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French Pages 314 [317] Year 2020
École biblique et archéologique française de Jérusalem
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LA BIBLE EN SES TRADITIONS Commencements
Définitions, suivies de douze études
Sous la direction de Olivier-Thomas VENARD Édité avec Bieke MAHIEU
PEETERS
La Bible en ses Traditions : pour une nouvelle Glossa ordinaria Pendant plus de soixante ans, l’École biblique de Jérusalem a été engagée dans l’édition d’une Bible annotée, La Bible de Jérusalem. En ce début du 21e s., elle ouvre un nouveau chantier : La Bible en ses Traditions. Ce projet vise à offrir au lecteur à la fois les différentes formes textuelles de la Bible, assorties d’une annotation philologique et historique, et les diverses traditions de son interprétation au sein des communautés qui la reçoivent comme un texte sacré. Mené depuis le cœur de Jérusalem, sereinement catholique, il est donc ouvert à la polyphonie culturelle et confessionnelle des personnes en quête de vérité. Il vise à servir la connaissance et la compréhension mutuelle.
La plateforme collaborative bibletraditions.org Cette plateforme réunit des spécialistes de diverses disciplines dans des laboratoires ouverts sur internet, livre biblique par livre biblique. Les biblistes établissent et traduisent les textes dans la diversité des versions traditionnelles et des éditions critiques, et les situent dans leurs contextes. Ils sont rejoints par des spécialistes de disciplines liées à une trentaine rubriques d’annotation : études juives, patristique, l’Orient ancien, archéologie, liturgie, théologie, littérature classique et moderne, histoire de l’art, cinéma, etc. La plateforme est offerte à tout chercheur désireux de conserver (et partager) le fruit de sa recherche sous forme de notes tout au long du texte biblique. Elle est également ouverte aux enseignants qui souhaitent en faire un usage pédagogique, par exemple en tant que support de cours et de séminaires.
La collection La Bible en ses Traditions Cette collection est un fruit de ce programme : en plus de sa version en ligne, La Bible en ses Traditions édite des volumes imprimés à l’intention de biblistes soucieux de placer l’Écriture dans son contexte herméneutique spécifique. D’année en année, l’École biblique de Jérusalem choisit un livre biblique important (ou un fragment d’un livre) déjà bien élaboré par l’une des équipes du programme, et porte ce travail à un premier achèvement qui permette de l’imprimer, grâce au savoir-faire de la maison d’éditions Peeters, dans la présente collection comme une glose biblique — renouant ainsi avec une tradition éditoriale qui inspirait déjà les pionniers de l’École comme le Père Marie-Joseph Lagrange o.p. Toute remarque ou proposition sera la bienvenue.
Plateforme | Platform : bibletraditions.org Comité éditorial | Steering Committee : [email protected] Nouvelles | Keep in touch : blog.bibletraditions.org École biblique et archéologique française de Jérusalem, Nablus Road 83-85 POB 19053, IL-9119001 Jerusalem
The Bible in Its Traditions: Towards a New Glossa ordinaria For more than sixty years the École biblique of Jerusalem has been involved in translating and publishing a Bible with notes, known throughout the world as The Jerusalem Bible. As a new century gets under way, we are developing a new project, The Bible in Its Traditions. The idea of the project is to provide the reader with the different forms of the biblical text, together with the textual and historical notes that have always formed part of The Jerusalem Bible tradition — and also notes about the reception of the Bible in the various faith communities for which it is a sacred text. Managed in the heart of Jerusalem, confidently Catholic, it is therefore open to the cultural, denominational and even interfaith polyphony of people seeking truth. It aims at serving knowledge and mutual understanding.
The bibletraditions.org digital collaborative platform The platform brings together dozens of scholars of various disciplines in open laboratories, biblical book by biblical book. Each one contributes according to his or her competencies. Biblical scholars translate the texts in the diversity of the traditional versions and critical editions and situate them in both their physical and cultural contexts. Specialists in disciplines linked to about thirty rubrics of annotation join them: Jewish studies, patristics, the ancient Orient, archaeology, liturgy, theology, classic and modern literature, history of art, film, etc. The platform is open to researchers who wish to conserve (and share) the fruit of their work in the form of notes throughout the biblical text. It is also open to teachers wishing to make pedagogical use of it, for instance, as a resource for courses and seminars.
The Series The Bible in Its Traditions The series is a fruit of this program. In addition to its online version, The Bible in Its Traditions produces printed volumes that are useful to scholars concerned with placing Scripture in its proper hermeneutical context. About every year the École biblique chooses a significant biblical book (or part of a book) that is already well elaborated by one of the program’s teams and amplifies the work, to be printed in gloss form thanks to the expertise of Peeters Publishers — thus connecting again in the 21st century with a tradition that was alive already at the time of the pioneers in the biblical renewal, such as Fr. MarieJoseph Lagrange o.p. We welcome any comment or proposal.
Collection La Bible en ses Traditions | Series The Bible in Its Traditions 1. Commencements. Définitions, suivies de douze études, Louvain : Peeters, (2010) 2020. 2. Saint Paul : Épître aux Philippiens, Louvain : Peeters, 2016. 3. Hosea: The Word of the Lord That Happened to Hosea, Louvain : Peeters, 2017.
En préparation | To Be Published 4. La passion selon saint Matthieu (Mt 26-28), 4 t. en 5 vol., Louvain : Peeters. The Epistle of Saint James ; Épîtres pastorales ; Cantique des cantiques ; Psaumes (1-41) ; etc.
École biblique et archéologique française de Jérusalem
La Bible en ses Traditions
Commencements Définitions, suivies de douze études
Contributeurs principaux Martin ALBL — Jean-Marie AUWERS — Francesco BIANCHINI — Régis BURNET — Jean-Baptiste ÉDART — Jean-Emmanuel de ENA — Maurice GILBERT — Marc GIRARD — Didier LUCIANI — Bieke MAHIEU — Étienne MÉTÉNIER — Françoise MIES — †Gabriel M. NAPOLE — Christophe RICO — Justin TAYLOR — Olivier-Thomas- VENARD — Thierry VICTORIA — André WÉNIN
Sous la direction de Olivier-Thomas VENARD Édité avec Bieke MAHIEU
PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT
2020
A catalogue record for this book is available from the Library of Congress.
ISBN 978-90-429-3969-1 eISBN 978-90-429-3970-7 D/2020/0602/2 © 2020, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium
All rights reserved. No part of this book may be reproduced or transmitted in any form or by any electronic or mechanical means, including information storage or retrieval devices or systems, without prior written permission from the publisher.
Une fois Dieu a parlé — deux fois j’ai entendu. Psaume 62,12
1 Histoire du projet
Éditer la Bible à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem
L
e chantier de La Bible en ses Traditions s’inscrit dans une riche histoire de l’édition des Écritures à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Raconter celle-ci permettra de mieux comprendre le chantier.
I. Petite histoire de La Bible de Jérusalem L’École biblique s’est fait connaître du grand public mondial pour la qualité de la Bible qu’elle a éditée en 1956, 1973 et 1998. La Bible de Jérusalem, comme on l’appelle, n’a cessé d’être rééditée, traduite et adaptée jusqu’à ce jour. Cette histoire commence le 15 mai 1943 : quatre mois avant la promulgation de Divino afflante Spiritu (le 30 septembre 1943), l’encyclique de Pie XII qui donna toute sa place à la critique historique dans les études bibliques catholiques, au beau milieu de la guerre. Ce jour-là, le Père Chifflot (1908-1964)1 esquisse les travaux à entreprendre après la guerre, et envisage en particulier l’édition d’une Bible qui pourrait remplacer celle du chanoine Crampon2 en l’enrichissant de toutes les découvertes faites au cours des années du « Mouvement biblique ».3 Au moment où il lançait le projet, le Père Chifflot était vice-directeur des éditions du Cerf, propriété des Frères prêcheurs (dominicains) de la Province de France. Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, il avait persuadé le Père Roland de Vaux, alors directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, de collaborer avec lui dans l’entreprise de longue haleine que serait la publication d’une édition de référence de la Bible en français. À cette époque, on manquait d’une telle Bible. Mis à part l’admirable version du 17e s. par Lemaître de Sacy (1669-1696), seules la Bible de Segond (1873-1910) et celle de Crampon (1894-1904) étaient disponibles.4 Du point de vue de la rigueur universitaire, autant que du point de vue de la conscience historique, toutes deux tendaient à uniformiser le texte, alors que les livres bibliques étaient en réalité très divers du point de vue littéraire et stylistique. Les protestants étaient sur le point d’achever la publication de La Bible du Centenaire (1917-1948) — excellente du point de vue critique, mais qui en vint à manquer de fonds pour la même raison : les sociétés bibliques protestantes refusèrent de financer une édition définitive en un volume. Il y avait donc place pour une nouvelle traduction de la Bible, qui joindrait la qualité littéraire au souci de la critique historique. Fédérant les meilleurs spécialistes des divers livres bibliques, à une époque où leur petit nombre leur permettait de se connaître tous, les savants religieux de l’École biblique parvinrent à clore une première fois le chantier, au bout d’une
dizaine d’années. Les différents livres furent publiés en fascicules, au fur et à mesure de l’avancée du travail. Le premier parut en 1948, deux ans seulement après le lancement officiel du projet, et la Bible complète vit le jour en 1956. Avec le recul du temps, il vaut la peine de comparer le livre rêvé par les pionniers de l’édition de la Bible à l’École biblique, et La Bible de Jérusalem aujourd’hui disponible. Car c’est de cette comparaison qu’a jailli le projet La Bible en ses Traditions. Plongeons donc, l’espace de quelques pages, dans les archives de La Bible de Jérusalem, encore inédites.5 1. Un projet scientifique, littéraire et religieux Dès sa conception, le projet tenait compte de la diversité et de l’importance de ses enjeux. Le Bulletin dominicain des éditions du Cerf le présente dès les années 1940 comme une entreprise à la fois religieuse, savante et culturelle.6 Un projet religieux Le but des dominicains initiateurs du projet était clairement religieux, comme l’indique la connotation du titre original de la Bible produite : La sainte Bible, traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem. Plus encore, les éditions du Cerf déployèrent de nombreux efforts pour promouvoir « la Bible à l’église », en publiant en 1959 une Bible de
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Cf. de Vaux Roland, « Le P. Thomas-Georges Chifflot, 1908-1964 », La Vie spirituelle 46 (1964) 517-525. Refoulé François, « La Bible de Jérusalem », dans École biblique et archéologique française de Jérusalem (éd.), Jérusalem. De la pierre à l’esprit, Compiègne : Telliez, 1990, 173-181, ici 174. Refoulé ne donne pas de référence mais cite probablement un document trouvé dans les papiers de Chifflot. Cf. Trinquet Joseph, « Le mouvement biblique », dans Savart Claude et Aletti Jean-Noël (éd.), Le monde contemporain et la Bible, Paris : Beauchesne, 1985, 299-318, ici 306-308. Pour un excellent aperçu de l’histoire de la Bible en français, voir Sellier Philippe, « Préface » de La Bible, traduction de Lemaître de Sacy (Bouquins), Paris : Laffont, 1990, xi-liv. Nous les avons redécouvertes aux éditions du Cerf à Paris et à l’École biblique à Jérusalem à l’occasion d’un hommage rendu à Dom Henry Wansbrough, le traducteur de La Bible de Jérusalem en anglais. Pour plus de détails sur ces archives, voir Venard Olivier-Thomas, « The Cultural Backgrounds and Challenges of La Bible de Jérusalem », dans McCosker Philip (éd.), What Is It That the Scripture Says? Essays in Biblical Interpretation, Translation and Reception in Honour of Henry Wansbrough OSB (Library of New Testament Studies 316), Londres : T&T Clark, 2006, 111-134. Texte anonyme [Chifflot ?] et sans titre, Bulletin dominicain des éditions du Cerf 7 (1948 ?), 9-13, ici 11.
La Bible en ses Traditions
Jérusalem grand format imprimée selon les règles de l’art et reliée plein cuir.7 Plus encore, en revenant aux sources hébraïques et grecques par-delà la Vulgate, la nouvelle Bible en vint à représenter un modèle pour l’édition biblique moderne, et à constituer une sorte de « vulgate » de fait.8 « La Bible de Jérusalem est née d’un désir de communion. Si quelques-uns, héritiers d’une longue tradition, ont consacré leur vie à l’étude des Saintes Écritures, le fruit de leur labeur doit être donné à tous, à ceux qui sont moins savants, à ceux qui ne sont pas savants du tout. Ce qu’ils ont acquis de toute la force de leur savoir, de toute la patience de leurs travaux, doit nous aider, nous aussi, à mieux entendre la Parole de Dieu, dans l’effort de l’intelligence et finalement dans le silence de la prière. [Cette Bible] représente un effort concret pour établir entre nous une communication, un échange, mieux, un service fraternel dans la communion des saints. »9
Ainsi donc, les promoteurs du projet n’oubliaient pas qu’ils appartenaient à l’Ordre des Prêcheurs : c’était une part intégrante de leur mission, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église. Un projet scientifique Les lecteurs du dehors étaient particulièrement visés par le grand soin mis à établir le texte : « La traduction devait être fondée sur les textes originaux, hébreux, grecs et araméens, établis de façon critique en prenant en compte les variantes manuscrites et les anciennes versions. Elle chercherait à restituer le texte le plus fidèlement possible, non seulement quant à son sens, mais aussi, quant à son rythme et à sa couleur, en portant une grande attention à son niveau poétique ou littéraire, élevé, simple ou plat, tout cela en usant de tous les procédés disponibles dans la langue française. »10
Ainsi, même les non-croyants pourraient constater que la foi chrétienne n’empêche pas les croyants de respecter l’autonomie des domaines dans lesquels ils travaillent — qu’elle n’établit aucune division dans la communauté de tous ceux qui cherchent honnêtement la vérité. Les croyants eux-mêmes se verraient dotés d’une culture historique, qui semblait désormais nécessaire pour la compréhension véritable des saintes Écritures. Dans les introductions, on viserait à « situer chaque livre dans son contexte historique et culturel. On analyserait sa forme et son contenu, et l’on mettrait au jour sa doctrine essentielle. Pleines de critique bien informée, elles aideraient le lecteur moderne dans la tâche difficile de comprendre des écrivains anciens, qui vivaient à des époques où la composition littéraire et les exigences de précision historique étaient bien différentes des nôtres. »11
On entendait aussi favoriser par les notes une lecture de la Bible comme un tout, pour lutter contre tout fondamentalisme, en invitant à lire chaque texte à la lumière de la Bible dans son ensemble, pour en saisir tout le sens. Un projet littéraire Le souci culturel des pionniers de La Bible de Jérusalem apparaît clairement dans le fait qu’ils voulurent recruter pour le
Comité directeur plusieurs auteurs renommés, chargés spécialement de veiller à la qualité littéraire du texte édité. Dans la toute première ébauche dont nous ayons la trace, ils sont appelés « des écrivains catholiques » ou « de bons écrivains ».12 Ceux qui travaillèrent effectivement avec les frères dominicains méritaient les deux adjectifs : Albert Béguin, Michel Carrouges, Pierre Emmanuel, Robert Flacelière, Stanislas Fumet, Étienne Gilson, Bernard Guyon, Henri-Irénée Marrou, Henri Rambaud, Jean-Claude Renard, Alain-Zacharie Serrand. Le travail était ainsi réparti : d’une part des exégètes assureraient la dimension scientifique, d’autre part « des écrivains confirmés auraient à évaluer la qualité littéraire du résultat ».13 En tant que secrétaire littéraire du Comité directeur, Carrouges était chargé des relations avec ces écrivains. À l’exception notable de Renard, aucun de ces auteurs n’était vraiment d’avant-garde, loin s’en faut. Outre Carrouges et Renard, Emmanuel, Fumet et Rambaud étaient sans doute les plus conscients de la dimension littéraire de la révélation, du fait de leur activité proprement poétique. Cependant, les archives de La Bible de Jérusalem ne gardent la trace que de l’activité de Carrouges. Les autres écrivains recrutés — et les plus actifs, si l’on en juge d’après leur présence dans les archives — étaient spécialistes de pensée antique (Flacelière, Marrou), médiévale (Gilson) ou classique (Béguin, Guyon, Rambaud). 2. Des enjeux herméneutiques clairement dégagés La présence de savants venus d’horizons divers et plus libres que les religieux face à des problématiques ecclésiastiques encore marquées par les séquelles de la crise moderniste permit au Comité éditorial de se poser des questions dont l’actualité demeure saisissante soixante-dix ans plus tard. Le Père Chifflot a évoqué un jour la franchise et l’efficacité des discussions entre les exégètes et des personnalités comme Gilson et Marrou.14 Marrou, étroitement associé au projet de cette nouvelle Bible
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Dans les dossiers de Chifflot, un tract intitulé « La Bible à l’église » présentant des photographies de cette Bible dans diverses églises françaises rappelle que le Cerf alla jusqu’à organiser un concours de la meilleure présentation de la Bible dans les lieux de culte pour la lecture des fidèles. Paul André (Le fait biblique. Israël éclaté ; De Bible à Bible [Lectio divina 100], Paris : Cerf, 1979, 172-173) et Grelot Pierre (recensions de La Bible de Jérusalem et de La Bible d’Émile Osty, Revue biblique 81 [1974], 103116) usent d’expressions comme « nouvelle Vulgate ». Chifflot Thomas-Georges, « L’École biblique de Jérusalem et La Bible de Jérusalem », document d’archive, s.d. (1960 ?), 3. Benoit Pierre, « The Jerusalem Bible », Review and Expositor 76 (1979) 341-349, ici 341. Notre traduction. Ibid. 342. « Traduction française de La sainte Bible sous la direction de l’École biblique de Jérusalem », note de travail sans mention de date [1946 ?] ni signature [Chifflot ?], 1-2. Benoit, « The Jerusalem Bible », op. cit. (n. 10), 341-342. Texte anonyme et sans titre, op. cit. (n. 6), 11.
Histoire du projet
dès les origines, a laissé dans les archives deux lettres de travail15 et une réaction de vingt pages à la note préliminaire envoyée par Chifflot,16 toutes datées entre 1949 et 1950. Dans cette dernière étude, le célèbre universitaire examine tous les aspects de la publication, de la typographie à la théologie, insistant partout sur la nécessité d’« éviter le scandale [et de] maintenir l’homogénéité de la tradition ».17 Il s’impliqua bien au-delà de la simple expertise savante, jusqu’à faire usage du Psautier (traduit par le Père Tournay) dans sa propre prière, pour en tester l’inspiration, avant de donner son avis.18 La place de l’histoire À une époque où l’intelligentsia catholique, suivant un mouvement général de la pensée occidentale, était fascinée par l’histoire, le Comité directeur reçut en 1951 un avertissement clairvoyant d’Albert Béguin : « La conscience historique ne peut plus être éliminée de nos activités, mais si féconde soit-elle chez ceux qui en ont la maîtrise, elle détourne l’attention des autres vers d’assez stériles curiosités. Combien d’auteurs classiques nous a-t-on gâtés de cette façon ! Et pour la Bible c’est bien plus grave. Il est très bien d’en vouloir répandre la lecture, mais si c’est pour en faire un objet de divertissement supérieur, autant vaudrait en revenir à l’inconnaissance et au temps où le chrétien moyen se contentait des textes inclus dans la liturgie. On risque de l’habituer à rejeter à la distance historique ce qu’il faudrait précisément l’aider à resituer dans une présence constante. “Jésus en son temps”, comme dit l’autre ! C’est-à-dire Jésus contemporain d’Auguste et de Tibère. Mais ce qu’il nous faut retrouver, c’est Jésus hic et nunc. »19
Un peu plus loin dans la même lettre, le spécialiste de Pascal qu’était Béguin insistait sur la demi-sagesse qu’une annotation trop systématiquement historicisante risquait d’induire chez les lecteurs : « Le lecteur non entraîné en vient à ne plus lire jamais le texte dans sa continuité. Automatiquement, par scrupule ou par instincts consciencieux, il “va voir”. On l’invite ainsi à une lecture demi-savante, qui est le pire des écueils : il n’en sera pas plus à même de comprendre les problèmes scientifiques et critiques, et il perdra la faculté de lire la Bible “comme un roman”. Or c’est comme un roman qu’il faut pouvoir la lire. »20
Le choix du texte Dans une note anonyme et sans date, « Traduction française de La sainte Bible sous la direction de l’École biblique de Jérusalem », on annonce clairement la confiance placée dans les conclusions de la critique textuelle : « La traduction sera faite sur un texte établi critiquement [sic]. Les corrections communément admises seront retenues. On sera sobre de conjectures non soutenues par les Versions. On évitera les reconstructions aventureuses. Dans les passages désespérés, il vaut mieux mettre des points de suspension que de se substituer à l’Auteur sacré ; on pourra alors, en note, donner la traduction littérale du texte reçu et suggérer une restitution. »
Dans le même esprit, avec ses autres collègues universitaires et en s’appuyant sur son expérience de philologue, Marrou demandait la sobriété la plus grande :
« Nous apportons la Bible, le texte même, et non (ce qui me paraît une manœuvre peu honnête) ce que nos savants collaborateurs pensent aujourd’hui, en l’état présent de leurs recherches, qu’elle est ; hypothèses, conjectures, considérations historiques ou d’histoire littéraire, tout cela est “humain, trop humain” ; nous n’avons pas le droit de vendre de force nos petites idées personnelles à un public qui nous demande la parole de Dieu (j’exagère un peu ; mais c’est pour faire 50 % d’abattement !) ».21
Il était clair que « littéraire » signifiait bien autre chose pour les exégètes, passionnés de critique, et pour leurs collègues universitaires, comme en témoignent les guillemets utilisés par Albert Béguin dans une supplique : « De grâce, qu’on s’impose ici la plus stricte sobriété. À mon avis, tout ce qui concerne la critique “littéraire” peut être très abrégé sans aucun dommage, et même avec de sérieux avantages. »22
Pour les universitaires, « littéraire » ne signifiait pas « relatif à des hypothèses concernant la genèse de ce texte », mais plutôt « relatif à la poétique du texte ». Marrou ne cessa de rappeler la légitimité poétique et l’importance littéraire de procédés aussi simples que la répétition ou l’asymétrie — là où les critiques textuels et « littéraires » voyaient des corruptions ou des erreurs de transmission. Comparant le texte biblique aux plus grandes œuvres de la littérature, il remarquait que nombre de corrections ou de conjectures de ses collègues exégètes provenaient autant de préjugés culturels et rhétoriques que de la science philologique. Ainsi, « le Père Tournay appar[ut-il]
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La première lettre est un tapuscrit de deux pages adressé à Chifflot, en réaction à trois fascicules tout juste sortis (1Co et 2Co ; Ez ; Qo), daté « Paris, 6 juin 49 » et rédigé à l’« Université de Paris, Faculté des Lettres » (cité infra comme Marrou, « 6 juin 49 »). La seconde est un autre tapuscrit de deux pages adressé à Chifflot, avec l’en-tête « Le Curtillard de La Ferrière, Isère, le 15 août », donnant de premières impressions sur l’Apocalypse préparée par le P. Boismard. Marrou Henri-Irénée, document de vingt pages sans date (1951 ?), avec l’en-tête « Le Curtillard de La Ferrière (Isère) » (citée infra comme Marrou, « Le Curtillard »), en réponse à Th. Chifflot, « Note préliminaire en vue de l’établissement d’une “édition manuelle” de La Bible de Jérusalem » (tapuscrit, douze pages, s.d.). Marrou, « Le Curtillard », op. cit. (n. 16), 4. Marrou Henri-Irénée, « Note sur le livre des Psaumes » (attachée à Marrou, « Le Curtillard », op. cit. [n. 16]) : « Je ne formule ces critiques qu’après un long usage ; je n’ai pas cessé d’utiliser depuis bien des mois ce texte, et j’en ai ressenti à la longue un pénible sentiment de frustration ; prier sur ce psautier est infiniment plus aride, moins enrichissant que sur (je ne dis pas la Vulgate aux contresens scintillant dans l’obscurité) le Crampon ou le Pianum. » Béguin Albert, pages 2-3 d’une lettre manuscrite de six pages portant l’en-tête de la revue Esprit, datée du 6 septembre 1951 et adressée à Th. Chifflot en réponse à une note en vue de l’édition manuelle de La Bible de Jérusalem qu’il lui avait envoyée (citée infra comme Béguin, « 6 septembre 1951 »). L’auteur fait allusion au succès de librairie de DanielRops, Jésus en son temps. Ibid. 3. Marrou, « Le Curtillard », op. cit. (n. 16), 6. Béguin, « 6 septembre 1951 », op. cit. (n. 19), 6.
La Bible en ses Traditions
à monsieur Marrou trop sûr de sa poétique ».23 Nous allons y revenir. La traduction, entre science et art Quant à la traduction, on eut très tôt conscience d’un choix à faire. À vouloir écrire en beau français, on risquait d’appauvrir et de vulgariser la parole inspirée, et de démembrer des concepts spécifiquement bibliques. « On veillera à conserver le caractère abrupt et fort de l’hébreu, la souplesse du grec de certains livres. Un original plat doit rester plat en traduction, mais la poésie n’y doit pas devenir prosaïque. »24
Mais à vouloir à tout prix rendre la saveur de l’original, ne risquait-on pas de transformer le français en un hideux jargon ? Le même document de travail de 1946 se conclut par un double déni : on ne voulait ni priver les livres de leur couleur et de leurs singularités en les traduisant de manière trop lisse, ni écrire dans un français inintelligible sous prétexte d’être plus fidèle à l’original. On se situait entre deux extrêmes : les traductions du 17e siècle, et la Genèse alors récemment publiée par Edmond Fleg.25 Le P. de Vaux crut pouvoir proposer une troisième voie : « Il y a le fameux dilemme : “Traduction en beau français, où conséquemment le style du traducteur se substitue à celui de l’auteur, — traduction qui colle au texte, même si les lois de la langue française doivent en souffrir un peu. Je crois qu’entre ces deux extrêmes il y a une voie moyenne, et c’est celle que je souhaite pour notre Bible : une traduction en bon français, c’est-à-dire correcte, qui garde la saveur du texte original, expression d’une culture différente de la nôtre, qui respecte l’inégalité du style du texte ancien.” (Lettre du P. de Vaux, du 15 mars 1947.) »26
Ainsi donc, on eut bien conscience d’un choix fondamental à faire, entre l’allégeance à une convention invétérée de « français correct » et l’audace d’inventer de nouvelles manières de parler ou d’écrire le français.
En effet — de la Vulgate à la Bible de Luther — les grandes traductions bibliques ont joué un rôle majeur dans les cultures respectives où elles virent le jour. Elles ont profondément coloré la langue d’arrivée, et fourni à la culture qui les produisait des récits, des personnages et des manières de parler qui ont imprégné jusqu’au folklore. Si dégoûté qu’il eût été des anciennes versions latines,31 Jérôme le cicéronien finit par inventer une nouvelle manière d’écrire le latin, au contact des Écritures saintes. Paradoxalement son désir d’être fidèle au texte biblique au point de tolérer une certaine inélégance au regard des règles classiques, le conduisit à inventer une langue qui répondait parfaitement à l’idéal classique d’un langage populaire rencontrant le bon goût des savants.32 Or « la Bible, en France, n’a jamais été le monument littéraire qu’elle est en Angleterre et en Allemagne. Il y a ceci de grave : elle n’est pas citable. Quand un Anglais cite un verset des Écritures, il reproduit avec un scrupuleux respect des mots et de l’ordre des mots, une traduction de génie. En France le texte qui vient aux lèvres est un souvenir plus ou moins précis de… Crampon. »33
Aussi, à en croire Marrou et ses collègues littéraires, un bon traducteur devait-il se considérer lui-même comme un auteur : « une traduction est sans vie si elle n’est pas œuvre d’écrivain, et donc en partie faite d’invention originale »,34 écrivait Albert Béguin. Le même auteur réclamait aussi qu’on laissât aux traducteurs la responsabilité de leurs choix dans l’établissement du texte présenté aux lecteurs, sans charger ces derniers du fardeau de notes qu’ils ne pourraient guère porter : « Pourquoi l’inviter à contrôler ce que sa demi-ignorance le rend incapable de bien juger ? »35
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Le défi culturel Ce dont il était question, à en croire Marrou, c’était de « recréer une culture biblique ». Cela supposait que l’on respectât le peu qui en existait déjà : il demandait que les syntagmes devenus traditionnels, tels « vanités des vanités » ou « vallée de larmes », fussent conservés, au moins en notes.27 Tout en reconnaissant l’impossibilité d’une traduction systématique d’un mot par un même mot, il demandait qu’on s’en approche le plus possible, suivant l’exemple de la Septante.28 Tous les membres du Comité directeur tombèrent d’accord pour conserver certains sémitismes devenus des « biblicismes » en français, mais non sans réserve. « On garderait ainsi : “le sein d’Abraham”, “Que vos reins soient ceints”, “la corne du salut” (en les expliquant en note, bien entendu). »29 Cependant, c’était un projet plus ambitieux qui animait les littéraires du Comité directeur :
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« Certains (M. Marrou) voudraient même aller plus loin : essayer, par la traduction littérale de la plupart des sémitismes, de recréer une culture biblique (ce qu’ont fait les anciennes versions en Allemagne et dans les pays anglo-saxons). »30
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« Remarques formulées par le Comité directeur de la traduction de la Bible, pendant l’année 1946/47 », page 2 d’un texte anonyme ; cité infra comme « Remarques ». « Traduction française de La sainte Bible », op. cit. (n. 12), 4. « Remarques », op. cit. (n. 23), 5. Voir Edmond Fleg, La Bible. Le Livre du Commencement, Paris : Minuit, 1959. À l’époque, André Chouraqui n’avait pas encore publié sa curieuse traduction étymologiste (Paris : Desclée de Brouwer, 1974-1977). Autrement, son nom serait sans doute apparu ici avec celui de Fleg. « Remarques », op. cit. (n. 23), 1. Marrou, « Le Curtillard », op. cit. (n. 16), 4. Ibid. 5. « Remarques », op. cit. (n. 23), 4. Ibid. Dans une fameuse Lettre à Paulin de Nole, Jérôme (→Ep. 53,10) demande de ne pas être choqué par la simplicitate et quasi vilitate verborum de la Bible. Il lui fallut du temps pour y découvrir les beautés littéraires dont il était friand — et non sans ambigüités, comme il témoigne en →Ep. 22,30. Cf. Michel Alain, In hymnis et canticis. Culture et beauté dans l’hymnique chrétienne latine (Philosophes médiévaux 20), Paris : Vander-Oyez, Louvain : Publications universitaires, 1976, 41-43. Green Julien, Journal : 1943-1945, Paris : Plon, 1949, 241-242, rapportant une conversation avec André Gide du 16 octobre 1945. Béguin, « 6 septembre 1951 », op. cit. (n. 19), 5. Ibid. 4. L’auteur use analogiquement de la catégorie politique des « demihabiles » proposée par Pascal pour désigner ceux qui, ayant compris une part de la réalité sociale (p. ex. le caractère arbitraire du pouvoir en place), se hâtent d’en dénoncer les imperfections, sans prendre le temps de penser
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Bref, les littéraires qui conseillaient le Comité directeur de La Bible de Jérusalem avaient une conscience plus vive que lui de la dimension poétique de la révélation. D’un côté les religieux, friands de « conscience historique » et de « science exégétique » voulaient s’acquitter du programme savant établi par Pie XII dans Divino afflante Spiritu pour rattraper le retard pris par l’intelligence catholique dans le domaine biblique ; de l’autre, de grands universitaires et des auteurs reconnus, qui n’avaient rien à prouver quant à leur science, constataient dans leurs domaines respectifs les limites du commentaire historique d’œuvres dont l’importance religieuse était aussi liée à la force poétique.
de surprenant, l’histoire littéraire nous montre souvent la beauté, et l’obscurité, poétiques acquises au prix de ratures et de retouches au départ d’un texte plus banal (je pense aux textes successifs de “L’Après-Midi d’un Faune” édités par le Dr. Mondor). »40
Surtout, il la jugeait nocive sur le plan religieux. Le célèbre patrologue était agacé par les audaces de l’exégète, qu’il décrit ironiquement en ces termes : « Le Père Tournay n’est pas assez respectueux de l’autorité du NT : son commentaire qui accumule les références (acerbit cadavera, c’est le cas de le dire !) ne détache pas les citations explicites, si solennelles, faites de notre Ps. [dans le NT]. »41
Il émit ce jugement sans appel : « Nous attendions du Père Tournay une traduction ; il nous propose une restitution ; nous voulions mettre à la disposition du lecteur français le Psautier, c’est à dire le texte que l’Église vénère et utilise sous ce nom, et nous avons imprimé un Psautier, le Psautier Tournay, qui est une hypothèse, si remarquable qu’elle soit techniquement, mais que nous ne pouvons répandre dans le public en lui conférant, par l’adoption que nous en ferons, une autorité qu’elle ne peut prétendre avoir. »42
3. Les choix opérés dans les années 1940 et leurs limites À l’époque du lancement de La Bible de Jérusalem, à l’aurore des « Trente glorieuses », Science et Raison tenaient le haut du pavé : elles semblaient capables de remporter toutes les joutes que Littérature et Religion auraient pu essayer de disputer avec elles. Rétrospectivement, les choix opérés dans les débuts de La Bible de Jérusalem apparaissent marqués par leur domination. Le texte : témérité critique ? Marrou, écrit « comme historien » une remarque qu’un Claudel eût certainement signée en tant que poète : « Je passe mon temps à protester contre l’orgueil des philologues, qui se prennent un peu trop facilement pour le Saint-Esprit : leurs conjectures valent ce que dure leur mode ; il ne faut pas que notre texte, sous prétexte d’être “au courant de la science” soit vieilli en deux ans. »36
La grande confiance placée dans les résultats de la critique apparaît bien dans les « Règles pour les Traducteurs » qui accompagnaient la première esquisse du projet. Les traducteurs étaient invités à faire entière confiance aux éditions critiques et dans les cas où la critique n’atteignait pas de reconstitution ferme, à préférer une lacune à la version du texte reçu.37 Plus loin, ils étaient carrément conviés à clarifier le texte original :
La traduction : le choix du bon français ou du beau français ? Les écrivains invitaient à une audace fondamentale, celle d’inventer un français biblique, plutôt que de se conformer à des règles trop convenues. Or malgré le souhait de distinguer le nécessaire « bon » français (un français grammatical) du « beau » français dont le carcan risquait d’aboutir à des traductions trop uniformes, il est clair que les règles données pour la traduction étaient au moins aussi stylistiques que grammaticales.43 Fixer comme règle unique la correction grammaticale aurait permis de varier les niveaux de langue, de l’hermétisme mallarméen au prosaïsme célinien, de l’abondance proustienne au laconisme durasien (alors en gestation !). Pour plusieurs contributeurs, il fallait inventer une nouvelle espèce de français :
« On explicitera les changements de personnes, si l’original prête à confusion, on brisera les phrases ou on enchaînera les propositions selon les lois de la syntaxe française car ces modifications ne sont pas des infidélités, elles sont l’œuvre d’un véritable traducteur. »38
Dans une réaction à divers échantillons de traductions que lui avait adressés le Père Chifflot, Marrou jugeait cette manière de faire dépassée, du point de vue universitaire : « Cette liberté par rapport aux témoins de la tradition textuelle me rappelle les erreurs de l’ancienne critique littéraire des textes latins et grecs. »39
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Il l’estimait naïve du point de vue poétique : « Après tout, pourquoi l’Esprit ne lui eût-il pas dicté un rythme boiteux mais de sens riche ? (Qu’en savons-nous ?) Les corrections ou gloses introduites après coup et enrichissant le sens sont-elles nécessairement des corruptions ? Ne peuvent-elles pas être elles aussi inspirées ? Une telle “méthode” de composition n’aurait rien
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aux conséquences pratiques et sociales de leur dénonciation, qui risque de précipiter la guerre de tous contre tous. Les demi-habiles se distinguent des ignorants purs et simples, mais aussi et surtout des vrais habiles qui, bien conscients des limites du réel, respectent cependant l’ordre conventionnel des choses, avec la « pensée de derrière » et la vive conscience que le comble de la science est toujours une docte ignorance (cf. Blaise Pascal, Pensées, fragment « Raisons des effets », n° 9 (Lafuma 90, Sellier 124). Marrou, « Le Curtillard », op. cit. (n. 16), p. 4. « Traduction française de La sainte Bible », op. cit. (n. 12), 3. Ibid. 4. Ibid. Marrou, « Note sur le livre des Psaumes », op. cit. (n. 18). Marrou, « Remarques sur le Ps 118 Dixit Dominus », attachées à Marrou, « Le Curtillard », op. cit. (n. 16). Marrou, « Note sur le livre des Psaumes », op. cit. (n. 18). Ce type de confusion ne fut clairement détecté que trente ans plus tard, dans les analyses de la « nouvelle critique ». Cf. Barthes Roland, Sade, Fourier, Loyola, Paris : Seuil, 1971, 45-47 ; id., « Écrivains et écrivants », dans Essais critiques, Paris : Seuil, 1964, 147-154 ; id., Le degré zéro de l’écriture, Paris : Seuil, 1953.
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« Le système des Septante (prendre un mot grec comme équivalent mécanique de tel mot hébreu, et de gré ou de force l’introduire partout où le mot hébreu apparaît) aboutissait à une langue à première vue barbare, mais, pour l’initié, conservait beaucoup de la richesse de l’original. […] Il ne s’agit pas, bien entendu, de défendre le paradoxe cher à Claudel de l’inspiration des contresens de la Vulgate ! »44
Quoi qu’il se défende d’une position trop claudélienne, Marrou s’avérait aussi sensible que le grand poète à la poétique spéciale des Écritures. Il fallait garder la poésie des littéralismes traditionnels. Par exemple, à la place de la traduction plate de « val du micocoulier » (Ps 84,7), Marrou demandait que l’on gardât le « val du pleureur » ; de même il regrettait que de virtute in virtutem (Ps 84,8) fût réduit à « de terrasse en terrasse ». Dans la marge du texte de Marrou, Chifflot note rapidement : « Tournay maintient ; cf. Abel RB 1947 (521-533). » Le poids herméneutique de l’objection de Marrou était ignoré : à sa remarque fondée à la fois en poétique et en piété, on opposait une simple note érudite !45 Il fallait oser l’anaphore systématique : dès le début, Marrou s’éleva contre « le préjugé scolaire qui condamne la répétition, préjugé plus répandu en français qu’en aucune autre langue ».46 Pourtant, on se défia du procédé de la répétition : les « Remarques » de 1946-1947 ajoutent, après la remarque de Marrou : « Cependant le préjugé existe bien en français, et il est si profondément enraciné qu’on devra en tenir compte dans la plupart des cas. »47
Il fallait risquer un certain hermétisme : Michel Carrouges souhaitait une traduction directe, conservant le « mystère » des symboles bibliques.48 Il déplorait les traductions et les notes qui cherchaient à expliquer ces symboles, au lieu de laisser le lecteur vivre l’expérience du sens.49 Pour lui aussi, il fallait tenter une vraie refonte biblique de la langue française, plutôt que viser la traduction la plus claire possible. Or, peut-être en réaction contre certains essais malheureux pour rendre en français le « génie hébraïque », comme ceux d’un Fleg, ou contre l’exégèse baroquiste et polémique d’un Paul Claudel, plusieurs possibles poétiques du français furent écartés par les principaux traducteurs comme conduisant à un affreux jargon. Finalement, on privilégia un français conforme à certains critères académiques, suivant les règles néo-classiques de la belle langue.
les notes connurent un développement constant tout au long de la publication — sans pour autant que l’on relâche en rien l’attention portée à la traduction. »50
Au fil des ans, La Bible de Jérusalem devint le principal véhicule des hypothèses critiques dans les milieux catholiques. Parallèlement, le public lui-même rebaptisa l’ouvrage d’un nom plus séculier : dès les années 1960, La sainte Bible, traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem était devenue La Bible de Jérusalem, titre plus simple (et plus ambigu),51 mais aussi moins religieux. Le modèle du livre évolua au fil des éditions. Aux dires mêmes de ses promoteurs, La Bible de Jérusalem répondit aux « attentes du grand public cultivé »52 ; l’aspect scientifique des premiers fascicules et de la première édition en un volume correspondaient bien à la mentalité optimiste des générations d’après-guerre : enfin on pouvait lire le « vrai » texte et l’on avait accès à la « vraie » histoire. Les révisions de 1973 et de 1998 elles aussi reflétèrent l’esprit du temps, « s’efforça[n]t de répondre au désir d’une traduction plus littérale exprimé par le lectorat contemporain »53 pour celle de 1973, tandis qu’accentuant le relativisme historique et donnant une vision moins unifiée des origines du christianisme et du canon biblique luimême pour celle de 1998. Sous-estimation du poids culturel de la tradition Malheureusement, une certaine dépréciation de la tradition alla de pair avec cette confiance placée dans la critique moderne, malgré les mises en garde des conseillers littéraires du Comité directeur. On trouve dans les archives du Père Chifflot une lettre qu’il conserva, quoi qu’elle ne vînt pas d’un auteur recruté par le Comité directeur. Il s’agit d’une brève missive adressée au Père Maydieu, éditeur au Cerf, par un Paul Claudel courroucé. Le célèbre poète venait de recevoir le tout premier fascicule (Aggée, Zacharie, Malachie) et clamait son indignation à propos de la
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L’annotation : omniprésence de l’exégète Ainsi donc, autant l’inventivité critique était encouragée, autant la créativité littéraire était muselée. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que l’équilibre entre le texte et l’annotation ait été assez vite rompu en faveur de la seconde, tant elle correspondait à la soif de nouveauté et aux attentes de tout un public : « La réception montra que les lecteurs accordaient le plus d’importance à l’annotation : à leurs yeux, cela semblait même la principale contribution de cette nouvelle Bible. Pour répondre à cette demande,
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Marrou, « Note sur le livre des Psaumes », op. cit. (n. 18). « Remarques sur les fascicules récemment publiés de La Bible de Jérusalem (réunion du Comité de direction du 16 janvier 1951) », 2. « Remarques », op. cit. (n. 23), 2. De même il refusait que la traduction biblique devînt un exercice scolaire où l’étudiant doit absolument montrer à son maître qu’il a bien saisi toutes les nuances, quitte à traduire dans une langue très lourde (ibid. 3). Ibid. Carrouges Michel, document tapuscrit de dix pages accompagné d’une brève lettre manuscrite datée simplement « lundi », 2. Il rejette, par exemple, les « yeux brûlants de colère » (Ap 19,12) qui ont remplacé les « yeux comme une flamme ardente » et la réduction prosaïque de « la mer » (Ap 21,1) à un « symbole d’instabilité » (ibid. 3). Benoit, « The Jerusalem Bible », op. cit. (n. 10), 345. Il existe une autre The Jerusalem Bible, éditée par Harold Fisch (Jérusalem : Koren, 1962), version révisée de bibles anglo-juives répandues dans les foyers juifs et les synagogues du monde anglophone, fondée sur The Jewish Family Bible de Michael Friedlander (Londres : Rider, 1881). « Traduction française de La sainte Bible », op. cit. (n. 12), 1. Benoit, « The Jerusalem Bible », op. cit. (n. 10), 348.
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traduction de Za 13,6. À la suite de recherches historiques, on avait préféré traduire le verset par « Et si on lui dit : “Que sont donc ces blessures sur ton corps ?” il répondra : “Celles que j’ai reçues chez ceux qui m’aiment” ».54 Les éditions compactes suivantes ajouteraient une note invitant à y voir ou bien une coutume prophétique d’auto-lacération, ou bien une allusion à des rixes entre amis55 — là où des siècles de tradition textuelle, depuis la Septante et la Vulgate, avaient maintenu la traduction littérale « au milieu de tes mains » pour l’hébreu bén yādêkā, qui constituait une évidente prophétie christologique de la croix : « Alors on lui dira : D’où viennent ces plaies que vous avez au milieu des mains ? Et il répondra : J’ai été percé de ces plaies dans la maison de ceux qui m’aimaient. »56 Claudel était catégorique : « C’est un véritable faux dans une matière d’une telle gravité ! Et qui donne une triste idée du reste de l’ouvrage. »57
La sévérité du poète trouva un écho chez des esprits aussi ouverts que le patrologue jésuite Jean Daniélou,58 et le grand théologien dominicain (et soutien du Père Chifflot) Yves Congar qui déplorèrent également le manque de sens mystique et de référence christologique de ces premiers fascicules, assurant que la typologie messianique de la Bible permet seule de saisir sa « véritable signification ».59 Au sein même du Comité directeur, Henri-Irénée Marrou affirmait qu’« une traduction vraiment catholique de l’Écriture doit mettre entre les mains du peuple fidèle non pas le texte tout nu, mais comme enrobé dans la tradition ».60 Lorsqu’il rendit son verdict sur le Psautier de Tournay, il rappela que « la nécessité de ne pas détruire le Psautier de tous les jours, celui sur lequel depuis tant de siècles l’Église prie et médite, devrait rendre infiniment prudent ».61 Au fondement de cette tradition, Marrou était sensible à ce qu’on appelle aujourd’hui l’exégèse intra-biblique : à la suite des Pères de l’Église, il souligna à l’envi la nécessité de lire la Bible comme un tout et de mettre le plus possible en valeur les liens intertextuels entre les deux Testaments. Selon lui un lecteur chrétien n’a pas à lire l’AT en historien essayant de se replacer dans la mentalité des premiers lecteurs juifs : « L’usage que le N.T. a fait d’un passage colore pour nous ce passage lui-même. »62
Il alla même jusqu’à réclamer que l’on modifie la traduction du Ps 110 (V-Ps 109), pour le rendre conforme à la doctrine sur la Trinité : « Quant au fameux v.3, je ne consens pas facilement à sacrifier le genui te, une des bases de la théologie trinitaire, et adopterais les corr. modérées du Ps. Pianum. »63
Dans la lettre du 6 juin 1949, il protesta de la même manière contre le silence sur l’identification patristique de la chute de Satan en Ez 28,12-14 comme s’il s’était agi d’une signification purement adventice : « N’est-ce pas un des passages où le sens plénier, directement inspiré déborde, même pour une exégèse non claudélienne, l’application
première : la description débordante de lyrisme faite de ce petit Ishtobaal II n’implique-t-elle pas qu’il s’agit de plus que d’un simple roi de Tyr ? »64
Le facteur commun à ces limites : l’oubli du langage Il est émouvant de constater que ce débat entre le Comité directeur de La Bible de Jérusalem et les littéraires qu’il avait conviés rejouait la dispute entre Augustin et Jérôme, à quinze siècles de distance.65 On est également frappé des tensions entre le penseur et le poète, la science et la littérature, la modernité et la tradition qui apparaissent dès les documents fondateurs et les discussions originelles du projet. Ce que les disciples de Hans-Georg Gadamer appellent aujourd’hui l’oubli du langage — c’est-à-dire la négligence du « lien essentiel de la pensée à la texture préalable du langage » et de « l’incarnation toujours rhétorique du sens »,66 dont découle la nécessité de
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Gélin Albert (trad.), Aggée, Zacharie, Malachie (La sainte Bible), Paris : Cerf, 1948, 54. P. ex. La Bible de Jérusalem, Paris : Cerf, 2000, 1653 n. g. La Bible, traduction de Lemaître de Sacy (Bouquins), Paris : Laffont, 1990, 1188. Cf. aussi la King James Version : « And one shall say unto him, What are these wounds in thine hands? Then he shall answer, Those with which I was wounded in the house of my friends. » Paul Claudel écrivit une autre lettre au P. Maydieu le 3 mai 1949, publiée dans Dieu vivant 14 (1949) 78-81, et dans J’aime la Bible, Paris : Fayard, 1955, 62-67. Daniélou Jean, Recension de Aggée, Zacharie, Malachie, traduits par A. Gélin, Études 259 (1948), 407-408. Congar Yves, « L’Ancien Testament, témoin du Christ », La vie intellectuelle 17 (1949), 334-343, ici 342-343. Marrou, « 6 juin 49 », op. cit. (n. 15), 1. Dans sa « Note sur le livre des Psaumes », op. cit. (n. 18), il s’indigne en ces termes des libertés prises avec le Ps 110(109) : « Je suis heureux que vous me donniez l’occasion d’exhaler ma (légitime ?) indignation : ce Ps. est un de ceux qui m’ont le moins satisfait ; je trouve que le P. Tournay s’est comporté avec lui comme s’il s’agissait d’un texte inédit qu’il venait de découvrir en quelque papyrus et non d’un des textes les plus vénérables, polis et patinés par tant de siècles de tradition. » Marrou, « Note sur le livre des Psaumes », op. cit. (n. 18). Marrou, « Le Curtillard », op. cit. (n. 16), 2. Origène prétend qu’avant l’incarnation du Verbe, il était quasi impossible de donner des exemples clairs de l’inspiration des Écritures : elle ne fut vraiment évidente qu’une fois les Écritures accomplies par Jésus (→Origène Princ. 4,1,6-7). Marrou, Remarques « Sur le Ps 110 Dixit Dominus » attachées à « Le Curtillard », op. cit. (n. 16). Marrou, « 6 juin 49 », op. cit. (n. 15), 1. Augustin refusa la traduction de Jon 4,6 par Jérôme — quoiqu’elle fût plus exacte — pour des raisons pastorales : ne pas scandaliser des oreilles habituées à entendre et méditer la Septante (→Ep. 82,35 [CSEL 34,386]). Grondin Jean, « L’universalité de l’herméneutique et de la rhétorique : ses sources dans le passage de Platon à Augustin dans Vérité et méthode », Revue internationale de philosophie 54 (2000) 469-485, ici 475. L’« oubli du langage » est une question posée non seulement aux métaphysiciens et aux théologiens, mais encore aux biblistes. La Parole de Dieu n’est pas une simple communication d’idées. C’est avec Paul Beauchamp, en particulier, que les exégètes ont vraiment commencé à se ressouvenir du langage : l’Esprit n’est trouvé que si la lettre n’est point esquivée, aimait-il dire (voir son traitement de la figure biblique comme « entre-deux » dans Beauchamp Paul, Le Récit, la lettre et le corps : essais bibliques [Cogitatio fidei 114], Paris : Cerf, 1982, en particulier le chapitre ii).
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prêter attention à la tradition interprétative — fut certainement à l’œuvre dans toute l’entreprise. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. »67 La culture des dominicains impliqués dans le projet était certainement néoclassique, héritée des « Humanités » et des classes de rhétorique dont le système scolaire de l’époque pouvait encore s’enorgueillir. Leur vision de la parole et de la communication littéraire était quelque peu conceptualiste et idéaliste, surestimant la valeur de la clarté et dissociant trop le « fond » de la « forme », celle-ci apparaissant comme accidentelle, ce qui conduisait à privilégier la recherche du sens littéral, le plus souvent réduit à un sens originel reconstitué. Conservées dans les archives, les traces des collaborations avec les « bons auteurs » recrutés par le Comité directeur confirment cette tendance : de toute évidence, les universitaires furent plus écoutés que les poètes, et les philosophes (Gilson) plus que les littéraires (Marrou). Les dominicains préférèrent la posture « scientifique » du premier à la vigilance « sage » du second. L’orientation néoclassique du Comité directeur apparaît dans la distinction un peu trop nette entre forme et signification présente dans les premiers documents de travail. On la sent dans le choix de la belle langue opéré pour la traduction. On la trouve dans l’un des buts revendiqués par le Père Benoit pour l’œuvre à réaliser : « libérer le lecteur de l’habitude de demander à l’Écriture des leçons qu’elle n’a jamais voulu donner, ou du dégoût que peut lui inspirer la forme souvent archaïque ou dépassée sous laquelle elle donne ses enseignements ».68
Conçue comme une information ou comme un commentaire doctrinal, l’annotation ne risquait-elle pas d’éloigner indûment la pensée du langage et le sens de son support verbal ? La sous-estimation du langage apparaît dans la théologie de l’inspiration des Écritures dont le même Père Benoit fut d’ailleurs l’un des principaux artisans.69 Marqué, en bon dominicain, par le traité sur la prophétie de la Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin repris par Léon XIII dans l’encyclique Providentissimus,70 il demeura fasciné par l’aspect psychologique de l’inspiration, et s’attacha presque exclusivement à ce que nous appelons aujourd’hui l’inspiration subjective. Pour tomber d’accord avec un Marrou, il aurait fallu réfléchir plus longuement à l’inspiration objective des textes — notion encore peu étudiée, même à notre époque.71 Avec le recul du temps, on peut donc dire que la situation herméneutique de La Bible de Jérusalem était paradoxale. Certes, on avait redécouvert la complexité d’autorités humaines impliquées dans l’autorité divine des Écritures — et cela aurait dû pousser à privilégier la dimension poétique et polyphonique de la Bible, ainsi qu’à donner tout son poids à l’histoire de leur réception condensée dans la Tradition. Cependant, dans les années 1940, le « tournant linguistique » que la pensée occidentale était en train de prendre dans le monde anglophone n’avait pas encore atteint le continent, et moins encore les études bibliques.
II. Préhistoire de La Bible en ses Traditions 1. Une réflexion herméneutique continue Le point de départ En septembre 1999, le P. Claude Geffré, alors directeur, organisa à l’École biblique un colloque scientifique sur l’état de l’exégèse catholique, soixante ans après la mort du Père Lagrange (1855-1938). Durant l’une des séances on évoqua l’avenir de La Bible de Jérusalem. On l’avait révisée, profondément lors de la seconde édition, partiellement lors de la troisième édition. On pouvait continuer d’apporter ici et là des améliorations de détail, au fur et à mesure des réimpressions (c’est le cas actuellement). Cependant, ne devenait-il pas urgent de prendre en compte dans la présentation même de la Bible les transformations subies par l’exégèse durant les dernières décennies ? Du côté des documents, la découverte des manuscrits de la mer Morte forçait à repenser les rapports entre les grandes versions de la Bible et relativisait quelque peu la quête critique du texte original. Du reste, Dominique Barthélemy avait souligné l’évolution de La Bible de Jérusalem, en ce qui concerne l’établissement du texte, qui conduisait les exégètes à une plus grande humilité au fil des éditions. Tandis qu’en 1956, on prétendait que leur travail donnait accès aux « vrais textes », dès 1973 « les perspectives [étaient devenues] moins ambitieuses » : on traduisit le texte hébraïque, et les versions ne furent utilisées qu’en cas de nécessité.72 Un pas de plus dans la même direction était sans doute requis. Du côté des monuments, les travaux des nouveaux archéologues israéliens entraînaient la remise en question non seulement des datations habituellement admises des traditions du Pentateuque, mais aussi de la représentation courante des origines d’Israël. S’y ajoutait le renouveau de l’herméneutique contemporaine, restaurant en particulier la place du lecteur dans la définition
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Nicolas Boileau (1636-1711), Art poétique, Chant 1, v.111-112, cité sur Collinet Jean-Pierre (éd.), Boileau : Satires, Épîtres, Art poétique (Poésie/ Gallimard 195), Paris : Gallimard, 1985. Benoit, « The Jerusalem Bible », op. cit. (n. 10), 342. Cf. P. Benoit, notes dans Synave Paul et Benoit Pierre (éd.), La Prophétie. Traduction française (Saint Thomas d’Aquin: Somme théologique 2a-2ae, questions 171-178), Paris : Revue des Jeunes, 1947, 286-293, 302-305 ; « L’inspiration », dans Robert André et Tricot Alphonse (éd.), Initiation biblique, Paris : Desclée, 1954, 6-45 ; « Note complémentaire sur l’inspiration », Revue biblique 63 (1956) 416-422. Cf. Burtchaell James Tunstead, Catholic Theories of Biblical Inspiration since 1810: A Review and Critique, Cambridge : Cambridge University Press, 1969, 234-237. Cf. Martin François, Pour une théologie de la lettre. L’inspiration des Écritures (Cogitatio fidei 196), Paris : Cerf, 1996. Cf. Barthélemy Dominique, Critique textuelle de l’Ancien Testament, vol. 2 : Isaïe, Jérémie, Lamentations (OBO 50), Fribourg : Éditions universitaires, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1986, 7.
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du sens du texte — et, par là, l’importance de l’histoire de la réception dans l’étude des œuvres littéraires, dont l’exégèse ne pouvait que bénéficier. N’était-il pas désormais acquis que le présent de l’énonciation de l’histoire d’Israël et de la mise par écrit des traditions n’a cessé de prêter sa lumière et ses intérêts au passé qu’il fallait garder vivant et inspirant ? La Tradition ne pouvait certes plus être considérée comme un phénomène succédant à l’Écriture : elle apparaissait de plus en plus comme une dynamique qui l’accompagne. Au finale, ne convenait-il pas de repenser profondément le modèle même de l’édition de la Bible, en particulier dans le contexte catholique, et cela dans l’esprit œcuménique requis par la redécouverte de la nature plurielle du texte biblique ? La formidable réussite que fut — et que demeure — La Bible de Jérusalem ouvrait donc un large espace pour l’enrichissement de l’édition biblique. Sans passer du tout-histoire au tout-littérature, il fallait en particulier rendre sa place au conditionnement linguistique de la révélation à travers les Écritures. Il faudrait pour cela que les traducteurs bibliques s’appropriassent la liberté retrouvée par la langue française moderne et contemporaine, en dialogue avec l’idéal classique (et non plus soumise à lui). Il faudrait qu’ils en jouassent non pour « s’emparer de la Bible » en faisant montre d’originalité à tout prix, mais à l’inverse, en la combinant avec un souci constant de vérité philologique, exégétique et théologique, pour être les plus fidèles possibles aux médiations linguistiques, littéraires et poétiques de la révélation, déployées par les traditions croyantes — bref, pour être par leur science, les témoins de la bienveillance du Dieu vivant qui a laissé à l’humanité la trace écrite du passage de son Verbe.73 L’École biblique a donc entrepris d’ouvrir un nouveau chantier, dont le titre de travail fut d’abord « La Bible de Jérusalem en ses Traditions », avant de devenir plus simplement « La Bible en ses Traditions ». Dans ce cadre, elle a organisé et publié une série de colloques consacrés aux questions exégétiques, théologiques et herméneutiques. Ce furent autant d’occasions pour les professeurs de l’École d’entrer en contact avec des collègues du monde entier et de les intéresser au projet scientifique en gestation. L’autorité de l’Écriture (2000-2001) Il s’agit en fait de deux colloques successifs dont les Actes ont été publiés en un seul volume : L’autorité de l’Écriture.74 L’objectif était de clarifier les rapports entre écriture et tradition, au sens actif des deux termes (la tradition se fait écriture), puis le rapport entre Écriture et Tradition au sens de commentaire, de réception, de constitution d’un livre qui fait autorité. Cela aussi bien à haute époque (les siècles patristiques d’où émergent le canon des Écritures et les grands commentaires théologiques) qu’aux temps récents (renouveau biblique et patristique aboutissant à la constitution dogmatique Dei Verbum lors du concile Vatican II). L’Écriture s’avéra plus contemporaine de la Tradition qu’on n’avait pu le penser, leurs rapports relevant davantage d’une véritable synergie que d’une succession chronologique de deux
entités étrangères l’une à l’autre. La tradition orthodoxe souligne la valence pneumatique de ce processus qui n’a rien de statique, ne se cantonne pas au texte mais veut transmettre une Parole vivante, sans oublier la dimension ecclésiale et liturgique de cette tradition active. Alors que le mot dans son acception banale semble évoquer le passé, la Tradition redit au présent ce passé en lequel elle perçoit des germes d’avenir. Rien d’étonnant à ce que Tradition et liturgie eucharistique soient si étroitement liées. La redécouverte des différentes traditions de l’Église ancienne fait émerger une autre donnée capitale : ce n’est pas seulement du côté de la Tradition qu’il y a du pluriel, mais bien aussi du côté du texte lui-même. L’intérêt pour la tradition syriaque s’inscrit dans cette perspective, tout comme le renouveau de l’étude de la Septante et son impact sur les relations entre le texte massorétique et les textes grecs de l’AT, et leur réception dans le NT. Kérygme et récits se sont cristallisés dans et pour des communautés diverses, dont les textes attestent par leurs variantes l’unicité de l’événement christologique dans la diversité de ses réceptions. La Bible, le Livre et l’histoire (2005) À l’occasion du 150e anniversaire de la naissance du P. Lagrange, l’École biblique a organisé un nouveau colloque, auquel une manifestation semblable a fait écho à Toulouse.75 Il a permis de mieux percevoir les intuitions prophétiques du fondateur de l’École biblique. Le P. Lagrange tâchait en effet de tenir ensemble une profonde information historique et une perspective théologique inspirée du meilleur de la patristique et des enseignements de saint Thomas d’Aquin. Le fondateur d’une École qui allait s’adonner à l’étude de l’archéologie et de l’histoire, commençait, dans sa conférence inaugurale du 15 novembre 1890, par faire longuement l’éloge de la lecture des Pères. Lucide, il osait parler, à la fin du 19e siècle, d’un zèle « presque excessif pour l’histoire » et entrevoyait déjà ce que les études contemporaines allaient souligner : la Bible n’est pas une banque de données mais bien un récit, une écriture, où se croisent et se répondent des voix multiples qui sont parfois en tension les unes avec les autres. La conception de l’histoire biblique ne peut qu’en être affectée, l’annotation et le commentaire aussi. La perspective théologique ou spirituelle ne relève pas d’une simple démarche post-rédactionnelle, elle fait souvent partie de l’écriture même
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Bien sûr, on entend « trace » ici, non pas au sens d’un résidu dérisoire, mais au sens derridéen du terme : c’est « l’origine absolue du sens en général » qui subsiste en ces écrits (Derrida Jacques, De la grammatologie, Paris : Minuit, 1967, 95). Poffet Jean-Michel (dir.), L’autorité de l’Écriture (Lectio divina. Hors série), Paris : Cerf, 2002. Poffet Jean-Michel (dir.), La Bible : le livre et l’histoire. Actes des Colloques de l’École biblique de Jérusalem et de l’Institut catholique de Toulouse (nov. 2005) pour le 150e anniversaire de la naissance du P. M.-J. Lagrange, O.P. (Cahiers de la Revue biblique 65), Paris : Gabalda, 2006.
La Bible en ses Traditions
des textes, y compris de ceux que l’on avait qualifiés d’« historiques ». La conséquence est claire : il ne s’agit pas de choisir entre une lecture historico-critique et une lecture dite spirituelle des textes, mais bien de mettre en œuvre une herméneutique ajustée à des textes qui sont enracinés dans l’histoire, inspirés dans le mode concret de leur rédaction et inspirants par la Tradition qui les accompagne. Le sens littéral (2007) Dans ces conditions, que devient le « sens littéral » de l’Écriture, et plus largement le sens littéral d’un texte ? Le plus récent colloque réuni à l’École dans le cadre de La Bible en ses Traditions76 a fait dialoguer des spécialistes de nombreuses disciplines : littératures de l’Orient ancien, de l’AT et du NT, lectures patristiques et médiévales, réception littéraire moderne et contemporaine de la Bible (en particulier celle de Paul Claudel qui a consacré une grande partie de son œuvre à commenter l’Écriture, se montrant sévère pour la critique biblique de son temps). L’herméneutique contemporaine, dans la mesure où elle permet de restaurer les droits de la théologie dans la pensée sur le langage, pourrait bien permettre de redéfinir l’opposition entre « sens littéral » et « sens spirituel », en abandonnant l’équivalence trop simple entre sens littéral et sens historique originel, promue naguère par les modernes — sans pour autant basculer dans l’identification trop facile du sens littéral avec le jeu de sens indéfini promue aujourd’hui par les post-modernes. La redécouverte des fonctions poétique, expressive et métalittéraire de la parole invite à faire toute sa place à la polysémie du texte, y compris dans une exégèse soucieuse du référentiel historique. Il faut donc envisager les différentes approches possibles de l’Écriture en termes de complémentarité et non de concurrence. Une annotation diversifiée (portant sur le texte, sur le contexte et sur la réception) devait servir ce dessein. C’est vers la fin de cette période qu’un hommage rendu à dom Henry Wansbrough o.s.b., artisan principal de la seconde édition de La Bible de Jérusalem en anglais (The New Jerusalem Bible) fut pour nous l’occasion d’exhumer les archives de La Bible de Jérusalem à Paris à l’ancien siège des éditions du Cerf — et d’en sauver une partie, puisqu’elles semblent avoir été perdues lors des déménagements survenus depuis — et à l’École, à Jérusalem.77 Nous fûmes heureux de constater alors que la problématique de La Bible en ses Traditions était dans la droite ligne de celle de La Bible de Jérusalem. Comme on le souhaitait depuis le départ, le nouveau projet accomplissait bien l’ancien.
travail. Deux ans plus tard, le 26 novembre 2004 une réunion rassemble à Paris vingt-six possibles collaborateurs. Étaient représentés le Canada, l’Argentine, les États-Unis, la Belgique, la Suisse et l’École biblique de Jérusalem. Les participants en ressortent persuadés de l’intérêt du projet et effrayés par la complexité de sa mise en œuvre ! Le lendemain, une réunion restreinte décida de réaliser un « volume de démonstration », réunissant plusieurs échantillons de différents livres du corpus biblique. Ce fut le point de départ du présent ouvrage. Expérimentations À l’École biblique de Jérusalem, parallèlement à l’intense réflexion théorique et théologique, diverses expérimentations avaient lieu, certaines sous formes de cours et de séminaires, en vue d’élaborer un modèle d’édition de la Bible qui correspondît à l’état actuel des sciences bibliques. On tenta plusieurs expériences de traduction et d’annotation sur des textes bibliques. Étienne Nodet et une petite équipe s’exercèrent au commentaire d’un psaume et d’une péricope de l’épître aux Philippiens. Justin Taylor se pencha sur la première épître de Pierre. Christophe Rico et Jean-Michel Poffet se lançaient dans une nouvelle traduction de l’Évangile selon Jean. On prit le temps aussi d’élaborer les instruments de travail nécessaires. J. Taylor a défini la position de La Bible en ses Traditions à propos des textes à traduire. Ch. Rico et OlivierThomas Venard ont engagé une réflexion fondamentale sur le caractère littéraire de la Bible et le type de traduction voulu. Marcel Sigrist, É. Nodet et O.-Th. Venard ont mis au point les premiers éléments de la grille d’annotation. L’équipe-pionnière, sur la Passion selon Matthieu À partir de 2004, O.-Th. Venard et Bieke Mahieu, rejoints peu à peu par une quarantaine de spécialistes volontaires (dont des patrologues, des spécialistes d’études juives, des théologiens, des littéraires et des historiens de l’art), ont lancé le projet en « grandeur nature » à partir du premier évangile. Leur travail sur la Passion selon Matthieu (Mt 26-28), en voie d’achèvement, a permis d’affiner les techniques de collaboration, la grille d’annotation, la définition scientifique des contenus des divers types de notes envisagés, ainsi que de répondre à de nombreuses questions techniques de détail. Vers le programme de recherches Parallèlement, on fit connaître le projet aux mondes ecclésiastiques et universitaires. Les chercheurs de l’École impliqués dans le projet le présentèrent dans plusieurs centres d’études institutionnels (monastères et séminaires) où ils étaient
2. Une longue gestation : du projet éditorial au programme de recherches (1999-2008) Un projet éditorial ? Le maître de l’Ordre des Prêcheurs, le P. Carlos Alfonso Aspiroz Costa, déclare dès 2002 voir dans La Bible en ses Traditions un projet pour tout l’Ordre. En décembre 2002, les dirigeants des éditions du Cerf viennent à l’École pour un week-end de
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Venard Olivier-Thomas (dir.), Le sens littéral des Écritures [Actes du colloque international, Jérusalem, École biblique et archéologique française, 28-30 novembre 2007] (Lectio divina. Hors série), Paris : Cerf, 2009. Cf. supra (n. 5).
Histoire du projet
invités à enseigner. Plus formellement, le directeur de l’École, J.-M. Poffet, le présente en France (École pratique des hautes études ; Association catholique française pour l’étude de la Bible ; École normale supérieure), en Italie (congrès paulinien international à l’Abbaye de Saint-Paul-hors-les-Murs, Rome) et en Argentine (Sao Paulo et Buenos Aires). J. Taylor le présente à l’Université hébraïque de Jérusalem ; O.-Th. Venard à l’Institut d’études théologiques de Bruxelles. Les États-Unis ne furent pas oubliés. Après diverses informations plus modestes (article de revue ou exposé informel),78 O.-Th. Venard, J. Taylor, rejoints par M. Sigrist et Gregory Tatum présentèrent officiellement The Bible in Its Traditions durant la session d’été de la Catholic Biblical Association of America, en août 2006 à Chicago. Plusieurs collègues américains manifestant leur désir de prendre part au projet, l’essai est transformé dans les années suivantes sous forme d’un continuing seminar animé par le Comité éditorial de La Bible en ses Traditions au cours des sessions d’été de la CBA. Le Comité éditorial Toutes ces rencontres permirent de persuader de premières équipes à se lancer dans l’aventure, au moins à titre expérimental, et à produire des péricopes bibliques selon notre « modèle ». Pendant deux années, une cinquantaine de collaborateurs de plusieurs pays proposèrent ainsi leur expertise, en vue de réaliser un « volume de démonstration », dont le présent ouvrage est le résultat. Les premières contributions ne tardèrent pas à arriver. Pour les apprécier, le Conseil académique de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem établit, à partir de 2005, un Comité éditorial composé des membres de l’École biblique travaillant directement sur La Bible en ses Traditions. Présidé par Justin Taylor et servi par un secrétaire-archiviste (Marc Leroy), il se réunit plusieurs fois par mois, chacune de ses rencontres donnant lieu à un compte rendu formel, voté et archivé. Sa première tâche fut de formaliser le mieux possible les procédures à suivre dans la traduction et l’annotation du texte biblique. Il le fit en appréciant et en enrichissant les voies ouvertes par l’équipe-pionnière au travail sur l’Évangile selon Matthieu. En résulta le Vade-mecum, publié simultanément en français et en anglais en 2006.79 Le Comité éditorial est au travail depuis lors. Aujourd’hui dirigé par Łukasz Popko, composé de M. Leroy, A. Tavardon, Jorge Vargas, et O.-Th. Venard, aiguillonné par B. Mahieu, recrutée en 2016 comme assistante générale du projet, élargi à d’autres membres de l’École et à des spécialistes extérieurs selon les besoins, il se réunit entre deux et quatre fois par mois pour travailler une heure et demie durant sur les contributions proposées par les chercheurs affiliés au programme. Les chercheurs qui viennent en séjour à Jérusalem pour le programme sont systématiquement reçus.
Jérusalem d’abord envisagée, mais bien un nouveau programme de recherches, ouvert pour de longues années. Contrairement à La Bible de Jérusalem qui avait enregistré a posteriori dans les années 1940-1950 des décennies d’exégèse moderne dans l’Église, La Bible en ses Traditions s’avère pionnière : l’exégèse différentielle (comparant les versions bibliques) et l’histoire de leur réception multiforme en sont encore à leurs débuts. Plusieurs personnalités éminentes nous encouragèrent dans ce projet si ambitieux pour la culture et pour la foi, en nous accordant leur patronage. Plusieurs d’entre eux sont aujourd’hui décédés, mais ce que leurs noms symbolisent d’intelligence critique et de charité intellectuelle reste une source d’inspiration constante pour nous. Pour les lettres et les arts – M. Pierre Assouline, membre de l’Académie Goncourt, – Mme Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française, – M. †Jean Leclant, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, – S.E. le cardinal †Jean-Marie Lustiger, de l’Académie française, – M. le professeur Jean-Luc Marion, de l’Académie française, – M. le professeur †Alain Michel, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, – M. Dominique Ponnau, ancien directeur de l’École du Louvre. Pour les Églises – Mgr Éric Aumônier, évêque de Versailles, – S.E. le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, primat des Gaules, – R.P. Bruno Cadoré, o.p., maître de l’Ordre des Prêcheurs, – Rev. Prof. Dr. James Charlesworth, Princeton Theological Seminar, – S.E. Mgr †Christodoulos, archevêque d’Athènes et de toute la Grèce, – S.E. le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, – S.E. le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux,
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Le Comité d’honneur Au fil de notre travail, il devint clair que La Bible en ses Traditions ne serait pas la simple révision éditoriale de La Bible de
Ainsi Marcel Sigrist présente le projet dans le cadre de plusieurs universités américaines. O.-Th. Venard en expose les grandes lignes à Washington DC (Dominican House of Studies ; John Paul II Cultural Center) et publie « “La Bible en ses Traditions”, The New Project of the École biblique et archéologique française de Jérusalem Presented as a “Fourth-Generation” Enterprise », Nova et Vetera : English edition 4/1 (2006), 142-159 (symposium au sujet de l’ouvrage de Johnson Luke Timothy and Kurz William S., The Future of Catholic Biblical Scholarship: A Constructive Conversation, Grand Rapids MI : Eerdmans, 2002). Comité éditorial, La Bible en ses Traditions : Conventions & abréviations. Vade-mecum à l’usage des contributeurs au volume de démonstration, et The Bible in Its Traditions: Conventions and Abbreviations. Vade-mecum for the Use of the Contributors to the Demonstration Volume, Jérusalem : EBAF, 2006.
La Bible en ses Traditions
– M. le professeur †Paul Ricœur. – S.B. Mgr Fouad Twal et S.B. Michel Sabbah, patriarches latins émérites de Jérusalem, – S.E. le cardinal André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris. Dans le monde – M. le professeur Pierre-Maurice Bogaert o.s.b., pour la Belgique, – Mme Ruth Dreifus, ancienne présidente de la Confédération, pour la Suisse, – M. Jean Guéguinou, ambassadeur, pour la France, – S.E. le cardinal †Carlo Maria Martini s.j., pour l’Italie, – R.P. Carlos Mesters o.carm. (Centro de Estudos Bíblicos), pour le monde lusophone, – R.P. Timothy Radcliffe o.p., ancien maître de l’Ordre des Prêcheurs, pour le monde anglophone, – M. le professeur José Manuel Sánchez Caro (Université pontificale de Salamanque), pour le monde hispanophone, – M. le professeur Adrian Schenker o.p., pour le monde germanophone, – S.E. le cardinal †Jean-Claude Turcotte, archevêque de Montréal, pour le Canada. Le « volume de démonstration » Dès 2006, le Comité éditorial s’est engagé dans une relecture systématique et très détaillée des propositions envoyées par les collègues. Au long de séances de travail avec un ou plusieurs membres du Comité éditorial, ou au fil d’échanges électroniques, un dialogue fécond s’établit avec la plupart des contributeurs, permettant d’assurer la cohérence herméneutique de l’ensemble du travail, tout en adaptant le modèle général aux problèmes propres aux divers corpus représentés dans le volume. Les éditions du Cerf traversaient de graves difficultés et ne souhaitèrent pas accompagner ce qui était désormais un programme de recherches et non plus une simple revision de La Bible de Jérusalem. L’École biblique choisit d’éditer elle-même le volume de démonstration du programme, imprimé pro manuscripto par la maison Peeters, à Louvain (Belgique), en 2010, et offert à tous les abonnés de la Revue biblique. C’est ce livre qui a servi de base au présent ouvrage. La Bible en ses Traditions existait enfin comme un livre consultable ! Présenté au pape Benoît XVI en 2010, il nous valut en novembre de cette année-là sa bénédiction pour tous les collaborateurs du projet. 3. La construction d’indispensables outils informatiques Une plateforme collaborative unique Depuis les premières expérimentations et au long du travail préparatoire au volume de démonstration, on s’était bien rendu compte que le projet allait prendre une ampleur difficilement compatible avec les contraintes de l’édition imprimée traditionnelle. Il fallait envisager une édition informatique.
La Providence vint à notre aide en envoyant fr. Kevin Stephens, dominicain de la Province centrale des États-Unis (Chicago), étudier les sciences bibliques à l’École. Programmeur de génie, fr. Kevin — dès qu’il eut vent du projet de La Bible en ses Traditions — se mit à élaborer un outil adéquat. En lien avec le Comité éditorial, il réalisa beaucoup plus qu’un site d’édition : il transforma les outils mis au point par le Comité éditorial pour la traduction ou l’annotation, en un véritable programme interactif permettant aux savants de travailler directement en ligne et de s’organiser en laboratoires autonomes. Aujourd’hui, bibletraditions.org est une plate-forme collaborative numérique unique au monde. Un blog officiel Quelques années plus tard (en 2014), Gad Barnéa, développeur israélien, offrit à La Bible en ses Traditions un blog, devenu le principal outil de communication globale de notre projet. Il en assure la maintenance technologique, tandis qu’O.-Th. Venard en actualise les contenus deux ou trois fois par semestre, générant des lettes d’informations envoyées à plusieurs centaines d’universitaires et d’amis de La Bible en ses Traditions, ainsi tenus au courant des développements en cours.
III. Histoire de La Bible en ses Traditions : les dix premières années (-) L’existence d’un livre concret et la mise en service d’outils informatiques performants permettaient au projet de démarrer vraiment. 1. Un développement scientifique tripartite Au fil de son développement, la production de La Bible en ses Traditions s’est structurée autour de trois axes, qui correspondent à des degrés de précision scientifique et à des rythmes de travail différents. Axe 1 : les laboratoires de recherche Il s’agit du programme de recherches à proprement parler qui se déroule entièrement sur la plateforme bibletraditions.org, qui permet de travailler ensemble de n’importe où dans le monde. La plateforme se décline en français, en anglais et en espagnol, les contributeurs choisissant une de ces langues. Une fois connecté à son compte personnel, chaque collaborateur intervient dans son domaine de compétence, pour enrichir : • les traductions des différentes versions des textes bibliques eux-mêmes suivant les options rappelées infra (p. XXX) ; • l’annotation systématiquement répartie dans trois registres principaux : texte, contexte et réception, divisés dans une trentaine de rubriques, selon le modèle expliqué infra (p. XXX). Environ trois cents chercheurs sont au travail, à des degrés d’implication divers : certains se sont constitués en équipes dédiées à tel ou tel livre (une dizaine de livres sont ainsi en
Histoire du projet
chantier). D’autres, notamment pour l’histoire de la réception dans les arts et les lettres ou les sciences théologiques, interviennent individuellement dans la ou les rubriques d’annotation correspondant à leur domaine d’expertise. Des laboratoires s’ouvrent, livre biblique par livre biblique, au fur et à mesure que des collaborateurs nous rejoignent. Axe 2 : une Bible de base Pour exister, nos laboratoires en ligne ont besoin d’un texte biblique de base, qui serve de canevas aux savants : verset par verset, ils en reprennent toute la traduction et le commentaire. Pour catalyser leur avancée minutieuse, nous produisons au bureau de Jérusalem, à plus grands traits et à un rythme plus soutenu, une nouvelle Bible de référence qui présente déjà dans notre espace de travail : • une traduction moderne et polyphonique du texte biblique, identifiant les principales différences entre les versions traditionnelles (hébraïque, grecque, latine et syriaque) ; • un apparat de notes de philologie inspirées par le travail de retraduction, et d’histoire de la réception (traditions juives et chrétiennes, histoire de l’art) issues du dépouillement systématique de ressources de qualité disponibles sur internet ; • des introductions réunissant l’essentiel à savoir sur les plans historiques et exégétiques, et une approche de l’histoire de la réception littéraire de chaque livre ; • un ensemble de notes de synthèse des points importants à traiter en lien avec le texte même de l’Écriture. Cet axe du projet permet en outre de proposer à de jeunes universitaires une expérience de recherche unique à Jérusalem, puisque c’est à eux, sous la vigilance du directeur du programme et de son assistante générale, qu’est confié le plus gros de ce travail de refonte d’une Bible de référence. En français, le travail, bien avancé, va continuer pendant quelques années, le temps d’intégrer toutes les variantes significatives du Pentateuque samaritain, de la Septante et de la Peshitta, d’harmoniser les choix de traductions et d’améliorer introductions et notes.80 En anglais, notre collaborateur bibliste et programmeur Gad Barnéa a mis au point une véritable « polyglotte anglaise », en créant un robot — baptisé « Jérôme » ! — à base d’intelligence artificielle et d’analyse comparée de la grammaire. Jérôme a ainsi combiné en une polyglotte de référence les traductions libres de droit du texte massorétique (Jewish Publication Society of America, 1917), de l’Hexateuque samaritain (A. Sigalov, 2012), de la Septante (L. C. L. Brenton, 1851), de la Vulgate (R. L. Conte Jr, 2009), de la Peshitta (G. Lamsa, 1933), du Textus receptus (King James Version), de Westcott-Hort & Tregelles, « ancêtre » de Nestle-Aland (ASV, 1901) et du texte byzantin (P. W. Esposito, 2013). En espagnol, cet axe est encore à déployer, nous n’offrons dans les laboratoires que la traduction Reina Valeira. Axe 3 : les propositions faites au grand public Héritière de La Bible de Jérusalem, même si elle est au stade actuel plus un programme de recherches qu’un projet éditorial,
La Bible en ses Traditions veut quand même remplir la mission de diffusion des sciences bibliques auprès du grand public qui est celle des dominicains de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem depuis sa fondation. À cette fin, deux anciens assistants au projet, Hélie Brouchet et Nicolas Chatain — tous deux étudiants de l’HEC en majeure « entrepreneuriat » — ont établi en 2016 un bureau parisien, chargés de créer des propositions à destination grand public. Au terme d’une longue enquête de terrain, ils ont lancé une proposition visant prioritairement le public qui ne lit jamais la Bible. Aidés par le cabinet Made4U pour le design et par Thibault Boullenger pour la mise en place du système de gestion, d’analyse et d’adaptation permanente aux attentes des lecteurs, dès la fin 2016 ils lançaient « PRIXM », newsletter biblique hebdomadaire. Hélie ayant déménagé en province, Tanguy Dionis du Séjour assura une mission de conseil durant quelques mois, et Valentine Dehont apporte désormais à l’équipe un souci de précision et d’efficacité sans pareil. « PRIXM » diffuse aujourd’hui les contenus et l’esprit de La Bible en ses Traditions à plus de 100 000 personnes. 2. La multiplication des collaborations De nombreux collaborateurs nous ont rejoints. En voici un aperçu non exhaustif. Institutions Dès le début de l’aventure, plusieurs collègues de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique) ont apporté leur expertise. Un agreement a également été signé avec Liverpool Hope University (Royaume-Uni) et avec l’Université catholique de Lublin (Pologne). Nous avons également noué des liens avec le Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CESCM) de Poitiers, 2016. À Paris, des accords ont été signés avec l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, les universités de Paris 1-Panthéon Sorbonne, et de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3 ainsi qu’avec l’École pratique des hautes études. Diverses collaborations nous lient avec le CNRS, en particulier le rattachement de plusieurs membres de La Bible en ses Traditions au Laboratoire des études sémitiques anciennes (LESA), et une collaboration informelle avec le Centre de
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Il était naturel de commencer en préparant une édition digitale de référence de La Bible de Jérusalem. Nous l’avons fait en trois années (20122015), reprenant systématiquement, sur le modèle de La Bible en ses Traditions exposé dans le présent ouvrage, toutes les notes et les introductions de la dernière édition de la BJ (en français) et de The New Jerusalem Bible (en anglais). Malheureusement, si les éditions du Cerf ont permis de rendre ce travail consultable par nos chercheurs, elles en ont interdit toute diffusion. Du coup, pour produire une Bible de référence qui serve de base au travail des équipes du programme de recherches, nous concentrons depuis 2015 nos efforts sur des traductions fondées sur les versions hébraïque et grecque, mais libres de droit. En français, il s’agit de celle des Pères jésuites et sulpiciens Touzard, Levesque, Bonsirven, Lefèvre, Robert et Tricot, éditée par la Société de Saint-Jean-l’Évangéliste en 1923.
La Bible en ses Traditions
recherche français à Jérusalem (CRFJ). Plus informellement, diverses rencontres ont eu lieu avec les responsables de programmes de recherches amis, tels La Bible d’Alexandrie et le projet « Gloss-e » du CNRS. Avec Domuni universitas (centre dominicain d’enseignement universitaire pionnier sur internet, avec lequel nous avons signé un partenariat en 2015) et bien sûr avec l’École biblique elle-même, des mémoires ont été composés à partir de travaux réalisés sur notre plateforme, en 2016 et 2018. Des collègues d’institutions amies font usage de notre programme ou de notre technologie dans le cadre de leurs enseignements, comme à Santa Clara University (Californie), au Grand séminaire de Versailles, au Holy Cross Hellenic College (Boston) et au St. Vladimir Seminar (New York). N’oublions pas la collaboration, pour l’annotation liturgique, de grands monastères bénédictins, qui offrent à nos lecteurs les plus belles pièces de l’année liturgique grégorienne (St-Pierre de Solesmes, Ste-Madeleine du Barroux). Impossible d’évoquer les bénédictins sans mentionner avec chaleur sr Marie-Madeleine Saint-Aubin o.s.b., de l’abbaye Sainte-Marie-des-Deux-Montagnes (Québec) et sr Isabelle L. Thouin o.s.b., sa mère abbesse. Spécialiste en Lettres classiques, liturge, sr Marie-Madeleine est l’une des contributrices les plus généreuses à notre projet : c’est à elle que nous devons nombre de traductions du latin et du grec, ainsi que de notes en tradition chrétienne et en liturgie. Personnes Plusieurs dizaines de collègues, certains réunis en équipes, sont désormais au travail sur quelques livres de la Bible (axe 1). Sans pouvoir les nommer tous, signalons ici, outre ceux dont une partie du travail enrichit le présent volume, le professeur Michel Gourgues sur les épîtres à Tite et à Timothée, sr Agnès de la Croix, pour l’annotation juive systématique du NT inspirée du Jewish Annotated New Testament… L’ensemble des collègues contributeurs est présenté sur notre blog. En parallèle, pour favoriser leur travail, nous produisons au bureau de Jérusalem une traduction et une annotation de base de l'ensemble de la Bible. Pour ce faire, dans la mesure des possibilités financières, nous accueillons de jeunes chercheurs en séjour à Jérusalem, dans le cadre de conventions de l’aide à la mobilité internationale imitées de celles de nos collègues du CRFJ. Ainsi de nombreux normaliens, doctorants ou jeunes agrégés de Lettres classiques ou modernes, d’histoire ou d’histoire de l’art, sont-ils déjà passés par le bureau de Jérusalem. Citons ainsi avec reconnaissance Hélène Alday, Maureen Attali, Édouard Baille, Mathieu Beaud, Luce Carteron, Antonin Charrié-Benoist, Andrei Costea, Claire de Basquiat-Toulouzette, Malouine de Dieuleveult, Madeleine de Jessey, François Friche, Xavier Lafontaine, Clary Lefebvre de Plinval Salgues, AnneClaire Lozier, Tiphaine Lorieux, Eléonore Mermet, Clément Millet, Olivier Robert, David Vincent. Par nos relations avec des collègues anglais (Liverpool Hope University) nous sont venues Georgina Burrows, Ottilia Lukács et Sarah Whitear.
D’autres contribuent à la traduction et à l’annotation de notre Bible de base dans les laboratoires digitaux : Rémi Bertaux d’Orgeville, Henri Carrier, Jean-Marc Depondt, Constance de Vergnette, Clemence Lescuyer, Clément Noual, Jean-David Richaud, Charlotte Sceats, François-Xavier Testu, Laura Tran, Bénédicte Vallançon, Cécile Yon. Une vingtaine de sœurs moniales dominicaines de divers monastères français ont également travaillé d’arrache-pied, pendant deux années pleines, à refaire systématiquement tout le jeu de renvois intertextuels marginaux hérité de La Bible de Jérusalem. Nous accueillons aussi des assistants, en particulier l’été : Élisabeth de Béjarry, Émeline Bestard, Irène Ces, Patrick Clerget, Charles Delort, Thomas Duchesne, Ingrid Génin, Cyprien Gilbert, Domitille Hocquemiller, Domitille Legrand, Mathilde Lefèvre, Marc Lobit, Arnaud Mistral, sr Marie de Saint-Martin, Martha Sceats. Même deux élèves de l’École des hautes études commerciales (HEC) trouvèrent leur chemin jusque dans nos bureaux, et leur présence a été décisive, comme on l’a vu, pour la structuration de l’axe 3 de La Bible en ses Traditions. 3. Institutionnalisation Pour accueillir et encadrer tous ces collègues, il fallut établir plus fermement le programme de recherches, sur les plans financier, légal et éditorial. Financement Depuis le départ, conformément à l’idéal de vie « mendiant » des dominicains, La Bible en ses Traditions cherche à créer un « cercle vertueux » entre le public qu’elle veut servir (collègues universitaires et grand public cultivé) et les savants qui l’élaborent. Idéalement, le public devrait pouvoir financer l’élaboration de sa Bible. Encore faut-il commencer à lui présenter quelque chose, et pour y parvenir, il fallait bien quelques ressources. Durant la période de conception du projet et de mise au point du volume de démonstration, notre travail a été facilité par une subvention accordée à l’École par le Consulat général de France à Jérusalem : qu’il trouve ici l’expression de notre reconnaissance. Dès lors que le projet fut devenu un véritable programme de recherches, il fallait trouver des sommes plus importantes. En 2013, une fondation européenne soutien solide de l’Ordre des Prêcheurs et de l’École biblique, rejointe par une fondation américaine elle aussi proche des dominicains, décidèrent d’aider notre projet pour une durée de trois ans. Ce qui les convainquait était le projet d’une édition digitale de référence de La Bible de Jérusalem (axe 2). Hélas, celle-ci était presque achevée, lorsque l’éditeur fit savoir qu’il en interdisait la diffusion car il craignait la concurrence avec une édition imprimée. Envers ces fondations, notre confusion est donc aussi grande que notre gratitude. Du moins leur soutien a-t-il catalysé les développements digitaux et scientifiques (axe 1).
Histoire du projet
Ces trois dernières années, la Curie de l’Ordre des Prêcheurs, l’International Dominican Foundation, les Associations des amis de l’École biblique française, canadienne et étatsunienne, des amis suisses aussi, ont régulièrement contribué. En 2016, un fond de solidarité cistercien belge nous a aidé à financer l’embauche de notre assistante générale ; deux donations monégasques ont financé la création artistique que nous avons réalisée (cf. infra, p. XXX). Et la Russell Berrie Foundation de New York finance régulièrement les travaux d’une collaboratrice en charge de toute l’annotation juive du NT. Par ailleurs, notre bureau parisien (axe 3) s’est entouré d’un comité de pilotage composé d’entrepreneurs expérimentés en vue de mettre au point une campagne de communication et de fundraising au service de notre programme. Il permet pour l’instant de financer intégralement le développement de l’axe 3 et un poste de jeune chercheur en séjour à Jérusalem pour l’axe 2. Outre les institutions sus-mentionnées, nous devons remercier Me Emmanuel Larere (cabinet Gide Loyrette Nouel), Me Loullig Brettel et Me François-Olivier Brouard, pour le conseil et la défense qu’ils prodiguent à notre programme, pro bono, ainsi que M. Jean-Louis Detry, qui accueille gracieusement notre bureau parisien dans de prestigieux locaux. Enfin, notre travail lui-même commence à apporter un peu de ressources : les invitations lancées à nos utilisateurs rencontrent un écho favorable, même si les sommes récoltées sont encore loin de couvrir les besoins réels du programme. Protection juridique Mettre en réseau des dizaines de contributeurs pour créer une œuvre collective dont personne ne serait l’unique auteur, mais où les droits de chacun fussent respectés supposait une structure juridique spécifique. Avec l’aide de Michel Van Aerde et de Marie Monnet, dirigeants de Domuni universitas, nous avons fondé à Bruxelles l’association internationale sans but lucratif « La Bible en ses Traditions aisbl » entre mars et juillet 2015. Mai 2016 vit la publication officielle des statuts et du règlement intérieur de l’association par le Moniteur belge. Présidée ex officio par le directeur de l’École biblique, Jean Jacques Pérennès, son assemblée générale est composée d’intellectuels dominicains ayant des responsabilités dans la vie intellectuelle de l’ordre. Son conseil d’administration est contrôlé par les membres de la direction de l’École biblique de Jérusalem, et son comité exécutif est confié à un directeur exécutif (O.-Th. Venard), assisté d’une assistante générale (B. Mahieu) et de conseillers pour les développements scientifique (le Comité éditorial), digital (K. Stephens, G. Barnéa et Th. Boullenger) et financier (N. Chatain). C’est avec BEST aisbl que contractent nos collaborateurs. Par ailleurs, La Bible en ses Traditions obtint en 2016 aux États-Unis le statut de patent pending pour le modèle d’annotation et la technologie digitale mise au point, tant pour les laboratoires mis à la disposition des contributeurs scientifiques, que pour les interfaces de consultation.
Un éditeur officiel L’ancien éditeur partenaire de l’École biblique ne voulant pas soutenir un projet articulant produits digitaux et livres imprimés, nous avons signé en 2016 un contrat avec le nouvel éditeur scientifique de l’École biblique, Peeters Publishing, pour les livres imprimés de La Bible en ses Traditions. D’excellentes relations sont établies avec Paul et Luc Peeters, directeurs de cette maison très respectée dans le milieu universitaire international. Le premier livre de La Bible en ses Traditions a été mis au jour au cours d’un colloque international à Paris en décembre 2016, et sera suivi de publications régulières, à raison d’au moins un volume tous les deux ans. Le contrat avec Peeters ne concerne que les livres bibliques, pas nécessairement les monographies qui peuvent être publiées chez divers éditeurs partenaires. 4. La participation à la conversation scientifique et culturelle globale Les nouvelles collaborations et la consolidation des structures permirent à La Bible en ses Traditions de commencer à rayonner doucement, que ce soit dans des rencontres universitaires, dans des publications ou dans des créations culturelles. En voici quelques échos non exhaustifs. Ouvrages imprimés Nous avons publié deux livres bibliques complets : • Venard Olivier-Thomas (dir.), Édart Jean-Baptiste, Bianchini Francesco et alii, Saint Paul : Épître aux Philippiens (La Bible en ses Traditions 2), Louvain : Peeters, 2016, 174 pages. • Venard Olivier-Thomas (dir.), Pentiuc Eugen J., Barnéa Gad, Méténier Éténier, Popko Łukasz et alii, Hosea: The Word of the Lord That Happened to Hosea (The Bible in Its Traditions 3), Louvain : Peeters, 2017, 411 pages. Fut également mis au jour un volume d’essais continuant la réflexion herméneutique sur le projet : • Venard Olivier-Thomas (dir.) et Burnet Régis (éd.), « Dieu a parlé une fois — deux fois j’ai entendu » : l’exégèse de l’Écriture à l’heure de l’histoire de la réception. Actes du colloque tenu, à Paris, au collège des Bernardins, le 7 juin 2013 (Collège des Bernardins 42), Paris : Parole et Silence, 2016, 382 pages. Le lancement d’une revue d’exégèse vétérotestamentaire fut l’occasion d’une présentation assez technique : • Venard Olivier-Thomas et Stephens Kevin, « The Bible in Its Traditions: An Interdisciplinary Research Project at the École biblique et archéologique française de Jérusalem: A Description of the Background, Goals, Accomplishments and Activities of the Research Project », Hebrew Bible and Ancient Israel 2 (2013), 399-425.
La Bible en ses Traditions
Colloques et séminaires Le programme a organisé deux grands colloques internationaux et interdisciplinaires centrés sur l’histoire de la réception des Écritures : • Les 5-6 décembre 2016 à Paris (Sorbonne) : Mises en œuvre(s) des Écritures 1, colloque international en Sorbonne coorganisé avec les prof. Christiane Veyrard-Cosme (Paris 3) et Vincent Zarini (Paris 4). • Les 4-5 décembre 2017, à Paris (École nationale des chartes) : Mise(s) en œuvre(s) des Écritures II, colloque coorganisé avec les mêmes collègues, plus Jordi Pia (Sorbonne NouvelleParis 3), Estelle Ingrand-Varenne (CESCM, Poitiers), François Ploton-Nicollet (École nationale des chartes). Ces deux fois vingt-quatre communications sont en cours de publication. En 2016 et 2017, le programme La Bible en ses Traditions a servi de support à des séminaires (doctoral à Berkeley avec J.-F. Racine et à Toulouse avec J.-E. de Ena, master à l’Université hébraïque de Jérusalem avec S. Ruzer). Il a été présenté à l’ACFEB, à divers congrès de la Society of Biblical Literature (en Argentine et à Boston), aux Summer sessions de la Catholic Biblical Association tous les deux ans. Il a aussi été présenté à l’occasion de séminaires en 2015 à la Sorbonne-Paris 4 (séminaire de littérature classique et baroque de prof. Gérard Ferreyrolles), en 2016 et 2017 à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, en 2018 à l’Institut des Sources chrétiennes à Lyon (invitation de Laurence Mellerin), au séminaire de NT de l’Université d’Oxford (invitation de prof. Markus Boechmuel). Échos médiatiques Plusieurs mass medias ont fait écho à l’approche « biblensestraditionnelle » des Écritures que nous promouvons auprès du public. Outre plusieurs interviews imprimées ou radiodiffusées, signalons, disponibles sur internet : • « Lire la Bible et l’écrire », les Mardis des Bernardins, plus d’une heure de débat diffusé par KTO le 3 septembre 2013 ; • avec Charles Enderlin, sujet de trois minutes sur Télématin (France 2) le 24 mai 2014 ; • avec Frédéric Jacovlev, « La Bible en ses Traditions », carte postale depuis l’École biblique de Jérusalem, 26 minutes produites par KTO en mai 2014. La Bible en ses Traditions a assuré le conseil scientifique et composé plusieurs articles d’un numéro hors-série du Figaro diffusé à plus de 60 000 exemplaires : • Figaro hors-série « Le roman de la Bible », dirigé par Michel de Jaeghere : rédaction de 14 articles sur 18 par des chercheurs associés à notre programme. Le lancement de cette publication donna lieu à une soirée de plus de deux heures, à la salle Gaveau, à Paris, en présence de plus de mille personnes, le 7 décembre 2016. O.-Th. Venard y dialogua avec Vincent Trémolet de Villers et Michael Lonsdale.
Création artistique La Bible en ses Traditions voudrait être plus qu’un musée imaginaire remontant aux origines de l’Écriture sainte dans les antiques royaumes de Juda et d’Israël. Fermement enraciné à Jérusalem, ville où rien ne reste « dans le livre », où tout ce qui est écrit finit par s’accomplir — pour le meilleur ou pour le pire — La Bible en ses Traditions a une dimension créative. De facto elle est un moment culturel. Elle cristallise un désir qui anime de nombreux savants et de nombreux artistes : que continue l’aventure de la Parole divine au risque des paroles humaines ! Plusieurs artistes amis du programme unirent leurs talents pour créer, en l’église Saint-Étienne-du-Mont à Paris, le 5 décembre 2016, un extraordinaire oratorio biblique pour deux comédiennes, trois musiciens, quatre chanteurs et un chœur d’enfants : Syllabes divines. Mystère sur la prophétie de Jérémie. Le texte en était une suite de chapitres de la prophétie de Jérémie traduits selon l’esprit de La Bible en ses Traditions par O.-Th. Venard et Ł. Popko. Furent créées ce soir-là trois pièces lyriques sur trois des « confessions » de Jérémie, une en hébreu, une en grec et une en latin, offertes par trois compositeurs contemporains de renom, Gad Barnéa, Thierry Escaich et Michel Petrossian. Outre le livret du spectacle édité par Peeters, ce spectacle donna lieu à la production d’un DVD (B-Media Productions, tirage de mille exemplaires hors-commerce destinés aux bienfaiteurs de La Bible en ses Traditions), dont la bande-annonce est disponible sur internet, et qui fut récompensé d’un prix spécial de la fondation Capax Dei lors de l’édition 2017 de l’International Catholic Film Festival organisé à Rome sous le patronage du Conseil pontifical de la culture. Le monde de l’histoire de l’art et celui du design s’intéressent aussi à La Bible en ses Traditions. Ainsi O.-Th. Venard, directeur exécutif et Ł. Popko, directeur du Comité éditorial, ont-ils été invités à élaborer une performance avec Kobi Vogmann et Tal Harada, jeunes designers israéliens, pour présenter le rouleau digital de La Bible en ses Traditions (voir la section suivante), en tant que projet de « conservation des Écritures », dans le cadre de la 2018 Jerusalem Week of Design, consacrée à la question du patrimoine (juin 2018, Hansen House). 5. Un développement digital continu Amélioration de la plateforme de travail (axe 1) Nos laboratoires regroupent désormais quelque trois cents chercheurs, collaborant à des degrés divers, depuis quelques notes sur une péricope ou dans une discipline donnée, jusqu’à tout un travail exégétique sur l’ensemble d’un livre biblique. Vingt-cinq nationalités différentes sont représentées, ainsi que plusieurs grandes confessions : catholiques, protestants, orthodoxes et juifs. Depuis son couvent de Saint-Louis dans le Missouri, ou lors de ses séjours prolongés à Jérusalem, le maître d’œuvre digital de notre programme, fr. K. Stephens, ne cesse pas d’améliorer
Histoire du projet
les performances et d’enrichir les fonctionnalités de nos laboratoires. Ces dernières années ont vu en particulier la création de deux rubriques d’annotation supplémentaires, que le travail de nos collaborateurs avait révélé nécessaires : *Droit (pour les casuistiques halakhiques et canoniques) et *Histoire des traductions. A également été créé le module « bibliographie » qui permet de soutenir notre annotation par d’indispensables références scientifiques. Enfin, le module « multimédia » mis en service au printemps 2017 permet de mettre toute la richesse d’internet au service de l’illustration de notre Bible par des images, des vidéos et de la musique. Mediathèque numérique À cette fin, Pierre Hennequart, directeur de la société Janalis s’est vu confier la création d’une médiathèque qui flanque la plateforme collaborative de La Bible en ses Traditions. Nous disposons désormais d’une médiathèque entièrement privée et sécurisée qui permet de stocker ouvrages, images, vidéos et musiques avec des adresses fixes contrôlées par nous, avant de les insérer dans notre Bible. Des assistants en assurent l’enrichissement constant (elle recèle déjà des milliers de sons et d’images), et Janalis ne cesse d’en perfectionner le fonctionnement. Expérimentations sur l’interface : le « rouleau digital » (axe 2) Notre époque « postmoderne » redécouvre l’irréductibilité du signifiant dans l’accès au sens, le fait que toute connaissance est relative au corps, au langage, aux symboles et à la tradition. Conscients de ce fait, nous avons conçu une interface-utilisateur expérimentale qui résume à elle seule les principales étapes de l’histoire de la conservation des Écritures. Nous en avons confié la réalisation à la société Spyrit (conseillée par la curie de l’Ordre des Prêcheurs) entre 2013 et 2016. Faute d’une maîtrise suffisante des technologies très avancées requises par nos ambitions, on en est encore à un produit expérimental. Pourtant, du fait de son intérêt ergonomique, nous l’avons cependant présenté en décembre 2016, à la fin de notre colloque à la Sorbonne. L’interface proposée à l’adresse scroll.bibletraditions.org présente, en effet, de manière rationnelle l’ensemble des traductions et annotations élaborées depuis près de dix ans, tout en concentrant sur un seul support l’histoire de la transmission du texte biblique. C’est un véritable voyage dans le temps à travers les principales étapes de l’histoire de la transmission des Écritures, qu’il synthétise en un seul site. L’interface de scroll.bibletraditions.org est tout à la fois : • un rouleau antique et une polyglotte. Le texte biblique se déroule horizontalement sous forme de volumen (et non comme un livre « moderne » ou codex, dont on tourne les pages). Cette présentation permet de disposer les traductions des différentes versions l’une sous l’autre, un peu comme les
« voix » d’une partition de musique polyphonique, et d’embrasser d’un seul coup d’œil les versions traditionnelles du texte biblique. (N’est-il pas piquant que la technologie numérique requise par notre Bible à plusieurs voix entraîne une involution de la Bible du codex au volumen ?) • une glose médiévale et une Bible d’étude moderne. En cliquant sur « Notes » on affiche l’annotation en entourant la colonne centrale du texte biblique comme la Glose médiévale, qui inspira les imprimeurs du Talmud : des lettrines dessinées spécialement marquent les trois zones « texte », « contexte » et « réception », qui flanquent le texte ; • et, bien sûr, une base de données, y compris multimédia, avec son moteur de recherche et des outils interactifs permettant aux lecteurs d’interagir avec les traducteurs et annotateurs. Deux petits « rouleaux dans le rouleau » permettent d’afficher la liste alphabétique des introductions, livre par livre et la liste des notes de synthèse, sorte de vocabulaire d’exégèse et d’interprétation bibliques. L’affichage est personnalisable : on n’est pas obligé de déployer toutes les rubriques d’annotation. Une fenêtre de recherche permet d’interroger la base de données et d’en recevoir des résultats classés par types de notes. Les lecteurs ont la possibilité de créer un compte et de nous adresser — par courriels directs depuis la référence où ils sont dans leur lecture — des corrections ou des enrichissements. Nous avons été rejoints par quelques centaines d’utilisateurs, qui ont envoyé nombre de corrections et d’enrichissements possibles. De l’internationalisation de PRIXM à l’élaboration d’autres propositions pour le grand public (Axe 3) En février et avril 2018 furent lancées à titre expérimental la version portugaise (en partenariat avec la Province jésuite du Portugal) et une version anglaise (en espérant à moyen terme un partenariat avec l’Institute for Church Life de Notre Dame University). Le bureau parisien réfléchit à de nouvelles propositions qui permettraient aux lecteurs de notre Bible de mettre en pratique leurs lectures, par exemple dans des retraites en monastère. Fin 2019 ou courant 2020, nous aimerions commencer à diffuser une sorte de « Bible de la culture », dans l’esprit de PRIXM, en français, qui présentera notre traduction de la Vulgate — Bible de la culture en Occident — assortie de l’apparat de notes bibliques multimédia (images, musique, vidéo) le plus important d’internet.
IV. Le défi des prochaines années : l’ouverture au public le plus large possible Les traductions déjà élaborées et l’annotation composée au fil des années représentent dès aujourd’hui une base de données d’une grande richesse. Or elle est encore trop peu disponible pour le grand public.
La Bible en ses Traditions
Certes les fruits de nos recherches sont déjà offerts au public de trois manières : 1) pour les universitaires, la collection chez Peeters présente régulièrement un livre ou un passage biblique, avec une mise en page reprenant la tradition des gloses et des polyglottes ; 2) le public cultivé a la possibilité de consulter le rouleau digital ; 3) le grand public peut recevoir la newsletter PRIXM. Mais ces propositions sont encore trop dispersées. La Bible en ses Traditions doit subir une métamorphose profonde dans le sens de la simplification : • La base de donnée deviendra tripartite : la Bible en français, la Bible en anglais, la Bible en espagnol (aujourd’hui pour des raisons liées aux alea des premières années de développement scientifique et technologique, chacune de ces parties est subdivisée en projets qui se recoupent partiellement). • Un portail unique, à double interface le plus simple possible (l’un pour les contributions, l’autre pour la consultation) rassemblera tous les sites du programme (blog, plateforme, médiathèque, scroll, PRIXM). Un moteur de recherches puissant doit être mis en service, qui permette de retrouver instantanément toute référence, tout mot, tout thème désiré, que l’on contribue à ou que l’on consulte La Bible en ses Traditions. Surtout, maintenant qu’ils sont définis et stables, nous souhaitons ouvrir à tous, gracieusement, et les résultats et la technologie de La Bible en ses Traditions. Nous invitons les universitaires et les artistes à faire usage de nos laboratoires pour leurs enseignements, leurs recherches ou leurs créations. S’il plaît à Dieu, La Bible en ses Traditions deviendra une sorte de bible en chantier permanent, qui permettra à tous de bénéficier du travail de chacun en temps réel et qui justifiera pleinement les appels de fonds tant privés que publics, par sa nature de service public de la foi et de la culture. Pour nous mettre en route vers cette unification technologique, nous avons adopté en février 2018 une architecture digitale globale pour La Bible en ses Traditions, qui conjugue databases, API (Application Programming Interface) et UI (User Interface), vers laquelle nous avancerons étape par étape, qui garantisse sécurité, indépendance et stabilité au programme pour le futur. Plusieurs développements ponctuels doivent également être envisagés : • à la disposition des contributeurs, il faudra insérer les textes des versions bibliques dans leurs langues originales ; • aux utilisateurs, il faudra donner la possibilité de visualiser la traduction de chaque version en texte continu sans les interruptions des variantes des autres ; • il faudra aussi recoder le rouleau digital, pour le rendre plus efficace et consultable sur tablette tactile. Envoi : Liquid Bible et cathédrale Sur bibletraditions.org, la « fabrique » de la Bible est interactive : les Écritures sont présentées dans le processus vivant de
leur appropriation et de leur transmission, du parchemin antique à une base de données multimédia contemporaine, en passant par la glose médiévale et le polyglotte de la Renaissance. Idéalement, chaque laboratoire, livre par livre, prend la forme d’un scriptorium antique ou d’une schola médiévale, chaque collaborateur contribuant ainsi à une disputatio continue et interdisciplinaire à travers le texte biblique. Traversant siècles et langues, porté jusqu’à ses lecteurs par les traditions des communautés qui le précèdent, le texte biblique n’a jamais été un objet figé. Avec ses ateliers en ligne, internationaux, interdisciplinaires, interreligieux et interactifs, après des siècles de communication « imprimée » plutôt statique, La Bible en ses Traditions voudrait favoriser la redécouverte de ce qu’un auteur populaire a appelé la « liquidité » des Écritures.81 En réinscrivant leur transmission dans des communautés de scribes et de lecteurs interagissant en temps réel avec le texte et entre eux, nous invitons chacun à prendre place dans le mouvement séculaire et créatif de la préservation et de la transmission de la Bible. En 2011, Pierre Assouline, de l’Académie Goncourt, consacra plusieurs pages de ses Vies de Job à notre programme de recherches. En voici quelques lignes : « Gütenberg a fait de la Bible un livre. Avec le projet Bible en ses Traditions, elle redevient une vision. Qui eût cru que, grâce à des technologies sophistiquées, sa dématérialisation allait la rendre à sa vocation première ? Elle existera comme jamais par sa transmission, le texte et sa réception à nouveau en osmose. À les observer tous travailler à leur grande œuvre se donnant trente ans pour son achèvement tout en sachant qu’elle sera par définition à jamais inachevée, on se laisse traverser par un sentiment d’un autre âge, comme si les bâtisseurs de cathédrales venaient de ressusciter devant nous, derrière leurs ordinateurs, et qu’ils construisaient quelque chose de plus grand qu’eux pour la seule gloire de Dieu. »
Assouline Pierre, Vies de Job. Roman Paris : Gallimard, 2011, 195. Puissent ces lignes continuer à être pour nous et pour beaucoup et pour longtemps encore un encouragement et un viatique. Olivier-Thomas Venard o.p. Jérusalem-Paris-Bethléem, 2010-2019
81
Thome Paul, The Liquid Bible: Recapturing the Flow of the Great Story of God, BookSurge, 2009.
2 Définitions du projet
Le second concile du Vatican rappelle l’importance de la Tradition dès le prologue de sa Constitution dogmatique sur la révélation divine en 1965, qui commence en citant les versets 1Jn 1,2-3 : Nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous est apparue : ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous soyez en communion avec nous et que notre communion soit avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. S’il est vrai que la Bible recueille et suscite cette annonce, les premiers chrétiens se sont pourtant passés du NT officiel pendant un siècle. La confession de foi précédait et encadrait le texte alors en cours de composition : la foi provient de l’écoute, enseignait alors Paul (Rm 10,17). Auparavant et durant des siècles, la mémoire croyante n’avait cessé de recueillir et d’interpréter l’action de Dieu dans les langues et les formes des époques et des cultures qu’elle traversait. Autant qu’un document brut, la Bible est une écriture. La Bible en ses Traditions entend restituer au texte biblique la caisse de résonance qu’est l’histoire de sa réception. Il s’agit de présenter l’Écriture en tant que reçue et transmise, attestée et autorisée par une communauté croyante qui l’a reçue, produite et portée, et qui la célèbre et l’actualise dans sa liturgie.
I. Rappels et constats Obsolescence La Bible de Jérusalem a vu le jour dans le sillage de l’encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII (1943), qui encourageait les études historiques et critiques et recommandait en particulier l’étude des genres littéraires pour reconnaître la vérité des textes inspirés. Récoltant les fruits de plusieurs décennies de critique historique des textes sacrés, elle entendait les rendre accessibles à un large public. Au fil des années, La Bible de Jérusalem a connu trois éditions en un volume (1956, 1973, 1998) et de nombreuses adaptations dans d’autres langues. Ces notes ont contribué — pour le meilleur et pour le pire (cf. les avertissements d’Albert Béguin contre la demi-sagesse rappelés plus haut p. 11) — à apporter aux lecteurs éduqués et au grand public général les fruits de l’érudition biblique moderne à la suite de l’encyclique. En tant que telle, même à travers ses révisions en français, en anglais et dans d’autres langues, La Bible de Jérusalem reste cependant une œuvre du milieu du 20e s. répondant à une question du 19e, la fameuse « question biblique ». Double révolution Or depuis les années 1950, deux révolutions ont eu lieu, qui n’ont été prises en considération que partiellement dans les révisions successives de La Bible de Jérusalem et dans les nouvelles bibles
conçues sur des modèles similaires. La première porte sur les textes eux-mêmes, la seconde sur leur lecture. 1. Quant aux textes, d’abord, la base de données a été enrichie de manière spectaculaire. D’une part, la découverte des manuscrits de la mer Morte a modifié notre perspective sur le texte de la Bible : le texte hébreu lui-même est pluriel et sa comparaison avec les versions grecques et samaritaine témoigne d’une grande diversité textuelle. Le processus de canonisation de l’un et de l’autre Testament s’est étendu sur une longue période. De nombreux passages, voire des livres entiers, arrivent à notre époque portés par plusieurs traditions textuelles. Présenter au public un seul texte pour chaque livre biblique apparaît désormais comme une simplification exagérée. D’autre part, nos idées concernant l’histoire de l’ancien Israël et la relation de l’archéologie avec les récits bibliques sont en cours de révision radicale. 2. Quant à l’art de lire les textes, ou l’herméneutique, ensuite, les sciences humaines ont repris conscience de l’importance du rôle du lecteur dans l’établissement du sens des œuvres. Le constat est simple : j’aurais beau être le plus grand romancier du monde, si mon roman reste dans le tiroir de mon secrétaire, il n’existe pas. Ce qui lui donne existence, et sens, et importance, c’est le fait qu’il soit reçu par une communauté de lecteurs. Élaboré par des penseurs majeurs du second 20e siècle — philosophes (Ricœur, Gadamer) ou littéraires (Frye, Jauss) — ce constat aboutit à la nécessité de l’histoire de la réception dans le processus de compréhension d’une œuvre. Une Bible d’aujourd’hui doit refléter une herméneutique plus réaliste de l’acte de lire. La contrepartie du point de vue positiviste moderne était l’idée du lecteur autonome face à un texte censé avoir déjà un sens déterminé par l’intention de l’auteur, sens qu’il suffisait de découvrir. Nul ne doute plus maintenant du rôle actif du lecteur dans l’établissement du sens des textes — un lecteur, qui plus est toujours-déjà situé dans une tradition. Tradition Quant à la Tradition, deux constats orientent le projet : 1. Pour l’Église catholique, la source des dogmes n’est pas dans la Bible seule, mais la Bible en relation avec la Tradition. 2. La Bible ne s’est jamais asservie aux cultures ambiantes ; bien qu’immergés dans leurs époques, l’AT et le NT témoignent de certaines ruptures. On s’attache en particulier à souligner les ruptures et les continuités du NT, en amont avec le judaïsme diversifié du premier siècle et en aval avec la patristique, à commencer par les Pères apostoliques. Révélation La constitution dogmatique Dei Verbum du concile Vatican II rappelait jadis que dans l’histoire du salut transmise par la Bible, Dieu a parlé gestis verbisque intrinsece inter se connexis « en actions et en paroles intrinsèquement liées entre elles » (Dei Verbum 2). À l’époque, l’histoire étant devenue la discipline-maîtresse, on eut tendance à réduire les verba à n’être que les représenta-
La Bible en ses Traditions
tions des gestae. Lier la vérité des textes à l’exactitude de leur référentialité (qu’il s’agisse de celle des événements racontés, ou de celle de l’intention présumée de l’auteur) aboutit à surévaluer l’importance du sens historique originaire. Ce sens originaire étant identifié comme le « sens littéral » de l’Écriture (sur lequel est fondée toute théologie digne de ce nom), mais restant très souvent de l’ordre de l’approximation, s’ensuivit un certain désenchantement de la théologie. La Bible en ses Traditions constate que la révélation se fait et dans « l’histoire » et dans la « littérature », sans qu’il faille réduire la seconde à la première. L’Écriture juxtapose des compositions plus fictionnelles et des compositions plus historiques. Depuis le commencement de la Genèse où Dieu crée par la parole, jusqu’à la fin de l’Apocalypse où Dieu arrache ciel, terre et mer comme on déchire la page d’un livre (en passant par son point le plus incandescent [dans le canon chrétien] : l’incarnation historique du Verbe), la Bible déploie un univers où le langage domine le réel, la parole l’action, le verbe l’être. La « vérité » biblique est de l’ordre du salut de l’âme individuelle et communautaire (Dei Verbum 2). Elle relève autant de l’intériorité de la vie (reflétée et catalysée par la fiction littéraire) que de ce que nous appelons aujourd’hui la « vérité historique » (conditionnée par l’extériorité de vestiges dans le monde). C’est pourquoi l’édition de la Bible doit prendre autant de soin des questions littéraires que des questions historiques.
Une fois Dieu a parlé — deux fois j’ai entendu. Ps 62,12
Recevant cet héritage, La Bible en ses Traditions souhaite donc offrir une édition des Écritures qui en tienne compte. Quant au texte, quant à la traduction et quant à l’annotation, voici les principes qui guident le projet.
Une fois Dieu a parlé : il s’agit de la Parole ineffable et divine — non identifiable simpliciter avec aucun texte — dont le texte inspiré des Écritures garde les traces, toujours d’emblée diverses, car le Verbe divin transcende toute langue. C’est pourquoi deux fois j’ai entendu. Le texte hébreu luimême se donne dans une certaine diversité (ne fût-ce que la polysémie de sa structure consonantique), qu’il thématise en des passages comme celui du Psaume 62. Cette diversité se redouble dans les « versions » (traductions antiques ou nouvelles compositions dans des langues autres que l’hébreu). Pour exprimer le même phénomène en une image non plus musicale, mais géographique, on peut considérer le texte des Écritures comme un fleuve aux affluents multiples qui se jetterait dans la mer. En posant que la mer représente la culture actuelle, dans laquelle le lecteur lit la Bible, on voudrait se placer à l’embouchure et regarder vers l’amont, en se demandant d’où provient tout cela ! On essaie de remonter jusqu’aux sources, situées dans des paysages très variés ; on découvre parfois que certaines rivières se divisent en bras multiples pour se rejoindre ensuite avec quelques remous (remaniements, variantes) ; que d’autres se perdent et ne réapparaissent que par hasard, comme en a témoigné la découverte des manuscrits de la mer Morte. Tout en retenant le canon de la Vulgate latine fixé par le concile de Trente en 1546 — canon qui reprend lui-même d’anciennes listes patristiques — La Bible en ses Traditions présentera donc les principales traces écrites de la Parole révélée par Dieu : celles que conservent et transmettent — en hébreu, en grec, en latin et en syriaque — les diverses composantes (rabbiniques et chrétiennes) de « l’Israël de Dieu » (Ga 6,16).
1. Établissement des textes : restituer une polyphonie
2. Traduction : faire goûter une saveur « originale »
L’esprit moderne s’est longtemps représenté la Parole biblique comme une voix unique, une mélodie simple que toute personne éprise de vérité dût se faire le devoir de chanter. Cela peut sembler rassurant à certains esprits en besoin d’absolue certitude, ou aux prosélytes d’idéologies à imposer au monde, mais c’est rebutant non seulement pour les laïques qui chérissent la diversité comme une valeur en soi, mais aussi pour les esprits religieux, qui savent le Dieu unique au-delà de toute conceptualisation, de sorte que sa parole ne saurait être exhaustivement comprise dans aucunes paroles humaines. Identifier purement et simplement « la Parole de Dieu » avec une séquence de mots donnée, quelle qu’elle soit, fait courir le risque de réduire la pensée divine à des plans humains et de basculer dans l’idolâtrie. À l’inverse, La Bible en ses Traditions constate que la Parole de Dieu résonne dans les Écritures autant dans les harmonies et dysharmonies d’une polyphonie, que dans une ligne mélodique. Notre devise est celle du Psalmiste :
Comme celle d’autres textes sacrés, la réception des Écrits bibliques s’est faite très tôt dans un réel souci du texte en tant que texte. C’est la matière linguistique signifiante elle-même, avec ses « bruissements » et ses apparentes incohérences, qui a fourni les pierres d’attente des relectures et développements ultérieurs. On le constate déjà dans les réécritures et allusions intra-bibliques. La traduction de La Bible en ses Traditions maintient donc deux exigences simultanées : • dans la traduction elle-même, prendre nettement le parti du texte de départ et préférer le respect des figures présentes en langue-source à la facilité de lecture dans la langue d’arrivée, avec pour maxime : « ni plus obscur (!) ni plus clair (surtout) que l’original » ; • dans l’annotation philologique, signaler les faits littéraires les plus importants (qui ont servi de points d’appui aux interprétations ultérieures), c’est-à-dire les meilleurs résultats des méthodes d’analyse littéraire heureusement inventées ou
II. Objectifs
Définitions du projet
réinventées par l’exégèse biblique contemporaine sous l’influence des sciences humaines. 3. Annotation : analytique et pléthorique Comme pour les inviter à une « réception productive » de l’Évangile, Jésus annonçait aux apôtres qu’ils feraient des « œuvres plus grandes » que lui (Jn 14,12) en amplifiant sa prédication : Tout scribe devenu disciple du royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux. Mt 13,52 Continuant la polyphonie du texte biblique lui-même, la réception des Écritures elle aussi est donc plurielle. Les notes de La Bible en ses Traditions ne cherchent pas à établir « le » sens unique dans lequel tel ou tel passage doit être lu. Elles invitent à la lecture et à la relecture, à l’analyse et à la méditation, pour entendre ou réentendre l’Écriture avec des échos toujours nouveaux. Pour ne pas plonger dans la confusion le lecteur en quête de sens au sein des Écritures, le défi est d’élaborer un modèle d’annotation à la fois plus ample et plus clair que celui des bibles d’étude usuelles. Distinguer pour unir Les sciences bibliques ont longtemps raisonné à partir du postulat de la complémentarité entre les différentes disciplines. Commentateurs et annotateurs de la Bible cherchaient à raconter une histoire linéaire en piochant dans les disciplines exégétiques, archéologiques et historiques pour illustrer ou confirmer des conclusions souvent liées à des préconceptions diverses. Alors que chacune de ces sciences développe une autonomie méthodologique rigoureuse, comment lui conserver sa cohérence, distinguer les sources selon leurs natures, sans pour autant renoncer à l’explication de texte ? Pour tenter de le faire, l’innovation la plus visible de La Bible en ses Traditions est la présentation analytique de l’annotation. On a élaboré un modèle qui répartit les notes en registres dont les divisions se veulent les plus adéquates possibles (voir pp. 39-46). Le but de cette présentation est double : 1. rendre l’annotation aussi transparente et documentaire que possible ; 2. manifester l’enracinement profond des interprétations proposées dans des faits textuels, littéraires et traditionnels. La clarté analytique est donc une tâche à accomplir en sachant bien que les sciences humaines ne sont pas des sciences exactes, et que certaines informations classées dans une rubrique de notes peuvent avoir leur place dans une autre. Du neuf et du vieux Pour une compréhension des textes qui soit à la mesure du sens renouvelé de la Tradition et de la Révélation, les annotations
philologique et littéraire portant sur l’Écriture comme texte n’a pas moins d’importance que l’annotation historique qui le traite comme un document ancien à replacer dans ses repères temporels et géographiques. Une attention particulière est portée aux jeux de l’intertextualité, extra-bibliques et intra-bibliques. Ces derniers sont systématiquement pris en compte dans la traduction, et signalée sous forme de références marginales ou de notes plus complètes dans une rubrique dédiée. L’évaluation des premiers dépend de l’état de la documentation sur les cultures anciennes, qui est signalée dans un registre de notes approprié : Contexte. Dans le registre Réception, l’annotation inclut une sélection parmi les interprétations traditionnelles, éventuellement en débat. On accorde une place spéciale aux traditions juives de lecture des Écritures, dont l’importance est évidente pour un programme de recherches enraciné à Jérusalem. Les patrologies grecque, latine et syriaque sont consultées, interprétations chrétiennes qui sont prolongées ou contredites par l’exégèse des littéralistes juifs médiévaux, des scolastiques et des réformateurs (Luther, Calvin). La réception est enfin illustrée par les témoins marquants de la réception du texte édité dans la culture : de la littérature au cinéma en passant par les arts visuels. Les pages qui suivent traitent plus en détail chacun de ces trois objectifs de La Bible en ses Traditions. Olivier-Thomas Venard avec des suggestions d’Étienne Nodet
III. Quels textes traduire ? 1. Polyphonie biblique Le concept de Bible polyglotte est celui le plus proche de La Bible en ses Traditions. Notre projet ouvre une sorte de chantier de fouille archéologique inversée, qui recouvre un texte traditionnellement divers, à rebours de certaines formes d’exploitations savantes qui recherchaient « le » seul niveau originel aux dépens des strates plus récentes. Pluralité des versions Dans sa polyphonie, la textualité biblique ancienne traduisait à la fois goût pour la diversité et tension vers l’unité. La diversité fut magistralement illustrée par l’édition multilingue du texte sacré dans les Hexapla d’Origène. Son œuvre polyglotte exhibe la pluralité des textes et des langues ainsi que la symphonie des traditions faisant autorité, tout en se référant souvent au texte hébreu comme à une instance critique. La foi en l’unité de toute l’Écriture en tant qu’empreinte durable de la Parole du Dieu unique suscita dans chaque communauté croyante, le désir de disposer d’un texte de référence, authentique et autorisé. La Septante en grec, la Vulgate en latin remplirent cette fonction. Or le mérite de ces versions traditionnelles provient précisément du fait qu’elles reflètent — dans
La Bible en ses Traditions
une seule langue et texte — la pluralité et la richesse des précédents textes traditionnels et autorisés (éléments hexaplaires et lucianiques dans la Septante, hébreu pré-massorétique et Vetus Latina dans la Vulgate). Le texte massorétique luimême, tardivement supplémenté de signes diacritiques et d’une ponctuation, reflète des choix éditoriaux qui véhiculent (et parfois contredisent) des traditions textuelles antécédentes. Ainsi tous les textes faisant autorité sont-ils en fait des textes synthétiques. Les versions de la Bible sont irrémédiablement plurielles et ne peuvent être ramenées à un seul original. Plutôt qu’un texte unique comme les bibles modernes, La Bible en ses Traditions entend refléter la diversité des traditions textuelles, spécialement celles que portent des communautés vivantes.
de maintenir l’identité des traditions légitimes. On traduira cinq versions principales : 1. Le texte massorétique (M), texte hébreu (et éventuellement araméen). Il est la Bible du judaïsme rabbinique. C’est le seul texte hébreu complet transmis jusqu’à notre époque. Pour ces deux raisons, il est indispensable. 2. Le Pentateuque samaritain (Sam) et la version samaritaine de Josué (JS) pour les livres concernés. 3. La Septante (G), traduite depuis un texte hébreu protomassorétique. D’abord Écriture du judaïsme hellénophone antique, elle est naturellement devenue l’AT des premiers chrétiens. Progressivement remplacée en Occident par la Vulgate de Jérôme, elle est restée en usage au sein du christianisme de langue grecque, jusqu’à nos jours, et est, par ce biais, devenue la base de nombreuses traductions dans le monde orthodoxe. 4. La Vulgate (V), traduite depuis un texte proto-massorétique, socle du slogan hiéronymien de la veritas Hebraica, bien que Jérôme eût toujours aussi un œil sur les lectures chrétiennes traditionnelles. Sa traduction, plusieurs fois réactualisée, a nourri la chrétienté de langue latine jusqu’à la Réforme et demeure la référence symbolique de l’Église catholique romaine. 5. La Peshitta (S) représente la tradition syriaque, en continuité avec les traditions araméennes. Lui faire place est d’autant plus important qu’à la suite des migrations consécutives, les anciennes Églises d’Orient ne peuvent désormais plus apparaître comme une survie exotique dans des régions éloignées : leurs communautés sont parmi nous, souvent en plein essor.
Critique textuelle Comme l’indique son nom, « La Bible en ses Traditions » privilégie les formes textuelles attestées dans les principales traditions vivantes. Plus qu’aucune reconstitution, nous intéressent les textes réellement utilisés et commentés par les liturges, les exégètes et les prédicateurs dans les synagogues et les Églises au fil des siècles. Tout en reconnaissant bien sûr l’apport indispensable de cette science, nous ne visons pas le même but que la critique textuelle classique et moderne — établir la forme hypothétiquement la plus pure et la plus primitive du texte. Le questionnement historique garde une grande place, mais sans plus privilégier la recherche d’origines souvent inaccessibles à la seule méthode historique. La restitution et même la définition d’un original sont d’ailleurs souvent aléatoires : il n’y a pas de frontière étanche entre la critique littéraire et la critique textuelle. La critique textuelle a toute sa place dans l’annotation, mais les leçons retenues dans la traduction elle-même seront traditionnelles. Du moment que ces formes diverses du texte ont fait l’objet d’un usage liturgique, on ne cherche pas à réduire ces différences mais plutôt à souligner la façon dont elles expriment une foi commune sous des formes variées. Cas très symbolique, illustrant bien la nature et les principes de La Bible en ses Traditions, la traduction présente le fameux « comma johannique » (1Jn 5,7b). Ce demi-verset se trouve seulement en quelques témoins grecs et surtout latins, mais il a été repris dans la Vulgate clémentine et dans le Textus receptus, d’où il passe dans la Bible de Luther et dans la King James Version. Ce choix est motivé par des critères non de critique textuelle mais de cohérence herméneutique : dans la mesure où notre annotation fait la part belle à l’histoire de la réception, elle doit porter sur des textes effectivement reçus.
Le plus souvent, on traduira le texte massorétique, et l’on fera apparaître les variantes significatives des quatre autres : – Là où l'hébreu n'est pas disponible (pour les livres deutérocanoniques, certaines parties de Jérémie, de Daniel et d’Esther), c’est le grec qu'on traduit. – Là où l’hébreu et le grec diffèrent beaucoup sur une grande échelle, l’un et l’autre seront intégralement traduits, en colonnes parallèles. Le Psautier sera traduit entièrement de l’hébreu, du grec, du latin et du syriaque. – Là où Rahlfs imprime deux types de textes (p. ex. en Dn), on les reproduira. – Là où d’autres versions traditionnelles disponibles sont irréductibles à l’hébreu ou au grec, on proposera autant de colonnes que nécessaire. C'est le cas du début de Siracide 51 dans le présent ouvrage. Quant aux targums et à d’autres traductions anciennes, aux manuscrits de la mer Morte, aux citations patristiques (au moins celles qui sont données dans l’apparat critique d’éditions scientifiques actuelles), elles apparaîtront en notes.
2. Ancien Testament
3. Nouveau Testament
Nombre de bibles modernes se caractérisèrent soit par de grosses corrections du texte massorétique allant jusqu’aux émendations conjecturales, soit au contraire par des retours massifs au texte massorétique. La Bible en ses Traditions tâche
Suivant l’ordre chronologique, voici les traditions textuelles retenues : 1. Le texte byzantin ou majoritaire (Byz). C’est le texte traditionnel du christianisme byzantin sous toutes ses formes
Définitions du projet
avant et après le schisme entre Rome et Constantinople. Encore une fois, ce choix ne reflète pas une option de critique textuelle ou de théologie — nous ne pensons pas du tout que ce texte, majoritaire dans les manuscrits grecs, soit le plus proche du texte primitif ni « le » texte inspiré du NT ! — mais le choix d’une cohérence herméneutique entre le texte et son annotation. 2. La Vulgate (V) est ici moins le témoin des textes grecs qu’elle traduit, ou un reflet de leurs interprétations anciennes (en effet elle indique souvent le sens du grec koinè), que le texte latin traditionnel du christianisme occidental. 3. La Peshitta (S) non plus, n’apparaît pas d’abord en raison de son éventuelle Vorlage araméenne (permettant d’apprécier l’influence précoce du texte grec), mais comme le texte syriaque traditionnel, c’est-à-dire le NT du christianisme oriental. L’apparat critique de Nestle-Aland n’y suffira donc pas, puisqu’il ne cite les versions (syriaques ou autres) que là où elles permettent d’accréditer des manuscrits grecs. 4. Le Textus receptus (TR). Dérivé du premier texte imprimé du NT en grec (Érasme, 1516), c’est le NT de l’humanisme, du moins en Europe du Nord, et de la Réforme. Son importance traditionnelle est capitale : c’est celui que Luther a traduit et c’est celui que reflète la King James Version. Les notes en *Tradition chrétienne et en *Théologie ne permettent pas d’en faire l’économie, si nous voulons maintenir un souci œcuménique. 5. Ce qui est aujourd’hui le texte standard du NT, celui du Novum Testamentum Graece de Nestle-Aland (Nes). Il permet de mettre en perspective historique et critique les quatre autres traditions textuelles. Ces textes principaux ne contiennent pas nécessairement toutes les lectures pertinentes du point de vue des traditions. En plus du texte byzantin, de la Vulgate et de la Peshitta, il existe d’autres témoins grecs, latins et syriaques ayant une réelle importance traditionnelle. Les variantes coptes, vieilles latines, vieilles syriaques, celles des manuscrits grecs ne relevant pas du type majoritaire, ou encore celles que l’on peut tirer des œuvres des Pères de l’Église sont aussi significatives. L’apparat critique de Nestle-Aland peut ici ouvrir des pistes, mais on devra consulter aussi des spécialistes de ces domaines. On ajoutera ces lectures en *Critique textuelle. 4. Éditions de référence Le texte byzantin, la Vulgate et la Peshitta ont connu de multiples recensions. Aussi leurs éditions imprimées n’ont-elles pas fait l’économie d’une étude critique. Pour La Bible en ses Traditions, la solution la plus rigoureuse du point de vue herméneutique serait sans doute de traduire les éditions diplomatiques de manuscrits représentatifs de ces traditions. D’évidentes raisons pratiques invitent cependant à traduire des éditions existantes. Beaucoup de ces textes sont disponibles sur des supports électroniques. Outre les ressources digitales familières aux collaborateurs, on aura recours aux éditions les plus communes. Pour mémoire :
Texte massorétique • La Biblia Hebraica Quinta pour les livres déjà parus ; • La Biblia Hebraica Stuttgartensia pour les autres livres. Pentateuque samaritain • von Gall August, Der hebräische Pentateuch der Samaritaner, 5 vol., Giessen : Töpelmann, 1914-1918 ; • Girón Blanc Luis Fernando, Pentateuco Hebreo-Samaritano : Genesis (Textos y Estudios « Cardenal Cisneros » 15), Madrid : Textos y Estudios « Cardenal Cisneros », 1976. Septante • L’édition de Göttingen pour les livres déjà parus, sans nécessairement en adopter toutes les conjectures. Pour les autres livres : • Rahlfs Alfred, Septuaginta: id est Vetus Testamentum Graeca iuxta LXX interpretes, éd. revue et corrigée par Robert Hanhart, Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2006. Vulgate • Weber Robert et Gryson Roger, Biblia sacra iuxta Vulgatam versionem, 5e éd. corrigée, Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2007. Peshitta • The Peshit.ta Institute of the University of Leiden, The Old Testament in Syriac according to the Peshiṭta Version, 5 t., Leiden : Brill, 1972-2013. Pour les évangiles : • Pinkerton John et Kilgour Robert, The New Testament in Syriac, Londres : British and Foreign Bible Society, 1920. • Kiraz George Anton, Comparative Edition of the Syriac Gospels: Aligning the Sinaiticus, Curetonianus, Peshîṭtâ and Ḥarklean Versions (New Testament Tools and Studies 21/1-4 - Metzger Ehrman), 4 vol., Leiden : Brill, 1996. Pour le reste du NT, le texte est celui de l’édition numérique du Leiden Peshitta Institute en 2008 : www.logos.com/resources/ LLS_LPESH/leiden-peshitta. Texte byzantin ou majoritaire • Hodges Zane C. et Farstad Arthur L., The Greek New Testament according to the Majority Text, 2e éd., Nashville : Thomas Nelson, 1985 ; • †Pierpont William G. et Robinson Maurice A., The New Testament in the Original Greek: Byzantine Textform, Southborough MA : Chilton Book, 2005. Le texte est presque identique dans les deux éditions et correspond largement au texte byzantin majoritaire cité dans l’apparat critique de The Greek New Testament édité par les United Bible Societies (5e éd., 2014). Textus Receptus Les principales éditions du NT selon cette tradition (celle de la Polyglotte d’Alcalá, celle d’Érasme, celle de Simon de Colines, celle de Robert Estienne, etc.) sont disponibles sur le site textusreceptusbibles.com.
La Bible en ses Traditions
Nestle-Aland Nestle-Aland, Novum Testamentum Graece, 28e éd. revue et corrigée, Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2001.
La section suivante décrit plus en détail l’art de traduire que La Bible en ses Traditions souhaite promouvoir.
5. Versions comparées
Justin Taylor, Olivier-Thomas Venard et Étienne Méténier
Pour favoriser la comparaison des versions au cours d’une lecture directement polyphonique des Écritures, les traductions de La Bible en ses Traditions mettront « en facteur commun » autant de matériel linguistique que possible. Dans la disposition des textes imprimés, on s’efforcera de respecter les principes suivants : • Toute variante (entre versions traditionnelles) de longueur inférieure à un stique apparaîtra sous forme de lexèmes mis en parallèle dans la traduction. • Toute variante entre versions traditionnelles de longueur supérieure à un stique apparaîtra dans une colonne parallèle. Quant à la traduction elle-même, on s’inspirera des exemples antiques. Les anciens traducteurs étaient plutôt « sourciers » ; ils n’hésitèrent pas à transformer le grec et le latin pour imiter l’hébreu, allant jusqu’à traduire littéralement des expressions imagées déjà lexicalisées dans l’hébreu biblique. Conjuguant la philologie moderne et ces exemples antiques, La Bible en ses Traditions • traduit l’hébreu ad sensum, sans étymologisme ni littéralisme, dans tous les cas où la formule est lexicalisée ; • rend systématiquement les littéralismes et les calques du grec et du latin.
IV. Comment traduire ?
On distingue deux grandes familles de traduction : celles qui accordent toute leur attention au langage du texte de départ pour le rendre le plus fidèlement possible,82 et celles qui s’attachent surtout à produire le texte le plus limpide et immédiatement compréhensible dans la langue d’arrivée.83 À la première appartient par exemple la Septante, qui souvent adhère à l’hébreu au point d’être peu claire ; à la seconde, les traductions de collections comme Budé ou Sources chrétiennes, qui privilégient la clarté. La Bible en ses Traditions s’efforce d’atteindre un équilibre : l’acte de traduire est moins un calcul qu’une pesée, et la traduction restera toujours un art.84 Voici les deux « tables des commandements » de la traduction de La Bible en ses Traditions, qu’on pourrait appeler « la table du signifiant » et « la table du signifié » du français (mais donnent en regard le texte original) :
On traduit surtout les variantes significatives qui portent sur le sens du texte, en ne minimisant pas le fait qu’un même concept exprimé par un substantif ou par un verbe, en début ou en fin de phrase, ne produit pas nécessairement la même signification dans l’esprit du lecteur. On ne se limite pas aux leçons qui appuient des variantes d’une version réputée « principale ». Par exemple, là où la Vulgate traduit eis doxan par in gloria, nous n’aurons pas à rechercher de manuscrit grec lisant en doxê ; on y verra plutôt une interprétation latine de l’expression en grec koinè, et on la traduira comme telle. La Peshitta donne régulièrement des variantes dépourvues de lien avec un texte grec, mais relevant de l’interprétation homilétique : elles doivent être traduites. On traite le Nom divin dans la même logique : • Pour le texte massorétique, on se contente de translittérer le tétragramme Yhwh, sans le vocaliser. • Quant aux versions, on fait comme si les traducteurs grecs et latins antiques avaient anticipé l’élégante solution adoptée jadis par les traducteurs de la King James Version, en donnant une typographie spéciale (de petites majuscules) à tous les substituts qu’elles donnent au tétragramme : le Seigneur (pour Kurios ou Dominus), il, qui, etc. (pour les pronoms), le Seigneur Dieu (pour ’ădōnāy yhwh), etc.
82
83
84
Traductions « sourcières », selon Ladmiral Jean-René (« Sourciers et ciblistes », Revue d’esthétique 12 [1986] 33-42) ; ou qui recherchent l’« équivalence formelle », selon Nida (Nida Eugene A. et Taber Charles R., The Theory and Practice of Translation: With Special Reference to Bible Translating [Helps for Translators 8], Leiden: Brill, 1969, 200). Cf. également Vinay Jean-Paul et Darbelnet Jean, Stylistique comparée du français et de l’anglais, Paris : Didier, 1958. Traductions « ciblistes » (Ladmiral, ibid.), ou qui recherchent l’« équivalence dynamique » (Nida, ibid.). Cf. Mounin Georges, Les belles infidèles, Paris : Cahiers du Sud, 1955.
Définitions du projet
Les mots pour le dire Respect scrupuleux des « figures » du texte de départ.
Plutôt plus que moins Sensus altior traditionnel maintenu autant que possible.
Le style c’est l’ordre Style rendant le relief que donne l’ordre des mots à la phrase originale.
Ni plus clair ni plus obscur Polysémies non simplifiées. Possibilités de traductions multiples signalées au moins dans l’annotation.
Respecter le code Travail par péricopes en respectant les connecteurs narratologiques.
Plonger n’est pas baptiser Vocabulaire « chrétien » conservé autant que possible.
Cola et commata Disposition du texte selon la Biblia sacra iuxta Vulgatam versionem. Ponctuation minimale.
Avant de transposer une œuvre dans une langue-cible, tout traducteur doit se livrer à une réflexion profonde aux trois niveaux d’analyse du texte-source : du mot au texte, en passant par la phrase. Les pages qui suivent commentent les principes que la traduction de La Bible en ses Traditions s’efforce de respecter à chacune de ces trois échelles.
Passé n’est pas accompli Grande attention au rendu de la valeur aspectuelle des « temps » verbaux de l’hébreu et du grec.
du grec (ainsi, le ephê de Jn 1,23 et certains emplois johanniques de laleô en construction transitive pourront être avantageusement rendus par le même verbe « déclarer »). Si nous croyons avec Cicéron et Jérôme que le traducteur doit, plutôt qu’un « nombre » équivalent, donner au texte cible un « poids » équivalent,85 un même verbe français pourra traduire plusieurs verbes différents du grec, selon le contexte.
1. À l’échelle des mots Respect de la richesse du vocabulaire biblique et des nuances entre « synonymes », sans se faire une obligation de traduire systématiquement chaque mot du texte-source par un même mot du texte cible S’il est un domaine pour lequel un travail approfondi peut toujours améliorer une traduction, c’est bien celui du vocabulaire. Trop souvent, en effet, les nuances qui distinguent chaque terme d’un champ lexical originel sont ignorées. Pour transposer en français la richesse des nuances de la langue originale, on doit préciser l’importance et les contours des champs lexicaux hébraïques et grecs dans un corpus déterminé. Le recours à l’instrument essentiel du traducteur qu’est la concordance du texte original pourra révéler, de façon beaucoup plus sûre que les dictionnaires, les nuances subtiles qui opposent les termes d’un champ lexical déterminé, pour permettre d’aboutir à une traduction dont la richesse devrait être comparable à celle du texte source. L’accent étant mis sur le respect de ce texte-source, on évite cependant le défaut du « terminologisme » auquel aboutirait la recherche d’une concordance comparable, pour le texte d’arrivée, à celle que l’on pourrait dégager du texte de départ. Les champs lexicaux des différentes langues ne sont jamais superposables mot à mot : on ne s’interdira donc pas, en français, de décliner légèrement la polysémie de certains termes, ni de rendre au contraire par un même lexème deux mots distincts
Attention portée à la valeur aspectuelle des temps À des degrés divers, les verbes des textes bibliques relèvent d’une prégnance aspectuelle différente selon la langue (hébreu ou araméen ; grec de la Septante ; grec du NT), la période et l’auteur concernés. Ainsi, pour le NT, les oppositions aspectuelles à l’indicatif seront beaucoup plus marquées dans l’Évangile selon Matthieu et dans certains textes johanniques (évangile et épîtres), que dans les autres corpus. La traduction devra chercher à rendre compte de ces jeux aspectuels, dans la mesure du possible, sans surcharger le texte de façon inutile. Le texte de la Vulgate manifeste une profonde sensibilité à cette dimension linguistique du grec. Ainsi, la valeur de futur imminent que peuvent comporter les présents du NT est parfois rendue par un futur ou une tournure périphrastique en latin : • p. ex. Lc 3,9 pan oun dendron mê poioun karpon kalon ekkoptetai kai eis pur balletai est-il traduit dans certains manuscrits de la Vulgate omnis ergo arbor non faciens fructum excidetur et in ignem mittetur « tout arbre donc qui ne porte pas de fruit va être coupé et être jeté au feu ». De même Jn 1,15 85
Cf. le fameux non adnumerare sed tanquam appendere de Cicéron (→Opt. gen. 14), repris par →Jérôme Ep. 57,5 (Ad Pammachium de optimo genere interpretandi) : non verbum e verbo sed sensum exprimere de sensu. Habeoque huius rei magistrum Tullium « je ne traduis pas un mot à partir d’un mot mais j’exprime une signification conformément à une signification. En cette affaire, j’ai pour maître Tullius [Cicéron]. »
La Bible en ses Traditions
ho opisô mou erchomenos devient-il qui post me venturus est « celui qui va venir après moi ». Semblablement, un imparfait de conatu pourra être rendu dans la Vulgate par un parfait latin, lorsque le contexte l’exige : • p. ex. en Jn 6,21 voluerunt ergo accipere eum in navim traduit-il êthelon oun labein auton eis to ploion « ils eurent donc à cœur de le prendre dans le bateau ».86 Recours aux crochets pour identifier un contenu implicite sans gloser le texte On appelle contenu implicite un sens évident dans un contexte déterminé, que la langue originale n’explicite pas, conformément à son génie (prégnance ou concision). Chaque fois que le génie de la langue d’arrivée exige l’explicitation de ce contenu (pour des raisons de grammaire ou de cohérence), on recourt aux crochets pour le signaler. La règle d’or, dans ces cas-là, consiste à éviter deux extrêmes opposés : • celui de rendre clair dans la langue d’arrivée ce qui serait obscur dans la langue de départ (risque de glose ou d’interprétation réductrice) ; • celui de rendre obscur dans la langue d’arrivée ce qui serait clair dans la langue de départ (risque de littéralisme). Un exemple suffit à illustrer ce principe : • Jn 19,17 kai bastazôn heautôi ton stauron exêlthen eis ton legomenon Kraniou Topon « Portant lui-même sa croix, Jésus sortit [de la ville] jusqu’au lieu-dit du Crâne » : les crochets dans la traduction proposée enclosent non pas une glose mais une explicitation du texte original conforme à la nature de la langue française. Conservation des calques de la langue originale, sous forme de calques équivalents dans la langue d’arrivée Le calque, terme étranger au vocabulaire d’une langue (ainsi l’arabe khalas, pour signifier « cela suffit » dans un texte en français), est distinct de l’emprunt, terme d’origine étrangère acclimaté depuis longtemps dans une langue déterminée (tels que week-end ou steeple-chase en français). Les exemples sont ici importants : • Malgré les apparences, un terme tel que messias fait aussi peu partie du lexique de la langue grecque que du lexique de la langue française : de ce fait, l’auteur du quatrième évangile est contraint de le traduire (par christos : Jn 1,41 ; 4,25) pour que le lecteur le comprenne. Dans un cas de ce genre, l’erreur consisterait à traduire ce mot étrange en grec par un terme courant dans le lexique français (« messie »). Pour garder l’effet de dépaysement que la forme messias produisait dans la langue originale on pourra avoir recours à une forme telle que Messia ou Messias, en italiques. • En revanche, un mot parfaitement grec comme didumos (« jumeau ») peut fort bien être traduit, plutôt qu’être translittéré-francisé en « Didyme ».
En cas de double-sens du texte original, ne jamais sacrifier un sensus altior unanimement reconnu par les Pères En raison de phénomènes fréquents de double entendre, certains textes bibliques (le Cantique des Cantiques, l’Évangile selon Jean, etc.) offrent une densité figurative extrême. Au-delà de l’intention de l’auteur, la tradition interprétative a pu parfois contribuer à enrichir le texte. En paraphrasant Grégoire le Grand, on pourrait affirmer que divina eloquia cum Traditione crescunt « les paroles divines grandissent avec la Tradition ».87 Tel pourrait être le cas de l’archê du premier verset du Prologue de Jean, que la plupart des interprètes anciens comprennent comme le « commencement », alors que le courant d’exégèse origéniste comprend plutôt ce terme comme le « Principe » (c’est-à-dire, le Père : ac si aperte diceret : In Patre subsistit Filius).88 Le texte de la Vulgate (qui porte en Jn 1,1 principio plutôt que initio) reste également ouvert aux deux nuances. Le français, au contraire, ne permet pas de garder les deux sens en un seul mot. Deux solutions s’offrent alors au traducteur, qui, après avoir pesé avantages et inconvénients de chacune des possibilités, sera appelé à trancher : • l’amplification,89 où le gain résultant d’une traduction complète du signifié pourrait compenser, aux yeux de certains traducteurs, l’altération indéniable du rythme de la phrase originelle. On traduirait donc « Au commencement, dans le Principe était le Verbe ». • le renoncement, suivant les cas, à la nuance moins attestée dans l’exégèse ancienne, ou bien au sensus inferior, si les deux exégèses sont également fréquentes dans l’Antiquité. Ainsi, dans l’exemple, si l’on décide de renoncer à l’amplification, il paraît préférable de traduire « Au commencement », plutôt que « Dans le Principe ». Une note devra en tout cas signaler l’existence du sens que l’on n’a pas cru devoir conserver.90 Outre de rares crochets et des notes sur la traduction, La Bible en ses Traditions propose en notes les autres traductions possibles des segments dont la polysémie a été particulièrement importante dans l’histoire de la réception. Maintien du vocabulaire chrétien Le vocabulaire biblique a ceci de particulier qu’il a pénétré les langues modernes occidentales. Ce faisant, il y a perdu sa motivation première tout en conservant sa signification profonde. Méconnaître cette réalité en s’attachant obstinément à la motivation étymologique nous conduirait à lâcher la proie pour 86
87 88 89
90
Cf. Boughton Lynne C., « Transubstantiation and the Latin Text of the Bible: A Problem in the Nova Vulgata Bibliorum », Gregorianum 83 (2002) 209-224 ; Rico Christophe, Le traducteur de Bethléem. Le génie interprétatif de saint Jérôme à l’aune de la linguistique (Lectio divina 270), Paris : Cerf, 2016, 75-79 et 141-144. Cf. la citation originale infra p. 39. →Jean Scot, Hom. Prol. (PL 122,286B). C’est ce que Vinay et Darbelnet, op. cit. (n. 82), 109-114, appellent l’« étoffement ». Sur cette question, voir Rico, op. cit. (n. 86), 103-112.
Définitions du projet
l’ombre et reviendrait de surcroît à la négation de l’histoire même de la langue française. Tout le problème du traducteur biblique est là : il est censé traduire des mots qui sont porteurs d’une longue histoire dans sa propre langue mais constituent parfois, au moment de leur emploi dans les textes originaux, de véritables néologismes (p. ex. le grec baptisma) ou des expansions sémantiques nouvelles (p. ex. pneuma au sens d’« esprit » ; Christos au sens de « Christ »). Pour rendre l’effet de dépaysement qu’ils ont dû produire dans les textes bibliques originels, on pourrait dès lors être tenté de les traduire sans tenir compte de la tradition chrétienne, c’est-à-dire en dehors du contexte de compréhension qui a permis la lecture de ces œuvres (baptisma comme « immersion » ; pneuma comme « souffle » ; Christos comme « consacré par l’onction »). Un texte, cependant, sous peine de rester lettre close, ne saurait jamais être dissocié de son contexte de compréhension. Dans le cas de la Bible, le contexte peut être inféré, au moins partiellement, de l’histoire de sa lecture. De plus, un néologisme n’est jamais vraiment motivé qu’au moment même de la création lexicale. Il importe de ne pas confondre figure et désignation (ce à quoi le terme fait référence). Tant que la désignation n’a pas atténué la motivation première du mot originel, il est légitime de conserver une figure primitive ; mais dès lors qu’une image originale est devenue une catachrèse, c’est-à-dire, dès lors qu’elle s’est intégrée dans le lexique d’une langue, la décision de garder la figure (« immersion ») au détriment de la désignation (« baptême ») équivaut tout simplement à une trahison du sens. En voici d’ailleurs une preuve a contrario : pour traduire le mot baptême du français au grec koinè, il n’est d’autre solution que l’emploi du terme baptisma. Dès qu’un néologisme, devenu fréquent dans une langue, perd son effet de nouveauté (c’est le cas de tous les exemples que nous venons de citer), il se dépouille aussitôt de sa motivation lexicale, et la désignation directe prend alors le pas sur celle, indirecte, de la figure. Si le signifiant de baptisma a pu exprimer, lors de la création de ce terme, « la réalité de l’immersion », il n’en a pas moins toujours désigné ce que nous appelons en français « le baptême ». Dans les cas exceptionnels où un néologisme, porteur d’une désignation fondamentale du lexique du christianisme, apparaîtrait dans un texte au moment même de sa création, ou bien dans un jeu littéraire repérable (p. ex. un étymologisme, une figure de dérivation), la seule solution possible pour le traducteur voulant à tout prix respecter la figure originelle serait le procédé de l’amplification (« l’immersion du baptême »), qui permet de garder l’image originelle sans renoncer pour autant à la désignation.
différentes. La connotation, et finalement le sens, ne sont donc pas exactement les mêmes dans ces deux expressions. À ce titre, le respect de la figure est une priorité du traducteur. Des exemples clarifieront les principes : • Les traductions des évangiles négligent la différence souvent entre les verbes teleioô et plêroô, qui désignent tous deux l’accomplissement de l’Écriture au moyen d’un signifiant différent. Rien n’empêche cependant de tenir compte de la spécificité de chaque figure et de traduire le premier verbe par « être accompli » (voire « trouver son achèvement ») et le second par « trouver sa plénitude ». • Est-il indifférent qu’en Jn 19,28, le même verset associe tetelestai (que la Vulgate rend par consummata sunt) et hina teleiôthêi hê graphê (Vulgate : ut consummaretur scriptura) et que, quelques versets plus loin (Jn 19,36), dans un tout autre contexte, on rencontre en revanche hina hê graphê plêrothêi (Vulgate : ut scriptura impleatur) ? Il faut étendre la notion de figure au contour verbal des phrases elles-mêmes. Dans l’exercice concret de la lecture, la séquence des catégories grammaticales, le rythme donné par la longueur ou l’ordre des mots, par exemple, importent beaucoup pour l’accès à la signification. La traduction idéale ne rend pas seulement le signifié abstrait (le « résultat » sémantique de la phrase originale), elle s’efforce de restituer dans la langue d’arrivée un cheminement analogue vers le sens. La figurativité exerce donc son effet autant à l’échelle de la phrase qu’à celle du mot.
Respect des figures
91
Le signifiant sur lequel repose une figure déterminée contribue puissamment à l’expression d’une idée.91 Par exemple, le maître d’Alexandre et le disciple de Platon désignent certes tous deux le même personnage (Aristote), mais ils le font sous des figures
2. À l’échelle de la phrase Rendu du relief que l’ordre des mots donne à la phrase originale Comme toutes les langues, celles du texte biblique connaissent, pour les différents types syntaxiques92 répertoriés, un ordre des mots habituel (ou neutre), par rapport auquel les variations stylistiques signalent une intention particulière. Ce domaine permet d’ailleurs de caractériser dans une large mesure le style d’un auteur. Au moment de traduire, il convient donc d’éviter deux extrêmes : • la transposition du relief originel par une platitude dans la traduction, en raison de l’adoption systématique d’un ordre des mots neutre en français ; • le décalque artificiel de l’ordre des mots du texte source chaque fois que la langue française le permet.
92
Cf. Frege Gottlob, « Über Sinn und Bedeutung », Zeitschrift für Philosophie und philosophische Kritik 100 (1892) 25-50, traduction française « Sens et dénotation », dans Imbert Claude (trad.), Gottlob Frege : Écrits logiques et philosophiques (L’Ordre philosophique), Paris : Seuil, 1971, 102-126. Indépendante à verbe prédicatif au présent, indépendante à verbe prédicatif au passé, indépendante à verbe transitif, etc.
La Bible en ses Traditions
Un exemple éclaircira les choses : • Jn 1,6 Egeneto anthrôpos apestalmenos para theou. La Vulgate suit exactement l’ordre originel : Fuit homo missus a Deo (« Il y eut un homme envoyé d’auprès de Dieu »). Fondée comme le grec sur des désinences casuelles, la phrase latine est susceptible d’une remarquable plasticité. C’est la raison pour laquelle, sans bousculer le moins du monde le génie du latin, Jérôme a pu opter dans sa traduction pour une fidélité générale à l’ordre des mots grecs. Ce choix manifestait chez lui une sensibilité particulière à la portée des séquences lexicales du texte sacré (scripturis sanctis, ubi et verborum ordo mysterium est).93 Il révèle en tout état de cause, la richesse de la version latine de la Bible, qui a su garder au style de chaque livre son relief particulier. De façon paradoxale, certaines oreilles modernes habituées à lire ou à écouter la Vulgate ont pu acquérir une conscience intuitive de l’ordre habituel des phrases bibliques originelles et perçoivent de ce fait, par contraste, le poids extraordinaire d’une tournure insolite. Tel est le cas du fameux et Deus erat Verbum (Jn 1,1) où la première place exceptionnelle de l’attribut dénonce d’emblée une mise en relief stylistique. Ce que le latin permet, la plupart des langues modernes occidentales le refusent : l’ordre des mots d’une langue telle que le français fonde en effet le sens des phrases (« le chat mange la souris » / « la souris mange le chat »). Dès lors, à moins d’opter pour une syntaxe absolument étrangère à la langue actuelle, le principe de Jérôme devient ici inapplicable sans modification profonde. C’est ce que montrent certaines tentatives d’imitation servile de l’ordre des mots bibliques. • Par exemple, la syntaxe de Jn 1,1 (kai theos ên ho logos : attribut + verbe d’état au passé + sujet) accuse fortement le poids stylistique de l’attribut : une telle structure phrastique demeure rarissime dans l’idiolecte johannique et doit, à ce titre, être soulignée dans une traduction. Faute de l’avoir décelé, le principe littéraliste de nombreuses traductions françaises aboutit ici à une traduction plate (« et le Verbe était Dieu ») alors qu’une mise en relief de l’attribut (« et il était Dieu, le Verbe » ; ou mieux : « et le Verbe était vraiment Dieu ») eût été souhaitable. C’est à de tels exemples que l’on mesure le caractère fallacieux d’un absolutisme littéraliste (ou sourcier) en traduction : sous prétexte de fidélité, on finit par trahir le texte original, dans la mesure où l’on altère son poids stylistique. 3. À l’échelle du texte et de l’œuvre « Sémiotisation » des expressions qui ont valeur de signe dans le texte original L’unité textuelle de chaque livre biblique entraîne la nécessité de respecter dans la traduction les mots « sémiotisés » (c’est-àdire : ceux qui fonctionnent comme des signes textuels) de l’œuvre originelle. L’application de ce principe exige beaucoup
de discernement, car elle comporte une part d’interprétation subjective. Voici un exemple déterminant : • le tour (kai) êrôtêsen kai eipen autôi. Dans l’Évangile selon Jean, les formules d’introduction aux répliques des différents personnages ne sont pas du tout interchangeables. Une analyse attentive de ces petites phrases qui précèdent la citation des paroles des interlocuteurs au discours direct révèle une récurrence persistante du tour (kai) erôtêsen kai eipen autôi (ou de ses variantes au présent, ou avec le verbe apokrinomai), chaque fois que la tension devient plus vive dans un dialogue, ou qu’une affirmation solennelle doit être prononcée. Dans le premier chapitre, les envoyés des Ioudaioi soumettent Jean à un interrogatoire serré afin que ce dernier leur révèle enfin son identité. Dans ce passage, les phrases qui introduisent les questions des émissaires connaissent un crescendo (Jn 1,19 hina erôtêsôsin auton ; 1,21 kai êrôtêsan auton ; 1,22 eipan oun autôi) jusqu’à l’interrogation finale de 1,25 kai êrôtêsan auton kai eipan autôi. Dans la mesure où cette dernière formule émaille le quatrième évangile, dans une rigoureuse cohérence, à tous les points du texte où une déclaration prend un poids particulier, il apparaît nécessaire de transposer ce marqueur textuel du grec par un marqueur équivalent en français (« ils l’interrogèrent et lui dirent… »), pour que le lecteur soit à même de le repérer et de l’interpréter. Travail par péricopes en respectant les unités narratologiques Indécelables à la seule échelle de la phrase, les connecteurs logiques qui structurent l’ensemble d’une séquence narratologique doivent être repérés et respectés par le traducteur. Seule une analyse au niveau de chaque péricope le permet. Ainsi, dans l’Évangile selon Jean, le récit de la Passion est parcouru par une tension dramatique qui se déploie depuis l’arrestation au jardin des Oliviers jusqu’à la décision de Pilate de remettre Jésus aux notables juifs pour qu’il soit crucifié. Les étapes principales de la discussion entre le préfet romain et les membres du sanhédrin, où se joue le sort de Jésus, aboutissent à des sommets d’intensité dramatique que souligne à deux reprises le connecteur tote oun : • La locution apparaît pour la première fois en Jn 19,1, comme signe avant-coureur du dénouement final, lorsque Pilate fait une première concession à la foule en donnant l’ordre de flageller Jésus. • Un peu plus loin (Jn 19,16), le connecteur refait surface quand le gouverneur finit par céder aux pressions des Ioudaioi et leur livre l’illustre accusé : tote oun paredôken auton
93
→Jérôme Ep. 57, 5 « dans les saintes Écritures, où l’ordre des mots est aussi un mystère ».
Définitions du projet
« où les traits de l’antique inspiration ne seraient pas complètement effacés par le passage à l’écriture, puis aux langues modernes. Il en perçoit les traces dans la traduction. Il cherche un accès non pas seulement au sens que la traduction en sa langue lui rend intelligible — un sens précisé, explicité, décrypté, démythologisé, défolklorisé, décorporalisé —, mais à une harmonique de sens entendus à travers les sens exprimés à d’autres époques, en d’autres lieux, signes de la pérennité du message dans les processus de transmission, preuves de la présence latente d’une parole première. »96
autois hina staurôthêi. Ce moment-là marque la fin du suspens et signale un brusque changement dans le tempo du récit. Cet exemple souligne sans doute l’importance, pour le traducteur, du respect du rythme d’une péricope, fondé sur les marqueurs logiques. La traduction ne dépend plus alors du seul poids des mots, mais de leur place stratégique dans le texte. Disposition typographique du texte Plutôt que de laisser la disposition du texte à la subjectivité de ses producteurs, La Bible en ses Traditions propose de se mettre à l’école de Jérôme et de reproduire en français une disposition en cola et commata94 inspirée de celle des grands manuscrits du 4e s., qui abandonnèrent la disposition purement quantitative (et commerciale) en stiques alexandrins. On a souvent décrit la colométrie comme une disposition du texte obéissant à un critère sémantique. Selon B. Botte, repris par L. Frey, « la disposition colométrique — per cola et commata — est […] une disposition qui regroupe en courtes lignes les mots qui doivent être unis dans la lecture. Le Codex Bezae Cantabrigiensis est un des plus anciens manuscrits en colométrie. »95 Le texte est alors divisé en strophes marquées par des alinéas dont l’initiale déborde dans la marge. Examinée de plus près cependant, la dispositio per cola et commata s’avère riche de nombreux effets de sens. Elle permet, par exemple, de réduire au strict minimum, sinon de supprimer, la ponctuation et de retrouver dans la langue cible certaines polysémies de construction de la langue de départ. Elle produit aussi des effets rythmiques d’accélération ou de ralenti dans les récits comme dans les discours. On s’efforce donc, autant que possible, de disposer le texte comme celui de la Vulgate dans l’édition de référence par Gryson. Bien sûr toute règle souffre des exceptions : on se laisse aussi la possibilité de conserver les dispositions propres à chaque tradition, spécialement dans les compositions poétiques. Envoi Aujourd’hui, la Bible est disponible dans des traductions visant les publics les plus divers. Autant dire que le français « biblique » a brisé son carcan néo-classique qui étouffait un peu la flamme sous la cendre depuis des décennies. Notre langue se parle sur un très large spectre, qui va des subtiles complexités de la syntaxe mallarméenne, à la platitude cultivée du dialogue durassien, en passant par la copia verbi proustienne. La Bible en ses Traditions aimerait dévaliser l’arsenal entier de la langue française ! Naguère, une grande dame de la traduction biblique décrivait ainsi le désir secret de tout lecteur d’une traduction : orphelin de l’hébreu, du grec, de l’araméen et du latin, le lecteur d’une traduction biblique garde la nostalgie d’une expression originelle
Puissent les traducteurs et les annotateurs de La Bible en ses Traditions donner à leurs lecteurs de la pressentir ! Christophe Rico et Olivier-Thomas Venard
V. Comment annoter ? Présentation des rubriques de notes divina eloquia cum legente crescunt →Grégoire le Grand, Hom. Ezech. 1,7,8 (SC 327,244) Chez ses collaborateurs comme chez ses lecteurs, La Bible en ses Traditions promeut à la fois intelligence et piété, esprit critique et créativité. Aux approches chosifiant le texte, instigatrices de littéralisme ou de déconstruction — qu’elles se prétendent « religieuses » ou « scientifiques » —, on substitue la vision antique et médiévale de l’Écriture sainte comme texte interactif, texte qui « grandit avec son lecteur » pour parler comme Grégoire le Grand au 6e s. Cette interactivité est évidente dans la version digitale de La Bible en ses Traditions. Elle permet aux collaborateurs d’insérer directement des contenus multimédias — images (dans les notes de repères historiques et géographiques, de milieux de vie et d’arts visuels), sons (dans les notes de musique) et vidéos (dans les notes de danse et de cinéma) — ou des renvois vers des ouvrages complets disponibles sur internet. Elle leur permet aussi de dialoguer entre eux, puisque tout contenu est à tout moment susceptible d’une nouvelle révision. Dans la version imprimée, cette interactivité est symbolisée par une mise en page héritée de la Glose. Idéalement, une page de La Bible en ses Traditions se présente ainsi :
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Voir le début du prologue de Jérôme au livre d’Isaïe (→Weber et Gryson , 1096 ; cf. ibid. xxix). Frey Louis, Analyse ordinale des évangiles synoptiques (Mathématiques et sciences de l’homme 11), Paris : Mouton et Gauthier-Villars, 1972. Harl Marguerite, « Avant-propos » dans →Dogniez et Harl , 11-12.
La Bible en ses Traditions
Traduction/s du/des texte/s biblique/s
1 Propositions de lecture
Versions W et X
Version Y
Version Z
Variante
Texte 2 Critique textuelle 3 Vocabulaire 4 Grammaire 5 Procédés littéraires 6 Genres littéraires Références intertextuelles
Réception 11 Comparaison des versions 12 Lecture synoptique 13 Littérature péritestamentaire 14 Liturgie 15 Tradition juive 16 Droit 17 Tradition chrétienne 18 Mystique 19 Théologie 20 Philosophie 21 Psychologie 22 Islam 23 Histoire des traductions 24 Littérature 25 Arts visuels 26 Musique 27 Danse 28 Cinéma
Contexte 7 Repères historiques et géographiques 8 Milieux de vie 9 Textes anciens 10 Intertextualité biblique
Le texte biblique, au centre, est encadré : • au pied du texte par d’abondantes références intertextuelles ; • autour, par trois zones d’annotation : Texte, Contexte et Réception, subdivisées en une trentaine de rubriques de notes. Celles-ci n’apparaissent pas nécessairement toutes pour chaque péricope. Par exemple, les passages doctrinaux ou disciplinaires de Paul n’ont guère eu d’échos dans les arts visuels. Les pages qui suivent décrivent en détails les contenus possibles pour chaque rubrique d’annotation. Le but est d’être le plus analytique possible. Pour commencer, présentons les trois catégories de notes qui sont hors-zone. Références marginales — *ref Les références marginales listent le plus grand nombre possible de liens vers d’autres passages de l’Écriture pouvant éclairer le texte en question, sans commentaire, mais précédés d’un titre bref. ᬳ Un registre d’annotation spécifique permet de développer plus amplement le commentaire sur l’*Intertextualité biblique.
Propositions de lecture — *interp Péricope par péricope, ces petites synthèses introduisent le lecteur à l’ensemble des notes proposées. Elles en articulent les lectures (attestées ou simplement possibles) dans les trois dimensions de sa réception (textuelle, contextuelle et culturelle).
• Sur le plan thématique, évitant la paraphrase, elles synthétisent les manières dont le passage a été lu au fil des époques de sa réception et peut l’être aujourd’hui. • Sur le plan formel, elles proposent des structures globales pour les portions de texte qu’elles visent, surtout si leurs « plans » sont objets de débats entre exégètes. ᬳ Cherchant à relier entre elles le plus possible de notes, une *Proposition de lecture est logiquement pleine de renvois vers ces autres notes (la manière de faire ces renvois est imprimée en troisième de couverture). ᬳ Lorsque la péricope présente un verset ou plusieurs versets particulièrement difficiles, une *Proposition de lecture spéciale pour ce/s verset/s peut être formulée. ᬳ Tout ce qui est hypothétique relève des *Propositions de lecture en principe. En pratique, cependant, pour éviter d’encombrer cette rubrique : • si des effets littéraux avérés structurent le signifiant du texte concerné (p. ex. des répétitions de mots, des chiasmes, etc.), ladite structure est traitée en *Procédés littéraires ; • les hypothèses sémantiques concernant le *Vocabulaire, les *Procédés littéraires et les *Genres littéraires sont l’objet de notes dans les rubriques concernés avec un point d’interrogation dans les titres des notes (p. ex. : « chiasme ? »).
Notes de synthèse — → Des phénomènes textuels, des thèmes variés — relevant de l’une ou l’autre des rubriques d’annotation — apparaissent souvent dans la Bible (p. ex. « messie », « antijudaïsme », « parabole »). Plutôt que de composer des notes différentes à chaque
Définitions du projet
fois que ces sujets arrivent, au risque de lourdes répétitions ou de doublons non harmonisés, on les traite sous forme de → Notes de synthèse, enrichies continuellement par les collaborateurs, auxquelles on peut renvoyer autant que nécessaire depuis l’annotation entourant le texte biblique. Dans la version digitale de La Bible en ses Traditions, de simples hyperliens y donnent accès. Dans la version imprimée, ces notes de synthèse apparaissent en fin de volume sous forme de courts essais arrangés en ordre alphabétique comme une sorte de vocabulaire de théologie biblique. 1. TEXTE La zone d’annotation Texte envisage le texte en tant qu’objet linguistique et littéraire. L’Écriture aime jouer avec l’ambiguïté des vocables, des structures grammaticales, des formes littéraires et des cadres énonciatifs (chez les prophètes, on peut souvent se demander qui parle à qui). Dans une logique graduelle allant du lexème au texte, les notes de la zone Texte partent de la matérialité même de l’écrit (critique textuelle) et vont jusqu’à la détermination du genre littéraire du passage. Critique textuelle — *tex La traduction polyphonique du texte biblique proposée au centre de la page inclut les variantes des versions traditionnelles. Les notes de *Critique textuelle donnent les variantes secondaires du passage en question, dans une même version. • Pour l’AT, il s’agit de variantes tirées des manuscrits de la mer Morte, des targums, d’anciennes traductions et de citations patristiques. • Pour le NT, elles proviennent des témoins importants tirés des manuscrits, anciennes traductions et témoins patristiques. On décrit brièvement l’intérêt de ces variantes pour la détermination du sens du texte, et lorsque les témoins du texte présentent des plus ou des moins, on tente d’en cerner les causes, en termes de corruption, lacune, conjecture, édulcoration, interpolation, surcharge, troncature, etc. ᬳ Les notes de *Critique textuelle envisagent le texte à l’intérieur de la tradition d’une version, et ne font intervenir une autre version que si elle aide à établir la Vorlage de la variante concernée. La rubrique *Comparaison des versions est l’objet d’une rubrique d’annotation différente (cf. infra).
Vocabulaire — *voc À l’échelle des mots et sauf à traiter ces différents points comme des *Procédés littéraires, ces notes abordent : • La lexicographie. On décrit la plus ou moins grande fréquence de l’usage d’un terme dans un corpus donné (hapax legomena, idiolectes, etc.). On cite, le cas échéant, d’autres usages bibliques du même terme. • La lexicologie. On propose une datation du vocabulaire, on analyse les racines verbales hébraïques ou les radicaux grecs et on traite de l’étymologie.
• La sémantique. On donne le sens des noms propres ou des expressions figées et l’on caractérise les termes (anthroponyme, toponyme, éponyme, etc.) ou les champs lexicaux (littéraire, théologique, eschatologique, commercial, technique, etc.). Dans le cadre de l’option sourcière modérée de La Bible en ses Traditions (supra p. 34) : • si plusieurs traductions d’un même terme sont possibles, on explique l’option retenue ; • si le sens des mots ou des phrases de la traduction retenue, dans le français contemporain, risque de prêter le lecteur à confusion, on donne toute explication utile. Grammaire — *gra De la morphologie à la syntaxe, ces notes décrivent les traits grammaticaux saillants du texte, en insistant sur des possibilités de traduction autres que celle qui a été retenue, ou sur des nuances que la traduction ne peut rendre, mais qui sont présentes dans la grammaire du texte dans sa langue originelle. Procédés littéraires — *pro L’Écriture recèle de grandes beautés littéraires. Dans le registre de *Procédés littéraires, on identifie par leurs noms les procédés rhétoriques, stylistiques, poétiques, narratifs, pragmatiques et énonciatifs qui la tissent, et — si nécessaire — on en explique la portée. Les domaines envisagés sont ceux de la sémantique, de la composition, de la narratologie, des rhétoriques (antiques et nouvelles), de l’énonciation, de la pragmatique. ᬳ Les échos et liens entre un texte et un autre à l’intérieur d’un même livre biblique ou d’un corpus fortement unifié par la réception traditionnelle (comme les corpus paulinien et johannique) sont traités plutôt comme *Procédés littéraires que comme *Intertextualité biblique (rubrique que l’on réservera aux relations intertextuelles entre livres). ᬳ Les sémitismes intentionnels dans le grec ou le latin sont traités comme *Procédés littéraires. Ceux qui relèvent plus de l’influence globale des langues sémitiques sur le lexique ou la grammaire du grec ou du latin relèvent plutôt des notes de *Vocabulaire ou de *Grammaire.
Genres littéraires — *gen Il est bien difficile d’interpréter convenablement un texte sans en déterminer le genre. Celui-ci permet en outre d’approcher le milieu dans lequel le texte a pu être composé. On s’efforce ici d’identifier le genre ou le sous-genre littéraire du texte ou de la portion de texte présenté, en étant conscient du fait qu’il s’agit souvent d’une approximation (et qu’en conséquence le titre de ces notes se terminera souvent par un point d’interrogation). On explique l’impact de ce genre sur l’interprétation du texte dans son contexte historique originel. 2. CONTEXTE Depuis le 19e s., on analyse les phénomènes du passé selon les trois catégories du temps, de l’espace et du milieu de vie. Une telle approche permet de restituer, au moins par approxima-
La Bible en ses Traditions
tion, la caisse de résonance originelle des discours humains du passé, conservés par l’écrit sous toutes ses formes. Le texte biblique ne fait pas exception. Le Contexte envisagé par ces notes est à la fois physique (*Repères historiques et géographiques), social (*Milieux de vie) et culturel (*Textes anciens, *Intertextualité biblique, *Littérature péritestamentaire). Ces rubriques ont pour objet des faits d’ordre historique et géographique ou culturel liés au texte, soit qu’ils y soient représentés — directement ou non —, soit qu’ils en expliquent la production. Repères historiques et géographiques — *hge Ces repérages sont complexes quand le texte a fait l’objet de plusieurs recensions ou réécritures avant d’atteindre son état canonique. Une fois relativisée l’« histoire du salut » projetée par la Bible, faut-il se contenter de combiner les chronologies reconstituées par les historiens (y compris les historiens du texte) et celles que proposent les archéologues ? Chacune représente en fait une chronologie relative : faut-il à tout prix la transformer en chronologie absolue ? En s’efforçant de répondre à ces questions, on peut mieux apprécier l’« historicité » de tel épisode ou de tel récit. Quant au temps. On apprécie la portée du texte à l’époque de sa rédaction et ce qu’il dit de l’époque où les événements qu’il rapporte sont censés avoir lieu. On limite au strict minimum les hypothèses sur la genèse des textes ; on privilégie les données d’histoire ancienne susceptibles d’éclairer les événements rapportés par l’écrivain biblique. Quant à l’espace. La géographie et la topographie référées par le texte, ainsi que les vestiges archéologiques qui peuvent leur correspondre, aident à comprendre les conditions matérielles des existences individuelles et sociales décrites, ainsi que la vision du monde qu’il décrit, dénonce ou promeut. Milieux de vie — *mil Tout groupe humain obéit à des lois de vie commune, des règles de comportement, une éthique définissant le permis et le défendu. La rubrique *Milieux de vie fait allusion au Sitz im Leben : il s’agit des circonstances socio-culturelles qui entourent la production et la transmission du texte et dont la reconstitution importe pour interpréter justement des documents venus de sociétés très lointaines dans le temps et dans l’espace. De l’administration à l’astronomie, de l’agriculture à la cosmographie, de la médecine à la mythologie — pour ne citer que quelques domaines visés par cette rubrique — connaître les milieux de vie des auteurs bibliques et de ceux dont ils parlent est déterminant pour apprécier leur degré d’intégration, d’approbation ou de critique vis-à-vis des cultures dans lesquelles ils vivent ou qu’ils évoquent. Dans la zone d’annotation Contexte, on replace également le texte biblique dans la perspective du dialogisme (Bakhtine) consubstantiel à la production littéraire. Ce dialogisme peut être extra-biblique ou intra-biblique :
Textes anciens — *anc Dans cette rubrique on cite ou résume des textes parallèles au passage biblique, tirés des littératures anciennes non bibliques. On considère comme parallèles des textes semblables qui traitent de sujets analogues. Analogies Sous quelques cieux qu’ils vivent, les hommes font souvent les mêmes expériences de bonheur ou de malheur, découvrent d’implacables « lois » de l’existence et inventent parfois les mêmes expressions pour les dire. Tels sont notamment les textes de sagesse en Égypte, en Mésopotamie et dans la Bible. On note ici ces convergences de l’expérience humaine par-delà les limites du temps, de l’espace et du milieu. Mimesis Les auteurs bibliques ont souvent imité des formules littéraires, des récits et des textes des cultures avec lesquelles ils entraient en contact, fût-ce pour s’en démarquer par quelque « démythologisation ». ᬳ Au-delà des mots, les parallèles concernent les lois, les coutumes, ou même les normes éthiques. Ils sont alors plutôt l’objet de la rubrique *Milieux de vie.
Intertextualité biblique — *bib De facto de nombreux liens relient entre eux les textes à l’intérieur du corpus biblique, sur une échelle allant du simple mot à l’œuvre entière en passant par l’usage d’une expression, de tel motif narratif, telle idée, telle histoire ou telle pratique, à un schéma narratif complet. Les types de relations entre les textes du corpus biblique s’inscrivent sur une courbe comprise entre deux asymptotes : • structurale-synchronique-théologique : elle postule que l’ensemble du canon constitue une structure dans laquelle toutes les parties sont en interaction ; • historique-intentionnelle-psychologique : elle s’interroge sur la possibilité que l’auteur, rédacteur ou compilateur du texte en question ait, consciemment, pu faire telle citation, allusion, etc. à tel ou tel passage des Écritures. Les notes d’*Intertextualité biblique peuvent commenter les *Références marginales brutes ou en proposer de nouvelles. Tandis que les *Références marginales sont très proches de l’asymptote structurale, les notes d’*Intertextualité biblique permettent d’aller plus loin dans l’analyse historique ou intentionnelle. Les herméneutiques traditionnelles de la « typologie » et de l’« accomplissement des Écritures » trouvent ici leurs places. ᬳ Ces notes concernent des liens entre des passages de livres différents. Les notes citant d’autres passages à l’intérieur d’un même livre relèvent plutôt des *Procédés littéraires. ᬳ Certaines notes de *Genres littéraires citent d’autres passages de l’Écriture pour justifier le genre littéraire identifié dans le passage annoté (p. ex. des récits de guérison à distance similaires qui n’ont pas de liens directs entre eux). De même, des notes de *Vocabulaire, de *Grammaire et de *Procédés littéraires peuvent avoir à citer des références scripturaires, pour des raisons plus linguistiques qu’intertextuelles.
Définitions du projet
ᬳ Pour l’AT ce registre apparaît plutôt dans la zone d’annotation Réception. Pour le NT, il trouve plus naturellement place dans la zone Contexte : La Bible en ses Traditions considère les Écritures anciennes comme la langue des auteurs du NT. Une autre rubrique est à l’intersection du contexte et de la réception : la *Littérature péritestamentaire (cf. infra).
3. RÉCEPTION La Tradition est contemporaine de l’Écriture : la réception commence à l’intérieur même du corpus biblique, à des époques où le canon était encore en cours de constitution. C’est pourquoi trois types de notes philologiques encore liées au texte même de l’Écriture apparaissent dans cette zone d’annotation. Comparaison des versions — *com Au-delà des variantes textuelles à l’intérieur d’une même version signalées en *Critique textuelle, les témoins traditionnels majeurs attestent souvent des choix interprétatifs originels dans la réception du texte par ceux qui les ont transmis dans leurs différentes communautés. Ce sont les témoins de l’exégèse la plus ancienne. En cas d’écart important entre le texte massorétique et le texte grec, on peut hasarder une conjecture sur un « original » hébreu différent du texte massorétique pour le grec ou, bien sûr, supposer qu’il s’agit de simples variations de style. ᬳ Les variantes entre versions qui servent à l’établissement de la Vorlage d’une version donnée, plutôt qu’à amorcer l’histoire de la réception, relèvent de la rubrique *Critique textuelle (voir supra).
Lecture synoptique — *syn Les notes de *Lecture synoptique comparent les différentes occurrences d’un même texte dans les livres de 2 Samuel-Rois et des Chroniques ; dans ceux de 1-2 Maccabées ; et bien sûr dans les évangiles (y compris Jean). On y décrit les différences de fait — le contexte dans lequel elles placent cette histoire, leurs manières de la présenter, les aspects qu’elles entendent souligner — pour faire ressortir l’originalité du texte annoté. Lorsqu’un large assentiment des exégètes existe, ou que la question revêt une importance herméneutique décisive, on peut hasarder une hypothèse génétique sur les dépendances possibles entre ces textes (théorie des deux sources, etc.). ᬳ Les autres parallèles repérables sont traités en *Intertextualité biblique.
Littérature péritestamentaire — *ptes On cite ici des textes d’inspiration biblique de l’époque dite du second Temple : les apocryphes chrétiens jusque vers 150, et les apocryphes juifs de l’époque tannaïtique, non retenus dans l’un ni dans l’autre Testament canonique. Ces textes présentent des pratiques, des expressions, des motifs, des idées, des intrigues, parfois des passages entiers, parallèles au texte annoté. ᬳ La Bible en ses Traditions retient le canon catholique, si bien que le lecteur juif ou protestant lira parfois dans le registre *Intertextualité biblique certaines références qu’il s’attendrait à trouver ici. ᬳ Quand les continuités entre les deux sont évidentes, les notes en *Littérature péritestamentaire et en *Tradition juive (voire en *Tradition chrétienne) sont associées en une seule rubrique.
ᬳ Pour l’AT ce registre sera dans la zone Réception. Pour le NT, il trouvera plus naturellement sa place dans la zone Contexte.
Les rubriques de notes qui suivent ci-dessous relèvent plus évidemment de l’histoire des effets du texte scripturaire constitué, même si les plus anciennes œuvres qu’elles citent sont encore témoins de l’histoire de sa canonisation, sinon de sa constitution. Le texte déploie ses significations au fil de l’histoire de sa réception. Chaque lecteur, chaque lecture peut lui faire produire de nouveaux échos. La Bible en ses Traditions fait l’inventaire — à grands traits ou plus en détails — des textes et des œuvres qui ont commenté, récrit ou mis en œuvre(s) l’Écriture, sur tout support, à toute époque et en tout contexte, religieux ou non. ᬳ Autant que possible, pour éviter de fastidieuses énumérations sans renoncer à être complet, le contenu de ces notes est présenté dans un ordre chronologico-logique.
Liturgie — *lit La liturgie constitue le contexte privilégié de la réception croyante des Écritures : lectionnaires et missels sont de véritables centons des Écritures. Avec son calendrier et ses rituels, art total recourant à tous les sens (spécialement à la synesthésie de la vue et de l’ouïe), la célébration liturgique actualise la phénoménologie du mystère référé par les Écritures. Les notes de *Liturgie présentent la réception multiforme du texte biblique — de la simple lecture à l’amplification dans les paraliturgies de la religion populaire — dans le culte des synagogues, Églises et communautés ecclésiales chrétiennes, tant occidentales qu’orientales. ᬳ Les notes d’iconographie stricto sensu (lectures d’icônes liturgiques traditionnelles), ainsi que les notes concernant le chant sacré (grégorien en particulier), relèvent de la rubrique *Liturgie, non des rubriques *Arts visuels et *Musique.
Tradition juive — *jui Pour l’AT Il s’agit de réception à proprement parler. Ces notes citent des passages de la tradition rabbinique qui éclairent la réception de tout le ou partie du passage annoté de l’AT. Pour le NT Il ne s’agit pas de réception stricto sensu. La tradition rabbinique, dont la partie la plus ancienne est fixée par écrit au 2e s. ap. J.-C., apparaît dans la zone Réception pour une raison chronologique plus qu’herméneutique. Ces notes proposent des textes de la littérature rabbinique qui éclairent le NT. Certains témoignent de traditions plus anciennes, possiblement connues des auteurs néotestamentaires. On peut en être sûr spécialement lorsque des passages chez Philon, Josèphe ou d’autres écrits de l’époque du second Temple les corroborent. Néanmoins, pour beaucoup de passages, il est difficile de décider si les rabbins attestent d’une tradition plus ancienne que le NT ou s’ils réagissent à celui-ci — ce qui n’ôte pas pour autant tout intérêt au parallèle.
La Bible en ses Traditions
On privilégiera les lectures haggadiques traditionnelles jusqu’au 12e s. (les commentaires rabbiniques jusqu’à Rachi et Maïmonide), mais sans s’interdire de citer parfois des lectures juives modernes ou contemporaines. ᬳ La réception des Écritures par des philosophes, des auteurs littéraires, des plasticiens ou des compositeurs juifs trouve sa place dans les registres consacrés respectivement à ces arts. La liturgie juive trouve sa place en *Liturgie ; la halakha en *Droit. Philon et Flavius Josèphe se trouvent le plus souvent en *Textes anciens (parfois en *Tradition juive, quand ils apparaissent comme témoins anciens de traditions retrouvées chez les rabbins). Les exceptions, possibles, seront toujours justifiées : ainsi Lévinas en position de « rabbin secondaire » dans ses lectures talmudiques peut-il trouver sa place en *Tradition juive.
Droit — *dro Les notes de *Droit traitent de la réception juridique des Écritures, que ce soit dans la halakha rabbinique ou dans les droits canoniques et civils. Tradition chrétienne — *chr Des apocryphes bibliques d’après l’an 150 et des Pères de l’Église, aux grands auteurs de la Réforme protestante et de la Réformation catholique, en passant par les docteurs médiévaux, on cite ici les principaux auteurs chrétiens qui ont commenté le passage. L’ampleur du corpus est telle qu’on privilégie les œuvres qui se présentent à proprement parler comme des commentaires du livre édité. Les œuvres qui ne font que citer le texte en passant ne sont signalées qu’en cas d’importance exceptionnelle par leur autorité ou leurs conséquences avérées. Ces notes peuvent être de quatre types : 1) des synthèses de l’interprétation donnée par plusieurs auteurs ou par un auteur majeur au fil de sa carrière (les références sont données en fin de synthèse) ; 2) des citations de tel auteur particulièrement éclairant (son nom et la référence à son ouvrage sont donnés avant la citation) ; 3) des listes d’identifications allégoriques traditionnelles de divers actants du texte. Chacun d’eux est suivi du signe « égal » (=), de son identification allégorique, puis des références aux auteurs qui la proposent ; 4) des descriptions de la méthode d’exégèse des anciens, signalant leurs manières propres d’aborder telle ou telle question disputée par la critique moderne à propos de ce texte. ᬳ Certains auteurs cités dans le registre *Tradition chrétienne, p. ex. Thomas d’Aquin et Calvin, apparaissent aussi dans la rubrique *Théologie. Ils ressortissent au premier en tant qu’auteurs de commentaires du texte biblique annoté, au second en tant qu’utilisateurs de ce texte pour leurs élaborations théologiques propres.
Mystique — *myst Beaucoup de saints et de saintes se sont approprié les Écritures comme matrice de vie ascétique et mystique. Ces notes font échos à leurs enseignements : elles résument ou citent leurs utilisations du passage biblique en question dans leurs
enseignements spirituels — écrits mystiques, journaux intimes, sermons ou homélies, lettres, traités de dévotion. ᬳ Ces notes relèvent de la spiritualité et ne puisent ni dans les traités théologiques formels (relevant des notes de *Théologie), ni dans les commentaires scripturaires du texte (lesquels relèvent de l’annotation en *Tradition chrétienne).
Théologie — *theo Ces notes présentent la réception multiforme du texte dans la tradition magistérielle des conciles et des papes, et dans les œuvres des grands théologiens de l’histoire du christianisme, replacées dans leurs contextes. Les notes de *Théologie sont organisées selon les distinctions classiques de la théologie latine (dogmatique, morale, pastorale, missiologie, etc.), avec toutes les sous-catégories nécessaires (christologie, théologie mariale, théologie trinitaire, eschatologie, etc.). ᬳ Ces notes ne sont pas le lieu où les collaborateurs présentent leurs opinions théologiques ou leurs méditations personnelles sur le texte. ᬳ Tout en distinguant explicitement les interprétations confessionnelles quand elles divergent, ces notes sont structurées dans un ordre le plus possible chronologico-logique et le moins possible confessionnel.
Philosophie — *phi À partir de la fin du 17e s., les philosophes ont pris une telle indépendance de la tradition qu’ils produisent sur les Écritures des discours (la question des miracles, du surnaturel, etc.) et des contre-discours (que l’on songe à la présence de l’Écriture dans la phénoménologie française contemporaine) qui modifient sensiblement la réception qu’en fait le public. Cette rubrique ressemble à la constitution d’une espèce de midrash philosophique le long de la Bible. Moins que d’éventuels commentaires bibliques produits par des philosophes, on y recense les usages qu’ils ont fait de tel verset, passage, épisode, situation ou personnage dans leurs propres élaborations philosophiques. On présente parfois des développements philosophiques non directement liés au texte biblique, mais qui lui apportent un éclairage intéressant, surtout quand on les croise avec des développements artistiques ou théologiques. ᬳ Cette rubrique s’attache aux philosophes modernes et contemporains. Les philosophes antiques sont placés dans les notes contextuelles de *Textes anciens. Quant aux développements philosophiques médiévaux, c’est dans la rubrique *Théologie que leur fonction ancillaire sera généralement la mieux mise en valeur.
Psychologie — *psy Les études bibliques ne se sont pas tenues à l’écart des diverses formes de « psychocritique » apparues dans les études littéraires dans la seconde moitié du 20e s. Avant même l’avènement de ces disciplines, des œuvres comme celle de Freud ou de Jung avaient puisé dans le patrimoine biblique pour explorer les profondeurs de la psychologie humaine. Cette rubrique enregistre les plus célèbres résultats de l’interaction entre divers types de psychologie des profondeurs et les Écritures.
Définitions du projet
Islam — *isl Là où elle existe, la réception musulmane (principalement coranique) du passage annoté est présentée ici. Histoire des traductions — *tra Cette rubrique donne d’autres traductions du texte, en privilégiant celles qui ont fait autorité dans l’histoire culturelle, passée ou contemporaine. ᬳ Lorsque la diversité des choix des traducteurs permet de souligner un trait lexical, grammatical ou littéraire du texte original, l’*Histoire des traductions pourrait relever de la philologie, donc de la zone d’annotation Texte. On considérera cependant plutôt l’histoire des traductions comme un phénomène de Réception, placé avant la rubrique *Littérature puisque ces traductions furent en elles-mêmes des entreprises littéraires, et que la plupart des auteurs littéraires inspirés par la Bible écrivent à partir de traductions qui les orientent. ᬳ Cette rubrique n’a pour objet ni de commenter ni de justifier la traduction proposée pour le passage annoté.
Littérature — *litt L’étude de la réception littéraire permet d’apprécier l’influence du texte et la transformation de sa compréhension au fil des changements vécus par une culture donnée. Les notes *Littérature explorent l’intertexte non biblique de la péricope dans les œuvres littéraires qu’elle a inspirées de près ou de loin. Ces notes sont de deux types : 1) des synthèses de l’interprétation donnée par plusieurs auteurs ou par un auteur majeur au fil de sa carrière (autant que possible, les références sont données en fin de synthèse) ; 2) des citations de tel ou tel auteur particulièrement éclairantes (son nom et la référence à son ouvrage sont donnés avant la citation). ᬳ La réception littéraire du donné biblique est considérable. Pour ne pas étouffer par son volume les lectures exégétiques et théologiques de l’Écriture, on se limitera aux œuvres, ou aux passages dans les œuvres, qui reçoivent précisément la péricope annotée.
Il existe une surabondante réception non verbale des Écritures. Déjà abordée, par exemple, dans les rubriques de *Liturgie et *Droit, elle se déploie singulièrement dans les arts plastiques, visuels et sonores. Chacune des disciplines envisagées constitue une science à part entière et peut donner lieu à des notes techniques recourant à son vocabulaire spécialisé. Pour amorcer le travail des spécialistes, cependant, l’élaboration d’une « Bible culturelle » à l’intention du grand public (cf. supra p. 25) permet de mettre en place un premier ensemble de notes. Cet ensemble a deux finalités : 1) présenter les inventaires des œuvres principales inspirées du passage biblique en question (au risque d’être un peu sec) ; 2) décrire ou raconter le contenu de telle ou telle œuvre particulière, sans dédaigner comme indigne des biblistes le simple plaisir d’illustrer les Écritures au service du grand public. Leur consultation sur internet est évidemment plus riche que leur édition imprimée. Avec sa collection de photographies et d’enregistrements de milliers d’œuvres inspirées par la Bible,
notre site bibletraditions.org contient d’ores et déjà la Bible la plus illustrée visuellement et musicalement de tout internet. Arts visuels — *vis Cette rubrique inventorie les principales représentations visuelles (dessin, peinture, sculpture) du thème, de la scène ou de l’épisode rapporté par le texte. Autant que possible, elle en décrit la première représentation connue, puis elle rapporte l’histoire des variations, par époque, domaine, aire culturelle, en s’attardant aux œuvres majeures qui font partie de la culture de l’honnête homme du 21e s. Des sources essentielles sont les sommes en huit volumes de Kirschbaum Engelbert et Braunfels Wolfgang (Lexikon der christlichen Ikonographie, Freiburg im Breisgau : Herder, 1968-1976), et en cinq tomes de Schiller Gertrud (Ikonographie der christlichen Kunst, Gütersloh : Mohn, 1966-1991). Le premier niveau d’annotation mis en place dans cette rubrique présente trois types de contenus : 1) de simples « illustrations » du passage biblique en question ; 2) d’autres, plus générales, représentent des actants, personnages, épisodes ou motifs récurrents dans l’Écriture (p. ex. tel ou tel personnage, l’arche d’alliance, la Jérusalem céleste, la vanité, ou la colombe) ; 3) d’autres enfin sont des « contemplations », mêlant histoire de l’art et piété, à propos d’œuvres mises en rapport avec le texte biblique. Les images proviennent de diverses sources, antiques, tardoantiques, médiévales (sculptures et fresques), renaissantes. Elles reproduisent les œuvres « bibliques » les plus célèbres des grands maîtres de la peinture du 17e au 19e s. Les arts des 20e et 21e s. ne sont pas oubliés. Plusieurs bibles offertes sur internet sont dépouillées, en particulier la Biblia pauperum (passionnant concentré d’interprétations typologiques vers la fin du Moyen Âge), la Bible historiée toute figurée (13e-14e s.), la Bible de Saint-Jean d’Acre (13e s.), la Bible moralisée de Jean Pucelle (14e s.), la Bible des frères Limbourg (15e s.), l’étonnante Bible hiéroglyphique pour enfants (18e s.), la Bible de Tours (avec les célèbres gravures inspirées par les dessins de Gustave Doré). Quelques œuvres bibliques complètes figurent dans notre Bible, soit qu’internet les mette à disposition facilement, soit que leurs spécialistes aient élaboré leur catalogue complet sur internet (p. ex. Nicolas Poussin), soit que les ayant-droits de leurs auteurs les aient gracieusement proposées à La Bible en ses Traditions (p. ex. Georges Desvallières). Certains livres bibliques ont inspiré des cycles célèbres ; on les privilégie alors, tel Beatus de Liébana au 8e s. pour l’Apocalypse, William Blake au 19e s. pour Job, ou encore Egon Tschirch au 20e s. pour le Cantique des cantiques. ᬳ Le cas de l’épigraphie biblique. Le corpus biblique présent dans l’épigraphie antique et médiévale fait l’objet d’inventaires rigoureux dans plusieurs centres de recherches. À titre préliminaire, on place dans la rubrique *Tradition chrétienne l’inventaire « brut » des inscriptions bibliques grecques et latines, comme en *Tradition juive celle des inscriptions hébraïques. Les inscriptions bibliques renseignent au moins sur l’état du texte biblique dans la version qu’elles citent, à l’époque et dans le lieu où elles sont produites, ainsi que sur la popularité de tel ou tel passage
La Bible en ses Traditions
biblique au fil des époques. Déployant le texte dans les trois dimensions des bâtiments ou du mobilier, elles le mettent parfois dans des perspectives symboliques ou utilitaires saisissantes. Les inscriptions les plus intéressantes font l’objet de notes plus développées, qui se trouvent, selon les cas, en *Milieux de vie, en *Liturgie, en *Littérature ou en *Arts visuels. ᬳ Certains contenus sont à la frontière entre deux domaines : p. ex. la stèle de Baal d’Ugarit (Musée du Louvre ; pour Jr 7,9) placée en *Arts visuels pourrait aussi trouver place en *Milieux de vie comme témoin de l’ancienne religion cananéenne. ᬳ L’iconographie religieuse des Églises orthodoxes figure dans la rubrique *Liturgie.
Musique — *mus La Bible est l’une des sources d’inspiration les plus abondantes de l’histoire de la musique. Sous cette rubrique on énumère, époque par époque, les principales œuvres musicales inspirées par le texte biblique. Les œuvres majeures interprétant un corpus entier (p. ex. les oratorios de la Passion ou des Lamentations) peuvent faire l’objet d’analyses musicologiques plus systématiques. Le premier niveau d’annotation mis en place dans cette rubrique, • s’efforce de refléter la grande variété des styles et compositeurs qui reprennent les versets de l’Écriture. Il donne à entendre des polyphonies de la Renaissance comme des chansons de Bob Dylan, avec le souhait que le répertoire sélectionné puisse toucher à la fois les mélomanes avertis et le public plus large ; • présente souvent les grands traits de la vie du compositeur, ainsi que les caractéristiques propres de la pièce. • Pour des passages plus courts ou des musiques brèves, la seule représentation suffit. Cet éclairage du texte biblique fait découvrir une relation essentielle, jamais présentée aussi directement, entre la musique et la Parole venue faire ses délices dans les cultures des hommes. ᬳ Le chant grégorien et plus généralement la musique vocale liturgique canonisée par les rites principaux ont leur place en *Liturgie.
Danse — *dan Les notes de *Danse rendent compte de la mise en œuvre du texte biblique dans des ballets ou des pièces chorégraphiques de plus petites dimensions. Elles s’efforcent de donner à voir, traduits en mots qui les décrivent, les pas et les figures inventés par le chorégraphe et d’élucider son intention interprétative. Cinéma — *cin Les notes de *Cinéma rendent compte de la réception du texte biblique à l’écran. Les réalisateurs doivent raconter des histoires visuellement. De même que les tenants du très contemporain performance criticism font (re-)passer de la Galaxie Gütenberg à l’univers de l’oralité les textes bibliques qu’ils mettent en espace ou en scène (suscitant parfois d’intéressantes révisions dans les interprétations habituelles des textes en question), de même l’adaptation des récits bibliques à l’écran les fait passer des deux dimensions de la page aux quatre dimensions de l’image et de la durée. Le processus aboutit parfois à d’intéressantes propositions « exégétiques » — à condition que les réalisateurs n’abusent pas d’effets spéciaux ! — sous forme de reconstructions s’efforçant d’atteindre la vraisemblance historique. Le premier niveau d’annotation est descriptif et narratif : il rapporte la manière dont les divers réalisateurs qui mirent en scène le passage en ont donné à voir les détails et souligné les symbolismes. En bref, La Bible en ses Traditions invite les lecteurs à un voyage herméneutique complet, partant du monde avant le texte (le monde qui explique la production du texte), allant au monde après le texte (le monde qui a été produit par le texte, traduit par ses effets), jusqu’à celui d’aujourd’hui, en passant par le monde du texte (le monde projeté par le matériau linguistique du texte lui-même).
3 Douze études
Dans ce volume Voici un éventail de péricopes représentatives de l’ensemble de la Bible chrétienne depuis le livre de la Genèse jusqu’à l’Apocalypse de Jean. La diversité des genres littéraires et des sujets présentés illustre les possibilités d’annotation qu’offre le cadre herméneutique de La Bible en ses Traditions.
La réception chrétienne fut d’emblée profondément spirituelle, centrée sur l’histoire d’amour de l’âme et du Christ, si bien que les auteurs présents dans l’annotation *Mystique continuent pratiquement sans rupture l’enseignement des commentateurs qui nourrissent les notes de *Tradition chrétienne.
La première péricope, Genèse 22,1-19, relate la ligature d’Isaac. Elle offre une réception dans les traditions juive et chrétienne d’une richesse exceptionnelle. En arrière-fond se dessinent les grands thèmes religieux et théologiques du sacrifice et de l’obéissance, qui inspirent jusqu’aux fondateurs de la psychologie des profondeurs. Particulièrement pathétique, l’épisode a été abondamment traité par les artistes dans les arts visuels, la littérature et la musique.
Siracide 51 se présente comme la réflexion autobiographique d’un scribe ancien. L’histoire de ce texte est d’une complexité particulièrement intéressante pour La Bible en ses Traditions. Sa canonicité a fait l’objet de controverses : le Siracide, quoique originellement composé en langue hébraïque et cité avec éloges dans la tradition rabbinique, n’a pas été reçu dans le canon juif. Le texte hébreu avait même disparu pendant des siècles, au cours desquels cet ouvrage fut transmis par les versions grecque, latine et syriaque de l’Église chrétienne. La découverte d’une grande partie du livre en hébreu dans une synagogue du Caire, à la fin du 19e s., complétée par plusieurs autres trouvailles (en particulier parmi les manuscrits de la mer Morte), nous permet aujourd’hui de disposer des deux tiers du texte hébreu. La péricope ici retenue montre la diversité textuelle de ce livre. Elle présente même un psaume attesté seulement à Qumrân. Pour la première fois, dans ce volume, toutes les versions de ce texte à l’histoire mouvementée sont accessibles en français, sous une forme synoptique.
Lévitique 12 traite des règles de pureté pour les femmes venant d’accoucher et des rites qu’elles ont à accomplir. Bien enracinées dans l’anthropologie, ces coutumes offrent une belle illustration des distinctions bibliques entre pur et impur, sacré et profane. Même pour le lecteur du 21e s., ces règles ne manquent pas d’actualité : elles sont toujours observées dans le judaïsme et trouvent des échos jusque dans certains rituels chrétiens. Elles permettent aussi de comprendre le récit de la purification de Marie après la naissance de Jésus rapporté par l’évangéliste Luc (Lc 2,22-24). Josué 1 constitue l’ouverture d’une antique épopée de conquête. Dès le début, le livre renvoie à des questions d’ordre historique et géographique, mais aussi théologique, concernant la Terre promise, d’une actualité brûlante pour quiconque s’intéresse à la situation contemporaine en Terre sainte. Cette péricope inaugurale présente un intérêt particulier du fait de la diversité des versions dans lesquelles le récit a été transmis, en particulier sa tradition samaritaine. Le Psaume 1 constitue la préface de tout le Psautier. Il est ici édité en deux colonnes permettant d’embrasser d’un même regard son texte hébreu (le texte massorétique, avec les variantes syriaques de la Peshitta) et son texte grec (celui de la Septante, avec les variantes latines de la Vulgate). Ce type de lecture comparée ne permet pas seulement de souligner les différences entre les deux grandes formes textuelles ; il fournit une bonne amorce pour l’exploration des traditions liturgiques que la poésie des Psaumes ne cesse d’irriguer. Le Cantique des cantiques, ici représenté par son premier chapitre, est sans conteste le chant d’amour le plus connu de l’histoire. Mais quelle est la voix qui le chante ? Et à qui s’adresse-telle ? Depuis son intégration au canon biblique, on n’a cessé de discuter sur la nature précise du sens littéral de ce chant sublime. De la mystique à l’érotique, la réception de ce livre est particulièrement riche, depuis ses commentaires juifs et chrétiens jusqu’à ses adaptations ou imitations poétiques, visuelles et musicales.
Notre sélection néotestamentaire s’ouvre avec l’Évangile selon Matthieu 26,1-2. Le passage présenté ici est minuscule, deux versets seulement, mais captivant pour saisir la manière dont un évangéliste transmet la tradition sur Jésus qu’il reçoit. Il s’agit de l’agrafe du récit de la passion au reste du premier évangile : la main de l’évangéliste s’y manifeste évidemment. Les nombreux collaborateurs du groupe qui a travaillé sur la passion, équipe-pilote de La Bible en ses Traditions, ont encadré ces deux versets d’une forêt de notes, reflets d’une réception aussi foisonnante que la péricope est courte.
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La péricope 1,1-11 de l’Épître de Paul aux Philippiens montre comment Paul a su adapter les conventions de l’art épistolaire ancien pour entretenir la communication avec une communauté chrétienne qu’il avait fondée. Ce passage témoigne des institutions de l’Église naissante et rappelle le partenariat à la fois spirituel et pécuniaire qui liait Paul et cette communauté. Le contexte de l’Épître de Paul à Philémon nous renvoie à une institution antique sur laquelle le lecteur contemporain ne saurait porter un regard bienveillant : l’esclavage. D’une manière à première vue scandaleuse, Paul renvoie un esclave fugitif à son maître, tout en soulignant les diverses raisons morales pour lesquelles Philémon doit le recevoir comme un frère. C’est l’importance de la zone d’annotation Contexte qui est ici illustrée : bien comprendre des textes antiques comme ceux du christianisme primitif suppose non seulement de les lire à partir de la Tradition qui les a portés jusqu’au lecteur, mais aussi, parfois, de se
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La Bible en ses Traditions
décentrer du contexte et des valeurs contemporains du lecteur pour entrer dans d’autres manières de vivre, de penser et d’écrire. 5
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L’Épître de Jacques 5,13-18 traite du soin pastoral des malades dans l’Église naissante, où figurent l’onction et la prière qui prolongent des rites hérités du judaïsme. Référence majeure pour la théologie du sacrement de l’Onction des malades dans l’Église catholique, ce passage fut fortement débattu à l’époque de la Réforme protestante et du concile de Trente. Cette péricope démontre l’importance que les rubriques *Liturgie et *Théologie doivent revêtir dans la compréhension et l’annotation de certains textes bibliques.
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La Première épître de Pierre est parfois surnommée « la première encyclique papale », appellation plaisante et non dépourvue de fondement, étant donnée son attribution traditionnelle à l’apôtre Pierre, le nombre et la nature de ses destinataires, ainsi que son ton d’autorité. Elle trouve donc naturellement sa place dans La Bible en ses Traditions. On en édite ici l’ouverture, 1P 1,112, qui introduit ses grands thèmes dans un des styles grecs les plus soignés du NT. Apocalypse de Jean 12 présente la vision grandiose de la Femme céleste en travail d’enfantement et reprend de Gn 3 le thème de l’hostilité entre la Femme et le Serpent. Qui est cette Femme et qui est son Enfant ? La réception de ce texte au fil des siècles et des disciplines — et jusque dans certains développements eschatologiques dans divers milieux chrétiens de notre temps — a été
flamboyante, à la hauteur de sa profusion symbolique : les arts visuels ont souvent représenté le combat incessant du Serpent et de ses anges contre la Femme, identifiée à la Vierge Marie et à l’Église. * Dans ce volume : – Les notes portant sur l’ensemble d’un passage biblique, y compris celles qui portent sur l’histoire de sa réception, sont présentées avec les premiers versets de ce passage. – Les notes d’histoire de la réception se veulent surtout illustratives. Les collaborateurs ont commencé… par le commencement, en privilégiant leur propre tradition (surtout latine), sans intention d’exclure les autres, qui continueront d’enrichir les notes dans le format digital de notre Bible, en attendant de prochaines éditions imprimées. – Les introductions cherchent à dire l'essentiel, sans être encore les introductions complètes qui figureront dans l'édition de chacun des livres. Les spécialistes cités en troisième et quatrième de couverture ont contribué à divers degrés. Certains ont « livré » un travail presque complet (Josué, Psaumes, Cantique, Matthieu, Philémon), d’autres ont apporté une contribution partielle. Le Comité éditorial de La Bible en ses Traditions prend la responsabilité du texte présenté ici et de toute imperfection qui s’y trouvera. Il recevra avec gratitude les corrections et propositions d’amélioration.
Genèse
TEXTE Canonicité La Genèse est le premier des cinq « livres de Moïse » (cf. Lc 24,27 ; (berē’šît « au commencement ») est signalée par Origène comme traditionnelle. Jn 7,22). Son autorité dans la Bible hébraïque n’a jamais été discutée. La coutume hébraïque de le désigner par le premier mot Manuscrits et versions Le texte hébreu qui servit de modèle au traducteur grec au 3e s. fragments de Qumrân, Philon et Josèphe témoignent de variaav. J.-C. à dû être proche du texte massorétique et a été utilisé par tions, souvent intéressantes. Jérôme pour la Vulgate. La Septante, la version samaritaine, les
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Genres littéraires Mis à part les listes généalogiques et le poème du ch.49, la Gn relève entièrement du genre littéraire narratif. 30
Structure • Les récits des premiers chapitres (Gn 1-11) sont suivis par un • Les histoires de Jacob sont davantage nouées autour des péréenchaînement de cycles narratifs sur les ancêtres d’Israël. Ces grinations du personnage et de ses deux grands conflits, avec cycles sont de plus en plus construits à mesure que la narration son frère Ésaü et avec son oncle Laban (Gn 25,19-36,43). progresse. • Enfin, le « roman de Joseph » a une trame particulièrement • Le cycle d’Abraham est constitué d’épisodes assez aisément isoconstruite autour de l’aventure du personnage principal, intilables, liés entre eux par un fil rouge constitué par la promesse mement liée au conflit fraternel qui ouvre l’ensemble (Gn 37-50). d’un fils et d’une terre (Gn 11,27-25,18).
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Historicité L’historien ne peut pas dire grand-chose sur l’historicité des peraux migrations de Canaan en Égypte pour cause de famine sonnages et des faits relatés dans la Gn. Les sources anciennes (Gn 12 ; 46) et à certains traits de l’Égypte de l’histoire de Joseph connues par ailleurs sont muettes sur les faits que raconte ce livre. — rien n’indique qu’il ne s’agisse d’autre chose que du reflet de la Et même si çà et là on trouve trace de réalités connues dans le connaissance que les auteurs de ces textes avaient de leurs tradiProche-Orient des quatre derniers millénaires avant l’ère comtions et leurs contextes culturels. mune — on pense par exemple à la femme sœur (Gn 12 ; 20 ; 26),
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Hypothèse sur l’histoire du texte rédaction sacerdotale, que de nombreux exégètes estiment postéL’histoire littéraire du livre est débattue dans le cadre de l’intense rieure à cette époque, a donné une première unité à ces récits recherche sur la composition du Pentateuque. La plupart des exéanciens, sans que l’on puisse exclure des retouches postérieures gètes sont d’accord pour reconnaître que le livre a connu une plus ou moins conséquentes. Tout au long du 20e s., la plupart des longue histoire et que des sources anciennes de provenances difsavants ont vu dans la Gn la compilation de trois sources (ou férentes sont à la base des récits actuels. Ainsi, par exemple, le documents) originaires : le yahviste (J), l’élohiste (E) et le sacerch.12 du livre d’Osée atteste que diverses traditions sur Jacob e s. dans le royaume du Nord, tandis que dotal (P), différenciées par le vocabulaire, le style, la composition étaient connues au 8 des textes d’Ézéchiel et du second Isaïe font allusion à Jacob et et la théologie. Cette théorie a connu de nombreux amendements, Abraham, connus de leurs destinataires à l’époque de l’Exil. Une et la datation des sources hypothétiques bien des variations.
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Aujourd’hui de nombreux exégètes contestent, sinon l’existence de E, du moins la possibilité de le distinguer clairement de J. Il existe donc bien des variantes de l’hypothèse documentaire. Depuis quelques décennies, de nombreux chercheurs se sont carrément détournés de l’hypothèse documentaire, pour proposer de nouvelles théories sur l’histoire du texte de la Gn. Pour les uns, sa forme finale résulte d’un long processus littéraire d’accumulation et de compilation d’antiques traditions patriarcales, dont la diversité serait irréductible à quelques sources de base. Pour les autres, la Gn pourrait avoir été composée à une époque tardive et sur une durée assez réduite, par un auteur qui avait accès à un vaste matériel littéraire, oral et écrit, qu’il sut mobiliser avec beaucoup d’art au service de la théologie qu’il voulait promouvoir.
D’un point de vue strictement linguistique, la langue des textes narratifs de la Gn correspond à l’hébreu classique (préexilique). Ni la distinction entre J et E, ni la datation postexilique d’une source P ou du cycle de Joseph ne semblent se déduire des données linguistiques. À côté de quelques rares aramaïsmes, que l’on serait tenté d’attribuer à une révision tardive, on trouve des éléments archaïques (onomastique en Gn 1-11, grammaire en Gn 49) qui pourraient provenir de traditions du 2e millénaire av. J.-C. Enfin, certaines approches contemporaines se libèrent tout à fait de ces interrogations sur la genèse du texte, et se concentrent sur la forme littéraire finale de la Gn, soit indépendamment des autres livres bibliques, soit à la lumière du canon.
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Tradition chrétienne La Genèse est l’un des livres les plus commentés de l’AT. Des trai• les Enarrationes in Genesim et les Reihenpredigten über I. Mosis tés spéciaux sont consacrés à son premier chapitre, à « l’œuvre des de Martin Luther (†1546). six jours » de la création, l’Hexaëméron ; en sont conservés de : Beaucoup de Pères reconnaissent dans certains personnages ou • Basile de Césarée (†379) ; Grégoire de Nysse (†ca. 395) ; dans certains épisodes, les figures des réalités de la Loi Nouvelle. Ambroise de Milan (†397) ; Ils développent le parallèle, • Jacques d’Édesse (†708) ; Bède le Vénérable (†735) ; etc. • entre Adam et le Christ, Parmi les commentaires plus ou moins complets du livre, les plus • entre le Paradis et le baptême, importants sont : • entre le sommeil d’Adam et la naissance de l’Église. • le Commentaire d’Éphrem le Syrien (†373) ; les petits traités • Ils voient dans le déluge un symbole à la fois du baptême et du d’Ambroise de Milan (†397) Sur le Paradis, sur Noé et sur Isaac ; jugement final, • les Homélies et les Sermons de Jean Chrysostome (†407) ; les • dans l’arche une figure de l’Église. Hebraicae quaestiones in libro Geneseos de Jérôme (†420) ; des • Abraham devient le modèle de la foi et de la fuite du monde. grandes œuvres d’Augustin (†430) : De Genesi ad litteram • Le sacrifice d’Isaac est expliqué comme préfigurant la Passion imperfectus liber, De Genesi ad litteram libri XII, De Genesi du Christ. contra Manichaeos et Confessiones XI-XIII ; des fragments d’un Ces rapprochements, qui s’amorcent pour la plupart dans le NT, commentaire de Théodore de Mopsueste (†428) ; et qui sont exploités très tôt, nourrissent la piété chrétienne et • le Commentarius in Genesin d’Angelome de Luxueil (†ca. 855) ; inspirent la liturgie. • la Postilla seu expositio aurea in librum Geneseos de Thomas d’Aquin (†1274) ;
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Hypothèse de lecture générale : la Genèse comme anthropologie théologique en récits ? Loin d’être une succession d’histoires liées plus ou moins artifiAinsi, les questions de la violence et du rapport à l’animalité ciellement dans une séquence narrative, la Gn offre à son lecteur sont au cœur du récit du déluge et de l’épisode de Babel — qui une réflexion anthropologique sous la forme d’un ample récit très introduit aussi, avec le ch.10, la thématique de l’étranger. Le cycle construit à défaut d’être complètement unifié. La thématique qui d’Abraham explore en particulier la relation entre homme et parcourt l’ensemble du récit concerne les relations fondatrices de femme dans laquelle Dieu occupe une place originale ; il traite l’être humain. Les quatre premiers chapitres s’interrogent ainsi sur aussi du rapport à l’étranger et, à la fin, la relation entre générala relation de l’être humain à lui-même et à l’animalité, sur les tions, deux lignes de force qui se prolongent dans la seconde parrapports entre les sexes et entre les générations, sur la difficile tie du livre. La question de la fraternité est très présente dans les fraternité. La relation à Dieu — source de toute bénédiction — se histoires de Jacob et de Joseph, où est exploré également le rôle joue à l’intérieur de ce qui se noue ou se défait entre les humains du mensonge et de la ruse dans les rapports humains. L’histoire et qui est le lieu d’une lutte avec la convoitise, obstacle radical de Jacob offre des variations intéressantes sur le thème de la bénéà la bénédiction et racine de la violence humaine. L’histoire racondiction, tandis que le « roman de Joseph » s’attache au rôle essentée en Gn 1-4 débouche dès la fin du ch.2 sur des échecs répétés tiel de la parole dans le processus de construction de rapports auxquels se heurte la vocation humaine consistant à achever en humains authentiquement fraternels. Par ailleurs, à mesure que le soi l’image de Dieu par la maîtrise de l’animalité. Ces paramètres récit se fait davantage construit, on constate un progressif estomde l’existence humaine sont élaborés dans les récits qui s’enpement du personnage de Dieu en tant qu’acteur. chaînent au long du livre.
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Présentation de la péricope La péricope du sacrifice d’Abraham n’est plus à présenter, tant elle promise à Abram s’il obéissait à Adonaï (Gn 12,2-3) ; cette fois, est fameuse. Dans la thématique de la Gn, il en va ici de la relation elle est confirmée par un serment divin comme son fruit surabonentre père et fils. La tradition juive nomme cet épisode ‘ăqêdâ dant (Gn 22,16-18). Ce récit revêt une importance particulière (« ligature »). Il s’agit du sommet narratif du cycle tout entier, dans la tradition juive qui voit dans l’Aqéda l’obéissance modèle e comme le suggère au v.2 la reprise du « va-t’en » initial (lek-l kā, des ancêtres Abraham et Isaac ; la lecture chrétienne y a vu le type voir Gn 12,1). Là, Dieu enjoignait au fils de quitter son père ; ici, du sacrifice du Christ. il dit au père de laisser aller le fils. Au début, la bénédiction était
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bénédiction solennelle (v.17-18a) encadrée par sa motivation (v.16b et v.18b). Hypothèses sur l’histoire du texte Les commentateurs identifient d’ordinaire la narration des v.1-14.19 comme un récit de fondation d’un sanctuaire (voir la pointe au v.14), réutilisé par la suite à condamner les sacrifices humains en Israël. Dans son contexte actuel, il souligne clairement la foi d’Abraham. Les v.15-18 auraient été ajoutés au récit pour renforcer l’unité de l’ensemble du cycle d’Abraham au moyen de la thématique de la bénédiction (Gn 12,2-3 ; 14,19-20 ; 17,16.20 ; 18,18 ; 24,1.27.31.48.60).
1–19 Le « sacrifice d’Abraham » et la « ligature d’Isaac » Réception traditionnelle Sens cultuel Les principales traditions d’interprétation juives et chrétiennes de ce récit y lisent un enseignement sur le sacrifice et sur le culte. Les Écritures ellesmêmes identifient le mont Moriyya avec le mont du Temple à Jérusalem, enrichissant ainsi la résonance historique et théologique de ce lieu et du culte qui y est rendu et le légitimant par sa continuité avec la justice d’Abraham. Importance pour les trois monothéismes • Les juifs exaltent dans ce passage la liberté d’Isaac dans son obéissance. Texte • Les chrétiens y voient une préfiguration de la personne et du sacrifice de Jésus (*bib4 ; *chr1-19 ; *chr4 ; *chr9c ; →L’agonie de Jésus et la ligature ' Critique textuelle ' d’Isaac). • Dans la ligne de certaines interrogations midrashiques juives, les musul1 (S) Intertitre Avant le début de la péricope, le Codex Ambrosianus lit mans approprient le récit à Ismaël (*isl1-19 : Récit). « L’épreuve d’Abraham » (nsywnh d’brhm). Dans les trois traditions, le récit est le support de célébrations liturgiques importantes (*lit1-19 ; *isl1-19 : Rite). M G S Sam V ' Procédés littéraires ' Sens moral et anthropologique 1 a Et il arriva après ces Après que ces choses Lu isolément, le récit souligne 1–19 Structuration du texte : répétitions et l’obéissance d’Abraham qui accepte choses s’étaient passées refrains La série prendre—aller— de sacrifier son fils. Dans le contexte Dieu éprouva Abraham et b que Dieu éprouva voir—holocauste se répète à pludu cycle d’Abraham, c’est sa foi qui Abraham et lui dit : lui dit : sieurs reprises dans le récit : dès est mise en relief, puisqu’il a reçu la le v.2, c’est l’ordre donné par Dieu promesse d’une vaste postérité malAbraham ! Il répondit : J’y c Abraham à Abraham (en lisant Moriyya gré la stérilité de Sara : Dieu est plus G , Abraham ! Et il suis. comme « vision »), programme grand que tout obstacle. En réfédit : Me voici. ensuite réalisé, ce que souligne la rence à la prohibition biblique des répétition des mots (cinq fois chacun sacrifices d’enfants (*bib10 ; *jui12) et à l’obligation de racheter le pre- 1–19 ‘Aqeda Sg 10,5 ; Si 44,20 ; He 11,17-19 ; Jc 2,21 — 1c Me voici Gn 31,11 ; 46,2 ; après le v.2). Avec le refrain « ils allèrent… mier-né, le récit devient une péda- Ex 3,4 ; 1S 3,4 ensemble » aux v.6.8.19, les dix gogie divine montrant qu’au-delà de occurrences du mot « fils » et des toute loi, les droits de Dieu restent noms divins (cinq fois « Yhwh » et cinq fois « Dieu ») et les deux appels absolus, même au regard des liens familiaux (*theo1-19). Plus généralesemblables aux v.2.11 (avec un écho au v.15), ces répétitions contribuent ment, il rappelle le fait que le père n’est pas propriétaire de ses enfants : dès à l’unité du texte et servent de repères pour sa structuration. Gn 2,24, l’homme sait qu’il doit quitter son père et sa mère pour s’attacher à sa femme. 1b que Dieu éprouva Abraham Incise entre la protase temporelle et l’apodose Même s’ils sont éloignés des lectures théocentriques, les modernes contiqui commence au v.2. nuent de lire ce récit, dont ils explorent les dimensions anthropologiques et morales (*litt1-19). Époque contemporaine : preuve que l’histoire d’Abraham et d’Isaac parle à toutes les époques, comme en témoigne sa très riche réception artistique, dont on ne peut donner ici qu’un aperçu : *vis1-19 ; Contexte *mus1-19. Structure ' Textes anciens ' Le texte est composé de deux séquences : V.1-14 1–19 Caractérisation individuelle des personnages : nouveauté dans le cadre des littéraLes v.1-14 présentent un récit très unifié grâce à une structure concentrique tures antiques Le fameux livre d’Erich Auerbach, Mimesis (1946), s’ouvre sur (*pro1-19) et à la répétition régulière d’une même séquence de termes une comparaison de la scène de reconnaissance d’Ulysse (→Homère Od. (prendre, aller, voir, holocauste) qui, au v.2, précise le programme donné chant 19) avec l’épisode de la Genèse qui nous occupe : à Abraham par Dieu, un programme effectivement réalisé au v.13, quand • Le texte d’Homère offre une description détaillée, centrée sur les circonil offre en holocauste le bélier qu’il a trouvé. Il présente trois sections : stances externes du récit, où tous les événements occupent un premier • La première (v.1-5) et la troisième (v.11-14) comportent chacune trois plan et le caractère des personnages semble prédéterminé. segments parallèles (appel dialogué et ordre divin ; actions d’Abraham ; • Inversement, le style de Gn 22, avare de circonstances, laisse dans l’ombre parole d’Abraham sur le « lieu »). de nombreux éléments psychologiques qui permettent de deviner un • Le centre (v.6-10) est disposé en trois segments séparés par le refrain « et arrière-plan, une épaisseur temporelle des actants. Tout favorise l’émerils (s’en) allèrent tous deux ensemble » laissant au cœur le bref dialogue gence de sens symboliques ajoutés au sens littéral des événements racontés entre le père et son fils. dans le récit de Gn 22. Ces caractères entraînent la nécessité d’interpréter, V.15-19 ce qu’ont fait de nombreuses œuvres littéraires, picturales et musicales. L’oracle final des v.15-19 (*gen16-18) est inattendu au plan narratif, mais *litt1-19 il est bien chevillé au récit. Il a une structure concentrique autour de la
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Réception ' Intertextualité biblique ' 1–19 Abraham, type du croyant Dans l’AT Si 44,20 insiste sur la fidélité d’Abraham dans l’épreuve. Selon Sg 10,5 la Sagesse le « conserva sans reproche devant Dieu et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant ». Dans le NT Le NT souligne de même la foi sans faille du patriarche : pour He 11,17-19, c’est la foi au Dieu dont la puissance donne la vie aux morts : « Par la foi, Abraham, mis à l’épreuve, a offert Isaac, et c’est son fils unique qu’il offrait en sacrifice, lui qui était le dépositaire des promesses, lui à qui il avait été dit : C’est par Isaac que tu auras une postérité. Dieu, pensait-il, est capable même de ressusciter les morts ; c’est pour cela qu’il recouvra son fils, et ce fut un symbole. » Pour Jc 2,21, Abraham est le modèle de la foi corroborée par les œuvres. ' Littérature péritestamentaire ' 1b Dieu éprouva Abraham À l’instigation de Mastéma →Jub. 17,15-18,12 reprend le récit biblique d’assez près, mais la mise à l’épreuve d’Abraham résulte d’un défi lancé à Dieu par le prince Mastéma — le diable. Comme dans le livre de Job, Mastéma prétend qu’Abraham préfère son fils à Dieu ; si celui-ci lui demande sa vie en holocauste, on verra bien les limites de sa fidélité apparente. L’enjeu du récit est clairement campé : il s’agit bien de faire la preuve de la fidélité sans faille du patriarche et de l’amour sans partage qu’il porte à son Seigneur. ' Tradition juive ' 1a ces choses = une querelle entre Ismaël et Isaac →Gen. Rab. 55,4 et →Tg. Ps.-J. expliquent la demande divine par une dispute entre Ismaël et Isaac. Le premier se dit plus juste car il a volontairement accepté la circoncision à l’âge de 13 ans, alors qu’Isaac, circoncis à 8 jours, aurait peut-être refusé de l’être s’il avait eu l’âge de raison. Et Isaac de répondre : « Voici qu’à ce jour j’ai trente-sept ans, et si le Saint, béni soit-Il, me demandait tous mes membres, je ne (les lui) refuserais pas. » Dieu le prend au mot et adresse alors à Abraham sa requête. *isl1-19 1b Dieu éprouva Abraham Épreuve des justes • →Gen. Rab. 45,2 « Rabbi Yonathan dit : “Un potier ne teste jamais des cruches défectueuses, il ne pourrait les tapoter une seule fois sans les briser. Que teste-t-il donc ? Des cruches de qualité, il peut les frapper sans les briser. De même, le Saint, béni soit-Il, n’éprouve pas les scélérats mais les justes […].” Rabbi Yossé bar Hanina dit : “Quand un linier est sûr de la qualité de son lin, [il sait que] plus il le bat plus le lin se bonifie, plus il le frappe plus il devient luisant.” » Comme Job Selon →Rachi Comm. Tora, l’ordre divin s’est fait puisque Satan avait dénoncé Abraham pour n’avoir jamais offert de sacrifice. ' Tradition chrétienne ' 1–19 Typologie Dès l’Épître de Barnabé, la tradition ancienne a lu dans ce récit une illustration de l’obéissance d’Abraham et de sa puissance prophétique, mais aussi et surtout l’anticipation de la passion du Christ préfigurée par le sacrifice d’Isaac. Les Pères de l’Église concentrent leur attention sur différents aspects de la réalité théologique préfigurés par les types que sont Abraham et Isaac. Abraham Irénée souligne deux qualités importantes d’Abraham. • D’abord, il fut un homme de foi : →Irénée de Lyon Haer. 4,5,5 « Par le Verbe, Abraham avait été instruit sur Dieu, et il crut en lui : aussi cela lui
fut-il imputé à justice par le Seigneur, car c’est la foi en Dieu qui justifie l’homme. » • En second lieu, Abraham fut un prophète et vit dans le sacrifice de son fils le sacrifice à venir du Fils de Dieu : →Irénée de Lyon Epid. 44 « Et comme Abraham était prophète, il voyait ce qui devait arriver dans l’avenir, à savoir que, revêtu de la forme humaine, le Fils de Dieu, dans un premier temps, s’entretiendrait avec les hommes. » Le parallèle entre Abraham et Dieu est un thème bien développé par Éphrem : • →Éphrem le Syrien Comm. Gen. 7,9-13 « En ce sens que Abraham a donné tout son amour à Dieu à travers son fils, Dieu a donné tout son amour à travers son premier-né. Et parce que Abraham a souffert, pour l’amour de Dieu, pendant qu’il sacrifiait son fils, Dieu a supporté les transgressions de la tribu d’Abraham pour l’amour d’Abraham. » Isaac • →Clément d’Alexandrie Paed. 1,5,23,1-2 « Isaac […] est le type du Seigneur : enfant en tant que fils — puisqu’il était le fils d’Abraham comme le Christ est le fils de Dieu — victime comme le Seigneur. Mais il ne fut pas consumé, comme le fut le Seigneur. Isaac se borna à porter le bois du sacrifice, comme le Seigneur celui de la croix. […] Non seulement, donc, [Isaac] réservait comme c’est naturel le premier rang de la souffrance au Logos, mais de plus, en n’étant pas immolé, il désigne symboliquement la divinité du Seigneur. » →L’agonie de Jésus et la ligature d’Isaac ' Liturgie ' 1–19 Usages de la péricope Dans la liturgie synagogale On lit Gn 22 comme parasha le second jour de la fête de Rosh Hashana (le Nouvel An juif, au début de l’automne), qui annonce le jugement de Dieu et appelle au repentir. On y prie en ces termes : • « Notre Père et Dieu de nos pères, accorde-nous un souvenir favorable, et du haut des cieux aie pour nous des pensées de salut et de miséricorde. Souviens-toi, en notre faveur, ô Éternel, notre Dieu, de l’alliance et du serment que tu as jurés à notre père Abraham sur le mont Moriyya. Considère la scène de l’Aqéda, alors qu’Abraham lia son fils Isaac sur l’autel, étouffant sa tendresse pour faire la volonté d’un cœur sincère. Puisse de même ta miséricorde étouffer ton courroux envers nous et que, par ton immense bonté, ta colère s’éloigne de ton peuple, de ta ville et de ton héritage ! Souviens-toi aujourd’hui du sacrifice d’Isaac, en faveur de sa postérité. Loué sois-tu, Éternel, qui te souviens de l’Alliance. » Dans le rite séfardite, outre l’usage précédent, • une paraphrase versifiée de ce texte, intitulée Gnet changnaré ratson dans la translittération séfardite, se chante le matin du premier jour de la fête ; • la péricope est en outre récitée quotidiennement dans l’office du matin au début de la prière publique. Dans la liturgie latine : typologie christologique On lit la ligature d’Isaac durant la liturgie de la résurrection le samedi saint, au moins depuis l’an 1570. Depuis 1951, date du rétablissement de la vigile pascale, l’Aqéda est la 2e d’une série de 7 lectures de l’AT (Gn 1,1-2,2 ; 22,113.15-18 ; Ex 14,15-15,1a ; Is 54,5-14 ; 55,1-11 ; Ba 3,9-15.32-4,4 ; Ez 36,1617a.18-28). Celles-ci représentent les interventions de Dieu dans l’histoire depuis la création, culminant dans les lectures de la célébration eucharistique : l’épître (Rm 6,3b-11, sur le baptême dans la mort et la résurrection du Christ) et l’évangile (un récit synoptique sur la découverte du tombeau vide et l’annonce de la résurrection).
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' Théologie ' 60 1–19 THÉODICÉE Immoralité des patriarches ? Dans ce récit, non seulement Abraham est mis à l’épreuve, mais notre foi aussi. Avec cet épisode, →Thomas d’Aquin Sum. theol. IIa-IIae 104,4,2 met en série scandaleuse plusieurs « ordres de Dieu contraires à la vertu. C’est ainsi qu’il commanda […] aux Juifs de dérober les biens des Égyptiens
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(Ex 11,2) ce qui est contraire à la justice ; et au prophète Osée (Os 1,2) d’épouser une femme adultère, ce qui est contraire à la chasteté. » Il répond ainsi : • →Thomas d’Aquin Sum. theol. IIa-IIae 104,4 ad 2 « Dieu ne peut rien prescrire de contraire à la vertu, puisque la vertu et la rectitude de la volonté humaine consistent avant tout dans la conformité à la volonté de Dieu et l’obéissance à ses ordres, encore que ses ordres puissent contredire parfois la pratique ordinaire de telle ou telle vertu. Ainsi l’ordre donné à Abraham n’alla pas contre la justice, puisque Dieu est l’auteur de la vie et de la mort ; pas plus que l’ordre donné aux Hébreux de dérober les biens des Égyptiens, puisque tout appartient à Dieu qui le donne à qui bon lui semble. Pareillement, l’ordre donné à Osée d’épouser une adultère n’était pas contraire à la chasteté, puisque Dieu est l’ordinateur de la génération humaine, et que les relations réglées par lui ne peuvent être que légitimes. » • L’idée est déjà présente chez →Augustin d’Hippone Quaest. Hept. 7,36 « Dieu certainement a établi des lois légitimes, mais ces lois, c’est aux hommes qu’il les a imposées, et non à lui. Tout ce qu’il a prescrit en dehors de cet ordre commun, n’a pas rendu prévaricateurs ceux qui l’ont exécuté, mais ils ont été pieux et soumis : ainsi Abraham immolant son fils. » THÉODICÉE Justice de Dieu Abraham reçoit le fils de la promesse mais est aussi appelé à le rendre à Dieu, selon une stratégie divine fréquente dans l’AT. La mère de Moïse doit donner son fils à la fille de Pharaon (Ex 2,1-10) ; le fils d’Anne, Samuel, est consacré au sanctuaire de Silo (1S 1) ; l’enfant de David et Bethsabée meurt (2S 12). Dieu est celui d’où vient tout don parfait, mais qui du coup, a toute autorité pour le réclamer : « Yhwh a donné, Yhwh a repris : que le nom de Yhwh soit béni ! » (Jb 1,21). • →Thomas d’Aquin Sum. theol. Ia-IIae 94,5 ad 1 « Tous les hommes, tant coupables qu’innocents, meurent de mort naturelle. Cette mort est voulue par la puissance divine […] selon 1S 2,6 : “C’est Dieu qui fait mourir et qui fait vivre.” C’est pourquoi la mort peut être infligée sans aucune injustice par ordre de Dieu, à n’importe quel homme, coupable ou innocent. » Mais cette justice trouve son accomplissement dans le mystère pascal survenu en Christ : • →Irénée de Lyon Haer. 4,5,4 « Car, en Abraham, l’homme avait appris par avance et s’était accoutumé à suivre le Verbe de Dieu : Abraham suivit en effet dans sa foi le commandement du Verbe de Dieu, cédant avec empressement son fils unique et bien-aimé en sacrifice à Dieu, afin que Dieu aussi consentît, en faveur de toute sa postérité, à livrer son Fils bienaimé et unique en sacrifice pour notre rédemption. » THÉOLOGIE SPIRITUELLE Pédagogie divine Malgré les apparences, Dieu n’est pas contradictoire. Il est au contraire très conséquent dans sa pédagogie vis-à-vis d’Abraham. Il l’amène, peu à peu, mais sans l’y forcer, à une obéissance qui émane de sa liberté intérieure. Celle-ci consiste à écouter la voix de Dieu, plutôt que de vouloir « épargner » le don en le gardant pour soi. Cette liberté accorde l’homme avec Dieu et avec sa bénédiction surabondante. C’est alors que l’alliance s’accomplit, comme le souligne le commentaire du nom Moriyya, qui suggère l’échange de regards entre Dieu et Abraham (cf. Ex 24,10-11). CHRISTOLOGIE Dieu demande à Abraham le sacrifice de son fils Isaac, comme une préfiguration du sacrifice qu’il ferait lui-même de son propre fils, Jésus, en faveur des enfants d’Abraham. Ce qu’il n’a finalement pas demandé à Abraham, Dieu l’a fait pour l’Église. Abraham prophétise donc (*chr8a), lorsqu’il répond à la question d’Isaac en affirmant que Dieu pourvoira au sacrifice : il donne non seulement le bélier au mont Moriyya, mais aussi son fils au mont Golgotha. →L’agonie de Jésus et la ligature d’Isaac Usage dans la controverse sur le traitement réservé aux Indiens d’Amérique Au 16e s., l’évêque Bartolomé de Las Casas cite Gn 22,1-19 dans la controverse qui l’oppose à Juan Ginés de Sepulveda. Ce dernier considérait légitime la conquête de l’Amérique et l’asservissement des Indiens, qu’il tenait pour barbares en raison des sacrifices humains pratiqués dans leur religion. Dans le débat mené à Valladolid contre les thèses de ce théologien et bien qu’il tînt lui aussi pour une erreur les sacrifices humains, Las Casas défendit les actions des Indiens en raison de leur ignorance invincible :
• Bartolomé de Las Casas Apología f. 154-161 « Dans les limites de la lumière de la raison naturelle, là où la loi humaine ou divine n’est plus en vigueur, et, ajouterions-nous, là où manquent la grâce et la doctrine, les personnes doivent immoler des victimes humaines au vrai Dieu ou au Dieu tenu pour véritable » étant donné que le bien le plus précieux est celui de « la vie humaine ». Les arguments bibliques utilisés par Las Casas sont celui du sacrifice (manqué) d’Isaac et celui du sacrifice (réalisé) de la fille de Jephté (Jg 11,29-40) : • Bartolomé de Las Casas Tratados de 1552 f. 49-51 « Pourquoi Dieu a-t-il demandé à Abraham qu’il lui sacrifiât son fils ? Au-delà du grand mystère qu’il a voulu signifier, et la preuve d’obéissance qu’il a voulu demander à son serviteur, c’était aussi pour nous faire comprendre que tout ce qui existe lui est dû, et que, si à la fin il ne permit pas qu’il fût sacrifié, ce fut par une marque de son infinie bonté et par compassion envers Isaac. Ce motif apparaît dans le cas de Jephté, lequel sacrifia sa fille pour accomplir le vœu qu’il avait prononcé. Jephté en vint à réaliser cette action quoique sans faire preuve de discernement, car il avait vu que Dieu avait demandé un sacrifice semblable à Abraham. » 1b Dieu éprouva Abraham Pédagogie divine Souvent dans la Bible, Dieu met à l’épreuve les hommes qu’il aime : • Le premier couple humain a été mis à l’épreuve et a échoué (Gn 2-3). • Israël tout au long de son histoire fut souvent soumis au jugement, en particulier lors de son exode à travers le désert vers la Terre promise (Ex 16). • Job a dû faire face à la perte de sa famille et de ses propriétés avant de tout regagner plus tard quand il réussit l’épreuve (Jb 1-2 ; 42). Ainsi Dieu n’hésite pas à éprouver l’obéissance de son peuple et la crainte qu’il lui doit. Si Abraham n’avait pas réussi l’épreuve, il n’aurait pas joué son rôle exemplaire dans l’histoire du salut. *theo17-18 ' Islam ' 1–19 Récit Le Coran évoque le sacrifice d’Abraham, en poursuivant la ligne d’interprétation midrashique selon laquelle Abraham n’a pas bien compris l’ordre de Dieu (*jui2b). C’est en songe qu’Abraham se voit immoler son fils : • →Coran sour. 37,102-109 « Quand l’enfant eut atteint [l’âge] d’aller avec son père, celui-ci dit : — Mon cher fils ! en vérité, je me vois en songe, en train de t’immoler ! Considère ce que tu en penses ! — Mon cher père, répondit-il, fais ce qui t’est ordonné ! Tu me trouveras, s’il plaît à Allah, parmi les Constants. Or quand ils eurent prononcé le salâm et qu’il eut placé l’enfant front contre terre, Nous lui criâmes : — Abraham ! tu as cru en ton rêve ! En vérité, c’est là l’épreuve évidente ! Nous le libérâmes contre un sacrifice solennel et Nous le perpétuâmes parmi les Modernes. Salut sur Abraham ! » On ne précise pas quel est le fils dont il est question (*jui2a) : Isaac, Ismaël et Jacob (fils d’Isaac) sont souvent mentionnés dans des récits. →Tabari Jāmi‘ al-bayān (à la fin du 9e s.) penchait pour Isaac, mais les traditions populaires ont fini par choisir Ismaël, fils premier-né d’Abraham et vénéré comme l’ancêtre des Arabes. Rite L’islam célèbre le sacrifice d’Abraham avec la fête de l’Aïd al-Adha (« la fête du mouton ») ou Aïd el-Kebir (« la grande fête ») qui clôture le pèlerinage à La Mecque, le dixième jour du dhû al-hijja (dernier mois lunaire du calendrier musulman). À La Mecque même, et partout dans le monde, on immole un animal en souvenir du geste de soumission d’Abraham, lors de l’épisode du « non-sacrifice » du fils. La bête immolée est ensuite consommée par les membres de la famille et les amis. Une part est réservée pour le partage avec les plus défavorisés. Cette fête clôt le cycle annuel des fêtes de l’Islam. ' Littérature ' 1–19 Les auteurs littéraires exploitent le pathos du récit : chaque époque a su y puiser. En voici quelques exemples parmi les plus célèbres.
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Moyen Âge La ligature d’Isaac revient souvent dans les mystères du Moyen Âge, autant en français qu’en anglais. Ils supposent la typologie d’Isaac comme figure du sacrifice de Jésus sur la Croix et dans l’Eucharistie et s’intéressent surtout au fils, avec l’accent sur ses sentiments et sur son obéissance envers son père jusqu’à la mort. Renaissance Théodore de Bèze, disciple de Calvin, écrivit son drame Abraham sacrifiant (1550) sous la forme d’un mystère. Abraham y fait figure tragique, profondément émotive et hésitante, pour savoir s’il doit suivre l’ordre de Dieu ou préserver la vie de son fils bien-aimé. Finalement, l’acte de foi prévaut. La tragédie de de Bèze, qui met l’accent sur la foi d’Abraham au détriment d’une interprétation christologique de la personne d’Isaac, compare le catholicisme au protestantisme, et promeut ce dernier. Le poète catholique anglais Richard Crashaw (ca. 1613-1649) revient à la typologie antérieure : Isaac et le bélier préfigurent le Christ dans l’Eucharistie (Lauda Sion Salvatorem, str. 12). Époque moderne La perplexité d’Abraham est traitée dans la littérature moderne anglaise de plusieurs façons : comique par Henry Fielding dans Joseph Andrews (1742) ; ironique par William Blake dans The Book of Urizen (1794) ; tragique par Thomas Hardy dans Tess of the d’Urbervilles (1891). Époque contemporaine Symbole de la destinée juive • Halpern Leivick (1888-1962), poète de langue yiddish, commente en 1956 un souvenir d’enfance et réinterprète l’Aqéda à travers le prisme de la Shoa : « Lorsque j’étais enfant, mon Rebbe me racontait l’histoire du sacrifice d’Isaac — Rebbe, disais-je angoissé, et si l’Ange était arrivé en retard ? — Sache, mon fils, répliquait le Rebbe, que l’Ange n’arrive jamais en retard. » Leivick ajoute : « Aujourd’hui nous savons que six millions de fois l’Ange est arrivé en retard » (rapporté par André Neher, Dans tes portes, Jérusalem (Présence du Judaïsme), Paris : Albin Michel, 1972). Interprétations « anthropologiques » De nombreux auteurs contemporains font appel aux sciences humaines pour relire le récit de la ligature d’Isaac : *psy1-19. ' Musique ' 1–19 Les compositeurs n’ont pas été en reste pour interpréter le récit. Certaines œuvres anciennes sont toujours représentées aujourd’hui, tel l’oratorio en latin de Giacomo Carissimi, Abraham et Isaac (ca. 1660), aux tons rhétorique et homilétique particulièrement sensibles dans les pièces chorales. Il propose une lecture chrétienne de l’épisode mais qui rend le pathos du récit par des nuances lyriques soulignant les sentiments des deux personnages. Le Sacrificium Abrahae, motet dramatique de son élève Marc-Antoine Charpentier (1681), suit une esthétique semblable. Exécutées lors de cérémonies religieuses marquant les moments importants de l’année liturgique, de telles œuvres paraphrasant librement le texte sacré pouvaient tenir lieu de liturgies de la Parole plus imagée. Soulignant le geste révélateur ou l’attitude significative (chez Charpentier, un long silence d’une mesure interrompt soudain la mélodie comme pour montrer le bras qu’Abraham refuse d’abaisser sur son fils, laissant l’auditeur plongé dans une attente angoissante), elles rapprochaient les récits bibliques des préoccupations des fidèles. Au 20e s. Igor Stravinski utilise le texte massorétique de Gn 22,1-19 pour Abraham et Isaac (1963), ballade sacrée pour baryton et orchestre de chambre. Dans cette œuvre, qui est un exemple de musique sérielle dodécaphonique, il réussit brillamment à prendre l’hébreu biblique comme base d’une composition musicale. Il offre son travail au peuple d’Israël en signe de gratitude. Benjamin Britten, War Requiem (1962), offertoire : au milieu de la prière que Dieu fasse passer les trépassés de la mort à la vie comme il avait promis à Abraham et à sa descendance, figure le poème de Wilfred Owen (18931918) « The Parable of the Old Man and the Young », où Abraham, au lieu d’écouter la voix de l’ange, « slew his son, / And half the seed of Europe, one by one ».
Dans la musique populaire récente l’épisode a été l’occasion de considérer : • la nature de Dieu : Bob Dylan, « Highway 61 Revisited » (Folk, 1965) ; • les relations entre Isaac et ses parents, aussi le sacrifice des jeunes au temps de guerre : Leonard Cohen, « Story of Isaac » (Folk, 1969) ; • les actions violentes commises au nom de Dieu : Joan Baez, « Abraham and Isaac » (Folk, 1992).
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' Arts visuels ' 10 1–19 L’Aqéda a une force dramatique qui se prête aisément à la représentation visuelle. La peinture occidentale n’a pas cessé de représenter la scène de la ligature (mais aussi les épisodes qui la précèdent : la marche, l’arrêt avec les serviteurs, …). *anc1-19 Durant l’Antiquité On trouve de nombreuses représentations juives et chrétiennes de l’Aqéda, qui éclairent l’interprétation du passage en question. →Grégoire de Nysse Deit. (PG 46,572-573) et →Augustin d’Hippone Faust. 22,73 témoignent de leur importance pour les fidèles. L’art funéraire chrétien offre les représentations les plus anciennes de la péricope : les Catacombes de Saint-Callixte et celles de Priscille à Rome (toutes deux du 3e s.). Les peintures des catacombes ne sont pas typologiques et soulignent toujours l’aspect de délivrance. Les représentations de l’Aqéda sur des sarcophages chrétiens introduisent des détails extra-bibliques tels que la présence de quelques curieux ou de Sara. L’exemple le plus ancien est le Sarcophage de Sainte-Quitterie à Aire-sur-l’Adour (4e s.). Le sacrifice d’Isaac des mosaïques de Saint-Vital et de Saint-Apollinairein-Classe (basiliques de Ravenne, 6e s.) est représenté dans un contexte liturgique clairement relié à l’Eucharistie. Abraham est représenté à côté d’Abel et de Melchisédech. Le sacrifice de son fils préfigure le sacrifice parfait du Christ. Les représentations juives se trouvent principalement dans des synagogues. La plus ancienne est celle de Doura Europos (245 ap. J.-C.) où la scène est représentée sur le fronton de la niche centrale où se trouve l’armoire de la Tora, près d’une représentation du Temple, ce qui souligne le lien entre l’Aqéda, la Tora et le culte du Temple. La fresque de Doura Europos montre aussi la première image de la main de Dieu. L’Aqéda de la synagogue de Beit Alpha (ca. 520) représente Isaac comme un petit enfant sans défense, et donne la prééminence au rôle joué par le bélier dans l’histoire. Ces deux détails, Isaac représenté comme un enfant et le rôle important joué par le bélier, diffèrent de la tradition scripturaire et témoignent du développement de l’Aqéda dans la théologie juive. Au Moyen Âge Le sacrifice d’Abraham fait partie du programme iconographique de nombreux édifices sacrés. Par exemple, au pied-droit gauche du portail central de la cathédrale de Chartres (1205-1240), Abraham et Isaac (un peu comme un martyr et son attribut) regardent tous les deux dans la même direction, écoutant la parole de Dieu et contemplant le mystère accompli en Christ (de même le portail ouest de la cathédrale de Senlis et le chapiteau du cloitre de Moissac). Parmi les œuvres de sculpteurs connus, remarquable est « Le sacrifice d’Isaac » de Donatello (ca. 1418, marbre, Museo dell’Opera del Duomo, Florence), présentant Abraham debout s’apprêtant à lever son couteau sur son fils à genoux qu’il tient par la tête serré contre lui. Un siècle plus tard, Le sacrifice d’Isaac par Alonso Berruguette (1526-1532, bois polychrome, Musée National des sculptures religieuses, Valladolid) reprendra la même composition, mais avec un mouvement quasi expressionniste : Abraham la tête renversée comme pour ne pas voir ce qu’il va faire, ou bien dans un instant de supplication criée vers Dieu, tient Isaac par les cheveux. L’histoire d’Abraham de Lorenzo Ghiberti (1425-1452, bas-relief en bronze doré, baptistère de Florence) inscrit la scène dans son contexte narratif complet, depuis l’annonciation par les trois anges. Sans parler des innombrables gravures sur bois, de nombreuses enluminures, tant chrétiennes que juives, représentent le sacrifice d’Abraham.
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Particulièrement remarquable est la double enluminure du Miroir de l’humaine salvation (France, milieu du 15e s., BNF, Manuscrits, français 188, f. 26 v°) mettant en regard Isaac portant le fagot derrière Abraham (l’épée à l’épaule et le feu à la main) et le Christ portant sa croix ; de même, un siècle plus tôt, une page des Très belles Heures de Notre-Dame de Jean de Berry (vers 1400, enluminure sur parchemin, Museo Civico d’Arte Antica, Palazzo Madama, Turin). À la Renaissance On peut signaler le très sculptural Sacrifice d’Isaac d’Andrea Mantegna (ca. 1490/1495, huile sur toile, Kunsthistorisches Museum, Vienne), qui présente un Isaac à la taille d’un enfant comparée à celle de son père, mais à la morphologie d’adulte. À l’âge classique Les plus grands peintres italiens ont exploité ce thème, en particulier Le Titien et Le Tintoret. Le Caravage traite au moins deux fois Le sacrifice d’Isaac, en 1601-1602 (huile sur toile, Galerie des Offices, Florence) puis en 1605 (huile sur toile, Piasecka-Johnson Collection, Princeton). Il y saisit le moment du sacrifice et de l’intervention de l’ange, et offre un jeu de lumières spectaculaire (contre-jour presque complet dans la toile de 1605), qui souligne le pathos de la scène et introduit le spectateur à l’intérieur du drame. L’artiste représente avec une grande maîtrise les émotions des trois personnages : un Abraham docile mais perplexe, un Isaac horrifié et un ange déterminé qui montre le bélier de son doigt. La douceur du bélier et le paysage paradisiaque du fond tranchent avec la tragédie personnelle d’Abraham. Un siècle plus tard, l’Autrichien Franz Anton Maulbertsch (1724-1796), Le sacrifice d’Isaac (huile sur toile, Musée des beaux-arts, Budapest) a également recours à un jeu de lumière extrêmement contrasté, focalisant toute l’attention sur le corps nu immaculé d’Isaac, alors qu’un Abraham au visage déterminé brandit le couteau, difficilement retenu par l’ange. Rembrandt, Le sacrifice d’Abraham (huile sur toile, 1635, Musée de l’Hermitage, Saint-Pétersbourg) et Laurent de la Hire, Abraham sacrifiant Isaac (huile sur toile, 1650, Musée Saint-Denis, Reims) insistent sur l’innocence d’Isaac, aveuglé par la main de son père et au corps blanc comme une hostie, tandis que l’arme tombe de la main d’Abraham interpellé par l’ange. Au 19e s. William Blake, Abraham Preparing to Sacrifice Isaac (Genesis, XXII, 9-12 ; ca. 1783, dessin à l’encre et aquarelle sur papier, Museum of Fine Arts, Boston), montre un Abraham entourant Isaac de bras protecteurs n’osant pas lever le couteau et levant craintivement les yeux vers le ciel comme s’il attendait vraiment confirmation, ou comme si l’ange venait de lui parler. *litt1-19 Au 20e s. Marc Chagall a traité plusieurs fois le récit du sacrifice d’Abraham. Le sacrifice d’Isaac de 1960-1966 (huile sur toile, Musée national, Nice) donne par son style onirique un sens universel au sacrifice d’Isaac. Il introduit en arrière-plan une scène de la Shoa ainsi qu’une silhouette portant une croix, poursuivant ainsi la tradition iconographique qui relie l’Aqéda d’Isaac avec la crucifixion de Jésus (→L’agonie de Jésus et la ligature d’Isaac), tout en montrant également l’universalité de la douleur d’Abraham. Non seulement l’Église et la Synagogue trouvent dans l’Aqéda un symbole puissant des mystérieuses relations entre Dieu et les croyants, mais aussi chaque génération du genre humain peut s’identifier avec Abraham dans cette dramatique nécessité de choisir entre deux valeurs qui semblent irréconciliables. Chagall reprit le thème sur des vitraux de l’église Saint-Étienne de Mayence entre 1976 et 1981. Parmi bien des reprises actualisantes du récit de la ligature d’Isaac, on peut citer : • George Segal, Sacrifice of Isaac (sculpture, 1979, Princeton University) ; commandée par la Kent State University pour commémorer les quatre étudiants tués lors des manifestations contre la guerre au Vietnam le 4 mai 1970 ; • Albert J. Winn, Akedah (photo, 1995, Jewish Museum, New York) ; Isaac est représenté par un malade séro-positif. Enfin, dans des genres plus populaires, • le péplum de John Huston, The Bible: In the Beginning (1966, avec George C. Scott, Ava Gardner et Peter O’Toole), se termine par le sacrifice d’Isaac :
Abraham y remet en question la voix qui ordonne de sacrifier son fils, montrant son angoisse et même sa colère. La bande dessinée elle-même s’est approprié le récit : • Le premier album de la série Testament de Douglas Rushkoff, Akedah (Vertigo Books, 2006), s’ouvre sur l’histoire d’Abraham et d’Isaac. Il interprète la demande divine comme une illusion dont Abraham est victime de la part du Moloch cananéen et illustre le changement dans la conception de Dieu qui commence avec ce récit. En parallèle actualisant, il raconte l’histoire d’Alan Stern qui sauve son fils Jake d’une armée au service d’un gouvernement tyrannique.
' Philosophie ' 1–19 Abraham « chevalier de la foi », ou : L’articulation de la foi à l’éthique • →Kierkegaard Frygt (1843), insiste sur le rôle de la foi dans une relation entre une personne et Dieu. Il est convaincu que le christianisme contemporain a troqué une foi vivante contre une vertu éthique conventionnelle, et a ainsi perdu ce qui est au cœur de la Bonne Nouvelle. Il souligne l’antithèse entre foi et éthique : en sacrifiant Isaac dans la crainte et le tremblement, Abraham transcende les limites de l’éthique et devient un « chevalier de la foi ». Dieu a une autorité supérieure, alors que l’existence et la pensée humaines sont toujours limitées, contrairement à la philosophie de Hegel. L’homme est ainsi invité à mettre au centre de sa vie la foi et la révélation. ' Psychologie ' 1–19 Un épisode aussi présent que refoulé L’épisode hante la réflexion des fondateurs de la psychologie des profondeurs au point d’y être refoulé, ou théorisé sans être nommé. • →Freud Totem : Dans l’analyse des fondements du monothéisme, l’accent porte sur la figure du fils sacrifiant son père, en lien avec sa conception du complexe d’Œdipe (bien que la légende grecque commence avec l’attentat de Laïus contre la vie de son fils). L’exemple d’Abraham et Isaac aurait pu apporter de sérieux correctifs à cette thèse centrale mais dans sa réflexion sur le judaïsme, Freud ne s’y attache guère : il se concentre sur Moïse (→Freud Moses). Abraham demeure un angle mort dans la réflexion freudienne. • →Jung Sacrifice : Le sacrifice est une pulsion venue de l’inconscient, ce qui rend l’acte de sacrifier psychologiquement impossible : l’ego ne peut pas décider de faire un sacrifice. Quand un acte de sacrifice a lieu, c’est le symptôme de processus de transformation en cours dans l’inconscient, mais dont les contenus et les sujets restent inconnus. En tant que tel, du fait qu’on ne peut faire dériver l’inconscient de la sphère du conscient, le sacrifice échappe donc à une intelligibilité maîtrisée par l’ego (dimension de mystère). Le cœur du sacrifice, consiste pour le conscient à remettre ses pouvoirs et ses possessions à l’inconscient. Le sacrifice est ainsi un symbole de la thérapie : tandis que le moi conscient ou ego ne peut/veut pas s’y soumettre, elle a lieu, et permet au Moi transcendantal (avec sa composante inconsciente) d’imposer à l’ego le renoncement à ses prétentions, au nom d’une autorité plus grande qui permet à ce Moi de grandir. Tout progrès du Moi requiert que l’ego se sacrifie à quelque chose de plus grand que lui. Ne peut-on pas lire en filigrane une interprétation allégorique du sacrifice d’Abraham ? Cf. Spitzer Anais N., « Abraham and Isaac », dans Adams Leeming David, Wood Madden Kathryn, Marlan Stanton (éd.), Encyclopedia of Psychology and Religion: L-Z (Springer Reference), Londres : Springer, 2010, 1-3. Exploration de la complexité de la relation entre parents et enfants De nombreux auteurs contemporains font appel aux sciences humaines pour relire le récit de la ligature d’Isaac. En voici quelques exemples : • Marie Balmary (1986) lit le passage en fonction de son expérience psychanalytique clinique. Elle partage avec Rachi (*jui2b) la conviction que Dieu ne veut pas le sacrifice d’Isaac. Il veut seulement que le fils d’Abraham soit « élevé » sur la montagne en sacrifice symbolique. Abraham ne comprend pas la demande divine par impossibilité de
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considérer Isaac comme une personne individuelle : inconsciemment il refuserait que son fils pût un jour lui ravir sa place et vivre pour lui-même. Pour lui, sacrifier son fils signifie tuer Isaac. Dieu vient libérer Abraham de cette limite psychologique en lui montrant la possibilité d’un sacrifice de substitution : le bélier mâle, symbole de la paternité d’Abraham. C’est sa paternité mal comprise qui doit être sacrifiée, pour qu’Isaac devienne un homme adulte et libre. • Poussant plus loin la rêverie anthropologique, Jo Cheryl Exum (1985) développe à la manière féministe une ligne d’interprétation présente dans
→Tanḥ. (Par. Uayira 23). Elle s’interroge sur l’absence de Sara : la matriarche a perdu son fils chéri au profit de son père, et sa propre mort a peut-être bien été causée par ce qui est arrivé à Isaac au mont Moriyya. • De même pour Phyllis Trible (1991), le récit serait gros d’une rhétorique divine visant à guérir les parents de toute possessivité idolâtrique vis-à-vis de leurs enfants. Abraham et Sara ainsi libérés inviteraient le lecteur moderne à s’approprier le récit en toute liberté, rendant à Dieu la place d’honneur dans l’effort interprétatif.
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À Jérusalem Le mont Moriyya a été identifié avec le mont du Temple de Jérusalem (2Ch ' Vocabulaire ' 3,1), identification suivie par les traditions juives et chrétiennes (et aussi dans l’Islam). Pour certains commentateurs musulmans, l’actuelle coupole 2b Moriyya Sens incertain Outre une dérivation du verbe r’h « voir » (*com2b), du Dôme du Rocher à Jérusalem s’élèverait à l’endroit où Abraham prépara est également possible une dérivation des racines yr’ « craindre » ou yrh l’autel du sacrifice. Après La Mecque et Médine, c’est le troisième lieu saint « enseigner ». *jui2b des musulmans. Pour les juifs et les musulmans, ce lieu est véritableM Sam G V S 3b jeunes hommes Sens C’est-à-dire ment sacré. Pour les chrétiens, il M Sam G S VS 2a Et [Dieu] lui dit : Prends ton fils ton unique « serviteurs ». *jui3b représente une étape de pèlerinage. G En Samarie bien' Grammaire ' Les Samaritains situent l’épisode du aimé, que tu aimes, Isaac sacrifice d’Isaac sur le mont Garib et va-t’en au pays de Moriyya 3a s’étant levé (G) Usage aspectuel du parzim (*hgeDt 27,12). G ticipe Suivant les préférences de la synélevé taxe grecque, G remplace souvent par V de la Vision et offre-le là en un participe le temps narratif de cer' Milieux de vie ' holocauste tains verbes de M : v.3-5.9.13.19. G 2b holocauste Type de sacrifice où la apanage total 3c.6a.7c.9bd le bois Litt. « les bois », au victime est entièrement consumée c sur une des montagnes que je te dirai. pluriel Dans toutes les versions le mot sur l’autel (pour le rituel sacerdotal, V montrerai. est au pluriel, ce qui ne peut pas être voir Lv 1). Il correspond à une 3 a Et rendu en français. offrande totale à Dieu. *com2b
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Alors Abraham se leva de bon matin, G s’étant levé de bon matin, V se levant, de nuit, S devança le matin, sella son âne et prit deux de ses jeunes hommes avec lui G prit avec lui deux de ses jeunes hommes V prenant avec lui deux de ses jeunes hommes et Isaac son fils il fendit le bois de l’holocauste M Sam G S et il se leva et s’en alla vers le lieu que Dieu lui avait dit. V ordonné.
Réception
2b offre-le là en holocauste (M) Narra' Comparaison tion : suspense En M, l’insertion de l’addes versions ' verbe de lieu coupe en deux l’expresb sion consacrée « offrir en holocauste » 2b de Moriyya : M Sam S | V : de la (utilisée aux v.2b.13b) et autorise une Vision | G : élevé — Jeu de mots double lecture. • αʹ, σʹ et V comprennent à partir Ambiguïté de l’ordre donné du verbe r’h « voir » (αʹ : tên L’ordre portant sur le don de Dieu au c kataphanê « qui est visible/ patriarche est ambivalent : Abraham claire » ; σʹ : tês optasias ; V : (terest invité : d ram) visionis). →Jérôme Quaest. • soit à faire monter Isaac en holoGen. (CCSL 72,26) témoigne égacauste (seul sens possible dans G), lement d’une ancienne interpré• soit à le faire monter sur la montation juive de ce mot au sens tagne (« là ») pour offrir avec lui un factitif comme « ce qui éclaire et holocauste. 2a Offrande du premier-né Ex 13,11-13 ; 22,28 ; 34,19 — 2b va-t-en Gn 12,1 – brille » (inluminans interpretatur Caractérisation d’Abraham : non seulement 2b Moriyya 2Ch 3,1 — 3 Abraham prend et part Gn 12,4-5 et lucens) en lien avec la tradition obéissant, mais intelligent ? qui plaçait le Temple sur ce mont. L’ordre donné par Dieu à Abraham est Au v.14 M, Sam, S et V jouent sur une mise à l’épreuve, mais le premier intéressé l’ignore. La question est de le verbe « voir » à deux formes pour expliquer le nom du lieu. *hge2b savoir en quel sens Abraham comprendra cet ordre ambigu. Cela reste indé• G : tên hupsêlên. Au v.14 G a de même deux fois le verbe « voir », mais cis jusqu’au v.9 où, en l’absence de bête, Abraham s’apprête à immoler Isaac. sans que cela produise le jeu de mots explicatif du toponyme.
Contexte
' Repères historiques et géographiques ' 2b Moriyya Localisation ? Dans le cadre du cycle d’Abraham et de Gn, le lieu n’est pas situable.
2b holocauste : M | G : apanage total Pour M : ‘ōlâ « holocauste » (litt. « montée »), G préfère ici, à holokautôma ou holokautôsis (« holocauste »), un mot plus rare, holokarpôsis « apanage total », qui oriente davantage vers celui qui reçoit et jouit du bien donné que vers le sort de la victime. *mil2b
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3b jeunes hommes Identification • →Tg. Ps.-J. ajoute « Éliézer et Ismaël ».
2-3.16-18 Liens familiaux En Gn 12,1-4, Abraham est appelé à quitter son père en vue de recevoir la bénédiction divine, et répond positivement à l’appel du Seigneur : plusieurs rappels verbaux assurent le lien aux v.2-3 et v.16-18. 2b offre-le là en holocauste Motif : le détachement par rapport aux enfants En Gn 21, sur invitation de Dieu, Abraham laisse aller Ismaël son premier-né (Gn 21,12-14). Ailleurs, en Gn, plusieurs pères doivent ainsi laisser aller leurs fils vers leur destin propre, selon la parole de Gn 2,24 : « l’homme quittera son père et sa mère » (p. ex. Gn 28,1-4 ; 37,12-14 ; 43,1-14 ; et aussi Gn 24,5459 ; 31,43-32,1 ; 38,11.26 ; 48,5-6). L’attitude d’Abraham est exemplaire pour le chrétien : « Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi » (Mt 10,37). ' Tradition juive •
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2a ton fils ton unique, que tu aimes Indentification progressive • →Gen. Rab. 45,7 « Le Saint, béni soit-Il, dit à Abraham : “Prends de grâce”, je t’en prie, “ton fils”. — “Lequel ?” dit Abraham, “j’en ai deux.” — “Ton unique.” — “L’un est unique pour sa mère et l’autre aussi,” répondit Abraham. — “Que tu aimes.” — “Les entrailles distinguent-elles ?” — “Isaac”, finit-il par dire le Saint, béni soit-Il. Et pourquoi ne le lui dévoila-t-il pas d’emblée ? Afin de donner à [Isaac] plus de prix aux yeux [de son père] » (cf. →Rachi Comm. Tora). *isl1-19 2b Moriyya Étymologie • →Gen. Rab. 45,7 « Rabbi Hiya Rabba et Rabbi Yannaï. L’un dit : [“Moria, c’est le lieu] d’où l’enseignement jaillit vers le monde.” L’autre dit : “C’est le lieu d’où la crainte jaillit vers le monde.” […] L’un dit : “C’est le lieu d’où la lumière jaillit vers le monde.” » À Jérusalem • →Tg. Ps.-J. lit « du culte » (au lieu de « de Moriyya »), ce qui désigne le Temple de Jérusalem. 2b offre-le là en holocauste Avec dignité • →Rachi Comm. Tora « Il ne lui dit pas “immole-le” parce que le Saint, béni soit-Il, ne désirait pas qu’il l’immole, mais il lui dit de le faire monter sur la montagne pour le préparer comme un holocauste. » Isaac, sacrifice ou sacrificateur ? • Rabbi Levi Ben Gershom (1288-1344), Miqra’ot Gedolot, ad loc. « Cette parole, il est possible de la comprendre [comme exigeant] qu’il le sacrifie et en fasse un holocauste, ou [comme demandant] qu’il le fasse monter là pour faire monter un holocauste afin qu’Isaac soit éduqué dans le service du Nom qu’Il soit exalté. Et le Nom qu’Il soit exalté le mit à l’épreuve : serait-il pénible à ses yeux de faire quoi que ce soit que le Nom lui commande, jusqu’à ce que, alors, il comprenne cette parole autrement que ce qu’il avait d’abord compris, à savoir qu’il avait à faire monter là un autre holocauste et non pas à sacrifier son fils ? » (cité par Wénin André, Isaac ou l’épreuve d’Abraham. Approche narrative de Genèse 22 [Le livre et le rouleau 8], Bruxelles : Lessius, 1999, 38).
' Tradition chrétienne ' 2b ton fils ton bien-aimé, que tu aimes (G) Aggravation de la demande Origène attire l’attention sur l’immense difficulté de la demande divine qui renforce encore la solidité de la foi d’Abraham : • →Origène Hom. Gen. 8,2 « Comme s’il ne lui avait pas suffi, en effet, de dire “fils”, il ajoute “bien aimé”. Soit ! Pourquoi ajouter encore : “Celui que tu chéris” ? Tu vois, l’épreuve est lourde : les expressions de tendresse et d’affection plusieurs fois répétées ravivent les sentiments paternels. […] Et voilà trois fois plus de supplices pour le père ! » 2c sur une des montagnes Montée spirituelle Pour Origène, l’ascension de la montagne par Abraham symbolise le pèlerinage spirituel continu du croyant vers le ciel : • →Origène Hom. Gen. 8,3 « [Abraham] est donc envoyé “dans la région élevée” ; mais, à un patriarche qui va accomplir pour le Seigneur une si grande action, il ne suffit pas d’une région élevée ; ordre lui est donné de gravir encore la montagne, c’est-à-dire, soulevé par la foi, de délaisser les choses terrestres et monter vers celles d’en haut. » 3c.6a.7c.9bd bois Invitation à porter sa croix Irénée invite tous les croyants à suivre le Christ portant le bois de la croix avec la foi d’Abraham, de la même façon qu’Isaac a porté le bois : • →Irénée de Lyon Haer. 4,5,4 « C’est à juste titre enfin que nous, qui avons la même foi qu’Abraham, prenant notre croix comme Isaac prit le bois, nous suivons ce même Verbe. » Typologie christologique Origène suit l’interprétation d’Irénée, mais il introduit le thème de la résurrection : • →Origène Hom. Gen. 6,6 « Ce fut à propos d’Isaac que la foi en la résurrection se manifesta pour la première fois. Abraham savait qu’il figurait d’avance l’image de la vérité à venir, il savait que le Christ naîtrait de sa descendance pour être offert en victime et ressusciter le troisième jour, pour le salut du monde entier […]. Isaac porte lui-même le bois de l’holocauste : c’est là une figure du Christ qui porta lui-même sa croix. » ' Mystique ' 2c.14b une des montagnes + la montagne — Lieu de révélation La montagne est un lieu privilégié pour la rencontre de Dieu : mont Moriyya, mont Sinaï, mont du Temple, mont de la tentation, mont de la transfiguration, Golgotha, mont de l’ascension. La tradition carmélitaine voit dans l’ascension au mont Carmel un symbole de la vie spirituelle, mais non exclusif : • →Jean de la Croix Subida 3,42,5-6 : Parmi les « lieux propres à la dévotion » figurent « ceux dont Dieu a fait choix pour y être invoqué et servi. Tel est le mont Sinaï, où il donna la Loi à Moïse (Ex 24,12) ; le lieu qu’il désigna lui-même à Abraham pour y sacrifier son fils (Gn 22,2) […]. Pour quel motif Dieu fit-il choix de ces lieux, de préférence à d’autres, pour y recevoir des louanges ? Lui seul le sait. Ce dont nous devons être persuadés, c’est qu’il agit ainsi pour notre avantage et parce qu’il veut exaucer là nos prières, comme partout où nous l’implorons avec foi. »
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4 le troisième jour Le sceau baptismal 6 (S) Omission Le Codex Ambrosianus (7a1), probablement par haplographie Clément d’Alexandrie relie cette expression au sacrement du baptême : de « et il prit », a seulement cette leçon brève : « Et il prit dans sa main le • →Clément d’Alexandrie Strom. 5,73,2 « Les trois jours pourraient être feu et le couteau et ils s’en allèrent tous deux ensemble. » aussi le signe du sceau baptismal, par lequel on croit à celui qui est réellement Dieu. » Topos biblique ' Procédés littéraires ' Origène, pour sa part, parle en M Sam G V S termes plus larges et applique l’ex4 a V SEt le troisième jour Abraham leva les yeux et 6–10 Narration : ralentissement du tempo pression à toutes sortes de mystères V Le narrateur décrit de plus en plus divins en général : les yeux levés il vit le minutieusement ce qui se passe, • →Origène Hom. Gen. 8,4 « Le lieu de loin retardant le moment attendu et augtroisième jour est en tout temps 5 a et Abraham mentant d’autant la tension : particulièrement propice aux mysVS • le dialogue très elliptique entre tères : lorsque le peuple fut sorti il dit à ses jeunes hommes père et fils (v.6-8) souligne de d’Égypte, c’est le troisième jour V serviteurs : manière dramatique le choix qu’il offre un sacrifice à Dieu et le b Restez auquel Abraham est confronté ; troisième jour qu’il se purifie ; la G • ensuite (v.9-10), le narrateur fait résurrection du Seigneur a lieu le Asseyez-vous sentir la réticence d’Abraham dans troisième jour. » V Attendez ici avec la description détaillée des gestes S près de l’âne de son obéissance. 5b Restez ici Prophétie Jean Chrysostome parle ici de la mission prophéc moi et l’enfant, nous irons tique d’Abraham : V M G S Sam allant jusque-là et nous Réception • →Jean Chrysostome Hom. Gen. nous prosternerons et reviendrons vers vous. 47 « Il dit aux serviteurs : “Atten' Comparaison dez ici. Moi et l’enfant nous irons 6 a Et Abraham des versions ' jusque là-bas, et après avoir adoré V il prit le bois de l’holocauste et le plaça nous reviendrons vers vous.” sur Isaac, son fils 6b couteau : M Sam S | G V : glaive Sachant que son sacrifice était • M Sam : m’klt (couteau de bouchenouveau et inouï, il le cachait aux b et il prit dans sa main G rie ou de cuisine) ; S : skyn’ ; serviteurs. Il ignorait que ses et il prit avec sa main • G : tên machairan (un glaive paroles se réaliseraient en vérité et V lui-même portait dans ses mains le feu et le couteau court) ; il prophétisa, mais sans le savoir. » GV glaive • V : gladium. 8a Dieu se pourvoira Prophétie Le c et ils s’en allèrent tous deux ensemble. ' Intertextualité biblique ' thème des pouvoirs prophétiques M Sam G S M G S Sam 7 a Et Isaac parla à Abraham son père et d’Abraham (*chr5b) est de retour ici : M V Sam dit : Mon père ! 4 Le troisième jour Topos • →Jean Chrysostome Hom. Gen. • Dans l’AT : voir Gn 31,22 ; 34,25 ; 47 « “Dieu pourvoira lui-même à b Et il dit : Me voici, mon 40,20 ; 42,18. C’est souvent un jour la brebis, mon fils.” Cette fois G il dit : Qu’y-a-t-il, important : Ex 19,11.16 (théophaencore, Abraham prophétisa sans V celui-ci répondit : Que veux-tu, fils ? nie d’alliance) ; 2R 20,5 (guérile savoir. […] Maintenant, reçois S son) ; Os 6,2 (résurrection) ; Est ton fils racheté par ton obéisc Et il lui dit : Voici le feu et le bois, où est 5,1 (intervention salvatrice sance ; et vont s’accomplir tes l’agneau pour d’Esther). paroles “Après avoir adoré nous G la brebis pour • Dans le NT : c’est le jour de la reviendrons” et “Dieu pourvoira à V résurrection (Mt 16,21 ; 17,23 ; la victime”. […] Or tout cela était la victime de 20,19 ; 27,64 et parallèles ; Ac figure de la croix. […] Comment S l’agneau de l’holocauste ? 10,40 ; 1Co 15,4 ; →Chronologie de l’a-t-il vu, si longtemps à l’avance ? 8 a M Sam G V Et Abraham dit : Dieu se pourvoira la passion). Le lien entre le salut En figure, en ombre. Car, de même d’Isaac et la résurrection n’est qu’un bélier fut immolé pour de l’agneau pour cependant pas explicité dans le Isaac, ainsi l’Agneau spirituel fut Sam d’un agneau pour NT. →L’agonie de Jésus et la ligature immolé pour le monde. Il fallait G d’une brebis pour d’Isaac que la vérité fût unique, d’avance V écrite et signifiée par l’ombre. Vois de la victime de 6a le bois + sur Isaac — Typologie Isaac donc : de part et d’autre, un fils S M Sam V S de l’agneau de l’holocauste, mon fils. chargé du bois préfigure Jn 19,17, où unique ; de part et d’autre, un b Et ils allèrent tous deux Jésus « porte lui-même sa croix », à bien-aimé […]. L’un est offert en V la différence des synoptiques où c’est holocauste par son père, l’autre est poursuivaient ensemble. Simon de Cyrène qui en est chargé livré par son Père : “Il n’a pas épar(Mc 15,21 ||). gné son propre Fils, il l’a livré pour nous tous” (Rm 8,32). »
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volontaire d’Isaac qui demande à être lié pour éviter qu’en se débattant, il se cogne et ne devienne une victime indigne de Dieu.
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12 Texte anti-sacrificiel • →Philon d’Alexandrie Abr. 178-187 interprète Gn 22,1-19 comme une protestation véhémente contre la pratique païenne du sacrifice d’enfants. Sacrifice réel • Selon →Yal. 1,107, le sacrifice M Sam G V S d’Isaac est monté en « parfum M Sam V S 9a Et ils vinrent au lieu que Dieu lui avait dit d’apaisement » ; il a donc été réel, V même si le sang n’est pas indiqué. montré « À la place de son fils » (v.13b) b et Abraham peut se comprendre « après ». V
9c lia Hapax héb. Le verbe héb. ‘āqad est un hapax qui a donné son nom rabbinique à la péricope (Aqéda). 10 égorger : M | V : immoler — Verbes techniques rituels • šḥṭ en héb. désigne l’abattage de la victime dans le cadre d’un holocauste ; • immolari en latin signifie d’abord « saupoudrer la tête d’une victime de sacrifice de farine sacrée », préalable dans la religion romaine à tout sacrifice animal sanglant. 12a N’étends pas ta main Connotation agressive Litt. « N’envoie pas ta main ». L’expression peut servir à décrire une agression.
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12b épargné… pour son profit (lexique économique) Le verbe héb. ḥśk a le sens économique de mettre de côté pour soi. ' Grammaire '
30 12b et que tu n’as pas épargné Raison Le « et » peut avoir ici un sens explicatif (« c’est-à-dire »). 35
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10 Sacrifice d’enfants ? Il est question de sacrifices d’enfants en Jg 11,29-40 (fille de Jephté) ; 2R 3,27 ; 16,3 ; 17,17 ; 21,6 ; Ez 20,26.31 ; Mi 6,7. La Bible les condamne à de nombreuses reprises (Lv 18,21 ; 20,2-5 ; Dt 12,31 ; 18,10 ; Jr 7,31 ; 19,5 ; 32,35 ; Ez 16,20-21 ; 23,39). En Ex 13,2.11-15, il est question de la sanctification des premiers-nés des humains et du bétail : ils appartiennent au Seigneur, à qui on les offrira en mémoire de la mort des premiers-nés de l’Égypte. Tous les fils des Israélites sont cependant rachetés par la consécration des fils de Lévi à Dieu (Nb 3,41.44-51).
construisit là l’ GV un autel et arrangea G mit GV le bois dessus et lia Isaac, son fils et le mit V posa sur l’autel au-dessus du Vtas de bois. Et Abraham V il étendit la main et prit V saisit le couteau pour égorger son V immoler le fils. il
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Et l’ange de Yhwh cria Et voici que l’ange du vers lui des cieux Seigneur cria vers lui G du Seigneur du ciel en disant : l’appela du ciel S de Dieu l’appela des cieux et dit : b Abraham ! Abraham ! Abraham ! Abraham ! c Et il dit : Me voici. Et il répondit : Me voici. M Sam G V S
Et il Vlui dit : N’étends pas ta main vers le jeune homme Sam sur le jeune homme GVS sur l’enfant et ne lui fais rien car maintenant je sais que tu crains Dieu et que tu n’as pas épargné ton fils, ton unique G bien-aimé V unique à cause de moi.
' Tradition chrétienne ' 9b l’autel La croix L’Épître de Barnabé relie clairement le sacrifice du Christ sur l’autel de la Croix avec l’autel du sacrifice d’Isaac : • →Barn. 7,3 « parce qu’il [= le Seigneur] devait offrir lui-même, pour nos péchés, le vase de l’Esprit en sacrifice, afin que la préfiguration (manifestée) en Isaac offert sur l’autel fût accomplie. » 9c lia Isaac La crucifixion • Dans le contexte liturgique de Pâques, →Méliton de Sardes Pascha 69 écrit dans une célèbre homélie : « C’est [le Christ] qui est la Pâque de notre salut. C’est lui qui supporta beaucoup en un grand nombre : c’est lui qui fut en Abel tué, en Isaac lié. » Neuf cents ans plus tard, ce thème est repris par Rupert de Deutz : • →Rupert de Deutz Trin. In Gen. 6,32 « Le Christ est immolé, et cependant il demeure impassible et vivant, de même qu’Isaac fut immolé, mais que le glaive ne l’atteignit pas. »
10a Disposition d’Abraham Cyrille d’Alexandrie explique l’attitude d’Abraham dans le moment crucial du récit et souligne son entière confiance en Dieu : • →Cyrille d’Alexandrie Glaph. Gen. 3 « Abraham était dans de telles dispositions, et son esprit b était si prêt, qu’il ne tint pas compte de son amour pour son fils 11–18 Parallèle avec Hagar et Ismaël En et n’hésita pas à le sacrifier. Et ce Gn 21,15-19, confrontée à la mort qu’il y a de plus admirable, c’est imminente de son fils, Hagar est elle qu’il ne cessa pas d’espérer qu’en ce aussi témoin de l’intervention du même fils il deviendrait le père messager divin qui est source de 9b Autels construits par Abraham Gn 12,7-8 ; 13,18 — 10 Qui aime son fils plus d’une multitude de nations ; car il salut pour son fils et elle. savait que Dieu ne peut mentir. Il que moi Mt 10,37 — 11a l’ange Gn 16,7-11 ; 19,1 ; 21,17 ; 24,7.40 ; 28,12 ; 31,11 ; conduisit donc son fils au sacrifice, 32,2 — 11b Appel insistant Gn 22,1 — 12b Craindre Dieu Dt 6,2 ' Tradition juive ' ne doutant pas de la vérité des promesses, s’en remettant à Dieu 10 Coopération d’Isaac Dans →Tg. Neof. et →Tg. Ps.-J., le récit insiste dès lors de la manière dont celui-ci tiendrait son serment. » non seulement sur la foi d’Abraham, mais aussi sur la disponibilité
12 a
Genèse , -
12a ne lui fais rien Révélation du dessein divin À ce moment de l’intrigue, les intentions de Dieu sont révélées et Pierre Chrysologue commente : • →Pierre Chrysologue Serm. 1 « La droite du père fut arrêtée, le glaive du père fut détourné, car Dieu ne cherchait pas la mort du fils mais éprouvait la charité du père : il n’attendait pas le sang du fils, alors que toute la victime consistait dans l’amour du père. » ' Théologie ' 12b tu crains Dieu La crainte de Dieu est l’une des notions les plus importantes de la théologie de l’AT. C’est non seulement comme l’origine d’une expérience religieuse, mais a