Atlas des migrations dans le monde : Libertés de circulation, frontières et inégalités (Hors Collection) (French Edition) 2200635982, 9782200635985


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French Pages [158] Year 2022

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Table of contents :
Titre
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Sommaire
Première partie. Les formes historiques de la liberté de circulation
Des régimes de libre-circulation sans liberté de circulation
Une fragile « liberté de voyage » au défi du racisme et du colonialisme (1914-1946)
Du traité de Burlingame à la loi sur l'exclusion des Chinois
La mobilité humaine en Afrique de l'Ouest : rupture coloniale et continuité précoloniale
Les circulations dans le cadre du pèlerinage à la Mecque dans le contexte colonial
L'émigration des femmes seules vers les colonies britanniques au xixe
La liberté de circulation : un instrument diplomatique – le cas de la Libye
La colonisation de l'Amérique du Nord : la libre circulation des premières nations remises en question
Franchir la ligne de couleur à la frontière mexico-americaine : l'histoire de William Ellis
La solidarité ouvrière à l'épreuve de la liberté de circulation
Droit de visite et quarantaines
Les migrations environnementales dans l'histoire
Deuxième partie. Les espaces régionaux de liberté de circulation
Faciliter les mobilités régionales
La liberté de circulation en Europe
Bulgares et Roumains : mesures transitoires, empreinte durable
Les frontières du détachement : liberté d'aller-venir vs flex-circulation
Vie familiale et droit à la mobilité dans et vers l'Union européenne
Migrations peu qualifiées, entreprises multinationales et émergence d'une industrie migratoire en Asie du Sud-Est
La liberté de circulation dans l'espace post-soviétique
Des mobilités dans un espace de libre circulation intra-africain : l'immigration ivoirienne en Tunisie
Transhumance transfrontalière dans l'espace CEDEAO
L'authentification biométrique dans la CEDEAO, un atout pour la libre circulation ?
L'Accord de résidence du Mercosur, un régime de circulation soumis au changement politique
Mobilités Sud-Sud en Amérique centrale : des frontières différenciées entre légalité et informalité
Troisième partie. Circulations des marchandises, services, et capitaux
Ce que la libre circulation des marchandises fait à celle des individus
La circulation des fraises et des ouvriers agricoles : le modèle d'une multinationale
Les routes du verre : la circulation des savoir-faire
Flux must go on ! La circulation en trompe l'œil des marins de commerce
Rebattre les cartes du retour : faire carrière dans les call centers délocalisés
La liberté de circulation du capital et ses paradoxes
Circulation des données personnelles ou la liberté de surveiller
Quatrième partie. « Autonomie des migrations et solidarités : la liberté de circulation en actes »
Autonomie des migrations et solidarités : la liberté de circulation en actes
Les formes de protection sociale transnationale autonome
Des circuits économiques auto-organisés par des migrants ouest-africains en France
Arracher sa liberté de circulation à la frontière maroco-espagnole
Les caravanes de migrants, nouvelle forme de lutte en Mésoamérique
Personnes trans en migration
Autonomie des migrations et haute technologie des régimes de frontière ?
La cartographie : rendre (im)possible les mobilités ?
Subvertir la frontière biométrique : anonymat et contre-usage de l'identification
Les passeurs, une aide nécessaire
Les délinquants solidaires – la solidarité en acte aux frontières
Pratiques de résistance et solidarités en Méditerranée
Solidarités et Autonomie le long de la Route des Balkans
Cinquième partie. Re/penser la libre circulation
Re/penser la libre circulation
Libéralisme politique et liberté de circulation
Liberté de circulation, « gouvernance mondiale » et « gestion » des migrations
Liberté d'aller, venir et s'installer : l'idéal anarchique des No Border
Approches féministes & queer de la circulation
Mobilité des personnes migrantes roms dans l'espace européen : se réapproprier la liberté de circulation
Les passeports amérindiens comme acte anticolonial
Liberté de circulation, accueil communal et solidarité locale
Une méthode océanique pour comprendre les circulations
Penser un monde sans frontières depuis l'Afrique
Et maintenant ?
Bibliographie
Table des cartes
Contributeurs et contributrices
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Atlas des migrations dans le monde : Libertés de circulation, frontières et inégalités (Hors Collection) (French Edition)
 2200635982, 9782200635985

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Atlas des migrations dans le monde

Armand Colin

DES MIGRATIONS DANS LE MONDE LIBERTÉS DE CIRCULATION, FRONTIÈRES ET INÉGALITÉS

Ouvrage dirigé par Sara Casella Colombeau

Coordination de la cartographie : David Lagarde ● Nicolas Lambert Coordination des parties : Karen Akoka ● Céline Cantat ● Sara Casella Colombeau ● Alizée Dauchy ● Nora El Qadim ● Brigitte Espuche ● Camille Gendrot ● Charles Heller ● Emmanuelle Hellio ● Laurence Pillant ● Anna Sibley ● Isabelle Saint-Saëns Les choix éditoriaux ont bénéficié des contributions de : Francoise Bahoken ● Sophie-Anne Bisiaux ● Emmanuel Blanchard ● Violaine Carrère ● Claudia Charles ● Olivier Clochard ● Cristina Del Biaggio ● Camille Guenebeaud ● Paul Guilibert ● David Lagarde ● Marie Laigle ● Nicolas Lambert ● Eva Ottavy ● Claire Rodier ● Farida Souiah ● Elsa Tyszler Coordination de la photographie : Sara Prestianni Textes : Karen Akoka ● Ségolène Barbou des Places ● Lois Bastide Céline Bergeon ● Pierre-Alexandre Beylier ● Emmanuel Blanchard ● Sophie-Anne Bisiaux ● Benjamin Boudou ● Olga Bronnikova ● Céline Cantat ● Maribel Casas Cortes ● Sara Casella Colombeau ● Camille Cassarini ● Alexandra Castro ● Luc Chantre● Pascaline Chappart ● Olivier Clochard ● Sebastian Cobarrubias ● Michaël da Cruz ● Alizée Dauchy ● Nora El Qadim ● Brigitte Espuche ● Maroussia Ferry ● Claire Flecher ● Filippo Furri ● Anna Mary Garrapa ● Camille Gendrot ● Amélie Grysole ● Camille Guenebeaud ● Shira Havkin ● Charles Heller ● Emmanuelle Hellio ● Lola Isidro ● Arnaud Kaba ● Bernd Kasparek ● Mahmoud Keshavarz ● Léopold Lambert ● Grégory Mauzé ● Renisa Mawani ● Achille Mbembe ● Aïssatou Mbodj-Pouye ● Arthur Messaud ● Stanislas Michel ● Véronique Molinari ● AnneMarie Moulin ● Laura Odasso ● Hassan Ould Moctar ● Polina

Palash ● Laure Palun ● Dolorès Paris Pombo ● Antoine Pécoud ● Anna Perraudin ● Émilie Pesselier ● Manuela Picq ● Étienne Piguet ● Laurence Pillant ● Dominique Plihon ● Stuart Pluen-Calvo ● Delphine Prunier ● Giovanna Rincon ● Isabelle Saint-Saëns ● Bodé Sambo ● Chafai Sayadi Abdou ● Stefan Scheel ● Anna Sibley ● Farida Souiah ● Thomas Spijkerboer ● Martina Tazzioli ● Elsa Tyszler ● Ana Valdivia Garcia ● Amarela Varela La conclusion a été rédigée grâce aux contributions de : Karen Akoka ● Céline Cantat ● Sara Casella Colombeau ● Alizée Dauchy ● Morgane Dujmovic ● Nora El Qadim ● Camille Gendrot ● Charles Heller ● Emmanuelle Hellio● Isabelle Saint-Saëns Cartographies : Sarah Bachellerie ● Lucie Bacon ● Françoise Bahoken ● Loïs Bastide ● Bechir Ben Mohamed ● Maribel Casas Cortes ● Olivier Clochard ● Sebastian Cobarrubias ● Morgane Dujmovic ● Camille Guenebeaud ● Tony Hauck ● Najeh Kebaier● David Lagarde ● Nicolas Lambert ● Stanislas Michel ● Laurence Pillant ● Matthieu Polo ● Muriel Samé Ekobo ● Raphaëlle Segond ● Ronan Ysebaert



© Armand Colin, 2022 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff ISBN 978-2-200-63598-5

Photographies : Éric Besatti ● Dogan Bostáz ● Julia Burtin Zortea ● Anna Mary Garrapa ● Arnaud Kaba ● Sara Prestianni ● Tintin Wulia Bande dessinée : Ali Fitzgerald Traduction :

Pascaline Chappart, Isabelle Saint-Saëns Conseils et relecture :

Marie Laigle



SOMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE

LES FORMES HISTORIQUES DE LA LIBERTÉ DE CIRCULATION Des régimes de libre-circulation sans liberté de circulation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

La liberté de circulation : un instrument ­ iplomatique – le cas de la Libye . . . . . . . . . . . . . 30 d

Une fragile « liberté de voyage » au défi du racisme et du colonialisme (1914-1946). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

La colonisation de l’Amérique du Nord : la libre circulation des premières nations remises en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

Du traité de Burlingame à la loi sur l’exclusion des Chinois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Franchir la ligne de couleur à la frontière mexicoamericaine : l’histoire de William Ellis . . . . . . . . . 34

La mobilité humaine en Afrique de l’Ouest : rupture coloniale et continuité précoloniale. . 24

La solidarité ouvrière à l’épreuve de la liberté de circulation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

Les circulations dans le cadre du pèlerinage à la Mecque dans le contexte colonial. . . . . . . . 26

Droit de visite et quarantaines. . . . . . . . . . . . . . . . 38

L’émigration des femmes seules vers les colonies britanniques au xixe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Les migrations environnementales dans l’histoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

DEUXIÈME PARTIE

LES ESPACES RÉGIONAUX DE LIBERTÉ DE CIRCULATION Faciliter les mobilités régionales. . . . . . . . . . . . . . 46 La liberté de circulation en Europe . . . . . . . . . . . 50 Bulgares et Roumains : mesures transitoires, empreinte durable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Les frontières du détachement : liberté d’allervenir vs flex-circulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 Vie familiale et droit à la mobilité dans et vers l’Union européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Migrations peu qualifiées, entreprises multinationales et émergence d’une industrie migratoire en Asie du Sud-Est . . . . . . . . . . . . . . . . 58 La liberté de circulation dans l’espace postsoviétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

Des mobilités dans un espace de libre circulation intra-africain : l’immigration ivoirienne en Tunisie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 Transhumance transfrontalière dans l’espace CEDEAO. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 L’authentification biométrique dans la CEDEAO, un atout pour la libre circulation ? . . . . . . . . . . . . 66 L’Accord de résidence du Mercosur, un régime de circulation soumis au changement politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 Mobilités Sud-Sud en Amérique centrale : des frontières différenciées entre légalité et informalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70

ATLAS DES MIGRATIONS DANS LE MONDE

TROISIÈME PARTIE

CIRCULATIONS DES MARCHANDISES, SERVICES, ET CAPITAUX Ce que la libre circulation des marchandises fait à celle des individus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

Rebattre les cartes du retour : faire carrière dans les call centers délocalisés. . . . . . . . . . . . . . . 84

La circulation des fraises et des ouvriers agricoles : le modèle d’une multinationale . . . . . . . . . . . . . . 78

La liberté de circulation du capital et ses paradoxes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

Les routes du verre : la circulation des savoir-faire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

Circulation des données personnelles ou la liberté de surveiller . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

Flux must go on ! La circulation en trompe l’œil des marins de commerce. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

QUATRIÈME PARTIE

« AUTONOMIE DES MIGRATIONS ET SOLIDARITÉS : LA LIBERTÉ DE CIRCULATION EN ACTES » Autonomie des migrations et solidarités : la liberté de circulation en actes. . . . . . . . . . . . . . 94

La cartographie : rendre (im)possible les mobilités ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

Les formes de protection sociale transnationale autonome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

Subvertir la frontière biométrique : anonymat et contre-usage de l’identification. . . . . . . . . . . . 112

Des circuits économiques auto-organisés par des migrants ouest-africains en France. . . . . . . 98

Les passeurs, une aide nécessaire. . . . . . . . . . . . . 114

Arracher sa liberté de circulation à la frontière maroco-espagnole. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 Les caravanes de migrants, nouvelle forme de lutte en Mésoamérique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Personnes trans en migration. . . . . . . . . . . . . . . . . 104

Les délinquants solidaires – la solidarité en acte aux frontières. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 Pratiques de résistance et solidarités en Méditerranée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Solidarités et Autonomie le long de la Route des Balkans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

Autonomie des migrations et haute technologie des régimes de frontière ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108

CINQUIÈME PARTIE

RE/PENSER LA LIBRE ­CIRCULATION Re/penser la libre circulation . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 Libéralisme politique et liberté de circulation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 Liberté de circulation, « gouvernance mondiale » et « gestion » des migrations. . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Liberté d’aller, venir et s’installer : l’idéal anarchique des No Border. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

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Approches féministes & queer de la circulation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 Mobilité des personnes migrantes roms dans l’espace européen : se réapproprier la liberté de circulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136 Les passeports amérindiens comme acte anticolonial. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138

SOMMAIRE

Liberté de circulation, accueil communal et solidarité locale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140

Penser un monde sans frontières depuis l’Afrique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

Une méthode océanique pour comprendre les circulations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Et maintenant ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Table des cartes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Contributeurs et contributrices. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Sara Prestianni, Lampedusa, île frontière.

RENOUVELER NOS IMAGINAIRES POLITIQUES : LA LIBERTÉ DE CIRCULATION COMME UTOPIE CONCRÈTE

L

e terme de « liberté de circulation » porte en lui des imaginaires polysémiques et disjoints. Dans le monde du militantisme en faveur des droits des personnes migrantes, la liberté de  circulation constitue un idéal et un marqueur de positionnement. Il indique une forme de radicalité dans le rejet des politiques mortifères actuelles. De façon déconnectée, la libre circulation constitue un des piliers de plusieurs espaces régionaux, tels que l’Union européenne (UE) ou la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ainsi, la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux a fait l’objet depuis les années 1950 d’une codification progressive et d’une institutionnalisation au sein de l’UE. L’étendue des droits acquis par celles et ceux qui jouissent de la citoyenneté européenne en matière de liberté de circulation et d’installation est unique au monde. Dans l’UE, ils et elles peuvent franchir les frontières, s’installer dans un autre État membre, voter aux élections locales, travailler, accéder au système de protection sociale, etc.

Les discours critiques sur l’immigration nous conduisent parfois à considérer que le régime migratoire mondial actuel n’est constitué que d’entraves à la mobilité. Or c’est bien à un double mouvement contradictoire et simultané auquel nous assistons : une facilitation des mobilités pour certain·e·s et un durcissement sans précédent pour d’autres. Les  conditions d’accueil des personnes fuyant l’Ukraine en 2022 ont été à ce titre exemplaire : le mécanisme de protection temporaire déclenché en mars garantit des conditions d’accès au territoire européen dont n’ont bénéficié ni les ressortissant·e·s africain·e·s installé·e·s en Ukraine ni aucune autre population fuyant des conflits similaires au cours des dernières décennies. Plus globalement, le durcissement des contrôles frontaliers et l’augmentation de la létalité des frontières se produit alors même qu’on a assisté depuis la fin des années 1970 à une accélération des possibilités de déplacements et à une diminution des coûts de voyages aériens des citoyen·ne·s issu·e·s du Nord global. Les capacités légales et financières 10

des ­personnes à franchir les frontières, à travailler et résider dans un autre pays sont très inégales. Au hasard des pays de naissance sont associés des droits à la mobilité radicalement inégalitaires qui reflètent des rapports de domination raciaux, sociaux et genrés. Ainsi, la liberté de circulation porte en elle cette double nature : elle est à la fois un idéal à atteindre pour certain·e·s et une réalité déjà concrète pour d’autres. Cette dualité constitue une incitation à considérer la liberté de circulation comme atteignable puisqu’elle est déjà partiellement existante. Depuis 2002 Migreurop, documente et dénonce les violences étatiques déployées aux frontières et revendique une transformation radicale des politiques migratoires. Ces analyses du renforcement du contrôle sur les mobilités d’une partie de l’humanité ont été rassemblées dans les trois éditions de l’Atlas des migrants en Europe publiées en 2009, 2012 et 2017. Aujourd’hui, nous proposons de retourner le regard et d’observer les moments historiques, les dispositifs, les politiques, les moyens qui ont été mis en œuvre par les États pour faciliter les migrations et les mobilités de manière générale. Nous ne nous limitons pas à présenter des situations satisfaisantes qui associent migration et égalité des droits économique, sociaux et politiques. En effet, une grande partie des politiques d’encouragement à la migration s’inscrivent dans des projets utilitaristes de réduction des personnes à leur force de travail. Mais c’est en analysant avec la même acuité les mises en mobilité que leurs entraves que nous souhaitons apporter de nouvelles perspectives. Que peut-on apprendre des formes, certes imparfaites, de liberté de circulation mises en place par des États, par des organisations internationales ou arrachées, malgré les obstacles, par les personnes en migrations pour nourrir notre imaginaire sur une liberté de circulation à faire advenir ? Cet atlas propose donc de saisir des questions restées secondaires dans les éditions précédentes, c’est-à-dire comprendre à la fois les dynamiques sécuritaires qui placent la souveraineté au cœur des

RENOUVELER NOS IMAGINAIRES POLITIQUES : LA LIBERTÉ DE CIRCULATION COMME UTOPIE CONCRÈTE

Sara Prestianni, Torbale (Turquie) travailleurs et travailleuses saisonnier·e·s syrienne·e·s, 2016.

Sara Prestianni, Campement de travailleur·se·s saisonnier·ère·s et serres servant à l’agriculture intensive, Lepe, région de Huelva (Espagne), 2022. Le déplacement des travailleur·euse·s est déterminée par leur mise au travail.

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RENOUVELER NOS IMAGINAIRES POLITIQUES : LA LIBERTÉ DE CIRCULATION COMME UTOPIE CONCRÈTE

politiques migratoires, mais également les transformations des modes de production capitalistes, et de la division internationale du travail. Loin de nous centrer uniquement sur les politiques étatiques, nous avons également donné une importance centrale à la manière dont les premiers et premières concernées contournent, affrontent et détournent quotidiennement les politiques d’immigration inégalitaires et mettent en œuvre leur liberté de circulation. Enfin, ce changement de perspective nous a encouragé à élargir notre horizon en nous intéressant non plus seulement l’espace euro-méditerranéo-­ africain, terrain traditionnel du travail de Migreurop, mais à d’autres régions (Amériques, Asie du Sud-Est, Pacifique, etc.). L’origine de cet ouvrage s’inscrit dans la réflexion menée sur la liberté de circulation depuis les années 2010 au sein de Migreurop, marquée en 2013 par l’appel en faveur de la liberté de circulation et d’installation des personnes (c’est dans cette double acception que la formule « liberté de circulation » est traitée dans l’ensemble de l’ouvrage). Travailler sur la liberté de circulation nous permet de nous extraire de la spirale infernale du durcissement des politiques migratoires, que la quasi-totalité des partis de gouvernement (de droite comme de gauche) des États de l’UE, comme plus généralement du Nord global, prétendent imposer comme si elle était inéluctable. C’est donc travailler à remettre en question l’idée qu’il n’y aurait pas d’alternative à ces politiques. C’est une façon de repolitiser les enjeux migratoires en rendant compte des choix opérés et en montrant que d’autres choix sont possibles. Ils ont déjà été mis en œuvre. Nous les analysons ici, dans le passé et le présent. La banalisation des discours racistes et le poids croissants des partis qui les font prospérer pourraient nous décourager, et nous inciter à nous détourner d’objectifs politiques qui paraissent inatteignables. À l’inverse, nous faisons le pari qu’un renouveau de nos imaginaires politiques constitue une planche de salut. Notre démarche consiste donc à partir du réel pour renouveler nos perspectives politique. Cet atlas se veut un marchepied pour poursuivre un travail de réflexion collective sur nos utopies. Il ne s’agit pas d’élaborer une utopie totale, un système clos sur lui-même et prédéfini, mais de concevoir des

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propositions à faire mûrir. Faire référence au monde de l’utopie c’est ouvrir le champ des possibles sans risquer d’être court-circuité·e·s par des considérations en termes de faisabilité, à la fois technique (par exemple, les effets sur le taux de chômage) et en termes d’opinion publique (le supposé racisme des populations sédentaires). Cette réappropriation de la réflexion utopique nous permet également d’échapper à des pièges rhétoriques, de ne pas être enfermé·e·s dans des questionnements qui nous sont imposés (Est-ce que l’immigration a des effets positifs ? Qui sont les « migrant méritants » ?  Faut-il choisir entre sécurité et humanité ? Comment limiter l’« appel d’air » ?). Travailler sur la liberté de circulation permet de débattre dans des termes différents de ceux de nos adversaires politiques. Nous refusons de nous interroger sur les critères de sélection des personnes que nous pourrions « accueillir » au Nord. Nous refusons de nous positionner sur les conditions de ce tri. L’universalité des droits à la liberté de circulation est non négociable. Or, la focalisation des débats sur la nécessité du contrôle migratoire rend impossible l’émergence d’un narratif alternatif. Ainsi, nous en sommes réduit·e·s à, sans arrêt, contrer un agenda raciste et xénophobe en défendant des politiques moins strictes par « humanité ». Ces (r)appels à notre humanité commune dépolitisent et appauvrissent la discussion sur les multiples formes que pourraient prendre un avenir qui tendrait vers l’égalité. S’interroger sur les formes que pourraient prendre la liberté de circulation c’est par exemple, imaginer des systèmes de protection sociale qui garantissent des droits pour les personnes qui ont des existences transnationales. C’est questionner le rôle des frontières une fois les dispositifs de contrôle supprimés. C’est déterminer, une fois les contrôle aux frontières abolis, les obstacles à une égalité dans les faits entre personnes sédentaires et personnes migrantes et empêcher ainsi leur éventuelle mise en concurrence. Au-delà d’une position commune ce sont les termes du débat que nous cherchons à changer. Nous souhaitons que la liberté de circulation devienne une option de politique migratoire discutée collectivement. Cet atlas prend sa place précisément à cet endroit : il s’agit de se former mutuellement pour pouvoir en discuter, pour pouvoir inventer et renouveler le champ des possibles. SARA CASELLA COLOMBEAU

RENOUVELER NOS IMAGINAIRES POLITIQUES : LA LIBERTÉ DE CIRCULATION COMME UTOPIE CONCRÈTE

Sara Prestianni, mobilisation des exilé·e·s pour leur droit à franchir la frontière entre la Grèce et la Macédoine à Idomeni en 2015. La liberté de circulation en acte est revendiquée et parfois obtenue par les premiers et premières concerné·e·s.

Anna Mary Garrapa, le mouvement des journalier·ère·s de la vallée de San Quintín (Mexique) organisent la Marcha de las dos Californias pour exiger une amélioration des conditions de vie et de travail. Ils et elles font référence à la circulation à la fois des travailleur·se·s et des produits alimentaires sous la houlette de la même multinationale (Driscoll’s) entre Baja California au Mexique et à la Californie étasunienne.

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PREMIÈRE PARTIE

LES FORMES HISTORIQUES DE LA LIBERTÉ DE CIRCULATION COORDINATION : SARA CASELLA COLOMBEAU, BRIGITTE ESPUCHE, ANNA SIBLEY

Sara Prestianni, Port du Pirée, Athènes (Grèce). f Livret d’ouvrier contenant la loi du 22 juin 1854, le décret du 30 avril 1855, la loi du 14 mai 1854 et e les articles 153 et 463 du Code pénal. Le livret d’ouvrier est un document d’identité créé en France en 1803. Les employeurs y notaient les dates de début et de fin de contrat et une appréciation sur le travailleur, et éventuellement ses dettes à l’égard de l’entreprise. Il symbolise à la fois le contrôle sur les mobilités ouvrières et la reconnaissance de leurs qualifications. CC BY-SA 3.0. Wikipedia.

DES RÉGIMES DE LIBRE-CIRCULATION SANS LIBERTÉ DE CIRCULATION

S

i l’on considère que la liberté de circulation relève de l’utopie à concrétiser, un détour par l’histoire s’impose à maints titres : le passé est en effet un réservoir d’expériences, un gisement de futurs non advenus tout en demeurant l’ancrage, plus ou moins proche, d’un régime de frontières actuel ne pouvant se résumer à la dichotomie ouverture  /  fermeture. Ainsi, instaurer une liberté de circulation respectueuse de l’égale dignité et des capacités d’agir de chacun·e ne peut s’envisager comme la restauration d’un « monde d’hier » dans lequel le droit à émigrer aurait été mieux respecté. Même s’il est vrai qu’après les indépendances africaines, et jusqu’aux années 1980, les ressortissant·e·s de nombreux pays d’Afrique ont pu entrer sans visa sur les territoires des anciennes métropoles impériales, notamment en France.

Ce régime de frontières beaucoup plus ouvert que celui que nous connaissons aujourd’hui n’en était pourtant pas moins lié à des formes de dominations et d’asymétries politiques : les mobilités humaines qu’il autorisait étaient secondaires par rapport à celles des capitaux et des marchandises. Elles visaient notamment à construire une « Eurafrique » destinée à permettre aux anciennes métropoles impériales de continuer à s’appuyer sur l’hinterland constitué par leurs possessions du passé. Ces « facilités » accordées aux ressortissant·e·s d’anciennes colonies relevaient bien du « fait du prince », et ne durèrent que tant que les coûts du transport aérien empêchèrent la mise en œuvre effective des droits à circuler reconnus par de nombreux traités bilatéraux. La fragilité historique de la liberté de circulation tient ainsi notamment à ce qu’elle est régulièrement remise en cause dès lors que se mettent en mouvement des populations considérées comme « ayant vocation » à se conformer à des formes d’assignations géographiques. La « libre circulation » peut ainsi relever de l’imposition des priorités des puissances hégémoniques : longtemps, elles ont plus cherché à contrôler les départs de leurs propres populations – soit leur base fiscale –qu’à endiguer des arrivées, bienvenues tant qu’elles affaiblissaient leurs adversaires et renforçaient leurs ressources. La domination

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politique se manifestait par la possibilité d’exporter ses « indésirables » et d’imposer un droit à l’installation dans certaines régions. Ce n’est qu’après avoir ouvert ses ports – et les caisses de son Trésor – aux grandes puissances d’alors que la Chine put être signataire de traités, avec la Grande-Bretagne (1860) puis les États-Unis (1868), reconnaissant à ses ressortissant·e·s la liberté de s’embarquer pour ces deux pays et de s’y installer. Le Chinese Exclusion Act de 1882, couramment présenté comme la première loi visant à restreindre l’immigration aux États-Unis, rappelle à quel point ces droits accordés puis retirés s’articulaient non seulement à des formes d’exploitation économique mais également à un racisme autorisant à considérer qui pouvait être déplacé et qui devait être immobilisé. Les régimes de circulation sont ainsi partie intégrante de configurations historiques définies notamment par les rapports de production et l’enchevêtrement entre les dominations de race, de genre et de classe. Ils enserrent des capacités d’agir et reconnaissent des droits, selon des modalités qui laissent généralement aux individus prêts à en payer le coût – ou disposés à passer les frontières physiques ou symboliques – des possibilités de s’affranchir des formes extrêmes d’immobilisation. Formes qui peuvent cependant ressurgir, comme l’a rappelé la pandémie toujours en cours, à la faveur de paniques sanitaires ou de dispositions destinées à freiner des propagations virales. Dans ces moments, la gradation des droits à circuler, généralement indexée sur des hiérarchies politiques et sociales racialisées, peut sembler obéir à de nouvelles logiques moins discriminatoires. Le détour par le passé montre cependant que ces réglementations sanitaires sont loin d’être aveugles aux formes historiques de hiérarchisation du droit d’avoir des droits. Dès la fin du 19e siècle, le contenu et les modalités d’une liberté de circulation réellement émancipatrice pour tou·te·s fit d’ailleurs l’objet d’âpres débats au sein de l’internationale ouvrière : c’est ce fil qu’il s’agit de renouer, sans jamais oublier que si la « libre circulation » ne favorise pas à elle-seule les libertés fondamentales, l’assignation territoriale les enfreint toujours. EMMANUEL BLANCHARD

les formes historiques de la liberté de circulation

Les formes historiques d’une circulation mondialisée s’inscrivent notamment dans l’entreprise coloniale. Christophe Colomb (Auteur prétendu du texte), Carte marine de l’océan Atlantique Nord-Est, de la mer Baltique, de la mer Méditerranée et de la mer Noire, accompagnée d’une mappemonde circulaire, 14 ?. Source : Gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.

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UNE FRAGILE « LIBERTÉ DE VOYAGE » AU DÉFI DU RACISME ET DU COLONIALISME (1914-1946)

Q

uelques semaines avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, la « liberté de voyage » entre les rives de la Méditerranée fut reconnue aux « indigènes » des « départements français d’Algérie » désirant se rendre en métropole. Elle fut suspendue pendant le conflit mais, à partir de 1919, prévalut à nouveau la situation qui avait été arrachée par l’action conjointe de défenseurs des droits des Algériens (alors Français de nationalité) et de certains employeurs métropolitains. Pour de nombreux leaders d’opinion cependant, la France se devait d’adopter des mesures de « contrôle de ses frontières » vis-à-vis de nouveaux arrivants décrits comme « inassimilables ». Le ministre de l’Intérieur lança donc en juillet 1923 une enquête préfectorale « visant à évaluer le niveau d’intégration des Nord-Africains de métropole ». Fin 1924, après un fait divers monté en épingle par une partie de la presse, les « circulaires Chautemps » définirent un régime de circulation contrôlée qui soumettait les possibilités d’embarquement pour la France à la présentation d’une carte d’identité avec photo, d’un certificat médical attestant notamment de l’absence de contamination par la tuberculose et d’un certificat d’embauche visé par le ministère du Travail. Dans un premier temps, les mesures adoptées en 1924 entraînèrent un effondrement du nombre des départs. Les désordres de l’état civil en Algérie et les difficultés d’accès à un photographe bloquaient toute possibilité d’embarquement légal. Même si le nombre de départs enregistrés remonta rapidement après cette chute initiale, il fut durablement diminué. Nombre d’observateurs considéraient cependant que cette baisse était compensée par un fort courant d’embarquements illégaux. Ces derniers, impossible à estimer, alarmaient les contempteurs d’une législation inefficace : « les départs d’Algérie ne se ressentirent pas le moins du monde des mesures adoptées et les embarquements clandestins prirent une proportion énorme » écrivait ainsi en 1931 le juriste Norbert Gomar. Les contournements des textes en vigueur étaient réels : ils passaient cependant par des usurpations d’identité ou des falsifications de documents qui ne faussaient pas les statistiques de départs. Pour les intéressés, la situation multiplia obstacles et humiliations nécessitant d’en

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passer par les fourches caudines d’intermédiaires et d’une administration corrompue. La libre circulation de tous·tes les ressortissant·e·s français entre les départements algériens et la métropole était donc remis en cause par de l’infra-droit : une cascade de circulaires et de décrets instituant de fait des mesures discriminatoires à l’encontre des « Musulmans » d’Algérie. La situation sembla se simplifier avec l’avènement du Front populaire : la liberté de circulation fut rétablie par un  décret du 17 juillet 1936. La traversée de chacun·e n’était plus subordonnée qu’à la production d’une carte d’identité en règle. La conjonction de la forte hausse des entrées alors enregistrées et des craintes suscitées par la politisation de l’immigration algérienne conduisit à la réintroduction de mesures de contrôle supposées freiner le rythme des départs : rétablissement du cautionnement (décembre 1936), des contrôles sanitaires (janvier 1937) et mise en place d’un carnet de santé valant passeport sanitaire (juin 1938). En janvier 1940, l’émigration libre fut suspendue et les départs furent dès lors supposés s’organiser sous l’égide du ministère du Travail. Ainsi, les voyages vers la métropole étaient conditionnés à l’obtention d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche. La libre circulation fut reconnue aux « Français musulmans » en 1946 au nom de la citoyenneté partielle accordée aux anciens « indigènes ». Elle marquait aussi la reconnaissance de ce que les politiques n’avaient pas permis d’organiser les embarquements selon les désidératas de l’administration. Un administrateur colonial convenait alors que « les convois et les contrats de travail offerts aux travailleurs n’ont eu aucun succès. Ceux-ci se sont toujours obstinés à faire de leur départ pour la France une affaire uniquement réglée par des relations familiales et de ­villages ». Rien de plus vrai, à condition de rappeler que, pendant les années d’entraves à la « liberté de voyage », le prix à payer pour cette autonomie se mesurait, pour les principaux concernés, en centaine de francs de bakchiches, en années d’endettement, voire par la mise en péril de leur vie dans de dangereuses traversées clandestines. EMMANUEL BLANCHARD

les formes historiques de la liberté de circulation

Traverser la méditerranée dans les années 1920 depuis l’Algérie Un r égime restreint de ci rculation pour les personnes colonisées... Mesures de r estriction d’accès à la métr opole en 1924 : Obligation de présenter une carte d’identié avec photo Obligation de présenter un certifcat médical attestant de l’absence de contamination par la tuberculose Oblication de présenter un certifcat d’embauche visé par le ministère du Travail

...aux conséquences léthales Diminution des fux d’entrée légaux Augmentation des traversées illégalisées Trois exemples de traversées illégalisées : Nombre de personnes mortes retrouvées dans la cale d’un bateau Marseille, drame du Sidi Ferruch, 1926 Port-Saint-Louis-du-Rhône, 1926 Port-la-Nouvelle (Aude), 1927

Sources : Emmanuel Blanchard, «En 1926, les entraves à la migration tuaient déjà en Méditerranée», The conversation, 2021. Fond de carte : Visiocarto 2018, Projection d’Arthur H. Robinson (1963), Contours : Natural Earth, modifés Visionscarto. Logiciel : D3.js Pictogrammes : Employment contract by WiStudio, Identity Card by fahmistudio, Injection by Ansorizahro from NounProject.com

CAMILLE GUENEBEAUD

Histoire du permis de voyager des Algérien·ne·s vers la France 24 octobre 1870 Le décret Crémieux naturalise les Juif·ve·s d’Algérie

1889 Loi sur le double droit du sol permettant entre autres aux descendant·e·s des Européen·ne·s d’Algérie d’acquérir la nationalité française

Mesures favorables à la circulation au départ de l’Algérie

18 juin 1913 Abrogation du décret du 16 mai 1874

28 janvier 1905 Suppession de l’autorisation de sortie aux Algérien·ne·s (domestiques, ouvriers, etc.) attachés à des Français·e·s rentrant en métropole.

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1944 - 1946 Suppression du statut d'indigène Extension de la citoyenneté masculine1 Création du statut de Français musulmans. 15 juillet 1914 Loi favorisant la « liberté de voyage » aux « indigènes » algérien·ne·s

Marseille

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15 juin 1926 Le Conseil d’État annule les mesures de 1924

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17 juillet 1936 Abolition des mesures restrictives sur l’émigration

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Séries de lois foncières dépossédant les Algérien·ne·s de leur terre 1881 Code de l’indigénat qui organise un controle strict des circulations des Algérien·ne·s musulman·ne·s Suspension totale des flux Contrôles drastiques des circulations au départ de l’Algérie Contrôles migratoires moins rigoureux

11 août 1926 Décret-loi sur le statut de l’étranger en France Ces lois mentionnées en gris ne concernent pas les Algérien·ne·s qui sont alors Français·e·s et ne sont pas liés aux lois sur les étrangers. Ils ont même une priorité d'embauche par rapport aux étranger·ère·s, principe rappelé dans des textes même peu appliqué.

27 avril 1926 Dans le port de Marseille, 11 Marocains sont retrouvés morts dans les cales du Sidi Ferruch provenant d’Alger

Intervalle de libre circulation

Liste des pièces à présenter au départ de l’Algérie Alger 27 juin 1833 - Passeport

Oran

16 mai 1874 - Permis de voyage - Caution destinée à couvrir les frais d’un éventuel rapatriement

2 mai 1938 Décret-loi sur les étrangers

Ordonance du 2 nov. 1945

10 août 1932 Loi dite de « protection de la main d’œuvre nationale » Nov. 1942 débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord

4 août 1926 Au prétexte du drame du Sidi 8 août 1924 Ferruch, le Gouverneur général Circulaires min. Chautemps d’Algérie durçit les contrôles de l’émigration Carte d’identité Certificat de travail Certificat médical Extrait de casier judiciaire Caution garantissant le retour Pécule de 150 francs

1. Il y a quelques représentants au Parlement mais le double collège électoral sous-représente la population majoritaire. Non reconnaissance de certains droits sociaux, etc. Sources : Malek Ath-Messaoud et Alain Gilette (1976) L’immigration algérienne en France, Paris, édition Entente, 127 p. ; Emmanuel Blanchard (2018) Histoire de l'immigration algérienne en France, Paris, La Découverte, 128 p. ; Julie Lemoux et Olivier Clochard (2017) Voyager d’Alger à Marseille - Retour sur cinq décennies de dispositifs relatifs aux contrôles des migrations, L’Espace Politique, n° 31.

OLIVIER CLOCHARD

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DU TRAITÉ DE BURLINGAME À LA LOI SUR L’EXCLUSION DES CHINOIS

A

près l’abolition de l’esclavage dans les colonies de plantation européennes au xixe siècle, les employeurs coloniaux ont cherché des sources alternatives de main-d’œuvre bon marché. Les États-Unis se sont principalement appuyés sur des travailleur·se·s sous contrat d’« engagement » en provenance de Chine. Généralement, ces contrats liaient l’employé·e à l’employeur de différentes manières, notamment par l’interdiction de quitter l’employeur pendant une période donnée, et des périodes prolongées de travail non rémunéré en échange des « investissements » (transport, logement) réalisés par ce dernier. Le travail sous contrat n’était donc pas libre, tout en étant formellement compatible avec le libéralisme. Alors que la Chine avait cherché à se fermer à toute intervention européenne, les puissances européennes obtinrent le droit de commercer dans certains ports, après leur victoire lors de la première guerre de l’opium (18391842). Les commerçants américains obtinrent des droits similaires grâce à la signature de traités inégalitaires.

Les Américains commencèrent ainsi à recruter des travailleur·se·s chinois·e·s sous contrat d’« engagement » pour travailler sur la côte Ouest. Alors que la migration était officiellement interdite par la loi chinoise, les puissances occidentales, dans une deuxième série de traités, ont obtenu que les citoyen·ne·s chinois·e·s soient libres de conclure des accords de travail avec des sujets étrangers (traité de Pékin, après que la Chine eut perdu la deuxième guerre de l’opium en 1860). C’est dans ce contexte que les États-Unis et la Chine ont signé le traité de Burlingame en 1868. Parmi les ­dispositions relatives au libre-échange, il stipulait à l’article V : « [le] droit inaliénable de l’Homme à changer de domicile et d’allégeance, ainsi que l’avantage mutuel de la libre migration et émigration de leurs citoyens et sujets entre les deux pays, à des fins de curiosité, de commerce ou en tant que résidents permanents ». Bien que la formulation annonce la réciprocité, le contexte montre clairement que cette disposition légitime surtout la migration des commerçants américains vers la Chine, et des travailleur·se·s chinois·e·s vers les États-Unis. L’élément remarquable de cette disposition du traité est qu’elle conçoit la migration comme « un droit inhérent et

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i­ naliénable de l’Homme ». Cette disposition n’est toutefois pas à l’origine de la notion selon laquelle la migration est un droit humain. Elle ne fait que codifier la doctrine juridique internationale telle que formulée entre le xvie et le xixe siècle par des auteurs tels que Fransisco de Vitoria, Hugo de Groot, Samuel Pufendorf, Emer de Vattel et Johann Caspar Bluntschli : tous estiment qu’il existe un droit de voyager et de commercer (donc un droit de migrer) dans la mesure où les migrant·e·s ne nuisent pas à la population indigène. Vitoria, De Groot et Bluntschli, dont les travaux se situent dans un contexte d’importante expansion coloniale, insistent davantage sur le droit de migrer que sur les capacités des populations autochtones à décider si la migration est nuisible. Cette légitimation du colonialisme se concentrait sur le droit des commerçants (et, dans le cas de Vitoria, également des missionnaires chrétiens) à migrer, accompagnés de soldats si nécessaire pour faire respecter leur droit de commercer et de voyager. Donc ce que le traité de Burlingame apporte à ce droit ancien de migrer élaboré pour justifier la migration des commerçants vers les colonies, c’est l’imposition à la Chine d’accepter l’émigration de main-d’œuvre, tout en arguant du caractère « volontaire » des contrat d’« engagement ». Cependant, depuis les années 1850, la contestation de l’immigration chinoise sur la côte Ouest des États-Unis s’intensifiait. En 1880 le traité d’Angell entre les États-Unis et la Chine constitua une première étape en vue de sa limitation, avant l’adoption en 1882 de la loi d’exclusion des Chinois, qui suspendait la migration légale des travailleur·se·s chinois·e·s vers les États-Unis. Cette loi a donné naissance à une nouvelle doctrine juridique qui affirmait le pouvoir absolu des États de contrôler les migrations, et qui fut adoptée dans le monde anglophone, sans faire cependant généralement une référence explicite à la race. Le « droit inhérent et inaliénable de l’Homme » à la migration, énoncé dans le traité de Burlingame de 1868, constituait un élément de doctrine juridique du droit international dominant tant qu’il a servi l’expansion coloniale. Mais le droit international s’est inversé lorsque cela n’a plus été utile, pour le remplacer par le droit inhérent des États à contrôler les migrations. THOMAS SPIJKERBOER

les formes historiques de la liberté de circulation

Quand la liberté de circulation servait les intérêts des puissances coloniales européennes

Vitoria & Grotius : une vision de la liberté de circulation marquée par un contexte d’extension coloniale

Fransisco de Vitoria, Espagnol  Auteur de l’ouvrage “De Indis lecture” (1539)

Hugo Grotius, Néerlandais Auteur de l’ouvrage “Mare Liberum” (1609)

Possessions coloniales anglaises espagnoles françaises néerlandaises portugaises au début du 17è siècle

L’engagisme au 19ème siècle Un phénomène à l’origine du déplacement de plus de 2 millions de personnes à travers le monde Principaux flux de travailleurs et travailleuses engagé·e·s indien·ne·s Face à la pénurie de main-d’oeuvre observée dans les colonies européennes suite à l’abolition de l’esclavage, les puissances européennes, en particulier les Anglais, les Français, les Portugais et les Néerlandais mirent sur pied le système de l’engagisme. Les travailleurs et travailleuses engagé·e·s – principalement originaire du sous-continent indien, de Chine et d’Afrique – quittaient leur terre natale pour aller travailler dans les colonies d’Amérique, de l’océan Indien et dans une moindre mesure en Afrique, en Asie et dans le Pacifique.

Antilles britanniques

INDE

430 000

Afrique orientale 32 000 Maurice 450 000

Fidji 61 000

Natal 52 000

Principaux flux de travailleurs et travailleuses engagé·e·s chinois·e·s

États-Unis* 135 000 CHINE

Cuba 125 000

Antilles britanniques 18 000 Pérou 95 000

Ce chiffre correspond uniquement au nombre d’engagé·e·s chinois·es arrivé·e·s aux États-Unis durant la décennie 1850. Il ne révèle donc qu’une vision “a minima“ du phénomène de l’engagisme chinois dans ce pays.

*

Les engagé·e·s étaient lié·e·s à leurs employeurs par un contrat (duquel ils et elles ne pouvaient se défaire) variant d’une durée de 3 à 10 ans en fonction de l’origine des engagé·e·s et de leur destination. Selon les contextes, leurs conditions de vie et de travail s’apparentaient à une nouvelle forme d’esclavage. Les difficultés de recrutement conduirent progressivement au déclin et à la disparition définitive de l’engagisme durant la première moitié du 20ème siècle. La plupart des engagé·e·s s’étant établit durablement au sein de leurs destinations, ce phénomène a fortement influencé le développement économique, ainsi que la construction identitaire et culturelle des sociétés locales.

Sources : Chaillou-Atrous (date inconnue) ; Glick (1980) ; McKeown (2008) ; Roberts &Byrne (1966) ; Roopnarine (2018) ; Tinker (1974) ; Trouillet (2015)

DAVID LAGARDE ET SARA CASELLA COLOMBEAU

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LA MOBILITÉ HUMAINE EN AFRIQUE DE L’OUEST : RUPTURE COLONIALE ET CONTINUITÉ PRÉCOLONIALE

N

ul besoin de rappeler les transformations et les bouleversements que l’ère coloniale a entraînés en Afrique de l’Ouest. Épicentre de la traite transatlantique des esclaves, la région subit encore les effets du plus grand déplacement forcé de masse de l’histoire. Mais l’ère coloniale a également inauguré des changements plus subtils qui ont transformé les mobilités humaines et les structures territoriales de gouvernements, affectant fortement la diversité des sociétés précoloniales d’Afrique de l’Ouest. Pour les sociétés pastorales nomades précoloniales de la région saharienne (aujourd’hui le Niger, le Mali et la Mauritanie), la mobilité était vitale. Dans un contexte de ressources rares et incertaines, la vie sociale était rythmée par les saisons et les déplacements le long d’itinéraires de transhumance. C’est l’accès au bétail, aux puits et aux oasis qui prévalait sur la propriété. De ce fait, la localisation de ces ressources constituait les principaux points de référence spatiale et territoriale, par opposition aux démarcations frontalières linéaires que privilégiait l’État colonial. En comparaison, les agriculteur·trice·s de la région étaient plus sédentaires que les pasteurs nomades, tout en dépendant eux aussi des migrations saisonnières. Dans la vallée du fleuve Sénégal, les agriculteur·trice·s peuls se déplaçaient souvent d’une rive à l’autre du fleuve en fonction du contexte écologique et politique, tandis que les agriculteur·trice·s hausaphones de la région d’Ader au Niger se déplaçaient entre leurs différentes exploitations pour pallier les risques de pluviométrie irrégulière et de mauvaises récoltes. La mobilité précoloniale a également pris la forme d’échanges commerciaux et de connaissances sur de longues distances. À partir du xe siècle, l’Afrique de l’Ouest a compté parmi les lieux importants d’apprentissage de l’Islam, avec des centres dynamiques et cosmopolites tels que Sonkaré, Tombouctou et Chinguitti, qui ont joué le rôle de centres intellectuels régionaux où se rendaient des personnes d’origines ethniques, raciales et linguistiques diverses en quête de connaissances. Les réseaux commerciaux précoloniaux jouaient ce même rôle d’intégration régionale. En effet, avant la « découverte » des Amériques, c’est en Afrique de l’Ouest que se trouvaient les principales

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mines d’or du monde, dont une grande partie transitait par Tombouctou après avoir été extraite dans l’empire du Mali (1235 à 1670), puis dans l’empire Ashanti (1701 à 1901). Ainsi au xixe siècle un espace commercial intégré et contigu fut constitué dans cette vaste zone géographique s’étendant du sud du Maroc à Tombouctou et au Niger, dans lequel circulaient les biens et les personnes. Cependant, le xixe  siècle fut également une période de colonisation européenne intérieure accrue en Afrique de l’Ouest. L’ampleur de ce changement structurel a été immense : le commerce et les échanges à travers le Sahara se sont progressivement taris, pour être remplacés par un nouveau secteur d’exportation le long de la bande côtière atlantique de l’Afrique de l’Ouest. L’arrière-pays de la région est donc devenu une source de main-d’œuvre migrante bon marché au service de toutes ces nouvelles industries d’exportation côtières. Pour celles et ceux restée·e·s dans l’arrière-pays, la réquisition du bétail, l’imposition de taxes, le travail forcé, sans parler des attaques militaires, ont perturbé encore plus fortement les liens commerciaux et les modes de mobilité de l’ère précoloniale. Le résultat ne fut cependant pas toujours celui qu’on aurait pu escompter. En effet, vu la nature itinérante du rapport au territoire des nomades dans la période pré­ coloniale, il a été extrêmement difficile d’identifier et de gérer ces populations, une fois colonisées. Les berger·ère·s peul·e·s du sud-ouest du Niger se sont montré·e·s habiles à échapper à l’impôt, ce qui a grandement perturbé les fonctionnaires coloniaux français. La taxe sur le commerce caravanier transsaharien, imposée en 1903, a eu pour effet de réorienter les routes commerciales vers des lieux où il était plus facile d’échapper aux taxes. Cela dit, introduites par le colonialisme, les logiques de l’État territorial et de l’économie capitaliste restent aujourd’hui bien en place en Afrique de l’Ouest. Elles ne disparaîtront pas de sitôt, mais n’échappent pas à la contestation : bien au contraire, elles sont chaque jour, comme depuis leur apparition, négociées et contournées par les pratiques spatiales des populations mobiles des régions frontalières. HASSAN OULD MOCTAR

les formes historiques de la liberté de circulation

Les circulations précoloniales de biens en Afrique occidentale au xve siècle ALMORAVIDE

Cordoue Séville Grenade Cadix Alméria Algésiras Ceuta Alcudia

Détroit de Gibraltar Tanger

océan Atlantique

Salé

Fès

Majorque

Cagliari

Atlas

Mzab

Sigilmassa

Zawila

HAOUSSAS

er

Oyo Lac Volta

Plateau de Jos

Lac Kainji

BENIN

OYO

Lac Tchad

Igbo Ukwu

Bénin

Adamaoua

Bénoué

Sources : Coquery-Vidrovitch Catherine (dir), L'Afrique des routes - Histoire de la circulation des Sao Tomé et Principe hommes et des richesses et des idées à travers le continent, Musée du Quai Branly-Actes Sud, 2017. Denoix Sylvie et Renel Hélène (dir), Golfe de Atlas des mondes musulmans médiévaux, CNRS Editions, 2022. Grataloup Christian, L’axe de l’Ancien Monde au Guinée XVe siècle, in : Le monde au XVe siècle, Les Arènes, 2019. Grataloup Christian, Boucheron Patrick, Atlas historique mondial, Paris, Les Arènes, L'Histoire, 2019. Pissoat Olivier et Bahoken Françoise, Atlas des migrants en Europe (2017). Retaillé Denis, Drevet Guillaume, Pissoat Olivier et Pierson Julie, Atlas du sahel (2014).

FATIMIDES

Empires arabo-berbères

HAOUSSAS

Royaumes subsahariens

Au XVème siècle

Du Vème au XVème siècle

Axes et carrefours de circulation San

aga

Grands axes caravaniers

Métropole

Autres axes routiers

Autre cité

Axes navigables

Ports Escales portuaires

Aïr Relief

Environnement naturel ngo

Niger

Fleuves

Co

Oasis

Origine et destination des biens en circulation E

El Fasher

Grandes entités étatiques

Cha ri Lo go ne

ngui

lta

Elmina

ig

MOSSIS

Kong

Begho Bono Manso

500 km

l

ie

Vo

mb

Fouta Djalon

Darfour Gasga

Ngazargamu

Niani

Soba

TOUNDJOUR

Kano N

Ni

Ga

N

Dongola

Djado

KANEM BORNOU

Djenné

r ige

MAMELOUKS

Ennedi

Agadèz

Gao

GHANA

DJOLOF

océan Atlantique

FATIMIDES

Aïr

Tombouctou négal

MALI

Assouan

Aozou

Tadmekka

MALI

Assiout Qus

Mourzouk

Ghat

SONGHAI

Oualata Aoudaghost

Le

Hoggar

Le Caire Al-Minya

DESERT DE LIBYE

Aguila

Fezzān

Damiette

Alexandrie Barqash

Siwah

DESERT DU SAHARA

Arguin



FATIMIDES

Ghadamès

Ouadane

TEKROUR

MAMELOUKS

Syrte

Touat

Cap-Vert

mer Méditerranée

Ouargla

Dra’a Tagãwust

Mahdia Sfax Djerba Tripoli

ALMOHADE

Marrakech îles Canaries

Tunis

Kairouan

ALMORAVIDE

mer

Palerme Adriatique Syracuse

Bône

Bougie

Alger Oran Hunayn Tahert Tlemcen Biskra

mer Tyrrénienne

Ouba

Lisbonne

Lacs et points d’eau

Géographie Types de bien

E OP UR

marchandises monnaies

occiden-

êtres vivants

sous-région

Circulation interrégionale origine destination

IE

AS

CONTINENT

intra régionale

Asie mineure

Lieu de transit

Foyers de prélèvement Textiles Cotonnades Draperies Soieries Peausseries Écailles Monnaies Cauris

Péninsule arabique UE IQ Nord FR

Perles de verre

Monnaies,

Aliments

A

or et argent (dinars et dirhams)

Sel

Corail

Kola

Minerais, métaux

Dattes

Ouest

Autres produits précieux Plumes d’autruche Ivoire Cire Encens Livres arabes

Figues, raisins secs Huile de palme Poivre Humains Esclaves

Or Cuivre Bronze Fer Natron Animaux Chevaux

Sources : Coquery-Vidrovitch C., Les Routes de l'esclavage: histoire des traites africaines VIe-XXe siècle, 2018. Devisse J., Routes de commerce et échanges en Afrique occidentale en relation avec la Méditerranée : un essai sur le commerce africain médiéval du XIe au XVIe siècle, Revue d'histoire économique et sociale, 197, 1972., Fauvelle-Aymard F.-X., Le rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain, 2013. UNESCO, Histoire générale de l'Afrique, vol. III et vol. IV, 1990, 1985. wikipedia.org. worldhistory.org.

FRANÇOISE BAHOKEN, MURIEL SAMÉ EKOBO

25

LES CIRCULATIONS DANS LE CADRE DU PÈLERINAGE À LA MECQUE DANS LE CONTEXTE COLONIAL

I

nstitué au début du viie siècle, le pèlerinage à La Mecque (hajj) draine vers les villes saintes du Hedjaz (La Mecque et Médine) un nombre croissant de pèlerins arrivés par le port de Djeddah ou par les pistes caravanières qui irriguent la péninsule arabique. Avec la relance de la colonisation en terre d’islam au xixe siècle, la majorité du monde musulman passe sous domination européenne. Les autorités coloniales françaises, anglaises ou hollandaises prennent dès lors une part croissante dans l’organisation du hajj, que ce soit par le biais d’une réglementation spécifique ou par l’organisation directe des trajets maritimes supervisés par des administrateurs coloniaux et autres chefs de pèlerinage. Pendant la période coloniale, le hajj s’organise ainsi autour de deux grands pôles, asiatique et africain, qui obéissent à des dynamiques différentes comme l’illustrent la comparaison des flux du pèlerinage à l’époque coloniale (années 1883 et 1913) et en pleine période de décolonisation (année 1953). Porté par les progrès de la navigation à vapeur, le pèlerinage asiatique épouse les courants du grand commerce maritime. Après les restrictions de la première moitié du xixe  siècle, les Britanniques et Hollandais privilégient la liberté de circulation au départ des ports du sous-continent indien (Bombay, Karachi, Calcutta), de la péninsule malaise (Singapour) ou de l’archipel indonésien (Batavia). Entre la décennie 1880 et la Première Guerre mondiale, le pèlerinage indien se caractérise par une relative stabilité avec un nombre de pèlerins avoisinant 10 000 personnes. Le pèlerinage indonésien connaît en revanche une explosion à la veille de la Grande Guerre atteignant près de 24 300 personnes en 1913 auxquels il faut ajouter 10 000 pèlerin·e·s malais·e·s. Ce pèlerinage asiatique se distingue également par sa forte composante féminine pouvant représenter certaines années jusqu’à la moitié des effectifs. Le pèlerinage africain est marqué quant à lui par le basculement progressif de la voie de terre, organisée traditionnellement autour de la caravane du Caire, vers la route maritime, tendance amplifiée par l’ouverture du Canal de Suez en 1869. Tout au long du xixe siècle, ce pèlerinage africain se déploie dans un espace en crise marqué par les guerres coloniales, et notamment l’occupation de l’Égypte par les Britanniques en 1882, et les conflits p ­ olitico-religieux.

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À ces crises politiques, viennent s’ajouter des crises sanitaires : en 1883, par exemple, une épidémie de peste éclate en Égypte, si bien que seul·e·s 298 pèlerin·e·s accompagnent la caravane officielle du Caire alors qu’ils et elles étaient près de 10 000 deux ans plus tôt. Les gouverneurs généraux d’Alger prennent alors prétexte de ces différentes menaces pour interdire périodiquement le départ en pèlerinage. L’allègement des contraintes à la veille de la Grande Guerre favorise toutefois un rééquilibrage des flux entre les deux pèlerinages africain et ­asiatique. La décennie 1950 connaît un accroissement significatif du nombre de pèlerin·e·s : ils et elles sont ainsi près d’un demi-million à participer au hajj en 1953. Les pèlerinages de l’Asie fraîchement indépendante enregistrent ainsi une tendance à la hausse : aux 14 000 personnes originaires d’Indonésie, il faut ajouter, après la partition du sous-continent indien, 8 865 Indien·ne·s  et 13 305 Pakistanais·e·s. Dans les espaces asiatique et africain on observe alors une aspiration à la liberté de circulation. Profitant de l’essor de l’avion et de l’automobile, les pèlerin·e·s entendent désormais choisir leurs modes de déplacement et ne plus se conformer au modèle colonial du pèlerinage maritime, boycotté en 1953 par les pèlerin·e·s d’Afrique du Nord en signe de protestation. Le développement d’un pèlerinage par automobile au départ de Casablanca, de Tunis, de Niamey ou de Kano permet ainsi de renouer avec les anciennes pratiques de la caravane du pèlerinage. L’augmentation du pèlerinage africain est également la conséquence de la suppression des taxes du pèlerinage par la monarchie saoudienne qui tire désormais l’essentiel de ses revenus de la rente pétrolière. L’organisation du pèlerinage constitue dès lors un outil d’influence géopolitique, c’est le cas notamment de l’Egypte nassérienne, forte de ses 21 000 pèlerin·e·s, qui entend bien affirmer sa suprématie sur le monde arabo-musulman. Cependant, pour beaucoup de pèlerin·e·s musulman·ne·s le hajj demeure encore un horizon inaccessible et il faut attendre la décennie suivante, avec le passage définitif aux indépendances et la généralisation du transport aérien, pour que le pèlerinage à La Mecque franchisse le cap du million de pèlerin·e·s. LUC CHANTRE

les formes historiques de la liberté de circulation

Diffusion de l’islam en Afrique occidentale

e Diffusion de l’islam en xv Afrique occidentale Diffusion de l’islam en Afrique occidentale jusqu’au siècle jusqu’au XVème siècle ème

jusqu’au XV

AlgésirasCeuta Ceuta Tanger

HunaynOran Tahert Hunayn Tahert Tlemcen Biskra Atlas Tlemcen Biskra Atlas

Tanger Salé Salé Fès

ALMOHADES Fès ALMOHADES Marrakech Marrakech Dra’a Dra’a Sijilmassa

Mzab Mzab

Hoggar Hoggar

Ghat Ghat

GHANA

Djenné Djenné

MALI

Fouta Djalon Fouta Djalon

Niani Niani

HAOUSSAS SONGHAI HAOUSSAS SONGHAI

MOSSIS

lac Volta lac Volta

Kong Kong Begho

Begho Bono Manso Bono Manso Elmina Elmina

BORNOU

Kano Kano Ngazargamu N ig N er MOSSISige r

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KANEM BORNOU KANEM

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Kainji lac Oyo Kainji Oyo BENIN BENINIfé

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Bénin

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Ngazargamu

DESERT DE LIBYE DESERT DE LIBYE

FATIMIDES

Dongola Dongola

Plateau de Jos Plateau de Jos

Bénoué Bénoué

Igbo

Ukwu Bénin Igbo Note : les cohabitations avec les nombreuses Ukwu communautés juives et chrétiennes ne sont pas Note : les cohabitations avec les nombreuses représentées, ainsi les résistances actives Sao Tomé et Principe communautés juivesque et chrétiennes ne sont pasou passives à l’islamisation. représentées, ainsi que les résistances actives ou passives Sao Tomé et Principeg Sources : Coquery-Vidrovitch Catherine (dir), L'Afrique des routes - Histoire de la circulation des hommes à l’islamisation. g et des richesses et des idées àCatherine travers le(dir), continent, Musée Quai- Histoire Branly-Actes 2017.des Denoix Sylvie Sources : Coquery-Vidrovitch L'Afrique des du routes de la Sud, circulation hommes et des Renel Hélène (dir), des mondeslemusulmans médiévaux, CNRS Editions, Sud, 2022.2017. Grataloup et richesses et desAtlas idées à travers continent, Musée du Quai Branly-Actes Denoix Sylvie 500 km Christian, Boucheron Atlas historique mondial, Paris, LesCNRS Arènes, L'Histoire, 2019. et Renel Hélène (dir), Patrick, Atlas des mondes musulmans médiévaux, Editions, 2022. Grataloup 500 km Christian, Boucheron Patrick, Atlas historique mondial, Paris, Les Arènes, L'Histoire, 2019.

Adamaoua Adamaoua

Assouan Assouan

MAMELOUKS MAMELOUKS

Ennedi Ennedi Djado Djado

Cha ri LoCh g ari Lo one go ne

Soba Soba

TOUNDJOUR TOUNDJOUR

Darfour

Darfour Gasga Gasga lac Tchad lac Tchad

Ave Ave Damiette Barqash Damiette Barqash

Al-Minya Assiout Assiout

FATIMIDES

Aïr Aïr Agadèz Agadèz

Tombouctou Tombouctou Gao Gao

GHANA

MALI

Siwah

Zawila Aguila Zawila Aguila Mourzouk Mourzouk

Fezzān Fezzān

Tadmekka Tadmekka

MALI

DJOLOF

océan Atlantique océan Atlantique

Ghadamès Ghadamès

Aozou Aozou

MALI

DJOLOFTEKROUR

Alexandrie Barqash Alexandrie MAMELOUKS Barqash Le Caire Siwah Le Caire Al-Minya MAMELOUKS

N N Le Le

Aoudaghost

mer Méditerranée mer Méditerranée

Syrte Syrte

DESERT DU SAHARA DESERT DU SAHARA

Oualata Oualata Aoudaghost

Sénégal TEKROUR Sénégal

Kairouan Kairouan

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Ouadane Ouadane

Syracuse

Mahdia Mahdia Djerba Djerba Tripoli Tripoli

Ouargla Ouargla

Touat Touat

Arguin Arguin

Tunis Tunis

ue ue ecqecq a Ma M rs l rs l Ve Ve il il

Tagãwust Tagãwust

Alger Bougie Bône Alger Bougie Bône

Alméria Oran

mer Adriatique mer Adriatique Syracuse

Tyrrénienne

Palerme

El Fasher El Fasher

Diffusion de l’islam Diffusion de l’islam Routes de pèlerinages

Routes de pèlerinages Université islamique de référence Université islamique de référence Centres religieux Centres religieux Université islamique de référence Université islamique de référence

MALI MALI

Zones d’échanges avec led’échanges monde Zones

Grandes entités étatiques Grandes entités étatiques

ga musulman ana le monde Savec aga musulman Axes de circulation San

Empires arabo-berbères Empires arabo-berbères Royaumes subsahariens

des marchands Axes de circulation des marchands Métropole

Royaumes subsahariens

Espaces sous domination musulmane Espaces Depuis sous domination le VII ème sièclemusulmane

OubOauba nguni gui

océan Atlantique océan Atlantique

mer Cagliari Tyrrénienne mer Cagliari Palerme

mer Méditerranée mer Méditerranée

Cordoue Séville Cordoue Grenade Séville Alméria Grenade Algésiras

Lisbonne Lisbonne Cadix Cadix

siècle

Majorque Majorque

ALMORAVIDES

c c D aD maam s as

ALMORAVIDES

Métropole Autre cité Autre cité Oasis Oasis

le VII ème siècle ngo CoDepuis Entre le IX ème et le XV ème siècle Congo Entre le IX ème et le XV ème siècle

FRANÇOISE BAHOKEN ET MURIEL SAMÉ EKOBO Le pèlerinage vers la Mecque en contexte colonial, un phénomène en constante expansion Levers pèlerinage vers en la Mecque encolonial, contexte un colonial, un phénomène en constante expansion Le pèlerinage la Mecque contexte phénomène en constante expansion   Tanger Alger Tanger Afrique Alger

occidentale Afrique française occidentale française

Tunis Tunis

Le Caire

Suez Suez

Empire Le Caire britannique Empire britannique

Djeddah

La Mecque Djeddah La Mecque

 

 

Alger Casablanca Alger Casablanca

Calcutta britanniques Indes Calcutta britanniques Bombay Bombay

Colonie britannique Colonie britannique

Nombre de pèlerins enregistrés à leur arrivée à la Mecque Nombre de pèlerins enregistrés en provenance... à leur arrivée à la Mecque en provenance... d’Égypte d’Égypte du Maghreb du la Maghreb de Fédération malaise et ded’Indonésie la Fédération malaise et d’Indonésie des Indes britanniques des Indes britanniques Empire Autorités coloniales dominant les britannique Empire espaces de provenance des pélerins Autorités coloniales dominant les britannique espaces de provenance des pélerins Sources : archives du Foreign Office, archives nationales d'outre-mer et archives: du ministère des Affaires Sources archives du Foreign Office,étrangères. archives nationales d'outre-mer et archives du ministère des Affaires étrangères.

Le Caire

Suez

Suez Afrique Le Caire occidentale Afrique Djeddah Suakin française La Mecque occidentale Djeddah Khartoum Suakin La Mecque française Lamy Niamey (N’Djaména)

Karachi Indes Karachi

 

Tunis Tunis

Pakistan indépendant Pakistan depuis 1947 indépendant Calcutta Karachi depuis 1947 Calcutta Karachi Bombay

LamyEl Khartoum El Obeid Niamey Maiduguri (N’Djaména) Fasher Bamako El Obeid Maiduguri El Kano Fasher Soudan Bamako Kano

Singapour Singapour Indes néerlandaises Batavia Indes néerlandaises (actuelle Jakarta) Batavia

anglo-égyptien Soudan anglo-égyptien

Bombay Inde indépendante Inde1947 depuis indépendante depuis 1947

 

(actuelle Jakarta)

298 298 450

7450 900 7 900 10 000 10 000

 

Soudan anglo-égyptien Soudan anglo-égyptien Inde Indépendante Inde1947 depuis Indépendante depuis 1947

Nombre de pèlerins enregistrés à leur arrivée à la Mecque Nombre de pèlerins enregistrés enleur provenance... à arrivée à la Mecque en Maghreb provenance... 7 306 du 9 306 233 du Maghreb Sahel 7 du 8 233 865 d’Inde 9 du Sahel 13 305 du Pakistan 8 865 d’Inde 13 938 d’Indonésie 305 du Pakistan 21 938 675 13 d’Égypte d’Indonésie 21 675 d’Égypteles Autorités coloniales dominant

Djakarta (anciennement Batavia) Djakarta Indonésie (anciennement Batavia) Indépendante Indonésie depuis 1945 Indépendante depuis 1945

espaces de provenance des pélerins Autorités coloniales dominant les espaces de provenance des pélerins États ayant acquis leur indépendance entreleur 1883 et 1953 États ayant acquis indépendance entre 1883 et 1953

DAVID LAGARDE

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L’ÉMIGRATION DES FEMMES SEULES VERS LES COLONIES BRITANNIQUES AU XIXe

A

u xixe siècle, la Grande-Bretagne, qui connaît alors son apogée comme puissance coloniale, est la région d’Europe qui contribue le plus aux migrations, principalement à destination de ses colonies « blanches » de peuplement : l’Australie, la NouvelleZélande, le Canada et l’Afrique du Sud. Cette émigration est, au début du siècle, principalement masculine et les émigrantes sont majoritairement des épouses, filles ou domestiques voyageant en famille. Par la suite, la proportion de femmes ne cesse d’augmenter, encouragée et encadrée par un certain nombre d’initiatives publiques et privées et on assiste, à partir du milieu du siècle, à l’émigration organisée et assistée de femmes célibataires. Les premières à partir appartiennent à la classe ouvrière : ce sont des modistes et couturières, auxquelles des sociétés philanthropiques telles que le Fund for Promoting Female Emigration, créé en 1849, procurent assistance logistique et matérielle. L’objectif annoncé est multiple : il s’agit non seulement de sauver ces femmes de la pauvreté et de les empêcher de tomber dans la prostitution, mais également de lutter contre une dévalorisation des salaires en réduisant le surplus de main-d’œuvre dans la confection.

En 1851, lorsque les chiffres du recensement pour l’Angleterre et le pays de Galles révèlent, outre un fort déséquilibre démographique entre hommes et femmes, l’existence de deux millions et demi de femmes célibataires sur une population de vingt millions, l’émigration féminine est envisagée de façon nouvelle : il ne s’agit plus seulement de charité mais de débarrasser le pays de femmes « superflues » en leur proposant de trouver un mari dans les colonies. Or, les femmes visées ne sont plus des ouvrières, mais des célibataires issues des classes moyennes, qui sont représentées comme un problème social dans la presse (majoritairement conservatrice) et par certains sociologues et médecins eugénistes : contrairement aux jeunes femmes de la classe ouvrière, qui pourront toujours trouver un emploi dans les usines ou la domesticité, celles-ci ont peu d’opportunités de se rendre utiles à la société hors du mariage et de la maternité, étant donné que peu d’emplois leur sont ouverts. Ainsi, au moment même où la

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chute du taux de natalité au sein des classes moyennes commence à susciter quelques inquiétudes, envoyer des femmes célibataires vers les colonies apparaît comme une solution qui non seulement libérerait la métropole de leur présence, mais contribuerait par ailleurs à assurer la reproduction de la « race » anglo-saxonne dans des régions de l’Empire où le déséquilibre démographique est inverse et les hommes célibataires nombreux. Plus qu’une politique pensée pour bénéficier aux femmes, l’émigration féminine devient, de fait, pour certains, un service à rendre au pays. Deux ­catégories de femmes sont alors visées : d’une part les gouvernantes, d’autre part, un groupe hétérogène de jeunes femmes issues des classes moyennes les plus modestes, plus instruites que les générations précédentes et ne se destinant pas à la domesticité en Angleterre. La Female Middle Class Emigration Society, créée en 1862, procure à ces dernières une assistance financière sous la forme de prêts sans intérêts financés par des dons privés et établit des contacts à l’arrivée afin de les aider à trouver un emploi. Régulièrement accusée, dans la presse coloniale, de n’être rien d’autre qu’une agence matrimoniale, l’organisation n’aura de cesse de démentir et d’affirmer que son objectif premier est d’aider ces jeunes femmes à trouver un emploi, le mariage devant, quant à lui, rester une affaire privée. Ces premières initiatives, qui ne concernent, malgré les ambitions affichées, pas plus d’un millier de femmes, ne sont pas toujours bien accueillies par les colons, dont certains reprochent aux sociétés d’émigration de les utiliser comme « déversoir » de « femmes inutiles » pour la métropole, au mépris de leur sensibilité et de leurs propres besoins en main d’œuvre agricole et domestique. Elles seront néanmoins suivies, au tournant du siècle, par de nouveaux projets, de plus grande envergure et soustendus par un discours plus systémique et principalement impérialiste et patriote de colonisation matrimoniale, aboutissant, entre 1888 et 1914, à l’émigration organisée de plus de 15 000 femmes célibataires vers le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou l’Afrique du Sud. VÉRONIQUE MOLINARI

les formes historiques de la liberté de circulation

La traversée d’un bride ship ... pour fournir des épo uses aux colons de l’Empir e Britannique

Le voyage de Ch arlotte et Louise, 99 jours de traversée...

Démographie coloniale

ItinéraireduTynemouth

1861

1871

Étapesetescales Tempêtes

COLOMBIE BRITANNIQUE

Mutineries Décès

ROYAUME UNI

«Nous sommes très satisfaits de l'apparence de la "marchandise" et nouscroyons qu'elles donneront un bon compte d'elles-mêmes dans n'importe quellesituation de viequ'elles seront appelées à remplir - même si elle s épousent des mineurs célibataires chanceux de Cariboo [...]. Un grand nombre de citoyens se sontendus r à Esquimalt hier et ont tenté de monter à bord du navire, mais ils ont gé néralement reçu l'ordre de partir et sont revenus de leur course infructueuse le cœur lourd.» (British Colonist-19 septembre1862)

ROYAUME UNI

ColombieBritannique

Dartmouth

Victoria

ETATS-UNIS San Francisco 1 Louise et CharlotteTownsend ont 27 et 25 ans, et sont issues d’une famille relativement aisée mais ne sont toujours pas mariées. Elles décident de quitter l’Angleterre pour laColombie britannique souslesauspices delaLondon FemaleMiddleClass Emigration Society après avoir lu une annonce dansla presse nationale. Audépartde Dartmouth, elles voyagent en 1èreclasseàborddu Tynemouth et disposent d’une cabine  pour deux. Elle peuvent sortirsurlepontàleurguise.

«Notre fret vivant le plus remarquable était cependant une "cargaison" de soixante jeune s femmes destinées aumarché colonial et matrimonial. Elles avaient été envoyées par une société d'accueil, sous la surveillance d'un ecc lésiastique et d'une matrone, etelles ont dû passer les trois mois les plus mornes de leur xistence e à bord,carellesétaientisoléesdurestedes passagers et ne pouvaient que regarder les divertissements auxquels tous les autresparticipaient.» FrederickWhymper-artiste

2

Sur le même bateau, 60 jeunes filles âgées de 12 à 18 ans de la région de Londres voyagent avec la Columbia Emigration Society  et la Female Emigration Society. Voyageant en 3ème classe,elleslogent dansdescabines avec6couchettes,situées derrièrelacheminéedubateau.Chaperonnéesparune «  matronne  », Mrs Isabella Robb, et un homme d’Eglise, le révérend William Scott, elles ne sont pas autorisées à se déplacerlibrement.

3

Deux jours avant d’arriver aux Malouines, l’une d’entre elles, Elizabeth Buchanan, meurt - peut-être de la petite vérole. Elle seraentéréeàPortStanley.

4

Durant l’escale à Port Stanley - 13 jours - les jeunes femmes se voient toutes inter dites de quitter le navire pour raisons de sécurité.Ilenserademêmepourl’escaledeSanFrancisco.

16 marins mis aux ers f

Port Stanley

Escale de 2 jou rs

Arrivée le 12 jan vier 1863

Escale de 13 jo urs

Départ le 9 ju in 1862

1000 km

Sources : « Arr ival of the Tynem outh », The Daily itish Br Colonist vol. 8 ; Great Britain, Colonial Office, “Blue Books of Statistics, British Columbia, 1861-1870”, British Columbia Archives ; Peter Johnson (1871), Voyages of Hope : the saga ofide-Ship. the Br Cartographe : Stanislas Mic hel © Migreurop

STANISLAS MICHEL

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LA LIBERTÉ DE CIRCULATION : UN INSTRUMENT DIPLOMATIQUE – LE CAS DE LA LIBYE

P

eu de pays illustrent aussi bien que la Libye les fluctuations de la liberté de circulation au Maghreb et au Moyen-Orient. Mû par des facteurs idéo­logiques, économiques et politiques parfois contradictoires, Muammar Kadhafi, qui a dirigé le pays de 1969 à 2011, a tantôt favorisé, tantôt entravé, les mobilités et les migrations inter-arabes. Ces migrations avaient débuté avant son arrivée au pouvoir. Elles étaient, à bien des égards, nécessaires dans ce pays nouvellement indépendant (1947), faiblement peuplé (1 088 900 habitant·e·s) et où le taux d’analphabétisme était de 81 %, selon le recensement de 1954. Des enseignant·e·s et des cadres arabes, majoritairement Égyptien·ne·s et Tunisien·ne·s, migraient déjà dans les années 1950 pour travailler en Libye. Ces migrations arabes augmentèrent et se diversifièrent, tout en restant essentiellement masculines, à la suite de la découverte et de l’exploitation du pétrole à la fin des années 1950. À son arrivée au pouvoir, en 1969, Kadhafi offrit une nouvelle impulsion aux migrations arabes en les favorisant délibérément. Se revendiquant comme l’héritier de Gamal Abdel Nasser et se présentant comme le leader du nationalisme arabe, il voyait dans la liberté de circulation une étape importante du projet d’unité politique. Il n’est, dès lors, pas surprenant que les temps forts de la liberté de circulation correspondent, pour partie, à des moments clés des projets nationalistes arabes. Ainsi, en préparation de la proclamation de l’Union des Républiques arabes, qui devait en 1971 fédérer l’Égypte, la Libye, et la Syrie, Tripoli a aboli le visa d’entrée jusqu’alors nécessaire pour les travailleur·se·s égyptien·ne·s. Une convention a également été signée avec la Tunisie en 1971 sur la main d’œuvre qualifiée, suivie d’une convention plus globale en 1973, relative à la liberté de circulation, au droit de propriété, et au droit de travailler des Tunisien·ne·s en Libye, et des Libyen·ne·s en Tunisie. L’objectif était de parvenir à la liberté de circuler avec une simple carte d’identité. Il y était précisé que les citoyen·ne·s de chacun des États jouissaient, dans l’autre, de la liberté d’installation, de circulation, de propriété et de travail dans « les métiers et activités industrielles, commerciales et agricoles », mais que les personnes de la nationalité du pays demeuraient prioritaires.

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La liberté de circuler ne fut cependant jamais pleine puisque de nombreuses personnes étaient simultanément refoulées à la frontière libyenne (près de 106 000 Tunisien·ne·s entre 1969 et 1972). Les échecs du nationalisme arabe et la détérioration des relations entre la Libye et ses voisins eurent des conséquences directes sur les personnes migrantes. La Libye les expulsait pour marquer un désaccord en matière de politique étrangère (conflit israélo-palestinien ou pour témoigner son mécontentement (Union des Républiques arabes restée lettre morte, projet de République arabe islamique entre la Tunisie et la Libye mort-né). De 1974 à la fin des années 1970, des milliers d’Égyptien·ne·s et Tunisien·ne·s sont expulsé·e·s lors de campagnes tantôt brèves et ciblées, tantôt massives. Ces expulsions se faisant indépendamment des besoins du marché du travail et étant avant tout motivées par des critères politiques, elles ne donnèrent pas lieu à une fermeture généralisée des frontières. L’année 1985 fut particulièrement rude pour les Égyptien·ne·s et Tunisien·ne·s résidant en Libye. Kadhafi critiquait alors vivement les politiques extérieures de ses voisins et souhaitait supprimer les privilèges des Arabes en Libye. Cette année-là, selon les sources, auraient été expulsé.e.s entre 20 000 et 100 000 ressortissant·e·s égyptien·ne·s, et de 20 000 à 30 000 Tunisien·ne·s. À la fin des années 1980, Kadhafi usa de nouveau de la liberté de circulation comme instrument diplomatique pour pacifier ses relations avec les États arabes : la loi n° 6 de 1987 prévoyait une exemption de visa pour leurs ressortissant.e.s ; ce droit leur a été donné et révoqué à plusieurs reprises. Au début des années 1990, le leader libyen se distancia du panarabisme pour embrasser un projet politique panafricain. La diplomatie migratoire prit de nouvelles cibles, et les ressortissant·e·s des pays arabes perdirent peu à peu les privilèges dont ils et elles avaient bénéficié de façon fluctuante. La migration continua à être un outil de la diplomatie kadhafienne qui privilégia la migration ressortissant·e·s des pays d’Afrique subsaharienne un temps. FARIDA SOUIAH

les formes historiques de la liberté de circulation

Entre accueil et expulsions : Les migrations arabes sous Kadhafi Entre accueil et expulsions : les migrations arabes sous Kadhafi Les conditions matérielles des expulsions

En mars 1976, les autorités libyennes ont renié leur politique consistant à autoriser l'entrée des Égyptien·ne·s munis d'une carte d'identité et ont déporté plus de 3 000 travailleur·se·s. Le gouvernorat de Matrouh en Egypte, proche de la frontière libyenne, a déclaré l'état d'urgence étant donné que les déporté·e·s étaient abandonné·e·s sans ménagement aux postes frontières par les autorités libyennes. Sayyid Fahmi, le ministre égyptien de l'intérieur, a dû envoyer des trains et des bus pour récupérer les déporté·e·s. Une fois de plus, la diplomatie migratoire libyenne a fait des victimes : au moins un travailleur migrant est mort le 20 mars, tandis ALGÉRIE que Yunis 'Abd al-'Al a été complètement paralysé et incapable de parler à la suite de blessures à la tête. (Tsourapas 2017)

Mufrih Nasr Isma’il, un migrant Egyptien du Fayoum, décède à Derna, pendant une rétention administrative en 1975 due à des violences policières.

TUNISIE

Ras Jedir Tripoli

Derna

LIBYE

Le 28 août 1974, l'épouse d'un médecin égyptien en Libye qui rentrait en Egypte a été arrêtée à Salloum, où "un douanier libyen a inspecté ses valises et a jeté ses Marsa Matrouh sous-vêtements de manière provocante devant ses compagnons. Salloum Lorsqu'elle l'a réprimandé, il l'a battue, a cassé ses lunettes et l'a insultée avec des mots injurieux qui ont indigné certains soldats égyptiens qui se trouvaient par hasard au poste de douane. Les deux parties auraient pu EGYPTE s'affronter". (Tsourapas 2017)

Kufrah

Les abus policiers se produisent par intermittence jusqu'au début du mois d'octobre 1976, lorsque quelque 2 500 Égyptien·ne·s ont été arrêté·e·s à Derna, dans l'est de la Libye. Les migrant·e·s ont été torturé·e·s avant d'être remis·es aux autorités frontalières au poste frontière égyptien de Marsa Matrouh.

Centre de détention* Trajectoires recensées d’expulsions pour les tunisien.ne.s et égyptien·ne·s

NIGER TCHAD

Expulsions " Ils m'ont pris mes boucles d'oreille et mon collier, en me disant d'aller me faire rembourser chez Reagan " propos rapporté par une femme à Ras Jedir après avoir été expulsée de Libye avec son bébé. (M. Deuré pour le Monde (1985) - Tunis : l'impossible voisin)

Entrée facilitée

*Recensement non-exhaustif des camps sur la période d’étude

Des migrant·e·s utilisé·e·s à des fins politiques et diplomatiques Environ 3 000 Tunisien·e·s sont entré·e·s légalement en Libye, tandis que quelque 43 500 personnes ont été empêchées de franchir la frontière parce qu'elles n'avaient pas d'autorisation.

Élection du Premier ministre tunisien Hedi Nourira, hostile à Kadhafi, dans une période de grave chômage en Tunisie.

L'Égypte se retire des négociations sur la création de la République arabe fédérale, accusant Kadhafi d'être un malade mental ou un fou.

Incident diplomatique à Gafsa : la Libye est accusée d’avoir soutenu un soulèvement pour renverser le régime Tunisien.

Détente diplomatique entre la Tunisie et la Libye suite à l’accord sur la délimitation du plateau continental.

Loi n°6 : l’entrée sur le territoire Libyen ne nécessite plus de visa pour les ressortissant·e·s des États arabes. Kadhafi accuse l’Égypte et la Tunisie d’être trop proches des États-Unis

Casablanca Arab Summit : réouverture des frontières, et compensations financières aux égyptien·ne·s expulsé·e·s

2 500 13 000

3000

45 000 27 000 27 800

TUN

≈20 000

3 900 1 700

TUN ≈70 000

≈60 000

EGY

EGY 350,000 300,000 250,000 200,000 150,000 100,000 50,000 0

1974

Travailleurs et travailleuses étranger·ère·s en Libye

1976

1978

1980

1982

1984

1986

1988

1990

Sources : Gerasimos Tsourapas (2017). Migration diplomacy in the Global South: cooperation, coercion and issue linkage in Gaddafi’s Libya ; Paoletti, E. (2011). Migration and foreign policy: the case of Libya ; Gerasimos Tsourapas. (2015). "The Politics of Egyptian Migration to Libya"; Almamy Sylla (2020), L’aventure libyenne et ses vécus politiques et sécuritaires pour les migrants maliens ; Nicole Grimaud (1994), Tunisiens en Libye : quand les migrants sont pris en otage ; Michel Deuré (1985), Tunis : l’impossible voisin.

Cartographe : Stanislas Michel

STANISLAS MICHEL

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LA COLONISATION DE L’AMÉRIQUE DU NORD : LA LIBRE CIRCULATION DES PREMIÈRES NATIONS REMISES EN QUESTION

L

es Amériques constituaient, jusqu’à l’époque moderne et l’arrivée des Européens, un continent entier de libre circulation pour les Premières Nations au mode de vie nomade. Les Grands Voyages et la colonisation qui se développent aux xve, xvie et xviie siècles voient les européen·ne·s s’approprier ce vaste continent et importer, outre des conflits et des épidémies, une logique d’organisation de l’espace étrangère aux peuples qui y vivaient depuis des siècles, que ce soit à travers l’exploitation des ressources naturelles, la construction de villes, ou, plus tard, l’établissement de frontières lorsque ces colonies gagneront en autonomie – en 1867 pour le Canada, en 1783 lors de l’indépendance des États-Unis et 1821 pour l’indépendance du Mexique. Les frontières nord-américaines telles qu’elles ont été dessinées à partir de ces dates créent une partition du continent en trois et confrontent les Premières Nations à une nouvelle logique spatiale. Des régions telles que le Rio Grande ou les Grands Lacs, qui étaient des zones de contact entre les groupes indigènes et les colons européen·ne·s, deviennent ainsi des lignes de séparation. Ces populations autochtones utilisaient auparavant des lignes de démarcation qu’on pourrait apparenter aux frontières de l’État moderne, mais ces dernières servaient à délimiter des zones de chasse et de pêche sans réelle fonction ­politique.

Le traité de Jay de 1794 – que les États-Unis et la Grande-Bretagne signent dans le sillage de la Révolution américaine – garantit une liberté de circulation pour les Premières Nations. Cependant, le Canada devenu indépendant ne reconnaîtra pas cet engagement pris par son ancienne métropole. Les États-Unis, limitent ce droit aux individus qui peuvent prouver qu’ils ont 50 % de sang autochtone (McCarran-Walter Act de 1952). Du fait de cette application limitée du traité, les Premières Nations doivent se soumettre à des contrôles liés à une frontière qu’elles ne reconnaissent pas et qui leur a été imposée. L’établissement des frontières en Amérique du Nord vient également asservir les Premières Nations dans la mesure où elles amènent avec elles de nouveaux concepts géopolitiques de souveraineté, de juridiction et de citoyenneté, assignant ainsi à ces populations un pays, et une identité nationale. C’est ce que démontre Brenden Rensink

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dans son ouvrage Native but Foreign. Certaines tribus qui se trouvaient à cheval entre le Canada et les États-Unis ont dû faire le choix d’être rattachées à un pays afin de jouir de certains droits, qu’elles ont parfois obtenus à la suite d’une lutte longue et acharnée. Les Yaquis, par exemple, n’ont été officiellement reconnus comme autochtones « américains » par le gouvernement fédéral que dans les années 1970, ce qui leur a permis de se voir attribuer des terres et des fonds pour les aider à lutter contre la précarité (éducation, logement et santé). Enfin, les pouvoirs euro-américains ont également limité la libre circulation des Premières Nation en leur imposant la sédentarisation avec la création de réserves. Censées pacifier les relations entre colons européens puis Nord-Américains, ces réserves – dont certaines ont été créées dès le xviie siècle par les Français – ont au contraire conduit à leur spoliation d’une grande partie du territoire qui auparavant leur appartenait. Au-delà des frontières, c’est également le système économique mis en place par les populations euro-américaines qui a créé un obstacle à la libre circulation des Premières Nations. C’est ce que Michèle Waquant suggère dans son documentaire « Mille Rivières ». En prenant l’exemple des Innus du Québec, elle montre que ces populations nomades utilisaient les cours d’eau pour se déplacer et que le développement de routes, de lignes à haute tension et de barrages électriques, dans la seconde moitié du xxe siècle, a changé la donne. En mettant en place des politiques de déforestation pour aménager le territoire, le gouvernement québécois a ainsi introduit des ruptures dans l’environnement des Innus. L’économie extractiviste a donc modifié leur pratique du territoire en créant un frein à leur mobilité. Dans leur conquête du Nouveau Monde, les Européen·ne·s, et les Nord-Américains après elles et eux, ont donc importé un modèle politique et économique qui, combiné avec la mise en place de réserves, a contribué à la sédentarisation et à l’asservissement des autochtones, remettant ainsi en question des modes et des principes de vie ancestraux, tels que la libre circulation. PIERRE-ALEXANDRE BEYLIER

les formes historiques de la liberté de circulation

Déportations et exterminations des Indien·ne·s Rupert’s Land (Royaume-Uni)

New Hampshire

À l’origine, le nom des Delawares (peuple indien) était Leni-Lenape ou le peuple du début Massachusetts

New York

Rhode Island Connecticut 1776 - Déclaration d'indépendance des 13 États-Unis New Jersey d’Amérique (reconnue en 1783 par le traité Delaware de Paris)

Pennsylvanie Fort Pitt Colonie de Louisiane (Espagne)

Vice-royauté de la Nouvelle Espagne (Espagne)

Fort Harmar

Maryland

Virginie Caroline du Nord Caroline du Sud

Géorgie

1790 - Second traité négocié à Fort Harmar . Les frontières sont légèrement changées

1789 États-Unis d’Amérique

Floride orientale (Espagne)

Territoires contestés par les État-Unis d’Amérique et les puissances voisines (Royaume-Uni, Espagne, etc.)

années

1790 - Des cadastreurs des États-Unis d’Amérique passent du côté de l’Ohio qui appartient aux Indiens.

Floride occidentale (Espagne)

Traité entre les Delawares et les États-Unis d’Amérique 1778 que ces derniers ne respectent pas voire jamais.

Lieu où des traités ont été signés (le déplacement vers l’Ouest souligne la conquête territoriale des terres indiennes par les États-Unis d’Amérique.

1792 - Les Delawares se rebellent avec d’autres tribus indiennes hostiles aux conquêtes territoriales du gouvernement des États-Unis.

Rupert’s Land (Royaume-Uni)

New Hampshire Territoire du Michigan

Territoire indien

Ohio Virginie

Kentucky

Massachusetts Rhode Island Connecticut New Jersey Delaware Maryland

« Vous croyez que les États-Unis veulent vous priver de vos terres, et vous chasser du pays. Soyez certains qu’il n’en est pas ainsi ; au contraire, nous serons heureux de vous faire profiter de tous les bienfaits de la vie civilisée ».

1795 - Nouveau traité. Les deux tiers de la superficie présente de l’État d’Ohio furent cédés aux États-Unis.

Caroline du Sud

Territoire du Mississippi

1805

Géorgie

Territoire des Delawares avant la conquête

Floride orientale (Espagne)

Déplacements et/ou déportations des Indiens delawares

Floride occidentale (Espagne)

L’histoire des Delawares s’apparente à beaucoup d’autres histoires de tribus indiennes comme les Cherokees, les Winnebagos (région des grands lacs), les Cheyennes et les Sioux (grande Prairie) voire les Nez Percés plus à l’Ouest, autant de peuples marqués par des guerres d’extermination, et pour les survivants par la misère et l’abandon.

1813 - Un accord fixe les limites de la réserve de Fort Vincennes , et les Indiens (…) abandonnent la grande source salée située sur la rivière Salien Creek. 1814 - Un nouvel abandon des terres est consenti, en contrepartie d’un paiement annuel de 1 000 dollars, à perpétuité.

1818 - Les Delawares cèdent à nouveau du terrain (Indiana) aux États-Unis qui promirent de leur fournir « un lieu de résidence à l’ouest du Mississipi » et de leur en « garantir une vie paisible ».

Oregon Territoire du Nebraska Iowa

Territoire de l’Utah

Indiana

Californie1 Kansas

1861

Message du gouvernement des États-Unis aux indiens Delawares

Caroline du Nord

Tennessee

Vice-royauté de la Nouvelle Espagne (Espagne)

Territoire du Nouveau Mexique

New York

Pennsylvanie

Colonie de Louisiane (Espagne)

1778 - Premier traité entre les Delawares et les États-Unis conclu à Fort Pitt (« la paix règnera et les troupes des États-Unis peuvent passer à travers le territoire de la nation des Delawares »)

Fort Vincennes

Territoire indien

Texas

1. « En 1848, 100 000 Indiens habitaient en Californie, en 1859, il n’en restait plus que 30 000 » (Helen Hunt Jackson, 1881, p. 25). « Le droit de refuser de se soumettre à l’injustice, de résister à l’injustice par la force s’il le faut, fait partie de la loi de nature, et comme tel il est reconnu par la loi des nations » (Helen Hunt Jackson, 1881, p. 284).

Ohio

1854 - L’afflux des colons blancs dans le Kansas est tel que les réserves indiennes ne peuvent pas rester intactes, et les Delawares cèdent une large part de leur terre contre la somme de 10 000 dollars. 1860 - Les États-Unis concluent avec les Delawares un traité donnant droit de passage à la compagnie de chemin de fer Leavenworth, Pawnee and Western. 1862 - La majorité des tribus delawares sont en guerre contre les États-Unis. 1864 - La plus grande part du bétail des Delawares est constamment volée par les Blancs. 1866 - Un traité prévoie la déportation en Territoire indien de tous ceux qui ne se décident pas à devenir citoyens du Kansas. 1878 - La tribu a cessé d’exister.

Sources : Helen Hunt Jackson (1997) Un siècle de déshonneur, Paris, Bibliothèques 10-18, 368 p. Cet ouvrage est une réédition parue en 1972 (Union générale d’Éditions), il a été publié pour la première fois aux États-Unis d’Amérique en 1881. Évolution territoriale des États-Unis, https://fr.wikipedia.org/wiki/Évolution_territoriale_des_États-Unis. Frédéric Salomon (2008) Atlas histotique des États-Unis de 1783 à nos jours, Paris, Armand Colin, pp. 10-27.

OLIVIER CLOCHARD

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FRANCHIR LA LIGNE DE COULEUR À LA FRONTIÈRE MEXICO-AMERICAINE : L’HISTOIRE DE WILLIAM ELLIS

H

istoriquement, la liberté de circulation ne se heurte pas uniquement aux frontières nationales : elle est aussi conditionnée par des assignations raciales, de classe et de genre. En suivant la trajectoire singulière de William Ellis dans l’Amérique du xixe, nous observons ces multiples entraves à la mobilité et les formes complexes de résistance qui parfois font de la frontière une ressource. Le récit débute aux États-Unis à une période où la ségrégation raciale succède à l’esclavage, faisant perdurer entre personnes identifiées comme « Blanches » et « Noires » une violente asymétrie de droits et une hiérarchisation des espaces et des circulations. C’est dans ce contexte que naît William Ellis à Victoria, près de la frontière avec le Mexique. Dans l’ouvrage L’esclave qui devint millionnaire. Les vies extraordinaires de William Ellis, l’historien Karl Jacoby retrace le parcours de cet homme né esclave en 1864 et devenu riche homme d’affaire en se faisant passer pour Blanc et Mexicain. Ce faisant, Jacoby analyse une stratégie qui se développe plus largement à cette époque pour contourner l’ordre racial et spatial ségrégué : le passing. Très documenté dans la littérature afro-américaine du début du xixe siècle, le passing désigne l’expérience de personnes, qui sont issues de familles noires mais qui ont la peau suffisamment claire pour passer pour blanches. Aucun groupe intermédiaire n’étant alors reconnu entre les catégories Noir et Blanc (selon la règle de la « goutte de sang unique » qui voulait que toute personne ayant un ancêtre noir était elle-même considérée comme noire), ces personnes pouvaient tenter de passer pour blanches pour avoir accès à des espaces et à des droits qui leurs étaient refusés. William Ellis est l’une d’entre elles. Bien qu’il n’ait pas la peau suffisamment claire pour se faire passer pour Blanc aux États-Unis, Ellis a grandi au Texas, travaillé dans les plantations où il a appris l’espagnol auprès de Mexicains, puis travaillé pour un commerçant transfrontalier de peaux et de coton : autant d’éléments qui lui permettent, à 20 ans, de déménager à San Antonio et de se faire passer pour un entrepreneur Mexicain. Il franchit ainsi la ligne de couleur

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grâce à l’essor du chemin de fer qui lui permet de quitter sa ville natale (où il est identifié comme Noir) et en opérant un passing de nationalité. Devenu « Guillermo Enrique Eliseo », il connaît une très forte ascension sociale dans le commerce transfrontalier. Il met cependant régulièrement son passing en danger en restant en contact avec sa famille, en s’impliquant en politique et en créant un projet d’émigration d’Afro-Américains au Mexique. Lorsqu’il est découvert à San Antonio en 1896, il disparaît, puis réapparaît quelques années plus tard à New York, marié avec une femme blanche avec qui il a plusieurs enfants. Toujours impliqué dans le commerce avec le Mexique, il se fait alors passer pour Cubain, ou parfois Hawaïen, et meurt à Mexico en 1923. L’expérience de William Ellis s’ancre dans une histoire longue du passing qui remonte à la période esclavagiste. Dès 1860, Ellen et William Craft décrivent leur fuite du régime esclavagiste à bord d’un train dans le livre Running a Thousand Miles for Freedom. Ellen Craft, à l’inverse de son mari, a la peau suffisamment claire pour être perçue comme Blanche et avoir accès au wagon de première classe. William Craft se fait alors passer pour l’esclave d’Ellen, qui elle-même se fait passer pour un homme blanc en coupant ses cheveux et en changeant de vêtements (car une femme blanche ne voyagerait pas seule avec un esclave). En se présentant ainsi comme un jeune homme blanc de classe supérieure avec son esclave, ils réussissent un passing racial et de genre qui leur permet de circuler à travers les États-Unis et de rejoindre le Nord. Le récit de William Ellis s’inscrit ainsi dans un ensemble de pratiques répandues de franchissement ponctuel ou sur le long terme des frontières raciales qui dévoilent en creux le caractère fluctuant et arbitraire de ces dernières. Encore aujourd’hui, partout où des rapports de domination hiérarchisent des catégories de populations et les assignent à des espaces, ces stratégies de passing perdurent pour conquérir des droits, dont celui de circuler librement. CAMILLE GUENEBEAUD

les formes historiques de la liberté de circulation

À travers les frontières, la vie de William Ellis New-York

ÉTATS-UNIS Lesconditionsd’unpassing: 1864-1885 Il né esclave et grandit pendant la ségréation en tant que Noir.

San Antonio

E

Victoria

E

Apprentissage de l’espagnol sur les plantations avec des Mexicains Il travaille pour un commerçant transfrontalier

MEXIQUE

Arrivée du train à Victoria en 1882

Ellis devient Guillermo Enrique Eliseo : 1885-1896

Tlahualilo

Il passepour Blanc... Il s’installe à San Antonio et se présentecomme entrepreneur Mexician... ...et se lance dans le commerce transfrontalier

Mexico

... tout ens’engageant dansla politique afro-américaine Projet économique d’émigration afroaméricaine au Mexique Son passing est révéléen 1896et il disparaît

Un homme d’affaires cubain : 1896 -1923 Il s’installe à New-York, travaille à Wall street, se marie avec une femme blanche et passe comme cubain et Blanc Il poursuit des échanges économiques avec le Mexique S on passing est dévoilé dans la presse suite à sa mort à Mexico en 1923 Source : Karl Jacoby, «L’esclave qui devint millionnaire. Les vies extraordinaires de William Ellis», Toulouse, Anacharsis, 2018.

CAMILLE GUENEBEAUD

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LA SOLIDARITÉ OUVRIÈRE À L’ÉPREUVE DE LA LIBERTÉ DE CIRCULATION

C

onstruire la solidarité entre travailleurs et travailleuses par-delà les frontières ; contrecarrer dans le même temps l’usage instrumental des migrations par le capital : tel est le dilemme auquel le mouvement ouvrier fut confronté tout au long de son histoire. Si l’émigration, en raréfiant le nombre de travailleurs et travailleuses disponibles, force les employeurs à revaloriser la condition salariale, l’immigration peut contribuer à la déprécier. D’une part en augmentant la concurrence pour un même poste, ce qui tend à grossir ce que Karl Marx nommait « l’armée industrielle de réserve » et, donc, à infléchir le rapport de force en faveur du capital. D’autre part en entravant les solidarités entre travailleurs. Outre la barrière de la langue, les différences culturelles et, surtout, son exacerbation par les intérêts patronaux, permettent de freiner l’organisation ouvrière, tout en détournant opportunément les masses de l’antagonisme de classe. La tension entre l’impératif de lutter contre l’instrumentalisation de la mobilité internationale de la force de travail et l’idéal de fraternité selon lequel « les ouvriers n’ont pas de patrie » fut au cœur des combats de l’internationalisme prolétarien. Tout en défendant le principe de la libre circulation pour les ouvriers et ouvrières – perçue comme une condition parfois nécessaire à leur émancipation, voire à leur survie – les organisations ouvrières vont chercher à décourager celle-ci lorsqu’elle est utilisée par le patronat. Ce fut notamment le cas lors du vaste mouvement de grève déclenché dans toute l’Europe par la crise économique de 1866. Le Conseil général de l’Internationale procura alors conseils et assistance aux grévistes et mobilisa la solidarité internationale en leur faveur. « De cette façon, l’Internationale priva la classe capitaliste d’une arme très efficace et les patrons ne purent plus freiner la combativité de leurs ouvriers en important une main-d’œuvre étrangère bon marché », relevait en 1918 le penseur marxiste allemand Franz Mehring. La Première Internationale apporta pareillement son soutien au mouvement de grève de 1871 au Royaume-Uni pour la journée des 8h, en envoyant des représentants en Belgique et au Danemark pour empêcher

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avec succès les intermédiaires d’y recruter des briseurs de grève. Cette solidarité prit également la forme d’entraide entre sections ouvrières, qui, du reste, jouèrent un rôle de premier plan dans l’intégration sociale des nouveaux arrivants et arrivantes, tant au nom de l’idéal internationaliste qu’en raison des intérêts bien compris à éviter l’atomisation de la classe ouvrière. Cette position de principe, si elle fut globalement celle de la plupart des organisations de travailleurs acquises à l’idéologie socialiste, ne fit toutefois pas l’unanimité. Une partie des syndicats corporatistes, arc-boutés sur la seule défense des intérêts de court terme de leurs membres, n’ont pas hésité à réclamer des restrictions à l’immigration. Ainsi de la section américaine de l’Internationale en 187071, qui s’opposa à l’arrivée d’ouvriers chinois et japonais. La proposition de limiter les flux migratoires afin de pallier ces effets négatifs fut toujours combattue par l’Internationale. Lors du Congrès de Stuttgart de 1907, elle rejeta massivement une motion visant à soutenir les restrictions à l’immigration asiatique. À la place, le Congrès adopta une position anti-exclusion, saluée par Lénine, qui critiqua lourdement les propositions xénophobes comme étant le « reflet de l’esprit «aristocratique» que l’on trouve chez les prolétaires de certains pays «civilisés» qui tirent certains avantages de leur situation privilégiée et qui sont pour cela enclins à oublier les impératifs de la solidarité de classe internationale ». Dans un éditorial intitulé « Par la justice » paru dans l’Humanité le 8 janvier 1908, le socialiste Jean Jaurès insista quant à lui sur l’importance d’instaurer l’égalité des droits pour contrecarrer l’instrumentalisation patronale de l’immigration : « La vraie solution serait de ne pas interdire ou de ne pas gêner l’immigration, mais d’établir un minimum de salaire. De la sorte, aucun employeur n’aurait intérêt à s’adresser particulièrement aux immigrés japonais. En outre, l’assurance sociale contre le chômage, avec contribution obligatoire des employeurs, détournerait ceux-ci d’encombrer le marché du travail d’une main-d’œuvre surabondante. » GRÉGORY MAUZÉ

les formes historiques de la liberté de circulation

Travailleuses et travailleurs de tous les pays unissez-vous

Grève des tailleurs (Londres, 1866)

3

Bruxelles 1868 3ème congrès

Bronziers (Paris, 1867)

Genève 1866 1er congrès

La Haye 1872 5ème congrès

5

Londres 1864 Fondation de l’AIT

Mines de charbon (Charleroi, 1868) Travailleurs du fer (Marchiennes, 1867)

Bâle 1869 4ème congrès

4 2

1

Lausanne 1867 2ème congrès

Ouvriers du bâtiment (Genève, 1868)

Bassin minier de Provence 1867 - 1868

Pays qui investissent beaucoup dans l’Internationale. De nombreux adhérents.

Aux origines de la première Internationale Sept. 1864

Fondation de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) au Saint Martin’s Hall de Londres

Fév. 1865

4000 membres de la société ouvrière des maçons adhèrent à l’internationale. Suivent peu après des groupes d’ouvriers du bâtiment et de cordonniers.

Victoires ouvrières ayant bénéficié du support de l’AIT (caisses de grève, coordination, rédaction de manifestes, faire barrage aux patrons)

Sept. 1866

Ier congrès de l’Internationale. 60 délégués représentant 25 sections et 11 sociétés adhérentes de 6 pays.

Congrès de la première internationale

Sept. 1867 Sept. 1868

IIème congrès de l’Internationale. 71 délégués de 6 pays y assistent. IIIème congrès de l’Internationale. Marque la prédominance des idées syndicalistes et collectivistes.

Nombre d’inscrit·e·s en 1869 France : entre 30 et 40 000 adhérent·e·s dont 10 000 adhérent·e·s à Paris et 3000 à Lyon. Belgique : plusieurs dizaine de millers. Suisse : 6000 militants dont 2000 à Genève et 800 dans le Jura. Allemagne : faible participation. Angleterre : 50 000 adhérents via des adhésions par les syndicats.

Investissement surtout idéologique

Dans ces pays, l'AIT commençait à gagner du terrain en 1870

NICOLAS LAMBERT, RONAN YSEBAERT

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DROIT DE VISITE ET QUARANTAINES

L

e philosophe Emmanuel Kant n’a jamais quitté sa bonne ville de Koenigsberg, aujourd’hui Kaliningrad à la frontière russe. Il pensait pourtant que le droit de visite ou droit de séjour est universel et contribue à la paix mondiale, à charge pour les pays de veiller à l’hospitalité.

L’une des raisons, d’arrêter les voyageurs et voyageuses aux frontières terrestres ou maritimes des États, est la crainte de la contagion et notamment de la peste, venant d’Orient. Contre celle-ci, l’Europe médiévale a instauré les quarantaines ou délais de réclusion pour vérifier la santé des voyageurs et voyageuses et isoler les malades. Des « lazarets » ont ainsi été construits en référence au saint patron des pestiférés. Inaugurés dans les ports de Raguse (aujourd’hui Dubrovnik en Croatie) et Venise, en 1377 et 1423, ces établissements dépendaient d’administrations chargées de lutter contre les épidémies dans toute l’Italie au xve siècle. Destinées à sécuriser le commerce, les délais de réclusion auraient durablement contenu la peste venue d’Orient, avec des exceptions comme la peste de Marseille de 1720, attribuée à un détournement de la quarantaine pour écouler la cargaison… de marchandises. La décision de quarantaine reposait sur l’information de l’état de santé au port de départ, fournie par les autorités consulaires.  Les lazarets étaient situés dans des îles ou des bouts du monde, afin d’éviter les contacts avec les populations locales. La durée d’isolement était symboliquement de quarante jours, mais évolua avec la connaissance du temps d’incubation. Elle fut fixée à dix jours pour le choléra, après l’identification du bacille en 1883. Les quarantaines ont été alternativement louées pour leurs effets salutaires, comme le recul de la peste ou la raréfaction du choléra en Europe, et dénoncées pour leurs défauts multiples : inconfort et violences. Elles étaient souvent inefficaces, détournées grâce à la corruption des employés, et les voyageurs tentaient de s’évader par tous les moyens (ce dont témoignent les écrivains voyageurs : Rousseau, Chateaubriand, Lamartine…). Au xixe siècle, les quarantaines « médiévales » ont été contestées au nom de la liberté, et de l’argument selon lequel la contagion était surtout aérienne : contre les « miasmes » une barrière terrestre était jugée dérisoire. Les

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quarantaines ont été toutefois maintenues face à l’Orient, notamment lors du pèlerinage de la Mecque, qui rassemblait des pèlerins du monde entier (voir « Les circulations dans le cadre du pèlerinage à la Mecque dans le contexte colonial », p. 26). La menace du choléra, de la peste et de la fièvre jaune inspire l’organisation de dix conférences internationales au cours de la deuxième moitié du xixe siècle qui sont avant tout guidées par les intérêts des occidentaux : l’empire ottoman dont dépendent les lieux saints de l’islam est le seul à représenter le monde oriental. Au xxe siècle, pour des raisons philosophiques autant que scientifiques, morales autant que biologiques, les quarantaines deviennent synonymes de procédures arbitraires imposées aux populations. La rapidité des transports et la prédominance de l’avion font apparaitre l’immobilisation des voyageurs et voyageuses aux frontières comme inefficace et désastreuse pour l’économie (comme ce fut le cas pour l’Inde dont la population et les marchandises furent bloqués partout au moment de la peste de Surat en 1995). Le doute est jeté sur l’efficacité et la pertinence de ce mode de lutte contre la contagion. Au xxie siècle, la fluidité et l’extension des communications ont amené à proposer des procédures d’isolement non plus aux frontières, considérées par définition comme perméables, mais au domicile, joliment appelées « isolement communautaire ». Le Covid-19 a confirmé les difficultés d’enfermer les virus avec les malades aux frontières et les dégâts multiples causés par le blocage de ces dernières, alors que la transmission s’est déjà opérée et que des cas sont signalés à l’intérieur des territoires. De façon souvent incohérente, le panorama sanitaire actuel associe des mesures de blocage aux frontières et un essai de tri et de caractérisation des pathologies individuelles, associant dans la surveillance des déplacements les tests viraux et des passeports qui n’indiquent qu’imparfaitement l’état immunitaire d’une personne. Le droit de visite est ainsi sans cesse remis en cause et réinterprété, de façon souvent incohérente et inégale, en fonction des nationalités et des statuts des personnes migrantes et des voyageurs et voyageuses. ANNE MARIE MOULIN

les formes historiques de la liberté de circulation

Les États ont continué d’expulser des personnes migrantes malgré la pandémie

25 000

2019

2020

20 000

15 000

10 000

Nombre de personnes expulsées par les pays européens vers un pays tiers 2019

5 000

2020 2 900

11 500

25 895

Allemagne

Pologne

France

Royaume-Uni

Pays-Bas

Grèce

Espagne

Autriche

Suède

Italie

Belgique

Finlande

Roumanie

Croatie

Lituanie

Lettonie

Estonie

Slovaquie

Hongrie

Chypre

Tchéquie

Danemark

Malte

Portugal

Norvège

Bulgarie

Irlande

Luxembourg

Slovévie

0

Note : Pays non représentés : Islande, Liechtenstein et Suisse. Données manquantes pour 2020 : Royaume-Uni et Danemark Source : Ressortissants de pays tiers ayant quitté le territoire suite à une obligation de quitter le territoire - données annuelles , Eurostat, 2021.

Face au Covid-19, tous les vaccins n’offrent pas la même liberté de déplacement Oxford/AstraZeneca Vaxzevria

Pfizer/BioNTech Comirnaty

142 Nombre de pays où ce vaccin est approuvé pour accéder au territoire

138

110

Siège social

Sinopharm (Beijing) Covilo

91

Moderna Spikevax

85

Sinovac CoronaVac

55

Janssen (Johnson & Johnson)

Gamaleya Sputnik V

74

Serum Institute of India Covishield

47

Novavax Nuvaxovid

37 47

Source : covid19.trackvaccines.org (au 25 avril 2022).

FRANÇOISE BAHOKEN, NICOLAS LAMBERT

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LES MIGRATIONS ENVIRONNEMENTALES DANS L’HISTOIRE

L

a géographie historique des populations a accordé de longue date une place aux facteurs environnementaux et climatiques pour expliquer le peuplement du globe. Les « sorties d’Afrique » de l’espèce humaine (Homo sapiens) via le Sinaï ou le détroit de Bab-el-Mandeb – en particulier autour de 60 000 ans – sont ainsi liées à des épisodes de pluviométrie favorable. Un peu plus tard, le  ­passage du détroit de Béring en direction de l’Amérique a été possible il y a 15 000 ans grâce au bas niveau des mers de l’âge glaciaire. Plus récemment, l’assèchement du Sahara et de la péninsule arabique aurait poussé les populations à se regrouper sur les bords du Nil et, en favorisant la densité, contribué à la naissance de la civilisation égyptienne antique. Le « petit optimum climatique » qui a prévalu entre le viiie et le xiiie siècle aurait stimulé le peuplement de la Polynésie en garantissant une navigation facile par des vents réguliers et des ciels clairs.

Avec l’industrialisation puis la tertiarisation de l’économie, le « paradigme économique » s’impose et l’environ­ne­ment comme facteur répulsif ou attractif des déplacements disparaît de l’étude des migrations. À la fin du xxe siècle, le thème des déplacements de populations liés à l’environnement revient cependant avec force dans les premiers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ils y sont identifiés comme risques majeurs du réchauffement et les médias font des déplacé·e·s du climat le « visage humain » du péril à venir. Dans ce contexte d’anxiétés climatiques, les recherches sur le passé des migrations environnementales ont repris de la vigueur. En 2011, une reconstitution des périodes de stress climatiques du dernier millénaire permet ainsi d’observer un lien entre périodes peu favorables à l’agriculture – en particulier les refroidissements des xvie /xviie siècles et de la fin du xviiie – et les mouvements de populations. Ils sont directement liés à des récoltes insuffisantes, ou, indirectement, à des crises économiques ou à des conflits. Au xixe siècle, l’émigration vers les territoires coloniaux apparaît comme une soupape permettant aux sociétés européennes de limiter les conséquences néfastes des aléas climatiques. Tout comme le montrent les études sur les migrations actuelles cependant, aucun automatisme à sens

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unique ne reliait dans le passé les chocs climatiques à l’émigration. Une fascinante étude de 25 000 biographies ­migratoires entre 1865 et 1937 aux Pays-Bas montre ainsi que les épisodes de pluviométrie extrême ont accru les migrations internes mais fait diminuer les migrations internationales. La migration ne concerne par ailleurs que certains groupes sociaux particulièrement dépendants de l’environnement. Les politiques mises en place pour faire face aux aléas environnementaux jouent à cet égard un rôle fondamental, stimulant ou ralentissant la nécessité de migrer. Cet enchâssement des facteurs environnementaux et politiques a par exemple été mis en évidence dans les recherches sur l’émigration irlandaise vers l’Amérique lors de la grande famine de 1845. Elle est attribuable, certes, à la perte des récoltes de pommes de terre due à une pluviométrie excessive favorisant le mildiou, mais aussi à la politique impériale anglaise vis-à-vis de l’Irlande. Les mêmes constats ont été faits au sujet des sécheresses des années 1930 dans les grandes plaines américaines (le « Dust-Bowl ») qui ont poussé des centaines de milliers de migrant·e·s vers la Californie et celles qui ont frappé le Sahel durant la seconde moitié du xxe siècle et déplacé des millions de paysan·ne·s et de nomades vers les villes : aux aléas climatiques se superposent des déterminants politiques, sociaux et économiques. Les quelques épisodes historiques que nous venons de citer ne sont qu’un échantillon des recherches récentes. Ces dernières sont précieuses car, dans un contexte où la majorité des effets du changement climatique restent des prévisions et où leurs conséquences ne sont pas encore observables, l’analogie historique est une des seules manières d’émettre des pronostics pour le futur. Les liens anciens entre migrations et climat montrent aussi que la mobilité permet souvent aux populations de mieux s’adapter et de faire face aux aléas auxquels elles sont confrontées. Un constat important pour éviter de concevoir la migration comme un problème alors qu’elle peut au contraire contribuer à atténuer les conséquences néfastes du réchauffement climatique. ETIENNE PIGUET

les formes historiques de la liberté de circulation

Les mobilités aux origines de l’Humanité

Afrique Il y a

Il y a

Premières migrations humaines

4 45 000 -

35 000 ans

1

200 000 ans

2

Europe

Il y a

70 000 - 50 000 ans

OCÉAN INDIEN Il y a

45 000 35 000 ans

Il y a

50 000 ans

3 (temps) Il y a

10 200 ans

Australie

Il y a

2 500 ans 9

Asie

5

8 Il y a

3 500 ans

OCÉAN PACIFIQUE

Il y a

20 000 15 000 ans

6

Il y a

15 000 12 000 ans

Amérique du Nord

7 Amérique du Sud

OCÉAN ATLANTIQUE Source: www.nationalgeographic.fr, 2022 D'après Chris Stringer, Natural History Museum, London

NICOLAS LAMBERT

41

42

f

43

DEUXIÈME PARTIE

LES ESPACES RÉGIONAUX DE LIBERTÉ DE CIRCULATION COORDINATION : ALIZÉE DAUCHY ET CAMILLE GENDROT

Sara Prestianni, Trouver les outils pour appréhender de nouveaux territoires, s’orienter à f la frontière franco-italienne, Vintimille (Italie). Sara Prestianni, Serres de production intensive de fruits rouges, Huelva (Espagne). e Au cœur des projets inter-étatiques de libéralisation des mobilités agricoles : faciliter l’accès à des forces de travail précaires et exploitable.

FACILITER LES MOBILITÉS RÉGIONALES

S

i le droit de quitter tout territoire est reconnu par le droit international, le droit d’entrer dans un pays autre que le sien ne l’est pas. À l’échelon international, ce que l’on nomme liberté de circulation ne comprend qu’un droit de se mouvoir librement au sein d’un État et un droit d’en partir. Face au phénomène de mondialisation, dès les années 1950, des États ont commencé à réfléchir à des politiques communes qui permettraient de faciliter les déplacements de certaines catégories de personnes, souvent les travailleurs et les travailleuses, au sein d’un espace régional. Ces projets prennent régulièrement une forme par la création d’organisations internationales régionales, qui permettent de formaliser et d’organiser la coopération ou l’intégration des États d’une même région. Dans certains cas, ces projets ont développé des visions extensives de la libre circulation, souhaitant en faire bénéficier l’ensemble des citoyen·ne·s de la région – par exemple la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou l’Union européenne (UE). Les autres organisations se situent entre ces deux modèles, définissant en fonction des objectifs promus, les droits accordés aux personnes et les conditions de leur accès. Dans le monde, au moins une trentaine d’accords régionaux prévoient des droits encadrant les mobilités sur le territoire des États membres. Les dix dernières années ont vu se développer de nouveaux espaces au sein desquels certaines mobilités ont été facilitées. En 2015, l’Union économique eurasiatique (UEE) a adopté un protocole de facilitation des mobilités des travailleur·se·s. Un protocole sur la libre circulation des personnes a été adopté, d’abord par l’Union africaine en 2018, puis par l’Intergovernment Authority on Development (GAD) dans la corne de l’Afrique, en 2020. Au sein de ces organisations régionales, la facilitation des mobilités est loin d’être l’objectif principal. Elle est souvent un outil au service de la coopération ou de l’intégration économique, voire politique, sociale et culturelle, des États. En fonction des objectifs poursuivis, les droits reconnus varient. Certains reconnaissent un droit d’entrée sans visa, un droit de résidence temporaire ou permanent, un droit de travailler, ainsi que des politiques de reconnaissance des diplômes ou la portabilité des droits en matière de sécurité sociale. Ces droits peuvent bénéficier à diverses catégories (travailleur·se·s, touristes, étudiant·e·s, demandeur·se·s d’asile et réfugié·e·s, membres de la famille, citoyen·ne·s de la communauté, etc.). Ils peuvent également permettre d’encadrer des mobilités spécifiques, telles celles des pastoraux et agropastoraux dont le déplacement est partie intégrante du mode de vie (cf. Bodé Sambo et Sayadi Abdou Chafai). Si des points

46

communs peuvent exister entre ces droits régionaux, leur étude illustre la diversité d’approches du contrôle des mobilités à travers le monde. Chaque espace de « libre » circulation naît d’une histoire particulière et d’objectifs correspondant aux enjeux de la région au sein de laquelle il se construit (cf. Olga Bronnikova et Maroussia Ferry). Si ces espaces permettent avant tout le développement de marchés économiques communs, la CEDEAO a également facilité les mobilités sur son territoire afin de préserver, renforcer, voire créer de nouvelles solidarités entre les différentes populations. Créer un espace de mobilité en Afrique – par exemple dans le cadre de l’Union africaine – est également une déclaration politique : un projet d’unité panafricaine par l’affirmation d’une identité commune face aux formes d’impérialisme, passées et actuelles. En Amérique latine on observe les tensions classiques entre volonté d’intégration des marchés communs par la facilitation des mobilités et des réponses nationales de repli face aux « crises » sanitaires et sécuritaires, mais également selon les changements de couleur politique des autorités nationales (cf. Delphine Prunier ; Alexandra Castro). Au Nord, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ne prévoit quant à lui que la facilitation des mobilités des personnes jugées indispensables au développement économique de la sous-région. Le développement de droits facilitant le déplacement de certaines personnes au sein des organisations régionales repose sur différents objectifs – économique, humaniste ou encore sécuritaire. Les États, au sein de ces organisations, façonnent les espaces qui répondront à leur volonté politique. Les différents objectifs ne s’excluent pas, ils cohabitent souvent, au gré des fluctuations politiques, et transforment les droits. Ainsi, les catégories de bénéficiaires des droits des mobilités au sein du marché commun des Caraïbes (CARICOM) se sont peu à peu élargies à différentes professions en fonction des accords politiques entre États. De tels accords existent dès le début du xixe siècle, et de nombreux États conçoivent des accords sur mesure qui leur permettent, à deux ou trois, de faciliter certaines mobilités. Alors même qu’un espace régional de « libre » circulation existe au sud du continent africain – la  Southern African Development Community (SADC) –, les États les plus « riches » de la sous-région (Afrique du Sud, Botswana, Namibie) ont préféré développer de leur côté des politiques de facilitation des mobilités, principalement de travail. Ces accords sont révélateurs d’une approche au cas par cas (cf Loïs Bastide sur l’espace de l’Asie de Sud-Est).

les espaces régionaux de liberté de circulation

Espaces mentionnés dans l’Atlas des différents espaces de libre circulation Condition d’accès à la résidence Amériques

Afrique

Pays de l’est

ALENA ALENA

C4

MERCOSUR MERCOSUR

Convention centraméricaine de libre mobilité

Union économique Communauté des et monétaire États sahéloOuest-Africaine sahariens

CARICOM

Accord de libre-échange nord-américain

UE UEMOA

CARICOM

Marché commun du Sud

Communauté des Caraïbes

Europe UE

Union Européenne

Note : la République Arabe Sahraouie Démocratique, état non reconnu et membre de l’UA, n’est pas représentée.

CEN-SAD

UEEA

CEDEAO CEDEAO

IGAD IGAD

ASEAN

UA UA

CDAA CDAA

Communauté Économique des Etats d'Afrique de l'Ouest

Union Africaine

Union économique eurasiatique

Autorité intergouvernementale pour le

Association des nations de l'Asie du Sud-Est

Communauté de développement d’Afrique australe

Conditions d’accès à la résidence

Liste des pièces à fournir pour pourvoir résider dans l’espace régional. Attention, plusieurs pièces peuvent être nécessaires.

UE

UA

Pièce d’identité/passeport

Union Européenne

Pièce d’identité/passeport

Union Africaine

Carte de vaccination

Carte de vaccination Océan Atlantique

Océan Atlantique

Contrat de travail

Mer des Caraïbes

Étudiant·e·s

Océan pacifique

Conditions de ressources

Mer des Caraïbes

Conditions de ressources Océan Indien

Contrat de travail

Océan pacifique

Océan Indien

Océan Atlantique

Notes

Océan Atlantique

Contrat de travail

Étudiant·e·s

Océan pacifique

Océan Indien

Notes

Océan pacifique

Conditions de ressources

Océan pacifique

C4

Océan Atlantique

UEMOA

Pièce d’identité/passeport

Convention centraméricaine de libre mobilité

Conditions de ressources Étudiant·e·s

Océan pacifique

Contrat de travail Conditions de ressources

Mer des Caraïbes

Océan Océan pacifique pacifique

Océan Indien

Carte de vaccination

Océan Atlantique

Contrat de travail

Mer des Caraïbes

Pièce d’identité/passeport

Union économique et monétaire Ouest-Africaine

Carte de vaccination Océan Atlantique

Océan Étudiant·e·s pacifique

Océan Indien

Océan Atlantique

Accord de libre-échange nord-américain

Contrat de travail

Mer des Caraïbes

Ne prévoit pas de droit à la résidence, seulement à la circulation de certaines catégories de travailleur.ses et entrepreneur.ses.

ALENA

Carte de vaccination

Océan Atlantique

Conditions de ressources

Mer des Caraïbes

Pièce d’identité/passeport

Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest

Carte de vaccination Océan Atlantique

Les conditions d’accès à la résidence restent à la discrétion des États membres.

CEDEAO

Pièce d’identité/passeport

Étudiant·e·s Océan pacifique

Océan Indien

Océan Étudiant·e·s pacifique

Notes Océan Atlantique

Conditions de ressources seulement pour la résidence permanente, pas pour la résidence temporaire

MERCOSUR

Océan Atlantique

IGAD

Pièce d’identité/passeport

Marché commun du Sud

Carte de vaccination Océan Atlantique

Conditions de ressources Étudiant·e·s

Océan pacifique

Océan Atlantique

Océan Indien

Carte de vaccination

Océan Atlantique

Contrat de travail

Mer des Caraïbes

Pièce d’identité/passeport

Autorité intergouvernementale pour le développement

Océan pacifique

Contrat de travail Conditions de ressources

Mer des Caraïbes

Océan Indien

Océan pacifique

Océan Atlantique

Océan Étudiant·e·s pacifique

Notes

La résidence est accordée en vertu du Protocole de l’IGAD, ainsi que du droit de chaque État membre.

Espaces régionaux non représentés : CDAA/SADC, CEN-SAD qui ne règlementant pas les conditions d’accès à la résidence dans l’un de leurs États membres.

FRANÇOISE BAHOKEN

47

Les accords bilatéraux permettent également de créer, entre deux États dont les territoires ne sont pas contigus, des espaces de mobilité qui reposent non sur une logique géographique, mais sur des liens historiques particuliers qu’ils peuvent entretenir : c’est le cas entre la NouvelleZélande et l’Australie. Camille Cassarini montre une autre forme de coopération bilatérale – entre la Tunisie et la Côte d’Ivoire – sur la base d’un accord quant à lui multilatéral (la Cen-Sad). En fonction des bénéfices recherchés par les États, ces derniers jouent avec les modes d’engagement internationaux (bilatéraux ou multilatéraux), ce qui leur permet de faciliter certaines migrations tout en gardant la main sur leur encadrement et les rapports de force entre États d’une même région. Au sein même d’une sous-région, plusieurs mécanismes de « gestion des mobilités » ont pu voir le jour : c’est le cas en Europe ou en Afrique de l’Ouest. Intervient ici l’enjeu des politiques migratoires régionales : faciliter les mobilités des personnes, c’est déjà les contrôler (cf Alizée Dauchy sur le développement des outils biométriques en Afrique de l’Ouest). En effet, ces accords ne remettent pas en cause la souveraineté des États dans le contrôle des mobilités, mais facilitent seulement le déplacement de certaines catégories de personnes. Tout au plus, les droits régionaux des mobilités encadrent les politiques étatiques, car le droit

48

régional ne s’applique que dans la mesure où les États y ont consenti (cf. Laura Odasso). Il s’agit donc d’étudier ces droits pour ce qu’ils sont actuellement : des outils de politiques nationales dont les États sont les premiers sujets. Une autre dynamique commune semble émerger. Les accords dits de « libre circulation » sont de puissants vecteurs de diffusion de la logique économique néolibérale (cf. Emmanuelle Hellio). Même si elle se conjugue avec des revendications liées à l’indépendance économique et politique – comme par exemple dans le cadre des organisations africaines –, la nécessité d’un développement des marchés communs régionaux et de leur inscription au sein de l’économie mondiale n’est jamais remise en cause. Faire bloc régionalement face à la mondialisation, oui, mais en acceptant et renforçant la logique économique libérale dominante. Bien plus, la mise en œuvre des droits des mobilités souligne souvent la crise de solidarité qui peut exister entre les États membres d’une même organisation : elle accentue les peurs, voire les discriminations racistes et racialisantes des États (cf. Ségolène Barbou des Places, Lola Isidro). Les droits des mobilités sont dès lors des outils au service des fluctuations des politiques nationales, au détriment le plus souvent de logiques alternatives protectrices des personnes et d’une véritable liberté de mouvement. CAMILLE GENDROT

les espaces régionaux de liberté de circulation

Condition de cessation du droit à la résidence des différents espaces de libre circulation Prévues par le traité Prévues par le traité et obligatoires Prévu par le traité et obligatoire dans certaines circonstances Non prévue par le traité

Conditions de cessation du droit à la résidence

Liste des situations conduisant à la cessation de votre résidence dans l’espace régional. Attention, une seule condition est suffisante.

UE

UA

Fin du titre de séjour

Union Européenne Océan Atlantique

Fin des études

Océan Indien

Océan Atlantique

CDAA

Casier judiciaire Océan

Ordre public et sécurité

Océan pacifique

pacifique

Océan Indien

Conditions de ressources minimum Si une condition essentielle de la résidence n’est plus remplie

Océan Note : Atlantique Les conditions de la fin de la résidence sont laissées à la discrétion des États membres.

CEDEAO

Fin des études

Fin des études

Océan Atlantique

Ordre public et sécurité Mer des Caraïbes

Casier judiciaire

Casier judiciaire Océan Indien

Note : Océan Atlantique Les conditions de la fin de la résidence sont laissées à la discrétion des États membres.

MERCOSUR Marché commun du Sud

Océan

Océan

Océan Indien

pacifique pacifique Conditions de ressources minimum Si une condition essentielle de la résidence n’est plus remplie

Océan

pacifique Conditions de ressources minimum Si une condition essentielle de la résidence n’est plus remplie

Océan Atlantique

UEMOA

Fin du titre de séjour

Fin du titre de séjour

Union économique et monétaire Ouest-Africaine

Fin du contrat de travail Fin des études

Océan Atlantique

Fin du contrat de travail Fin des études

Océan Atlantique

Ordre public et sécurité Casier judiciaire

Océan pacifique

Océan

Notes

Conditions de la fin de la résidence laissées à la discrétion des État s membres

Ordre public et sécurité

Mer des Caraïbes

Mer des Caraïbes

Océan Atlantique

UEEA

Océan

Conditions deIndien ressources pacifique minimum Si une condition essentielle de la résidence n’est plus remplie

Océan Indien

Océan pacifique

Océan Atlantique

IGAD

Fin du titre de séjour

Union économique eurasiatique

Océan pacifique

Conditions de ressources minimum Si une condition essentielle de la résidence n’est plus remplie

Fin du contrat de travail

Ordre public et sécurité Mer des Caraïbes

Casier judiciaire

Fin du titre de séjour

Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest

Fin du contrat de travail

Océan Atlantique

Fin des études

Mer des Caraïbes

Fin du titre de séjour

Communauté de développement d’Afrique australe

Fin du contrat de travail

Océan Atlantique

Ordre public et sécurité

Mer des Caraïbes

Fin du titre de séjour

Union Africaine

Fin du contrat de travail

Fin des études

Océan

Conditionspacifique de ressources minimum Si une condition essentielle de la résidence n’est plus remplie Fin du titre de séjour

Autorité intergouvernementale pour le développement

Fin du contrat de travail

Casier judiciaire

Fin du contrat de travail Fin des études

Océan Atlantique

Ordre public et sécurité

Ordre public et sécurité Mer des Caraïbes

Casier judiciaire Océan Indien

Océan Atlantique

Note : En cas de fin de contrat de travail, la personne a un délai de 15 jours pour commencer un nouveau contrat.

Océan pacifique

Casier judiciaire Océan

Conditions de ressources pacifique minimum Si une condition essentielle de la résidence n’est plus remplie

Océan Indien

Océan Atlantique

Océan

Conditionspacifique de ressources minimum Si une condition essentielle de la résidence n’est plus remplie

Espaces régionaux qui ne règlementent ou ne prévoient pas les conditions de cessation du droit à la résidence : l’ALENA, la CEI, la CARICOM et la C4 (traité révisé).

FRANÇOISE BAHOKEN

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LA LIBERTÉ DE CIRCULATION EN EUROPE

L

a notion de « libre circulation » évoque généralement la capacité de franchissement des frontières ; elle renvoie à l’idée d’un espace de mobilité sans entraves. Mais dans l’Union européenne (UE), les États membres qui ont accepté d’être liés par des règles communes sur la mobilité des personnes ont donné à cette liberté un sens plus large. Le droit de la libre circulation garantit à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le droit d’entrer sur le territoire d’un autre État membre, d’y résider, d’y travailler, de bénéficier du regroupement familial, d’accéder à un socle substantiel de droits sociaux (notamment en matière de sécurité sociale). Le droit de libre circulation a été consacré par la Cour de justice de l’Union comme un « droit fondamental » des personnes et un « principe » du marché intérieur, ce qui en fait une liberté de rang supérieur dans le droit de l’Union. Depuis le traité de Maastricht, le droit de la liberté de circulation est même fondé sur la citoyenneté de l’Union européenne, dont la Cour a fait découler un droit à l’égalité de traitement avec les nationaux de l’État d’accueil. Ces droits permettent à un nombre considérable de personnes de se déplacer pour de courts ou longs séjours dans un vaste ensemble composé du territoire de 27 États. La liberté de circulation est devenue synonyme d’accès à un espace européen élargi d’opportunités multiples et promesse d’une vie transnationale. Toutefois, le terme libre circulation « des personnes » est trompeur. Deux réalités conduisent à le considérer comme une facilité de langage. En premier lieu, seules les personnes titulaires de la nationalité des États membres (les « citoyens de l’Union ») sont bénéficiaires de la liberté de circulation. Le projet européen adosse ainsi la liberté des uns et des unes à une logique de contrôle de ceux et celles qui en sont exclu·e·s : les « ressortissants d’États tiers ». Certain·e·s d’entre elles et eux (les bénéficiaires du statut de résident de longue durée par exemple) ont accès à un régime de « mobilité privilégiée ». Mais leur mobilité reste soumise à de nombreux contrôles. En second lieu, tous les nationaux d’un État membre ne jouissent pas d’une liberté de circulation inconditionnée.

50

Déjà, le traité instituant la CEE (ancêtre de l’Union européenne) limitait la liberté de circulation aux seuls « travailleurs », définis comme « ceux » qui exercent une activité économique. Progressivement, sous l’influence de la Cour de justice, le cercle des bénéficiaires de la liberté de circulation a été étendu. Les personnes se déplaçant aux fins d’étude ou pour prendre leur retraite, ou les membres de la famille des personnes exerçant une activité professionnelle, ont eu accès à une partie des droits de mobilité garantis par le droit de l’Union. C’est à cette période qu’est apparu le récit enthousiaste d’une UE comme « laboratoire » de mobilité, ayant vocation à se diffuser. Mais à partir du début des années 2000 une nouvelle logique est apparue, dans le langage politique puis dans les termes mêmes du droit. Les États ont évoqué leur crainte du « tourisme social » – suggérant que les déplacements intra-européens seraient mus par la seule perspective de prestations sociales plus généreuses – ou « l’abus de circulation », notion vague et malléable du droit de l’UE. Progressivement, les conditions et limites du droit de la libre circulation sont devenues plus apparentes. Seules les personnes exerçant une activité professionnelle jouissent d’une mobilité non entravée. Au contraire, les « inactifs » doivent donner des gages de revenus et disposer d’une couverture sociale pour résider plus de trois mois dans un autre État : il s’agit de ne pas « mettre en péril » les finances sociales de l’État d’accueil. L’accès aux prestations sociales est d’ailleurs restreint à un cercle plus étroit de personnes. La jurisprudence de la Cour a ainsi marqué, à partir des célèbres arrêts Dano et Alimanovic, une inflexion : elle ne voit plus dans la seule citoyenneté de l’Union le fondement d’un « droit » de circulation entendu comme promesse d’une vie européenne. Peu à peu, s’enracine l’idée que seul le « mérite », défini comme la qualité de la personne qui travaille ou qui a des revenus, doit être le critère de désignation des titulaires du droit de la libre circulation. L’exigence de solidarité entre européens et européennes, qui devait sous-tendre la libre circulation dans l’UE, se rétracte progressivement. SÉGOLÈNE BARBOU DES PLACES

les espaces régionaux de liberté de circulation

Travaillez ou partez Inactif·ve·s : 9.5 millions d’individus non nationaux dont la résidence est remise en cause

Total UE27 - Inactif·ive·s (2019) Hors UE27 (6.4 millions)

UE27 (3.1 millions)

Nationaux (149 millions)

Possibilité de s’installer dans un autre État membre remis en cause

Chômeur·se·s : 2.2 millions d’individus non nationaux dont la résidence est remise en cause

Ressortissant·e d’un État membre de l’UE27 Ressortissant·e d’un État extérieur à l’UE27 Un carreau représente 10 000 individus sur ces deux cartes et les graphiques associés.

Total UE27 - Chômeur·se·s (2019) Hors UE27 (1.8 million)

UE27 (0.8 million)

Nationaux (13.7 millions)

Dans le sens européen et du BIT, un·e inactif·iv·e comprend les enfants et étudiant·e·s scolarisé·e·s de 15 ans et plus, les retraité·e·s et les personnes occupées par des obligations familales, pour autant que ces personnes n’exercent aucune activité professionnelle et n’en recherchent pas. Les chômeur·se·s sont les personnes âgées de 15 à 74 ans qui étaient sans travail au cours de la semaine de référence, étaient disponibles pour travailler, et étaient activement à la recherche d'un travail au cours des quatre semaines précédentes ou avaient trouvé un emploi devant débuter dans les trois mois suivants. Les ressortissant·e·s d'États extérieurs à l'UE qu'ils soient actif·ve·s ou inactif·ve·s, au chômage ou non ne peuvent séjourner que pour une durée de trois mois dans un autre État membre. 500 km

Source : Eurostat, 2022

RONAN YSEBAERT

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BULGARES ET ROUMAINS : MESURES TRANSITOIRES, EMPREINTE DURABLE

L

a Bulgarie et la Roumanie ont intégré l’UE le 1er  jan­ vier 2007. Ce n’est pourtant que depuis le 1er  janvier 2014 que les ressortissant·e·s de ces deux États membres bénéficient des mêmes droits que l’ensemble des citoyen·ne·s de l’Union en matière de libre circulation. Comme d’autres ressortissant·e·s de nouveaux pays membres, les Bulgares et les Roumain·e·s ont en effet été l’objet de « mesures transitoires » restreignant leur accès au travail. Mais la période transitoire les concernant a été particulièrement longue, la France notamment ayant fait le choix d’en repousser le terme aussi loin qu’elle y était autorisée (par comparaison, les mesures à l’égard de la Croatie, entrée le 1er  juillet 2013, ont été levées 2  ans plus tard, alors que les deux pays de l’Est entrés en 2007 ont dû attendre 7 ans). Conformément au traité d’adhésion à l’UE de la Bulgarie et de la Roumanie, les États membres pouvaient décider de reporter le plein effet de l’entrée dans l’Union de ces pays et de leurs ressortissant·e·s au terme d’une période pouvant aller jusqu’à 7 ans, scindée en trois phases (2, puis 3, puis 2 années). Les justifications de ces mesures transitoires sont alors essentiellement économiques, voire explicitement protectionnistes s’agissant de la dernière phase. À ce stade, les États membres sont autorisés, après avoir averti la Commission européenne, à proroger les mesures jusqu’à 7 ans si leur marché du travail « subit ou est menacé de subir des perturbations graves » qui pourraient affecter « le  niveau de vie ou d’emploi dans une région ou profession donnée ». Il s’agit donc pour les autres État membres de protéger leurs marchés du travail nationaux de la  concurrence de travailleur·se·s provenant de pays dont la législation est moins protectrice, ceux qu’on désigne parfois comme des salariés « low cost ». La mise en œuvre des mesures transitoires en France a été particulièrement extensive. Tout d’abord, contre la lettre du texte du traité d’adhésion, le CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) a visé de manière générique l’exercice d’« une activité professionnelle » sans la qualifier de « salariée », incluant donc dans les restrictions les personnes souhaitant exercer une activité non-salariée.

52

Si, par ailleurs, l’accès à des métiers dits « en tension » a été élargi pour les Roumain·e·s et Bulgares de 150 à 291 métiers à partir de 2012, ces emplois sont néanmoins restés soumis à d’importantes contraintes  : paiement d’une redevance, multitudes de documents à fournir par ­l’employeur, nécessité tout de même d’obtenir une autorisation de travail, etc. Enfin les mesures transitoires, pourtant limitées à la question du travail, ont eu des répercussions sur l’accès à la protection sociale. Certaines caisses de sécurité sociale ont ainsi exigé des personnes concernées – et ce de manière illégale – la production d’un titre de séjour pour bénéficier de prestations. Dès 2008, la Commission européenne a souligné l’inutilité, voire les effets pervers des mesures transitoires : elle pointe alors que l’émigration depuis les pays en question est antérieure à l’élargissement et avertit d’un risque d’accroissement du travail non déclaré. Dès lors, force est de conclure que les justifications de ces mesures sont, in fine, plus politiques qu’économiques. En France en particulier, les mesures transitoires s’inscrivent dans un climat antiRoms particulièrement virulent à partir des années 2010. Ce climat est d’autant plus choquant car il se fonde sur un fantasme présentant la France comme une destination privilégiée au sein de l’UE, alors même que les études démontrent le contraire. Aujourd’hui, les Bulgares et les Roumain·e·s sont théoriquement des citoyen·ne·s de l’Union ayant pleinement le droit de travailler. Les discriminations que ces hommes et femmes subissent les éloignent cependant du marché du travail : considéré·e·s comme des « citoyen·ne·s éco­ nomiquement inactif·ve·s », ils et elles continuent d’être ­expulsé·e·s. À l’évidence, la liberté de circulation est à plusieurs vitesses ; empêché·e·s de l’exercer pleinement, Bulgares et Roumain·e·s apparaissent comme des sous-­ citoyen·ne·s. LOLA ISIDRO

les espaces régionaux de liberté de circulation

Bulgares et Roumain·es, des citoyen·ne·s de l’UE à part

83

S'il est possible de connaître le nombre de migrant·e·s de nationalité bulgare ou roumaine résidant dans d'autres pays de l'UE ou dans l'espace Schengen, il est en revanche très compliqué d'avoir accès aux données concernant leur expulsion. Pourtant, des chercheur·e·s comme J.A. Brandariz estiment que « concernant les pratiques de déportation, la prétendue division entre les citoyen·ne·s de l'UE et les ressortissant·es de pays tiers ne semble pas avoir beaucoup de sens dans la pratique pour certains groupes nationaux, notamment issus d'Europe de l'Est.» (2021). En effet, alors même que ces expulsions intra Union Européenne sont permises par la loi, rien ne contraint les États membres ni la statistique européenne à les rendre publiques. Qu'il s'agisse du nombre de personne expulsées, de leur nationalité ou des pays où elles sont renvoyées les données sont dispersées, publiées au compte goutte, presque introuvables. Charge alors aux chercheur·ses et aux activistes de fouiller dans les bases statistiques de chacun des pays, ou dans divers documents de littérature grise. Les chiffres disponibles concernant les expulsions des citoyen·nes de l'UE sont donc des estimations pour l'année 2018, réalisées à partir des recherches de J.A Brandariz (2021) par l'autrice de la carte. Les points d'interrogations représentent l'ensemble des pays pour lesquels une telle donnée est dissumulée.

9

3 78 3 27 1

5

17 7

5

55

8

2 27 2

3 293 80

25

5

374

Sources : ONU Population Division, 2020. Commission Européenne DG Empl., 2015. Brandariz J.A., 2021.

Nombre de Bulgares et Roumain·e·s (2020) 1 000 000 500 000 100 000 10 000

50 000

Freins à l'installation des Bulgares et Roumain·e·s dans l'U.E. jusqu’en... 2009 2011 2014

État sorti de l'UE en 2021 États n’imposant aucune restriction officielle à l'installation des Bulgares et Roumain·e·s États membres de l’espace Schengen hors UE Limites de l’espace Schengen

Expulsions estimées de citoyen·ne·s de l'UE (2018) 80 - 2000 2000 - 5558 Données non fournies par les États

RAPHAËLLE SEGOND

53

LES FRONTIÈRES DU DÉTACHEMENT : LIBERTÉ D’ALLER-VENIR VS FLEX-CIRCULATION

L

e détachement de travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne, consiste à être envoyé temporairement par son employeur dans un autre État membre. Les détaché·e·s sont rémunéré·e·s selon le droit du travail du pays où ils sont envoyé·e·s, mais continuent à cotiser dans leur pays de résidence. L’entreprise qui les utilise ne les salarie pas mais paie une prestation de service, ce qui modifie profondément la relation de travail.

En France, ce mode de recrutement s’est fortement développé dans l’agriculture provençale. Alors que ce marché du travail fonctionnait depuis les années 1980 grâce aux 4 000 ouvriers marocains et tunisiens obligés par leur contrat (Ofii) à rentrer dans leur pays à la fin de chaque saison, l’arrivée de plus de 4 000 détaché·e·s d’Espagne se fait à l’aune de deux dynamiques convergentes : la crise économique espagnole qui expulse ces travailleur·se·s généralement issus de pays tiers vers la France et la régularisation française de travailleurs OFII en 2010. Que change l’arrivée sur ce marché du travail d’une population bien plus libre de circuler mais soumise au nouveau statut d’intérimaire détaché ? Si ils et elles ont fait partie des rares catégories de la population européenne autorisée à se déplacer dès le début la pandémie, la crise du Covid, a cependant révélé la logistique sous-jacente à ce système d’emploi et le contrôle de la mobilité qui le caractérise. Pour comprendre ces mécanismes, penchons-nous sur la circulation des ouvrier·e·s entre le Levant espagnol et la Provence. L’entreprise recrute son personnel à Murcia, en Espagne, et l’achemine chaque samedi. Sont renvoyé·e·s dans le bus de retour les ouvrier·e·s rebel·le·s, improductif·ves et malades. Sur place, pour gérer au mieux la répartition de cette main-d’œuvre, l’agence s’appuie sur un réseau d’hébergements fournis principalement par de gros exploitants de la zone et sur une flotte de minibus conduite par des corredores qui distribuent la main-d’œuvre dans le bassin d’emploi. Le système se base sur la constitution d’un stock de main-d’œuvre surnuméraire, révocable et distribuable de manière flexible. Différents obstacles brident la

54

mobilité : interdiction de venir avec sa propre voiture, de se loger en dehors des logements fournis (et souvent isolés), d’y recevoir des visites, dissuasion de rencontrer des locaux et amende de 200 € en cas de défection dans les trois premiers mois de mission. Les organisateurs et utilisateurs de ce flux de travail qualifient les détaché·e·s de Pax, du nom de l’unité qui désigne un voyageur dans le transport international. À la fin de la journée de travail, le ou la pax peut se faire limoger et être contraint·e·s de laisser la place à celui ou celle venu·e le remplacer. L’intérim international réduit ces saisonnier·e·s au statut de pièces détachées, soumises à une logistique du flux. Le contrôle s’appuie également sur les conditions dans le pays de départ. Le détachement permet de mettre au travail des migrant·e s discipliné·e s en amont par l’expérience migratoire en Espagne : l’illégalité puis la précarité ; les mauvaises conditions dans le secteur agricole, la crise économique et l’endettement, le chômage de masse et le racisme qui lui ont succédé. Il exporte les divisions du  marché du travail agricole espagnol, segmenté par la diversité de statut migratoire, de type de contrat, d’origine nationale et par le genre. Les Africain·e·s sont par exemple soumis·e·s à un délai de naturalisation plus long que les latino-américaine·s et sont donc plus longtemps pris·e·s dans le dispositif du détachement, qui constitue leur seule porte d’entrée sur le marché du travail européen. À l’échelle communautaire, le dispositif soumet donc les détaché·e·s à une nouvelle couche de précarisation statutaire qui fait fonctionner, pendant au moins dix ans supplémentaires, l’une des caractéristiques principales de l’utilitarisme migratoire : l’imbrication entre assignation à un segment dégradé du marché du travail et statut d’étranger. Loin de consister en une liberté d’aller et venir, le détachement met en œuvre une canalisation de flexworkers ramené·e·s au statut d’objets marchands. Maintenant des ouvrier·e·s agricoles dans le paradoxe traditionnel de la migration de travail, il fait durer le provisoire et avec lui, l’exploitation. EMMANUELLE HELLIO

les espaces régionaux de liberté de circulation

Se détacher du détachement – Du statut de pièces détachées à l’installation Événements structurels

Beaucaire, la latina

1

Crise économique et dollarisation en Équateur

1

2

Fin de l’exemption de visa pour les équatorien·ne·s

2

3

Régularisation massive en Espagne

3

4

Explosion de la « bulle immobilière » espagnole

5

Opération « Regulomi » qui aboutira à l’obtention d’une carte de séjour annuelle pour environ 2 000 saisonniers OFII en Provence

6

Crise Sanitaire de la Covid 19

Ouverture de commerces latinos et installation d’églises catholiques et évangélistes hispanophones Création de l’association Latinos sin fronteras par Nelly et Sifrid

* « Nous sommes venus avec l’idée de rester deux ans. Ils ne sont pas encore passés »

« Venimos en 2002 con la idea de estar dos años. No han pasado los dos años aún*. »

2021

6

Premières canchas

2020

Venue des enfants

Installation à Beaucaire

2019

3

2018

2

2017

1

Naturalisation espagnole accordée

2016 2015 2014 2013

Demande de naturalisation espagnole rejetée

2012 2011

5 4

Obtention d’une carte espagnole de 5 ans

2010

Début du détachement par Terra Fecundis

2009 2008 2007

3 2

1

2006

Obtention d’une carte de 2 ans

2005

3

2004

Première carte de séjour espagnole d’1 an

2003 2002

Arrivée à Molina de Segura (Murcie)

4 2

2001

Secteurs

1

La miDivorce et départ de Quito -gration de Nelly de l’Équateur, vers l’Espagne puis la France commence il y a 20 ans. C’est son mari qui part le premier en 2000. Expulsé un mois plus tard, sa tentative a endetté la famille. Sa sortie du territoire étant conditionnée à l’accord du conjoint, Nelly divorce, emprunte et prend la route, juste un an avant que l’Espagne n’exige un visa aux équatorien·ne·s.

En situation irrégulière, la 1ère phase (2002-2007) de cette trajectoire est marquée par le temps de la régularisation et par le remboursement de la dette - 5 ans pour un statut de séjour stable - ponctué de petits boulots domestiques et agricoles au noir. Une fois obtenue la carte de 2 ans, s’ouvre une 2ème phase (2007-2017), celle du détachement pendant laquelle elle rencontrera Sifrid, période de pendularité entre la France et l’Espagne, d’exploitation et de sous cotisation qui durera 10 ans. C’est aussi à partir de 2011, le premier retour au pays, qu’elle honorera chaque année depuis, pandémie mise à part. Une fois obtenue la naturalisation espagnole (2017) qui leur permet de s’embaucher directement en France, ils quittent Terra Fecundis, s’installent à Beaucaire, y font venir leurs enfants et développent au sein de la communauté latina, malgré les obstacles posés par la mairie Rassemblement national, toute une vie sociale, plantant des racines dans cet espace de migration devenu, avec le temps, une troisième terre.

- Commerce Boucherie - Travail domestique Ménages et aides à la personne - Agriculture Fraises Oranges et mandarines Alternance pommes / fraises

Espaces de la migration 1

Quito

2

Province de Murcie

3

Beaucaire et alentours

4

Province de Valence Trajectoire aller Trajectoire retour

Sources : Entretiens réalisés entre 2020 et 2022 par F. Décosse, E. Hellio, J. Moreno, L. Castracani.

MATTHIEU POLO

55

VIE FAMILIALE ET DROIT À LA MOBILITÉ DANS ET VERS L’UNION EUROPÉENNE

E

n Europe, le droit à la vie familiale des personnes migrantes existe depuis les accords bilatéraux conclus entre États au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (Traité de Rome, 1957) et, plus tard, dans les mesures d’actuation de la libre circulation des travailleurs et travailleuses dans la Communauté économique. À ce propos, le règlement n°15 de 1961 relatif aux premières mesures pour la réalisation de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté européenne soulignait que les inconvénients générés par la séparation des familles auraient été pour les pays d’accueil bien plus graves que les problèmes démographiques ou de logement qui auraient pu en résulter. Afin de faciliter leur « intégration », et tout en maximisant leur apport économique, les travailleurs et travailleuses européen·ne·s pouvaient être accompagné·e·s ou rejoint·e·s dans l’État membre de nouvelle installation par leur époux, épouse, enfants de moins de 21 ans ou dépendants, et parents à charge. D’après ce principe qui perdure aujourd’hui, ces dernier·ère·s bénéficient du droit de séjour et de droits sociaux. En 2004, ce droit au regroupement familial a été élargi et reconnu à tout·e citoyen·ne européen·ne – en mouvement dans la zone de libre circulation – s’il ou elle ne représente pas un poids pour le système social du pays d’installation (directive 2004/38/EC). Outre ce premier cas qui concerne les ressortissant·e·s de pays européens en mouvement dans un autre État de l’Union européenne (UE), le droit communautaire garantit le droit au regroupement familial à d’autres catégories de personnes. Il s’agit des ressortissant·e·s des pays tiers – y compris des réfugiés – séjournant légalement dans un État de l’UE (directive 2003/86/EC et cas particuliers dérivés de l’accord d’association entre Turquie et communauté européenne de 1963). Ce cadre européen qui, consacrant le droit à vivre en famille (Conv. EDH, art. 8), accorde des droits à la mobilité à des ressortissant·e·s d’États tiers ne résidant pas dans l’UE se heurte depuis les années 1970 aux mesures restrictives adoptées au niveau national en la matière. Avec l’arrêt de l’immigration de travail, la migration familiale devient le moyen privilégié d’entrée pour les ressortissant·e·s de pays tiers dans la plupart des pays européens. Elle est alors considérée comme ouvrant une brèche dans l’accès au ter-

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ritoire et fait l’objet de restrictions conséquentes. En réaction, la Cour européenne des droits de l’homme cherche à limiter ces dérives restrictives des États membres. Puis, en 2003, l’Union, désormais pleinement compétente en matière migratoire depuis le Traité d’Amsterdam, détermine les conditions d’exercice du droit au regroupement familial, non seulement pour ses citoyen·ne·s mais aussi pour les ressortissant·e·s de pays tiers. Le poids de chaque État dans le processus décisionnel sur ces questions (considérées encore comme relevant davantage de la souveraineté nationale) conduit à l’adoption d’une directive moins libérale que les normes de libre circulation sur laquelle elle était initialement pensée. La directive 2003/86/EC prévoit ainsi des indications pour les conditions de revenus, de logement, de couverture sociale et d’intégration qui seront, ensuite, adaptées lors de sa transposition nationale, en produisant de facto des régimes de regroupement familial très diversifiés entre États. Par ailleurs les divergences entre la volonté des États membres de réduire l’immigration familiale et la logique européenne d’assurer une (certaine) égalité vis-à-vis des droits fondamentaux génèrent des situations surprenantes. Par exemple, en Belgique, les mêmes conditions régissent la réunion avec une épouse marocaine, que ce soit pour un citoyen belge ou pour un ressortissant marocain (par ex. revenu égal ou supérieur au 120 % du SMIC, et logement). Par contre, un Belge résidant en France pourra obtenir un regroupement familial avec sa femme marocaine sans condition. Cette voie alternative connue sous l’expression de « route européenne » a été visée et critiquée par certains États membres comme source d’immigration « incontrôlée ». Le droit communautaire, en garantissant la liberté de circulation associée au droit de vivre en famille, a produit des droits à la mobilité pour les ressortissants·e·s européen·ne·s comme non-europén·ne·s. Toutefois, la jouissance de ces droits dépend des interactions entre cadres normatifs européen et nationaux, les conditions d’entrée sur le territoire restant une prérogative des États membres, surtout pour les familles non européennes et pour certaines familles binationales. LAURA ODASSO

les espaces régionaux de liberté de circulation

Des batailles pour le droit à vivre en famille

1993

1985 1984 1980 Années 1970 1945

Belgique

UE

France

Droit au regroupement familial inscrit dans le code du droit des étranger·e·s. Un mouvement de contestation sociale réclame des droits pour les étranger·e·s.

L’histoire d’Anita et Murad Pourquoi voulez-vous vous marier ? Je vois... il vous paye, Madame, pour faire ça ?

Murad est envoyé au Centre de rétention...

Au Consul du Maroc, A Sa Majesté le Roi, Je vous prie de ne pas délivrer de laisser-passer vers le Maroc de mon fiancé, Murad, afin d’empêcher son expulsion de Belgique.

L’UE fixe les principes du regroupement familial. La famille est comprise au sens restrictif : 2 parents + enfants mineur·e·s.

1999

Une circulaire liste les indices à retenir pour repérer les « mariages de complaisance ».

2003

Accès de plein droit à la carte de « résident·e » pour conjoint·e·s de français·e·s supprimé. Titre de séjour peut être retiré pendant deux ans.

2006

La directive 2003/86/CE définit les conditions minimales pour le regroupement familial.

2007

A l’office belge des étrangers

POLICE

C’est peine perdue. Murad est expulsé. Anita embarque dans le même avion que lui.

120 associations se mobilisent et obtiennent la réforme de la loi. Création d’un comité de défense des mariages et couples mixtes. Mobilisation transnationale à Bruxelles.

2011 - 2013

Anita se démène pour obtenir sa liberté.

Conditions restrictives de logement et de ressources.

(Loi Pasqua) Les conjoint·e·s de Français·e·s qui ne résidaient pas légalement en France ne peuvent plus espérer être régularisé·e·s.

2020

Parce que nous nous aimons, et aussi pour régulariser sa situation...

Inscription du regroupement familial dans la loi. Les conjoint·e·s de Français·e·s ont automatiquement droit à une carte de « résident·e ».

OBLIGATION de QUITTER le territoire

Une semaine plus tard, devant chez Murad et Anita...

Condition d’âge fixées à 21 ans, pénalisation des « mariages de complaisance », critères de logement et durée de la relation pour le regroupement familial. « Contrat familial d’accueil et d’intégration » obligatoire : les familles sont soumises avant leur départ à un test de connaissance de la langue française et des « valeurs de la République » + possibilité de vérifier les liens familiaux par des tests ADN. Condition de revenus minumum, le titre de séjour d’un·e conjoint·e de citoyen·n·e belge peut être retiré pendant 3, puis 5 ans. Même législation pour les mariages entre deux étranger·ère·s hors UE et les mariage avec un·e citoyen·n·e belge. Critiques par la société civile. Les associations attaquent la loi au Conseil d’Etat.

Anita peut rentrer en Belgique, mais pas Murad. Pour être réunis, de nombreuses procédures les t attendent en encore... m

e p al u ili ro m eg fa

Titre de séjour 5 ans Demand e de natio nalité

R

Pour pouvoir accueillir son mari en Belgique, Anita a beaucoup de contraintes : elle doit gagner assez d’argent, avoir un logement assez grand...

Ils se marient au Maroc.

La bataille n’est pas encore finie !

L’histoire de Siham Elle dépose une demande d’asile, et se retrouve à Mâcon où elle erre pendant des mois entre différents lieux d’hébergement.

En janvier 2017, Siham émigre depuis le Soudan vers la Suède IN en transitant BL par la France. DU

Hébergée chez une amie

5 mois Stockholm

1 semaine

Logement social Mâcon Aéroport de Lyon

Au bout de quelques mois, à cause des accords de Dublin, elle est expulsée vers la France.

Khartoum

4 ans

Actes d e naissa nce

2 mois

Centre d’accueil de demandeurs d’asile

2 ans

Demande Recours sée d’asile refu

Avril 2018 : elle espère que ses enfants et son mari pourront la rejoindre, mais les démarches n’en finissent pas... Logement social

Hébergement d’urgence

VISA SCHENGEN

com Avec m m on avoir ent pourr handica aip les re ssou je trava , il rces suffi ler pour sante s?

1 an

Demande acceptée en appel

Finalement, à l’été 2021, son mari et ses fils ont enfin le droit de venir en France ! Mais de nombreuses questions se posent encore...

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S’habituer à e... la vie en Franc

Problèmes à l’ambassade française à Khartoum

cage Covid19 : blo des visas de nt regroupeme familial

Sa joie n’est pas tout à fait complète : ses deux filles, jeunes majeures, ne peuvent pas bénéficier de la procédure, et elles ont dû rester au Soudan.

SARAH BACHELLERIE

57

MIGRATIONS PEU QUALIFIÉES, ENTREPRISES MULTINATIONALES ET ÉMERGENCE D’UNE INDUSTRIE MIGRATOIRE EN ASIE DU SUD-EST

A

vec 7  millions de travailleuses et travailleurs migrant·e·s officiellement inscrit·e·s dans des emplois peu ou pas qualifiés (chiffres de 2017), l’Asie du Sud-Est est un acteur majeur de ces nouvelles migrations de travail. C’est d’autant plus vrai que les chiffres officiels négligent la part des migrations irrégularisées, particulièrement importante pour ce type de main d’œuvre. Le système migratoire régional repose sur la conjonction de deux phénomènes économiques : d’une part l’implantation en Asie du Sud-Est d’une production offshore – des unités de production délocalisées par les entreprises d’un pays dans un pays tiers – dominée par des entreprises multinationales nord-américaines, européennes et est-asiatiques (Corée du Sud, Japon et Taïwan pour l’essentiel), de l’autre la mise au travail transnationale d’une main d’œuvre issue de la région, par ces entreprises étrangères, avec la participation active des États et d’acteurs économiques régionaux. Dès les années 1970, l’Asie du Sud-Est a attiré les capitaux productifs étrangers. Une géographie régionale de la production offshore s’est ainsi organisée, dominée par Singapour et la Malaisie. Singapour concentre les opérations les plus « intensives » en capital et les plus rémunératrices, la Malaisie occupe une position intermédiaire, et des pays comme la Thaïlande, l’Indonésie ou les Philippines développent une industrie moins technologique, basée sur un usage intensif de main d’œuvre. Au moment des indépendances ces stratégies de développement se sont appuyées sur la valorisation des faibles coûts du travail « local » en comparaison des pays d’origine des entreprises cherchant à délocaliser leurs activités de production.

Dans cette géographie régionale, la Malaisie occupe une « niche » singulière. Sa position est déterminée par la disponibilité conjuguée, dans le pays, d’une main d’œuvre nationale assez qualifiée, de bonnes infrastructures matérielles et immatérielles (fiscalité, système juridique, etc.), et de la persistance de faibles coûts du travail dans l’industrie. Dans le contexte d’un très fort développement économique, depuis les années 1970, la maîtrise des coûts de la main d’œuvre a été rendue possible par le recours massif à une main d’œuvre migrante, issue des pays de la région et dominée largement par les travailleuses et travailleurs

58

indonésien·ne·s. Ces migrations sont organisées conjointement par la Malaisie et les pays exportateurs de main d’œuvre, par la mise en place de réglementations nationales, de systèmes de recrutement et de placement et la signature d’accords bilatéraux. En Malaisie, une ingénierie juridique complexe articulant droit du travail et droit de la citoyenneté permet d’exclure ce type de travailleur·se·s étranger·e·s (par contraste avec la population « expatriée », qualifiée ou très qualifiée) de multiples provisions du droit du travail et des systèmes de protection sociale, créant ainsi un segment du marché de l’emploi spécifique et « insularisé », où le niveau des salaires est partiellement décorrélé de la croissance économique du pays. Par ailleurs, ces migrations sont aussi devenues, dans les pays d’origine, une source majeure de devises. Aux Philippines et en Indonésie, par exemple, les « remises de fonds » des migrant·e·s occupent respectivement la première et la seconde position dans les revenus à l’exportation des deux pays. On a ainsi vu se développer, depuis les années 1990, une grande « industrie migratoire » régionale, mêlant acteurs publics et privés, stimulée par l’intérêt conjugué des pays exportateurs et importateurs de main d’œuvre. Cette industrie génère sa propre économie en facturant les prestations de recrutement et de placement des travailleur·se·s et en exploitant les infrastructures nécessaires à ces mobilités – institutions financières, transport, assurance, etc. L’Asie du Sud-Est (et l’Asie du Sud) présente ainsi un profil migratoire singulier, du fait du développement de ces nouvelles formes de délocalisation productive et d’une industrie migratoire puissante, fortement intégrée aux modèles de développement des pays importateurs et exportateurs de main d’œuvre. Depuis les années 1970, les mobilités des travailleuses et des travailleurs étranger·ère·s en Asie du Sud-Est sont structurées par des processus d’infériorisation juridique, qui autorisent des formes particulièrement drastiques d’exploitation du travail. Elles constituent ce faisant une pierre angulaire des politiques de développement économique nationales et, plus largement, de l’économie politique régionale. LOIS BASTIDE

les espaces régionaux de liberté de circulation

Une liberté de circulation réduisant les travailleur·euse·s à leur force de travail Derrière les statistiques présentant un vaste espace de circulation régional... Népal

Population 2020 (millions d’hab.)

Chine

1400

Bgd.

500

Hong-Kong

Myanmar

Vietnam

100 1

Laos

Inde

Philippines

Thaïlande Océan Pacifique

Cambodge

16 % de la population de l’ASE 94 % de la population étrangère résidente Océan Indien

Population étrangère résidente en 2020 (millions)* 1.8

Myanmarais·e·s en Thaïlande

1.2

Indonésien·ne·s en Malaisie

1.1

Malaisien·ne·s à Singapour

0.35

Myanmarais·e·s en Malaisie

0.1

Vietnamien·ne·s en Malaisie

Malaisie Singapour

Indonésie

Population étrangère résidente issue d’un pays d’Asie du Sud-Est (ASE) Population étrangère résidente issue d’autres pays que d’ASE Source : Nations Unies, International Migrant Stock 2020, * Les flèches insinuent un mouvement de population - à tort. Elles indiquent en réalité la nationalité des personnes résidentes et non pas leur mobilité. Ces données reposent sur des estimations et peuvent en de nombreux lieux sous-estimer leur nombre réel (population non déclarée).

Australie

500 km

... de fortes inégalités sociales pour les travailleur·se·s migrant·e·s Thaïlande Secteurs de la construction, de l’agriculture, la fabrication et du travail domestique. - 3.9 millions de travailleur·euse·s occupant des emplois pas ou peu qualifiés, dont 811 000 irrégulier·ère·s. - 89 % des thaïlandais·e·s déclarent avoir des interactions occasionnelles et régulières avec les travailleur.se.s migrant.es. 43 % des interrogé.e.s déclarent « ne pas les connaître pour autant ». Salaire moyen annuel 2020 : 407 euros . pour un·e national·e, contre 271 euros pour un·e travailleur·euse. étranger.ère (ILOSTAT). Le travail domestique et le travail agricole ne sont pas totalement couverts par la législation thailandaise du travail = heures supplémentaires, salaires plus faibles.

Malaisie

Singapour

Forte demande de travailleur.euse.s « peu qualifié.e.s » : 1/5e des emplois dans l’agriculture et la construction.

Forte demande dans les secteurs du travail domestique, de la construction et de la réparation de navires.

Entre 2.96 et 3.26 millions de travailleur·euse·s étranger·ère·s, et entre 1.23 et 1.46 millions d’irrégulier·ère·s

- 1 231 500 travailleur·euse·s étranger·ère·s dont 848 200 « work permits », dédiée à la main-d’oeuvre faiblement qualifiée. - 200 000 travailleur·eu·ses chinois·es·s dont les frais d’entrée sur le territoire correspondent à 1 ou 2 ans de salaire.

Restrictions d’accès au marché du travail selon les secteurs d’activité et le sexe : - les femmes originaires des Philippines ne peuvent qu’exercer dans le secteur domestique. - les travailleur·euse·s bangladais·e·s ne peuvent accéder qu’au secteur des plantations. - les travailleuses domestiques sont moins protégées par le droit du travail que les autres professions. Expulsions de travailleuses migrantes enceintes avérées. Les abus et dérives constatés sont généralement l’oeuvre d’agences de recrutement.

Sources : Ministry of Manpower (Singapour). United Nations, 2022, Thailand Migration Report 2019. TWC2, 2017, Work Fatigue Study. ILOSTAT, 2022, Foreign workers in Singapore. ILO, 2019, Public attitudes towards migrant workers in Japan, Malaysia, Singapore and Thailand. World Bank, 2021, Who is Keeping Score? Estimating the Number of Foreign Workers in Malysia. OECD, 2021, Malaysia, OECD Economic Surveys.

255 000 travailleur·euse·s domestiques étranger·ère·s, avec un salaire moyen de 597 $ / mois (Enquête HyperChoice, 2016). Les salaire médian national s’élève à 2750 $ en 2020 (Singstat, 2021). Expulsions de travailleuses migrantes enceintes avérées. 68 % des travailleur·euse·s étranger·ère·s dans le secteur de la construction déclarent travailler plus de 11h par jour (maximum légal national). - Des clauses de contrat souvent illégales : passeports confisqués, restrictions de déplacements, accès restreints aux soins... - Les travailleuses domestiques sont moins protégées par le droit du travail que les autres professions.

RONAN YSEBAERT, LOÏS BASTIDE

59

LA LIBERTÉ DE CIRCULATION DANS L’ESPACE POST-SOVIÉTIQUE

C

réée en 1922, l’URSS se fonde sur le principe de découpage territorial en républiques nationales – ukrainienne, arménienne, biélorusse, etc. – et le système de double appartenance, nationale (ethnique) et supranationale (citoyenneté soviétique). Au cours des années 1930, Joseph Staline réintroduit en URSS un instrument de contrôle des mobilités issu de la période tsariste. Il s’agit du « passeport intérieur », un outil de contrôle de l’exode rural dans un contexte de répression politique des paysans (la dékoulakisation). L’utilisation du passeport intérieur et la possibilité de s’enregistrer dans les localités d’arrivées (propiska), étaient conditionnés à des zones géographiques et à l’appartenance à des catégories sociales.  Libres en théorie, comme le proclamait la Constitution de 1936, les mobilités au sein de l’espace soviétique étaient en réalité très fortement encadrées et contrôlées. Ce contrôle, qu’il soit négatif, en empêchant la circulation, ou positif, en incitant à l’installation dans certaines régions, était idéologiquement fondé sur la planification de l’économie et plus précisément sur la volonté de réguler la répartition spatiale de la main-d’œuvre. Malgré les mesures de restriction des mobilités via l’institution de la propiska, dans les faits, de nombreuses migrations se faisaient irrégulièrement, au moyen de différentes stratégies de contournement. Ces mobilités, qu’elles soient le fait de populations rurales provenant de la République socialiste fédérative soviétique de Russie ou bien des républiques lui étant associées dans le cadre de l’URSS, étaient difficiles à quantifier par les statistiques officielles. Elles ont entraîné la formation d’un sous-prolétariat d’origine rurale à la périphérie des grandes villes de l’Union soviétique. Les limitchiki faisaient partie de ces flux semi-légaux, embauchés de manière temporaire au gré des besoins des différentes industries et ne possédant que des autorisations temporaires. Les populations provenant des autres républiques que la Russie participaient également des « brigades » de travailleur·se·s saisonnier·ère·s, ou chabachniki, un terme connoté péjorativement. Elles ont servi de têtes de réseaux aux migrant·e·s caucasien·ne·s et d’Asie centrale

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dans les années 1990. Les jeunes venus travailler dans le cadre des Komsomols (jeunesses communistes), ou ayant effectué leur service militaire, ont aussi posé les premiers jalons de ces futures chaînes migratoires. En contraste avec ces mobilités économiques, les mobilités de loisir ou de tourisme étaient encouragées par l’État soviétique en tant qu’outils d’éducation et de construction du projet soviétique « d’amitié entre les peuples ». Avec une baisse considérable du prix des billets d’avion dans les années 1960, l’URSS connaît un boom de déplacements à l’intérieur de son espace et notamment entre les républiques. La chute de l’URSS, actée le 26 décembre 1991, représente la fin d’un monde économique, politique et culturel pour les populations soviétiques. Il s’agit aussi de la reconfiguration radicale des règles de circulation à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace postsoviétique. Certain·e·s ex-Soviétiques regrettent d’avoir perdu, depuis la fin de l’URSS, la possibilité de circuler librement et à des prix abordables. Ainsi, en Géorgie, certain·e·s cinquantenaires se souviennent avec nostalgie du billet à 37 roubles leur permettant de se rendre à Moscou « pour faire la fête, assister à un concert ou juste rafraîchir une coupe de cheveux ». L’URSS n’a-t-elle pas inventé avant l’heure des  vols lowcost inter-nationaux ayant pour but politique de relier les périphéries nationales (républiques fédérées) au centre du pouvoir soviétique ? L’expression « 37 roubles » est restée dans le langage courant, certain·e·s critiquent ce mythe populaire comme une nostalgie du totalitarisme. Entre l’histoire des déplacements forcés (Goulag, « peuples punis », mobilités de main-d’œuvre) et la mémoire de circulations touristiques accessibles à tou·te·s, le vécu et la perception du contraste entre les mobilités, avant et après la chute de l’URSS, prend donc place au sein de débats mémoriels plus larges concernant le passé soviétique, et d’autant plus depuis la guerre en Ukraine. OLGA BRONNIKOVA ET MAROUSSIA FERRY

les espaces régionaux de liberté de circulation

L’espace socialiste de libre circulation (1945-1970)

RSS de RUSSIE

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Espace socialiste de « libre » circulation

Frontières avec les « démocraties » populaires marquées par une diminution du nombre de gardes-frontières russes

IRAK

Frontières avec les pays « capitalistes » disposant d’importantes installations de surveillance

Tbilissi Erevan RSS d’ARMÉNIE RSS d’AZERBAÏDJAN Bakou

U RSS kazakhe

RSS de TURKMÉNISTAN Théhéran

RSS d’OUZBÉKISTAN

a Fr

Achkhabad Tachkent RSS du TADJIKISTAN Douchanbe

IRAN

Kaboul

AFGHANISTAN

R S S

PAKISTAN

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a s si es p

Conflits ayant conduit à la restrisction ou l’arrêt des déplacements avec des zones interdites de 800 à 2 000 m. de large voire plus de 50 km. dans des régions (Kaliningrad, Mourmansk5, etc.) Zones interdites où il est possible d’habiter et circuler

ble d’un à trois ans de c am

p8 1969

CHINE

Oulan-Bator

Bichkek

55

Insurrections, émeutes ayant entraîné l’assouplissement temporaire des contrôles aux frontières

Pays membres de l’OTAN

RSS de GÉORGIE

19

Insurrections, émeutes

Pays adhérant au Pacte de Bagdad7

TURQUIE

0 53