Art et pouvoir dans la savane d'Afrique centrale. Luba, Songye, Tshokwe, Luluwa 2742779213, 9782742779215

Révélant les pouvoirs propres à des oeuvres considérées depuis longtemps en Occident comme simplement exotiques ou abstr

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Art et pouvoir dans la savane d'Afrique centrale. Luba, Songye, Tshokwe, Luluwa
 2742779213, 9782742779215

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1

ART ET POUVOIR DANS LA SAVANE D'AFRIQUE CENTRALE

LUBA I SONGYE I TSHOKWE I LULUWA

Constantin Petridis

ACTES SUD /

THE CLEVELAND MUSEUM OF ART BOARD OF TRUSTEES /

Officers Alfred M. Rankin Jr., President James T Bartlett. Chair Michael J Ho rvitz, Chair Sarah S Cutler, Vice President Ellen Stirn Mavec, Vice President James A. Ratner, Vice President Janet G. Ashe, Treasu rer Edward Sauer, Assistant Treasurer Stephen J Knerly Jr., Secretary Roberto A. Prcela, Assistant Secretary of the Board

Standing Trustees Virginia N. Barbato James T Bartlett James S. Berkman Charles P. Bo lton Sarah S. Cutler Helen Forbes-Fields Robert W. Gillespie George Gund Ill Michael J Horvitz Charles S. Hyle Adrienne Lash Jones Susan Kaesgen Robert M. Kaye Nancy F. Keithley Jeffrey D. Kelly R. Steven Kestner Alex Machaskee William P Madar

Cette publication accompagne l'exposition Art and Power in the Cenrral African Savonna: Luba, Songye, Chokwe, Luluwa organisée par le Cleveland Museum of Art à la Men il Col lect ion, Ho uston du 26 septembre 2008 au 4 janv ier 2009, au Cleveland Museum of Art du l' mars au 7 juin 2009 et au de Young Museum, Fine Arts Museums of San Francisco du 27 juin au 11 octobre 2009.

Milton Maltz Ellen Stirn Mavec S. Sterling McM illan Ill Rev. D r. Otis Moss Jr. Stephen E. Myers Anne Hollis Perkins Alfred M. Rankin Jr. James A. Ratn er Donna S. Reid Eugene T W Sanders David M. Schneioer Mark Schwartz Richard T Watson

Ex Officia Timothy Rub, Director Kate Ste nso n, Wcmens Co u nci l

Trustees Emerifl Peter B. Lewis W ill iam R. Robe rtson Elliot! L. Schlang Michael Sherwin Eugene Stevens

Life Trustees Elisabeth H. Alexander Quentin Alexander Leigh Ca rt er James H. Dempsey Jr. Mrs. Edward A. Kilroy Jr.

Cartographie Geert Verscheure

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Droits exclusifs en français pour les territoires de langue française, excepté le Benelux: Actes Sud, Arles

Photogravure et impression Die Ke ure, Bruges Composé en caractères Bembo et Myriad Imprimé sur Périgord 170 g

ISB N: 978-2-7427-7921-5 Gencod: 9782742779215 Dépôt légal: novembre 2008 Imprimé en Belgique

Éditeurs The Cleveland Museum of Art, Cleveland, Ohio Fonds Mercator, Bruxelles

© Copyright 2008 The Cleveland Museum of Art, Cleve land, Oh io/ Fonds Mercator, Bruxel les

Production Tijdsbeeld & Pièce Montée, Gand Sous la direction de Ronny Gobyn

Rédaction Barbara J Bradley et Laurence Channing Traduction El sabe t h Cluze! Karel Vermeyen

Rèdarnon finale Claude Fagne

Conception graphique et compositior, Caroline Van Poucke, Gand

Tous droits réservés. Cette publication ne peut être reproduite, ni en partie, ni dans son intégralité, en ce compr is les illus t rations, sans l'a utorisa t ion écrite des éditeu rs, sauf copies au tor isées par les parag raphes 107 et 108 de la loi américaine sur le droit d'auteur et dans le cadre de recensions et de comptes rendus dans la presse publique. Le Cleveland Museum of Art remercie les habitants de Cuyahoga County pour leur soutien par le biais de l'organisme Cuyahoga Arts and Cul t ure. L'Ohio Arts Council accorde au musée une dota ti on f nancée par l'État d'Ohio afin d'encourager la croissan:e écono'°niQUI\ l'exad~na11,~t r enseignement et 'enrichissernen.1 Gul tu rel d€ tous les habitants de l'O~io.

www.clevelandart .org www.actes-sud.fr , \ >, écrit Strother (1993, p. 176), et la sta tu e fait figure à ce titre de signa l que« ce chef a le pou voi r de vo us punir de m o rt ». 3. FIGURE MASCULINE

Tshokwe, Angola. Bois; h. 37,1 cm Collection Sidney et Bernice Clyman

La portée de cet ouvrage a été large m ent déterminée par les pièces disponibles dans les co ll ections privées et publiques. Par définition, ces coll ections sont sélectives et partielles et leur aspect fragmentaire et incomplet est le reflet d'une

4 FIGURE FÉMININE

Luluwa, R.D.C. Bois; h. 45 cm Ane coll.: H. Schiltz; Robert Reisdorff (exposée

à Anvers, 1937-1938); Jean-Pierre Jernander Collection Felix

sélection arbitraire et subjective (Clifford 1988, p. 231 ; Kirshenblart-Gimblect 1991, p. 386; Nooter 1992, p. 81). Les collections et les publications ont aussi tendance

à se concernrer sur les formes d'arc figuratives et sculptu rales. Comme beaucoup

UN ART DE POUVOIR

1

17

/

6. CASE RITUELLE DU CHEF KOMBO -KIBOTO DES PENDE ORIENTAUX dans le V

,aoe o- .

Photographie de Léon de Sousber'Jr" de Sousberghe, L'art Pe,:de Bruxe e

~

royale de Belg ique, 1959), fig. 218 , t autorisa ti on de l'Acadér1ie roya,e ccc , , Bruxe lles. 7

SANCTUAIRE LUBA EN MÉMOIRE DES ESPRITS

1935. Photographie de W.F.P Burt" autorisation des University of the .'. Galleries. Johannesburg '.BPC 21 .25 8. FIGURE LÉONINE EN TERRE DANS UN VILL AGE LUBA vers 1890. Photographie de M. Cra,. f Stanley Arnot. Garenganze. West arJ L

1 , •

ofTwenty-One Years' Pioneer Work ,n ,,., Africa (Glasgow, Pickering & lnglis, 1q, • , l'aimable autorisation des John G. vVr ·ec Collections, Cleveland Pub lic L brarv

d'autres peuples, les Luba, les Songye, les Tshokwe et les Lulu wa ont aussi produit et utilisé une vaste gamme de pièces non figuratives et non sc ulptées. Beaucoup de leurs objets de pou,·oir ne portent que peu ou pas de sc ulptures et so nt so uvent dépourn1s d'éléments figuratifs . Parmi les Luba, les sa nctu aires sont souvent de'i «objets» investi s de pou mir spirituel sans scu lptures ni élé111ents figuratifs (figs 7 et 8). Autre fait paradoxal , les créatio ns artistiques du peuple Luba des collections occidentales les plus en vue n'étaient pas destinées à être montrées en pub li c. La sign ifi cation et les fonctions de ces objets d'art royaux nous restent à ce Jour en pa rtie inconnu es en raison du sec ret gui les entourait (Nooter 1992, pp. 81, 87; Roberts/ Roberts 2007, pp. J 1-16) . Enfin, «toute exposition d 'art et de culture matérie ll e est un collage, un e reco nstitution de fr,1gments résultant de la col li sion et de la collection de cu lwres, et en dit souwnt da,·antage sur nous-111êmes et nos préoccupations que sur les objets exposés» (Nooter 1992 , p. 79). Ces dernières années, les sc ientifiq ues ont fa it va loir que les présentation s et représentations d':irt africain au grand public, à trave rs des ex positions et des publications, devraient éclai rer les circon sta nces dans lesq uell es ces objets ont été retirés de leur contex te naturel, soi t qu ' il s aient été cédés «spontané5. FIGURE MASCULINE

ment » par la population indi gè ne. soit qu'ils aient été confisqués par l'a dministrat ion

Teke, R.D.C. ou République du Congo. Bois

colon iale ou les mi ssionnai res . l'« histoire de la collec tion » à l'époq ue colon iale est

(Crotonogyne ooggei), fibre, tissu, perles, fa'ience; h. 50 cm

en effet trouble et s'est sou,·ent déroulée dans un co ntexte de tension pour ne pas

Ane. co ll. · Frits Van den Berghe (exposée à

dire de violen ce. dominé par une profonde inégalité (,·oir Schildkrout/ Keim 1998,

Anvers, 1937-1938); Kunsthandel ELMAR, Gand Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren

Wastiau 2000). Malheureusement, on a con servé très peu d'éléments documentaires

[acquisiti on, 1950] (EO 195039.1).

sur la « collecte » des œuv res illustrées dans les pages qui suivent.

UN ART DE POUVOIR 1 19

2. DU FÉTICHE À LOBJET DE POUVOIR

/

L

e terme srnlpt11rc de po111'oi1 a été forgé par Arnold l~ubin pour remplacer celui de

di eu ou autre force surnaturell e) et son véh icul e matéri el (réceptacle ou support) ne

féric/1c, naguère encore communément accepté (197-t. p. 1-t). L'expression )foc/1c

font qu 'un (C hadeisson 2003, pp. 170-17 1)'.

remonte à l'exploration des côtes africaines aux 1.5' et 16'" si èc les. ,1 l'époque où le

Les exemples les plu s signifi catifs d 'obj ets de pouvoir ayant la fo rm e de sc ulp-

Ponu ga l, étendant son empi re colonial. s'ounait des routes commerciales \·ers l'A sie

tures figurat ives pro\·iennent du peuple Kongo , établ i dan s le sud-ou ·st de l 'ac-

du Sud et de l'Est. Le mot portugais _tèiriço était résen·é à des objets naturels que les

9. FIGURE CANINE

Africains semblaient considé rer comme sacrés et auxquel s il, rendaient hommage ce n'est pas un hasa rd si la forme.fèitiço est déri\'ée du portugaisjl'iti01ri,1 (sorcellerie).

Ane. co ll.. Xavie r Pene (collectée sur 2

en Angola , au Cabind a et dans la R épublique du Congo. Les premiers 111i11kisi (sg.

·=·

1890-19 00)

En outre, ces hommages - prières, offrandes, sacrifices - étant adressés directement

Buffalo Muse um o f Sc ience (1901.0r '- --

au« fétich e», les chroniqu eu rs portugais en ont conclu que les Africains ne connais-

11kisi) Kongo - nom donné aux figure s de pou voir dan s la rég ion - ont été accuei ll is dans des coll ect ions pri\·ées et mu séa les occiden tales vers 19004. Découvrant de telles œuvres au Bas-Congo , les réact ions des premiers mi ssionnaires et voyageu rs

sa ient pas le concept de l'au-delà ni. par conséquent. la religion. Déformé au début

furem un anim emen t négatives. Les premières sources éc rites, remontant à la fin des

du 17,· siècle enfctisso par les Néerlandais et enjl'rissc par les Français. le mot prit sa

an nées 1600, font état «d'images diaboliques» «d'aspect féroce». ressembl ant à des

fo rm e moderne deférirhc dans un oun-age de Nicolas Villault de 13ellefond publié en

«épouvantail s» et souven t décrites comm e« ind écentes» ou « franchement obscè nes»

1669. Un siècle plus tard . en 1760. Charles de 13rosses employa le terme.fhic/iis111c pour

(Volavkova 1972, p. S2). O utre un e grande va riété d 'obj ets de type nki si représe n-

désigner l'adoration d'un «fétiche » en tant que tel. selon l'idée quïl ne représente

tant des fig ures humaines, on connaît éga lement quelques exemples spectaculaires

rien d 'a utre qu e lui-même

d'objets de pouvoir Kongo aux fo rm es anim ales. À en juger par leur nombre dans

1 •

Tout au long du 18'" siècle, le motférichc a été employé exclusi\·emem pour désigner

les co ll ec ti ons occ identales, le chien est la figure la plus souvent représentée dan s les

des objets naturel s ou des assemblages de matériaux naturels. Les auteurs étrangers ,1

minki si animaux (fi g. 9). Malh eureuse ment, nou s n'avons que peu ou aucun e infor-

la culture africaine remettaiem d'ailleurs en question l'exi stence d'objets de facture

mati on sur le li eu de collecte de la plupart des minkisi Kongo consen·és auj ourd' hui

hum aine qui seraient l'objet d'un culte et d\111e \·énération ,imilaires. Cette approche .

dans les col lections occidenta les . et les donn ées sur leu r

110111

vernac ul ai re ou leurs

dont on obsen·e la persistance pendant tout le 18' siècle. témoigne LÏun préjugé

usages locaux sont encore plus rares. Néanmoins . la découwrte dans les années 1970

culturel et de l' in capac ité à admettre d'autres modes de représentation et d'autres

de riches archi\·es de textes indigènes datant des années 1920 a considéra blemern

normes esthétiques (C hadeisson ~003, p. 167. mir aussi Mack 199:i. pp. :i3-SS). Pour

fait évolu er la situ ation. Répondant à un questionnaire di stribué par le mi ss ionnaire

les premiers obser\'ateurs étran gers. cette prétendue absence d Ïmages des dieux en

protestant suédois Karl Edvard Laman, des enseignants et catéchi stes Kongo ont ra s-

Afrique était une preuve d'absence de civi li sation et. par extension, d'« humanité». li

semblé près de dix mille pages de notes man usc rites sur ce thème (voir par exemp le

fa ut attendre les années 1860, à la suite de la multiplication des voyages en Afrique,

Janzen 1972, Janze n/ Mac Gaffey 197-t, Dupré 1975). Fait intéressa nt , Laman n'a pas

pour voir les Africain s crédités de croyances religieuses". Vers cette époque , on s\1c-

seul ement rec ueilli des tex tes mais a également constitu é une importante collec ti on

co rdait à penser qu e les adorateurs des « fétiches » ne ré\·éraient pa s ces objets en tant

d'objets , conservés aujourd'hui à l'Ernografiska Mu seet de Stock holm.

que tels, mai s bien les esprits d'entités surnaturelles qui les habitaient. À son tour.

Le terme bantou comm un 11kisi (pl. 111i11kisi) . que l'on trom·e sous différentes

cette concepti on a conduit à un intérêt accru pour les sculptures représentant des

va rian tes phonétiques, est d'emploi courant dans toute la région qui s'étend de la côte

formes anima les et humain es. Avec le dé\'eloppement du discours de l'anthropologie

atl ant iqu e jusqu 'au lac Tanganyika et au- delà pour désigner de tels objets et l'ensemble

au début du ~0' siècle , le s term esférirhc etféric/1is111c tombèrent en discrédit en raison

des pratiqu es qui les accompagne. Co mme l'a fait remarqu er Wyatt MacGaffey (1993,

de leur li en avec le concept d'évolution. Néanmoins. ces expressions n'ont pas été

p. 21), le ter me n'a pas d'équivalem dan s les langues européen nes et le mi eux se rait de

entièrement abandonnées, et le motfétic/1c continue d'être employé pour désigner un

le reprendre sans le traduire 5 . Sa signifi catio n première est celle d'un «réceptacle» et.

type particulier d 'obj et accumulatif dont les surfaces extérieures sont modifiées . voire

de fai t, des objets autres que des figure s taillées ou sc ulptées peuvent avoi r les mêmes

di ssimulées, par différents matériaux et di\'erses substances. Le néologisme srn/p111rc

fonction s et significa tions. Le terme 11kisi n'é tait pas seulem ent assoc ié à l'obj et en

de po11/loir pourrait cependant ne pas être un e solution de remplacement entièrement

tant que tel. mai s se référa it éga lement à la force spirituelle que cet objet in ca rnait.

satisfa isa nte. L'express ion pourrait en effet suggérer que le «pou\'oir » qu'elle érnque

Chez le peuple Kongo, cette fo rce était spécifiq uement considé rée comme l'esprit

existe indépendamment de l'objet et se trouve simplement représenté par cet objet ou in ca rn é en lui , alors qu e l'on relève plusieurs cas dans lesquels ce pouvoir (esprit,

22

rnelle R épublique démocratique du Congo (llD C) et dan s des zones limitrophes

-=

Kongo, R.D.C. Bois, tissu. fibre. pan' po rcelaine, mi roi r; h. 35,6 cm

1

,

,

· SCEPTRE (détail de la fig. 11)

Kong:i, R.D.C.

d'un mort (MacG affey 199-t. p. 125). Plutôt que de représe nter l'entité spirituell e. le réceptacle lui serva it de véhicul e ou d'abri, ce qui expliqu e le lien étymolog iqu e entre

DU FÉTICHE A L'OBJET DE POUVOIR

J

23

le mot Kongo nkisi et différents termes désignant la notion d'esprit en Afrique centrale

de ces images ga rnies de clous sont antérie ures au co ntact avec les Portugais, il n'en

(MacGaffey 2000, p. 79). Tout comme les autres peupl es, les Kon go confiaient la garde

reste pas moins que de telles images ne se trouvent pas en dehors de la région Kongo

et l'usage de ces images à des personnes précises, génér.alement des hommes m ais

au sens large; or, cette partie de l'Afrique cent ra le a été influ encée par le christi a-

quelquefois aussi des femmes . Désignés sous le titre génériqu e de nganga, ces hommes

nisme ava nt toute autre région située au sud du Sahara. D e m ême, les figures Kon go

ou ces femmes étaient présentés comm e des prêtres ou des prêtresses, des guérisseurs,

provenant de la côte m anifestant un plus grand naturalisme que cell es provena nt de

des thérapeutes ou, de faço n plus généra le, comme des experts ritu els. Le nkisi Kon go

l'intérieur des terres, M acGa ffey (1994, p. 125) a pu affirmer que les minkisi anthro-

en tant que tel s' inscri va it touj ours dans un e chaî ne bi en plus vas te in cluant diffé-

pomorph es étaient probablement bien moins «réa listes» ava nt le milieu du 19. Dans son essence, ce concept est destiné à cern er le langage figuré,

et de peintures corporelles , tout à la fois pour ajouter à l'éclat de ses apparitions publi-

ou les propriétés littéraires - à la fois métaphoriqu es et méto nymiques - nécessa ires

ques qu ' il transformait souvent en mises en scè ne et pour augmente r son autorité et

pour assurer l'effi cac ité de la composition ou de la recette. Chez les Pend e orientaux,

son prestige. Il en allait de même pour les accessoires qu ' il manipulait: la tai ll e et le

«mot » ou «parole» se dit 11111/1ehe, qui signifie éga lement «ai r », «sou ffl e», «b ri se» ou

caractère plus ou moins élaboré d'un nkisi étaient des signes de son importance et de

«vent ». Il s'ensuit que par la muhehe, on in voque les morts, ou 1m111bi - littéralement:

sa force. De nombreuses figures minkisi imitent en fait la tenue et les attributs portés

l'ensemble des ancêtres matrilinéaires - pour qu'ils vie nnent agir pour le compte

par le nganga .

de leurs descendants vivants. La traduction du terme 11111/,ehe tels que ! 'emploient

Si nous nous penchons sur les bilongo cachés à l'intérieur du nkisi, deux types ou

les Pende orientaux serait proche de ce que des sources plus anciennes ont appelé

catégories se dégagent de façon manifeste . Certa111es substances éta ient utili sées ou

I'«énergie» ou la . Il s connaissa ient les usages les plu s va ri és et étai ent beaucoup trop nombreux pour être co nnu s par leur nom. Toutefois, se lon Al an Merriam (197-+ , pp. 120-122), la plupart de ces man ki sh i personnels - qu elquefois regroupés sous le di 111 i nuti f ka 11kisl, i (pl. r1111kishi) du fa it de leur taille - étaient ce nsés préserver la féco ndité féminine. Il s éca rtaient aussi les sorciers, protégeai ent les maisons de la foudre et ga ranti ssa ient de bonn es réco ltes. C ontrairement aux manki shi communautaires, les esprits in voqu és par les manki shi personn els étaient vagues et rarement id entifi és de mani ère expli cite. Ces petits mankishi manifestaient également une étonnante di versité d 'expression et de qu alité du trava il. En outre, on retroU\·e parmi eux un nombre de fi gures féminin es . La majorité des manki shi perso nn els étaient jetés peu après leur produ ction , ca r les substances perdaient leur pouvoir dès que l'effet désiré ava it été obtenu . Comme les Kongo, les Songye reconn aissa ient dans le nga nga le produ cteur d'un nki shi (Hersa k 1986 , p. 122 ; 1999, p. 225 , ca t. 153) . Par ! 'appli cation ou l'in sertion

82

1

/

d'ingrédien ts, le nganga était responsable de la transformation d'un morceau de bois

57. FIGURE MASCULINE

Songye, R.D.C. Bois, fibre, per es g:_ .• métal; h. 41 cm Ane. coll.; Elias Wieze, Jean ,IV , ·:~s·s.· Collection Lau ra et James J. Ross 1

ta illé en obj et de rituel chargé de pouvoirs. De fait, le nganga était souvent aussi la personne gui sc ulptait le support ou le réceptacle figuratif en bois, en particulier da ns le cas des mankishi personnels. La réalisation de grandes sc ulptures communautaires, ca ractéri sées par la gran de qualité de leur travail, était gé néralement confiée à un arti ste reconnu et spéc iali sé dans la scu lpture sur bois. Contraireme nt

à la production des petits mankishi, gui éta it un e affa ire personnelle, la fabricat ion des mankishi communauta ires éta it un événement public, soumis à certains rites et interd its. Le nganga fixait en effet leur forme, leurs dimensions et le type de bois que devait utiliser le sculpteur. Parfois, le client utilisateur sculptait son propre nkishi. ce gui expl iqu e en partie les différents niveaux de qualité du travail entre grands er petits manki shi 4 . Une co nstru ction spéc ifiqu e érigée au cen tre du village ou à proximité de la case du chef se rva it de résidence au nkishi co mmunautaire. Un gong de petite taill e et un tambour étai ent utili sés pour accompagner les danses exéc utées par les homm es du village en l' honneur de la sculptu re. Tous les man kishi éta ient confiés à un ancien - hom me ou femme (fig. 59). Ce gard ien - connu sous le

110111

de lw11ca (ou

11k1111ja) - serva it d'interprète au nkishi, dont les messages éta ient reçus en rêve ou par possession par les esp rits. Le gardien ve ill ait aussi à ce que les hommes et les femmes du vill age respec tent les règles et rnterdits req uis pour assurer le succès de l'interve ntion du nki shi. De tel s manki shi co mmunautaires serva ient aussi à des consultation s collec ti ves, qui se déro ul aie nt en principe au moment où des rites éta ient organisés pour célébrer l'appariti on d'une nouvelle lun e. C hez les Kalebwe cepend ant, le nkishi communautaire servait aussi à favo riser la guérison d'individus (H ersa k 1986, p. 132). Dans ce cas, le kunca ent rait en transe pendant que les esprits lui révélaient la façon de traiter la maladie. Les apparitions publiques organisées le lendemain du jour où le gardien avai t vu un danger en rêve étaient particulière/

ment impressionnantes . Deux hommes éta ient alors désignés pour porter le nkishi

LES SONGYE

J

85

58. EN SEMBLE DE TROIS FIGURES

à travers le vill age, tenant la fi gure avec des perches en bois attachées so us ses bras

Songye ou Luba du Kasa P D.C. Bois, griffes, cornes, peaux, métal, graines h. c~

-s

avec du raphi a. Parfo is, les perches étaient fixées à la base de la fi gure, comm e sur

Ane. coll.: Pierre Darteveile

un e photographie de terrain pri se au début des ann ées 1900 (fi g. 60) (Merri am

Collection Felix ,tfecrion

197-1, p. 12-1). Pend ant cette procession à trave rs le villa ge, le nki shi interp ell ait

auprès

les esprits malfai sa nts et demandait parfoi s gu e ce rtain es herbes soi ent rasse mbl ées

Un type d'objet similaire, appcr"> et «médec ines». Tous les m ahamba o nt deux carac téristiqu es en co mmun: une qualité - app elée taci o u 11g11::u (fo rce o u pouvoir) - qui leur permet

d es termitières, des potea u x gravés , des figures en terre et des sc ulptures en boi s (Bastin 1982, pp. 106-109; 1984, pp. 40--H; 1999, pp. 92-94). Certains mahamba sont l'obj et d 'une adoration coll ecti ve, d 'a utres sont exclusive m ent li és à la sphère

66. AMU LETTE FIGURATIVE

Tshokwe, Angola ou R.D.C. Bois, fibre, os, méta

h. 12 cm Col ection Felix

privée . Les prières, les sac rifi ces et les offrandes de nourriture, ren voya nt tou s au ve rb e kuko111belela, sont régulièrement adressés aux esprits mahamba afin d 'obtenir leur protec tion ou les amadou er en cas de négligence ou d 'offense . La plupart d es rn ahamba ser ve nt à protéger les chasse urs et à ass ister les femmes pendant l'acco uchem ent - des res ponsabilités esse ntiell es, respecti veme nt pour les hom m es et pour les femmes, et cru cia les pour la surv ie du groupe. Le chef du v illage ga rd e les m ahamba qui protègent la commun auté dan s un enclos d erri ère sa résidence. Les familles o nt d es enclos simil aires, m ais plu s petits, pour leur

96

67. AMU LETTE FIGURATIVE

d 'accomplir des choses imp ossibl es pour les humain s, et le fa it de serv ir d'abris pour les uwku/111a1w, les esprits ances trau x. Presqu e tous les rn ahamba reçoive nt des o ffr and es, gé néral em ent sur les autels o ù les Tshok we s'a dresse nt au x ancêtres par d es prières, d es in ca ntation s et des évoca tio ns . Les qu alités d es maharnba Tshokwe

Tshokwe, Angola ou RD.C. Bois, tissu, perles; h. 6 c~ Col ection Felix Comme Boris Wastiau l'a suggéré /2006, p. 118, p. 2 e figures constituant cet objet pourraient avoir fa,t par· e d'un panier divinatoire et avoir été remises au client a l'issue d'une séance de divination afin de prolonger la protection. La principale caractéristique de l'amulette est ie samukishi, la représentation simplifiée er réduire d'un masque appelé cikunza, qui symbolise la fertilité e: la chasse.

sont très simil aires à celles des minkisi du Kon go évoq uées au chapitre 2 et au x rn anki shi des peupl es Luba et Songye. Sur la base des information s de Lima, il semble fondé de suggé rer le terme «o bjet de po u voir >> pour un e des no mbreuses significa tions du m o t /1a111ba. Bas tin (1988 , pp. 50-51) a ffirm e toutefois catégoriquement que les mahamba ne peuvent pas être considérés com me des « fé tiches», en partie parce que les Tshokwe n'utilisent jamais le m ot.fétiche po ur les évoq uer, m ais

LES TSHOKWE 1 97 1

surtout parce que les objets en tant que tels ne font pas l'obj et d'un culte. Ce so nt

68. FIGURE FÉMININE

Minungu, Ango la. Bois Sch'eoe·:; pl umes, mét al, tissu; h. 29 CM Scu lptée pa r Shafuku dans le. s;:e -,, • Kamba- Kumba en Angola Coll ectée pa r Albe rt Maesen da~s e , Tsh imbun du au Co ngo belge en '~:: Mu sée royal de l'Afri que centra•e -e, _ .

plutôt des «symboles», des réceptacles des esprits ou des fo rces qu'ils représe ntent,

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et ce sont ces élé ments gui sont hon o rés et craints. La même o pinion est ex prim ée

=~e Mwa

par Daniel Crowley (1971, p. 326): «Les Tshokwc n'ont ni fétiches ni ido les, pui squ'il s ne croie nt pa s que les figures sont réell es ou in ca rnent des forces spiritu ell es», même si plu s tôt dan s le m êm e texte, il affi rm e que les mahamba so nt utili sés dan s

(EO 1953.743033)

la « magi e de la fécondité, d e la g ué ri so n et de la cha sse» (1971, p. 317). Toute foi s, à la lumi ère d es éc rits de Wyatt M acGaffey, de R obert Farri s Thompson et d'autres, on peut affirm er que les o bj ections soulevées par Bastin et Crowley portent davantage sur la terminologie problématique du mot.fétiche que sur la no ti o n en soi. La qu estion gui s'e nsu it est de savoir lesq uelles des sc ulptures Tshokwe illu strées ici pourraient être identifi ées co mme des m ahamba. Ba stin a proposé un e di stin ction de ba se entre un art d e cour et un art populaire T shokwe . Les grands chefs-d 'œu v re Ts hokwe font partie de la premi ère catégo rie; ils ont sa ns doute été créés d ès la fin du 18'. ou au début du 19,· siècl e, lo rsque les g rand es chefferies prospéraient aux sources des fl eu ~es Kwa ngo et K asaï. Bastin

(1982, pp. 2-16-2-19) a aussi été le premier à distinguer deux gra nd es tend ances stylistiqu es Tshokwe: les styles du pays d'origine - Utshokwe - et les styles de l'expansion, chac un subdi visé en sous-styles .

onsidérés comme apparte nant au plus

ancien des deux courants, les st yles Utshokwe co uv raie nt toutes les formes de l'art de cou r T shokwe. Par contre, les st yles de l'expa nsio n , gui se sont d éveloppés après

1850, se manifeste nt cl ai rem ent dan s les masq ues et di ve rses form es d 'a rt ritu el et reli gieux. Selon cette classification, les sta tu es représe ntant Tshibinda llun ga sont des exe mpl es maj eurs d 'art de cour et sont rangés dans l'un des styles Utshokwe. D'autres genres de figures scu lptées appartenant à l'a rt de co ur d ans la tendance stylistique Utshokwe représentent des chefs et des personnages féminins. La plupart des œuvres de styles Utshokwe furent importées en Occident pendant le dernier quart du 19,· siècle, mais leur o ri gine exacte en Afrique reste in con nu e /

LES TSHOKWE

1

99

69. FIGURE FÉMININE Tshokwe, Angola ou R.D.C. Bo is, tissu.

r1e;a - "'"

h. 29,5 cm Ane. coll.. Jacques Blanckaert; Hè1ène

e' ~" : • "

Leloup; Donald Morris Gallery. Inc.. \'1er.::;;" ·

=

York The Newark Museum (2:J06.28)

à ce jour (Bastin 1978 . p. 11 6)\ Lorsq ue les styles de ! 'expans ion se sont développés à partir du mili eu du 19' sièc le, la prod ucti on de sc ulptures de chefs et la plupart des arts de cour fut interrompue en raison du déc lin de l'autorité des chefs Tshokwe et de l' impact de la colon isation européen ne. Bastin (198'.2, p. '.2-49) relève en outre un déclin de la qua li té arti stiqu e co rrespondant à la d isparition des traits «naturali stes» ca ra ctéristiques des styles Utshokwe . Toutefo is, en dépit de ce tte dégra dat ion, co mm e le fa it remarqu er Boris Wasti au ('.2003, p. 61), les styles de l'ex pan sion tém oignent de «rétentions» des sous- styles Mox ico et Mu zamba. qui étaient les va riati ons régionales dominances dans le co uran t Utshokwe. En outre, c'est pendant leur expa nsio n qu e les Tshokwe ont inAu encé les trad iti ons artist iqu es des no mbreux peupl es avec lesqu els il s entrai ent en conta ct. Le fair qu e seul le style de cour ait été coll ect ionn é ava nt le '.20" sièc le ne perm et pa s d 'exclure l'ex isten ce d'a utres styles ou ge nres, peut- être plu s anciens (Wa stiau '.2003, p. 61)°. Se lon Ba stin (1996, p. 197), puisqu e les 1nahamba représe ntent des être s surn aturels ou des entités spiritu ell es, les prêtres Tshokwe co nsidèrent qu' il est sac ril ège de les personnifi er sous la forme de sc ulptures figuratives représe ntant Tshibind a Ilun ga, des chefs et leurs co mpa gnes. Les sc ulptures de cour sont gé néralement carac téri sées par le raflîn ement . le natura lisme. le souci du détail et leur grande taill e; les sc ulptures mahamba étant des sy mboles des esprits, ell es so nt plu s abstraites o u co nceptuell es, offran t so uve nt des for mes simplifi ées et sc hématiqu es, d 'aspect rudim entaire et de facture gross ière (vo ir Crow ley l97l, p. 3'.26) . Bi en qu ' il s apparaissent parfoi s en coupl es, le sexe des statu es ne peut très so uve nt pa s être détermin é et les dé tail s com me la coiffe ou les sca rifi ca tions co rporelles ont disparu. Sou ve nt, les mahamba ne sont pa s créés pa r des sculpteurs professionnel s mais par les spéc iali stes du culte eux-m êmes (Bast in 198'.2, p. 106). Deux des petites sc ulptures illu strées ici sont probablement des exe mplaires du type le plu s ca rac téristiqu e de mahamba. On ne di spose d'a ucun s détail s sur la sc ulpture de la coll ec tion Felix (fi g. 66), qui en dépit de so n aspect rudim entaire, affiche la coiffe

LES TSHOKWE

1

101

70. FIGURE FÉMININE Tshokwe o u Lwe na. Angola. Bois, corne o ,-· tex t ile, perles de ve rre, caur is, métal; h. '- ' _ Ane. coll.. Gaston de Havenon, Tambara~ , , ~, New York National Museum of African Art, Smithso~

sr

Institution, Washington [museum purcr a', York; Donald Morris Gallery, Inc., • ~c~ New York; Donald Stern; James Hogan; : : ~ ~ ''orris Gallery, Inc., Michigan/New York : e:· on privée _,:

souvent mal conn us et peu étudi és . Les manga peuvent être positifs ou négatifs, être utilisés pour soigner o u nuire, et sont toujours caracté ri sés par une certaine ambiguïté et ambivalence . S'ils ne sont pas traités correctement et que les règles et

LES LULUWA

1

123

mterdits qu'ils imposent ne so nt pas respectés, il s peuvent se retourner contre leurs propriétaires et utilisateurs. D'autres distinctions rejoignent celle s observées chez

86. DEMI -FIGURINES EN BOIS EN FORME DE POINT ES,

les Songye, plus spéc ifiqu ement le fait que les manga peuvent être colle ctifs ou

INSÉRÉES DANS UN ANNEAU ENVELOPPÉ DE FIBRE

personnels, permanents ou temporaires. Enfin, ces objets de pouvoir établissent des

Collectées sur le terrain par Frederick Starr er ' American Museum of Natural History. Ne·.-, •O' ·

relations étroites avec les ancêtres. En effet , le bwanga sert de véhicu le et de foyer à

Probablement Luluwa, R.C.C.

"

1910 (90 1/9033)

l'ancêtre, qui exercera son influence à travers le support matériel. Chez les Luluwa, certaines formes d'adoration des ancêtres incluent la manipulation explicite d'objets de pouvoir.

87. RÉCIPIENT EN CÉRAMIQUE CONTENANT DE LA TERRE DES INGRÉDIENTS MAGIQUES ET DEUX COQUILL ES D'ESCARGOTS

Kete ou Luluwa, R.D.C., dia m. 17 cm

La plupart des figures Luluwa illustrées ici peuvent être associées à trois des

Collectée par Frederick Starr dans le ,illage ce

principaux manga: b1111111g11 ln/la cibo/11, b111a11ga ln/la l!111i111pe et /m,a11ga /m,a lmkaleui,;, lequel les chasseurs donnoienr en offro0ae, ", :: repos pris en commun ovonr leur dépor· , :; C", s Les manga de chasseurs éraienr toutefois ge0e•J non figurorifs er éraienr souvem cons[l[0ée, ;e. ,, d'escargots ou de petites cornes portées a a :e r · , '· ou o,rachées ou fusil. S'il s'agissait de scu,o·, 'e c c. étoienr générolemenr de petite raille et g•o;s ,". raillées.

Les mê mes d o utes d 'a ttributi o n ethniqu e pl anent sur la fo nctio n d e qu atre co rn es à charge m agiqu e (figs 89 et 9 1). Ces objets peu ve nt avo ir été utilisés en vue d 'un e protecti o n gé nérale d 'un indi v idu o u d e sa fa mille o u plu s spéc ifiqu em ent comme amul ettes de chasse . La fi g ure acc roupi e aya nt un e corn e bleue d e céphalo phe

(Ceplwlopli11s 111011ticoln) plantée au somm et de la tête (fi g. 92) est une ve rsio n plus élaborée du b111n11gn b111n c1Ïrn1bi, l'obj et d e pou vo ir asso ciée à la chasse, le terme

cile111bi sig nifi ant simpl ement chasse ur. Ces fi g ures so nt aussi app elées b111(111gn b111n b11yn11gn, un

11 0 111

très répandu d ans le sud du Con go 4 . Le terme cynb 11 fai sa it ré fé-

rence à un arbre-a utel et so n bwa n ga, consacré au x ancêtres et li é à d es problèm es plu s gé nérau x. Un cya bu consistait gé néralem ent en un bosqu et d 'a rbu stes et d e buissons. Il inclu ait parfo is un o u de u x po tea u x g rossièreme nt sc ulptés, colo rés en bl anc et rou ge et situ és de préférence à u n croi se m ent. Dive rs peuples se mblent avoir ut il isé le cyabu , et deu x exe mpl es parmi les Kete du N ord sont qu alifi és d e «fét iches» dan s ]'o uv rage dan s lequ el ils sont publi és en 19 12 (figs 93- 9..J.). Le soin parti c uli er appo rté à la plas tiqu e phys iqu e, gui était au cœ ur du cu lte cibola déj à déc rit, était dés ig né par le terme tshiluba b111i111pe. Parfo is rempla cé par le terme b11/e11gn, il désig ne la perfec tio n phys ique compri se comme un sig ne d'intégrité m o rale, co mbin ant ain si les no ti o ns occ id entales de bea uté et de bo nté. L'accent était mi s sur la beauté culturelle o u « humaine», c'est-à-dire la bea uté créée par les êtres hum ains; la sca rifica tio n étant un e d es fo rmes suprêm es de cet idéa l. La beauté culturelle occupait un e place impo rtante d ans un c ulte appelé b111n11izn /J 111n

b1J1i111pe. Co nçu avant to ut pour protége r et stimuler la fe rtilité d 'un e j eun e m ère et la bea uté et la sa nté d 'un j eune en fa nt o u d 'un no u veau-né, le culte b w impe concern ait spéc ifiqu e men t le bien-ê tre d'un e fe mm e g ui ava it d o nné naissa nce à un enfa nt de pea u pâ le, un « en fa nt ro uge»

(111111n 11 n

11111/w11se) comm e o n les dés i-

gnait d ans la rég io n . L'exceptio nnell e bea uté de ! 'e n fa nt nécess itait un e pro tec tio n spécifique contre les sorciers et les env ieux. À la na issa nce d 'un en fa nt ro uge, un

Srerwlin q11 i11q 11elobn à écorce blanche était to uj ours planté à côté d e la m aison de la

LES LULUWA

1

127

m ère en l' honn eur d es es prits ancestraux. Le culte utili sa it so u\·enr un e figure de pouvoir en forme de bell e tè mm e tenant un e co up e remplie de crai e blanche d an s un e main et parfoi s un maill et ou un coutea u dans l'autre (figs 9:i et 96) . La qualité

93. AUTEL AUX ANCÊTRES consistant

en un poteau surmonté d'un visage humain, dans un village Kete de la chefferie Byeeng du chef Ndombe. 1906 Photographie de Frederick Starr, in Starr

esth étique de la sc ulpture éta it ce n sée se reporter sur le n ou\·ea u-n é . Les sc ulptures

1912, pl. 11 .

ser vaient au ssi à traiter le s enfants so uffrant de maladi es de la pea u, d'infe ctions

94 . AUTEL AUX ANCÊTRES consistant en

oculaires ou d'autre s problè m es de sa nté. Plu s généra lem ent, elles se r vaient à éloi-

un poteau à doub le face g rossièrement sculpté et d'u n pagne, dans un village

gner le s m alveill ants et les sorciers, à assister les chasse urs et les agr ic ulte urs et à protége r les rnyageurs.

Kete de la chefferie Byeeng du chef Ndombe, 1906. Photog raphie de Freder ,, Starr, in Starr 1912, pl. 12 .

D ans to utes les figures relat ives à ce culte, la no ti on de beauté et de bonté était ex primée par le s sca rifi ca ti o n s m ais aussi par d 'autres formes d'embellissement. Po ur corres pondre aux ca n o n s de la beauté, les co us devaient être lo n gs, les têtes larges

95. FIGURE FÉMININE

Luluwa, R.D.C. Bois; h. 43,2 cm Ane. coll.: Sgt Henri Joseph Lassaux (col lectée à Luluabo urg [Kan,nga]

et les front s hauts. Les m o llets bien ca mpés étaient particulièrement appréciés ca r

en 1884-1886); Edmond Pe rée; Allan

il s indiquai ent la capa cité d 'un e femme à exécuter de lourd es tâches aux ch amps et

Frumkin; Raym on d et Lau ra Wielgus Indiana Unive rsity Art Mu seum, Raymond

au se in du foyer. L' imitation naturali ste d 'une hernie ombilicale sy mbol isa it le li en

an d Laura Wielg us Co ll ec ti o n (1975.91

étroit entre les ancê tres e t leurs descendants et le cycle des gé nération s. Ce rtain es parti es du corps faisaient spéc ifiqu em ent référence à la fo nctio n dévo lu e à la statu e: détecter et éloi gne r les sorciers. Dans le contex te Lulu wa, la fo ntane ll e - l'espace m e mbraneux so up le compri s en tre les os du crâne d es j eunes enfants - permettait la do ubl e v ue, c'est-à-dire la clairvoyance et la capac ité de discerner l ' in visibl e dan s le visibl e et le passé et l'ave nir dan s le présent. Pour ces raison s, la fontane ll e d es sc ulptures était gé n éral em ent marqu ée par d es cheve u x co iffés en pointe et recelait une o u plu sieurs cavités pour y place r le s bi shimba . Enfin , comme chez les Luba du Katanga étudiés au ch apitre . J., l'idéal de bea uté personnifi é par d es fi g ure s féminines comme celles utili sées dan s les cultes cibo la et bwimpe fonctionnait aussi comm e un e invitati on aux es prits des ancêtres à habiter les sc ulptures et à les utili se r com m e des interm éd iaires entre le m o nde naturel et le monde surn at urel. Toutefois , contrairement aux exempl es illu strés ici, les fi g ures du type bwimpe étai ent sou ve nt de petite taill e et sculptées d e m ani ère assez sommaire. Deux

128

1

grandes figures mesurant -H) centim ètres de haut et tenant un e canne (dilm111bo)

96. FIGURE FÉMININE

Luluwa, R.D.C. Bois; h.

r · c~

Ane. col l. : Hans Himme ne ce co ,ectée sur le terrain en 1939); Gustave et Fra'1.0 Sc'1 ndler

sont d'un sous-type rare dont il n'ex iste que que lqu es exemples dans des coll ections occ ide ntales . Les deux pièces se rapproche nt d'un point de ni e stylistiqu e

Collection p rivée

Selon la mode du momer: e. 'e~mes Luluwa portaienr des perruques de fibres vège,c es er de cheveux humains décorées de cauris. Les p,1.,s , cr,es porcaienr aussi plusieurs colliers de pertes n e~es er b1anches en rangs parallèles, qui sonr sou ver· ·eorésenrés en relief sur les figures féminines Luluwo.

alors que l'une a été acquise sur pl ace en 190.S par Leo Froben iu s (fig. 97) et l'autre plu s d 'un de mi-siècle plu s tard par Karel Timmermans (fig. 98) . L' ico nographie de ces figur es fait spéc ifiqu em ent référ ence à la possessio n par les esprits. La ca nn e de marche m anife ste quant à elle le pou voir po litiqu e particuli er que détenai ent ce rtain es femm es à la fin du 19'' sièc le. En effet, lo rsq ue la fille aî née d'un grand chef tombait malade et que le traitement classique ne suffisait pas à la guérir, un devin en conclua it que la femme étai t possédée par un esprit maléfique. L'initiation

à un culte spéc ifiqu e la li bérait de cet te possession. À l' issue du ritu el, ell e receva it le titre honorifiqu e de i11aba11~a et étaie in vest ie du pouvoir politique suprê me. En plus d'être un sy mbole de prestige, la can ne éta it auss i utili sée pour j ter un sort en frappant le sol. Outre les fi g ures de pou voir fémin in es, les Luluwa créa ie nt de grandes fi g ures représe ntant des chefs ma sc ulins, vo ire des g uerriers . La différenc

styli stiqu e

entre les deux exemples illu st rés ic i (figs 99 et 100) tient très vraisemblablement à leu r appartenance à des sous- groupes sit ués dans des zones différentes de la vaste région Luluwa. Pour les Luluwa tout comme pour les Tshokwe et les Songye, un grand chef é tait auss i un g rand chasse ur et un g rand gue rrier. Considé rées co mm e l' in ca rnat ion des va leurs ma sc ulin es de l'a utorité et de la violence - d'où la référe nce à la g uerre par le biais des armes e t d 'a utres accessoires de ce type-, les grandes fi g ures se mbl ent avoir appartenu excl usive m ent à un petit gro upe de chefs de haut rang de la fin du 19'' siècle. Les scu lptures r levaient du bwa nga bwa buka lenga, le cu lte censé raffe rmir la force vita le et l'autorité du chef, préserver le bien-être du peuple et perpétuer les relations entre les humains et les ancêtres. Plus spécifiquement, un pagne en peau de léopard ou de toue autre félin tacheté assimil é au léopard dé ign ait la figure co mme un 11111kale11ga

111a

11kashaa111a o u chef

LES LULUWA

1

131

- FIGUR E FÉMININE

-" u:,a R.D.C. Bois; h. 51 cm '~c coll.: Leo Frobenius (collectée en 1905 auprès du ::,as-groupe Bakwa Mbusha, vivant entre la ville de _:.ebo et la rivière Luluwa); Museum für Vdlkerkunde, -amoourg, Charles Ratton; Helena Rubinstein; ~omte Jean-Jacques de Launoit; Jay C. Leff e Detroit lnstitute of Arts, Founders Society

- 0

Durchase, with various funds (1982.49) ?8. FIGURE FÉMININE _ _, cJ

.,a. R.D.C. Bois; h. 43,5 cm

_o ernon Karel Timmermans (collectée près de \Jemba en 1964), en prêt permanent à la Katholieke ~

ers,reit Leuven

I

99. FIGU RE MASC ULINE Lu luwa, R.D.C Bois (Trichilia gilgiana), caur, r - · .

A.ne. coll.: Dr. Jules-Auguste« Tiarko

Fovcr ,-

(collectée sur le terrain en 1933- 1936) Musée royal de l'Afrique centrale, Ter,vrer [acquisition, 1946) (EO 0.0.43848)

Cerre figure porte une réplique d'une C'.J e~0 suspendue dans le dos. D'aurres sculpr, 'e, 80) porrenr /'im,ration d'une coquille d esc., '; · ~ œrrains cas, une vraie calebasse ou coau e 'c., remplie de subsrances magiques éra,· ace • figure; on peur imaginer que ces accesse, re -: · 1 éraient communs. r

~;;

léo pard , un d es plu s hauts échelo ns du po m ·oir politiqu e parmi les Lulu wa . À l'issue d 'un ritu el d ' in ves t iture complexe , qui co111prena it un e péri o d e de réclusion et le respec t d e règles et d e ce rta in s interd its. le chef éta ie co nsidé ré co mm e investi du pou voir du léo pard et capable d e se transform er en ce prédateur red o uté. Par111i d 'a u tres élé111 ents iconog raphiqu es m arqu ant le statut et le presti ge, relevons le casqu e ou un aut re t y pe d e chap eau d e chef, la barb e fin e m e nt tressée, le co lli er d e pe rles bl eues et blan ches e t la co rn e à boire suspendu e à l' épaul e . E n o utre, les fi g ures po rtai ent fr équ emm e nt d s i111itati o ns g ravées d 'a mul ettes at tachées à d es cord es d e cuir et pl acées auto ur du co u d e la statu e o u en di ago na le autour d e la taill e 5 . C o m111 e le co nfirme nt d eux fi g ures d e che f du 111usée d e Ter v ure n , coll ec tées sur le terrain par Jul es-Au g uste Fourche dura nt les ann ées 1930 (non illu strées ic i), de tels obj ets portaient d es nom s perso nn els, 1'un e s'a pp elant I lu n ga Mu kulu, l'au tre T sh ib w abwa I lu nga. Mukulu sig nifie simpl e m ent «g rand » e t d é no te d o nc une ce rtaine importance ou une sup ériorité du e à l' âge, alo rs qu ' [lun ga es t un nom hon o rifiqu e co mmun ve na nt d es Luba du K atan ga . Le

110111

T shib wa b wa

llun ga rapp ell e qu ant à lui les Tsho k we . En lan g ue tshiluba, Tshib wa b wa d és ig ne l'aîné d 'un co uple d e jumea u x et peut être d o nn é ta nt à un ga rçon q u'à un e fill e. L'é qui val ent Lulu wa d e T shibind a Ilunga est Nko le wa T shilond a. Ce perso nna ge fait lui aussi réfé rence à la cha sse et à l'autorité du che f. Il exi ste peut- être un lien direc t

ntre ces fi g ures Luluwa et les sculptures T shok we d e Tshibinda

Ilu nga. Il es t poss ibl e, co mpte tenu d es in te ra cti o ns entre les d eu x peupl es, qu e l'usa ge d e fi g ures id éa lisées pour g lorifi e r et fortifi er le pouvoir du chef v ie nn e d es T shokwe . Les no 111 s propres rec ue illis po ur ce rtain es d es sc ulptures do nn enc toutefoi s à pe nse r qu 'ell es ava ient une fon ct io n commém o rati ve et se n ·a ie nt à prése r ve r le so u ve nir d es ancêtres d e chefs o u d e héros, et étaie nt do nc a nalog ues par ce rta in s as pec ts au x célèbres fi g ures ro ya les du so uve ra in Kub a (voir figs 102 ec 103).

LES LULUWA

J

135

/

Les m o rti ers étaie nt coura mm ent utili sés par di ve rs peup les du Congo m éridi o nal po ur pi ler les feuill es de tabac . Certain s m o rti ers anthropo m orph es Lulu wa (fig. 10 1) o nt to utefoi s été assoc iés à u ne no u vell e reli g io n o u bwa n ga co nnu e sous le

110 111

de culte du chan vre, institu é à la fin du 19" sièc le par un des che fs Lulu wa

les plu s pui ssa nts, K alamba Mu ke n ge, du sous- gro upe Beena K as hi ya . D estiné à établir la pa ix et le bo nh eur, le no u vea u b wanga éta it aussi ce nsé ass urer à ses ad eptes lo ngévité et m êm e imm orta lité. Il a été suggé ré qu e les m o rtiers étaien t utili sés spéci fi q ue m ent po ur pil er les fe u illes et les fl eurs de ca nnabi s. En fa it, jusqu 'à la fi n d es années 60 , fum er du chan vre fa isa it l'o bj et d 'un ritu el ce nsé établir une relatio n avec l'uni ve rs surnaturel d es ancê tres . L'a bsence d e m o tifs compl exes d e sca rifi cati o n sur un g rand nombre d e mo rtiers fi g uratifs Lulu wa a éga le m ent été associée à la no u velle reli g ion du chanvre. 1 armi d 'autres réfo rm es reli g ieuses, K alamba Muken ge ava it en e flè t interd it les sca rifi ca ti o ns\ Il aura it aussi sa isi les 100. FIGURE MA SCULINE

fig ures d e po u voir de chefs so umis à so n auto rité et les aurait fa it détruire par les

Luluwa, R.D.C Bu Ane. coll.: Guilla~ -r s 1937-1938): Jacq~e France Collection Laur

0 -:

~:

?:"e

exposee à Anvers, co11ection privée,

fl amm es .

éa nmo in s, en dépit d e sa préé min ence , Ka lam ba Mukenge ne régna

j am ais sur to ute la régio n Lulu wa . So n in flu ence n'a par exempl e ja m a is atteint •.. '0SS

101. MORTIER CA RIATIDE

SS cm Luluwa, R.D.C Bo · · Ane. coll.: Henr' Pel· • Etnografisch Mus~, ~ . e•s [acquisition, 1920] (AE 1117)

Les morriers orne , • ,,-e •nasculine accroupie, les joues dans les~ ' c • e, coudes sur les genoux, représenrenr gént ·, ·"~chef ou un haut digniraire. Se/or .e•· 'e ;ources. ces objers éraieni utilisés pour con1è'. • ,· ngréd,enrs magiques de guérison ou de pr ·, ls éraienr souvenr porrés en amulettes autour '

le nord du pays Lulu wa, ces régio n s o ù la plupart d es fi g ures d e style naturali ste se mblent avoir été réa lisées . D e m êm e, n'é tant qu 'un reno u vea u reli g ieu x parmi beau co up d 'autres , la «révo luti o n » d e Kal amba Muken ge ne s'est ce rta in e m ent pas étendu e , elle no n plu s, sur la rég ion Lulu wa to ut enti ère. La fin d e la péri o de de prod uctio n de fi g ure de st yle n aturali ste d o it plu s probablem e nt être mi se e n re lati o n avec la suppressio n d e la strati ficat io n soc iale traditi onnelle de la soc iété Lulu wa par les auto rités colo niales au d ébut du '.2 0'° siècle. N o to ns cepend ant qu e d ans q uelq ues v ill ages , de petites fi g ures d e style sché m atiqu e so nt to uj o urs fabriq uées et utili sées aLij OUrd ' hui .

LES LULUW.A j

137

8. FIGURES D'ANCÊTRES ET

I

FIGURES DE POUVOIR

/

/

D

ans sa co ntributi on pour le cata logue de l'exposition Fe1ishis111: Vis11alisi11,Q

Po111er a,11/ Desirc, John Mack (1995, p. 58) établi t un e nette distinction entre les

figures d'ancêtres et les obje ts de pouvoir 1• À propos des figures d 'a ncêtres, il affirm e qu'elles sont «sc ulptées a\·ec élégance» et qu'elles se rvent géné ralemen t à des fins positives, alors que les objets de pouvoir sont souvent des assemblages d'éléments préexistants et sont habituelle ment réa li sés da ns le but de nuire. En Afrique centrale , les meilleures exemples de cette oppos iti on sont les figures royales des Kuba et les « fétiches à clous» des Kongo . Produites avec soin. les figures Kuba sont «1isses, sublim es», leu rs surfa ces sont lu strées et il en émane un e impress ion de dignité et de maîtrise de so i, des qua li tés idéa lement in ca rn ées par les chefs réels qui éta ient les modèles des sc ulptures (figs 102 et 103). Les visages sereins et les postures apaisées des figure s masculines debout du peuple Hemba, dan s le sud-est de la R épubli que démocratique du Congo, offrent un autre exemple de ce type de sculpt ures d'ancêtres pou r la plupart biem·ei ll antes (fig. 10-t et p. 139) . L' imm obi lité empreinte de dignité de ces sculptures contraste vivement avec les expressions et les postures agressives et menaçantes d 'un grand nombre de figures de pou\'oir Kongo (11 1i11kisi

111i11ko11di) (sg. 11kisi 11ko11di) (figs 105 et 12). Leur bouche grande ouverte évoq ue la croyance selon laq uell e un médiateur entre les vivants et les morts se doit de parler haut et fort, tandis qu e la posture (co nnu e sous le terme de tcla111a /11,i111ba11ga11,Qa) - la ma111 ga uche sur la hanche et la main droite brandissant à l'origine un e lan ce ou un

c · FIGURE MASCULINE (détail) Hemba, R.D.C. Bois, tissu; h. 69 cm Collection privée

couteau - signa le les pouvoirs défensifs du nkisi .

102. FIGURE MASCULINE REPRÉSENTANT LE

qu'on s'attache au contenu et au contexte des œuvres plutôt qu'à leur aspect ex té-

ROI MIKO MIMBUL

rieur. En eftèt, les figures à clous Kon go et les figures royales Kuba partagent des

0

,

Kuba (Bushoong), R.D.C. Bois (Crossopteryx

Mack (1995, pp. 58-59) admet cependant que cette di stinction s'estompe lors-

febrifuga), métal: h. 55 cm

ca ractéristiqu es conceptuelles que l'on ne peut déduire de leur as pect visuel, en

Ane. coll.: M. et Mne Van den Abbeele 1avant 1924)

particulier des références à la chasse et un e assoc iation aux esprits des eaux . Le

Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren

même auteur (1995 , pp. 62-63) reconnaît même des ana logies dans le traitement

[don des Amis du Musée, 1924] !EO 0.0.27655)

des sur faces des deux types d 'obj ets: la patine so mbre et brillante des sc ulptures

Remplissant diverses fonctions durant ·existence du roi, ce portrait jouait un rôle central lors de la cérémonie d'investiture de son successeur. Après avo,r reçu la force 1 tale du ro, défunt par un nte de transfert, la sculpture accompagnait le futur roi pendant sa pénode d'isolement afin de lui insuffler les pouvoirs de son prédécesseur.

royales Kuba est le résu ltat de l'application d'huiles destinées à ac ti ver les pouvoirs intrinsèques des figures, comme le font les clous, lames et aut res objets métalliques fichés dans les minkisi minkondi. En fait, il y a trente ans déjà , Leon Siroco (1976 , p. 6) se plaignait du fait que « trop d'images [africaines] trad itionnelles sont classées selon deux catégories identita ires : ima ges d'ancêtres d'une part , images ma giqu es et imperso nn ell es de l'autre». li ajoutait qu'une opposition intrin sèq ue entre figures

103. FIGURE MASCULINE REPRÉSENTANT LE

d'ancêtres et fétiches ne pouvait plus être so utenue, étant donné qu e trop d'images

ROI MISHE MISHYAANG MAMBUL

Kuba (Bushoong), R.D.C. Bois (Crossopteryx

avec la «noblesse» et la «fi nesse» attendues d'un e figure d'ancêtre peuvent en fait

•ebrifuga); h. 49,5 cm

représenter d 'a utres types d'esprits (S iroco 1976, pp. 7-8) .

Ane. coll.. Roi Kot aPe (1909 ou avant); Jules Renkin; Maurice Renkin -he Brooklyn Museum, Purchased with funds given by Mr. and Mrs. Alastair B. Martin, Mrs. Donald M. Oenslager, Mr. and Mrs. Robert E. Blum, and Mrs. Florence A. Blum Fund (61.33)

L'étude critiqu e des différences présumées entre figures d'ancêtres et figures de pouvoir nous renvoie à l'intéressante analyse d'Allen Roberts portant sur l'art des Tabwa , un peuple apparenté aux Luba et vivant au sud-ouest du lac Tanganyika, un e région qui constitu e aLuo urd ' hui le sud-est de la République démocratique du

FIGURES DANCËTRES ET FIGURES DE POUVOIR

1

141

104. FIGU RE MASCU LI NE

Hemba, R.D.C. Bois; h. 68 cm Ane. coll.: Jacques Blanckaert; Luciano Lanfra~c" Collection privée

Cerre figure représente l'ancêtre fondateur dune , "eparernelle. /1 ne s'agir pas d'un portrait au sens .. e,_, sa barbe er sa coiffure cruciforme /seulemenr v s " e de dos) reflètent le srarur social et l'ident,ré erh,-, u,e du personnage important qu'il représente. ,ive · ;e pouvoirs spirituels bienveillants, de reis ob1e·s ,er., e0 • d'intermédiaire entre l'ancêtre erses descena,,,--

Congo et le nord- est de la Zamb ie (voir en parti culi er A. Roberts 1985, pp. 8-16) .

À la lumi ère des in vasion s de la région par les trafiquants d'esclaves Swa hili venu s de l'est dans les dernières déce nni es du 19'' siècle, R oberts examine ce rtain s change ments politi ques et économiques maje urs qui ont eu un impac t profond sur l'art Tabwa de 1850 environ à 192 0, moment où les chefs Tabwa cherchèrent à co nsolid er leur pouvoir et à légitimer leur réaction face aux intrusions. Faisant usage de la distin ction th éoriqu e entre« art process uel » (proccss art) et «art fo rmul aire» (statement art) prop osée par Malcolm McLeod (1976, pp. 99-102), distin cti on gui rappell e l'oppositi on de Vi ctor Turn er entre «ritu el » et «cérémoni e» (1967, p. 95), R oberts formu le une hypoth 'se préc ise sur l' évolution de l'a rt Tabwa. Selon ! 'an alyse de McLw d, ! 'a rt process uel conce rn e des « images gui s' in sc rive nt dans une chaîne co ntinu e d'ac tions et gui sont créées, modifi ées ou abandonn ées au fil du te111ps », alors que ! 'a rt fo rmulaire a trait à des « images gui se 111an ifes tent d 'e mblée dans leur fo rm e fin ale, tell e qu 'elle a été vo ulue, et gui co m111uniqu ent leur signi fica tion par elles-mêmes » (McLeod 1976, p. 99) . L'a rt fo rmulaire était «ava nt cout assoc ié à la glorifica tion ou au renforce111ent de systèmes d 'a utorité ex istants ou

à l'ex press ion d ' idées co m111unément acceptées sur la nature de l' homm e ou de la société». Dan s les systèmes po litiques ce ntrali sés, les im ages de ce type étaient desci nées à «élever les gou vern ants pour leur fa ire atteindre un e position su rhum ai ne». En tant qu e ge nre, ! 'a rt de cour peut être co nsid éré co mm e un art fo rmu laire, dont une des expressions visuelles est co nstitu ée par les fig ures d'a ncê tres . En reva nche, s' in sc ri va nt da ns un système thérapeutique co mplexe, l'art process uel était «destin é

à indu ire le changement ou à réso udre des pro bl èmes, nouvea ux ou réc urrents, li és au change ment » (McLeod 1976, p. 101); les œuvres gui en relève nt peuvent être modifiées ou détruites durant l'u sage gui en est fa it, exac tement comm e les fi gures de pou voir d 'Afr iqu e centrale dont traite notre ouvrage . En bref, l'art fo rmul aire éta it « form el, fi xe et hors du temps», contraire111ent à l'art processuel qui , parce qu ' il conce rn ait la «modifica tion » et I'«aju stement », éta it souvent !'obj et d ' interventions matériell es et d'ajo uts (McLeod 1976, p. 102). R elevo ns que les Tab,Ya fa isa ient eux-m êmes une distin ction ex plicite entre art processuel et art fo rmul aire , parl ant tantôt de 111ikisi 111ihakc ou «fig ures magiques», tantôt de 111ikisi 111 ihfü i ou « fig ures d 'a ncêtres» (A. R oberts 1985, p. 10)2. Toutes les fi gures miki si étaient détenu es par les anciens des lignages et les chefs et la plupart représentaient des esp rits d'a ncêtres (111ipasi ou 111i~i11111) portant des noms perso nn els. Essentiel le ment destin ées à protége r, ell es étaient placées à !'entrée des vi !!ages en gui se de ga rdi ens afin de ga rantir la réussite et la séc urité de la chasse ou de guérir les maladi es (A. R.oberts 1985, p. 12). N ombre de ces fi gures recèlent des substances magiqu es et pouva ient être placées da ns un enclos spéc ifi que de l'habitati on de l'ancien d 'un li gnage, à qui il arri va it de dormir près de l'objet «pour recevoir l' inspiration de !'ancêtre » penda nt ses rêves (A. R oberts 1995 b, p. 298, car. -t. 69; vo ir aussi Maurer 1985, pp. 11 0-111, pl. 8) .

FIGURES D'ANCÊTRES ET FIGURES DE POUVOIR

1

143

/

L'art processuel étant destin é à combattre un grand nombre de probl èmes, notamment la mal adie et l'infortun e, les Tabwa pensai ent qu' il avait toujours exi~é. Allen Roberts a pour sa part émi s l' hypothèse qu e l'a rt formul aire Tabwa «n'est pas ancien et a prospéré entre 1850 enviro n et les années 1920» (1996, p. 22:i), lorsqu e les chefs procédèrent à une ce ntrali sation de leur pouvoir suite à leur parti cipation au trafi c d' ivoire et d 'escl aves avec la côte d 'Afriqu e orientale. li s commandèrent des fi gures d 'a ncêtres de grand e taille et d 'autres obj ets de presti ge pour célébrer leur « 'roya uté' refond ée ». En effet, la deuxième moiti é du 19" siècl e a vu «l' inventi on de tradition s royales , lorsqu e de nou velles circo nstances d 'a utodévelopp ement apparurent » (A. Roberts 199:ia, pp. 368-369, cat . 193- 19-+). En tant qu e nou veaux sy mboles d 'a utorité, les fi gures miki si honorant les esprits des ancê tres dev inrent plu s grandes et plus élaborées . Elles n'étaient plu s des ancê tres gé nériqu es, mais représentaient désormais des ancêtres co nnu s par leur nom propre et célébraient

!'ascend ance illu stre et le statut roya l de leur possesseur. Ce type d'a rt formul aire Tabwa allait cependant finir par di sparaître sou s l'effet de l'oppos iti on concertée des chrétiens et des administrateurs coloniaux. Parmi les meilleurs exe mpl es connus de l'art formul aire Tabwa, arrêtons-nou s aux fi gures emportées en gui se de butin par le lieutenant belge Émil e Storms, gui commandait la quatri ème exp édition de l'A ssociation intern ati onal e afric aine, après une attaqu e lancée contre le chefLu singa du clan Sanga en 188 -+ (A. R oberts 1985, p. 18 ; 199:ia, pp. 370- 371, cat. 197). Le style de ces fi gures Tabwa mani fes te l'influ ence de leurs voisins Luba. Les chefs Tabwa, gui aspiraient à un e stru cture politique plu s ce ntrali sée semblable à celle des Luba, admiraient éga lement les arts «roya ux » des Luba. Fin 188 -+ ou début 188:i , dans le cadre d'un nouvea u conflit gui l'opposa it au successe ur de Lu sin ga - portant lui aussi le nom de Lu sin ga - Storms acquit dans le village du chefK ansabala (l 'on cle maternel de Lu singa) deux sc ulptures d 'a ncêtres à charge ma giqu e (fig. 106) dont on di sait qu 'elles représentai ent le chef et son épou se ou plutôt, l'ancêtre féminin de l'asce ndance matrilinéa ire d Kansabala , symbol e de la co ntinuité de sa dynasti e (A. Rob erts 198:i. p. 19; 199:ia, pp. 368- 369, ca t. 193-1 9-+)3. À l'instar d'autres chefs Tabwa ambitieux, Kansabala et Lu si nga. soucieux de légitimer leurs aspirations politiques, furent prompts à adopter certaim éléments clés de la culture «roya le» Luba, notamment la fabri ca tion de sc ulptures fi gurati ves destinées à exa lter et à célébrer le nou veau concept de royauté sacrée. Ain si, tant la coiffure cru ciforme (se ul ement visible sur le dos) qu e le grand balu chon de médec in es se trou vant au sommet des têtes fin ement sculptées du couple de statu es de Tervuren peuvent être attribu és à un e influ ence Luba. Soit ces œuvres imitent le style Luba, soit ell es ont été direc tement importées dam le pays Tabwa depui s la région Luba. Dans plu sieurs publica tions, Eva n Maurer et Allen R oberts ont suggé ré qu e les fi gures de Kansabala ne constituaient pas seulement des représentations de ses ancêtres mais contenaient éga lement des substances et des attributs gui leur conféraient un pouvoir magiqu e de tram fo rmation. Selon Roberts (1985 , p. 37), «le processuel et le

144

1

' FIGU RE MASC ULINE

· :- ~o orobable ment Cabinda. Bois (Canarium ,- ·.e ~'Jrchii), métal, fibre, verre; h. 60 cm

c •

:c,

M. Flamingny (collectée sur le terrain).

:"~ rd Dartevelle

,,,,e 'Oyal de l'Afrique centrale, Tervuren (transférée -~- '.\Jsées royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles. en ,-c .acquisition, 1938] (EO 19791.346)

/

formulaire se combin ent parfoi s dans un seul et même obj et », gu i relève dès lors d 'une troisième catégo rie, intermédiaire. En outre,