129 91 24MB
French Pages [788] Year 2007
AYMERI DE NARBONNE Édité par Hélène Gallé
HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR Classiques français du Moyen Age
je” Eu
QUEEN
MARY
AND WESTFIELD COLLEGE UNIVERSITY OF LONDON
THE LIBRARY
ASEL ITR"
y
"HO
LULU
|
LES CLASSIQUES FRANÇAIS DU MOYEN ÂGE Dirigés par Jacqueline CERQUIGLINI-TOULET, Joëlle Ducos et Francine MORA 129
AYMERI DE NARBONNE
CLASSIQUES FRANÇAIS DU MOYEN ÂGE La Chastelaine de Vergi FRANÇOIS VILLON Œuvres
Courtois d'Arras La Vie de saint Alexis Le Garçon et l’aveugle ADAM DE LA HALLE Le Jeu de la feuillée Con MusET Chansons Huon LE Roi Le Vair Palefroi, avec deux versions de La Male Honte, RSOQNCE DIVINE par HUON DE CAMBRAI et par GUILLAUME 3 GUILLAUME IX, DUC D’AQUITAINE Chansons =EIK®PHILIPPE DE NOVARE Mémoires (1218-1243) 11. PEIRE VIDAL Poésies BÉROUL Le Roman de Tristan HUON LE RoOï DE CAMBRAI Œuvres Gormont et Isembart JAUFRÉ RUDEL Chansons Alfred JEANROY Bibliographie sommaire des chansonniers provençaux
BERTRAN DE MARSEILLE La Vie de sainte Énimie ALFRED JEANROY Bibliographie sommaire des chansonniers français du Moyen Âge La Chanson d’Aspremont, t. I Gautier d'Aupais Lucien FOULET Petite syntaxe de l’ancien français Le Couronnement de Louis Chansons satiriques et bachiques du XIII° siècle CoNON DE BÉTHUNE Chansons La Chanson d'Aspremont, t. II
Piramus et Tisbé
CERCAMON Poésies GERBERT DE MONTREUIL La Continuation de Perceval, t. I (Suite en fin de volume)
AYMERI DE NARBONNE
Édité par Hélène GALLÉ
PARIS
HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR 2007 www.honorechampion.com
COMITÉ DE PUBLICATION DES F CLASSIQUES FRANÇAIS DU MOYEN ÂGE Philippe MÉNARD (Paris-Sorbonne); Jacqueline CERQUIGLINI-TOULET (Paris-Sorbonne); Carlos ALVAR (Alcalé de Henares); Keith BUSBY (Madison, Wisconsin); Günter HOLTUS (Gôttingen), Cesare SEGRE (Pavie); Jean SUBRENAT (Aix-en-Provence); Suzanne THIOLIER (Paris-Sorbonne); Claude THOMASSET (Paris-Sorbonne), Madeleine TYSSENS (Liège); Françoise VIELLIARD (École des Chartes). La collection des
CLASSIQUES FRANÇAIS DU MOYEN
ÂGE
a été fondée par Mario ROQUES et dirigée jusqu’en 1996 par Félix LECOY
Diffusion hors France: Éditions Slatkine, Genève www.slatkine.com
© 2007. Éditions Champion, Paris. Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays.
ISBN: 978-2-7453-1535-9
ISSN: 0755-1959
heRamir ape arr de re Dore L'utes, 5583 Fertiin e Hibreiri Paris, Paris, per LeDoinsison, re 278 p. à é l'évocation + Le roms premier esttou entier consacr snivant: le dontde plan est L
Le chancon d'Aÿinert de Nerbii — Travaux dont elle ns dés
rare,
JT
Analyse du poème.
NL
“Descripéaides
manual
— à
L
A
£
s"
1
YA à at À
11
ï
LJai
har
ane
rs
7
Gi
F
:
« /
{ € MÉNARD (Pail-Subusssi
VOLE ï en
Ptilipge
Anse a boneei:
Madson,
ÀCachsr rer ALUNE
Wiscostn): tie
rt
V0
HOMEUS-(
Pavie): “Jétr SUBFENAI RE
TH}:
Pars-Sortaroë}: Claude IRANESSET: (Pan FYSSENS (En; Fraissoie VIPLESARD(Éae des Charts). \ =
r
La coiection des
CLASSIQUES FRANCAIS EU MOYEN ÂGE
à été fondée pu Mario RÔQUES brinde jusqu'en À05er par Fêl L'ECON
us
Frescs
‘Ediions Slide, Conve
ina Cigous er
not
On
.
Chante ue
Fe
vartiellés,
serres
MAS ROUE fé TUE HN:
07547059
INTRODUCTION CHAPITRE I
ÉDITIONS ANTÉRIEURES D’AYMERI DE NARBONNE La seule édition complète d’Aymeri de Narbonne est celle qu’a donnée L. Demaison en 1887: Aymeri de Narbonne, chanson de geste publiée d’après les manuscrits de Londres et de Paris, par L. Demaison, Paris, librairie Firmin Didot, 1887, 336 p. et 278 p. Le tome premier est tout entier consacré à l’introduction,
dont le plan est le suivant:
L. La chanson d’Aymeri de Narbonne. — Sa valeur littéraire. — Travaux dont elle a déjà été l’objet. IL. Analyse du poème. IL. Description des manuscrits. IV. Classement des manuscrits. — Établissement du texte. V. Auteur du poème. — Date de sa composition. — Imitation d’une chanson antérieure. VI. Langue, style et versification. VII. L'élément historique dans Aymeri de Narbonne : 1. — Aymeri et Hermengarde. 2. — Le siège de Narbonne. 3. — Influence des relations avec l'Orient. 4. — Traditions locales.
VIIL.
La géographie dans Aymeri de Narbonne.
INTRODUCTION
10
IX.
L'élément légendaire dans Aymeri de Narbonne: 1. — Épisode des noix et des hanaps brûlés par les messagers d’Aymeri. 2. — Allusions à diverses chansons de geste.
X.
L'histoire d’Aymeri et de la prise de Narbonne dans les chroniques et les textes légendaires: 1. — Chroniques. 2. — Office de saint Charlemagne à Girone. 3.— Philomena. 4. — Vie de saint Honorat.
XI. XII
Les versions en prose d’Aymeri de Narbonne. La légende d’Aymeri de Narbonne dans les pays étrangers:
XIII.
Aymeri de Narbonne dans la littérature contemporaine.
1.-— Italie. 2. — Espagne. 3. - Allemagne.
Le tome second comprend le texte, un glossaire et une table des noms conséquents, et une table des rimes. Le manuscrit de base est R. Il va sans dire que cette édition est remarquable, tant pour le texte établi que pour le travail de recherche autour de l’histoire d’Aymeri et celle des manuscrits. Le principal reproche qu’on puisse faire à ce travail est son ancienneté: l’édition de L. Demaison est aujourd’hui introuvable. De plus, l’esprit de la recherche n’est plus le même. Si le xIx° siècle se passionnaît pour les rapports entre la chanson de geste et l’histoire, le xxr siècle commençant s’intéresse davantage aux aspects littéraires. Si les éditions du xix° siècle cherchaient à retrouver le texte primitif, la version O, dans une langue parfaite, les
éditeurs modernes ont choisi le respect de la lettre et la fidélité au texte. On ne peut donc reprocher à L. Demaison que d’avoir pensé avec son temps. Le fait est que L. Demaison ignore complétement l'intérêt littéraire d’Aymeri de Narbonne: seuls l’intéressent «l’élément légendaire » ou «l’élément historique. » Plus fâcheux, son édition fournit un texte qui n’existe dans aucun manuscrit: les graphies sont modifiées, tel vers manquant dans R est réintroduit dans le texte. Sur ce point,
ÉDITIONS ANTÉRIEURES D’AYMERI DE NARBONNE
11
la position de L. Demaison est ambiguë. En théorie, il respecte la lettre du manuscrit: «nous pensons que les éditeurs des anciens textes, lorsqu'ils ont la chance d’avoir de bons manuscrits, doivent les suivre aussi exactement que possible. Les textes ainsi publiés offrent pour les études philologiques des bases plus solides que ceux auxquels on a fait subir des restaurations habiles et savantes, mais fondées sur des conjectures parfois discutables. »! Mais en pratique, L. Demaison ne résiste pas toujours à la tentation d’intervenir, et de ‘polir’ son texte. Citons deux exemples avoués par l’éditeur juste avant sa profession de foi: la déclinaison est rétablie partout où elle était fautive; quant à l’orthographe, elle a pu être modifiée en fonction de l’étymologie. « Ainsi, écrit L. Demaison, AJ [i. e. R] écrit toujours: einz, meint, seint. Mais A2,
d’accord avec les autres mss., écrivant: ainz, maint, saint, nous avons préféré ces formes, mieux en rapport avec l’étymologie.»? Dans les faits, ces corrections apportées au texte de R sont considérables. Enfin, on peut faire grief à l’édition Demaison d’avoir un apparat critique incomplet et souvent peu explicite.° D’autres éditions d’Aymeri de Narbonne existent, mais ce sont des éditions partielles, et de faible qualité. La principale est celle d’A. Kressner‘, encore antérieure à l’édition de L. Demaison, et qui n’a d’autre mérite que de choisir pour support le texte de B2, inédit à ce jour. Il n’y a rien à ajouter au jugement de L. Demaison sur ce travail : «une édition faite
! L. Demaison, p. LXXIII. 2 L. Demaison, p. LXXI. 3 Je reviendrai sur cet aspect au chapitre IV (Classement des manuscrits) de cette introduction. 4 À. Kressner, «Nachrichten über das altfranzôsische Epos Aymeri de Noirbone. (Erstes Stück)», Archiv für das Studium der neueren Sprachen
und Literaturen, herausgegeben von Ludwig Herrig, XXX. Jahrgang, 56. Band, 1876, pp. 11-50. Le «erstes Stick» laisse supposer l’existence d’un «zweites Stück» qui n’est connu ni de L. Demaison ni de moi-même.
12
INTRODUCTION
ainsi d’après un seul manuscrit ne répond nullement aux exigences de la critique; mais au point de vue paléographique même, ce travail est médiocre et présente bon nombre de lectures défectueuses (...) Le commentaire, joint au texte, n’a rien non plus de nouveau ni d’intéressant.…. »° Cette édition équivaut à B1 120-150 et 161-1769 et à R 118-148 et 1591792). Signalons enfin la Chrestomathie du Moyen Âge due à G. Paris et E. Langlois, Hachette, 1928. Cet ouvrage destiné aux classes de seconde donne un extrait de 504 vers d’Aymeri de Narbonne. «Notre texte, déclarent les auteurs, est préparé
d’après l’édition de M. L. Demaison. »f Ladite édition y est parfois modifiée de manière intéressante. Les 504 vers reproduits et traduits correspondent à B1 128-763 et R 126-767.
$ L. Demaison, pp. IV-V. $ G. Paris et E. Langlois, Chrestomathie du Moyen Âge, Hachette,
1928, p. 63.
CHAPITRE II
DESCRIPTION DES MANUSCRITS La chanson d’Aymeri de Narbonne est conservée par cinq manuscrits, tous bien connus et abondamment étudiés par les médiévistes depuis plus d’un siècle!. À ces cinq manuscrits s’ajoute un bref fragment’. B1. Londres, British Library, Royal 20 D XI. Manuscrit du grand cycle*. xIv° siècle (première moitié)‘.
! Cette présentation des manuscrits s’inspire notamment des remarquables descriptions faites par W. Van Emden, dans son édition de Girart de Vienne, Paris, 1977, et par D. McMillan, dans son édition de la Chevalerie
Vivien, Aix, 1997. 2 Les sigles utilisés dans la présente édition sont ceux qu’a imposés progressivement l’usage (B1, B2 et D), en particulier à la suite des travaux de J. Frappier, Les Chansons de geste du cycle de Guillaume d'Orange, Paris, 1955, I, pp. 38-58, et de M. Tyssens, La geste de Guillaume d'Orange dans les manuscrits cycliques, Paris, 1967. Pour les manuscrits (R et H)
n’apparaissant pas dans ces ouvrages, on a adopté les sigles des éditions récentes de M. Ott, Guibert d’'Andrenas, thèse de doctorat nouveau régime, soutenue à Nancy en 1999, et de B. Guidot, Le Siège de Barbastre, Paris,
2000. Enfin, le sigle E, donné par F Bogdanow au fragment découvert et édité par elle en 1963, a été conservé, le risque de confusion avec le manuscrit de Berne étant des plus réduits. 3 Désignation proposée par H. Suchier et reprise par l’ensemble de la critique. 4 W. Van Emden,
éd. de Girart de Vienne, Paris, 1977, p. XLVI.
D. McMillan (éd. de la Chevalerie Vivien, Aix, 1997) parle des «premières années du xIv° siècle. »
14
INTRODUCTION
Codex sur vélin d’un format important: 317 feuillets en tout, de 375 x 300 mm, écrits sur trois colonnes de 53 lignes.’
Réclames. Deux copistes y ont travaillé, mais Aymeri de Narbonne est l’œuvre d’un seul d’entre eux. De tous les manuscrits conservant Aymeri de Narbonne,
c’est le plus luxueux. D. McMillan juge qu’il s’agit d’un «manuscrit de luxe, exécuté avec soin et une grande richesse de décoration. »6 L. Demaison parle d’un manuscrit «exécuté avec beaucoup de luxe. »?7 W. Van Emden, dans sa description très exacte du manuscrit, ajoute: «notre manuscrit possède plus de lettrines ornées, de rubriques et de miniatures que les autres, même à l’intérieur des chansons. On compte vingtdeux miniatures, d'exécution assez remarquable, dont une grande à six compartiments au premier feuillet, recto. »® Enfin, selon D. McMillan, «la langue de B1, archaïsante et
puriste, est l’oïl commun; les traits picards ne sont pas rares. »°? Ce manuscrit est le plus complet des manuscrits cycliques consacrés à la geste de Guillaume. Il contient, dans l’ordre:
Garin de Monglane, Girart de Vienne, Aymeri de Narbonne (ff. 63r. a-77r. c), Narbonnais (début), Enfances Guillaume, Narbonnais (fin), Couronnement de Louis, Charroi de Nîmes, Prise d'Orange, Enfances Vivien, Chevalerie Vivien, Aliscans, Bataille Loquifer, Moniage Rainouart, Moniage Guillaume,
Siège de Barbastre,
Guibert d'Andrenas,
Mort
Aymeri de Narbonne, Fouque de Candie. BI est le seul à manifester explicitement son intention d’exhaustivité sur la geste de Guillaume. En effet, après la grande miniature du premier feuillet, le copiste a noté en
$ Selon M. Tyssens, op. cit., p. 372. W. Van Emden, op. cit., p. XLIV, compte «317 feuillets mesurant 380 x 295 mm (..….), la partie écrite occupant un rectangle d’environ 290 x 220 mm. » $ D. McMillan, op. cit., p. 15. 7 L. Demaison, éd. d’Aymeri de Narbonne, Paris, 1887, p. XXIX. 8 W. Van Emden, op. cit. p. XLV. D. McMillan, op. cit., p. 15.
DESCRIPTION DES MANUSCRITS
15
rouge la rubrique suivante: «Ci coumence l’estoyre de Guerin de Monglenne, et aprez de Girart de Vienne, et de Renier de Gennes, et de Milon de Puille, et de Hernaut de Biaulande. Et aprez d'Aymeri, conment il ot Nerbone, et Ermengart a moullier, et des enfans qui d’euls issirent. C'est a savoir : de Guillaume d’Orenge et de Bernart de Brubant, et de Buevon de Comarchis, et de Guerin d’Anseüne, et d’Er-
nault le fous, et d'Aÿmer le chetif, et de Guibert qui fu roys d’Andrenas. Et de leur .V sereurs, conment elles furent mariees et a quelz seigneurs. Et y sont li ber Fouque de Candie, et tout lifait Renoart au tinel, et de son filz Maillefer. Et tout lifait Guillaume d’Orenge dusques a sa mort. » BI est un des deux manuscrits de référence de la présente édition.
B2. Paris, Bibl. Nat., fr. 24369-24370.10 Manuscrit du grand cycle!!. xIv° siècle (première moitié)"?. 10 Anciennement La Vallière 23. Cette cote apparaît toujours sur le premier feuillet d’Aymeri de Narbonne. Pour une histoire des manuscrits, on se reportera aux éditions de L. Demaison et de W. Van Emden, op. cit. 11 Ce manuscrit présente avec le précédent de fortes ressemblances, qui ont été mises en évidence en particulier par M. Delbouille («Dans un atelier de copistes. En regardant de plus près les manuscrits B! et B? du cycle épique de Garin de Monglane», Cahiers de Civilisation Médiévale, 1960, 3, pp. 14-22; «Le système des ‘incidences’. Observations sur les manuscrits du cycle épique de Guillaume d'Orange », Revue belge de philologie et d'histoire, 1927, pp. 617-641), M. Tyssens (La geste de Guillaume d'Orange dans les manuscrits cycliques, Paris, 1967, 474 p.), et par N. Andrieux («Un programme d’écriture et sa réalisation: les manuscrits B! et B? du cycle de Guillaume », Romania, 1983, t. 104, pp. 229-236). Ces études montrent que B1 n’est pas une copie de B2, et B2 n’est pas une copie de B1. L’un et l’autre ont été copiés sur les mêmes modèles, dans le même atelier de copistes, et réalisés par «deux équipes de scribes, rubricateurs et décorateurs, ces deux équipes travaillant, bien entendu, sous la même direction. » (M. Tyssens, op. cit., p. 368)
2 L. Demaison, dans son /ntroduction, a d’abord estimé que ce manuscrit était postérieur à B1, mais il est revenu sur ce jugement dans ses
16
INTRODUCTION
Codex sur parchemin de 265 feuillets en tout, de 310 x 235 mm, écrits sur deux colonnes de 44 lignes.* Réclames. L. Demaison l’estime «bien inférieur [à B1] au point de vue de l’exécution. »!4 Pour D. McMillan, «ce manuscrit est d’une exécution moins soignée que le précédent, et il est moins richement décoré. »!5 Il convient de nuancer ces jugements sévères: B2 est une copie très soignée, d’une écriture nette, séparant bien les lettres et les mots, et utilisant peu d’abréviations.!$ En revanche,
il est effectivement
moins
luxueux et moins orné que B1. De plus, B2 n’a sans doute pas toujours bénéficié de bonnes conditions de conservation: les feuillets 1, 74 et 164 sont mutilés. Le feuillet 1, qui contient le début d’Aymeri de Narbonne, est très difficilement lisible. Dans l’ensemble, on peut dire que B2 est une belle copie, d’une exécution moyennement luxueuse, et malheureusement
endommagée par endroits. La langue de B2, très pure, présente quelques traits picards, bien moins fréquents que dans BJ. «La langue, écrit D. McMillan, est une forme sensiblement rajeunie de l’oïl commun, et dépourvue de régionalismes. »!? Additions et corrections (p. 279): le manuscrit fr. 24369 «semble être, à première vue, d’une écriture plus récente, mais l’examen attentif de ses
miniatures produit une impression toute opposée. Les costumes présentés sont un peu plus anciens que dans l’autre ms. [i. e. le ms. Roy. 20 D XI], et se rapportent bien aux premières années du xIv° siècle.» Par ailleurs, les études de M. Delbouille et de M. Tyssens, déjà citées, ont prouvé que B1 et B2, réalisés dans un même atelier sur les mêmes modèles, sont exactement contemporains. 13 M. Tyssens, op. cit., p. 372. 4 L. Demaison, op. cit., p. XXXIII. 5 D, McMillan, op. cit., p. 16.
16 B. Guidot, qui a choisi B2 comme manuscrit de base dans son édition du Siège de Barbastre (Paris, 2000), a déjà signalé la qualité de cette copie: «pour le Siège de Barbastre, dans l’ensemble, le texte est parfaite-
ment cohérent et la copie ne souffre pas de négligences particulières. » (p. 15). 7 D. McMillan, op. cit., p. 16.
DESCRIPTION DES MANUSCRITS
17
Ce manuscrit contient :dans le tome I (fr. 24369), Aymeri de Narbonne (ff. 1r. a-27r. a), Narbonnais (début), Enfances Guillaume, Narbonnais (fin), Couronnement de Louis, Charroi de Nîmes, Prise d'Orange, Enfances Vivien (début), Siège de Barbastre, Guibert d'Andrenas, Enfances Vivien (fin), Chevalerie Vivien, Aliscans, Bataille Loquifer ;dans le tome IT (fr. 24370), Moniage Rainouart (début), Mort Aymeri de Narbonne, Moniage Rainouart (fin), Renier, Moniage Guillaume. '8
D. Paris, Bibl. Nat., fr. 1448. Manuscrit du grand cycle!?. xmr° siècle (seconde moitié). Codex sur parchemin de «342 feuillets mesurant 290 x 200 mm, le rectangle couvert par le texte étant d’environ
250 x 150 mm»?!. Deux colonnes à la page, d’une quarantaine de lignes à la colonne. «II n’y a pas de réclame à la fin des cahiers: peut-être le bas des feuillets a-t-il été rogné. »2?
18 Pour une meilleure vision de l’organisation complexe de B2, cf. les articles de N. Andrieux-Reix :«Un programme d’écriture et sa réalisation: les manuscrits B! et B? du cycle de Guillaume», Romania,
1983, t. 104,
pp. 229-236, et «La dernière main. Approche de fins cycliques », Littérature au Moyen Âge, Hommage à J. Fourquet pour son centième anniversaire, 1999, pp. 109-120. 1 Bien qu’il soit moins complet que B1 et B2, D est également considéré comme un manuscrit du grand cycle dans la mesure où il réunit des chansons du cycle d’Aymeri et du cycle de Guillaume. M. Tyssens conclut après une étude détaillée du manuscrit D qu’il «ne peut avoir été composé que par un compilateur qui avait entrepris de réunir le cycle d’Aïmeri à celui de Guillaume. » (op. cit., p. 388). 2 Selon J. Frappier, op. cit., p. 43. «Milieu du xur siècle» selon L. Demaison, op. cit, p. XXXVI, «troisième ou dernier quart du xur siècle» selon D. McMillan, op. cit., p. 17 et CI. Régnier, Les Rédac-
tions en vers de la Prise d'Orange, thèse principale soutenue à Paris en 1966, p. 14. 1 W, Van Emden, op. cit., p. XLVII.
2 M. Tyssens, op. cit., p. 384.
18
INTRODUCTION
Trois copistes ont collaboré à la composition de ce manuscrit ;
Aymeri de Narbonne est copié par le «scribe principal »”, d’une large écriture très régulière. L’exécution est moyennement soignée. Le texte «est orné de grandes lettrines historiées. »2 Le manuscrit a été jugé «déconcertant »# par J. Frappier. M. Tyssens le considère comme «le plus curieux (...) de tous ceux qui nous ont conservé la geste de Monglane. »* Dans un article consacré au Charroi de Nîmes et à la Prise d'Orange, M. Tyssens ajoute :«D est, faut-il le dire, d’une indépendance
totale. (...) Il remanie grossièrement, rapidement, sans souci de clarté, sans scrupule de syntaxe ou de morphologie. » D, : conclut-elle, «a mis un beau désordre dans le texte primitif,
mais (..) garde des tours anciens et des leçons archaïques. »?7 Plusieurs chansons sont incomplètes. Cependant, le texte d’Aymeri de Narbonne est complet, et se conforme grosso modo à la version donnée par les autres témoins. Ce manuscrit est d’origine lorraine. Il s’agit, selon CI. Régnier, d’un dialecte du «sud du domaine lorrain. »?8 D contient, dans l’ordre: Girart de Vienne, Aymeri de
Narbonne (ff. 41r. a-68v. a), Enfances Guillaume, Département des fils Aymeri,
Couronnement de Louis, Charroi de
Nîmes, Prise d'Orange (incomplète), Siège de Barbastre (incomplet), Prise de Cordres et de Sebille (incomplet),
3% M. Tyssens, op. cit., p. 403. Pour la répartition du travail entre les trois scribes et une étude précise de la composition de D, cf. le chapitre que M. Tyssens lui consacre, pp. 380-405. 24 W. Van Emden, op. cit. p. XLVII. 3 J. Frappier, op. cit., p. 53. 26 M. Tyssens, op. cit., p. 380. 7 M.Tyssens, «Le Charroi de Nîmes et la Prise d'Orange dans le manuscritB. N. fr. 1448 », Cahiers de civilisation médiévale, 1960, pp. 104 et 106.
# CL Régnier, Les Rédactions en vers de la Prise d'Orange, thèse principale soutenue à Paris en 1966, p. 14.
DESCRIPTION DES MANUSCRITS
19
Enfances Vivien, Chevalerie Vivien, Aliscans, Bataille Loquifer, Moniage Rainouart (incomplet). R. Londres, British Library, Roy. 20 B XIX.
Manuscrit du petit cycle. Milieu du xmr° siècle.?? Codex sur parchemin de 192 feuillets en tout, de 287 x 190 mm, écrits sur deux colonnes de 45 lignes. «La partie écrite occupe un rectangle d’environ 205 x 140 mm. »*° Réclames. R est l’œuvre de deux copistes, mais le second
copiste n'intervient qu'après Aymeri de Narbonne, contribution reste modeste.
et sa
Ce manuscrit est d’une exécution soignée, mais d’une
présentation austère: il n’a qu’une seule miniature, sur le premier feuillet. «La distinction des divers poèmes dans le cours du manuscrit est simplement marquée par de grandes lettres ornées. »! À propos de l’écriture du premier copiste, W. Van Emden signaleà juste titre que «son écriture est loin d’être régulière et la division des mots est très arbitraire. »*? Cela dit, son travail est très consciencieux et ne comporte que peu d’erreurs. Quant à la langue, on ne peut que retenir l’analyse de W. Van Emden, déjà citée par B. Guidot au début du Siège de Barbastre: «cette copie contient de nombreuses graphies typiques de l’Est de la France ; en même temps, elle ne montre pas les traits les plus caractéristiques du dialecte lorrain, mais elle n’est pas étrangère à des influences venues de régions assez diverses. »%
# Selon L. Demaison, op. cit., p. XXV, et J. Frappier., op. cit., p. 44. W. Van Emden préfère dater le Roy. 20 B XIX du xmm° siècle, sans autre pré-
cision. 30 W, Van Emden, op. cit., p. XLI. 31 L, Demaison, op. cit., p. XXV. 32 W, Van Emden, op. cit., p. XLI. 3 W, Van Emden, op. cit., p. XCIV.
INTRODUCTION
20
R contient, dans l’ordre: Girart de Vienne, Aymeri de Narbonne (ff. 39v. b-66r. a), Narbonnais, Siège de Barbastre,
Guibert d'Andrenas, Mort Aymeri de Narbonne. Le Royal 20 B XIX est le manuscrit de base de L. Demaison; c’est aussi celui de W. Van Emden pour Girart de Vienne. C’est avec B1 un des deux textes de référence de la présente édition.
H. Londres, British Library, Harl. 1321.
Manuscrit du petit cycle. Milieu du xIn° siècle’. Codex sur parchemin de 220 feuillets en tout, «qui ont une surface de 264 x 175 mm, réglée à deux colonnes; ces
colonnes ont généralement 40 vers chacune et la partie écrite occupe un rectangle d’environ 195 x 130 mm.» Il faudrait plutôt parler de 40 lignes par colonne, puisqu'il arrive au scribe de répartir un seul vers sur deux lignes, «sans raison
apparente. »% Pas de réclames.*7 L’exécution est sans luxe, sans recherche, souvent sans
soin. En plusieurs endroits, le parchemin a été recousu avant le travail du copiste (qui écrit de part et d’autre) ; les premiers et les derniers feuillets «sont adventices (il y a deux feuillets provenant d’un missel du xn° siècle, et quatre couverts d’un texte français du xvir.)»*# La copie elle-même est peu
#4 Selon L. Demaison, R et H ont été réalisés «à une date absolument
contemporaine.» (op. cit, p. XXVII) J. Frappier parle également du «milieu du xIm° siècle » (op. cit., p. 44). W. Van Emden date H du xt siècle. 3% W. Van Emden, op. cit. p. XLII. 3% B. Guidot, op. cit., p. 18. % Du moins dans Aymeri de Narbonne. «Piqûres et réclames n’ont pas été entièrement rognées par le couteau du relieur.», écrit W. Van Emden
(op. cit., p. XLII.)
# W. Van Emden, op. cit. p. XLII. Il y a sans doute plusieurs textes français, puisqu'on peut relever la date de 1646 sur les deux feuillets du début, et sur le dernier feuillet du volume la date de 1668. Ces textes sont en partie coupés par le couteau du relieur.
DESCRIPTION DES MANUSCRITS
21
soignée et souvent inattentive; le manuscrit «est fort peu orné, et il offre seulement trois miniatures. »#” L'ensemble laisse l’impression d’un manuscrit réalisé avec peu de moyens et pas toujours bien traité au fil des siècles : le premier feuillet du manuscrit (contenant le début de Girart de Vienne) manque, ainsi que les deux derniers (correspondant à la fin de la Mort Aymeri).“ De plus, L. Demaison signale qu’«à partir du fol. 133, il y a de nombreuses interversions de feuillets qui rendent les recherches très difficiles. »4! Dans ce manuscrit, sans doute le moins favorisé de nos cinq témoins, le texte d’Aymeri de Narbonne est complet. H a souvent été considéré comme très voisin de R. J.-L. Perrier juge que H «présente une grande ressemblance »“? avec R, et B. Guidot, dans son édition récente du Siège de Barbastre, le dit «proche de R. »* Pour L. Demaison, il s’agit de «deux exemplaires d’une même édition. »* Cette dernière affirmation doit être nuancée: la parenté entre R et H est certaine; mais elle n’est en rien comparable à celle qui unit BJ et B2. Il semble peu probable que R et H aient été réalisés dans un même atelier, comme cela a été établi pour B1 et B2, et comme L. Demaison le suppose. À propos de AH,
W. Van Emden écrit encore : «ce manuscrit contient les mêmes
39 L. Demaison, op. cit., pp. XXVII-XXVIII. W. Van Emden suppose qu’il y avait probablement une miniature, aujourd’hui disparue, au début de Girart de Vienne (op. cit., p. XLII).
4 W. Van Emden, op. cit., pp. XLII-XLIII. Manque également, pour Girart de Vienne, «un cahier entier, le quatrième, correspondant aux vv. 3790-5065 dans notre édition. » (W. Van Emden, p. XLII).
41 L, Demaison, op. cit., p. XXIX. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui: selon W. Van Emden (p. XLIII), ce serait L. Demaison lui-même qui aurait
rétabli l’ordre exact des feuillets peu avant son édition d’Aymeri de Narbonne. 4 J.-L. Perrier, éd. du Siège de Barbastre, Paris, 1926, p. VII.
#4 B, Guidot, op. cit., p. 18. # L, Demaison, op. cit., p. XX VIII. Dans l’édition Demaison, R et H correspondent à AJ et A2.
22
INTRODUCTION
chansons que le précédent [i. e. R], mais nous verrons par la suite qu’il ne lui est pas apparenté aussi étroitement que l’on a supposé, au moins en ce qui concerne le texte de Girart de Vienne. »* Dans Aymeri de Narbonne, R et H divergent assez fréquemment, en dépit de leur parenté. Selon B. Guidot, le texte recèle des «traces de couleur picarde. »“6 Le manuscrit contient, dans l’ordre:
Girart de Vienne,
Aymeri de Narbonne (ff. 38v. b-68v. a), Narbonnais, Siège de Barbastre, Guibert d'Andrenas, Mort Aymeri de Narbonne. E. Oxford, Bodleian Library, Broxb. 34.5(1)
Ce fragment a été découvert et édité par F. Bogdanow en 1963*7. II «se compose d’un feuillet simple de parchemin (213 x 266 mm) collé autrefois à l’intérieur de la reliure d’un exemplaire du Scotus super quarto Sententiarum, Venise,
1497.»*8 F Bogdanow le date de la fin du xur siècle.‘ Deux colonnes à la page, 40 vers à la colonne, soit au total un fragment de 160 vers. Ce fragment, qui appartenait avec le Scotus super quarto Sententiarum à M. Albert Ehrman (1890-1969) depuis 1924,
se trouve actuellement à la Bodleian Library, à Oxford.5° # W. Van Emden, op. cit., p. XLII. Pour Girart de Vienne, W Van Emden rapproche A de B (= Roy. 20 D XI) plus que de R (op. cit., p. XLINI, et premier stemma p. LIX). A, écrit-il, se rapproche tantôt de l’un et tantôt de l’autre et «semble représenter une tradition intermédiaire. » (p. LVIID.
# B. Guidot, op. cit., p. 18. 4 F. Bogdanow, «Un nouveau fragment d’Aymeri de Narbonne», Romania, 84, 1963, pp. 380-389. #8 FR Bogdanow, op. cit. p. 380. # EF. Bogdanow, op. cit., p. 380. $ Je remercie M" F. Bogdanow et M. T. A. M. Ehrman pour leur gentillesse et l’aide qu’ils ont bien voulu m’accorder pour retrouver ce fragment. Grâces soient rendues en particulier à M. T. A. M. Ehrman, petit-fils de M. A. Ehrman, qui m’a mise sur la bonne piste après des mois de recherches infructueuses !
DESCRIPTION DES MANUSCRITS
25
L'ensemble de la collection, qui compte plus de 4000 pièces (dont 140 incunables, plus de cent manuscrits...) y a été transféré par M. John Ehrman, fils d’ Albert Ehrman, en 1978. Le fragment d’Aymeri de Narbonne porte désormais la cote Broxbourne 34.5(1), du nom donné à la collection. «L'écriture est nette, mais le verso du feuillet est endommagé. »°! Certains mots sont à peine lisibles. «Notre texte a peu de particularités dialectales. »°? Le fragment contient le passage où Hugues propose à Aymeri de se marier avec Ermengarde de Pavie. La liste des messagers est interrompue après le trentième, «li preudom Godefrois. » Ce qui correspond aux vers de B1 1338-1495, et R 1349-1509. F Bogdanow démontre que le fragment E est proche de H, sans qu’il lui soit identique : «E a plusieurs leçons isolées et supprime trois vers. A2 [i. e. H] en supprime un et s’écarte plusieurs fois des leçons de E et des autres manuscrits. E n’est donc pas issu directement de A2 ; tous deux remontent à une
source commune. »%
5! E Bogdanow, op. cit., p. 380. 52 F Bogdanow, op. cit., p. 381. 53 FE Bogdanow, op. cit., pp. 383-384.
ME EUT FLoù
’+
neMONÀ
g FAA LÉ F0 ; Lo titan
CHAPITRE III
PRINCIPES D’ÉDITION I. PRÉSENTATION DE L’ÉDITION
1. Textes de référence
Deux manuscrits ont été choisis comme textes de référence: BI etR. Ils sont présentés en regard, B1 sur la page de gauche, RÀ sur la page de droite. Dans le but d’éviter une confusion entre les deux versions, les deux textes de référence ont été corrigés le moins possible,
même lorsque la version de l’un paraît supérieure à celle de l’autre. Par ailleurs, il a semblé préférable de limiter les inter-
ventions: mieux vaut courir le risque de conserver des graphies curieuses, des désinences atypiques, des tournures un peu bancales, plutôt que de produire un texte idéal et une langue exactement conforme à nos manuels de grammaire. Cela n’implique pas pour autant un respect aveugle du texte, qui a été systématiquement corrigé quand la mesure du vers était incorrecte et quand le sens n’était pas satisfaisant. En cas d’intervention, les principes suivants ont été appliqués : — B1 est corrigé en priorité par les autres témoins de ce qu’on pourrait appeler la ‘version courte’: par B2, ou bien, si B2 est également fautif, par D. Si tous les manuscrits de la ‘version courte’ s’avèrent fautifs, BI est corrigé par H, et en dernier recours par À. — De même, R est corrigé en priorité par l’autre témoin de la ‘version longue’, H. Si la leçon de H est inexploitable,
26
INTRODUCTION
R est corrigé d’abord par D, en dernier recours par B2 ou BI. Les corrections apportées aux textes de référence sont signalées en bas de page. 2.
Variantes
Les variantes relèvent les leçons, justes ou non, propres à B2, D, H et E. Elles sont établies en fonction des familles de manuscrits :sont ainsi relevées les variantes de B2 et D par rapport à BI, et les variantes de H et E par rapport à À. Seules les variantes les plus significatives sont indiquées. : Les variantes graphiques ne sont pas prises en compte. Quelques graphies aberrantes sont signalées par un sic. Afin de ne pas alourdir inutilement les variantes, seule est marquée la lettre initiale d’un mot, suivie d’un point, s’il est identique
au texte de référence. En cas de mot identique avec des graphies divergentes, j’ai pris la liberté de modifier cette initiale en adoptant la graphie du texte de référence. 3. Numérotation des vers
Chaque texte de référence a sa propre numérotation. Quand une lacune impose d’ajouter un vers tiré d’un autre manuscrit, ce dernier reçoit une numérotation à part, toujours notée en italique : 3/0a, 310b... La référence du manuscrit est placée devant le numéro du vers. Pour donner un exemple, B1 310a équivaut ainsi à R 311.
PRINCIPES D’ÉDITION
27
IT. ÉTABLISSEMENT DU TEXTE
1. Toilette du texte
Les «règles pratiques pour l’édition des textes français et provençaux»! ont en général été appliquées. Quoiqu’elles soient à présent assez anciennes, elles ont en général été pré-
férées à certaines règles nouvelles proposées par l’École des Chartes’. Il n’a pas paru nécessaire de bouleverser la présentation traditionnelle d’un texte en vers, pas plus qu’il n’a semblé bon de multiplier les signes diacritiques. Les principes de la présente édition rejoignent le plus souvent les propositions modérées faites par Y. Lepage, qui rappelle et développe les règles édictées par M. Roquess. Sont décrits ici l’emploi de l’accent aigu et celui du tréma, dont l’usage a beaucoup varié selon les éditions: +
Accent aigu
—
Seule la voyelle e peut recevoir un accent, et uniquement un accent aigu: pré, aprés. Eest accentué quand il est tonique et qu’il se trouve dans la dernière syllabe d’un mot à finale masculine. Il est alors la
—
dernière lettre du mot: cité < civitatem; levé < levatum.…., ou bien suivi d’un -s: serés < *(es)seratis (futur du verbe
1 M. Roques, «Établissement de règles pratiques pour l'édition des anciens textes français et provençaux », Romania, LII, 1926, pp. 243-249. 2 Conseils pour l'édition des textes médiévaux, fascicule 1: conseils
généraux, Comité des travaux historiques et scientifiques, École nationale des Chartes, Paris, 2001, 175 p. N’ont pas été retenues, après beaucoup d’hésitations, les propositions suivantes :suppression des points encadrant un chiffre romain (p. 29), emploi étendu du tréma (pp. 50-52) et usage d’une minuscule en début de vers (p. 55).
3 Yvan G. Lepage, Guide de l'édition de texte en ancien français, Paris, Honoré Champion, 2001, 164 p.
28
—
—
—
INTRODUCTION estre, P5). Suivi d’une autre lettre, il ne prend pas d’accent: serez < *(es)seratis ;aorer < adorare.. E tonique à l’intérieur d’un mot ne prend pas d’accent: greve < *grava… E tonique suivie d’un e atone (finale féminine -ee) ne prend pas d’accent:loee < laudata; contree < *contrata.…. La règle s’applique aussi aux participes passés en -eee,
-eees. Les monosyllabes qui sont aussi des mots-outils (prépositions, adverbes, conjonctions...) n’ont pas été accentués, afin de les différencier d'éventuels homophones:
pres < *presse, mais prés < pratos; mes < MaAgis, Mais: més < missus, ‘messager’ ou *missum, ‘mets, plat… e
— —
—
Tréma
La voyelle i reçoit un tréma en cas de diérèse: Viane, crestienté.., afin de différencier la voyelle i de la semiconsonne [y], également graphiée i: chevalier, fier. Les autres voyelles placées en hiatus ne sont pas marquées d’un tréma, afin d’éviter la multiplication des signes diacritiques : paor, engigneor... En effet, tous les hiatus à l’intérieur d’un mot sont encore prononcés à l’époque où a été composé Aymeri de Narbonne‘. Un tréma indique cependant les hiatus qui pourraient se confondre avec les diphtongues correspondantes: gaïngnier, meïsme, eüst, aüst… La mesure du vers impose de prononcer certaines voyelles
finales de mots, qui devraient s’élider devant la voyelle initiale du mot suivant. On a signalé ces voyelles par un tréma, pour faciliter la lecture du décasyllabe. D’où : « Voudroië estre en mon païs arrier »(B1 338)
# Pour la datation, cf. chapitre VII.
PRINCIPES D’ÉDITION
—
29
Pour éviter toute ambiguïté, les césures lyriques sont également marquées par un tréma.$
2. Résolution des abréviations
Chaque copiste a des habitudes différentes; par conséquent, une même abréviation sera développée différemment selon le manuscrit. L’abréviation latine ml, par exemple, est
devenue moult dans B2 qui privilégie cette graphie, et mout dans B1 pour la même raison. H écrit une fois molt en toutes lettres (H 3165), et c’est cette graphie qui a été adoptée. Dans D, E et R, mlt’ n’existe jamais que sous cette forme abrégée et a été développé en molt dans D (où la non-vocalisation de l antéconsonantique est fréquente) et dans E (qui semble avoir, pour autant qu’on puisse en juger, la même habitude), mais en mout dans R (où la vocalisation de / devant consonne
est systématique). La note tironienne , a été transcrite, selon les cas, en com, con, c'on et cun (pour chascun, abréviation utilisée pour ce
mot par tous les manuscrits sauf B2). D écrit en général com devant labiale, de même que B2 et BI, mais R écrit plus souvent con. La même répartition a été établie pour le développement de la barre de nasalité. La plupart des copistes écrivent qu'a, que, qui, en intercalant un w entre le g et la voyelle, mais H semble privilégier une graphie sans u. H considère — semble-t-il — la lettre g comme une variante de la lettre c; il écrit par exemple gant, vainqu (H 941). Il est difficile de savoir s’il faut restituer le dans la résolution des abréviations, dans la mesure où elles sont extrémement fréquentes et parfois ambiguës. Partout où il y avait abréviation, on a choisi de transcrire sans 4, ce qui reproduit un peu l’aspect compact de l’écriture de ce manuscrit. Quant
5 Cf. dans le chapitre V, la deuxième partie consacrée à la mesure du vers dans B1.
30
INTRODUCTION
à R, il écrit toujours que, qui, mais ga (gant, R 698, 716... ; g'an, R 748, 771...).
Ainsi, la résolution des abréviations s’adapte à la phonétique de chaque scripta, ainsi qu’aux habitudes des copistes. La transcription est la plus fidèle possible: elle reprend la graphie majoritaire pour un mot ou pour un son donné; si le copiste hésite, on a essayé de restituer ces hésitations.
CHAPITRE IV
CLASSEMENT
DES MANUSCRITS
Ce chapitre présentant qualités et imperfections de chacun des manuscrits d’Aymeri de Narbonne a pour objectif de justifier le choix de B1 et de R comme manuscrits de référence!.
L. CINQ TÉMOINS, UNE VERSION
Plusieurs passages, qui ont posé difficulté copistes sans exception, et qui présentent, sinon erreurs, du moins des altérations différentes pour vers, pourraient laisser supposer que les cinq d’Aymeri de Narbonne ont une origine commune. e
à tous les les mêmes les mêmes manuscrits
Laisse VII
B1B2R, vv. 281-3: Quant oi pris Nobles et retenu Fourré, Lors mist ses gardes en iceste cité Que il la dut garder a sauveté.
1 Le fragment E, trop bref pour être représentatif d’un état d’Aymeri de Narbonne, n’est pas pris en compte dans ce chapitre. L’étude a volontairement été abrégée pour les manuscrits relégués dans les variantes (B2, D, H): elle est plus approfondie dans ma thèse qui donnait, en annexe, le texte intégral de B2, D, H et E (Aymeri de Narbonne, étude littéraire et édition d’après tous les manuscrits connus, thèse de doctorat nouveau régime soutenue en 2003 sous la direction de M. le Professeur Bernard Guidot).
22
INTRODUCTION
H, vv. 283-5: Quant oi pris Nobles et retenu Forré, Lors mist ses gardes enn iceste cité Qi la li durent garder a salveté.
D, vv. 280-282: Cant j’ai pris Nobles et retenu Foré, Lors mis mes gardes en iceste cité, Cant il la durent garder a salveté.
Tous les manuscrits, sauf D, introduisent un nouveau personnage dont on ignorerait l’identité s’il n’en était fait mention un peu plus loin: Roland (BR 286, H 288, D 284). Tous sont en cet endroit fautifs, D y compris?. e
Laisse VIII
R, vv. 310-316: a « Einz que l'aiez, par la foi que vos doi, b I seroiz vos .I. an, si com ge croi. » c «Naimes, dit Charles, par la foi que vos doi, d Einz que m'en parte, par la foi que vos doi, e Ne les garra ne haut mur ne berfroi. f Einz que ge aille en France ou aler doi, g Vodrai enz metre la crestienne loi. »
D, vv. 308-314: a «Ans que l’aie prise, si con ge croi,
bIserés vos .I. an, foi que vos doi. » c « Naymes, dist Chales, par la foi que vos doi, d'Ans que m'en parte, lor ferai tel tornoi, e Nes guarrira ne halt mur ne beffroi!
? D a pourtant permis de corriger B1 et R. Sur ce passage, cf. également la note BJ 281 / R 281.
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
33
fAns que ge aille en France ou aler doi, g Vel ge ans metre la crestiene loi. »
H, vv. 313-318: a «Ainz q'i soiez, par la foi ge vos doi, b I seroïz vos .I. an, si con ge croi. »
c « Naime, dist Charles, foi ge doi Dieu le roi, d Ainz ge m'an parte, abatrai lor bofoi! f Einz ge je soie en France o aler doi, g Vodrai anz mestre la crestianne loi. »
B1B2, vv. 310-313: a «Ainz que l’aiez, par la foy que vos doi » e «Ne les garra ne haut mur ne berfroi. f Ainz que je aille en France ou aler doi, g Voudrai enz metre la crestienne loy. »
B présente de loin la plus mauvaise leçon, puisque manquent trois vers indispensables au sens. Les nombreuses répétitions alourdissant le passage ont provoqué ce saut du même au même. Quant à D et R, ils répètent abusivement la même formule. H essaie de varier ses formules, mais oublie le vers e. e
Laisse XXII
S’adressant à ses troupes avec véhémence, Charlemagne énumère les différents peuples qui composent son armée, Angevins, Bretons, Lorrains… a Ne cuidiez mie que je die a gabois b Et trestuit cil qui voudront demanois c Ja n’en tenrai.I. seul desor son pois ! (B1B2DR)
Les vers a et b sont naturellement intervertis: le vers b conclut l’énumération, tandis que a en vient au fait, à savoir
que Charlemagne, loin de plaisanter, est prêt à assiéger Narbonne sans ses hommes. H intervertit également ces mêmes vers, mais modifie le deuxième vers:
34
INTRODUCTION a Ne quidiez mie ge jo die a gabois:
b Molt bien s’en aillent qi vodra demenois !
Même si le vers b est d’une syntaxe un peu maladroite, la leçon est bien meilleure que celle des autres manuscrits. L'ordre correct a été rétabli dans BJ et dans R. e
Laisse XLII
BIB2
Que je irai a m'ensaigne levee (v. 1375)
Car je irai l’oriflambe levee (v. 1382)
D
Que ge irai m'oriflanbe levee
Car ge irai l’oriflanbe levee
H
Qe ge irai l’orifamble levee
Car ge irai l’orifamble levee
R
Car ge irai l’oriflanbe levee
Car ge irai l’oriflanbe levee
(v. 1387)
(v. 1394)
Tous les manuscrits répètent, à quelques vers d’intervalle, le même vers. À, qui répète le vers mot pour mot, donne une leçon évidemment fautive. Les autres manuscrits varient légérement la formule, et B1B2 réussissent assez bien à inté-
grer ce vers au reste du texte. Là encore, on constate que les copistes ont éprouvé des difficultés aux mêmes passages : ainsi, les cinq témoins complets d’Aymeri de Narbonne semblent être restés fidèles à une source commune. On ne trouvera donc pas, dans ces cinq manuscrits, de variantes considérables. En aucun cas les variantes n’introduisent de modifications dans le déroulement de l’histoire, comme c’est le cas pour d’autres chansons de la geste de
3 À noter que le fragment E a exactement les mêmes leçons que R, ce qui autorise à penser qu’il partage avec les cinq autres manuscrits la même commune origine. + Cf. note B1 1375 / R 1387.
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
39
Guillaume. «Les manuscrits qui nous ... ont conservé [la chanson d’Aymeri], même ceux d’une date peu ancienne, nous présentent un texte presque identique et en général très fidèle »,’ écrit L. Demaison en préambule à son propre classement des manuscrits d’Aymeri de Narbonne. Aussi les variantes se limitent-elles bien souvent à des variantes formulaires, au pis à l’ajout ou à l’omission de deux ou trois vers. Pour autant, on ne saurait prétendre à leur presque identité. Les variantes, si elles n’ont pas de répercussion sur le récit, n’en sont pas moins nombreuses et substantielles. Plus de cent vers séparent la version la plus courte (D) de la version la plus longue (4), pour une chanson d’une relative
brièveté: D compte 4582 vers contre 4717 vers pour H. La version de B1 est longue de 4586 vers, celle de B2 de 4590 vers ; R contient 4697 vers.
Se dessine alors un premier classement sommaire: les manuscrits se répartissent en deux groupes, l’un contenant une ‘version courte’ (B1B2), l’autre reproduisant une ‘version longue’ (RH)Ÿ$. Chacun de ces groupes a fourni un de nos textes de référence.
II. LE MANUSCRIT H H est dû à un scribe à la fois inattentif et imaginatif, qui
écrit à la va-vite, souvent sans comprendre ; qui oublie des signes d’abréviation,
des mots, voire des vers entiers, en
répète d’autres ; mais qui en certains endroits se met en tête de faire œuvre originale en inventant de nouvelles variantes, ou en ajoutant des vers de son cru — vers souvent maladroits. À
5 L. Demaison, op. cit., p. XLI. 6 D, cas particulier, est étudié un peu plus loin (cf. la troisième partie du présent chapitre).
36
INTRODUCTION
propos de ce copiste brouillon, L. Demaison parle d’un «copiste qui a eu un bon texte sous les yeux, mais qui trop souvent a fait preuve de distraction et de négligence. Nous avons déjà remarqué qu’il a omis beaucoup de vers. En d’autres endroits, au contraire, il a forgé des vers inutiles. »?
Ainsi, H commet de nombreuses fautes de graphie, omettant tilde, lettres suscrites ou encore d’autres lettres ou d’autres signes d’abréviation. Il omet plusieurs vers essentiels au sens ou à la syntaxe, et oublie très fréquemment des mots en milieu de vers, mais aussi, étrangement, en fin de versf.
Plus fréquemment encore, le scribe copie plusieurs fois le même mot (ou groupe de mots) dans un même vers, ou bien
répète deux ou trois fois un même morceau de vers. Tantôt il: lit mal son modèle, tantôt il l'interprète ou le comprend mal, d’où des leçons aberrantes. H contient vingt-deux vers de plus que À, mais dont il n’est pas nécessairement l’auteur. En effet, deux de ces vers?
existent aussi dans le fragment E, ce qui est la preuve que le copiste de H n’est pas le seul auteur des ajouts (ou omissions) contenus dans sa copie. Il hérite très probablement certaines maladresses d’un autre scribe intervenu en amont, et n’a pas
eu un aussi bon texte sous les yeux que le supposait L. Demaison. Parmi ces vingt-deux vers ajoutés, on relève un certain nombre de vers maladroits, qui ne sont souvent qu’une redite partielle d’un vers voisin. Aucun de ces vers n’est indispensable :il s’agit pour la plupart de vers purement formulaires et
7 L. Demaison, op. cit., p. LXIII.
8 Sans que le manuscrit soit endommagé en ces endroits. Comme il ne manque parfois que la dernière syllabe, on pourrait imaginer que la copie dont se servait H était peut-être suffisamment abîmée pour que certaines fins de vers soient illisibles. ? Le premier de ces vers se situe après R 1426: S’i la me done aparmain me ravrez (H 1433), S’il la vos donne aparmain nos ravrez (E T1).
L'autre vient après R 1429: Et maint hauberc et maint espié froé (H 1437), Et maint hauberc et maint elme cassez (E 81).
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
ul
/ ou d’ajouts à une énumération. Ces vers sont donc bien des vers ajoutés par À (ou plutôt par une copie plus ancienne, puisque H présente deux variantes communes avec E), et non pas des vers omis par les autres versions. Sans être faux, ils
n’ont qu’une valeur médiocre, et ne rehaussent pas l’ensemble de la copie.
H commet donc de nombreuses fautes, beaucoup trop nombreuses pour pouvoir être retenu comme manuscrit de référence. Peu soigné, peu rigoureux, et peu attentif au sens, H est le moins bon des cinq manuscrits complets d’Aymeri de Narbonne. Il est malgré tout fort utile, car il propose en plusieurs endroits une bonne leçon là où R est fautif.
III. LE MANUSCRIT D
Comme A, D a parfois une graphie négligée: il écrit des lettres en trop, ou en omet. Certaines majuscules initiales de laisse ne correspondent pas au texte qui suit. À la laisse CI, la majuscule manque. Souvent, il copie deux fois un mot ou un groupe de mots dans le même vers ou bien d’un vers à l’autre. D contient par ailleurs bon nombre de vers altérés, qu’il faudrait impérativement corriger. Enfin, le manuscrit D est celui qui se montre le moins sensible au rythme du décasyllabe. On relève quelques vers hypermétriques, de onze ou douze syllabes. Les cas d’hypométrie sont plus fréquents : une bonne quinzaine de vers compte moins de dix syllabes, sans que soient altérés sens et syntaxe. Avec 4582 vers, D est le plus court des manuscrits d’Aymeri de Narbonne. Il semblerait donc appartenir, avec B1 et B2, aux représentants de la ‘version courte’, d’autant qu’il
omet avec eux quatre vers nécessaires au sens (cf. BJ 1573a, B1 1631a-b et B1 3950a). Outre ces omissions, on relève
entre B et D des erreurs communes : au vers B1 1832, D donne la même leçon erronée que B1 ; aux vers BI 1877-1878, 1924, 1961, D donne une mauvaise leçon, avec B1B2.
38
INTRODUCTION
Pourtant, D se distingue nettement de B1B2: il omet un grand nombre de vers contenus dans la version B, mais il contient par ailleurs vingt-six vers absents de BI mais présents dans R: il offre ainsi également des similitudes avec la ‘version longue’ d’Aymeri de Narbonne (RH). D présente donc des ressemblances tant avec B1 qu’avec R, c’est-à-dire avec des représentants des deux familles de
manuscrits contenant Aymeri de Narbonne: il présente à la fois des fautes communes à B1B2 et des vers propres à RH. Ces liens de parenté sont pour le moins paradoxaux, et ne sauraient s’expliquer par le fait que D a changé de modèle à un moment donné: en effet, les variantes communes avec B_ s’échelonnent assez largement dans la chanson, de même que les variantes communes avec RH!°. D représente ainsi un état intermédiaire entre B1 et R. Loïintain cousin commun aux deux familles, il n’est étroitement apparenté à aucune d’entre elles, mais appartient à chacune d’entre elles. Dès lors, convient-il de classer D avec B1B2 ou avec RH? Les sondages effectués en différents endroits de la chanson ont permis de constater que D présentait à peu près autant de variantes par rapport à R que par rapport à B1. Comme D n’est pas suffisamment indépendant de B1 ou de R pour avoir constamment des variantes originales et qu’il n’y a pas d'avantages à noter deux fois ces variantes, l’intérêt de relever à la fois les variantes de D par rapport à B1 et par rapport à R est nul. Un choix s’impose: D a donc été classé avec B1B2, en tant que témoin de la ‘version courte’. Au fil du texte, les variantes entre D et B1 semblent en effet de moins en moins nombreuses; de plus, D contient à peine 20% des vers propres à la ‘version longue’ et omet beaucoup de vers, même
10 On relève la première de ces variantes communes à RHD au vers R 160 (Que Sarrazin i orent fet fermer), la dernière au vers R 4642 (Oï avez
que mout fu Deu amis).
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
39
par rapport à B1. Le manuscrit D, en dépit des vers communs avec R, demeure ainsi plus proche de B1B2 qu’il ne l’est de RH. D est sans doute meilleur que H, mais n’est pas pour autant un manuscrit excellent: commettant de nombreuses fautes plus ou moins vénielles, D est aussi une version isolée
d’Aymeri de Narbonne, qui a trop tendance à supprimer des vers présents dans les autres témoins. Cependant, ce manuscrit reste en général compréhensible, et propose parfois des variantes intéressantes.
IV. LES MANUSCRITS B1 ET B2 A. Une version critiquée: la version B La version B a joui au xIx*° siècle d’une mauvaise réputation, dont L. Demaison se fait l’écho.!! Le premier éditeur
d’Aymeri de Narbonne lui reproche principalement une régularisation des rimes abusive, une composition tardive, ainsi
que des leçons «inintelligentes ». 1. Une régularisation des rimes abusive ?
L. Demaison fait grief à B2 d’avoir tenté de «régulariser les rimes »!? en éliminant certaines assonances «pour revenir à des rimes parfaites, mais il n’y est parvenu souvent qu’aux dépens du sens et de la justesse de l’expression.»!* Plus cri-
l1 Les éditions les plus récentes sont revenues de ce jugement négatif. Pour son édition du Siège de Barbastre, op. cit. B. Guidot a choïsi B2 comme manuscrit de référence ; pour Guibert d'Andrenas, op. cit. M. Ott a choisi BI.
2 L. Demaison, op. cit., p. LXV. 3 L. Demaison, op. cit., p. LXV.
40
INTRODUCTION
minel encore : «ailleurs, pour arriver à son but, il ne recule
pas devant un barbarisme. Il écrit par exemple espier pour espiez (..), moitier pour moitié (...), se ne vous i garder pour gardez... »" Nuançons: ces corrections apportées par B2 ne concernent que quelques vers uniquement dans les laisses en -é, -er, -ez. Ces laisses sont en général si longues qu’elles admettent parfois des assonances au lieu de rimes. En fait, le respect de la rime paraît plutôt devoir être porté au crédit de B (B2 comme B1), et certains amendements sont assez ingénieux : ainsi, dans la laisse VII en -é, B1B2 proposent iriez et eschaufé (B1 234), au lieu de... irié conme senglé (R 233). dans R, devenu dans l’édition Demaison iriez comme sengler! De même, dans la laisse CI à dominante -er, B1B2 écrivent penssez de fraper (B1 3848) au lieu de et del ferir pansez dans R. Etc. Ces variantes pour la rime ne sont ni absurdes ni incorrectes; elles montrent simplement qu’un copiste B, en amont de BJ et de B2, a davantage cherché à respecter la rime que d’autres. Pour autant, elles ne sont pas préférables aux leçons de R, mais équivalentes. Les copistes se sont en effet tous accordé quelques licences dans ces interminables laisses en -é, -er, -ez..., et c’est assez naturel: dans la mesure où les consonnes finales ne sont plus prononcées à partir du x siècle, pourquoi un copiste du milieu du xur, a fortiori du début du x1v° siècle, s’imposerait-il constamment de telles contraintes ? Il est vrai que les copistes ont parfois tendance à utiliser une graphie identique en fin de vers, sans doute afin de souligner visuellement la rime: c’est le cas dans B2, et quoique cela ne soit pas visible dans l’édition Demaison (cf. B1 234/ R 233), cela arrive aussi dans R. Ces graphies pour l’oeil, étranges certes pour un oeil moderne, ne peuvent être consi-
# L. Demaison, op. cit., p. LXV. Dans la présente édition, ces exemples se trouvent aux vv. 3575, 3630 et 3941 de B2.
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
41
dérées comme des barbarismes — pour autant qu’on puisse parler de barbarismes en ancien français. Enfin, L. Demaison relève à raison dans B2 un certain
nombre d’erreurs à la rime; mais aucune de ces erreurs n’est reproduite dans B1, ce qu’il se garde bien de mentionner. Ainsi, que la faute soit due ou non au désir de régulariser la rime, les vers 3449, 3819 et 3843 de B2 sont effectivement
incorrects (B1 3439, 3809, 383).
2. Une composition tardive ? B1 et B2 ont été composés au tout début du xIv° siècle,!$et
sont donc les témoins les plus récents d’Aymeri de Narbonne. Représentent-ils pour autant une version plus moderne de la chanson”? Rien n’est moins sûr. La composition des cinq manuscrits complets s’échelonne entre la deuxième moitié du x siècle (R, H et D) et les premières années du xIv® siècle: un écart d’un demi-siècle sépare donc le témoin le plus ancien du témoin le plus récent, ce qui n’entraîne pas nécessairement de notables changements. On sait qu’au xIv* siècle ont été produites des copies de grande qualité : «il est bien connu, écrit F. Lecoy, que le début du xIv* siècle a mis en circulation des copies de textes français où la correction grammaticale est particulièrement soignée et qu’il y a eu à cette époque dans certains ateliers un effort de ‘purisme’ très marqué. Un bel exemple du fait nous est fourni entre autres par la recension B... du cycle de Guillaume d'Orange. »!6 La composition — très modérément — tardive de la version B peut donc être également considérée comme un argument en sa faveur.
15 À propos de la date de composition de BJ et B2, cf. chap. II. 16 F Lecoy, Romania, 76, 1955, pp. 427-428 (cité par J. Frappier dans Les Chansons de geste du cycle de Guillaume d'Orange, t. II, 1965, p. 41).
42
INTRODUCTION
3. Une version «inintelligente» ? L. Demaison, qui a choisi d'éditer R, critique exagérément B. Pour juger de la qualité des cinq manuscrits complets d’Aymeri de Narbonne, il s'appuie sur un seul et unique passage de la chanson, long d’une vingtaine de vers: la description d’une merveille sarrasine, l’arbre fabuleux de l’émir.
Cet extrait, un peu court pour être représentatif, est naturellement choisi dans le but de démontrer l’évidente supériorité de
RAM L. Demaison conteste en particulier un vers de ce passage : «En lor memoire s'en rient mout Escler. » (B1 3449)
Ce vers, écrit L. Demaison, est «corrompu et dénaturé d’une
façon très inintelligente »!8, et «serait incompréhensible sans les mss. 20 B. XIX et Harl. 1321 qui donnent tous deux la bonne leçon: ‘En lor maniere, seriement et cler.’»1°
Ce dernier vers décrit la façon de chanter des oiseaux, et
renvoie aux vers qui précèdent. Mais la suite prouve que B donne une leçon également valable, puisqu'on y lit que l’arbre enchanté permet d’oublier ses chagrins : «N'est .I. seul honme qui s’en puist sooler, S'il est iriez por qu'il l’oie souner, Que ne liface ses ires oublier. » (B1 3450-3452)
La merveille sarrasine est source de joie et d’allégresse ; et ne
peut-elle, à ce titre, être restée dans la mémoire des païens ? La présente édition part du principe que plusieurs leçons peuvent être correctes pour un même vers. Si le vers de Ba été
17 «Nous choisirons à dessein un passage que plusieurs d’entre eux ont altéré d’une façon assez importante. » (L. Demaison, op. cit., p. XLII.) 18 L. Demaison, op. cit. p. XLVI.
® L. Demaison, op. cit., pp. XLVI-XLVII. Cf. R 3521.
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
43
dénaturé, il ne l’a pas été de façon absurde ou inintelligente. Il n’a donc pas paru nécessaire de le corriger.
B. BI et B2, deux manuscrits parents Si la parenté entre R et H est lointaine, en revanche B1 et
B2 sont incontestablement très proches. Les variantes entre les deux manuscrits sont minimes, et portent tout au plus sur un mot ou une formule. Quelques passages font cependant exception à cette règle : à la laisse LVII2, B2 intercale une dizaine de vers; laisse LIV,
B2 supprime plusieurs vers et en déplace d’autres ;enfin, B2 supprime les vv. 2597-2604 de B1, soit huit vers, mais cette omission ne nuit pas au sens. De façon très paradoxale, ces variantes entre deux manuscrits indéniablement parents sont les plus importantes de tout le corpus. À noter un autre phénomène curieux : les variantes, quasi
inexistantes pour les mille premiers vers de la chanson, deviennent progressivement de plus en plus nombreuses. Si l’on relève les variantes entre BJ et B2 dans les laisses I à V, on a environ une variante tous les vingt vers; mais plus loin,
dans la laisse LXV par exemple, il y a un peu plus d’une variante tous les six vers ! Il semble que ces variantes doivent être, pour l'essentiel, attribuées à B2, qui cherche davantage à varier son vocabulaire et ses formules. Pour de nombreuses variantes, en tout cas pour les variantes les plus importantes, B1 rejoint DRH, tandis que B2 se retrouve isolé. Sans doute faut-il voir dans la multiplication des variantes une recherche croissante d’originalité de la part de B2, faux jumeau de BI.
La parenté entre B1 et B2 est mise en évidence par de nombreuses fautes communes :
20 Cf. note B1 1831.
44 +
INTRODUCTION
Un vers trop long
B1 167
*
D)
moult absent de B1B2 et absent de B1B2 mais absent de B1B2
(correction d’après D) (correction d’après D) (correction d’après D)
Des vers altérés
B1 282-283 B1 B1 B1 B1 B1
941 1064 1560 1577 1876-1878
B1 B1 B1 B1 B1 B1 BI
1906 1924 1961 2534 2818 3874 3929
B1 4315 B1 4413
+
(Vint tours.
Des vers incomplets
B12 B1 2103 B1 2854
e
.XXXIL. tours i ot B1B2
Lors mist ses gardes B1B2
(erreur commune
Que il la dut B1B2
les manuscrits. Correction
Les enginz fait B1B2
d’après D) (Contre Aymeri D) (faites D)
Com Aymeri B1B2
à tous
Se les lorains B1B2
(Seul D)
EtliplusvielB1B2 trop m'avez fait joiant B1B2 Qui m'avez hui B1B2D Cel abatu B1B2
(Et les puisnez D) (dolant H) (Cil m'avoit H) (C'as H)
Mes feruz est B1B2
Quant la pucele ot B1B2 lor seignor droiturier BIB2DR
(Mes freres D) (Jusqu'a Verziaux H) (esgardé H) (li baron ont D) (redrecier H)
Weil mout pete B1B2
(voi D)
Jusqu'en Alvergne B1B2D avez vous escouté B1B2D
istre
au vis cler B1B2
(Dist Aymeris: « Gloton,
s’est haut en escriee B1B2D
or vos seez!.…. D) (la dame H)
Cil secons fu B1B2D
(filz H)
Les vers 3/0a-310c sont absents de BJ comme de B2. Les
vers 1573a, 1631a-b, 3950a manquent dans B1B2D.
Ce relevé exhaustif des fautes communes à BJ et B2 souligne leur étroite parenté, ainsi qu’une parenté plus lointaine avec D. Si on le compare avec la liste des fautes propres à B1,
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
45
il permet aussi d’établir que les plus graves erreurs de ce manuscrit sont héritées de son modèle. C. Le choix de B1 De ces deux versions très proches, laquelle choisir? Il
s’agit de savoir quel copiste commet le moins d’erreurs. Un relevé des fautes propres à B1, puis des fautes propres à B2, permet de voir que c’est B1 qui est le moins souvent fautif. B2, après un début presque parfait, devient ensuite moins rigoureux : à partir du moment où les variantes entre B1 et B2 se multiplient, les fautes de graphie ou d’inattention, les maladresses, les omissions deviennent également plus nombreuses dans B2. On note aussi des confusions dans les chiffres (B2 1537, 1573). Les erreurs de versification sont rares. Enfin, B2 contient une dizaine d’incohérences portant sur le sens ou la syntaxe. L. Demaison,
sans doute trompé par le début de B2, a
considéré que B1 lui était exactement identique. Si bien qu’il élimine B1 dès l’introduction, et ne le mentionne jamais dans
les variantes : «B1 et B2 étant extrêmement voisins, nous nous sommes contenté d'emprunter les leçons de ce dernier que nous désignons constamment par B dans les variantes de notre texte. Ceci posé, nous restons en présence de quatre manuscrits...»22 Autrement dit, son édition est faite comme
si B1
n’existait pas. Sans doute L. Demaison n’a-t-il étudié BJ que superficiellement, à travers deux ou trois extraits du texte. En
tous les cas, B1 est une version d’Aymeri de Narbonne encore à découvrir, et pour cette raison également, il a paru intéressant de l’éditer. B1 est en effet une copie d’excellente qualité, qui contient peu de fautes. En voici le relevé complet: 2 Soit B1 1536 et 1572. 2 L, Demaison, op. cit., p. LXVI.
46
+
INTRODUCTION
Des fautes de graphie — par oubli du tilde indiquant 95 ; Ermegart, B1 4459. — par oubli d’une ou plusieurs (pour regrete); convint, B1 B1 1259 (pour les); lo, B1
une nasale: chaçon, B1 lettre(s): regre, B1 578 747 (pour convient); le,
1272 (pour or); on, B1 3058 (pour ont); membré, BI 1857, 2516, 4465 (pour membree, à la rime d’une laisse en -ee); oublié, B1 4320 (pour oubliee, également à la rime).
—
par ajout d’un groupe de lettres: ef, B1 1232; Ouors, B1 4381. Au v. 2545, B1 copie deux fois l’eüst.
°__
Mauvaise copie d’un mot: en, B1 262 (pour ef); si, BI 903 (pour se); a devis, B1 989 (pour ademis) ;escu, B1 3640 (pour estour).
+
Répétitions: bien, B1 821; garnement,
corrigé en B1
2017, doublon de B1 2014; nel vous celerai mie, corrigé en B1 4277, doublon de B1 4275.
*
Vers incorrects, parce que le copiste n’a pas élidé -e devant voyelle dans le premier hémistiche: donnez le a autre, BI 513; voit le Aymeris, BI 2958, 3974, 4126; se il veut la dame, B1 3321.
°
Omissions —
—
+
d’un mot: Girart, B1 1762; dis, BI 2658; onques, B1
4295. d’un vers, omis également par D: 1482a. Peut-être le copiste de B2 a-t-il forgé lui-même le vers qu’il donne à cet endroit, et qui est différent de la leçon donnée par RH.
Leçons incohérentes
B1 320 B1 727
qu'il de grant vasselage de vostre amour haïz
(qu'iert B2) (cuer B2)
B1 1483
àFouchier
(.XX. B2)
B1 1832-1833
Tant demoura com il ot aportee (L'armeüre toute que cil ot son escuier livree aportee À le bon conte.
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
47
B1 2643
Merveilles ai
(soi B2)
B1 2816
pour_or ne por or mier
(pour son pesant d’or mier B2)
BI, moins souvent fautif que B2, apparaît comme une version ‘épurée’ d’Aymeri de Narbonne: le copiste ne cherche ni à ajouter des vers ni à multiplier les variantes, mais
privilégie la fidélité à son modèle. C’est pourquoi ce manuscrit apparaît comme le meilleur témoin de la famille B. V. LE MANUSCRIT R
Reste le manuscrit R, que choisit L. Demaison pour base de son édition. Comme B1 et B2, R comporte assez peu d’erreurs : Les relevés sont exhaustifs. + _Des fautes de graphie: —
—
—
par omission du tilde: atangat, R 1893; nos, R 4236 (pour nons); e Aleschans, R 4530. par omission d’une ou de plusieurs lettre(s): Ranvax, R 113 (pour Ramcevax); avra, R 373 (pour avrai); Nebone, R 381; mendrai, R 597 (pour remendrai, nécessaire à la mesure du vers); eschase, R 721 (pour eschapase); su, R 762 (pour sui); mus, R 1014 (pour murs); sinagues, R 1219 (pour sinagogues); bee,
R 1311 (pour betee); gole, R 1619 (pour gonele); qu'avec, R 2046 (pour qui avec); glon, R 2782 (pour gloton); perent, R 3092 (pour penerenf). Dans une laisse en -ee, R écrit veé, R 1398 (pour veee); roé, R 1865 (pour roee); effreé, R 2566 (pour effreee); conreé, R 4456 (pour conreee); deveé, R 4470 (pour deveee); loé, R 4564 (pour loee). À la rime d’un petit vers, il écrit deservi, R 4139 (pour deservie). par ajout d’une ou de plusieurs lettre(s): fote, R 378 (pour tof); ceus, R 888, 1476 (pour eus); coie, R 1134 (pour coi); l’orgueillex, R 1662 (pour orgueillex);
48
INTRODUCTION
contre, R 1785 (pour conte); Orengenge, R 3462 (pour Orenge); des, R 3588 (pour de); copee, R 4464 (pour cope). Dans une laisse en -é, R écrit delivree, R 897 (pour delivré); dans une laisse en -ee, il écrit preee, R 4438, 4474 (pour pree), et dans une laisse en -ie, baniee, R 3468 (pour banie). par mauvaise copie d’un ou de plusieurs mot(s): ai, R 341 (pour an); ou parra, R 883 (pour or i parra); foffé, R 922 (pour fossé) ; .XIIIL., R 1300 (pour .XII1.); de, R 2915 (pour ce); si, R 3111 (pour li); le, R 3143 (pour se); derbone, R 3467 (pour Nerbone); desfanse, R 3802 (pour desfande, subjonctif présent P3); eportee, R 4460 (pour aportee). En R 2640, ci, sans doute une graphie déformée de cil, voire une forme picardisante cis (où -s final se serait amuï?), a été corrigé d’après H en cel. Quelques leçons corrompues sont de véritables contresens: aduré, R 3035 (pour enduré) ;muevent, R 3048 (pour muerent) ; Naimes, R 4506 (pour Nimes).
aux vers 1938, 2478 et 2664 (respectivement les premiers vers des laisses LIX, LXXIV et LXXX),iln’ya
pas de grande majuscule permettant de séparer visuellement la laisse de la laisse précédente.
Des erreurs de versification :comme B1, R néglige d’élider un certain nombre de -e devant voyelle dans le premier hémistiche, d’où des vers incorrects : quant ce ont veü, R 1124; voit le Aimeri, R 3003, 4060, 4222. En R 1016, il n’y a de rime que pour l’oeil:lancent, indi-
catif présent à la P6, est à la rime dans une laisse en -ant. Cette liberté n’a pas été corrigée. Omissions et répétitions — de mots: R omet quelques monosyllabes: mout (R 460), grant (R 1846), me (R 1905), anz (R 2026), est (R 2141), vive (R 2462), non (R 2787), tres (R 3239), roi (R 3495), il (R 3899). Il défigure également R
CLASSEMENT DES MANUSCRITS
49
4163: Tant pong tant pié tant bras tant bu. C’est sans doute tranchié qui manque dans le premier hémistiche, comme le suggère un peu plus loin un vers très semblable: Tant braz trenchié, tant pong, tant pié copé (R 4203). R 4163 a été corrigé d’après H, d’où un remaniement de l’ensemble du vers: Tant braz tranchié, tant poing, tant pié, tant bu. En revanche, R copie deux fois en (R 2422), et ont (R
4219). En R 333, le scribe note deux fois ef, ajoutant le second ef au milieu de la locution tenir chier: Si vos doit en amer et tenir (et) chier.
—
de vers: R a la particularité de copier parfois plusieurs fois un même vers, voire un groupe de vers. Ainsi, les vers R 2384, 4651 et 4664 sont notés deux fois. Après les vers 68, 728, 1265, 3488, R répète respectivement
les vers
66-68,
724-725,
1262-1265,
3487-3488.
Après R 2176, R copie deux fois les vers 2177-2180,
en modifiant le dernier vers:
la première fois, il
redouble le foleté de R 2177; la seconde fois, il rem-
place foleté par grant fierté. Enfin, après R 3704, le copiste répète les vers 36853694, puis omet les vers 3704a-e. R omet également les vers 2321a (même erreur dans H), 2821a, 4002a-e. Des doublons :de même que les omissions ou les répétitions de vers ou de mots, les doublons sont plus fréquents
dans R que dans B1 : il a fallu corriger, toujours d’après A, les vers 132-134, 312-313, 1752-1753, 2147-2148, 30093010, 3724-3725, 3965-3966, 4089-4090, 4223-4224. Incohérences : — d’ordre grammatical: le copiste de R ne respecte pas toujours l’accord du sujet et du verbe. Ces irrégularités, qui peuvent gêner la compréhension du texte, ont toutes été corrigées, en général grâce à H. Aïnsi, R écrit flanbeoient au lieu de flanbeoit (R 177),
50
INTRODUCTION
prissent# au lieu de prisse (R 1697), voie au lieu de voient (R 1874), iront au lieu de irons (R 3050), perdront au lieu de perdons (R 3140), vient au lieu de viennent (R 4146), eüsent au lieu de eüst (R 4550)
—
d'ordre sémantique, provoquées par une confusion entre deux mots, ou par un vers omis:
R 159
Desus un pui vit une roche ester* (tor H)
R 282-283
Lors mist ses gardes en iceste cité, (erreur commune
à tous
Que il la dut garder a sauveté
les manuscrits. Correction d’après D)
R 635
Por meintenir ses marchis
(marches H)
R 1202
Mes li dui furent plus fel et non sachant (fol H)
R 1266
Aymeri à Charlemagne quittant Narbonne : Ja envers vos ne quier avoir amor
(eus H, païens)
c’est-à-dire
les
R 1479
Pavie frete craventer et brisier
(fetes H)
R 1670
Querre Hermenjart a eus conte Aimeri (au preu H)
R 1788
C'’aller ne pot a pié ne a montengne (par pui ne par montengne H
R 2860
lor seignor droiturier?s
R 3355
Tot meintenant se drece en piez Garnier$
(redrecier H)
(c’est le fils de Garnier qui intervient, d’où un vers entièrement corrigé par B1B2: Adont se drece en piez lifiz Garnier)
R 3733
2 # 2° 26
Einz cers ne deins ne prinsaut de ramier (prist saut H)
Erreur Erreur Erreur Erreur
commune commune commune commune
à R et H, correction d’après D. à R et D. à RDB2B1. à R et H.
CLASSEMENT DES MANUSCRITS R3857-3858
sl
S’onques l'amates, or le verré ge ja: Or sai ge bien [...] de cuer l’amera
(omission bien, et pronoms: Correction R 3970
Si veil c'avant les façons toz armer (aler H)
R 4662
La menor fille Aimeri au baron
de qui après confusion de il faudrait m’. d’après H)
(Aimeri le baron H)
Ce relevé exhaustif laisse à penser que R contient plus d’inexactitudes que B1. Tout en étant un bon manuscrit, R commet beaucoup de petites erreurs faciles à corriger (lettres ajoutées ou omises, mauvais accords...), mais aussi des erreurs plus graves prouvant qu’il ne comprend pas toujours bien son texte. Mais ce défaut est en partie compensé par le fait que À comporte des vers oubliés ou négligés par la version B. R, infiniment meilleur que H, demeure un excellent témoin de la ‘version longue’ d’Aymeri de Narbonne. Ainsi, B1 et R apparaissent chacun comme le meilleur témoin, l’un de la ‘version courte’, l’autre de la ‘version
longue’. Ces deux manuscrits ont exigé très peu de corrections, quoiqu'ils
héritent avec
B2, D et H d’erreurs
très
anciennes. Il faudrait encore préciser quelle version, de BJ ou de R, de la ‘version courte’ ou de la ‘version longue’, est la meilleure. La présente édition choisit de n’opter ni pour l’une ni pour l’autre :ainsi que cherche à le démontrer, dans le chapitre suivant, l’étude du style de BJ et de R, chacune propose un état intéressant d’Aymeri de Narbonne.
at É Tam Sa
Kat
au sinom13È
ral sl Ge
api
M
gt of À ONE
Ni
ES 8 SAS
0Ù eh Rper Le“ao, poire, BF sb ant nl
007 sb 434 eéu Sa FO ArDUNA AIME ASC}ge ét cuone'b M 2 € SU osve ani ren
ler ségher donérarst *
1
D
ras. ARR OR à |esaineions :
60410 \Eob, bi aan se Rèt 320 tire 11. el es 'ougcol nôtfievt $i sb 40 "srivos hold “en s09"T 00 4 381q0"n ob HlerGS ACHIOS SAR acts
ones
St
ancb
RomnonTè Si É
anses
ES
SUD
S ROLE
E ê RE qu
PER
À 98e \isb SM DDR E pm ve UD TRUE CE OBÉ8S TBE MIE EE | F
: saut A1
CHAPITRE V
STYLE ET VERSIFICATION DANS BI ETR Ce chapitre vise à préciser, grâce à l’étude du style et du vers, ce qui différencie la ‘version longue’ (représentée par RÀ) de la ‘version courte’ (représentée par B1)!.
I. RIMES ET VERSIFICATION: UNE ARCHITECTURE COMMUNE
Aymeri de Narbonne est composé de 122 laisses rimées: 92 laisses masculines, pour seulement 30 laisses féminines.
On relève quelques assonances, en particulier dans les laisses en -é, -ez, -er, qui sont aussi les plus longues. Les tableaux qui suivent font la liste des différentes rimes, en indiquant éven-
tuellement, pour chaque laisse et pour chaque manuscrit, les rimes irrégulières. L'étude des rimes dans BJ et dans R confirme que les deux versions sont construites d’après une même architecture: même
nombre
de laisses,
mêmes
rimes,
parfois
mêmes
entorses à la rime. Quant au vers orphelin qui termine chaque laisse, il ne varie que rarement entre BJ et R.
l On négligera dans ce chapitre B2, D, H, ou le fragment E, qui sont de moins bons manuscrits, et dont les erreurs ou les variantes supplémentaires ne feraient que brouiller le parallèle entre les deux versions.
54
INTRODUCTION
1. Rimes
+
Laisses féminines
XX -angne, -engne dans R;, -aigne, -eigne dans B1
|[LXXXV |LIV: germaine, Lozenne B1 ; germene R
XXXIX, XLII, XLIX, LVII, LXXVI, XCII, CVIN, CXIII, CXVI XI, XXXIV, LII, LXVII, LXXIII, LXXVII, LXXXI, XCVI, CVII, CXX IV : conmandise B1
-Onne, -one
XIV : Bourgoigne, essoine B];
Borgongne R
EP e
RP
SRE
Laisses masculines
XVII, XX VII, XXXVI, XL, LI, LVIII, LXI, LXXV, XCI, CXVIII XXXII : lancent (P6) R CX : Bertran R
EX, LXV, LXXXVII, CXII VII: reparez R XXIX : esgardez, avisez, regardez R XLVIIT : ovrez R XCVIIT: relevez, desheritez, fustez, volez
R CV: grevez, reüsez, menez, noielez, nonmez, avalez R
STYLE ET VERSIFICATION DANS BI ET R
55
V, XX, XXXIII, XXXVII LXIIL, LXVI, XCVII CI: prez, trez, levez, effreez, corronnez, amenez, orez, desbaretez, abrievez, seez, parlez, apenssez, prouvez, amenez, fourssenez, letrez Bl; montez, armez, prez, levez, alumez, engendrez, effreez, espoentez, pansez, coronnez, amenez, orez, desbaretez, abandonez,
monneez, clamez, tornez, abrivez, seez, pensez, gardez? R — trés, armés, antrés, dorés R — tré, efraé, né B]; porté, armé, asenblé, entré, carré, torné, effreé R — tref R. XXV : bonté R XLIIT : resné, amisté, pasé R LXXI: gré, né R
XCIV:
jeté B1
II, XXII, LXXIV, CIX, CXI XLI: Aymeris B1 ; ausin R XLVI: Garin B1 ; ausin R
L: ausin R CII: oïz R
XVI, XXVI, XXXI, LXIX, LXXX, XCIIT, CXIX LXXVII, CXXII: Aimeri, Aymeri R CXIV : seignorir B1
RER PE RU era RTL PLRe Ma -ié
LXXXVI
X, XV, XXI, XXVIIL, LIX, LXXXIIT, CXVII
LXXX VII,
XXXWV : afier B1 XLIV: fier, mercïer, Desïer, Vier B1 ; mercïer, Desïer R
LXXIX : otroié B1 XCV : mercïer BIR
XCIX : espiez? R — moitié BIR — ver B1 — chief B1
[-iers |LXIII: mengier* R
2 B1 écrit garder, avec -er en guise de désinence de PS (présent de l’indicatif). 3 B1 écrit espier. 4 B1 écrit mengiers bien qu’il s’agisse d’un cas régime.
INTRODUCTION
56 -or, dans B1 souvent -our
XXXVII, LXXII, LXXXIV, XC II, XIU, XLVII, LXIV, LXXXII LXXXIX :morons (P4) B1 CXXI: Gormont R
AU
XXII, XLV LXX : blons R
LXVIIT: aperceüz R
XXIV
2. Vers orphelin Toutes les laisses sont terminées par un ‘petit vers’, vers hexasyllabique à rime féminine, dit aussi ‘vers orphelin’, parce qu’il ne rime jamais avec le reste de la laisse. Pour ce type de vers, dont la forme est plus contraignante, les variantes entre B1 et R sont fort rares. En fait, il apparaît que le vers orphelin, très codifié, est limité à un certain nombre de structures et de thèmes : servant de liaison entre deux laisses,
il rappelle le thème principal, conclut par une formule bien sentie, ou annonce la suite. Les cent vingt-deux petits vers d’Aymeri de Narbonne ont été classés selon quatre fonctions ou valeurs: thématique, expressive, structurelle, conclusive. Certains groupes sont plus évidents que d’autres, et il va sans dire qu’un petit vers peut cumuler plusieurs valeurs. *
Valeur thématique
On grands La certain
retrouve inévitablement dans les vers orphelins les thèmes de la chanson, le fief et la femme. thématique de la terre, du fief, se retrouve dans un nombre de vers orphelins se terminant tous par le nom
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
S7
commun terre. Tant il est vrai que le monde féodal est fondé sur la possession, conquête et conservation d’un fief: Assez ai aillors terre Maudite soit tel terre ! Ja ne tenra la terre
B1 416 B1 534 B1 575
R417 R 535 R 576
XIII XIX XXI
Si garderai la terre
B1 597
[Nerbone R] XXII
Bien doit tenir la terre!
B1 1176
R1184
XXXV
Sires fu de la terre
B1 4482
R 4591
CXIV
On retrouve la même thématique dans deux vers orphelins se terminant par marches : S’aquiterai mes marces
B1 430
R431
XIV
Por maintenir ces marches
B1 634
R635
XXIII
Aymeri de Narbonne est naturellement marqué par un autre thème, celui de la dame, fenme ou pucelef: Or li couvenist fenme Pour l’amor la pucele
B1 1317 R 1328 XXXIX B11369,1589 R1381,1604 XLI, XLVII
Bien doit avoir (tenir) la dame!
B12348
R2381
Qui amaine sa fame !
B1 3558
R 3638
LXX XCVII
À cet ensemble, on peut ajouter les vers B1 1513, 2030, 3012 / R 1527, 2059, 3058, qui associent la dame au thème de la
quête (cf. valeur structurelle), ainsi que le ferme refus d’Ermengarde : Je n’avrai ja tel (viel) honme !
B1 2442
R2477
LXXTII
5 Terre apparaît une seule fois (B1 2783 / R 2824) au sens matériel du terme : Et (Si) le metent par terre.
6 Ce groupe thématique a déjà été relevé par A. Roncaglia, qui évoque fort joliment «l’effet lyrique que produit la répétition d’un petit vers galant: por l’amor la pucele. » («Petit vers et refrain dans les chansons de geste », La Technique littéraire des chansons de geste, Actes du Colloque de Liège,
1957, p. 148)
INTRODUCTION
58
qui répond avec humour aux exigences d’Aymeri: Je n'avrai auen fenme
B1 1332
R 1343
XL
Ce parallèle, sans doute volontaire, est le signe d’une composition élaborée et très fine de la chanson.
D’autres regroupements thématiques peuvent apparaître, mais de moindre importance. Plutôt que d’insister sur un thème particulier, ils ont valeur de refrain”, répétant à des intervalles irréguliers les mêmes mots (vie, compaigne, riche): A nul jour que je vive (de ma vie) Paour ont de leur vies Por garantir sa vie Par cui perdons la vie!
B1956 B1 1074 B1 1746 B1 3093
R961 R 1080 R 1768 R 3140
XXX XXXIIT LIT LXXXIX
Challes et sa compaigne Et lor riche compaigne
B1152 B1 1207
R 150 R1215
IV XXXVI
Dont estes vous trop riche! Dont ilfu tous jorz riches
B1 2079 B1 3182
R2109 R 3232
EXIT XCII
A. Roncagliaf a montré que ces répétitions étaient beaucoup plus fréquentes pour le petit vers (ou pour le vers d’intonation) que pour les autres vers de la laisse. Ce qui confirme, ajoute D. Boutet, «que l’intonation et la conclusion sont des lieux privilégiés pour les phénomènes de répétition, d’écho,
7 Un certain nombre de vers orphelins ne peuvent être rattachés à aucun thème particulier, mais se caractérisent par une structure semblable : relatives
(Qui m'en rendra service, B1 315 / R 318; Qui de la mort se doute, B1 1722 / R 1744; Qui mout bien li agree, B1 1767 / R 1790; Qui ça derrier nous chacent, BI 1908 / R 1937), ou conjonctives exprimant une éventualité (Que
anous ne se prengnent, BI 2279 / R 2312; Qu'il emporte son siege, B1 2627 ÎR2663; S'en m'eüst(venist) tost hontage, B1 2415 / R 2449 ; S’emporter me (Se porter m'en) vouloient, B1 2585 / R 2621 ;Se me volez entendre, B1 2963
/_R 3008). Ces répétitions d’une même structure contribuent également, quoique d’une façon atténuée, à donner une impression de refrain. 8 A, Roncaglia, op. cit., pp. 141-160.
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
59
et que la laisse n’est pas une simple unité narrative. »° Il ya en effet dans les petits vers, refrains multiples et irréguliers, une indéniable tonalité lyrique. +
Valeur expressive
De plus, le vers orphelin, isolé du reste de la laisse, jouit d’une expressivité particulière. C’est la raison pour laquelle s’y retrouvent de nombreuses exclamatives, souhaits ou malédictions : De mau feu soit ele arsse ! Qui me croisse barnage! Cil (Cist) mal virent la guerre!
Chascun bien se deffende !
B1372 B1 738 B1 1814 B1 2689
R3175 R742
XI XXVI
R 1838
LVI
R 2728
LXXXI
La colère, l’indignation y sont condensées en quelques formules bien senties, qui sont pour la plupart des refus définitifs de prendre Narbonne en fief. Le petit vers, plus encore que le corps de la laisse, permet de faire sentir la sécheresse des barons, excédés et épuisés, envers Charlemagne : Car je n’en ai que fere! Car je n'i puiz entendre
B1352 B1 445
R355 R 446
X XV
Car ja ne sera moie !
B1 466,514
R466,515
XVI, XVII
Je le claim toute quite!
B1 490
R 490
XVII
C’est sous une forme très semblable qu’ Aymeri revendique Narbonne : Car la citez est moie!
B1 929
R 934
XXIX
La même virulence apparaît dans ce vers où Savari ordonne aux messagers, sous peine de mort, de battre retraite: Mes alez tost arriere !
B1 1667
R 1686
L
Dans un autre registre, la peur et la précipitation sont parfaitement sensibles dans ce vers où Boniface s’empresse de 9 D. Boutet, La Chanson de geste, PUF, 1993, p. 81.
60
INTRODUCTION
garantir sa ville et sa personne contre des agresseurs supposés : Si lor fermons les portes!
B11992
R2021
LX
Cette force tonique du vers orphelin est utilisée par le trouvère qui y introduit des jugements de valeur sur les personnages. L’expressivité vient dans ce cas non plus d’une exclamation, mais d’une énergique approbation de l’auteur: Cil (Cist) mena bone vie Si ot en lui (S’ot en lui mout) prodoume
B14412 B14458
R4517 RA4563
CX CXII
Par eus crut li parages (lingnajes) Et le riche parage (Et au riche lingnaje) Mout ot sains el parage (lingnaje)
B14504 B14526 B14537
R4614 R4636 R4648
CXVI CXVII CXIX
Approbation des personnages également, des messagers après un adoubement qui renforce leurs rangs: Or resoumes .LX. !
B11861
R1885
LVII
R4139
CII
ou d’Aymeri content de ses Lombards : M'amor ont recouvree (deservie)!
B14048
La valeur laudative ou approbative du petit vers est parfois sensible à travers la répétition de l’adjectif haut / hautisme: Qu’ele est de haute ystoire Ce fu haute desserte Ne sa mere hautisme De si haut marïage !
B1 13 B1 43 B1 304 B12533
R13 RAI R305 R2569
I Il VI LXXV
Enfin, comme cette dernière série bâtie sur haut, le vers
orphelin est le lieu privilégié où le trouvère exprime son avis, ses sentiments, ses craintes pour la suite des événements. Là encore, le vers orphelin fait office de maïllon, mais il se
charge d’une forte valeur émotionnelle. Que (Qui) de mort les deffende B12842 R 2886 LXXXIII Cor lor croist mout grant paine ! B1 2663, 3393 R 2700, 3457 LXXX, XCV Que or leur croist grant paine!
:
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
61
Il semble donc que le petit vers constitue un acmé émotionnel, soit que les personnages y expriment leurs passions, soit que le trouvère y fasse connaître son sentiment, qui est
aussi le nôtre. e
Valeur structurelle
Mais le type le plus fréquent est celui où le dernier mot du petit vers, qui est également le dernier mot de la laisse, est un nom propre. Dans Aymeri de Narbonne, c’est évidemment la ville de
Narbonne dont le nom est le plus souvent mis en relief par ce procédé : Ne tenroie Nerbone
B1 393
R 394
XII
Si li offri Nerbone
B1 553
R554
XX
Si garderai Nerbone
[laterre BI]
R598
XXII
Avrons perdu Nerbone
B1 1041
R 1047
XXXII
S'il ne rendent Nerbone Ceanz dedenz Nerbone El palés de Nerbone! Tout environ Nerbone
B1 B1 B1 B1
1107 1427 3279 3731
R1113 R 1439 R 3334 R 3816
XXXIV XLIII XCIV XCIX
Au mengier a Nerbone
B1 3797
R3884
C
As noces de Nerbone
B1 4371
R 4475
CVIII
Et fu (Si fu) hoirs de Nerbone
B1 4495
R 4604
CXV
C’est sans doute pour cette série que l’effet de refrain se fait le plus sentir, comme le note A. Roncaglia dans un passage consacré à Aymeri de Narbonne: «on remarque toute une suite de laisses (15 sur 122, soit un huitième au total) dont le
petit vers se termine par le nom de Nerbone (...), ce qui donne un effet d’insistance thématique évidente, semblable à l’effet que les troubadours tirent de l’emploi du mot-refrain. »"° Les noms propres sont par ailleurs très liés au thème de la terre:
10 À. Roncaglia, «Petit vers et refrain dans les chansons de geste», La Technique littéraire des chansons de geste, Actes du Colloque de Liège,
1957, p. 149.
62
INTRODUCTION
une des rares variantes entre BJ et R substitue ainsi la terre à Nerbone.! L'impression de refrain est renforcée par la répétition presque mot pour mot de deux vers orphelins, tous associés à Aymeri, le conquérant de Narbonne : Aymeri de Nerbone Le (Au) seignor de Nerbone
B11237,2327 B12463,2483
R1246,2360 R2498,2518
XXXVII, LXIX LXXIV, LXXV
Ce trait stylistique n’est en rien particulier à Aymeri de Narbonne. Aïlleurs également, le petit vers, présent dans tout le cycle d’Aymeri, scande le nom de Narbonne. «L’extrême
fin de la laisse, note B. Guidot dans un article consacré au . vers orphelin dans Guibert d’'Andrenas, est une place privilégiée qui fournit au terme qui l’occupe le statut de mot-clé. Nerbone est le plus souvent mise en valeur de cette façon. Cela ne saurait surprendre puisque la ville est à la fois un lieu et un lien: cité chérie de tous les Aymerides, elle est, sur le
plan affectif et spirituel, un puissant trait d’union entre les différents héros, le réconfort permanent des chevaliers. Le réemploi du mot met en valeur le maître de Narbonne, chef incontesté de la geste, mais aussi le palais de Narbonne, centre géométrique d’une grande partie de la vie épique dans le Cycle de Guillaume (...) Ce retour du ‘petit vers’ contribue à insérer fortement notre chanson de geste dans un ensemble familier. »!? De même que Narbonne sert de lien familial, le vers orphelin, tant dans sa forme que dans son contenu, fait
office de lien entre les différentes chansons du cycle d’Aymeri. Refrain dans la chanson, il est aussi refrain à l’échelle
du cycle.
1! De même, la série construite sur Espaigne, citée un peu plus loin, montre bien que les noms propres, qui sont presque toujours des noms de lieu, sont étroitement liés au thème de la terre (ou marches).
7? B. Guidot, «Stylistique et versification médiévales :le ‘vers orphelin’ dans Guibert d’Andrenas », Le Génie de la forme, Nancy, 1982, p. 19.
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
63
D’autres noms propres reviennent assez fréquemment, comme Espaigne ou Pavie, le pays d’où revient le jeune Aymeri avant de prendre Narbonne, et la ville où il va chercher sa fiancée : En la terre d'Espaigne Toute perdront Espaigne Les grans marches d’Espaigne Qui guerroia Espaigne
B192 B1 686 B14391 B1 4550
R90 R 687 R 4495 R 4661
III XXV CX CXX
Cil iront a Pavie
B1 1496
R1510
XLV
En (À) la cit de Pavie
B1 1542
R 1556
XLVII
Le chemin vers Pavie
B1 1946
R 1975
LIX
Qui les mist en Pavie
B1 2219
R2252
LXV
Es plains de Lombardie
B1 1793
R 1816
LV
Les autres noms propres ont une valeur symbolique moindre, mais bénéficient également d’un effet de mise en relief. D’une façon très générale, le petit vers donne une sonorité particulière au toponyme: au vers B] 4564 / R 4675 par exemple, en mettant l’accent sur France, il fait ressortir toute
la gloire du lignage d’Aymeri, dont la plus jeune fille, Blanchefleur, épouse le roi Louis: Roÿne fu de France
B1 4564
R 4675
CXXI
Mais très souvent se fait jour un emploi original: le petit vers indique le lieu où l’on va, ou tout au moins le lieu où l’on désire aller. Ainz que m'en aille en France
B1 204
R 203
V
El regne de Baiviere
B1231
R230
VI
Vers la gent d’'Alemaigne Arriere en Alemaigne
B1 1693 B1 3055
R1715 R3101
LI LXXXVIIT
Si alerent (Tout droitement) a Cordes Quant furent en (a) Barbastre Par (Sor) la gent sarrazine
B1 4242 B1 4468
R 4341 R4577 R1289,4123
CV CXII XXXVII, CI
B1 1280, 4033
INTRODUCTION
64
Cette valeur directionnelle du petit vers apparaît dans une autre série, construite sur le verbe querre: Si vont le secours querre Iront la dame querre Qui vous envoie querre
B1 992 B11513 B12381
R997 R1527 R 2415
XXXI XLVI LXXI
Por la pucele querre
B1 3012
R 3058
LXXXVII
À cette série s’ajoute un petit vers sur le verbe rouver, presque identique au vers précédent par le vocabulaire et par la structure: Pour rouver la pucele
B1 2030
R 2059
LXI
Il semble donc que le vers orphelin, qui termine la laisse, : relance l’action, en indiquant où vont les personnages, ce qu’ils cherchent, ce qu’ils désirent. Aïnsi, ce vers final crée un effet d’attente très fort, qui conduit naturellement à la laisse... ou à
la chanson suivante. Le dernier vers d’Aymeri de Narbonne, en effet, est une annonce des Narbonnais, où les fils d’Aymeri partent conquérir gloire et richesses à travers le vaste monde: Si iront (S’iront) honor querre
B14586
R 4697
CXXII
Cette insistance sur le thème de la quête laisse à penser que le chevalier, dans l’esprit épique, ne doit jamais se satisfaire de ce qui est déjà acquis: l’esprit et le corps en mouvement, il doit sans cesse se dépasser, aller de l’avant vers de nouvelles conquêtes. Stylistiquement, le mouvement du petit vers correspond à cet élan. Il annonce, guide, pousse vers la suite le lecteur ou l’auditeur de la chanson.
3 On peut rapprocher de cet emploi les petits vers se rapportant à l’idée de secours ou de renfort: Qui secours nous (lor) amaine (B1 3113, 4074 / R 3161, 4169), Poignent a (por) lui secourre (B1 4005 / R 4092). Ces
trois vers impliquent également un déplacement des personnages, et créent un effet d’annonce, dans la mesure où ils indiquent l’apparition d’un nouveau rapport de forces dans une bataille. Dans B1 2299 / R 2332 (Hors (Fors) de vostre contree), apparaît toujours l’idée de déplacement, avec cette fois un nom commun au lieu d’un nom propre.
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
65
Pour autant, il n’est pas un maillon enchaînant une laisse à la suivante, au sens où l’entend J. Rychner dans son Essai
sur l’art épique des jongleurs\*: l’action qu’il suggère ne se produit pas nécessairement dans la laisse suivante, et il n’est pas reformulé dans le vers d’intonation. Sa valeur structurelle, davantage sensible à l’échelle de la chanson qu’à celle de la laisse, correspond à une impulsion plus qu’à une liaison : en fait, dans Aymeri de Narbonne, le petit vers tient plus de
l’appât que du maillon. e
Valeur conclusive
Certains vers orphelins semblent introduire une pause dans le récit: ils sont une respiration, une sorte de bilan établi
par un personnage ou par le jongleur. Cette valeur est manifeste dans les vers exprimant la joie: Onques n'oi si grant joie
B1 655
R 656
XXIV
Mout par en ot grant joie
B1 763
R767
XXVII
Si (Mout) en firent grant joie Et a feste et a joie (A feste et a grant joie)
B1 3417 B1 4269
R 3483 R 4368
XCVI CVI
Un (ou plusieurs) personnage(s) se trouve(nt) satisfait(s) des
événements qu’il(s) vien(nen)t de vivre, ce qui provoque un relâchement de la tension narrative: il(s) mène(nt) grant joie. Puis l’action reprend, dans la laisse suivante.
La respiration introduite par le vers orphelin peut également prendre la forme d’une précision d’ordre généalogique, précision inutile en l’occurrence puisqu'on sait déjà que Gaudin, Richier, Sanson et Engelier sont les fils de la sœur de
Guillaume : Neveuz furent au conte
B1 4514
R 4624
CXVII
14 J, Rychner, La Chanson de geste: essai sur l’art épique des jongleurs, Société des publications romanes et françaises, 1955, pp. 68-125.
66
INTRODUCTION
Cette mise au point fournit la pause recherchée. La même pause apparaît dans ces deux vers très voisins, qui portent un jugement sur une action venant de se produire: Ce resemble barnage Ce ressemble folage
B12131 B1 2249
R2164 R 2282
LXIV LXVI
La valeur anaphorique du pronom démonstratif ce incite à se reporter dans le passé, de sorte qu’il n’y a aucun enchaînement avec la laisse qui suit. Cette fonction du petit vers est donc l’exact contraire de la valeur structurelle. Il équivaut alors à une conclusion, partielle, comme lors du décompte
des messagers : C’est la tierce partie
B1 1484
R 1498
XLIV
ou totale, quand sonne la fin des méfaits de Savari capturé: Mes en prison le maine
B1 3160
R 3210
XCI
ou des exploits de Vivien, mort aux Aliscans: Encor i gist il ores
B1 4428
R 4533
CXI
Les quelques enjambements entre un décasyllabe et un petit vers se rattachent plutôt, semble-t-il, au type conclusif: (... nous irons sanz targier)
Ferir a la quintaine
B1 809
R 813
XXVIII
R 1400
XLIT
(… mout iert chier comparee)
Ançois que je ne l’aie (m'en parte) BI 1388
Même si ces deux exemples se rattachent à un contexte au futur, ils n’annoncent pas réellement la suite de l’action. Le second exprime tout l’entêtement d’ Aymeri si on ose lui refuser Ermengarde: le petit vers exprime donc une volonté fermement arrêtée, une fin de non-recevoir à toute objection,
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
67
toute opposition.!*Le premier enjambement est lui aussi une façon de traduire stylistiquement l’entêtement d’Aymeri: il semble annoncer ses intentions, mais on sait bien que le jeune homme ne veut affronter que des Sarrasins en chair et en os, et non une ridicule quintaine. Dans ces deux cas, l’enjambement pourrait refléter la ténacité du héros, qui s’acharne jusqu’à la victoire contre un obstacle. Un autre enjambement encore exprime un sentiment analogue, à savoir la détermination d’Aymeri à organiser des noces exceptionnelles : (Si com vous dites [.…]) L'ai empenssé a faire
B1 4291
R 4392
CVII
L’enjambement, qui a pour effet de donner plus de poids au petit vers, serait dès lors l’indice d’un discours ferme et déter-
miné.!6 Enfin, les vers annonçant ou clôturant un discours ont une
valeur ambiguë. L’un d’entre eux conclut indubitablement la laisse, avec l’usage déjà remarqué du pronom démonstratif neutre ce: Ce dist li uns a l’autre
B1 2551
R2587
LXXVII
Un autre achève une intervention de Savari: c’est un arrêt péremptoire qui, comme d’autres jugements, se réfère au passé immédiat : Bien i pert as paroles
B1 1642
R 1661
XLIX
15 Le vers et la situation ont un exact parallèle :lorsque Charlemagne s’entête à vouloir prendre Narbonne contre l’avis de ses barons, il s’écrie: «(la cité voudrai je conquester) Ainz que m'en aille en France. »
B1204
R203
V
16 Je n’ai relevé qu’un autre enjambement, sans comparaison possible : (… onques viande outre mer as paumiers) Ne fu si chier vendue (B1 2113 / R 2145). Si l’enjambement a ici une signification, c’est d’insister, en étirant
la phrase, sur l’énormité des sommes exigées.
68
INTRODUCTION
D'autres, évoquant un message ou une nouvele à transmettre, font lien avec la suite et créent un effet d’attente: Cil dira la nouvele
B1 2904
R 2948
LXXXIV
Qui dira le message Qui li diront nouveles
B1 2918 B1 3459
R 2962 R3531
LXXXV XCVII
Même fonction pour ce vers, qui annonce le discours de Charlemagne après avoir décrit son interlocuteur : Gentement (Doucement) l'arresonne
B1 327
R 330
IX
Mais ce dernier exemple, qui paraît avoir une fonction identique, est trompeur : La (Lors) parolent ensemble
B1 3242
R 3297
XCII
On attend l’échange entre Aymeri et Ermengarde; or la laisse suivante commence par décrire les deux amants pendant une dizaine de vers
avant d’en revenir au dialogue,
dans un
enchaînement beaucoup plus ample qu’on ne l’attendait!?: XCIIT (fin) ee EnE, Mer A ces paroles se sont endui assis
XCIV (début) Aimeris fu sages et enparlez / Prent la pucele, si s’est assis delez,
Deseure .I. lit covert de paile bis,
Par la mein destre la prant par amistez.
Les doïz li baille, qu’ele ot mout bien formez. Blanc ot le vis, et si fu colorez. De sa biauté peüse dire assez,
Mes ainz seroit li demi jorz passez
Lors parolent ensenble.
Que ses sanblanz vos fust toz devisez. Li cuens l’apele com sages et menbrez: «Bele, fet il, quieus est vostre pansez ?
Le petit vers introduit donc ici une pause, avant le développement d’une description importante : le comportement courtois 17 Aymeri de Narbonne cité d’après R.
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
69
et exemplaire des deux fiancés, associé à la beauté indescriptible d’Ermengarde, L’enchaînement, long de plusieurs vers, réparti sur deux
laisses, lie deux strophes l’une à l’autre. Le vers orphelin, trop bref pour les river l’une à l’autre avec la même force, crée un effet différent. Aymeri de Narbonne associe les deux techniques. Si le trouvère n’exploite pas la possiblité des laisses parallèles'#, il sait jouer sur ces deux structures, l’une maillon,
à court terme, l’autre appât, à long terme. Aïnsi, le vers orphelin joue un rôle certain dans le rythme et l’organisation de la chanson. Très peu modifié par les copistes, 1l est un élément important de l’architecture de l’œuvre. L'étude du petit vers met en lumière la composition élaborée d’Aymeri de Narbonne: relance ou suspension de l’action, refrain lyrique ou écho d’une autre scène (voire d’autres chansons), il est le lieu où s’exerce la virtuosité de
l’auteur. II. MESURE DU VERS: LES INTERVENTIONS DE B1
Les copistes de B1 et R ont une définition différente du vers épique. R, comme les autres manuscrits, privilégie la césure épique. B1 en revanche introduit fréquemment des césures lyriques. Ces remaniements lui sont propres, et ils sont si fréquents qu’il faut sans doute les considérer non pas comme des erreurs, mais comme le signe d’une conception 18 Encore que les offres répétées de Charlemagne à ses barons, au début de la chanson, soient très proches du système des laisses parallèles (surtout les laisses X à XIX). On relève aussi des vers d’intonation presque identiques, par entent), LXXVI li baron ont la gentis) et LXX
exemple aux laisses LXXV (Quant sa seror rois Boniface (Quant la parole ont li conte escoutee) et LXXVII (Quant parole oïe), ou encore LXIX (Hugues parla, li chevaliers (Hugues parla, li preuz et li cortois)…
70
INTRODUCTION
particulière du vers. Pour cette raison, ils n’ont pas été
corrigés. | Les césures lyriques relevées dans BJ sont les suivantes: B1 134
Qu'il les metë / en pardurable vie
Que il les mete B2R
B1 141
Qu'en Espaigné / menai par aatie B1B2
Que en Espaigne R
B1 350
Qu'encor tienënt/de paiens .X. millier
Qu'’enquore tiennent B2 Que encor tienent R
B1 412
Qu'’encor tienëént /.XX.M paien felon
Que encor tiennent B2R
B1 1078
Quant ce virënt/la pute gent haïe
Quant voient ce B2 Quant ç'ont veü R
BI 1433
S’a lui veulënt/mes avoir recouvrier
Se a lui veulent B2 Se avoir vellent R
B1 2361
S’ele otroië / ice que dit avez
Se ele otroie B2R
B1 2438
Nel prendroië / por a perdre la vie
Ne le prendroie B2R
B1 2193
Mort l'eüssënt/sanz plus de recouvrier B1B2
Ocis l’eüsent R
B1 2841
Dieu reclaimënt, / le verai justicier
Jhesu reclaiment B2 Deu reclamerent R
B1 2914
Qu'il s’en partë / tant qu'a force les praigne
Que il s’em parte B2R
B1 3018
Encor furént/o lui li chevalier
Enquore furent B2R
B1 3031
S’i remesënt /.IIIL.C chevalier
Si i remest B2 Et si remestrent R
B1 3057
Tant chevauchént/a force d’esperon
Et tant chevauchent B2 À tant chevauchent R
B1 3192
Mout lifirënt/grant joie li marchis
Et moult lifirent B2 Mout s’entrefirent R
STYLE ET VERSIFICATION DANS BJ ET R B13507
Que ne facë / ce qu'avez devisé
B13671
Cül l’alerënt/a l'amirant noncier
71 Que je ne face B2 Que ge n’en faceR Cis glouz l’alerent B2
Icil l’alerent R B14245
S'il ne fussént/a cest besoing venu
B14347
Et voleillé / ont aprés amenee B1B2R
B14498
Quant norries / les ot et assenees
Se il ne fussent B2R
Et quant nourries B2 Quant bien les ot R
B14572
Que ilfurënt/damoisel de haut pris
Que il tuit furent B2 Que tuit .VII furent R
B14579
Se ne fussënt/damoisel de haut pris B1B2
Se ne fusient R
Il a paru intéressant de mettre en regard les variantes proposées par B2 et R: R en tant que représentant de la ‘version longue’, B2 parce que c’est un manuscrit très proche de B1. Une seule césure lyrique est commune à BZB2R (v. 4347). Sur les vingt et une autres, seules trois sont reproduites par B2 (vv. 141, 2793, 4579); ailleurs, B2 rejoint R (vv. 134, 412, 2361, 2438, 2914, 3018, 4245), et même si B2 et R donnent des
leçons différentes, il s’agit toujours de césures épiques. BI est donc le seul à privilégier la césure lyrique. Une question demeure : cette pratique de la césure lyrique est-elle propre au copiste de B1, ou bien l’a-t-il héritée de B? B2, en effet, a conservé trois césures lyriques : c’est peut-être une coïncidence, c’est peut-être aussi le signe que B2, comme B1, a utilisé un modèle privilégiant la césure lyrique; maïs contrairement à B1, il a mal accepté ce type de césure, et a cherché à la corriger partout où il pouvait. B1, en tous les cas, n’est pas gêné par la césure lyrique: dans Guibert d'Andrenas, édité par M. Ott d’après B1, on retrouve, comme dans Aymeri de Narbonne, une proportion
72,
INTRODUCTION
de césures lyriques largement supérieure à celle des autres manuscrits. «Un certain nombre de vers (2,27 %) présentent dans B1 une césure lyrique (..) À titre de comparaison, il y a 0, 46% de césures lyriques dans B2, 3,66% dans R, 0,2%
dans H (...) »!° Cependant, contrairement à ce qui se passe dans Guibert d'Andrenas, dans Aymeri de Narbonne R utilise très peu la césure lyrique : on en relève seulement cinq occurrences, aux vers 612, 877, 1015, 3704b (d’après H), et 4451
(le même que B1 4347, déjà signalé). III. DEB1ÀR: PRATIQUES DU STYLE ÉPIQUE
R et BI racontent la même histoire :on n’en apprendra ni plus ni moins selon la version qu’on choisit de lire. Pourtant, R est plus long d’environ cent vers. À quoi correspond cette centaine de vers ? Si la rédaction de R n’ajoute pas d’épisode supplémentaire à l’histoire d’Aymeri, elle est souvent plus prolixe, et ajoute ici, quelques vers descriptifs, là, une formule épique. Plus la chanson avance, et plus cette tendance à l’ornementation s’affirme. Au total, il y a dans R, comparé à
la ‘version courte’ qu’est BJ, 109 insertions (d’un ou plusieurs vers), soit 131 vers supplémentaires.20 1. Vers de R manquants dans B1 Sur ces 131 vers, huit sont des vers manquants dans BJ, et
qui ont dû être ajoutés en correction pour la bonne intelligence du texte: la présence ou l’absence de ces vers nécessaires n’a en effet pas de valeur stylistique.
® M. Ott, Guibert d’Andrenas, thèse de doctorat nouveau régime sous la direction de B. Guidot, soutenue à Nancy en 1999, pp. 69-70. 2 Pour cette partie, la numérotation des vers est faite d’après R.
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R Nb. Nb. vers insertions cumulés
1
3
73
N° vers
311-313 (BJ 310a-c)
I seroiïz vos .. an, si com ge croi. »
«Naimes, dit Charles, par la foi que vos doi, Einz que m'en parte, abatrai lor bofoi! 4
1496 (B1 1482a)
.XVIIL. esteront a Garnier
3
5
1588 (B1 1473a)
Et li .XX. autre furent assez puisné
4
7
1648-1650 (B1 1631a-b) En avroiz vos une itele sodee, C'ainz n’acointates einsi pesme jornee !
5
8
4036 (B1 3950a)
Que ne liface ou pié ou pong coper
Ces vers nécessaires se distinguent des vers ‘facultatifs’ que À insère à intervalles réguliers dans Aymeri de Narbonne. 2. Vers n’existant que dans la ‘version longue’ (R) Nb. Nb.vers insertions cumulés
N° vers
l
1
160
Que Sarrazin i orent fet fermer.
2
2
280
Qui toute Espangne sormonte de fierté
3
3
506
L’espee ceinte et lacie la coïfiere.
4
4
697-698
[Et li vallez] fu sage et bien apris : Qant vit le roi, [ne fu pas esbahiz.]
5
6
720-721
Tant fus vers moi fiers et mautalentis, S’il te creüst, n’en eschapase vis!
6
Jne2i
Qui vellent estre d'armes plus alosé.
7
8
1030
Par coi prendrons ce palés reluisant !
8
10
1138-1139
Meint en ocient que ilfont trebuchier
De sus les murs en la cité arrier. 9 10
DRRIZFT 12291273
Metre ces frains, et cez hernois trouser! À cui Dex doint et honte et desennor!
11
14
1324-1325
En heritage li remest la contree Qui fu Hernaut a la fiere pensee. Merveilles oi, par Deu qui ne menti!
12
15
1349
13
16
1455
Grant joie en ot Aimeris le guerrier.
14
17
1607
Meinte parole ont dite et devisee !
74
INTRODUCTION
15
18
1650
16
21
1702-1704
Pou savez ore quel gent avez trovee!
Se cist gloton s’en vont einsin gabant, Dont somes nos vaincu et recreant. Armez vos tost trestot de meintenant,
22201715
Il esperongne la grant ive breangne,
18072380
N'i a celui n'ait brisiee sa lence;
19
24
1889
Le jor prist armes par itel covenant,
20
28
1921-1924
Mes Frans si orent un aventaje grant : Pres de .IIl.C. escuiers et sergent, Qui tuit estoient corajeus et vaillant, Si sont armez le jor de meintenant,
21 PP
29 EU
210% PIRE
Ne un ne autre n’en ferons destorner ! » Portent faucons, ostoirs et espreviers,
23
31
2138
Einçois que past demein lijorz entiers,
24
32
2148
Es bons ostieus antor et environ
200055022711 2054002317 DS
S ER TRS
2456
Voiant sa gent, et s’en aient mal gré! » Et gant li conte les ont aperceüz, Mout est li hom fox et musarz provez,
28
36
29
37002558
Que cil de qui devez estre espousee
30
38
Et li mesage s’en vont toz ademis :
31 32
3902702 40 2720
33
41
2760
Que vos donai loial conseil et bon,
34
42
2773
Ne que l’aloe contre l’esmerillon.
35
43
2854-2855
[Monter font Hugue] li baron droiturier Isnelement [sor l’auferrant corsier]
36
44
2871
Et a tot jorz de mon cors maengnier !
37
45
2873
Que j'an cuit bien de mon sans enragier.
38
46
2967
Sovant asaillent li cuivert renoié, Hugue, biau sire, por Dieu de majesté,
2690
Ne m'en queïse a piece movoir mie !
Droit vers Nerbone ont lor voie acoillie. De Bargelune avoit la seignorie :
39
47
3010
40
48
3131
Ques viengne prendre a force et a bandon.
41
49
3151
Lors firent joie, nus hom ne vit gregnor!
STYLE ET VERSIFICATION DANS BI ET R
42
51
3184-3185
De bien foïr mar nos iroiz proiant,
52
3240
Et raençon trestot a son devis.
53
3245
Cuens Aimeri et ses barons gentis.
54
3262-3263
75
Car de conbatre n'avon nos nul talant! »
[Un chapel d’or] ovré et bien [assis]
[Ot en son chief] la pucele gentis.
55
3265
56
3269
Qui tot jorz fu et essera tot dis,
57
3278-3279
[Son mentel oste] lifrans cuens Aimeris, [Ne li chaut] guieres [qui] aprés lui [l'ait pris]
58
3357
Bel et cortois, et mout bien enparlier.
61
3371-3373
Tele com Dex la li vodra jugier. Mes une chose a celer nel vos quier, Eïnz que partons de ce païs plenier,
3384
Et si franc home qui en avront mestier. »
Nus ne la voit qui toz ne soit pensis…
3396
Et en ses chanbres l’eüst fete couchier !»
3419
Mes d'une chose vos veil ge mout proier,
3423
De conpangnie ne me doi esmaier!
3450
Tant com il puist durer au branc d'acier!»
3472
En Orenge orent puis pris herbergerie.
3481
S’or ne l’avez, ja mes ne l’avroiz mie! »
3490
De lor jornees ne vos quier deviser :
3492
À pié descendent sanz plus de demorer,
3509-3511
So ciel n’a home, tant seüst porpanser, Et la maniere des oisiax esgarder, Qu'il ne poist soz cel arbre trover
3517
En fin esmal les ot fet seeler.
3551
À haute voiz lor avoit escrié:
3560
Et mout tost monte el destrier abrivé.
3580
Et mout m'avez loial conseil doné!
3606
Et Enfelis, o le roi Aceré,
3608
Et Lucifer, et le roi Giboné.
3613
Por aus guerir jugu'a un an pasé.
76
INTRODUCTION
Li vi deable lor donent tel oré
68
81
3615
69
82
3631
Que soïé sont et recoilli li blé.
70
83
3677
Puis est montez chascun sor son destrier,
71
84
3679
Et en lor poinz les roiz tranchanz espiez.
72
85
3694
Dedanz Nerbone, el grant palés plenier!
73
87
3696-3697
Einz n'amenerent ne roncin ne somier,
Ne de l’avoir vaillisant .L. denier,
74
88
3701
Tante hante freindre, et tant escu percier,
75
90
3703-3704
Bien s’i vendirent li noble chevalier De Sarrazins ocistrent .I. millier.
76
91
3765
Et cruelment et navrer et plaier :
77
92
3777
Se Dex m'eïst, ore en ai grant mestier! »
78
93
3824
Un chevalier que la dame adouba
79
94
3853
La gentil dame qui vos envoie ça!
80
95
3894
Juqu’a Nerbone ne vodrent demorer.
81
96
3904
Ces chevax ferrent, et moinent abuvrer.
82
97
3909
Puis des glotons, qui les ont engendrez!
83
98
4067
Par III. enpaintes mout hautement et cler,
84
101
4109-4111
Tante hante frete, et tant escu croï, Et tant hauberc derout et desarti, Et detranchié tant vert elme bruni!
85
102
4133
Des glotons font le jor si grant essart,
86
103
4150
Portent meint dart et meint espié molu:
87
106
4161-4163
Tante hante frete, et percié tant escu, Et tant hauberc desmaillié et ronpu, Tant braz tranchié, tant poing, tant pié, tant bu,
88
107
4203
Tant braz trenchié, tant pong, tant pié copé,
89
108
4229
Car de paiens sont si avironné,
90
109
4281
Cil de Vienne au coraje aduré.
91
110
4316
Or tost aprés, trop avons sejorné ! »
92
111
4378
Ne an chastel, ne an cité garnie,
93
12
4383
Si menez feste, et joie resbaudie,
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R 94
113
4418
Por amor Deu qui fist ciel et rousee,
95
115
4441-4442
Cil jugleor ont grant joie menee, Meinte viele ont le jor atrenpree,
96
116
4497
Et Hermenjart la contesse vaillant,
97
117
4567
Griebe la bone qui tant fu redoutee,
98
120
4569-4571
Sor Sarrazins, la pute gent desvee.
f/7/
Dex, tante dame en fu veve clamee, Tante pucele orfeline apelee!
99
121
4608
100
122
4646
Cuens Aimeri, qui chier les ot gardees, Oï avez que mout fu Deu amis.
101
123
4685
Plus corageus, plus fier, ne plus hardiz!
Ce tableau permet de visualiser aisément le rythme des insertions : dans la première moitié de la chanson (jusqu’au vers 2500), seulement 36 vers sont insérés ; dans la deuxième
moitié, un peu plus courte, ce sont 87 vers qui sont ajoutés dans RÀ, soit plus du double ! Plus la chanson avance, et plus elle est remaniée. C’est peut-être parce que le remanieur s’est progressivement enhardi. C’est peut-être aussi parce que la tradition a davantage fixé la forme de la première partie du poème, la Prise de Narbonne.?! Les interventions du remanieur sont toujours discrètes, et
n’ajoutent pas grand chose au récit. En général, elles amplifient une description, intercalent un adjectif ou deux, glissent quelques formules supplémentaires. Ainsi, les insertions 4, 35, 45, 48 développent un vers de la ‘version courte’ en deux vers. Le texte entre crochets correspond alors au texte existant également dans B1. D’autres vers s’intègrent dans une énumération de verbes (52), d’adjectifs (49, 101), de noms propres (65, 66) ou noms
communs (22, 43, 51, 71, 82, 92, 93, 96), d’infinitifs (9, 36,
21 Pour la structure du poème, voir le chapitre IX. On ne relève dans la ‘version longue’ de la Prise de Narbonne (vv. 1-1280 dans B1, vv. 1-1289 dans À) que douze vers supplémentaires.
78
INTRODUCTION
74, 76), ou de propositions participiales (3, 84, 87, 88). Les insertions 84, 87, 88, topoi d’un récit de bataille, sont du reste
fort semblables: ces trois ajouts montrent bien la façon de procéder du remanieur, qui introduit à intervalles rapprochés une même tournure épique — une suite d’énumérations — et l’associe à des variations sur la rime. Ce jeu stylistique, un peu facile, contribue à l’amplification de l’œuvre. Outre l’énumération, l’auteur de la ‘version longue” utilise souvent la clausule (au sens le plus large du terme) : à la fin d’une phrase, il ajoute un nouvel élément, relative (1, 2, 6, 7, 10, 40, 6922), analogie négative (34) ou complément constanciel (25, 55, 67, 72, 94, 98 [v. 45691). Plus rares les insertions en milieu (47, relative, et 83, complément constanciel) ou en tête de phrase (23, 26, compléments
cirsont . circir-
constanciels). Une indépendante conclut — et résume — une série de négations (21). Enfin, l’insertion 24 permet deux ponctuations différentes, de sorte qu’elle peut commencer ou finir la phrase: Par la cité herbergent li baron:
Par la cité herbergent li baron,
Es bons ostieus antor et environ
Es bons ostieus antor et environ.
Font aporter vitaille a tel foison,
Font aporter vitaille a tel foison,
Com se trestout ne coutast .I. bouton...
Com se trestout ne coutast I. bouton...?
Le principe de la clausule laisse à penser que la phrase se termine après environ. Mais dans la deuxième phrase, le sens et le rythme sont légèrement plus satisfaisants si on la fait commencer par es bons ostieus.. Les deux ponctuations paraissent cependant envisageables. Les insertions, surtout quand elles sont faites à partir de
vers formulaires, peuvent former des phrases complètes et indépendantes. Elles ajoutent alors un détail à la description
22 Dans ce vers, que est un adverbe relatif développant un complément de temps (cf. Ph. Ménard, Syntaxe de l'ancien fraçais, Éd. Bière, Bordeaux,
1994, 4° éd., $ 71). # R2147-2150. J’ai en définitive adopté la première possibilité.
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
79
de jongleurs (95), de païens (81), de voyages (30, 31, 58, 59, 68, 70, 80), et surtout de batailles (17, 18, 38, 63, 73, 75, 85, 86, 89, 91, 98 [vv. 4570-4571]). Formulations traditionnelles également pour les insertions 12, 13, 14, 37, 77, 41, 100.
Le remanieur cherche également à faire œuvre utile en clarifiant ou en précisant certains passages. Il ajoute deux vers ici pour insister sur les rapports conflictuels entre Aymeri et Charlemagne dans Girart de Vienne (5), deux vers là pour dire explicitement qu’ Aymeri hérite des terres d’Ernaut (11), que les païens meurent quand on leur lance des flèches (8), ou encore quatre vers qui rationalisent les données d’un combat en expliquant que les Français, très inférieurs en nombre, peuvent vaincre grâce à l’aide de trois cents écuyers (20). Il renchérit sur l’offense faite aux messagers par Savari, sans doute afin de mieux justifier une bataille dont le motif est un peu mince (16). Il complète parfois le nom d’un personnage (Hugues, 32; Poinçon, 78; Girart, 90), donne le nom d’un lieu, Orange (56), ou d’une épée,
Griebe
(97),
qui
dans
la
‘version
courte’
reste
anonyme. Une autre possibilité consiste à insérer un sujet dans une phrase où il n’était pas exprimé (44, 79, 99). Enfin,
toujours pour clarifier, l’auteur de la ‘version longue’ introduit parfois des indications sur le dialogue: qui parle à qui? (39) De quelle manière ? (62) Cependant, le remanieur fait parfois preuve d’originalité. Si ses interventions restent brèves, elles ne manquent pas de personnalité. La plus banale reste encore celle qui consiste à développer la description de la merveille sarrasine (60, 61). Ailleurs, il insère un vers qui fait d’Ermengarde une sirène ou
une fée, puisque nul, dit-il, ne peut la contempler sans en être fasciné (46). Plus souvent, il ajoute un trait ironique : ainsi, un des messagers d’Aymeri fanfaronne (15), les chevaliers
4 Comme ses filles: « Plus furent beles que sereinnes ne fees» (B1 4497 / R 4606).
80
INTRODUCTION
de Savari avouent qu’il est inutile de les inviter à fuir (42), Ermengarde reconnaît ingénument qu’elle n’a pas l’intention de se marier de sitôt (28). Aymeri, pour sa part, déclare qu’il ne craint pas la compagnie: plus il a de guerriers, plus il est content ! (54) On relève également une pointe de moquerie envers les païens: un espion sarrasin démontre à Desramé et à Baufumé que la prise de Narbonne, c’est maintenant ou jamais (57) ; en définitive, c’est jamais, et cette outrecuidance
déçue, associée à un verdict au fond tout à fait pertinent, ne peut que faire sourire. Ces quelques interventions un peu plus personnelles pourraient donc révéler un esprit narquois, ayant le sens de la formule. Reste cette question: faut-il tenir pour acquis qu’un remanieur (en amont de RH) ajoute des vers à une version primitive et plus courte d’Aymeri de Narbonne ? Ne peut-on imaginer l’inverse :un copiste (en amont de B2B2D) qui retranche des vers à la chanson qu’il transcrit ? Certes, le Moyen Age préfère l’amplification à l’esprit de synthèse; et il n’est pas douteux qu’un scribe a appliqué ce principe d’amplification à Aymeri de Narbonne, en glissant çà et là quelques improvisations. Son travail, loin d’être une réécriture de l’histoire, ne
vise qu’à l’embellir par quelques ornements supplémentaires. Pour autant, certains vers absents de la ‘version courte” pourraient bien avoir été omis, soit volontairement (parce que le copiste, faute de place ou de temps, a cherché à abréger la chanson ?), soit involontairement (certains vers manquants pouvant ne pas être indispensables au sens ou à la structure). Ainsi, l’insertion 15 se trouve placée immédiatement après deux vers qu’il a fallu réintroduire dans B1 (B1 1631a-b): il
est probable que ce vers supplémentaire dans R ne soit pas imputable à un remanieur de la ‘version longue’, mais à une omission de la ‘version courte’. On peut également hésiter pour les insertions 19, 27, 29, 33, 50 et 53, qui correspondent à un texte souvent abrupt ou elliptique dans B1. Par exemple, pour l'insertion 33, le vers qui la précède a été modifié, de telle sorte qu’elle est nécessaire dans R et facultative dans B1,
STYLE ET VERSIFICATION DANS B1 ET R
81
si on comprend venir a ma reson comme ‘se ranger à mon avis, reconnaître le bien-fondé de mes propos’: R 2758-2762
B1 2719-2722
De bon conseil ne vient il se bien non.
De bon conseil ne vient il se bien non.
Bien poez ore vaoir a ma reson Que vos donai loial conseil et bon,
Bien poez ore venir a ma reson,
Car ci nos vienent pongnant de grant rendon, Car ci nous vienent brochant a esperon, Ce m'est avis, li Alement felon.… Ce m'est avis, li Alemant felon…
De plus, la version proposée par R répète partiellement l’adage (B1 2719 / R 2758); elle ressemble aussi beaucoup à l'insertion 64, mais c’est peut-être un hasard tant la formule est peu originale. Ajout de R, ou suppression de B1 ? L’hésitation est permise. L'insertion 21, de même, est source d’hésitations : selon
qu’on ajoute ou qu’on retranche un vers, la construction de la phrase change, et le sens avec elle. R 2555-2562
B1 2520-2526
«Dame, dit Hugues, merveille avez contee! «Dame, dist Hugues, merveille avez contee! Foi que doi Deu, qui fist ciel et rousee, Foi que doi Dieu, qui fist ciel et rousee, Qant ce que dites sera chose averee, Quant ce que dites sera chose averee,
Que cil de qui devez estre espousee Vandra por vos en iceste contree, Bien percevroiïz a la chiere menbree, Au fier regart, a la brace carree, Que c'iert li cuens a cui seroiz donee.
Venra por vous en iceste contree. Bien percevrez a la fiere membree, Au fier regart, a la brache quarree, Que c'iert li quens a qui serez dounee.
Dans À, Hugues dit, en substance : «Dame, quand ce que vous dites se réalisera (à savoir, quand Aymeri viendra pour vous dans ce pays), vous le reconnaîtrez à sa belle apparence. » Dans B1, son discours est différent: «Dame, quand ce que vous dites se réalisera (autrement dit, quand le mariage se fera [B1 2517-2519]), il viendra pour vous dans ce pays. Alors, à sa belle apparence, vous pourrez le reconnaître. » La formulation de B1 est moins lourde; mais celle de R est plus
82
INTRODUCTION
logique, et on voit mal comment un remanieur auraït pu avoir l’idée d’insérer ce vers dans une phrase déjà complexe. Ajout de R, ou suppression de B17?
Les rapports entre les deux versions sont donc complexes : tantôt des vers supplémentaires dans R semblent superflus, délayant inutilement le texte ;tantôt ils facilitent la compréhension du texte, par une écriture plus ample et plus précise; tantôt encore ils ajoutent un détail piquant. La version de B1, plus épurée, tend au classicisme. R est plus disparate: la même impression de classicisme se fait sentir dans la première partie, la Prise de Narbonne, puis le style s’étoffe, se diversifie. Comme pour un canevas déjà travaillé sur lequel on rebrode, les reprises sont plus ou moins heureuses, les couleurs plus ou moins bien assorties. Quoiqu’elles aient la même architecture (mêmes rimes, mêmes vers orphelins.….), la ‘version longue’ a d’autres qualités que la ‘version courte’, et d’autres défauts. Les deux versions, B1 et R, ont leur
intérêt, l’une comme l’autre.
CHAPITRE VI
ÉTUDE DE LA LANGUE! DE B1 ET DER
2 SECTION A: ÉTUDE DE LA LANGUE DE B12 La langue de B1 se caractérise par des traits picards sporadiques : formes ‘franciennes’ et formes picardes coexistent. Cette particularité a déjà été observée par D. McMillan :«On relève, tout au long du texte, un certain nombre de picardismes bien caractérisés.»? À propos du même manuscrit, CI. Régnier note que «le modèle de B1B2 était
picard (...) B1 a voulu transposer son modèle dans la langue commune
(...); mais il n’a pas su éliminer tous les traits
dialectaux. »*
1 Le plan de l’étude de la langue s’inspire de l’édition de Guibert d’Andrenas par M. Ott, thèse de doctorat nouveau régime, soutenue à Nancy en
1999. 2 La langue de B1 a déjà été étudiée dans les éditions suivantes: Guibert d'Andrenas (éd. M. Ott, op. cit., pp. 27-67); La Chevalerie Vivien (éd. D. McMillan, Senefiance, 1997, pp. 130-134); La Prise d'Orange (éd.
CI. Régnier, thèse principale en vue du doctorat ès-lettres, soutenue à Paris en 1966, pp. 38-40). La comparaison avec la langue d’Aymeri de Narbonne s’est souvent avérée fructueuse. 3 D. McMillan, op. cit., p. 130. C’est lui qui souligne. 4 CI. Régnier, op. cit., pp. 38-39.
84
INTRODUCTION I. PHONÉTIQUE ET GRAPHIES
A. Voyelles
1. Graphies comportant un a + À atone: B1 écrit indifféremment damage (B1 521, 639), damagier (B1 3681) et domage (B1 530, 3556), domagier (BI 2876, 3293). Damage, damagier sont des formes picardes, selon Ch. Th. Gossen.ÿ
Les formes assaier (B1 566, 2612); agruner (B1 1212), au lieu des formes attendues essaier, esgruner, sont sans doute dues à un changement de préfixe, qui, selon M. K.
Pope, est fréquent en anglo-normandf. En position prétonique, a se substitue à e en hiatus dans conraee (B1 4308, 4352) ; devaee (B1 4366) ; vaee (B1 1386). Phonétiquement,
on
attendrait
veee,
deveee.….,
mais
la
finale -eee est mal perçue par le copiste, qui ne l’écrit jamais. On trouve une fois efraé (B1 3928), ailleurs effreez (B1 2366, 3822); deveer (B1 2227, 2248); veer (B1 2051, 2073); conreer (B1 2060, 3905), conreez (B1 1397).
+ Graphie ar: le a initial de harnas < *HERNEST (B1 3035, 3346) est dû à l'influence ouvrante de r sur le e étymologique. BI écrit ailleurs hernois (B1 2336). + Origines dialectales de la graphie au: dans les diphtongues eu, ou, le second élément w exerce une influence ouvrante sur le premier élément e, o. C’est là encore un trait picard.? Ainsi B1 écrit tantôt eus (B1 883, 1111, 1311, 1801, 1910...), tantôt aus (B1 910, 998, 1258, 1298, 1690, 1718...) 5 Ch. Th. Gossen, Petite grammaire de l'ancien picard, Paris, Klincksieck, 1951, $ 36, p. 70.
$ M. K. Pope, From Latin to Modern French, Manchester University Press, 1934, réimp. 1966, $ 1138. 7 Cf. Ch. Th. Gossen, op. cit., $$ 12 (pp. 47-49) et 23 (pp. 57-58), et G. Zink, Phonétique historique du français, PUF, 1986, p. 241.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
85
et une fois auz (B1 1580). Il écrit de même consaus (B1 987, 1392, 2559, 3694) et solaux (B1 3514). La diphtongue ou a évolué en au dans les mots suivants: sautie (B1 2686); missaudor (B1 3098) mais missoudor (B1 1244); cailliau (B1 1937). Auen (BI 1332, 1457) est sans doute une graphie analo-
gique de ce phénomène d’ouverture : *HOC ANNO > oan, puis ouan [uän] > auen.
* Graphies an, en: a étymologique nasalisé est graphié an: flanme (B1 8); chansons, chançon (B1 12, 14, 44...); an (B1 40...) ; grant (B1 74...) Il arrive, plus rarement, que le
a étymologique
nasalisé
soit rendu
par la graphie en:
mengier® (B1 960, 1439...); auen (B1 1332, 1457); cordoen (BI 1557); Normendie
(B1 354, 368), mais Normant
(B1
1622, 1641...) Le e fermé nasalisé est en général graphié en: entendre (BI 1), aprendre (B1 2), atendre (BI 9), tens < TEMPUS (B1
786, 909...)... Mais on trouve aussi des graphies avec a: ancore (BI 629...); espandre (B1 3); randre (BI 8); Vinçant
(BI 1325), et surtout trans < TEMPUS (B1 3653, 3973...) et serjant (B1 1004, 1072...) Les formes ennee (B1 18, dans la laisse de transition avec les Narbonnais), ennes (B1 1594) trahissent une influence
picarde, mais ne permettent pas de certitudes quant à la prononciation?.
+ Graphie ai concurrencée par e / é: on relève la graphie ai dans araisonné (B1 4211), araisonne (B1 419); faites (B1 8 Selon CI. Régnier, «dans mengier la fermeture de 4 est causée par Z. » («Quelques problèmes de l’ancien picard», Romance Philology, 14, 1960-
1961, p. 265). 9 «Thurot nous dit que enne se prononçait comme anne et que cette prononciation persista longtemps chez les Normands et les Picards (...) Le patois mod. a toutefois eniau ‘anneau’, énée ‘année’» (Ch. Th. Gossen, op.
cit, 8 15, p. 51)
86
INTRODUCTION
414, 927...), fait (BI 422, 1064...), faisons (BI 3322), faire (B1 4291); laissier (B1 768), laisserai (B1 314); palais (B1 175, 1240, 1438); repairier (B1 2824, 3682...), repairent (B1
2703, 3603...), repairié (B1 2954)... Cependant le produit de la diphtongue ai, réduite à e ouvert dès le xnr° siècle, est plus souvent graphié e /é (selon la place dans le mot et l’accent) : arresonne (BI 327, 423); fetes (BI 145, 502...), fet (BI 4, 12, 132, 247, 620...), fere (BI 961, 1984...); lessier (B1 3288, 3612...), lesson (BI 2739)... ; palés (B1 379, 1157...); reperier (BI 442, 3384), reperoit (B1 156)... Les mots suivants sont toujours écrits avec un e: mesnie (B1 2680, 3414) et mesniee (B1 27); mestre (BI 321, 4343...); reson (BI 54, 3214...) et desreson (BI 2127).
+ La graphie -ain, -aine est préférée presque systématiquement à la graphie -ein, -eine :a tonique et libre suivi d’une consonne nasale aboutit normalement à la graphie -ain, -aine: chastelain (BI 1504, 1539); main < MANE (B1 179); pain (B1 1187...); plain < PLANUM (BI 1698, 1765...); putain (B1 927...) ; quintaine < QUINTANA (B1 795, 803...) ; rain < RAMUM (BI 1779); vilain (B1 1552...) De même, a + yod associé à une nasale: plaines < PLANEAS (B1 270); saint (BI 33...) E (< ë, T) nasalisé, libre ou entravé par n vélaire, est
presque toujours graphié -ain, aine :avaine < AVENA (B1 748), avainniers (B1 2092); fain < FENUM (B1 2092); les formes fortes de mener < *MINARE et de ses composés au présent (mainent, B1 216, 1564 ; mainnent, B1 4121 ; amaine, B1 184; remainne, BI 483...); mains < MINUS (B1 292); paine < POENA (BI 17, 4414...) ; paint(e) (BI 1246, 2382...) ; plain(e) < PLENUS, -A (BI 209, 2404...) ; seraines < SIRENAS (B1 4497); taint(e) (BI 364, 2858)... Ce trait, très marqué dans B1, «dis-
tingue l’ancien picard de tous les parlers avoisinants!°. »
10 Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 19, pp. 53-54, et A. Brasseur, Étude linguistique.…., op. cit., p. 23, $ 7.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
87
En fait, B1 n’utilise la graphie -ein, -eine qu’exceptionnellement, quelle que soit la voyelle étymologique: ceinte (BI 1607, 1836), einsi (B1 585, 863) mais ainsi (B1 544, 966) ;procheinement (B1 757), pourtant dérivé de prochain
»? 4, Graphies comportant un 0 + Renforcement de e central Les voyelles prétoniques s’affaiblissent généralement en e central: esperon (BI 77, 409, 1182, 1515, 1692, 1896...), :
esperonnee (B1 1592, 1821...)... mais esporoner (B1 2032); engenuï (B1 4388) mais engonuï (B1 27). A initial atone devient o par assimilation dans sooler (B1 3450).
+ _O fermé prétonique se maintient et se ferme en [u] dans couroucier (BI 3363), courouciez (B1 446), coroucié (B1 2922); il s’amuït dans courciez (B1 688).
+ Graphie au remplacée par 0: B1 écrit une seule fois ossi (B1 2139), partout ailleurs aussi (B1 1024, 1308, 1339...). + Poi (BI 2599, 2727, 2741...) est la continuation de PAUCI. Il n’y a pas d’autre graphie pour ce mot dans B1.
+ Graphies ui, oi: «Ce qui distingue le picard du francien, c’est le traitement de o protonique + yod qui aboutit en picard à ui (franc. oi).»# B1 fait alterner les formes en ui et les formes en oi: fuison (B1 2129, 2732, 2781) mais foison (B1 2116, 2706); puissant (B1 574, 755, 999...), puissance (B1
# Guibert d'Andrenas, éd. M. Ott, Paris, Champion, p. 49. 4 Ch. Th. Gossen, op. cit., & 24.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
93
1795, 1809) mais poissant (B1 74, 468, 4525...); souduiant (B1 1677, 1894).
* Graphies o, ou, eu O, tonique ou atone, est le plus souvent graphié o: aillors (B1 416, 620...); amor (BI 811, 1369...); florie (BI 93, 353...); forniz (B1 691); jor (B1 366, 721...); lor (B1 151, 864...); onor, onnor (B1 677, 685, 732, 742); plusors (B1 24) ;por (B1 9, 12...) ; seignor (BI 14, 591...), seignorie (B1
359); tor (BI 101, 3064)... La graphie o est concurrencée par une graphie ou, également très fréquente: aïillours (B1 829); amour
(B1 1361,
2385...) ; flourie (B1 116, 136...) ; fourni(e) (BI 18, 100...); jour (B1 495, 858, 2863...); lour (B1 2851); merveillous (B1
319, 3436); orguellous (B1 1643, 2602...); perillous (B1 2843); plouré (B1 3541); plusour (B1 37, 2865, 4542...); pour (B1 810, 825, 1104...); seignour (BI 29, 1272), seignourie (B1 96, 2253...), seignouri (B1 1340, 1650); tour
(B1A67,1239,3058;..);, O et ou sont deux graphies exactement équivalentes pour B1 : ainsi, onor est indifféremment écrit ounor (B1 2192) ou honour (BI 1240). De plus, B1 fait rimer dans une même laisse des mots en -or et des mots en -our (cf. laisses
XXX VII, LXXII LXXXIV, XC). Eu, graphie possible pour la diphtongue issue de o tonique et libre, est plus rare. Cf. ‘Graphies comportant un w’. D. McMillan a relevé les mêmes tendances dans La Chevalerie Vivien, à la différence que la graphie ou y semble encore plus fréquente: il parle de «la prédominance de la graphie ou sur o en tant que produit de 6[ et 6], de même qu’en syllabe protonique ;quant à eu, il ne subsiste que dans quelques mots. »#
% D.McMillan, op. cit. p. 130. Cf. également Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 26, p. 62.
INTRODUCTION
94
5. Graphies comportant un u + La graphie u note une seule fois le produit de o suivi d’une nasale: pumel, B1 176. Ailleurs, pour des mots de la
même racine, B1 écrit ponmier (B1 3637), ponmel (BI 3916), ponme (B1 4306). Le mot est intéressant, car selon Ch. Th. Gossen, «les formes pume, pumier sont (...) de sûrs indices
pour l’origine picarde d’un texte. »26 + Graphie y au lieu de ou: il y a trois occurrences de cette graphie habituellement normande ou anglo-normande notant [u}? : w que (BI 1095) et duc u conte, u baron (BI 1538). Partout ailleurs, le copiste écrit ou. + On note une occurrence de Deu (BI 2540) < DEUM.
Ailleurs, on trouve Dieu : cf. la triphtongue jeu dans les ‘Graphies contenant un i’. Selon A. Lanly, la forme non diphtonguée serait initialement un cas sujet issu de DEUS.?8 + Produit de la diphtongaison de o ouvert tonique libre: UE, EU, OEU, 06, O La graphie we correspond généralement à la diphtongue issue de 9 tonique et libre:cuer (B1 191,481, 1013...) ; cuens ou quens (B1 425, 656, 957...) ; duel (BI 117, 145, 525...); pueple (B1 3841, 3843), pueplee (B1 2530); suer (B1 1452, 1652, 2178...) ; cuevre (B1 7) ; muerent (B1 3002); estuet (B1
2244)... La graphie eu est également représentée, les graphies oeu et oe sont exceptionnelles. ILLOQUE aboutit à ileuc (B1 185, 269, 2490...), ileuques (B1 251, 2996, 3518). Les formes
toniques des verbes soloir et trover ont toujours la graphie eu :
2% Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 28, p. 65. 7 Cf. M. K. Pope, op. cit., 88 698 et 1225.
# A. Lanly, Fiches…., op. cit., p. 145.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
95
seulent (B1 788); treuve (B1 2153, 3137...); treuvent (B1 1189, 2239...). On relève une fois oef (B1 2191) < *Ovum.
Quelques mots montrent une alternance avec une autre graphie (eu, oeu): puet (BI 45, 60, 183...), pueent (B1 274, 681, 2238) mais une occurrence de peuent (B1 3819); uevre (BI 171, 2540) mais euvre (B1 1703) et oeuvrent (BI 1029, 4177). Avec (B1 215, 303, 1165...) < *ABHOC ou *ABHOQUE, avec toujours 9 tonique et libre?”, est de loin la forme la plus représentée. Il y a une occurrence de avecques (BI 1438), deux de aveuques (BI 1283, 1530). Le O tonique de *JOVENE ne s’est pas diphtongué. On a donc josne (B1 567, 1579, 4262) et le diminutif josnete (B1 4552). C’est une forme picarde*.
* Le produit de la triphtongue constituée par uo suivi de -u diphtongal (< ? vélaire) est le plus souvent eu: veut (B1 1719, 1803...), avec graphie conservatrice veult (BI 5, 667....). Pour viex, diex: cf. ‘Graphies comportant un ÿ’.
B. Consonnes 1. Graphies comportant un b + b implosif se conserve dans obscure (B1 180). C’est une graphie savante.
< OBSCURA(M)
* b est une consonne épenthétique dans oriflambe (B1 1382), où flambe a pour étymon FLAMULA, avec dissimilation progressive totale du /. L’épenthèse est systématique dans tous les mots formés sur sëMUL: semble (B1 7...), semblent (BI 129...), asembla (B1 120...), ensemble (BI 1092, 1442...),
2 Bloch et Wartburg proposent *abhoc, P Fouché
*abhoque. Cf.
À. Lanly, Fiches... op. cit., p. 77.
30 Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 26, p. 63 et CI. Régnier, «Quelques problèmes de l’ancien picard», op. cit., pp. 261-262, $ 24.
96
INTRODUCTION
semblant (B1 2002, 3250...). B épenthétique apparaît également dans comblé (BI 872) et trembler (B1 3863). 2. Graphies comportant un c ou un k
+ kest une graphie fréquente en picard*!, mais elle est peu représentée dans Bl: keue (BI 1149, 1611); brakés (B1 2103); Kalon (BI 1535); Mekes (B1 3517); Foukon (B1 3662); Anketin (B1 4518).
+ c’ (BI 677, 1520, 1878...) ou k’ (B1 275, 2404) seuls représentent que élidé devant voyelle et se prononcent [k]. * c final après consonne: la consonne -c correspond à g étymologique assourdi en finale: Flamenc < FLAMING (B1 600, 784); hauberc ao, au lieu de e-o.
° La graphie -angne correspond au produit de a suivi d’une consonne nasale palatalisée: bangnier (R 342); breangne (R 1773); conpangnie (R 112, 2469...) conpangne (R 150, 3740...) ; Espangne (R 90, 101...) ; gangnart (R 4138) ; plangne (R 1769, 1774)... À étymologique suivi d’une consonne nasale palatalisée est parfois graphié -engne: Cf. -engne, dans les ‘Graphies comportant un e’.
° Graphie -aill, -ail: la graphie -aill est le produit de a suivi / palatal: aille (R 203, 1024), ailliez (R 3974), aillent (R 1058); asaillie (R 1092, 1719), asaillent (R 558, 1083),
rasaillirent (R 288); baillie (R 360, 2464), baillier (R 569, 3350); caillo (R 1966); chaille (R 2627),
entailliez (R 1571);
faillent (R 396, 468...), failli (R 596); mailles (R 1798); saillent (R 3688, 4013); toaille (R 4463); travail (R 227); vaillant (R 84, 1204...), vaillisant (R 217, 363...); vitaille (R 1252, 4452)... A suivi de / palatal peut également être
graphié -eill, -eil. Cf. ‘Graphies comportant un e’. 2. Graphies comportant un e + E initial atone E en hiatus s’amuït dans vez (R 795, 2915, 3179...) mais se conserve dans veez (R 2768, 3972). R écrit eïst0 (R 763, 2336, 3777...), jamais aist. C’est sans doute parce qu’il considère que le radical du verbe aidier est [e], graphié ai, plus rarement e. Cf. les graphies e, ai.
9 Même graphie dans Girart de Vienne: «a initial = e dans eïst (pr. subi. 3 aidier) passim, mais seulement dans ce mot.» (W. Van Emden, op.
cit., p. XCV).
INTRODUCTION
132
Ennuit (R 2077) pourrait être dû à un changement de préfixe en + nuif°\. + En position prétonique, e représente a étymologique”? dans demenois (R 605, 620, 2364) ; Denemarche (R 443) mais Danemarche (R 434); esbenoier (R 3741); hennap (R 4464); menentie (R 372, 2453), remenant (R 480, 3944).
+ Graphies -ar, -er: a étymologique devant r se ferme en e dans guerira (R 911), guerront (R 1112), sans doute par réaction à l’influence ouvrante que r exerce sur e. On trouve aussi garra (R 314). La confusion entre -er et -ar se manifeste en premier à l'Est”. + Graphie e, ai: la graphie ai est relativement peu représentée: aidier (R 343, 479...), aida (R 2924, 4635); fait (R 145, 1443...), faites (R 932, 3995...); palais (R 2588, 3532...); repairent (R 4348)... Le produit de la diphtongue ai, réduite à e ouvert dès le x1r° siècle, est plus souvent graphié
e / é (selon la place dans le mot et l’accent): aresnier (R 2867), aresonne (R 420) ; edera (R 761); estrete (R 15); fés < FASCEM (R 564), fet (R 4, 12, 426...), fetes (R 502, 651...), fez (R 46); lessier (R 436), lessent (R 149), lessiez (R 244); let (R 2922), leroit (R 2957), lerons (R 1003); mauvés (R 60, 781...); mestre (R 136, 517...) ; palés (R 451, 612...); reperier (R 443), reperoit (R 154), reperierent (R 126); reson (R 43, 52, 1598); sessie (R 104); trest (R 1746, 2812)...
+ La graphie -ein, -eine est souvent préférée à la graphie -ain, -aine: a tonique et libre suivi d’une consonne nasale
?1 Cf. Ph. Ménard, Syntaxe de l'ancien français, éd. Bière, Bordeaux,
1994, $ 306, et M. Ott, op. cit., p. 28...
2 Cf. A. Brasseur, Étude linguistique, op. cit., p. 103, 8 15. ® Cf. M. K. Pope, op. cit., $ 496 et W. Van Emden, op. cit., pp. XCVXCVI.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
133
aboutit à la graphie -ain, -aine: chastelain (R 1517, 1553): pain (R 1197, 2166); plain < PLANUM (R 1816); putain (R 1651, 2794); quintaine (R 799, 813, 873); vilain (R 1566, 2238)... Même graphie pour a + yod associé à une nasale: plaines < PLANEAS (R 269); saint (R 3428)... Mais dans les deux cas R utilise plus généralement la graphie -ein, -eine: dein (R 3733); gaeinz (R 3945); mein < MANE (R 178); mein < MANUM (R 3300), meintenir (R 635), meintenu(e) (R 944, 1781), meintenant (R 1014); meint(e) (R 76, 79, 290...); plein < PLANUM (R 1720); putein (R 929); seint(e) (R 812,
959, 3293...), seintime (R 2820)... Noter également einz (R 1267), einçois (R 771), einsi
(R 543, 862)... E tonique et libre suivi d’une consonne nasale est graphié -ein, -einne : demeinne (R 2977), demeinent (R 2180), remeinnent (R 2639), fein (R 3024); meins < MINUS (R 292); sereinnes (R 4606); veincu (R 935, 1044)... Même si la
graphie -ein, -eine est majoritaire, -ain / -aine est une graphie possible: fain < FENUM (R 752); paine (R 3455); plain < PLENUM (R 308, 359); tainte (R 367)... On retrouve donc une hésitation analogue à celle remarquée pour les graphies an et en. Comme pour l’alternance entre -angne et -engne ou entre -ai et -e, le copiste privilégie les graphies avec un e (-engne, -e, -ein, -eine). + Graphie -engne, -eigne, -egne La graphie -engne correspond au produit de e suivi d’une consonne nasale palatalisée: cengnent (R 3676); dengnent (R 2258, 2632), dengna (R 2066, 2258, 3932), dengnast (R 2279); engengne (R 1782); ensengne (R 824, 895, 1312,
1770, 2296)... E étymologique suivi d’une consonne palatalisée est rarement graphié -angne :engangne (R Quelques mots reçoivent toujours une graphie en seignor < SENIOREM (R 14, 27, 616, 787, 1344, 2656,
nasale 2953). -eign: 3360,
4292) et ses dérivés seignorie (R 94, 109, 358, 373, 1727, 2286), seignoris, -ie (R 969, 989, 2353, 4483); enseigniez
(R 3281).
134
INTRODUCTION
La graphie -egne est peu représentée: gregnor (R 11, 2888, 2944, 3151); vegniez (R 2322) La graphie -engne alterne avec -angne pour noter le produit de a suivi d’une consonne nasale palatalisée: Alemengne (R 1715, 1771, 2796); Bretengne (R 2956); chastengne < CASTANEA (R 1783); compengne (R 1775); engniax (R 1620); entrengne < *YINTRANIA (R 1787); Espengne (R 1230, 1311, 1777); gaengnier (R 776, 809, 1949), gaengneron (R 2741); montengne (R 1788); plengne (R 1779, 2960, du verbe plaindre); plengne < *PLANEA (R 1786); remengne (R 528, 1056, 2613); sengnier (R 1968)... Cf. -angne, dans les ‘Graphies comportant un a”.
La graphie -engne est donc préférée à -angne ainsi qu’à -eign, -egn.
+ Graphies -eill, -eil En finale, le copiste écrit -eil ou -eill, à l’intérieur du mot
-eill-, La graphie -eill, -eil correspond à e suivi de / palatal :apareillier (R 2633, 2881, 3061); conseil (R 814, 2197...), conseillier (R 1178, 1459, 3338), conseilloient (R 4006); meillor (R 1701, 1775, 4019); merveille (R 1349, 3722...), merveillex (R 322, 1151), merveillier (R 2637), merveillant (R 2029); Moreillon (R 1544); paveillon (R 407, 3635); soleil (R 178, 1035); vermeil (R 2790); voleillé (R 4451)... Voir également les ‘Graphies comportant un ?’. La graphie -eill correspond à a suivi de / palatal dans traveillier (R 351, 442), traveillie (R 127), traveillié (R 243, 442, 2984, 3014). Cf. ‘Graphies comportant un a’: -aill, -ail.
+ Le produit de la diphtongaison de p tonique et entravé par / palatal est triple: — Ilest -ueil, -ueill dans brueil (R 1607); orgueil (R 308, 2180...), orgueillex (R 1662, 2638) ; sueil (R 4034) ; peutêtre weil (R 3). — On relève aussi veil (R 334, 436...), veille (R 547, 2103), veillent (R 1963). Weil (R 3) est ambigü.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DER
—
135
Enfin, le produit de p tonique devant 1 palatal peut également être -oùl, -oill: foillist (R 1717); oil (R 4543); recoillent (R 4124). Cf. -oill, dans les ‘Graphies comportant un o’. La non-diphtongaison de la voyelle tonique
devant consonne palatale est propre à l’Est (Wallonie) et au Nord-Est (Lorraine, Bourgogne)°{. Pour les quelques graphies dépourvues de i devant / palatal, cf. ‘Graphies comportant un /’.
3. Graphies comportant un i ou un y ° Y n'apparaît que dans le nom d’Aymeri (en toutes lettres, R 741) et dans l’abréviation correspondante ay. En toutes lettres, R écrit de préférence Aimeri (R 15, 23, 3831...) + E central en hiatus s’est fermé en i dans criator (R 1260, 1274, 1287, 2429, 2445, 2906, 3153).
+ Réduction à à de la diphtongue ie: au Nord (Wallonie, Artois, Picardie), la diphtongue ie est parfois réduite au premier élément :endementirs (R 1707, 3457).
- Diphtongaison de e ouvert entravé*: en wallon et en lorrain, e ouvert entravé se diphtongue en ie devant /, rou s d’entrave : guieres (R 406, 818, 950...). R n’écrit jamais gueres. + Loi de Bartsch: a tonique au contact d’une consonne palatale se diphtongue normalement en ie, d’où chevalier (R 50), enchacierent (R 122)... Pirié (R 242, 583) et amistié (R 2974) sont redoublés par pité (R 909) et amisté (R 830, 1424, 3300), qui sont toujours à la rime.
% Cf. M. K. Pope, op. cit. NE. $ i, p. 491 et E. $ 10, p. 494. 35 Cf. M. K. Pope, op. cit. p.488, N. $ vii. % Cf. G. Zink, Phonétique…, op. cit., p. 242.
136
INTRODUCTION
+ Réduction à -ie de la triphtongue -iee < yod + -dta: R écrit à la rime congnie (R 1097); conmencie (R 1732); traveillie (R 127); à l’intérieur du vers demaillie (R 1854); lacie (R 506). La finale -ie, considérée comme picarde, est donc moins représentée dans R que dans B1, tandis que la finale en -iee apparaît dans archiee (R 1094, 4221); brisiee (R 1819, 1850, 4440); entailliee (R 2548); essauciees (R 4612); lingniee (R 23, 25); mesniee (R 2718, 2816, 3479).
+ Diphtongue fe suivie de e central: la dipthtongue fe est réduite au premier élément : dans asient (R 521), lièment (R 3402). R écrit aussi lieëment au vers 2517. C’est un trait dialectal propre à l’Est (Wallonie, Artois, Picardie).?7 —
—
* Triphtongue ieu Sous l'influence de -u diphtongal, le e issu de la diphtongaison spontané de d peut subir — ou non — une nouvelle segmentation en fe : autieus (R 1224); mortieus (R 704); ostieus (R 2117, 2148, 2316); pieus (R 1016, 1087); quieus (R 3307, 4026), quiex (R 3272); tieus (R 2679, 4366, 4479) mais teus (R 2673), tex (R 573, 1420, 3328, 4215)... Jeu est le produit attendu de fe formant avec -u une triphtongue de coalescence, fe pouvant être issu de la diphtongaison spontanée ou conditionnée de g: Dieu (R 3010, 4107); mieuz (R 12, 1667...); vieuz (R 561, 645, 981)... + Réduction à iu de la triphtongue ieu: la triphtongue ieu
est réduite à iu dans corlius (R 3585); liue(s) (R 120, 180,
1142...). Ce trait caractérise non seulement le picard mais le wallon.°#
7 Cf. M. K. Pope, op. cit, N. $ v, p. 488. *% Cf. Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 9 et M. K. Pope, op. cit., p. 488, N. $ vi.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
137
* Triphtongue iau: le suffixe -éllus devient généralement -iaus (chastiax, R 1435; danziaus, R 838, 2486; oisiaus,
R 534, 3512...). La même triphtongue due à la vocalisation de ? vélaire apparaît dans biauté (R 1425, 2407); gastiax < *WASTIL (R 2167); hiaume < *HELMU (R 904, 1089, 1195...); viautres (R 2134)...
+ Influence fermante de / palatal sur la voyelle en précession:fremillon (R 408, 2807, 3126); Rosillon (R 397, 1548,
1663....). 4. Graphies comportant un o * O au contact avec une autre voyelle O, tonique ou atone, assimile a dans Loonois (R 614), poor (R 1080, 1085, 1262...);e dans rooller (R 1077), poosté (R 3566), poosteïs (R 2693). O initial atone se conserve dans boordé (R 867), boordant
(R 4438) ; roonde (R 1625). O ne s’affaiblit pas entre deux voyelles dans Looÿs (R 4668), Looïs (R 4673). + O note a vélaire dans ovec (R 2088, 3333, 4091).
+ La graphie on se substitue sporadiquement à en: honisent (R 3598); honnas (R 2231) mais hennas (R 2218); remondroie (R 416) maïs remendrai (R 609). + Jostissier, verbe et substantif (R 335, 1180, 3800...):
jästitia devient en bas latin jüstitia, d’où l’ancien français jostise.® La graphie en o (jostissier, jotissier) est systématiquement adoptée par R, tandis que B1 écrit toujours justicier, qui est donc savant.
9 Cf. G. Zink, Phonétique.., op. cit., p. 73.
138
—
INTRODUCTION
+ La graphie -oil, -oill correspond au produit de: _o fermé, tonique ou atone, devant / palatal :agenoillier (R 782); mollier < *MOLLIARE (R 3718); mollier < MULIEREM
—
—
(R 1120, 1458...);verroillier (R 1956) o ouvert atone devant / palatal: acoillons (R 3667), acoillirent (R 3686), acoillie (R 149, 2702, 3462), coilli (R 2015), escoillie (R 1096), recoilli (R 2486, 3631, 4121); voillant (R 3173). o ouvert tonique devant / palatal: foillist (R 1717); oil (R 4543); recoillent (R 4124). Cf. ‘Graphies comportant un €’.
+ Graphies -ong, -ongn, -oign, -oin: -ongn est le produit : de o suivi de n palatal intervocalique :apongnent (R 2835); besongne (R 106); Borgongne (R 421); congnie (R 1097);
dongniez (R 2352, 3364) ;esperongne (R 1773); pongneor (R 1268); tesmongnier (R 1467). R écrit une fois Borgoignon (R 600). En position finale ou implosive, n palatal dégage en principe un yod de transition, d’où loinz (R 1353, 1746); poing (R 4163)... Mais R écrit généralement besong (R 223, 493, 542) ; dong (R 731); long (R 3309); pong (R 920, 2848); song (R 1941)... + La diphtongue ei (< e tonique et libre) se différencie en oi, y compris devant consonne nasale: avoinne (R 752); demoine (R 3923); moine (R 2293, 2524, 2704), moinent (R 1578), amoinent (R 183), enmoinent (R 1043); poine (R 17, 478, 2700, 4504, 4530)... C’est un trait lorrain.!90 + Voidier (R 2846) alterne avec vuidier (R 2876), vuit < VOCITUM (R 837).
10 Cf. M.K. Pope, op. cit, E. $ xix, p. 495 et W. Van Emden, op. cit. p. XCVI.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
139
+ Poiest la continuation de PAUCI aux vers R 1812, 2767, 3212. Ailleurs, on trouve pou (R 3, 526, 1650, 1664, 2246, 4279...). + Graphies o, ou, eu
O, tonique ou atone, est le plus souvent graphié o: amor (R 241, 4418); aubors (R 164); bofoi (R 308); caillo (R 1966); covant (R 738), covenist (R 1328); ennor (R 4612, 4697); florie (R 356, 1716); jor (R 83, 350, 495); joster (R 803, 826), jovant (R 762); loent (R 1329); lor (R 1729, 1738, 1965) ; ovree (R 2548, 3262) ;plore (R 2994) ;prodom (R 44), prodon (R 71), preudome (R 26) ; proeces (R 33); redotoient (R 2435), redotez (R 681) ;Rosillon (R 1663); sofri (R 17); to (R 56); trosee (R 1951)... La graphie ou est beaucoup moins représentée :boufoi (R 215); croute (R 995); escouter (R 547); louer (R 2063) ; ouan (R 1343, 1470); ouvré (R 294); redoutent (R 274, 548), redoutee (R 1327); Sarragouce (R 251); Toulose (R 252); trouser (R 2132)... R n’écrit jamais, comme le fait BJ, jour, lour, seignour, tour. Le produit de la diphtongue issue de o tonique et libre est également eu. Cf. ‘Graphies comportant un w’.
5. Graphies comportant un u + Métathèse réciproque : R écrit beluté (R 2167), et non
buleté, issu «peut-être du moyen néerl. biutelen ‘tamiser” ou du m. h. all. biuteln, de même sens. »!°! C’est une métathèse réciproquel®, Buleté, graphie plus ancienne, est la forme donnée par B1 (B1 2134).
101 E, Baumgartner, Ph. Ménard, Dictionnaire étymologique.…., op. cit., article bluter, p. 92.
12 Cf. M. K. Pope, op. cit., $ 124, p. 62.
140
INTRODUCTION
+ La voyelle initiale atone se ferme en [ü] dans abuvrer (R 3904), jumé (R 1580), sous l’influence des consonnes labiales v, m%; dans hurté (R 861), sous l’influence ouvrante de r implosif (à l'Est et à l'Ouest) '%. R écrit jugleor (R 3741, 4441). La fermeture de o en [u]
caractérise en général les dialectes de l’Ouest'®. + On relève feüté (R 326, 1523), avec réduction de la diphtongue au. + À côté de Dieu, R écrit Dex (R 24, 92, 100...), Damedeu
(R 39...). Selon A. Lanly, la forme non diphtonguée serait initialement un cas sujet issu de DEUSs.!% Cf. la triphtongue ieu dans les ‘Graphies contenant un ÿ’. + Produit de la diphtongaison de o ouvert tonique libre: ue, 0e, € La graphie ue correspond à la diphtongue issue de 9 tonique et libre: cuevre (R 7); duel (R 151); juenne (R 568, 801); muerent (R 3048); puet (R 2, 8, 58, 195); suelent (R 792); suer (R 1465, 1671, 4659); trueve (R 4004); uevre
(R 170)... On relève une fois oef (R 2224) < OVUM.
La diphtongue est parfois réduite au second élément e: x est assimilé par v- dans vellent (R 578, 821, 1143...).R n’écrit
jamais vuelent. De même, il écrit toujours avec (R 3325, 3687, 4168), aveques (R 1292, 1544); ilec (R 268, 1997), ileques (R 250)... + Diphtongue de suivie de e central : la dipthtongue de est réduite au premier élément w dans puent (R 273, 682, 18 Cf. G.Zink, Phonétique…., op. cit., p. 161. 1% Cf. G. Zink, Phonétique…., op. cit., p. 246.
15 Cf. M. K. Pope, op. cit., $ 1083, p. 427. 1% A. Lanly, Fiches, op. cit., p. 145.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
141
1210...). C’est un trait dialectal propre à l’Est (Wallonie, Artois, Picardie).107
« Le produit de la triphtongue constituée par wo suivi de -u diphtongal (< ? vélaire) est eu: veut (R 5, 668, 754, 3378, 3525...) ;euz < ocuLOs (R 1351, 2532). B. Consonnes 1. Graphies comportant un b B épenthétique est systématique: conblé (R 877); flanbe (R 8, cf. B1, même partie); semble (R 7), senblent (R 127, 2013), asenbla (R 118), asenblerent (R 287), ensenble (R 1370, 2297), resenbla (R 2282); trenbler (R 3953)...
2. Graphies comportant un c ou un k + La lettre k n’est utilisée dans RÀ que pour abréger le nom de Charlemagne:
k. pour
Charles
(R 71, 91, 124, 655,
1018...), klon pour Charlon (R 62, 636...) kim. pour Charlemangne (R 204, 231, 931...). En toutes lettres, R écrit tou-
jours Charles (R 36, 319, 862...): la lettre k n’apparaît donc pas dans le texte édité. + c’ seul (R 508, 543, 855...) représente que élidé devant voyelle et se prononce [kl].
°c final: pour Flamenc (R 601) ; hauberc (R 2807, 3116, 4110); lonc (R 4541); sanc (R 2902) d’une part, et arc (R 173); blanc (R 3302); flanc (R 3676); franc (R 3011, 3275); marc (R 1237); porc (R 717) d’autre part, se reporter à l’étude de la langue de B1, même partie. Les usages de BJ et de R sont sur ce point identiques.
107 Cf. M. K. Pope, op. cit., N. $ v, p. 488.
142
INTRODUCTION
°c devant consonne: contrairement à B1, R écrit vitoire (R 740); mais tous deux écrivent subjection (B1 75 / R 73), avec conservation de b et c implosif. Cette forme, quoique savante, est relativement répandue.
+ Confusions entre [$] et [Z]: R écrit venchier (R 1780), vencha (R 116), venchance (R 148); encharchier (R 2650)
pour vengier, enchargier. Le trait est picard ou champenois'®. + Traitement picard de k + e, i, k + yod en position forte: assibilation en chuintante [t$]'® dans merchiers (R 2123). Mais on ne relève pas dans À de formes picardes avec non . palatalisation de k + a: chançon (R 42); chasement (R 745, 754); chenu (R 4361); chevé (R 249, 264); senechal (R 1519); trebuchier (R 339)... *_R préfère la graphie c à la graphie g, qu: il remplace qu étymologique par c dans carré, -ee (R 825, 864, 2561, 4011); carrel (R 2970); cart(e) (R 2426, 4649); cartier (R 3678); cassé (R 295, 2242); coi (R 123, 664, 1030); escartelé (R 904); recoi (R 206)... R écrit toujours cuens, sauf aux vers 962, 3059 où COMES > quens.
3. Graphies comportant un d
+ D épenthétique est systématique —
entrenet r: covendra (R 200, 567), covendroit (R 569); engendrez (R 3331, 3909); remendrai (R 597, 609), remendra (R 683) ; tendrai (R 607, 618), tendroiz (R 306); vendroiz (R 613), vindrent (R 429, 1448, 2815)...
M8 Cf. G. Zink, Phonétique…., op. cit., p. 202 et W. Van Emden, op. QE 7% Cf. G. Zink, Phonétique…., op. cit., p. 232 et Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 36.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BI ET DE R
—
143
entre l et r: asaudrons (R 2207); faudront (R 3068): mieudre (R 1404); vaudroit (R 2795, 3115); vodrai (R 341), vodré (R 202), vodront (R 199, 605), voudroie (R 229), voudroient (R 3100), vodrent (R 1076).
+ D étymologique s’est effacé dans responez (R 616), responent
(R 851, 887, 2733...) mais
se maintient
dans
respondre (R 4039), respondroit (R 2508), respondu (R 953, 2322)... Ces formes sont analogiques de pondre < PONERE!.
4, Graphies comportant un f + La géminée ff est une graphie conservatrice dans offrir (R 1228), roffrez (R 352, 390), roffri (R 545, 554); offrende
(R 1234)... L’assimilation de s implosif par f provoque l’apparition d’une géminée: deffaé (R 287, 874, 929, 1297, 1630); deffande (R 2886), deffandon (R 2732), deffandent (R 1012), deffandront (R 1297), deffandu (R 2324), deffansion (R 73), deffanse (R 3116); effort (R 3785); effroi (R 205, 624), effreé
(R 847, 2400)... S implosif devant f se maintient dans desfaé, -ee (R 846, 1651, 3033, 4181...) ; desfermer (R 2081); desfublez (R 2589), et dans le paradigme de desfandre (R 55, 65): desfant (R 2437), desfande (R 2728), desfandent (R 1833, 2889), desfance (R 3222), desfansion (R 2772)... Le groupe sf s’est réduit à f dans defanduz (R 654) ; defroisier (R 1967); ofrande (R 3597); rofrez (R 412, 511)...
Le redoublement de f dans affi (R 1362) n’est ni étymologique ni phonétique. + Fimplosif s’efface dans is (R 164, pluriel de if), malgré la brièveté du mot.
n0 Cf. M. K. Pope, $ 937, p. 354.
144
INTRODUCTION
5. Graphies comportant un g ou un j + Segonz (R 4502) note la réfection, à date prélittéraire, de secundus.!11
+ G après a ou o correspond toujours au son [g] sauf dans vengoison (R 2747). + J est fréquent, en particulier dans le suffixe -age, -aje: aventaje (R 1921); barnaje (R 742, 3063); coraje (R 16, 278, 319, 919, 1204), corajeus (R 1923) mais corage (R 527), corageus (R 3442); domaje (R 640, 2920) mais domagié (R 2972); estaje (R 533, 1185) mais estage (R 174, 320, 1175); geudi (R 3250); jentis (R 3046) mais gentil (R 332, 380, 465...); Jeufroi (R 1541) mais Geufroi (R 1518); lingnaje (R 59); mesaje (R 1045, 1443, 2962) mais mesages (R 1424); tarja (R 116); vaselaje (R 323)... 6. Graphies comportant un h ° H latin: R écrit toujours sans h ennor (R 678, 2115); eure (R 715, 2496, 3152); ier (R 429, 2096); oir (R 1322, 1334, 3353), mais avec h herbe (R 1717); heritage (R 1324); honisent (R 3599); hui (R 1067, 1902, 3159). Il écrit tantôt home (R 25, 168, 208), tantôt onme (R 2105, 2184, 4453), omaje (R 326)...
+ _H germanique est en général conservé :hauberc (R 349, 1195, 1255, 2003), haubergier (R 1125, 3811); herbergier (R 1181, 1972, 3746), herbergerie (R 4371), herbergement
(R 2038); hernois (R 3071); honte (R 49, 955, 2368). Mais il s’est effacé dans boordé (R 867), boordant (R 4438) et R intercale un h non étymologique entre a et i dans hahie
1 Cf. G.Zink, Morphologie, op. cit., p. 60 et E. et J. Bourciez, Phonétique française, Klincksieck, Paris, 1978, $ 126, p. 140.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
145
(R 366, 1112), participe passé de haïr < HATIAN (mais haïe R 1084). *Helmu est continué par hiaume (R 904, 1967, 2904) ou par elme (R 1580, 3675, 4111). L'article défini est élidé devant voyelle : iaume (R 1860, 2893) et se maintient devant h: le helme (R 4350). Pour hante, l’usage est variable: la hante (R 890, 3720) mais fant(e) hante, avec élision nécessaire pour la mesure du vers (R 4161, 4201).
7. Graphies comportant un 1 + Dissimilation: foible < FLEBILEM (R 3438) a subi une
dissimilation régressive totale.!!? ° Non-vocalisation de / antéconsonantique: / implosif est une graphie conservatrice dans chalt (R 769); chevalchier (R 1973, 3440, 3807); cruelment (R 3765); elme (R 1580, 3675,4111), helme (R 4350); maltalant (R 1900) ; valt (R 143); vilté (R 2199), vilment (R 1481) maïs vité (R 2188). Comme
dans B1, elle est fréquente dans les noms propres: Corsolt (R 4512); Helpins (R 1847); Valbeton (R 1539, 2776); Valcler (R 4088); Valsegree (R 1847). Guillelme (R 1500, 4502...)
développe Guill”. Noter la graphie Mauhomet (R 1164, 3499, 3536), qui fait du nom du Prophète un nom composé à partir du préfixe mal-, mau-, comme Mautriblé (R 3607).
+ L antéconsonantique s’efface après o: cop (R 952, 1803, 1914, 2805), coper (R 4036)... ; misodor (R 1253, 1263, 2922...); voti(e) (R 451, 1369, 2295, 2583, 3464); la totalité des formes du verbe vouloir contenant un / implosif: vodrai (R 341), vodré (R 202), vodront (R 199, 605), vodrent (R 1076), vosist (R 1233)...., sauf deux occurrences :voudroie
12 Dans B1, c’est une dissimilation progressive totale: flebe (B1
3375).
146
INTRODUCTION
(R 229) et voudroient (R 3100). Selon M. K. Pope, l’effacement de / antéconsonantique est fréquent à l’Est, au Nord-Est,
et en Champagne!!. + La géminée JJ note l’assimilation de s par / dans mellé, -ee (R 901, 1386, 1643, 4284); mellee (R 1305, 1393, 4576); vallet (R 697, 2659, 2664, 2987). Elle note d, t étymologiques assimilés par l: molle (R 3508), mollé (R 2210); crolle (R 4218); Rollant (R 83, 111, 133, 579...). En revanche, s implosif devant / se maintient dans quelques mots ou s’efface: elisiez (R 1484); eslés (R 1868); eslessiez (R 3680) mais elesse (R 3708), elessent (R 2754); esleiü (R 650, 1558). . L est redoublé dans freilles < FRAGILIS (R 561); rooller
(R 1077); telle (R 25); vellent (R 578, 1143...). La graphie est étymologique dans rooller. + ] palatal :comme dans B1, les graphies dépourvues de i devant / palatal sont rares: viellart (R 1614, 2463) avec diphtongaison conditionnée de £g devant / palatal ; Monpellier
(R 336, 2856). Pour les graphies -ail, -aill, cf. ‘Graphies comportant un a”. Pour les graphies -eil, -eill et -ueill, -ueil, cf. ‘Graphies comportant un e’. Pour les graphies en -i/l, cf. dans les ‘Graphies comportant un ?”, l’influence fermante de / palatal sur la voyelle en précession. 8. Graphies comportant un mou un n
+ M implosif après bilabiale n’est pas représenté. On trouve toujours z devant b: senble (R 7); flanbe (R 8); demenbré (R 293); chanbre (R 2416, 2614)... ou devant p: Het (R 437); chanpenois (R 604); enperere (R 228, 06)...
13 Cf. M. K. Pope, op. cit., $ 391, p. 155.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BI ET DE R
147
* M étymologique en finale s’est parfois dentalisé: R écrit, en toutes lettres, aim (R 3319) mais ain (R 3292, 3294); clain (R 2874); crien (R 2018); hom (R 55, à la rime), prodom (R 44, à la rime) ; plon (R 172)... *_Récrit onipotant (R 1019, 1330), avec simplification du
groupe étymologique mn. ° N palatal est en général graphié ngn, rarement ign ou gn: pour la graphie -angne, cf. ‘Graphies comportant un a’. Pour les graphies -engne, -eigne, -egne, cf. ‘Graphies comportant un e’. Il y a parfois confusion entre n dental et n mouillé!i{: germene (R 1772); essone (R 430); Babiloine (R 985); broine (R 369, 505, 1798, 1859). Cf. les remarques sur n palatal dans B1. La continuation de REGNUM,
*REGNATUM reçoit des gra-
phies diverses: resné (R 236, 1414), resne (R 230, 504, 1360), reine (R 1677), reinne (R 3570). Resné, resne sont des
graphies inverses dues à l’évolution de resne < RETINA. Dans ce dernier mot, s implosif devant nasale se palatalise et provoque la palatalisation de n, si bien que la graphie gn se substitue à sn!5, Les graphies reine, reinne laissent à penser que n est dental, et non mouillé. 9. Graphies comportant un p P final est graphié dans chanp (R 4186); cop (R 1803)...
10. Graphies comportant un q ° q (R 88, 1117, 2052...) seul représente que élidé devant voyelle. 114 Cf, Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 60 et W. Van Emden, op. cit., p. CII. 15 Cf. M. K. Pope, op. cit., $ 378, p. 152.
148
INTRODUCTION
+ Récrit presque toujours gu devant e, i, maïs g devant a: gant (R 101, 271, 716...); ganqu'il (R 138); jug'a (R 1393, 1395);
qui qg'an (R 1554);
g'anz
(R 2038);
atangant
(R 1893)... 11. Graphies comportant un r + Les cas de métathèse sont usuels: enterrai (R 236); espreviers (R 2133); recoverroiz (R 144); troser, trouser (R 1241, 1951, 3407, 3890...) Ce sont à peu près les mêmes
que ceux relevés dans B1.
* Assimilation de n, s par r: R assimile n implosif dans retorroiz, R 3573 ; merrai, R 3988 (cf. même phénomène dans B1), et s implosif dans derroi (R 208).
+ La géminée rr a les mêmes emplois dans R que dans B1 et ne présente pas d’intérêt particulier. Cf. même phénomène dans B1. ° rinorganique: atrenprer (R 4442) a pour étymon ATEMPERARE. + Rhotacisme: R écrit mur < MULUM (R 222, 1100, 2239, 3599).
12. Graphies comportant un s —
+ Confusion entre ss et s: La géminée ss est réduite à s: asaut (R 213, 221, 1116), asaiïllie (R 1092), rasaillirent (R 288), asaillons (R 1705), asaillent (R 558, 1083) ;asazé, -ee (R 850, 1326), rasazer (R 186); asenbla (R 118), asenblerent (R 287), asenblé (R 8838); aseüré (R 273, 925); asis(e) (R 255, 975), asient (R 521), asistrent (R 289); choisisant (R 3191); croise (R 742); defroisier (R 1967); desafree (R 1854); deservi
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
149
(R 40), deserte (R 41); fauser (R 201), fausé (R 893); fosé
(R 263, 296); froisier (R 2870); groses (R 2217); guerpisoie (R 530); lesier (R 333, 1116), lesent (R 1091), lesates (R 617) ; mesagier (R 1700); oisu (R 871); pasé (R 1438): poison (R 2181), poisoniers (R 2121); puise (R 197, 770), puisent (R 339), puisant (R 72, 468, 575, 759), poisons (R 2308); Rosillon (R 1663, 1793); servise (R 318); trepasé (R 1980), trepasant (R 2104, 2271); trouser (R 2132), frosee (R 1951); vaillisant (R 217, 309, 363, 392, 500, 778) ; vasax (R 2946), vaselaje (R 323); vavasor (R 2973)... Le phénomène est extrêmement fréquent, et
touche également les désinences de l’imparfait du subjonctif : eschapase (R 721) ; eüse (R 2448), eüsiez (R 1332), eüsons (R 2052), eüsent (R 1998) ;fusons (R 2919), fusent (R 67, 1166, 2583); issisent (R 806, 846); jeüse (R 2475); peüse (R 3303), preïse (R 2445); prisasent (R 2161); queïse (R 2456); seüsent (R 876); veïsiez (R 799, 1062, 1078, 1159); vosise (R 2462)... — S simple est redoublé en ss: aessier (R 442), aessié (R 2976); chassé (R 1559); conquisse (R 237); enbrassee (R 1390); ossez (R 1427), ossera (R 2879); prisse (R 1697); refusser, -e, -ent (R 378, 419, 549, 671, 1467, 2630); sessi(e) (R 104, 578, 1007, 1360, 2483), sessist (R 3188), sessirent (R 292); sesson (R 57); ussé (R 914)... Cette confusion graphique correspond à une confusion entre [s] et [z], courante en picard.!!$
+ S implosif ne se prononce plus et n’est pas toujours noté. Il y a donc alternance de graphies: arenier (R 3435) mais aresnier (R 1456, 2867); aretoison (R 3119) maïs arestoison (R 2735); Barbatre (R 104); blemie (R 367, 2471); Crit (R 131, 2490) mais Crist (R 1068, 3135); debareté (R 4279) mais desbareté (R 3943) ; demaillie (R 1854) mais desmailliez 116 Cf, Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 49, G. Zink, Phonétique..., op. cit., p. 202.
150 (R (R (R (R
INTRODUCTION
2905); demenbré (R 293, 852, 1430) mais desmenbré 932); depanné (R 903); eclerier (R 3070) mais esclerier 3099); emaier (R 769) mais esmaier (R 3375); eperon 3103) mais esperon (R 3718); hautime (R 305); jotissier
(R 438, 2885) mais jostissier (R 335, 352, 565, 573, 775, 780); juqu'au (R 212), juque (R 237, 455) mais jusg’a (R 1346); ponee (R 1639) mais posnee (R 1660); trepasé (R 1980), trepasant (R 2104, 2271); trites (R 125) mais tristor (R 1267)... L’effacement de s implosif concerne également la morphologie verbale, en particulier la PS au passé simple: acointates (R 1648); feïites (R 2280, 2281); futes (R 332) mais Justes (R 495, 594); lesates (R 617); tolites (R 1021); veites (R 2944)... La P3 du verbe penser au subjonctif présent est pant (R 2897, 3769). Enfin, pour le verbe estre au présent de l'indicatif, on trouve et (R 2388, 3991) à la P3, ietes (R 596),
etes (R 642, 1462) à la PS. Cf. également s implosif assimilé par f dans les ‘Graphies comportant un j, et s implosif assimilé par / dans les ‘Graphies comportant un /’. ° -S implosif est parasite dans ostroier (R 810, 1482, 3354, 3672), ostroie (R 2395, 2520)...
13. Graphies comportant un t T final s’est amuï devant le f initial du mot suivant dans to tans (R 56); hau ton (R 2793, 2817).
14. Graphies comportant un v AQUA est continué par eve (R 383, 965, 1979...). Cette
évolution de k" est propre à l’Est!17,
M7 Cf. G. Zink, Phonétique…., op. cit., p. 149.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BI ET DE R
151
15. Graphies comportant un w R écrit une fois weil (R 3), partout ailleurs veil (R 334,
436, 441, 503, 556, 786), veille (R 547). La graphie vuen’est pas attestée. Il est donc probable que w corresponde ici au son [v|]. Wit (R 956) alterne avec vuit (R 837), vuidier (R 2876) ou
voidier (R 2846). Il s’agit peut-être d’une monophtongaison de la diphtongue ui, mais plus vraisemblablement d’une graphie correspondant cette fois au son [vw]. 16. Graphies comportant un x + X intervocalique est savant dans Alixandre (R 10). Dans la même laisse, R écrit essemple < EXEMPLUM (R 2).
+ _X final équivaut toujours à -us :chamex (R 3667); creniax (R 172, 173); Dex (R 24, 92), Damedex (R 739, 3268); enclox (R 2818); max (R 3328); merveillex (R 1151); per-
illex (R 2887); Rancevax (R 113, 1271); tex (R 1421, 3328); vasax (R 2946)... La graphie -ux n’apparaît pas dans À. 17. Graphies comportant un z
+ Graphie z à l’intérieur du mot (intervocalique ou intérieure appuyée) : —
z note le son [z] dans asazee (R 1326), rasazer (R 186); danziaus (R 2486), denzel (R 568); quinzaine (R 2278); Sarrazin (R 79, 160, 285, 384); Verziaus (R 1933, 1953).
Asazee, rasazer suggèrent une nouvelle répartition des graphies, où s correspondrait au son [s] et z au son [z].
—
Cela reviendrait à éliminer la graphie ss, ce qui n’est pas le cas cependant. Cf. ‘Graphies comportant un s”. znote le son [Z] dans bouzon (R 2791) et grezois (R 4008).
+ Z final se maintient bien: coverz (R 6); droiz (R 345, 454); fiz (R 332, 628, 1879); floz (R 265); mieuz (R 3316);
152
INTRODUCTION
roiz (R 2833); vertuz (R 246); votiz (R 451)... Cf. également les désinences verbales dans la partie Morphologie. HosTis aboutit à oz (R 3102), avec réduction de [sts] à l’affriquée [ts], d’où la graphie z. On note desarmés (R 2939), avec réduction de l’affriquée;so ciel (R 3509, 3522), avec effacement de la consonne
finale, sans doute dû à la proximité d’une autre affriquée!!$. IL. MORPHOLOGIE
A. Déclinaison du groupe nominal La déclinaison du groupe nominal est en général respectée, même si on relève quelques irrégularités, souvent analogues à celles qu’on peut trouver dans B1. 1. Masculins de la première déclinaison Le CR fill est représenté malgré la tendance qui conduit à généraliser filz. Paradoxalement, les deux occurrences devraient en principe être au CSS :fill a putein… (R 929, 1651). On constate une confusion casuelle dans les groupes nominaux suivants: grant merciz (R 1258); au plus hauz home (R 1442, CRP); conme vasal proisié (R 2969, CRP); li bons conte proisié (R 2997, CSP), le ber (R 2831, CSS); un Sarrazins (R 3461, CSS)...
L’adjectif biaus, bel témoigne d’une évolution intéressante: biau(s) est bien plus répandu que bel, qui n’apparaît que devant initiale vocalique et au CRS, et biau l’emporte nettement sur la forme attendue du CSS, biaus. — Au vocatif, R écrit biau plutôt que biaus, biax, quelle que soit la consonne initiale du mot suivant: biau sire (R 192,
18 W. Van Emden relève également so ciel, «mais non devant d’autres consonnes. » (op. cit., p. CIV).
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
153
234, 244, 258, 555...) ;biau niés (R 133, 4310, 4353...): biau oncles (R 4314), et seulement deux occurrences de biaus avec biaus oncles (R 4311, 4354). Biaus est peut—
être préféré dans ce dernier cas pour éviter l’hiatus avec la voyelle qui suit. Une occurrence de biax (R 738). Au cas régime, biau est plus fréquent que bel: biau
deduit (R 165, CR); biau fiz (R 670); biau mostier (R 1223, CRS) ;biau palés (R 1249, CRS) ;biau respondre (R 4039, CRS); biau semblant (R 2031, 3867, CRS). Deux occurrences de bel (R 691, 3357) seulement!!?. — Biau est utilisé une fois comme adverbe (R 3845), bel également une fois (R 2083). — Biaus est la graphie utilisée quand l’adjectif est attribut du sujet: biaus fu. (R 692); biaus est. (R 3558). Il ne s’agit donc pas d’une simplification graphique comme dans BI, mais bien de l’extension d’une nouvelle forme de CR.
2. Masculins de la deuxième déclinaison (type asigmatique)
R écrit au CSS Hernaut ses peres (R 1316); ses freres (R 1358) ; mes freres (R 1935); biau sire freres (R 2487). Aux
vers 675, 4523, 749, 768, 948, 2540, 2479, 3604, on trouve la forme asigmatique attendue. Au CSP, -s apparaît une fois: freres estoient... (R 971). Les autres occurrences ne comportent pas de -s au CSS, mais la déclinaison du groupe nominal n’en est pas moins, comme dans B1, irrégulière: Dex le pere criator (R 1260); Dex le pere tout puisant (R 1340); son pere (R 4601).
On retrouve donc, comme dans BJ, la tendance qui consiste soit à ajouter un -s de flexion au CSS, soit à étendre la forme de CR à l’article (défini ou possessif).
19 Bel est beaucoup plus fréquent dans BJ: cf. BI 1215, 1578, 2002, 2054, 3660.
154
INTRODUCTION
3. Masculins de la troisième déclinaison On trouve sires aux vers 1637, 1861, 2214, 4029, partout ailleurs sire (R 142, 192, 207, 623, 2273, 4591...), bers au vers 1857, 2810, 2961, partout ailleurs ber (R 154, 1216,
1852, 2831, 3930...) Au cas sujet, enpereres en toutes lettres apparaît aux vers 376, 403, 455, 536, 638, 705, 943, 1278. Noter enchanterres (R 3514), comme dans B1. Enfin, R écrit ses baron (R 205) au CRP. 4. Féminins
Genz ne se rencontre qu’au pluriel : noz genz (R 1088), ses genz (R 3590). Une occurrence de cit (R 1556), et une occurrence de citez au CSS (R 934). On rencontre par amors (R 1418, 2085), c’est-à-dire aux mêmes vers que dans B1. B. Articles
1. CR masculin
On trouve une fois lo (R 782), une fois lou (R 1074). Cette forme ancienne de l’article se conserve à l’Est jusqu’au xXITAsiècie2: 2. Élisions
Li peut s’élider au CSS: l’enperere (R 306) mais li enpereres (R 376). Pour plus d'exemples, se reporter à l’étude de la langue de B1, identique à celle de R sur ce point.
R écrit l’un (R 975, 1042, 1810, 2030, 3132...) ou li uns (R 825, 906, 1831, 3601, 4232, 4244...), une fois li un (R 3189). 20 Cf. M. K. Pope, op. cit., E. $ xx, p. 496.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
155
3. Enclises
a + le > au (R 16, 212, 456, 2592...) a + les > as (R 680, 775, 1083...), mais aussi au (R 2144, 3186, 3386...). Cf., dans le même vers, as ostiex et au barons (R 2316). Aus est réservé au pronom masculin au CRP
de de en en
+ + + +
le > del (R 1250, 1914, 2734, 3515...) les > des (R 130, 1049, 2216, 3769...) le > el (R 3863, 4179, 4447...) les > es (R 2315, 3072, 4491...)
C. Adjectifs 1. Variantes combinatoires
L final peut se vocaliser au contact de la consonne initiale du mot suivant: mau feu (R 375); mau soit de... (R 2640, 2832, 3908, 4335) mais mal deable (R 339); mal gré (R 1428, 2211); mal païs (R 3013)... De même, f s’efface au contact de la consonne initiale du mot suivant :vi deable (R 2249, 3615).
2. -S analogique Pour les adjectifs à masculin asigmatique comme pour les adjectifs à deux bases, un -5 analogique peut apparaître au CSS : povres (R 2001, 3873, 3919, 4366) mais povre (R2191); autres (R 678, 2714, 3189, 3912...) mais autre (R 825, 975, 1042, 1057...) ; mieudres (R 2340).
3. Adjectifs épicènes Les occurrences de tele, telle, avec un -e analogique de la première déclinaison, sont très exactement identiques à celles de B1: — tele dû à la mesure du vers: R 25, 425, 1648, 1653, 1731, 1732, 1815, 2682, 2910, à quoi il faut ajouter R 3371,
propre à À.
156 —
INTRODUCTION tele sans influence sur la mesure du vers: R 869, 1341, 1734, 2563, 4554. R écrit une fois telle (R 25).
Autre féminin refait sur la première déclinaison: quele (R 1637, 2071). D. Pronoms personnels 1. Pronoms sujets + CS de personne 1 : R écrit indifféremment ge (R 27, 140, 201, 476...) et je (R 556, 607, 652, 731...), avec élision pos-
sible devant voyelle : g’ (R 371, 443, 2291...) ;j" (R 504, 679, : Pt es
+ Le CS féminin de personne 3 est très généralement ele (R). Trois occurrences de el (R 1842, 4420, 4456), devant
consonne. + Le CS masculin de personne 3 est parfois i/}, au singulier (R 327, 1782, 1856, 1882...) ou au pluriel (R 872, 1074, 1629, 3668...). La réduction de il à i (R 634, 1308, 2554, 3474...) est éga-
lement fréquente, en particulier dans qu'’i et s’i où l’homophonie avec qui et si facilite l’écrasement!21. + Le pronom indéfini peut être graphié en (R 2, 7, 43, 180...) ou plus rarement on (R 56, 76, 2154, toujours à la rime).
2. Pronoms régimes
+ Confusions entre Ji et lui : lui prédicatif est remplacé par li aux vers 33, 1678, 2489, 4482, 4525, à la rime dans des
1 Cf. G.Zink, Morphologie.., p. 88.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
15%
laisses en -i. Une occurrence à l’intérieur du vers, peut-être
due à la place du pronom, placé entre préposition et verbe: seure li cort... (R 2813). Lui remplace li au vers 3714.
* CR vo: vo est un pronom au CR direct au vers 3418. Ailleurs, À écrit vos (R 2658, 2660, 2795, 3138...)
° CR masculin pluriel, forme prédicative: R écrit tantôt aus (R 1595, 2837, 2864...), tantôt eus (R 888, 2850, 3222, 4063, 4091, 4120...). 3. Enclises
L’enclise n’est pas systématique: jeu (R 665, 794), geu (R 606, 796) < je + le, mais ge le (R 228, 3918); nel < ne +
le (R 34, 932, 1755, 2080...), mais ne le (R 5, 2473, 3729); nes < ne + les (R 47, 144, 1726, 4634...), mais ne les (R 314) ; ques < qui + les (R 28, 3131, 4137), mais qui les (R
87, 1564). Seu peut être une enclise pour si + le (R 1904, 2374) ou se + le (R 798, 2078, 3415), mais on trouve aussi si le (R 1405, 3526), se le (R 1415, 1766). Ses est une enclise
pour si + les (R 1705, 2115, 2867); si les (R 1059, 2543, 2883) existe également. Toutes ces formes enclitiques sont communes à BI et à R, avec cette différence que R présente des formes enclitiques avec / vocalisé (jeu, geu, seu), formes inconnues de B1. De plus, R contient des enclises qu’a éliminées B]: jes (R 4137), ges (R 703) < je + les, quin < qui + en (R 3621), sin
< si + en (R 276, 710). Quel peut être une enclise pour que + le (R 4391), comme dans B1, mais aussi pour qui + le (R 3875) Là encore, l’enclise n’est pas systématique : ailleurs, on lit je les (R 2276), qui en (R 3384), si en (R 844, 1428,
4367), que le (R 617, 2595, 4376), qui le (R 115, 197). Cet écart entre BJ et R est bien le signe que la langue de BJ est un peu rajeunie par rapport à celle de R: les formes quin, sin
INTRODUCTION
158
sortent d’usage au xir° siècle!?, mais le copiste de R les com'*. prend encore, tandis que la version B les supprime E. Possessifs 1. Possesseur unique La déclinaison du possessif tonique est respectée : au masculin mien (R 475, 1932...), suen (R 2697, 3545, 3931); au féminin moie (R 307, 2454....), seue (R 1376, 3880, 4227...) 2. Pluralité de possesseurs On relève quelques formes picardes: vo (R 1637, 3311, 3414, 3786). No n’est pas représenté. Le possessif est en général graphié noz (R 1088, 1634, 2203...), voz (R 594, 641, 1424...). FE Démonstratifs 1. Série cist
Comme dans B1, il n’y a qu’une occurrence de cestui, au même vers (BJ 26 / R 24). Comme dans B1 toujours, cesti,
cestes ne sont pas représentés. Cist est utilisé au CSS comme au CSP et peut être déterminant ou pronom : — déterminant: au CSS, R 640, 646, 2141...; au CSP R
1702, 3916... —
pronom: au CSS, R 1879, 2948, 4517... ; au CSP, R 1838,
2009, 2011...
12 Selon G. Zink, Morphologie…., op. cit., p. 89. 13 B1 et B2, sans donner toujours exactement la même leçon, s’accordent à éviter jes / ges, quin, sin.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
159
Cest, ceste sont toujours déterminants, de même que ces,
Cez.
2. Série cil Comme cist, cil est utilisé au CSS comme au CSP et peut être déterminant ou pronom: —
déterminant:
—
2179: pronom: au CSS, R 51, 195, 472, 1536... ; au CSP, R 67, 1991270; 1707:
au CSS, R 582...; au CSP, R 806, 811,
Cel, cele sont généralement déterminants, et plus rarement pronoms : — déterminant: cel, R 1081, 1108, 3016, 3922... ; une occurrence de ceu, R 83; cele, R 430, 499, 1656... — pronom: cel, R 2640; cele, R 2603, 3847, 4459...
Celi n’est pas représenté. Celui, pronom CR direct ou indirect, a les mêmes emplois que dans B1 (R 553, 1789, 2345, 3128, 4652...). Ceus est pronom (R 461, 1051, 2122, 2954...). G. Verbes
1. Radical
+
Formes analogiques
Verbe oir :à côté de ot (R 549, 1431, 2187...), oez (R 151, 1696, 2399, 3515), oent (R 2378, 3976), on note au présent et
à l’impératif un paradigme en oi- analogique de la P1: oiez (R 829, 1983, 3110...), oient (R 1279, 1693, 2232, 4261...) Le participe présent est toujours oiant (R 473, 784, 1187, 1694). Verbes proier, proisier: les formes étymologiques sont beaucoup plus fréquentes que les formes analogiques du
INTRODUCTION
160
radical tonique: proisier (R 795, 1146, 1171, 2641, 2830, 3075...), proisié (R 2969, 2979, 2997) mais prisier (R 1442,
1465). Les formes analogiques ne sont pas représentées pour le paradigme du verbe proier. Verbe prendre: au subjonctif présent, prengne (R 1458, 1827, 2958), prengnent (R 2312) sont analogiques de viengne (R 620, 1415), viengnent (R 1444), tiengne (R 606)4. Verbe respondre: les formes responez (R 616), responent (R 851, 887, 1033, 2733, 3183, 3672, 4000...) sont analogiques du paradigme de pondre < PONERE'*. D étymologique se maintient dans respondre (R 4039), respondroit (R 2508), respondu (R 953, 2322)...
Verbes saillir, faillir: le radical non palatalisé n’est pas . représenté: saillent (R 3688)... ; faillent (R 468), failli (R 596...) Verbe oissir/ issir: au passé simple et au participe passé, les formes faibles alternent avec celles refaites sur le radical fort: oisi (R 23, 25, 59, 504), oisirent (R 1209) mais issirent (R 3467), isirent (R 3086, 3753); oisu (R 871) mais issu(e)
(R 33, 936, 958, 1805, 2318, 3723). À l’imparfait du subjonctif, R écrit issisent (R 846). Tardier (R 1143) semble (R 2829) et tarder (R 3724).
°
un croisement
entre fargier
Présents de l'indicatif et du subjonctif, impératif
Verbe estre :pour ietes (R 596), PS, cf. étude de la langue de B1, même partie. Verbe consivre :selon M. K. Pope, consut (R 914, 4062), avec réduction de iu à u, est une forme anglo-normande. Au vers 4328, le présent de consivre est consuit. 14 Cf. P. Fouché, Morphologie historique du français: le verbe, Klincksieck, Paris, 1967, pp. 107-108 : «la ressemblance qui existait entre prenons, prenez d’une part, et fenons, tenez — venons, venez de l’autre, a entraîné à la 1" pers. sing. indic. le changement de pren en preing, d’où est ensuite résulté un subjonctif preigne, preignes, etc.» 25 Cf. M. K. Pope, $ 937, p. 354.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
161
Verbe aler: à la P3, le subjonctif présent du verbe aler est
aut (R 240, 597), à la P1 aille (R 203, 215, 1024), à la PS ailliez (R 3974). Verbe trover :P3, subjonctif présent truist (R 3671). Verbe deigner: P3, subjonctif présent deint (R 2640)'25 °
_Imparfait: on note flanbeoit (R 177), du verbe flanboier, avec différenciation oi-oit > e-oit.
e
Futur et conditionnel
S implosif dans vosdrez (R 1418) est vraisemblablement une graphie analogique du radical du passé simple. Métathèse : recoverroiz (R 144); enterrai (R 236). —
—
Il y a syncope: entre n et r: donrai (R 1435), donra (R 324), donroit (R 393)... ; remenrai (R 459), amenrons (R 1428), enmenroiz (R 1642, 3416)... ; avec assimilation de n, retorroiz (R 3573), merrai (R 3988). entre r et r: conparroiz (R 3204); demorra (R 2291); garra (R 314) mais guerira (R 911), comme dans B1.
Le futur du verbe estre est particulièrement varié : outre le futur étymologique (iert, R 2562; ert, R 1389...), on relève des formes refaites sur l’infinitif *essere (essera, R 2392, 2566, 3269; esseront, R 591) ou sur l’infinitif estre (esterai, R 724; estera, R 1404, 2605; esterons, R 1496; esteroit, R 2527). Le radical ser- reste cependant le plus représenté: serai (R 611), sera (R 1397, 1424), seroie (R 663)... Une occurrence de sira (R 1677) pour sera.
+
Passé simple
S intervocalique a disparu dans feites (R 2280, 2281), oceïmes (R 3763). Cf. Imparfait du subjonctif. 1% Cf. M. K. Pope, $ 906, p. 343.
162
INTRODUCTION
Verbe voloir: le paradigme est issu de *volsi...: vos (R 3967) à la P2; vost (R 1244, 1363, 1440, 1737, 1741, 1948, 3236, 3339...) à la P3; vodrent (R 1076, 2061, 3894), avec effacement de / implosif (cf. ‘Graphies comportant un /°). Aconsivié (R 3202) est le passé simple du verbe aconsivir. +
__Imparfait du subjonctif Au passé simple comme à l’imparfait du subjonctif, dans B1 comme dans R, s intervocalique est supprimé, par analogie avec le paradigme du verbe veoir: feïst (R 21, 2152), feisiez (R 799) ; meïse (R 3969) ; oceïst (R 98); preïse (R 2445), preisent (R 2114); queïse (R 2456).
Verbe estre: feüst (R 1104), au lieu de fust, est analogique des subjonctifs formés sur les passés forts en -u (eüst, R 106...) Verbe voloir: vosise (R 2462); vosist (R 1233, 3327,
4207). Verbe pooir :peüse (R 3303), peüst (R 4208), peüsons (R
3766) mais poisse (R 3990), poïst (R 570, 2447, 2853...), poïsons (R 2308). Cf. ce verbe dans B1. °__
Participe passé
Conseïe (R 1801) est le participe passé du verbe consivre. Chalu (R 950) est le participe passé de chaloir. Toloit (R 428) est le participe passé du verbe toldre ou tolir. C’est une forme analogique de coilloiz < COLLECTUS, participe passé du verbe coillir.?7 Mescreüst (R 70), participe passé, n’a pas été corrigé malgré la confusion graphique avec l’imparfait du subjonctif. Croï (R 4109) est également une leçon douteuse, peut-être due à l’effacement de s intervocalique (par un phénomène analogique de celui qu’on trouve au passé simple et à l’imparfait du subjonctif ?) Au v. 1088, R écrit bien croisie.
7 Cf. G.Zink, Morphologie…., op. cit. #. 219, et P. Fouché, Morphologie.., op. cit., pp. 377-378.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
163
2. Désinences
Dr
2ÿ| Au futur, la désinence -ai est aussi graphiée -é: avré (R
2477, 2497); faudré (R 770); jerré (R 3054); remendré (R 240); rendré (R 2611, 2628); tendré (R 1261); vendré (R 680, 1025); verré (R 3857); vodré (R 202)...
R écrit chalong (R 1689), dong (R 737), remeng (R 483), vieng (R 3309) au présent, ving (R 368) au passé simple. Dong, remeng, vieng sont des graphies conservatrices (n est dépalatalisé depuis le x siècle). Chalong au lieu de chalonge est sans doute analogique de dong. Pour ving, cf. B1, qui adopte la même graphie.
LPS Reverdie (R 1717), cf. BI. Et est la P3 du verbe estre à l’indicatif présent (= esf) aux vers 2388, 3991, la P3 du verbe avoir au subjonctif présent (= ait) aux vers 3378, 3663. Au passé simple, comme dans B1, on note deux occur-
rences de la désinence -ié, toujours à la rime: descendié (R 2986) ; respondié (R 3002). Ce type de désinence a disparu selon P. Fouché dès la première partie du xur° siècle'#, et les copistes ne l’ont donc conservée que là où elle s’imposait, à la rime. e
P4
À l'impératif, on trouve isont (R 3665). À la rime, les désinences -on, -ïon sont employées en concurrence avec -ons, -ions: armon (R 3114); avion (R 2744, 2763); deffandon (R 2732); lesson (R 2780); morron (R 3137); poon (R 3115); savon (R 64, 67); seron (R 2749); tenon (R 66); trovon (R 61)...
128 Cf, P Fouché, Morphologie, op. cit., pp. 270-271.
INTRODUCTION
164
La désinence -iens est représentée par deux occurrences seulement, eüsiens (R 3032) et fusiens (R 3038). Elle est donc réservée à l’imparfait du subjonctif. -lens n’est pas représenté. La désinence -ïons est utilisée pour l’imparfait (lions, R 2032; avions, R 3031; cuidions, R 2033; estions, R 3029; poiïons, R 805, 2051...) et le conditionnel (crienbrions, R 2054 ; porrions, R 2055, 2093...).
Co Le Au passé simple, s implosif a tendance à s’effacer :acointates (R 1648) ;amates (R 3857); feites (R 2280, 2281); futes
(R 332" Au futur, la désinence est toujours -oiz: avroiz (R 245, 438, 774, 1419); bailleroiz (R 1407); ferroiz (R 831); garde-
roiz (R 519); iroiz (R 1636); orroiz (R 557, 781); perdroiz (R 361); recoverroiz (R 144); seroiz (R 311); tendroiz (R 306, 400, 1275); vodroiz (R 2088)... Une occurrence de seroit (R 1434) au lieu de seroiz (R 1436). Au subjonctif présent, on trouve par endroit -oiz: dioiz (R 2300) ;metoiz (R 3421); vendoiz (R 2136)... Cette désinence est lorraine ou bourguignonne.!?? -lez est la désinence du subjonctif : ailliez (R 3974), don-
gniez (R 2352)... ; eüsiez (R 1332), fussiez (R 585)... Enfin, -ïez se rencontre à l’imparfait et au conditionnel: aviez (R 726), tolïez (R 727)... ; vodriez (R 2387).
F0 Une occurrence de -erent au passé simple, après consonne radicale palatalisée :enchaucerent (R 2695). Au subjonctif imparfait, fusient (R 4691) est attiré par la
désinence de PS -iez. C’est une désinence répandue à l’Est.130
12 Cf. M. K. Pope, op. cit., $ 908 et E. $ xxvi. 80 Cf. G. Zink, Morphologie…., op. cit., p.211.
;
ÉTUDE DE LA LANGUE DE B1 ET DE R
165
Avriont (R 2617) est attiré par la désinence de P4 en -ions. W. Van Emden, qui relève cette forme de conditionnel unique dans Aymeri de Narbonne, montre qu’il ne s’agit pas d’une incorrection, comme le pensait L. Demaison.!3!
SECTION C : ÉTUDE DE LA SYNTAXE DANS BIETR Quoique les copistes de B1 et de R n’aient pas le même style (cf. chapitre V), la syntaxe ne varie pas considérablement d’une chanson à l’autre, dans la mesure où la ‘version
longue” procède par ajouts de phrases ou de propositions: cette version, qui se caractérise par un souci d’ornementation associé au respect du texte, ne cherche aucunement à produire
une narration personnalisée. La syntaxe n’est donc pas remaniée en profondeur. Quant à la version B, un peu plus récente, elle n’éprouve pas le besoin de rajeunir la syntaxe. Mais il faut remarquer que les variantes syntaxiques, bien plus que les variantes formulaires, sont limitées par les contraintes métriques. C’est pourquoi l’on regroupera ici les observations sur la syntaxe de BI et de R. A. Accord sujet / verbe!°? Accord logique : gent, singulier collectif, est en général suivi d'un verbe au pluriel: « Cele gent averssiere / N’en tenront.
» (BI 499- 500 / R 499-500)
«Ja n’i garront la pute gent haïe » (B1 1106/R 1112)
131 Cf. W. Van Emden, op. cit., p. CVI. 132 Cf. Ph. Ménard, op. cit., $ 128.
INTRODUCTION
166
« Ceste male gent/Qui ça derrier nous chacent »(B1 1907-1908 /
R 1936-1937) «Ne sai quel gent vienent.. » (B1 1962 /R 1991)
Accord avec le sujet le plus proche
B1 accorde le verbe au sujet le plus proche: «Arriere torne Aymeris et si dru » (B1 932). Mais dans R, il y a accord avec le sujet complet: «Arrieres tornent Aimeri et si dru» (R 937). La deuxième partie du sujet peut être rejetée après le verbe: « Saveris fu et si honme... » (BI 1794 / R 1817). La syntaxe est ici imposée par la mesure du vers; ainsi la leçon de B2, qui accorde sujet et verbe, transforme le vers en alexandrin: « Savari et ses homes furent en grant doutance » (B2 1801)
Absence d'accord:
Quand le sujet est postposé au verbe, R laisse parfois le verbe au singulier, même alors que le sujet est un pluriel sans ambiguïté: «En Pavie entre li conte et li marchis » (R 3251) [B1 entrent]
«tel .XIII. (...)/ Qui n'ot mestier fors que gesir en biere » (R 17561757) [B1 quin'ont]
B. Emploi particulier du pronom sujet Au vers BI 1368 / R 1380, le pronom sujet i/ annonce un sujet explicitement mentionné après le verbel#: «.. dont il morront .M. honme fervesti »
13 Cf. Ph. Ménard, Syntaxe de l’ancien français, op. cit., $ 57, 3.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
167
C. Possessifs
Article possessif ou pronom personnel ?
La forme vo est peut-être utilisée comme pronom dans por vo vivre maint jor (B1 1243). Il s’agirait alors d’une construction avec infinitif prépositionnel, comme le suggère Tobler-Lommatzsch qui cite ce vers d’Aymeri de Narbonne pour la construction soi vivre de a. r. (art. vivre, vb.). Mais il est sans doute préférable de comprendre vivre comme un substantif: por son vivre, ‘pour sa subsistance’, por vo vivre, ‘pour votre subsistance, pour vivre’ (cf. Tobler-Lommatzsch, art. vivre, S. m.). Vo serait alors bien un article possessif. Dans B1, la forme picarde vo, réservée à l’article possessif, invite
d’ailleurs à cette lecture. La leçon de R est plus ambiguë: a vos vivre meint jor (R 1252).
Pronom possessif On note également un emploi intéressant de seue: « Guibort la seue avec lui conduira » (BI 3793), où la seue
signifie ‘son épouse’, peut-être avec une nuance affective. D. Adverbes et particules Ainc et ainz
Ainc est une forme picarde!# propre à B1. Dans Guibert d'Andrenas, «seuls B1B2 connaissent l’adverbe ainc ‘jamais’,
qu’ils opposent à ains, ainz, temporel ou adversatif. »!$ Pour Aymeri de Narbonne, ainc se rencontre surtout dans B1 (B1
1339, 1781, 2404, 2978, 3613, 4023, 4524): il n’y a qu’une occurrence dans B2 (B1 1339), qui ailleurs préfère onc. Ainc 14 Cf, Ch. Th. Gossen, op. cit., $ 39.
135 M. Ott, op. cit., p. 57.
INTRODUCTION
168
est absent de DEHR. Là où B1 écrit ainc, R écrit en général einz (R 1351, 1804, 3024, 3696, 4634). Car, cor L'adverbe car peut renforcer l’expression du souhait : Cor me herberge… ! (R 3839) [B1 Qu'il]
Car fust il or venuz! (B1 654 / R 655) Mahomet, sire, car nous venez aidier !(B1 1156/R 1164)
Cor est formé de que + or: on peut transcrire c’or, mais aussi cor, car on l’a très vite «considéré comme une forme parallèle à car!%,. » Dont, adoni, lors, or
L’adverbe dont a de nombreuses nuances. On l’emploie dans les questions réclamant une réponse affirmativel*?7, autrement dit, lorsque le locuteur cherche à convaincre et
s'exprime avec énergie: Dont n'oez vous ce glouton souduiant ? (B1 1677/R 1696)
Dont n'est il sires et rois en son regné ? (B1 2181 / R 2214)
Il apporte aussi une nuance expressive dans les exclamatives: alons ent dont (BI 2028 / R 2057), alez ent dont (B1 3714 / R 3799), or dont si vous hastez (B1 2364 / R 2399)...
Comme or !*#, dont a ici valeur d’insistance. Enfin, en tête de phrase, dont a souvent le sens d’un adverbe temporel, et peut se traduire par ‘alors’: Dont conmença l'estour grant et forni (B1 4011) (Lor reconmence..., R 4098)
16 Ph. Ménard, op. cit., $ 41, 2, remarque 1. Pour une occurrence (B1 2663 / R 2700), il a paru préférable de transcrire c’or.
7 Cf. Ph. Ménard, op. cit., $ 98. 58 Cf. B1 235,784 / R 234, 788...
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
169
Dont ont l’estour du tout renovelé (B1 4123) (Lors ont l’estor.…, R 4219)
Dans ce dernier emploi de dont, R préfère employer un autre adverbe de sens similaire, lors. De même, il emploie
adont moins souvent que B1. Comme lors ou dont, adont est
un adverbe temporel qui signifie ‘alors’ !# (cf. BI 1318, 3300 R 1319, 3355). Or peut également être un adverbe de temps ayant le sens de ‘maintenant’: or me rofrez... (B1 349 / R 352), or i parra (B1 878, 3126 / R 883, 3174)... BI et R écrivent toujours dont, adont, sauf aux vers R 4070,
4075 où R écrit adonc. Tour présentatif es vos La particule es, ‘voici’, est suivie du pronom vos / vous au datif éthique: c’est une façon d’associer l’auditeur ou le lecteur aux événements racontés!#. Es vos marque l’irruption d’un nouveau personnage dans l’action: es vous Foukon (B1 3662 / R 3745), es vous le més (BI 3752 / R 3845), es vous le
conte (B1 3925 / R 4010)... L’adverbe de temps a tant précède parfois es vos (B1 1749, 2493 / R 1771, 2528). Mar, buer
Buer vient du latin bona hora et signifie ‘pour mon (ton, son...) bonheur’(B1 1653, 4295 / R 1672, 4396). Mar, plus courant, vient du latin mala hora. Devant un verbe au passé, il a pour sens ‘pour mon (ton, son...) malheur’: tant mar vous vi finer (B1 538 / R 539), cist mar virent la guerre (R 1838)... Mais dans Aymeri de Narbonne, 139 Cf, Ph. Ménard, op. cit., $$ 192 et 193. 140 Cf, G. Moïignet, Grammaire Paris, 1973, p. 142.
de l’ancien français, Klincksieck,
170
INTRODUCTION
le sens le plus fréquent de mar est le suivant: devant un verbe au futur, mar exprime «une défense très énergique »*!: ja mar en douterez (B1 3263, 3275 / R 3318), ja mar en parlerez (R 3330)... Devant un impératif (B1 1096 / R 1102), un sub-
jonctif présent (B1 1404 / R 1416), mar traduit la même défense énergique, mais ces tournures sont beaucoup plus rares. Expression de la négation
L’adverbe nen devant voyelle apparaît une fois dans B] (B1 3353). R emploie cet adverbe plus facilement que B1: R 564, 684, 3414. Les substantifs pas et mie se rencontrent dans la même tournure négative, de façon à renforcer l’expression de la négation: «n’a pas encor son duel oublié mie » (BI 2672 / R 2710). E. Incidences de la rime sur la syntaxe
Les graphies sont parfois adaptées à la rime: ainsi, R écrit senglé (R 233) et non sengler, B1 espier (B1 3565) et non espié ou espiel, comme ils le font ailleurs. Cette pratique peut entraîner une confusion entre participe passé et infinitif : noé (B1 4160), otroié (B1 2593), ventelé (BI 819) sont des infinitifs;desranjier (B1 3650), devaler (B1 157 / R 155), espoen-
ter (BI 3874 / R 3964) sont des participes passés. Ces deux dernières graphies, communes, sont soit des coïncidences soit peut-être l’héritage d’un modèle commun. B1B2 ont voulu corriger Ces Lonbarz ci voi mout espoenter !(R 3964)
1 Ph. Ménard, op. cit., $ 315.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
171
et ont écrit : Ces Lombars ci weil mout espoenter ! (B1 3874)
La correction avait le mérite de faire d’espoenter un infinitif au lieu d’un participe passé en -er, mais le sens n’est pas satisfaisant (le but d’Aymeri n’est pas d’épouvanter mais d'encourager des Lombards déjà terrifiés). B1 a donc été corrigé par une leçon tirée de D et identique à celle de R. B1 confond également -er et -ez: garder (BI 3931) est mis pour gardez. La confusion entre -er et -é, -ez apparaît aussi dans B1 à l’intérieur du vers: passer (B1 2459) est un participe passé. Mander (B1 3489) est un impératif.
F
Emploi de l’infinitif en fonction d’impératif
L’interdiction peut être exprimée par l’infinitif précédé de XIE «Le grant besong ne li celer tu ja » (R 3832) [BI çoilles]
Espoenter dans B1 est ambigu : il peut s’agir d’un infinitif prohibitif ou, peut-être plus vraisemblablement, d’une nouvelle confusion entre -er et -ez: «Ne vous espoenter » (B1 3845) [R espoentez]
G. Relatives et interrogatives
Confusions entre cui et qui ou que. Dans B1, cui se rencontre après une préposition, le plus souvent a (B1 444, 2517, 3361, 3944...), mais aussi en (B1
142 Cf. Ph. Ménard, op. cit., 8 161, b.
192
INTRODUCTION
540), par (B1 643, 1858, 3093), por (B1 2567). Cui est également utilisé sans préposition et équivaut alors à un datif (B1 549, 1769, 3562, 3606...)!#. Dans R, cui se rencontre comme
dans B1 après une préposition, le plus souvent a (R 1273, 2552, 2562, 3424), parfois par (R 644, 1882), et peut également être utilisé sans préposition (R 514, 4566). B1 tend à utiliser cui au lieu de que: B1 1102 (R que), 2598 (R que), 2658 (R Qu'il), 3945 (R cui)... De même, on attendrait que au cas régime direct en R 4030: Mahomet, cui ge doi aorer.…. On note par ailleurs quelques confusions entre qui et cui: qui apparaît parfois (B1 194, 4461...) là où on attendraïit cui. Cette confusion semble plus courante dans R: li mesagier, qui Gesu face aiue (R 1792) ; un Sarrazins qui li cors Deu maudie (R 3461); les gentis contes (..….) / Qui Sauvaris avoit fet asegier (R 3098). Cf. également R 194, 550, 3642, 3688,
4083, 4469. Relatives sans antécédent
Les relatives sans antécédent sont très courantes en ancien français. Dans les relatives sans antécédent, cui, en tant que cas régime tonique du genre animé, «est le seul relatif objet qui puisse être employé! #»: cui en fera chose... (R 619); cui il consuit.… (BI 909, 3976, 4229; R 914, 4062, 4328), cui il consuient... (BI 1012, 1797, 3170... ; R 1017, 1821, 3220...). Mais on relève aussi cil cui consuient.. (B1 2926).
43 La relative optative semble attirer cwi, même au CR direct: cui Jhesu face aiue (B1 1769), cui Diex doint encombrier (B1 3562)... entrafnent probablement cui li cors Dieu maudie (B1 3397). 4
G. Moignet, Grammaire de l’ancien français, Klincksieck, Paris,
1973, p. 158.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
173
Qui que introduit une relative indéterminée à valeur concessive, dont le verbe est au subjonctifl#: qui que s’en voist (B1 241, 596 / R 240, 597); qui que fust a la keue derrier (BI 1149 / R 1157), qui que ait en pesance (BI 1813/R
1837); qui quel tiengne a folie (B1 4290 / R 4391, avec enclise). Cette construction peut donner lieu à une alternative négative, avec une seconde relative elliptique du verbe: qui qu’en poist ne qui non (B1 1540, 2747 / R 1554, 2788). Relatives à valeur hypothétique Une proposition relative peut avoir une valeur hypothétique : on traduira ainsi « qui me donroit tout le tresor Pepin /
Ne tenroie Nerbone» par ‘même si on me donnait...’ 1#, Même construction en B1 3259 / R 3314). Qui, pronom relatif sans antécédent, suivi de l’imparfait du subjonctif est un tour fréquent dans la chanson de geste. La relative introduite par qui est alors sujet de la principale, également à l’imparfait du subjonctif : Qui li veïst son escu enbracier (...)
Mout le deüst aloser etproisier !(B1 2787-2789/R 2828-2830)
La relative a bien une valeur hypothétique, que l’on peut rendre en traduisant par ‘si vous l’aviez vu...” La principale est parfois omise, et la relative introduite par qui prend dans ce cas une valeur exclamativel#: Qui lors veïst Alemenz desrengier !(B1 2804 / R 2845)
Cf. également B1 1132, 2837 / R 1140, 2881.
145 Cf, Ph. Ménard, op. cit., $ 78. 146 Cf, Ph. Ménard, op. cit., $ 76, remarque 3.
47 On trouve dans Aymeri de Narbonne une autre phrase très semblable en B1 1160-1163 / R 1168-1171. 148 Cf, Ph. Ménard, op. cit., $ 76, remarque 1.
174
INTRODUCTION
Relatives optatives
On peut trouver un subjonctif de souhait dans la relative!#, L’antécédent est en général Dieu: qui me croisse barnage (B1 738 / R 742), qui les conduie trestous a sauveté (BI 1550 / R 1564), Qui vous desfende de mort et d’encom-
brier (B1 3717 / R 3802). Quel, li quel Li quiex introduit une interrogative directe (BI 3941 / R 4026) ou une interrogative indirecte (B1 3218 / R 3272). Li quiex introduit aussi une relative indéterminée : li quiex que soit. (B1 805 / R 809). Selon Ph. Ménard, ce dernier tour est rare, On trouve une occurrence du tour interrogatif guel la suivi du verbe faire au futur: quel la feron ? (R 3133), ce qui peut se traduire par ‘qu’allons-nous faire ?’. Le pronom interroga-
tif fait alors référence à un substantif féminin sous-entendu, tel que chose!!, Dans B1, on lit quel le feron (B1 3086), ce qui est sans doute un picardisme. Remarques sur quelques interrogatives directes
Cui est pronom interrogatif en B1 2851 / R 2895: Cui chaut de ce ? On remarquera le tour expressif: Et li paien, quant se virent sorpris ? (B1 963 / R 968)
L'absence de verbe, ainsi que l’emploi de ef initial de phrase, donnent à l’interrogation une grande vivacité. Et initial de
# Cf. CI. Buridant, Grammaire SEDES, 2000, $ 276. 150 Cf. Ph. Ménard, op. cit., $ 383. 51 Cf, Ph. Ménard, op. cit., $ 93.
nouvelle
de l’ancien français,
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
175
phrase marque également ici l’amorce d’un nouvel épisode!?, puisque le récit passe du camp chrétien au camp des païens. L’interrogative directe et nos que atendon ? (R 2752) est également un tour expressif, puisque le sujet est mis en tête de phrasel$#, La tournure est aussi imposée par la rime en -on. H. Subordination
Temporalité
On remarquera ançois avant que (B1 3257 / R 3312), exprimant l’antériorité, et représentant un croisement entre ainçois que et avant que, dont l’emploi progresse au xI° siècle selon Ph. Ménard'$t. Causalité
La locution conjonctive por seul itant que (BI 1631/R 1647) n’est pas très fréquente et signifie ‘pour la simple raison que, parce que’. Tour se... ne...
Se introduit généralement une subordonnée hypothétique. Mais dans un contexte négatif, se peut prendre le sens de ‘à moins que’: Ja nel avrez nul jour de vostre aé Se Diex n’i fet vertus par sa bonté (B1 246-247 / R 245-246)
Cf. également B1 683, 2357 / R 684...
152 Cf. Ph. Ménard, op. cit., $ 196.
153 Cf, Ph. Ménard, op. cit., $ 101. 154 Cf. Ph. Ménard, op. cit., $ 246.
176
INTRODUCTION
Locutions a poi que, por poi que, par pou que + négation
Le trouvère utilise ces locutions pour exprimer un procès qui a failli se réaliser :‘il s’en faut de peu que’!%. BI écrit por poi que (BI 2213), a poi que (B1 1789, 1818), mais R préfère par poi que (R 1812), par pou que (R 1842, 2246). I.
Parataxe
La parataxe est courante en ancien français, particulièrement dans la chanson de geste. Aymeri de Narbonne ne fait pas exception à la règle. Ainsi, le pronom relatif peut être omis :on comparera N'i a celui n'ait poor de sa vie!(B1 1079 / R 1085)
et N'i a celui qui n'ait .V. escuiers (B1 2100 / R 2130).
De même, que complétif est omis en B1 718, 795 / R 722... La parataxe est également fréquente dans les consécutives : Tel paor ot, tout ot le sanc mué! (B1 1976 / R 2005)
La parataxe, historiquement plus ancienne que la subordination, s’est bien maintenue dans les deux manuscrits de réfé-
rence. C’est peut-être dû à des «raisons métriques!%» ; c’est peut-être aussi parce qu’elle est une composante importante du style épique: «elle donne à l’expression vivacité, spontanéité, couleur dramatique!*7. »
155 Cf. Ph. Ménard, op. cit., $ 303. 156 Ph. Ménard, op. cit., 8 188 157 Ph, Ménard, op. cit., 8 188.
ÉTUDE DE LA LANGUE DE BJ ET DE R
(7
Comme on pouvait s’y attendre, la langue de B1 est moins ancienne que celle de R, ce qui n’a guère de conséquence sur la morphologie ou la syntaxe, mais davantage sur les graphies. Même si le copiste de B1 adopte en général des graphies conservatrices (il conserve, par exemple, s implosif, alors que R ne le note plus systématiquement, restitue parfois / implosif.…), il ne peut échapper complètement à l’évolution de la langue : au futur, il écrit donc -ez au lieu de -oiz dans R; il confond souvent -s5, -z, -x...
En fait, la date de composition du manuscrit a essentiellement pour corollaire une certaine incertitude dans les graphies (picardes ou non, conservatrices ou non, avec rappel
éventuel de l’étymologie). R est sur ce point plus rigoureux: tout en adoptant quelques formes dialectales du Nord ou de l'Est, il s’en tient presque toujours à une seule et unique graphie pour un son donné (puent pour pueenit, par exemple, est systématique). Les copistes ont donc fourni un travail de différente nature, mais d’une excellente tenue dans les deux cas.
.
CE de er