions artistiques et sont inhérentes au style de chaque artiste. Quand certains ont choisi d’illustrer précisément une action, d’autres ont préféré donner forme à ce que les récits ont narré. Les choix iconographiques sont un sujet d’étude qui demande tout à la fois proximité et distance avec les vers de Racine. Le XVIIe siècle et les premières images raciniennes 1668, Charles Le Brun, Alexandre et Porus En 1661, Le Brun (1619-1690) peint à Fontainebleau, à la demande du roi, son premier tableau inspiré de l’histoire d’Alexandre, Les Reines de Perse 12. Le peintre exécuta quelques années plus tard un cycle de quatre toiles narrant les grands faits du Macédonien ; le tableau [fig. 1] représentant Alexandre et Porus fait partie de cet ensemble 13. Dans un premier temps, Le Brun avait choisi la bataille opposant les deux souverains, mais ce sujet ne Christian Galantaris, Manuel de bibliophilie. Dictionnaire. Paris, Cendres, 1997. La lettre dans l’estampe : « Ensemble des inscriptions pouvant figurer sur une gravure : titre, pièce de vers, nom de l’artiste, du graveur ou de l’éditeur, date, dédicace, légende, etc. Une épreuve peut donc être avec la lettre ou avant la lettre (ou avant toute lettre) ». 12 Huile sur toile, 306 x 460. Versailles, musée national du château. Le tableau qui avait séduit le roi fit date par la diversité des émotions représentées. André Félibien le décrivit dans un texte conforme au genre de l’ekphrasis paru en 1663. Il a été de nombreuses fois transposé en gravure. 13 Ca 1668, huile sur toile, 847 x 1264. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Les quatre grandes toiles, qui ont été exposées au Salon de 1673, sont conservées au Louvre. Le cycle a été gravé par Gérard Audran et transposé en tapisserie. Plusieurs dessins préparatoires sont connus : Porus amené devant Alexandre, crayon noir, 51,5 x 85,3. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. 11
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le retint guère ; il préféra illustrer la magnanimité d’Alexandre qui rend à Porus vaincu ses États. La toile fut achevée en 1668, tandis que la tragédie racinienne, qui intègre cet épisode, avait été donnée en 1665. Chronologiquement, la pièce et le tableau sont très proches, mais comment faut-il considérer cette grande toile ? Le Brun a-t-il influencé Racine ou est-ce plutôt l’inverse ? Le contexte était favorable au traitement littéraire ou pictural d’un tel sujet, tant la figure de Louis XIV était associée à celle du Macédonien 14. Rappelons que la pièce de Claude Boyer, Porus ou la générosité d’Alexandre avait été représentée en 1647 ; elle fournissait déjà un modèle possible pour le peintre. Personne ne s’accorde sur ces questions d’influences mutuelles, et l’on ne peut savoir qui de Le Brun ou de Racine l’emporte 15. Reste que la pièce et la peinture pourraient constituer un merveilleux exemple d’ut pictura poesis. La confrontation de ces œuvres convoque des problématiques théoriques particulièrement intéressantes. Les critiques ont commenté les deux œuvres : Saint-Évremond, dans sa Dissertation, reprochait à Racine d’avoir failli à la vraisemblance de la pièce. Il aurait souhaité que l’ensemble parût plus exotique, offrant un récit de la bataille qui en appelât à Le Brun : J’aurois voulu encor que l’autheur nous eust donné une plus grande idée de cette guerre. En effet ce passage de l’Hydaspe si étrange, qu’il se laisse à peine concevoir, une grande armée de l’autre costé avec des chariots terribles & des éléphans alors effroyables, des éclairs, des foudres, & des tempestes, qui mettoient la confusion partout : sur tout quand il fallut passer un fleuve si large sur de simples peaux ; cent choses étonnantes, qui épouvantèrent les Macédoniens, et qui sceurent faire dire à Alexandre, qu’enfin il avoit trouvé un péril La Défaite de Porus, encre brune, lavis brun, mine de plomb, plume et rehauts de blanc sur papier beige, 50,5 x 82. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. 14 Chantal Grell, Christian Michel, L’école des princes ou Alexandre disgracié. Essai sur la mythologie monarchique de la France absolutiste. Paris, Belles Lettres, 1988. 15 Voir les principaux articles consacrés à cette question : Robert W. Hartle, « Lebrun’s Histoire d’Alexandre and Racine’s Alexandre le Grand », Romanic Review, 1957, n° 2, pp. 90-103. Donald Posner, « Charles Le Brun’s Triumphs of Alexander », Art Bulletin, 1959, n° 3, pp. 237-248. Lydia Beauvais, « Les dessins de Lebrun pour l’Histoire d’Alexandre », Revue du Louvre, 1990, n° 4, pp. 285-295. Du même auteur, Inventaire général des dessins, Charles Le Brun. Paris, RMN, 2000.
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digne de luy ; tout cela, dis-je, devoit fort élever l’imagination du Poëte, & dans la peinture de l’appareil, & dans le récit de la bataille 16.
Les propos de l’auteur qui insistent sur la vérité historique poursuivent le débat qui se forma à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Le tableau de Poussin, Éliézer et Rébecca, fut commenté par Philippe de Champaigne dans une conférence du 7 janvier 1668. Après avoir souligné les qualités de l’œuvre, il critiqua sévèrement l’absence de chameaux aux côtés d’Éliézer, puisqu’ils étaient à l’origine de la rencontre autour du puits 17. Cependant, les académiciens s’accordèrent sur les connaissances de Poussin et considérèrent que l’absence de chameaux n’était ni un oubli, ni une infidélité au texte, mais plutôt le résultat d’une réflexion théorique. C’est en faisant référence à l’Alexandre le Grand de Racine que Charles Le Brun argumenta, en rappelant que le poète n’avait pas mentionné l’éléphant sur lequel Porus combattait : La poésie évitait même le récit des actions bizarres dans un ouvrage sérieux, et qu’un excellent poète de notre temps, décrivant le combat d’Alexandre contre Porus, avait retranché de sa narration que Porus était alors monté sur un éléphant de peur que, faisant mention d’une espèce de monture rejetée de nos escadrons, il n’effarouchât l’oreille de ses auditeurs, et que la matière principale ne fût troublée par ce petit détail qui est contraire à nos manières de combattre. Pourra-t-on dire avec justice que l’histoire sacrée et la profane aient reçu une atteinte quand d’un côté on aura négligé de parler de l’éléphant, et que de l’autre côté on aura retranché la représentation des chameaux 18 ?
Cependant, lorsque Le Brun évoque la crainte de Racine d’effaroucher « l’oreille de ses auditeurs », il semble négliger Boileau. Ce dernier avait reconnu aux auteurs la possibilité d’énoncer ce qui ne pouvait être montré, de transmettre par le verbe les pires actions parfois. L’évocation d’un éléphant pouvait-elle effrayer un auditoire ? Il est permis d’en douter, ne serait-elle pas 16 Charles de Saint-Évremond, Œuvres meslées, « Dissertation sur la tragédie d’Alexandre ». Paris, C. Barbin, 1670, pp. 131-132. 17 1648, huile sur toile, 118 x 197. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Champaigne semble ignorer que Poussin avait peint vers 1664 une autre version dans laquelle figurent des chameaux : huile sur toile, 96,5 x 138. Cambridge, The Fitzwilliam Museum. 18 Récit de Taxile, III, 2, v. 747-752. Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Éd. Paris, Énsba, établie par Alain Mérot, 1996, p. 137.
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plutôt apparue comme une connotation exotique en rapport avec le sujet ? Le Brun, quant à lui, n’a pas hésité à peindre le pachyderme blessé à l’arrièreplan, se conformant à une réalité pour évoquer la lutte passée. Au reste, bien que l’animal fût absent de la pièce, les artistes n’ont pas craint de le représenter. François Chauveau fut le premier à reprendre ce motif pour l’édition de 1676 et la toile de Le Brun a constitué un modèle qui fit naître une tradition iconographique 19. Néanmoins, si la figuration de l’éléphant peut être perçue comme une infidélité à Racine, elle s’inscrit davantage dans une volonté de restituer un contexte. La reprise des compositions de Chauveau dans différentes éditions a ensuite contribué à légitimer la présence de la monture de Porus. Cette docte discussion autour des chameaux met en lumière la culture des artistes, les rapprochements entre les arts et la question des convenances. Le débat qui s’est engagé montre que la notion de fidélité aux sources textuelles est complexe. Seul l’indispensable travail de transposition, d’adaptation aux connaissances des contemporains permet une juste réception de l’œuvre. Le tableau de Le Brun fut à l’origine d’une commande importante au XVIIIe siècle. Le livret du Salon de 1738 mentionne sous le numéro cinquante-huit un tableau de Carle Van Loo, Alexandre et Porus. Cette version a été détruite par le peintre qui présenta son œuvre définitive au Salon de 1739. La commande de cette toile avait été passée vers 1735 à François Lemoyne par l’architecte Filippo Juvara pour le salon du palais royal espagnol de La Granja. Sept autres tableaux sur l’histoire d’Alexandre avaient été commandés à des artistes italiens dans le même temps. Le peintre, mort en 1737, n’avait exécuté que deux dessins préparatoires 20 ; le travail fut donc confié à Van Loo 21. La filiation avec le tableau de Le Brun est établie, mais rien n’atteste que l’iconographie ait un lien avec Racine. Cet exemple rappelle combien le 19 Jacques De Sève [fig. 30] et François Gérard ont représenté l’animal dans leurs illustrations. 20 Crayon, encre et lavis sur papier beige, 31 x 43,7. Stockholm, Nationalmuseum. Crayon noir, lavis brun et gouache sur papier bleu, 31 x 43,7. New York, Metropolitan Museum of Art. 21 Le tableau exécuté pour le salon de la Granja est conservé au palais de l’Escurial. Une lettre contemporaine commente la composition en établissant la filiation avec le tableau de Le Brun : Lettre à la marquise de S.P.F. (par le chevalier de Neufville de Brunaubois Montador). Paris, 1er septembre 1738 : « Ce qui est remarquable dans son tableau, est la belle façon dont il a composé son groupe. Le fond est un éléphant blessé et atterré, sur une jambe duquel est un soldat mort et renversé. Le raccourci de cette figure est parfait. Le reste est composé à
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thème d’Alexandre et la composition de Le Brun ont été appréciés ; des vertus de Louis XIV à celles de Philippe V, le thème fut universel 22. 1676-1691, de François Chauveau à Jean-Baptiste Corneille C’est le très prolixe dessinateur et graveur François Chauveau (16131676), dont le travail s’accompagne d’une véritable légende sur sa facilité d’exécution, qui a composé les premières illustrations du théâtre de Racine 23. Omniprésent dans le livre à figures, Chauveau a illustré indifféremment des œuvres romanesques et des pièces de théâtre. Peintre, dessinateur et graveur, il s’était formé chez Laurent de La Hyre, et sa notoriété était très grande. Charles Perrault, qui fit l’éloge de son œuvre, ne célébra que quatre graveurs dans ses Hommes illustres. Chauveau figure donc ainsi aux côtés de trois des plus célèbres du siècle : Jacques Callot, Robert Nanteuil et Claude Mellan. peu près comme le même sujet par M. Le Brun. Cette pièce est pour le roi d’Espagne ». BnF, Collection Deloynes, vol. I, pièce 8. Deux esquisses peintes sont connues : huile sur toile, 65,7 x 91,4. Los Angeles, County Museum of Art. Huile sur carton, 61 x 185. Marseille, musée des Beaux-Arts. 22 Enfin, signalons un dessin attribué à Tiepolo, proche du tableau de Le Brun : Alexandre et Porus, plume, encre brune, lavis, pierre noire, 33,2 x 46,4. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. 23 Voir Pierre-Jean Mariette, Abécédario. Paris, J.B. Dumoulin, 1851-1862 notes publiées par Philippe de Chennevières et Anatole de Montaiglon : « S’il y a du mérite à bien exécuter en graveure les ouvrages des plus excellens maistres, et à en imiter parfaitement toutes les beautés, il y en a certainement davantage à travailler d’après ses propres desseins, puisqu’il faut alors posséder en même temps des talens différens, celuy de la graveure et celuy du dessein, et que la partie de l’invention, qui n’est pas moins necessaire, demandant plus d’esprit que celle de l’exécution, qui ne consiste le plus souvent que dans la pratique, il est plus rare de rencontrer des génies qui y réussissent, et tels que l’avoit appris François Chauveau […] Il avoit une imagination extrêmement féconde, il disposoit agréablement ses sujets, il les inventoit avec une facilité merveilleuse, il ne s’en tenoit pourtant presque jamais à ses premières idées, car après avoir jeté sur une ardoise ou le papier ce que le premier feu de son génie luy inspiroit, il l’effaçoit, il le reformoit une infinité de fois jusqu’à ce qu’il l’eût réduit au point où il le souhaittoit », pp. 366-367. Jean-Michel Papillon, Vie de Chauveau, 1738. Éd. Paris, P. Jannet, 1854. Le biographe abonde dans ce sens. Enfin, Jacques Lacombe, Dictionnaire portatif des beaux-arts… Paris, Herissant, 1752, p. 156. Il reprend les propos de Perrault, s’inscrivant, au sujet des dessins, dans cette tradition emphatique.
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Son commentaire, non dénué d’enthousiasme, souligne certaines faiblesses d’exécution de ses gravures : Personne n’a peut estre jamais eu une imagination plus feconde pour trouver et disposer des sujets de tableaux ; tout y estoit heureus pour la beauté du Spectacle, tout y estoit ingénieux pour la satisfaction de l’esprit, et il entroit dans ses desseins, encore plus de Poesie que de Peinture. Cela se peut vérifier dans le nombre presque infini d’ouvrages qu’il nous a laissez et particulièrement dans les estampes qui représentent ce qui est contenu dans les livres où elles sont […] Il est vray que sa gravure n’a pas la douceur ni l’agrément de plusieurs autres Graveurs, qui ont porté cette délicatesse jusqu’au dernier point de perfection. Mais pour le feu, la force des expressions, la variété et pour l’esprit qui s’y rencontre, je ne sçay s’il y a eu quelqu’un qui l’ait surpassé dans cette partie […] peu de gens l’ont surpassé dans l’abondance, la variété et le tour ingenieux du Dessein : Et c’est particulierement par cet endroit que nous l’avons consideré, lors que nous luy avons donné place dans ce Volume 24.
Ces propos sont plutôt justes, même si le grand nombre d’illustrations n’introduit pas toujours suffisamment de variété. Les dessins de l’artiste conservés – parmi lesquels une feuille pour Mithridate – montrent un trait sûr et libre que le geste du graveur n’a pas toujours su traduire 25. Oserait-on déclarer alors qu’il aurait été meilleur inventeur que graveur ? Peut-être, mais ces défauts peuvent aussi être attribués à une volonté de répondre trop rapidement aux nombreuses commandes qu’il recevait. Ce dessin, bien que proche de la vignette de l’édition de Racine, présente des dissemblances tout à fait intéressantes. La composition est plus dégagée, plus ouverte, et la disposition des personnages a subi quelques variations. Si Mithridate et le soldat qui le soutient ont déjà trouvé leur attitude, en revanche Xipharès, agenouillé dans la gravure, accueille son père debout. Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle avec leur portrait au naturel. Paris, Dezallier, 1696-1700, vol. 2, pp. 99-100. 25 Mort de Mithridate, plume, sanguine, encre brune, lavis brun et gris, 13,8 x 7,9. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. C’est le seul dessin connu pour l’édition illustrée par Chauveau. Une note établit un lien avec le tome IX de l’ouvrage de La Calprenède, Faramond ou l’histoire de France. Paris, A. de Sommaville, 1662-1670. Cela fait référence à l’histoire de l’œuvre puisque quatre dessins de l’artiste se trouvaient sur un même carton, dont l’un pour Faramond. La confusion est peut-être liée au titre de la pièce de La Calprenède, La Mort de Mithridate, représentée en 1636. 24
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C’est donc en 1676 que parut chez Claude Barbin et Jean Ribou la première édition collective des pièces de Racine imprimées à cette date 26. Elle ne contient alors pas les trois dernières : Phèdre (1677), Esther (1689) et Athalie (1691). L’édition en deux volumes in-12 est illustrée de neuf vignettes qui, parce qu’elles ouvrent chacune des pièces, peuvent être qualifiées de frontispices. Le titre-frontispice allégorique gravé par Sébastien Leclerc a été dessiné par Charles Le Brun : Melpomène trône au centre, encadrée de la terreur et de la pitié, tandis que les frères ennemis combattent à ses pieds 27. On attribue à Chauveau la composition de l’ensemble des vignettes, mais il convient d’apporter une nuance 28. En effet, l’illustration de Bérénice n’est pas signée et celles des Plaideurs et de Bajazet auraient été gravées par Sébastien Leclerc d’après Chauveau 29. Jusqu’alors, les pièces n’avaient pas été illustrées dans leurs éditions respectives. Ce sont donc les toutes premières vignettes. Pour Phèdre et Hippolyte, en 1677, Le Brun a signé un frontispice gravé par S. Leclerc 30. Les mêmes artistes composèrent la planche d’Esther qui parut 26 Il convient de noter que le privilège est de 1673 et l’achevé d’imprimer de 1675, cependant la page de titre indique 1676. Bien que la date de 1675 soit depuis quelques années mise en avant, nous conserverons celle de 1676 puisque les incidences sont plus faibles sur les illustrations que sur l’établissement du texte. Voir Jean Rohou, Album Racine. Paris, Librairie générale française, 1998, p. 90 et l’édition des Œuvres complètes de Racine établie par Georges Forestier, Paris, Gallimard, 1999, p. XCVII. 27 Référence à la catharsis d’Aristote. Nous le verrons, à l’exception de l’édition de 1760 dans laquelle elle abonde, l’allégorie ne tient que peu de place dans les éditions illustrées. 28 L’inventaire après décès de l’artiste mentionne au n° 166 cinq planches, dont « deux histoires de Figinie et Metridate ». Voir l’article de Maxime Préaud, « L’inventaire après décès de François Chauveau 20-28 février 1676 », Archives de l’art français, 1984, vol. 26, pp. 91-105. 29 Édouard Meaume, Étude bibliographique sur les livres illustrés par Sébastien Leclerc. Paris, Léon Techener, 1877. Ces vignettes sont mentionnées et Meaume rappelle que le frontispice de Phèdre d’après Le Brun a souvent été ajouté postérieurement à nombre de ces éditions. Nous l’avons constaté à diverses reprises. L’édition de 1676 a en outre été reprise en 1677 chez Pierre Trabouillet, en 1687 et 1697 chez Denis Thierry, toujours en in-12. Les textes de cette édition sont considérés comme les versions définitives des pièces. Les planches ont pu être réduites ou retravaillées pour celles imprimées d’abord en in-quarto. Ces éditions ont intégré les frontispices des pièces parues après 1676. 30 Jean Racine, Phèdre et Hippolyte. Paris, Claude Barbin, 1677, in-12. Charles-Louis Simonneau a gravé en sens inverse la composition de Le Brun pour une feuille isolée plus grande. Il a remplacé la lettre mentionnant le titre par les armes de Colbert. La planche peut être datée d’avant 1683.
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en 1689 dans une édition in-quarto chez Denys Thierry 31. Enfin, Athalie fut éditée dans les mêmes conditions avec un frontispice de Jean-Baptiste Corneille gravé par Jean Mariette. L’ensemble de ces illustrations originelles a été repris et publié dans une édition collective en 1697, qui réunit ainsi tous les frontispices du siècle. Ces planches ont contribué à fixer une iconographie dont les éditions postérieures ne se sont pas toujours affranchies [fig. 10-12]. Les compositions de l’édition de 1676 ont pu être fortement critiquées, moins pour leurs caractéristiques stylistiques que pour le choix des sujets et l’expressivité. Raymond Picard a, dans un article fameux, rejeté une iconographie qui prît en compte les récits et s’éloignât du classicisme 32. Chauveau a en effet souvent choisi d’illustrer les récits, sans doute parce qu’ils proposaient un instant éminemment dramatique. Cependant, au regard des convenances propres à chaque art, ses propos doivent être modérés. L’illustration du livre est coûteuse, et les libraires n’auraient pu prendre le risque de rejeter les principes des arts visuels. Ainsi la représentation de ce qui ne devait point paraîSignalons l’édition hollandaise pirate, qui substitua à cette planche un frontispice allégorique. Racine, Œuvres. [Amsterdam, Wolfgang], 1678. 31 Le Brun avait déjà travaillé à ce sujet. En effet, une série de dix dessins, entrés dans les collections royales en 1690 et vraisemblablement exécutés dans les années 1660-1665, montrent diverses études pour l’évanouissement d’Esther. Elles étaient destinées à un tableau pour M. Robert, procureur du roi au Châtelet, qui fut achevé par François Verdier son élève. Les études de Le Brun pour le groupe des femmes, nues ou vêtues sont d’un grand intérêt ; elles révèlent les recherches de l’artiste en faveur de l’expression des passions. Certaines d’entres elles sont peut-être plus tardives et à mettre en rapport avec le frontispice. Le tableau, au cadrage resserré, est du point de vue de l’expression assez saisissant : huile sur toile, 153 x 118. Beauvais, musée départemental de l’Oise. Concernant les dessins, tous conservés au musée du Louvre, nous renvoyons à Lydia Beauvais, Inventaire général des dessins, Charles Le Brun. Op. cit.. Dans son manuscrit, Nivelon avait décrit le tableau, notant qu’il était inachevé. Claude Nivelon, Vie de Charles Le Brun et description détaillée de ses ouvrages, [1694]. Éd. Genève, Droz, 2004, établie par Lorenzo Pericolo, pp. 240-241. Le sujet avait auparavant été choisi par Nicolas Poussin et Jean Jouvenet. Nicolas Poussin, Évanouissement d’Esther, ca 1650, huile sur toile, 199 x 155. St Pétersbourg, musée de l’Ermitage. Jean Jouvenet, Évanouissement d’Esther, 1674, huile sur toile, 155 x 205. Bourg-enBresse, musée de Brou. Il s’agit de son tableau de réception à l’Académie. 32 Raymond Picard, « Racine et Chauveau. Remarques sur l’inconsistance de la notion d’âge classique », De Racine au Parthénon. Paris, Gallimard, 1977, pp. 227-247. L’article parut en anglais dans le Journal of the Warburg and Courtauld Institute en 1951. Voir Michael Hawcroft, « Racine and Chauveau : A Poetics of Illustration », French Studies, 2007, n°3, pp. 280-297.
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tre sur scène se trouve-t-elle justifiée. Les goûts du public devaient également être pris en considération ; c’est en s’y conformant que le succès commercial pouvait être assuré. Il nous semble ici utile de livrer l’ensemble des choix iconographiques du XVIIe siècle afin de mieux percevoir les évolutions de l’iconographie. La Thébaïde ouvre sur le combat des frères ennemis (V, 3) relaté par Créon. Après avoir perdu ses États, Porus paraît devant Alexandre porté par ses hommes (V, 3). Andromaque supplie Pyrrhus d’épargner son fils (III, 6). Quant à Britannicus, il s’effondre sous l’effet du poison (V, 5). Dans l’emblématique cabinet, Bérénice et Titus se quittent (V, 5 à 7). Atalide s’évanouit à la lecture de la lettre annonçant la mort de Bajazet (IV, 3). Mithridate prononce ses ultimes paroles (V, scène dernière). Ulysse rapporte le suicide d’Ériphile au moment où Iphigénie devait être sacrifiée (V, scène dernière). Le récit vibrant de Théramène rapporte la mort d’Hippolyte (V, 6). Esther défaille devant le roi Assuérus (II, 7). Enfin, Athalie manifeste sa colère à la vue de Joas sur le trône (V, 5). Bien entendu, ces choix soulèvent quelques questionnements sur le rapport entre le texte et l’image, sur le rôle de l’illustration dans le livre. Personne ne s’étonnerait qu’un récit ou que les derniers instants d’un drame fussent choisis pour une peinture. Mais puisque l’estampe côtoie le texte, n’y a-t-il pas une forme de paradoxe à introduire les pièces sur une scène de clôture ? Sans doute. Cependant, la quête des artistes en faveur d’un sujet intelligible qui fasse entrer dans le drame permet d’apporter une réponse. Il ne s’agit pas de livrer la fin de la pièce, mais d’exposer clairement le sens tragique de l’action 33. Ne peut-on considérer que le procédé est relativement admis ? Les planches des pièces de Corneille, par exemple, ne montrent pas autre chose. 1696, Antoine Coypel, Athalie chassée du temple L’Athalie d’Antoine Coypel (1661-1722) fut peint en 1696 pour le duc de Chartres, futur Régent, et exposé aux Salons de 1699 et de 1704 34. Le tableau connut un très grand succès ; la composition fut gravée et transposée La planche des Plaideurs représente l’avant-dernière scène de la pièce, mais la dimension comique de l’action est perceptible, puisque l’épisode des petits chiens introduit de la légèreté. 34 Huile sur toile, 150 x 213. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Les livrets le signalent de manière fort différente. Salon de 1699 : « Athalie, ou Joas enfant reconnu et mis sur le trône ». Salon de 1704 : « Athalie qui déchire ses vêtements dans la 33
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en tapisserie 35. Un petit dessin préparatoire aux traits vifs et énergiques livre, quant à lui, les premières pensées de la toile 36. Le sujet retenu par Coypel est très proche du frontispice de 1691, puisqu’il représente l’instant qui lui succède (acte V, scène 6) : Athalie est sommée de quitter le temple dans lequel le jeune Joas a pris place sur le trône [fig. 13]. Il ne s’agit donc pas ici de représenter une scène où domine la surprise, mais de montrer les sentiments de rejet et les mouvements de violence. C’est dans une vaste salle ouvrant sur une autre par une série d’arcades que se déroule la scène. Le premier plan est laissé libre, repoussant l’action principale au second plan. Le prêtre lévite est le pivot de la scène : il tourne la tête et tend un bras en direction d’Athalie, tandis que de l’autre il désigne Joas. Il protège le jeune nouveau roi et rejette celle dont la fureur est déjà maîtrisée par les soldats. Sur le trône, Joas exprime une certaine inquiétude que la main de Josabet tente d’apaiser 37. Face à lui, l’agitation et la violence sont grandes, et Athalie vêtue d’une robe rouge exprime avec force une colère teintée de rage. La disposition du tableau met en scène la représentation de sentiments variés qui vont de la ferveur pacifiée aux mouvements les plus violents. Le jeu des coloris renforce encore ces contrastes très marqués. Enfin, malgré l’animation, la composition présente un aspect solennel que cristallise le frêle enfant trônant sur l’imposant siège. Les différents protagonistes sont aisément identifiables, et il semble bien difficile de ne pas rattacher cette œuvre à la pièce de Racine ; c’est notamment la présence de Josabet qui établit le lien avec l’Athalie racinienne. Nous retrouvons ce sujet dans les éditions illustrées où il alterne avec la scène de l’interrogatoire de Joas – Éliacin.
surprise où elle est de voir Joas reconnu roi de Juda par les bons offices de Joïada grand-prêtre ». 35 Voir Nicole Garnier, Antoine Coypel. Paris, Arthena, 1989. Elle souligne les affinités de composition avec un autre tableau, Suzanne accusée. Le tableau d’Athalie fut gravé en sens inverse par Jean Audran. Coypel fit un carton de tapisserie pour les Gobelins en 1710, huile sur toile, 360 x 700. Saint-Quentin, musée. Diverses copies sont passées en vente. 36 Pierre noire, sanguine, 10,1 x 14,8. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. 37 Le rôle de Josabet est particulièrement important puisque c’est elle qui avait sauvé l’enfant du massacre ordonné par Athalie. Cet épisode (I, 2) a été illustré par Antoine-Denis Chaudet dans l’édition de 1801 [fig. 93].
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Vers 1696, Antoine Coypel, L’Évanouissement d’Esther C’est à la même période que le peintre représente un autre sujet religieux qui est aussi un sujet racinien : L’Évanouissement d’Esther. Le tableau fut exécuté avant septembre 1697, et la tapisserie tissée aux Gobelins vers 1719 38. La composition était destinée à la tenture de l’Ancien Testament. Rappelons que la pièce de Racine avait été représentée en 1689 et que l’épisode de l’évanouissement d’Esther trouve place au second acte. Ce même sujet avait été retenu pour le frontispice de l’édition. Le tableau mérite d’être étudié attentivement, car la source littéraire est incertaine [fig. 14]. S’agit-il d’une toile figurant le livre d’Esther ou d’une scène influencée par Racine ? Si la question doit être posée, il faut cependant admettre la possibilité d’une influence des deux sources qui conduisent jusqu’à une superposition. Inséparables, elles témoignent de la culture du peintre et du poète. Racine a en effet scrupuleusement suivi le texte biblique, et l’on sait que Coypel appréciait les pièces de théâtre 39. Enfin, pour accepter que cette toile puise également dans la pièce, il faut se défaire de l’idée que le peintre aurait offert une vue de la représentation scénique. Les accents théâtraux de la composition n’appartiennent-ils pas à un registre expressif relativement commun ? Dans la salle du trône ouverte sur le jardin, Esther défaille sans lourdeur, à peine soutenue par ses femmes, tandis que le roi Assuérus qui a quitté son trône apporte son aide ; il est le seul à la soutenir de ses deux bras. Son sceptre, parallèle à la ligne formée par l’épaule et le bras de la jeune femme, trace un axe transversal qui semble éviter au regard de se disperser vers le jardin de l’arrière-plan. Au premier plan à droite, Aman – qui avait arraché au roi un édit contre les Juifs – est figuré de manière symbolique. Son attitude trahit une stupeur teintée de frayeur. La représentation des épisodes de l’histoire d’Esther s’inscrit dans une longue tradition iconographique que les peintres de la seconde 38
Huile sur toile, 105 x 137. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Exposé au Salon de 1704. Le tableau a été copié à plusieurs reprises. Jean Audran le grava en sens inverse. Carton de tapisserie vers 1717-1718, huile sur toile, 395 x 465. Cambrai, musée. Un dessin préparatoire figurait dans le catalogue de vente après décès de son fils en 1753, sous le numéro 267. Il est inscrit en 1768 dans l’inventaire de sa bru, Marie-Catherine Botet. Il est aujourd’hui perdu. 1697 est la date à laquelle le peintre offrit sa toile au roi. 39 Odile Biyidi, « Racine et les Coypel. Contribution à l’étude de l’esthétique classique », Alain Niderst dir., Iconographie et littérature, d’un art à l’autre. Paris, PUF, 1983, pp. 61-80.
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moitié du XVIIe et du XVIIIe siècle ont poursuivie, privilégiant la rencontre entre Esther et Assuérus. L’un des principaux intérêts de ce sujet est la difficile représentation de l’évanouissement dont nous étudierons ultérieurement les postures. Si l’on accepte la filiation de Coypel avec Racine, il convient de mentionner un autre cycle que l’on doit à Jean-François de Troy (1679-1752). C’est en 1736 que le peintre a commencé à travailler à une suite sur l’histoire d’Esther destinée à être transposée en tapisserie. Il exécuta sept toiles, la première est L’Évanouissement d’Esther, présentée au Salon de 1737 40. La figure de la reine offre explicitement aux regards l’influence du tableau de Coypel, même si l’affaissement des jambes est plus marqué 41. Cependant, en élargissant l’espace de la composition, en éloignant la scène de l’évanouissement du bord de la toile, le peintre a choisi de multiplier les points de vue sur le groupe central. Les cercles de personnages qui se dessinent depuis la droite autour d’Esther et les hommes de l’arrière-plan offrent des physionomies aux sentiments variés dans lesquelles la surprise est moins vivement exprimée que la stupeur affichée par Aman dans le tableau de Coypel. Le grand format de la composition imposait certainement de renforcer la présence architecturale et d’ajouter des personnages, ce qui laisse la tension dramatique se dissiper quelque peu dans les fumées du brasero. Dans ces deux toiles, Antoine Coypel montre que l’intérêt pour ces sujets religieux est commun aux pièces de théâtre et à la peinture. Les frontispices des éditions originales ne sont pas étrangers aux choix du peintre. Bien composés, dus à des artistes réputés, ils ont pu constituer des modèles. Les commandes que Madame de Maintenon a passées à Racine ont eu quelque retentissement en accord avec les nouvelles orientations de Louis XIV qui suivait les pas de la veuve Scarron.
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Huile sur toile, 322 x 474. Paris, musée du Louvre, département des peintures. La posture est très proche d’un dessin de Le Brun pour Esther et Assuérus, Trois femmes nues, sanguine et rehauts de craie blanche, 27,7 x 22,3. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. 41
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1699-1700, Jacobus Harrewyn, un illustrateur maladroit ? La seconde édition des Œuvres a paru à Paris, chez Pralart en 16991700 42. Elle fut de nouveau publiée à Amsterdam chez Henri Schelte en 1713. On doit les titres-frontispices et les vignettes à Jacobus Harrewyn ou Harrewijn (1662 - avant 1740), dessinateur et graveur, qui a repris les sujets des éditions précédentes ; les parisiennes comme la hollandaise. Le frontispice du premier volume, disposé sur deux niveaux, célèbre les arts par la représentation d’Apollon et du Parnasse ; il est conforme à celui de 1678. Quant au frontispice du deuxième tome, il reprend en la modifiant la composition allégorique de Le Brun ; le désordre ne valorise pas les sentiments de terreur et de pitié pourtant mentionnés par la lettre. Harrewyn a cependant innové pour l’illustration de Phèdre : il a en effet proposé deux vignettes, l’une pour l’édition de 1700 et l’autre pour celle de 1713 [fig. 15]. Suivant Le Brun, il a retenu le récit de Théramène, mais il l’a traité comme un sujet secondaire puisque l’action principale est la mort de Phèdre (V, 7) 43. La lutte d’Hippolyte figure donc dans un encadrement qui est telle une fenêtre dans l’édition de 1699 ou une tapisserie dans celle de 1713 44. Phèdre, qui laisse échapper la coupe de poison, bascule avec force mouvements de bras, dans des compositions qui témoignent d’un sens théâtral affirmé. Il y a dans les postures affectées des personnages d’Harrewyn, dans les costumes trop riches, dans les couvre-chefs improbables une certaine maladresse. On ne sait toujours comment qualifier ces excès d’ornementation ou ces figures parfois trop tassées, comme si l’artiste avait eu du mal à les contenir dans les petites pages de l’octavo 45. L’attitude de Britannicus qui, après avoir ingéré le poison, semble près de s’écraser sur le sol ne manque-t-elle pas de dignité ? On peut aussi 42
Deux volumes in-8 : vol. I 1699, vol. II 1700. Le titre-frontispice de chaque volume est différent. 43 Il faut attendre l’édition Didot de 1801 et la planche de Girodet pour retrouver la représentation simultanée de ces deux épisodes. Alors que Phèdre expire, le corps d’Hippolyte apparaît dans l’encadrement d’une baie. 44 En effet, le sujet a été traité de manière différente dans les deux éditions. La vignette de 1699 situe les personnages dans une architecture ouverte sur l’extérieur. La composition de 1713 se découvre par l’ouverture d’un rideau de scène ; l’espace est fermé et le décor intègre une tapisserie qui expose les péripéties de la mort d’Hippolyte. 45 La comparaison de ces illustrations avec d’autres planches de l’artiste pour un ouvrage contemporain montre des figures maniéristes à hautes couronnes assez proches. Il semble cependant que le caractère théâtral ait été forcé pour Racine. Voir Ésope en belle humeur… Bruxelles, F. Foppens, 1700.
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sourire à la vision de Phèdre qui, bien que soutenue, cherche de ses bras un autre appui. Harrewyn est-il réellement maladroit ou pèche-t-il par excès de maniérisme ? Chacun pourra en juger. Avant 1700 (?), Claude Gillot, Bajazet C’est en 1672 que fut représentée et éditée la pièce orientale de Racine, Bajazet. À une date inconnue, le peintre et illustrateur Claude Gillot (16731722) a exécuté un tableau représentant une scène de la tragédie. L’artiste, célèbre pour ses illustrations des Fables de Houdar de la Motte, s’est beaucoup intéressé aux scènes de comédie 46. Mentionné par Bernard Populus, le tableau a figuré à la vente de la collection Prousteau – capitaine des gardes – le 5 juin 1769 47. Cette œuvre, qui n’a pas été gravée, parut au catalogue sous le numéro 39 : « Une scène du cinquième acte de la Tragédie de Bajazet : ce tableau dont les cinq figures qui le composent ont 6 et 7 pouces de proportion, est du meilleur style de Gillot et d’un effet agréable : il est peint sur toile, qui porte 21 pouces de haut, sur 25 pouces 6 lignes de large 48 ». Cette description précise d’une toile aujourd’hui perdue, retient notre curiosité. Le XVIIIe siècle, des grâces rocailles à la rigueur néoclassique 1723, Louis Chéron L’édition illustrée d’après les dessins de Louis Chéron (1660-1723) parut à Londres en deux volumes in-quarto 49. Les graveurs, Jean Van der Gucht, Claude Dubosc et Paul Fourdrinier étaient élèves de l’artiste. Les vignettes représentent des figures aux expressions souvent trop faibles que l’on peut attribuer au dessinateur. En effet, proche des graveurs, il aurait pu faire reprendre les planches si elles ne lui avaient pas convenu. Une fois encore l’iconographie s’inscrit principalement dans la continuité des éditions plus Antoine Houdar de La Motte, Fables. Paris, G. Dupuis, 1719. Bernard Populus, Claude Gillot. Catalogue de l’œuvre gravé. Paris, Société pour l’étude de la gravure française, 1930, p. 37 : « Des scènes inspirées par le théâtre français il ne nous reste rien ; nous savons seulement qu’un tableau a figuré à la vente Prousteau ». 48 Catalogue de tableaux originaux... de M. Prousteau, Capitaine des gardes de la ville. Paris, Vente, 1769, p. 17, n°39. 49 Chez J. Tonson et J. Watts, édition établie par P. Coste. Louis Chéron, en exil à Londres, était le frère du célèbre peintre Élisabeth-Sophie Chéron. 46 47
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anciennes. Cependant, le traitement diffère considérablement et le format donne aux illustrations une ampleur qu’elles n’avaient pas jusqu’à présent ; il s’agit des premiers volumes in-quarto. Louis Chéron a proposé en outre deux vignettes originales, celles d’Andromaque et de Phèdre. Pour la première, la composition met en scène le mariage d’Andromaque et de Pyrrhus (V, 3) : c’est un choix tout à fait singulier dans le corpus. Devant une petite assistance et dans un décor à hauts piédestaux, la jeune femme est couronnée par le roi d’Épire au pied de l’autel [fig. 16]. Pour la seconde, Chéron a retenu du récit de Théramène l’instant où Aricie s’évanouit à la vue d’Hippolyte mort [fig. 20]. Les planches sont dans l’ensemble un peu raides, presque froides puisque les sentiments sont plus suggérés que représentés. Malgré tout, quelques mouvements vifs (Calchas ou Athalie), des corps traités avec légèreté, portés ou soutenus sans effort (Porus ou Aricie) témoignent d’une diversité de traitement qui n’est pas sans intérêt [fig. 19]. Vers 1732 (?), Charles-Antoine Coypel, Andromaque et Pyrrhus Fils d’Antoine, Charles-Antoine Coypel (1694-1752) s’est lui aussi intéressé aux sujets raciniens. Un tableau, aujourd’hui perdu, représentait la scène six de l’acte cinq d’Andromaque. Il fut mentionné ainsi dans le catalogue de la vente de Mme Books les 16 et 18 avril 1877 : « Andromaque et Pyrrhus. Andromaque s’évanouit dans les bras de ses femmes et retient par le manteau le soldat qui emporte Astyanax ; elle semble implorer Pyrrhus qui donne l’ordre de le séparer de sa mère 50 ». Le sujet tel qu’il est décrit propose un traitement inhabituel dans l’attitude d’Andromaque évanouie. Les vignettes qui représentent cette scène la montrent toujours en train de supplier Pyrrhus. Celle de Chauveau, qui chronologiquement aurait pu constituer un modèle pour Coypel, figure la jeune femme à genoux et Astyanax dans les bras de Phœnix. Ce tableau que la description laisse imaginer relate l’importance des sujets raciniens et leur diffusion.
50 Thierry Lefrançois, Charles Coypel. Paris, Arthena, 1994, n° 146. Huile sur toile, 130 x 146. Voir aussi Irène Jamieson, Charles-Antoine Coypel premier peintre de Louis XV. Paris, Hachette, 1930.
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1741, Charles-Antoine Coypel, Athalie interrogeant Joas Quelques années plus tard, après avoir certainement retenu les leçons de son père qui dissertait sur les passions et l’éloquence, Charles Coypel s’est encore intéressé à Racine. Il a ainsi peint deux tableaux qui illustrent des épisodes d’Athalie et de Bajazet 51. À la même période, on lui doit également trois compositions d’après des pièces du XVIIe siècle : Psyché de Molière, Rodogune de Corneille et Alceste de Quinault 52. Toutes ces œuvres présentent une grande proximité avec la scène théâtrale ; pour autant on ne peut affirmer qu’il s’agisse de véritables transpositions d’un moment vu au théâtre 53. Ce sont davantage des compositions qui mêlent savamment les principes de la peinture et les connaissances théâtrales de l’artiste. Il introduit le spectateur dans un univers de recréation qui procède des influences mutuelles de la scène et des arts visuels. Ses recherches sur l’expressivité sont bien connues puisqu’il les a livrées dans ses Discours prononcez dans les conférences de l’Académie en 1721 54.
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Les deux compositions ont été tissées aux Gobelins pour être ensuite intégrées à la tenture des Scènes d’opéra, de tragédie et de comédie. Voir Maurice Fenaille, État général de la Manufacture des Gobelins. Paris, Hachette, 1903-1923, p. 140 et suiv. 52 Psyché et l’amour, 1747-1748, huile sur toile, 206 x 155. Boulogne-sur-Mer, musée des Beaux-Arts. Cléopâtre avalant le poison, 1749, huile sur toile, 130 x 195. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Hercule ramène Alceste des enfers à son époux Admète, 1750, huile sur toile, 213 x 263. Grenoble, musée des Beaux-Arts. Ces compositions ont été transposées en tapisserie pour la même tenture. Le peintre fut un grand pourvoyeur de modèles pour la manufacture des Gobelins. Voir exposition Bordeaux, 1980, Les Arts du théâtre de Watteau à Fragonard. 53 Sa passion pour le théâtre l’a également conduit à exécuter des portraits d’acteurs et à écrire des pièces. 54 Les Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Op. cit. Sur l’influence des arts du spectacle et de la peinture, il écrivit : « Si les spectacles peuvent être utiles aux peintres, s’ils doivent étudier les gestes des acteurs, des danseurs et des pantomimes, ces derniers peuvent aussi s’instruire sur les grands peintres et sur la beauté de la peinture », p. 496. Charles-Antoine Coypel, Œuvres. Éd. Genève, Slatkine Reprints, 1971. Les écrits du peintre parus de 1725 à 1752 ont été réunis dans ce volume. Concernant l’expression et les attitudes : « Que les mouvements soient libres, aisés et toujours nobles ; que les actions des bras, des mains et de la tête aient un accord parfait entre
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Le premier tableau, exposé au Salon de 1741, représente l’interrogatoire qu’Athalie fait subir à Joas qui paraît devant elle sous le nom d’Éliacin (II, 7) 55. Le livret indique la source littéraire en citant un extrait de la préface de la pièce 56. La composition a également été célébrée dans une lettre fort élogieuse : La figure d’Athalie est sans contredit un chef-d’œuvre, tant pour son air de tête, où l’on lit la noirceur de ses desseins, dans son regard couvert, fixe et animé, que par son attitude fière et artificieuse, qui peint tout à la fois la tranquillité affectée et la secrète inquiétude. Elle est richement habillée d’une Robe de Gaze d’Or, par-dessous une mante de Pelisse de Tigre, et cet ajustement qui a quelque chose de sombre, quoique de magnifique, semble mettre son cœur en dehors, et nous livre ses projets cruels. La scène est d’ailleurs fort bien remplie par les autres personnages, dont le silence, l’attention, la crainte, les vœux sont finement exprimés dans l’action du corps et les traits du visage. Abner qui est à quelques pas derrière le fauteuil d’Athalie est d’une vérité remarquable. Sa figure telle qu’elle est là, fait tout le rôle qu’a ce guerrier dans la belle tragédie de Racine. Enfin, pour ne rien dérober au mérite de cette œuvre, il faudrait avoir une plume qui égalât le pinceau qui en est le créateur. Il faut cependant que je remarque que j’ai entendu quelques gens critiquer dans le Joas un air de ces petits enfants de cire : ce qui dit presque que cette figure, qui est la seule qui doit parler ici est moins vivante que colorée. Mais qu’est-ce que cela au prix de tant de perfections 57 ?
elles et soient conformes à ce que doivent dire et penser les personnages que vous voulez représenter », p. 490. 55 Huile sur toile, 129 x 163. Brest, musée municipal. Le catalogue de la vente après décès de l’artiste établi par P.J. Mariette mentionne au numéro 291 un dessin au pastel : « Deux têtes peintes d’après nature au pastel, l’une de femme qui dans un tableau de M. Coypel représente Athalie et l’autre un jeune homme ». Œuvre perdue. Le tableau connut un grand succès, une répétition fut peinte en 1747 pour le roi. Huile sur toile, 133 x 168. Niort, musée municipal. Clément Belle le copia pour la manufacture des Gobelins. Thierry Lefrançois, Charles Coypel. Op. cit., n° 206. 56 Livret du Salon, n°2 : « Voilà en peu de mots le sujet de la plus belle tragédie du célèbre Racine : on a taché de rendre en peinture le spectacle de la scène 7 du second acte de cette pièce, où Josabeth, pour obéir aux ordres d’Athalie, lui présente en tremblant Joas sous le nom d’Éliacin, et revêtu d’un simple habit de Levite ». 57 Lettre à M. Poisseron-Chamarade, lieutenant général au baillage et siège présidial de Chaumont-en-Bassigny au sujet des tableaux exposés au Salon du Louvre. Paris, le 5 septembre
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Ces louanges concernant le visage et l’attitude d’Athalie surprennent quelque peu, puisque les sentiments décrits ne sont pas tous exprimés [fig. 21]. L’analyse du costume et celle d’Abner sont en revanche très justes. Il y a dans le vêtement d’Athalie, une force, une violence d’un caractère quasi animal. Cependant, malgré ces effets et sa stature imposante, Athalie n’est pas suffisamment inquiétante ; les accessoires qui devraient concourir à sa grandeur perdent de leur puissance. Le dessin préparatoire donnait à sa face une expression plus forte aux traits plus durs 58. Dans le tableau, tout trahit la crainte (la main retenant le manteau, le mouvement de recul du corps), mais le visage ne livre pas la dualité des sentiments qui anime le personnage 59. Elle reconnaît en Éliacin l’enfant apparu dans le songe qui la hante et l’image du cauchemar se superpose à la réalité 60. Derrière elle, Abner adopte une attitude très théâtrale. Le groupe de droite incarne la simplicité et l’innocence, chacun étant suspendu aux réponses de l’enfant. Levant le visage vers le ciel, il ne craint pas de rencontrer le regard perçant de celle qui est en fait sa grandmère ; seule sa main droite indique la prise de parole. Comme nous l’avons mentionné, le peintre joue sur les deux registres de la peinture et du théâtre : « Athalie est en même temps une actrice en train de jouer et le personnage historique qu’elle joue 61 ». Les costumes d’Athalie et d’Abner, les lourdes colonnes, les rideaux semblent bien appartenir à l’univers de la scène. Il est regrettable que le peintre ait traduit trop faiblement les propos horrifiés d’Athalie : « C’est lui ! D’horreur encor tous mes sens sont saisis 62 ». 1741. BnF, collection Deloynes, vol. I, pièce 14. L’auteur de la lettre a accompagné sa missive d’un poème de cent dix-sept vers libres qui célébraient l’Athalie d’Antoine Coypel. 58 Étude de la figure d’Athalie, pierre noire et rehauts de blanc, 39 x 34,5. Non localisé. 59 Dans une conférence donnée en 1749, le peintre s’est prononcé sur la difficulté de représenter simultanément deux sentiments, en prenant pour exemple « Pyrrhus, dans l’instant qu’Andromaque à ses pieds lui demande la vie d’Astyanax, ou bien Achille, au moment où Priam le supplie de lui rendre le corps d’Hector ». Parallèle de l’éloquence et de la peinture, 1er février 1749. Éd. Œuvres. Op. cit.. 60 Elle en fait à Abner et à Mathan le récit : un jeune enfant s’apprête à la tuer. II, 5, v. 507-521. 61 Antoine Schnapper, « Musées de Lille et de Brest. À propos de deux nouvelles acquisitions : Le chef-d’œuvre d’un muet ou la tentative de Charles Coypel », Revue du Louvre, 1968, n° 4-5, pp. 253-264. Il souligne que la « confusion systématique entre la nature, le théâtre et la peinture, se manifeste dans plusieurs tableaux peints vers la même date », p. 259. 62 Athalie, II, 7, v. 621.
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1743, Louis-Fabricius Du Bourg Du Bourg (1693-1775), élève de Gérard de Lairesse et de Bernard Picart, signa les dessins des douze vignettes gravées par Peter Tanjé pour cette édition parue à Amsterdam en trois volumes in-12 63. Le petit format s’impose de nouveau, cependant la qualité des volumes est assez faible, comme le montre la lettre des vignettes qui comporte un certain nombre d’erreurs. D’un point de vue stylistique, les illustrations partagent quelques travers avec celles d’Harrewyn. Le dessinateur a cherché à donner davantage de force à ses personnages, mais ses tentatives ne conduisent pas au résultat escompté et l’ensemble est décevant 64. C’est une fois encore l’invention iconographique qui mérite d’être soulignée puisque la vignette d’Andromaque représente le suicide d’Hermione devant le corps de Pyrrhus (V, 5) [fig. 22]. La scène, figurée dans un décor extérieur à colonnade, est unique dans l’ensemble du corpus. Ce sujet, éminemment tragique, n’a pas été retenu par d’autres artistes. 1748, Charles-Antoine Coypel, L’Évanouissement d’Atalide Charles Coypel, alors premier peintre du roi et directeur de l’Académie royale, a retenu un instant de Bajazet (IV, 3) pour un tableau qui, comme Athalie, était destiné à être tissé. Dans un premier temps, le peintre avait choisi le moment qui précède l’évanouissement, celui de la lecture de la lettre que Roxane vient de remettre à Atalide 65. Roxane livre ensuite son intention « D’obéir » (v. 1201), accédant ainsi à la requête d’Amurat, ce qui provoque la pâmoison d’Atalide. La lecture de la lettre a donné lieu à deux esquisses datées des années 1747-1748 ; destinées à la célèbre tenture de Dresde, elles ont été abandonnées 66. L’évanouissement de la jeune femme, plus dramati63
Chez J.F. Bernard. A. J. Pons, op. cit. fait ce commentaire : « Le premier qui tente de s’émanciper, Fabrice Dubourg, est bien timide encore dans sa révolte. Élève de Bernard Picart à qui Sébastien Le Clerc avait appris les procédés et la crainte du maître, il n’ose s’affranchir tout à fait. La plupart de ses dessins ont quelque chose de fruste, d’indécis et d’inachevé. D’autres fois, voulant atteindre à l’effet, il force l’expression et ne parvient qu’à faire grimacer les figures », p. 18. 65 Cette lettre donne l’ordre de tuer Bajazet (v. 1184-1192). Dans la première composition, l’attitude de Roxane est très proche de celle d’Armide dans Le Sommeil de Renaud peint en 1738, Neuchâtel, musée d’art et d’histoire. 66 Sur l’historique des compositions, voir Jean-Gabriel Goulinat, « Charles Coypel et le Bajazet de Racine », Études d’art, 1952, n°7, pp. 81-93. Cette tenture, commandée par la 64
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que, a donc été retenu 67. Le peintre a cependant exécuté un décor très proche de celui de ses premières pensées dans lequel tentures et tapis tendent à suggérer un salon turc [fig. 27]. Le rideau s’ouvre sur un huis clos que la profusion et la richesse des étoffes rendent étouffant. Les cris sont réprimés ; et, devant la violence de la déclaration de Roxane, Atalide défaille. Tenant encore la lettre dans sa main, elle prend appui sur Zatime. Celle-ci attend un ordre de sa maîtresse qui vient aussitôt : « Allez, conduisez-la dans la chambre prochaine » (v. 1205). Roxane, restée à distance sur une marche, observe les conséquences de son acte et, dans un mouvement très théâtral, serre le poing droit et lève le bras gauche. La posture d’Atalide n’est cependant guère convaincante : elle reste très droite sur ses jambes ; l’affaissement qui doit caractériser son état n’a pas été peint convenablement. Le sujet tel qu’il a été traité par Coypel n’apparaît pas plus dramatique que celui de la lecture de la lettre qui présente des expressions plus justes. Le peintre n’a pas suivi le modèle que L’Évanouissement d’Esther peint par son père pouvait lui offrir ; il s’est ainsi éloigné d’une juste représentation des passions. Dans les années 1747, la peinture est à un tournant puisqu’elle doit se renouveler et renouer avec le grand genre. Mais le théâtre offre-t-il vraiment des modèles dignes d’être transposés ? Rien n’est moins certain. Le tableau exprime cependant une fois encore l’intérêt de Coypel pour le théâtre, et un goût affirmé pour l’Orient qui s’affiche au travers différentes manifestations. Ainsi, cette même année, au moment du Carnaval romain, les élèves peintres de l’Académie de France ont donné une mascarade orientale connue sous le nom de Caravane du Sultan à la Mecque 68. Ils ont paru dans de riches costumes orientaux qu’ils avaient dessinés d’après des gravures. Leur défilé est assez bien documenté puisque les dessins de Jean Barbault ou de Joseph-Marie Vien en conservent le souvenir. Dans ses Mémoires, Vien a décrit le travail minutieux des élèves pour confectionner les costumes, leur recherche de Surintendance, devait célébrer le mariage du Dauphin et de Marie-Josèphe de Saxe en 1747. Quatre sujets ont été exécutés, ce sont ceux de la tenture des Scènes d’opéra…, à l’exception d’Athalie : Psyché, Rodogune, Alceste et Bajazet. Huile sur toile, 44 x 67. Localisation inconnue. Huile sur toile, 130 x 165. Localisation inconnue. 67 Huile sur toile, 132 x 115. Lille, musée des Beaux-Arts. Une esquisse, vers 1747, huile sur toile, 44 x 67. Localisation inconnue. Le carton de tapisserie remis aux Gobelins en 1750 a été conservé, huile sur toile, 220 x 175. Dole, musée des Beaux-Arts. 68 Les thèmes retenus sont le reflet des goûts dominants au XVIIIe siècle. Ainsi la mascarade de 1735, placée sous la direction de Jean-Baptiste-Marie Pierre, était-elle chinoise.
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vérité. Ses propos restituent finement la perception et les connaissances des civilisations orientales, à une période où les ambassades turques ou persanes s’étaient déjà déplacées en France 69. Le tableau s’inscrit dans ce courant qui veut célébrer la peinture d’histoire et représenter un ailleurs que les modèles contribuent à faire connaître. Les questions relatives à l’inventio et à la vraisemblance se posent avec acuité. Vers 1750 (?), Jean-Baptiste-Marie Pierre, Phèdre mourante Il nous faut mentionner un tableau dont le sujet fut dans un premier temps identifié comme un évanouissement d’Esther, bien que la composition ne correspondît pas à l’iconographie en usage pour cet épisode. Puis c’est sous le titre Phèdre apprenant la nouvelle de la mort d’Hippolyte qu’il fut publié en 1995 ; la source littéraire n’est pas mentionnée, la référence à Racine semblant implicite. Cette toile attribuée à François Lemoyne puis à Noël Hallé est maintenant rendue à J.B.M. Pierre (1714-1789), notamment par comparaison avec un autre de ses tableaux, La Mort d’Harmonia, exposé au Salon de 1751 et exécuté un peu plus tôt 70. Que représente le tableau qui nous intéresse ? Une femme assise et entourée de deux femmes. Elle se tient la tête penchée, les yeux clos, le corps affaissé, le bras gauche pendant ; tout trahit l’abandon des forces, la vie qui se retire 71. L’homme à gauche pourrait être Théramène, tandis que la femme la plus proche serait Panope. Ainsi quelques indices permettent-ils de rapprocher cette composition de Phèdre. 69
« Cette marche, ajoutai-je, est susceptible des plus grands effets ; la gravité des personnages, le luxe des habits, la magnificence des présents, la richesse des tapis qui doivent couvrir le tombeau de Mahomet, l’odeur enivrante des parfums, le char éclatant d’or et d’azur sur lequel doivent être placées les sultanes, leur parure asiatique, les Eunuques dans leur costume et les chevaux au lieu des chameaux, tout cela réuni, en nous rapprochant de la vérité historique le plus qu’il nous sera possible, doit former le tableau le plus magnifique du divan, du sérail, et des chefs de la religion musulmane », Mémoires (ms, collection particulière), texte cité dans le catalogue d’exposition Beauvais, Angers, Valence, Dijon, 1974-1975, Jean Barbault, p. 26. 70 Olivier Aaron, « Pierre premier peintre du roi », L’estampille-L’objet d’art, 1995, n° 292, pp. 42-50. Phèdre apprenant la mort d’Hippolyte, vers 1750 ?, huile sur toile, 130 x 98. Paris, collection particulière. La Mort d’Harmonia, huile sur toile, 197 x 148. New York, Metropolitan Museum of Art. 71 La posture et la chaise font immédiatement penser à la Mort de Phèdre représentée par Girodet pour l’édition Didot de 1801
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La fille de Minos est peinte alors que, dit-elle : « J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines / Un poison que Médée apporta dans Athènes 72 ». Il a cheminé dans son corps et fait maintenant son œuvre. Ce tableau montre les difficultés qui peuvent accompagner l’identification d’un sujet et la nécessité d’examiner les différents éléments. La proximité avec la composition postérieure de Girodet et les personnages laissent penser que l’œuvre puisse être une représentation d’un épisode racinien, celui de la mort de Phèdre. 1750 et 1760, Jacques De Sève Les compositions de Jacques De Sève (actif de 1742 à 1789), bien servi par ses graveurs, sont une réelle nouveauté par leur vivacité et leur qualité 73. La première édition qu’il a illustrée a paru chez la veuve Gandouin en 1750, en trois volumes in-12 74. Ce ne sont pas des vignettes qui agrémentent le texte, mais des fleurons au titre et trois bandeaux, tous joués par des enfants. Les bandeaux représentent des épisodes de La Thébaïde, de Britannicus et d’Iphigénie. Cette édition apparaît comme une esquisse de la grande et belle publi-
Phèdre, V, scène dernière, v. 1634-1635. Nous travaillons actuellement à l’élaboration du catalogue du dessinateur qui était aussi peintre. Omniprésent pendant la seconde moitié du siècle, son œuvre reste largement méconnu. Il a participé à l’illustration de plus de cinquante ouvrages dont sa plus grande entreprise fut l’Histoire naturelle de Buffon. Il a illustré des ouvrages scientifiques, juridiques, littéraires et quelques pièces de théâtre (Hamilton, Hénault). Concernant le XVIIe siècle, on lui doit des figures pour Scarron, La Fontaine, Perrault ou La Bruyère. Nous renvoyons à nos articles à paraître : « Orner le livre au XVIIIe siècle. Jacques De Sève, un dessinateur méconnu ». L’esthétique du livre : approche croisée. Colloque Université Paris X. Paris, INHA, 25-26 janvier 2007 (Dir. Ségolène Le Men, Alain Milon et Marc Perelman). « Le décor dans l’histoire naturelle de Buffon ». L’Héritage de Buffon. Colloque de la Maison des Sciences de l’Homme. Dijon, Université de Bourgogne, 3-9 septembre 2007 (Dir. Marie-Odile Bernez). 74 Cette édition semble avoir connu plusieurs versions. A.J. Pons, Les éditions illustrées de Racine. Op. cit., signale la même année une parution chez David l’aîné avec un sujet d’Esther et non d’Iphigénie au vol. III. L’ensemble fut ensuite repris chez David le jeune en 1755. Un catalogue du libraire Georg mentionne une autre édition chez Robustel en 1760. Voir, Catalogue de très beaux livres du XVIIIe siècle et du début du XIXe. Paris, S.A. Georg, 1931. Au numéro 131 : « Le tome III renferme le dessin original de De Sève qui a servi pour la vignette [bandeau] d’Esther ». 72
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cation in-quarto de 1760 chez Le Breton 75. Les trois volumes qui la composent ont été célébrés par le baron Portalis : « Les grandes figures y sont traitées dans le goût, un peu théâtral, des de Troy et des Boucher, mais avec beaucoup d’aisance et tout à fait en peintre. La figure de Britannicus est très dramatique, et celle des Plaideurs heureusement composée. Les vignettes et les fleurons sont pleins d’invention et de mouvement 76 ». Quant à Pons, il s’est montré très enthousiaste, même s’il n’approuve pas toujours le recours à l’allégorie : Le vrai révolutionnaire et novateur avec succès fut Jacques de Sève. Avec lui nous sortons de la noblesse de convention pour entrer à pleines voiles dans le mouvement dramatique, la vie et le fracas. Il y a tel de ses dessins qui, par la vigueur et la richesse du coloris, semble l’ébauche anticipée d’une toile d’Eugène Delacroix […] ; la vie du moins circule dans le livre, la pensée du poète s’anime et prend corps à chaque page. Peut-être y a-t-il quelque excès dans la profusion des sujets mythologiques et des allégories. C’est un tort sans doute, en commentant Racine, d’abonder si fort en des fictions dont lui-même n’a usé que sobrement, mais c’est un tort que l’on pardonne volontiers à l’artiste en faveur de tant de vignettes charmantes qui flattent à la fois l’imagination et le regard 77.
Ses propos lyriques et emphatiques ne sont pas exagérés. Cette édition, qui rompt avec les précédentes, est pleine de verve. Les personnages sont toujours animés : ils vivent, et leur gestuelle exprime le dialogue, les échanges. On pourra certes objecter que les scènes avec enfants ne contribuent pas à l’expression dramatique. Elles en offrent cependant un tableau qui, parce qu’il ne manque pas de conviction dans le trait, séduit assurément. Pour ces volumes, J. De Sève a composé une vignette par pièce, à laquelle s’ajoutent un bandeau en tête de chacune et des culs-de-lampe à la clôture 75
Les volumes regroupent les pièces de théâtres et d’autres textes qui sont, quant à eux, ornés de fleurons. Les vignettes ont été réduites pour une édition publiée à la Compagnie des libraires en 1767, 3 vol. in-12. Aux douze planches ont été ajoutés trois bandeaux dont les sujets sont soit originaux, soit en partie repris de 1760. Enfin, l’ensemble parut de nouveau chez le même éditeur en 1779. 76 Roger Portalis, Les dessinateurs d’illustrations au XVIIIe siècle. Paris, Morgand et Fatout, 1877, tome 2, pp. 619-622. 77 A.J. Pons, ibid., p. 18.
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des actes [fig. 34, 35]. L’illustration abonde, mais elle est contenue : les bandeaux sont délimités par des encadrements dans le goût rocaille, tandis que les culs-de-lampe, de tailles et de formes diverses, sont parfaitement circonscrits 78. Une même action peut être illustrée dans la vignette, puis reprise différemment dans un bandeau ou un cul-de-lampe. Il en est ainsi de la mort de Britannicus qui est traitée de manière conventionnelle dans la planche et figurée allégoriquement, par la représentation des vices, dans le bandeau. Lorsque dans la vignette la figure de Porus est un peu teintée de ridicule, le bandeau qui le montre sous les traits d’un enfant enchaîné face à l’enfant Alexandre lui rendant sa couronne ne contribue pas à son panache. Les exemples sont nombreux et témoignent d’une inventivité qui ne manque pas d’esprit, rendant certains motifs particulièrement savoureux 79. Outre le renouvellement du traitement iconographique, Jacques De Sève a introduit le langage allégorique qui était jusqu’alors surtout réservé à quelques titres-frontispices. Les sujets retenus pour les planches introduisent des nouveautés bienvenues. Roxane montre à Bajazet la lettre adressée à Atalide (V, 4). Arbate ôte d’un mouvement vif la coupe de poison des mains de Monime (Mithridate V, 3) [fig. 38, 40]. Aman se jette, quant à lui, aux pieds d’Esther (III, 5) [fig. 44]. Les figures adultes peuplent les vignettes, tandis que les enfants dialoguent avec les allégories dans les bandeaux et les culs-de-lampe. La place dévolue aux motifs d’enfants s’accorde avec le goût artistique de cette période. Ces charmantes figures ont occupé les décors de boiseries, envahi le décor du livre et ont été les sujets de tableaux de chevalet. Il faut noter avec intérêt que l’iconographie est expliquée par le libraire, au début de chaque volume : « On a cru devoir donner, pour la satisfaction du public, une explication simple de toutes les planches contenues dans chaque volume. Les vignettes [bandeaux] représentent allégoriquement le caractère de la pièce où elles sont destinées, et les culs-de-lampe qui sont à la fin 78
La profusion d’illustrations dans le livre au XVIIIe siècle a été souvent soulignée dans les études sur l’histoire du livre. Le travail de J. De Sève peut être mis en relation avec les compositions de François Boucher pour l’illustration des Œuvres de Molière, mais aussi avec le frontispice des Œuvres de Crébillon. Molière, Œuvres. Paris, s.n., 1734. Prosper Jolyot de Crébillon, Œuvres. Paris, Imprimerie royale, 1750. 79 Voir notre article dans lequel nous analysons plus particulièrement l’iconographie de Phèdre : « Jacques De Sève illustrateur du théâtre de Jean Racine », Dix-huitième siècle, 2005, n°37, pp. 513-526.
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de tous les actes sont analogues à l’acte où ils sont placés 80 ». Ces commentaires appellent quelques remarques. En effet, l’éditeur annonce vouloir plaire au public, mais qu’est-ce que cela signifie ? Les pièces de Racine étaientelles en partie oubliées, rendant nécessaire d’aider le lecteur ? Nous ne le pensons pas puisque la vitalité des éditions raciniennes indique le contraire. Peut-être faut-il davantage percevoir une intention commerciale, liée à un regard particulier porté sur le livre. En rendant intelligible l’iconographie, l’éditeur permet de feuilleter les volumes et de ne regarder que les estampes. Il dissocie la lecture du texte et l’observation de ses illustrations. Si cette démarche rappelle combien le livre à figures séduisait au XVIIIe siècle, elle signifie également que les images ont un sens et sont en parfait accord avec les sujets des pièces ou les caractères des personnages. Ces développements posent aussi la question du choix de l’iconographie : qui de l’éditeur ou du dessinateur y présidait ? Les dessins conservés laissent penser qu’il pouvait s’agir du dessinateur tant il a fait preuve d’inventivité ; il nous plaît de le supposer 81. Ses dessins, très soignés, au format des estampes, montrent un trait sûr et affirmé. Le recueil constitue un témoignage remarquable du travail de J. De Sève, l’ultime composition avant sa transposition en gravure. Les feuilles qui ont été coupées en vue du collage laissent visibles quelques esquisses de têtes particulièrement attachantes. Quoi qu’il en soit, il fallait pour cet ensemble un artiste lettré, fin connaisseur des œuvres de Racine et des dic80
Vol. I, p. XV. Un recueil conservé à la Bibliothèque nationale de France, regroupe les dessins de onze vignettes (Iphigénie manque) et des soixante-seize bandeaux, fleurons ou culs-de-lampe. Ce recueil a fait l’objet d’une notice dans le catalogue de la bibliothèque d’Antoine-Augustin Renouard paru en 1819 et dans celui de la vente après décès de 1854. Le baron James de Rothschild l’acheta à cette occasion. Renouard possédait également l’une des deux éditions tirées sur papier de Hollande qui fut acquise par James de Rothschild à la vente Silvestre de Sacy de 1879. Le legs Rothschild fit entrer le recueil et l’édition dans les collections de la BnF. Roger Portalis, op. cit., note : « 11 grands dessins (manque le dessin pour Iphigénie) et 76 fleurons, vignettes et culs-de-lampe. Vente Renouard, 196 fr. Chez M. le baron James de Rothschild », vol. II, p. 621. A.J. Pons, Les éditions illustrées de Racine. Op. cit.. Il indique un autre prix, nous ne savons lequel des deux est correct. : « Les dessins originaux qui figuraient dans le catalogue de Renouard (1819) ont été vendus 296 francs en 1854 », p. 28. Voir notre article à paraître : « Les dessins de Jacques De Sève pour l’édition des Œuvres de Jean Racine parue en 1760 ». 81
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tionnaires allégoriques 82. Les très nombreuses collaborations de Jacques De Sève pour le livre illustré montrent presque toujours ces mêmes qualités. S’il a fréquemment représenté des enfants, il n’en a cependant pas fait un principe. 1768, Hubert-François Gravelot L’édition qui paraît chez Louis Cellot marque un retour au petit format sous la forme de sept volumes in-octavo illustrés de vignettes d’après HubertFrançois Gravelot (1699-1773) 83. Le dessinateur, qui était aussi graveur, fut apprécié en France et en Angleterre ; il a sans doute été élève de Jean Restout et de François Boucher. Il collabora avec ce dernier à une édition du Décameron et connut un grand succès en illustrant Corneille en 1764 84. Les similitudes entre les planches de l’édition cornélienne et celles des pièces de Racine sont nombreuses ; elles s’expriment notamment dans certaines architectures qui proposent des bâtiments ou des motifs de convention. Ainsi le décor de Tite et Bérénice est-il en grande partie repris pour Athalie. Les planches de Racine sont cependant plus ornées, et les éléments décoratifs s’y déploient davantage. Quant aux héros, ceux de Corneille offrent des groupes plus nerveux, des mouvements plus vifs qui manquent quelque peu aux passions raciniennes. Les vignettes de Gravelot, qui disposent parfois les personnages dans des décors contemporains, constituent une forme d’apogée du goût rocaille : Phèdre ou Bérénice, vaguement vêtues à l’antique, se tiennent ainsi dans des salons à la mode 85. Le dessinateur a cependant recomposé, dans d’autres 82 De Sève a donné un frontispice pour l’un d’entre eux, celui d’Honoré Lacombe de Prézel, Dictionnaire iconologique. Paris, Théodore de Hansy, 1752. 83 L’édition parut chez Louis Cellot, avec des commentaires de Luneau de Boisgermain. Deux portraits, Racine et Corneille, douze vignettes. 84 Pierre Corneille, Théâtre. S.l., s.n., 1764. Les dessins conservés montrent, comme pour l’édition de Racine, les étapes de création. Philip Hofer, « Preliminary Sketches for Gravelot’s Corneille », Harvard Library Bulletin, 1951, vol. 5, n°2, pp. 196-208. 85 Georges Duplessis, Histoire de la gravure en France. Paris, Rapilly, 1861. Il a résumé ainsi le style du dessinateur : « Hubert Gravelot présente les scènes qu’il dessine dans des salons de son temps ; il étudie soigneusement l’architecture de ses contemporains, et c’est devant des lambris dorés, devant une table rocaille, que l’action se passe. Aussi savant ornemaniste que spirituel dessinateur, Gravelot dépeint les mœurs de son époque en même temps qu’il interprète l’œuvre d’autrui. Tout le XVIIIe siècle apparaît dans les vignettes qu’il invente, avec sa coquetterie, avec sa frivolité, avec son entrain », p. 352.
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vignettes, des décors antiquisants et majestueux [fig. 48]. Gravelot est un artiste plutôt bien connu, et les commentaires ont été nombreux ; le plus développé – largement repris – est l’éloge de son frère, Monsieur d’Anville, géographe du roi 86. La nécrologie qu’il a rédigée s’intéresse beaucoup à la carrière du dessinateur et décrit ses habitudes de travail ; il explique ainsi comment il composait de petites scènes avec des figures d’argile ou des mannequins, suivant en cela un procédé éprouvé par ses prédécesseurs. On connaît par ailleurs bien les étapes de création des vignettes puisque de nombreux dessins ont été conservés. Le baron Portalis notait avoir feuilleté « avec intérêt les dix-huit cents croquis d’une bonne partie de ses œuvres, [se] rendre absolument compte de sa manière de procéder 87 ». Le Rosenbach Museum de Philadelphie possède ainsi les premières pensées : les personnages, nus ou vêtus, sont tout d’abord figurés, puis le décor se met en place au fil des esquisses 88. Gravelot exécutait en moyenne trois dessins avant le dessin définitif destiné au graveur. Ces dernières compositions sont toutes conservées à Paris au musée du Petit Palais 89. Le travail minutieux de l’artiste peut ainsi être Les trente-quatre planches des Œuvres de Corneille utilisent fréquemment le même procédé, transportant les personnages dans l’univers familier de l’artiste. 86 Publié dans Le nécrologe des hommes célèbres de France par une société de gens de lettres. Paris, s.n., 1774, pp. 131-145. 87 Roger Portalis, Les dessinateurs d’illustrations au XVIIIe siècle. Op. cit., tome I : « Gravelot remaniait souvent jusqu’à trois ou quatre fois sa composition, et ne la dessinait définitivement à la plume, avec des touches délicates de bistre, que lorsqu’il en avait trouvé le mouvement juste et quand l’agencement lui plaisait ; jusque-là il cherchait ses figures à la sanguine et au crayon souvent retouché de plume, dans ces premières esquisses où il est si curieux de suivre les efforts de sa pensée », pp. 274-275. 88 Les dessins proviennent du portefeuille de l’artiste, préservé après sa mort, et entré dans les collections en 1923 ; ce sont au total cent quatorze dessins pour des illustrations. Le musée conserve pour l’édition de Racine, trente-deux dessins, parmi lesquels celui de l’encadrement destiné à recevoir le portrait de l’auteur et ceux des fers de la reliure. Les techniques sont assez proches, crayon, encre et craie blanche et les dimensions voisines du format définitif. La Thébaïde, Alexandre le Grand, Les Plaideurs et Bajazet, un dessin. Mithridate, deux études. Britannicus, Bérénice, Iphigénie, Phèdre et Esther, trois dessins. Athalie, quatre études. Voir exposition Philadelphie, Houston, 1985, Eighteenth-Century french book illustration. Drawings by Fragonard and Gravelot from the Rosenbach Museum and Library. Ils sont tous visibles sur le site du musée : http://www.rosenbach.org/collections/catalog_Phil.html D’autres dessins de l’artiste sont également conservés à la Pierpont Morgan Library. 89 Les dessins sont collés sur une page interfoliée à la place de l’estampe, ils font partie du legs des frères Dutuit en 1902. Douze dessins, plume, encre de Chine et lavis brun, 15,7 x 9.
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reconstitué : il atteste du soin apporté à ces illustrations, laissant voir le raidissement des figures au fur et à mesure que la pensée s’est développée. Ce raidissement est très visible pour les vignettes d’Iphigénie, de Phèdre et d’Esther dont il tend à affaiblir l’expressivité [fig. 53-55]. Gravelot lisait sans doute attentivement les textes qu’il devait illustrer si l’on en croit les Goncourt qui ont rapporté son goût très prononcé pour la lecture : Il lit seul, il lit devant ceux qui viennent le voir, et quand il est forcé de causer, sa conversation retourne à ce qu’il vient de lire […] et toujours [revient] à un volume quelconque de sa bibliothèque pour en relever les fautes d’impression, ou bien en ressentir l’émotion, comme l’artiste ressentait l’émotion du livre et du théâtre, à en suffoquer, à en pleurer, à en étouffer de sanglots 90.
Cependant, les vignettes qu’il a proposées pour Racine manquent de conviction. Les figures s’apparentent fréquemment à des statues, et l’expression des passions est souvent trop faible. L’illustration de Phèdre, par exemple, avec son mobilier de boudoir et la mise XVIIIe de la fille de Minos, conviendrait davantage à un sujet plus contemporain. On s’étonnera aussi des chaises à médaillon sous les tentes d’Alexandre et d’Iphigénie. La vie, le dynamisme des planches de Jacques De Sève ne se retrouvent pas ici. Pour autant, la fluidité, la souplesse de ces vignettes constituent un attrait et un intérêt que viennent renforcer les choix iconographiques. Gravelot s’est en effet démarqué des éditions précédentes pour cinq pièces, La Thébaïde, Britannicus, Iphigénie, Phèdre et Athalie, et n’a illustré aucun récit. La scène du combat des frères ennemis est abandonnée au profit de la prière de Jocaste (IV, 3). Agrippine accusant Néron se substitue à la scène d’empoisonnement de Britannicus (V, 6). La colère d’Achille trouve place dans un décor extérieur (V, 2). Phèdre s’empare de l’arme d’Hippolyte (II, 5). Enfin, après Charles Coypel, il fut le premier à figurer l’interrogatoire d’Éliacin (II, 7) [fig. 56]. Les ventes successives sont bien connues. Exposition Paris, 1992-1993, Fragonard et le dessin français. Op. cit., voir n° 86 à 99, les dessins sont tous reproduits. Voir aussi A.J. Pons, Les éditions illustrées de Racine. Op. cit. : « L’exemplaire qui contient les dessins originaux a atteint 502 francs à la vente d’Ourches, 497 francs à celle de Labédoyère, 572 francs à celle de Soleinne et vaut, aujourd’hui, trois ou quatre fois plus », p. 30. 90 Jules et Edmond de Goncourt, L’art du XVIIIe siècle, 1868. Éd. Paris, Flammarion, 1928, vol. II, p. 258.
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1793, Étienne-Barthélémy Garnier, Hippolyte saisi d’horreur après l’aveu de Phèdre Le livret du Salon de 1793 mentionne sous le numéro 104 le tableau d’Étienne-Barthélémy Garnier (1759-1849) et définit ainsi son sujet : « Hippolyte saisi d’horreur après l’aveu que Phèdre, sa belle-mère, vient de lui faire de la passion qu’elle ressentait pour lui depuis longtemps, s’enfuit, laissant son épée au pouvoir de cette princesse, qui la lui avait arrachée pour se punir elle-même. Œnone, sa nourrice, s’empresse de la retenir » [fig. 57]. Ce beau tableau qui réunit tous les éléments de cet épisode fait entrer l’iconographie racinienne dans l’ère néoclassique 91. Il illustre ce vers du second acte, scène cinq : « Au défaut de ton bras prête-moi ton épée » (v. 710). Garnier a choisi l’instant où Phèdre s’est déjà emparée de l’arme d’Hippolyte qu’elle dirige contre elle avec détermination. Son visage, sa main droite crispée sur le pommeau, la poitrine qu’elle vient de découvrir, expriment avec force la violence de l’acte qu’elle s’apprête à commettre. Œnone se précipite pour arrêter son geste, et le fils de l’Amazone s’éloigne précipitamment, portant ses yeux sur le buste de Thésée dont la présence aveugle et muette est très symbolique 92. Les personnages sont disposés en frise dans une composition qui, par ses mouvements contraires, marque la distance entre les deux protagonistes. L’ensemble dépourvu de froideur, représente avec véracité et sans exagération les émotions, dans une disposition efficace qui montre l’intelligence du sujet 93. 1793, Pierre-Paul Prud’hon, Andromaque et Pyrrhus Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823) a dessiné deux actions d’Andromaque : l’une illustre la confrontation entre Andromaque et Pyrrhus (I, 4), et l’autre la scène d’effusions entre la veuve d’Hector et Astyanax (II, 5). Ces dessins ont été des projets pour l’édition de 1801. En effet, Prud’hon avait été choisi par Pierre Didot pour illustrer Andromaque et peut-être La Thé91 Huile sur toile, 107 x 147. Montauban, musée Ingres. Le livret du Salon de 1789 mentionne au numéro 117 un tableau perdu de Jean-Charles Nicaise Perrin représentant un autre instant de la tragédie, Thésée prend en horreur le crime de son épouse, et déplore la perte de son fils Hippolyte. 92 L’inscription en grec sur le socle indique : « Thésée issu de Trézène ». 93 L’artiste a illustré une édition de Racine, Œuvres. Paris, Le Normant, 1808. 7 vol. in-8.
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baïde 94. L’éditeur mentionne les dessins de l’artiste dans le prospectus de l’édition des Œuvres de Virgile en 1797 95. Cependant, il a été finalement évincé au profit de Girodet ; seul son dessin pour le frontispice de l’édition a été gravé 96. La représentation de Pyrrhus suppliant Andromaque est connue par deux dessins : le dessin préparatoire au crayon (Paris, collection particulière) et le dessin définitif laissé inachevé à la plume (Cambridge) 97. C’est ce dessin, gravé en 1796 par Pélicier, qui aurait été exposé au Salon de 1793, sous le numéro 576 : « Dessin à la plume, sujet tiré du premier acte d’Andromaque. Par prudon [sic] 98 ». Les deux dessins sont, du point de vue de la disposition des personnages, tout à fait semblables ; seule la mise en place du décor architectural les différencie. Dans la pièce, lors de cette supplique, Pyrrhus est accompagné de Phœnix, que le dessinateur a négligé. Prud’hon a disposé les personnages en deux groupes, si proches qu’ils s’apparentent à un groupe sculpté. Pyrrhus est à gauche, les femmes à droite ; les corps féminins sont solidaires, leurs bras semblent se confondre. Droites telles des statues, Andromaque et Céphise opposent leur résistance face à un Pyrrhus massif qui se veut convaincant sans qu’aucun regard soit échangé. Le trouble d’Andromaque qui peut perdre ou sauver son fils est visible ; la contradiction du personnage s’exprime, tout comme la relative maladresse du roi d’Épire. Cependant, Edmond de Goncourt, Catalogue raisonné de l’œuvre peint, dessiné et gravé de P.P. Prud’hon. Paris, Rapilly, 1876. Il mentionne sous le numéro 144, une estampe rare (Prud’hon del.) pour La Thébaïde. Cette planche a été ensuite publiée sous la signature de Moitte. 95 Cité par Carol Margot Osborne, Pierre Didot the Elder and French book illustration 1789-1822. New York, Garland, 1985 : « Les dessins sont déjà presque tous terminés ; et parmi les tragédies de Racine, celles qui sont réputées ses chefs-d’œuvre ont été traitées avec tout le succès qu’on en devoit attendre par Gérard, Prud’hon et Chaudet », p. 121. 96 Voir Jean Guiffrey, L’œuvre de Pierre-Paul Prud’hon. Paris, Archives de l’art français, 1924. Exposition Paris, New York, 1997-1998, Pierre-Paul Prud’hon ou le rêve du bonheur. 97 Pierres noire et blanche sur papier verdâtre, 25,5 x 19,5. Vente publique Paris, 18 octobre 1995. Inscription autographe des vers de Racine à la plume : « C’est un exil que mes pleurs vous demandent. / Souffrez que, loin des Grecs, et même loin de vous, / J’aille cacher mon fils, et pleurer mon époux ». Vers 338-340. Il faisait partie de la collection d’Eudoxe Marcille. Plume, crayon et encre noire, 22,7 x 18. Cambridge, Fogg Art Museum. Voir la reproduction sur le site suivant : http://www.artmuseums.harvard.edu/collections/basicSearch.smvc 98 Les spécialistes de l’artiste ne s’accordent pas sur ce fait : il paraît à certains inconcevable que Prud’hon ait présenté une composition inachevée. 94
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le dessin recèle une force expressive remarquable que Jean Seznec a commentée avec sensibilité : Par l’attitude même qu’il prête aux personnages, Prud’hon montre qu’il a pénétré les finesses du texte. Pyrrhus est tendre – trop tendre et trop pressant. Andromaque le repousse ; mais elle prend soin d’adoucir son refus d’une flatterie délicate. C’est une veuve ; mais c’est une femme aussi, consciente de son pouvoir et de ses attraits. Elle pleure ; mais elle sait l’étrange séduction qu’exercent sur Pyrrhus ses yeux voilés de larmes 99.
1796, Jean-Jacques-François Le Barbier La dernière édition qui paraît au XVIIIe siècle a été illustrée par JeanJacques-François Le Barbier (1738-1826) et publiée chez Déterville en 1796 100. Le dessinateur, qui se forma auprès de Jean-Baptiste-Marie Pierre, était l’un des illustrateurs les plus appréciés de cette fin de siècle 101. Les dessins originaux de cette édition, qui ne sont aujourd’hui plus connus, ont été mentionnés par Pons et Cohen 102. Les vignettes introduisent une rupture franche avec tout ce qui a précédé puisqu’un nouveau style se déploie. C’est le néoclassicisme qui règle l’ordonnancement des planches, dont les décors et les costumes affichent une volonté de reconstitution archéologique. Il n’y a cependant pas trop de rigueur, ni de froideur, non seulement parce que les 99 Jean Seznec, « Racine et Prud’hon », Gazette des Beaux-Arts, 1944, p. 355. Girodet qui a lui aussi choisi de représenter une supplique, celle d’Andromaque à Pyrrhus (III, 7), a regroupé les femmes agenouillées [fig. 73]. 100 En quatre volumes in-8. Les dessins ont été gravés principalement par Dambrun, Gaucher ou Langlois. 101 Il illustra la Jérusalem délivrée, Ovide ou Rousseau. 102 A.J. Pons, Les éditions illustrées de Racine. Op. cit., signale la vente des dessins qui ne sont aujourd’hui plus localisés : « L’ex. unique sur vélin dans lequel on a mis les dessins originaux a été acheté 1 600 fr. à la vente Duriez et 16 liv. 16 sh. À la vente Hanrott. M. Aug. Fontaine, qui en était dernièrement possesseur, vient de le donner pour 5 000 fr. à M. le baron Roger Portalis qui l’a revendu à MM. Morgand et Fatout », p. 32. Henri Cohen, Guide de l’amateur de livres à gravures du XVIIIe siècle. Paris, A. Rouquette, 1912, 6ème édition : « L’exemplaire sur peau de vélin, contenant les dessins originaux de Le Barbier s’est vendu 1 600 fr. à la vente Duriez (1827, n-2, 583 bis), 400 fr. vente Hanrott (Londres, 1834, III, n. 1733) et 3 550 fr., vente Morris, de New York (1876, n-84). Après avoir appartenu au baron Portalis, il se trouve actuellement à Reims dans la collection OlryRoederer », p. 849. Cet exemplaire n’est aujourd’hui plus dans la famille Roederer, ni à la bibliothèque Carnegie de Reims.
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personnages ne sont pas figés dans leurs attitudes, mais aussi parce que les arrière-plans sont plutôt bien composés. Les scènes ouvrent souvent sur des extérieurs qui forment de petits paysages agréables à l’œil. Le Barbier a lui aussi renouvelé l’iconographie de trois pièces. La mort de Pyrrhus est le sujet d’Andromaque (V, 3) [fig. 60] 103. C’est une scène qui montre la violence des Grecs face à un roi qui ne peut se relever, tandis qu’Andromaque et Astyanax s’écartent. Phèdre est illustrée par l’arrivée d’Aricie près d’Hippolyte [fig. 64]. Enfin, dans le jardin, Esther se jette aux pieds d’Assuérus (III, 4) [fig. 65]. Cette édition, qui s’inscrit en continuité du tableau de Garnier, annonce les choix de Pierre Didot et peu après, les peintures de Guérin. 1798, Pierre-Paul Prud’hon, Andromaque et Astyanax Le peintre a retenu le récit que Pyrrhus fait à Phœnix des embrassements d’Andromaque et Astyanax (II, 5). Deux ébauches avant le dessin définitif (musée du Louvre) sont conservées 104. Le format vertical de ces dessins préparatoires permet de reconnaître des feuilles pour l’édition Didot 105. Après son exclusion, Prud’hon aurait repris le sujet dans un format en largeur en vue d’exécuter une toile ; ce dessin fut exposé au Salon de 1798. Le tableau, qui porte la signature de Prud’hon, fut achevé par Charles Boulanger de Boisfremont 106. Promis pour le Salon de 1814, présent dans le livret de celui En 1785, Jean-Baptiste Desmarais ou Desmarets a dessiné La Mort de Pyrrhus, pierre noire et rehauts de blanc, 45,5 x 66,5. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. On ne sait quelle était la destination de cette composition, mais on ne peut écarter quelques similitudes avec la vignette de Le Barbier. 104 Crayons noir et blanc sur papier bleu, 22 x 20. Cluny, musée d’Art et d’Archéologie. Crayons noir et blanc sur papier bleu, 25,6 x 20. Vienne, Graphische Sammlung Albertina. Crayons noir et blanc, estompe sur papier bleu, 37,5 x 45,5. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Trois dessins de détails de la composition ont été identifiés, voir exposition Paris, New York, 1997-1998, op.cit., pp. 338-340. Deux représentent Andromaque et Astyanax : musée des Beaux-Arts de Lyon et musée du Louvre, département des arts graphiques ; le troisième est une étude de draperie pour la nourrice conservée au musée Baron Martin de Gray. 105 Le dessin du Metropolitan Museum confirme cette intention par la disposition d’ensemble. Il s’agit véritablement d’une composition destinée à être transposée en gravure. Crayon de couleur, encre grise, lavis brun, pierre noire, 29,8 x 21,9. New York, Metropolitan Museum. 106 Huile sur toile, 132 x 170. New York, Metropolitan Museum. La part d’intervention de Boisfremont est mal connue. On a coutume de reconnaître dans ce tableau une allusion à 103
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de 1817, il ne fut présenté qu’en 1824. Prud’hon a choisi d’illustrer la narration d’un instant d’intimité, donnant corps à l’enfant qui ne paraît jamais sur la scène théâtrale 107. Par une mise en abyme, il offre au spectateur ce que les yeux de Pyrrhus ont vu, représentant le roi d’Épire et son gouverneur en train d’observer la scène. Il s’agit d’un rare exemple de composition intimiste : Andromaque aime son fils, mais surtout, le regardant avec acuité, elle reconnaît dans ses traits ceux d’Hector 108. Autour d’eux, les spectateurs sont animés de sentiments contrastés : la nourrice ou Céphise sont attendries, tandis que l’indignation gagne Pyrrhus qui peine à s’arracher à la scène. Le dessin très estompé du musée de Cluny vaut surtout pour la disposition des figures : Andromaque debout se penche vers Astyanax, les trois femmes forment un groupe circulaire très souple autour de l’enfant. Le dessin de Vienne montre Andromaque assise, dans une attitude très proche de celle de la feuille définitive. Les lignes de son corps sont reprises dans celles de la nourrice. Derrière la chaise, les deux hommes statiques et réunis par le manteau drapé, posent leurs regards froids. Quant au dessin définitif [fig. 66], il reprend plusieurs composantes des feuilles que nous avons commentées. Au premier plan sont les femmes, disposées en frise selon une ligne oblique que matérialise le rai de lumière. L’enfant s’est échappé des bras de sa nourrice dans un bel élan qui confère à ce groupe douceur et dynamisme. Derrière se tiennent les deux hommes, beaucoup plus en mouvement que dans les esquisses. Tandis que Phœnix l’invite à quitter les lieux, Pyrrhus montre le groupe de ses mains ouvertes. Ce geste signifie également la prise de parole lorsqu’il relate au gouverneur l’insoutenable scène. Le tableau enfin, est très proche de ce projet, mais une modification mérite d’être soulignée. Pyrrhus, dans un mouvement qui perd en force expressive, ne désigne la scène que du bras droit, retenant Phœnix de sa main gauche pour le prendre à témoin. L’ensemble est le reflet d’une lecture attentive de Racine qui permît au peintre de représenMarie-Louise et à son fils le roi de Rome, sans intention de la part de Prud’hon. Laurence B. Kanter, « Andromache and Astyanax by Pierre-Paul Prud’hon and Charles Boulanger de Boisfremont », Metropolitan Museum Journal, 1986, n° 19-20, pp. 143-150. Il mentionne également une gravure d’après le dessin du Louvre et une esquisse peinte attribuée à Prud’hon et conservée dans une collection particulière. 107 F. Chauveau et J. De Sève avaient déjà figuré Astyanax en lui conférant une valeur symbolique. 108 Andromaque, II, 5 : « C’est Hector, disait-elle, en l’embrassant toujours ; / Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace ; / C’est lui-même ; c’est toi, cher époux, que j’embrasse », v. 652-654.
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ter finement les différents personnages. Ces compositions ont trouvé leur prolongement dans un bas-relief du buste d’Andromaque sculpté par François Milhomme au tournant de 1800 109. En effet, alors que le corps d’Hector est exposé sur le devant, Andromaque et Astyanax d’après Prud’hon figurent sur le petit côté gauche. Le XIXe siècle et ses tableaux L’école de David et Pierre Didot, une édition magistrale L’édition de Pierre Didot a paru en 1801, elle se compose de trois volumes in-folio dédicacés à Napoléon, alors premier consul. L’imprimeur a célébré dans son avis au lecteur le travail des artistes, rendant hommage à la disponibilité dont ils ont fait preuve pour honorer la commande. Cette publication est l’une des plus connues et sans doute la plus documentée 110. Les volumes font partie d’une série de grands folios publiés entre 1798 (Virgile) et 1801, connus sous le nom d’éditions du Louvre puisque Pierre Didot les a imprimés dans les locaux de l’ancienne Imprimerie royale créée en 1640 111. Les ouvrages ont été tirés de manière particulièrement soignée et 109
1800, plâtre peint, 51 x 25 x 26. Paris, musée du Louvre, département des sculptures. Roger Portalis, Henri Beraldi, Les graveurs du dix-huitième siècle. Paris, Morgand et Fatout, 1880-1882. Ils mentionnent un document autographe dans la notice du graveur Jean Massard, les planches d’Andromaque ont été cependant gravées par son fils, Raphaël-Urbain. « Je reconnais avoir reçu de Cn Didot l’aîné en trois différentes fois la somme de six mille cinq cents livres pour la gravure : 1° de deux planches d’après les dessins de Girodet, d’Andromaque ; 2° d’une planche d’après le dessin de Chaudet, de Britannicus ; 3° l’achèvement d’une planche commencée par Glairon-Mondet d’après un dessin de Chaudet, de Britannicus ; 4° enfin les retouches à quatre planches d’Alexandre, trois planches de la Thébaïde, deux de Britannicus et une des Plaideurs […]. Paris, ce 12 messidor an 8. Approuvé l’écriture cidessus. Massard », vol. III, pp. 51-52. Paiement du 1er juillet 1800. 111 Nous ne pouvons rappeler ici l’histoire des Didot et de cette édition, et renvoyons donc à quelques publications fondamentales. Carol Margot Osborne, Pierre Didot the Elder. Op.cit .. Elle rappelle que la publication des Œuvres de Racine a été une réaction à celle des Œuvres de Shakespeare par John Boydell. Exposition Paris, Lyon, 1998, Les Didot, trois siècles de typographie et de bibliophilie 16981998. Exposition Paris, Chicago, New York, 2005-2007, Girodet. Le catalogue consacre un chapitre à l’édition de Racine. 110
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en petit nombre, dans un format dont les Œuvres de Racine n’avaient jusqu’alors jamais bénéficié 112. D’un point de vue stylistique, l’édition prolonge les caractéristiques de celle de 1796, mais elle marque une forte rupture iconographique. En effet, le principe d’une seule vignette par pièce est abandonné au profit d’une planche par acte ; ce sont donc cinquante-six illustrations [fig. 67-94] qui ont été exécutées, auxquelles s’ajoute le frontispice. La présence de l’iconographie au fil des actes, modifie grandement le choix des sujets puisque la narration se déploie en suivant le rythme de l’action. Il était sans doute plus aisé d’illustrer une pièce grâce à plusieurs planches qui, selon la volonté de l’imprimeur, ne sont pas des vignettes, mais s’apparentent à des tableaux. Pour cela, Didot a fait appel à plusieurs artistes de l’école de Jacques-Louis David, ce qui est tout à fait unique. Chacun a travaillé de manière autonome ; et, malgré les qualités de cette édition, l’ensemble manque parfois d’homogénéité. Cette faiblesse, toute relative, est aussi une force puisqu’elle évite l’éventuelle monotonie due à une seule main. C’est donc toute une équipe de dessinateurs et de graveurs qui œuvra pour Pierre Didot. Comme nous l’avons déjà évoqué, Prud’hon fit partie des premiers artistes convoqués ; mais, après qu’il eut été évincé, seul le dessin du frontispice fut gravé par Henry Marais ; il célèbre Racine en représentant son apothéose 113. Nicolas-Antoine Taunay (1755-1830) fut chargé d’illustrer Les Plaideurs, Jean-François-Pierre Peyron (1744-1814) proposa les cinq dessins pour Mithridate 114. Quant à François Gérard (17701837), il se vit confier l’illustration de trois pièces : Alexandre le Grand, Baja112 Henri Bouchot, Le livre, l’illustration, la reliure. Paris, A. Quantin, 1886 : « Pierre Didot mit une grande coquetterie à ne tirer son œuvre qu’à 250 exemplaires irréprochables et merveilleux, dont 100 épreuves de vignettes avant la lettre. L’ouvrage, publié par souscription, se vendait 1 200 francs en édition ordinaire et 1 800 francs en luxe », p. 224. 113 La planche fut exposée au Salon de 1796 : « 836. L’Apothéose de Racine, frontispice pour l’édition que prépare le citoyen Didot ». Henri Bouchot, Les livres à vignettes du XVe au XVIIIe siècle. L’histoire et l’art dans le livre. Paris, Rouveyre, 1891, donne une explication très lapidaire de l’éviction de Prud’hon : « Dans son inconscience, David s’imaginait faire œuvre pie ; il avait été chargé par les Didot d’une sorte de direction morale sur leurs livres illustrés ; il en abusait à la façon des convaincus. Au fond il n’aimait guère Prud’hon, chez qui se retrouvaient atténuées et modestes les extravagances du XVIIIe siècle. Prud’hon avait beau casquer ses héros, il passait toujours un bout de perruque poudrée dont il ne parvenait pas à se défaire », t. 2, p. 11. 114 Il a par ailleurs illustré l’édition des Œuvres de Crébillon père parue chez Didot Jeune en 1799.
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zet et Iphigénie 115. Le sculpteur Antoine-Denis Chaudet dessina les planches de Britannicus, d’Esther et d’Athalie. Bérénice fut illustrée par Gioacchin Giuseppe Serangeli (1758-1852). Enfin, Andromaque et Phèdre furent confiées à Anne-Louis Girodet Roucy-Trioson (1767-1824) 116. Le catalogue de la vente après décès du peintre laisse apparaître un grand nombre d’œuvres en rapport avec l’édition Didot. Les titres sont cependant trop peu précis pour permettre d’identifier les dessins conservés ; il s’agissait d’études de figures 117. Ce catalogue mentionne également au numéro trente-huit un petit tableau qui représente le sujet de la planche du premier acte de Phèdre. Nous ne sommes pas davantage renseignée sur cette œuvre conservée à Lyon. S’agit-il d’une toile du maître ou d’un tableau d’atelier d’après son dessin 118? Le nombre de dessins conservés, non négligeable, peut paraître faible en regard de la profusion de planches. Quelques-uns réapparaissent encore sur le marché de l’art avec une certaine régularité 119. Des feuilles, dessinées Henri Gérard, Correspondance de François Gérard peintre d’histoire. Paris, A. Lainé et J. Havard, 1867 : « Il fit preuve de courage et d’esprit en acceptant des frères Didot la mission de composer et d’exécuter les vignettes qui devaient orner les éditions de Virgile et de Racine », p. 10. Gérard a proposé pour le premier acte d’Alexandre un sujet inhabituel puisque la planche magnifie la puissance du conquérant en lui conférant un caractère allégorique. 116 Pierre-Alexandre Coupin, Œuvres posthumes de Girodet-Trioson, peintre d’histoire… Paris, J. Renouard, 1829. Il a reproché au peintre un statisme lié à sa volonté d’imiter l’antique, mais souligné une évolution de son style remarquable. Les planches de Virgile, ou celles d’Andromaque lui paraissent sèches : « Il ne tarda pas à s’apercevoir que cette précision ne suffisait pas pour rendre la souplesse et la grâce de la nature, et les compositions de la tragédie de Phèdre sont, déjà, un témoignage de la modification de ses idées », t. I, p. XXXIX. 117 Vente du 11 avril 1825. Alexis-Nicolas Pérignon, Catalogue des tableaux, esquisses, dessins et croquis de M. Girodet-Trioson peintre d’histoire… Paris, imp. de Moreau, 1825. Les feuilles pour Andromaque et Phèdre figurent sous les numéros 252, 261 à 263, 288 à 292, 307 et 309. 118 Huile sur toile, 24 x 19. Lyon, musée des Beaux-Arts. Voir Madeleine Vincent, Catalogue du musée de Lyon, la peinture des XIXe et XXe siècles. Lyon, Éditions de Lyon, 1965. La documentation fait défaut ; tout juste pouvons-nous indiquer que le tableau est absent du catalogue monographique publié en 2005. 119 A.J. Pons notait à propos des dessins : « Quant aux dessins originaux, Brunet prétend qu’ils ont été dispersés, tandis que Quérard soutient que l’exemplaire vélin dans lequel on les avait insérés a passé en Angleterre. Il nous a été impossible de savoir qui des deux avait raison », p. 39. Depuis 1997, six dessins ont été achetés par des musées américains ou le collectionneur Jeffrey Horvitz. Trois dessins de Girodet pour Phèdre, un de Moitte pour La Thébaïde, un 115
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ou gravées ont été exposées dans les différents Salons de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Un exemplaire unique sur vélin qui accueillait les dessins originaux fut tiré. En 1811, il fut mis à prix 3 200 francs lors de la vente des livres de Firmin Didot, puis retiré, faute d’enchères. Il fut offert après 1824 à la Bibliothèque nationale, mais sans les dessins qui furent achetés vers 1814 par le marquis de Chateau Géron, puis vendus presque aussitôt au marchand Schrot. Ce dernier garda pour lui le dessin de Prud’hon et celui de Gérard pour Bajazet (II, 1). Enfin les collections de Mahérault et Eudoxe Marcille accueillirent d’autres compositions 120. Nous reviendrons sur l’iconographie et le traitement de certaines planches, mais nous pouvons d’emblée faire quelques remarques. De manière générale, les artistes ont beaucoup moins souvent illustré les récits, certainement parce qu’ils n’étaient pas contraints de condenser en une seule image toute la tension dramatique. L’ensemble des planches montre des décors plutôt épurés, voire austères parfois, qui accueillent les personnages dans des intérieurs dont les échappées vers l’extérieur sont plutôt rares. Les costumes et les éléments décoratifs témoignent des recherches en faveur d’une vérité historique, et les quelques nocturnes apportent une réelle nouveauté. Enfin, plusieurs personnages morts s’exposent aux regards, au tout premier plan des planches (Bajazet, Ériphile et Athalie) [fig. 81, 84, 94]. Alors que le combat des frères ennemis avait presque toujours fait l’objet d’une vignette, Moitte a évité de représenter ce récit. Gérard a choisi de respecter l’unité de lieu en situant toutes ses scènes sous ou à proximité de la tente d’Alexandre. La planche illustrant la magnanimité du Macédonien est particulièrement solennelle. Les figures de Girodet pour Andromaque valorisent de beaux et fins drapés dans des compositions qui mettent toujours en scène trois personnages. Les dessins les plus marquants de Britannicus sont ceux du premier et du troisième acte qui laissent paraître la sinistre figure de Néron, observateur de scènes auxquelles il ne devrait pas assister. Pour l’acte V, alors qu’Agrippine de Gérard pour Bajazet et un de Peyron pour Mithridate. Voir exposition Los Angeles, Philadelphie, Minneapolis, 1993-1994, Visions of Antiquity. Neoclassical figure Drawings. Cambridge, Toronto, Paris, Édimbourg, New York, Los Angeles, 1998-2000, Mastery and Elegance : two Centuries of French Drawings from the Collection of Jeffrey E. Horvitz. 120 Catalogue des dessins anciens et modernes formant la collection de Marie-Joseph-François Mahérault. Vente 27-29 mai 1880. Paris, s.n., 1880 : « n° 67, Gérard. La mort de Bajazet. Scène du Ve acte de Bajazet. Sépia rehaussée de blanc, 26 x 19. N°78, Girodet. La dernière scène de Phèdre. Très beau dessin à l’encre de Chine, sanguine et sépia rehaussée de blanc, 26 x 21 ».
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désigne le meurtrier, le corps de Britannicus est transporté à l’arrière-plan ; le principe se retrouve dans la mort de Phèdre de Girodet. Le cabinet de Titus ne s’orne pas des chiffres des héros, et les murs nus accueillent une scène inhabituelle : le monologue de l’empereur (IV, 4). Gérard a recréé un Orient dans lequel évoluent les personnages de Bajazet. L’évanouissement d’Atalide est traité avec une belle vivacité, tandis que la découverte du corps de Bajazet est tout à fait inédite. Les planches pour Mithridate ne sont guère émouvantes, et la mise en garde de Phœdime, trop faible par rapport à l’empressement de Monime, laisse le spectateur dans l’ignorance du contenu de la coupe. On entre dans Iphigénie en cortège ; la jeune fille porte en elle une tristesse soumise qui se voit sur toutes les planches. Gérard a figuré une apparition spectrale : c’est Athéna qui retient le bras d’Achille alors emporté contre Agamemnon (IV, 6). Les planches de Phèdre, parmi les plus explicites, livrent avec efficacité les scènes les plus intenses de chaque acte, jusqu’à la mort de la fille de Minos. Deux des trois planches d’Esther représentent des scènes que les illustrateurs avaient déjà retenues. Cependant, à la solennité d’Assuérus sur son trône, Chaudet a préféré un roi debout. La scène du massacre d’Athalie (I, 2) est d’une rare violence, tandis que l’interrogatoire de Joas paraît bon enfant (II, 7). Chaudet a représenté l’enfant Joas sur toutes les planches. Pierre Didot souhaitait à travers cette édition célébrer le théâtre de Racine ; le sujet du frontispice illustre parfaitement cette volonté. Il représente en effet le dramaturge, dans un costume moderne, entouré de figures allégoriques. La légende manuscrite de Prud’hon, fort explicite, fut gravée : « Son génie et melpomène [sic] le mènent à l’immortalité ». Cette luxueuse édition ouvre donc sur un hommage visuel qui invite le lecteur à franchir le seuil du volume pour laisser chanter les vers de Racine et observer leur transposition dans la gravure. Les dessins conservés de l’édition Didot 121 Frontispice, Pierre-Paul Prud’hon Apothéose de Racine, pierre noire et blanche sur papier bleuté, 25,5 x 19,5. Dijon, musée des Beaux-Arts 122. 121 Nombre de ces dessins ont été présentés dans diverses expositions dont nous ne pouvons donner ici la longue liste. 122 Sylvain Laveissière, « Prud’hon illustrateur : deux dessins pour Dijon », Bulletin des musées de Dijon, 1996, n°2, pp 25-33. Le dessin de Dijon a été acquis en 1995, lors de la vente de la collection Eudoxe Marcille.
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Apothéose de Racine, dessin fini, Salon de 1798 (?), crayon noir, 30 x20. Non localisé, mais connu par une photographie. Ce dessin représente la rangée de bustes qui figure sur l’estampe. La Thébaïde, Jean-Guillaume Moitte Prière de Jocaste à Polynice, 1792, plume, encre noire et lavis gris, 24,5 x 18,3. Lille, musée des Beaux-Arts. Attale tente d’arracher son épée à Créon, crayon, 31 x 31,2. Nantes, musée Dobrée. Scène de La Thébaïde (V, 6), crayon, encre noire et lavis gris, 30 x 18,8. Collection Jeffrey E. Horvitz. Alexandre le Grand, François Gérard 123 Cléofile s’efforce de convaincre son frère Taxile de s’allier à Alexandre, figure masculine nue, plume et encre, 26,3 x 19,9. Nantes, musée Dobrée. Axiane et Alexandre, figure masculine nue, plume et crayon, 31,4 x 21,2. Nantes, musée Dobrée. Alexandre rend ses États à Porus et l’unit à Axiane, figure masculine nue, crayon, encre noire, lavis et rehauts de blanc, 29,2 x 19,7. Nantes, musée Dobrée. Andromaque, Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson Pyrrhus et Phœnix, plume, encre brune sur traits de crayon noir, lavis d’encre de Chine, lavis brun, 37,2 x 20,5. Montargis, musée Girodet. Scène d’Andromaque, plume, 22 x 17,5. Orléans, musée des BeauxArts. Entrevue d’Oreste et d’Hermione, Salon de 1800, crayon et encre noire, lavis brun et gris, rehauts blanc et ocre, 28,7 x 21,9. Cleveland, Museum of Art, Leonard C. Hanna Jr. Fund. Hermione rejetant Oreste, figures nues, Salon de 1800, crayon, craie et encre noires, lavis gris et brun, rehauts de blanc, 26,3 x 32,3. Chicago, Art Institute. 123 Il faut ajouter à ces compositions une série de dessins attribuée à l’atelier de François Gérard, passée en vente le 20 décembre 2005 : Axiane et Alexandre, crayon noir, mise au carreau, 19,6 x 13,8. Dessin original musée Dobrée. Axiane, crayon noir, mise au carreau, 18,8 x 13,4. Le dessin original n’est pas connu.
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Britannicus, Antoine-Denis Chaudet Scène de Britannicus (II, 4). Technique et localisation inconnues. Bérénice, Gioacchin Giuseppe Serangeli Titus, crayon et encre de Chine, 29 x 19,7. Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts. Bajazet, François Gérard 124 Départ de l’esclave d’Amurat, lavis brun, rehauts de blanc, 25 x 20. Angers, musée des Beaux-Arts. Roxane réconciliée avec Bajazet, lavis brun et rehauts blanc, 26 x 19,4. Montpellier, musée Fabre. Évanouissement d’Atalide, craie noire, rehauts blanc, crayon et encre noire, aquarelle, 27,3 x 19,5. Localisation inconnue. Mort de Bajazet, crayon et encre brune, lavis brun, 30,8 x 21. Cambridge, Fogg Art Museum, Collection Jeffrey E. Horvitz. Mithridate, Jean-François-Pierre Peyron Scène de Mithridate (II, 6), crayon et encre brune, lavis brun, 29,7 x 19,1. Cambridge, Fogg Art Museum, Collection Jeffrey E. Horvitz. Iphigénie, François Gérard 125 Agamemnon et Iphigénie, crayon et encre, 30,1 x 19,4. Nantes, musée Dobrée. Suicide d’Ériphile, plume, encre brune, lavis brun et rehauts de blanc, 31 x 21,6. Pontoise, musée Tavet-Delacour [fig. 84].
Voir la série de dessins attribuée à l’atelier de François Gérard, ibid. : Départ de l’esclave d’Amurat, crayon noir, mise au carreau, 18,6 x 13,1. Dessin original musée d’Angers. Roxane réconciliée avec Bajazet, crayon noir, mise au carreau, 16,4 x 12,6. Dessin original musée Fabre. Évanouissement d’Atalide, crayon noir, mise au carreau, 16,4 x 19. Dessin original non localisé. Mort de Bajazet, crayon noir, mise au carreau, 18,7 x 12,8. Dessin original collection Horvitz. 125 Voir la série de dessins attribuée à l’atelier de François Gérard, ibid. : Arrivée d’Iphigénie, crayon noir, 18,5 x 13,2. Dessin original inconnu. Suicide d’Ériphile, crayon noir, mise au carreau, 16,4 x 12,6. Dessin original musée TavetDelacour. 124
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Phèdre, Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson Phèdre et Œnone, crayon noir, 31,6 x 34,6. Bayonne, musée Bonnat 126. Phèdre avoue à Œnone son amour pour Hippolyte, Salon de 1804, crayon noir, encre brune, lavis brun, rehauts de blanc, 26 x 20,2. New York, Pierpont Morgan Library. Scène de Phèdre (II, 5), plume, 25 x 19. Orléans, musée des BeauxArts. Phèdre, après avoir déclaré sa passion, veut se tuer avec l’épée d’Hippolyte, Salon de 1804, plume et crayon, lavis noir et brun, rehauts de blanc, 26 x 20,8. Chicago, Art Institute. Phèdre se refuse aux embrassements de Thésée, plume, crayon et encre, 33,6 x 22,6. Nantes, musée Dobrée. Phèdre se refuse aux embrassements de Thésée, crayon noir, plume, encre brune, lavis et rehauts blanc, 33,5 x 22,6. Malibu, J. Paul Getty Museum. Thésée ordonne à Hippolyte de quitter le palais, figures nues, crayon, 26 x 34,5. Édimbourg, National Gallery of Scotland. Thésée ordonne à Hippolyte de quitter le palais, Salon de 1804, crayon, plume, encre grise et brune, lavis et rehauts de blanc et d’ocre, 25,9 x 21. Nantes, musée Dobrée. Mort de Phèdre, figures nues, crayon noir, 46 x 30. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Mort de Phèdre, mine de plomb, 12,6 x 16,1. Rouen, musée des BeauxArts, donation Henri et Suzanne Baderou [fig. 90]. Mort de Phèdre, crayon et encre noire, 26 x 20,6. Orléans, musée des Beaux-Arts. Mort de Phèdre, crayon, encre brune, lavis brun et gris, rehauts blancs, 32,5 x 22,5. Cambridge, Fogg Art Museum, Collection Jeffrey E. Horvitz. Esther, Antoine-Denis Chaudet Évanouissement d’Esther, Salon de 1795, craie noire, crayon, encre noire et brune, 28,3 x 20,2. Localisation inconnue.
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Ce dessin était vraisemblablement chez le peintre Antoine Gros, voir le catalogue de la vente après décès du peintre, 23 novembre 1835 : « n° 193, Girodet. Phèdre et Œnone, dessin au crayon noir et légèrement ombré ».
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Athalie, Antoine-Denis Chaudet Étude pour Athalie (I, 2), crayon sur papier, 33,3 x 23,4. Angers, musée des Beaux-Arts 127. Esquisse avec des études de figures en marge et au verso, ces figures pourraient être celles de l’évanouissement d’Esther. Mathan réclame Joas à Josabet, craie noire, crayon, encre noire et brune, 28,3 x 20,2. Localisation inconnue. Mort d’Athalie, Salon de 1796 (?), encre noire et lavis, 27 x 19,8. Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts. 1802, Pierre-Narcisse Guérin Phèdre et Hippolyte Pierre-Narcisse Guérin (1774-1833) est, avec les Coypel, le seul peintre qui ait traduit plusieurs sujets raciniens. Nous connaissons son intérêt pour le théâtre et ses liens d’amitié avec François-Joseph Talma qu’il a représenté dans diverses attitudes 128. Deux toiles inspirées de Phèdre et d’Andromaque sont authentifiées, tandis qu’une troisième lui est attribuée. Pour les deux premières, il a fait de choix de représenter des personnages qui ne se trouvent pas ensemble sur la scène théâtrale. La disposition de ces compositions fut appréciée : le succès des tableaux est attesté par les écrits contemporains, souvent élogieux, mais aussi par la commande de copies passée au peintre 129. Les nombreux dessins conservés, les études préparatoires sont les précieux témoignages des recherches du peintre 130. Ces compositions, comme l’a démontré
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Ce dessin n’a été publié qu’en 2001, dans de précédents articles qui faisaient mention des dessins relatifs à l’édition Didot, il ne figurait pas, bien qu’il fût entré dans les collections du musée en 1906. Exposition Le Havre, 2001, Des Dieux et des hommes, 1750-1850 dans les collections du musée d’Angers, pp. 28-29. Exposition Angers, 2005-2006, David, Géricault, Friedrich & les autres…, n° 44. 128 Voir notre article à paraître : « Talma et le modèle antique dans les dessins de PierreNarcisse Guérin ». Entre scène et foyer : décors, costumes et accessoires dans le théâtre de la Révolution et de l’Empire. Colloque du Centre d’histoire Espaces et cultures, Vizille, 14-15 juin 2007 (Dir. Philippe Bourdin, Alain Chevalier, Françoise Le Borgne). 129 Phèdre et Hippolyte, 1815, huile sur toile, 130 x 174. Andromaque et Pyrrhus, 1813, huile sur toile, 130 x 174. Les deux tableaux, conservés au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, ont été exécutés par Guérin pour la collection de Walter Johnston. 130 Josette Bottineau et Élisabeth Foucart-Walter, L’inventaire après décès de Pierre-Narcisse Guérin. Paris, Le Trait d’Union, 2004. Josette Bottineau et Élisabeth Foucart-Walter, Pierre-Narcisse Guérin. Paris, Galerie de Bayser, 2006.
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J. H. Rubin, sont liées à un intérêt croissant pour les pièces de Racine 131. Cet engouement proche de l’hommage s’est aussi exprimé dans l’édition Didot tout à fait contemporaine. C’est au Salon de 1802, sous le numéro 121, que fut exposé Phèdre et Hippolyte, aussitôt acquis pour une somme importante par le gouvernement. Les différentes études préparatoires connues montrent que le peintre n’a guère apporté de modifications dans la composition finale 132. L’œuvre fut reçue avec un réel engouement que disent les nombreux commentaires 133. Le tableau fut gravé par Auguste-Gaspard Boucher-Desnoyers, et l’estampe publiée en 1813. Enfin, en 1828, les figures d’Hippolyte et de Thésée ont été reprises par Antoine-Marie Chenavard dans son projet de décor pour une scène tragique grecque, destiné au grand théâtre de Lyon. La feuille représente le palais de Trézène et dispose les deux personnages dans l’attitude que Guérin leur avait donnée. Ce projet, qui utilise les héros à titre d’échelle, témoigne de la réception pérenne de l’œuvre 134. 131 James Henry Rubin, « Guérin’s Painting of Phèdre and the Post-Revolutionary Revival of Racine », Art Bulletin, 1977, n°4, pp. 601-618. Exposition Paris, 1989, Le beau idéal. Régis Michel s’intéresse à l’expressivité au travers des œuvres de Prud’hon, de Girodet et de Guérin. 132 Huile sur toile, 257 x 335. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Esquisse pour Phèdre et Hippolyte, huile sur dessin au crayon et à la plume, encre sur papier marouflé sur toile, 33 x 46. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Esquisse pour Phèdre et Hippolyte, huile sur toile, 40 x 54. Orléans, musée des Beaux-Arts. Esquisse pour Phèdre et Hippolyte, huile sur toile, 39,3 x 52. Cambridge, Fogg Art Museum. Étude pour Phèdre et Hippolyte, groupe de droite, plume, encre noire, lavis gris et rehauts blancs, 35,5 x 47,5. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Hippolyte, pierre noire, lavis brun, rehauts blancs, 26,4 x 42,1. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Dessin sur la partie droite de La Jalousie. Un dessin d’ensemble à la plume, dans un album d’œuvres d’artistes du XIX e, est passé en vente publique le 29 avril 1994. 133 Guérin avait déjà triomphé en 1799 avec le Retour de Marcus Sextus. Pour les textes commentant Phèdre, BnF, collection Deloynes : vol. XXVIII, pièces n° 781, 785 à 790, 795. Vol. XXIX, pièces 796 et 797. Vol. XXX, pièces 808, 809 et 812. Vol. XXXI, pièce 817. Le tableau fit l’objet d’un autre commentaire, voir Germaine Staël-Holstein, Corinne ou l’Italie. Londres, Peltier, 1807, lib. VIII, ch. 3, pp. 78-79. 134 1828, plume, encre noire et aquarelle, 30,1 x 42,3. Lyon, Académie des Sciences, BellesLettres et Arts. Gérard Bruyère, « Les décors d’Antoine-Marie Chenavard pour la scène du grand théâtre de Lyon », Bulletin municipal officiel, 1993, n°4965, 5 pages. Le peintre a également proposé
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Dans son tableau, Guérin a réalisé une synthèse : Hippolyte, accusé à tort, ne paraît pas seulement devant son père, mais aussi devant Phèdre et Œnone [fig. 95]. C’est toute la machination ourdie par cette dernière qui est représentée. Phèdre tient l’arme qui accuse le fils de l’Amazone, et la nourrice l’encourage à poursuivre dans la voie du mensonge. C’est face au bloc soudé que constituent Thésée et Phèdre, assis sur un même siège, que se tient le jeune homme, en pied et accompagné de ses chiens. Son visage, légèrement baissé est fermé, et ses yeux n’osent affronter le regard paternel. Seul son bras gauche est tendu en signe de dénégation. Le dessin préparatoire pour Hippolyte le montre animé d’autres sentiments : il est prêt à se défendre, le bras est tendu vigoureusement, les yeux sont levés, et il semble beaucoup plus déterminé. Le peintre a finalement choisi de montrer la vanité qu’il avait à se défendre puisque tout l’accusait. Les attitudes et les visages disent la tension extrême, les regards du groupe de droite sont forts, jusqu’à être exorbités 135. Phèdre ne s’appartient plus et ne semble rattachée à la scène que par le bras puissant de Thésée. Les regards qui s’évitent, les gestes amples et fermes, traduisent le sentiment tragique et le point ultime auquel les protagonistes sont arrivés. Ils sont réunis dans un même espace, mais le dialogue est depuis longtemps rompu, et chacun doit affronter soit son destin, soit sa conscience. Guérin a su peindre dans une composition très réussie différents temps de la pièce. Il montre avec éclat sa compréhension de la psychologie racinienne qu’il a mise au service de l’expressivité. La littérature consacrée à cette toile expose en général le sujet et explique les enjeux de l’action. À la même période, la Phèdre de Racine était jouée au théâtre, et les commentateurs avaient sans doute une bonne connaissance de la pièce, ce dont témoigne le texte de Charles Landon 136. Un commentaire vaut d’être cité, il s’agit d’une lettre du peintre Girodet qui offre « quelques réflexions seulement sur l’impression qu’il a faite sur moi » : un décor pour une scène tragique romaine dans laquelle il a disposé Talma dans l’attitude fixée par Auguste Flandrin lors de la venue de l’acteur à Lyon en 1825. Cette disposition a ensuite été reprise dans le célèbre portrait de l’acteur peint par Eugène Delacroix en 1853. 135 Le dessin préparatoire à la plume du groupe amplifie, par la finesse et la précision du trait, toutes les expressions. 136 Charles-Paul Landon, Recueil des ouvrages de peinture, sculpture... cités dans le rapport du jury sur les prix décennaux. Paris, Landon, 1810 : « M. Guérin a emprunté de la Phèdre de Racine le sujet de ce tableau. Cette tragédie lui a fourni ses personnages, l’expression qu’il a donnée et la situation respective dans laquelle il les a placés. Sur la toile ainsi que dans la tragédie, Phèdre vient d’accuser, par la bouche d’Œnone, Hippolyte d’avoir usé de violence
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Le sujet de Phèdre accusant Hippolyte devant Thésée, est l’un des plus heureux de la peinture ; on peut même dire qu’il est éminemment pittoresque, tel que l’a conçu Guérin, qui a su fondre ensemble Euripide et Racine, et qui, en s’appropriant, en quelque sorte, le génie de ces deux grands hommes, a montré toutes les ressources du sien. La scène du tableau est simple et pathétique : Phèdre est assise auprès de Thésée et sur le même siège ; elle tient encore l’épée d’Hippolyte qu’elle conserve comme la preuve du crime dont elle le charge, et qui ne dépose pas moins contre elle au fond sa conscience. Elle tient ce fer, mais elle en détourne ses yeux, ternis par l’insomnie et les remords, et qui n’osent fixer le chaste héros dont la présence les remplit de trouble et de terreur. Elle évite également les regards de Thésée, et semble s’avouer indigne de ses embrassements. L’altération de ses traits, le désordre de ses vêtements et de sa coiffure, son attitude, tout, enfin, décèle la cruelle agitation qu’elle éprouve à côté de l’époux qui lui exprime son amour et qu’elle a trahi ; en face du héros qu’elle accuse et qu’elle adore ; en présence, enfin, de la détestable Œnone, dont elle exècre les perfides conseils, mais qui, en appuyant une main sur le bras de sa maîtresse , semble l’encourager à soutenir, devant le père d’Hippolyte, la calomnie atroce qu’elle-même a ourdie137. Le calme de la vertu, et la candeur de l’innocence brillent sur le visage et dans le maintien du fils de Thésée. Prêt à se livrer au plaisir de la chasse, ses chiens fidèles l’accompagnent, son bras redoutable est armé d’un arc, et ses traits perçants reposent sur son épaule. Avant de partir, il se présente à son père irrité : ses yeux baissés modestement, et son geste respectueux, quoique assuré, devraient écarter jusqu’à l’ombre même du soupçon qu’il pût être coupable ; mais son père, prévenu et trompé, refuse de l’entendre. Tandis que l’une de ses mains repose, avec une confiance aveugle, sur une épouse coupable que cette marque de tendresse, qu’elle ne mérite plus, paraît altérer, la contraction de son autre main, et l’indignation qu’expriment ses regards, décèlent tout ce qui se passe dans son âme : on voit qu’il est prêt à vouer un fils vertueux au courroux terrible de Neptune. On pourrait louer l’exécution hardie, le bon goût du dessin, la vigueur et l’harmonie contre elle pour la déshonorer. Thésée, indigné du crime que l’on impute à son fils, accable de reproches le malheureux Hippolyte, lui ordonne de fuir sa présence, et le dévoue à la colère de Neptune. Hippolyte se défend avec le calme et la noble fierté de l’innocence, il repousse les calomnies dont il est la victime, par l’exemple de sa vie entière, et prêt à faire parler la vérité, il se retient par respect pour son père, et lui épargne un aveu qui ferait rougir le front du héros. À son geste, à son maintien, à l’expression de sa physionomie, on devine aisément que le peintre l’a représenté au moment où il prononce ces beaux vers : “ D’un mensonge si noir ” », p. 14. 137 Girodet fait erreur, Œnone ne touche pas Phèdre.
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du coloris, qui brillent dans ce bel ouvrage ; mais, c’est surtout par la simplicité et le pathétique de la composition, le jugement et l’énergie avec lesquels la scène est exposée, et la justesse des expressions, c’est à dire par les plus nobles parties de l’art, qu’il me paraît mériter un rang distingué parmi les chefs-d’œuvre qui honoreront à jamais la nouvelle école française 138.
Le peintre a exposé ici le temps de l’action et les passions. Tout en faisant l’éloge de la composition de Guérin, il livre un sentiment plus personnel, celui de la réception de l’œuvre. Le succès que connut le tableau fut transmis par une autre forme de texte, une comédie en un acte, représentée le 23 avril 1803 139. L’action se résume ainsi : Armand, sous le nom de Peintre du tableau de Phèdre et Hippolyte, a prétendu être l’auteur de ce chef-d’œuvre pour pouvoir épouser celle qu’il aime. Mais le vrai peintre arrive et comprend la situation ; il lui pardonne alors cet emprunt. La pièce ne porte pas sur le drame représenté dans le tableau ou sur l’histoire de Phèdre, mais sur la notoriété de l’artiste et de sa composition. Les dialogues sont à la fois une relation des commentaires entendus au Salon et une célébration des acteurs qui interprètent des rôles raciniens sur la scène française. Les influences des arts visuels et de la scène théâtrale sont mutuelles, chaque art se nourrissant de ce que l’autre peut lui offrir. Les Affinités électives de Gœthe, publié en 1805, laisse paraître le goût pour les tableaux vivants qui recréaient sur scène, par un jeu muet, les expressions et attitudes de compositions peintes. C’est ainsi que le tableau de Guérin a été célébré à deux reprises ; tout d’abord en 1813 à Weimar, pour l’anniversaire de la Grande Duchesse Maria, puis peu après à l’occasion du Congrès de Vienne 140. Terminons sur cette évocation de Lettre citée par P.A. Coupin, Œuvres posthumes de Girodet-Trioson, peintre d’histoire… op.cit., t. II, pp. 461-464. Le destinataire de la missive n’est pas connu, elle était à l’état de brouillon. 139 P.G.A. Bonel, Le tableau de Phèdre et Hippolyte. Paris, Barba, an IX, 1803. BnF, collection Deloynes, vol. XXVIII, pièce n°781. 140 Voir Kirsten Gram Holmström, Monodrama, attitudes, Tableaux Vivants. Studies on some trends of theatrical fashion 1770-1815. Stockholm, Almqvist och Wiksell, 1967 : « As prototypes Gœthe chose, in consultation with his friend J.H. Meyer, three modern French paintings, Guerin’s Phaedra and Hippolytus, David’s Belisarius and the same artist’s The Oath of the Horatii. The works were chosen because of their harmonious composition, their bold colours and their contrasts of light and shade. Each tableau was shown for two or three minutes in order to enable the spectators to take in the picture without compelling the participants to remain still for too long », p. 232. Traduction : « Goethe choisit comme 138
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Stendhal qui, visiblement marqué par le tableau, décrivit ainsi le visage de Mme Grandet : « Son air était pensif, elle avait les yeux tout à fait ouverts, comme la Phèdre de M. Guérin au Luxembourg 141 ». 1810, Pierre-Narcisse Guérin, Andromaque et Pyrrhus C’est un autre sujet racinien qui fut commandé à Guérin par Louis Bonaparte, roi de Hollande. Le tableau, non remis en raison de l’abdication du souverain, fut exposé aux Salons de 1810 et de 1814. Guérin le racheta lors d’une vente en 1819, il le fit graver par Théodore Richeomme et le vendit afin qu’il entrât dans les collections du musée royal 142 . Pour Andromaque et Pyrrhus, Guérin a également réuni des personnages, recourant au procédé utilisé pour Phèdre. L’œuvre est très documentée : outre les douze dessins et l’esquisse connus 143, la littérature contemporaine modèles, en accord avec son ami J.H Meyer, trois peintures françaises modernes, Phèdre et Hippolyte de Guérin, le Bélisaire de David et le Serment des Horaces du même auteur. Les œuvres furent choisies pour leur composition harmonieuse, leurs couleurs audacieuses et leur contraste entre la lumière et l’ombre. Chaque tableau fut montré pendant deux ou trois minutes, de sorte que les spectateurs comprennent la scène sans obliger les participants à rester immobiles trop longtemps ». Ces festivités ont été décrites dans le Journal für Luxus, Mode und Gegenstände der Kunst, mars 1813. 141 Stendhal, Lucien Leuwen. Éd. Paris, Gallimard, 1952, établie par Henri Martineau, ch. LXI, p. 1324. Le roman a été écrit dans les années 1835. 142 Une peinture montre un détail du tableau (Hermione) exposé dans la grande galerie du musée : Patrick Allan Fraser, Vue de la grande galerie du Louvre, 1841, huile sur toile, 110 x 93. Paris, musée du Louvre, département des peintures. 143 Esquisse d’Andromaque et Pyrrhus, 1810, huile sur toile, 32 x 42. Orléans, musée des Beaux-Arts. Étude d’ensemble pour Andromaque et Pyrrhus, pierre noire sur papier gris, 30 x 45,5. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Étude d’ensemble pour Andromaque et Pyrrhus, pierre noire sur papier gris, 31,4 x 43,8. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Au verso, une femme nue tenant un enfant constitue sans doute une autre étude. Étude pour Andromaque et Astyanax, pierre noire, 14,5 x 11,1. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Étude pour Andromaque et Astyanax, pierre noire, 14,6 x 11,1. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Étude pour Andromaque et Astyanax, pierre noire, 14,7 x 12,1. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.
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abonde 144. Comme d’autres avant lui, Guérin a donné corps à Astyanax, qui est au cœur de l’action représentée [fig. 96]. Le tableau condense une succession d’événements éclairés par l’attitude de chaque personnage qui correspond non seulement à son caractère, mais aussi à une situation précise dans la pièce. Guérin, dans une annotation au bas d’un dessin d’ensemble, a expliqué les enjeux de sa composition : Andromaque détermine la protection de Pyrrhus en faveur de son fils que vient demander Oreste au nom des Grecs. Vaincue, et présageant sa honte par l’effet des pleurs d’Andromaque, Hermione se retire. Vaincu par les larmes d’Andromaque, Pyrrhus refuse à Oreste, ambassadeur des Grecs, de lui laisser le fils d’Hector. Hermione présageant sa honte sur l’effet des pleurs d’Andromaque se retire en proie à la plus grande rage ; s’éloigne furieuse.
Ces quelques lignes soulignent l’importance de la réaction d’Hermione dont l’attitude révèle plusieurs passions violentes. Les personnages sont campés dans un décor dépouillé, devant un mur sur lequel sont gravés les noms des héros de la guerre de Troie. Pyrrhus trône au centre et étend son sceptre audessus d’Andromaque, matérialisant ainsi la protection qu’il accorde à la mère
Étude pour la tête d’Andromaque, pierre noire, 27,6 x 20,4. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Étude pour Pyrrhus, pierre noire, 18,3 x 13,4. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Étude pour Pyrrhus, pierre noire, 18,3 x 13,4. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Étude pour Oreste nu, pierre noire, 17,2 x 9,6. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Étude pour Oreste (?), pierre noire sur papier beige mis au carreau, 26,5 x 42,1. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. Dessin au verso de La Jalousie. Étude pour Hermione, pierre noire, 28,2 x 37,5. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. 144 Voir notre article : « À propos d’un tableau de Pierre-Narcisse Guérin, Andromaque et Pyrrhus ». Gilles Declercq, Michèle Rossellini, dir., Jean Racine 1699-1999. Paris, PUF, 2003, pp. 629-643. Actes du colloque de la Société Jean Racine, 1999. Le groupe formé par Andromaque et Astyanax a fait l’objet d’une copie par AugusteHyacinthe Debay en 1823. Huile sur toile, 109,5 x 104. Le tableau est passé en vente à Monaco le 16 juin 1990.
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et à l’enfant 145. Elle se tient agenouillée, serrant Astyanax, le visage levé. Ce mouvement n’était pas celui des premières pensées où elle figurait le visage baissé, dans une attitude de soumission plus marquée. Au fil des dessins, la tête se redresse, les plis s’alourdissent jusqu’à ôter toute idée de mouvement. Oreste, à droite, fait un geste qui a suscité de nombreuses remarques des contemporains du peintre ; ils se sont interrogés sur sa signification et sur son intelligibilité pour le spectateur. Parmi ceux-ci, François Guizot pense « l’avoir vu faire à Talma » et récuse l’utilisation du modèle théâtral puisque les personnages peints sont privés du verbe 146. Hermione, quant à elle, les yeux rivés sur Andromaque, est la figure la plus dynamique ; l’emportement, l’envie de quitter les lieux animent vivement son corps. Aux deux bras levés, les dessins avaient préféré le poing serré. L’expression de son visage, pour laquelle nous avons relaté les hésitations de Guérin, paraît correspondre à deux passions très proches selon Charles Le Brun : la jalousie et le mépris couplé à la haine 147. Bien que l’ensemble soit assez froid, Guérin offre une transposition efficace de l’action de la pièce. Les gestes et les regards parfaitement maîtrisés, l’éloquence de chaque personnage, le soin accordé aux draperies confèrent à la composition une grande clarté. Il a renouvelé l’icono145
L’esquisse d’Orléans montre une plus grande proximité puisqu’il touche le voile d’Andromaque. 146 François Guizot, De l’état des beaux-arts en France et du Salon de 1810. Paris, Maradan, 1810, p. 16. Voir aussi Anatole de Montaiglon, Des critiques faites sur les Salons depuis 1699 et du Salon de 1810 de M. Guizot. Paris, J.B. Dumoulin, 1852. 147 Charles Le Brun, Conférence sur l’expression des passions, 7 avril et 5 mai 1668. Éd. Conférences. Op. cit., pp. 145-162. Le mépris : « Par le sourcil froncé et abaissé du côté du nez, et de l’autre côté fort élevé, l’œil fort ouvert, et la prunelle au milieu, les narines retirées en haut, la bouche fermée, et les coins un peu abaissés, et la lèvre de dessous passant un peu celle de dessus », pp. 154-155. La jalousie : « S’exprime par le front ridé, le sourcil abattu et froncé, l’œil étincelant, et la prunelle cachée sous le sourcil, tournée du côté de l’objet qui cause la passion, le regardant de travers et du côté contraire à la situation du visage, la prunelle doit paraître sans arrêt et pleine de feu, aussi bien que le blanc de l’œil et les paupières, les narines pâles, ouvertes et plus marquées qu’à l’ordinaire, et retirées en arrière, ce qui fait paraître des plis aux joues, la bouche pourra être fermée, et faire connaître que les dents sont serrées, la lèvre de dessous excède celle de dessus, et les coins de la bouche seront retirés en arrière, et seront fort abaissés ; les muscles des mâchoires paraîtront enfoncés. Il y aura une partie du visage dont la couleur sera enflammée, et l’autre jaunâtre, et les extrémités livides, et le feu sera autour des paupières, le dessous du tour de l’œil, le blanc même ; les joues seront jaunes, les lèvres pâles ou livides », p. 158.
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graphie de la supplique d’Andromaque illustrée à plusieurs reprises dans le livre à figures. Les commentateurs ont tous célébré le choix du peintre ou son attachement à l’histoire grecque et à la transposition d’un sujet racinien. Leurs critiques portent le plus souvent sur des points de détails qui n’affectent pas les qualités qu’ils reconnaissent à l’œuvre. Guérin a selon eux une intelligence de Racine que rappelle Fabien Pillet : « En reproduisant sur la toile les sujets traités par Racine, [il] s’est profondément pénétré de l’esprit et du goût de ce grand poète. La plupart de ses sujets sont simples, mais il sait les peindre largement, et la représentation est complète 148 ». D’autres tiennent des propos plus théoriques qui soulignent les possibilités narratives du poète et du peintre : « Ce que la poésie ne peut exposer que successivement, le peintre doit l’exprimer par une action simultanée. M. Guérin a senti la vérité de ce précepte, aussi s’est-il écarté des traces de Racine dans son Andromaque comme il l’a fait dans sa Phèdre ; de toutes les belles situations de la tragédie, le peintre en a créé une seule, dans laquelle il a assemblé tous les personnages, et a concentré tout l’intérêt 149 ». Cette remarque souligne à quel point la transposition d’un sujet doit éviter d’être servile. Le talent du peintre permet d’accéder à un registre qui transcrive la compréhension de l’action de la pièce. Vers 1815, Pierre-Narcisse Guérin (?), Oreste annonce à Hermione la mort de Pyrrhus Que faut-il penser de ce tableau, donné à Guérin, mais dont l’attribution est aujourd’hui contestée par Josette Bottineau, spécialiste du peintre 150 ? La toile présente en effet des similitudes avec les compositions que nous avons étudiées, mais on peut s’étonner de l’absence de sources le concernant. Si le sujet et le traitement des figures évoquent le travail de Guérin, il nous sera permis d’émettre l’hypothèse que ce tableau ait pu être exécuté par une autre main [fig. 97]. Cette toile serait-elle à considérer comme un hommage au peintre qui s’appuie sur l’illustration de Girodet pour l’édition Didot ? Les 148 Fabien Pillet, « Exposition des tableaux. Andromaque et Pyrrhus par M. Guérin », Journal de Paris, 1810, 5 novembre, pp. 2255-2256. 149 [Aubry], L’Observateur au Museum ou revue critique des ouvrages de peinture, sculpture et gravure exposés au Musée Napoléon en l’an 1810. Paris, s.n., s.d., pp. 27-30. 150 Vers 1815, huile sur toile, 129,5 x 160,5. Caen, musée des Beaux-Arts.
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deux compositions sont en effet bien proches et quelques infimes détails suggèrent que les deux instants se suivent. Le tableau représente l’arrivée d’Oreste : « Madame, c’en est fait, et vous êtes servie : / Pyrrhus rend à l’autel son infidèle vie ». Comme l’indique la main gauche ouverte du fils d’Agamemnon, la planche montre davantage son incompréhension face à la réaction d’Hermione : « O dieux ! Quoi ? ne m’avez-vous pas / Vous-même, ici, ordonné son trépas ? 151». Girodet a disposé ses personnages dans un format vertical conforme aux contraintes du livre [fig. 74] 152. C’est dans une pièce sans décor qu’ils se tiennent. Le mouvement d’Hermione allonge les lignes de son corps ; Oreste, très proche, le corps ployé vers l’avant, trahit son manque d’intelligence face au rejet de celle qu’il aime. Sa force presque animale s’oppose aux lignes fines d’Hermione dont les bras paraissent démesurément longs. Aux regards appuyés d’Oreste et de Cléone répondent les yeux farouchement fermés d’Hermione. L’étude des personnages nus qui avait été exposée au Salon de 1800 montre bien la fermeté des gestes, la force des bras tendus des deux protagonistes et insiste davantage sur les regards. Le tableau propose, quant à lui, une disposition en largeur qui autorise une plus grande distance entre les personnages. Il figure Oreste qui, l’arme ensanglantée à la main, se présente à Hermione tandis que le meurtre est évoqué dans le cortège funèbre du bas-relief. À la vue du glaive, l’horreur se peint sur son visage, elle rejette son corps en arrière, cherchant appui auprès de Cléone qui, en masquant ses yeux, renforce le sentiment éprouvé par sa maîtresse. Les regards d’Oreste et d’Hermione, exorbités, expriment l’égarement qui déjà les envahit : la folie de l’un et le suicide de l’autre sont annoncés. L’aveuglement a dicté leurs actes : ils ouvrent les yeux sur le réel et se perdent. Comme nous l’avons rappelé par les mots de Raymond Picard, la transposition des sujets raciniens a pu être sévèrement critiquée. Un peu plus tard d’autres, à l’instar de Jean Adhémar, déploraient que cette iconographie n’eût pas encore été étudiée ; ce que Noëlle Guibert entreprit pour les éditions illustrées peu après 153. L’article d’Adhémar a paru l’année même de l’exposition que la bibliothèque nationale a consacrée au tricentenaire d’Androma Andromaque, V, III, v. 1493-1494 et 1544-1545. Le dessin de Girodet a été gravé par Raphaël-Urbain Massard. 153 Jean Adhémar, « Racine et l’image », op. cit.. Noëlle Guibert, « L’iconographie de Racine à la bibliothèque de l’Arsenal », op. cit.. 151 152
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que qui présentait des documents écrits et des documents visuels. La préface du catalogue, rédigée par Étienne Dennery, mérite quelque commentaire. Tout d’abord, il rappelle que l’iconographie racinienne « est encore à faire », puis, en réponse à R. Picard, il ne rejette pas les choix des artistes en faveur du récit. En revanche, il est d’une extrême sévérité face aux peintures, limitant ses remarques aux toiles des Coypel 154. Son jugement, qui traduit presque un agacement, dérange parce qu’il est très parcellaire et qu’il n’apporte rien à la connaissance de l’iconographie racinienne. Il y a une légitimité à attendre de ces représentations qu’elles soient fidèles aux textes, qu’elles en restituent l’essence, mais elles doivent être perçues selon un point de vue qui tienne autant compte des éléments communs que des particularités de chacune. Cette distance qui n’empêche pas une grande proximité avec l’écrit est cependant nécessaire. La présentation du corpus que nous avons faite et les analyses que nous souhaitons développer dans les parties suivantes permettront, du moins l’espérons-nous, d’apporter quelques nuances à des remarques qui ne concernaient pas un ensemble exhaustif. Les choix iconographiques des artistes montrent une forme de permanence et, dans le même temps, ils expriment une réelle volonté de renouveler les sujets. La proximité de certaines peintures avec la gravure d’illustration souligne que les artistes parlent d’une même voix et qu’il n’y a peut-être pas grande différence à figurer une scène pour le livre ou pour le décor d’une demeure. Le corpus sur lequel repose notre travail, qui s’inscrit dans une histoire des arts et des idées, offre une vision sensible des relations entre le texte et l’image. Il est également le reflet de la réception des pièces de Racine que se sont appropriées dessinateurs, graveurs 154 Exposition Paris, 1967, Jean Racine. « La médiocre transposition des thèmes raciniens dans les arts plastiques paraît en fait plus malencontreuse. La peinture un peu pompeuse de l’époque est une froide illustration d’une œuvre palpitante de vie. L’on a parfois dit de la tragédie racinienne qu’elle était plus riche d’attitude que de couleurs. Les peintres qui s’en sont inspiré n’ont pourtant jamais réussi à briser cette carapace de conventions qui donne à leurs toiles, comme aux plus mauvais vers de l’auteur, mais aux plus mauvais seulement, un caractère figé. Le spectacle que nous offre Coypel d’Atalide défaillant à la vue de Roxane ou d’Esther gémissante aux pieds d’Assuérus est un parfait exemple d’affectation et montre à quel point un peintre peut nuire à l’auteur dans l’œuvre duquel il a puisé », pp. XI-XII. Il confond les œuvres du père et du fils Coypel. Parmi les œuvres citées au catalogue figure une Mort de Britannicus de Le Brun. Ce dessin conservé au Louvre, aujourd’hui rattaché à l’histoire d’Alexandre, représenterait plutôt la mort du Macédonien. Voir Lydia Beauvais, Inventaire général des dessins, Charles Le Brun. Op. cit.. Tome I, p. 524.
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ou peintres jusqu’au Premier Empire. C’est dans des limites chronologiques très proches que les œuvres de Corneille ont été illustrées pour le livre ou en peinture. Les passions que les vers de Racine portent si haut atteignent une telle densité, une telle force que leur transposition par les artistes est un défi de tout premier ordre. Malgré des recherches longues et renouvelées, nous devons admettre qu’une peinture ou un dessin nous aura peut-être échappé. Il faut aussi admettre, dans un contexte plus général, que les passions raciniennes aient inspiré quelque artiste sans que le sujet de son œuvre ait été puisé chez Racine. Parmi ces compositions, nous souhaiterions faire mention du Sacrifice d’Iphigénie de Carle Van Loo exposé au Salon de 1757 155. Si la présence de la biche atteste les sources antiques cependant, la douleur d’Agamemnon, tout entière lisible sur son corps, doit peut-être à Racine. Le visage traditionnellement voilé depuis la peinture antique de Timanthe s’offre ici aux regards. Même si le risque de se disperser devait écarter ces compositions, nous devons les garder à l’esprit pour inscrire notre travail dans un contexte plus vaste, celui d’une peinture d’histoire inspirée par les textes.
155 Comte de Caylus, Description d’un tableau représentant le Sacrifice d’Iphigénie peint par M. Carle Vanloo. Paris, Duchesne, 1757. 1757, huile sur toile, 426 x 613. Potsdam, Neues Palais. Commandé par Frédéric II le Grand pour la Marmorsaal du palais. Étude pour la figure d’Agamemnon, pierre noire, 34,8 x 21,2. Quimper, musée des BeauxArts. Les qualités expressives de cette figure ont été soulignées dans de nombreux textes contemporains. L’attitude et le costume d’Agamemnon ont en outre été choisis comme modèles dans des recueils de costumes. Michel-François Dandré-Bardon, Costumes des anciens peuples à l’usage des artistes… Paris, Charles-Antoine Jombert, 1772-1774, vol. VI. Jean-Charles Levacher de Charnois, Costumes et annales des grands théâtres… Paris, Janinet, 1786-1789, vol. III, n°37.
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Acte III - Le choix de l’instant Le choix de l’instant représenté fait appel au thème de la fidélité. Mais comment faut-il aborder cette question, qu’est-ce que la fidélité à un texte ? Consiste-t-elle en une transposition minutieuse qui laisse entendre les phrases de l’œuvre écrite, ou bien consiste-t-elle en une perception plus globale qui mêle des éléments et offre une vision intellectuelle d’un épisode ? S’il convient de s’interroger sur ces notions, la réponse ne pourra être que modulée en tenant compte des différentes possibilités à la disposition des arts visuels. Cependant, parce que la fidélité procède de l’intelligence de la source écrite, elle inclut aussi les problématiques liées à la réception d’une œuvre. En outre, pour nourrir la réflexion, il faut certainement s’affranchir des questionnements autour de la taille des compositions ; ces contraintes dues au format influent plus sur la temporalité que sur la fidélité. Si les cycles narratifs ou les suites d’estampes ont cette facilité de multiplier les épisodes, on ne peut en conclure que les œuvres isolées soient moins fidèles. Elles imposent un choix plus rigoureux du sujet puisqu’elles demandent de s’arrêter sur un instant particulier, tout en faisant figurer des éléments qui se rapportent au passé et au futur de l’épisode retenu. Franciscus Junius, en 1637, a reconnu aux peintres cette aptitude à donner une image du temps, par la représentation simultanée des éléments qui se rattachent à des périodes différentes d’une histoire. Si cette idée a été ensuite vivement débattue dans les séances de l’Académie royale de peinture et de sculpture, la remarque de Junius convoque aussi les propos postérieurs de La Pratique du théâtre de d’Aubignac : De toutes les actions qui composeraient cette histoire, le Peintre choisirait la plus importante, la plus convenable à l’excellence de son art, et qui contiendrait en quelque façon toutes les autres, afin que d’un seul regard on pût avoir une
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suffisante connaissance de tout ce qu’il aurait voulu dépeindre. Et s’il voulait représenter deux parties de la même histoire, il ferait dans le même Tableau un autre cadre avec éloignement, où il peindrait une autre action que celle qui serait dans le Tableau, afin de faire connaître qu’il ferait deux images de deux actions différentes, et que ce sont deux Tableaux 1.
Ces remarques sur la peinture dans un ouvrage consacré au théâtre sont d’une grande justesse. André Félibien s’est exprimé en ce sens dans sa préface aux Conférences de l’Académie : « que dans un même temps et dans un même lieu il s’y fût passé plusieurs actions, l’on ne doit pas pour cela les représenter toutes 2 ». Il en appelle ici à la capacité créatrice d’un artiste ; il s’agit bien de souligner les choix qu’il est amené à faire. Cependant d’Aubignac, en s’intéressant à la représentation de deux épisodes d’une même histoire, évoque un procédé souvent jugé archaïque auquel les peintres ont pourtant recouru. Cette disposition, dont nous verrons plusieurs exemples dans notre corpus, peut aussi être efficace et pertinente lorsque les plans s’enchaînent de manière cohérente. C’est l’habileté de la composition, la hiérarchisation des plans et la suggestion de l’éloignement qui seuls, assurent le succès d’une telle entreprise. Bien avant le XVIIe siècle, les peintres avaient déjà trouvé le moyen de représenter plusieurs instants dans une même œuvre en cloisonnant les espaces ou en mettant deux fois le même personnage en situation. Mais les peintres et l’Académie ont souhaité renouveler ce procédé, et ils l’ont formulé dans la théorie des péripéties. C’est lors de la conférence du 5 novembre 1667 que le débat s’est engagé, à partir du célèbre tableau de Nicolas Poussin, Les Israélites recueillant la Manne dans le désert. Le peintre a représenté dans cette œuvre une succession d’instants, qui tous expliquent la situation dans laquelle les personnages se trouvent : le regard du spectateur est conduit afin de montrer plusieurs temps de la narration. Mais la volonté de l’artiste de préserver l’unité d’action s’exprime vigoureusement. Dans ses propos, Charles Le Brun a justifié la représentation des différents temps de l’action et rappelé les possibilités du peintre et du poète. Son tableau, Alexandre et Porus [fig. 1], montre qu’il a recouru à ce même procédé pour figurer une succession d’événements proches dans le temps. Cependant, la lecture chro1 La pratique du théâtre, 1657. Éd. Paris, Champion, 2001, établie par Hélène Baby. Lib. II, ch. 3, p. 134. 2 André Félibien, Préface aux Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, 1667. Op. cit., p. 52.
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nologique est à l’inverse de celle de la toile de Poussin qui fait cheminer du passé jusqu’au présent. Le Brun a, de manière plus conventionnelle, exposé les faits présents au premier plan, tandis que l’évocation de la bataille à l’arrière-plan, se rapporte à un passé proche. Les débats de l’Académie, érigés en théories, scellent l’importance de ces questions et soulignent à quel point les comparaisons entre la peinture et la poésie étaient essentielles. R.W. Lee a commenté de manière très éclairante cette théorie des péripéties : C’est là en effet qu’il fut déclaré que la doctrine aristotélicienne de l’unité d’action est aussi valide pour la peinture que pour la poésie dramatique, et que la peinture était virtuellement, comme la poésie, un art du temps. Cela n’excluait certes pas que la peinture fût simultanément, dans l’opinion des académiciens, un art de l’espace, mais, puisqu’elle représentait un événement unique dans un moment unique du temps, elle devait nécessairement respecter aussi, d’une manière picturale, les deux autres unités dramatique de temps et de lieu 3.
Si la persistance de l’ut pictura poesis apparaît en filigrane dans cette théorie, elle s’exprime par un rapprochement entre les arts. Il s’agit d’une interaction théorique bénéfique qui marque un rapprochement, tout en préservant leurs possibilités respectives. Ces réflexions – et les évolutions qu’elles ont induites – sont bien connues puisqu’elles ont été diffusées et publiées dès le XVIIe siècle. Denis Diderot ou l’abbé Du Bos, au siècle suivant, se sont approprié les théories de leurs prédécesseurs en soulignant les différentes possibilités de la peinture et du théâtre. Diderot a insisté sur l’unité de temps, estimant qu’elle est « encore plus rigoureuse pour le peintre que pour le poète ; celui-
Rensselaer Wright Lee, Ut pictura poesis. Humanisme et théorie de la peinture : XVeXVIIIe siècles, 1940. Éd. Paris, Macula, 1991, établie par Maurice Brock, p. 167. Voir aussi Jacques Thuillier, « Temps et tableau : la théorie des péripéties dans la peinture française du XVIIe siècle », Stil und Überlieferung in der Kunst des Abendlandes. Berlin, Gebr. Mann, 1967. Actes du colloque de Bonn, 1964 : « Le souci de la vérité conduisait l’artiste à une figuration instantanée ; l’étude des passions tendait au contraire à l’affranchir de la vraisemblance temporelle pour lui permettre d’analyser l’histoire dans sa durée, de rassembler dans le cadre étroit du tableau tous ces mouvements de l’âme si facilement déployés par le poète tragique et romancier. Pressenti souvent, jusque là jamais explicité, le problème devait être posé de la façon la plus claire par l’œuvre de Poussin », p. 192. 3
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là n’a qu’un instant presque indivisible 4 ». Les remarques du philosophe sur cette question ont été très tranchées dans un premier temps, puisqu’il n’admettait pas la possibilité de représenter deux instants. Puis il a assoupli son jugement, reconnaissant la valeur des évocations du passé récent ou l’introduction d’éléments annonçant un événement à venir 5. Cet assouplissement résulte peut-être de l’observation des œuvres et des moyens déployés par les artistes. Diderot a alors pris en compte les nécessités de l’expression du tragique, reconnaissant l’intérêt et la portée de certains éléments représentés. C’est en se référant à un sujet familier, le sacrifice d’Iphigénie, qu’il a illustré sa pensée 6. Ces jalons théoriques qui sont une aide essentielle pour envisager la manière dont les artistes ont travaillé ne doivent pas nous éloigner du corpus d’œuvres. Quelles sont les contraintes de la représentation du temps de la narration ? Sont-elles les mêmes pour les peintres et pour les vignettistes ? Le format a-t-il une importance ? L’examen du corpus montre que l’on peut relativiser cette question, car les artistes familiers de la miniaturisation ont mis en œuvre les indispensables moyens expressifs. Ils ont su évoquer la succession des événements ou rappeler une action du passé. Bien que ces estampes fussent souvent complétées d’une lettre gravée citant quelques vers de la pièce illustrée, le texte et l’image dialoguent au présent. La citation ne permet en effet pas de retour sur une action passée ; elle rapproche la composition visuelle du texte de la pièce et l’anime de la force des dialogues. Reste que la peinture et la gravure d’illustration ont un statut propre. En effet, la proximité physique de la vignette et du texte modifie le rapport à la source. Elle impose en outre d’introduire efficacement la tragédie, ou chacun des actes, lorsque l’édition compte plusieurs planches. Le sens tragique doit être exprimé sans ambiguïté, et les artistes ont pour cela souvent retenu les instants les plus dramatiques, ceux qui frappent les esprits et le regard. Ils ont ainsi ouvert Denis Diderot, Pensées détachées sur la pensée, 1777. Œuvres esthétiques. Éd. Paris, Classiques Garnier, 1988, établie par Paul Vernière, p. 774. Les remarques de Diderot sur ce sujet s’inscrivent dans la continuité des ouvrages de Jonathan Richardson ou de l’abbé Du Bos. 5 Voir Jacques Chouillet, « Du langage pictural au langage littéraire », Diderot et l’art de Boucher à David, exposition Paris, 1984, pp. 43-44. 6 Denis Diderot, ibid. : « On n’égorge pas encore Iphigénie ; mais je vois approcher le victimaire avec le large bassin qui doit recevoir son sang, et cet accessoire me fait frémir », p. 776. 4
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certaines pièces par des issues fatales, non pour dévoiler l’action, mais pour illustrer l’une des péripéties et condenser le drame. En revanche, l’édition Didot dont les actes sont rythmés par les planches gravées donne accès à une autre temporalité, magnifiée par le format in-folio. Enfin, outre le temps de l’action, les enchaînements et successions, les artistes devaient aussi s’interroger sur les rythmes du jour et de la nuit. Nous l’avons déjà évoqué, les personnages raciniens échappent au rythme des heures et à leur quotidien. On ne mange ni ne boit, et la question du sommeil ou de l’endormissement n’apparaît qu’en filigrane au travers de quelques répliques, comme Erich Auerbach l’a rappelé : C’est ainsi que tous ces personnages restent dans un éloignement désincarné et irréel, ils n’ont pas de sphère quotidienne de vie, ils ne sont que des figures, les purs réceptacles de leurs passions et instincts vitaux devenus autonomes 7.
Quand l’arrivée de Junie est explicitement nocturne, le soleil et la nuit dans Phèdre sont d’une portée différente, hautement symbolique. Les rayons solaires dans l’illustration de Girodet représentant l’aveu de Phèdre à Œnone revêtent une signification qui s’ajoute aux propos coupables [fig. 85]. La clarté annonce la révélation à venir et s’oppose à l’ombre dans laquelle la fille de Minos s’est terrée. Le peintre, en représentant ces rayons, a introduit la dimension symbolique que l’astre et la lumière revêtent dans la tragédie de Racine. Propos et perspectives théoriques Parmi les habitants de ce palais, la peinture y recevra la poésie avec la distinction qu’elle mérite. Elles y vivront ensemble comme deux bonnes sœurs, qui doivent s’aimer sans jalousie, et qui n’ont rien à se disputer 8.
7 Erich Auerbach, Le culte des passions. Essais sur le XVIIe siècle français. Paris, Macula, 1998, pp. 48-49. Recueil de textes, trad. de l’allemand par Diane Meur. Voir aussi Erich Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, 1946. Éd. Paris, Gallimard, 1968. Trad. de l’allemand, Mimesis, dargestellte Wirklichkeit in der abendländischen Literatur, 1945. 8 Roger de Piles, Cours de peinture par principes, 1708. Éd. Paris, Gallimard, 1989, établie par Jacques Thuillier, p. 17.
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La peinture et la poésie comme deux sœurs, Ut pictura poesis erit, le vers d’Horace dans l’Épître aux Pisons a connu une grande faveur dans les théories de l’art dès le XVIe siècle. Dans Le songe de Philomathe, André Félibien a donné corps à ces sœurs qu’il fit dialoguer 9. Cette comparaison qui devint une doctrine fut citée dans de très nombreux traités 10. Elle trouva une place de choix dans le poème en latin de Charles-Alphonse Dufresnoy dont Roger de Piles fut le traducteur : La peinture et la Poësie sont deux Sœurs qui se ressemblent si fort en toutes choses, qu’elles se prestent alternativement l’une à l’autre leur office et leur nom : On appelle la première une Poësie muette, et l’autre une Peinture parlante 11.
La Peinture parlante est aussi le titre que le peintre toulousain Hilaire Pader avait donné à son poème dès 1653 12. Le texte de Dufresnoy ouvre ainsi sur ce parallèle, introduisant les topoï de muta poesis et de pictura loquens que Plutarque avait déjà formulés en les attribuant à Simonide de Céos : Simonide cependant appelle la peinture une poésie muette et la poésie une peinture parlante. De fait, les actions que les peintres représentent comme si elles étaient en train de se dérouler, les œuvres littéraires les racontent et exposent une fois achevées. Et si, pour représenter les mêmes sujets, les uns usent de couleurs et de formes, les autres de mots et de phrases, ces différences dans le matériau et les procédés d’imitation n’empêchent pas qu’ils se proposent le même but les uns et les autres et le meilleur historien est celui qui, grâce au pathétique et aux caractères, donne à son récit le relief d’un tableau 13.
9 André Félibien, Le songe de Philomathe. Paris, S. Mabre-Cramoisy, 1683. Le texte a ensuite été édité en appendice du livre X des Entretiens…, 1668-1688. 10 Voir Charles Perrault, La peinture. Paris, F. Léonard, 1668. 11 Charles-Alponse Dufresnoy, De arte graphica, L’Art de peinture. Paris, N. Langlois, 1668. Édition bilingue : « Ut Pictura Poesis erit ; similisque Poesi / Sit Pictura ; refert par æmula quæque sororem, / Alernantque vices et nomina ; muta Poesis / Dicitur haec, Pictura loquens solet illa vocari », v. 1-4. Voir aussi édition Genève, Droz, 2005, établie par Christopher Allen. 12 Hilaire Pader, La peinture parlante. Toulouse, A. Colomiez, 1653. 13 Plutarque, Œuvres morales. Éd. Paris, Belles Lettres, 1990, établie par Françoise Frazier et Christian Froidefond, tome V, traité 22, 3.
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De nombreuses questions sont abordées dans ces lignes, non seulement celles concernant la narration, mais aussi celles relatives à l’expression, aux sentiments. Plutarque montre bien que les arts, avec leurs particularités propres, peuvent atteindre l’éloquence. Le parallèle qui a été établi entre la peinture et la poésie a conduit les théoriciens à envisager leur pouvoir d’expression respectif 14. Ce paragone, dénué de toute objectivité, a parfois pris les allures d’une compétition dans laquelle chaque partie cherchait à démontrer la supériorité de son art. Quand certains ont hiérarchisé, d’autres ont disserté plus longuement pour envisager la plupart des aspects et s’intéresser aux questions d’invention ou de composition par exemple. Ainsi, dès 1637, Franciscus Junius a-t-il reconnu la valeur de la peinture et de la poésie en s’intéressant à leurs moyens respectifs, poursuivant une pensée déjà élaborée dans le De Pictura d’Alberti paru de 1435 15. La couleur peut se substituer aux mots, et Antoine Coypel a démontré la supériorité d’un travail expressif : Le discours ou la diction manquent au peintre, il est vrai, mais c’est en quoi ses miracles sont plus étonnants, puisque, comme je l’ai déjà dit, son langage étant la faculté de dessiner et de peindre, la peinture rend par de simples traits et quelques couleurs l’énergie et la force de la parole 16.
Dans les propos pédagogiques qu’il adresse à son fils, le peintre souligne les qualités d’un art qui procède d’une grande économie de moyens. Roger de Piles a lui aussi affirmé la prééminence de la peinture sur la poésie, tout en établissant une histoire de l’ut pictura poesis. Cependant, puisque la peinture et la poésie ont des moyens expressifs qui diffèrent, il peut être nécessaire de considérer leurs particularités. C’est sur cette frontière entre les arts que Lessing a voulu insister dans un traité qui, au XVIIIe siècle, refusait la doctrine Jacqueline Lichtenstein, La couleur éloquente. Paris, Flammarion, 1989. Rensselaer Wright Lee, Ut pictura poesis : humanisme et théorie…. Op.cit.. Christian Michel, dir., « La naissance de la théorie de l’art en France 1640-1720 », Revue d’esthétique, 1997, n° 31-32. 15 Franciscus Junius, De pictura veterum. Libri tres, 1637. Éd. Genève, Droz, 1996, établie par Colette Nativel qui explique la démarche de l’auteur : « Il aborde les arts de la vue et ceux de la parole comme des langages, ce qui l’autorise à se fonder sur la poétique et la rhétorique antique pour constituer une théorie de la peinture », p. 515. 16 Antoine Coypel, Discours sur la peinture, 1708-1721. Éd. Conférences. Op. cit., p. 406. 14
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de l’ut pictura poesis 17. Il semble être véritablement en marge d’une réflexion qui avait affirmé le primat de cette doctrine et qui avait même souhaité qu’elle s’étendît aux représentations théâtrales 18. Pour insister sur l’unité d’action, d’Aubignac avait choisi la comparaison avec la peinture : Il est certain que le Théâtre n’est rien qu’une Image, et partant comme il est impossible de faire une seule image accomplie de deux originaux différents, il est impossible que deux Actions (j’entends principales) soient représentées raisonnablement par une seule pièce de théâtre. En effet, le Peintre qui veut faire un tableau de quelque histoire n’a point d’autre dessein que de donner l’Image de quelque action, et cette Image est tellement limitée, qu’elle ne peut représenter deux parties de l’histoire qu’il aura choisie, et moins encore l’histoire tout entière ; parce qu’il faudrait qu’un même Personnage fût plusieurs fois dépeint, ce qui mettrait une confusion incompréhensible dans le tableau 19.
Il ne dispute pas ici de la représentation théâtrale elle-même mais uniquement de l’action. La métaphore et ce qu’il dit du principe d’unité valent pour les arts visuels qui n’ont pas formulé cette problématique autrement. La proximité théorique entre le théâtre et la peinture trouve en effet ses sources dans la Poétique d’Aristote. En pratique cependant, ces deux arts ont su conserver les distances nécessaires à leur épanouissement. Tous ces développements touchent directement la question de l’expression des passions qui, longuement débattue au XVIIe siècle, n’est pas oubliée des traités du siècle suivant. Si les modèles de Le Brun sont toujours appréciés, l’article passion de l’Encyclopédie insiste, sous la plume du peintre Claude Watelet, sur l’attitude générale du corps et les couleurs du visage 20. Il recon Gotthold Ephraïm Lessing, Laokoon oder über die Grenzen der Malerei und Poesie, 1766. Laocoon. Éd. Paris, Hermann, 1990 établie par Hubert Damisch et Jolanta Bialostocka, trad. de l’allemand. 18 Abbé Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1719. Éd. Paris, Énsba, 1993, établie par Dominique Désirat. 19 Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre. Op. cit., Lib. II, ch. 3, p. 133. 20 Signalons le Prix d’expression créé par le Comte de Caylus en 1759 auquel nombre de peintres ont participé. Diderot le critiqua dans une lettre du 1er novembre 1760, Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm et de Diderot. Paris, Furne, 1829 : « M. le comte de Caylus a rendu un fort mauvais service à nos jeunes gens en fondant un prix d’expression, et que, bien loin de contribuer aux progrès de l’art, il aura hâté la corruption du 17
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naît cependant qu’une telle entreprise ne pourrait être menée plus avant. En effet, proposer des modèles d’expression ne sert à rien si les peintres ne savent observer et imiter la nature, suivant en cela le travail des artistes de l’Antiquité. C’est enfin la dispositio qui, ajoutée à l’inventio permet aux peintres d’être éloquents. La beauté des vers et l’expressivité des personnages de Racine ne suffisent à faire une belle peinture, encore faut-il que peintres et dessinateurs maîtrisent leur art. Mais la peinture serait vaine si elle ne touchait le spectateur ; Roger de Piles l’a rappelé, et l’abbé Du Bos en a fait un principe qui régit l’ensemble de son traité 21. Piles, après avoir longuement expliqué comment les passions doivent être représentées, en donne la raison principale : Mais ce n’est point assez que le peintre sente les passions de l’âme, il faut qu’il les fasse sentir aux autres, et qu’entre plusieurs caractères dont une passion peut s’exprimer, il choisisse ceux qu’il croira les plus propres à toucher surtout les gens d’esprit 22.
Le peintre introduit la notion de réception qui est soumise aux connaissances des spectateurs, et l’on sait combien le goût du public a joué un rôle grandissant. Les commentaires des Salons du XVIIIe siècle ou les textes critiques sur les tableaux laissent percevoir la quête de la catharsis : Diderot recherchait dans les œuvres exposées la source littéraire et l’émotion. La catharsis aristotélicienne s’est imposée comme un langage commun aux arts, autour de l’expression et de la purgation des passions. Lorsque les artistes ont illustré les textes littéraires, ils ont donc puisé dans l’ensemble des épisodes que la littérature leur proposait, retenant les instants les plus significatifs, qu’il s’agisse de dialogues ou de narrations. Dans ce contexte, les peintres et dessinateurs n’ont pas craint de montrer des scènes qui se sont déroulées en coulisses. Comme Racine a inscrit ces récits dans le schéma narratif des pièces, ils les ont illustrés en considérant goût en invitant les élèves à songer à exprimer la passion avant que d’avoir étudié les belles formes de la nature tranquille », vol. 2, pp. 466-468. 21 Réflexions critiques…. Ibid.. Pour la fortune du traité, voir Baldine de Saint-Girons, Esthétiques du XVIIIe siècle, le modèle français. Dictionnaire des sources. Paris, P. Sers, 1990. Michael Fried, La place du spectateur. Esthétique et origines de la peinture moderne. Éd. Paris, Gallimard, 1990, établie par Claire Brunet. Trad. de l’anglais, Absorption and Theatricality : Painting and Beholder in the Age of Diderot, 1980. 22 Roger de Piles, Cours de peinture par principes. Op. cit., p. 93.
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leur valeur expressive. Les théoriciens qui ont insisté sur la nécessité de représenter des instants dramatiques n’ont jamais érigé en doctrine cette question. Ils ont été assez peu diserts sur le choix de la séquence illustrée ; ce sont des principes implicites et une longue tradition des arts visuels. La nécessité de bien choisir un sujet se lit dans leurs développements sur la vraisemblance et la fidélité à l’histoire que Roger de Piles a ainsi formulées : La composition contient deux choses, l’Invention et la Disposition. Par l’Invention, le peintre doit trouver et faire entrer dans son sujet les objets les plus propres à l’exprimer et à l’orner : et par la disposition il doit les situer de la manière la plus avantageuse, pour en tirer un grand effet, et pour contenter les yeux, en faisant voir de belles parties : il faut qu’elle soit bien contrastée, bien diversifiée, et liée de groupes 23.
Par rapport aux textes, les artistes n’ont établi aucune distinction entre la fable, l’épopée ou le théâtre. Quelle que fût la source, il convenait de bien la mettre en image afin de la rendre sensible et intelligible. Ils n’avaient donc aucune raison d’évincer des récits qu’ils ont su exploiter en les illustrant de deux manières différentes puisque la relation peut être le sujet principal d’une planche ou n’apparaître qu’à l’arrière-plan, comme sujet secondaire d’un événement qui s’est déroulé sur scène. Mais l’insertion d’un second épisode n’est pas la seule possibilité offerte aux artistes. Le décor ou des inscriptions peuvent jouer ce rôle, proche de celui de la lettre gravée qui délivre une information. Ils assurent parfois le lien entre un événement passé et l’épisode présent. Ainsi, en inscrivant la liste des héros de la guerre de Troie sur le mur de fond d’Andromaque et Pyrrhus [fig. 96], Guérin a-t-il situé chronologiquement l’action principale, signifiant au spectateur qu’elle se déroule après la guerre contre les Troyens dont elle est une conséquence. Girodet, quant à lui, dans la vignette du premier acte d’Andromaque [fig. 71], a rappelé cette guerre dans une frise en bas-relief sous laquelle sont notés les noms des belligérants. L’illusion est double : elle existe par le trompe-l’œil dessiné et gravé, mais aussi dans l’idée que le palais de Pyrrhus fût orné des scènes d’une histoire proche 24. Le travail 23 Roger de Piles, L’Idée du peintre parfait, 1699. Éd. Paris, Le Promeneur, 1993, établie par Xavier Carrère, p. 15. 24 La proximité entre les deux compositions doit être soulignée, et Guérin avait certainement vu l’édition Didot.
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du peintre se rapproche de ce qui constitue les êtres raciniens avec leurs fréquentes évocations du passé. La représentation de deux actions dans une même œuvre peut revêtir des aspects divers. La proximité temporelle de ces événements, le lien qui unit les deux épisodes permet de justifier leur présence dans une seule composition. Les peintres et les graveurs ont fait preuve d’une grande cohérence sans s’éloigner des préceptes des théoriciens. L’épisode secondaire, qui a une incidence directe sur l’action principale, vient à propos pour illustrer les paroles des personnages. Cependant, quand cette seconde action trouve place dans les éléments du décor, le rapport au temps est modifié puisque les faits ont été transposés dans les arts visuels. La question des inscriptions comme accompagnement d’une peinture s’est posée avec acuité au XVIIIe siècle et l’abbé Du Bos s’est prononcé clairement à ce sujet dans un chapitre qui rappelle l’usage archaïque qu’en ont fait les peintres gothiques : Je me suis étonné plusieurs fois que les peintres, qui ont un si grand intérêt à nous faire reconnaître les personnages dont ils veulent se servir pour nous toucher, et qui doivent rencontrer tant de difficultés à les faire reconnaître à l’aide seule du pinceau, n’accompagnassent pas toujours leurs tableaux d’histoire d’une courte inscription. Les trois quarts des spectateurs, qui sont d’ailleurs très capables de rendre justice à l’ouvrage, ne sont point assez lettrés pour deviner le sujet du tableau. […] Le sens des peintres gothiques, tout grossier qu’il était, leur a fait connaître l’utilité des inscriptions pour l’intelligence du sujet des tableaux. […] Coypel a placé de même des bouts de vers de Virgile dans la galerie du Palais-Royal pour aider à l’intelligence de ses sujets qu’il avait tirés de l’Énéide. Déjà les peintres dont on grave les ouvrages, commencent à sentir l’utilité de ces inscriptions et ils en mettent en bas des estampes qui se font d’après leurs tableaux 25.
Ses propos sont particulièrement intéressants non seulement parce qu’il inscrit ses remarques dans un contexte artistique et historique, mais aussi parce qu’il prend position par rapport aux pratiques artistiques. Enfin, le lien qu’il établit entre la peinture et la gravure d’interprétation est éloquent : il souligne des usages différents en fonction du support qui ne sont pas sans rapport avec les modes de diffusion. La proximité technique entre le texte imprimé et
Abbé Du Bos, Réflexions critiques…. Op. cit., pp. 28-29.
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l’estampe a aussi certainement contribué au développement de la lettre 26. L’écrit trouve moins volontiers sa place dans une œuvre peinte, ce qui est une manière d’affirmer l’autonomie des genres ou des modes d’expression. Pour autant, il ne faudrait pas considérer que l’estampe fût asservie au texte ; il s’agit davantage d’une forme de dialogue dans un espace qui, s’il est partagé, est parfaitement circonscrit. Comme l’abbé Du Bos l’a rappelé, dans les grands décors, le cartouche se prête aisément à l’inscription d’un titre ou d’une légende 27. Ses propos ont été partagés avec Roger de Piles qui, quelques années plus tôt, s’était prononcé sur le recours à l’inscription pour des sujets peu connus du public 28. En 1747, La Font de Saint-Yenne était favorable à l’usage du cartouche, largement admis pour la tapisserie 29. Tous ont rejeté cependant, et à juste titre, un retour à un procédé largement dépassé dont on retrouve la proposition sous la plume de Mme de Staël 30. Les livrets des Salons, qui se sont au fil du temps étoffés de descriptions, ont pu, pour un certain nombre d’œuvres, jouer ce rôle descriptif. Ils ont indiqué les sujets, donné les sources littéraires et souvent ajouté des remarques critiques. Du Bos exprime également le souci didactique des arts visuels en abordant la problématique de la culture des spectateurs. En effet, comment assurer la réception
Voir notre article : « De l’usage de la lettre dans la gravure d’illustration ». Textimage, 2007, n°1 avril. http://www.revue-textimage.com/01_en_marge/planche-touron1. htm. 27 S’il est un autre exemple célèbre, c’est celui de la galerie des Glaces à Versailles où chaque action est légendée. Le procédé narratif est doublé, afin que chaque événement soit intelligible. 28 Roger de Piles, Cours de peinture par principes. Op. cit. : « Il faut ôter l’équivoque par quelque marque qui soit propre au sujet et qui détermine l’esprit en sa faveur. Je parle des sujets qui ne sont pas fort ordinaires ; car pour ceux qui sont connus du public, et qui ont été plusieurs fois répétés, ils n’ont pas besoin de cette précaution. Que si le sujet n’est point assez connu, ou qu’on ne puisse raisonnablement y introduire quelque objet qui le déclare, le peintre ne doit point hésiter d’y mettre une inscription », p. 38. 29 Étienne La Font de Saint-Yenne, Réflexions sur quelques causes de l’état présent de la peinture en France. La Haye, J. Neaulme, 1747, pp. 109-110. 30 Germaine Staël-Holstein, Corinne ou l’Italie. Op. cit. : « Corinne soutenait aussi que les faits historiques, ou tirés des poèmes, étaient rarement pittoresques. Il faudrait souvent, pour comprendre de tels tableaux, que l’on eût conservé l’usage des peintres du vieux temps, d’écrire les paroles que doivent dire les personnages sur un ruban qui sort de leur bouche », lib. VIII, ch. 3, pp. 48-49. 26
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d’une œuvre et quel regard le spectateur portera-t-il sur une composition dont il ne parvient à identifier le sujet 31 ? Illustrer le récit L’un des pouvoirs de la poésie et de la peinture est de figurer des scènes insoutenables dans la réalité qui, une fois composées, peuvent séduire le lecteur et le spectateur. La compositio et la mise à distance qui procèdent des arts d’imitation sont les conditions indispensables de la réception par le public. L’abbé Du Bos l’a rappelé en se référant à Aristote : Voilà d’où procède le plaisir que la poésie et la peinture font à tous les hommes. Voilà pourquoi nous regardons avec contentement des peintures dont le mérite consiste à mettre sous nos yeux des aventures si funestes qu’elles nous auraient fait horreur si nous les avions vues véritablement ; car comme le dit Aristote dans sa Poétique : « Des monstres et des hommes morts ou mourants que nous n’oserions regarder, ou que nous ne verrions qu’avec horreur, nous les voyons avec plaisir imités dans les ouvrages des peintres » 32.
La notion de plaisir devant une scène terrible peut paraître exagérée, mais la formule souligne combien la transposition artistique permet à cette scène d’être recevable. Lecteurs ou spectateurs ne sauraient en être choqués : ce sont des narrations textuelles ou visuelles qui leur sont proposées puisqu’elles sont régies par l’inventio. Si les poètes et les peintres peuvent faire frémir ou trembler, ils peuvent aussi séduire, même lorsqu’ils transposent une réalité difficile. Les tableaux que Racine a brossés leur ont offert des scènes vibrantes et intenses qu’ils ne pouvaient négliger. Ils ont souvent représenté le narrateur dans son rôle de témoin ou d’acteur de l’action relatée. Théramène figure ainsi sur la plupart des vignettes aux côtés d’Hippolyte mort. Les récits soulignent l’enchaînement des événements qui conduisent jusqu’à l’instant final, ménageant des pauses que les artistes ont su transposer à plusieurs reprises. Certaines narrations laissent bien peu d’espoir quant à une issue favorable ; la fougue et le courage d’Hippolyte se révèlent vite vains face à la violence du 31
Cette problématique est actuelle lorsque le public se sent désarmé devant des œuvres dont il ne reconnaît pas la source littéraire ou historique. 32 Abbé Du Bos, Réflexions critiques…. Op. cit., p. 11.
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monstre. Pourtant, Jacques De Sève, en illustrant le début du récit, a laissé quelque espoir de triomphe au spectateur [fig. 43]. En revanche, les vignettes du sacrifice d’Iphigénie permettent difficilement d’espérer puisque tout est prêt pour l’immolation. Chauveau a cependant suggéré le futur [fig. 9], figurant deux temps de la narration d’Ulysse : tandis qu’Ériphile s’apprête à plonger l’arme dans son sein, les voiles des bateaux de l’arrière-plan se gonflent sous l’effet des vents. Iphigénie a été épargnée ; et, après la mort de sa rivale, les hommes ont enfin pu prendre la mer. La colère des dieux apaisée par le sang fait l’objet d’une discrète allusion qui condense l’action de la pièce. Le combat mené par Hippolyte a été méticuleusement relaté par Théramène, et les vignettistes ont illustré la succession des actions décrites 33. La variété de leurs représentations propose un véritable cycle narratif que nous découvrons au fil des planches des différentes éditions, des prémices du combat à l’évanouissement d’Aricie devant le corps d’Hippolyte. Comme nous venons de l’évoquer, J. De Sève a retenu l’instant où le jeune homme fait fougueusement face au monstre surgi des flots [fig. 43]. Charles Le Brun, quant à lui, a figuré plusieurs temps en ménageant des plans successifs qui livrent les objets nécessaires à la compréhension de l’action [fig. 10] : au premier plan sont exposées les traces du combat, tandis qu’au second, le fils de l’Amazone est soutenu par Théramène. Puis Aricie arrive sur les lieux avec une précipitation que Le Barbier a montrée dans le mouvement de son voile [fig. 64] : à cet instant Hippolyte prononce ses derniers mots dans les bras de son gouverneur. La jeune femme qui ne peut soutenir la vue de ce terrible spectacle perd connaissance ; c’est ainsi que Chéron [fig. 20] l’a figurée. Enfin, le corps sans vie du jeune homme apparaît dans la planche de Girodet derrière Phèdre mourante [fig. 89]. Ce cycle visuel témoigne de la richesse d’un récit dont les dessinateurs ont déroulé le fil des événements. Même si Hippolyte n’est pas physiquement défiguré, le sens éminemment tragique des scènes est efficacement représenté, selon des principes narratifs familiers 34. 33 Les sources antiques avaient souvent été choisies par les artistes pour représenter la mort d’Hippolyte. Ce sujet fut choisi par plusieurs artistes ; on le trouve traité par Rubens, Poussin, De Troy, Jules Romain… 34 Un tableau postérieur montre le corps nu et renversé d’Hippolyte, tenant encore les rênes dans ses mains. Sa posture est particulièrement dramatique, et son corps une fois encore sans blessure. Le nu académique est d’une grande qualité et la référence à Racine est plausible. Le peintre était pensionnaire de l’Académie de France à Rome, alors dirigée par
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L’enlèvement de Junie, évoqué à trois reprises dans Britannicus, est un événement majeur de l’action, livré dès le début de la tragédie. Il n’a pourtant été transposé qu’une seule fois en gravure, dans une composition qui offre de nombreux contrastes. Horreur et beauté, noirceur et brillance, brutalité et douceur se côtoient dans une planche habilement disposée et traduite d’après Chaudet [fig. 75]. Junie paraît les yeux levés vers le ciel, dans une attitude que Roland Barthes considérait comme l’une des plus picturales chez Racine : Les yeux sont par nature de la lumière offerte à l’ombre : ternis par la prison, ennuagés par les larmes. L’état parfait du tenebroso racinien, ce sont des yeux en larmes et levés vers le ciel. C’est là un geste qui a été souvent traité par les peintres, comme symbole de l’innocence martyrisée 35.
Racine a précisé le temps de l’arrivée de la jeune femme, et la peinture d’un nocturne s’imposait à l’illustrateur ; c’est d’ailleurs l’une des rares scènes nocturnes que compte le corpus. Dans un halo lumineux, Junie est au centre de la composition, cinq gardes l’encadrent et la retiennent, qui par les épaules, qui par le poignet 36. Néron l’observe depuis la partie supérieure de la gravure, appuyé sur un parapet. Il regarde ce curieux cortège, « Immobile et saisi d’un long étonnement 37 », tandis qu’un voile de nuages atténue la clarté de l’orbe lunaire. L’empereur profite d’une position dominante et de l’ombre, s’offrant seulement aux regards des spectateurs, tandis que la jeune femme paraît en pleine lumière, dans un halo dont l’intensité est accentuée par la blancheur de son vêtement. Cette incandescence se nourrit des ombres portées et des étoffes sombres et plus épaisses des soldats. La planche illustre le premier acte de la pièce et l’évocation par Britannicus de l’enlèvement 38. Cependant, la mise en scène de Néron rattache le sujet à l’acte II et au récit qu’il fit de son observation. Chaudet a ainsi réuni les narrations des deux rivaux, dans une composition qui établit les liens nécessaires à la compréhenP.N. Guérin. Joseph-Désiré Court, Mort d’Hippolyte, 1825, huile sur toile, 35 x 46. Montpellier, musée Fabre. 35 Roland Barthes, Sur Racine. Op. cit., p. 32. 36 Britannicus indique un nombre de soldats bien supérieur, ajoutant au sens tragique : « De mille affreux soldats Junie environnée », I, 3, v. 292. 37 Britannicus, II, 3, v. 397. 38 La lettre gravée de l’estampe le rappelle.
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sion de l’action. La présence de l’empereur donne en outre plus d’intensité à la scène, révélant une partie de son caractère. Au premier acte d’Athalie, Josabet relate à Joad un épisode d’une rare violence. Elle fait parler son cœur sans emphase dans un récit qui laisse entendre les cris et dont la seule touche de couleur est celle de l’enfant ensanglanté : De princes égorgés la chambre était remplie. Un poignard à la main, l’implacable Athalie Au carnage animait ses barbares soldats, Et poursuivait le cour de ses assassinats. Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue. Je me figure encor sa nourrice éperdue, Qui devant les bourreaux s’était jetée en vain Et faible le tenait renversé sur son sein. Je le pris tout sanglant 39.
Antoine Chaudet a traduit le massacre en épisode nocturne, dans une composition qui témoigne de ses capacités narratives [fig. 93]. Au premier plan, les cadavres dénudés sont éclairés d’une lumière vive cependant que l’ombre profite à Josabet. Tournant le dos aux soldats, elle dissimule l’enfant qu’elle vient de sauver. À l’arrière-plan, la flamme d’une lampe illumine l’intérieur, tandis qu’à l’extérieur, une torche guide les gestes d’Athalie et de ses soldats. Les différents plans de la composition, la diversité des sources d’éclairage, la profondeur de l’obscurité montrent l’influence des peintres de la nuit. Le récit qui ouvre la tragédie, indispensable à la compréhension de l’action, trouve dans cette représentation sa pleine dimension puisque l’artiste a livré avec force les clés du drame. Le traitement nocturne et les ombres portées ne sont-ils pas ici les symboles de la noirceur d’âme d’Athalie et de l’action terrible qu’elle initie ? Bien que la pénombre ne fût pas mentionnée dans le récit, elle enveloppe le corps de Josabet et lui permet d’accomplir ce geste salvateur. Les forts contrastes entre les zones d’ombre et de lumière construisent la scène et en accentuent le tragique. 39 Athalie, I, 2, v. 243-251. Sans rapport direct avec Racine, le massacre ordonné par Athalie fut le sujet d’un tableau de Xavier Sigalon exposé au Salon de 1827 : Athalie, huile sur toile, 428 x 600. Nantes, musée des Beaux-Arts. La violence, les corps dénudés et leurs postures sont à mettre en rapport avec La Mort de Sardanapale de Delacroix exposé à ce même Salon.
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Nous avons expliqué la manière dont Racine a conduit ses récits et la temporalité à laquelle ils obéissent. La succession des faits narrés et leur enchaînement, souvent décrits avec fluidité, ne peuvent que difficilement être figurés par les artistes dans une seule composition. Seule la représentation d’une suite, d’un cycle permet en théorie de donner forme à ces différents instants. Pourtant ils ont pu, avec plus ou moins d’habileté, restituer ces narrations et donner le rythme des événements. Les principes des arts visuels procurent une certaine liberté qui permet de faire du récit un sujet principal ou d’en illustrer un épisode en arrière-plan d’une autre scène. Il devient ainsi le sujet secondaire d’une composition dont la disposition livre explicitement la hiérarchie des événements. Le premier et l’arrière-plan ne sont pas étrangers, et cette mise en scène se révèle souvent efficace pour donner un rythme et montrer la proximité temporelle de ces épisodes. Les artistes ont recouru à un principe appréciable et en rien novateur : celui du cadre ou de la baie ouverte dans laquelle apparaît l’épisode secondaire. Au moment où Monime s’empare de la coupe de Poison, Arbate vient la lui ôter précipitamment. Il justifie son acte en expliquant l’ordre du roi et en relatant sa mort : Le roi touche à son heure dernière, Madame, et ne voit plus qu’un reste de lumière. Je l’ai laissé sanglant, porté par des soldats, Et Xipharès en pleurs accompagne ses pas 40.
La vignette de Jacques De Sève [fig. 40] illustre l’action d’Arbate et, dans cette salle de palais largement ouverte sur l’extérieur, montre Mithridate porté par des soldats tandis que Xipharès se cache la tête dans les mains en signe de douleur. Arbate a quitté le cortège pour sauver la reine ; et, dans le même temps qu’il agit et fait sa relation, la procession poursuit sa progression. Les deux actions évoluent à un rythme qui correspond à celui de la pièce puisque bientôt le roi mourant se présentera devant Monime et Xipharès 41. Le vignettiste a hiérarchisé les plans en dessinant avec des traits plus fins l’action des personnages, sans que la disposition parût artificielle ou archaïsante. L’ouverture qui suggère cet autre espace est une occasion pour figurer deux instants
Mithridate, V, 4, v. 1551-1554. Une scène que Chauveau et Gravelot ont illustrée en rendant au roi une apparence corporelle digne [fig. 8, 52]. 40
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chronologiquement très proches sans déroger à la règle de l’unité d’action 42. Pour illustrer Phèdre, Harrewyn a choisi la scène de la mort de l’héroïne, mais il a complété cette iconographie par celle de la mort d’Hippolyte [fig. 15]. Elle apparaît à droite, délimitée par une bordure qui n’est pas sans évoquer celle des tentures, mais qui pourtant ne permet pas de savoir s’il s’agit d’une échappée vers l’extérieur ou d’une tapisserie feinte 43. Si l’on considère qu’il s’agit d’une pièce tissée, la mise en scène de ce second épisode est tout à fait singulière. La mort d’Hippolyte est figurée comme un élément du décor de la demeure, reliée aux choix iconographiques d’un commanditaire et d’un artiste. Le vignettiste a montré le temps de l’action et les différents intervenants : au premier plan, Neptune qui a entendu l’appel de Thésée, tandis que Diane se tient sur une nuée, armée d’un arc et de flèches 44. Malgré la taille réduite de la représentation, le vignettiste a disposé trois plans qui laissent voir les conséquences du combat contre le monstre. La complémentarité temporelle entre l’action principale et les faits du récit de Théramène est effective ; c’est aussitôt après la fin de la relation que Phèdre expire dans les bras de Panope. La vignette d’Harrewyn est des plus théâtrale, suggérant qu’il s’agit d’acteurs sur scène ; la tapisserie apparaît alors comme l’une des composantes du décor qui serait dévoilée à la fin de la pièce. Girodet a lui aussi représenté ces deux événements dans une même planche [fig. 89] ; mais, plutôt que de figurer les différents temps du récit de Théramène, il a préféré prolonger l’action dans le temps en la situant après la mort d’Hippolyte. Point de combat, mais le cortège accompagnant la dépouille du jeune homme. La représentation de cet épisode est conçue comme un passage ; la baie est coupée à droite, et le convoi n’est pas dessiné dans son ensemble. Girodet a évincé les circonstances de la mort ; cependant la composition de la vignette scelle le lien avec Phèdre en plaçant le corps d’Hippolyte dans le prolongement de la tête de sa belle-mère. Comme Jacques De Sève, Girodet a privilé Chaudet recourut au même principe pour le dernier acte de Britannicus qui montre Agrippine accusant Néron, tandis qu’au second plan le corps de Britannicus est porté sur un lit. 43 La vignette de l’édition parue en 1699-1700 et dessinée par Harrewyn lève toute ambiguïté : c’est une baie ouverte sur l’extérieur. La vignette de cette édition fort rare est reproduite dans la banque d’images du site suivant : http://cesar.org.uk/cesar2/. 44 Pour l’identification de ce personnage, voir Noëlle Guibert, « L’iconographie de Racine à la bibliothèque de l’Arsenal », op. cit., p. 45. Elle reconnaît en lui Neptune, qui serait ainsi représenté deux fois ; cependant le croissant de lune nous oriente davantage vers Diane. N’oublions pas qu’Hippolyte était chasseur. 42
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gié le réalisme de la configuration des lieux qui propose une vue sur l’extérieur et permet avec justesse d’insérer un second épisode. Dans un premier temps, le peintre d’Oreste et Hermione avait songé à évoquer le meurtre de Pyrrhus à l’arrière-plan de la scène au cours de laquelle le jeune homme relate les faits à Hermione [fig. 97]. Un repentir derrière le muret laisse paraître quelques soldats, ce qui nous autorise à reconnaître une telle intention. Finalement, l’artiste a choisi d’illustrer cette scène par une frise en bas-relief qui figure le cortège accompagnant Pyrrhus mort et porté par des soldats. Il s’agit d’une illustration du vers d’Oreste, « Madame, c’en est fait », et une fois encore de l’action en cours lorsque le héros se présente devant Hermione 45. La composition de Chaudet exposant le corps d’Athalie [fig. 94] met en scène deux actions quasi simultanées : la célébration de Joas et la mort d’Athalie dont « Le fer a de sa vie expié les horreurs ». Le récit est lapidaire, et le Lévite se contente de dire comment elle est morte puisque « cette fin terrible » est « due à ses forfaits 46 ». Le principe de représentation retenu par l’artiste est différent des dispositions que nous venons d’étudier : les deux actions se déroulent dans un espace unique, délimité seulement par des colonnes. Le temple sert de cadre commun, et Athalie gît au premier plan, son corps étant véritablement exposé. Les deux hommes qui s’écartent montrent le dégoût qu’elle inspire et assurent la transition entre les deux plans. Dans la grande salle du temple, Joas, qui représente la vie, est vénéré par le peuple agenouillé. La fureur d’Athalie qui a précédé n’a eu aucune incidence sur la ferveur, et la réaction de la foule exprime tout autant l’action présente qu’un passé très proche. Bien que placée sur le devant, Athalie n’attire pas les regards, et tous les yeux sont dirigés vers Joas. Chaudet, comme le montre ce très beau dessin, a soigné sa composition, n’hésitant pas à mettre la mort en scène. Son illustration réunit deux actions intimement liées dans un même espace, sans pour autant les hiérarchiser. Rien ne permet de déceler une volonté de valoriser l’un des événements, sans doute parce qu’ils sont d’une importance égale par rapport à l’ensemble de la pièce.
Andromaque, V, 3, v. 1493. Athalie, V, dernière, v. 1809 et 1813.
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Des résumés et des allégories Si la plupart des artistes ont recouru à des procédés éprouvés et partagés, les compositions de Pierre-Narcisse Guérin et de Jacques De Sève ont introduit des représentations dont les caractéristiques se détachent de l’ensemble du corpus. Les tableaux de Guérin [fig. 95-96] s’inscrivent dans une double temporalité qui traduit la chronologie des événements et la permanence des caractères. L’audace que le peintre a déployée dans Phèdre et Hippolyte a été tant appréciée qu’il poussa plus avant son entreprise pour Andromaque et Pyrrhus. Puisque les artistes n’ont pas toujours eu la possibilité de représenter l’ensemble d’une narration, puisqu’ils ont dû trouver les moyens plastiques d’illustrer une ou plusieurs scènes, ils ont pu faire le choix de condenser l’action, de la résumer en mettant en présence des personnages qui ne se retrouvent pas dans les pièces. Les synthèses qu’ils ont proposées sont le reflet de deux démarches : elles témoignent, d’une part, de leur compréhension des drames et, d’autre part, de la réception des tragédies raciniennes par leurs contemporains. Alors que d’aucuns avaient ajouté un personnage, Guérin a développé le principe en exécutant de véritables résumés qui condensent de manière efficace le tragique de Phèdre et d’Andromaque. De Sève, quant à lui, a su manier les allégories pour dessiner une édition dans laquelle les groupes d’enfants allégorisés s’ajoutent aux frontispices. Nous avons déjà souligné l’importance de cette édition et la qualité des vignettes ; les bandeaux, fleurons et culs-de-lampe participent de l’agrément du livre et offrent une autre forme de narration. L’allégorie est très peu présente dans l’ensemble du corpus où elle n’a fait que de timides apparitions dans quelques titresfrontispices, et l’édition de 1760 reste donc tout à fait unique 47. Elle se démarque non seulement de l’ensemble des éditions raciniennes, mais aussi de l’illustration des autres tragiques, même si l’on relève, par le trait de Charles-Nicolas Cochin, des fleurons comparables aux intentions de J. De Sève 48. C’est la singularité qui autorise ainsi à étudier dans une même partie les tableaux de Guérin et les motifs allégoriques de J. De Sève. 47
Celui de l’édition de 1676 et celui de l’édition illustrée par Harrewyn en 16991700. 48 Si l’on peut établir un rapprochement, c’est avec l’édition des Œuvres de Molière, qui n’est pas un tragique, illustrée par François Boucher et publiée en 1734, op. cit.. R.P. Brumoy, Le théâtre des Grecs. Paris, Rollin, 1749. Les fleurons au titre des volumes figurent des enfants souvent associés à des allégories. Sur cet artiste, voir Christian Michel,
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Pour illustrer la scène dans laquelle Thésée accuse Hippolyte, Guérin a choisi de mettre en scène les quatre principaux protagonistes de la tragédie. Au violent tête-à-tête racinien, il a préféré une réunion, un huis clos qui livrât aux spectateurs toutes les clés du drame. Dans la tragédie, la scène qui oppose le père et le fils (IV, 2) est menée par la colère du premier et l’incompréhension du second. Elle précède le court monologue dans lequel Thésée sollicite Neptune afin qu’Hippolyte disparaisse. L’épisode que le peintre a souhaité figurer a, par ailleurs, été illustré par Girodet pour l’édition Didot [fig. 88]. Comme nombre de ses contemporains, Girodet avait vu le tableau de Guérin et son jugement fut élogieux 49. L’on ne saurait cependant définir lequel des deux artistes a travaillé à ce sujet en premier puisque ces œuvres sont chronologiquement très proches ; tout juste pouvons-nous souligner le traitement différent de l’épisode. Alors que la planche de Girodet a introduit discrètement, à l’arrière-plan, un personnage qui ne participe pas à la scène (Œnone), le tableau de Guérin [fig. 95] a davantage exposé le jeu de la nourrice, soulignant les parts d’ombre, les forces et les faiblesses. Dans cette scène, l’équilibre est fragile : il suffirait d’un mouvement de Phèdre pour que tout bascule. Aussi est-elle maintenue, contenue par Œnone qui retient contre elle le terrible secret. La disposition des personnages, leurs expressions, leurs attitudes sont fidèles à la pièce et conformes aux exigences de la peinture d’histoire. La vignette de Girodet et le tableau de Guérin offrent deux traitements d’un même thème ; ils relèvent d’une proximité de perception du texte racinien et partagent une intention commune. Cependant, parce que la planche gravée est physiquement associée au texte, il n’est pas certain que le choix de Guérin eût pu être retenu pour le livre illustré ; l’idée d’une telle synthèse semble étrangère à l’illustration des tragédies. Le procédé mis en œuvre par le peintre pour Phèdre a été repris pour Andromaque et amplifié : Guérin a ainsi réuni cinq protagonistes de la pièce [fig. 96]. Par la liste des héros de la guerre de Troie, l’évocation d’Hector n’est pas anodine ; elle rattache Andromaque à ses souvenirs et fait surgir
Charles-Nicolas Cochin et le livre illustré au XVIIIe siècle. Genève, Droz, 1987. À propos des scènes avec enfants chez Cochin, il écrit : « Malgré le caractère réaliste des scènes, il s’agit bien d’allégories », p. 48. 49 Nous renvoyons à la seconde partie de cet ouvrage dans laquelle nous avons cité une lettre de Girodet à ce sujet.
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le visage qu’elle chérit au travers d’Astyanax 50. Mais le tableau montre surtout une succession de réactions liées à la demande formulée par Oreste. L’œil chemine dans la composition de la droite vers la gauche, il entre dans l’histoire en même temps que l’ambassadeur des Grecs. Sitôt formulée, la requête est rejetée par Pyrrhus qui, par la posture de son corps et de ses bras, assure Andromaque et son fils de son entière protection 51. Hermione, dont la haine pour la jeune veuve est vive, comprend que son amour pour Pyrrhus est vain et manifeste son courroux avec violence. Mais ces réactions ne sont pas les seules composantes de l’œuvre, puisque Guérin a aussi inscrit la permanence des caractères. Le résumé dépasse les strictes limites du choix d’un instant : il apparaît comme un condensé de différentes données de la tragédie et satisfait aux exigences des arts visuels. Un article du Mercure de France, paru en 1815, posait diverses questions à propos de ce tableau, tentant de trouver des réponses dans les écrits d’Horace ou dans les œuvres d’autres artistes : M. Guérin a encore présenté dans ce tableau de Pyrrhus une réunion de personnages qui n’a point lieu dans la tragédie de Racine. Je ne sais si l’auteur n’eût pas donné plus de perfection à son ouvrage, en diminuant le nombre de personnages animés de passions diverses, qui le composent. […] Il y aurait donc un personnage de trop dans l’ouvrage de M. Guérin, mais quel est celui que l’on voudrait exclure de ce beau tableau ? Serait-ce cet Oreste, qui, par un seul geste de sa main, […] annonce l’orage prêt à fondre sur l’Épire, quand son roi se déclare protecteur de la beauté et de l’innocence ? Serait-ce cette Hermione, dont la jalousie médite la mort d’un ingrat, et qui sort pleine d’amour, de mépris et de haine ? Non, le spectateur ne consentirait à éloigner aucun de ces personnages. Avouons-le, les grands talents ont le droit de donner une sorte de légitimité à quelques principes sujets à contestation 52. 50
Gravelot, en représentant à l’arrière-plan de la vignette d’Andromaque, une construction qui s’apparente à un tombeau ou plutôt à un cénotaphe [fig. 48], avait aussi évoqué cet événement du passé. Même si cette élévation n’a pas sa place dans le palais de Pyrrhus, elle établit un lien entre la scène qui se joue et l’histoire de l’héroïne. On pourrait rapprocher cette allusion à la mort d’Hector des peintures figurant la douleur d’Andromaque, et plus précisément du tableau de Jean Bardin, Andromaque et Astyanax au tombeau d’Hector, 1777, huile sur toile, 60,5 x 90. Dijon, musée Magnin. 51 Girodet avait aussi représenté la requête d’Oreste [fig. 72]. Le rejet de Pyrrhus est exprimé par un mouvement de recul tout à fait explicite : il ne veut ni entendre, ni voir celui qui se présente. 52 Bres, « Exposition, dans le musée impérial, des ouvrages de peinture, de sculpture, d’architecture et gravure des artistes vivants », Mercure de France, 1815, 1er avril, pp. 293-297.
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L’auteur souligne combien le peintre a su agencer, disposer dans un même espace, l’idée de la permanence et celle de l’instant. Les caractères qui sont analysés ici montrent la pertinence de la représentation qu’en a donnée Guérin. L’instabilité et la faiblesse d’Oreste, l’autorité de Pyrrhus, les suppliques d’Andromaque ou les colères d’Hermione sont figurées de sorte à inscrire la scène dans la temporalité de la pièce. Les deux tableaux de Guérin démontrent une fois encore que les questions liées à la fidélité de la source littéraire doivent être traitées avec une certaine distance. En transposant un texte, l’acte de création pourrait être freiné, voire empêché par les contraintes imposées. Mais Guérin s’en est affranchi, et ses choix ne peuvent véritablement être contestés. Les textes critiques contemporains ou plus anciens questionnent pour cerner le principe retenu par le peintre ; ils célèbrent dans un élan commun la manière dont il a su condenser ces actions. L’édition illustrée par Jacques De Sève présente deux particularités : l’une est l’introduction des motifs d’enfants tant appréciés au XVIIIe siècle, l’autre consiste en l’usage des allégories comme compagnons de ces enfants discourant. Ces scènes d’enfants constituent un genre qui se déploie dans le livre à figures et dans la peinture. De Sève a peint, pour le salon du château d’Abondant quatre dessus-de-porte en camaïeu qui sont des chinoiseries à motifs d’enfants 53. Il a ainsi répondu aux goûts de ses contemporains, sans pour autant en faire un thème de prédilection. Dans ses nombreuses contributions pour le livre à figures, De Sève n’a abusé ni du langage allégorique, ni des scènes d’enfants. Les fleurons, bandeaux et culs-de-lampe dessinés pour Racine sont conformes à la recherche de l’ornement. Mais au XVIIIe siècle, il ne s’agit plus de motifs typographiques, mais bien d’ornements gravés et inscrits dans des cadres rocailles particulièrement élégants 54. Si le sens du Il n’apprécie pas la réunion de sentiments divers, tout en reconnaissant que rien ne pourrait être ôté dans ce tableau. 53 L’ensemble est conservé au musée du Louvre, département des arts décoratifs. Les peintures de De Sève sont datées des années 1750 ; elles sont d’une grande finesse d’exécution. Bruno Pons, « Le grand salon du château d’Abondant », Revue du Louvre, 1991, n°3, pp. 61-73. Gérard Mabille, « Le grand salon d’Abondant au Louvre », L’estampille-L’objet d’art, 1994, n°280, pp. 38-51. À la même période, Carle Van Loo exécuta pour Mme de Pompadour au le château de Bellevue, plusieurs allégories enfantines. Exposition Tours, Portland, 2008-2009, La volupté du goût. La peinture française au temps de Madame de Pompadour. 54 Les publications scientifiques ne sont pas exemptes de tels motifs. Ainsi De Sève, dessinateur de l’Histoire naturelle de Buffon, travailla-t-il aux planches, mais aussi aux bandeaux
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miniature s’impose, ce n’est certainement pas en raison de la taille des estampes que le thème des enfants s’était développé 55. Dans la première édition de Racine que De Sève a dessinée en 1750, outre les fleurons au titre, se trouvent trois bandeaux. Ces estampes, qui représentent des épisodes des pièces, mettent en scène des figures adultes disposées dans un espace aux dimensions d’autant plus réduites que les volumes sont des in-douze. Il y a donc pour l’édition de 1760 une véritable intention dans le choix des figures et des allégories ; mais elle reste inexpliquée. Il faut bien entendu s’interroger sur l’importance de ces scènes et tenter de circonscrire leur rôle. Puisqu’elles complètent l’iconographie des vignettes, elles offrent la possibilité de développer une narration et d’illustrer d’autres instants des tragédies. On pourra objecter que certains sujets sont traités à plusieurs reprises pour une même pièce, mais chaque fois avec un dessein renouvelé. Elles livrent aussi, par la présence des allégories, les traits de caractère d’un certain nombre de personnages. Le frontispice de Britannicus met en scène avec efficacité le funeste banquet dont Burrhus a livré le récit : l’innocence feinte de Néron répond à la fausse surprise de Narcisse [fig. 33]. Le bandeau [fig. 34], quant à lui, s’intéresse à la représentation des vices : Néron sur une conque tient la coupe de la réconciliation, le renard et le masque figurent la Ruse et la Fourberie qui le caractérisent, tandis que la Fureur aux cheveux de serpent préside à la scène. Ces figures contribuent à dévoiler la véritable nature et les intentions de l’empereur, responsable de la chute de Britannicus qui bascule violemment hors de l’encadrement rocaille, laissant échapper la coupe de poison. Dans le culde-lampe de l’acte III d’Esther [fig. 45], qui figure l’instant fameux de l’évanouissement de la reine, la présence du lièvre révèle la crainte qu’elle ressentait avant de se présenter devant le roi Assuérus. Enfin, le cul-de-lampe du dernier acte d’Andromaque représente les fureurs d’Oreste [fig. 32] : l’enfant, sur un beau support en forme de cartouche, est aux prises avec les Furies. Leurs apparences sont conformes à celles décrites dans les dictionnaires. Ce sont des serpents, elles sont aussi ailées, et l’une d’elles apparaît sous les traits d’une chouette. La science des allégories avait été largement diffusée par l’Iconologie
qui mêlent enfants et animaux. Placés en tête de chaque volume, ils constituent une introduction agréable. 55 En effet, ils avaient aussi leur place dans le décor intérieur, peints ou sculptés sur des espaces aux dimensions plus importantes.
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de Cesare Ripa et le XVIIIe siècle ne l’a pas négligée 56. L’Almanach iconologique de 1774 commandé à Gravelot et exécuté par Cochin ou le Dictionnaire de Lacombe de Prézel en attestent 57. Mais qu’en est-il du sens tragique ? Il est certes atténué par les figures d’enfants ; cependant, les scènes ne sont dépourvues ni de sentiments, ni d’esprit. Même si ces sujets ont pu être dictés à l’artiste par l’éditeur, Jacques De Sève a inscrit ses pas dans ceux de Cochin qui, à la même période, recourait fréquemment à l’allégorie. Ils ont pu se côtoyer, observer leurs dessins respectifs puisque leurs signatures figurent dans plusieurs ouvrages dont ils se sont partagé les illustrations. De Sève s’est conformé aux modèles que les dictionnaires proposaient ; il a, suivant une tradition éprouvée, associé ces symboles de sorte qu’ils délivrassent les sens dont ils étaient investis. Les illustrations offrent ainsi plusieurs niveaux de lecture puisque ces motifs peuvent n’être perçus dans un premier temps que comme des ornements. Le deuxième niveau de lecture intègre le lien avec les tragédies. Enfin, le déchiffrage des allégories donne accès à l’ensemble de l’iconographie. Pour progresser, le lecteur-spectateur est aidé par les explications sommaires de l’éditeur en tête de chaque volume. Sans doute devonsnous considérer que ces commentaires soulignent à quel point les diverses estampes de cette édition ne sauraient être perçues comme de simples ornements. On assiste ici à un renouvellement iconographique remarquable qui s’ajoute au traitement plus conventionnel des frontispices. De Sève a transposé dans les scènes allégoriques la vie et l’animation dont sont dotés les personnages de ses vignettes. Le sens du dialogue, la persuasion et la mise en scène des héros constituent les forces de son trait. Compte tenu de la qualité des dessins conservés, nous pouvons considérer que le soin apporté à chaque vignette était d’une exigence égale. Que l’iconographie lui fût commandée ou qu’elle fût née de son esprit importe moins que le dessein qu’il forma. La rupture qu’il introduisit en ce milieu de XVIIIe siècle est appréciable, soulignant combien l’illustration de ces tragédies n’avait pas été fixée de manière immuable et rigide.
Cesare Ripa, Iconologia…. Rome, G. Gigliotti, 1593. Cesare Ripa, Iconologie…, 1636. Éd. Dijon, Faton, 1999, établie par Virginie Bar et Dominique Brême. 57 Jean-Baptiste Boudard, Iconologie tirée des divers auteurs. Parme-Paris, Tilliard, 1759. Charles-Nicolas Cochin, Almanach iconologique. Paris, s.n, 1774. Honoré Lacombe de Prézel, Dictionnaire iconologique. Paris, Théodore de Hansy, 1752. 56
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Vraisemblance, costumes et coutumes « Il n’y a que le vraisemblable qui touche 58 ». Racine justifie par cette phrase non seulement l’action de Bérénice, mais aussi celle de ses autres pièces. Ses propos concernent le caractère des personnages et la restitution des éléments d’une autre civilisation ou de faits appartenant à l’histoire 59. Il n’est pas lieu ici d’analyser précisément cette question dans les pièces, mais plutôt d’envisager la manière dont les artistes se sont approprié les principes liés au vraisemblable et à la coutume. Qu’est-ce que la vraisemblance et la vérité historique signifient ? Comment chacun peut-il, en fonction de ses connaissances et des goûts de ses contemporains, donner une représentation qui satisfasse les exigences du convenable ? Les théories littéraires ou artistiques ont âprement débattu de ces questions. Les recueils de costumes, surtout au XVIIIe siècle, ont en outre contribué à la diffusion de modèles particulièrement appréciés. Ils ont intégré les nouvelles connaissances et les recherches archéologiques tout en puisant dans un vocabulaire visuel commun. La vraisemblance des personnages est liée autant au caractère que le dramaturge ou le peintre leur ont donné qu’aux costumes qu’ils portent. C’est une question qui a été amplement disputée dans les théories sur le théâtre et dans celles concernant les arts visuels. La vraisemblance y est distinguée du vrai : il s’agit pour les deux arts de bien imiter la nature, de créer l’illusion, de rendre possible ce qui est représenté. Ce sont ensuite les spectateurs qui reconnaissent ou non la possibilité d’une action. Aristote acceptait que l’auteur inventât un sujet, pourvu que l’ensemble permît de parvenir à une vérité illusoire ; Racine, qui a puisé ses sujets chez les Anciens, ne pouvait négliger cette question. Il lui fallut donc, en tenant compte des connaissances de ses contemporains, se conformer au caractère des personnages tel que le donnaient les sources antiques. Ce souci de vérité doit paraître dans différentes parties et se faire aussi entendre par le verbe : La tragédie, elle, se veut poème au sens le plus élevé du terme, mais elle prétend se fonder sur une histoire particulière et réputée authentique, même quand elle fait appel aux mythes ; elle implique, en dépit de la sujétion des alexandrins, un dialogue vraisemblable, c’est-à-dire restituant au plus près ce qu’ont dit, Bérénice, préface. Nous nous souvenons des critiques de Saint-Évremond qui jugeait Alexandre trop français. 58
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ont dû dire ou ont pu dire les personnages intéressés dans le récit qu’elle transpose 60.
C’est une véritable gageure qui ne peut reposer sur des fondements objectifs. Comment restituer les justes paroles d’Agamemnon ou de Thésée ? Seule l’idée que les gens se font de ces personnages permet d’accepter la couleur des vers et le contexte dans lequel les héros évoluent. Costume et coutume sont aujourd’hui des mots dont les sens sont bien définis, mais nous savons que ce ne fut pas toujours le cas. Ainsi le mot coutume, issu du latin consuetudinem, fut-il employé dès le Moyen Âge ; il désigne l’habitude et compte deux graphies : costume ou custume. Au XVIIe siècle il prend aussi le sens de couleur locale et s’écrit indifféremment coutume ou costume. Bien qu’il ait été fréquemment utilisé par les théoriciens de la peinture ou par les critiques littéraires, ses graphies semblent dépourvues de nuances sémantiques 61. Lorsque Dézallier d’Argenville circonscrit ce vocable en 1745, sa définition en atteste encore : Le costume est encore une chose que l’habile peintre ne néglige jamais dans son tableau : c’est l’exacte observation des mœurs, des caractères, des modes, des usages, des habits, des armes, des bâtiments, des plantes et des animaux du pays dans lequel s’est passée l’action qu’il veut représenter 62.
Jacques Morel, « La poétique de Racine », op. cit., p. 11. Furetière a introduit une autre orthographe : coustume. Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690. Op. cit.. Le mot est défini ainsi : « Train de vie ou d’action ordinaire. Dérivé de consuetudine […]. Mœurs, cérémonies, façons de vivre des peuples qui sont tournées en habitude, et qui ont passé en usage ou en force de loi. Les relations des voyageurs nous apprennent d’étranges coustumes des peuples éloignés. » 62 Antoine-Joseph Dézallier d’Argenville, Abrégé de la vie des plus fameux peintres… Paris, De Bure l’aîné, 1745, p. XXXVI. Voir Abraham Bosse, Le peintre converty aux précises et universelles règles de son art, 1667. Éd. Paris, Hermann, 1964, établie par Roger-Armand Weigert : « Si c’est une histoire romaine ou grecque ou d’autre nation, il me semble que ce lui doit être en quelque sorte une sujétion, puisque sans contredit il doit rechercher de donner à ces figures l’air de la nation, leurs formes de vêtements et autres choses de leur mode ou usage, et même de leurs bâtiments et paysages, en cas que l’action se soit passée en leur même pays. […] Mais les judicieux et bien avisés qui ont lu les histoires, tâchent de tout leur pouvoir de les suivre ponctuellement », p. 77. À la toute fin du siècle, Roger de Piles a rappelé que le choix du costume devait aussi tenir compte de la qualité du personnage. Voir Cours de peinture par principes. Op. cit., p. 138. 60
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Les vêtements qu’il nomme habits font partie des éléments significatifs de la couleur locale ; son commentaire est assez proche de ceux du siècle précédent. Mais c’est en 1747 qu’est apparu en France le mot costume, pour désigner le vêtement 63. Ce terme n’a pas résulté d’une évolution sémantique du premier, mais d’une évolution linguistique à partir de l’italien costumé. Le Dictionnaire de Trévoux, dans ses différentes éditions, a relaté cette histoire jusqu’à donner en 1771 une définition très complète qui intégrât les sens du mot coutume. Aujourd’hui, juxtaposer ces deux termes permet de souligner leur proximité, de rappeler de quelle manière ils interagissent. C’est aussi, paradoxalement, leur rendre leur autonomie puisque chacun d’entre eux possède sa propre définition qui éloigne de toute confusion. Ils participent de la vraisemblance ou d’une idée de la vraisemblance. Les nombreux préceptes, les discussions de l’Académie, ont souligné l’importance de ces questions sans doute aussi parce que le dessin d’un juste costume, d’un vêtement adapté au corps et à ses mouvements faisait partie de l’imitation de la nature. Les artistes qui ont transposé les sujets raciniens, lorsqu’ils ont tenu compte du caractère des personnages et de l’action représentée, ont adapté les formes des costumes. En effet, comment un héros aux gestes emportés, aux mouvements vifs, pourrait-il exprimer ses sentiments si ses vêtements limitaient son action ? La liberté gestuelle indispensable à l’orateur n’est possible que si l’on veille à faire en sorte « que l’habit ne soit point embarrassant 64 ». Lorsque Guérin a peint la colère d’Hermione [fig. 96], il a permis l’amplitude des mouvements, tant dans la partie supérieure du corps que dans la partie inférieure. La tunique ouverte et dépourvue de manches permet l’avancée de la jambe et accroît l’ampleur de la réaction manifestée par les bras 65. Ce vêtement, nous pouvons aussi l’observer dans la planche de Girodet pour le second acte d’Andromaque [fig. 72]. Mais le choix de l’artiste semble dans cette scène davantage lié à une volonté de reconstitution Costumé figurait dans l’édition de 1721 du Dictionnaire de Trévoux, défini comme un terme de peinture et dans l’édition de 1740 du Dictionnaire de l’Académie. 64 Voir Claude-François Ménestrier, Des ballets anciens et modernes…, 1682. Éd. Genève, Minkoff reprints, 1972, p. 253. 65 Voir Égisthe poussant Clytemnestre à tuer Agamemnon, 1817, huile sur toile, 342 x 325. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Pour ce tableau, Guérin a vêtu Égisthe d’un chiton court favorable à l’ample mouvement des jambes. Le dessin préparatoire montre, quant à lui, une tunique longue et un manteau : crayon, encre et rehauts, 26,7 x 21,7. Ontario, Art Gallery. 63
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historique puisque la jeune femme est immobile. La tunique était celle des filles lacédémoniennes, selon Levacher de Charnois qui, pour décrire ce vêtement ouvert, s’est référé à un bas-relief et aux sources littéraires antiques 66. S’il faut reconnaître la valeur documentaire de la description de Levacher, il faut aussi garder quelque prudence à l’égard des intentions archéologiques des artistes en ne perdant pas de vue une certaine standardisation des costumes antiques 67. Les peintres ont pu privilégier les formes qui convenaient aux attitudes de leurs personnages. De la même manière que la question de la fidélité à une source littéraire doit être considérée avec une certaine distance, la question de la vraisemblance historique doit aussi être analysée selon un point de vue suffisamment vaste. En effet, qu’est-ce qui prévaut dans les arts visuels ? Les buts de la peinture ne consistent pas nécessairement en une restitution par trop minutieuse, mais plutôt en la restitution d’un cadre historique et géographique identifiable. La circulation des estampes et la diffusion des recueils ont contribué à une meilleure connaissance des peuples et de leurs mœurs, au risque d’une normalisation qui limitât la création. Cette problématique partage bien des points avec celle posée par la codification des expressions et de la représentation des passions. Pour les arts visuels, le choix du sujet et l’imitation de la nature ont été réunis dans une réflexion commune. L’abbé Du Bos, qui a consacré un chapitre à la question de la vraisemblance en peinture, a établi une distinction entre deux types de vraisemblance, l’une mécanique et l’autre poétique : Jean-Charles Levacher de Charnois, Recherches sur les costumes et les théâtres…. Paris, Drouhin, 1790. Dans son introduction, il a insisté sur l’importance des costumes et souligné que son ouvrage s’adressait aux peintres et aux hommes de théâtre : « L’Histoire existe ; qu’on l’ouvre : on y remarquera la différence ou les rapports qui ont existé entre les Habillemens des différens Peuples qui ont habité la terre, entre leurs armes, leurs cérémonies, leurs usages, et les marques distinctives de leurs dignités ; on connoîtra ce qui convient à chaque Nation, et par conséquent à chaque personnage d’un Drame tragique ». À propos d’Hermione : « La tunique des filles Lacédémoniennes [sic] différait de celle des femmes, en ce qu’elle était ouverte des deux côtés, depuis les bords intérieurs jusqu’à la hauteur des cuisses », vol. I, p. 1. Il donne ensuite une description très précise de la manière dont les étoffes étaient assemblées. Sophocle aurait décrit ce costume, une source reprise par Plutarque dans la vie de Lycurgue. Voir article Lycurgue dans Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique. Paris, Desoer, 1820. 67 En effet, Girodet dans le tableau que nous avons déjà mentionné, Rodogune empêche Antiochus de boire la coupe empoisonnée, a vêtu l’héroïne de cette même tunique. Or Rodogune était parthe, mais seul le spectateur savant pouvait et peut relever ces nuances. 66
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La vraisemblance poétique consiste à donner à ses personnages les passions qui leur conviennent, suivant leur âge, leur dignité, suivant le tempérament qu’on leur prête et l’intérêt qu’on leur fait prendre dans l’action. Elle consiste à observer dans son tableau ce que les Italiens appellent il costume, c’est-à-dire à se conformer à ce que nous savons des mœurs, des habits, des bâtiments et des armes particulières des peuples qu’on veut représenter. La vraisemblance poétique consiste enfin à donner aux personnages d’un tableau leur tête et leur caractère connu, quand ils en ont un, soit que ce caractère ait été pris sur des portraits, soit qu’il ait été imaginé 68.
Il poursuit en célébrant le travail de reconstitution de Charles Le Brun dans le cycle consacré à l’histoire d’Alexandre, mentionnant ses choix en matière de costumes ou la juste représentation des chevaux par exemple 69. Du Bos n’introduit pas de nouveauté par rapport aux théories précédentes, il définit et précise en intégrant le respect de la coutume (il costume). Il s’agit de la concordance entre les personnages, les accessoires et l’architecture. Il souligne également l’importance du modèle, de la circulation des effigies, de la médaille antique peut-être même, qui conserve le souvenir des traits d’une personne. L’idée qu’il se fait du portrait consacre tout à la fois le portrait peint et le portrait littéraire qui ne sont pas dénués d’une tradition orale autour des personnages dépeints. Il ne dispute pas ici de nouveaux thèmes puisque l’Académie royale de peinture avait, dans ses conférences, déjà débattu de ces questions. Il remet en forme ces points afin d’éviter les anachronismes et de parvenir à la composition la plus juste ou la plus adaptée aux connaissances des spectateurs. Les questions de fidélité, de vérité historique ont pris un relief plus fort en étant au cœur des préoccupations de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les recueils de costumes traduisent une volonté d’unifier la représentation de l’histoire et des peuples pour en faire un principe commun
68 Abbé Du Bos, Réflexions critiques…. Op. cit., p. 87. La vraisemblance mécanique, quant à elle, « consiste à ne rien représenter qui ne soit possible, suivant les lois de la statique, les lois du mouvement et les lois de l’optique », p. 86. 69 Abbé Du Bos, ibid. : « Les Perses et les Indiens s’y distinguent des Grecs à leur physionomie autant qu’à leurs armes. Leurs chevaux n’ont pas le même corsage que ceux des Macédoniens. Conformément à la vérité, les chevaux des Perses y sont représentés plus minces », p. 88. Ses propos ont été repris dans l’Encyclopédie à l’article costume du chevalier Jaucourt.
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aux arts visuels et à la scène théâtrale 70. L’un des ouvrages les plus célèbres est sans conteste celui du peintre Dandré-Bardon qui a proposé de nombreux modèles de costumes correspondant à différentes civilisations et fonctions 71. Pour travailler, il s’est référé à des œuvres antérieures qui faisaient autorité, mais aussi à des compositions plus contemporaines et dignes d’intérêt. Levacher de Charnois a fait de même, mais il a ajouté à ses références l’observation de la scène théâtrale 72. Il est remarquable de constater à quel point les deux arts s’influençaient, les peintres cherchant l’inspiration au théâtre et les acteurs reconnaissant ou s’appuyant sur l’autorité des premiers. Bien que tous ces principes eussent été formulés, les artistes ne s’y sont pas toujours conformés, et leurs œuvres montrent parfois de curieux assemblages dans lesquels les périodes se mêlent sans souci d’exactitude. Si l’on doit faire un parallèle entre la scène théâtrale et les arts visuels, il faut avoir à l’esprit le décalage chronologique entre ces deux arts. Il était sans doute plus aisé aux peintres et dessinateurs de proposer des costumes drapés qui soulignassent les lignes des corps, révélassent quelque nudité. Les convenances des arts visuels autorisent le nu, et les gorges offertes d’Hermione ou d’Ériphile ne choquent pas le spectateur. Les artistes ont donc recherché cette cohérence bien avant le théâtre qui a laissé longtemps ses acteurs jouer en costume de cour. La réforme qui s’est amorcée au tournant des années 1750, initiée par Mlle Clairon et Lekain, ne fut pas appliquée tout de suite, et les premières 70 Plusieurs articles s’intéressent au costume et aux liens avec le modèle antique : Noëlle Guibert, Jacqueline Razgonnikoff, « Costumes et coutumes à la Comédie-Française », Comédie-Française, 1985. Sylvain Amic, Sylvie Patry, « Les recueils de costumes à l’usage des peintres (XVIIIe-XIXe siècles) : un genre éditorial au service de la peinture d’histoire ? », Histoire de l’art, 2000, n° 46, pp. 39-66. Philippe Sénéchal, « Le costume : la vérité dans les plis. Notes sur le drapé à l’antique 1750-1850 », Dieux et mortels, exposition Paris, Princeton, New-York, 2004-2006, pp. 53-61. 71 Michel-François Dandré-Bardon, Costume des anciens peuples. Paris, Jombert, 17721774. 72 Jean-Charles Levacher de Charnois, ibid.. Les volumes sont illustrés d’aquatintes qui mettent en situation les différents personnages décrits ; la justification se trouve dans les planches d’autorité gravées en noir. Inachevé, son ouvrage présente les costumes et accessoires de cinq pièces de Racine. Il aurait aussi souhaité s’intéresser à Corneille, Voltaire et Crébillon. Il n’a pas fait représenter dans les planches tel ou tel acteur dans un rôle, mais il a peint les héros raciniens en prenant en considération leur histoire et leur caractère.
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apparitions de Talma drapé et en sandales furent vivement critiquées 73. Qu’est-ce qui paraissait alors si étonnant dans ces costumes antiquisants ? Était-ce seulement le changement radical qu’ils imposaient ? Sans doute que non, c’est bien parce qu’ils posaient la question de la décence, du corps dévêtu, sinon de la nudité. Ce qui était admis dans la peinture d’histoire suscitait davantage de réticence sur scène 74. Les prémices de cette réforme étaient contemporains d’un changement pictural favorisé par les recherches archéologiques et le regain d’intérêt pour l’histoire. Le souhait de délaisser les sujets gracieux fut manifeste : le peintre devait être peintre historien et La Font de Saint-Yenne s’en est fait l’écho 75. Cependant, le néoclassicisme a lui aussi proposé des reconstitutions antiquisantes qui n’ont pas toujours été plus satisfaisantes. Ainsi, sous les tentes d’Alexandre ou d’Iphigénie [fig. 59, 63] de Le Barbier, se trouve une même table à pied en forme de patte de lion. Ce modèle de meuble suffit à évoquer non seulement l’Antiquité, mais aussi les confins orientaux 76. Il propose une vérité historique plus convaincante que les chaises de boudoir de Gravelot accueillies sous ces mêmes tentes [fig. 47, 53]. Gravelot, comme nombre de contemporains ou de prédécesseurs, a mêlé dans ses planches un vocabulaire issu de différentes périodes et nations. Lorsqu’il représente Phèdre s’emparant de l’épée d’Hippolyte, le drapé du costume de la fille de Minos ne suffit pas à évoquer l’Antiquité [fig. 54]. Le vêtement et la coiffure apparaissent comme une libre interprétation du costume d’intérieur à la mode. Malgré les pilastres ou les trophées du bas-relief, l’anachronisme s’exprime pleinement dans les agrafes rocailles des sièges 77.
Traditionnellement, c’est la représentation de L’orphelin de la Chine de Voltaire en 1755, qui marque le début de la réforme du costume. Talma apparut ainsi en 1789, pour le rôle de Proculus dans Brutus. 74 On peut être surpris de tant de difficultés à une période où les modes antiques triomphaient dans le civil et où les silhouettes des femmes, qui s’apparentaient à des colonnes, laissaient voir les lignes d’un corps dégagé des accessoires de contrainte. 75 Étienne La Font de Saint-Yenne, Réflexions sur quelques causes de l’état présent de la peinture en France. Op. cit.. 76 Ces tables circulaires, le plus souvent à trois pieds, ont fait fureur pendant le Premier Empire. 77 On retrouve ces caractéristiques dans d’autres planches de l’édition de 1768 ; elles apparaissaient déjà dans celles des Œuvres de Corneille de 1764. Voir la vignette de Sophonisbe, par exemple. 73
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La reconstitution du monde romain est en revanche plus pertinente dans la vignette de Britannicus [fig. 49]. Que dire du costume romain ? Ne fut-il pas considéré comme le symbole de la parure du héros dans les arts visuels et dans les spectacles ? N’est-ce pas revêtu de la cuirasse et de la jupe à tonnelets que Louis XIV a été fréquemment représenté ? Les estampes des différentes éditions illustrées font grand usage de ce costume : il est porté par Alexandre, les frères thébains, les héros de Corneille ou ceux de Scudéry. Les cuirasses imitent la statuaire antique et soulignent la musculature des torses, valorisant le statut du protagoniste. Le métal paraît parfois bien souple au regard des ventres bombés et tombants des héros de Jacques De Sève [fig. 30]. Le dessinateur – comme Chauveau ou Chéron – a, dans ses différentes vignettes, proposé des ensembles vestimentaires très proches. Ce costume, souvent complété par un casque à panache, a été utilisé pour les Grecs, les Romains ou les Macédoniens. Hippolyte, selon le sujet de l’œuvre, est en vêtement civil ou en armure : les vignettes qui le représentent luttant contre le monstre ou gisant après le combat, le voient souvent revêtu d’une armure [fig. 20, 64]. Charles Le Brun, quant à lui, a accentué l’impression de chaos en le figurant presque nu, drapé dans son manteau [fig. 10]. Lorsque le jeune homme est en présence de Phèdre ou de son père, il porte un costume qui rappelle son activité principale : la chasse. Quittant les appartements de sa belle-mère après l’aveu coupable, il tient dans la main droite son arc et porte un carquois. C’est ainsi qu’il se présente devant Thésée dans le tableau de Guérin ou les vignettes de Girodet. Mais au costume civil et aux instruments de la chasse, les deux peintres ont ajouté une peau de lion et les lévriers 78. La peau nouée sur le torse que Guérin a peinte [fig. 95], celle posée sur son épaule dessinée par Girodet [fig. 88], annoncent sa vaillance à venir face au monstre et rappellent ses origines. La dévotion que le fils de l’Amazone voue à Diane est connue, tout comme son éducation sylvestre que Phèdre énonce dans ce vers : « Nourri dans les forêts, il en a la rudesse 79 ». L’évocation de l’Antiquité dans les costumes féminins répond elle aussi à quelques stéréotypes. Les femmes sont le plus souvent vêtues d’une robe longue et d’un voile, et les artistes ont joué sur les effets de draperies et de plis. Inspirés par la statuaire, ils ont aussi suivi les préceptes que les théoriciens 78
Dans l’esquisse de Guérin, Hippolyte portait une chlamyde. Phèdre, III, 1, v. 782.
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ont formulés en insistant sur la juste adaptation de l’étoffe au corps. Les peintres et les dessinateurs ont formé mille esquisses de ces représentations d’étoffes, travaillant sur les possibilités de donner vie, d’animer la matière textile afin qu’elle accompagnât parfaitement les mouvements. Des draperies qui, par le relief plus ou moins profond de leurs plis, participent pleinement de l’expression. Dès le De Pictura d’Alberti, la représentation et la disposition des drapés ont été exposées, et tous les textes ont insisté sur les justes proportions des corps et sur l’adaptation nécessaire des étoffes aux formes de la figure. Ainsi, au XVIIe siècle, Charles-Alphone Dufresnoy a-t-il rappelé que si les draperies mouillées étaient adaptées à la sculpture, elles ne pouvaient être utilisées pour la peinture qui devait préférer aux plis minces et plaqués au corps des plis plus amples 80. Quant à Roger de Piles, il a accordé de grands développement aux draperies. Ses préceptes insistent sur la recherche du vrai, indispensable pour parvenir au naturel que seules l’étude et l’observation permettent : Pour faire entendre qu’un peintre possédait l’art de bien distribuer les plis, ils ont dit qu’il savait bien jeter une draperie. Ce terme de jeter une draperie paraît d’autant plus juste que la disposition des plis doit plutôt paraître l’effet d’un pur hasard que d’un soigneux arrangement 81.
Le jeu des plis remplit un rôle essentiel du point de vue de l’expression, et les compositions en témoignent. Elles portent en elles les modèles de l’Antiquité, rappelant par la plume ou le pinceau l’habileté des ciseaux de sculpteur. On ne peut que célébrer la vie et l’animation dont les étoffes sont dotées, affichant souvent une remarquable intention esthétique. Les draperies dont Girodet a paré ses héroïnes sont à cet égard très significatives : Andromaque, Hermione ou Phèdre vivent par les expressions du visage et par le souffle des tissus [fig. 73, 74, 86]. Les plis sculpturaux sont fins et d’une grande souplesse, soulignant la précipitation avec laquelle Andromaque s’est jetée aux pieds de Pyrrhus ou l’agitation de Phèdre [fig. 73, 86]. Les courbes, les creux et les ressauts répondent aux volutes de la chevelure serpentante de la fille de Minos. L’ensemble est expressif et d’une grande beauté ; ces exemples mon80 Charles-Alphonse Dufresnoy, De arte graphica. Op. cit.. Dans les planches de Girodet, Hermione porte des vêtements aux plis plaqués, soulignant particulièrement les formes du corps, à l’instar de la statuaire antique [fig. 72]. 81 Roger de Piles, Cours de peinture par principes. Op. cit., p. 54.
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trent combien les artistes pouvaient soigner la disposition de la vêture des personnages. Enfin, tout un vocabulaire ornemental, connu depuis longtemps et enrichi, participait de ces reconstitutions historiques. Ce sont les motifs de palmettes, les oves, les pieds curvilignes, les formes des objets copiés de l’antique ou antiquisants ; ils participent de cette reconstitution historique dans un esprit qui correspond à une perception commune. Quand d’aucuns ont tenté de créer une vraisemblance historicisante, d’autres ont mêlé des éléments de différentes époques dont la coexistence devait parvenir à créer l’illusion. Nous avons rappelé l’importance des ambassades pour la connaissance des costumes ainsi que l’invention nourrie des modèles de la mascarade romaine de 1747. L’Orient est le cadre de l’action de plusieurs pièces ; comment a-t-il été figuré par les artistes ? Quelles images en ont-ils offert ? Le sérail peut ressembler à n’importe quelle demeure, pourvu qu’il y ait des grilles [fig. 7], un minaret [fig. 61] ou des inscriptions sémitiques [fig. 80]. Chauveau avait, pour Bajazet, donné le ton en figurant dans l’ouverture ce serviteur dont le costume évoque les turqueries du grand Mamamouchi de Molière [fig. 7] 82. Il est un observateur dont le turban, la couleur de peau et la tunique offrent une vision de l’Orient. Sa présence un peu bonhomme détourne du tragique en déplaçant le regard du spectateur. Louis-Fabricius Du Bourg, quant à lui, a limité son incursion orientale : Roxane et Atalide portent de simples robes et sont coiffées de turbans [fig. 24]. En revanche, L’Évanouissement d’Atalide de Coypel se déroule dans une atmosphère qui paraît saturée de parfums et du bruissement des étoffes [fig. 27]. Les soieries recouvrent les murs, le sol disparaît sous les tapis, et les femmes sont parées de tissus précieux, de fourrures et de pierreries. Même si les motifs textiles sont un peu éloignés de la Turquie contemporaine, ils offrent une vision commune à maints artistes du XVIIIe siècle. En 1760 Jacques De Sève a choisi ce type de costume, dans une version simplifiée pour le frontispice de la pièce [fig. 38]. Mais Gérard, dans la planche de l’acte IV, a souligné les différences de rang en accentuant le caractère exotique de l’action [fig. 80]. Zatime est figurée sous l’apparence d’une femme de couleur, bras nus, tandis que Atalide et Roxane portent des manteaux bordés de fourrure. Quant aux costumes d’Esther dans la planche de Gravelot [fig. 55], ils apparaissent d’une Le Bourgeois gentilhomme avait été donné en 1670. Chéron a repris ce personnage en le représentant de dos [fig. 18]. 82
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fantaisie que l’attitude des personnages rend théâtrale ; elle est comme contenue dans les plumets des turbans. Ce sont ces mêmes principes qui se retrouvent pour la vignette de Soliman II de l’édition des Contes de Marmontel 83. Les personnages principaux d’Athalie chassée du temple de Coypel [fig. 13] portent de longs vêtements de soie aux couleurs contrastées, avec une simplicité qui n’est pas de mise dans L’Évanouissement d’Esther [fig. 14]. La richesse transparaît tant dans le décor de la salle du trône que dans les étoffes. Les soieries, les tapis, les turbans, les barbes et le brûle-parfum indiquent que l’action se déroule dans un ailleurs teinté d’exotisme 84. Mais rien dans le costume d’Esther ou de ses suivantes ne permet de situer cet épisode dans le temps. Quant à la fourrure, elle apparaît pour les bordures, les doublures ou pour le corps de certains manteaux. Ce matériau ne donne-t-il pas aux femmes qui le portent une force, une puissance supplémentaires ? Lorsque Bérénice dans la planche de De Sève [fig. 37] réagit d’un mouvement vif aux paroles de Titus, elle laisse voir la fourrure tachetée de son manteau. Mais c’est certainement l’Athalie de Charles Coypel qui affiche la puissance la plus effrayante [fig. 21]. Dotée d’une stature imposante, elle est aussi vêtue d’une fourrure qui se déploie jusqu’au sol, accentuant le contraste avec la robe blanche de Joas 85. Cependant cette puissance paraît bien artificielle, avec ses rangs de perles qui ornent la coiffure et le haut de la robe. Ces ornements répondent aux vêtements fastueux et improbables d’Abner, lequel n’exprime aucun sentiment. Les peintures, par leur format, mais aussi grâce à la couleur laissent plus de place que les vignettes au luxe des étoffes et des tentures. Mais la miniaturisation et la bichromie n’ont pas limité la création des dessinateurs qui ont suggéré la profusion de motifs. Dans sa vignette pour Bajazet [fig. 7], Chauveau a recouvert le sol et une partie des murs de tissus en harmonie avec le vêtement de la sultane. Les costumes des personnages d’Esther ou de Baja Jean-François Marmontel, Contes moraux. Paris, Brunet, 1776. Édition illustrée par Gravelot. 84 Cet accessoire se retrouve dans de nombreuses illustrations. Quant au vêtement de la reine, le peintre a pu être inspiré par la planche de Le Brun [fig. 11]. 85 Voir à propos de ce vêtement la Lettre à M. Poisseron-Chamarade, op.cit.. Paris, le 5 septembre 1741. BnF, collection Deloynes, vol. I, pièce 14 : « Elle est richement habillée d’une Robe de Gaze d’or, par-dessous une mante de Pelisse de Tigre, et cet ajustement qui a quelque chose de sombre, quoique de magnifique, semble mettre son cœur en dehors, et nous livre ses projets cruels. » 83
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zet sont assez semblables, et la période chronologique n’est pas identifiée. La vignette de Gravelot [fig. 55] propose l’apogée du déploiement d’étoffes : Esther porte une robe, un manteau bordé de fourrure ainsi qu’un turban orné de pierreries 86. Peu à peu, les formes, les tissus et les turbans sont devenus plus sobres, et l’Orient a été recréé différemment. Les planches de Gérard ou de Chaudet attestent de cette recherche de simplicité. Les vêtements retrouvent la souplesse des drapés à l’antique, et le statut de Roxane ou d’Esther est plus perceptible dans les formes de leur costume que dans l’ostentation des étoffes. Cependant, si les recherches en faveur d’une meilleure vraisemblance s’affirment au cours du XVIIIe siècle, il ne faut pas négliger les recherches du siècle précédent. J. B. Corneille ou A. Coypel, lorsqu’ils ont représenté Athalie dans le temple [fig. 12, 13], ont figuré Joad avec le pectoral qui indique sa fonction et identifie d’emblée le prêtre juif. Les anachronismes ont fait partie de l’histoire des représentations. Les critiques de la littérature, ou les théories de l’art en ont débattu, dans des contextes qui ne sont pas les nôtres. Comment définissons-nous aujourd’hui le vraisemblable dans un texte inspiré de sources antiques ou exotiques ? Qu’est-ce qui peut choquer nos yeux, est-ce une représentation qui manque de naturel ou un chameau oublié ? Est-ce manquer de vraisemblance que de figurer l’éléphant de Porus ou au contraire une preuve de compréhension ? La distance que doit prendre l’artiste est difficile à définir, non seulement en raison de sa perception propre, mais aussi des contraintes qui étaient les siennes. Les pièces de Racine transportent le spectateur sur une échelle chronologique assez vaste. Malgré l’intérêt porté aux coutumes et aux costumes, les arts visuels ont donné de ces périodes des visions parfois schématiques en distinguant deux grandes aires géographiques : l’Orient et l’Occident. Ils ont souvent privilégié ces distinctions au détriment du respect de la chronologie. Dans leurs compositions, l’Orient de Bajazet ne diffère guère de celui d’Esther, et l’Antiquité gréco-romaine appartient au monde occidental. En opposant Orient et Occident, ils ont renforcé le caractère exotique de certaines histoires, et leurs représentations témoignent de leur propre vision des contrées lointaines. Cependant, leurs connaissances ne sauraient être mésestimées, nourries qu’elles étaient des modèles fournis par la statuaire et la littérature. Les peintres et dessinateurs qui ont donné aux personnages raciniens 86
Cet accessoire se retrouve fréquemment dans les portraits d’acteurs du XVIIIe siècle. Voir Maria Inès Aliverti, La naissance de l’acteur moderne. L’acteur et son portrait au XVIIIe siècle. Paris, Gallimard, 1998.
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un visage, une stature et une allure, ont transposé l’idée qu’ils se faisaient de leurs civilisations. En outre, la permanence de certains vêtements répond à la permanence de certains traits physiques, parfois inspirés par des œuvres de l’Antiquité 87. Quand Racine campe le cadre de ses actions, quand il déploie au fil des actes une histoire relatée par les sources, il crée une œuvre et s’inscrit dans une démarche partagée par bien d’autres. Il offre à ses contemporains des textes qui contiennent la part d’originalité permettant de les considérer comme des œuvres de création. Que partage en effet Bérénice avec la comédie héroïque de Corneille, Tite et Bérénice ? Représentées la même année (1670), elles ont en commun une source ancienne, qui permit à chacun des deux poètes de créer une pièce marquée de leurs intentions. En cela, leur démarche créatrice ne diffère guère de celle des peintres et dessinateurs. Les principes théoriques développés autour du choix de l’instant soulignent plus les convergences que les divergences de la peinture et de la littérature. Peintres et poètes tendaient vers un même but, et les théories dévolues au théâtre ou aux arts visuels ont tenté de définir un cadre réflexif qui insistât sur les règles nécessaires à la pratique de ces arts. Elles ont certainement contribué à un rapprochement ; et, plutôt que d’entrer dans un paragone non constructif, les théoriciens ont préféré insister sur l’importance du choix du sujet et les moyens déployés pour le traiter. Ils ont ainsi multiplié les possibilités pratiques pour inscrire le temps dans l’œuvre, pour que les personnages portent cette temporalité à laquelle ils ne peuvent se soustraire. Quand les peintres ont souhaité donner une ampleur narrative à leurs œuvres, ils ont le plus souvent travaillé habilement. Le recours aux suites n’est pas négligeable dans l’histoire des arts, et l’on sait ce que les épisodes de l’histoire de Renaud et Armide ou ceux de Don Quichotte doivent à la tapisserie. Il y eut de véritables engouements pour certaines thématiques, et les artistes se sont dès lors intéressés plus précisément à quelques scènes de ces histoires. Plusieurs motivations ont arrêté leur choix, parmi lesquelles l’expressivité et l’intérêt du sujet. Quelques épisodes de textes littéraires sont ainsi devenus emblématiques, se laissant reconnaître au premier regard. Figeant une narration en un ou plusieurs instants, afin qu’elle constituât un sujet transposable dans les arts 87
Les modèles pouvaient être sans rapport avec le personnage : souvenons-nous de l’erreur de Le Brun qui, pour le visage d’Alexandre dans Les Reines de Perse, avait copié une médaille à tête de Minerve.
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visuels, ils ont aussi souhaité inscrire leurs œuvres dans une chronologie et donner à voir d’autres périodes dont ils ont tenté de représenter les particularités. Les artistes ont inventé des visages, défini des statures, choisi des costumes pour habiller les corps et proposer des ensembles cohérents. La quête de cohérence est celle d’une vraisemblance qui embrasse non seulement le contexte historique, mais aussi les particularités des personnages (caractère et rang social). La transposition d’un sujet littéraire dans les arts visuels peut également prendre la forme d’un commentaire si l’on considère la part d’interprétation dévolue à l’artiste. Les thèmes raciniens n’ont pas dérogé à ces principes ; les différentes représentations qui en ont été données dans les arts visuels restituent ce processus tout en soulignant l’extraordinaire fécondité des pièces. Le souhait de proposer aux spectateurs ou aux lecteurs des compositions représentatives s’exprime d’une manière prégnante. Les illustrations, quel qu’en soit le support offrent des pérégrinations dans les textes et dans le temps, restituant tout un monde sensible. Les réflexions théoriques, les moyens mis en œuvre par les artiste parlent d’une même voix pour célébrer les possibilités respectives de la peinture et de poésie, tout en rappelant leurs convergences.
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Acte IV - Le lieu Comme nous l’avons rapidement évoqué, les lieux participent pleinement du drame en ce qu’ils accompagnent les mouvements des corps, leurs déplacements, souvent révélateurs d’une passion 1. Les vers sont riches d’un vocabulaire relatif à la mobilité des personnages, donnant un rythme aux scènes qui contribue à l’enchaînement des événements. Les tempi variés sont ceux d’une partition dans laquelle ils donnent l’impulsion aux actions. Les peintres et graveurs ont pu se conformer à certaines indications, figurant un camp, un palais ou un cabinet quand cela s’imposait. Ils n’ont cependant pas toujours individualisé ces lieux, disposant des édifices dont la typologie peut être établie et dont les formes sont souvent assez proches. Leurs architectures mêlent des éléments antiques et contemporains, recréent civilisations et aires géographiques de manière parfois très conventionnelle. La variété que certains artistes ont introduite d’une pièce à l’autre ne se retrouve pas dans les compositions d’autres artistes qui ont volontiers reproduit les mêmes élévations intérieures. Ce manque d’identité est en partie voisin du « palais à volonté » désigné par Le Mémoire de Mahelot. Cependant, les artistes ont créé des espaces possibles pour les héros ; ils ont mis en œuvre les moyens plastiques nécessaires à la représentation des lieux. Aucune des œuvres du corpus ne s’appa François-Xavier Cuche, « Les palais raciniens », François-Xavier Cuche, dir., La vie de château, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1998. Actes du colloque de 1996 : « Racine, nous semble-t-il, a réfléchi avec profondeur sur les possibilités dramatiques qu’offraient l’architecture et les fonctions d’un palais. Même si les didascalies sont rares dans son théâtre, le discours des personnages se réfère abondamment à l’espace, et la logique même de l’action impose aussi des conclusions sur la nature et la fonction du lieu représenté », p. 218. Voir aussi Marc Szuszkin, L’espace tragique dans le théâtre de Racine. Paris, L’Harmattan, 2005. 1
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rente à un décor de théâtre ; peintures et vignettes ne montrent pas les perspectives serliennes et leurs toiles de fond 2. À cet égard, le corpus racinien est conforme à bien d’autres illustrations de pièces de théâtre, même si l’iconographie de l’une d’entre elles fait exception. En effet, la pièce à machines de Pierre Corneille, Andromède, représentée en 1650, fut imprimée l’année suivante avec des gravures qui gardent le souvenir de la scène théâtrale 3. On assiste ici à une autre forme d’illustration qui rejoint l’iconographie des fêtes données par Louis XIV. Il se dégage des œuvres de notre corpus une forme de vérité qui n’est pas moins crédible que celle de nombreuses œuvres. Des architectures de fantaisie, des mondes inventés côtoient des compositions dans lesquelles la volonté de proposer des reconstitutions historiques est affirmée. L’architecture des tragédies antiques reflète plusieurs visions de l’Antiquité, livrant une interprétation qui a principalement deux sources. L’une correspond à ce qui a été croqué lors des voyages, l’autre est à relier aux nombreuses estampes qui circulaient dans toute l’Europe et contribuaient à diffuser des modèles. Le plus remarquable est certainement la volonté de proposer pour chaque scène représentée un lieu qui soit aussi cohérent par rapport à l’ensemble de la tragédie. Leurs œuvres proposent bien entendu les variétés stylistiques inhérentes à la réunion de compositions de différentes périodes, mais elles montrent aussi des variétés qui correspondent aux actions figurées. Les lieux pourraient être classés selon un principe de gradation, des plus ouverts au plus fermés, par exemple, mais ce qui importe le plus est certainement le procédé mis en œuvre par les artistes. Comment se sont-ils en effet approprié les lieux raciniens ? De quelle manière ont-ils créé un cadre propice au déploiement de l’action et des passions ? Il fallait pour certaines scènes donner de la grandeur, tandis que d’autres devaient pouvoir se dérouler dans des espaces plus intimes. La peinture de ces lieux renvoie aux perspectives raciniennes qu’Émile Faguet a
2 L’architecte Sebastiano Serlio a décrit trois types de scènes (comique, tragique et satirique) et proposé un principe de perspective à point de fuite central. Les gravures qui accompagnent son traité sont particulièrement célèbres. Sebastiano Serlio, Il primo libro d’architettura [Il secondo libro di perspettiva], 1545. Éd. New Haven, Yale University Press, 1996-2001, établie par Vaughan Hart et Peter Hicks. 3 Pierre Corneille, Andromède. Rouen, L. Maurry, 1651. Les gravures ont été exécutées par Chauveau, d’après les dessins des frères Torelli, concepteurs des machines. La lettre gravée propose un résumé de l’action représentée.
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évoquées 4. Enfin, le cadre de l’action n’est rien s’il n’y a pas d’adéquation avec le costume et le drame qui se joue ; c’est la réunion de ces parties qui contribue à l’expressivité. Une forme de rhétorique se déploie au travers des architectures, transportant le spectateur d’une contrée à l’autre et d’une période à une autre. Aux portes du palais À l’instar de l’acteur qui fait son entrée sur la scène, les personnages arrivent sur les lieux de l’action. Leurs venues, plus ou moins longuement évoquées, ont pu être retenues par les dessinateurs, notamment celles de Bérénice et d’Iphigénie. Serangeli et Gérard ont figuré leur entrée dans le drame sans rien dévoiler de ce qui va se jouer. C’est une fois encore parce que l’édition Didot leur offrait plusieurs planches qu’ils ont pu ouvrir ces pièces par une illustration à la tonalité légère. Leurs compositions ménagent une forme de suspens qui correspond à la progression de l’action dramatique. Ainsi, Bérénice gravit en compagnie de Phénice les marches du palais de Titus [fig. 77] ; au moment de franchir ce seuil, elle est animée d’une insouciance tout éphémère. Iphigénie, quant à elle, certaine d’aller vers l’autel de l’hymen, arrive sur un char en cortège dans une disposition qui rappelle bien des scènes antiques [fig. 83] 5. C’est par les yeux d’Arsace que l’entrée triomphale de Bérénice est décrite, acclamée par une foule conquise et dense : Seigneur, j’ai vu la reine ; Mais, pour me faire voir, je n’ai percé qu’à peine Les flots toujours nouveaux d’un peuple adorateur Qu’attire sur ses pas sa prochaine grandeur 6.
Les mots du confident d’Antiochus témoignent de la confiance d’un peuple face aux prémices d’une histoire déjà écrite et dépourvue de tragique. Le dessinateur, qui a ajouté la présence de Phénice, a donné de cette arrivée une belle composition vivante et animée. C’est la main posée sur l’épaule de sa confidente que la reine monte les marches ; ses vêtements accompagnent avec Émile Faguet, Dix-septième siècle : études littéraires. Op. cit.. Nous ne reviendrons pas sur l’arrivée de Junie que nous avons déjà commentée. 6 Bérénice, I, 3, v. 51-54. 4 5
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souplesse les mouvements ; et, comme pour insister sur l’absence de gravité, son voile flotte au vent. La foule est représentée telle une masse compacte de têtes de laquelle émergent quelques personnages aux gestes éloquents. La composition de Serangeli transpose fidèlement la vision des événements livrée par Arsace. Son talent d’inventeur permet au lecteur-spectateur d’entrer dans la pièce avec la même confiance que Bérénice. C’est de la même manière que Clytemnestre conduit Iphigénie à son père. Promise à Achille, sa venue en Aulide est source de joie et Eurybate, qui annonce à Agamemnon leur arrivée imminente, décrit l’exaltation compagne de leur route : Déjà de leur abord la nouvelle est semée, Et déjà de soldats une foule charmée, Surtout d’Iphigénie admirant la beauté, Pousse au ciel mille vœux pour sa félicité 7.
Le roi, conscient que le destin de sa fille l’entraîne vers le malheur, avait voulu annuler sa venue. Il ne peut donc accueillir avec le même enthousiasme la description faite par son domestique. Gérard a figuré cet épisode sous la forme d’un cortège [fig. 83] dans lequel la mère et la fille, debout sur un char, sont entourées d’une foule compacte et légère qui les acclame au son des flûtes et des tambourins en jetant des fleurs au sol. La liesse qui les accompagne transforme leur arrivée en triomphe et anticipe sur les festivités de la cérémonie de mariage. Quand certains personnages franchissent les seuils et ouvrent les portes sans dissimulation, aux yeux de tous, d’autres choisissent de rester sur le pas. Préférant taire leur présence, lorsqu’ils entrent, c’est pour mieux se cacher derrière un pilier ou une tenture afin d’épier, de voir et d’entendre sans se montrer. Ces attitudes nous sont connues lorsque le héros fait la relation de son forfait qui n’est jamais sans conséquences. Dans les espaces de leurs compositions, les peintres et dessinateurs avaient de multiples possibilités pour figurer ces fourberies et les rendre visibles aux yeux des spectateurs. Les portes dérobées, les rideaux, les embrasures, les portières textiles, les galeries supérieures constituent des dispositions tout à fait convaincantes 8. Une cloison Iphigénie, I, 4, v. 349-352. Voir par exemple l’illustration de Gravelot pour Britannicus [fig. 49]. Au moment où Agrippine désigne et accuse son fils, le rideau entrouvert de la porte est un indice des mouvements de circulation dans les espaces. Rappelons que Chaudet a placé Néron observant l’arrivée de Junie en hauteur [fig. 75]. 7 8
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à mi-hauteur peut avoir cette même fonction, comme dans les vignettes de Bajazet et d’Esther dessinées par J. De Sève [fig. 38, 44]. À deux reprises, au moment où Britannicus doit arriver, Néron indique à Junie qu’il surveille ses actes et ses paroles : « Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame. […] / Madame, en le voyant, songez que je vous voi 9 ». Au troisième acte, après avoir échappé à la vigilance du tyran, elle rencontre Britannicus. Dans cette scène, elle relate l’épisode précédent et la surveillance de Néron qui l’avait empêchée de dévoiler ses sentiments. Chaudet a illustré les derniers instants de la scène sept [fig. 76] : Britannicus s’agenouille devant celle qu’il aime, tandis que Néron paraît sur le seuil. On ne sait pas ce qu’il a entendu, mais Britannicus, par son mouvement, s’est perdu, et Junie le signifie sans détour : « Que faites-vous ? Hélas ! votre rival s’approche 10 ». Ce vers constitue la lettre de l’estampe. La disposition des lieux dont l’arcade est ouverte suggère que Néron a pu se mettre en retrait derrière le mur pour observer les transports amoureux de son rival. Cette dissimulation du second acte, De Sève l’a figurée dans un cul-de-lampe [fig. 36] avec un grand sens de l’ornementation. Les trois enfants se tiennent sur une console rocaille à deux niveaux, et c’est un gracieux cartouche vertical qui sert de cloison et d’abri à Néron. Les tailles de la gravure montrent combien son visage, à profil perdu, et son corps sont dissimulés par l’ombre, révélant aussi les noirceurs de son caractère. La fourberie de l’empereur est bien connue, sa capacité à épier a été signifiée dans la pièce et transposée dans les illustrations. Néron partage des traits avec Œnone aux sombres desseins, capable de rapporter différents événements que ses sens en éveil ont pu investir. On se la représente surveillant sa maîtresse, épiant les mouvements de son corps et de son âme, on se la figure écoutant aux portes pour saisir les conséquences de son funeste projet. Girodet ne l’a pas dessinée autrement puisque sa face paraît alors que Thésée ordonne à Hippolyte de quitter le palais [fig. 88]. Œnone se tient dans l’autre pièce, en partie dissimulée dans son manteau, trahie par l’acuité de son regard et le mouvement de sa main : ils révèlent l’attention portée à la scène qui se joue. L’étoffe placée devant la bouche pourrait même étouffer un cri 11. L’ajout de ce personnage qui ne fait pas partie de la scène de la tragédie (IV, 2) est tout à fait pertinent. Le peintre a Britannicus, II, 3, v. 679 et II, 4, v. 690. Id., III, 7, v. 1024. 11 L’étude des figures nues conservée à Édimbourg (voir deuxième partie) montre Œnone sur la pointe des pieds et la main sur la bouche. Bien que le dessin ne figure pas encore le 9
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non seulement livré les traits de caractère de la nourrice, mais aussi contribué à l’accuser de ce désastre. Seul le fidèle chien se tourne vers l’encadrement, il indique le chemin de la lumière, la source qui pourrait révéler la vérité et tout arrêter. Ce rai lumineux qui vient frapper Hippolyte ne peut-il être également le soleil de Phèdre, la lumière éclatante qui met au jour les pires noirceurs ? Espaces clos La délimitation de l’espace est nécessaire, indispensable à la composition visuelle. Mais elle peut avoir des significations diverses : n’être qu’une simple limite ou dessiner les contours d’une prison. Il est bien entendu que la lice du champ de bataille des frères ennemis de La Thébaïde ne partage rien, du point de vue du sens, avec les murs ou les tentures d’autres pièces. Ce sont ces dernières clôtures qui nous intéressent parce qu’elles marquent les lieux dévolus à chacun des personnages et délimitent aussi les barrières qui ne sauraient être franchies. Cette surface peut alors signifier l’enfermement ou la réclusion : le sérail de Bajazet est l’une d’elles. Dès les premiers vers, Acomat l’indique : « Souffrez que Bajazet voie enfin la lumière : / Des murs de ce palais ouvrez-lui la barrière 12». Cadre principal de la tragédie, il est nommé, et l’on sait combien il peut être lourd de secrets, tout comme le cabinet de Titus et Bérénice. Pour le spectateur, la clôture est fictive puisqu’il jouit d’une vue sur l’action qui se déroule ; il lui faudra donc ressentir cette limite. Le travail des peintres et dessinateurs consiste alors à recréer par la disposition des lieux et, par l’attitude des personnages, l’enfermement physique et psychologique. Ils ont ainsi parfois inventé des espaces clos que les tragédies n’avaient pas explicitement présentés, créant les lieux propices au déploiement de l’action. Ils ont aussi souvent fait le choix de situer certaines scènes dans des pièces dont les murs réduisent la vue sur l’extérieur. Le huis clos des passions se referme donc sur des héros déjà prisonniers de leur corps et de leurs émotions. Certains de ces lieux avaient été parfaitement circonscrits par Racine ; l’un des plus emblématiques est le cabinet de Bérénice. Le dramaturge l’a dessiné avec soin, le parant d’une ornementation qui le rend reconnaissable décor, la disposition des trois personnages est en place et le mouvement d’Œnone est très explicite. 12 Bajazet, I, 2, v. 237-238.
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et lui confère une signification forte. Pourtant, les dessinateurs n’ont pas toujours retenu le fin décor du cabinet de Titus et de Bérénice. Ils ont affiché dans leurs compositions une certaine liberté par rapport au texte qui peut surprendre, voire dérouter. Pourquoi n’ont-ils pas figuré les chiffres ou individualisé la pièce ? Certains ont vraiment rendu cette chambre très neutre, semblable à toute autre salle de la demeure. Ainsi la planche attribuée à Chauveau [fig. 6] ne restitue-t-elle au premier regard, ni le faste ni le sens de l’ornementation. La grande baie qui dévoile le jardin et son pavillon limite la place dévolue aux murs et réduit les possibilités de disposer un décor. Cependant, la console et le lambris bas signent un ensemble soigné. Le dessinateur, qui conduit immédiatement le regard du spectateur vers l’extérieur, lui impose d’être attentif pour découvrir la finesse de ce décor classique. Les lignes perspectives aboutissent au pavillon et c’est peut-être ce bâtiment, orné de deux statues antiquisantes dans les niches du premier niveau, qui signifie l’intimité et la retraite. Le cabinet des souverains, si peu accessible aux regards extérieurs, comporte dans cette planche une ouverture que les rideaux relevés mettent en scène. N’est-elle pas surprenante ? Les vers de Racine n’avaient pas suggéré que les amants pussent voir au dehors ou être vus. La construction très architecturale de cette illustration, les lignes perspectives, celles du dallage reprises par les carreaux de la fenêtre insistent fortement sur les éléments de l’espace. C’est certainement la conjugaison de ces éléments architecturaux qui livre le secret de la scène. Au XVIIIe siècle, J. De Sève [fig. 37] et Gravelot [fig. 50] se sont éloignés de cette première composition en dessinant chacun une pièce aveugle et moins dépouillée. Leurs planches montrent un espace rythmé par les retours d’angles et les ressauts que ponctuent colonnes ou pilastres à chapiteaux composites. Les rondes-bosses remplacent les lettres entrelacées des amants ; des portraits qui rendent éclatante la destination de la pièce. Dans le cabinet dessiné par J. De Sève [fig. 37], trois statues peuplent les niches, tandis que deux bustes d’hommes à l’antique encadrent la cavité la plus visible 13. Ces sculptures inscrivent la scène dans le monde romain, celui des empereurs aux couronnes de lauriers. La figure féminine, qui apparaît comme enchâssée entre les deux colonnes, rappelle que les lieux sont aussi destinés à Bérénice. Ces statues évoquent vraisemblablement les amants et Vespasien. Gravelot [fig. 50], quant à lui, a remplacé les chiffres par deux bustes à l’antique sur des consoles en agrafes dont les guirlandes répondent 13
L’une d’elle se devine sur le mur perpendiculaire à Titus.
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à celles de l’entablement. La ressemblance de ces têtes sculptées avec les personnages de la scène contribue à reconnaître des portraits. L’individualisation des lieux se poursuit par le décor des dessus-de-porte conduisant aux appartements royaux. L’une des portes est surmontée d’un aigle et d’un trophée, l’autre d’un médaillon entouré d’une guirlande ; une iconographie qui permet de reconnaître l’appartement de Titus et celui de Bérénice. Enfin, en suggérant ainsi la circulation, le dessinateur a situé le cabinet dans un ensemble architectural plus vaste, conformément aux indications du dramaturge. Jacques De Sève et Hubert Gravelot ont délibérément souhaité représenter un cabinet qui s’apparentât à celui que Racine avait dessiné. Par leur caractère ornemental et symbolique, leurs compositions sont uniques dans l’illustration de Bérénice ; elles proposent un lieu habité que les protagonistes ont pu investir. Les vignettes de leurs successeurs, en revanche, ont délaissé l’ornementation, préférant un dépouillement plus froid qui soulignât le dessin de la stéréotomie 14. Le cabinet qui accueille les dialogues amoureux, les atermoiements et l’ultime séparation a contenu les émotions des souverains. Cette même volonté a certainement conduit les peintres et graveurs, sans que cela soit une nécessité de l’action, à situer un certain nombre de scènes dans des pièces fermées. Leurs choix tendent à renforcer la tension, conférant aux passions davantage de force et de violence. Aucune distraction pour l’œil du spectateur qui se concentre sur l’action figurée, et bien peu d’échappatoire pour les protagonistes. En fonction de leur décor, ces espaces clos créent une atmosphère particulière : les murs nus sont glacials, tandis que les tentures et les tapis contribuent à une sensation d’étouffement. La dissimulation s’impose lorsque les entrevues et les dialogues doivent rester secrets. Il en est ainsi de la déclaration de Phèdre à Hippolyte qui ne saurait être divulguée. La mise en scène du tableau de Garnier, Hippolyte saisi d’horreur [fig. 57], apparente ce lieu à Carol Margot Osborne, Pierre Didot the Elder. Op. cit., commente ainsi le décor du cabinet dessiné par Serangeli [fig. 79] : « No detail of local color distracts from the concentrated focus on the dramatics personæ. Instead, Serangeli stops the eye with a single broad background plane, subtly enlisting the linear cuts in the marble in the drive to force the viewer’s glance down to the figural group ; and using the horizontal incisions in the stone floor for the same centralizing effect », p. 128. Traduction : « Aucun détail de couleur locale ne nous éloigne du centre d’intérêt fixé sur les personnages. Au lieu de cela, Serangeli arrête le regard grâce à un seul arrière-plan large, les tailles linéaires du marbre entraînant avec subtilité le regard forcé du spectateur vers le groupe de figures ; il utilise les incisions horizontales dans le sol en pierre pour le même effet centralisateur ». 14
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un appartement délimité par les tentures qui sont entre les colonnes. Le peintre n’a pas créé un simple décor, il a figuré une chambre dont les détails ornementaux relèvent du quotidien. Les trois protagonistes sont disposés dans une pièce individualisée par le mobilier et les objets d’un lieu privatif que l’on imagine à l’écart. Ce sont les appartements de la fille de Minos, et le reste du palais doit ignorer le drame qui se joue. Le lieu de l’action n’est pas indiqué par Racine ; pourtant, par la voix d’Œnone, on le sait accessible à d’autres personnages qui représentent alors un danger dans cette situation embarrassante 15. Dans sa vignette, Gravelot avait représenté l’instant dans une salle en partie close [fig. 54]. Les personnages se tiennent dans une vaste pièce destinée à la conversation ; cependant l’action n’est pas complètement dissimulée et l’aveu de Phèdre pourrait être entendu. Gravelot a situé nombre de scènes dans des chambres parfaitement circonscrites, veillant toujours à proposer des lieux qui ne soient pas confinés. Ses compositions ménagent en effet des perspectives qui, malgré l’absence d’ouvertures sur l’extérieur, suggèrent d’autres espaces et n’enferment pas les personnages. Du point de vue des caractéristiques stylistiques, le tableau de Garnier daté 1793 offre une transition. Il apparaît comme un exemple de composition néoclassique qui ne cède pas encore à une trop grande froideur. Dès l’édition de 1796, le décor perd de l’importance, et les planches de l’édition Didot proposent des vignettes dans lesquels les murs nus sont les éléments dominants, parfois ponctués de quelques frises en bas-relief. La plupart des estampes situent l’action dans une pièce indéfinie et anonyme, presque austère : les hauts murs et les angles saillants insistent sur les limites spatiales. Les deux tableaux de Guérin sont proches de ce type de représentation. Dans Phèdre et Hippolyte [fig. 95], seul le mur courbe derrière le groupe de droite vient rompre le rythme. En partie dissimulé par une draperie dans l’esquisse du Louvre, il est agrémenté de fleurons et d’une ligne d’oves dans la composition définitive. Pour Andromaque et Pyrrhus [fig. 96], le mur nu et aveugle forme une exèdre qui répond au demi-cercle du podium. Aucun autre ornement que la liste des noms des héros de la guerre de Troie gravée dans le marbre ; seul le trône de Pyrrhus se pare de motifs sculptés, sans pour autant rendre la salle plus chaleureuse. Ces compositions sont marquées par les lignes droites que dessinent les corps des personnages ; leurs membres tendus et leurs réactions sans appel sont valori-
Phèdre, II, 5, v. 712 : « Mais on vient ».
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sés par le dépouillement du décor. Le huis clos se déroule ainsi dans une froideur minérale à la disposition minutieuse. Le tissu, absent de ces décors, est en revanche omniprésent dans L’Évanouissement d’Atalide de Charles Coypel [fig. 27]. Il participe de la sensation d’oppression : la pièce tendue d’étoffes, le sol recouvert de tapis ne laissent pas les voix percer ; les cris et les gémissements sont retenus, filtrés, fortement atténués par les fibres textiles. Atalide est seule face à Roxane et à son esclave ; il n’y a ni regard ami, ni fuite possible ; l’enfermement du sérail et de ses secrets est résumé dans la disposition de cette seule pièce. C’est la lecture de la lettre qui a provoqué la pâmoison, mais l’atmosphère qui se dégage du lieu ne peut que contribuer à l’émotion de la jeune femme. Même si le décor est anachronique, le spectateur est sensible à cette mise en scène, à la restitution d’un Orient qu’il imagine saturé de parfums. Racine n’a donné aucune précision relative à cet instant de Bajazet ; nous savons seulement que l’action de la pièce se déroule « à Constantinople, autrement dit Byzance, dans le sérail du Grand-Seigneur ». Aussi Coypel fut-il le seul à situer l’évanouissement d’Atalide dans une chambre aussi fermée dont on perçoit les lourdes effluves. Chaudet, quant à lui, a suggéré le sérail par une pièce à hauts murs où le jour pénètre à travers des baies grillagées placées en hauteur qui rendent toute vue sur – et de – l’extérieur impossible [fig. 80]. La pâmoison d’Atalide est ici représentée avec davantage de naturel, dans un espace particulièrement dépouillé. Même si ces ouvertures n’offrent pas de perspective, leur fonction se rapproche de celle de toute baie parce qu’elles inscrivent la pièce dans l’architecture du palais. Lorsque la vue offerte est celle d’un jardin ou de végétaux, elle apporte le plus souvent un souffle, une animation qui permet une autre transposition des passions. Ouvertures sur le jardin Le jardin, objet de toutes les attentions, est à la fois un lieu d’agrément et un lieu de culture. Animé des conversations savantes, peuplé d’une iconographie symbolique, son Parnasse abrite les Muses. C’est dans la continuité du Décameron que le jardin du XVIIe siècle fut l’un des lieux privilégiés des débats réflexifs, participant pleinement à la vie mondaine et culturelle. Il était aussi un site dévolu aux plaisirs, non seulement par le spectacle changeant de la végétation que soulignent les perspectives, les bosquets ou les jeux d’eaux,
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mais aussi parce qu’il était une scène. Fêtes, représentations théâtrales et banquets ont été organisés dans ce décor qui parut souvent enchanteur 16. Les célèbres fêtes de Versailles ont poursuivi avec faste une tradition bien ancrée dans la civilisation italienne et héritée de l’Antiquité. Sans doute fascinés par ce lieu, les peintres et dessinateurs ont situé certaines scènes dans un décor végétal. Leur choix ne répondait pas toujours à une nécessité de l’action puisque le seul jardin racinien explicitement nommé est celui d’Esther, dans lequel se déroule le troisième acte de la tragédie : « Le théâtre représente les jardins d’Esther, et un des côtés du salon où se fait le festin ». Les artistes n’ont cependant pas hésité, pour d’autres épisodes raciniens, à représenter des végétaux visibles à travers une baie, une grille ou une colonnade, et à suggérer ainsi la présence d’un jardin dont les arbres soulignent le plus souvent les lignes perspectives et marquent le point de fuite. Ces compositions rappellent que le travail de composition, de création est essentiel. Mais que représentaient les jardins pour Racine ? Nous ne le savons guère ; tout juste l’inventaire de sa bibliothèque livre-t-il la possession du De re rustica de Columelle (1533) et des Instructions pour les jardins fruitiers et potagers de Guillaume de La Quintynie paru en 1690 17. Jean Dubu a cependant relevé toutes les occurrences du mot jardin dans les pièces et commenté les vignettes de Bérénice et de Bajazet pour l’édition de 1676 18. Nous avons déjà souligné l’ouverture vers l’extérieur du cabinet royal dans cette planche. Quel est donc ce jardin et en quoi consiste-t-il ? La gravure [fig. 6] montre un bâtiment à fronton triangulaire à l’arrière-plan de la composition. Cet édifice se trouve au-delà d’un mur à pilastres et à niches
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C’est dans un cadre de verdure que fut donnée la première représentation d’Iphigénie. Le 18 août 1674, l’orangerie de Le Vau à Versailles, aux dimensions plus modestes que celle de Le Nôtre, devint un théâtre de verdure que la relation de Félibien décrit avec une grande précision. Alceste de Quinault avait été donnée dans la cour de marbre et le Malade imaginaire de Molière devant la grotte de Thétis. Voir André Félibien, Les divertissements de Versailles donnez par le Roy a toute sa cour au retour de la conqueste de la Franche-Comté en l’année M.DC.LXXIV. Paris, Imprimerie royale, 1676, pp. 20-21. 17 Paul Bonnefon, « La bibliothèque de Racine », op. cit.. Deux études s’intéressent au labyrinthe de Le Nôtre décrit par Charles Perrault, établissant des parallèles avec celui de Phèdre : Mme Ronald Huebert, « Racine et le labyrinthe de Versailles », Cahiers raciniens, 1970, 2è semestre, pp. 19-24. Amy Wygant, Towards a Cultural Philology. Op. cit., pp. 76-103. 18 Jean Dubu, Racine aux miroirs. Paris, Sedes, 1992.
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sommé d’une balustrade 19. Le mur évoque l’art des jardins, il pourrait accueillir une fontaine et soutenir une terrasse. Il suggère en outre que l’hortus se déploie en largeur, du côté des hauts arbres qui encadrent cette vue. La construction de l’ensemble est rigoureuse, les lignes de fuite sont marquées par les lourds rideaux, puis par les arbres pour conduire le regard jusqu’à la pointe du fronton. Le jardin est esquissé, et les feuillages viennent à peine animer l’ordonnancement des lignes architecturales. Comment est figuré dans cette même édition celui de Bajazet [fig. 7] ? C’est à travers une grille et par une baie qu’il s’offre à la vue. La pièce ouvrant sur le patio est habillée de tapis et d’étoffes dont les motifs floraux répondent à la végétation foisonnante du dehors qui dissimule en partie l’édicule au dôme surmonté d’un croissant. Bien que la volonté de suggérer l’Orient soit perceptible, elle est affaiblie par la nature des végétaux qui ne sont pas significatifs. La disposition de François Chauveau se retrouve dans d’autres vignettes qui toutes, à l’exception de celle de François Chéron [fig. 18], donnent davantage d’ampleur au jardin. Le Barbier, qui accorde un grand intérêt aux arrière-plans, a véritablement modelé un paysage dont le minaret est la principale ligne verticale [fig. 61]. Enfin, Gravelot a élargi la vue, la délimitant par deux colonnes entourées de guirlandes végétales [fig. 51]. À l’alignement des arbres graciles d’un premier espace répondent des frondaisons plus fournies au-delà d’une treille élevée. Le site est complété par des fabriques qui évoquent le goût pour les folies d’inspiration orientale si répandues dans les jardins du XVIIIe siècle. Cependant, il n’y a dans cet espace guère de volonté de recréer un Orient ; l’ordonnancement paraît bien occidental. La dette de Gravelot envers Chauveau est sensible, mais il a accentué les liens entre l’intérieur et l’extérieur en donnant davantage d’ampleur aux motifs végétaux du décor que scelle le vase de fleurs sur le muret. Faut-il s’étonner de la vue offerte sur des jardins dans les scènes de Bajazet, d’une ouverture sur l’extérieur ? Sans doute que non si l’on considère leur importance historique dans les demeures orientales, appréciés qu’ils étaient pour leur fraîcheur et leurs senteurs. Les artistes se sont principalement nourris d’exemples d’aménagements proches d’eux, tentant de reconstituer un ensemble géographique cohérent. D’autres scènes ont inspiré aux artistes une vue sur l’extérieur et le péristyle, qui entourait fréquemment le jardin antique leur apparut comme une 19
Il nous semble bien en effet qu’il y a deux constructions : un mur et un édifice dont la partie inférieure est dissimulée.
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construction privilégiée. Ainsi, c’est sous un portique que Chauveau [fig. 4] et De Sève [fig. 31] ont illustré la supplique qu’Andromaque adresse à Pyrrhus. Lieu de circulation, le péristyle se prêtait bien à la scène, assurant la jeune veuve de voir passer le roi d’Épire. De Sève a suggéré un jardin spacieux délimité par une colonnade classique imposante. C’est ce jardin contenu par un portique que Du Bourg a figuré dans la vignette d’Andromaque représentant le suicide d’Hermione [fig. 22]. Il est ici utilisé comme une surface intermédiaire, montrant les possibilités de déplacement dans les lieux. Le dessinateur a suggéré que cette partie à ciel ouvert fût dévolue à la végétation : pas de pavement, mais un sol en terre et de hauts arbres cernés par les bâtiments qui ferment l’espace. Dans les tableaux d’histoire, l’arrière-plan n’est pas négligé, et le raffinement de l’hortus comme agrément d’une demeure ou l’ordonnancement d’un paysage naturel servent souvent le premier plan. Les fenêtres ouvertes ou les arcades de notre corpus prolongent les lignes de fuite et, en dégageant l’espace sur l’extérieur, proposent des vues qui apparaissent comme un moyen de contrebalancer les tensions. La brise bénéfique du jardin, le calme que sa vue procure sont apaisants et contribuent à atténuer la force des passions. Antoine Coypel a conféré une profondeur remarquable à L’Évanouissement d’Esther [fig. 14] : la pièce s’ouvre par une série d’arcades qui donnent l’accès à un jardin délimité par une balustrade. La perspective sur la végétation et le ciel fait ici référence au jardin d’Esther, sans doute aménagé comme un jardin secret. Par cette disposition, Coypel montre les leçons apprises de ses prédécesseurs et rappelle les toiles de Véronèse ou de Rembrandt. La suggestion du jardin de la reine, qui correspond à une réalité littéraire, est bienvenue. C’est dans ce cadre que d’aucuns ont situé deux scènes du troisième acte de la pièce. Le Barbier [fig. 65] et Chaudet [fig. 92] ont représenté Esther aux pieds d’Assuérus (III, 4), tandis que Gravelot [fig. 55] s’est attaché à la supplique d’Aman (III, 5-6). Chaudet a laissé peu de place au végétal : la scène se déroule devant un mur élevé au-dessus duquel se penche un palmier, tandis que des feuillages occupent la partie droite de la composition. Dans la vignette de Le Barbier, en revanche, la végétation domine, et le dessinateur a signifié l’ampleur du jardin composé de plusieurs parties. Les végétaux sont nombreux, avec des arbustes dans des vases Médicis, des palmiers et de hauts arbres. L’Occident et l’Orient se côtoient, suggérés par des objets ou des végétaux symboliques. Le palmier a ici la même valeur que le croissant dans les vignettes de Bajazet ; cet arbre se retrouve aussi à l’arrière-plan d’Alexandre
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et Porus de Le Brun [fig. 1]. Le décor imaginé par Gravelot est, quant à lui, très ornemental [fig. 55] : le salon où se déroule le festin est un élégant pavillon circulaire agrémenté de motifs végétaux, ouvert sur la verdure par une série d’arcades. Le jardin se développe dans la partie droite de la vignette, s’étend à l’arrière-plan et nous retrouvons, comme dans l’illustration de Bajazet que nous venons de commenter, la haute treille qui répond à la courbe du pavillon 20. Les différentes ouvertures sur l’extérieur ne tendent pas vers le réalisme, mais elles ne sont pas non plus dépourvues de sens. De même que les édifices sont des architectures de convention, les jardins ne sont ni le reflet d’agencements du passé qui correspondraient à une vérité historique, ni la transposition fidèle d’aménagements contemporains. Leurs végétaux ne sont, à l’exception du palmier, guère identifiables, et l’on ne peut définir de véritables typologies. L’hortus est parfois matérialisé de manière schématique : quelques végétaux ou un arbre peuvent lui conférer un caractère presque emblématique, soulignant l’influence possible des recueils d’emblèmes qui figuraient de manière très minimaliste un lieu. Les jardins que les peintres et dessinateurs ont représentés sont symboliques, puisqu’à l’instar de la mer ils permettent de s’échapper. Les végétaux peuvent être perçus comme la source d’oxygène qui manque au huis clos ; ils sont la respiration des personnages. Plusieurs de ces sites évoquent en outre les beaux cadres de verdure imaginés par les peintres pour Suzanne ou Bethsabée : ils suggèrent des jardins étendus et raffinés, animés par l’eau des fontaines. Par leurs contours, ils s’inscrivent dans un paysage qui peut former un écrin, ils sont une invitation à pousser plus avant pour franchir les limites et découvrir les alentours. Hors les murs La composition de la vignette de Girodet pour le troisième acte d’Andromaque [fig. 73] propose une transition remarquable entre la fenêtre sur le jardin et le décor naturel. Le peintre a en effet représenté les personnages dans une pièce ouvrant sur un paysage. Ce n’est pas un jardin qui est figuré, mais les abords du palais avec les bâtiments, les végétaux et les collines dans 20
Le dernier dessin préparatoire du Rosenbach Museum propose à la place de la treille un mur à arcades qui répète le rythme des baies du pavillon. Crayon et encre, 15 x 9. Philadelphie, Rosenbach Museum.
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le lointain. La vue offerte est une belle perspective qui contraste avec l’austérité de la salle aux murs nus. Elle invite à négliger les murs du jardin, voire de la ville, pour représenter des actions dans un décor naturel sans rapport avec celui de la scène théâtrale. Les épisodes ainsi figurés sont souvent des événements qui se sont déroulés en coulisses ; c’est le témoin-narrateur qui décrit le lieu de l’action. Racine les a situés dans des lieux variés que les artistes ont représentés avec un souci d’exactitude. Le combat d’Étéocle et Polynice se déroule au pied des fortifications de Thèbes, tandis qu’Alexandre et Iphigénie ont un camp pour cadre et qu’Hippolyte meurt sur le rivage d’une mer ayant vomi un monstre 21. Quant à la dernière scène de Mithridate [fig. 8], Chauveau a choisi pour la mort du roi les portes de la ville, proposant une iconographie qui a été reprise dans les éditions postérieures. Représenter une action dans un décor naturel pourrait offrir de belles vues avec des plans successifs, une ligne d’horizon, une palette de couleurs qui s’éclaircisse au fur et à mesure de l’éloignement. Les gravures se sont employées à produire des effets proches, même si l’on peut remarquer que le format vertical des vignettes favorise moins le développement d’un paysage. Le tableau de Charles Le Brun situe la rencontre d’Alexandre et Porus [fig. 1] « sur le bord de l’Hydaspe », conformément à l’indication de Racine. Le fleuve qui serpente au centre de la composition vient jusqu’au devant du tableau ; il anime une étendue à l’horizon lointain dans laquelle plaine et collines alternent. Le peintre a développé son sujet pour montrer un panorama ample et profond. La nature, peuplée de nombreux personnages en action, est un cadre réaliste et exotique qui valorise le genre de l’œuvre : la peinture d’histoire. Le Brun a rejeté le camp sur la droite, mais Chauveau, qui s’est certainement inspiré de l’œuvre du peintre, a situé les personnages devant la tente de Taxile [fig. 3]. La partie gauche de la vignette est occupée par un paysage qui place la ligne d’horizon assez haut, tandis que le fleuve scinde le premier plan en deux parties. Reprenant le motif du tableau, Chauveau a représenté l’éléphant blessé, bien en vue sur une terrasse naturelle 22. Le dessinateur a su exploiter le modèle de son contemporain et proposer un paysage convaincant. Le pachyderme, symbole de l’armée des Indes, est aussi 21 Les camps de ces deux tragédies, leur mobilier, tels que Gravelot les a dessinés [fig. 47, 53], présentent des similitudes qui peuvent être mises en relation avec le frontispice d’Attila de Corneille du même artiste pour l’édition de 1764. 22 Concernant la présence de l’éléphant, nous renvoyons à la seconde partie de cette étude.
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figuré à l’arrière-plan de la planche de l’édition de 1760 [fig. 30]. Quant à Gérard, dans la vignette du quatrième acte de l’édition Didot, il a évoqué la bataille en contrebas de la scène principale et dessiné des éléphants couchés sur le flanc. C’est plus près de la ville, mais en dehors de ses murailles que se déroule le combat des frères ennemis de La Thébaïde ; le lieu du duel est situé avec précision par Créon : Ils ont choisi d’abord pour leur champ de bataille, Un lieu près des deux camps, au pied de la muraille 23.
Un peu plus avant dans le récit, il évoque les fortifications de la ville en livrant les réactions de la foule qui se tient « sur le haut des tours 24 ». Chauveau a représenté le combat dans un champ clos, en contrebas des murailles [fig. 2]. Derrière la lice se masse la foule des soldats, relayée par celle qui regarde le duel d’un point de vue élevé. Certains sont sur un promontoire naturel, tandis que d’autres sont sur les créneaux des tours et des murs de la ville. Les bâtiments de Thèbes se dressent au-dessus de l’enceinte ; leurs formes carrées ou circulaires alternent dans un ensemble architectural assez dense et parfaitement fantaisiste 25. Les promontoires de terre, les végétaux et l’agencement des édifices ont constitué un véritable modèle pour les vignettistes des éditions postérieures qui se sont largement inspirés de la composition de Chauveau. Si les dessinateurs ont modulé le sujet, si leur vision de la ville a revêtu des formes diverses, ils ont cependant tous laissé l’espace largement ouvert. La hiérarchisation des plans et la disposition étaient en effet propices à la représentation d’une foule nombreuse, répartie en différents points de la composition. Parfois les murailles ouvrent sur une autre étendue : la mer dont le rôle dans les tragédies n’est pas négligeable. Les personnages embarquent ou débarquent, Œnone se précipite dans les flots d’où le monstre a surgi ; et l’absence de vent marin est, quant à lui, à l’origine du drame d’Iphigénie. La Thébaïde, V, 3, v. 1317-1318. Id., v. 1357. 25 Quant à la représentation de la pyramide, voir Noëlle Guibert, « L’iconographie de Racine à la bibliothèque de l’Arsenal », op. cit., p. 25. Elle émet plusieurs hypothèses tout en reconnaissant la difficulté qu’il y a à justifier sa présence. Il est bien sûr possible de ne voir dans cet édifice que la figuration d’une forme architecturale. 23 24
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Cependant, le port qui est le lieu de l’action de Mithridate, n’apparaît que discrètement à l’arrière-plan des compositions, symbolisé par quelques embarcations. Le dessin préparatoire à la vignette de Chauveau pour cette pièce propose une composition ouverte sur la mer. Les murs de la ville soulignent les lignes perspectives et permettent de dégager la vue jusqu’à l’horizon marin. La gravure exécutée laisse malgré tout moins de place à la mer : les fortifications occupent le second plan derrière les personnages, et seule une arcade ouvre la vue sur une embarcation voguant. Si les murailles peuvent conduire le regard du spectateur jusqu’aux flots, les tentes d’un camp peuvent jouer le même rôle, dans un principe qui montre sa proximité avec le décor de théâtre. Ils se trouvent réunis autour de l’application des règles de la perspective, devenues indispensables à toute composition. La vignette de Chauveau pour Iphigénie [fig. 9] propose une échappée maritime qui devient un décor de fond de scène. L’alignement rigoureux des tentes débouche non pas sur un vrai paysage marin, mais sur une mer plate parfaitement délimitée par la ligne d’horizon 26. Cette illustration ne donne cependant pas vraiment le sentiment que la scène se déroule à l’extérieur, mais le dessinateur a respecté les nécessités de l’action. C’est bien parce que les hommes ne peuvent embarquer que le drame se développe au fil des actes. Cette présence marine s’affirme tout au long de la pièce et subit une transformation radicale, passant du trop grand calme à l’agitation favorable 27. L’étendue d’eau peut être présente d’une manière très discrète quand son rôle est moindre : le texte indique alors qu’elle permet l’arrivée et le départ. Il en est ainsi dans Andromaque, puisque c’est par la mer qu’Oreste est arrivé à Buthrot, une ville dont la situation géographique est révélée par l’emploi du mot rivage dès les premiers vers 28. Après le meurtre de Pyrrhus, le héros évoque devant Hermione son départ, livrant son intention de « rega Nous retrouvons ce motif dans la planche de Le Barbier pour la même pièce [fig. 63] : depuis la tente où se déroule la scène, le camp et la mer avec une embarcation sont visibles. 27 Iphigénie, I, 1 : « Tous ces mille vaisseaux qui, chargés de vingt rois, / N’attendent que les vents pour partir sous vos lois ? / Ce long calme, il est vrai, retarde nos conquêtes », v. 27-30. Id., V, scène dernière : « Les vents agitent l’air d’heureux frémissements / Et la mer leur répond par ses mugissements. / La rive au loin gémit, blanchissante d’écume », v. 17751777. 28 Andromaque, I, 1 : « Qui l’eût dit, qu’un rivage à mes yeux si funeste / Présenterait d’abord Pylade aux yeux d’Oreste ? », v. 5-6. 26
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gner le port 29 ». Si les dessinateurs ont privilégié la représentation du palais dans lequel Andromaque est retenue, Levacher de Charnois, dans l’ouvrage qu’il a consacré aux costumes de plusieurs pièces de Racine, a insisté sur la nécessité d’intégrer la mer au décor 30. Ses remarques s’inscrivent en continuité de ce que livrait déjà Le Mémoire de Mahelot 31. Levacher souligne, au nom de la vérité, la relation étroite qu’il convient d’entretenir entre l’action de la pièce et le cadre dans lequel elle est jouée. Les vaisseaux qu’il mentionne font explicitement référence à quelques vers prononcés par Pylade : Nos vaisseaux sont tout prêts, et le vent nous appelle. Je sais de ce palais tous les détours obscurs ; Vous voyez que la mer en vient battre les murs 32.
Il faut cependant bien reconnaître que la mer n’est que peu présente dans l’action de la pièce ; sa représentation nous paraît plus possible qu’indispensable, ce que les dessinateurs ont bien perçu. La mer du récit de Théramène devient l’élément principal d’un paysage, et c’est certainement Le Brun qui a offert la vue la plus étendue sur les flots pour sa vignette de Phèdre [fig. 10]. Les plans se succèdent : nous découvrons tout d’abord la roue du char et les chevaux enchevêtrés, puis Hippolyte dans les bras de Théramène et enfin le monstre gisant sur le rivage. Au-delà de ces trois plans, l’eau occupe les deux tiers de la vignette ; le peintre a représenté la scène historiée, laissant au paysage une grande ampleur. Outre la mer, il a dessiné des végétaux, le temple – mentionné par Théramène –, des roches et des collines. Sa composition est la seule du corpus à pouvoir être assimilée à une marine. La taille plutôt réduite du monstre laisse beaucoup d’espace à la Id., V, 3, v. 1523. Jean-Charles Levacher de Charnois, Recherches sur les costumes et les théâtres… Op. cit. : « Nous désirons que les détails dans lesquels nous allons entrer puissent engager un jour ou MM. Les comédiens du théâtre de la Nation, ou quelque directeur de province, ami des arts et de la vérité, à donner à la décoration de la tragédie d’Andromaque, un fond qui laisse apercevoir la mer et quelques vaisseaux. Nous répétons qu’il a fallu nécessairement qu’Oreste embarquât pour venir à Buthrot, ville d’Épire, et séjour ordinaire de Pyrrhus », vol. I, p. 58. 31 Le mémoire de Mahelot… Op. cit.. La liste de Michel Laurent, l’un des contributeurs du recueil, mentionne pour cette pièce : « Theatre este un palais a colonnes et dans le fonds une mèr [sic] avec des vaisseaux », p. 329. 32 Andromaque, III, 1, v. 790-792. 29 30
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mer servie par un bel effet de profondeur. Les successeurs de Le Brun ont accordé moins de place à la nature et privilégié la représentation des personnages. Le Barbier [fig. 64] a pourtant modulé le paysage avec un promontoire à droite et la mer en contrebas ; il a œuvré en peintre. Jacques De Sève, quant à lui, a favorisé la scène historiée, ne laissant à la mer que quelques vagues au tout premier plan [fig. 43]. Du Bourg [fig. 25] ne l’a matérialisée que par des évocations quasi-signalétiques à l’arrière-plan de sa composition. Essentielle à l’action de ce dramatique épisode, la présence de la mer dans les vignettes de la mort d’Hippolyte a été figurée de différentes manières qui ne négligent pas l’élément d’où le monstre a surgi. La variété des espaces, les déplacements des personnages trouvent leur place dans les dialogues parce qu’ils participent du déroulement de l’action. Les expressions « sortons », « quittons ces lieux », « on vient », « fuyons », suggèrent bien la dynamique des corps qui accompagne les mouvements de l’âme. Les passions se dévoilent non seulement par les troubles du corps, mais aussi par les impulsions que le personnage décide de lui donner. Les indications relatives aux mouvements permettent de se figurer les élévations dans lesquelles les personnages se meuvent. Les décors qu’ont imaginés les peintres et les dessinateurs ne sont pas de simples structures destinées à suggérer un fond de scène. En effet, la configuration des lieux et le jeu des ouvertures donnent le sentiment de bâtiments concrets et habités que les effets de perspective et les dégagements sur d’autres pièces animent. La frontalité de la composition d’Andromaque et Pyrrhus de Guérin [fig. 96] ne laisse voir que le mur du fond. Cependant, la disposition du trône de Pyrrhus et celle des autres personnages signalent les voies de circulation et les accès à la pièce. Le mouvement de départ d’Hermione vers la gauche et l’arrivée d’Oreste par la droite révèlent des baies qui ne sont pas représentées. En revanche, dans Phèdre et Hippolyte [fig. 95], le mur courbe derrière le siège forme comme une enveloppe qui confère davantage de puissance aux protagonistes faisant face à Hippolyte. La construction architecturale des ensembles est rendue par les lignes qui illustrent la volonté de représenter les espaces en trois dimensions pour les rendre vraisemblables. Les bâtiments, par leur taille imposante, leurs plafonds élevés, leurs colonnes puissantes sont le symbole de demeures appartenant à des personnes de haut rang. Les peintres et dessinateurs ont ainsi souligné le caractère solennel des constructions, qu’il s’agisse de fortifications de ville, de palais ou de temple. Même si elles sont de pures inventions, mêmes
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si elles sont anachroniques, les architectures, leurs pavements ou leurs jardins participent d’une volonté commune de représenter la grandeur. Si les volumes du temple d’Athalie expriment la dévotion, ils permettent surtout d’accueillir la foule des fidèles : il est le lieu de rassemblement et de recueillement. Les noms de lieux que Racine a choisis suggèrent un éloignement spatial et temporel. Nous pouvons nous interroger sur la résonance qu’ils avaient aux oreilles de ses contemporains : étaient-ils plus éloquents qu’ils ne le sont parfois aujourd’hui ? Significatifs pour le dramaturge, ils contribuaient à transporter l’esprit du spectateur vers des contrées lointaines et à pallier ainsi les invraisemblances de la scène théâtrale. Les décors des tableaux et des vignettes ont une fonction assez semblable par la recréation d’une civilisation du passé ou des confins orientaux. Les artistes ont inventé des lieux qui, malgré les anachronismes, ne nuisent que rarement à l’expression des passions. Enfin, si certaines compositions contribuent à renforcer les tensions, d’autres transforment l’Orient en locus amoenus. Elles cèdent aux modes qui intègrent au décor des demeures occidentales des salons aux noms évocateurs : salon de la sultane, cabinet turc, boudoir ou salon chinois, singeries 33.
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Au châteaux d’Abondant, de Bellevue, de Champs-sur-Marne, de Chantilly.
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Acte V - Expressions et attitudes Parole et silence, valeur des gestes, langages multiples, c’est bien ainsi que nous avons circonscrit l’expression dans les tragédies de Racine. Comment les artistes ont-ils mis en valeur les relations entre les personnages afin que naisse le dialogue ? Recourant à la rhétorique picturale, ut rhetorica pictura, ils se sont efforcés de transposer les sonorités et les vers des pièces, comme Poussin a pu le faire. Marc Fumaroli l’a souligné dans un ouvrage au titre évocateur : Sans doute le tableau est dessin, lumière et couleur, mais au service de la représentation d’un drame. Et ce drame, dont les variantes sont illimitées, c’est celui de la parole que le silence de la peinture permet de saisir à son plus haut degré d’intensité et d’évidence, dans une limpidité immédiate que la confusion des langues et le bruit des mots brouillent partout ailleurs. Action et passion : d’un côté l’épiphanie du Verbe […], de l’autre la réception de cette parole, qui ellemême s’exprime par une chorégraphie de gestes, interprètes visuels de toute une gamme des passions, des vertus et des vices humains 1.
Il expose ici les forces d’une peinture qui est aussi ciselée que le sont les vers de Racine. L’intensité et la variété d’émotions décrites sont comparables à la densité dont fit preuve le poète 2. Cette puissance du verbe, les artistes ont su parfois la représenter. Ainsi lorsque Girodet a dessiné l’aveu de Phèdre à Marc Fumaroli, L’école du silence. Le sentiment des images au XVII e siècle. Op. cit., p. 157. 2 George Steiner, Passions impunies. Paris, Gallimard, 1997. Trad. de l’anglais, No Passion Spent, 1996 : « Racine peut cristalliser, sombrement, comme à travers un prisme, la totalité de la peine et de l’affliction tragiques, en un seul geste formel, en un seul instant », p. 195. 1
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Œnone, il a suggéré par les mouvements contraires des deux femmes que tout avait été dit. Le dessin qui les figure nues oppose aux lignes brisées du corps de la nourrice, la ligne courbe que forme le corps de Phèdre [fig. 85]. Elle s’abandonne, simple enveloppe charnelle que les mots ont vidée. Les gestes constituent ce langage visuel que seule une disposition convenable permet de déchiffrer. Les bras tendus, l’index pointé, le corps ployé pour supplier, redressé pour asseoir sa position ou les jambes qui défaillent sont autant d’attitudes qui se substituent à la parole vive qu’elles donnent à voir. Charles Le Brun fut, au XVIIe siècle, l’un des peintres les plus concernés par la représentation des sentiments. Il a considéré l’expression comme une entité regroupant plusieurs parties de la peinture et souligné ses liens avec l’actio et la compositio : L’expression, à mon avis, est une naïve et naturelle ressemblance des choses que l’on veut représenter : elle est nécessaire et entre dans toutes les parties de la peinture ; un tableau ne saurait être parfait sans l’expression ; c’est elle qui marque les véritables caractères de chaque chose ; c’est par elle que l’on distingue la nature des corps, que les figures semblent avoir du mouvement, et ce tout qui est feint paraît être vrai. Elle est aussi bien dans la couleur que dans le dessein ; elle doit entrer dans la représentation des paysages, et dans l’assemblage des figures 3.
L’expression participe à l’illusion du tableau qui, bien composé, peut toucher le spectateur et lui donner le sentiment que les personnages s’animent et discourent, que les paysages sont imités d’une nature bien observée. Le Brun a introduit la notion d’imitation qui fut au centre de la querelle des Anciens et des Modernes et qui toucha les débats autour de l’expression des passions. Fallait-il toujours puiser dans le corpus de la statuaire antique pour imiter la nature 4? Les traités sur les proportions ont été le fruit des inlassables relevés des artistes français à Rome qui avaient élu cette statuaire pour ses proportions idéales. Roger de Piles a, quant à lui, donné une autre définition qui insiste sur l’expressivité du corps et ne se concentre pas seulement sur le visage :
Conférence sur l’expression des passions. Op. cit., p. 148. Le sculpteur Gérard Van Opstal consacra une conférence au Laocoon le 2 juillet 1667, dans laquelle il mit en valeur les qualités expressives de ce célèbre groupe sculpté. 3 4
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Le mot d’expression se confond ordinairement en parlant de Peinture avec celui de passion. Ils diffèrent, néanmoins, en ce que expression est un terme général qui signifie la représentation d’un objet selon le caractère de sa nature, et selon le tour que le Peintre a dessein de lui donner pour convenance de son ouvrage. Et la passion, en Peinture, est un mouvement du corps accompagné de certains traits sur le visage qui marquent une agitation de l’âme. Ainsi, toute passion est une expression, mais toute expression n’est pas une passion 5.
Cette hiérarchisation est appréciable. Elle correspond chez le peintre à une volonté de ne pas trop codifier et d’accorder peut-être une part plus grande au naturel 6. Peu après, dans le même article, il recommande aux peintres de ressentir la passion dont ils souhaitent affecter un personnage ; il se livre alors à une véritable leçon de peinture 7. Du regard voilé aux yeux exorbités Comment figurer la douleur extrême, l’irreprésentable ? Dissimuler les yeux ou le visage peut être une solution suffisamment expressive. C’est le Sacrifice d’Iphigénie antique attribué à Timanthe qui servit de modèle aux artistes, dans une tradition tout à la fois littéraire et visuelle. La composition avait été décrite dans l’Histoire naturelle de Pline, dont le commentaire eut une influence durable puisque ses propos ont été souvent cités par les théoriciens 8. Alberti notait qu’en dissimulant l’expression, Timanthe avait laissé Roger de Piles, Cours de peinture par principes. Op. cit., pp. 91-92. Ses propos ont été repris dans l’article Expression du Dictionnaire de Trévoux. 7 Voir supra : il recommande au peintre de « se demander à soi-même ce qu’il ferait naturellement s’il était surpris de la même passion. Il faut même faire davantage : il faut prendre la place de la personne passionnée, s’échauffer l’imagination ou la modérer selon le degré de vivacité ou de douceur qu’exige la passion, après y être bien entré et l’avoir bien sentie ; le miroir est pour cela d’un grand secours, aussi bien qu’une personne qui étant instruite de la chose voudra bien servir de modèle », p. 93. 8 Pline, Histoire naturelle. Éd. Paris, Belles Lettres, 1997, établie par Jean-Michel Croisille et Pierre-Emmanuel Dauzat : « Pour en revenir à Timanthe, sa qualité principale fut sans doute l’ingéniosité : en effet on a de lui une Iphigénie portée aux nues par les orateurs, qu’il peignit debout, attendant la mort, près de l’autel ; puis, après avoir représenté toute l’assistance affligée – particulièrement son oncle –, et épuisé tous les modes d’expression de la douleur, il voila le visage du père lui-même, dont il était incapable de rendre convenablement les traits », Lib. XXXV, 36, p. 67. Voir aussi l’Institution oratoire de Quintilien. Op. cit., Lib. I, ch. 14 (II, 13,13). 5
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« chacun méditer cette douleur en son âme mieux que s’il l’avait vue 9 ». François d’Aubignac y fait référence dans le chapitre qu’il consacre à l’unité d’action. Il introduit une dissimulation des affects en rapport avec la fonction d’Agamemnon, « avec un voile sur son visage, pour cacher sa tendresse naturelle aux Chefs de son armée, et montrer néanmoins par cette adresse l’excès de sa douleur 10 ». L’ekphrasis a fait son œuvre, tous décrivent la composition avec leurs propres mots, ajoutant des remarques, leur sentiment, jusqu’à créer une illusion : celle d’avoir vu ce tableau. Dans ce concert de louanges, seul Lessing se démarque en pensant que le voile d’Agamemnon devait servir à dissimuler les « grimaces toujours hideuses » de la terrible douleur, afin de préserver la beauté de l’art 11. Le tableau littéraire né de cette peinture a fortement influencé les artistes jusqu’au XVIIIe siècle. Ainsi pouvons-nous citer quelques scènes du sacrifice d’Iphigénie qui toutes présentent un personnage au visage caché : les planches de Bernard Salomon (1557) ou d’Antoine Tempesta (1606) pour les Métamorphoses d’Ovide, le tableau de Berthollet Flémalle pour le cabinet de l’Amour de l’hôtel du président Lambert (vers 1650) ou celui de Charles de Lafosse pour le salon de Diane du château de Versailles (1680) 12. Nous avons déjà mentionné la toile de Carle Van Loo qui avait choisi de montrer la face d’Agamemnon, figurant le roi en pied, le visage tendu vers le ciel. En s’éloignant de la tradition picturale, le tableau du peintre a engendré une véritable polémique dans laquelle partisans et opposants ont vivement débattu. Comment considérer la composition de Timanthe, ne devait-elle rien à Euripide qui décrivit avec précision l’attitude du roi, par la voix du serviteur ?
9 Léon Battista Alberti, De Pictura, 1435. Éd. Paris, Macula, 1992, établie par Jean-Louis Schefer, Lib. II, 42, p. 179. 10 François d’Aubignac, La pratique du théâtre. Op. cit., Lib. II, ch. 3, p. 139. 11 Ephraïm Lessing, Laocoon. Op. cit., ch. II, pp. 50-51. 12 Berthollet Flémalle, Sacrifice d’Iphigénie, huile sur toile, 160 x 163. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Charles de Lafosse, Sacrifice d’Iphigénie, huile sur toile, 278 x 262. Versailles, château, salon de Diane.
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Voyant sa fille entrer dans le bois pour y être égorgée, Le roi Agamemnon gémit en détournant la tête. Il dérobait ses larmes, son manteau ramené sur ses yeux 13.
Quant à Racine, si familier du tragique grec, il n’a pas oublié ce geste en le donnant lui aussi au père d’Iphigénie : Le triste Agamemnon, qui n’ose l’avouer, Pour détourner ses yeux des meurtres qu’il présage, Ou pour cacher ses pleurs, s’est voilé le visage 14.
Les yeux ou le visage d’un personnage peuvent donc être voilés, couverts d’une étoffe qui lui permet non seulement de ne pas voir une scène, mais aussi de se dissimuler au regard des autres. Timanthe avait-il alors représenté la douleur extrême d’un père ou plutôt son refus de voir ce qui lui était insupportable ? Portant en lui la culpabilité d’avoir conduit sa fille jusqu’à l’autel sacrificiel, comment pouvait-il se regarder ? Il lui fallait aussi se soustraire au regard de ses proches. Puisque dans un grand élan les artistes ont suivi Timanthe, comment les peintres et dessinateurs de Racine ont-ils représenté Agamemnon ? Le regard masqué a aussi pu être utilisé par les artistes pour renforcer des effets de contrastes, surtout lorsqu’il répond à des yeux largement ouverts, voire exorbités. Concernant Iphigénie, puisqu’ils ont majoritairement illustré le suicide d’Ériphile, ils n’ont pas mis en scène la douleur d’Agamemnon 15. Seul Louis Chéron, qui a figuré la jeune fille sur l’autel et l’apparition de Diane, a montré le roi éploré [fig. 19]. Tournant le dos à la scène, le visage dans les mains, il ne peut voir le geste d’Ulysse qui désigne la déesse. La douleur du père est exprimée au premier plan, mais le personnage est en partie coupé ; il ne sert à rien de s’attarder sur ce sentiment qui n’a déjà plus cours. Parfois, le refus de voir l’insoutenable est figuré par une tête ostensiblement tournée. C’est ainsi que Jacques De Sève a représenté Phœdime aux côtés de Monime s’apprêtant à boire le poison [fig. 40] 16. Le dessinateur n’a pas hésité à ne mon Euripide, Iphigénie à Aulis. Éd. Paris, Gallimard, 1962, établie par Marie DelcourtCurvers, v. 1545-1547. 14 Iphigénie, V, 5, v. 1704-1707. 15 Le bandeau allégorique de Jacques De Sève qui figure Iphigénie sous les traits de l’Obéissance conduite jusqu’à l’autel, représente l’Amour cachant ses yeux [fig. 42]. 16 Mithridate, V, 3. 13
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trer que l’arrière de la tête de la confidente, explicitant cette attitude par le mouvement du bras. Presque absente de la scène, elle ne semble voir le geste vif et salvateur d’Arbate. Le désespoir est aussi le sentiment de Thésée au moment de la mort de Phèdre [fig. 89, 90] 17. Celui qui a déjà perdu son fils a été représenté par Girodet la tête dans les bras croisés ; une attitude que montrent les premières pensées du peintre dans lesquelles le personnage conserve cependant un œil ouvert. Le dessin définitif dans lequel les yeux sont clos renforce l’expression du haut de la figure en insistant sur la crispation des traits. Girodet a laissé visible la partie de la tête qui, comme nous l’avons évoqué, concentre les passions et dicte les mouvements de l’ensemble du visage. Théramène, quant à lui, ouvre des yeux horrifiés sur le roi de Trézène qui fut l’ordonnateur de la mort d’Hippolyte. Dans le tableau attribué à Guérin, Cléone qui ne peut soutenir la vue de l’arme tendue par Oreste, préfère s’aveugler [fig. 97]. Son geste accompagne le mouvement d’Hermione qui, tout en projetant son corps vers l’arrière, garde des yeux grand ouverts dans lesquels l’horreur ou la frayeur se lisent 18. Oreste a lui aussi les yeux exorbités : ils signent la fièvre qui l’anime. François Gérard, dans la planche du dernier acte de Bajazet montre cette même opposition entre les yeux ouverts et fermés [fig. 81]. Osmin, qui découvre le corps sans vie de Bajazet, a les yeux presque déformés par la surprise et l’horreur, tandis que l’homme derrière lui dissimule son regard : il refuse de voir le spectacle tragique des corps enchevêtrés. Ce contraste est au-delà d’une simple volonté de diversifier les expressions. Il s’agit bien de deux attitudes face à un même événement, qui contribuent à signifier le rapport au temps. Le second personnage ne réagit pas à la vue des morts, mais en fonction de la manifestation d’Osmin. La composition montre l’enchaînement des réactions, leur succession dans une temporalité relativement courte. C’est encore Guérin qui fournit un autre exemple de ce type de regard outré, dans son tableau Phèdre et Hippolyte. Le dessin préparatoire repré17 Cette manière de figurer le désespoir semble davantage réservée aux hommes, les femmes lèvent plus volontiers les bras au ciel. 18 Charles Le Brun, Conférence sur l’expression des passions. Op. cit.. Le peintre a décrit la frayeur ainsi : « Si les yeux paraissent extrêmement ouverts en cette passion, c’est que l’âme s’en sert pour remarquer la nature de l’objet qui cause la frayeur. […] la bouche fort ouverte fait voir le saisissement du cœur, par le sang qui se retire vers lui, ce qui l’oblige, voulant respirer, à faire un effort qui est cause que la bouche s’ouvre extrêmement, et que l’air qui passe par les organes de la voix, forme un son qui n’est point articulé », p. 155.
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sente les deux femmes avec des yeux parfaitement circulaires qui sortent des orbites. Ils sont figés dans une expression terrible que renforcent la raideur des corps et l’absence de communication. Le regard de Phèdre traduit son égarement ; et, bien que tourné vers le spectateur, il paraît vide. Consciente de sa faute, elle se détourne de son époux et refuse de regarder Hippolyte ; elle ne prend pas part à la scène à laquelle elle n’est rattachée que par la main puissante de Thésée. Les yeux d’Œnone, quant à eux, expriment davantage la crainte que la fille de Minos ne révèle leur secret. Bien que ces expressions aient été atténuées dans le tableau, elles conservent une force remarquable qui contraste avec les yeux doux et baissés d’Hippolyte [fig. 95]. Mais le regard fixe ou les yeux démesurément ouverts peuvent aussi signifier la colère : c’est celle de Pyrrhus dans le tableau de Guérin, qui oppose un refus sans appel à Oreste [fig. 96]. L’ire du roi d’Épire, celle d’Hermione (pour d’autres raisons) sont des sentiments bien violents face à la demande de l’ambassadeur des Grecs, mais surtout face au regard empreint d’espoir d’Andromaque. Voilés ou exorbités, les yeux traduisent les passions extrêmes, celles qui impriment les marques les plus visibles. Les peintres et dessinateurs ont utilisé les contrastes que ces deux attitudes pouvaient produire. Ils ont vraiment envisagé les possibilités expressives des yeux clos ou grand ouverts, non pas seulement pour la diversité qu’ils introduisent, mais aussi pour ce qu’ils ont en partage. La douleur ou l’horreur peuvent être traduites de l’une ou l’autre manière. Bien entendu, il ne faudrait pas limiter la représentation des yeux ouverts à ces seuls sentiments. Serangeli a illustré une scène tout à fait inhabituelle, celle du monologue de Titus qui se donne cette injonction : « Titus, ouvre les yeux ! 19 ». Le dessin préparatoire à la planche [fig. 78], que conserve l’École nationale des Beaux-Arts, figure le souverain dans une pièce aux murs nus. Il s’interroge sur la nécessité de quitter Bérénice et sur l’effet de cette annonce. Les doutes et les inquiétudes mêlées s’expriment dans les yeux levés qui sont tout à la fois le symbole d’une lucidité nécessaire et celui de l’affliction. La représentation d’un personnage face à lui-même, en pleine introspection est inédite dans le corpus. La narration est limitée, et un tel Bérénice, IV, 4, v. 987-1040. Composition pour l’édition Didot. Le monologue est un véritable ressort de l’action, voir Abbé d’Aubignac, La pratique du théâtre. Op. cit., lib. III, ch. 8 : « J’avoue qu’il est quelquefois bien agréable sur le Théâtre de voir un homme seul ouvrir le fond de son âme, et de l’entendre parler hardiment de toutes ses plus secrètes pensées, expliquer tous ses sentiments, et dire tout ce que la violence de sa passion lui suggère », p. 368. 19
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sujet ne pouvait être retenu que dans le cadre d’une édition proposant plusieurs planches par pièce. Afin de connaître les pensées du personnage, le recours au texte s’impose peut-être encore plus que pour d’autres sujets. Les atermoiements de Titus sont certainement proches des larmes dont les artistes ont volontiers affecté les femmes. Un mouchoir à la main, les pleurs La tragédie doit plaire et toucher ; les larmes d’un personnage, qui participent de la catharsis, doivent susciter celles des spectateurs 20. Le héros racinien pleure souvent, ses tourments le torturent, et les contemporains du dramaturge n’ont pas négligé cette question de la purgation des passions. Ils ont suivi les préceptes d’Aristote qui avait défini la catharsis : « par le biais de la pitié et de la crainte, elle opère l’épuration des émotions de ce genre 21 ». Si le texte, le rythme des vers participent de cette purgation, c’est la représentation théâtrale, la manière dont les acteurs habitent et incarnent les héros qui y contribuent surtout. Boileau a célébré le pouvoir expressif des pièces de son ami Racine et sa capacité à transmettre des émotions aux spectateurs 22. Ainsi, Madame de Sévigné rapportait dans une lettre du 12 août 1671 : « Je fus encore à la comédie : ce fut Andromaque, qui me fit pleurer plus de six larmes : c’est assez pour une troupe de campagne 23 ». Le décompte des larmes est ici teinté d’un peu d’ironie, une troupe parisienne l’aurait-elle davantage fait pleurer ? Le gazetier Charles Robinet, quant à lui, fit une relation de la représentation d’Iphigénie dans une lettre du 1er septembre 1674 :
Voir Aristote, Poétique. Éd. Paris, Belles Lettres, 1997, établie par Barbara Garnez. Aristote, ibid., ch. 6, 25. La Mesnardière, Poétique. Op. cit., évoque les larmes des spectateurs. Quant au Père Rapin, Réflexions sur la poétique de ce temps…. Op. cit., il rappelle que la tragédie excite « dans les cœurs les mouvements qu’elle prétend, afin de guérir les esprits de ces vaines frayeurs, qui peuvent les troubler, et de ces sottes compassions qui peuvent les amollir », p. 98. 22 Épître VII : « Jamais Iphigénie, en Aulide immolée, / N’a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée », v. 3-4 et Art Poétique, chant III, v. 141-142, ibid. 23 Madame de Sévigné, Lettres. Éd. Paris, Gallimard, 1955, établie par Émile GérardGailly, t. II, p. 318. 20 21
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La très touchante Iphigénie, Ce chef-d’œuvre du beau génie De Racine, ravit la Cour […] De tous ceux qui se trouvaient là, À ce rare spectacle-là, [nul] Ne put donc retenir ses larmes, La voyant, avec tant de charmes, Par l’ordre d’un barbare sort Ainsi destinée à la mort La Cour, toute pleine De pleureurs, fit une autre scène Où l’on vit maints des plus beaux yeux, Voire des plus impérieux, Pleurer sans aucun artifice, Sur ce fabuleux sacrifice 24.
Le point de vue de Robinet est comparable à celui de Racine détourné du spectacle du feu de joie qu’il était venu admirer 25. Il délaisse la scène pour se concentrer sur la salle et sur l’attitude des spectateurs. Les pleurs sincères de la Cour consacrent la pièce de Racine, le poète a gagné le cœur du public, et la tragédie a rempli son rôle cathartique 26. Cette émotion que la représentation permet de susciter trouve ses prolongements dans la manière dont les peintres et les dessinateurs ont donné corps aux personnages, en les dotant de leurs passions. Nous avons déjà rappelé combien les problématiques liées à la narration et à l’expression avaient été débattues dans les théories artistiques. Les artistes ont figuré des gradations, de la tristesse au pleurer, comme l’écrivait Le Brun. L’abattement lié à la tristesse marque moins le visage que les pleurs. Pourtant, à l’exception des situations de désespoir que nous avons commentées, les visa Lettre en vers à Monsieur et Madame, manuscrit de la bibliothèque Mazarine, citée par Raymond Picard, Nouveau corpus racinianum. Paris, éd. du CNRS, 1976, p. 79. Robinet relate vraisemblablement la représentation de 1674, à l’occasion des divertissements de Versailles au retour de la conquête de Franche-Comté. Voir André Félibien, Les divertissements de Versailles.… Op. cit.. 25 Voir supra, première partie. 26 Voir Christian York, « Racine ou la passion des larmes », Littératures classiques, 1996, n°26, pp. 167-183. Voir aussi Philippe-Joseph Salazar, « L’effet rhétorique, Bérénice » Gilles Declercq, Michèle Rossellini, dir., Jean Racine 1699-1999. Op. cit., pp. 572-584. 24
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ges portent plus les signes de l’affliction que ceux de la dévastation par les larmes. Ainsi même lorsqu’ils pleurent, les personnages paraissent le plus souvent seulement tristes. En outre, l’émotion des hommes et celle des femmes n’a pas été représentée de la même manière. Les hommes portent majoritairement des sentiments plus forts, au-delà des pleurs. Dans la dernière scène de La Thébaïde dessinée par Moitte [fig. 69], alors qu’Attale tente d’arracher son épée à Créon, les soldats du second plan manifestent leur émotion. Leurs yeux presque fermés suggèrent la supplique et les larmes prêtes à couler, ce qui est plutôt rare dans le corpus. Nous savons que Titus a pleuré, mais nous n’avons pas d’illustration de cet instant. En revanche, Chauveau a figuré Bérénice [fig. 6] un mouchoir à la main au moment des adieux 27. Cependant, qu’il s’agisse de représenter cette reine, Monime accueillant Mithridate mourant ou Iphigénie sauvée de la mort [fig. 8, 9], François Chauveau n’a pas diversifié leurs attitudes. Il n’y a aucune gradation de l’émotion : la tête penchée et le carré d’étoffe semblent lui suffire. Les larmes ont été ainsi symbolisées par le mouchoir tenu à hauteur des yeux ; il est un emblème qui permet de suggérer plutôt que de montrer. Les héroïnes éplorées ont donc été sobrement représentées, le plus souvent de face, la tête penchée, tenant leur pièce d’étoffe à la main. Les exemples sont nombreux dans notre corpus, nous ne pouvons les relever tous, mais deux figures féminines très proches, dues à Gravelot, méritent notre attention. Dans la dernière scène, Mithridate enjoint ses proches : « Cessez et retenez vos larmes l’un et l’autre 28 ». La vignette de Gravelot montre Monime [fig. 52] en pleurs essuyant ses larmes à l’aide de son manteau. Légèrement en retrait elle est tout entière offerte aux regards du spectateur, dans une attitude plutôt convaincante et empreinte d’une certaine grâce. Celle d’Iphigénie dans la scène de la colère d’Achille (V, 2), est, quant à elle, bien différente [fig. 53]. Malgré la grande proximité de posture de ces deux héroïnes, la force émotionnelle de leurs pleurs varie 29. L’une exprime une profonde affliction tandis que la seconde mêle la résignation à ses larmes. L’emportement d’Achille destiné à la sauver du bûcher ne lui permet pas de se libérer de la soumission qu’elle doit à son
27 Pour cette même scène, Jacques De Sève a donné un usage tout autre au mouchoir puisque Bérénice est davantage en mouvement [fig. 37]. 28 Mithridate, V, dernière, v. 1648. 29 L’édition, qui suit l’ordre chronologique des pièces, place Iphigénie juste après Mithridate.
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père. Aussi, après le départ de celui qu’elle aime, attend-elle la mort 30. Gravelot a su montrer en ces deux femmes leur état émotionnel, mais aussi des traits inhérents à leur caractère qui ne se livrent pas immédiatement et requièrent une attention suffisante de la part du spectateur. Le rôle des femmes au mouchoir, ou au pan de manteau en faisant usage, est parfois bien secondaire. Elles peuvent n’être que des auxiliaires à une scène principale jouée par des hommes. C’est bien ainsi qu’elles se trouvent dans la planche de Jacques De Sève pour Alexandre [fig. 30]. Alors que le Macédonien rend ses États à Porus, Axiane et Cléofile expriment leur émotion ; leur tristesse correspond à deux instants de la scène : dans l’ignorance du geste d’Alexandre, les proches de Porus peuvent craindre le pire et manifester leur appréhension. Sa magnanimité suscite, quant à elle, un sentiment d’une autre nature que les jeunes femmes traduisent également : ce sont les larmes de libération. De manière générale, il nous faut souligner que les airs quelques peu affectés des femmes en pleurs tendent à diminuer la portée de cette passion. Cependant, leur participation dans les rôles secondaires est appréciable : elle contribue à la compréhension et au sentiment d’empathie. Leurs expressions rejoignent celles de personnages aux bras levés vers le ciel. Les peintres et dessinateurs qui ont représenté les larmes ont pris en considération cette composante des tragédies tout en se préoccupant du spectateur. Leur volonté d’intelligibilité et leur souci de faire partager les sentiments s’expriment dans ces figures. Force et faiblesse, les mouvements contraires Certaines compositions présentent des déséquilibres dans lesquels les personnages, bien que disposés sur un même plan, sont inégaux. Cette opposition se lit entre deux héros, mais aussi dans le rapport de force susceptible de s’imposer avec la foule. Quand la position assise peut révéler une faiblesse qui fait suite à une situation donnée ou à une émotion, cette posture n’empêche pas toujours d’afficher force et prééminence. Les vignettes illustrant l’évanouissement d’Atalide montrent toutes Roxane assise au niveau du sol. Bien qu’elle ne soit pas dans une position dominante, elle apparaît tout à fait Iphigénie, V, 2 : « Ah ! Seigneur ! Ah ! cruel !… Mais il fuit, il m’échappe. / O toi, qui veux ma mort, me voilà seule, frappe ! / Termine, juste ciel, ma vie et mon effroi, / Et lance ici des traits qui n’accablent que moi ! », v. 1609-1612. 30
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altière. Le tableau de Charles-Antoine Coypel [fig. 27] dans lequel elle se tient debout sur un plan légèrement surélevé ne renforce pas sa présence. Quelle que soit sa posture, la sultane conserve une grande assurance et le dos droit ; elle accueille sans surprise la réaction d’Atalide qui se trahit en s’évanouissant. Même assise, Athalie n’en est pas moins imposante face à Éliacin qu’elle interroge ; Charles-Antoine Coypel a renforcé sa majesté par son air et son costume [fig. 21]. À la fin de la pièce en revanche, la domination s’inverse : l’enfant trône, et Athalie, debout, malmenée par les soldats, a perdu toute assurance. Même si le tableau d’Antoine Coypel montre la crainte de Joas [fig. 13] qui se place légèrement en retrait, la mise en scène insiste sur la perte de pouvoir de sa grand-mère. Son expression de fureur est telle qu’il faut mobiliser des énergies pour l’enserrer et l’entraîner au dehors. Mais la scène se compose de deux parties distinctes puisque le groupe de droite, ignorant l’agitation, vénère et protège l’enfant. C’est dans l’édition originale de 1691 que ce sujet a été représenté pour la première fois, sous le crayon de Jean-Baptiste Corneille : « Qu’à l’instant hors du temple elle soit emmenée 31 ». Les paroles de Joad indiquent le mouvement et la rapidité d’action, les soldats se préparent à intervenir et Athalie laisse libre cours à ses sentiments. Cependant, l’expression de son visage et son allure dansante traduisent plus la surprise que la fureur. Joas est statique, Abner tourne le dos à la scène et se prosterne devant le nouveau roi pendant que Joad et les soldats s’agitent. Les contrastes sont fortement marqués dans une composition vigoureuse et dynamique, sans confusion. Le sujet se prêtait bien à la représentation de mouvements opposés, avec des tensions inégales et une grande variété d’expressions. D’un côté la ferveur d’un peuple qui a retrouvé son roi et de l’autre l’agitation que suscite celle qui avait voulu le pouvoir. Après le combat qui les opposa, Alexandre et Porus se rencontrent dans une scène qui insiste sur les rapports de force psychologiques. C’est en vaincu et blessé que le roi des Indes se présente au grand conquérant. Malgré cela, il apparaît souvent comme un homme qui a conservé des forces et peut affronter son vainqueur, ce que le dialogue expose clairement :
Athalie, V, 6, v. 1791.
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Alexandre Votre fierté, Porus, ne se peut abaisser : Jusqu’au dernier soupir vous m’osez menacer. En effet, ma victoire en doit être alarmée, Votre nom peut encor plus que toute une armée ; Je m’en dois garantir. Parlez donc, et dites-moi : Comment prétendez-vous que je vous traite ? Porus En roi. Alexandre Eh bien ! c’est donc en roi qu’il faut que je vous traite. […] Régnez toujours, Porus : je vous rends vos États ; Avec mon amitié recevez Axiane 32.
Les peintres et dessinateurs se sont conformés au texte, soulignant la dignité et la fierté du vaincu. Tous, à l’exception de Le Barbier, l’ont représenté accompagné de soldats qui soit le soutiennent, soit l’assistent. Dans le tableau de Le Brun il est allongé, porté par ses hommes vers Alexandre qui, du haut de sa monture, le domine [fig. 1]. L’ampleur narrative que le peintre a déployée l’autorisa à peindre cavaliers et fantassins, proposant des plans très variés. Les vignettistes ont, quant à eux, disposé les deux hommes au même niveau, situant l’action dans le camp, près ou à l’intérieur de la tente d’Alexandre. Lorsque ce dernier invite le vaincu d’un geste de la main, la grandeur d’âme et la civilité sont valorisées. Porus se fait aussi porter dans la vignette de Chauveau, mais le buste est redressé [fig. 3]. François Gérard l’a assis sur un fauteuil, amorçant un mouvement pour se relever à l’approche du vainqueur [fig. 70]. C’est debout, mais soutenu, que Gravelot [fig. 47] et Jacques De Sève [fig. 30] l’ont représenté. Enfin, dans la vignette de Le Barbier, il paraît seul, droit sur ses jambes et vigoureux : il vient traiter avec le vainqueur sur un pied d’égalité [fig. 59]. Plus le personnage se redresse, plus son statut de vaincu est négligé, et c’est son arrogance qui domine. Mais cette remarque mérite d’être nuancée. La planche de J. De Sève ne manque en effet pas d’esprit [fig. 30] : si la morgue de Porus s’affiche dans le visage et le poing sur la hanche droite, son buste qui bascule vers l’arrière, ses jambes trop droites trahissent les efforts de ceux qui le soutiennent ; ils ne se devinent que par leurs casques et une paire de jambes. Cependant, malgré la discrétion de leur Alexandre le Grand, V, 3, v. 1495-1506.
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présence, le roi des Indes ainsi maintenu en devient presque grotesque. La diversité qui préside à la représentation de cet épisode témoigne de l’inventivité des artistes qui ne se sont pas limités au modèle proposé par Charles Le Brun. Le rapport de force qui initie la rencontre des deux hommes a été mis en scène de sorte que le dialogue l’emportât. Bérénice ou Phèdre ont été représentées assises face à leurs interlocuteurs, dans une position qui correspond à une didascalie. Les deux héroïnes s’asseyent, Bérénice au moment des adieux avec Titus et Phèdre avant d’avouer son amour pour Hippolyte. Alors que la première ne décrit pas son état physique, la seconde exprime sa faiblesse : la seule didascalie de Phèdre, « Elle s’assied », prolonge les paroles que la fille de Minos vient de prononcer : « Mes genoux tremblants se dérobent sous moi 33 ». Les planches qui représentent les adieux de Titus et de Bérénice puisent dans deux scènes du dernier acte : la cinquième et la dernière. Cette précision n’est pas inutile puisque la reine y paraît tantôt assise, tantôt debout, en présence de Phénice ou d’Antiochus. Après que Titus a lu la lettre, elle est abattue et soudainement, « Bérénice se laisse tomber sur un siège », puis dans la scène finale, « se levant », elle prend la parole. Gravelot a choisi cet instant dont Phénice est le témoin : Titus debout, la lettre à la main, dialogue avec Bérénice assise [fig. 50]. La proximité des deux personnages, le roi qui s’appuie légèrement au dossier de la chaise, le mouvement des mains et l’inclinaison des visages montrent que le dialogue s’instaure. Dans la planche de Serangeli en revanche, la reine est presque évanouie [fig. 79] : le peintre a renforcé le sens de la didascalie en montrant une reine défaillante. Lorsque les illustrations représentent la dernière scène, Bérénice est debout entre Titus et Antiochus, il n’y a plus de dialogue puisqu’il faut à la reine quitter le premier et suivre le second. La disposition de cet instant a été établie dans la vignette de la première édition illustrée. Pour cette même scène, J. De Sève a innové : il s’est écarté du texte en représentant Titus assis, mais il s’y est conformé en choisissant l’instant où Bérénice se redresse [fig. 37]. Le dessinateur a traduit la vivacité de son geste (indiqué par la didascalie) et des paroles qu’elle prononce : « Arrêtez, arrêtez ! Princes trop généreux, / En quelle extrémité me jetez-vous tous deux ! 34 ». La reine acquiert une force qui fait d’elle une femme énergique, une énergie visible dans des mouvements que le lourd man Phèdre, I, 3, v. 156. Bérénice, V, scène dernière, v. 1469-1470.
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teau doublé de fourrure accompagne. Face à Bérénice, Titus est mollement posé sur un siège, il a laissé échapper la lettre sur le sol et se trouve complètement dominé par elle. Quant au rôle d’Antiochus, il est nettement atténué. Jacques De Sève donne le sentiment que Titus et Bérénice, assis tous les deux, ont pu dialoguer sereinement. Mais la reine a interrompu les discours et s’est redressée pour donner plus de poids à ses paroles. Sa faiblesse ne fut que passagère, et la pièce s’achève sur la tirade qu’elle adresse tour à tour à Titus et à Antiochus. Ces compositions ne cherchent pas à exprimer un contraste trop marqué entre les personnages, mais cette position prend une tout autre signification dans une planche singulière. En effet, seul Girodet a illustré la scène qui révèle l’amour de Phèdre pour Hippolyte [fig. 85]. Quand, épuisée, elle s’abandonne sur son siège, Œnone debout regarde vers le ciel, le dos arrondi par l’accablement. Le dessin préparatoire avec les figures nues souligne davantage le glissement du corps de Phèdre qui suit la courbe du dossier et les lignes brisées de celui de la nourrice au moment où elle prononce ces paroles : Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace ! O désespoir ! ô crime ! ô déplorable race ! Voyage infortuné ! Rivage malheureux, Fallait-il approcher de tes bords dangereux 35 ?
Juste après, Phèdre poursuit sa narration, elle continue de vider son corps et son âme, dans l’attente de la mort. Cette posture lui avait été imposée par sa faiblesse dès le début de la scène. On imagine qu’elle la conserve jusqu’à la fin de ses aveux, tandis qu’Œnone manifeste son désespoir. Cette scène dans laquelle la fille de Minos évoque son intention de mourir est proche dans sa disposition de celle de ses derniers instants [fig. 89]. Girodet a utilisé la même chaise et le repose-pied que montre le dessin, il a compris le sens de l’attitude du premier acte qui est comme une métaphore de la mort. Phèdre et Bérénice ont été représentées dans de grands moments d’abattement ; et, lorsqu’elles s’asseyent, leur mouvement signifie un bouleversement profond. La faiblesse de la fille de Minos ouvre la pièce et la pousse à l’aveu qui est le sujet de la tragédie. Bérénice, en revanche, fêtée à son arrivée dans le palais de Titus, voit ses espoirs anéantis et « se laisse tomber sur un siège » à la fin de la pièce. Les vignettistes ont suivi les rares didascalies des tragédies qui ajoutent beau Phèdre, I, 3, v. 265-268.
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coup aux discours. Elles ont constitué pour eux une indication de mouvement qui devait accompagner le langage des corps. Lorsque la vignette de Gravelot [fig. 49] figure l’accusation d’Agrippine, les vers résonnent à nos oreilles : Agrippine Arrêtez, Néron : j’ai deux mots à vous dire. Britannicus est mort, je reconnais les coups, Je connais l’assassin Néron Et qui, Madame ? Agrippine Vous 36
Agrippine arrête la fuite de son fils et de Narcisse tout en désignant le meurtrier ; l’accusation frappe comme une sentence 37. Le bras tendu et l’index pointé sont un coup porté à Néron qui tente d’esquiver. Ce mouvement de défense et son léger recul donnent à la mère davantage de pouvoir. La disposition, qui place les personnages sur un même plan, permet cependant de dégager l’espace autour d’Agrippine. Son ombre et celle de Burrhus qui l’accompagne se projettent sur les deux complices, rappelant tout en l’amplifiant son geste. Bien qu’il fasse corps avec Narcisse, l’empereur est perdu, il est même dominé par le haut piédestal devant lequel il se tient. Il n’est plus temps d’endormir ses proches par des discours, le masque de la fourberie est tombé. Alors qu’Hermione attendait d’Oreste qu’il tuât Pyrrhus, à l’annonce de la mort du roi d’Épire, elle réagit vigoureusement en reniant l’ordre qu’elle avait donné 38. Quand Phèdre déclare son amour à Hippolyte (II, 5), pensant être entendue, elle tend son corps vers celui qui la repousse et tente de l’éloigner. Hermione ou Hippolyte font des mouvements violents et réagissent de manière inattendue pour leurs interlocuteurs. Nous avons déjà évoqué le regard de la première dans le tableau attribué à Guérin [fig. 97], mais il faut ajouter à cette analyse celle du mouvement du corps et s’intéresser à la Britannicus, V, 6, v. 1638-1640. Ce même épisode se retrouve avec une force égale dans l’édition de 1796. 38 Andromaque, elle s’en entretient avec Cléone, V, 2. Elle en donne l’ordre à Oreste dans la scène suivante. 36 37
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planche de Girodet [fig. 74] qui illustre le même sujet 39. Lorsque Oreste se présente, tendant l’arme à bout de bras, le corps d’Hermione s’étire vers l’arrière, dans un mouvement qui est contraire à celui espéré. Il attendait qu’elle vînt dans sa direction ; et, à son grand dépit, elle le repoussait. La composition de Girodet insiste sur ce mouvement que le refus de regarder accompagne. Les bras fermement tendus rappellent les lignes des jambes que le souple drapé souligne 40. Le corps fin d’Hermione, la fluidité des étoffes font face au corps massif d’Oreste, vêtu de tissus plus épais. Lorsque Phèdre, après avoir dévoilé ses sentiments à Hippolyte s’approche pour s’emparer de son arme, le jeune homme est horrifié. Il a été surpris des déclarations de sa belle-mère qui l’ont violemment saisi ; et, avant qu’elle ne tente son geste, il l’a rejetée tout entière : « Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ». Cela n’empêche pas Phèdre de poursuivre longuement et d’avouer : « La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte ! 41 ». Gravelot a hésité entre deux mouvements pour illustrer les sentiments du jeune homme. Tous les dessins préparatoires jusqu’au dernier avant la gravure le montrent surpris 42. Au moment où sa belle-mère se saisit de l’épée, il recule et écarte les bras tout en la regardant. Sous le trait, ces deux vers : « Au défaut de ton bras, prête-moi ton épée / Donne 43 ». L’estampe [fig. 54] propose, quant à elle, une gestuelle plus véhémente puisque Hippolyte détourne les yeux pour la repousser vigoureusement de ses deux bras. Malgré cela, Phèdre a pu prendre l’arme qui, mise en évidence, est le prolongement de son bras. La planche de Girodet [fig. 86] montre le départ du jeune homme dont Phèdre retient le vêtement d’une main. La disposition des personnages met en valeur les mouvements contraires : Hippolyte essaie de fuir tandis que la fille de Minos, qui a perdu le contrôle d’elle-même, est retenue par Œnone 44. Celle qui la protège et la manipule annonce, par sa tête tournée vers l’arrière, la nécessité d’agir et de quitter les lieux : 39
Nous avons précédemment souligné, dans le chapitre II, la proximité de ces deux compositions. 40 Les lignes données par Girodet au corps d’Hermione sont proches de celles de Phèdre, précédemment commentées. 41 Phèdre, II, 5, v. 669 et v. 702. 42 Si l’on considère l’ensemble des vignettes de Gravelot, il s’agit du seul exemple dans lequel le dessin définitif diffère de la composition gravée. 43 Phèdre, II, 5, v. 710-711. 44 La manière dont son corps bascule, le chiton qui glisse et découvre la poitrine, la chevelure défaite sont les signes de son égarement.
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Que faites-vous, Madame ? Justes dieux ! Mais on vient. Évitez des témoins odieux ; Venez, rentrez, fuyez une honte certaine.
Déjà Théramène paraît et s’interroge sur ce qu’il voit : « Est-ce Phèdre qui fuit, ou plutôt qu’on entraîne ? 45 ». La planche ne le représente pas, mais tout est contenu dans l’attitude d’Œnone. Le tableau de Garnier [fig. 57] insiste davantage sur la distance qui sépare Hippolyte et Phèdre. Le mouvement du jeune homme est vif, le regard qu’il jette en arrière n’est pas dirigé sur le geste de sa belle-mère, il se porte sur le buste sculpté de Thésée disposé derrière les femmes. Phèdre le regarde s’écarter, tandis que Œnone se concentre vers un point plus éloigné, certainement l’entrée de la pièce. Thésée, que l’on avait cru mort, est de retour à Trézène (III, 4 et 5). Girodet [fig. 87] a représenté l’élan qui le porte vers son épouse, mais elle se refuse à lui, le repoussant de ses deux bras et baissant la tête pour ne pas affronter son regard interrogateur. Il s’apprête cependant à poser la main sur son épaule, elle ne pourra pas toujours l’éviter. C’est sans violence qu’elle l’éloigne, l’embarras et le trouble dominent : la conscience de la faute l’incite au silence. Thésée se tourne alors vers Hippolyte pour obtenir quelque explication : « Quel est l’étrange accueil qu’on fait à votre père, / Mon fils ? 46 ». Il s’adresse à celui qui a subi les propos et le geste dévastateurs de Phèdre, à celui qui ressent une honte indicible et qui ne pourra répondre 47. Cette planche réunit les protagonistes des deux scènes dans une composition qui insiste sur tous les mouvements contrariés et sur l’absence de communication. L’ensemble de ces attitudes traduisent le rythme des corps, les forces qui s’opposent ou se complètent. Cette physique des forces est toute contenue dans les tragédies, inhérente aux personnages puisqu’elle n’est pas seulement le résultat d’une réaction à un moment donné. C’est la violence des passions et la force du verbe racinien qui trouvent dans ces représentations leur pleine expression. Mais il est une autre manière de figurer la violence ou la colère rentrée : c’est l’apparente immobilité. Ainsi se tient Hermione quand Oreste lui ouvre son cœur (II, 2), dans une scène aux dialogues animés par le ressentiment de la jeune femme. Girodet, au lieu d’extérioriser cette passion, a Phèdre, id., v. 711-713 et v. 714. Id., III, 5, v. 921-922. 47 Dans la scène qui suit les aveux de Phèdre, il dit à Théramène, sans se dévoiler, à quel point il est affecté. En effet, bien qu’il ait su repousser ses avances, il se fait horreur. 45 46
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donné à Hermione l’apparence d’une statue néoclassique [fig. 72] 48. Elle fait face au spectateur, glissant un regard vers celui qui, empli d’espoir et soutenu par le mouvement de Cléone, arrive avec une expression presque naïve. Il se heurte à un corps de pierre qui le méprise et contient sa colère. Le port altier, elle est telle une caryatide : les plis du tissu qui souligne les lignes du corps lui confèrent une certaine grâce, tandis que ses bras croisés, ses jambes solidement ancrées au sol expriment la force. Son attitude contraste avec les mouvements violents que nous lui connaissons, mais ses sentiments et son caractère sont montrés avec vigueur. Enfin, les proportions et le travail des plis montrent combien le peintre a été influencé par les œuvres de l’Antiquité. Ces postures signent les tensions inhérentes aux pièces, les affrontements et la violence contenue ou éclatante. Si elles révèlent les réactions à une situation donnée, elles scellent aussi la permanence des caractères et les rapports entre les personnages. Oppositions et tensions, face à face ; mais, devant tant de forces ou de réactions implacables, il a parfois fallu savoir être humble et s’agenouiller pour quêter quelque faveur ou se faire entendre. Un genou à terre, la supplique Dans les tragédies, la supplique est surtout dévolue aux femmes, mais quelques personnages masculins sont dans cette situation que les peintres et dessinateurs ont illustrée. Prud’hon a choisi l’instant où Pyrrhus supplie Andromaque de l’épouser, et plusieurs vignettistes ont montré Aman aux pieds d’Esther (III, 5) [fig. 44, 55]. Enfin, Britannicus aux pieds de Junie [fig. 76] et Burrhus suppliant Néron ont été traduits par Chaudet 49. Si ces trois hommes sont à genoux, Pyrrhus reste quant à lui debout. Malgré 48
D’autres personnages, témoins d’une scène, ont pu être représentés comme des statues. C’est Phénice assistant aux adieux de Titus et Bérénice que Gravelot a dessinée de dos [fig. 50]. L’ordonnancement de son costume et son statisme l’apparentent à un élément du décor du cabinet. Chaudet a figuré Élise dans un angle quand Esther se précipite aux pieds d’Assuérus [fig. 91]. Elle est une spectatrice discrète qui se fait oublier et l’on ne sait si elle est animée ou figée dans la pierre. 49 Britannicus, III, 7 : « Quand pourrai-je à vos pieds expier ce reproche ? », v. 1023. L’expression « à vos pieds » compte de nombreuses occurrences dans les pièces. Id., IV, 3. Le mouvement de Burrhus est connu par une didascalie, entre les vers 1366 et 1367 : « Il se jette à genoux ».
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cette différence, le corps tendu et les bras dans le prolongement qui suggèrent la parole sont des mouvements communs. L’attitude de supplique diffère de celle de la prière adressée à un dieu puisque les mains sont plus rarement jointes même si l’on en trouve quelques exemples, notamment dans les planches de Jacques De Sève. Ainsi, une femme supplie Ériphile d’arrêter son geste fatal [fig. 41]. Aman, quant à lui, se jette aux pieds d’Esther [fig. 44] dans une attitude de prière particulièrement expressive : il est presque couché à terre et a les mains jointes. Guillaume Moitte, pour la planche du troisième acte de La Thébaïde [fig. 68], a diversifié les expressions, figurant Antigone à genoux devant Créon, tandis que Jocaste supplie Étéocle. Elle est assise et joint ses mains. Ces suppliques ne sont pas exemptes de vivacité, et les étoffes soulignent la précipitation qui préside parfois aux actions. Les peintres, dans leurs écrits, ont insisté sur la juste représentation des draperies, à l’instar de Roger de Piles : Les plis des draperies bien entendus donnent beaucoup de vie à l’action, de quelque nature qu’elle puisse être, parce que le mouvement des plis suppose du mouvement au membre qui agit, qui les entraîne comme malgré eux et qui les rend plus ou moins agités selon la violence ou la douceur de son action 50.
Les artistes ont le plus souvent accordé beaucoup de soins au détail des plis, à leur forme, à la profondeur qui autorisent les jeux d’ombre et de lumière. Bien entendu, l’observation de la statuaire antique et les relevés que les recueils ont diffusés ont largement participé à la connaissance des peintres et dessinateurs. L’agitation qui a précédé les requêtes se lit dans les tissus encore vibrants. Andromaque, dans la vignette de Chauveau [fig. 4] se jette aux pieds de Pyrrhus, son attitude est proche de ses paroles : Pyrrhus Allons aux Grecs livrer le fils d’Hector. Andromaque Ah ! Seigneur, arrêtez ! Que prétendez-vous faire 51 ?
Roger de Piles, Cours de peinture par principes. Op. cit., p. 57. Andromaque, III, 6, v. 900-901.
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Au moment où Pyrrhus fait un mouvement pour exécuter la décision qu’il vient de prendre, Andromaque gêne son départ. Elle doit l’empêcher de livrer son fils en attirant sa compassion par une attitude humble et convaincante. Elle se tient donc à ses pieds, les bras ouverts au niveau des genoux, le visage levé, très implorante 52. Comme Chauveau, Jacques De Sève l’a représentée agenouillée, mais il a conféré à la scène un autre caractère puisque la jeune femme est moins suppliante [fig. 31]. Le mouvement d’ensemble donne le sentiment qu’elle a arrêté Pyrrhus, portant son regard sur Astyanax que tient Phœnix. Girodet a, quant à lui, doublé son attitude par celle de Céphise qui, dans un élan commun, s’agenouille avec sa maîtresse [fig. 73]. La vignette de Gravelot [fig. 48] a limité le pathétique puisque la posture de la veuve d’Hector suggère plus le dialogue que la prière tandis que Phénice modère son action en faisant un geste pour la relever. La précipitation est absente de cette vignette, et le vêtement de la jeune femme est donc plus lourd. C’est ce que nous retrouvons dans le tableau de Guérin [fig. 96] qui réunit plusieurs instants de la pièce. Les dessins préparatoires et l’esquisse d’Orléans ont tout d’abord figuré un élan dans l’attitude d’Andromaque : les plis du vêtement sont serrés, le voile flotte, et l’épaule est dégagée. Peu à peu, au fur et à mesure que le peintre a élaboré son personnage, Andromaque s’est figée, et les étoffes se sont alourdies. Le tableau montre alors un costume disposé avec le plus grand soin, dans des plis savamment agencés. Les contemporains qui ont commenté l’œuvre ont mentionné cette justesse de représentation. Fabien Pillet indique que les vêtements « sont dessinés d’un grand style ; c’est un des plus beaux modèles de draperies et d’ajustement que les jeunes artistes puissent étudier 53 ». Aux yeux des critiques, Guérin a atteint une forme de perfection qui doit être célébrée et imitée. Dans le dernier acte d’Esther, deux personnages sont dans des attitudes de prière, tout d’abord Esther, puis Aman. Chaudet a représenté la reine 52
Cette attitude évoque les vers 915-916 de la même scène : « Vous ne l’ignorez pas : Andromaque, sans vous, / N’aurait jamais d’un maître embrassé les genoux ». L’expression est employée dans la scène suivante, v. 959 : « Faut-il qu’en sa faveur j’embrasse vos genoux ? ». 53 Fabien Pillet, « Exposition des tableaux. Andromaque et Pyrrhus par M. Guérin », op. cit, p. 2256. François Guizot, De l’état des beaux-arts en France et du Salon de 1810. Op. cit., se souvient de modèles antiques : « Ne reconnaît-on pas encore dans cette admirable figure d’Andromaque, dans l’art avec lequel les draperies sont ajustées et ne dérobent aucune des formes du corps, l’homme plein du souvenir des draperies de la Leucothée ou de Cérès ? », p. 10.
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genoux à terre : elle se précipite au devant d’Assuérus [fig. 92] dans un mouvement ample qui s’achève sur le buste du roi. Elle s’abandonne contre celui qui, surpris, évite de tomber vers l’arrière. Le contact physique entre les personnages est assez inhabituel, non seulement pour cette scène, mais aussi pour de nombreuses autres : les artistes ont suivi les règles des tragédies de Racine qui proscrivent « tout contact entre les corps 54 ». Les « embrassements » sont liés aux sentiments maternel ou paternel. C’est sans doute dans Andromaque que le verbe embrasser est le plus usité, puisque la proximité de la mère et de l’enfant est au cœur de l’action. Dans Athalie, lorsque Joad embrasse son fils adoptif, c’est une didascalie qui l’indique : « À Joas, en l’embrassant 55 ». Les peintres et dessinateurs ont eux aussi banni de leurs représentations les gestes qui révèleraient l’intime. Seul Prud’hon a figuré une étreinte, celle d’Andromaque et Astyanax [fig. 66], dans des dessins qui dévoilent les sentiments profonds de la jeune veuve. Les « embrassements » de la mère et de l’enfant ont été dénoncés par Pyrrhus qui rejetait leur proximité physique 56. Guérin, dans ses études pour Andromaque et Pyrrhus, avait rassemblé les trois protagonistes qui ne formaient qu’un seul groupe. Dans deux dessins, Andromaque est tout près de Pyrrhus, les plis de leurs vêtements se confondent, et le roi touche presque les cheveux de l’enfant. Le tableau [fig. 96] n’a pas retenu cette proximité, et la disposition a privilégié la distance d’avec Pyrrhus. Éviter le contact des corps est le signe d’une déférence, d’un nécessaire respect que la supplique impose. Mais tous non pas suivi ces règles, et Aman a ainsi bravé un interdit majeur : L’inexorable Aman est réduit à prier. (Il se jette à ses pieds) Par le salut des Juifs, par ces pieds que j’embrasse, Par ce sage vieillard, l’honneur de votre race,
54 Voir Philippe Sellier, Théâtre complet de Racine. Op. cit. : « L’une des lois non écrites de la tragédie racinienne est le Noli me Tangere, la proscription de tout contact entre les corps. Toute étreinte, toute caresse, tout geste tendre relâcheraient, ne fût-ce qu’un instant, la tension dramatique, la frustration du désir, la détresse. Les rares embrassements y sont presque tous liés à la souffrance, sinon au cauchemar, comme dans la folie d’Oreste ou le songe d’Athalie. Le sourire non plus, ce baiser à distance, ne s’esquisse jamais », p. 19. 55 Athalie, II, 8, après le vers 742. 56 Andromaque, II, 5, v. 647-654.
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Daignez d’un roi terrible apaiser le courroux : Sauvez Aman, qui tremble à vos sacrés genoux 57 !
Profitant de l’absence d’Assuérus, il s’est précipité aux pieds d’Esther qui l’a repoussé malgré son insistance. Non seulement le vieil homme a supplié, mais il a été trop proche d’Esther, il l’a touchée, ce qu’Assuérus dénonce vivement : « Quoi ? le traître sur vous porte ses mains hardies ? 58 ». Jacques De Sève [fig. 44] a donné un port altier à la reine quand Aman, presque couché à terre, implore sans dignité. La prière du traître est vaine, elle n’est pas reçue, Esther reste impassible, et déjà Assuérus donne l’ordre de s’emparer du fourbe ; il est perdu. Les trois soldats chargés de l’éloigner se précipitent, ils sont presque couchés sur lui, le retenant qui par le manteau, qui par l’épaule, qui par les cheveux 59. Supplique et requête sont des démarches bien proches, mais les artistes en ont donné des représentations différentes. Quand Oreste vient réclamer Astyanax à Pyrrhus, sa demande n’est en rien une prière : il s’agit d’une ambassade, il représente les Grecs. Ce n’est pas une motivation personnelle, mais bien une demande politique que l’attitude doit transposer. Guérin [fig. 96] et Girodet [fig. 71] ont tous deux illustré cette requête et signifié qu’il n’agissait pas seul. D’un geste, Oreste désigne ceux dont il est l’émissaire : un mouvement ample dans la planche et le pouce vers l’arrière dans le tableau de Guérin. La demande d’Oreste requiert le dialogue, et le jeune homme est représenté tantôt assez proche de Pyrrhus, tantôt intimidé par la réaction du roi d’Épire. Même si Girodet [fig. 71] a rapproché les deux hommes dont les sceptres se touchent presque, le geste de Pyrrhus qui détourne son regard et oppose un refus sans appel est redoublé par l’attitude de Phœnix 60. Guérin, quant à lui, a peint leur échange de regards [fig. 96]. La demande et le refus sont figurés avec une grande économie de moyens, par des gestes très efficaces. La requête est formulée de manière presque discrète ; elle se comprend surtout par l’attitude de Pyrrhus. Le pouce dirigé vers l’arrière était dans les premiè-
Esther, III, 5, v. 1163-1167. Id., v. 1168. 59 On pourra opposer cette vignette à celle de Du Bourg qui montre des sentiments bien faibles : Aman adresse une modeste supplique et est mollement éconduit [fig. 26]. 60 Andromaque, I, 2, v. 247-248 : « Après cela, Seigneur, je ne vous retiens plus, / Et vous pourrez aux Grecs annoncer mon refus. » 57 58
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res pensées de l’artiste, comme le montrent les deux dessins préparatoires 61. Les arguments d’Oreste ont été vains, et sa démarche n’aurait rien gagné à être faite à genoux ; il aurait perdu sa crédibilité d’ambassadeur. Comment faire fléchir son interlocuteur et lui adresser une prière convaincante ? Sans doute faut-il considérer que devant la nécessité d’intervenir, certains ont négligé l’attitude qu’ils devaient adopter. Seules importaient la force du discours et l’action souvent vive. La diversité des situations proposée par les tragédies a multiplié les possibilités des artistes qui ont offert de ces instants des compositions dénuées de monotonie. Du corps debout et droit d’Oreste à celui rampant d’Aman, les gradations ont été exploitées, conférant des caractères particuliers à ces prières masculines et féminines. En suppliant, les personnages se dévoilent parfois sans retenue, jusqu’à perdre dignité. Les évanouissements qui font glisser les corps vers le sol trahissent eux aussi, dans une silencieuse éloquence, un sentiment profond ; ce sont d’autres prières. De la pâmoison à la mort Les jambes qui plient, le corps qui bascule vers l’arrière peuvent tout autant signifier la défaillance que l’instant ultime. Les peintres et dessinateurs ont représenté dans leurs œuvres des évanouissements et des morts, qui soulignent cette proximité des mouvements du corps. Ce sont les paroles prononcées ou les didascalies qui permettent de les différencier, bien que le verbe « mourir » soit fréquemment employé pour signaler une perte de connaissance. Les héros s’évanouissent et les scènes de pâmoison, assez nombreuses, sont presque exclusivement féminines. Seul Oreste perd connaissance, mais 61 Dans le chapitre II, nous avons évoqué les critiques concernant ce mouvement. François Guizot, De l’état des beaux-arts en France et du Salon de 1810. Op. cit. : « Oreste lève le bras droit, et fait du pouce un geste qui semble indiquer quelque chose derrière lui. L’artiste n’a-t-il voulu que donner à ce bras et à cette main une belle pose, ou la leur a-t-il donnée pour les faire servir à un geste d’indication ? […] Si M. Guérin a eu au contraire, en plaçant ainsi le doigt d’Oreste, une intention relative à l’action générale, je ne puis m’empêcher de trouver que cette intention n’est pas clairement exprimée. […] Si le geste d’Oreste se rapporte à quelque chose, il se rapporte aux paroles qu’il vient de prononcer : Oui les Grecs… Ce geste, en effet, semble indiquer les Grecs placés derrière leur ambassadeur et prêts à fondre sur l’Épire : on sent que le spectateur qui ne sait point ce qu’Oreste vient de dire, ne peut comprendre ce qu’il fait », pp. 14-16.
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son évanouissement qui succède aux fureurs n’a pas été illustré 62. Lorsque l’héroïne dit que ses forces l’abandonnent, ses paroles peuvent être renforcées par une didascalie. La mort d’Atalide est indiquée à la fin de son monologue : « Elle se tue ». Zaïre qui assiste à la scène confirme la didascalie : « Elle expire 63 ». Si la pâmoison peut être montrée sur la scène théâtrale, il en est autrement de la mort qui n’est représentée qu’à certaines conditions. Seules les fins de vie douces pouvaient en effet être exposées : Les bienséances classiques ne proscrivent pas seulement la représentation de la vie quotidienne, l’expression de certains sentiments et toute allusion à la vie sensuelle ou sexuelle des personnages, elles proscrivent également les combats, les duels, la représentation de la mort violente et tout ce qui peut, comme on dit alors, ensanglanter la scène. […] Si un héros resté seul en scène à la fin d’une tragédie veut se suicider, il se frappe et il meurt devant le public ; ce sera par exemple le cas d’Atalide à la fin de Bajazet de Racine. Mais si, avant de mourir, le héros doit encore adresser quelques paroles aux survivants, on préfère ne montrer qu’une partie de son agonie 64.
Les règles théâtrales relatives à la mort sont plutôt complexes et elles souffrent de nombreuses exceptions. Ainsi certaines formes de suicide étaient-elles autorisées sur scène, notamment celui par poison, sans doute parce qu’il s’inscrivait tellement dans une tradition héritée de l’Antiquité. Ce fut celle de grands hommes que les peintres ont fréquemment représentés une coupe à la main et entourés de leurs proches. Ces réticences à exposer la mort sur scène suscitent quelques interrogations. Pourquoi en effet le corps inanimé pouvaitil paraître choquant ? Les hommes du temps ne côtoyaient-ils pas la mort dans leur vie quotidienne ? C’est peut-être en raison de leur familiarité avec celle-ci qu’ils l’ont bannie du spectacle, mais il y entre aussi des raisons esthétiques. Ces bienséances ne sont pas celles des arts visuels qui peuvent figurer combats, meurtres ou suicides sans choquer les spectateurs. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné, les corps malmenés par les combats ont souvent été représentés indemnes. Ce constat qu’autorisent les vignettes du 62 Jacques De Sève a cependant figuré les fureurs d’Oreste dans le cul-de-lampe de l’acte V [fig. 32]. 63 Bajazet, V, scène dernière, didascalie après le vers 1747, v. 1748. 64 Jacques Scherer, La dramaturgie classique en France. Paris, Nizet, 1986, p. 410 et p. 421. Il rappelle que Racine achève souvent ses pièces sur des suicides.
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corpus peut être étendu à de nombreuses autres illustrations du livre à figures. Qu’il s’agisse d’un meurtre ou d’un suicide, le corps peut être exposé aux regards, gisant de tout son long. Aussi les dessinateurs ont-ils illustré le combat des frères ennemis, le meurtre de Pyrrhus ou de Bajazet, le suicide d’Hermione ou celui d’Ériphile, la mort violente d’Hippolyte ou l’agonie de Phèdre, les massacres d’Athalie ou sa propre mort. Les corps sans vie ont souvent été disposés au tout premier plan, dans des postures qui insistent sur le tragique. Les artistes se sont inspirés des scènes ou des récits, trouvant dans les drames raciniens une variété qu’ils ont su transposer. Ces sujets ont été privilégiés pour les vignettes, les peintres ayant retenu d’autres scènes. Le tableau de J.B. Marie Pierre que nous avons signalé, figurant sans doute la mort de Phèdre, est l’une des rares exceptions. Pour autant, l’identification du sujet n’est pas si aisée, et cette héroïne pourrait aussi être une autre, voire rester anonyme. La composition serait alors un simple sujet tragique sans lien avec d’autres événements. Les vignettes, dans leur proximité avec le texte, autorisent d’autres choix. La connaissance du public est indispensable pour que ces épisodes deviennent des sujets propres à la peinture d’histoire. Les corps défaillants sont volontiers décrits par Racine qui reste silencieux lorsque les personnages recouvrent leurs forces et l’usage de la parole. La rémission n’est pas tragique, contrairement au mouvement du corps qui porte seul les passions violentes. La description de l’évanouissement, si proche de la mort, est conforme aux propos de Descartes qui a consacré un article des Passions de l’âme à la pâmoison : La pâmoison n’est pas fort éloignée de la mort, car on meurt lorsque le feu qui est dans le cœur s’éteint tout à fait : et on tombe seulement en pâmoison lorsqu’il est étouffé en telle sorte qu’il demeure encore quelques restes de chaleur, qui peuvent par après le rallumer. Or il y a plusieurs indispositions du corps qui peuvent faire qu’on tombe ainsi en défaillance ; mais entre les passions il n’y a que l’extrême joie qu’on remarque en avoir le pouvoir 65.
Le philosophe insiste sur la nature violente d’un sentiment qui entraîne la chute du corps. La perte de connaissance serait donc la conséquence d’une « extrême joie », et non pas celle de la douleur, de la tristesse ou de la crainte. C’est le point sur lequel les évanouissements raciniens s’éloignent de Descartes. Pour appuyer son propos, le philosophe donne des explications sur les René Descartes, Les passions de l’âme. Op. cit., article 122.
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mouvements du sang et du cœur qu’il développe dans l’article suivant, Pourquoi on ne pâme point de tristesse. La mélancolie, en effet ne présente pas de caractère de soudaineté ; c’est un sentiment aux effets plus lents, parfois moins visibles. Cependant, les femmes qui défaillent dans les tragédies ne sont pas dans des sentiments de joie ; leur perte de connaissance résulte d’émotions fortes liées à d’autres passions. La pâmoison n’est pas seulement une modification de l’expression du visage ; elle est une atteinte physiologique. Les peintres et dessinateurs ont été nombreux à représenter ces instants où les femmes, que leurs genoux ne portent plus, ont la tête penchée sur le côté et les bras pendants. La femme pâmée est parfois assise, mais le plus souvent elle se tient debout, montrée dans l’instant où le corps bascule et les yeux se ferment. Les artistes ont modulé la chute des corps et l’expression des visages : quand certaines femmes sont encore sur leurs pieds, d’autres sont presque à terre. C’est cette gradation que les exemples issus d’Esther, de Bajazet ou de Phèdre permettent d’étudier. Atalide ou Esther sont toujours soutenues par une personne proche lors de leur perte de connaissance, et l’affaissement de leur corps est ainsi limité. Les œuvres illustrent bien ce contraste entre le corps qui défaille, s’alourdit et la force que déploie le personnage qui soutient 66. Les évanouissements d’Atalide et d’Esther, annoncés de manière explicite dans les pièces, ont été représentés à plusieurs reprises par les peintres et dessinateurs. Atalide exprime son désarroi et ses paroles trouvent un écho dans celles de Zatime : Atalide Je me meurs. Zatime Elle tombe, et ne vit plus qu’à peine 67.
Dans Esther, les didascalies encadrent les paroles de la reine : « Esther entre, s’appuyant sur Élise ; quatre Israélites soutiennent sa robe ». La didascalie ouvre la scène, au moment où la reine se présente à Assuérus ; déjà elle est faible et cherche un soutien auprès de ses suivantes :
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Faut-il relier ces attitudes à la longue tradition de la représentation de la pâmoison de la Vierge dans les arts visuels ? 67 Bajazet, IV, 3, v. 1205.
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Mes filles soutenez votre reine éperdue : Je me meurs. (Elle tombe évanouie) 68.
La défaillance annoncée, énoncée puis décrite rappelle l’importance des mouvements corporels. Charles Le Brun fut le seul à représenter l’entrée de la reine vacillante et le cortège de sa suite [fig. 11]. La longue procession prolonge le mouvement des femmes qui accompagnent Esther ; c’est tout le cortège qui souffre et compatit au sens littéral du terme. Les autres artistes ont privilégié l’évanouissement et réduit le nombre de personnages. Antoine Coypel [fig. 14] a retenu la pâmoison, l’instant où le corps s’affaisse et où la reine a besoin d’être soutenue. Jacques De Sève n’a pas transposé ce sujet pour le frontispice, mais il l’a mis en scène dans un très élégant cul-de-lampe [fig. 45]. Les motifs ornementaux tel l’atlante soutenant le dais, le brasero et le couvre-chef conique qui évoquent l’Orient offrent un ensemble raffiné. Le roi Assuérus est figuré sous les traits de Cupidon : c’est l’Amour arc à la main et carquois au dos qui fait un geste vers Esther défaillante. Quant au lièvre, oreilles dressées au pied de la reine, il est la figuration allégorique de la Crainte, celle qui fit ployer ses jambes 69. Bien que jouée par des enfants, cette scène ne manque pas d’intérêt dans notre corpus puisque l’attitude d’Esther est expressive. Gravelot a conféré à l’évanouissement d’Atalide [fig. 51] une expression peu dramatique : seul le buste en arrière et appuyé sur Zatime indique qu’elle défaille. Ses jambes restent raides et elle paraît peu affectée. C’est une attitude assez semblable que Chaudet [fig. 91] a donnée à Esther, elle semble plus affaiblie que prête à s’évanouir. Le buste et la langueur des bras contredisent les jambes solides aux pieds bien campés dans le sol que le vêtement souligne. Enfin, Aricie cherchant Hippolyte au milieu des débris du char s’évanouit à sa vue :
Esther, II, 7, v. 634-635. Le lièvre est l’attribut de la figure allégorique de la Crainte qui a des ailes aux pieds pour fuir. L’évanouissement d’Atalide est représenté au cul-de-lampe de l’acte IV de Bajazet [fig. 39]. La disposition des deux scènes est très proche, cependant la faiblesse d’Atalide est plus discrète, en partie masquée par l’enfant qui la soutient. 68
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Elle voit Hippolyte, et le demande encore. Mais trop sûre à la fin qu’il est devant ses yeux, Par un triste regard elle accuse les dieux, Et froide, gémissante, et presque inanimée, Aux pieds de son amant elle tombe pâmée 70.
Ce ne sont pas des paroles, la relation de la mort qui sont la cause de la réaction de la jeune femme, mais bien le spectacle qu’elle voit. C’est parce que ses yeux ont cherché Hippolyte et parce qu’elle l’a reconnu qu’elle est tombée. Le récit de Théramène la décrit comme presque morte ; c’est un corps sans chaleur qui choit. Louis Chéron fut le seul à représenter cet instant du récit [fig. 20], dans une attitude moins dramatique que celle de la relation. Cependant, la défaillance d’Aricie au milieu du désordre des chevaux et du char brisé, devant le corps inanimé de son amant, renforce le tragique de la scène : les deux figures se répondent. C’est également en voyant son fils Étéocle avec des traces de sang, une arme à la main, que Jocaste perd ses forces. Les paroles d’Olympe et d’Antigone lui avaient fait craindre le pire qui semble alors se confirmer. Moitte a représenté cette scène où la reine prononce ces mots : « Olympe, soutiens-moi, ma douleur est extrême 71 ». Étéocle se présente à sa mère [fig. 67] qui se laisse alors tomber dans les bras de sa confidente ; cette faiblesse traduit sa douleur, mais Jocaste ne perd pas complètement connaissance. Louis-Fabricius Du Bourg, malgré la maladresse de nombre de ses vignettes, a offert une représentation assez convaincante de la pâmoison. Dans un décor très dépouillé, Atalide défaille dans les bras de Zatime [fig. 24] qui empêche son corps de s’effondrer sur le sol. Elle s’affaisse du côté gauche et les genoux touchent presque terre. Le dessinateur a insisté sur le mouvement des genoux et des bras. Celui de gauche est abandonné le long du corps, tandis que les doigts de la main droite sont ouverts comme s’ils venaient de laisser échapper un objet : c’est la lettre qui provoqua son évanouissement et que la planche ne montre pas. D’autre part, François Gérard a parfaitement exprimé l’abandon et la mollesse du corps d’Atalide, bien qu’il ne soit pas à terre [fig. 80]. Il a situé la pâmoison dans le tourbillon du départ précipité de Roxane : les vêtements plaqués soulignent ses formes, et le corps semble être entraîné par la vivacité du mouvement de la sultane qui la fait tourner Phèdre, V, 6, v. 1582-1586. La Thébaïde, I, 3, v. 44.
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sur elle-même. Le peintre a ainsi insisté sur l’absence de compassion de Roxane qui ne fait aucun geste en direction d’Atalide. Ce tournoiement est pertinent par la symbolique qu’il introduit : il désigne Roxane, montrant qu’elle est à l’origine de la faiblesse d’Atalide. Ces illustrations sont conformes aux dialogues ou aux didascalies, mais parfois les artistes ont amplifié les sentiments des personnages et les réactions de leur corps. Serangeli a accentué le sens de la didascalie dont nous avons déjà parlé, « Bérénice se laisse tomber sur un siège », puisqu’il a représenté la reine évanouie et incapable de dialoguer [fig. 79]. Titus lui tient la main tandis que Phénice se penche sur son visage. Le dessinateur a assimilé la brutalité de sa chute à une pâmoison ; il fut le seul à montrer un personnage évanoui assis et non soutenu par un autre 72. Le sens tragique est certainement renforcé par l’absence de décor et les yeux levés vers le ciel de Titus. Lorsque certains intensifient le drame, d’autres l’affaiblissent en figurant une mort qui manque de réalisme, l’assimilant davantage à une perte d’équilibre ; c’est la mort comme un évanouissement. Les illustrations de la mort de Britannicus sont pour quelques-unes bien maladroites. Si Chauveau [fig. 5] a insisté sur la soudaineté du trépas par le corps renversé et la coupe sur le sol, d’autres vignettistes ont minimisé les effets du poison en représentant un homme non pas mort, mais en train de mourir. Ces illustrations s’éloignent du récit de Burrhus dont le rythme et les mots disent si bien la violence : La coupe dans ses mains par Narcisse remplie, Mais ses lèvres à peine en ont touché les bords… Le fer ne produit point de si puissants efforts, Madame : la lumière à ses yeux est ravie, Il tombe sur son lit sans chaleur et sans vie 73.
Le poison fulgurant fit aussitôt tomber Britannicus qui pourtant peine à mourir dans la planche de Du Bourg [fig. 23] 74. Les yeux ouverts, les jambes 72
Une fois encore, cette attitude renvoie à la mort de Phèdre d’après Girodet [fig. 89]. Britannicus, V, 5, v. 1618-1622. 74 Faut-il reconnaître dans cette attitude une allusion à Tacite qui décrit deux actions différentes du poison ? On peut en douter, car c’est bien au cours d’un banquet que le poison violent emporta Britannicus. Tacite, Annales. Éd. Paris, Garnier-Flammarion, 1991, établie par Henri de Bornecques : « Un premier poison lui fut donné par ses précepteurs mêmes, mais il ne fit que traverser ses entrailles, qui s’en délivrèrent, soit que le poison fût trop faible, ou qu’on l’eût mitigé, pour 73
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qui plient légèrement, le corps maladroitement déséquilibré ; son attitude hésite entre la pâmoison et la perte de vie. Seules les réactions des personnages autour et le liquide qui s’échappe de la coupe font comprendre que l’instant est dramatique. Quant à Louis Chéron, il a dessiné Britannicus assis, se retenant de la main gauche, tandis que la droite tient encore le récipient [fig. 17]. Ses bras conservent trop d’énergie et la tête penchée, les yeux fermés traduisent un sentiment de douleur ou d’affliction. Même la fausse surprise de Narcisse – pourtant bien exprimée – ne parvient pas à convaincre le spectateur de ce que Britannicus est réellement mort. C’est avec la même maladresse apparente que Du Bourg a illustré le récit de Théramène [fig. 25], puisque Hippolyte n’a pas les yeux clos et qu’il ouvre les bras comme s’il parlait. Nous pourrions en conclure que ce dessinateur ne sait pas représenter la mort, mais nous pourrions aussi reconnaître dans cette représentation le choix de l’instant où le jeune homme prononce ses dernières paroles : J’arrive, je l’appelle, et me tendant la main, Il ouvre un œil mourant qu’il referme soudain : « Le ciel, dit-il, m’arrache une innocente vie. Prends soin après ma mort de la triste Aricie. 75 »
Même si nous avons pu trouver quelques explications acceptables au manque de conviction de ces représentations, il faut reconnaître que Du Bourg ne compte pas parmi les meilleurs illustrateurs de Racine 76. Les combats et les luttes qui se déroulent en coulisses ont été à l’origine de plusieurs morts. Ainsi le duel sanglant d’Étéocle et de Polynice au cours duquel Hémon a aussi perdu la vie a-t-il été représenté dès l’édition de 1676. Les illustrateurs ont exploité le revirement de situation de cet épisode ; Étéocle, laissé pour mort, n’est que blessé quand Polynice vient le désarmer :
qu’il n’agît pas sur-le-champ. […] Ils lui promirent alors une mort aussi rapide qu’avec le fer, et c’est auprès de la chambre du prince que l’on distille un breuvage composé de poisons d’une violence éprouvée et foudroyant. […] Une boisson encore inoffensive et goûtée par l’esclave, mais très chaude, est présentée à Britannicus ; puis, comme il la repoussait parce que brûlante, on y verse, mêlé à de l’eau froide, le poison, qui circula si rapidement dans tous ses membres qu’il lui enleva à la fois la parole et la vie », lib. XIII, XV-XVI, pp. 346-347. 75 Phèdre, V, 6, v. 1559-1562. 76 Peter Tanjé qui a gravé les dessins de Du Bourg n’était pas d’un grand talent.
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Et dans l’instant fatal que ce frère inhumain Lui veut ôter le fer qu’il tenait à la main, Il lui perce le cœur 77.
Ce combat, annoncé dès le début de la pièce, mis en scène par les références au décor de la ville, est d’une extrême violence que Créon a fidèlement relatée. Le mouvement soudain d’Étéocle qui, à terre, se redresse a retenu l’attention de Chauveau [fig. 2] et de Le Barbier [fig. 58]. L’effet de surprise est préservé, et le corps sans vie d’Hémon au second plan indique qu’il s’agit de la seconde phase de l’épisode. En revanche, Jacques De Sève a choisi pour le frontispice le début du combat [fig. 28] 78. Avec l’énergie qui caractérise ses vignettes, il a proposé un duel très enlevé : les gestes souples des deux frères sont emplis de force. C’est avec une rare violence que Polynice se jette sur Étéocle qui tente de résister en parant le coup de son bouclier. La nature des sentiments qui animent ces frères ennemis est exposée avec une grande vérité : il s’agit d’une lutte et non de poses destinées à suggérer le combat. Il a aussi figuré ce sujet de manière allégorique au cul-de-lampe de l’acte V [fig. 29] : les enfants luttent âprement, tandis que sur une nue la Discorde aux cheveux de serpents préside à la scène 79. Elle tient d’une main une torche et de l’autre des serpents ; enfin une chouette qui est l’une des Furies complète le motif 80. Les Furies, figurées sous deux formes dans la composition, insistent sur la violence des échanges entre les frères. Le terrible combat de l’acte V, annoncé dès la première scène de la pièce, est ainsi résumé. Les meurtres collectifs ont été représentés dans deux planches. François Gérard n’a pas retenu l’action au cours de laquelle Bajazet est tué, mais la découverte des cadavres [fig. 81]. La confusion a régné, et les corps sont mêlés ; cependant celui de Bajazet se détache pour devenir immédiatement identifiable. Le peintre a mis en évidence son corps tragique, renversé pardessus les autres cadavres, dans une disposition qui suggère la violence et les atrocités. Chaudet, quant à lui, a figuré un épisode du passé par rapport à La Thébaïde, V, 3, v. 1375-1377. Pour le bandeau du premier volume de l’édition de 1750, Jacques De Sève avait fait choisi la seconde partie du combat. 79 La querelle des deux frères occupe presque toutes les illustrations. Au bandeau, les enfants prêts à se battre pour la couronne, avec la Discorde et une Furie sous les traits d’une sirène ailée. Au cul-de-lampe de l’acte I : ils se disputent la couronne. 80 Pour l’allégorie de la Discorde, voir Cesare Ripa, Iconologie…. Op. cit.. 77
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l’action d’Athalie : le massacre que l’héroïne a ordonné et dirigé [fig. 93]. Il a montré dans le même temps les personnes déjà mortes et celles que les soldats s’apprêtent à faire périr. Le récit de Josabet a été illustré avec beaucoup de précision ; et, si les marques de violence sont partout visibles, les gestes sont accomplis au second plan. Les corps du premier plan sont suffisamment éloquents, et les instants figurés sont indissociables. Au milieu de ce carnage, il est cependant un geste salvateur, celui de Josabet emportant l’enfant. Les meurtres à l’arme blanche sont nombreux, collectifs ou individuels. Leur description est souvent lapidaire pour signifier la violence du fer qui a frappé. L’auditoire est informé par un ou quelques vers. Ainsi la mort d’Athalie n’est-elle que justice, sans qu’il soit besoin de donner davantage d’explications : « Le fer a de sa vie expié les horreurs 81 ». Chaudet n’a pas illustré l’action au cours de laquelle elle perdit la vie, mais il a offert son corps aux regards [fig. 94]. Le dessin définitif la montre allongée au tout premier plan ; les plis soignés, le manteau qui se rabat comme un linceul ne sont pas les signes d’une lutte : elle est tombée. Elle ne retient pas l’attention de la foule, tout occupée à vénérer Joas dans le temple délimité par les colonnes. Deux hommes quittent l’espace du premier plan en manifestant leur aversion, dans un élan commun. La scène est admirablement composée, réunissant des sentiments contraires et n’incitant guère le spectateur à la compassion ; l’exposition du corps d’Athalie est expliquée afin de ne pas attirer la pitié. Gérard, lorsqu’il a illustré la mort d’Ériphile, a lui aussi représenté au tout premier plan le cadavre de la jeune femme, dans une attitude qui conserve le souvenir de la chute du corps [fig. 84]. Les boucles de la chevelure et les étoffes viennent mourir sur la bordure de la composition, tandis qu’autour d’elle les personnages se partagent différents sentiments 82. Les artistes ont choisi de représenter l’action au cours de laquelle une personne est tuée ou de montrer le corps de celui qui vient de périr. Le meurtre de Pyrrhus n’a été dessiné qu’une seule fois, par Le Barbier [fig. 60]. Le roi d’Épire est estoqué après qu’il a épousé Andromaque, le flanc percé d’un premier coup, il s’effondre sur les marches de l’autel en tentant d’esquiver de son bras droit le second que le soldat s’apprête à lui porter. Son corps déséquilibré bascule en arrière, et le torse s’offre au fer de l’ennemi qui prend son élan pour gagner en force. Athalie, V, scène dernière, v. 1809. Deux soldats paraissent incrédules, Agamemnon remercie le ciel, Iphigénie est touchée, enfin Calchas et les personnages de l’arrière-plan voient les vents se lever. 81 82
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D’autres hommes, arme à la main, sont prêts à l’aider à achever Pyrrhus. La brutalité et l’agitation correspondent bien au récit d’Oreste : Nos Grecs n’ont répondu que par un cri de rage ; L’infidèle s’est vu partout envelopper, Et je n’ai pu trouver de place pour frapper. Chacun se disputait la gloire de l’abattre, Je l’ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre, Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober, Mais enfin à l’autel il est allé tomber 83.
Comme d’autres, le dessinateur a modéré les blessures de Pyrrhus, seul un discret filet de sang s’échappe de son flanc gauche. La nouvelle reine et Céphise cachent le spectacle à Astyanax et quittent le temple ; Andromaque voit pour la seconde fois un époux périr 84. Le fer est également utilisé pour se donner la mort : les héros l’utilisent seul, ou pour abréger les souffrances du poison. En général les personnages n’ont recours qu’à un seul moyen pour se tuer, mais Mithridate fait exception en prenant d’abord du poison, avant de se frapper d’un coup d’épée. Après avoir agi en coulisses, il vient mourir sur la scène et se présenter agonisant à Monime et Xipharès. Racine a suivi l’histoire puisque Mithridate VI, roi du Pont, s’était immunisé en ingérant d’infimes doses de poison : Pour éviter l’affront de tomber dans leurs mains. D’abord il a tenté les atteintes mortelles Des poisons que lui-même a crus les plus fidèles ; Il les a trouvés tous sans force et sans vertu. « Vain secours, a-t-il dit, que j’ai trop combattu ! Contre tous les poisons soigneux de me défendre, J’ai perdu tout le fruit que j’en pouvais attendre 85 ».
Andromaque, V, 3, v. 1514-1519. Astyanax n’a pas sa place dans cette scène, puisque Pyrrhus avait pris soin de l’éloigner avant le mariage. Andromaque, V, 2 : « Autour du fils d’Hector il a rangé sa garde, / Et croit que c’est lui seul que le péril regarde. / Phœnix même en répond, qui l’a conduit exprès / Dans un fort éloigné du temple et du palais », v. 1453-1456. Cependant, une fois encore le choix du dessinateur se justifie pour expliciter l’iconographie. 85 Mithridate, V, 4, v. 1570-1576. 83 84
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Aucun vignettiste n’a illustré le suicide du roi, mais ils ont été nombreux à représenter les derniers instants de sa vie. François Chauveau fut le premier, offrant un modèle à ses successeurs [fig. 8]. Mithridate se présente soutenu et affaibli ; l’épée et le bouclier du premier plan n’indiquent pas les raisons de sa mort ; ils ne mettent pas en évidence l’acte de suicide mais font plutôt office de trophée. Deux suicides aux armes de main ont été donnés par les illustrateurs : celui d’Hermione et celui d’Ériphile. Fabricius Du Bourg a figuré Hermione qui se poignarde près du corps de Pyrrhus porté par ses hommes [fig. 22] : Du haut de la porte enfin nous l’avons vue Un poignard à la main sur Pyrrhus se courber, Lever les yeux au ciel, se frapper et tomber 86.
La lame a déjà pénétré ses chairs, elle bascule légèrement et tourne son visage vers le ciel. C’est dans une attitude très proche qu’Ériphile se donne la mort au pied de l’autel [fig. 9] ; son suicide fut tout aussi violent : Furieuse, elle vole, et sur l’autel prochain, Prend le sacré couteau, le plonge dans son sein. À peine son sang coule et fait rougir la terre, Les dieux font sur l’autel entendre le tonnerre, Les vents agitent l’air d’heureux frémissements 87.
Ce geste sacrificiel surprend l’assistance, mais il apaise les dieux qui font se lever les vents. Ces deux planches montrent des jeunes femmes aux traits lisses, dénués de souffrance. Leur geste est déterminé, même si la position du bras qui tient le poignard ne semble pouvoir donner beaucoup de force au mouvement. Les spectateurs expriment leur surprise et leur douleur, ils n’ont rien pu tenter pour éviter que l’arme ne frappât. Jacques De Sève en revanche a laissé le temps à quelques-uns de s’opposer au suicide d’Ériphile [fig. 41] ; ils se prosternent tandis qu’elle s’apprête à frapper dans un geste quelque peu théâtral. Le poing serré de la main gauche indique sa détermination, tandis que les éclairs à l’arrière-plan scellent l’apaisement des dieux et donc l’issue
Andromaque, V, 5, v. 1610-1612. Iphigénie, V, scène dernière, v. 1771-1774.
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fatale 88. La représentation du suicide obéit à une convention : les jeunes femmes découvrent leur sein en levant le visage vers le ciel 89. Le fer ainsi planté devant une assistance évoque bien d’autres œuvres de l’histoire des arts, parmi lesquelles le suicide de Lucrèce qui paraît la gorge offerte au stylet. C’est une femme déshonorée qui, par son acte, devint une héroïne ; son geste fut considéré par les artistes comme un sujet pictural d’importance. La fabrique du poison est un art que Jacques De Sève a représenté dans le cul-de-lampe de l’acte IV de Britannicus [fig. 36] : Le poison est tout prêt. La fameuse Locuste A redoublé pour moi ses soins officieux : Elle a fait expirer un esclave à mes yeux ; Et le fer est moins prompt pour trancher une vie Que le nouveau poison que sa main me confie 90.
Locuste l’empoisonneuse jette des herbes dans une vasque sur le feu tandis que Narcisse regarde celui qu’elle vient de faire périr pour prouver l’efficacité de sa potion. La réserve d’herbes à droite, les fioles près du réservoir éclairent encore le sens de la scène. Fulgurant pour Britannicus, il peut cependant agir plus lentement, et le poison qui coule dans les veines est une autre forme de suicide. Les personnages ont été mis en scène, représentés dans cet état intermédiaire qui suscite de fortes passions dans l’entourage. Les suicides sont parfois empêchés, et le plus spectaculaire dans son traitement est certainement celui de Monime dans Mithridate 91. La jeune femme a signifié à Phœdime son envie de périr (V, 1) ; le poison que le roi lui fait parvenir dans la scène suivante l’incite à agir sur-le-champ. Cependant, celui-là même qui fit porter le poison en ordonne le retrait par son confident au moment où
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Le bandeau de l’édition de 1750 montre des attitudes et des expressions très proches. 89 Seul Chauveau a représenté Ériphile la poitrine couverte [fig. 9]. Dans le tableau de Garnier, Phèdre se découvre quand elle menace de se tuer avec l’arme d’Hippolyte. 90 Britannicus, IV, 4, v. 1381-1386. Nous renvoyons à Tacite, Annales. Op. cit., lib. XIII, XV-XVI. 91 Nous pouvons rappeler le geste d’Œnone du tableau de Garnier [fig. 57]. Quant à la planche de Moitte pour La Thébaïde, elle figure l’instant où Attale s’empare de l’épée de Créon pour l’empêcher de mettre fin à ses jours [fig. 69].
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Monime s’apprête à boire. Jacques De Sève a restitué dans sa vignette le rythme soutenu du dialogue [fig. 40] : Arbate Arrêtez ! arrêtez ! Arcas Que faites-vous, Arbate ? Arbate Arrêtez ! j’accomplis l’ordre de Mithridate. Monime Ah ! laissez-moi… Arbate, jetant le poison Cessez, vous dis-je, et laissez-moi Madame, exécuter les volontés du roi. Vivez. Et vous, Arcas, du succès de mon zèle, Courez à Mithridate apprendre la nouvelle 92.
Les attitudes des femmes qui entourent Monime indiquent que la mort est assurée, mais Arbate fond sur elle, arrête son bras et l’empêche de porter la coupe à ses lèvres. Il met autant de zèle à la maintenir en vie qu’elle en avait mis à tenter de se suicider. Dans la scène suivante de la tragédie, il justifie son intervention et narre la fin toute proche de Mithridate que le dessinateur a représentée à l’arrière-plan de la vignette. Déjà Phœdime avait essayé de retenir sa maîtresse au moment où Arcas avait apporté la coupe, et c’est ce mouvement que Peyron a choisi [fig. 82]. La résistance s’est organisée autour de Monime : sa confidente recourut à de vains mots, tandis qu’Arbate agit en jetant le poison. Après avoir voulu se percer le sein, Phèdre usa du poison pour expier ses fautes, un breuvage à l’action lente qui lui permit de se confesser à Thésée alors qu’elle était mourante : J’ai voulu, devant vous exposant mes remords, Par un chemin plus lent descendre chez les morts. J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Mithridate, V, 3, v. 1539-1543.
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Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu, Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage 93.
Phèdre prend le temps de mourir et de décrire une fois encore les modifications de son corps et de ses fonctions vitales. Comme Mithridate, elle se présente expirante 94. Harrewyn et Girodet qui ont illustré cette scène n’ont pas retenu le dialogue avec Thésée, mais l’instant qui lui succède, celui dans lequel tout est joué. Phèdre a annoncé son trépas que Panope constate : « Elle expire, Seigneur 95 ». Dans la vignette d’Harrewyn [fig. 15], le rideau s’ouvre de manière théâtrale sur la scène : la fille de Minos, entourée de quatre femmes qui la retiennent, laisse échapper la coupe. Elle boit et tombe, le dessinateur ne lui a pas laissé la possibilité de se confesser à Thésée, les aveux sont contenus dans la lettre attachée au poignet ; elle renvoie à la tragédie d’Euripide dont le dessinateur s’est aussi inspiré 96. Elle a ingéré la boisson de Médée en présence de son époux qui constate les faits. La représentation maladroite de sa mort et les gestes emphatiques du roi de Trézène limitent la portée tragique de la composition. On ne sait pas vraiment si elle se pâme ou se meurt. Girodet, quant à lui, n’a pas montré la coupe : il s’est conformé à la scène de la pièce, et Phèdre s’éteint dans les bras de Panope [fig. 89, 90]. Elle est sur une chaise, son corps dessine une longue diagonale que son vêtement prolonge sur le sol. Cette planche est particulièrement documentée puisque plusieurs dessins préparatoires, montrant les personnages nus ou vêtus, ont été conservés 97. Le très beau dessin du Louvre propose sur une même feuille deux études d’expressions pour le visage de Phèdre. Cette composition montre déjà la main de Panope qui soutient la tête au-dessus du dossier : les doigts se Phèdre, V, scène dernière, v. 1635-1641. Ces scènes peuvent être mises en relation avec la vignette que Gravelot dessina pour Rodogune dans l’édition des Œuvres de Corneille, dont la lettre indique : « Seigneur voyez ses yeux / Déjà tous égarés, troubles et furieux ». 95 Phèdre, id., v. 1645. 96 Chez Euripide la fille de Minos se pend, laissant une lettre d’aveux. Dans l’édition de 1699-1700, également illustrée par Harrewyn, Phèdre invoque les dieux, le bras gauche levé, une lettre attachée au poignet. Dans les vignettes des deux éditions la mort d’Hippolyte est représentée à l’arrière-plan, voir chapitre II. 97 Voir chapitre II pour la liste de ces dessins. Pour la posture de Phèdre, nous renvoyons également aux parallèles que nous avons établis avec d’autres scènes dues à Girodet. 93
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confondent presque avec la chevelure ondoyante. La tête isolée conviendrait à un corps qui serait plus allongé, elle correspond à la posture du dessin à traits vifs de Rouen [fig. 90]. Phèdre se tient sur un siège plus bas dont l’assise plus longue évoque la forme d’une bergère. La reine meurt sans convulsions ; tout son corps trahit l’abandon des forces, le sang qui se retire 98. L’étude de Rouen, le dessin définitif et la gravure figurent à l’arrière-plan le transport du corps d’Hippolyte à travers une baie. Les attitudes de Panope, Thésée rongé par le remords et Théramène participent pleinement de la compréhension du sujet. Lorsque les femmes évanouies sont assises, leur attitude est très proche de celle des personnages mourant assis. Ce sont les expressions des personnages qui, manifestant une passion plus forte, permettent de dissocier les deux états. Ainsi la mort peut-elle être figurée presque comme un évanouissement, ce qui correspond aux descriptions que les auteurs ont données de cette passion. Le suicide recouvre deux approches puisqu’il est perçu tantôt comme un acte de bravoure, tantôt comme la seule issue quand les fautes sont trop lourdes. Comme les règles présidant aux arts visuels les y autorisaient, les peintres et dessinateurs ont volontiers représenté les morts et les mourants. Nous avons rappelé de quelle manière ils ont atténué l’horreur du crime, de la lutte ou du suicide, offrant aux regards des corps peu atteints. L’édition illustrée par Jacques De Sève a multiplié les morts et les pâmoisons, non que le dessinateur ait insisté sur ces sujets, mais en raison du nombre de sujets gravés qui se déploient au fil des pages. La mise en scène de ces instants éminemment tragiques, joués par des enfants, peut être critiquée. Cependant, la richesse du vocabulaire et le recours aux allégories confèrent aux bandeaux et aux culs-de-lampe une expressivité non dénuée d’intérêt. Les attitudes et les expressions montrent la richesse des passions raciniennes, la gradation des affections et les possibilités multiples qu’elles ont offertes aux arts visuels. Les peintres et dessinateurs ont donné vie et parole aux personnages non seulement par leur science de la composition, mais aussi par l’importance qu’ils ont accordée à certains épisodes. Ils se sont référés aux dialogues et aux didascalies en inscrivant parfois leurs œuvres dans une longue tradition typologique. L’indispensable rhétorique des gestes, les Ce dessin a été étudié par Régis Michel dans le catalogue d’exposition Paris, 1989, Le beau idéal, étude d’un concept, pp. 94-95. 98
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expressions et les attitudes obéissent aux règles que les théoriciens ont établies, insistant toujours sur l’harmonie des parties que les draperies contribuent à souligner. Mais la peinture des corps ne suffit pas, les attitudes doivent être significatives pour se substituer à la parole vive. Le passage du statut de corps agissant à celui de corps parlant est une nécessité imposée par les personnages raciniens qui offrent cette évolution, soulignant la grande proximité entre le corps et l’âme. La disposition des héros dans les tragédies suit des principes que nous avons décrits puisque leurs attitudes, leurs mouvements ont été savamment choisis par Racine. Ainsi selon le moment, ses personnages initient ou subissent les passions que livrent le verbe et le langage corporel. Les peintres et illustrateurs ont, dans leurs transpositions, utilisé les différents registres de l’éloquence. Ils ont montré l’autonomie expressive de certaines postures et souligné combien certaines ne pouvaient être comprises qu’associées à d’autres. Les mouvements analogues ou contraires, les passions douces ou violentes, les incompréhensions, les révoltes modulent les compositions des artistes. Les personnages ont été représentés dans des situations et des états variés ; leurs corps marqués, souffrants, affectés de manière éphémère ou plus durable ont traduit les passions, dans des dispositions qui insistent sur la temporalité. Figurer convenablement une passion c’est réunir harmonieusement toutes les parties expressives en montrant que le sentiment représenté est celui d’un être animé. Les épisodes illustrés, situés dans une histoire, ont ainsi mis en scène des réactions événementielles ou plus profondément inscrites dans l’âme des héros. Les œuvres rappellent aussi combien la disposition et le rôle joué par les personnages secondaires ou la foule sont essentiels. Tantôt ils accentuent, développent les passions, tantôt ils modèrent et, pourvus de la fonction d’intercesseur, ils sont là pour le spectateur. La palette de sentiments auxquels les artistes ont donné corps montre des gradations et se veut le reflet de leurs réflexions sur ces questions. Ils ont, à l’instar de Racine, insisté sur la prééminence du corps, mettant en image ce que le poète avait décrit. Bien sûr leurs œuvres n’atteignent pas toutes une grande qualité expressive, et nous avons, ici ou là, relevé les faiblesses. Le dramaturge leur avait fourni des modèles magnifiques d’expressivité ; il leur restait à s’en emparer pour créer des compositions cohérentes dans lesquelles les passions soutiennent l’action. Les auteurs du XVIIe siècle ont souvent insisté sur la force des passions ; ils les ont déchiffrées dans leurs ouvrages théoriques et mises en scène dans leurs textes littéraires. Leurs héros en ont été profondément marqués parce qu’ils
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n’ont pas toujours pu les dominer. La violence que le passage d’un état à un autre engendre, les marques dont les corps sont affectés, sont autant de signes qui dévoilent les affetti les plus intimes. Quelques lignes du Paradis perdu de John Milton, paru en 1667, condensent une vision des passions qui est aussi celle de Racine : Tandis qu’il parlait de la sorte, chaque passion obscurcissait son visage trois fois changé par la pâle colère, l’envie et le désespoir ; passions qui défiguraient son visage emprunté, et auraient trahi son déguisement si quelque œil l’eût aperçu 99.
Tout est décrit : le corps agissant, les brusques changements et les altérations, l’importance du regard qui reconnaît et démasque.
John Milton, Le Paradis perdu. Éd. Paris, Gallimard, 1995, établie par Robert Ellrodt, IV, 106-143, p. 120. Trad. de l’anglais, Paradise Lost, 1667. 99
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Épilogue Les perspectives que nous avons mises en œuvre afin d’analyser cet ensemble iconographique auront permis, du moins nous l’espérons, de proposer des axes de réflexion. Nous souhaitons que ces œuvres, qui nous sont maintenant si familières, continuent de vivre par le regard de nouveaux spectateurs. Non pas que nous en soyons blasée, mais plutôt parce que nous souhaitons les faire découvrir. Elles ne sauraient constituer les trésors d’un cabinet secret qui les renfermerait jalousement. La familiarité que nous entretenons avec elles n’est pas exempte de surprise ou d’émotion ; il suffit de délaisser quelque temps ces images pour les redécouvrir et porter sur elles un œil différent. Nous remarquons alors l’infime détail qui nous avait jusqu’alors échappé, le petit ornement qui, plus qu’auparavant, nous charme. La rigidité d’une posture ou la faiblesse d’une expression nous frappent aussi davantage. Toutes choses qui permettent de progresser dans notre démarche. N’agissonsnous pas de la même manière avec les textes ? Qui peut dire que les auteurs se livrent à la première lecture ? Il faut souvent reprendre, compulser, se laisser surprendre par le hasard d’une page ouverte pour avoir un sentiment de nouveauté indicible. Mais peut-être ces drames donnent-ils au lecteur qui a purgé ses propres passions, l’envie de se nourrir d’une iconographie racinienne plus récréative. Les illustrations des Plaideurs, qui figurent les sacs de procès, l’épisode des petits chiens ou la scène du soupirail, pourront lui offrir cette distraction. Les compositions des peintres et dessinateurs montrent, comme dans les pièces de Racine, tantôt la violence, tantôt la civilité, tantôt la douceur. Le temps de l’action est suspendu pour condenser en un instant l’essence des drames et des passions. Celles-ci, parce qu’elles sont polymorphes, ont offert des possibilités multiples aux artistes. Dans leur travail de transposition d’un sujet littéraire, ils avaient pour tâche d’embrasser ces particularités afin de
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leur donner corps et d’animer leurs personnages. La richesse des caractères et des passions des héros était comme une palette colorée qui autorisait de figurer la gradation et la diversité des émotions. La réflexion qu’ils ont menée, les projets qu’ils ont formés constituent une manifestation de la réception de Racine. Leurs desseins, malgré les faiblesses ou les maladresses de certains, témoignent d’une fidélité aux pièces du poète. Le travail d’interprétation des sources que le dramaturge avait élaboré pour écrire ses pièces s’est trouvé prolongé par la transposition dans les arts visuels. Les dessins, les estampes, les peintures, en traduisant les pièces sont des commentaires qui permettent de porter un regard autre. Les topoï de muta poesis et de pictura loquens prennent alors leur pleine dimension. La peinture, qualifiée de poésie privée de verbe, possède un registre d’éloquence propre, et ses qualités expressives ne sont pas contestées. Enfin, définir cet art comme une poésie contribue à le grandir. De même, voir dans la poésie une peinture, un tableau, c’est reconnaître au texte une capacité à circonscrire, à dépeindre, à composer en somme. Il ne manque à cet ensemble que d’être animé, orchestré par les fins de la rhétorique : docere, delectare, movere. Les peintres qui ont souhaité que la peinture fût un art libéral étaient certainement animés de ces mêmes intentions. Aussi la démarche des illustrateurs de Racine ne saurait-elle nous surprendre, car elle suit des principes éprouvés. Cependant, bien qu’il ne fût pas l’auteur le plus aisé à transposer, la vitalité des éditions du XVIIIe siècle est remarquable. Celles de 1700 et 1723, éditées à Amsterdam et à Londres, sont l’expression du dynamisme de l’imprimerie en Europe et du réseau de diffusion des textes du poète en langue française. On pourra apprécier également que la première édition collective illustrée ait été imprimée du vivant de l’auteur. Elle a contribué à donner une impulsion puisque les trois dernières tragédies, parues isolément, ont bénéficié d’une vignette 1. Ainsi, avant que Racine ne meure en 1699, toutes ses pièces avaient été illustrées. Il reste cependant une question à laquelle nous aurions aimé pouvoir répondre : comment Racine a-t-il accueilli ces estampes, et quel rôle fut le sien 2 ? Il n’a pu les ignorer. Cette interrogation n’est pas très éloignée d’une autre concernant le tableau de Le Brun, Alexandre et Porus. Mais au fond, savoir qui du poète ou du peintre eut l’initiative du sujet impor1 Phèdre, 1677. Esther, 1689. Athalie, 1691. Rappelons que les frontispices de ces pièces ont été repris pour les autres éditions collectives du siècle : ils ont été ajoutés aux planches de 1676. 2 Il est bien rare, dans l’histoire du livre illustré, que le rôle de l’auteur soit connu.
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te peu. Reconnaître que le contexte, favorable à Alexandre, ait pu en souffler à chacun l’idée est sans doute plus séduisant. De 1676 à 1801, les éditions illustrées ont toutes été signifiantes dans l’ensemble de l’iconographie racinienne. Soit en raison des nouveautés qu’elles ont introduites, soit en raison de leurs caractéristiques stylistiques ou expressives. Corneille, dont l’œuvre compte davantage de pièces, n’a pas bénéficié d’un tel engouement 3. L’édition Didot, par le dessein grandiose de l’éditeur, est une célébration de l’auteur qui constitue une sorte d’apogée de l’iconographie racinienne. Elle cristallise d’une certaine manière tout ce qui a été fait auparavant, sans pour autant apparaître comme une synthèse puisqu’elle renouvelle le principe de l’illustration. En confiant ce projet à J.L. David, Pierre Didot accomplissait son souhait que les planches fussent tels des tableaux 4. Mais cette idée d’une suite iconographique pour chaque pièce, ne se trouvait-elle pas déjà formulée dans l’édition illustrée par Jacques De Sève ? Nous avons vu combien ses compositions allégoriques faisaient sens. Quant aux peintures, même si elles sont peu nombreuses, elles ont été exécutées avec une certaine régularité et surtout beaucoup d’à propos. Chacun des tableaux, peut-être aussi en raison de leur sujet presque inédit, montre une nouvelle approche de Racine qui s’insère parfaitement dans l’ensemble du corpus. À l’exception de L’Évanouissement d’Esther, aucune de ces scènes ne s’inscrit dans une tradition iconographique. Il nous semble ainsi possible de parler d’une individualisation des sujets raciniens, et cela, même lorsque les sources se superposent, même lorsque l’Ancien Testament ou Ovide se mêlent aux vers de Racine. Les tableaux posent les jalons d’une histoire des représentations, tandis que les estampes posent ceux d’une histoire du livre illustré 5. Mais il est une question à laquelle il est difficile d’apporter une réponse ferme. Comment cerner, en effet, l’influence de ces œuvres, leur 3 Illustrer Corneille était en effet beaucoup plus coûteux pour les éditeurs, mais ce ne peut être la seule explication. 4 Le format in-folio y contribue de manière éclatante. 5 Rappelons la vitalité des recherches sur l’histoire du livre puisque le travail fondateur d’Henri-Jean Martin se poursuit de manière remarquable. Au risque de diluer le sujet, il nous était impossible dans le cadre de cette étude de trop élargir le propos ; d’aucuns pourront percevoir des lacunes, mais il fallait bien procéder à des choix. De la même manière, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un catalogue, dans la mesure où les œuvres ne sont pas présentées sous forme de notices, il n’était pas souhaitable de proposer la bibliographie exhaustive de chacune d’entre elles. Nous avons cependant indiqué en notes toutes les références qui nous ont paru nécessaires.
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importance par rapport aux pièces de Racine ? Si elles donnent une dimension autre aux tragédies, elles confirment également la prééminence du théâtre de Racine. Elles montrent que s’il y avait un public pour les représentations théâtrales, il y en avait aussi un pour les arts visuels. En outre, les œuvres d’art font appel à une mémoire, celle des textes. Le spectateur se trouve alors dans une posture proche de celle de l’auditeur ou du lecteur de Racine lorsque l’auteur, en évoquant le passé des personnages, fait référence aux sources antiques. Il est sollicité, interpellé, partageant l’injonction d’Andromaque à Céphise qui l’incite à prendre connaissance des horreurs passées et à se figurer les scènes décrites : « Songe, songe Céphise […] / Figure-toi […] / Songe […] / Peins-toi 6 ». La confidente ne peut échapper à cette douloureuse relation ; il lui faut connaître cet épisode de la guerre de Troie qui justifie les souffrances présentes de sa maîtresse. Le tableau aux motifs cauchemardesques ne saurait être intériorisé et gravé dans la mémoire de la seule Andromaque. Conserver le souvenir d’Hector ne peut se départir de l’horrible vision d’un corps traîné au pied des murailles. Céphise doit ressentir cette extrême blessure qui traverse Andromaque : la catharsis suit plusieurs voies, en œuvrant aussi à l’intérieur de la pièce. Les quelques études qui, dès la fin du XIXe siècle, avaient souligné le caractère visuel de l’écriture racinienne et établi de possibles rapprochements avec la peinture et la sculpture, avaient ouvert une voie. Depuis, les recherches entreprises ont souvent effleuré le sujet sans qu’il fût possible de définir le véritable intérêt de Racine pour les arts visuels. Puisque les sources sont demeurées muettes, puisque nous manquions de réponses concrètes, il ne restait plus qu’à percevoir, à ressentir cette « sensibilité plastique et picturale » et à tenter d’en déchiffrer les principes 7. L’analyse conjointe des textes et des œuvres peintes ou gravées était un autre moyen d’aborder cette question. Cette démarche ne répond certes pas à toutes les interrogations, mais elle met en lumière différents aspects de l’écriture racinienne qui trouvent leurs prolongements dans le corpus. Peut-être pouvons-nous terminer sur une dernière image proposée par Montesquieu qui, dans ses Lettres persanes, semble s’être souvenu de Racine. La fin tragique de l’épistolière Roxane, qui se suicide, a des accents raciniens 8. Le vocabulaire et la description des effets du Andromaque, III, 8, v. 995, 999, 1003, 1005. Prosper Dorbec, « La sensibilité plastique et picturale dans la littérature du XVIIe siècle », op. cit.. 8 Dans Bajazet, Roxane meurt par le fer. 6 7
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poison sont bien proches de quelque scène du dramaturge : « Je vais mourir ; le poison va couler dans mes veines. […] C’en est fait : le poison me consume ; ma force m’abandonne ; la plume me tombe des mains ; je sens affaiblir jusqu’à ma haine ; je me meurs 9 ». Il ne reste plus maintenant qu’à se figurer le décor exotique, le costume oriental et la posture de l’héroïne pour imaginer comment cette scène pourrait être transposée dans les arts visuels.
Charles-Louis de Secondat Montesquieu, Lettres persanes, 1721. Éd. Paris, Garnier, 1975, établie par Paul Vernière. Dernière lettre, CLXI. 9
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Bibliographie sélective 1 Sources et dictionnaires BASAN, François, Dictionnaire des graveurs anciens et modernes depuis l’origine de la gravure. Paris, de Lormel, 1767. BELLIER DE LA CHAVIGNERIE, Émile, AUVRAY, Louis, Dictionnaire général des artistes de l’école française depuis l’origine du dessin jusqu’à nos jours. Paris, Renouard, 1868-1882. BÉNÉZIT, Emmanuel, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs…, 1911. Éd. Paris, Gründ, 1999. COËFFETEAU, Nicolas, Tableau des passions, de leurs causes et de leurs effets. Paris, Sébastien Cramoisy, 1620. CRESSOLLES, Louis de, Vacationes Autumnales sive de perfecta oratoris actione et pronuntiatione. Paris, Sébastien Cramoisy, 1620. FRÉART DE CHAMBRAY, Roland, Idée de la perfection de la peinture demonstrée par les principes de l’art. Le Man, J. Ysambart, 1662. GUIFFREY, Jules éd., Collection des livrets des anciennes expositions depuis 1673 jusqu’en 1800. Paris, Liepmannssohn et Dufour, 1869-1872. LE BLANC, Charles, Manuel de l’amateur d’estampes. Paris, P. Jannet, 18541889. LE BRUN, Charles, L’Expression des passions et autres conférences. Éd. Paris, Dédale Maisonneuve et Larose, 1993, établie par Julien Philippe. LONGIN, Traité du sublime. Éd. Paris, Librairie générale française, 1995, établie par Francis Goyet d’après la traduction de Nicolas Boileau, 1674. 1
Notre intention n’est pas de proposer une bibliographie exhaustive, mais de poser quelques jalons puisque nombre de références figurent en notes. Nous avons fait le choix, à quelques exceptions près, de ne pas reprendre ces références dans la bibliographie.
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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
MICHEL, Christian, LICHTENSTEIN, Jacqueline éd., Les Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Paris, Énsba, 2006. PERRAULT, Charles, Parallèle des Anciens et des Modernes en ce qui concerne les Arts et les Sciences. Paris, Coignard, 1688-1693. PIGLER, Andor, Barockthemen. Eine Auswahl von Verzeichnissen zur Ikonographie des 17. und 18. Jahrhunderts. Budapest, Akadémiai Kiado, 1974. POUGIN, Arthur, Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre et des arts qui s’y rattachent. Paris, Firmin Didot, 1885. RACINE, Jean, Œuvres. Paris, Jean Ribou ou Claude Barbin, 1675-1676, 2 vol. in-12. RACINE, Jean, Phèdre et Hippolyte. Paris, Claude Barbin, 1677, in-12. RACINE, Jean, Esther, tragédie tirée de l’écriture sainte. Paris, Denis Thierry, 1689, in-4. RACINE, Jean, Athalie. Paris, Denis Thierry, 1691, in-4. RACINE, Jean, Œuvres. Paris, Claude Barbin, 1697, 4 vol. in-12. RACINE, Jean, Œuvres. Paris, Pralart, 1699-1700, 2 vol. in-18. RACINE, Jean, Œuvres. Amsterdam, Henri Schelte, 1713, 2 vol. in-18. RACINE, Jean, Œuvres. Londres, J. Tonson et J. Watts, 1723, 2 vol. in-4. RACINE, Jean, Œuvres. Amsterdam, J.F. Bernard, 1743, 3 vol. in-12. RACINE, Jean, Œuvres. Paris, veuve Gandouin, 1750, 3 vol. in-12. RACINE, Jean, Œuvres. Paris, Le Breton, 1760, 3 vol. in-4. RACINE, Jean, Œuvres avec des commentaires de Luneau de Boisgermain. Paris, Louis Cellot, 1768, 7 vol. in-8. RACINE, Jean, Œuvres. Paris, Déterville, 1796, 4 vol. in-8. RACINE, Jean, Œuvres. Paris, Pierre Didot l’aîné, 1801, 3 vol. in-fol. RACINE, Jean, Œuvres complètes. Paris, Gallimard, 1950, établie par Raymond Picard. RACINE, Jean, Théâtre complet. Paris, Garnier, 1980, établie par Jacques Morel et Alain Viala. RACINE, Jean, Théâtre complet. Paris, Imprimerie Nationale, 1995, établie par Philippe Sellier. RACINE, Jean, Œuvres complètes. Paris, Gallimard, 1999, établie par Georges Forestier. SENAULT, Jean-François, De l’usage des Passions. Paris, Christophe Journel, 1641.
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Liste des illustrations Couverture de l’ouvrage : La Thébaïde. Gravure de Noël Le Mire d’après Hubert-François Gravelot, 1768. 1.
Charles Le Brun, Alexandre et Porus. Huile sur toile, 470 x 1264, ca 1668. Paris, musée du Louvre, département des peintures.
Œuvres de Racine. Paris, Jean Ribou ou Claude Barbin, 1676. 2 volumes, in-12. Phèdre, parue en 1677, s’ajoute à cette édition. La Thébaïde. Gravure originale de François Chauveau. Vol. I. Alexandre le Grand. Gravure originale de François Chauveau. Vol. I. Andromaque. Gravure originale de François Chauveau. Vol. I. Britannicus. Gravure originale de François Chauveau. Vol. I. Bérénice. Gravure originale de François Chauveau (?). Vol. II. Bajazet. Gravure de Sébastien Leclerc (?) d’après François Chauveau. Vol. II. 8. Mithridate. Gravure originale de François Chauveau. Vol. II. 9. Iphigénie. Gravure originale de François Chauveau. Vol. II. 10. Phèdre et Hippolyte. Gravure de Sébastien Leclerc d’après Charles Le Brun. Vol. II.
2. 3. 4. 5. 6. 7.
Esther, tragédie tirée de l’écriture sainte. Paris, Denis Thierry, 1689. in-4. 11. Esther. Gravure de Sébastien Leclerc d’après Charles Le Brun.
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LISTE DES ILLUSTRATIONS
Athalie. Paris, Denis Thierry, 1691. in-4. 12. Athalie. Gravure de Jean Mariette d’après Jean-Baptiste Corneille. 13. Antoine Coypel, Athalie chassée du temple. Huile sur toile, 150 x 213, 1696. Paris, musée du Louvre, département des peintures. 14. Antoine Coypel, L’Évanouissement d’Esther. Huile sur toile, 105 x 137, 1697. Paris, musée du Louvre, département des peintures. Œuvres de Racine. Amsterdam, Henri Schelte, 1713. 2 volumes, in-8. 15. Phèdre. Gravure originale de Jacobus Harrewyn. Vol. II. Œuvres de Racine. Londres, J. Tonson et J. Watts, 1723. 2 volumes, in-4. 16. Andromaque. Gravure de Claude Dubosc d’après Louis Chéron. Vol. I. 17. Britannicus. Gravure de Claude Dubosc d’après Louis Chéron. Vol. I. 18. Bajazet. Gravure de Jean Van der Gucht d’après Louis Chéron. Vol. II. 19. Iphigénie. Gravure de Claude Dubosc d’après Louis Chéron. Vol. II. 20. Phèdre. Gravure de Paul Fourdrinier d’après Louis Chéron. Vol. II. 21. Charles-Antoine Coypel, Athalie interrogeant Joas. Huile sur toile, 129 x 163, 1741. Brest, musée Municipal. Œuvres de Racine. Amsterdam, J.F. Bernard, 1743. 3 volumes, in-12. 22. Andromaque. Gravure de Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg. Vol. I. 23. Britannicus. Gravure de Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg. Vol. I. 24. Bajazet. Gravure de Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg. Vol. II.
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25. Phèdre. Gravure de Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg. Vol. II. 26. Esther. Gravure de Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg. Vol. II. 27. Charles-Antoine Coypel, L’Évanouissement d’Atalide. Huile sur toile, 132 x 115. Lille, musée des Beaux-Arts. Œuvres de Jean Racine. Paris, Le Breton, 1760. 3 volumes, in-4. 28. La Thébaïde. Gravure de J. Tardieu d’après Jacques De Sève. Vol. I. 29. La Thébaïde, cul-de-lampe acte V. Gravure de Baquoy d’après Jacques De Sève. Vol. I. 30. Alexandre le Grand. Gravure de Noël Le Mire d’après Jacques De Sève. Vol. I. 31. Andromaque. Gravure de Jean Aliamet d’après Jacques De Sève. Vol. I. 32. Andromaque, cul-de-lampe acte V. Gravure de Baquoy d’après Jacques De Sève. Vol. I. 33. Britannicus. Gravure de Dominique Sornique d’après Jacques De Sève. Vol. I. 34. Britannicus, bandeau. Gravure de Baquoy d’après Jacques De Sève. Vol. I. 35. Britannicus, cul-de-lampe acte II. Gravure de Baquoy d’après Jacques De Sève. Vol. I. 36. Britannicus, cul-de-lampe acte IV. Gravure de Baquoy d’après Jacques De Sève. Vol. I. 37. Bérénice. Gravure de Louis-Simon Lempereur d’après Jacques De Sève. Vol. II. 38. Bajazet. Gravure de Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève. Vol. II. 39. Bajazet, cul-de-lampe acte IV. Gravure de Baquoy d’après Jacques De Sève. Vol. II.
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LISTE DES ILLUSTRATIONS
40. Mithridate. Gravure de Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève. Vol. II. 41. Iphigénie. Gravure de Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève. Vol. II. 42. Iphigénie, bandeau. Gravure de Baquoy d’après Jacques De Sève. Vol. II. 43. Phèdre. Gravure de Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève. Vol. II. 44. Esther. Gravure de Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève. Vol. III. 45. Esther, cul-de-lampe acte III. Gravure de Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève. Vol. III. 46. Athalie. Gravure de Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève. Vol. III. Œuvres de Racine avec des commentaires par Luneau de Boisjermain. Paris, Louis Cellot, 1768. 7 volumes, in-8. 47. Alexandre le Grand. Gravure de Noël Le Mire d’après Hubert-François Gravelot. Vol. I. 48. Andromaque. Gravure de Noël Le Mire d’après Hubert-François Gravelot. Vol. I. 49. Britannicus. Gravure de Louis-Simon Lempereur d’après Hubert-François Gravelot. Vol. II. 50. Bérénice. Gravure d’Antoine-Jean Duclos d’après Hubert-François Gravelot. Vol. III. 51. Bajazet. Gravure de Jean-Charles Le Vasseur d’après Hubert-François Gravelot. Vol. III. 52. Mithridate. Gravure de Benoît-Louis Prévost d’après Hubert-François Gravelot. Vol. III. 53. Iphigénie. Gravure de Jean-Charles Le Vasseur d’après Hubert-François Gravelot. Vol. IV. 54. Phèdre. Gravure de Jean-Baptiste Simonet d’après Hubert-François Gravelot. Vol. IV. 55. Esther. Gravure de François-Denis Née d’après Hubert-François Gravelot. Vol. V.
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56. Athalie. Gravure de François-Denis Née d’après Hubert-François Gravelot. Vol. V. 57. Étienne-Barthélémy Garnier, Hippolyte saisi d’horreur après l’aveu de Phèdre. Huile sur toile, 107 x 147, 1793. Montauban, musée Ingres. Œuvres de Racine. Paris, Déterville, 1796. 4 volumes, in-8. 58. La Thébaïde. Gravure d’Antoine-Louis Romanet d’après Jean-Jacques Le Barbier. Vol. I. 59. Alexandre le Grand. Gravure de Daniel d’après Jean-Jacques Le Barbier. Vol. I. 60. Andromaque. Gravure de Jean Dambrun d’après Jean-Jacques Le Barbier. Vol. I. 61. Bajazet. Gravure de Louis-Michel Halbou d’après Jean-Jacques Le Barbier. Vol. II. 62. Mithridate. Gravure de Pierre Baquoy d’après Jean-Jacques Le Barbier. Vol. II. 63. Iphigénie. Gravure de Vincent Langlois d’après Jean-Jacques Le Barbier. Vol. II. 64. Phèdre. Gravure de Charles-Étienne Gaucher d’après Jean-Jacques Le Barbier. Vol. III. 65. Esther. Gravure de Jean Dambrun d’après Jean-Jacques Le Barbier. Vol. III. 66. Pierre-Paul Prud’hon, Andromaque et Astyanax. Crayons noir et blanc, estompe sur papier bleu, 37,5 x 45,5. Paris, musée du Louvre, département des Arts Graphiques. Œuvres de Racine. Paris, Pierre Didot l’aîné, 1801. 3 volumes, in-folio. 67. La Thébaïde (I, 3). Gravure de Dupréel d’après Jean-Guillaume Moitte. Vol. I. 68. La Thébaïde (III, 5). Gravure de Pierre Baquoy d’après Jean-Guillaume Moitte. Vol. I.
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LISTE DES ILLUSTRATIONS
69. La Thébaïde (V, 6). Gravure de Maurice Blot d’après Jean-Guillaume Moitte. Vol. I. 70. Alexandre (V, 3). Gravure de Jean-Baptiste Simonet d’après François Gérard. Vol. I. 71. Andromaque (I, 2). Gravure de Jean Mathieu d’après Anne-Louis Girodet. Vol. I. 72. Andromaque (II, 2). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après AnneLouis Girodet. Vol. I. 73. Andromaque (III, 7). Gravure d’Henri Marais d’après Anne-Louis Girodet. Vol. I. 74. Andromaque (V, 3). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après AnneLouis Girodet. Vol. I. 75. Britannicus (I, 3). Gravure de Glairon-Mondet d’après Antoine-Denis Chaudet. Vol. I. 76. Britannicus (III, 7). Gravure de Pierre Viel d’après Antoine-Denis Chaudet. Vol. I. 77. Bérénice (I, 3). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après Gioacchin Giuseppe Serangeli. Vol. II. 78. Bérénice (IV, 4). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après Gioacchin Giuseppe Serangeli. Vol. II. 79. Bérénice (V, 5). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après Gioacchin Giuseppe Serangeli. Vol. II. 80. Bajazet (IV, 3). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après François Gérard. Vol. II. 81. Bajazet (V, 11). Gravure de F. Fischer d’après François Gérard. Vol. II. 82. Mithridate (V, 2). Gravure de Langlois frère d’après François Gérard. Vol. II. 83. Iphigénie (I, 4). Gravure d’Abraham Girardet d’après François Gérard. Vol. II. 84. Suicide d’Ériphile. Dessin de François Gérard. Plume et encre brune, lavis brun et rehauts de blanc sur traits de crayon, 31 x 21,6, signé. Pontoise, musée Tavet-Delacour. 85. Phèdre (I, 3). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après Anne-Louis Girodet. Vol. II.
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LISTE DES ILLUSTRATIONS
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86. Phèdre (II, 5). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après Anne-Louis Girodet. Vol. II. 87. Phèdre (III, 5). Gravure de Jean Massard d’après Anne-Louis Girodet. Vol. II. 88. Phèdre (IV, 2). Gravure de Chatillon d’après Anne-Louis Girodet. Vol. II. 89. Phèdre (V, 7). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après Anne-Louis Girodet. Vol. II. 90. Mort de Phèdre. Dessin d’Anne-Louis Girodet. Mine de plomb, 12,6 x 16,1. Rouen, musée des Beaux-Arts. 91. Esther (II, 7). Gravure de Jean Mathieu d’après Antoine-Denis Chaudet. Vol. III. 92. Esther (III, 4). Gravure de Jacques-Joseph Coiny d’après Antoine-Denis Chaudet. Vol. III. 93. Athalie (I, 2). Gravure de Raphaël-Urbain Massard d’après AntoineDenis Chaudet. Vol. III. 94. Athalie (V, 8). Gravure d’Abraham Girardet d’après Antoine-Denis Chaudet. Vol. III. 95. Pierre-Narcisse Guérin, Phèdre et Hippolyte. Huile sur toile, 257 x 335, 1802. Paris, musée du Louvre, département des peintures. 96. Pierre-Narcisse Guérin, Andromaque et Pyrrhus. Huile sur toile, 342 x 457, 1810. Paris, musée du Louvre, département des peintures. 97. Pierre-Narcisse Guérin att., Oreste annonce à Hermione la mort de Pyrrhus. Huile sur toile, 129,5 x 160,5, ca 1815. Caen, musée des BeauxArts.
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Copyright Cliché 1 © RMN / Droits réservés. Clichés 13 et 14 © RMN/Jean-Gilles Berizzi. Clichés 2 à 12, 15, 22 à 26 © Collection particulière. Clichés 16 à 20 © MC Planche, Bibliothèque municipale de Lyon (Rés. 107029). Cliché 21 © Musée des Beaux-Arts Brest métropole océane. Cliché 27 © MCP, avec l’autorisation du musée des Beaux-Arts de Lille. Clichés 28 à 46 © MCP, Bibliothèque municipale de Nancy (Rés. 4163). Couverture et clichés 47 à 56 © MCP, Bibliothèque municipale de Nancy (Rés. 450854). Cliché 57 © Montauban, musée Ingres. Clichés 58 à 65 © MCP, Bibliothèque municipale de Nancy (Rés. 10404). Cliché 66 © RMN/Michèle Bellot. Clichés 67 à 83, 85 à 89, 91 à 94 © MCP, Bibliothèque municipale de Lyon (Rés. 5126). Cliché 84 © Collection musée de Pontoise. Cliché 90 © Musées ville de Rouen. Clichés 95 et 96 © RMN/Gérard Blot. Cliché 97 © Caen, musée des Beaux-Arts.
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1. Charles Le Brun, Alexandre et Porus, ca 1668. Paris, musée du Louvre.
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2. François Chauveau, La Thébaïde, 1676.
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3. François Chauveau, Alexandre le Grand, 1676.
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4. François Chauveau, Andromaque, 1676.
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5. François Chauveau, Britannicus, 1676.
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6. François Chauveau att., Bérénice, 1676.
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7. Sébastien Leclerc (?) d’après François Chauveau, Bajazet, 1676.
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8. François Chauveau, Mithridate, 1676.
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9. François Chauveau, Iphigénie, 1676.
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10. Sébastien Leclerc d’après Charles Le Brun, Phèdre et Hippolyte, 1677.
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11. Sébastien Leclerc d’après Charles Le Brun, Esther, 1689.
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12. Jean Mariette d’après Jean-Baptiste Corneille, Athalie, 1691.
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13. Antoine Coypel, Athalie chassée du temple, 1696. Paris, musée du Louvre.
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14. Antoine Coypel, L’Évanouissement d’Esther, 1697. Paris, musée du Louvre.
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15. Jacobus Harrewyn, Phèdre, 1713.
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16. Claude Dubosc d’après Louis Chéron, Andromaque, 1723.
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17. Claude Dubosc d’après Louis Chéron, Britannicus, 1723.
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18. Jean Van der Gucht d’après Louis Chéron, Bajazet, 1723.
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19. Claude Dubosc d’après Louis Chéron, Iphigénie, 1723.
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20. Paul Fourdrinier d’après Louis Chéron, Phèdre, 1723.
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21. Charles-Antoine Coypel, Athalie interrogeant Joas, 1741. Brest, musée Municipal.
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22. Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg, Andromaque, 1743.
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23. Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg, Britannicus, 1743.
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24. Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg, Bajazet, 1743.
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25. Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg, Phèdre, 1743.
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26. Peter Tanjé d’après Louis-Fabricius Du Bourg, Esther, 1743.
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27. Charles-Antoine Coypel, L’Évanouissement d’Atalide, 1748. Lille, musée des Beaux-Arts.
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28. Jacques-Nicolas Tardieu d’après Jacques De Sève, La Thébaïde, 1760.
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29. Jean-Charles Baquoy d’après Jacques De Sève, La Thébaïde, cul-de-lampe acte V, 1760.
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30. Noël Le Mire d’après Jacques De Sève, Alexandre le Grand, 1760.
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31. Jean Aliamet d’après Jacques De Sève, Andromaque, 1760.
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32. Jean-Charles Baquoy d’après Jacques De Sève, Andromaque, cul-de-lampe acte V, 1760.
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33. Dominique Sornique d’après Jacques De Sève, Britannicus, 1760.
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34. Jean-Charles Baquoy d’après Jacques De Sève, Britannicus, bandeau, 1760
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35. Jean-Charles Baquoy d’après Jacques De Sève, Britannicus, cul-de-lampe acte II, 1760.
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36. Jean-Charles Baquoy d’après Jacques De Sève, Britannicus, cul-de-lampe acte IV, 1760.
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37. Louis-Simon Lempereur, d’après Jacques De Sève, Bérénice, 1760.
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38. Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève, Bajazet, 1760.
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39. Jean-Charles Baquoy d’après Jacques De Sève, Bajazet, cul-de-lampe, acte IV, 1760.
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40. Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève, Mithridate, 1760.
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41. Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève, Iphigénie, 1760.
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42. Jean-Charles Baquoy d’après Jacques De Sève, Iphigénie, bandeau, 1760.
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43. Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève, Phèdre, 1760.
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44. Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève, Esther, 1760.
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45. Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève, Esther, cul-de-lampe acte III, 1760.
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46. Jean-Jacques Flipart d’après Jacques De Sève, Athalie, 1760.
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47. Noël Le Mire d’après Hubert-François Gravelot, Alexandre le Grand, 1768.
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48. Noël Le Mire d’après Hubert-François Gravelot, Andromaque, 1768.
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49. Louis-Simon Lempereur d’après Hubert-François Gravelot, Britannicus, 1768.
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50. Antoine-Jean Duclos d’après Hubert-François Gravelot, Bérénice, 1768.
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51. Jean-Charles Le Vasseur d’après Hubert-François Gravelot, Bajazet, 1768.
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52. Benoît-Louis Prévost d’après Hubert-François Gravelot, Mithridate, 1768.
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53. Jean-Charles Le Vasseur d’après Hubert-François Gravelot, Iphigénie, 1768.
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54. Jean-Baptiste Simonet d’après Hubert-François Gravelot, Phèdre, 1768.
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55. François-Denis Née d’après Hubert-François Gravelot, Esther, 1768.
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56. François-Denis Née d’après Hubert-François Gravelot, Athalie, 1768.
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57. Étienne-Barthélémy Garnier, Hippolyte saisi d’horreur après l’aveu de Phèdre, 1793. Montauban, musée Ingres.
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58. Antoine-Louis Romanet d’après Jean-Jacques Le Barbier, La Thébaïde, 1796.
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59. Daniel d’après Jean-Jacques Le Barbier, Alexandre le Grand, 1796.
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60. Jean Dambrun d’après Jean-Jacques Le Barbier, Andromaque, 1796.
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61. Louis-Michel Halbou d’après Jean-Jacques Le Barbier, Bajazet, 1796.
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62. Pierre Baquoy d’après Jean-Jacques Le Barbier, Mithridate, 1796.
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63. Vincent Langlois d’après Jean-Jacques Le Barbier, Iphigénie, 1796.
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64. Charles-Étienne Gaucher d’après Jean-Jacques Le Barbier, Phèdre, 1796.
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65. Jean Dambrun d’après Jean-Jacques Le Barbier, Esther, 1796.
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66. Pierre-Paul Prud’hon, Andromaque et Astyanax, 1798. Paris, musée du Louvre.
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67. Dupréel d’après Jean-Guillaume Moitte, La Thébaïde (I, 3), 1801.
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68. Pierre Baquoy d’après Jean-Guillaume Moitte, La Thébaïde (III, 5), 1801.
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69. Maurice Blot d’après Jean-Guillaume Moitte, La Thébaïde (V, 6), 1801.
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70. Jean-Baptiste Simonet d’après François Gérard, Alexandre (V, 3), 1801.
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71. Jean Mathieu d’après Anne-Louis Girodet, Andromaque (I, 2), 1801.
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72. Raphaël-Urbain Massard d’après Anne-Louis Girodet, Andromaque (II, 2), 1801.
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73. Henri Marais d’après Anne-Louis Girodet, Andromaque (III, 7), 1801.
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74. Raphaël-Urbain Massard d’après Anne-Louis Girodet, Andromaque (V, 3), 1801.
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75. Glairon-Mondet d’après Antoine-Denis Chaudet, Britannicus (I, 3), 1801.
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76. Pierre Viel d’après Antoine-Denis Chaudet, Britannicus (III, 7), 1801.
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77. Raphaël-Urbain Massard d’après Gioacchin Giuseppe Serangeli, Bérénice (I, 3), 1801.
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78. Raphaël-Urbain Massard d’après Gioacchin Giuseppe Serangeli, Bérénice (IV, 4), 1801.
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79. Raphaël-Urbain Massard d’après Gioacchin Giuseppe Serangeli, Bérénice (V, 5), 1801.
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80. Raphaël-Urbain Massard d’après François Gérard, Bajazet (IV, 3), 1801.
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81. F. Fischer d’après François Gérard, Bajazet (V, 11), 1801.
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82. Langlois frère d’après François Gérard, Mithridate (V, 2), 1801.
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83. Abraham Girardet d’après François Gérard, Iphigénie (I, 4), 1801.
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84. François Gérard, Suicide d’Ériphile, ca 1801. Pontoise, musée Tavet-Delacour.
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85. Raphaël-Urbain Massard d’après Anne-Louis Girodet, Phèdre (I, 3), 1801.
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86. Raphaël-Urbain Massard d’après Anne-Louis Girodet, Phèdre (II, 5), 1801.
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87. Jean Massard d’après Anne-Louis Girodet, Phèdre (III, 5), 1801.
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88. Chatillon d’après Anne-Louis Girodet, Phèdre (IV, 2), 1801.
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89. Raphaël-Urbain Massard d’après Anne-Louis Girodet, Phèdre (V, 7), 1801.
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90. Anne-Louis Girodet, Mort de Phèdre, ca 1801. Rouen, musée des Beaux-Arts, donation Henri et Suzanne Baderou.
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91. Jean Mathieu d’après Antoine-Denis Chaudet, Esther (II, 7), 1801.
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92. Jacques-Joseph Coiny d’après Antoine-Denis Chaudet, Esther (III, 4), 1801.
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93. Raphaël-Urbain Massard d’après Antoine-Denis Chaudet, Athalie (I, 2), 1801.
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94. Abraham Girardet d’après Antoine-Denis Chaudet, Athalie (V, 8), 1801.
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95. Pierre-Narcisse Guérin, Phèdre et Hippolyte, 1802. Paris, musée du Louvre.
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96. Pierre-Narcisse Guérin, Andromaque et Pyrrhus, 1810. Paris, musée du Louvre.
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97. Pierre-Narcisse Guérin att., Oreste annonce à Hermione la mort de Pyrrhus, ca 1815. Caen, musée des Beaux-Arts.
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